Trésor du terroir : les noms de lieux de la France 9782271092793

Qui n'a pas un jour cherché à savoir ce que voulait dire tel nom de lieu ? Les noms en disent long sur les lieux, e

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Trésor du terroir : les noms de lieux de la France
 9782271092793

Table of contents :
Sommaire......Page 9
Mais qu'est-ce qui est ?......Page 11
Questions et réponses : le lieu et le nom......Page 12
Raisons de faire, raisons de dire......Page 13
Trois défis......Page 14
Ce qui peut être......Page 15
Mode d'emploi......Page 16
Sources et méthodes......Page 17
De villa en village......Page 19
Demeurer, rester......Page 22
Être là......Page 24
Croître et bâtir......Page 26
D'autres maisons......Page 28
Les quatre anciens piliers de la sécurité......Page 30
Se protéger : l'habitat perché et clos......Page 32
De plesse en mur......Page 36
De cour en borde......Page 40
De ferme en fère......Page 42
Maisons en région......Page 44
Ailes et ateliers de la ferme......Page 45
Aux abords, côté ouche......Page 47
Cabanes et cabanons......Page 49
De folie en plaisance......Page 53
Les facettes de la ville......Page 54
Rencontres, replis et déploiements......Page 58
De zone en parc......Page 60
2. Pays et chemins : le territoire et ses réseaux......Page 63
Chez soi......Page 64
La queue des noms......Page 65
Reparler du pays......Page 68
Le pays par le peuple......Page 69
Bornes et limites......Page 70
Se situer......Page 75
De haut en bas......Page 78
Entre deux et côte à côte......Page 82
À l'écart : les coins perdus ou cachés......Page 84
Sentir, pister, cheminer......Page 87
La route et la rue......Page 92
Munies, chaussées, ferrées......Page 93
Divergences et croisements......Page 94
Passer l'eau......Page 97
Les deux faces du col......Page 99
Échancrures......Page 102
Les portes étroites......Page 104
Les relais......Page 107
Rencontres et transferts......Page 110
Odonymie......Page 113
Le maître et son domaine......Page 117
Ce qui reste des anciens titres......Page 120
Autorité et interdits......Page 123
L'émancipation par contrat......Page 125
Le fardeau des redevances......Page 129
Surface et contenance......Page 131
Biens communs et partagés......Page 135
Les agents de la relation sociale......Page 137
Le soin de la santé......Page 140
Souci de sécurité......Page 142
Du châtiment......Page 144
Les lieux de la mort......Page 146
Du côté du sacré......Page 150
Les mots de la chrétienté......Page 152
Les édifices du culte......Page 155
Abbayes et monastères......Page 159
Ceux du clergé......Page 162
Trésors d'église......Page 164
Maléfices et sortilèges......Page 165
Les petits êtres des bois......Page 168
Ceux qui sont différents......Page 170
Mégalithes et chaos......Page 174
Du bon côté......Page 176
L'envers du décor......Page 179
Le goût des couleurs......Page 182
Des épithètes bipolaires......Page 187
Quelques singularités......Page 192
Jeux de nombres......Page 193
Dure était la vie......Page 194
Terroirs en fête......Page 198
Saveurs du pittoresque......Page 200
Éminences......Page 205
Som, puy, pic......Page 207
Vieux oronymes......Page 210
D'autres hauteurs......Page 214
Formes d'en haut......Page 219
Images et métaphores......Page 223
Monts en long......Page 226
Des rocs et des pierres......Page 229
Pentes et parois......Page 235
Plans, plaines et plateaux......Page 240
Vaux, vals, vallées......Page 245
Images en creux......Page 249
Les vrais trous......Page 253
Où l'eau s'engouffre......Page 256
Sous roche......Page 258
Les grands fonds de la peur......Page 260
Sources, fontaines et points d'eau......Page 263
Les eaux qui courent......Page 269
Les noms de rivières......Page 273
Ravins et torrents......Page 276
Le cours des eaux......Page 277
Les lits et les rives......Page 281
Accidents de parcours......Page 284
Marais et bourbiers......Page 287
Faune, flore et sols des fonds mouillés......Page 293
Lacs et étangs......Page 296
Le littoral......Page 300
Abris de mer......Page 304
Côtes basses......Page 308
Lignes de côte......Page 312
Les météores : le vent qui souffle......Page 317
L'ombre et le soleil......Page 320
Brumes, neiges et glaces......Page 322
Des noms de bois......Page 325
Les arbres de la forêt......Page 330
Utiles incultes......Page 339
Terres en repos......Page 344
Végétations du saltus......Page 346
Buissons d'épines......Page 348
Les animaux des confins......Page 350
Les sauvageons......Page 352
La gent ailée......Page 356
Les défrichements......Page 359
Bocages et gâtines......Page 363
Champs et champagnes......Page 366
Plantes cultivées......Page 368
Plantations......Page 371
Modeler le terrain......Page 375
Les aménagements hydrauliques......Page 377
Les divisions du finage......Page 381
Sols et terroirs......Page 385
Herbages, pacages......Page 390
La montagne pastorale......Page 394
Les animaux d'usage : aumailles et pécores......Page 397
Monde équestre, bourrique ou baudet......Page 400
Du côté de la soue......Page 402
Mines et carrières......Page 404
Les moulins......Page 407
De la fabrique aux fabriques......Page 409
Successions de langues......Page 415
Mutations des temps troublés......Page 417
Intrusions féodales......Page 419
Hagionymie, l'odeur de sainteté......Page 422
Saints disparus, saints cachés et lieux saints......Page 424
Les terres nouvelles......Page 425
Baptêmes des temps modernes......Page 426
Innovations des temps contemporains......Page 428
Lieux d'aventure et civilisation des loisirs......Page 429
Urbanisations récentes......Page 432
Pourquoi changer un nom de commune ?......Page 434
Glissements hiérarchiques......Page 437
Déclins et descentes du peuplement......Page 439
La promotion des carrefours et des centres d'activité......Page 440
Rectifier une orthographe......Page 442
Euphémismes et quant-à-soi......Page 444
Effacer une dépendance......Page 447
L'art de la distinction......Page 449
Nommer par et pour la renommée......Page 450
Privilèges et spécialités......Page 451
La vertu des hommages......Page 453
Commémorations et terrains des armes......Page 454
L'effet des fusions......Page 456
La fabrique des noms nouveaux......Page 457
La seconde vie des noms de lieux......Page 460
8. À distance : pièges et énigmes de la toponymie......Page 465
Trahisons de clercs......Page 466
Phonèmes et graphèmes......Page 468
D'une langue à l'autre, d'un saint l'autre......Page 470
Les faux amis......Page 472
Homonymes et paronymes, la confusion des sens......Page 474
Questions ouvertes......Page 480
9. La France en grandes régions toponymiques......Page 489
Paris et alentour......Page 490
La deuxième couronne......Page 493
Autour de la Loire......Page 496
Les régions du Nord-Est......Page 499
En Champagne......Page 500
Ardenne et Argonne......Page 501
En Lorraine welche......Page 503
Alsace et Moselle......Page 506
Lorraine tiche......Page 507
En Alsace......Page 508
La couleur picarde......Page 510
Des racines nordiques......Page 511
Le côté flamand......Page 514
Villes et pays......Page 515
Curiosités locales......Page 516
Sources norroises -- et voisines......Page 518
Villes et pays en Normandie......Page 522
Curiosités normandes......Page 523
Villes et pays de l'Ouest......Page 525
Maine et Anjou......Page 526
Pays nantais et vendéens......Page 528
La péninsule......Page 531
La marque bretonne......Page 534
Poitou et Charentes......Page 540
Le Limousin......Page 543
L'Auvergne......Page 545
Arpitan ?......Page 547
L'alpe et les Alpes......Page 549
Jura et Franche-Comté......Page 551
En Bourgogne......Page 553
Autour de Lyon......Page 555
D'un fonds vascon......Page 557
Le domaine toulousain......Page 559
La mouvance bordelaise......Page 562
Le pays gascon......Page 563
Le coin basque......Page 568
Les Midis méditerranéens......Page 572
Le côté catalan......Page 573
L'Aude et l'Hérault......Page 577
Les Cévennes et alentour......Page 579
L'ouverture du Rhône......Page 581
Montagnes provençales et azuréennes......Page 583
La Corse......Page 585
Côté Caraïbes......Page 590
La Réunion......Page 595
Îles du Pacifique......Page 597
Les îles très éparses......Page 601
Antarctique......Page 605
Références......Page 607
Index......Page 613
Table des matières......Page 651

Citation preview

Pre´sentation de l’e´diteur Qui n’a pas un jour cherche´ a` savoir ce que voulait dire tel nom de lieu ? Les noms en disent long sur les lieux, et sur ceux qui les ont nomme´s. Souvent tre`s anciens, ils sont aussi vivants que les noms de personnes, et peut-eˆtre plus riches encore. Quelque vingt-cinq mille noms ou familles de noms de lieux sont ici e´claire´s et situe´s, illustrant l’extreˆme diversite´ et la richesse des terroirs franc¸ais, leur patrimoine culturel, leur e´cologie et l’histoire au long cours dont ils sont les de´positaires. Informe´ des aspects les plus re´cents de la recherche linguistique, ce livre aborde de manie`re novatrice ces noms de lieux comme des projections des socie´te´s humaines. Celles-ci ont nomme´ les lieux selon leurs besoins, leurs repre´sentations et leurs croyances, leur culture et leur mode de vie. Avant de s’attacher a` une analyse de´taille´e des toponymes re´gion par re´gion, Roger Brunet passe en revue les termes ou radicaux que l’on retrouve dans divers noms de lieux tels que puy, villa, mesnil, ker, folie, bourg, tour, -tot, -beuf, etc., qui traduisent en diffe´rents langages l’histoire des relations de l’homme avec son environnement. « Apre`s ce savoureux voyage, c’est suˆr, vous lirez la France autrement. » Livres Hebdo Roger Brunet est ge´ographe, ses travaux portent sur les formes, la production et l’ame´nagement des territoires et des paysages par les socie´te´s humaines, les re´gions de France, le vocabulaire scientifique et les noms des lieux, les cartes et les atlas. Il a cre´e´ et dirige´ plusieurs revues (dont L’Espace Ge´ographique et Mappemonde) et collections (De´couvrir la France, Ge´ographie Universelle).

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France

Roger Brunet

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France

´ DITIONS CNRS E 15, rue Malebranche – 75005 Paris

Du meˆme auteur Les Campagnes toulousaines. Universite´ de Toulouse, 1965. Les Phe´nome`nes de discontinuite´ en ge´ographie. Paris, CNRS, Me´moires et Documents de Ge´ographie, 1967. De´couvrir la France. Paris, Larousse, 1972-74, 7 volumes (dir.). La Bretagne. Paris, Larousse, 1972, coll. De´couvrir la France. Poitou, Vende´e, Charentes. Paris, Larousse, 1973, coll. De´couvrir la France. Atlas re´gional Champagne-Ardenne. Reims, ARERS, 1973-1976 (dir.). Le Midi toulousain. Paris, Larousse, coll. De´couvrir la France, 1974. Beaute´s de la France. Paris, Larousse, 1976-1977 (dir.). Atlas et ge´ographie de Champagne, Basse-Bourgogne, Pays de Meuse. Paris, Flammarion, 1980. Atlas mondial des zones franches et paradis fiscaux. Paris, Fayard-Reclus, 1986. Espaces, jeux et enjeux. Paris, Fayard/Fondation Diderot, 1986 (codir.). France : les dynamiques du territoire. Montpellier, DATAR/RECLUS, 1986 (codir.) La Carte, mode d’emploi. Paris, Fayard-Reclus, 1987. Montpellier Europole. Montpellier, RECLUS, 1988, dir. Les Villes « europe´ennes ». Paris, Datar-Reclus, La Documentation franc¸aise, 1989. Le Territoire dans les turbulences. Montpellier, RECLUS, 1990. Atlas Permanent de la Re´gion Languedoc-Roussillon. Montpellier, RECLUS et Re´gion Languedoc-Roussillon, 1990, dir. Les Mots de la ge´ographie, dictionnaire critique. Paris, Reclus-La Documentation franc¸aise, 1992 (dir.). La France, un territoire a` me´nager. Paris, E´ditiono 1, 1994. Ge´ographie Universelle. Paris, Belin-Reclus, 6 vol., 1990-1996 (dir.). L’Ame´nagement du territoire en France. Paris, La Documentation franc¸aise, 1997 (La Documentation photographique). Territoires de France et d’Europe. Raisons de ge´ographe, Paris, Belin, 1997. Champs et contrechamps. Raisons de ge´ographe. Paris, Belin, 1997. Le De´chiffrement du Monde. The´orie et pratique de la ge´ographie. Paris, Belin, 2001. La Russie, dictionnaire ge´ographique. Paris : La Documentation franc¸aise, 2001. Le Diamant, un monde en re´volution. Paris : Belin, 2003. Le De´veloppement des territoires : formes, lois, ame´nagement. La Tour d’Aigues : L’Aube, 2004. France, le Tre´sor des Re´gions (http://tresordesregions.mgm.fr), 2006-2012. Sustainable Geography. London, Wiley-ISTE, 2011. Atlas de la Touraine. La Cre`che, Geste e´ditions, 2016.

’ CNRS E´DITIONS, Paris, 2016 ISBN : 978-2-271-09279-3

a` Re´gine, pour tout, aux complices des balades AVF en Touraine, a` Jeanne et a` Franc¸oise, leurs initiatrices, ainsi qu’a` Carol et Jack, dont l’intelligente curiosite´ a contribue´ a` motiver cette recherche et cette e´criture

Sommaire

Introduction – Les noms qui sont ..............................................................................

9

1 – Habiter et s’abriter .....................................................................................................

17

2 – Pays et chemins : le territoire et ses re´seaux ................................................

62

3 – La vie sociale et ses distinctions .......................................................................... 115 4 – Terrains de jeu .............................................................................................................. 203 5 – Eaux, bords d’eaux et me´te´ores .......................................................................... 261 6 – Paysages, ressources et travaux .......................................................................... 323 7 – La vie des noms de lieux .......................................................................................... 413 8 – A` distance : pie`ges et e´nigmes de la toponymie........................................... 464 9 – La France en grandes re´gions toponymiques ............................................... 488 Re´fe´rences .............................................................................................................................. 605 Index .......................................................................................................................................... 611 Table des matie`res ............................................................................................................. 649

Introduction Les noms qui sont

Les noms font reˆver. Tous les noms : les noms dits communs et les noms dits propres, les noms de choses et les noms de personnes comme les noms de lieux. D’ou` vient ce nom ? D’ou` viennent le nom que je porte, et celui du village qui m’accueille, de ce lieu-dit ou` je passe ? Pourquoi a-t-on nomme´ ainsi cet objet, ce sentiment, ce lieu ? D’e´pais traite´s, ou des livres plus le´gers, sont consacre´s a` l’e´tymologie, science des sens, des origines, des racines. E´tymon est un mot d’origine grecque qui a pour sens : ce qui est, et sous-entend : ce qui est vrai parce qu’il est. Les linguistes le jugent issu d’un indo-europe´en es au double sens d’eˆtre et de vrai, dont vient d’ailleurs en franc¸ais le verbe eˆtre, et dont la forme meˆme se retrouve dans « tu es ». Eˆtre est eˆtre vrai, c’est vrai parce que c’est. On dit aussi : authentique, grec autos (soi-meˆme) et hentes, e´tant, ce qui est par lui-meˆme.

Mais qu’est-ce qui est ? Quelle est la part de vrai dans ce que nous disent ces traite´s, ces discussions, ces gloses ? A` les fre´quenter, ces œuvres humaines, fines, intelligentes, e´rudites, inventives, imaginatives, ouvrent des horizons, preˆtant a` re´flexion, donc a` critique – imparfaites, toujours imparfaites, quoique peu a` peu ame´liore´es par le progre`s des recherches et de la confrontation. Elles ne disent pas ce qui est/vrai, mais ce que l’on peut penser aujourd’hui eˆtre vrai, avoir e´te´ vrai jadis. Les moins se´rieuses sont pe´remptoires : elles de´fient la confiance. Les plus e´rudites font e´tat d’hypothe`ses concurrentes, de discussions, voire d’empoignades. C’est de´ja` le cas pour des noms de choses : on a bien re´e´dite´ Littre´, mais sans ses e´tymologies, juge´es aujourd’hui trop fragiles, pour ne pas dire fantaisistes, parce qu’en un sie`cle et demi la recherche a re´alise´ d’extraordinaires progre`s. Un e´norme Tre´sor de la Langue Franc¸aise a e´te´ mis au point entre 1971 et 1994 par des dizaines de spe´cialistes : seize gros volumes, puis un ce´de´rom et meˆme un acce`s gratuit sur le site du CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales du CNRS) ; travail admirable, pre´cieux, e´clairant et sur bien des points encore, pe´tri d’hypothe`ses, de propositions, de suppositions, de doutes. S’agissant de noms de personnes et de noms de lieux, la situation est encore bien plus difficile que pour les noms dits communs. La premie`re raison est qu’un nom commun, par de´finition, doit eˆtre compris par un groupe, un peuple, dont les membres communiquent a` son sujet. Tandis que les noms de personnes et de lieux qualifient des individus, ils sont singuliers ; c’est pourquoi on les dits noms propres, propres a`

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Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France

quelqu’un en particulier, ou a` un lieu de´termine´. Certains linguistes ont meˆme cru pouvoir dire qu’ils n’avaient pas de sens puisqu’ils e´taient singuliers ; mais c’est jouer sur les mots. Ils en ont, ou ils en eurent. On leur en a meˆme donne´ un nouveau quand on ne les comprenait plus : c’est ce qui se nomme remotivation. Certes, les possibilite´s de distinction par la de´nomination ne sont pas infinies : il existe des familles de noms propres, quantite´ d’homonymes, de personnes et de lieux portant un meˆme nom. Cela tient en partie au fait que de nombreuses personnes, et de nombreux lieux, ont e´te´ de´signe´s par un nom commun exprimant une apparence, une qualite´, un de´faut, une origine, un sobriquet : Brunet, Leroux, Legros, Lebe`gue, Petit, Breton, Dubois, Dupont, ou Montrond, Chesnay, le Port, Eaux-Chaudes, Villeneuve, Largentie`re, Bellevue. Ensuite, les noms de famille s’he´ritent, se de´multiplient, s’entremeˆlent. Et les he´ritiers peuvent avoir une tout autre apparence que l’e´ponyme... Meˆme les noms de lieux ne sont pas si immobiles que l’on pourrait le croire : ils se diffusent autour de foyers, se copient, se changent, certains meˆme ont pu eˆtre transfe´re´s au loin par quelque seigneur, croise´ ou pe`lerin.

Questions et re´ponses : le lieu et le nom Alors pourquoi Lyon, pourquoi la France comme nation et la France comme petite re´gion des environs de Paris, pourquoi Amboise, que signifient tous ces Essarts, Plessis, Bouzigue, Condamine, Deve`ze, Varenne, Chaumont, Jouy ou Aulnay e´parpille´s sur le territoire, que nous disent ces pittoresques Pet de Grolle, Cocumont, Minjese`bes, Tartifume, Soupetard, Quiquengrogne qui ornent et parfument les terroirs ? On comprend le Mont Blanc, on croit deviner le Ventoux, mais quel sens ont le Vignemale, ou le Pelvoux ? Comment se fait-il que Bre´he´mont, dont les « dix et sept mille neuf cens treze » vaches peine`rent a` fournir les biberons du be´be´ Gargantua, soit toute en plaine avec un nom en « mont » ? On a envie de savoir. On aimerait savoir. On veut savoir. La tentation est d’inventer des interpre´tations, d’imaginer des le´gendes, qui ensuite se colportent en s’enjolivant. On en dessine meˆme encore aujourd’hui des « blasons », ou « armes parlantes » de touchante naı¨vete´. Ces « e´tymologies populaires » existent depuis tre`s longtemps. Des scribes me´die´vaux y ont participe´ en re´interpre´tant des noms dont ils ne comprenaient pas le sens, mais auxquels ils voulaient un sens. De nos jours, tout un chacun peut e´crire a` son gre´ et le diffuser sur « la toile », jusqu’a` la de´bauche. Ce qui, bien entendu, n’a rien a` voir avec le sens originel d’e´tymologie : ce n’est plus l’eˆtre-vrai, c’est l’eˆtre imagine´, la fantaisie de chacun, voire le fantasme. Or il existe un fonds de connaissances tre`s se´rieuses, parfois meˆme si se´rieuses que l’on peut avoir du mal a` les comprendre, donc a` les adopter autrement qu’en s’inclinant respectueusement devant tant de science. Il existe une science des noms propres, qui se nomme onomastique (du grec onoma, nom), et traite d’anthroponymie (pour les noms de personnes) ou de toponymie (pour les noms de lieux), laquelle peut traiter aussi d’odonymes (noms de chemins ou de rues), d’hydronymes (de cours d’eau), d’oronymes (de reliefs), etc. Les praticiens en sont des spe´cialistes du langage. Ils ont une connaissance approfondie des langues anciennes et de leurs

Introduction

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e´tymons (bases des mots, ou racines), ainsi que de leurs e´volutions par les infle´chissements et imperfections de la prononciation des mots selon les e´poques, les lieux, les langues parle´es. Toutefois, l’origine et le sens des noms de lieux n’ont pas manque´ d’inte´resser aussi d’autres spe´cialistes : arche´ologues, historiens, ge´ographes, ethnologues. Avec mode´ration, voire avec timidite´. Le dialogue est souvent difficile entre personnes de cultures et de compe´tences diffe´rentes. En matie`re de noms de lieux, il ne s’est pas encore beaucoup de´veloppe´, une certaine me´fiance persiste. On trouve toujours que l’« autre » a tendance a` aller trop loin en des pas mal assure´s dans le domaine qui n’est pas le sien. Pour peu que l’on se respecte, que chacun lise attentivement l’autre, et meˆme lui parle, il n’y a pourtant pas lieu de conside´rer que les terrains sont tous garennes, bans et de´fens, c’est-a`-dire chasses garde´es de seigneurs jaloux. Dans nom de lieu, il y a nom, et il y a lieu. Dans toponymie, topos et onoma. Des chercheurs sont spe´cialement compe´tents e`s-noms, d’autres e`s-lieux. On peut admettre qu’un spe´cialiste des lieux – ce que je m’efforce d’eˆtre – puisse avoir de quoi dire sur leurs noms ; a` la condition, bien entendu, qu’il soit au courant de ce que les spe´cialistes des noms ont dit, ou ont a` dire, sur ces toponymes, et si possible meˆme sur ces lieux. Qui sont tous, pre´cise´ment, des lieux dits.

Raisons de faire, raisons de dire Tel est le sens de ce livre : contribuer a` la connaissance des noms de lieux en ajoutant au regard des linguistes celui du ge´ographe, force´ment un peu historien par profession. C’est pourquoi son parti est original : faisant ma petite re´volution copernicienne, je ne pars pas ici des langues, mais des lieux. Plus exactement, d’une interrogation sur les pratiques topiques des groupes humains : comment ont-ils choisi ce nom pour ce lieu ? Quelles raisons avaient-ils, a` un moment donne´, de nommer ou re-nommer ainsi tel lieu ? Quel besoin a pu guider leur choix ? Que voyaient-ils en ce lieu, et pour quoi faire ? Ayant de´ja` eu l’occasion de re´fle´chir a` la formation et a` l’organisation des territoires, de leurs lieux et des re´seaux qui les lient ou les se´parent (cf. Le De´chiffrement du Monde, 2001), il m’e´tait apparu que, pour durer un tant soit peu, toute socie´te´ humaine avait a` re´pondre, sur le territoire, a` quelques exigences et proble`mes fondamentaux : s’abriter, connaıˆtre son terrain et en tirer parti pour s’alimenter, se veˆtir, se de´fendre, circuler et e´changer, organiser une vie sociale quelque peu durable, marquer ses limites et e´ventuellement s’e´tendre. Nos anceˆtres ont vu en ces lieux des occasions, des ressources, des aubaines – abris, asiles, sols, thermes, fruits, bois, mate´riaux ; des points cle´s, cols, gue´s, croisements, de´file´s, a` prendre ou a` redouter ; des e´tendues amies ou hostiles, des limites et des confins ; des contraintes et des liberte´s ; des sites de´ja` approprie´s, appartenant a` quelqu’un, dont le nom traverse les sie`cles ; des formes de terrain plus ou moins e´vocatrices d’objets ou d’animaux ; des dangers, trous, abıˆmes, fondrie`res, coupegorge ; de l’e´trange, de l’inexplique´, donc du divin ou du diabolique. C’est tout cela qui leur a servi a` nommer les lieux de leurs horizons familiers.

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Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France

C’est sur ces perceptions, lie´es aux actions de leur vie quotidienne, et donc aux mots qui les expriment en gros et en de´tail, que j’ai fonde´ le plan de l’ouvrage, en essayant de voir ce qui en re´sultait en toponymie, comme noms de lieux. C’est un autre parti que de retracer la succession, l’e´volution et le legs des « strates » linguistiques, strate´gie le plus souvent adopte´e par les onomasticiens quand ils ne choisissent pas la forme « dictionnaire des lieux » – que je n’ai pas adopte´e non plus. Certains ouvrages de linguistes comportent ne´anmoins une partie « the´matique » a` la recherche des strates historiques de de´poˆt des noms, car ils en e´prouvaient le besoin. On ne trouvera donc pas ici d’e´le´ments d’une histoire linguistique de´taille´e. Au demeurant, outre les limites de compe´tences, trois constatations en forme de de´fis contribuaient a` m’en e´carter.

Trois de´fis Le premier est que, par de´finition, l’on ne sait rien de suˆr a` propos des langues sans e´criture, strictement orales, qui ont dure´ pendant des mille´naires sur le territoire actuel de la France jusqu’a` peu de sie`cles avant notre e`re, et avaient e´videmment fixe´ quantite´ de noms de lieux. Leurs de´signations ont e´te´ soit reproduites et incorpore´es, soit modifie´es, soit efface´es par les langues devenues dominantes, d’origine celte, germanique, nordique ou romane. Des linguistes pensent que ces noms archaı¨ques sont encore tre`s pre´sents, ce qui est probable pour certains oronymes et hydronymes. D’autres tendent a` les minimiser : c’est en partie question de science, en partie de mode ou de croyance. Nous verrons ce que peut apporter le terrain, ne serait-ce qu’en modestes propositions. Le deuxie`me de´fi est dans la communaute´ des e´tymons. A` l’e´chelle de l’Europe, et bien au-dela`, se sont e´labore´s des parlers, suivis d’e´crits, qualifie´s d’indo-europe´ens (en abre´ge´ IE), dont la plupart des e´tymons ont pu eˆtre reconstitue´s avec science et vraisemblance. Le qualificatif « indo-europe´en », discute´, a donne´ lieu a` des se´ries de de´bats, voire de fantasmes ethniques sinon ethnicistes, qui sont tout a` fait hors de notre propos : une parente´ de langues de communication ne fait pas une ethnie, encore moins une race de seigneurs. Ce qui reste ici est ne´anmoins essentiel : celte, germain, norrois, grec, latin sont apparente´s, partagent quantite´ de bases communes, que l’on retrouve en franc¸ais, occitan, normand, flamand, breton, corse, alsacien et mosellan ; donc aussi en francique et dans les langues de ces peuples qui ont traverse´ le territoire aux temps dits des Grandes Invasions, Goths, Wisigoths, Vandales, Burgondes – sauf les Huns, vite passe´s et qui ne semblent pas avoir laisse´ beaucoup de noms de lieux. A` l’exception du basque et de son anceˆtre ou parent vascon, voire de voisins me´ridionaux propose´s comme l’ibe`re ou le ligure, la majorite´ des toponymes franc¸ais ont donc quelque chose d’indo-europe´en – mais l’IE ne vient pas du ne´ant, et l’on ignore ce que l’IE a lui-meˆme re´cupe´re´ et inte´gre´ comme noms ante´rieurs. De la sorte, beaucoup de noms de lieux peuvent eˆtre rapporte´s par tel ou tel onomasticien a` du gaulois ou du latin, du nordique ou du germanique, car ce qu’ils semblent de´signer peut avoir eu des formes voisines dans l’une ou l’autre de toutes ces langues,

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et que c’est le sens qui nous importe ici. D’ailleurs les e´changes interlinguistiques y ont contribue´ : bien des noms bas-latins ont emprunte´ au gaulois, comme les Burgondes au roman, et le valdu corse (bois, foreˆt) est parent et synonyme du Wald allemand. Chaque fois que c’e´tait possible, j’ai essaye´ d’indiquer les provenances probables ou possibles de tel nom, jusqu’a` la base indo-europe´enne, afin d’en pre´ciser le sens, plutoˆt que l’attribution a` telle « strate », souvent hypothe´tique, a fortiori a` tel peuple. Ce qui nous e´vitera d’entrer dans ces anciennes et persistantes querelles entre ceux qui ont voulu ou voudraient voir une toponymie de la France fonde´e par l’« influence » germanique, ou du celte partout, ou rien que du roman ou bas-latin. La troisie`me observation porte sur l’interrelation constante, en toponymie, entre noms communs et noms de personnes. De par le point de vue adopte´ ici, ceux-la` nous inte´ressent plus que ceux-ci, certes sans trop d’illusion. Longtemps, les linguistes ont conside´re´, avec certains historiens, que la plupart des noms de lieux en France (en abre´ge´ NL) venaient de noms de personnes (en abre´ge´ NP). C’e´taient ceux des proprie´taires ou titulaires de domaines, puis de familles habitant de simples maisons ou fermes, assortis de quelque suffixe d’appartenance. Les progre`s de la recherche ont tendu a` re´duire la part des NL venus de NP. Nombre de NP avaient d’ailleurs e´te´ suppose´s, voire fabrique´s par des e´rudits pour les besoins de la cause, surtout quand on les disait d’origine germanique – meˆme en l’absence de trace de l’existence de la personne en cause, de preuve que son nom ait re´ellement existe´ quelque part. Au sein des toponymes, la recherche moderne a ainsi re´e´value´ a` la hausse la part des noms communs, meˆme assortis de ces suffixes, qui se sont parfois ave´re´s de sens purement locatif : la` est ceci, et ceci a pu eˆtre une chose : cabane, croisement, source, colline, tanie`re, if... La situation se complique par le fait que bien des NP ont e´te´ de´termine´s non seulement par un nom commun, mais meˆme par un nom de lieu, celui de leur re´sidence, ou proche d’elle : des familles Montbrun, Fontaine, Bellefosse, De´zert, Ladeve`ze, Coudert, Vaudre´mont, Vanduick ont tire´ leur nom de celui de leur habitat. Et comme les personnes sont mobiles, elles ont pu a` leur tour donner ailleurs leur nom au lieu de leur nouvel habitat. Un Olivier a pu s’installer en Normandie et donner lieu a` un toponyme les Oliviers, ou l’Oliveraie, un Balan (Geneˆt en breton) se fixer en Picardie et y laisser les Balans, ou la Balanie`re, sans pour autant que l’on puisse conclure a` une ancienne colonisation bretonne en ces contre´es – ce fut pourtant une tentation a` laquelle certains celtisants succombe`rent. Il faut donc toujours garder en me´moire que, dans l’interpre´tation du sens de tel NL, le nom commun pre´sent a pu eˆtre tire´ de celui d’une personne, laquelle l’avait e´ventuellement tire´ d’un autre NL. Ce qui, bien entendu, relativise encore les conclusions.

Ce qui peut eˆtre C’est aussi pourquoi et en quoi le ge´ographe peut avoir son mot a` dire : l’interpre´tation de certains NL par un nom commun in situ n’est concevable que dans un certain environnement, une certaine e´cologie du lieu : formes du peuplement et de

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l’habitat, bord de rivie`re, exposition a` l’ombre ou au soleil, distance a` un haut lieu, altitude, formes ve´ge´tales, etc. Non en forme d’e´vidence, mais de vraisemblance, et en sachant qu’un mont a pu recevoir le nom d’un village a` son pied, ou un village d’en bas celui du mont voisin... Sans doute existe-t-il des certitudes : tel texte date´, donnant telle forme d’un toponyme, e´claire sur son origine et son sens ; et l’on connaıˆt parfaitement les conditions de cre´ation et de nomination de la plupart des villes neuves et autres nouveaux e´tablissements des temps de l’e´criture, surtout a` partir du IX e sie`cle. Il s’en cre´e encore, a` la faveur des fusions de communes. Les cas ou` l’on sait quand, par qui et sous quel nom exact tel lieu a e´te´ nomme´ sont e´loquents ; mais ne´anmoins minoritaires, meˆme s’agissant de communes – a fortiori pour des lieux-dits. La plupart des interpre´tations de noms de lieux reposent sur des hypothe`ses plus raisonnables que d’autres : alors il est sage qu’en tout e´tat de cause, « probablement » accompagne une conclusion bien e´taye´e, « peut-eˆtre » une proposition possible mais moins assure´e. Et mieux vaut e´viter le « sans doute », bien qu’il soit paradoxalement devenu comme une expression du dubitatif. Meˆme si ce sont des linguistes qui s’expriment ainsi. Il leur est plus facile de dire : « ce ne peut pas eˆtre », que « c’est », en raison des re`gles d’e´volution des phone`mes qu’ils ont patiemment et savamment e´tablies ; le fait est qu’ils ne s’en privent pas. A` ceci pre`s que toutes les inflexions de prononciation et d’e´criture effectives ne sont pas rationnelles, voire raisonnables, ni pre´visibles. Pour preuve, l’incroyable diversite´ d’e´criture, dans certaines re´gions, des noms de lieux fonde´s sur un meˆme nom commun identifie´ et compris : l’on a pu recenser sur les cadastres jusqu’a` plus de trente formes diffe´rentes d’e´criture d’un meˆme nom, outre les erreurs de copie et les fantaisies de scribes. Et c’est bien plus a` l’e´chelle de la France, ou` un meˆme objet a servi a` nommer des lieux dans diverses e´critures de plusieurs langues. Cependant, ne minimisons pas les acquis. D’abondants et pertinents travaux ont e´te´ publie´s. Des instruments nouveaux sont disponibles : inventaires, analyses critiques, cartes de´taille´es avec statistiques toponymiques. Le nombre d’interpre´tations « vraisemblables » a conside´rablement augmente´, si celui des certitudes ne peut pas beaucoup progresser. De ce fait, nous connaissons de mieux en mieux ce que « veulent » dire ou ce que cachent tous ces noms, ces dizaines de milliers de noms. Ce qui fut « vrai » quand ils commence`rent a` « eˆtre ». Nous les connaıˆtrons encore mieux quand les chercheurs de diffe´rentes cultures voudront bien coope´rer davantage, ouvrir leurs chasses garde´es, e´largir leurs curiosite´s.

Mode d’emploi Cherchant le sens des noms de lieux dans les motivations, repre´sentations, raisons ou re´flexes de ceux-la` meˆme qui les ont nomme´s, dans leur vie quotidienne et ses pre´occupations, nous allons donc commencer par l’essentiel : s’abriter, se prote´ger, habiter (chap. 1). Habiter est aussi hanter, connaıˆtre et reconnaıˆtre, maıˆtriser, parcourir son territoire, en savoir les limites, cheminer, transporter, e´changer avec les voisins (chap. 2). C’est vivre en socie´te´ : les formes anciennes de la vie sociale ont

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laisse´ quantite´ de traces dans les toponymes (chap. 3). Le the´aˆtre de la vie sociale et familiale a eu pour sce`ne des terroirs, faits de rocs, de pentes et de formes de terrain (chap. 4), d’eaux, de rivie`res et de ce qui est mouille´, vente´, ensoleille´, embrume´, enneige´ (chap. 5). Sur cette sce`ne, le travail des socie´te´s transforme en fruits et ressources la biosphe`re, sols, ve´ge´taux et animaux, voire en partie la lithosphe`re, entraıˆnant des kyrielles de de´nominations (chap. 6). Nous pourrons ensuite approfondir au chap. 7 les ale´as de la vie des noms, et certaines raisons de leurs modifications, car les noms de lieux changent, apparaissent, disparaissent ; au chap. 8, nous attarder avec circonspection sur quelques types re´currents d’incertitudes, d’obstacles et de questions pendantes. Ainsi munis, nous pourrons passer en revue, par grandes re´gions historico-linguistiques (chap. 9), ce que l’on sait le mieux sur les noms des villes et des contre´es, et les principales nuances culturelles d’e´chelle re´gionale dans la de´nomination des lieux, les toponymes les plus fre´quents ou les plus curieux. Outre les diffe´rences entre langues d’oı¨l et d’oc, une attention particulie`re est porte´e aux langues les moins familie`res des angles de l’hexagone, germanique, nordique et normand, breton, basque et vascon, catalan, corse ; puis aux de´partements et territoires de l’outre-mer franc¸ais, dont certains ont des noms tout neufs.

Rappel de quelques abre´viations IE : indo-europe´en NL : nom de lieu NP : nom de personne Par souci de clarte´ et de brie`vete´, les noms de communes sont suivis du nume´ro de leur de´partement (ex. : Ruoms 07).

Sources et me´thodes J’ai proce´de´, graˆce au site Ge´oportail de l’Institut Ge´ographique National (IGN), a` un examen syste´matique des noms de lieux nomme´s sur les cartes a` grande e´chelle (1:25 000), appuye´ sur les comptages du site BDNyme de l’IGN qui les recense (Dictionnaire des toponymes de France). C’est une base conside´rable et cependant minimale, car si les cartes abondent en lieux-dits, elles ne peuvent porter tous les noms connus au cadastre. Quelques comple´ments tire´s des cadastres sont accessibles dans les travaux de linguistes a` l’e´chelle locale (par exemple pour des communes bretonnes) ou re´gionale (Pays Basque, Alpes, Centre). Les noms discute´s dans les publications ont e´galement e´te´ repe´re´s sur les cartes de Ge´oportail afin d’eˆtre vus dans leur environnement : cette fac¸on de « controˆle de terrain » a ses limites, et d’inde´niables vertus. Une autre base de travail est donne´e par les travaux de toponymie accessibles. Ils sont cite´s a` la fin dans Re´fe´rences. Les principaux ouvrages d’ensemble consulte´s ont e´te´,

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parmi les plus re´cents, ceux de P.-H. Billy et de S. Gendron ; parmi les de´ja` anciens, Dauzat et Rostaing et le volumineux Toponymie ge´ne´rale de la France d’Ernest Ne`gre. Sur le plan re´gional, toute la collection « Noms de lieux » des e´ditions Bonneton, comple´te´e par des ouvrages particuliers sur l’Alsace (M.-P. Urban, J. Schweitzer), la Corse (J. Chiorboli), la Moselle (Simmer), les Pays occitans (B. Boyrie-Fe´nie´ et J.-J. Fe´nie´), le Limousin (Y. Lavalade), la Savoie (H. Suter, Bessi et Germi), la montagne (R. Luft) et des travaux divers, comme Orpustan sur le Pays basque, la the`se de J.-B. Gouvert sur le Forez ; plus quantite´ d’articles sur des sujets locaux cite´s, tire´s entre autres des Annales de Bretagne ou des Annales de Normandie et plus ou moins accessibles sur Internet. Le recours a` des documents de re´fe´rence s’imposait. Les publications fondamentales de Von Wartburg (FEW, Franzo¨siches Etymologisches Wo¨rterbuch) et de Pokorny (Indo-European Etymological Dictionary) sont maintenant accessibles sur Internet. J’ai beaucoup utilise´ The American Heritage Dictionary (tre`s porte´ sur l’indo-europe´en), Le Vocabulaire indo-europe´en de X. Delamarre, le Tre´sor de la Langue Franc¸aise, le Grand Robert et le Dictionnaire historique de la langue franc¸aise d’Alain Rey, le On-Line Etymology Dictionary (D. Harper), le Gaffiot (Dictionnaire latin-franc¸ais) et d’autres dictionnaires de langues ou e´tymologiques en ligne, notamment pour le gaulois, le breton, le basque et l’occitan. Sans oublier le tre`s pre´cieux A. Pe´gorier, Les Noms de lieux en France, glossaire de termes dialectaux, fruit de l’expe´rience de terrain des nombreux topographes de l’Institut Ge´ographique National – lui aussi accessible en ligne et occasion de nouveaux commentaires appre´cie´s sur le site de l’IGN.

1. Habiter et s’abriter Quantite´ de noms de lieux viennent des multiples besoins, actions et objets de la vie quotidienne. Leur dimension peut eˆtre individuelle (un ermitage, une cabane), familiale (autour de la maison) ou sociale (par groupes de familles). Les besoins e´le´mentaires de la vie de tout groupe humain sont de s’abriter, et donc aussi se prote´ger, se de´fendre ; se nourrir, donc au moins cueillir, et bien plus ge´ne´ralement travailler ; se de´placer et e´changer ; re´gir la vie en socie´te´, ce qui passe aussi bien par la coutume et les lois, la politique, que par les croyances et les feˆtes. La vie humaine est a` la fois familiale et sociale. Habiter implique un logement et se fonde sur des groupements : le village, le pays a` tous les sens du terme. De la villa au village et, en sens inverse, de la cite´ancienne aux cite´s modernes, les meˆmes mots ont pu servir a` de´signer l’individuel et le social. Meˆme l’habitat de l’ermite, hermitage ou cellule (cella) a fourni des noms de villes ou de villages. C’est l’une des premie`res difficulte´s de la toponymie. L’habitat et habiter sont des mots ge´ne´riques en l’affaire, et appartiennent a` un vaste champ de la vie individuelle et sociale. Ils ont la meˆme e´tymologie qu’« avoir » (habere en latin), issu d’un indo-europe´en ghabh qui e´tait donner-recevoir (comme en allemand geben, en anglais to give, gift). Or on peut remarquer que ce rameau est reste´ ste´rile dans le monde des noms de l’habitat, mis a` part le cas tre`s particulier de l’habitation antillaise : les formes concre`tes de l’habitat se nomment de multiples fac¸ons, mais indirectement.

De villa en village La racine la plus productive en France est sans doute weik, qui dans les langues indoeurope´ennes de´signait le clan, le groupe au-dessus de la famille. De cette racine, le grec a tire´ oikos, qui e´tait la maisonne´e, a` la fois maison et groupe familial e´largi aux serviteurs et aux biens. De la` viennent les « e´co » : e´conomie, e´cologie, etc. Le latin en a tire´ vicus comme groupement de maisons, a` la campagne comme en ville. Ce vicus transparaıˆt clairement dans quantite´ de noms de communes se terminant en -vic, vicq, ainsi que -vy. De la meˆme source proviennent la villa, qui pour les Romains e´tait un domaine rural ou une maison suburbaine ; et villare comme groupe de maisons. De ces origines viennent par extension nos villages et nos villes, ainsi qu’en toponymie les e´le´ments ville, vilar, villar, villaret, villers, villiers ou dans le Nord-Est weiler, wihr, en

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Bretagne gui et guiler. Ajoutons que vicinal et voisin (vicinus en latin) se rattachent a` la meˆme racine. En vient aussi le vilain, jadis paysan libre mais, par opposition au noble, conside´re´ comme simple habitant de la villa puis du village, ce qui a donne´ a` l’adjectif une nuance pe´jorative : « poignez vilain il vous oindra, oignez vilain il vous poindra » disait-on au chaˆteau, quand poindre e´tait piquer, bousculer, tourmenter et oindre passer de la pommade, flatter... De la villa romaine est venu le « village », entre´ plus re´cemment en toponymie : il n’est gue`re atteste´ qu’a` partir du XIIIe sie`cle. Ge´oportail signale 1 200 occurrences du mot dans les toponymes, la plupart avec un de´terminant comme Village-auxGeais a` Obterre 36, Village-de-Chazeaux a` Sornac 19, Village-du-Chemin a` Cuille´ 72, et la commune de Village-Neuf 68. De nombreux hameaux se nomment Village en Normandie et en Bretagne, alors que dans d’autres re´gions le Village de´signe le chef-lieu, ou le vieux centre communal. Dans une quinzaine de communes, -Village a e´te´ e´ventuellement ajoute´ pour se distinguer d’un lieu plus peuple´, d’un chaˆteau ou d’un bourg. Sathonay-Village et Sathonay-Camp se sont diffe´rencie´s en 1908, Coudekerque a ajoute´ Village en 2008 pour se distinguer de Coudekerque-Branche, a` l’origine simple annexe de Coudekerque mais e´rige´e en commune en 1789. Le nom de Village est tre`s employe´ en toponyme outre-mer, notamment en Guyane : Grand Village a` Mana, Village Indien et Village Saramaka a` Kourou, Village Machine a` Maripasoula, etc. Il a servi aussi a` distinguer des crus viticoles de second rang en Bourgogne et Beaujolais. Il est souvent repris de nos jours pour de nouveaux lotissements a` des fins publicitaires, puisqu’il e´voque a` bon marche´ une « ruralite´ » a` la mode, presque la Nature ; ou par de nouvelles communes pour marquer l’inte´gration de petites voisines ; Jarze´ 49 est devenu Jarze´-Villages en 2016 en fusionnant avec trois d’entre elles, Voves 28 devient Les Villages-Vove´ens, Moyon 50 Moyon-Villages, Passais 61 Passais-Villages, Longny 61 Longny-lesVillages; mais Torigni-sur-Vire 50 a pre´fe´re´ Torigne´-les-Villes. Ville en toponymie a donc deux sens diffe´rents et deux e´chelles : domaine rural et familial au de´but, au sens de la villa antique ; groupement d’habitations relativement e´toffe´ a` partir des cre´ations des villeneuves des XIe-XII e sie`cles. La mention « la Ville » a meˆme pu servir a` se distinguer d’un ancien habitat, notamment lors de la cre´ation des villes nouvelles des XII e- XIII e sie`cles : par exemple, Landouzy-la-Ville cre´e´e face a` Landouzy-la-Cour 02 ou Parpeville 02 face a` Parpe-la-Cour (Chaurand et Lebe`gue). En ce sens, ville fut d’abord synonyme de village. Ensuite le terme a pris un sens plus pre´cis, relatif a` des agglome´rations peuple´es, avec marchands, artisans et services publics, au point que, dans les anne´es 1960, l’INSEE de´finissait comme « ville » en France toute agglome´ration de plus de 2 000 habitants. Le sens originel de la villa, a` l’e´chelle du lieu-dit, se maintient dans certaines re´gions tout en ayant pris la forme toponymique « ville » : par exemple a` Pordic 22 figurent la Ville Calard, la Ville Glas, la Ville au Bas, la Ville E´veˆque, la Ville Louais, la Ville Madren, la Ville Morin, la Ville Rouault, la Ville Guy, la Ville Couault, la Ville Prido, qui ne sont que des hameaux, ou meˆme des habitations isole´es. On trouve des Ville Borgne, Ville Galais et Ville Neuve a` Sixt-sur-Aff 35, la Ville en Bois a` Avessac 44 ou a` Chinon 37, toute une se´rie de Vieilleville et Villevieille comme Villevieille 30, la Ville-e`s-Preˆtres a` Ploubalay 22 et la Ville-e`s-Comtes a` Tre´gon 22,

Habiter et s’abriter

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la Ville Morte a` Thire´ 85 dans les champs, la Ville-e`s-Vieux a` Gae¨l 35, la Ville au Rouge et la Ville-e`s-Baˆtards a` Se´rent 56, une Villependue a` La Mesnie`re 61 et plusieurs Villeperdue, dont une commune en Touraine, pour une seule Ville Trouve´e a` Bouchemaine 49. La liste des noms en Ville- et -ville ou -vic et leurs de´rive´s est interminable et comprend des centaines de noms de communes. Les uns disent le neuf (Neuvic, Neuvicq, Neuvy, Villeneuve, Villenouvelle, Villenave), d’autres le beau (Belleville), le grand (Granville, Grandville, Grandvillers, Grandvilliers, Villemagne et Villemaine) et le haut (Hauteville), le fort (Villefort), le libre (Villefranche), parfois le bon (Bonneville), le mauvais (Malville 44, Malvillers 70), voire le menu (plusieurs Villemaigre) et meˆme le sale (Villemoustaussou 11, Villa Moustouso en 1247). On trouve des Villedieu, Villeje´sus, Villejeux ou Villejeaux, Villelongue et des Villette ; plusieurs Villepreux et Villepe´reux ; dont un Villepreux 78 qui fut Villa Puerorum, Villa Pirorum, Villa Perosa parmi bien d’autres e´critures, ce qui en faisait alternativement un domaine des enfants, des poires, ou plus probablement des pierres, mais non pas des preux. Les noms en Vic ou Vicq sont re´pandus et comprennent 22 communes, dont quatre Vicq tout court (Aisne, Haute-Marne, Nord, Yvelines) ; et un Vico pour la Corse. Vicques 14 viendrait du vicus par le vieil anglais wick – mais en Normandie on risque une confusion avec un autre vic au sens de crique, anse, comme a` Sanvic au Havre. Des noms en Vi- ont pu eˆtre forme´s sur vic : il en serait ainsi de Vibraye 72, Vivonne 86, Vigneux-sur-Seine 91 (anc. Vicus Novus, villeneuve) – alors que Vigneux-de-Bretagne 44 est attribue´ a` la vigne ou a` un NP Winoc. En Bretagne, vic a pris la forme gui, qui entre dans la composition des noms de centaines de lieuxdits, et de quelques communes telles que Guichen, Guimiliau, Guipavas, Guisse´ny, Guiscriff, Guiclan 29 (le bourg des landes) ; villar devenu guiler y a donne´ Guilers et Guiler-sur-Goyen dans le Finiste`re, Guilerian a` Radenac 56 et une dizaine d’autres Guiler. Les noms de communes commence´s ou termine´s en -ville et -viller ou -villiers abondent dans la moitie´ nord de la France. Ils sont parfois seuls comme Villard 23 et Villard 74, Villars 42, 71, 28, 24, Villeret 02, 10, Villers 42, 88, Villiers 36, et de nombreux lieux-dits de ces formes ou en Villaret, plus souvent avec des de´terminants compte tenu de leur nombre. Il s’agit tantoˆt des noms de personnes, comme Rambervillers 88 ou Villar-Reymond 38, tantoˆt des traits de site ou de caracte`re : Villarsle-Sec 90, Villers-aux-Nœuds 51, Villers-aux-Vents 55, Villers-Bocage 14, 80, Villers-le-Lac 25, Villiers-le-Pre´ 50. Les -villars ou -villar sont surtout dans le Jura et les Alpes : Villargondran 73, Villar-Loubie`re 05, Villarlurin 73, Villars-les-Dombes 01. En Alsace, villa et vicus ont donne´ surtout des willer, quelques weiler ou wihr, du moins en composition : Altwiller 67 (le vieux), Bischwihr 68 et Bischwiller 67 (de l’e´veˆque), Bouxwiller 67, 68 (du buis ou du bois), Riquewihr 68 (de la roche ?), Holtzwihr 68 (qui serait originellement de l’Ill et non du bois, anc. Lilenselida devenue Heloldowilare), Mittelwihr 68 (du milieu), Rorschwihr 68 (de la route), Wihr-au-Val 68. Weiler est un quartier de Wissembourg, ancienne commune absorbe´e en 1866. Mais des confusions sont possibles avec weiher, e´tang (de vivarium, vivier). Wihr est rapproche´ par certains linguistes de la racine gart, enclos et

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jardin, mais la forme ancienne des noms concerne´s montre plutoˆt la parente´ avec villare. Dans le Midi, -ville a pu prendre la forme de vielle, qu’il ne faut surtout pas confondre avec « vieille » : Viella et Vielle-Aure 65, Viella 32, Viellese´gure 64 (« ville suˆre »), Jurvielle 31 (du celte juris, hauteur boise´e, pour F. Lot). La valle´e du Louron en rece`le un gisement avec Ludenvielle, Loudervielle, Adervielle, Estarvielle, VielleLouron. Certains Viel ont pu avoir cette origine. Les Capdevielle abondent. VieilleToulouse 31 dans les collines proches de Toulouse aurait e´te´ une Vielle (Ville)Toulouse, mal comprise ensuite. La forme viale apparaıˆt aussi, notamment en Auvergne et Limousin ; Sexcles 19 a trois hameaux Male Viale, la Viale Haute, la Viale Basse. Coˆte´ gascon, ce vielle a pu devenir bielle comme a` Bielle 65 et dans les Billie`res ou Bilhe`res, qui sont l’e´quivalent des villiers. L’alte´ration a pu aller jusqu’a` gelle a` Mingelle 65, Subergelle 65, Capdegelle a` Fuste´rouau 32. Le terme correspondant pre´-latin (vascon) e´tait ili ou iri, notamment retenu a` propos de villes neuves avec le vascon berri, neuf : ili-berri fut l’ancien nom d’Auch 32 comme d’Elne 66 ; il apparaıˆt intact dans Iriberry 64 et tre`s de´forme´ dans Lombez 32 et Lombers 81 (anc. Ilumberri). Ili est encore pre´sent dans Irissarry 64 (ville vieille), des Irigoyen et Irigoine´a (ville haute) au Pays Basque, comme dans Ille, Les Illas, peuteˆtre Ilhas dans les Pyre´ne´es-Orientales. Il pourrait eˆtre lu dans les anciennes formes Iluro d’Oloron et Ilura de Lourdes. Du latin vicinus, un groupe de voisinage a pu se de´finir par les termes voisins ou ve´zin, ve´ziau, veı¨nat. Il en est sorti des se´ries de noms de lieux tels que Vezin, Ve´zinet (Le), Voisins, Ve´zinnes, Ve´signeul, Ve´signeux, ainsi que Be´zy, Be´zins, Veı¨nat dans les Pyre´ne´es-Orientales, par exemple un Veı¨nat de la Miseria a` Montferrer 66. On trouve les Quatre Ve´ziaux a` Ancizan 65, les Ve´ziaux a` Chaˆtel-Moron 71, plusieurs Be´ziades et Be´ziat en Gascogne, quelques rares Bonvoisin ou Beauvoisin (dont une commune du Gard et Asnans-Beauvoisin 39) et, malheureusement, de fort nombreux Mauvoisin, Mauvezin (dont sept communes du Midi !), Mauvaisinais, Mauvaisinie`re en souvenir de voisins redoute´s. « La voisine´e est une petite agglome´ration laˆche, infe´rieure a` la commune, non familiale, dont les habitants sont unis par un code d’obligations et de droits re´ciproques [...] La toponymie locale a conserve´ les noms de Voisine´e des Georges, Voisine´e des Boutons (comm. de Violay), Voisine´e Chaˆtain, Voisine´e de l’Orme (Saint-Symphorien-de-Lay), Voisine´e du Bois (Balbigny) etc. » (X. Gouvert, pour le Roannais). La Voisine´e est un nom de lieu re´pandu en Haute-Loire et Rhoˆne. On trouve les Quatre Ve´ziaux a` Ancizan 65, les Ve´ziaux a` Chaˆtel-Moron 71.

Demeurer, rester Une deuxie`me racine tre`s commune dans les noms de lieux est l’IE men, qui avait le sens de durer et rester. Le latin en a fait manere, rester (comme remain en anglais) dont viennent pre´cise´ment le me´nage et la demeure. Rester et demeurer sont synonymes, et dans certaines re´gions on dit encore : « ou` restez-vous ? » pour « ou` habitezvous ? ». Demeure apparaıˆt parfois, comme Belle Demeure a` Marans 17 et a` Sainte-

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Radegonde-des-Noyers 85, la Mal Demeure a` Meigne´ 49, le Haut Demeurant a` Crisse´ 72, et dans des noms re´cents comme les Demeures de la Tour a` Montrichard 41 ou les Demeures de Penchard a` Penchard 77. De la` viennent aussi quantite´ de noms qui ont un rapport avec l’habitat, et se trouvent sous diverses formes de´signant des objets distincts : maison, manoir, manse, meix, mesnil, mas, masure. Les toponymes qui en proviennent sont extreˆmement nombreux. Maison lui-meˆme est fort bien repre´sente´ par des centaines de lieux-dits ou` le terme est suivi soit d’un NP, soit d’un comple´ment ; 63 noms de communes comportent Maison, dont une douzaine de communes en Maisoncelles et trois Maisons tout court (Aude, Calvados, Eure-et-Loir), la Meurthe-et-Moselle ayant a` la fois Neufmaisons et Neuves-Maisons ; citons Maisons-Alfort 94, Maison-Ponthieu 80, Consolation-Maisonnettes 25, Maisons-Laffitte 78, de nombreux Grand-Maisons ou la Grande Maison, Bonnemaison 14, La Malmaison 02, Ossey-les-Trois-Maisons 10. Le manse, meix ou mesnil (prononcer me´ et me´nil) e´tait jadis un bien agricole a` la dimension d’un me´nage. De tre`s nombreux toponymes s’en inspirent directement. Manse n’apparaıˆt gue`re seul, ou de fac¸on ambigue¨, mais 80 communes sont forme´es sur Mesnil et 26 sur Me´nil, en ge´ne´ral avec un de´terminant, souvent un NP, bien que l’on trouve Me´nil 53, Le Me´nil 88, Le Mesnil 50, et des Mesnil-au-Grain 14, Mesnilau-Val 50, Mesnil-Follemprise 76. La Normandie en est particulie`rement riche. Les Beaumesnil sont nombreux, dont deux communes en Normandie (Eure et Calvados), plus Beaume´nil 88 ; quelques Grandme´nil ou Hautmesnil s’y ajoutent. Le meix a donne´ directement trois noms de communes, Le Meix 21, Le Meix-SaintE´poing 51, Le Meix-Tiercelin 51, et de nombreux lieux-dits, surtout en Bourgogne. Les Fins 25 ont plusieurs Meix avec NP et un Meix Dos d’Aˆne. Le nom se trouve aussi dans quatre Beaumetz picards et dans leur oppose´, Mametz 62 et Mametz 80 (« mauvais meix »). S’en rapprochent Metz-Robert 10, Metz a` Avrechies 60, Metz Baillet a` Courtisols 51, mais la ville de Metz 57 ne rele`ve pas de cette se´rie (et se prononce autrement). La forme a pu e´voluer vers des Me´es et Les Me´es (ex. a` Ceauxen-Loudun 79), le Me´e a` Neuille´-le-Lierre 37, Beaumais a` Manthelon 27 et Me´zidon-Canon 14, Le May a` Athe´e-sur-Cher 37, les Mex a` Saint-GermainRocheux 21 et Mex Cusin a` Barizey 71, ou encore Me´rogis (Fleury-Me´rogis 91). Le nom s’e´crit mer dans les Vosges, ou` Ge´rardmer 88 fut le meix d’un Ge´rard : c’est pourquoi le nom se prononce Ge´rardme´, le fromage local le ge´rome´, alors que chez ses voisins Retournemer et Longemer le r final s’entend, car -mer de´signait ici un lac. Maine et mayne, meyne en sont des variantes, les lieux-dits le Maine sont pre´sents en plusieurs dizaines d’exemplaires dans chacun des de´partements de Gironde, Charente-Maritime, Charente et Dordogne, comme le Mayne en Lot-et-Garonne et, avec moins d’intensite´, dans tout le Midi toulousain, mais une seule commune, Maine-de-Boixe 16. Se rattachent a` la se´rie des Masny, Magneux, Magny, Maignaut, Maigne´, Mesnie`res, Magnie`res, Manoir, Maux 58. Un risque de confusion: maine peut avoir localement le sens de grand, principal, ou me´dian. Et le Maine comme province a une toute autre origine. Le manoir est une grande maison, un petit chaˆteau ; les Beaumanoir ne sont pas rares, mais n’ont pas atteint le niveau communal. Enfin, la masure de´finit en principe une

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tre`s pauvre maison ; mais au pays de Caux (Normandie), c’est une grosse ferme qu’entoure une haie. Une seule commune se nomme Les Masures, en Ardennes, mais les lieux-dits en Masure sont tre`s nombreux, surtout en Normandie et dans l’Ouest. Le mas est une forme me´ridionale ; il a assez souvent pris le sens d’une grosse baˆtisse, au moins dans les lieux-dits en Mas, mais il en est de toutes tailles. On a nomme´ capmas le chef-lieu du domaine agricole, terme qui a e´volue´ en Cammas, Campmas, Les Cammazes, le Cammazou a` Fanjeaux 11. Des diminutifs en masuc, mazuc, massut, signalent dans la France du Sud des abris, des cabanes. Les termes proches ont donne´ Masseube 32 (de selva, la foreˆt), Mansempuy 32 (de la butte) et Mansencoˆme 32 (de la combe), Le Mas-d’Azil 09, Le Massegros 48, Mas-SaintesPuelles 11. La racine IE deme aurait eu le sens de maison et me´nage. Si elle n’est pas a` l’origine de la demeure en de´pit de l’apparence, elle a fourni, par l’interme´diaire du latin domus, une riche liste en franc¸ais, avec domicile, domestique, domaine, domination, donjon, doˆme et aussi dame ou demoiselle. Domaine et donjon sont a` l’origine d’assez nombreux toponymes que nous verrons a` leur place. Les autres de´rive´s se sont bien moins manifeste´s, sauf de fac¸on indirecte : peut-eˆtre un doˆme ici ou la` mais plutoˆt comme forme de relief, des Dom (ide´e de chef de famille) mais qui e´voquent un seigneur ou un saint. On compte ainsi 24 Dompierre et 25 Dampierre, 21 Dommartin et 6 Dammartin, 4 Dombasle, etc. ; des Dames (Chemin des Dames, Baumeles-Dames 25, La Ville-aux-Dames 37) qui, habituellement, ont de´signe´ des religieuses, comme quelques Demoiselles, mais celles-ci ont davantage e´voque´ les fe´es. Les toponymes en Domaine sont nombreux, dont toute une liste de Domaine Neuf, par exemple une quarantaine dans l’Allier, une vingtaine dans la Nie`vre, et bien d’autres suivis d’un NP. Par ailleurs, il semblerait que cette racine ancienne soit aussi a` l’origine du norrois topt, toft, dont viennent les tot normands : habitation, masure ou ferme, parfois village. Plus ge´ne´ralement, ce terme suffixe a le sens de « chez », le lieu ou` habite quelqu’un ; c’est pourquoi il est ge´ne´ralement pre´ce´de´ d’un NP. En font partie Yvetot 76, Routot 27, Colletot 27, Fourmetot 27, Valletot 27, quatre Criquetot 76, Bouquetot 27, Vergetot 76, Martot 27, Parc-d’Anxtot 76, Putot-en-Auge 14 et Putot-en-Bessin 14, les nombreux Hautot et Hotot ; il en aurait e´te´ recense´ plus de 300. En viennent aussi des Toˆtes ou Tostes, voire le Taut aux Veys 50.

Eˆtre la` La racine sta tient une place immense dans l’espace ge´ographique : elle dit ce qui est la`, ce qui se tient en un lieu, ce qui, pre´cise´ment, y est e´tabli – ce mot est de meˆme racine. D’elle viennent l’E´tat, le stable et le stagnant, la station, l’e´tablissement, le stade, et jusqu’a` l’e´table et a` l’e´tang, ce qui stagne la`. Elle a fourni aux langues germaniques la de´signation de la ville meˆme : Stadt, statt. La toponymie en France ne l’a pourtant gue`re employe´e, sauf dans les re´gions qui ont directement rec¸u le germanique : quelques stat, stett ou stede, voire stael en Alsace et en Flandre. Citons

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les communes de Berstett 67, Brunstatt 68, Crastatt 67, Gunstett 67, Hattstatt 68, Hochstatt 68 et Hochstett 67, Pfastatt 68, Reichstett 67, ou Quieste`de (Pas-deCalais) ; peut-eˆtre Staelbrouck a` Millam 59 et Staelen Brugge a` Brouckerque 59. En revanche fleurissent depuis un sie`cle et demi les « stations », thermales, balne´aires, nautiques, vertes, de ski ou de neige, voire ferroviaires. On de´nombre une vingtaine de lieux-dits la Station et meˆme un Hameau de la Station a` Bolbec 76, les Stations a` Fontenay-sur-Loing 45, un Lac de la Station au Ve´sinet 78 pour d’anciennes gares ; une Stationnerie a` Aubigne´-sur-Layon 49, la Sous-Station a` E´guzon-Chantoˆme 36 et la Sous-Station a` Saint-Marcel 36 pre`s d’un relais de ligne e´lectrique. On voit meˆme apparaıˆtre le terme dans quelques lieux touristiques : Oz Station a` Oz 38, Station 2000 a` Allos 04, Thorenc Station a` Andon 06, les Six Stations a` Saint-JeanSaint-Nicolas 05. Toutefois, en ge´ne´ral, les « stations » n’emploient gue`re ce mot qui manque un peu de prestige. D’origine diffe´rente est le sie`ge, qui indique aussi une re´sidence : ces deux mots viennent d’un IE sed qui a donne´ sedeo (eˆtre assis) et la selle. Un Beausie`ge est a` Treigny 89. Plus fre´quente est la forme me´ridionale se`de, qui peut aussi de´signer par image une hauteur, une butte : ainsi de Se´deron 26 et de plusieurs lieux-dits la Se`de. Site n’est pas de la meˆme famille, mais vient de situs avec le sens de situer ; on trouve un Beausite dans la Meuse, et bien des « Site... » sur les cartes, mais il s’agit de de´nominations re´centes. D’autres racines sont limite´es dans l’espace, mais se retrouvent en plusieurs re´gions. En Normandie, dans le Nord, en Alsace et Lorraine existent de nombreux noms en -ham (Ouistreham 14, Le Ham 50, Hambye 50), -hem (quatre Hem dans le Nord et la Somme, Corbehem 62, Gonnehem 62, Westrehem 62), -heim (Molsheim 67, Fessenheim 68, Hilbesheim 57 ou Vescheim 57). C’est un terme originel de l’habitat, issu d’un tkei IE au sens d’abri, couverture ; c’est habiter la`, « eˆtre a` la maison » et sous un toit. Il a donne´ le hameau franc¸ais et le home anglais qui ont meˆme origine, le verbe hanter lui serait e´galement apparente´. Ham s’est largement diffuse´ avec la valeur de hameau par les Hamel (dont Hamel 59), le Hamelin (dont Hamelin 50, Hamelincourt 62), le Hamelet (dont Hamelet 80) ; on trouve le Vieilham a` Hubersent 02 et a` Hemevez 50, Hamel au Cœur a` Saint-Jean-de-Folleville 76, Hamel au Sort a` Picauville 50 ou Hamel-e`s-Clos a` Bretteville-sur-Ay 50, et bien des Hamel ou Hameau assortis de noms de personnes. Certaines formes sont alte´re´es au point de presque disparaıˆtre sous l’aspect de -ain : Huppain (Port-en-Bessin-Huppain 14), Surrain 14, Bohain-en-Vermandois 02. Hameau est un nom de lieu-dit tre`s commun en Normandie, surtout dans la Manche et le pays de Caux, souvent avec un comple´ment et parfois sous la forme le Hamelet. En revanche, certains -ham pourraient provenir d’une autre racine se rapportant a` un tertre ou une ıˆle (holm). De l’indo-europe´en treb, de´signant une habitation, puis un village ou un hameau, viennent deux branches. Un celte de meˆme forme (gaulois treb) aurait donne´ dans diffe´rentes re´gions des lieux comme Tre`bes 11, Tre´bas 81, Le Travet 81. La treˆve comme division du territoire est de meˆme origine. Il en est ainsi, tout particulie`rement, du tre´ breton (parfois treff), dont le sens est celui d’un hameau, d’une division

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de la paroisse : Tre´gastel 22 (avec chaˆteau), Tre´beurden 22 (du Breton), Tre´dion 56 (avec NP Gwion), Tre´meur 22 (grand), Tre´babu 29 (de saint Tudy, qui fut surnomme´ « le pape », d’ou` babu). Une quarantaine de communes des Coˆtes-d’Armor sont en Tre´-, une vingtaine dans le Finiste`re, quatre dans le Morbihan. Atre´bates, nom du peuple gaulois d’ou` vient Arras, serait un de´rive´ de treb : ad-treba, ceux qui habitent la` ; or ce serait aussi le cas des Tarbelli selon P.-H. Billy, dont Tarbes est re´pute´ venir. En somme, de ceux qui se disaient par excellence « les Habitants » seraient issus aussi bien Arras que Tarbes, bel exemple de divergence a` partir d’une meˆme racine. La seconde branche a donne´ en Europe du Nord les torp, thorp et dorf ou troff, importe´s respectivement en Normandie et en Alsace et Moselle. On les aperc¸oit en Normandie dans Le Torp-Mesnil 56, Le Torpt 27, le Torps a` La Mailleraye-surSeune 76, le Tourps a` Ne´ville-sur-Mer 50, la Sente de Torp et la Plaine de Torp a` Ussy 14 et a` Villers-Canivet 14 ; ainsi que Clitourps 50 (avec clit pour falaise). Ils sont alte´re´s en -tour dans Saussetour (Fresville 50), Sauxtour (The´ville 50) ou Gue´ne´tours (Sainte-Genevie`ve 50), parfois meˆme en -trou. En Alsace et en Lorraine, sont des Dauendorf 67 (sur un plateau), Grassendorf 67 (dans un creux), Oberdorf 67, 68, 57 (d’en haut), Brouderdorff 57 (des fre`res), Mondorff 57 (NP Mumm), Henridorff 57 (cre´ation pour Henri de Lorraine en 1614) et les Altroff (vieux) a` Berrelainville 57, Bourgaltroff 57, Grossbliederstroff 57 (grand + NP), Freistroff 57 (libre, franc), Waldweistroff 57 (de la prairie du bois), Sarraltroff 57 (le vieux village sur la Sarre), etc. Alteckendorf 67 re´sulte de la fusion en 1777 d’Altdorf (le vieux village) et d’Eckendorf (le village des e´pineux) (M. Urban).

Croıˆtre et baˆtir Si « avoir », e´troitement et e´tymologiquement lie´ a` l’habitation, ne fonde pas de toponymes, il en va tout autrement de son pendant « eˆtre » : la racine indo-europe´enne bhuˆ, qui implique a` la fois eˆtre et croıˆtre, a inspire´ a` Heidegger de ce´le`bres gloses sur l’eˆtre-la` dans « Baˆtir, habiter, penser », recueilli dans Essais et Confe´rences (1954). Outre l’anglais to be, en viennent les allemands bauen (baˆtir) et bauer (paysan), les grecs physis (croissance, nature) et -phyle (phylum, comme clan et filie`re) et le « je fus » franc¸ais (le b passe aise´ment a` f), apparemment bezan, bout (eˆtre) en breton. Dans le domaine de l’habitat, de bhuˆ viendraient, transmis par le celte et le norrois, des bod (lieu habite´, demeure) en Bretagne, des -beuf en Normandie, ainsi qu’un buta (hutte) gaulois dont seraient issus le boen, cabane en Ise`re, voire Boe¨n-sur-Lignon 42 et la Boe¨ne a` Bellegarde-en-Forez 42, Boe¨ne Neuy et la ferme de Boe¨ne a` Martigny-lesBains 88 ; le bona gaulois qui e´voque une fondation ; un bur germanique pour cabane et peut-eˆtre meˆme le buron, abri des pacages auvergnats. De bona ou bononia sont issus Bonnes 16, Serbonnes 89, Lillebonne 76 (anc. Juilobona), Bonneuil 16, La CapelleBonance 12, Boulogne-la-Grasse 60 et Boulogne-sur-Mer 62, lequel a inspire´ a` son tour Boulogne-sur-Seine 92. Both, buth, a le sens de maison ou cabane en pays

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scandinave et a pu eˆtre e´tendu a` un village ; il apparaıˆt souvent sous la forme -bo et -by dans les noms de lieux. Le Boˆ, Saint-Pierre-du-Buˆ 4, le Buˆ Blanc a` La Hoguette, tous en Calvados, Boos a` Heudreville-sur-Eure 27 se rattachent a` cette origine. En Normandie, Elbeuf 76 (Wellebuoth en 1070), Quillebeuf-sur-Seine 27, Criquebeuf-sur-Seine 27, Quittebeuf 27, Daubeuf-pre`s-Vatteville 27 (Dalbuoth en 1011, dal pour valle´e), Carquebut 50 (Querquebu 1165, avec e´glise), Coimbot a` Teurthe´ville-Bocage 50, Butot 76 (Buthetot au XI e sie`cle, associe´ a` tot et donc redondant) en proviennent ; le terme a pu glisser vers l’e´criture bœuf (Criquebœuf 14). Le bod ou bot breton en est une autre version (quand il n’a pas le sens de buisson, chap. 6), comme dans Bodilis 29 (avec e´glise), Botmeur 29 (grand), Botbihan (petit) a` La Feuille´e 29, Keribot a` Ploe¨zal 22, Bobital 22 (avec un NP). Il en est de meˆme de bus dans Bourgue´bus 14. En revanche wes, qui a aussi le sens d’eˆtre et habiter, demeurer, rester (allemand wesen) ne semble pas avoir eu de descendants toponymiques, du moins en France. Il en est de meˆme du radical daˆ, portant l’ide´e de division, de partage (et bien distinct du deme pre´ce´dent) ; il a eu une riche filiation, y compris dans le domaine territorial avec le demos grec comme division du peuple et de la terre, dont les de`mes (fraction du pays), la de´mographie, la ge´o-de´sie, peut-eˆtre le temps et meˆme le de´mon (« diviseur »), mais il ne semble pas avoir directement marque´ les noms de lieux. Si le rapport entre bhu (eˆtre-croıˆtre) et l’ide´e de baˆtir semble e´tabli en allemand (bauen) et en anglais (build, building), il ne l’est pas pour le mot baˆtir lui-meˆme. Son origine semble bien confuse dans les textes actuels des spe´cialistes, entre une version textile (une improbable tresse de brins de chanvre, que retiendrait le « baˆti » en confection...) et une version ambulante (de basis, base, du grec bainen, lui-meˆme de gwa, qui contient l’ide´e d’aller, comme dans l’anglais go qui en est issu). P. Guiraud y voit bien la base, mais avec l’ide´e d’e´tablir, construire en assemblant. Du moins le baˆtir a-t-il donne´ de nombreux toponymes comme Bastia 20B, La Baˆtie (neuf communes), meˆme Bastille et Batignolles (a` Paris et au Mans). Il subsiste quelques dizaines de la Bastille, qui n’ont pas toutes e´te´ des maisons fortes, et une trentaine de tre`s banals le Baˆtiment, autant de la Baˆtisse ou les Baˆtisses. De la` viennent encore les bastides au sens du Sud-Est, en ge´ne´ral de grosses maisons, munies ou non de comple´ments comme la Bastide Rouge (7 cas), la Bastide Haute (7 cas), la Bastide Neuve (une cinquantaine) ou la Mauvaise Bastille de Peypin 13, voire enfle´es en la Bastidasse (4 cas). Le bastidon est au contraire un diminutif, applique´ en particulier aux re´sidences de campagne des classes populaires et de la petite bourgeoisie, et qui se prononce bastidou. On trouve une vingtaine de lieux-dits le Bastidon, quelques le Bastidou, et plus curieusement une quinzaine de la Bastidonne ou les Bastidonnes, dont une commune du Vaucluse. S’y ajoutent une quinzaine de la Bastidette ou les Bastidettes. Plus nombreuses et d’un tout autre poids, les bastides au sens du Sud-Ouest sont des villages cre´e´s aux XIII e et XIV e sie`cles pour peupler ou repeupler, organiser et de´fendre les campagnes. Des villages entiers avaient de´ja` e´te´ cre´e´s, et dote´s de de´fenses ou de franchises pour attirer les familles. Les plus anciens avaient rec¸u le nom de sauvete´ quand on insistait sur les liberte´s accorde´es, les autres le nom de

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castelnau (chaˆteau neuf) quand la se´curite´ e´tait mise en valeur. Les bastides peuvent eˆtre conside´re´es comme une forme d’e´volution des pre´ce´dents, principalement dans le bassin de la Garonne. Les bastides ont en ge´ne´ral un plan re´gulier, en damier, aux rues droites ; une place au centre, souvent borde´e d’arcades, dites aussi ambans, couverts, gaˆches ou garlandes, noms qui apparaissent a` l’occasion en toponymie, au moins en odonymie ; l’e´glise est un peu de coˆte´, pas toujours dans la grand’rue. Certaines bastides ont e´te´ fortifie´es, mais pour celles qui ne l’ont pas e´te´, et dont les rues se prolongeaient dans les champs, la fonction agricole, artisanale et marchande passait aux XIII e et XIV e sie`cles bien avant la fonction militaire en ces re´gions. La plupart ont e´te´ cre´e´es par une autorite´ territoriale : le roi, un seigneur, un e´veˆque, un abbe´. Leur nom le rappelle parfois, comme Re´alville 82, Re´almont 81, Montre´jeau 31 et Re´jaumont 32 (= mont royal), La Bastide-l’E´veˆque 12, Villecomtal 12, etc. Il s’agissait de marquer et de peupler le territoire. Anglais contre Franc¸ais, pouvoir royal contre pouvoir religieux, on s’est battu a` coups de bastides pour peupler des terres, et en tirer plus de puissance et de profit que de gloire. Environ 500 bastides ont e´te´ cre´e´es, certaines ont disparu ou se sont re´duites a` un hameau. Le terme apparaıˆt plus de 800 fois dans Ge´oportail, mais en comptant celles de Provence dont le sens est diffe´rent. Environ 40 communes ont nom Bastide, La Bastide (une douzaine de communes hors Provence) ou Labastide (une trentaine), mais beaucoup de bastides portent simplement le nom d’un lieu-dit pre´existant : Caudecoste 47 (chaude coˆte), Plagne 31 (plaine), Caumont 82 (mont chauve) ou Fonroque 24 (fontaine+roche). Le statut de bastide a d’ailleurs pu eˆtre confe´re´ a` des villages anciens re´nove´s et agrandis. Certaines bastides ont e´te´ nomme´es Villefranche (une quinzaine de communes et deux Villefranque) ou Villeneuve, Villenave, voire Sauveterre, Sauvetat, Salvetat, La Sauve 33 ; d’autres ont rec¸u des noms attractifs tels que Mirande 32, Mirepoix 09, Bouloc 31 (« bon lieu »), Bonnegarde 40, et e´ventuellement importe´s pour leur prestige comme Plaisance, Valence, Fleurance, Grenade : c’est qu’il s’agissait d’attirer des populations, surtout dans les confins des possessions territoriales. D’autres bastides ont rec¸u le nom de leur « fondateur » ou de son repre´sentant : Cre´on 33, Triesur-Baı¨se 32, Hastingues 40, Libourne 33, Marciac 32, Rabastens-de-Bigorre 65, Toulouzette 40, Beauchalot 31, Beaumarche´s 32, Montcabrier 46, Montgeard 31 (v. chap. 7).

D’autres maisons Le vocabulaire des maisons proprement dites est d’une tre`s grande varie´te´, en raison tout a` la fois du large e´ventail de formes et d’annexes ou de baˆtiments spe´cialise´s qu’elles ont pu comporter, et des nombreux re´gionalismes. Les racines originelles de l’habitation comportent le plus souvent une ide´e d’abri ; celles des annexes de´pendent de leurs fonctions ; toutes sont a` l’origine de toponymes. Le terme le plus re´pandu est case, du latin casa ; il proviendrait d’un indo-europe´en khad comportant une ide´e de couverture, d’abri. Il a donne´ de multiples Case et

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Cases, Cazouls, Caze`res, Cazenave, Cazaunous 31 et Cazevielle, Casanova (nouvelle) ou Caseviecche (vieille), Casabianca, Cazaubon 32, Lacaze 81, Lascaze`res 65 et des Che`ze, Chazelles, Chazal, Chazalet, Che´zal, Che´seau, Chezeaux, Chazeuil, ainsi que Lachaise 16, La Chaise 10 et La Chaise-Dieu 43. Applique´ au jardin me´ridional (casal, cazau), le terme illustre des groupes de maisons a` petits jardins aux noms de Casal, Cazal, Cazalet, Cazaril, Cazau, Cazaux, Cazautet, Cazalis. Case de´signe la plupart des habitations populaires outre-mer. Et jadis « caser » ou « chaser » quelqu’un e´tait lui donner a` la fois un travail et un habitat – voire un conjoint. Le casino e´tait une maison de plaisance en Italie, importe´ au XVI e et surtout au XVIII e sie`cle avec l’ide´e de feˆte et des jeux divers ; plusieurs lieux-dits en portent le nom, comme le Casino a` Calmont 31 ou aux Moe¨res 59, sans rapport apparent avec la pre´sence d’un casino au sens actuel. Les cassines sont de petites maisons et la Cassine est un toponyme re´pandu en diffe´rentes re´gions. Celle a de´signe´ a` l’origine une cellule, et plus particulie`rement une demeure d’ermite. Le nom est re´pute´ venir du latin cella de meˆme sens, comme cellule ; mais la vieille racine IE kel de´signait de´ja` un abri, une place couverte ; elle a donne´ le hall, la halle et meˆme le heaume, et se retrouve en germanique sous la forme zell. Curieusement pour d’anciens ermitages, il en re´sulte un nombre fort e´leve´ de toponymes et meˆme une quarantaine de noms de communes en Celle, Celles, La Celle avec de´terminant, Cellette et Cellettes ; des terminaisons en -celle comme Naucelle 12, Naucelles 15, Navacelles 30 ou Lachelle 60, Leschelle 02 ; voire Ce´aux 50 et plusieurs Sceaux ; plus quelques Selle et Selles (Selles-sur-Cher 41), et en Alsace Zellenberg 68, Zellwiller 67, Lautenbachzell 68, Zelle a` Nothalten 67, etc. Vipucelle a` La Broque 67 fut Wicbod-zell. Cella est aussi une cabane dans le sud de la Corse. C’est tout autre chose que de´signe salle, dont l’origine lointaine est pourtant probablement la meˆme : il s’agit ici d’un terme qui repre´sentait au Haut Moyen Aˆge une grosse maison, un chaˆteau (comme hall en anglais). Il en est venu des noms en Salle, La Salle, Salles et meˆme parfois Selles, ce qui se heurte aux pre´ce´dents ; et assez suˆrement Saales 67, des Salle`les, des Salon, la Salette. Audresselles 92 a la meˆme origine (avec un NP). La forme halle existe en certains lieux comme HautvillersOuville 80 qui a une grosse Ferme de la Halle, avec des Terres de la Halle, un Bois et des Bosquets de la Halle, tandis qu’une Sole vers la Halle s’e´tend dans la commune voisine de Buigny-Saint-Maclou. D’autres lieux-dits la Halle sont en rase campagne, par exemple a` Thiel-sur-Accolin et a` Colombier 03, a` Montamy 14, a` Me´on 49, a` Pre´vocourt 57, a` Job 63 ou Chantonnay 85. Le synonyme serait jaur en basque, comme Jaure´guy, maison noble du haut, de la creˆte. Le terme zeele, fre´quent en Flandre, est probablement de meˆme origine que salle : il a repre´sente´ une habitation principale, un chef-lieu, la demeure d’un noble. Strazeele 59 ajoute a` zeele la chausse´e, Bruxeele le marais, Linselles 59 et Linzeux 62 le tilleul, Oudezeele 59 le vieux. On trouve aussi Bissezeele, Bollezeele, Herzeele, Lederzeele, Ochtezeele, Winnezeele, tous dans le Nord, ou` le premier terme est suppose´ eˆtre un NP. De la racine IE skeu au sens d’abri, protection, ou l’ide´e de se cacher, qui a donne´ en grec skytos (cuir) et en latin scutum (d’ou` l’e´cu, pour se prote´ger) seraient issus les

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termes hus, huis, haus que l’on trouve associe´s a` l’ide´e de maison, haus en allemand et house en anglais. Ils participent a` des noms de lieux de la France septentrionale : ainsi de Mulhouse 68 (avec moulin), Nordhouse 67, Husseren-Wesserling 68 et Husseren-les-Trois-Chaˆteaux 68, trois Hesdin et deux Hesdigneul du Pas-de-Calais, Hesdres a` Wierre-Effroy 62, E´tainhus 76 (avec steen, pierre), Sahurs 76 (anc. Salhus). L’Huis suivi d’un NP est tre`s fre´quent en Morvan, a` Lormes et alentour. Staple 59 contient un Witte Huys Veld (champ de la maison blanche), juste a` coˆte´ du hameau de Maison-Blanche. La hutte et l’anglais to hide (se cacher) en viendraient aussi. Par leurs sens originels, ces termes sont donc apparente´s a` ham-heim, au hameau, ainsi qu’a` halle, salle et cella. Mais les toponymes qui en te´moignent sont reste´s marginaux en France, contrairement a` l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Angleterre.

Les quatre anciens piliers de la se´curite´ L’habitat s’est toujours accompagne´ d’un souci de se´curite´. Il fut majeur durant des mille´naires, et au moins jusqu’au XVI e sie`cle ; c’est dire s’il a pu marquer la toponymie actuelle, dont l’essentiel e´tait e´tabli avant cette date. Longtemps, la hauteur a servi ce dessein, au point que les ide´es d’habitat et de relief s’y sont confondues dans un meˆme objectif d’abri. Quatre racines majeures ont fourni quantite´ de noms de lieux, de communes et meˆme de villes dans toute une partie de l’Europe : burg, briga, duno, duro. Burg est issu de l’indo-europe´en bhergh, qui comportait de´ja` une ide´e de hauteur et d’abri. Tre`s re´pandu en Europe du Nord-Ouest, il y a de´signe´ des hauteurs, puis des habitats de hauteur, et finalement des forteresses – le meˆme terme pre´-latin semble aussi avoir donne´ le latin fortis. Puis le sens d’habitat l’a emporte´, le terme e´voluant en burg, burgh, borough, bourg selon les langues, tandis qu’il se fixait en berg pour de´signer le relief, meˆme la montagne. Bourg, borc en vieux franc¸ais, est devenu l’e´quivalent de gros village ou de ville, perdant ensuite le sens de ville forte et s’appliquant meˆme surtout a` la partie marchande de l’agglome´ration, d’ou` sont venus le bourgeois et la bourgeoisie – ainsi et paradoxalement aux antipodes du « chaˆteau » fort originel, dont ils e´taient exclus. Bourg a donc pu avoir dans d’assez grandes villes le sens de « quartier de bourgeois » ou d’artisans, et certaines villes ont eu plusieurs « bourgs ». De nos jours, il de´finit principalement un lieu de services et de commerces, une petite ville ; en Bretagne, il de´signe le village principal, le centre d’une grande commune entoure´ de villages et de hameaux. Il a pour diminutif bourgade, qui est un peu plus qu’un village, avec quelques commerces de base ; meˆme si La Bourgade n’est qu’un petit hameau du Cantal a` Boisset. Quantite´ de toponymes sont en Bourg tout court, d’autres en diminutif comme plusieurs Bourget et Le Bourget, ou avec un attribut comme Bourg-Argental 42, Bourg-Charente 16, Bourg-de-Pe´age 26, Bourg-en-Bresse 01, Bourg-Fide`le 08, Bourgneuf 17 et Bourgneuf 73, Bourg-Madame 66, Bourgueil 37, Bourgue´bus 14, Le Bourg-Dun 76, Le Bourg-d’Oisans 38, Borjat a` La Tuilie`re 42. Certains sont en

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fin de nom comme Cherbourg 14, Cabourg 14, Lanslebourg-Mont-Cenis 73, Bourbourg 59, Croissy-Beaubourg 77, de nombreux Beaubourg, et a` l’inverse Maubourguet 65. On le trouve aussi dans Borgo 2B et, mieux cache´, Dabo 57 (anc. Tagesburch). Un certain nombre de « Bourg » ne sont que de simples lieux-dits, fermes isole´es ou maigres hameaux, comme Bourg des Dames a` Courbillac 16, Bourg-Bas a` Marcillac-la-Croisille 19, Bourg Gaillard a` Saint-Germier 79, Bourg d’Oiseau a` Venas 03 – l’IGN rele`ve 18 Bourg-Joli. Et l’on trouve aussi en France une vingtaine de lieux-dits la Bourgeoisie – certains ont pu venir d’un NP Bourgeois. Une autre racine est briga, tre`s re´pandue en Gaule ou` elle semble avoir surtout repre´sente´ de fortes collines. Le terme est parent d’oronymes en Bric, Briquet, signalant en ge´ne´ral des sommets pointus ou de petits pics. Mais, probablement de meˆme origine (bergh) que le bourg, elle a surtout de´signe´ une e´minence fortifie´e, une sorte de « montfort ». Cependant, elle n’a pas e´volue´ de la meˆme fac¸on et n’a pas connu la meˆme fortune ni les meˆmes glissements que burg. De briga sont issus de nombreux noms de lieux tels que La Brigue 06, Brianc¸on 05, Briantes 36, Bre´ganc¸on (Bormes-les-Mimosas 83), plusieurs Brie, Brigueuil 16, Brion 38, Brignon 30, Brimont 51, Broye 71. Avec moins d’e´vidence, s’y ajoutent un Avrolles (Eburobriga, de l’if) a` SaintFlorentin 89, les divers Vendeuvre ou Vendœuvre (vindobriga, un mont blanc), ainsi que Vinsobres 26 de meˆme sens, Jœuvres (a` Saint-Jean-Saint-Maurice 42) issu de divo-briga (montfort sacre´), Escouloubre 11, Ve´zenobres 30, Deneuvre 54 et Mayeuvre (a` Saint-Haon-le-Vieux 42) – mais Moyeuvre-Grande et MoyeuvrePetite 57 n’en seraient pas : l’ancienne forme Modovera est interpre´ te´e par A. Simmel comme « rivie`re bruissante ». De meˆme sens et meˆme lointaine e´tymologie, mais par l’interme´diaire du norrois brekka, sont venus les bricque de Normandie : Bricquebec 50, Bricquebosq 50, trois Bricqueville, Briquedalle a` Sassetot-le-Mauconduit 76 ou Briquemare a` Cauville-sur-Mer 76, Bre´que´cal a` Tourlaville 50 ; mais ici il peut s’agir de simples oronymes. D’un radical IE diffe´rent, dhuno, au meˆme sens que « montfort », est venue une autre association entre un relief et un habitat de´fendu : l’e´tymon a donne´ a` la fois des reliefs (la dune, et les Downs en Angleterre au sens de pays de collines) et town, la ville coˆte´ anglais, re´duite a` -ton en suffixe... jusqu’a` Clipperton, ıˆle « franc¸aise » du Pacifique au large du Mexique, qui porte depuis le de´but du XVIII e sie`cle le nom d’un pirate anglais. Elle a fourni en France de tre`s nombreux noms de villes en Dun- (dont sept communes) et -dun, comportant l’ide´e de place forte, comme Dun-les-Places 58 ou Dun-sur-Meuse 55, les Verdun (cinq communes et des lieux-dits), Chaˆteaudun 28, Issoudun 36 et Issoudun-Le´trieix 23, Liverdun 54. Dun devrait se lire aussi dans des formes mieux cache´es comme Embrun 05 (Eburodunum, de l’if), Mehun-sur-Ye`vre 18 (Magodunum, du marche´), Nevers 58 et Neung-sur-Beuvron 41 anciennes Noviodunum (villeneuve), Dain-en-Saunois a` Re´milly 57, voire Atton 54 et E´ton 55 en Lorraine qui ont pu eˆtre des Stadunum (H. Carrez), Chambezon 43 et Champe´on 53 des Cambodunum, probablement Dinard 35, Dinan 22, et meˆme le Donon dans les Vosges. Verdun a` Lavault-deFre´toy 58 dans le Morvan est un site d’oppidum avec e´peron barre´, avec pour hameau le Fou de Verdun – un heˆtre.

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Au cours de l’e´volution, duno a pu se confondre avec un quatrie`me terme, duro, ou l’un attirer l’autre. Le radical IE dhwer a de´signe´ une porte, a` la fois donc fermeture et ouverture. Le celte en a fait duro et le slave dvor (e´quivalent de cour, court ou hof). La racine passe pour proche de deru, un terme IE e´voquant du solide et dont sont sortis dur, durable et durete´, dendro (grec pour l’arbre), ainsi d’ailleurs que l’anglais tree, et meˆme ce qui est fiable en anglais (trust, truth) ou en allemand (treu). L’ide´e de porte s’est associe´e a` l’ide´e de de´fense et de force, fortification, et a fourni la base de toute une se´rie d’autres noms de villes closes et citadelles, meˆme en plaine et susceptibles aussi d’abriter quelque marche´. Il en est re´sulte´ des noms comme Duras 47, Durfort 81 (qui serait donc redondant), Dormans 51 (ancienne Duromannensis) et des finales en -are, -eure et -erre toutes issues de duro, comme dans Briare 45 (Brivodurum, avec un pont), Jouarre 77 (Divodurum, avec sacre´), Issoire 63, Yzeure 03, Yzeures-sur-Creuse 37, Izeure 21 (Iciodurum, peut-eˆtre avec uxo, haut), Auxerre 89 (Autessiodurum), Mandeure 25 (Epomandodurum avec un nom de peuple gaulois), Nanterre 92 (Nemetodurum, ville forte sacre´e), sans doute Tonnerre 89 (Tornodurum, peut-eˆtre de turno, source) et Seurre 21 (avec le nom de la Saoˆne). Les terminaisons germaniques en -thur sont pre´sentes en Allemagne mais non en France, ou` la dizaine de toponymes avec Thur se re´fe`rent tous a` la rivie`re Thur. G. Taverdet imagine que les Dracy de Bourgogne pourraient venir indirectement de dhwer par un gaulois doratia. La diffe´rence avec les radicaux pre´ce´dents est l’absence d’indication spe´cifique de hauteur, contrairement a` burg, briga et duno : c’est le mur qui l’a emporte´.

Se prote´ger : l’habitat perche´ et clos Plus largement encore, des hauteurs, buttes et meˆme pitons ont rec¸u des murs et servi d’abris, de refuges et de points d’observation et de surveillance. Leurs traces ou leurs ruines portent des appellations caracte´ristiques. On nomme encore oppidum une hauteur qui fut de´fendue, plus ou moins fortifie´e. Le mot est compose´ de ob, autour et d’un radical e´voquant une hauteur, dont viennent podium et donc puy ; il aurait directement fourni les noms d’Oppe`de 84, Opoul-Pe´rillos 66, Opio 06, Opterre a` Jeu-les-Bois 36. Certaines avance´es de relief ont e´te´ mises a` profit pour s’y fortifier, l’arrie`re prote´ge´ par un fosse´ ou un mur : on nomme e´peron barre´ ce dispositif, trois lieux-dits E´peron Barre´ sont d’ailleurs a` Tarnac 19, Ge´monville 54, Lavault-de-Fre´toy 58. Les « Camp de Ce´sar », de forme voisine, sont plus nombreux, mais ils signalent aussi bien des ame´nagements protohistoriques que postromains. Le Mont Ce´sar a` Catenoy 60, par exemple, est un e´peron barre´ d’extre´mite´ de plateau, avec des restes de fortifications anciennes. On trouve meˆme un Camp Plantageneˆt au Thoureil 49, sur le coteau de rive gauche de la Loire. Le camp romain atteste´, castrum, a donne´ de nombreux Chaˆtres, dont La Chaˆtre 36, les Chastres, Chastreix 63, Castres 81 – a` ne pas confondre avec La Chartre, qui vient de prison (latin carcer), ou Chartres qui vient des Carnutes gaulois. Saint-Pierre-en-Chastres (a` Vieux-Moulin 60) de´rive d’un oppidum pre´romain.

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Le Midi a ses castellars perche´s. Beaucoup remontent aux Xe et XI e sie`cles, certains peuvent eˆtre d’avant notre e`re, d’autres du Haut Moyen Aˆge. La racine en est la meˆme que pour le castrum, et l’actuel chaˆteau, ou l’anglais castle : un lieu se´pare´, coupe´ des autres, retranche´ par ses murs et son emplacement, comme l’indique la racine castra, d’un IE kes, qui se retrouve dans castrer-chaˆtrer. L’ide´e e´tait bien de souligner la singularite´ et la se´paration du chaˆteau, non re´ductible a` l’habitat ordinaire. Tous ont fourni de nombreux noms en Castellar, Castellare, Castellas, Caste´la, Caste´ra, dont Castellar 06, Castella 47, une dizaine de communes en Caste´ra, trois Belcastel. De´rivent de castellar et caste´ra les Carla, Carlux, Carlucet, Chalus, Chaˆtelard, Chaˆtellus, Chatellux, Cheylard, et la se´rie me´ridionale Cayla, Caylar, Caylus. Le Pays Basque a pour e´quivalent des gastellu, dont viennent des toponymes simples comme Gastelia a` Alc¸ay-Alc¸abe´he´ty-Sunharette 64 ou combine´s, non sans redondances comme Gasteluzahar a` Lantabat 64 et Gastelusare a` Larceveau-ArrosCibits 64, Arhansus 64 ou Ordiarp 64 (avec zahar, sare = vieux), Gastelugain (d’en haut) a` Gotein-Libarrenx 64. La pointe de Castelmeur (grand chaˆteau) a` Cle´den-Cap Sizun 29 a e´te´ un oppidum. Jusqu’au XVI e sie`cle, le chaˆteau a e´te´ fondamentalement un chaˆteau « fort », abri de´fensif pour la protection du seigneur, accessoirement d’une partie des vilains en cas de re´el danger, partageant plus ou moins cette fonction avec les e´glises, du moins en the´orie. L’e´tablissement d’une relative se´curite´ sous une monarchie mieux affirme´e n’a pas supprime´ les chaˆteaux mais en a change´ la fonction : de forteresse, ils sont devenus habitats de prestige – mais tout aussi « coupe´s » du reste de la population, parfois meˆme davantage. Certes, les « chaˆteaux » se sont multiplie´s et banalise´s avec l’enrichissement de nouvelles professions ; mais ceux-la` n’ont pas sensiblement marque´ une toponymie de´ja` bien e´tablie : il y a beaucoup plus de chaˆteaux ruine´s et disparus que de nouveaute´s dans les noms de lieux de´rive´s de castrum. Les chaˆteaux sont a` l’origine de milliers de lieux en Chaˆteau, Chaˆtel, Chaˆtelet et Chaˆtillon, Cateau et Catillon, Castel et Castillon, Castet ou Castets, Cassel dont Cassel 59 et Lamothe-Cassel 46 ; plus tous les termes affecte´s d’un adjectif ou d’un nom de personne : Chaˆteauneuf (dont 32 communes), Chaˆteauvieux (4 communes), Chaˆteauvilain 38 et Chaˆteauvillain 52, Chaˆteauroux 36 (en fait chaˆteau de Raoul), Chaˆteaufort 04 et 78, Chaˆteau-Gaillard 01 et de nombreux lieux-dits dont le ce´le`bre Chaˆteau-Gaillard aux Andelys 27, Chaˆteau-Thierry 02, Chaˆtelblanc 25, etc. Castelnau (chaˆteau neuf) est le nom souvent affecte´ au village cre´e´ sous la protection du chaˆteau ; beaucoup de ces castelnaus ont e´te´ fonde´s au XIe sie`cle, un peu avant les bastides mais, comme elles, dans un projet de peuplement ; trente communes en portent le nom, en comptant Castelner 40 et Castelnou 66. Le tertre forme´ par les ruines ensevelies d’un chaˆteau disparu, et e´ventuellement l’e´minence de son site originel, est habituellement de´signe´ comme motte. Innombrables sont les lieux-dits en Motte, Mothe, Lamotte ou Lamothe, dont la plupart sont du XI e au XIIIe sie`cle. L’origine du terme, qui a pour forme latine mota et en vieux franc¸ais mote, est inconnue, suppose´e pre´-latine, peut-eˆtre d’un celte mutt, au sens de butte, e´le´vation de relief.

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Toute une se´rie de toponymes viennent des accompagnements du chaˆteau et autres formes de de´fenses. Le fort est re´pute´ issu, par le latin fortis, de la racine IE bhergh qui e´voque a` la fois hauteur et protection et a donne´ le bourg. Il est a` la source de nombreux noms de lieux-dits, dont Fort-la-Latte en Bretagne (Ple´venon 22) est l’un des plus connus, mais d’assez peu de communes, comme Fort-du-Plasne 39, FortMoville 27, sinon re´centes comme Fort-Louis (Haut-Rhin) ou Fort-de-France (Martinique). Il apparaıˆt toutefois aussi sous la forme ferte´ (forteresse), beaucoup plus re´pandue pour des communes d’ancienne origine (une vingtaine) : La Ferte´-Mace´ 61, La Ferte´-Milon 02, la Ferte´-Bernard 72, La Ferte´-Vidame 28, etc. La guerche, du germanique werki (comme Werk ou work, ouvrage), e´tait aussi une fortification : en proviennent La Guerche 37, La Guerche-de-Bretagne 35, La Guerche-surl’Aubois 18, Guercheville 77, Guerchy 89, La Guierche 72, Garches 92 ; La Guierche a` Saint-Antoine-des-Rochers 37 correspond a` une fortification disparue. La tour (latin torus, e´minence) figure dans de nombreux La Tour, Latour (dont cinq communes), Tourettes dont Tourrettes 83, Toureilles dont Toureille 11 et Les Tourreilles 31, Torricella, et des formes voisines comme Torreilles 66, Thoires 21, Thoiras 30, Thoiry 01 et 73, Thoria 39, Thorens-Glie`res 74, Thorenc 07, Tourrenquets 32, Le Thor 84 et des lieux-dits le Thor, notamment dans les Alpes-deHaute-Provence. Toutefois, la racine sert e´galement d’oronyme et se confond avec toron, le tertre dans Thouron, le Thoronet The´rondels – elle a pu aussi interfe´rer avec toron comme source (chap. 5)... Tour est e´galement une me´taphore pour de´signer des rochers ou reliefs bien droits et bien visibles en pays montagneux, comme la Tour en haut du cirque de Gavarnie pre`s de la Bre`che de Roland, ou la Tour Ronde a` Chamonix. Quelques ruines sont de´nomme´es Tour des Fe´es a` Monte´gut 32 ou Quissac 30, Sarrasine (Gigondas 84, Bormes-les-Mimosas 83, Saint-Cle´ment-surDurance 05) ou des Anglais (Agde 34, Damgan 56), et l’on note aussi deux Tour du Te´le´graphe (Le´vignac 31 et Avignonet-Lauragais 31). La garde a pour origine l’IE wer, regarder, observer, d’ou` les formes anglaise et allemande ward, wacht, avec l’ide´e de surveiller (re-garder) comme La GardeFreinet 83, le village fort de la Garde-Gue´rin a` Pre´venche`res 48, les nombreux Bellegarde (dont onze communes), la Garde ou les Gardes, Lagarde et Lagardelle (une douzaine de communes), Lagarde`re 32, Garde`res 65, le Pech de la Gardelle a` Cazalrenoux 11, ainsi que Lewarde 50, et des buttes au nom de la Warde a` SaintSouplet-sur-Py 51, la Varde a` Prosnes 51, Ouardettes a` Auve 51. Plusieurs dizaines de Varde, de meˆme sens, se dispersent dans les Alpes ; mais beaucoup de gardes et vardes ne sont que des noms de sommets, d’origine sans doute me´taphorique, tandis que d’autres gardes ou vardes sont associe´es a` la surveillance des troupeaux en montagne. L’ide´e de pre´server ou conserver (garder) en de´rive : il s’agissait donc surtout de postes de guet. Gardiole est fre´quent dans le Midi au sens de repe`re, signal, point de vue. La Gardiole a` Leucate 11 est sur un relief littoral, la grande butte de la Gardiole domine Frontignan et Vic-la-Gardiole 34. Notons aussi le Pech de la Gardiole au-dessus de Saint-E´tienne-d’Albagnan 34, La Gardiole de l’Alp a` Molines-en-Queyras 05, les

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Rochers de la Gardiole a` Tende 06, la Creˆte de Gardiole et les Gardioles a` Abrie`s 05, les Gardioles au Poe¨t-Sigillat 26. A` cette famille appartient la gache, qui a le sens de garde ou guette dans le Midi : agachar signifie regarder en occitan, gachar est guetter, les deux e´tant re´pute´s d’origine germanique et le ch e´tant prononce´ tch – on est proche du watch anglais et de la base IE weg au sens de veiller, eˆtre attentif, dont vient aussi vigilant. Il en est sans doute ainsi a` la Gache au Neyrat 12 ou au Vigan 46, sur leur creˆte, ou pour la butte de la Gache entre Cornillon et Goudargues 30, la butte de la Gaˆche a` SaintCyr-sur-Mer 83 dont l’accent est inapproprie´. Le terme est sans rapport avec gache dans le sens de bourbier (chap. 5), e´galement pre´sent dans le Massif Central. Le guet lui-meˆme, apparemment de meˆme origine et sens, a fourni des Guet, Guette, Gaıˆte, le Mont au Guet a` Dannes 62, peut-eˆtre Gue´tary 64, sans doute la Guette, un cap a` Ple´neuf-Val-Andre´ 22 ; mais on trouve aussi des Guette-Loup (une dizaine dans l’Ouest), et meˆme des Guette-Soleil (cinq dans l’Yonne) qui peuvent avoir de tout autres sens. Le terme devient guite en Bourgogne, comme a` la Guite Longue de Saint-Martin-du-Puy 58, et aux environs de Clamecy. La gaıˆte e´tait en vieux franc¸ais un fortin et a pu eˆtre a` l’origine d’une partie des nombreux lieux-dits la Gaıˆte´ ; elle persiste sous la forme Voite a` Devrouze 71, Corcelles-les-Monts 21, VillersAllerand 51, Basse-sur-le-Rupt 88 en belle position d’observatoire. Il semble que ce sens ait inspire´ de nombreux Mirande, Miradou ou Miradoux, Miroir et Mirail, du vieux franc¸ais mirer, regarder. Mirmande a e´te´ un nom commun pour un lieu de guet, d’observation, probablement a` l’origine de Mirmande 26 et de Marmande 47. Notons que l’e´tymon originel semble avoir eu le sens de surprise amuse´e (IE s-mei) et se retrouve dans miracle, mirobolant, admirer... et smile en anglais. Le guet a aussi e´te´ rendu par l’ide´e d’e´pier, IE spek, latin speculum, apparemment a` l’origine de Spiegelberg (Sarrewerden 67), Spiegelhalterkopf et Spiegelhalterwald (Volksberg 67), Spigolo au-dessus d’Erbalunga (Brando 20B), l’Espigoula a` Saint-Jean-de-Barrou 13, l’Espigoulas a` Saint-E´tienne-d’Albagnan 34, l’Espigarie´ au Vigan 30, la Montagne des Espiguie`res a` Aups 83. Le nom de Monte´pilloy 60, anc. Espilois, a la meˆme origine. Le donjon, tour maıˆtresse ou tour du maıˆtre (de domnionus, racine dominus) figure dans plusieurs noms de lieux comme Le Donjon 03 ou Donjons a` Soisy-sur-Seine 91, le Donjon a` Olley 54 ; mais les Donjeux sont re´pute´s eˆtre des Saint-Georges ou SaintJean, don e´tant ici au sens de seigneur (dom)... La brete`che est une petite fortification dont la forme serait d’origine « bretonne » (britannique), la poterne un passage de´robe´ (posterula, porte de derrie`re). Les deux sont a` l’origine de lieux-dits. On trouve des la Brete`che en Eure ou Eure-et-Loir, cinq la Bretesche dans l’Ouest, la Bretauche a` Ble´neau 89. Plusieurs Coustouges (Aude, Pyre´ne´es-Orientales) viennent directement de custodia, poste de garde (IE s-keu, se cacher, s’abriter). Le Corps de Garde reste un toponyme re´pandu dans plusieurs dizaines de communes. Bastion n’aurait laisse´ que dix lieux-dits le Bastion, dont Bastion de Baliri aux confins de la commune de Pianottoli-Caldarello en Corse. Redoute est bien plus re´pandu, a` plusieurs dizaines d’exemplaires, dont la Redoute des E´migre´s a` Urrugne 64, la Redoute du Castellas a`

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Se`te 34, ou la Redoute des Salines a` Sangatte 62 ; mais le terme s’applique assez directement aux restes de fortifications eux-meˆmes. La courtine, e´le´ment de rempart reliant deux tours ou deux bastions, a fourni un nom de commune (La Courtine 23) et une cinquantaine de lieux-dits dont le Moulin de la Courtine a` Cassagnes 46. Frette a pu avoir le sens de fosse´ avec rempart : le terme est associe´ a` l’ide´e de fracture, rupture (latin fracta) et serait a` l’origine de Fre´toy 77, Festubert 62, certains Fraize et Fresse – mais le terme signale aussi un talus de champ ou une creˆte de relief. Il existe un terme celte bino au sens de fort, peut-eˆtre issu de l’IE beidh pour fendre, couper, se´parer, et ainsi portant la meˆme ide´e que le kes de castrum ; il semble eˆtre a` l’origine de la seconde syllabe de Vervins 02, associe´ au gaulois ver, puissant, principal (J. Chaurand, P.-H. Billy). Le breton ker, extreˆmement re´pandu, est re´pute´ venir d’un caer (rocher) qui, comme berg-burg ou dun, a e´volue´ dans le sens de lieu habite´ et prote´ge´, fortifie´, puis a fini par de´signer une maison notable, un hameau, un village, meˆme une ville, « la ville », puis une simple maison. C¸a` et la` des ti keˆr annoncent en Bretagne bretonnante une « maison de ville », en franc¸ais hoˆtel de ville : la mairie. Le ce´le`bre Kreisker de SaintPol-de-Le´on signale le centre (kreis) de la ville. Ker est en teˆte de 17 noms de communes comme Kergrist 56 (avec christ), Kergloff 29 (de clun, prairie, ou de boıˆteux), Kerfourn 56 (avec four), Kermoroc’h 22 (cochon de mer), Kernascle´den 56 (qui a le sens d’e´clat de bois). Les formes sont variables : Calorguen 22 et Cardroc 35 sont des ker suivis d’un NP ; Kerfeunteun (avec fontaine, une trentaine de lieux-dits) s’e´crit Carfantin a` Dol-de-Bretagne 35 et Le Hingle´ 22, Kerfetan en Vannetais (5 cas). Notons a` ce propos que de nombreux Roche et surtout Roque, avec article ou attribut, signalent dans la France du Sud des chaˆteaux : la baˆtisse s’est confondue avec son support mine´ral. C’est notamment le cas des Roquefort, Rochemaure, Puylaroque...

De plesse en mur Dans la mesure ou` l’inse´curite´ e´tait partout ressentie, de nombreux termes se fondent sur la cloˆture, mine´rale ou ve´ge´tale. Les noms en Enclos, seul ou suivi d’un NP, sont tre`s nombreux en toute re´gion. Ils ont pris diverses formes en Clos, Claux, Closeaux, Closerie. Ils s’accompagnent des chancels comme cloˆtures, en vieux franc¸ais cancel, qui outre le tour du chœur d’e´glise apparaıˆt dans les Champcelle, Chancelade ou Cancelade, Cancel, Chanceaux : terra cancellata, ferme´e. Cancel a pu aussi de´signer, au Moyen Aˆge, un quartier clos de confinement, notamment pour les Juifs. L’e´tymon latin avait pour sens barre´, encadre´, entoure´, clos de barrie`res ou barreaux – il se retrouve dans carcer, incarce´re´. La plesse e´tait une cloˆture faite d’entrelacements ve´ge´taux : elle vient de plek, plie´ ou tresse´, qui a donne´ plexus en latin, complexe, complice ou implique´. De la cloˆture on est passe´ jusqu’au chaˆteau : les Plessis sont fort nombreux en ce sens, et plus de trente noms de communes en sont issus, dont Le Plessis-Robinson 92 au sud de Paris ;

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s’y ajoutent quelques Plessier et Plesse´. Les combinaisons de noms sont abondantes et varie´es : Savigny-le-Temple 77 a Plessis-le-Roi et Plessis-la-Foreˆt, Fleury-Me´rogis Plessis-le-Comte 91, Chevry-Cosigny 77 un Plessis-les-Nonains, Banthelu 95 le Plessis-le-Veneur, Beauchery-Saint-Martin 77 le Plessis-la-Tour et Chailland 53 le Plessis de Fer. L’e´quivalent breton est kenk, lisible dans des lieux-dits Quinquis avec ou sans de´terminant, comme Quinquis Vraz a` Ploumiliau 22 ou Quinquis Meur a` Plougonven 29 et Squiffec 22, Canquis, Quingueux a` Saint-Me´loir-des-Bois 22, etc. La claie est une autre forme de barrie`re, en treillage d’osier. C’e´tait de´ja` le sens du gaulois cleta, qui a e´galement de´signe´ une sorte de traıˆneau pour cadavres et condamne´s... Cle`de et claye, clayette en sont des de´rive´s ; ces noms se sont applique´s a` toutes sortes d’enclos, dont des abris a` brebis. En sont sortis de nombreux toponymes en Cle`des, Clelles, Claye, Cloye, Claye, Clayes et jusqu’a` La Clayette 71 ; le Pont de la Grande Cle`de est a` Belhade 40, la Grand-Cle`de a` Saint-Ambroix 30. De forme proche mais peut-eˆtre sans rapport, cle´guer est aussi en breton un enclos ou un muret et, sans doute me´taphoriquement, une creˆte rocheuse ; Cle´guer et Cle´gue´rec sont des communes du Morbihan, mais il existe d’autres lieux-dits Cle´guer dans le Morbihan et le Finiste`re. Certains Claviers et Claverie ont pu eˆtre associe´s a` des clouteries, mais d’autres viennent plutoˆt des enclos, en rapport avec la cle´. La concise est un clos attenant a` la maison en Bourgogne, en France-Comte´, comme en Suisse romande ; le nom a le sens de « coupe´ », se´pare´. Le mot parc signalait a` l’origine un champ clos, d’apre`s un pre´latin parra ou parrak, perche ; il semble avoir conserve´ ce sens dans les Landes, par exemple a` Ychoux et a` Saugnacq, ainsi qu’en Normandie ou` Bretteville-sur-Dives 14 alterne parcs (le Parc Vatier, le Grand et Petit Parc d’Orle´ans) et cours (Cour Herford, Cour Doucet, Cour Cre´tey, Belle Cour) dans son habitat disperse´. Il est fre´quent en microtoponymie bretonne sous la forme Park. Un radical diffe´rent, pel, a donne´ le pal au sens de pieu, et par la` des palis, ou palissades, faites de pieux accole´s : en de´riveraient par exemple Paˆlis 10, Paley 77 et des lieux-dits homonymes, ainsi que les nombreux Palisse dont Palisse 19, Lapalisse 01, La Pallice a` La Rochelle 17. De ce pal viendrait aussi la planche, planque ou palanque qui a pu avoir le sens de cloˆture, mais qui paraıˆt avoir e´te´ bien plus souvent employe´e pour une passerelle jete´e sur un ru. Des dizaines de noms en Palanque s’e´parpillent dans les Midis ; les lieux-dits en Planche et Planque sont nombreux mais moins assure´s, car le sens de « plat », plateau y est plus pre´sent. Le vieux franc¸ais baille, issu de bak (baˆton) par le latin baculus de meˆme sens, ou peuteˆtre de l’IE pal (pieu), a aussi de´signe´ des palissades, et ainsi des lieux prote´ge´s sinon vraiment fortifie´s ; il serait a` l’origine de divers Bailleul, Baillet, Bailleau et de certains Bailly selon M. Mulon, dont Bailleau 28. On peut interpre´ter ainsi la Baille du Puits Bertin et la Baille de la Bre´tignie`re a` Ferrie`re-sur-Beaulieu 37. Il existe une douzaine de communes Bailleul ou Le Bailleul, et de nombreux lieux-dits. Barrat, barrail sont d’autres mots pour un lieu ferme´, cloˆture´ (« barre´ »), notamment en Aquitaine, et pre´sents aussi sous diverses formes dont La Barre, Baralle, Barrail, Barret ; mais il est

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difficile d’en de´meˆler des NP et d’autres origines, bar comme relief et barre comme simple image d’un obstacle, ou meˆme d’un habitat aligne´. A` la haie comme enclos a pu correspondre un celte gortia, qui a aussi le sens de fourre´ et peut avoir donne´ des Gorce et apparente´s, dont Lagorce 07. La Bretagne en aurait tire´ des cor pour enclos, probablement apparents dans Corlay 22, Concoret 56, Bangor a` Belle-Iˆle (ou` ban = haut) selon M. Morvan. Le breton utilise aussi garzh pour une haie d’arbres, comme Garsalec a` Ergue´-Gabe´ric 29, haie de saules (garz-haleg). S’ajoutent a` l’ide´e de cloˆture les cloıˆtres, encloıˆtres et clastres, espaces ferme´s abondants dans les lieux-dits ; mais ici la cloˆture est plutoˆt mine´rale. On trouve Lencloıˆtre 86, Le Cloıˆtre-Pleyben 29 et Le Cloıˆtre-Saint-The´gonnec 29, la Clastre au village de Saint-Maurice-de-Navacelles 34, le Bois des Clastres a` Saint-Mathieu-deTre´viers 34 et la Clastre a` Sant-Cle´ment-de-Rivie`re 34, les Claustres a` Chame´ane 63, ou a` Bord-Saint-Georges 23, et la commune de Clastres 02, parmi des dizaines de lieux-dits homonymes. Trois radicaux de base signalent les enclos mine´raux. Mur est le plus banal et le plus courant et nourrit la toponymie : en viennent des Muret, Murs, Mureaux, Murviel, Muron, des Lamure en re´gion lyonnaise, Muˆrs-E´rigne´ 49 au circonflexe inopportun. En Bourgogne, un murger, parfois merger ou meurge, est un mur de pierres et figure dans quelques lieux-dits ; mais on trouve aussi des Murgers dans le Doubs, le Jura, et jusqu’en Orle´anais, en Touraine (les Murgers a` Saint-Branchs 37) et en Yvelines. Un lieu « ceint de murs » s’est dit murocinctus et se retrouve dans les Morsan 27, Morsains 51, Morsang a` E´tampes 91, Saint-Se´bastien-de-Morsent 27, Mulcent 78, Mulsans 41, Mulsanne 72. Le joli village rond et fortifie´ de Larressingle, dans le Gers, de´rive aussi de cingulare (ceinture) et l’ide´e se retrouve dans les ceintures urbaines et boulevards de ceinture. Il n’est pas sans inte´reˆt de rapprocher mur de sa source : le latin murus, lui-meˆme rapporte´ par certains linguistes a` un mei indo-europe´en qui e´voque quelque chose de fixe, et l’e´dification de de´fenses. Or il semble qu’en vienne aussi le latin munire, de meˆme sens et, de ce fait, quelques fameux pie`ges toponymiques. Le tre`s curieux Pain de Munition, oppidum de Pourrie`res dans le Var, e´tait tout juste un Podium Munita, un puy (mont) prote´ge´ d’une triple enceinte de murs, donc « muni ». L’adjectif s’est e´galement applique´ a` des voies empierre´es, « munies », devenues... chemins de la Monnaie comme la Voie Domitienne en Languedoc ; et peut-eˆtre aux Mone´die`res en Limousin. Un deuxie`me radical est paret, autre forme du mur qui se retrouve dans la paroi et le parie´tal et vient du paries latin (IE per, grec peri, autour). Outre certains escarpements en forme de parois, il se cache dans quelques lieux-dits et villages ou` il de´signait un enclos, parfois pre´ ou verger. Pardies et Pardies-Pie´tat 64, les Paray, Paroy en sont des exemples. Il se retrouve dans parge, e´parge, un enclos en Lorraine comme aux E´parges 55 et dans plusieurs le Parge. Rempart a fourni plusieurs dizaines de noms de lieux-dits en le Rempart, les Remparts, jusqu’a` des Bois des Remparts (Marcy 02, Essay-et-Maizerais 54) ou la Pie`ce des Remparts en pleine campagne de Parzay-le-Sec 86. Le nom aurait pour origine non pas paret mais emparer, qui signifie autant prendre que de´fendre (IE pere).

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A` la Re´union ou` sont une douzaine de Rempart, et meˆme une Plaine des Remparts a` Saint-Joseph, le mot de´signe par image une paroi rocheuse verticale, le long d’une gorge ou autour d’un crate`re. Une troisie`me famille vient du gaulois rate, ratis, au sens de muraille – fuˆt-elle de terre, comme l’imagine X. Delamarre, suivi par E. Ne`gre. Il se cache dans le nom d’anciennes places fortes comme Argentre´ (Argentorate), dans Coutras 33 (anc. Corterate), dans le premier nom de Strasbourg (Argentorate) et peut-eˆtre dans l’ıˆle de Re´ (Ratis au VII e s.). Briord 01 est interpre´te´ par E. Ne`gre comme un ancien Brioratenses, de briva pont et rate rempart. Carpentras 84 fut un Carbanto-rate, le premier mot figurant pour certains e´rudits un char a` deux roues avec capote (P.-H. Billy), ce qui ne permet pas de progresser davantage dans l’interpre´tation du sens, sauf a` imaginer un lieu enclos et surveillant un chemin de chars. Rodat peut avoir eu le sens de ceint de murs dans Montrodat 48 (Fenie´). Il va de soi que la longue vie de l’habitat admet quelques destructions, et jusqu’a` la disparition de villages entiers. Maze`res et Mazie`res, Me´zie`res sont des toponymes re´pandus qui, en de´pit de l’apparence, n’e´voquent pas des mas, mais des ruines, ou du moins de vieux murs, sur lesquels s’est greffe´ un nouvel habitat. La racine en est le latin maceria, de l’IE mak, par macare, avec le sens d’entasser : une e´vocation de tas de pierres. Le breton en a fait moguer, a` l’origine de nombreux lieux-dits Moguer, le Moguer, Moguerou, voire Maguero en Morbihan (une dizaine). Magoar est une commune des Coˆtes-du-Nord ; Ploumagoar 22, Ploumoguer 29 sont des e´quivalents de Maze`res. On peut leur ajouter des de´rive´s du gaulois miletu qui a aussi le sens de ruines, peut-eˆtre dans Me´allet 15, Mialet 24. En revanche, il s’ave`re que la plupart des noms en Ruines ou Ruynes correspondent a` des ravins ou des ravinements, comme nous le verrons a` propos de cours d’eau (chap. 5). Toute cloˆture suppose une ouverture, meˆme discre`te : les noms en la Porte et le Portail sont tre`s nombreux, de certaines entre´es de ville jusqu’en rase campagne. Il en est des dizaines en toute re´gion, avec un gouˆt particulier pour la Porte Rouge (une trentaine, un peu partout) et le Portail Rouge (24 cas), surtout de la Gironde aux Deux-Se`vres, dont six en Charente-Maritime... Ge´oportail ne rele`ve en revanche que deux Portail Bleu, en Charente, un seul Portail Vert (La Mothe-Saint-He´ray 79) mais sept la Porte Verte ; quatre la Porte du Parc, quatre la Porte Neuve, trois la Porte d’Enfer, deux la Porte de Paris. Porte en tant que sortie de ville est souvent accompagne´ de l’indication de la destination, proche ou lointaine, et peut s’appliquer a` tout un quartier : Porte d’Auteuil, Porte des Lilas ou Porte d’Orle´ans a` Paris... Jurignac 16 a Porte Ouverte, Souge´-le-Ganelon 76 les Portes Ouvertes. A` Luz-Saint-Sauveur 65 se signale la Porte d’Espagne. Quelques le Porche ou le Porge s’y ajoutent, comme Le Porge 33, mais il semble que porge ait pu de´signer un cimetie`re, du moins en Gascogne, comme extension du porche et parvis d’e´glise. Enfin, porte a pu avoir un sens me´taphorique, voire publicitaire, comme aux Portes-en-Re´ 17 ou, plus re´cemment, Porte Oce´ane au Havre, ainsi qu’un lotissement de la Porte Oce´ane a` Jard-sur-Mer 85. Notons enfin que, faute de reliefs, ou de moyens de construire, des ame´nagements souterrains ont e´te´ utilise´s, cre´e´s et agrandis a` certaines e´poques, et ont pu servir de

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refuges. Outre les multiples cavite´s naturelles, dont il sera question avec les reliefs (chap. 4), il en est ainsi des cluseaux ou cluzeaux du Pe´rigord et de la Charente, dont le nom porte l’ide´e de fermeture (clore). La Picardie a eu ses muches, dont l’origine est dans le vieux franc¸ais musser, cacher : issues de carrie`res dans la craie, ces galeries ont servi pendant les pe´riodes de guerres, surtout aux XVI e et XVII e sie`cles, et peuvent s’allonger sur des centaines de me`tres, notamment vers Naours. La Picardie a aussi ses boves, dont l’e´tymologie est mal e´tablie, meˆme si l’on a pu faire remarquer qu’en espagnol boveda est une petite cave, qui viendrait de volvita, vouˆte en latin. Si muches et boves font partie de l’histoire et des le´gendes picardes, elles n’ont laisse´ de traces que dans une poigne´e de noms. Se remarquent ne´anmoins 23 lieux-dits Boves dans l’Aisne, Boves et Bovelles dans la Somme, beaucoup de Bovette parmi les lieux-dits picards et ardennais ; les Muches a` Grivesnes 80, la Valle´e des Muches a` ClainSaulchois 80 ou les Muchettes a` Martincourt 60.

De cour en borde Dans l’ensemble des formes d’habitat, deux termes e´quivalents mais bien distincts e´voquent tout ensemble l’espace libre et les baˆtiments d’un e´tablissement rural et de certaines implantations urbaines : cour et hof. Tous deux ont d’ailleurs e´volue´ dans le meˆme sens, passant de la simple cour, comme espace libre attenant a` la maison, a` la grosse ferme, voire au chaˆteau construit autour de la cour – jusqu’a` de´signer la « cour » du souverain. Ils sont souvent lie´s a` un NP, ancien titulaire du lieu, mais les noms communs et adjectifs ne sont nullement exclus. Cour serait issu de l’IE gher au sens d’enclos, en passant par un cohors de meˆme sens, puis par le latin curtis. Il s’est fixe´ pour de´signer une forme de ferme, en ge´ne´ral d’assez bonne taille, close ou fortifie´e, puis un domaine, ou parfois un village. Il entre dans quantite´ de noms de lieux sous la forme de -court (Baudricourt ou Beaudricourt, Bettancourt, Raucourt, Guignicourt ou Guignecourt, Royaucourt, Richecourt, parmi des centaines), pre´sents surtout dans la France septentrionale, et de cour(Cour-Cheverny 41, Courgenard 72, Courgivaux 51, Courcemain 51, Courcemont 72, divers Hautecour). Il a donne´ des Courdemange et Courdimanche (de curtis dominicus, domaine du seigneur) et, a` l’oppose´, les diminutifs Courcelles, Corcelles, Corcelettes, Courseulles. Il a pris la forme cor en Bourgogne et alentour (nombreux Corcelles, Cormont, Corgoloin 21, Corsaint 21). On le voit aussi associe´ a` un monaste`re dans Monte´nescourt 62 et Montre´court 59. Il se retrouve dans certaines annexes de l’habitation comme le courtal ou cortal (parc a` bestiaux) et le courtil (jardin), qui eux-meˆmes sont a` l’origine de noms de lieux comme Courtils, Courtieux, Courtille ; par image, le Courtil aux Fe´es est un me´galithe de Saint-Laurent-sur-Oust 56. Du reste, les mots hort et gart, garten ou garden, qui de´signent des jardins, sont re´pute´s avoir la meˆme e´tymologie et ont pu e´galement s’appliquer a` des villages : en toponymie, le coˆte´ cour et le coˆte´ jardin ne sont pas oppose´s. Hof et les formes hoffen, hove entrent dans de tre`s nombreux noms de lieux en pays de langue germanique, comme radical tre`s ge´ne´ral pour la ferme, avec une ide´e de

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cloˆture. Ils servent aussi pour d’autres habitations et meˆme des temples et des sanctuaires. Hof est re´pute´ issu d’une racine indo-europe´enne juge´e incertaine, un ku- de´signant un espace en creux, ferme´, enclos. En France, sa pre´sence se limite aux confins flamands et alsaciens-lorrains : Hoffen 67, Sundhofen 62 (du sud), Schirhoffen 67 (avec grange), Offekerque 62 (e´glise), Bavinchove 59 (NP Babo), Polincove 59 (NP Polo), Volckerinckhove 59 (NP) sont parmi les communes qui en tirent leur nom. Zuthove (du sud) est un chaˆteau a` Renescure 59, comme Withof (blanc) a` Bourbourg 59. Le Val-de-Gue´nange 57 a un Houle´hof, tandis qu’a` Folkling 57 un gros Remsingerhof voisine avec un hameau Remsingerhu¨tte, Watterhof est une grosse ferme isole´e en fond de valle´e a` l’est de Lorentzen 67. Quelques dizaines de lieux-dits sont en Hof avec un de´terminant : Peene Hof a` Bollezeele 59 (hydronyme), Roche du Hof a` Nayemont-les-Fosses 88, Hof auf die Strasse (de la route) a` Roppenheim 67, Lang Hof (long) a` Tedeghem 59, etc. Un seul Hove tout court est a` Wimereux 63. On nomme encore hofste`de (quatre mentions de lieux-dits dans Ge´oportail) une ferme flamande a` cour carre´e ouverte dont les baˆtiments sont en L ou en U, en briques et tuiles (jadis chaume et torchis) et flanque´s d’annexes. De ce meˆme IE ku viendraient aussi le cottage et le terme cotte, de´signant quelque chose qui enveloppe, un abri. Applique´ a` des villages ou a` de petites masures, il se trouve dans Zuydcoote 59 (anc. Soutcota = baraque a` sel, comprise ensuite comme « du sud »), Vaucottes a` Vattetot-sur-Mer 76 (du val), Cotte´vrard 76 (NP), probablement dans Hondschoote 59 et Haute-Coˆte 62, et quelques lieux-dits Caudecotte (Bazoques 27), Caudecoˆte (Les Ifs 76, Avesnes-en-Val 76), voire Coˆte-Coˆte (Becde-Mortagne 76) ou meˆme Cotte-Cotte (a` Sierville et a` Gre´monville 76) qui seraient des « masures froides » (kalt a donne´ caud en Normandie). Il en re´sulte bien des confusions, attractions et incertitudes, entre cotte et coˆte, comme entre caud et chaud. Court et hof ont pour e´quivalent en Bretagne le terme lis qui, sous des formes varie´es telles que les, lez, lis, lus, de´signait un domaine seigneurial. Il se devine dans Lesneven 22, ainsi e´quivalent de Chaˆteauneuf ou La Courneuve, qui a une demidouzaine d’homonymes en lieux-dits ; et dans des Lesvern (le chaˆteau du marais), Lescoat (du bois) et Lescoue¨t, Lesque´len en Plabennec 29 et Brasparts 29 (du houx), Leslan a` Campe´ne´ac 44 et Poullan-sur-Mer 29 (avec lande), sans doute Le´zardrieux 22 (le chaˆteau du Trieux, lis-ar-Trieux). Le monde des fermes et des maisons est polyglotte et changeant. Deux termes proches, borde et borie, servent encore, mais leur sens a pu changer, et il est double : dans les deux cas, se rappellent un usage agricole et un baˆtiment rudimentaire. Borde est un nom tre`s commun, porte´ par des milliers de lieux – Ge´oportail en recense plus de 4 300, dont une trentaine de communes telles que Bordes ou Les Bordes (une dizaine), Borde`res (4), Laborde 65, Lasbordes 11. Bordessoule (borde seule) est assez fre´quent. Les Borderies, Bourdeilles 24, Bourdic 30 et des lieux-dits en Bourdon seraient de la famille, comme les Bordeaux – mais non Bordeaux 33. Le terme s’applique surtout a` une ferme, et dans le Sud-Ouest spe´cialement a` une ancienne me´tairie : bordier et me´tayer y ont e´te´ synonymes. Il a e´te´ adopte´ tre`s largement en Pays Basque (nombreux lieux-dits habite´s en Borda) et de´signe aussi

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des cabanes pastorales de la montagne arie´geoise. L’origine du nom est d’ailleurs ge´ne´ralement relie´e a` borda, e´tymologiquement cabane en planches, d’un bherdh qui de´signait une planche et que l’on trouve dans le board anglais (tableau) et « a` bord » du navire. Borie a peut-eˆtre la meˆme origine, mais les spe´cialistes sont inde´cis : les uns y ont vu une e´table a` bœufs (boaria), certains une parente´ avec d’autres sortes de cabanes en bur-, donc avec la famille bhu. Jadis borie e´tait, surtout en pays d’oc, un synonyme de ferme, sans plus ; et donc d’habitation permanente. Depuis le XIXe sie`cle, tourisme aidant, le terme a e´te´ affecte´, promu et quasi limite´ a` ces cabanes de pierres se`ches qui font la ce´le´brite´ de quelques hauts lieux provenc¸aux ou` l’on s’attendrit a` l’« authenticite´ » du passe´ – meˆme si beaucoup d’entre elles ont e´te´ refaites et si, selon C. Lassure, ces habitats saisonniers portaient d’autres noms, surtout celui de cabanes ; un « Village des Bories » a meˆme e´te´ invente´ au lieu qui fut les Cabanes de Gordes. Ge´oportail signale plus de 1 300 Borie, quelque 200 Laborie et une centaine de Borio ; mais aucune commune n’y figure. La plupart de ces lieux-dits correspondent a` d’anciennes fermes, voire de simples cabanes et sans doute en partie a` des patronymes, car les Borie et Laborie sont nombreux : plus de 10 000 en France selon Genealogie.com, moins toutefois que les Borde, Bordes, Laborde (plus de 30 000) ; tous sont principalement dans le quart sud-ouest du pays, comme les toponymes, et ces distributions laissent penser a` la forte proximite´ des deux familles de noms.

De ferme en fe`re Bien d’autres noms ont de´signe´ des habitations rurales. Et tout d’abord ferme tout court, dans un sens tantoˆt tre`s ge´ne´ral de lieu de travail et d’habitat agricole, tantoˆt dans un sens plus pre´cis d’exploitation en fermage, dont l’agriculteur est locataire de tout ou partie et paie un loyer, le fermage. Dans ferme et fermage la racine est l’ide´e de solidite´, comme dans fermete´ et firme : confiance dans l’e´tablissement et dans le bail ; firma en latin, issu de l’IE dher, tenir... fermement. Ge´oportail recense plus de 5 000 lieux-dits en Ferme, dont a` peine trente la Ferme tout court et autant les Fermes, les autres avec un de´terminant : quatorze Ferme Rouge ; dix Ferme Bruˆle´e, Ferme Anglaise a` Pougues-les-Eaux 58, les Fermes E´parses a` Mannevillette 76, la Ferme aux Fraises a` Andre´sy 78 et a` Uxegney 88, Ferme des Franchises a` Anthon 38, la Ferme Mode`le a` Ger 50 et a` Eu 76 ; et une seule commune, Clermont-les-Fermes 02. Cense ou censive sont des noms assez re´pandus, du moins en France septentrionale : 320 lieux-dits, non des communes, en Cense, Censerie, Censeau, plus 54 Censie et Censier, 36 Censive. Cense, comme cens (latin censum), e´voque une redevance, en l’occurrence un fermage. La cense de´signe normalement une grosse ferme isole´e, souvent a` cour ferme´e ; elle a pu eˆtre une de´pendance d’abbaye, mais le terme s’est ge´ne´ralise´ dans le Nord. Toutes sortes de de´terminants l’accompagnent : Cense Carre´e a` Fontaine-le`s-Vervins 02, Cense au Sel a` Rocroi 08, Cense Madame au Favril 59, Cense aux Moines a` Carbon-Blanc 33, plusieurs Cense au Bois ou du Bois, une curieuse Cense du Plus Fin a` Lecelles 69, etc.

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Me´tairie est de nature voisine, mais le terme est plus re´cent, quoique tre`s re´pandu : 1 833 lieux-dits dans Ge´oportail et une commune, Me´tairies-Saint-Quirin 57. Le me´tayage implique en principe une location plus lourde que le fermage, le preneur, de´pourvu de gros mate´riel, devant au bailleur sinon toujours la moitie´ des fruits (me´tayage vient de moitie´), du moins une part substantielle en nature, variable selon les produits. On trouve une Me´tairie du Cure´ a` Lacapelle-Biron 47, une Me´tairie du Notaire a` Roquebrun 34, la Me´tairie du Sourd a` Puivert 11, quatre Me´tairie du Parc, etc. Le nom s’e´crit la Mettrie ou meˆme la Me´trie dans l’Ouest, abondant en Mayenne, Ille-et-Vilaine et Coˆtes-d’Armor. Oustal, oustalet, oustau de´signent dans le Midi une maison. Une commune, Les Oustalets 31, et 48 lieux-dits sont re´pertorie´s dans Ge´oportail sans article, et 351 avec article incorpore´, sous les formes Loustal, Loustau (une centaine), Loustalas, Loustalet (une cinquantaine), ou encore Loustalne´ou (neuf) a` Montjoi 82. Le radical est ghosti, terme ambivalent et contradictoire qui a` la fois a donne´ l’hoˆte (guest en anglais) et hostile, c’est-a`-dire l’e´tranger – invite´ ou intrus, ami ou ennemi... de meˆme que de nos jours l’hoˆte est tantoˆt l’accueillant et tantoˆt l’invite´. La meˆme racine a donne´ l’hoˆtel, ainsi que l’hoˆpital et l’hospice, sources de nombreux toponymes rappelant l’existence ancienne d’un accueil de malades ou d’indigents. Beaucoup de lieux habite´s de Basse-Normandie ont adopte´ le nom d’hoˆtel, tout court ou avec un NP : plusieurs a` Saint-Roch-sur-E´grenne 61, ainsi qu’a` Saint-Cyr-du-Bailleul 50, huit au Vre´tot 50 dont Hoˆtel De´sert, plus l’Hoˆterie, d’autres aux Loges 14 (l’Hoˆtel Mac¸on, l’Hoˆtel Huvet, l’Hoˆtel Suard, l’Hoˆtel aux Allains, l’Hoˆtel Fouquet), Hoˆtel Noe´ a` Saint-Planchers 50, etc. Thun est un vieux mot d’origine saxonne qui de´signait une ferme mais n’est plus employe´ seul. Il se maintient dans quelques noms de communes, surtout en Boulonnais, assorti d’un NP : Fre´thun 62, Landrethun-le-Nord 62 et Landrethun-le`sArdres 62, Audinthun 62, Baincthun 62. L’origine est l’IE dhuno, lieu clos et prote´ge´, d’ou` viennent aussi les terminaisons en -dun de´ja` signale´es, et les -ton anglais au sens de ville (Newton, Boston, etc.). Toujours dans l’inventaire des maisons, logis a e´galement fixe´ des toponymes : Ge´oportail trouve plus de 600 Logis, dont 30 Logis-Neuf, mais aucune commune. Logis a pu prendre le sens de manoir, maison du seigneur, dans l’Ouest, en particulier dans les Deux-Se`vres et la Vende´e : Logis de la Motte a` Criteuil-la-Magdelaine 17, le Logis de la Chauvinie`re a` Saint-Georges-de-Pointindoux 85, le Logis de la Cantinie`re a` SaintPaul-Mont-Penit 89, le Logis de la Forte´cuye`re a` La Boissie`re-de-Montaigu 85. Pavillon a donne´ deux communes, Le Pavillon-Sainte-Julie 10 et Pavillons-sousBois 93, et 850 lieux-dits. Le mot de´signait une tente chez les Romains, par me´taphore du papillon, mais son emploi dans l’habitat est postme´die´val ; il de´signe en ge´ne´ral des maisons isole´es, notamment dans des clairie`res comme le Pavillon a` Mansigne´ 72, le Pavillon des Bois a` La Machine 58. Le terme s’emploie aussi pour des habitats spe´cialise´s en milieu hospitalier, militaire ou forestier : Pavillon des Gardes a` Maisons-Laffitte 78, Pavillon des Officiers dans la foreˆt d’Aulnay a` Saint-Mande´-sur-Bre´doire 17, etc. Chaumie`re fournit une centaine de lieux-dits dans diverses re´gions, en ge´ne´ral sous la forme la Chaumie`re tout court, ce qui a

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pu indiquer non une maison mais un lieu de chaume, ou meˆme en friche (racine calm). Fe`re ou fare vient d’un fara germanique de´signant un domaine familial, peut-eˆtre avec une ide´e de nouvel e´tablissement ; ainsi a` Farebersviller 57 avec un sanglier (eber) ou un NP e´quivalent, Faremoutiers 77 avec un monaste`re, La Fe`re et Fe`re-enTardenois dans l’Aisne, Fe`re-Champenoise et Fe`rebrianges (avec un NP) dans la Marne, La Fare-en-Champsaur 05 et La Fare-les-Oliviers 13, voire Autephare (anc. Autafara) a` Pommiers-la-Placette 38. Les lieux-dits la Fare abondent dans le Midi, notamment en Arde`che.

Maisons en re´gion Des termes de porte´e plus locale ajoutent a` la diversite´. Etxe est la maison en basque, transcrite etche en franc¸ais ; quantite´ de lieux-dits emploient le terme, comme Etchegoyen (maison d’en haut), Etchegorri (maison rouge), etc., ainsi que deux communes, Etcharry 64 et Etchebar 64, qui toutes deux viennent d’etxe berri, maison neuve. On nomme e´choppe la petite maison caracte´ristique de l’agglome´ration de Bordeaux : le nom, issu du ne´erlandais qui de´signait un petit atelier ou une boutique et qui a donne´ shop en anglais, se trouve curieusement associe´ ici a` une simple habitation, sans doute en raison de l’ancienne fre´quence des liaisons entre Bordeaux et les marche´s anglais et ne´erlandais ; un quartier de Pessac est appele´ Les E´choppes. La malouinie`re est sur quelques coˆtes de la Manche une maison plutoˆt cossue, un manoir re´pute´ construit sur la fortune des corsaires de Saint-Malo, voire d’autres ports : mais le seul lieu-dit de ce nom dans Ge´oportail est a` Lassy 14. Dans le Nord, les coure´es sont des groupements de maisons autour d’une cour ou d’une simple rue en centre d’ıˆlot ; les corons sont des maisons e´le´mentaires et finalement le quartier qu’elles forment ensemble. Coure´e vient de cour, mais coron viendrait de cor, indiquant un bout, une extre´mite´, ce qui est « au bout » du village, ou du domaine minier (comme pen-ti en breton...). Ces deux formes d’habitat ouvrier portent souvent le nom de « Cite´ » et coure´e ne figure gue`re (quatre lieux-dits, aucun en Nord-Pas-de-Calais), mais il existe des lieux-dits en Coron, y compris pour des habitations isole´es comme le Coron des Oiseaux a` Marquillies 59. La plupart ont toutefois e´te´ associe´s a` des mines et usines comme le Noir Coron a` Vieux-Conde´ 59, les Corons du Fond de Sains ou les Corons du No 3 a` Nœux-les-Mines 62, parfois avec quelque surnom, tels les Corons sans Beurre de Guesnain 59, ou un Coron de l’Amour a` Bachant 59. Le nom n’est gue`re sorti de la re´gion du Nord : seule Sinceyle`s-Rouvray 21 a un groupe de maisons nomme´ les Corons. Coron 49 semble plutt o˜tre de la famille de Coue¨ron 44 et des Coe¨vrons, sur un coet celtique pour bois. Rue et queue sont des termes tre`s employe´s, notamment en Normandie, pour de´signer des hameaux et des villages tre`s e´tire´s le long d’un chemin ou d’un bois ; il existe des lieux-dits La Rue, les Rues, Rudelle, La Queue, mais la plupart ont un comple´ment, comme La Queue-en-Brie 94 ou La Queue-les-Yvelines 78. Toutefois, les risques de

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paronymie sont e´leve´s : Rue, commune de la Somme, doit son nom a` un transfert de la danoise Ry (au Jutland), a` l’e´poque des « invasions normandes » ; et queue est employe´ dans d’autres contextes : cinq Queue de Rat, trois Queue Leve´e ou la Queue Dret a` Meillant 18, deux Queue Noire, etc.

Ailes et ateliers de la ferme Les annexes de la maison et de la ferme sont elles-meˆmes sources de toponymes. Nous avons de´ja` vu la cour prendre le sens de l’ensemble, -court ou -hof. C’est aussi le cas de l’aire, simple « surface » qui a pu ne de´signer qu’une aire a` battre les ce´re´ales, mais a pu aussi qualifier toute la maison rurale, ses de´pendances et le terrain associe´, sous des formes Aire (plus d’un millier dans Ge´oportail), Aireau (une trentaine), Airon, Airoux, Aiseau, Ayrault (surtout en Anjou) et Aghia ou Arghja en Corse (plus de trente), Eyrolles (dont une commune de la Droˆme), et probablement aussi Hye`res 83. L’aire a` battre se nomme escousse dans le Midi, parente du verbe e´cosser (e´grener) et source de toponymes en Escous, Escousse, Escoussens 81, 33, Lescousse 09, Escousse`s, Escousse`ze (Verdun-sur-Garonne 82), Escoussous, Escoussols. Dans les Landes, l’airial est le nom commun des lieux habite´s, re´unissant quelques maisons, leurs de´pendances et un terrain en clairie`re dans la lande ou la foreˆt. Il a fixe´ aussi quelques toponymes et les promoteurs de sites de loisirs s’en sont empare´s : Airial Fabian (Rion-des-Landes 40), l’Airial (village de vacances a` Saume´jean 47), l’Airial du Nid de l’Agasse (de la pie) au Barp 33, etc. On trouve aussi les Eyrials a` Gaugeac 24. Dans le Nord-Est, aisance a un sens voisin, comme aux Aisances de Briquenay 08 ou de Bourcq 08, de Champlecy 71, d’Ugny 54, de Saint-Martinl’Heureux 51 ou de Thonne-le-Thil 55. Aıˆtre apparaıˆt aussi (24 fois dans Ge´oportail) ; le mot vient de l’atrium latin, dont l’origine est tre`s discute´e : un e´trusque inconnu pour les uns, pour d’autres un IE ater d’ou` vient aussi l’aˆtre et qui avait le sens de feu, fume´e et noir de fume´e ; l’atrium aurait e´te´ la pie`ce noircie par le feu. En vieux franc¸ais et au pluriel, les aıˆtres de´signaient les parties d’une maison. Le nom s’e´crit assez souvent l’Eˆtre, comme dans l’Eˆtre Gagne´ a` Chaˆteau-Gontier 53, l’Eˆtre Pucelle a` L’Homme 72 qui a aussi l’Aıˆtre Mac¸on, l’Eˆtre aux Chemins, ou l’Eˆtre aux Anglais a` Saint-Aubin-d’Appenai 61. Mais d’autres linguistes assurent qu’aıˆtres viendrait d’extra, ce qui est exte´rieur a` la maison. Les aıˆtres seraient alors les de´pendances. Localement, aıˆtre a souvent de´signe´ un cimetie`re, ce qui serait conforme a` cette origine, le cimetie`re ayant en principe e´te´ exte´rieur aux habitats. La grange peut eˆtre aujourd’hui un simple hangar ; mais le nom indique qu’elle avait pour fonction de conserver le grain, comme d’ailleurs le grenier. En principe, le grenier fait partie de la maison, tandis que la grange pouvait eˆtre lui exte´rieure : les campagnes franc¸aises sont encore riches en granges d’abbayes isole´es, dites granges dıˆmie`res puisqu’elles recevaient les produits de la dıˆme, et qui pouvaient eˆtre fort grandes. La Grange de Meslay, proche de Tours, est devenue un haut lieu de concert. Une trentaine de communes sont en Grange, dont Granges-la-Ville et

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Granges-le-Bourg en Haute-Savoie, et Les Grangettes 25. Au total, Grange a fourni plus de 6 000 lieux-dits au singulier ou au pluriel, plus 150 Lagrange dont trois communes. Il s’y trouve une quinzaine de Grange aux Moines, six Grange aux Dames ou aux Femmes, huit Grange aux Dıˆmes ou Dıˆmie`re. On compte plus de 300 Grenier ou Granier, Granie´, mais une seule commune, Grenier-Montgon 42, plus Granier 73, Granieu 38. Certains des uns et des autres peuvent de´river de NP. D’autres vocables e´voquent des fonctions voisines. Plusieurs dizaines de NL sont en Hangar ou Remise. Le nom de lieu Hangar viendrait de heim-gard, cloˆture d’un habitat ; il est souvent associe´ a` un habitat, ou au moins a` une construction, comme a` Cliponville 76, Daux 31, Verneuil-sur-Vienne 87, bien que le Grand Hangar a` Acq 62 ou le Champ du Hangar a` Neuvy-sur-Loire 58, la Pie`ce du Hangar a` Coyolles 02 ne soient que des lieux-dits parmi les champs. En revanche, la plupart des toponymes Remise sont en rase campagne ; mais ils y ont plutoˆt signale´ des terres remises en culture, par exemple a` La Foreˆt-le-Roi 91 qui juxtapose dans ses champs nus Remise du Moulin, Remise de la Couture, Remise de la Grosse Borne ; ou la Remise de la Justice a` Avernes 95, la Remise a` la Fille a` Tre´on 28. Sosta serait un e´quivalent occitan, pouvant aller jusqu’a` un abri pour le be´tail, a` l’origine de Soustelle 30 (E. Ne`gre) et de noms en souste comme la Sousto a` Saint-Re´my-de-Provence 13, probablement de Soustons 40, peut-eˆtre d’Assosta 64. Le chalot est un grenier a` grains isole´, en bois et toit de lauzes, dans le sud des Vosges et la re´gion sous-vosgienne vers Saint-Loup-sur-Semouse ; un inventaire de 325 unite´s a e´te´ re´alise´ par l’Association « le Pays du Chalot », aux Forges dans les Vosges, et certains sont en voie de restauration ; curieusement, les quelques toponymes en Chalot releve´s par l’IGN sont hors des Vosges. Chape (une trentaine de noms), Chapet (six ou sept noms dont une commune des Yvelines) et Chapieu (sept noms), outre le sens de cabane (capana), ont pu signaler des granges ou des remises et, de Picardie en Savoie, des fenils. Il en est de meˆme de chaffaut ou chafaud, grenier ou fenil, parent d’e´chafaudage (et catafalque) comme construction en hauteur, d’ou` vient notamment Chaffois 25. On rele`ve une bonne vingtaine de Chafaud ou Chaffaud, la plupart en Bourgogne, des Chaffat et dix l’E´chafaud. Certains chaffauds ont e´te´ des tours de guet. Dans ces domaines, les risques de paronymie sont grands. Le solier e´tait en vieux franc¸ais un grenier ou plutoˆt un fenil, et peut avoir donne´ Solers selon M. Mulon. Le Soler 66 pourrait eˆtre cousin, voire le Soleil a` SaintMartin-la-Sauvete´ 42 (X. Gouvert), mais comment de´cider de l’e´tymon entre soleil et solive quand il s’agit de se´cher des re´coltes et que certains soliers sont des terrains ensoleille´s ? Le latin spica (e´pi) a fourni spicarium (grange a` e´pis) d’ou` viennent des e´piers, a` la source de toponymes en E´piais (dont trois communes), E´pieds (dont quatre communes), E´piez (dont deux communes), Espiers, soit une dizaine de communes et de nombreux lieux-dits. M. Mulon avance que d’un latin machalum, grange ou grenier, viendraient quelques Machaut, Machault et peut-eˆtre Macau. Le germanique skurjon pour une grange (IE keu, lieu couvert, cache´ cf. obscur et e´curie) a donne´ des scheure et seure e´voluant en E´cuires 62, Renescure 59 ; Buysscheure dans le Nord a le sens de grange au bois. De nombreux noms de lieux en Alsace commencent par Scheuer-, dont quatre Scheuerberg.

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Le fenil, l’e´table et l’e´curie n’ont pas donne´ beaucoup de toponymes. On note toutefois une douzaine de Fenil et quelques Feniers, Feneyrols dont Feneyrols 82 ; Bonne´table 72, E´table 73, E´tables 07, E´tables-sur-Mer 22, Noire´table 42, Male´table 61, Saint-Germain-d’E´tables 76 et quelques lieux-dits en E´table ou les E´tables. Notons aussi E´curie 62 et des dizaines de lieux-dits avec E´curie, les E´curies, dont les E´curies du Roi a` La Chapelle-Moulie`re 86 ou les E´curies de Napole´on a` Givet 08 – un autre lieu couvert, cache´, IE keu. Le pailler a sans doute e´te´ plus productif, au moins dans le Sud ou` abondent les Pailhe`s, Paillole, Palhers, Pailhare`s, Pallare`s, et en Corse des Pagliajolu (a` Sarte`ne, Carbuccia, Mausole´o), Pagliaju (Sarte`ne, Casalabriva), Pagliaggiolu (Sotta, Ajaccio). Stod, « enclos pour les chevaux », d’origine anglaise (stud) se trouverait dans les noms d’E´tauhague a` Imbleville 76, les Tohagues a` Beaumont-Hague 50, jadis l’E´tohague, combine´ avec hague au sens d’enclos. E´taples 62 et Staple 59 viendaient d’un entrepoˆt (D. Poulet) a` partir de stapel, un poteau ; plusieurs lieux-dits se nomment les Estaples, mais dans le Tarn. Le four, quel qu’en fuˆt l’usage, survit dans de tre`s nombreux NL, qui ont pris aussi les formes Fourneau, Fournels, Fournols, Fourg, Fornex 09 ; ainsi que Hours dans les Hautes-Pyre´ne´es et les Pyre´ne´es-Atlantiques ; et 18 lieux-dits le Vieux Four. Il a pu s’agir de fours d’artisans, ou de four communal – le Four Banal subsiste a` Rivie`re-lesFosses 52 et Acy-en-Multien 60. On trouve le Four des Moines a` Lachalade 55, le Four a` Vilain a` Bouesse 36, le Four Gaulois a` Marcilly-le-Hayer 10, cinq Four Blanc. Par image, un dolmen a` Mourioux-Vieilleville 23 est nomme´ le Four des Fades (des fe´es). La forme est Forn,Ti-Forn en breton (nombreux lieux-dits dont plusieurs Coz Forn, vieux four), Forn aussi en occcitan, Fornu en corse. L’abondance des fours a` chaux et chaufours dans les toponymes me´rite un sort particulier dans les activite´s artisanales (chap. 6). Le colombier est beaucoup plus re´pandu, y compris sous les formes Colombiers, Couloume´, Coulmiers, Colome´, Colome`s ; meˆme Colmar 68 ou Coulommiers 77 en viendraient, mais des confusions avec la notion de « colonne » sont possibles selon certains commentateurs. Le Pigeonnier, plus re´cent, existe aussi : a` lui seul, le de´partement des Alpes-de-Haute-Provence a plusieurs dizaines de lieux-dits de ce nom. Le terme commun est fuie dans l’Ouest, de la Sarthe a` la Charente : 90 Fuie ou la Fuie dans Ge´oportail, une cinquantaine de Fuye ou la Fuye, mais aucune commune. Colombiers et fuies e´taient souvent situe´s loin du logis, meˆme volontiers en limite de proprie´te´, les pigeons e´tant ainsi engage´s a` picorer les grains du voisin. C’est ce qui explique la fre´quence toponymique de ces noms, nettement se´pare´s du chaˆteau ou de la ferme ; l’origine de fuie (jadis fuite) serait dans l’ide´e de refuge.

Aux abords, coˆte´ ouche Autour dela ferme, des parcelles spe´cialise´es ont rec¸u des noms qui ont pu laisser des traces dans les lieux-dits. C’est bien entendu le cas des jardins et des hort, ort, gart et garten de meˆme sens et de meˆme origine : de gher, un enclos. Deux communes (Jardin 38 et Le Jardin 19) et beaucoup de lieux-dits ont le nom de Jardin, d’autres ont la forme La Jard, Jard, Jars – mais un homonyme, apparent de la Vende´e a` la

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Champagne, aurait le sens de de´poˆt ou banc de graviers. Auppegard 76 (Appelgart v. 1160) fut un enclos ou jardin de pommiers comme E´pe´gard 27 (jadis Aepelgard). Gart, gaerten apparaissent fre´quemment en Alsace et Moselle : Gartenfeld a` Sand 67 et Gartfeld a` Se´lestat, Gartengrun a` Biesheim 68, Alter Garten a` Zilling 57 et Geuswasser 68, Hinter der Garten a` Monneren 57. Gardanne 13 serait de la famille. Les lieux-dits les Horts abondent en Roussillon. La se´rie comprend des noms tels que l’Horte, les Hortes, Hortets, L’Hortoy (dont Lawarde-Mauger-l’Hortoy 80), Horsarrieu, Ortaffa (avec fanum, temple), peut-eˆtre Orthevielle 40, Ortillon 10, Orto 30A, Orthez 64, probablement La Chapelle-Orthemale 36, plusieurs Lourtet et Lortet dont Lortet 65 – mais ort est parfois interpre´te´ comme une ancienne racine pour rocher (cf. l’Ortus ou Hortus a` Rouet 34). Le courtil, tre`s pre´sent en toponymie, a le meˆme sens et la meˆme origine, comme d’ailleurs la cour : les Courtil, Courtille, Courtillet, Courtioux abondent dans la moitie´ me´ridionale de la France. Les casals, cazaux qui sont aussi des jardins dans le Midi, tirent leur nom de la proximite´ de la maison (casa) ; les noms en Cazal, Cazaux, Cazaril, Cazalis, Escazeaux ne manquent pas mais ont pu de´river aussi bien de la maison que du jardin. Verger tient du latin viridis, vert. Le terme est aussi productif, e´ventuellement sous la forme de Verdier, Verdets, certains Verdon. Il faut y ajouter verche`re, tre`s fre´quent parmi les lieux-dits, qui de´signe une parcelle enclose, a` la fois jardin et verger, en Bourgogne, Lyonnais et Dauphine´. Exigeant en soins et de fumures, le chanvre e´tait e´galement cultive´ aupre`s de la maison : les chenevie`res e´taient traite´es comme des jardins et n’ont pas moins marque´ la toponymie en Che`nevie`re, Chenevrolles, et meˆme Che`vrenolles (a` Neuville-sur-Sarthe 72), Canabals et Canabie`res ou Cannebie`re en pays d’oc. Le meix a eu dans certaines re´gions, surtout septentrionales, le sens de parcelle cultive´e proche de la maison, tre`s soigne´e et surveille´e. Le terme le plus original ici est certainement l’ouche, qui a ge´ne´ralement ce sens et, ainsi, vaut synonyme de potager ou verger selon les cas, ou les deux ensemble. Le mot vient d’un gaulois olca de´signant un labour, qui a pu prendre les formes osche, osca et que X. Delamarre rapporte a` un IE (p)olka impliquant l’ide´e de retourner la terre, donc d’y faire des sillons – il serait donc ainsi de meˆme origine que l’osque, l’entaille (chap. 2). Il a donne´ des Oche, Ouche, Oulches, Oulchy, Houches et Les Houches, Hoche ou les Hoches, meˆme les Huches, les Uches, les Euches et les Auches dans les Alpes, la Houchinie`re a` Saint-Branchs 37 et les Ouchettes en Touraine, Ochey 54 ; on lui rapporte des NP en Loche ou Louche, Delouche. Courtisols 51 (de curtis, avec suffixe discute´) rassemble les Ouches du Gue´, les Ouches de Plain, les Ouches, les Ouches de Saint-Memmie, Moyennes Ouches. Saint-Gelais 79 a les Ouches aux Moines, Montre´sor 37 une Ouche aux Filles et Saint-Ouen-en-Champagne 72 les Euches... E. Ne`gre met tout ensemble les noms ouche, houche, hoche comme e´quivalents, au sens de bonne terre de´friche´e et soigne´e, alors que d’autres commentateurs ont tendance a` conside´rer houche comme un enclos, sans e´voquer toutefois un e´tymon distinct : aussi bien, on encloˆt volontiers une bonne terre jardine´e. Il existe en Normandie un pays d’Ouche, en Bourgogne une rivie`re de meˆme nom, mais qui

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ont probablement une tout autre origine : le premier viendrait d’un norrois oddi, cap, pointe de terre, promontoire de confluence (Billy) ; l’Ouche affluent de la Saoˆne e´tait jadis Oscara, ce qui peut renvoyer a` l’ide´e d’entaille. De meˆme y a-t-il pu avoir interfe´rence entre hoche et coche (entaille). Enfin quelques Paran sont cense´s venir d’un paran entendu comme abords de maison, terrasse (P. Fabre) et qui pourrait eˆtre apparente´ au perron, ou aux murs (de paries, comme la paroi). Le pourpris en vieux franc¸ais a de´signe´ tantoˆt des abords d’un habitat, un enclos, tantoˆt l’habitat lui-meˆme ou un lieu « habite´ » ; des poe`tes e´voque`rent les « ce´lestes pourpris »... Une dizaine de lieux-dits ont e´te´ releve´s par l’IGN, dont deux dans le Loiret, deux ou trois en Loire-Atlantique. Le mot contient l’ide´e de prise, ce sur quoi l’on a prise (de « pour prendre »). Une dizaine de lieux-dits conservent la forme, comme le Pourpris a` Che´me´re´ 44, le Nouveau Pourpris a` SaintMars-du-De´sert 44, les Pourprises a` Champigny 85.

Cabanes et cabanons Quantite´ de mots de´signent des constructions le´ge`res, les unes provisoires, d’autres saisonnie`res au gre´ des travaux agricoles, certaines meˆme mobiles. Et pourtant des milliers de lieux-dits en portent la trace, sous des appellations parfois tre`s locales. Cabane est le terme le plus re´pandu. Son e´tymologie reste courte : elle est dite provenc¸ale, issue d’un capanna roman ou pre´roman ; mais le caban et peut-eˆtre le kabig breton lui semblent apparente´s, incitant a` penser a` quelque chose qui prote`ge, que l’on met par-dessus sa teˆte (cap). P. Guiraud remarque que de nombreux noms en « ca » ont le sens de creux (dont cave, caverne), ce qui d’ailleurs peut concerner aussi la teˆte (cap, caboche) : il n’y avait peut-eˆtre pas opposition a` l’origine entre ces notions, comme semble d’ailleurs l’attester le couple teˆte-test (chap. 4). Les formes re´gionales des toponymes de´rive´s sont multiples : au singulier, ou le plus souvent au pluriel, figurent des Cabanes ou Cabannes (cinq communes et 2 500 lieux-dits selon Ge´oportail), La Cabanasse 66, Cabanon et Cabanot comme diminutif (une cinquantaine), Cabot et Cabote (une centaine), Caborde (Bourgogne, trois), Caborne (Lyonnais, une trentaine), la Caburoche a` Pugny 37. Et aussi Cadole ou Cadolle (une quarantaine), Chaban, Chabanne ou Chabanas (quelque 500 dont La Chabanne 03), Chavanne ou Chavannes (plus de 200 dont neuf communes), Chavagne (une quarantaine dont quatre communes) et Chavaignes 49, Chevagnes 03, Chevanne ou Chevannes (70 dont six communes), Chabot ou Chabotte (170 dont Chabottes 42), meˆme des Chevagny dont deux communes bourguignonnes, Chevigne´, Chevigny et Chevigney dont Chevigny 39 et Chevigney 70, certains Chenove bourguignons dont Chenoˆves 71, voire Guevenaten 68. Les Cabanes Tchanque´es sont un quartier de cabanes sur pilotis (tchanc qui signifie e´chasse) du Bassin d’Arcachon, a` l’Iˆle aux Oiseaux (La Teste-deBuch 33). Bien entendu, certains de ces noms peuvent eˆtre issus d’un nom de personne identique. Cayenne est un nom d’origine discute´e, mais peut-eˆtre apparente´e a` celle de cabanne, et qui de´signait aussi une cabane ou un groupe de cabanes. Le terme est pre´sent du

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Nord-Ouest au Sud-Ouest dans plus de cinquante lieux-dits dont une dizaine en Charente-Maritime ; on trouve la Cayenne a` Staple 59 et le Cayenne a` Noordpeene 59, Rue Cayenne a` E´tre´aupont 02, les Hautes Cayennes a` Semuy 08, la Cayenne a` Lillebonne 76, la Cayenne a` Lorris 45, les Cayennes a` Chauvigny 86. Cayenne est devenu un terme de marine au sens de re´duit ; il serait alors a` l’origine de six lieux-dits la Cayenne a` la Re´union et deux en Guadeloupe ; le nom a pu attirer celui de Cayenne en Guyane, d’origine indienne e´tablie cependant. Capitelle, autre mot en « cap » (teˆte), a de´signe´ une cabane de vignes en pays Nıˆmois, avant que son coˆte´ plaisant n’en e´tende l’usage. Ge´oportail compte 13 lieux-dits Capitelles, surtout dans le Gard. L’e´quivalent alpestre chapitelle s’emploie, mais ne figure pas dans les lieux-dits recense´s sur les cartes IGN. Le chapieu, probablement de meˆme racine cap, est une remise ou une cabane de berger : on trouve Chapieu ou les Chapieux a` Bourg-Saint-Maurice 73, a` Beaumont 07, Lanue´jols 48, Charrette 38, Aime 73. Chapet de´signe un fenil de la Picardie a` la Savoie et fournit des noms de lieux-dits, et Chapet 78. La forme casa de la maison a pour diminutifs caselle (13 lieux en Corse), ou cazelle de´signant une cabane en pierres se`ches du causse en Quercy (plus de 60, la plupart au pluriel), chaselle, chazelle (une centaine dont sept communes en Chazelles), Chazeaux 09, Chaze-de-Peyre 48, Chazelet 39, et de nombreux Casot, el Casot en Roussillon. Le chalet est a` l’origine une cabane de montagne, bien qu’il puisse de´signer a` pre´sent de fort cossues demeures en station de neige. Le terme viendrait d’un cala qui semble lui-meˆme montagnard, peut-eˆtre issu directement de la racine oronymique cal, a` l’origine de pentes, rochers et meˆme chutes d’eau (chalette dans les Alpes). Ge´oportail retient quelque 1 500 toponymes en Chalet ou Chalets, mais aucun nom de commune. La vieille hutte est pe´rennise´e directement dans quelque 300 noms de lieux, parfois sous la forme Hutterie, et apparemment dans les communes de Huttendorf et Huttenheim en Alsace (M. Urban). Quelques lieux-dits du Nord-Est sont en hu¨tte ou huette comme Waldhuette a` Herbitzheim 67, Remsingerhu¨tte a` Folkling 57, Ziegelhu¨ette a` Volksberg 67, Erzhutte a` Langensoultzbach – hu¨tte a pu de´signer une habitation sommaire en langue germanique, avant d’eˆtre e´tendu a` d’autres baˆtiments, des fabriques et jusqu’a` de grandes usines comme la Vo¨lklinger Hu¨tte en Sarre, acie´rie classe´e par l’Unesco. Le hutteau est un abri de chasse en Picardie, mais sans toponyme recense´ : l’IGN se contente de signaler quantite´ de « Huttes » dans les marais de la Somme, sans en faire des lieux-dits ; et quelques autres dans le Marais Poitevin. Par voisinage de hutte et cabane s’est forme´e la cahute, dont quelques lieuxdits ont le nom en diverses re´gions allant de la Picardie au Sud-Ouest (la Cahute, la Cahutte, les Cahutes). En Normandie, gabion a le sens de cabane pour la chasse aux oiseaux, e´quivalent du hutteau picard et aussi peu fixe´ dans la toponymie, a` part le Gabion a` Saint-Floxel 50. La loge, surtout sous la forme Les Loges, se rapporte en ge´ne´ral a` des cabanes de forestiers, e´videmment en bois ; il s’en trouve beaucoup en foreˆt et alentour, comme Les Loges-Margueron 10 en foreˆt d’Othe, la Loge des Gardes a` Laprugne 03 dans la foreˆt d’Assise, la Loge des Boulays a` Commer 53 a` l’ore´e de la foreˆt de Bourgon, ou encore la Loge de Mille Francs a` The´lis-la-Combe 42 dans les bois du parc du Pilat.

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Une douzaine de communes ont un nom en Loge ou Loges, dont quatre sans comple´ment (Les Loges 14, 52, 76, La Loge 62).Toutefois, le mot s’applique aussi a` des cabanes de vigne en Bourgogne, Touraine et Berry, a` des groupements pastoraux du Forez, a` des cabanes de chasse et de peˆche en Brie`re. Loge ne fournit pas moins de 2 000 lieux-dits selon Ge´oportail. Il est bien distinct de Logis, qui a le sens de manoir dans l’Ouest. Le terme, apparente´ a` logis et logement, est rattache´ par les linguistes a` un IE leup avec l’ide´e de de´tacher, soulever, dont viendraient leaf (feuille en anglais), un francique laubja comme auvent ou abri de branchages, et un latin tardif laubia pour galerie, ainsi que lobby (couloir en anglais) et loft : un abri en somme, mais ouvert sinon pre´caire. La lubite ou loubite est une cabane de vigne en Touraine et Sologne, dont vient La Lubite a` Soings-en-Sologne 41 ; on ignore a` quoi se rapporte la racine ; sugge´rons qu’elle rele`ve de cette famille. La racine IE teg, ou stego, fut un autre e´quivalent d’abri, couverture ; elle aurait donne´ la tuile, le toit (par le latin tectum), un gaulois tegos pour une hutte, une forme tig en gallois et breton dont vient ti, la maison en breton, parfois enjolive´ en ty (Ty Nevez : maison neuve) ; et attegia comme ensemble de huttes (ate indiquait « beaucoup » en gaulois). Il est consensuellement admis qu’attegia est a` l’origine des divers Athe´e, Athis, Athie, Athies, disperse´s sur le territoire franc¸ais ; et Attuech a` MassillarguesAttuech 30, la Ferme d’Athe´e a` Tonnerre 89, sans doute Arthies 95 et peut-eˆtre Thueyts 07, le Thueyts a` Mayres 07 et a` Pe´reyres 07. Il se pourrait que Thuir 66 en vienne aussi, par le latin tugurii qui signale pre´cise´ment des cabanes. Le terme teghje, teghia, de meˆme origine, de´signe en Corse une lauze et certaines cabanes de pierre ; de meˆme tec est un « toit », un abri en Saintonge, et, par importation, tegi sert au sens d’abri, de cabane au Pays Basque. Signale´s par Pe´gorier et pre´sents sur certains cadastres, ces termes de microtoponymie sont cependant peu perceptibles dans la base IGN. Un autre groupe assez productif semble eˆtre issu d’un bur germanique au sens d’habitat pre´caire, lui-meˆme suppose´ venir du fameux IE bhuˆ, eˆtre et baˆtir. On lui rattache volontiers le buron auvergnat, cabane de pierre pastorale, a` l’origine directe ou indirecte de 400 noms de lieux en Buron ou les Burons mais sans nom de commune. De ce bur pourraient venir au moins une partie des nombreux Beure dont Beure 25, Bures (dont 5 communes), Burelles (une vingtaine de lieux dont Burelles 02), Buire (une cinquantaine, dont cinq communes comme Buire-auBois 62 et Buire-le-Sec 62), Burbure (trois dont Burbure 62), peut-eˆtre aussi Buironfosse 62, Rambures et Ramburelles 80. Une se´rie de Bordebure (35 en Touraine et alentour) et deux Bordebeurre reste obscure : simple redondance de borde et bure, en somme ferme-cabane ? S. Gendron l’interpre`te un peu audacieusement « borde brune », brune comme la bure en raison de la couleur du sol, en l’associant a` d’anciennes exploitations de minerai de fer. La bourrine ou bouhine de la Vende´e au Maine, promue de cabane a` maison d’habitation, a peut-eˆtre l’une de ces origines ; mais elle n’a donne´ que tre`s peu de toponymes : Ge´oportail ne retient que la Bourrine a` Rosalie, sie`ge d’un e´comuse´e a` Sallertaine 85 ; la Bourrine a` Mouton 16, les Bourrines a` Saint-Gilles-Croix-deVie 85.

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Plus prolifiques (plus d’un millier recense´s) sont les baraques, sous les formes Baraques ou Barraques, Baracous, Baracconi. L’un de ces lieux de peuplement secondaire a si bien progresse´ qu’en 1973 il est devenu commune et meˆme chef-lieu de canton : Baraqueville dans l’Aveyron. Si le terme est tre`s familier, on ne sait pas bien d’ou` il vient (du Levant espagnol, d’Italie ?) ni ce qu’il a pu signifier a` l’origine ; un assemblage de barres de bois est possible. Il est parfois suppose´ pre´roman, mais localement il apparaıˆt en ge´ne´ral d’origine franc¸aise et re´cent, a` partir du XV e sie`cle (X. Gouvert). Il semble que les toponymes en Baraque soient souvent associe´s a` la pre´sence de la foreˆt, comme les Loges ; aussi a-t-on pu sugge´rer un rapprochement avec l’ide´e de barre et de barrie`re, dans une fonction de cloˆture et de garde de la foreˆt1. E´calle, escale ont de´signe´ un habitat temporaire, des cabanes plus ou moins provisoires, donnant pourtant d’assez nombreux noms de lieux dans la France du Nord : E´ calgrain a` Auderville 54, Escalleclif (la falaise aux e´calles, ancien nom de Doville 50), des E´calles dont Estouteville-E´calles 76, E´calles-Alix, 76 VillersE´calles 76, Bre´que´cal a` Tourlaville 50, l’Escalgrain a` Sainte-Marie-du-Mont 50. Le terme, skali en norrois ou scala en vieil anglais, vient d’un indo-europe´en skel ou kel compris comme enveloppe, coque, cosse ou gousse, ou morceau d’enveloppe, d’ou` viennent les anglais shell (coque) et scale (e´caille) ; e´caler des noix a la meˆme origine. Il a pu e´voluer en E´chelle, entrant en re´sonance avec des E´chelles d’un tout autre sens, celui de l’escalade ou de l’escalier, puis de l’e´tape. On a vu que le meˆme e´tymon, ou un proche, a pu donner celle, halle et salle. Voisines sont les e´crennes ou escrennes, qui de´signaient en vieux franc¸ais des huttes, masures ou meˆme caves servant en ge´ne´ral d’atelier. D. Jeanson rappelle que Diderot e´voque « une vieille fable des e´craignes de mon village », la dispute d’orgueil entre la gaine et le couteau, chacun se jugeant plus important que l’autre, dans Jacques le fataliste et son maıˆtre (p. 753 de l’e´dition de la Ple´iade). On trouve Escrennes 45, Les E´crennes 77, Les E´crennes a` Chaze´-Henry 49, E´crainville 76, E´crosnes 28, E´criennes 51, l’E´crigne a` Esserval-Tartre 39. L’origine renvoie au latin screona, mais l’e´quivalent, tire´ sans doute de sker-ker, a existe´ en francique et figure dans toutes langues de l’Europe du Nord-Ouest, notamment schrein en allemand, skryne en sue´dois ; elle e´voque aussi une caisse et se cache en franc¸ais dans l’e´crin. D’autres E´crins et e´crennes ont en montagne un tout autre sens (creˆte dentele´e, v. chap. 4), et une autre origine. Parmi les curiosite´s figurent le vasquet (gwasked), un abri en Bretagne, lisible dans Kervasquet a` Laz 29. Le penti, en breton la « maison du bout », une annexe pour pauvre comme la coure´e du Nord, est une cabane en breton mais n’a gue`re marque´ les toponymes ; signalons Penty Croaz-Hent a` Ploe´zal 22, qui se re´fe`re a` un carrefour. Il a pu prendre la forme Pe´ne´ty, que certains ont pu confondre avec un ermitage, mais qui a normalement de´signe´ un habitat marginal et isole´ : le Pe´ne´ty a` Persquen 56, Pe´ne´ty Ne´vez a` Gouesnou 29. Le Pays Basque a ola ou olha pour cabane : Olhaı¨by y est donc le gue´ (ibi) des cabanes (J.-B. Orpustan). 1. L. Bre´nac, Le toponyme « Baraque » a-t-il eu, en matie`re forestie`re, une signification aujourd’hui oublie´e ? Revue Forestie`re Franc¸aise, 1980, p. 567.

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La gariote est une cabane de pierres dans le Midi, peut-eˆtre issue de gar (la pierre) mais qui a pu eˆtre prise au sens de garer (des outils) ; les toponymes Gariote ou Gariotte sont rares : une douzaine dans la base IGN, du Quercy (a` Castelfranc 46, Les Junies 46) a` l’Aude (les Brunels), plus la Gariotte a` La Motte-Chalanc¸on 26. Du mas viennent les diminutifs mazet et mazuc, ce dernier assez fre´quent dans le Massif Central, surtout en Aubrac (huit le Mazuc en Aveyron). Ge´oportail enregistre plus de 300 Mazet dont une commune, Mazet-Saint-Voy 42, et 25 lieux-dits en Mazuc. Rappelons que les bories sont souvent des cabanes de pierres. La paillote est un abri a` la Re´union, et a occasionnellement quelque ce´le´brite´ en Corse et sur la Coˆte d’Azur ou` elle est associe´e a` des activite´s festives et ine´galement le´gales mais, d’emploi re´cent, ne marque pas la toponymie. D’autres noms sont propres aux Outre-Mers (chap. 9).

De folie en plaisance La mode au XVIII e sie`cle a invente´ des maisons de plaisance, surtout aux environs de grandes villes. Ce fut la grande e´poque des folies ; mais le mot, bien plus ancien, a d’abord qualifie´ un habitat rustique ou forestier et vient en fait de feuille´e ; ensuite il a e´te´ attire´ par le sentiment de fantaisie et de de´pense irraisonne´e et s’est applique´, soit a` de nouvelles maisons isole´es, soit a` des « fabriques », c’est-a`-dire des pavillons d’ornement de parcs prive´s. Pour le reste, Ge´oportail signale plus de 1 200 lieuxdits en Folie, dont la plupart sont e´videmment ante´rieurs a` la mode. Six communes portent ce nom : Folies et Conde´-Folie (Somme), celle-ci issue de la re´union d’anciennes paroisses Conde´ et Folie (Haute et Basse) ; Hubert-Folie et La Folie (Calvados) ; Fains-la-Folie 28 et Foreˆt-la-Folie 27, un nom quelque peu redondant. La centaine de Bagatelle releve´es en France sont en revanche toutes re´centes : le nom a e´te´ lance´ par le chaˆteau de la Folie d’Artois, construit en 1777 dans le bois de Boulogne pour le comte d’Artois en style ne´o-palladien, et devenu ce´le`bre sous le surnom de Bagatelle en raison de ses re´ceptions galantes. Ce surnom tient du sens originel de bagatelle, venu de l’italien pour e´voquer les deux versants de la frivolite´ : chose de peu d’importance et donc... le´ge`re (l’e´tymologie en serait la baie comme petit fruit de peu de valeur) ; il a inspire´ quelques demeures bourgeoises ou aristocratiques isole´es, dont le nom est reste´. De la meˆme e´poque datent aussi des Tivoli. La mode est venue d’un parc parisien du quartier Saint-Lazare, re´ame´nage´ en s’inspirant du Tivoli des environs de Rome, avec rochers, ruines factices et folies. Son succe`s et la recherche de lieux d’agre´ment et de libertinage des riches a diffuse´ le nom dans tout le pays. On rele`ve plusieurs dizaines de Tivoli dont au moins huit en Touraine, jusqu’a` Narbonne, VicFezensac 32, Be´lus 40, Valognes 50, dans la Meuse et les Ardennes, dont un Tivoly a` Fumay ; et meˆme un parc de Tivoli a` Fort-de-France en Martinique, tandis que celui de Paris a disparu. Plus discre`tement mais avec un souci de promotion sociale, villa a repris force au XX e sie`cle, avec les loisirs et l’extension pe´riurbaine, dans un tout autre sens que celui de l’origine : il de´signe une simple maison, en principe non jointive, avec jardin ou

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parc, d’abord de loisirs, puis d’habitation permanente, mais est voulu plus flatteur que maison ou pavillon. Toutefois, si les noms des villas s’affichent volontiers et sont tre`s imaginatifs, de Ma-Jo-Ly a` Do-mi-si-la-do-re´, l’impact du terme sur la toponymie est encore maigre. Il apparaıˆt dans quelques stations balne´aires et dans la banlieue parisienne, comme la Villa-Antony a` Saint-Maurice (Val-de-Marne), la Villa-Bellevue a` Courbevoie, ou encore dans des maisons d’architecte de haut niveau : la Villa Savoye a` Poissy (1930), la Villa Cavrois a` Croix 59 (1932). A` Paris meˆme, et dans des banlieues, le terme de villa a e´te´ applique´ a` des ıˆlots de petites maisons jointives ou se´pare´es, ainsi qu’aux rues qui les se´parent : tel le quartier de la Mouzaı¨a dans le 19e arrondissement (quartier Danube), avec ses « villas » du Progre`s, des Lilas, Bellevue, Amalia, du Danube, etc.

Les facettes de la ville Les villes en grandissant ont diffe´rencie´ leur tissu, produisant ainsi quelques formes particulie`res et, donc, quelques termes propres. Nous avons conside´re´ l’origine du mot ville en ge´ne´ral, passe´ de l’unite´ rurale (villa antique) a` la collectivite´ urbaine. Certaines villes, qui ont garde´ leurs remparts, comportent une ville close ; Concarneau 29 a la plus ce´le`bre, mais le terme est e´galement employe´ a` Hennebont 56, a` Montreuil-Bellay 42 et dans quelques bourgades de l’Anjou ; le centre de SaintMalo 35 en a la forme. Souvent aussi ont e´te´ maintenus en ville les noms de Remparts et de Porte, leurs pierres auraient-elles disparu. Dans de nombreux cas ont e´te´ adopte´s les noms de Vieille Ville, et surtout de Ville Haute, quand elles sont des objets de visite et de promotion touristique comme a` Barle-Duc 55 ou Provins 77 – Ville Basse est plus rarement employe´, n’ayant pas le meˆme prestige : il s’en trouve quatre sur les cartes, et dans des villages a` Ne´vache 05, Montpezat-sous-Bouzon 07, Grand’Combe-des-Bois 25 et Boulc 26 ; plus une dizaine de la Ville Basse, la plupart en Bretagne ou` ville a garde´ le sens originel de villa, comme a` Saint-Donan ou Plouvara, et correspond a` un habitat isole´. C’est d’ailleurs en ge´ne´ral aussi le cas des Vieille Ville, comme a` Melleran 79, Plœuc-surLie´ 22 ou Barace´ 49. Cite´ vient du latin civitas, de´signant l’ensemble des citoyens (civis). La racine en est un IE kei, qui se rapportait a` la couche et, par la`, a` une certaine communaute´ de re´sidence – quitte a` en exclure les e´trangers et les esclaves, de´pourvus du « droit de cite´ » et donc de citoyennete´. On sait que « cite´ » a pu e´voluer dans un sens plus abstrait pour e´voquer l’ensemble des affaires publiques et des droits politiques, jusqu’a` l’utopie de la « cite´ ide´ale ». Le terme a e´te´ employe´ a` l’origine pour des villes gallo-romaines et a e´te´ longtemps l’e´quivalent d’un rassemblement d’habitat autour des lieux et symboles des pouvoirs religieux (temple, puis e´glise et cathe´drale) et civils (chaˆteau, ensuite e´ventuels parlements, palais de justice, etc.). Il ne s’agissait donc que d’une partie de l’habitat urbain, sie`ge de pouvoirs, normalement enclose et offrant quelques portes, comme la Cite´ a` Tours, jadis Civitas Turonensis, ou a` Troyes la Cite´ se´pare´e du Bourg des marchands et artisans. L’ıˆle de la Cite´ a` Paris maintient ce sens originel, ainsi que la Cite´ a` Limoges, a` Arras ou a` Strasbourg, le quartier de Cieutat a`

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Eauze 32. Quelques communes ont conserve´ l’appellation cite´, comme Cieutat 65 et La Ciotat 13. La citadelle, nom d’origine italienne qui e´tait un diminutif de cite´, fut une forme particulie`re de « cite´ » : puissamment de´fendue, de surface restreinte mais susceptible de rassembler les habitants de l’agglome´ration et de ses abords en cas de menace ; la cite´ de Carcassonne e´tait une citadelle. Beaucoup de citadelles ont e´te´ construites au XVI e et au XVII e sie`cle, parfois meˆme au XIX e sie`cle, mais a` des fins principalement militaires et en limitant leurs baˆtiments aux besoins de l’arme´e, jusqu’a` ne plus gue`re se diffe´rencier d’un fort, voire d’une prison comme a` L’Iˆle-d’Yeu. Il est meˆme advenu que ces citadelles aient eu pour fonction secondaire, sinon principale, de surveiller leur propre ville, comme on l’a dit d’Arras ou de Besanc¸on. Nombre de villes ont conserve´ presque intacte et sous son nom leur Citadelle, surtout du coˆte´ des frontie`res, telles Arras, Belfort, Besanc¸on, Boulogne-sur-Mer ou Brianc¸on, Givet, Bitche, Bar-le-Duc, Montme´dy, Verdun, Langres, Lille, Montlouis, Chaˆteaud’Ole´ron ou Villefranche-sur-Mer. Celle de Calvi remonte au XIIIe sie`cle, celle de Corte a` 1420. La Citadelle est un hameau a` Hasparren 64, un oppidum a` Bre´mur 21. De nos jours, le mot cite´ a change´ de sens : ou c’est la ville entie`re, au sens large et un peu recherche´, mais absent en toponymie ; ou c’est un quartier d’habitat populaire, souvent fait d’immeubles collectifs, parfois de pavillons ; voire d’un seul grand baˆtiment de logements. De ce fait, les microtoponymes abondent en « cite´s », e´difie´es a` partir de la Re´volution industrielle pour accompagner mines et industries en logeant leurs travailleurs. Les unes ont repris des noms de lieux-dits locaux, comme la Cite´ de la Justice a` Auby 59, sans doute au lieu d’un ancien gibet, la Cite´ de l’Ermitage a` Vieux-Conde´ 59, la Cite´ du Bois a` Noyant-la-Gravoye`re 49 et sa voisine la Cite´ du Bois 2 a` Nyoiseau, paradoxalement cre´e´es pour les ouvriers d’une mine de fer. Une ancienne mine a suscite´ a` Saint-Yrieix-la-Perche 87 une Cite´ de Douillac et une Cite´ de Nouzilleras a` coˆte´ des anciens hameaux de´chus de Douillac et Nouzilleras. D’autres portent des noms de professions, de fondateurs, d’entreprises : Cite´ des Cheminots a` Lambres-les-Douai ou a` Somain 59, Cite´ de Wendel a` MoyeuvreGrande 57, Cite´ Soudie`re a` Autreville 02 (v. chap. 7). Quelques-unes portent meˆme le nom de Cite´ Ouvrie`re : a` Auzat 09, a` Damparis 39, a` Noisiel 77. Certaines ont e´te´ dote´es de noms attractifs, comme jadis les bastides : outre les nombreuses Cite´s des Pins ou des Roses, notons Cite´ des Marronniers et Cite´ des Pommiers a` Fre´vent 80, Cite´ de l’Avenir a` Isigny-le-Buat 50, Cite´ Franc Espoir a` La Rochelle. D’autres attristent par leur banalite´ (Cite´ du Nord-Est a` Joudreville) et parfois meˆme ne portent qu’un simple nume´ro : Cite´ 30 ou Cite´ 34 a` Divion, Cite´ 4 et Cite´ 9 a` Bruay-la-Boissie`re, etc. Le Corbusier a fait mieux avec sa Cite´ Radieuse, a` Marseille, Briey et Reze´. A` la meˆme e´poque, autour des anne´es 1930, se sont multiplie´es les cite´s-jardins de pavillons ou petits collectifs, inspire´es d’Ebenezer Howard, un peu partout et notamment a` Douai, a` Mulhouse, a` Reims, a` Lyon, en banlieue parisienne comme la cite´jardin de l’Aqueduc a` Arcueil, celles de Stains ou de Suresnes, de la Butte Rouge a` Chaˆtenay-Malabry, de la Muette a` Drancy, parfois fort e´tendues et peuple´es. Il en est meˆme a` Paris intra muros, par exemple dans le 11e arrondissement (quartier Nation-

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Alexandre Dumas) avec la cite´ Beauharnais agre´mente´e du jardin E´mile-Galle´, la cite´-jardin Prost et les Jardiniers pre`s de la cite´ Voltaire. Il s’en trouve aussi au Havre 76, au Rheu 35, au Mesnil-Mauger 14, a` Gradignan 33, Noyant-la-Gravoye`re 49, E´liant 29, en tout ine vingtaine signale´es par Ge´oportail. Enfin, surtout depuis la dernie`re guerre, la plupart des chefs-lieux de de´partement et meˆme d’arrondissement ont concentre´ des services dans quelque Cite´ administrative. Parfois a` partir du XII e sie`cle, surtout du XV e, est venue s’ajouter a` la Cite´ originelle une partie travailleuse et marchande qui a ge´ne´ralement pris le nom de bourg, sur le site du marche´, d’un port, voire d’une abbaye comme a` Reims ou a` Tours. Bourg et cite´ se distinguent encore fort bien dans beaucoup de villes, comme a` Troyes ou a` Laon. Ce bourg au sens me´die´val a pu eˆtre ulte´rieurement incorpore´ dans l’enceinte agrandie. Ensuite, a` l’exte´rieur de l’enceinte, sont apparus des faubourgs : non pas « faux bourgs », mais hors du bourg, fors borc en ancien franc¸ais, de foris, hors en latin. Faubourg est un toponyme fre´quent, ge´ne´ralement accompagne´ d’un de´terminant : Faubourg Pave´ a` Verdun, Faubourg d’Aval a` Lillers 62, Faubourg du Jura a` Bourgen-Bresse, etc. L’expansion urbaine a fait que certains faubourgs sont a` pre´sent en centre-ville, comme le Faubourg Saint-Honore´ a` Paris, mais le nom a pu rester. Il s’en trouve aussi dans des villages : le Faubourg de Marolles-sous-Lignie`res 10, village de 500 habitants, est bien une extension du village sur la route de creˆte au nord ; il en est de meˆme a` Flaxieu 01 (60 habitants !) ou a` Menotey 39 (280 hab.). Parfois le Faubourg est le quartier au-dela` du pont, comme a` Donchery 08, La Charite´-surLoire 58, Noyers 89, Montreuil-Bellay 49 ; a` Chaˆrost 18, le Faubourg est aussi e´tendu que le village de rive gauche de l’Arnon. Cite´, Rempart, Porte, Bourg, Faubourg, Barrie`re restent abondamment employe´s pour de´signer des parties de nombreuses villes. La ville repoussant ses limites, plus ou moins d’une lieue, et donc son ban (le territoire sur lequel elle avait autorite´), des banlieues se sont alors peuple´es, formant comme un espace-tampon accessible par les barrie`res d’octroi. Le terme banlieue a surtout une valeur ge´ne´rale ; il est bien pre´sent dans quelques noms de lieux, mais de fac¸on inattendue. Ge´oportail en note six cas, dont seul la Banlieue au nord de Maubeuge peut correspondre a` la de´finition actuelle. Les autres sont la Banlieue comme lieu-dit de Monchy-le-Preux 62, qui a rec¸u le parc d’activite´s Artoipole ; la Banlieue a` La Fe`re 02, simple lieu-dit inhabite´ de la plaine de l’Oise ; la Banlieue a` Chanconin-Neufmontiers 71, juste un versant en rase campagne ; Banlieue-versRuesnes au Quesnoy 59, groupe de maisons a` l’e´cart de la ville et a` la limite de Ruesnes, et nomme´ le Faubourg sur certaines cartes ; enfin Banlieue Ame´ricaine a` Villainville 76, simple hameau e´carte´, mais jouxtant le Camp Ame´ricain de Pierrefiques 76, proche d’E´tretat et qui est l’he´ritage d’un camp de transit de l’arme´e ame´ricaine installe´ en 1944. Les anciennes portes d’octroi et les ıˆlots environnants se nomment encore Barrie`re a` Bordeaux, telles les Barrie`re de Be`gles, de Toulouse, du Me´doc, et meˆme une Barrie`re Judaı¨que. Mais d’autres Barre ou Barrie`re ont pu de´signer des pe´ages sur certaines voies, comme la Barrie`re de l’E´toile a` l’entre´e nord de Fouge`res 35, ou des limites de souverainete´ comme la Barrie`re Franc¸aise a` Millam 59 ou la Barrie`re de

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France a` Saint-Omer-Capelle 62, la Barrie`re de Pe´ronne a` Wattignies-Hamage 59 ; voire des barrie`res de se´curite´ ferroviaires comme la pittoresque Barrie`re Fifine a` Oisy 59. Barrie`re de Beaute´, a` Heuilley-Cotton 52, est aussi a` une traverse´e de voie ferre´e pre`s du lieu-dit En Beaute´, domine´ par la forte butte Grigot dont les pentes sont nomme´es Froid Cul et Pre´ Mou... En langue d’oc s’est diffuse´ le terme barri, de´signant une fraction exte´rieure de la ville, meˆme petite, une sorte de faubourg : les toponymes en Barri et Barry sont fort nombreux, comme les NP en Dubarry. On distingue meˆme parfois entre Barry d’En Haut et Barry d’En Bas. Meˆme si son e´tymologie est discute´e, le terme est proche de barrie`re et, de toutes fac¸ons, de´signe un quartier qui e´tait hors les murs. De ce fait, il n’est pas e´tonnant que, a` coˆte´ de centaines de lieux-dits, seule une commune porte ce nom : Le Barry-d’Islemade (Tarn-et-Garonne). Encore est-il re´cent, issu de la fusion en 1934 des communes de Ventilhac sur la terrasse de rive droite du Tarn, et du Barry sur la rive gauche ; la carte de Cassini mentionne bien la` le Bari d’Illemade, se´pare´ par le Tarn du village d’Illemade, ancienne « ıˆle mouille´e » selon E. Ne`gre (soumise aux crues), ou pourvue d’un petit bois (matte), aujourd’hui rehausse´e en Villemade ; il est paradoxal que la fusion ait promu un hameau en reprenant la mention oublie´e de son ancienne de´pendance... En Auvergne, une barriade de´signe une range´e de fermes prolongeant un village ou un hameau, sans doute a` la faveur d’une communaute´ familiale e´tendue ; mais ici l’origine est peut-eˆtre simplement l’image de la « barre » de maisons. L’emplacement des murs et fosse´s d’enceinte, ge´ne´ralement de´truits et comble´s au issu d’un bolwerc germanique ou ne´erlandais ante´rieur au XIVe sie`cle, mais qui avait auparavant de´signe´ l’enceinte elle-meˆme ; le mot vient de bhel, qui indique un renflement, comme le vallum latin, et de werk, un ouvrage ; donc, une construction en relief, sens tout a` fait perdu dans le boulevard actuel. Mail et boulingrin ont pu comple´ter les abords du centre ; le premier est apparu au XVIIe sie`cle au sens d’une alle´e ou` l’on pouvait jouer au maillet (un marteau), le second a` la meˆme e´poque en francisant le bowling green (pelouse pour jeu de boules) britannique. Bien des villes ont encore aujourd’hui leur Mail et leur Boulingrin, Ge´oportail notant aussi un Boulingrin a` Vaure´al 95. XVIII e sie`cle, a e´te´ ame´nage´ en boulevards. Le terme est

Quartier est un vieux terme, indiquant simplement une division (a` l’image du quart), a` la ville ou a` la campagne (chap. 6). Il demeure tre`s pre´sent dans la plupart des villes sous des formes spontane´es et avec des contours flous, puis il a repris quelque pre´cision avec l’apparition des « zones urbaines sensibles » et autres « quartiers en difficulte´ » ; mieux encore, avec la division re´cente et officielle de grandes villes en quartiers, parfois avec mairie et conseil de quartier : une centaine a` Paris, onze a` Nantes, douze a` Bordeaux, Rennes ou Lille, 22 a` Toulouse re´partis en six secteurs, 7 a` Montpellier, 10 a` Strasbourg, etc.). Il est donc a` l’occasion inte´gre´ a` la toponymie, comme le Quartier des Minimes ou le Quartier Soupetard a` Toulouse, le Quartier Tonnelle´ ou le Quartier Lamartine a` Tours, serait-ce avec des noms complique´s pour n’oublier personne, comme le Quartier Cronenbourg-Hautepierre-Poteries-Hohberg ou le Quartier Koenigshoffen-Montagne-Verte-Elsau a` Strasbourg. Toutefois, quartier a pu prendre un sens restreint en de´signant un casernement militaire, souvent alors dote´ du nom de quelque ge´ne´ral, et qui a pu se conserver

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meˆme quand l’ensemble a e´te´ reconverti en quartier d’habitation ou d’affaires : tels le Quartier Berniquet a` Noyon, le Quartier Kilmaine a` Tarascon qui associe une Cite´ de la Justice et une Cite´ du Cheval, le Quartier Compans-Caffarelli entie`rement rase´ et ame´nage´ durant vingt ans a` Toulouse, le Quartier Junot a` Dijon, le Quartier de Bonne a` Grenoble devenu « premier e´coquartier de France » – un concept publicitaire re´cent en cours de multiplication. Puis quartier a e´te´ peu a` peu charge´ d’un sens social, dans la mesure ou` il e´tait associe´ a` des diffe´rences, voire des contrastes de peuplement. On a parle´ des « beaux quartiers », mais sans employer le terme quand on les nommait : on dit Auteuil, ou Passy, tout court ; et NAP pour faire snob (Neuilly, Auteuil, Passy). Les quartiers populaires ou les quartiers pauvres l’ont mieux conserve´, jusqu’a` devenir re´cemment, par retenue ou par hypocrisie, « les quartiers » tout court et tout ensemble : comme un monde e´trange, assez particulier sinon exotique, force´ment agite´, quelque part au nord-est de Paris, ou dans quelque banlieue de grande ville. « Il faut se soucier des quartiers » est un terme de campagne e´lectorale, qui ne vise pas les quartiers chics.

Rencontres, replis et de´ploiements Quelques figures familie`res se retrouvent d’une ville a` l’autre. La Grand’Rue et la Grand-Place, les Halles, le Beffroi ont conserve´ leur nom d’origine en bien des centres historiques – beffroi serait forme´ sur berg et fried, avec le sens de bastion de la paix. Le XIX e sie`cle a organise´ ou pre´serve´ des parcs, certains sous la forme de Jardin des Plantes ou de parcs botaniques. Les plus imaginatifs ont invoque´ les ce´lestes Champs E´lyse´es, non seulement a` Paris ou` ils ont e´te´ ame´nage´s au XVII e sie`cle, mais a` Saint-Quentin 02, ou` ils datent de la Restauration. Arles a depuis bien plus longtemps les Alyscamps, a` l’origine une ne´cropole, exactement le meˆme mot qui, en grec, repre´sentait le paradis lumineux qu’arpentent les bienheureux (elysis = marche) – mais il pourrait s’agir d’une remotivation a` partir d’Arres Camps, champ aride ou ste´rile (E. Lejeune). D’anciens grands champs ou coutures ont fourni de larges places de la Couture qui ont conserve´ leur nom. Le vigan est un terme me´ridional issu de vic, et de´signant parfois une sorte de faubourg, parfois la place principale du village ou de la ville, comme a` Albi ; deux communes du Gard et du Lot se nomment Le Vigan. Les arme´es ont besoin d’espace pour s’entraıˆner et se montrer. Les villes franc¸aises leur ont fait de la place. Quelques-unes conservent le souvenir des jeux et parades de chevaliers sous la forme des Lices : des places de ce nom sont a` Rennes, Vannes, Carcassonne, La Rochelle, Saint-Tropez, un parc a` Toulon, des boulevards a` Castres et Albi, des alle´es jusqu’a` Rabastens-de-Bigorre. La place d’Armes a servi aux grandes manifestations : devant le chaˆteau de Versailles, a` Metz, Valenciennes, Rodez, Fontainebleau, Belfort, Poitiers, Calais, meˆme Harfleur, Monte´limar, jusqu’au Lamentin en Martinique. Le Champ de Mars, qui ne s’inspire pas du printemps mais de l’antique divinite´ guerrie`re, a de´signe´ des terrains de manœuvre et, outre Paris, subsiste dans des villes comme Rouen, Tours, Colmar, Be´ziers, Orle´ans, Reims, Toulon, serait-ce sous forme de quartier d’habitat ou d’entreprises construit depuis le retrait des guerriers.

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Le polygone e´tait un terrain de tir et d’exercice ; reconverti en espace de commerce, parc d’activite´s ou grand ensemble de logements, il a pu conserver son nom a` Grenoble, Brest, Poitiers, Be´ziers, Perpignan, Valence. A` Montpellier, son urbanisation un peu brutale au cours des anne´es 1960 a suscite´ quinze ou vingt ans apre`s la contradiction dans le quartier voisin d’Antigone, sur un joli jeu de mot a` la fois en hommage a` la ce´le`bre re´volte´e grecque et comme expression d’un parti d’urbanisme qui se voulait tout autre, oppose´ au Polygone. A` Strasbourg, le Polygone accueille un ae´rodrome civil ; le nom apparaıˆt aussi a` Chevigny-Saint-Sauveur en banlieue de Dijon, a` Garchizy 58, et c¸a` et la` sous forme de lieu-dit comme a` Pargny-le`s-Reims 51, a` Noyal-sous-Bazouges 35, a` Jullian au sud de Tarbes. Quelques places de la Carrie`re (Nancy, Saumur, Moncontour en Coˆtes-d’Armor) rappellent que carrie`re de´signait un terrain d’entraıˆnement pour chevaux. Les autorite´s en ge´ne´ral aiment la parade et les communions solennelles : a` cela servent les esplanades. Le terme, qui vient de plan comme la plaine, a d’abord de´signe´ des terre-pleins permettant de de´gager les abords des fortifications, pour voir venir l’intrus. Il s’applique a` de grandes places d’origine militaire, comme aux Invalides de Paris, a` Metz, a` Montpellier ; parfois marchandes, comme jadis l’Esplanade des Quinconces a` Bordeaux, dont le nom vient du dessin des plantations, ou massivement l’Esplanade de la De´fense a` l’ouest de Paris ; voire a` un centre administratif comme a` Bobigny ; plus simplement de la conversion d’une prairie, telle l’esplanade du Gravier a` Agen. Parfois c’est devenu juste un nom de quartier, comme a` Grenoble ou` les 29 ha de l’Esplanade accueillent 1 200 logements et beaucoup d’activite´s, a` Strasbourg ou` se tiennent trois ensembles de grands immeubles et un « campus » universitaire – un nouveau « concept » urbain dont le latin est venu des E´tats-Unis. Le parvis est de nature voisine, mais propre aux temples. Plus communs mais bien plus anciens sont les terrains de jeux. Certaines villes ont conserve´ des are`nes d’origine romaine, encore respectables et fonctionnelles comme a` Arles et Nıˆmes, ou sous forme de traces bien visibles dans la forme d’un quartier comme a` Tours, Pe´rigueux, Be´ziers, Bourges (B. Lefebvre) ; le nom meˆme vient du sable (arena) qui reveˆtait leur sol. Il existe ailleurs d’assez nombreux lieux-dits les Are`nes ou l’Are`ne, mais la plupart se rapportent a` des sols sableux. Le Sud-Ouest y ajoute les traditions d’are`nes pour les jeux avec bovide´s, plus les frontons pour la pelote. Les the´aˆtres (en demi-cercle devant la sce`ne) et les amphithe´aˆtres (en ellipse) ont aussi laisse´ des traces. On rele`ve une douzaine de lieux-dits le The´aˆtre, dont certains se re´fe`rent a` des the´aˆtres antiques comme a` Alba-la-Romaine 07 ou a` Vaison-la-Romaine 84 ; et deux lieux-dits l’Amphithe´aˆtre, a` Pocancy 51 et a` Matoury en Guyane. Les stades se sont multiplie´s depuis le XIXe sie`cle, autre e´mergence de la racine sta « eˆtre la` », parfois flatte´s sous la forme stadium, plus imposante. Nombre d’entre eux ont rec¸u un nom propre ; celui du Stade de France a` Saint-Denis 93 peut sembler abusif, meˆme si France aurait pu se rapporter a` la contre´e au nord de Paris. La tendance est a` leur faire porter un NP, nague`re d’un notable ou un sportif honore´, dore´navant du promoteur... Plus re´cents, les parcs de loisirs prennent des noms exotiques ou recherche´s. Ce fut de´ja` le cas de Tivoli. Depuis les anne´es 1960 ils se sont multiplie´s, surtout sous forme de parcs a` the`me et de parcs animaliers. Certains ont conserve´ le nom du lieu-dit

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pre´existant, comme le Vallon du Villaret a` Allenc 48, le Puy du Fou (le mont du heˆtre) aux E´pesses 85. D’autres ont invente´ des noms de´sormais consacre´s, comme le Futuroscope a` Jaunay-Clan 86, Terra Botanica a` Angers, Marineland a` Antibes, Vulcania a` Saint-Ours-les-Roches 63, le Parc Aste´rix a` Plailly 60 ou meˆme le nouveau Walygator a` Maizie`res-le`s-Metz 57, qui a succe´de´ a` l’ancien parc des Schtroumpfs ; ou Nigloland a` Dolancourt 10 dont le nom vient du he´risson (niglo pour les Tsiganes). S’y sont ajoute´s des noms spe´cialise´s et e´ventuellement de´pose´s comme Disneyland, les Center Parcs des Trois Foreˆts a` Hattigny 57, du Lac d’Ailette a` Chamouille 02, des Hauts de Bruye`res a` Chaumont-sur-Tharonne 41, des Bois-Francs a` Cerneuil-surAvre 27, le Bois aux Daims a` Morton 86 ; les Aqualude (Nangis, Montbrison, Mantesla-Jolie, Le Touquet, Rosny-sur-Seine), les Aqualand (six en bord de Me´diterrane´e, au groupe espagnol Aspro Ocio), Aquaparc ou Aqua Park comme a` Biscarosse ou Bergerac ; et la capitale a imagine´ son Paris-Plage saisonnier. La ville bourgeoise retrouve un souci de se´curite´ en inventant des « quartiers se´curise´s » (ou « ferme´s »), enclos et garde´s, qui d’ailleurs pre´fe`rent s’afficher « parcs re´sidentiels se´curise´s ». D’autres lieux e´chappent au commun, sous des noms faits pour plaire. La` sont des Re´sidences du Golf, la` un Parc Bellevue. Les rivages me´diterrane´ens avaient dissocie´ le village perche´, de´fensif, et a` son pied la marine, ou marina, pour les peˆcheurs et pour quelques e´changes ; le terme a e´te´ repris pour des ensembles re´sidentiels avec maisons de bord d’eau et pontons a` bateaux, et tend a` devenir un nom commun ; Marina Baie-des-Anges a` Villeneuve-Loubet 06 n’est que la plus connue de quelques dizaines d’urbanisations de prestige, d’ailleurs plus « port » que marina dans leur nom meˆme, comme Port-Grimaud a` Grimaud (Var) ou Port-Camargue au Grau-du-Roi (Gard), qui arbore aussi les Marinas. Apparaissent meˆme des « villages ae´ronautiques » dits Air Park a` l’anglaise, ou` quelques dizaines de villas ont un acce`s direct a` leur ae´rodrome prive´ : Atlantic Air Park a` Chasnais 85 et Air Park Vende´e a` Talmont-Saint-Hilaire 85, Air Parc a` Verchocq au nord-est du Touquet, Green Air Park pre`s d’Availles-Limouzine 86, etc.

De zone en parc La diffusion de l’automobile a multiplie´ en pe´riphe´rie des villes les zones et parcs accueillant usines, commerces et bureaux. La Zone par excellence fut d’abord celle de la ceinture de Paris : les anciennes exigences de la de´fense de la capitale avaient fait dessiner une large bande ou` il e´tait interdit de construire et donc nomme´e Zone non ædificandi, longtemps laisse´e a` l’habitat pre´caire – d’ou` viennent les zonards et le verbe zoner. Cette ceinture conserve des parcs, mais a e´te´ ensuite envahie par de grands ensembles de bureaux, d’habitation, d’exposition, de sports. Apre`s la dernie`re guerre se sont multiplie´es les zones de toutes sortes, a` coups de sigles tels que ZUP, ZAC et ZAD (zone a` urbaniser en priorite´, zone d’ame´nagement concerte´, zone d’ame´nagement diffe´re´). Ces acronymes ont pu entrer en toponymie, au moins quelque temps, parfois durablement : « la Zup » a` Calais, Mulhouse, Chalon-surSaoˆne, Blois, Argenteuil ou « la Zac » tout court a` Saint-Laurent-Blangy 62, la Zac 1 et 2 au Port (la Re´union).

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« La Zad » est le nom habituel et devenu ce´le`bre du site de l’e´ventuel futur ae´roport nantais controverse´ a` Notre-Dame-des-Landes 44 ; le de´rive´ zadiste a bonne presse. A` Nıˆmes 30, la Zup Nord a fini par recevoir un nom plus « propre », ZUP PissevinValdegour, en associant le nom d’un ancien lieu-dit, Pissevin, a` celui du ruisseau voisin, le Valdegour, affluent du Vistre ; mais ZUP figure encore dans son nom officiel. Les « zones franches urbaines » (ZFU), be´ne´ficiant d’avantages fiscaux, sont devenues un e´le´ment fort des politiques de la ville et ont rec¸u les noms de leurs quartiers, comme Petite Hollande a` Montbe´liard 25, le Mail a` Chenoˆve 21, les Are`nes-la Deve`ze a` Be´ziers 34 et la Paillade a` Montpellier 34, la Cite´ a` Behren-le`sForbach 57, voire de contre´es, comme le Vermandois a` Saint-Quentin 02. Certaines se sont illustre´es dans l’histoire re´cente, comme les Minguettes a` Ve´nissieux 69, les Tartereˆts a` Corbeil-Essonne 91, la Grande-Borne a` Grigny 91, le Val Fourre´ a` Mantes-la-Jolie 78. S’ajoutent a` ce dispositif les ZUS (zones urbaines sensibles), bien plus nombreuses mais moins aide´es, dont les noms sont du meˆme style, comme a` Montluc¸on 03 les Bien-Assis, Fontbouillant, Dunlop (nom de l’usine de pneus), a` Tours 37 le Sanitas, a` Nantes 44 Malakoff, voire la Californie a` Jarville-la-Malgrange 54, la Solitude a` VieuxConde´ 59, les 4000 a` La Courneuve 93 (il s’agit de quatre mille logements). Le nom parfois fleure bon le vieux fonds rural comme les Vingt Arpents a` Pont-SainteMarie 10 ou Ma Campagne a` Angouleˆme 16, les Fouge`res a` Grand-Charmont 25, Beaude´sert a` Me´rignac 33, la Grande Paˆture a` Nevers 58, parfois e´voque les terrains militaires abandonne´s comme le Polygone a` Valence 26 ou le Champ de Manœuvre a` Soyaux 16. Plusieurs ont conserve´ des sigles comme ZAC des Villes a` He´nin-Beaumont 62, ZAC Henriville au Portel 62, ZAC des Courtilleraies au Me´e-sur-Seine 77, ZUP du Mont-Saint-Martin a` Nemours 77, ZUP de Berhe a` La Seyne-sur-Mer 83. « Zone » n’est toutefois plus vraiment a` la mode hors des « quartiers » : on est passe´ aux parcs d’activite´s, voire aux technoparcs, aux poˆles et technopoles ; avec, si possible, des de´terminants en anglais. On trouvera Technoparc a` Poissy 78, a` Saint-GenisPouilly 01 ou a` Manosque 04, Antare`s Technoparc au Mans 72, Technoparc Futura a` Be´thune 62. Les technopoles (soit, selon les cas, du grec polein, vendre, IE pel, ou du latin polis, ville, IE pele) ou technopoˆles (grec polos, axe, de l’IE kwel de meˆme sens) sont surabondants et de sexe inde´cis ; la forme sans accent tend a` l’emporter, graˆce a` l’ide´e sous-jacente de « ville » : Rennes-Atalante, Brest-Iroise, Lorient-Technopole, Technopole de la Re´union a` Sainte-Clotilde 973, Technopole des Deux-Lions et Re´sidence du Technopole a` Tours 37, Technopole Mulhouse, Technopole He´lioparc a` Pau 64, Atlanpole a` Nantes, pour un Technopoˆle Transvalley (sic) a` Valenciennes 59. Toutefois, on ne distingue pas toujours aise´ment l’entreprise, ou l’institution, du lieu occupe´ : Technopole Made in Reims (sic) ne semble pas relever des noms de lieux, au moins pour le moment. Encore plus « tendance » sont les e´co- et euro-parcs, -ports, -poles et -quartiers, qui ont partout fleuri, jusque dans des lieux inattendus comme l’E´coparc d’affaires de Sologne a` Villemorant (Neung-sur-Beuvron 41), chaˆteau et parc isole´s qui furent proprie´te´ de l’« empereur » Bokassa. On peut noter un E´coparc Reims-Sud (« Ecores »), un E´coparc de Haute-Bretagne a` Andouille´-Neuville 35, des E´coparc a` Urrugne 64, Blanquefort 33, Heudebouville 27, Mougins 06, un E´coparc Val

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Euromoselle a` Norroy-le-Veneur 57, l’Europort de Vatry 51, un Europort de la communaute´ de communes du Pays Naborien a` Saint-Avold 57, un Europarc technologique a` Tours 37. Bien d’autres ouvertures et projets se limitent toutefois a` de petits parcs d’attractions ou de jeux, comme l’Europark de Vias 34 ou l’Europarc de Chassieu 69.

2. Pays et chemins : le territoire et ses re´seaux Tout lieu habite´, ou meˆme seulement nomme´, a ses appartenances. Il se situe a` la fois dans des territoires, et dans des re´seaux. Territoire est un terme d’allure anodine, mais tre`s charge´ lorsqu’il e´voque un lien au sol, voire des « racines » ; il ne figure gue`re dans les noms de lieux, sauf par l’exception du Territoire de Belfort, ou la ge´ne´ralite´ des Territoires d’Outremer, appellation qui est d’ailleurs en voie de de´sue´tude. Pour de´signer un ensemble de lieux, on dispose de nombreux mots : quartier, canton, pays, re´gion et, de fac¸on plus large ou impre´cise, contre´e ; mais leurs sens sont polyvalents, et se re´fe`rent a` diffe´rentes e´chelles. La commune, en revanche, a un sens pre´cis de circonscription territoriale e´le´mentaire, dirige´e par un maire et dote´e d’un budget ; une commune rassemble plusieurs lieux-dits, dont certains, habite´s, sont des hameaux ou des e´carts. Re´gion a un sens officiel de groupe de de´partements dote´ d’institutions, et comme tel d’un nom propre, et un sens vague mais tre`s ge´ne´ral de partie de l’e´tendue – ainsi en me´decine par exemple pour le corps humain. En tant que tel, sa seule manifestation probable en toponymie pourrait eˆtre Retjons 40, d’un latin regiones pris au sens de limite du territoire d’un peuple ; il existe toutefois un Regione perdu dans les hauteurs de Zuani en Corse-du-Nord, et l’adjectif re´gional est tre`s employe´ dans les noms de foreˆts, parcs et re´serves. Contre´e figure plus abondamment en toponymie, mais comme portion de commune, alors que les textes anciens, et au moins certains ge´ographes, l’emploient comme e´quivalent de pays, ou petite re´gion. Quartier est tre`s fre´quent, comme fraction de commune. Canton a ce sens en toponymie, mais y ajoute celui de circonscription administrative, groupant plusieurs communes, sauf dans les plus grandes villes ou` il subdivise la commune. Pays est encore plus polyse´mique. Le lieu existe en toponymie ; il en est meˆme la base mate´rielle. Le nom lui-meˆme appartient a` une riche ligne´e qui a pour origine : « ce qui est la` », en somme un e´quivalent de « ci-gıˆt », de l’IE legh, eˆtre la`, ge´sir, coucher ; le lit est de la meˆme famille que le lieu. Un lieu-dit est un lieu qui est « dit », c’est-a`-dire qui a un nom. Les occurrences du nom Lieu sont nombreuses parmi les lieux-dits. Il est plus particulie`rement employe´ dans l’Ouest, et surtout en Normandie, ou` par exemple SaintChristophe-sur-Conde´ 27 a, parmi ses habitats ou lieux-dits, Lieu E´calier, Lieu aux Clercs, le Lieu Quemin, le Lieu Maillet, le Lieu Malleux, le Lieu Millais, et meˆme le Lieu Homo ; Fauguernon 14 contient le Lieu Brunel, le Lieu Gaillard, le Lieu Chouquet, le Lieu de Bas, le Lieu Tilliers, le Lieu la Vache.

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Les comple´ments, outre les NP, en sont des plus varie´s : le Gentil Lieu au Breuil-enAuge et le Lieu Gentil a` Hotot-en-Auge, le Lieu Che´ri et le Lieu Doux a` Ouilly-leVicomte 14 juste au nord de Lisieux, le Gai Lieu a` Guichen 35, le Lieu aux Plaids, le Lieu aux Clercs et le Lieu aux Parcs a` Conde´-sur-Risle 27, l’abbaye du Lieu-Dieu a` Jard-sur-Mer 85. Six lieux-dits ont pour nom le Chef-Lieu. Le breton emploie loc, souvent suivi d’un nom de saint paroissial quand il est attache´ a` un ermitage : Locmiquel est le lieu (ermitage) de saint Michel. Loc est aussi le lieu en occitan : les Belloc ne sont pas rares, et ont glisse´ en NP. Le basque a pour e´quivalent un suffixe -eta.

Chez soi Quantite´ de noms de lieux ont e´te´ simplement de´signe´s, a` certaines e´poques, par le nom de leur tenancier, seigneur, proprie´taire, ou de leurs habitants, ou par le sobriquet qui leur e´tait attribue´. Le plus surprenant est la stabilite´ de ces appellations d’un temps lointain : certaines n’ont pas change´ depuis les Gaulois, beaucoup remontent au Moyen Aˆge, grand moment d’appropriation et d’expansion rurale. Qui consulte la carte de Cassini, e´tablie au XVIII e sie`cle, se prome`ne en pays familier : les lieux-dits restent « dits » de la meˆme fac¸on qu’aujourd’hui, dans l’ensemble. Et, en ge´ne´ral, on ignore tout des personnages d’apre`s qui ils ont e´te´ nomme´s, tout des origines et meˆme du sens de leur propre nom ou surnom. En quelques contre´es, les noms d’origine des maisons isole´es ou des petits hameaux sont simplement pre´ce´de´s d’un « chez », terme qui pre´cise´ment vient de casa, et signifie donc « la maison de ». Chez est en ge´ne´ral suivi d’un NP. Ce tour tre`s re´pandu aurait e´te´ utilise´ surtout a` partir du XIVe sie`cle et s’est diffuse´ des Charentes jusqu’au Jura. Se trouvent par exemple dans la seule commune de Sainte-Gemme 17 les e´carts et hameaux Chez Barras, Chez Bonneau, Chez Bouchet, Chez Brossard, Chez Devaud, Chez Gouit, Chez Huble, Chez Jean-Maıˆtre, Chez Marcou, Chez Mondain, Chez Morand, Chez Rangeard, Chez Reparon, Chez Viaud. Ou a` SaintClaud 16 Chez Be´ard, Chez Cagnot, Chez Chadiat, Chez Civadier, Chez Forgenoux, Chez Gervais, Chez Mancier, Chez le Masson, Chez Mesnier, Chez Mistou, Chez Piche, Chez Pontois, Chez Robinet, Chez Tarlot, Chez The´venin, Chez The`ves... Toutefois, certains chez sont suivis de noms communs : Chez le Four a` Saint-Claud, Chez Chemin Vieux a` Brie 16, Chez du Bout a` Bord-St-Georges 23, plusieurs Chez le Bois, dont trois dans le Rhoˆne, Chez le Pre´ a` Tre´zelles 03. Chez peut eˆtre remplace´ par « les » (sans accent) : dans la meˆme commune de SaintClaud 16, les Rainauds, les Carmagnats, les Navarros, les Broues, et aussi Les Terres a` Chabraud, le Maine-Pinaud. Ce « chez » ou « les » prend la forme « en » dans le Midi (prononcer enne) : par exemple dans la commune de Caraman 31 : En Blondin, En Callou, En Couge, En Danis, En Garriguet, En Garrigou, En Gayraud, En Jacou, En Jacques, En Levade, En Mestre Jean, En Mottes, En Rossignol, En Revel, En Rouge, En Touly, En Tronc. Dans un tre`s grand nombre de cas, surtout dans l’ouest et le centre de la France, les noms d’origine ont e´te´ affecte´s d’un suffixe -ie`re ou -erie qui a le meˆme sens, a` l’instar de ce qui s’est fait pour les lieux de travail (saboterie, scierie, fromagerie, etc.) ou de

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gisement (ferrie`re, marnie`re, argentie`re). Par exemple a` Bouessay dans la Sarthe, s’e´parpillent la Beucherie, les Bodinie`res, les Guettie`res, La Jourdannerie, la Martinie`re, la Morlie`re, la Poinc¸onnie`re, la Tonnelie`re. Ce proce´de´ de de´signation s’est prolonge´ jusqu’a` nos jours, au moins pour certains noms de villas. Une difficulte´, pre´cise´ment, tient a` ce que -ie`re et -erie peuvent de´signer des gisements ou des rassemblements et colonies de ve´ge´taux et d’animaux : bruguie`re (de bruye`res) et bussie`re (de buis), cannebie`re (de chanvre), euzie`re (d’yeuse), cabrie`re ou chabrie`re (de che`vres), corbie`re ou grollie`re (de corbeaux ou corneilles), porcherie, vacherie, etc. Ainsi trouve-t-on des « la Chouannerie » et « la Chouannie`re » a` La Fle`che, E´vaille´, Parigne´-Le´veˆque (Sarthe), Larre´ 61, Saint-Aubin-le-Cloud 79, Le Puiset-Dore´ 49, une douzaine en Ille-et-Vilaine et meˆme un en Touraine (la Chouannie`re a` Artannes) sans pouvoir dire s’il a pu s’agir de lieux nomme´s en fonction de la pre´sence de hulottes (« chouans » dans l’Ouest) ou d’une famille Chouan, voire plus tard d’insurge´s « vende´ens ».

La queue des noms Ces de´signations se rapportent principalement a` des lieux-dits et, quoique tre`s nombreuses, sont relativement re´centes. Plus anciens et plus connus sont les suffixes en -ac et en -an, et toutes leurs variantes, apparentes dans beaucoup de noms de communes. Ils sont interpre´te´s comme une fac¸on d’e´voquer une localisation : « le lieu de », « la` est » ; et donc quelque appartenance. Il semble que, le plus souvent, ces terminaisons soient pre´ce´de´es de NP, de´signant le proprie´taire ou l’occupant du lieu. Jadis et nague`re, certains spe´cialistes allaient jusqu’a` dire : dans tous les cas, l’imagination du spe´cialiste lui permettant d’inventer a` foison des NP anciens suppose´s. Ne´anmoins, il semble bien admis a` pre´sent que ces terminaisons aient pu aussi eˆtre associe´es a` des noms communs, des e´le´ments descriptifs de sites, de dispositifs naturels, d’objets et qualite´s. Nous en verrons bien des exemples. Les linguistes ont beaucoup travaille´ sur ces terminaisons, dont les formes sont en ve´rite´ fort nombreuses, et passablement confuses. Ils ont pense´ y reconnaıˆtre des ordres et des origines distincts. Il faut bien admettre toutefois que les risques de confusion et de me´sinterpre´tation ne manquent pas : distinguer un -igny et un -ignies, un -an et un -en, un -en et un -ein ne va pas toujours de soi, d’autant que les e´critures des noms ont e´volue´. Mais c’est un grand sujet de l’onomastique. Voyons ici les principales classifications qui en sont faites ; leur dimension re´gionale est un point important de l’affaire : maintes cartes ont e´te´ dresse´es, du moins d’apre`s les noms de communes. Les premiers suffixes, en -ac, sont dits d’origine gauloise ; pourtant, ils sont massivement dans le quart sud-ouest de la France, avec un centre de gravite´ vers Cahors : Charentes (ex. Cognac, Jarnac), Nord de l’Aquitaine (Bergerac, Ribe´rac, Ne´rac), nord de Midi-Pyre´ne´es (Moissac, Pibrac, Gaillac, Figeac), Limousin (Marcillac, Bellac, Jumilhac), Auvergne me´ridionale (Mauriac, Aurillac, Langeac), un peu moins en Languedoc-Roussillon (Quissac, Olonzac). Ils sont quasi-absents des Landes et des Pyre´ne´es-Atlantiques, ainsi que de la Provence. Une autre concentration est en Bretagne centrale (Loude´ac, Carnac, Merdrignac...).

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La terminaison -ac prend parfois les formes -at, surtout en Auvergne (Gannat, Royat, Ennezat), en Arie`ge (Massat, Axiat, Auzat, Lordat) et dans l’Ain (Me´ze´riat, Polliat, Viriat, Ceyze´riat) ; -ax et -aix dans le Midi (Augnax, Lunax, Lannepax, Caychax, Be´naix), -ex en Savoie (Charvonnex, Cernex, Che´nex, Menthonnex...) et -eix du coˆte´ du Limousin (Blaudeix, Dontreix, Lavaveix, Graffaudeix et Dressondeix a` E´gliseneuve-d’Entraigues), -eu surtout en Lyonnais (Cre´mieu, Ambe´rieu, Chassieu) et -eux dans le Lyonnais et la France septentrionale (Meximieux, Magneux, Beugneux, Dampleux). Elle est devenue -ay dans toute la moitie´ nord du pays (Viroflay, E´pernay, Gournay, prononce´s comme e´), mais la Bigorre contient de nombreux noms en -ay, dont le suffixe se prononce « aille » comme a` Nay – ou meˆme a` Tournay, bien que celle-ci ait rec¸u son nom de la Tournai belge. Ils ont pris la forme -e´ dans tout l’Ouest inte´rieur, de la Normandie au Poitou (Sable´, Force´, Souvigne´, Chemille´), et -ai ou -ei dans quelques communes de l’Orne comme Cirai, Fontenai, Cuissai, Irai, Vidai, Boissei, Marcei. Abondants aussi sont les suffixes en -y, -igny ou -illy au nord-est d’une diagonale qui va d’Avranches a` Brianc¸on ; -ey dans tout le Nord-Est (Bourgogne, Franche-Comte´, Champagne, Lorraine). Localement, la terminaison locative a e´volue´ en -ies dans le Nord (Wattignies, Landrecies, Fourmies), -ecques en Artois (Blendecques, Ecquedecques, E´perlecques, Senlecques, Questrecques), -euc ou -ec en Bretagne (Aucaleuc, Pleucadeuc, Lanrodec, Lanvellec, Plusquellec, Cle´gue´rec) ; et -ach en Alsace (Rouffach, Huspach, Keffenach, Altenach), a` ne pas confondre avec les -bach qui se rapportent a` un cours d’eau. Le suffixe -an serait d’origine latine et donc en principe plus tardif. Il n’est d’ailleurs gue`re pre´sent que dans la moitie´ me´ridionale du pays, surtout dans l’He´rault et l’Aude (Gruissan, Le´zignan, Marseillan, Durban), les Hautes-Pyre´ne´es (Artagnan, Antichan, Aventignan, Barbazan, Durban, Seissan, Samatan), le Gers (Seissan, Samatan) et l’est de la Gironde (Escoussan, Lignan, Roaillan). Il prend la forme particulie`re -argues dans le pays Nıˆmois et l’est de l’He´rault (Aimargues, Aujargues, Bouillargues, Gallargues, Marsillargues, Martignargues, Mandiargues a` Saint-Hippolyte-du-Fort, etc.) ou -ergues en Languedoc (Flaugergues, Faussergues). Dans le Sud-Ouest, surtout les Pyre´ne´es, il apparaıˆt en -on (Aulon, Lanc¸on) ou en -en (Guchen a` coˆte´ de Guchan, Barbachen, Grailhen). D’origine germanique au contraire seraient les terminaisons en -ing, -ingen, -ingue, et -ange abondantes en Alsace et en Lorraine (Buding et Budling, Carling, Epping, Hirsingue, Huningue, Froeningen, Drulingen, Bellange, Gandrange, Hagondange, Se´re´mange, Florange) ; -ing, -aing, -ingue, -igne, -ignies ou -ines dans le Nord (Bellaing, Hornaing, Tourcoing, Que´re´naing, Audignies, Bellignies, Bouvignies, Feignies, Wattignies, Gravelines) ; en -ans en Franche-Comte´ (Ornans, Vouglans). Plus curieusement, mais en re´fe´rence aux Wisigoths, on leur rattache les terminaisons -ein dans les Pyre´ne´es, surtout arie´geoises (Audresssein, Argein, Aucazein, Seintein, Irazein, Salsein, Uzein...) ; -ens, -eins, -enx, -anx, -onx du Sud-Ouest, comme Escoussens ou Giroussens, Tonneins, Hostens, Be´renx, Mourenx, Navarrenx, Ossenx, Hontanx, Pontonx.

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D’autres suffixes sont de simples terminaisons adjectives, au sens « qui vient de », « qui rele`ve de », communes au franc¸ais d’oı¨l ou d’oc, comme les tre`s ordinaires -ais et -ois qui forment la plupart des gentile´s, et qui se lisent dans Gambais, Louvois, Orbais, Vauquois, etc. Elles ont pour de´rive´s ou e´quivalents -e`s, -eux et -elles, -ol, -ols, -ous, -ouse et -oux, meˆme -us : Camboune`s, Camare`s, Couffouleux, The´rondels, Murols, Montagnol, Pomayrols en Aveyron ou dans le Tarn, Puntous, Poumarous, Sanous, Moumoulous ou Campistrous, Peyrouse, Oueilloux dans les Hautes-Pyre´ne´es, Limoux, Lanoux, Nescus, Orus. On y distingue parfois le genre : -ous est le masculin (ou le netre) de -ouse. De plus loin peut-eˆtre viendraient les terminaisons me´ridionales adjectives en -anc, -enc ou -enque (Arlanc, Issamoulenc, Thorrenc, Lalbenque), alpestres en -anche (Choranche, Sallanches) et provenc¸ales en -asque et -osque ou -osc (Gre´asque, Venasque, Manosque, Artignosc, Magagnosc), re´pute´es issues d’un ligure dont on sait peu de chose, et du moins paraissant pre´romanes. Il en est de meˆme des -os, -osse qui terminent d’assez nombreux noms de lieux et de contre´es en Aquitaine, tels Abidos, Auros, Cudos, Pissos, Tarnos, Seignosse, Arengosse, Souprosse, Yzosse, Chalosse : ils rele`veraient d’un he´ritage vascon, comme les -ast, -est et -ost (Adast, Andrest, Gazost, Arbe´ost, Urost), les -un (Aucun, Je´gun, Monlezun, Ossun, Suhescun) ; voire une partie des -eix (Orleix, Baudreix, Azereix). C’est dans cette suite de suffixes de diffe´rentes formes et origines que l’on peut inscrire aussi les tre`s nombreux toponymes en -euil et apparente´s. Cette finale est re´pute´e venir d’un gaulois ialos, traditionnellement interpre´te´ comme « clairie`re » et aurait donc e´te´ porte´e par des villages e´tablis dans une clairie`re, en ge´ne´ral a` la faveur d’un de´frichement. Mais ces de´frichements avec peuplement se sont faits partout, et le terme s’est banalise´ au point de de´signer simplement un lieu quelconque, en servant de suffixe locatif. Il est possible aussi que ialos ait tout simplement de´signe´ de`s l’origine un emplacement, un lieu. Il ne s’agirait donc pas ne´cessairement d’une clairie`re, ni meˆme obligatoirement d’une appellation gauloise. Le basque -eta semble avoir eu le meˆme roˆle. En tant que tel, le suffixe est souvent pre´ce´de´ d’un NP. Toutefois, les noms communs descriptifs ne sont pas rares. Cette terminaison a e´volue´ selon les re´gions en -euil, -eil,-eille, -eau, -euilh, -œuil, -iou, -ols, -ue`ge, -e`ge, -euge, -jols et meˆme, dans le sud du Massif Central, -ue´jols, -ue´jouls, -gheol ; ainsi des nombreux Mareuil (grande clairie`re ou grand village, ou lieu majeur, du gaulois maros, grand, principal) et autres Maroilles 59, Marols 42, Mariol 03, Marvejols 48 et Mareugheol 63 de meˆme sens ; des Vendeuil 02, Vandeuil 51, Venteuil 51 ou Venteuges 41, avec vindo, blanc ; de Montereau (Monasteriolum, du monaste`re), Cassue´jouls 12 (du cheˆne), Argenteuil (argent ou brillant), Nieul et Neuil (nouveau) ; les Auteuil, Autheuil, Authiou 58, Authieule 80 et Authuille 80 (haut), Vineuil (vigne), Limeil-Bre´vannes 94 ou Limeuil 24 (des ormes), Vernejoul ou Verneuil (de l’aulne) et le diminutif Vernouillet, ou encore les Cormelles et Cormeilles (de corme, le sorbier), Nanteuil (de la valle´e, nant), Ligueuil (de luc, bois), Durtol 63 (de´sert+ialo) voire Deuil-la-Barre 96 (divine) ; ou encore les Corbeil, Lanue´jols, Bacouel 60, Crisolles 60, Crue´jouls 13 et Prinsue´jols 48, aux origines qui restent discute´es et parfois dispute´es...

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Reparler du pays Sont aussi entre´s dans les noms de lieux des mots qui e´voquent des ensembles. territoriaux. Le pays a plusieurs sens. A` l’origine, c’est une contre´e rurale, division gallo-romaine du territoire ; le nom vient du pagus latin, qui a donne´ aussi le paysan, dit page`s en langue d’oc. Pagus vient d’un indo-europe´en pak, quelque chose de ferme, solide, e´ventuellement de´limite´ par des bornes. Le pagus porte le nom de sa principale cite´, d’un clan, d’une seigneurie comme le Laonnois, le Couserans, l’Astarac, le Bazois, le Chinonais, le Pays de Retz ; plus rarement d’une caracte´ristique : le pays de Sault (de saltus), le Terrefort et la Forterre, la Gaˆtine, la Pe´ve`le (pays des pre´s), le Trie`ves (trois voies). En ce sens, des centaines de pays sont encore vivants, que l’on affuble parfois, mais a` tort, du qualificatif de « re´gions naturelles », ce que la plupart ne sont nullement. Pays a donne´ paysage, mais la seule mention accessible de ce terme en toponymie se limite a` Paysage d’Hyoche, point de vue sur une courbe de vallon sec dans la foreˆt de Levier a` Villeneuve-d’Amont 25. Il a aussi donne´ paysan, tre`s pre´sent en revanche parmi les lieux-dits, par dizaines de Paysan, le Paysan, voire les Quatre Paysans au Teich 33 ou les Paysannes a` Montpon-Me´neste´rol 24, le Paysan Rouge a` SaintMagne 33, le Moulin du Paysan a` Latronche 19, Bois des Paysans a` Fridefont 15 et meˆme Paysan Fou a` Sore 40 pour un lieu e´carte´ (ou` Fou est probablement le heˆtre). Paysan a pu eˆtre e´videmment un NP. Le sens de « pays » a e´volue´ pour s’e´tendre a` toutes sortes de territoires reconnus d’apre`s quelques traits communs, un nom, un sentiment d’appartenance. Chacun a un nom propre. Quelques-uns l’ont trouve´ dans leur localisation meˆme : le Sundgau est simplement la contre´e du Sud (de l’Alsace), l’Ostrevant le pays oriental, en Flandre. Nombreux sont ceux qui se de´finissent par une unite´ de paysage, ou de qualite´s physiques et souvent, par la`, un certain style d’activite´s, notamment agricoles et touristiques : la Beauce (nu), la Limagne (limon), la Woe¨vre (bois), la Puisaye (puits), ou plus re´cemment la Coˆte d’Azur. D’autres sont plutoˆt vus comme lie´s a` une ville, comme aire de service et d’attraction de ce centre : Chinonais, Saosnois, Agenais, Chaˆtillonnais, Biterrois. Puis « pays » a rec¸u un sens vague de territoire commun, au point qu’un « pays », une « payse », est quelqu’un qui a la meˆme origine ge´ographique que vous, qui est ne´ dans le meˆme village, ou dans un village voisin. Certaines listes pre´sentent des « pays historiques », des « pays traditionnels » dont les de´finitions sont des plus floues. Plusieurs « pays » bretons ne sont de´signe´s que par un sobriquet e´voquant le costume de feˆte, ou la danse locale, voire la re´putation des habitants : Pays Glazik (habit bleu), Pays Rouzig (habit roux), Pays Bigouden (de la pointe, certains e´voquant la coiffe dite bigoude), Pays Pourlet (selon la coiffe), Pays Fisel (danse), Pays Fanch (danse), Pays Pagan (paı¨en). Enfin le terme s’est e´tendu au territoire d’une nation entie`re, ou plus exactement d’un E´tat, dont il est devenu synonyme : en ce sens, la France est un pays. Mais qui comprend, entre autres et sur des plans institutionnels distincts, le Pays Basque, et la re´gion dite Pays-de-la-Loire. Les communaute´s de communes se sont volontiers approprie´ le terme en son sens premier, tout en inventant a` l’occasion des « pays » sans passe´ : communaute´ du Pays

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Bellegardien (Ain), du Pays de la Serre (Aisne), du Pays d’Azay-le-Rideau (Indre-etLoire), du Pays de l’Or (He´rault), du Pays du Sel et du Vermois (Meurthe-et-Moselle), etc. Or, depuis 1999, le terme a e´te´ repris par les textes officiels au sens de re´union de communaute´s de communes, selon la loi d’orientation pour l’ame´nagement et le de´veloppement durable du territoire dite loi Voynet, suscitant l’appellation non controˆle´e de « pays Voynet ». Cela ne va pas sans confusion lorsque les communaute´s avaient de´ja` annexe´ le terme : par exemple, le Pays de Rennes rassemble, entre autres, les communaute´s dites du Pays d’Aubigne´, du Pays de Chaˆteaugiron, du Pays de Liffre´ ; le Pays de Broce´liande comprend les communaute´s du Pays de Be´cherel, du Pays de Montfort, etc. Le pays revit, dans l’abondance mais dans la confusion. La re´cente loi Notre, en obligeant a` agrandir les communaute´s de communes, compromet d’ailleurs l’ide´e meˆme de « pays Voynet », mais admet la synonymie de fait entre intercommunalite´s et pays, nombre d’entre elles se disant Pays de...

Le pays par le peuple C’est du latin plebs que viennent le peuple et la ple`be, le pueblo espagnol, et deux termes tre`s re´gionaux et ine´galement vivants : le plou en Bretagne comme groupement et division du territoire, la pie`ve en Corse comme ancienne division du territoire. Si celle-ci ne figure pas directement dans les noms de lieux, a` l’exception d’une commune de Haute-Corse nomme´e Pie`ve (A Pieve en corse), celui-la` est surabondant et sous diverses formes : non seulement plou comme Plougastel (du chaˆteau), Ploubazlanec (du geneˆt) ou Plouhinec (de l’ajonc) mais aussi plo (Plogastel du chaˆteau, Plobannalec du geneˆt, Plonevez le nouveau et Plomeur le grand), ple´ (Ple´chaˆtel, Ple´lan avec lande, Plescop de l’e´veˆque), pleu (Pleumeur et Pleubian, le grand et le petit), plu (Plusquellec le chardon, Plurien d’un saint Rihain) et meˆme poul (Poullan, de la lande), au risque de confusion avec la mare ou l’anse marine (poul). Il semble que Pleaux 15 ait eu le meˆme sens. Pou, de meˆme origine, de´signe plutoˆt un « pays » comme dans le Poher (de Po-cae¨r, donc pays du fort, ou du chaˆteau), le Porhoe¨t (pays au bois) ou le Poulet qui vient de pagus Aleti, le territoire d’Aleth (ancien chef-lieu, a` pre´sent inte´gre´ dans la commune de Saint-Malo). Derrie`re cette racine re´pute´e latine, certains e´rudits voient un populus d’origine e´trusque, beaucoup un indo-europe´en pele qui aurait le sens de « plein » et qui se retrouverait dans ple´thore, plus, poly-, comme dans full et voll chez nos voisins. On sait que l’immigration bretonne a` Paris, facilite´e apre`s 1850 par le chemin de fer, y a fait naıˆtre le pe´joratif plouc comme e´quivalent de rustre ; il est ge´ne´ralement donne´ comme un de´rive´ image´ de ces nombreux termes ; mais finalement il ne veut alors dire que « du peuple », ce qui ne manque pas de dignite´. Tre`s riche en nuances du territoire, le breton emploie aussi bro comme dans Broe¨rec (Broereg) qui a de´signe´ le Vannetais, et douar au sens de terre, territoire comme dans Douarnenez, habituellement interpre´te´ comme douar an-enez, la terre de l’ıˆle. Bro, brog, de´signait aussi une contre´e en gaulois ; suppose´ de´rive´ de mrog, terme proche de marge, il signalerait peut-eˆtre plus pre´cise´ment un territoire en limite, une marche.

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Douar (aucun rapport avec le village maghre´bin) serait de la famille de duro-dvor, la porte et ville forte ; mais on peut aussi se demander s’il ne s’agit pas d’une adaptation locale de la « terre ». Le radical germanique land au sens de pays apparaıˆt dans certaines contre´es du nord et de l’est comme le Houtland (pays au bois) et le Blootland (pays nu) qui diffe´rencient les deux parties principales de la Flandre franc¸aise, et dans certains noms de communes, tels Heuland (pays haut), E´telan ou E´tolan (pays escarpe´) en Normandie dont Saint-Maurice-d’E´telan 76 et le Mont E´tolan a` Saint-Pierre-E´glise 50, Freland dans les Vosges (pays libre) ; il peut s’y confondre avec la lande. Le basque emploie herri au sens de pays, le Pays Basque lui-meˆme e´tant dit Euskal Herria ; mais le terme se confond avec iri de´ja` note´ pour ville ou village : Hiriberria (plusieurs lieux-dits) ou Hiriberry a` Lahonce 64, plusieurs Iriberria et Iriberry a` Bustince-Iriberry 64 (tous des Villeneuve), plusieurs Irigoiti ou Irigoina (= Hautviller). Les contre´es ou pays sont volontiers de´signe´s par des adjectifs d’appartenance, qui ajoutent des terminaisons en -ais, -ois, -is, -e`s, -ez, -ien au nom du chef-lieu, ou d’une rivie`re principale, d’un mont, parfois d’un peuple, une seigneurie ou meˆme un point cardinal. Ces adjectifs promus noms de territoires entrent a` leur tour dans des noms de lieux compose´s. Laurac 11 a donne´ le Lauragais, ou` sont Montesquieu-Lauragais, Villefranche-de-Lauragais ; et Charolles le Charollais, avec Collonge-en-Charollais, Vitry-en-Charollais, Saint-Aubin-en-Charollais. Le Perthois de Perthes contient Vitry-en-Perthois, le Barrois de Bar-le-Duc Ligny-en-Barrois, et le Minervois de Minerve ne manque pas d’appellations : les communes d’Argens, Bize, Caunes, Laure, Malves, Peyriac, Pouzols, Rieux, Roquecourbe, Ventenac, Villeneuve sont toutes « -en-Minervois ». De Cambrai vient le Cambre´sis, qui a` son tour a donne´ Cateau-Cambre´sis, tandis que Cormeilles-en-Parisis illustre le Parisis, issu du peuple Parisii. La rivie`re Save a donne´ le Save`s, riche en noms de communes : Cazaux-Save`s, Castillon-Save`s, Labastide-Save`s, Monferran-Save`s, etc. Cabaret a donne´ le Cabarde`s qui a son tour a fourni Mas-Cabarde`s, Miraval-Cabarde`s et une douzaine d’autres communes en -Cabarde`s. Le Multien de Meaux inclut Acy-en-Multien, May-en-Multien, Rosoy-en-Multien, Rouvres-en-Multien et Trocy-en-Multien. Certaines terminaisons sont en -ac, -an et leurs de´rive´s : Astarac (dont Mont-d’Astarac), Magnoac (dont Castelnau-Magnoac), Gabardan (de Gabarret), Tursan (avec CastelnauTursan et Vielle-Tursan), Rouergue (avec notamment Villefranche-de-Rouergue) et bien d’autres.

Bornes et limites Tous ces pays ont en ge´ne´ral un centre, meˆme si le chaˆteau ou le village e´ponyme ne joue plus ce roˆle : dans l’Aude, Laurac, dont vient le vaste Lauragais, n’est plus qu’un tout petit village perche´, et le Cabaret du Cabarde`s n’est que l’un des chaˆteaux ruine´s de la commune de Lastours la bien nomme´e (les tours). Pays et communaute´s se sont aussi distingue´s par leurs limites. Des bornes ont fixe´ celles-ci, et les lieux-dits en Borne sont nombreux. Toutefois, ce toponyme est polyse´mique : il peut avoir pour

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origine un repe`re de distance sur une route (la borne milliaire des voies romaines), un me´galithe comme la Grande Borne a` Chanceaux 37, et meˆme une source (e´tymon bronn). Reste que bien des lieux-dits en Borne sont encore aujourd’hui en limite de finage et sans ambiguı¨te´, comme la Borne Angulaire a` Mignovillard 39, dans l’Aisne la Borne des Quatre Seigneurs au point quadruple des communes de Romery, Malzy, Monceau-sur-Oise et Wie`ge-Faty, une autre Borne des Quatre Seigneurs voisine e´tant a` Marly-Gaumont au contact des communes de Proisy, Le Sourd et La Valle´e-au-Ble´. Il s’en trouve une autre dans l’Aude au point quadruple des communes de Feuilla, Treilles, La Palme et Roquefort-des-Corbie`res. Citons encore la Borne des Trois Abbe´s a` Audigny 02, la Borne Carre´e en limite de Chaource 10, la Borne Blanche a` la limite de Plomion 02 et une autre Borne Blanche a` la limite de Thimert-Gaˆtelles et Ardelles 28, non loin du Haut Poteau (Ardelles) et aux confins du Thimerais ; ou encore la Haute Borne en limite de Cahon 62, les Bornes a` l’extre´mite´ du finage de Ne´grondes 24. La borne prend la forme de bole, boule en Auvergne et alentour, termes apparemment issus du celte bodina, repris en latin, qui avait le sens de limite, et a donne´ aussi la frontie`re en anglais (boundary). On voit par exemple la Boule a` Ambert, a` la limite de trois communes, ou la Boule a` Virlet 63, juste a` la limite de l’Allier et du Puy-deDoˆme, ainsi que de la Combraille. La Bole a` Combret 12, a` Penne 81, a` Saorge 06 sont des lieux-dits en limite de commune, comme la Bole Blanque a` L’Hospitaletdu-Larzac 12. Diverses formes en de´rivent, jusqu’a` la Bouzine (proche de l’e´tymon) a` la limite de Cassagne-Be´gonhe`s 12 et peut-eˆtre certains Boyne comme Boyne a` Rivie`re-sur-Tarn 12, Boynes a` Molie`res 82, la Boyne a` Saint-Andre´-d’Allas 24, la Boyne a` Saint-Alve`re 24, les Boynes a` Vanosc 07, les Boynes a` Tursac 24, tous en limite de finage. Un certain nombre de noms en Lafitte, Lahitte ou Fitte viennent de bornes fiche´es dans le sol, et non de me´galithes (chap. 3). Certains lieux-dits en Perche ont pu faire allusion a` d’autres repe`res en forme de perches ou de pieux, marquant des limites, comme La Perche 18 a` la limite du Cher et de l’Allier, ou les Perches, lieu-dit a` la limite de Sonanc et Haimps 17, la Perche a` la limite de Chesley 10 ; et le col de la Perche dans les Pyre´ne´es orientales, ainsi nomme´ depuis le XI e sie`cle, en limite de Cerdagne et Conflent, ou` le signal servait peut-eˆtre aussi de repe`re pour les temps de neige. Plusieurs dizaines de lieux-dits ont nom les Perches, mais tous ne sont pas en limite de finage. Poteau est e´galement employe´ (une trentaine de NL) : le Poteau de Quine´ville a` Quine´ville 50 est un carrefour en limite de commune, le Poteau a` Allouville-Bellefosse 78 est sur la N 15 e´galement en limite, comme le Poteau a` Sorges 24 sur N 21. Le Poteau a` Captieux 33 est un hameau a` la limite sud de la commune et du de´partement, encore marque´ par les lieux-dits l’E´cole du Poteau et la Gare du Poteau sur la D 932 (ex-N 10 avant 1952, N 132 apre`s) et l’ancienne voie ferre´e de Langon a` Gabarret, et sie`ge d’un camp militaire, avec une base ame´ricaine de 1950 a` 1966. Pilier est employe´ dans le meˆme sens, par exemple a` Janze´ 35, dont la limite sud-occidentale porte le Pilier, le Haut Pilier, le Pilier du Milieu, le Bas Pilier.

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Les mots fins et confins sont moins ambigus : ils de´signent bien des extre´mite´s, des pe´riphe´ries, soit de finages, soit de contre´es. Des noms de communes comme Fismes 51, Fains 27, Fains-la-Folie 28, Fains-Ve´el 55, Feins 35, Feings 41 et Feings 61, Fins 80, et aussi Yffiniac 22 (ad fines), Hinx dans les Landes, His 31 et Hiis 65, la Croix-d’Hins (Marcheprime 33), Hinges 62, voire Ginx (Arue 40) et Insos (Pre´chac 33) sont habituellement rapporte´s a` l’expression d’une limite. Des noms comme Couffinal, Couffignet, la Couhe´e, Couhin, Couhins, Couffy 41 et Couffe´ 44 viennent bien de « confins » ; certaines bornes e´rige´es ont e´te´ nomme´es coffis ou couffis. Les toponymes en Fin sont fort nombreux – mais il semble bien que certains aient pu de´signer de simples portions de finages, ce qu’indiquent les mentions fre´quentes la Petite Fin et la Grande Fin : pour en saisir le sens, il faut appre´cier leur position ge´ographique. La Borne des Cinq Fins a` l’ouest d’Andelot-Blancheville 52 est bien a` la limite de cinq finages distincts. Terme a un sens voisin ; il semble inclus dans les noms de Termes 08 en Argonne, Termes 11 dans les Corbie`res, Termes 48 aux abords du Cantal, de Termes-d’Armagnac, tout au sud de l’ancienne province, et dans celui de Thermes-Magnoac 65, dont l’e´criture a e´te´ attire´e par l’e´vocation de thermes qui n’ont cependant jamais existe´ en ce lieu. Les lieux-dits en le Terme sont nombreux, mais terme a dans certaines re´gions le sens de tertre ; les Cinq Termes a` Saint-Pierre-a`-Arnes 08 sont bien en limite de finage et meˆme de de´partement, mais aussi sur une longue creˆte. Marche est un mot bien e´tabli dans le sens de limite, ou d’espace tampon. Il vient de la vieille racine IE merg de meˆme sens, qui a donne´ aussi la marge, Mark en allemand au sens de territoire frontalier, et sans doute un gaulois morga. Le mot marche a de´signe´ des terres de conqueˆte attribue´es a` des soldats, avec le titre de´rive´ de marquis pour leur chef – c’e´tait bien avant les « petits marquis » de cour. La Marche est une contre´e des confins du Massif Central et du Bassin Parisien, d’oc et d’oı¨l. Saint-Priest-la-Marche 18, Bellegarde-en-Marche 23, Saint-Victor-en-Marche 23 et la communaute´ de communes de la Marche en perpe´tuent le nom ; on trouve aussi Moulins-la-Marche 61 aux confins du Maine et de la Normandie. Bessat et Germi rele`vent des toponymes alpestres en Morge, Morgex, Morgeat, Morguette, Morgins et leur attribuent le meˆme sens, notamment de limite de pacages. Localement, des marga ritua, gue´ frontalier (X. Gouvert) ont pu donner des noms en Marguerite comme a` Nervieux 42, ou Margerie (Margerie-Chantagret 42). De ce mark viendraient Marcq 08, Marquette-en-Ostrevant 59, Brains-surles-Marches 53 a` la limite de la Bretagne et en bordure de la foreˆt de la Guerche, plusieurs Lamarque et Lamarche, Les Marches 73, Marques 76, Merquelande a` la limite sud de Janze´ 35, Merck-Saint-Lie´vin 62 et meˆme Maixe 54 (anc. Marches). Le Pech Margou est a` la limite de la commune d’Ajac 11. Mais le celtique a eu marco pour marais, qui semble eˆtre a` l’origine de noms en Marquette ou Marquise, et peuteˆtre du nom de la Marche, rivie`re qui passe a` Marcq-en Barœul : autant de risques de paronymie, donc d’erreur. Il en est d’ailleurs de meˆme pour le latin limes, qui a de´signe´ la limite des colonies romaines ; le mot limite vient aussi du latin limen, le seuil ou le linteau de la porte (d’ou`, e´galement, sublime et subliminal...). Ce radical apparaıˆt en certains lieux ; plusieurs Leigne et Laigne´ des bordures de foreˆts en Charentes semblent bien en eˆtre

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issus a` partir d’un terme lemnia (F. Vareille). A. Dauzat lui rapporte les noms de Linthes 51, e´crit jadis Limes ou Limites, et de Linthelles 51. Mais la` encore la prudence s’impose pour des lieux-dits d’origine incertaine, en raison du voisinage du radical lignum pour le bois, voire de limo, l’orme en celte, et de limo, la boue ou le limon en latin... Anto est un autre terme celte pour limite, bord, bout que X. Delamarre voit dans Antheuil 21 et Antheuil-Portes 60, Anteuil 25, voire Ense´rune (anc. Antia-dunale) a` Nissan-lez-Ense´rune 34 et Sahune 26 (anc. Anseduna), qui seraient ainsi deux « montfort en limite ». Randa fut un terme gaulois pour signaler une limite et se retrouve aussi en ce sens dans des langues nordiques. il apparaıˆt dans Gue´rande a` Arfeuilles et Chamarande 03, La Chamarande a` Saint-Victor-sur-Arlanc 43 (chemin + limite), La Durande a` Saint-Be´rain 43, Randens 73, Arando 38, et Chaˆteauneufde-Randon 48 a` la limite du Cantal. A. Piedfer signale que randa de´signe encore a` pre´sent une haie en Auvergne. Surtout, rand soutient un grand the`me de la toponymie, celui des Ingrandes ou Ingrannes, tous ou presque sur des sites remarquables, a` la fois de rivie`re et de limites d’anciennes contre´es gauloises. Ingrandes 36, a` la limite de l’Indre et de la Vienne sur l’Anglin, est meˆme suppose´e correspondre au Fines de la Table de Peutinger et de l’Itine´raire d’Antonin. L’Anjou est flanque´ sur la Loire par un Ingrandes a` sa limite occidentale et par Ingrandes-de-Touraine 37 a` sa limite orientale. S. Gendron (2012) note a` la limite sud-ouest de la Touraine un Ingrande a` Couziers 37 et, a` la limite nord, un Ingrande a` Villedieu 41 ; mais le premier, mentionne´ sur la carte de Cassini, a disparu depuis et ne figure pas sur les cartes de l’IGN, et aucun des deux ne borde un notable cours d’eau. L’origine exacte du nom, qui a pu eˆtre e´crit jadis Equoranda, a provoque´ d’abondantes discussions a` cause du premier terme. Les uns y voient un signe d’e´galite´, d’autres un cheval ; beaucoup y de´tectent de l’eau et sont sensibles a` ses rapports avec les nombreux Aigurande, Aygurande, Eygurande, Ygrande et meˆme Guirande qui ont apparemment une relation avec l’eau. Quel que soit le premier terme, le second a un sens de limite : tous seraient des sites frontaliers, et pour partie de ports frontaliers. La plupart sont dans le bassin de la Loire, mais on trouve les Gue´randes a` Chaveyriat 01, a` Digulleville 50 et a` Boisyron 50, a` Planches 61 et a` Me´dan 78, la plupart en limite de finage ; ainsi que Gue´rande a` Arfeuilles 03 aux confins des territoires des Arvernes, des E´duens et des Se´gusates (X. Gouvert), aujourd’hui des de´partements de l’Allier, de la Saoˆne-et-Loire et de la Loire. Yvrandes 61 est a` la limite de la Manche et de l’Orne. Les Ingarands, hameau de la valle´ e de l’Aumance a` He´risson 03, est en limite du Bourbonnais. Ricordaine a` E´peigne´-sur-Deˆme 37 serait un Equoranda, loin de tout cours d’eau mais a` la limite de la Touraine et du Maine ; Cirande a` Yzures 37 est de la meˆme famille, a` la limite me´ridionale de la Touraine. Les lisie`res des foreˆts sont longtemps apparues comme des lieux d’importance, et abondent en toponymes qui, outre les de´frichements, e´voquent pre´cise´ment une limite. Le mot ore´e, du latin ora, a` la fois bord et contre´e, a conserve´ cette valeur ge´ne´rale en franc¸ais, meˆme s’il peut paraıˆtre un peu de´suet ; une Ore´e des Bois est a` Saux-et-Pomare`de 31, une Ore´e des Monts a` Campan 65. Plusieurs dizaines de lieux-dits en portent le nom, dont une cinquantaine d’Ore´e des Bois ou du Bois ; il est

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meˆme une Porte d’Ore´e a` Fre´jus... L’ora latin est interpre´te´ comme voisin d’ora, la bouche (IE os), comme l’oral et l’orifice : une ide´e d’ouverture. Le terme d’ouie est aussi employe´, sans doute au meˆme sens d’ouverture : dans l’Aisne, les Grandes et les Petites Ouies a` Brunehamel et Re´signy, comme a` Coingt, sont en bordure des bois. Des toponymes en Bro, Brou, Broux, Broue, Broue`s sont parfois associe´s a` des bordures forestie`res ou a` d’autres limites et bordures, bords et rebords, comme Brou a` Laroquebrou 15, Bro a` Lapenche 12, le Bro et Labro a` Saint-He´rent 63, la Broˆ a` Padie`s 81. Le lieu-dit Labro se signale par dizaines en Aveyron et Cantal, comme Labro a` Onet-le-Chaˆteau 12, Labro a` Giou-de-Mamou 15, Labro Vieille a` SaintE´tienne-de-Cantale`s 15, correspondant en ge´ne´ral a` un habitat de rebord de plateau, de haut de versant raide. Dans ces conditions, la re´fe´rence souvent faite a` un de´rive´ d’un gaulois broga au sens de champ, qui aurait e´trangement glisse´ vers le sens de limite, n’est pas convaincante ; l’ide´e simple de bord, rebord (IE bherdh, coupe), semble mieux adapte´e. Il va de soi que des confusions avec les broussailles, surtout sous la forme Broux, ne sont pas exclues. Rain, Rein, et meˆme Rhin peuvent avoir un sens voisin dans le Nord-Est, comme le Rain a` Houtaud 25, le Rain de la Bataille a` Sombacour 25, le Rhin du Bois a` Rouvresles-Bois 36, e´videmment sans aucun rapport avec le fleuve. On est tente´ d’en rapprocher des Rein, Rain et Raynal en Auvergne et alentour, qui semblent avoir eu le sens de borne (E. Bouye´) ; le Raynal a` Pleaux 15, le Raynal a` Arnac 15, dominent des versants raides. Ces mots, toutefois, ont surtout le sens de partie, fraction dans le Jura et les Vosges, et s’appliquent plus souvent a` des versants (v. chap. 4), ce qui les rapproche des bro. Accul a un sens voisin : les Acculs a` Saint-Justen-Chausse´e 80 ou a` Saint-Le´ger-en-Yvelines 78, l’Acul a` Saint-Julien-de-laLie`gue 27 sont encore a` pre´sent en lisie`re de foreˆt. La racine canto signale en principe un coin, une bordure, un rebord (chap. 4) ; Cante´ en Arie`ge est au pied d’un relief ; Moercant 59 est le bord du marais, devenu un patronyme en Flandre ; Cantobre a` Nant 12 est a` la limite de l’Aveyron et de la Loze`re. Dans le Midi, cance peut signifier limite de champ ; les lieux-dits Cance ont pu eˆtre suppose´s proches de cancel, cloˆture de barrie`res (chap. 1) ; ne´anmoins, la plupart d’entre eux, comme habitats, sont associe´s a` des rebords de versants plus ou moins raides : Cance a` Andance 07, la Cance a` Orlu 09, En Cance´ a` Escoussens 81, Montels Cance a` Se´gur 12, le Pech de Cance a` Miers 46, etc. En Lorraine, scheide (limite, IE skel, couper, diviser, comme dans schizo-) e´quivaut a` une ore´e. Un Scheide et un Scheidwald sont a` la limite orientale de Maxstadt 57 ; Ge´oportail de´tecte six Scheidwald ; Scheidelsberg a` Weiburg 67 est bien au bord d’un mont, et Scheid est a` l’extre´mite´ occidentale de Thionville 57 ; Scheidfeld a` Gosselmind 57 est en bordure de la foreˆt domaniale de Fe´ne´trange ; Scheid a` Erching 57 est juste a` la frontie`re allemande ; Scheidweg est, du moins a` Rouffach 68, un chemin de limite. L’e´quivalent schiedt est fre´quent en Alsace. D’autres mots plus communs peuvent encore eˆtre e´voque´s. Lisie`re est parfois employe´, comme a` E´cot-la-Combe 52, ou` Lisie`re d’E´cot est un lieu-dit en bordure de foreˆt, comme Lisie`re de Grand a` Moronvilliers 52 ; Lisie`re des Vaux a` Champlitte 70, Lisie`re de la Frie`re et Lisie`re de Remmie`res a` Vouthon-Bas 55, la Lisie`re a`

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Chanceaux 21, et plusieurs dizaines d’autres. Corne, corne´e, indique un coin de bois : autour des foreˆts de la Creˆte et de Clefmont en Haute-Marne, on peut relever la Corne´e Pierre Febvre a` Bourdons-sur-Rognon, la Vieille Corne a` Biesles, les Cornes de Consigny a` Andelot-Blancheville, la Grande Corne´e a` Illoud, la Corne de Chalans a` Clefmont. Enfin on ne saurait omettre de signaler l’extreˆme ge´ne´ralite´ de l’emploi de bout pour marquer une extre´mite´, une limite. Ce mot des plus banals a une e´tymologie controverse´e, derrie`re laquelle certains voient un francique butan avec l’ide´e de frapper, pousser (IE bhau) comme pour le bouton et l’ancien « bouter hors ». En toponymie, il s’applique souvent a` des limites d’entite´s physiques visibles telles que des bois ou des marais, et a` des limites d’espaces familiers tels que les finages, paroisses, agglome´rations et autres territoires communs. C’est ainsi que l’on trouve le Bout de la Fin (du finage) a` Doulaincourt-Saucourt-sur-Rognon 52, le Bout d’Aval et le Bout d’Amont dans les villages-rues de l’Aliermont au sud-est de Dieppe, le Bout d’En Haut et le Bout d’En Bas a` Gue´-d’Hossus 08, voire le Bout Joyeux a` Bermonville 76 et le Bout Enrage´ a` Ricarville 76 en limite de village – la SeineMaritime compte six Bout Enrage´ mais seulement deux Bout Joyeux.... Notons encore le Bout de La` (Pe´rigny 14, Escœuilles 62), le Bout de La`-Bas (De´mouville 14), et bien d’autres sortes de Bout : de la Rue, du Val, de la Coˆte (une vingtaine). Les Boutie`res sont une petite contre´e en limite du Vivarais. Et les dizaines de Bout du Pont ne sont pas aux deux bouts d’un pont, mais a` un seul, celui qui est oppose´ a` la ville ou au village principal, de l’autre coˆte´ de l’eau. Les Bout du Monde sont environ une centaine, en toute re´gion, et en ge´ne´ral en limite de finage ou de village. Cap est souvent employe´ en ce sens, comme a` Capestang 34, au bout de l’e´tang, ainsi que dans nombreux Capdeville et Capdevielle. On sait que pen a un sens voisin en breton ; Pen ar Bed, le Finiste`re en breton, est litte´ralement « le bout du monde », la fin de la terre ; mais finisterre n’existe par comme nom de lieu en France. Le breton emploie e´galement lost : Loscoue¨t-sur-Meu 22, plusieurs Lost ar C’hoat ou Lostengoat (du bois), Lost ar Yeun et Lost ar Vern ou Lostanvern (du marais), Lostenez (de l’ıˆle) a` Elliant 29 et Lost an Enez a` Saint-Goazec 29, plusieurs Lostallen (de l’e´tang).

Se situer Qu’il s’agisse de centre ou de confins, de haut ou de bas, d’orient ou d’occident, bien des noms de lieux servent a` se situer sur le territoire en se servant de ses diffe´rences internes. Les noms des points cardinaux sont e´videmment de tre`s ancienne origine ; ils ont eu le temps de s’alte´rer. Pourtant leur apparition en toponymie est souvent assez re´cente, surtout quand il a fallu distinguer entre villages ou hameaux de meˆme nom. En Flandre Zutkerque (l’e´glise du sud) s’oppose a` Nortkerque. On note un Ouest Village a` Le´cluse et un Ouest du Village a` Hamel 59 ; un Westhouck (le coin) a` Hazebrouck, West-Cappel et un Westhove a` Blendecques 62. En Alsace, on remarque Westhoffen, Westhatten, Westhouse et Westhouse-Marmoutier, Ostwald, Osthoffen, Osthouse, Ostheim. E´perlecques 59 a sur une creˆte un hameau le Mont, flanque´ de trois hameaux nomme´s Ouest Mont, Est Mont et le Mont Est, juste au

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nord des lieux-dits Nord Strae¨te (route) et Nord Barne (grange) ; au sud-est, un Bas Sud Brouck dans les marais de l’Aa. Les Re´volutionnaires avaient use´ mode´re´ment de ces distinctions, se limitant a` cre´er un de´partement du Nord, et un des Coˆtes-du-Nord. Si le premier demeure, le nom du second a duˆ eˆtre change´ en 1990, l’ide´e de « nord » e´tant juge´e ne´faste a` l’industrie du tourisme devenue me´ridiomaniaque. Les autres directions n’ont pas servi, sauf re´cemment pour la Corse-du-Sud : on s’est bien garde´ de lui opposer une Corse du Nord, lui pre´fe´rant le nom de Haute-Corse, nettement plus valorisant. Question d’image... D’images d’ailleurs le sujet ne manque pas, ou` l’est et le sud sont les plus polyglottes. Midi a d’abord de´signe´ le milieu de la journe´e (mi-dies) ; alors en France le soleil est au sud. De ce fait, la plupart des toponymes avec Midi e´voquent le sud : le Midi de la France, les deux Pic du Midi, la Barre du Midi (Castellane 04), l’Aiguille du Midi a` Chamonix, la Baume du Midi (Rustrel 84), la Combe du Midi (La Chalp 38), le Creˆt du Midi (Praz-sur-Arly 74), voire le Col de Mie´jour (a` Saint-Paul-sur-Ubaye 04) ou encore la Meije. Sud tend a` eˆtre de plus en plus employe´, fuˆt-ce a` l’anglaise et sous forme d’adjectif, comme dans les communaute´s de communes Opale Sud, du Pays Sud Gaˆtine ou du Sud-Marnais. Est a e´galement plusieurs e´quivalents. Le lever du soleil est salue´ par des dizaines de toponymes en Levant, dont deux Ferme du Levant dans l’Aube, des Bois du Levant, le Pouyoulou du Levant (butte) a` l’est de Saint-Yrieix-la-Perche 87, la Cassagne (cheˆnaie) du Levant a` Escornebœuf 32, une quarantaine de Soleil Levant – et l’ıˆle du Levant a` Hye`res, partage´e entre militaires et « naturistes ». De tre`s nombreux lieuxdits se nomment Point du Jour, dont un quartier de Boulogne-Billancourt, et seize dans le seul de´partement de l’Aisne. Souvent ils correspondent a` un point de vue a` partir d’une route, en ge´ne´ral a` l’est du village comme a` Allemant 02, ou regardant vers l’est, comme a` Englancourt 02 ; mais c’est loin d’eˆtre une re`gle. L’aube et l’aurore apparaissent aussi, dont une quarantaine d’Aurore, l’Aurore, la Belle Aurore comme a` Cazaubon 32 sur un versant expose´ a` l’est, l’E´toile de l’Aurore (Mouchamps 85), des dizaines d’Aube dont Aube Nouvelle a` Durfort-Lacapelette 82, l’Aube Rouge a` Castelneau-le-Lez 34 – mais certains noms peuvent aussi bien dire le blanc (alba) et l’or (aurora), ou plus ge´ne´ralement le brillant. C’est d’ailleurs le cas de l’ancien eos (IE aus, qui brille) d’ou` viennent l’Est, l’orient et auster, austral, qui cependant a de´signe´ le midi, le vent du sud. Orient viendrait d’un IE er indiquant la mise en mouvement, donc la naissance (du jour) – « origine » appartient a` cette famille. Orient, l’Orient est pre´sent dans des dizaines de noms, dont Bel Orient qui figure au moins a` quarante exemplaires dans le seul de´partement des Coˆtes-du-Nord, une dizaine dans le Morbihan, une douzaine en Ille-et-Vilaine – mais pas dans le Finiste`re, qui pre´fe`re nettement Bel-Air. Lorient 56 est une ville du XVII e sie`cle, cre´e´e comme port du commerce lointain ; son nom a un rapport e´vident mais indirect avec l’est, puisqu’il a e´te´ tire´ de celui de la Compagnie des Indes Orientales, cre´e´e par Colbert en 1666, qui en avait fait sa base. Ouest et Nord figurent comme pre´cisions a` valeur adjective dans un certain nombre de noms nouveaux de pays ou communaute´s de communes, dans le genre de Nord-

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Cotentin, Nord-Finiste`re, voire Yonne Nord ou Entre-Deux-Mers-Ouest. On aperc¸oit toutefois Ouest dans certains lieux-dits plus anciens, notamment pour des noms de sommets en montagne ; ou encore un Bas Ouest a` Pradelles 59, des Coustals Ouest (coteaux) a` Caylus 82, voire l’Ouest qui est... au sud-est d’E´tival-le`s-leMans 72. Le couchant est moins directement e´voque´, si ce n’est dans une dizaine de lieux dont la Sagerie du Couchant et le Hamel du Couchant a` l’ouest du finage de CoulouvrayBoisbenaˆtre 50, ou le Soleil Couchant a` Disse´-sous-le-Lude 72. On appelle ıˆles du Ponant les ıˆles franc¸aises habite´es de la Manche et de l’Atlantique : du latin ponere, se poser, donc se coucher en e´voquant le soleil. Ponant n’est signale´ que cinq fois dans Ge´oportail, dont les Ponants a` Saint-Pierre-d’Aubigny 73. Le quartier du Ponant est paradoxalement a` l’est de La Grande-Motte 34, mais parce qu’il est nomme´ selon l’e´tang du Ponant, lequel est bien dans la partie occidentale de la commune du Graudu-Roi 30... Nord est beaucoup plus employe´, et surtout dans le Nord : par exemple, E´perlecques compte au moins le Nord Barne, le Champ du Nord, Nordstrae¨te, le Nord de Stade, le marais de Noord Brouck ; sa voisine Tilques y ajoute le Nordal, sans doute valle´e du nord, effectivement au nord du finage. Septentrion vient des sept points du chariot polaire, en latin Septem Triones, les sept bœufs de labour, image qui a pre´ce´de´ celle des deux Ourses, jadis Gemini Triones ; mais il semble archaı¨que ou pre´cieux et, si l’adjectif septentrional est employe´ comme adjectif par des ge´ographes, car nordique et nordiste ont des sens trop marque´s, cette forme est absente de Ge´oportail a` l’exception de deux sites en mer au large de Plouguerneau 29 (un brisant, des basses). L’ıˆle de Sein a retrouve´ l’ancien principe fondateur de l’orientation, qui est de regarder a` l’est, selon l’e´tymologie ; de ce coˆte´, en effet, se situe ce qui tire l’ıˆle de son isolement : le continent. En vertu de cette tradition, la coˆte nord de Sein est dite de gauche, la coˆte sud de droite ; Mor Diou (la mer de droite) est au sud de l’ıˆle et Mor Klei (la mer de gauche) est au nord. A` Belle-Iˆle-en-Terre 56 s’opposent Coat an Noz, bois de la nuit et Coat an Hay, bois du jour ; une interpre´tation raisonnable est que Coat an Noz est situe´ a` l’ouest, au couchant et Coat an Hay est situe´ a` l’est, au levant. En Be´arn, Bigorre et Gascogne, les vents de pluie, canalise´s par les Pyre´ne´es, sont d’ouest ; les maisons rurales tournent syste´matiquement le dos a` l’ouest, et s’ouvrent a` l’est : celui-ci est dit daban (ou devant), l’ouest est dit darre´ (derrie`re). Ces deux termes entrent dans de tre`s nombreux noms de lieux, et meˆme de rivie`res, afin de les distinguer : la Baı¨se-Devant et la Baı¨se-Darre´, l’Arreˆt-Devant et l’Arreˆt-Darre´, Tournous-Devant et Tournous-Darre´ 65, Eslourenties-Daban 64 a` l’est de Lourenties. De la meˆme fac¸on, le sud, plus e´leve´ vers les Pyre´ne´es, y est nomme´ Dessus, le nord vers lequel le relief s’abaisse est nomme´ Debat : ainsi vont les couples PonsonDessus 64 (commune qui a des lieux-dits Hous Dessus et Hous Debat sur la meˆme creˆte) et Ponson-Debat (maintenant Ponson-Debat-Pouts 64), BernacDebat et Bernac-Dessus 65, Bernadets-Dessus et Bernadets-Debat 65, les hameaux Marque-Debat et Marque-Dessus a` Sarrouilles 65, meˆme s’il n’y a pas de re´elle

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diffe´rence d’altitude entre eux, mais seulement de positionnement. En Lavedan, Arcizans-Dessus 65 est au sud-ouest d’Arcizans-Avant, et un peu plus haut. Les Antilles offrent un cas particulier : si l’on y connaıˆt des Hauts au sens d’habitat en hauteur, le couple haut et bas y a un tout autre sens, ou` haut signifie l’est, et bas l’ouest. Cela vient de la marine a` voile et de la latitude : les marins nommaient haut ce qui est face au vent, bas ce qui est « sous » le vent, abrite´ ; or les vents dominants, ou alize´s, vont ici d’est en ouest. C’est pourquoi Basse-Terre est la partie occidentale de la Guadeloupe, pourtant la plus haute et la plus accidente´e de l’ıˆle. De meˆme aux Saintes, Terre de Haut est a` l’est, Terre de Bas a` l’ouest. Dans le meˆme esprit, les Capesterre sont a` l’est, de´signant des « hauts ».

De haut en bas Hors de ces sens particuliers, les indications de haut et de bas, supe´rieur et infe´rieur, amont et aval, sont tre`s fre´quentes en toponymie, et se pre´sentent a` l’occasion en couples oppose´s, tels Richard-de-Haut et Richard-de-Bas a` Ambert 63, la Serre d’en Bas et la Serre d’en Haut a` Arrien-en-Bethmale 09, Foncine-le-Haut et Foncine-leBas 39 dans le Haut Jura, et de nombreux couples dans le Haut-Rhin comme Aspach, Vaulnaveys, Burnhaupt, Hagenthal, Magstatt, Soppe, Ranspach, Seppois, Michelbach, Spechbach, Traubach, qui tous forment des doublets de communes -leBas et -le-Haut. Ces de´doublements sont fre´quents en pays de collines et d’habitat disperse´, comme a` Couech d’en Haut et Couech d’en Bas a` Castagnac 31, Boujou Haut et Boujou Bas, En Serres Haute et En Serres Basses a` Salles-sur-l’Hers 11. Fonters-du-Raze`s dans l’Aude est double´e sur son finage par un Fonters-Bas et contient un Belfort Haut et un Belfort Bas, un Salamon Haut et un Salamon Bas. Bustanico en Castagniccia est divise´e en deux hameaux Soprano et Sottano, e´quivalents d’en haut et en bas. Bien entendu, Bas ou Haut ont aussi leur existence autonome dans quantite´ de lieux. Le haut est e´vident dans les Hauteville, Hautvillers 51 ou Hautvillers-Ouville 80, Hautmont 59, Hautefage 19 et Hautefaye 24 (heˆtraie), les Hautecour et Hautecourt – dont un Hautecour-la-Basse a` Hautecour 73 –, Hautbois 60, Haut-Clocher 57 et Hautecloque 62 (meˆme sens), de nombreux Hauterive, l’Hautil, l’Hautie`re, etc. Ancien ou occitan, il se pre´sente sous la forme aut comme dans Auteuil et des nombreux Autheuil, Authiou, Auterive, Autechaux. La forme alt est plus rare, sauf en Alsace ou` elle risque d’eˆtre confondue avec alt, vieux : M. Urban estime que les nombreux Altenberg, Altenweiher, Altenheim 67, sont des hauts, mais Altenstadt a` Wissembourg 67 et Altkirch 68 plutoˆt des vieilles (ville et e´glise), et Altorf 67 « haut » village au sens d’important, majeur. Ce radical a pu eˆtre de´forme´ en ar ou au dans Arvillard 73, Arville 41, Arvillers 80, Auvillar 82, ce qui peut entraıˆner d’autres sources de doute, notamment avec ar = roche. Le franc¸ais Bas vient d’un latin bassus d’origine discute´e, d’ou` sort aussi la base – peut-eˆtre l’IE gwa, aller, marcher (cf. go, gehen), ce sur quoi l’on marche et ce sur quoi on baˆtit, qui est donc sous nous. Il figure dans des centaines de toponymes dont

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des noms de communes comme Bas-en-Basset 43, Bassu et Bassuet 51, Bassureis 48, quatre Baslieux, deux Bassens, etc. Notons que les toponymes en Basse, Baisse, Basse´e ont souvent des sens plus pre´cis qu’une simple indication d’altitude : les uns signalent des cols, d’autres des fonds humides en prairies. Dessus-dessous, s’ils ont un sens particulier d’orientation en Bigorre, ont ailleurs le sens banal d’en haut, en bas ou plus haut et plus bas. Ils contribuent a` former de nombreux toponymes. Les uns signalent des couples, dont il s’agit d’identifier les deux e´le´ments par leur e´tagement : Abbans-Dessous et Abbans-Dessus 25, AuxonDessous et Auxon-Dessus 25, Saint-Offenge-Dessous et -Dessus 73. Les fusions de communes peuvent avoir des re´sultats cocasses, comme a` Benque-Dessus-et-Dessous 31. Mais parfois un seul e´le´ment est fixe´, au moins au niveau des noms de communes : Clermont-Dessous 47n’a pas de « Dessus », son comple´ment de´chu e´tant re´duit a` un hameau Saint-Me´dard. Argut-Dessous 31 est une commune, mais Argut-Dessus n’est qu’un hameau de la commune voisine de Boutx. On trouve des quantite´s d’Au-Dessous et Au-Dessus, dont Au-Dessous du Chemin Vert a` Wambercourt 62, Au-Dessous du Pommier a` Coutemon 21 ou Au-Dessous de l’Ancien Te´le´graphe a` Nordausques 62, Au-Dessus du Pave´ a` Hondeghem et a` Villers-Paul 59, plusieurs Au-Dessus des Pre´s ou du Pre´, ou de la Garenne, ou des Carrie`res, et meˆme un suave Au-Dessus du Diffe´rend a` Thenailles 02... Sur et sous forment plus rarement des couples comparatifs ; ne´anmoins, La Mure 38 a pour communes voisines Susville, a` l’ouest sur les reliefs du Se´ne´py, et Sousville a` l’est, en contrebas. Sous se re´fe`re a` un mont, une foreˆt, et surtout une ville ou un ancien chaˆteau, meˆme e´loigne´ : par exemple dans l’Aisne Verneuil-sous-Coucy et Leuilly-sous-Coucy, plus Bourguignon-sous-Coucy a` une bonne quinzaine de kilome`tres ; Aulnois-sous-Laon et Athies-sous-Laon, Montigny-sous-Marle, Quincysous-le-Mont. Une quinzaine de communes sont « sous-Bois », en particulier en Seine-Saint-Denis ou` Aulnay-sous-Bois, Clichy-sous-Bois, Les Pavillons-sousBois, Rosnay-sous-Bois se re´fe`rent a` l’ancienne foreˆt de Bondy. Sur, le plus fre´quent, est tre`s employe´ pour indiquer le passage d’une rivie`re : Vic-surAisne, Vic-sur-Ce`re, Vic-sur-Seille, les nombreux Villeneuve-sur-Lot, -sur-Allier, -sur-Cher, -sur-Ve`re, -sur-Yonne. Parfois le « sur » est un peu force´, par souci de distinction : le village de Saint-Romain-sur-Cher 41 est a` 6 km de la rivie`re, que l’extre´mite´ du territoire communal ne longe que sur quelques centaines de me`tres, et n’est « sur Cher » que depuis 1919. Ce meˆme objectif, plus ouvertement publicitaire, a multiplie´ a` partir des anne´es 1850 les mentions « sur-Mer ». Sur peut aussi indiquer une position e´leve´e par rapport a` une ville plus connue, souvent une ancienne seigneurie : Montigny-sur-Cre´cy 02, Villeneuve-sur-Auvers 91. Lassus est e´galement utilise´ au sens de « haut » en Gascogne. Il en est de meˆme de Suberbie, Subran, Subranel, Soubeyran, Soubirou, qui sont des hauts (latin super) en de´pit de l’apparence de « sou » ou de « sub » qui, de fait, cachent un « sup ». Ils sont a` l’oppose´ des Souteyran, Soutran, Sutra, Desoutre, le Soustre, Soustra, al Soustre (Montberon 31), qui sont des bas (de vrais « sub ») – mais ils peuvent de´river de NP, ou` s’opposent ainsi un Subra et un Sutra d’apparence paradoxale. Le doute n’est pas permis dans plusieurs sites du Cantal par exemple. Trizac 15 contient une Montagne de la Besseyre-Soutronne et une de la Besseyre-Soubronne (besseyre est une

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boulaie) ; Collandre Soutro est un hameau un peu en contrebas du village de Collandres 15 ; Latga Soubro est juste en amont de Latga Soutro a` Tanavelle 15, au bord de la Dauzanne (lat-ga a le sens de large gue´) face a` Latga Gibrat (gele´, givre´) qui est en ubac. A` Cheylade 15, Codebos Soubro (bout du bois, Codebos = Capdebosc) est un peu plus haut que Codebos Soutro, et Gorce Soubronne (fourre´ du haut) est-audessus de Gorce Soutronne. Souteirane est en contrebas d’un massif aux Arcs 83, Souteyrols au pied de la Se´ranne a` Gornie`s 34. Juzan, issu du latin deorsum (vers le bas) comme jos en provenc¸al, indique un bas ou l’aval en gascon, par exemple dans Arjuzanx (anc. Araast-le-Bas) ou LouvieJuzon 65, qui se distingue ainsi de Louvie-Soubiron. Il s’oppose directement a` suzan, a` la fois le haut et le sud : Getten Suzan est au sud de Getten a` Pouillon 40. On remarquera encore ici la proximite´ phonique des noms oppose´s, comme dans subra-sutra, uhel-izel : elle ne facilite pas la distinction, ni le travail du toponymiste ; la distinction devait eˆtre mieux perc¸ue jadis. Le gaulois avait andernad pour le bas ; il vient d’un IE ndher de meˆme sens qui a e´galement fourni nieder, under, unter et le latin inferus, infra ; il pourrait se trouver dans Andernay 55, Anderny 54, Andornay 70, sinon Andernos 33. Le breton emploie un voisin andraon en ce sens : plusieurs Kerandraon (le village du bas) sont a` Gourin, Poullan, Douarnenez, Lampaul (Ouessant), etc. La racine infer se lit dans Uffour a` Bellevue-la-Montagne 43, au pied du Peymarie ; dans une dizaine d’Uffernet ou Ufernet dont trois dans le Tarn ; et dans de fort nombreux Infernet, spe´cialement abondants dans les Alpes. Le glissement vers des Enfer a e´te´ fre´quent, retrouvant ainsi l’e´tymologie d’enfer (ce qui est en bas) au-dela` des connotations dramatiques – les Enfer sont trois fois plus nombreux que les Infernet mais la plupart sont sans doute un peu moins effrayants que ne le laisserait croire leur nom, juste « en bas ». Le Hoch germanique, de la meˆme famille que haut, a aussi le double sens de haut et important, majeur et s’oppose plus a` klein (petit) qu’a` unten (en bas) : il donne Hochfelden 67 (champ), Hochstatt 68 et Hochstett 67 (lieu habite´) en Alsace, ou` la forme Hoh est plus fre´quente avec Le Hohwald 67 (bois), Hohfrankenheim 67 (hameau franc), le Hohneck (sommet) a` Stosswihr 68, Hohrod 68 (essart), Hohwiller (village) a` Soultz-sous-Foreˆts 67, plusieurs Hohwarth, Hohwardt ou Hohwarte (garde). Ard est une racine celte issue d’un ered IE qui de´signait quelque chose de haut, pentu, demandant un effort et dont vient « ardu ». Elle ne doit pas eˆtre confondue avec ard dans ardent ou aride, qui de´signe quelque chose qui bruˆle (racine ancienne as) ; elle a donne´ en gaulois arduo, haut, et il est admis qu’elle est a` l’origine de l’Ardenne et de lieux de meˆme nom comme le Haut de l’Ardenne a` Coussegrey 10, ou les Ardennes a` Monistrol-d’Allier 43 ; plusieurs Ardenne sont dans le Cantal, le Gers, la Vende´e, la Haute-Loire. Ardes 63 a connu la meˆme interpre´tation. L’hypothe`se d’un ard e´voquant un bruˆlis (comme dans arder, ardent) semble abandonne´e ; il n’est pourtant pas exclu que certains Ardenne, Lardenne viennent de bruˆlis, du moins dans le Midi. Et, comme tout ce qui est « haut », ard peut avoir le sens de majeur, principal, voire divin selon quelques commentateurs.

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Un autre terme gaulois est tre`s re´pandu, et indiscute´, dans le sens de lieu e´leve´ : uxello ou uxo. Il a fourni un ce´le`bre Uxellodunum, ou` Jules Ce´sar aurait livre´ sa dernie`re bataille des Gaules ; plusieurs lieux en ont revendique´ l’he´ritage, le plus vraisemblable e´tant le Puy d’Issolud a` Vayrac 46. Il est a` la source de quatre Ussel (Cantal, Corre`ze, Lot, Allier), d’Usseau 79, Ussau 86 et Tadousse-Ussau 64, plusieurs lieux-dits Usseau dans l’Indre et la Charente, Usson 63, Usse´ a` Rigny-Usse´ 37, Uxelles 39 et Uxelle 71, Uzelle 25, Ussy-sur-Marne 77. Des « ussel » se devinent dans Huismes 37, les Huisseau (-en-Beauce 41, -sur-Cosson 41, -sur-Mauves 45 dont le gentile´ est Uxellois), Husseau a` Montlouis 37, le Puy d’Usseaud a` Be´ne´vent-l’Abbaye 23, Issoudun 36 (Uxellodunum en 984), Exoudun 79, le Houssa a` Ruffiac 56, Hussamat a` Chastreix 63, Issanges a` Agnat 43 et Issou 78, Lussault 37, Uzel 22, peut-eˆtre Uzerche 19, Yssandon 19 juche´e sur son Puy, en accord avec leur topographie. Uxello est re´pute´ venir d’un kel indo-europe´en signifiant haut, proe´minent, qui aurait e´galement donne´ colline, culminer et exceller, ainsi que colonne et colonel. Les spe´cialistes le soupc¸onnent dans Exmes 61 et son ancien comte´ de l’Hie´mois, Wissous 91, voire dans Diusse 64 et Mont-Disse 64, Oisie`me a` Gasville 28, Ucel 07 dont le hameau du Vieil Ussel est sur une butte dominant la valle´e de l’Arde`che, Excidioux a` Neuvic-Entier 87 ; et donc dans les tre`s dispute´s Exideuil 16 et Excideuil 24. Il n’est pas exclu de le voir dans Issoire 63, qui fut Ussoire au XIII e sie`cle et dont la partie finale cache un -duro (place forte). Uze`s 30 est possible, mais douteux. Ouessant, qui fut Uxantis, semble eˆtre de la famille en tant qu’ıˆle la plus haute et la plus extreˆme d’Armorique, peut-eˆtre meˆme au sens des marins, pour qui le « haut » est au vent debout. Uxisama, de´esse gauloise des hauteurs et e´videmment de meˆme source, a pu interfe´rer dans ces de´nominations, par exemple pour Oisie`me. Mais les attributions restent parfois he´sitantes : Oissel 76, Oisseau 53, Oisseau-le-Petit 72 sont des uxo pour certains, des ouches pour d’autres. Usson-en-Forez 42, qui fut jadis Icio, comme Issoire 63, n’appartiendrait pas a` la se´rie, sauf si Icio a e´te´ une re´interpre´tation. Le breton oppose uhel (haut, supe´rieur, important) a` izel (infe´rieur) et gorre (haut) a` goueled (bas) ; d’ou` Huelgoat (les bois du haut), Le Gouray, peut-eˆtre Gourin ; Kerlaz 29 oppose la partie haute de la commune, Ar Gorre, sur le plateau, a` la partie basse, Ar Goulid, dans la valle´e du Ne´vet. Le basque emploie gain, goyen, garai pour ce qui est en haut, parfois alte´re´s en gagne, ou cache´s dans Ascain ; et behere, barne pour le bas : Ursubehere est le bas du relief de l’Oursuya a` Hasparren, Iribarne est le village d’en bas, mais les nombreux lieux-dits en Iribarne´a ont pu transiter par des noms de personnes. En Alsace et Lorraine de parlers germaniques, le couple est surtout en Ober et Nieder, comme Oberbronn et Niederbronn (source), Oberbruck et Niederbruck (pont), Oberroedern et Niederroeden (essarts). Il joue souvent avec des noms de rivie`res, indiquant alors des positions en amont (ober) ou en aval (nieder) : Obermodern (a` Obermodern-Zutendorf 67) et Niedermodern, Oberhaslach et Niederhaslach sur la Hasel, Oberlauterbach et Niederlauterbach 67, Obersteinbach et Niedersteinbach 67 et, plus connus, Obernai 67 et Niedernai sur la Nai. En certaines re´gions, un amont et un aval sont clairement e´voque´s : on connaıˆt en Morvan, Alpes du Sud, Pyre´ne´es catalanes des Damoun, Damount, Daimon pour ce

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qui est en haut, Daval, Davall, Daivau pour ce qui est plus bas (Pe´gorier). Upen d’Aval et Upen d’Amont s’opposent a` De´lettes 62, et les villages-rues qui s’e´tirent interminablement sur le plateau d’Aliermont a` l’est de Dieppe opposent un Bout d’Aval et un Bout d’Amont. Toutefois, le couple haut-bas a aussi d’autres sens et s’ave`re bien plus riche, ou plus ambigu. L’indo-europe´en uper a donne´ en latin super, en allemand ober, et probablement le celte ver-, vero de´signant ce qui est au-dessus, supe´rieur, majeur. Verdun 55, Vertault 21, Vermenton 89 contiendraient ce pre´fixe, mais l’inde´cision est tre`s grande en ce domaine car ver- peut eˆtre lie´ a` des rives, ou a` la verdure... Maı¨re, majou, de la meˆme famille que majeur, ont le sens de supe´rieur en occitan, comme le Majou a` Chauzon 07 ou le Puy Majou a` Calvinet 15. Tantot il ne faut voir dans ces diffe´rentes racines qu’une diffe´rence d’altitude ; tantoˆt le terme du haut a plutoˆt le sens d’important, puissant, principal. La dissyme´trie du haut et du bas n’en est pas moins flagrante : le haut est toujours positivement connote´, le bas de´pre´cie´. Le haut comporte souvent une ide´e de supe´riorite´ ; « super », d’ailleurs, indique « en haut » et sous-entend une excellence. C’est pourquoi quantite´ de nouveaux villages d’altitude dans les stations de sports d’hiver se sont nomme´s Super : Super-Besse, Superbagne`res, Superde´voluy, etc. Dans les noms des anciennes provinces, Haut ne donnait aucune indication d’altitude, mais de´signait la partie ou` e´tait la capitale ; ainsi du Haut-Maine (Le Mans) et du Bas-Maine, du Haut-Languedoc (Toulouse) et du Bas-Languedoc, de la HauteNormandie (Rouen) et de la Basse-Normandie, de la Haute-Bretagne (Rennes) et de la Basse-Bretagne, en breton Breizh-Uhel et Breizh-Izel. On l’a oublie´, et la HauteCorse actuelle n’est pas plus celle du chef-lieu que la Haute-Provence. Les Re´volutionnaires avaient voulu ignorer ce passe´ en baptisant les de´partements, et ne s’en tenir qu’a` la topographie : Strasbourg est dans le Bas-Rhin, mais le Rhin n’est pas une province. Le temps du spectacle et de la publicite´ y a vu une malice et un jugement de valeur qui n’y e´taient nullement : les de´partements des Basses-Alpes, des Basses-Pyre´ne´es, de la Charente-Infe´rieure ont exige´ d’eˆtre requalifie´s, le premier se voyant meˆme propulse´ de bas en haut comme Alpes-de-Haute-Provence ! De meˆme voit-on fleurir « Les Hauts de... » dans les noms de nouveaux lotissements, jamais « Les Bas de... ».

Entre deux et coˆte a` coˆte Les situations me´dianes ont aussi leur vocabulaire. On y trouve des Entre Deux, Entremont, Entrevaux, etc. ; de nombreux Entre Deux Eaux, et dans ce domaine une se´rie d’homonymes en Entraigues ou Entraygues, parmi lesquels des dizaines de lieux-dits et les communes d’Entraigues 38 et Entraigues 63, Entraunes 06, Entrammes 53, Entrains-sur-Nohain 58, Antrain 35, Tramezaı¨gues 65 et Tramesaygues a` Montgaillard 09, un Entre-Deux a` la Re´union, voire un Daou Dour breton a` Quimper-Gue´zenec 22, tous entre deux valle´es ou rivie`res, comme d’ailleurs l’Entre-Deux-Mers aquitain, mer e´tant ici mis pour Garonne et Dordogne. De ce fait, ces noms sont souvent ceux de confluents.

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Il existe bien d’autres intervalles, meˆme menus : Entre Deux Chemine´es est a` la limite des communes de Saint-Blin et Manois 52 et Entre les Deux Villes a` la limite de Villeen-Blaisois et Doulevant-le-Petit 52, l’Entre Deux Pays a` l’extre´mite´ occidentale de Coupelle-Vieille 62, l’Entre-Deux a` la limite de Mirambeau et Saint-Martial-deMirambeau 17, Entre Deux Naux a` Puxe 54. On note plusieurs Entre Deux Bois, Entre Deux Chemins, Entre les Deux Voies, Entre Deux Villes, et Entre Deux Caps a` Plurien 22, Entreportes a` Chaffois 25 et le de´file´ des Entreportes a` Pontarlier 25, la Cluse d’Entreportes a` Lent 39, un Col d’Entreporte est a` Peisey-Nancroix 73. Entrepierres 04 est une commune des Alpes du Sud, a` la sortie d’une cluse du Jabron. Entrecule´e a` Gennes 49 est effectivement entre deux combes ou cuves. Au milieu de, du milieu, ou moyen, se lisent dans des Mainenville 27 et Moyenneville 62, Mainvillers 57 et Mainvilliers 28, Mainvilliers 45, des se´ries de Me´janne (dont deux communes du Gard) et Me´jan, Metge, Me`ge ainsi que Mie`gebat (a` mi-valle´e) a` Laruns 64, Montmija a` Coudons 11, la Me´diane a` Riaille´ 44, Me´dianol a` Libaros 65, Me´jelasserre a` Aujac 46, des Calme´jane (dans le Lot et l’Aveyron surtout, avec calm = relief nu), Myans 73, Mechmont 46, Mitschdorf a` Gœtschdorf 67, Mittelhausen 67, Mittelhausbergen 67, Mittelwihr 67, Mittelbergheim 67 et de nombreux lieux-dits Mittelberg, Mittelbuehl, Mittelweg... Un terme pre´chre´tien, Mediolanum, a e´te´ tre`s fe´cond et fort discute´ (v. chap. 3). Le pays de la Me´e est une intercommunalite´ du nord de la Loire-Atlantique, qui reprend un ancien nom un peu oublie´ qualifiant jadis une contre´e a` mi-chemin de Nantes et de Rennes, atteste´e au IX e sie`cle. Le Causse Me´jean est celui « du milieu ». Le catalan emploie mig (Coll del Mig a` Port-Vendres, Jac¸a del Mig a` Mantet, Pla del Mig a` Nohe`des) qui en principe se prononce mitch, l’occitan miey ou miech, miet, mitat (le Pont du Miey a` Azur 40, Camp del Miey a` Lusignan-Petit 47, Pie`ce del Miech a` Lanue´jouls 12, Fraisse del Miet a` Polminhac 15). Les termes bretons correspondants sont krenn (trois Coat Crenn a` Plouvorn, Spe´zet, Plourin-le`s-Morlaix, un Menez Crenn a` Plouarzel, etc.) et kreiz (comme dans Kreisker). Parfois trois villages portent le meˆme nom, dont un moyen, comme en Bas-Rhin Oberhausbergen, Mittelhausbergen, Niederhausbergen, ou dans le Cantal Fraisse Haut, Fraisse del Miet, Fraisse Bas a` Polminhac 15, et les trois villages de Vins Haut, Vins Me`ge, Vins Bas a` Anzac-le-Luguet 63, ou les trois lieux-dits Clot de Dalt (en haut), Clot de Mig et Clot de Baix a` Fontrabiouse 66. Devant et Derrie`re, suivis d’un autre nom de lieu, fournissent de nombreux lieuxdits, en particulier en Lorraine. La situation par rapport a` un obstacle, et plus souvent derrie`re que devant, peut eˆtre e´voque´e par des Dela`, Outre, Trans. C’est ainsi que se manifestent des Dela`-de-l’Aigue a` Arvieux 05, Dela`-de-l’Aygue a` Portel-des-Corbie`res 11, Dela`-l’Eau a` La Condamine-Chaˆtelard 04, Dela`-du-Pont a` Arras-enLavedan 65, Au-Dela` de la Grand Route a` Trouville 76 (par rapport a` l’ex-N 15) et meˆme Au-dela`-de-l’Eau-de-la-Rue-du-Marais a` Leuze 02. Outreau 62 est se´pare´ de Boulogne-sur-Mer par la Liane, donc « outre eau » ; Outrepont 51 est nomme´e par rapport a` Changy dont elle est se´pare´e par la Che´e ; la Ferme et la Coˆte d’Outrivie`re a` Noirlieu 51 sont au sud de la Vie`re, et le toponyme joue ici avec la Vie`re et le mot rivie`re. Signalons encore des Outrebois 80, Outreme´court 52, Outre-l’Eau a` Sant-Marcellin-en-Forez 72. Outre-Aube a` Longchamp-sur-Aujon 10

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est du meˆme coˆte´ que son village, mais est ainsi nomme´ par rapport a` l’ancienne abbaye de Clairvaux, qui est de l’autre coˆte´, a` Ville-sous-la-Ferte´. Les Pre´s d’OutreMer n’ont rien d’exotique, mais sont de l’autre coˆte´ du Doubs a` Longepierre 71. Plusieurs Lauwerdal ont pour sens au-dela` (over) de la valle´e (dal). Le Tre´port 76 fut un Ulterior Portus, le port d’« apre`s » Augusta (Eu). Trans-laForeˆt 35 est en bordure de la foreˆt domaniale de Villecartier, Trans-sur-Erdre 44 « de l’autre coˆte´ » de l’Erdre, Trans-en-Provence 83 de l’autre coˆte´ de la Nartuby par rapport a` Draguignan ; Trans 53 et Le Translay 80 sont a` des carrefours de voies anciennes. Plusieurs Tresserre peuvent eˆtre compris comme « au-dela` de la serre » (de la creˆte). Traslafont a` Azat-Chaˆtenet 23 et Tras-le-Bosc a` Se´nergues 12 sont forme´s de la meˆme fac¸on. De fort anciens termes soulignent une proximite´. On connaıˆt bien le`s ou lez, qui n’est nullement l’article « les » mais vient du latin latus, coˆte´, et signifie donc « a` coˆte´ de », comme « late´ral » est « de coˆte´ » : ainsi de Joue´-le`s-Tours 37, Plombie`res-le`s-Dijon 21, Flines-lez-Raches 59 ou Poilly-lez-Gien 45. Il advient cependant qu’un relaˆchement de l’e´criture, et l’obsolescence du terme, l’aient alte´re´ en « les » comme a` Chaˆteauneuf-les-Martigues 13 ou Chorey-les-Beaune 21. En tout e´tat de cause, ce terme n’est employe´ qu’entre deux tirets, non comme racine : les, le`s et lez autonomes ou incorpore´s aux noms ont de tout autres sens, de chaˆteau ou de butte en Bretagne, de torrent dans les Pyre´ne´es. Pour « pre`s de », « a` coˆte´ de », le celte a fourni are ; il serait inclus dans le nom d’Arles 13, interpre´te´ comme Are-Late, pre` s du marais, en l’occurrence la Camargue ; ce qui pourrait avoir contribue´ au gentile´ provenc¸al des Arle´siens : Arlaten. Le breton ar, dans Armor, Arvor ou Arcoat, Argoad, est de cette famille. En basque, alde et ondo sont e´galement des locatifs de proximite´ : Mendionde est « a` coˆte´ de la montagne », on trouve des Ur Alde (au bord de la rivie`re) a` Urcuit, Zubi Alde (du coˆte´ du pont) a` Viodos-Abense-de-Bas, Hego-Alde (coˆte´ sud ou du soleil) a` Espelette, Mendy Alde (a` coˆte´ du mont) a` Maule´on-Licharre.

A` l’e´cart : les coins perdus ou cache´s Le sentiment d’isolement, qui fait partie de la critique et de l’autocritique populaires, se marque a` plusieurs mots forts. De fac¸on ge´ne´rale, un e´cart est un habitat isole´, qui pose toujours des proble`mes d’accessibilite´ et de desserte. On y e´tait moins sensible avant les adductions d’eau, d’e´lectricite´ et de gaz, mais quelques lieux-dits s’en inspirent. Une vingtaine d’entre eux se nomment simplement l’E´cart ou les E´carts, d’autres l’E´carte´ ou l’E´carte´e, a` quoi peuvent s’ajouter quelques Escart et Escartais, peut-eˆtre les E´garites au Fay-Saint-Quentin 60, a` la limite de trois finages. Cinq lieux-dits le Terroir a` Part sont dans des communes du Pas-de-Calais, toujours en extre´mite´ de finage. Avroult 62 est interpre´te´ comme Averhout, addition de hout (bois) et aver (afar, a` l’e´cart en nordique). Perdu signale un e´cart exage´re´ : le participe n’est pas seulement en rapport avec le temps passe´ a` travailler des terres infertiles, il e´voque aussi une position dans l’espace

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et s’est conserve´ dans le langage actuel, ou` il est banal de parler de « trou perdu ». Parmi les noms e´tablis de plus ou moins longue date et enregistre´s, on rele`ve huit Villeperdue dont une commune de Touraine, quelques Mas Perdu, des Pont et Puy Perdu, ainsi que trois le Trou Perdu et huit le Coin Perdu. Clairmarais 62 a un finage curieusement de´coupe´ a` l’est du canton Nord : un ensemble oriental dessine une avance´e du de´partement au sein de celui du Nord, autour des hameaux de Cre`veCœur et du Coin Perdu. Le Pays a` Part est un e´cart a` Bours 62 et a` Laires 62, commune qui a aussi le Chemin Perdu, e´galement en limite de finage. Liffol-leGrand 88 a meˆme un Saint-Glinglin, effectivement tre`s a` l’e´cart. Plus pittoresques, sinon toujours bien comprises, sont d’autres de´signations. MangeTian a` Goult 84 a bien le sens de coin perdu, sur le plateau de garrigue a` l’e´cart du village. Une dizaine de Soupetard, dont un quartier exte´rieur de Toulouse, un lieu-dit a` l’extre´mite´ occidentale de la commune de Se`te sur le lido, et peut-eˆtre deux Soupe Froide (au Castellet dans le Var et a` Accolay dans l’Yonne), deux Dıˆnetard a` Livronsur-Droˆme 26 et Saint-Denis-en-Val 45 semblent bien indiquer un relatif e´loignement. Il en est de meˆme avec la surprenante trentaine de Trigodina ou Trigodinas du Lot, du Tarn et de l’Aveyron et la demi-douzaine de Trigobeure (plutoˆt dans le Toulousain) dont le nom signifie en occitan « il me tarde de dıˆner » ou « de boire ». Maldinat (Pe´zenas 34), lou Maldinat (Namhac 15), lieux isole´s, e´voquent un mauvais dıˆner. Tartifume est plus controverse´ : pre´sent dans plus de 80 communes, il de´signe toujours des lieux e´carte´s. Les propositions se sont multiplie´es : un lieu ou` l’on ne fume (la terre) que tard, ou` le foyer ne fume que tardivement car on y est pauvre, ou au contraire fume jusque tre`s tard car on y est riche. D’aucuns les ont associe´s a` des pratiques nautiques tardives sans voir que beaucoup e´taient loin de toute rivie`re ; d’autres ont pris « tard » pour un tertre sans observer davantage le relief. Il est plus simple et plus e´vident de les conside´rer comme e´quivalents des Soupetard. Les nombreux toponymes en Sauvage, le Sauvage, la Sauvagerie ont souvent ce sens, dont l’origine est lie´e a` la selve (la foreˆt). Ils se situent en ge´ne´ral vers les extre´mite´s des finages, sauf s’il s’agit de NP – les Sauvage`re sont nombreux aussi, dont une commune de l’Orne, La Sauvage`re ; Les Sauvages est une autre commune, dans le Rhoˆne. Le Sauvageon ou les Sauvageons sont plusieurs dizaines, le plus souvent du coˆte´ des limites communales, parfois en pays de´couvert comme a` Sougy 45, La Ferte´-Milon 02 ou Gaye 51. La Sauvagerie est a` la pointe extreˆme NO de Coutiches 59, une autre aux confins de Coutiches, Auchy-lez-Orchies et Berse´e 59, comme les Sauvage`res sont aux confins de Siecq, Louzignac et Haimps 17 ; les Sauvages sont a` la pointe SO d’Aurec-sur-Loire 43. La se´rie comporte aussi des Marais, Pre´, Champ ou Bois Sauvage, quelques Combe ou Puy Sauvage, plus les Coˆte Sauvage pour des littoraux rocheux escarpe´s. Le proble`me est que l’on n’a gue`re de moyens de distinguer si le sens se rapporte a` e´carte´ ou a` forestier, les deux pouvant d’ailleurs aise´ment s’additionner. Plusieurs dizaines de lieux-dits le De´sert ou les De´serts, parfois au fe´minin, se situent en ge´ne´ral en limite de finage ou de contre´e. Saint-Guilhem-le-De´sert 34 rappelle ainsi son isolement, qui pre´cise´ment avait attire´ une abbaye. Les De´serts est une commune savoyarde au sein du massif des Bauges et Thoisy-le-De´sert est en

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Coˆte-d’Or a` la limite du Morvan. On trouve une bonne trentaine de De´sert ou De´serts dans le seul de´partement de l’Orne, dont les communes de Magny-le-De´sert, Saint-Maurice-du-De´sert et Saint-Patrice-du-De´sert, et une quinzaine dans le Calvados, dont une commune, Le De´sert, tandis que Le De´zert est non loin dans la Manche. La Mayenne a Saint-Aubin-du-De´sert, Saint-Calais-du-De´sert et SaintMars-du-De´sert, aux confins du Maine et de la Normandie. Un autre Saint-Marsdu-De´sert est en Loire-Atlantique au nord-est de Nantes. La Bretagne a Louvigne´du-De´sert et La Bazouge-du-De´sert 35, aux marches orientales de la province. Plusieurs lieux-dits le De´sert apparaissent en Haute-Marne, a` Illoud et Goncourt notamment, en limite de bois. En fait, De´sert a dans ces bocages un sens proche de Gaˆtine, laquelle est parente par le sens et par l’e´tymologie (wast = de´sert). Les deux De´sertines de la Mayenne et de l’Allier auraient la meˆme origine selon E. Ne`gre ; des confusions avec sart, essart ont pu se produire localement. Ces toponymes ont de´signe´ jadis des lieux incultes, plus que vraiment « perdus » au sens d’e´loigne´s, mais les deux aspects e´taient souvent associe´s, notamment en pays de marche frontalie`re. La dimension religieuse a pu y eˆtre pre´sente, De´sert et Ermitage e´tant souvent lie´s – y compris par l’e´tymologie, eremus e´tant de´sert en latin. De´sert a e´galement e´te´ le nom de la pe´riode d’interdiction du protestantisme en France (1685-1787) et Mialet 30 a un Muse´e du De´sert, mais il s’agit ici d’une dure´e, sans effet toponymique apparent – et sans aucun rapport avec Saint-Guilhem-le-De´sert en de´pit de nombreuses confusions touristiques et litte´raires. Bast et Bastan e´voquent a` la fois les ajoncs et le sauvage en Pyre´ne´es et Gascogne, mais semblent de meˆme origine que gaˆtine, donc « de´sert ». Les Landes ont au moins 24 lieux-dits Basta. Gargo avait le sens de sauvage en celte ; X. Delamarre le voit a` l’origine de nombreux toponymes, dont Gargas 31 et Gargas 84, Garganvillar 82 et Gargenville 78, Jargeau 45 ; difficile pourtant de penser que Jargeau en Orle´anais, Garganvillar en Lomagne, Gargas en Lauragais aient e´te´ particulie`rement en pays « sauvage ». Gergueil 21 en clairie`re dans la Montagne Bourguignonne serait plus vraisemblable ; ou le beau site sauvage de Gargilesse (Gargilesse-Dampierre 36) – mais ici garg peut eˆtre en rapport avec la gorge de la Creuse ; les gorges sont souvent vues comme lieux « sauvages ». D’autres lieux sont dits recule´s, sans rapport avec une « recule´e » topographique : Villard-Reculas 38, Col de la Reculaz (La Chapelle-d’Abondance 74), le lac de la Reculaye (Larche 04), La Reculaye (Jausiers 04), La Recula (Saint-Le´ger-LesMe´le`zes 05), Reculaz (Ugine 73) ; ou encore Recule´e sur les hauteurs de SainteMarie (Martinique). Repost en vieux franc¸ais e´tait un lieu a` l’e´cart, plus ou moins cache´. M. Mulon cite Chalautre-la-Reposte 77, Ozouer-le-Repos 77. S’y ajoutent Nesle-la-Reposte 51, Boissy-le-Repos 51, Bussy-le-Repos 51 et Bussy-le-Repos 89 ; Reposte`re est un lieu-dit bien isole´ a` Ce´rives (Rhoˆne), Repos est un petit e´cart de la grande commune d’Urt 64. Foran et forest disent le dehors, fors en latin, e´ventuellement sans aucun rapport avec une foreˆt, autre que l’e´tymologie commune. R. Luft cite beaucoup de noms, dont on peut probablement retenir l’Ubac Foran a` Castillon 06, le Foran a` Pugny-Chatenod 73, la Combe Fourane a` La Beaume 05 et Lavaldens 38, la Coumo Fourano a`

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Misse`gre 11 ; et Forest-Saint-Julien 05, Le Haut Forest et Le Bas Forest aux Orres 05, Forest a` Seraincourt 08, Fourestage a` l’extre´mite´ nord de Cumont 82. Il existe aussi plus d’une cinquantaine d’Enclave, les Enclaves ou Inclavade en Auvergne, dont le site n’a rien de particulier de nos jours mais dont le nom vient d’un e´tat ancien des proprie´te´s foncie`res ou des domaines seigneuriaux. Une autre source est l’ombre, l’obscurite´, au sens de ce qui est cache´ : outre les versants a` l’ombre (chap. 5), elle s’applique a` des lieux recule´s. Les termes escur, escondu apparaissent dans L’Escondus a` Issarle`s 07, Les Escondus a` Vars 05, Valescure a` Fre´jus 83, Combal Escur a` Caylus 82, le lac Escur (La-Roche-de-Rame 05), Escure`s 64, le ravin de Comall Escur (Prats-de-Mollo 66), Baume Obscure (Belgentier 83), Combe Obscure (Montpezat 30), cite´s par Luft ; mais il faut observer le terrain pour faire le partage entre ce qui est en ombre´e et ce qui est simplement e´loigne´, sachant qu’on peut eˆtre les deux a` la fois. Les points d’intersection de limites sont souvent remarque´s, sinon remarquables. Les toponymes comprennent des lieux-dits les Quatre Paroisses (sept cas), plus riches que les Trois-Paroisses (deux cas), les Quatre Communes (deux), les Trois communes (quatre), les Quatre Bans (Void-Vacon 55), les Quatre Vaux ou Quatrevaux (une quinzaine). Il en est de meˆme fre´quemment avec des Trois ou Quatre Seigneurs, plus les Trois Abbe´s a` Hasnon 59. Les Quatre Extre´mite´s, a` Houtkerque 59, se situent pre`s du point de rencontre de quatre territoires communaux. Plus spe´cifiquement, des lieux-dits et hameaux des Pyre´ne´es occidentales ont pour nom l’Estrem, ou Estremau, dont sont issus des NP Destrem, Destremau : il s’agit bien d’extre´mite´s, de parties e´loigne´es des centres communaux, parfois dans une valle´e diffe´rente. Il a meˆme existe´ re´cemment, non sans paradoxe, une communaute´ de communes de l’Extreˆme de Salles pre`s d’Argele`s-Gazost (valle´e du Bergeon). Ces noms se concentrent en Be´arn, mais il en existe dans l’Arie`ge (les Estremals a` Orlu, Estremies a` Verdun), le Gers (Estremau a` Saint-Germe´), et jusqu’en Agenais (Estremau a` Moncrabeau) ou Aveyron (les Estre´mies a` Rieupeyroux), en Gironde (l’Extreˆme a` Pre´chac 33). Un Extre´miat est une hauteur a` Saint-Ande´ol-de-Vals dans les Ce´vennes arde´choises, tre`s isole´e en effet. L’Extre´mianous, hameau de Beauve`ne dans les Monts d’Arde`che, ne l’est gue`re moins. Un mont Estremal est a` la limite orientale du Caylar 34. On ne saurait e´videmment confondre ces noms avec celui de Lestrem 62, que Dauzat et d’autres relient a` strom, courant.

Sentir, pister, cheminer Meˆme e´carte´s, tous ces lieux sont relie´s. Toute socie´te´ a produit ses chemins, qui jalonnent le territoire. De`s les de´buts, la chasse, la cueillette puis l’e´change entre groupes ont fixe´ des itine´raires et laisse´ des traces. Les animaux ont leurs passages familiers et e´ventuellement odorants : c’est d’ailleurs de la` que vient le mot sente, sentu en celte. Il apparaıˆt dans divers noms comme Sente Verte a` Gas 26, Sente au Vin a` Conteville 27, Sente des Vaches a` Thelod 54, la Sente aux Aˆnes a` La Framboisie`re 28, Sente aux Pe`lerins a` Onville 54, Sente aux Moines a` Saint-Arnoult 76, Sente de la Mare Plate a` Buˆ 28, la Sente des Huguenots a` Haution 02, la Sente aux Preˆtres

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a` Parc-d’Anxtot 76 ; et Sendets 33, Sendets 64, Sinde`res 46, le Sendat a` La Re´union 47. Sentier de´rive de la sente ; il reste vivant comme toponyme et odonyme a` la campagne, y compris pour des hameaux ou des parties de finage comme le Sentier de Mogeville a` Dieppe-sous-Douaumont 55, le Sentier d’Arlange a` Val-de-Bride 57, le Sentier au Boulay 37 ou a` Saint-Martinien 03. Satolas, Santenay, Santeny, Sainteny auraient pour origine sentier. Sentier est abondamment employe´ en odonymie contemporaine, graˆce a` la vogue des sentiers de randonne´e, grande (GR) ou petite ; sous toutes sortes de noms, comme un ine´vitable Sentier Cathare (sic) du coˆte´ de Belcaire et de Bugarach 11, ou un exotique Sentier Karstique a` Oloron-Sainte-Marie. Un quartier de Paris, nague`re ce´le`bre comme centre des journaux et de la confection, se nomme encore le Sentier ; mais il est hors sujet, re´sultat d’un glissement : la rue e´ponyme fut jadis rue du Chantier, puis du Centier, Centie`re... L’ide´e de fouler, e´craser les ve´ge´taux et le sol par des passages re´pe´te´s a e´te´ exprime´e par la racine IE peis, qui a fourni le latin pistare et nos pistes ; et pister le gibier est suivre sa piste, ce qu’il a foule´ – et parfume´. Il existe quelques lieux-dits la Piste, le plus souvent avec comple´ment, comme la Piste au Renard a` Saint-Cle´ment-Rancoudray 50, ou ces quatre lieux-dits de Saint-Martin-de-Crau 13 : la Piste de Terrusse, la Piste du Mas de Rus, la Piste des Vergie`res, Piste du Vallon ; et d’assez nombreux chemins nomme´s Piste dans les Landes de Gironde a` Salles, Pre´chac, Le Barp, etc. D’une racine IE der pour marcher, l’anglais a tire´ tread, le ne´erlandais trek et trekking, le grec dromos que le franc¸ais utilise comme racine savante pour ce qui circule ou fait circuler, du dromadaire a` l’autodrome ; a` cette famille se rattachent la trappe, sentier en vieux franc¸ais, le trappeur et le trot. La trace vient de tragh et trahere, tirer : c’est l’empreinte de ce que l’on a traıˆne´ – ou laisse´ traıˆner. On appelle trace aux Antilles un chemin d’ancienne origine, sinuant sur le relief et dans les bois (v. Outre-Mer). Mais le terme semble aussi se cacher dans les Traque, Traquette (Centre), Trailhe (Gascogne), la Traille (Sud-Est), Trame, Treme (Pyre´ne´es), le Trailhol a` Angle`s 81, Trac aux Forges 79. Il est possible que la draille des transhumances ce´venoles soit apparente´e. L’abbaye de la Trappe a` Soligny-la-Trappe 61 et peut-eˆtre Trappes 78 auraient a` l’origine un rapport avec le sujet, du moins pour certains spe´cialistes : loin d’un asile ou pie`ge pour reclus, la trappe y aurait e´te´ ouverture et cheminement... Chemin viendrait d’un celte cammano de meˆme sens et d’origine peu claire, passe´ en bas-latin et de la` dans les langues dites latines : il devient cami en occitan et catalan. Certains le rattachent au radical assez extensif cam pour espace rural, qui serait aussi a` l’origine du champ ; d’autres, apparemment plus stricts, y voient un cam, camen au sens de pas, marche, aller (IE gwa, d’ou` viennent to go et to come en anglais). Il a fourni d’assez nombreux toponymes en Le Chemin, Cheminas, Cheminade, Cheminon, des dizaines de Chemin Vert dont une bonne cinquantaine dans le seul Pasde-Calais, une quinzaine de Chemin Creux, une dizaine de Chemin Perdu, etc. Chemin reste le nom le plus re´pandu et a rec¸u toutes sortes d’attributs, en partie lie´s a` leur usage. Le nom de´signe le plus souvent un lieu-dit, un groupe de parcelles. Le Chemin des Lorrains, Chemin des Champenois et Chemin des Aˆnes sont des lieuxdits de la commune de Saudoy 51 pre`s de Se´zanne. Un Chemin d’Espagne figure au

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sud-ouest de Ble´re´ 37 sur un ancien itine´raire de Paris vers le Sud-Ouest. A` Mastaing 59 un lieu-dit se nomme la Gauche du Chemin de Valenciennes. On trouve Chemin des Potiers (Taingy 89, Boutigny-Prouais 28, Pre´villers 60), des Meuniers (Jouarre 77), des Poissonniers (Landrethun 62), des Foins (Queudes 51), ainsi que des Larrons (Canly 60, Poncey-sur-l’Ignon 21) et des Voleurs (Naintre´ 86, Oriolles 16), des Chemin des Preˆtres, un Chemin des Be´guines (Jolimetz 59). Plusieurs dizaines de lieux-dits ont pour nom Chemin des Vaches ou aux Vaches, surtout dans le Nord et la Picardie. Veules-les-Roses 76 a un lieu-dit le Chemin qu’il Faut au-dessus des falaises... A` Warne´court 08, des Chemin des Aisances, des DixSept Quartiers, du Petit Bonheur, du Terne, du Gauval, du Four a` Chaux s’e´talent sur toute la pe´riphe´rie de la commune, laissant penser a` un de´frichement massif et ordonne´, dont tous les bois ont disparu. Un certain nombre de ces noms de terroirs en Chemin ou Cami sont e´troitement associe´s au passage d’une ancienne voie romaine, ou peut-eˆtre gauloise, sinon encore plus ancienne d’ailleurs, comme Sur le Chemin a` Humbauville, le Chemin a` Anthien 58, le Chemin des Romains a` Chaˆtenet et Maisonnay 79, a` Distroff 57 ou a` Vitry-la-Ville 51, Montcornet 02 ou a` Marseillan 34. Le terme de´signe souvent un quartier de la commune de´fini par son orientation : le Chemin du Marais et le Chemin d’Amiens a` Saint-Vaast-la-Chausse´e 80. Chamarande 91 est interpre´te´ comme chemin de la frontie`re (rand). Une commune du Jura se nomme Chemin. Un lieu-dit Chemin est sur une ancienne voie romaine a` Anthien 58 et Sur le Grand Chemin est un lieu-dit situe´ sur le Chemin des Romains a` Humbauville. Le gaulois a aussi fourni mantalon au sens de route, dont seraient issus Mansle 16, Manthes 26, Mantallot 22, des Mandelot dont Mavilly-Mandelot 21, Manthelan 37 et Manthelon 27, Pierremande 02, voire Mantry 39 et, moins directement, Fromenteau (anc. Petromantalo ou Quatre-Chemins, a` Saint-Martin-du-Mont 21) ou meˆme Nitry 89, selon G. Taverdet. Manthelan 37 fut un Mantalomagos, le marche´ du chemin ; Montailleur 73 a e´te´ Montelos et correspondrait au Mantala de la table de Peutinger (J. Quiret). Saint-Clair-sur-Epte 95 fut un Petromantalum (Quatre Routes) comme Pierremande, ou` le petro gaulois (quatre) a e´te´ confondu avec un petrus latin (pierre). Proche mais hors sujet, Mantes fut a` l’origine Medanta, nom e´voquant le fond humide de l’affluent local de la Seine. Le rapport n’est pas clairement e´tabli avec un mant, ment, tre`s fre´quent dans les Pyre´ne´es et jusqu’en Corse sous la forme Menta et que certains pensent pre´celtique : il a le sens de passage et a donne´ Mantet 66, une dizaine de Menta en Pays Basque, ainsi que « Mantette a` Orthez, Mentana a` Mont, Mentaberria a` Ainhoa, Ayherre, Briscous, Itxassou, Saint-Pee-sur-Nivelle, Urrugne, le ruisseau de Mentaberry a` Hendaye, Mentaberrikoborda, a` Briscous et a` Ustaritz, Mentakoborda a` Briscous, Mentachiloa a` Ayherre, Mentachoury a` Mouguerre, Mentachuria a` Hasparren et a` Mendionde » (J. Rigoli). Plus re´pandu dans les campagnes est le mot voie, de la racine IE wegh par le latin via. Il est porte´ non seulement par certains chemins mais par des parties de finage, parfois par des hameaux. A` Courtisols 51 comme a` Somme-Tourbe 51, ces lieux-dits indiquent des directions (Voie de Chaˆlons, de Suippes, de Rouvroy, de St-Re´my) ; on note une Voie Creuse a` Athe´e-sur-Cher 37, la Voie qui Tourne a` Estre´es-le`s-

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Cre´cy 80, la Voie Neuve a` Sixt-sur-Aff 35, etc. Nove´ant-sur-Moselle 57 fut a` l’origine Ad Noveam Viam, « sur la route neuve ». Aubevoye 27 vient d’une voie romaine perc¸ue comme route blanche. Le terme est souvent alte´re´ en Vie, ainsi a` la Vie du Gre´ a` Censeau 39, la Vie des Vaches a` Pontoux 71, plusieurs la Vie Neuve, ou la Vie du Foin a` Esserval-Tartre 39 ; parfois en Viail (en Rouergue), Violes ; on trouve une douzaine de Violet, des Viou, Vion et meˆme Voix, comme la Haute Voix a` Pray 41 ou la Basse Voie a` La Boue¨xie`re 35, la Voix Basse a` Orches 86 et un Chemin de la Haute Voix a` Ingouville 76 ; ou encore les communes de Viole`s 84, Viols-en-Laval et Viols-le-Fort 34. Voyette ou veyette sont des sentiers ou des lieux-dits sur sentier en Anjou, en Picardie, dans le Nord, les Ardennes et la Champagne ; Marfontaine 02 a une Voyette des Baudets, Sissy 02 une Voyette Carpentie`re. Voyotte se lit a` Thil 10 et Val-de-Meuse 52. Bio 46 est re´pute´ venir de voie. Il est probable que les noms en gy, qui ont en ge´ne´ral le sens de couloir, passage, sont de la meˆme famille : ainsi de Gy 71, Gy-l’E´veˆque 89, Gy-en-Sologne 41, Gy-lesNonains 45, Gy-le-Grand a` Massay 18, Gye 54, Gy a` Saint-Parize-le-Chaˆtel 58. Apparemment de la meˆme origine sont certaines formes -wy de la France septentrionale : Wervicq 59 fut Viroviacum, la` ou` la via, la voie romaine de Cassel a` Tournai, franchissait la Lys – mais d’autres de´rivent du vicus latin (village) comme Longwy, ou du vik normand (crique), lequel est parfois interpre´te´ comme lieu d’entre´e, de passage, mais e´tymologiquement sans rapport avec via. Chasse a localement le sens de chemin, notamment en Normandie : Tollevast 50 a une Longue Chasse et la Chasse aux Mines, Quettehou 50 une Chasse de la Jude´e en forme de chemin vers l’inte´rieur des terres ; Fresville 50 cumule les Chasse du Goulet, du Montet, du Moulin de la Valle´e, du Suet, du Plat Doux, du Camp Duquesne, du Brot, des Perruques, du Clos Neuf. Chasse-Mare´e a de´signe´ un sentier suivi jadis pour les transports de poissons ; il s’en trouve a` E´ragny 95, Le Bocasse 76, Onzain 41, Friville-Escarbotin 80 ; deux Chemin des Chasse-Mare´e sont a` Fressenneville 80 et Le Mesnil-Re´aume 76, le Fond des Chasse-Mare´e a` Parenty 62. Chasse-Foins aux Ormes-sur-Voulzie 77 a pu avoir le meˆme sens. Quelques termes locaux sont moins attendus. Le mot basque est bide, comme dans Bidarray (le chemin des e´pines), Bidache (bide-aitz, le chemin de pierre), Bidart (entre les chemins), voire, selon J.-B. Orpustan, Aldudes (altu haut et bide contracte´), Souraı¨de (soro, champ et bide qui a perdu son b), Bidegaina a` Villefranque (le haut du chemin) ou Goizbide comme « chemin de creˆte », sur la D 3 a` Saint-Pe´e-de-Nivelle. Pfad est le terme germanique, issu d’un IE pent (aller, passer) qui se retrouve dans le pont (et le path anglais) ; il apparaıˆt dans une vingtaine de lieux-dits avec un comple´ment, comme Gruener Pfad (vert) a` Rittershoffen 67, Schiendeller Pfad (des bardeaux) a` Roppeviller 57, dans des Ritterspfad (chemin du chevalier), associe´ a` un nom de ville vers lequel il va (Ersteiner Pfad a` Gertsheim 67, Strassburger Pfad a` Obernai 67), voire redondant dans Pfaedleweg a` Cernay 68. Hent est le terme breton pour chemin ; il est re´pute´ de la meˆme famille que la sente et le sentier. Il apparaıˆt tre`s fre´quemment pour des noms de chemins, moins pour des toponymes comme Locmaria-an-Hent a` Saint-Yvi 29. Des Hent Coz (vieux chemin)

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et Hent Meur (grand chemin) peuvent signaler d’anciennes voies pre´romaines ou romaines. Pen an Hent a` Lanmeur 29 est le bout du chemin, Denten a` Arzon 56 est Hent-Tevenn, le chemin de la dune ; trois Pemp Hent ont le sens des Cinq Chemins ; plusieurs Hent an Ankou et Hent ar Marv sont des chemins des morts (du cimetie`re). L’ide´e de chemin creux ou en pente est fournie par les nombreux Cave´e et Chave´e du Nord-Ouest, tels la Cave´e a` Vaches a` Villers-St-Barthe´lemy 60, le Chemin de la Cave´e a` Savy-Berlette 62 ; Chave´e est un terme re´pandu en Argonne et alentour, parfois e´crit la Xave´e (a` Ancerviller et a` Lanfroicourt 54). Chale´e ou chable´e du NordEst, souvent un couloir en pente pour descendre les bois, Calade du Sud-Est sont de meˆme sens et meˆme famille ; plusieurs dizaines de lieux-dits ont nom la Calade. Banne, baenne indiquent un chemin en flamand. Un gripet est un chemin escarpe´ dans le Nord-Est, comme le Gripelet a` Rocroi 05, le Grippet a` E´cot-la-Combe 52. La draille est un ancien chemin de transhumance, surtout dans les Ce´vennes. Le mot serait de la famille de droit, direct : ce qui monte droit a` l’estive ; mais sa ressemblance avec la trailhe note´e plus haut peut laisser a` penser. Une centaine de toponymes en conservent la trace, sous la forme la Draille, parfois avec un de´terminant : deux Draille du Languedoc en Loze`re, des Draille de Cacalauze a` Barbentane 13, Draille de Calcadis a` Meyrueis 48, Draille de Gornie`res et Draille du Cheval Mort a` Ferrie`res-les-Verreries 34. On trouve aussi draye, dre´e et draie : Draye de Soutirou a` la limite de Saint-Front et des Estables 43 sous le Mont d’Alambre, la Draye des Troupeaux d’Arles a` Riez 04 ou a` Valensole 04, la Draye des Lauzes a` La Chapelleen-Valgaudemar 05, la Grande Draie a` Rovon 38. De la meˆme famille, la dre`ve est une alle´e d’arbres dans le Nord, menant ge´ne´ralement a` quelque chef-lieu de domaine, ou une simple alle´e forestie`re. Sainte-MarieCappel 59 en conserve plusieurs, dont un Holland Dreve ; au total, plusieurs dizaines de toponymes, tous dans le Nord et le Pas-de-Calais. La foreˆt de Phalempin a une Dre`ve Noire et une Dre`ve des Morts, une Dre`ve de Plouich, une Dre`ve de l’Abbaye, une Dre`ve du Parc. La foreˆt de Saint-Amand n’en a pas moins. Un e´quivalent breton serait bali, devenu valy comme a` Kervaly en Guilers 29 ou Valy-Cloıˆtre et Valy-Nevez (nouveau) a` La Roche-Maurice 29. La pouge est un chemin de creˆte en Be´arn et Bigorre, notamment sur les e´troites collines issues du plateau de Lannemezan ; le mot est une forme fe´minine du puy ou pech, la hauteur. On trouve aussi des dizaines de lieux-dits la Pouge en Limousin et, plus largement, de la Charente a` l’Allier, dont La Pouge 23, et des noms comme Saint-Jean-Poutge 32 ou Saint-Jean-Poudge 64. L’usage de la roue a fait apparaıˆtre les chemins de chars, exprime´s en toponymie sous la forme de Carre`re, Carrie`re, Charrie`res, et aussi karr-hent en breton, e´volue´ en karront : par exemple Karront an Dro a` Goue´zan et Karront an Dero a` Saint-Se´gal (chemins du cheˆne, de derv). C’est la` une grande source de toponymes, et d’ailleurs de NP. En viennent notamment des Carayrol, Carreyrou, Carre´tau, Carre´tol, ou encore Que´rie`re, Que´riou ; voire la Maucarrie`re a` Tessonnie`re (79). Les Quatre Carrie`res a` Villeneuve-la-Comptal 11 a bien le sens de quatre routes. La rue principale des bastides, encore aujourd’hui la « rue Droite », e´tait la carrie´ro longo. Toutefois, le risque de confusion est e´vident avec les carrie`res au sens habituel du mot, pour l’extraction de pierres ; et avec les pierres elles-meˆmes, a` cause du radical kar.

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La route et la rue La route et la rue ont des e´tymologies discute´es sinon improbables, qui les feraient venir, pour la premie`re d’une rupture, comme le ru et le ruisseau, pour la seconde d’une ride (latin ruga) qui en ferait une sorte d’accident de la circulation en relief, quelque chose de... rugueux. Les recherches sur l’IE proposent plutoˆt pour la route un reidh avec le sens d’aller a` cheval, dont l’anglais a tire´ to ride et le celte rod. Leur banalite´ meˆme n’empeˆche pas leur usage en toponymie. Lussac-les-Chaˆteaux 86 a pour quartiers a` l’est et au sud la Route aux Lie`vres, la Route de Persac, et Terce´ 86 un la Route tout court au sud du village, sur la D 2 ; Belleroche 42 a un e´cart la Route, comme quatre communes de l’Ain dont Jujurieux, et Beuil 06 contient un lieu-dit la Route qui n’a gue`re pour justification qu’un chemin forestier sur un plateau vers 1 600 m, au dos de la station d’altitude des Launes. La forme rote abonde dans l’Ouest, e´ventuellement applique´e a` des sentiers ; plusieurs Rotes aux Loups, une Rote aux Vaches a` Averdon 41. La forme rotte est connue en Sologne. Fleurey 25 s’offre un redondant Sur la Vie Roˆte. Certains commentateurs atribuent a` un gaulois roto-, la roue, l’origine de certains chemins ou passages et de certains toponymes en Re´au 77, Reuil, Rueil, et meˆme Rieux 60 (anc. Rotolium) ; mais la confusion avec la rive et la rivie`re est ici trop facile, comme d’ailleurs avec rito-ialo (le lieu du gue´). Rue, Les Rues, Rudelle sont e´galement synonymes de village e´tire´ le long d’un chemin, dits villages-rues, et rues tout court, fre´quents en Haute-Normandie et en Picardie. On trouve les formes rue´e comme sentier en Morvan, ruette en Normandie, en Bretagne et dans le Centre, ou les Ruelles comme a` Dene´e 49. Besmont 02 a pour hameaux la Rue des Grands Champs, la Rue Charles, la Rue des Lamberts et sa voisine Martigny la Rue Grande Jeanne, la Rue d’Au-dela`-l’Eau ; Le Sourd 02 associe les hameaux Rue des Fontaines, Rue du Rieu, Rue du Bois, Rue des Paquets, Rue Gothin. Les Rues-des-Vignes 59 est un village qui s’e´tire sur deux voies paralle`les dans la valle´e de l’Escaut ; le nom e´tait de´ja` atteste´ en 1492. Citons la Longue Rue comme gros hameau annexe de Beaumont-les-Nonains 60, une Rue d’Ouche a` Noizay 37, une Rue-d’en-Haut comme extension du village de Chaource 10 sur le relief, une Rue Verte frontalie`re a` Sailly-lez-Lannoy 59, ou a` Coutiches 59 une Rue des Sarts, Rue des Bois, Rue des Ramoniers et la Basse Rue, qui fleurent encore le temps des de´frichements de la proche foreˆt de Flines. Toutefois, les nombreuses Rues observe´es en Bretagne orientale, par exemple a` Gae¨l 35 (la Rue-es-Sages, les Rues Verdelles, les Rues Morvan, les Rue Perro, les Rues Nogues), ou a` Merdrignac 22 (les Rues Penhoe¨t, les Rues Glares, les Rues d’A`-Bas) sont de simples fermes et non pas des villages-rues, et alternent avec des « la Ville » et « la Ville-e`s- » : rue de´signe ici une cour plutoˆt qu’un chemin. De meˆme, la Rue Chaude a` Sublaines 37 s’applique a` une ferme isole´e, les Rues a` Bord-SaintGeorges 23 est un lieu-dit inhabite´ qui semble plutoˆt e´voquer des raies ou royes, c’est-a`-dire des ame´nagements de labours. Et les plus spectaculaires villages-rues de France, dans l’Aliermont entre les valle´es de l’Eaulne et de la Be´thune a` l’est de Dieppe, ne portent pas le nom de Rue.

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Munies, chausse´es, ferre´es L’emploi des chars, creusant ornie`res et fondrie`res en terrain meuble, a conduit a` consolider et reveˆtir les routes principales. On les a alors dites pierre´es, pave´es, munies, voire « ferre´es » par image. La via munita, « munie », e´quipe´e, a e´te´ de´tourne´e en « chemin de la Monnaie » : il s’en trouve encore en Languedoc, dont un lieu-dit la Monnaie sur le Chemin d’Arles a` Aigues-Vives 30. C¸a` et la` on signale des Jarre´e de meˆme sens, comme au Chaˆtelet 18 ; le terme est issu du vieux radical gar, pierre. Des Pave´, Pierre´, Perre´ sont associe´s a` d’anciens tronc¸ons de routes empierre´es, comme Chemin Pare´ a` Coulommes 77 ou le Perron a` Gouville 27. L’Ouest du Pave´ est un lieu-dit de Gœulzin 59, effectivement a` l’ouest d’une ancienne chausse´e. Le Pave´ de Marchiennes a` Mastaing 59 est sur une route ancienne. Pierge, de l’Artois a` la Champagne, a le meˆme sens de route empierre´e et fournit une dizaine de toponymes (au masculin). Pfetterhouse 68 fut a` l’origine Petrosa (la pierreuse), sur une voie empierre´e. Pave´ vient de l’IE peu (latin pavire), battre, frapper (comme pour la terre battue) – battre le pave´ est quelque peu redondant. Des chemins ont e´te´ dits « ferre´s » bien des sie`cles avant le rail ; c’est qu’ils e´taient pave´s, ou au moins reveˆtus de cailloux. Le Chemin Ferre´ existe en plusieurs dizaines d’exemplaires et Landouzy-la-Cour 02 et Ingrandes-de-Touraine 37 ont des lieuxdits la Rue Ferre´e. Les Cami Ferrat de Millau 12, Sainte-Maxime 83, Fraisse´-desCorbie`res 11, Combes 32 ou Prayssac 46, le Chami Ferrat de Belvezet 48 signalent des chemins empierre´s, parfois anciennes voies romaines. Quelques Voie Ferre´e n’ont rien a` voir avec le rail, comme a` E´chalot 21. Il en vient aussi des Ferrat, Ferral, mais la confusion est alors possible avec d’anciennes ferrie`res (mines de fer). Le germanique stein, steen (pierre) se manifeste a` Steene 59 en rapport avec une ancienne chausse´e romaine empierre´e qui menait a` Cassel ; Steenvoorde 59 est le gue´ de pierre, et plus probablement le gue´ de la route empierre´e, sur une ancienne voie romaine qui y traversait l’Ey Becque, affluent de l’Yser. Toutefois, deux termes ont eu un succe`s bien plus ge´ne´ral, du moins en toponymie : chausse´e et estre´e. La chausse´e est la voie empierre´e par excellence. On discute encore pour savoir si le terme, re´pute´ venir d’un calceata latin, est en rapport avec la chaux (calcia) qui aurait lie´ les pierres, ou avec le talon (calx) qui les foule, dont vient aussi la chaussure ; on a meˆme imagine´ que la voie avait d’abord e´te´ « hausse´e », e´leve´e au-dessus du terrain. Il semblerait pourtant plus simple et plus logique d’e´voquer le vieux radical cal, qui de´signe les pierres elles-meˆmes, et que l’on retrouve dans le calcaire. On peut noter qu’en anglais le trottoir, causeway, a la meˆme e´tymologie que la chausse´e, a` partir d’un ancien franco-anglais cauce. En de´rivent bien des formes diverses, modifie´es par les parlers locaux : chausse´e, chaussade, caussade, cauchie, voire calzada (Galzada, a` Sare 64). Citons Lachausse´e 55 et ses voisines Hadonville-le`s-Lachausse´ e et Haumont-le` s-Lachausse´ e ; et Lachausse´e-du-Bois-d’E´cu 60 ; des lieux-dits la Chausse´e a` Le´mere´, Esvres, Varennes, Chambourg-sur-Indre en Touraine, a` Glonville 54, sur l’ex-N 20 a` Nouan-le-Fuzelier, une Pie`ce de la Chausse´e a` Saint-Ambroix 18, qui a une Chausse´e de Ce´sar ; Chemin Chausse´ a` Berthouville 27, sur une ancienne voie

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romaine ; ou les communes de Caussade 82, de Saint-Martin-Lacaussade 33 sur une voie romaine. L’E´chausse´e a` Ploufragan 22 a le meˆme sens. Chausse´e Jules Ce´sar est le nom porte´ par une voie d’Enghien a` Rouen. Villers-en-Cauchies 59, a` l’est de Cambrai sur une Chausse´e Brunehaut, conserve aussi une ferme-auberge du XVIII e sie`cle nomme´e la Grande Cauchie. La forme cauchie a fourni des noms de communes, dont La Cauchie et Cauchy-a`-la-Tour dans le Pas-de-Calais, et 11 lieuxdits selon Ge´oportail. Chausse´e Brunehaut est un terme ge´ne´ral dans le Nord pour d’anciens chemins, souvent rectilignes, romains ou pre´romains. Estre´e est de la famille de la strata latine (route pave´e) : l’origine en est un radical ster, a` la fois e´pandre et empiler, dont sont sortis d’un coˆte´ la strate et le grec stratos pour arme´e, de l’autre construire, la structure et l’industrie, l’estrade, ainsi que strada, street, Strasse et straat pour la rue chez nos voisins. A` coˆte´ de nombreux Estre´es apparaissent quantite´ d’Estrade et Lestrade en pays d’oc, des E´trelles dont trois communes de l’Aube, d’Ille-et-Vilaine et de Haute-Saoˆne, E´tre´aupont 02, E´trez 01, plusieurs l’E´traz, ou encore le Mont d’Estre´ a` Courtisols 51, le Mont d’E´tre´e a` Sorbais 02, Sous l’Estrade a` Cazalrenoux 11, Estre´pouy hameau perche´ a` Gazaupouy 32, et Strazeele 59 ; voire Strasbourg 67. Une curieuse de´formation a donne´ dans la Marne un Bussy-Lettre´e et un Dommartin-Lettre´e, villages re´pute´s moins pour leur culture que par la voie romaine qui les traversait. Estre´e-Cauchy 62, village-rue e´tire´ le long de l’ancienne N 341, porte un nom redondant, de´signant par deux fois la meˆme route, car les termes qui le composent n’e´taient plus compris ; et sa voisine Cambligneul a un quartier nomme´ la Plaine d’Estre´e. Sauchy-Cauchy 62 et Sauchy-Lestre´e 62 sont deux communes jumelles, qui se re´fe`rent a` la saulaie (Sauchy comme saussaie), et a` une meˆme route empierre´e dite Chemin de Cambrai, mais qui y est diffe´rencie´e sous les deux formes. La Croise´e-Cauchy est un hameau de carrefour de grand route a` Barzy-en-Thie´rache 02.

Divergences et croisements Les bifurcations et les croisements ont aussi leur vocabulaire. La division d’une voie en deux branches, souvent conside´re´e comme un lieu tabou dans des socie´te´s dites « premie`res », se traduit par des termes comme fourche, ou de fac¸on plus image´e en patte-d’oie. Les lieux-dits en Fourche sont surabondants, mais s’appliquent aussi a` des cols, voire a` des gibets, dits fourches patibulaires. Un celte gabalos, pour fourche, se lirait dans Gavaudun 47, Javaugues 43, le Ge´vaudan – mais quelques confusions sont possibles avec ces autres sens, et gab est aussi une racine pour la gorge. Les Patte-d’Oie se comptent par dizaines. Il s’en trouve notamment dans les faubourgs des villes, a` partir des anciennes portes. Toulouse a` son quartier de la Patte d’Oie a` sa sortie occidentale, comme Saint-Quentin au sud-est, La Rochelle a` l’est. La patte-d’oie minimale n’offre qu’une alternative, deux voies de sortie – donc trois voies en tout. Il en est bien ainsi de la Patte-d’Oie d’Amboise 37, de celle de SaintJammes 64, de celle d’Aubigny a` Vaux-Villaine 08, etc. La situation est un peu plus complique´e au Plessis-Patte-d’Oie 60, qui associe au mois cinq fourches diffe´rentes

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sur un petit pe´rime`tre, ou a` la Patte-d’Oie de Lussac 16, ou` l’on compte six directions. Une Petite et une Grande Patte-d’Oie sont des carrefours de sentiers dans la foreˆt d’E´vreux a` Arnie`res-sur-Iton 27, mais de cinq et huit voies. En revanche, la Patte d’Oye de Sains-la-Berrerie 61 est en rase campagne, a` peine si un sentier sort d’une petite route. Dans le Midi on dit Pied-d’Oie et en occitan Pe´dauque (comme la reine mythique de ce nom) : quelques lieux-dits sont ainsi nomme´s, dont Pe´dauco a` Merville 31 et Pe´daucou a` Villeneuve-le`s-Bouloc 31. Les latins nommaient trivium la bifurcation minimale a` trois voies. La figure est si ordinaire que l’adjectif trivial en a e´te´ tire´ dans son sens figure´ de « banal », voire vulgaire. Elle a donne´ des noms comme le Trie`ves, Tre´voux ou le Tre´voux (Lyonnais et Dauphine´), Trey (Gascogne), Treˆves 30 et Treˆves-Cunault 49, Saint-Mathieude-Tre´viers 34, la Treˆve du Loup a` Villeneuve-de-Marc 38, et bien entendu Treˆves sur la Moselle (Trier en allemand). Les croisements s’expriment surtout par l’ide´e de croix, ou par le nombre quatre. De tre`s nombreux la Croix ne viennent pas d’une croix religieuse, meˆme si de tels repe`res sont souvent e´difie´s a` des croise´es de routes, mais de cette croise´e meˆme. Les formes de´rive´es se lisent en des lieux-dits et communes Le Crozet, La Croisette, Lacrouzette, La Croisille, La Croise´e, La Croisie`re ; et des Crouseilles, Crouzilles, des Croux dans le Midi, Croixdalle 76, Croix-Mare 76 ; ou encore Kruystraete a` Bambecque 59, la Croix des Quatre a` Lacelle 19. Le breton croas-hent, croise´e de chemins, a fourni de nombreux Croaz-Hent, parfois mal traduits en Croissant, par exemple a` Combrit 29, Gue´gon 56 ou le Croissant-Perros a` Lannion. Le nombre quatre se devine dans le carrefour (quatre fourches), et dans ses formes locales. En viennent les tre`s nombreux Carroi, Carroir, Carrouge et Carrouges, Carroux, Carroue´, Carroz, Cournau, Quarroi et meˆme Queyrau, Queyraud, Queyrou, Que´roy, Quarouble 59, Charost 18 ; et un certain nombre de QuatreRoutes. Par image, Quatre-Vents de´signe souvent un carrefour, « vent » ayant le sens d’orientation et pouvant d’ailleurs avoir de´rive´ d’une ancienne « voie ». La Cafourque a` Parnac 46 est bien un carrefour, qui combine l’ide´e de quatre routes et de fourche ; on trouve aussi les Cafourques a` Uzech 46, la Cafourche dans une dizaine de lieuxdits de Charente, Dordogne et Gironde. En fait, le nombre de chemins qui se croisent n’est pas limite´. Au-dela` de quatre, il est volontiers compte´ : dans le Nord, les Cinq-Chemins a` Quae¨dypre ou a` Oost-Cappel, les Six-Chemins a` Hondschoote ou a` Winnezeele, les Cinq Rues a` Lederzeele et les Six Rues a` Staple me´ritent bien leur nom. Hontanx 40 fait mieux avec les SeptChemins et Pey 40 n’he´site pas a` annoncer les Neuf-Chemins (ils y sont en effet)... Le concept de carrefour a pu eˆtre transpose´ a` la place centrale du village, lieu de convergence de voies, ou a` un terrain communal assez central. C’est le sens de certains carroi et carroir, caresle et carrel en Normandie, ou de la Carge en Bourgogne (Briant 71, Marcilly-la-Gueurce 71) ; du carreau comme place commune, sens conserve´ aupre`s des halles ; du queyrau auvergnat (A. Fel), comparable au coudert. Le kreis breton est de meˆme nature et s’applique a` un centre de ville. Les raccourcis meˆme ont leurs mots. Le latin compendium, qui vient de l’ide´e de « peser », soupeser, et indique une e´conomie en ge´ne´ral, une e´conomie de trajet en particulier, est l’un d’eux. Il est re´pute´ eˆtre a` l’origine de Compie`gne 60, de

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Compains 63, Compigny 89, peut-eˆtre de Champdeuil 77. Rendre plus court se lit aussi dans Coursie`re, Courrie`re, Escourch en occitan : d’ou` l’Escourche a` Limans 04, Les Pennes-Mirabeau 13 et Bandol 83, l’Escourte´ja a` Dauphin 04 ou l’Escourte´ga a` Lourmarin 84. Couper court est aussi traverser : quelques Traverse le rappellent, dont par exemple trois en Arde`che, quatre en Lot-et-Garonne. Un vocabulaire un peu particulier s’est attache´ aux chemins et carrefours forestiers. Les sentiers de la foreˆt se nomment laie ou laye (foreˆts de Mormal, de Saint-Michel), e´ventuellement ligne, qui est le meˆme mot, dans les foreˆts de Tronc¸ais, de Berce´, de Paimpont, de Mayenne, de Perseigne, de Bellary dont le Grand Rond est au centre d’une e´toile de treize lignes (a` Chaˆteauneuf-Val-de-Bargis 58). Bommiers 36 a un Carrefour des Cinq Lignes et Vendresse 08 une Ligne aux Sapins dans la foreˆt de Sapogne. Le terme semble avoir pu donner des noms comme Le´az 01, des Layat, Ley, Laix, Layette, la Lay, Lalier. Dans les grands massifs, les chemins se hissent au rang d’alle´e (foreˆts de Haguenau, Braconne, Rambouillet, Gaˆtine) ou de route (toutes les grandes foreˆts). On nomme Paralle`le dans la foreˆt landaise a` Mimizan ou Biscarosse des chemins nord-sud, et Perpendiculaire des chemins est-ouest, ce qui est contradictoire avec la ge´ode´sie, puisque les paralle`les sont par de´finition des lignes est-ouest ; mais sans doute ici s’est-on de´termine´ par rapport a` la ligne de coˆte... Certains chemins forestiers se nomment tranche´e, par me´taphore (foreˆts de Rambervilliers, la Coubre, la Tranche´e du Pied Cornu a` Selaincourt 54) ou tranche (foreˆts du Der et de Val pre`s de Saint-Dizier, la Tranche des Quatre Me`res a` Rocroi 08). On trouve routin dans la foreˆt de Conches a` Nagel-Se´ez-Mesnil 27, tire´ en foreˆt de Rambouillet : Tire´ de Moque-Souris, Tire´ des Malnoues, Tire´ des Plaisirs. Nous avons vu que dans le Nord la dre`ve peut eˆtre une alle´e ou un chemin forestier. D’autres encore portent le nom de sommie`re, un chemin praticable par les beˆtes de somme et donc pour des transports ; des sommie`res figurent en foreˆts de Pre´mery, Cre´cy, E´couen, Chaux, Othe ainsi qu’en Bretagne. On note par exemple une Sommie`re des Grands Heˆtres, une des Vieux Cheˆnes, une des Bois de Nouvion, une de Domvast a` Cre´cy-en-Ponthieu 80. On trouve e´galement ribbe dans le Midi, au sens de sentier vers ou dans la foreˆt, spe´cialement en Auvergne et Limousin comme a` Aydat 63, Tauves 63, Job 63, Auziers 15, Le Grand-Bourg 23, Saint-E´tienne-deFursac 23 ; le terme a e´te´ conside´re´ comme e´quivalent de rive par E. Ne`gre, ce qui ne s’accorde pas avec la topographie ; l’ide´e de raie, rayure serait plus probable. Les carrefours forestiers sont aussi des ronds-points (Braconne), ou plus simplement des ronds (Chambord, Gaˆtine, Berce´, Tronc¸ais, Brotonne, la Londe) – on sait leur extension et leur prolife´ration sur les routes de France. Plus ambitieux, ils se nomment e´toiles, notamment dans la foreˆt de Saint-Germain-en-Laye qui en a plusieurs, dont l’E´toile du Bout du Monde qui a dix voies alors que l’E´toile du Roi n’en a que cinq. A` Jouy-le-Potier 18, l’E´toile est une ferme dans une clairie`re d’ou` partent huit voies – l’E´toile du Pave´ de Meudon a onze voies, la place de l’E´toile a` Paris en compte douze. Re´duits de moitie´ a` l’ore´e des bois, ronds-points et e´toiles deviennent des demi-lunes, comme a` Saint-Mande´ 94 pre`s du bois de Vincennes, ou a` la pittoresque Demi-Lune du Cheˆne des Quatre-Œufs a` l’ore´e de la foreˆt de Liffre´ 35, d’ou` l’on va au Carrefour des Sept Chemins, puis un Carrefour des Dames, un Carrefour du Pied de Haie....

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Passer l’eau Les traverse´es d’obstacles sont des accidents sur les cheminements, ce qui incite a` les nommer. Certaines sont e´voque´es directement par des noms communs et des noms de lieux issus de deux origines distinctes mais dont les formes finales se confondent : l’IE tere, passer a` travers, d’ou` vient le pre´fixe trans- ; l’IE tregh, tirer, d’ou` viennent le trait, le train, le tracteur et le trajet. Un trait est un e´troit passage entre ıˆle et continent, ou entre deux ıˆles, ou une traverse´e de rivie`re, comme a` Trith-Saint-Le´ger 59 sur l’Escaut. Treix, Treiz et meˆme Tre´pas, Trespa, sont des passages « a` travers », « outre », souvent synonymes de gue´. Treix et Trech sont assez fre´quents en Limousin, surtout en Creuse, dont l’E´treix a` Peyrat-la-Nonie`re 23 ; mais des confusions sont possibles ailleurs avec trez comme traıˆne´e de sable en breton, traict comme vasie`re et meˆme treiz comme friche (chap. 6). Certains linguistes voient dans Tarascon 13, Tarare 69 ou Tartas 40 l’indication d’une traverse´e, e´ventuellement a` partir du terme celtique taro, « qui traverse ». Une partie des tre`s nombreux Trait, les Traits, les Grands Traits, les Longs Traits pre´sents dans les campagnes ont pu avoir le meˆme sens ; mais d’autres sont de´pourvus de tout chemin et de toute traverse. Quatre the`mes sont a` ce sujet capitaux : le gue´, le pont, le col, le de´file´. Le gue´ a` non seulement attire´ tre`s toˆt les chemins, mais e´galement suscite´ villages et villes. Il se fixe en toponymie sous deux grandes familles. L’une tient a` l’ide´e de voie et comprend le vadum latin, le gue´ et les formes gois, gua, goua, goa, voire ga, gat, gas et gaz, les formes wez, vey, ve`de. L’e´ventail est large : la liste comprend Vœuil-et-Giget 17, anc. Vadolio, Manhoue´ 57 (anc. Manwe, grand gue´), Maranwez 08, Renwez 08, Regniowez 08, We´ a` Carignan 08 et le Petit We´ a` Villy 08 ; et aussi des Vey, Les Veys, Voue´ (A. Dauzat) et meˆme Auboue´ 54, le Gois de Noirmoutier, le Gue´ Mandres a` E´pinay-sous-Se´nart 91, Guipereux (gue´ pierreux) a` Longpont-surOrge 91, quantite´ de le Ga et le Gua, le Wetz a` Sainte-Marie-Kerque 62 au bord de l’Aa, Gae¨l 35 (anc. Wadel), Latga (a` Frontenac 15) comme « gue´ large », etc. La brie`vete´ de ces termes entraıˆne des alte´rations et confusions, quand on lit le Gaz a` Apremont 73 et Saint-Andre´-le-Gaz 38, ou la Gaille, la Guelle et meˆme Goe¨lle a` Souternon 42, cite´s par X. Gouvert. Dans le Midi, les nombreux Gasquet ont le sens de petit gue´, quand ils ne viennent pas d’un NP issu de Gasc (= Gascon). La forme devient meˆme gazelle en Auvergne et alentour : par exemple, la Gazelle a` Andelat 15, Gazels a` Montlaur 12, les Gazelles a` Berthole`ne 12 ; il existe un Pont de la Gazelle a` Se´gur-les-Villas 15 et a` Saint-Victor-la-Rivie`re 63. Une autre famille vient du rito celte, sous diverses apparences dont celles de rit, red, roudouz, re´ et meˆme roi. Les chercheurs l’ont de´couvert sous Niort 79 (Novo Rito), Chambourg-sur-Indre 37, Chambord 41 et Chamboret 87 (Cambo Rito), Jors (Ascou 09, Sorgeat 09), Gisors 27, Ruelle 16. Roudou est tre`s re´pandu en Bretagne sous diverses formes comme Roudouhir (long) a` Plounay 22, Scrignac 29, Hanvec 29, Roudouic Vihan (double diminutif) a` Pluguffan 29, Roudouallec 56 le gue´ des saules (haleg) ou « franc¸ais » (Gallec). Le stade de football du Roudourou au bord du Trieux est l’une des gloires de Guingamp. D’autres Roudourou (forme plurielle) sont devenus Roudouriou (Pleumeur-Bodou 22, Saint-Quay-Perros 22). Perret 22 est Pen-Ret, le bout du gue´ (M. Morvan). Redon 35 serait Rito Dunum, le

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fort du gue´. Roy-Boisy 60, Royel-sur-Matz 60 et Roye 60, Roye 80 seraient de la meˆme espe`ce. Le hameau de Roiville a` Ce´relles 37 est en fait une ancienne Rito-villa : ni ville, ni roi, juste une maison du gue´ ; et le Gue´ du Roi a` la Ferte´-Saint-Aubin 45 a tout d’un rito redouble´. Ce rito aurait pour origine l’ide´e de porter, du radical IE prt qui a, par d’autres cheminements, donne´ aussi le ford (gue´ en anglais) et le furth ou firth ; plusieurs lieux-dits en Furt sont en Alsace, et Furtwasen (le pre´ du gue´) est un lieu-dit de Mondorff 57 au bord de l’Altbach (« vieux ruisseau »), rivie`re frontalie`re. Le ne´erlandais vorde, de meˆme famille, apparaıˆt directement dans plusieurs noms flamands comme Steenvoorde 59 et son Bois de Beauvoorde. Tre`s diffe´rent est le basque ibi, e´quivalent de gue´, pre´sent dans plusieurs noms de lieux comme Olhaı¨by, le gue´ de la forge, a` Ithorots. Et comme en certains lieux les torrents sont profonds, le mot barle a pu de´signer selon R. Luft des traverse´es ou` l’on doit beaucoup se mouiller, comme au Col du Barle (Re´allon 05), au Torrent du Barle (Orcie`res 05), a` Barles 04. Si le gue´ permettait de passer des charges a` dos d’homme ou d’animal, traverser une rivie`re sans se mouiller exige un pont, au moins une passerelle. Il existe, sur de petits cours d’eau, toute une se´rie de toponymes en planque, palanque, planche qui font allusion a` une passerelle plus ou moins permanente, qui y fut jadis ou nague`re. Il en serait ainsi par exemple aux Planques de La Chausse´e-Tirancourt 80, a` la traverse´e du ru de la valle´e d’Acon, affluent de la Somme. L’IGN enregistre 63 occurrences de Palanque dont un a` Fals 47 au de´bouche´ de l’Estressol dans la plaine de la Garonne, un au pied de la bastide de Castillonne`s 47 a` la traverse´e de la Douyne. Citons encore les communes de La Planche 44, Planches 61, Les Planches-en-Montagne et Les Planches-pre`s-Arbois 39, quelques Planque et Plianque, en Normandie et jusqu’a` Saint-He´lier en Jersey (Planque ou Plianque Billot). Ces passerelles n’ont pas e´te´ ne´cessairement en bois : en Limousin elles ont pu eˆtre en granit taille´, comme a` la Planche de la Clavelle a` Saint-Martin-le-Chaˆteau 86. Le pont a plus de solidite´ et de permanence. Des villes ont fixe´ des ponts, et certaines sont ne´es d’un pont. Beaucoup ont conserve´ le terme dans leur nom : Pompierre 88 et plusieurs Pierrepont, des dizaines de Le Pontet, Pont-a`-Mousson 54 nomme´ d’apre`s le vieux village fort et perche´ de Mousson, Pont-Audemer 27 (avec un NP germanique), Pontivy 56 (pont du bourg de Saint-Ivy), Pontchaˆteau 44, Pont-del’Arche 27 (et une dizaine de lieux-dits), Sollie`s-Pont 83 (par opposition a` Sollie`sVille). Souvent est associe´ a` « pont » le nom de la rivie`re traverse´e : Pont-d’Ain 01, Pont-Aven 29, Pont-Scorff 56, Pont-sur-Meuse 55, Pont-sur-Yonne 10, Pontoise 95, Pontarlier 25, Escautpont 59, et meˆme Pontoux 71 (sur le Doubs, anc. Ponte Dubis). Le Pont des Quatre Communes est un hameau a` la jonction des territoires de Gravelines, Saint-Georges-sur-l’Aaˆ, Loon-Plage et Craywick 59, il s’en trouve un autre a` Peuvillers 55, en un lieu ou` le dessin des finages est tre`s intrique´. L’Entrepont d’Amboise 37, a` la pointe de l’ıˆle d’Or (ou ıˆle d’Amour) est bien entre deux ponts sur la Loire. Le mot pont vient, par le latin pontus, de la racine IE pent qui est marcher, passer, d’ou` path en anglais, pout en russe pour des chemins, pontife (qui fait le chemin) et pe´ripate´ticienne (qui chemine alentour...). La forme latine pons est conserve´e a` Pons 17. De multiples lieux-dits Le Pont ou Pons s’e´parpillent, ainsi que des

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Ponceau, ou encore Le Ponchel 62. Ge´oportail mentionne plus de quarante le Bout du Pont, de´signant en ge´ne´ral un quartier au-dela` du pont, comme a` Amboise 37, a` Brux 86, a` Faverney 70 ; ainsi que plusieurs Pont-l’E´veˆque, a` ou de l’E´veˆque, Capdepont a` Osserain-Rivareyte 64, Pont-Qui-Penche, hameau d’Ons-enBray 60, Pont de Quatorze Me`tres a` Azay-sur-Indre 37, Pont Perce´ a` SainteCe´ronne-le`s-Mortagne 61, le Pont-qui-Tremble comme hameau a` Jarze´ 49, et plus curieusement encore le Pont-du-Port-qui-Tremble sur la Loue en val de Loire a` Dene´e 49. Un autre terme a e´te´ tre`s employe´ : briva, un mot celte issu d’un IE bhru, de´signant une poutre servant de passerelle et qui a donne´ aussi bridge en anglais et Bru¨ck en allemand, brug en ne´erlandais. De multiples Brive et Brives, Bre`ves, Brienne, Brioude, Brides en perpe´tuent clairement le nom. Sont interpre´te´s pareillement Chabris 36 (Caro-briva, pont sur Cher) et Salbris 41 (pont sur Sauldre), Brissarthe 49, Briollay 49, Briare 45 (de Brivodurum), Brieulles-sur-Meuse 55 et -surBar 08, Brie 80, Brionne 27, Brie`res-les-Scelle´s 91, Ble´re´ 37 (anc. Briotreit, la traverse´e du pont ou le pied du pont selon S. Gendron), ainsi que Brue`re-Allichamps 18 et Briares-sur-Essonne 45. La forme bruck, brug apparaıˆt dans le Nord-Est comme a` Bre´chaumont 68 et La Broque 67. Mille-Brugge est le pont du moulin, a` Warhem 59. Pont-de-Brique a` Saint-Le´onard 62 fut jadis Pont de la Brike, ce qui laisse soupc¸onner un pont du pont (D. Poulet) ; Pont de Briques se retrouve a` Isques 62 et Coulogne 62. Le breton a adopte´ pont, parfois alte´re´ en bont comme a` Hennebont 56 (le vieux pont) et emploie treuzell pour une passerelle, de treuz, dreuz, qui traverse, comme trans ; on trouve par exemple un Treuzer Bihan (petit) et un Treuzer Braz (grand) au bord de la Sarre a` Se´glien 56. Le basque emploie zubi ou c¸uby, qui serait forme´ sur le gue´ (ibi) et le bois (zur) ; il est transparent dans Arzubi (pont de pierre, a` Ispoure), Esterenc¸uby 64 (le pont des gorges). Notons aussi que, plus re´cents, des lieux-dits le Bac signalent des traverse´es de rivie`res par bateau ; seule l’observation du terrain permet de les diffe´rencier des Bac au sens d’ubac fre´quents en pays de relief accidente´ et plutoˆt me´ridionaux. C’est e´videmment le cas pour le Bac a` Lacroix-Saint-Ouen 60 (sur l’Oise), a` Samoreau 77 (sur la Seine), a` Pre´cy-sur-Marne 77 (sur la Marne), ou a` Neuvic 24 (sur l’Isle). Les communes de Berry-au-Bac 02, Choisy-au-Bac 60, ainsi qu’Aubencheulau-Bac 59 et Aubigny-au-Bac 59 qui se font face de part et d’autre de la Sense´e, Wasnes-au-Bac 59 l’ont incorpore´ a` leur nom, au plus tard en 1801.

Les deux faces du col L’ide´e de passage se traduit directement dans le pas, la passe, le passage, la passe´e, la passie`re. Outre les innombrables passages de la voirie urbaine, on trouve des passages sur les creˆtes en montagne, comme le Passage de la Balme sous le Mont Valier, le Passage de la Le`gne sur la creˆte frontie`re a` la Barlongue`re, tous deux aux Bordes-surLez 09, ou` est aussi le Passage des Che`vres ou Port de Cornave ; un autre Passage des Che`vres est a` Saint-Re´my-de-Maurienne 73, un Passage des Chamois a` Arvillard 73.

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Ces termes s’appliquent aussi a` des traverse´es de rivie`res, telle la Passe´e a` La Pommeraye 49, ou de foreˆt comme la Passe´e a` Orc¸ay 41. Sur une quarantaine de lieux-dits la Passe´e, presque tous sont en plaine. Pacheu s’emploie en Savoie, mais on trouve aussi un Pacheu sous le col d’Iche`re (commune de Lourdios-Iche`re 64), un autre a` Montory 64, la confusion avec un pacage restant possible. Pas de´signe de nombreux cols, et pass a pris en anglais et en allemand le sens ge´ne´ral de col. Ainsi du Pas de la Combe d’Enfer a` Auzat 09, du Pas de la Banque de Lauret a` Couflens 09, du Pas de Peyrade a` Seix 09. Saint-E´tienne-de-Tine´e 06 a un Pas de la Barbacane, Larche 04 un Pas de l’Aˆne et un Pas de la Che`vre ; Saint-Be´at 31 a des Pas de la Coumasse, du Bouc et de Chau. La Passe est plus employe´ pour des passages fluviaux et maritimes. Les cols sont les points par ou` les chemins et les routes franchissent les obstacles du relief, et pas seulement en montagne. A` peu pre`s tous ont rec¸u un nom. La famille du col est issue du latin collis, l’un des descendants d’un IE kel qui assez curieusement indiquait une ide´e de tour et de retour, tourner autour et, de fait, rester sur place, et a donne´ aussi la culture, le culte, la colonie, le cycle et le cou. Elle comprend des de´rive´s : collet, coulet et collada, couillade, ainsi que le cot en Gascogne, le coll en catalan, localement le cou du Be´arn aux Alpes, ou` l’on a meˆme trois Col de Cou en Haute-Savoie. Notons le Coll del Bouix et le Coll de les Alzines a` Tautavel 66 qui e´voquent le buis et le cheˆne vert, la Collada a` Formigue`res 66, la Couillade a` l’est de Montse´gur 09, les Couillades des Marchands et de Ventefarine sur une creˆte au sudouest de Saint-Paul-de-Fenouillet 66 ; un Col de la Couillate a` Suc-et-Sentenac 09, un Col de la Couillole a` Roubion 06, aux noms redondants. Orlu 09 collectionne une Couillade des Bourriques (aˆnes), une de la Greulie`re (corneille), une de la Llause (pierre plate) ; plus une Couillade d’En Beys au sud et un Col de l’Osque au nordouest, qui sont redondants comme nous allons le voir. Le col dans les Pyre´ne´es est ge´ne´ralement rendu par le mot port et ses de´rive´s : portel, portet, porteille, pourtalet. Le mot est le meˆme que pour les ports maritimes ou fluviaux et a la meˆme origine, d’ailleurs partage´e avec la porte, le portail et le transport, tous venant du prt indo-europe´en : c’est l’endroit par ou` l’on « porte » les fardeaux. Le port pyre´ne´en est donc aussi une porte : les villages de Porta et de Porte´-Puymorens sont bien perc¸us comme portes d’acce`s a` l’Arie`ge et a` l’Andorre en venant de la Cerdagne. La diffe´rence radicale de termes entre col et port, pourtant rigoureusement synonymes, multiplie les redondances : on dit le col de Port, le col du Portillon, le col du Pourtalet. Un Pic Entre les Ports se signale a` Aulus-les-Bains 09. Certains pot dans les Alpes ont pu de´signer des ports – ou des pas au sens de passage – comme au nord-est de la commune de Saint-Agnan-en-Vercors 26 ou` sont les Pot du Play, de la Ge´linotte, des Bayles, de l’E´chelette, un Pas de l’E´chelette e´tant aussi en limite de la commune mais au sud. Tout col a un double aspect : vu de la montagne, ou comme horizon, il est abaissement de la ligne de creˆte, le point le plus bas ; mais sur le profil du chemin, il est le point le plus haut. Ne nous e´tonnons donc pas que, dans ses de´nominations, s’opposent deux familles. Colmet est employe´ dans le second sens : le terme vient de culmen, ce qui culmine. Sa proximite´ avec le terme col est source de maintien, tout autant que de confusion ; il a pour formes locales cormet, comme au Cormet de

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Roselend et au Cormet d’Arre`ches a` Beaufort 74, aux Chalets du Cormet de Granier 73, parfois querme. Lautaret exprime la meˆme ide´e : ce qui est en haut, mais en diminutif pour un passage en hauteur ; le col du Lautaret entre Oisans et Brianc¸onnais (2 058 m) souvent franchi par le Tour de France n’est pas le seul de ce nom, mais tous les Lautaret ne sont pas des cols : au-dessus des Claux de Vars 05, il s’agit d’un grand versant. En sens inverse, comme de´pression d’une creˆte, trois e´tymons surtout ont servi : le bas, qui s’exprime par des Baisse, Baissette, Baix, Beys selon les montagnes ; le creux, qui apparaıˆt surtout sous la forme de fos et foce ; l’ouverture, la bouche (bocca), dans les Alpes Maritimes et en Corse. Ainsi a-t-on la Baisse Cavaline (a` Saorge 06) et la Baisse de Barre-Route (a` Prads-Haute-Ble´one 04), la Baisse du De´troit (a` Colmarsles-Alpes 04), du Pas de Bassiuet a` Melle 31, ou` pas et baisse sont redondants. SaintMartin-Ve´subie 06 n’a pas moins de huit « baisses » : de la Malaribe, de l’Agnel, de Cougourde, des Gaisses, du Lombard, du Clot Aut, des Cayres Ne`gres, des Cinq Lacs. Orlu 09 a une Couillade d’En Beys qui semble bien un autre cas de redondance, entre col et baisse. Les Foce sont nombreux en Corse. Certains sont lie´s a` de simples creux, des lieux bas, mais d’autres sont bien des cols comme Foce Alta a` Olivese 2A, Foce d’Orto a` Ota 2A ou meˆme Foce 2A pre`s de Sarte`ne, avec des de´rive´s Foata (une douzaine), Focicchia (dont une commune de Haute-Corse), Foatella (Paeata 2B). On trouve aussi des redondants Col de Foce a` Vezzani 2B, Col de la Foata a` Zuani 2B, Polveroso 2B, Scolca 2B, Pianello 2B, Foce Incesa (fosse+incise) a` Porto-Veccio, Bocca di Foce a` Quasquara 2A et plusieurs autres Bocca a Foce ou Bocca di Foce. Bocca est en effet employe´ en Corse dans le meˆme sens, comme une ouverture, une be´ance : ainsi Bocca Ladra a` Serriera 2A, Bocca d’Oro a` Isolaccio-de-Fiumorbo 2B, une Bocca di Banditi sur la creˆte entre Sorio et Pietralba 2B, quatre Bocca di u Saltu ou Bocca di Salti, plusieurs Bocca a Croce (de la croix ou du carrefour comme a` Novella 2B) et les redondantes Bocca Bassa a` Bale´ria 2B ou a` Castiglione 2B, Bocca a Foce a` Lopigna 2A, Appietto 2A et San-d’Orcino 2A, Bocca di Foata a` Zilia 2B. On trouve dans le sens de col quelques Bouche en pays nic¸ois, comme a` Luce´ram 06 Bouche de Bet, Bouche de Couto, a` Pierlas 06 Bouche de Gairra sur une creˆte pourvue de plusieurs Baisse. Le corse emploie a` l’occasion une image originale pour de´signer aussi bien un col qu’un gue´ : varicaghjo, qui exprime l’ide´e d’enjamber (e´carter les jambes) ; elle a donne´ Barcaju (Sarte`ne 2A), Barcajo (Morsiglia 2B), Barcaggio (Ersa 2B), Barcajolo (Sollacaro 2A). Le basque utilise lepo pour le col comme pour le cou, terme que les spe´cialistes renvoient a` un pre´-indo-europe´en tep, abondant en oronymie ; tels Ametzlepo aux Aldudes (col du cheˆne), Elhurosolepoua a` Larrau (col de la neige). Certains cols sont exprime´s par une autre ide´e, dont le sens reste discute´, celle de la fourche : soit par image de l’e´vasement des reliefs encaissants, soit par celle de la convergence et divergence des chemins qui se rassemblent pour franchir le col, voire au sens ou` l’on enfourche une creˆte. Fourche et Forclaz sont tre`s employe´s dans les Alpes, Forca en Corse, ou` Guagno 2A meˆme une Bocca Forca. On trouve aussi fourque, hourquette comme au Port de la Hourquette a` Sentein 09, e´galement redon-

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dant. L’enclave de Vielle-Aure 65 dans le Ne´ouvielle a sa haute creˆte e´chancre´e par Hourquette Ne`re (noire), Hourquette Bracque, Hourquette de Cabrerolles, Hourquette d’Aubert, tous des cols d’altitude. La Hourquette des Hounts-Secs (des sources se`ches) est franchie a` 2 267 m par le GR 10 dans la commune d’Ooˆ 31, entre deux pics a` 2 513 et seulement 2 296 m. La Forclaz est une commune de Haute-Savoie, ou` sont de nombreux lieux-dits Forclaz et meˆme plusieurs Col de la Forclaz.

´ chancrures E Tout un groupe de toponymes associe´s a` des cols et des passages difficiles s’est fixe´ autour de l’image d’une entaille dans le relief, mais en des termes tre`s diffe´rents. Outre l’entaille meˆme, que l’on voit par exemple aux Entailles de Laussis a` Arches 15, ou la Vieille Entaille, une saigne´e de chemin creux a` Hamelet 80, il comprend incise et ancize, de meˆme sens. Les Ancizes 03 est un ancien village du plateau de Combraille, dont le nom e´voque l’entaille des gorges de la Sioule. Bedoue`s 48 a un col de l’Ancise, Saorge 06 un Pas de l’Incise. Le terme est parfois e´crit Ancise, Encise, Encire, Lancise, Lancire. Lancyre a` Valflaune`s a ce sens, et a suscite´ un Chaˆteau-Valcyre dans les anne´es 1950 pour cause de promotion viticole. Les Pas des Lanciers de Mallemort 13 et du Plan-d’Orgon 13 sont d’aimables fantaisies de topographe en goguette qui n’avait pas bien entendu des Pas de l’Encia, passage de l’encise (probablement), ou de l’angoisse (pour pimenter). On note aussi une Coˆte de Pierre Encise a` Arbois 39, une Encise a` Erce´ 09. Le terme corse correspondant a donne´ le de´file´ de l’Inzecca a` Ghisoni, ou` se faufile le Fium’Orbu ; il existe aussi un Rocher d’Inzacca a` Tralonca et un Capu a l’Inzecca a` Albertacce. Ascle a le sens de fentes, fissure ou entaille, a` l’origine des cols de l’Asclie´ (NotreDame-de-Rouvie`re 30) voire du Clat 11 (P. Fenie´). Osque est tre`s proche, qui a longtemps de´signe´ les entailles porte´es sur un bout de bois par le boulanger pour tenir le compte des dettes de ses clients, ou le cran grave´ dans le fle´au des anciennes balances ; osk (ask) est aussi une entaille en breton. Le Pas de l’Osque est une vigoureuse entaille du relief pyre´ ne´en a` Lescun 64 ; ce nom est redondant, comme d’ailleurs le Col de l’Osquet a` Antras 09, le Col de l’Osque a` Orlu 09. Saint-Lary-Soulan 09 a l’Osque de la Coumasse (de la grande combe) et l’Osque du Couret, autre doublet, puisque le couret est un col. Le Col d’Osquich a` Musculdy 64 peut eˆtre interpre´te´ de la meˆme fac¸on. Osque a une probable parente´ d’origine avec incise-ancize a` partir de l’indo-europe´en kae-id, dont sont sortis le suffixe -cide du latin caedo (couper, et par association tuer), ainsi que l’incision et les ciseaux. On doit prendre garde toutefois qu’un risque de confusion existe avec -osque ou -asque comme suffixe locatif pour des lieux habite´s, re´pute´ « ligure » et fre´quent en Provence, comme a` Manosque, Lantosque. Ces entailles sont aussi des encoches ou coches ; Ge´oportail ne cite qu’une Grande Encoche a` Villers-les-Hauts 89 et un redondant Col de l’Encoche a` Che´zeryForens 01, mais les coches abondent sous diverses formes. Coche, coigt en pays be´arnais, semblent de meˆme nature et de meˆme origine que l’osque. La Grande

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Coche correspond bien a` ce sens a` Entraigues 38. R. Luft signale des Pas de la Coche (Allemont 38, Treschenu-Creyers 26), La Coche (Venosc 38, Bessans 73, Theyts 38), un Mont de la Coche (Jarsy 73), un Nant de la Coche (Peisey-Nancroix 73). Dans les Pyre´ne´es-Atlantiques, les Coigt de Lasseube et de Parbayse (a` la limite de Monein), le Coigt de Ber a` Oloron, le Coigt de Jaut a` Castet sont bien des cols. Il en serait de meˆme des hoche : il existe un Col de la Grande Hoche a` Ne´vache 05 (Brianc¸onnais) et un autre a` Saint-Christophe-en-Oisans 38 ; mais d’autres lieux-dits en hoche dans les Alpes du Sud sont plutoˆt en pied de versant, et ailleurs semblent plutoˆt de´signer l’entaille de petites valle´es. Nombre de bre`ches incisent des creˆtes, en particulier dans les Alpes Maritimes, telles la Bre`che Margroie et la Bre`che du Claus a` Valdeblore, la Bre`che de l’Ubac et celle des Deux Fre`res a` Saint-E´tienne-de-Tine´e ; d’autres sont en montagne arie´geoise, comme la Bre`che des Lavans a` Auzat ; et la Bre`che de Roland au-dessus de Gavarnie 65 est assez visible de loin et assez e´troite pour avoir fait imaginer un coup de l’e´pe´e Durandal dans la creˆte frontie`re.... En plaine, la Bre`che d’Erne´e a` Contest 53 est dans l’ouverture du ruisseau de la Heslonnie`re, la Bre`che a` Curgy 71 est sous un petit col. L’e´criture en est parfois berche : Berche de l’Annoncia a` Bessans 73, Berche Noire a` Chantelouve 38 et le Col des Berches a` Saint-Christophe-en-Oisans 38, de nombreux la Berche dans les Alpes du Sud et jusqu’en Arde`che. Goulet est employe´ dans le sens de col, ou du moins d’ensellement sur une creˆte, dans les Alpes, le Jura et le Vivarais : en te´moignent le Goulet d’Hurtie`res et le Goulet de Lorzier a` Pommiers-la-Placette 38, le Goulet de la Verrie`re a` Saint-Vincent-deDurfort 07 ou le Goulet des Tribles a` Saint-Sauveur-de-Cruzie`res 07, le Goulet de Bois a` Nurieux-Volognat 01, le Goulet de Malpertu a` Saint-Julien-du-Gua 07 qui e´voque un « mauvais pertuis », le Goulet de Fontfreyde a` Burzet 07. Sarrat, serrat (« resserre´ ») se dit dans le Midi pour un passage e´troit, un petit de´file´, notamment dans les Corbie`res et les Pyre´ne´es ou` Castillon-de-Larboust 31 a meˆme un Sarrat d’Osque redondant. Sarrat existe e´galement dans les Alpes, mais il peut aussi simplement de´signer une « petite serre », une e´chine. D’autres e´chancrures ont pour nom cre`ne, apparente´ a` cran et cre´neau : le Cre´neau d’Endron a` Goulier 09 dans le Vicdessos, l’Encre`ne (Larche 04), Encrenaz (Marnaz 74) et l’Aiguille de l’Encrenaz a` Chamonix. Apparaissent aussi comme e´chancrures feneˆtre et les proches fente, fescle, ficle et fe´claz. La Coˆte Fendue est une colline dont la creˆte est entaille´e par le Chemin des Romains a` Bre´ban 51 ; Bariseyau-Plain 54 a aussi sa Coˆte Fendue sur l’ancienne voie romaine de Lyon a` Treˆves. La Fente de Babre a` Baume-les-Dames 25 est une e´chancrure dans le massif de Babre. La Fe´claz (commune des De´serts 73) tient une ouverture entre le Mont du Revard et la Montagne de Lachat. Feneˆtre se lit dans plusieurs Fenestrelle ou Fenestrelles du Massif Central et des Alpes, des Fenestre en Loze`re, la Madone et le Col de Fenestre (Saint-MartinVe´subie 06), le Col de Finestrelles (Llo 66), Finestret 66, la Feneˆtre de Tre´laporte a` Chamonix-Mont-Blanc 74, la Feneˆtre de Trempasse a` Peyrolles-en-Provence 13 ; Feneˆtres a` Bussie`res 42 est sur un col. La Vineuse, sur un col au nord-ouest de Cluny 71, se nomma jadis Fenestra (G. Taverdet). Fendeille 11 fait re´fe´rence a` la

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fente du ruisseau de meˆme nom, par laquelle s’insinue la route de Castelnaudary a` Mirepoix (D 6). On trouve les Ficlas a` Morzine 74 et Hostiaz 01, la Fescle a` Aix-enDiois 26, les Fe`cles a` Nantua 01, Serre et Rochers des Fe`cles a` Saint-Jean-enRoyans 26, Pas-des-Fe`cles a` Malleval-en-Vercors 38. E´chelle et escalette e´voquent une monte´e raide, pourvue de marches ou d’e´chelons : Les E´chelles (73) en Chartreuse, L’Escale (04), le Col de l’E´chelle a` Ne´vache 05, les Cascades des E´chelles (Les Bordes-sur-le-Lez 34), les Pas de l’Escalette de Bagne`resde-Luchon 31 et de Saint-Fe´lix-de-l’He´ras 34, le Tuc des Escalettes a` Seix 09, l’Escale de Saint-Girons a` Couflens 09, le Port de l’Escale a` Auzat 09, le Pic de l’Escalette et le Pic d’Escales a` Boutx 31. Ge´oportail rele`ve une vingtaine de Pas de l’Escalette, de l’Escalie`re, de l’Escale`re, de l’E´chelette, de l’Escalier, des Escales ou de l’Escala. Le nom de Chalabre 11, ancien Calabriga, a pu eˆtre attire´ par scala, escala, mais peut-eˆtre au sens d’e´tape. S. Gendron suppose une pente raide au Plessis-l’E´chelle 41 en bordure de la foreˆt de Marchenoir en Beauce, ce que la topographie ne sugge`re cependant pas ; de meˆme, l’Escale a` Estirac 65 fait plutoˆt penser a` un relais sur une route. Un passage e´troit et vertical se dit me´taphoriquement chemine´e. La plupart des chemine´es ne figurent gue`re que sur des cartes tre`s de´taille´es pour alpinistes. Toutefois le 1:25 000 IGN signale une Chemine´e de Cap de Pont (Saint-Pierred’Albigny 73), une Chemine´e de Cornave (Bonac 09), une Chemine´e de Corde (Saint-Laurent-du-Pont 38) et un lieu-dit Chemine´e dans le vallon du ravin de Mouresse au Moustier-Sainte-Marie 04. Trabuc implique l’ide´e de tre´bucher : il s’en trouve aux Me´es et a` Authon 04, a` Moulinet 06, a` Mialet 30 ; un Trabucciu est a` Meria au Cap Corse.

Les portes e´troites Les cols sont souvent des passages difficiles, mais ils ne sont pas les seuls. Un large vocabulaire e´voque des circulations hasardeuses et des endroits dangereux sur les chemins. Les Maupas, Malpas, Malpasset abondent, et malpas est en pratique un nom commun dans le Sud-Ouest pour de´signer un passage difficile. Bien des Pas de l’Aˆne ont un sens voisin, sugge´rant que seul un aˆne peut y passer ; parfois aussi c’est une mule, ou une che`vre... De nombreuses familles de termes sont mobilise´es en toponymie pour de´crire ce qui est a` la fois une ouverture et un obstacle. On peut les grouper en cinq ou six ensembles. Un premier groupe exprime l’e´troitesse du passage. Il comprend les formes e´troit, de´troit, estrech, strette en corse. Citons le col des De´troits a` Liausson 34, L’Estre´chure 30, les Pointes de l’Estrech a` Belve´de`re 06 et la gorge de l’Estrech (Sallagriffon 06), Estre´choux a` Saint-E´tienne-Estre´choux et Estre´choux-le-Vieux a` Graissessac 34, la Combe de l’E´troit (Peisey-Nancroix 73) et la Combe E´troite (Oz 38), l’E´troit d’Alet a` Alet-les-Bains 11 ou l’E´troit des Cavaliers a` Aiguines 83, les Strette d’Occhiatana en Haute-Corse. Mais le De´troit d’Annois et le De´troit Bleu voisins a` Annois et Fleuvy-le-Martel dans l’Aisne ont de tout autres sites, et pourraient bien plutoˆt venir d’une chausse´e : curieusement, l’e´troit et l’estre´e sont tre`s

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proches, alors qu’ils viennent de racines de sens oppose´, l’une au sens de serrer, comprimer (IE streig), l’autre au sens d’e´taler, couvrir (IE ster). On peut ajouter ici le de´file´, dont le nom signifie que l’on n’y peut circuler qu’en file (« indienne ») : le De´file´ d’Argensol a` Alle`gre-les-Fumades (30), le De´file´ d’Adouxes a` Me´rial 11 ; le De´file´ d’Entre-Roches a` La Longeville 25 comme a` Beaufort 73, le De´file´ de la Clue a` Figanie`res 83 et celui de l’E´cluse a` Le´az 01, qui redoublent l’image (entre roches et cluse) ; le De´file´ des Strette a` Ghisoni (Corse) et celui de la Stretture a` Ban-sur-Meurthe-Clefcy 88, eux aussi redondants ; le De´file´ du Maupas a` Vaujany 38, qui n’est pas plus rassurant. La racine strenk, e´troit, d’ou` de´rivent ces noms, est aussi a` l’origine de l’e´tranglement et sans doute de quelques noms de lieux comme E´trangle-Loup a` Chaˆteauponsac 87 dans la valle´e encaisse´e de la Gartempe, l’E´trangle´e a` Charrey-sur-Seine 21 qui marque un resserrement de la valle´e de la Seine, l’E´tranglot a` Neung-sur-Beuvron 41 qui est a` un gue´ de la The´ronne, mais d’autres toponymes voisins n’ont pas de sites probants. Schlucht est aussi un de´file´, une gorge, a` la rigueur un ravin en langue germanique : c’est le sens du Col de la Schlucht, la plus haute traverse´e des Vosges. L’e´troitesse s’exprime encore par une vieille racine angh, d’ou` viennent notamment le latin angusta, l’anxie´te´ et meˆme l’angoisse : un de´file´ est a` la fois e´troit et angoissant. Angoisse 25 est borde´e par la valle´e encaisse´e de la Loue ; c’est le sens d’Angoustrine en Cerdagne, Angous 64, L’Angoust (Cierp 31). A` la rigueur, on peut conside´rer que la Fontaine d’Angousse a` Moˆlay 89 est dans un e´troit de la valle´e du Serein. Une famille de noms e´voque l’ide´e de trou, de perce´e et s’exprime par pertuis et ses de´rive´s, qui viennent de « percer » : Pertuis 84 et Le Pertuis 43, le col du Perthus coˆte´ catalan, des Pertuiset en Haute-Savoie, par exemple a` Mieussy et a` La Coˆte-d’Arbroz. Un Perthus est a` Orbeil 63 devant Issoire, au de´but d’un de´file´ de l’Allier, Fraispertuis a` Jeanme´nil 88 au de´bouche´ d’un rupt encaisse´ emprunte´ par la route de Saint-Die´ a` travers la foreˆt de Rambervillers. Perthus a` Saint-Re´my-de-Chargnat 63 est a` l’entre´e d’un bref de´file´ de l’Eau Me`re. Clamecy 58 a un Pertuis d’Enfer. Pertuis Bardin, ferme de Tre´zelles 03, n’a rien d’un de´file´ mais a pu signaler un passage dans le bocage Bourbonnais. Pertuiset a` Bazoches-en-Dunois 28 semble en rapport avec un e´tre´cissement de la valle´e de la Conie, affluent du Loir. Pe´tosse 85 a e´te´ Pertuciae au XIII e sie`cle, mais peut-eˆtre comme ancien pe´age (J. Merceron). Le danger de ces passages e´troits est bien e´voque´ par l’abondance des noms en Maupertuis (une bonne soixantaine, dont une commune de la Manche) ou Malpertuis ; en opposition, on ne peut citer qu’un Bonpertuis a` Apprieu 38 dans une incision de la valle´e de la Fure, Bonpertui a` La Le´che`re 73 comme petit col. Certains noms se re´fe`rent a` l’ide´e de passage bien encadre´ : la famillle comprend couloir, courade, couret. Couloir est surtout employe´ en haute montagne, comme aux Couloirs des Nants a` Pralognan-la-Vanoise 73, le Couloir Coolidge dans le Pelvoux, le Couloir Bujon au Brec de Chambeyron (Saint-Paul-sur-Ubaye 04). Courade, Couret correspondent souvent a` un vallon commode, tel Couret 31, ou comme les Courade d’Arrayou-Lahitte et de Germs-sur-l’Oussouet 65 ; ou meˆme a` un col comme Courade a` Julos 65, ou Couret a` Arcizans-Avant 65, le Couret d’Esquierry a` Ooˆ 31 – au risque de redondances, dont trois Col de la Courade a` Aydius 64,

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Campan 65, Ge`re-Be´lesten et un Col de la Couradette a` Louvie-Soubiron 64. S’y ajoutent calanc, chable et chable´e, challe´e ; le chablais, pris comme ravinement, coule´e de terrain en pente rapide et e´ventuellement utilise´e pour descendre des troncs (H. Suter), peut leur eˆtre associe´. Par image, un groupe tourne autour de l’ide´e de fermeture, ou plus exactement d’ouverture en domaine ferme´ : d’un coˆte´ cluse, clue, de l’autre cle´, clave, clavette, clavie`re. Il s’agit de passages plus ou moins e´troits, parfois en gorge comme les clues provenc¸ales. La cluse est dans le Jura une bre`che dans un creˆt ou un mont, et le terme est devenu l’un des grands ge´ne´riques de la ge´ographie : qui ne connaıˆt la cluse de Bellegarde ou la cluse de Nantua ? Des villages en ont pris le nom : La Clusaz 74, La Cluse-et-Mijoux 25, Cluses 74, Les Cluses 66, La Cluse 05. La Cluse d’Entreportes est un site connu a` Lent 39, pre`s de Champagnole, comme la Cluse des Hoˆpitaux en Bugey. Les noms en clue abondent dans les Alpes du Sud et les Plans de Provence. La Clue d’Aiglun, la Clue de Chasteuil a` Castellane 04, les Clues de Verdaches sont des lieux touristiques ; la Route Napole´on sort de Castellane par la Clue de la Roche Perce´e. A` Lesquerdes et Saint-Paul-de-Fenouillet 66, l’Agly traverse une barre de relief par la Clue de la Fou, au nom redondant (fou= fosse ou col ici). La cluse du Rhoˆne peu apre`s son entre´e en France a e´te´ mal comprise : elle porte le fort de l’E´cluse, qu’aucune e´cluse bien entendu ne le´gitime. L’E´cluse a` Arnac-la-Poste 87, au bord d’une petite valle´e e´troite, vaut sans doute aussi pour cluse, comme l’E´cluse de Falque au Barroux 84, entre deux buttes. Coˆte´ cle´, on trouve Clavie`res 15, Clave´ 79, Clavette 17, des la Clave. Clavie`re est un hameau d’acce`s a` SaintAgre`ve 07. Une autre image emploie la barbacane, qui figure dans une quinzaine de lieux-dits, comme la Barbacane a` une ancienne porte de Cahors 46, la Barbacane a` la limite de Puiseux-le-Hauberger 60, Barbecane a` Jaure 24, Valle´e Barbacane a` Guise 02 et meˆme Derrie`re Barbacane a` Nanteau-sur-Essonne 77 ; le plus convaincant est le Pas de la Barbacane a` Saint-E´tienne-de-Tine´e 06. Toutefois, plusieurs sens sont possibles, d’autant que le nom commun lui-meˆme en a trois ; le plus probable ici est un muret prote´geant une entre´e. L’e´tymologie reste discute´e ; le terme, atteste´ depuis le XI e sie`cle, pourrait venir d’un arabo-persan de sens voisin. L’ide´e de porte e´troite se retrouve en outre dans les Poterne, une quinzaine de noms de lieux souvent en ore´e de village (La Chaume 21, Nicey 21) ou en limite de finage comme a` Moulon 45, ou a` Neuville-Day 08 pre`s d’une ancienne voie romaine. Lui correspond l’occitan Posterle ou Pousterle : outre les Pousterles d’Auch 32, il est des Posterles a` Sale´rans 05, Pellafol 38, les Posterles a` Me´olans-Revel 04, un Pas de la Posterle a` Savournon 05 et un autre a` Gresse-en-Vercors 38, un Col de la Posterle a` Beauvoisin 26, la Pousterle a` Ansouis 84, des Pas de la Pousterle a` Saint-Mathieu-deTre´viers 34, Aurel 26 et Aucelon 26, Rosans 05, des Col de la Pousterle a` Comps 26 et aux Vignaux 05. Le terme avait en latin le sens de « porte de derrie`re ».

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Les relais Les chemins et les routes de longue porte´e ne manquent pas de repe`res et de relais : toute de´pense d’e´nergie exige repos et recharges. Meˆme les modernes autoroutes ame´nagent des aires de service et des aires de repos. Elles sont nomme´es, et la plupart ont d’ailleurs le me´rite de remettre en honneur des microtoponymes parfois oublie´s : par exemple Katzenkopf (teˆte de chat) a` Schalbach 57, l’E´pinotte a` Hennemont 55, Fontaine d’Olive a` Sainte-Menehould 51, le Mont de Charme a` Courtisols 51, la Combe Suzon a` Esnoms-au-Val 52 ; la Grange Rouge a` Chaˆtres-sur-Cher 41, les Cent Septiers a` Brard 86 pre`s de Poitiers, l’Espe´rance a` Beaumont-sur-Vesle 51, les Faı¨enciers a` Sermoise-sur-Loire 58, le Gıˆte aux Loups a` Lissay-Lochy 18 et les Bois des Dames a` Trouy 18 ; et la Chausse´e de Ce´sar a` Mehun-sur-Ye`vre 18. Il leur arrive aussi de cre´er des noms nouveaux, exotiques (le Gingko et le Tulipier a` Briare 45, le Se´quoia a` Neuvy-sur-Loire 58, le Liquidambar a` Vilmory 45), ambitieux (PortLauragais a` Avignonet-Lauragais 11) ou folkloriques (la Beˆte du Ge´vaudan a` Marvejols 48...). Jadis ce sont les relais de poste et les auberges qui servaient de repe`res, voire de repaires. Quantite´ de toponymes le rappellent. Certains ont conserve´ les anciennes enseignes, ou` la pre´e´minence est dispute´e entre Cheval Blanc et Lion d’Or ; et il advient que le nom soit devenu celui d’un hameau. Par exemple, on peut remarquer la Poste et la Petite Poste sur la route d’Espagne (ex-N 10) au sud de Sorigny 37, a` coˆte´ d’un Lion d’Or qui sent sa vieille auberge. Un autre lieu-dit la Poste est encore a` deux lieues plus loin dans la commune de Saint-E´pain 37 sur la meˆme route ; dans l’intervalle, se tient le Cheval Blanc, a` la limite de la commune de Sorigny et pre`s d’un lieu-dit la Monnaie qui a pu signaler un pe´age, ou au moins une chausse´e. Ge´oportail signale souvent la Poste comme lieu-dit (une quinzaine dans les Landes) et quinze la Vieille Poste (mais une seule la Poste Neuve, a` Labe´jan 32). On notera parmi les curiosite´s la Poste a` l’Aˆne a` La Champenoise 36, la Poste aux Alouettes a` Joux-laVille 89 sur l’ancienne « Route Napole´on » ou` un centre de de´tention a e´te´ installe´ en 1990 – mais ce nom a pu de´signer un site de chasse. Cheval-Blanc est une commune du Vaucluse, au sud-est de Cavaillon sur la route de la Durance ; cre´e´e seulement apre`s 1765, elle adopta le nom de sa principale auberge ajoute´ a` celui du patron de la paroisse, Saint-Paul ; change´e en BlancMontagne sous la Re´volution, elle prit son nom actuel sous l’Empire. Me´ryCorbon 14 englobe le hameau du Lion d’Or sur la N 13, ancien relais routier. D’autres Lion d’Or sont a` Vignieu 38, Soturac 46, Marmande 47, etc. Le Pot d’E´tain a e´galement e´te´ un nom traditionnel d’auberge ; six lieux-dits le rappellent, dont un sur une ancienne Chausse´e Brunehaut a` Brasseuse 90. On rele`ve aussi dix « le Cheval Noir » disperse´s de Picardie en Agenais, et meˆme quelques la Licorne, la plupart sur des routes ou a` l’ore´e de bourgs ; une dizaine de Coq Hardi comme lieux-dits isole´s sur des routes, voire un Bœuf Couronne´ a` Bazainville 78, sans doute aussi lieu d’une auberge ancienne, comme le Repos du Chasseur a` Solesmes 72 sur la grand route (D 309), ou le Roi de Tre`fle a` Bourg-Fide`le 08, la Belle Hoˆtesse a` des carrefours de Steenbecque 59, Saint-Waast 59, Coutances 50, la Belle Hoˆtellerie a` Rahay 72.

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Il est probable qu’une partie au moins des Bon Encontre, dont une commune voisine d’Agen, Bonne Encontre ou Bonne Rencontre (une dizaine, dont Champagny 21 sur une grand’route), furent des lieux d’auberge ; la plupart sont sur des routes notables. Plus myste´rieux mais assez re´pandus, les Virebouton et Tournebride e´voquent pour certains un simple changement de direction de la route. Toutefois, nombre d’entre eux, ou` la route n’a ni de´tour ni croisement, rappelleraient les changements de chevaux d’un ancien relais. Les deux noms sont a` Chaze´-Henry 49 sur la grand route (N 171 devenue D 771) a` mi-chemin de Chaˆteaubriant et de Craon. D’autres Tournebride sont a` mi-chemin (six lieues) de Lamotte-Beuvron et Brinon-surSauldre 18, de Toulouse et de Cuq-Toulza (un peu plus de sept lieues) a` Vallesvilles 31, etc. Plusieurs sont a` des limites de communes, comme en Vende´e a` Talmont-Saint-Hilaire, Sainte-Hermine, Sainte-Foy, Mouchamps, Beaufou, Chasnais ou Pissotte. Beaucoup de noms e´voquent les lieux d’accueil : auberge, taverne, be´gude, guinguette. Auberge a la meˆme racine qu’he´berger, du francique heribergo qui a d’abord de´signe´ un fort, un abri pour la troupe, avant de prendre le sens plus ge´ne´ral de gıˆte, et qui est donc parent de burg. Le mot a pu finir par de´signer un groupe de maisons : Auberge de l’Aval a` Portel-des-Corbie`res 11, Auberge d’Imsthal a` La PetitePierre 67, Auberge de la Le`be a` Sutrieu dans l’Ain, l’Auberge a` Valflaune`s 34. Mais Aubergenville 78, en de´pit de son nom d’apparence e´vidente, aurait e´te´ la villa d’une Adalbergia... L’Auberge Rouge a` Lanarce 07 est reste´e ce´le`bre comme lieu d’une le´gende criminelle et d’une exe´cution peut-eˆtre imme´rite´e ; elle existe toujours sur la N 102 mais n’a pas supplante´ le vrai lieu-dit, qui s’e´crit Peyre Beille (vieille pierre) ; un lieu-dit Auberge Rouge, moins connu, est a` E´court-SaintQuentin 62. Le terme vitarelle s’est applique´ a` des lieux qui furent pourvus d’auberge ou de magasin : il est de la famille des vivres, comme victuaille et ravitailler : l’IGN en signale une cinquantaine d’occurrences, plus 25 Bitarelle, l’Abitarelle a` Fraisse-desCorbie`res 11 et Sommet de l’Abitarelle a` Beaumont 07, une Grande Habitarelle a` Moussac 30, l’Habitarelle a` Altier 48, ainsi qu’une Pitarelle (Canens 31) et des Vitarel. Un Bittarie a` Lalinde 24 voisine avec les Vitarelles de Molie`res 24. La Vitarelle de Montpeyroux 12 est un bel exemple sur une grande route, la Vitarelle a` Que´zac 15 un autre a` un carrefour de petites routes. On trouve aussi les Vitailles a` Saint-Yrieix-la-Perche 86. Le Magasin est le nom de plusieurs dizaines de lieux-dits, dont les plus fortes fre´quences sont en Loire-Atlantique et Charente-Maritime ; le terme n’aurait e´te´ introduit en France qu’a` la fin du XIVe sie`cle. Hoˆtel et hoˆtellerie figurent aussi parmi les toponymes, mais il semble que le sens en soit diffe´rent : nombreux dans les bocages de la Manche et de l’Orne, comme a` Moon-sur-Elle, Saint-Cyr-du-Bailleul, Saint-Roch-sur-E´grenne, les Hoˆtel y sont en ge´ne´ral accompagne´s de NP et sont seulement une forme de la demeure ; ils voisinent d’ailleurs avec des Oustal de meˆme sens. L’Hoˆtellerie de Bacilly 50 est sur une route, mais celle d’Angey 50 est a` l’e´cart, et peut de´river d’un NP. Taverne vient du taberna latin, une boutique sur rue ; le terme a pour racine treb, le meˆme que pour thorp, par l’interme´diaire du latin trabs, qui en avait retenu l’image de la poutre faıˆtie`re. Il se trouve dans le nom de Saverne, qui fut jadis Tres Tabernae, les

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trois tavernes. On rele`ve le nom de la commune de Tavernes 83 et plusieurs lieux-dits sur des routes du Midi, comme Taverne a` Berze`me 07 ou a` Belpech 11. Ce peut aussi eˆtre le cas de Taverne des Foue´es a` Ferrie`re-la-Grande 59 ; mais d’autres Taverne isole´s peuvent eˆtre issus de NP. Certains, de re´putation douteuse, ont donne´ des Malataverne (une commune dans la Droˆ me et une quinzaine de lieux-dits). Quelques noms de lieux e´voquent la Gargotte, et les Tripoteries a` Merry-surYonne 89 seraient issues d’un tripot. Des toponymes la Buvette se trouvent dans des re´gions tre`s diffe´rentes : SaintVaury 23, Frasnoy 59, Le Gast 14 a` un carrefour, Saint-Julien-des-Landes 85 sur la D 12 a` mi-chemin de Saint-Julien et La Chaise-Giraud, Cohons 52 ou` passe le canal de la Marne a` la Saoˆne, etc. La be´gude, qui vient de boire comme la buvette, est a` la fois plus re´gionale et plus marquante ; situe´e en ge´ne´ral sur la route de plaine ou de valle´e au pied de villages perche´s provenc¸aux, elle y a suscite´ une sorte de faubourg, qui a pu devenir plus peuple´ que le vieux village, en des temps plus suˆrs. La Be´gude-de-Mazenc 26 a meˆme e´te´ promue commune a` un carrefour des bords du Jabron, rele´guant au rang de hameau le vieux Chaˆteauneuf-de-Mazenc sur sa butte. De nombreux hameaux de plaine se nomment ainsi, tels Be´gude Blanche a` Montfrin 30, la Be´gude a` Aubres et a` Barnave 26, a` Bagnols-en-Foreˆt 83, la Basse Be´gude a` Ucel 07, qui fait face au village de Labe´gude, pre`s de Vals au confluent Arde`che-Volane. Guinguette est plus tardif, mais a existe´ de`s le XVII e sie`cle. Le terme repre´sente une autre forme de vie sociale ; son e´tymologie est lie´e a` la danse et tiendrait soit de la jambe (comme gigue, gigoter, de´gingande´) soit d’un germanique winken au sens de sautiller, vaciller, mettre la jambe de travers (comme dans guingois et guincher). L’IGN ne rele`ve pas moins de 90 lieux-dits, ge´ne´ralement a` proximite´ des villes mais pas toujours, et en toute re´gion : a` La Cappelle-en-Pe´ve`le 59 comme a` un carrefour de Fonters-du-Raze`s 11, a` Autun 71, a` Belleˆme 61, etc. La Guinguette a` E´cot-laCombe 52 est au bord de la Sueurre en fond de valle´e e´troite, en un coin isole´ des plateaux haut-marnais. La Guingueta d’Hix en Cerdagne est a` l’origine de ce qui est devenu la ville de Bourg-Madame, en position de poste-frontie`re. On trouve aussi des cabarets, surtout dans les lieux-dits du Nord et de Picardie, tels les Quatre Cabarets sur route a` Vieux-Conde´ 59, le Cabaret Rouge a` Bassevelle 77, le Cabaret Blanc et le Cabaret Rouge a` Aubigny-en-Artois 62 sur la grand’route. Mais le terme existe par dizaines dans tout le pays : citons le Cabaret de la Villeneuve a` Saint-Allouestre 56, le Cabaret a` La Bouilladisse 13 ; on note six Cabaret Neuf, deux Cabaret de l’Aˆne sur des routes. Un Cabaret aux Sangliers a` Cercottes 45, en foreˆt, est plus probablement un e´quivalent de cabane. Le mot viendrait du ne´erlandais cambret, mais par le picard ou` il aurait eu le sens de « petite chambre ». Les vieux mots quie`te et stage ont e´te´ employe´s pour des relais. Le nom de Queige 73 serait issu de quietus, de´signant un reposoir, une halte (H. Suter). Estagel 66, jadis Stagello, Estagell en catalan, e´voque une e´tape (stage) sur la route venant de Perpignan. Peut-eˆtre est-ce encore le cas d’Estage a` Gouts 40 sur la route qui longe l’Adour. E´taule au nord d’Avallon 89, voire E´taules 17 et 21 pourraient se re´fe´rer a` d’anciennes e´tables d’auberge.

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Certains Mivoie ou Mi-Voie avaient la meˆme fonction de relais ; mais ils peuvent simplement de´signer une situation topographique. Deux Mi-Voie sont en pleine Champagne crayeuse a` Isle-Aubigny et Vaucogne dans l’Aube, un la Mivoie a` Assigny 18, d’autres a` Fourilles 03, Champseru 28, La Grande-Paroisse 77, Guernes 78, tous entre deux villages. Un chaˆteau de la Mivoie a` Nogent-sur-Vernisson 45 s’accompagne d’un Bois de la Mivoie et de la Petite Mivoie sur la D 41, la Lande de Mi-Voie a` Gae¨l 35 est a` mi-chemin de Saint-Me´en-le-Grand. Mignovillard 39 a un Mi-Bois. Amfreville-la-Mi-Voie 76 (Mivoye au XVIII e sie`cle) tirerait son nom de l’e´tape que faisaient les charrois de pierre venant de Port-Saint-Ouen pour la construction de l’abbaye Saint-Ouen de Rouen. Les Romains employaient pour des relais mutatio, changement : le terme est re´pute´ eˆtre a` l’origine des noms de Mudaison 34 et de Muizon 51, et peut-eˆtre de certaines Maisons selon S. Gendron. Ils avaient borde´ les routes de bornes jalonnant les milles, ou bornes milliaires, que l’on retrouve parfois encore dans quelque champ. Des microtoponymes, meˆme des villages comme Milhars 81, Millas 66, Milhas 31, viennent apparemment de pierres milliaires ; et peut-eˆtre aussi les noms de Bonnelles 78 et Baulne 91 (ex-Bona) selon M. Mulon – mais les noms en Borne peuvent e´voquer tout autre chose, des me´galithes aux trous et aux sources. Surtout, des lieux ont e´te´ nomme´s en fonction du nume´ro de la borne, c’est-a`-dire du nombre de milles au-dela` de telle cite´. Delme 57 fut a` l’origine un relais sur la voie romaine de Metz a` Strasbourg, nomme´ Ad duodecimum lapidem, soit la douzie`me « pierre » a` partir de Metz. Septe`mes 13 et Septe`mes 38 viennent de la septie`me borne a` partir de Marseille et de Vienne, et Sathonay 69 correspondrait a` sept bornes romaines de Lyon. Se´ez 73 et Sixt 74 ont pour origine une sixie`me borne. Oytier-Saint-Oblas 38 (anc. Octier) de´signerait une huitie`me borne et Die´moz 38 le douzie`me mille a` partir de Vienne (J.-C. Bouvier). Quint 31est compris comme une cinquie`me borne a` partir de Toulouse. La Quinte 72 e´tait a` la cinquie`me lieue du Mans et a pour hameau le Grand Chemin. Parigny 42 est a` quatre bornes romaines de Roanne et son nom viendrait du gaulois petr, quatre. Il en est de meˆme de plusieurs noms en Quart (ou Quatre). Cartele`gue 33 est interpre´te´ comme quatrie`me lieue.

Rencontres et transferts Les marche´s jalonnent les chemins et se sont souvent e´tablis a` des croisements, ou` ils ont fixe´ des habitats. C’est d’ailleurs pourquoi nombre de Carroi sont souvent aussi des places du marche´. Champlain et Champtier existent dans le meˆme sens. Marche´ vient de merx, marchandise, qui a donne´ mercatus, et mercat en occitan– ainsi que le nom de Mercure, dieu du commerce, et celui des mercenaires ; adopte´ en anglais et allemand (market, Markt), il est pourtant suppose´ d’origine e´trusque. Il a fourni de nombreux noms de lieux tels que Marche´lepot et Marche´-Allouarde dans la Somme, Marche´moret 77, Marche´ville 28 et 55, Le Vieux-Marche´ 22 ; ou Mercatel 62, Mercat a` Lacapelle-Livron 82 ; voire, associe´ au chemin basque (bide), Mercatbide a` Charritte-de-Bas 64.

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Le champ de foire, foirail ou ferial dans le Midi, dont le nom est attache´ a` l’ide´e de feˆte ou de repos (feria, comme le jour fe´rie´) a donne´ sa part de microtoponymes, dont le Foirail a` Caniac-du-Causse, Gourdon ou Beauregard (Lot), Salers 15, Naves 19, Le Buisson-de-Cadouin 24, etc. Et l’on rapporte habituellement le nom de Feurs 42, donc le Forez qui en de´rive, a` un forum romain, Forum Segusiavorum (des Se´gusiaves), lieu de rencontre sinon de marche´ – mais l’e´tymologie est diffe´rente, forum se rapportant a` foris, hors les murs, ainsi d’ailleurs que forain, qui est litte´ralement un « e´tranger » ; d’ou` quelques ambiguı¨te´s possibles entre foire et forain. Forenville (commune de Se´ranvillers-Forenville 59) fut Foris Villa en 1138 et Forainville en 1801, ce que D. Poulet interpre`te comme village a` marche´. Du forum viendraient e´galement Fre´jus 83 et Fourvie`re (anc. Forum Vetus, le vieux) a` Lyon. De meˆme, Parempuyre 33, Ampuis 69 sur le Rhoˆne, et peut-eˆtre Ampus 83, viendraient de l’emporium, marche´ romain. Le terme le plus ancien dans ce domaine, inte´gre´ a` de fort nombreux noms de villes et qui ravit les onomasticiens a` l’affuˆt de ses diffe´rentes alte´rations, a e´te´ le celte magos. Il a eu le sens de place de´gage´e, champ ou lieu de rassemblement et d’exposition, et finalement de place de marche´. Peut-eˆtre a-t-il un rapport avec un meig indoeurope´en qui a pu signifier e´changer. Il a e´te´ traque´, de´couvert ou imagine´, en de´pit de nombreuses de´formations, dans les noms d’Argenton (plusieurs communes et lieux-dits) et Argentan 61 (Argentomago), Senan 89 (vieux marche´, seno mago, Senomum au IX e sie`cle) ; Rouen 76, Pont-de-Ruan 37, anciens Ritomagos, marche´ du gue´ ; Bram 11, marche´ de l’if (Eburomagus) ; Manthelon 27 et Manthelan 37 (Mantalomagus, marche´ de la route), Moon-sur-Elle 50 (anc. Magodunum, fort du marche´). Mayet 72 aurait e´te´ un Magetton, Petit-Marche´ ; Me´dan 78, Mehunsur-Ye`vre 18, Meung-sur-Loire 45, Mauzun 63 seraient de la famille. Des « nouveau marche´ » ont prospe´re´ : Noviomagus se retrouve dans les nombreux Novion, Nogent, Noyen-sur-Seine 77, voire Noyon 60 et Nijon 52. Lisieux 14 aussi fut un Noviomagus, qui a pris plus tard le nom de sa tribu (Lexoviens). Caen 14, Cahan 61, Cahon 80 sont compris comme Catumagos, ou le gaulois catu e´voque une bataille ou un terrain d’exercice : ici la notion de marche´ s’effacerait devant celle champ de bataille, ou plus simplement champ de manœuvre (un Champ de Mars). L’ouverture de marche´s e´tait en ge´ne´ral soumise a` autorisation, et elle le reste aujourd’hui. Dans ce domaine, le latin indictum a e´te´ employe´ pour de´signer une notification publique. Il est a` l’origine de l’ancienne foire du Lendit, a` la Plaine-SaintDenis au nord de Paris, dont la proclamation est de 629 mais qui existait de´ja` a` l’e´poque romaine ; et sans doute de quelques lieux nomme´s le Landy, qui est d’ailleurs l’orthographe actuelle du Lendit. Le passage d’un mode de transport a` l’autre, qualifie´ de nos jours pompeusement d’intermodalite´, exige des dispositifs particuliers, fixant autant de lieux, qui sont a` l’origine de hameaux, de villages et meˆme de grandes villes. C’est bien entendu le cas des ports de mer ou de rivie`re. Le terme contient le fait de « porter », comme le port au sens de col. Il ne se cache gue`re et s’alte`re peu, comme a` Port-de-Bouc, Portdes-Barques, Port-en-Bessin, Port-La-Nouvelle, Port-Louis, Port-sur-Saoˆ ne, Port-Vendres, Port-Louis en Guadeloupe, Le Port a` la Re´union. Des quantite´s de

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lieux-dits avec le Port s’e´parpillent le long de rivie`res meˆme menues, comme le PortHuault a` Azay-le-Rideau 37 sur la rive de l’Indre, le Port a` Vieillevie 15 sur le Lot, le Port a` Massey 18 sur l’Arnon, le Vieux-Port a` Lays-sur-Doubs 71 ou encore le Port a` Ve´ne´rieu 38, hameau sans rivie`re, dans une plaine aux marais asse´che´s... Le port a ses diminutifs, comme a` Portet-sur-Garonne 31 ou Portets 33, et ses formes locales : Porto-Vecchio en Corse (vieux port), plusieurs Portuberria (Port-Neuf) au Pays Basque dont un a` Urcuit-sur-l’Adour, un a` Jatxou sur la Nive. En Bretagne, la finale change parfois : Porspoder 29 (port du potier) et son e´cart Porsmeur (grand port), Porz Raden (le port des fouge`res) a` Tre´beurden 22, Porzh Naye a` Camaret 29 ou Porzh an Dour et Porzh Feunteun a` Crozon 29. Moins communs sont les noms de´rive´s d’ame´nagements portuaires. Les pieux plante´s pour permettre l’accostage sont a` l’origine des estaques et estacades, de la meˆme famille qu’attacher et d’une ancienne racine stakka pour pieu ou perche. En viennent l’Estaque a` Marseille, ou Les Attaques 62, jadis e´crit Estachies, l’Estaca a` Saint-Laurent-de-la-Salanque 66 au bord de l’e´tang de Salses. Sans doute aussi Estaires 59, longtemps enclave des Pays-Bas autrichiens sous le nom de Stegers. Cagio, terme gaulois, de´signait une haie ou un remblai de terre ; de la` viennent en franc¸ais le quai, et probablement les noms de Caix et de Cayeux-sur-Mer en Picardie. On sait que l’e´chelle d’accostage est a` l’origine du terme escale, emprunte´ au geˆnois scala ; mais il n’est pas facile de la retrouver sous les noms actuels, car les toponymes l’Escale ou l’E´chelle se rapportent souvent, soit a` d’anciennes habitations temporaires, soit a` des passages difficiles en montagne. Canaux et rivie`res ame´nage´es ont suscite´ quelques noms de lieux, dont ceux qui sont lie´s aux bacs et aux ponts, de´ja` mentionne´s. Les e´cluses (exclusa aqua, eau se´pare´e) sont en ge´ne´ral nomme´es, et ont leurs hauts lieux, comme a` Be´ziers sur le Canal du Midi les neuf E´cluses de Fonse´rannes (l’IGN e´crit Foncerannes sur ses cartes) ; ou les Sept-E´cluses incorpore´es en 1978 au nom de Rogny dans l’Yonne, bien que de´laisse´es par le canal de Briare ; ou les Sept-E´cluses d’E´cuisses 71 sur le canal du Centre. Cre´teil 94 a un lieu-dit le Halage ; un autre est a` Jumie`ges 76. L’apparition du te´le´graphe en 1794 et la multiplication des tours de te´le´graphes optiques dans la premie`re moitie´ du XIX e sie`cle ont laisse´ aussi des traces : plusieurs dizaines de lieux-dits en portent le nom, dont sept dans l’Aude, six dans l’Yonne ou le Loiret, le Col et le Fort du Te´le´graphe a` Valloire 73, deux Tuc du Te´le´graphe dans les Landes a` Orist et a` Messanges, une Montagne du Te´le´graphe a` Semur-enAuxois 21, une Butte du Te´le´graphe a` Plaissac-Rouffiac 16, voire un E´tang du Te´le´graphe a` Saint-Pierre (Re´union). Enfin, il n’est pas rare de trouver dans les campagnes des lieux-dits la Station (une vingtaine, hors les mentions de station de loisirs), la Halte (plus d’une trentaine), ou la Gare (des dizaines), qui rappellent qu’il y eut la` une voie ferre´e, parfois devenue piste cyclable, parfois tout a` fait oublie´e comme a` Any-Martin-Rieux 02, Reterre 23, Hanc 79 ou a` Sonnac 17, a` Thourie 35, a` Lacajunte 40, ou l’Ancienne Gare a` Neuvicq-le-Chaˆteau, la Gare du Longy a` Champagnac-la-Noaille 19, la Gare a` Journy 62, la Gare des Palais a` Saint-Laurent-la-Cabrerisse 11 ; la Gare PLM est un quartier d’He´ry 89 – et les quartiers de la Gare sont nombreux en ville. Une quinzaine

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de lieux-dits ont nom l’Embranchement, en raison d’une ancienne connexion ferroviaire, et peut-eˆtre routie`re dans quelques cas. Les quartiers ouvriers suscite´s par les voies ferre´es ont laisse´ une douzaine de « Cite´ des Cheminots ». Toutefois, la seule commune a` honorer les cheminots dans son nom, Sancy-les-Cheminots 02, n’a jamais eu de voie ferre´e : elle doit son nom, comple´te´ en 1929, a` la solidarite´ des employe´s des chemins de fer en vue de la reconstruction de ce village ane´anti en 1914-1918, anime´e par un chef de bureau de la Compagnie de l’E´tat qui y avait perdu son fils – alors que Cheminot 57 est une ancienne Villa Caminetum, « du chemin », en l’occurrence la voie romaine vers Cologne ; elle a pour annexe Longeville-le`s-Cheminot, fusionne´e en 1812, et curieusement la commune est aussi traverse´e par la ligne a` grande vitesse Paris-Strasbourg, e´videmment sans aucun rapport avec son nom.

Odonymie L’odonymie est la science des noms de chemins ; elle vient du grec odos, route ou chemin, employe´ jusque dans les e´lectrodes et les synodes (= cheminer ensemble). Il est de fait qu’un certain nombre de voies portent des noms, meˆme hors des rues de nos villes et villages. C’est ainsi que l’on suit des Chasse-Mare´e, et aussi un Chemin des Poissonniers, qui de´signaient les itine´raires des poissonniers convergeant vers Paris ou d’autres grandes villes. Les cami roumieu du Midi e´taient des chemins de pe`lerins, en principe vers Rome selon l’e´tymologie, souvent ensuite vers Compostelle. Et la Heidenstraessel alsacienne de´signe un « chemin des paı¨ens », c’est-a`-dire un chemin de culte d’avant l’e`re chre´tienne. Les routes pave´es ont encore a` l’occasion de faux noms historiques cense´s te´moigner de leur anciennete´. L’Estre´e est le nom conserve´ par la fraction de Nationale 1 entre Paris et Saint-Denis ; Estre´es-Saint-Denis 60 est sur son prolongement. Une longue ligne droite d’Enghien a` Pontoise et Saint-Clair-sur-Epte puis Rouen est nomme´e Chausse´e Jules Ce´sar, apparemment depuis le XIII e sie`cle. La Picardie et le Nord, ainsi que la Wallonie, sont sillonne´s de chausse´es Brunehaut. La de´nomination date du Moyen Aˆge, et il est probable que ces voies sont d’origine gauloise, peut-eˆtre meˆme ne´olithique, mais ont e´te´ re´ame´nage´es par les Romains ; sept d’entre elles partent de Bavay. Chemin des Romains est encore employe´ pour certains alignements de sentiers ou petites routes a` travers la Champagne (p. ex. au Meix-Tiercelin 51), la Lorraine, la Bourgogne, le Berry, le Languedoc (ex. a` Pinet et Florensac 34), la Charente (a` Plaizac et Courbillac 16 sur une voie vers Saintes). Un Chemin du Tombeau des Romains indique une ancienne voie romaine a` la limite de Fagnon et Gruye`res 08. L’administration romaine elle-meˆme avait donne´ des noms a` quelques grandes voies, comme la Via Domitia de Brianc¸on a` Arles puis vers l’Espagne par la coˆte me´diterrane´enne, ou le re´seau dit Via Agrippa forme´ de quatre voies reliant Lyon a` Arles, Boulogne, Cologne et Saintes. Ces appellations n’ont toutefois gue`re affecte´ les noms de lieux, sauf peut-eˆtre dans le cas de la Via Aurelia, qui allait du golfe de Geˆnes a` Arles par la coˆte, et dont viendraient le mont Aure´lien (a` Pourrie`res et Pourcieux 83) et le chaˆteau Aure´lien a` Fre´jus.

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Une route ancienne de The´rouanne a` Sangatte a laisse´ le nom de Leule`ne ; d’origine impre´cise, il pourrait venir de leuga, terme latin peut-eˆtre passe´ par le gaulois, qui a donne´ la lieue en franc¸ais et qui est suppose´ issu d’un IE leu au sens de partie, portion, section. Il est conserve´ dans celui de plusieurs voies, chemins et lieux-dits, notamment dans celui des communes de Leulinghem et Nort-Leulinghem, Leulinghen-Bernes, dans Leuline a` Zudausques, Leule`ne a` Tournehem-sur-la-Hem et a` Bayenghem-le`s-E´perlecques, Leulingue et la Basse Leulingue a` Saint-Tricat, le Chemin de la Leule`ne a` Sangatte et a` Rodelinghem, Chemin Leule`ne a` Peuplingues. Estrehem, ou` se retrouvent estre´e et hem pour habitat, est un village-rue de la commune de Leulinghem sur le trace´ de la Leule`ne ; Lostrat, a` Louches, est un autre te´moin en « estre´e ». Il existe meˆme un circuit de randonne´e « du pays de la Leule`ne » a` Moringhem ; toutefois Leulinghen-Bernes, pre`s de Marquise, est loin de cet itine´raire. C¸a` et la`, quelques voies portent des noms plus ou moins anciens, comme le Chemin de la Reine Marguerite a` Bagnols 63, le Chemin des Rois a` Buire-le-Sec 62, le Chemin des Marchands de Cochons a` Manthelon et Les Essarts 27, un Chemin des Seigneurs a` Aupegard 76. Le ce´le`bre et tragique Chemin des Dames, lieu de massacres en 1917, court sur une creˆte au sud de Laon et devait son nom a` ce que les filles de Louis XV l’empruntaient volontiers pour aller chez leur gouvernante au chaˆteau de la Bove, qui est a` Bouconville-Vauclair 02. La Re´gordane est une voie connue des Ce´vennes, ancien chemin de muletiers et de marchands qui, du port de Saint-Gilles, remontait vers Le Puy (et l’Iˆle-de-France) par Ale`s et La GardeGue´rin ; la Re´gordane e´tait le nom d’une contre´e ce´venole que traversait le chemin entre le nord d’Ale`s et les environs de Langogne. Le nom, qui avait e´te´ un peu oublie´ et qui s’est e´galement e´crit Ricordane, renaıˆt a` pre´sent avec la mode des randonne´es et la publicite´ ; son origine reste mal connue ; elle est le plus souvent rapporte´e au relief accidente´ de gorges (radical gord) ; toutefois, sa proximite´ avec le Ricordaine tourangeau (p. 71) peut plutoˆt faire penser a` un pays et chemin des limites. Une grande mode re´cente est de baptiser des chemins de randonne´e pe´destre ou cycliste. Beaucoup portent le nom a` la mode de Voie Verte, comme la Voie Verte du Marsan et de l’Armagnac dans le Gers, celle des Bois-Francs a` Verneuil-sur-Avre 27, celle de la Vaunage dans le Gard. On a dessine´ une route des Toileux ravivant le souvenir des fabricants de toiles a` voiles en Bretagne autour d’Uzel 22. On a baptise´ des chemins de Saint-Martin en Touraine et alentour ; une Voie de la Dombes dans l’Ain ; un Tour du Mont Thabor en Savoie, un chemin des Balcons du Sud Manche (sic), un Sentier des Ardennes, un Sentier Be´atrice de Roussillon qui traverse le Parc du Pilat, un Sentier des Huit Valle´es dans les Alpes-Maritimes, une Voie de Ve´zelay et un Chemin des Grands Crus de Bourgogne, une Traverse´e du Pe´rigord, un Sentier de l’Artisanat a` Buire-le-Sec 62, un Chemin des Verriers a` Galargues 34, un sentier de randonne´e de la Mandragore d’Availles-Limouzine a` Mortemart 87. Les autoroutes elles-meˆmes, apre`s des nume´ros, ont fini par recevoir des noms de bapteˆme : Autoroute du Soleil (A 6), des Estuaires (A 83-84), l’Occitane (A 20), la Languedocienne et la Catalane (A 9), la Provenc¸ale (A 8), l’Aquitaine (A 10), l’Oce´ane (A 11), la Pyre´ne´enne (A 64) et meˆme l’Arie´geoise (A 66), l’Arverne (A 71), la Francilienne (A 86), la Me´ridienne (A 75), l’Europe´enne (A 16) ; et

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quelques surnoms officieux : la Blanche (A 40 en partie), la Verte (A 39), des Deux Mers (A 62), des Cigognes (A 35), du Pastel (A 68), des Titans (A 40), de l’Arbre (A 77), voire l’E´coautoroute (A 19) et une Autoroute des Pre´sidents (BordeauxLyon A 88) qui passe par d’anciens berceaux ou fiefs e´lectoraux de pre´sidents de la Re´publique... Moins frivole et aussi encombrante est la Voie a` Grand Gabarit spe´cialement ame´nage´e pour le transport des cellules de l’Airbus A 380 entre le port de Langon 33 et l’usine de montage de la banlieue toulousaine, en partie en retraitant des voies existantes, en partie sur des tronc¸ons nouveaux comme dans les contournements de Captieux et des foreˆts de Gabarret et de Bouconne. Tout ceci est e´videmment peu au regard des noms de rues, dont certains sont tre`s anciens. Mais il s’agit la` d’un tout autre sujet, e´volutif. L’expansion des villes l’enrichit sans cesse, entre hommages a` des personnalite´s disparues, ou meˆme parfois encore vivantes, et re´invention de campagne et de nature au moyen de noms bucoliques de fleurs et d’oiseaux jolis. Les noms des plus vieilles rues sont l’objet de recherches actives, aussi enrichissantes, difficiles et discute´es que pour l’ensemble des autres noms de lieux ; d’innombrables catalogues en ont e´te´ dresse´s. Certains odonymes en disent long sur des activite´s, des me´tiers, des relations sociales disparues ou parfois renouvele´es.

3. La vie sociale et ses distinctions La vie en socie´te´, qui s’organise mate´riellement par les groupements d’habitats et les re´seaux qui les relient, porteurs de noms de lieux, a fourni bien d’autres toponymes, re´ve´lateurs des relations sociales et des coutumes de la vie quotidienne. On y lit les ine´galite´s et les relations de domination et de de´pendance, en partie exprime´es par le droit foncier et re´gies par lui, l’ordre public, les interdits et les dangers, les manifestations et la gestion des croyances. Certains noms en disent long sur les difficulte´s de la vie et les temps courts qui les font oublier, les jugements de valeur sur les lieux, la perception de leurs qualite´s ; voire sur l’imagination, les re´fe´rents et la verve dans la vie quotidienne.

Le maıˆtre et son domaine Longtemps, et spe´cialement aux temps majeurs de la cre´ation des noms de lieux, les relations sociales furent marque´es par la place du chef local, pourvu d’une forme d’autorite´ sur la terre, par ses possessions et par les relations de suje´tion assorties. On l’a nomme´ seigneur, du moins a` partir du IX e sie`cle, le terme n’e´tant pas atteste´ auparavant ; plus tard (XII e et XIII e sie`cle) sont apparus sire, messire, sieur ou monsieur. Ces appellations ont la meˆme racine que senior et se´nile : l’aˆge. Cela vient du temps que les vieillards, ou du moins les aıˆne´s, de´tenaient l’autorite´. Quantite´ de lieuxdits conservent le terme, dont de nombreux Pre´ Seigneur ou Pre´ du Seigneur, des Bois, Terres, Val, Combe du Seigneur, meˆ me Col du Seigneur a` Saint-Jean-SaintNicolas 05 ; des Pie`ce des Seigneurs (Jaillon 54, Varize 57), une Ferme de la Mare au Seigneur (Hennezis 27). Des dizaines d’autres conservent la Seigneurie ou les Seigneuries ; ils sont surtout dans l’Ouest, mais on trouvera une Couture de la Seigneurie a` Pre´seau 59, un Pre´ de la Re´serve Seigneuriale a` Puxieux 54. Aux limites de ces proprie´te´s sont encore des Borne des Quatre Seigneurs, de´ja` mentionne´es (chap. 2). Une Table des Trois-Seigneurs est a` Maillant 18, une Croix de Trois-Seigneurs a` Feuilla 11. Un Fort des Quatre Seigneurs signale une butte vigoureuse a` la limite d’Herbays et Saint-Martin-d’Uriage en Ise`re et le Plan des Quatre-Seigneurs est un quartier au nord de Montpellier. Le Pic des Trois-Seigneurs (2 199 m) est bien connu en Arie`ge, ou` se rejoignent les limites des communes de Rabat-les-Trois-Seigneurs, Suc-et-Sentenac et Le Port. On trouve un Fouteau (petit heˆtre) des Quatre Seigneurs a` Ivoy-le-Pre´ 18, plusieurs Fontaine des Trois Seigneurs, etc.

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Sieur subsiste notamment dans Les Meix le Sieur a` Sanzey 54, le Clos au Sieur a` Guainville 28, le Parc au Sieur Lorence a` Aluze 71, le Sieur Jeannet a` Urou-etCrennes 61. Quelques Messire se remarquent aussi, tels un E´tang Messire Jean a` La Chapelle-aux-Bois 88, une Combe Messire Jean a` E´tormay 21 et un Bois Messire Jean a` Cre´ancey 21, un lac des Messires a` Herpemont 88. Monseigneur est associe´ a` de nombreux Pre´, Butte, Champ, Combe, E´tang, Bois, etc. On peut voir des Terres Monseigneur a` Saint-Bernard 01, et meˆme une Route Monseigneur a` Rosny-surSeine 78. Les formes Monseigne, Seigne et Moussu existent dans le Midi ; c’est ainsi que sept me´ridionaux Bois Moussu ou Bois de Moussu, comme Roc de Moussu a` Caunes-Minervois 11, ne se rapportent pas a` une mousse particulie`rement abondante, mais a` Moussu comme forme locale de Monsieur... En fait, Monsieur, Madame, Mademoiselle ont souvent e´te´ attache´s a` d’anciennes possessions du seigneur du lieu, ou au moins d’un grand proprie´taire. Ainsi figurent quantite´ de Pre´ et Bois Monsieur et meˆme un Fief Monsieur aux Sables-d’Olonne, la Fieffe Monsieur a` Feuguerolles 27, la Partie Monsieur a` Warlaing 59, deux Fief Madame a` Villeneuve-la-Comtesse 17 et Bourcefranc-le-Chapus 17, Pie`ce Madame a` Grand 88. Ge´oportail enregistre quatorze Fond Madame (surtout en Picardie) et Font Madame a` Baignes-Sainte-Radegonde 16, un Bois de la Queue Madame a` Venizy 89, mais un seul Fond Monsieur (a` Vraignes-le`s-Hormy 80). Le canal de Monsieur, ame´nagement du Layon en Anjou, fait re´fe´rence au fre`re du roi Louis XVI (futur Louis XVIII), qui en fut le « protecteur ». Deux dizaines de Mademoiselle accompagnent un de´terminant, dont un Fond Mademoiselle (Tournehem-sur-laHem 62) et un Rond (Sonzay 37), un Cran (Audinghen 62), un Bosquet a` Avrechy 60. Tous ces biens n’ont pas e´te´ nobles, mais l’adjectif subsiste parmi les toponymes : une douzaine de le Noble et plusieurs les Nobles, Nobles Champs a` Argancy 57 et les Champs Nobles a` Saint-Marcel-sur-Aude 11, plusieurs Pie`ce Noble et les Pie`ces Nobles (Brunet 04), Chez les Nobles (Vanzac 17), les Terres Nobles (Bougainville 80) et les Nobles Terres (Cuisy-en-Aimont 02), ainsi que la Grange des Nobles a` Landouzy-la-Ville 02 et meˆme une insolite Cabane des Nobles (Junas 30). On trouve deux Maison Noble en Gironde (a` Marensin et Saint-Martin-du-Puy), un Mas du Noble a` Saint-Beauze´ly 30 et un Mas del Noble a` Saint-Izaire 12. L’e´quivalent basque est jaur comme dans Jaure´guy (Jauregia). Fief a de´signe´ une possession seigneuriale, rec¸ue d’un suzerain par un vassal. Les uns le font de´river, par un francique suppose´ fehu, de l’IE peku e´quivalant au be´tail et, par suite, a` une richesse, un bien, une possession (cf. l’allemand Vieh) ; P. Guiraud et d’autres y voient mieux le latin foedus (lien, contrat de confiance, cf. fide`le), issu d’un IE bheidh de sens voisin (cf. l’anglais faith) et qui semble plus vraisemblable. Nombre de lieux-dits sont en Fief, Fieu (dont Le Fieu 33) ou Fieux, voire le Fied (dont Le Fied 39). En fait, le terme a fini par de´signer des biens-fonds tre`s au-dela` des possessions seugneuriales. C’est pourquoi l’on trouve plusieurs Franc Fief et deux le Franc Fieffe, les Francs Fiefs, a` coˆte´ de deux Fief Seigneur en Vende´e, un Fief Noble a` Saint-Maclou 27, le Fief aux Moines a` Dene´e 49. Un Fief Fou est a` Courc¸on 17, un Fief de l’Ouaille a` Hamps 17. Plusieurs dizaines de Grand Fief sont dans les

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Charentes. Airvault 79 juxtapose un Fief du Chaˆteau et un Fief des Pauvres, face a` un Fief d’Argent connu pour sa vaste carrie`re, tandis que sa voisine Assais-les-Jumeaux associe le Fief au Jau, le Fief des Plantes et le Seigneureau. Un autre Fief des Pauvres est a` Saint-Vivien 17. Il existe des dizaines de la Fieffe en Normandie, souvent suivis d’un NP, abondants dans la Manche et assez nombreux dans l’Orne, le Calvados et l’Eure. Tinchebray 61 et Montaigu-la-Brisette 50 ont meˆme la Fieffe au Cure´, Magny-le-De´sert 61 un Fief d’Hiver, Isigny-le-Buat 50 la Fieffe du Roi, Beaubray 27 la Fieffe du Parc. Toutefois, ce mot semble avoir de´signe´ une sorte de location-vente a` l’occasion d’un de´frichement, avec bail perpe´tuel non alie´nable et ne ne´cessitant pas d’apport initial, mais le paiement d’une rente ; la fieffe s’apparente ainsi a` la prise et signale donc en ces lieux un re´gime particulier d’essart. Il semblerait que potestas (=pouvoir) ait pu avoir le sens de fief dans les Pothe´es a` Remilly-les-Pothe´es et Aubigny-les-Pothe´es 08, peut-eˆtre E´pothe´mont 10. Il est a` peine besoin de rappeler les surabondantes mentions du « chaˆteau » sous une large varie´te´ de formes, dont des Bois du Chaˆteau (plusieurs dizaines), Ferme du Chaˆ teau (quelques dizaines aussi), Pie` ce du Chaˆteau, Couture du Chaˆ teau (Nomain 59), plus des Pre´, Combe, Source, Fontaine, Marais du Chaˆteau, un autre Fief du Chaˆteau (Villeneuve-la-Comtesse 17). Domaine a souvent e´te´ son e´quivalent, de´signant ce qui appartenait au « maıˆtre » (dominus) ; le Domaine tout court apparaıˆt par dizaines dans les noms de lieux, qui comportent aussi des Bois, Pre´, Pie`ce, Terres du Domaine, des Bas du Domaine et Haut du Domaine, quelques Domaine Bruˆle´ et d’autres suivis d’un NP. Il existe des dizaines de Domaine Neuf, dont beaucoup en Bourgogne (huit dans la Nie`vre). Et bien des choses cache´es : Dampniat 19 viendrait d’un Dominiacum, domaine. Dans le Sud-Ouest, les noms en Domec, Domecq, Domenech, Doumenc, Doumenge, Doumergue ont eu le sens de domaine, et ont fourni bien des NP. Condamine ou contamine est un mot forme´ sur domaine. Il a de´signe´ un bien-fonds re´serve´ au seigneur et ainsi libre de redevances ; ou au moins un grand domaine. Son pre´fixe associatif con- n’indique pas une coproprie´te´, comme on l’a cru nague`re, mais qu’il associe maison et de´pendances. Six communes ont ce nom, avec un d ou un t, au singulier ou au pluriel, toutes dans les Alpes et le Jura ; et des dizaines de lieux-dits le portent aussi, dont des Creˆte ou Cime de la Condamine dans les Alpes. Le terme est limite´ a` la France du Sud-Est, du Languedoc au Jura, sauf quelques exceptions. Il est parfois devenu Condemine, et meˆme les Condos a` Arnouville 95. Il a pris la forme Colomina en pays catalan : les Colomines et Colomina d’en Baux a` Sainte-Marie 66, la Colomina Blanca, la Colomina d’en Domenech et la Colomina d’en Valent a` Torreilles, et meˆme la Colomineta a` Bompas. Les Ensanges est un terme curieux et de sens discute´. Des dizaines de toponymes s’y re´fe`rent, en ge´ne´ral au pluriel, surtout en Lorraine et spe´cialement dans les Vosges et la Meurthe-et-Moselle, mais jusqu’en Haute-Marne (Chaˆteauvillain, Vraincourt) et dans le Doubs (Avanne-Avenay). La forme est parfois les Ansanges, les Ensonges, les Enseignes : Girmont 88 contient le Bas des Ansanges, Domptail 88 le Haut des Ensonges et Dainvillers 88 une Basse des Ensonges, Barbas 54 les Ensonges derrie`re

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l’E´glise, Lenoncourt 54 les Longues Enseignes et Puligny-Montrachet 21 les Enseigne`res. Un moulin de l’E´tanche a` Thorey-Lyautey 54 serait de la meˆme famille. Georges Duby y voyait des enseignes, donc des terres « du seigneur », e´ventuellement conce´de´es. Il est possible qu’eysine, dans le Sud-Ouest, ait eu le meˆme sens de terre du seigneur, e´ventuellement devenue ensuite bien communal, comme a` Eysines en banlieue de Bordeaux. J. Peltre (Recherches me´trologiques sur les finages lorrains) note cependant qu’ensange aurait de´ signe´ en Lorraine une unite´ agraire d’environ 14 ares ; Du Cange reliait le mot a` un latin encengia, qui aurait e´voque´ une terre enceinte (cloˆture´e). D’autres rapprochent le mot de l’example me´ridional (ensanche outre-Pyre´ ne´es) qui signale un agrandissement, une extension de domaine avec e´ventuel de´frichement, et donc une tout autre e´tymologie (latin amplus, espagnol ancho). Il n’est pas impossible que, sous des formes paronymiques, se cachent en fait trois ou quatre origines distinctes. Certaines terres seigneuriales ont porte´ le nom d’honneur, dont semblent venir quelques lieux-dits tels L’Honneur au Mesnil-Mauger 14, des Camp ou Champ d’Honneur (Saint-Laurent-de-Ceris 16, Saint-Denis-de-Villenette 61, Varennes 80) et, dans les re´gions me´ridionales, des honor comme L’Honor-de-Cos 82, les Honors a` Argele`s-sur-Mer 66. Des noms de communes comme Nort-sur-Erdre 44 et Anor 59 auraient cette origine. Il semblerait en outre que le curieux nom d’Œuf-en-Ternois 62 puisse venir d’un od (auda) germanique de´signant un domaine (D. Poulet) et qui se retrouverait dans l’alleu. Il est possible enfin que chambre ait pu de´signer une re´sidence de souverain, ou du moins de seigneur disposant de larges droits civiques. Ce serait le cas en Savoie de Chambe´ry, qui eut une chambre de justice, et de La Chambre 73 en Maurienne, qui eut un chaˆteau de la Chambre.

Ce qui reste des anciens titres Nombre de possessions foncie`res, et donc de lieux-dits, portent encore le titre d’un ancien de´tenteur noble – nous verrons plus loin les anciennes proprie´te´s cle´ricales. Du tre`s prolifique radical IE reg sont venus le droit et le direct, ainsi que le rex latin et le rix celte, puis le roi. Bien des terres ont releve´ du domaine royal a` un moment ou un autre. Les toponymistes retrouvent rix dans des communes comme Riom 63, Riome`s-Montagnes 15, Rians 18, Ruoms 07 qui furent des Rigo-magos (marche´ royal). La lecture est plus claire dans Corme-Royal 17, Bois-le-Roi 27 et 77, Villeneuve-leRoi 94, Le Grau-du-Roi 30, la Villeneuve-du-Roi a` Autreville-sur-la-Renne 52, un Domaine de Pont Royal a` Mallemort 13 et quantite´ de lieux-dits en Bois-le-Roi ou Bois-du-Roi, Pre´ du Roi, voire Parkou Royal (Scae¨r 29) et meˆme Palais Royal (Jayat 01, Ygrande 03, Les Abymes en Guadeloupe) ou Pavillon Royal (Marcoussis 91), et autres lieux portant l’adjectif Royal. Dans le Midi les formes peuvent eˆtre un peu diffe´rentes, mais aussi reconnaissables, en re´al et re´jau : Re´alville 82, Re´almont 85, divers Montre´al, Re´jaumont 32, Re´jaumont 65, Montre´jeau 31, les Re´aux a` Neuvic-le-Chaˆteau 17, etc. Une difficulte´ tient

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a` ce que les formes anciennes peuvent se confondre avec celles du ruisseau (aussi « re´al » en pays catalan) et du gue´ (gaulois rito). La forme ko¨nig, kœnig est l’e´quivalent germanique, et source de confusions par remotivation ; Kœnigsmacker 57 est un Maze`res (maceria) d’un roi de Boheˆme (XIII e sie`cle) – mais Haut-Koenigsbourg 67 et Kœnigshoffen 67 sont interpre´te´s par M. Urban, non pas comme la « cour » du roi, mais a` partir de cuno, au sens de hauteur – entre autres possibilite´s. De meˆme Kœnigsberg 57 est conside´re´ par A. Simmel comme une tautologie, cuno et berg ayant le meˆme sens de mont. Parmi les titres de noblesse, le comte est sans doute le plus pre´sent en toponymie. On sait que le nom vient de comitem, compagnon (du monarque). Il est pre´sent dans celui de plusieurs communes comme Fontenay-le-Comte 85, Villeneuve-le-Comte 77, Vic-le-Comte 63, Metz-le-Comte 58, Bourg-le-Comte 71, Be´ville-le-Comte 28. Villeneuve-la-Comptal 11 est une mauvaise orthographe pour la Comtale. Comte apparaıˆt seul dans des dizaines de lieux-dits le Comte, dont une quinzaine dans le seul de´partement de la Gironde. Quantite´ de lieux-dits e´voquent d’anciennes possessions en Bois le Comte (une vingtaine dans la seule Lorraine), Pre´ le Comte, Grange le Comte ; deux Fief le Comte sont a` Saint-Germain-sur-Moine 49 et Chize´ 79, les Acres au Comte a` Franqueville 27, une Pie`ce de la Grange le Comte a` Brugny-Vaudancourt 51, une Terre de la Haie le Comte aux GrandesVentes 76, un Pic des Trois Comtes a` Aulus 09. Entre-temps, certes, Comte a pu eˆtre un NP. S’y ajoutent une vingtaine de lieux-dits la Comtesse, des Bois de la Comtesse et meˆme un Bois de Queue Comtesse a` Beauchamps-le-Jeune 80. La Croix-Comtesse et Villeneuve-la-Comtesse sont des communes de Charente-Maritime. Du coˆte´ du Rhin apparaıˆt l’e´quivalent Graf, associe´ a` des bois dans Graffenwald a` Blabronn 67 et Grafenwald a` Cernay 68, a` un pre´ dans Grafenmatt a` Mutersholz 67, une vigne dans Grafenreben a` Zellenberg 68 ou un champ avec Graffeld a` Brettnach 55, un e´tang dans les Grafenweiher de Sturzelbronn 57, Loudrefing 57 ou WangenbourgEngenthal 67. Mais Graffenstaden ne cacherait ni comte ni ville : juste une rive (germ. stado) de graviers (M. Urban)... Infe´rieur en hie´rarchie, le vicomte (vicaire du comte, en quelque sorte son substitut) n’en a gue`re moins marque´ les noms de lieux. En te´moignent les communes d’Oullyle-Vicomte 14, Quincy-le-Vicomte 21, Fontenay-le-Vicomte 91, Pommerit-leVicomte 22, Villers-Vicomte 60, Meigne´-le-Vicomte 49, Le Me´nil-Vicomte 61 et un lieu-dit homonyme a` Louversey 27 ; plus une vingtaine de le Vicomte ou la Vicomte´, et maintes mentions comme le Moulin du Vicomte a` Tre´grom 22, le Bois le Vicomte a` Montville 76 ou Mitry-Mory 77, le Bosc le Vicomte a` La Vespie`re 14. Il y eut aussi, a` peu pre`s au meˆme rang, des vidames (vice-dominus) qui restent pre´sents dans La Ferte´-Vidame 26 et Meslay-le-Vidame 28 et quelques de´rive´s comme un Bois de la Vidame´e a` Courteuil 60, le Camp Vidame a` Crouy-SaintPierre 80 ou le Vidame et la Demoiselle a` Braud-Saint-Louis 33. Coˆte´ fe´minin, Ge´oportail retient cinq occurrences de Vicomtesse, dont la commune de La Chapelle-Vicomtesse 41, et la Vidamesse a` Bisseuil 51.

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Les barons furent bien plus nombreux et sont partout en toponymie, d’autant que le titre est devenu un banal NP. Originellement, c’e´tait un homme libre et compagnon du souverain ou du seigneur (Freiherr en allemand) dont le nom, re´pandu au IXe sie`cle, a eu le sens de mercenaire – d’origine discute´e, entre un IE bher ayant glisse´ de l’ide´e de fendre a` celle de combattant et un latin baro au sens de lourdaud... Deux pays en tirent meˆme leur nom de Baronnies, l’un dans la Droˆme et l’autre dans les Hautes-Pyre´ne´es, ce qui se marque dans des noms de communes comme Buisles-Baronnies ou Mirabel-aux-Baronnies 26, ainsi que les Baronnies a` Escots 65 et Foreˆt des Hautes Baronnies et des Basses Baronnies a` Esparros 65, voire un sentier de grande randonne´e dit Tour des Baronnies. Des noms de lieux le Baron, la Baronnie et la Baronne s’e´parpillent en toute re´gion, seuls ou associe´s a` des Bois, Fontaine, Chemin, Parc, E´tang, Plaine, Carrefour, etc. et meˆme un Sur la Baronne (Saint-Broingt-les-Fosses 52), un Derrie`re la Baronne (Saint-Jean-d’E´treux 39), un Buisson la Baronne (Drosnay 51). Le duc (de dux, qui conduit, IE deuk) n’est gue`re mentionne´ comme titre qu’a` partir du XII e sie`cle et, en tant que tel, a peu marque´ les noms de lieux, si ce n’est e´videmment a` Bar-le-Duc 55, Arnay-le-Duc, Aignay-le-Duc, Lucenay-le-Duc, Villiers-le-Duc 21, Anzy-le-Duc 71, anciennes possessions ducales. En fait, on trouve bien des dizaines de lieux-dits le Duc, voire la Duche´, mais ils peuvent exprimer tout autre chose, hibou ou NP ; il existe au moins 30 Bois le Duc et meˆme un Bois de la Queue du Duc a` Champole´on 05, un Aven du Trou du Duc a` Saint-Pargoire 34 ; et une vingtaine de lieux-dits la Duchesse, surtout lie´s a` des sites forestiers. L’e´quivalent germanique ne semble apparaıˆtre qu’au Herzogerberg de Thann. Le risque d’ambiguı¨te´ est e´galement e´leve´ avec les Marquis, dont beaucoup ont de´signe´ en fait des marais, telle la commune de Marquise 62, ou des « marques » entendues comme limites – le marquis e´tant lui-meˆme a` l’origine le conque´rant d’une « marche » (IE merg, limite). Il existe ne´anmoins un Fief Marquis a` Saint-Se´verin-surBoutonne 17 et quelques Pre´, Bois ou Moulin du Marquis, un Poul ar Marquis a` Ploze´vet 29, des Marque`s en Bretagne – mais le marqueg y e´tait un simple chevalier. Les assez nombreux le Marquis ou le Marque`s du Gers semblent plutoˆt relever de NP ou de surnoms. Ge´oportail rele`ve huit Bois de la Marquise (dont cinq en HauteSaoˆne et Haute-Marne), une Taille de la Marquise (Cranves-Sales 74) et un Taillis de la Marquise (Saulzais-le-Potier 18), deux Ligne de la Marquise (Beaumont-leRoger 27 et La Lande-sur-Eure 61), une Plage de la Marquise a` Hye`res. Le prince e´tait « le premier » (de principe, primus) et par de´finition les princes e´taient peu nombreux ; mais leurs possessions ont pu eˆtre e´tendues, et il en est sorti bien des surnoms et des NP : Ge´oportail rele`ve huit le Prince dans le seul de´partement du Gers. Il existe une quarantaine de Bois le Prince, du Prince ou des Princes. Quelques re´ve´rences ont e´te´ tire´es aux princes dans des foreˆts royales, comme l’E´toile des Princes a` Saint-Germain-en-Laye, une douzaine de Carrefour du Prince ou des Princes, dont un du Prince Pierre a` Gley-sur-Aujon 52, du Prince Charles a` Favie`res 77 et meˆme un Carrefour du Prince de Galles a` Dampieux 02. Les princesses apparaissent a` l’occasion avec quelques lieux-dits, une Ligne de la Princesse dans les bois de Beaumont-le-Roger 27 et une Route a` Igny 94, un E´tang a` Ranne´e 35. L’Alsace et la Moselle ont de nombreux lieux-dits en Forst ou Fu¨rst

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dont un Bois de Furst (Folschwiller 57) et quelques Furstwald, Furstenwald ou Fuerstenwald, Furstenfeld, Fuerstweg, deux Fuerstenweiher, mais ces noms sont tre`s proches de l’ide´e de foreˆt... Dauphin fut un titre, porte´ notamment par le premier fils et futur successeur du roi. Le terme semble avoir e´te´ le surnom donne´ au premier fils du comte de Viennois, Guigue IV, vers 1100, peut-eˆtre en hommage a` un saint du IVe sie`cle ; il s’est ensuite e´tendu au comte´ a` la fin du XIII e sie`cle puis a` d’autres descendants titre´s en Dauphine´ et en Auvergne, a e´te´ conside´re´ comme e´quivalent de comte, puis est devenu un NP. Outre le Dauphine´ meˆme, et la contre´e du Bas-Dauphine´, le conservent les communes de Dauphin 04 et Mont-Dauphin 05, d’assez nombreux lieux-dits le Dauphin, deux Mont-Dauphin a` Colembert 62 et Barney 71, trois Pont Dauphin et, par la famille royale, la Porte Dauphine a` Paris et la Route Dauphine dans les Yvelines. Vavasseur de´finissait un vassal de vassal ; il existe des lieux-dits la Vavassourie, Vavassseurie ou Vavassorie, le Village Vavasseur a` Champrepus 50, la Cour Vavasseur a` Saint-Maurice-Saint-Germain 28, tous dans l’Ouest. Au bas de l’e´chelle nobiliaire furent les fort nombreux chevalier et e´cuyer, ou Ritter en allemand. Leur abondance dans les NP et les confusions avec de simples cavaliers laissent beaucoup de doutes sur l’origine des noms de lieux correspondants, d’autant qu’ils pesaient moins que les pre´ce´dents sur les proprie´te´s foncie`res. Il existe ne´anmoins des Bois, Butte, Moulin, Ferme du ou des E´cuyers, voire des E´cuye`res, et quelques Rittersberg (mont), Ritterspfad (chemin), Ritterwald (Schneckenbusch 57), Ritterswiese (Trimbach 67), Rittershoffen 67 – la` encore, non sans ambiguı¨te´ : ritt a des chances d’indiquer ici un de´frichement (chap. 6).

Autorite´ et interdits Le pouvoir sur la terre et sur les sujets s’est affirme´ notamment a` travers le ban, a` la fois expression de l’autorite´ territoriale et marque de privile`ge ou d’interdiction. Le mot, d’origine franque, viendrait d’un bhaˆ IE e´voquant la parole publique, l’annonce et donc le de´cret : c’est ce qui est proclame´ par l’autorite´, et ainsi de´fini. Convoquer le ban e´tait appeler ses sujets, notamment a` la guerre. Le ban contraignait les sujets. Il pouvait exprimer un monopole : le moulin banal, le four banal appartenaient au seigneur et s’imposaient a` ses sujets. De nombreux NL en Alsace et Moselle sont en Bannholz : il s’agissait de bois re´serve´s au seigneur, qui n’avaient donc rien de banal au sens actuel. Or, de ce fait meˆme, banal a fini par prendre un sens communautaire, puis communal, jusqu’a` devenir synonyme de territoire communal, parfois pluricommunal. En ce sens, il reste tre`s vivant dans l’Est de la France, ou` ban est synonyme de finage. Plusieurs communes en tirent leur nom : Ban-sur-Meurthe-Clefcy, Ban-de-Laveline et Ban-de-Sapt dans les Vosges, l’un avec un noisetier, l’autre avec un sapin ; Le BanSaint-Martin en Moselle. Le Ban-de-la-Roche 67 de´finissait l’ancienne seigneurie du chaˆteau de la Roche dans les Vosges alsaciennes, de langue welche (franc¸aise) et divise´e en une dizaine de paroisses. L’Ostrevant, petit pays du de´partement du Nord,

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n’e´tait autre que le ban de l’Est. On trouve quantite´ de Bois Banal, des Banbois (Montigny 54), Banvoie et le Bois Banal a` Ancerville 54, Moulin Banal a` Charentilly 37, Four Banal a` Cle´rieux 26 et meˆme le Fond du Banal a` Richardme´nil 54. Ban s’est employe´ aussi pour une partie de finage (comme « fin ») avec l’ide´e d’une juridiction particulie`re, notamment d’interdit, par exemple pour des ensembles de pre´s de fauche soumis ensuite a` la vaine paˆture : ainsi de quelques dizaines de l’Embanie en Lorraine, comme a` Meulotte et a` Maizerey 55, les Vieilles Embanies a` Marche´ville-en-Woe¨vre 55, plus deux l’Ambanie dans les Vosges ; ou encore Banvoie et Banal Bois a` Ancerviller 54, Ban de la Cour a` Mouaville 54, etc. Le terme peut eˆtre assorti de pre´cisions : Ban le Duc a` Channois-l’Orgueilleux 88 et Ban de Mai a` Destord 88, Ban le Moine a` Angomont 54 et Blonville 54, Ban de Toul a` Dommartin-le`s-Toul 54 ; et un curieux Ban d’Amant a` Thonne-le-Thil 55, un Ban Perdu a` Quilly 08. Le terme a e´te´ parfois redouble´ en bandite, de´signant un secteur interdit ou re´serve´ comme la Bandite a` E`ze 06, La Bandita de Barrins a` Sospel 06. Des mesures de protection des foreˆts ont amene´ a` constituer des secteurs en re´serve, surtout a` partir du XVI e sie`cle ; des lieux-dits Quart en Re´serve existent encore dans la foreˆt de Vaucouleurs, a` Anoux 54, a` Pont-a`-Mousson (au Bois le Preˆtre), en Argonne, dans plusieurs communes de la Meuse ; on trouve aussi la Re´serve, notamment en Champagne et Picardie orientale. Un nom extreˆmement re´pandu sous diverses formes est celui de De´fens. Il marquait une interdiction de paˆture, parfois de glane, en tous cas une re´serve. Il prend localement le nom de De´fendu, Deffand, Deffeix, De´fait, Defais, Defaix, Defay : par exemple le Bois du De´fait a` Ons-en-Bray 60, les De´faits a` Boissy-en-Drouais 28, une Foreˆt du De´fant a` Bussie`re-Poitevine 87, les De´fens a` Fontaine-la-Guyon 28, le Grand De´faut a` Nully-Tre´milly 52. Dans la France me´ridionale re`gne la forme Deve`ze qui a exactement le meˆme sens, parfois alte´re´e par attraction en Divise dans le Pe´rigord et les Charentes mais sans aucun rapport originel avec l’ide´e de diviser ; on trouve aussi des Devesset, Debe`se. Le gascon l’a traduit en Be´dat qui signale bien un interdit (cf. l’italien vietato), tre`s fre´quent dans le Gers, la Gironde et plus encore les Landes. Biredis aurait le meˆme sens en Gironde et surtout dans les Landes, comme le Biredis de la Damiselle a` Moustey 40. Garenne est un terme tre`s commun aussi, qui en principe a duˆ de´signer une re´serve de chasse. Son origine est discute´e, car il se confond souvent avec varenne et prend aussi les formes Garande (surtout en Bourgogne), Varande, Varende avec le meˆme sens de terre re´serve´e. On trouve aussi la Warande et la Grande Warande a` Bourbourg, les Ware`gnes a` Sailly-en-Ostrevent 62. Les toponymes sont nombreux en Iˆle-de-France, tels La Garenne-Colombes 92, la Garenne a` Aulnay-sous-Bois, Bry-sur-Marne, Sucy-en-Brie, Montgeron, L’Isle-Adam et les Garennes a` Guyancourt. Notons Garennes-sur-Eure 27, une Garenne le Comte a` Bulat-Pestivien 22, une Garenne de Guise a` Parpeville 02, une Garenne du Moine a` Le´vignen 60, et plus curieusement la Garenne Ouverte a` Bury 60. On a pu supposer que l’ide´e de « garder » (pre´server) e´tait a` l’origine du terme, ce que semblent confirmer les formes warand (IE wer, couvrir, prote´ger, cf. aussi garant, garantie) ; quelques-uns proposent un gaulois varros au sens de poteau marquant une limite ; mais rien de ceci n’explique la relation

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avec varenne, qui peut avoir un tout autre sens d’e´tendue sableuse de bords de rivie`res, meˆme si garenne et varenne ont souvent en commun les terriers de lapins. Le Gaut est un toponyme qui a pu correspondre a` un ancien sens de bois de´fendu, re´serve seigneuriale, sans doute en rapport avec une vieille de´signation de la foreˆt (du germanique wald). Il s’en trouve en Beauce, en Limousin, en Gascogne. X. Gouvert y voit en franco-provenc¸al la forme le Got, diffuse des Charentes au Rhoˆne. La forme le Gault est fre´quente aussi, notamment dans le Centre, ou` sont les communes du GaultSaint-Denis 28 et du Gault-Perche 41 ; mais elle a pu de´signer simplement un bois. Gle`be est un terme courant quoique de´suet ; le latin gleba, issu de l’IE gel (une boule) d’ou` vient aussi le globe, de´signait une motte de terre ; il est devenu synonyme de terre, et par la` de suje´tion au sol pour les serfs : on e´tait attache´ a` la gle`be ; mais il ne resterait que cinq lieux-dits la Gle`be, tous dans le Midi.

L’e´mancipation par contrat Quelques termes dont le sens fut pre´cis, mais qui sont sortis de notre vocabulaire, ont marque´ le territoire parce qu’ils e´voquaient des fac¸ons d’eˆtre, ou du moins d’eˆtre tant soit peu autonome, dans le monde seigneurial et alentour. Ils ont correspondu a` des formes de contrats, ou du moins d’usages. Non que les puissants fussent devenus plus libe´raux, ou moins aˆpres : ils tiraient de ces concessions, bien mieux que de la coercition, des terres mieux entretenues, plus productives, en ge´ne´ral mieux re´mune´ratrices, et des familles bien mieux lie´es a` la gle`be que des serfs contraints, de´munis et faibles. L’alleu, terre libre de redevances seigneuriales (mais non cle´ricales), et transmissible en he´ritage, a e´te´ nague`re relie´ a` un francique al-od qui signifierait litte´ralement « pleine proprie´te´ », mais il pourrait eˆtre plus suˆr d’y voir hlot, au sens de sort (cf. allemand Los), pour un bien tire´ au sort (P. Guiraud), racine qui se retrouve d’ailleurs dans le lot et la loterie ; on remarquera que lods (dans lods et ventes) avait le sens de consentement accorde´ en cas de vente, contre une redevance e´ventuelle. L’Alleu ou les Alleux sont des toponymes re´pandus, mais on trouve quantite´ d’autres noms plus ou moins alte´re´s, dont le meˆme sens est atteste´ par d’anciens textes. Il en est ainsi de Les Alleuds (49 et 79), les Alleux a` Herpont et a` Dontrien 51, Les Allues 73, Arleuf 58 (Taverdet p. 66), Arleux 58 et Arleux-en-Gohelle 62, les Alluets dont Alluets-le-Roi et une foreˆt des Alluets, les Allets (une dizaine) dont un Fief des Allets a` Saint-Sulpice-de-Royan 17, les Alleufs a` Surin 79, l’Aleuf a` Neuillay-lesBois 36, les Alloue´s a` Silly-Tillard 60 ou a` Renaison 42, les Allouets a` Coussegrey et a` Nogent-sur-Aube 10, Alluyes 28 ; ou encore Laleu, La Leu, Laleuf, voire Lalo en Auvergne (une vingtaine, dont un a` Sexcles 19) et meˆme les E´lus (une quinzaine). Montifault-l’Aleuf est une ferme a` Rouvres-les-Bois 36. Plus d’une dizaine de FrancAlleu ou Francs-Alleux se dispersent de Champagne en Picardie. Abergement a de´signe´ une terre remise a` un paysan libre aux fins de de´frichement contre redevance ; le droit d’entre´e re´gle´, elle devenait une sorte d’alleu. Le mot est de la meˆme famille qu’he´berger (germanique herbergen, avec ide´e de loger).

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Le toponyme de´rive´ existe dans plusieurs re´gions, avec une forte concentration en Bourgogne et dans le Jura ; huit communes en portent le nom. Celui-ci s’e´crit parfois l’Embergement en Poitou, l’E´bergement a` Paulx 44, les Abergeons (a` Bellevesvre 71), voire les Bergemons ou le Bergemont. Il semblerait meˆme avoir e´trangement glisse´ sur certains plans cadastraux jusqu’a` devenir la Belle Jument a` Plouvara 22 et l’Erbe Jument a` Saint-Donan 22... Des paysans ont e´te´ affecte´s a` des terres conquises ou a` de´fricher, avec un statut de colons ; ils e´taient libres, mais attache´s a` la gle`be eux aussi, en ce sens qu’ils e´taient tenus de mettre cette terre en valeur. Ils ont laisse´ de nombreuses traces toponymiques sous les formes Colonges, Coulanges, Coulonges, Collange ou meˆme Cologne. Une trentaine de lieux-dits, surtout des hameaux, ont pour nom la Colonie. Ne´anmoins, outre l’abondance des NP, ces de´signations se confondent souvent avec des de´rive´s de colline : Collongues 65 est interpre´te´ par M. Grosclaude comme des collines allonge´es. Poublan fut le nom attribue´ dans le Sud-Ouest a` des colons venus d’ailleurs sur des me´tairies de novales, des terres nouvellement de´friche´es : le terme signifiait litte´ralement « peuplant ». Plusieurs dizaines de NL le Poublan sont dans les Landes et surtout les Pyre´ne´es-Atlantiques, notamment en Pays d’Orthe, et bien entendu Poublan est devenu aussi un NP. Une terre de commande (latin commendatio, au sens de « mettre en main »), au Moyen Aˆge, re´sultait d’un acte par lequel un homme libre se plac¸ait sous la protection d’un suzerain, e´changeant le droit sur une terre contre des prestations. Se maintiennent un Hameau Commande´ a` Flamanville 50, quelques Commande ou la Commande, un la Commenda a` Sospel 06, un Commandet a` Larreule 64, le Commene´ a` Que´dillac 35. Ce type de contrat semble avoir e´te´ re´pandu en Bretagne, ou` le nom est devenu kemenet. Il transparaıˆt dans Que´ment a` Trogue´ry 22, Gue´me´ne´-sur-Scorff – mais non Gue´me´ne´-Penfao qui est un mont blanc (gwen mene´)+ le bout de la heˆtraie –, Gomene´, Que´me´ne´ven ; celle-ci, Kemenetmaen au XIIIe sie`cle, e´voque une terre de commande (kemenet) d’un seigneur (maen). Convenant a de´signe´ un bail de fermage (a` cens, rente ou part de re´colte) dans lequel le preneur acquerrait la proprie´te´ des baˆtiments qu’il a construits et des plantations qu’il a faites. Ge´oportail en signale 379, tous en Bretagne, la plupart dans les Coˆtesd’Armor et en ge´ne´ral suivis d’un nom de personne : par exemple a` Pleumeur-Bodou les Convenant Calvez, Convenant Moullec, Convenant Brochennec et Convenant Capez. En outre, le terme a souvent e´volue´ en kevaez, kevez (Ke´vez en Tre´gonneau 22), francise´ en quevaise, et a pu se confondre avec commaes (champ commun ou partage´)1. 1. Annik Toberne (« La toponymie forestie`re des Monts d’Arre´e », Annales de Bretagne, 1954, p. 415) note que ce type de contrat « a fourni les gros villages en ker des monts d’Arre´e [...] Lorsqu’au XIIe s. les religieux du Relec et de la Feuille´e entreprennent le de´frichement de leur vaste domaine, ils proposent aux « manouvriers » de la re´gion les conditions les plus avantageuses : la possession d’un petit champ d’un journal (un demi-hectare) en double proprie´te´, conjointe et associe´e : le fonds au seigneur (qui est ici eccle´siastique), les « e´difices » et « superfices » au tenancier [...] C’est en somme la formule du convenant ou domaine conge´able de Basse-Bretagne, mais avec une garantie essentielle et originale : le renvoi du quevaisier n’est pas possible. » Cf. aussi Le´on Dubreuil, « L’usement de quevaise dans le domaine de Penlan (E´veˆche´ de Tre´guier) ». Annales de Bretagne, 1961, pp. 403-435.

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De meˆme, des serfs ont e´te´ affranchis en groupes comme co-liberti en s’engageant a` de´fricher des terres ; ces colliberts, facilement devenus « culverts », ont laisse´ quelques traces : sans doute au Cuverville cauchois d’Andre´ Gide, jadis Culvert villa, les Colibards a` Courtisols 51, Colibert a` Cre´ances 50. Une autre forme de concession de terre pour fixer des habitants a e´te´ l’hostise, demeure d’un hoˆte dont le statut e´tait entre libre et serf ; Othis 77 en viendrait, selon M. Mulon ; on note meˆme un Convenant l’Hostis a` Pluzunet 22, un Cosquer l’Hostis a` Plusque´lec 22 (cosquer= vieille maison) ; Ker an Hostis a` Plestin-lesGre`ves. Hoste 57, Hostiaz 01, Hostens 33, Hosta 64 sont probablement de la meˆme famille. En Ardenne apparaissent des we`bes, notamment a` Se´cheval, Les Mazures (les We`bes Gobert), Anchamps, Genelle, Joigny-sur-Meuse (les Longues We`bes), Bogny-surMeuse (les Hautes We`bes) ; il s’agissait de parties de foreˆts conce´de´es par des seigneurs a` chaque feu (famille) de commune pauvre ; le nom pourrait avoir e´voque´ un don (du germanique geben). Certaines terres ont e´te´ dites exclues, c’est-a`-dire libe´re´es de redevances : Le Moing sugge`re cette origine pour Le´cousse 35, ancienne Excussa, terre exclue. On trouve l’Esclauze a` E´gliseneuve-d’Entraigues 63, un lieu-dit la Terre De´roge´e a` Beaume´ 02. Et, bien entendu, on doit garder en me´moire ici la grande abondance des terres sauves et des terres franches, au meˆme sens de terres libres de redevances, ouvertes pour assurer le peuplement des campagnes a` partir du XI e sie`cle surtout, a` l’origine des multiples Sauvete´, Salvetat, Sauveterre, Francheville, Franquevielle et Villefranche, Francazal, Franclieu ou Franleu – sous re´serve d’interfe´rence avec des NP au sens de Franc ou Franc¸ois, tels que les divers Francillon et Francillou. Les lieux-dits abondent en Franches Terres, Franc-Lieu, les Franchises ; a` son extre´mite´ occidentale, Audes 03 combine les Franchises (deux fois) et les Franchises des Barrie`res. Le droit d’usage parfois conce´de´ permettait d’utiliser certaines ressources autrement ne´glige´es : ainsi de la vaine paˆture ou du ramassage du bois mort. Encore fallait-il que ce droit fuˆt accorde´ en des lieux de´finis, ce qui explique que des toponymes en Usage en soient issus, comme les Grands Usages a` Villiers-sur-Yonne, les Usages de Sur Yonne a` Bre`ves 58 ou, dans les bois de Saint-Martin-du-Puy 58, les Usages tout court, les Usages de Saint-Martin, les Usages de Plainefas ; et, a` l’inverse, l’Usage De´fendu, bois a` Raveau 58. Ce toponyme est abondant de l’Orne a` la Bourgogne, surtout en Berry et Orle´anais, et en Champagne : les Usages, les Petits Usages, les Usages de Ferrie`re a` l’E´caille 08. Vilaine fut le nom de la tenure paysanne (villana), celle du « vilain », originellement l’habitant non noble d’une villa. Des dizaines de la Vilaine s’e´parpillent de la Vende´e au Berry, plus quelques la Grange Vilaine (Coulanges 03), les Terres Vilaines (Fresnoy-Andainville 80, Thilloy-Floriville 80), le Pre´ Vilain (Bueil 27) et le Pre´ de Vilaine (Villegenon 18), ou le Pre´ aux Vilains a` Rosnay-l’Hoˆpital 10. Le terme a e´volue´ vers Velle en pays comtois. Les tre`s nombreuses Villaines, dont neuf communes plus Villainville 76, peuvent eˆtre de meˆme sens, ou simplement de´river de la villa romaine. On en rapproche des Vulaines, dont trois communes portent le nom, des Violaines (dont Violaines 62), des Velennes. Velanne 38, Velaines 55, Velaine-

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en-Haye 54 et Velaine-sous-Amance 54, Voulaines-les-Templiers 21 seraient e´galement de´rive´s de villana, ainsi probalement que bien des lieux-dits semblant fonde´s sur « ville ». La Roture est un toponyme de meˆme sens, plutoˆt lie´ aux de´frichements. Toute une se´rie de contrats liaient un bailleur et un preneur. Il a de´ja` e´te´ question ici de fermage et de me´tayage, de fermes, de bordes et de me´tairies. Bien d’autres formes ont laisse´ des traces. Rente est un terme fre´quent parmi les microtoponymes, surtout en Charente-Maritime, qui a plus de soixante noms en rente, dont plusieurs Bois de la Rente ou Champ de la Rente, et meˆme la Rente des Clochards a` Mons 16. La locature e´tait une maison loue´e ; le terme est connu en Sologne ou` Gy-enSologne 41 pre´sente un muse´e d’agriculture et nature a` la Locature de la Straize. Locature a fourni une douzaine de lieux-dits, comme la Locature des Allaudries a` Jeu-les-Bois 36, dont le nom e´voque aussi un alleu. En Bourgogne et Bourbonnais le terme devient locaterie, employe´ seul ou suivi d’un NP. L’acate e´tait un bail a` long terme, contraction de ad acceptum, lisible dans les Acates en plusieurs lieux-dits du Var, dont un Ubac de l’Acate a` Collobrie`res. L’acapte est pre´sent a` sept exemplaires dans Ge´oportail, dont l’Acapte d’Espine a` Angle`s 81 ; presque tous sont dans le Tarn ; deux la Capte peuvent y avoir la meˆme origine. L’abenevis e´tait un contrat de concession en Lyonnais, a` dure´e illimite´e ; l’Abbenevis est un hameau a` moulin de La Be´nisson-Dieu 42. Par le bail a` gazaille, un paysan se voyait confier la garde et l’entretien d’animaux d’un proprie´taire et pouvait les faire travailler, en garder tout ou partie des produits (lait, fromage, laine, fumier). On repe`re dans le Sud-Ouest une vingtaine de Gazaille, Gazaillou, le Gazaillan, Gazagne, ainsi que le chaˆteau des Gazaillas a` Saint-Sulpicesur-Le`ze 31, un Pas de Gasaille a` Me´rigon 09, Gasagne a` Moustiers-SainteMarie 04, En Gasagnepan a` Brignemont 31. Parmi d’autres sortes de dispositions juridiques de biens-fonds, on notera par exemple l’existence des douaires, biens laisse´s en usufruit a` la femme survivante : plusieurs dizaines de lieux-dits en portent le souvenir, surtout en Lorraine occidentale et dans les Ardennes, comme le Grand Douaire a` Margut 08, le Douaire a` Quincy-Landze´court 55 ; et jusqu’en Normandie : les Douaires a` Montesson, le Douaire a` Langeard 50, etc. En Bretagne, le mot apparaıˆt aussi mais peut se confondre avec le breton douar, la terre, le pays. Plus rare, le toponyme les Alie´nations surprend a` Tortequesne 62. Dans l’ensemble, les concessions des seigneurs a` leurs sujets, sous forme de convenants, d’abergements, d’hostises et tout ce qui te´moignait d’un affranchissement (nombreux lieux-dits avec Franc ou Franche) ont e´te´ ve´cues comme porteuses de liberte´ et d’espoir : certains noms l’expriment, comme ceux de Luc¸ay-le-Libre 36 ou Ancy-le-Libre 89, Champ Libre a` Landes 17, ou encore l’Espe´rou (Valleraugue 30) dans l’Aigoual, village fonde´ par des serfs affranchis. Une trentaine de formes Espe´rou ou de´rive´es se lisent dans le Midi. Ce qui n’empeˆche pas la survivance d’un bien grand nombre de lieux en Serve, la Serve, les Serves qui indiquaient des « terres serves », avec une Terre de la Serve a` Mailly 71, serf lui-meˆme e´tant a` peu pre`s inconnu en toponymie : une Butte aux Serfs a` Saint-Molf 44, dont l’orthographe n’est pas suˆre – mais serve a au moins deux autres sens, foreˆt et bassin de retenue (chap. 6).

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Le fardeau des redevances Si la tenure elle-meˆme, bien de possession durable, que l’on « tient », n’a gue`re laisse´ directement que quatre noms de lieux, a` Hannapes 08, Locquignol 59, Lacollonge 90, Iviers 02, Te`nement apparaıˆt une vingtaine de fois et la Tenue une bonne trentaine. Surtout, un tre`s grand nombre de lieux-dits portent des noms de redevances, ou de mesures agraires qui servaient de base a` leur calcul. Il s’agit souvent de quartiers de champs inhabite´s, qui n’apparaissent que sur les plans cadastraux, mais ces noms s’appliquent aussi, a` l’occasion, a` des lieux habite´s. L’une des exigences les plus pesantes e´tait la corve´e, travail non re´mune´re´ duˆ au seigneur par ses sujets et commande´ par lui a` sa convenance. Le terme vient du latin corrogo, qui a le sens de con-voquer, demander a` plusieurs, et dont la racine rogo se trouve en franc¸ais juridique dans « rogatoire ». Les toponymes en la Corve´e ou les Corve´es sont fort nombreux, spe´cialement en Lorraine, Champagne et Bourgogne – plusieurs dizaines en Coˆte-d’Or par exemple. Beaucoup d’autres sont suivis de NP ou de NL, par exemple Corve´e de Pas, Corve´e a` la Dame a` E´taules 21, Corve´e des Cheˆnes, Corve´e Jean Brun, Corve´e de Ventoux dans le meˆme de´partement. Vignol 58 a les Corve´es au Clerc, Acy 02 a le Marais des Corve´es, Marsannay-lesBois 21 une Corve´e d’Aˆne, Lie´hon 57 une amusante Corve´e de Pluche. Saint-Seinel’Abbaye 21 s’orne de la Grande Corve´e du Poirier, la Corve´e du Puits, la Corve´e de Saint-Seine. Les Corve´es-les-Yys est une commune d’Eure-et-Loir, re´sultant de la fusion de deux communes en 1836. L’e´quivalent germanique est Frohn, apparent dans des Frohnacker (Budling 57, Siegen 67), Frohnackerhof (Seebach 67), Frohnmatten (Lutterbach 68), Frohnholz (Colmar 68), Frohnerwald (Wieswiller 57) et autres Frohnberg. Dans d’autres re´gions, un e´quivalent de la corve´e e´tait la taˆche, dont viennent les noms de la commune de La Taˆche 16 et de dizaines de lieux-dits (plus de 200 Tache ou la Tache, avec ou sans accent circonflexe), certains sous la forme de la Tasque. Dans le Marais Poitevin, la taˆche a pris le sens d’un lot de parcelles du marais, traditionnellement redistribue´ entre les maraıˆchins. Toutefois, tasque, tasca, tasque`re a pu de´signer en Gascogne un tertre gazonne´. Le cens e´tait, avec la dıˆme, la redevance la plus ge´ne´rale. Le terme vient, comme le recensement, d’un census latin qui e´tait l’estimation de la valeur des biens ou du nombre des habitants, lui-meˆme issu d’un kens IE qui valait « proclamation ». Les lieux-dits rappelant le cens sont tre`s nombreux, surtout au fe´minin : la Cense, la Censive, parfois la Censie comme en Bretagne. Ils abondent dans l’Ouest, la Picardie, avec diffe´rents comple´ments comme la Mare Censuelle a` Conches-enOuche 27, la Cense des Trois Chemins a` La Bouteille 02, la Cense du Puits a` Glannes 51 et la Cense de Blacy a` Blacy 51, les Terres des Censes a` Haution 02, la Terre de la Cense a` Vandie`res 51 ou la Terre de Cens a` Ichy 77, la Cense du Jardin a` Wisembach 88. Plus de vingt lieux-dits sont nomme´s la Censive, presque tous en Eure-et-Loir et Loire-Atlantique. L’Universite´ de Nantes a pour adresse la Censive du Tertre. Plus particulie`rement, cense ou censive a de´signe´ une grosse ferme isole´e, souvent a` cour

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ferme´e. Ces fermes peuvent avoir pour origine une de´pendance d’abbaye, mais le terme s’est ge´ne´ralise´ dans le Nord, la Champagne et les Ardennes : la Cense au Sel (Rocroi 08), la Cense du Bois (E´teignie`res 08), la Cense du Pont (Bachy 59), la Cense des Nobles a` Landouzy-la-Ville 02, etc. Le terme s’alte`re localement en Zance, Ziance, Zinsec dans le Morbihan selon H. Abalain ; Ge´oportail signale Zinsec a` Erne´e 56, la Villeneuve Zinsec a` Barre´ 56 ; Inzinzac 56 y a le meˆme sens. Le champart, simplement forme´ sur champ et sur part, e´tait une redevance en part de re´colte. Une douzaine de Champart ou les Champarts sont dans les Yvelines, autant en Eure-et-Loir. On trouve les Champarts a` Massy 91, le Champart aux Prieurs a` Auneuil 60, Champs Parts a` Theuville 28, Champart des Huit a` Chaˆtenay 28. Le quint e´tait, au profit du seigneur, une redevance d’un cinquie`me du prix obtenu par un vassal qui vendait son fief. Il a eu d’autres sens voisins, au titre d’une redevance du cinquie`me des fruits, comme dans le cas du Pays Quint en Pays Basque, situe´ au-dela` de la frontie`re espagnole mais de droit franc¸ais – rappelons cependant que le Quint de Quint-Fonsegrives 31 de´signa la cinquie`me borne romaine a` partir de Toulouse. Plusieurs autres redevances ont existe´, qui ont e´galement laisse´ des noms de lieux. Il en est ainsi du terrage, source de plus d’une centaine de le Terrage ou les Terrages, surtout dans l’Ouest et le Centre ; du gerbage, pre´sent en quelques lieux-dits le Gerbage en Lorraine, plus un a` Corbarieu 82 ; de l’agrier, pre´sent dans une vingtaine de lieux-dits les Agriers, presque tous en Charente, plus quelques les Agrie`res en Gironde et alentour. La fressange e´tait une redevance sur le croıˆt des porcins be´ne´ficiant de la glande´e (le fressin e´tait un cochon de lait) ; une vingtaine de lieux ont nom la Fressange en Limousin et Auvergne, Vallie`res 23 a un Puy de Fressange et Neuve´glise 15 un Puech de Fressanges. Des droits de mutation s’ajoutaient a` la liste et ne sont pas oublie´s. Abergement a pu avoir le sens de droit d’entre´e. L’entrage a presque disparu : un seul NL recense´ a` Rigny-sur-Arroux 71. Les « lods et ventes » se retrouvent dans de nombreux les Ventes, essentiellement dans l’Ouest, dont la Taille de la Vente a` La Celle-Gue´nand 37 ; et dans quelques la Vende en Poitou, dont la Taille de la Vende a` La Roche-Posay 86 ; apparemment dans les Lods a` Saint-Hippolyte 25 et les Petites Lodes a` Luneau 03. Le Rachat peut venir d’un ancien droit de succession ; Ge´oportail mentionne plus de vingt Rachat, le Rachat, les Rachats, notamment dans la Loire. La meˆme ide´e a pu donner le Village du Relief a` Saint-Anthe`me 63, seul lieu-dit des cartes IGN portant le nom du relief. Seigneurs, clerge´ et E´tat ont su percevoir bien d’autres sortes d’impoˆts. Un terme ge´ne´rique est le fisc, a` la fois au sens d’impoˆt et d’administration charge´e de sa collecte. Le terme vient d’un fiscus latin de´signant un panier d’osier, lui-meˆme d’un bhidh IE pour un re´cipient – la se´bile tendue par le riche... Il a donne´ quelques noms en Fisc, une vingtaine en Fesc coˆte´ Languedoc, comme Saint-Ge´ly-du-Fesc 34, une dizaine de le Fesq du Cantal au Gard comme Vic-le-Fesq 30 ou le Fesq a` Mas-deLondres 34 ; ou encore un Chemin du Fesq a` Carigny 80, des noms comme Fiscal (E´tang du Fiscal a` Gerbe´viller 54, la Croix Fiscale a` Bicqueley 54), Feissal (a` Authon 04), et peut-eˆtre meˆme La Fle`che 72.

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La taille, seigneuriale ou royale, fut l’une des taxes les plus impopulaires de l’Ancien Re´gime ; son nom vient des entailles porte´es sur des baˆtons pour marquer des cre´ances. Il existe des centaines de lieux-dits la Taille ou les Tailles ; mais la polyse´mie du mot, qui se rapporte a` toutes sortes de tailles, et tout spe´cialement a` des petits bois, comme les taillis, ne laisse que rarement la possibilite´ d’y lire avec certitude la re´fe´rence a` l’impoˆt. Il en va autrement avec la gabelle, impoˆt sur le sel, tout aussi impopulaire que la taille mais tre`s spe´cifique, et qui a fourni un surnom aux douaniers, devenus gabelous. Le terme serait venu, par l’Italie, d’un arabe qabala, impoˆt. Une trentaine de noms de lieux en Gabelle ou la Gabelle apparaissent dans Ge´oportail, en toute re´gion mais avec une certaine fre´quence dans le Sud-Est. On note meˆme une Fontaine Gabelle (Hagnicourt 08), un Ravin Gabelle (Perdreauville 78). L’entre´e sur certaines terres ou dans certains biefs de rivie`re, le passage d’un pont, donnaient lieu a` perception d’un octroi, pe´age ou tonlieu. Il en reste plusieurs dizaines de Pe´age ou le Pe´age, dont les communes de Bourg-de-Pe´age 26 et Le Pe´age-du-Roussillon 38. Un Bois du Pe´age est a` Wahagnies 59 pre`s d’un Bois du Gibet. A` la limite de Marennes et Hiers-Brouage, le Pont d’Un Denier sur la D 3 jouxte le Marais Royal. L’IGN n’a pas trace de tonlieu et n’a releve´ que cinq NL en Octroi, mais nous avons vu le roˆle des barrie`res d’octroi dans la de´nomination de quartiers urbains, en particulier a` Bordeaux. Certains lieux-dits en barre, barrie`re ou muraille ont pu signaler un pe´age ; il semblerait que ce fut le cas de Barre-des-Ce´vennes 48 et La Barre-de-Monts 85, les Barres a` E´trechy 18 ou a` Juzancourt 08, Esbarres 21 et Esbart a` Bavelincourt 80, la Barre a` la limite de Foix, Barrie`re a` Colombie`res 34, les Barrie`res a` Lanslebourg 73, si l’on en croit E. Ne`gre ; D. Jeanson signale de tre`s nombreux lieux-dits la Barre ou les Barres qui auraient eu le meˆme sens en Berry. Ce semblerait aussi avoir e´te´ le cas de lieux comme les Murailles a` la limite de Pre´veranges 18 et les Murailles a` la limite de Vijon 36, a` l’entre´e en Berry. La Palme 11 viendrait de palma, redevance de peˆche (Fe´nie´) ; une quinzaine de toponymes sont fonde´s sur Palme ou Palma, mais ont pu avoir d’autres sens. Plus de´licat est le cas de leude (latin licita) qui a de´signe´ une forme d’octroi, dont le percepteur e´tait le leydier ; quelques lieux-dits me´ridionaux ont ce nom, devenu aussi Lesdier, Laidet, le Leydaut a` Cervie`res 42 ; quelques lieux-dits les Laides peuvent venir de la`.

Surface et contenance De nombreux microtoponymes se rapportent a` des quartiers de parcelles, sans habitat. Les plans cadastraux en re´ve`lent des dizaines de milliers, les cartes topographiques n’en retiennent qu’a` la mesure des surfaces libres pour l’e´criture : abondants dans les campagnes picardes et champenoises, ils sont rares dans les contre´es plus peuple´es, ou d’habitat plus disperse´ ou` chaque ferme est nomme´e. Ces ensembles de parcelles sont souvent de´signe´s soit par des nombres seuls, soit par des

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mesures agraires anciennes, avec ou sans nombre. Ces nombres ont pu exprimer des superficies, et e´ventuellement servir d’indicateurs de redevances. C’est surtout dans le Nord-Pas-de-Calais qu’ils figurent seuls : par exemple a` Noyelles-sous-Bellonne 62 les Trente, les Dix-Neuf ; a` Lauwin-Planque 59 les Douze, les Dix-Neuf, les VingtDeux, les Vingt-Quatre, les Vingt-Cinq ; sa voisine Esquerchin a des lieux-dits le Champ des Soixante, le Chemin des Soixante, le Chemin des Trente, les Trente-Six. Les noms des mesures agraires conserve´s en toponymie sont de plusieurs sortes. Les uns expriment une unite´ de longueur de´rive´e du corps humain comme le pas, le pied, l’empan, la coude´e, la brasse, etc. D’autres sont fonde´es sur l’e´tendue que pouvait travailler un homme ou un animal dans une unite´ de temps : le journal, l’homme´e, la fauche´e, l’aˆne´e, la juge`re. D’autres encore sont issues de mesures de capacite´ : le volume ou le poids des graines permettant d’ensemencer telle superficie. Il existe meˆme des lieux-dits les Mesures, les Quarante Mesures (The´rouanne 62), les Treize Mesures (Erny-Saint-Julien 62), les Cent Mesures et les Quatre-Vingts Mesures a` The´lus 62, surtout en Artois et Picardie. L’arpent a sans doute e´te´ la plus employe´e des unite´s de superficie. Le mot est re´pute´ venir d’un gaulois are-penno, signifiant une porte´e de fle`che ; cette porte´e, de l’ordre de 60 a` 70 de nos me`tres, correspond au coˆte´ du carre´ de´finissant un arpent : en ge´ne´ral de 35 a` 50 ares, localement variable. Certains toponymes sont les Arpents tout court, mais il se trouve plusieurs dizaines de lieux-dits les Vingt Arpents, plus encore les Trente Arpents ou les Quarante Arpents, tre`s peu au-dela`. L’acre, qui vient du germanique acker pour champ et a fait fortune aux E´tats-Unis, est a` peu pre`s son e´quivalent ; son emploi est re´pandu dans la France du Nord, notamment en Normandie, ou toutefois il a pu simplement de´signer un champ. Ge´oportail signale plusieurs dizaines de l’Acre et surtout les Acres, ainsi que des NL avec une quantite´, tels les Quatre Acres (quinze cas sur Ge´oportail), les Quatorze Acres (onze cas), ou avec un comple´ment parfois pittoresque comme les Acres au Comte a` Franqueville 27, l’Acre de la Queue a` Ambrumesnil 76, l’Acre d’Enfer a` Boissetles-Pre´venches 27, l’Acre a` Proce`s a` Saint-Thurien 27, l’Acre Enrage´e a` Brouay 14. Les Cent-Acres 76 est une commune de Normandie, re´gion qui a quatre lieux-dits homonymes. La perche e´tait une unite´ de longueur d’apre`s un long baˆton, en ge´ne´ral d’une vingtaine de pieds, soit 6 a` 7 m, environ un dixie`me d’arpent-longueur ; une perche carre´e faisait donc un demi-are, un centie`me d’arpent-surface. Il existe des dizaines et des dizaines de lieux-dits les Perches, mais en ge´ne´ral sans nombres, a` l’exception d’un les Cent Perches a` Aubaine 21 ; en fait, le terme a pu de´signer des cloˆtures ou des taillis, comme l’indiquent les nombreux Bois des Perches. La verge ou verge´e est probablement de la meˆme famille, mais en plus grand : environ un quart d’arpent, soit un coˆte´ de 30 a` 35 m. Ge´oportail recense dix les Verge´es, et bien d’autres assorties de nombres : les Trois Verge´es, les Cinq, Six, Sept, Huit, Dix et jusqu’a` Vingt Verge´es. Il est partout e´crit et re´pe´te´, avec la meˆme formulation standard, que le terme viendrait d’un pre´celtique vege, champ plat ; ce qui le rapprocherait de la vega espagnole, elle-meˆme suppose´e issue d’un terme ibe´rique ou basque balka, un pre´ de bord de rivie`re, en somme une anglade ; mais cette glose

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paraıˆt assez laborieuse, le transfert bien improbable ; il semble que la verge´e ait ge´ne´ralement e´te´ comprise comme « terrain mesure´ a` la verge », laquelle aurait de´signe´ une baguette souple en latin (virga). La haˆte fut une mesure de meˆme nature, de la longueur d’une pique – haste a de´signe´ une pique, puis un manche d’outil, une broche. Pour G. Taverdet, il aurait pu avoir par me´taphore le sens de parcelle e´troite, en lanie`re. Le terme est tre`s pre´sent dans les noms de lieux de l’Aube, de la Coˆte-d’Or, de l’Yonne, de la Nie`vre et du Cher, par dizaines dans chaque de´partement, et pre´sent alentour de cette aire, le plus souvent sous les simples formes l’Haˆte ou les Haˆtes, parfois suivies de NP. On trouve aussi les Haˆtes du Cure´ a` Blancey 21, les Haˆtes Brebis et les Haˆtes aux Preˆtres a` Saint-Phal 10, la Haˆte de Putain a` Fle´e 21, les Haˆtes Rouges a` Fontangis 21, voire les Haˆtes Enrage´es a` Saint-Martin-sur-Nohain 58. Haˆte a e´te´ aussi un ancien nom de l’asphode`le, mais celle-ci n’est pas spe´cialement caracte´ristique de cette aire. Le journal exprime ce qu’un paysan pouvait travailler en une journe´e de labeur ; on conc¸oit que sa superficie ait e´te´ fort variable selon les lieux, la pente, les sols. Il allait d’un quart ou un tiers d’hectare a` un arpent. Les Journaux est un toponyme pre´sent par dizaines d’exemplaires, surtout en Lorraine, parfois avec des nombres : on recense une quinzaine de les Vingt Journaux, deux les Grands Journaux, des Hauts Journeaux. Vre´ly 80 juxtapose les Huit Journaux, les Douze Journaux, les Vingt-et-un Journaux. On trouve aussi jour comme mesure agraire en Lorraine : la Pie`ce de Cent Jours a` Cosnes-et-Romain 54 et a` Sancy 54, la Pie`ce de Dix-Huit Jours a` Mance 54, les Cinquante Jours a` Sotzeling 57... La charrue´e a eu un sens voisin ; on note plusieurs lieux-dits la Charrue et deux la Grande Charrue´e a` Palluau 85 et Saint-Ambroix 18. Plus rare, l’homme´e a le meˆme sens, et plus de varie´te´ encore selon la nature du travail : de 1,7 ou 2 ares pour jardin, 4 ou 5 ares pour vigne, un tiers d’hectare pour la fauche d’un pre´ ; sept lieux-dits les Homme´es sont retenus par la base IGN, tous dans l’Ouest. Dans le meˆme ordre d’ide´es, la fauche´e correspondait a` une journe´e de coupe de foin ; le terme est employe´ comme toponyme en Lorraine et alentour sous sa forme simple, ou avec un nombre ou un adjectif : les Onze Fauche´es a` Saint-Hilaire-en-Woe¨vre 55 et Hauteville 08, les Huit Fauche´es a` Moulotte 55, les Cent Fauche´es a` Val-deBride 57, les Bonnes Fauche´es a` Damas-aux-Bois 88, etc. La juge`re, issue du joug, mesurait le travail d’un couple de bovide´s et se rapproche du journal ou de l’arpent ; une quinzaine de le Joug, seuls ou avec un comple´ment, ont e´te´ retenus dans Ge´oportail, qui ne rele`ve pas de Juge`re mais des la Juguerie ou Jugueraie, dont le sens a pu eˆtre autre. En fait le mot, parfois sous la forme de Jeu ou Juet, se confond avec d’autres acceptions de ces termes (juge, bois, coq, etc.) : il est un Joug aux Jaux a` La Boupe`re 85, un Joug de la Che`vre a` Vitry-en-Charollais 21... Aˆne´e, qui de´signa une e´tendue ensemenc¸able par une charge d’aˆne (environ 7 arpents) est tout aussi difficile a` isoler. Le setier e´tait une unite´ de volume variable, autour de 150 litres de grain, mais pouvant descendre a` une cinquantaine ; il permettait d’ensemencer une se´te´re´e (un quart a` un demi-hectare). On trouve une quinzaine de lieux-dits les Se´te´re´es, dont quelques-uns seulement avec un nombre, par exemple les Vingt-Huit Se´te´re´es a`

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Se´gry 36 ou les Cent Se´te´re´es a` Loupian 34, et beaucoup de les Setiers assortis d’un nombre : une dizaine de Trente Setiers, des Vingt-Deux, Vingt-Cinq, Vingt-Huit Setiers, huit les Dix Setiers dont cinq en Eure-et-Loir, etc. Le mot est issu du latin sextarius, le sixie`me, mais le setier romain e´tait habituellement d’environ un demilitre de liquide... L’e´mine´e, ou ayminate en Catalogne et en ancien franc¸ais, eyminade en Auvergne, mesurait en principe un demi-setier, pouvant ensemencer une dizaine d’ares en Provence mais quatre ou cinq fois plus en Catalogne. Il reste quelques lieux-dits les E´mine´es, et les Treize E´mine´es a` Villelaure 84, L’E´mine´e a` Celles-sur-Durolle 63, une rue de l’E´mine´e a` Clermont-Ferrand ; les Eyminades a` Alleyras 43, les Eymminades a` Lestards 19, les Deux Aiminades a` Ponteilla 66, les Quatre Aiminades a` The´za 66, les Cinq Aiminates a` Montesquieu-des-Albe`res 66. On disait mine a` Reims ou Orle´ans, et notamment dans l’Oise ou` l’on repe`re les Dix Mines a` Silly-Tillard, les Vingt-Trois Mines a` Brunvillers-la-Motte, les Quarante Mines a` Saint-Sulpice, Ansacq, Agnetz ou Pronleroy, et huit fois les Trente Mines, dix fois les Vingt Mines ; l’Eure-et-Loir, le Loir-et-Cher ont aussi plusieurs Quarante Mines, le Loiret en collectionne huit, plus toutes sortes d’autres nombres de mines. La salme´e, ou saumado dans le Midi, valait 8 e´mine´es ; un lieu-dit Cent Salme´es est a` Bellegarde 30 ; mais certaines occurrences peuvent se confondre avec d’autres sens de saumade. Le muid, du latin modus pour mesure, valait en ge´ne´ral huit setiers, entre 200 et 600 litres ; le terme est assez re´pandu, en particulier dans le Bassin Parisien, notamment l’Aisne et l’Oise (plusieurs dizaines chacun). Les Trois Muids et les Quatre Muids apparaissent chacun plusieurs dizaines de fois, les Cinq Muids une quinzaine, les Six Muids autant, les Onze Muids quatre fois, mais la liste ne va pas au-dela` ; on trouve encore cinq le Demi-Muid, ainsi que les Grands Muids, les Gros Muids, les Blancs Muids ; et une commune Muids dans l’Eure. Les autres noms de contenance sont innombrables et fort diffe´rents d’une re´gion a` l’autre. Par exemple, le manoir de la Possonnie`re a` Couture-sur-Loir 41, ou` naquit Ronsard, est re´pute´ venir du poinsson, futaille de 230 litres environ – plutoˆt que du posson, mesure d’une douzaine de centilitres. On retrouve le Poinson a` Sepvigny 55, La Possonnie`re en Anjou, la Possonnais a` Sainte-Anne-sur-Brivet 44, sans certitude sur leur origine. Le nom de la roquille, quatre fois plus petite, apparaıˆt dans plusieurs lieux-dits, mais a pu se confondre avec la roche. Le boisseau (10 a` 25 litres) apparaıˆt peu, mais a pu donner les Boissele´es a` Esse 16 et a` Longue´-Jumelles 49, les Trente Boisselle´es a` Couture 49, les Trente Boissele´es a` Leigne´-les-Bois 86, les Vingt Bossele´es a` Ve´zie`res 86, les Quarante Bossele´es a` Aigonnay 79, les Quarante Boissele´es a` Chasnais 85. La coupe´e a e´galement e´te´ une unite´ de surface proche de la boissele´e (une dizaine d’ares) ; on trouve les Vingt Coupe´es a` Cruzilles-le`s-Me´pillat 01 et quelques la Coupe´e, les Coupe´es, par exemple a` Saint-Cyr-de-Favie`res 42. La rasie`re et la mencaude´e e´taient des mesures de 70 litres environ dans le Nord, et la surface que l’on pouvait ensemencer avec son grain, moins d’un arpent. Les Rasie`res a` Fe´ron, les Seize Rasie`res et les Quatre Rasie`res a` Aniche, les Rasie`res Bleues a`

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Flesquie`res sont des lieux-dits du Nord. Mencaude´e apparaıˆt dix fois, parfois avec l’orthographe Mancaude´e ou Mancode´e ; les Cent Mancaude´es ou Mencaude´es figurent a` Aubencheul-au-Bac, Solesmes et Awoingt, la Mancaude´e de la Cure a` Haspres. Le bonnier e´tait une unite´ d’environ un hectare dans le Nord, source de nombreux Bonniers, Quatre Bonniers (cinq occurrences), Quatorze Bonniers, Quinze Bonniers et avec bien d’autres nombres encore dans le Nord surtout, un peu le Pas-de-Calais et les Ardennes ; Bettignies 59 cumule les lieux-dits les Quatre, Cinq, Dix, Quatorze, Vingt-Cinq Bonniers. Jallois a e´te´ abondamment employe´ en Picardie orientale, comme e´quivalent de setier ; on trouve cinq fois les Quarante Jallois, trois fois les Cent Jallois, et bien d’autres quantite´s comme les Seize Jallois a` Landouzy-la-Cour 02 ou les Douze Jallois a` Aubenton 02, ainsi que, dans les Ardennes, les Jallois au Chaˆtelet-surRetourne, les Longs Jallois a` Bossus-le`s-Rumigny et les Quatre Jallois a` Tarzy. Plus rare, les Quarante Grebets sont a` Nesles 62 et, plus modernes, les Cent Hectares a` Corroy 51, en Champagne crayeuse. Denier est e´galement tre`s employe´, surtout avec des nombres comme les Quint Deniers a` Lance´ 41 ou les Sept-Deniers a` Toulouse, les Dix-Huit Deniers a` Franqueville 80, Mille Deniers a` Capdenaguet 12 ou, plus rarement, les Champs Deniers a` Messeme´ 86, la Fosse aux Deniers a` Saint-Vrain 91. La dispersion de divers lieuxdits la Besace laisse e´galement penser a` une mesure agraire, en particulier dans le cas des Quatre-Vingts Besaces d’Auterive 89. La pie`ce, la queue, la voie furent aussi localement des mesures de capacite´ et donc de surface, et par la` sont sources de bien des homonymies : on trouve ainsi les Six Pie`ces a` Ury 77, la Pie`ce des Sept Cents a` Villers-en-Argonne 51, la Pie`ce des Sept Jours a` Gincrey 55, plusieurs les Grandes Voies et les Petites Voies. Surtout, le nombre l’a souvent emporte´ sur la mesure : qu’elle fuˆt en arpents, en journaux ou toute autre unite´, celle-ci a e´te´ sous-entendue, ou efface´e. De la sorte, quantite´ de microtoponymes sont de´signe´s par des nombres seuls, comme les Dix-Neuf a` Saint-Pierre-desCorps 37 au bord du Cher. Dans la seule commune de Candas 80, apparaissent les Quarante, les Quatorze, les Seize, les Dix-Sept, les Vingt autour de la grosse ferme du Val Heureux.

Biens communs et partage´s Certaines terres e´taient conside´re´es comme d’appropriation collective, ou de fruits communs et re´partis ; en ge´ne´ral, il s’agissait d’e´tendues de pacages ou de bois, permettant a` des pauvres d’entretenir quelque beˆte laitie`re ou de somme. Il existe des dizaines de Communal et Communaux tout court ou avec comple´ment (Communal du Midi, Communal du Plat, Communal du Mont, Pre´ Communal, Bois communal, Font Communale a` Sorgeat 09...), avec ou sans article (seize « les Communaux » dans le seul de´partement de l’Ain), devenant Commune en Corse ; et de nombreux lieux-dits Communailles, notamment en Bourgogne. Pre´aux 76 se distingue par la pre´sence des lieux-dits les Communaux, les Communes, Biens Communs, le hameau Ferme des Communes, dispose´s autour du hameau les Coutumes.

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Certains de ces lots communs portent des noms spe´cifiques. Tel fut en particulier le cas du couderc, ou coudert, dans la France du sud et du centre, a` l’origine de centaines de lieux-dits. Le terme est re´pute´ venir d’un gaulois coterico ou d’un bas-latin codercum, d’e´tymologie discute´e mais ou` le « co » est essentiel et semble bien indiquer le caracte`re collectif. Il de´signe en ge´ne´ral un pacage commun, soit au centre d’un village ou d’un hameau, soit en pe´riphe´rie d’un finage. Ge´oportail rele`ve une bonne trentaine de Couderc ou le Couderc dans le seul de´partement de l’Aveyron. La forme coudert est plus fre´quente vers la Charente et le Limousin (douze le Coudert en Corre`ze) ; on trouve a` Millevaches 19 les Couderches, pre`s du village. De nombreux NP en sont issus. La forme a pu devenir Couargues en Limousin et jusque dans le Berry (une commune du Cher), et se pre´senter tre`s fre´quemment sous les formes Couarde, Couhard, Couhart, Cohart, Cuard : la Couarde a` Tauxigny et une autre a` Saint-Branchs en Touraine, la Coharde Basse et la Coharde Haute a` Laurie et Mole`des dans le Cantal, voisines et toutes deux en limite de commune, comme la Cuarde a` Accous 64 ; ou encore le Cohat a` Saint-Andre´-le-Coq 63. On note meˆme parfois les Coires. Le nom n’a donc rien a` voir avec le sens de peureux, ou` le moderne couard vient de la queue (basse...), mais dans certains cas il a pu se faire des glissements d’un sens a` l’autre. La de´prise rurale a pu aussi faciliter l’appropriation prive´e de certains coudercs, au point qu’en Auvergne le terme est parfois synonyme d’un petit terrain de pacage clos, devenu aile de ferme. Cette sorte de pre´ commun s’est aussi nomme´ placi (trois en Haute-Garonne), ou placitre, comme dans le Quercy et dans certaines contre´es de l’Ouest, tels le Placitre de Peze´-le-Robert 72 ou le Placitre a` Ger 50, aussi en limite de commune ; ou bien le Placıˆtre a` Montaudin 53 – l’accent sur le i est une fioriture assez re´cente ; ou encore le Placitray a` Saint-Hilaire-du-Harcoue¨t 50. Le placitre est parfois restreint a` l’environnement de l’e´glise, surtout en Bretagne ; mais il a souvent une valeur plus ge´ne´rale de lieu de rencontre, de jeux, de socialite´ en ge´ne´ral, le terme e´tant certainement une variante de place. Toutefois, les cartes de l’IGN n’en retiennent qu’un petit nombre au rang des toponymes. En Gascogne, padouen a le sens de pacage communal et le meˆme e´tymon que pacage et paˆtis. Ge´oportail recense une vingtaine de Padoen ou Padouen, une quinzaine de Padouenc ou Padouenq (avec ou sans article), plus un Padouent a` Duffort et deux le Padouent a` Boulaur et Esclassan-Labastide 32, un Padoue`ne a` Manent-Montane´ 32. Les plus nombreux sont dans le Gers, mais il s’en trouve aussi en Haute-Garonne, Tarn-et-Garonne, Lot-et-Garonne et Gironde. Souvent, ces lieux-dits sont proches des villages, mais quelques-uns sont e´carte´s du coˆte´ des limites communales. Dans un sens voisin, l’Alsace et la Moselle connaissent l’allmend, qui fournit plusieurs dizaines de lieux-dits, ou` Allmend apparaıˆt sans article sauf dans deux cas (l’Allmend) a` Ensisheim 68 et Sarreguemines 57, et a` Auf der Allmend a` Waldheim 68, un pre´ au bord de l’Ill. Du coˆte´ de la Flandre, Mille semble avoir le meˆme sens de paˆturage communal, et aurait pu concourir a` former Hoymille 59 (le pre´ aux foins), ainsi que Mille Brugghe (le pont du pre´ communal) a` Warhem, et peut-eˆtre Millam 59 ; mais mille a pu de´signer aussi un moulin, et Millam eˆtre un habitat (ham) du milieu, interme´diaire (D. Poulet).

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Dans le Nord et jusqu’en Ardennes, rietz de´signe un pre´ communal au centre du village servant aussi de terrain de jeux, a` l’instar du couderc me´ridional ; en vient le patronyme Duriez. Plusieurs dizaines de Rietz, le Rietz, les Rietz, Riez sont dans le Nord et le Pas-de-Calais, un Canton du Rietz est a` Neuville-Saint-Vaast 62. Toutefois le terme a pu simplement de´signer un mauvais terrain plus ou moins mare´cageux, comme rie`ze ou fagne (v. chap. 5) ; il s’accompagne alors souvent d’un NP ou d’un nom de titulaire. D’autres concessions locales touchaient aux droits d’usage. Le principal fut la glane, ou encore glanage ou glande´e, qui portait aussi bien sur les bois morts et les glands, faıˆnes ou chaˆtaignes tombe´s, que sur les graines, e´pis et raisins restant apre`s la re´colte. Il existe de nombreux noms en Glane et Glanage, Glannerie, la Glande´e, la Glandie`re, Glandage. Glande´e et Glandie`re abondent dans le Loiret, en particulier dans la foreˆt d’Orle´ans. Un Triage de la Sente a` la Glanne est a` Plainville 27. Reste un risque de collision : il semble que le celte glanno ait de´signe´ une rivie`re claire, comme la Glane en Limousin. Ces droits ont parfois entraıˆne´ des distributions entre les familles ayant acce`s a` un bien communal ou conce´de´. La forme la plus commune en fut l’affouage, qui d’ailleurs subsiste en certaines re´gions : il assurait la re´partition de bois morts par foyer (jadis « feu », d’ou` l’affouage). La pratique et le terme sont communs dans le massif jurassien, mais non exclusifs : on note les Affouages a` Lunery 18, les Affouages Communaux a` Mertrud 52, la Montagne d’Affouage a` Meyrieux-Trouet 73, l’Affouage a` Arandon 38, etc. Affoux 69 semble avoir la meˆme origine. L’aubaine e´tait un droit perc¸u sur les nouveaux venus, les e´trangers ou aubains, dont le nom semble venir du ban. Il e´tait perc¸u sur leur succession, qui pouvait eˆtre confisque´e ou simplement taxe´e ; le roi a fini par s’en attribuer le be´ne´fice a` partir du XIV e sie`cle. Quelques lieux-dits ont ce nom, surtout en Bourgogne, mais G. Taverdet les voit plutoˆt de´signer des aubues, des terres blanches, comme Aubaine 21. Paisson a de´signe´ un droit de paıˆtre et pourrait eˆtre a` l’origine du Paisson de Cruzy-le-Chaˆtel dans l’Yonne, d’un Champ Paisson a` Saint-Germain-la-Ville dans la Marne.

Les agents de la relation sociale La relation entre seigneurs ou grands proprie´taires et les travailleurs, ainsi que la gestion des redevances et des conflits, passaient par diverses sortes d’officiers et employe´s dont les appellations ont fourni de nombreux NP et NL. Les plus re´pandus sont sans doute ceux qui se re´fe`rent au bailli, qui avait des fonctions de re´gisseur d’un domaine, a` la fois charge´ de l’intendance et des questions judiciaires. Il pouvait eˆtre un simple valet, ou charge´ de tre`s hautes fonctions : le roi avait ses baillis. Le terme est cense´ venir d’un latin bajulus, porteur, messager, de l’IE bher, porter. Il est e´videmment difficile de distinguer dans les NL ce qui vient d’un NP ou d’une re´fe´rence directe au titre et a` la fonction. Et dans le Midi baylet a pu se confondre avec valet, et ce dernier avec un petit val...

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L’origine est plus claire quand bailli est muni d’un article ou d’un comple´ment, ou a fourni un de´rive´ comme baillage ou baillive. Les formes habituelles, outre bailli (souvent orne´ d’un y), sont baillif et, dans la France me´ridionale, bayle et baylet, ainsi que battle en pays catalan. On trouve de tre`s nombreux le Bailly ou le Baylet, parfois le Baillage (Montierchaume 36, Poilley 50, Miraumont et La Chausse´eTirancourt 80), la Ferme du Bailli a` Alette 62, la Coˆte au Bailli a` Heuilley-leGrand 52, un Bois du Bailly a` Campeaux 60 et Me´zie`res-le`s-Cle´ry 45, une Pie`ce au Bailly a` Sorel-Loussel 28, plusieurs Pre´ Bailly en Bourgogne ; des Mas du Bayle, Maison du Bayle, Bois du Bayle, des Combe, Vallon ou Foreˆt du Bayle, ainsi qu’un Mas del Battle a` Maureillas-las-Illas 66, un Canal del Battle a` Taurinya 66 et un Canal d’en Battle a` Castell 66, un Prat d’en Battle a` Corneilla-de-Conflent 66. Baillif est une commune de Guadeloupe, mais probablement issue d’un NP. Le se´ne´chal e´tait a` l’origine le doyen des serviteurs (de sen, aˆge´, comme dans senior et se´nateur), repre´sentant d’un seigneur ou grand officier du roi. Plusieurs dizaines de toponymes s’en inspirent, tels le Chaˆteau de la Ville au Se´ne´chal a` Irdoue¨r 35, le Pont-Se´ne´chal a` Clohars-Carnoe¨t 29 et a` Sigournais 85, l’Eˆtre Se´ne´chal a` SainteMarguerite-de-Carrouges 61, un Fief Se´ne´chaud a` Villeneuve-la-Comtesse 17, la Se´ne´chalie`re a` Bazouges-sur-le-Loir 72 et a` Saint-Julien-de-Concelles 44, plusieurs la Se´ne´chale et la Se´ne´chalais, voire la Se´ne´chausse´e (Villers-Charlemagne 53) et la Se´ne´chaussie`re (Vieux-Vy-sur-Couesnon 35). Une forme me´ridionale est Se´ne´chas : une commune du Gard porte ce nom. Le pre´voˆt e´tait un autre agent charge´ d’administration et de justice, e´ventuellement de la perception des impoˆts, en ge´ne´ral sous l’autorite´ d’un bailli ou se´ne´chal. L’e´tymologie est la meˆme que pour pre´pose´ (latin praepositus). La toponymie est fe´conde, avec des orthographes varie´es : Pre´vot, Pre´voˆt, Pre´vost, un Chaˆteau de la Pre´voˆte´ a` Haines 62, Garenne de la Pre´voˆterie a` Brie 16, Gıˆte de la Pre´vaute´ aux Essarts 85, Gagnerie de la Pre´votais a` Campbon 44... Elle comporte de nombreux Pre´, Bois, Source, E´tang du Pre´voˆt ou de la Pre´voˆte´. Le viguier e´tait charge´ de la justice ; le mot vient de vicarius, donc vicaire, c’est-a`-dire agissant comme substitut du roi ou des seigneurs. Les NP et NL en Viguier, Viguerie, Vigier et la Vigerie sont fort nombreux, les premiers notamment en Aveyron et Tarn, les Vigier et Vigerie surtout en Limousin, Pe´rigord et Charentes ; Lavigerie est une commune du Cantal et l’on rele`ve plusieurs lieux-dits Lavigerie, Laviguerie. La forme devient Be´gue´ dans le Sud-Ouest (plusieurs dizaines). La liste des lieux-dits comprend aussi des dizaines d’appellations le Juge, surtout dans le Sud-Ouest, ainsi que des Jugerie, la Jugerie, les Jugeries. Ge´oportail recense une vingtaine de Bois ou Bosc du Juge, des Mas du Juge, un Prat del Jutge a` Rennesle-Chaˆteau 11 et meˆme le Carre´ du Beau Juge a` Saint-Germain-Source-Seine 21. La forme Jugie, la Jugie est tre`s pre´sente en Auvergne, Limousin et Pe´rigord. En Lorraine, Basse-Yutz 57 viendrait de judicium, jugerie. La fonction de tre´sorier du roi, d’un seigneur ou de proprie´te´s eccle´siastiques a laisse´ quelques traces, directement sous la forme de Tre´sorier, le Tre´sorier, voire la Tre´sorie`re (plusieurs dizaines dans Ge´oportail dont huit la Tre´sorie`re), ou la Tre´sorerie (une quinzaine), indirectement sous d’autres formes. C’est le cas de tre´sor, qui

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apparaıˆt pre`s d’une centaine de fois sous la forme le Tre´sor, qui n’e´voquent nullement un tre´sor cache´, ainsi qu’en des Bois du Tre´sor, Rond du Tre´sor (SaintBonnet-de-Tronc¸ais 03), Pie`ce du Tre´sor (Varoix-et-Chaignot 21), les Fonds du Tre´sor (Ve´lizy-Villacoublay 78), Source du Tre´sor (Fayl-Billot 52), Lande du Tre´sor (Saint-Re´my-du-Plan 35). Montre´sor 37 tire son nom du tre´sorier de la cathe´drale de Tours, qui en avait l’administration. C’est en outre le cas de conteor, autre appellation ancienne du tre´sorier (celui qui fait les comptes) et qui semble a` l’origine des Moncontour poitevin et breton, ou de Montcontour a` Vouvray 37, probablement de quelques autres Contour ou le Contour. Toutefois, certains toponymes comme Grotte du Tre´sor (La Longeville 25) ont pu signaler un tre´sor cache´ ou suppose´. D’autres fonctions encore ont fourni des lieux-dits. L’intendant e´tait soit un simple charge´ d’administration, soit un grand repre´sentant du roi en province ; l’Intendant et l’Intendance fournissent a` Ge´oportail une quinzaine d’occurrences, dont sept dans le Sud-Ouest. Maer a eu un sens voisin en breton, e´quivalent de l’ancien maire comme officier local ou domanial et encore pre´sent dans des An Merdi (maer-ty, maison du maire), Merdi et Menez Merdi (le mont du maire) au Juch 29, Merdy an Dour a` Plourac’h 22. Pazier a eu le sens d’officier de paix, comme a` Monpazier 24 (avec mont). Le sergent a pu eˆtre un officier charge´ de la surveillance des bois (meˆme e´tymologie que servant) ; outre d’assez nombreux Sergent issus de NP, on trouve une dizaine de Bois Sergent ou Bois des Sergents, un Champ Sergent (Sallenard 71) et un Moulin Sergent (Vieux-Rouen-sur-Bresle 76), un Bois de la Sergente (Chaumont-laVille 52), une bonne quinzaine de la Sergenterie ou la Sergentie`re. Dans le Midi subsistent une cinquantaine de NL en Ramonet : le ramonet e´tait un maıˆtre-valet, servant de re´gisseur d’un domaine, en particulier dans le vignoble bordelais ; deux Tuc de Ramonet sont a` Erce´ 09 et Puilaurens 11 ; la fonction a e´videmment fourni des NP. Le gruyer e´tait un officier charge´ de percevoir les droits royaux sur les coupes de bois ; de sa charge, ou gruerie, viendraient une vingtaine de la Gruerie et deux les Grueries, et au moins certains Grue`re ou Gruye`re, dont une Ferme de Gruye`re a` Gruchet-laValasse 76, un E´tang de la Gruye`re a` Navilly 71, Grue`re au Vert 79 en foreˆt domaniale de Chize´, la Grue`re a` Montre´al 32, la Gruerie en foreˆt ardennaise a` Signy-le-Petit 08, a` Thize 25 dans la foreˆt de Chatilluz. Le terme gruerie semble issu d’un francique ayant le sens de vert (cf. l’allemand gru¨n). Le verdier e´tait un autre officier forestier arborant la meˆme couleur ; mais l’attribution est ici plus de´licate, car le terme, tre`s re´pandu dans le Sud-Ouest, de´signait aussi un verger et a fourni beaucoup de NP. Du moins trouve-t-on quelques Bois Verdier ou du Verdier, des Pont du Verdier, une Prairie du Verdier (Bonnes 16), etc. Syndic est un terme d’origine grecque passe´ par le bas-latin syndicus, de´signant celui qui e´tait charge´ de de´fendre en justice une communaute´, ce qu’exprime le « syn » ; il est atteste´ a` partir du XIII e sie`cle, essentiellement dans le Sud-Ouest. Ge´oportail en rele`ve une bonne trentaine, dont le Syndic Vieux et le Syndic Neuf a` Maze`res 09, les Syndics a` Cornebarrieu 31, le Mas du Syndic a` Montfrin 30, la Syndiquerie a` Laulne 50. Syndicat apparaıˆt au XV e sie`cle au sens de groupe de repre´sentation

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d’inte´reˆts communs ; Le Syndicat est une commune vosgienne ne´e en 1868 de la re´union de plusieurs paroisses, dans une re´gion ou` l’on avait de´ja` l’habitude des syndicats forestiers. On trouve les Granges du Syndicat d’Issaux a` Osse-en-Aspe 64, le Syndicat a` Saint-Pierre en Martinique et plusieurs mentions de Foreˆt Syndicale en Bourgogne, Champagne et Lorraine. Le notaire et son e´quivalent le tabellion sont des termes des XII e et XIII e sie`cles, e´voquant respectivement l’e´criture de « notes » et l’usage de « tablettes ». Ge´oportail rele`ve quelques Tabellion et une Tabellionne (Vernouillet 28), un E´tang Tabellion a` E´lobon 70, et beaucoup de Notaire, voire les Notaires (Le Caste´ra 31, Avignon 84, Pontis 05), mais surtout en association : Mas du Notaire a` Fontvieille 13, Pont du Notaire a` Granier 73 et Saint-Nazaire-de-Ladarez 34, Me´tairie du Notaire a` Roquebrun 34, la Mare au Notaire a` Rozie`res-en-Beauce 45, Bois Notaire a` Saint-Jean-deMonts 85. On repe`re aussi six Noutary (dont quatre en Pyre´ne´es-Atlantiques) et un Noutaret a` The´us 05.

Le soin de la sante´ La gestion d’une socie´te´ suppose des interventions et des institutions dans les domaines de la sante´ et de la se´curite´, donc aussi de l’ordre public, de la re´pression et de la mort. L’hoˆpital a e´te´ tre`s toˆt pre´sent dans tout le territoire, en principe un peu a` part de la ville ou du village pour des raisons sanitaires. L’origine du mot est dans l’IE ghostis, comme l’hoˆte, l’hoˆtel et les e´quivalents anglais et allemand guest et Gast. Des ordres religieux s’en sont commune´ment charge´s, l’un d’eux prenant pre´cise´ment le nom d’Hospitalier, ce qui peut eˆtre source de confusion : plus d’une Grange ou Bois de l’Hoˆpital n’avait de rapport qu’avec l’ordre, non avec un lieu de soins. Une douzaine de communes portent ce nom, dont L’Hoˆpital tout court en Moselle, Les Hoˆpitaux-Neufs et Les Hoˆpitaux-Vieux dans le Doubs ; la Cluse des Hoˆpitaux est un lieu connu en Bugey. Les lieux-dits l’Hoˆpital, avec ou sans comple´ment, se comptent par centaines ; il existe des dizaines de Bois de l’Hoˆpital, une trentaine de Ferme de l’Hoˆpital, une Cense de l’Hoˆpital a` Hennezel 88, etc. La forme l’Hoˆpitau est commune, de l’ordre de la centaine, comme a` Saint-Phal 10 ou` ce nom voisine avec la Commanderie et l’Auditoire. Hospitalet apparaıˆt aussi par dizaines, dont trois communes de montagne, L’Hospitalet 04, L’Hospitalet-du-Larzac 12, L’Hospitalet-pre`s-l’Andorre 09. En Corse, a` Zonza et Porto-Vecchio, la foreˆt de l’Ospedale est bien connue, avec un Ravin et une Fontaine de l’Ospedale a` Quenza. On rele`ve quelques l’Espital et l’Espitau, une vingtaine de l’Espitalet et, coˆte´ alsacien, Spitalmatt (pre´) a` Niederhaslach 67, Spitalwald (bois) a` Haguenau 67, Gries 67 et Sundhoffen 68, Spitalfeld (champ) a` Walbourg 67, Spitalacker (champ) a` Eguisheim 68. Le terme de maladie`re et celui de maladrerie, compose´ de malade et de ladre (le´preux), ont souvent e´te´ employe´s, plus spe´cialement pour des le´proseries : un seul lieu-dit la Le´proserie est signale´ par Ge´oportail au Tilleul 76, tandis que la Maladrie, la Maladrerie, la Maladie`re forment des centaines de noms de lieux. Localement, ces noms

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deviennent Malautie`re (a` Lunel 34), Malouteyre (Polignac 43), et meˆme, selon E. Ne`gre et H. Suter, Mulatie`re et Mulaterie, dont une commune du Rhoˆne, La Mulatie`re, qui n’a rien a` voir avec un e´levage ou un passage de mules. Par glissement et impre´gnation religieuse, nombre de lieux de maladreries ont pris le nom de Madeleine : la plupart des e´carts nomme´s la Madeleine ont cette origine, et ils sont tre`s nombreux. Cinq communes portent ce nom, plus La Madelaine-sousMontreuil 62 et Lamadeleine-Val-des-Anges 90. S’y ajoutent une dizaine de Col de la Madeleine. Les Monts de la Madeleine, qui relaient au nord ceux du Forez, tiendraient leur nom d’un ancien prieure´, jadis aux Noe¨s 42 ; on note toutefois dans la commune voisine de Saint-Nicolas-des-Biefs 03, sur la creˆte dans les Bois de l’E´glise, un lieu-dit « les Fermes Bruˆle´es ou la Madeleine », a` 1 122 m. Par euphe´misme ou par attraction, un certain nombre de Malabry ont eu le meˆme sens dans l’Ouest, de la Charente-Maritime a` la Bretagne, surtout l’Ille-et-Vilaine et les Coˆtes-d’Armor. On rele`ve en outre deux la Ladrerie, a` Saint-Pierre-de-Coˆle 24 et a` Cirey-sur-Vezouze 54, qui a aussi une Cite´ de la Ladrerie ; ou encore la Valle´e aux Malades a` Boissy-en-Drouais 28. Six lieux de Touraine et alentour sont nomme´s Sanitas, en re´fe´rence a` un ancien hoˆpital ou quarantaine. Certaines villes portuaires ont e´te´ dote´es d’un lazaret permettant d’isoler en quarantaine les voyageurs susceptibles d’eˆtre atteints de la le`pre. Le nom vient a` la fois de Nazaret, ıˆle ve´nitienne de quarantaine nomme´e d’apre`s la Terre Sainte, et de saint Lazare, patron des le´preux ; ladre aurait la meˆme origine. Des lieux-dits le Lazaret sont a` Se`te, Villefranche-sur-Mer, Saint-Mandrier-sur-Mer, Anglet et Urdos 64, La Rochelle, a` Ducos et au Robert en Martinique. Une vingtaine de lieux sont dits la Quarantaine, dont deux a` Saint-Pierre-et-Miquelon, ou l’Iˆlet Quarantaine a` Maripasoula en Guyane ; mais ailleurs le nom a pu avoir un autre sens. Une quinzaine de l’Apothicaire figurent dans Ge´oportail, avec l’Apothicairerie a` Neuchaˆtel-en-Saosnois 72, une Croix de l’Apothicairesse a` Truyes 37 et un Correˆc de l’Apoticari a` Caixas 66. Le nom est venu d’un terme grec qui avait le sens de magasin : en l’occurrence, magasin des drogues. L’ancien nom du me´decin, mire, est rare parmi les toponymes et mal identifiable, meˆme dans le Moulin de Mire a` Villespy 11. Il a pu prendre la forme Me`ge ou Metge en pays occitan, a` l’origine d’assez nombreux NP et NL, mais qui peuvent se confondre avec l’ide´e de milieu, ou moitie´. Docteur, terme re´cent en ce sens (XVI e sie`cle), n’apparaıˆt gue`re en toponymie que suivi d’un NP, par hommage. En revanche, me´decin, employe´ depuis le XIV e sie`cle, a fourni quantite´ de NL, e´ventuellement par l’interme´diaire de NP ; Ge´oportail note une quarantaine de le Me´decin ou quelques Bois du Me´decin, les Douze du Me´decin a` Mastaing 69, un Clos des Me´decins dans la campagne d’Avignon. Il existe aussi quantite´ de Barbier, mais souvent a` partir de NP ; et d’ailleurs bien plus de « la Barbie`re » que de « le Barbier », sans doute comme ancienne adresse d’une famille Barbe. Toutefois, on peut repe´rer quatre Combe au Barbier et meˆme le Fief du Barbier a` Saint-Georgesdu-Bois 17. Le Chirurgien est un hameau de Saint-Barthe´lemy-le-Plain 07, la Chirurgienne un lieu-dit de Sennecey-le-Grand 71 : ce sont des exceptions, comme le Dentiste a` Pompignac 33 et un Chemin du Dentiste a` Pontpoint 60.

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Souci de se´curite´ Fort sensibles aux manifestations de l’inse´curite´, nos anceˆtres les ont attribue´es a` des lieux familiers et redoute´s : grandes routes et chemins creux, de´file´s, bois touffus, grottes profondes. De la` viennent Tiregorge et le bois de Tiregorge au bord d’une ancienne Chausse´e de Ce´sar a` Saint-Florent-sur-Cher 18, un Pique-Gorge a` Monfaucon 24, une bonne trentaine de Coupe-Gorge, presque tous en plaine mais souvent a` un passage e´troit ; les Grottes de Coupe-Gorge sont a` Montmaurin 31 dans un de´file´ de la Save. On note aussi quatre Coupe-Gueule dont trois en Picardie, Neuville-Coppegueule 60 et Coppegueule a` Morienne 76, quelques Destrousse dont la De´trousse a` SaintNicolas-de-Pierrepont 50 ou a` Antraigues-sur-Volane 07. La Destrousse 13 est une commune de Provence en amont du de´file´ de l’Huveaune, par lequel passent a` pre´sent A 52 et N 96. Non loin, se trouve a` Cadolive 13 la Grotte des Voleurs... Deux le Traquenard sont signale´s a` Anais 17 et Cloue´ 86. On peut noter une cinquantaine de mentions de voleurs dont plusieurs Bois, Carrefour, Pont des ou aux Voleurs, un Canton des Voleurs a` Oriolles 16, un Chemin des Voleurs a` Naintre´ 86, les Trois Voleurs a` Rumegies 59, la Grange des Voleurs a` La Murette 38, un Cap aux Voleurs a` Miquelon-Langlade assorti d’un E´tang et d’un Marais aux Voleurs. Ou encore une dizaine de Truanderie et Truandie`re, un Bois des Truandes a` Sainte-Croix 02. Paris conserve une rue de la Grande-Truanderie en son centre (1er arrondissement). Le terme viendrait d’un IE tere, voler, de´tourner – mais le Monument des Truands a` Saint-Bonnet-pre`s-Riom 63 est en hommage a` un corps franc de la Re´sistance qui avait adopte´ ce nom. Les brigands (de briga, troupe) ont laisse´ une vingtaine de noms comme la Briganderie dans les bois de Nouan-leFuzelier, la Roche des Brigands a` Hautes-Duyes 04, la Grotte des Brigands a` Buoux 84, la Fosse aux Brigands a` La Chapelle-Vendoˆmoise 41. Bandit est un toponyme rare ou douteux (Bandit a` Lacaze 81, Combe Bandit a` Champfromier 01), que nous avons vu parfois associe´ au ban – si ce n’est en Corse ou` l’on repe`re une Grotta di u Banditu a` Farinole, une Casa di u Banditu a` Feliceto, une Bocca di Banditi a` Sorio, une Punta Banditi a` Vivario ; mais c’est le plus souvent au singulier, alors que le terme en principe vient de bande, donc de de´linquance en re´union. Bandoulier, qui de´signait jadis un de´trousseur de route agissant en bande, comme le bandit, s’est a` peine conserve´, sinon au pied des Pyre´ne´es en Lannemezan, ce que rappelle l’aire de repos des Bandouliers a` Capvern 65 sur l’autoroute A 64. Les Bandouille pre´sents dans les Deux-Se`vres ne sont peut-eˆtre pas de la meˆme famille. Trabucaı¨re e´tait un brigand en pays catalan, comme le rappellent la Cova (grotte) des Trabucaires a` Ce´ret 66, El Siure (cheˆne-lie`ge) de les Trabucaires a` Maureillas-lasIllas 55. Des ambiguı¨te´s existent aussi pour d’anciens noms de voleurs comme les routiers : les lieux-dits les Routiers ou les Routeux sont assez nombreux mais peuvent venir de NP, de la route ou meˆme d’une variante des essarts (chap. 6). Il en est de meˆme des NL Robin et Rapine : le radical IE reup, au sens de voler, dont sont venus de´rober et l’anglais to rob, et donc Robin des Bois et Rob Roy, a servi aussi a` de´signer des ravins

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et les gens de robe, qui furent dits « robins ». La furte e´tait un ancien nom pour vol, dont restent ce qui est furtif et le furet : la Furterie e´voque ce passe´ a` Ygrande 02 ou Cranc¸ot 39, ainsi probablement que Valle´e Furtel a` Rapse´court 21, mais des noms voisins se confondent avec le furet. Les larrons sont nomme´s dans plusieurs Val, Combe, Voie et Voye, Chemin, Carroi, Fontaine, Bois des Larrons, et six Fosse aux Larrons dont trois dans l’Aisne ; Le Claon 55 a une Gorge aux Larrons suivie d’une Gorge aux Sangliers. La Bretagne a pour e´quivalents une demi-douzaine de Lae¨r dont un Beg ar Lae¨r a` Plouigneau 29, un Cam et un Park, un Pont et deux Toul- ou Toull-al-Laer (trou du voleur) a` Elliant 29 et Plounevez-Moe¨dec 22. Le Roc’h Toullae¨ron a` Spe´zet 29 dans les Montagnes Noires est aussi interpre´te´ comme « trou des voleurs », mais cette traduction est discute´e : outre que « trou » est surprenant pour un sommet, en l’absence de grotte, les eaux du Toullae¨ron descendent coˆte´ sud vers Gourin et le Ster Lae¨r, auquel le Roc’h a pu devoir son nom ; et celui-ci y semble mieux en rapport avec des mares ou marais qu’avec des voleurs, qui n’auraient fourni qu’une re´interpre´tation tardive. Les contrebandiers ont laisse´ quelques traces : un Chemin des Contrebandiers a` Pourcieux 83, une Grotte du Contrebandier a` Saint-Jean-de-Fos 34, une Croix des Contrebandiers a` Arette 64, un Col des Contrebandiers a` Veyrier-du-Lac 74, le Contrebandier a` Pellefigue 34, etc. ; notons que le nom vient aussi du ban : le contrebandier agit « contre le ban », illicitement. Il existe quelques allusions aux fauxmonnayeurs : un Pont des Faux-Monnayeurs a` Tre´mouille 15, deux Grotte des FauxMonnayeurs a` Millau 12 et a` Mouthier-Haute-Pierre 25. En contrepartie, les NL ne manquent pas d’e´voquer les douaniers dans des Douane, Douanier, Douanerie, Baraque des Douaniers (Bramans et Se´ez 73) et les nombreux « sentier des Douaniers » du littoral, bien plus d’ailleurs que les gabelous (les Gabeloux a` Betton 35, Roc de Gabelous a` Laprugne 03, Chemin des Gabelous a` Salins-les-Bains et PortLesney 39). Enfin toute une se´rie de Vide-Gousset, Curebourse, cinq Vide-Bourse, sept Pille-Bourse dont trois en Gironde, Gratte-Gousset a` Chatuzange-le-Goubet 26, Gratte-Bourse a` Faye-d’Anjou 49 et Sigalens 33, Rince-Bourse a` Sainte-Maure-deTouraine 37 et plusieurs dizaines de Gaˆte-Bourse font sans doute en partie allusion a` des vols. Mais un certain nombre d’entre eux, surtout les Gaˆte-Bourse, ont servi par image a` de´signer des terres pauvres, conside´re´es comme ruineuses pour ceux qui les travaillaient. Nuisement est un terme re´pandu parmi les NL. Si les linguistes s’accordent a` lui donner le sens de nuisance, tort, pre´judice, ils divergent sur l’interpre´tation. A` la suite de Longnon, certains le rapportent aux nuisances sonores provoque´es par des moulins, nombreux jadis il est vrai. Mais tous les Nuisement ne sont pas associe´s a` des moulins, meˆme disparus. Ne`gre pre´fe`re y voir le signe d’une terre dispute´e, d’une ancienne querelle (noisement en ancien franc¸ais), d’une « terre ayant subi un pre´judice, un pillage » ou d’une terre dont la proprie´te´ fut litigieuse. Le nom apparaıˆt surtout dans une large bande allant du Calvados a` la Haute-Marne ; sept Nuisement sont dans l’Aube. Dans les cadastres du Centre-Val-de-Loire, D. Jeanson a releve´ des dizaines de Nuisement, deux Noizement, ainsi qu’une dizaine de Nuisance et

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Nuizance. Des Noisement sont a` Savigny-le-Temple et a` Saint-Cyr-sur-Morin en Seine-et-Marne. Plusieurs Nuzie`res du Lyonnais et de la Bourgogne auraient eu le meˆme sens. Dans un sens voisin sont des Troubles et des E´troubles, qui ont pu signaler des terres dont la jouissance a e´te´ geˆne´e ou empeˆche´e. L’IGN ne rele`ve que deux les E´troubles dans l’Ain (a` Marsonnas et Malafretaz) mais D. Jeanson en trouve dans les cadastres du Centre. Des noms en Calonge, Chalange, comme Le Chalange 61 et plusieurs lieux-dits dans la Manche, sont interpre´te´s comme lieux de contestation, en limite de domaines ou seigneuries. Le Diffe´rend est releve´ une quinzaine de fois sur Ge´oportail, dont deux Bois et une Foreˆt du Diffe´rend dans les Ardennes, la Haute-Marne et l’Arie`ge. Le Diffe´rend et Au-dessus du Diffe´rend voisinent a` Thenailles 02, pre`s de la Fosse aux Larrons de Landouzy-la-Cour. La Querelle est pre´sente une dizaine de fois, dont une Valle´e Querelle a` Pontru 02, la Dispute une douzaine de fois, dont un Ravin des Disputes a` Montagnac-Montpezat 04, deux Vallon de la Dispute a` Beaurecueil et Puyloubier 13, des Brandes de la Dispute (Vouneuil-sur-Vienne 86) et un Bois de la Dispute a` Moutiers-en-Puisaye 89 : les difficulte´s sont de toutes les re´gions. Enfin, certains linguistes font de´river Rabasteins a` Caudie`s-de-Fenouille`des 66 et Rabastens 81 d’un NP germanique ; on l’imagine au moins attire´, sinon produit par rabaste, querelle en occitan ; il existe une dizaine de noms semblables dans le Midi.

Du chaˆtiment Impressionnant est le nombre de lieux-dits la Justice ou les Justices : une vingtaine en Indre-et-Loire, plusieurs dizaines en Eure-et-Loir, Seine-et-Marne, Yonne, Saoˆneet-Loire, etc. Ces centaines de noms (pre`s de 1 200 occurrences dans Ge´oportail) sont ge´ne´ralement en limite de finage, sur une hauteur, proches d’une route d’acce`s au village : le site devait eˆtre e´difiant et visible car c’est la` que se tenaient les bois de justice, leurs supplicie´s et leurs pendus. En outre sont signale´s une cinquantaine de Bois de la Justice, beaucoup de Haut, Mont, Puy, Butte, Coˆte de la Justice, meˆme deux Serre et un Mourre de la Justice – mais aussi deux Pont, un Plat, trois Fond, cinq E´tangs pour des sites qui, en fait, sont proches d’une hauteur ade´quate : a` Sepmeries 59, le Fond et le Chemin de la Justice jouxtent la colline de la Justice voisine, qui est a` Bermerain, en limite nord du finage. A` Neuvicq-le-Chaˆteau 17, le Bois de la Justice est voisin du Bois de la Complainte... Sur des sites semblables a` ceux des Justice, des dizaines de lieux ont pour nom la Potence ou les Potences : une douzaine dans l’Aube, une quinzaine dans la Marne. Thury 89 additionne Potence aux Pigeons sur une butte a` l’est, la Justice sur une autre butte a` l’ouest. Le Gibet est e´galement un nom assez courant (une cinquantaine, dont quatre dans l’Eure), ainsi que son e´quivalent les Fourches, mais celui-ci est tre`s polyse´mique. On peut sans doute lui rapporter le Mont des Fourches a` La Ferte´-Samson 76 ou a` Saint-Dalmas-le-Selvage 06, le Haut des Fourches (SaintMards-en-Othe 10), Suc des Fourches (Menez et Saint-Poncy 15). Une douzaine de Puy des Fourches (dont Cornil 15) ou le Peu des Fourches (Naisey-les-Granges 27)

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ont le meˆme sens et la meˆme position en hauteur et en limite de finage que les Justice – mais Fourche peut aussi de´signer un col. Il se trouve un Gibet des Fourches a` Colonfay 02. Gibet viendrait d’ailleurs d’un e´tymon IE ghabalo (branche, fourche d’arbre) repris par le francique gibb, le celte gabalos et le latin gabalus et qui transparaıˆt dans Gavaudun, Ge´vaudan, Javaugues. Le germanique galg a le sens de gibet dans le Galgberg de Merckeghem 54 et plusieurs dizaines de Galgenberg en Alsace et Moselle, ainsi qu’en Flandre. Ces fourches e´taient dites patibulaires, d’un latin patibulum de´signant un instrument de supplice en fourche, puis la poutre transversale d’une croix, et dont le sens (de patere, e´taler, exposer) e´tait l’exposition a` la vue. Le Patibulaire est un lieu-dit de Pre´aux 76, en limite sud-est de la commune ; mais c’est apparemment le seul de ce nom. Il reste en revanche plusieurs dizaines de Pilori, autre instrument d’exposition, dont le Pilori a` Cle´re´-les-Pins 37 et a` Langeais 37 en limite de finage dans les bois, le Grand Pilori a` Barbaise 08, les Grands Piloris a` Thollet 86, deux Col du Pilori a` Badecon-lePin 36 et a` Saint-Aupre 38. L’e´tymologie du nom est discute´e ; l’ide´e de pile, pilier est la plus vraisemblable. Il existe aussi quelques l’Estrapade ou l’E´chafaud, ainsi que Chaffaud, qui ont jadis surtout de´signe´ des estrades, servant e´ventuellement aux proclamations et exe´cutions de justice ; mais le terme a pu de´signer aussi une construction de bois attenante a` la maison. Les lieux d’enfermement n’apparaissent qu’en nombre plus limite´. Ge´oportail de´tecte une quinzaine de Prison et deux la Geoˆle (Lanneray 28 et Saint-Hilaireen-Lignie`res 18), les Oubliettes a` Dienville 10 et Bois des Oubliettes a` Chailly-enBie`re 77. Le latin carcer, d’origine non e´tablie mais au sens de barre´, clos, dont viennent carce´ral et incarce´ration, apparente´ aux cancels et chancels (enclos, chap. 1) a pu donner des Carce`s, dont une commune du Var, et Carcera a` Vezzani en Corse. Il est aussi a` l’origine de divers Chartre, la Chartre au sens de prison, comme a` Longpont-sur-Orge 91, ou La Chartre-sur-le-Loir 72 – source de confusion avec une charte, ou encore avec Chartres qui vient des Carnutes gaulois et La Chaˆtre qui est le chaˆteau (castrum). Beaucoup plus re´cemment est apparu le camp, comme lieu d’enfermement de prisonniers et de´tenus en pe´riode de troubles ou de guerre, ou d’accueil et confinement de re´fugie´s, le meˆme ayant d’ailleurs pu servir au deux. Camp de´signe aussi des terrains d’exercice des arme´es, dont certains ont pu e´galement servir a` l’occasion de lieux d’enfermement. Beaucoup ont disparu, mais la toponymie officielle conserve certains noms, associe´s a` des souvenirs e´ventuellement sinistres et peu glorieux, comme le camp de Gurs a` Dognen 64, le Camp de Rivesaltes pre`s de Perpignan. Le camp du Ruchard (Avon-les-Roches 37) a servi de camp de « rassemblement d’e´trangers » prisonniers, de meˆme que le Camp de la Braconne a` Brie 16 ou le Camp de Judes a` Septfonds 82. Le Camp des Milles a` Aix, pour interne´s et de´porte´s (1939-1942), a fait l’objet de livres et de films ; il reste un me´morial, au milieu de zones d’activite´s et de logement ; le nom des Milles reste, celui du Camp est devenu virtuel. Le Camp du Struthof (Natzwiller 67) fut, au sein du massif vosgien, le seul camp de concentration nazi sur le territoire franc¸ais – dans la partie alors annexe´e par l’Allemagne. Le Camp de

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Drachenbronn a` Drachenbronn-Birlenbach fut un cantonnement de la ligne Maginot puis un centre de l’arme´e de l’Air. Le Camp de Mourmelon et le Camp de Suippes dans la Marne figurent comme toponymes. Et un lieu-dit Camp du Drap d’Or, a` Campagne-le`s-Guines 62, rappelle la ce´le`bre, somptueuse et infructueuse entrevue de Franc¸ois Ier et Henri VIII en juin 1520.

Les lieux de la mort L’environnement de la mort est un des grands marqueurs du territoire. On connaıˆt bien entendu le cimetie`re. Il est inte´ressant de se souvenir que, par le grec et le latin, le mot vient d’un IE kei pour ce qui est couche´ : c’est l’endroit ou` l’on gıˆt, ou` l’on repose. Outre a` des sites actuels, un assez grand nombre de lieux-dits le Cimetie`re font re´fe´rence a` d’anciens sites abandonne´s et oublie´s : ainsi a` Sermaise 49 et a` SaintPalais-de-Ne´grignac 17, ou encore le Cimetie`re et le hameau voisin le Grand Cimetie`re a` la limite de Vaiges et de Saint-Jean-sur-Erve 53. Dans un sens voisin, certains lieux e´voquent les Dormeurs, voire les Endormis ; Ge´oportail en cite quelques occurrences, et le nom est parfois devenu Dre´meaux ou Dre´mot, comme a` Antully et Autun en Bourgogne. R. Niaux signale qu’a` Autun, les Dre´meaux et le Deurmeau annoncent au cadastre la vaste ne´cropole galloromaine et pale´o-chre´tienne de Saint-Pierre-l’E´trier ; et aussi qu’a` Laizy 71, un « champ Dremeau » incompris est devenu au cadastre re´nove´ du XIX e sie`cle un « Champ d’Ormeau »... Champ des Morts apparaıˆt c¸a` et la`, comme a` Hostiaz 01, Prouvais 02, VertToulon 51, et Chemin des Morts plus souvent, comme a` Mondrepuis 02, a` Theuvine 28 ou` il se´pare des lieux-dits le Gouffre et la Justice, a` Morienne 76 ou` il jouxte les Parques... Un Campo di Santo de meˆme sens est a` Penta-di-Casinca en Corse. Ne´cropole est un terme d’importation re´cente (de´but du XIX e sie`cle) dont Ge´oportail rele`ve douze incidences : des ne´cropoles nationales de la Grande Guerre, et quelques sites fune´raires particuliers comme la Ne´ cropole des Granges a` Berrias-etCasteljau 07, ne´olithique avec une cinquantaine de dolmens, ou la Ne´cropole Me´rovingienne de Civaux 86. Champ Dolent est un nom discute´ : E. Ne`gre n’y voyait qu’un champ pauvre, Pe´gorier un site d’abattoir, mais plusieurs e´rudits conside`rent que l’expression a pu de´signer des lieux de se´pulture. Une commune de l’Eure porte ce nom, ainsi qu’une vingtaine de lieux-dits selon l’IGN. Champ Dolent est un menhir au pays de Dol ; on trouve aussi le Champ Doulent a` Pouan-les-Valle´es et Champs Doulents a` Rumilly-le`s-Vaudes, tous deux dans l’Aube. Il est bien d’autres mots pour le se´jour des morts. L’un des plus courants est martroi, parfois martre, qui vient de martyr – ce serait au sens de te´moin, en grec, sousentendu te´moin de Dieu. Outre Martroi, Martroy, Martre, qui se pre´sentent par dizaines, notamment dans le Centre et l’Ouest, on le trouve sous les noms de Martret, Marteret, Marthoret, Marterey, Marthelay, Martezay, Marturet, voire Mortray (Le Thoureil 49), ainsi que La Martyre 29 dont le nom comme´more

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l’assassinat en 874 de Salomon, qui fut roi de Bretagne, comme celui du Merzer 22, ou Limerzel 56, forme´ sur ilis (e´glise) et merzel (martyr). Cre´e´ au XII e sie`cle, le Martroi-aux-Corps, ou Grand Cimetie`re, ou encore Campo Santo, fut longtemps le principal cimetie`re d’Orle´ans, avant de devenir le nom de la place centrale de la ville ; plusieurs villes et villages de l’Orle´anais ont d’ailleurs leur place du Martroi. La mention de Corps a ici le sens de squelettes, le pluriel a le sens de cimetie`re ou ne´cropole, comme a` Saint-Pierre-des-Corps 37. Martroi-aux-Corps est donc redondant, mais le sens de martroi s’est longtemps perdu au profit de grand-place. L’aıˆtre a pu jadis de´signer un cimetie`re. Par exemple, a` Mattexey 54, Derrie`re l’Aıˆtre est bien derrie`re le cimetie`re. Il est curieux de noter qu’aıˆtre vient de l’atrium latin, lui-meˆme d’un IE atr d’ou` vient aussi l’aˆtre et qui avait le sens de feu, fume´e ; l’atrium aurait e´te´ la pie`ce noircie par le feu. Un proble`me est que l’aıˆtre a pu de´signer aussi une cour, une annexe de l’habitation, surtout quand il est suivi d’un NP. Un autre proble`me est que le nom a subi bien des alte´rations : il est souvent e´crit l’Eˆtre, voire Lattre : Lattre-Saint-Quentin 62 vient d’un ancien cimetie`re (D. Poulet). On note des Eˆtre au Franc, l’Eˆtre au Lie`vre a` Ger 50 et bien d’autres Eˆtres, dont une douzaine dans la seule commune de Champsecret 61, aux abords de la foreˆt de Domfront ; suivis d’un NP, ils pourraient eˆtre ici d’anciens essarts, comme fieffe et prise, ou meˆme tout simplement synonymes d’aire, de « chez ». Secret est un autre de ces noms jadis associe´s a` des ne´cropoles. Il figure dans les noms de communes de Champsecret 61 et Campsegret 24, sans doute dans les lieux-dits Peu Secret a` Liguge´ 86 (peu=puy), le Pont du Secret a` Paimpont 35, Iˆle Campsegret a` Saint-Pı¨erre-d’Eyraud 24, et dans d’autres mentions semblables. Cependant, tel Fond Secret (Toulon-sur-Arroux 71), E´tang du Bois Secret (Saint-Michel-enBrenne 36), Val Secret (Brasles 02) ou Vau Secret (Ballan-Mire´ 37), telle Font Secre`te (Malaville 16) ont pu eˆtre pris au sens commun du mot. Paradis est un nom de lieu souvent associe´ a` des vestiges de cimetie`res ou ne´cropoles, voire a` quelque tumulus ; me´taphoriquement, il semble aussi avoir pu de´signer des lieux e´leve´s. Le terme est proche de parvis, et issu comme lui de paradisus, d’un grec e´voquant un jardin clos (IE per et dheigh). Il s’en trouve en toute re´gion, seul ou avec un comple´ment comme la Ferme du Paradis a` Noordpeene 59, a` Se´rent 56, a` Meulan-en-Yvelines 78. Merris 59 a meˆme une Rue du Paradis, Foncine-leHaut 39 un Refuge du Paradis et Nouart 08 une Cule´e du Paradis. On note aussi des Clos, Combe, Col, Coˆte, cinq Valle´e du ou de Paradis, et meˆme une Tourne´e du Paradis (Ligny-en-Cambre´sis 59). Cinq Paravis seraient des e´quivalents ; mais la trilogie de lieux-dits le Paradis, l’Enfer et le Purgatoire aligne´s du nord au sud juste a` l’est du village de La Neuville 59, a` l’ore´e de la foreˆt de Phalempin, a duˆ avoir un autre sens. Le nom devient Baradoz en breton, ainsi a` Plouezoc’h, Pont-Aven, Ploumoguer ; voire Baradozig et Baradozou (pluriel) en Lampaul-Guimiliau. A` Plouezoc’h, une ferme ar Baradoz e´tait syme´trique de la ferme an Ifern par rapport a` l’e´glise (Toponymie du canton de Lanmeur, http://ula mirlanmeur.free.fr). Plusieurs se´ries de noms e´voquent des sites ou monuments fune´raires. Le Cercueil, les Cercueils sont par dizaines, dont une commune de l’Orne, la Butte aux Cercueils de

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Maulette 78, les Vignes des Cercueils a` Souge`res-en-Puisaye 89 et les Cercueils a` Taingy 89. Cerqueux, Serqueux e´voquent des cercueils ou des sarcophages, e´ventuellement des ne´cropoles : Cerqueux 14, Les Cerqueux-de-Maule´vrier et Les Cerqueux-sous-Passavant 49, Serqueux 52 et Serqueux 76 sont des communes de ce nom. Bien des lieux-dits le portent aussi, comme le Clos Cerqueux a` Vernon 27, les Bornes de Cerqueux a` E´pieds-en-Beauce 45, Cerqueuse a` Orphin 78. Assez curieusement, sarcophage (« qui mange la chair ») est un nom d’origine grecque d’apre`s une pierre calcaire re´pute´e favoriser la disparition des tissus, et cercueil en de´rive. Les tombes donnent une cinquantaine de NL dans Ge´oportail, dont Quarre´-lesTombes 89 et plusieurs Mont des Tombes, Bois des Tombes et Paˆtis, Plaine, Pas, Valle´e des Tombes, la Terre des Tombes a` Ochancourt 80. La meˆme source rele`ve des dizaines de Tombeau dont dix Tombeau ou le Tombeau tout court, une douzaine de les Tombeaux et un Tombeau du Poe`te a` Orcie`res 05, le Tombeau du Ge´ant a` Saint-Jean-du-Bruel 12 et a` Campe´ne´ac 56, les Tombeaux des Ge´ants a` Pont-Aven 29 et Tournon-d’Agenais 47 – et de nombreux lieux ou` Tombeau est suivi d’un NP. Tombe et tombeau viennent d’un tombos grec de´signant un tumulus fune´raire, probablement de l’IE teue, gonflement, dont viennent aussi tumulus et tumeur. Le mot peut eˆtre alte´re´ en tome ou tomme, comme les Mortes Tommes a` La Cheppe 51, la Tome a` Herpont 51. Plus e´troitement lie´es a` un monument sont plusieurs dizaines d’e´vocations de Ste`le avec un de´terminant, dont trois Ste`le des Fusille´s a` Cirey-sur-Vezouse 54, Senon 55, Rom 79 ; quelques lieux-dits avec Mausole´e et un NP plus un Bois du Mausole´e a` Vierzy 02, la commune de Mausole´o en Corse plus un Mausoleo a` Brando en HauteCorse. Cinq-Mars-la-Pile 37 et Cours-de-Pile 24 portent le nom d’un monument fune´raire de l’e´poque romaine en forme de haute tour ; la pile de Cinq-Mars est encore debout et tre`s visible. Ste`le et pile ont de´signe´ des colonnes, mausole´e vient de Mausole, roi perse dont le tombeau fut une des sept merveilles du monde antique. Les morts eux-meˆmes ont directement inspire´ des centaines de toponymes. La ce´le`bre Baie des Tre´passe´s a` Plogoff et Cle´den-Cap-Sizun n’est pas seule : Ge´oportail trouve une dizaine de Tre´passe´s dont un Champ des Tre´passe´s a` Fescamps 80, un Chemin des Tre´passe´s a` Carrie`res-sous-Poissy 78, une Combe des Tre´passe´s a` Aprey 52 et meˆme un Saut des Tre´passe´s au Cros 34 sous le mont Estremal. Un Bois des De´funts est signale´ a` Champagne-Saint-Hilaire 86, le De´funt a` Roches-Pre´marle-Andille´ 86, les De´funts a` Anjouin 36. Les lieux-dits les Morts ou les Mortes sont une cinquantaine, accompagne´s par sept « la Mort » et beaucoup de noms avec comple´ments comme le Bois de la Morte a` Pizay 01 ou le Bois de la Mort a` CirySalsogne 02, la Combe du Mort (Combas 30) ou la Combe au Mort (Coulgens 16), un Pont des Mortes (Lavardens 38), trois Bois de la Femme Morte ; E´pannes 79 a meˆme le Fief de la Vieille Morte ; plus quelques Mortevieille, mais ou` vieille peut cacher un autre sens. Bien plus nombreux encore sont les lieux nomme´s l’Homme Mort : le seul de´partement de l’Aube en a une cinquantaine dans Ge´oportail, en comptant des Crot, Coˆte, Fond, Teˆte et Bas de l’Homme Mort. Des toponymistes s’empressent de faire remarquer qu’il peut s’agir d’un glissement a` partir d’un Orme Mort ; le cas s’est en effet souvent produit, mais le nombre des occurrences ne permet pas de ge´ne´ra-

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liser. En outre, il existe des Homme Mort la` ou` l’orme ne pousse pas, en montagne a` bonne altitude, et surtout une quantite´ de Femme Morte, avec des Bois, Ravin, Combe, Route de la Femme Morte, meˆme un Trou de la Femme Morte (Montredon-des-Corbie`res 11), y compris Femina Morta a` Conca 2A, la Henne Morte a` Razecuille´ 31, qui a le meˆme sens et, non loin, le Gouffre de la Henne Morte a` Heran 31, ce´le`bre en spe´le´ologie par le re´seau Fe´lix Trombe, qui va jusqu’a` 1 000 m de profondeur et sur plus de 100 km de diverticules. Plus pre´cis ou plus e´vocateurs, sont l’ıˆle du Noye´ a` Salaise-sur-Sanne 38, le Preˆtre Noye´ a` Toul ou la Femme Noye´e a` Margerie-Hancourt 51. Les cartes de l’IGN mentionnent cinq la Femme Enterre´e et trois l’Homme Enterre´ dans le nord du Bassin Parisien. Nombreuses sont les mentions de pendus : le Pendu a plusieurs dizaines d’occurrences, la Pendue une dizaine, et l’on note l’Arbre du Pendu a` Lapenne 05, l’Orme du Pendu a` Marchemoret 77, l’Orme au Pendu a` Lhuıˆtre 10, un Abri du Pendu a` Moulainville 55, la Mare du Pendu a` La Queue-en-Brie 94, une Butte aux Pendus a` Gennes 49 ou` elle voisine avec la Butte de l’Eveˆque, la Pendude a` Aynac 46. Notons a` ce propos que morts et pendus concernent tout aussi bien des animaux : on rele`ve une quinzaine de Cheval Mort, huit l’Aˆne Mort, plusieurs Che`vres, une Biche, deux Vache Morte et deux Mortevache, etc. ; et une dizaine de le Chien Pendu, trois la Vache Pendue, plus des Bique Pendue, Truie Pendue, plusieurs Chat Pendu et, surtout, de tre`s nombreux Loup Pendu. Ceux-ci rappellent quelques pratiques et exorcismes me´die´vaux : parfois a` l’issue d’un proce`s en bonne forme, l’on pendait les loups capture´s faisant figure d’accuse´s, ou les loups de´ja` tue´s, en signe de soulagement et en s’imaginant impressionner leurs conge´ne`res. C’est surtout en Normandie qu’on les trouve : huit en Calvados, trois dans la Manche, trois dans l’Eure et trois en Seine-Maritime, ainsi qu’aux confins de la Bretagne : trois en Ille-et-Vilaine, deux en Loire-Atlantique, quelques autres dans l’Ouest inte´rieur et le Centre. Enfin, mort s’applique aussi a` des objets : on trouve des Pre´ Mort, Terre Morte et Terres Mortes, une quinzaine de Malemort, Mortemale, Morta Mala (Olmeto 20) ou` male, mala de´signe une foreˆt, des Mortemart (dont une commune en Limousin), Mortemer et Mortimer, Mortesagne (Albaret-le-Comtal 48), Eau Morte et Eaux Mortes, Rieu ou Riou Mort, et Morteau qui fut jadis Mortua Aqua ; et pas mal de lieux « noye´s », surtout des pre´s, combes, meˆme une Fontaine Noye´e (Montcourt 70). La Bretagne a un grand nombre de toponymes faisant allusion a` la Mort (Ankou) ou aux morts (marv et maro), aux aˆmes (anaon) et meˆme aux revenants (Garenn ar Skwiriou a` Ploumilliau 22). D. Giraudon a consacre´ un bel article aux chemins des morts (Hent ar Marv) et chemins de la mort (Hent an Ankou) qui ont laisse´ des souvenirs en certains lieux et sur quelques cadastres, et que suivaient jadis des itine´raires processionnels immuables dans le bocage ; un Croaz-Hent ar Maro (carrefour des morts) est a` Lanvellec 22. Ge´oportail ne signale qu’un Roc’h an Ankou (Rocher de la Mort) a` Gourin 56. D. Giraudon cite comme e´quivalents des Cami dels Morts en Pe´rigord. Chemin des Morts figure par dizaines sur Ge´oportail, avec des Combe ou Coume, Clot, Champ ou Camp des Morts, ou encore un Correc dels Morts a` Nyer 66.

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Du coˆte´ du sacre´ Inquiets des myste`res de l’existence et de la nature, les peuples ont cre´e´ les dieux a` leur image, tout en se persuadant de l’inverse, e´labore´ les attributs des cultes et garni de reˆves l’au-dela` de la mort. Le sacre´ (IE sak) est de toutes les cultures. Or il singularise des lieux : d’interdits, de peurs, de tabous, de rassemblement, d’adoration. Les populations pre´chre´tiennes n’ont manque´ ni de croyances ni de lieux conside´re´s comme sacre´s. Me´galithes, ne´cropoles et tumulus en font partie ; la plupart sont nomme´s, mais de noms anachroniques. Les Celtes ont eu leurs bois, leurs clairie`res, leurs hauteurs sacre´es. Un des noms les plus fe´conds a e´te´ nemeton, au sens d’enclos sacre´, ferme´, temple et sanctuaire. Le terme semble en rapport avec l’IE nem au sens de place alloue´e, de´finie, que l’on trouve dans nom, -nome et nombre. Les spe´cialistes estiment qu’en proviennent les noms de Nanterre 92 (Nemetodurum), Senantes 28, Senantes 60 (de sen, vieux et nemeton), Vernantes 49 (ver, grand), Nonant 14, Nonant-le-Pin 61 (nouveau), Nemours 77, Nampont 80, Nesmes a` Be´laˆbre 36, Nesmy 85 ou meˆme Arlempdes 43 (anc. Arenemeton), et peut-eˆtre Nıˆmes 30 (anc. Nemausus). Clermont-Ferrand fut jadis Augustonemetum. Le mot se retrouve en breton sous la forme neved, qui ne doit pas eˆtre confondue avec ne´vez (neuf). Kerlaz a un Bois de Ne´vet (en fait Koat Neved) ou` se cache un manoir du Ne´vet et qui a fait figure de bois sacre´. Ne´vert apparaıˆt aussi a` Plogonnec 29 et Nivillac 56. Les Gaulois disposaient d’un assez large panthe´on. Certaines divinite´s sont bien connues et pourraient avoir e´te´ toponymiquement fe´condes. C’est en particulier le cas de Belenos, associe´ a` la lumie`re du jour, dont viendraient les noms de Beaune 21, Blanot 21 et Blanot 71, Ble´nod-le`s-Toul et Ble´nod-le` s-Pont-a` -Mousson 54, Beaunay 51, Bonnay 71 et Bonnay 25 ; et de la de´esse Belisama, plutoˆt associe´e a` la clarte´ de la lune et qui aurait inspire´ les noms de Balesmes-sur-Marne 52, Belleˆme 61, Blismes 58, Blesmes 02, Blesme 51, Belime, Vellesmes-E´chevanne 70 ou Vellesmes-Essarts 25. Bilio semble avoir de´signe´ en gaulois un arbre sacre´, et serait a` l’origine de Billom 63 et d’au moins une partie des Billy. Une tre`s ancienne tradition nomme des rivie`res selon matrona, mater, me`re des eaux : en viennent la Marne, la Moder, et Mayronnes 11 ; les Gaulois ont mis dea Matrona a` leur panthe´on. Elle n’y e´tait pas seule. Les toponymes en Allonnes sont rapporte´s a` Alauna, divinite´ des fontaines. Borvo, autre divinite´ des eaux, est volontiers lie´e a` des Bourbon, Bourbonne. Un certain Grannos, aussi charge´ des eaux, semble atteste´ par une inscription a` la source du nom de Grand 88. Une autre inscription relie Aquis Segeta (Sceaux-du-Gaˆtinais 45) a` une dea Segeta. Virotutis, assimile´ a` Apollon, aurait donne´ Vertus 51, mais rien ne le prouve. Un Taranis, dieu du ciel et des me´te´ores, e´tait plus ou moins assimile´ a` Jupiter et toran, taran e´tait le nom du tonnerre en celte ; le respectable e´rudit Paul-Marie Duval le voyait meˆme a` l’origine du nom des Turons et donc de Tours... Le proble`me est que les noms meˆmes de ces divinite´s, comme le montre Taranis, venaient de choses communes : la clarte´ (IE bhel pour Belenos et Belisama), le tonnerre, les eaux courantes, etc. Ces choses communes ont bien e´videmment

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servi a` nommer directement des lieux, dans toutes les cultures et a` toutes les e´poques. Sans doute, certains lieux ont-ils pu eˆtre nomme´s d’apre`s des divinite´s : mais il n’est nullement de´montre´ que cette interme´diation, certes valorisante, fuˆt ge´ne´rale. Le ce´le`bre Toutatis, dont le nom e´voque le « tout », c’est-a`-dire le peuple, ne se retrouve meˆme pas en toponymie. Selon son propre sentiment et son sens de la publicite´, chacun peut donc supposer une liaison directe chose-toponyme, ou un de´tour ne´cessaire par un nom de divinite´. Il est plus flatteur pour un Bourbon d’eˆtre relie´ a` Borvo qu’a` une eau boueuse... Le tre`s faible nombre d’inscriptions gauloises retrouve´es rend fort rares les possibilite´s de liaisons directes entre toponymes et divinite´s, qui d’ailleurs ne feraient gue`re que sanctifier a posteriori une caracte´ristique naturelle du lieu. Aussi des e´rudits, surtout au XIX e sie`cle, ont-ils suppose´ ou invente´ l’existence d’une foule de divinite´s gauloises, en tant que de « besoin » toponymique... On voit encore de nos jours E´vaux-les-Bains 23 « explique´ par » un suppose´ dieu Ivaos, alors que l’e´tymon eve est un classique de l’eau ; ou Decize 58 par une de´esse gauloise inconnue, meˆme si Jules Ce´sar la nommait Decetia, alors que le terme decize e´voque en Lyonnais et Bourgogne une situation vers l’aval d’un cours d’eau – ici l’Aron pre`s de son confluent avec la Loire – ou une dixie`me borne. La situation d’incertitude la plus connue est celle des noms comme luc, lug. Ils sont tre`s fre´quemment interpre´te´s au sens de bois sacre´, et parfois de bois tout court. De´ja` la relation est un peu surprenante, car l’origine du nom est l’IE leuk, au sens de lumie`re, clarte´. Tous les de´rive´s en lituanien, letton, sanscrit, protogermanique comportent l’ide´e d’espace ouvert, clair. Plus pre`s de nous, lux, lumie`re, light, lune, lustre et meˆme Lucifer (porteur de lumie`re...) en de´rivent aussi. S’il s’agit de bois, alors c’est a` la clairie`re que l’on devrait se re´fe´rer – admettons que ce fuˆt celle ou` les preˆtres avaient leurs arcanes... et disaient recevoir la lumie`re. De la`, d’ailleurs, les Lugdunum (Lyon, Laon, Loudun) ont e´te´ interpre´te´s soit comme mont fort (dunum) lumineux, soit comme mont fort d’un suppose´ dieu gaulois Lug, Lugus, dont il n’est pas d’autre trace prouve´e – mais e´videmment le plus grand des dieux puisqu’il aurait inspire´ le nom... de la « capitale des Gaules ». He´las, les recherches les plus re´centes ame`nent P.-H. Billy, et d’autres, a` se re´fe´rer plutoˆt a` un celte lugo, marais, de´crivant ce que dominait le mont fort : Lugdunum serait alors Montfort-des-Marais. C’est moins brillant, sinon un peu... lugubre. Il en serait de meˆme pour Laon 02. Le site que domine le vieux Laon, comme le site de la confluence de la Saoˆne et du Rhoˆne, soutiennent l’hypothe`se. Les sites des autres Lugdunum, dont ceux de Saint-Bertrand-de-Comminges 31 (Lugdunum Convænarum) et de Saint-Girons 09 (Lugdunum Consoranii) ne la de´mentent pas. Mais luc a eu aussi le sens de petit bois, plus probable a` Loudun. Le gaulois a e´galement employe´ devo, diwo, au sens de divin. Le mot vient d’un IE dhes qui a donne´, outre cette se´rie qui inclut dieu et qui vaut aussi en latin, l’e´quivalent grec theos et meˆme Zeus, ainsi d’ailleurs que feria, donc feˆte et foire. Selon les experts, cette racine se retrouve dans Divonne-les-Bains 01, Dions 30, Divion 62, Dijon 21, ainsi que Dye´ 89, Dyo 71, Die´nay 21, Diennes-Aubigny 58, Die´val 62, Deuil-la-Barre 95 et Dœuil-sur-le-Mignon 73 (ex-Divo-ialo selon M. Mulon), Digoin 71 et peut-eˆtre Dinan 22. Metz fut jadis Diviodurum, la porte sacre´e.

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La racine apparaıˆt en outre dans de nombreux noms de rivie`res comme la Dives. Diane aussi fut « la divine » ; Ale´ria a rec¸u Portus Dianæ comme port de guerre, d’ou` vient le nom de l’e´tang de Diane. Le radical jov, jou est e´galement un de´rive´ de divio au sens de sacre´. Comme Jupiter (Jovis en latin) a la meˆme origine, on a cru voir dans toute une se´rie de toponymes en jou ou jov une re´fe´rence directe au dieu majeur des Romains. La liaison n’est pas exclue : Fanjeaux 31 est re´pute´e avoir e´te´ Fanum Jovis, le temple de Jupiter. Jousous-Montjou 15 et Giou-de-Mamou 15 en de´riveraient aussi. Elle ne s’impose pas toujours : les Jeurre 39, Jouarre 77, Jeumont 59, Gioux 25, plusieurs Jouars, Jouy, Montjaux 12 et Montjoux 26, Montjuvin (a` Lapte 43), les hauteurs de l’Alajou a` Saint-Michel 34, rappellent des lieux qui ont pu eˆtre sacre´s avant les Romains, et re-nomme´s par eux ; il pourrait en eˆtre de meˆme de certains Montjoie. D’autres dieux romains ont aussi leur part dans la toponymie franc¸aise. Mirecourt 88 fut Mercuri Curtis, de´die´e a` Mercure dieu du commerce et donc sans rapport avec le verbe mirer (regarder). Divers Mercoire et Mercœur, Mercoirol, Mercurey 71 et Mercury 73, Mercue`s 46, Mercueil 21, Mercuer 07 en viendraient aussi. De Minerve sont issus Minerve 34, son Minervois et les nombreux villages qui en portent le nom, ainsi que Me´nerbes 84 et Menesble 21 (de Minervis au XII e sie`cle). Port-Vendres 66, Vendres 34 et Montvendre 26 font re´fe´rence a` Ve´nus. Tudelle 32 e´voquerait la de´esse latine Tutela, mais par l’interme´diaire de la navarraise Tudela (chap. 7) ; son nom est aussi e´voque´ pour Tulle, mais sans argument arche´ologique. Escles 88 viendrait d’Hercule.

Les mots de la chre´tiente´ La religion chre´tienne a nomme´ et sans doute davantage encore rebaptise´ quantite´ de lieux. Ge´oportail rele`ve sept Christ, tous en Bretagne, dont la commune de PleyberChrist 29 ou Christ-Ploumilliau a` Ploulec’h 22, auxquels s’ajoutent des Kergrist de meˆme sens ; Singrist 67 (« signe du Christ »), une vingtaine de le Christ et un Je´susChrist a` Plagne 01, un Bois Je´sus-Christ a` Mortiers 28, une Rue du Christ avec pour voisine une Rue du Paradis a` Strazeele 59, quelques dizaines de Je´sus sous diverses formes dont un Marais Je´sus a` Annœulin 59, les Mares Je´sus a` Bailly 41, une Plaine de Je´sus a` Longages 31, deux Petit Je´sus a` Liencourt et Rebreuve-sur-Canche 62, l’Enfant Je´sus a` Loisey-Culey 55, un Menez Je´sus a` Tre´garantec 29 contre une Valle´e Je´sus a` Marcilly-la-Campagne 27. Toutefois, Christ et Je´sus ont aussi pu eˆtre localement des surnoms de personnes. La Vierge apparaıˆt sous toutes sortes de formes et de couleurs, dont une douzaine de Vierge Noire et meˆme une Vierge Bleue a` Bachy 59 et une Vierge Blanche a` Mortain 50, cinq Vierge Marie, trois Vierge des Marins en Martinique, auxquelles s’ajoutent trois Col de la Vierge, une Igue de la Vierge (Le Bastit 46), le Trou de la Vierge (Le Beausset 83), cinq Cheˆne de la Vierge, plusieurs Bois de la Vierge. Il est vrai que certaines de ces appellations ont pu n’avoir aucun caracte`re religieux. En revanche, bien des toponymes en Marie pouvaient s’y re´fe´rer, ou Me`re de Dieu a` Saint-Saturnin-le`s-Apt 84, quatre la Me`re Dieu et un la Me`re en Dieu (Vitry-en-

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Perthois 51). C’est aussi le cas de la majorite´ des dizaines de Madone ou Madonne (de ma et donna, e´quivalent de madame), des tre`s nombreux Notre-Dame, seuls ou avec attribut comme les Notre-Dame des Pre´s, des Bois, des Ble´s (Sedze-Maubecq 64), des Anges, des Puits, des Monts, des Champs, des Neiges, des Fleurs, des Roses, etc. Certains Regina peuvent e´galement venir d’allusions a` la Vierge. L’imagerie chre´tienne se marque aussi par l’Immacule´e comme quartier de SaintNazaire et la Conception comme quartier de Marseille a` partir de l’e´glise paroissiale, mais apparemment aucune Immacule´e-Conception ; une quinzaine de Recouvrance, dont Recouvrance 90 ; un Bois de l’Assomption a` Jardres 86, un lieu-dit la Re´surrection tre`s isole´ a` Haute-E´pine 60, une douzaine d’Annonciade au singulier ou au pluriel dans le Midi (mais aucune Annonciation sur les cartes IGN), une Garenne de la Pre´sentation a` Baron 60, quatre la Passion dont trois en Picardie, un Pie´ta (Tarsac 32), trois Pie´tat dans le Sud et deux la Pie´te´ dans l’Aube. On a aussi l’Apparition a` Saint-Bauzille-de-la-Sylve 34, la Grange des Apparitions a` Pontmain 53 plus une Villa Apparition a` E´re´ac 22. On peut y ajouter quatre Pater Noster dont un Paternosterfeld a` Sainte-Croix-enPlaine 68, un Collet de Pater Noster a` Coursegoules 06 et la Paternotte a` Draize 02. Une vingtaine de Sacre´ Cœur sont mentionne´s, plus El Sagrat Cor a` Elne 60. Les lieux-dits Trinite´ ou la Trinite´ figurent par dizaines, surabondants en Bretagne mais pre´sents en toute re´gion, avec douze noms de communes dont quatre dans le Morbihan, trois dans l’Eure, et La Trinitat dans le Cantal. Le Saint-Esprit a fourni Pont-Saint-Esprit 30 et une commune a` la Martinique, plus une vingtaine de lieuxdits. Une partie de ces divers noms viennent de la conse´cration d’e´glises. Quatre Paraclet a` Perreux-Quincey 10, Sourdun 77, Warvillers et Fouencamps 80, e´voquent l’Intercesseur (grec paracletos), e´quivalent du Saint-Esprit. Le coˆte´ le plus spectaculaire de l’implantation chre´tienne est e´videmment dans l’abondance des saints dont les noms, apre`s avoir servi de patronage a` des lieux de culte, ont e´te´ largement distribue´s aux villages meˆmes, en supprimant a` l’occasion le nom ancien. Il en est des milliers, y compris anonymes : les Saints, les Saintes, parmi lesquels le petit archipel coˆtier au sud-ouest de la Guadeloupe. Certains sont apocryphes ou cacographiques : Saint-Ciase 28 e´tait a` l’origine un Cinq Cases (Quinque Casæ, les Cinq Maisons) mal compris, et Saint-Chinian 34 est bien connu comme fausse interpre´tation d’un Saint-Aignan qui se disait Sanch-Anhan en occitan... Le terme, qui comme sanctuaire paraıˆt venir d’un sak IE et avait donc le sens de sacre´, prend localement les formes Sant, Santo et Santa, Sankt. Il s’accompagne de de´rive´s tels que le Sanctuaire, Sanctus (Brusque 12, Eaux-Bonnes 64) et meˆme Sanctorum (Saint-Paul-de-Baı¨se 32 et Buhl-Lorraine 57). Nombreuses sont les fontaines et sources nomme´es soit Fontaine Sainte ou Font Sancte, soit du nom d’une sainte, surtout Anne. Les saints tre`s locaux dont le nom n’est porte´ que par un seul toponyme ne sont pas rares ; a` l’inverse, surabondent les Sainte-Marie et SantaMaria, Sainte-Anne et Santa-Anna, comme les Saint-Pierre (Peire dans le Midi), Saint-Jean (Sant-Joan en Occitanie) et Saint-Marc, Saint-Martin. La forme germanique sankt n’est releve´e qu’a` propos d’un champ (Sankt-Amarinsfeld a` Anspach-le-Bas 68) et une fontaine (Sankt Anna Brunnen a` Grundviller 57).

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En Bretagne, saint a la forme franc¸aise ou devient Sant en seconde position, comme dans Bot Sant (buisson) a` Lanve´oc 29, Feunteun Sant (fontaine) a` Locunole´ 29, Park ar Sant (enclos) a` Rosporden 29. Coatre´ven 22 a meˆme un Convenant Sant, mais Sant a pu eˆtre un NP. La racine dom au sens de dominus, seigneur, a fourni de nombreux noms de lieux comme nous l’avons vu. Mais il en est une version religieuse surabondante, ou` dom a le sens de saint, ou au moins de haut personnage du clerge´. Elle apparaıˆt sous la forme des Dom-, Dam-, voire Domp- et Damp- suivis d’un nom de saint, ou meˆme d’un nom de chose. C’est ainsi que se sont multiplie´s les Dompierre et Dampierre, les Dommartin et Dammartin dont proviennent des alte´rations comme Dampmart, Damart, Domart, voire deux Damas dans les Vosges. Dombasle est pour saint Basile, Domre´my et Dompre´my pour saint Remi, Domfront pour saint Front, Doulevant pour un saint Louvent. Mais il existe aussi des Dampsmesnil 27, Damville 27, Damvillers 55, Damvix 85 d’allure purement civile. Et quelques pie`ges comme a` l’accoutume´e : Damre´mont 52 e´tait jadis Dare´mont, derrie`re le mont ; Domeyrat 42 fut jadis Almayrac, puis Dalmayrac, d’un NP gallo-romain. Au Pays Basque, saint et sainte deviennent Don, Dona : ainsi de trois Donapetria (Saint-Pierre), Dona Maria a` Larceveau-Arros-Cibits, et bien suˆr les noms franc¸ais transcrits en basque comme Donibane Lohitzun (Saint-Jean-de-Luz), Donibane-Garazi (Saint-Jean-Pied-dePort), Donapaleu (Saint-Palais) pour saint Pe´lage. Les rituels meˆme ont inspire´ des noms de lieux. Le Credo apparaıˆt en une quinzaine d’endroits dont un a` Suilly-la-Tour 58, deux le Grand Credo a` Che´me´re´ 44 et Origne´ 53, un Moulin Credo a` Dontreix 23 – mais le Grand Credo pre´sent sur la carte de Cassini au-dessus du Fort de l’E´cluse dans l’Ain, a` 1 621 m, n’e´tait qu’une graphie errone´e, rectifie´e d’ailleurs en Grand Creˆt d’Eau, a` tort alors qu’il s’agit d’un Creˆt d’Aup (de paˆturage). Les E´vangiles ou l’E´vangile sont plusieurs dizaines, dont quatre Mont E´ vangile, l’E´vangile ou de l’E´ vangile, un Chaˆ teau l’E´ vangile (Pomerol 33), des Pre´s de l’E´vangile (Cle´rey 10) et meˆme le Poirier de l’E´vangile (Cussy-les-Forges 89). Chabeuil 26 a un lieu-dit les Bibles, mais apparemment seul dans son cas. Ghisoni 2B a deux sommets respectivement nomme´s Punta KyrieEleison et Rocher de Christe-Eleison... On trouve aussi quelques Veˆpres et Vespre´e, d’assez nombreux la Messe, Prime Messe a` Villar-d’Are`ne 05, Chante Messe a` Issoudun 36, une quinzaine de Champ la Messe, un Tuc de la Messe (Bethmale 09), un Pre´ de la Messe (Berze´-le-Chaˆtel 74), la Vie de la Messe a` Cesirerey 21 ou` vie de´signe un chemin, des Messe tout court dans le NordEst. Ou encore une dizaine d’Ange´lus dont Terres de l’Ange´lus a` Presly 18 et un Col de l’Ange´lus a` Aspres-sur-Bue¨ch 05, un Col d’Ange´lus a` Montguers 26 ; une trentaine de Careˆme dont trois Careˆme Prenant ; plusieurs dizaines de Paˆques dont trois Grotte de Paˆques, une dizaine de Pentecoˆte plus Pantecouste a` Laval-Saint-Roman 30, un les Rogations a` Carce`s 83. Bien entendu, les Enfer et Paradis sont nombreux ; on sait qu’ils ont pu de´signer de simples bas-fonds pour les uns, des cimetie`res pour les autres. Il existe aussi une bonne soixantaine de lieux-dits le Purgatoire ; celui de Saint-Ande´olen-Vercors 26 signale une e´tendue sauvage et tre`s rocailleuse... Toute une se´rie de toponymes expriment des formes de gratitude, de soulagement ou d’appel au divin. C’est en particulier le cas de Graˆce, la Graˆce ou Graˆces, dont l’IGN

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rele`ve plusieurs dizaines, parmi lesquels les communes bretonnes de Graˆces 22 et Graˆce-Uzel 22, Dieu-Graˆce a` Clais 76 et Diou Gracias a` Concoules 34, des Bois de Graˆce, Fond la Graˆce, etc. Il se trouve une vingtaine de lieux-dits la Graˆce de Dieu, et autant de la Garde de Dieu. Confort est spe´cialement employe´ en Bretagne au sens de re´confort ; il existe aussi plusieurs Re´confort et une commune de l’Ain se nomme Confort, mais son nom a e´volue´ (Grandisconfort en 1337) et son e´tymologie est discute´e. Dans le meˆme ordre d’ide´es se voient des Clarte´, Salut ou le Salut, Bongarant, Bonne Nouvelle, en breton Iskuit (prompt secours), de nombreux Sauveur et la Sauve – mais ici des confusions sont possibles avec sauve au sens de franche (libre de droits) et meˆme avec selva, la foreˆt. Dans ces expressions et invocations apparaıˆt souvent le nom de Dieu : La Be´nissonDieu 42 est une commune au nord de Roanne, qui tire son nom d’une abbaye de 1138. Dieu s’en Souvienne est une ferme a` Louppy-le-Chaˆteau 55, Dieu l’Acroisse un hameau au Tilleul-Lambert 27. Nombreux sont les Dieulefit (dont une commune de la Droˆme), Dieulafait, Dieufit dont un chaˆteau a` Bellou-en-Houlme 61, Dieudonne´ comme commune de l’Oise et Dieu Donne´ a` Boury-en-Vexin 60, et dans le meˆme sens Dieulidou (Oradour-sur-Glane 87). On trouve la grotte de Diou lou Garde a` Sauve 30, Dieu Merci a` Kourou et a` Saint-E´lie en Guyane, Dieu-y-Soit aux Martres-de-Veyre 63, Dieu l’Amant (deux a` Villemareuil 77 et Montacher-Villegardin 89, un a` Favie`res 77), Dieu de Pitie´ a` Francheville 70, Dieu d’Autel a` Neuflize 08, Dieu-Lumie`re a` Reims et, plus familier, un Bois du Bon Dieu a` Arcen-Barrois 52. Plusieurs habitats ont e´te´ nomme´s Villedieu (dont quinze communes) ou Lavilledieu (dont une commune en Arde`che et Terrasson-Lavilledieu 24) ; des Vilde´, Vilde´Guingalan et Vilde´-Goe´lo en Que´vert sont d’anciennes Villa Dei, nom volontiers donne´ par l’Ordre de Malte a` ses fondations. Une vingtaine de lieux-dits de Ge´oportail se nomment Maison-Dieu. La Chaise-Dieu 43 est une ancienne Casa Dei, maison de Dieu, comme la Cazedieu a` Miramont-Latour 32. On trouve Loc-Dieu a` Martiel 12 et Lieu Dieu a` Abbans-Dessous 25, plusieurs Mas Dieu, Bois Dieu et meˆme Fosse Dieu, un Mont de Dieu a` Brangy-sur-Bresle 76, la commune de Dieulivol 33 (Dieu le veut ou l’a voulu) et un lieu-dit homonyme a` Argenton 47, ou encore les Quatre Bon Dieu et le Dieu de Berse´e a` Berse´e 59. Dieulouard 54 serait un « Dieu le garde » (Dieu-le-Wart) du Xe sie`cle qui a succe´de´ a` un ancien Scarponne ; Manonville 54 a un Dieulouard, Saint-Micaud 71 a un Dieulegard. Il existe aussi un Nom de Dieu a` Monte´gut-Plantaurel 09, un Trompe-Dieu a` Loury 45.

Les e´difices du culte Des se´ries de NL s’inspirent des sites de culte, marque´s par des e´difices durables, dont certains ont ne´anmoins pu disparaıˆtre au cours des sie`cles. L’un des plus anciens de la Gaule e´tait de´nomme´ mediolanum. Ce sujet a beaucoup inte´resse´ les linguistes. Ils l’ont d’abord compris comme « milieu de la plaine ». Puis, assez re´cemment, quand ils ont eu la curiosite´ de regarder le terrain, ou les cartes, ils se sont aperc¸us que la plupart des sites de ce nom ne sont au milieu de rien du tout, et que

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plusieurs ne sont meˆme pas en plaine ; ils sont le plus souvent en limite de territoire, e´ventuellement sur des hauteurs. Les interpre`tes les plus avertis ont alors fini par lire dans lanum non une plaine mais une sorte de lieu sacre´ (lan), medio signifiant non pas central mais plutoˆt e´quidistant des centres, a` mi-lieu, entre deux. Aussi l’interpre´tation actuelle est-elle plutoˆt « sanctuaire d’entre-deux », ou interme´diaire. C’est de ce genre de lieu sacre´ que paraissent venir les noms de communes tels que Maˆlain 21, Meillant 18, Me´olans-Revel 04, Mesland 41, Meulin 71, Meylan 38, Miolan (a` Pontcharra-sur-Turdine), Miolans (a` Saint-Pierre-d’Aubigny 73), Moislains 80, Moilien (a` Cœuvres 02), Molain 02, Moliens 60, Molliens-au-Bois 80, Moyenneville 60, dont la plupart ont e´te´ atteste´es comme Mediolanum par les e´crits anciens. Saintes et E´vreux furent aussi Mediolanum, avant d’adopter des noms de peuples. Le nom romain du temple e´tait fanum, avatar de l’IE dhes qui a donne´ le divin et la feˆte. Il est conserve´ dans Fa et Laroque-de-Fa, communes de l’Aude, Montfa (deux communes dans le Tarn et l’Arie`ge), Fains 55, le Faon a` Mouthet 36, Fain-le`sMoutiers 21, Feneu 49 (le temple nouveau), Famars 59 (le temple de Mars), Fanjeaux 11 (le temple de Jupiter) et peut-eˆtre Phalempin 59. Le Faˆ a` Barzan 17 est un remarquable site arche´ologique, qui a pu correspondre a` un ancien Novioregum, port des Santons. On trouve une cinquantaine de lieux-dits en Fa, le Fa, la Fa, parfois avec accent, mais certains ont pu avoir un autre sens, surtout relie´ au heˆtre. Temple est d’un emploi plus courant. Son e´tymologie vient de l’IE tem, couper, isoler, se´parer, qui se retrouve dans l’atome, le tome et toutes les -tomie : il s’agissait toujours d’un lieu distingue´, re´serve´, ferme´ sauf a` ses preˆtres. Puis il est devenu un lieu d’accueil de fide`les. Les toponymes en Temple sont nombreux. Certains sont anciens, comme Templemars 59, ancien Templum Martis (de Mars), Templeux (deux en Pas-de-Calais), Templeuve 59, celui-ci interpre´te´ comme Temple-enPe´ve`le (D. Poulet, p. 42). D’autres se re´fe`rent a` des lieux du culte protestant comme le Temple a` SaintSe´bastien-d’Aigrefeuille 30 ou a` Saint-Fre´zal-de-Ventalon 48 dans les Ce´vennes, et plusieurs autres en Arde`che. Deux communes se nomment Le Temple en Gironde et en Loir-et-Cher, auxquelles s’ajoutent Le Temple-de-Bretagne 44, Le TempleLaguyon 24, Le Temple-sur-Lot 47. Un alch germanique est re´pute´ avoir eu le sens de temple ; les diffe´rents Neauphle (-le-Vieux et -le-Chaˆteau, communes des Yvelines) et autres noms associe´s alentour, Neauphlette 78, Neaufles-Saint-Martin 27 et un Neaufles au Mesnil-Hardray 27 en seraient issus. D’autres mentions de Temple viennent de l’ordre des Templiers (XII e-XIIIe sie`cle), mais signalent alors des possessions de l’ordre, non des e´difices de culte : la Grange du Temple a` E´preville-pre`s-le-Neubourg 27 ou l’E´tang du Temple a` La Ferte´-SaintCyr 41, la Cense du Temple a` Saint-Aubin 59, la Lande du Temple a` Berric et a` La Vraie-Croix 56 et une vingtaine de mentions « des Templiers » dont une Ferme des Templiers (Veninghem 59), un Domaine des Templiers (Ballanvillers 91), des Ruines (Luz-la-Croix-Haute 26, Grambois 84, Fremifontaine 88), des Bois, etc. Voulaines-les-Templiers est une commune en Coˆte-d’Or.

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Notons que la Synagogue (mot grec pour re´union) n’a e´te´ releve´ qu’une seule fois par Ge´oportail, et pour un lieu-dit en rase campagne a` Grues 85. L’e´glise vient du grec ecclesia, assemble´e (les appele´s, les mande´s), de l’IE gal par kaleo, appeler – il est inte´ressant de noter que gallus, le coq, a la meˆme origine (l’oiseau qui appelle), ainsi donc que les gallinace´s. Il va sans dire que les lieuxdits et les noms de communes en E´glise sont fort nombreux. E´glise Vieille est un nom re´pandu, bien plus que Neuve´glise. Le nom se cache a` peine dans E´glisolles 63, les E´glisottes, les me´ridionaux Gliseneuve 42, Gleyzenove 12, Gleyzeroute 26, Glisolles 21, la Gleyzasse sur une butte se´pare´e du village a` Lamontjoie 47, les Gleisettes (cavernes a` Claret 34), un peu mieux dans Grisolles 82 (anc. Ecclesiola), Laguiole 12 (anc. la Glazole), La Lizolle (Ars 23, Palladuc 63). Des possessions y sont attache´es : Ge´oportail rele`ve treize Terres de l’E´glise, six Serre de l’E´glise, une douzaine de Pre´s de l’E´glise, un E´tang, etc. Le nom est devenu Elissa en basque, ou` sont E´lissalde (du coˆte´ de l’e´glise) a` Urt 64, deux Elissalt a` Lusculdy et Montory, Elisseguia a` Bunus, avec le sens de hauteur. Elizaberry 64 correspond a` Neuve´glise et un quartier d’Hasparren porte le meˆme nom. Le breton en a fait ilis comme dans Brennilis 29 (de la colline), Bodilis 29 et de nombreux Kerillis (bod ou ker = demeure), Limerzel 56 de´ja` note´, et quelques lieuxdits Coz ou Goz Ilis (vieille e´glise), Pen Ilis (bout), Coat Ilis (bois), Prat Ilis (pre´), Pont Ilis (pont). Du nord est venu un radical kerk, qui se retrouve a` la fois dans le kirch germanique, le kerque flamand et le crique ou carque normand. Un IE keue serait a` l’origine, avec le sens d’accumulation, puissance, nombre ; il se retrouve dans kyrielle, et bien entendu dans l’anglais church ; mais il aurait transite´ par un grec kyrios (seigneur, puissant) au sens de « maison du patron ». Il est apparent coˆte´ nord dans Dunkerque, Zutkerque et Nortkerque, Houtkerque, Sainte-Marie-Kerque, dans plusieurs Kerke Feld (champ). On le suppose dans Kerbach 55. Alsace et Moselle ont de nombreux Kirchweg (chemin), Kirchhof (cour), Kirchberg (mont), Kirchbuhl (colline), des Alte Kirch (vieille, Escherange 57), Erste Kirch (premie`re, Haute-Kontz 57), Kirchtal (valle´e, Turckheim 68), Kirchfeld (champ, au Hohwald 67). En Normandie existent Criquetot, Yvecrique, Carquebut, Querqueville, qui n’ont pas de rapport avec une crique mais avec une e´glise – hors Normandie, Carquefou 44 est discute´ : fou indique le heˆtre, mais pour carque ont e´te´ propose´s e´glise, rocher (krk, cae¨r), cheˆne (quercus). Bazoche a e´te´ un autre terme pour de´signer l’e´glise ; il est issu de basilique, lui-meˆme adapte´ du grec indiquant un e´difice majeur, voire « royal », et signale en principe une e´glise rectangulaire. Plus de trente communes ont le nom de Bazoche, Bazoge, Bazoque, Bazouque, ou leur pluriel ; on trouve aussi, dans le meˆme sens, Bazalgue 46, Bazeuge 87, Bazauges 17, Bazoges 85 et plusieurs Bazeilles. Les lieux-dits de meˆme e´criture sont fort nombreux aussi. Toutefois, Dauzat et d’autres ont rappele´ que bazoche a pu de´signer un marche´ couvert, autre forme d’e´difice rectangulaire. Il est possible que des NL en Besace de´rivent de bazoche, comme les noms de Saint-Ouen-des-Besaces et Saint-Martin-des-Besaces en Calvados. On rapproche de bazoche des toponymes en Baroche, Barouche ou Baroque, mais il peut s’agir d’une de´formation de « paroisse », atteste´e par exemple a` Labaroche 68.

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La paroisse est a` la fois le territoire d’une e´glise et le groupe de fide`les qu’il contient ; le terme vient du latin parochia, issu d’un grec qualifiant une communaute´ e´trange`re, de passage : tels se conside´raient les premiers chre´tiens, « de passage » sur terre. Il existe quelques lieux-dits en Paroisse, dont Quatre-Paroisses a` Saint-Avit 47 ou VieilleParoisse a` Rochefort 17, et trois communes : Maizie`res-la-Grande-Paroisse 10, La Grande-Paroisse 77, Hye`vre-Paroisse 25 ; d’autres noms ont la forme paroche, dont Les Paroches 55 ; Parocchia est un lieu-dit de Brando en Corse. Cathe´drale s’applique, au moins a` l’origine, a` une e´glise sie`ge d’e´piscopat et vient de cathe`dre, la chaire, le sie`ge. L’IGN ne rele`ve que seize toponymes de la sorte, dont la Plaine de la Cathe´drale a` Aigue`ze 30. Encore plusieurs d’entre eux viennentils de simples images de rochers he´risse´s et d’aspect monumental comme les Cathe´drales a` Larrau 64 (aux Rochers d’Odihandia). La Cathe´drale a` Saint-Reme`ze 07 est un rocher pre`s de la grotte de la Madeleine dans les gorges de l’Arde`che ; il en est de meˆme a` Villar-d’Are`ne dans le massif de la Meije. Colle´giale s’applique a` une autre e´glise dote´e d’un colle`ge de chanoines, mais ne nomme pas directement des lieux ; toutefois, certains lieux-dits en Colle`ge ont pu en provenir – mais pas Colle´gien 77, ancien Curlogen (sans doute Cour, mais au de´terminant obscur), alte´re´ par attraction. Une chapelle est une petite e´glise annexe ; certains disent que le nom viendrait de la cape divise´e de saint Martin, mais l’ide´e d’abri par cap, la teˆte, semble suffire a` l’apparenter aux e´difices secondaires, comme les cabanes. Des centaines de lieux-dits se nomment ainsi, et plus de 200 communes, dont quatorze Lachapelle. S’y ajoutent dix Capelle, des Cappel, neuf Lacapelle, Kappelen 67 et Kappelkinger 57, Zegerscappel 59 (avec NP). Ces diverses formes se retrouvent dans maints lieux-dits avec des comple´ments varie´s tels que Vers la Chapelle, Darre´ la Chapelle (derrie`re, a` Ole´ac-Dessus 65), et quantite´ de Champ, Paˆture, Bois, Mas, Hameau, Mont, Suc, Truc, Creˆt, Ravin, Pont, Port et Porte de la Chapelle... L’un des traits distinctifs des e´glises est le clocher, qui appelle au rassemblement. Il existe plusieurs dizaines de toponymes le Clocher, dont le Clocher d’Enfer a` Courmelles 02 ; en tout, 374 lieux de Ge´oportail avec cloche ou clocher, plus quelques formes en Cloquer. Clairmarais 62 conserve la Ferme de la Cloquette (ou Clochette), d’origine cistercienne. On trouve aussi les Clochettes a` Gambais 78 ; un Morne Clochette est au Diamant (Martinique). Klocke Houck (le coin) et Klocke Put (le puits) sont en Flandre (Escquelbecq et Zegerscappel), Klockenzennen en Moselle (Gomelange). L’Alsace et la Moselle ont des Glockenweg, Glockenberg, Glockenfeld, meˆme des Glockenbrunnen (fontaines des cloches) a` Osthoffen 67 et Hochstatt 68. En Flandre le clocher, souvent se´pare´ de l’e´glise, est nomle´ klockhuis (maison des cloches). Le clocher des tourmentes est dans les Ce´vennes une petite construction munie d’une cloche agite´e par le vent, qui permet au voyageur e´gare´ de se repe´rer dans la tempeˆte. La cloche est campana en occitan, comme en italien et en espagnol, d’ou` le campanile comme clocher. Il existe un certain nombre de lieux en Campane, Campanile, Campanelle, mais les risques de confusion avec les de´rive´s de camp, champ sont e´leve´s.

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L’e´glise est parfois pre´ce´de´e ou entoure´e d’un parvis ou d’un enclos, e´galement nomme´ placitre en certaines re´gions ou` il sert de terrain communal et convivial. Quelques noms de lieux sont en Parvis, d’autres en Placitre ou Placıˆtre dans l’Ouest, voire le Placidre (La Suze-sur-Sarthe 72) ou le Placitray a` Saint-Hilaire-du-Harcoue¨t 50. Le presbyte`re, qui a pour sens a` l’origine « le lieu des preˆtres » a` partir d’un mot grec signifiant conseil des anciens, est pre´sent dans des dizaines de lieux-dits, dont plus de vingt dans le seul Calvados, parmi lesquels plusieurs le Vieux Presbyte`re ; ou encore seize dans la Mayenne, dont la Bouverie du Presbyte`re a` Saint-Le´ger – mais curieusement aucun en Vende´e... L’oratoire (de orare, prier) est un lieu de prie`re isole´ et a fourni une toponymie beaucoup plus riche, tre`s disperse´e, en diverses versions telles que l’Oratoire (plus de cent), Oradour, Auradou, Aurouer, Auroux, Loreux, Louroux, Lourdoueix et meˆme Lauradoueix a` Gouzon 23, Orrouy 60, Yrouerre 89 ainsi que, par ze´tacisme, bien des Ouzouer, Ozoir, et Auzouer-en-Touraine 37. Il existe aussi d’innombrables lieux-dits en Croix, mais nous avons vu que beaucoup d’entre eux de´signent des croisements, des carrefours ; meˆme si les carrefours ont souvent e´te´ choisis pour e´riger des croix, le doute n’est leve´ qu’en pre´sence de termes spe´cifiques, comme Croix Hosannie`re a` Moe¨ze 17. Croix ou croisement est devenu curutch en basque, comme a` Curutecheta et une trentaine de toponymes dont Curutchamendy a` UhartCize et Kurutchegagna a` Larrau (mont de la croix), Col Curutche a` Lecumberry, etc. Le terme d’autel a pu de´signer un lieu de culte annexe, fixant un toponyme. Il est re´pute´ venir du latin altare, de´signant jadis un lieu e´leve´ (racine alt) affecte´ aux sacrifices. Il en re´sulte qu’il peut se confondre avec d’autres de´signations de hauteurs ayant meˆme racine, ce qui entraıˆne des disputes entre linguistes. Ge´oportail enregistre une bonne cinquantaine de lieux en Autel, en ge´ne´ral avec comple´ment : la commune de Sainte-Marguerite-de-l’Autel 27, le Champ de l’Autel (Gre´me´villers 60), Vieil Autel (Parigne´ 35), Saut l’Autel (Saint-E´lie en Guyane), le Haut Autel (Estouches 91), le Dieu d’Autel (Chuffilly-Roche 08 et Neuflize 08), Puech de l’Autel (Murasson 12), etc. Moins lisibles mais atteste´es sont les formes Autheux, Authieux et les ce´le`bres Zoteux 62 ou Zoteux a` Acheux-en-Vimeu 80, issus d’une liaison incomprise et qui ont pu eˆtre « les Autels »... ou les z’Hauteurs, ou encore autre chose, y compris un NP ; le premier est sur une butte, mais le second dans un val dit Valle´e des Auteux, suivi en aval par le Fond des Auteux a` Miannay. Le toponyme Lautaret, discute´ aussi, semble davantage un haut qu’un autel, surtout en montagne. D’autres confusions ont pu se faire avec l’ide´e d’hoˆtel : Belhoˆtel 61 et Bre´aute´ 76 ont pu eˆtre des autels.

Abbayes et monaste`res Le clerge´ dit re´gulier, celui qui est soumis a` la re`gle monastique, par opposition au se´culier qui est « dans le sie`cle », a profonde´ment marque´ la toponymie rurale, parce qu’il a volontiers disperse´ ses e´tablissements hors des centres villageois, et qu’il a pris une grande place dans les de´frichements et ame´nagements fonciers au Moyen Aˆge.

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Le monaste`re (de monos, seul, solitaire, et en principe ferme´) a multiplie´ ses de´rive´s : si l’on trouve assez peu de lieux-dits le Monaste`re (dont toutefois une commune de l’Aveyron), sont innombrables les Montier, Montreuil, Montreux, Moutier, Moustoir, Moustey, Munster, Mone´tier, Monestier, Monestie`s, Mone´tay, Me´netou, Me´ne´toy, Moitiers, Me´ne´trol, Mene´treux (la Bas et le Haut, a` Millery 21), Me´nestreau, Me´nestrol, Moneste´rol, Menestruel, Me´ne´tru, Montrueux, Monste´roux, meˆme Mottereau ou Mitreux, Me´nestrugeas a` Montignac 24 ; et les compose´s en Hautmoitiers 50, Vimoutiers 61, Montie´ramey 10, Faremoutiers 77 (de sainte Fare), Fre´montiers 80 (du freˆne), Montivilliers 76, Semoutiers-Montsaon 52, Eymoutiers 87 et Eymouthiers 16, Puellemontier 52, Marmoutier 67 (de saint Mard) et l’originel Marmoutier (mar=majeur) a` Tours 37, Montierneuf a` Smarves 86 et SaintAgnant 17, Le Moutaret 38. L’e´lision fre´quente de la deuxie`me voyelle a multiplie´ les possibilite´s d’ambiguı¨te´ autour de « mont ». L’abbaye est en principe un grand monaste`re mais ouvert et, surtout, pourvu d’un chef, ou « pe`re abbe´ » ; le nom vient d’ailleurs de l’arame´en abh pe`re, passe´ en grec abbas puis en latin abba. Abbaye, qui semble avoir e´te´ introduit a` la fin du XI e sie`cle, est moins alte´re´ en toponymie que le monaste`re. Il participe a` plusieurs noms de communes comme Forest-l’Abbaye 80, Signy-l’Abbaye 08, Vabres-l’Abbaye 12. Il lui arrive toutefois d’eˆtre au pluriel comme a` Corve´es-les-Yys ou` sont les Abbayes, les Petites Abbayes et le Bois des Abbayes. Abbeville 80 est la principale commune de la se´rie. Toutefois, une forme Absie en de´rive aussi (L’Absie 79, l’Absie`re a` Nitry 89). La version me´ridionale est Abadie, tre`s commun en NP, avec Labat pour Labbe´. En principe, les toponymes lie´s sont moins nombreux que pour monaste`re, mais la puissance de certaines abbayes en a fait de grands proprie´taires pourvoyeurs de lieux-dits : les Bois (une cinquantaine), Pre´, Champ, Grange de l’Abbaye ou de l’Abbe´ sont fort nombreux. Ge´oportail rele`ve cinq Fief l’Abbe´, plusieurs Pie`ce de l’Abbaye, cinq Vieille-Abbaye. Vaupoisson 10 a les Pre´s l’Abbe´, Verneuil-surIndre 37 a un Rond de l’Abbaye, Roybon 38 un lieu-dit l’Abbaye juste a` coˆte´ de la Trappe, Buigny-Saint-Maclou 80 une Ferme et un Fond de Blanche-Abbaye. Le couvent vient de convent, compagnie, re´union ; il abrite une communaute´ religieuse ouverte comme l’abbaye. Les cartes notent des dizaines de le Couvent et quelques Pie`ce, Combe, Ferme, Mas, E´tang, Rue, Bois du Couvent. Marck 59 a un lieu-dit Couvent des Thorez qui jouxte le Pays Sauvage aux confins me´ridionaux de la commune. La re`gle monastique est elle-meˆme a` l’origine de NL comme La Re´ole 33, la Re`gle et le Bois de la Re`gle a` Be´celeuf 79, Larreule 64 et Larreule 65, la Reule a` Gragnague 31, Cazals 46, etc. La commanderie e´tait un domaine d’un ordre militaire religieux, templier ou hospitalier. Plusieurs dizaines de lieux-dits portent ce nom ; Ge´oportail recense une quinzaine de Bois de la Commanderie ainsi que divers Pre´, Clos, Ferme, Pie`ce, Plaine, Fond, etc. ; Lacommande 64 tire son nom d’un hoˆpital du XII e sie`cle devenu commanderie d’Aubertin, puis Commande ; plus explicite, la Commanderie des Templiers est a` Roaix 84. Enfin l’on peut rappeler l’abondance des Ermitage ou Hermitage, a` l’origine habitat d’un ermite, mais devenus ensuite e´ventuellement de simples maisons de campagne, ou grossis a` la taille de hameaux et de villages :

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L’Hermitage 35, L’Hermitage-Lorge 22, Les Hermites 37 – et de la celle, au sens de cellule, ancien nom d’ermitage qui a e´te´ tre`s productif en lieux-dits et noms de communes. Le prieure´ est un monaste`re, en ge´ne´ral de´pendant d’une abbaye et dirige´ par un prieur. Les deux termes fournissent de nombreuses occurrences de lieux-dits, seuls ou avec comple´ments : des dizaines de Bois Prieur ou Bois du Prieur, quatre Fief Prieur, du Prieur ou du Prieure´, des Iˆle, Pre´, Ferme, etc. S’y ajoutent une vingtaine de Priorat ou Priouret dans le Midi et deux Priody en Bretagne, a` Bodilis 29 et a` Bieuzy 56. En Bretagne, le lan a toujours e´te´ conside´re´ comme indiquant un lieu saint, soit e´glise soit petit monaste`re, et a souvent e´te´ a` l’origine d’un hameau, jusqu’a` se confondre avec ce dernier. Lanne´dern 29 est le lieu sacre´ de saint Edern, comme Landerneau 29. Landivisiau 29 et Lanildut 29 portent des noms de saints. Lanmeur est un grand « lan », Langoat celui des bois, Lannevez un nouveau et Langoz un vieux, Langroas ou Langroez celui de la croix ou du croisement. Le proble`me est que lan, lann est aussi la lande, ce qui rend la de´cision difficile en l’absence de document : Lannilis 29 est plus probablement l’e´glise de la lande que celle d’un lan... La Bretagne a e´galement employe´ minihy au sens de « lieu (ou terre) des moines », conside´re´ comme refuge, terre d’asile : ainsi de Minihy-Tre´guier 22, Le Minihic-sur-Rance 35, une quinzaine le Minihy dont deux Gorre´ Minihy (haut) et quelques Minihi. E´le´ment caracte´ristique des baˆtiments monastiques, le cloıˆtre figure abondamment parmi les lieux-dits sous les formes Cloıˆtre, Clastre, Claustre et quelquefois au pluriel : Ge´oportail rele`ve plusieurs dizaines de Clastre, la Clastre, les Clastres, plus des Bois de la Clastre. Toutefois, l’e´tymologie meˆme du nom le rend e´quivalent d’un enclos, et certains de ces toponymes ont pu correspondre a` d’autres formes d’enclos. Les moines ont leur place, et bien assise, dans la toponymie courante. Ils sont meˆme e´voque´s par quatre noms diffe´rents. Moine est tre`s pre´sent seul ou avec des comple´ments comme dans la Ville aux Moines, la Pie`ce aux Moines, l’E´tang aux Moines, la Vigne aux Moines, des Noue, Faye, Fosse, Passe, Val ou Valle´e aux Moines, meˆme des Fief aux Moines ; huit Iˆle aux Moines, quatre Moulin des (ou aux) Moines. Dans la plupart des cas, le pluriel s’est impose´, mais le Moine au singulier existe en dizaines d’exemplaires. Deux versions me´ridionales sont Monge et Mourgue, e´galement au pluriel et avec des comple´ments semblables, plus des Mas des Mourgues, Puech des Mourgues, etc. En Bretagne se voient quelques Manac’h de meˆme sens, avec des Coat Manac’h (bois), Me´zou Manac’h (champ, a` Garlan 29), Ty ar Manac’h (maison, a` Brasparts 29), Beg ar Manac’h (pointe, a` Landunvez 29), etc. Monial comme adjectif a fourni Paray-le-Monial 71, Pouilly-le-Monial 69, SaintAubin-le-Monial 03. Les religieuses ont pu eˆtre nomme´es moniales, mais le terme ne semble pas avoir e´te´ repris en toponymie. Celui de Religieuses a e´te´ releve´ une bonne trentaine de fois par Ge´oportail, seul ou avec des comple´ments en Pre´, Mont, Rond, Pont des Religieuses, la Mare des Religieuses a` Flancourt-Catelon 27. Le mot Dames a e´galement de´signe´ les religieuses. C’est a` elles que font re´fe´rence Vanault-lesDames 51, Belval-Bois-des-Dames 08, Couilly-Pont-aux-Dames 77 ou La Ville-

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aux-Dames 37, de nombreux les Dames, Bois aux Dames, quelques Parc aux Dames ou des Dames, des Val, Pre´, Lac, Font, Pont des ou aux Dames. Demoiselle, en revanche, e´voque bien plus souvent les fe´es en toponymie. Nonne, qui vient d’une ancienne racine nana e´voquant en langage enfantin une personne nourricie`re autre que la me`re (comme la nounou ; le m est associe´ au maternel, le n au nourricier, en franc¸ais, anglais, allemand...) a servi aussi : il existe des dizaines de lieux-dits les Nonnes, les Nonnains, les Nonains dont la commune de Gy-les-Nonains 45, avec des Fontaine, Carrefour, Val, Pre´, Bois, Fosse, Fond, Val, E´tang des Nonnes, les Petites Nonnes (Ablis 79) ; et quelques Nonnettes, dont les Belles Nonnettes a` Villers-sur-Authie 80 et le double diminutif les Petites Nonnettes a` Onerville 76. L’Anou, a` Fouesnant 29, a le meˆme sens. On trouve aussi quelques Mourguettes et de plus rares Mongettes dont les Trois Mongettes a` Saint-Andre´-deRoquelaure 11 – mais mongette est aussi le haricot sec dans le Midi. Fre`res et sœurs, employe´s comme e´quivalents de moines et moniales, ont aussi laisse´ des traces sous la forme de Bois, Combe, Val, Pre´, Marais des Fre`res ou des Sœurs : mais seules des recherches sur les anciennes proprie´te´s permettraient de faire la diffe´rence avec des fratries ordinaires et civiles. Un E´tang des Fre`res Tondus a` Rosnay 36 peut faire penser a` des religieux. Bien entendu, les diverses et tre`s nombreuses de´nominations d’ordres religieux sont entre´es en toponymie : on ne manque pas de lieux-dits en Re´collets, Clarisses, Capucins, Minimes ou Chartreux, ainsi que de mentions des Hospitaliers et des Templiers. Ces derniers avaient importe´ de Je´rusalem le nom de Montjoie (actuel mont Rama), qui a e´te´ attribue´, sous une forme fe´minine (la montjoie), a` des monceaux de pierres, parfois surmonte´s d’une croix, qu’on e´levait au bord des chemins pour rappeler une victoire, un e´ve´nement me´morable. Ces Montjoie sont particulie`rement nombreux dans les Pyre´ne´es, mais se dispersent dans tout le pays ; deux Montjoi sont des communes de l’Aude et du Tarn-et-Garonne. Toute ambiguı¨te´ n’est pas exclue : certains peuvent avoir e´te´ Mons Jovis (mont de Jupiter), et d’autres de simples tas de pierres de repe´rage en montagne (cairns).

Ceux du clerge´ Le menu peuple du clerge´ est pre´sent aussi en toponymie, au moins par d’anciennes possessions, attributions ou fre´quentations. Clerc est une mention ge´ne´rique, qui certes peut cacher un NP mais se trouve abondamment dans des Bois, Val, Valle´e, Mare, Lieu aux Clercs, ou dans le ce´le`bre Pre´ aux Clercs qui e´tait proche de SaintGermain-des-Pre´s a` Paris, l’Hoˆtel aux Clercs a` La Meaugon 22, des Trou aux Clercs (Chitenay 41), Bosquet aux Clercs (Saint-Le´ger-en-Bray 60). Il apparaıˆt parfois aussi, mais plus rarement, au singulier et sous la forme Clercq, ainsi que Clergue dans le Midi : Mas des Clergues a` Octon et a` Saint-Privat 34, Deve`s des Clergues a` Roqueredonde 34, etc. Preˆtre (grec presbyter, l’ancien) apparaıˆt presque autant avec Bois, Mare, Pont du ou au Preˆtre, et parfois au pluriel comme le gouffre de la Combe aux Preˆtres a` Francheville 21 ; Vierville-sur-Mer 14 a meˆme un Hamel au Preˆtre (hameau) pre`s du village, Bar-sur-Seine 10 un Val au Preˆtre bien plus isole´.

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Le cure´ est charge´ d’une cure, e´tymologiquement du « soin » des aˆmes ; la forme occitane est curat. Il existe des dizaines de Bois du Cure´, de Pre´ ou Prat du Cure´, quelques Pie`ce ou Fontaine du Cure´ ou de la Cure, une douzaine de Fief ou Fieffe du Cure´ ou de la Cure, et ici ou la` un Plo del Curat (Mosset 66), une Source du Pre´ de la Cure (Bassou 89), une Fontaine du Champ du Cure´ (Nibles 04), mais aucun Jardin de Cure´, du moins sur les cartes IGN. Celles-ci ne signalent pas de Diacre (serviteur en grec) mais quelques Diacrie dans l’Ouest, et un Pont de l’Archidiacre (Venterol 05), un Bois de l’Archidiacre (Noyers-Auze´court 55), une Archidiacrerie a` Celle´ 41. L’Alsace a pour e´quivalent de cure´ Pfaff (de papas, le pe`re, comme le pape... et l’abbe´) et divers toponymes en Pfaffenmatt (pre´), Pfaffenbronn (fontaine) ou Pfaffenberg (mont) plus les communes de Pfaffenheim et Pfaffenhoffen – toutefois, certains Pfaff pourraient re´sulter par attraction de la de´formation d’un vieux radical hydronymique wab devenu faf (M. Urban)... L’e´veˆque (grec episcopos, surveillant...) et son e´veˆche´ e´taient e´videmment de plus grands proprie´taires que le cure´ et ont bien davantage marque´ la toponymie, notamment celle des petites villes et des gros villages. Il est d’ailleurs assez fre´quemment arrive´ qu’un meˆme toponyme fuˆt partage´ entre e´veˆque et seigneur, ou e´veˆque et roi, pour en diffe´rencier les deux domaines : ainsi de Fresnay-l’E´veˆque et Fresnay-leComte pre`s de Chartres, ou Lucenay-l’E´veˆque et Lucenay-le-Duc en Bourgogne. Nombre de communes ont une re´fe´rence e´piscopale, comme Gy-l’E´veˆque 89, Puyl’E´veˆque 46, Saint-Dizier-l’E´veˆque 90, Le Plessis-l’E´veˆque 77, Cour-l’E´veˆque 52, Mont-l’E´veˆque 60, Pont-l’E´veˆque 14 et 60 et Pont-E´veˆque 38, et les Bailleau 28, Illiers 27, Neuilly 52, Thun 59, Savigne´ 72, Heiltz 51, Issy 71, Yvre´ 72, Parigne´ 72, La Bastide 12, Beauregard 63, qui tous ont ajoute´ -l’E´veˆque a` leur nom, ou l’ont repris apre`s les changements de la Re´volution. Les comple´ments abondent dans les lieux-dits en rapport avec d’anciennes possessions : avec les Bois l’E´veˆque ou de l’E´veˆque, sont des Moulin, Grange, meˆme Chaˆteau dont Chaˆteau-l’E´veˆque 24 ; la Ville-l’E´veˆque est un gros hameau de Berche` res-sur-Vesgre 28. On voit meˆme la Cabane l’E´veˆque a` Saint-Jean-deLiversay 17, le Gour de l’E´veˆque a` Sainte-Anastasie 30. Quimperle´ a la Chaise de l’E´veˆque au bord de la Laı¨ta en bordure sud de la ville, la Chaire de l’E´veˆque plus loin en aval ; mais il s’agit la` de me´taphores ge´omorphologiques, comme le Bonnet de l’E´veˆque a` Pellafol (Ise`re) a` 2 663 m, sous la Grande Teˆte de l’Obiou en Trie`ves, ou un Chapeau de l’E´veˆque au Glaizil 05, dominant la valle´e du Drac. Le terme a pu prendre des formes locales : ainsi des Vecqueville 52 et Vacqueville 54 dans l’Est, de Vescovato en Corse, de Bescat en Be´arn. Le Midi a quelques Besc et une trentaine de Labesque, ou encore Labescau 33. Ennevelin 59 a un Chaˆteau de Biscopp. En Alsace, l’e´quivalent est Bischoff et six communes commenc¸ant par Bisch ont cette origine : Bischholtz (bois), Bischofsheim, Bischheim, Bischtroff, Bischwihr, Bischwiller dont les finales se re´fe`rent toutes a` une forme de village. Le nom devient eskob en Bretagne, comme a` Stank en Eskob a` Guern 56 (l’e´tang de l’e´veˆque). Plescop 56 e´tait le plou de l’e´veˆque : celui de Vannes y avait une re´sidence. L’archeveˆque a aussi sa place dans les communes de Villeneuve-l’Archeveˆque 89 ou Fresne-l’Archeveˆque 27, quelques lieux-dits l’Archeveˆche´, des Bois, Clos, E´tang, Moulin de l’Archeveˆque. On peut encore citer l’Archeveˆquerie a` Champrepus 50, les

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Bruye`res l’Archeveˆque a` Ivoy-le-Pre´ 18 et un Ravin du Crot a` l’Archeveˆque aux Sie`ges 89 ; Paris conserve un Pont de l’Archeveˆche´. Les chanoines se´culiers ou re´guliers (de canon, la re`gle) et le chapitre (un autre de´rive´ de cap, teˆte) qu’ils composent ont e´galement pu eˆtre des proprie´taires, qui ont laisse´ des traces toponymiques. On rouve d’assez nombreux Bois du Chapitre ou des Chanoines, plusieurs Terre, Ferme, Pie`ce, Fond, un la Mettrie au Chanoine a` Saint-Malo 35 (= me´tairie), un Fief aux Chanoines a` Place´ 53 et a` AutheuilAuthouillet 27 et deux Fief du Chapitre en Charente-Maritime (The´zac et SaintCre´pin), la commune de Brixey-aux-Chanoines 55, quatre la Chanoinerie. Dans le Midi, le nom devient Canonge et fournit une vingtaine de lieux les Canonges, ou Canourgue (une quinzaine d’occurrences) dont la commune de La Canourgue 48. D’autres noms comme marguillier, sacristain, bedeau apparaissent en quelques exemplaires, la Sacristie sept fois sur Ge´oportail, plus un E´tang de la Sacristie a` Me´obecq 36. Une dizaine de lieux se nomment la Correrie : le corrier e´tait charge´ de l’administration d’un couvent. Les convers, ou fre`res lais, qui travaillaient dans les monaste`res aux taˆches manuelles, ont laisse´ plus de cinquante lieux-dits les Convers (ou les Converts) et des Bois, Valle´e, Noue, un Moulin des Converts a` Antilly 71, meˆme quelques Converses. Faisons enfin un sort au pe`lerin et aux pe`lerinages : le mot, qui s’est dit aussi pe´re´grin, indiquait en latin un voyageur, quelqu’un de l’e´tranger ou qui va a` l’e´tranger, et a` l’origine qui va per ager, a` travers champs, on dirait mieux « par monts et par vaux ». Plusieurs dizaines de NL sont le Pe`lerin ou Pellerin, Pe´re´grin, Pe´re´gue`re, e´ventuellement a` partir d’un NP ; le Pe´re´grinage est a` Camps-la-Source 83. D’autres, comme La Romieu 32 ou Font-Romeu 66, e´voquent le « romain », roumieu en occitan, celui qui va a` Rome.

Tre´sors d’e´glise Certains tre´sors d’e´glise ont laisse´ des traces toponymiques, surtout sous la forme de reliques, e´voque´es dans cinq ou six lieux-dits les Reliques, deux Fontaine des ou aux Reliques (Le Perchay 95, Saint-Ge´rand 56) et meˆme un Moulin des Reliques a` Commequiers 85. On trouve la Vraie Croix a` Cre´mieu 38 et, bien entendu, un fort grand nombre de Sainte-Croix. L’E´pine (Marne) se nommait Melette (du ne´flier) et a e´te´ rebaptise´e au XVe sie`cle a` la faveur de l’e´dification d’une basilique cense´e abriter une e´pine de la couronne du Christ. Saint-Jean-de-Muzols 07 a un quartier et un ravin au nom de la Sainte-E´pine. Il existe deux autres L’E´pine en Vende´e et HautesAlpes, mais qui peuvent avoir une autre origine. Montboudif 15 aurait e´te´ un « mont votif ». Le nom de Saint-Jean-du-Doigt vient d’une relique suppose´e d’un fragment de doigt de saint Jean Baptiste, parvenue au XV e sie`cle a` Saint-Jean-du-Traon, qui a change´ de nom au milieu du XVIIe. Outre les dons et legs, et le prix des services religieux, l’e´glise avait pour principale ressource le fruit de la dıˆme, impoˆt d’en principe un dixie`me des re´coltes, qui lui e´tait re´serve´. Souvent mal supporte´e, la dıˆme s’est grave´e dans les me´moires et les noms de

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lieux. Elle e´tait d’ailleurs devenue tre`s complexe, prolonge´e de charnages sur le croıˆt des troupeaux, de la dıˆme novale sur les de´frichements, d’une dıˆme verte sur le lin, le chanvre, les le´gumes. Les noms en la Dıˆme sont plusieurs dizaines ; on voit c¸a` et la` une Dıˆme du Saint (Me´zie`res-la-Grande-Paroisse 10), une Dıˆme le Preˆtre (SaintE´tienne-a`-Arnes 08), les Menues Dıˆmes a` Avrolles 89 mais la Grande Dıˆme a` Vouziers 08, le Saut des Dıˆmes a` Saint-Just-pre`s-Brioude 43, quatre Grange de Dıˆme a` Portbail 50, Boulleville 27, Sance´ 71, Soumont-Saint-Quentin 14, deux Grange Dıˆmie`re a` Heurteauville 76 et Le Pin 38, le Sol de la Dıˆme a` Caniac-duCausse 46. Secondigne´-sur-Belle 79 a les Charnages, Chens-sur-Le´man 73 un Charnage. La dıˆme a fourni aussi une dizaine de Dıˆmage, et meˆme un Chemin Entre Deux Dıˆmages a` la limite de Bouvines et de Cysoing 59. L’orthographe est parfois dixme, comme dans la Petite Dixme a` Barc 27, les Terres a` Dixme a` Houssay 41, la Dixmerie a` Triaize 85, le Chaˆteau de la Dixmerie au Loroux-Bottereau 44, la Grange Dixmeresse a` E´pouville 76. Dans certaines re´gions le terme peut eˆtre deume, et deyme dans le Midi comme a` Deyme 31, avec plusieurs le Sol del Deyme ou le Sol de Dyme en Quercy et Pe´rigord. Part-Dieu est une forme euphe´mise´e de la dıˆme ; outre le ce´le`bre quartier de Lyon, il se trouve a` Chatuzange-le-Goubet 26. L’aumoˆne a eu plusieurs sens, dont celui que rappelle l’excellent site de l’e´cole publique de Cahuzac-sur-Adour 32 : « terres qui rele`vent en franche aumoˆne, terres et rentes donne´es a` l’E´glise par le roi ou par quelque seigneur, sans autre obligation que de reconnaıˆtre qu’on les tenait de celui qui les avait donne´es. » Il existe plusieurs dizaines d’Aumoˆne dont certaines ont pu avoir ce sens, avec onze lieux-dits pour le seul Calvados, huit en Eure-et-Loir dont deux Bois et deux Pie`ces de l’Aumoˆne. En sens inverse, l’aumoˆnerie distribuait des secours ; e´galement plusieurs dizaines, de lieux-dits en portent le nom, dont une quinzaine dans les deux Charentes. Les pre´bendes e´taient des revenus de biens posse´de´s par des chanoines. Le terme est de meˆme origine que provende ; il en existe des dizaines, au singulier comme au pluriel. Les Pre´bendes d’Oe´ ont e´te´ a` l’origine d’un quartier bourgeois du centre de Tours construit hors les boulevards au XIX e sie`cle. Les Pre´bendes du Bois de Plante sont dans la partie me´ridionale de Saint-Pierre-des-Corps 37. Saint-Romain-lePuy 42 a les Grandes Pre´bendes, Beaulieu-sur-Loire 45 la Pre´benderie, Enguinegatte 62 la Pre´bende. La Pre´vende a` Castelnau-d’Auzan 32 avait sans doute le meˆme sens. Quelques noms de lieux e´voquent le Be´ne´fice, voire Els Beneficis (Bouleterne`re 66), qui a eu le sens de bien d’E´glise ; mais le Petit Be´ne´fice a` Gue´ret 23 ou a` Villeme´jean 49 est probablement plus re´cent, et peut-eˆtre ironique.

Male´fices et sortile`ges La croyance a` des eˆtres male´fiques ou e´tranges est de tous les temps et a e´te´ partiellement re´cupe´re´e par le christianisme a` la suite des religions d’Orient. Toutes sortes de noms e´voquent ces croyances. Ils sont particulie`rement attache´s a` des lieux difficiles, sombres, ou` l’on peut se sentir menace´, en difficulte´ : gorges, de´file´s, foreˆts profondes, traverse´es dangereuses. Ils peuvent aussi e´voquer la surprise devant des

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re´alisations anciennes et oublie´es, comme des ponts audacieux ou des sentiers vertigineux, des formes e´tranges comme les chemine´es des fe´es couronne´es d’un bloc, ou les lourdes pierres leve´es et couche´es des me´galithes, voire des trous aussi myste´rieux que profonds. C’est e´videmment surtout au diable que l’on attribue l’origine ou la fre´quentation de ces sites. Les Pont du Diable sont un peu partout, mais de pre´fe´rence dans les contre´es accidente´es du Midi. Fort pittoresque, le vieux Pont du Diable a` la limite de Saint-Guilhem-le-De´sert et Aniane, jete´ vers 1025 sur l’He´rault, y domine les marmites de ge´ant sculpte´es dans le calcaire du cirque dit de l’Infernet, ou du Bout du Monde, sous des rochers a` pic ; un tre`s ancien escalier, dit L’Escaliou ou Fenestrelles, y a e´te´ ame´nage´ par les moines. On ne trouve qu’un ou deux Pont du Diable dans des re´gions comme le Centre ou la Bourgogne, un Pont au Diable a` BrieComte-Robert 77 sur l’Yerres a` la limite de Combs-la-Ville mais aucun en Picardie, Champagne ou Haute-Normandie, qui ont toutefois nombre de lieux a` diable ; et un Pont des Douze Diables est aux Moe¨res 59. Les Murailles du Diable, Creˆte du Diable et Coˆte du Diable ne manquent pas. Un Piton Diable est a` La Possession (Re´union). Les Trou du Diable sont bien plus nombreux encore, sept dans les Ardennes dont un Ravin et une Fontaine du Trou du Diable ; s’y ajoutent une vingtaine de Fosse a`, au ou du Diable et trois Grotte du Diable, deux dans les Alpes et une a` Fervaches 50. Rare´court 55 a une Gorge du Diable, Vieu 01 un Gouffre du Diable et Cosnac 19 un Gour du Diable. Trois Griffe du Diable sont des accidents pre`s du Piton de la Fournaise a` Sainte-Rose (Re´union), sous le Grand Colombier a` Lochieu 01 et dans les rochers d’Uchon 71. Sauvian 34 a un Casse-Diables. Un difficile Chemin du Diable se dessine a` Allemond 38 dans les rochers du Belledonne aux Sept-Laux. Un Saut du Diable est a` Guerchy 89, mais la Guyane est plus pittoresque avec deux Saut Diable (Camopi et Saint-Georges), un Saut Pisse Diable et un Saut Diable Caca a` Saint-Georges aussi, sur la Crique Noussiri, affluent de l’Oyapok. Le Diable a son Palais et sa Chaise a` Sainte-Gemmes-le-Robert 53, son Fauteuil a` Rennes-les-Bains 11, sa Porte a` Saint-Julien-en-Vercors 26, a` la fois sa Roche et son Champ a` Aubure 68, sa Forge a` Bourdeilles 24 et un Œil a` Lannepax 32, mais c’est une re´surgence, proche du Trou du Diable qui est une perte en amont. Une Route du Diable traverse la foreˆt d’Halatte a` Pont-Sainte-Maxence 60, un Chemin du Diable a` Aigrefeuille d’Aunis 17. Varize 28, Rexpoe¨de 59 et Cormainville 28 affichent un Cimetie`re du Diable, tous trois en limite de finage. En Corse, un Pont du Diavule est mentionne´ a` San-Gavino-di-Tenda, dans les solitudes du De´sert des Agriates. La Bretagne emploie diaoul, avec par exemple un Pont an Diaoul a` Guidel et un Roc’h an Diaoul a` Hanvec. Une bonne vingtaine de toponymes en Teufel sont releve´s en Alsace et Moselle, parmi lesquels des Teufelsort (lieu du diable), Teufelsberg (mont), Teufelsloch (trou) et d’ine´vitables Teufelsbruck (pont). Une Mare au Diable a e´te´ rendue ce´le`bre par George Sand, celle de Mers-surIndre 36 ; il en est d’autres a` Rampillon 77, Frampas 52. Ge´oportail a note´ plusieurs Bois Diable ou du Diable dont un a` Kourou (Guyane), six Iˆle du Diable outre celle de Cayenne, la plus ce´le`bre ; et cinq Chaˆteau du ou a` Diable, ce qui en Quercy fut synonyme de Chaˆteau des Anglais... Deux Tour du Diable a` La Clayette 71 et

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Livron-sur-Droˆme 26 ne sont que des restes de fortifications. Saint-Se´bastien-deRaids 50 va jusqu’a` Mille Diables en fond de valle´e de la Taute. Il existe aussi une bonne trentaine de Roc, Roche, Rocher ou Dent du Diable, soit comme pics en montagne, soit comme me´galithes. On peut lire aussi les formes la Diablerie (sept occurrences sur Ge´oportail), et plusieurs Diablesses dont une Combe Diablesse a` La Soˆne 38, une Grande Diablesse a` Houx 28, ainsi qu’en Martinique un Morne la Diablesse a` Sainte-Anne et le Trou de la Diablesse a` Grand’Rivie`re. Un Diable Vert est au Poe¨t-Laval 26 dans un vallon un peu isole´ ; on connaıˆt mal l’origine de l’expression « au diable vauvert » pour indiquer un trou perdu ; sans rapport avec le Vauvert gardois, elle pourrait venir d’un Vauvert du sud de Paris pre`s de l’Enfer, lieu jadis mal fame´ hors les murs (devenu Denfert-Rochereau). Diable vient d’un IE gwele, jeter, dont viennent le radical bole et donc les symboles, paraboles et hyperboles, la balistique et meˆme... les proble`mes ; dia-ballum de´signe « celui qui se met en travers ». Teufel, l’e´quivalent allemand, a la meˆme origine. Mais le diable a eu d’autres noms. Il est e´galement de´signe´ par drac, de meˆme racine que le mythique dragon ; l’origine en serait l’IE derk, voir, associe´ a` la peur du « mauvais œil ». Aussi le terme s’applique-t-il plus particulie`rement a` des trous et sources : Gour du Drac a` Ge´ne´rargues 30, Fontaine du Drac a` Launac 31, Font du Drac a` Nonards 19, Abıˆme et E´mergence du Drac a` la limite de Montpeyroux et SaintJean-de-Fos 34 pour une perte de rivie`re et la re´surgence voisine. Mais le Drac comme cours d’eau, meˆme torrentueux, et les NL qui lui sont associe´s en HautesAlpes et Ise`re, ont pour origine une racine hydronymique tout autre, tre`s ancienne et largement re´pandue. Plusieurs dizaines de toponymes portent le nom de Dragon, qui a toutefois pu eˆtre un NP ; Mondragon 84 (anc. Mons Draconi) est devenu ce´le`bre par un barrage sur le Rhoˆne. Cabrerets 46 a une E´mergence de la Dragonnie`re sous un Chaˆteau du Diable. L’Alsace a une commune nomme´e Drachenbronn-Birlenbach (source du diable, plus ruisseau des collines) ; elle y ajoute Drachenbruennel (fontaine, a` Geudertheim), Drachenberg (mont, a` Seebach), Drachenfels (rocher, Vieux-Thann). En Corse le dragon a donne´ des lieux-dits en Dragone (a` Arbori et Coti-Chiavari), Tracone, Travone, ainsi que Travi, Travo, Travolo et Stragonato (J. Chiorboli). Souvent il s’agit de lieux forts, qui se voulaient menac¸ants. D’autres appellations du diable ont leurs traces. Lucifer est « celui qui porte la lumie`re », en grec Phosphoros – et ainsi de´range les cultes. Ge´oportail note six Lucifer, dont un Saut Lucifer a` Saint-E´lie et un Massif de Lucifer a` Saint-Laurentdu-Maroni en Guyane. Satan est la version d’origine he´braı¨que du diable ; on connaıˆt un Satanas a` la limite de Sauveterre-de-Guyenne 33, Vau Satan dans les bois de Fleury-la-Valle´e 89, la Combe de Satan a` Vergt-de-Biron 24 tout pre`s d’un Waterloo, et la Satanerie existait a` Flottemanville-Hague 50 bien avant les installations nucle´aires... De´mon est « celui qui divise » (IE daˆ, comme le de´miurge, et le demos grec, dont on sait que viennent la de´mocratie et l’e´pide´mie...). Le De´mon est pre´sent a` Carcassonne, Loye-sur-Arnon 18, Varennes 86, dans une Come De´mon a` Bussy-le-Grand 21 et

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aux Champs De´mon a` Sougy 45. Rappelons l’abondance des lieux en Enfer et Infernet, souvent d’acce`s difficile, mais qui ne sont pas tous diaboliques, car ces noms de´signent surtout ce qui est en infe´rieur, en contrebas, dont des valle´es profondes. Notons aussi que Sabbat a pu e´voquer quelque diablerie : on le trouve associe´ a` des me´galithes ou des rochers (Pierres du Sabbat a` Grandfontaine 67, Roches du Sabbat a` Bussang 88), un vallon en foreˆt (Fond du Sabbat a` Touffreville 27), des rapides (Saut Sabbat a` Maria en Guyane).

Les petits eˆtres des bois Les fe´es sont le fruit de repre´sentations plus ambigue¨s, parfois tre`s positives dans les contes. En toponymie, elles apparaissent souvent comme e´quivalent de diable, dans des sites difficiles, ou e´tranges, incompris, « inhumains » ou « surnaturels » en somme. Mais elles ont rec¸u plusieurs expressions. Demoiselle en est une : la Grotte des Demoiselles de Saint-Bauzille-de-Putois 34 a aussi pour nom local Bauma de la Fadas, litte´ralement Grotte des Fe´es ; les Demoiselles Coiffe´es de Chaˆteau-VilleVieille 05 ont des profils si e´tranges qu’elles ont e´voque´ des fe´es. Enchante´e, encantada en occitan et catalan, a le meˆme sens : Freychenet 09 a une Grotte des Encantadas, Canaveilles 66 un Roc et un Co`rrec (cour) de las Encantadas, Lorgues 83 l’Encatadou, Troye-d’Arie`ge 09 un Trou des Enchante´es, Cazalrenoux 11 une Combe et une Serre des Enchante´es ; Condac 16 a le Moulin Enchante´, Fleurysur-Orne l’Iˆle Enchante´e – mais le Village Enchante´ de Bellefontaine 50 n’est qu’un parc d’attraction re´cent. En Berry et Limousin on e´voque des martes, parfois de´forme´es en martre, marse et meˆme Marthe ; le terme serait en rapport avec martyr et martroi, signalant des de´funtes damne´es et errant dans la campagne. Le chaos de rochers naturel des Pierres Jaumaˆtres (Toulx-Sainte-Croix 23) fut jadis nomme´ Pierres aux Martes. Les Martes est un lieu-dit de Villiers a` Saint-Jean-de-Sauves 86, un Bois des Martes est a` Fontenille 16 ; Cornusse 18 a les Marthes, Bordeaux-en-Gaˆtinais 45 la Marthe (D. Jeanson). Mais le toponyme preˆte a` de nombreuses confusions. Il en est d’ailleurs de meˆme pour les Fe´es. Leur nom vient de Fata, les Parques des Romains, de fatum, destin, comme le sort en anglais (fate), « ce qui est dit », a` partir de l’IE bha dont viennent aussi fameux et prophe`te. Les toponymes correspondants abondent, sous les formes la Fe´e ou les Fe´es, et des Bois, Pre´ de la ou des Fe´es, une vingtaine de Roche des Fe´es ou Roche aux Fe´es, une quinzaine de Fontaine des ou aux Fe´es, des Gorge et surtout des Grotte aux ou des Fe´es. Chemine´e de fe´es est devenu un nom commun pour de´signer ces hauts-reliefs ruiniformes couronne´s d’un gros bloc de pierre ; l’IGN a retenu un Chemine´es des Fe´es a` Montgellafrey 73, mais bien d’autres sont cite´s dans les guides, avec pour e´quivalent Demoiselles Coiffe´es. Fe´e a pris la forme fade en occitan, comme au viaduc des Fades et pour la Petite Fadette de George Sand. Une Combe Fade a` Gre´alou 46, des Pierre Fade a` Gentioux-Pigerolles, Blessac et Auriat 23, la Peyre Fade a` Lamaze`re-Basse 19 ou le Prat de la Fade a` Paulhac-en-Margeride 48 ont sans doute le sens de fe´e.

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Toutefois, le mot fe´e a deux forts concurents toponymiques avec le heˆtre (fay) et la brebis (fe´ dans les Alpes). Sans doute pourra-t-on admettre la Roche des Fe´es dans la valle´e encaisse´e de la Fare a` Vende´mian 34, qui a aussi un Mas des Demoiselles ; ainsi que la plupart des Fe´es lie´es a` des me´galithes, voire la Pierre Femme a` Champagnat 23. Mais plusieurs spe´cialistes (Besset et Gemi, Tuaillon) estiment que la Grotte des Fe´es d’Aillon-le-Jeune doit son nom aux brebis, comme de nombreux lieux-dits semblables de Savoie et Dauphine´, « enchante´s » a posteriori a` partir des noms d’arbres ou d’animaux. H. Suter, pour sa part, relie bien a` des fe´es le Chaˆteau des Fe´es de Massongy 74, correspondant a` un ancien camp romain en foreˆt. Les petits personnages des contes pour enfants ont aussi droit de cite´. Apparente´s aux fe´es au moins par l’e´tymologie, les fadets sont pre´sents dans l’Ouest ou` sont par exemple une Halte des Fadets a` Persac 86, les Fadets a` Corme-E´cluse et a` SaintAndre´-de-Lidon 17, a` Selommes 41, les Touches Fadet a` Broons 22. Les farfadets ont notamment un Ravin des Farfades a` Me´olans-Revel 04 et une Pierre des Farfadets au Poire´-sur-Vie 85. Les lutins ont leur Pierre aux Lutins (Villamblain 45) et le Pont des Lutins a` Gourin 56, une Source des Lutineaux a` Saint-Jouin-deMarnes 79 et plusieurs Lutinie`re, un E´tang et une Grotte des Lutins a` Auzay 85 et a` Fontanil-Cornillon 37. Le terme a beaucoup varie´ et peut eˆtre a` l’origine de Ludie`res en Pe´rigord et en Auvergne, de certains Lubin ou Lupin. Ge´oportail recense quelques gobelins parmi lesquels, outre le site parisien bien connu, une Saussaie (saulaie) des Gobelins a` Vigneux-sur-Seine 91 et une Fontaine a` Guyancourt 78. En revanche, les elfes n’y apparaissent gue`re qu’en Sologne, au Bois des Elfes de Me´nestreau-en-Villette 45. Les korrigans (du breton korri, nain) ont six mentions en Bretagne, dont une Grotte des Korrigans au Pouliguen 44, un Bois a` Plugullan 29, un Moulin a` La Chapelle-Neuve 56. D’autres lieux-dits e´voquent des noms ine´galement familiers. On y trouve par exemple une bonne dizaine de matagots surtout en France me´ridionale, dont une Iˆle du Matagot a` Beaucaire 30, un Moulin a` Pionnat 23 ; le nom (tue-Goth) est interpre´te´ comme s’apliquant a` des eˆtres malfaisants, Goth e´tant devenu dans ces re´gions synonyme de bon chre´tien... Quelques servans (eˆtres des foreˆts, du latin silva) apparaissent en Savoie et Lyonnais dont une Servannie`re a` La Motte-Servolex 73 et une autre a` Sainte-Catherine 69, mais ici les homonymes et paronymes sont nombreux. Les foulletons, lutins cense´s tresser les crinie`res des chevaux, n’ont laisse´ qu’un Bois des Foulletons a` Fontainebrux 39. Une ancienne intercommunalite´ incluant Fontainebrux, cre´e´e en 1998 mais disparue en 2011 en s’inte´grant a` celle de BresseRevermont, s’e´tait nomme´e Communaute´ de communes des Foulletons, appellation un peu surprenante mais e´vanouie ; il en reste pourtant une zone artisanale des Foulletons a` Larnaud 39. Les sotrays de l’Orle´anais, qui s’amusaient aussi avec les chevaux, se cachent encore derrie`re le Sottereau de Pontlevoy 41 et le Bois du Sottereau de Ferrie`res-en-Gaˆtinais 45. R. Luft rapporte le Pas du Trem a` un esprit de la montagne ; ce col est sous la Cime du Diable dans le Mercantour, commune de Tende, et voisin du Lac du Trem, de la Cime du Trem, des Lacs du Diable et du Pas du Diable, et de la Valle´e des Merveilles....

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Ceux qui sont diffe´rents Plus re´elles que diables et fe´es, d’autres figures ont intrigue´ par leur singularite´, qui les a fait de´signer, et meˆme assigner a` des lieux. D’un coˆte´ furent les ermites, dont nous avons mentionne´ les « celles » et les ermitages ; mais, en de´pit de leur isolement, ils relevaient de la socie´te´ normale. D’autres e´taient juge´s plus e´tranges, sinon e´trangers. Certains furent nomme´s sorciers ou sorcie`res, litte´ralement « qui dit des sorts » : des dizaines de lieux portent ces noms. Trace d’anciennes ine´galite´s, on compte d’ailleurs beaucoup plus de lieux-dits en Sorcie`re qu’en Sorcier, e´ventuellement avec pour attributs des Rocher, Mont, Pierre, Bois, Cheˆne, Fontaine, Grotte, Fosse, Valle´e, Pech des Sorcie`res (a` Jonquie` res 11), Canton des Sorcie` res (a` Ambare`s-et-Lagrave 33), meˆme un Carrefour de la Sorcie`re a` Coyolles 02 – mais ici point de Terre, Pie`ce, Pre´ ou Champ, les sorcie`res n’e´taient pas agricoles... Le reste d’un donjon tombe´ du chaˆteau de l’Engelbourg a` Thann 68 est nomme´ Œil de la Sorcie`re. Le terme e´quivalent de bruge a e´te´ employe´ dans le Midi, proche de la bruja espagnole, d’e´tymologie tre`s dispute´e. Des toponymes en Bruge, la Brugue, la Brougue, les Bruges peuvent lui eˆtre rapporte´s, mais ils sont trop proches des appellations de la bruye`re pour ne pas risquer des confusions. Plus claire sans doute est l’appellation tout aussi me´ridionale de masque, mais surtout coˆte´ Provence, qui vient de l’image que l’on se faisait des figures de vieilles sorcie`res : on la trouve a` Valmasque 06, dans une Rue des Masques sous Mont-Dauphin 05, le Pas de la Masque a` Toulon et un autre a` E´venos 83, le Valat de la Masque au Vigan 30, des lieux-dits la Masque, les Masques, la Masquie`re et selon toute apparence dans les communes de Masquie`res 47, Lamasque`re 31. Toute une se´rie d’autres noms leur sont attache´s, autour des ide´es de magie et de pre´diction. Le plus courant est devin, qui existe en des dizaines d’exemplaires parmi les lieux-dits, avec des Bois tel le Bois de la Devine a` Matour 71, et quelques autres comple´ments. La Devinie`re donne une vingtaine de lieux de l’Ouest, dont l’Edvinie`re a` Argentre´-du-Plessis 35, le plus connu e´tant a` Seuilly 37 la maison natale de Rabelais. Celui-ci a rendu ce´le`bre le Trou de la Sibylle a` Panzoult 37, une cavite´ troglodyte que l’IGN pre´fe`re nommer Grotte de la Sibylle ; il existe quelques autres Sibylle, dont Val Dame Sibylle a` Le´vigny 10, le Bois Sibylle a` Nogent-le-Bernard 72 ; le terme vient du grec, au sens de prophe´tesse. C’est un autre roˆle social que jouaient les prostitue´es, encore que l’assimilation aux pre´ce´dentes fuˆt commune. Ribaude fut l’un de leurs titres ; les lieux-dits la Ribaude, les Ribaudes et les Ribaudie`res, les Bois, Source et Fontaine des Ribaudes sont plusieurs dizaines et Rethueil 02 a les Quinze Ribaudes. Gouge et Godon ou Goudou en furent d’autres, et plusieurs lieux-dits sont ainsi nomme´s, mais peut-eˆtre avec d’autres sens – godon a aussi de´signe´ l’Anglais. Gouine est apparente´ et a eu un sens voisin avant d’eˆtre affecte´ spe´cialement aux lesbiennes ; une quinzaine de toponymes semblent s’y rapporter, dont plusieurs Gouinerie, des Mas et Clos de Gouine a` Arles, les Gouines a` Lunay 41 ; mais Gouin est aussi un NP, ou` des linguistes pre´fe`rent voir une divinite´ germanique (Got) plutoˆt qu’un « homme de mauvaise vie », ne´anmoins

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atteste´ au XV e sie`cle du coˆte´ de l’Anjou (A. Dauzat). On trouve aussi une trentaine de Catin, Catine, Catinerie, mais non sans ambiguı¨te´ ici encore. Pute et Putain restent les plus fre´quents. Le Chaˆtelet-sur-Retourne 08 et SaintRe´my-le-Petit font voisiner un Mont de la Putain, les Putains de Terres et la Horle des Putains (un talus en champenois). Romilly-sur-Aigre 28 a un TroussePutain, Me´rindol 84 des Rochers de la Pute, Tourves 83 le Cros de la Putan, Lacapelle-Biron 47 le Bois de las Putes. Pute Musse a` La Saulsotte 10 peut eˆtre un e´quivalent de la Pute y Musse (s’y cache) qui fut le nom originel de la rue du Petit-Musc a` Paris-4e... Le Bois de Putemus (avatar de Pute-y-Musse) a` Villeneuveles-Bordes 77 ferme la commune a` l’ouest ; il a pour e´ cho un Putemuse a` La Chapelle-Rablais 77, la foreˆt de Putemusse a` Ge´raudot 10. Toutefois, il faut prendre garde au fait que pute a aussi signifie´ malodorant (« qui pue »), ce qui fut probablement le sens de Pute Noue a` Heiltz-le-Maurupt ou Coole 51, du Bois de Pute Beˆte a` Petit-Mesnil 10 ou des Peute Goutte de Ventron et de Gerbamont dans les Vosges ; et sans doute de Pute Meuse a` Champneuville 55, dans un e´cart de la valle´e de la Meuse. Pute a, bien entendu, pu de´signer le putois, dont le nom a le meˆme sens. Diffe´rents noms ont qualifie´, ou stigmatise´, ceux qui se situaient hors de la religion commune. Longtemps, ils furent de´signe´s comme paı¨ens, ou par les e´quivalents pagan dans le Midi, heiden en Alsace. Pagan, paı¨en auraient eu la meˆme origine et le meˆme sens que paysan, « de la campagne » et plus ge´ne´ralement « civil », quand les clercs se disaient milites, soldats de la foi ; il en est venu des lieux-dits en Pagan, Pagane, Paganel. Heidenstraessel (ruelle aux Paı¨ens) est le nom de l’ancienne voie romaine entre Ill et Rhin, et le mont Sainte-Odile a son « mur paı¨en » parce qu’il s’agissait d’œuvres pre´chre´tiennes. J. Soyer nous dit que Tillay-le-Peneux, c’est-a`dire le paı¨en, doit son nom a` sa perception comme repaire de pirates normands du IX e sie`cle. Il existe un certain nombre de Bois Payen, quelques Pagan, mais d’autres sens sont possibles. L’appellation juif est moins ambigue¨, et plus abondante. On sait que les Juifs ont pu former des communaute´s particulie`res, tole´re´es pour leur roˆle social notamment dans les e´changes, et agresse´es ou de´truites parfois. La toponymie conserve des Juiverie, surtout comme quartiers urbains, des lieux-dits les Juifs, la Juive, divers Bois des Juifs ou Rue des Juifs. Baigneux-les-Juifs est une commune en Coˆte-d’Or. On note une Fontaine Juive a` Bettelainville 57, la Juiverie a` Richebourg 78, la Rue aux Juifs comme quartier de Pre´aux 76, Hameau des Juifs a` Bermonville 76, le Grand et le Petit Juif a` Mons 17 et meˆme la Croix Juive a` Saint-Saturnin-le`s-Apt 84. Les Faux Juifs a` Auxy 45 qui ont pu eˆtre des heˆtres (faux). Bordeaux a une Rue et une Barrie`re Judaı¨que, Nıˆmes un Puech Je´siou, Carcassonne un Pech-Judaı¨c avec un cimetie`re juif et Montje´zieu est une commune de Loze`re. Plusieurs dizaines de Judenberg, Judenweg, Judenloch, Judenwald, Judenmatt s’e´parpillent en Alsace, meˆme un Juden Brueckle (petit pont) a` Eschentzwiller 68. Jœuf 54 est sujet d’he´sitations entre un Jovis Fanum (temple a` Jupiter) et une villa du Juif (ou d’un certain Jude...), Juif 71 l’est aussi entre Jouy, Jude et Juif. Villejuif 94 aurait e´volue´ a` partir d’une tout autre origine, une forme ancienne Villegie (Villa Gesidis, NP) ou le domaine (villa) d’un certain Jude ou Juve.

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L’e´mergence du protestantisme est trop re´cente pour avoir sensiblement marque´ la toponymie. Toutefois Ge´oportail rele`ve bien une cinquantaine de lieux autour de huguenot, nom francise´ issu du germanique eitgenoss, confe´de´re´ : les Huguenots, la Huguenoterie (Jumelles 27), la Sente des Huguenots a` Haution 02, cinq Grotte des Huguenots dont trois dans les Ce´vennes et une a` Injoux-Ge´nissiat 39, plus huit Grotte des Camisards et deux Pont des Camisards, surnom des huguenots re´fugie´s dans les Ce´vennes. Il existe en outre des e´vocations de parpaillots, mais on sait que le terme a aussi le sens de papillon. Il est probable toutefois que le Parpaillou a` La Couvertoirade 12, les Parpaillons a` Ge´mozac 17ou a` E´pargnes 17, la Parpaillonnerie a` Saint-Martin-des-Noyers 85, Es Parpayols a` Lunel-Viel 34 ont des chances d’e´voquer des foyers protestants. Les incursions des Sarrasins ou Maures ont e´te´ longtemps redoute´es dans tout le Midi, qui en garde en ses lieux les noms. Sarrasin vient du grec et de´signait des nomades orientaux ; maure est a` l’origine maurus, « de Mauritanie », mais est vite devenu synonyme de tre`s brun, voire noir. Les deux termes ont eu le sens de danger et d’e´tranger inde´sire´. Les noms en Sarrasin ou Sarrazin sont assez fre´quents, dont une douzaine de Grotte des Sarrazins, des Sarrasins ou Sarrazine, ainsi que des Route, Mur, Col, Teˆte, Fond, Trou des Sarrasins. Castelsarrasin existait sous ce nom au X e s. (Castro Sarraceni), ce que Billy rapporte a` un Raimond Sarracenus, charge´ par le comte de Toulouse d’e´tablir des sauvete´s ; bien d’autres interpre´tations ont pre´ce´de´, allant d’un Castrum Cerrucium du IX e sie`cle dont la trace est perdue, identifie´ a` tort avec Castelsarrasin (l’examen des textes et de la topographie plaide plutoˆt pour Cordes-Tolosannes selon R. de la Haye) a` un chaˆteau e´trangement construit « a` la manie`re des sarrasins » ou a` un chaˆteau cre´nele´ (du latin serratim, avec dentelures, Fe´nie´) ; du moins personne n’a propose´ un chaˆteau des Sarrasins... Maure est aussi re´pandu, parfois e´crit More, avec un Chaˆteau des Maures a` Caudie`sde-Fenouille`des 66, une Grotte des Maures a` Brissac 34, un Pech des Maures a` Villese`que-des-Corbie`res 11 et un Pic des Maures a` L’Hospitalet 09, trois Fontaine des Maures dont deux en Be´arn. Belve´de`re-Campomoro, en Corse au sud d’Ajaccio, contient l’ancien village de Campomoro, une tour (Torra) et une pointe (Punta) a` ce nom. La Balma del Moro, dolmen de Laroque-des-Albe`res 06, e´quivaut a` quelque rocher du diable... Toutefois, l’extension du sens vers la couleur cre´e des ambiguı¨te´s, surtout quand Maure est employe´ au singulier, ou a pu qualifier des NP (Moreau, Maurin, etc.). D’autres confusions sont possibles avec mort et avec moure ; un Gue´ de Maure a` Colombiers 61 ou une Ferme du Maure a` Manneville-la-Raoult 27 laissent perplexe, comme Maure 64. Le massif des Maures en Provence n’a probablement e´te´ qu’une « montagne noire ». Notons que mosque´e, musulman, islam n’apparaissent pas encore dans la toponymie cartographie´e, ou presque pas. Une seule mention la Mosque´e figure a` Langon 33 ; il s’agit d’une petite construction isole´e prive´e, une fabrique de jardin des anne´es 1860 due a` un notable bordelais, surnomme´e ainsi en raison de sa forme un peu particulie`re, et dite aussi l’Observatoire. Il existe quatre ou cinq mentions de Mahomet qui peuvent venir de cacographies, de surnoms ou de souvenirs coloniaux du XIXe sie`cle. Une Ferme de Mahomet domine un vallon nomme´ Fonds de Mahomet a` Intraville et

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a` Glicourt 76, dans un domaine clos de 200 ha, avec un manoir en brique et pierre du XVII e s. ; Maho-met viendrait ici d’une « ferme de Mathilde » en normand... Les autres mentions sont un Mahomat au Rheu 35, le Mahomet en limite de Martigny 02, les Pie`ces de Mahomet en limite de Selommes 41, Mahomet pouvant avoir e´te´ le surnom d’une personne. Les cagots ont forme´ au Moyen Aˆge, du X e au XIVe sie`cle, des groupes a` part, de pauvres he`res rejete´s, exclus, e´ventuellement re´pute´s le´preux, au statut particulier d’intouchables contraints a` l’endogamie et ne pouvant entrer dans une e´glise que par une porte spe´ciale. Plusieurs lieux-dits portent le nom de Cagot ou l’e´quivalent Cacou dans le Midi, surtout le Sud-Ouest (Landes et Be´arn), ou` Arreau 65 leur consacre un muse´e. Il existe dans les Pyre´ne´es le Rocher du Cacou a` Aulus-lesBains 09, la Coume de`t Cacou a` Cauterets 65, correspondant a` des cavernes. Les cagots ont curieusement pu eˆtre aussi nomme´s Crestia, Crestian, source de plusieurs dizaines de lieux-dits dans les meˆmes contre´es. Des hameaux de le´preux (caqueux ou cacous) ont e´te´ nomme´s la Caquinerie a` Ple´ne´del 22, La Caquinie`re a` Foussais-Payre´ 85, les Quaquinie`res a` Saint-Aubinle-Clos 79, les Caquins en plusieurs communes d’Anjou, tandis qu’en Bretagne plusieurs Clanty, Clandy, C’hlan, Claon avaient le sens de « maison du malade », comme Roz-ar-C’hlan a` Plouaret 22, le Pont Clandy a` Plufur 22, le Pont ar-Clan a` Pluzunet 22, Pont ar C’hlan a` Hoˆpital-Camfrout 29 et Irvillac 29, le Clandy a` Locmine´ 56 et Noyal-Pontivy 96. Il se pourrait que tous ces termes cagot, cacou, caqueux viennent d’une racine cacc- e´voquant la coquille, le repli, l’isolement comme dans une coquille (P. Guiraud). Resteraient sans doute bien d’autres exclus parmi les termes locaux. On trouve le De´ment a` Mormoiron 84, quantite´ de Fou et de Folie, des Chemin des Fous (Ne´ry 60 ou La Jarrie 17). Mais on ne peut gue`re poursuivre dans cette voie en raison des abondantes homonymies : fou et fous viennent le plus souvent des heˆtres, parfois de la fontaine dans le Midi (fous, variante de fons ou font), plus rarement de fe´es, tandis que les folies sont en ge´ne´ral l’e´quivalent de feuille´es, feuillage. Sans avoir la meˆme puissance ou volonte´ d’exclusion, on ne saurait ne´gliger les noms de lieux qui signalaient d’autres « diffe´rents », ceux qui venaient d’ailleurs et se distinguaient par un accent, un parler, des coutumes. Les campagnes abondent en lieux-dits d’origine, souvent diffuse´s par les surnoms, tels que Breton, Picard, Limousin, et les anciennes cite´s industrielles ne manquent pas de Maroc ou Petite Italie. Le germanique en Lorraine a donne´ des Tiche, tandis que le roman en pays germanique a laisse´ des Welche. La partie non bretonnante de la Bretagne a rec¸u le nom de pays Gallo. L’un des termes les plus fre´quents dans tout le Midi, et d’ailleurs e´nigmatique, est Gavache : en ge´ne´ral, il signalait des « e´trangers » venus de la montagne, ou simplement de plus au nord. R. Lafont pense qu’il vient de gab, gorge, et aurait pu signaler des personnes qui grasseyent, qui ne roulent pas les r mais semblent les avaler. Les lieux-dits Gavache, la Gavacherie, sont abondants. La Petite Gavacherie vers Pellegrue et Monse´gur 33 vient d’anciennes colonies de Saintongeais e´tablis apre`s 1470 puis apre`s la peste noire des anne´es 1520 ; la Grande Gavacherie correspond aux

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Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France

pays de Libourne et de Blaye et le Pays Gabay au Saintonge. Du coˆte´ de la Provence et des Alpes l’e´quivalent est Gavot, pre´sent dans plusieurs dizaines de noms de lieux ; mais le terme s’est e´galement applique´ a` des groupes « diffe´rents » par leurs pratiques religieuses, culturelles, linguistiques et professionnelles ; il existe un Pays Gavot dans le Chablais d’E´vian.

Me´galithes et chaos Les grosses pierres des cultes solaires et fune´raires pre´chre´tiens ont intrigue´ les populations qui en avaient perdu le sens, et le souvenir meˆme des techniques de manipulation. Elles les ont confondues a` l’occasion avec des chaos de blocs naturels, assez communs en pays granitique ou gre´seux (Sidobre, Huelgoat, foreˆt de Fontainebleau, etc.). Aussi les ont-elles habille´es de le´gendes et dote´es de noms surprenants, parfois cocasses. Les uns sont des me´taphores morphologiques, suscite´es par la forme des blocs (v. chap. 4). Les autres se re´fe`rent aux myste`res et renvoient fre´quemment a` des diables et des fe´es ; les noms plus re´cents font volontiers re´fe´rence au Gargantua de Rabelais, meˆme la Roche-qui-Pisse a` Sollie`res-Sardie`res 73. Quelques-uns, plus savants, e´voquent des sacrifices suppose´s, ou une fonction d’outillage ne´olithique : Ge´oportail rele`ve cinq Polissoir (et deux Saut du Polissoir en Guyane), une Table du Sacrifice a` Erdeven 56 et une Table des Sacrifices a` Tregunc 29, une douzaine de Pierre du ou des Sacrifices e´parses dans diverses re´gions. Ar Gazeg Vaed (la jument de pierre) est une grosse pierre ronde a` Ploze´vet 29, ancien lieu de culte de la fertilite´ ; une autre est a` Locronan 29 : les femmes ste´riles e´taient cense´es s’y asseoir pour devenir fe´condes. La majorite´ de ces roches et e´difices ont des noms prosaı¨ques : on note une quarantaine de Pierre Leve´e dont la commune de Pierre-Leve´e 77, une douzaine de Pierre Plante´e, plus de vingt Pierrefiche (dont une commune de l’Aveyron et une en Loze`re), des dizaines de Pierre Fitte et Pierrefitte dont quatorze communes, une trentaine de Peyrefitte, Peyrefiche, Peyrefichade ou Peyreficade dont deux communes de l’Aude (Peyrefitte-du-Raze`s et Peyrefitte-sur-l’Hers), de nombreux Lafitte, Lahitte, Laffitole. On trouve aussi des Pierre Frite en Anjou et en Picardie, le Dessus de la Pierre Frite a` Boissise-le-Roi 77, des Pierre Droite, une Pierre Fixe a` Esse 16 ; Guitrancourt conserve le menhir de la Pierre-Drette (2,4 m de haut). Cayre Leva a` Sibrac-en-Pe´rigord 24 est un dolmen. La Bretagne a une dizaine de Peulven ou` peul est pour fiche´, droit et ven (de men) pour pierre. Tous ces noms sont synonymes et beaucoup de´signent des me´galithes ; mais pas tous : certains d’entre eux s’appliquent a` de simples bornes marquant des limites, ou des repe`res sur d’anciennes routes ; d’autres viennent de NP, mais eux-meˆmes issus de ces pierres. Parfois les toponymes deviennent « pierre large » sous les formes de Pierrelay, Pierrele´e, Pierrelatte ou Breitenstein, menhir a` Goetzenbruck 57 – ou, tout banalement, de Gros Caillou (plusieurs dizaines de toponymes) ou Gros Chillou comme a` Cravantles-Coteaux 37. Toutes sortes d’images sont e´voque´es : Saint-Jean-de-la-Motte 72 posse`de les Pierres de Me`re et Fille et la Pierre Potele´e, dans le bois de la Lande des

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Soucis. Le terme de borne ou bonne, bonnet, bonnier est assez fre´quent dans le Nord, ou` il peut tantoˆt de´signer de simples bornes marquant des limites, tantoˆt une mesure agraire, parfois des me´galithes. L. Desailly le reliait a` un gaulois bonn de meˆme sens et le trouvait dans la Borne Grand Pe`re a` Villers-au-Tertre, la Longue Borne a` Dechy et a` Courcelles-le`s-Lens 62, les Six Bonniers a` Wannehain, les Sept Bonniers a` Leers ou les Quatre Bonniers a` Quesnoy-sur- Deuˆle, les Sept Bonnettes a` Sailly-en-Ostrevent. Les Grandes Billes a` Le´cluse 59 rele`vent sans doute aussi des restes de me´galithes. L’imaginaire s’est souvent exprime´ dans la Pierre Folle, une trentaine au singulier ou au pluriel, dont deux menhirs aux deux extre´mite´s de la re´gion Poitou-Charentes, l’un a` Montguyon 17 dans l’extreˆme sud, l’autre a` Bournand 86, a` l’extreˆme nord ; ou encore les Pierres Folles a` Commequiers 85 ou a` Rosnay 85, trois de ce nom en Saoˆne-et-Loire, et meˆme les Grandes Pierres Folles a` De´ols 36. Berche`res-surVesgre (28) a he´rite´ d’un menhir dit la Pierre de la Folle. Putifaie (la pute l’a fait) est un nom de dolmen de La Ferrie`re-de-Fle´e 49, de Saint-Quentin-les-Anges 53. Les fe´es ont eu encore plus de succe`s avec le dolmen de la Pierre Fade a` Blessac 23, le dolmen du Four des Fades a` Mourioux-Vieilleville 23, l’alle´e couverte se´pulcrale de la Cave aux Fe´es a` Brueil-en-Vexin 78, l’alle´e couverte de la Grotte des Fe´es a` SaintAntoine-du-Rocher 37 (dite dolmen de Mettray), la Pierre de la Fe´e a` Draguignan, la Cabane de la Fe´e a` Beynat 19, un Courtil aux Fe´es a` Saint-Laurent-sur-Oust ou la Pierre a` la Femme a` Vasselay 18. Signalons encore deux Pierre a` la Marthe dans l’Indre a` Montchevrier et Ceaulmont et l’Aire-aux-Martres a` Parnac 36 ; la Pierre Sorcie`re a` Villerfaux 41 et une autre dans le bois de Perthes a` Fontaine-Chaalis 60 ; une Pierre Godon a` Orge`res-en-Beauce 28. Le diable a sa part avec une dizaine de Pierre au Diable ou du Diable, un Palet du Diable et une Galoche du Diable a` Sainte-Gemmes-le-Robert 53, un Faix du Diable a` La Bigottie`re (53) et le menhir de la Hotte du Diable a` Milly-sur-Bradon 55, le dolmen de la Table au Diable a` Passais 61. Les Pierres du Sabbat sont des me´galithes a` Grandfontaine 67 dans le massif du Donon. Et comme autre e´vocation des puissances redoute´es, ajoutons la Loge aux Sarrazins, dolmen a` Saint-Germainde-Tallevende 14... L’invocation de Gargantua comme re´fe´rence au gigantisme de ces me´galithes fut sans doute plus de´bonnaire, voire un tantinet... gauloise. Du coˆte´ respectable, sinon respectueux, se signalent un Doigt de Gargantua, menhir a` Fre´hel 22 et la Dent de Gargantua a` Saint-Suliac 35 (en quartz blanc) ; des Palets de Gargantua a` Charnizay 37, Brizay 37, Guiry-en-Vexin 95, Tripleville 41 ou Nottonville 28, les Pierres de Gargantua a` Membrolles 41 et la Pierre de Gargantua a` Cheˆnedouit 61, le But de Gargantua a` Maintenon 28, la Galoche de Gargantua a` Donges 44, la Hotte´e de Gargantua a` Molinchart 02. D’un autre coˆte´, et en de´pit des versions euphe´mise´es de prudes linguistes qui pre´fe`rent voir dans les quelques Queusse de Gargantua des... pierres a` aiguiser selon une version picarde, ou a` la rigueur une cuisse, les diverses Boules de Gargantua a` Se´nue´jols 43 ou Cros 30, le ce´le`bre Verziau de Gargantua a` Bois-le`s-Pargny 02 (= verge), la Drue a` Gargantua a` Tripleville 41, la Quenouille de Gargantua a` Plaudren 56 et bien entendu la Queusse de Gargantua, menhir de 5 m a` Borest (60), sont bien des images rabelaisiennes des avantages suppose´s du ge´ant.

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Du bon coˆte´ Enfin certains noms de lieux ont e´te´ fonde´s sur la volonte´ de dire quelque chose de la qualite´ du lieu, ou des repre´sentations de son inventeur : perceptions, sentiments, intentions, ambitions. Les e´pithe`tes choisies, ou consacre´es par l’usage, peuvent eˆtre neutres, flatteuses, pe´joratives. Il se peut qu’elles soient assez justes et que des Bellevue ou des Merdereau me´ritent bien leur nom. Il advient qu’elles n’aient gue`re de rapport avec les qualite´s apparentes du lieu. D’ailleurs, certaines appellations ont moins duˆ se re´fe´rer au lieu lui-meˆme qu’a` l’un de ses anciens occupants. Il va de soi que les adjectifs flatteurs sont surabondants. Bel et bon, en diffe´rentes versions, sont sans doute les plus communs ; tous deux de´rivent d’un IE deu (bien fait, favorable) dont le grec a fait dyn, le celte bouno, le latin bonus, bellus et bene. Les larges horizons sont e´voque´s par les nombreux Bellevue et de´rive´s locaux, auxquels s’ajoutent les Beauregard. Il s’agit surtout de lieux-dits, quelque peu isole´s, et assez peu de noms de communes : dix Beauvoir cependant, plus trois Beauvais et trois Beauvois, deux Belve`s, deux Belbe`ze, deux Belve`ze et deux Belve´zet, deux Belve´de`re dans le pays Nic¸ois et en Corse, une Betbe`ze 65 et une Betbe´zer-d’Armagnac 40, une Belvis 11, et finalement une seule Bellevue (-la-Montagne 43). Beauregard est porte´ par sept communes et des dizaines de lieux-dits. Saint-Gelais 79 a un curieux les Beaux a` Voir. Les Mirabel ont le meˆme sens. Layrac 47 et Selles-Saint-Denis 41 ont des Voitout, Vie´vigne 21 un Mont Voitout... L’adjectif beau, ou bel, est parfois applique´ simplement a` « lieu » : pas moins de 22 communes ont pour nom Beaulieu, plus trois Belloc ou Bellocq. Flatteuses encore et fort nombreuses sont les appellations en Bel-Air, Beause´jour, Beausoleil (meˆme en Champagne, Bourgogne et Bretagne), Beausemblant 26 (belle apparence), Be´lesta (bien-eˆtre, dont trois communes) ; Beaurenom (quatre lieux-dits), Bel-Aspect (six lieux-dits, dont un chaˆteau a` Salles-sur-l’Hers 11). Une seule clairie`re de la foreˆt de Courcelles a` La Fontaine-Saint-Martin 72 associe les trois fermes Beau-Soleil, Bel-Air et Bel-Asile. Quelques Bodinal, Baudinat cacheraient meˆme des « beau dıˆner » (Bel Dinar) me´rite´s par des terrains re´pute´s fertiles (X. Gouvert). Il est bien plus souvent encore applique´ a` des objets, notamment topographiques ; on peut comprendre que les e´minences y soient plus flatte´es que les bas-fonds. Dans les seuls noms de communes apparaissent 47 Beaumont, 18 Belmont et deux Montbel et une dizaine de Montebello, une Betpouy et une Betpouey, quatre Beaupuy et une Belpech ; Beaujeu est sans doute de meˆme sens. Vers le bas, notons six Belval, trois Beauval, Beauvallon, Beauvau, Bellevaux, Bellebat 33 ; trois Bellecombe. S’y ajoutent des Belleroche, Belcaire, Beaucaire (rocher) ; Bellesserre et Belleserre ; deux Beaurieux, une Bellerive (-sur-Allier 03) ; des Belfonds, Bellefond et Bellefontaine (8 communes), et une trentaine de lieux-dits Fontbelle ou Fontbel. Parmi les noms de lieux-dits, l’IGN rele`ve une trentaine de Bellerive (dont huit dans le seul Tarn...) et deux Beaurivage, un Rioubel, tous trois dans l’Aveyron, plus deux Rieubel et un Rieubet, une dizaine de Bellenoue ou Bellenoye. Les Belleau ne manquent pas, dont deux communes, ainsi que les Aiguebelle : plus de cinquante sur Ge´oportail, dont deux communes en Savoie, Aiguebelle et Aiguebelette-le-Lac.

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Beau qualifie aussi des e´tablissements humains, e´ventuellement avec un sens proche de fier, sinon redoutable, comme on le voit aux tre`s nombreux forts, gardes et chaˆteaux, ou meˆme villes. Parmi les seuls noms de communes se lisent onze Beaufort et trois Belfort, onze Bellegarde, neuf Belleville, six Beaurepaire, un Beauchastel. Les lieux-dits y ajoutent des Beauchastel, Beauchaˆteau, Belchastel, Belcastel, Beaumanoir, Beaumesnil et Belmesnil, Beaucourt et Belcourt. Meˆme les terres environnantes sont flatte´es : Beauchamp ou Beauchamps (4 communes), Beaupre´ et Belleprade, quelques dizaines de Beaujardin et Beaujard, Beauchemin, des Beaumarais et Beaumarchais ; une vingtaine de Beaubois, Beaubost, Belbosc et quelques arbres comme des Beaucheˆne ou Cassagnabe`re, Bellechassagne 19, les heˆtres avec deux Beaufai 61, Beaufay 72, Beaufou 85, Belfays 25, voire des Belhomme pour bel orme et quelques Beaurenard. Bien entendu, les pie`ges sont tendus : les trois Bellou de l’Orne viendraient de berula, cresson et les cinq Belloy du bouleau (betulla). La forme bella est conserve´e en Corse, Savoie et pays Nic¸ois dans des noms comme Terra Bella a` Grosseto-Prugna, Riva Bella a` Linguizetta, Aqua Bella a` Contes 06 ou pic de Bella Cha (chaume) a` La Clusaz 73 et au Reposoir 74. C’est sans doute a` l’occitan que l’on doit les Belle Viste au Barp 33, Bello Visto a` Labe´jean 32, Bella Vista a` Mur-de-Barrez 12, mais au snobisme balne´aire le Riva Bella de Ouistreham 14. La version germanique scho¨n est assez re´pandue : outre les communes de Schœnau 67 (belle prairie), Schœnbourg et Schœnenbourg dans le Bas-Rhin, Schœneck (beau coin ou beau cheˆne) en Moselle ; on peut relever plusieurs Schœnthal, Schœnberg ou Schœnenberg, et meˆme Schœnensteinbach (beau ruisseau pierreux...) et Schœnthalerkopf (belle teˆte de valle´e ou teˆte de belle valle´e) a` Gœtzenbruck 57. Le breton emploie cae¨r, assez re´pandu mais qui se confond avec « fort », donc lieu fortifie´, voire ker, village ; ne´anmoins plusieurs Gwel Kaeˆr sont incontestablement des Bellevue, Stang Cae¨r a` Guiscriff est un Beaulac, Me´nez Cae¨r a` Spe´zet un Beaumont et GollotCae¨r en Carnoe¨t un beau coudrier (koll venant de kelvez). Joli intervient aussi dans les noms de lieux. Curieusement, le mot est re´pute´ venir d’une feˆte hivernale nordique, et avait jadis autant le sens de gai que beau ; en fait il semble se rattacher a` la racine IE gau, re´jouissance, qui se retrouve dans le gaud latin et donc le gai franc¸ais. On trouve des Joli Bois, Joli Fou (heˆtre, a` Re´milly 57) et Joli Coq a` Outrepont 51, Jolimetz (commune du Nord, joli meix, du XIII e s.), Jolie Vue (La Croixille 53), une trentaine de Jolimont et autant de Mont Joli, quinze Joli Cœur dont un Morne Joli Cœur a` Sainte-Anne (Martinique) et meˆme une Jolie Vache a` Bresson 38. Ici encore peuvent intervenir des homonymies et des NP, comme le diminutif Jolivet, fre´quent aussi parmi les toponymes... Bon est un adjectif dont le roˆle en toponymie est beaucoup plus limite´ que celui de beau et s’applique davantage aux NP. Il est certain qu’il convient peu pour qualifier des sites e´leve´s ou redoute´s, tels que monts et chaˆteaux. Ou alors il a le sens de strict, efficace, comme dans les quelques Bonnegarde (dont une commune des Landes) et Bonneguette a` Palladuc 65. En revanche, on le trouve volontiers associe´ a` des eaux dans des dizaines de Bonne Font, Bonnefond, Bonnefont, Bonne Fontaine, Bonnafous, une vingtaine de Bonnemare et Bonne Mare, des Bonnes Eaux, Eaux-Bonnes, Bonnezeaux a` Thouarce´ 49, Bonnes Aygues a` Sarrant 32, Aiguebonne. Bonrepos, avec une

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cinquantaine d’occurrences (en un ou deux mots), dont quatre communes et une abbaye (Saint-Gelven 22), est e´galement favorise´ ; mais on ne trouve gue`re que trois Bonne Che`re (Malgue´nac 56, Les Mayons 83) ou Bonne Chair (Baillif 971). Se signalent aussi parmi les communes neuf Bonneville plus des Bonvillard, Bonviller, Bonvillers, Bonvillet, Bonvillaret, et six Boncourt, Bon-Encontre 47 et Bonnencontre 21, deux Bonlieu et deux Bouloc (bon lieu en occitan), cinq Bonneuil (autre Bonlieu) et un Bonnœil qui a sans doute le meˆme sens, quatre Bonneval, trois Bonnevaux et un Bonneveau 41, deux Bompas 09 et 66. Parmi les lieux-dits s’ajoutent de nombreux autres noms dont des Bonnemaison et Bonnemain, quelques Bonvent et Bonnaure de meˆme sens, Bonpertuis a` Apprieu 38 ou Bonpertui a` La Le´che`re 73, des Bonpas et Bonpasset, cinq Bonne Terre et a` peine deux ou trois Bonpre´ ou Bonprat, une quinzaine de Bonchamp. Les Chambon sont certes fort nombreux mais de sens discute´, peut-eˆtre issu de cambo, courbe, d’autant que « bon » en fin de nom est plutoˆt rare. Il existe aussi une trentaine de Bonheur, dont une quinzaine sous la forme le Petit Bonheur qui e´voque un e´tablissement hasardeux ou un tempe´rament optimiste dans sa modestie. Le lieudit la Perte du Bonheur a` Saint-Sauveur-Camprieu 30 serait navrant s’il ne signalait en fait, en amont de l’abıˆme de Bramabiau, le lieu ou` s’enfouissent les eaux du ruisseau le Bonheur... On de´couvre en Corse les formes Buono Fredo a` Pioggiola et Campo Buono a` Noceta. Astruc se porte dans le Midi : le mot vient de la « bonne e´toile » (cf. astre) et a le sens de bienheureux, bien situe´ ; il existe plusieurs Montastruc (dont six communes), des Montestruc, Pouyastruc ; voire Puech Astruc et Mas d’Astruc ; mais Astruc est aussi un NP. En revanche, l’e´quivalent germanique est assez peu pre´sent ; signalons Gute Reihe (range´e) a` Gre´ning 57 ou Gute Brunnen (fontaine) a` Haspelschiedt 57, Gutenburg a` Aspach-le-Haut et Gutenbrunnerkopf a` Altwiller. Parmi les versions optimistes, sont encore des Gai Soleil, Gai Se´jour, Gai Logis, cinq Clair Logis ; pas mal de Joyaux et de Joyeux dont trois Val Joyeux et six Fief Joyeux – mais probablement issus de NP. Gaillard fournit neuf communes en Montgaillard et deux en Puygaillard, plus La Gaillarde 76 – le comple´ment flatteur de Brive-laGaillarde est re´cent et ne correspond pas a` un lieu-dit. Des dizaines de lieux-dits sont en Chaˆteau Gaillard, surtout dans l’Ouest, sans eˆtre toujours des chaˆteaux. Beaucoup de noms sont en Fort, hors des forts eux-meˆmes, mais rarement par l’adjectif, sauf quelques Chaˆteaufort, dont une commune des Alpes-de-Haute-Provence. Riche est plus e´vident, et en ge´ne´ral assez re´cent (XIIe-XIIIe sie`cle) dans les Richebourg (trois communes), Richemont (deux), Richeval et Richeville. Richelieu a e´te´ cre´e´e comme ville par le duc de Richelieu, mais le lieu se nommait Richeloc au XIII e sie`cle ; les lieux-dits Richelieu sont une vingtaine, hors de ceux qui e´voquent le duc. La Riche 37 se nommait Notre-Dame-la-Pauvre avant la construction d’une e´glise ambitieuse et bien dote´e, qui fit changer son nom au XIIe sie`cle. Le Midi a une douzaine de Re´quista (aussi Re´quistat, Re´quistal), jadis Riquesta, qui ont eu pour sens « riche e´tat » ; a` l’instar des Be´lesta, ils ont pu servir de noms publicitaires lors de la fondation des bastides. Enfin, un certain nombre de noms utilisant les racines de l’or (aura) et de l’argent ont eu pour sens le brillant et la richesse.

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L’envers du de´cor Tous les lieux ne sont pas flatte´s et il en est meˆme qui doivent supporter de long temps des noms moins agre´ables. Che´tif est sans doute l’un des plus anodins attributs : il signifie pauvre, maigre, peu productif, peu ge´ne´reux, surtout quand il est prononce´ chti, et qualifie surtout des terrains ou des bois. On trouve ainsi des dizaines de Che´tifs Bois et Bois Che´tifs, dont une bonne vingtaine en Berry, qui a meˆme le Che´tif E´tang a` Piou 18 ; ou un Chetibois a` Nettancourt 55. Deux communes sont du lot : Villeche´tif 10 et Villeche´tive 89. Ge´oportail rele`ve quelques Pre´ Che´tif, sept Champ Che´tif et le Che´tif Champ a` Rosnay 85, les Che´tifs Champs a` E´pais-la-Sauvun 89, le Che´tif Puits a` Gien 45 ; La Chapelle-sur-Loire 37 a sur la rive gauche de la Loire une leve´e du Bois Che´tif. Certes, des NP ne sont pas exclus ; mais Azay-sur-Indre 37 se nomma Azay-le-Che´tif (le pauvre) au XVI e et au XVIII e sie`cle. Rouvres-la-Che´tive 88 pre´sente un amusant contraste entre son gentile´ Roburiens et son attribut, le premier e´voquant la robustesse du cheˆne rouvre... X. Gouvert estime que chenin aurait eu un sens voisin dans Bourgchenin, la Bouchanie (Saint-Jean-laVeˆtre 42), Montchanin 71 et plusieurs lieux-dits Montchanin. Are, arre en occitan, est un ancien mot pour aride (IE as, qui bruˆle, comme ardent), ste´rile, sec ou desse´che´, qui a persiste´ en provenc¸al. « Arre entre e´galement dans la composition de toponymes. De mauvais terrains portent le nom de Arres dans le de´partement de l’Aude et dans le Gard. Dans la re´gion bordelaise, a` la pointe de Grave, le cadastre de la localite´ de Saint-Vivien-de-Me´doc enregistre la forme « Arrecoins » pour de´signer des landes sablonneuses. Dans le meˆme pays, pre`s de Soulac-sur-Mer, on appelle arros ces landes sablonneuses... Arre est le nom d’un village du Gard. On donne e´galement le nom de Arres a` des lits desse´che´s de torrents dans l’Aude (commune de Monthaut) et dans l’He´rault » (R. Lejeune). De`s lors Arles, Are-late, aurait pu avoir le sens de marais desse´che´, mieux que « aupre`s du marais » ; et R. Lejeune a sugge´re´ que Aliscamps aurait pu eˆtre aridi campi (Arres Camps) a` l’origine. Une ancienne racine germanique wanna, au sens de maigre, insuffisant selon E. Ne`gre, aurait donne´ Wambaix 59 (le maigre ruisseau), a` la source d’un ru. Il ne serait pas impossible que les Ave`ne, Avesnes, qui sont souvent associe´s a` des sols pauvres, aient la meˆme origine. Pele´, Pelat dans le Midi, e´voque des sites a` ve´ge´tation maigre ; Ge´oportail retient une bonne quinzaine de Mont Pele´ et Mont Pe´lat, et bien suˆr la Montagne Pele´e de Martinique ; plusieurs Puy Pelat et Serre Pelat, un Peu Pelat (puy) a` Saint-Goussaud 23, un Truc Pelat a` Murviel-le`s-Montpellier 34, un redondant Soum de Monpelat a` Vielle-Aure 65, une Montagne Pelade a` Vede`ne 84 et meˆme deux Ville Pele´e a` Saint-Cyr-en-Bourg 49 et Saint-Pierre-des-Loges 61, deux la Ville Pele´e a` Merdrignac et Cre´hen 22. Un radical rasp est associe´ dans le Midi a` l’ide´e de terrain difficile, escarpe´, ravine´, en somme raˆpeux, mot apparente´. Divers toponymes sont en Raspe, Raspail, Raspaillac. On trouve a` Seix 09 un Tuc de la Raspe, aux Bordes-sur-Lez 09 un Cap de la Raspe, a` Auzat 09 un Orri de la Raspe, a` Montjustin 04 Raspaou. Un certain nombre de lieux a` sols pauvres et caillouteux, souvent embroussaille´s et sur des pentes rocheuses, sont de´signe´s comme rape, rappe, re`pe, ruppe, roppe, rapois selon les re´gions. L’origine de ces termes est discute´e ; elle est parfois mise en rapport avec

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le latin rupes, paroi de rocher, d’ou` vient l’adjectif rupestre comme pour les peintures des grottes, mais raspe a eu le sens de broussailles ou taillis apre`s coupe de bois ou de´frichement. La brie`vete´ de ces termes a pu faire se joindre des mots d’origines diffe´rentes. On trouve Roppe 90, Rappe a` Lavans-Vuillafans, les Pre´s des Rappes a` E´chevannes 25, la Grande Rappe a` Mont-Devant-Sassey 55, les Rappes a` Givonne, La Berlie`re, Champigneul-sur-Vence dans les Ardennes, a` Audeux 25 et Chaveyriat 01, la Ruppe au Fied 39, a` Arthaz-Pont-Notre-Dame 74, les Rape´es a` SaintMartin-du-Puy 58, le Rapois a` Lumbres 03. Plus de´plaisant, pourri peut qualifier aussi bien de mauvais champs que des reliefs instables, effrite´s et dangereux : un Champ Pourri a` Cuincy 59, la Lande Pourrie a` Ger 50, Prat Pourri a` Montaut 24, des Bois Pourri, plusieurs Mont Pourri comme a` Peisey-Nancroix 73, voire a` Audigny 02 tout pre`s du hameau de la De´solation... Encore pire, les lieux nomme´s maudits : une bonne trentaine dont la Tourbie`re du Pre´ Maudit a` Saint-Didier-de-la-Tour 38, plusieurs Col, Bois, Pont Maudit, des Roc, Roche ou Rocher Maudit et, certes, le Mont Maudit (4 465 m) dans le massif du Mont-Blanc. On a meˆme un Val Horrible a` Gruchet-la-Valasse 76... Le coˆte´ de´plaisant est associe´ aux odeurs et aux de´charges. On trouve sur les cartes de l’IGN une quinzaine de Puant dont deux Champ Puant et un E´tang Puant, un Bois des Herbes Puantes a` Vianges 21 et la Fontaine Puante a` Montcorbon 45 ; plus une vingtaine de Punais de meˆme sens, dont un Marchais Punais (marais) a` SaintGeorges-sur-Layon 49, un Ru Punais a` Bleigny-le-Carreau 89, le Puits Punais a` Pe´rigne´ 79. Sale est plus rare (un Sale Champ a` Fribourg 57, Sale Village a` SaintGeorges-des-Sept-Voies 49) et moins convaincant a` cause de sa proximite´ avec le sel ou le saule. Plus original est ful, d’origine nordique, qui avait le sens de sale et que les linguistes lisent dans Foulbec 27 (le ruisseau sale), Fultot 76 (le hameau sale) et le Fouillebroc, ruisseau de la foreˆt de Lyons qui passe par l’abbaye de Mortemer, Fouillaupre´ a` Lubine 88 – mais certains feuil, fouille auraient le sens de souterrain dans Arfeuille et Orfeuil (A. Dauzat). Bien plus re´pandus et explicites sont les noms construits a` partir de merde, ou de sa forme locale marde – notons que ces termes ont une certaine noblesse e´tymologique : ils remontent, par le latin merda, a` un smerd de´rive´ d’un IE mer- d’ou` sont venus aussi la mort, le morbide et le marasme : tout ce qui est pe´nible et qu’il faut e´vacuer (marainein en grec) ; et meˆme l’amarante (a-marante, donc im-mortelle, qui pour cela fut une plante sacre´e des Azte`ques). Une quantite´ de ruisseaux, du temps qu’ils servaient d’e´gouts, ont e´te´ nomme´s Merdereau, Mardereau, Merdanson ou Merdassou, Mardanson. Ce ne fut pas re´serve´ aux cours d’eau : un Pre´ Merdeux est a` Cocherel 77, une Font Merdouse a` Lablache`re 07, une Voie Merdouse a` Aprey 52 et meˆme un Mont Merdous a` La Couvertoirade 12 tout pre`s et en contrebas du Montaymat (mont aime´). Bien d’autres ont pudiquement e´volue´ : un ru Mardelon est devenu Madelon puis Magdelon... a` Crotelles 37 ; Merdoie est devenu Me`re d’Oie a` Assay 37 ; la Voie Meldeuse, jadis Merdeuse, est une ancienne estre´e a` La Chausse´e Tirancourt (J. Merceron) ; et le Verdanson qui traverse Montpellier e´tait a` l’origine un Merdassou. En fait tous ces noms e´voquent surtout la boue ; par la`, ils ont beaucoup de synonymes du coˆte´ des diverses appellations locales des marais et terrains boueux,

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forme´es notamment sur bren, bray, etc. Quelques lieux-dits au nom pittoresque ont le meˆme sens, comme Crotte-Cul a` Quenoche 70 ou a` Saint-Cyr-la-Lande 79. Mal, mau (IE mel, latin malus de meˆme sens) de´signent de mauvais lieux, mal perc¸us parce que difficiles, infertiles, dangereux. Ils sont bien plus nombreux que les « bons » lieux et ces adjectifs se sont preˆte´s a` de multiples formations toponymiques : les Malbosc, Malemont, Malemort, Malesherbes, Maleville, Malval, Malve´zy, Mauvezin et Mauvaisin, Malvie`s, Mauchamps, Mauco (mauvais cœur pour une terre de´courageante selon M. Morvan), Mauregard, Maurepas, Maurupt, ainsi que Male´table 61, Malvezie 31, Maude´tour-en-Vexin 95, le Suc Malheureux a` Tarnac 19, une foreˆt de Malgouvernes a` Venizy 89 ; et les divers de´file´s en Maupertuis, Maupas, Malpas et Malpasset, Malestroit. Mauvais est assez fre´quent aussi, dont des Mauvais Pas, Mauvais Pre´, Mauvais Pont, etc. Neuilly-en-Sancerre 18 a tout un ensemble forme´ par la Plaine de Morue, le hameau de Morue, l’E´tang de Morue et le Moulin de Morue au bas de l’e´tang, Champ de Morue, Ferme de Morue, Morue : nul doute qu’il s’est agi d’un « mauvais ru », en l’occurrence le Vernon (« ruisseau des aulnes ») qui avait bien du mal a` drainer une plaine argileuse jusqu’a` la Sauldre. Une bonne dizaine de Queue de Morue figurent sur les cartes, la plupart en teˆte de vallon. Il est probable que la Queue de Merluche de Saint-E´tienne-de-Chigny 37, aussi en teˆte de vallon, en est une euphe´misation. Les sobriquets n’oublient pas les constructions : les Malmaison fourmillent, on a aussi la Me´chante Maison et la Maison Pourrie a` Reugny et Neuille´ le Lierre 37, Malabri a` Rouelle´ 61 ou Malabry a` Plorec-sur-Arguenon 22, la Malabreuve´e a` Aubenton. L’assise est mise en cause par la Maltourne´e en une trentaine de lieux dont une douzaine dans le seul Loiret, et la Malbirade (mal tourne´e), ferme en exposition nord a` Baraigne 11, une Malbirade et une Malvirade voisines en exposition ouest a` Cocumont 47, une autre Malbirade a` Belpech 11, la Malbirado a` Villegly 11 et cinq autres Malvirade en Agenais ; la Malposade a` La Cassaigne 11, des Malassis et Malassise. Mailly-le-Chaˆteau 89 cumule Maupertuis (dans une boucle serre´e de l’Yonne), une ferme Malassise, une Malvoisine. Le donjon de Moulins 03 est nomme´ la Mal Coiffe´e a` cause de son toit. Le Chaˆteau Mal Veˆtu est a` la limite de La Marche 58 et au bord... du Mardelon. Malpense´e est une ferme d’Ouzouer-surTre´ze´e 45. Plusieurs lieux-dits se nomment la Malfaite, la Malfacie, Malfait, Malfato (Agde). La Mal Campe´e est un hameau a` Warcq 08, la Mal Avise´e a` Tournevaux 08. Il faut cependant noter que certains de ces pre´fixes ont cherche´ moins a` ge´mir qu’a` de´fier, a` annoncer un danger, une menace pour l’ennemi, comme l’on affiche de nos jours « chien me´chant » : des Maule´on ou Maubourguet, Malintrat 63 ont pu avoir ce sens. Ce peut eˆtre aussi le cas de l’emploi de me´chant, qui e´tymologiquement se re´fe`re a` la mauvaise chance (ancien franc¸ais mescheoir). Ne´anmoins cet adjectif semble avoir eu surtout le sens de difficile, rude comme le Pic Me´chant (Aragnouet 65), Me´chante Coˆte (Givry 89), ou autrement de pie`tre qualite´, comme les Me´chants Pre´s (quatre occurrences), le Me´chant Mas (Brigueuil 16) ou la Me´chante Vente (Saint-Hilaire-Saint-Mesmin 45). Pour l’anecdote, signalons aussi biceˆtre, qui apparaıˆt dans une bonne vingtaine de lieux-dits et au Kremlin-Biceˆtre 94. C’est un mauvais signe, une me´saventure, qui vient de « bissextile » : les anne´es bissextiles e´taient de mauvais pre´sage pour les

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Romains. Un bicestre e´tait a` Paris un brise-tout (H. Sauval, 1724) et la prison et l’hoˆpital de Biceˆtre y ont eu tre`s mauvaise re´putation. Dans le cas du KremlinBiceˆtre, cependant, commune cre´e´e en 1896 avec deux noms d’aˆges tre`s diffe´rents, Biceˆtre fut une alte´ration e´ventuellement malicieuse de Winchester, dont l’e´veˆque fut proprie´taire des lieux au XIII e sie`cle – Kremlin e´tant un souvenir de grognard de l’Empire qui y eut un bistrot a` ce nom. Ge´oportail recense deux Biceˆtre, en HauteLoire (Savigneux et Planfoy), un Petit et un Grand Biceˆtre a` Montmerle-surSaoˆne 01, la Croix-Biceˆtre a` Chaˆteauvillain 52.

Le gouˆt des couleurs Les couleurs abondent dans les noms de lieux, mais de fac¸on quelque peu se´lective : le noir et surtout le blanc dominent, le rouge est remarque´, le vert est trop pre´sent dans le paysage pour eˆtre se´lectif, et les couleurs interme´diaires n’apparaissent qu’assez confuse´ment. Le blanc est cite´ sous quatre formes principales. La forme franc¸aise blanc, blanche est tre`s re´pandue mais de formation relativement re´cente ; elle est issue du riche IE bhel pour clair, brillant, qui a donne´ la flamme, la beauce et la divinite´ Belisama, plus ses propres de´rive´s comme Beaune. Une dizaine de communes se re´fe`rent directement au blanc : Blancfosse´ 60, Blancfosse-et-Bay 08, Blancherupt 67, Blanche-E´glise 57, Le Blanc-Mesnil 93, trois Blanquefort et Blancafort 18, Blancafort a` Mirande 32 – mais justement pas Le Blanc 37, reste de´forme´ d’un Au Blanc, lui-meˆme issu d’un ancien Oblinco qui viendrait d’aballo selon P.-H. Billy et aurait donc e´te´ une pommeraie. Maison-Blanche, Mas Blanc, Bordeblanque ou Borde Blanche sont fort communs, ainsi que Casablanca coˆte´ catalan et Casabianca coˆte´ corse. Les autres lieux-dits sont nombreux, de´signant surtout des sols, des eaux, des accidents de relief visibles, jusqu’au Mont-Blanc, qui a une dizaine d’homonymes, et de nombreux synonymes dont une centaine de Puy Blanc, Pouy Blanc, Pech Blanc, etc., et meˆme un redondant Tuc Pouy Blanc a` Saint-Gor 40. Il s’y trouve une centaine de Terre Blanche et Blanche Terre, autant de Font Blanche, Fontaine Blanche, Blanche Fontaine et Fontblanque, et le lac de Blanchemer a` La Bresse 88. Les Pierreblanche et Peyreblanque abondent, comme les Roc Blanc et Blancheroche ; Coˆte Blanche a une cinquantaine d’occurrences dans Ge´oportail. La racine alba a e´te´ plus anciennement productive, mais pose beaucoup de proble`mes. Commune dans les langues romanes, elle a figure´ aussi en celte (albos) et viendrait d’un IE albho de meˆme sens, de´signant aussi l’aube. Elle est rarement seule, comme dans l’Aube, rivie`re blanche en pays de craie, ou les deux Albas, communes de l’Aude et du Lot. Elle est le plus souvent associe´e a` un nom commun : Aubeterre, Terraube, Obterre 36, Aubepierre, Auberive, Montauban ou Montalba. Une premie`re difficulte´ vient de ce que alb-blanc a servi aussi a` former des noms de sols ou de plantes, qui ont a` leur tour servi a` former des noms de lieux : ainsi des aubuis et aubues comme sols (les Aubues, les Aubuis sont des noms de lieux-dits courants), et plus souvent encore du peuplier blanc ou albar, du saule blanc ou obier.

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Les Aubiers, Albias 82 et Albie`s 09, Les Aubrais 45, Albaret, Albare`de, Albareto ou Laubare`de, Albefeuille ont de´signe´ des lieux non pas « blancs », mais riches de ces ve´ge´taux. En Flandre, Abeel a` Wormhout 59, l’Abeele a` Boeschepe 59, Abeele Veld a` Rubrouck 59 viennent d’abeele, le peuplier blanc, populus alba. Une seconde difficulte´ tient aux paronymes. La principale source de confusion est avec alp, au sens de hauteur pastorale, qui semble avoir e´te´ bien identifie´ dans des noms comme Alba-la-Romaine 07, Aubenas 07, probablement Albi 81 et les Albe`res, montagne en pays catalan. En Corse, Albitreccia vient de l’arbousier (albitru). Une ancienne forme du noisetier (avera) est suppose´e par M. Morvan eˆtre a` l’origine de noms comme Abe`re 64, Aubare`de 65 (ancienne Avereda). Et la vingtaine de noms de communes en Aubigny et voisins sont assez unanimement rapporte´s a` un NP Albinius... Un autre radical ancien vindo, d’origine celtique, e´voque le blanc de fac¸on positive, en l’associant aux notions de beaute´ et de bonheur. On le discerne dans des noms de cours d’eau comme la Vende´e, la Vende`ze, la Vende, et dans Vendoˆme. De meˆme origine et de meˆ me sens est le gwen breton, qui apparaıˆt entre autres dans Le Pouliguen (anse blanche) et que certains voudraient voir dans Gue´rande (gwen rand, pays blanc). Vendes 14 et plusieurs Vendeuil sont en pays de sols blancs et de fours a` chaux. Quelques weiss figurent en Alsace, comme Weisse Birke, bouleau blanc a` Oberbronn ou Weisser Berg, mont blanc, a` Seebach, et en Moselle comme Weisser Pfu¨hl (marais blanc) a` Goetzenbruck 57. Cette forme vient d’un IE kweit, blanc, brillant et se retrouve a` Vıˆte Coˆte (Le Claon 55) et en d’autres langues nordiques, comme a` Vittefleur 76, Vitot 27, Witte Huys Feld a` Staple 59. Leucos, de l’IE leuk brillant (d’ou` vient lux), avait un sens voisin en celte ; il en viendrait des noms comme Lie´oux, Lioux, Lieuche. Le grec similaire leukos est directement a` l’origine de Leucate, aux blanches falaises. Le basque emploie zuri, churi, comme Xuriten Borda (la ferme blanche) a` Osse`s ou Churite´guia (creˆte blanche) a` Helette, Churieta (lieu blanc) a` Urcuit. Coˆte´ brillant, l’argent et l’or ont eu leurs de´rive´s : directement par des mines comme les nombreux l’Argentie`re, ou Argentine 73, Argentie`res a` Aulus 09, ou indirectement par me´taphore : ainsi semble-t-il d’Argenteuil selon le brillant du gypse local, Argentan, Argentat, Argenton ou` la brillance serait celle de la rivie` re selon P.-H. Billy, et encore Argentorate, ancien nom de Strasbourg ou` rate de´signe un fort, comme a` Argentre´ 53. Du coˆte´ de l’or, on peut relever une dizaine de Mont d’Or et Monte d’Oro, deux Puy d’Or, sept Val d’Or. Dauzat cite Orival, Orvault, Orvaux, Vallauris, Uriage (Auriage au XI e sie`cle), Airvault (Aurea vallis en 971) ; mais la plupart des noms en aure viennent du vent, ce qui d’ailleurs pourrait s’appliquer a` Airvault, qui fut aussi e´crite Ayrevau. La question est discute´e pour des noms de rivie`re comme l’Orie`ge et l’Arie`ge, ou` les linguistes voient plutoˆt un tre`s ancien hydronyme ar-. Et le Mont d’Or en Lyonnais viendrait de l’hydronyme dour – pas moins de neuf communes en ont profite´ pour ajouter publicitairement a` leur nom « au-Mont-d’Or » (Collonges, Poleymieux, etc.) entre 1875 et 1925. Dans les deux cas les allusions a` la monnaie sont possibles : on

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rele`ve six jeux de mots sur l’E´pi d’Or, de nombreuses autres allusions dont le Puits d’Or a` Malain 21, le Veau d’Or a` E´necourt-le-Sec 60 et le Veau Dore´ a` Brain-surl’Authion 49 ; La Ferte´-Bernard 72 a un Veau d’Argent, Taingy 89 contient la Pie`ce de Beaucoup d’Argent... Le noir est bien moins re´pandu en toponymie que le blanc et le brillant ; mais il est vrai qu’il a traditionnellement une connotation moins flatteuse. Il de´signe souvent des horizons sombres, boise´s, comme la Montagne Noire languedocienne et les Montagnes Noires bretonnes, des Noirmont ou des Puy Noir, et de tre`s nombreux lieux-dits les Bois Noirs. Parfois il signale des sols ou roches de couleur sombre, moins souvent d’ailleurs dans les laves volcaniques que dans les bas-fonds tourbeux : les Terres Noires, au pluriel comme au singulier, se comptent par centaines. Ge´oportail rele`ve une bonne cinquantaine de Roc, Roche ou Rocher ainsi qualifie´s, des Pic Noir, Serre Noir, Barre Noire. Noir s’applique aussi aux eaux, surtout stagnantes : des dizaines de Lac Noir dont une quinzaine dans le seul de´partement de Savoie, des E´tang Noir, une dizaine de Mortier Noir et quelques Mare Noire. Quelques communes sont en noir : Noirval dans les Ardennes, Noirlieu dans la Marne, Noirefontaine dans le Doubs. Mais l’adjectif est rare dans les e´tablissements humains : pas de Noir Mesnil, a` peine quelques Mas Noir, une seule Bordenoire (Tournefeuille, 31), un seul Villenoire (Luc¸ay-le-Maˆle 36), Noirmoutier (monaste`re), Noire´table 42. La Manche a aussi Ne`greville, mais c’est un faux ami : jadis Esnegervilla, le nom serait plutoˆt apparente´... a` la neige par un norrois snærr. Toutefois, le noir s’exprime aussi par d’autres formes : Niello en Corse (Valdu Niellu comme foreˆt noire), Nier dans le Sud-Est, ou` sont un Pey Nier a` Ne´oules 83 et un Serre Nier a` Alissas 07, une Coume Nie`re a` Me´rial 11, la Nie`re a` Pelvoux 05, et surtout Ne`gre, particulie`rement en pays occitan. Des dizaines de lieux-dits comportent ne`gre au de´but ou a` la fin, dont plus de soixante le Ne`gre (dont onze en Gironde), plus de trente Bosc Ne`gre et Bos Ne`gre, Roc Ne`gre, surtout dans les Pyre´ne´es-Orientales, plusieurs Ne`greval, Ne`gremont, Ne`gre Vergne (aulne noir), Ne`grepelisse 82 et la Corse a son Monte Negro (a` Palasca) – Carnoe¨t a son Monte´ne´gro en pleine Bretagne, mais il doit s’agir d’une importation du XIX e sie`cle. Aucun changement de ces ne`gre n’a encore e´te´ demande´ en vertu du « politiquement correct » ; le Canada les a efface´s en 2015. D’une ancienne racine IE dheub, profond, viennent l’anglais deep aussi bien que le bathos grec, et en celte dubus, dubnos, dumno. Certains leur rattachent volontiers le Doubs et d’autres rivie` res « noires » comme la Dheune, la Deule, ou encore Duesme 21 : l’ide´e de profondeur aurait entraıˆne´ le coˆte´ sombre ; mais il peut s’agir de notions distinctes et, en outre, proches d’une racine hydronymique bien connue (dour, doubron). Il est vrai qu’en breton don a le sens de profond tandis que du est « noir ». Le Pouldu est un e´tang noir et plus de trente Pouldu ou le Pouldu s’e´parpillent en Bretagne. Riec-sur-Belon a un Ker Lagat-Du, ce qui e´voque des yeux noirs. Les Montagnes Noires sont Menez Du en breton, et quatre lieux-dits portent ce nom. On trouve aussi deux Pont Du, trois Toul Du (trou noir), deux Dourduff (eau noire), etc. Le basque emploie bel, beltz : Mendibel de´signe une Montagne Noire, et le Pic de Belchou entre Hosta et Saint-Just-Ibarre vient de beltz ; Mendibeltza a` Alc¸ay-Alc¸a-

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be´he´ty-Sunharette 64 et Murrubeltza a` Sainte-Engraˆce 64 sont aussi des monts noirs. L’e´quivalent germanique schwarz est e´videmment pre´sent en Alsace et Moselle avec plusieurs Schwarzthal (valle´e), des Schwartzbach, Schwarzberg, etc., un Schwarzweiher (e´tang) a` Guessling-He´mering 57, mais pas jusqu’au niveau de la commune. Le coˆte´ sombre peut eˆtre aussi rendu par maure et par brun. Le premier, qui pour les Latins de´signait les habitants de la lointaine Mauritanie (Maurus), a fini par devenir synonyme de noir, comme en ancien franc¸ais moreau pour un cheval noir. Il est probable que les divers Mauremont, Montmaurin, Maureville, Castelmaure, Castelmore ou Castelmaurou ont plus a` voir avec le noir qu’avec les Sarrasins ; mais e´ventuellement par l’interme´diaire d’un NP. Des linguistes pensent que le massif des Maures, jadis la Maura, pourrait n’avoir e´te´ qu’une Montagne Noire. Brun serait issu d’un IE bher qui a de´signe´ des animaux au pelage brun, comme l’ours (d’ou` bear en anglais) et le castor (biber, beaver) ; il a donne´ d’assez nombreux Montbrun, Roquebrune ou Rochebrune, et de multiples NP a` leur tour inscrits dans la topographie (Brun, Brunet, Bruneau, Brunel). On s’interroge sur les quelques Bordebrune de la Touraine et des environs (chap. 1). Les confusions sont fre´quentes avec l’un des e´tymons de la source (bronn) : Fontbrune pourrait n’eˆtre qu’une redondance et Brunehamel 02 a pu eˆtre un hameau de la source (E. Ne`gre y voit un NP germanique). Couleur remarque´e dans la nature, le rouge tient en ge´ne´ral a` de fortes teneurs des sols en oxyde de fer et ne s’y distingue gue`re du roux, de meˆme e´tymologie : IE reudh, qui a donne´ en grec erythros, en latin rubeus. Royat fut l’ancienne Rubiacum, « la rouge », d’apre`s la couleur de la pouzzolane, adjectif aujourd’hui un peu paradoxal pour cette banlieue chic de Clermont-Ferrand. Le Rougier de Camare`s est une petite contre´e de terres rouges en Aveyron. Roussillon 84 tire son nom de ses ocres rouges et contient le Hameau des Ocres. Il existe de nombreux Terre Rouge ou Tierrouge, Montrouge et Rougemont, des dizaines de Pech, Puech ou Puy Rouge, des Baou Rouge dans le Var et Baumes Rouges a` Fontaine-de-Vaucluse 84, des Pic, Roc, Roche ou Ranc Rouge et meˆme un Saı¨x Rouge (rocher) a` La Chapelle d’Abondance 74, plusieurs dizaines de Coˆte ou Coste Rouge, ainsi que de Champ Rouge, et meˆme quelques Pre´ Rouge... Cette couleur de´signe aussi des cours d’eau comme a` Rougegoutte 90 ou dans quatre Rouge Rupt des Vosges. Elle s’applique assez souvent a` l’habitat lui-meˆme, soit en raison de la couleur des pierres, soit de celle des toits de tuiles : plusieurs dizaines de Maison Rouge et une trentaine de Mas Rouge, une bonne cinquantaine de Chaˆteau Rouge, Chaˆteauroux, Castel Rouge et Castel Roux, un Rougemontiers 27 et deux l’Auberge Rouge, l’une a` E´court-Saint-Quentin 62, l’autre plus ce´le`bre a` Lanarce 07, qui de´fraya la chronique en 1833. La Rouge est une commune de l’Orne, et le nom de nombreux lieux-dits ; Collonges en Corre`ze a obtenu d’ajouter « la Rouge » a son nom en 1969 pour valoriser ses belles maisons de gre`s. Le nom a donne´ aussi Les Rousses, des Costerousse, et bien des noms proches. Ru, diminutif Rouzic, lui correspond en breton dans les plusieurs dizaines de Ty Ru (maison rouge), Menez Ru (montrouge, a` Leuhan 29), Goaz Ru (ruisseau, a`

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Lanvellec 22), Lann Rouzic (lande, a` Malguenac 56), Stang Rouzic (e´tang, a` Plouguerne´vel 22). Il devient arrouy dans le Sud-Ouest, ou` les Pyre´ne´es comptent une vingtaine de Pic, Mont, Malh ou Mail Arrouy, et la commune de CastetArrouy 32 (Chaˆteau-Rouge). Il peut eˆtre traduit par Roig, Roya en Catalogne. Il est rosso en Corse, qui affiche des Capo Rosso, Monte Rosseo, des Poggio, Pozzo, Punta Rosso. L’Alsace a Rothbach et un ruisseau Rothaine (eau rouge) mais rod, roth peuvent y avoir le sens de de´frichement. Le basque emploie gorri et a plusieurs Etchegorria (maison rouge), au moins un Mendigorria (mont rouge) a` Ayherre ; Buztingorria a` Villefranque 64 signifie argile rouge. Les autres couleurs ont des mentions plus rares ou plus floues. Elles ne se distinguaient d’ailleurs pas toujours tre`s bien aux temps fondateurs de la toponymie : le bleu, le vert et le jaune ont pu eˆtre de´signe´s par des termes voisins. Il semble que le sujet soit couvert a` partir de deux racines IE distinctes quoique proches, ghel et bhel, qui toutes deux e´voquaient des teintes claires et plus ou moins brillantes. C’est ainsi que le bleu a la meˆme origine bhel que le blanc, le bleˆme, aussi le blond et le flavescent qui sont jaunaˆtres, tandis que le jaune (issu d’un latin galbus vert paˆle) a la meˆme origine ghel que le glauque, le glaz breton qui est vert ou bleu, les grecs chloro pour couleur et colo pour la bile, qui est jaune vert, et encore les gold, geld et yellow de nos voisins du Nord. Les toponymes en bleu sont assez peu nombreux, re´cents et de champ restreint : on note une quarantaine de Maison Bleue dans Ge´oportail, plus une trentaine de Lac Bleu et une douzaine d’E´tang Bleu, quelques Bois Bleu, deux Pont Bleu, gue`re de relief, de roche ou de sol – une Terre Bleue a` Grandfresnoy 60. Le breton glaz est re´pute´ avoir servi a` de´signer les nuances de la couleur de la mer ; il est selon les cas compris comme bleu, par exemple dans le Pays Glazik (bleu selon les veˆtements traditionnels), ou vert, par exemple dans les Hent Glaz (chemin vert), chemins abandonne´s ou empierre´s de schiste verdaˆtre. Ge´oportail a note´ plusieurs dizaines de Ty Glaz (maison bleue). Le jaune est encore moins re´pandu : a` peine deux Mare Jaune, deux Fosse Jaune, une seule Maison Jaune (Vaux-en-Beaujolais 69), pas plus de cinq Terre Jaune, une Butte, meˆme pas un Mont – il est vrai qu’en publicite´ le jaune devient or : outre les Mont d’Or, sept fois les Sables d’Or sur des plages, plus un site associe´ a` la Verrerie en Sologne (Veillens 41) ; six les Ble´s d’Or sont de la meˆme veine. Toutefois, des e´rudits estiment pouvoir lire, dans des noms de rivie`res comme Bue`ges, Boe¨ge, Bue¨ch, peut-eˆtre le Blavet et Blauvac, Boe¨n, un ancien gaulois bodios/blavus au sens de blond, jaune, autre descendant de bhel. Un vieux franc¸ais saur, au sens de sec, a aussi de´signe´ un jaune brun (jauni par fume´e du se´chage) ; il se trouverait dans les noms de Sorel et Montsoreau (P.-L. Augereau), dans Barbe Saure a` Lagnes 84. Le vert est d’un latin virere, vireo d’origine inconnue, suppose´e par certains de ueis, « ce qui croıˆt », par allusion a` la ve´ge´tation et, ainsi, en accord avec son sens figure´ dans « encore vert » – occasion de noter que Ge´oportail a releve´ en France seize toponymes Vert Galant. Cette origine est conforme a` celle du gru¨n allemand et du green anglais, associe´s a` to grow, pousser, croıˆtre : la couleur de la ve´ge´tation qui croıˆt (IE ghre). Bien que d’aspect redondant dans la plupart des paysages franc¸ais, l’adjectif entre dans de nombreux noms de lieux, mais comme pour insister sur la vigueur

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particulie`re de la ve´ge´tation locale. Ainsi abondent les Vauvert, Vermont et Montvert, plusieurs dizaines de Vert Bois et Vertbois, Vert Pre´ et Pre´ Vert. On a meˆme quatre Vert Vallon, six Verte Valle´e, neuf Vert Village et la mode est de nature a` accroıˆtre ces appellations jusque dans les cite´s – quatre Cite´ Verte sont mentionne´es. Toutefois, les confusions avec le verne (aulne) et le verger risquent d’eˆtre fre´quentes.

Des e´pithe`tes bipolaires De nombreux noms de lieux se fondent sur des distinctions, qui peuvent prendre la forme de couples d’oppositions : neuf et vieux, grand et petit, long et large, chaud et froid – outre le haut et le bas de´ja` de´crits. Une tre`s grande quantite´ de noms mettent en valeur la nouveaute´ ; parfois en opposition avec un plus ancien e´tablissement, parfois en soi, a` partir d’une extension de l’habitat et de la culture. Aussi beaucoup viennent-ils des de´frichements et assainissements me´die´vaux, surtout du XI Ie au XIV e sie`cle. La racine commune, tire´e de l’IE newo par le latin nov- ou le celte novios, le grec neos, le germanique neu, a pris des formes diffe´rentes selon les e´poques et les re´gions. On la trouve dans des noms aussi varie´s que les Neuilly, Noailhes, Nouaille´, Nuaille´, Nouaille, Nueil, Nieul, Nieulle, Nielle, Nivelle, Naillac, Nesle, Noyelle, Neaux, Navailles, Lanouaille, les Nogent, Nohant, Nouan, Noyant, Novion, Nouvion, Nyons, Noyon ; plus, en composition, les Neubois, Neubourg, Neuchaˆtel, Neuvicq, Neuvy, Neuville, Neuviller, Neuvelle, Nohic, Maisonneuve et Neuves-Maisons, Neufmoulin, Neufmesnil et l’abondance des Villeneuve et Villenouvelle, Chaˆteauneuf et Castelnau, Montierneuf, Bordeneuve et Bordenave, Caseneuve et Cazanove. Neung fut un Novio Dunum (butte fortifie´e), Niort un Novo Ritum (gue´), Neauphle, Neauphlette et Niafles 53 un « nouveau temple », Navacelles 30 une nouvelle cellule d’ermite, ou habitat de´rive´. Les formes s’infle´chissent vers le nau (Castelnau) ou novo, nave en pays d’oc (Bordenave, Casenove), le neu coˆte´ germanique (Neuwiller). Elles deviennent ne´vez en breton, dont les communes de Ne´vez 29, Ploune´vez (3 communes) et Ploune´ve´zel, une quantite´ de Ty Ne´vez (maison neuve), plusieurs dizaines de Kerne´vez, quelques Park Ne´vez, Milin Ne´vez (moulin), Lanne´vez ou Pont Nevez. Le basque a pour e´quivalent berri, qui apparaıˆt dans plusieurs dizaines de Bordaberria, Errotaberria (essart) a` Saint-Pe´e-sur-Nivelle, des Etcheberria et Etcheberry, etc. Le terme e´tait ge´ne´ral en vascon, voire en ligure, puisque Elne, Collioure et Auch ont jadis e´te´ des Ili- ou Eli-Berri, ville neuve. Ce qui est vieux est moins pre´sent et a une moindre varie´te´ de formes : ne´anmoins une trentaine de communes se nomment Le Vieux-Marche´, Vieux-Conde´, VieilE´vreux ou Vieillevigne. On voit meˆme un Vieux-Viel 35, en fait ancien Veteri Viello ou` Viel avait donc le sens de village. Le Vieil-Bauge´ 49 a disparu en 2013 par fusion dans Bauge´-en-Anjou. Parmi les lieux-dits se repe`rent des Artiguevieille, Maison Vieille et Vieille Maison (plusieurs dizaines), Bordevieille (une cinquantaine), Vieille E´glise (dont une commune en Pas-de-Calais) ou Gleyzevieille. L’adjectif devient bielh ou bieil dans le Sud-Ouest comme a` Hount Bielhe a` Vizos 65 (fontvieille), Port-

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Bielh a` Bagne`res-de-Bigorre et a` Vielle-Aure 65, non sans risques de confusion avec des Bielle et Vielle qui ont le sens de ville, comme Vielle-Aure elle-meˆme – Le VieilArmand alsacien est en fait une adaptation d’un Hartmannswiller, autre avatar de vieil-ville. La Corse conserve des vecchio et vecchiu dont le plus connu est Porto-Vecchio et le plus inattendu Novo al Vecchio (a` San Lorenzo) ; l’adjectif est associe´ a` des champs (Campo Vecchio, Campu Vecchiu), de nombreux Ponte et meˆme un Cap Vecchio a` Pietrosella. Alt est le terme germanique, comme dans Altkirch (vieille e´glise) ou Altwiller, mais peut aussi signifier haut ou important, comme dans les divers Altenberg ou a` Altorf 67 : il faut des archives et un regard sur les sites pour pouvoir en de´cider. L’e´quivalent est oude ou aud en flamand ou en norrois, comme a` Oudezeele 59 ou Audincthun 62 et Audencthun (Zudausques 62), Audruicq 62 (oude et vic), sans doute aussi Auderville 50 (F. de Beaurepaire). L’antique radical sen pour vieux (senior, se´nateur) se lirait dans Senantes 49 (vieux sanctuaire, Seno Nemeton), dans les Semur (vieilles murailles) et plusieurs Seneuil (seno-ialo), ainsi que dans les hen bretons comme Hennebont (vieux pont). Quelques dizaines de toponymes emploient Ancien, dont cinq Ancien Bourg, et curieusement un Ancien E´tang Neuf a` La Charme´e 71 et un Ancien Jasneuf a` Chichilienne 38, mais dans certains cas c’est une simple notation sur la carte plutoˆt qu’un vrai NL, notamment pour d’anciens moulins. Le basque a zahar : par exemple Etche Zahar a` Urt, Errota Zahar (vieux sart) a` Saint-Jean-de-Luz, Eyhera Zahar (vieux moulin) a` Saint-Martin-d’Arrosa. Le breton coz figure dans de nombreuses mentions de Coz Park, Coz Forn, Coz Porz (avec enclos, four, port), Goz dont des Milin Goz, Govel Goz, Goarem Goz (Vieux Moulin, Vieille Forge, Vieille Garenne), Cosquer et Ty Coz (Vieille Maison). Quantite´ de lieux se sont voulus ou ont e´te´ dits « grand », par eux-meˆmes ou par comparaison avec un « petit » : tels Grand-Quevilly et Petit-Quevilly, Grand-Couronne et Petit-Couronne en Normandie. En fait grand et gros, qui d’ailleurs viennent de la meˆme racine IE ghreu qui semble avoir eu le sens de grossier, brut, ont souvent e´te´ synonymes – et grand se dit gross en germanique : la Moselle englobe Grossbliederstroff (le grand village d’un certain Blithar), Gros-Re´derching (d’un NP Roderich) ou Grostenquin d’apre`s un certain Tanniu, flanque´ d’un Petit-Tenquin, au moins quarante Gross Feld, plus de trente Grossmatt ou Grossmatten (prairie) et plus de vingt Grosswald ou Grossenwald, des Grosskopf (teˆte), Grosse Heide (lande). Le Gros-Theil 27, Dizy-le-Gros 02, Gros-Chastang 19, Gros-Morne en Martinique sont d’autres exemples de communes. La liste des communes franc¸aises comporte 86 noms commenc¸ant par Grand, Grands, Grande ou Grandes, dont plusieurs Grandville et Grandvillers, Grandcamp ou Grandchamp, Grandfontaine, Grandlieu ou Grandrieu. D’autres s’y ajoutent, moins visibles mais de meˆme sens comme Grammont (Grands Monts au XIV e sie`cle) ou Grandville (Grande Villa au XI e). De surcroıˆt, le-Grand vient aussi en suffixe comme dans Mercey-le-Grand, Crosey-le-Grand ou Sancey-le-Grand dans le Doubs. Dans les lieux-dits, Grand apparaıˆt aussi en deuxie`me position dans de nombreux Camp Grand, le Pre´ Grand, le Puy Grand, etc. Curieusement, la seule

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commune a` se nommer Grand tout court, dans les Vosges, est hors jeu : l’arche´ologie la rattache au dieu gaulois Grannus... Grand a plusieurs e´quivalents, surtout au sens de « principal », « majeur ». On sait que ver est une racine celtique qui comporte une ide´e de hauteur, de supe´riorite´ : Vercinge´torix aurait e´te´ le roi (rix) des guerriers (cingeto), avec un superlatif ver dont on ne sait s’il qualifiait le roi ou ses guerriers. Ce ver est suppose´ eˆtre dans Verdun (avec duno, donc haut fort ou super-fort) et dans Vertault 21, petit village au pied d’un e´peron barre´ dominant la valle´e encaisse´e de la Laignes, sur lequel se tint la forte ville gallo-romaine Vertillum, dont on a retrouve´ des restes de thermes, de murs et de temple ; mais ce sujet est discute´. Il pourrait eˆtre aussi a` l’origine de la butte de Vergy dont trois communes portent le nom (Reulle-Vergy, L’E´tang-Vergy et CurtilVergy, 21), peut-eˆtre de Verze´ 71, Vergisson 71 selon G. Taverdet ; voire de Verclause 26. Mais il a pour homonyme un ver (vara) associe´ a` l’eau, au bord de l’eau... Un e´quivalent est magne (latin magnus, IE mag ou meg = puissant) comme dans Magneville, Manneville, Menneville, Mane´glise 76, Villemagne 11 et Villemagnel’Argentie`re 34 ; ou la Manneporte, dans les falaises d’E´tretat ; et peut-eˆtre aussi les divers Maguelone ou Maguelonne, Magalas, Majastre 04 (de mag, tre`s grand et aster, chance). La prudence est utile : E. Ne`gre estime que Montmain 21 n’est pas un mont « magne » mais simplement « moyen ». Le celte maros (qui viendrait aussi de mag) est visible dans les Mareau, Mareuil, Marsal, Marvejols, ou encore Marboue´. Maros se retrouve en breton sous la forme meur, de meˆme origine, comme a` Botmeur (grande maison, ici grand manoir), Lanmeur 29 e´quivalent de la Grande-Paroisse, au domaine et parc de Menez Meur (« Grandmont ») a` Hanvec 29 dans les monts d’Arre´e, ou encore dans une quinzaine de Hent Meur (chemin), plusieurs Pont Meur, quatre Porz Meur et, paradoxalement, une dizaine de Ty Meur (grande maisonnette...). Le breton utilise aussi braz, qui peut avoir le sens de large : on rele`ve des Ros Braz (rocher), Ker Braz (village), Coet Braz (bois), une vingtaine de Menez Braz (mont), neuf Porz Braz (port), une dizaine de Park Braz et des quantite´s d’autres noms dont sept Ty Braz ; Mor Braz (la grande mer) est l’oce´an en ge´ne´ral, et plus particulie`rement la partie de l’Atlantique qui va de Quiberon au Croisic. Il resterait des traces d’un radical nordique stur de meˆme sens dans E´tretat et E´turqueraye 76. Grand est handi en basque : par exemple dans Handiamendi (mont) a` Aincille ou Handiaborda (ferme) a` Suhescin, et meˆme Handimendioborda (ferme du grand mont) a` Espelette. Petit est tre`s fre´quent, mais un peu moins que grand : il entre en premier dans le nom de 35 communes, a` la fin de 35 autres comme a` Mourmelon-le-Petit distingue´e de Mourmelon-le-Grand dans la Marne, Viaˆpres-le-Petit dans l’Aube ou` son voisin Viaˆpres-le-Grand n’est pourtant plus qu’un e´cart de Plancy-l’Abbaye, Saint-Re´myle-Petit en Ardennes ou` n’apparaıˆt pas (ou plus) un Saint-Re´my-le-Grand. Les couples de communes -le-Petit et -le-Grand existent encore dans 26 cas sur 35. Petit apparaıˆt aussi dans des lieux-dits ironiques : plusieurs Petit Gain, Petit Be´ne´fice, Petit Souper. En Alsace et surtout en Moselle, l’e´quivalent klein se lit dans de nombreux lieux-dits, par exemple Klein Schwarzweiher (petit e´tang noir) a` Niederstinzel 57, Klein

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Tannenthal (petite valle´e des sapins) a` Lembach 67 ou Klein Feld a` Schwoben 68, Kleinfrankenheim (le petit village des Francs, ou des hommes libres, a` Schnersheim 67) et Kleingoeft 67 (petit bois, avec un radical d’origine caeto apparente´ au breton coat) ; ici petit s’oppose non a` gross mais a` haut, entendu comme « principal » : l’un a` Hohfrankenheim, l’autre a` Hohengoeft (M. Urban). On trouve comme e´quivalent savoyard cruet qui a le sens de che´tif : H. Suter signale plusieurs le Cruet, les Cruets. En Normandie, lille, qui vient de litill comme little en anglais (IE leud), a ce sens dans Lilletot et dans Lillebec (Pont-Audemer), bien que ce dernier soit e´crit a` tort Lislebec – mais Lillebonne vient de Juliobona, fondation de´die´e a` Jules (Ce´sar). Le basque emploie xipi ou txipi comme a` Abartaxipikoborda, la petite ferme du cheˆne vert a` Ustaritz, ou Bordaxipia a` Arcangues, qui a aussi deux e´carts Errotaxipia et Errotahandia (petit et grand essart). Petit est bihan en breton : le Morbihan est la petite mer. On peut trouver une douzaine de Ty Bihan (petite maisonnette), des Porz Bihan, des Menez Bihan et meˆme des situations complexes par de´doublement : deux Menez Meur Bihan (le Petit Grandmont) a` Pleuven (isole´) et a` Saint-E´varzec, ou` en fait le gros hameau de Menez Meur (Grandmont) est flanque´ de hameaux Menez Meur Bihan et Menez Meur Braz... et voisine avec un Menez Braz (autre Grandmont) flanque´ d’un Menez Braz Coz (le vieux) et d’un Menez Braz Nevez (le jeune). Plusieurs dizaines de communes s’affichent avec Long en teˆte ou en queue, dont neuf Longeville, huit Longueville et quatre Villelongue, plus Bucy-le-Long et Ressons-leLong 02, Fresnay-le-Long 76, Silly-le-Long 60, Ladignac-le-Long 87, Sancey-leLong 25 ainsi distingue´ de ses voisines Sancey-le-Grand et Sancey-l’E´glise. Long s’applique ici a` des habitats en longueur, comme dans divers Longvillers, a` Longvic 21, Longwy 54 ou Longwe´ 08 ou` vic, wy, we´ sont issus de vicus. On trouve un Longmesnil 76, et plus curieusement deux communes Longecourt en Bourgogne, un Longcochon dans le Jura, qui aurait e´te´ un « long couchant », d’ou` son gentile´ Couchetard.... Ailleurs l’adjectif a signale´ d’autres objets tels Montlong, Pic Long, Pierrelongue, Longpont, Serrelongue et Serralonga, voire le lac de Longemer dans les Vosges, et surtout des parcelles ou aires agricoles : des Longueil, quantite´ de Longs Champs dont sept communes en Longchamp ou Longchamps et deux Camplong, de Campo Longo et Campu Longu en Corse, de Longues Raies, de Longpre´, des Bordelongue, une dizaine de Courre`gelongue redondants puisque courre`ge a le sens de champ e´tire´ (en forme de courroie). La Vallongue est une valle´e ce´venole ou` le Gardon d’Ale`s naıˆt a` Saint-Privat-de-Vallongue, la Ballongue (bat-longue) est la valle´e de la Bouigane en Couserans. Longue´-Jumelles 49 vient de l’association du Long-gue´ (Longo Vado en 1106) et de sa voisine Jumelles, au nom d’origine inconnue, atteste´ tel au XI e sie`cle et qui a pu e´voquer deux sites voisins et semblables. L’e´tymon IE del aurait donne´ long, lent et les formes nordique langr et germanique lang qui apparaissent dans Lanquetot et Lanquetuit, et toute une se´rie de Lang en Alsace et Moselle : deux communes Langensoultzbach 67 (le long de la rivie`re Soultzbach) et Langatte 57 (ancienne Languater, longs jardins en francique) et au moins une trentaine de Langmatt (Longpre´), de nombreux Langenacker et Langen-

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feld (champ), Langfurt ou Langfurth (gue´), etc. L’e´quivalent est hir en breton, ou` le menhir est la pierre longue ; le Trez Hir est la longue plage de Plougonvelin, Pen Hir est la ce´le`bre « longue pointe » de Camaret ; plusieurs Menez Hir (montlong) et Mez Hir (longchamp) figurent sur les cartes. Le basque emploie luze, comme a` Urepel ou` voisinent une Bordaluzea (bordelongue) et une Jakaluzen Borda (ferme du long sommet). Notons que ni « bref » ni « court » ne sont gue`re employe´s, sauf sans doute dans les deux communes Courtefontaine du Doubs et du Jura, une dizaine de lieuxdits le Court, Courte Coˆte (Tancarville 73), Courte Rue ou Courte Roye, la Pointe Courte a` Se`te ; et d’amers Court Gain (Varize 28, Semblanc¸ay 37 et quelques autres) ou Courte Soupe (une dizaine de la Seine-et-Marne aux Ardennes)... Aucun nom de commune ne se termine en -le-Court ; surtout, court (curtis) a un tout autre sens en toponymie. Large est plus rare que long, pre´sent dans les lieux-dits mais pas jusqu’au niveau des noms de communes. Encore y a-t-il plutoˆt le sens de grand, comme on peut l’imaginer dans des noms comme le Chesne Large a` Saint-Georges-Buttavent 53, l’Aiguille Large a` Saint-Paul-sur-Ubaye 04 qui serait autrement paradoxale, deux le Maine Large (mesnil) en Charente. Large est aussi e´voque´ par lat (latin latus, IE tel), apparent dans les Pierrelatte. C’est en partie aussi le sens du radical breid qui, comme le breit germanique et le broad anglais, et peut-eˆtre le braz breton, sont re´pute´s d’origine inconnue. Les linguistes le voient en Normandie dans Brestot (Breitot vers 1080), Bre´tot (Toutainville 27), Bre´houlles, Bre´houlle, Bre´vy (Re´ville 50), Bre´volle (Teuhe´ville-Bocage 50), Bre´bec (Saint-Wandrille-Ranc¸on 76) et Bre´mare (la Rue Bre´mare, Allouville-Bellefosse 76). Le pays de Bre´denarde (Audruicq, Nortkerque et Zutkerque, Polincove en Pas-de-Calais) viendrait de breiten aard (terre large) mais le risque de confusion avec le mare´cage (bre´, bray) n’est pas mince. L’Alsace a deux Breitenbach (ruisseau) et un Breitenau (pre´ humide), plusieurs lieux-dits Breitenhag (haie), Breitenacker (champ), Breitenweg (chemin) et autres. L’opposition chaud et froid est d’une autre nature, et elle a ses pie`ges. S’il est courant que deux villages voisins de meˆme nom se distinguent par « le Haut » et « le Bas » ou « le Grand » et « le Petit », ils ne sauraient gue`re le faire par des diffe´rences de tempe´ratures – sauf a` la rigueur par les contrastes d’exposition, mais alors les noms se jouent plutoˆt en ombre et soleil, hiver et e´te´. Aussi les mentions de chaud et froid sont-elles singulie`res et non bipolaires. Elles concernent surtout les eaux et les fontaines, et c¸a et la` quelque accident de relief. Coˆte´ chaud sont ainsi des Eaux-Chaudes, Chaudes-Aigues 15, deux communes ayant pour nom Chaudefontaine dans le Doubs et dans la Marne et une Chaudefonds-sur-Layon 49, et parmi les lieux-dits des Chaude Valle´e et Chaude Vau (Cerny 91), de rares Chaude Coˆte (Chagny 08, Fre´land 68), et quelques pittoresques Chaude Cul (Rochecolombe 07), Chaud Cul (Nouilly 57) et Chauffe-Cul (Ve´rines 17 et Mortagne-sur-Se`vre 85) ; plusieurs Chaudbuisson pourraient avoir un sens plus grivois. La Corse a plusieurs lieux en Caldane. L’occitan y ajoute des Costecalde, Costecaude (plus de 20), Fontcaude et Fontcalde, ainsi que Les Escaldes (Angoustrine 66), Cauterets 65, Caude Cayre a` Roussillon 84 (roc chaud), Caudesaigues a` Saint-Antonin-Noble-Val 82. De la` un trouble, qui tient au fait que dans le NordOuest caude de´rive de kalt, qui est froid, comme a` Caudebec (froid ru) ou Caudecotte

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(maison froide, comme dans cottage), voire Coˆte-Coˆte (a` Bec-de-Mortagne 76) et Cotte-Cotte (a` Sierville et a` Gre´monville 76), qui sont aussi des froides maisons. Un autre trouble vient de la proximite´ de cau (chaud ou froid) et de cau (nu, chauve) dans les Caumont. Le Nord-Est a quelques Kaltenberg (mont froid) et Kaltenbrunnen (fontaine froide), Kaltweiler a` Mortnach 57 et Kaltwiller a` Saverne 67. Froid et ses formes locales fret, fre`de, frey sont plus abondants. On note, outre les communes de Saint-Bonnet-le-Froid 43, Sauzet-le-Froid 63, Saint-Paulle-Froid 48, Ruille´-Froid-Fonds 53, plus de cent Fontfroide, Fontfre`de, Fontfrey, Froidefont, Froidefontaine (dont une commune du Territoire de Belfort), Freydefont (Saint-Donat 63, Trizac 15) ; des Froidmont, voire Puy Froid (Availles-Limouzine 86), Peu Froid (Saint-E´tienne-de-Fursac 23), Pied Froid (Tours-sur-Meymont 63) et un Bric Froid (Abrie`s 05), deux Lac Froid (Goudargues 30, Larche 04), plus de quinze Froidcul dont une cite´ a` Moyeuvre-Grande et autant de Cul Froid. H. Suter signale pour les Alpes des Bois Frey (Gresse-enVercors 38), Le Mourre Frey (Castellet-les-Sausses 04, Sampzon 07), des Riou Frey (Thorame-Haute 04, Guillaumes 06). Il semble toutefois que, dans certains cas, froid ait pu avoir le sens de peu fertile : on nomme Terres Froides les collines d’anciennes moraines du Bas-Dauphine´ ; une vingtaine de lieux-dits ont ce nom dans d’autres re´gions. Le tie`de n’est pas une cate´gorie marquante ; ne´anmoins, Ayguatebia 66 a bien le sens d’« eau tie`de », du latin tepidus, dont l’origine est inconnue.

Quelques singularite´s D’autres qualite´s des lieux sont moins directement comparatives. Une alternative au sec est offerte par l’opposition entre Breuil-le-Sec et Breuil-le-Vert 60, seule commune a` avoir cette terminaison. Or le sec est tre`s re´pandu : pas moins de 45 communes l’ont ajoute´ a` leur nom. On y trouve huit Villers, quatre Villiers et un Villars, Noisy-le-Sec, Nogent-le-Sec, Se`cheval et meˆme un Fontaine-le-Sec. « Le Sec » y de´crit apparemment une ambiance ge´ne´rale de la ve´ge´tation, plus qu’un re´el manque d’eau. D’autres noms s’y ajoutent, comme Rieussec 34 ou Montsec 55. Parmi les lieux-dits, cette note ne manque pas, dont de nombreux Bois Sec et Pre´ Sec, plus une Fontaine au Sec a` Chatrices 51. Calm et ses variantes cam, chaum sont en ge´ne´ral des indicateurs de nudite´ et de platitude, surtout pour des sommets : des synonymes de chauve. La famille est fort e´tendue, mais le sens et les origines sont fort discute´s, et les risques de confusions abondent. En rele`vent apparemment les Chaumont, Chaumeil, Calmette, Caumont, Montcalm, ainsi que des Chaumes et beaucoup de Chaux qui furent jadis des Calm ; meˆme Charmes 26 qui e´tait Calmis ; ainsi que des Chau, Chaz, La Chaz, Lachat en Savoie, de´signant des incultes d’altitude. Couy a le meˆme sens en Gascogne et dans les Pyre´ne´es, comme au Soum Couy d’Arette 65, un mont pele´. Une racine IE gal avait le sens de nu, chauve, qui a donne´ calvus en latin ; elle ne rend pas bien compte du m de calm. Le rapport de calm avec le chaume au sens de friche nue n’est pas tre`s clair, et les risques paronymiques ne manquent pas avec cam pour

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courbe ou pour chemin, cau pour chaud, cau et chaux pour calcaire. En outre, cal est un radical pour rocher et semble aussi avoir de´signe´ quelque chose de dur (gaulois caleto) que certains linguistes voient dans le pays de Caux, voire Calais et le peuple gaulois Cale`te. P.-H. Billy note que le Caux s’e´crivait Calcis en 1015 pour en tirer, non le calcaire mais les Cale`tes, et veut voir dans Calais 62 un cala (crique). Toutefois, il existe plusieurs dizaines de lieux-dits Calais, en toutes re´gions. Les monts chauves sont aussi myste´rieux que nombreux. La se´curite´ a sans doute toujours e´te´ une vertu prise´e, et meˆme a` certaines e´poques un argument publicitaire ; nos nouveaux « quartiers se´curise´s » et autres gated communities a` l’ame´ricaine ne manqueront pas d’y ajouter quelques noms nouveaux. Du moins nous reste-t-il quelques noms comme Montsuˆrs, et davantage en « se´gur », lie´s surtout a` des chaˆteaux et a` des bastides du temps ou` il fallait donner confiance a` de nouveaux venus : la bastide de Monse´gur 33, Villese´gure 64, le ce´le`bre chaˆteau arie´geois de Montse´gur et d’autres Montse´gur a` Pailhe`s 09, Sablie`res 07, Saliesde-Be´arn 64, le chaˆteau Montse´gou a` Lamonte´larie´ 81, Se´gur-le-Chaˆteau en Corre`ze, les traces d’un Chaˆteau Se´gur a` Valgorge 07, Castelse´gui a` Balague`re 09 – d’autres chaˆteaux Se´gur plus tardifs viennent d’un NP. Bourg-Fide`le 08, construite au XVIe sie`cle, doit son nom a` son choix huguenot. Saint-Aubin-le-Vertueux 27 est re´pute´ s’eˆtre ainsi nomme´ par opposition a` une commune voisine Saint-Aubin-leGuichard, dont le nom pouvait eˆtre jadis compris comme brigand ou fuyard. Un gaulois tavo, tawa a de´signe´ des lieux et surtout des rivie`res tranquilles : il se trouverait dans Tavant 37, Tavaux 39, Thie`vre 62, Vertou 37 (tre`s calme, avec l’augmentatif gaulois ver) et dans les noms de la The`ve, de la Thie`vres, du The´rain. Gae¨l 35 a une ıˆle de la Tranquillite´ et Kourou en Guyane une Iˆle Tranquille, SaintCernin-de-Labarde 24 un Pey Tranquille, Long 80 une Valle´e Tranquille et Surtainville 50 un Hameau Tranquille, Le Buisson-de-Cadouin 24 se distinguant par un e´trange Pe`te-Tranquille. Enfin de nombreux lieux-dits portent le Bruˆle´ ou la Bruˆle´e : parfois a` la suite d’un incendie, mais sans doute beaucoup plus souvent d’un de´frichement par le feu (bruˆlis).

Jeux de nombres Les nombres figurent abondamment parmi les noms de lieux. Nous en avons de´ja` note´ trois grandes se´ries. L’une tient a` la dimension des parcelles, ou au poids des redevances, pris absolument (les Vingt-Huit, les Cinquante...) ou assortis d’une indication de mesure (les Vingt Juge`res, les Quinze Setiers, les Cinq Sous ou Sols, les Sept Deniers...). Une autre re´sulte des partages d’autorite´ aux limites des paroisses : fleurissent ici les Quatre Seigneurs, les Trois Abbe´s ; la Pierre des Trois Eveˆques a` Meyrueis est a` un point triple du Causse Noir ou` voisinent Loze`re, Gard, Aveyron. Dans ces deux se´ries, les de´nominations sont relativement re´centes et les formes imme´diatement lisibles. La troisie`me vient de la mesure des distances sur des voies e´quipe´es, aux bornes milliaires notamment ; les noms re´sultants sont plus anciens, et parfois plus difficiles a` lire sous l’alte´ration de leurs noms gaulois ou latins : Delme, Sathonay, Se´ez ou Parigny (chap. 2) demandent des expertises.

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Plus ge´ne´ralement, d’anciennes de´signations de nombres appellent quelque sagacite´ Trois a souvent eu la forme tre´ : Tre´bief a` Nozeroy 39 ou a` Rix 39 vient de trois ruisseaux, Tre´ville a pu avoir le sens de trois villae, voire trois valle´es ; mais ce tre´ risque d’eˆtre eˆtre confondu avec treb (tre`ve, habitat), ou avec tra (une traverse´e). Le gaulois petu/petr, quatre, se cache peut-eˆtre dans Be´darrides 84, compris comme quatre gue´s (petu+rito), et probablement dans Pierremande 02 (Petro-mantalum, Quatre-Chemins). Bien des noms de lieux signalent des quantite´s pre´cises, mais qui peuvent eˆtre trompeuses parce que certains nombres sont assortis de valeurs magiques ou symbolique : Sept est surabondant, Neuf assez bien repre´sente´, Quatre lie´ aux carrefours. Treize a pu avoir le sens de « beaucoup », comme dans des sites en Treize Vents ou Treize Aures, mais a parfois e´te´ e´value´ comme de´formation de « trois ». Les Sept Cheˆnes, Sept Faux (heˆtres), Sept-Saulx 51, les Sept Moulins a` Saint-E´tienne-deMontluc 44, les Sept Iˆles devant la Coˆte de Granit Rose ou` l’on s’e´chine d’autant plus vainement a` justifier le sept que leur nom est probablement une de´formation de Sant Enez (ıˆle du saint), les Sept Saints (Erdeven 56, Le Vieux-Marche´ 22), Septfonds 82 et Septfontaines 25 et de fort nombreux lieux-dits Sept Fonds ou Sept Fonts, les Sept Laux (lacs) en Ise`re ont pu eˆtre des approximations commodes, voire flatteuses. Rochegude 26 a un lieu-dit les Sept Nains. Au total, quinze communes commencent par Sept, dont Sept-Vents 14 Sept-Meules 76. En revanche, Les Deux-E´vailles 53 correspond bien a` la rencontre de deux rivie`res. I Cinque Frati (les Cinq Fre`res) a` Albertacce 2B a e´galement duˆ avoir un sens exact, comme Huit Voisins a` Romain 51. D’autres e´tymons d’origine fort diffe´rente ont pu eˆtre attire´s par un chiffre : Quatremare 27 a e´te´ Guitricmara en 1011, ce qui laisse entrevoir un plan d’eau attache´ a` un NP. Dixmont 89 est un ancien Dimont ou Dimon (au sens obscur), re´e´crit au XVIII e sie`cle ; et Cinq-Mars 37 fut a` l’origine un Saint-Mard... Neuf au singulier ne manque pas d’ambiguı¨te´, sauf s’il est associe´ a` un pluriel comme Neuf Pre´s a` Nouacourt 54, ou Neuf Jours a` Chavaroche 19, Jours pouvant y avoir e´te´ une unite´ de mesure. Les lieux-dits les Neuf tout court sont nombreux, comme les Huit, les Dix, etc.

Dure e´tait la vie Si les noms de communes laissent assez peu de place a` la fantaisie, ceux des lieux-dits te´moignent de la fertilite´ de l’imagination populaire, surtout dans la moquerie et meˆme dans l’autode´rision. On sait a` quelle richesse ont e´te´ porte´s les sobriquets, devenus noms de personnes. Or la pauvrete´ des gens et des sols, le danger, l’e´loignement ont e´galement e´te´ sujets de toponymes, souvent savoureux, parfois devenus obscurs avec le temps et les de´formations. Certaines appellations ne sont d’ailleurs que des re´interpre´tations de noms originels qui e´taient e´ventuellement porteurs d’un tout autre sens : mais ces glissements meˆme sont inte´ressants, et fre´quemment associe´s a` des le´gendes. La durete´ des temps et des lieux a marque´ la toponymie, surtout des terres « ingrates » et des lieux « perdus ». La pauvrete´ est directement e´voque´e dans plusieurs dizaines

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de lieux tels les Pauvres, la Pauvrete´, les Pauvrete´s, Pauvre Place (a` Gy 70), Pauvre Terre (Brantoˆme 24), Pauvre Champ (Chaudefontaine 51) et probablement la commune de Pauvres 08. On trouve le Champ aux Pauvres a` Somsois 51, le Moulin aux Pauvres a` Fouge`res 35, la Combe aux Pauvres a` Saulx-le-Duc 21, le Pre´ des Pauvres a` Sume`ne 30, une Grange aux Pauvres (Hauteluce 73), un Mas des Pauvres (Candillargues 34) et trois Loge aux Pauvres en Normandie. Be´ziers, sa proche Cessenon-sur-Orb et Berre-l’E´tang ont de curieux et ambigus Trompe-Pauvres. On peut leur ajouter Boissy-sans-Avoir, commune des Yvelines de´ja` sous ce nom au Plate Bourse, Paudabe´ (peu d’avoir, Termes-d’Armagnac 32) ; et d’assez nombreux Pre´ ou Bois des Gueux, une Fin des Gueux a` Mesnay 39, un Val aux Gueux a` Amfreville-sous-les-Monts 27, un Sentier des Gueux a` Chablis 89, la Gueuserie a` Pontlevoy 41 et deux Trompe-Gueux a` Arles et a` Rochefort-du-Gard. Le terme est re´pute´ d’origine ne´erlandaise (guit au sens de coquin), mais a pu eˆtre apparente´ a` hoˆte (cf. ghost) au sens de mendiant de´pendant des hospices : Rabelais e´voquait les « gueux de l’hostie`re ». Cependant, Gueux peut eˆtre aussi localement une de´formation de Goths, comme a` Gueux 51. XIV e sie`cle, quatre

L’e´vocation va jusqu’a` la mise`re, pre´sente seule dans une vingtaine de lieux, auxquels s’ajoutent 23 Valle´e de Mise`re, qui toutes correspondent a` des vallons un peu isole´s, comme a` Rocroi 08 ou a` Saint-Le´onard-des-Bois 72. Les appellations se diversifient avec deux Butte de la Mise`re a` Gambais et Rambouillet 78, la Basse Mise`re a` Brunembert 62, la Cence Mise`re a` Bucquoy 62, des Fond de Mise`re a` VillersSaint-Christophe 02 et Saint-Eustache-la-Foreˆt 76. Il se trouve meˆme un Champ de Ge´henne a` Donzy 58 en limite de finage, e´voquant cette valle´e proche de Je´rusalem qui fut de´poˆtoir et se´jour de le´preux et pestife´re´s, devenue symbole biblique de la damnation puis e´vocatrice de souffrance ; il est assez pre`s d’un hameau nomme´ Geigne, dans la Valle´e aux Dames. Citons encore la De´solation (Audigny 02, Regny 02, Elincourt 59) et les Champs De´sole´s a` Puchevillers 80. L’un des grands the`mes est la faible ressource locale. L’expression la plus courante en est « tout y fault », c’est-a`-dire il y manque tout, du verbe faillir. On le voit par dizaines sous les formes Tout-y-Faut (une vingtaine, surtout dans les Charentes), Tout-yFault (trois), Tout-il-Faut (trois), Toulifaut (22 cas), Toutifaut (14), Toutifault (un), Toutilfaut, Toutyfaut (quatre fois), Toutifau (deux en Agenais) et parfois avec un d final a` la place du t (trois Toutifaud). De meˆme esprit sont les nombreux Court Gain, les Rien-n’y-Vaut de Vierville 28 et les Rien-Vaut de Civray-surEsvres 37, Rien-de-Bon a` Iteuil 86, le Pas Vaut Gue`re de Tre´signy 89, les Pre´sne-Vaut de Restigne´ 37 ; le Preˆte-a`-Rien a` Volnay 72, le Trompe-tout-l’An a` Fuveau 13 ; le Haut de Nul Rapport a` Glonville 54 ; quatre Gaˆte Argent en Anjou et Ble´sois, deux Gaˆte Grenier en Poitou et Charente, un Gaˆte Bien a` Sablonceaux 17 ; voire, par antiphrase, le Tout-y-croıˆt de Ge´los 65. Les Cre`vecœur et Cre`ve-Cœur sont des dizaines, dont cinq au rang de communes, et ge´ne´ralement interpre´te´s comme te´moins de lieux « ingrats ». Plus explicites sont les Cre`ve-Cul a` Sciecq 79 et Casse-E´chine dans la commune voisine d’E´chire´ 79, ou les Semences Perdues a` Saint-Nicolas 62. On s’est plaint de la Terre Mal Faite a` Brie´non-sur-Armanc¸on 89, des Dures Terres a` Soisy sous Montmorency 95 et a` Wismes 62 et des Rudes Terres a` Carrie`res-sous-Poissy 78, meˆme de la Terre

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Maudite a` Auneuil 60, des Terres Maudites a` Samoe¨ns 74 – il existe bien neuf lieuxdits les Douces Terres, mais l’adjectif e´voque ici une qualite´ de sol, celle des doucins riches en limon et e´galement supports de noms de lieux. Des terres tre`s dures a` travailler sont a` l’origine d’une douzaine de toponymes en Gaˆte-Fer, de deux en Gaˆte-Acier (ou Gaˆtacier) a` Truye et Dierre en Touraine ; d’autres sont dites Brise-Charrue a` Chaˆtel-sur-Moselle 88, Louvagny 14, Sorans-le`sBreurey 70. Les Coˆtelettes a` Chassignolles 36 devraient leur nom a` leur terre si maigre qu’on n’y trouve rien a` gratter (S. Gendron). Peut-eˆtre les Corons sans Beurre de Guesnain 59 (vers 1899, aujourd’hui cite´ Ge´rard Philipe) ont-ils un sens voisin, dans un tout autre environnement. Gratter et peler sont d’ailleurs deux mots cle´s des gagne-petit, soit pour des lieux juge´s bien peu productifs, soit pour e´voquer l’avarice et la durete´ des rapports humains. Les noms en Gratte vont par centaines, ge´ne´ralement associe´s a` des terres vaines, en friche, ou qui le furent longtemps. On remarque des Gratte-Paille, un Gratte-Bruye`re a` Se´randon 19, Gratte-Rat a` Fouquebrune 16, Gratte-Ge´line a` Villemorien et a` Anirey-Lingey dans l’Aube, des Gratte-Che`vre, et une grande quantite´ de Gratte-Loup, Grataloup, Gratteloube, qui y ajoutent une ide´e d’e´loignement. Peler est tout aussi diversifie´ : on a tout pele´, pille´, e´corche´ si l’on en croit les divers Pellevoisin, les Pe`lebois a` Dammarie-sur-Loing 45, Pellebouc a` Me´rignas 33 et Pe`le-Bouc a` Saint-Sornin 03, Pe`lecrabe (che`vre) a` Caubiac 31, Pellegrue, Pellouailles (ovins), Pelleport (Pe`le-Porc selon E. Ne`gre), Pe`le-Porc a` Saint-Sulpice 81, sinon Pelle-Tout a` Coubert 77 et Pelle-Cul a` Mourens 33 – mais Pellefigue a le sens de « bon a` rien » et la dizaine de toponymes a` ce nom doivent donc eˆtre interpre´te´s comme de´rive´s de NP, ainsi d’ailleurs qu’une partie des pre´ce´dents. D’autres e´vocations se re´fe`rent a` la faim. Les unes sont directes : la Famine, le Champ de Famine vont par dizaines en pays d’oı¨l. Pontoux, Charette-Varennes, Varennes-sur-le-Doubs 71, Peseux 39 ont une Pie`ce Meurt de Faim ; une dizaine d’autres Meurt-de-Faim ont e´te´ recense´s, surtout en Bourgogne ; on trouve meˆme un Chaˆteau Mort de Faim a` Irais 79, Champs-des-Meurt-de-Faim a` Souhey 21. En e´cho, plusieurs dizaines de Brame-Faim ou Bramefaim, Bramafam et Bramafan, en pays d’oc et alentour, jusque dans l’Ain, ont pour sens crie-famine ou pleure-famine ; l’expression peut se rapporter aux animaux et donc a` de mauvaises paˆtures ; mais Brame-Farine (Saint-Pierre-d’Allevard 38) est bien pour le pain, comme Bramapan (Pouydraguin 32, Me´ounes 83). La Fringale existe a` une trentaine d’exemplaires, surtout dans le Centre et la Bourgogne ; L’Oudon 14 a un Mortefan, Corneuil 27 un Claque-Dent, Sincey-le`s-Rouvray 21 un Empoignepain... Picotalen (la faim vous pique) a le meˆme sens dans le Sud-Ouest, avec une dizaine d’occurrences. Courte Soupe en est une variante image´e, dans sept lieux de Seine-etMarne et alentour. Courtelouche est un lieu-dit de Ploubalay 22, la Courtemiche est a` Fre´teval 41. C’est sans doute au meˆme ordre d’ide´es que l’on doit rattacher les nombreuses mentions du pain : une soixantaine de Pain-Perdu et une dizaine de Chasse-Pain dans le Centre, quelques autres en Champagne et Bourgogne ; mais le sens et le son sont tre`s proches des quelques Peine Perdue existant dans les meˆmes re´gions. Notons a` ce propos que Painfaut (a` Avessac 44) ne signale pas un manque de pain mais... le bout de la heˆtraie (anc. Lis Penn-Fau). Il est coutume d’attribuer aux

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Bapaume et Bre´viandes un sens comparable ; on peut en douter, et laisser la question au chapitre 8. L’une des expressions les plus connues et les plus discute´es est conside´re´e comme une e´vocation de la pe´nurie. Ge´oportail rele`ve plus de cinquante Moque-Souris et Moquesouris, auxquelles s’ajoutent des Mocquesouris (La Gamache 85 et Marche´ville 28), Mocsouris (Le Perrier 85) et Moc Souris (a` Noyal-Chaˆtillon-surSeiche 35), quelques Moque-Rat, des Trompe-Souris, un Moulin de Gaˆte-Souris a` Montchevrier 36. Ces lieux sont ou ont e´te´ en ge´ne´ral des sites de moulins ; l’interpre´tation la plus commune est que le moulin e´tait si pauvre, ou peu approvisionne´, que meˆme une souris n’y trouvait pas son compte. L’image semble s’appliquer aussi aux produits de la vigne, puisque l’on note des Moque-Baril, Moque-Barils et Moquebarry, des Mocque-Bouteille ou Moques-Bouteilles et un Trompe-Tonneau (a` Chavagnes 49) ; mais d’autres sens oublie´s sont possibles. Aussi imaginatifs sont les noms de lieux indiquant une forme de re´signation, voire d’autode´rision : ce n’est pas un tre`s bon coin, mais je m’y fais. Ainsi avons-nous cinq le Pire-Aller dont quatre en Pas-de-Calais et un dans l’Aisne a` Gauchy, plus trois le Pis-Aller (un en Picardie, les autres en Anjou et Eure), un Laisser-Aller a` Sollie`resSardie`res 73. La Folle Emprise et la Folle Entreprise, voire La Folle en Prise apparaissent une vingtaine de fois, la Folle Pense´e huit fois sur les cartes de l’IGN. On y trouve aussi des Faute de Mieux (Arles), Faute Faite a` Cramchaban 17, Je-m’en-Repens en Camargue au bord de l’e´tang de Scamandre a` Saint-Gilles 30, Che`re Terre a` Ognes 60 et Louvergny 08, une ferme Risquetout a` Martigny 02, un Pont de Risquetout a` Varetz 19, plus une dizaine d’autres Risquetout, voire le Risquons-Tout a` Neuville-en-Ferrain 59. Ge´oportail mentionne six Peine Perdue, dont deux au pluriel (les Peines Perdues). Temps Perdu a plusieurs dizaines d’occurrences, en principe pour de´signer une terre pauvre qui ne vaut pas la peine de s’y e´chiner ; sourions de constater que c’e´tait le nom du quartier de l’Universite´ a` Villetaneuse. On note encore quelques lieux-dits sans illusion comme le Mont Mal Garni a` Senlis 62, la Malmedonne comme quartier central de... Maurepas 78 – Maurepas existe par dizaines. Une douzaine de Portoteni et quatre Portoteny du Sud-Ouest ont pour sens : « il n’y a rien, si tu veux quelque chose il te faut l’y porter ». Les Rien de Bon voisinent avec la Che´tive Coupe a` Iteuil 86... La Bourse Troue´e est un lieu-dit de Tilques 62, non loin du Coin Perdu de Houlle 62. Nous avons de´ja` vu combien les socie´te´s rurales anciennes e´taient sensibles a` l’isolement, et accentuaient le coˆte´ particulier et risque´ des lieux e´carte´s. L’isolement cre´e le danger, ou le sentiment du danger ; en sont une expression les multiples mentions de´ja` note´es de Curebourse, Taillebourse et Gaˆtebourse, dont certaines ont d’ailleurs pu s’appliquer au coˆte´ ruineux de certaines entreprises. Ce sentiment s’assortit de mises en garde : des lieux sont ainsi nomme´s Prends-y-Garde, Prente´garde (une vingtaine), Prends-toi-Garde a` Orval 24 sur une butte, Prentigarde (une autre vingtaine), Prend-Garde (Cars 33), Prentygarde (Saint-Santin-de-Maurs), Prantegarde (Antignac, Condat), ou encore Avise-toi (Saint-Etienne-CantaleI`s 15). Une vingtaine de Passe-Vite sont en ge´ne´ral des lieux habite´s et isole´s sur route, comme a` Tuffe´ au coin d’un bois dans la Sarthe, de´partement qui en compte au moins six.

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Malicorne est un toponyme assez re´pandu, qui semble avoir indique´ un manque d’hospitalite´ : E. Ne`gre l’interpre`te comme « on y appelle en vain » ; donc peu secourable, en notant que certains au moins e´taient signale´s au XI e sie`cle. Plus de trente lieux-dits de l’Ouest a` la Bourgogne, et deux communes de l’Allier et de l’Yonne, ont ce nom. On peut leur associer Mal-y-frappe a` Neuilly-les-Bois 36, les Malifrappes a` Pellevoisin 36 et la Malifrappe a` Martizay 36, voire Mal-y-Gratte a` Tessonnie`re 79, d’ailleurs proche du hameau de la Maucarrie`re (mauvais chemin). Tournadouman (reviens demain, a` Cahuzac-sur-Adour 32) a eu le meˆme sens. Ajoutons que les lieux-dits la Jalousie se comptent par dizaines, un peu partout et jusqu’en mer sur les platiers de Sainte-Marie-de-Re´ et de Saint-Denis-d’Ole´ron : le bonheur des uns...

Terroirs en feˆte La vie a aussi ses plaisirs, plus ou moins cache´s. Certains noms peuvent donner lieu a` des interpre´tations plaisantes, qui n’ont rien de surprenant dans le parler de tous les jours ni dans les comportements ancestraux, lesquels alternent cachotteries et francparler. Certes, tous n’ont pas un double sens, ni le sens grivois qu’un esprit malicieux peut leur preˆter. Mais des de´cennies de retenue linguistique des e´rudits ont habitue´ a` de surprenants exce`s de pudibonderie, jusqu’a` voir dans chaque mention d’Amourette la pre´sence... de la camomille, dont un ancien nom local fut amarouste, et dans les Trousse-Chemise l’obligation de relever son veˆtement pour franchir un gue´, meˆme la` ou` n’est nul cours d’eau. Il est pourtant peu de doute sur le sens de la trentaine de lieux-dits Bois d’Amour ou` pouvaient se dissimuler des rencontres a` l’e´cart du village, des huit Bois des Amourettes, d’un Buisson d’Amourette a` Mormant 77 ou de la Fontaine de l’Amourette a` Courcoue´ 37. Plouezoc’h 29 a meˆme un Coat Amour, Amboise 37 et Mareuil-lePort 51 ont leur Iˆle d’Amour et Saint-Gemme-Morenval 28 une Iˆle d’Amourette. Anglet 64 a la Chambre d’Amour, Mastaing 59 le Fief d’Amour, Buisson 84 une Combe des Amoureux, Sornac 19 un Puy des Amours. Encore dans les anne´es 1950, le sens d’un petit Bois-d’Amour en pleine commune de Toulouse ne faisait myste`re pour personne, hormis peut-eˆtre un chanoine linguiste. On a beaucoup « trousse´ » : la ce´le`bre foreˆt de Trousse-Chemise aux Portes-en-Re´ a des homologues dans les Trousse-Chemise de Saint-Symphorien 79, TroussePennais a` Montcombroux-les-Mines 03, Trousse-Cotillon a` Bosc-Gue´rardSaint-Adrien 76 et la Fontaine de Trousse-Cotillon a` Gray 70, Trousse-Berge`re a` Tauriac 33, le Bois de Trousse-Belle a` Villeneuve-Saint-Nicolas 28 et Neuvy-enDunois 28, le Bois de Trousse-Brune a` La Roche-Chalais 24, Trousse-Minou a` Escarmain 59, voire Trousse Putain a` Romilly-sur-Aigre 28. Nous pouvons ajouter le Chaudbuisson de Gue´rard 77, quelques Bois Galant, le Pre´ Galant a` Jeu-les-Bois 36, Saint-Androny 33 ou Villepinte 93, peut-eˆtre le Champ Coquin a` Affle´ville 54 et Coquimpre´ a` Watigny 02 qui voisine avec la Fantaisie, tout en e´tant plus re´serve´ sur le Bois de Chaud Vit a` Lormes 58. Il serait tentant d’en rapprocher les Bel E´bat : il s’en trouve plus de trente, dont six en Touraine. S. Gendron y voit des « lieux de divertissement ». Ce pourrait cependant

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eˆtre trompeur. Il existe aussi des Bellebat, Bellebats, Belebat. Ils ont pu eˆtre l’e´quivalent de Belval en Gascogne, et avoir eu un autre sens ailleurs – de meˆme que Belbe`ze ou Belbe`se a signifie´ Bellevue, sans rien de salace. Pe´gorier voit dans e´bat une aire, e´ventuellement un champ de foire en Normandie. Ne´anmoins, l’e´volution meˆme de l’e´criture de ce nom a pu avoir quelque sens, au moins lorsqu’elle aboutit a` Bel E´bat. On aurait pu s’attendre a` ce que les feˆtes et re´jouissances aient leur place en toponymie. Il s’agit a` peine de traces, pour autant que l’on puisse s’en rendre compte. On voit bien quelques Place des Feˆtes, mais le reste se dilue dans les divers noms de terrains communaux, plus quelques restes de Lices et de Tournois. Les dizaines de toponymes la Feˆte, relativement abondants en Lorraine, semblent plutoˆt faire re´fe´rence a` des faıˆtes, des hauteurs : c’est manifeste dans des communes comme Sivry-laPerche, Aubre´ville et Troussey (Meuse) ou` ces lieux-dits sont sur des e´chines ; ou pour Le Feˆte 21, qui est d’ailleurs au masculin. Tout au plus peut-on signaler une dizaine de Carnaval et autant de l’e´quivalent occitan Caramantran (feˆte de Careˆme-Prenant ou Careˆme-Entrant) mais qui peuvent venir de surnoms de personnes. Les Caillebaudes a` Saint-Cyr-duDoret 17, Montfaucon 02 et La Ville-du-Bois 91 e´voquent des feux de joie ; la feˆte aux chandelles ou Chandeleur n’a qu’une seule mention, a` Oinville-SaintLiphard 28. Lid, la feˆte en breton, se lit dans Kerdalidec, la maison ou` l’on fait bonne (da) feˆte (lid), en somme une maison du bon accueil ; cinq lieux-dits ont ce nom, dont quatre dans le Finiste`re et un a` Locmaria 56 ; celui de Tre´gunc a pu eˆtre une auberge, d’autres sont isole´s, comme a` Landudec. En revanche, la toponymie franc¸aise connaıˆt une grande quantite´ de Plaisance (dont cinq communes), quelques dizaines de lieux-dits Monplaisir ou Montplaisir (mais une seule commune Monplaisant 24), une trentaine de Monde´sir et le double de Mon De´sir, deux Montde´sir et deux Mon Choix, une soixantaine de Mon Ide´e, une trentaine de Mon Reˆve ou le Reˆve, voire Mon Beau Reˆve a` Faye-l’Abbesse 79, qui sont autant d’affirmations de soi et dont la plupart correspondent a` des habitats isole´s et remontent tout au plus au XVIII e sie`cle. Monrepos et Mon Repos ont une cinquantaine d’occurrences, Sans-Souci une trentaine, Mon Caprice ou le Caprice une vingtaine. Des lettre´s ont nomme´ six ou sept lieux la The´baı¨de, plus un Ma The´baı¨de a` Chemille´ 49. Une cinquantaine de l’Oasis semblent aussi indiquer que l’on en a appre´cie´ la quie´tude. Remarquons au passage que le possessif est toujours singulier : presque aucun « noˆtre », comme si comptait seul le sentiment du chef de famille ; les seules et rarissimes manifestations apparentes de ce pluriel sont Notre Chaumie`re a` Sebourg 59, Notre Maison a` Schirmeck 67, Notre Bois a` Chaˆteauvillain 52. Le coˆte´ optimiste des toponymes est encore marque´ par quelques appre´ciations positives, telle la ferme le Bon Marche´ a` Lignac 36, et surtout par la pre´sence disse´mine´e de plusieurs dizaines d’Avenir, plus six Bel Avenir, issus de de´frichements me´die´vaux ou de constructions nouvelles comme la Cite´ de l’Avenir a` Isigny-leBuat 50, l’Avenir Parisien a` Drancy. Il en est de meˆme de dizaines d’Espe´rance, conforte´es par quelques Bonne Espe´rance, Belle Espe´rance, une Butte de l’Espe´rance a` Renaze´ 53, un Lac de l’Espe´rance a` Pouzaugues 85, une ferme Bon Espoir a` Aisey-sur-Seine 21, une vingtaine de Bon Espoir et quelques l’Espoir tout court.

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Roissy-en-Brie cumule des lieux-dits l’Avenir et l’Espe´rance. Il a pu s’agir d’enseignes de cafe´s ou d’auberges, comme l’indique leur e´chelonnement sur quelques routes ; le cas est atteste´ a` Poullan-sur-Mer 22, sur la D 765 de Douarnenez a` Audierne. Enfin il est des lieux « heureux » : Ge´oportail rele`ve la Butte Heureuse a` Blandainville 28, un Champ Heureux a` Osches 55, le Prince Heureux a` Lubines 88, la Motte des Heureux a` Rouvres 28, sept Valle´e Heureuse et deux Val Heureux, quatre Rue Heureuse – mais Saint-Martin-l’Heureux 51 fut jadis le Hureux (le he´risse´). D’autres te´moignent d’une forme de sagesse ou de se´re´nite´ : si les villas C¸a m’suffit, e´ventuellement de´guise´es en Sam Suffy, ou Do-Mi-Si-La-Do-Re´, restent hors toponymie, de plus anciens Malgre´ Tout figurent dans les noms de lieux : Ge´oportail en signale une douzaine, comme la ferme et le mont Malgre´ Tout a` Revin 08 ; plus originaux, deux Malgre´ Moi (a` Saint-Yrieix-la-Perche 87 et E´pinal 88), un Malgre´ l’Eau (Hayange 57) et meˆme un Malgre´ le Monde (Grolliers 62). Les NL la Re´compense ou les Re´compenses sont une cinquantaine, en toute re´gion.

Saveurs du pittoresque La cre´ativite´ de ceux qui ont nomme´ les lieux est sans limite, mais leurs intentions ne sont pas toujours faciles a` deviner, meˆme quand les termes paraissent clairs. On doit souvent se contenter d’appre´cier le pittoresque des noms, en reˆvant a` des sens possibles. Faute de comprendre, on forge des le´gendes ; les re´cits locaux n’en manquent pas, a` prendre pour ce qu’ils sont : des œuvres d’imagination. Parfois meˆme les linguistes et e´minents onomasticiens se laissent tenter : difficile de re´sister. On comprend bien que le chaˆteau ruine´ de Tranche-Lion a` Avon-les-Roches 37 a pu vouloir proclamer sa puissance avec quelque forfanterie ; mais que penser du hameau du Pont-Tranchefe´tu qui relie Fontenay-sur-Eure a` Nogent-sur-Eure ? Que penser du Je-t’en-Queue a` Saint-Hubert 57, en bout de finage et proche de la Raye´e du Que a` Vry ? Ou du Bouc E´tourdi a` Longvillers 78, des Mont E´gare´ de Courson-lesCarrie`res 89 et Tre´con 51 et du Pont E´gare´ a` Nanc¸ay 18 ? Du Coup de Trique aux limites d’Amne´ 72 ? De M’yV’la a` Saint-Mondaine 18 ? Il advient que des faits historiques atteste´s expliquent certains noms. Le Saut du Procureur, a` la limite d’Arras-en-Lavedan et d’Argele`s-Gazost, rappelle qu’en 1427 des Bigourdans re´volte´s ont promene´ nu, a` l’envers sur un aˆne, le procureur du roi avant de le pre´cipiter du haut d’un abrupt des gorges du gave d’Azun. C’est assez rare. Meˆme hors des noms de rues et de places, la vingtaine de lieux-dits Jeanne d’Arc disperse´s jusqu’en Martinique ne signifient ge´ne´ralement rien d’autre qu’un hommage singulier, comme la quinzaine de Bois, Cheˆne, Pont, Porte, Fontaine ou Butte Henri IV, meˆme si ces personnages sont cense´s avoir laisse´ des traces dans toutes les campagnes franc¸aises, ou presque. Les surnoms moqueurs se comprennent, sans pour autant rien dire de leur origine. Grigneuseville 76 fut dite grigneuse, donc de´sagre´able. Bader signifie traıˆner bouche be´e, plus ou moins comme un idiot : on a un Badefort a` Tre´zoux 63, deux communes en Badefols en Dordogne, et meˆme un Badecon-le-Pin dans l’Indre. Saint-Andre´-de-

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Ve´zines 12 a une Croix des Fatigue´s, il est vrai en hauteur – il existe plus de trente lieux-dits Fatigue ou la Fatigue, En Fatigue. Les Montre-Cul, une douzaine, sont interpre´te´s comme des versants raides, durs a` gravir ; il existe aussi plus de vingt Monte-a`-Peine, quelques Tirecul, deux Monte-a`-Regret a` Saligny-sur-Roudon 03 et Poisvilliers 28, plus un Mont a` Regret a` La Chapelle-Huon 72 ; ils sont tous en pays de me´diocres reliefs, notamment en Champagne, en Bourgogne, en Berry. Parmi les noms amusants ou cocasses on pourrait citer le Champ de la Cle´ a` SaintBonnet-le-Courreau 42, mais Ge´oportail mentionne aussi 22 lieux nomme´s la Clef des Champs... La Rivie`re du Mauvais Temps et le Bois de meˆme nom sont, sans aucune rivie`re apparente, a` Ouzouer-des-Champs 45, commune fertile qui a aussi un lieu-dit la Grotte a` Renault sans grotte, un Malicorne, Casse-Bouteilles et un Moulin de Calabre. Ceaumont 36 a un barrage de la Roche-Bat-l’Aigue bien nomme´, et un chaˆteau ruine´ de la Prune au Pot. Braye-sous-Faye 37 se distingue par le Gue´ de Mille Fouaces, peut-eˆtre inspire´ de Rabelais. Des noms comme Baffie, Beffes auraient eu le sens de moquerie selon Dauzat. Chabournay 86 a au moins une curiosite´ : son principal hameau a pour nom Villemalnomme´e. Il faut dire que, au moins pour les cartographes, il existe aussi sept lieux dits Sans Nom : un Mont a` Vaudesincourt 51, trois Col Sans Nom, deux Pic Sans Nom, et meˆme une Igue Sans Nom a` Caniac-du-Causse 46. Escanecrabe (e´trangle-che`vre) et Rebirechioulet (retourne-sifflet) sont des noms ce´le`bres en re´gion toulousaine, objets de commentaires et de le´gendes suppose´es, plus que d’une interpre´tation suˆre. Espantallops a` Mantet 66 (e´pouvante-loup) tirerait son nom du baguenaudier, dont les gousses e´clatent avec bruit a` maturite´. Ce´relles 37 a un hameau les Œufs Durs, d’origine inconnue, peut-eˆtre une cacographie du genre des Obus ou des Eaux Bues cite´s par Gendron pour les Aubues. Bourbourg 59 et Looberghe 59 ont de curieux Muchembled et Muchumbled (cache´ dans les ble´s), Torny 89 l’Abaisse-Dos, Hampont 57 juxtapose Kiborne, Rizontal, Wuide et le Paradis. Les sites de la Foreˆt de Fontainebleau ont e´te´ pourvus de nombreux noms image´s : Mont Enflamme´, Rocher du Mauvais Passage, Roche-qui-Frotte, la Malmontagne, Rocher des E´troitures, Gorge aux Loups, Puits Fondu, Roche E´ponge, Caverne des Brigands, la Cuisinie`re, le Cul de Chaudron, l’Antre des Druides, Carrefours du Myste`re, du De´luge, des Soupirs, du Vert-Galant, des Oublis, des Pieds Pourris, etc. Une grosse butte a` Chaˆtel-Censoir 89 est nomme´e la Carte de France. Pas-de-Jeu est une commune des Deux-Se`vres dont le sens est parfois compris comme le Passage du Coq (jau localement, meˆme racine que gallus) mais se re´fe`re plus probablement a` la traverse´e de la Dive, rivie`re dont le nom est assimile´ a` Jovis et que franchit une route fort ancienne ; ou, plus simplement encore, jau fut ici mis pour gue´. Les environs de Clamecy sont dignes du Colas Breugnon de Romain Rolland, qu’ils ont inspire´ : un survol de la carte au 1 :25 000 y montre a` Clamecy le Trou du Cul et le Culleron (en fait des buttes), la Garc¸onneuse, les Me´chantes Vignes, Bagatelle, Trou de l’Entonnoir, le Pertuis d’Enfer, le Bois Raˆpe´ ; a` Armes l’Homme Sauvage, Mon Caprice, Valle´e Refroidie, un Bois de Bethle´em ; a` Villiers-sur-Yonne la Taille aux Biches, le Haut du Chou, Pont au Diable, la Folie, Bois l’Aˆne, Bois des Queues ; a` Domecy le Bois de la Belle Femme, le Pont du Diable, Buisson Borgne ; a`

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Breugnon la Boıˆte a` Conin, le Poirier de Crotte, une Pierre du Sacrifice ; a` Surgy un autre Buisson Borgne, la Cocagne, la Pissotterie ; a` Pousseaux le rocher de l’Œil de Bœuf, les Gaˆte-Fer. Non loin a` Champignelles 89, se trouvent le Bourg Cocu, l’Oie Blanche, la Bigoterie et les Pe`le-Moine... Certains rapprochements sont un peu curieux : ainsi de Boudin Froid, le Bouillon et Veau Martin (un vallon) dans la partie ouest de Maˆle 61, ou encore de Repose-Pucelle et Pique-Fesse a` La Jarne 17, Trousse-Paille et le pont Traoucat (troue´) a` Ble´signac 33. Il va de soi que de nombreux noms, par leur origine ou par interpre´tation et de´formation malicieuse, peuvent avoir un coˆte´ grivois ou meˆme grossier. Deux buttes volcaniques jumelles, le Suc des Ollie`res et le Suc d’Achon a` Saint-Jeures et a` Yssingeaux, ont e´te´ nomme´s les Te´tons de l’Abbesse au XVIIIe sie`cle, en hommage dit-on a` l’abbesse voisine de Bellecombe, et sans doute en glissant de « suc » (butte) a` « sucer » ; ils figurent encore sous ce nom dans les guides, et apparaissent dans des re´cits d’artistes et de voyageurs. Miquelon-Langlade s’orne des Te´tons de la Me`re Dibarboure. Plusieurs Saut de la Pucelle (Ge´oportail en rele`ve sept) et deux Rocher de la Pucelle, plus un Saut de la Vieille a` Saint-Delmas-la-Salvage 06 ou le Salt de la Maria Vallente a` Arles-sur-Tech de´signent des cascades ; mais on peut se demander si Pucelle ne serait pas une adaptation de quelque Pissette ou Pissotte, nom commun de bien des chutes d’eau. Cul de´signe souvent un fond de vallon (v. chap. 4) ; le mot a e´te´ beaucoup employe´ en ce sens, mais aussi dans d’autres sites et a pu avoir d’autres origines : on rele`ve Chaud Cul pour un versant expose´ au midi a` Nouilly 57, Chaude Cul pour une croupe en foreˆt a` Rochecolombe 07, Cul Noir a` plat dans les vignes du muscadet de Vallet 44, Cul Ne`gre dans la plaine de l’Adour a` Monfaucon 65. Le Cul du Pet a` La Ferrie`re 38 correspond a` un cirque en montagne, le Cul de Pet a` Theyts 38 accidente un haut relief pre`s du col, des chalets et du ruisseau des Merdarets, le Pet ayant ici le sens de Puy. La Raie du Cul a` Housseras 88 de´signe un petit vallon bordant la foreˆt de Rambervillers, ou` la Raie peut avoir eu le sens de l’Ore´e. On reste perplexe devant le Cul Secoue´ a` Nouans-les-Fontaines 37 sur un bas plateau hors de tout vallon, comme devant un Gode Chaud a` Besmont 02. D’autres noms surprennent : Raze Con aux Souhesmes-Rampont 55, l’ıˆle du Con a` Masse´rac 44 dans la valle´e de la Vilaine, les Pre´s la Cone a` Pre´nouvellon 41, la Conne a` Bergerac qui a aussi le Grand Fond de la Conne, la commune de Conne-deLabarde 24, Couille a` Montsaune`s 31, les Cosnardie`res a` Isigny-le-Buat 50, la Cosnerie a` Ger 50, Connerie a` Gue´rande 44 et la Connerie a` Chantecorps 79. Ils ont certes pu avoir de tout autres sens que celui que prend une lecture actuelle, ou venir de surnoms de´sagre´ables. On trouve aussi des Coquibus a` Milly-la-Foreˆt 91 ou a` Thenailles 02 : le sens ancien e´tait a` peu pre`s celui de cre´tin. Meˆme les chants d’oiseau ont leurs pie`ges et leurs ambiguı¨te´s. On trouve d’assez nombreux toponymes en Turlure, Turlurette, la Turlute (Belpech 11), comme en Guilleri, Guillery et Gullerie. Les interpre´tations pudiques et poe´tiques leur donnent pour sens le chant de l’alouette et celui du moineau. Or les premiers ont aussi de´signe´ une cornemuse, une rengaine, puis un mari trompe´, et en argot une fellation, peuteˆtre a` l’image de la cornemuse en bouche. La guille e´tait une ruse, et aussi une version de la quille, au sens du pe´nis ; il est piquant que l’on ait fait une chanson pour enfants

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de Compe`re Guilleri, au contenu pourtant clair : « Pour remercier ces dames / Guilleri les tombit, carabi (la version gentille remplace tombit par embrassait, qui alte`re les accords)... De cette belle histoire / La morale la voici, carabi / Elle prouve que par les femmes / L’homme est toujours gue´ri carabi ». Quincampoix et Quiquengrogne sont de ces noms pittoresques, souvent commente´s mais dont aucun de´chiffrement ne convainc vraiment. Le premier est associe´ en ge´ne´ral a` des moulins ; il sonne comme un de´fi, mais quel de´fi ? Il viendrait de cui qu’en poı¨st, expression ironique et de sens discute´, pour les uns « quoi qu’il vous en pe`se » (meˆme si cela vous geˆne), voire laborieusement « quoi qu’il e´crase » pour tel autre, sinon « qui qu’en rie » (riez si vous voulez, j’existe...) selon une incise de Le´opold Pannier (E´cole des Chartes) de 1874. Fre´quent dans l’Ouest, il a aussi donne´ des NP et d’autres formes, comme Quiquempoix a` Flers-en-Escrebieux, Quicampois a` Bazuel 59. Quiquengrogne a l’air plus clair ; il est souvent aussi associe´ a` quelque moulin : mais est-ce le moulin qui grogne, ou grogne-t-on contre le meunier, ou fut-ce le de´fi d’un nouveau moulin contre un ancien, comme il est parfois dit ? On trouve aussi Quicangrogne a` Chessy 77, absorbe´ par Disneyland, une ıˆle de Quinquengrogne a` Luynes 37, Quincangrousse a` La Motte Saint-He´ray 79 (au sens de glose, murmure). On trouve a` Uze`s 30 un lieu-dit Pampe´rigouste, qu’Alphonse Daudet a utilise´ dans les Lettres de mon Moulin et qui a pu inspirer a` Rabelais son Papeligosse, « pays libre ou` l’on peut meˆme se gausser du pape » selon l’e´tymologie de l’auteur. Le sens pourrait venir de pampre et gouˆter ; il en est un autre a` Aix-en-Provence 13, et une ferme du « domaine de Pamperigouste » classe´e au patrimoine national a` Camblanes-etMeynac 33 (hameau de Duplessy sur le coteau de Garonne), curieusement audessus du lieu-dit Me´moire. Il est vrai que cette commune s’orne aussi d’un Chaˆteau Latour et d’un Chaˆteau Lafitte (autres que les joyaux du Me´doc), d’un Bourbon et d’un Menu, ainsi que de Bel-Air, Charlot, les Charlotins, Chardavoine, Gardeloup, le Ne´grot et Paguemau (« paie mal »)... Les bapteˆmes plaisants ne sont pas termine´s. Meˆme les voies ferre´es ont rec¸u des surnoms : celle de Se`te a` Agde par Marseillan fut nomme´e le Rabofaı¨sse (voleur de fagots) au motif que la locomotive manquait parfois de combustible et devait eˆtre ravitaille´e en route ; le train qui descendait les pommes de terre (localement les truffos) du Cantal vers le Lot et Bordeaux se nomme encore le Truffadou, et le Train des Pignes court toujours de Nice a` Digne. On parle encore de la Maison du Fada pour la Cite´ Radieuse de Le Corbusier a` Marseille, et Cul-Nu est une plage de Saint-Trojan-les-Bains 17, e´videmment re´serve´e au naturisme.

4. Terrains de jeu « Il y a une ge´ne´alogie poe´tique des ıˆles, tout comme il y en a une des montagnes, des rivie`res, des cavernes, des grottes et des champs, de tous les lieux qui ont le pouvoir d’exercer sur l’homme une attraction particulie`re. » (V. Golovanov, E´loge des voyages insense´s. Verdier 2008)

Les familles et les divers groupes sociaux habitent, travaillent, vont et viennent dans un environnement physique qu’ils ont duˆ connaıˆtre, reconnaıˆtre, parfois modifier, et pour cela de´crire. Il leur a fallu trouver des noms aux lieux, meˆme inhabite´s. Ces noms signalent ce qui est haut ou bas, plat ou accidente´, dur ou mou, sec ou mouille´. Sur ces reliefs croissent des ve´ge´taux et vivent des animaux qui ont leurs lieux habituels ou favoris, ajoutent a` la diversite´ des paysages et des ressources et facilitent le repe´rage. Leurs de´signations entrent a` leur tour dans la reconnaissance des lieux et l’attribution des noms de lieux. Il semble que les plus anciennement nomme´s, ou du moins ceux dont le nom a e´te´ le plus durable, ont e´te´ les reliefs et les cours d’eau : les oronymes et les hydronymes ont souvent des racines tre`s anciennes, monosyllabiques et assez rudes, d’origine inde´termine´e mais qui peuvent paraıˆtre ante´rieures a` la formation et a` l’extension des parlers dits indo-europe´ens. Leur sens est impre´cis, s’ils en ont eu hors de l’ide´e meˆme de hauteur ou d’eau courante. Ils ont pu ce´der la place a` des noms plus re´cents, d’autant plus efficaces dans leur pouvoir descriptif qu’ils e´voquent euxmeˆmes un mouvement, un e´lan, une forme connue : ici re`gne la me´taphore. Et doublement : non seulement les reliefs sont nomme´s, mais quantite´ de lieux habite´s ont emprunte´ leur nom ; et quantite´ de patronymes, qui a` leur tour ont disse´mine´ les racines originelles dans leurs migrations. De surcroıˆt, dans les temps difficiles de grande inse´curite´, les noms de reliefs et les noms d’habitats ont e´te´ souvent associe´s : l’habitat se perchait, on se prote´geait par la pente et l’escarpement, et l’on ajoutait a` la hauteur des fortifications, fussent-elles de bois. Les berg-burg-brigue, lis, dun, garde, caylar, caer-ker, roche ou roque, meˆme les mont, ont souvent eu double ou triple sens : rude, de´fendu, habite´.

´ minences E Nos lointains anceˆtres ont visiblement e´te´ fascine´s par les reliefs : ce qui e´merge, qui domine, ce qui peut paraıˆtre inaccessible et donc prestigieux, ce qui demande un

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effort et, de ce fait, peut assurer quelque se´curite´. Ils les ont peuple´s de dieux et couronne´s de chaˆteaux ou de sentinelles. Ils sont sites de temples et d’oppidums, « e´perons barre´s » et autres « camps de Ce´sar », de castellars, gastellu, burgs, forts et « guettes », et plus pacifiquement de calvaires, croix et statues, de cabanes pastorales, puis de refuges, de belve´de`res et tables d’orientation, enfin de « stations ». De la simple butte qui domine si bien la plaine qu’elle y rec¸oit le nom de montagne, jusqu’aux hautes creˆtes alpines, ce monde des hauteurs est aussi varie´ dans ses appellations que dans ses formes. Le monde des reliefs comprend de nombreuses familles. La vieille racine IE men e´voque tout ce qui se projette, fait saillie ; les linguistes y distinguent quatre rameaux, tous quatre pre´sents en toponymie : un pour penser (comme mens, mental), un pour rester (manere, to remain, re´manent) dont nous avons vu la fe´condite´ en matie`re d’habitat, un pour ce qui est isole´ (mono, moine, monaste`re), un pour ce qui ressort. C’est de ce dernier que viennent toutes les e´minences (latin emineo), ce qui, en somme, e´merge seul. C’est aussi de ce dernier que, par le latin mons, viennent mont et montagne, et leurs de´rive´s ou adaptations locales : Monceau ou Montcel pour un petit mont, Montil, Montille ou Montillet pour une le´ge`re bosse en plaine alluviale, infime mais suffisante pour mettre a` l’abri des crues ; et mons en occitan, sans doute menez en breton – le basque mendi en est tre`s proche, peut-eˆtre par hasard, peut-eˆtre par emprunt au latin, ou encore parce que l’IE a repris un tre`s vieux terme. D’une fac¸on ou d’une autre, le mont se cache sous des milliers de toponymes. Il peut eˆtre assorti d’un adjectif : Montrond, Montaigu, Clermont, Montesquieu (abrupt), Montcalm (chauve), Montferrier (avec du fer). Bien des monts sont re´pute´s perdus, pourris, maudits, mauvais (mal, mau) ; mais d’autres sont grands (Grammont), beaux (Beaumont, Belmont) et meˆme jolis (Jolimont), heureux tels les Montastruc (chanceux en occitan, favori des astres), suˆrs comme les Montse´gur, Monse´gur. Il est des Montrouge et Rougemont, des Montbrun, des Noirmont et Noiremont, voire des Monts d’Or, plus rarement des verts et gue`re de bleus. Il existe de nombreux Vermont, dont Le Vermont 88 et Villers-Vermont 60, mais ver a duˆ y avoir le sens de grand, important. Le pittoresque nous vaut un Mont E´gare´ a` Courson-les-Carrie`res 89, le Mont Gros Yeux au Mesnil-Mauger 14. Montagne fournit des noms de lieux, meˆme en plaine : il en est plus de vingt en Seineet-Marne dont la Grande Montagne au Vaudoue´ et la Montagne a` la Barbe a` Mondreville, une douzaine dans les Landes qui ont meˆme plusieurs Montagut (mont aigu), et Paris a sa Montagne Sainte-Genevie`ve, outre Montmartre. Montant de´signe dans certaines re´gions un versant, un talus, une pente : les Montants a` Brainville 54, Montant des Vins a` Somme-Tourbe 51. Les Monte´es existent par dizaines, comme a` Voires 25, Alloues 16 ou Arfeuilles 03 ; on trouve meˆme une bonne vingtaine de Montapeine comme a` Bessay 85, Bitry 58, ce qui ne veut pas dire monte peu, mais avec peine. Le menez breton prend aussi des formes me´ne´, mane´, mine´ ; il se lit dans Me´ne´ac, Miniac-Morvan, autres noms en -ac avec nom commun. Gue´mene´-Penfao est interpre´te´ comme un mont blanc (gwen et mene´) assorti d’un ancien Lespenfao qui e´voquait un chaˆteau (les) au bout (pen) de la heˆtraie (fao). Me´nesguen a` Crozon

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est un autre mont blanc. Le Mene´ Bre´ est redondant. Au Pays Basque, Mendionde, Menditte, Mendive, Mendibieu de´rivent de mendi, le mont. Mendibel (a` Be´horle´guy) est la montagne noire, Mendibil a` Iholdy le mont rond, Mendicourre´ a` Mendionde un mont rouge, Mendiburrua a` Villefranque 64 le bout de la montagne, Bosmendieta a` Larrau les cinq montagnes. Mendive est interpre´te´ comme Mendi-be, le pied de la montagne, Mendionde « a` coˆte´ de la montagne ». Artzamendi a` Itxassou pourrait eˆtre la montagne de l’ours, Eyheramendy a` Aincille est un Montmoulin, Iramendy a` Este´renc¸uby un mont des fouge`res. Itxassou comprend un ardu Menditipikobizkarra qui signifie « creˆte de la petite montagne » (bizkar, txipi, mendi, M. Morvan). L’extension et la brie`vete´ de la racine mon-men rendent parfois son identification difficile. Un certain nombre de « mont » viennent en fait des moines et monaste`res, d’ailleurs de meˆme tre`s lointaine racine ; c’est notamment le cas de Montereau 77, de Montier-en-Der 52 ou Montrelais 44 ; il en est ainsi de beaucoup de noms en « mont » suivis de re- ou er-. D’autres ont un rapport avec les terres d’anciens seigneurs (par le truchement de Monseigne, Monsieur). D’autres encore ont e´te´ identifie´s comme issus de NP germaniques : ainsi de Bre´he´mont 37, interpre´te´ comme le petit bois (breuil) d’Aimon, ou Grangermont 45 (grange d’Ermont). Mont a aussi le sens de paˆturage de montagne dans les Alpes. En outre, certains sont des mau (mauvais) de´tourne´s par euphe´misme : S. Gendron signale notamment les Montpertuis de Charbonnie`res 28 et Montperthuis de Chaingy 45, jadis des maupertuis, mauvais passages. Enfin, des Montagne sont apparus sous la Re´volution en re´fe´rence... aux hauts gradins de l’assemble´e ou` sie´geaient les Montagnards, farouches re´publicains : La Chapelle-Saint-Laud 49 ou Saint-Roch 37, tous deux La Montagne en 1793, n’avaient rien de bien haut. A` l’inverse, mont s’est alte´re´ au point de presque disparaıˆtre dans Molandier 11 (Montlander au XIII e sie`cle), Mole´ans 28 (Montle´on au XII e), Mouleydier 24 (Montis Leyderi), Moutardon 16 ou Moulicent 61.

Som, puy, pic Le sommet est un de´rive´ du latin sup, super, issu d’un IE uper, qui tous de´signent ce qui est en haut, soit physiquement soit dans l’e´chelle des valeurs ; summus est en latin « le plus e´leve´ », summum le point culminant. Terme aussi banal que mont en franc¸ais, il est tre`s employe´ en oronymie, pour de´signer pre´cise´ment des points culminants, mais a rarement donne´ sous sa forme courante des noms de communes ou meˆme de hameaux : on ne rele`ve gue`re qu’un Sommet, hameau de Celles-sur-Durolle 63 dans un vallon. En revanche, les cartes mentionnent en montagne de nombreux Sommet suivis d’un de´terminant. Souvent, et meˆme pour de simples buttes, est employe´e la forme som, soum. Le Somport est le col du sommet, le Pic du Somcouy (Le´esAthas 64) un redondant (pic+som) sommet chauve. Le Charmant Som est en Chartreuse un ancien Chalmenson, chalm ayant le sens de calm (chaume, nu). Ge`dre 65 a un Soum Haut et Aubare`de 65 un Soum Agut (aigu), Arette 64 un Soum d’Ire (de la fouge`re), Sers 65 un Soum Arrouy (rouge), etc.

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Un IE ped a donne´ podion en grec et podium en latin, importe´ tel quel en franc¸ais ; et aussi le pied. A` l’oppose´ des pre´ce´dents, rien d’une saillie ou du point le plus haut : l’ide´e est celle d’une base, d’un socle, d’un support ; et paradoxalement, ce « pied » a fait fortune dans la de´signation des hauteurs, sous un ge´ne´reux bouquet de formes locales. Il en est venu l’oppidum, hauteur fortifie´e dont Oppe`de 84, Opoul-Pe´rillos 66, Opio 06 portent apparement le nom. La forme la plus connue est le puy, qui triomphe en Auvergne et culmine au Puy de Sancy a` 1 885 m ; mais si les volcans du Massif Central sont souvent nomme´s puys, ils ont aussi d’autres noms et puy est employe´ bien ailleurs : un Puy des Chaises, un Puy de Chavagne et un Puy de Joue´ a` Ceauxen-Loudun 89 correspondent a` de basses collines, comme le Puy d’Assay et le Puy de Grazac a` Assay 37 ; la plupart des croupes de Bugeat 19 portent le nom de puy. On trouve des Puy Sec dans les Deux-Se`vres (Bressuire, Moncoutant), en Vende´e (Saint-Martin-de-Fraigneau) et en Dordogne (Condat-sur-Trincou) mais qui, n’e´tant pas associe´s a` des buttes, peuvent avoir eu un autre sens. Pech est la forme occitane la plus courante, avec Puech. Puig est la transcription catalane, et en principe se prononce poutch. La Corse a Poggio comme e´quivalent. Toutefois les Midis abondent en Pouch, Pioch, Poy, Pouy, Pouey, Poey, Poua, Poya, Pey, Py, et aussi les augmentatifs ou diminutifs Pouyade, Poujade, Pouget, Poujos, Poujaus, Pujols, Pujol, Puyoo. Plus au nord s’e´parpillent des buttes au nom de Peu, Peux, Piau, Pie´, Pe´, Pied : le Pied du Longeroux pre`s des sources de la Ve´ze`re a` Meymac 19, le Pied de Gue´rard a` Mazaugues 83, le Pied des Fourges a` La Tagnie`re 71. Il est meˆme de plus surprenants Poe¨t (plusieurs dans les HautesAlpes, dont une commune, Le Poe¨t, et le charmant Petit Poe¨t a` Crots). Les formes Pet et Peu donnent parfois des re´sultats cocasses : Peusec a` Persac 86, Peu Chaud a` Bussie`re-Dunoise 23, Peu de Lion a` Marnes 79, Peu des Mulets a` Bouclans 25, Petde-Grolle a` Betz-le-Chaˆteau 37 comme « mont des corbeaux », le Pet au Diable a` Bury 60 et le Pet de l’Aˆne a` Dance´ 42. Saint-Amand-Magnazeix 87 aligne entre autres Peu de la Fortune, Peu de Chausse, Peu du Chaˆteau, Peu Long, Peu de Moitie´ et Peu de la Fille. La brie`vete´ et la grande varie´te´ des formes de cette simple syllabe sont sources de maintes confusions : outre les poe`tes, sont en cause surtout les puits et les pins. Des scribes qui ne connaissaient pas le sens du terme ont transforme´ Amplepuy (grand puy) en Amplo puteo, y voyant un puits abondant, d’ou` Amplepuis 69. En sens inverse, on ne sait que dire du col de Puymorens, Pimorent en catalan et jadis : puy ne s’emploie pas dans cette partie des Pyre´ne´es ; peut-eˆtre la syllabe se rapporte-t-elle mieux a` un pin, et d’ailleurs l’on est ici, dans la commune de Porte´-Puymorens, a` la limite qu’atteignent les pins en altitude. Pic n’a pas la meˆme origine, mais c’est l’un des termes les plus re´pandus. Il est me´taphorique, et de´signe en principe un sommet pointu (IE peuk, qui pique). Il passe au fe´minin dans les Pyre´ne´es avec la Pique. Citons parmi les plus connus le Pic du Midi de Bigorre (Sers 65) et le Pic du Midi d’Ossau (Laruns 64), parmi une douzaine de Pic du Midi ; la Pique d’Estats et la Pique de Belcaire a` Auzat 09, Belcaire de´signant lui-meˆme un rocher saillant. Le Pic du Pouch a` Saint-Be´at 31 n’est pas moins redondant. Le Pont-de-Montvert 48 a un Pic Cassini aux sources du Tarn, en hommage au cartographe des Lumie`res, mais fort peu pointu. Arrens-

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Marsous 65 a de nombreux pics, dont un Pic Rouge et un Pic Arrouy de meˆme sens, un Pic des Tourettes, une Pique d’Aste flanque´e d’une Piquette de Peyralagor, les Piques de Larriougrand et un Picasse de Labassa. La Pique Redone (ronde) a` Prades 09 est un peu paradoxale, mais pas plus que le Pic Rond a` Gavarnie 65, jumeau il est vrai du Pic Pointu. Aucun 65 a une Piquette de Coure`de, Sem 09 la Piquette. La Pointe a le meˆme sens en montagne, et devient Punta en basque, telle Chouri Punta (le pic blanc) a` Sainte-Engraˆce ou Punta Handia (le grand pic) a` Larrau, le catalan employant plutoˆt pic et puig. Citons une Pointe de la De´faite a` Arrens-Marsous 65, si abrupte qu’elle semble devoir son nom a` l’e´chec d’une ascension vers 1904 (Bulletin Pyre´ne´en, no44). La me´taphore de la teˆte est commune dans les oronymes mais ambigue¨, car elle s’applique aussi a` toutes sortes d’extre´mite´s : La Teste-de-Buch est ainsi nomme´e parce qu’elle e´tait la capitale du Pays de Buch. Teˆte est employe´ tel quel pour des sommets dans les Alpes : en Haute-Savoie, les Teˆtes a` Vercheix, Teˆte du Fer a` Cheval et Teˆte de Bostan a` Samoe¨ns 74, Teˆte a` l’Aˆne a` Passy 74, Tre´-la-Teˆte, Teˆte du Parmelan a` Dingy-Saint-Clair 74, etc. L’e´quivalent cap est fre´quent dans les Pyre´ne´es : Cap de Fer a` Brassac et a` Lescousse 09, Cap de Tos a` Me´rens-les-Vals 09, Cap de Jou a` Lacaugne 31 et Cap de Pujoulou a` Aspret-Sarrat 31, tous trois redondants puisque tos, jou et pujol de´signent des hauteurs. Chef est employe´ aussi, mais on le trouve plus souvent au sens de bout, de source ou point central comme le chef-lieu ; le village de Chef-Haut, commune vosgienne de plaine en Xaintois, est sur un petit col entre deux vallons. Des de´rive´s de cap apparaissent sous les formes Chabas, Cabasse, mais les NP sont nombreux dans ce domaine. Penne est un nom de relief re´pandu dans le Midi et qui a son homologue en Espagne (pen˜a). Les Pennes-Mirabeau 13, Penne-d’Agenais 47, Penne 81, La Penne 06, e´mergent en tant que communes parmi de nombreuses dizaines de Penne, la Penne, les Pennes. Pennavaire a` Brousses-et-Villaret 11 et Pennavayre a` Saint-Urcize 15 sont des sommets bariole´s. La Mongie (Bagne`res-de-Bigorre) a un Pic et un Piquet de la Pe`ne Blanque, Paradou 13 des Rochers de la Pe`ne dominant un Mas de la Pe`ne. Le mot a pu glisser vers peigne, comme au Peigne du Chazal et au Peigne de la Garde a` Saint-Beauzire 43. L’origine du nom est discute´e. Pen, comme ben et ven, sont conside´re´s par certains linguistes comme pre´-IE ; mais penno est atteste´ en celte et on lui attribue des La Penne, Les Pennes, Pannes notamment dans le Loiret et l’Eure-etLoir, voire Pavant 02, Pigny 18. Le breton pen a surtout le sens de teˆte ou de bout, extre´mite´, comme dans Penmarc’h (teˆte de cheval) ou Penfao (le bout de la heˆtraie), Penhoue¨t (bout du bois) a` Guinien 35 et les ce´le`bres chantiers navals de Penhoe¨t a` Saint-Nazaire 44, ainsi que Paimpont, Paimbœuf, Paimpol ; Penn ar Ru Meur est la pointe du grand courant a` Ouessant, qui a aussi Penn ar Roc’h, Penn ar Lan et Penn ar Men Du (du mont noir) ; le Finiste`re est en breton Penn-ar-Bed, « Bout du Monde ». Ne´anmoins, le sens de hauteur n’est pas absent dans les nombreux Pennaros ou Pennarun plutoˆt redondants (teˆte de roc, teˆte de mont...) ; Penve´nan, Penve´nez en Pluguffan sont sur des e´minences.

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Le germanique Kopf (teˆte) est fre´quent dans les Vosges : par exemple Kopf et Gerskopf a` Bousseviller, Kopf a` Bliesbruck, Sommer Kopf a` Bitche, de nombreux Koepfel (diminutif). Le basque emploie buru pour sommet, teˆte : Atchapuru a` SaintEsteben avec roche ; Arthaburu a` Lecumberry, avec cheˆne vert ; Haritzpuru a` Caro avec cheˆne, Goyburu a` Sainte-Engraˆce comme teˆte du mont ou haut mont. Bourisp (avec pe´ pour pied, bas) et Ciboure (zubi-buru, teˆte de pont) seraient de la famille.

Vieux oronymes Des se´ries de tre`s anciennes racines survivent dans les noms de sommets. L’une des plus re´pandues avait la forme k*k et a donne´ des noms en cuc, dont certains se sont hausse´ s au niveau de communes : en viennent Cucugnan 11, Cucuron 84, Cuguron 31, Coucouron 07, Cuges-les-Pins 13, Couque`ques 33, le pic de Coucourou a` Cette-Eygun 64, le Pic Cucurucull a` Fontpe´drouse 66, Cucurieux a` SaintCyr-de-Favie`res 42, la Montagne de Couecq a` Etsaut, le Cuech a` Salon-de-Provence 13, le Cuq Cre´mail a` Gazost 65 ou le paradoxal Plan-de-Cuques 13. Montcuq 46 et Cocumont 47, les Moncuq de Pomport 24 et Le´guevin 31, les Montcuq du Quercy et du Pe´rigord, les buttes de Moncuquet a` Cauzac, Lasserre et Bon-Encontre 47 et le chaˆteau de Montcuquet a` Lautrec 81, Montcocu a` Baraize 36 sont d’e´videntes redondances entre cuc et mont, d’une e´poque ou` cuc n’e´tait plus compris. Dans le genre, trois Serre Cocu sont a` Chorges et Ventavon 05, Presles 38, une Serre du Cocu a` Gravie`res 07. De meˆme origine, des sommets et des hameaux se nomment Cuche, Cuchet, Cuchon, Cugulet. Le Cocudoux a` Compains 63 est une butte bien dessine´e, comme celle de Cuculles a` Saint-Jean-de-Cuculles 34, mais cucule a aussi le sens de capuche en occitan. Le Cocheron est une butte tre`s saillante en bout de plateau a` Fleurey-sur-Ouche 21, et le Cocu a` La Tuilie`re 42 est un ancien Mont Cocut. Probablement, le puy de Cacadogne a` Chambon-sur-Lac 63 est de la famille ; voire le Cun, une butte a` Reilhac 46. En Corse, on songe a` Calacuccia qui associe cala et cuc, Coggia, Cucuruzzu a` Levie, Cuccuracciu a` Chisa 2A. De cuc on a pu supposer qu’une version atte´nue´e se lit dans Jouques 13, Joucou 11, Joucas 84, peut-eˆtre le Jocou a` Lalley 38 et a` Glandage 26, tandis que le col et le pas de Bacchus a` Plan-de-Baix 26 pourraient eˆtre interpre´te´s comme issus de « bas du cuq » (J.-C. Bouvier). Elle pourrait aussi transparaıˆtre dans les basques Juxue 64 et Jokoberro a` Saint-E´tienne-de-Baı¨gorry. Cougol, cougoul, de´signe une colline en occitan, et son e´tymologie semble en rapport avec cuc. D’autres syllabes aussi bre`ves et se`ches sont volontiers rapporte´es a` la meˆme origine : tuc et suc. Suc est tre`s employe´ dans le sud de l’Auvergne pour de´signer des sommets souvent pointus et isole´s, volcaniques ou non. Il apparaıˆt aussi dans Suc-et-Sentenac 09, et dans des lieux-dits en Suquet, Suchet, Suchaud ou Suchaux, les Suquets a` Caillac 46, les redondants Puech de la Suque a` Saint-Nazaire-de-Ladarez 34 et Montagne de la Suque a` Saint-Martin-de-Londres 34 ; sans doute aussi dans des Chuc, Chuque et Chuquet, fre´quents en Velay, comme le Chuc a` Blesle 43 et Chuque a` Saint-Maurice-de-Lignon 43, Chuc de Marquis a` Torsiac 43.

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Toujours de´signant des sommets ou des buttes, les tuc abondent dans le Midi, ou` ils prennent diverses formes : Tuc, Tuque (plusieurs dizaines dans tout le Sud-Ouest), Tuco et Tucol (fre´quents en Gascogne, outre un Tuc de Tucol a` Galey 09), Tucoo (Sault-de-Navailles 64), Tucou (Villenave 40), Tucoulet (plusieurs dizaines du Toulousain au Bordelais), un Pic de Tucoulet a` Saint-Be´at 31, un Pech de la Tuque a` Montastruc 47, des Pique, Borne, Bre`che et Refuge de Tuquerouye (montrouge) a` Ge`dre 65. Le Tuc d’Audoubert, a` Montesquieu-Avante`s dans l’Arie`ge, rece`le une ce´le`bre grotte orne´e de´couverte en 1912. Moliets-et-Maa 40 a les Tucs Blancs et le gros Tuc de la Citadelle, me´taphore pour un massif dunaire imposant. Sa voisine Messanges a plusieurs Tuc dans les dunes, dont un Tuc du Te´le´graphe. Il en est de meˆme pour Truc, notamment en Loze`re ou` le Truc de Randon se signale a` 1 401 m sur la Margeride et ou` sont aussi le Truc du Midi a` Palhers, celui du Ronc au Malzieu-Forain, le Truc del Rey a` Rimeize, celui del Four a` Brenoux, etc. Lacanau 33 a une Dune du Truc du Lion. Tuhou apparaıˆt en Bigorre, comme Tuhou Arredoun (rond) a` Bagne`res-de-Bigorre ou Tuhou de Fourc (col) a` Sarrancolin 65, Tuhou du Piquet a` Campan 65. Douc de´signe des renflements de terrain dans la foreˆt landaise ; la seule commune de Bourideys 33 y a le Douc Noir ; le Douc du Bœuf, le Douc Nord, le Douc Ouest, au Douc de Hourat, au Douc Blanc. Bernos-Beaulac 33 a un Douc dou Haou (du heˆtre), Landiras 33 un Douc de Junqueyre (de la jonchaie). De meˆme sens sont les Tup et Tupe´, Tupet (une vingtaine, surtout dans le Gers), les Tusse, Tos ou Tosse surtout dans les Pyre´ne´es centrales, comme la Tusse de Montarque´ a` Ooˆ 31. Taus, le Taus sont une vingtaine en Arie`ge, quelques autres sont dans l’Aude. Il est tentant de rapprocher de ces noms le breton tossenn, qui de´signe une butte, un tertre, et prend aussi des formes telles que tuchen, dossen, ou un diminutif Tossennou. Le plus connu est le Tuchen Gador, ou Tuchenn ar Kador (la butte du troˆne) a` Botmeur et Sizun 29, francise´ en Signal de Toussaines et point culminant du Menez Kador et meˆme des Monts d’Arre´e (393 m). Il existe aussi un Tuchennou a` Brasparts, Talhoe¨t Tuchentil a` Quistinic 56 (talhoe¨t = a` coˆte´ du bois), une quinzaine de lieux-dits Dossen, le Dossenn, Pen an Dossen. Gue´nin 56 a une grosse butte a` deux sommets, Mane´guen (mont blanc) et Tosten Justice ou` fut le gibet, dominant le hameau Dosten. Le Tosten est sur une hauteur a` Cle´gue´rec 56, et quatre lieux-dits ont nom Beg an Duchen (le bout de la butte) a` Tourch et Concarneau 29, Plone´is et Saint-Quay-Perros 22, tous en relief. Bar est une tout autre racine oronymique, souvent conside´re´e comme pre´celtique, reprise a` l’occasion par les Celtes : le gaulois barros de´signe une hauteur ou une teˆte, et serait a` l’origine de la barre au sens commun. Le terme apparaıˆt dans les Bars champenois : coˆte des Bars, Bar-le-Duc, Bar-sur-Aube et Bar-sur-Seine. On lui attribue volontiers Barr 67, plusieurs La Barre (Jura, Haute-Saoˆne), Barras 04, Barles 04, Barge`me, Bargemon et Barjols dans le Var, Bard 42 et Montbard 21, Barnave 26, Barraux 38 – nombre de Barre, toutefois, n’ont qu’un sens me´taphorique pour un accident de terrain qui barre un relief, un passage, une pente, et peuvent alors eˆtre de formation plus re´cente (v. Monts en long). La racine existe en Bretagne, ou` Barnenez est lu comme la hauteur (bar) devant l’ıˆle (enez). Elle y aurait plus souvent pris la forme bre´, brec’h, qui signale toujours une

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e´minence ; Brennilis est l’e´glise de la colline, Bre´le´ve´nez un montjoie – tandis que pour les Bre´hand ou Bre´han 56 les gloses he´sitent entre une hauteur et un hagionyme ou NP. Ici toutefois intervient une possibilite´ de tamponnement avec une autre racine bren, bron e´voquant un mamelon, que nous retrouverons un peu plus loin avec les me´taphores du corps. D’autres bre´, ber ou bar ont pu eˆtre repe´re´s ailleurs, avec le meˆme sens suppose´ : ainsi a` Berre 13 et Berre-les-Alpes 06, Barreˆme 04, Bre´ganc¸on a` Bormes-les-Mimosas 83, voire Barcillonnette 05. Le rapport entre bar et berg, s’il existe, ne semble pas avoir e´te´ clairement de´fini. Berg, montagne en germanique, vient de l’indo-europe´en bhergh de´signant quelque chose de haut, et qui a eu une riche descendance puisque le burg, donc le bourg, en vient aussi, comme la brigue (gaulois briga), site perche´ et fortifie´ ; ainsi d’ailleurs que le fort, car le son b est devenu aise´ment f (ou ph) en latin et en grec (chap. 1). Cette relation entre montagne, habitat et de´fense est tout a` fait classique et correspond aux temps anciens d’inse´curite´ ou` l’habitat se prote´geait en hauteur. A. Dauzat rapporte a` berg les Berg, Bergonne, Bergueneuse, Brianc¸on, Bourgoin (anc. Bergusia), Bre´hain. Fauquembergues 62 serait l’e´quivalent de Montfaucon, Looberghe 59 est le mont du petit bois, Isbergues 62 peut-eˆtre celui des ifs (M. Gysseling), Rebergues 62 viendrait de hros, le cheval (D. Poulet). Berg est pre´sent en Alsace, mais sans que l’on puisse toujours bien distinguer le sens de mont et celui de bourg, ou du moins briga, ainsi lie´s de`s l’origine : on en discute pour les Bergheim, Mittelbergheim et Scharrachbergheim qui s’alignent sur la meˆme route de pie´mont – Scharrach aurait le sens d’habitat fortifie´. Bergues dans le Nord est e´galement issue de berg (ou briga) : une ancienne place forte, fixe´e sur la colline du Groenberg (la butte verte). Nous avons de´ja` vu que briga e´tait a` l’origine de nombreux noms. Bric, briquet sont des termes re´pandus, notamment dans les Alpes, pour de´signer une hauteur, souvent pointue et dissyme´trique, comme le Bric Froid et le Bric Bouchet a` Abrie`s 05, le Bric a` Ilonse 06, Bricou a` Ventavon 05. Brec et Broc existent aussi : plusieurs dizaines de lieux-dits dans les Alpes-Maritimes et les Alpes-de-HauteProvence comme Brec, le Brec, Brec Second a` Enchastrayes 04, Brec a` Belve´de`re 06, le Brec d’Utelle a` Utelle 06, le Brec Haut et le Brac Bas a` Allos 04, Le Broc 06 et Broc a` La Brigue 06, La Broque. Quelques-uns y ont vu l’image d’une dent casse´e et donc la meˆme racine que brise´ ; il semble plus logique d’y voir la vieille racine b*r qui est dans les bar et bre´, et briga, la brigue. Et en Normandie bricque, importe´ du scandinave brekka, de´signe une hauteur, au moins une forte colline : ainsi a` Bricquebec (avec bec pour rivie`re), Bricqueville, Briquedalle (valle´e), Briquemare (e´tang ou marais), Bricquebosq (bois), ou la Pointe et l’Anse du Brick au nord du Cotentin, qui ne se re´fe´reraient qu’en apparence a` une sorte de bateau mais viennent bien de brekka (R. Lepelley). Van, ven et vin ont e´te´ e´galement admis par des commentateurs comme oronymes pre´celtiques, ce qui re´duit beaucoup d’interpre´tations fantaisistes de noms de montagnes. Eux aussi, bien entendu, ont pu eˆtre repris par les Celtes, comme en te´moignent le Ben Nevis e´cossais et le terme gaulois vanno, qui a eu le sens de pente – mais certains font e´tat d’un bonnum gaulois qui aurait eu le sens de corne et serait peut-eˆtre dans Beneuvre 21 (G. Taverdet), commune qui a une butte pointue a`

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base ronde nomme´e Mont Aigu. On les rapproche parfois de pen, teˆte ou d’extre´mite´ en breton. On pense les reconnaıˆtre dans le Vignemale, Venasque (dont vient le Contat Venaissin), le Port de Ve´nasque a` Bagne`res-de-Luchon 31, la Vanoise, Les Vans 07, des toponymes savoyards en Vanne´, les Vanne´es, ou encore Vins Haut, Vins Me`ge, Vins Bas et Bois d’Avins a` Anzac-le-Luguet 63. Le mont Ventoux serait de la famille, l’ide´e de « venteux » n’e´tant alors qu’une interpre´tation tardive. Une autre racine ves, veso est e´galement perc¸ue comme oronymique ; identifie´e pour le Ve´suve et le mont Viso, elle a e´te´ suppose´e en France dans Vesoul et Besanc¸on, peut-eˆtre Ve´zelay. Rostaing l’a propose´e pour Istres 13. La Be´zole 11, Be´zolles 32 (anciennes Vezola) et meˆme Bezons 95 (Vezonno au VII e s.) lui sont parfois attribue´s, mais la topographie ne s’y preˆte gue`re ; elle se heurte a` un terme d’origine germanique ves-wiso qui se rapporte a` des prairies, et a` un vieil hydronyme suppose´ ves, vis.... Un radical mala, re´pute´ pre´celtique, vaut e´galement pour montagne ou pour paroi rocheuse. On le trouve parfois sous la forme malle ou malh, mailh, voire mel et mello : tels le pic de Mallerouge a` Ge`dre, le Mailh Barrat, le Mail de Bulard a` Sentein 09 et probablement la seconde partie de Vignemale ; peut-eˆtre La Male`ne 48 et d’autres Male`ne voisins. Le risque est grand de confondre avec mala au sens de mauvais : Bethmale en Arie`ge pourrait eˆtre belle montagne, mais certains pre´fe`rent y voir une mauvaise valle´e (bat-mala), d’autres encore une foreˆt en valle´e ; Matemale est une mauvaise foreˆt, ou une montagne boise´e et le Puigmal cerdan est un mont mauvais ou simplement redondant. De nos jours, on pre´fe`re e´viter le mal, le mauvais, qui pourraient attrister le touriste. C’est aussi a` un e´tymon mel pre´celtique, ou a` un mello ou melo celte au sens de mont ou colline, peut-eˆtre repris du pre´ce´dent, que certains linguistes rattachent des noms comme Melles 31, Melle 79, Mellac 29, Me´lac a` Carentoir 56, Melve 06, Melrand 56, Mello 60, Me´ounes-le`s-Montrieux 83, Mions 38, ainsi que Melun 77 (anc. Melodunum), Meulan, Meudon 92. Pour d’autres linguistes cependant, Meulan et Meudon furent des Mediolanum, Mello une « clairie`re au merle » (Chaurand) ; Melle 79 a e´te´ Metallum au IX e sie`cle, ce qui pouvait faire re´fe´rence a` ses mines, mais P.-L. Augereau observe qu’il a pu s’agir d’une remotivation a` partir d’un Melo ante´rieur devenu incompris. Ces mel, melo, qui sembleraient associe´s a` des hauteurs plutoˆt rondes, sont rapproche´s par quelques commentateurs de la meule (de paille), d’e´tymologie elle-meˆme incertaine. On ne sait pas davantage si un autre terme oronymique suppose´, mais qui a plutoˆt la forme mag ou meˆme mac, est ou non de la meˆme origine. Dauzat l’a vu dans les Magalas, Maguelonne, Majastre ; mais ces noms pourraient avoir un rapport avec le superlatif mag au sens de tre`s grand, principal (cf. magne, majeur). Les deux diminutifs Magalassou (Marliac 31 et Lafage 11) correspondent a` des collines, les autres Magalas dont Magalas 34 sont sur des buttes. Les Majastre (une commune, trois lieux-dits en Provence), que Ne`gre interpre` te comme « tre` s favorise´ » (mag+astre) ont des sites assez diffe´rents mais tous en pays de relief accidente´, comme d’ailleurs Magnat-l’E´trange 23, qui contient un lieu-dit Majaleix associe´ a` la butte isole´e du Puy de Deux Sous ; et Majargues est une butte bien de´gage´e

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a` Limans 04. En fait cette racine peut bien de´signer quelque chose d’e´minent, qui ressort. Le breton a e´galement run, rhun, fre´quent aussi outre-Manche en Cornouailles et Galles : les le Run surabondent, des le Rhun sont a` Pre´le´vern et Le Vieux-Bourg 22, Ploemeur, Guidel et Belz 56, Croaz ar Rhun a` Penvenan 22, etc. Toutefois, ron apparaıˆt ailleurs, en des lieux ou` il est conside´re´ comme signalant une hauteur, et suppose´ pre´-IE : ainsi a` Sisteron et dans des Esteron, ou encore en Loze`re ou` le Ron Se´chio au Bleymard voisine avec le Ron de Malecombe a` Cubie`res, et ou` les Ron Pounchut a` Pelouse, Montbel et Arzenc-de-Redon ont pour e´cho un Ron Pointu a` Saint-Le´ger-de-Peyre ; en Arde`che avec le Ron de Coucourou et le Ron Coucoulude a` Valgorge 07, qui comportent en outre l’e´tymon cuc. Ces deux de´partements totalisent une soixantaine de Ron, suivis d’un de´terminant. Rez et Ray, peut-eˆtre de meˆme origine, apparaissent dans le Massif Central au sens de sommet ou mont, associe´ a` des buttes bien marque´es dans le paysage, parfois des te´moins de roches dures, comme des filons de quartz. On note en Allier les Rez de l’Aile, Rez des Grioulets, Rez du Noyer a` La Chabanne 03, le Ray Dadieu, le Ray de Musy a` Saint-Nicolas-des-Biefs 03, un Rez des Pierres au Mayet-de-Montagne 03, le Rez du Soleil a` Ferrie`res-sur-Sichon 03 ; ailleurs une Dent de Rez a` Gras 07, le haut coteau du Ray des Filles a` Soussey-sur-Brionne 21, le Rez de Sol (du soleil) a` Lachaux 63 ; la Re`ze a` Branceilles 19 s’y apparente par la topographie. D’autres oronymes pre´celtiques et pre´latins, ou d’origine mal connue, sont encore cite´s. Ort aurait eu le sens de rocher abrupt et se trouverait dans l’Ortus, un superbe creˆt a` Rouet et Valflaune`s 34, e´crit aussi Hortus, ainsi qu’en Corse dans plusieurs Ortu, Monte d’Ortu a` Lumio et a` Occhiatana, Ortale (dont une commune). Un gord aurait donne´ Gordes et Gourdon mais n’est pas confirme´, et bien des lieux-dits en Gorde ne correspondent a` aucun accident de relief. J. Chiorboli croit deviner un tre`s vieux kas dans des noms corses comme Castirla et la Casinca, et le verrait bien dans des kastell signalant des falaises rocheuses ; mais castel-chaˆteau a des origines latines clairement identifie´es, et a e´te´ souvent applique´ par me´taphore a` des rochers aux vagues formes de chaˆteau fort ruine´, jusqu’en Bretagne. Aginn est conside´re´ comme un terme gaulois pour hauteur et a e´te´ propose´ pour Agen 47, Ayen 19 et Ayn 73. Ona a le sens de colline en basque et se trouverait dans les noms d’Abense (Onize en basque) et probablement Bayonne, forme´ sur bai rivie`re et ona colline. Sal s’ajoute a` cette liste, comme te´moin ligure hypothe´tique, pour des sites incontestablement lie´s a` des buttes et autres reliefs comme le Salagou et son lac a` Clermont-l’He´rault 34, Seillons 83, Selonet 04, Salers 15, le Sale`ve et meˆme Salonde-Provence 13, dont le site initial fut la colline de Salonet (Fe´nie´).

D’autres hauteurs Tous ces termes restent myste´rieux : ils ont laisse´ des sons, pas des e´crits. Et certains auteurs n’ont pas re´siste´ a` la tentation d’en imaginer d’autres, pour les besoins de leur cause. Plus proches sont quantite´ d’autres termes dont la diffusion a e´te´

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suffisamment large dans le domaine dit indo-europe´en pour que leur sens soit plus clair, leur diffe´rence mieux comprise. Ne´anmoins, certains donnent encore lieu a` des commentaires contradictoires : nous avons vu toute la richesse d’interpre´tation des racines celtes ard- et uxello comme expressions de ce qui est haut. Une racine tre`s ancienne est donne´e par la forme k*r, k*l que nous retrouverons avec les rochers, auxquels elle est tre`s lie´e. Caer est fre´quent en Bretagne et a pu, comme d’autres oronymes, s’associer a` l’ide´e de forteresse : quoique tre`s discute´, le nom de Carhaix lui semble bien redevable. Crozon fut Craothon, probablement de kar (roche)+dunum. De meˆme nature, des dizaines de Cre´ac’h se dispersent dans le Finiste`re, ou` ils de´signent des collines, souvent avec des adjectifs, comme le Cre´ac’h Glaz (bleu ou vert...) de Saint-Yvi ou les Cre´ac’h Ru (montrouge) de Plogastel-SaintGermain et de Plone´our-Lanvern, Creac’h ar-Bleiz le Mont du Loup a` Guimiliau, Plomodiern, Langoat, avec des e´critures le´ge`rement diffe´rentes. On en rapproche volontiers le celte crouco (krukko) qui aurait de´signe´ un tertre, un monticule. Crucuno a` Erdeven et a` Plouharnel, Crucuny a` Carnac sont apparente´s a` cette racine, ainsi que des formes crug, krugel : Crug Lann a` Belle-Isle-en-Terre, Cruguel a` Ploumilliau, Cruguel et Cruguellic a` Lanrivoare´, Cruguel 56. Telgruc, Cruis 04, des lieux-dits comme le Crucq, le Cruchet appartiennent probablement a` la se´rie. D’autres de´rive´s de kel sont tout aussi riches en toponymie, tout en ajoutant a` l’ide´e d’altitude une e´vocation de formes du terrain. D’abord par la colline, dont le sens originel semble eˆtre ce qui culmine (latin collis) et qui se retrouve dans des noms de lieux en Courme, Colle, Cueille, Queuille. Ainsi de Courmes 06, des quantite´s de la Colle principalement en Haute-Provence, de Cueille, Cueilhes, surtout en Corre`ze, Jura et Vienne, Queaux 86, une vingtaine de Queille et la Queille notamment dans l’Aude, Queuille 63 et une vingtaine de Queuille et la Queuille de la Dordogne au Jura. Et bien entendu des lieux-dits la Colline ou les Collines sont un peu partout, y compris dans des lotissements re´cents. Colle et collet sont des e´quivalents provenc¸aux : la Grande Colle a` Pourcieux 83, Valensole 04, Les Pennes-Mirabeau 13, Marcoux 04, la Petite et la Grande Colle qui sont des reliefs paralle`les a` Mazaugues 83, plusieurs la Colle a` Digne-les-Bains, le Collet Redon, butte ronde a` Allauch 13, a` Marseille ou a` Malausse`ne 08, le Gros Collet a` Venelles 13, le Sommet du Collet Blanc a` Malauce`ne 84. Une difficulte´ tient aux confusions possibles entre colline et col, et leurs de´rive´s : collet est un col ailleurs, comme l’indiquent les nombreuses dizaines de lieux-dits le Collet des Alpes du Sud. Comble est e´galement employe´ au sens de hauteur dans certaines re´gions, Picardie et Artois, Champagne, Lorraine. Le mot semble avoir la meˆme origine que colline, culmen, comme les combles sont en haut de la maison. Les lieux-dits de cette sorte sont toujours sur des croupes, comme a` Hesmond ou Royon 62, les Combles a` Boyaval 62, la Comble a` Montsec 55, Combles-en-Barrois 55, le Comble du Bon Poirier a` Saint-Fergeux 08. La meˆme racine kel semble se manifester encore par le terme d’origine nordique holm, e´quivalent de colline mais de´signant tout particulie`rement une ıˆle en relief. Une racine indo-europe´enne en ku, keu a e´te´ tre`s productive. De´signant a` l’origine un arc, une courbure, puis un genou ou un talon, elle a servi a` son tour a` nommer

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quelque chose qui ressort, donc un relief, et elle est re´pute´e eˆtre a` l’origine des mots hoch en allemand et high en anglais, donc des hauts, ainsi que de hill, colline en anglais et Hu¨gel, colline en allemand. On note de nombreux le Hil en Ille-et-Vilaine, Creac’hill a` Ploune´vez-Lochrist 29, le Hille a` Bailleul 59, Fie`tre 59, Hil a` Lederzeele 59 de´signant une colline, Cray Hill et Hoogen Hill a` Bollezeele 59 ; et SaintMartin 971 a plusieurs Hill issus de l’anglais (Hope Hill, Bell Hill, Pea-Tree Hill...) – mais en Gascogne le Hil, la Hille ont eu pour sens le fils, la fille. En viendraient aussi, avec de nombreux toponymes anglais en -oo, -oe et -ow, les noms norrois de´rive´s du vieux norrois haugr et devenus hou en Normandie, ainsi qu’en hougue. On note une douzaine de la Hougue dans la Manche, a` Bolleville, Catteville, Carentan, Coligny, Orglandes, et la commune de Saint-Vaast-laHougue 50. La Normandie ne compte pas moins d’une cinquantaine de la Hogue, dont une quinzaine en Calvados, ou` Escoville a meˆme une Butte de la Hogue, Fontenay-le-Marmion un tumulus et un quartier de la Hoguette. On trouve aussi des Houguet et Houguettes, la Petite et la Grande Hogue a` Auffargis 78, la Hogue a` Joue´-en-Charnis 72. Hoc est sans doute apparente´, ainsi a` la ce´le`bre Pointe du Hoc de Cricqueville-en-Bessin 14, la Pointe du Hock de Cancale 35 ou par la colline du Hoc a` Percy 50. Un radical IE ter ou tur est associe´ a` l’ide´e de but, de limite et se trouve dans terme, terminus ; par l’ide´e de marque, de borne marquant la limite, il aurait donne´ la tour, turris en latin, tyros en grec, turm en allemand et tower en anglais. Avec les nombreux toponymes en Tour, Latour, Torre apparaissent aussi des Tourailles (dont une commune du Loir-et-Cher), Toureilles et Torreilles. Tureau ou thureau, teureau, taural ont le meˆme sens et viennent de l’ancien franc¸ais turel pour une tour, lui-meˆme reste´ tre`s pre´sent parmi les lieux-dits, avec Turelle. Turon, touroun est fre´quent dans les Pyre´ne´es-Atlantiques. En vient aussi le tertre, dans toutes ses variantes : quantite´ de bosses, buttes ou collines sont nomme´es Tertre, et aussi Tartre, Tart, Terne, Terme ainsi parfois qu’un paradoxal Terrier. Tart signale localement un tas de pierres sous des formes tartara, tartie` s, tarter pour certaines moraines dans les Pyre´ ne´ es. Le Tart a` Camarsac 33 est sur une butte, comme Tart-le-Haut 21 qui est flanque´ de Tartle-Bas et Tart-l’Abbaye. Les turcies, leve´es de protection contre les crues dans le bassin de la Loire, ont la meˆme e´tymologie ; les E´turcies a` La Fle`che 72 s’en inspirent. Tous ces termes de´signent en ge´ne´ral de moindres reliefs, de simples e´minences ; mais en montagne, certains reliefs e´troits et hauts sont nomme´s tour, par me´taphore, en raison de leur silhouette. Cette se´rie de noms apparaıˆt dans Tartar 26, Le Tartaret 63, Saint-Paul-de-Tartas 43 et son Mont Tartas, Tartas 40, le Tartre a` Salzy 58, a` Cramchaban 17, les Tartres a` Ve´retz 37, voire la Tarte a` Part a` Blangerval-Blangemont 62, les Tartereˆts a` Corbeil ; et dans The´rondels 12, Thoiras 30, Thoires 21, Thoiria 39, plusieurs Thoiry, Thor (Le) 84, Thore´-la-Rochette 41, Thorens-Glie`res 74, Thorey 89, Thoronet (Le) 83, Thorrenc 07, Thory 80, Thourie 35, Thoury 41, Thurageau 86, Thure´ 86, Thuret 63, Thurey 71, Thury 21, Thury 89, Thury-en-Valois 60, Thury-Harcourt 14, Thury-sous-Clermont 60, Tourailles 41, Toureilles 11, Tournon 73, Tourrenquets 32, Toury 28.

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Notons encore le Turel (a` Rue 80 ou De´muin 80). Le Taureau a` Girondelle 08 est une butte, comme Terrier Randoin a` Pouligny-Notre-Dame 36, le Terrier de la Pointe a` Chantillac 16, Terrier de Randou a` Belve`s 24. Teureau est fre´quent en Bourgogne : Teureau de la Wivre a` Glux-en-Glenne 58 pre`s du mont Beuvray, Teureau du Tuf a` Arnay-sous-Vitteaux 21, les Teureaux a` Saint-Martin-de-laMer 21. Le nom est aussi Theurot comme au Grand Theurot de Boulay-aux-Bizots ou a` Neuvy-Grandchamp 71, ou encore Teurot, surtout en Saoˆne-et-Loire. Le sens de tertre est pre´sent aussi dans Termes 08, le Terme des Foins a` Nouart 08, le Gros Terme a` Herbeuval 08 et le Terne a` Barbaise 08, les Cinq Termes a` SaintPierre-a`-Arnes 08 ou le Terme aux E´cus a` Saint-Hilaire-le-Petit 51, Tourouna a` Garris 64, Turon de Guinarthe (mont du cheˆne vert) a` Saint-Gladie-ArriveMunein 64, la butte de la Tourouzelle a` Lauraguel 11. La Dordogne a cinq lieuxdits le Terme Rouge. Dans l’Yonne, He´ry contient a` la fois le Tertre et le Tureau, et a` Seignelay le Haut du Tureau est un lotissement sur un tertre. Dans le Jura, EsservalTartre s’oppose a` Esserval-Combe, et plusieurs Termes dans les communes proches de Sommepy-Tahure et de Sainte-Marie-a`-Py 51 correspondent a` des buttes ou des collines, Gros Terme e´tant en contrebas de la plus forte d’entre elles, le mont Sedeu. Une difficulte´ est que terme a aussi le sens de limite. Tasque de´signe un tertre en Gascogne ; Tasque 32 y est flanque´e d’un hameau le Tuco, Tasquet a` Lannemezan est un versant raide, la Tasque a` L’Isle-Bouzon 32 est une colline bien marque´e. Il est possible que Taska, un sommet vigoureux a` SainteEngraˆce 64 et Tasca Vinota, autre sommet a` Rapaggio en Corse, soient apparente´s, le radical e´tant alors suppose´ vascon, sinon vasco-ligure. Plusieurs termes e´voquent une relation entre une hauteur et un habitat, comme nous l’avons vu pour dhuno (chap. 1). Le torp, commun en Normandie mais au sens de village, a pour cousin le terp flamand et ne´erlandais, terpen au pluriel, butte pour mettre l’habitat a` l’abri des inondations ; rappelons que dorf, village en allemand, ou dorp en ne´erlandais, leur est apparente´, sous l’acception de village prote´ge´, ferme´ et souvent en hauteur comme le burg. Un IE teue de´signant un renflement, que l’on retrouve dans tumeur et tubercule et probablement dans tombe, pourrait eˆtre dans le pays de Thomie`res en Languedoc, dont Saint-Pons-de-Thomie`res 34 conserve le nom ; Thumeries 59, sur un modeste promontoire, ne serait pas absurde, mais est plus volontiers rapporte´ a` un NP. En latin, tumulus de´signait toute « e´minence, e´le´vation, tertre... collines, hauteurs » (Gaffiot) ; son sens a e´te´ restreint a` des e´minences au moins en partie artificielles, riches en restes arche´ologiques, mais n’a gue`re e´te´ introduit en toponymie. Des linguistes font e´tat d’un tullo celte, e´voquant une enflure, un renflement, en l’occurrence une hauteur ; il pourrait avoir un rapport avec les termes pre´ce´dents et, selon E. Ne`gre, avoir donne´ les noms de Toul 54 et Toulx-Sainte-Croix 23, Le Thoult-Trosnay 51. Thou 18 sur sa colline et d’autres Thou et Le Thou, des Toulon, dont Toulon-la-Montagne 51 et Toulon-sur-Allier 03, seraient de cette se´rie. « Sur le nom de Toul, tous les toponymistes sont d’accord : il provient directement du gaulois Tullo, « enfle´ » [selon von Wartburg] pour de´signer le mont... sur lequel a e´te´ trouve´ le site gaulois originel » assure P.-H. Billy. Le meˆme voit aussi cette

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racine dans Toulouse, ce qui n’est pas en rapport avec le site – a` moins de supposer qu’il s’est agi de Vieille-Toulouse, perche´e en effet sur les collines du Terrefort. Curieusement Tulle 19, en de´pit de son site, est comprise comme venant d’une divinite´ protectrice Tutela... « dont l’arche´ologie n’a cependant re´ve´le´ aucune trace sur place ni dans les environs » note P.-H. Billy. Butte est un mot e´quivalent a` tertre, meˆme si parfois les formes en sont plus vigoureuses. D’origine nordique, il a de´signe´ une souche, un billot, une cible, un but que l’on vise. Comme forme de relief il en est de toutes tailles, et certaines buttes sont ce´le`bres, comme les Buttes-Chaumont a` Paris, redondantes puisque Chaumont est un mont (chauve). D’autres Buttes-Chaumont sont a` Quincy-Landze´court 55, a` Champlan 91. Citons la Butte Rouge a` Chaˆtenay-Malabry ou a` Morangis, la Butte aux Pendus qui voisine avec la Butte de l’E´veˆque a` Gennes 49. Le mot se passe souvent d’attribut : les Buttes figurent une centaine de fois dans Ge´oportail. S’y ajoutent des Butel, Butteaux et autres variantes. Un certain nombre de but de´signent des sommets ou promontoires bien marque´s dans le Sud-Est, comme le But de Ne`ve et le But de l’Aiglette a` Chamaloc 26, le But Sapiau de Saint-Agnan-en-Vercors 26, le But de Toul a` Pontaix 26 (probablement redondant), voire le But de Mont a` Tupinet-Semons 69 ; plusieurs sommets des Ce´vennes ont e´galement ce nom. Une racine en j figure parmi les indications de hauteur, mais reste assez myste´rieuse et controverse´e. Certains reliefs portent le nom de jeu : Jeu-les-Bois pre`s de Chaˆteauroux juche vieux village et chaˆteau sur un promontoire vigoureux ; Jeu et l’Essart de Jeu a` Plaisance 86 sont sur une hauteur, comme Jeu-Maloches dans l’Indre. Job, hameau isole´ de Saint-Hilaire-de-Foissac 19, sur un reste de plateau encadre´ de ravins et dominant la Luze`ge, pourrait eˆtre de la famille. Tel serait aussi le cas de certains Jouy. Donjeux 52 a un chaˆteau haut perche´ sur un e´peron barre´ et associe dun- et jeu. On a rapproche´ ces noms des verbes jucher et hucher, qui se re´fe`rent a` des situations perche´es. Il existe d’ailleurs bien des toponymes en Huche-Pie ou Juche-Pie, et Saint-E´tienne-Lardeyrol 43 oppose une Huche Pointue a` une Huche Plate, deux buttes re´pondant fort bien a` leur nom. Joch est un village des Pyre´ne´es-Orientales, tandis que divers Joch germaniques de´signent des sommets ou des cols. Le breton emploie aussi yoch pour certaines hauteurs : er Yoc’h a` l’Iˆle-d’Houat 56, un ıˆlot rocheux relie´ par un tombolo, l’ıˆle d’Yoc’h a` Landunvez 29, Youc’h et Youc’h Korz a` Ouessant, Le Juch 29. Il existe peut-eˆtre une relation avec le francique juk au sens de pieu, comme perche´ est en rapport avec la perche. Certains auteurs y voient une re´fe´rence au joug, mais joug, comme son e´quivalent l’anglais yoke, vient d’un indo-europe´en yeug comportant l’ide´e de joindre, non celle de jucher. La relation serait plus probable avec le Jura et les joux, tout un monde de foreˆts en hauteur, ainsi qu’avec les Jorasses, Joran, Jorat abondants en montagne (H. Suter). Derrie`re ces noms, beaucoup de commentateurs lisent un jor ou juris gaulois qui aurait de´signe´ un mont sous futaie, une hauteur boise´e, mais dont on ne semble savoir rien d’autre, et que ne cite pas un spe´cialiste de la langue gauloise comme X. Delamarre. Nous avons vu plus haut qu’une autre interpre´tation fait venir jouk de la vieille racine oronymique pre´-IE kuk.

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L’IGN (E´lisabeth Calvarin) pre´cise : « Joux, nom fe´minin, peut s’e´crire jaux, jeux, jeu, jau, jo, joe, jour, jux, zour, dzaou, jor, joeur, jeur, djeux, dieux, jieu, jorasse, jorats [...] Ce mot vient du gaulois juris signifiant hauteur boise´e ; il a pour mots romans correspondants jours, jorx, jugi, jorz ». Ce qui laisse quelques proble`mes : les Grandes (et les Petites) Jorasses a` Chamonix sont certes tre`s haut, dominant le haut de la mer de Glace ; mais si haut qu’elles ne sont nullement boise´es. En revanche, on trouve Jours-en-Vaux et Jours-les-Baigneux en Coˆte d’Or, Jorxey sur sa butte vosgienne, et les Jeux et les Jaux sont fort nombreux meˆme en plaine. Bien des confusions restent possibles : jau est le coq en occitan, jugie e´tait un bailliage et juge`re une mesure agraire (issue de joug pour la paire de bovins au travail) ; et les jeux et les jours ont aussi d’autres sens. Molard est un terme propre aux Alpes et au Jura, avec quelques e´chos en Bourgogne, et de´signe un relief apparent. C’est souvent une simple croupe, voire une colline. Le nom est e´crit soit avec un seul l, soit avec deux, ce qui fait glisser vers l’ide´e de relief mou : il s’y trouve au moins cinq Mollard Rond et dix Molard Rond, meˆme un Molard Girond a` Vaulnaveys-le-Haut 38. Pourtant, le nom de Molard ou meˆme Mollard peut eˆtre attache´ un sommet plus imposant, et meˆme a` une saillie rocheuse. Le Molard de Sisteron n’a rien d’une croupe ronde, c’est un long creˆt a` l’areˆte bien marque´e, prolonge´ de l’autre coˆte´ de la Durance par la Montagne de la Baume ; le Molard Noir au-dessus du Bourget-du-Lac 73 est une pointe du puissant relief de la Montagne du Chat, proche de la Dent du Chat. Aussi l’origine du mot est-elle discute´e : une image formelle de la meule de foin, ou un parent de la pierre a` meule (latin mola, molaris, IE mel, e´craser, moudre), ou un de´rive´ de moles (masse, mole en ancien franc¸ais, IE moˆ, qui est aussi dans le moˆle) ? Le premier a la faveur de linguistes e´rudits mais il est re´cent en franc¸ais (XII e sie`cle) et ne pourrait s’appliquer qu’a` des formes rondes ; le deuxie`me ne manque pas de vraisemblance, par l’e´vocation de la durete´ de la roche (comme dans molaire) ; le troisie`me est pre´fe´re´ par H. Suter.

Formes d’en haut La racine indoeurope´enne dhuno dont viennent les noms en -dun, ou` l’ide´e de de´fense est associe´e a` celle de hauteur, est e´galement a` l’origine d’autres noms de reliefs, et de villes qui en de´rivent comme Verdun ou Liverdun. C’est le cas des dunes, et donc des lieux touristiques qui les affichent, comme Bray-Dunes 59. C’est le cas du Donon, l’un des hauts sommets des Vosges. C’est celui des dognons, qui de´signent aussi des buttes : une trentaine de « le Dognon » et plusieurs « les Dognons » se dispersent dans les de´partements du Centre-Ouest, Charente, Corre`ze, Dordogne, Vienne et Haute-Vienne. Il semble que ce soit aussi le cas de Domme, Domps, Dain-en-Saunois – voire Atton 54 et Eton 55. Domme 24, Domps 87 pourraient avoir cette origine. Le gaulois dumio de´signait un tertre et certains lui attribuent volontiers le puy de Doˆme. Toutefois, le terme croise ici des dom issus des notions de maison et de seigneur, sinon de dominer, ce qui est assez naturel pour des hauteurs. En outre, certains

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sommets sont nomme´s doˆmes en raison de leur forme de coupole, nombreux en montagne mais pre´sents aussi en plaine : le Doˆme du Gouˆter a` Saint-Gervais-lesBains 74 ou le Doˆme de la Lauze a` Saint-Christophe-en-Oisans 38, celui de Vaugelaz aux Chapelles 73 ou celui de Moneˆtier a` Pelvoux 05, le Doˆme de Barrot a` Auvare 06, les Doˆmes de Miage aux Contamines-Montjoie et Saint-Gervais-les-Bains 74, un Doˆme a` Arrens-Marsous 65 qui monte a` 2 673 m. Des Doˆme comme sommets un peu ronds a` basse altitude sont a` Goncourt et Chalvraines 52, Laran 65, a` Montceau 38, Crissey 71 ou Saint-Jean-des-Champs 50. Or l’origine du terme doˆme est incertaine : le grec doma a de´signe´ des maisons a` coupole et l’italien duoma la cathe´drale (a` coupole) ; a` Richelieu 37 et Carcassonne 11, des lieux-dits le Doˆme viennent d’e´difices. Curieusement, coupole n’a gue`re donne´ de noms de lieux, si ce n’est pour un ancien bunker de la dernie`re guerre a` Helfaut 59, re´ame´nage´ en muse´e, ou des ame´nagements du camp militaire de Bitche (les Coupoles, commune d’Haspelschiedt 57). Les images d’objets familiers sont tre`s nombreuses dans les repre´sentations de la montagne et, plus ge´ne´ralement, des hauteurs. Nous l’avons vu avec la teˆte et ses e´quivalents ; c’est d’ailleurs l’occasion de rappeler que la teˆte vient du latin testa, quelque chose de dur mais creux, qui de´signait aussi bien une cruche que la carapace des tortues et crustace´s (le test) et a e´te´ employe´ ensuite ironiquement pour le craˆne. La Tortue est une grosse butte a` Saint-Julien-Chapteuil 43, ainsi nomme´e pour sa forme. Le menton, le museau et le groin ont fourni leur lot d’images de protube´rances ; mais l’on ne sait qui est l’image de qui. En effet, menton est donne´ comme issu, par le latin mentum, du vieux terme men, qui nous est de´ja` familier par les monts et autres e´minences : une forme qui ressort. Groin semble avoir e´te´ une autre image fe´conde. Le Groin a` Sainte-Anne 25 est un beau promontoire, comme celui de Saint-Laurent-Rochefort 42 ; le Grouniau est une butte a` Vende´mian 34, Sous Groin est un versant sous le promontoire qui domine Quincy-le-Vicomte 21, comme Sous Grouin a` Poncey-sur-Ignon 21 ; la pointe du Grouin e´le`ve son promontoire a` Cancale, Camaret 29 a un Grand Groin, une autre est a` l’embouchure de la Vire a` Ge´fosse-Fontenay 14. Groin, gruing, grung ont de´signe´ des hauteurs ou des promontoires en vieux franc¸ais, comme le Grognon au cœur de Namur en Belgique. Des toponymes en Grun sont fre´quents en Auvergne, dont le Grun de la Chave a` Cunlhat 63, les Gruns, le Grun du Bois, le Grun de Plat, les Gruns de Darne, le Grun du Sapin et le Grun de Neuville a` Auzelles 63, qui a aussi un hameau Montgrain. Gron est une commune du Cher, connue pour sa butte ; Gron pre`s de Sens est sous les promontoires des Monts Faucons et des Monts Bouteille ; citons encore le Soum de Grun a` Cauterets et la commune de Grun-Bordas 24. La relation avec le groin du porc peut paraıˆtre e´vidente. Ne´anmoins, certains spe´cialistes pre´fe`rent voir dans gron, groin une e´vocation d’un vieux radical oronymique en g*r, tandis que E. Ne`gre fait e´tat d’un grumus latin au sens de tertre, tas de terre (qui a donne´ aussi le grumeau). Le Museau de Val-d’Ise`re semble bien une autre me´taphore ; peut-eˆtre aussi Serre Museau a` Sale´rans 05, mais un NP est suppose´ plus vraisemblable, comme pour les rares Museaux. En revanche, Mourre, qui est museau en occitan, est tre`s employe´ :

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citons le Mourre Froid a` Orcie`res 05, le Mourre Ne`gre comme sommet du Luberon, le Gros Moure a` Chalenc¸on 26, la Montagne de la Moure comme massif calcaire a` l’ouest de Montpellier, l’ensemble Mourre Fleuri, Mourre Pele´, Mourre du Mitan, Mourre de la Belle E´toile a` Saumane-de-Vaucluse 84, le Moure de la Tour a` Labastide-de-Virac 07 ou le Mourrel des Potences a` Salsigne 11, qui portait jadis les bois de justice. Mais qui a commence´, du museau ou de ce qui de´passe ? Pour certains le morne, terme ge´ne´ral pour des hauteurs aux Antilles, surtout des collines, serait venu des navigateurs et de´signait aussi un museau ; morre est museau en ne´erlandais. Morne existe aussi en me´tropole, avec des Mornex et Morneix, et souvent associe´ a` des reliefs mode´re´s, comme les Mornes a` Saint-Aignan-des-Noyers 18 ou Mornas a` Saint-Victore-de-Cessieu 38. Certains linguistes supposent que ces termes viennent d’un murr pre´latin, au sens de tertre, e´minence ou tas de pierres, rochers, e´boulis, dont la relation avec le mur, murus en latin, n’est pas e´tablie. La racine se trouve en catalan et en toscan (murro) et probablement dans la moraine, accumulation de blocs de´pose´s par les glaciers et dont quelques lieux-dits portent le nom – bien que mora, obstacle en latin, ait pu eˆtre e´voque´. Elle figurerait dans Moure`ze 34, Morzine 74, Morogues 18, les Morcles a` Saint-Euge`ne 73, des Morillon, Morenche et Moranche ; G. Taverdet cite aussi Mouron-sur-Yonne 58, le Mouron a` Issyl’E´veˆque 71, voire Morey 71, Moroges 71. La corne a inspire´ des noms de sommets ou de buttes de forme plus ou moins pointue : ainsi, en Haute-Savoie, de la Corne a` Plesnois, la Corne de Bresnard a` Anoux, les Cornettes de Bize a` La Chapelle-d’Abondance ou la Cornette de Nyon a` Morzine, qui sont des promontoires, ou encore des Cornes au Grand-Abergement 01, Cornes du Chamois a` Sixt-Fer-a`-Cheval 74, Cornude`re entre Galey et Herran 09. Re´ty 62 a un Mont Cornet et, au pied, le hameau des Trois Cornets, en effet entoure´ de trois buttes. Des noms comme Cordon, Cornas, Cornac, Corn ont pu avoir ce sens ; mais corne est polyse´mique, et tre`s re´pandu aussi en plaine au sens de coin de bois, de parcelle en triangle ou meˆme de fruit du cornouiller. Il peut apparaıˆtre sous la forme horn, d’origine germanique ou celte : Plas ar Horn a` Que´me´ne´ven est une butte assez vigoureuse, comme le Hornberg a` Wingen 67. Des toponymes en Horgne sont fre´quents en Lorraine, plus espace´s en Champagne et Picardie et deux sont dans le Gers ; a` peu pre`s tous correspondent a` des retombe´es de collines, voire des e´perons de confluence. En ce sens, un rapport avec hog, hougue n’est pas exclu. Le basque emploie adar, nom qui apparaıˆt dans Adarza, sommet a` Anhaux 64. Un ban, banna, conside´re´ par certains comme pre´celte, aurait e´galement eu le sens de sommet pointu, corne, ou au moins d’escarpement. Il se trouverait dans Banon 04, et dans la Banne d’Ordanche a` Murat-le-Quaire 63, peut-eˆtre la Banne a` La Motte-enChampsaur 05, les Bannes a` Saint-Se´bastien 38 ; mais bien d’autres lieux-dits en Banne sont en plaine et ne correspondent pas a` ce sens. Le bec semble avoir inspire´ certaines images de reliefs pointus, clairement quand on e´voque les Bec d’Oiseau, Bec du Corbeau, Bec Rouge et Bec de Lachat a` Chamonix, le Bec du Canard a` Saint-Christophe-en-Oisans 38, Bec d’Aigle a` Montsapey 73, et Bec de l’Aigle a` Allos 04, le Bec de l’Aigle a` Saint-Marin-d’Entraunes 06, Bec

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d’Oiseau comme sommet a` Boulc 26, le Bec Cornu a` Aubagne 13. Le Bec de l’Orient a` Autrans 38 est un vigoureux promontoire. On trouve un Bec au Vent ou Bec a` Vent a` Fontenay-Torcy 60, ou a` Mortefontaine-en-Thelle 60, a` Mont-sur-Courville 51, en sommet de coteau ou de promontoire. Beg en breton a le sens de pointe dans Beg ar Raz, nom breton de la pointe du Raz, ou Beg Meil (la pointe du moulin) de Fouesnant, un cap bien saillant. Ce beg et le bec sont en ge´ne´ral re´pute´s venir d’un celte becco au sens de crochet, pointe courbe ; mais beg en breton est aussi bien le bout ou le haut que la pointe : Beg an Hent a` Arzano 29 est topographiquement le haut du chemin et la douzaine de Beg ar Me´nez ou Beg Me´nez sont bien des sommets de collines, comme a` Saint-Yvi ou a` Ploune´vez-Moe¨dec ; le Beg Meil de Saint-Yvi ne correspond qu’a` un coteau. Beg ar C’hra est le nom d’une communaute´ de communes au sud de Lannion qui a pour sens « le haut de la coˆte », d’ailleurs plus « en haut » que « sur la coˆte ». A. Dauzat avait tendance a` attribuer a` un celtique « bacc » qu’il de´finissait contradictoirement comme « pointe, creux », des noms comme ceux de Bagard, Bagas, Bagat-en-Quercy. Dent est employe´ pour une e´minence pointue, du moins en montagne ; la Dent est un suc tre`s pointu a` Beauzac 43, le Me´zenc a ses Dents du Diable a` Chaudeyrolles 43 et Chambon-sur-le-Lac 63 une inquie´tante Dent de la Rancune qui n’exprime peuteˆtre qu’un ranc. Chamonix collectionne Dent du Ge´ant et Dent du Requin, du Caı¨man, du Crocodile ; Sollie`res-Sardie`res 73 s’orne d’une Dent du Monolithe, Colmars 04 de la Dent de Lie`vre. Sixt-Fer-a`-Cheval 74 a les Dents Blanches. La Dent de Crolles a` Saint-Hilaire 38 est un promontoire bien connu de la Grande Chartreuse, la Dent Parrache´e un haut sommet de la Vanoise a` Termignon 73. On trouve aussi les Trois-Dents a` Eaux-Bonnes 64, a` Lanslebourg-Mont-Cenis 73 ou meˆme a` Roissey 42, les Trois Dents du Pelvoux a` Pelvoux 05 et les Trois Dents de la Chourique a` Lescun 64. Le doigt sert d’image pour des reliefs particulie`rement hauts et e´troits ; Gavarnie 65 a le sien, comme Pralognan-la-Vanoise 73, et plusieurs sites des Alpes se nomment le Doigt ou les Doigts ; les rochers des Doigts du Diable dominent le lac de Nantua – mais les Doigts de Gargantua a` Ple´venon 22 et Doingt 80 sont des menhirs, et en plaine doigt n’est qu’une de´formation de duis, cours d’eau ou fontaine. La poitrine fe´minine a inspire´ toute une se´rie d’images de rondeurs. Le mamelon est un terme ge´ne´rique en ge´ographie, comme d’ailleurs la croupe et le dos ; il a ses mentions locales, dont 17 sur les cartes IGN, telles le Mamelon de l’Aigle aux Arcs 84, le Mamelon des Aulnes et celui de l’E´cureuil a` Saint-Raphae¨l, les Mamelons a` Marcollin 38, une demi-douzaine de Mamelon Vert. On trouve les Mamelles de Beaune dans la Vanoise a` Saint-Martin-de-la-Porte 73, les Mamelles a` Petit-Bourg et les Petites Mamelles a` Capesterre-Belle-Eau en Guadeloupe, les Deux Mamelles a` Saint-Benoıˆt (Re´union). Le sein a aussi le nom de poupe (d’ou` vient le poupon, et popar est te´ter en occitan) : la Pupe est un sommet rond a` Vesseaux 07, comme Poupe´ras a` Vaison-la-Romaine, la Poupoune a` Saou 26. Rilleux-la-Pape et Saint-Romain-de-Popey en sont proches, peut-eˆtre aussi le Rocher de Popa a` Bigorno 2B. Poype a le sens de colline en Lyonnais et fournit plusieurs NL dans l’Ain et l’Ise`re ; E. Ne`gre admet la communaute´

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d’origine. Du terme celtique bronnio pour le sein, les linguistes rapprochent d’un coˆte´ des noms de fontaines et sources (le Bronn germanique), et aussi l’e´vocation de collines et montagnes arrondies. On lui rapporte volontiers des noms comme Bron 69, Ambronay 01, Brogny 51, peut-eˆtre Brignoles 83 et les Coe¨vrons (de coat-bron, mamelons boise´s), ainsi que Broons 22, Berne´ 56, Brignac 56, Brignogan-Plages 29 – le bre´ breton pourrait eˆtre de la meˆme famille. D’autres termes encore sont en b et associe´s a` des rondeurs. Le bil basque, et sans doute les e´quivalents bun et mun, sont re´pute´s de´signer des formes rondes du relief. On le trouve dans Mendibil (e´quivalent de Montrond) a` Urcuit, Gorospil (avec une allusion aux geneˆts) a` Ainhoa 64, dans Bun 65 et meˆme Viodos 64 (Bildoze en basque). Buhl a le sens de colline en allemand : on note une commune de ce nom dans le Bas-Rhin, de nombreux Buhl ou Buehl en Moselle et en Alsace. Buhl est issu d’un lointain radical IE beu qui signale un renflement et a pu e´voluer vers bag, bak, de´signant le dos ; il serait a` l’origine de bulle, boule et bouillonnant, ainsi que du bubon. Quelques-uns ont imagine´ que pouvaient en venir, au-dela` de l’analogie avec une balle, les ballons vosgiens, dont le sens ge´ne´ral serait donc tre`s ante´rieur a` celui qui leur est donne´ de nos jours, bien que l’image et l’e´tymologie soient la meˆme ; ce n’est qu’une hypothe`se. Beugne, beine, bugne, probablement de meˆme provenance, de´signent en vieux franc¸ais une bosse. Ces termes sont re´pandus en Bourgogne et dans tout le Centre et l’Ouest de la France pour des collines et des sommets arrondis : Beugne a` La Vineuse 71 et a` Ancy-le-Libre 89, Bugny 25, Mont de Beine a` Saint-Hilairele-Petit et Beine-Nauroy en Champagne (Nauroy vient des noyers), Beugnon a` Luzille´ 37. Ble´neau 89 a parmi ses lieux-dits en collines les Six Beignets et le Champ des Beugnons. Le terme prend la forme bigne en Normandie comme la Bigne a` Cahagnolles ou a` Theil-Bocage 14, a` Villalet 27, a` Gueˆprel ou Antoigny 61 – mais on risque des confusions avec bignon au sens de source, et des linguistes voient dans certains Beine ou Beyne des heˆtres (gaulois bagina) ou des bouleaux (betula)... Crai, cra de´signent des sommets en Bourgogne et alentour, dont les Crais a` Vic-sousThil, le Crais a` Charigny, le Crais a` Massingy-le`s-Semur, le Mont de Cra a` Villainesles-Pre´voˆtes, le Coteau de la Cra a` E´talante 21. D’autres Cra sont signale´s de l’Ain a` la Haute-Marne. Notons enfin qu’en Normandie chambre peut de´signer une hauteur, une colline, un sommet et serait issu d’un norrois kambr – l’IE kamb a le sens de courbe, arrondi ; cambre´ a la meˆme origine. Des noms comme la Chambrie au BecHellouin 76, Les Chambres 50, le Feu de la Chambre a` Saint-Martin-Montjoie 50 (ou` Feu est sans doute un heˆtre) peuvent en eˆtre des traces, ainsi que Cambremer, et Cambremont a` Acquigny 27, Le Neufbourg 50 et Attichy 60.

Images et me´taphores Les me´taphores d’objets familiers abondent dans les microtoponymes, surtout en haute montagne ou` les alpinistes ont besoin de repe`res e´vocateurs. Ce qui est pointu est de´crit par la cohorte des pic et pique, ce qui est arrondi par les images des

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mamelons, poupes et autres bron, et tout simplement comme Mont Rond, Montredon, jusqu’aux Redouneilles de Siguer 66. Mais il est bien d’autres formes, et l’imagination des de´nominateurs est sans limite. Le profil des creˆtes dentele´es a sans doute inspire´ le nom du Raˆteau a` La Grave 05 et le Rastel d’Agay a` Saint-Raphae¨l 83, mais la plupart des toponymes en Raˆteau sont en plaine. Des noms comme E´cherenne, Lescheraines ont e´te´ rapporte´s, dans le meˆme esprit mais de fac¸on moins e´vidente, a` scalena, petite e´chelle, tandis que les noms des E´crins, voire de certains E´crennes et Escrennes alpins, ont e´te´ suppose´s e´voquer une crinie`re. Cependant, e´crins, escrins est compris localement comme areˆte vive (cf. Vallouimages.com). Ces noms semblent donc plutoˆt eˆtre de la famille de cre`ne, cre´neau, cre´nele´, donc du domaine des entailles (gaulois crinare, entailler). Reste que cre`ne est proche d’escare`ne comme e´boulis, et qu’e´crenne est aussi un nom de cabane re´pandu, ce qui fait trois possibilite´s et trois sens distincts pour des toponymes tre`s voisins par la forme, et fort nombreux dans les Alpes. La pile et le pilat sont des reliefs en forme de tas ; ces noms s’emploient jusqu’en plaine, comme Le Pyla et Le Pilat pre`s d’Arcachon ; le Massif du Pilat en HauteLoire aurait ce sens. Saillant est employe´ pour des promontoires, notamment dans le Cantal et la Creuse, ou au Pic Saillant a` Bezins-Garaux 31 ; mais le nom peut de´signer aussi une source jaillissante, voire une cascade ; et le ce´le`bre Saillant de Saint-Mihiel fut une avance´e du front de guerre en 1914, non un relief local. Des NL comme Sallaz, Ville-en-Sallaz et Viuz-en-Sallaz 74, Teˆte de la Sallaz (Nancy-surCluses 74), la Sallaz a` Vimines 73, Saler, Sale´rans 05, le mont Sale`ve, Sallie`re sont parfois interpre´te´s au sens de rocher saillant. La relation avec la racine pre´latine sal, sel mentionne´e plus haut est possible, mais non e´tablie ; saillir vient de l’IE sal, sauter – donc aussi ressortir. Piton est un terme re´pandu, qui a le sens de rocher pointu en montagne, tels le Grand et le Petit Piton a` Beaumont 74 et le Piton Jaune a` Ne´vache 05, le Piton de la Viaclose a` Valgaudemar 05, celui de simple e´minence en plaine, comme le Piton a` Hodencl’E´veˆque 60, les Pitons a` Lucenay-le`s-Aix 58 ou le Pitonneau a` Saint-Hilaire-deVillefranche 17. Le nom abonde outre-mer, surtout a` la Re´union : par exemple, Le Tampon a Piton Bleu, Piton Rouge (deux fois), Piton Tortue, Pitons Mare a` Boue, et d’autres avec un NP. Bouillante (Guadeloupe) a meˆme un Morne Piton ; la Martinique a les Pitons du Carbet et, alentour, Piton Mitan, Piton Gele´, Petit Piton, un Piton de l’Alma. L’origine du mot est dite inde´termine´e, sans doute ancienne pour des objets pointus, comme pour le pic (IE peuk). Le Plomb du Cantal, seul de son genre parmi les volcans, a souvent e´te´ vu comme un ancien « pom », a` l’image du pommeau et de la pomme, pour sa forme arrondie. Mais il fut aussi e´crit Pont du Cantal... Les linguistes re´pe`tent a` l’envi cette interpre´tation pomologique, qui ne s’accorde pas a` la forme meˆme du mont. En fait, nombre de hauteurs, et de hameaux sur des tables ou des replats, sont nomme´s plomb : Plomb de Joux a` Chaˆteaubeuf 42 est sur une forte colline dominant le fosse´ du Gier, d’autres Plomb correspondent a` des hauteurs a` Verdille 16, Tarentaise 42, Ampuis 69, tre`s nettement une butte a` sommet plat a` Brie´-et-Angonnes 38, comme le Mont Plomb a` Lentilly 69, Au Plomb a` Sainte-Blandine 68, etc.

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Dans la plupart des cas, sinon tous, il s’agit de sites de sommet plat, ou de replat. D’autres sont nomme´s plot, comme le Plot du Lac et le Plot des Ayres a` Cubie`res 48, le Plot de l’Aygue ou le Plot de la Rode au Bleymard 48 ; et plusieurs dizaines de plo, comme le Mont Plo a` Pelouse 48, ou le Plo d’Arques et le Plo de Bayle a` Caunes-Minervois 11. Plutoˆt qu’une hypothe´tique et invraisemblable « pomme », il semble pre´fe´rable d’y voir un terme certes descriptif, mais de relief a` sommet plat. En occitan et francoprovenc¸al le plot est un billot. Le terme s’applique fort bien aux reliefs massifs a` sommet plat. La garde est en Velay un coˆne volcanique aux pentes un peu e´mousse´es, qui se diffe´rencie des sucs, plus pointus, mais le terme est bien plus ge´ne´ral. La Garde a` Verdille 16, la Garde a` Coutures 49, a` Anche´ 37 sont des buttes ; Giat 63 a un Suquet de la Garde et un hameau les Gardes, mais a` la limite de la Creuse, ou` la Garde est un hameau sur une butte, a` Soumans. A` Conca en Corse-du-Sud, a Guardia est une butte et un cap dominant l’anse de Favone. Le terme est re´pandu dans les Alpes, ou` il prend aussi la forme varde ; la Vuarde a` Magland 74 a le meˆme sens, et la Vuarde a` Pe´vy 51 et a` Caurel 51, pour eˆtre bien plus bas, n’en sont pas moins sur des hauteurs. Garde a pu de´signer un fortin, mais sans doute plus souvent un promontoire, ou un haut rocher aux airs de sentinelle. La Sentinelle est d’ailleurs le nom de certaines buttes, comme a` Escosse et a` Be´deille 09, Harize 54 ou a` Saint-Bonnet-de-Tronc¸ais 03. Il est souvent bien difficile de faire la part des anciens postes de guet, de ce que l’on garde et de garde comme me´taphore. Ceux qui ont nomme´ les accidents de relief en montagne ont eu beaucoup d’imagination. Dans le de´tail, se distinguent des volumes en pyramide, colonne, cylindre, pinacle, pilier pilastre, pestel ; des doigts et des dents ; des clochers, cierges, chandelles, et tout un corte`ge de pe´nitents et de capuches, outre les demoiselles coiffe´es. On nomme gendarme en montagne un rocher dresse´ sur un itine´raire, pour le meˆme aspect de silhouette, ce que traduisent entre autres la Bre`che du Gendarme a` ArrensMarsous 65 et la Bre`che du Grand Gendarme a` Champagny-en-Vanoise 73, le Pech du Gendarme a` Saint-Benoıˆt 11. Un sommet double se transforme en fourche ou en jumeaux : la Roque Fourcade est a` l’origine du nom de Ge´menos 13 (les jumeaux). Une creˆte de Sentein 09 a pour nom les Flammes de Pierres. La Cathe´drale a` Sixt-Fer-a`-Cheval 74 est un sommet me´taphorique, e´voquant l’ampleur et la profusion de formes de ses rochers sculpte´s par l’e´rosion. L’image des orgues est bien connue pour des parois de colonnes basaltiques. Outre Bort-les-Orgues, qui les a incluses dans son nom en 1919, quelques lieux-dits les e´voquent, par exemple a` Saint-Flour 35, a` Moure`ze 34, a` Biesle 43 qui offre les Orgues de Biesle, les Orgues de Babory et les Orgues de la Chau, y compris dans d’autres terrains sculpte´s par l’e´rosion, comme a` Ille-sur-Teˆt 66 ou dans les Alpes du Sud – ou` toutefois Saint-E´tienne-des-Orgues vient d’un seigneur Ausone galloromain, devenu One`gues en provenc¸al, et de la` Orgues, actuellement un lieu-dit avec motte et ruines.... Les profils particuliers de certains sommets ou rochers deviennent Bec d’Aigle ou Teˆte de Chien ; des dizaines de Pain de Sucre, dont quelques-uns en plaine,

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maintiennent des images jadis familie`res. Aiguille est aussi re´pandu, sous diverses e´critures : Aiguilhe 43 qui fut jadis Aculea, les Agudes a` Cauterets 65, Gouaux-deLarboust 31 et dans une quinzaine d’autres sites pyre´ne´ens, l’Aouille de Criou a` Samoe¨ns 74, et jusqu’a` des Ouille et Oeille dans les Alpes, noms qui se confondent avec l’ouille de´signant le troupeau d’ovins. L’image peut eˆtre pousse´e jusqu’a` l’e´pe´e : Pic d’Espade a` Bagne`res-de-Bigorre audessus du Tourmalet, et Soum du Cot de l’Espade et Creˆtes de l’Espade a` Bare`ges encore au Ne´ouvielle, Col d’Espade a` Ge`dre 65, un autre a` Salles 65, Pic de l’Espade a` Saint-Lary-Soulan 65 sur la creˆte frontalie`re, l’Espadan au sommet de l’Espinouse (Castanet-le-Haut 34) ou l’Ezpatagagna basque (Mont de l’E´pe´e, a` 1 535 m) a` Larrau. Pelvoux 05 et Fontaine 38 ont le Coup de Sabre et Chamonix a meˆme un Yatagan – mais ailleurs l’E´pe´e est un toponyme assez banal, avec Courte, Longue ou Petite, et sans rapport avec le relief. Le massif du Mont-Blanc est une extraordinaire collection de me´taphores : s’y trouvent des Aiguilles Rouges ou Verte et meˆme une Aiguille Sans Nom sous la Verte ; un Bec Rouge et un Bec de Lachat ; la Calotte, le Casque, la Chandelle, le Clocher, auxquels s’ajoutent la Chandelle et le Clocher du Tacul ; le Couvercle ; la Dent du Ge´ant et les Dents du Requin, du Caı¨man, du Crocodile ; le Doigt de l’E´tala ; les Doˆmes de Miage ; quantite´ d’E´chelles, de Bre`ches et quelques Couloirs dont un Couloir Whymper, un Couloir en Y et un Couloir de la Che`vre a` SaintGervais ; l’E´peron du Ge´ographe, la Feneˆtre du Pissoir ; un groupe aux silhouettes cle´ricales forme´ par le Cardinal, l’Enfant de Chœur, l’Eveˆque et la Nonne sur la meˆme areˆte ; le Minaret ; le Pain de Sucre, le Piton des Italiens ; le Gros Rognon et le Rognon du Plan ; la Tour Ronde, le Trident ; et meˆme les Oreilles de Lapin ; plus, bien suˆr, un Col Maudit, un Mont Maudit et un Cirque Maudit.

Monts en long Tous les termes vus jusqu’ici s’appliquent a` une seule dimension, vers le haut, quelle que soit l’ampleur du relief. Il en est d’autres qui ajoutent a` l’e´le´vation une ide´e de longueur. La chaıˆne et la cordille`re en sont les plus majestueuses expressions, mais ces mots de ge´ographes s’appliquent peu aux toponymes franc¸ais ; un seul Cordille`re existe, a` Saint-Bonnet-des-Quarts 42, mais semble hors sujet, c’est juste une maison sur un versant. Il y a bien la Chaıˆne de l’E´toile au nord de Marseille, mais ce n’est pas une chaıˆne, plutoˆt un petit massif. On trouve ne´anmoins sous le nom de Chaıˆne les Alpilles en Provence, les Aravis en Savoie, et de petits reliefs allonge´s sur quelques kilome`tres comme Chaıˆne de la Caire a` Baulou 09, prolonge´e d’une Chaıˆne de la Quie`re a` Loubens et a` Crampagna 09, la suite formant un fragment du Plantaurel ; la Chaıˆne des Coˆtes a` Lambesc 13, la Chaıˆne de l’Avocat comme versant au-dessus de Vieu-d’Izenave 01, la Chaıˆne de la Lauzie`re a` La Le´che`re 73 flanquant la Vanoise. Mont et surtout montagne, toutefois, peuvent s’appliquer a` des reliefs allonge´s : la Montagne Noire, la Montagne de Lure, les Monts d’Arre´e, les Monts du Beaujolais ou du Charolais. Pour le reste, les termes spe´cifiques ne manquent pas. Ils sont le plus souvent d’origine me´taphorique.

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L’e´chine et le dos sont tre`s pre´sents : par exemple l’E´chine a` Rieux-en-Val 11, a` Vauxle`s-Saint-Claude 39, a` Calignac 47, la Longue E´chine a` Tonnerre 89, l’Esquine a` Fre´jus 84, Esquines a` Gabaston 64 et plusieurs E´chine d’Aˆne, Esquine d’Aze en occitan, notamment dans l’Aude ou a` Orlu 09, voire l’Esquie´ de l’Azou a` Bagne`resde-Bigorre, un Cortal de l’Esquiu a` Collioure. Les Dos d’Aˆne sont encore plus nombreux, ainsi que des dos tout court (le Dos a` Alzen 09, les Dos a` Vrigny 51, le Dos Rond a` Maˆcol-la-Plagne 72, etc.). En revanche, la croupe, souvent e´voque´e par les ge´omorphologues au sens de colline, est moins pre´sente : une vingtaine de cas, la plupart dans la Somme : Croupe a` Cailloux a` Hautvillers-Ouville 80, les Croupes a` Contre 80, a` Bergicourt 80, a` Courboin 02 correspondent bien a` des formes de collines allonge´es en croupes. L’e´quivalent basque est egui, tre`s pre´sent parmi les toponymes, dont Arne´guy (arran=prunellier), Iroule´guy (de hirur=trois), Behorle´guy (behor=jument) et bien des lieux-dits dont Lapitzeguia (lapitz=roche marneuse) a` Osse`s, Elhorteguia (elhorri = e´pineux) et Curutchehegui (de la croix) a` Lantabat, Othecoegui (othe=ajonc) a` Musculdy, Larre´guy (de la lande) a` Ordiarp. Creˆte et creˆt sont communs. Ils ont pour de´rive´s des Crest (dont Crest 26 et CrestVoland 73), Le Crest (63), Crestat ou Crestet, Creste´s a` Allinges 74 – mais Crestias a pu avoir le sens de Chre´tien, ou de Cagot, dans le Midi. Le terme vient d’un bas-latin crestum de´signant la creˆte de coq, lointain he´ritier d’un sker IE pour de´crire une courbure et dont viennent aussi les ridge et range anglais qui de´signent des creˆtes, des alignements de reliefs. Creˆt est employe´ par les ge´ographes dans un sens particulier inspire´ par des formes jurassiennes, pour une creˆte calcaire vigoureuse et dissyme´trique dominant une combe (prise aussi au sens restreint). En principe un creˆt est dissyme´trique, une creˆte ne l’est pas. Mais la toponymie est bien plus libe´rale, prend pour creˆte un faıˆte quelconque et pour creˆt un relief anguleux, et les Creˆts de Communailles-en-Montagne 39 sont de simples bosses. On a une Creˆte Douce a` Narbonne du coˆte´ de Fontfroide et de Roches Grises, une Creˆte des Coˆtes a` Barnas 07, une Creˆte des Ubacs a` Bouic 26, une Creˆte des Aiguilles a` Lus-la-Croix-Haute 26, une Creˆte de Mille Roques a` Aston 09 ; des Creˆt Pele´ (Morlanges 01) et des Creˆt Joli (Les Moussie`res 39), un Creˆt du Peu (=du puy) a` Genilac 42 et un Creˆt du Feu a` Bozel 73 qui a duˆ se rapporter a` un heˆtre, un Creˆt de Caramantran (de carnaval) a` Villese`que-desCorbie`res 11. La cime est ce qui culmine et dessine l’horizon. Curieusement, dans les dictionnaires e´tymologiques, le mot, qui s’est e´crit cyme au Moyen Aˆge, est re´pute´ venir du grec kymos par le latin cyma, de´signant un tendron de chou... En fait, kuma est aussi la vague en grec ; au-dela` se trouve l’IE keue, pour un renflement, qui a donne´ cumul ou kyrielle. La plupart des creˆtes des Alpes-Maritimes, et bien d’autres dans les Alpes du Sud, sont nomme´es cime : Cime du Coin a` Tende ou a` Pelvoux, Cime du Loup a` Saint-Paul-sur-Ubaye, Cime Ne`gre a` Pe´one, etc. Serre est un terme courant pour de´signer une creˆte assez vigoureuse et e´troite ; l’espagnol emploie volontiers sierra, l’italien serra. Quelques linguistes croient y voir une scie (serra en latin) et ses dents, supposant que les serres sont dentele´es,

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ce qui est loin d’eˆtre ge´ne´ral ; d’autres, apparemment a` plus juste titre, y voient un relief resserre´ (de serrer, latin serrare fermer, comme d’ailleurs pour les serres des rapaces). Des Pyre´ne´es au Jura c’est apparemment le sens des multiples serres, et le nom est commun dans les Ce´vennes, ou` serre est masculin, ainsi d’ailleurs que dans une bonne partie du Midi : par exemple le Serre Noir a` Rivie`res 30, le Grand Serre a` Saint-Agnan-en-Vercors 26, l’Alpe du Grand Serre a` La Morte 38 ou` le Grand Serre est un sommet a` 2 141 m. En de´rivent des Serrie`res, Sarrecave (creux), Sarremezan ou Sarreme´jean (me´dian), Serrelongue et Serralongue, Serra en Corse et en pays catalan, Sarrail, Serrabona a` Boule-d’Amont 66. Le diminutif serrat, masculin aussi, est re´pandu dans les Pyre´ne´es catalanes, ou` l’on ne craint pas les redondances : Fontrabiouse affiche Serra dels Serrats Verds (verts) et Valmanya un Serrat Magre (maigre, e´troit). Cime et creˆte ont pour e´quivalents faıˆte et areˆte. Le Faıˆte a` E´rize-la-Petite 55 est bien en position culminante, comme le Faıˆte du Mont a` Marcilly 77, le Faıˆte a` Labaroche 68. Dans les Alpes du Nord, faıˆte prend la forme faitas comme aux Faitas de Chambarra, la Faitas a` Murinais ou a` Varacieux 38, le Faitaz a` Beaufort 73, la Feytas a` Villeneuve-de-Marc 38 ; mais il s’y trouve aussi sous la forme Feˆte, comme dans les Vosges ou` Wisembach 68 arbore un Dansant de la Feˆte qui a tout d’une creˆte. Si faıˆte et creˆte ont toujours un profil subhorizontal, areˆte peut eˆtre pris soit dans le meˆme sens, soit pour un profil vertical. Areˆte est certes plus employe´ pour des pentes saillantes locales que pour des cimes, comme l’Areˆte des Papillons a` Chamonix ; mais l’Areˆte de Gaube pre`s du Vignemale est bien une creˆte, comme l’Areˆte de Dran et l’Areˆte du Sapey a` La Balme-de-Thuy 74, l’Areˆte de Rochefort et l’Areˆte des Flammes de Pierre a` Chamonix ou l’Areˆte Payot a` la limite de Chamonix et de Saint-Gervais ; une se´rie d’areˆtes (des Dents Rouges, du Tachuy, d’Assaly, du Loidon) jalonnent la creˆte frontalie`re a` Sainte-Foy-Tarentaise. Barre est un terme souvent employe´, dans un sens me´taphorique, pour un accident de terrain qui barre horizontalement un relief, un passage, une pente ; le nom de lieu peut alors eˆtre de formation relativement re´cente, comme la Barre des E´crins. Savoir s’il rele`ve de la simple image d’une barre, de ce qui barre un acce`s ou un horizon, ou s’il est issu de l’oronyme bar re´pertorie´ plus haut, n’a rien d’e´vident, et l’on ne sait pas si ces noms sont apparente´s. On notera la Barre de la Serre a` Bairols 06 ou les Barres et Barres de Nialong dans la Chaıˆne de l’E´toile a` Marseille, et des reliefs longilignes qui ailleurs seraient nomme´s creˆts ou serres, comme les Barres de Font-Blanche a` Roquefort-en-Be´doule 13, ou des versants quelque peu rigides comme la Barre du Coustelier a` Draix 04, la Barre de Pissarelle a` E´ze 06, la Barre du Distroit a` Chaˆteauroux-les-Alpes 05, la Barre des Aiguilles a` E´venos 83, la puissante Barre du Cengle entre Rousset et Saint-Antonin-sur-Bayon 13. La coˆte et le coteau (celui-ci sans accent !) sont des accidents de relief des plus banals et toujours vus comme monte´e ; mais le terme a la meˆme e´tymologie et le meˆme sens que le coˆte´ : ce qui est sur le coˆte´. L’origine lointaine en est l’IE kost-ost, employe´ pour l’os, et plus spe´cialement les coˆtes du torse – d’ou` par me´taphore le flanc, le coˆte´. Les toponymes en Coˆte, Coteau, Coste ou Cos en occitan, sont innombrables. Les de´rive´s et alte´rations abondent : Costil ou Coˆtil en Normandie, Coustet dans le Midi, Coutelle, Couteau (les Couteaux a` Aude 03) ; un Coustas (gros coteau) est

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a` Touffailles 82 ; Cox 31 est de la famille, ainsi que L’Honor-de-Cos 82 et Coarraze 64 (coteau ras). La Costie`re du Gard est une longue coˆte. En principe, et par de´finition, la coˆte n’a qu’une seule pente. Toutefois, en Champagne, coˆte de´signe souvent une e´chine, un dos de terrain allonge´, comme les trois longues croupes a` l’est de Vaucogne 10, Coˆte de Dommartin, Coˆte de Jasseigne, Coˆte de la Simarde. Les ge´ographes ont ge´ne´ralise´ le terme tout en le spe´cialisant vers des rebords marque´s de plateaux doucement incline´s de l’autre coˆte´ selon la pente des couches ge´ologiques : Coˆte d’Iˆle-de-France, Coˆte de Champagne, Coˆtes de Meuse, Coˆte des Bars, etc. On nomme volontiers coteau le versant qui longe, de´limite et domine une plaine alluviale tant soit peu encaisse´e : Coteau de Loire, de Seine, etc. Le terme a e´te´ approprie´ et meˆme valorise´ par les terroirs viticoles en pente, inclus dans quantite´ d’appellations plus ou moins prestigieuses, et au pluriel : Coteaux du Layon, Coteaux Varois, Coteaux du Languedoc, Coteaux du Quercy, etc. Par la`, il parvient a` de´signer un pays de collines en son entier, comme les Coteaux de Gascogne, ou` collines serait mieux approprie´. Larrey s’emploie pour coteau, pente, versant en Bourgogne, surtout en Coˆte-d’Or, ou` il est souvent suivi d’un NP, parfois d’un autre de´terminant (Larrey Bruˆle´ a` Thorey-sur-Ouche, Larrey du Duc et Larrey du Roy a` Savigny-le`s-Beaune) ; l’e´tymologie est discute´e, mais l’ide´e de coˆte´ (latero, de latus) est probable. En Gascogne et jusqu’au Limousin, le pech se fe´minise en prenant de la longueur : une pouge est une creˆte entre deux rivie`res en Be´arn et Bigorre, et de´signe aussi le chemin de creˆte qui la suit. Les toponymes en Pouge et Lapouge, Lapoudge sont fort nombreux, mais certains viennent en retour de NP ; Sornac 19 a meˆme un Puy Lapoudge ; La Pouge est une commune de la Creuse, Saint-Jean-Poudge une autre du Be´arn et Saint-Jean-Poutge de l’Armagnac. Le basque emploie alde, eguy et bizkar, fre´quents dans les noms compose´s de lieux-dits (v. chap. 9).

Des rocs et des pierres Les noms des hauteurs sont fre´quemment associe´s a` ceux qui s’attachent aux rochers et aux formes de reliefs un peu vives, ou` la lettre r prend une place significative. Roc, roche sont eux-meˆmes des noms d’origine mal de´termine´e ; ils existaient en latin, mais certains les supposent celtiques. On les retrouve dans le breton roc’h et dans l’anglais rock, conside´re´ comme importe´ de France, mais pas dans les langues germaniques, et ils n’ont pas d’ascendant indo-europe´en identifie´ : on a pu penser qu’il y avait du vascon ou du ligure sous roche, avec un ar re´current. Commun en toponymie, leur emploi a pu se confondre avec l’ide´e de hauteur de´fensive, de fortification, comme dans le cas des dun, burg et brigue. Rocamadour est un ancien Rocamajor, roche ou fort « majeur », un peu infle´chi vers « amour ». La forme Roque est tout aussi commune, et le corse utilise Rocca ; d’autres formes Rouqui, Rouquet, Recoules, Roucous viennent aussi de roc. L’expression image´e « mer de rochers » est familie`re, mais l’IGN ne signale que deux toponymes : Mer des Rochers a` Sauve 30, Mer des Roches a` Barembach 67, sous le Struthof. En revanche, les lieux-dits Sur le Rocher ou Sous le Rocher, ou les Rochers, sont plusieurs dizaines, surtout dans les Alpes du Nord et le Jura.

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Le breton emploie roc’h comme a` Roc’h Tre´vezel, ou Roc’h a` Tre´me´oc 29, Roc’h Du (roc noir) a` Le´zardrieux, plusieurs Roc’h Glaz (roc bleu) a` Tonque´dec, Morlaix, Penve´nan, Plougoulm, et meˆme un Roc’h Cae¨r a` Carhaix qui est redondant. En Bretagne ros, roz de´signe une hauteur : Perros-Guirec vient de penn-ar-roz, le bout de la colline, et d’autres Perros ou Perroz sont recense´s, surtout en Finiste`re ; Rostrenen de ros draenen, colline de ronces ; Roz ar Mor a` Tre´beurden est un relief en bord de mer, Roz an Goff a` Loc-Envel la butte du forgeron, comme Roscoff, et Rosporden la butte du Breton, mais il peut s’agir de NP. Le basque utilise diverses formes fonde´es sur une racine ar et ses de´rive´s aritz, harri, harria, arri, aitz. Ahismeaka a` Lasse s’interpre`te comme de´file´ rocheux, Akerharri a` Le´cumberry comme roche du bouc, Haitzeder a` Hasparren comme belle roche. La racine ar- est tre`s pre´sente aussi en pays gascon, et dans toutes les Pyre´ne´es occidentales, ou` les lointaines origines des oronymes sont communes : Arreau, Arrens, Arros, le val d’Aran et des Aran, Aren, l’Arraille´ a` Ge`dre 65, les rivie`res Arros, Arize, Arie`ge, en sont des exemples. Arette 64 a plusieurs quartiers tre`s rocailleux nomme´s arres, correspondant a` des lapiez : Arres, Arre de Soum Couy, l’Arre Plane`re, Arre de Bas ; notons aussi les Arres a` Le´es-Athas 64, a` Vier-Bordes 65. Be´tharram fut jadis Gatarram, rocher (arr, harr) escarpe´ (gat), attire´ par bet qui est ou valle´e ou beau. On a pu voir la meˆme racine dans les Arve et Arvan, Aravis, Arandon des Alpes. Toutefois, certaines confusions tiennent a` ce que le gascon comme le basque remplacent ordinairement un r initial par le son ar : le rieu devient arrieu, le rec arrec. En fait toutes ces expressions de la roche pourraient avoir la meˆme origine lointaine : une base tre`s ancienne k*r qui se pre´sente sous des formes kar, gar, ou atte´nue´es en cal, can, et qui partout signale quelque chose de rocheux. Elle est suppose´e eˆtre a` l’origine de la Garonne, du pic du Gar et de Bezins-Garraux qu’il domine ; de Garos, Garrosse, Garris 64, et meˆme de la garrigue par le garric, le cheˆne kerme`s, plante des rochers, dont viennent les Garissade et Garrissous. Garro, garrot de´signe encore un rocher dans les Pyre´ne´es. La racine est re´pute´e se trouver dans des noms en arcomme Arradon, Arzal, Ares, Arme´naz, Archamps, Arrau, Arcangues ; en Corse, Carbini, Cervione, Carge`se, Calvi en viendraient. Il en est probablement de meˆme pour le caer breton et pour Carnac, et pour des noms en cor-, comme Corte, Corscia, Cortichjatu en Corse, voire pour la Corse elle-meˆme. On l’a soupc¸onne´e dans Gordes 84, ou` d’autres voient une e´minence, ce qui n’est pas contradictoire. Cette base pre´-IE semble e´galement eˆtre a` l’origine des graves, graviers, gre`ves, gre`zes et groies si pre´sents dans les toponymes de plaine, ainsi d’ailleurs que des cailloux et des galets, et jusqu’a` la Crau, plaine caillouteuse. De nombreux toponymes la Crau parse`ment les reliefs calcaires de Provence ; Mazaugues 83 a plusieurs Crau et Caire, dont une Crau et un Caire des Sarrasins. Cette base peut se lire dans les noms de Carqueiranne 83 (redondant entre car et queire), Caralp (Saint-Martin-de-Caralp 09), Caragoudes 31 (car+agoudes, rocher aigu), Caravette (Murles 37), Carry-le-Roue 13, Carnoe¨t 22 et Carnac 56, probablement Carcassonne 11 et Cerbe`re 66, la Charente et le Cher, bien d’autres noms en ch comme Cheix 63, Chiron, Chironne, Chirat, Chirac, Charnier, Charrie`re, Che´ret, Cheyroux, Cheyraud, en q comme Queyroux, Queyras ; et les basques Garatia, Gre´ciette. Chiron de´signe encore un amas de pierres en Limousin et

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s’accompagne de Chirols, Chiroux, Chirouze. Chiron s’applique aussi a` un gros bloc de granit du Massif Armoricain et donne plusieurs lieux-dits en Anjou, Vende´e et Poitou ; le Chiron de l’Argenton est un rocher d’escalade a` Argenton-les-Valle´es 79. Saint-Denis-d’Ole´ron 17 contient les Quatre Chirons. Les Chirou, Chirol abondent dans le sud du Massif Central. Les formes de´rive´es sont tre`s nombreuses. On y trouve le cairn, tas de roches servant de repe`re mais qui est aussi un toponyme en Bretagne, ou` sont le Cairn des Grays a` Billiers 56 et le Cairn de Barne´nez a` Plouezoc’h 29. Le caire et le cairon sont plusieurs dizaines, surtout dans le Midi ; on note Caire Grand a` Fons-sur-Lissan 30, le Caı¨ron a` Tende et le Caı¨ran a` Bendrejun 06, Cairou a` Mansac 19, Cairanne 84, Cairols a` Lacaze 81, Cairade a` Cornillon 30, Caire du Plantaurel au Mas-d’Azil 09, Cairades a` Lambesc 13, Cairado a` Neuve´glise 15, Cairisse a` La Boissie`re 34. Les toponymes le Caire abondent dans les Alpes du Sud, dont les communes du Caire et de Faucondu-Caire 04, mais on trouve aussi le Caire a` Rouffiac ou a` Cheylade 15, a` Ce´bazat 63, etc. On e´crit aussi cayre : plusieurs dizaines de Cayre, Cayre´, Cayre`s, Cayret et Cayrel se dispersent en pays d’oc, du Cantal au Be´arn. Le Queyras, dans les Alpes du Sud, en tire aussi son nom. La cheire est en Auvergne un amas rocheux rugueux, issu d’un e´panchement volcanique ; une quinzaine de lieux-dits en portent le nom, dont la Cheire a` Manzat 63, le Champ du Cheir a` Value´jols 15 et, a` Mazay 63, tout ensemble une Cheire de Suy, une Cheire des Bœufs, une de l’Aumoˆne et une de la Vigne, et une partie de la Cheire du Puy de Coˆme. Aydat 63 est le sie`ge d’une communaute´ de communes des Cheires. Quie´, quier et quie`re sont de la meˆme famille et de´signent de hauts rochers dans les Pyre´ne´es, particulie`rement en Arie`ge ou` une commune (Quie´) et une trentaine de lieux-dits en portent le nom, ainsi qu’en Aveyron et jusqu’au Cantal (le Quie´ a` Parlan) et en Corre`ze (le Quie´ a` Camps-Saint-Mathurin-Lebazel). En Arie`ge, les deux Chaıˆne de la Quie`re a` Crampagna et a` Loubens sont redondantes ; c’est aussi le cas du Pic de la Que`re a` Alos 09 ou du Puech du Quie´ a` Graissac 12. Que´rigut 09 ajoute « aigu » a` quier (Quier-agut). Baulou 09 a un Creˆt de la Quie`re, Couflans 09 un Quer Ner (noir). La Serre de la Quie`re a` Puylaurens est aussi redondante, tandis qu’au Clat la Combe de la Quie`re serait un oxymore si elle ne signalait une simple proximite´. Le Kercorb audois est apparente´. Peu Cher est le curieux nom, redondant aussi, d’une butte a` Chaˆtelus-le-Marchaix 23, ou` Cher est sans doute comme quie`re, et Peu un puy. Karreg est un rocher ou un re´cif en breton et a donne´ des lieux-dits en garrec tels, dans le Finiste`re, le Garrec a` Pont-de-Buis-le`s-Quimerch, Beg ar Garrec (la pointe du rocher) a` Fouesnant ou Pen ar Vern ar Garrec (la pointe du marais du rocher) a` Rosnoe¨n. Curieusement, on trouve aussi karrik dans les Pyre´ne´es Centrales et au Pays Basque, ou` les lieux-dits en Karrika (petits rochers) sont assez nombreux, dont une dizaine de Karrikaburua (buru= teˆte) ; Carrigas a` Ganac 09 semble voisin. Kruguen est une autre forme de rocher en Bretagne, comme a` Penmarc’h. Gre´e, la Gre´e est un nom de meˆme sens, re´pandu en Bretagne orientale et Loire-Atlantique pour des terrains pierreux. Gre´pon est un gros rocher dans les Alpes du Sud, pre´sent

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dans une trentaine de toponymes, dont le Gre´pon de Chamonix, parfois avec deux p comme la Teˆte du Greppon a` Sallanches 74. Garneau est un galet de silice dans le Bassin Parisien, suppose´ a` l’origine de Guernes 78, Garnes a` Senlisse 78 (M. Mulon). Le Garn 30 est probablement de meˆme lointaine origine. Dans le Gard et l’Arde`che, certains causses portent depuis des temps imme´moriaux le nom de Gras : rien de gras pourtant sur ces terrains aux sols minces et caillouteux. Le nom vient la racine gr si souvent associe´e aux rochers ; ce sont des pays de rocaille. Ce terme se trouve aussi en Rouergue et dans le Sud-Ouest sous la forme gras, grasse, grausse avec les Grausses, la Graussette, Graussail, Grasal, comme lous Grasals a` Corbarieu 82. L’ide´e de roche et celle de forte pente semblent associe´es dans un ancien kal, cal qui est volontiers rapproche´ de la famille k*r. Ce cal probablement pre´celtique est a` l’origine du caillou, ainsi que de chaille ou challe (rognon de silex), chillon, dont viennent quantite´ de lieux-dits en Cale`s (dont deux communes du Lot et de la Dordogne), Calas, Calais et Callais, Cail, Caillavet, Callac, E´chaillon, Chailles, Chaillou. En seraient issus probablement des Caubet, Caube` re, Caubole (M. Morvan), et en Corse Calacuccia, Calasima a` Albertacce 2B, Calcatoggio 2A, peut-eˆtre Calvi. On trouve le Champ a` Cailloux a` Vaux-en-Amie´nois, les Cailloux Gris a` Herblay, Callais a` Eaubonne, des Chailleux, Chaillot, Chaillol, Chail et Chaille, Chaillouet, Challes, Chalais, Chalamont, et Cailla 11, Callas 83, Challans 85, Chaˆlons-du-Maine 53 (anc. Caladunno), Chalou-Moulineux et ChaloSaint-Mars 91 sur la Chalouette, et en occitan Coudols, Coudouloux, Coulobres 34 (Calo-Briga). En Touraine, Berry et Orle´anais, Chillon, Chillou, Chillaux sont fre´quents et signalent parfois des me´galithes ; on trouve meˆme la Chillerie a` SaintSenoch 37, juste a` coˆte´ des Perre´s (les pierreux). La relation n’est toutefois pas claire avec la cala comme crique profonde en Corse, et la calanque qui lui ressemble en Provence ; ni avec la calade comme rue pave´e en pente, et aussi parvis de l’e´glise a` Villefranche-sur-Saoˆne, dont les habitants tirent leur nom de Caladois. Les Calanchi (ou Calanques) de Piana en Corse sont des rochers tre`s escarpe´s aux formes aussi ce´le`bres que tourmente´es, et point du tout des criques ; bien d’autres lieux-dits de la Corse inte´rieure sont en Calanca ou Calanche. Calanco ou Chalanco e´taient pour F. Mistral des couloirs d’avalanche, et les noms en Challanche, Chalanson, Charance, les Sallanches (dont Sallanches 74) sont interpre´te´s comme de´signant des versants d’e´boulis. Calanco a e´galement dans l’He´rault et le Var le sens d’aspe´rite´ rocheuse, de crevasse dans les rochers : ainsi des Calanques a` Utelle 06, Meyrargues 13, las Calancas a` Rimplas 06, les Chalanches a` Jausiers 04, a` Allemond 38, le Pic des Chalanches a` Saint-Cre´pin 05. Kan, can est un autre pre´-IE pour hauteur et expliquerait Cagnotte 40, Canaveilles 66, Cagnes 06, Canavaggia en Haute-Corse, voire le cap Canaille a` Cassis, si celui-ci n’est pas assimile´ a` une teˆte de chien (can en provenc¸al) ; la Can de l’Hospitalet dans les Ce´vennes (Vebron 48) est un petit causse, mais ou` quelquesuns pre´fe`rent voir un calm, un terrain nu. Il est possible aussi qu’appartiennent a` la famille d’autres noms toujours lie´s aux rochers et sonnant comme k. La casse est un e´boulis rocheux dans les Alpes du Sud,

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donnant des toponymes en Casse, Cascail, une douzaine de fois la Grande Casse. Plusieurs dizaines de lieux-dits des Hautes-Alpes e´voquent une casse, dont une Casse du Queyron a` Saint-Ve´ran, une Casse de Peyre Aigue¨ au Noyer. Le clapier ou clap est aussi un pierrier, fe´cond en lieux-dits dans le Midi : Clape, la Clape ou la Clappe, Clapiers, Clapie`res, Clapare`de, Terre-Clapier 81, Clapiers 34, la Montagne de la Clape (Narbonne), la rivie`re Clapouse. Montpellier a e´te´ surnomme´ le Clapas, c’est-a`-dire le gros tas de pierres ; ce nom est porte´ par une bonne vingtaine de lieux-dits. Le plateau des Clapare`des est une bande pierreuse au pied du Luberon, coˆte´ nord. Chiappa de´signe une pierre plate en corse, qui a des lieux nomme´s Chiappone, Chiapelli, Chiapparelli, Chiappatella a` Penta-di-Casinca, ou la Chiappa et la Punta di a Chiappa a` Porto-Vecchio. Des noms comme Clesse´ ou Clessy en Bourgogne ont pu eˆtre rapporte´s a` ce the`me, mais sans certitude. La pierre vient d’un grec et latin petra, d’origine inconnue, que toutefois C. Watkins rapporte a` l’IE per, passer, ce sur quoi l’on passe. Elle est tre`s prolifique en toponymie, directement et par de multiples de´rive´s. On lui doit les Peyre, la Pe´ruse, Pe´rouse et Lape´rouse, Pe´drous, Pe´droses, Perrache, Perroux, Perrier, Perrigny, Perrecy, les Pe´rottes (Luxe´ 16), Peyruscle. Elle a fourni des Perruche et meˆme Perruque : la Pruquie`re a` Quend 80, la Perruche ou les Perruches a` Varennes, Croix-en-Touraine, Vernou, Le Louroux, Lignie`res-de-Touraine, Azay-le-Rideau, Reignac-sur-Indre, et bien des Pierrettes et Pierret. Quelques confusions sont possibles toutefois : avec le pre´nom Pierre, avec le poirier et son de´rive´ Pe´rier, et avec les noms qui font allusion soit a` des me´galithes (les nombreuses Pierrefitte, Pierre Plante´e ou Pierre Folle), soit a` une route empierre´e, comme Pierge ou Pfetterhouse 68 qui fut a` l’origine Petrosa (la pierreuse, car sur une chausse´e). Les mentions de pierres perce´es telles que Peyrecave ou Peyrehorade ne manquent pas. La vieille racine men d’ou` viennent les monts a pris aussi le sens de pierre, rocher, comme dans le menhir breton (men hir, « longue pierre »). Des noms comme Menton, Menthon, le col de Mente´ et les Mentesses a` Boutx 31 lui seraient lie´s, et Mende aussi pourrait l’eˆtre. Men signale de nombreux noms d’e´cueils en Bretagne. Les germaniques et nordiques e´quivalents stein et steen (IE stei de meˆme sens) abondent dans le Nord-Est et le Nord-Ouest, sous des formes directes ou dissimule´es : Stenay 55, Fatouville-Grestain 27, E´talondes 76 (Stanelonde au XIe sie`cle), E´tainhus 76, E´taintot (a` Saint-Wandrille-Ranc¸on 76), E´tang Val (aux Pieux 50) ; Mont E´tenclin a` Varenguebec 50 (Estenclif en 1262) ; Roche Ge´le´tan (a` SaintGermain-des-Vaux, Jallestain vers 1200) ; peut-eˆtre aussi dans les E´tennemare et Tennemare de Seine-Maritime ; mais la confusion avec e´tang reste parfois possible. Une douzaine de communes ont un nom en Steen (Steene, Steenbecque, Steenvorde, Steenwerck 59) ou Stein (huit Steinbach dont Steinbach 68, plusieurs Steinbrunn, Steinbron, Steinborn, Steinbourg 67) et une dizaine ont -stein en finale (Dalstein 57, Turquestein 57, Erstein 67, Wildstein 67 et Wildenstein 68...). La pierre se devine dans compayre´, « re´union de pierres » formant un de ces chaos visite´s dans le sud du Massif Central ; le terme a une valeur ge´ne´rique et a fourni aussi des lieux-dits, mais non sans confusions possibles avec des NP en « compe`re ». En fait,

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la plupart des pittoresques amas de rochers de granite ou de gre`s sont plus souvent de´signe´s comme Chaos, Rochers Tremblants, ou par des images de formes. C’est ainsi qu’a` Lacrouzette 81, on reconnaıˆt le Roc de l’Oie, Peyro Clabado (pierre cloue´e), l’Escargot, les Roches De´cale´es, le Chapeau du Cure´ et les Trois Fromages. Huelgoat 29 offre la Roche Cintre´e, le Champignon, la Roche Tremblante, plus le Me´nage de la Vierge et une Grotte du Diable. Sont mentionne´es une douzaine de Pierre Branlante, des Pierre Tournante (une dizaine) et Pierre-Qui-Vire (seize sites de ce nom), quelques Pierre Sonnant (Ambillou-Chaˆteau 49) ou Sonnante (SaintAmand-Longpre´ 41), des Pierres Sonnantes (Saint-Cast-le-Guildo 22) ou meˆme Coı¨nnantes (Grandpuits-Barry-Caillois 77). Une ancienne racine lap-, lav- pour la pierre, qui est dans la lave et la lauze, se meˆle a` l’ide´e de de´valer et d’avalanche (qui sont en rapport avec val et aval) pour de´signer des e´boulis et versants couverts d’e´boulis, sous les formes Lavanche, Lavie`re, Lausie`re. S’y rapporteraient de fort nombreux les Lauzes, des Alpes du Sud aux Pyre´ne´es, ainsi que des Lavars, Levens, Laps, le Lauzas, les Laves a` Esserval-Tartre 25, les Lauzets a` Bethmale 09, les Lauzes Couvertes a` Villespassans et Cruzy 34, la Croix des Lauzes a` Vinezac 07, la Creˆte des Lauzes a` Ristolas 05, les Levanches a` Alex 74, et le massif du Le´vezou. Les lieux-dits les Lavie`res sont nombreux en Bourgogne. Un e´quivalent d’origine vasconne est lit dans les Pyre´ne´es, avec des formes comme litara, litouse, eslit ; d’ou` le cirque du Litor (Be´ost 64), Literole (ou Litayroles) au-dessus du lac du Portillon (Ooˆ 31), et probablement le Balaı¨tous, haut sommet pyre´ne´en qui semble combiner bal et lit (litous, pierreux). Un gaulois lica aurait de´signe´ une pierre plate et se lirait dans Lecques, les Lecques. Lapie`s, pour un terrain de roches calcaires cisele´es par l’e´rosion, vient simplement de lapis, la roche en latin (comme le verbe lapider et le lapis lazzuli), d’origine inde´termine´e, peut-eˆtre apparente´ aux pre´ce´dents ; mais il n’apparaıˆt pas beaucoup en toponymie. Citons les Lapiaz a` Abondance 74, le Lapiaz de Besain a` Besain 39, le Lapiaz de Pouey a` Laruns 64, et meˆme les Lapie´s a` Samoe¨ns 74, en tout une dizaine de toponymes, souvent tre`s re´cents. L’e´quivalent pyre´ne´en est arres, qui vient de la racine ar- rocher, mentionne´e plus haut. Le radical IE sek, couper, fendre, dont viennent se´cante, section ou schizo- a donne´ en latin saxum, la pierre, sasso en italien. Or ce radical apparaıˆt dans de nombreux noms lie´s aux rochers, surtout en Savoie et en Corse : Sasse, Saix, Sex, Sey, Sassie`re, ainsi que Sasso et Sassu en Corse. La liste des toponymes associe´s comprend Seix 09, Seich 65, Seysses 31, Seysses 32, Seyssel, Saxel 74, Le Seix 05, la Grande Sassie`re a` Tignes 73, Sixt-Fer-a`-Cheval 74, Mont-Saxonnex 74, Seyssins 38 et SeyssinetPariset 38, Seyssuel 38 et meˆme Cessey 25. Les Suets est le nom d’une grosse butte dominant Samoe¨ns. Certains linguistes en rapprochent des radicaux voisins seg, set, sik, lie´s a` des hauteurs qui tranchent dans le paysage, ou lie´es a` des rochers, qu’ils voient a` l’origine de Sisteron (anc. Segusteronne), Sigonce 04, Sigale 06 et peut-eˆtre meˆme Se`te 34. Du meˆme e´tymon est venu le nom du schiste, roche feuillete´e qui se de´lite facilement et porte localement le nom de sistre ; a` son tour il a marque´ quelques NL comme le Schiste a` Lods 39, le Col des Schistes a` Pralognan-la-Vanoise 73, plusieurs Sestrie`res, Sistrie`res a` Chanterelle 15, Cistrie`res a` Lubilhac 43, Sistre a` La Salle-

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Prunet 48, Sistroux au Be´age 07, les Sistres a` Faveraye-Maˆchelles 49. Parmi les autres noms de roches, le granite (le nom vient des grains dont il semble forme´) est le plus pre´sent en litte´rature, mais non en toponymie : outre Be´con-les-Granits 49, l’IGN ne rele`ve que quelques NL : le Granit a` Ailly 43, Abainville 55, Liguge´ 86, les Granits a` Beaufou 85, Le Louroux-Be´connais 49 et Le Hingle´ 22, Pousse-Granit a` Arzenc-de-Rancon 48. D’autres noms viennent de roches exploite´es, comme la craie, le tuf et le tuffeau, le gypse, les marnes, le marbre, le sel (v. chap. 6). Reste au moins un terme d’origine discute´e, qui n’est pas toujours classe´ parmi les roches a` proprement parler. Avec la molasse on croirait annoncer du mou, un peu comme avec le molard ; et c’est bien l’impression que donnent les collines des campagnes toulousaines, modele´es dans les terrains plutoˆt meubles des molasses venues des Pyre´ne´es. Or la molasse est un empilement de se´diments et de de´bris incorporant blocs, galets et cailloux souvent consolide´s et re´sistants, dont les bancs peuvent eˆtre tre`s durs, notamment aux abords d’une partie des Alpes. L’origine du nom peut faire se tourner vers la pierre a` meule (mole en franco-provenc¸al, mola latin), d’un mel IE qui signifiait e´craser, moudre (latin molere), comme la molaire, et le moulin lui-meˆme ; certains voient plutoˆt le latin moles, masse. On trouve Molasse a` Vimines 73 et les Mollasses a` Cognin et a` Gressin 73, la Fontaine de la Molasse a` Lans-en-Vercors 38, les Molasses a` Annecy et Seyssel 74, a` Bellegarde-sur-Valserine et Virieu-le-Grand 01. Des noms comme Malausse`ne, Malaussanne, Malauce`ne sont conside´re´s comme apparente´s.

Pentes et parois Tout relief se de´finit notamment par des pentes. Ce mot est apparente´ a` pendre, pencher (latin pendere, IE spen au sens de tirer, e´tirer), et a directement fourni des noms de lieux, comme les Pentes du Vaugerin, sur un versant un peu accuse´ a` Ble´re´ 37, les Pentes a` Bourg-le-Comte 71 sur un promontoire de confluence, a` Blennes 77 sur un versant dominant la valle´e du Lunain face a` Che´roy, a` Jourgnac 87 sur le versant d’un vallon encaisse´. On voit aussi les Pentes de Locmaria a` Guidel sur un versant de la Laı¨ta face a` la foreˆt de Carnoe¨t, les Pentes du Bouvier aux Gets 74 et un curieux les Pentes Oreilles a` Champigny-en-Beauce 41, il est vrai a` l’ore´e d’une foreˆt. Il existerait un penta avec le sens de rocher en Corse, comme Penta di Casinca, u Pentone a` Cervione, mais ce terme y est conside´re´ comme un oronyme pre´-IE, et sans rapport avec une simple pente. On nomme versant une pente qui draine les eaux de ruissellement vers un fond de valle´e. Le terme est entre´ en toponymie, directement (le Versant) ou avec comple´ment comme Versant des Pre´s a` Boisserolles 79, le Versant des Vignes a` Molay 70, Beau Versant a` Saint-Genis-Laval 69, le Versant du Suc du Rond a` Collandres 15, le Grand Versant a` Veyrier-du-Lac 74, les Versants a` Saleich 31. Le Versoud 38, sur un gros coˆne de de´jection, est de meˆme nature, avec une ide´e de de´versoir. Des confusions sont possibles avec versanne, ou` ce sont les sillons de labours qui « versent » ; mais la Versenne du Marais a` La Couture 85 indique bien un talus, un versant qui tombe sur le marais.

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Il est toutes sortes de versants et de formes de versants, dont les noms sont bien plus re´pandus que le terme ge´ne´rique, surtout pour les fortes pentes. Un radical kant, cant, tre`s discute´, a e´te´ mis en relation avec des pentes rocheuses, et plus ge´ne´ralement avec l’ide´e de bordure incline´e, plus ou moins abrupte. Cantou, cantet ont dans le Midi le sens de coin, rebord, angle, comme le coin de la chemine´e ; et le sens est le meˆme dans un objet pose´ « de chant », sur un coˆte´ e´troit. Cantarel est un tas de pierre en bout de champ, une bordure d’e´pierrement (A. Nouvel). Cant a le sens de pierre plate en Gascogne. Ce radical est lu par plusieurs linguistes dans le Cantal et dans des toponymes comme Cantau et Cantou, Candau, Cantoin, ainsi que Chantes 70, Chanteuges 43, le Puy de Chanturgue a` Clermont-Ferrand. Larchant 77 a e´te´ Liricantus, grand « cant » et Cachan Caticantus, au premier terme encore myste´rieux (M. Mulon). Moercant 59 est interpre´te´ comme le bord du marais. Un tre`s ancien oronyme de forme p*l, mais qui apparaıˆt aussi dans les e´tymons IE, serait a` l’origine d’autres noms de rochers en pente. Parfois, le p a e´te´ conserve´. Un pelis IE est re´pute´ a` l’origine du mont Palatin, dont est venu le palais et, par lui, le Palatinat – lequel se retrouve dans le nom de Phalsbourg 57. Il est suppose´ a` l’origine du Pelvoux, des Teˆte Pelouse de La Clusaz et de Samoe¨ns 74, et peut-eˆtre de peulvaen, peulmaen, autre nom breton du menhir. Pala, pale est un versant raide dans les Pyre´ne´es, comme Pale Rase et Pale Bidau a` Melles 31, ou au Tuc de la Paˆle des Camps a` Bordes-sur-Lez et Sentein 09. Piapala est un sommet rocheux a` VallonPont-d’Arc 07. Le nom du Pellusegagne (1 594 m) a` Larrau 64 serait redondant, puisque gain = haut en basque (et vascon). Ailleurs, le p est devenu f, ce qui a donne´ en allemand Fels, Felsen pour roche et rocher, et en franc¸ais la falaise. On trouve un Fels a` Saint-Amarin 68, un Rosinel Felse a` Urmatt dans le Bois de Molsheim, tous deux associe´s a` de fortes pentes rocheuses. Plusieurs dizaines de lieux-dits Falaise, la Falaise, avec ou sans attribut, se dispersent sur le territoire. Falaise Feroux est un versant un peu raide a` Fillie`vres 62, ou` est aussi Falaisette. La Falaise du Cingle est une paroi raide aux Eyzies-deTayac 24, Falaise de la Tune un haut versant montagnard a` Laruns 64. Des lieux-dits en Falaise sont a` Louaˆtre 02 pour un versant de vallon, a` Port-Mort 27 pour un coteau de Seine, voire Martisay 36 dans la petite valle´e de la Claise, ou au bord de la Moselle a` Autreville 54, a` Maisoncelle-Villers 08 au-dessus du ravin du Fond de la Truie, Falise et Falisette a` Donchery et a` Hargnies 08. Deux communes se nomment Falaise, toutes deux inte´rieures, dans les Ardennes et le Calvados. Le terme falaise est plus couramment employe´ pour des littoraux escarpe´s, auxquels certains ge´ographes voudraient le re´server (chap. 5). Enfin la consonne initiale de pal aurait disparu dans le gaulois alis, employe´ fre´quemment pour des parois rocheuses. Ale´sia en est un exemple ; on lui attribue en ge´ne´ral le site du mont Auxois, jadis mons Alisiensis, situe´ a` Alise-Sainte-Reine 21 qui a visiblement la meˆme origine. Des lieux-dits en Alaise, Alauze, Aluze, peut-eˆtre Auxey-Duresses et Aloxe-Corton (G. Taverdet) seraient des e´quivalents ; voire l’Auxois et Ale`s 30, ex-Alais. Il se pourrait que le mont Loze`re vienne d’un lisa ou lesa apparente´, au sens d’escarpement, que l’on trouverait aussi a` la Punta di Lisa (Villanova 2A). Le terme a pu servir a` de´signer des « rivie`res des rochers », l’Alzou, l’Alzette, alis+onna donnant l’Auzon, l’Ozon. Il pourrait se lire dans Aleria, Alistru

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(San-Giuliano 2B), Altiani, Alzi en corse. Prudence : un risque de confusion existe avec aliso, racine gauloise pour l’aulne. De pal se rapproche bal, racine omnipre´sente dans la de´nomination d’escarpements, de parois et de rochers. Elle apparaıˆt dans des noms de communes comme Balan, Balazuc, Balaruc, Baleix. Elle prend les formes bel et bau, baou comme aux Baux et au Baou de Quatre Heures (rectifie´ en Quatre Auros, des quatre vents), ou au Bau Trauqua (troue´) de la Chaıˆne de l’E´toile au nord de Marseille (Mimet 13) – au se prononce aou en provenc¸al. On la retrouve dans des Balse, Bazille, Embau ; voire sous la forme bol et boule dans Bouleterne`re, Boule d’Amont, Montbolo, Bolque`re 66 (avec quie`re) et probablement Beuil 06, Boeil-Bezing 64. Elle serait a` l’origine des baumes et autres balmes qui peuvent de´signer des abris sous roche et des cavernes, et donc de toponymes comme Balma, La Baume, Les Beaumes, Baumette. Associe´e a` duro pour de´signer des sites fortifie´s, elle apparaıˆtrait dans des noms tels que Ballore 71, Balleure a` E´tigny 71. Les grands abrupts rocheux en arc de cercle de rive concave des me´andres de la Dordogne sont nomme´s cingles et les plus puissants, les Cingles de Montfort et de Tre´molat, ont acquis quelque ce´le´brite´ sous ce nom. Le terme est re´pute´ venir du latin cingulum (ceinture) par image, ou plus simplement de cingere, ceindre ; l’origine lointaine en est l’IE kenk, entourer, ceindre. En fait, il existe de nombreux autres abrupts de toutes formes nomme´s cingles ou cengles, du moins en pays d’oc. Le Cengle est une grosse butte en promontoire au-dessus de Saint-Hippolyte-du-Fort, la Barre du Cengle a` Chaˆteauneuf-le-Rouge et Rousset 13 est un puissant creˆt de forme convexe et non concave, source de plusieurs lieux-dits en Cengle. On trouve aussi le Pic des Cingles sur la creˆte frontalie`re a` Bonac-Irazein 09, la Falaise du Cingle aux Eyzies-de-Tayac 24, d’autres a` Espinasse 15 dans les gorges de la Truye`re et Saint-Nectaire 63 sur des versants raides, le chaˆteau du Cingle sous un versant raide a` Vernas 38, le Cingle a` Fontjoncouse 11 en fond de valle´e. Le Cingle Verd est une areˆte rectiligne a` Prats-de-Mollo-la-Preste 66, commune qui comporte aussi le Cingle de les Fonts, le Cingle d’en Figuera, le Cingle dels Pelegrins (des Pe`lerins) dominant de petites cuvettes de creˆte. Le Cinglegros a` Saint-Pierre-des-Tripiers 48 est un promontoire qui fait face au cirque de Saint-Marcellin, au-dessus des Gorges du Tarn. Une se´rie de noms en single existe aussi du Velay a` l’Aude, avec apparemment le meˆme sens de versant raide, comme le Single a` Couiza 11 ou a` Puivert 11, le Single a` Montusclat 43 au-dessus d’un vallon en cuve ; le Single a` Que´zac 48 est un magnifique promontoire dominant les gorges du Tarn ; le Single a` Puy-l’E´veˆque 46 est sur un pe´doncule de me´andre escarpe´ sous le village. Il existe donc des cingles, cengles ou singles de toutes formes ; leur seul point commun est d’eˆtre pourvus d’un escarpement, d’une corniche, e´ventuellement en barre rectiligne, ou au moins d’une pente raide. Il n’est donc pas impossible qu’il faille trouver au mot une autre origine que l’ide´e de ceindre, ou que kenk ait agi comme par pour la paroi (ci-dessous), passant du pourtour au vertical ; ce que nous devons laisser a` la sagacite´ des linguistes. Observons que l’e´quivalent des formes de cingle de la Dordogne se nomme ce´venne dans la valle´e du Lot. Il en est ainsi de Ce´venne de Taulette et Ce´venne de Caı¨x a`

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Luzech, la Ce´venne a` Douelle ou a` Saint-Vincent-Rive-d’Olt. Toutefois Ce´venne, les Ce´vennes apparaissent aussi c¸a` et la`, comme le cingle, en des lieux de relief plus ou moins accuse´, mais avec d’autres formes : sur un promontoire a` Ce´vennes de SainteFere´ole 19, sur une croupe a` Bouzie`s 46 (Ce´venne d’E´tienne) et aux Ce´vennes de Roisey 42, en haut d’un versant raide aux Ce´vennes du Puy-en-Velay 43 et de Labastide-du-Vert 46, sur un versant a` peine marque´ a` Ce´vennes de SaintE´tienne-de-Villere´al 47. L’origine du terme ce´venne reste tre`s discute´e (v. chap. 8). Du mur latin (paries), lui-meˆme issu de l’IE par e´quivalent a` « autour », comme dans le pre´fixe peri-, vient la paroi, mur de rocher. Bien des lieux des Alpes en soulignent la forme, comme la Creˆte des Grandes Pareis a` Bessans 73, d’assez nombreux Paris et Petit-Paris, le Plateau d’Emparis (La Grave 05), les replats du Paris a` Saint-E´tiennede-Crossey 38 et des Paris a` Beauvoisin 26, sinon Faux Paris a` Badinie`res 38, quelques Pare, la Pare et Paret, Paraz et peut-eˆtre meˆme, par attraction, des Paradis et Paravis. Mais en plaine le terme semble plutoˆt avoir e´te´ associe´ a` de simples murs, des enclos, comme dans les Paray et Pardies. On ne saurait dire s’il y a le moindre rapport e´tymologique avec Patarra, qui a le sens de coˆte escarpe´e en basque et gascon, dont viennent des Pe´tard, Pe´tarel, peut-eˆtre Pe´tari a` Sait-Georges-Blancaneix 24, Pe´tarot a` Biran 32 et Pe´tarrot a` Tudelle 32, Pe´tarol a` Venerque 31, Pe´tarri a` Me´zens 81, Patarre´ou a` Mansonville 82, le Pic Pe´tar a` Loudenvielle 65. Rain ou Rein, parfois Rhin, sont fre´quents dans le Nord-Est, ou` ils de´signent en ge´ne´ral une fraction, une face et, plus particulie`rement, un versant bien accuse´ : le Rein de la Motte a` Autrey 88, le Chaud Rein a` Plainfaing 88 pour un versant raide expose´ au sud, tandis qu’un Froid Rain a` Lusse 88 se situe en ombre´e, le Rhin Brochet a` Leyr 54, le Rain des Boules a` Val-et-Chaˆtillon 54, Rain des Cheˆnes a` Raonl’E´tape 88, le Gros Rein a` Bians-les-Usiers 25, le Rein des Bandes a` ChassagneSaint-Denis 25, Rein Hardi a` Montagne 88, voire le Meurger du Rhin a` Anne´ot 89. L’origine de ce terme re´gional est obscure ; peut-eˆtre un rapport avec rein au sens de coˆte´, comme la coˆte ? Frette est un terme comparable, de´signant un versant raide ou une creˆte, aussi bien en montagne comme les Frettes, areˆte qui se´pare Chamonix de Vallorcine, La Frette, commune d’Ise`re ou la Frette a` Touvent 38, qu’en pays de colline ou` elle s’applique a` des versants meˆme doux : la Frette a` Saint-Samson 53, la Frette Jolie a` Montd’Origny 02, la Frette de Maumont a` Juignac 16, la Frette au Loup a` Esnes 59, la Montagne des Frettes a` Thorens-Glie`res 74, etc. Le nom semble eˆtre le meˆme que celui de la frette, protection late´rale d’un objet, et par la` s’apparente indirectement au kant mentionne´ plus haut. Son e´tymologie est reste´e obscure (suppose´e de firmitare, consolider). La frette est par endroits associe´e a` l’ide´e de fortification par la double ide´e de rupture (racine latine fracta ?) et de fosse´ et barrie`re : pour certains linguistes, les Fre´toy, Festubert 62, peut-eˆtre des Fraize et Fresse pourraient en venir. En microtoponymie, frette peut aussi de´signer un talus de bordure (chap. 6). Par image, certains escarpements sont nomme´s remparts : les Remparts du Garn sont une section des gorges de l’Arde`che a` Aigue`ze 30. C’est a` la Re´union que l’image a fait fortune autour des crate`res volcaniques et des ravins qui en sortent, avec une douzaine de noms, dont un Rempart des Basaltes a` Sainte-Rose. Une Pointe du Gros Rempart est a` la De´sirade.

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Le talo gaulois au sens de pente, a` l’origine de talus, a eu aussi la forme talamon pour de´signer le front ; il se retrouverait dans des lieux comme Taluyers, Talloires, Tallant, Tallon, Talcy, Tallard, voire Thomirey et peut-eˆtre meˆme Domecy et Sennecey selon G. Taverdet. Le terme travers est e´galement employe´ pour des coteaux ou des versants plutoˆt raides : Travers de Cels a` Parnac 46, Travers de l’Ayroles a` Douelle 46, les Travers a` Laroque 34 et a` Saint-Maurice-de-Navacelles 34 ; plusieurs Travers a` Cabrerets 46. Les montagnes des Alpes Maritimes ont des toponymes en plage, comme la Plage de Trecolpas et la Plage de l’Argellie`re a` Saint-Martin-Ve´subie, la Plagia a` Roquebillie`re et la creˆte des Plagels a` Valdeblore ; or il s’agit le plus souvent de pentes, parfois raides, en tous cas plus souvent des plans incline´s que des plats. Il semble qu’ici l’origine (piaggia en italien) en soit plus proche du latin plaga au sens d’e´tendue quelconque, comme une plage de disque, une plage de couleurs, une plage horaire ou la plage arrie`re d’une voiture, voire du grec plagios de´signant un plan incline´, une surface pas droite. Une racine dite gauloise var, a` ne pas confondre avec l’hydronyme homonyme, de´signerait un escarpement. Elle figure dans l’Aiguille de Varan a` Passy 74, l’Aup (alpe) de Ve´ran a` Magland 74, les Varoppes a` Montmin 74, Voreppe avec eppe pour marais (H. Suter). Elle se combine avec alpe dans la Varappe a` Ugine 73 et les Varappes a` Collonges-sous-Sale`ve ; ce hameau a fourni le nom commun varappe au vocabulaire de l’alpinisme, de´signant d’abord un e´troit replat ou rebord rocheux, puis par extension l’escalade. Sker, IE pour couper, serait a` l’origine de l’escarpement, escarpe en vieux franc¸ais, et sans doute d’escare`ne, qui de´signe une forte pente rocheuse, un e´boulis de blocs, tous deux pre´sents en toponymie : les Escarpes a` Roussillon 84, Escarpes a` Agde 34, un Morne Escarpe´ a` Rivie`re-Pilote en Martinique, L’Escare`ne 06, Escarrans a` Aups 83, les Escare´nas aux Ferres 06, Escaronne a` Lannes-en-Bare´tous 64, peuteˆtre la Pounche (=puy) des Escaoupre´s a` Allauch 13. Esquer (une quinzaine de lieuxdits dans le Midi) est aussi un abrupt et esquieu en occitan a le sens de sauvage, hostile, abrupt comme dans les Montesquieu et Montesquiou, Esquiule 64, le Cortal de l’Esquiu a` Olette 66. On aurait e´galement identifie´ un sker d’origine scandinave, au sens de rocher, dans des noms comme Vitequet (avec wit = blanc) a` Re´ville, les Bre´quets (avec bred = large) devant Jobourg. Le coˆte´ rude, abrupt de certains paysages accidente´s s’exprime en langage courant par l’aˆprete´ et les aspe´rite´s. Deux termes toponymiques apparente´s correspondent bien a` l’ide´e : aspre et raspe. On nomme Aspres un ensemble de fortes collines au pied des Pyre´ne´es catalanes, et les e´quivalents ne manquent pas avec les Apremont, Aspremont, Aspe`res 30 et Aspe`res 35, Aspret, Aspres-sur-Bue¨ch 05, les Aspres 66, les Aspres a` Montaud 34 ou a` Sussargues 34. Raspe est employe´ pour des versants ravine´s des bords du Tarn dans la traverse´e des Se´galas ; il s’en trouve en Aveyron (les Raspes a` Saint-Rome-du-Tarn), en Arie`ge (Raspe a` Burret, la Raspe a` Auzat, le Tuc de la Raspe a` Seix), en Loze`re (la Raspe a` Chaudeyrac). Raspet est un raidillon, une colline. Le terme est employe´ aussi pour des rapides sur des rochers en rivie`re, selon la meˆme sensation : quelque chose de raˆpeux ; aˆpre et raˆpeux sont parents.

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Le terme ranc ou ronc, fre´quent dans le Midi, peut de´signer la roche ou l’escarpement. Certains linguistes font l’hypothe`se d’une filiation kar>haranc>ranc et ses variantes en ronc, ron, run (G. Souillet). Le chaˆteau du Ranc a` Claret 34 est au bord d’un escarpement, le Ranc a` Chirols 07 en haut d’un versant raide, le Ranc a` Queyrie`res 43 est une butte. On trouve des Ranchal, Rancon, les Rancare`des (a` Sume`ne), les Rancs Rouges a` Alissas 07. Saint-Agnan-en-Vercors 26 aligne le long escarpement des Rancs des Clots, de l’Ame´lanchier, de la Tour, des Pourets, des Coches, de Charles, qui dominent la gouttie`re du Vernaison. Un Ronc Redon (rond) est a` Chandolas 07, plusieurs Ronc sont en Loze`re dont un Ronc du Tas (Saint-Privat-de-Vallongue 48), un Ronc du Biau (du bœuf) au Pont-de-Montvert 48 et un Ronc Pourri (Saint-Andre´-de-Lancize 48), un Ronc Traucat (troue´) a` Lanue´jols 30. Une racine commune aux formes raille, aille`re, araille`re, raya, rayol est e´galement associe´e a` de fortes pentes, des versants d’e´boulis, des ravinements dans le Midi : le Rayol apparaıˆt une trentaine de fois, la plupart dans le Var (dont la commune du Rayol-Canadel-sur-Mer), l’Araille´ ou Araille`s plusieurs fois dans les Hautes-Pyre´ne´es, des Railles et Raille`res en divers lieux. Il est possible qu’ils soient lie´s a` la vieille racine ar- des rochers. Enfin le coˆte´ pittoresque des pentes plus ou moins fortes est de´crit par les Montapeine, Montrecul et Tirecul de´ja` note´s (chap. 3).

Plans, plaines et plateaux Plus que les monts pourtant, plaines et les plateaux tiennent une grande place dans les paysages, et donc dans les noms de lieux. Et il en existe meˆme en montagne, comme il est des « monts » en plaine. Le radical IE pele pour « plat » re`gne en la matie`re, ou` il a eu une remarquable descendance : la plaine, le plateau, le plan et le pla si fre´quents en toponymie franc¸aise ; piana en corse, plata et llano en espagnol ; la plage ; et aussi feld, flat, field, fjell, veld dans les langues nord-europe´ennes, pole, polje´ en slave, dont viennent la Pologne, et donc la polka ; et encore la place, la plage, la planche, le platier et le replat, fre´quents dans les noms de lieux ; plus la paume, la palme, ainsi que le flan et meˆme flatter.... En principe, une plaine est en bas, un plateau est plat mais en relief. Mais tout ce qui semble plat peut se nommer pla ou plaine, meˆme en montagne. Le plateau de Valensole, tre`s de´coupe´ par valle´es et vallons, offre ainsi une collection de Plaines sure´leve´es comme a` Puimoisson, Roumoules, Riez ou Montagnac-Montpezat : Plaine de R !me, les Plaines, Plaine de Laval, Plaine des Lunie`res, Plaine des Mouches, Plan du Verre et Plan des Coulettes, Plambuisson, Plaine des Tourettes, Plaine de Saint-Maxime, Plaine de Milharas, Plaine des Fabres, Plaine de Barbaro etc., sont tous des lieux-dits de plateau. A` Vallon-Pont-d’Arc 07, la Plaine du Vallon est meˆme une longue et haute creˆte e´troite, mais au sommet un peu plat ; la Plaine du Regard a` Saint-Pons et la Plaine Ronde a` Augignas sont des bouts haut perche´s du plateau des Coirons en Arde`che. Sur le plateau de Frasne dans le Jura, Communailles-enMontagne a sa Grande Plaine. On trouve aussi des dizaines de le Plain, avec ou sans comple´ment, surtout en Bourgogne, comme le Plain des Choux a` Bussie`res 21,

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le Plain des Tombereaux a` Quermigny-sur-Seine 21, le Plain des Charmes a` Le´ry 21 ; voire de rares le Plaine (Orx 40, Vailly 74). La Plaine est un toponyme re´pandu en Picardie, ou` il se rapporte a` des bas plateaux ; He´ricourt, comme Croisette sa voisine, a une Plaine du Moulin ; Billancourt 80, la Grande Plaine du Chaˆteau et la Plaine du Moulin-Saint-Georges. A` Herlin-leSec 62, la Plaine de Saint-Pol, la Plaine de Saint-Michel, la Plaine de Tachincourt, la Plaine d’Ocoche et la Plaine de Sains tirent leur nom de villages ou proches hameaux ; mais il faut tenir compte de ce que plaine y signifie aussi paysage cultive´ nu et de´couvert, synonyme de « champagne » (chap. 6). Plusieurs communes se nomment Plaine, La Plaine ou Plaine avec un de´terminant, y compris un curieux Plainemont 70 dont le village est e´tabli sur une butte a` sommet plat dominant la plaine de confluence de la Semouse et du Planey. Le Plain est un nom de lieu-dit commun en Bourgogne, Normandie, Champagne. L’orthographe a pu s’alte´rer en Pleine-Fouge`res 35 et Pleine-Selve 33, Pleine-Faye (deux dans la Creuse a` Saint-E´loi et le Donzeil), etc. Restons toujours prudents : plusieurs Plaines et Planois ou Plesnoy viendraient du platane selon A. Dauzat. Les Plans de Provence sont des reliefs ou` dominent des formes de plateaux borde´s d’escarpements. On trouve Plan en Ise`re, Le Plan en Haute-Garonne, cinq Plan-deen Provence dont Plan-d’Orgon 13, Plan-de-Baix dont le nom e´voque un « bas » et qui cependant est sur un replat, et Plan-de-Cuques ou` Cuques (radical cuc) fait sans doute re´fe´rence aux reliefs de l’E´toile qui dominent la ville ; des centaines de lieuxdits comportent « Plan ». Les Pla sont tre`s abondants, notamment dans les Pyre´ne´es, dont Le Pla, commune arie´geoise. On trouve aussi des Plo, a` ne pas confondre avec les plo (plou) bretons qui ont un tout autre sens : dont dans l’He´rault les Plo Midi (Prades-le-Lez), Plo Me´ge´ (Pujols), Plo Me´jie´ (La Salvetat-sur-Agout), ou encore Plo Me´gie´ (Fondamente 12) qui sont tous des plats ou replats me´dians ; et ce Plo Imbaout a` Castans 11 qui e´voque un entonnoir, un trou dans le calcaire. Nous avons vu que plo ou plot de´signent aussi un sommet plat, et jusqu’a` la butte entie`re qu’il couronne. La terminologie comprend des Planay et Planaise (dont des communes en Bourgogne et en Savoie), des Planat, Planet un peu partout, meˆme une quinzaine de Plane`te en divers endroits, dont l’Aude et le Tarn, sept les Plane`tes dont celles de Maisons-Alfort 94, plusieurs dizaines de Planasse comme augmentatif me´ridional. Plagne en est une autre forme, comme l’ensemble re´pute´ de La Plagne en Tarentaise, groupant onze stations dont les promoteurs se sont inge´nie´s a` de´cliner les noms en Belle Plagne, Plagne Soleil, Plagne 1800, Plagne Bellecoˆte, Plagne Villages, Aime-la Plagne, Plagne-Centre, a` partir d’un fond de vallon perche´ de Macoˆt 73, qui a obtenu de se nommer Macoˆt-la-Plagne de`s 1970, peu apre`s l’ouverture de la station. L’Arie`ge re´unit une dizaine de Plagne, l’Aveyron ou la Dordogne en ont plusieurs. Plateau est e´videmment employe´ aussi, notamment sous la forme le Plateau tout court (plus de cent fois) ou au pluriel (une cinquantaine de fois les Plateaux), souvent aussi avec un de´terminant locatif comme le Plateau d’Assy a` Passy 74, le Plateau du Revard aux De´serts 74, Plateau d’Hymes a` Auzits 12, Plateau de Guilhaumard a`

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Cornus 12, ou descriptif, comme Plateau de Limon a` Osne-en-Val 52 ou Plateau Vert a` Itxassou 64, Plateau de Cras (cailloux) a` Givors 69 et Plateau du Gre`s a` Roqueredonde 34, le Plateau de Beauplan a` Saint-Re´my-le`s-Chevreuse 78, les Plateaux-Fleuris a` Antibes 06, le Plateau du Deve`s a` Allan 26, Plateau de l’Izard a` Aste´ 65. Le terme est appre´cie´ outre-mer, ou` la Re´union en compte des dizaines, comme Plateau Cochons et Plateau Citron a` Salazie, Plateau de Thym a` SaintBenoıˆt ; Plateau Goyaves et Plateau Mont Dur a` Saint-Louis, Plateau Caillou a` Saint-Paul. La Guadeloupe n’en a qu’une dizaine, dont Plateau du Palmiste a` Gourbeyre, Boucan Plateau a` Vieux-Habitants, la Martinique une vingtaine avec un Plateau des Palmistes a` L’Ajoupa-Bouillon et un Plateau Fofo a` Schœlcher. Une plane`ze est pour les ge´ographes un large plateau de laves issu d’un volcan, de´coupe´ en triangles par les ravins divergents, d’un terme ge´ne´rique venu de la Plane`ze de Saint-Flour dans le Cantal. Le mot est re´pandu dans les toponymes d’Auvergne et du Rouergue, mais il existe bien au-dela` des terrains volcaniques : Plane`zes est une commune des Pyre´ne´es-Orientales, des Plane`ze ou la Plane`ze sont en Dordogne (dont a` Neuvic, Celles, Beauronne), dans le Gers (une demi-douzaine dont a` Endoufielle, Manciet), un las Plane`zes a` Montahut 47, plusieurs les Plane`zes dans la Creuse et la Corre`ze. Plane`ze est atteste´ comme nom propre pour l’est du Cantal de`s le IXe sie`cle et cumule 46 occurrences sur les cartes de l’IGN. Planche est e´galement employe´ dans le meˆme sens, surtout pour de petits plateaux, comme la Planche au Poulain a` Chaffois 25, la Planche Quina a` Bouclans 25. Il s’en trouve aussi bien dans l’Ain (une dizaine) qu’en Normandie. Les Planches-enMontagne est une commune du Jura e´quipe´e en station de sports de neige, a` laquelle veut re´pondre la Planche des Belles-Filles a` Plancher-les-Mines 88, e´quipe´e des te´le´skis et du refuge de la Haute Planche – mais la Planche aux Filles a` Chailly-enGaˆtinais 45 tire probablement son nom d’une passerelle (palanque) sur l’Huillard ; les lieux-dits la Planche sont fort nombreux mais peuvent avoir l’un ou l’autre sens. La Corse emploie piano et piana, ce qui rend d’autant plus paradoxale l’appellation du relief tre`s torture´ des Calanques de Piana ; mais Piana est un village de Corse-duSud e´tabli sur un replat, dont le finage englobe ces Calanchi. Piano est une commune de Haute-Corse, e´galement sur un replat. Le Platis, les Platis sont des formes assez fre´quentes en Basse-Normandie. Les causses sont des plateaux un peu particuliers, taille´s par l’e´rosion dans des couches calcaires e´paisses qui assurent aux versants quelque rigidite´ et souvent meˆme des parois plus ou moins verticales, et qui pre´sentent des formes souterraines et superficielles particulie`res dues a` la dissolution du calcaire par les eaux infiltre´es. Le terme vient de la racine pre´celtique cal, comme d’ailleurs le calcaire. Il est employe´ non seulement pour les grands plateaux du Quercy et du Rouergue, mais aussi pour de bien plus petites entite´s de paysage : le Causse a` Siran 11, le Causse et le Causse de la Volte a` Cubie`res pre`s du mont Loze`re, la Montagne et le Rocher du Causse a` Claret 34, le Causse de Castilhou et le Causse de Saint-Adrien a` Alet-les-Bains dans l’Aude, etc. Causse-Be´gon dans le Gard sur le Causse-Noir, Causse-de-la-Selle ou Causses-et-Veyran dans l’He´rault, Caussols 06 doivent leur nom a` de petits causses. Causse-et-Die`ge dans l’Aveyron est un nom re´cent (1973) ne´ d’une fusion de communes et pour lequel on a choisi d’associer plateau et valle´e. Toutefois, causse

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a deux paronymes possibles, la chausse´e (caussade) et le cheˆne en occitan (cassou) : Caussiniojouls 34, par exemple, est en ge´ne´ral conside´re´ comme clairie`re ou lieu du cheˆne, non du causse, et ses terroirs au pied des Ce´vennes n’ont d’ailleurs rien d’un causse. Un celte ou bas-latin beria, mais d’origine peut-eˆtre plus ancienne, aurait e´galement servi a` dire la plaine ; il est suppose´ dans des toponymes comme Berre, Bie`re, Beirele-Chaˆtel et Beire-le-Fort 21, Bierre 21, Bierry 89, Berrie 86, Berru 51. A. Dauzat, E. Ne`gre y ajoutent Berraute (a` Domezain-Berraute 64) et Barraute 64 comme haute plaine, mais ces noms ont pu avoir une tout autre origine au sens de bois (chap. 6). Le basque emploie zelai pour un terrain plat, un replat, un petit plateau : ainsi Celhaya a` Hasparren, Celhay a` Irissarry, et Oxocelhaya le plateau des loups (Isturitz 64), Celhaya et Celhayguibel (derrie`re) a` Beyrie-sur-Joyeuse. Urd a aussi le sens de plateau en basque et se lit dans Urdos, Urde`s, Urdaburua (buru=bout, teˆte) a` Bidarray Ourdis-Cotdoussan 65, et sans doute le Labourd ; Osse`s e´tait Urdoz au XIV e sie`cle. Les portions de plateaux haut perche´s et tre`s de´coupe´s ressemblent a` des tables : le terme est fort utilise´ en ce sens comme me´taphore, et sans doute plus approprie´ que « plaine ». Sans avoir la ce´le´brite´ de la sud-africaine Table du Cap, dite Tafelberg ou Table Mountain, un certain nombre de Table de´signent des sommets plutoˆt plats et bien dessine´s. Les uns sont associe´s a` de faibles reliefs, comme la Table a` Cazilhac 34, la Table de Vignolles a` Saint-Jean-de-la-Motte 72 ou la Table Ronde a` Optevoz 38, celle-ci flanque´e en contrebas d’un hameau de la Plaine a` Saint-Baudille-de-la-Tour. D’autres signalent des sommets plats en montagne, comme la Table de Souperret (le Soum Pierreux) a` Borce 64 et la Table de Ponce a` Accous 64, le Cap de la Taoula a` Campan 65, la Table des Trois Seigneurs a` Ascou 09, ou parfois des replats a` escarpement. La Corse a Tavola comme a` Popolasca ou Vero, Tavolaju (a` Ghisoni), une Punta Tavoliccio (Corte) qui re´pondent a` la de´finition, et d’autres qui sont plutoˆt pour des replats. Mais table peut e´voquer d’autres images : deux Table du Diable sont des ıˆlots a` la Martinique (La Trinite´, Sainte-Anne), la Table des Ge´ants est un simple rocher a` Reinhardsmunster 67, comme la Table du Roi a` Fontainebleau ; la Table des Marchands est un dolmen a` Locmariaquer. Une image plus forte sans doute est celle de l’enclume, qui a donne´ quelques lieux-dits montagnards comme l’Enclume a` Saint-Paul-de-Varces 38, et des Roches, Rocs ou Rocher de l’Enclume a` Argelliers 34, Saint-Die´-des-Vosges 88, Lespe´ron 07 ou Labbert 48, dont la plupart correspondent a` des escarpements avec replat. Enclume se dit incudine en Corse, d’ou` vient le nom du haut relief de l’Incudine, qui monte a` 2 138 m. Outre l’enclume et la table, d’autres me´taphores e´voquent cette forme de relief, fre´quente en montagne, que sont les replats soutenus ou surmonte´s par un escarpement. Le Banc est assez commun comme toponyme en montagne ou` il de´signe certaines parois ou replats rocheux et dans lequel des linguistes ont vu l’e´cho d’un tre`s ancien oronyme ban, ben, van, d’autres la simple image d’un ordinaire banc. On citera le Banc d’Arac au Port 09, le Banc a` Cordon 74, le Grand Banc a`

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Montme´lian 73 et a` Oppedette 04, le Banc des Faux (des heˆtres) a` Sainte-Agne`s 38. Il faut bien entendu en distinguer le banc comme haut fond marin ou fluvial, autre source de lieux-dits (chap. 5). Balcon est une de´signation re´cente en oronymie, mais le terme est d’origine ancienne puisqu’il de´rive d’un bhelg IE de´signant une poutre, un e´tai, passe´ ensuite par l’italien. Il est tre`s pre´sent dans les Alpes, tel le Balcon de Belledonne sur trois communes de l’Ise`re, le Balcon du Le´man a` Fe´ternes 74 ou celui du Glandasse a` Romeyer 26, le Balcon de Villard a` Villard de Lans 38, les Balcons a` Saint-Franc¸oisLongchamps 73. Dans les Pyre´ne´es-Orientales, Estoher et Valmanya se partagent un Balcon du Canigou. Il s’en trouve dans des gorges, comme le Balcon du Vertige dans celles de la Jonte a` Saint-Pierre-des-Tripiers 48 ou le Balcon de la Mescla (a` Rougon 04) dans celles du Verdon. En Corse, Sarte`ne a un Balconi et une Punta di Balconi, Arro un Balcona, Ghisonaccia un lieu-dit Balconcello. Il ne s’agit parfois que d’une simple e´minence, mais a` vue panoramique, comme en Champagne le Balcon de Minaucourt-le-Mesnil-le`s-Hurlus 51, en Anjou le Balcon a` May-surE´vre 49 ou encore un lotissement le Balcon sur un promontoire a` Tulle 19, les Balcons de Velche´e a` Malze´ville 54. D’emploi aussi re´cent en toponymie, corniche s’est diffuse´ avec l’expansion du tourisme : il e´voque un relief ou un trajet panoramique. Sont ainsi nomme´s un superbe creˆt arque´ comme la Corniche de Ce´u¨se a` Sigoyer 26, un abrupt de la haute valle´e du Doubs a` Goumois 25 (Corniche de Goumois) ou un simple coteau de Loire comme la Corniche Angevine de Rochefort a` Chalonnes 49, voire un escarpement littoral comme la Corniche de Se`te. Certaines se sont vu attribuer un nom d’alpiniste, comme la Corniche Jean Coste sur le Brec de Chambeyron (Saint-Paulsur-Ubaye 04). Corniche s’emploie aussi pour un parcours routier sur une coˆte rocheuse : Corniche basque, Corniche de l’Esterel a` Saint-Raphae¨l, le Parc de la Grande Corniche a` E`ze 06 ou les Trois Corniches de Nice. La Corniche des Ce´vennes se remarque doublement au Pompidou 48 : pompidou est un nom original et curieux, ancien, qui en occitan de´signe un palier, un arreˆt dans une monte´e – peut-eˆtre en rapport avec l’occitan pompat, fatigue´, rompu. Hors des lieux qui portent depuis peu le nom de l’ancien pre´sident de la Re´publique, il existe une dizaine de Pompidou ou Pompidor dans le sud du Massif Central, a` Narbonne 11 et a` Ortaffa 66. Fache est un autre terme local employe´ pour des reliefs comparables ; il de´signe bien une barre rocheuse a` Cauterets ou` sont la Petite et la Grande Fache, le col et les lacs de la Fache ; le Fach d’Illier-et-Laramade en Arie`ge semble eˆtre de meˆme origine. Toutefois, le terme est surtout utilise´ dans le Nord et les Ardennes, ou` il de´signe soit une bande de terre, soit un versant ; il pourrait eˆtre de la meˆme famille que faı¨sse, et faisceau, indiquant quelque chose d’e´troit. De l’ide´e de seuil (latin solium) viendraient des NL Suel (une vingtaine de l’Arde`che a` l’Ise`re), les Suels, le Suet (plusieurs en Savoie, dont a` Entremont 74), Sueilles, les Seuillets correspondant en ge´ne´ral a` des replats, des gradins en montagne alpine ou ce´venole. On trouve aussi le Seuil Haut et le Seuil Bas a` Mansac 19. Replat est parfois lui-meˆme employe´, notamment en Bourgogne et dans les Alpes du Sud ; Ge´oportail

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en recense une trentaine, dont Replat de Talval au sud-ouest de Chablis sous le Tertre de Talva qui est a` Courgis ; et un Replat des Montants a` Villey-sur-Tille 21. Serrie`res et Peyraud 07, communes voisines, ont chacune un lieu-dit les Replats, comme Nespoux 19 ou Che´digny 37.

Vaux, vals, valle´es Si les monts et les vaux vont de conserve, les seconds n’ont pas un vocabulaire aussi riche que les premiers : leurs formes sont moins varie´es et se preˆtent moins aux me´taphores. Elles sont en ge´ne´ral plus douces, comme les sonorite´s des mots qui les nomment. Souvent elles vont avec le vert, l’humide, l’ombreux, le boise´, sous lesquels se glissent les fantasmes du giron et du berceau, du yin en somme. Restons pourtant prudents : nous avons vu que les e´minences ont leurs douceurs, dos, croupes et mamelons ; les creux ont leurs violences, en ravins, gorges, abıˆmes et pre´cipices. En outre, on ne doit pas perdre de vue que les mots des vals et des monts sont en partie interchangeables : un lieu de plaine ou de valle´e peut eˆtre de´signe´ par le mont ou la butte du voisinage, une hauteur par le creux qu’elle domine : le Puy de la Conche a` Faux-Mazuras 23 tient son nom du hameau de la Conche a` son pied, comme le Puy de Vaux du hameau de Vaux, situe´ dans un vallon a` Sussac 87 ; et il existe deux Combe du Puy (Bonneuil 16 et Mercurol 26), une Combe du Pic (Vassieux-en-Vercors 26), etc. Enfin, entre mont et val se glissent plats et replats. Les eaux qui ruissellent sur les hauteurs se rassemblent dans les vallons et valle´es qu’elles ont creuse´es et fac¸onne´es. Ces termes sont partout en toponymie, leur forme s’infle´chissant en val, valat, valade, valette, et parfois varade, varet, vareille, vau, jusqu’a` vaucelle et vauzelle, vauzel ou meˆme vozelle en diminutifs. Si une seule commune se nomme Le Val, dans le Var, et une seule La Valle´e (17), six sont en Valle en Corse, et plusieurs dizaines en compose´s de Val ou Valle avec un de´terminant, comme Val-de-Fier 74, Val-de-Vesle 51, Valdurenque 81, Valleraugue 30, et cinq Valleroy, quelques Valescure (obscure), plus les Vauvert, Vaucresson ; voire un Vaudemont 54, un Vaudeville 54. Il existe aussi des Vaudre´mont 52, Vaudrecourt 52, plusieurs Vaudricourt – mais certains auraient pu de´river d’un NP germanique de la forme Waldericus. Et en sens inverse, val en suffixe, ne manquent pas les Grandval, Bonneval, Entrevaux, etc. Il s’en cre´e d’ailleurs encore, comme Val-de-Reuil 27, Valanjou 49 ou Val-desMarais 51, ne´s de fusions de communes : val est un mot agre´able et juge´ « porteur ». La preuve : on n’a pas he´site´ a` nommer Val Thorens la station de ski... la plus haute d’Europe, a` Saint-Martin-de Belleville, partie d’un domaine skiable dit des Trois Valle´es. La se´rie des nouvelles communes cre´e´es en 2016 par fusion ne compte pas moins de trente nouveaux Val, dont trois en Calvados (Valdallie`re, Valorbiquet, Valde-Vie), un The`reval 50, un Val-des-Vignes 17, un Valmont-d’Olt 12 et un ValRevermont 01... A` vrai dire, val a plusieurs sens. L’un banal, e´quivalant a` valle´e, ou mieux a` petite valle´e, pour une de´pression allonge´e ou` coule une rivie`re ; il a son pluriel en vaux : on

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va « par monts et par vaux ». Un autre plus fort, en montagne ou` il est une unite´ de vie, concentrant l’habitat permanent et les circulations, et dote´ d’immenses versants : Val d’Aran pour la Garonne supe´rieure, Valgaudemar, Valjouffroy ou Vallouise dans les Alpes. Un autre sens est un peu particulier, en plus ample : un large couloir traversant de bas plateaux et concentrant les villes et les cultures riches dans la plaine alluviale et sur les terrasses et les coteaux qui l’encadrent ; c’est en ce sens que l’on parle du Val de Garonne, du Val de Loire ou du Val de Loir, du Val de Seine, du Val de Saoˆne, voire du Val de Meuse ; au pluriel, on dit alors des vals. Le Vallage est une longue de´pression au pied de la coˆte d’Argonne, mais non une vraie valle´e. Les lieux-dits sont des milliers, au point que l’on a parfois semble´ manquer d’imagination, comme au Chesne 28 ou` sont trois hameaux le Val, le Vallet et la Valle´e, dans des creux a` peine sensibles et pre`s d’un Mont Aigu qui est tre`s loin de l’eˆtre... Les Laval, Lavau, Lavalade, Lavalette abondent aussi ; quelques Valasse sont des augmentatifs. Vaucelle, Vauzelle et des de´rive´s en Vauzel et Vozelle sont au contraire des diminutifs, comme Valeille en Pe´rigord et Quercy, et Vareille du Limousin a` la Bourgogne. La Corse abonde en Valle, le pays catalan a quelques Vall, comme Vall Panera a` Taurinya 66. Il arrive que vau s’e´crive fautivement veau, au risque de troubler : les Veaux a` Olle´ 28 sont un hameau en teˆte de vallon, et Creuseveau a` Grury 71 de´signe e´videmment un val un peu profond. Une valleuse est pour les ge´ographes un val de´bouchant sur une falaise, perche´ en raison du recul de la falaise par e´rosion marine ; l’IGN n’a retenu que cinq lieux-dits en Seine-Maritime, dont une Valleuse du Cure´ a` Be´nouville, ou la Valleuse d’Antifer pre`s du cap de ce nom. En pays d’oc, surtout en Gascogne, ou` le v devient b, apparaissent des formes bat, batch, baigt, voire beth, et des noms en Capbat (teˆte de valle´e), Mie`gebat (milieu). Batcrabe`re est la valle´e des che`vres (ou des isards), Labatmale une valle´e en montagne. Belhade 40 vient de bath lada, valle´e large. Bal s’emploie aussi, comme dans la Ballongue en Arie`ge, au risque de confusions avec la racine bal pour des escarpements. Bat a pu e´voluer vers bar comme dans Barousse, Bare`ges, Bare´tous, Lanneen-Bare´tous 64, sans rapport direct avec le tre`s ancien radical bar qui de´signe des reliefs : baret, bare´tou sont des vallons dans les Pyre´ne´es. L’origine de ces termes est paradoxale : vallum en latin est un relief, d’ailleurs employe´ tel quel en ge´ographie pour de´signer un tas de de´bris accumule´ a` l’extre´mite´ d’une valle´e glaciaire, le vallum morainique. En fait, comme le fosse´, il a longtemps de´signe´ a` la fois le creux et le remblai qui le longe ; la circonvallation a` l’abri de laquelle se prote´geait l’habitat associe fosse´ et remblai. Certains linguistes pensent que le wel indo-europe´en originel de´signait une sorte de bourrelet, et plus ge´ne´ralement ce qui entoure, et ainsi prote`ge ; par glissement, ce qui est entoure´, l’espace entre deux montagnes ou deux versants, comme si l’on ne parvenait pas a` nommer le vide, autrement que par ses contours : de cette meˆme racine wel les e´tymologistes nous assurent que viennent le volume, la vouˆte et la vulve. Trois ou quatre termes d’origine celtique ou nordique ajoutent quelque varie´te´ au tableau. Le plus re´pandu est nant, directement issu d’un gaulois nanto pour valle´e et dont l’ascendance indo-europe´enne n’est pas de´finie, mais qui existe aussi en breton et en gallois. Il a donne´ des Nant dont une commune de l’Aveyron, et aussi des Nan (dont Nan-sous-Thil 21), Nans (quatre communes), Namps (dont Namps-

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Maisnil 80), Nampty 80, Nanteuil (dont une dizaine de communes), Nantouillet 77, Nampteuil-sous-Muret 02 et Monampteuil 02, Nanteau (dont deux communes en Seine-et-Marne), Nantoux 21, Nantoin 38, Nantois 55, Nantua 01, Nampcel 60 et Nampcelles-la-Cour 02, Nanc¸ay 18, Asnan 58, Fouesnant 29, Ternant 17, Ternant 21 ou Ternand 69 (interpre´te´s comme les Trois Nants) et peut-eˆtre Nancy 54 ; mais non pas Nantes, qui porte le nom d’une tribu gauloise. Il a pu de´signer en meˆme temps la valle´e et son cours d’eau et sert ainsi d’hydronyme : le Nant est une rivie`re loze´rienne et, en Savoie, nant est un nom ordinaire pour un torrent, comme le Bon Nant de Saint-Gervais et du Fayet, qui a pour affluents le Nant des Tours, le Nant des Meuniers, le Nant de l’Iˆle, le Nant Rouge et d’autres. De l’IE dhel, mis pour un creux, une de´pression, sont venus le thal germanique et le dalle ou dal d’origine scandinave. Le premier est commun en Alsace, ou` en ge´ne´ral le h a e´te´ conserve´ alors qu’il e´tait supprime´ en Allemagne par la re´forme de l’orthographe : ainsi de Thal-Marmoutier 67, plusieurs Engenthal (valle´e e´troite), Frankenthal (des Francs) a` Stosswihr 68, Hagenthal 68 (sauvage), Katzenthal 68 qui ne serait pas une valle´e des chats mais une valle´e creuse. Le second est fre´quent en Normandie ou` sont des Oudalle 76, Eudal (UrvilleNacqueville 50), Becdal (Acquigny 27) et Dalbec (Brillevast 50), Croixdalle 76, plusieurs Daubeuf, Les Petites-Dalles et Les Grandes-Dalles (Saussetot-le-Mauconduit 76). Il s’accommode bien de l’adjectif diep qui signifie profond (IE dheub, par le nordique djupr) et apparaıˆt dans Dieppedalle a` Canteleu 76 et Saint-Vaast-Dieppedalle 76, Dipdal a` Rauville-la-Place 50, ainsi d’ailleurs que dans Dieppe 76, comme dans les germaniques Dieffenthal 67 (valle´e profonde) et Dieffenbach-au-Val 67, Dieffenbach-le`s-Wœrth 67 (ruisseau profond). Les alte´rations de l’e´criture ont fait apparaıˆtre a` Xouaxange 57 le vallon de la Petite Dalle, certainement un « thal ». Le breton emploie tro, trou, traon, traou pour de´signer des valle´es, parfois avec don pour profond ; Trodon a` Plone´vez-du-Faou 29 est un val profond ; Traou Don a` Lannion 22, Traoudon a` Ploubezre 22, Traon Doun au Folgoe¨t 29 ont aussi ce sens. Les lieux-dits en traou et traon abondent dans le Finiste`re et les Coˆtes-d’Armor. Glen est un terme celtique pour valle´e, tre`s re´pandu dans les Iˆles Britanniques ; il est pre´sent en breton et sans doute a` l’origine de Gle´nac 56. Il se trouve que le gaulois glanna indique une rive et que les deux racines ont pu se confondre en maint endroit. F. Falc’hun a donne´ une liste impressionnante de toponymes a` base glen ou glan qu’il voyait dans toute la France, non sans un e´vident de´sir de promotion celtique. Et de surcroıˆt un glano gaulois a eu le sens de clair, limpide. Cela fait que de nombreux noms comme Glane, Glanes 46, Gland 02, Gland 89, Glandon 87, Glandage 26, Glannes 51, Gle´nat 15, Glennes 02, Glaignes 60, Glande`ves a` Entrevaux 04, la Glane, voire Gle´nay 79, Gle´nouze 86, Glun 07 et La Roche-de-Glun 26, peuvent avoir un rapport avec valle´e, ou rive ou clair sans que l’on puisse en dire plus – il existe en outre un risque d’interfe´rence avec la glane et la glande´e, droits d’usage jadis re´glemente´s. Au Pays Basque, deux termes sont employe´s pour la valle´e, aran et ibar. On trouve Aramits, Arancou (anc. Arancoyen, haute valle´e), Arambeltz (valle´e noire, Harambeltz a` Ostabat sur les cartes) et meˆme un Arambeaux (Barcus 64) qui en est une

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francisation avec de´tournement de sens (M. Morvan), plusieurs rivie`res Aran, Arante et Arance. Le second, dont la racine a forme´ aussi bai, ibai (cours d’eau) et ibi (gue´), se lit dans Ibar a` Che´raute et a` Licq-Athe´rey 64, Ibarra a` Sainte-Engraˆce, Ibarron a` Saint-Pe´e-de-Nivelle, Ibarolle (la forge de la valle´e), Saint-Just-Ibarre, sans doute Ostabarret et Barcus. Hors des valle´es longues et bien marque´es, le paysage est modele´ par la multitude des ondulations que dessinent leurs menus affluents et qui ourlent leurs versants. Ellesmeˆmes portent souvent le nom de vallon, parfois meˆme de valle´e : le moindre vallon de Taingy 89 est dit Valle´e de la Roche, Valle´e de Derrie`re, Valle´e de la Gilotte, Valle´e Quidelvin, Valle´e Maıˆtre Louis, etc. Ne´anmoins, d’autres mots servent a` de´signer ces creux un peu courts, aux formes douces et arrondies. L’un des principaux est la combe. Certes, les ge´ographes lui accordent un sens restreint tire´ du Jura, pour de´signer la partie creuse d’un « mont » que l’e´rosion a re´ussi a` e´vider dans les terrains tendres du pli, sous la carapace de la couche dure de calcaires, et dont les rebords escarpe´s sont alors des « creˆts ». Mais le terme, d’origine ancienne (IE kumb), est bien plus ge´ne´ral en toute re´gion, et toujours associe´ a` une de´pression du terrain assez accuse´e. Il prend la forme coume en occitan, coma en catalan, come ou comme en pays d’oı¨l, com ou caon en breton (et cwm en gallois, cumba en gaulois) ; on trouve aussi Caon a` Thieux 60 et des Caone en Corse. Sont rapporte´s a` cette famille des noms tels que Comps, Combas, Combaillaux 34, Cons (dont Cons-la-Grandville 54 et Cons-Sainte-Colombe 74), Combault et Combaud (dont Pontaut-Combault 77). Commana 29 serait une combe mare´cageuse. Les diminutifs en Combelles ou Comelles abondent en toute re´gion ; la seule HauteMarne en retient une quarantaine. La commune de Somme-Ye`vre 51 re´unit a` elle seule les toponymes Come la Mort, Come de la Rame´e, Come le Hongre, Come Aubert, Come Noe¨l, Come du Cheˆnaie (sic), la Come au Poirier, Come Marguerite et Come des Tilliers, se´pare´s par des Monts, des Hauts et des Coˆtes. Sa voisine Noirlieu en a presque autant, plus les Comelles. Magland 74 a une Combe Enverse en ubac, Fanjeaux 11 une Combescure en ombre´e, comme Laurac 11 ou Saint-Maurice-Navacelles 34 : Ge´oportail enregistre une quinzaine de Combescure. On trouve une vingtaine de Combe Chave (creuse), notamment en Corre`ze et en Ise`re, autant de Combeneyre ou Combene`gre (noire), quelques Comberouge ou Comberousse plus Comberouger 82, des Combelongue et Combelonge. La Bourgogne a une trentaine de la Comme, surtout dans la Nie`vre, dont deux la Comme au Diable et une la Comme aux Loups a` Cervon 58, une redondante Comme des Crots a` Chaumard 58, la Comme de la Vouavre a` Sermages 58, sous bois. Un autre terme re´pandu est la noue. Il est dit issu d’un nauda gaulois, qui a ses semblables en latin et grec (IE nau pour bateau ?) et qui de´signe une de´pression quelque peu humide. Il prend e´galement les formes Nauze, Naude, les Nauds, Nauve, Nouette, Noulette, Nouelle, Nœux, Nouan, Nods, les Ne´es, Noe¨ et meˆme Noe¨l et Noelle, la Noe¨lle, comme Nods 25, les Fosses Ne´es a` Bou 45, Noe¨lCerneux 25, Noe¨l de Mai a` Montoy-Flamanville 57, Noe¨l des Bois a` Saint-Jeure d’Ay 07, Lanoue a` Ars-sur-Moselle 57 ; et sans doute aussi Nouaille et Noaille, bien

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qu’ici le risque de confusion soit grand avec l’ide´e de terre nouvellement de´friche´e (noaille, novale, chap. 6). Des noms en Nobles, Nocles, Nolay, Lanneux seraient de cette famille (G. Taverdet), ainsi que Nages en pays d’oc : la Vaunage serait un val-noue, comme Vaunaveys 26. Les lieux-dits en nauze sont tre`s nombreux dans le Midi. Des noms de lieux ou de rivie`res en Noye, Noyelle, Nigelle et Nivelle semblent associe´s a` de basses prairies de rive et a` un germanique niwalho de meˆme origine et de meˆme sens. Navarrenx 64 a fait penser que l’e´tymon nav pouvait aussi avoir e´te´ pre´IE. Citons comme autres exemples une Noue Fosse a` Somme-Tourbe 51, la Nouelle a` Cramchaban 17, Nol Pre´ a` Bre´moncourt 54, le Val Noel a` E´couen, la Nouette a` Avessac 44, les Grosses Ne´es a` Ruffiac 56. Fond est tre`s employe´ dans certaines re´gions, notamment autour de Paris et en Picardie ; par exemple, Chevincourt 60 associe des vallons nomme´s Fond Bosquet, Fond Jean-Marie, Fond de l’E´toffe´e, Fond de la Cense, Fond Cre´py, et sa voisine Machemont un Fond d’Ardenne et un Fond Dieu. Fond est syste´matique en Guadeloupe et Martinique, ou` il signale a` la fois des creux et les hameaux associe´s : a` Ducos par exemple, Fond d’Or, Fond Savane, Fond d’Orange, Fond Bruˆle´. Toute une partie accidente´e de la Grande Terre de Guadeloupe a pour nom les Grands Fonds. Fond en ce sens vient de l’IE bhudh, qui a donne´ aussi bottom, profond et fundus. Curieusement, fundus a le double sens de partie basse (le fond) et de partie essentielle (le fonds comme bien, dont vient le foncier) : l’ide´e de « base » re´sout apparemment la contradiction. Le fondement a aussi ce double sens... En toponymie, l’orthographe Fonds existe, et a pu faire croire a` la version bien-fonds ; mais en ge´ne´ral elle a un sens topographique pluriel et non foncier, surtout aux Antilles ou` re`gne le couple fond (vallon)-morne (colline).

Images en creux C’est e´videmment pour des raisons tout aussi morphologiques et me´taphoriques que des milliers de toponymes s’illustrent par « cul ». Le terme, passe´ par le latin culus, serait issu d’un IE ku pour un objet rond et creux, dont une variante skew comporte l’ide´e de cacher. Cul est, en ge´ne´ral, associe´ a` une forme creuse arrondie, en teˆte de vallon ou en creux de versant. Ble´court 52 a un Cul de la Ruelle et un Cul du Leu (du loup), le Cul du Loup e´tant un toponyme fort re´pandu. Neuilly-sous-Clermont et Bury 60, comme Saint-Vaast-la-Chausse´e, ont chacune un Cul E´vente´, SainteMarie-du-Mont 50 un Cul Mouille´. Dans la Meuse, Dieppe-sous-Douaumont a un Froid Cul, Thillot le Cul des Pre´s et le Cul du Four, Vigneulles-le`s-Hattonchaˆtel le Cul des Roˆtis – autrement dit, le fond des essarts... Vaudoy-en-Brie 77 a un Cul Chaud, Lavare´ 72 un Cul Sec, Maupre´voir 86 la Tenue du Cul sur un plateau. A` Gennes 49 le Moulin Gros Cul domine un beau fond de vallon et, au Thoureil sa voisine, Enrecule´e est au fond d’un vallon qui descend vers la Loire. Un Carrefour du Cul Bruˆle´ est a` Raˆches 59. Sauvoy 55 a le Cul de Charme dans la Foreˆt de Vaucouleurs (Sauvoy 55). Nous avons de´ja` note´ (chap. 3) d’autres noms pittoresques sur ce fondement.

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Cette sorte de toponyme est souvent associe´e aussi a` un renfoncement, comme l’indique pre´cise´ment le mot recul. Dans le Jura notamment, on connaıˆt de multiples cule´es et recule´es, certaines grandioses et tre`s visite´es, qui s’enfoncent dans les bordures de plateaux, comme la Recule´e de Baume a` Baume-les-Messieurs 39 ou celle des Planches. Ney 39 a meˆme une Recule´e de Vers Cul. Mais l’Aube ou la Coˆte-d’Or ne manquent pas de lieux-dits la Recule´e et l’Aisne seule a quatorze la Cule´e. Les noms de Culaz, Culoz, Cula ont la meˆme origine. Toutefois, il a pu advenir que le cul soit plutoˆt vu comme un volume en relief qu’en creux, une colline et non un vallon : tels sont bien les profils du Cul de Perrette a` Dionay 38 (sans doute la croupe pierreuse), du Gros Cul a` Brie 02 et a` Fille`res 54, et peut-eˆtre du Cul du Cerf a` Vauhallan 91, tandis que le Cul du Cerf d’Orquevaux 52 et le Gros Cul de Sainte-Colombe-sur-Seine 21 sont bien des fonds de vallons. Ventre-Cul est un dos de terrain a` peine marque´ a` Chevry-sur-Sereine 77, le Mont du Cul un relief plus accuse´ a` Touffreville-la-Corbeline 76 et le Cul au Rond est bien une butte ronde a` Pressy-sous-Dondin 71. Les formes creuses bien de´coupe´es en rond portent d’autres noms me´taphoriques. Les plus communs sont sans doute ceux qui font allusion a` des cirques, des cuves, des chaudrons ou des marmites. Le cirque (au sens d’enceinte circulaire) est classique en montagne, surtout la` ou` ont pu s’entasser des glaces qui ont contribue´ a` leur fac¸onnement par surcreusement. Les Pyre´ne´es, dont les cirques de Gavarnie, d’Estaube´ et de Troumouse sont parmi les plus connus, emploient davantage le terme que les Alpes : Cirque du Litor a` Be´ost 64, d’Artouste a` Laruns 64, du Lis a` Cauterets 65, de Cagateille a` Ustou 09, des Crabioules a` Cazaux-de-Larboust 31. Chamonix a un Cirque Maudit. Le Cirque des Fonds est a` Sixt-Fer-a`-Cheval, dont le nom meˆme vient a` la fois de la pierre (Sixt) et de son principal cirque, de´signe´ par sa forme en Fer a` Cheval, son voisin portant le nom de Bout du Monde – on trouve aussi a` Cajarc 46 un vallon court et encaisse´ au nom de Fin du Monde. Crots 05 en Embrunais offre les cirques de Morgon et de Bragousse sous la creˆte qui la se´pare de l’Ubaye, mais les alve´oles voisins sont nomme´s Vallon ou Combe. Le Massif Central a aussi quelques cirques, teˆtes de vallons ame´nage´es par les glaciers comme le Cirque d’Artout a` Anzat-le-Luguet 63 dans le Ce´zallier ou le Cirque du Falgoux dans le Cantal. Bien d’autres formes comparables, mais d’origines diffe´rentes, sont e´galement nomme´es cirque : une profonde concavite´ de me´andre comme le Cirque de Gaud a` SaintReme`ze ou le Cirque d’Estre a` Vallon-Pont-d’Arc dans l’Arde`che, le Cirque de Giez a` Vivonne 86, le Cirque de Navacelles 34 ; des anfractuosite´s de versant comme le cirque de Borme a` Eyguie`res 13 ou le Cirque de Bons a` Larroque-Toirac 46, le Cirque de Tournemire 12 ; une recule´e circulaire comme le Cirque de Vogna a` Arinthod 39, le Cirque de Ladoye a` Ladoye-sur-Seille 39 ou le Cirque d’Autoire 46 ; un profond vallon comme le cirque de Ve`nes a` Saint-Circq-Lapopie 46 ; une teˆte de valle´e encaisse´e comme le Cirque de Labeil a` Lauroux 34, ou le Cirque du Bout du Monde a` Vauchignon 21 ; un ensemble de teˆtes de vallons comme le Cirque de Bonifatu a` Calenzana 20. La Re´union s’orne des trois grands cirques de Mafate, Cilaos et Salazie, dont la forme vient d’effondrements volcaniques : ce sont des caldeiras, terme espagnol pour chaudie`re adopte´ par les ge´ologues et ge´ographes.

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Chaudie`re, et mieux encore chaudron, servent a` nommer d’autres formes creuses et arrondies, comme a` Mogneville 60 ; mais Chaudron est un NP re´pandu, et les deux termes peuvent eˆtre plus lie´s a` l’ide´e de chaleur qu’a` celle de la topographie du lieu ; en fait, assez peu de lieux-dits le Chaudron ou la Chaudie`re correspondent a` cette forme de terrain et le Chaudron des Fe´es a` E´tival-Clairefontaine 88 est un dolmen a` cupules profondes. Dans les Landes, en revanche, l’e´quivalent caoudeyre de´signe de larges de´pressions ouvertes par les vents dans les massifs de dunes ; on trouve une Lette des Caoudeyres a` Sainte-Eulalie-de-Born 40. Selon J. Chiroboli, le corse a employe´ un latin caccabus (cocotte a` ragouˆts), d’origine grecque, dont il a tire´ des toponymes Cacao, Cacau, Cacavu, Cacaucio, Caccavelli : Ge´oportail a releve´ Porto Cacao a` Cauro, Cacaria a` Viggianello, Cacavelli a` Poggio-di-Nazza, Rochers de Cacavu a` Letia, Monte Cacalo a` Ajaccio, Forcolu di a Cacaglia a` Manso (avec fourche au sens de col). L’allemand emploie kessel qui, comme l’anglais kettle, signifie chaudron et viendrait d’un latin catinus>catillus pour bol, plat creux. A` Hultehouse ou Saint-Louis 57, a` La Petite-Pierre, Lutzelhouse et meˆme Eckwersheim 67, la topographie s’accorde avec le nom des lieux-dits Kessel. Pour Kesseldorf 67, M. Urban pre´fe`re imaginer un kas qu’il prend comme passage e´troit, difficile, creuse´ par la Sauer, Kessel-chaudron n’ayant joue´ que comme « attraction paronymique » ; il n’est pas suˆr que la complication soit tre`s utile, d’autant que Kesseldorf est au bord d’une magnifique courbe tre`s ferme´e de la Sauer. En occitan, une marmite ou un chaudron est un toupi, source de lieux-dits Toupil, Toupine. Toupy a` Prayssas 47 peut correspondre, comme le Pas du Toupi a` Montse´gur 09 ; mais la proximite´ de tup (hauteur) peut entraıˆner des confusions. Tine a e´galement le sens de cuve, et e´ventuellement de gorge ; on trouve un Ravin de la Tine aux Vignes 48, un Trou de la Tine a` Collonges-sous-Sale`ve 74, une Font de la Tine a` Rencurel 38, et des lieux-dits la Tine comme a` Vals-les-Bains 07, Flassanssur-Issole 83, les Tines a` Valleraugue 30, les Tines des Fonds a` Sixt-Fer-a`-Cheval 74 ; et la profonde valle´e de la Tine´e ou` sont Saint-Sauveur-de-Tine´e et Saint-E´tiennede-Tine´e 06. Dans tout le Sud, un e´quivalent de marmite est l’oule (olla en langues romanes, d’un IE aukw de meˆme sens pour un pot a` cuire) et les toponymes les Oulles, l’Oule sont fort nombreux. L’identification peut eˆtre de´licate : les oulettes sont de petits lacs en Bigorre, oule de´signe aussi les trous dans des lits rocheux de rivie`re, dits « marmites de ge´ants », telles les Oules du Diable a` La Chapelle-en-Valgaudemar 05 ; et Ollie`res serait e´quivalent de la Poterie, un lieu ou` se fabriquaient les oules... Un autre nom pour chaudron est en occitan le payrol (ou pairol) a` l’origine de nombreux lieux-dits le Payrol, Payrolle pour des teˆtes de vallons, ou a` l’inverse des buttes rondes, surtout dans le Quercy et autour de Montauban. Des Pe´relle, Pe´rollet en viendraient aussi dans le Forez selon X. Gouvert, mais ont e´galement pu de´signer des cuves du lit rocheux (marmites de ge´ants). La cuve est une forme un peu semblable, mais le terme s’applique a` des reliefs bien plus mode´re´s. Il est tre`s employe´ sur les versants des valle´es qui creusent les plateaux d’Iˆle-de-France et de Picardie, ainsi qu’en Lorraine. Il est courant dans le Laonnois et le Tardenois, ou` ces cuves, creuse´es par le soutirage des sables sous la carapace de

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calcaire grossier, sont des sites de villages et de hameaux. Toutefois, il sert plus de nom commun que de nom propre ; la Cuve, lieu-dit de Tilly 08, ou la Cuve a` Bienville-lePetit 55, sont de nature comparable ; mais le nom se preˆte a` beaucoup d’homonymies. Ciotta a le sens de cuvette en Corse et de´signe des de´pressions comme Ciotte a` Mela, a` Sant’Andrea-di-Cotone ; on notera la Funtana a Tre Ciottule a` Lento, ou Ciottoni comme augmentatif a` Tallone. Le terme se retrouve dans les Alpes-Maritimes, comme a` Tende Ciot de Guere, Cioto de Bertrand, Ciota du Glas. Conque, de l’IE konkha transmis en grec et en latin, de´signe un coquillage et, par me´taphore, un espace creux a` parois solides, comme le test : un creux accuse´ en montagne, une baie encadre´e de rochers comme les conches de la coˆte Atlantique, voire une caverne. Les lieux-dits en Conche, Conches et la Conche sont fort nombreux, notamment en montagne. Conques, Concoules, Concoure`s Conquereuil, Conches en portent le nom. La forme est Conca en Corse, qui a une commune de ce nom, plusieurs lieux-dits dont une Conca d’Oro a` Oletta ou une Concata a` Cozzano, un Castellu di Conca a` Figari ; elle devient Conche a` Nonza ou a` Villa-di-Paraso. Conca est pre´sent aussi dans les Pyre´ne´es-Orientales, notamment a` Plane`s et Ce´ret, avec une Conca del Pic a` Castell et un Pla de la Conca a` Saint-Laurent-de-Cerdans. Utelle 06 a une Concia. La Counchette est a` Pied-de-Borne et le Roc de la Counchous a` Saint-E´tienne-du-Valdonnez, en Loze`re. La Conchette, les Conchettes fournissent une quinzaine de lieux-dits. Conq, konk apparaissent en Bretagne au Conquet et a` Concarneau, ne´e sur l’ıˆlot de Conq (ou Konk), en forme de croissant de 380 m de long, qui se trouve a` l’entre´e de la ria ; le nom breton est Konk Kerne´, la conque de Cornouaille. Conche est une autre version, qui de´signe diverses sortes de creux et d’abris, notamment sur le littoral, et aussi des fonds humides. De tre`s nombreux toponymes comme Canche, Conche, Conchy, Conges lui sont associe´s, tels la Canche au Me´e 28 ou Anterrieux 15, la Canche aux Cochons a` Milly-la-Foreˆt 91, Conche a` Marc-laTour 19 ou Bertignat 63, a` Bussy-Albieux 42, a` Messey 70, la Fontaine de la Conche a` Rouffiac 16, la Conche a` Oyonnax 01, les Conches a` Saint-Michel-de-Veisse 23, les Conches a` Droux 87, Conchy-les-Pots 60 et Conchy-sur-Canche 62, les Conges a` Magnicourt 10 et Jasseines 10, la Conge de la Baˆtarde a` Romigny 51, les Conges a` Perthes 08. Les ge´ographes emploient volontiers les images de l’auge et du berceau pour opposer des formes de vallons ou de valle´es selon leur profil : a` fond plat pour l’auge, a` fond arrondi pour le berceau. On peut trouver des Berceau ou le Berceau correspondant a` des vallons au Sourd 02, a` Saint-Martin-en-Othe 10, Bonny-sur-Loire 45, Neuvillesous-Montreuil 62 ; cependant le Berceau est plutoˆt une bre` che de creˆ te a` Castellar 06 et les autres lieux-dits similaires ne semblent pas avoir de sens topographique. Les Auges ne manquent pas, mais semblent en ge´ne´ral se rapporter a` des pre´s humides, ce qui d’ailleurs a pu favoriser quelques attractions. Enfin le « creux », tout simplement, illustre a` la fois la topographie et la toponymie, en reveˆtant des dizaines de formes diffe´rentes quoique voisines : H. Suter a collectionne´ Craˆ, Crau, Crausa, Crausaz, Crause, Crauses, Craux, Creusa, Creusaine, Creusats, Creusaz, Creuse, Creuses, Creuset, Creusettes, Creusiers, Creusis, Creuson,

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Creusot, Creux, Creuze, Cros, Crosa, Crosaillon, Crosat, Crosats, Crosattaz, Crosayes, Crosaz, Crose, Crose´, Croses, Croset, Crosets, Crosetta, Crosette, Crosettes, Crosex, Croson, Crosses, Crossettes, Crou, Croue, Crouet, Crouey, Crouja, Crous, Crousa, Crousaz, Croux, Croz, Crozat, Crozats, Crozattes, Croze, Crozes, Crozet, Crozette, Crozot, Crua, Crusaz ! La forme la plus commune en occitan est Cros. On peut encore y ajouter Crussel, et au moins certains Crot. Frasne 25 a un Creux de la Se`ve, un Creux de la Naue, un Creux Balland et meˆme un Haut des Creux. La Creuse en tant que rivie`re appartient a` la se´rie. Toute une se´rie de clot me´ridionaux ont le meˆme sens, prenant des formes comme le Clot, la Clotte, les Clottes, les Clots, a` ne pas confondre avec des clos bien que le passage soit facile, ces creux pouvant eˆtre conside´re´s comme des bassins ferme´s. Le Clot des Piches en Luchonnais (Castillonde-Larboust) est un beau creux au fond du cirque des Crabioules, aux nombreuses cascades (piches=pisses) ; il a son homonyme en Arie`ge sous la Barlongue`re (Les Bordes-sur-Lez). Generville 11 additionne le Clot des Brugues Longues, le Clot de la Mayt, le Clot de la Grave, le Clot Robert, le Clot de Bosc Tardou, tous en creux ; le Cirque du Clot est un chaudron parfait de 120 m de diame`tre a` Cabrerolles 34, interpre´te´ comme trace d’un impact de me´te´orite et que la carte de l’IGN nomme d’ailleurs Trou de Me´te´ore. La racine des cros, crot est un celte crosu, e´ventuellement passe´ par le latin crosus ; celle des clot pourrait venir d’un celte clutso au sens de trou ; l’e´tymologie ne va gue`re au-dela`, mais en tout e´tat de cause le passage du r au l est un grand classique de la phone´tique, crot et clot se valent. Hol est un e´tymon nordique pour creux, issu de l’IE kel au sens de cacher, prote´ger, dont viennent les anglais hole et hollow (et aussi, on l’a vu, celle et salle, chap. 1). Il apparaıˆt dans des e´vocations de creux telles que Houlbec (une dizaine de lieux dont deux communes de l’Eure, avec bec pour ruisseau), Houlgate 14 (avec porte) et quelques lieux-dits homonymes, et sans doute, hormis quelques transferts des PaysBas, dans une grande partie des tre`s nombreux lieux-dits de forme Hollande qui s’e´parpillent du Nord a` l’Alsace en terrain bas, de Holland a` Eringhem 59 jusqu’a` Hollandroit a` Audun-le-Tiche 57, Hollandfeld et Petite Hollande a` Volgelsheim 68. De meˆme fac¸on et tout simplement, bien des creux sont tout simplement perc¸us comme des « bas ». Il existe une grande abondance de noms voisins, associe´s souvent a` des pre´s de bas-fonds humides, tels que Bassure, Bache, Bache`re, Bassus, Bassuet. H. Jaccard voulait y voir un pre´celtique bach comme creux humide ; l’ide´e de bas, ou bas-fond, est en tous cas pre´sente ; elle est peut-eˆtre suffisante. On peut e´galement se poser la question pour une partie au moins des Bachas, Bachasse, Bachasson qui, de la Gascogne au Dauphine´, e´voquent un bassin, et ont pu se rapporter a` un abreuvoir ; on les relie parfois a` l’ide´e de baquet, qui aurait e´te´ bacco en celte ; mais le passage entre bas et bassin a duˆ eˆtre bien facile, dans l’un ou l’autre sens.

Les vrais trous Bien des « creux » et des « fonds » ne sont pas vraiment des vallons, mais plutoˆt des de´pressions ferme´es, dont certains paysages de plateaux ne manquent pas ; ainsi de lous Crozes a` Ispagnac 48, ou des nombreux Fond de Marie-Galante, certains orne´s

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de mares et assortis de gouffres. Les trous n’ont pas laisse´ indiffe´rents nos anceˆtres, qui leur ont trouve´ une belle varie´te´ de de´nominations. Trou est lui-meˆme un toponyme re´pandu. On le trouve aux Antilles, et un peu partout en me´tropole. Toutefois, le terme s’applique a` des sites bien diffe´rents. Le Trou de Bozouls 12 est un spectaculaire cirque de me´andre encaisse´ du Dourdou ; il est donc ouvert de deux coˆte´s. Trou Madame est une grotte a` Ce´ne´vrie`res 46. Le Trou d’Uc a` Agnie`res-en-De´voluy est un gouffre, ou tout au moins un puits karstique. Trooˆ 41 et Truyes 37 sont bien des « trous », mais qui signalent des habitats troglodytiques. Le Trou a` Larche 04 est un petit col, Le Trou Job a` Bazoches-surGuyonne 78 est plutoˆt une cuve, Trouhaut 21 une cule´e de vallon sous le mont Tasselot. Le Trou Noye´ a` Saint-Quentin-en-Tourmont 80 est une petite mare de marais littoral et Trou Penet a` Dominois 80 un e´tang de tourbie`re dans la valle´e de l’Authie. Trou Ce´sar a` Beaugency 45 est un reste d’ancien bras de la Loire, Trou Cheˆna a` Ognes 80 un effondrement local par soutirage en teˆte de vallon, Trou Cabot a` LignyThilloy 60 un petit vallon. Certains le Trou sont de maigres hameaux un peu perdus, sans signe topographique particulier, nomme´s probablement par me´taphore de l’isolement. Il existe des dizaines de Trou du, a`, au Diable, une douzaine de Trou du Tonnerre, et trois le Trou Perdu, a` Coulogne 62, Longueville 62 et MontCalvaire 76, celui-ci doublement accuse´... Toue, tou ont le sens de trou, abri-sous-roche dans le Midi : Latoue 31, Latoue a` Marciac 32, la Toue a` Saint-Plancard 31, le Tou a` Razecueille´, Le Cuing et a` SaintMarcet 31, le Riou du Tou a` Houeydets 65, Tou a` Ourdis-Cotdoussan 65, etc. Le breton emploie toul pour des trous qui sont parfois de simples vallons ou des passages. On trouve des Toul Cuz (trou cache´) a` Dirinon 29 et a` Ploune´rin 22, un Toul Coz (vieux) a` Ploune´venter 29, un Toul Ruz (rouge) a` Chaˆteauneuf-duFaou et des Touldu (noir) a` Glomel 22 ou Scae¨r 29, un Toulcoat (du bois) a` Plumelin 56, toute une se´rie de Toul Lann ou an Lann, al Lann, ar Lan (de la lande), et quantite´ d’autres. Tute, tune, tuine et tanne de´signent des cavernes, ou au moins des tanie`res ; ils ont probablement la meˆme origine que tanie`re, mais n’en de´rivent pas : tanie`re ne serait apparu qu’au XII e sie`cle, les Tanne et Tune sont bien ante´rieurs. Les Pyre´ne´es ont des Tute du Loup, de l’Ours ou des Ours ; une demi-douzaine de la Tute sont dans le Gers. Les lieux-dit la Tune sont nombreux dans les Alpes, notamment dans la Droˆme, ainsi que dans le sud-est du Massif Central (Arde`che, Aveyron, Gard) : citons la Tune de la Varaime a` Boulc 26 avec peintures rupestres, et la Tuine de l’Ours a` Theyts 38. On trouve aussi dans les Alpes des Tane, Tanne, Tannaz ou Dannaz comme le Dannaz a` Lornay 74. On trouve Tenne des Enfers a` Aillon-leJeune 73, Tanne des Squelettes a` Thoiry 73, la Tanne de l’Ours au Chaˆtelard 73. Tav semble avoir e´te´ une ancienne racine pour de´signer un creux, un trou ; elle se trouverait en Corse dans des noms comme Tavera, Tavaco, Tavagna (a` Bilia), et sans doute dans Tafone a` Murzo, Tafone Rossu a` Propriano, Tavera Vecchia a` Bocognano, Tavataja a` Aulle`ne ; taffoni est un mot corse pour les grottes et les pierres troue´es, voire de simples creux, comme la Cime des Taffoni a` Rutali et la Petra

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Tafunata a` Grossa ; citons encore le Capu Tafunatu a` Mansu, sommet troue´ de la creˆte principale de la Corse a` 2 335 m, Tafone a` Murzo, Tafonata a` Bocognano. Certains plateaux ont une topographie particulie`re lie´e a` la perme´abilite´ du calcaire et a` sa dissolution par les eaux infiltre´es et les eaux courantes, que l’on qualifie de « karstique » en re´fe´rence au Karst de Slove´nie, Kras en slove`ne et dont le nom luimeˆme est de la famille bien connue des rochers (k*r). Elle se remarque par des de´pressions ferme´es ou « cryptode´pressions » cre´e´es par l’enfoncement des eaux, les effondrements et soutirages associe´s ; par des ouvertures be´antes et profondes en forme de puits ; par l’abondance de cavernes, par des valle´es tre`s encaisse´es ; par des plates-formes aux roches guilloche´es de multiples le´zardes, fissures et creˆtes e´troites, que l’on nomme lapie`s ou lapiaz dans le Jura, terme qui a pris une valeur ge´ne´rale de nom commun. Les petits bassins ou cryptode´pressions, qui recueillent les argiles, passent pour des ıˆlots de fertilite´ dans le causse et sont souvent cultive´s ; certains sont draine´s par l’un de ces puits. Ils sont appele´s dolines par les ge´ographes, du nom qu’ils portent dans le Karst ; mais ce n’est pas un toponyme en France : a` peine peut-on citer la Doline de Blancardy a` Moule`s-et-Beaucels dans l’He´rault. Le terme re´gional sotch est au contraire tre`s pre´sent dans les Causses ; il viendrait d’un pre´celtique sot mis pour creux, fosse, trou. Le toponyme apparaıˆt quatorze fois tel quel sur les cartes de l’IGN ; La Roque-Sainte-Marguerite, sur le Larzac, a le Sotch des Ronces et le Sot. Le Cros 34 a les Sotchs, Sorbs 34 a les Sotches de Caylus, le Sotch des Pre´s, le Sotch de la Fageolle, le Sotch de las Parades ; un Sotch de l’Aygue (de l’eau) est a` La Couvertoirade. On trouve aussi la forme Souc, par exemple a` Vebron 48 sur le Causse Me´jean pre`s de Nıˆmes-le-Vieux, ou a` Lavercantie`re 46, a` Caudebronde 11. Cloup, de meˆme sens, est propre au Quercy, mais a pu de´border jusqu’en Corre`ze et en Aveyron. On note le Cloup a` Saint-Ybard 19, un Cloup Obscur a` FlaujacGare 46, plusieurs Cloup Cau (chaud). Caniac-du-Causse 46 a des lieux-dit les Cloups et les Cloucals, une clairie`re les Cloups e´loigne´e, Cloup Profond, Cloup de la Briaude et Cloup de la Paliole dans la Foreˆt de la Braunhie, mais la plupart des trous de ces bois sont nomme´s igue, quelques-uns grotte ou puits. Saint-Jean-de-Laur 46 a un Cloup Cau (chaud), Cre´gols 46 un Cloup Chaud. Fosse est un terme plus largement employe´, mais polyse´mique. Il de´signe des creux, et spe´cialement des de´pressions karstiques, dans certaines re´gions : ainsi du karst de La Rochefoucauld en Charente, comme a` Brie 16 ou` le camp de la Braconne a une Grande Fosse, a` Mornac avec les Trois Fosses et une Fosse Redon (ronde), Agris une Fosse Mobile, une Fosse Limousine et une Fosse Rode, Rivie`res une Fosse Le´ger et le Gouffre de la Cuve. La Fosse a` Luzille´ 37 correspond a` une petite de´pression ferme´e ; la Fosse Rouge et les Fosses Blanches a` Cigogne´ 37 pourraient avoir la meˆme origine. Mais en Picardie, fosse de´signe un vallon, comme la Fosse aux Femmes et la Fosse aux Renards a` Noyelles-sur-Mer ; c’est aussi le cas en Champagne, non sans quelques alte´rations comme le vallon de la Fesse a` La Croix-en-Champagne 51. Plusieurs dizaines de Fosse au Loup ou du Loup sont dans la moitie´ nord du pays. La Fosse Arthour est un pittoresque de´file´ en cluse a` Saint-Georges-de-Rouelley 50. A` Saint-Ciers-d’Abzac 33, une Fosse du Loup voisine avec le plateau de TrotteChe`vre...

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Dans le Midi, les termes e´quivalents fos ou fous s’appliquent a` toutes sortes de creux, parfois a` des passages e´troits, des cols, et peuvent se confondre avec Fous comme source (autre forme de font, fons). Les toponymes sont nombreux, comme Fos 31 et Fos 34, Fosse, Le Fossat, Foussemagne, Le Fousseret, Fosseux, Fos-sur-Mer. Passa 66 a une Coma de Fos et Cieurac 46 un paradoxal Pech de Fos, il est vrai entre deux profonds vallons. La Corse a de nombreux lieux-dits la Foce, qui sont tantoˆt des de´pressions, tantoˆt des cols (chap. 2), voire une baie a` Luri, un confluent a` Omessa. Le lieu-dit Focicchia a` Zicavo est la teˆte d’un profond vallon, la Foce de Fierascuti est un lido fermant l’e´tang d’Urbino a` Ghisonnacia. On trouve aussi dans le Midi de nombreux Gour et Gourg, mais ils sont plus en rapport avec des lieux d’eaux (chap. 5).

Ou` l’eau s’engouffre Les eaux des de´pressions ferme´es s’e´vacuent en profondeur par des conduits cache´s, et parfois par des trous be´ants, au point que les noms se confondent parfois. On les nomme souvent puits par me´taphore, ce qui donne Pouts ou Puts en occitan ; mais les confusions avec les puits ordinaires, et avec les multiples formes des puys, sont telles qu’il est rare d’eˆtre suˆr du sens. Probablement, le Puts de Congas a` Accous 64 est un de ces exutoires, assorti d’un laquet et dans un massif calcaire. Dans le meˆme ordre d’ide´es, on trouve des forats (comme un trou fore´) en Pyre´ne´es catalanes, dont dans le Massif du Carlt un e´tang Estany dels Forats, la Coma dels Forats (Angoustrine), El Forat de la Caixa a` Formigue`res 66, El Forat de la Tomba a` Vernet-les-Bains pre`s des Grottes Saint-Vincent. Mais il existe de nombreux noms plus spe´cifiques ; la plupart semblent avoir une origine tre`s ancienne, suppose´e pre´celtique. Le nom d’aven est commun dans les Grands Causses, et a pris une valeur ge´ne´rique ; on ignore son origine, peut-eˆtre en rapport avec la racine av- pour l’eau. Il est porte´ par des sites qui ont acquis la ce´le´brite´, comme l’Aven Armand a` Hures-la-Parade 48, l’Aven d’Orgnac a` Orgnac-l’Aven 07, l’Aven Marzal a` Saint-Reme`ze 07. SaintAndre´-de-Ve´zines 12 peut aligner un Aven de Combe Longue, un Aven de l’Aygue, un Aven des Crozes, un Aven de Gurzette et meˆme un Aven des Patates. On e´crit parfois Avenc ou Aben, le Calaven a` Montoulieu 34. Il en est bien d’autres, plusieurs dizaines et jusqu’en Vaucluse comme l’Aven Joly et l’Aven Borel a` Saint-Christol, dans le Var avec l’Aven de Jo a` Sollie`s-Toucas. Bidon 07 a l’Aven du Grand Trou, plus ceux de Fontlongue, de Fontanilles et de la Rouvie`re, et quelques grottes. Juste a` coˆte´, Saint-Reme`ze 07, outre l’Aven Marzal, a une belle collection d’avens des Costes Chaudes, de Courtinen, du Cadet, de Gaultier, de Grotte Rochas, de Chenivesse, du Grand Badingue, Rochard, de la Che`vre, de Rosa, de la Rouveyrette, de la Vigne Close, de Varade, de Reynaud, du Deve`s de Reynaud, de Centura, de l’Arbre Rond et meˆme un aven dit Faux Marzal. Certaines de ces de´nominations sont tre`s re´centes et issues de de´couvertes de spe´le´ologues. Le nom d’igue reste plus local, propre surtout aux causses du Quercy, ou` il fleurit par dizaines ; on ignore son origine, qui semble pre´celtique, peut-eˆtre en rapport avec un ic connu en hydronymie (chap. 5). il s’en trouve dans l’Aveyron, comme l’Igue a`

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Naucelle ou l’Igue Belle aux Albres, et dans le Tarn comme l’Igue a` Loze et le Pech de l’Igue a` Saint-Antonin-Noble-Val, ou` sont en fait plusieurs petits gouffres. La seule commune de Caniac-du-Causse 46 contient sous la foreˆt de la Braunhie, outre son Cloup Profond, les Cloups (2 fois), le Cloup de la Briaude et le Cloup de la Paliole, un grand nombre de lieux-dits en Igue (Igue Noire, Igue du Loup, Igue de Malpas, Igue Sans Nom...) ainsi que des grottes (des Combes, de la Roche Perce´e, de l’Aligrier), une Combe Cave un peu redondante, et un Puits de Limogne qui est une autre igue. On trouve encore l’Igue du Cloup a` Rocamadour 46 et l’Igue du Cloup de Peri a` Espe´daillac 46, Cloup l’Igue a` Saint-Jean-de-Laur 46. Tindoul est un terme e´quivalent dans l’Aveyron et le Lot, qui semble apparente´ aux Tine de´ja` mentionne´s ; le Tindoul de la Vayssie`re a` Salles-la-Source 12 est un trou spectaculaire de plusieurs dizaines de me`tres de profondeur ; on trouve le Tindoul a` Prayssac 46, lous Tindouls a` Se´bazac-Concoure`s 12, le Tindoulas (augmentatif) a` Aurelle-Verdac 12 et meˆme l’Igue de Tindouyre a` Varaire 46. Dans les Alpes, et spe´cialement dans le Vercors, scialet est re´pandu par dizaines ; certains sont du Diable, d’autres de l’Espoir, un du Cure´ a` Chaˆtelus 38, un du Casque a` Gresse-en-Vercors 38 ; la plupart portent des noms de personnes. SaintAgnan-en-Vercors 26 a meˆme les Neuf Scialets. On trouve comme e´quivalents Siale, Siala, Saillet, les Sciale`res a` Saint-Martin-en-Vercors, voire les Sialves a` Sorbs 34. Sarret, Sarriet sont conside´re´s comme e´quivalents de ce nom dont l’e´tymologie reste obscure. Le De´voluy dans les Alpes du Sud emploie chourum, ou chourun, d’origine tout aussi peu claire. Le nom se prononc¸ait chourain et aurait pu eˆtre « champ rond » car ces trous sont souvent lie´s a` de petites de´pressions karstiques cultive´es ; y voir un terme arabe semble hautement fantaisiste. Agnie`res-en-De´voluy 05 en a une cinquantaine, dont une vingtaine au moins sont nomme´s sur les cartes, comme le Chourum Clot, le Chourum de la Combe des Buissons, du Chaudron, de Costebelle, des Adroits (adrets), des Aiguilles, et meˆme un Chourum Olympique au pied du Grand Ferrand, ainsi baptise´ du nom du Spe´le´o-Club qui l’a explore´ en 1973, cinq ans apre`s les Jeux olympiques de Grenoble... Notons que la meˆme commune a encore une Tune des Renards, un Trou d’Uc (sic), une Baume de France, tous de´signant des trous. Le Jura a des emposieux, avec des variantes en engolloir, empoue, endouzoir qui e´voquent bien le fait d’avaler (les eaux) ; le nom peut s’e´tendre a` la de´pression alentour. A` l’Endoussoir est une cuvette a` Velleguindry-et-Levrecey 70, comme l’Andouzoir a` Oyrie` res ou le Trou des Andouzoirs a` Farincourt 52. A` La Pesse 39, l’Embossieux est un gros hameau tout proche du lac et de l’e´cart de l’Embouteilleux et d’une de´pression ferme´e a` tourbie`re. L’Embouteillou est un lieudit a` Argent ainsi qu’a` Charix dans l’Ain, en Bugey. Dans le meˆme esprit, sont des Imbut, Embuc, Embut, surtout en Provence, comme a` Salernes et a` Aiguines dans le Var, La Palud-sur-Verdon 04, plusieurs dans les Alpes-Maritimes dont l’Embut a` Andon 06, et en Corse l’Imbutu a` Osani, l’Ambuto a` Brando, Punta a l’Umbutone a` Azzana. Certains correspondent a` des pertes de rivie`res. Gobie de´signe aussi un gouffre et a la meˆme origine que le verbe gober ; le terme est illustre´ par Ganagobie 04, dont le village est perche´ entre deux ravins et ou` gan serait

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un terrain rocailleux ; sans doute aussi par la Gobie a` Saint-Fe´lix-de-Reillac-etMortemart 24, ainsi que Garagobie a` Saint-Paul-le`s-Durance 13. Ce nom est proche de garagaı¨, employe´ en Provence dans le meˆme sens et avec la racine gar/kar e´voquant des rochers. Le creˆt de la Sainte-Victoire en a deux ce´le`bres, le Garagaı¨, proche du Bau Ce´zanne a` Saint-Antonin-sur-Bayon, et le Garagaı¨ de Cagoloup (chie-loup) plus a` l’est a` Vauvenargues ; mais il en existe une dizaine d’autres, surtout dans les Alpes-Maritimes a` Saint-Paul-de-Vence et a` Gourdon 06, et dans le Var, dont un Garraguai a` Pourcieux et les Garagaı¨es a` Barjols.

Sous roche De nombreux termes se rapportent aux formes souterraines, spe´cialement aux cavernes. Caverne lui-meˆme est un mot assez re´cent, peu fre´quent en toponymie sauf a` la Re´union qui en a plusieurs dizaines. En revanche, cave et ses alternatives cava en Corse, cova en Catalogne, ne manquent pas. Nous avons de´ja` cite´ la Cova dels Trabucaires (des brigands) a` Ce´ret ; Cerbe`re a une Cova Foradada (« fore´e »), Fontpe´drouse une Cova de la Bassa, Maureillas-de-las-Illas un Cortal de la Cova ; en Corse, Casevecchie a la Cava di Fiorello, Palasca une Funtana di Cava, etc. ; mais ces mots s’appliquent aussi aux roches troue´es, comme Peira Cava a` Luce´ram 06. Cave prend en certains lieux la forme chave, chavade, qu’il ne faut pas confondre avec chavanne pour cabane. Chavaroche est une roche creuse et s’e´crit aussi Chaveroche, Chavroche ; d’assez nombreux lieux-dits sont ainsi nomme´s dans le Cantal et tout le centre de la France ; deux Chave Combe redondantes sont en Corre`ze, et l’Arde`che a une vingtaine de la Chave, une dizaine de la Chavade. Quelques Caveroque ont le meˆme sens. De la meˆme racine viendrait la cahuge de l’Entre-Deux-Mers, qui n’est gue`re apparue en toponymie, et depuis peu, que par la Cahuge de la Fricasse´e a` Blasimon 33, signale´e par le Comite´ de´partemental de Spe´le´ologie. L’occitan cauna serait d’origine pre´celtique ; il a e´te´ francise´ ou arrange´ en caune, caulne, voire gaugne. Les communes de Lacaune 81, Lacaugne 31, Caunes-Minervois, Caunettes-en-Val et Caunette-sur-Lauquet 11, La Caunette 34, Cauna 40 en tirent leur nom. Les lieux-dits en la Caune et la Caunette abondent, en particulier dans l’Aude, et l’on trouve des la Gaugne a` Montfa 81, Chastel-Nouvel 48, la Grande Gaugne aux Gours 16. Les Caulne sont propres a` la Bretagne : une commune des Coˆtes-d’Armor, Caulne a` Loyat 56, la Caulnais aux Iffs 35, le Breil Caulnette a` Pleugueuneuc 35, etc. Des toponymes en Cuzou, Cuzol, Cuzoul, Cuzoulet sont lie´s a` des caves, tunnels ou galeries dans le Quercy et alentour, comme a` Saint-Ge´ry 46, Fontanges 15, Mouillac 82 ; on note un Cuzoul des Blondes a` saint-Antonin-Noble-Val 82, Cuzoul des Braconnies a` Biars 46, un Cuzoulou a` Caylus 82, un Cuzoula a` Vare`s 47. Grotte est e´videmment un terme fort re´pandu. Il en ge´ne´nal dote´ d’un de´terminant, mais apparaıˆt seul dans des dizaines de cas sous la forme la Grotte, les Grottes, toujours avec article sauf dans quelques Grotta en Corse. Une Grotte Claire est a` Me´jannes-le-Clap 30, une Grotte Sombre a` Saint-Martin-d’Arde`che 07... Certaines, re´cemment de´couvertes, portent le nom de leur inventeur, comme la Grotte Chauvet

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a` Vallon-Pont-d’Arc 07 (aujourd’hui grotte Chauvet-Pont-d’Arc). Plusieurs sont mondialement ce´le`bres par leurs concre´tions ou par leurs traces pre´historiques, comme la Grotte de Lascaux a` Montignac 24, la Grotte de Niaux et celle du Mas-d’Azil dans l’Arie`ge, les Grottes de Clamouse et des Demoiselles dans l’He´rault, celle de Choranche en Ise`re, la Grotte Cosquer (d’acce`s sous-marin) a` Marseille, signale´e en 1991 par le scaphandrier Henri Cosquer. Les noms sont souvent pittoresques : Grotte de l’Enfer a` Dingy-Saint-Clair 74, Grottes de l’Oli de Cade (huile de gene´vrier), des Huguenots, du Maquis des Tilleuls, des Chaˆtaigniers, des Tunnels ; de l’Ermite, de la Rouvie`re, de la Vacheresse, des Deux Avens, du De´rocs, de Paul et Virginie dans la seule commune de Vallon-Pont-d’Arc 07, Grotte des Mammouths et Grotte Obscure a` Aigue`ze 30. Le terme est de la meˆme famille que crypte et, par ce grec, vient du IE krau pour quelque chose de cache´. Les variantes ne manquent pas, en creutte, croutte et crotte. Le Crotoy, La Cropte 53, Les Crouˆtes 10 sont de la famille, comme Crotelles 37. Creutte est un nom commun et une source abondante de lieux-dits, dans l’Aisne en particulier, ou` Cugny-lesCrouttes est une ancienne commune, rattache´e a` Oulchy-le-Chaˆteau, Muret-etCrouttes le re´sultat d’une fusion de 1901 entre Muret et Les Crouttes. On trouve les Creuttes et la Montagne des Creuttes a` Lons-en-Laonnois 02, la Creute a` Maisy ou a` Concevreux 02, les Creutes encore a` Longueil-Annel 60. Lorgues 83 a un chaˆteau des Crottes et Marseille-15e un quartier des Crottes. Il peut s’agir d’anciennes carrie`res de pierres ayant servi d’abris en temps trouble´s, comme les muches et boves picardes. Des dizaines de lieux-dits ont nom la Crotte, dans la plupart des re´gions ; mais certains peuvent de´signer des lieux boueux, crotte´s. La variante plus ou moins me´ridionale crot se confond souvent avec cros pour creux. De la sorte, Courson-les-Carrie`res 89 a meˆme un Crot des Crottes... Balme, bau, baume, baux, baou sont des appellations de cavernes a` l’origine de centaines de toponymes, et e´troitement lie´es a` la forme bal pre´-IE qui e´voque des rochers. Le e parfois rajoute´ (Beaume) n’a pas de raison d’eˆtre. Les noms de Balma 31, La Baume 74, La Beaume 05, Beaumettes 84, Les Baux-de-Provence 13, Baume-les-Dames 25 et Baumes-les-Messieurs 39, Beaumes-de-Venise 84 appartiennent a` cette riche se´rie, comme la Baume de Passe-Temps a` Allauch 13, Balme Pretchadouire (du Preˆcheur) a` Caunes-Minervois 11, la Baume des Creˆtes a` De´sertvillers 25, la Baume a` l’Ours a` Rotalier 39. Les baumes du Jura sont des gouffres : ainsi a` Mignovillard Baume Champion, Baume de la Source et des Baume tout court. Sur le nom grec des grottes, spelaion, devenu en latin spelæum ou spelunca, a e´te´ fabrique´ vers 1893 le mot spe´le´ologie. Mais la racine avait fourni depuis fort longtemps de nombreux noms de grottes et de sites de cavernes dans le Sud de la France, du Pe´rigord aux Pyre´ne´es, aux Alpes de Provence et a` la Corse. Les formes en sont plurielles, mais reconnaissables : Esplugues comme a` Llo 66, les Espugues a` Bethmale 09, les Espe´ lugues (Dions 30, La Bastide-l’E´veˆ que 12), Espalungue (Laruns 64), Espeluche (Droˆme) et Espeluche a` Ribe´rac 24, les Espe´luques (L’Isle-sur-la-Sorgue 84) ; ou encore Espelungue`re et les Cabanes de Spelunguette a` Borce 64, Espelunia a` Lacarry-Ahan-Charritte-de-Haut 64, le Roc de la Spelungue a` Me´rens-les-Vals 09, la commune de Comberanche-et-E´peluche en Dordogne ; celle de Lespugue 31 en Comminges (parfois e´crite a` tort Lespugne) ou` fut trouve´e

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une ce´le`bre statuette pre´historique ste´atopyge dite Ve´nus de Lespugue. Accous 64 porta jadis le nom d’Aspelonca. Certaines de ces grottes ont e´te´ fortifie´es, comme en Arie`ge la Spoulga de Bouan, la Spoulga de Baychon a` Miglos ou la Spoulga d’Alliat, qui est face a` la grotte de Niaux et encadre´e par la grotte des Fe´es et la Grotte de la Vache. En Corse on connaıˆt les gorges de Spelunca a` Ota, Spelunca a` Carge`se, Speluncione a` Orto, les Bergeries de Spelunchella a` Bocognano. Parmi les autres toponymes e´voquant des cavernes, notons encore l’antre (latin antrum, grec antron), qui apparaıˆt dans le Gourg de l’Antre a` Soulatge´ 11, avec re´surgence ; l’Antre du Loup a` Fournet-Blancheroche 25 et l’Antre des Druides a` Fontainebleau 77, d’origine e´videmment re´cente ; sans doute le lac et la Roche d’Antre a` Villards-d’He´ria 39. L’Adoux des Antres a` Tuchan 11 y apporte une ide´e de source (v. doux). E. Ne`gre ajoute a` la liste trois Antras du Gers et de l’Arie`ge, mais il existe d’autres lieux-dits identiques en Arie`ge et en Haute-Garonne, huit au total. Le terme basque est leza, parfois zilho ou chilo ; Sainte-Engraˆce en a une belle collection avec Taskako Leza et Tchakhur Leza, Achouri Lezia (de l’agneau), Hirou Leziak, Karrikalako Lezia, Odita Lezia, Laminako Lezia auxquelles s’ajoutent une grotte de l’Ours et deux Trou Souffleur, un Trou du Bison et un Trou du Mouton, une grotte du Hibou, un Trou Zinglako Ziloua, et Ache´ri Chiloua (Trou de l’Agneau). Certains de ces trous ou cavernes, ou` la neige peut se conserver longtemps, ont rec¸u le nom de glacie`re : la Glacie`re a` Esserval-Tartre 39 et a` Pierrefontaine-les-Varans 25, la grotte de la Glacie`re a` Chaux-le`s-Passavant 25, la Glacie`re a` Caussols et au Mas 06, la Grande Glacie`re a` Avermoz 74, les Glacie`res de Font Fre`ge (source froide) a` Mazaugues 83 avec plusieurs « puits », un col des Glacie`res sur la retombe´e orientale de la Sainte-Baume, et le Bau des Glacie`res (Plan-d’Aups-SainteBaume 83). Il en existe aussi autour de Paris, comme la Glacie`re a` Gambais 78, au total 17 en Iˆle-de-France ; mais certaines peuvent venir d’une ancienne miroiterie...

Les grands fonds de la peur Abıˆme, jadis e´crit abysse, est ge´ne´ralement relie´ a` un grec bathus, profond, et busos, fond de la mer, he´rite´s d’un gwadh IE avec l’ide´e de s’enfoncer. Il aurait e´te´ importe´ en France par le biais de la symbolique chre´tienne, et les toponymes correspondants ne seraient donc pas tre`s anciens. Ils n’en sont pas moins plusieurs dizaines, de´signant aussi bien des valle´es profondes que des trous, et souvent avec des comple´ments pittoresques : Abıˆme de Bramabiau (brame-bœuf) a` Saint-Sauveur-Camprieu 30, des Morts a` Signes 83, du Creux Perce´ a` Pasques 21, des Grenouillettes a` Lussas 07, du Cierge au Revest-les-Eaux 83, etc. Vy-le`s-Lure 70 a un Trou des Abıˆmes, Tende 06 un Collet de l’Abisse, Salses-le-Chaˆteau 66 un Co`rrec dels Abismes (Ravin des Abıˆmes sur d’autres cartes). On trouve aussi des Abis et Abisset. Quelques noms sont orthographie´s Abyme, deux en Guadeloupe et la commune des Abymes, aucun Abysse. Les Abıˆmes de Myans a` Apremont 73 ne sont pas des trous mais un chaos de blocs venant d’un effondrement relativement re´cent (1238) du

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mont Granier. Bessimon a` Sollie`res-Sardie`res 73 e´tait Labissimoz en 1570, donc l’Abıˆme. Si la symbolique chre´tienne est pour quelque chose dans ces noms, on peut les rapprocher des nombreux Enfer et Infernet qui de´signent d’autres profondeurs, valle´es e´troites ou trous ; mais on a fait remarquer que ces termes peuvent simplement avoir signifie´ : ce qui est en bas, comme « infe´rieur ». C’est par centaines que se montent leurs occurrences, au singulier ou au pluriel, et dans toutes les re´gions ; dont une trentaine de fois les Enfers (cinq dans la Somme) et autant l’Infernet, quelques Fosse d’Enfer et Trou d’Enfer dont cinq dans l’Aisne, la Porte d’Enfer a` Ple´dellac 22 ou Nogent-le-Roi 28 et la Combe d’Enfer a` Amondans 26 ou Bellecombe 39, quelques Rue d’Enfer. Citons le Grand Enfer a` Bourbourg, le Val d’Enfer a` Bellevaux 74, Cinq-Mars-la-Pile 37, Saint-Pois 50, la Tanne des Enfers dans les Bauges 73, un Inferno a` Rutall en Corse, et quelques Uvernet, Uvernau, Uvernayre comme alte´rations dans les Alpes du Sud. Gouffre est tre`s fre´quemment employe´. Le terme de´signe indiffe´remment des puits, des cavernes, des valle´es profondes. Le plus ce´le`bre est le Gouffre de Padirac, vaste et tre`s profonde caverne. Le danger qui leur est associe´ est signale´ : sept Gouffre d’Enfer a` Cazeaux-de-Larboust 31, Planfoy 42, Burzet et Saint-Ande´ol-de-Fourchades 07, Bozouls 12 et meˆme a` L’Iˆle-d’Yeu, un Gouffre du Diable a` Vieu 01, un Gouffre de la Mort a` Hauteville-Lompne`s 01 et, plus optimiste, un Gouffre du Paradis a` Tre´pot 25. Les redondances ne sont pas rares, comme au Gouffre du Puits du Lac-d’Issarle`s 07, au Gouffre de l’Oule a` Saint-Jean-de-Laur 46. Quelques-uns, re´cemment de´couverts, portent le nom de leur explorateur : le Gouffre Berger a` Engins 38, le Gouffre Martel a` Sentein 09, le Gouffre Le´pineux a` Arette 64. En de´pit du verbe engouffrer, gouffre ne viendrait pas de la gorge mais du grec kolpos qui de´signait un golfe, issu de l’IE kwelp pour recoin, anfractuosite´, abri, comme le giron et le vagin (aussi kolpos en grec). Pre´cipice vient du latin et e´voque une chute possible : la teˆte (cap) la premie`re (pre´). Le terme existe en toponymie, mais mode´re´ment : sept ou huit occurrences, dont dans les Vosges le Pre´cipice a` Marey, dans la haute valle´e encaisse´e de la Mariongoutte, pre`s d’une Alle´e des Fe´es, de la Roche Culbute´e et de la Roche Pissotte. Deux sont dans les ıˆles de Saint-Martin et Saint-Barthe´lemy aux Antilles, un en foreˆt de Meudon a` Ve´lizy-Villacoublay et un autre en foreˆt de Marly a` Chambourcy 78. Les Pre´cipices a` Varennes-en-Argonne sont sous les Abris du Kronprinz : ce sont deux de´nominations de la guerre de 1914. Aucun d’entre eux n’est vraiment tre`s redoutable : exage´ration de pays peu accidente´s... Le Pre´cipice du Trisou a` Villard-de-Lans dans le Vercors est un scialet parmi d’autres, pre`s duquel se distinguent le Scialet du Pet de Loup, la Grotte de la Chemine´e et le Gour Fumant (commune de SaintMartin-en-Vercors).

5. Eaux, bords d’eaux et me´te´ores L’eau a toujours e´te´ conside´re´e comme un bien pre´cieux et l’on ne saurait s’e´tonner que des milliers de noms de lieux lui fassent re´fe´rence, meˆme tre`s indirectement. La plupart des noms de fleuves et de rivie`res sont d’origine tre`s ancienne, ante´rieurs meˆme aux formations indo-europe´ennes, qui ont repris des racines dont le sens reste obscur et les diffe´rences peu explique´es. Les sources et les fontaines ont un riche vocabulaire et il n’est gue`re de commune qui n’ait au moins un toponyme pour y faire re´fe´rence. La richesse s’e´tend aux pie`ces d’eau stagnantes, et jusqu’aux marais.

Sources, fontaines et points d’eau Source vient du latin surgere, jaillir, qui a aussi donne´ surgir ; en amont se trouvent l’IE reg, qui va droit, et sur, mouvement de bas en haut. L’ide´e est la meˆme que pour le spring anglais, a` la fois source, ressort et printemps. Le terme lui-meˆme apparaıˆt directement dans les noms de lieux, avec quelques dizaines d’occurrences la Source ou les Sources, dont la plus connue est a` Orle´ans. Il prend toutes sortes de formes voisines : sourd, sourde, sourdon, sourdille, sor, sorn, sorg, sorgue, sours, sournais, etc. Le Sourn est une commune du Morbihan, Sournia des Pyre´ne´es-Orientales, Sours d’Eure-et-Loir ; Sournais, la Grande Sournais et le Sourneau apparaissent aux Hermites 37, la Sourc¸ais a` Saint-Senoux 35, le Sourdis a` Ballans 17 comme a` Saint-Andre´-sur-Se`vre et a` Maule´on 79, Essournets a` Moumour 64, Sourdille a` Capdenac 46. Sourdon est une commune de la Somme et un lieu-dit a` Nozie`res 07, Saint-Jean-de-Liversay 17, Le Lion-d’Angers 49 ; Sours une commune de la Droˆme et apparaıˆt aussi a` Fabas 09, Boutz-en-Mauges 49. Sorgues est un hameau a` la source-re´surgence de la Sorgue a` Cornus 12. Notons toutefois que sourn (qui surgit) se dit aussi d’e´cueils en Bretagne. Font, fons, fontaine n’est pas moins re´pandu, et a` peu pre`s synonyme en toponymie. Il vient par le latin d’un IE dhen « qui coule ». Quelque 80 communes ont le nom de Fontaine ou Fontaines, seul ou suivi d’un de´terminant, et plusieurs autres dizaines sont en Fontenilles, Fontenailles, Fontenay, Fontenoy, Fontenelles, Fontanes ou Fontane`s, Font-, meˆme Fontie`s-d’Aude 11 et Fontiers-Cabarde`s 11, Fonters-duRaze`s 11, Fondettes 37, Fontpe´drouse 66 (pierreuse), Fontjoncouse 11 (avec des joncs), Font-Romeu (fontaine des pe`lerins) plus une vingtaine en Fon- ou Fons avec ou sans comple´ment. Avec les lieux-dits, se signalent de nombreux les Fontilles, une cinquantaine de Fontvieille, autant de Fontfre`de, Fonfre`de ou Fontfreyde (froide),

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quelques Fontcaude ou Fontcalda, des Fontanie`re (noire), trois Fontcouverte et quelques noms pittoresques : des Fontbouillant, les Mortefontaines a` Deuil-laBarre 95, Font del Cucut a` Canaveilles 66, Fontaine Foireuse a` Taingy 89, Font Pissouse a` Villars-les-Bois 17 et Font Vineuse a` Saint-Pierre-d’Argenc¸on 05, la Fontaine aux Fous a` Vauchonvilliers 10 et a` Chaumont-devant-Damvillers 55 (sans doute « aux heˆtres »), une dizaine de Fontaine du Diable, etc. Le terme prend la forme fous ou foux dans le Midi : la Fous est une source a` Gre´olie`res 06, une source a` Saint-Jean-de-Bue`ges 34, la Foux une source a` Pompignan 34 ; mais des confusions sont possibles avec fos comme pre´cipice et foux comme heˆtre... La Gascogne en fait hont, hount : Hontanx 40, Hont-Ne`re (noire) a` Castillon-de-Larboust, Hont Rouge a` Cire`s ou Hont Arrouye (rouge) a` Gouauxde-Luchon 31, Houn de Rande´ a` Leyritz-Moncassin 47, Hont Grande a` PergainTaillac 32, Hount Caoute (chaude) a` Capvern 65 et plusieurs Hount He´re`de (froide) dans les Hautes-Pyre´ne´es, Hount Ne`gre (noire) a` Bagne`res-de-Bigorre et Barrancoue´ou. Hontambe`re a` Castelnau-d’Auzan 32 a le sens de « bellefont ». Le germanique emploie bronn, brunn pour source ou fontaine ; l’ide´e est ici celle de la naissance et rejoint le sein dans sa version gauloise, bronnio – a` l’origine de noms de buttes et mamelons, et donc de possibles confusions. Brunstatt 68 est le lieu de la source ; Brunntal a` Ribeauville´ est la valle´e de la source, Brunnmatt au Hohwald, a` Otterswiller ou a` Colmar est le pre´ de la source comme Bronnmatt a` Henridorff, et Brunnkopf a` Lohr la teˆte de la source. Mais le the`me est bien ailleurs qu’en Alsace, sous des formes bronne ou meˆme brune : Bellebrune 62 est interpre´te´ comme une source aux baies (bere et brunn) ; on trouve meˆme deux Source de Bronne a` Villettesur-Ain 01 et Neufchaˆtel-Hardelot 62. Les Cambronne en Picardie ont e´te´ des sources froides (caudebronne, A. Fournet), Thiembronne 62 est la source aux osiers en flamand. Il est en outre possible que la naissance (burth) comme ide´e de source explique Bourthes 62, a` la source de l’Aa, et Lisbourg (Liegeborth en 844) a` la source de la Lys (D. Poulet). Le grand nombre de toponymes en Borne et Bourne pose un proble`me de´licat en raison de la rencontre entre l’origine bronn-source, bronn-poitrine (mamelon) et la borne-limite, voire les bournais comme sols. A. Dauzat, P.-H. Billy et S. Gendron e´tendent volontiers le domaine de la source, imaginant e´ventuellement un hydronyme pre´latin born dont viendraient des noms aussi divers que Borne, Bors, Bords, Bort, Bornand, Boron, Bron, Bournazel, Brignoles 83, Brognard 25, Brognon 08 et Brognon 21, Burnand 41, Bourneau 85, Borre 59 et Bort ; voire certains Bord et peut-eˆtre meˆme Bourgneuf (S. Gendron). Le massif des Bornes en Savoie y trouverait son origine ; mais de la source on passe aux cavernes et borne aurait aussi le sens de grotte dans les Bornettes et Bournes savoyardes (H. Suter), voire les Brude et Brudour en Dauphine´ et Alpes du Sud. Le bouillonnement et les bulles sont associe´s a` l’ide´e de source, tout autant que le jaillissement. Une source un peu turbulente est un boulidou dans le Midi, comme les Boulidou de Saint-jean-de-Cuculles ou de Saint-Cle´ment-de-Rivie`re 34, de Ve´ze´nobres 30, de Tairan 11 ; une Source de Bollaro est a` Silvareccio en Corse, une Fontana di u Bullaru a` San-Gavino-di-Tenda. Bourideys 33 a le meˆme sens.

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Bunia fut un mot gaulois pour des sources jaillissantes et se retrouve apparemment dans bignon, qui de´signe une source dans l’Ouest ; une partie au moins des Bigne, Bignac, Biniac, Bignon, Bueil en seraient issus ; Barenton 50 compte a` la fois le Bignon, la Haute Bigne, la Basse Bigne. Un proble`me est la paronymie avec bun, beugne qui se rapportent a` des hauteurs. De meˆme, outre des hauteurs, Saillant a pu de´signer une source jaillissante, voire une cascade, notamment en Auvergne et Limousin : le Saillant a` Allassac 19, le Saillant a` Marcenat 15, le Sailhant a` Andelat 15, la cascade du Gour Saillant a` Saint-Priestdes-Champs 63 ou celle du Creux Saillant a` Saint-Victor-Montvianeix 63, la Font Saillant a` Sainte-The´rence 03, voire la source du Sail a` Mirefleurs 63. Un autre proble`me est pose´ par la relation avec le borvo-bormo des eaux et boues, e´ventuellement thermales. Des termes gaulois borya, borvo ou bormo auraient de´signe´ soit des eaux chaudes, soit des sources boueuses, soit des e´tendues boueuses selon les interpre´tations, et la toponymie associe´e aurait aussi incorpore´ une divinite´ des thermes nomme´e Borvo ou Bormo. Il en re´sulterait, outre la bourbe et le bourbier comme noms communs, la tre`s conside´rable se´rie des Bourbon, Bourbonne et Bourbonnais, Bourbouillon et Bourbouillons, voire Barbouillons, avec La Bourboule, Bourbon-Lancy (anc. Aquae Borvonis), Bormes, Bourberouge sur le site d’une mine de fer a` Bion et Saint-Jean-du-Corail 50, peut-eˆtre un nom comme Bouille 76. Nous reprendrons cette question a` propos de mare´cages (p. 287). Les sources e´tant a` l’origine des cours d’eau, et par de´finition a` l’amont, plusieurs noms indiquant un de´but ou une hauteur ont servi a` les de´signer. La Champagne connaıˆt les sommes, « au sommet » du cours : Somme-Tourbe, Somme-Vesle, Somme-Suippe, Somme-Bionne, Somme-Ye`vre, Sommepy, Sommepuis, Sommesous dans la Marne, plus Sommeval 10, Sommevoire 52, Sommelans 02, Sommedieue et Sommelonne dans la Meuse, Sommerance et Sommauthe dans les Ardennes, sont des noms de communes ainsi construits avec le nom de la rivie`re. Il existe aussi un Sommeraire a` Presly 18 a` la source de la Re`re, un Somloire 49 a` la source de l’Oue`re. Sommereux 60 est probablement du meˆme groupe. Chef et cap ont la meˆme fonction : Chef-Boutonne 17 a` la source de la Boutonne, Capdrot 24 a` la teˆte du Dropt ; Capval a` Wanchy-Capval 76 est seulement au bout d’un vallon. Il en est de meˆme pour penn en breton, a` la fois teˆte, cap, bout et source : Penngoyen a` Plone´is est bien un hameau a` la source du Goyen, Penn Aon une ferme a` la source de l’Aulne a` Lohuec 22, tandis qu’a` la source du Le´guer sont les habitats de Pen Le´guer Bihan et Pen Le´guer Braz (Bourbriac 22). H. Le Bihan cite aussi Pennyeodi pour le Jaudy (a` Tre´glamus 22). Goutte est le nom le plus courant des sources et de bien des ruisseaux dans les Vosges, ou` il apparaıˆt par dizaines : la Goutte de la Leuche est source et ruisseau a` La GrandeFosse, ou` est aussi un Fouchigoutte et qu’avoisine le Fraisegoutte (commune de Saales). On trouve au Val-d’Ajol, en site de source ou de teˆte de vallon, les lieux-dits la Goutte du Jau, la Goutte des Faings, les Goutelles, Noiregoutte, Levaugoutte, Pombe´goutte, Malegoutte, et a` Gimont-Val-d’Ajol Clairegoutte, la Goutte des Teˆtes ; a` Cornimont 88, Bonne Goutte, les Gouttes de l’Air, la Goutte du Droit, Saussenigoutte, Parfongoutte, Wassongoutte. Mais le terme est e´galement pre´sent

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en Lyonnais, en Auvergne, et jusque dans les Pyre´ne´es ; il est abondant dans l’Allier. En viennent Me´nigoutte 79 (avec me´nil), la Goutte a` Bugeat ou a` Droiturier 03, meˆme a` Sabarat 09, les Gouttes a` Saint-Germain l’Herm 63. Le nom perd parfois un t, et devient Goutelle ou Goutie`re. Oueil, Oueilh et meˆme Œil de´signent des sources en Gascogne et dans les Pyre´ne´es ; un risque est dans la confusion avec ouille de´signant les troupeaux d’ovins et bergeries associe´es. Ces noms semblent s’appliquer a` la forme ronde que prennent souvent les vasques de sources. C’est pourquoi ils signalent aussi des fonds de puits ou d’entonnoirs, voire des lacs ronds en fond de cirque glaciaire ou derrie`re un verrou rocheux, comme le lac d’Ooˆ et la commune de ce nom dans le Luchonnais. Il semble admis que ces noms viendraient d’une me´taphore de l’œil. Toutefois, ils pourraient simplement venir de l’eau, comme de nombreux toponymes en forme d’Oye ou Oie tels Oyes 51, L’Oie 85, l’E´tang d’Oie a` Givry-en-Argonne 08, l’Angle d’Oie a` La Ronde 17, plusieurs lieux-dits les Oyes du haut Doubs, associe´s a` des mares de vallons. Dans les Pyre´ne´es, une se´rie de noms tels que le Pic de l’Auech (Boutx 31), le col d’Auarde et le pic d’Aue`re a` Saint-Lary 09, le col et le ruisseau d’Aoue´dole et l’e´tang d’Ayes a` Bethmale 09 auraient le meˆme sens, avec peut-eˆtre Ooˆ 31. On connaıˆt d’ailleurs e´galement la forme Goueil, Gouaux au pluriel, comme a` Gouaux-deLarboust et Gouaux-de-Luchon 31 ou Gouaux 65. Goueil de Jou est la source du Job a` Arguenos 31 ; Goueil de l’Aron est une source dans la Coume de l’Aron a` SaintLary 09, dont sort la Goute des Cascades ; la source de la coume voisine est la Fontaine de Besset. Le Port et l’E´tang de la Goueille sont a` la teˆte d’une valle´e affluente du Vicdessos, a` Auzat 09. L’Œil Doux, a` Fleury 11 dans le massif calcaire de la Clape, est un nom curieux pour une source au fond d’un trou naturel, et apparemment redondant ; il en est de meˆme de l’Œil de la Duis a` Villard-de-Lans 38. En effet, bien des sources portent le nom de duis, ou des formes e´quivalentes tre`s varie´es : duie, dhuis, dhuie, dhuy, dois, doit, doye, douix, doux, douts, douat, douet, doue´, doet en Normandie, dour ou dou en Bretagne. Ce terme est habituellement rapporte´ a` la racine ducto (IE deuk, tirer, conduire) qui e´voque en l’occurrence un petit canal, une conduite d’eau et se retrouve dans la douve. A` titre d’exemples citons la Duis a` Bourguignons 10, la Fontaine a` Duis a` Lignon 51, la Source de la Duis a` La Motte-en-Bauges 73 ; la Dhuie a` The´zac 47 ; Dhuizon 42 et Dhuisy 77, Dhuizel 02 ; Duisans 62 ; Doue´-laFontaine 49 ; Doye 39 ; Doux 08 et Doux 79, Doue 77 ; Soulaines-Dhuys 10 et Pargny-la-Dhuys 02, d’ou` vient l’aqueduc de la Dhuys qui achemine l’eau de la Dhuys jusqu’au re´servoir de Me´nilmontant a` Paris ; la Fontaine du Petit Doit a` Montboyer 16 et celle de la Doit a` Pannes 45 ; les Dois a` Saint-Hilaire-la-Plaine 23 ; la Doue´e a` Chantonnay 85, la Source de la Doue´e a` Avernes 95 ou a` Rougemont 21, la Douais a` Boue´e 44 ; Cheˆnedouit 61 et le Grand Douit a` Crame´nil 61, le Douit a` Argentan-sur-Orne. Douryen a` Taule´ 29 est une « fontfroide » (dour-yen). Les Doye sont plus spe´cialement dans le Jura, comme Doye 39 et la Doye a` Izernore 01, la source et la grotte de la Doye aux Nans 39, la Doye a` Nans-sousSainte-Anne 25. Les Douix abondent en Bourgogne, ou` Chaˆtillon-sur-Seine a une source de la Douix, dont les eaux alimentent la Seine. Les Douat sont surtout en

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Aquitaine. L’orthographe a pu e´voluer jusqu’a` Doigt, cre´ant ainsi bien des faux amis, du moins hors des montagnes ou` doigt de´signe en ge´ne´ral un rocher e´troit et pointu : tel est le cas de la Fontaine du Doigt a` Prizy 71, des Doigts a` Saint-Caprais 03, une ferme entoure´e par plusieurs sources ; et probablement de Sous le Doigt a` Ourouxsur-Saoˆne 71 et du Haut du Doigt a` Charmes 08. Des Alpes du Sud a` l’Aude on repe`re aussi des Adoux, au sens de source ou re´surgence ; par exemple une Bergerie de l’Adoux a` Montgaillard et a` Rouffiac-des-Corbie`res 11, l’Adoux des Antres a` Tuchan 11, la Source de l’Adoux a` Marignac-en-Diois 26 ou a` Davejean 11. Toron, Touron, aussi Te´ron, The´ron forment un groupe de toponymes assez bien repre´sente´ en Limousin et surtout en Pe´rigord pour de´signer un lieu de source. Ils seraient issus d’un terme gaulois, pre´sent dans le chaˆteau le Tourondel a` SaintAugustin 19 et a` Thouron 87 (S. Gendron), peut-eˆtre au Thoronet 83, a` The´rondels 12 (E. Ne`gre). On pourrait supposer un rapport avec le pre´-IE atur pre´sent en hydronymie du Sud-Ouest, qu’aurait repris le gaulois. Toutefois, ces noms ou des noms semblables peuvent aussi eˆtre attache´s a` la pre´sence d’une butte (v. tertre). L’examen du terrain peut parfois oˆter le doute. Touron a` Montcaret 24 est bien a` une source, et le Touron de Fonroque 24 ou la Font du Touron a` Bouniagues 24, comme la Font del Turon a` Taillet 66, de´signent bien des sources. The´rondels 12 a des sources mais le village est sur un relief marque´. Thouron 87 est environne´ d’e´tangs et de buttes, dont l’une se nomme le Terme, e´quivalent de tertre, ce qui laisse au moins la place au doute ; et la plupart des Touron du Gers ou de l’Arie`ge, territoires peu marque´s par la toponymie celte, sont associe´s a` des reliefs. Quille en Normandie et quelle en Alsace ont une origine commune et le sens de source : les E´quilbecs a` Brix et E´quilbec a` Breuville dans la Manche sont a` des sources (quille) de ruisseaux (bekk), et la Croix d’E´quilbec a` Ne´greville 50 jouxte le hameau des Sources. Quell a` Soultzmatt est un lieu-dit en teˆte de vallon. Mais pour M. Urban, Les Quelles 67 (anc. Quevelles, Yquell) serait issu d’un allemand Gefa¨ll « les pentes », compris ensuite comme « la source ». Wella, de meˆme formation que le puits anglais (well), serait a` l’origine de l’e´le´ment el(le) dans Elbeuf (jadis Welleboth) et dans le quartier du Havre Rouelles (Rodewella en 1035, comparable aux Rothwell anglais) ; il aurait e´galement fourni Veules-les-Roses (Wellas en 1025) et Veulettessur-Mer. Un gaulois rin, ou ren, aurait e´galement eu le sens de source et apparaıˆt dans les Beaurain, Beaurains, Beaurainville (D. Poulet). Un autre gaulois lautro a eu le sens de bain ou source ; il est tre`s proche d’un ancien germanique hluta, lu¨ttar (clair, pur) et l’un ou l’autre, ou les deux successivement, ont pu jouer dans la formation de Lure 70, peut-eˆtre Lurs, Lorrez, ainsi que de la Lauter et de Lutter en Alsace. Stivel est l’un des noms de la source en breton et apparaıˆt une vingtaine de fois, dont des Stivell et un Traou Stivel a` Tre´glamus 22, un Traon Stivel a` Brest et un Toul an Stivel (le trou de la source) a` Plougrescant 22, Stivellou a` Edern 29. Le basque a ithur-iturri pour la source ; Ithorots 64 est « la source froide », Ithurbide a` Urcuit le chemin de la source ; Ithurbidea existe a` six exemplaires, Ithurburua (la teˆte de la source) aussi, et l’on connaıˆt une quinzaine d’Ithuraldea (du coˆte´ de la source). Fontaines, sources et puits sont souvent e´quivalents en toponymie, englobant meˆme des ruisseaux. Toutefois, quelques noms plus spe´cifiques s’appliquent a` certains

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ame´nagements qui leur sont associe´s, et qui servent a` tirer, stocker ou distribuer de l’eau. Le puits d’abord, au sens courant du mot, du latin puteus, que l’on creuse pour atteindre une nappe : il fournit des noms de villages et de lieux-dits en Puits (dont une commune en Bourgogne, Puits 21), le Puits, les Puits, Puiseux, Puisieux, Puiseaux, Pouzols et Piseux 27, Pisieu 38. Selon les re´gions, les formes peuvent e´voluer : le puits est Put en Flandre, comme Klocke Put a` Zegerscappel 59 ou Kleken Put a` Wormhout 59 ; Pou en Catalogne, comme Pou dels Pobres a` Sainte-Colombe-de-la-Commanderie et plusieurs Mas del Pou ou Font del Pou, la Colomina del Pou a` Cabestany ; Pozzo, Pozzu en Corse comme le Pozzu a` Bastelicaccia 2A (« source capte´e »), u Pozzu a e Fate a` Renno 2A (puits des fe´es), Fontaine de Pozzo a` Scata 2B, voire un Pozzo Americano a` Ventiseri 2B. On trouve aussi des Poue´ (le Poue´ de la Bochery et Derrie`re le Poue´ a` Guipry 35, Source du Poue´ a` Me´die`re 25), de nombreux Pous, Pouts, le Puch dans le Midi, dont Pous Sec a` Fauge`res 34, Pouts es Prats (des pre´s) a` Ginestas 11, Puch-d’Agenais 47, Le Puch 09. De ce fait, elles entraıˆnent des risques de confusion avec la famille du puy : habituellement Pouzols est du puits, Poujols du puy... Un autre risque de confusion est bien entendu lie´ a` d’autres sortes de puits : soit des « puits » naturels comme les avens ; soit des puits de mine, par exemple le Puits Bernard a` Faymoreau 85 ; ou meˆme des puits d’ae´ration de tunnels, comme le Puits XV a` MaˆlainBlisy 21. Certains ame´nagements propres aux puits ont pu marquer les lieux. Le haut balancier de´nomme´ cigogne par me´taphore, et qui sert a` remonter l’eau, est a` l’origine de plusieurs dizaines de noms comme Cigogne´ 37, Cigogne a` Varennes 37 ou a` SaintJean-de-Liversay 17 ; et meˆme Sognolles et Soignolles 77 selon M. Mulon. Le meˆme dispositif se nomme pousaraque, pouzarague ou puisaraque dans le Midi, un terme de´rive´ de puits, a` l’origine d’une quinzaine de lieux-dits, comme Pouzeranque a` Aigues-Vives 30, la Pousaraque a` Gignac-la-Nerthe 13 et la Pousaque (AlbefeuilleLagarde 82, Puginier 11), les Pousagues (Routier 11). Les points d’eau pour les troupeaux ont donne´ lieu a` des dizaines de lieux-dits de´rive´s du verbe boire, de forme l’Abreuvoir ou l’Abeurador (prononcer abe´ouradou...), Beuradous (Saint-Amans-de-Pellagal 82), le Be´uraour (Roubion 06), voire Be´doue`re (a` Ce´relles 37), l’Abeurou dans les Alpes et le Jura, Beuradour a` SaintDenis-des Murs 87 ; on trouve meˆme une Fontaine des Abeuradous au Bousquet 11 et une Fontaine des Abeurades a` Rimont 09, une Source des Abeurous a` Apremont 01, els Abeuradors a` Canet-en-Roussillon 66. Des NL en Bre´vanne, Bre´vent, Bre´vonnes ont eu le meˆme sens et meˆme e´tymon, et s’appliquent aussi a` des sources, voire a` de petits cours d’eau. En pays calcaire ou` les eaux disparaissent vite par infiltration, ont duˆ eˆtre ame´nage´es des citernes, et des cuvettes tapisse´es de pierres, nomme´es lavognes. Des dizaines de lieux-dits sont nomme´s la Citerne, Citernette ou Citernelle, Cisternes comme a` E´gliseneuve-d’Entraigues 63 ou Saint-Sulpice-les-Bois 19, la Cisternette a` SaintMaurice-de-Navacelles 34, Citerne 80, la Citerne de l’Homme Mort a` Goudargues 30, qui a aussi la Citerne de l’U, proche de l’Aven de l’U sous la Teˆte de l’U ; l’Aven de la Citerne au Garn 30 ; la Citernasse a` Valflaune`s 34. La lavogne vient de lava, la pierre, et n’a donc pas le meˆme e´tymon que le lavoir, avec lequel les

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toponymes peuvent se confondre. Elle a donne´, parfois sous la forme lavagne, quelques dizaines de lieux-dits dans les Causses et alentour : la Lavogne a` Allenc 48, Lavogne de Caubel a` Sainte-Eulalie-de-Cernon 12, la Lavagne a` Blandas 30, la Lavagne a` Veyreau sur le Causse Noir, Marlavagne a` Saint-Andre´-de-Ve´zines, les Lavagnols sur le causse de Sauveterre a` Chanac, et meˆme un Mont Lavagnes au Caylar 34. L’occitan emploie aussi pesquier dans le sens de re´servoir d’eau, e´ventuellement vivier : d’ou` des Pesquier, Pesquie´, Pesquie`s, Peschiers, des Landes jusqu’au Gard. Le terme est de la famille de la peˆche et du poisson, latin piscis, IE peisk.

Les eaux qui courent Eau vient du latin aqua, issu de l’IE akwa qui peut avoir repris un av- ante´rieur ; cette racine est a` l’origine de toponymes de formes tre`s diffe´rentes. Les plus proches d’aqua s’affichent en aigue dans des noms comme Aigue, Aygue, Eygue, Aigue`ze, Aiguebelle et Aiguebelette, Aigueblanche, Aiguesvives ou Aigues-Vives et AiguesMortes, Aigueperse (e´parse) dont deux communes (Aigueperse 63, Aigueperse 69), Aigurande et Eygurande (limite d’eau), Eyguie`res, Eygalie`res 13, Eygaliers 26, Eygalayes 26, Eygliers 05 ; ou Aygasse, Aygat, Aygalade, Belaygue (a` Penne 81), Ayguatebia 66 (eau tie`de), et de fort nombreux Aigue ou Aygue avec un comple´ment, meˆme un Ayguese`que (se`che, Commensacq 40), des Aygues-Cluses, AyguesTortes, Aigue Noire, etc. Aı¨go est le nom de l’eau en occitan. On trouve aussi dans le Midi des noms en aigal, agau ; certains s’appliquent a` des canaux (chap. 6), d’autres a` des vallons, comme l’Agal du Be`s a` Lercoul 09, ou le Correc de l’Agal a` Sahorre 66, d’autres encore a` des sommets distributeurs d’eau, comme le mont Aigoual, ou le Tuc d’Agal a` Urau 31. La forme est parfois agnes : Agneserre tout au fond de la valle´e du Garbet a` Aulus 09 ; le col d’Agnes entre Aulus et Le Port 09, les Agnes a` Chaˆteauneuf-les-Bains 63. Les E´gaux est un toponyme qui apparaıˆt plusieurs dizaines de fois, et qui est connu pour dissimuler les Aygues ou quelques de´rive´s comme agau au sens de petit canal : ainsi du Plat des E´gaux a` Saint-Anthe`me 63, des E´gaux a` Saint-Hugues-de-Chartreuse 38, les E´gaux a` Montmagny 42, etc. On trouve d’ailleurs aussi les Aygaux (Saubens 31) ou les Aygots (Matha 17). La forme d’oı¨l eau se trouve dans les Eaux-Bonnes 64, des Eaux-Chaudes, Belleau dont Belleau 02 et Belleau 54, Morteau dont Morteau 25, Longueau dont Longueau 80, Longeaux 55, dans un redondant Eaux-Puiseaux 10 et diverses curiosite´s comme les Eaux, hameau de Talmont-Saint-Hilaire 85, le ruisseau des Eaux Mixtes (une boire du Cher) a` l’abbaye de Noirlac (Brue`res-Allichamps 18), les Eaux Ouies a` Cuigy-en-Bray 60, l’Eau-Qui-Bruit hameau de Pe´lussin 42 ou les Eaux Mine´rales a` Saint-Priest-des-Champs 63. Un cas particulier est celui des eaux thermales, si appre´cie´es des Romains. La plupart des aix comme Aix-les-Bains, Aix-en-Othe, Aix-en-Provence, Aix-en-Diois, Aixesur-Vienne, Ax-les-Thermes ont la meˆme origine qu’aigue, mais dans ce sens d’eaux thermales – Les Aix-d’Angillon 18 serait un faux ami, qui viendrait de la haie ; il fut jadis Haiense Castrum. Les Bains sont tre`s pre´sents en toponymie, sous cette forme,

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en comple´ment de nom (-les-Bains) ou par des de´rive´s comme Bagnols (cinq communes et bien des lieux-dits), Bagnoles et Bagnolet, Bagne`res, Bagneux, Baignes, Bages, les deux Banyuls, Bagno en Corse. Chaudes-Aigues 15, Cauterets 65, Caldegue`s a` Bourg-Madame 66, Les Escaldes a` Angoustrine-Villeneuveles-Escaldes 66, La Chaudie`re 26 viennent d’eaux chaudes (latin calda). Le mot thermes figure souvent en comple´ment (-les-Thermes), parfois seul, au risque d’eˆtre confondu avec terme au sens de tertre ou de limite ; mais les lieux-dits les Thermes a` Pomare`de 46, Me´zie`res-sur-Issoire 87 ou Thenon 24, Barbotan-les-Thermes a` Cazaubon 32, correspondent bien a` de petits e´tablissements thermaux dans la campagne. Le radical pour l’eau a pu conserver une tre`s ancienne forme av, ou s’y re´duire, en des lieux comme Avenne (dont Avenne-Avenay 25), les Avennes, Avail, Availle, les Availles, Ave`ze 30, Ave`ze 63, Ave`ze 72, Balaives (Balaives-et-le-Butz 08), probablement Avignon (interpre´te´ comme « lieu pre`s de l’eau courante »), en Corse Avapessa (prairie de l’eau) ; et dans le nom de l’Aa, premier fleuve de France (alphabe´tiquement). La forme eve est pre´sente a` E´ve 60, E´veux 69, E´vian-lesBains 74, Euvy 51, Iwuy 59, Longe`ves 17 et Longe`ves 85, ainsi qu’a` Eu 76, et se cacherait dans le nom le plus bref de France, Y, commune du sud-est de la Somme. Elle aurait e´galement donne´ des lieux-dits E´vettes, les E´vettes, l’Effe, et probablement E´vaux-les-Bains 23, les E´es a` Ferrie`res-sur-Beaulieu 37, le Plan de l’E´va a` Modane 73, voire le glacier de la Levanna (l’Evanna) a` Bonneval-sur-Arc 73 et meˆme Aouze 88. Elle se cache dans les Yvelines, dont le nom vient de la foreˆt des Yvelines, c’est-a`-dire des « petits cours d’eaux », et dans les normandes Yvetot, Eawy, Yvecrique. C’est du meˆme e´tymon que viendraient au, nom germanique pour une prairie humide que l’on trouve en Alsace, comme l’Andlau, Rothenau, Breitenau, etc., et auge comme le Pays d’Auge en Normandie. Les Azay et Aze´, dont six communes comme Azay-sur-Cher 37, Azay-sur-Thouet 79, Azay-le-Ferron 36, Aze´ 41, Aze´ 53, Aze´ 71, ge´ne´ralement en bord de rivie`re, sont souvent conside´re´s comme appartenant a` la meˆme famille, peut-eˆtre pre´-celte. Il en serait de meˆme pour les Aisey, Aisy comme Aisy-sous-Thil 21, Aisey-et-Richecourt 70. De l’IE pleu, couler, viennent a` la fois la pluie et la flotte, le flot. Nous avons bien La Flotte sur l’ıˆle de Re´, et Palavas-les-Flots 34 comme ornement publicitaire, mais peu de toponymes se rattachent aux formes d’origine latine. Il est probable que les Flots en bord de Seine a` Moisson 78 a bien ce sens, sans doute re´cent, mais la plupart des autres lieux-dits la Flotte, le Flot, les Flots disperse´s en France n’ont pas de rapport e´vident avec une eau courante – peut-eˆtre certains en ont-ils avec le radical germanique flor, flur pour champ ; on a meˆme les Champs Flots a` Annequin 62. En revanche, une se´rie de noms de lieux ont e´te´ forme´s sur les e´tymons normands et ne´erlandais flet, fliet, vliet, qui ont bien le sens de flot, d’eau courante : Groffliers 62, Rang-du-Fliers 62 (jadis Rein-Vliet), deux Vliet Houck a` Brouckerque et Bourbourg 59, ou le lieu-dit Vliet Straete a` Uxem 59 pre`s du canal des Chats. Fleuve et flux, affluent et confluent sont re´pute´s venir d’un radical voisin quoique diffe´rent, l’IE bhleu, e´vocateur d’e´coulement turbulent. De cette racine pourraient eˆtre venus des noms comme la Blaise, les Blagny et les Bligny (G. Taverdet), peut-

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eˆtre Blois 41 et Blagnac 31, mais ce ne sont que des hypothe`ses. Par passage classique du bh a` f, elle a donne´ fluere en latin. Quelques lieux-dits le Flux semblent se rapporter a` des cours d’eau, notamment a` Beaugency en bord de Loire. Flumet 73 sur l’Arly, le Flumen sous-affluent de la Bienne dans le Jura, ont ce sens. En Corse, fiume de´signe tout cours d’eau, et fait partie du nom du fleuve Fiumorbo, lequel est porte´ par quatre communes de Corse-du-Nord. Fiume a inspire´ quantite´ de lieuxdits en Fiumara, Fiumino, Fiumicce ou Fiumiccio, Fiumicellu, six Fiuminale dont un Sottano (d’en bas) et un Soprano (d’en haut) a` Velone-Olmeto, Tre Fiumi a` Linguizetta, Fiumaccio a` Ale´ria, Cantu di Fiume a` Quenza. C’est de la meˆme racine bhleu > bhreu que proviendrait le froud ou frout, signalant un courant en breton. Il apparaıˆt dans le Fromveur (le grand courant), courant marin qui rend si dangereux le passage entre Mole`ne et Ouessant, ou dans des Camfrout (cam indique une courbe) et Hoˆpital-Camfrout 29, Froud Gwen a` Guipavas et Froutguen a` Combrit 29 (blancs), le Froud au bord de l’E´lorn a` Plougastel-Daoulas, Frouden sur l’Aber-Ildut a` Bre´ le`s 29, Froudic (diminutif) sur le Le´ guer a` Loaurgat 22, le Frout sur l’E´lorn et le Frout Bihan (petit) a` La Roche-Maurice 29 ou Pont ar Frout a` Locarn 22, Beg ar Frout (la pointe du courant) a` Teule´ sur la rade de Morlaix. La meˆme racine a donne´ par le latin la ferveur et l’effervescence, le ferment, la brasserie. Les origines nordiques de certains hydronymes se lisent dans les Bach alsaciens et lorrains et les bec ou becq normands, des baix et bais du Nord-Ouest. Le Nord-Est a toute une collection de Barembach, Bremmelbach, Birlenbach (du vallon), Breitenbach et Breidenbach 57 (large), Dieffenbach, Dieffembach-le`s Hellimer et Tieffenbach (profond), Eberbach (du sanglier ou de l’if), Forbach (des pins), Griesbach (du gravier), Schlierbach (boueux), Michelbach (grand ou furtif...), Muhlbach (du moulin), Soultzbach (sale´). Coˆte´ Nord-Ouest, c’est la forme scandinave bekk qui a e´te´ adapte´e, mais elle peut entrer en concurrence avec le bec ou beg comme promontoire : l’examen du site est indispensable. Notons dans le sens du ruisseau Caudebec (de kalt, froid), Bolbec, Bricquebec, Clarbec, Foulbec (sale), Filbec, Beaubec-la-Rosie`re ; Bousbecque (du bosquet), Guarbecque (de guar, mare´cage) et Morbecque (de moor, marais), Steenbecque (pierreux), Marbaix de mare, Roubaix de roseau, Wambaix de wana, maigre ; et sans doute aussi Sorbais, Gerbaix, Baizieux, Be´zu. Un Entre les Becques (les ruisseaux) est a` Millam 59. La forme bacque existe aussi, comme a` Bacqueville. Outrebois 80 fut un Ultrabaiz, attire´ ensuite du ruisseau vers le bois. Broque, broc se trouve avec un sens voisin (cf. l’anglais brook) comme dans Bruquedalle ou Fouillebroc, mais la confusion est possible avec l’ide´e de mare´cage (v. bruch). Un terme latin, aestus, a donne´ a` la fois l’estuaire et l’e´tier, et au moins deux termes re´gionaux se rapportant aux cours d’eau : estey en Aquitaine, steir ou ster en Bretagne. Aestus est paradoxalement re´pute´ venir de l’IE aidh = bruˆler ; l’e´te´ en serait issu et l’on nomme aussi aestus une inflammation. Si curieuse soit-elle, l’explication fournie est dans l’image du bouillonnement ou des tourbillons de mare´e dans les estuaires. Outre des noms de cours d’eau, on trouve plusieurs l’Estey en Gironde (a` Le´ogeats,

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Peujard, Saint-Jean-de-Blaignac), l’Estey Noir a` Arveyres 33, un lieu-dit Estey et le port de l’Estey a` Sanguinet 40, l’Estey Rouge a` Saint-Laurent-de-Gosse 40. De la meˆme famille seraient des Este´ou en Provence (Marseille, Marignane, Le Muy), l’Este´ouet a` Sauveterre 32. Et bien entendu divers l’E´tier, surtout en LoireAtlantique et Morbihan. Steir de´signe une rivie`re en breton. Le Steı¨r rejoint l’Odet a` Quimper, dont une ferme a nom Lez Steir ; Pen ar Steir est en bout d’estuaire a` La Foreˆt-Fouesnant. Plusieurs dizaines de lieux-dits bretons sont en Ster, dont Lanester, Penn-ar-Ster a` Plougastel-Daoulas, Pen-ar-Steˆr a` Dine´ault et Pen-erSteˆr a` Saint-Philibert, Ty Steˆr a` Saint-E´varzec, Ster ar C’hoat a` Quimper au bord du Steı¨r, Steˆr ar Park a` Collorec 29, etc. Unda, l’onde est aussi en latin l’eau qui coule (IE wed), comme dans l’Ondaine, ou Ondes 31. Le germanique strom pour courant, issu de l’IE sreu = couler rapidement, qui a fourni le radical grec rhea (he´morragie, diarrhe´e, logorrhe´e) et le rythme, figure dans quelques noms de rivie`res et de lieux-dits. Le cas d’E´trœungt 59 est souvent cite´ : les formes anciennes du nom, Villa Strono ou Struen, e´voqueraient un cours rapide, en l’occurrence la Petite Helpe. Estrun 59 est une commune au confluent de la Sense´e et de l’Escaut ; E´trun 62, Estreux, Estourmel voire Lestrem 62 seraient de la famille, la rapidite´ du flot e´tant toute relative en plaine... Le breton emploie gouez, gwaz, glas pour un ruisseau : l’e´tymologie n’en est pas bien connue mais pourrait avoir un rapport avec ce wed. On citera Gouessant, Gouesnou ; Goas an Abbat comme ruisseau de l’abbe´, Goas ar Feuntun a` Ploubezre, plusieurs Goas a` Plougasnou dont Goassaliou (des saules), Goasven (blanc), Goasveur (grand), Goasvili (du bosquet) ; Goasvouillen a` Gourin est le ruisseau bouleux ; Gwaz Wenn a` Ploune´rin ou a` Ploune´vez-Moe¨dec est le ruisseau aux eaux claires. Mais goas en breton de´signe aussi un habitat, ou encore un homme, jadis un vassal ou un valet, voire une oie ; certains Goas sont apparemment sans rapport avec quelque ruisseau, dont des Goas Coz (vieux)... et Goashe´yec a` Plougasnou, jadis Cozheizec, se traduirait « le vieux champ d’orge », goas e´tant ici une alte´ration de coz... En revanche, Daoulas est bien interpre´te´ comme « les deux ruisseaux », goas ayant e´volue´ en glas avant de perdre son g. D’autres formes re´gionales sont bien ancre´es, comme nous l’avons de´ja` vu avec la goutte ou la bourne. La jalle est la rivie`re en Me´doc, et au pluriel dans Saint-Me´darden-Jalles ; R. Aymard rattache ce nom a` un gel vascon, qui se retrouverait dans la Jalette a` Juzet-de-Luchon, les noms de rivie`res en Ge´lan, Ge´line, Ge´los, Ge´u¨, le Joos et son petit pays le Josbaigt (la basse du Jos), et peut-eˆtre le Gers. L’Auvergne et le Limousin connaissent gane, ganne, dont le sens est un conduit, un exutoire de mare, mais peut s’e´tendre a` tout fond noye´ ou humide, et semble eˆtre a` l’origine de Gannat 03. La craste est un ruisseau ou un canal de drainage dans les Landes mais le terme apparaıˆt aussi dans les de´partements voisins ; citons la Craste dous Prats (des pre´s) a` Pissos 40, la Craste`te a` Lugos 33, Craste a` Francescas 47 ou a` Artigues 65. Le basque emploie ibai, bai pour les cours d’eau : Baı¨gorry (a` Montory 64 et Saint-E´tienne-deBaı¨gorry 64) est la rivie`re rouge ; la Baı¨se en vient peut-eˆtre, ainsi que Bayonne ; voire Baigts 40 et Baigts-de-Be´arn 64, mais on croise ici la notion de « bas ».

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Les noms de rivie`res Onna est un radical fort re´pandu, qui entre en suffixe visible dans bien des noms de cours d’eau et de villes de bord de rivie`re, dont la Garonne comme cours des rochers, la Saoˆne et le Rhoˆne, l’Yonne, la Dronne, la Lizonne, ou Divonne, Auxonne, Allonnes, Narbonne, Carcassonne, et d’autres ou` il est bien cache´ comme l’Odet (anc. Odoanna), la Grosne (Gravonna, a` graviers), l’Aisne (Axonna) ; et probablement Dijon, Oloron, The´rouanne ; mais non Brionne, qui fut Breviodurum ou Brivodunum, quelque chose comme le fort du pont. Pour le reste, les noms de rivie`res sont un sujet tre`s dispute´ et plein de zones d’ombre. Plusieurs familles de radicaux ont e´te´ identifie´es et a` peu pre`s ge´ne´ralement admises ; d’autres sont plus douteuses et semblent parfois avoir e´te´ invente´es pour les besoins de la cause. On ignore le sens de la plupart de ces radicaux et les raisons de leurs diffe´rences, car ils sont bien ante´rieurs a` l’e´criture. Tout juste peut-on faire certains rapprochements avec des oronymes, aussi anciens et hypothe´tiques. En outre, des cours un peu longs ont pu avoir plusieurs noms d’amont en aval, et ces noms ont change´ au cours de l’histoire : la Saoˆne a e´te´ nomme´e Arar, l’Yonne Isicauna puis Sequana, l’Oise Isara. Quantite´ d’appellations anciennes ont e´te´ perdues au profit de rebapteˆmes celtiques ou latins : l’Aveyron, le Lot, la Somme, la Vienne, la Creuse, l’Aube, et meˆme la Loire et le Rhoˆne ont des noms relativement re´cents. La racine av- dont nous avons de´ja` vu le rapport avec l’eau semble pre´sente dans les noms de l’Aveyron, l’Ave`ze, l’Avance, les aber bretons et Pont-Aven, l’Avon, l’Aulne. Elle est aussi dans les availles et e´vaille´s qui sont des fosse´s de marais, et les toponymes en Availles. On en rapproche les ax- et as- qui transparaissent dans l’Aisne (Axonna), l’Anse, l’Azergues. L’Aa, les Aigue, Aygue seraient du meˆme groupe. A` une racine atur pre´latine et pre´celtique, apparemment proche du basque iturri et du languedocien teron (source, fontaine) sont attribue´s les noms de l’Adour (en basque Aturri, en latin Aturrus), de l’Eure (Atura), de l’Arroux (Aturauos), de l’Arve (Aturaua), de l’Ye`res et de l’Yerre, probablement de l’Orne (Otorna) et de l’Ourcq (Aturicos), ainsi que l’Aar (Arura) suisse et le premier nom connu de la Saoˆne (Arar). Il est possible qu’atur ne soit qu’une de´rivation d’une racine plus ge´ne´rale ar- qui s’applique aux roches et, de la sorte, a` des lits rocheux : de nombreuses rivie`res sont en Ar-, comme l’Arros, l’Arrats, l’Arie`ge, l’He´rault (Arauris), l’Arc, peut-eˆtre le Gard. Le gar ou kar pour les rochers est juge´ visible dans la Garonne, la Charente (Carantona, une autre Garonne...), le Cher (Caris). D’autres ont vu dans un ur- pre´celtique une racine hydronymique assez ge´ne´rale, mais qui pourrait e´galement eˆtre pre´sente dans la Fontaine d’Eure a` Uze`s 30, dans un ancien nom du Gard (Urae Fontis) et a` Eurre 26 (M. Morvan). M. Urban y joint volontiers les noms d’Urbeis, Urbe`s, Orbey, Urbach qui fut l’ancien nom de Fouday 67 et de Fre´land 68, et que l’on retrouve a` Epping 57 – une autre interpre´tation repose sur ure, l’aurochs (chap. 6). Le basque emploie ur pour l’eau, le Mont Ursuya (Macaye 64) a pour sens « ou` il y a beaucoup d’eau », Urepel a le sens d’eau tie`de, l’Urlo a` Souraı¨de serait une eau dormante, l’Urhandia a` Larrau la grande eau (M. Morvan).

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Une racine is- ou -ic est souvent suppose´e et mise en liaison avec l’eau courante ; elle fonderait les noms de l’Ise`re, de l’Oise (anc. Isara), de l’Izeure, de l’Izaute, peut-eˆtre de l’Iseran et de l’Yzeron ; certains la voient dans l’Yser, l’Yonne (Icauna), ainsi qu’a` Is-sur-Tille ou aux divers Issy ; de meˆme a` Izaut, Izaourt, Izeste. Le gaulois isaros a le sens d’impe´tueux. Tout aussi bre`ve, el- est conside´re´e comme racine hydronymique et se lirait dans l’Ille, l’Isle, l’Ill, l’Allier, l’Elle´ et l’Elez, et meˆme l’Aude (anc. Elita). Une racine en d*r, qui s’exprime notamment par la forme gauloise dubro, a e´te´ particulie`rement riche en hydronymie. On lui rattache les Dore, Doire, Dre´e, Drenne, Dronne, Drouance, Durenque, Druyes, Droue, Dourbie, Dourdou, Douvres, De`vre et sans doute Desvres ; la Durance, la Droˆme et la Dordogne, le Drac ; les Dranse et Doron savoyards ; l’Argentdouble, les Verdouble, Vernobre, Vernazobre. Elle a donne´ en breton dour pour source ou rivie`re : Dourduff, Dourdu c’est l’eau noire, Dourven l’eau blanche. En langue d’oc dourgne, dourg est une cruche et un trou d’eau stagnante ; et Dourgne une bourgade tarnaise. Les noms de rivie`res commenc¸ant par L sont plus proble´matiques. Ils sont nombreux, et peut-eˆtre de familles diffe´rentes. Les Luy et Luz, souvent des torrents rapides aux eaux scintillantes, font penser a` un hydronyme ancien pour des eaux vives et brillantes. Lis, lisse, de´signent encore aujourd’hui dans les Pyre´ne´es des cascades, et les noms en Luz, Lez, Le`ze se rapportent a` des torrents. La Loire et le Loir, Liger en latin, sont d’origine inconnue ; certains ont e´voque´ luto, ou limo, pour des eaux boueuses ; mais l’origine est plus lointaine, soit d’un IE (p)leu pour ce qui coule, ou d’un IE leg de sens voisin. J.-B. Orpustan tend a` voir la boue dans les Luz, Lohitzun en basque ou` lohi est la boue, lohitz un bourbier et Lohitzun la version basque de Saint-Jean-de-Luz. Pour certains, il en serait de meˆme des Lay, Lats, de Lescun 64, Lescuns 31 et Lescar 64, ainsi que pour les Lise et Lison, qui auraient e´te´ en rapport avec la lise, c’est-a`-dire la boue – ce qui est possible en plaine, fort peu probable pour des eaux claires et rapides de montagne. La Lys a e´te´ nomme´e Legia, ou` Billy voit l’IE pleu, couler. H. Le Bourdelle`s avance un ledos, hydronyme gaulois suppose´ mais non ve´rifie´. D’autres analystes postulent un hydronyme plus ancien. Peu discute´ est en revanche le nom de la Marne, qui de´riverait d’un latin mater, la me`re, comme « me`re des rivie`res » par l’interme´diaire d’une Matrona, de´esse des eaux. Il en serait de meˆme pour la Moder et la Mayronnes. Le Rhin, Renos, est rattache´ a` la racine rin, de l’IE rei, couler : il serait tout simplement « celui qui coule », le fleuve par excellence. De son coˆte´, le Rhoˆne, en latin Rhodanus, est interpre´te´ comme rod-onna, cours rapide ou puissant, ou rod-dubno (tre`s profond). Plusieurs rivie`res ont des noms qui semblent en rapport avec le sel (Salat, Sauldre, Saudrune) mais certains spe´cialistes le contestent, sans pour autant toujours proposer une origine plus convaincante, sinon des rivie`res a` saules. Le Lot e´tait jadis l’Olt, ce qui est interpre´te´ comme e´quivalent de haut, alt. Beaucoup d’agglutinations d’articles ont modifie´ les noms : l’Eyre devenant la Leyre, l’Hers le Lhers, mais ceux-ci ont fini par eˆtre rectifie´s ; ce n’est pas le cas de quelques autres, dont la Langladure, affluent de la Maulde en Limousin, voire le Lemboulas, affluent du Tarn, ou le Layaon, ancien Ara puis Arayon. La liste des autres racines possibles est interminable, et peu assure´e. Seine et Saoˆne, toutes deux en latin Sequana, sont parfois rapporte´es a` un seikw ou seg qui aurait le

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sens de sacre´, fleuve sacre´ ; l’Yonne a porte´ un temps ce nom, car en amont de Montereau nul n’a jamais bien su quelle est la « vraie » branche supe´rieure du fleuve de Paris, le de´bit de l’Yonne y e´tant supe´rieur a` celui de la Haute Seine. Un hydronyme appa suppose´ protoceltique serait a` l’origine d’Eppe-Sauvage et sa rivie`re l’Helpe, d’Annappes (Asenappio en 845) a` Villeneuve-d’Ascq, Gue´mappe 62, Gamaches 80 (anc. Gamapium). Des sar- et sav- ont e´te´ propose´s comme hydronymes sur lesquels auraient e´te´ forme´s les Sarre et Sarthe d’un coˆte´, les Save et Se`vre, Se´veraisse de l’autre ; ce qui ne fait pas plus avancer que les cora dont viendraient Cure et Corre`ze, un tar d’ou` sortiraient Tarn, Tarnon et Ternoise (peut-eˆtre en rapport avec atur et teron), un vig ou veg pour la Vienne, la Vie`re et la Voire, un vis ou ves pour la Vis (et Vissec, en aval de la perte de la Vis), la Ve´ze`re – ainsi que la Weser et la Vistule ; Wizernes est cense´ avoir la meˆme origine. De toute fac¸on, le sens e´ventuel de ces de´buts de mots n’est pas connu, ni le rapport entre un vis et un is ou ic de´ja` mentionne´s. Une famille de toponymes et hydronymes surabondante mais encore discute´e semble indubitablement lie´e a` l’e´coulement des eaux. La forme de base est voire, qui se lit aussi vaure, vabre ou voivre selon les re´gions. Elle serait issue d’un gaulois wo-bero, qui a localement e´volue´ vers va-bero et qui aurait de´signe´ un ruisseau plus ou moins cache´, e´ventuellement sa source et son couvert. On le compare a` un vieil irlandais fobar, source, ruisseau souterrain ou encaisse´, puits. Il n’est pas impossible que la boire comme ruisseau des fonds de valle´e du bassin de la Loire ait la meˆme origine. De la sorte, ces noms parfois attache´s a` des espaces humides et couverts, comme la Woe¨vre, et tire´s par certains commentateurs vers les marais, voire les terrains broussailleux et incultes ; mais ils peuvent ailleurs eˆtre plutoˆt associe´s a` l’ide´e de ravinement, de valle´e encaisse´e comme dans les vaures et vabres du Midi. On pourrait e´ventuellement penser a` deux origines distinctes, mais l’hypothe`se n’en a pas e´te´ se´rieusement construite. Il existe des centaines de Vaure, Vaure´, Lavaur (dont Lavaur 24 et Lavaur 81), Vabre (dont Vabre 81, Vabres 15), Voire et Voire´ (dont Voires 25), Voivre, Vaour 81. La famille semble comprendre des Vaour, Vaou, Vaoure, Vauvres, Valabre (Provence), Vesvres, la Vavre (seize dans le seul de´partement de l’Ain, principalement dans des fonds de petites valle´es), la Vaivre (une douzaine dans le seul Doubs, plusieurs en Haute-Saoˆne dont une commune), Voivres, Vavray, Vavril, Vorey 43, VeureyVoroise 38, Ve`vre, Vesvres et peut-eˆtre aussi les Vouvray. Les Voivre sont nombreux de la Lorraine au Jura, dont huit en Haute-Marne. La Woe¨vre est un pays de foreˆts a` nombreux ruisseaux, les NL en Woe¨vre fourmillant dans la Meuse et alentour. Glonville 54 juxtapose la Voivre et Malgre´ Voivre a` l’ore´e de ses bois. Wavrans 62 serait de la famille, ainsi que les Vaureilles (plus d’une vingtaine) et Vaurelle. Les Woe¨vres Greˆles sont un lieu-dit de Lagesse 10 sur un versant de craie, l’Aube ayant e´galement la Voivre´e a` July-sur-Sarce sur un versant, la Woevre a` Auxon en fond de valle´e, Voivres a` Chamoy en bordure de foreˆt. Il est possible d’en rapprocher au moins certains Gabre et le Gabre, nombreux dans les Alpes du Sud comme vallons encaisse´s, dont le Vallon du Gabre a` Fayence 83, et peut-eˆtre des toponymes comme Gauriac, les Gauries, les Gauriers, la Gaurie`re. En revanche, vaure, vabre, voire et voivre n’ont aucun rapport avec la Vouivre en de´pit

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de certains commentaires locaux, celle-ci e´tant en relation e´tymologique et symbolique avec le serpent (la vipe`re, latin vipera), devenu guivre en blason.

Ravins et torrents Les vallons un peu raides ou` de´valent les eaux en arrachant a` l’occasion sols et pierres se nomment ravins. Le terme vient du latin rapere, emporter, arracher, emmener avec soi, de l’IE rep (enlever, arracher) dont viennent aussi ravir, rapt et rapide. Il prend la forme ravine, roubine et roue`re en pays d’oc ; parfois lavine, qui est de la famille de lave et avalanche : un e´coulement ou glissement sur une forte pente. On trouve e´videmment des Ravin Blanc et Ravin Rouge, des Ravins du Puy (Entrages 04) et du Peu (Lalleyriat 01). Un robin est un petit ravin dans les Vosges et les Ardennes : le Robin a` Raon-l’E´tape 88 et a` E´tre´pigny 08 ; mais le mot peut avoir ailleurs de tout autres sens, surtout comme NP et sobriquet railleur d’homme de robe. En revanche, les formes roue`re, roye`re, rouye`re qui s’appliquent parfois a` des ravins ou des rigoles semblent plutoˆt de la famille de raie au sens de sillon (le celte rica en fut une version) et se distinguent mal des diffe´rentes de´nominations de champs lie´es aux labours (chap. 6). Un e´quivalent de ravin est barenc, barranc qui, comme le barranco espagnol, est d’origine inconnue, parfois suppose´e basco-vasconne, voire en rapport avec le barr pre´celtique comme escarpement – mais barenc peut eˆtre simplement l’e´quivalent de ravin avec permutation (classique) du r et du v devenu b. Localement, barrenc a aussi le sens de gouffre, aven : ainsi du Barrenc de la Neu a` Salvezines et du Barrenc de Villegause a` Caunes-Minervois dans l’Aude, du Barranc dels Cavalls (des chevaux) a` Vingrau 66, du Barran de la Mousque d’Aze (de la mouche d’aˆne) a` Paziols 11. On trouve un Lac de Barrenc a` Rennes-les-Bains 11 sur la Montagne des Cornes, un Barrenkia a` Barcus 64, els Barrencs a` Calce 66 sur un versant tre`s ravine´, els Barrencs et Barranco´ a` Vingrau, la Barrencade a` Puivert et la Barrencada au Clat 11, Barencou a` Aunat 11 et Barrancoue´ou 65. Baren, Barren sont de la meˆme famille. Cave´e, chave´e de´signe dans le Bassin Parisien, outre un chemin creux (chap. 2), un vallon encaisse´. Le terme est de la famille de cave et caverne (IE keue, trou). Vouille´ 86 et Veuilly 02 seraient issus d’un vo-cladum signalant une valle´e profonde, du gaulois clado, fosse´ ou tranche´e, issu de l’IE kel, trancher ; une vingtaine de noms commencent par Clad-, mais ils sont plutoˆt rapporte´s a` la cloˆture (v. claie, cle`de). Certains cours d’eau, rapides et a` forte pente, sont qualifie´s de torrents. Ce terme luimeˆme a un coˆte´ paradoxal : il vient de torrere, desse´cher (comme dans torre´fier), issu d’un IE ters qui a le sens de sec et asse´cher, et d’ou` proviennent tout ensemble la terre, le terrain, torride et meˆme le toast. C’est le meˆme proble`me que pour l’aestus et l’estuaire ou l’e´tier : le bouillonnement des eaux rapporte´ a` ce qui bruˆle. Le Torrent, les Torrents, Torrents existent comme toponymes, notamment du coˆte´ catalan – mais la confusion est possible avec la tour. Beaucoup de ces torrents ont rec¸u des noms de famille, presque devenus des noms communs, diffe´rents d’une re´gion a` l’autre. Les Rupt dans les Vosges, les Nant en

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Savoie, signale´s plus haut, sont le plus souvent des torrents. Tel est le cas, d’apre`s la racine d*r de´ja` note´e, des dranses et des dorons des Alpes savoyardes, diffe´rencie´s par des noms de villages et de valle´es : Dranse d’Abondance ou de Morzine, Doron de Beaufort, de Bozel, de Belleville, de Pralognan. Un autre terme en Rhoˆne-Alpes est suran ou furan, dont l’e´tymologie reste obscure mais auxquels se rapportent le Furens, le Foron et donc La Roche-sur-Foron, le Suran et probablement la Valserine. Morge et morgon sont aussi des noms re´gionaux de torrents, mais dont le sens semble lie´ a` celui de limite : des rivie`res marquant une frontie`re ? R. Luft rappelle que l’on nomme en Savoie tabut, tabuche´, tabuc, un petit torrent de glacier ; le terme viendrait de tabescere, fondre : le Tabuchet a` La Grave 05, Le Grand Tabuc au Moneˆtier-les-Bains 05, le Tabut a` Valloire 73, etc. Dans les Pyre´ne´es, neste et gave sont presque des noms communs, et e´quivalents, d’origine tre`s lointaine. Ils de´signent des torrents, identifie´s en ge´ne´ral par un nom de valle´e ou de ville : Gave de Pau ou d’Oloron, Neste d’Aure ou Neste d’Ooˆ. Gave peut probablement eˆtre rapporte´ a` la gorge, gab, et s’associe a` d’autres toponymes et hydronymes voisins comme Gabas, Gabat (dont Gabat 64), Gaube, Gavarnie 65. Le glacier et le pic des Gabie´tous a` Gavarnie, le pic de Gabie´dou a` Ge`dre se re´fe`rent a` de petits gaves (gabet). La Neste a ses de´rive´s, comme Nestier, Nestalas et Nistos dans les Hautes-Pyre´ne´es, mais le sens du mot se perd dans la nuit des origines. Dans les Ce´vennes, plusieurs torrents portent le nom de gardon et se re´unissent successivement pour former le Gard ; le terme semble pourvoir eˆtre rapporte´ a` la racine pre´celtique vara, eau ou rive, peut-eˆtre pre´sente aussi dans le Var. Un hydronyme re´pandu est la couze, d’origine inconnue et suppose´e pre´-IE, peuteˆtre en rapport avec une racine cos pour rocher, qui aurait permis de de´signer des rivie`res coulant sur des lits rocheux. Sur elle sont forme´es les Couze nombreuses en Auvergne, Cousance, Coise, Cousin, Cuse, le Couesnon. On peut leur ajouter la Coole en Champagne, jadis Cosla ; et les toponymes Coisevaux 70, Couzon (dont Couzon 03), Couzeix 87 ; Gouze et Gouzon, voire Gouzens 32 ; peut-eˆtre Cozes 17 ; la Courance avec attraction de cours, courir ; et Courances 91. Rayol, toponyme me´ridional, semble aussi lie´ aux e´coulements torrentiels : rajal est un jet d’eau, un courant fort et a aussi la forme Rag, Ratch (a` Montferrier 09). On trouve une vingtaine de Rayol dans le Var, une Font (source) du Rayol a` Issanlas, un Rayol jusqu’aupre`s des sources de la Loire, a` Saint-Martial 07.

Le cours des eaux Si l’eau courante est a` l’origine d’une foison de toponymes, les formes de son contenant n’en manquent pas non plus. Le lit est la partie mouille´e par la rivie`re, de fac¸on variable selon les saisons. Il comprend des hauts-fonds (ou seuils) et des bas fonds (ou mouilles), eux-meˆmes mobiles selon les e´volutions de la nappe alluviale, fixes dans les rivie`res a` lit rocheux. Cela ne donne gue`re lieu a` toponymes, sauf tre`s localement et au niveau cadastral, en particulier pour des barrages naturels tels que les encombres et restanques. Les ge´ographes ont importe´ l’allemand talweg (chemin de la valle´e) pour de´signer le creux du lit, la ligne des plus basses altitudes ; la seule

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occurrence toponymique est a` Turckheim 68, avec un Links am Talweg et un Rechts am Talweg (a` gauche et a` droite du talweg), d’ailleurs paradoxaux, a` moins de regarder vers l’amont. La rive se confond souvent avec la rivie`re dans les noms de lieux, mais certains toponymes, comme Rive-de-Gier 42, Rive Charmante a` Noisy-le-Grand, Rivarennes 37 (ripa+arena, rive sableuse), sont sans ambiguı¨te´. La berge a une e´tymologie discute´e, possiblement en rapport avec berg et l’ide´e de hauteur ; quelques noms en Barges ou Bargas semblent lui eˆtre lie´s et de nombreux lieux-dits les Berges, les Hautes Berges (Brie´non-sur-Armanc¸on 89), les Grandes Berges a` Beaune, les Berges de l’Iton a` Breteuil 27, les Berges de Garonne a` Be`gles, etc. Rive et rivage ont la meˆme origine, le latin ripa ; celui-ci est rapporte´ a` l’IE rei, couper, de´chirer : il de´crit la se´paration entre terre et eau, une interface en quelque sorte. Rivie`re, ruisseau et ruˆ, sans doute rupt, en de´rivent, ainsi d’ailleurs que le rift, cassure de l’e´corce terrestre. C’est dire que la toponymie en est remplie, sans que l’on sache ce qui est de´signe´, de la rive ou de la rivie`re. Plus de quarante communes sont en Rive ou Rivie`re, Auterive ou Hauterive, avec Rivesaltes 66 et Les Hautes-Rivie`res 08, La Rivie`re-Enverse 74 qui est au pied d’un versant d’ubac (envers). Rivie`re de´signe souvent aussi la plaine alluviale, comme la plaine de Rivie`re garonnaise en amont de Saint-Gaudens, ou la Rivie`re d’Adour en plaine (cf. Castelnau-Rivie`re-Basse 65, Rivie`re a` Riscle 32, Ge´e-Rivie`re 32), ainsi que ribe´ral en pays catalan, a` la fois terme ge´ne´rique pour la plaine alluviale irrigue´e, et source de lieux-dits le ou el Riberal comme a` Trouillas, Conat ou ou Espira-de-Conflent 66, et dans une dizaine d’autres communes. Ribe´rac 24 semble eˆtre de la famille, les Ribeyre sont communs en pays d’oc, dont un Ribeyret 05. Toute une se´rie de formes apparente´es comprend, a` la fois pour des cours d’eau et des lieux-dits, des Ru, Rieu, Riou, Rio, Ruau, Riaille ; plus des Riu, Rec, Rech et Arrech coˆte´ catalan ; Arrieu, Arrigau, Arrouil, Arricau et Arrec coˆte´ gascon ; Arriu et Arrieu en Be´arn ; Ruz, Ruez et Rupt dans le Jura, les Vosges, la Lorraine ; Riot et Riau dans le Nord ; voire Reuse et Ruse dans le Nord-Ouest, Rif en Auvergne et dans les Alpes : on note deux Rif Tord a` Cervie`res et Ne´vache 05, deux Rif Claret a` Brianc¸on et Mongardin 05 et un Rio Claret a` Chorges 05, un hameau Rif Clar a` SaintAnde´ol 38, et un Rif Bruyant a` Lavaldens 38 assorti d’un lac de meˆme nom. Une autre racine gauloise am-, amb- reste aussi... ambigue¨ car elle correspondrait tantoˆt a` l’ide´e de rivie`re, tantoˆt a` celle de bordure et donc, ici, de rive. Re´pute´e celte, elle semble se trouver dans les noms de l’Amance, l’Ambias, le Lambon, ainsi que des habitats tels qu’Amboise 37 (ex-Ambatia comme la petite Amasse qui y conflue avec la Loire), Ambialet 81, Ambe`s 33, Ambon 56, et sans doute Ambert (amb+ritu le gue´). Peut-eˆtre y a-t-il quelque lien avec amnis, employe´ en latin pour de´signer un cours d’eau, sans doute issu de la base IE ab, av- de´signant l’eau (et dont vient aussi « amniotique »). Le terme semble apparaıˆtre de fac¸on indirecte, mais fre´quente, dans les Entrammes, Entrains et Entraunes (entre deux cours d’eau, inter amnes) de´crivant des confluents. On peut s’interroger sur Amne´ville, au bord de la Moselle et dote´ de thermes, dont le nom est le plus souvent rapporte´ a` un hypothe´tique et changeant NP germanique. Nous verrons qu’angle et anglade sont lie´s aussi aux bords d’eaux, mais avec les pre´s (chap. 6).

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Une racine vara semble e´troitement associe´e a` l’eau courante ou a` sa rive, et aurait donne´ les Vayres ou Vaires (M. Mulon), la Vare`ze, Ve´retz en Touraine (S. Gendron) et le petit pays de Ve´ron entre Loire et Vienne juste en amont de leur confluent ; et peut-eˆtre d’ailleurs aussi les varennes, plaines riveraines, ainsi que les varaignes charentaises, par ou` communiquent avec la mer les e´tiers des marais salants ; sinon les vaures et voivres. Mais son origine est discute´e : pre´celtique et peut-eˆtre ibe´rique dans le Var et les Gardons, ou de l’IE wed comme l’eau en anglais, allemand et slave (water, wasser, voda), l’hydro grec et l’unda (onde) latine, et meˆme l’hiver en anglais, winter, en tant que saison des pluies. Il est vrai que l’un a pu re´cupe´rer l’autre. Le germanique a employe´ werd, woerth pour les bords d’eau, voire pour des ıˆles alluviales : telle serait l’origine de Woerth 67 et d’une quinzaine de lieux-dits alsaciens dont incontestablement Nieder Woerth a` Neuhaeusel au bord du Rhin, voire son voisin Lang Werb, et sans doute Woerth a` Seltz, a` Ebermunster, etc. La relation avec vara est possible, mais non e´tablie. Un gaulois glanna a e´te´ identifie´ comme e´quivalent de berge et serait a` l’origine de Glannes 51, Glaignes 60, Glennes 02, Glux-en-Glenne 58 a` la source de l’Yonne, Glande`ves a` Entrevaux 04, Gland 02, Gland 89, Glandage 26, Glandon 87, le Col du Glandon a` Saint-Colomban-des-Villards 73 et la Glane, le Gland et le Glandon comme rivie`res. Ses relations avec le celtique glen pour valle´e et un autre gaulois glano qui aurait eu le sens de clair, limpide, ne sont pas assure´es. Les risques de confusion avec des toponymes issus des Glane et Glande´e comme ramassage de restes de ve´ge´taux rendent de´licates les analyses. Quand la rive s’e´le`ve et devient paroi, la rivie`re coule en gorge. Le terme vient du radical gwere, avaler, gober, qui a donne´ aussi vorace. Il semble avoir toujours eu un double sens d’anatomie humaine et de dispositifs naturels ; il a pu passer par le latin gurga, qui de´signait aussi gouffre, abıˆme, tourbillon. Tre`s productif de toponymes, il se traduit non seulement par de nombreuses « Gorges de » attache´es aux rivie`res, mais aussi par toponymes en Gorges, Gourgue, Gargas. Il prend des formes locales en gargante : la Gargante a` Ve`bre 09 ou Arrens-Marsous 65, deux Col de la Gargante a` Comus 11 et Montse´gur 09, Gargade a` Aragnouet 65, Gargantan a` Ge`dre et a` Argele`s-Gazost 65. Garganvillar 82, Gargilesse-Dampierre 36 peuvent aussi eˆtre e´voque´s, et d’autres de´rive´s, jusqu’a` Carcanie`res 09. X. Delamarre nous dit cependant qu’un gargo gaulois aurait eu le sens de sauvage ; il est vrai que ce n’est pas incompatible avec l’aspect ge´ne´ral des gorges – les noms en Gargantua, qui sont plusieurs dizaines, doivent probablement tout a` Rabelais. Les gourgs et gours me´ridionaux de´signent des trous d’eau ou des gouffres, parfois des grottes, voire des cascades ou des e´tangs. Ils ont peut-eˆtre une autre e´tymologie, parfois conside´re´e comme pre´-IE, mais les formes lexicales et naturelles font aise´ment passer des uns aux autres dans une commune de´signation des profondeurs ou` les eaux s’avalent et de´valent. Les formes gourgue, gorga, gourp sont e´quivalentes. Les Gourgs Blancs a` Loudenvielle 65 de´signent une haute valle´e glaciaire parseme´e de lacs et domine´e par le pic des Gourgs Blancs a` la frontie`re d’Espagne. A` Bruniquel 82, Gourp est au de´bouche´ d’un vallon dans le Tarn, Goulp une ferme au bord d’un e´tang. Le Gour de Tazenat a` Charbonnie`res-les-Vieilles 63 est un crate`re d’effondrement muni d’un superbe lac rond, profond de 68 m. Gour de Conque

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a` Serviers-et-Labaume 30 est une vasque d’eau au de´bouche´ d’un de´file´ de la rivie`re des Seynes. Le Tarn a quatre le Gourg et un Gourgoul, plusieurs les Gourgs, Gourgue, la Gourgue. La Cadie`re-et-Cambo 30 juxtapose des lieux-dits les Gourgs et les Avens. Mais gour peut aussi ne de´signer qu’un fond humide, comme le Gour de Se´nat a` Saint-Maurice-de-Cazevieille 30 ou le Gour de Marnaud a` Chaˆteaubeuf-surIse`re 26. A` Marseillan 34, le Gourg de Maldormir est un petit plan d’eau annexe de l’e´tang de Thau, et Gorgue est un lieu-dit de Se`te sur le lido du meˆme e´tang. Le terme est proche de goule et les deux apparaissent souvent e´quivalents. Goule est le meˆme mot que gueule (latin gula, du meˆme e´tymon IE que la gorge), et a eu le sens de source dans Les Goulles 21 et divers Goulaine selon G. Taverdet. Ici s’ouvre une famille abondante de noms, ou` se meˆlent les notions de source, de ruisseau et meˆme de vallon, voire d’e´tang profond – jusqu’a` devenir synonyme d’abıˆme comme a` la Goule de Marcenac a` Cabrerets 46. Y figurent quantite´ de Goulot en Vende´e, en Lorraine, en Bourgogne, des Goulet comme a` He`ches 65, des Goulotte tre`s abondants dans le Doubs, les Vosges, l’Yonne, des Golet et Gollet dans le Jura et l’Ain, des Gueule pour des vallons en Othe pre`s de Troyes, des Guelle et Guiole en Auvergne et alentour, comme Laguiole a` La Couvertoirade 12 au-dessus d’un cirque, Laguiole a` Belmont-sur-Rance 12 pour un profond vallon – mais Laguiole 12 est attribue´ a` une petite e´glise. On trouve aussi des Guiols en Provence, Gola en Corse, et meˆme le Cuel (Chame´ane 63, Champagnac-le-Jeune 63), ainsi que des Laguelle (a` Bars 24, Saint-Bonnet-pre`s-Riom 63) ; voire Gueule d’Enfer a` Martigues 13, a` la limite de la raffinerie de pe´trole... Courgoul 63 est de la famille, et le village est situe´ dans une gorge de la Couze. Plusieurs e´tangs sont nomme´s Goule. Tracone, travone ont le sens de gorge en Corse, dans Stragonato et probablement Travi, Travo, Travolo, que J. Chiorboli estime e´voquer e´ventuellement l’ide´e de dragon. Le terme espagnol can˜on, pour de´signer une valle´e tre`s profonde´ment encaisse´e en gorge, est de la famille de canne, canal ; ge´ne´ralise´ par les ge´ographes sous la forme ame´ricanise´e canyon, il est d’un emploi re´cent en toponymie mais soutenu par la promotion touristique ; l’IGN en recense neuf mentions, dont deux Grand Canyon (gorges du Verdon), le Canyon de Dieuvaille a` Saint-Jean-de-Minervois 34, un Canyon des Gueulards au Chaffal 26, voire un Canyon des Erges a` SaintAnde´ol 38 en Vercors, pourtant peu profond. Ezter en basque est une gorge, comme dans Esterenc¸uby (le pont de la gorge) ou` coule l’Esterenguibel ; certains en rapprochent le massif de l’Este´rel. Le basque emploie aussi arrola, comme a` Arrolate´guia (la creˆte de la gorge) a` Irissary ou Arrolae´ne´a a` Este´renc¸uby, peut-eˆtre parent d’arrouil. La` ou` le relief est accidente´, les lits de cours d’eau le sont aussi et les eaux franchissent des barres rocheuses. On parle de chute, saut, cascade quand c’est en tombant ; les termes sont e´quivalents ; le mot cataracte n’est pas employe´ en France. On parle de rapides quand il s’agit d’une simple acce´le´ration du flux parmi les rochers. Les toponymes en Rapide sont une vingtaine en Arde`che, dont un Rapide du Grand Gour a` Saint-Re´me`ze et un des Trois Eaux a` Vallon-Pont-d’Arc. Aigue`ze 30 se signale par cinq lieux-dits Rapide de Sauze, du Noyer, d’Aigue`ze, du Grain de Sel et

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du Resquilladou sur l’Arde`che. Plusieurs sont nomme´s en Guyane : Rapides des Sept Iˆlets a` Sau¨l, Rapides Abattis Kotika a` Papaichton, etc. Les toponymes en Chute sont peu nombreux et parfois douteux : la Chute des Eaux est un lotissement re´cent dans les marais de la Vesle a` Prouilly 51, la Chute Blanche un simple versant traverse´ par une ancienne voie romaine au-dessus de Pre´gilbert 89 ; du moins les Chutes du Carbet et du Galion en Guadeloupe correspondent-elles bien a` des cascades. Le Saut est plus re´pandu, de l’Arde`che a` la Guyane, comme le Saut du Doubs a` Villers-le-Lac 25, le Saut des Rouis a` Durfort 81, le Saut du Bau a` Rougon 04, le Salt de l’Aiga a` Maureilas-les-Illas 66, le Saut d’Eau du Matouba a` Saint-Claude 971, le Saut Sec a` Maripasoula 973 et les Saut no1 et no2 a` Re´gina 973 ; mais il a pour homonyme une e´vocation du saltus et peut de´signer aussi un simple escarpement, surtout sous la forme de Saut du Loup, Saut du Bouc, le Saut du Moine a` Jarrie 38 ou son synonyme le Salt del Monjo a` Codalet 66, voire le fameux Saut du Procureur d’Arras-en-Lavedan de´ja` e´voque´. Cascade est plus pre´cis, et assorti de divers comple´ments : Cascade Verte a` E´chevis 26, Cascade du Ray a` Belve´de`re 06 et du Say a` Gelles 63, Cascades Voltaire a` Saint-Laurent-du-Maroni 973, Cascade De´lice a` Sainte-Suzanne et Cascade Pissa a` Cilaos (Re´union), Cascade du Pich a` Allos 04. En ve´rite´, comme l’indiquent ces deux derniers noms redondants, bien plus de toponymes lie´s a` une chute d’eau viennent d’une me´taphore familie`re : la pisse. Le terme, connu en latin, est conside´re´ comme d’origine imitative : ce qui s’e´coule avec un certain bruit. Il en existe de nombreux de´rive´s en Pissette, Pissotte, Piche, Pitch, etc. La Pissoire a` Plan-de-Baix 26 est une cascade en amont de la Chute de la Druise ; on trouve la Pissotie`re a` Saint-Cyr-du-Dore 17, la source de Pisse-Loup a` Chasselay 38, la Pisselotte comme source aux Grandes-Armoises 08, Pissefontaine a` Triel-sur-Seine, deux Clot des Piches a` Castillon-de-Larboust 31 et aux Bordessur-Lez 09, un Pic et une Montagne des Spijeoles (ou d’Espigeoles) a` 0oˆ 31. Mais la vingtaine de Pisse-Vache ou Pissevache, les Pisse-Renard et d’autres Pisseloup sont plutoˆt apparente´s aux Gratteloup e´voquant des terres e´loigne´es du village, tandis que les Pissevin, Pisse-en-Pot a` Saint-Ambroix 18, qui correspond au versant d’un simple vallon, Pissevide a` Salives 21, Pissevieille a` La Celle-Conde´ 18 peuvent avoir eu un sens tout aussi figure´ de sobriquets.

Les lits et les rives Les lits rocheux sont orne´s de cavite´s, d’aspe´rite´s et de conduits. Les premie`res, quand elles sont arrondies par les eaux tourbillonnantes, sont me´taphoriquement nomme´es marmites de ge´ants, oules ou chaudrons. Marmite de Ge´ant existe comme toponyme a` Saint-Germain-de-Joux 01 et Saint-Paul-sur-Ubaye 05, les Marmites du Diable a` La Faurie 05 ; on note plusieurs dizaines de mentions des Oules, comme les Oules a` Lantosque 06, le torrent (ou canyon) des Oules a` Freissinie`res 05, les Oules du Diable a` La Chapelle-en-Valgaudemar 05 ou les Oules des Baumes a` Champole´on 05. Les Oules de la Valserine a` Bellegarde-sur-Valserine 01 et le Pont des Oules sont ce´le`bres, associe´s a` une perte de la rivie`re et proches d’une grotte de Bramabœuf.

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Il n’est pas impossible qu’oule et son diminutif oulette puissent localement re´sulter d’un glissement de oueil a` oule au sens de marmite, cavite´, comme a` Cauterets les Oulettes de Gaube (avec Pic, Col et Glacier des Oulettes), les Petites Oulettes ; un peu plus bas, le lac des Oulettes d’Estom-Soubiran dans une autre valle´e ; le ruisseau des Oulettes (d’Ossoue) est proche mais dans une troisie`me valle´e a` Gavarnie. On trouve aussi l’Ouletta a` Montferrer 66, des Oulettes dans l’He´rault, l’Oulettaz au Reposoir 74. On remarque en outre l’existence de plusieurs Gour ou Gourg de l’Oule qui semblent redondants, a` Lagorce 07, Ge´menos 13, Valjouffrey 38, Villelongued’Aude 11 ou` il de´signe un profond vallon, et meˆme un Gourd de l’Oule a` Conqueyrac 30, un Gourg de las Oulos a` Montre´al 11 qui est note´ comme « cascade », un Gour de la Sompe a` Lagorce 07 comme trou d’eau, Gourg dal Oulo a` Villane`re 11, Gourg de l’Olla a` Casteil 66. Dans le Sud-Ouest, on nomme estanque ou estanquet un trou d’eau derrie`re un barrage naturel ou artificiel, lui-meˆme souvent nomme´ restanque : ces mots viennent de la racine sta, comme d’ailleurs l’e´tang, et de´signent ce qui est la`, ce qui reste la`. Les Pre´s de l’Estanque a` Saint-Marcet 31, l’Estanque a` La Pomare`de 11, Mirande 32 ou Maze`res 09, l’Estanquet a` Geu 65, la Restanque a` Mijane`s 09 sont tous en fond de valle´e ou de vallon. Au total, ces mots forment plusieurs dizaines de toponymes. Le gaulois comberos est suppose´ avoir signale´ des lieux de barrages naturels (comme ce qui encombre) et eˆtre a` l’origine de noms comme Combres, Combret, Combray, Combreux, Combroux, Combre´e 49, Combrit 29, Combronde 63, Encombres et Encombrettes. Le torrent des Encombres descend du Grand Perron des Encombres et du Col des Encombres a` Saint-Martin-de-Belleville. Certains de ces noms sont associe´s a` des confluents. En plaine et sur alluvions, le cours peut se diviser en bras ou chenaux. Les bras dits « morts », quoique e´ventuellement ravive´s en temps de crue, sont nomme´s loˆne, losne ou laune dans le bassin du Rhoˆne : Losne et Saint-Jean-de-Losne sur la Saoˆne, une Loˆne des Joncs a` Pierrelatte 26, une vingtaine de la Loˆne ; ils conservent souvent des e´tangs e´tire´s en forme de croissant, te´moins d’anciennes sinuosite´s de la rivie`re. Bien que son emploi soit limite´ au Sud-Est, le terme est re´pute´ venir d’un germanique lunho pour fosse´ rempli d’eau, ou norrois loˆn pour e´tang. On emploie le terme de boire dans le val de Loire, qui s’applique aussi au cours des ruisseaux qui drainent les versants et plateaux encaissants et coulent longtemps paralle`les au fleuve. La Boire existe en une vingtaine d’exemplaires dans la base IGN, du Cher au Morbihan ; Boire-Courant est un hameau de rive gauche de la Loire a` Saint-Julien-de-Concelles 44 et Oudon, sur la rive droite, a une Boire Noire ; Berthenay 37 a une Boire de l’Aulne et une Boire aux Bœufs, et Candes-SaintMartin 37 un lieu-dit Boire des Trois-E´veˆche´s. L’origine du nom est inde´cise mais pourrait avoir un rapport avec voire, vaure, tre`s re´pandus ailleurs. Noire, noyre semblent avoir eu le meˆme sens dans le Jura. Telle serait l’origine de Petit-Noir 39 sur le Doubs, dont le nom fut e´crit Nores et Noire. Son territoire est traverse´ par les fonds humides des anciens me´andres du Vieux Doubs prolonge´s a` l’ouest par la Morte des Me´rats ; un peu au nord est le lieu-dit la Noire, prolongeant la Fin de Noir (Longwy-sur-le-Doubs) le long d’un petit ruisseau. Asnans-Beau-

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voisin, sur l’autre rive, a un Creux Noir, croissant d’eau d’un ancien me´andre. PetitNoir voisine a` l’ouest est Annoire. On trouve aussi la Morte a` Sermesse 71, pour un ancien chenal du Doubs : morte a ici le sens de rivie`re morte. D’anciens chenaux ou bras abandonne´s portent le nom de Raie dans la plaine de la Saoˆne : Raie du Grand Meix a` Charnay-le`s-Chalon 71, Raie de la Cosse a` Longepierre 71, la Raye a` Lanthes 7l. Canal et chenal de´signent aussi bien des bras changeants que des rigoles permanentes de plaine alluviale et sont tre`s re´pandus parmi les noms de cours d’eau et de lieux, mais aussi toutes sortes de couloirs et jusqu’a` des communes comme Canals 82, Canale-di-Verde en Corse ou` Canale de´signe les gorges de l’Alistro, Pila-Canale ou` Pila serait une auge, Canaules-et-Argentie`res 30, des lieux-dits comme la Canau de Troumouse a` Ge`dreu (un ravin), Canaule, Canaulet et Canavelle – et un risque de confusion avec des chenevie`res (Canave`re). L’ancien franc¸ais employait bied pour le lit d’un cours d’eau. Il est attribue´ au gaulois bedo, au sens de creux, creuser. Des rivie`res comme le Bez, le Bled, en tirent aussi leur nom. Plusieurs dizaines de lieux-dits sont nomme´s le Bief, notamment dans des plaines alluviales, comme le Bief a` Senozan 71 ou le Bief a` jessains 10, le Bief des Rasses a` La Cluse-et-Mijoux 25. Un Be´al Noir est a` Rosans 05, le Be´al a` Viole`s 84, le Fondis de l’Abe´e a` Brion 86, la Biesse a` Dontreix 23 avec e´tang et moulin, le Bied a` Saint-Cyr-en-Val 45 et Sur le Bied a` Cherrueix 35, le Bief des Juifs a` Saint-Aubin 35. Bief est tre`s employe´ en Bresse, comme le Bief de Charbonneau a` Ciel 71, le Bief de la Bruye`re a` Saint-Martin-en-Bresse 71, le Bief du Creux a` Ouroux-sur-Saoˆne 71, le Bief de l’E´tang de Noisy a` Ve´rissey 71. Le terme auge, transparent dans Ugine 73, de´crit moins la forme de la valle´e que la simple pre´sence d’eau, aqua ; il s’est surtout applique´ a` des biefs ame´nage´s. Les de´poˆts alluviaux qui se´parent les voies d’eau sont des laisses, nomme´es brotteaux ou bre´tillods en pays rhodanien quand ils sont pourvus de ve´ge´tation buissonnante. Le seul de´partement de l’Ain a une douzaine de lieux-dits les Brotteaux, celui du Rhoˆne cinq ; des ıˆles des Brotteaux sont a` Peyrieu 01, Caderousse 84, Saint-E´tienne-desSorts 30. Les ıˆles deviennent des iscles en val de Rhoˆne ; les Alpes-de-Haute-Provence et les Hautes-Alpes totalisent plus de vingt l’Iscle ; on en trouve sur la Durance a` Pertuis et a` Cadenet 84. Beaucoup d’entre elles sont de fausses ıˆles, rattache´es d’un coˆte´ a` la rive, ou a` peine se´pare´es de la rive par un ancien chenal. D’autres de´rive´s d’ıˆle comme ilon, ilion existent aussi pour d’anciennes ıˆles fluviales en Bourgogne et Franche-Comte´, dont l’Ilon des Essarts a` Lays-sur-le-Doubs 71, le Grand et le Petit Ilon a` Annoire 39, les Ilons a` Chaussin 39, l’Ilion a` Molay 39, l’Ilion du Bas a` Champdivers 39, les Iletons et l’Ilotte a` Dole 39. Dans l’Ouest et notamment le long de la Loire, on nomme montils ou montilles des bancs alluviaux ou des enrochements de´passant le´ge`rement le niveau des crues ; on trouve quelques noms en Montille et Montillet, les Montils a` Larc¸ay ou a` SaintGenouph 37, Les Montils 41. Il s’en trouve aussi sur les bas rivages me´diterrane´ens comme les Montilles de Beauduc ou le Clos de la Montille en Camargue, les Montilles sur la plage de Valras 34, et une « montille haute » s’e´levant a` 4 m, Muntinya Alta a` Saint-Nazaire 66.

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Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France

Parfois les eaux courantes disparaissent en s’engouffrant dans la roche ou en coulant sous leurs alluvions. On dit alors qu’elles se « perdent », d’ou` la Perte de l’Ain a` Sirod 39, et plusieurs dizaines de mentions de Perte sur les cartes, dont la nostalgique Perte du Bonheur a` Saint-Sauveur-Camprieu 30. Ou bien l’on dit qu’elles sont « bues » : de la viennent les be´toires, be´die`res, boue`res ainsi sans doute que les noms de la Be´thune, de Boitout ; be´thune a e´te´ longtemps synonyme de be´toire. Une vingtaine de lieux ont nom la Be´toire ou les Be´toires, presque tous dans l’Eure ; les Be´die`re et Boue`re sont plus rares. Les termes embuc, imbut, goule ont aussi parfois ce sens quand ils sont en fond de valle´e comme l’Embut a` Caussols 06, l’Embut de Cailles 06, l’Embut de Camp Re´ou a` Coursegoules 06, la Combe d’Embut d’Albie`res 11, l’Imbut a` La Palud-sur-Verdon 04, la Goule de Foussoubie a` Vagnas 07 ou` Foussoubie exprime a` la fois l’ide´e de source (fous) et d’e´coulement souterrain (soubie). L’ide´e de cheminement souterrain est exprime´ par les termes soubie et surtout souci, qui e´voquent non seulement des trous ou meˆme des gouffres, mais aussi des pertes et sous-e´coulements, a` l’origine de divers Soubie et Soubies dans le Midi, de Selongey, Soulangy, Subligny, Soulaines-Dhuys et de quelques Soucy. Il existe une trentaine de lieux le Souci, surtout en Poitou et Pe´rigord, mais souci a plusieurs sens... Celui de Savignac-les-E´glises, au fond d’un vallon, est annote´ gouffre sur la carte au 1 :25 000, celui de Rocamadour au hameau de Blanat est sur le causse constelle´ de cloups et d’igues, et proche d’un Gouffre du Saut de la Pucelle a` Rignac 46. L’heureuse Cubjac 24 se signale par une Perte des Soucis dans la valle´e de l’Auve´ze`re... La` ou` les eaux re´apparaissent on parle de re´surgence, terme qui apparaıˆt dans plusieurs dizaines de noms de lieux, bien que d’autres re´surgences soient nomme´es source ou fontaine, comme les sources de la Loue et la Fontaine de Vaucluse. L’IGN rele`ve une quarantaine de « Re´surgence de » en tant qu’annotations de topographes, souvent avec un nom de rivie`re ou de ruisseau comme la Re´surgence de la Me´ridienne a` Sixt-Fer-a`-Cheval 74, celle du Volp a` Montesquieu-Avante`s 09, ou la Re´surgence de l’Aure a` Port-en-Bessin 14, qui est sur le littoral, 3 a` 4 km en aval des pertes de l’Aure a` la Fosse du Soucy dans la commune voisine de Maisons. Toutefois, certaines prennent des allures de noms de lieux sans rapport apparent avec le nom de la rivie`re, comme la Re´surgence des Tritons a` Berrias-et-Casteljau 07, la Re´surgence de Peyrejal a` Saint-Andre´-de-Cruzie`res 07, la Re´surgence de Gourdeval a` Soye 25 d’ou` sort le ruisseau de Soye affluent du Doubs, la Re´surgence de la Goule Blanche a` Rencurel 38, dans la valle´e de la Bourne.

Accidents de parcours Les courbes et sinuosite´s des rivie`res et de leurs valle´es, parfois spectaculaires, ont e´videmment frappe´ les esprits. Si la racine gauloise amb- semble avoir e´te´ plus souvent rive ou bordure que courbe en de´pit de certaines interpre´tations, cambo est bien une racine d’origine IE transmise par le celte avec le sens de courbe. Elle est estime´e a` l’origine de nombreux noms en Cambes, Cambrai, Cambo, Cambou et

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surtout Cambon, Chambon et maint de´rive´ comme Chambezon, Chamarande (la courbe a` la frontie`re), ainsi que les Chambord, Chambors et Chamboret interpre´te´s comme issus de cambo+rito, le gue´ de la courbe. Camon, Cambron, Cambronnel, Camou auraient la meˆme provenance. Trois proble`mes d’homonymie et un de paronymie se posent toutefois. Cam, cham s’appliquent aussi a` des hauteurs arrondies et de ve´ge´tation maigre ou rase, d’ou` des doutes pour des Chamonix ou Chamoux. Ou bien ils peuvent venir de « champ » ; en particulier, de nombreux toponymes de plaines de rives en Chambon, Cambon ou meˆme Camou ont e´te´ compris, fuˆt-ce tardivement, comme « champ bon », ce a` quoi d’ailleurs ils correspondent souvent ; au moins, comme « petit champ ». D’autre part, cam a pu de´signer en gaulois le chemin (cammano) : Chamarande peut eˆtre le chemin a` la frontie`re. Enfin, Orpustan observe que cambo, en basque, est associe´ a` plusieurs sources d’eaux thermales ou mine´rales, hors de l’ide´e de courbe fluviale, ce qui pourrait rapporter Cambo-les-Bains a` cette interpre´tation ; Gamarte 64 et Gamarde-les-Bains 40 iraient dans le meˆme sens. Me´andre est un terme importe´ de Turquie par les ge´ographes, et employe´ abondamment de fac¸on descriptive, mais non toponymique, a` la seule exception de Nochize 71 ou` un lieu-dit les Me´andres semble se re´fe´rer aux sinuosite´s de l’Arconce. Les sinuosite´s de la rivie`re peuvent lui valoir le nom de « tordue » : les Rieutort, Rieutord, Rioutort, en un ou deux mots, se comptent par dizaines. Un coude peut avoir e´te´ de´signe´ sous le nom de volte, source de noms comme la Vouˆte (plusieurs dizaines), la Volte ou les Voltes, La Voulte-sur-Rhoˆne, la Voulte, la Volte, Lavouˆte-sur-Loire et Lavouˆte-Chilhac 43, la Vaute au fond du grand me´andre d’Ambialet 81. Dans le meˆme esprit, signalons aussi Retournac 43 et Retournaguet sur l’autre rive d’un grand me´andre de la Loire ; mais d’autres noms proches sont sans rapport avec des boucles de rivie`re. Boucle a le meˆme sens, en plus ferme´ ; mais il est rare en toponymie et les Boucles de la Seine sont une fac¸on de promotion re´cente. Parmi les quelques lieux-dits la Boucle, le seul qui soit indubitablement lie´ a` un me´andre, d’ailleurs bien accuse´, est a` Bieuzy 56, sur le Blavet. A` Athe´e et Livre´-la-Touche 53, deux lieux-dits Courbure se font face de part et d’autre d’un grand me´andre de l’Oudon, mais ce cas est isole´. En revanche, plusieurs linguistes ont vu dans dol un terme qui pourrait comporter l’ide´e de courbe d’eau, meˆme de me´andre, peut-eˆtre de la meˆme famille que la douve. C’est ce qui s’est e´crit de Dol-de-Bretagne et qui pourrait aussi s’appliquer a` Dolo, Andel, Andouille´ et meˆme Les Andelys (Le Moign) ; mais la question reste discute´e, Dol pouvant eˆtre mieux rapporte´ a` l’ide´e de plaine. Rappelons enfin que les parois raides qui dominent la concavite´ de certains me´andres encaisse´s sont de´signe´es comme cingles sur la Dordogne et ce´vennes sur le Lot. Les confluents (de con-fluere, couler ensemble) sont des lieux remarquables et remarque´s d’un cours fluvial. Plusieurs termes les de´signent couramment. Le Confluent existe en cinq ou six lieux comme Gargilesse-Dampierre 36, au de´bouche´ de la Gargilesse dans la Creuse, Yzeures-sur-Creuse 37 a` la rencontre de la Gartempe, Fresselines 23 ou` la Creuse est rejointe par la Petite Creuse. Conflent en est proche, mais n’existe que comme nom de pays des Pyre´ne´es catalanes, incorpore´ dans plusieurs noms de communes ; il de´rive probablement du nom de Villefranche-de-

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Conflent, lieu fortifie´ en 1095 a` un confluent de la Teˆt. Bien plus nombreuses sont les formes Conflans, comme Conflans-Sainte-Honorine a` la rencontre de l’Oise et de la Seine, Conflens, Confolens et Confolent (une vingtaine d’occurrences), Couflens, Coufoulens, Couffouleux. Le Couflens de Betmajou a` Seix 09, ou` le Salat rec¸oit l’Estours, est le « confluent de la grande valle´e ». D’autres noms fort re´pandus sont issus du gaulois condate dans les multiples Conde´, Candes, Cande´, Conte, Cosne, meˆme Conat 66, Conde´on 16, Cond 57, Contz, Haute-Kontz. La rencontre des eaux est joliment e´voque´e dans le Midi par des Ajust et Ajustans, un Aigues-Juntes 09. Aigues-Joignant est un hameau de Saint-Hilaire-sur-Benaize 36, au confluent de la Benaize et de l’Anglin. Le Pont des Ajustants est a` Se´randon 19, au confluent Dordogne-Houzoune. Aouste-sur-Sye 26, au confluent de la Sye et de la Droˆme, a la meˆme origine – mais les Aoste viennent d’Auguste. L’image de la longue pointe de confluence a inspire´ le nom d’Aiguillon 47, au confluent du Lot et de la Garonne, comme celui du Bec d’Ambe`s a` la rencontre de la Dordogne et de la Garonne ou le Bec d’Allier a` la confluence de la Loire (Gimouille 58). Le confluent de l’Agout et du Tarn se fait au lieu-dit la Pointe, a` Saint-Sulpice-la-Pointe 81 – tandis que le confluent de l’Oise et de la Seine se nomme tout simplement Fin d’Oise, celui de l’Aisne et de l’Oise la Bouche d’Oise (a` Choisy-au-Bac 60). La pointe de confluence et l’habitat qui s’y est e´tabli sont « entre deux eaux » : cette position privile´gie´e est a` l’origine des tre`s nombreux Entrammes, Entraunes, Entraygues, Entrains, Antraigues, Antrain, Tramesaygues. De nombreux lieux-dits et meˆme une commune vosgienne ont pour nom Entre-Deux-Eaux. On trouve aussi le Pont des Deux Eaux a` Saint-Me´dard 87, et meˆme Le´aupartie 14 (l’eau partage´e), ou` l’accent est mal venu. Mescla, le me´lange, a le meˆme sens, comme la Mescla a` la jonction de l’Artuby et du Verdon (a` Rougon 04), la Mescla a` Utelle et Malausse`ne 06 a` la confluence du Var et de la Tine´e, avec Gorge et Grotte de la Mescla ; ou Mesclans a` La Crau 83. On trouve aussi Les Deux-Eaux en Arde`che. Le germanique a laisse´ gemein (re´union, rencontre) dans Sarreguemines 57, Gue´mappes, Gemaingoutte 88. Le breton a` kemper, d’origine discute´e, d’ou` viennent Quimper, Quimperle´, Quimperven, Quimper-Gue´zennec. Une hypothe`se est qu’il serait construit comme comberos, barrage, mais la relation entre barrage et confluent n’est pas e´vidente, sauf a` admettre qu’un cours d’eau barre l’autre. Il est vrai que le lorrain connaıˆt raon dans le sens de confluent, parfois ravon, qui semblent de la famille du ravin et donc du rapt : le lieu ou` une rivie`re emporte l’autre ? Raon-l’E´tape est le plus connu mais les Vosges ont aussi La Petite-Raon, Raon-aux-Bois et Raonsur-Plaine, auxquelles s’ajoutent Raon-le`s-Leau 54, toutes en site de confluence. L’embouchure est le dernier « haut lieu » d’un cours d’eau. Les termes de la meˆme famille « bouche » sont sans doute les plus nombreux : outre les Bouches-du-Rhoˆne, ou les Bouches du Loup a` Villeneuve-Loubet, se distinguent des Bouchemaine, Boucau, Bocca. Ils peuvent d’ailleurs de´signer aussi un confluent : la Bouche a` Vesle est un lieu-dit du confluent de la Vesle et de l’Aisne a` Ciry-Salsogne 02. Boucau 40 est au de´bouche´ de l’Adour et il existe d’autres Boucau dans le Sud-Ouest, mais certains sont plus en rapport avec le bois qu’avec la bouche. La Bocca est un quartier de Cannes au de´bouche´ de la Siagne. Les Bocca abondent en Corse, mais souvent avec

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d’autres sens, notamment celui de col. Bocal del Tec est un lieu-dit d’Elne 66 pre`s de l’embouchure du Tech. Fos est e´galement employe´, dans son sens de creux, fosse, comme a` Fos-sur-Mer 13. Un cas discute´ est celui de l’e´tang de l’Estomac qui est a` a` l’ancien de´bouche´ direct de la Durance dans la Me´diterrane´e, a` Fos justement : certains y voient une me´taphore de la forme d’un estomac, d’autres, plus inge´nieux, un de´rive´ de stoma, la bouche en grec... mais pourquoi un nom grec ? Le germanique a Mund mais, fre´quent dans les noms de lieux allemands comme Peenemu¨nde, le terme n’a gue`re e´te´ utilise´ dans la France septentrionale ; D. Poulet signale toutefois Deuˆlemont comme possible Deuˆle-mund (embouchure de la Deuˆle). Le breton emploie ben ou be´ au sens de bouche, embouchure : ainsi de Be´nodet, a` l’embouchure de l’Odet ; Benaven a` l’embouchure de l’Aven (a` Ne´vez 29), Binic au de´bouche´ de l’Ic ; ou de Benaster a` Sarzeau, ben ar-ster, le de´bouche´ de la rivie`re ; ou encore de Pen-Be´ a` Asse´rac 44, au de´bouche´ de l’e´tier de Pont-d’Arm. Un terme discute´ est genne : les lieux-dits Gennes sont plusieurs dizaines, dont cinq communes ; on les a dit lie´s a` des confluents, ce qui convient pour Gennes 49, a` la rigueur Gesnes-en-Argonne 55 et la Cour de Gesnes a` Che´risay 72, mais non pour Gennes 25 et gue`re pour Gennes-Ivergny 62, Gennes-sur-Seiche 35, Gennes-surGlaize 53, Gesnes 53 et Gesnes a` Neau 53 ; et la racine reste inexplique´e. Pour certains analystes, le gaulois aurait employe´ genua pour embouchure, ce qui serait a` l’origine de Gene`ve, Geˆnes (Genova), voire de l’Arguenon et de Ginasservis 83, lequel n’a cependant rien d’une embouchure ni d’un confluent, mais plutoˆt d’un col... Pour d’autres, Gene`ve et Geˆnes viennent d’un nom ligure des rivages. Pe´gorier cite genne comme nom commun de lieux de rivage franc-comtois, associe´ a` des sables et limons : Sur Genne a` La Chapelle-Brancion 71 correspond a` cette situation. Les cours d’eau ont rec¸u bien des qualificatifs, comme toutes autres sortes de lieux. Les uns sont vus comme abondants, impe´tueux, et nous avons note´ les noms assortis en –onne, rob, etc. D’autres sont maigres, che´tifs, voire asse´che´s : les Rieu Sec ou Rieussec et Rieu Mort ne manquent pas. Certains sont enfonce´s : les Rieucros, et bien entendu la Creuse. Beaucoup sont pierreux : Rieupierreux, Rioupe´rous. Les eaux ont des couleurs : le blanc, alba en latin et vindo en gaulois, d’ou` l’Aube, l’Aubance, Froutguen a` Combrit, la Vende´e peut-eˆtre ; le noir, une dizaine de Riou Ne`gre et Aigue Ne`gre, l’Eau Noire a` E´trembie`res 74, et avec la forme celtique du, qui pourrait eˆtre a` l’origine du Doubs, et qui reste pre´sente en breton ; le rouge, l’Eau Rouge a` Chaˆtel 74 ou a` Plomelin 29 et dans les Arrouy. Pour les rivie`res charge´es d’argiles, les teintes blondes ou jaunaˆtres s’inspirent du gaulois badios, bodios qui transparaıˆt dans les Buech, Bue`ges, Boe¨ge. Au-dela`, les plus boueuses ont rec¸u les qualificatifs fonde´s sur foul, fouil et merde, Merdereau que nous avons de´ja` rencontre´s (chap. 3).

Marais et bourbiers Les aires mare´cageuses ont toujours e´te´ bien identifie´es, en raison meˆme de leurs dangers, en partie aussi de leur originalite´ e´cologique et de leurs possibilite´s de ressources comple´mentaires et d’espaces de re´serve. La toponymie les distingue

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bien, mais avec des termes qui souvent s’appliquent aussi aux prairies humides et aux e´tendues quelque peu boueuses. Hors des marais maritimes, dont le paysage, les formes d’ame´nagement et le vocabulaire sont particuliers, marais et mare´cages sont des termes presque e´quivalents, si ce n’est qu’en ge´ne´ral mare´cage est employe´ pour une aire un peu e´tendue, pourvue de marais. Leur pre´sence est lie´e a` un mauvais drainage de terrains plats ou de fonds de cuvettes sur sols peu perme´ables, qu’il s’agisse de plaines, de fonds de valle´es ou meˆme de plateaux et de montagnes. Toute une se´rie de termes les de´crivent. Marais et mare´cage ont la meˆme origine, maresc en vieux franc¸ais, issu d’un IE mori applique´ a` toute e´tendue d’eau et qui est a` l’origine de la mer, de la mare, des -mare de Normandie ainsi que des termes nordiques mor ou moer, mersch, marsh, du celtique marco, etc. Outre les Marais de´signe´s comme tels, et avec toutes sortes d’adjectifs dont les Marais Tremblants a` Fayl-Billot, ou le Marais des Angles a` Rosnay 85 (valle´e du Lay) avec pour voisin les Marais Mouille´s, ils sont a` l’origine de multiples toponymes en Marac, Marat, Maray, Marest, Maretz, Maresches et Maresche´, Marizel, Maresque, Maresquel, Marzy, Marsannay, Marsangis, Marsangy, et de nombreux Marchais et Marmagne, Margouillis et Margouillat ou Margouillon. En viennent aussi des Marque, Marcq-en-Barœul, Pont-a`-Marcq, Marquion et Marquise – non sans un risque de confusion avec mark au sens de limite, frontie`re, dont rele`veraient Marchiennes et Marcoing (D. Poulet). Le picard emploie marquais ou marquet pour un marais. Le flamand a moer. Les Moe¨res en Flandre sont bien de la famille, et Moercant un bord de marais. Moura a le meˆme sens de la Gironde aux Pyre´ne´es, avec plusieurs dizaines de toponymes, notamment dans les Landes ou` Moura est aussi un NP ; Maumoura a` Canale`s 65 est un « mauvais marais ». Lamoura 39 est probablement de meˆme origine. La forme moer a donne´ des mur en Alsace, comme dans Murbach. Moos, mosch sont e´quivalents et seraient peut-eˆtre a` l’origine des noms de la Meuse, de la Moselle et de la Moselotte ; un Moos est a` Schweben 68, un autre a` Traubach-le-Haut 68, un Mosfeld a` Arzviller ; Mosch est une commune du Haut-Rhin et un lieu-dit de Tagsdorf 68. Maxe est associe´ a` des mares, marais et fonds humides en Lorraine, comme pour la commune de La Maxe 57, la Maxe a` Bistroff 57, la Maxie`re a` Montigny 54, la Maxatte a` Gionville et le Paˆtural de la Maxe a` Semecourt 57, le Marais de la Maxe a` Grandfontaine 67. Un tre`s grand nombre de noms de marais ou terrains lourds et humides, collants, se rangent sous la lettre b et avec des sonorite´s en br- et brb. Il n’est pas suˆr cependant qu’ils aient exactement la meˆme origine, car l’e´tymologie est encore bien incertaine en ce domaine. La boue et la bourbe font partie du lot ; on rattache habituellement la boue a` un gaulois bawa, la bourbe a` des gaulois borya-borvo de´ja` note´s a` propos de sources bouillonnantes et qui viendraient d’un IE bhreu e´voquant quelque chose qui bouillonne, gargouille ou fermente – le mot ferment lui-meˆme en est issu. On a repe´re´ un gaulois braco au sens de marais, proche du broek ou brouck d’origine ne´erlandaise, et du Bruch allemand, qui tous se re´fe`rent a` des marais ; la racine en serait un protogermanique broka dont l’origine reste obscure. Enfin bren, en vieux franc¸ais et encore employe´ dans des patois nordiques, a le sens de de´chet : ici synonyme de

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merde, la` de re´sidus de son ; plusieurs rivie`res se nomment la Brenne, la Bresne, Saint-Georges-les-Baillargaux 86 a une Valle´e de Bren, Saint-Michel-en-l’Herm 85 la Basse Brene´e dans le Marais Poitevin. Quoi qu’il en soit, l’ide´e de marais ou de bourbier est bien dans une se´rie de toponymes en Bourbe, Bourbre, Bourbon et Bourbonnais, comme dans « s’embourber » ; de nombreux la Bourbe ou les Bourbes comme a` Loddes 03, Ceauce´ 61, Iguerande 71, Lapte 43, Pre´-en-Pail 53 ; les Barbouillons a` Chaffois, de nombreux Bourbouillon. Bourberouge fut le site d’une mine de fer a` la sortie d’une cluse de la rivie`re de Saint-Jean tranchant une barre de quartzites a` Bion et Saint-Jean-du-Corail dans la Manche, pre`s de la foreˆt de Mortain. Marais et bourbiers s’expriment aussi dans les brays, au sens propre du Pays de Bray et presque devenu un nom commun pour de petites plaines de terres lourdes, enchaˆsse´es dans des plateaux calcaires. On trouve la Prairie du Bray a` Vernou, le Bas Bray et le Mitan Bray a` Savonnie`res en Touraine, Bray a` Marœuil 62 dans le fond de la valle´e de la Scarpe. En Normandie, bre´a le meˆme sens, comme a` Bre´hal ; Debre´ est un Desmarais. Dans le Nord, Bree Veld a` Oxelae¨re, la Bre´arde a` Hondeghem, Bree a` Saint-Sylvestre-Cappel sont de la famille ; il en est de meˆme de noms de lieux en Brain et Braine, Bray et Braye, Brayel, ou Folembray 02 – rappelons toutefois qu’a` l’inverse le bre´ breton est une colline, un mont. Les brie`res sont des espaces humides du fond de la valle´e de l’Huisne et de ses petits affluents, dont te´moigne a` sa fac¸on le nom de la commune de Saint-Mars-laBrie`re 72. La ferme de la Brie`re a` Doulcon 55 est dans la meˆme situation de fond humide. Et bien suˆr la Grande Brie`re, marais de Loire-Atlantique, ce´le`bre pour ses ıˆles et ses chaumie`res, est de la famille. Brouage 17 a rendu son nom a` son marais. Bresse est re´pute´ avoir le meˆme sens, dans la plaine de la Bresse et quelques Bressay, Brassy (G. Taverdet). Auraient une origine voisine le marais de Boe¨re a` La Ronde 17 et d’autres Boe¨re comme a` Souge´ 41 dans la valle´e de la Braye et de sa diffluence le Bre´on, des Broye et Broye ou Broyes, Brach, Brax, Braux, un Entre Deux Braux a` Fresne-en-Woe¨vre 55, Bracieux 41, Bracou, Braize, Brou, voire Buzet ; ainsi que Baudre ou Baudreix, Baudrie`s, Barde, Bauche et Bauche`re. Bard, bart, de´signent la terre battue ou la boue dans des noms comme Labarde ou Barde ; c’est aussi le sens du vieux franc¸ais bertainie`re qui en de´rive, et donc probablement des Bertigny et Bre´tigny qui ne viendraient pas de NP. On cite encore des Baugy, Baubigny, Beaubery, Burgy, Bragny (G. Taverdet). Le Bruch de l’Andlau est un espace mare´cageux du Bas-Rhin ; Grendelbruch a le meˆme sens, mais Weitbruch, compris comme « large mare´cage » de nos jours, aurait e´te´ un Viccobrocus, « limite de village » selon M. Urban, remotive´ ensuite. SaintPierre-Brouck, Cappelle-Brouck, Brouckerque sont des « e´glises du marais », Hazebrouck serait le marais du lie`vre, Bourbourg la forteresse du marais (anc. Broekburg), Dennebrœucq le marais de la valle´e, Rubrouck le marais broussailleux, et de nombreux lieux-dits sont en Breucq et Brouck. Ici toutefois, les risques de confusion sont grands avec des e´pineux (brouc) ou avec la bruye`re (brougue). La racine poul e´voque aussi des sols humides ou mare´cages, et des e´tendues d’eau limite´s sous la forme d’e´tangs et d’anses. Elle viendrait d’un IE commun p*l

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de´signant un espace inonde´, qui transparaıˆt dans l’allemand Pfuhl (marais) et l’anglais pool, peut-eˆtre le russe boloto, pol en sue´dois pour la boue, et tre`s probablement le palu et le polder (v. littoraux). Les linguistes la voient dans des noms comme Pouilly et Puligny (G. Taverdet). En Alsace on trouve Weisser Pfuhl a` Goetzenbruck 57 et une dizaine d’autres dont un Schwarzer Pfuhl a` Richeling 57 et deux Pfuhlaecker au Bas-Rhin. Apparemment de la meˆme famille, un plavio gaulois a de´signe´ une plaine mare´cageuse ; Pleurs 51, qui fut Plaiotrum en 1052, associerait a` ce radical duro, de´signant une forteresse : c’e´tait en somme le Fort des Marais. Ana est un autre terme gaulois pour mare´cage, qui apparaıˆt dans les noms d’Anet 28, Annappes 59, Anneux 59, Annoix 18, Annot 02, Annesse-et-Beaulieu 24, des Annois et Annoyes. Il en serait de meˆme de late, qui serait a` l’origine des noms d’Arles (Are-late, pre`s du marais, ou marais asse´che´), d’Arlet 53 et de l’Arly. Laume, lam, de´signent e´galement une terre lourde, souvent boueuse, ou une prairie mare´cageuse. Ces noms, que Dauzat et Ne`gre supposent issus d’un pre´latin lamma ou lanma pour la boue, ont donne´ Ve´narey-les-Laumes 21, et quelques Lamme ou Laumes, en Bourgogne surtout. Le latin lutosus, boueux, celui-la` meˆme qui semble bien eˆtre a` l’origine de Lute`ce, se retrouverait dans des NL comme Lode`ve 34, Leuze, Louze, Loueuse 60, Luze´ 31, Lezoux 63, plusieurs Louse ou Louze, Leuze 02, Luze 70, les Littes qui ont une quarantaine d’occurrences, dont une douzaine dans le Puy-de-Doˆme. Proche des pre´ce´dents, un liga gaulois, mis pour la boue et issu de l’IE legh, couche, comme d’ailleurs la lie, serait a` l’origine des mots lise et enliser, ainsi que de noms de rivie`res, et de toponymes comme Lizie`res, Lizeray. Loue, qui semblerait de meˆme origine, de´signe un fond humide et a donne´ de fort nombreux noms en Loue, Louvie, Loy, Loye, Loyettes 01. On ignore s’il est en rapport direct avec loo, los qui signale dans le Nord de la France des pre´s mare´cageux, parfois les arbres associe´s, a` Loon, Looberghe, Billy-Berclau 62 (anc. Berkloo), Englos 59, Loos 59, Loos-enGohelle 62 ou Wattrelos 59 (wattre = eau), e´quivalent de Waterloo. Nous avons de´ja` vu que lohi, en basque, de´signe la boue, comme a` Lohitzun et Saint-Jean-de-Luz. Deux termes toutefois sont beaucoup plus re´pandus en France pour de´signer des de´pressions mouille´es et ge´ne´ralement ferme´es : fagne et sagne. Ils se ressemblent, mais leur e´tymologie, il est vrai discute´e, ne semble pas commune. Fagne est la version nordique, qu’il est tentant de rattacher a` la fange, d’un germanique fanga de meˆme sens ; mais il prend localement la forme Faigne ou Faing, la Faigne, la Feigne, Fagnon, au risque de confondre avec la famille du heˆtre (fagus). La Fagne est le nom parfois donne´ a` l’angle sud-est du de´partement du Nord autour d’Anor et de Tre´lon, en raison de la pre´sence de ces tourbie`res, et deux villages s’y nomment Wallers-en-Fagne et Moustier-en-Fagne. Fagnon est une commune des Ardennes ; l’Ardenne belge est fort riche en noms de lieux et de pays similaires. Le Gazon du Faing en Hautes Vosges est « la chaume de la tourbie`re ». Les noms en Faing abondent dans les Vosges, y compris pour des hameaux, comme Faing du Bois a` Grandvillers, Faing du Sapin a` Beaume´nil, Faing la Biche et Faing Creusson au Tholy, voire des hauteurs et versants comme le Rondfaing et le Faing Berret, les Faings Cantois (un grand versant) a` Cornimont 88. Le nom a aussi la forme feigne, comme la Basse des Feignes a` La Bresse 88. Notons que la fange elle-meˆme a fourni quelques NL en Fange, Fangeas, Fanget.

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Sagne est plutoˆt mis en rapport avec l’eau « stagnante », comme l’e´tang ; le gaulois aurait employe´ sagna pour les meˆmes sites. Les noms en Sagne, Sagnes et Seigne, Seignette ou meˆme Saignette et Sagnolle, Seignolle, Sagnoux abondent dans le Massif Central, le Jura et le Sud-Est : Seigne du Pont a` Bief-du-Fourg, Seigne de Barbouillon et les Seignettes a` Mignovillard 39, Seigne d’Ornot et les Seignettes a` Billecul, la Saignette a` Ple´nise, Sagnes de Mourcairol, Saignolles, Saignalade a` Allanches 15, la Sagne de Po (du puy) sur le plateau d’Angle`s 81, les ruines de la Sagne du Loup et de la Sagne Blanque a` Lacaune 81, Sagnemorte a` Roisey 42. Plusieurs dizaines d’orthographes diffe´rentes ont e´te´ releve´es dans les Alpes, jusqu’a` des Sargnatte, Sargneux ; certaines en « seigne » peuvent preˆter a` confusion avec seigneur ou l’e´quivalent monseigne. Du coˆte´ de la Catalogne, sanya s’applique aussi a` des vasie`res littorales, comme la Sanya d’Opoul, les Sanyes del Deve`s et les Sanyes Grans a` Salses-le-Chaˆteau, ou a` des parties humides de plaines alluviales, comme la Sanya de Toulouges, ou la Sanya au Soler, qui voisine avec les Baches (les « baisses ») ; mais la Sanya a` Catllar 66 est sur une croupe de plateau en Conflent. En Auvergne et alentour, des marais occupent les de´pressions ferme´es d’origine volcanique, anciens crate`res ou effondrements souvent circulaires. On les nomme narses : par exemple la Narse a` Gelles 63, la Narse a` Saulzet-le-Froid domine´e par le Puy de l’Enfer, la Narse Grande a` Saint-Symphorien 48 sur la Margeride, la Narse a` Cussac dans le Cantal, les Narces a` Chaudeyrolles 43 dans un grand cirque, les Narcettes a` Montseignes 07. Sur le massif du mont Loze`re, Saint-E´tienne-du-Valdonnez a un marais des Narses Mortes sur un plateau dit Nasse (sic) de Sagnolles (des marais) et pre`s d’un ruisseau des Narses Rondes. Lanarce 07 comporte en outre au nord de son finage une Sagne Redonde de meˆme nature, et au sud-ouest le creux de la Narcette. Narcy 58 serait de la meˆme famille selon G. Taverdet, voire Nicey 21. L’origine du nom n’est pas bien connue ; elle pourrait s’apparenter a` la noue. Des noms en crolie`re ou crole`re, croulie`re, crouille`re, voire crolet, crolais, crolis sont associe´s a` des fonds me´rcageux dans l’Ouest, en Champagne et Lorraine : par exemple la Petite Croulie`re dans le marais d’Hotot-en-Auge 14, les Crolie`res a` Gue´rande et a` Herbignac 44, les Crolie`res a` Ville-Houdle´mont 54 au bord de la Vire, les Crolues a` Che´rissey 57, la Crouille`re a` Pamfou 77 ou a` Saint-Aubin 10, le Crolais a` Blain 44 ou aux Landes-Ge´nusson 85, sans doute la Crole´e a` Beaulieusous-Parthenay 79. L’origine de ces noms, atteste´s en vieux franc¸ais, serait de la famille de creux, cros (FEW). La Normandie doit a` l’apport viking une se´rie de quier ou cher qui semblent aussi de´signer des marais, bien que certains commentateurs y voient e´ventuellement des broussailles, ce qui n’est pas incompatible. Ils sont issus d’un kjarr norrois, qui est encore pre´sent en sue´dois, et chouer est un mot normand pour maraıˆcher. Villequier 76 est le marais des saules (ville est ici apparente´ a` l’anglais willow) – Villequiers 18 en provient par importation seigneuriale. Gonfreville-l’Orcher 76 a e´te´ jadis Aurichier ; et en de´pit de vives discussions, Cherbourg pourrait bien eˆtre le fort des marais (Chierebourg au XIV e s.). Ce quier ne saurait eˆtre confondu avec d’autres quier me´ridionaux au sens de rocher, de´ja` note´s (chap. 4). Scald aurait e´te´ employe´ aussi pour mare´cage et a e´te´ lu dans Se´lestat (anc. Scaldistat), voire dans l’Escaut ;

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mais ce point est controverse´, Escaut ayant pu eˆtre interpre´te´ comme cours tortueux (IE skel). Ried en Alsace de´signe a` la fois, comme nom commun ge´ne´ral et comme nom propre local, les plaines humides accompagnant l’Ill ou le Rhin. Le terme est suppose´ en rapport avec les roseaux, par le germanique rieth issu d’un IE kreut de meˆme sens. Des dizaines de lieux-dits Ried ou le Reid s’e´parpillent en Alsace, et pas seulement en plaine : Im Ried est a` Wittersdorf tout pre`s d’Altkirch, dans les reliefs du Sundgau. On trouve aussi un Ried a` Isming en Lorraine, entre deux Breitmatt (« large pre´ »). Ried Rott est une plaine boise´e a` Reichstett, le Gross Ried a` Heidolsheim est dans la plaine de l’Ill, comme Ober et Nieder Ried a` Oberbergheim. Riedheim, Riedseltz, Riedwihr sont des communes de meˆme sens, mais peut-eˆtre pas Riedisheim, jadis e´crit avec Rod- ou Ruod- et qui, de ce fait, serait plus en rapport avec un bruˆlis, un essart, mais a e´te´ attire´ par Ried. Une question similaire se pose avec les rie`zes et les rietz. Les rie`zes, en Ardenne, sont en ge´ne´ral des aires humides et mare´cageuses, voire des tourbie`res, en e´quivalent de fagne ; pourtant, l’origine ge´ne´ralement admise serait dans la racine riuti, roth, associe´e aux de´frichements par le feu. La forme glisse vers les Roizes a` Tilly 08. Juste de l’autre coˆte´ de la frontie`re belge, Couvin est le sie`ge d’un Pays des Brulys, des Rie`zes et des Essarts... Rietz est compris comme pre´ communal dans le Nord et l’Artois, mais correspond souvent aussi a` des fonds humides et de mauvaises prairies. Un Rietz Suren, un Rietz de Marles et un Rietz E´tat sont a` Hubersent 62, HautLoquin 62 a un Rietz Fossette, Rietz Pain d’Avoine, Rietz Minon ; et Souchez 62 a un Rietz du Seigneur qui ne semble donc pas avoir e´te´ un pre´ communal. On trouve un Rietz a` Freigne´ 49 dans un fond de valle´e, un Riez a` Joncs a` Bauvin 59 dans les mare´cages du Flot de Wingles. Les Rietz a` Thiennes 59 sont dans la plaine pre`s d’un ru, entre les lieux-dits l’Enfer et Bois du Seigneur, en bordure de la foreˆt de Nieppe. Il semble ne´anmoins que le sens de bien commun, pre´ communal, ait pu l’emporter dans le Nord sur le sens de fond humide. Fond est souvent employe´ pour des bas-fonds mouille´s, avec des variations en Fondis (nombreux), Fondrie`re (une vingtaine), Fondon, Fondoire, Fondre´e, voire l’Effondre´e comme a` Montbazon 37ou Burzy 71 – et au risque de confusions avec la source (fons, font), de simples creux et meˆme des biens-fonds. Agade, les Agades et surtout agadis, dont le nom meˆme e´voque l’eau, servent e´galement a` de´signer des terrains mouille´s ; mare´cageux, notamment en Auvergne et Limousin, comme les Agadis a` Chaumeil 19, les Agadis a` Saint-Just 15, les Agadis a` Beaumont-du-Lac 87 ou l’E´tang des Agadis a` Fernoe¨l 63. La forme auga existe en gascon dans ce sens, et a donne´ des Lauga (une vingtaine dans les seules Landes), Dauga. Le basque emploie aintzi, qui entre dans une vingtaine de NL comme Aintzia, Aintzilsarria (broussailles du marais) a` Aincille dont le nom meˆme est une adaptation d’Aintzi, Aintziburua a` He´lette et a` Ispoure (le bout du marais), Aintzikoborda a` Sant-Esteban (la ferme de la mouille`re). Les plus e´vidents des noms qui signalent des lieux humides, des pre´s plus ou moins mouille´s sont en mouille, moullie`re et mollie`re, et de´rive´s comme les Mouilleron, la Mouille, les Mollie`res a` Villiers-sur-Orge, voire le Mouille-Pieds de La Couarde-sur-

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Mer 17– Ge´oportail rele`ve une vingtaine de Mouille-Pieds, pas moins de six MouilleCul et meˆme un Mouille-Braies a` Merdrignac 22. Boismont 80 a les Mollie`res de Pinchefalise et les Mollie`res de Boismont : les mollie`res sont les prairies sale´es et mouille´es des bords de la Manche et de la baie de Somme, ou` elles ont progresse´ depuis le Moyen Aˆge. Il faut prendre garde de ne pas confondre ces termes avec les molie`re et meulie`re, qui viennent des roches dures dites pierres a` meules. Moins e´videntes sont les meloises, de mollis, terrain mou, qui ont donne´ notamment des Me´loise (huit lieux-dits en Bourgogne), Meloisey 21, Mellecey, Milisey, Le Meˆlesur-Sarthe.

Faune, flore et sols des fonds mouille´s Les lieux mouille´s sont en France l’objet d’attentions soutenues, de politiques et de de´penses spe´cialement affecte´es aux « zones humides ». Ils ont des formes de sols, de ve´ge´tation et meˆme de faune originaux, qui n’ont pas manque´ de marquer la toponymie, soit directement, soit a` travers les usages qu’en ont fait les riverains. C’est pourquoi il est juste de leur consacrer ici un de´veloppement particulier. Le nom de l’aulne, plante des zones humides, a inspire´ de nombreux NL en Aunay et Launay, Launoy, Aulnay, Aulnoy, Aulnois, Auneau, Aulnies ou Aulnis, Aulnie`res, Auneuil, Aulnat, Annay, Aulnizeux a` Val-des-Marais 51, Aumes 34 (anc. Almas) et peut-eˆtre Aups 83 (anc. Almis). Le terme vient du latin alnus, lui-meˆme d’un IE alqui est aussi dans l’anglais alder et l’allemand Erle ; mais il aurait pu se fondre et confondre avec une racine aliso, qui lui fait e´galement attribuer Alzette, Alzou, Alzonne, Aussurucq 64, ainsi qu’Aliso, Alzu, Alzeta en Corse, peut-eˆtre les Ossoue et Aussou, Os-Marsillon 64 – des confusions sont possibles avec l’alisier (sorbier). Arcosse, Arcossie`re, sont employe´s en Savoie pour l’aulne vert et l’aulnaie. Le basque emploie altz, peut-eˆtre a` partir d’aliso, dans des noms comme Alc¸ay, Altzua, Altzueta, Alc¸abe´he´ti (l’aulnaie d’en bas), la commune d’Alc¸ay-Alc¸abe´he´ty-Suharette 64 re´unissant deux anciens villages de l’aulnaie. La racine alternative verne est d’origine celte et a donne´ quantite´ de Verne, Vergne, Lavergne, Ver, Vers, Vert et meˆme Vaire, Vergt, Verneuil, Verniolle, Vernajoul, Verne´joux, Vernusse. Peu pre´sente en Aquitaine, elle apparaıˆt toutefois, outre Lavernose, sous des formes bern ou bert, comme dans Bernat, Bernadet, Berne`de, peut-eˆtre Bernos, ainsi que des Bert, Le Bert, Le Bret. Le breton en a fait gwern, d’ou` Guer 56, Guern, Le Guerno et de nombreux lieux-dits en Guer, le Guer, Traou an Guer, Pen an Guer, Guerne (Le Baud 56), Guerlesquin 29 (avec un NP). Il n’est pas impossible qu’un nom comme la Guerre au Plantis 14 ou a` Isigny-le-Buat 50, Sonzay 37, la Gue`re a` Ancenis 44, soient de meˆme sens. Mais certains guer en Bretagne sont plutoˆt des mutations de ker (habitat), notamment dans quelques Guermeur... Or les termes d’aulnaie, vernaie ou berne`de se sont e´tendus a` la de´signation de marais, comme le Marais Vernier en Normandie, et plus simplement encore sous la forme de Vernaie, Vernay et Vernie`re, voire d’autres de´rive´s en Vert ou Vaire. Le breton s’en est saisi sous les formes Gwern, Geun et meˆme Yeun, comme e´quivalents

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de marais : le ce´le`bre Yeun Elez (marais de l’Ellez, affluent de l’Aulne), connu pour ses tourbie`res et ses le´gendes de Porte des Enfers, et de nombreux Yeun, Ar Yeun, Pen ar Yeun. Guer se retrouve en flamand : Guarbecque 62, dans la plaine de la Lys, ajoute l’aulnaie au ruisseau (bekk). En Alsace, ou` l’aulne est erle, on trouve Erlenacker a` Ostheim, plusieurs Erlenbach et Erlenweiher, Erlenboesch a` Drusenheim, Erlenboden a` Neuwiller, Erlenwald a` Altkirch et Erlenwaeldel a` Saint-Pierre. Le saule, arbre des bords de rivie`res et des fonds humides, a e´te´ une source abondante de toponymes. Les uns ont la forme Saule, les Saules, la Saulaie, d’autres ont des formes voisines mais parfois un peu e´loigne´es : Saussaie, Sausse`de, Sausset, Sauze, Sauzay, Sauzet, Sauze`de, Sauce`de, Sauzie`re, Salaise-sur-Sanne 38, Salice, Salesse, Saulsaie, Saulcy, Saulx, Sept-Saulx, et meˆme Saulx-Marchais 78, Sauchy, Saulchoy et Chaussoy, Saulchery 02, Saulcy, Sauxey, Saussay, Saussey, Saulsotte, Salge, Saulges, Saillagouse, probablement Saulxures et Saulxerottes. La forme celte e´tait salico, la forme latine salix, la forme francique salha, l’e´tymon commun suppose´ e´tant un IE sal au sens de gris jaunaˆtre. Le breton en a fait haleg, pre´sent dans plusieurs dizaines de lieux en Goaz Halec, Coat Halec, Toul Halec, etc. De nombreuses confusions sont possibles entre les de´rive´s de salix-salico-salha et le sel, lui-meˆme issu d’un autre IE sal, re´pute´ distinct du pre´ce´dent et de´signant spe´cifiquement le sel ; par exemple, Salins 77 pre`s Montereau, Seltot a` Doudeville 76 se rapporteraient aux saules, comme Silleron 76. L’association du saule et du sel est fort ancienne, mais les de´rive´s toponymiques du saule semblent en France bien plus nombreux que ceux du sel, et surtout plus diffus. Notons en outre que certains linguistes font e´tat, pour Salindres et autres lieux de forme voisine, voire Saumur, d’un sala au sens de terrain mare´cageux et suppose´ pre´celtique, que d’autres rapporteraient plutoˆt au sel ; faute de preuve de part et d’autre, on peut se demander si le saule n’est pas en cause, comme le verne dans les noms de marais e´voque´s ci-dessus. Un autre gaulois vorrik a pu de´signer le saule. Il aurait donne´ Vouziers et Vouzy (P.H. Billy). Peut-eˆtre de meˆme origine, nous avons vu qu’une racine nordique welig (IE wel, au sens de courbe´, flexible, cf. l’anglais willow) apparaissait dans le nom de Villequier. Sarats, le saule en basque, est dans Sarastegi (Aldudes), Sarasketa (Macaye), Sarazeta (Sainte-Engraˆce), le Bois de Saratze´ a` Larrau. Les oseraies s’expriment sous les formes l’Osier ou l’Oseraie a` plusieurs dizaines d’exemplaires en pays d’oı¨l, avec des de´rive´s comme Ozerailles en Lorraine. La forme me´ridionale est plutoˆt selon une racine ancienne vim ou bim, issue elle aussi de l’IE wei pour nouer, tresser, qui de´signe encore directement l’osier en occitan (vim) et a donne´ des Vimie`re, Vimaire, Vimenie`re, Vimines 73, Bimes, Bimene`de. Le Vimeu en Normandie a pris son nom a` la Vimeuse, jadis Vimina, qui pourrait avoir cette origine ; P.-H. Billy y voit plutoˆt un hydronyme. Vercantie`re de´signe aussi une oseraie comme a` Lavercantie`re dans le Lot et en quelques lieux-dits (Aveyron, Droˆme). Vorge et vorze ont le meˆme sens, en Lyonnais et Velay, avec des de´rive´s en Vourge a` Amble´on 01, Vourze (a` Yssingeaux et Beauzac 43), Vorche`re (a` Aigueblanche 72), les Vorziers (cinq en Haute-Savoie), Vorzillie`re (a` Rivas 42), le Vourdiat (a` Saint-Jodard 42). Avan pour osier en est une autre expression, visible dans quelques Avanchers, Avanchet, Avancie`res. Le provenc¸al et le corse emploient amarinier et abarine

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pour l’osier, donnant des lieux-dits en Amarinier et Amarine ; un Valat des Amarinios se trouve au Cheylard en Loze`re, une Grange d’Amarine a` La Brigue 06, un Pont des Abarines a` Mialet 30, les Abarines a` Rochecombe 07, voire E´meringes 69. Un e´quivalent flamand est teen, lisible dans Thiembronne (avec bronn pour source). Ajoutons que l’osier a e´te´ souvent conside´re´ comme un petit saule, et que des noms de´rive´s du saule ont pu s’appliquer a` des oseraies. Aux roselie`res sont associe´s des Roseau et Roselie`re, Rosay, Rouze`de, Rozoy, Rozie`re, Rozelieures, Rosult ; et dans le Nord-Est Rohr, Rohrbach et les Ried ou Rieth, dans le Nord des « valle´es aux roseaux » : le Rosendal a` Staple, Rosendael a` Looberghe 59. On leur rapporte aussi des Roussie`re et Roussin de la Charente au Vendoˆmois. Mais certains de ces noms risquent de se confondre avec les de´rive´s du rosier, du moins sous sa forme d’e´glantier, a` l’origine de divers Roziers et Rouziers. Rouch, rouche`re, rouchier a aussi le sens de roseau, roselie`re dans le Midi. Korzid, roseau en breton, serait a` l’origine de Corsept 44. L’ide´e de lien souple qui est dans wellig et vimen existe aussi dans le jonc, a` partir d’un autre IE yeug dont sont venus entre autres joindre, jungere en latin, et le joug : ce qui lie. Du jonc et des jonchaies de´rivent des Jonche`res, Jonquie`res (53 lieux dont sept communes), Jonchereuil, Jonchery (18 dont trois), les Joncherolles, Joncreuil, Joncier, Joncie`res, la Juncasse (cinq), Jonquerettes 84. On trouve les Jonche`res a` Hampont 57, un parc de la Jonche`re a` Bougival, les Joncherolles a` Villetaneuse ou a` Pierrefitte-sur-Seine, la Basse des Joncs a` Bre´moncourt 54. Le corse a des Giuncaja, Giunchellu, Junchelli, et Ghiuncajola a` Porto-Vecchio. Le breton emploie brouennec avec des toponymes en Broennic (a` Plougasnou), Broennou (a` Lande´da). En basque le jonc est ihi, ihitz, la jonchaie ihiaga ; en viennent Iholdy, et probablement Izaourt comme plaine ou plateau des joncs (ihitz-urd), plusieurs Ihitzaga. D’autres noms s’inspirent de la ve´ge´tation spe´cifique de fonds humides. Tel est le cas du carex, plus connu sous le nom de laıˆche. De la laıˆche, jadis utilise´e notamment comme litie`re, viennent de nombreux de´rive´s en Liche`res, Lichie`re, Lixie`res (dont Fle´villeLixie`res 54), Le´chaire, Le´chie`re, Lesches, Lescherolles, Lesche`res, la Le´che`re, Mauliche`res, peut-eˆtre certains les Che`res (dont Les Che`res 69), voire Le´chelle. Le carex est aussi aubiscou, d’ou` vient le col de l’Aubisque. Il a pour synonyme dans le Sud-Est riasse, qui a donne´ plusieurs les Riasses, Riassou, notamment dans le Gard. Un e´quivalent est sesca en occitan, dont le nom serait de l’IE sek, couper, car les feuilles sont coupantes ; sesca de´signe plus spe´cialement des massettes (typha), dites quenouilles, mais s’e´tend souvent aux joncs et aux roseaux, et apparaıˆt a` l’origine de toponymes en Sesque ou Sesques (une douzaine de noms de lieux), Sesquet (une vingtaine), Sesquie`res (une autre vingtaine), Cescau 64 et Cescau 09, ainsi que de Sescousse et Sescos dans les Landes, peut-eˆtre Sexcles 19. Parmi les ressources des lieux humides citons encore les cressonnie`res, qui ont donne´ directement plus de cinquante la Cressonnie`re ainsi que Vaucresson et, sous l’ancien nom berle (latin et gaulois berula), divers NL dont Berle, Brasle, Braslou, Breloux, Berlats, Berlise, Laberlie`re. Outre les nombreux noms en Raine et Chanteraine, la grenouille a fourni quantite´ de noms en Grenouille, Grenouille`re, et peut-eˆtre Graulhet 81, l’e´crevisse une vingtaine de lieux-dits directement, dont un Gue´ de

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l’E´crevisse a` Charny 89 ; meˆme la sangsue a fourni plusieurs dizaines de toponymes, dont des Mare Sangsue en Normandie et le marais de la Sangsurie`re a` Doville 50. Enfin quantite´ de lieux re´pute´s boueux portent des noms de forme assez expressive, presque des onomatope´es. Il en est ainsi des Gouille, Goille, Goillon, Gollion, Golliat, Gouillat, Gouillas, Gouyat, Gouilloux communs en Lyonnais et jusqu’en Suisse ; aussi des noms en gab-, gad- comme Gabin, Gabouille, Gadouille. Gache ou gasse, que l’on dit d’origine germanique, ont un sens voisin, surtout dans le Massif Central, et ont laisse´ des Gache, Gachet, Gachel et Gachou, Gachous, Gassouil, Gatouillat tels les Gachous a` Puylaurens ou a` Rouffiac dans le Tarn, le Gacher dans la Creuse (Gartempe, Saint-Vaury) ; on les retrouverait dans des Ganne, la Ganne, Gasne, voire certaines Gagnie`res, surtout en Limousin et en Auvergne (S. Gendron). Gacel a le meˆme sens, et sans doute meˆme provenance, dans l’Ouest, a` l’origine de La Gacilly 56 et son de´rive´ La Chapelle-Gaceline 56, la Gacille`re au Pertre 35 ; l’Ille-etVilaine a trois lieux-dits le Gacel. Ne´anmoins, il faut ici rappeler que gache a aussi le sens de guette, vigie en Provence et dans les Ce´vennes. On rele`ve dans le meˆme sens des Trouil, Trouille en gascon ; des Jaille, Jaillet ; avec l’ide´e de patauger, des Patouille et Patouillard, la Patouille`re a` Betz-le-Chaˆteau 37 ou le Patouillet a` Boulay 37, le Patouillard a` Azay-sur-Cher 37, Patouillet a` BlaisonGohier 49 avec un ruisseau de Patouillard. Les souille ou souil sont des bourbiers perc¸us comme mares a` sangliers, lesquels e´taient appele´s en vieux franc¸ais souilles, terme issu du latin sus pour les porcins ; Souillats, au moins une partie des Soulier et sans doute des Sully s’expliquent ainsi. Les Touillon portent un nom e´quivalent. En Alsace, des endroits mare´cageux portent le nom de Soultz, qui est parfois confondu a` tort avec Salz ou Seltz, indicateurs de sel. Sumpf est e´galement employe´, et serait de la meˆme origine que le swamp anglais (schwamm germanique), issus d’un IE swombho pour spongieux : signalons Sumpfenkopf a` Sewen 67, Sumpfloch a` Niderviller 57. Flache de´signe aussi un fond humide, une terre molle, voire une roselie`re ; le terme est fre´quent des Ardennes aux Vosges, voire sous la forme de Flache`re, Floc, Fonche, Fache. L’e´tymologie he´site entre ce qui est plat et ce qui est flexible. On he´site aussi pour Flaxlanden 68 : bas-fond (Flaches Land) ou terre de lin (Flachs en allemand). Les tourbie`res sont un cas particulier d’aires mare´cageuses d’altitude ou de re´gions fraıˆches et humides, dont la ve´ge´tation et les sols ont des traits originaux ; la de´composition organique est lente et les de´bris restent sur place en se comprimant. Le terme vient d’un torfa nordique qui e´voque une motte de gazon et se lit aussi dans le turf anglais, issus de l’IE dherb comprimer, presser (latin turba). Il existe quelques dizaines de toponymes Tourbie`re, la Tourbie`re ou les Tourbie`res, avec ou sans de´terminant. Le corse emploie pour les tourbie`res d’altitude pozzine, qui vient de pozzo, le puits, mais sans grand effet sur la toponymie.

Lacs et e´tangs Les e´tendues d’eau stagnantes se partagent principalement entre lacs, e´tangs et mares. En principe, dans l’ordre de´clinant des dimensions. Sur le terrain,

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les de´nominations n’ont aucune rigueur : l’e´tang de Berre (15 500 ha) et celui de Thau (7 500 ha) sont bien plus grands que le lac d’Annecy (2 760 ha) ou le lac d’Orient (2 300 ha) ; l’e´tang de Biscarosse (3 540 ha) est d’une tout autre taille que bien des « lacs » de montagne, dont bon nombre n’ont pas un hectare. Lacs, e´tangs et mares sont aussi bien naturels qu’artificiels. Et ce qui est lac dans la montagne des Hautes-Pyre´ne´es devient e´tang en Arie`ge, dans des configurations et avec des dimensions strictement identiques. Le vocabulaire, d’ailleurs, est d’une assez large diversite´ selon les lieux, meˆme a` l’inte´rieur d’une seule contre´e. Lac en franc¸ais, comme lacus en latin, et le loc’h breton, viendraient d’un IE laku de meˆme sens. Loc’h figure dans plus de cinquante noms en Bretagne, souvent simplement le Loc’h, et plus curieusement dans la lagune de Loc’h ar Stang (de l’e´tang) a` Tre´guennec et Plome´our-Lanvern 29, pre`s du hameau le Stang. Lac a pour de´rive´s locaux lague, laous, laquet, lau (Corse et Provence), laus et lauset (Alpes), qui tous sont a` la source d’hydronymes et toponymes comme les Laous a` Roquefort-lesPins 06, le Vallon du Lau a` Jauziers 04 qui abrite le lac des Sagnes, le Laous a` Re´allon 05 et meˆme les redondants Lac du Laus a` Arvieux 05, a` Saint-Cle´ment-surDurance 05 ; ou encore les Trois Laux a` Allemond 38, sans doute aussi les Sept Laux a` La Ferrie`re 38. Lenn est employe´ en Bretagne, ou` Lenhesq est un « lac tari » ; un Lenn Venn (clair, blanc) est a` L’Iˆle-de-Batz 29, trois Lost er Lenn ou Lost al Lenn sont des « bout du lac » ou a` coˆte´ du lac. Lagune et lagon sont d’autres de´rive´s de lacus, mais re´cents (XVII e sie`cle). En principe, une lagune est une e´tendue d’eau saumaˆtre littorale, disposant d’un exutoire vers la mer ; un lagon est une e´tendue d’eau circonscrite par une ceinture corallienne. En fait, le terme ge´ne´rique lagune n’est gue`re employe´ sur les littoraux me´tropolitains ; il est supplante´ par lac ou e´tang sur la coˆte aquitaine, e´tang sur toute la coˆte me´diterrane´enne. Une seule exception : la lagune de Beauduc en Camargue, qui voisine avec l’e´tang de Beauduc (commune d’Arles). Ne´anmoins, le Me´doc a des hydronymes en Lagune, mais pour de simples e´tangs non littoraux, telles des Lagune Ronde a` Saucats 33 ou a` Saint-Michel-de-Rieufret 33, Lagune Longue a` Saint-Me´dard-en-Jalles 33, en tout plusieurs dizaines ; et quelques toponymes comme Lagune a` Saint-Germain-d’Esteuil, 33 Lagunan et Lagunet a` Saint-Laurent-Me´doc 33. Il en est de meˆme dans les Landes, ou` lagune est un petit e´tang alors que les « vraies » lagunes au sens des ge´ographes, quoique fort grandes, sont nomme´es e´tangs. Saugnacq-et-Muret 40 affiche ainsi les lagunes des Oustalets, de la Saoussie, de Garrans, de Chibaouchoude, de la Branouse, de Lestage, de Poulet, de la Plathia, de Chot. Lagon est le terme consacre´ pour les e´tendues d’eau situe´es entre la terre ferme et la barrie`re de corail dans les atolls ou les ıˆles des mers chaudes. Certains d’entre eux ont rec¸u des noms particuliers. Signalons le Lagon de la Porte d’Enfer a` Anse-Bertrand (Guadeloupe) et le Lagon a` la Saline-les-Bains (commune de Saint-Paul, Re´union). Le Lagon a` Capesterre-de-Marie-Galante est un tout petit e´tang de la Coˆte des Galets, que baigne coˆte´ mer une esquisse de lagon. Il existe aussi a` Saint-E´tienne-deTine´e le Lagon et, tout pre`s, le Pas du Lagon, mais il s’agit d’un tout petit lac de montagne vers 2 700 m.

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Un e´tang est, par de´finition et par e´tymologie, de l’eau qui « stagne » a` l’inte´rieur des terres ; il a donc un rivage terrestre continu : en ce sens l’E´tang de Berre n’est pas un e´tang, mais une rade (v. littoraux). E´tang fournit de tre`s nombreux NL, soit directement pour le plan d’eau, soit indirectement comme toponyme voisin d’un plan d’eau pre´sent ou parfois disparu. Il se de´cline en Estang, Estagnol, Estagnou, Estagnas, Estaing, Estaniech ainsi qu’E´tain 55 (anc. Stagnum), L’E´tanche (S. Gendron). Il est estany en catalan, stagnu en Corse, stank en Bretagne, ou` l’on note une ste´rie de NL Stangala et des dizaines de Stang avec comple´ment : Langolen 29 cumule dans le fond de la valle´e de l’Odet Pont ar Stang, Stang Vraz, Stang Vihan, le Moulin du Stang, et plus au nord Croaz ar Stang, Park ar Stang et Parl ar Stang Vihan, Stanguen Ven, Stang Leve´nez (de joie) ; ce sont tous des noms d’habitats, sans e´tang notable actuel. Estaing 65 a un lieu-dit Estagnet au-dessus du Lac d’Estaing ; on compte plusieurs dizaines de lieux-dits Estagnols ou Estagnous, une bonne vingtaine d’E´tang Rouge, dont un E´tang Rouge Cul a` Suarce 90, au moins autant d’E´tang Noir, presque autant d’E´tang Bleu, quelques l’E´tang Blanc – et une douzaine d’E´tang Sec, un E´tangville a` Saint-Yrieix-en-Charente 16. D’une manie`re ou d’une autre, les e´tangs ne sont stagnants qu’en apparence, et pas plus que les lacs : tous ont un flux d’eau, meˆme lent, alimente´ par les pluies et des cours d’eau, fleuves ou rus, ainsi qu’un exutoire. Celui-ci se nomme parfois e´tier, thou dans la Dombes, grau pour les lagunes languedociennes, terme qui vient de gradus, passage (IE ghredh, marcher, avancer, comme dans plantigrade) : Le Grau-du-Roi en porte le nom mais on a aussi le Grau d’Agde, le Grau de Vendres 34, le quartier du Grau a` Frontignan 34, le Grau d’Orgon en Camargue, aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Beaucoup d’e´tangs ont e´te´ ame´nage´s dans des vallons ou dans des aires humides au Moyen Aˆge, notamment pour les moines qui y voyaient une source de revenus et de poissons en careˆme, comme en Brenne, Dombes ou Sologne. D’autres e´taient de petites retenues derrie`re des barrages pour moulins ou forges. Le plateau des Mille E´tangs en Haute-Saoˆne contient quelque 850 e´tangs en partie naturels dans un paysage chaotique laisse´ par le retrait des glaciers, mais dont la plupart ont e´te´ ainsi re´ame´nage´s. En France du Nord, une difficile source de confusion est avec stein, la pierre : E´tainhus 76 (Esteinhues au XII e sie`cle) est un habitat de pierre, non d’e´tang ; il en serait de meˆme avec E´taintot a` Saint-Wandrille-Ranc¸on 76 et meˆme E´tang Val aux Pieux 50. La mare est petite, mais tre`s pre´sente en toponymie dans la France de l’Ouest et du Nord, sous diffe´rentes formes. Le nom lui-meˆme n’aurait e´te´ introduit en franc¸ais qu’au XVe sie`cle et vient du mar norois, importe´ en Normandie bien plus toˆt par les Vikings et issu de l’IE mori de´signant une e´tendue d’eau quelconque : la mer en vient aussi. Il a donne´ en Normandie de nombreux noms de villages en -mare comme Fongueusemare (boueuse), Sausseuzemare (des saules), Flicmare (de la pointe), plusieurs Inglemare (des Anglais) et E´tennemare (avec stein, pierre) et d’autres, associe´s a` un NP, comme Roumare 76. Mare peut de´signer de petites rades, de bassins de mouillage, comme au hameau de la Mare de Montfarville a` Montfarville 50, et l’Anse de la Mare chez sa voisine Re´ville. Marennes 17 porterait le nom de la mer, mais d’autres Marennes a` l’inte´rieur des terres ne peuvent se re´fe´rer qu’a` des

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plans d’eau locaux. Une e´troite lagune abrite´e derrie`re le cordon de dunes ancre´ sur la pointe de Mousterlin a` Fouesnant se nomme la Mer Blanche... Mare est souvent flanque´ d’un comple´ment : Mare Sauvage et Mare Be´nie au sud de Crosville-la-Vieille 27, les Mares Nouettes a` Parc-d’Anxtot 76. Brestot 27 re´unit une Mare des Boulaies, une Mare d’Iville, une Mare Belle-Fille, les habitats de la Mare Hareng et la Mare du Fil, le chaˆteau de Brumare. Sa voisine Appeville-Annebault contient une Mare de la Forge, une Mare de la Ville, une Mare du Clos et les habitats de Rondemare et des Marettes. On trouve aussi « mare » de fac¸on moins e´vidente dans des toponymes d’autres re´gions septentrionales : Faucogney-et-la-Mer 88 et les lacs de Longemer et de Retournemer (mais non Ge´rardmer, ou` il s’agit d’un meix), Mer 41, Mortemer ou Morthomiers 18, ainsi semble-t-il que Lametz 08, Lamath 54, Marfontaine 02. Des adaptations locales se sont traduites par mardelle, marchais ou mortier, termes de´signant des mares ou e´tangs dans tout l’Ouest et le Nord. Marchais est surtout employe´ au sud de la Loire et en Orle´anais : le Marchais et son e´tang a` Azay-leRideau, le Marchais du He´ron a` Cheille´ 37, les Trois Marchais et le Marchais de la Poue´e a` Saint-Senoch 37, le Marchais des Joncs au Bignon-Mirabeau 45. Mortier l’est plutoˆt au nord de la Loire, notamment en Gaˆtine tourangelle comme le Mortier a` Puits a` Me´zie`res-de-Touraine, mais les Beaux Mortiers sont a` Sorigny 37 au sud de Tours ; l’Anjou est constelle´ de toponymes en Mortier, les Mortiers, jusqu’au nom de la commune de Saint-Laurent-des-Mortiers 49. Il n’est pas impossible que l’image de l’eau stagnante se soit traduite aussi en Morteau : la Morteau est un hameau de la valle´e a` e´tangs de la Bar a` Vendresse 08, avec Ban et Prairie de la Morteau, Morteau un hameau d’Andelot-Blancheville 52 pre`s d’un me´andre abandonne´ du Rognon. La mardelle du Bassin Parisien et de Normandie est au sens strict une le´ge`re de´pression de terrain ferme´e, due au soutirage de calcaire, de sables ou de limons par les eaux d’infiltration. En fait le terme est voisin des mares, marchais et mortiers et certaines mardelles ne sont gue`re que de petits e´tangs, voire d’anciennes excavations artificielles. On trouve des lieux-dits les Mardelles a` Aulnay-sous-Bois et a` Brunoy et les Mardres a` Maisonnay 79, au milieu d’un ensemble de cryptode´pressions. Ils sont nombreux dans le Cher et l’Indre : ainsi des Mardelles a` Niherne, Mardelle Noire et Mardelle Joly a` Montierchaume 36, la Mardelle au Pommier a` Diors 36 ; Ervauville 45 re´unit une Mardelle du Chanvre, une Mardelle de Bonne-Foi et la Mardelle des Ferrie`res. Poel est un e´tang en flamand, comme poul en breton ou` le terme peut aussi s’appliquer a` une baie. La Flandre a deux Poel Veld (avec champ) a` Rubruck et Capelle-Brouck, Padde Poel (la crapaudie`re) a` Broxeele. Coˆte´ breton, poul est une anse sur la coˆte, un e´tang a` l’inte´rieur : citons Pouldreuzic (des ronces), Pouldouran 22 (abreuvoir) devenu Pouldurand a` Plumelec 56, plusieurs Poulmarc’h (cheval), Poul Rouzigou (rouge) a` Ploue´zec 22, Pouldu (noir) a` Lannion ou au Vieux-Marche´ ; mais certains poul y sont des alte´rations du plou, village, comme a` Poullaouen ou Pouldergat qui portent le nom d’un saint, ou Poullan qui fut Ploelan, avec lan comme sanctuaire. Un gaulois wadana, sans doute issu du wed IE pour l’eau, est re´pute´ a` l’origine de ve´nard et gue´nard comme noms d’e´tangs, dont s’inspirent entre autres Ve´narey-les-

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Laumes 21, ou l’e´tang de Venarde a` Marcilly-sur-Tille. Lindon est un autre terme celtique associe´ a` l’ide´e de liquide ; outre l’irlandais Dublin (e´tang noir), il semble avoir de´signe´ des e´tangs et se trouver dans Lalinde, ainsi que Lempdes 63, Lempdessur-Allagnon 43, Lemps, Lentiol, peut-eˆtre aussi Lons-le-Saunier, Lons 64 et Lens 62. Nous avons vu que les termes gour, gourg, oule, fre´quents dans le Midi, peuvent de´signer localement des trous d’eau, et meˆme des e´tangs ou de petits lacs. On attribue au pre´latin, vascon ou ibe´rique, des de´signations en boum, propres au Sud-Ouest, telles que le Boum de Soulas a` Gouaux-de-Larboust 31 et le Boum Atech a` Ooˆ 31, le col et le pic du Boum a` Cornus 11. Le terme est pre´sent en Gironde a` Are`s, et sans doute a` Lesparre qui a une Lagune de Bum ; mais le Boum a` Vache`res 04 doit plutoˆt eˆtre compris comme un bau, baou (rocher ou cavite´ rocheuse). Le basque emploie dans le meˆme sens ibon, sans doute apparente´ ; l’Ibon d’Estane`s est tout pre`s de la frontie`re au sud de Borce, mais en Espagne ; le terme basque est en ge´ne´ral traduit en « lac ». En raison de leur limpidite´, des e´tangs de montagne dans le Sud-Est sont nomme´s Clar ou Claret.

Le littoral Les bords de mer ont quelques toponymes particuliers et en partagent d’autres avec les reliefs, les plaines et les eaux. Trois mots de´crivent l’ensemble et se valent : le rivage, un peu ge´ne´ral et auquel il vaut mieux ajouter « maritime » ; la coˆte, plus populaire, on ne va plus aux « bains de mer » mais « sur la coˆte » ; le littoral, plus professionnel, employe´ par les ge´ographes pour e´viter la confusion avec les coˆtes inte´rieures, et par l’administration, qui ge`re notamment le Conservatoire du Littoral. Littoral vient du latin litus de meˆme signification, issu d’un IE lei qui a le sens de mouiller et dont viendraient aussi la Lituanie et la Lettonie. Par e´tymologie, le rivage, comme la rive, est ce qui marque une rupture ; la coˆte, ce qui est sur le coˆte´ ; le littoral, ce que mouille la mer – ou un grand lac. En fait, le littoral s’est surtout introduit en toponymie au XIX e sie`cle et par les mentions - sur-Mer ou -Plage, e´ventuellement -les-Bains. L’occitan, le catalan et surtout le corse emploient costa, mais bien moins sur le littoral que pour de´signer des reliefs inte´rieurs ; meˆme la Costa de la Crema a` Canet-en-Roussillon s’applique a` un bas coteau proche du littoral. Le corse fait un large usage de marina, terme qui s’applique aux hameaux littoraux de´pendant des villages perche´s et qui en ge´ne´ral portent leur nom : Marina de Meria, Marina de Sisco, Marina de Solaro, Marina de Porto, Marina di Fiori a` Porto-Vecchio – e´ventuellement francise´s en Marine. Enfin la Riviera, emprunte´e a` l’italien qui l’utilise pour la coˆte ge´noise, est un terme consacre´ pour les communes littorales a` l’est de Nice, quoique de de´finition assez impre´cise ; il est localement officialise´ par une communaute´ de dix communes, mais moins e´tale´e sur la coˆte (de Menton a` Beausoleil) qu’e´tire´e vers la montagne (jusqu’au Moulinet et donc au col de Turini)... Le breton se sert d’Arvor ou Armor, c’est-a`-dire « pre`s de la mer » pour l’ensemble du littoral, et d’aod pour une coˆte particulie`re, par exemple des plages Aod Vraz et Aod

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Bihan a` Santec (grande et petite), Menez an Aod a` Crozon (le mont du rivage), An Aod Uhel a` Lannion (en haut du rivage), la pointe de Feunteun Aod a` Plogoff (la fontaine au rivage), voire un Ty an Aod (maison du rivage) a` Rosnoe¨n au bord de la Rivie`re du Faou. Aod viendrait d’alt, haut. Armor et arvor entrent aussi dans la composition de toponymes : une quinzaine de lieux-dits Larmor et les deux communes de Larmor-Baden et Larmor-Plage ; l’Arvor est un hameau a` Tre´flez, un autre est a` Logonna-Daoulas sur la pointe du Bindy. Tourisme et publicite´ ont suscite´ de nombreux noms promotionnels et donc flatteurs, mais d’ine´gale notorie´te´. Le plus ancien est celui de la Coˆte d’Azur, propose´ dans un livre de Ste´phen Lie´geard en 1887, et fort e´tendu a` pre´sent puisqu’elle irait de Cassis a` Menton. Coˆte d’Or e´tait de´ja` pris : en 1789 le de´pute´ dijonnais Charles Arnoult avait obtenu son attribution officielle a` un de´partement, arguant de la couleur automnale des pampres. On s’est ensuite plutoˆt tourne´ vers les pierres et mate´riaux pre´cieux : Coˆte d’E´meraude (de Cancale a` Ple´neuf, a` partir de 1894), d’Argent (de Soulac a` Capbreton, depuis 1905), d’Opale (de Sangatte a` Berck, depuis 1911) et, plus re´centes, les Coˆtes de Jade (Pays de Retz), d’Albaˆtre (du Tre´port au Havre), de Nacre (d’Ouistreham a` Courseulles), de Granit Rose (Perros-Guirec, Tre´beurden, Tre´gastel). On a meˆme invente´ re´cemment, pour faire grec, une Coˆte d’Ame´thyste de Saint-Cyprien au Grau-du-Roi, sans raison apparente : rien de violet, un sourire si l’on songe que cette pierre serait celle de la sagesse et de l’humilite´, qualite´s e´minentes des Languedociens, un autre si l’on songe, parmi ses vignes, au sens grec du mot : absence d’ivresse, a-methys... Les autres noms sont moins pre´cieux mais non moins ambitieux : Coˆte Fleurie de Honfleur a` Cabourg, des Fleurs en Vende´e (La Tranche, La Faute, L’Aiguillon), des Le´gendes a` Brignogan-Plouescat, des Me´galithes en Morbihan, de Beaute´ sur la rive droite de la Gironde, d’Amour de Piriac a` Pornichet par La Baule, de Lumie`re de Saint-Jean-de-Monts aux Sables-d’Olonne. Restent une de´ja` ancienne Coˆte Vermeille d’Argele`s a` Cerbe`re, une re´cente Coˆte Bleue de Marseille a` Martigues, et une Costa Verde pour l’est de la Corse. Honfleur peut jouer sur l’ambiguı¨te´ de sa Coˆte de Graˆce, dont le nom est d’origine ancienne et religieuse, en e´vocation des pe´rils de la mer, mais peut eˆtre pris au sens moderne de gracieux – ne pas confondre avec gratuit. Les autres noms sont purement ge´ographiques et plus discrets : Coˆte Picarde, de Goe¨lo, de Cornouaille, Basque, etc. Outre-Mer, on en reste a` l’opposition classique Coˆte au Vent-Coˆte Sous le Vent. Le littoral comporte des coˆtes basses et des coˆtes rocheuses. Plusieurs de ces dernie`res sont nomme´es Coˆte Sauvage, comme au Croisic, a` l’ıˆle d’Yeu, a` l’ouest de Belle-Iˆle ou de Groix, en quelques points de l’ıˆle de Re´ ; mais celle de La Tremblade est de sable et de dunes... Les falaises sont des parois rocheuses proches de la verticale ; le terme vient du gaulois alis, attribuable a` un ancien oronyme p*l (chap. 4). Le terme figure en toponymie hors des littoraux, pour des versants un peu raides, tandis que les ge´ographes essaient de re´server son emploi aux rivages abrupts. Falaise est surtout employe´ sur les coˆtes de la Manche, comme la Falaise d’Aval et les Falaises d’Amont a` Saint-Valery-en-Caux, les Falaises a` Paluel, la Plaine des Falaises a` Veulettes-sur-Mer, les Terres de la Falaise a` Vattetot-sur-Mer, la Falaise des

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Vaches Noires a` Auberville et Gonneville, les Falaises a` Luc-sur-Mer. Il en existe aussi sur la coˆte me´diterrane´enne, comme les Falaises Soubeyrannes a` Cassis, quoique bien moins que parmi les escarpements de l’inte´rieur, et jusqu’en Guadeloupe comme Falaise Noire et Falaise Bellon a` Bouillante, la Grande Falaise a` AnseBertrand. Les falaises qui ne sont plus ronge´es par la mer sont dites falaises mortes, comme a` Biville et Vasteville ou` elles sont se´pare´es du rivage par les larges massifs dunaires des Dunes de Biville et des Mielle, ou Pinchefalise a` Boismont 80 en baie de Somme, au-dessus des Mollie`res de Pinchefalise. Le terme d’origine nordique clif ou clive (cliff = falaise en anglais, d’un protogermanique kliban non explique´) est a` l’origine de noms comme Cle´ville (Cliville en 1066), Clitourps, Escalleclif (ancien nom de Doville), Mesnil-Verclives (Warcliva vers 1025) ; mais meˆme ces versions peuvent apparaıˆtre a` l’inte´rieur des terres : Cliff est un chaˆteau a` Francilly-Selency en Vermandois, et Clippiacum, ancien nom de Saint-Ouen 93 aussi bien que de Clichy 92, a pu aussi venir de clif. Cliousclat 26 est interpre´te´ par J.-C. Bouvier comme un replat sur une pente. Il est possible de voir dans ces noms un rapport, soit avec le tre`s ancien kel associe´ aux rochers, soit avec la famille de l’IE klei, pencher, a` l’origine d’incline´ et de de´clivite´ – ainsi que de climat et de de´clin. Les indications des linguistes ne permettent pas de trancher. Les avance´es de la ligne de coˆte portent le plus souvent des noms me´taphoriques, en partie les meˆmes que pour les sommets. Le cap (du latin caput, la teˆte, IE kaput) est le plus commun. Les plus connus en France sont le Cap d’Antifer, le Cap de la He`ve au Havre, le Cap de la Hague au bout du Cotentin, le Cap Fre´hel, le Cap de la Che`vre a` Crozon, le Cap Sizun qui est en fait une presqu’ıˆle, le Cap Coz a` Fouesnant, le Cap Ferret a` l’entre´e du Bassin d’Arcachon, le Cap Cerbe`re a` la frontie`re d’Espagne, le Cap Canaille dans le Var, dont le nom viendrait soit du vieux radical can- pour des rochers, soit du chien par image. Citons encore le Cap Ferrat, Cap-d’Ail, Roquebrune-Cap-Martin sur la Coˆte d’Azur, le Cap Corse qui est aussi une pe´ninsule, le Capo Pertusato (troue´) a` Bonifacio, le Capu Rossu (rouge) a` Piana. La Guadeloupe a deux Capesterre, mais qui sont moins des caps que des « hauts », au vent. SaintPhilippe (Re´union) a un Cap Me´chant. Il est meˆme des « petits caps » : le Capicciolo di Volpi (le petit cap du renard) et la Punta di u Capicciolu a` Bonifacio, doublement nomme´e par pointe et cap, comme les Punta di Capicciolu a` Sarte`ne et Punta Capigliolo a` Casaglione. La teˆte n’apparaıˆt gue`re comme promontoire littoral, si ce n’est une Teˆte a` Bœuf en Guadeloupe (Anse-Bertrand) ou la Pointe de la Teˆte Noire a` Fre´jus ; ni d’ailleurs l’autre forme de cap qui est le chef, mise a` part sans doute la Pointe de Chef de Baie a` La Rochelle. En revanche, le breton pen ou penn, qui a le sens de teˆte et de bout, est tre`s re´pandu ; citons Penn al-Lann (de la lande) a` Carantec ou Penn Lann a` Billiers 56, Penn Enez (de l’ıˆle) a` Plouguerneau ou a` Lande´da, Pen Forn (du fourneau) a` Lande´vennec, Pen ar Vir (la fle`che) a` Lanve´oc et a` Telgruc ; et bien entendu Penmarc’h. La proe´minence s’exprime aussi par l’image du nez ; elle est pourtant venue sur les coˆtes franc¸aises par l’interme´diaire d’un nordique nes, issu de l’IE nas de meˆme sens, comme d’ailleurs le latin nasus et l’anglais nose : ainsi le Nez de Jobourg et le Nez des Voidries a` Jobourg, le Nez a` Vattetot 76 ou la commune de Longuenesse 62, voire le

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Bas de la Rue du Nez a` Urville-Nacqueville 50, ont commence´ comme ness, d’origine scandinave ; et des caps Blanc-Nez et Gris-Nez a` l’entre´e de la Mer du Nord, ou` cap et nez sont redondants et dont les noms sont venus par l’anglais ness – de meˆme e´tymon ne´anmoins. Le Cap de la Hague comporte lui-meˆme dans son de´tail plusieurs « nez » : Nez Bayard, Nez Quilas, Pointe du Nez Cabot et Pointe du Nez a` Saint-Germain-des-Vaux 50, la Pointe des Grands Nez a` St-Coulomb 35. Le Cap de Carteret fut jadis le Nez de Carteret (R. Lepelley). Le museau animal a servi e´galement de me´taphore de promontoire, comme pour des hauteurs. On nomme musoir la coˆte rocheuse, e´rode´e par les courants marins, sur le coˆte´ droit des estuaires de la Somme, de la Canche et de l’Authie mais la toponymie littorale ne l’a pas plus retenu que le mourre occitan, pourtant tre`s utilise´ pour les reliefs. Le groin a eu bien plus de succe`s : citons le Grouin du Sud a` Vains 50 a` l’embouchure de la Se´lune, la Pointe du Grouin a` Cancale, le Grouin de la Fosse a` Saint-Cast-le-Guildo, le Pas du Grouin a` la Pointe des Baleines de Re´ et, redondantes, la Pointe du Grouin a` Ge´fosse-Fontenay 14, la Pointe du Grand Gouin a` Camaret, la Pointe du Grouin du Cou a` La Tranche-sur-Mer. Beg est un terme breton tre`s employe´ pour des avance´es rocheuses plutoˆt pointues ; si reste dispute´e l’e´tymologie exacte, pour laquelle sont invoque´s le latin beccus et le gaulois beccos de meˆme sens, elle n’est pas diffe´rente de celle du bec, et les deux termes coexistent. On trouve Beg ar Frout (du courant) a` Locque´nole´, Beg ar Forn (du Four) a` Tre´drez-Locque´meau, Beg Douar (du pays, de la terre) a` Plestin-les-Gre`ves, Beg ar Billou (de la hauteur) a` Santec, Beg an Toullou (du trou) a` Ploune´our-Trez, Beg ar Scaf (du sureau) a` Brignogan, Beg ar Manach (du moine) a` Landunvez, Beg ar Groaz (grotte), Beg Meil (du moulin ou du mulet) a` Fouesnant. Beg an Fry a` Guimae¨c serait la pointe du nez, comme un redoublement. Quiberon projette au sud un Beg er Lan (lande) et un Beg er Vil (des galets) et le Pays Bigouden semble eˆtre « de la pointe » – celle de Penmarc’h plus probablement que celle des coiffes.... Mais la Normandie a aussi un Bec d’Andaine (a` Geneˆts 50) en forme de cap, comme Marseille a le cap e´troit du Bec de Sormiou et La Ciotat le Bec de l’Aigle, tout aussi pointu. La Pointe du Bec de l’Aˆne a` Jobourg 50 est a` la fois plus cocasse et plus e´nigmatique. Le Port du Bec a` Beauvoir-sur-Mer semble mieux en rapport avec l’ide´e de bouche, embouchure et le fameux Bec d’Ambe`s en Gironde est une pointe de confluence bien effile´e. Bar semble eˆtre un autre synonyme de cap dans un site comme Barfleur, mais son origine est dispute´e et les homonymes sont nombreux. Vir est employe´ en Bretagne au sens de fle`che et s’emploie pour des pointes. Cela ne va pas sans redondances : ainsi de Beg ar Vir a` Lampaul-Plouarzel et a` Roscanvel, Penn Vir a` Pleubian, et les triplets Beg Pen ar Vir (aussi pointe de la Tavelle) a` Camaret, Pointe du Bec de Vir a` Tre´veneuc. Loin de la` et assez curieusement, on note un Bec du Vir, sommet du Mercantour a` Saint-E´tienne-de-Tine´e 06... Pointe est de loin le terme le plus utilise´ sur les coˆtes franc¸aises, quelle que soit la re´gion, avec la seule variante punta en corse ou en catalan. Citons la Pointe de Barfleur, la Pointe du Roc a` Granville, la fine Pointe du De´colle´ a` Saint-Lunaire, la ce´le`bre Pointe du Raz a` Plogoff, la Pointe de la Jument a` Tre´gunc, une Pointe

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Runglaz (courant bleu) a` Guimae¨c, une Pointe du Diable a` Plouzane´, une Pointe Churchill a` Carnac ou la la longue Pointe de la Fume´e a` Fouras 17. La Pointe de la Torche a` Plomeur vient d’une fausse interpre´tation de Beg an Dorchenn, la pointe en forme de coussin (ou de fauteuil, ou du Tertre). La Pointe de Guilben a` Paimpol est une pointe « du retour » d’ou` l’on guettait celui des des terre-neuvas. Le terme est si ge´ne´ral que certaines « pointes » ne sont meˆme pas pointues : la Pointe de Beauduc en Camargue arle´sienne n’est qu’une longue et douce courbe, comme la Pointe des Saumonards a` Ole´ron, et Vieux-Port en Guadeloupe a une Pointe Ronde a` coˆte´ d’une Pointe Plate. Un cas particulier, et logique, est l’association de la pointe avec l’ide´e de de´fense et de surveillance. Pointe peut eˆtre couple´ a` Garde ou Guette : la Pointe de la Varde a` Rothe´neuf, les pointes de la Garde-Gue´rin a` Saint-Briac-sur-Mer et de la Garde a` Saint-Cast-le-Guildo, la Pointe des Guettes a` Hillion 22 et la Guette a` Ple´neuf-ValAndre´, la Punta di a Guardiola a` Piana. L’association de Pointe et de Chaˆteau est tre`s fre´quente, meˆme quand aucune trace de chaˆteau n’a e´te´ atteste´e : c’est que chaˆteau, kastell en breton, est devenu synonyme de falaise par l’image et la silhouette d’une de´fense imprenable : des Pointes du Chaˆteau sont a` Perros-Guirec, Plougrescant, Locquirec et Logonna-Daoulas ; Kastell Dinn est aussi dit Pointe de Dinan a` Crozon ; la Pointe de Castel Meur (grand chaˆteau) est a` Cle´den-Cap Sizun, la Pointe du Castel a` Primelin, la Pointe du Castelli a` Piriac, la Pointe de Kastell Koz (vieux chaˆteau) a` Beuzec-Cap Sizun, et Penchaˆteau au Pouliguen. La Guadeloupe a aussi une longue Pointe des Chaˆteaux, et la Re´union a la sienne a` Saint-Leu. La pointe peut aller jusqu’a` l’e´peron : ainsi de L’E´peron a` Paluel, ou de la Pointe de Sperono a` Bonifacio. Le norois haugr, hauteur, a laisse´ sur le littoral des traces en hoc, hougue, hague : la Hougue de Saint-Vaast-la-Hougue, La Hague au bout du Cotentin, la Pointe du Hoc a` Cricqueville-en-Bessin, haut lieu du De´barquement de 1944, la Pointe du Hock a` Cancale.

Abris de mer Les coˆtes accidente´es sont riches en abris aux noms varie´s. Les plus employe´s sont l’anse et la crique. Anse vient de l’anse de panier, latin ansa, de l’IE ans de meˆme sens : une anse dessine une courbe. Le terme est fort employe´ sur toutes les coˆtes, y compris de tre`s faible relief, et surabondant aux Antilles. Crique a un sens comparable a` l’origine puisqu’il de´rive d’un ger IE de´signant une courbe, dont vient aussi le crochet ; toutefois, il s’applique surtout a` des abris moins ouverts, plus profonds, plus enchaˆsse´s dans les rochers. Il prend parfois la forme carque, mais en Normandie le terme est tre`s discute´ car il peut venir d’une alte´ration de kirke, e´glise, donc sans rapport avec une crique dans Criquetot, Yvecrique, Carquebut, Querqueville. Pour de petites anses, le breton se sert beaucoup de Porz (port) et de Toul (trou), parfois Poul ou Poullou (trou d’eau) qui de´signe aussi un e´tang. Plestin-les-Gre`ves a des Toull Effiam (saint local), Toull Linad (des orties), Toull Kurun (mare´cageux), Toull ar Vag (du bateau), ainsi que Poullou Du (du=noir). Une autre Anse du Pouldu est a` Clohars-Carnoe¨t 29, l’Anse du Pouldon (don=profond) a` Combrit 29.

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Le Pouliguen 44 a le sens d’anse blanche. Paimpol est forme´ sur pen et poul, Tre´boul a` Douarnenez sur tre´ (village) et poul. L’Anse du Poulet a` Maupertus-sur-Mer 50 semble appartenir a` la meˆme famille, poul ayant e´galement e´te´ employe´ en normand et en flamand. Mais toul de´signe aussi un large bas-fond au Toul Tan Braz (le trou du grand feu) entre Plougasnou et le plateau de la Me´loine. L’image de la coquille est employe´e pour d’autres anfractuosite´s, sous les noms de conque ou conche, conca en corse. Quiberon a une ponte et une anse du Conguel, qui vient de konk, la conque, comme Le Conquet ou Concarneau. Les conches abondent sur la coˆte de Royan ; Saint-Georges-d’Ole´ron a une Conche aux Lie`vres et une Anse de la Maleconche, Saint-Cle´ment-des-Baleines (ıˆle de Re´) une Conche des Baleines tre`s ouverte. Agde 34 a une petite anfractuosite´ littorale nomme´e la Grande Conque au Cap-d’Agde, Me`ze 34 la Conque comme petite anse de l’e´tang de Thau. Collioure fut au V e sie`cle Caucho Liberi, e´voluant ensuite vers Cochliure, et signifiant en ibe`re « ville neuve de la conque ». Mais conque ou conche sont e´galement tre`s utilise´s pour des de´pressions a` l’inte´rieur des terres. La calanque au sens le plus connu est une forme particulie`re de crique, sur la coˆte me´diterrane´enne, enfonce´e dans un haut relief calcaire aux parois escarpe´es. Les plus ce´le`bres calanques sont celles de Marseille et de Cassis : calanques de Sormiou, Morgiou, Sugiton, En Vau, Port-Pin, Port-Miou. Bandol a celle du Port-d’Alon et Bormes-les-Mimosas cache une Calanque de la Tripe pre`s du fort de Bre´ganc¸on. Mais il en existe aussi dans d’autres sortes de roches du coˆte´ de Fre´jus a` Saint-Aygulf (calanque des Romains, des Corailleurs, du Four a` Chaux), Saint-Raphae¨l (de Maubois, d’Anthe´or), Cavalaire (de la Cron), The´oule (calanque des Deux Fre`res), qui sont de simples e´chancrures de la coˆte rocheuse, peu profondes et en forme d’anses. En Corse ces e´chancrures se nomment cala, comme la Cala d’Oru (d’Or) a` SariSolenzara, la Cala Rossa (rouge) a` Lecci. Le terme se rapporte toutefois a` des formes assez varie´es : a` Piana, la Cala Genovese (ge´noise) du Capu Rossu ressemble a` celles de Marseille, tandis que la Cala di Palu (du marais) est une large baie ; la Cala di Conca (de la conche) a` Sarte`ne est une anse moyenne, la Cala Prudente a` Lumio est un creux de vallon, la Cala di Sole (du soleil) a` Ajaccio un fort versant d’adret audessus de la mer, la Cala Calabrese a` Campitello est a` l’inte´rieur dans la valle´e encaisse´e du Golo ; surtout, les Calanchi de Piana, a` l’ouest de la Corse, sont des reliefs vigoureux et tre`s de´coupe´s, nullement des abris coˆtiers. Aussi l’e´tymologie du terme preˆte-t-elle a` discussion : elle balance entre le tre`s ancien cal- pour les rochers (comme aux Calanchi de Piana, a` Calacuccia, etc.) et l’ide´e d’un fond, d’un terrain en pente, d’un abri vers lequel on descend, car calar, calare est descendre, voire toucher le fond ; ce qui rapprocherait cala et calanque de la cale du bateau et meˆme de la calade. En fait, le sens ge´ne´ral de cala est celui de forte pente, menant e´ventuellement a` l’eau. La` pourrait se trouver l’origine de Calais (P.-H. Billy), voire du Chaˆlons mayennais (anc. Caladunno) et de certains Challes ou Challans. Les Normands ont importe´ un flo, auquel est apparente´ le fjord norve´gien, et qui a e´volue´ vers fleur ; il de´signe une crique, une petite baie, un abri, e´ventuellement l’embouchure d’un petit fleuve, sinon celui-ci tout entier. Il est bien connu dans Honfleur (Hunefleth au XI e sie`cle, Honnefleu au XVI e, la baie d’un sieur Huno, ou du

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chien, on ne sait) ou Barfleur (Barbefloth, Barbeflueth vers 1070) : une baie en coin, ou d’un Barbu, ou sous un mamelon (R. Lepelley) ; ainsi qu’a` Harfleur (Herolfluot en 1035, d’un NP), Vittefleur (blanche), Fiquefleur (poissonneuse ou funeste selon les interpre´tations), la Gerfleur a` Carteret. Le Fier d’Ars, baie de l’ıˆle de Re´, serait de cette famille. Mais ces sujets sont l’objet de discussions (L. Guinet), fleur e´tant parfois interpre´te´ flur, floor (champ), par exemple a` Fleurbaix 62, voire comme simple appartenance d’un lieu, maison ou meˆme mare, surtout s’il est associe´ a` un NP, ce qui est tout de meˆme rare pour des accidents du littoral. Le havre est aussi un abri du rivage, et souvent associe´ a` la notion de port, ce que confirme l’e´tymologie : le terme, commun en Europe du Nord (haven, hafen) y serait de la famille de l’IE kap qui a donne´ haben, to have : avoir ; ce serait l’endroit qui a des bateaux, ou` ils se tiennent. Il est consacre´ par Le Havre, cre´e´ comme port en 1517 ; mais il en est bien d’autres, comme le Havre de Payre a` Talmont-Saint-Hilaire 85, le Havre de Roubary et le Havre de Crabec a` Gatteville-le-Phare 50 ou le Havre, hameau de Quine´ville 50, le Village du Havre a` Port-Bail 50, le Petit Havre a` Pordic 22 ou au Gosier en Guadeloupe, le Havre du Robert et celui de la Trinite´ en Martinique, le Haˆvre a` La Faute-sur-Mer 85. Le Havre de Geffosses 50 sur la coˆte de la Manche, ferme´ par un cordon littoral, est a` pre´sent une simple lagune. Plus surprenants sont les lieux-dits de l’inte´rieur des terres : le Havre a` Lande´hen 22, a` Miniac-Morvan ou a` Montgermont 35, a` Barneville-la-Campagne 14, etc. ; la plupart, toutefois, sont au bord d’une rivie`re ou d’un marais. Le terme a pu e´voluer vers haˆble, qui s’applique a` une petite baie abrite´e derrie`re un cordon de galets ; le Haˆble d’Ault (Cayeux-sur-Mer 80) est maintenant ferme´ et re´duit a` un e´tang de dimensions variables ; on trouve des Hable a` Coqueville et a` Regne´ville 50 ; un Pont du Hable a` Cricqueville-en-Bessin 14 et un Port du Haˆble a` Omonville-la-Rogue 50. La rade est venue en franc¸ais par l’anglais pour de´signer en principe une indentation particulie`rement bien abrite´e : les deux plus connues, celles de Brest et de Toulon, prote`gent les deux grands ports de guerre du pays et sont assez bien de´fendues par des goulets e´troits. Curieusement, le terme serait issu de l’IE reidh, chevaucher, d’ou` sont e´galement venus la route et le raid – par l’ide´e de passage et d’expe´dition. Un Fort de la Rade est a` l’ıˆle d’Aix, et La Faute-sur-Mer a une Rade d’Amour a` coˆte´ de son Havre. On connaıˆt la Rade de Port-Louis et la Rade de Pen Mane´ a` Lorient, la Rade d’Agay a` Saint-Raphae¨l et celle de Villefranche-sur-Mer, la Rade de SainteMarie en Martinique. Toutefois, le terme peut eˆtre employe´ de fac¸on bien plus impre´cise. La Rade d’Hye`res est paradoxale par sa tre`s large ouverture, tandis que la Rade des Basques entre Ole´ron, La Rochelle et l’ıˆle d’Aix be´e sur le Pertuis d’Antioche et n’est meˆme pas ferme´e au sud-est, ou` s’espacent l’ıˆle d’Aix et Fort-Boyard. La Rade de l’Iˆle d’Aix est encore plus ouverte, en simple prolongement de l’estuaire de la Charente. La Rade de Saint-Pierre en Martinuqe est une large baie et la Rade d’Endoume a` Marseille n’a absolument rien d’une rade au sens commun. Ajoutons que les lieux-dits en Rade sont plus nombreux hors des coˆtes, et de significations diffe´rentes, souvent mal connues.

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L’expression cul-de-sac est volontiers employe´e aux Antilles pour des rades ou des anses un peu profondes, comme en Guadeloupe le Grand et le Petit Cul-de-Sac Marin a` la jonction de Grande Terre et de Basse-Terre, et a` la Martinique le Cul-deSac du Marin (du nom du village), ceux de Fre´gate et des Roseaux au Franc¸ois, de Paquemar et de Petite Grenade au Vauclin. Il n’y a aucune logique apparente dans les choix des termes baie, anse, rade, havre, cul-de-sac en Martinique, l’un pouvant eˆtre un simple de´tail local d’un autre. On y emploie aussi accul : a` Petit-Canal (Guadeloupe), l’Accul de Sel est une anse, et Sainte-Anne a une Anse Accul et une Pointe de l’Accul. Sainte-Anne (Guadeloupe) a une anse nomme´e Chaudie`re a` Frire en employant une autre image. Vic, en Normandie, a pu avoir le sens d’anse ou crique, avec une ide´e de passage, voire d’entre´e : un point de de´barquement ; mais il est tre`s difficile de le distinguer du village (vicus). Ce vic n’a pas plus de rapport avec via : il aurait la meˆme origine que le guichet, au sens d’entre´e surveille´e, les deux venant d’un IE weik e´voquant notamment une cachette, un recoin, ici une petite baie prote´ge´e : Houlvi (a` Gatteville) au sens de profond, les E´tanvis (a` Gatteville) au sens de pierre (steen), Bre´vy (a` Re´ville) comme large (breit), Plainvic (plate) a` Digulleville 50, Vouy (vic) a` Gre´ville-Hague, Vasouy a` Honfleur 14 et a` Colleville 76 (anc. Wasvic, de was = marais). Le cap Le´vi a` l’est de Cherbourg e´tait a` l’origine Kapelwic, la crique de la chapelle – l’un des plus beaux contresens de la toponymie franc¸aise. Cran sert a` de´signer quelques criques des falaises de la Coˆte d’Opale, au de´bouche´ de vallons, dont a` Audresselles un Cran aux Œufs, un Cran Poulet, un Cran Mademoiselle et a` Escalles, sous le Cap Blanc-Nez, le Cran d’Escalles. Sangatte a aussi un quartier le Cran. Aber est employe´ pour certains estuaires en Bretagne, du coˆte´ du Le´on, mais a` vrai dire seuls l’Aber Vrac’h, l’Aber Benoıˆt et l’Aber Ildut au nord du Finiste`re sont ainsi nomme´s, et ces noms s’appliquent aussi en amont aux petits cours d’eau qui y de´bouchent. Crozon 29 a` une plage et une ıˆle de l’Aber, au de´bouche´ du vallon de l’Aber ; l’Aber a` Roscoff 29 n’est qu’un hameau au fond d’une baie. Toutefois, selon H. Le Bihan, le nom d’Audierne 29, qui fut jadis Trefgoazien (village du Goyen, le fleuve local) a pu venir d’Abergwaien, l’aber du Goyen. Bien plus re´cemment, le terme espagnol de ria, diffuse´ par les ge´ographes comme nom ge´ne´rique pour une valle´e ennoye´e par la mer, a e´te´ adopte´ en toponymie franc¸aise, par exemple au Conquet 29 (la Ria) ; cela reste exceptionnel et la « ria » d’E´tel 56 est proprement appele´e Rivie`re d’E´tel. Baies et golfes, termes ge´ne´riques en ge´ographie, sont de toutes tailles et de toutes formes et leur de´nomination ne suit pas de re`gle logique. En principe, selon l’e´tymologie, une baie devrait eˆtre be´ante, un golfe resserre´. En effet, baie vient d’un bet IE pour baıˆller, comme be´ant, du latin batare qui a fourni aussi le badaud ; tandis que golfe a pour origine l’IE kwelp, courbe serre´e, par le grec kolpos qui a de´signe´ aussi le giron et le vagin. Pourtant le golfe de Gascogne est fort large et, d’ailleurs, Anglais et Espagnols le nomment baie (de Biscaye). La plupart des anfractuosite´s me´diterrane´ennes portent le nom de golfe, tandis que baie est plus re´pandu du coˆte´ de l’Atlantique et de la Manche, et les deux termes ont peu de rapport avec la forme ou la taille : les choix viennent de traditions locales de´ja` anciennes. Baie et golfe

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entrent dans quelques noms d’habitats comme Golfe-Juan a` Vallauris ou BaieMahault en Guadeloupe. On trouve e´galement des Baies dans certains lacs, comme ceux de Serre-Ponc¸on ou du Bourget.

Coˆtes basses Plage a la meˆme origine que plaine, mais n’a gue`re e´te´ importe´ sur nos rivages qu’au XIII e sie`cle. Le mot a d’ailleurs eu aussi le sens d’aire, contre´e et subsiste en ce sens dans les reliefs des Alpes-Maritimes, comme nous l’avons de´ja` note´ (chap. 4) a` propos de pentes. Son sens moderne, strictement limite´ a` des e´tendues plates de sables ou de graviers, voire de galets, s’est fixe´ au XIXe sie`cle et a e´te´ annexe´ par de nombreuses stations de bains de mer comme Moriani-Plage a` Santa-Lucia-diMoriani, Saint-Cyprien-Plage, Canet-Plage, Narbonne-Plage, Valras-Plage sur la coˆte me´diterrane´enne, Moliets-Plage, Mimizan-Plage ou Biscarosse-Plage sur la coˆte atlantique, souvent en de´doublement de l’ancien village ou ville. La Bretagne a moins de formations de ce genre : on n’y lit gue`re que Carnac-Plage et LarmorPlage. Plus au nord, le terme re´apparaıˆt de`s Carolles-Plages et s’affirme au TouquetParis-Plage, et jusqu’a` Bray-Dunes-Plage, parfois hors des noms locaux anciens, comme Stella-Plage a` Cucq. On trouve meˆme maintenant un Langres-Plage au bord du lac de Lecey en Haute-Marne ; et un Paris-Plage saisonnier... Le breton emploie souvent trez ou traez pour la plage : Ploune´our-Trez 29, Trez Rouz a` Crozon, Trez Foe¨n a` Plovan (la plage au foin), Trez Goarem (le haut de plage, la hauteur pre`s de la plage) a` Esquibien, le Trez Hir a` Plougonvelin (la longue plage), Ker an Trez a` Tre´darzec, etc. Falc’hun conside´rait ce terme comme e´quivalent du trait ou traict pre´sent en presqu’ıˆle de Gue´rande et issu du latin tractus au sens de traıˆne´e, qui a pu s’appliquer a` des rivages et a` des laisses de mer. Il en est bien ainsi pour les traict de la presqu’ıˆle de Gue´rande : le Petit Traict et le Grand Traict des marais salants de Gue´rande et Batz sont des vasie`res draine´es par des chenaux et e´tiers, et l’e´tier de Pont-d’Arn longe les Traict de Rostu, du Rosay, de Merguel a` Mesquer, de Pen-Be´ a` Asse´rac, qui sont aussi des vasie`res. Les Sables sont parfois pre´fe´re´s a` « Plage », comme pour bien marquer qu’il ne s’agit pas de galets... C’est vrai en Corse avec les Sables de Biguglia a` Borgo, en Vende´e avec Les Sables-d’Olonne, en Bretagne avec les Sables Blancs a` Locquirec ou Plage des Blancs Sablons a` Tre´babu ou au Conquet. Les grandes coˆtes sableuses s’en abstiennent. On retrouve les Sablettes a` La Seyne-sur-Mer mais, si la Coˆte d’Azur nomme une a` une ses nombreuses petites plages, souvent fort caillouteuses il est vrai, elle n’a gue`re de noms de lieux habite´s en Sable ou en Plage. Gre`ve est de la famille de gravier, et aurait pu ne de´signer que des e´tendues de graviers et de galets, mais le terme a e´volue´ et a fini par de´signer aussi des plages de sable, la plage en ge´ne´ral, voire la plage de fac¸on recherche´e sinon poe´tique. La Bretagne a Saint-Michel-en-Gre`ve et Plestin-les-Gre`ves, laquelle a une Gre`ve des Cure´s ; Roscoff a une Grande Gre`ve, Carantec a la Grande Gre`ve et la Gre`ve Blanche, Plouguerneau a aussi sa Gre`ve Blanche, comme Guilvinec et Tre´gastel, et Saint-Nic et Plomodiern se partagent la Lieue de Gre`ve. Mais le terme s’applique a` de simples

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plaines alluviales comme les Gre`ves a` Brucheville 50, au de´bouche´ de la Douve dans le Grand Vey, ou meˆme loin a` l’inte´rieur : les Gre`ves, voire les Grandes Gre`ves, sont des centaines en Champagne, Picardie, Berry, Bourbonnais. Quelques formes de rivages maritimes ont des traces en toponymie. Le terme lido a e´te´ importe´ de Venise par les ge´ographes pour de´signer le cordon de sables se´parant de la mer une lagune. Il existe en Corse : le Lido de la Marana a` Biguglia au sud-est de Bastia. Il a e´te´ re´cemment introduit a` Port-Barcare`s 66. A` Leucate, la Corre`ge, avec la pointe de la Corre`ge et le port de la Corre`ge, signalent le cordon littoral, par me´taphore d’une courroie. La Bretagne a quelques sillons pour des alignements de galets, dont le fameux Sillon de Talbert a` Pleubian, ou le Sillon des Anglais a` Lande´vennec. Vili (ou bili) de´signe en breton les galets : le cordon de plage de la baie d’Audierne est Arvor Vili. Bono 56 a un Kervilio, la baie de Saint-Michel-enGre`ve 22 un Toull Bili et un Toul ar Vilin comme criques des galets, Santec 29 un Porz ar Vil (port des galets) et, a` Dossen, une longue plage Ar Vale qui est probablement de la meˆme famille. Les cordons en forme de crochet se nomment pouliers en Picardie, terme qui ne s’affiche pas plus en toponymie que les cricq ou crocq qui leur sont localement applique´s : les Crocq, assez nombreux en Picardie, n’ont rien de littoral. De meˆme, la fle`che est une pointe de sable ou de galets, mais n’est pas entre´e en toponymie littorale : la vingtaine de lieux-dits la Fle`che note´s sur les cartes IGN sont disperse´s dans les campagnes de l’inte´rieur ; seul peut-eˆtre le hameau de la Fle`che a` LarroqueToirac 46 pourrait correspondre a` la pointe aval d’une plaine alluviale du Lot. Le simple terme pointe, loin d’eˆtre re´serve´ aux coˆtes rocheuses, est de loin le plus re´pandu dans ce domaine, dont les ce´le`bres Pointe de Grave et Pointe de la Coubre a` la sortie de la Gironde, ou la Pointe d’Arc¸ay et la Pointe de l’Aiguillon devant le Marais Poitevin, la Pointe du Banc qui ferme presque l’entre´e du Havre de SaintGermain-sur-Ay dans la Manche et celle d’Agon l’entre´e du Havre de Regne´ville, la Pointe du Hourdel et celle du Touquet a` l’embouchure de la Somme et de la Canche. Tey ou mieux they est un terme provenc¸al e´quivalent, suppose´ venir d’un ligure pour tas de sable, qui s’applique aux deux pointes encadrant l’embouchure du Rhoˆne, They de Roustan, They de Be´ricles et a` leurs annexes qui, outre un They du Mort, portent surtout des noms de bateaux e´choue´s : They de la Tartane, de la Gracieuse, de la Balancelle, de l’Annibal... Un terme d’origine viking flix subsiste en Normandie dans le Havre de Flicmare (pointe en mer) et le Fligard (l’enclos de la pointe), tous deux a` Gatteville 50. L’accumulation des sables par le vent provoque la formation de dunes en croissant, ou d’alignements de dunes a` la topographie plus ou moins mouvemente´e. Dune vient du dhuno IE comme hauteur prote´ge´e ou lieu fortifie´, comme la racine –dun. Elle apparaıˆt en composition sans e´quivoque dans divers toponymes comme Bray-Dunes et Dunkerque (l’e´glise des dunes), qui fut Dunes-Libres en 1793 ; Ravenoville 50 a une Campagne des Dunes, un Grand et un Petit Hameau des Dunes. Les lieux-dits en Dunes abondent dans les Landes de Gascogne ou` sont meˆme des Dunes de Bre´montier a` Hourtin 33, en hommage a` l’inge´nieur qui trouva le moyen de fixer les sables par les pins maritimes dans les anne´es 1780, et une Dune du Truc du Lion, truc au sens d’e´minence, a` Lacanau 33.

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Dans les Landes s’emploient aussi les termes piquey, pilat et crohot. Les deux premiers e´voquent un tas, mais les Piquey sont surtout au nord d’Arcachon, les Pilat ou Pyla au sud. Crohot semble venir de creux mais, comme le fosse´ et le vallum, il s’applique au relief qui le borde : les divers Grand Crohot, dont le plus connu est celui de Le`geCap-Ferret, le Crohot des Caballes au Porge ou le Crohot de la Mule a` Lacanau de´signent bien de gros ensembles dunaires. Les de´pressions allonge´es entre alignements de dunes se nomment le`des en Gironde et lettes dans les Landes, un terme qui viendrait du latin latus, large : Le`de de Carreau a` Grayan-et-l’Hoˆpital 33, la Grande Le`de a` Vensac 33, la Le`de de Ginestras (des geneˆts) a` Vendays-Montalivet et meˆme la Le`de du Crohot a` Lacanau, la Lette Longue, la Lette du Pı¨n, la Lette du Loup et la Lette Ne`gue a` Sainte-Eulalie-en-Born, la Lette des Joncs a` Biscarrosse et la Lette du Juncut a` Saint-Julien-en-Born, etc. En Normandie, les ensembles dunaires du Cotentin se nomment mielles, un terme qui s’applique aussi aux couloirs plats et souvent cultive´s entre les alignements dunaires ; il viendrait du scandinave melr (IE mel) pour le sable. Les Mielles d’Allonne sont une zone naturelle dunaire prote´ge´e a` Saint-Re´my-des-Landes ; des Mielles sont a` Glatigny, Saint-Jean-de-la-Rivie`re ou a` Port-Bail, Saint-Germain-sur-Ay, les Plates Mielles a` Surtainville, la Mielle a` Saint-Georges-de-la-Rivie`re, la Mielle du Nord aux Moitiers-d’Allonne, le Moulin de la Mielle a` Vasteville, toutes communes de la Manche. Mais a` Cre´ances le quartier des dunes porte le nom des Caves... Le nom de la dune en Bretagne est tevenn et il y est tre`s employe´, ainsi Te´venn a` Santec 29, a` Sibiril 29, Te´venn Braz (grande) a` Cle´der 29 ou Te´venn Meur de meˆme sens a` Plouescat 29, Teven Pen (la pointe de la dune) a` Lampaul-Ploudalme´zeau 29, et encore Erdeven 56 (ar-Tevenn) ; mais tevenn peut eˆtre e´galement synonyme de falaise rocheuse : l’examen du terrain permet de trancher. La baule sert localement en Loire-Atlantique pour de´signer l’ensemble forme´ par une dune, le marais sale´ qu’elle borde et la ve´ge´tation halophile qui y croıˆt : outre La Baule-Escoublac, haut lieu de la Coˆte d’Amour, on repe`re la Baule de Merquel a` Mesquer et les Baules de Sissable a` Gue´rande. On appelle estran la partie du littoral qui de´couvre a` mare´e basse, mais aucun toponyme ne s’en inspire. Rocheux et plat, c’est un platier, platin comme le Platin de Grave pre´ce´dant la Pointe de Grave ou le Platin du Fort a` la Pointe Saint-Gildas (Pre´failles 44), le Platin a` Saint-Palais-sur-Mer 17, ou plate, parfois plateau. Le Platier des Lardie`res est a` Saint-Lunaire, la Plate des Coudrais devant Erquy, les Platie`res devant Ple´neuf, le Platier des Trois Teˆtes a` Planguenoual, le Platin a` Rivedoux-Plage et dans la baie d’Angoulins 17. L’IGN signale aussi des Pladen (platier en breton) ou Pladinier autour des Gle´nan (Fouesnant 29) et devant Concarneau. Curieusement, un platier devant Saint-Aubin-sur-Mer et Langrune-sur-Mer se nomme les Essarts de Langrune. De sable, de graviers ou de galets, l’estran est une plage. Boueux, c’est une vasie`re. Couvert de ve´ge´tation de spartines, salicornes et autres espe`ces halophiles, c’est un herbu. On parle de vey en Normandie pour des e´tendues mixtes mais ou` l’on peut circuler. Tous ces termes sont la source de toponymes, parfois assez e´tendus comme les Herbus de Vains et du Val-Saint-Pe`re a` l’embouchure de la Se´lune, ou les grands Herbus de la baie du Mont-Saint-Michel devant Pontorson et Huisnes, Beauvoir et

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Roz-sur-Couesnon, plusieurs Vasie`re en Loire-Atlantique, dont une Vasie`re des Baules a` Batz-sur-Mer, les Vasie` re de Kercune et de Kerigue´nen a` LocoalMendon 56 au fond de la Rivie`re d’E´tel, les Grasses Vases d’Ade´ au sud-est de l’ıˆle d’Ole´ron. Les herbus du fond de la baie de l’Aiguillon sont des mizottes, dont la plante caracte´ristique est la puccinelle, ou herbe a` moutons qu’appre´cient les ovins de « pre´s-sale´s » ; derrie`re la digue, d’anciennes mizottes ont conserve´ le nom, mais ne sont plus recouvertes a` haute mer : Mizottes des Laisses, Mizottes des Vrillandes, les Grandes Mizottes a` Charron, la Pre´e Mizottie`re a` Sainte-Radegonde-des-Noyers, les Misottes a` Grue 85. Matte a le sens voisin de terre gagne´e sur la mer dans le Marais Breton : les Mattes a` Saint-Gervais 85, a` Saint-Hilaire-de-Riez, le Polder des Mattes a` Saint-Vivien-deMe´doc 33 – mais les nombreux lieux-dits les Mattes dans le Midi font re´fe´rence a` des buissons. Le terme prise est plus largement employe´, comme les Prises des Balises, les Prises des Wagons et les Vieilles Prises a` Triaize 85, les Prises des Corsives, de Gros Jonc, la Prise Nouvelle et meˆme la Prise de Malakoff a` Saint-Michel-en-l’Herm, dont la prise la plus re´cente se nomme les Polders. Le terme polder, emprunte´ au ne´erlandais, est en effet bien inte´gre´ dans la toponymie franc¸aise et largement diffuse´ sur les coˆtes, surtout en Normandie, en Bretagne et en Vende´e. Il existe une se´rie de Polder a` Roz-sur-Couesnon 35 dont un Polder Fre´mont, un Polder Pre´tavoine, un Polder du Nouveau Conseil. Les Veys 50 affichent un autre Polder Fre´mont, Polder de l’E´tang, Polder du Flet, et une ferme des Polders ; notons encore les Polders a` Isigny-sur-Mer, Polder du Rouff et Polder du Carmel a` Bre´vands 50 ; un Polder de Se´bastopol a` Barbaˆtre 85, voire une ZAC du Polder a` Gravelines 59 et meˆme un Polder d’Erstein en Alsace. Rencloˆture est e´quivalent a` prise dans les Bas-Champs picards et a fourni une dizaine de toponymes, notamment a` Port-le-Grand et Noyelles-sur-Mer 80. En Me´diterrane´e, les ve´ge´tations de sols sale´s portent diffe´rents noms lie´s au sel : salanque, salobre, sansouire ; les salicornes sont parmi leurs plantes caracte´ristiques. La Salanque proprement dite est une contre´e des basses terres au nord-est des Pyre´ne´es-Orientales, autour de Saint-Laurent-de-la-Salanque et Villelongue-de-laSalanque 66. Deux lieux-dits s’e´crivent la Salanca a` Lupia et a` Perpignan. La Salanquette est aux Saintes-Maries-de-la-Mer et les Salanquets sont a` Narbonne. Montescot et Torreilles 66 ont des lieux-dits El Salobre, mais les Salobres a` Montse´ret et a` The´zan-des-Corbie`res 11 sont a` l’inte´rieur, dans la plaine de l’Aussou. Les Salicornes est un lieu-dit des Saintes-Maries. Portiragnes 34 a les Salanes, le Grand Salan et les Hauts Salants, Saint-Gilles 30 les Salimandres. Un Mas Neuf des Sansouires et un Mas de l’Ange des Sansouires sont dans la Camargue arle´sienne. Le nom de la salicorne est engane en provenc¸al, et s’e´tend aux sols sale´s a` salicornes : d’ou` les Enganes de Millet et le Clos des Enganes a` Arles (Camargue). Palu est un terme ge´ne´ral pour les plaines humides, surtout de bords de mer ou de lacs. Il vient du latin palus (marais, e´tang), comme le paludisme, fie`vre des marais et les habitats palustres, de marais et e´tangs. L’e´tymologie plus lointaine est discute´e mais pourrait eˆtre de l’IE pele pour le plat, l’e´tale´, dont sont issus le plan, la plaine et

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les champs nordiques (field, fjell, feld, polje´). Les formes locales sont diverses : Palud, Pallud, et Padula en corse. Outre les nombreux marais ou plaines qui en portent le nom, en viennent Palluau 85, Palluaud 17, Palluel 62, Paluel 76, Pallud a` Landes 17, Paladru 38 au bord de son lac, Noirpalu au Tannu 50, et encore les Palus a` Portiragnes, la Palus a` Marsillargues, le Grand Peloux a` Port-Louis-du-Rhoˆne et En Palun a` Saint-Chamas, Padule a` Borgo et Padulalta a` Lucciana, Padule a` Venzolasca et a` Sorbo-Ocagnano, Padulella a` San-Nicolao, Padulatu et Padula Tortu a` Zonza ; et peut-eˆtre Palavas 34. Le nom n’est pas re´serve´ aux littoraux maritimes mais accompagne lacs et rivie`res, d’ou` les Palluau-sur-Indre 36, Pallud en Savoie, La Palud-sur-Verdon, et quantite´ de la Palud. En dehors des nombreuses mentions de parcs a` huıˆtres, bouchots, claires et meˆme carrelets porte´es sur les cartes de l’IGN au 1 :25 000, on trouve peu de lieux-dits se re´fe´rant explicitement aux peˆcheries et e´levages marins. C’est a` peine si se signalent le Pas des Huıˆtres a` Saint-Martin-de Re´ 17, l’Huıˆtrie`re sur le platier de Vauville et celui de Morsalines 50, un E´tang aux Huıˆtres a` Saint-Martin aux Antilles ; les Boucoleurs a` Chaˆtelaillon-Plage 17, le Rocher des Bouchots a` Bourcefranc-le-Chapuis, la Pointe et la Plage des Saumonards a` Saint-Georges-d’Ole´ron ; ou Le Vivier-sur-Mer 35 et le Vivier a` Loix 17 – mais la plupart des lieux-dits le Vivier sont sans rapport avec le littoral. Les re´fe´rences aux ressources marines sont plus nombreuses en Bretagne, mais plus difficiles a` lire : meˆme F. Falc’hun a eu du mal a` les identifier ; du moins, avec son aide, pouvons-nous signaler l’Istrec (huıˆtre) a` Locoal-Mendon 56 dans la Rivie`re d’E´tel, l’ıˆlot Enez Eog devant Plouescat (ıˆle au saumon), le rocher Roh Brennic a` Kerbostin en Saint-Pierre-Quiberon 56 et Brennec en Locoal-Mendon, qui se re´fe`rent a` la patelle.

Lignes de coˆte L’espace interme´diaire entre le littoral et la haute mer est lui-meˆme fort riche en noms de lieux au gre´ des affleurements et des cheminements. Les ıˆles sont nomme´es, et ont leur propre toponymie. Quinze communes ont des noms en Iˆle suivie d’un de´terminant, y compris Iˆle-de-Sein, Iˆle-Mole`ne ou Iˆle-d’Yeu ; mais bien entendu d’autres noms existent, a` commencer par Belle-Iˆle, et il s’en trouve aussi dans quelques lacs et dans le cours des rivie`res comme en te´moignent L’Iˆle-Bouchard 37, L’Isle-en-Dodon 31, l’Iˆle-Saint-Denis 93, L’Iˆle-d’Abeau 38, etc. De nombreux noms comprennent ıˆlet ou ıˆlot, le corse emploie isola ou le diminutif Isolella comme a` Pietrosello, d’ailleurs moins pour de vraies ıˆles que pour de petites presqu’ıˆles, voire des isolats inte´rieurs. Le mot peut en effet avoir un sens figure´, comme a` Isola 06, bien seule au fond de la valle´e de la Tine´e – moins depuis qu’elle a e´te´ double´e par la station de ski Isola 2000.... Le nom breton de l’ıˆle est enez, proche du gae´lique inis ; des dizaines de toponymes l’incluent, quelquefois seul comme an Enez (l’ıˆle) a` Ploubazlanec, le plus souvent avec un comple´ment : E´nez Du (noire) a` Guisse´ny, E´nez Vihan (petite) a` PleumeurBodou ou Lande´da ; Penne E´nez a` Plouguerneau. Pourtant, paradoxalement, les E´nez, pris comme image d’un habitat isole´, sont bien plus nombreux a` l’inte´rieur des

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terres, comme les E´nez Rouz (rouge) a` Ploudaniel ou Tre´ouergat, E´nez Veur (grande) a` Penve´nan, E´nez Raden (des fouge`res) a` Saint-E´varzec, an E´nez a` Plouaret. Un terme d’origine nordique a laisse´ de nombreuses traces et Normandie et alentour : holmr-holm, qui est dans Stockholm, signale une ıˆle, parfois une simple e´minence. Il a donne´ Le Houlme 76, le Hom, le Hoˆme (Varaville 14), le Homet (Omonville-la-Rogue), l’Anse du Hommet (Re´ville) et meˆme la forme surprenante Le Homme 61, Robehomme a` Bavent 14, les E´chommes a` Saint-Senier-sous-Avranches 50, Saint-Quentin-sur-le-Homme 50. Un morceau de platier devant Langrunesur-Mer se nomme aussi le Home. Ce terme a pu e´voluer en hou, qui apparaıˆt dans l’ıˆle Tatihou (Saint-Vaast-la-Hougue 50), Quettehou 50 (Chetehulmum 1066-83), les E´cre´hou a` Port-Bail 50, ainsi que dans Hotot-en-Auge 14, la Pointe du Heu (Bretteville), dans plusieurs ıˆles de l’archipel anglo-normand, et peut-eˆtre hau comme dans les Hautot de Seine-Maritime. Un autre radical pour l’ıˆle, d’un nordique augjo, qui fournit en Scandinavie de nombreuses terminaisons en -ey, -o¨y, øy, semble bien eˆtre a` l’origine de OyePlage et de l’ıˆle d’Yeu (gentile´ Ogien). Les ıˆles des e´tangs de Camargue ont e´te´ nomme´es radeau, par me´taphore : ainsi des Radeaux Bessons (deux jumeaux), du Radeau des Tamaris, du Radeau des Flamands (en fait des flamants). Le basque emploie uharte, urarte, forme´s a` partir de l’eau (ur) et qui apparaıˆt dans quelques ıˆlots des Gaves ; plus de trente toponymes des Pyre´ne´es-Atlantiques sont en Uharte´a et Uhart sans eˆtre nullement des ıˆles, sinon par image. Le terme presqu’ıˆle, tre`s employe´ par les ge´ographes, est peu entre´ en toponymie ; on notera toutefois la Presqu’Iˆle de Crozon, celles de Quiberon, d’Arvert et celle de Saint-Mandrier, Presqu’ıˆle Sainte-Marguerite a` Lande´da, du Vivier et Saint-Laurent a` Porspoder, de la Caravelle en Martinique. Le´denez est l’exacte traduction de presqu’ıˆle en breton ; Mole`ne a Le´denez Vraz et Le´denez Bihan (la grande et la petite), Le Conquet Le´denez Que´me´ne`s qui serait celle du tailleur si elle n’est pas de kemenet (terre de commande). Il en est aussi sur des e´tangs, comme Presqu’ıˆle des Terriers ou de Chavaudon au lac d’Orient (Lusigny-sur-Barse 10). Il est plus rare de trouver des lieux-dits Presqu’ıˆle sur des rivie`res, mais non exclu : Autet 70 a une Presqu’ıˆle de la Cre`che en bord de Saoˆne, pre`s d’une ıˆle borde´e par la Vieille Saoˆne et portant la Voivre d’Autet, sous foreˆt. Pe´ninsule, juste un peu plus savant, est encore plus re´cent et n’enrichit pas la toponymie : meˆme a` Kerguelen (TAAF), les pe´ninsules sont nomme´es presqu’ıˆles. Les hauts-fonds, qui e´mergent parfois a` mare´e basse, portent en ge´ne´ral le nom de banc ou de basse, baz en breton, baisse en Me´diterrane´e : Banc des Pourceaux, Banc de Harbour face a` Dinard, Banc Chelin devant Saint-Cast, Banc de Trompe-Sot a` Saint-Trojan 17 ; Basse des Justie`res devant Erquy, de la Traverse a` Saint-QuayPortrieux, du Colombier et de Roc’h Hir (le long rocher) a` Pleubian, Basse Se`che a` Guimae¨c, Basse des Bretons devant Lanildut et de nombreuses autres basses devant Brignogan ; Baz Meur (grande basse) devant Tre´gastel, Baz Hir et Baz c’Houez a` l’ouest de Mole`ne. Baisse en Camargue indique des vasie`res. Les Basses de la Fourmigue sont un large haut-fond du Golfe Juan.

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Les termes image´s pont et chausse´e s’appliquent aux hauts-fonds qui semblent faire communiquer une ıˆle avec la coˆte, ou meˆme deux archipels. On trouve le Pont de Saire a` Re´ville 50, le Pont de la Gaine a` Pleubian 22 et le Pont des Chats au sud-est de Sein, le Pont d’Yeu devant Notre-Dame-de-Monts 85, la Chausse´e de Karreg Hir (long e´cueil) a` Plouguerneau, la Chausse´e des Pierres Vertes entre Mole`ne et Ouessant et la Chause´e des Pierres Noires au sud-ouest de Mole`ne, la Chausse´e de Sein au sud de l’ıˆle. Le terme plateau (sous-marin) est souvent employe´ aussi : le Plateau des E´chaude´s et ceux de la Hauriane et des Sirlots devant Bre´hat, le Plateau des Duons en baie de Morlaix, le Plateau de la Helle devant Le Conquet, le Plateau d’Angoulins et ceux des Duraignes et de Lavardin devant La Rochelle. Le Plateau du Calvados, au large de Courseulles, est un haut-fond qui a donne´ son nom au de´partement qu’il borde. Une barre est un obstacle, de sable, de rochers ou simplement de fortes vagues, qui ferme en partie un port, une baie, et e´ventuellement les prote`ge. La Barre d’E´tel est a` l’entre´e de la Rivie`re d’E´tel – mais les toponymes la Barre sont infiniment plus nombreux a` l’inte´rieur, meˆme en Bretagne. Barrachois ou Barachois apparaıˆt a` Saint-Denis (Re´union) et a` Miquelon, ainsi qu’en plusieurs lieux du Canada ; il s’agit d’un terme d’origine basque (barra txipia) de´signant une « petite barre » qui ferme une lagune et exporte´ par les marins basques. Les e´cueils qui e´mergent en permanence de ces hauts-fonds ou qui affleurent sont parfois nomme´s comme tels, par exemple a` Hye`res (E´cueil de Gabian, des Anguillons) ; le mot serait de´rive´ d’un grec skopoelos, qui passe pour de´signer un lieu d’ou` l’on guette, ou plutoˆt que l’on guette... La plupart des e´cueils portent en fait le nom ge´ne´rique de Rocher, Roc’h en breton avec pour variantes Roh ou Rohu en Morbihan : Rocher de Nacqueville, Roches d’Arguenon a` Porspoder, Roc’h Pelguent a` Plouguerneau, Grand et Petit Rohu a` Saint-Gildas-de-Rhuys et Roh Beniguet (be´ni) a` Sarzeau, Roc’h an Dar (du Pou de Mer...) a` Perros-Guirec1. En Corse l’e´cueil est scogliu : Scogliu Biancu et Scogliu Longu a` Sarte`ne, i Scogli Rossi a` Olmeto, i Scoglietti a` Ajaccio (Aspretto) ; d’autres sont nomme´s a Botte, par me´taphore de la barrique ou de la botte de paille. Le breton emploie assez souvent aussi karreg ou garreg, parfois me´an ou men, avec des orthographes variables. Le premier est en rapport avec la ve´ne´rable racine kar pour roche, les seconds avec men pour pierre. On trouve ainsi Karreg Hir (long) devant Guisse´ny, Karek Hir devant Loctudy, Carec Coz (vieux) a` l’ouest de Lande´da, Karreg Velen (jaune) et Karreg Le´dan (large) sur le Plateau de Le´zenn a` Plouguerneau, Carrec Segal et Carrec Ple´lan a` Carnac. Les Menhirs a` l’est de Balanec au Conquet ne sont pas des me´galithes, mais de longs re´cifs ; un autre Men Hir est parmi les Roches d’Arguenon au large de Porspoder, un Men Glaz (vert ou bleu) parmi les Roches de Portsall (Ploudalme´zeau). Notons aussi Lizenn Du et Lizenn Venn (re´cifs noirs et blancs). Certains e´cueils ont le nom de Sourn (qui surgit), a` ne pas confondre avec l’homonyme pour source. 1. A` titre d’exemple, voir la belle collection de noms de rochers littoraux recueillie par Guy Prigent pour l’Inventaire ge´ne´ral du Patrimoine culturel, communes littorales des Coˆtes-d’Armor, a` Ploumanac’h (PerrosGuirec) dans http://patrimoine.region-bretagne.fr.

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Les re´cifs sont aussi des e´cueils, mais le terme s’emploie surtout pour les parties e´merge´es ou affleurantes des barrie`res de corail qui entourent des ıˆles et des atolls. Il serait d’origine arabe, passe´ par l’espagnol ou le portugais. Les re´cifs sont tre`s nombreux dans le Pacifique, en Nouvelle-Cale´donie et en Polyne´sie, par exemple au nord de la Grande Terre avec les Re´cifs des Franc¸ais, le Grand Re´cif de Poum, le Re´cif de l’Arche d’Alliance et les Re´cifs de Cook. Comme bien d’autres, les re´cifs de la Minerve aux Gambier portent le nom d’un navire. On en trouve aussi deux mentions a` la Re´union : le Re´cif et le Petit Re´cif a` Saint-Joseph et Saint-Philippe, un Re´cif du Sud ou un Re´cif Chaloupe sur la barrie`re de corail de Mayotte, un Re´cif de San Giuseppe a` Coggia 2A. Caye est employe´ aux Antilles pour une petite ıˆle rocheuse, a` l’instar des keys de Floride : Caye Verte a` Saint-Martin, Caye Boudin a` Capesterre-de-Marie-Galante. Les jaillissements d’eau au sein des rochers sont qualifie´s de souffleur et ont suscite´ quantite´ de Pointe du Souffleur ou Trou du Souffleur aux Antilles comme a` la Re´union, et meˆme a` Quiberon ou a` Cassis – mais on trouve aussi cette expression sur des plateaux calcaires, comme a` Villers-le-Sec 70, ou le Trou-qui-Souffle a` Me´audre 38 en Vercors. En outre, ces rochers ont e´te´ baptise´s d’une kyrielle de noms me´taphoriques, ge´ne´ralement en rapport avec leur forme : avec les classiques aiguille (l’Aiguille de Belval a` Be´nouville ou l’Aiguille a` E´tretat), on trouve c¸a et la` les Deux Fre`res, les Castellets a` Gatteville, le Diamant (au Diamant 972, un autre pre`s du phare des Pierres Noires au large de la Pointe Saint-Mathieu), le Cormoran (E´culleville), les Poulets (Fermanville), le Menu Chien (Cosqueville), Pen ar Rink (la Teˆte de Grenouille) aux Gle´nan, les Chaises de Primel, les Tas de Pois (a` Camaret dans le prolongement de Pen Hir), le Bœuf (Le Conquet), les Couillons de Tome´ devant la presqu’ıˆle de Tome´ a` PerrosGuirec, ou la De´chire´e a` Chausey. F. Falc’hun en a donne´ une longue et pittoresque liste pour la Bretagne ou` l’on va d’un Pot de Beurre a` une Pierre-Œuf (Men Wi), un Rocher des Inquie´tudes (Carrec ar Morhediou), un Trou de l’Enfer a` Groix, ou un Clou (Tach) mal francise´ en la Tache, une Roche Pendue qui a duˆ eˆtre un Roc’h Penn Du (roc a` teˆte noire). Les Aˆnes sont un ensemble d’e´cueils en mer devant SaintQuay-Portrieux et des rochers du platier de Tatihou (Saint-Vaast-la-Hougue 50). Entre hauts-fonds, ıˆles et e´cueils, les passages sont nomme´s chenal, passe, pertuis, coureau, et raz en Bretagne et Normandie. Raz signale a` la fois un passage et un courant rapide : la Pointe du Raz avance dans le Raz de Sein, le Rocher du Gros Raz e´merge devant le Cap de la Hague, le Raz de Barfleur est surveille´ par le phare de Gatteville. Un Chenal du Relec se dessine devant Ploudalme´zeau 29, un Chenal du Four devant Plouarzel 29, un Chenal de la Helle un peu plus a` l’ouest, contenant un chenal des Elez a` l’est de Mole`ne ; un Chenal de la Vache est devant Ronce-les-Bains. Le Chenal des Charpentiers permet l’acce`s aux ports de l’estuaire de la Loire. Les Coureaux se situent entre l’ıˆle de Groix et Larmor-Plage, Le Coureau d’Ole´ron prolonge vers le nord le Pertuis de Maumusson. On appelle Pertuis d’Antoche et Pertuis Breton les deux larges bras de mer entre Ole´ron et Re´, Re´ et la coˆte vende´enne. Passe est le terme ge´ne´ralement employe´ pour les ouvertures dans les barrie`res de re´cifs, notamment en Nouvelle-Cale´donie et en Polyne´sie ou` les noms en Passe et

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Re´cif abondent. Passe est aussi employe´ dans les Landes du Me´doc et meˆme a` Ole´ron pour des sentiers forestiers, alors qu’il ne l’est gue`re pour des passages maritimes. On trouve cependant une Passe de la Chime`re au Conquet, entre les ıˆles de Que´me´ne`s et de Tre´len, et deux Passes (de l’Ouest et du Sud) a` l’entre´e du port de Lorient. Celle du principal port et habitat de Kergue´len a e´te´ nomme´e Passe Royale, du nom familier de la Marine Nationale. L’IGN nomme Passage du Fromveur le courant qui longe Ouessant au sud-est et signale le Passage de la Teignouse entre Quiberon et le petit archipel d’Houat et Hœdic, le Passage du Be´niguet qui rase la pointe septentrionale de l’ıˆle d’Houat, le Passage des Sœurs le de´troit entre Houat et Hœdic. En Normandie, quille pourrait avoir eu le sens de passe a` Quillebeuf-surSeine 27, a` partir d’un kill norrois de ce sens. De´troit, qui est un « e´troit », s’emploie aussi pour des passages maritimes entre deux terres. Curieusement, en toponymie, il n’est gue`re pre´sent qu’a` l’inte´rieur des terres pour de´signer un passage un peu resserre´ ; tout juste rele`ve-t-on un De´troit du Grand Gaou aux Embiez (Six-Fours-la-Plage 83) ; meˆme au sud de la Grande Terre de Nouvelle-Cale´donie, on parle de Canal de la Havannah, et entre Saint-Pierre et Miquelon le bras de mer est nomme´ « la Baie ». L’isthme est en quelque sorte l’inverse du de´troit : un bras de terre entre deux mers. Il ne figure qu’en trois exemplaires sur Ge´oportail : a` juste titre, l’Isthme de Langlade qui relie les deux parties de Miquelon ; et deux toponymes des marais de Marseillette 11 et Rexpoe¨de 59, ou` il est pris au sens figure´ pour une leve´e entre deux aires basses et humides. Toutes sortes d’ame´nagements ont e´te´ apporte´s aux rivages ; la plupart de posent gue`re de proble`me d’interpre´tation. Port est le plus e´vident et sans doute le plus re´pandu parmi les toponymes, avec les variantes Porz en Bretagne et Porto en Corse ; mais on sait que port peut avoir aussi le sens de col, au point que la seule commune nomme´e Le Port est dans la montagne arie´geoise. Sur 55 communes arborant le nom de Port ou de Portet, onze seulement sont des ports de mer ; du moins Port 01 peutelle eˆtre conside´re´e comme un port sur la rive du lac de Nantua. D’origine scandinave, merk a le sens de marqueur, de repe`re sur le littoral, et appartient a` la meˆme famille que marque ou marche comme limite (IE merg). Il a fourni en ce sens le substantif amer. De la` viennent des noms comme la Merque, un rocher dans l’anse de Landemer a` Re´ville 50, l’Amer Pyramide a` Saint-Cle´ment-desBaleines 17, l’Amer Sud de Cayeux a` Cayeux-sur-Mer 80, l’Amer de Biscarosse dit aussi la Pyramide, a` Biscarosse 40 et quelques autres mentions d’amers. Les phares se signalent partout sous ce nom, avec un de´terminant ; une curiosite´ est la plage de l’Almanarre a` Hye`res, dont le nom vient de l’arabe al manar (phare) et date du VII e sie`cle. Le seul lieu-dit avec phare hors du littoral est le Phare de Verzenay, site d’une tour-belve´de`re installe´e sur la Montagne de Reims en 1909 a` la gloire de l’e´picier Goulet, re´cemment re´habilite´ en Muse´e du Vin... Une trentaine de lieux-dits le Se´maphore, seul ou avec comple´ment, figurent sur les cartes IGN, tous en bord de mer. A` coˆte´ de port apparaissent des quais, jete´es, bassins, darses, estacades et embarcade`res, a` la source de lieux-dits ine´galement ce´le`bres. Citons le Quai d’Orsay ou le Quai de Conti a` Paris, le Quai Conti a` Louveciennes 78, les Quais a` Urville-

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Nacqueville 14, plus de nombreux Quai a` la Re´union sur la coˆte au vent, ou` ils de´signent seulement une portion de rivage, meˆme a` peine e´quipe´e, par exemple un Quai de Patate et un Quai au Bois a` Sainte-Rose. Mais quai est aussi dans des campagnes, ou` il a pu avoir le sens de haie (v. chap. 6). Estacade a pour origine des pieux plante´s et, outre quelques points du littoral, a` Hossegor 40 ou a` Roscoff 29, et l’Estaque marseillaise, il se trouve des Estacade, Estaques ou Estacare`de bien ailleurs, telles les Estaques a` Decazeville 12, le Coll de l’Estaca a` Sore`de 66, voire les Stacots a` Saint-Le´ger-sous-Beuvray 71. Embarcarde`re comme lieu-dit est plus continental que littoral, jusqu’en pleine Beauce (l’Embarcade`re a` Bazoches-lesGallerandes), et l’Embarcade`re de Lagnieu est un relief du Bugey...

Les me´te´ores : le vent qui souffle De nombreux lieux font re´fe´rence aux vents. Moins a` des vents pre´cis et a` une direction particulie`re qu’au vent qui souffle : ce sont en ge´ne´ral des lieux expose´s, de´gage´s, en hauteur. Plusieurs dizaines de lieux-dits se nomment ainsi Tout Vent, notamment en Charente et en Pe´rigord ; on rele`ve aussi six le Vent, trois Plein Vent et trois Grand Vent, un Haut Vent a` Iffendic 35 et un autre a` Saint-E´tienne-deMontluc 44, un Col Ventous a` Villeneuve-Minervois 11, un Pech de Vente-Farine a` Villasavary 11. Les Heurtevent ou Hurtevent sont aussi fre´quents, surtout en Vende´e et dans le Nord-Ouest, les Hurlevent sont une quinzaine. Dix-sept lieux se disent E´vente´, dont la commune de Caumont-l’E´vente´ dans le Calvados, et cinq Cul E´vente´ ou E´vente Cul, en Normandie ou en Picardie ; on a meˆme un Mont d’Invente´ a` Renescure 62. Fresquiennes 76 a deux hameaux proches nomme´s Tout Vent et Bel E´vent. Le Bel E´vent est un toponyme assez courant (une vingtaine d’occurrences sur Ge´oportail), surtout en Seine-Maritime. On trouve encore Sous Mal Vent a` Vosbles 39 et Sous Tout Vent a` Montdidier 80, un Souffle-Vent a` Vironvay 27, deux Souffle-en-Cul a` Ponts-et-Marais 76 et Vitz-sur-Authie 80... Vingt-quatre lieux, dont une commune en Vende´e, ont nom Treize-Vents, comme pour dire que cela souffle de toutes parts. Il existe aussi de nombreux Quatre-Vents, mais le sens peut eˆtre diffe´rent : « vent » peut eˆtre synonyme de direction et il s’agit alors de carrefours. E´pivent, parfois e´crit E´pivant, est un toponyme ge´ne´ralement associe´ a` des moulins, notamment dans la Manche ; on trouve aussi les E´pivents a` Ple´lan-le-Petit 22, E´turqueraye 73, Saint-Georges-de-la-Coue´e 72, et les Pivents a` Rouffigny 50. Ventadour est un NL tire´ du vent, pre´sent du Limousin au Rhoˆne et meˆme en Arie`ge, mais qui a pu de´signer plus pre´cise´ment une aire a` battre. La forme devient bent en occitan, d’ou` de nombreux lieux-dits Bentaillou, Bentajou, Bentaillol, en ge´ne´ral pour des versants expose´s au vent. Souffler s’est dit buffer ou pouffer en ancien franc¸ais, verbes conside´re´s comme onomatope´iques : au moins 35 toponymes sont en Buffevent comme a` La Cre`che et Cherveux 79 ou a` Montjoi 82, plus des Buffe-Vent a` Rivie`res 16, Lherm 46, Salles 47, Bouffe-Vent en Velay (a` Agnat et Le´otoing), Buffeben a` Castelculier 47 ; s’y ajoutent une trentaine de Bouhobent, Bouhebent, Bouhabent dans le Gers, autant dans les Landes et quelques-uns alentour ; et les Buffe, Buffie`re, Buffaz.

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L’aura grec et latin, issu d’un IE wer dont viennent aussi l’air et la racine ae´ro, reste employe´ dans le quart sud-est de la France pour de´signer le vent, sous la forme aure. On a ainsi un col des Aures a` Saint-Pierre-de-Chartreuse 38, des cols de Toutes Aures a` Vergons 04 et Choranche 38, une quinzaine de les Aures et une douzaine de Toutes Aures dans le Midi, Toutesaures a` Rogues 30, plusieurs cols de la Croix de Toutes Aures a` Chasselay 38, Thodure 38, Brion 38 et Borne 07, deux Bouffelaure (souffle le vent) en Velay (a` Berbezit et Saint-Pal-de-Chalencon), plus des formes alte´re´es comme un col des Aires a` Saint-Bresson, une Creˆte de Tout Auras a` Claret 34. Auraient la meˆme origine des noms de lieux comme Aurouze, Auroux, Aureillan, Auribeau et peut-eˆtre Oraison (anc. Auraison), voire le col de Naurouze a` Montferrand 11 ou` souffle souvent le vent d’autan, sinon les Naurouzes a` Upie 26. Le nom ayant parfois e´te´ mal compris, il a e´te´ source d’erreurs bien connues, a` pre´sent rectifie´es, qui avaient invente´ a` Toulon le Baou de Quatre Heures (ou Quatre Ouros), en fait un rocher des Quatre Vents, et le col des Milords, qui e´tait des Mille Aures. Il en est peut-eˆtre d’autres : la Pierre de Quatre Heures a` Chichilianne 38 et le Rocher des Onze Heures a` Pourrie`res 83 laissent reˆveur. On sait que la constance de la direction des vents a` certaines latitudes, d’ouest autour du cinquantie`me paralle`le, d’est en zone subtropicale (les alize´s), se traduit par l’opposition traditionnelle des coˆtes « au vent » et « sous le vent ». Elle a ses effets sur les toponymes : on a par exemple un Au Vent a` la De´sirade, un Bas-Vent a` Deshaies (Guadeloupe), les Iˆles du Vent et les Iˆles Sous le Vent en Polyne´sie. Cayenne et Remire-Montjoly ont des lieux-dits au nom des Alize´s. L’e´tymologie de ce nom, apparu au XVI e sie`cle, reste myste´rieuse, peut-eˆtre en rapport avec le « lis du vent ». C’est d’ailleurs le cas de la plupart des noms locaux de vents, pourtant fixe´s dans l’expression courante ou poe´tique et, avec une certaine discre´tion, parmi les toponymes. L’aquilon est un vent du nord, dont le sens est dispute´ entre aqua (a` cause de la pluie, dont il n’est cependant pas le plus charge´) et aquilius (sombre, a` cause des nuages noirs...) – a` moins que ce ne soit « aigu », qui pique, aussi simple que vraisemblable. Tuchan 11 a un Sarrat des Aquilonets, Alata (Corse) un Aquilone et une Punta d’Aquilone, Antisanti une source d’Aquilone, mais certains de ces termes peuvent venir d’aigle ou d’aiguille... Le vent d’autan, bien connu des Toulousains, a davantage de toponymes. On reste surpris par l’interpre´tation e´tymologique du TLF, qui y voit absurdement un terme « provenc¸al » pour un vent venant de la « haute mer » : il ne souffle pas en Provence et ne vient nullement de la haute mer ; il faut seulement le comprendre comme un vent qui vient « du haut », c’est-a`-dire des Pyre´ne´es, ou entre Pyre´ne´es et Massif Central. Il inspire des lieux-dits du Tarn et de la Haute-Garonne surtout, comme En Bordis d’Auta a` Maureville, une Me´tairie d’Autan a` Puylaurens, une Borde d’Autan a` Fourquevaux, un Rouch d’Autan a` Lagarde ; le pays de Castres et Mazamet a choisi de s’appeler pays d’Autan – plus surprenants sont la Ferme d’Autan a` Ple´de´liac 22 en Bretagne et les Pre´s d’Autan a` Foucherans 39 ; mais certains de ces Autan n’ont peuteˆtre pour sens que « en haut, d’en haut ».

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La balague`re est un vent du sud qui traverse les Pyre´ne´es et descend vers le nord avec un effet re´chauffant de fœhn ; le nom e´voque le coup de balai qu’elle peut donner a` la neige ; Le Tech 66 a un El Balaguer, mais la plupart des Balague´, Balaguier et autres de´rive´s sont plus directement en rapport avec le geneˆt (balag), qui lui-meˆme a fourni le nom du balai. La burle est au contraire un vent froid des Ce´vennes et des plateaux du Vivarais, un peu de la Droˆme, violent et fauteur de conge`res. Elle a marque´ les Burles a` Me´zilhac 07 et Plan-de-Baix 26, un Suc de Burle au Chambon 07, la Burle a` Rogues 30, Dio-et-Valquie`res 34, Burle a` Labeaume 07 et a` Saint-Ambroix 30, peut-eˆtre Burlats 81. Ge´oportail mentionne 33 Burle ou la Burle, surtout dans le Gard et l’Arde`che, et Burlet a` Pe´one 06, Chaˆteuaneuf-sur-Ise`re 26. Des Burle ou Burlet sont dans les Landes, la Savoie et les Alpes du Sud mais peuvent avoir eu un autre sens. La bise est cinglante, la brise est douce. La premie`re viendrait d’un germanique bisjo de´signant un vent froid et soutenu de nord-est ; cinq lieux-dits la Bise sont en Saoˆneet-Loire, mais le terme est polyse´mique et figure en toute re´gion. Les Heurtebise sont plusieurs dizaines, surtout en Champagne et Lorraine (Marne, Haute-Marne et Meuse) ; les Hurtebise sont assez communs aussi. Trois Fioulebise (souffle-vent) apparaissent dans l’Arde`che a` Issanlas, Genestelle, Le Be´age. Lonlay-l’Ababye 61 a un Froidebise. La plupart de ces lieux sont sur des creˆtes ou des rebords de plateaux expose´s. La brise est d’origine tre`s incertaine, plutoˆt associe´e aux Indes et a` la Me´diterrane´e ; mais elle se manifeste re´gulie`rement en montagne et sur les rivages par ses alternances quotidiennes, dues a` l’ine´gale vitesse du re´chauffement des hauts et des bas, des eaux et de la terre ; elle a aussi un sens symbolique et positif. On note des Bonne Brise a` Saint-Gervais 85 et aux Pennes-Mirabeau 13, plusieurs la Brise dont trois en Loire-Atlantique, mais d’autres sens sont possibles. Le cers est le nom habituel du vent d’ouest humide en Languedoc, du Toulousain au Montpellie´rain. Le nom est ancien, cercius ou circius en latin, et certains le relient a` un gaulois circo au sens d’impe´tueux, un peu force´ et nullement certain ; on rele`ve le Cers a` Mas-d’Auvignon 32, Cers a` Airoux 11, et la commune de Cers dans l’He´rault. De meˆme sens mais lointain est la galerne, vent du nord-ouest en pays de Loire – gwalarn est le nord-ouest en breton. Une dizaine de Galerne s’e´parpillent autour de la Loire infe´rieure, de Nantes a` Blois, plus un Port de Galerne (Puyravault 85) et un Fief Galerne (Clavette 17), les Galernes a` Illiers-Combray 28 au nord-ouest du bourg, et a` Lorcy 45. Son oppose´ du sud-est, la soulerne, ne semble pas avoir laisse´ de trace en toponymie. On nomme grec sur les rivages me´diterrane´ens un vent d’est ou sud-est ; il est probablement a` l’origine du Puig del Grec a` Banyuls et de l’e´tang du Grec a` Palavas (le plus au sud-est), mais ailleurs Grec peut avoir de tout autres sens. En basque, haizegoa est un vent du sud (haize pour vent et egoa pour sud) et Ciboure a un lieudit Haize Egoa. Le libeccio est en Corse un vent de sud-ouest chaud, qui s’asse`che sur le relief, et a son e´quivalent provenc¸al sous le nom de labech ; le nom e´voquerait la Libye, par le grec libukion ou l’arabe labeg ; mais les cartes IGN ne mentionnent sous

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ce nom que deux terrains de camping a` Olmeto et Calvi, plus un Labech a` Bouzigues 34... Enfin dans le Sud-Est on peut encore signaler trois vents connus. Le marin, humide et de sud-est, est un autre nom du grec ; il n’a pas d’e´vidence en toponymie. L’insistant mistral est ainsi nomme´ comme « maıˆtre des vents » (maistre, maestral au XII e sie`cle, donc magistral) ; il bat apparemment des records en toponymie, avec plusieurs dizaines de lieux et sous des formes plus ou moins alte´re´es, mais on ne peut pas le distinguer des diffe´rentes e´vocations de « maıˆtre » et donc de proprie´te´s seigneuriales ou bourgeoises avec lesquelles il se confond ; voire du simple sens de « principal ». La tramontane est un autre vent du nord, ou de nord-ouest, tre`s pre´sent en Bas-Languedoc et en Roussillon et dont le nom signifie bien « d’outre-mont » ; or le seul toponyme qui l’e´voque est a` Saint-Florentin dans l’Yonne... Il y a bien une Funtana di Tramontana a` Urtaca (Corse) et de nombreux Tramont et surtout Tre´mont, mais qui e´voquent la montagne et son au-dela`, et non le vent lui-meˆme.

L’ombre et le soleil L’opposition du nord et du sud s’exprime fondamentalement dans la vie quotidienne par les contrastes d’exposition, partout souligne´s en montagne par la toponymie, mais pre´sents aussi en plaine, ou du moins en pays de collines. Le couple adret-ubac est une vieille connaissance, mais il n’exprime qu’une partie de la richesse se´mantique du sujet. Et il ne faut pas toujours se fier aux cartes : a` Seillans 83, l’Adret de la Font de Marcel est e´crit sur le meˆme versant nord que l’Ubac des Combes voisin, correctement place´, tandis que l’Ubac de Be´lue`gne est a` cheval sur une croupe ; quant au Gros Ubac de Fugeret, il s’e´talerait en plein soleil sur les pentes du Rigalet (1 894 m).... Le couple adret-ubac est toutefois boıˆteux, car il n’exprime pas une opposition sur un meˆme the`me. A` bien y regarder, il est en effet possible de distinguer trois the`mes en jeu : l’endroit et l’envers, le soleil et l’ombre, le chaud et le froid. Ce qui est « a` l’endroit », c’est le coˆte´ que les rayons du soleil frappent directement : l’adret, donc, qui a la meˆme racine que direct et droit. Il est repre´sente´ par de tre`s nombreux toponymes en Adret, Adroit, Adrech, Adre`che, Adre´chas, Adre´chon, Drech, Dret, Ladreit, Ladrait et meˆme Endroit, notamment dans les Vosges. Il peut prendre la forme droit comme a` Cornimont le Droit, le Droit de Cornimont, le Droit Mont, Pre´ du Droit, le Droit de Xoulces, ou bien le Coˆte´ du Droit a` Burnevillers 25, tous en adret. Le pyre´ne´en arrayou s’y ajoute : « aux rayons », comme a` Arrayou-Lahitte 64, Arrayadiu a` Cardesse 64, Arrayoulet a` Arrens-Marsous 65. Adret ou endroit s’opposent ainsi a` l’envers, exprime´ par des Envers, E´vers, E´verse, E´vesse, E´versin, Devers, ou encore Aver, Avers, Ave`s, Enveyres, Lembe`s, Le´be`s et Lembeye, Levers, ou meˆme Lave`s – alors que l’avers d’une me´daille est son coˆte´ face... L’Avexens d’Engrassio est un lieu-dit de Belpech 11 expose´ au nord. L’Envers du Fontenil a` Brianc¸on s’oppose au Fontenil, au pied du versant gauche de la Durance. A` Toulaud 07, les Bonnets de Lubac s’opposent aux Bonnets de Ladreyt. Colroy-la-Roche 88 contient les Envers-Goutte, Saint-Bernard en Chartreuse une

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Creˆte de l’Enversin. Coˆte Enverse est face au nord a` Francheville 21. Urbeis 67 oppose un Droit de Faıˆte (au soleil) a` un Revers de Faıˆte (a` l’ombre). On trouve aussi des Revers et Revest (dont quatre communes en Provence), plus Inversu, Ambarscia et Unverccia en Corse, et meˆme Malvers, Malvie`s, qui aggravent le cas en introduisant un coˆte´ mauvais (mal). Par glissement, on passe a` des Hiver (48 mentions dans Ge´oportail) et Uvernet (dont Uvernet-Fours 06), les Hivernoux a` Monistrol-sur-Loire 43, qui ont le double me´rite d’associer l’envers et le froid. Typiquement, Katzenthal dans les Volges alsaciennes oppose un Winterberg (montagne d’hiver) d’envers a` un Sommerberg (montagne d’e´te´) d’adret. X. Gouvert estime que des E´vernas et Yvernaux sont des paˆturages d’hiver, mais en fait a` Jeansagnie`re l’E´vernas va avec l’E´versin et tous deux sont des versants boise´s en ubac qui ne ressemblent pas a` des pre´s d’hiver ; il en est exactement de meˆme pour les Yvernaux de Saint-Jean-la-Veˆtre 42. L’Hiver de la Prade a` Vorey 43 est un versant raide a` l’ombre, Hiver est l’ombre´e d’une butte de Landos 43. Le couple soulane et ombre´e exprime clairement le contraste d’ensoleillement. Le premier a pour racine le soleil mais ses formes sont multiples : Soleil, Soulan, Soula, Soulie´, Soleilhas, Souleillas, Soulasse, Soule`dre, Souleı¨ado, Souleillant, Souleilla, Soulie`res, Sollie`s, Solliers, Solaro, Se´olane, et meˆme, semble-t-il, des Soulage, Soulatge, Sioule ou Sioulet. Ombre´e semble offrir moins de fantaisie, sinon en Corse (Umbrone, Ombriaccia, Umbricia) ou dans le bois de Valombre´ sous le Charmant Som en Chartreuse (Saint-Pierre-de-Chartreuse). Mais l’ide´e est relaye´e par la notion d’obscurite´. C’est ainsi qu’abondent des Escure, Lescure tre`s explicites (plus de 200 occurrences dans Ge´oportail) ; le Bois Obscur est dans la valle´e de la Bouchouse a` La Roche-de-Rame. L’obscurite´ peut eˆtre image´e jusqu’au noir : un certain nombre de toponymes en Noir, Ne`gre ou, en Bretagne, fonde´s sur du=noir, viendraient de ces situations a` l’ombre, comme Duault compris comme du-aod (coˆte ou hauteur a` l’ombre). C’est ainsi, e´galement, qu’a prospe´re´ la notion d’ubac : le mot vient d’un latin opacus, opaque, donc obscur. Elle a pris a` son tour de multiples formes : Ubac, Lubac, Luba, et meˆme Libac, Liba, Ibac (Alpes-Maritimes), voire Iba. On trouve les Hubacs a` Pourcieux 83, en Brianc¸onnais et en Arde`che, ou` le h initial est injustifie´. La forme devient Bac dans les Pyre´ne´es, le Massif Central et meˆme le sud du Jura, comme le Bac de la Gargante (gorge) a` Comus 11, le Bac a` Lavelanet 09, voire le Bach de Caudie`s-de-Fenouille`des 66 qui fait face au Soula de la Roque de l’autre coˆte´ de la plaine de la Boulzanne, ou le Bac a` Chanterelle 15, le Bac a` Escandolie`res 12, le Bac a` Chazey-Bons 01, meˆme Baque au risque de confusion avec la vache, comme le Selh de la Baque a` Ooˆ 31. Chiorboli signale en ce sens des Bacinu et Bacinello en Corse. Opacus serait e´galement a` l’origine d’Aubazines (Obasinae en 1287) et Upaix (P. Fenie´). Le basque nomme l’adret d’apre`s le soleil (ekhi, iguzki) : Ekhi Altia a` Sainte-Engraˆce, Iguzki a` Itxassou, Iguzkibeguia a` Me´harin, Iguzkian a` Jatxou ou a` Cambo-les-Bains, Iguzkiagerrea a` Urrugne et a` Aldudes, et Sare a une Iguzkiagerrokoborda, soit une ferme d’adret (agerre et begui ont le sens de vue, en vue). Il lui est oppose´ des eluts, eltzal ou ilhun, ulhun de´signant le coˆte´ enneige´ ou a` l’ombre ; Sainte-Engraˆce a

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une Ulhunaguerre Punta, Aussurucq une Eltzarreordokia (une plaine coˆte´ neige, d’ombre´e). Enfin, les diffe´rences de chaleur ont pu l’emporter sur les contrastes de lumie`re. Comme envers a pu susciter des Hiver en ombre´e, bien des sites expose´s au nord contiennent une mention de froid, ceux qui sont au sud une e´vocation du chaud, voire du bruˆlant : certains Cre´mat, Cre´mau, Cramat expriment cette sensation, quand ils ne viennent pas d’un bruˆlis, ce qui bien entendu doit eˆtre ve´rifie´. Ce pourrait eˆtre le cas pour le Cre´mat de la commune de Nice, peut-eˆtre aussi pour celui de Se´melay 58, ou pour la Combe Cre´mat d’Orgnac-l’Aven 07. Plusieurs dizaines de lieux nomme´s Coˆte Chaude correspondent a` des adrets. On a pu les enjoliver a` l’occasion en Coˆte Roˆtie, Chaud Cul, etc. La Coˆte du Chaudcu (en adret) s’oppose a` la Coˆte Sauvage (au nord) dans la commune des Baroches 54. Chaud Cul a` Nouilly 57, proche de Metz, est le nom d’un versant bien expose´ au sud au-dessus du ruisseau de Quarante ; Froid Cul est un versant a` l’ombre a` Loisy-en-Brie 51 ; mais la situation topographique d’autres Froid Cul est moins convaincante. Froid Rain a` Lusse 88 est bien en exposition nord, comme l’Envers Coˆte. Cagnard est dans le Midi un bon coin au soleil ; le Cagnard de Sainte-Marie-de-Castillon correspond a` la de´finition, comme celui de Sainte-Eulalie aux sources de la Loire, ou comme les Cagnardasses de Massillargues-Attuech 30.

Brumes, neiges et glaces Hors des endroits re´pute´s venteux, la plupart des manifestations me´te´orologiques ne sont pas localise´es au point de permettre de distinguer un lieu-dit d’un autre. Elles apparaissent donc rarement en toponymie, sauf peut-eˆtre au prix de glissements de sens. La pluie se manifeste en une quinzaine de lieux, dont un Vau de Pluie a` Chigy 89 et un Pre´ la Pluie a` Villiers-en-Lieu 52, et a` la Re´union Sainte-Marie re´unit une Cascade la Pluie, un Iˆlet la Pluie et un lieu-dit Rivie`re des Pluies. On note une seule Bourrasque a` Saint-Cyr-sur-Mer 83, les draches (averses) ardennaises n’ont pas d’e´cho toponymique, et les averses sont en fait des envers, c’est-a`-dire des versants a` l’ombre : c’est indubitablement le cas des Averses a` Villeneuve-d’Allier 43, du Bois des Averses a` Eroˆme 26 et du Pas des Averses a` Trigance 83. On note quelques Greˆle et une dizaine de la Greˆle, plus un Val Greˆle´ a` Boos 76 et un Bois Greˆle´ a` Adriers 86, mais dont l’interpre´tation est douteuse, car a` l’origine il peut s’agir d’une e´vocation de grillons ou de grolles (corneilles). Quelques Tempeˆte ou la Tempeˆte semblent correspondre a` des sites un peu expose´s, en creˆte de colline a` Saint-Caprais-de-Bordeaux 33, Gamaches-en-Vexin, Loubens-Lauragais 31, Fe`reChampenoise 51. De meˆme se signalent en montagne quelques Tourmente dans la moitie´ sud du pays, dont trois dans la Droˆme, un col de la Tourmente a` SaintBarthe´lemy (Antilles), un la Tornade a` Locquignol 59 en bout de la foreˆt de Mormal, mais peut-eˆtre s’agit-il de paronymes. Plus convaincants sont les ironiques E´coute-s’il-Pleut : il en existe une dizaine, dont deux en Vende´e et deux dans l’Aisne. Ces lieux sont ceux de moulins jadis e´tablis sur des ruisseaux parfois indigents, manquant d’eau pour les animer. L’un d’eux est

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devenu la Goutte-s’il-Pleut, a` Saint-Cyr-en-Val 45, un autre a la forme Guette-s’ilPleut a` Bayas 33. La forme occitane se lit a` Escouta se Ple´ou a` Sainte-Croix-Valle´eFranc¸aise 48 dans les Ce´vennes. Il est probable que le ravin du Chasse-Fe´tu a` E´taimpuis 76 a eu le meˆme sens moqueur que le ruisseau de Trainefeuille, affluent de la Dives en Calvados. La Rivie`re et le Bois du Mauvais Temps s’e´talent a` Ouzouer-des-Champs 45, sur un replat de´pourvu du moindre cours d’eau. Certains fonds sont connus pour la fre´quence de leurs brumes ; mais ce trait apparaıˆt assez peu dans les toponymes, excepte´s un Bois de la Brume a` Maude´tour-enVexin 95 ou les Brumes a` Bonsmoulins 61, probablement un Ne`ples au Trioulou 15, un autre a` Che´ronnac 87, peut-eˆtre le Ne´bouzan au sens de brumes. Il faut aller en Corse pour trouver quelques autres e´vocations de ne´bulosite´s : un Vallo Nebbio a` Brando, un Poggio Nebbioso a` Olivese, et surtout le Nebbio, contre´e de HauteCorse autour du golfe de Saint-Florent. Notons tout de meˆme les Iˆles Nuageuses dans l’archipel de Kerguelen. Les noms en Brouillard sont le plus souvent interpre´te´s comme des de´rive´s de brou (boue), breuil (petit bois) ou bruye`re... La neige a mieux marque´ les esprits : le massif du Ne´ouvielle dans les HautesPyre´ne´es fait apparemment re´fe´rence a` des neiges (ne´ou en occitan) anciennes (bieih, vieille), le Jura culmine au Creˆt de la Neige, comme la Re´union au Piton des Neiges ; les Alpes ont le Doˆme de Neige des E´crins a` Pelvoux et un Doˆme de Neige aux Contamines-Montjoie. On note un Col de la Neige a` Arrens-Marsous 65, un Roc del Pou de la Neu a` Ce´ret 66 (ancien puits de glace a` la creˆte frontie`re des Albe`res), un Pont de la Neige a` Gavarnie 65 et un a` Bonneval-sur-Arc 73, un Creux de la Neige a` Saint-Pierre-de-Chartreuse 38 et d’autres a` Morzine et a` Lompnieu 01, une Croix des Neiges a` Culoz 01. En Corse, plusieurs noms de lieux sont en en Nivala, Nivalone, Nivalella, Nivalaccia. Le nom de Ne´vache viendrait aussi de la neige. Et la promotion touristique moderne cre´e des noms adapte´s, comme la station de Guzet-Neige a` Ustou en Arie`ge. Au-dela` des nombreuses mentions d’endroits frais ou froids (chap. 3), une allusion au gel peut eˆtre de´cele´e dans des toponymes en Gelade, Jalade, voire Jaladoux, Jaladis, relativement nombreux en Auvergne, Limousin et plus au sud ; il s’agit en ge´ne´ral de fonds de valle´es et de versants en ombre´e, comme la Vaud Gelade a` SaintMarc-a`- Loubaud 23, la Ge´lade a` Villac 24, la Barthe Ge´lade a` Montbel 09, Vaugelade a` La Trimouille 86, Vaugelas a` Laval 38, le Jaladis a` Lostanges 19 et a` Auzelles 63, la Jalade a` Combie`s 12, le Jaladif a` Laval-sur-Doulon 43, voire Jaladieu a` Mazamet 81 ou` la terminaison adjective prend des airs de divinite´. Quantite´ de noms e´voquent les glaces, mais sans grand myste`re : soit parce que les glaciers sont presque tous de´signe´s comme tels, soit parce que certains trous et grottes ou` se conservent les neiges ont e´te´ qualifie´s de glacie`res. La seule particularite´ tient au mot se´e ou selh employe´ dans les Alpes et les Pyre´ne´es. Il de´signe en principe une accumulation de neige, un lieu de conge`res, un ne´ve´, voire un petit glacier comme au Selh de la Baque (de l’ubac plutoˆt que de la vache) dans les Pyre´ne´es luchonnaises. Quelques toponymes en Se´e, Se´a, ont e´te´ releve´s en Savoie et autour du Pelvoux. L’e´tymologie en reste obscure, mais se´a, seya, selha, seille nommaient traditionnellement en ces lieux une tourmente, une bise de nord-est, un vent de neige.

6. Paysages, ressources et travaux Les formes et les accidents du terrain et des eaux qui s’en e´coulent ne sauraient se dissocier des formes de vie qui s’y attachent, s’en nourrissent, les recouvrent et contribuent a` les modifier a` la mesure du travail humain. L’e´piderme d’un pays comme la France n’a presque plus rien de vraiment « naturel » : partout sa population a modifie´ les e´cosyste`mes par l’agriculture, l’e´levage, l’industrie, les routes, l’exploitation des bois et des landes, la gestion des eaux, le tourisme meˆme. Le coˆte´ prome´the´en de l’activite´ humaine va jusqu’a` la haute montagne, en partie ame´nage´e et meˆme construite. Partout ce travail a modifie´ et cre´e´ des paysages, transforme´ en ressources des e´le´ments naturels, et en conse´quence nomme´ des dizaines de milliers de lieux selon leurs ressources et leurs ame´nagements.

Des noms de bois Dans l’ensemble, l’espace non construit se divise en quatre grandes cate´gories : les cultures, les herbages ou terres pastorales, les friches et les foreˆts. Nous verrons que leur distinction n’est pas toujours commode, et qu’elle est changeante. La France a plus d’un quart de sa superficie en bois – sans parler de la vaste Guyane – mais en a eu jadis bien plus : quantite´ de toponymes sont associe´s aux concepts de bois et de foreˆt, meˆme au milieu des champs qui leur ont succe´de´. Le mot foreˆt vient du latin foris, dehors, en dehors de – du monde connu. Il est issu de l’IE dhwer qui a donne´ aussi les duro (porte), et englobait tout ce qui donne sur le dehors : c’est ce qui, depuis la mise en culture et l’apparition de villes, repre´sentait l’exte´rieur, le monde inconnu, sauvage. Sauvage, d’ailleurs, vient de l’autre mot pour la foreˆt, la selve, du latin silva. Les toponymes en « foreˆt » sont tre`s nombreux, meˆme hors des bois proprement dits, y compris parmi les noms de communes : on peut en compter 17 sous la forme Foreˆtou Forest- comme La Foreˆt-Fouesnant, Forest-sur-Marque 59 ou la Foreˆt-duTemple 23, plus Foreste 02, La Forestie`re 51 ; de surcroıˆt, 39 communes ont la mention -la-Foreˆt en supple´ment du nom, telles que Lyons-la-Foreˆt 76 ou Cerisy-laForeˆt 50, et l’on rele`ve aussi un Saint-Jean-de-la-Foreˆt, deux -en-Foreˆt (Bagnols- et Saint-Paul- dans le Var), deux -sous-Foreˆt (Soultz- 67 et Saint-Brice- 95), BussacForeˆt 17, Salles-les-Foreˆts 87, Petite-Foreˆt 59 ; soit au total 67 noms de communes, plus des centaines de noms de lieux-dits dont deux Belle Foreˆt a` Sainte-Sabine 21 et Isming 57. Encore doit-on leur ajouter Forstfeld 67, Forstheim 67, ou` Forst de´signait spe´cialement une foreˆt royale selon M. Urban.

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Mais la foreˆt a eu bien d’autres noms. Le latin silva vient d’un grec hule´ d’origine inconnue, dont sortent les racines hylo-, xylo- qui ont un rapport avec le bois. Il apparaıˆt dans Saint-Bauzille-de-la-Sylve 34, La Selve 12 et La Selve 02, Gaja-laSelve 11, Pleine-Selve 33, Ville-en-Selve 51, Villeseive 60, Sylvane`s 12 et des dizaines de lieux-dits en la Selve ou la Sylve, Sylvestre, Combe-de-la-Selve a` Salavas 07, Sylve´re´al a` Vauvert 30, Sylveterre a` Lafeuillade-en-Ve´zie 15, deux Pech de la Selve a` Mouillac 82 et Fontjoncouse 11, Silvarouvres 52, Silvabelle au Revest-desBrousses 04 ou encore Silvareccio en Corse, Silvarecce a` Moltifao. Le nom de l’abbaye de Silvacane a` La Roque-d’Anthe´ron 13 est interpre´te´ comme « foreˆt de roseaux » mais le radical can peut avoir e´te´ un oronyme, compatible avec le relief local. De la selve ou sylve viennent aussi des noms en serve, tels Serverette 48, Tresserve 73, Dammartin-en-Serve 78, Serves-sur-Saoˆne 26, Servas, Grosserve et Grossouvre, et peut-eˆtre Besserve (Sauret-Besserve 83), ici en composition avec le bouleau (besse) ; en seube dans le Midi, comme Lasseube 64, Lasseube-Propre 32 (mais pas Lasseubetat qui fut une sauvete´), Masseube 32, ainsi que des noms tirant sur Sauvage comme Saint-Dalmas-le-Selvage 06. Sauvage a la meˆme e´tymologie au sens d’« homme des bois », mais a pu avoir bien d’autres sens et venir de NP. Notons aussi que, d’apparence flatteuse et source de pre´noms, le mot sylve plaıˆt dans les lieux touristiques : Sylvadine a` Saint-Andre´-de-Seignanx 40, Sylvabelle au Teich 33, au Revest-des-Brousses 04 ou a` La Croix-Valmer 83. Le bois lui-meˆme de´signe a` la fois une matie`re et un groupe d’arbres, qui peut eˆtre assez grand pour valoir foreˆt. Le nom vient d’un e´tymon busk assez mal e´tabli, apparemment d’origine germanique et pre´sent aussi dans les langues scandinaves, dans le puxos grec, mais d’origine obscure. Boıˆte, box, buis, buisson seraient apparente´s. On le retrouve dans l’ancien franc¸ais et occitan bosc et dans des milliers de toponymes en Bosc, Bosquet, Bousquet, Boissie`re et La Boissie`re, meˆme certains Bouteille au sens de petit bois ; le Bois-d’Arbres est un lieu-dit de plaine cultive´e a` Villers-Pol 59. Plus de 70 communes ont Bois en teˆte comme Bois-Colombes 92, Bois-le-Roi 77 et Bois-le-Roi 27, Bois-l’E´veˆque 76 ou Boiscommun 45, mais pour d’autres il peut y avoir e´quivoque entre bois et buis, a` l’instar de Boissy-le-Bois 60 et Bouxie`res-aux-Bois 88. Plus de 200 communes ont ajoute´ a` leur nom au-Bois, du-Bois, le-Bois et surtout aux-Bois, des-Bois, les-Bois, parfois sous-Bois et meˆme e`s-Bois (Pierrefitte-e`sBois 45). Dans d’autres, bois entre en composition : telles Plaimbois 25, Gaillardbois-Cressenville 27, Pre´bois 38, Valbois 55, Taillebois 61, Neubois 67– outre le chaˆteau de Grosbois a` Boissy-Saint-Le´ger 94. Une quarantaine de communes sont en Bosc, la plupart en Haute-Normandie. Des lieux-dits en Beau, dans l’Indre et le Cher, semblent aussi avoir de´signe´ des bois, dont un Beaufauche´ a` E´pineuil-leFleuriel 18. Bohain-en-Vermandois 02, cre´e´e au XII e sie`cle, viendrait de bos (bois)+ham (hameau) ; il existe aussi les Bohains a` Chavignon 02, le Bohain a` La Fontaine-la-Soret 27. Enfin, de tre`s nombreux lieux-dits les Ventes ou la Vendue ont de´signe´ des parties de foreˆts vendues pour eˆtre coupe´es ou, au moins, alie´ne´es ; Saint-Cle´ment Rancoudray 50 a des hameaux la Vente et la Vieille Vente a` sa limite nord, un autre la Vieille

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Vente a` sa limite sud ; Les Ventes est une commune de l’Eure, La Vendue-Mignot une commune de l’Aube, les Vendues-l’E´veˆque sont un lieu-dit des Loges-Margueron 10 dans la foreˆt de Crogny ; une dizaine de la Grande Vendue sont en Bourgogne, la Vente du Comte a` Gouloux 58, les Ventes la Reine a` Fontainebleau 77. Les Ventes-de-Bourse 61 n’ont rien a` voir avec des actions, mais avec l’alie´nation et le de´frichement d’une partie de la foreˆt de Bourse, dont les restes entourent le village, et qui probablement a tire´ son nom de « brousse ». Une racine IE pour l’arbre, widhu, est a` l’origine du wald germanique, qui a pris localement la forme gault ou gault, waut, parfois gaye ou gal, gaudine et meˆme gaudet, aussi bien en pays d’oc que d’oı¨l. En sont issus notamment Le GaultPerche 41, Saint-Cyr-du-Gault et Marcilly-en-Gault 41 Le Gault-Soigny 51, Le Gault-Saint-Denis 28, Gaye 51, des se´ries de lieux-dits en le Gaut et plus souvent le Gault, deux Bois Gault redondants a` Challet 28 et Mesland 41, une Foreˆt de la Grand Gaute a` La Fayolle 11, un E´tang Gault a` Guilly 45, des Gaudines et Gaudet en diverses re´gions ; mais, bien entendu, des toponymes de la sorte peuvent venir de NP. Wald apparaıˆt fre´quemment dans le Nord-Est, ou` sont notamment sept communes commenc¸ant par Wald dont Waldweisstroff 57, Waldersbach 67, Waldhouse 57, cinq se terminant en wald : Creutzwald 57 (avec croix), Willerwald 57 (village), Birkenwald 67 (Birk pour bouleau), Le Hohwald 67 (haut), Ostwald 67 (de l’est). Au vidu gaulois sont attribue´s aussi des NL comme Veuves 41, La Veuve 51, Veuil 36, Voves 28, Vion 07, Void-Vacon 55, Veslud 02, la foreˆt de Vois, peuteˆtre meˆme Treves 30 (anc. Trevidon) et certains Vicq (Vicq 59, anc. Uith, selon D. Poulet), voire Vouvray 37 parfois interpre´te´e comme Vido-briga (escarpement boise´, W. Mu¨ller). La Vesle, rivie`re champenoise, est une ancienne Vidula. La Corse a, par l’interme´diaire du toscan, importe´ la meˆme racine, qui se retrouve dans une trentaine de NL en Valdu, Valdo, deux Valdu Niellu (foreˆt sombre) a` Olivese et Vallica, Valdu Seccu a` Asco, Gualdo a` Ertsa. D’un IE kel pour couper viendraient a` la fois holtz et hout qui de´signent des bois dans le Nord-Est et dans le Nord-Ouest respectivement. En te´moignent les Birkenholtz 57 (avec bouleau), Bischholtz 67 (de l’e´veˆque), Holtzheim 67, Muttersholtz 67, Bergholtz et Bergholtzzell 68, Holtzwihr 68, Jungholtz 68, Uffholtz 68 (uff aurait le sens de ruisseau cache´ selon Urban) et quantite´ de lieux-dits. Du coˆte´ de la Flandre et de la Normandie, on remarque les Houtteville 50, Wormhout 59, Houtkerque 59, l’Eeckout a` Comines 59, et le Houtland ou « pays au bois », partie inte´rieure de la Flandre qui s’opposait jadis au Blootland (Flandre Maritime). Avec le heˆtre, hout a donne´ Bouquehault 62 et, par alte´ration, apparemment Be´court 62 (anc. Becolt), Boncourt a` Fle´chin 62 (anc. Bechout, selon D. Poulet). Avroult 62 aurait e´te´ un bois a` l’e´cart (afar-hout). Hardt de´signe dans le Nord-Est des foreˆts, notamment de plaine, comme la grande Hardt a` l’est de Mulhouse, ou a` Eguelshardt 57, ainsi que le Harz en Alemagne. L’origine en serait l’IE ker-kordh avec le sens de bruˆler, et spe´cialement de bois a` bruˆler (l’e´tymon se trouve aussi a` l’origine de « charbon »). Plus de vingt lieux-dits de Moselle et d’Alsace sont en Hardt, sept en la Hardt et autant en Grosshardt ;

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on repe`re aussi une Kleinhardt (petite) a` Montbronn 57, une Hohardt (haute) a` Romanswiller 67. Londe est une de´signation de boisements familie`re en Normandie, ou` existe entre autres une Foreˆt de la Londe a` l’ouest d’Elbeuf. Lundr a le sens de foreˆt dans les langues nordiques et le terme londe e´tait encore employe´ pour foreˆt en dialecte normand au XVe sie`cle. Lui sont rapporte´s toute une se´rie de noms de communes comme E´talondes 76 sinon E´talon 80, Yquelon 50, Iclon 76, E´caquelon 27 (Esquaquelont vers 1235), Iclon a` Anglens 76 (Ichelunt en 1088), des Bois d’Iclon a` Valletot 27 et Blosseville 76, un E´caquelon a` Ranfreville 76 dont la premie`re partie des noms e´voque le cheˆne (eik). Bouquelon 27, Bouquelon a` Goupille`res et Houvilleen-Vexin 27, a` Boos 76 indiquent des bois de heˆtres (bouq). Signalons encore Flancourt-Catelon 27 (Catelunti en 1096 et 1101), Londinie`res 76, et de nombreux hameaux nomme´s la Londe comme a` Bailleul 61 et a` Vitot 27, les Grandes Londes et les Petites Londes a` E´manville 27 ; E´toublon a` Sotteville 76, Faguiillonde (avce fagus, le heˆtre) a` Lammerville 76 et Royville 76. Le nom a pu s’alte´rer en ron comme a` Ye´bleron (Eblelont vers 1210). Nous avons vu que le terme luc, lucus avait e´te´ employe´ au sens de bois sacre´, peuteˆtre a` partir de l’ide´e de clairie`re. Il est certain que luc a fini par prendre le simple sens de bois, surtout pour de petits bois, avec ses propres diminutifs en Luet et Luat. C’est ce sens qui est volontiers admis pour des communes comme Luc (trois en Aveyron, Loze`re, Hautes-Pyre´ne´es), Luc-sur-Aude et Luc-sur-Orbieu 11, Luc-sur-Mer 14, Le Luc 83, Luc-en-Diois 26, Luc-Armau 64, Lux (trois communes de Coˆte-d’Or, Saoˆ ne-et-Loire, Haute-Garonne), Le Luart 72, Lucmau 33 (mauvais bois), Lucarre´ 64, Lucbardez-et-Bargues 40, Lugarde 15. Selon M. Mulon, Luc se cacherait dans Lognes 77 (anc. Laucaunia Sylva), voire dans Le Lude 72, Ludres 54, et d’autres noms commenc¸ant ou se terminant par Lu. Limendous 64 fut Luc-Bentous au XVe sie`cle (bois venteux) apre`s Luc-Mendos en 1385 (grand, ou avec mendi pour montagne ?). Le Luat est un bois a` Eaubonne 95, Se´gry 36 a un Bois de Luc et les lieux-dits en Luet et Luat abondent dans l’Ouest. Nous avons e´galement vu, avec les monts, que le jou ou jor qui transparaıˆt dans les Joux, Jura, Joran, Jorat, a la valeur de hauteur boise´e, sans que l’on puisse dire qui l’emporte du bois ou du mont. Un gaulois jor, juris est donne´ pour e´quivalent a` foreˆt. La forme joux est re´pandue et elle est devenue un terme de valeur ge´ne´rique. Il est possible que divers lieux-dits en Job, Jot, Joujou aient la meˆme origine selon X. Gouvert, comme d’autres en Jo, Jau, Jeu, Joe¨ – Nivillac 56 a un ruisseau de la Jo, voisin d’une ferme la Joe¨ ; mais jau de´signe aussi un coq en certaines re´gions. On note trois Joujou a` Lagraulie`re 19, Barjac 30 et Villerest 42, une Combe Joujou en Bourgogne (Sainte-Colombe-sur-Seine 21), le Joujoulieu a` Rambucourt dans la Meuse. Il semble que haye ait pu de´signer un bois, un bosquet, meˆme une foreˆt avant de donner la haie – ou que les deux soient issus d’une meˆme racine e´voquant des bois. L’origine est peut-eˆtre dans l’ide´e de bois ferme´, enclos : haie viendrait de l’IE kagh saisir, prendre, enfermer (cf. en anglais hedge), e´ventuellement par le francique hagja, cloˆture. D’assez nombreux toponymes en Haye, a` commencer par la grande foreˆt de Haye proche de Nancy, et qui entre a` son tour dans le nom de Velaine-en-

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Haye, doivent eˆtre rapporte´s a` ce sens, sans doute mieux qu’a` une haie au sens line´aire. Il en existe d’autres, comme la Haie-Renaut pre`s de Saint-Dizier, la Haie Briquet a` Milly-la-Foreˆt ou l’ancienne Haye d’Avesnes. C’est bien ainsi qu’E. Ne`gre voit les noms de La Ronde-Haye 50, L’Orbehaye (foreˆt obscure) de Montaigu-les-Bois 50, La Haye-de-Routot 27, La Haye 88 ou La Haye 76, comme La Haye-le-Comte 27. Une bonne quinzaine de Haye, ainsi que La Haie-Fouassie`re 44, La Haie-Traversie`re 53 et Les Haies 69 sont des communes. Plus de vingt Bois de la Haye sont recense´s par Ge´oportail, les Hayettes est un nom de lieu-dit assez fre´quent en Artois. On sait que La Haye est en ne´erlandais Den Haag, jadis s’Gravenhage, un autre « La Haye-le-Comte ». Laie ou laye a e´galement e´te´ atteste´ au sens de foreˆt, et a probablement la meˆme origine. Il est conserve´ dans la foreˆt de Laye et Saint-Germain-en-Laye 78. Un celte caito ou ceton, lui-meˆme issu d’un kaito IE de´signant bois ou incultes et dont serait e´galement venue la forme germanique heiltz (broussailles), pourrait, selon X. Delamarre, eˆtre a` l’origine de nombreuses terminaisons de NL en -quet, -que`ze, -ceix, -cy -ze´ comme Sancy et Sanxay (ancien bois, avec sen- au sens de vieux), Marc¸ay (grand bois), Franque`ze et Francy (franc bois) et peut-eˆtre des lieux en -cy habituellement suppose´s lie´s a` des NP, comme les Coucy, Raincy, Sancy, Mancy. Ce´ton 61 et les Cettons a` Chanteloup-les-Vignes pourraient avoir cette origine. Il est d’ailleurs possible que ce celte ait la meˆme origine et le meˆme sens que haie, haye. De la` vient aussi coat, employe´ en Bretagne pour bois et foreˆts et qui s’est traduit par une large varie´te´ de formes locales et lexicales en coet, coad, goad, hoat, hoe¨t, cuit. L’Arcoat ou Argoad est l’inte´rieur, le pays au bois, par opposition a` l’Armor ou Arvor. Se lisent aise´ment des noms comme Plancoe¨t (bois de la plaine), Penhoe¨t (bout du bois), Coe¨tlogon (les loges du bois), Hengoat (le vieux bois), Langoat et Langoue¨t (avec lan, ermitage ou sanctuaire), Coat-Losquet (six lieux-dits au sens de « bois bruˆle´ »), Coat Meur (grand bois, une dizaine de mentions) et Coat Bihan (petit bois, une vingtaine). D’autres sont mieux cache´s comme Coue´ron, les Coe¨vrons, les Couettes (six en Ille-et-Vilaine). Feuillage est une autre fac¸on d’e´voquer les arbres et la foreˆt : une batterie de termes en Feuille, Feuille´e, Feuillade, Fouilloux, Fouillouse a permis de de´signer des bois, puis des lieux habite´s. On trouve aussi les Feuillis a` Se´gry 36, la Feulie a` Chaource 10. Houeille`s 40 semble eˆtre de la famille en un pays ou` le f devient h. Et l’on sait que les innombrables lieux-dits la Folie ont signale´ des feuillages, des bosquets, bien avant qu’un jeu de mots n’invente les « folies » comme lieux de plaisance du XVIII e sie`cle. Futaie de´signe une forme de foreˆt d’apre`s ses troncs. La Futaie est un nom porte´ par plusieurs dizaines de lieux-dits, plus la Grande Futaie a` Marainviller 54, la Futaie du Pot d’E´tain a` Fort-Moville 27, plusieurs Bois de la Futaie, la Haute Futaie a` Vauxaillon 02 et Dannevoux 55, la Vieille Futaie a` Saint-Viaˆtre 41 et Bubertre´ 61, la commune de Saint-Mars-sur-la-Futaie 53 ; et de tre`s nombreux Fuste, Fustie´. A` l’origine du mot est un latin fustis, de fendo, couper (IE bhu, frapper) – le fustier e´tait jadis le menuisier ou charpentier. Fuste´rouau 32 a eu le sens de foreˆt royale. Tronce est quelque peu synonyme, se rapportant a` une grosse futaie, comme fuˆt et tronc sont

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synonymes, et tronc apparente´ a` tronquer, tronc¸onner. Il existe de nombreux lieuxdits en Tronce et Tronc¸ay, Tronchet, Tronjoly, la Troncie`re a` E´couen, et bien entendu la ce´le`bre foreˆt de Tronc¸ais dans l’Allier. Un ancien vascon berho, be`re semble aussi avoir de´signe´ des bois ou des foreˆts. On le trouverait dans les divers Berraute et Be´raut, des Berroeta au Pays Basque (cinq occurrences), et dans les Berduc, fort nombreux en Gascogne et Be´arn, avec des Berdoulat, Berdot, Berdoy, Luxe-Sumberraute 64 (sum re´sumant haitzu, les aulnes), voire Cassagnabe`re (avec le cheˆne) mais un risque de confusion, be`re pouvant avoir le sens de beau, belle. La proximite´ de vern, l’aulne, qui se prononce bern dans ces re´gions, pose un proble`me, mais le sens de lieu boise´ est toujours pre´sent dans ces noms. Ajoutons que le basque emploie oihan pour la foreˆt : c’est le sens d’Oyhercq (Lohitzun-Oyhercq 64) et, semble-t-il, d’Ogenne et Ogeu (M. Morvan). Dans des re´gions me´ridionales, un mate ou matte, d’origine inde´finie mais suppose´e pre´-latine, est associe´ a` des bois et interpre´te´ ici comme foreˆt, la` comme ce´pe´e, petit bois sinon broussailles, parfois avec un diminutif. On le trouve en Cerdagne avec Matemale 66, pourvu d’une foreˆt et interpre´te´ soit comme bois mauvais, soit comme bois en montagne (mala) ; dans Les Matelles 34, et quelques dizaines de lieux-dits comme la Matte Longue a` Combaillaux 34 et la Matte Redonde (ronde) a` Aumelas 34, la Matte a` Banne 07, la Coume des Matas a` Cauterets 65, la Matasse a` Mondavezan 31, les Mattots a` Artigueloutan 64 ou le Matot a` Pourche`res 33, peuteˆtre aussi dans la Matheysine en Ise`re. Matha 17 et ses lieux-dits homonymes du Sud-Ouest et d’Ole´ron appartiendraient a` la se´rie. La touche est un petit bois, surtout dans le Centre et l’Ouest de la France, souvent ce qui reste d’une foreˆt de´friche´e. Quantite´ de lieux-dits se nomment la Touche, Touchet ; Le Touquet et Touques, la Tousque sont des synonymes. D’autres petits bois, dans les meˆmes re´gions, sont nomme´s aˆge, et semblent plus particulie`rement associe´s aux bocages, mais le terme pourrait plutoˆt se rapporter a` des haies (v. ci-apre`s Bocage et Gaˆtine).

Les arbres de la foreˆt L’arbre, en latin arbor, est re´pute´ avoir la meˆme racine IE ard qu’ardenne, et ardu : ce qui est « haut ». Il existe en France plusieurs dizaines de lieux-dits l’Arbre, et quantite´ d’autres avec un de´terminant comme l’Arbre a` la Mule a` Saint-Laurent-de-la-Barrie`re 17, l’Arbre a` Poux a` Nomain 59 et a` Fontaine-sous-Montdidier 80, l’Arbre a` Bosses a` Mametz 62, l’Arbre des Poules a` Peyrat-le-Chaˆteau 87, l’Arbre Sentinelle a` Dury 02 et plusieurs l’Arbre a` Loup. Des noms de communes comme L’Arbresle 69, Belabre 36 (Belarbre au XIII e sie`cle), Aubres 26, Les Abres 12 (Alte Arbores au XIV e sie`cle), Laubrie`res 53, Abrest 03 viendraient aussi de l’arbre (E. Ne`gre), ainsi qu’Erbre´e 35 et Erbray 44 (J.-Y. Le Moing). Un celte prenno a aussi le sens d’arbre ; des linguistes comme J. Vendryes le lisent dans Compreignac 87 et Compre´gnac 12, Prigny (Concremiers 36), Prignac 17,

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Preigney 52 que d’autres rapportent a` des NP. Le basque emploie zuhaitz, lisible dans Suhast 64. La ramure des arbres est e´voque´e par quelques noms comme Rame´e, Ramade, Ramier, Ramadier, Rambures. On appelle ramier une plantation de peupliers dans la valle´e de la Garonne : le Ramier du Moulin a` Gre´piac 31, le Ramier du Bazacle a` Toulouse. Ente est un NL re´pandu, qui semble avoir de´signe´ de jeunes arbres greffe´s ; on trouve l’Ente ou les Entes par dizaines, surtout en Normandie, parfois avec un comple´ment (l’Ente Marguerite et l’Ente Mabire au Gros-Theil 27), le Champ de l’Ente a` Bergesserein 71, les Quatre Entes a` Appeville-Annebault 27, l’Ente Fleurie a` Pellevoisin 36, l’Ente des Trois Paroisses a` Illeville-sur-Montfort 17, l’Ente du Bailly a` Senantes et, plus curieusement, l’Ente E´bahie a` Saint-Aubin-de-Scellon 27, l’Ente E´baye a` Bernay et a` Grand-Camp 27. Le heˆtre porte paradoxalement en franc¸ais le nom du jeune arbre de l’espe`ce, un hestre venu du francique haistr dont l’e´tymon est apparente´ au germanique haisi et au hallier, utilise´s pour des formations ve´ge´tales basses, au sens ge´ne´ral de broussailles ou fourre´s. Ce nom de heˆtre est relativement re´cent, et pour cette raison assez peu pre´sent dans les toponymes. Il a progressivement supplante´ au Moyen Aˆge, probablement en raison des modes d’exploitation des foreˆts et taillis, un ancien nom bien plus ge´ne´ral en France et en Europe, et donc beaucoup plus re´pandu parmi les toponymes sous ses diverses formes. Presque abandonne´ dans la langue, mais infiniment pre´sent sur le terrain, l’ancien nom a reveˆtu diffe´rentes formes, mais bien reconnaissables au-dela` des homonymies. Il vient de l’IE bhago, qui e´voquait les grands arbres par excellence. Bhago a donne´ deux filiations : l’une en b ou p, avec une forme bouk, en celte bago ou pago, en norrois boki, en germanique Buch et en anglais beech ; l’autre ou` l’initiale est devenue f et qui a donne´ le latin fagus, et en franc¸ais fou, fayard, fage, fouet et bien d’autres variantes. La forme bago, pago a e´te´ employe´e en gaulois ainsi qu’au Pays Basque. On lui devrait Bagert 09 et peut-eˆtre Bavay 59, le pays de Buch dans les Landes et, par la forme bagina au sens de heˆtraie, des noms comme Beine (dont Beine 89, Beine-Nauroy 51), Beines, Bernes 80, Beaumont-en-Beine 02 et La Neuville-en-Beine 02 – mais nous avons vu que Beine a pu avoir le sens de hauteur, colline. Notons au passage que les noms du livre en allemand et en anglais, Buch et book, ont la meˆme origine, explique´e par le fait que les premiers e´crits en Europe du Nord-Ouest ont e´te´ grave´s sur des tablettes de heˆtre. Ces sonorite´s se retrouvent dans Bouquemont 55, les Bouquelon et plusieurs Bouquetot, abondants au nord-est de la Normandie, ou` cet arbre est plus commun qu’a` l’ouest. De la forme en f sont venus quantite´ de toponymes diffe´rents quoique apparente´s : des Fage et Fages, Faget, Fagette, Fagedet, Faye, Fay, Fayl, Faig, Faigt, Fajau, Fajolle, Fayolle, Fajac, Fajas, Fageas, Fayard, Fayence, Fau, Fou, Faou, Faouet, Fouet (fre´quent en Arie`ge), Foug 54 (dont les habitants sont les Fagusiens), Fayt (dont Petit-Fayt et Grand-Fayt 59), Fey 57, Faxe 57, Faux et Faulx, Fe´es et Fe´ez. On le retrouve dans Affoux, Lafage, Liffol, Futel, Foutel (trois le Foutel en Ille-etVilaine) ; Foutelaie, Foutelaye, la Foutele´e, Fouteloy, le Foutelot (nombreux en Anjou, Maine et Basse-Normandie) ; Moltifao (Haute-Corse), Bonfe´y, Beffou (foreˆt a` Loguivy-Plougras 22) ; Baufin 38, Belfey, Belfahy, Retonfe´y, Laffaux,

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Clairfaye, Clairfayts, Hautefaye, Hautefage. Et bien entendu les risques de confusion sont grands, surtout pour les versions courtes, avec fol-fou ou avec les fe´es. Dans le Sud-Ouest ou` le f devient h, le heˆtre-fagus a donne´ des Haget (dont Haget 32), Hagetmau 40, Hagedet 65, des Hage`de, Haye`de, Lahage. Le cheˆne n’est pas infe´rieur au heˆtre par la diversite´, d’autant qu’il en existe plusieurs varie´te´s, morphologiquement tre`s diffe´rentes et traditionnellement bien reconnues. Il fut en IE kerkw, dont viennent son nom botanique Quercus, l’adjectif hercynien et le Quercy. Le nom du Quercy subsiste dans celui de 21 communes dites en-, de-, duou les-Quercy, ainsi que dans plusieurs dizaines de lieux-dits le Quercy, la plupart hors du Lot, tels un Puy de Quercy a` Saint-Oradoux-de-Chirouze 23 ou un Mas de Quercy a` Fondamente 12, un Chaˆteau Quercy a` Vignonet 33, le Quercy a` Mauriac 15, qui ont pu avoir un rapport avec quercus. Cette forme a donne´ des Carcu et Carco en Corse. De l’e´tymon kerkw de´rive aussi le celte perku, pert, apre`s modification du k initial. Cet ancien radical pertu a e´te´ identifie´ comme associe´ a` des espaces forestiers ; le gaulois pert semble avoir de´signe´ un petit bois, comme le gallois perth. Telle peut eˆtre l’origine du Perthois et donc des divers villages en-Perthois, des trois communes Perthes de Marne, Ardennes et Seine-et-Marne ; divers lieux-dits en Perthes s’e´parpillent en Champagne et alentour. Il serait e´galement a` l’origine du Perche, et des nombreux toponymes qui lui sont associe´s. M. Mulon le de´tecte dans des noms de lieux comme Pre´cy, Prissey, Prizy, Peltre. L’actuel « cheˆne » viendrait plutoˆt d’un celte cassanos, qui serait issu d’un IE kas, kes et auquel certains spe´cialistes attribuent le sens de « tordu », sinueux, inspire´ par les formes de l’arbre, ou de ses feuilles, surtout par opposition au heˆtre. De cassanos sont venues les nombreuses formes toponymiques en Casse, Cassagne, Cassou, Casseneuil, Cassue´jouls, Cassseuil, Cassagnabe`re, probablement Cassoulet a` MiribelLanchaˆtre 38, ainsi que Chassagne, Chassaigne, Chaignay, Chesnay, Cheˆne, Cheˆnaie, le Chagney, les Chanays, Che´nas, la Chagne´e et Chagnasses en Charentes, Chassenay, Chessenaz, apparemment Sassenage 38 et Sassenay 71 et localement Caisnes 60, des Quesnay, Quesnoy, le Quesnot, Quenet, Quesnel, Que´neau, Esquennoy 60, Beauquesne 80 ; ainsi que des milliers de lieux-dits avec adjectif comme le Cheˆne Feuillu a` Ache`res, le Cheˆne Pointu a` Clichy-sous-Bois, le Cheˆne Parfait a` Saint-Georges-de-Rouelley 50, le Que`ne au Leu (au loup) a` Mecquignies 59 et a` Locquignol 59, et quelques Tortequesne. On a tre`s toˆt distingue´ entre espe`ces de cheˆnes, y compris en toponymie. Le rouvre, robur en botanique, dont le nom a le sens de « robuste », est le plus puissant, celui des grandes foreˆts ; il de´signe en ge´ne´ral l’espe`ce dite sessile (petrae), a` glands sans pe´doncule ; mais le cheˆne pe´doncule´, qui lui ressemble, est parfois conside´re´ comme rouvre. De ce nom viennent des Rouvre, Reuves, Rouves, Rouvres, Roure, Rouret, Rouvrois, Rouvroy, Rouvie`re, Rouveyre, et aussi Rivoire, Roˆvres, Rove`re, Rueyres, Reveyriat, Revoiret, Reyvroz ; Beaurouvre a` Blandainville 28, Silvarouvres 52. Le cheˆne dit pubescent est de re´gions plus se`ches et souvent calcaires, avec des formes plus contourne´es et moins d’ampleur. Dit aussi cheˆne noir, il n’a pas de

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toponymes propres, si ce n’est sous la forme occitane de Cassou Ne`gre (Alet-lesBains 11), ou en tant que cheˆne truffier. Un autre « cheˆne noir », mais calcifuge, est le cheˆne tauzin (pyrenaica pour les botanistes). Il est a` l’origine de toponymes en Tauzin, Tauziac, Tauziat, Tauziot, Tauzie`de dans le Sud-Ouest. Le nom est d’origine inde´finie, parfois suppose´e tre`s ancienne (pre´-IE tauk ?). Il a la forme ametz au Pays Basque : Ametzlepo, aux Aldudes, est le col (lepo) du cheˆne tauzin. Le cheˆne vert, espe`ce supportant les terrains tre`s secs, a des feuilles dites persistantes et vernisse´es. Il est commun en re´gion me´diterrane´enne mais se trouve au nord a` la faveur de terres se`ches et ensoleille´es : par exemple Gesvres 53, Plume´liau 56, Chassille´ 75, et seize sites en Anjou ont des lieux-dits en Cheˆne-Vert – il est vrai qu’ils ont pu ne de´signer que des cheˆnes bien verts, bien vivants. Plusieurs noms sont associe´s au vrai cheˆne vert, tous issus d’un ilex d’origine inconnue, suppose´e venir d’une langue pre´-IE et utilise´ pour le houx outre-Manche : yeuse, euve, alzine, encine, leccia. Sa cheˆnaie est une euzie`re, avec des variantes locales : on trouve le Bois des Leuzie`res a` Sauteyrargues 34, le Bois de la Luzie`re a` Montaillou 09, l’Elzie`re en adret au nordest de Valleraugue, l’Euzie`re a` Pompignan et a` Saint-Mathieu-de-Tre´viers 34, les Ouzie`res a` Roaix 84, l’Auzie`re a` Me´rindol-les-Oliviers 26 et Propiac 26, Lausie`re a` la Penne-sur-Ouve`ze 26 – mais lauzier, lauzie`re est aussi un tas de lauzes, de pierres plates. Eus 66 vient aussi du cheˆne vert par l’yeuse. L’Euze, l’Euze´, l’Alzine, l’Alzina sont des noms de lieux-dits assez communs dans le Midi. Tautavel a un Coll de les Alzines, Maureillas-las-Illas l’Alzine del Senyor, Coti-Chiavari une Arja Alzina, Le Lauzet-Ubaye un lac de l’Euve. Leccia (d’ilex avec aphe´re`se du i) est un toponyme re´pandu en Corse, avec ou sans comple´ment : Leccia Ventosa a` Aspetto 2A, Leccia Longa a` Silvareccio 2B, etc. Le cheˆne-lie`ge est un arbre d’assez belle prestance dont l’e´paisse e´corce donne le lie`ge ; il se limite en France a` quelques massifs montagneux me´diterrane´ens. Son nom botanique suber se retrouve dans la sube´raie, ou foreˆt de cheˆne-lie`ge, sureda ou siureda en catalan, suaru en Corse, avec des lieux-dits Suara, Suarella, Suartu. Sore`de 66, nomme´e Suvereda au IX e sie`cle, a eu ce sens, comme le dolmen de la Siureda a` Maureillas-las-Illas 66 ; dans la meˆme commune, El Siure de les Trabucaires, cite´ au chap. 3, fut le cheˆne-lie`ge des brigands. Le cheˆne a` feuilles piquantes et persistantes est le cheˆne kerme`s, dont le nom viendrait d’un arabe qermiz ; il est au contraire che´tif, et rele`ve des buissons. Sous le nom de garric, qui e´voque les rochers, c’est lui qui fonde la garrigue et tous les noms de lieux-dits associe´s. Il existe quelques lieux-dits en Kerme`s en Provence ; d’autres sont en Bretagne, avec un tout autre sens fonde´ sur ker. D’autres racines encore se rapportent au cheˆne. L’IE deru, au sens de solide, ferme, a donne´ en anglais tree (et la confiance, trust...), et se retrouve, avec le sens de cheˆne, dans le celte derv, dervos et le breton derf, l’ancien franc¸ais derve´e au sens de cheˆnaie. On rattache a` cet e´tymon la foreˆt du Der en Haute-Marne et donc Montier-enDer 52, Drevant 18, des Dreuilhe, Drouille, Drouillet dont Dreuilhe 09, Droulin, Darvoy 45, Darvault 71, le diry de Ploudiry 29 et le dir de Dirinon 29 (compris comme le cheˆne des nonnes), trois Coat De´ro (Quimperle´, Combrit, LoguivyPlougras), Mane´ Derve´ (mont du cheˆne) a` Se´glien 56.

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Le cheˆne, du moins le rouvre, est haritz en basque ; Armendarits est forme´ de ar, mendi et aritz, ce qui donnerait la cheˆnaie de la montagne rocheuse. Plusieurs lieuxdits s’y rapportent, comme Haritzpla a` Urepel, Haritzaga a` Guiche et Haritzague a` Bidache (lieu de cheˆnes), Haritzarte´ a` Saint-E´tienne-de-Baı¨gorry, plusieurs Haristoy et Haristoya (la cheˆnaie). Le breton emploie tann au sens de cheˆne rouvre, issu d’un celte tanno qui persiste aussi dans d’autres re´gions et dont sont e´galement issus le tan, donc le tannage, le tanneur et la tannerie ; il en viendrait des noms comme Tanis 50, le Thenney, Thennes 80, des Tanay, Tannay, Tannet dont Tanay 21, Tannay-en-Bazois 58, Tannay 58 et Tannay 08, Theneuil 37, Theneuille 03, The´nioux 18, Tannerre-enPuisaye 89, Tanau¨s a` Saint-Pierre-du-Champ 43, le Tannus aux Houches 74, Thenailles et Thenelles dans l’Aisne – mais des confusions sont possibles avec la tanie`re (tanne) et le sapin (Tannenbaum germanique). Un nordique ou germanique eik d’origine inde´termine´e, mais tre`s employe´, a donne´ Eiche en allemand, eyck ou eeck en ne´erlandais et ek en Normandie. Une bonne trentaine de lieux-dits Eichwald ou Eichwaeldel se repe`rent en Alsace, ainsi que des Eich tout court, Grosse Eich (a` Bust) ou meˆme un Bois d’Eiche a` ThiaucourtRegne´ville 54. La forme flamande Eecke apparaıˆt dans Eecke 59, l’Eeckhout a` Comines 59 (bois de cheˆnes, cheˆnaie). Nous avons vu qu’Yquelon, Iclon furent des eiki-lundr, foreˆt de cheˆnes ; Yquebeuf 76 est un « hameau des cheˆnes ». Il est possible que certaines terminaisons en -ecque aient ce sens, mais elles sont ge´ne´ralement conside´re´es comme des adaptations locales du suffixe -acum. Le freˆne, arbre commun en toute re´gion, a lui aussi laisse´ des formes toponymiques tre`s varie´es. Son e´tymologie reste discute´e et a fait l’objet des commentaires les plus fantaisistes, allant d’une haie grecque a` la lance des le´gions romaines qui aurait e´te´ faite de freˆne, en passant par la foudre... La plus vraisemblable, y compris pour le latin fraxinus, le rapproche d’un bhereg IE bien connu au sens de clair, blanc ou brillant, qui a donne´ bright en anglais et correspondrait a` son feuillage ae´re´ et peu fonce´. Les toponymes de´rive´s sont en Freˆne, Fresne, Fresnes, Fraisnes, Freˆnaie, Fresnay et Fresnaye, Fresnel, La Fresne´e 39 ; avec un son a, Frasne 25, Frasnoy 59, Le Frasnois 39, des Fragne, Fragnes, Franois, Franoy ; sans n, Fraisse, Fraissinet et Frayssinet, Fraysse, Fresse, Frasseto 2A ; plus proches de fraxinus, des Freˆche, Fre´chet, Fre´che`de, Fre´chou, Freychet, Freychenet 09 ; avec la mutation gasconne du f au h, des He´re´chou ou He´re´choux. Des confusions sont possibles avec des Fresche au sens de friche. A` ces variations s’ajoute une origine toponymique nordique ou` le freˆne est de´signe´ par une racine ask, qui a donne´ Esche en allemand et ash en anglais, eski en norrois. Des linguistes le de´notent dans Villeneuve-d’Ascq 59, Acq 62, Aschbach 67, Abscon 59, Achain 57, Achiet-le-Grand 62 (jadis Ascheel), et dans les Ectot (jadis Esketot) ou Hectot, voire Hecquemare a` Illeville-sur-Montfort 27. Le basque emploie lizar, apparent dans certains lieux-dits comme le Col de Lizarrieta a` Sare, Lizarraga a` Itxassou ou a` Cambo-les-Bains, Lizarritz a` Urrugne. Un celte onno d’origine inde´termine´e aurait e´galement de´signe´ le freˆne et se lirait dans Onay 70, Aunat 11 et meˆme Aunay-en-Bazois 58, jadis Onaco – mais onna est une racine hydronymique connue, et la plupart des Aunay et Aulnay sont associe´s a` l’aulne.

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Le chaˆtaignier est un arbre re´pandu, de la meˆme famille que le cheˆne et le heˆtre (fagace´es) qui a joue´ un grand roˆle dans l’alimentation humaine et animale. Son nom est tire´ d’un latin castanea, issu d’un grec qui serait lui-meˆme venu d’Asie. Il a donne´ des toponymes (et des NP) en Chaˆtaignier, Chaˆ tenet, Chaˆtenoy, Chaˆtenois, Catenoy 62 et Catenay 76, et dans le Midi des Castan, Castagne`de et Castagne`re, Castanet, Castanier, plus La Chaˆtaigneraie 85 et des noms de pays comme la Chaˆtaigneraie en Vende´e, en Limousin et en Auvergne, la Castagniccia en Corse. Questrecques 62 a la meˆme origine, avec ecques au sens de cours d’eau (la Liane). Le breton l’a fait e´voluer en kistin, dont viennent Quistinic, Quistinit, Quisteny a` Pe´aule 56, Quistenan a` Brandivy 56, Quintenic 22. Eich est parfois aussi le chaˆtaignier en Alsace, confondu avec le cheˆne. Le charme est re´pute´ pour la durete´ de son bois, peut-eˆtre refle´te´e dans son e´tymologie tre`s controverse´e ; en latin carpinus, peut-eˆtre carpento en celte, son nom pourrait avoir une origine plus ancienne rapportant au rocher (kar). Ces e´tymons expliquent que les toponymes de´rive´s aient plusieurs formes. D’un coˆte´, au charme et a` la charmaie sont associe´es des formes en carm, carn : Charmes, Charmois, Charmoy, Charmeil, Charmoille, aussi Charny, Charmeil 03, Charmoille 25, Charmoille 70 et Carnoy, Carnoie, Carneille en Picardie, dont Carnoy 80. D’un autre coˆte´ se manifestent des formes en carp comme Charpe, Charpie`re, Charpines, Charpinet, Charpennes ou encore Calpre, Calprade dans le Sud-Ouest, la Calprenade a` Saint-Amand-de-Vergt 24. L’orme a eu pour formes anciennes le celtique lemo et le latin ulmus et se dit elm en anglais, Ulme en allemand : les linguistes s’accordent sur un e´tymon commun IE el, au sens de brun rouge, couleur de son bois. En toponymie, il s’exprime par des Orme, Lorme, Ormoy, Ormesson ; Olme (cf. Laroque-d’Olmes 09), Olmet, Olmeto en Corse, Olmeta-di-Tuda 2B, l’Olme`de a` L’Honor-de-Cos 82 et a` Saint-Paul-laCoste 30, Loulmie`re a` Larnagol 46 dans la valle´e du Lot, les Ulmes 49 et les Ulmes a` Ouroue¨r 58 ; Lombia 64 (l’ombiar) et aussi l’Oumeau, Lomme (a` Lille 59), Homme, Home, L’Hormes, Le Houlme, L’Houmeau 17, Homps 32, Omps 15. Mouthoumet 11 serait un Mont de l’Orme. Des Aume´ras, Alme´ras me´ ridionaux, Limours 91 viendraient aussi de l’orme (M. Mulon), ainsi qu’Osmoy 18 (anc. Ulmetum). Il est possible que le nom des Le´movices, peuple gaulois dont vient le nom de Limoges, ait eu un rapport avec l’orme. Les formes l’Homme ont bien entendu preˆte´ a` bien des confusions, et des lieux-dits l’Homme Mort ont pu correspondre a` des ormes morts. Des NL comme Hommeau, l’Hommelie`re, fre´quents en Mayenne, sont probablement a` rapporter aux ormes. Il existe pour l’orme une autre racine, d’origine nordique, niep en ne´erlandais ; elle a donne´ Nieppe 59 (Niepkerke en flamand), et semble eˆtre a` la source d’Ypres (Ieper en flamand) ainsi que de Quae¨dypre 59, interpre´te´e comme un petit Ypres ou un mauvais Ypres, mais qui pourrait avoir e´te´ une me´diocre ormaie. Le basque emploie zunhar, lisible dans Sunhar et Sunharette. Le peuplier se manifeste en toponymie sous diffe´rentes formes, et non sans risques de confusions. Il existe certes des dizaines de noms le Peuplier, la Peupleraie, voire la Peuplie`re et la Peuplerie a` Claville 27, mais de sa racine latine populus sont venus

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aussi de nombreux lieux-dits le Peuple, dont le Peuple Fourchu a` Bury 60, parfois alte´re´ en Pouples (les Pouples a` Chauray 79)... On trouve aussi Publier, Publey, Pible, Publoz et Piboul, la Pibolie`re, la Pioulade a` Belve`s 24, Publy 39. Piboul, Pibol est le peuplier en occitan. On note Piobetta en Corse, Bibou en Gascogne (Laas 32) ; Bioulade apparaıˆt aussi, au risque de confusion avec le bouleau. Le peuplier blanc, nomme´ aussi aubier, a pu donner l’Aube´e, l’Aubraie, les Aubrais dont Fleury-les-Aubrais 45. Le tremble, varie´te´ de peuplier aux feuilles agite´es a` la moindre brise, a donne´ des Tremble, Tremblay, Trimouille (dont La Trimouille 86), Tre´moulet, la Tremblade, Tre´moulet 09 – mais Tre´molat 24 vient de Tomolatum, signalant peut-eˆtre un tumulus. Le breton a pour e´quivalent krenn, qui serait a` l’origine de quelques Gre´nit et Gre´ny (Le Moign). En Lorraine, Haspelschiedt 57 a le sens de « foreˆt de trembles ». Le bouleau a e´te´ tre`s productif en toponymie. Curieusement, le nom semble venir d’un IE gwet qui aurait donne´ betu en celte et betula en latin, et aussi le bitume : l’ide´e en serait la gomme, la re´sine que l’on en tirait jadis. Les noms anglais birch et birke, au contraire, vienent du bhereg qui a donne´ le freˆne (clair, blanc, brillant). Ce betu a donne´ trois filie`res toponymiques. L’une est proche de la forme actuelle : Bouleau (dont le Bouleau Tordu a` Saint-Sulpice-les-Bois 19), Boulaye, Boulois, Le Beulay 88, Biol (dont Biol 38), Bioule (dont Bioule 82), Biollay, Biolle, Biole, Biollet 63, Boult 70, Boulat, de nombreux Belloy, Belley (dont Belley 01), Buloz. Une autre famille est plus proche de la forme originelle : Be´dout, Bedous, voire Biot et aussi Pe´toule, Pe´touille, la Be´touille`re a` Mourioux-Vieilleville 23. La troisie`me, tre`s riche en nombre, se fonde sur besse, nom me´ridional du bouleau : Besse, Besse`de, Bessie`re, Besse`ges, Be`s, Bech, Bex ; ou sur bez, sa forme bretonne, comme Be´zo en Morbihan. On trouve aussi l’Abe´ce`de a` Luchon 31, la Bise a` Fontcouverte 11. Les formes nordiques (birk) ont laisse´ Berck dans le Nord, plusieurs Birk, Birken, Birck en Alsace et Moselle. Le basque y ajoute urki, apparent dans les noms d’Urcuit et d’Orcun (M. Morvan). C’est a` l’e´rable que sont attribue´s des noms comme Arblay, Arblade, Herblay (dont Herblay 95), Rablais, Rabelais et aussi Arable, Azerables 23, Arrabloy, Auzeral en pays d’oc, voire quelques « Arabe » dont le menhir des Arabes a` Drache´ 37 (S. Gendron). Devenu e´ raule en picard, il est a` l’origine de Lhe´raule 60 et Erloy 02 (Chaurand et Lebe`gue). En fait, e´rable aurait pour origine un acar celte ou un acer latin, tous deux exprimant quelque chose de pointu, sans doute a` l’image de la feuille, comme d’ailleurs l’allemand correspondant Ahorn ; mais ces mots n’ont laisse´ que l’e´r du de´but, la fin du mot en able e´tant tre`s discute´e, entre un ancien arbor (arbre) ou un abalo qui guiderait vers le pommier... Acer ou acar pourraient se retrouver dans certains noms en Cernoy, Sarnois, qui viendraient e´galement des e´rables. Reste que les lieux-dits l’E´rable ou les E´rables sont plusieurs dizaines. Platane est malcommode pour les toponymistes. Il vient du grec platanos par le latin platanus, au sens de large, a` cause de la taille du houppier ou des feuilles. Importe´ en France au XVI e sie`cle seulement, il est plante´ seul ou en ligne, et n’y forme pas de foreˆts : il n’a pas de nom collectif de la forme plataneraie ou platanie`re (meˆme si Boissy-Saint-Le´ger 94 a invente´ une place de la Plataneraie). Il apparaıˆt dans des

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noms en Plaines, Planay, Planois, Plesnoy ou la Plane, dont Plesnoy 52 et Plesnois 47, mais en concurrence e´ventuelle avec l’e´rable-plane, ainsi nomme´ parce que ses feuilles ressemblent a` celles des platanes (H. Suter) ; a` ces confusions possibles s’ajoutent e´videmment toutes celles avec l’ide´e de plan, plaine, plat et plateau... Les re´sineux sont toute une famille aux noms multiples. Le pin viendrait de l’IE pik, a` l’origine de la poix et de meˆme sens ; de pix le latin a fait pinus. Sa place en toponymie est grande, dans les nombreux Pinet, Pine`de, Pineau, Pinay, Pinel, Pignols, Pineuilh, Pinon, Py, et dans le Pignada comme plantation landaise, qui tend a` passer au fe´minin par contamination de la pine`de (six occurrences sur Ge´oportail). Ses varie´te´s sont nombreuses, mais ne semblent pas se diffe´rencier clairement dans les noms de lieux, meˆme si l’IGN rele`ve trois les Pins Parasols en Provence et un le Pin d’Alep (Lorgues 83). L’arole (pin cembro), tre`s utilise´ par les menuisiers du Queyras, fournit quelques toponymes en Arole ou Arolle, Arroley dans les Alpes. De pix viennent aussi l’e´pice´a (latin picea) et la pessie`re comme foreˆt d’e´pice´as, d’ou` des toponymes en Pessie`res, Pesse, Peisey-Nancroix 73, Pessay, Pesset ; ou, a` Gavarnie 64, une valle´e, un col, un lac, un soum des Especie`res ; a` Lescure 09, l’Espe´cie´. Une autre forme germanique fohra, proche du fir (sapin) anglais, et issu du perku commun avec le cheˆne, serait a` l’origine de Forbach et de noms en Fies dans les Vosges (les Fies a` Xonrupt-Longemer 88). Le sapin peut avoir pix pour origine, mais la forme fre´quente sap, parfois conside´re´e comme d’origine celte, a pu en faire douter. Il apparaıˆt directement dans des dizaines de la Sapinie`re et des lieux en Sap, Sapois, le Sappey (dont Le Sappey 74), Seppoisle-Bas et Seppois-le-Haut 68, le Sapt en Auvergne. Il est de´signe´ abies en latin, d’origine inconnue ; cette forme transparaıˆt dans des lieux-dits Abet, Abedat, Abetat, l’Abe´det, Abiet, la foreˆt d’Aı¨tone, et aussi Be´deille, probablement Be´deilhac 09. Les me´ridionaux Avet, Avette ont pu avoir le meˆme sens ; avet est le sapin en catalan ; on note meˆme une Font del Pla de l’Avet Mort au Bousquet 11, plusieurs Font de l’Avet, un Canal de l’Avet a` Fontpe´drouse 66, un Serrat dels Avets a` Caudie`s-deFenouille`des 66. La forme germanique tann pour sapin a donne´ Thann, Thanville´ en Alsace. D’un celte varno sont venus vuarne, qui de´signe le sapin blanc, et des NL en Vuarne, Vuargnes, Vargne qui abondent en Haute-Savoie. Le nom du me´le`ze n’a pas une origine tre`s claire (sauf re´fe´rence a` son miellat), et l’arbre a des noms locaux varie´s. Il figure directement dans une quinzaine de lieuxdits, plus quelques Me´le´zin, Malaize, Laze´ ; peut-eˆtre des Malzieu. Il a aussi d’autres noms comme suffie (la Turge de la Suffie, a` Cervie`res 05), serente (Se´rente, la Se´rentie a` Roquebillie`re ou Valdeblore 06, Allos 04, Pointe et Creˆte de Se´renton a` Clans 06), voire ble´ton comme a` Ble´tonnet (a` Cervie`res) ou quelques Ble´tonnay (en Ise`re et alentour), peut-eˆtre de la famille abies. L’if a une place particulie`re, et conside´rable, en toponymie ; c’est aussi qu’il a longtemps eu une fonction d’arbre sacre´, probablement due a` sa remarquable longe´vite´. Les noms qui lui sont lie´s rele`vent de trois radicaux distincts. If viendrait de l’IE el, lointain anceˆtre de l’orme, l’alisier et l’aulne, au sens de bois rouge, en passant par le gaulois ivos et devenu yew en anglais. Il a donne´ de nombreux l’If ou les Ifs, Les Ifs 76 et Les Iffs 35, Boulay-les-Ifs 53, Mont-de-l’If 76, le Lieu des Ifs au

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Mesnil-Mauger 14, ainsi que Ids-Saint-Roch 18, des Is, Yvignac-la-Tour 22, Ivoy-lePre´ 18, des Yvoy, Yvois, Livoye, Livaie et Livet, Yversay 80, peut-eˆtre Ivry, voire les Ys a` Saint-Alban-les-Eaux 42 et les Yys aux Corve´es-les-Yys 28, ainsi que des lieuxdits bretons comme Kerivin, Kernivinen. Une forme eburo, atteste´e en celte et en latin et dont vient aussi l’ivoire, a fourni des toponymes aussi divers que E´breuil, Avreuil, Avrolles (anc. Eburobriga), Avre´e 58, Averdon 41 et Averdoingt 62, ainsi qu’Embrun 05 et Bram 11 (Eburomago, marche´ de l’if), E´vry 91, voire E´vreux 27 par l’interme´diaire du peuple gaulois E´burovice. Enfin d’une forme taxus (IE tekw, qui a donne´ aussi toxique par le grec), sont venus des Tauxie`res-Mutry 51, Tauxigny 37, des Teissie`res, Teysserre, Teysse`de, Tasso dont Tasso 2A, et peut-eˆtre Tanay en Bourgogne ; elle s’est traduite en gascon par tech et en catalan par teix, a` l’origine de nombreux Taix, Thaix, Teich, Tech, et Taı¨x 81, Thaix 58, Le Teich 33. Le tilleul est tre`s pre´sent en toponymie, sous des formes telles que Theil, Thil, Thieux, Tille, Tilly, Tillat, Tillay, Tilloy, Tillon, Thillot, Tilloloy, Tellie`res, Teillay, Thilouse, les Thilles, ainsi que des noms comme Conthil et Marthile en Moselle, peut-eˆtre They (dont They-sous-Montfort 88 et They-sous-Vaude´mont 54). La racine viendrait d’un latin tilia, issu d’un grec tilos qui e´voque une fibre (et se retrouve dans le teillage du lin). La forme septentrionale linde, ou lindi en norrois, de l’IE lento, « flexible » comme les branches du tilleul, se manifeste dans des noms en Lintot, Lindebeuf, sans doute Cappel Linde a` Bailleul 59, Linde Straete a` Millam 59 – et dans des Linden, Lindenbaum, Lindenholz, Lindenberg, Lindenkopf en Alsace. Le muˆrier, d’importation et d’un usage assez anciens, est a` l’origine de noms en Morie`res, Moreuil, Mourier, mais relativement peu nombreux : il a surtout e´te´ utilise´, dans sa version dite muˆrier blanc, a` partir du XVI e sie`cle. Sous sa forme me´ridionale amourier, il apparaıˆt dans une vingtaine d’Amourie´, l’Amourier, les Amourie`s, de la Haute-Garonne aux Alpes-Maritimes. Falabre`gue a` Me´nerbes 84 porte le nom occitan du micocoulier, nom d’origine grecque qui apparaıˆt directement dans quatre lieux-dits de Provence et Languedoc ; plusieurs Fabregoule lui seraient aussi imputables. Falabre`gue viendrait de fava greca (fe`ve grecque). Les noms de lieux en Acacia, l’Acacia, les Acacias sont tre`s nombreux, plus d’une centaine dans Ge´oportail, dont plus d’une vingtaine Bois des Acacias, plusieurs Pont des Acacias, plus quelques Combe, Leve´e, Taille des Acacias. Pourtant l’espe`ce n’a e´te´ importe´e en France qu’au XVII e sie`cle ; mais l’acacia a beaucoup servi, en particulier a` la confection de piquets pour les vignes et les cloˆtures. Essigny-leGrand 02 a meˆme un lieu-dit A` Droite de l’Acacia. On sait qu’il s’agit du « faux acacia », appele´ robinier par Linne´ au XVIIIe sie`cle ; mais robinier n’est pas entre´ en toponymie. Le « vrai » acacia, e´galement importe´, est le mimosa me´ridional ; il fournit plusieurs dizaines de NL, ge´ne´ralement au pluriel, jusqu’en Bretagne et au Cotentin (Saint-Jean-de-Rivie`re), parfois a` la faveur de lotissements balne´aires. Le marronnier n’a e´te´ importe´ d’Orient qu’au XVII e sie`cle et n’est pas de la meˆme famille que le chaˆtaignier en de´pit des apparences ; son fruit n’est pas comestible. Il a e´te´ diffuse´ dans les parcs et jardins comme arbre d’ornement et n’a donc pas pu beaucoup marquer les noms de lieux, sauf re´cemment dans les villes et villages, et n’a

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pas non plus de formes re´gionales ou alte´re´es ; Ge´oportail recense tout de meˆme quelques dizaines de lieux-dits les Marronniers. Le cypre`s, autre arbre d’ornement et de symbolique en raison de sa longe´vite´, dont le nom venu du grec serait pre´helle´nique, apparaıˆt plusieurs dizaines de fois dans des lieux-dits le Cypre`s, les Cypre`s, Cipre`s (Gontaud-de-Nogaret 47), Cipressu a` Speloncato 20. Quelques petits arbres assez familiers et utiles ont e´galement enrichi la toponymie. C’est le cas du cormier, a` l’origine de nombreux noms en Cormeilles, Cormenay, Cormenier, Cormery, ainsi que Cre´meaux 42. C’est aussi celui de son cousin le sorbier, apparent dans des Sorbiers et Sorbs, Sourbis, Sourbe`s, Sourbe`re, ainsi que dans ses formes alisier, aliguier et arbessier correspondant au Sorbus alba (sorbier blanc) : une quarantaine de lieux-dits l’Alisier, l’Arbessier a` Champdor et a` l’Abergement-de-Varey 01, Arbessieux a` Ruffieux 73, Arbessa a` Montblo 66, l’Aliguier a` Saint-Christophe-Vallon 12, Aliguie`res a` Septfonds 82 et Aliguier a` Saux 46, etc. On trouve aussi une vingtaine de Viorne (latin viburnum, suppose´ d’origine e´trusque). Le sureau ou sambuc a fourni de nombreux noms de formes assez diverses, en Sahuc, Sambuc, Saubusse, ou encore le Buisson de Sureau a` Fillie`vres 80 ; et, sous son nom breton skav, des Squiffiec, Squiviec, Scaven et trois Scavennou a` Plouaret, Cle´der, Plouray. X. Gouvert cite le cas exemplaire de la Croix du Sud d’Ambierle, qui fut Croix d’Azur chez Cassini et en re´alite´ Crice del Sau, donc du sureau. L’hie`ble ou ye`ble est un petit sureau dont les baies noires ont servi a` teindre ; il a marque´ de nombreux lieux-dits de l’Iˆle-de-France en Normandie et au Poitou, comme Ye`bles 77, les Hie´blois au Plessis-Feu-Aussoux 77, divers Hie`bles dans l’Eure et Ye`bles dans l’Eure-et-Loir, les Hie`bles a` Saint-Sauvant 86, le Champ de l’Hie`ble a` Payre´ 86.

Utiles incultes Les populations ne´olithiques et de l’Antiquite´ e´taient encore assez peu denses dans nos re´gions, mais avaient engage´ un travail assidu de mise en culture – et de de´nomination des lieux. Il convient toutefois de se souvenir qu’elles savaient aussi exploiter les ressources des terres incultes : bois et autres ve´ge´taux, tourbe, fumures, gibier. Dans le langage gallo-romain, ces incultes e´taient tout ensemble de´signe´s comme saltus. Le saltus, oppose´ a` l’ager (les champs cultive´s) comprenait bois, landes et pre´s, avant que son sens se restreigne aux terres conside´re´es comme inutilise´es, « sauvages », servant au mieux de terrains de parcours. En ce sens, il a pu s’opposer aussi a` la silva, la foreˆt source de richesses, devenue approprie´e et de´fendue. Double paradoxe : d’une part, sauvage vient de silva, alors que c’est pre´cise´ment hors de la foreˆt que se trouvait « le sauvage » par excellence, le saltus. Or saltus a laisse´ des traces en toponymie, non sans ambiguı¨te´s car le terme signifiait e´galement saut, meˆme en latin. On ignore d’ailleurs ce qui peut avoir amene´ les Latins a` choisir ce mot pour de´signer les incultes ; une suggestion pourrait venir de l’ancienne racine indo-europe´enne sel, sauter, qui a e´galement fourni saillant (ainsi qu’exulter et insulter) : peut-eˆtre quelque chose qui de´passe, qui pique, qui he´risse, comme les fourre´s, broussailles et bosquets qui peuplent le saltus, par opposition aux champs cultive´s, associe´s aux ide´es de nu et de plat.

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Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France

En l’absence d’escarpement ou de cascade dans les environs, les linguistes ont pu supposer que de nombreux noms en Sault et Saut provenaient du saltus sauvage plutoˆt que d’un simple « saut » de terrain ou de rivie`re : tels Sault (Vaucluse), Saultles-Rethel, Sault-Bre´nas (Ain), Salt-en-Donzy (Loire), Sault-de-Navailles dans les Pyre´ne´es-Atlantiques, ou` Navailles signale une novale, un de´frichement. En viendraient aussi Sautel (Arie`ge), Sautron en Loire-Atlantique, ancien Salterona ; Saume´jan en Agenais, Etsaut en Be´arn ; peut-eˆtre Sail-sous-Couzan et Sail-les-Bains, dont le nom fut e´crit Saltu jadis, mais dont la forme fait plutoˆt penser a` une source jaillissante (chap. 5). Et probablement les deux pays de Sault, dans l’Aude et dans le Vaucluse, meˆme s’ils sont passablement accidente´s. Les landes occupent une grande partie de ces incultes ; elles ont jadis joue´ un roˆle certain dans la nourriture des animaux domestiques, la chasse, l’approvisionnement en fourrage, en plantes utiles et en petit bois. Elles ont e´te´ tre`s pre´sentes en toponymie, mais le nom meˆme est source de nombreuses ambiguı¨te´s, et a duˆ souvent eˆtre accompagne´ ou remplace´ par des de´nominations plus spe´cifiques. En effet, lande est issu d’un IE lendh de´signant un espace ouvert, landa en celte, mais d’ou` proviennent aussi l’ancien franc¸ais launde pour pacage ou pelouse (comme l’anglais lawn) et land comme pays, e´tendue. Hors de cette famille, le mot est phone´tiquement proche de londe pour foreˆt et du lan breton pour sanctuaire, ermitage. La lande s’exprime par la forme lann en breton, ce qui renforce l’ambiguı¨te´ de`s lors que le toponyme ne comporte pas un nom de saint, parfois difficile a` identifier d’ailleurs comme a` Langueux (lan+Caioc ou Gue´hennec) : mais Lanester est une lande pre`s de la rivie`re (avec ster), Lanascol une lande aux chardons (askol). La lande devient laa` en Be´arn, comme a` Laa`-Mondrans, et lar, larra en basque comme a` Larzabal (lande large, plateau a` lande) a` Menditte, Larraldea (le versant en lande) a` Hasparren, de nombreux Larramendia (mont de la lande), Larregainea (la haute lande) a` Juxue 64 et Larreburua (le bout de la lande) a` Villefranque 64, probablement Laruns 64, et la fameuse Rhune a` Ascain, qui est une mauvaise interpre´tation de Larruna, lieu de lande. Dans ces cas lar, larr serait a` l’origine un mot pre´-IE (vascon ?) pour lande, pacage. De son coˆte´, FEW relie larris (lande, inculte) a` latus (coˆte´, en pente)... Lande est pris collectivement comme nom de pays non seulement dans le cas des Landes (de Gascogne), devenu nom de de´partement, mais aussi du Landais en Pe´rigord, entre Double et Bergeracois, du Lannemezan (la lande du milieu), des Landes de Lanvaux en Morbihan. Bien d’autres noms sont ainsi construits, comme les Landes de Lessay (Manche), les Landes de Versigny (re´serve naturelle dans l’Aisne), les Landes de Monteneuf (site naturel du Morbihan), les Landes de Couesme´ (premier site e´olien breton a` La Gacilly), les Landes de Juzan a` Anglet 64 (parc technologique). Il a fourni de nombreux noms de lieux ponctuels en Lande, Landes, Landelles, Lalande, Lalanne, et plus spe´cifiques comme Lannelongue, Lannepax, Lanneplaa`, Lannemaignan, le curieux Landes-Vieilles-et-Neuves 76, et Notre-Dame-des-Landes 44 rendu ce´le`bre par le projet d’ae´roport nantais et sa contestation. La bruye`re, dont la forme franc¸aise est du XII e sie`cle, et quelques noms qui lui sont associe´s sous la forme brugue, brougue, font partie d’un meˆme ensemble, ou` ces

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termes de´signaient un paysage, et ses ressources, mieux que la plante elle-meˆme. Les NL en Bruye`re ne manquent pas, comme les Bruye`res a` Asnie`res, quartier plus connu a` partir de la gare de Be´con-les-Bruye`res, les 24 occurrences du seul de´partement de l’Eure, une trentaine de lieux-dits les Hautes Bruye`res, plus encore de Grande Bruye`re (dont une quinzaine dans le seul Calvados, une douzaine dans l’Orne), et meˆme un Gratte-Bruye`re a` Se´randon 19, au-dessus des gorges de la Dordogne. Mais de nombreuses autres formes et meˆme des NP lui sont associe´s. Les linguistes e´voquent a` l’origine un bruco, un celtique broikos, et le breton a conserve´ brug, le catalan bruc. De son coˆte´, le Pays Basque a employe´ ilhar, apparent dans divers NL en Ilharra, Ilharri, Ilharrea, Ilhardola, Ilhare´guy, etc. Les toponymes en Brugue, Bruguie`re, Brue`re, Brie`re, Brougue, Brouc, Brujoux, Bruges, Bruyat sont tre`s nombreux ; Bruc-sur-Aff en fait partie, comme Brux 86 – mais bruc est aussi un rucher en occitan... X. Gouvert signale e´galement des Braille, Brie´rat. Bracque, brac, bracke a eu le sens de buissons ou bruye`res en Normandie, comme a` Bracquemont et Bracquetuit, et bre´ole y de´signe une terre inculte, comme les Bre´oles a` Blonville-sur-Mer 14. Bruch est employe´ en Alsace dans un sens meˆlant marais et broussailles (une quarantaine de lieux-dits) ; mais on trouve aussi des Bruch dans le Midi, inspire´s par la bruye`re et les broussailles associe´es, ainsi que des Brusque, Bruguie`res (dont Bruguie`res 31), Brugairolles (dont Brugairolles 11), les Embruscailles a` Claret 34, Bruis 05. Brana y a le sens de bruye`re, d’ou` des Branne, Brana, Brane`re ou Braneyre. On trouve des Bruz en Be´arn. Certains de ces noms ne vont pas sans quelques ambiguı¨te´s avec des noms d’origine nordique du pont ou du marais, de forme brug, brouck. La forme bruye`re a pu e´voluer vers Be´roue`re (Vosges), Be´rue´e et Berroyer (Centre), Brie`re aussi, vers des Bromeilles, Bre´mailles, Bre´mie`re en Vende´e et dans le pays Nantais, ou encore des Bre´vie`res qui seraient sans rapport avec brebis, comme La Bre´viaire 14, que certains attribuent cependant au castor. Les Bre´viaires 78 est un ancien Brogarias. De ce fait, il n’est peut-eˆtre pas absurde d’imaginer que les e´nigmatiques Bre´viandes, associe´es a` des terres maigres, soient plus proches des bruye`res que d’hypothe´tiques « bre`ves viandes », meˆme si la me´diocrite´ de la provende obtenue a pu jouer en ce sens. Bre´vands 14, qui contient un lieu-dit Bucaille (bocage), contribue a` le laisser penser. Brande est un terme que l’on associe ge´ne´ralement a` la bruye`re et qui existe en breton (branda) aussi bien qu’en gascon (brana), mais qui pourrait venir d’un brand e´voquant le bruˆlis, comme e´tendue plus ou moins re´gulie`rement bruˆle´e pour des cultures temporaires. Les Brandes sont des contre´es du Poitou, marque´es par la pre´sence de bois et de formes d’agriculture laˆches sur les placages se´dimentaires siliceux issus du Massif Central ; les sols sont lessive´s et relativement peu fertiles, les paysages sont ceux de pre´s, de bois et de broussailles. Les toponymes en Brande et Branne sont communs. Les broussailles sont une autre apparence des incultes, fort productrices en toponymie sous les formes de Brousse et Brosse, les Brosses, Labrousse. Les noms s’alte`rent c¸a` et la` en Bours, Bourse, la Bourse ou s’augmentent en Brossard, Broussard. Leur e´tymologie est discute´e et reste obscure. Une interpre´tation se´rieuse la relierait a` un IE bhr-bhrem, saillant, piquant, peut-eˆtre par le latin de meˆme sens brocchus. Certains

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spe´cialistes ont suppose´ un lien avec ce qui se broute, par proximite´ avec d’anciens brost, broust pour des repousses, rejets et bourgeons d’arbrisseaux. Auquel cas des noms en Broust, Broue´, Brouel, Brouste, Broustet, Broteux, les Brotteaux et Bre´tillods lyonnais viendraient de brousses a` brouter. Pour P. Guiraud, il s’agirait d’ailleurs d’une seule et meˆme famille, autour de ce qui de´passe : en somme, un synonyme du saltus.... En breton, killi a le sens de broussaille, transparent dans Le Quillio et quantite´ de Quillou, Quillou Braz et Quillou Bihan, Quillou Me´nez, Quignac, Quillen, des compose´s avec Quili comme Quilihuel (le haut bosquet) ou Quilgwern (avec verne) Guillac, Guily, le Quilly. Breuil appartient a` la famille des buissons et broussailles et a e´te´ pre´ce´de´ d’un celte broglio au sens de petit bois, ou du latin brocchus. Au sens restreint, il a de´signe´ un enclos de pacage boise´, surtout comme re´serve seigneuriale de gibier. Il a laisse´ des toponymes en Breuil, Breilh, Breil, Brouilh comme Le Brouilh-Monbert 32, Bre´al, Bruel, Breux, Brouillet, Brouilla en catalan et Broglie a` partir de l’Italie. Il est parfois confondu avec Bruˆle´ : certains Bruˆle´ sont d’anciens Breuil. Avec les broussailles vont les buissons et les fourre´s, sources d’autres noms de lieux, y compris de communes comme Buisson 84, Le Buisson 48 et Le Buisson 51, Le Buisson-de-Cadouin 24. Buisson serait un de´rive´ de bois et non de buis, mais il s’agit de termes d’une meˆme famille. Le breton emploie bod, bot, comme a` Botque´len (« buisson de houx »), des Bod Spern (« buisson d’e´pines ») a` Ploumagoar ou Bod Spern a` Bognan, le chaˆteau de Bot Spernen a` Se´ne´ 56 ; toutefois, ce terme se confond trop aise´ment avec bod au sens de lieu habite´ et meˆme bot au sens de talus, gradin, digue. Fourre´ est de la famille du fourreau (germanique fodr) avec l’ide´e meˆme de fourrer, garnir, tasser : un lieu de ve´ge´tation dense, difficile a` pe´ne´trer. Il apparaıˆt en de nombreux toponymes Fourre´, les Fourre´s, Fouroux – voire le Buisson Fourre´ a` Charrin 58, les Bois Fourre´s a` Dangers 28. La meˆme ide´e est exprime´e, a` partir du latin spissus (grec spidhos, dense, dru) dense, serre´, par les E´peisse, E´paisse, Espesse, Espeche, Esposse, E´poisses, les E´poiches (Charny 21), l’E´poissel (Corcelles-le`sMonts 21), les E´pesses (Vende´e), Lespesse, et a` condition d’e´viter une confusion possible avec l’e´pice´a et sa pessie`re. Ces termes sont fre´quents en Bourgogne. Gorce, gorse ont de´signe´ des fourre´s et buissons, surtout dans le Midi. Ce mot est sans doute apparente´ au gort, hort (IE gher, enclos), gortia en celte, qui a de´signe´ des fourre´s plus ou moins e´pineux, et par suite des haies et enclos, puis des jardins clos (hort). Il a servi a` des quantite´s de toponymes (et NP) en Gorses, Gorze, Gorcy, Gos, Lagorce, tre`s nombreux de l’Auvergne a` la Gironde. Meˆme Gos a` Barre 81 (Gorz au X e sie`cle) en serait issu, selon E. Ne`gre. Gorce a bien le sens de fourre´s et buissons en Berry : Celon 36 a la Gorce aux Femmes, sa voisine Vigoux la Gorce a` la Vieille, la Gorce a` Poussera, les Gorces Billeron, Gorce de Segeau, la plupart associe´s a` de petits bois. Le terme a meˆme pu, par extension, de´signer des terres pauvres et incultes, dites « ingrates », des lieux de de´combres, pierres et mauvaises herbes ; voire des chaˆtaigneraies en Limousin, ou` desgorc¸ar e´tait de´fricher – tout le contraire des jardins enclos et productifs, un cas curieux de de´doublement et d’opposition de sens a` partir d’un meˆme e´tymon, l’impe´ne´trable e´tant transfe´re´ de la cloˆture au fourre´, et re´ciproquement...

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Les taillis sont d’autres formes ve´ge´tales secondaires, qui ont laisse´ d’abondantes traces sous les formes de Taillis, le Taillis, les Taillis, particulie`rement nombreux en Basse-Normandie, Taillade, Taillette, Taillaz et aussi Taille, comme la Taille de l’Ouche a` Saint-Senoch ou la Taille des Beauces a` Azay-sur-Indre en Touraine, mais non sans risque de confusion avec la taille comme impoˆt. La Taille´e des Entes a` Germond-Rouvre 79 e´voque sans doute aussi un taillis. E´cotais a eu un sens voisin dans des noms comme l’E´cotais, les E´cotais, l’Escotais, abondants en Bretagne gallo (Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique) et alentour – mais des E´cot ou Escot semblent avoir eu d’autres sens. Le hallier est aussi un ensemble de broussailles serre´es et touffues ; il fournit des dizaines de lieux-dits du Maine a` la Champagne. Son e´tymologie pourrait venir d’un germanique heisi au sens de broussailles, auxquels sont associe´s des rameaux (hasla) et le noisetier (hasel) et probablement les toponymes Heiltz en Champagne, prononce´s « el » et pre´sents dans les trois communes de Heiltz-le-Hutier 51, -le-Maurupt et -l’E´veˆque. Il est possible que le meˆme e´tymon soit a` l’origine du hallot, nom des arbres teˆtards qui est associe´ a` des toponymes en Normandie et Picardie, comme les Hallots a` Croixdale 76, des Bois du Hallot a` Civie`res et a` E´cos 27, Sous les Halots a` Autheux 80. Barthe de´signe des broussailles dans le Midi, notamment dans les fonds de valle´es humides, ou` le mot, d’origine incertaine, a donne´ des Barthe, Barthe`s, Barthas ou Bartas, la Bartasse, Labarthe`te. La blache ou blache`re est un inculte broussailleux, parfois une clairie`re, dont le nom vient des taillis de cheˆnes, apparemment a` partir d’un gaulois blaca : les toponymes en Blache, la Blache, Blache`re, Blachier sont fre´quents dans l’Est et les Alpes, et se traduisent en Blaque, Blaquie`re dans le Midi. Chablis de´signe des arbres ou arbustes abattus par les tempeˆtes, ou plus ge´ne´ralement des abattis ; chabler e´tait faire tomber ou frapper en ancien franc¸ais, d’origine mal connue, peut-eˆtre IE kat (vers le bas, cf. cata). Ces termes abondent en toponymie sous les formes Chable, Chablis, Cable, la Caule. Rippe, qui serait d’origine germanique (hrispa est atteste´ en burgonde), est fre´quent dans les Alpes du Nord et l’Ain pour des terrains broussailleux, avec des formes Rippaz, Ripaille, Rippelets et Rupe, Ruppe, Ruppaz, Rupaille, Rupie`re (Bessat et Germi). Le terme devient reppe en Bourgogne et Jura : la Reppe Me´nage`re a` Allereysur-Saoˆne, les Grandes-Reppes a` Neublans-Abergement 39, le Bois des Rieppes au Pasquier 39, la Reppe a` Savigny-sous-Maˆlain 21. Sarri est un e´quivalent basque associant broussailles et pacages, peut-eˆtre a` l’origine de Sare et d’autres noms en sare, saro, sari, sarry, dont Bassussary 64, et jusqu’a` Charritte (Orpustan), voire Charre 64 sur le Saison. Le savart e´tait une sorte de lande, d’inculte, tre`s pre´sent jadis en Champagne se`che mais a` peu pre`s disparu depuis la re´novation agricole. Son e´tymologie reste obscure ou confuse, meˆme si l’on a parfois mis en avant un samaro celte au sens d’e´te´, donc de jache`re (v. plus loin). Les noms en Savart, Savarts, Savaret, Savard, Savary sont pre´sents dans diffe´rentes re´gions, ainsi que Sabart (Arie`ge), Sabarthe`s (Sud-Ouest et Aude), et en ge´ne´ral associe´s a` l’ide´e de friche, d’inculte plus ou moins broussailleux.

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L’une de ses plantes caracte´ristique (Sinapis alba) avait e´te´ nomme´e hurlu en Champagne ; l’ancien village des Hurlus, de´truit en 1914-1918, subsiste dans les noms de trois communes voisines, Wargemoulin-Hurlus, Souain-Perthes-le`s-Hurlus et Miraucourt-le-Mesnil-le`s-Hurlus, et est peut-eˆtre dans les Hurlutie`res aux E´tilleux 28. Le thym serpolet y e´tait dit pouillot, mot que certains voient a` l’origine de la de´nomination Champagne Pouilleuse, qui a pris plus tard un sens pe´joratif. Il existe plusieurs dizaines de NL le Buisson Pouilleux, de la Champagne a` la Beauce, qui pourraient en eˆtre des e´chos, comme le Pre´ Pouilleux a` Saint-Nicolas-la-Chapelle 10 et le Champ Pouilleux a` Chappes 10, voire le Champ du Buisson Pouilleux a` Anstaing 59.

Terres en repos Toute une se´rie de termes contribuent a` de´crire des terres incultes mais e´ventuellement travaille´es : soit en vue d’un repos d’une ou de plusieurs saisons, voire plusieurs anne´es, soit pour pre´parer un de´frichement, soit pour faciliter le pacage et la chasse. Leurs sens ne sont pas toujours pre´cis et les noms preˆtent a` bien des confusions, voire a` des liberte´s litte´raires. Il existe pourtant des de´fintions strictes : en principe, une jache`re est un champ laboure´ provisoirement en repos, tandis qu’une friche n’est pas travaille´e. Mais il est des friches durables, d’autres provisoires, et les choses se compliquent lorsque l’on parle de chaumes ou de gue´rets, ou de termes locaux ; et nombre de linguistes me´langent joyeusement les concepts agricoles et ve´ge´taux. Reprenons ces termes, dans leurs rapports a` la toponymie. Chaume, cham, calm sont tre`s fre´quents dans les noms de lieux ; les Chaume, Chaumes, Chaumeil, Chaumont fournissent des dizaines de noms de communes, avec des Chaumussy, Chaumard, Chaumot, Calmont, Chamechaude, Chamrousse ; une douzaine de lieux-dits sont en Montcalm. Le sens ge´ne´ral semble bien eˆtre un espace vacant et nu, au point que chaume et chauve se confondent : tel ou tel Chaumont a e´te´ compris comme calvus mons. Chaume de´signe dans les Vosges, le Jura et les Alpes un pacage de montagne, et H. Suter a trouve´ 63 fac¸ons diffe´rentes d’e´crire chaume dans les Alpes, y compris des Cha, Chaz, Lachat ou Lachaz, Lachalp. Mais chaume est aussi la tige d’une ce´re´ale, l’ensemble de ces tiges avant moisson, voire collectivement ce qu’il en reste apre`s moisson – dans ce cas, comme pour la chaumie`re, le mot est cense´ venir de kalamos/calamus, paille ou roseau. Et en outre certains noms en Chaumard, Chomard, Chaumade et meˆme Chaumie`re sont associe´s au repos du be´tail, avec un sens qui, de ce fait, les rapproche de choˆmage, et une origine que des spe´cialistes croient avoir trouve´e dans le grec kalmo, le repos par grande chaleur (IE keu, bruˆlant)... Calm est suppose´ par E. Ne`gre eˆtre un pre´celtique de´signant une terre inculte, e´ventuellement un pacage. Il serait aussi a` l’origine des chaux, qui cependant signalent souvent aujourd’hui des foreˆ ts, surtout en Bourgogne et FrancheComte´, et jusqu’en Auvergne, et qui n’auraient rien a` voir ni avec la chaux ni avec le calcaire en ge´ne´ral : la Foreˆt de Chaux, La Chaux-de-Crotenay 39 (affuble´e d’un gentile´ pseudo-savant Calciois...), la Grand Chaux a` Chalesmes 39, la Chaux d’Espinchal dans le Cantal, Autechaux, Plainechaux a` E´talans 25. Beaucoup de

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Charmes et de Charmont seraient de la meˆme famille, comme avatars de Chaumes, Calmont ou Chaumont. Ces confusions et he´sitations ne sauraient masquer l’essentiel : tous ces noms sont associe´s a` des paysages a` ve´ge´tation basse, sinon rase. Friche est ge´ne´ralement suppose´ venir d’un friesch ne´erlandais pour des terres gagne´es sur la mer, donc nouvelles, et se voit ainsi attribuer le sens de « fraıˆche » ; cette interpre´tation semble un peu curieuse pour ce qu’est normalement une friche, et l’on pourrait plutoˆt rapprocher le mot de l’ide´e de terre fraıˆche au sens de repose´e (P. Guiraud), ou au sens de terre libre, vacante, voire abandonne´e, d’un e´tymon qui se retrouve dans frei, free et franc. Les Friches est un nom de lieu tre`s pre´sent dans le Centre et l’Ouest, en particulier l’Anjou. Pe´gorier a trouve´ divers synonymes en Frie (Normandie), Frite (Marne, Jura). Sont tenus pour apparente´s a` friche de nombreux Fraux, Fraud, Fraudis, Frot, Frou, Froux s’e´parpillent de l’Ouest au Centre et au Midi, par exemple Frou a` Aubigny 03, Champ Frou a` Annay 58, Froux a` Jousse´ 86, les Froux a` Treffieux 44, les Champs Froux a` Souvigne´ 79, les Frauds en Charente comme a` Vervant ou Rouze`de 16, la Fraudais a` Nyoiseau 49 ; ou encore des Frost et Frostou en Bretagne, les Frousts a` La Chapelle-Saint-Sauveur 44. On note aussi des familles de formes Fraiche (Ouest), la Freuche et la Fruche (Morvan, Charentes, Poitou, Vende´e), Fraite (Jura), Fretil, Fretille voire Fertis, Fertil dans le Centre et la Bourgogne, comme les Fertils a` Ouanne 89, les Grands Fertis a` Humbligny 18. Les lieux-dits la Frau ou le Frau sont des dizaines dans le Midi, de la croupe pele´e de la Montagne de la Frau a` Montse´gur 09 a` divers sites du Causse du Comtal autour de Salles-la-Source et Curan 12, ou` Frau est au masculin. Des noms comme Fruges 62, Fruzes leur sont parfois rattache´s (Dauzat), certains conside´re´s comme issus de frutea, lieu plante´ d’arbrisseaux (R. Lesage). Les friches sont dites aussi vacants ou terres vaines, c’est-a`-dire vides, comme on parle de « terrain vague ». Les lieux-dits le Vacant, les Vacants sont plusieurs dizaines, en toute re´gion. Lacapelle-Marival 46 a parmi ses lieux-dits le Vacant, le Vacant Vieux, plus le Sauvage et la Salvagie. On trouve aussi les Vaines, par exemple a` Grandecourt 70, a` Vigoux 36 ; des Terres Vaines en Orle´anais (ex. Bouzy-laForeˆt 45), le hameau des Vaines et Terre des Vaines a` Vigoux 36. Le Midi emploie volontiers herm ou erm comme synonyme, au sens de de´sert, de meˆme e´tymon qu’hermitage (IE ere, grec eremos, latin eremus) : le terme a donne´ de nombreux l’Herm et les Hermes, l’Hermas, les Hermasses, Hermassou et L’Herm 09, Les Hermaux 48, Lerm-et-Musset 33, Saint-Caprais-de-Lerm 47, Saint-Martin-de-l’Herm 33, Saint-Michel-en-l’Herm 85, Saint-Germain-l’Herm 63, les Ermes a` Mostue´jouls 12 ou aux Allues 74. Bien entendu, des rencontres avec ermite, hermitage sont possibles. Erme prend aussi des formes Armias, Armige`re, Armeil, Armie`re du Lyonnais a` la Savoie ; Bessat et Germi citent en ce sens des toponymes l’Ermont (a` Bellevaux 74), Hermy (Marnaz 74), Hermant. La bouzigue a un sens voisin dans le Midi. Le terme viendrait d’un gaulois bodica au sens de friche et correspond a` des toponymes en Bouzigue et les Bouzigues par dizaines, ainsi que des Boudigue, Bouige, Bouygues, Boige. On trouve Bouzigues 34, plusieurs Grande Bouige et les Grandes Bouiges, les Biouges a` Jeu-les-Bois 36.

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Laer, leer est e´quivalent a` friche dans le Nord et se lit dans Oxelaere 59, Leers 59, Laires 62, et peut-eˆtre, par leur terminaison, Lillers 62 et meˆme Flers 62, Meulers 76. Il est apparente´ au larris, qui en picard et vieux franc¸ais signalait un pacage a` moutons, une lande peu boise´e. De nombreux NL les Larris se disse´minent de la Picardie a` la Bourgogne, comme La Neuville-aux-Larris 51 ou Larris Peigneux a` Crugny 51, Larris du Muid d’Orge a` Silly-Tillard 60. La forme devient Leyritz ou Leyrits en Auvergne (Crandelles 15, Rouffiac 15), Leyris en Arde`che et dans le Gard (Lagorce 07, Quissac 30 etc.). Ce nom a migre´ en Agenais (Leyritz-Moncassin 47) et de la` en Martinique (Basse-Pointe, Les Trois-Iˆlets) par le biais de NP. Brache est une friche en Alsace, comme au Brachweg de Scherwiller 67, aux Brachmatten de Flaxlanden 68. Le ne´erlandais et le germanique ont aussi thresk, drisch ou trisch, sous diverses formes apparente´es donnant des lieux-dits en Drisch, Driesch, Dreisch, Dreis, Dreisk, Dreusch, ou` le D peut eˆtre remplace´ par un T ; on note une se´rie de Drisch, Driesch en Moselle et un Grand Drisch a` Altwiller 67, Drieschberg a` Barst 57, Driesch Veld a` Noordpeene 59, ainsi que des Trisch, Treisch, un Trischfeld a` Durstel 67, Im Triesch a` Reichshoffen 37, an Trischweg a` Breistroff-la-Grande 57, etc. Des Treix, dont Treix 52, Tresques, voire Trie pourraient avoir cette origine. En Bourgogne, un e´quivalent est tope, teppe, souvent suivi d’un NP comme Teppe Molard (Ratenelle 71), Teppe Morin (Lux 71), Teppe au Preˆtre (Saint-Gervais-enVallie`re 21), la Tope Portot (Bouilland 21), Toppe Choulet (Arcenant 21), ou d’un autre de´terminant : Toppe des Oiseaux (Antigny-la-Ville 21), Toppe au Loup (Benoisey 21) Champs de la Toppe (Mavilly-Mandelot 21), Toppe des Deux Bois (Broin 21). Tatte, fre´quent en Jura et Haute-Savoie, leur est apparente´ : les Tattes a` Confort 01, le Sapin du Tate a` Amathey-Ve´signeux 25, la Grande Tatte a` Loisin 74, la Tatte a` Sallenoˆves 74 ou a` Bessey 74, le Tate a` Montmahoux 25. Turge, dans les Alpes du Sud, aurait parfois le meˆme sens mais les toponymes associe´s, comme la Turge de la Suffie a` Cervie`res, correspondent a` des buttes (comme turon, tureau) ; il en est d’ailleurs de meˆme de certains Teppe.

Ve´ge´tations du saltus La garrigue et le maquis sont des formations ve´ge´tales spe´cifiquement me´diterrane´ennes, mais dont les noms ont pu de´border du domaine, ou eˆtre pris dans des sens figure´s. Garrigue vient du cheˆne kerme`s, une de ses plantes caracte´ristiques, par son nom occitan garric. On le dit ge´ne´ralement issu de la tre`s ancienne racine gar pour rochers : le cheˆne des rochers ; P. Guiraud, peu porte´ sur le pre´-latin, y verrait mieux quelque chose qui pique, comme dans chardon. La garrigue est en principe une formation calcicole, relativement ouverte. Les toponymes sont en Garrigue et Garrigues, Garrigou, Garriguet, Garrissade ainsi que Jarrige, Jarrie, Jarrisses, Jarissade ou Jarrissade, Jarissou, voire Jariais et Jarriette jusqu’en Pays de Retz et en Mayenne, le Jarrigal a` Tocane-Saint-Apre 24 ; ces noms ont pu venir simplement de la pre´sence de cheˆnes kerme`s ; et, comme toujours, de NP importe´s. Le maquis est, au contraire de la garrigue, une formation silicicole et plus ferme´e. Il est souvent dit que le terme viendrait de macula, tache, au motif que ses massifs

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faisaient tache dans le paysage. Le maquis est pre´sent dans quelques dizaines de toponymes, mais dont beaucoup sont re´cents et font allusion au sens de´rive´ de lieu de la Re´sistance 1940-1944. Il apparaıˆt en Corse sous la forme fe´minine macchia, par exemple Macchia Alta a` Prunelli-di-Fiumorbo, Macchia Longa a` Aghione, Macchia Soprana et Sottana a` Porto-Vecchio, Macchia Negra a` Asco, Macchia Rotonda a` Calenzana, et dans une dizaine d’augmentatifs en Macchione ou Macchioni. Certaines plantes caracte´ristiques de ces formations ont aussi leurs toponymes. Le gene´vrier a donne´ des Gimbre`de et Gimbrette, Gembrie 65, Janvry et Janvrie, Genevroy, Genevrie`res, une quarantaine de les Gene´vriers ; et, sous sa forme occitane cade, des Cadenet, La Cadie`re et les Cadie`res (les Cadie`res de Brandis a` Castellane 04), Cadalen 81, Cadarache, Cadarcet 09, Cadarsac 33, peut-eˆtre Cadillac, et meˆme, selon Dauzat, des Cahaignes 27, Cahagnes 14, Chaignes 27, Chahaignes 72. La lentisque, ou restincle en occitan, a fourni quelques Restinclie`res (dont une commune de l’He´rault), Restinclous a` Saint-Mathieu-de-Tre´viers 34. L’asphode`le est a` l’origine d’Albuceta ou de Talavuceta en Corse ; elle aurait aussi donne´ quelques e´quivalents occitans en Pourraque (Reillanne 04, Ginasservis 04), les Pourraques (La Roquebrussanne 83), les Pourraches (Saint-Martin-de-Ve´subie 06), Pourraquet (Breil-sur-Roya 06). Saignon 64 contient a` la fois un hameau la Pourraque et un lieu-dit Cadarache. L’arbousier apparaıˆt en quelques lieux-dits Arbos, Arbous, l’Arbousier, les Arbousiers, l’Arboussier, les Arbousses, l’Arbousas, Larbussel, Albussie`re, l’Arboux, Albussac 19 et, a` partir du corse albitru, a` Albitreccia. Le ciste est a` l’origine de quelques Cistes, Cistrie`res, notamment en Haute-Loire et de plusieurs Massugues, Massuguie`s tel Le Masnau-Massuguie`s 81 (le mas neuf-les cistes), le Mussuguet a` Cassis 13. Du nerprun (=prunier noir) alaterne, a` feuilles persistantes, viennent Ladern-sur-Lauquet 11, le Planal de Laderna a` Paziols 11, les Aladers a` Moule`set-Beaucels 34, un Pla des Aladers a` Portel-des Corbie`res 11, Correc et Planals dels Aladers a` Opoul-Pe´rillos 66. Les fouge`res sont des ve´ge´taux caracte´ristiques de ces terrains vacants, friches et landes, ou` elles ont d’ailleurs joue´ un grand roˆle dans la nourriture des animaux, leur litie`re et comme fumure : au Lannemezan dans les anne´es 1950, on e´talait encore les fouge`res (touya) autour de la maison, voire a` l’inte´rieur, afin de les pie´tiner en permanence pour en faire un fumier. Les toponymes associe´s sont en grand nombre, et de formes multiples : Fouge`res, Fauge`res, Fougeray, Feuche`res, Feuchie`res, Feuquie`re, Feuquie`res, Fouquie`res, Fouquerolles ; Fouga, Feuga, Houga, Heuga, Heugare`de, Falga, Falguie`re, Falgoux, Falgayras ; Fluche`res, Flesquie`res, Fre´jairolles. L’e´tymon lointain pourrait eˆtre un per IE, au sens de couvrir, couvert, comme pour la feuille, et pour le latin filix au sens de fouge`re. Filix est plus directement apparent dans les Felce et Feliceto en Corse, Felgines dans le Cantal (a` Boisset et Cassaniouze). Fougax-et-Barrineuf 09, Fougaron 31, Feugarolles 47, Fauge`res 07 et Fauge`res 34, Feuquie`res 60 et Feuquie`res-en-Vimeu 80, GrandFougeray 35, Pleine-Fouge`res 35, Flesquie`res 59, Le Houga 32, Heugas 40 appartiennent a` ces se´ries. Dans le Sud-Ouest, l’e´quivalent est touya, aussi tuye, souvent un me´lange de fouge`res et d’ajoncs. Les toponymes en Touya sont communs dans les Landes et les Pyre´ne´esAtlantiques, devenant plutoˆt Touja, Toujas, la Touja, Toujan dans le Gers. Un terme

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e´quivalent mais plus rare est alajou : Saint-Michel-d’Alajou 34, Alaja a` Antisanti en Corse. Le breton emploie raden, lisible dans divers Raden, Radenec et dans Radenac 56, Re´dene´ 29, Ranne´e 35 (Le Moign). Le basque a iratze, dont viennent plusieurs Iratzea et d’autres de´rive´s en Iratzeburua (bout), Iratzehandia (grand, a` Urrrugne 64), Iratzemendi (mont, a` Larribar-Sorhapuru), Irati et la foreˆt d’Iraty. Le matafelon, nom populaire de la fouge`re ophioglosse ou langue de serpent, plante de re´putation vulne´raire, est consacre´ par Matafelon-Granges 01 et Mateflon a` Seiches 49. Le geneˆt est une autre plante caracte´ristique des landes, et tre`s pre´sent en toponymie. La forme Geneˆts apparaıˆt dans plusieurs centaines de lieux-dits, dont une vingtaine dans le seul de´partement du Cher, et une commune de la Manche en porte le nom. Les variantes sont moins nombreuses que pour la fouge`re, mais apparaissent dans des Geneste, Gineste, Ginestas, Gestas (dont Gestas 64), ainsi que dans Genouillac 16 ; Genouillac 23, Genouille´ 17, Genouille´ 80, Ge´nolhac 30, Genouilly 18, Genouilly 71, Genouilleux 01. Un autre radical, qui peut venir d’un balano (balatio) celte, ou plus ancien encore, est pre´sent a` la fois du coˆte´ de la Bretagne sous la forme balan, balag lisible dans Ploubazlanec, Bannalec, les ıˆles Balanec de Penve´nan 22 et du Conquet 29 et plusieurs lieux-dits Balanec, Bot Balan, Coat Balan, Park Balan, Balaneyer, et du coˆte´ des Pyre´ne´es avec Balagnas (Lau-Balagnas 65), la balague`re comme vent et une se´rie de Balague´ ; probablement aussi sous la forme Ballet en Touraine, Bare´jat, Bare´jou dans les Landes, et Baretge a` Gavarnie, Baretges a` Saugnac-et-Cambran 40. En fait, ces termes sont e´troitement associe´s a` l’ide´e de balai, balayer ; le balai luimeˆme vient du rameau de geneˆt qui en faisait office. De la meˆme fac¸on, le gascon escoube`s de´signe a` la fois le geneˆt et le balai, et viendrait du latin de meˆme sens scoparia ; il a donne´ des lieux-dits en Escoube, Escoube´, Escoubet, Escouboue´, Escoubeyron. Le basque emploie isats, ou itsas, que l’on reconnaıˆt dans Itxassou, Jatxou, Jaxu, Itsasoas a` Bidart, Itsasgaratekoborda (la ferme haute des geneˆts) a` Sare 64. Le buis (latin buxus, du grec buxos, gobelet, par la forme du fruit) a connu une belle fortune en toponymie, sous diverses formes, qui n’excluent certes pas des interfe´rences avec le buisson lui-meˆme. Les noms de lieux ont des formes Buis (Buis-les-Baronnies 26), Buxie`re, Buxeuil, Bussy, Bussie`re, Busserolles, Boussie`re, Boisse, Bouisse, Boissie`re, Boissy, Boissay, Boe¨sse, Bouysse, Bouyssou, Boisse`de, Boisseuil, Bisseuil, Bissy, Boe´ce´, Bouix, Bousse`s, Bouchoux, Boutch, Bouchet, et meˆme Les Boucheries a` Ossun 65. Buis prend la forme beuz en breton, pre´sente dans divers noms en Beuz comme Coat Beuz a` Plouider 29, Bot Beuz a` Pluvigner 56, ar Beuz a` saint-Me´en 29, Tossenn Beuz a` Louargat 22, et des Veuzit comme Crec’h ar Veuzit a` Lanvellec 22 ou le Veuzit a` Lanvollon 22. Le nom basque est ezpel, a` l’origine d’Espelette 64.

Buissons d’e´pines Une grande famille toponymique est celle des e´pineux. Le terme, du latin spina, est impute´ a` un IE spei, qui pique. E´pine, l’E´pine est un nom de lieu-dit tre`s re´pandu en

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Normandie et en bien d’autres re´gions, et a donne´ des noms comme E´pinay et Le´pinay, E´pineuil, E´pernay, E´pernon, plus Espinasse, Lespinet et Lespinasse, l’Espinouse, Espias, Espiaube dans le Midi. Champenous 54 fut un Campus Spinosus. Des Espagnac (dont Espagnac 19), E´peigne´ pourraient en eˆtre rapproche´s (M. Roblin). L’aube´pine (« e´pine blanche ») a donne´ directement des dizaines de toponymes, et quelques formes de´rive´es, comme Labrespy et Labrespic a` Mazamet, Puygouzon et Salie`s dans le Tarn, l’E´baupin en Poitou. L’e´glantier (racine aculeus, aigu) se lit directement dans plusieurs autres dizaines de lieux-dits l’E´glantier ou les E´glantiers, les E´glantines. Le prunellier (spinus en latin) est moins repre´sente´, mais on trouve des lieux-dits les Prunelliers et la Prunelle, et les Prunelli et Prunellu sont nombreux en Corse. Sa forme lyonnaise pe´lossier semble a` l’origine de quelques Pe´lossier, Pe´losset, le Creux Pe´lossier a` E´chaillon 01, les Pe´lossie`res et le Creux Pe´lossier a` Saint-Martinen-Haut 69, probablement de Polcy a` Ranchal 69 et Montmelard 71, peut-eˆtre de Pe´lussin 42, Pe´lussieu a` Saint-Laurent-de-Chamousset 69. Sa forme gauloise agranio est suppose´e a` l’origine de plusieurs NL Agrenas ou Agranas, l’Agranier ou l’Agrenier, Serre de l’Agranier a` Me´nerbes 84, les Agranie`res a` Pied-de-Borne 48, les Agrenasses a` Sampzon 07. Une racine arn, probablement pre´latine et peut-eˆtre proche de la pre´ce´dente, a fourni dans le Sud-Ouest aranh, aragnou de´signant plus particulie`rement le prunellier : d’ou` des Aragniou, Aragnouet (dont Aragnouet 65), Arhansus 64, Arne´guy 64 (creˆte des e´pineux en basque), le Pic d’Arradoy a` Ispoure 64. Les Arnac pre´sents du Limousin au Quercy pourraient bien en eˆtre proches. Baragne, Baragnou, Baraigne le sont aussi et apparaissent par dizaines. Garne est un buisson e´pineux, peut-eˆtre de meˆme origine, qui transparaıˆt dans Le Garn 30 ou des Garnay, Garnat, Garnache fre´quents en Auvergne. Garrabet, dont le nom e´voque les rocailles (gar), de´signe l’e´glantier et fournit une trentaine de toponymes a` Ge´oportail ; il se retrouve probablement dans les Gabarret, Gavaret, Gabardan du Gers et des Landes. D’origine diffe´rente, brouc et bre`de sont des buissons e´pineux et spe´cialement des aube´pines : en viennent des Bre`de dont La Bre`de 33, des Broc, Broux, Broucasses. L’e´pineux est spern en breton, a` l’origine de quelques Spernen, Bot Spernen, Run an Spernen, Roz Spernez a` Re´dene´ 29, meˆme d’un Mez ar Spernen (champ aux e´pines) au Merzer 22, et bien proche d’E´pernon. Le basque de´signe les e´pineux par elhorri : Elhorriko Kaskoa est un « sommet des e´pineux » a` Saint-E´tienne-de-Baı¨gorry (M. Morvan) et une vingtaine de noms de lieux comportent Elhorri. De l’IE ster, aigu, sont venus thorn en anglais, et en Bretagne dreneg, dans le Nord et en Alsace dorn, thorn. Dornach a` Mulhouse, Dornenwaeldel (petit bois e´pineux) a` Gries 67, Dornenwiese (prairie aux e´pines) a` Harn-sous-Varsberg 57, Roquetoire 62 (de hrokas corbeau et thurnu e´pine) en sont issus. Plusieurs noms de Normandie en Tourne, notamment des Tournebut en Calvados, et Tournebu 14, en viennent aussi (bu, but indiquant un habitat, comme beuf). Il est probable que ce radical se cache dans la douzaine de Fourdraine qui s’e´parpillent en Picardie, avec Fourdrain 02, Fourdrinoy 80. Le Drennec 29 et une quinzaine d’homonymes en Bretagne, Dornegat ancien nom de Saint-Pol-sur-Mer 50, sont apparente´s ; un e´quivalent drezenn,

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qui donne en Bretagne Drez, Drezeul, Drezeux, se rapporte plus proprement a` la ronce. La ronce a e´te´ un bon fournisseur de toponymes. Elle paraıˆt a` l’origine des Ronce, Ronces, Roncie`res, Roncherolles, Ronchaux, Ronchin, Ronge`res (dont Ronge`res 03) et Roissy. X. Gouvert lui attribue en Forez des Rondet, Rondie`re, Rondelet, Ronzet, voire le Roudy. Le terme a pu donner des l’E´ronce, l’Aronce et meˆme les Aronces en Normandie, dans le Centre et la Champagne. Dans le Midi, ronce prend la forme roume`gue et a donne´ des Roume`ge, Roume´guet, Roumigue´, Romiguie`res, Romegoux, Roumengoux, Roume´gas, Arroume´gats (Lescar 64). Toutefois l’on doit prendre garde a` ce que ronce et roume`gue sont a` l’origine de sobriquets au sens de ronchon (roume´gous en occitan), de meˆme e´tymologie, et donc de NP qui ont pu entrer en toponymie. L’ajonc a fourni sa part de noms de lieux, certains en les Adjots, Ajot, Ajou, les Ajoux, la Jaugue (en Gironde), voire en Jan comme La Janais 44 ; d’autres en Argelas et Argele`s, les Argalatie`res a` Cailla 11, de l’e´quivalent occitan argela. Le chardon est a` l’origine de divers Cardet, Carde`re, de Cardon, les Cardons en Picardie, et du verbe carder (la laine) ; en occitan caucida, il a laisse´ Caucia a` Caste´ra-Lectourois 32 et plusieurs Cauquie`re ; en breton askol, il a donne´ Aucaleuc 22 (Oscaloc en 1184). Le houx est exprime´ par plusieurs familles de mots. Sa forme actuelle, issue comme l’yeuse (cheˆne vert) d’un ilex (IE kel, qui pique, latin urcetum), apparaıˆt dans les Houssay, Houssaie, Houssaye, Houssoy, Housseau, Oussie`res, Oussoy, Orsay (dont Orsay 91). La forme occitane grifoul est de´rive´e d’acrifolium, la feuille aigue¨ en latin ; on trouve des toponymes en Aigrefeuille (dont Aigrefeuille 31, Aigrefeuilled’Aunis 17, Aigrefeuille sur-Maine 44), et, surtout en Limousin et en Auvergne, Arfeuille (dont Arfeuilles 03) et Arpheuille (dont Arpheuilles 18 et Arpheuilles 36), Arfouille`re, Arfouillade, Arfouillouze (a` Cros 63), Grefeuille, Gre´fouls, beaucoup de Grifoul, quelques Grefulhe, Greulie`re, Gre´olie`res 06. La Corse a une vingtaine de lieux-dits en Caracutu. Le breton a kelenn, dont viennent de nombreux Que´lennec, Quelneuc, Kergue´len. Le basque utilise gorosti, lisible dans des Gorosti, Gorostiaga. Le petit houx, ou fragon, se manifeste aussi mais rarement : le Fragon a` Hendecourtle`s-Cagnicourt 62, Champ Fragon a` Praslin 10. L’ortie, de meˆme e´tymon qu’urticant (de uro, bruˆler), est a` l’origine de NL en Ortie, Urtie`re, Hurtie`re, Lourties, Ourtigue. Urtie`re et Neuchaˆtel-Urtie`re sont des communes du Doubs ; Hurtie`res est en Ise`re, Lourties-Monbrun dans le Gers. Les lieuxdits en l’Ourtiguet et Ourtiguet sont plusieurs dizaines, avec un Rec d’Ourtigues a` Be´ziers, un Plo de Ourtigues a` Tramzaygues 65, un Adrech de l’Ourtiguet a` La Roque-Esclapon 83.

Les animaux des confins Les noms d’animaux sont fre´quents parmi les toponymes. Mais ils sont d’assez faible inte´reˆt. Beaucoup d’entre eux viennent en fait de noms de personnes : la Renardie`re est assez probablement le lieu ou` habitait une famille Renard. Auraient-ils de´signe´

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vraiment un animal, leur sens est alors souvent indirect : symbolique, alle´gorique, comme souvent avec les loups, les oiseaux et certains insectes. Dans quelques cas, il a pu s’agir de de´signations rituelles : l’aigle, le cheval (comme symbole solaire ou chtonien), le loup entre autres ont compte´ dans certains cultes et ont pu eˆtre associe´s a` des lieux plus ou moins sacre´s ou redoute´s. Ne´anmoins, c¸a` et la`, des toponymes peuvent avoir un sens direct, indiquant a` l’origine une concentration particulie`re ou une fre´quentation insistante de ces lieux par les animaux de´signe´s. Une extreˆme prudence est ici de rigueur. Fre´quemment, et non sans ironie a` l’occasion, la re´fe´rence a` certains animaux, le loup d’une part, d’autre part les grenouilles, grillons et quelques oiseaux, est associe´e a` des lieux qui furent conside´re´s comme isole´s, voire « sauvages » au sens ancien : dans les bois lointains de la selve. Aussi les noms des animaux y sont-ils le plus souvent accompagne´s de quelque verbe familier, dont les principaux se re´fe`rent au chant, ou aux excre´tions : tous ces animaux « chantaient », criaient ou marquaient leur territoire au loin, on les entendait ou on les sentait plus souvent qu’on ne les voyait. Le loup, longtemps sujet de peur, de danger et de contes, est assorti de cinq ou six verbes de comportement re´currents. C’est par dizaines que se comptent, en ge´ne´ral loin des villages, les noms de lieux en Gratteloup et ses variantes Grateloup, Grataloup ; Jappe-Loup, Japeloup et Japeloux (une trentaine) ; par dizaines aussi les Chanteloup, dont sept communes entre Yvelines, Manche et Deux-Se`vres, plus un Chantelouve 38, et ses variantes Chanteleu, Canteleu, Canteloup, Cantaloup (dont Canteleux 62, Canteloup 14 et 50, Canteleu 76) ; un Huppe-Loup a` Saint-PaterneRacan 37 et des Hupeloup a` Lavenay 72 et Saint-Sauveur 86, hupe ou huppe e´voquant ici un cri. S’y ajoutent une bonne cinquantaine de Pisseloup (dont une commune de HauteMarne) et Pisseleu (dont une commune de l’Orne), des Pe`te-Loup (Raveau 58, Vielmanay 58) en bordure de foreˆt, et meˆme sept Chie-Loup dans l’Ouest (auxquels sans doute devraient eˆtre rattache´s quelques Chiloup) plus une dizaine de Cagueloup e´quivalents dans le Midi. On note aussi trois Trappe-Loup, quelques le Leu, de nombreux Louvie`re et Loubie`re, Louvie, Loubes ; et maintes formes locales comme le Trou du Loup a` Wisembach 68 ou le Loup Ravissant a` Bazainville 78. Quelques Loup Pendu rappellent une ancienne coutume symbolique (chap. 3). Les divers Louvres sont probablement de´rive´s de louvie`re, repaire de loups. Enfin, les Gaulois nommaient bledios le loup : en viendraient les noms de rivie`re Blaise et Ble´one, ou de lieux comme Blaisy et Blassac, ainsi que Creac’h-ar-Bleiz (le roc du loup) a` Guimiliau 29, Plomodiern 29 et Langoat 22. Le loup est otso en basque, a` l’origine d’Oxocelhaya (le lieu du loup), wolf en germanique, apparent dans Wolfseck a` E´guishardt 57, Wolfzell a` Handschuhheim 67, Wolfberg a` Sternenberg 67, Wolfloch a` Sentheim – ou` Wolf a pu eˆtre un NP. L’ours a eu probablement un sens symbolique voisin, du moins en montagne. Les allusions y sont relativement fre´quentes, sous deux formes, toutes deux issues du meˆme radical IE rtko. La premie`re vient du latin ursus et se lit dans les Oursie`re, Orcie`res, Orcine ; des Tute (grotte) de l’Ours ou des Ours existent a` Ax-les-Thermes, Salles 65, Saint-Ande´ol 38, Melles 31 ; Theyts 38 a un Rocher de la Tuine de l’Ours,

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Saint-Hugues de Chartreuse 38 une Fontaine d’Oursie`re, et l’on connaıˆt aussi des Grotte, Creˆte, Coume, Saut, Trou, Pre´, Pot de l’Ours. Une seconde vient de la forme gauloise artos qui, outre l’Arctique (et Arthur...), pourrait se trouver dans Artonne 63, Arthun 42, Artheze´ 72, Arthenac 17, Arthenas 39, des Arthenay, Arcey, Arcy, Arcenant, voire Arthez et Artagnan. Toutefois, des confusions sont fre´quentes avec la racine ar pour pierre ; et le nom du village d’Arthe`s 81 vient de Robert d’Artois qui l’avait fonde´ comme bastide... L’ours est en basque artza, source de nombreux toponymes comme Artzamendi et Artzalegia a` Itxassou (avec mont et creˆte), Artzainharri (avec roc) a` Mendive, etc. A` coˆte´, les autres e´vocations semblent plus paisibles, encore qu’e´ventuellement bruyantes. Il arrive que la grenouille soit mentionne´e par son nom moderne, et dans des se´ries de Grenouillet, Chante-Grenouille ; Torxe´ 17 a meˆme un JappeGrenouille ! Graulhet 81 (Granolheto au X e sie`cle) en viendrait aussi. Pourtant c’est surtout sous la forme ancienne raine (du latin rana), conserve´e par la rainette, que les noms de lieux font le plus souvent allusion aux batraciens ; des dizaines de Chanteraine, Canteraine, Canterane se dispersent dans la plupart des re´gions. Parfois incompris, ils ont pu eˆtre e´crits a` tort Chantereine, plus valorisant : mais il est rare qu’a` la campagne on entende une reine chanter... Les grillons n’ont gue`re e´te´ moins populaires, laissant des Chantegril et Chantegrel, Cantagril, Cantagrel, voire Chantegre´ et Chantegreˆle (Lavaleix-les-Mines 23) ; s’y ajoutent une vingtaine de CanteCigale et formes voisines. Il se peut, comme le remarquait de´ja` Pe´gorier, que ces de´signations n’aient pas e´te´ anodines mais aient eu quelque sens dans la description des sites : humides, voire avec e´tang, pour les batraciens, pierreux et secs pour les grillons et cigales, de bois ou de landes pour les coucous et perdrix, de taillis pour les merles, etc. On rejoint ici les bien connus et pittoresques Moque-Souris, Trompe-Souris, Gaˆte Souris et meˆme Pipe-Souris, associe´s en ge´ne´ral a` des moulins en des contre´es si pauvres que meˆme les souris n’y trouvaient rien a` prendre. D’autre part, beaucoup de noms d’animaux n’ont de sens que comme me´taphores morphologiques : ils de´signent surtout des rochers, des ıˆlots ou des sommets : ainsi des nombreux Teˆte de Chien, Roc de l’Ours, Bec d’Aigle ou Esquine d’Aze (dos d’aˆne). La Patte d’Oie est une image classique des bifurcations, inte´ressante en tant que telle, non pour le volatile. Le Chameau est un mont a` deux bosses a` Terre-de-Haut dans l’archipel guadeloupe´en des Saintes, doublement exotique en un lieu que ne fre´quentent pas les came´lide´s...

Les sauvageons D’autres animaux « sauvages », ceux de la selve et du saltus, e´taient convoite´s par les chasseurs ou craints par les laboureurs, et n’ont pas manque´ d’eˆtre mis a` contribution pour fournir des noms de lieux ; mais on ne doit pas perdre de vue qu’ils ont aussi donne´ quantite´ de noms de personnes, qui a` leur tour ont servi en toponymie. Le nom du cerf a pour origine l’IE ker, la corne, qui a donne´ en latin a` la fois cornu, la corne et cervus, le cerf : celui-ci e´tait vu comme la beˆte cornue par excellence. Un fe´minin aurait e´te´ hors de propos puisque la femelle n’a pas de corne ; elle est

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devenue la biche, ou bisse en vieux franc¸ais, qui serait un avatar de « la beˆte » (bas latin bestia). On trouve Cerfontaine 59, Cervie`res 05, Cervie`res 42, de nombreux Mare, Parc et Ru aux Cerfs, une Valle´e, une Ravine, une Combe aux Cerfs. Il existe sans doute davantage de toponymes en biche : une trentaine de la Biche dans diverses re´gions, six Mare aux Biches, trois Pas aux Biches et trois Fontaine aux Biches, plus des Bois, Haies, Clos, Fort, Combes aux Biches. Le daim est plus rare en toponymie, ou plus re´cent ; mais on rele`ve six Parc aux ou a` Daims, deux Val aux Daims, trois les Daims, une Rue aux Daims en Calvados, une Ligne des Daims a` Longny-auPerche 61, un Chaume des Daims dans l’Allier. Chevreuil a la meˆme origine que che`vre, et jadis il fut aussi nomme´ che`vre, cabre ou crabe, ce qui fait que les toponymes associe´s ont pu e´voquer l’un ou l’autre. C’est aussi le cas des capride´s de montagne tels que le chamois alpin et l’isard pyre´ne´en, dont les appellations sont pre´romanes et de sens discute´ ; ils ont jadis e´te´ de´signe´s comme che`vres, cabres ou crabes, ce qui explique l’abondance de ces noms jusqu’en haute montagne, comme les Crabioules a` Castillon-de-Larboust 31 et le Soum de Crabioules a` Louvie-Juzon 64, manifestement de´die´s aux isards. Il existe cependant quelques toponymes en Chamois et en Isard ou Izard, comme le cirque des Isarde`res a` Cauterets, une Pe`ne Izarde`res a` Germ 65 et un Plateau de l’Izard a` Aste´ 65, et Antras 09 cumule Fontaine, Chapelle et Re´serve biologique de l’Isard ; Pre´ Chamois a` Termignon 72 et Pre´ des Chamois a` Seyne 04, Clot des Chamois a` Villard’Are`ne 05, le Lac des Chamois a` Beaufort 73. Ils sont relativement re´cents, et e´ventuellement issus de NP ou paronymiques, comme les Izards a` Toulouse ou l’Izardie`re a` Broc 49 (peut-eˆtre une Ferrie`re, du gaulois isarnon), et quelques Chamois disperse´s dans la France du Nord-Est... Le nom gaulois du chevreuil aurait e´te´ iorcos, apparemment de meˆme racine que l’e´quivalent breton iourc’h ou parfois lourc’h. E. Ne`gre veut voir iorcos dans Jorxey 88, Joursac 15, Jourcey a` Chambœuf 42. Jorquenay 52 en viendrait aussi. Lourc’h ne paraıˆt pas tre`s pre´sent (une alle´e a` Plouzane´, un foyer d’accueil Don Bosco a` Guilers). La Corse ajoute ses mouflons, muvra au singulier et muvrini au pluriel, qui, outre un ce´le`bre groupe vocal, signalent aussi des lieux, comme le sommet Muvrareccia a` Galeria ou la Punta a Muvrella a` Calenzana ou a` Manso. Les petits animaux, notamment les rongeurs, abondent dans la nature mais n’ont pas tous eu le meˆme pouvoir de cre´ation toponymique. Trois d’entre eux semblent se de´tacher. Le castor peut passer pour le plus connu, du moins a` partir de sa forme gauloise bebros, qui a donne´ bie`vre en vieux franc¸ais. Celle-ci, qui se retrouve en anglais (beaver) ou en allemand (Biber), viendrait de l’IE bher pour brun, qui a donne´ aussi l’ours en anglais (bear) : c’est la couleur du pelage qui aurait fixe´ le nom. Des centaines de toponymes s’en inspirent. On sait que le plus ce´le`bre affluent de la Seine a` Paris, la Bie`vre, en tire son nom, et sans doute aussi le Beuvron, affluent de la Loire. Il en serait de meˆme pour Limeil-Bre´vannes 94, Beuvron 56, Beuvry 62, Beuvrequen 62, Beauronne 24 ; et probablement Bibracte et le mont Beuvray – bien que J. Vendryes y ait vu l’e´vocation d’un enclos d’un lieu « tre`s fortifie´ » (bi-bracto, meˆme racine que le grec phraktos), ou d’un lieu riche en sources (racine latine biber, boire...) ; mais il est fort rare que l’ide´e de source ait e´te´ toponymiquement lie´e a` celle de la boisson.

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Le mot castor a e´limine´ cette racine a` partir du XI e sie`cle, un peu trop tard pour entrer efficacement en toponymie ; son e´tymologie reste l’objet de gloses mais a pris au moins en cours de route une relation avec couper (IE kes) parce que l’animal coupe branches et troncs, ce qui l’apparenterait au castrum, au chaˆteau... Comme l’animal est aussi un constructeur, son nom a e´te´ pris comme emble`me par ceux que l’on nommerait de nos jours des « autoconstructeurs » de leur maison. Il n’est gue`re pre´sent en toponymie que par l’interme´diaire de quelques cite´s ainsi baˆties, qui n’ont rien de chaˆteaux : quatre Cite´ des Castors a` Ne´rac, Florange, Prades 66, Saint-Die´-des-Vosges, les Castors a` Gap, Cite´ Castor a` Cayenne, etc. Le renard est tre`s pre´sent aussi, quoique souvent par l’interme´diaire de NP. Le mot meˆme est issu du nom propre Reginhart (« fort conseiller »), employe´ dans les divers re´cits du Roman de Renart au XII e sie`cle. En viennent certainement la Piste au Renard a` Saint-Cle´ment-Rancoudray 50 ou la Valle´e aux Renards a` L’Hay¨-les-Roses. Toutefois, d’introduction un peu tardive lui aussi, il a peu marque´ directement les noms de lieux. Il en va autrement des formes plus anciennes et apparente´es comme goupil, volp et boup, dans des toponymes assez nombreux comme les Goupille`res (dont quatre communes), les Volpille`res, Boupille`re ou Boupe`re. La racine en serait un IE wipe, proche du wolf (loup), e´galement a` l’origine du grec alopex de meˆme sens (dont les me´decins ont tire´ l’alope´cie...) ; lupus, le loup en latin, aurait une origine voisine. Guille, mot qui semble d’origine germanique, a e´te´ tre`s employe´ jadis au sens de ruse, tromperie, et s’est applique´ a` l’animal et a` ses habitats sous les formes Guille, Guilhe, Guilhot. L’occitan utilise mandre, et mandrie`re pour la tanie`re (les Mandrie`res a` Castelreng 11, Mandrie`re a` Sainte-Colombe-sur-l’Hers 11), mais la plupart des toponymes en Mandre ou Mandres se rapportent plus souvent a` d’anciens parcs a` moutons. Le breton emploie louarn, fort re´pandu et dont viennent des Stang Louarn (e´tang, a` Elliant 29), Poul Louarn (mare, a` Landunvez), Toul ar Louarn (trou, a` Squifflec), bien d’autres noms avec un de´terminant de site. Le blaireau n’a pas e´te´ moins productif, sous au moins trois formes. Blaireau est d’introduction relativement re´cente, aux environs du XII e sie`cle, et donc d’usage limite´. Il viendrait d’un radical blar, blaris, au sens de clair ou, mieux encore, signalant une tache blanche sur le front. On trouve quelques noms de lieux comme les Blaireaux, le Terrier a` Blaireau a` Be´thisy-Saint-Martin 60 ou la Fosse a` Blaireau a` Poisvilliers 28 ; mais on sait que le terme a souvent servi de sobriquet pe´joratif. Plus ancienne, une racine celte broccos se lirait dans quelques noms, dont celui de Brumath (Broco magos, le marche´ du blaireau), et dans le broc’h breton qui a laisse´ par exemple un Toulbroc’h a` Locmaria Plouzane´ ou un Park an Broc’hed a` Scrignac ; mais broccos, qui a le sens de pointu (ici pour le museau) a servi aussi a` de´signer des e´pineux. La forme la plus re´pandue est lie´e au nom du blaireau en ancien franc¸ais, taisson ou tesson, ou occitan, te´choueyre. Il existe de nombreux toponymes sous ces trois noms, et quantite´ de Tessonie`res, Tessounie`res, Tachoires (dont Tachoires 32), Tachoue`res, des Te´che´ne`res, Te´che´ne´ra, Te´che´ne´rats dans les Landes et les Hautes-Pyre´ne´es, et Theys 38. Lui sont apparente´s un taxo latin (dont viennent en outre Tasso en italien et, par la`, le peintre Le Tasse) ou un tasgos celte, l’allemand Dachs, d’un vieux germanique voisin, ou` les e´tymologistes voient volontiers le teg IE au sens de toit, couverture (chap. 1). C’est aussi l’origine de tanie`re, et donc des noms de´rive´s comme

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Tanne, Taisnie`res, Tanie`res, Tassenie`re, Tagnie`re et sans doute E´teignie`res 08 ; mais si tanne et taisson sont proches par l’e´tymologie, et sans doute la forme d’habitat en terrier, l’un ne vient pas de l’autre. Les risques de confusion ne manquent pas : Taize´, Taizy, Tazenat viennent pour les uns de tasgos, pour d’autres de taxus, l’if en latin ; tandis que tessou, tesson est aussi le cochon en occitan... Le furet, la fouine, la belette, le putois, la martre, la loutre ont pu eˆtre a` l’origine de noms de lieux, mais en quantite´ plus limite´e, et avec d’autres sources de confusions, soit par des NP, soit des paronymes : par exemple la martre avec martyr (et martroi), une de´signation de la fe´e (marte), ou meˆme le pre´nom Marthe. Les noms en Furetie`re, Furet, Furetterie sont plusieurs dizaines, mais certains d’entre eux ont pu faire allusion a` des voleurs. L’e´cureuil a quelque place, dont une Haie et un Bois des E´cureuils a` Labeuville 55, et les formes me´ridionales Esquirol ou E´chirolles ; son appellation ancienne fouquet, proche du fuchs allemand et du fox anglais, a fourni plusieurs dizaines de Fouques, Fouquet, le Fouquet disperse´s en diverses re´gions. On trouve quelques Ragondin ou les Ragondins, comme a` Yvoy-le-Marron 41 parmi les e´tangs de Sologne, ou a` Bazouges-la-Pe´rouse 35 en bord de rivie`re. Le lapin est parfois cite´ directement, comme au hameau le Lapin des Champs a` Cantin 59 ou le Lapin Blanc a` Sailly-lez-Lannoy 59, et plus souvent a` partir de son ancienne de´signation conil ou conin, qui vient d’une racine mal connue mais de´signant une galerie souterraine, un terrier, cuniculus en latin – pourvu de`s l’origine de fre´quentes confusions avec l’une des appellations du sexe fe´minin. Il existe quelques dizaines de noms de lieux le Conil ou le Conilh, Gratte-Conil, Conille`re, et d’assez nombreux le Lie`vre, plusieurs Tue-Lie`vre dans la Sarthe, Tourne-Lie`vre a` Pre´aux 36, la Conche aux Lie`vres a` Saint-Georges-d’Ole´ron 17, la Coˆte aux Lie`vres a` Vindey 51, plus des dizaines de la Le`bre ou Lie`bre (lie`vre) en pays d’oc. Le lapin est dit aussi rabot dans le Centre et l’Ouest, a` l’origine de dizaines de la Rabotie`re, qui peuvent e´videmment en partie venir de NP, et la Rabouille`re, associe´e a` l’ide´e de braconnage, comme dans le Raboliot de M. Genevoix ; le nom viendrait d’un germanique robbe et a fourni en anglais rabbit. La marmotte est nomme´e dormillouse dans les Alpes du Sud, ce qui donne dix noms de lieux, assortis des pre´cisions comme Creˆte, Teˆte, Pointe, Plane, Pic, Col des Dormillouses, plus trois lieux-dits Les Dormillouses dont un hameau a` Freissinie`res 05 et un Dormilleuse a` Authon 05 ; mais la plupart des lieux-dits la Marmotte n’ont rien a` voir avec la montagne. On lit bien aussi une vingtaine de Les Rats et quantite´ de Rat ou Le Rat, mais il a pu s’agir d’allusions a` quelque pingrerie. La chauve-souris illustre quelques noms de grottes et des lieux-dits de Boutigny-surEssonne 91 et Chaˆteau-Landon 77. Sous son appellation de pipistrelle, elle n’a gue`re inspire´ qu’une communaute´ de communes de Lorraine, sie´geant a` Xirocourt 54, puis disparue par inte´gration. L’e´quivalent e´vocateur ratapenada (souris aile´e) en occitan a eu plus de succe`s, ainsi dans la grotte de Ratapignata a` Falicon 06 et la grotte des Rato-Penados a` Roquevaire 13, Ratapenau a` Cians 06, Ratape`ne a` SaintMaurice-en-Valgaudemard 05. Quelques noms de lieux sont venus d’autres petits animaux mais n’ont gue`re qu’un inte´reˆt marginal. Hors des espe`ces aquatiques, les plus re´pandus sont certainement

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les serpents, dont viennent des Varpille`re, Verpille`re – qui doivent eˆtre bien distingue´s de Volpille`re, lequel se rapporte au renard. Collobrie`res 83 signalait un terrain a` couleuvres. X. Gouvert indique que Baube, Boblie`re, Boubie`re (Cremeaux 42) signalent en Forez des nids de serpents ; on trouve des la Baube en Auvergne. Le he´risson, la tortue sont directement associe´s a` plusieurs dizaines de noms de lieux, mais Tortue signifie le plus souvent sinueuse, tordue. Le le´zard a inspire´ de nombreux toponymes aux Antilles et en Guyane, comme Pointe a` Le´zard et Morne Le´zars a` Bouillante 971, Bois Le´zard au Peˆcheur 972, Iˆlet Le´zard a` Re´gina 973, ou` le´zard est le nom de l’iguane ; mais on trouve le terme en me´tropole, dont les Landes du Le´zard a` Montendre 17, le Le´zard a` Granville 50, plusieurs la Le´zarde, probablement dans de tout autres sens. On fera un sort a` part aux escargots, auxquels se re´fe`rent quantite´ de noms de lieux, sous leur forme actuelle avec des adaptations locales, comme l’Escargoutayre a` Calmont 31, Cargoulet a` Lamagol 46, les Cagaraouls au Grau-du-Roi 30, les Cagarells a` Corneilla-la-Rivie`re 66, ou sous la forme Cagouille, Cagouille`re dans les Charentes et alentour.

La gent aile´e La re´fe´rence aux oiseaux est des plus communes et n’a qu’une signification limite´e pour la toponymie. La plus repre´sentative est probablement la re´fe´rence aux corbeaux et corneilles, dans la mesure ou` elle e´voque des lieux e´carte´s ou d’acce`s malaise´, voire avec une connotation pe´jorative. Ces mots ont leur e´cho, sinon leur source, dans les latins corvus et cornix, eux-meˆmes de l’IE ker ou gere, comme les corvide´s et comme le croassement, dont ils seraient tous l’onomatope´e. Des toponymes en Corbe`re, Corbie`re, Corberie, Corps en sont issus (une quarantaine), ainsi que Chantecorps 79, peut-eˆtre le Kercorb audois, mais il n’est pas suˆr que ce soit le cas des Corbie`res audoises. La meˆme racine a donne´ caucala en roman, d’ou` des toponymes me´ridionaux en Caucalie`res (dont Caucalie`res 81) et Coqualie`re (a` Peyrolles-de-Provence 13) comme gıˆtes de corvide´s : une dizaine, dont une commune du Tarn et la re´pute´e grotte de la Cocalie`re a` Courry 30. Corbeaux et corneilles sont dits aussi grolles, grailles. Ce nom a pu eˆtre a` l’origine de noms de lieux tels que Grollie`re (une trentaine de cas), Graulie`re, Gre´olie`res 06, Grosle´e 01, un Trou des Grailles a` Montse´gur 09, quelques Puy, Peu ou Pet de Grolles (mont aux corbeaux), et probablement la se´rie Lagraula, Lagraulas, Lagraulie`re ou Lagraulet que certains toutefois attribuent au petit houx ; E. Ne`gre voyant des grenouilles a` Lagraulie`re... Le gaulois employait boduos, qui aurait donne´ Bueil 27 ou Bujaleuf, peut-eˆtre Bort et Bourth avec rito, le gue´ ; et brannos, a` l’origine de divers Branne, Brenelle, de Braine 02 et Braisne 60, Brandon 71 (avec dunum) ; brannos serait apparente´ a` l’anglais raven, lui-meˆme issu du ker de´ja` note´ ; mais la confusion avec branne, brande au sens de lande est facile. Les rapaces inspirent souvent des accidents de relief, surtout en montagne, soit par leur forme, soit par leur hauteur re´pute´e mal accessible. L’aigle est sans doute le plus

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commun avec L’Aigle 61 (Aquila en 1136), des Roc a` l’Aigle a` Che´zery-Forens 01 et de l’Aigle a` Gap, Ribiers 05, Me´rens-les-Vals 09, une douzaine de Bec de l’Aigle ou a` l’Aigle, Bau de l’Aigle a` Roubion 06, Serre de l’Aigle a` Mayres-Savel 38, Pas de l’Aigle a` Clans 06, Rocher de l’Aigle a` Romeyer 26, le Rocher des Aigles a` Ge´nestelle 07, etc. Le faucon, jadis tre`s utilise´ pour la chasse, est bien pre´sent dans les noms de lieux, tels Montfaucon ou Falkenstein, Falkenberg, Falkenthal, voire Falkenwiller 68, Falken Eck a` Soucht 57, ainsi que des Fauconnie`re, Falconie`re et, en Corse, plusieurs Falconaja ; mais Fauconnier, Falconnet sont aussi des NP re´pandus. Son e´tymologie (latin falco) tiendrait de la paˆleur de son plumage (IE pel). Il fut aussi le gerfaut (gyrfalcon), dont des toponymes conservent le nom, surtout en foreˆt : carrefour du Gerfaut a` Pierrefonds, laie du Gerfaut a` Puiseux-en- Retz 02, la Gerfaudie`re a` SaintPierre-Montlimart 49 ; mais il s’agit de de´nominations re´centes. L’e´pervier vient d’un IE sper, aigu, par e´vocation de ses serres (cf. sparrow en anglais, Sperwer en allemand) et se signale en France par une quarantaine de lieux-dits les E´perviers ou l’E´pervie`re. Il se nomme esparbe`s en occitan, a` l’origine d’une dizaine de NL, et de NP. Le milan, d’un latin miluus obscur, s’est longtemps appele´ escoufle, e´couffe ou escouffe ; on trouve l’E´coufle a` Saint-Marcel 27, une ferme de l’E´couffe a` Goderville 76, l’E´couffe a` Mauquenchy 76 et Chigny 02, Escouffie`re a` Hergnies 59. Ce nom serait proche du breton skoul dont l’origine cornique e´voque le coˆte´ pre´dateur (« qui saisit, qui arrache ») selon L. Louison (« Escoufle, hu¨a, milan, nieble : analyse lexicologique », Le Moyen Aˆge, 2009) ; la Bretagne a un Prat an Scoul a` Camlez, un Prat Scoul a` Pleubian. Plus d’une vingtaine de lieux-dits e´voquent la buse, dont un Puy de la Buse a` Vitracsur-Montane 19 ; notons que, comme le latin buteo, le mot a pour lointaine origine un IE beu pour un son feutre´, comme le busard (une dizaine de toponymes dont plusieurs la Busardie`re) et le butor (une douzaine de toponymes pre`s de la Manche et a` la Re´union) et... le moderne et omnipre´sent buzz. L’e´quivalent occitan, tartarasse, explique sans doute Tartaras 42, Tartaras a` Ampuis 69. Tous les noms tire´s de rapaces nocturnes ont pour origine deux verbes imitatifs IE, ul et kau, cense´s reproduire leurs cris. Du premier de´rivent le latin ululare (ululer), comme hurler et la hulotte, et la se´rie anglaise owl et to howl. Plusieurs la Hulotte, Fond Hulotte (Martigny 05), Valle´e Hulotte (Saint-Sauveur 80), la Hulotie`re s’en sont inspire´s, directement ou par un NP. Le second semble avoir e´te´ plus fertile : il a donne´ le gaulois cavannos et le francique kawa, dont viendraient a` la fois les mots chouette et cheveˆche, et peut-eˆtre une se´rie de toponymes, dont plus de vingt la Chouette et des Chauvigne´, Chavanay, Chevaigne´, Chevagne´, Chavanoz, Cavan 22, voire Cantin 59 selon D. Poulet. L’occitan emploie Chot (prononce´ tchot), nom de lieu tre`s pre´sent dans les Landes et disperse´ dans tout le Midi. Chouan est la hulotte dans l’Ouest, et a laisse´ des dizaines de NL, dont des Chouanie`re, directement ou non. Le risque de confusions avec l’ide´e de cabane (chevanne, etc.) est loin d’eˆtre nul. Hibou serait aussi onomatopique (houhou), mais de fac¸on moins e´tablie ; on rele`ve des la Hiboudie`re et quelques Bois du Hibou, grotte du Hibou, Carrefour du Hibou,

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Champs Hiboux et meˆme un Pic des Trois Hiboux a` Villelongue 65. L’effraie (nocturne) et l’orfraie (diurne) viennent d’un francique osfraie (cf. l’anglais osprey), suppose´ issu de l’IE awl, oiseau, qui se retrouve dans avia ; l’Orfraie, l’Orfre`re, l’Orfrairie, Bois de l’Orfraie sont quelques noms de lieux. A` peu pre`s tous les oiseaux ont laisse´ un nom de lieu, mais souvent sans qu’on puisse y trouver un sens particulier : on note des Grive, des Fauvette, des Merle (la Fontaine aux Merles a` Domfront 61) ou des Loriot, tre`s fre´quents sous les formes Oriol et Auriol, Loriol, Lauriol dans le Midi ; voire des Hirondelles (un col a` Allauch 13) ou des Colibris (aux Saintes et a` Saint-Franc¸ois en Guadeloupe). Le Pic des Accenteurs a` Seix 09 est sans doute plus original, l’accenteur e´tant un passereau des montagnes. Les Palombie`res, Palome`re, Paloume`re (une bonne cinquantaine dans Ge´oportail) sont lie´s au passage et a` la chasse des palombes et ne se limitent pas aux Pyre´ne´esAtlantiques. Pour certains spe´cialistes, les grues (gaulois garanus) auraient inspire´ Grenelle (a` Paris, anc. Garanella) et Grambois 84 (anc. Garambodio). Le he´ron a donne´ des NL dans le quart Nord-Ouest du pays, ou` l’on note plusieurs dizaines de He´ronnie`re – mais dont une partie peut venir de NP. Une quarantaine de lieux-dits portent le nom de Chantoiseau ou Chantoisel, et quelques Cantausel plus me´ridionaux. Plus nombreux encore sont les ChanteAlouette ou Chantalouette, voire Champ des Alouettes (dont 25 dans le seul de´partement de l’Allier), Cantalause, Cantelauze, Cantalaude ou Cantelauzette de meˆme sens ; et les Chantemerle ou Chante-Merle (dont une vingtaine dans l’Ain). Quelques Chantegrive et des noms en Grive existent aussi, et quelques noms en Tordre, e´quivalent de grive en occitan, masculin (le Tordre, Torde`res). Une trentaine de Perdreau, quelques Perdigal peuvent eˆtre note´s et, dans le Midi et les Alpes, quelques Bartavelle de meˆme sens (e´quivalent de cre´celle, selon leur cri), notamment a` Cuges-les-Pins 13, Chome´rac 07, Beauvoisin 30 ; plus une quarantaine de Chanteperdrix ou Canteperdrix, dont six dans l’Arde`che ; une quinzaine de Canteperlic, presque tous dans le Tarn, ont le meˆme sens, ainsi que Cantafaroune a` Valflaune`s 34. Plusieurs dizaines de lieux-dits sont en la Be´casse, les Be´casses, notamment dans l’Yonne ; une douzaine e´voquent la Ge´linotte, dont le Belve´de`re des Ge´linottes a` Annecy 74. Les Vanneaux sont une bonne trentaine dont la Butte aux Vanneaux a` La Daguenie`re 49, l’Iˆle des Vaneaux a` Pierrelatte 26, un Salin des Vanneaux a` Arles 13, un Puits des Vanneaux a` Chambe´ria 39. On trouve des Chantepie et Cantepie ou Chante-Ajasse, Cantagasse de meˆme sens (l’agasse est le nom de la pie dans le Midi), ainsi que quelques Cantagaı¨ ou Cantagach (pour le geai), plusieurs Buffe-Ageasse en Charentes et Poitou. Par leur nombre et leur extension, les noms en Coucou, ou ses e´quivalents me´ridionaux Cougoul et Coucut, appellent plus de conside´ration ; il se trouve quelques dizaines de Chante-Coucou, Chante-Cocu, Cantecoucut et Cantecocu, et une foreˆt domaniale du Coucou a` Montaulieu 26, un Kuckucksweg a` Val-de-Gue´nage 57, ainsi que des Cogu, Cougouille, Cogolie`res, les Coucuts, Cante-Couyoul dans le Midi ; rappelons cependant la fre´quence des adaptations de l’e´tymon archaı¨que cuc pour des reliefs marque´s, et que, d’un autre coˆte´, ces noms pourraient aussi cacher de vrais sobriquets pour maris trompe´s (P. Fenie´).

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Les de´frichements L’action de mettre en culture une portion du saltus ou de la foreˆt est a` la source d’une myriade de toponymes, et de toute une se´rie de mots distincts qui de´crivent l’ensemble ou certains de´tails de cette ope´ration fondamentale. Plusieurs sont tre`s anciens puisque la mise en culture vient du Ne´olithique et que les Gaulois aussi avaient abondamment de´friche´. D’autres sont plus re´cents, accompagnant la grande vague de mise en culture et d’accroissement de´mographique du XI e au XIVe sie`cle. Novale est un nom de lieu tre`s re´pandu pour de´signer une terre nouvelle, conquise sur de´frichement. Le terme transparaıˆt dans les Noyal, Noyales, Noailles, Navailles, Neulise 42, Novalaise 73, Lanouaille 24, La Nouaille 23. Il a meˆme eu une valeur ge´ne´rique en vieux franc¸ais pour de´signer toute terre nouvellement conquise sur les incultes ; au point que, la novale e´tant passible de la dıˆme, le mot a e´galement de´signe´ a` l’occasion l’impoˆt. Re´zentie`res 15 aurait eu aussi le sens de terre neuve, de de´frichement re´cent (E. Bouye´) ; un autre Re´sentie`res est a` Cordes-sur-Ciel 81. L’essart est, avec sa contraction septentrionale sart, l’un des termes les plus caracte´ristiques du de´frichement. Il vient du latin ex-sartum de meˆme sens, issu de sarrire, sarcler. Une quinzaine de noms de communes sont des Essarts, Essards, Sart ou Sars, mais les lieux-dits se comptent par centaines. Certains ont e´volue´ en Essert, Issart et E´chat, voire Esserme´ant (a` La Valla-sur-Rochefort 42), Sarment a` Souternon 42 selon X. Gouvert, ou encore Ychart de Faure a` Couflens 09. Dans Gaudissart, le gaud vient du germanique Wald pour foreˆt, et non du gaudium latin (joie, plaisir). Essart a donne´ aussi e´chou, comme a` E´chouboulains 77 qui re´unit le chaˆteau de Boulain et le hameau d’E´chou. Des lieux-dits Dessertis, Dessertines, Issarle`s 07 en viennent e´galement, ainsi que certains noms en Cer- comme Certe´mery, Certines, Certilleux. Parfois le nom est bien cache´ : S. Gendron signale que Saffloz (Jura) e´tait les Essarts Flots (avec un NP) et qu’a` Molezon en Loze`re la Sardine fut un Essartina – on peut penser de meˆme pour la Sardinasse a` Marigny-Marmande 37. Plus surprenants sont les Essarts de Langrune (Calvados), qui sont en mer sous la forme d’un platier et d’e´cueils couverts d’algues. On rapproche des essarts les noms les Exemples et meˆme certains Exempt (s’ils n’e´taient pas exempts de taxes), comme l’Exempt a` Bazeiges 36, voire l’Assemble a` Belcode`ne 13, les Emples a` Margency 95, qui paraissent issus du vieux franc¸ais essampler, agrandir (ex-amplum) – le terme est le meˆme que l’eixample catalan, ou l’ensanche castillan, qui a e´te´ applique aux extensions de villes du XIX e sie`cle. Dans le meˆme ordre d’ide´es, Accru signale aussi un de´frichement, comme le Grand Accru a` Mairy-sur-Marne 51, les Accrues a` Mailly-la-Ville 89, les Accrus a` Ble´court 52 ; ces NL sont plusieurs dizaines, principalement au fe´minin pluriel. Prise a le meˆme sens et apparaıˆt en certaines re´gions, surtout en bordure de foreˆt, jusque dans le Doubs (les Prises a` Mancenans-Lizerne et a` Verrie`res-de-Joux, qui a aussi la Prise du Soldat), la Nie`vre (les Prises a` Arleuf), la Savoie (Bois de la Prise a` Valloire 73) ; il s’en trouve huit, chacune suivie d’un NP, en bordure de la foreˆt de la Lande Pourrie dans la commune de Barenton 50. Le nom est tre`s re´pandu comme signe de conqueˆte dans les marais littoraux, mais il est loin de s’y limiter.

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Gagnerie, gaignerie, gagnage, sont des termes assez discute´s mais a` l’origine de nombreux noms de lieux-dits. Ils de´signent en ge´ne´ral des parcelles relativement e´tendues, ou des groupes de parcelles ouvertes en pays de bocage, conse´cutifs a` des de´frichements. Le terme est bien lie´ a` l’ide´e de gain. On note une trentaine de la Gagnerie en Loire-Atlantique, seize en Indre-et-Loire, cinq la Gaignerie dans la Mayenne. Le Gagnage apparaıˆt davantage en Champagne et en Lorraine. Gazagne ou gadagne ont eu un sens voisin dans le Midi, ou` ils se conservent dans une quinzaine de lieux-dits, dont les Gazagnasses a` Nissan-les-Ense´rune 34, le Gazagnon a` Saint-Bonnet-de-Montauroux 48, le Grand-Gazagne a` Cruviers-Lasocurs 30, et un inte´ressant Gazagne et Vitailles a` Chaˆteauneuf-de-Gadagne 84. Des lieux-dits la De´friche, le De´friche´ se comptent par dizaines, en particulier en Bourgogne (onze en Saoˆne-et-Loire dans Ge´oportail). De´froc est employe´ dans le Centre de la France, avec des formes les De´frocs, De´frou, De´froux, De´frocque. De´fonce existe e´galement en Iˆle-de-France et dans l’Oise. Certains de´frichements sont simplement nomme´s d’apre`s leur aspect d’ouverture dans les bois : c’est le cas de nombreuses clairie`res, dont l’e´tymologie est e´vidente. Les formes Cle´ry, Cle´re´ sont tre`s re´pandues, avec les Clairac et autres Claret, meˆme si certains de ces noms peuvent avoir d’autres origines. Il advient aussi que plaine, plan, de´signe un terrain de´friche´, ras, de´barrasse´ de ce qui le he´rissait : tel serait le cas de Plancoe¨t 22 en Bretagne. Moins e´vident est le sens des multiples Cerne, Cerneux, Cernois et Cernay, voire Cercene´e dans les Vosges. D’un coˆte´, le cernage e´tait une technique de de´frichement, par laquelle on enlevait un cercle d’e´corce au pied du fuˆt pour provoquer le de´pe´rissement de l’arbre et faciliter ainsi l’essartage. Peut-eˆtre aussi de´signait-on par la` des clairie`res de´friche´es et encloses pour en prote´ger les terres. C’est ce qu’observe H. Suter, qui a de´tecte´ une cinquantaine de formes diffe´rentes du mot dans les toponymes suisses et savoyards, dont en Haute-Savoie et Jura des Cernaz, Les Cernets, Les Cernois, Le Cerny, Les Cernis, Cernix. Sciernoz a` Suclin 01 en est une variante. Mais certains Cernay sont rapporte´s a` isarnon, mot celte pour ferrie`re... Cabourle, pre´sent dans quelques parties du Sud-Est, aurait un sens voisin ; un Cabourlet subsiste a` Fourne`s 30. Concise ou Concis, associe´s a` l’ide´e de coupe en foreˆt, sont plus re´pandus et dans de nombreuses re´gions, par exemple a` Montmorillon 86, a` Montmarault, a` Solignac-sur-Loire, a` Bercenay-en-Othe 10, une Loge de Concise aux Herbiers 85, a` Saint-James 50, la foreˆt de Concise en Mayenne (SaintBerthevin), les E´concis a` Prosnes 51 – et une commune en Suisse vaudoise. Plus exotique est le tuit, si re´pandu dans les noms de lieux normands. Il vient du nordique thveit, a` la fois clairie`re et herbage, dont l’emploi semble avoir en ge´ne´ral indique´ un de´frichement, avec le sens de coupure. Il se voit sous les formes tvæd en danois, thwait en anglais et, en de´pit de leur voisinage, ne doit pas eˆtre confondu avec -tot qui de´signe un habitat. Le Thuit, Bracquetuit (avec brakni, buisson ou fouge`re, au moins cinq lieux-dits), Heltuit (avec des noisetiers), Criquetuit, Longtuit, Ouvertuit (d’en haut), Sautuyt (des moutons, norrois saudhr), Tournetuit (avec thorn, e´pines), Vautuit (avec vatn, eau, fond humide), Brennetuit (bruˆle´ ?), Le ThuitSimer, Le Thuit-Anger, Le Thuit-Signol sont des exemples parmi d’autres, e´tudie´s notamment par G. Chartier.

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Le de´frichement s’est souvent fait par le feu : ces bruˆlis ont donne´ d’innombrables le Bruˆlis, Brulat ou le Bruˆle´, un Bois des E´bruˆle´s a` Toutenant 71, les Bruˆliats a` Persac 86, les Bruˆlis a` Jeu-les-Bois 36, les Bruˆle´s a` Neuvy-en-Champagne 72, qui doivent se distinguer d’assez nombreuses « la Maison Bruˆle´e », victimes de quelque incendie. La question se pose aussi avec les Cre´mat, Cramade, qui signifient bruˆle´ en occitan mais peuvent s’appliquer a` des versants « bruˆle´s » par le soleil. La racine latine ardens, ardeo a donne´, outre ardent et le vieux verbe arder, des arsines et artigues au sens de bruˆlis, consacre´s par de tre`s nombreux toponymes en Ars, Arse, Arsine, Arcis, Arcy, Arsure ainsi que, dans le Midi, Artigue et bien entendu Lartigue, Artiguenave, Artiguebielle, Lartigaut, Artigau, les Artigaux, Artiges. Viel-Arcy 02 fut un Vicus Arsus. De l’IE eus, bruˆler, sont venus le latin ustus, bruˆle´ et le vieux franc¸ais usler (bruˆler), les ulis et usclades, ou terres bruˆle´es. D’assez nombreux toponymes portent le nom d’Usclade ou Usclas ; on trouve aussi des Esclade dans le Sud-Est (ex. a` Se´guret 84), Lusclade a` Saint-Donat 63, un Pioch Usclade a` Saint-Maurice-de-Navacelles 34 et un Puy de l’Usclade a` Mandailles-Saint-Julien 15, Montusclat a` Burzet 07, Pech Usclat a` Mazayrolles 24, Chanusclade a` Ve`ze 15. Les Ulis et Ulle´s, les Ulle´es, les Hulets, ont la meˆme origine, ainsi que plusieurs Coat-Losquet en Bretagne (Rosporden, Loc-Envel, Bannalec, Locmaria-Plouzane´, Poullalouen, Ploune´ou-Menez, etc.) ou l’ıˆle Losquet a` Pleumeur-Bodou. Au Pays Basque s’impose la racine lab qui a donne´ a` la fois le four (labe) et le bruˆlis (labaki) ; Labets semble s’y rattacher ; le Labourd est interpre´te´ comme plateau (urd) a` bruˆlis. L’e´cobuage est une forme de de´frichement par le feu, e´ventuellement pe´riodique. Il existe quelques toponymes en E´cobue, E´cobues, ou les E´cobus a` Vaudenier 49, l’E´cobuage a` Ruille´-sur-Loir 72. L’e´tymologie en est peu e´vidente mais n’a rien a` voir avec l’e´cologie : jadis e´gobuage, du verbe gobuer, elle viendrait d’un saintongeais gobe, motte de terre, lui-meˆme d’un gobbo celtique pour bouche, comme gober ; la me´taphore serait passe´e de la bouche´e a` la motte et e´gobuer e´tait e´motter. La Corse a dans ce domaine le terme debiu, qui a le sens de de´boisement ; J. Chiorboli a compte´ quatorze Debbiu ou Debiu en Corse ; l’IGN note une Bocca (col) di Campu Debbiu a` Azilone-Ampaza 2A ; diceppu a un sens voisin. En Bretagne Colpo 56, Scolpo au XV e sie`cle, se rattache a` un breton skolp de meˆme sens. Il semblerait que cran ait une signification e´quivalente, dans la foreˆt du Cranou. Le germanique a laisse´ comme racine reudh, roth ou rot, dont le rapport avec le feu n’est pas e´tabli, et qui se transcrit aussi rath, reut, rat, ritt, rod, roden rodde ou encore rocu et routis. Elle serait dans d’assez nombreux noms comme Rodes, Rhodes, Rott et la Rotte, Roth, ainsi que Rothlach 67 (ou` lach a le sens de mare), quelques Rœux, Rœulx, Roden, Roderen et Rodern 68, Rodalbe 57, Rutz, Roos Velt a` Ebblinghem 59, Roost-Warendin 59 (S. Gendron, D. Poulet), Larodde 63, Routy (La Neuville-en-Tourne-a`-Fuy 08) et de nombreux le Routis, les Routis. Allery 80 associe Routis, la Coˆte des Routis. On note des Roties a` Sainte-Foy-Saint-Sulpice 42 ou Fontenay-en-Parisis 95, la Plaine des Rotis a` Cherveux 79, les Rottes a` Limeray 37, le Moulin de la Rode a` Chame´ane 63, la Montagne de la Rodde a` E´gliseneuve-d’Entraigues 63, le Rothroth a` Val-de-Bride 57. Il peut bien entendu y avoir quelques tamponnements avec rot, rouge et rote, route. L’alsacien a utilise´ gritt,

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issu de geriut, gereut, de´friche´, probablement de meˆme origine, mais attire´ par krut, l’herbe, et qui se trouve ainsi dans les noms Kruth, Krutenau, voire Krautwiller, jadis Krutwiller – a` ne pas confondre avec le chou (kraut). Il est possible de voir une racine synonyme dans ce qui vient « rompre » la friche, son sol et ses broussailles, et a donne´ des Rompis, De´rompis, Rompe´e, Rompu, les Rompudes, Roncq 92, la Ronque a` La Nouaille 23, les Rompe´es Guijean a` SaintMartin-du-Puy 58, les Rompais a` Saint-Chef 38, et probablement certains Rupt (mais ce mot de´signe aussi un ruisseau). Selon G. Taverdet, en viennent certains Rousset et Roussy, peut-eˆtre Les Riceys 10 et Recey-sur-Ource 21, les Rouieux a` La Chausse´e-Tirancourt 80. On trouve les De´roncements a` Bailleul 61, mais il semble que ce soit un cas unique. Des lieux-dits la Roture, nombreux en Bourgogne et alentour (Aube, Haute-Marne), sont de la meˆme famille : le sens actuel de roture et roturier de´riverait lui-meˆme de l’essartage ; ils auraient de´signe´ a` l’origine une terre de´friche´e et celui qui la cultivait, et qui en payait le « cens de roture » ; par de´finition, il n’e´tait pas noble... Abattre les arbres et arracher les souches, avec ou sans e´cobuage, est essentiel pour une bonne mise en culture. Autour de ces notions ont fleuri des lieux-dits en Abattis, Abattois, Labatut (dont Labatut 09), les Grands Abats a` Bonne´table 72, les Abatte´es a` Chaˆteau-l’Hermitage 72, les Abattus a` Desaignes 07 et Arrachis, Rache´e, Rachis, la Rajasse, Rajat, ainsi que des Arricau, Darricau, Darrigade dans le Midi. Les Batte´es, dans le meˆme sens (bois abattu) est un toponyme fre´quent en Bourgogne, dont les Me´chantes Batte´es a` Latour-d’Arcenay (bois), le Bate´ a` Vic-sous-Thil, les Batte´es a` La Motte-Ternant, la foreˆt domaniale des Batte´es a` Sully 21. Le basque errota a le sens de souche et par extension de dessouchage, essart, par exemple dans Errota Zahar (vieux) et Haitze´ Errota (de l’aulnaie) a` Saint-Jean-de-Luz, Errotaberria (nouvel essart) a` Bidart et a` Saint-Pe´e-sur-Nivelle, Errotaxipia et Errotahandia a` Arcangues (petit et grand), Errotaldekoborda a` Sare (ferme du versant de´friche´). L’enle`vement d’une couche de sol pour l’ae´rer et se de´barrasser d’un certain nombre de plantes non de´sire´es s’est nomme´ e´tre´page. Le mot vient du latin stirps, souche ou racine, qui a e´galement donne´ le verbe extirper. Il a e´te´ tre`s productif en toponymie en donnant des E´tre`pe, E´terpigny, E´tre´pagny, E´tre´pilly, Esterp, Estreps, Estrepois, E´terpe, E´trepoix, Tre´poy, voire le Grand Sterpoy a` Sainte-Croix-aux-Mines 68, la Tre´pagne a` Gratibus 80, ou E´trochay 21, E´trechet 36 – parfois l’on s’est contente´ de faire allusion aux souches elles-meˆmes. Le mot souche est donne´ pour issu d’un celte tsukka, baˆton, qui apparaıˆt aussi dans le Stock (baˆton) germanique, issus d’un IE steu de´crivant ce qui pointe et dont viennent aussi estoc, estocade. Cette communaute´ d’origine se retrouve en toponymie sous les formes la Souche et ses appellations locales, comme Socarrada en pays catalan (une vingtaine de sites), un Bois de Mala Soque a` La Verdie`re 83, le Plateau des Socquettes a` Tilly 08, les Souquets a` Saint-Babel 63, une douzaine de Souchay et bien d’autres Souche, Souches, Souchot. Ailleurs subsistent des Choque, ou Choquoy (a` Troussencourt 80), des Estoc, E´toc, E´tots, les Estoquis au Coudray-SaintGermer 60. On sait qu’une coupe a` blanc-e´toc e´tait une coupe rase ; un Bois du Blanc Estoc apparaıˆt a` Billy-sous-Mangiennes 55, un lieu-dit le Blanc Toc au nord de Brainville 55. Des Tronche, Tronchet, en rapport avec les troncs (IE tere, ce qui se

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dresse, ou demeure), portent le meˆme te´moignage lorsque la futaie ce`de la place a` une de´friche. L’ide´e d’e´pierrer le terrain a e´te´ rendue par deschaller, dont le radical est le meˆme que celui de caillou (challe), et qui a e´galement pu eˆtre synonyme de de´fricher ; Essaules a` Saint-Romain-sous-Versigny s’est jadis e´crit Deschaule, Deschale, puis Dessaules. Dans le Midi, estruc est un terrain de´fonce´, e´pierre´, soumis a` un labour profond : il apparaıˆt dans Les Estruchons (Furmeyer 05), Estruguet a` Lautrec 81, peut-eˆtre dans quelque Astruc ; mais astruc signifie aussi chanceux (« bien avec les astres ») en occitan.

Bocages et gaˆtines Certains de´frichements ont laisse´ des paysages encore tre`s arbore´s, surtout dans les re´gions de l’Ouest a` forte croissance ve´ge´tale. L’abondance de bois et de haies y a introduit le terme bocage, atteste´ au XIIe sie`cle. Son sens de paysage ferme´ de pre´s et champs clos de haies a e´te´ de´fini au XIX e sie`cle par les ge´ographes, historiens et agronomes, plus sensibles au roˆle des bocages dans les re´sistances au pouvoir (les chouans), et aux obstacles qu’ils opposaient a` la circulation et a` l’agriculture moderne, qu’au romantisme des verdures. Les remembrements et la destruction de nombreuses haies apre`s la dernie`re guerre ont eu raison de bien des bocages, ouvrant de nouveaux de´bats sur les e´quilibres et de´se´quilibres des e´cosyste`mes ; ils n’ont a` peu pre`s rien change´ a` la toponymie. Le terme bocage aurait pour premie`re e´vocation litte´raire commune le Roman de Rou e´crit par Wace de 1160 a` 1170, pour qui « Engleis estaient al terrain Par le bocage et par le plain » et qui opposait « Li paı¨sant e li vilain, cil del boschage e cil del plain », le premier isole´ dans le pays, le second attache´ au village, jadis a` la villa. Il entre directement dans des noms de villages comme Villers-Bocage (Calvados et Somme) et dans des lieux-dits le Bocage, par exemple a` Loches 37, Thevray 27 ou He´risson 03, les Bocages a` Thiescourt 60 et dans plusieurs communes du Calvados. Il de´signe des re´gions entie`res comme le Bocage Vende´en, le Bocage du Perche. Mais, dans certaines de ces occurrences, il peut simplement de´river de bosc, bois. Il prend aussi en Normandie la forme bucaille : la Bucaille y est le nom de dizaines de lieux-dits, dont plus de vingt dans l’Eure. La haie est, ou e´tait, l’e´le´ment caracte´ristique du bocage. Certaines haies avaient pu atteindre plusieurs me`tres d’e´paisseur, modifiant les conditions de culture late´ralement sur plusieurs me`tres, et cachant de nombreux chemins creux. Le terme de haie figure abondamment en toponymie, avec des diminutifs et divers comple´ments. On trouve par exemple la Grosse Haie, la Jeune Haie, Haies Goguettes a` Latour-enWoe¨vre et Labeuville 55, les Closes Haies a` Bazainville 78, la Haie Plaisante a` Dommartin-le`s-Toul, la Haie Courante a` Villeporcher 41, la Haie Plante´e a` Jullysur-Sarce 10, la Haie Cre´nille´e a` Villemorien 10, des Haie des Plantes a` Bouilly 10 et Mousseaux-Neuville 27, Marnie`re des Haies et les Hayottes a` Beton-Bazoches 77, une cinquantaine de Hayottes en Lorraine et Champagne, quantite´ de Hayette, dont plus de trente dans le seul de´partement de l’Aisne.

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Le mot haie est issu d’un IE kagh de´signant une cloˆture, d’ou` sont venus un cagio (hagio) gaulois, un hacken germanique, hedge en anglais. De la` sont apparues d’un coˆte´ les formes quai en Normandie (dont viendrait Cayeux) et chai en Poitou, de l’autre des hack dans le Nord-Est, haeze ou haege en Flandre, et la plupart des formes en hague, dont Haguenau en Alsace et La Hague en Cotentin. Au moins sept communes de la Manche se terminent en Hague en raison de leur proximite´ du cap de la Hague (Beaumont-Hague, Siouville-Hague, etc.) mais il existe des lieuxdits la Hague, inde´pendants du cap, a` Sainte-Honorine-des-Pertes 14 et a` La Boutie`re 50. Les Tohagues a` Beaumont-Hague 50, jadis l’E´tohague, et E´tauhague a` Imbleville 76, combinent la haie avec un sto parent du stud anglais, enclos a` chevaux. En Normandie, le fruit rouge de l’aube´pine, plante des haies par excellence, est dit hague. Le breton emploie kae pour haie de cloˆture, visiblement de meˆme origine que la haie : Que´meur est la grande haie. Notons encore le Quai au Coq a` Tourge´ville 14, le Quai au Leu a` Nolle´val 76, les Quais a` Saint-Amand 23 ou les Quais Riands a` Charron 23, Sur les Quais a` Guiry-en-Vexin 95 en rebord de plateau. Par e´volution, haye ou haie de´signe aussi une foreˆt enclose, ainsi que nous l’avons de´ja` note´. On conside`re habituellement qu’aˆge, aige en de´rivent et de´signent un petit bois, un bosquet, de la Charente a` la Bourgogne et surtout en Limousin. On trouve par exemple les Aˆges a` Archignat 03 et a` Monistrol-sur Loire-43, l’Aˆge a` SaintMartinien 03 ou a` Marval 87, le Puy de l’Age a` Barsac-sur-Rivalier 87, les Aiges Premie`res a` Lantenay 21 et l’Aige des Rotures a` Bussy-la-Pesle 21, l’Aige-Dessus a` Corgoloin 21. Le terme a e´te´ lu dans Ageville 52, Les Ageux 60, Les Aix-d’Angillon 18. Il semble fe´minin : on trouve des Aˆge Vieille a` Hiesse 16, Crozant 23, Vebron 48. Il est souvent suivi d’un NP mais peut aussi eˆtre associe´ a` divers autres noms communs : dans l’Indre par exemple, on note Fontaine de l’Aˆge (SainteFauste), le Puy de l’Aˆge (Celon), le Moulin de l’Aˆge (Montchevrier), la Brande de l’Aˆge (Bouesse), et a` Jeu-les-Bois la Garenne de l’Aˆge, la Butte de l’Aˆge, l’E´tang de l’Aˆge. Plus re´cente est la bouchure du Bourbonnais et du Charolais, a` la fois haie vive et prairie enclose, dite aussi bouchot en Bourgogne : boucher est fermer, enclore. En de´rivent la pratique de l’embouche, l’engraissement de bovins en pre´ clos, et des dizaines de noms comme Bouchure, Bouchot (suivis de NP ou autres de´terminants), voire la Bouche`re par glissement. Notons bien que bouchure et embouche viennent de ce qui est bouche´, ferme´, non du boucher. Cette remarque est de nature a` laisser sceptique sur quelques interpre´tations obscures admises par le Tre´sor de la Langue franc¸aise et A. Rey, faisant re´fe´rence a` une poutre « parce que les animaux destine´s a` l’abattoir e´taient installe´s de fac¸on particulie`re » (sic) – l’explication officielle du boucher par la viande de bouc ne laisse pas moins perplexe ; elle est d’ailleurs re´cuse´e par P. Guiraud, qui voit dans le boucher un « frappeur » (tuant l’animal d’un coup de maillet, quel que soit l’animal), le bouc e´tant d’ailleurs lui-meˆme un « frappeur » (germanique bukk). La ce´pe´e a le sens de haie vive dans le Nord-Ouest, et apparaıˆt dans des toponymes comme Ce´pe´e de Peuples (peupliers) a` Forges-les-Bains 91, Ce´pe´e de l’Ormelet a` La Neuville-en-Hez 60, Ce´pe`de (une dizaine), Cheppe, – mais La Cheppe 51, anc. Cappa puis la Chape, viendrait d’un hangar a` fenil. Frache ou frachat dans les Alpes,

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comme la Frache a` Saint-Pons 04, aurait e´galement de´signe´ une haie, mais le terme est trop proche du freˆne (fre`che) pour en eˆtre aise´ment distingue´. La se`gue en pays d’oc, dont le nom semble venir de sek, ce qui se taille ou qui se´pare, qui fait coupure, apparaıˆt dans des lieux-dits sous diverses formes (la Se`gue, Lasse`gue, Se`gue Longue, Pas de la Se`gue). Dans d’autres re´gions, Pe´gorier lui attribue la Se`ve en Lyonnais et Normandie, Sise en Franche-Comte´ et Savoie, et avec H. Suter rele`ve des Soie, Soif, Sey, Sou tels le Sey a` Seytroux 74, Draye de la Sey a` SaintChristophe-en-Oisans 38, le Sou aux Lie`vres a` Villaines-en-Duesmois 21, voire Couture de Soie a` Savigny-en-Terre-Pleine 89, Noire-Soie au Roulier 88. Rappelons que gorce et garzh peuvent avoir eu le sens de haie. Les haies d’arbres re´gulie`rement e´teˆte´s sont a` l’origine de dizaines de toponymes avec Teˆtard (dont l’Orme Teˆtard a` Plouasne´ 22), Trogne, E´mousse (a` Ambrie`res-les-Valle´es 53), Jarrouille ou Jarrot, les Ragots ou Ragolles, Ragones dans l’Ouest. Lorsque le paysage se ferme au point de sembler de´sert, le bocage passe a` la gaˆtine. Le terme a pour origine wast, qui a bien le sens de de´sert (cf. Wu¨ste en allemand ; IE eu, vide), inculte et correspond a` une forme de saltus ou` abondaient les landes et petits bois. Des contre´es entie`res portent le nom de Gaˆtine ou de Gaˆtinais dans le Bassin Parisien et a` sa pe´riphe´rie, et s’opposaient par la` aux campagnes et champagnes. Le terme e´tait plutoˆt pe´joratif a` l’origine, mais il a perdu ce sens et il est porte´ fie`rement par de nombreuses contre´es, quelques nouvelles intercommunalite´s et des dizaines de communes qui y voient une occasion de vanter leurs paysages arbore´s, dont les landes ont disparu au profit des cultures ou des bois. Le Gaˆtinais au sens strict est une vaste contre´e entre Fontainebleau et Orle´ans. Il existe toute une se´rie de Gaˆtines : la tourangelle au nord de la Loire, plusieurs berrichonnes ou solognotes en Indre et Indre-et-Loire, la poitevine ou vende´enne vers Parthenay, et des Gastine en Sarthe et Mayenne. Le terme de gaˆtine e´voque un paysage, non un sol : la Gaˆtine de Parthenay est sur le socle armoricain, la Gaˆtine de Chaˆtellerault sur calcaire. Les gaˆtines n’e´taient d’ailleurs pas ne´cessairement sur des terrains plus « ingrats » ou moins productifs que d’autres, mais souvent sur des sols plus difficiles a` travailler, trop lourds et humides compare´s aux sols des « plaines ». De nos jours, la culture me´canique leur permet de porter de fort belles re´coltes. Dans certains cas, leur de´laissement a pu eˆtre en rapport avec une situation de marge, de frontie`re entre contre´es, comme aux franges de la Touraine. Des toponymes en Gaˆtine sont dans la Nie`vre (Cosne), la Dordogne (Tocane-Saint-Apre), la Loire-Atlantique (Nozay) et jusque dans l’ıˆle d’Yeu. Des lieux-dits la Gaˆte ont sans doute eu le meˆme sens, comme la Gaˆte a` SainteHermine 85, le Fief de la Gaˆte Basse a` Thire´ 85. Le mot a pu glisser vers baste dans le sud avec Bastane`s 64, Bastennes 40, Mimbaste 40, des la Baste, Baste, Basta dans les Landes et le Gers ou` bastane`s de´signe l’ajonc. Le mot gaˆt s’emploie aussi pour d’anciens marais salants abandonne´s (marais gaˆts), a` pre´sent le plus souvent convertis en prairies. Gaˆt et Gaˆtine se retrouvent dans quelques toponymes septentrionaux, comme Le Wast 62, Watine, la Watine Got et la Watine Capron a` Martigny 02, Watignies 02, Wattines (a` Cappelle-en-Pe´ve`le) et des Waste ou Gaste en Picardie, Gastes dans les Landes, Huest 27 (anc. West et Guest). La base Ge´oportail comprend 5 Wast, 13 Watine, 16 Wattine ou Wattines.

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Le terme ancien de he´rupe a e´te´ propose´ par des ge´ographes (R. Dion, M. Derruau) pour de´signer l’ensemble de ces paysages « he´risse´s » rompant la continuite´ des grandes plaines ; mais cette exhumation n’a pas connu le succe`s qu’elle me´ritait. Le nom est plus pre´cise´ment porte´ par le Hurepoix, au sud de Paris, repris un moment par les communaute´s de communes Cœur du Hurepoix et Le Dourdannais en Hurepoix. On trouve a` Montreuil-aux-Lions dans l’Aisne un lieu-dit La Petite Herrupe a` l’ouest du village ou` passe l’A 4, avec le vallon de la Herrupe. Le mot He´rupe s’est e´galement jadis applique´ a` la Puisaye de Chaˆtillon-sur-Loire, et aux environs de Montereau-Faut-Yonne (A. Longnon). Il se retrouve a` Chaintronges 77 (He´rupe), a` Nointot 76 (He´ruppes) en terrain accidente´ et boise´. Jersey a aussi sa He´rupe. L’e´tymon commun, partage´ avec hirsute et le he´risson, est un IE gher, ghreib au sens de dru, rude sinon piquant, et qui s’appliquait aux animaux a` poil dur. Nous avons vu que cette image forte est porte´e aussi par les noms du saltus et de la brousse.

Champs et champagnes C’est a` ces bocages et gaˆtines, de´finis par une forte densite´ de haies ve´ge´tales et de bois ou buissons, que l’on a oppose´ durant des sie`cles les plaines et les campagnes. La base de l’agriculture est le champ, en latin campus, qui signifie aussi la plaine et a un sens plus ge´ne´ral d’e´tendue, meˆme abstraite. L’origine n’en est pas claire : certains y voient quelque chose de courbe (kam) comme si le paysage se dessinait en courbes ; mais il semble que l’IE kamp ait pu simplement de´signer un coin, une pie`ce de terrain (Pokorny). Ce qui est clair en revanche est l’abondance des toponymes en camp et champ. On en trouve de toutes sortes : les Champs et les Camps tout court, des Grands Champs et Petits Champs en quantite´, comme des Hauts Champs et des Bas Champs, des Grands Camps ; et plus pre´cise´ment les Champs des Gains a` Verdille 16, le Champ Pourri a` Lagesse 10 pre`s du Champ du Diable et le Champ a` Coussegrey 10, Champ Coquin a` Affle´ville 54, le Champ Sombre a` Cambremer 14, Champlaˆtreux a` Saintry-sur-Seine, les Champs Dore´s a` Fontenay-le-Comte 85 et a` Be´celeuf 79. De nombreux quartiers parcellaires du Roussillon se nomment Camps (le s se prononce) ; Saint-Laurent-de-la-Salanque 66 a meˆme Camps dels Pobres (des pauvres). L’ensemble des champs est la campagne. Or ce terme a pris dans l’histoire le sens particulier de paysage nu, ouvert, consacre´ depuis le XIX e sie`cle en ce sens par les ge´ographes, mais d’origine populaire. Une campagne, ou une champagne, est une contre´e cultive´e et sans obstacle, « nue » ou ouverte selon les points de vue : la Campagne de Caen, la Campagne du Neubourg, la Champagne charentaise et ses appellations d’alcools en « grande champagne » ou « fine champagne », la Champagne tout court, la Champeigne et des Champeigne´ en Touraine. On trouve des Champagne ou Champeigne en toute re´gion d’oil, surtout en Anjou et Maine, Touraine, Charentes, sur le plateau du Jura vers Pontarlier ; jusqu’au bord du Rhoˆne, comme la Plaine de Champagne a` Aoste 38. Foisonnent en France les Campagne, Campagna, Campagnac, Campan, Camps, Campo, Champs, Champagne, Champagnac, Champigny et de nombreux de´rive´s

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comme Chapareillan (Campania Rialentis), Champlitte (limite), Champlive (lave´, inonde´), Champfleury, Camplong, Champcevrais (silvestre), Campredon (rond) ou assortis de NP tels Camembert, Champaubert, Cambernard ou Cambernon ; plus les tre`s nombreux Cambon et Chambon dont l’origine preˆte a` discussion. Une difficulte´ tient a` ce que camp, champ deviennent facilement cam, cham en composition, se confondant d’autant mieux avec le sens d’inculte nu, chauve que, par de´finition, les paysages de champs sont e´galement nus. D’autres usages se sont ajoute´s : les Champ de Mars, les Champs E´lyse´es, les Champ Dolent, et le Champ de Courses comme a` Marsale`s 47. Les campus universitaires qui ont fleuri dans nos campagnes suburbaines depuis les anne´es 1960, avec pour intention ou pour effet d’e´loigner les e´tudiants des centres de villes, sont un latin tout re´cent re´importe´ d’Outre-Atlantique et n’ont plus rien a` voir avec les champs : juste une aire d’accueil, au mieux un parc ; d’ailleurs ils ne sont pas vraiment entre´s en toponymie. En revanche, campagne avait pour e´quivalent la plaine au sens agraire, comme l’indiquait la citation de Wace, laissant supposer d’ailleurs une diffe´rence de statut des cultivateurs. Un certain nombre de toponymes en Plaine, voire en -plein comme Pleine-Fouge`res (Planfili en breton), ont aussi le double sens de champagne et de terrain plat, ainsi que les pole et polie´en langues slaves. En Bourgogne, Franche-Comte´ et Lyonnais, pie ou pie´ de´signe un groupe de champs, parfois sous la forme L’E´pi. Or plaine et plat sont issus par le latin d’un indo-europe´en pele (ce qui est plat) d’ou` l’on pense que viennent aussi feld, veld, velt, field, ainsi que flur, floor. Ces termes ont pris le sens de champ, et se lisent dans des toponymes septentrionaux : Benfeld (avec une borne), Forstfeld (avec foreˆt), Staffelfelden (avec e´table), Laumesfeld (Moselle, avec la boue ou un NP). En Flandre, Ghyvelde est un champ d’osier, Godewaersvelde les champs be´nis, Helfaut un champ en pente (de halu) selon D. Poulet ; on trouve Clooster Veld, Castel Veld et Middel Veld a` Noordpeenne 59, et a` Ebblinghem 59 Bosch Velt, Paradis Velt, Kasteel Velt, West Velt, Roos Velt, Cuyper Velt, Helle Velt. Flur a pu donner fleur en Picardie et Normandie. Tout en faisant la part des autres -fleur, d’origine diffe´rente (viking) qui de´signent en fait une crique, il se peut que derrie`re de nombreux noms en Fleur- ou Flor-, ge´ne´ralement conside´re´s comme construits sur des NP, se cachent quelques « champs » ; Florbaix 62 est forme´ sur flur et bakk (ruisseau). Un terme celte belo est ge´ne´ralement compris comme de´signant la campagne nue et de´friche´e, offerte aux champs. Il e´voquerait l’ide´e de clarte´ (IE bhel) associe´e a` un paysage ; on lui attribue de ce fait la Beauce tout entie`re, si l’on en croit l’e´quivalence propose´e par Virgile Mauro, le grammairien toulousain du VI e sie`cle : « belsa, plaine : e Bellum autem non nisi in belsa, hoc est in campo agitur » (Sur le vocabulaire de Virgile le Grammairien, D. Tardi, 1927, UAI, Bruxelles). Rien qu’en Touraine, on repe`re la Beauce au sud de Courc¸ay pre`s de la Grande Couture (Touraine), la Beauce au sud d’Azay-sur-Indre, la Beauce a` La Ferrie`re, les Beauces a` Sublaines, Beauce´e a` Saint-Senoch ; outre Beauce´ 35, la Beauce a` Missillac 44 ou a` Cre´-surLoir 72, des Beauce´ s’espacent dans l’Ouest, Frichemesnil 76 a une Plaine de la Beauce sur le plateau de Caux. Les toponymes proches sont cependant a` conside´rer avec prudence. Pe´gorier rele`ve que des Beauce ou Biauce dans le Centre et l’Yonne seraient associe´s a` des sols le´gers

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et sans cailloux ; mais c’est justement la` un terroir qui va bien avec la campagne ouverte et aucune autre e´tymologie n’est propose´e. J.-M. Couderc assure que certains Beauce et Beauce´ pourraient venir de petits « bois », mais le son et la lettre s’accordent mal avec bois. En outre, le gaulois a fait de bel (clair) ses dieux Belenos et Belisama, auxquels d’autres toponymes voisins sont plus volontiers rattache´s (v. Beaune, Belleˆme). Quelques termes encore semblent avoir pu e´voquer des campagnes de´couvertes. Wank comporterait pour certains linguistes la meˆme ide´e de courbure ou d’e´tendue que le champ et de´signe aussi la joue en allemand (Wang) ; il apparaıˆt en Alsace dans Wangen et Wangenbourg avec un sens voisin de « campagne », voire un redondant Wangenfeld a` Drusenheim 67. Il est possible aussi qu’un celte acito ou achad pour champ, plaine, soit a` l’origine d’Acheux-en-Vimeu 80 et d’Ahun 23 (anc. Acitodunum), d’Achigny a` Estre´bœuf 80. En Bretagne, maez de´signe en ge´ne´ral la campagne, et avec plus de pre´cision une campagne comme ensemble de champs ouverts, formant une petite « plaine » au milieu des bocages. Il apparaıˆt aussi sous la forme Mez avec un de´terminant, dont plusieurs Mez Hir (long champ), Mez Huel (haut champ), Me´jou (9 lieux-dits, comme Pen Ar Me´jou a` Saint-Jean-du-Doigt 29) ou Me´chou (5 lieux-dits), dont un redondant Me´chou Mez an Aod a` Kerlouan 29 (le champ de la campagne sur la coˆte...), et sans doute dans des noms comme Kervaez (maison du champ). L’abattage de nombreuses haies a e´videmment re´duit l’inte´reˆt et la visibilite´ de ces paysages locaux. On trouve aussi dans le sens de me´jou les formes trest ou rest, et d’autres plus rares : an Trest a` Sarzeau, le Rest a` Peume´rit, le Rest et Me´jou Roz a` Plone´ourLenvern.

Plantes cultive´es L’invention de l’agriculture a introduit une premie`re distinction entre ce qui e´tait cultive´ et ce qui ne l’e´tait pas ; les Latins ont ainsi oppose´ l’ager au saltus. L’ager repre´sentait les champs, d’une racine agro que le grec et toutes les langues dites indoeurope´ennes ont utilise´e et d’ou` vient l’agriculture ; mais il n’a pas pris valeur de toponyme : a` peine si, en France, on peut citer l’Agriate, contre´e de Corse qui fut tre`s cultive´e au temps des Geˆnois puis de´laisse´e ; peut-eˆtre Agris 16, mais sans certitude – et quelques NL tre`s re´cents comme l’Agriculture a` Bezons 95 ou Val Agricola a` Arles 13... Outre les termes pre´ce´dents, et ceux de la ferme et de ses annexes, c’est plutoˆt par les plantes cultive´es que l’agriculture s’est introduite en toponymie. Un couple familier se fonde sur l’opposition entre la bonne terre a` ble´, nomme´e fromental, et le terroir re´pute´ pauvre, plutoˆt laisse´ au seigle, et pour cela nomme´ se´gala. La diffe´rence est certes lie´e a` des natures de sols, mais pas de fac¸on simple : tous les se´galas ne sont pas sur le granite, ni meˆme en terrain siliceux, il s’en trouve sur les causses. Plusieurs dizaines de Fromental, dont une commune de Haute-Vienne, se dispersent en diverses re´gions, avec une forte fre´quence en Pe´rigord et en Auvergne ; il existe aussi des lieux-dits Froment, mais qui ont pu venir de NP.

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Quelques NL en ble´ existent, dont La Valle´e-au-Ble´ 02, six les Ble´s d’Or et meˆme les Mauvais Ble´s a` Fays 88. Bled, forme ancienne de ble´ (francique blad, celte blavus), se montre aussi, tel le Village-au-Bled a` Cle´re´-du-Bois 36 ou le Sol de Bled a` Courdemanges 51, mais en petit nombre. X. Gouvert signale qu’en Forez Blat, Blayoux a` Saint-Jean-le-Veˆtre 42 et meˆme le Plavage a` Saint-Germain-Laval 42 se re´fe`rent au ble´. Blat est le ble´ en occitan et a donne´ quelques NL en Auvergne et dans le Midi comme Mas del Blat a` Sainte-Colombe 46, le Puech du Blat a` Montsalvy 15, Planto Blat a` Montastruc 82. On trouve aussi, outre l’emblavure au sens de terre seme´e en ble´, Emblave`s comme hameau a` La Vouˆte-sur-Loire 43, et l’Emblavez comme pays de Haute-Loire, dont une communaute´ de communes a repris le nom, autour de La Vouˆte et de Vorey. Des dizaines de lieux-dits et meˆme de petits pays sont en Se´gala, les Se´galas, notamment dans le Lot et l’Aveyron, et le Se´gala est meˆme un nom de contre´e dans le Massif Central. Mantet 66 a un Pla Se´gala, Vezzani 20B un Campu Segala. Des Kerse´gal, Kerse´galen, Kerse´galou, Kerse´galec se dispersent en Bretagne. On trouve aussi la forme Seigle : le Pain de Seigle a` Ligny-en-Barrois 55, le Champ du Seigle a` Gonsans 25, Herzeele 59 et Allevard 38, les Terres a` Seigle a` Vaux-enAmie´nois 80, Moulin de Seigle a` Plouray 56. Sexcles 19 a pu venir aussi de se´gala selon E. Ne`gre, mais on peut plutoˆt songer aux roseaux (sesque). Les ce´re´ales secondaires ont une place, cependant plus re´duite. L’avoine apparaıˆt directement dans plusieurs dizaines de cas, dont les communes d’Avoine 37 et Avoine 61, Lavoine 03, Avanne 25, le Grain d’Avoine a` Larouillies 59, nombre d’Avenie`res, plusieurs Avanries ou Ave`neries et peut-eˆtre sous certains Ave`ne ou Avesne ; mais ce terme semble avoir eu une valeur plus ge´ne´rale de terre pauvre. On retrouve l’avoine sous la forme Civade, Civadou, Civadie`re en pays d’oc (latin cibus, aliment), kerc’h (Kerc’haz, Kerc’has, Kerc’heu) en breton, hafer en germanique : Hafereck a` Sarralbe 57, Haferstuecke a` Weyersheim 67, Haferoth a` Herbitzheim 67. L’orge, ordi en occitan, a quelques occurrences, ainsi a` Orges 52 et dans plusieurs dizaines de l’Orge, les Orges, Orge`res dont des communes de l’Orne, Eure-et-Loire, Ille-et-Vilaine ; ou encore Gro d’Ordi a` Lautrec 81, plusieurs l’Ordie`re en Savoie. Sa forme ancienne baillarge se lit dans des Baillargues, Baillarguet, Baillarge, Baillargue´ ou Baillargeau du Midi et du Poitou. Meˆme l’escourgeon se manifeste dans les Escourgeonnie`res (a` Pouan-les-Valle´es 10), l’Escourgeas (Barges 43), Escourjadisses a` Lerm 31. Le millet avait une base ancienne, melh, milh en occitan, encore visible dans des Milhas, Milhe`s, Milhau, Millie`res. Une autre appellation panic, panil (meˆme e´tymon IE pank, enfler, que la panicule) est a` l’origine des Pannessie`res, Panissie`res, Pannecie`res et Panouse, La Panouse. D’importation relativement re´cente, le maı¨s n’a gue`re laisse´ d’inscription ; d’abord traite´ de plante exotique en pays occitan, turquet ou indoun, c’est-a`-dire Turc ou Indien, il y a e´te´ naturalise´ en milh, et le sorgho en milhoc, sans grand effet sur les NL. Notons au passage que javelle, brasse´e d’e´pis de ce´re´ales moissonne´s et laisse´s au sol, a donne´ quelques NL, dont Bruˆle-Javelle a` Perrusson 37, des Javelie`res et Javel, ancien village de Paris qui a son tour a donne´ un nom commun dans les de´tersifs graˆce a` la fabrique installe´e en 1777 par Berthollet. Le nom est de la meˆme famille que gabelle, qui a de´signe´ un tas de sel re´colte´ – puis l’impoˆt sur le sel ; les deux

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viennent d’un IE ghabh (gaulois gabali, latin gabella) au sens de « ce que l’on a ramasse´, saisi ». L’e´teule, ce qui reste des tiges de ce´re´ales apre`s la moisson (habituellement re´fe´re´e au latin stipula, stipe) a laisse´ des E´taules (dont E´taules 17 et 21), les E´troubles. Un e´quivalent est re´touble, restouble, rastouil, sans doute attire´s par le sens de « ce qui reste », et peut-eˆtre parfois compris comme « ce qui est ras » ; on trouve un Rastouble a` Montpellier, un Rastouillet a` Ce´nevie`res 46 ou a` Foulayronnes 47, les Retoubles a` Saint-Cybardeaux 16 et le Retouble a` Yvers 16, Restouil a` L’Herm 09 – il semble bien qu’il y ait une large convergence de l’e´teule au restouble. En revanche, les noms e´ventuellement de´rive´s de la meule de paille sont tre`s difficiles a` discerner en raison des divers paronymes ; X. Delamarre sugge`re toutefois que certains Braux, Bre´vans, Bre´vannes, Bre´vonnes parfois rapporte´s au castor (bebros) viendraient d’un brauon gaulois de´signant la meule. Les autres cultures sont mineures dans leurs effets toponymiques. Quelques plantes pre´cieuses, objets de soins particuliers, voire de de´bouche´s industriels, sortent un peu du lot. C’est le cas du chanvre avec son corte`ge de Chenevie`res, Chennevie`res, Chenevis, dont un Pile-Chenevis a` Ygrandes 61, Canave` re, Canabal, Canabel, les Canabie`res, les Cannebie`res, ainsi que Canavaggia, Chenoˆve 21, E´chevenex, les Cheneve´es a` Saint-Senoch 37 et le Che`nevois a` Assay 37. En occitan le chnvre est bargalh avec Barjavelle (a` Mornas 84), Barjavel (a` La Bre´ole 04), Bargades (Cordessur-Ciel 81), ou carbe (la Carbie`re a` VerlhacTescou 82). La Bretagne a quelques lieux issus de l’e´quivalent couarc’h, comme Bot Couach a` Vannes 56. Le lin e´merge aussi quelque peu, mais avec moins de varie´te´, dans les Linie`res, dont Linie`re-Bouton 49 et Ligne`res, Lignie`res, Lignerolles dont plus de vingt communes portent les noms ; Colline´e est interpre´te´ comme un ancien Koed Linez, le bois de la linie`re. La navette se manifeste en Picardie, comme la Terre a` Navettes a` Dompierresur-Authie 80, qui toutefois a aussi des noms en Navet. Le houblon (germanique hopf) est a` l’origine de quelques NL comme Hombleux 80, Homblie`res 02, Hopfetgraben a` Blotzheim 68, Hoepfelthal a` Walscheid 57. De nombreux Fave, Fabas, Favie`re parlent pour la fe`ve ou le haricot ; le pois chiche, be´cuda en occitan, a donne´ des Be´cude`re, Be´cudie`re, Be´cudet. On trouve la Betterave a` Famars 59, le Topinambour a` Grandchamp 89, cas uniques ; quelques les Raves et deux les Champs de Raves a` Sommecalse et a` Maligny dans l’Yonne. Nabinaud 16 et Nasbinals 48 viendraient du navet (latin napus) et des Ravie`re sont attribue´s a` rapa, rave ou navet. Pour l’anecdote, signalons que Germignonville 28 a un lieu-dit les Vesces Drues, auquel re´pondent des e´quivalents me´ridionaux garrouste, garoufa et jarjaille, dans Garroufle´ a` Lafranc¸aise 82, Jarjayes 05 et Jarjaye a` Noyers-surJabron 07, plusieurs Jarjaille en Provence, une vingtaine de Garrouste, Garouste, Garousse`de, Garrousset dans le Sud-Ouest, surtout de l’Arie`ge au Gers. On note six Colza dans le Nord-Est, et tout de meˆme une trentaine de Sainfoin, bien autant de Luzerne comme la Ferme de la Luzerne a` Rougemontiers 27 – mais on doit rester prudent : La Luzerne 50 viendrait d’une lumie`re, un flambeau (lucerna) et Luzerne a` Port-Louis 56 e´tait un Lesguern (le manoir de l’aulnaie)...

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Plantations Vignes et vergers ont leurs traces sans grand myste`re dans la toponymie : le mot vigne apparaıˆt souvent sans alte´ration, mais donne aussi des Vigny, Vignale, Vignolles, Vigneulles, Vignau, Vignot, Vineuil, Vincelles meˆme, Vignevieille – toutefois Vigneux-sur-Seine 91 aurait e´te´ un Vicus Novus, nouveau village... De tre`s nombreuses communes se flattent en ajoutant -les-Vignes ou -des-Vignes a` leur nom ; d’autres l’e´voquent par Coˆtes et Coteaux : Cravant-les-Coteaux 37 a voulu signifier en ajoutant Coteaux en 1936 qu’elle e´tait la premie`re commune viticole du Chinonais (le site Internet de la commune e´crit correctement Coteau, les sites officiels, dont IGN et INSEE, faussement Coˆteaux...). Les surprises viennent de certaines localisations : La Rue-des-Vignes est une commune du Nord, Sous la Vigne un lieudit de Lante´fontaine 54 et Asfeld (Ardennes) conserve des lieux-dits Mont de la Vignette, Vigne au Soin, la Montagne des Vieilles Vignes, E´pine Vigneux ; et les microtoponymes en Vigne abondent en pleine Champagne crayeuse ; mais il est vrai que la vigne fut jadis partout pre´sente en France. Le vocabulaire qui lui est attache´ en toponymie n’a de spe´cifique que des noms de sols, de cabanes ou d’ame´nagements du terrain, qui valent aussi pour d’autres cultures. Verger est plus parcimonieux : Le Verger 35, Saint-Andre´-les-Vergers 10, SaintQuentin-le-Verger 51, Oisy-le-Verger 62. Luynes 37 contient tout a` la fois le Verger, Haut Verger, le Petit Verger, le Grand Verger, le Verger Cotineau. L’e´tymologie est dans le vert, la verdure (latin viridis) ; mais le radical gort, hort (enclos puis jardin) a souvent servi aussi. Verger a pour e´quivalent local arboret et des formes de´rive´es : X. Gouvert signale le Ribouriat a` Saint-Germain-Laval 42. Le verger se dit parfois verche`re, du moins en Dauphine´ et dans les Alpes, un peu en Bourgogne (plusieurs dizaines de noms de lieux) ; mais verche`re a eu aussi le sens plus ge´ne´ral d’ouche, de clos de terres bien fume´es et entretenues attenant a` la ferme. Les arbres fruitiers ont donne´ quantite´ de toponymes spe´cifiques. Le pommier a sans doute e´te´ le plus prolifique : au moins trois racines le servent. A` la forme latine pomarium, mais de´signant un fruitier de fac¸on plus ge´ne´rale, comme la de´esse Pomona e´tait celle des fruits, correspondent des Pommiers, Pommeraie, Pomare`de, Pommeret, Pommerit, Pomerol – certains Pomerol peuvent venir de l’ame´lanchier, qui fait certes de petites pommes, mais gue`re comestibles, et Pommeuse (Seine-etMarne) s’est ave´re´ eˆtre un ancien Pont-sur-Morin. De l’autre forme latine malum viendraient des toponymes comme Melay, Moloy, Mallaret, Maleret, Mellerie, tre`s proches des Meslay au sens de ne´flier – et l’ame´lanchier lui-meˆme ; l’origine en serait l’un des mel IE, au sens de « doux ». De la forme d’origine celtique aballo, parente des apple anglais et Apfel allemand (IE abel), viennent des Avallon, certains Availle, les Avelines a` Ne´ris-les-Bains 03, Avalleur 10, probablement Valeuil 24, Valle`res 37 (encore aujourd’hui terroir de pommeraies), Value´jols 15, Avoudrey 25, les Avoudrues a` Samoe¨ns 74, Ye´bleron (anc. Eblelont), et les Auppegard (anc. Appelgard) et E´pegard (anc. Alpegard) normandes qui y ajoutent l’ide´e d’enclos (gart). On peut aussi se poser la question pour le Mont des Avaloirs, point culminant de la France de l’Ouest en pleine re´gion de pommiers, ou les Avaloirs a` Marenla 62, l’Avalloir a` Combourtille´ 35, l’Avaloue´ a` Asse´rac 44. La

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meˆme forme existe en breton, ou` le pommier est avalenn : Mez an Avalen au Merzer 22, Avalec a` Plume´liau 56, Avaleuc a` Ple´my 22. Notons au passage que de nombreux lieux-dits basques commenc¸ant par Sagard viennent aussi du pommier : Sagardoxa a` Pagolle, Sagardixar a` Biriatu, Sagardoytho a` Lohitzun, Sagardierea a` Briscous, etc. Un proble`me est qu’aballo se confond aise´ment avec abellana ou avellana, nom latin du noisetier, aveline en vieux franc¸ais, d’ou` viennent des Aveline, Avellans, Lavelanet (dont Lavelanet 09), Abe`re 64, Ablois 51, le Pla dels Avellans a` Bolque`re 66, le Vallon des Avelaniers a` Ce´reste 04. La meˆme racine serait dans les e´quivalents alagnier, aulagnier, allogne en re´gion lyonnaise et dans le Sud-Est, qui ont inspire´ plusieurs dizaines de NL, certains en Olagnier, Olagnie`re, Aulagnes, les Agnolles (Cezay 42), les Gnoules (Cherier 42), la Niole, les Allognie`res. Le noisetier (issu de nux) a laisse´ aussi des lieux-dits le Noisetier, les Noisetiers, la Noisetie`re, la Noisetterie ; il est devenu nouzillier en Touraine et Poitou, ce qui a donne´ des Nouzilly. On le nomme aussi aussi coudrier, une tre`s riche source de toponymes : lui sont attribue´s nombre de Coudray, Coudrais, Coudreaux, Le Coudre, Caure, Caurel, Caurou, Cauroir, Colroy, Conroi, Conroy (le), Carel, Courade, Corre et aussi les Coudrasses en Charentes, ainsi que des Courrie`re et meˆme des Cabre. Les Colroy signalent en ge´ne´ral une coudraie (de coryletum, IE collo). De ce collo viendrait aussi le breton kelvez, a` l’origine de noms comme Quelvezen, Quelvehen, Quelven, Golven, Quelloue´, Quilvit, Kergolvez, Kerguelven, Kergolen (Le Moign). Le noisetier prend le nom de vaı¨sse en occitan, mot suppose´ d’origine pre´latine a` la source de quantite´ de Vaysse, Vayssie`re ou Veyssie`re, Vayssac, Vayssade, Vaysseix, Vayssou, Vayssouze, Vayssette, Lavayssie`re, voire Baysse, Baı¨sset, tous tre`s pre´sents aussi comme NP. Le terme a peut-eˆtre pourtant quelque rapport avec le germanique hasla (cf. Haselnuss, angl. hazel) qui de´signait aussi le coudrier et aurait pu subsister dans Arleux 59, voire a` E´leu-dit-Leauwette 62 (anc. Ailois, Ailwes) selon E. Ne`gre. La Hazelle, le Hazel, la Hazelotte, les Hazelles sont des toponymes re´pandus de l’Ardenne a` l’Alsace. Le noisetier est urritz en basque, pre´sent dans une dizaine de NL comme Urritzgaray (hauteur) a` Saint-Martin-d’Arberoue ou a` Ispourre Urritzordoka (plateau). Le noyer apparaıˆt souvent en toponymie sous de nombreuses formes, mais apparente´es : lui sont attribue´s des Nozie`res, Nouatre, Noizay, Noisiel, Noisy, Nozay, Nozeroy, Noyers, Noyarey, Nocario, Noceta, Nouzerines, Nouzerolles ; aussi Nauroy, Noroy, Neyrolles, Neyron, Ne`re, voire Noiret, non sans quelques doutes ; et, en pays occitan, Nogare`de, Nougare`de (22 lieux-dits), Nougeraie (19), Nogaret, Nogue`res, Nogaro et Nougaro. La forme Noyers apparaıˆt dans pre`s de 500 lieux, dont onze communes. Le poirier est bien plus discret mais a e´te´ soupc¸onne´ de se cacher dans des noms comme Pe´re´, Pe´ret, Peray 72, Perriers, Pourrie`res, certains noms en Pre´ comme Pre´tot et, selon E. Ne`gre, Pe´roy-les-Gombries 60, Pre´nouvellon 41, Pre´-le-Fort a` Huisseau-sur-Mauve 45, anc. Piretum ; peut-eˆtre aussi Ferrette (anc. Pfirt). Bien des confusions sont possibles, tant avec les pierres qu’avec les pre´s... Le prunier semble avoir donne´ des Prunay, Prunoy, Pruniers, Pournoy, Laprugne, Preugne, et en

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Auvergne et alentour, des Brunier et Brunhes (E. Bouye´) ; on peut leur associer les Mirabelliers a` Mattaincourt 88, et le Domaine de la Mirabelle a` Saxon-Sion 54, mais les Mirabel et Mirabelle ont un tout autre sens, celui de Bellevue. Du cerisier seraient venus des Cerisier, Cerisat, Cerizay, ainsi que Cerc¸ay, Cessier et Cessie`res (Chaurand et Lebe`gue), la Cerisaie (plusieurs dizaines d’occurrences) et la Ce´reire`de (Lattes 34), des Serieys en Auvergne et Aveyron, peut-eˆtre un Ce´re`je (a` La Brigue 06), des Cirer (en pays catalan) et Ce´ret 66 lui est parfois impute´. Un col des Cerises est a` Saint-Julia-de-Bec 11, une Cime de Cerise a` Saint-Martin-de-Ve´subie 06, un lieu-dit les Cerises a` Rigaud 06. Le merisier, a` la fois producteur de guignes ou griottes et d’un bois appre´cie´ en e´be´nisterie, fournit plusieurs dizaines de toponymes, dont une bonne trentaine pour la seule Seine-et-Marne, une vingtaine pour l’Eure, parmi lesquels un curieux le Merisier Noir et E´gare´ a` Chauvincourt-Provermont 27 et plusieurs la Fosse du Merisier (Avrilly 27, Vert-Saint-Denis 77), la Fosse Merisier (trois dans l’Eure), la Fosse des Merisiers (Saint-Andre´-de-l’Eure), les Fosse´s aux Merisiers (Graveron-Se´merville 27) ; Balot 21 a un lieu-dit le Merisier d’Amour. Le ne´flier, a` partir du latin mespilus, devenu nespoulier et nesplier en pays occitan, est pre´sent directement (le Ne´flier, les Ne´fliers) et dans des toponymes comme Meslay, Mesloy, Mesliers, Melette, La Mailleraye, Malleloy (cf. Malle´loy 54), le Meillard, Mesple` s et Mesple` de, Nespouls, Nesploy. Le coing semble pre´sent dans les Cogne`res, Coignie`res, Cogners, et dans les Coudounie´ et Coudouy du Midi, ou` son nom est coudoun (codonh). Du coˆte´ des arbres me´diterrane´ens, l’olivier a donne´ des noms en Olivette, mais n’a pas moins de 17 formes diffe´rentes, quoique voisines, dans la toponymie corse, dont des Olivese, Olivetu, Alivi, Aliva, Oliva. Le proble`me est que l’on trouve des Olivette et des Olivier dans des lieux ou` jamais l’arbre n’a pousse´ ; certains ont e´te´ importe´s d’Orient au temps des Croisades, en souvenir du Mont des Oliviers biblique, d’autres viennent d’un patronyme. Le figuier reste ge´ographiquement limite´ a` des Figue`res et Figare`de, plus une dizaine de Ficajola en Corse. De l’amandier, ame´lie´ en langue d’oc, viennent Aumelas 34, les Amandiers a` Sisteron 05, une Plaine des Amandiers a` Belcode`ne 13, plus de cent Vallon, Combe, Ravin de l’Amandier ou des Amandiers. Allauch 13 a un Col et un Vallon de l’Amandier, ainsi qu’un Pas du Figuier. Le grenadier, milgranier en occitan (mille-graines), a fourni Migranier a` Marseille comme a` Biot 06. Un seul toponyme Kiwi est note´ a` Mittlach 68... Certaines plantes a` fonction de´corative ont laisse´ des noms, en ge´ne´ral assez re´cents, comme les tamaris ; les lieux-dits avec Tamaris, la Tamarissie`re, Tamariguie`res sont presque tous me´diterrane´ens, sauf deux les Tamaris en Anjou (a` Corne´ 49 et a` Chalonnes-sur-Loire 49), les autres citations de l’IGN sur la coˆte atlantique se rapportant a` des noms de terrains de camping. Les plantes aromatiques sont e´galement pre´sentes en toponymie. Le thym apparaıˆt six fois dans Ge´oportail en divers pays d’oı¨l, et surtout sous sa forme me´ridionale de farigoule ou frigolet, comme l’abbaye de Saint-Michel-de-Frigolet a` Tarascon, la Farigoule a` Lauret 34, El Farigolar a` Espira-de-l’Agly 66, Farigouye´ a` Saumane-deVaucluse 84, Fe´rigoulet a` Arles, Frigouret a` Villecroze 83, Frigoule`te a` Cornillon 30, etc. Il se dit e´galement pimbo dans l’extreˆme Sud-Ouest (Landes et Pyre´ne´es-

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Atlantiques), avec une commune des Landes et un autre Pimbo a` Castelbon 64. Romarin a plusieurs occurrences, notamment sous sa forme occitane romanin, par exemple a` Saint-Re´my-de-Provence 13 ou sont des Chaˆteau, Mas, Mas Neuf et Mazet de Romanin. Le fenouil a donne´ des Fenouillet (dont une commune des environs de Toulouse et une dans les Pyre´ne´es-Orientales), Fe´nols 81, Fauillet, la Fe´nolie`re, el Fenollar, et le Fenouille`des comme pays. Le laurier est tre`s pre´sent dans les nombreux Laurae¨t, Laurie, Laure`de, Lauroux, Laurie`re, Loret, Loreto et, sous la forme occitane le baguier, Bagueire et Bagueire`de dans le Var, comme a` Gassin. Selon X. Gouvert, des Orfeuil et Lorfeuil viendraient aussi du laurier (laurifoliu). La lavande a fourni les Lavandes, Lavandin, quelques Aspic, Aspigue. Le se´neve´ (de sinapis, moutarde) serait a` l’origine de quelques Senevie`res, Sennevoy, les Se´neve´s a` Saint-Illiers-le-Bois 78. Les baies, petits fruits et autres ressources naturelles peuvent encore eˆtre signale´s. La myrtille apparaıˆt directement dans une dizaine de NL des Vosges et du Jura ; l’e´quivalent est ayous dans les Pyre´ne´es, ou` Laruns et Etsaut 64 ont Pic, Col et Lacs d’Ayous. Les Fraisiers sont une dizaine dans Ge´oportail, avec quelques Framboisiers et La Framboisie`re 28, d’assez nombreux les Muˆres mais qui peuvent avoir d’autres sens, comme d’ailleurs les mots proches de cassis. Les plus nombreux semblent fournis par les groseilles : plusieurs dizaines de Groseillers et proches, dont Les Groseillers 79, la Motte aux Groseillers a` Herpont 51. De nombreux les Gadelles et le Gadelier ont le meˆme sens, d’apre`s une version normande du groseillier, gadelle. Les truffie`res ont e´te´ souvent remarque´es, a` la source d’une bonne trentaine de Truffie`re, et d’autant de Rabassie`re ou la Rabasse (la truffe en occitan) – la truffe a aussi e´te´ une appellation de la pomme de terre, mais son arrive´e tardive a peu inspire´ les toponymes. Les quelques Ce´pie`re, comme a` Toulouse, semblent plutoˆt se rapporter a` la ce´pe´e qu’aux ce`pes. Les fleurs n’ont qu’une pre´sence discre`te en toponymie ; encore ignore-t-on combien de NP s’y sont glisse´s. On note bien quelques dizaines de Muguet, mais pas en LoireAtlantique, son principal producteur actuel, ni dans les Yvelines en de´pit de la re´putation des bois de Chaville. Les Lilas ont leur commune voisine de Paris et plus de trente lieux-dits, dont sept en Vende´e et quatre dans la Mayenne, auxquels E. Ne`gre pensait pouvoir rattacher Illats 33 et les Illats (Boulogne-sur-Gesse 31), pourtant proches de l’ili vascon (ville, bourg). Les Violettes sont une quarantaine, dont une quinzaine en Vende´e. Les lieux-dits les Lys ou le Lys ne sont qu’une vingtaine, la forme Lis est plus rare et bien plus ambigue¨. La gentiane a donne´ cinq lieux-dits disperse´s de Sewen 68 (Plain de la Gentiane) a` Val-des-Pre´s 05 (les Gentianes), Laruns 64 (Pic de la Gentiane) et Urdos 64 (Plateau de la Gentiane), une seule mention en Auvergne a` Valcivie`res 63. Ge´oportail ne mentionne que cinq Hortensias, un seul les Colchiques a` Bouzonville 57, huit Came´lias et quatre Cyclamens, une dizaine de Jonquilles, six ou sept Coquelicots, deux les Boutons d’Or, une vingtaine de Bleuets, quatre Girofle´es, sept les Paˆquerettes, quatre Tulipes, trois Re´se´das, une demi-douzaine d’Orchide´es dans des lotissements re´cents ou en Outre-Mer, et meˆme un Pre´ des Orchide´es dans le Nord (Herzeele 59). Certains, la rose et la roseraie semblent avoir inspire´ un bien

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plus grand nombre de lieux : mais il apparaıˆt que la plupart ont en fait de´signe´ des sites de roseaux, des roselie`res. Une confusion du meˆme ordre porte sur les pervenches, dont les lieux-dits ont semble´ curieusement nombreux avant que l’on ne s’avise que les Pre´venche`res, Pre´vinquie`res et Provenche`res pouvaient avoir un tout autre sens, peut-eˆtre celui des « environs » d’un habitat (propincaria, selon E. Ne`gre), ou de simples de´frichements (de l’occitan pervinquer).

Modeler le terrain Tous ces paysages de campagnes, bocages, pre´s, vignes ou vergers ont e´te´ travaille´s, ame´nage´s, en partie construits. Ces ame´nagements ont laisse´ des traces ine´gales mais nombreuses dans les noms de lieux, et pas seulement dans les microtoponymes du cadastre. Meˆme la forme et la taille des champs se marquent : la couture (le mot vient de culture) est en ge´ne´ral un grand champ, ou mieux un ensemble de champs, notamment issus du manse seigneurial – la couture s’opposait jadis aux tenures. Des centaines de lieux-dits en portent le nom, dont une bonne soixantaine dans le seul de´partement de l’Eure, la plupart sans adjectif, quelques-uns avec comple´ment comme la Couture du Vivier a` Harcourt, la Couture de Maurepas a` Malleville-sur-leBec, la Grande Couture a` Cauge´, la Couture Bel-Air a` Muids. Les formes des champs ont donne´ de nombreux lieux-dits, plus ou moins illustre´s de comple´ments sur leur dimension. Les Grands Champs sont monnaie courante. Saint-Sylvestre-sur-Lot 47 a un Cam Pounchut (le champ pointu), Munster 57 des lieux-dits Krummfeld (champ courbe) et Langenfeld (champ long). Les champs en lanie`re ont noms courre`ge (= courroie), haˆte ou he`che, mots qui, comme faisceau, viendraient de fascia, lui-meˆme d’un IE bhasko au meˆme sens de bande e´troite. Les lieux-dits la Courre`ge, les Courre`ges abondent dans le Sud-Ouest, les Haˆtes dans l’Aube et la Nie`vre et un bois des Haˆtes pre`s de Tours, quelques He`ches sont dans les Pyre´ne´es. Les Longs Champs, Longchamp sont communs. On emploie aussi lame, a` l’origine d’assez nombreux lieux-dits les Lames, notamment de l’Aisne a` l’Yonne, et de noms comme Louesme, Lesme, peut-eˆtre Molesmes (G. Taverdet). Les ensembles de sillons ou raies des champs ouverts se lisent dans de nombreux Raie, Re`ge, Re`gue, Roye, Roie, Royaux, Rouaie, Roue´e, Roue`res, Riage, Royage, les Longues Raies (plusieurs dizaines d’occurrences), les Raies Tortues (Bury 60) ou les Tortues Raies (Therdonne 60). L’un des plus pre´sents est Re´age, muni de de´terminants varie´s : Re´age des Linottes a` Se´es 61, Re´age de l’E´piney a` Villamblain 45, Re´age Sur la Garenne a` Villampuy 28, Re´age des Moines a` Se´ve´rac 44, Re´age Tortu a` Villorceau 45, de nombreux les Longs Re´ages. L’origine en serait un celte rica latinise´ en riga (IE perk, de´chirure, d’ou` vient l’e´quivalent anglais furrow pour sillon). Bien entendu, de nombreux lieux-dits se nomment les Sillons, mais rarement avec un de´terminant. Les joualles sont des bandes alterne´es de cultures comple´mentaires, surtout dans les vignes, que rapellent quelques lieux-dits les Joualles, en Gironde et Agenais. On nomme verse´e, ou versaine, un ensemble de sillons, de terres remue´es, surtout a` flanc de colline : on trouve les Versaines en maint endroit, la Versine a` Stigny 89, la

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Grande Versaine a` Chauray 79, les Grandes Versannes a` Brux et a` Romagne 86, la Longue Versaine a` Bouy 51, les Hautes Versaines a` Vouziers 08, Versainville dans le Calvados. Le nom meˆme de Versailles en viendrait (M. Mulon). Mais versaine semble avoir eu le sens de jache`re en Lorraine, voire de mesure agraire. Les talus de bordure ont rec¸u des noms fort diffe´rents, qui tous se lisent encore dans les lieux-dits. Talus lui-meˆme, d’un radical qui se rapporte au front, ou du moins a` une pente marque´e (celte talo transcrit en latin talutio), a fourni un nom de commune, Talus-Saint-Prix 51, et des lieux-dits divers, dont quelques le Haut Talus. Le rideau ou royon est la forme la plus re´pandue, surtout en Picardie et Normandie ; on trouve par exemple Royon (Pas-de-Calais), Le Grand Royon a` Assigny, les RayonsMirots ou les Rideaux-Mirots a` Sainte-Agathe-d’Aliermont, le Rayon-Mesnie`res a` Clais (Seine-Maritime) ; dans la Somme, le Rideau Matthias a` Buigny-l’Abbe´, le Rideau Jacques a` Maison-Roland, Rideau Gue´non a` Ge´zaincourt ou le Rideau Paquette a` Contay. Le talus a pour cousins quelques noms en Talamon du coˆte´ de la Bourgogne et du Lyonnais, et Talve`re en pays d’oc : l’endroit ou` l’on tourne en secouant l’araire ou la charrue, ce qui cre´e une accumulation de terre ; mais le terme ne se trouve que sur quelques cadastres et dans la Talabe`re a` Escazeaux 82. On peut en rapprocher les Longues Tournie`res aux Petites-Loges 51, et d’autres Tournie`res. Les bordures laisse´es pour le passage de la charrue sont les cheintre (ou chaintres), apparents dans des dizaines de toponymes le Cheintre, les Cheintres, les E´cheintres, Chestres a` Vouziers 08. De meˆme double sens sont les cleux, claux, crots, crocs, cleuz ou kleuz et cle´zio, cleuzio en breton ; les frettes ; les deuves, douves et de`ves ; les heules, horles et hure´es ; voire les chave´es, qui peuvent aussi eˆtre des chemins creux. Ainsi de la Cheve´e a` Vallangoujard (Val-d’Oise), le Cleux a` Laille´ 35, Grand-Auverme´ 44, Combre´e 49, Cleuz Coat (du bois) ou Cleuz Guen (blanc) au Cloıˆtre-Pleyben 29, Cleuz Braz a` Saint-Urbain et Saint-Sauveur 29 – mais les nombreux Claux dans le Midi sont des enclos ; des Frettecuisse, Frettemolle et Frettemeule dans la Somme ; la Deuve des Dix-Huit a` Riencourt-le`s-Bapaume 62, la Deuve des Valle´reux a` Hermies (Pas-deCalais), la De`ve a` Bouvines 59 ; Heulecourt a` Fresne-Le´guillon 60, une Hure´e des Bures a` Buxie`res-sous-les-Coˆtes 55, un Horle Biga et un Horle Hourlier a` Asfeld 08, et meˆme Sous les Horles Galants a` Mesnil-Le´pinois 08, Horle des Putains au Chaˆtelet-sur-Retourne 08 entre les Putains de Terres et le Mont de la Putain qui est a` Saint-Re´my-le-Petit. Les murets et les terrasses qu’ils se´parent fournissent une tre`s riche liste, a` la mesure des travaux patients et conside´rables qu’ils ont exige´s. Les principaux noms, qui de´signent d’ailleurs le plus souvent la terrasse autant que le mur, sont accol ou acou ; bancel ; chey ou chiron ; murger en Bourgogne ; dans le Midi, faı¨sse et restanque ou estanc dont C. Lassure dit que « a` l’origine, les restanques sont des murs de retenue construits dans le lit d’un torrent intermittent pour provoquer des atterrissements en amont tout en laissant passer l’eau et cre´er ainsi des terrasses », mais qui abondent sur des pentes se`ches et cultive´es ; ou qui furent cultive´es, car les paysages ainsi construits sont plus ou moins abandonne´s. Carqueiranne 83 a un lieu-dit les Restanques du Bau Rouge (du rocher rouge).

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Olivier de Serres, en 1600, parlait a` ce sujet de « bancs » et de « colles » et la colle est souvent encore une muraille traversante en pays de vigne ; acolar e´tait butter et la racine est la meˆme que pour colline. Aussi les e´tymologies de bancel et d’accol sontelles assez claires ; elles se traduisent en des lieux-dits Accol, Acou ou Aco, Bancel, Bancal ou Bancau, la Bancelie`re. Mais les adaptations ne sont pas exemptes de surprises : plusieurs lieux-dits la Banquie`re renvoient a` des bancels, non a` une proprie´taire fortune´e... Les racines de chiron et chey ou chaille´e remontent sans doute plus loin, probablement aux tas d’e´pierrement et au car (kar) pre´celtique pour pierre ou au cal pour caillou ; Chirols, Chiroux, Chirouze en de´rivent. Chey est une commune des DeuxSe`vres, une ferme du Chey a` Niort est le sie`ge d’une association culturelle. Les toponymes en fache sont nombreux dans les Ardennes et le Nord, au sens de bande de terre (ide´e de « faisceau ») : Audignies 59 pre`s de Bavay re´unit Fache de l’E´pine du Puits, Fache de la Haute Borne, Fache du Foyau, Fache de Liber, Bavay contient une Fache des Pre´s Aulnois, une Fache des Paˆtures de l’Ange ; non loin, Obies 59 ajoute les Quatorze Faisses, probablement de meˆme origine. La faı¨sse me´ridionale, qui est plus proprement la bande de terre entre des murs nomme´s parets (latin paries), viendrait aussi du latin fascia (bande, ruban, vieux franc¸ais fesche) et donne de tre`s nombreux noms de lieux sous les formes Faysse, Feiche (la Feiche a` Boneval-sur-Arc 73, les Feiches (les) a` Villesur-Terre 10), Fache, Faˆche, Face et meˆme Fesse (en Maurienne), dont la Grande Fesse a` Bessans 73, la Fesse du Bas et la Fesse du Haut a` Bramans 73, voire la Fesse du Milieu (la) a` Lanslevillard 73. On trouve aussi Feixe, Feixa, Feitges en catalan.

Les ame´nagements hydrauliques Des actions d’ame´nagement particulie`res concernent la gestion des eaux. Il faut se pre´server des crues, drainer les exce`s d’eau ou irriguer les terres se`ches, voire servir le drainage et l’irrigation alternativement ; et bien entendu apporter de l’eau au moulin ou a` la forge, voire a` la ville. Tout un vocabulaire a accompagne´ ces travaux et marque certains territoires. Acheminer et e´vacuer les eaux est affaire de canalisations. Ici le vocabulaire est tre`s riche, et prolifique en toponymie. Le canal, aussi chenal ou canau, qui a son e´tymologie dans la canne du roseau, a laisse´ des Canal, Canals, le Canal, Canale (en Corse), Lacanau, Che´ne´railles, Chenereille. Le Midi a quelques Agal, Agau, Aigual dont le nom vient d’aqua. On note ainsi l’Agal a` Saint-Marcel-sur-Aude 11, les Agals a` Argens-Minervois 11, l’Agau a` Balaruc-le-Vieux 34, l’Agau Mort a` SaintLaurent-d’Aigouze 30, Devant l’Agau a` Bazet 65, Els Aiguals a` Saint-Este`ve 66 et a` Valcebolle`re 66, les Aiguals a` Ville´-Morgon 69. Les Ajaux est un nom de fond de valle´e, a` Chaˆlons-en-Champagne 51, Ancenis 44, Bouaye 44, Rochechouart 87, qui semble lie´ a` des rigoles, canaux ou ruissseaux, probablement a` partir d’aygue. L’aigual a pu donner le Gal a` Jeansagnie`re, les E´gaux dans plusieurs communes du Roannais, Gaud a` Saint-Romain d’Urfe´ (X. Gouvert).

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L’aqueduc (« qui conduit les eaux ») a donne´ Ahuy 21 et les Audun en Moselle ; plus, quand il e´tait ae´rien, toute une se´rie de de´rive´s d’arc et arche : Arc, Arches, Arques, Arcueil, voire Larche 19 (anc. Arcas). Jouy-aux-Arches conserve quelques vestiges d’un aqueduc romain – mais le Faubourg de l’Arche a` Courbevoie tire son nom re´cent de l’Arche de la De´fense. L’abe´e conduit l’eau au moulin, le be´al l’apporte aux faı¨sses et bancels me´ridionaux ; les deux noms sont cousins du bief, jadis bie´, qui se trouvait aussi dans le bedo gaulois et dont nous avons note´ la fre´quence dans les plaines alluviales (chap. 5). Les occurrences les plus nombreuses des Be´al sont dans l’Aude, la Droˆme, le Puy-deDoˆme ; l’Abbe´e n’apparaıˆt gue`re qu’en Touraine ; des Bey et Bez de´rivent de l’abe´e ainsi que certains Biau, mais ces mots courts sont sources de confusions et peuvent avoir d’autres origines. On trouve quelques Bie´ et Bied disperse´s, comme Sur le Bied a` Cherrueix 35, Petit Bie´ a` La Malache`re 70, et meˆme un redondant la Goutte de Bied a` Saint-Maurice-sur-Mortagne 88. Des Be´die`re, Biale`res (Saint-Priest-laPrugne 42, Abrie`s 05), Balie`re, les Aballets (e´galement a` Saint-Priest-la-Prugne) seraient des de´rive´s de be´al (X. Gouvert), et sans doute aussi des Bialet. Depuis fort longtemps, on sait barrer des rivie`res pour en de´tourner les eaux, ou en re´gulariser tant soit peu les de´bits. Le celte de´signait par comboros tout ce qui fait barrage a` un courant, que l’origine en fuˆt naturelle (cf. chap. 5) ou humaine. Le mot est de la meˆme famille qu’encombrer ; il a laisse´ des Combres, Combre´e, Combreux, Combret, Combray, Combrit et des Encombres, dont tout un massif en Maurienne. Barrage est un mot clair est tre`s re´pandu, peu alte´re´ dans la France entie`re. Il peut se traduire en paissie`re dans le Midi : le mot vient des pieux (anc. paxeria, latin paxilli) dont il e´tait fait jadis : la Paissie`re a` Saint-Jean-de-Bue`ges 34, Salle`les-d’Aude 11, Raissac-d’Aude 11 – mais Paissie`re peut eˆtre ici ou la` aussi en rapport avec paıˆtre et les pacages. Resclause a le meˆme sens, en plus rare, avec ne´anmoins plus de vingt citations dans Ge´oportail, dont des Resclauze, surtout dans l’He´rault, le Tarn et l’Aude. Serve est une appellation de petits bassins de retenue artificiels, destine´s a` l’irrigation ou a` la peˆche, voire aux deux ; le terme est employe´ de la Charente et du Limousin au Lyonnais et au Dauphine´ ; il est assez souvent suivi d’un NP. Citons la Serve a` Cherves-Chaˆtelars 16, la Serve a` Chas 63, la Serve des Demoiselles a` SaintEste`phe 24, Haute Serve a` Saint-Jean-sur-Reyssouze 01 et Serve du Muˆ a` Servignat 01 ; Chaˆtonnay 38 a des lieux-dits Serve Ferron, la Serve des Charmes, l’E´tang de la Serverotte ; on trouve meˆme la Serbe en Limousin (Serbe Grande a` Chameyrat 19). Il va de soi que l’homonymie avec la serve au sens de foreˆt (de sylva, ci-dessus) peut compliquer l’identification. La digue de terre qui flanque les fleuves et rivie`res du bassin de la Loire est une leve´e : la Grande Leve´e est un hameau de bord de Loire a` Saint-Mathurin-sur-Loire 49. Le terme apparaıˆt aussi dans certains marais, comme la Leve´e Droite a` Saint-Vivien 17. Leve´e ou levade de´signe parfois aussi un barrage ; ainsi au Moulin de la Levade a` Salon-de-Provence, la Levade a` La Grand-Combe 30, la Levade a` Montagnac-laCrempse 24, les Levades a` Brigueil 16. La leve´e a pour e´quivalent la turcie, qui e´tymologiquement implique un renflement de terrain, une hauteur. L’entretien de ces protections e´tait si impe´rieux qu’il fallut inventer un service puis un intendant des

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Leve´es et Turcies de`s la fin du XIVe sie`cle, et un corps d’inge´nieurs, supprime´ en 1790. Pour barrage ou digue, le breton emploie arcae, qui se cacherait dans Erquy et Ergue´ (Le Moign). Le bossis ou bot est une digue de marais en Vende´e et vient de bosse : on rele`ve le Bossis a` La Chapelle-des-Marais 44, a` Grues et a` Sallertaine 85, les Bots a` Saint-Jean-de-Monts 85, etc. Les barrie`res de protection contre les crues sont souvent nourries par le creusement et le curage des canaux et des rivie`res. Aussi les deux formes, apparemment contradictoires mais indissociables, ont-elles souvent e´te´ de´signe´es par un meˆme mot. Ce phe´nome`ne de jumelage inverse´ est bien connu par le vallum latin, qui e´tait une protection, une leve´e de terre associe´e a` un fosse´, et dont on a tire´ en creux le val, son double et son contraire. Valat est un fosse´ et a donne´ des noms en Valat, Varat, Varade, ainsi que Barat et Barade dans les Landes, avec e´galement le double sens de fosse´ et talus de bord de fosse´, comme la Barade de Cazaoubarrat, la Barade de la Tuque, la Barade de Raouzet, la Barade Neuve et la Barade Vieille a` Sore 40 ; mais barrat a aussi le sens de « ferme´ » en gascon... Bedo de´rive d’un bhedh qui avait le sens de creuser – et de ce fait d’ame´nager une place pour dormir, d’ou` les formes anglaise et allemande du lit (bed, Bett), meˆme la tombe en breton (bez), et dont nous avons de´ja` note´ les avatars en abe´e et bief. Or bhedh aurait aussi donne´ fodere en latin (creuser) dont sont issus fouir et le fosse´ – ainsi que le fossile... Le fosse´ apparaıˆt partout avec son sens le plus commun de creux en long ; outre des communes comme Saint-Maur-des-Fosse´s 94, Saint-Germain-desFosse´s 03, des dizaines de lieux se nomment le Fosse´, les Fosse´s, e´ventuellement avec des comple´ments. Citons le Grand Fosse´ a` Loche´-sur-Indrois 37, les Bas Fosse´s a` Nouzilly 37 les Fosse´s de l’Enfer a` Fillie`vres, ou Le Fossat 09, les Fosse´s de Tout le Mont a` Gouy-les-Groseillers 60, le Fosse´ Neuf (une douzaine de cas), le Fosse´ du Vau (Palis 10), le Fosse´ du Roi (cinq cas). Le terme a pu de´signer aussi des fosse´s de´fensifs, des douves ; et il se confond souvent avec fosse, qui ne de´signe souvent qu’un creux de terrain. Mais fosse´, surtout dans l’Ouest, a e´galement le sens de leve´e de terre en bord de champ, ou entre champs. Aussi l’examen du terrain s’impose-t-il dans la compre´hension de certains lieux-dits, tels que les Fosse´s a` Oisseau ou a` Champfre´mont 53, Thoigne´ ou Varennes 72, a` Marce´ 49, etc. Plusieurs lieux-dits se nomment meˆme les Hauts Fosse´s. La meˆme ambiguı¨te´ entre tranche´e et leve´e s’attache encore a` l’e´tymon ancien dhig, qui semble avoir eu a` la fois de sens de fixer et de creuser. Il se trouve dans la digue, et dans l’anglais dig et ditch, comme dans le latin figere, fixer. La Digue est un toponyme re´pandu, les Digues ont huit occurrences dans Ge´oportail. Or le terme ne´erlandais dijk, dyck, de´signe aussi bien le fosse´ que les digues qui le flanquent. En Flandre, par exemple a` Broukerque ou a` Bierne, le terme dyck est employe´ pour des canaux ; barrage et digue se traduisent par dam, d’e´tymologie inde´finie. On notera Cappelle Dyck a` Arneke 59, Louvre Dyck a` Bourbourg 69, l’E´cluse du Grand Dam a` Morbecque 59. Gracht y est fre´quent dans le meˆme sens. Il vient d’une autre racine ancienne pour creuser, ghrebh, d’ou viennent graver, et la tombe ou le fosse´ chez nos voisins nordiques (Grab, grave). Outre les ce´le`bres canaux d’Amsterdam, il s’emploie pour des fosse´s de drainage en Flandre. D’autres canaux sont nomme´s Becque,

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du nom qui de´signe un ruisseau. Loobergh, traverse´e par le Canal de la Haute Colme et sa large de´rivation, comprend un Langhe Gracht, un Kerkof Gracht, un Schardauwe Gracht et un Muchumbled Gracht, un Mesmaker Dyck, un Landsdyck au milieu d’un quartier Landsdyck Veld, un Overdyck et un Grauwe Becque. Ces termes peuvent s’e´tendre a` tout un quartier, comme le Grand Palyck Dyck et Louvre Dyck a` Bourbourg 59. Watergang, qui a exactement le sens de « cours d’eau », reste tre`s employe´ en Flandre occidentale : le Watergang de la Serpentine sinue a` travers les finages de Guemps et d’Offekerque. Cappelle-Brouck offre un Watergang Collecteur de Cappelle-Brouck, un Denna Watergang, un Auverleet Watergang et un Swaenaert Watergang, outre un Gracht Ken, un Galg Gracht, un Duycker Gracht ainsi qu’un Vliet Ken Kivit (NP) et le Vliet a` la limite nord de la commune. Vliet, aussi employe´ pour fosse´ en Flandre, est apparente´ a` flot. Le Rang-du-Fliers (Pas-de-Calais) associe au vliet (Fliers) le rin (germanique Rinne, rigole) qui avait aussi le sens de fosse´. La tringue est un fosse´ d’assainissement en Picardie, sans doute en rapport avec l’ide´e de tranche´e ; la Grande et la Petite Tringue sont des cours d’eau quelque peu ame´nage´s de l’estuaire de la Canche ; les Longues Tringues ou les Longues Trinques ont une douzaine d’occurrences dans la Somme et le Pas-de-Calais, Bomy 62 a aussi les Longues E´trinques. Le flamand a encore leet au sens de canal, fosse´, comme a` Leet Acker (Bailleul 59) : Nieurlet 59 est un « nouveau canal », comme Muncq-Nieurlet 62 qui y ajoute les moines. La cure´e est un canal entretenu en Grande Brie`re : le sens de curer le fosse´ y est clair et en rapport e´tymologique avec le soin (cura, cure). L’origine des crastes, servant au drainage des anciens marais landais, est moins e´vidente ; on les nomme aussi canau (au fe´minin, la canau, d’ou` Lacanau) ; le remblai qui les borde porte le nom de barat ou varat, parfois meˆme de doga (dougue, comme la digue). De la ressemblance avec les cours d’eau et ruisseaux de´rivent plusieurs autres appellations de fosse´s et canaux, comme becque en Flandre. L’availle ou e´vaille, sans doute du radical av-, eve pour l’eau, fournit quatre noms de communes en Availles dont trois en Poitou, plus E´vaille´ 72, et plusieurs dizaines de lieux-dits, certains en Avail. L’arrouil, canal d’irrigation en occitan, et la rigole, terme tre`s banal employe´ avec majuscule pour la Rigole qui alimente le canal du Midi, sont de la famille de rieu, rivie`re ; le rec catalan et l’arrec be´arnais ont meˆme sens et meˆme parente´. Il en est venu des Arouille, Arrouges, Arrouge´, Arrouy mais qui peuvent aussi avoir le sens de « rouge ». L’arrec a donne´ des Arrucau 64, voire un Ricaud (Hautes-Pyre´ne´es, Larricau en 1313). En pays catalan, regatiu de´signe les terres irrigue´es ; six lieux-dits el Regatiu sont recense´s par l’IGN, plus un Re´gatou a` Rouairoux 81. On nomme coule´dou ou escoulade dans le Midi un canal de drainage ou d’irrigation : le sens de couler y est apparent. Des lieux-dits Coule´dous sont a` Aulus-les-Bains et Couflens en Arie`ge, et Porte-d’Aspet 31 a une foreˆt de Coule´doux ; Coule´doux est une commune associe´e de´pendant de celle de Boutx 31. Drainage et irrigation sont a` l’origine des filioles du Comtat, ou` file l’eau, et des escourres du Sud-Ouest, ou` elle court ; des lieux-dits las Escourres sont a` Ambrus 47, a` Calavante´ 65. On trouve

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e´cheneau, de la famille de canal, pour une rigole en Bourgogne, surtout en Morvan, comme l’E´cheneault a` Glux-en-Glenne 58.

Les divisions du finage Finage est un mot employe´ dans de nombreuses re´gions pour de´signer l’ensemble des terres exploite´es par un village, une communaute´ rurale. Le mot vient de l’ide´e de limite, ce qui est limite´, fini. Les agronomes et les ge´ographes en ont fait un terme ge´ne´rique, souvent synonyme d’ailleurs du territoire d’une commune. Dans d’autres re´gions comme l’Alsace et la Lorraine, on parle plutoˆt de ban pour le meˆme objet, mais le terme a aussi un sens tre`s ge´ne´ral de juridiction et pouvait de´signer l’e´tendue d’une seigneurie. Finage vient du latin finis, indiquant une limite. Ban (IE bha, la parole, ce qui est dit) a eu le sens de loi, d’obligation, avec l’adjectif banal au sens fort (le four banal, le moulin banal comme e´quipements de la communaute´) – tandis qu’au sens faible c’est quelque chose de tre`s ordinaire. Ban apparaıˆt fre´quemment en toponymie. En revanche, finage n’apparaıˆt gue`re en tant que tel, mais fin est fort re´pandu comme e´le´ment du finage. Il est difficile de savoir s’il de´finit alors une limite, ou une fraction, voire une sole : on a distingue´ en Franche-Comte´ entre une fin du froment, une fin de l’avoine et une fin des sombres dans l’assolement triennal. Outre Les Fins (Doubs), le sens apparaıˆt par exemple dans un Fin a` Salzy 58, la Grande Fin a` Chapelle-d’Huin, dans Entre Deux Fins a` Bourmont 52 et a` Be´name´nil 54. Finages et bans sont a` la fois unis et divise´s. L’e´le´ment de base du travail des champs et de la proprie´te´ cadastrale est bien entendu la parcelle. Le terme existe en toponymie, parfois meˆme employe´ seul : la Parcelle, les Parcelles et meˆme la Parcellette a` Asnois 86. L’e´quivalent pie`ce est toutefois beaucoup plus pre´sent : la Grande Pie`ce, les Grandes Pie`ces comme a` Saigneville et Port-le-Grand, a` Oneux et Coulonvillers. Il est parfois seul (six lieux-dits la Pie`ce en Arde`che), fre´quemment accompagne´ d’un comple´ment : par exemple en Touraine Pie`ce de la Salle a` Cigogne´ 37, Pie`ce des Masures et Pie`ce du Sainfoin a` Saint-Quentin-sur-Indrois, Pie`ce du Chaˆteau a` Azaysur-Indre ; ou ailleurs la Grande Pie`ce a` Bouclans 25, Pie`ce de la Groie a` Verdille 16, la Grande Pie`ce derrie`re les Haies a` Hautvillers-Ouville 80, une dizaine de Pie`ce de la Cure, quatre Pie`ce a` Madame, de la Dame ou la Dame, la Pie`ce des Pauvres a` Compans 77, la Pie`ce de la Folie a` Pouligny-Saint-Pierre 38 et a` Beaumont-Village 37. Les pratiques ancestrales de rotation des cultures avec assolement se lisent encore dans les mentions de soles comme divisions du finage : on note par exemple a` Heuzecourt 80 Sole du Milieu, Sole du Bois de Mont-Renault et Sole du MontRenault ; a` Be´hancourt non loin, subsistent les Soles du Chemin des Bœufs, du Moulin a` l’Huile, de la Folie, de Maurepas, du Bois de Parmort. Le mot est parfois e´crit saule en Lorraine (la Saule a` Brainville 54, a` Puxe 54). En pays bourguignon, pie ou pie´ ont eu a la meˆme valeur ; il s’y trouve des Pie Chien (Mirebeau-sur-Be`ze 71), Pie´ a` Dieu (Suin 71), Pie de la Marnie`re (Champagne-sur-Vingeanne 21), Pie de Patte (Orville 21) ; quand le sens s’est perdu, le lieu-dit a pu devenir l’E´pi

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(G. Taverdet) : l’E´pi du Cheˆne a` Pontailler-sur-Saoˆne 21, le Pre´ de l’E´pi a` Blanzy 71, les Pies a` Val-de-Bride 57. En Picardie, la premie`re sole, ensemence´e en automne, e´tait la roye, pour raie, donc les sillons, c’est-a`-dire les labours ; la sole des ce´re´ales de printemps seme´e en mars e´tait la roye des mars ou le tre´mois (pour « troisie`me mois de l’anne´e »). Ces termes sont entre´s localement en toponymie ; on trouve aussi un Mont Tre´mois a` Berzieux 51, en fait un simple renflement de terrain ; et des Tre´mois dans la Loire. Re´age, habituellement associe´ a` l’ide´e de sillon, comme roye, a pu prendre le sens de quartier parcellaire en Normandie, notamment dans la Manche (Re´age des Jacquets a` Geffroises 50, Re´age du Chaˆteau d’Eau a` Saint-Martin-d’Aubigny 50, le Re´age a` Beauvoir 50). En Lorraine, la premie`re sole (de ble´) a e´te´ la gaigne, ou wayne : celle qui fait gagner ; mais les toponymes en ont peu de traces. Saison est un autre synonyme de sole : Saison du Milieu a` Olley 54 et Bre´hain-la-Ville 54, une curieuse Saison du Syste`me et une Saison de la Gruerie a` Maucourt-sur-Orne 55, une Petite Saison a` Kirviller 57. La sole en repos, par de´finition, e´tait la jache`re, a` ne surtout pas confondre avec la friche : elle n’e´tait pas a` l’abandon, meˆme provisoire, mais e´tait travaille´e sans eˆtre ensemence´e, la semence e´tant diffe´re´e d’un an ou au moins d’une saison. Le nom s’est e´crit jadis gasche`re, gasquie`re, jussie`re : la Gasquie`re a` Saint-Araille 31, la Jussie`re a` Assenoncourt 57, plusieurs la Jeussie`re dans la Mayenne. L’e´tymon serait gasko, un baˆton pour retourner le sol, que certains voient aussi dans vervactum, qui avait le sens de jache`re, vervago e´tant labourer – la supposition rapide de P. Guiraud pour un latin cassus, vide, inutile, semble moins fonde´e, pour un terrain travaille´ et fort loin d’eˆtre inutile. Le sens du mot a pu eˆtre ensuite alte´re´, comme sembleraient le montrer des noms comme Paˆture la Jache`re (Favy-le-Martel 02) ou la Jache`re aux Joncs (Monchy-Saint-E´loi 60). Gue´ret est un mot ambigu en toponymie, ou` il est re´pandu sous les formes Gue´ret comme le chef-lieu de la Creuse (Waractus au VII e sie`cle), Garet et les Garets (Auvergne et Midi), voire le Guaret a` Sauviat 63, la Garetosa a` Montbolo 66, Garas (dans le Sud-Ouest), Garache, Garachot, Garachou (du Bordelais au Quercy), Maugaray (a` Cremaux 42) – mais des confusions sont possibles avec des toponymes en gar (rocher), voire avec la garrigue. En principe, le gue´ret est une terre travaille´e mais non cultive´e dans le cadre d’un assolement, donc une jache`re au sens exact. L’origine du mot serait aussi dans vervago (labourer), comme l’e´quivalent barbecho en espagnol. Il advient pourtant que, dans la pratique, gue´ret soit souvent associe´ aux friches, aux terrains vagues et de chasse, tandis qu’en litte´rature il a pu de´signer au contraire les cultures. Des toponymes comme Varet, Voret, pre´sents de la Normandie a` la Bourgogne, Varage, Varaire, Veire dans le Sud, en ont e´te´ rapproche´s, dont Varages 83. Citons Vervatie`re a` He´risson 03, probablement Berbassat a` Condom 32, Varaignes 24, les Varets a` Honfleur, Garach a` Dondas et a` Laroque-Timbaut 47, Garac 31, plusieurs Bareyt dans les Landes, ainsi que Lave´rune 34, Laveyrune 12. Vie`re, dans les Alpes, aurait eu un sens voisin selon Bessat et Germi, qui signalent aussi des Vouries, Voraz, Vorraz, Vorres, et de nombreux les Veyres. Veyre-Monton 63 pourrait eˆtre de meˆme sens, ainsi que des Viers en Limousin.

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En tant que troisie`me sole de l’assolement triennal, la jache`re a e´te´ e´galement appele´e trie ou triot, triez, terme devenu synonyme de jache`re et, probablement a` tort, rapproche´ par certains linguistes du thresk nordique pour friche. C’est ainsi que l’on note les Trieux et les Trieux de Carlhem a` Leers 59, le Trieu de Meurchin a` Sailly-lez- Lannoy 59, des Trieu a` Escautpont et en foreˆt de Raismes, le Troisie`me des Carreaux a` Quarouble 59, les Grands Trieux a` Aubrives 08, le Triez a` SaintOuen-Domprot 51, le Triot a` E´cuelles 71, le Grand Triot neuf fois dans les Ardennes, etc. Il est possible que certains des tre`s nombreux Trait, Grand Trait, pre´sents en rase campagne au singulier comme au pluriel, hors de tout chemin, soient issus de ce triez ; D. Poulet fait le lien avec trie pour l’origine de Trilport et Trilbardou 77, tout en rapportant trie a` thresk (friche). La trilogie bourguignonne d’assolement e´tait plutoˆt « ble´, careˆmage et sombre » (P. Fe´nelon). Les mots sombre, semor, somar sont usite´s de Lorraine et Bourgogne, en Savoie et en Suisse ; loin de l’ide´e de semer, ils viendraient du nom de l’e´te´ en germanique (Sommer, IE sem) et de´signeraient ainsi la sole de l’e´te´, en principe laboure´e mais non ensemence´e. On trouve par exemple les Sombres a` Plancher-lesMines 70, a` Chaux 90, le Haut des Sombres a` La Petite-Vernie`re 71, le Grand Sombre a` Lassicourt 10. Un paradoxe est que ces de´nominations, par de´finition transitoires, puisque cense´es tourner chaque anne´e, aient pu eˆtre attribue´es a` des parties fixes du territoire. Toutefois sombre, en tant que terrain non ensemence´, a pu prendre le sens de gue´ret, voire de friche ; il est souvent associe´ aux gue´rets dans les textes. Les soles sont donc des groupements de parcelles, meˆme momentane´s. Il en existe bien d’autres. Quartier est le plus courant, et reste vivant dans les campagnes, hors les casernes ; on voit par exemple le Grand Quartier a` Buˆ 28, Quartier a` Brainville 54, les Quartiers a` Herpont 51 ou Dommartin-Varimont, La Croix-en-Champagne, les Quartiers Lorrains aux Petites-Loges ; le terme est tre`s employe´ au Pays Basque, notamment vers Hasparren ; il devient quarteron au Pays de Retz. Canton apparaıˆt en ce sens dans certaines re´gions : par exemple un Canton de la Motte a` Estre´es-le`s-Cre´cy 80, un Canton des Coutures a` Verdille 16, les Canton du Slovaert, Canton du Dime, Canton de Grimberg a` Lederzeele 59, un Canton Pottepits et un d’Haezewine a` Noeurlet 59, Canton de la Butte a` Montesson 78, Canton de la Coˆte a` Val-de-Bride 57, Canton des Preuils au Puy-Notre-Dame 49, Canton de la Folie a` The´lus 02 et Canton des Cinquante Verges a` Thenailles 02. Le terme est a` l’origine de l’ancien cantonnier qui entretenait voiries et fosse´s, mais canton a e´te´ aussi une mesure agraire (env. un quart d’acre). Un e´quivalent est cantou dans le Sud-Ouest, qui a aussi le sens de coin et donne une trentaine de Cantou, Cantous, Cantounet. Le coin a fourni de nombreux NL, avec ou sans comple´ment, dont des dizaines de Coin du Bois, le Coin des Haies, le Coin d’en Haut, le Coin d’Amont, le Coin du Mur, le Coin du Loup, etc. On sait que, de la notion d’angle, coin a fini par de´signer un lieu quelconque, comme dans « un bon coin », « un coin tranquille » ; il en est de meˆme en toponymie. L’ide´e de coin est pre´sente e´galement dans cournau, source de quelques noms de lieux du Be´arn a` la Gironde. A` ce coin correspond en Flandre houck : Esquelbecq a un vaste Noord Kouck, un West Houck et un Zuid Houck

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encadrant un Klocke Houck, un Oost Houck ; sa voisine Ledringhem a un Coin de l’Est. Brouckerque a un Templiers Houck et un Zuid West Houck, entre autres. Eck a le meˆme roˆle dans le Nord-Est : Harskirchen 67 a un Aeckereck et un Stalleck, sa voisine Schopperten un Bartseck et un Kreuzeck, Wolschwiller 98 Auf der Eck, et nous avons de´ja` note´ le Falken Eck de Soucht 57. Eck et Houck ont pris aussi le sens de lieu quelconque. Le terme climat est employe´ en Bourgogne pour distinguer des facettes dans les terroirs agricoles, spe´cialement des crus viticoles ; mais il intervient peu dans les toponymes, si ce n’est le Climat du Val a` Auxey-Duresses 21. Toutefois, il a une valeur bien plus ge´ne´rale puisqu’il s’applique a` des portions de finages, notamment dans le Loiret et la Seine-et-Marne : la seule commune de Boe¨sses 45 re´unit le Climat de Chauvigny, Climat de Champ Thibault, Climat de Chanay, Climat de Craˆne, Climat du Champ de Grolle, Climat de Platereau. Courcy-aux-Loges 45 a un Climat du Moulin. Villeneuve-les-Bordes 77 a le Climat des Fe´veroles, du Grand Champ, de Malvoisine, de Montgarnis, des Fosse´s. En Sologne, Loreux a un Climat des Gaˆts pre`s de l’E´tang de Gaˆtine ; en Beauce, La Chapelle-Onzerain et Villeneuve-surConie 45 se partagent un Climat des Fiefs ; Meung-sur-Loire a un curieux Climat de l’Abıˆme dans la plaine alluviale de rive gauche de la Loire. Contre´e est un terme vague, qui peut apparaıˆtre de´suet, mais qui a le me´rite d’e´viter de fausses attributions. Par son origine qui est la meˆme que « contre », il a aussi l’avantage de rappeler qu’un territoire se de´finit a` la fois par rapport aux autres (du comparatif cum en latin), par une diffe´rence, voire une opposition (« contre » les autres, diffe´rent des autres), et par une proximite´ physique (tout contre, a` coˆte´). En un sens re´duit, local, le mot contre´e est porte´ par d’assez nombreux lieux-dits, dont une douzaine de la Contre´e, et par exemple Contre´e des Pins a` Maillard 03, Contre´e du Breuil a` Bressey-sur-Tille 21, la Grande Contre´e a` Vinets ainsi qu’a` Pouan-les-Valle´es dans l’Aube et a` Augers en Brie 77, Contre´e du Milieu a` Dompierre-aux-Bois 55, ou plus curieusement Contre´e de Chair-Mange a` Dieppe-sousDouaumont 55, Contre´e des Machins a` Noroy-le-Sec 54, la Contre´e des Terres Rouges a` Saint-Loup 51 en pleine Champagne crayeuse, les Belles Contre´es a` Vay 44. Champtier, au sens de quartier d’assolement, fournit des lieux-dits en Beauce et en re´gion parisienne, ou` il prend assez souvent la forme chantier : Champtier du Coq a` E´vry 91, Champtier des Morts, Champtier des Sauvageons et Champtier de la Poterie a` Charmont-en-Beauce 45, Chantier du Plain a` Beaurains 62, Chantier de l’Orme a` Villiers-le-Morhier 28, Chantier des Noyers a` Andonville 45. Il est possible que le Sentier parisien de´rive de ce sens. On a pu voir dans des crocq ou crot, en Normandie et Picardie, l’e´cho du nordique croft de´signant une pie`ce de terre : ainsi de Bec-de-Croc (anc. Bethecrot, a` BoisHimont 76), Vannecrocq 27 (Wanescrotum au XI e s.), Roucrotte (a` Grainville-laTeinturie`re 76), Le Crocq 60 et de nombreux lieux-dits semblables, voire Crouttes dans l’Orne. Delle, sans doute d’origine scandinave, est employe´ en Normandie, surtout dans la Campagne de Caen, pour des blocs de parcelles cultive´es : Delle des Dunes a` Moult 14, Delle de l’Orne a` Fierville-Bray 14, Delle du Haut a` Chicheboville 14. Le terme reste vivant : il s’est cre´e´ une communaute´ de communes des Delles

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dans la Manche. Esch est employe´ en Alsace, au sens de groupe de parcelles, mais le terme se confond ici avec le freˆne, ce qui rend perplexe sur des Eschau, Eschbach, Eschwiller. Coule´e peut de´signer en Savoie un ensemble de champs et de pre´s de´valant un vallon ou un versant ; on le trouve aussi en Anjou avec la Coule´e de Serrant a` Savennie`res 49. Enfin, terroir de´signe habituellement une fraction du territoire dote´e de caracte´ristiques physiques communes, et diffe´rentes de celles des voisines ; un e´quivalent est le climat en Bourgogne. Plusieurs dizaines de lieux-dits se nomment le Terroir, d’autres de´signent terroir comme de´pendance d’un lieu habite´ ou voisin d’un nom connu : Terroir du Mazet (Montrozier 12), Terroir d’Orival (Woignarue 80), Terroir du Chaufour (Fenain 59), Terroir d’Allier (Cohade 43). Il est plus rare que terroir ait un adjectif direct : Terroir Blanc (Ozenay 71), Terroir Meˆle´ (Capelle-Fre´mont 32). Le terme a e´te´ associe´ a` des valeurs positives par le succe`s de certaines productions, notamment viticoles, obtenues en des lieux pre´cis et limite´s ; il a fini par prendre un sens tre`s ge´ne´ral et vertueux (les « produits du terroir ») qui n’e´tait e´videmment pas dans ces noms de lieux.

Sols et terroirs L’e´tude des sols a donne´ lieu a` la cre´ation de nombreux noms savants, qui n’entrent pas dans notre propos. En revanche, la pratique agricole a diffe´rencie´ des types de sols selon leurs qualite´s, et de ce fait de´nomme´ quantite´ de lieux-dits, dont certains ont meˆme e´te´ promus au rang de commune. Longtemps, l’e´tat des instruments de culture n’a pa permis de bien mettre en valeur les sols lourds, argileux, dont le labour demandait trop d’efforts : les sols le´gers e´taient plus appre´cie´s. Puis la situation s’est retourne´e avec les gros attelages, a fortiori avec le tracteur. Les uns et les autres ont e´te´ diffe´rencie´s et nuance´s par des sie`cles de pratiques agraires, particulie`rement sensibles a` la re´sistance des sols au labour. Les chambons sont fort nombreux et dote´s d’une connotation positive. Il s’agit de sols de bords de rivie`res, conside´re´s comme fertiles. Le mot est compris comme « champ bon » mais la plupart des linguistes estiment qu’il vient d’un camb, cambo de´signant la courbe d’une rivie`re, qui aurait glisse´ vers un sens qualitatif. Il est vrai que les courbes de rivie`res sont des lieux d’atterrissement des alluvions, du moins sur la partie dite convexe. La majorite´ des toponymes Chambon sont dans des fonds de valle´es : « Les chambons, sols tre`s fertiles re´sultant d’un de´poˆt alluvial re´cent, ont favorise´ de tout temps l’e´tablissement de communaute´s agricoles » (X. Gouvert). Cinq communes sont Chambon ou Le Chambon, trois Cambon, mais il existe aussi des diminutifs et associe´s en Cambou, Cambounet et Camou. Il n’est cependant gue`re possible de faire le tri entre ce qui parle du sol et ce qui semble ne parler que d’une courbe, comme les nombreux Cambes. Les sols sableux forment toute une famille, aux de´tours parfois surprenants. Elle comprend les are`nes, du latin arena de meˆme sens, qui ont donne´ des Airaines, Arre`nes 23, Aregno 2B, Arnage ou Larnage 26, et meˆme des Are´niers, dont certains ont pu e´voluer en Araigne´e. Le sable est directement a` l’origine des Sables-

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d’Olonne 85, de Sablie`res 07, Sablonceaux 17, Sablons 33 et Sablons 38, Sablonnie`res 77, Briosne-les-Sables 72 (fruit d’une fusion de 1964) et de quantite´ de lieuxdits en Sable et Sablons. Le nom est ondar en basque : Ondres 40 semble s’y rapporter (M. Morvan). Le breton emploie trez ou traez : Trez-Hir en Plougonvelin, TresMeur en Tre´beurden, Trez Goarem (avec garenne) a` Esquibien 29, Trestraou en Perros-Guirec, Ker an Trez a` Tre´darzec ; mais Tre´zeny 22 et sans doute Tre´zien en Plouarzel sont des tre´ (hameau) avec NP. Sand est le terme des langues nordiques : Sangatte associe sable et porte, Wissant blanc et sable. Il existe une commune de Sand (sable) au bord de l’Ill dans le Bas-Rhin, et plusieurs lieux-dits Sand, sans ou avec comple´ment comme Breit Sand a` Blodelsheim 67 (large), Auf dem Sand (sur le sable) a` Hattmatt 67, etc. Les varennes tiennent une tre`s grande place dans tout le bassin de la Loire, ou` elles correspondent a` des sols alluviaux le´gers, des de´poˆts alluviaux relativement re´cents et plutoˆt sableux, surtout dans les grandes plaines alluviales. Elles y sont fort appre´cie´es, notamment pour les cultures de le´gumes, et jadis pour le chanvre ; le varennier y e´tait une sorte de maraıˆcher. Il en est ainsi de la plupart la plupart des lieux-dits la Varenne. Il n’est donc pas le´gitime de de´finir les varennes, comme il est souvent dit, en tant que friches ou pacages. Pourtant il s’en trouve aussi sur les plateaux : la commune de Varennes 37 est loin des grandes valle´es, pre`s de Ligueil – sur un de´poˆt de sables ce´nomaniens. Et le Varennes fatal a` Louis XVI (Varennes-en-Argonne 55) est dans un tout autre environnement. L’origine du terme est tre`s discute´e ; certains voient dans varenne une racine vara, en ge´ne´ral associe´e a` l’eau et aux rives. Un proble`me vient de la relation avec les garennes : assez souvent, et notamment en Auvergne et Limousin hors des plaines alluviales, les deux termes coexistent et se relaient comme des synonymes. Or nous avons vu que la garenne est en principe une terre re´serve´e, en de´fens, dont le nom se relierait a` la garde, voire a` la cloˆture, et ne de´signe pas particulie`rement un sol. La question n’est pas tranche´e, de savoir s’il s’agit d’une convergence de deux e´tymons bien distincts a` l’origine (l’eau ou la garde), ou de la divergence d’un meˆme et inde´cis warande, forme connue au Moyen Aˆge et encore pre´sente a` la Warande de Bourbourg 59, Warande Houck de Steenvoorde 59, Toost-Warendin 59 ou le Marais Warendin a` Esquerchin 59, la Grande Varande a` Fort-Moville 27, une quinzaine de Varende ou Varande, surtout en Calvados. La forme warenne apparaıˆt en Ardenne et en Picardie. Les varennes des environs de Paris, a` Saint-Maur-des-Fosse´s, Issy-lesMoulineaux, Noisy-le-Grand, passent pour avoir e´te´ des terres re´serve´es, qui ne´anmoins sont bien sur alluvions. Les argiles ont produit beaucoup de noms de lieux, mais sans doute autant comme ressource pour la poterie et la construction que comme indicateur pour la culture. En viennent des Argeliers dont Argeliers 11 et Argelliers 34, Argelas, Argelos ou Argele`s – mais en concurrence avec un homonyme au sens d’e´pineux dans Argelos 40 et Argele`s-Gazost 65, Argele`s-sur-Mer 66 ; des Ardille, Ardillats dont Les Ardillats 69, des Ardille`res dont Ardillie`res 17, Arzillie`res dont Arzillie`res-Neuville 51, Argelouse 40, voire Geloux 40. De meˆme abondent les marnes et marnie`res, e´ventuellement sous la forme plus ancienne marle et marlie`re (gaulois et latin marga, margila ; marg en breton) : par

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exemple Marnoue-la-Poterie a` May-en-Multien, la Marnerie a` Saint-Jean-deLiversay 17, la Marnie`re des Prunes a` Persac 86, la Marnie`re Rouge a` Bray 27, les Marnie`res a` Loche´-sur-Indrois 37, le Puits la Marlie`re a` Villiers-le-Bel 95 ; peuteˆtre Marlhes (42), Margilley (Champlitte 70), plusieurs Marle, Marly et Marlay, voire Margaux. Les marnie`res sont fort nombreuses dans les lieux-dits de Thie´rache ; et Aumale 76 a eu le sens de marne blanche (Alba Marla). La glaise est de meˆme nature et se lit sous de nombreux Glaise, les Glaisie`res, la Glaisie`re, les Glaisie`res, ainsi que sous de nombreux de´rive´s locaux tels que glyze, glazie`re, gle´, glise, guille, guise – mais il existe un se´rieux risque de confusion avec des formes occitanes ou alte´re´es de l’e´glise, pre´sentes par exemple a` Glaizeneuve (Lubilhac 43) ou Gleyzenove 12. Glaise est de la famille de clay, l’argile en anglais, ou du gley russe (sol gris verdaˆtre gorge´ d’eau et anae´robie) et viendrait d’un gel IE pour terre molle et collante, facile a` pe´trir en boules. Un radical glatt, probablement apparente´, serait a` l’origine des tre`s nombreux Glatigny et Glatigne´ de la moitie´ nord de la France (M. Roblin), qui e´voqueraient des terres collantes, parfois dites glattes ou glettes. Clite, proche des pre´ce´dents, s’emploie dans le Nord au sens de sol argileux : les Clittes a` Millam et a` Noordpeene 59, Clyte Houck a` Watten 59, les Clits a` Tournavaux 08, la Clitte a` Trieux 54, les Clytes a` Sercus 59, Boe¨seghem 59, Bavinchove 59 et Clytes Veld a` Hazebrouck 59. Le caracte`re collant a produit des Pe´gairolles, Pigerolles, Pe´gomas en pays d’oc, ou` ce qui « pe`gue » est ce qui colle – le mot est de la famille de la poix (IE pik, latin pix). Terrefort et Forterre sont des noms de lieux-dits, meˆme de chaˆteaux et de contre´es directement de´rive´s de la notorie´te´ de leurs sols lourds et collants mais re´pute´s fertiles quand on a les moyens de les labourer en profondeur. Outre les Terreforts du pays toulousain sur les collines molassiques du Lauragais, du Volvestre, de la Pie`ge ou de l’Albigeois, il s’en trouve notamment dans les de´pressions liasiques des abords du Massif Central, comme le Terrefort Rouergat. Le terme est e´galement employe´ dans les collines agenaises entre Lot et Dordogne, de Mauvezin a` Monflanquin, ainsi que dans les Coˆtes de Bourg en Gironde, ou vers Madiran 65. Un chaˆteau de Terrefort est a` Cubzac-les-Ponts 33, d’autres a` Gaillan-Me´doc et Saint-Andre´-du-Bois 33, une zone industrielle de Terrefort a` Bruges 33, une autre a` Saintes 17, un bois et un ae´rodrome de Terrefort a` Saumur 49. Le Forterre est une petite contre´e de l’Allier entre Allier et Besbre ; un autre Forterre, dans l’Yonne, flanque la Puisaye au sudouest d’Auxerre. Le Pays Fort, de meˆme sens, est au nord-est du Cher autour d’Henrichemont. Le Limargue est un autre nom de contre´e qui vient d’un sol, en l’occurence plutoˆt « fort » aussi. Les Limagnes ont la meˆme origine, limus en latin, qui a donne´ le limon. Non sans quelques ambiguı¨te´s, car le limon alluvial peut passer pour un sol plutoˆt le´ger ; d’ailleurs les Limagnes rece`lent une belle part de varennes, et quantite´ de noms en Varenne, y compris de petites contre´es comme la Varenne de Lezoux, au cœur d’une « Plaine des Varennes » reconnue par les services agricoles et environnementaux. Le limus latin semble avoir eu davantage le sens de terre humide et meˆme de boue. Il serait a` l’origine de Limoux et Limousin dans l’Aude, Limeux 80, Limons 63. Cependant, une source d’ambiguı¨te´ vient de ce qu’il a pour paronyme un limo gaulois

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qui de´signait l’orme et qui transparaıˆtrait dans des noms de forme voisine comme Limours ou Limeuil, Lemens, Leyment 01, Limetz, Limay. Aubue est un mot qui plaıˆt beaucoup aux toponymistes en raison des interpre´tations populaires cocasses dont il est l’objet. Le terme, de´rive´ d’alba, blanc, de´signe un sol blanc de nature argileuse, souvent a` partir de terrains calcaires, et re´pute´ fertile. Citons les Aubues a` Clamecy 58 (sud), a` Lormes 58 et a` Ne´ron dans la commune de Saizy 71 ou` sont aussi les Terres Blanches ; en Touraine, les Aubuis a` Pont-deRuan 37, la Pie`ce des Aube´es a` Perrusson 37, les Aubre´es a` Montre´sor 37 ; ou les Aubues a` Vaudelnier 49. Il prend les formes aubuge dans l’Ouest, aubuis en Val de Loire, albugue en pays d’oc, aubugo en Rouergue ; on trouve Albuccio a` Ghisonaccia 2B. Il se de´forme aussi en arbue, voire orbue et meˆme herbue, en les Aubœufs a` Francueil, et en certains lieux il a e´te´ curieusement interpre´te´ par la tradition orale et ses reports cadastraux en Hauts Buts, Eaux Bues, Hauts Bœufs ou Obus (S. Gendron)... Deux autres termes ont une assez large extension, quoique pre´sents surtout dans l’Ouest, le Centre et le Sud-Ouest : bournais et boulbe`ne. Il s’agit de sols relativement froids, lessive´s par les eaux d’infiltration, de ce fait de couleur grise assez claire par manque de matie`re organique, et de re´putation plutoˆt pauvre. Les bournais ou bornais sont souvent associe´s aux argiles a` silex et aux faluns ; on trouve par exemple des lieux-dits les Bournais en Touraine a` Chambourg-sur-Indre, a` Civray-de-Touraine, a` Reignac-sur-Indre, a` Persac 86, ou en Anjou a` Vaudelnier 49 et Coutures 49, ou encore les Grandes et Petites Bournaiches a` Exoudun 79. Les boulbe`nes sont surtout sur les terrasses et les terrains en pente douce du SudOuest et appartiennent a` la classe que les pe´dologues savants nomment luvisolredoxisol (lessive´, a` e´le´ments re´duits et oxyde´s) ; on trouve la Boulbe`ne a` Bourgde-Visa 82 ou a` Villeneuve-sur-Lot 47, Boulbe`ne a` Montaut 47, les Boulbe`nes a` Belaye 46, une se´rie de Boube´e dont la Boube´e a` Castelnau-d’Auzan 32, et quelques Bourbe`nes aussi, voire Boulbonne a` Belpech 11. Le mot semble assez logiquement relie´ a` la racine bourbe ; bournais est rapproche´ par certains linguistes de borne, bron au sens de source, mais la relation logique semble difficile a` e´tablir et l’on peut se demander s’il ne s’agit pas e´galement de bourbe. Quelques toponymes en Bluse, Beluse ont le sens de terre argileuse me´diocre en Bourgogne et en Forez, ainsi que de tre`s nombreux lieux-dits Bouloise, plus rarement Boulois et Bouloire en Berry, ou` l’on parle de terres bouloises ou bouloires pour des sols froids – a` ne pas confondre avec Bouloie (aire de bouleaux). Ces termes semblent proches des pre´ce´dents par la forme et le sens. D’autres termes ont des extensions plus limite´es, et n’apparaissent e´ventuellement que sur des plans cadastraux. La die`ve, en Picardie comme en Wallonie, est une argile blanche et son nom est d’origine gauloise ; la Picardie connaıˆt aussi l’ergeron, porte´ par les pe´dologues a` un sens ge´ne´ral d’horizon de consolidation des lœss ; il prend les formes ergille ou erguille et serait une de´formation du terme argile ; mais ces deux noms de sols ont donne´ peu de toponymes. Chaminat est un sol argileux, lourd, qu’en Roannais on oppose a` varenne, et qui a e´te´ parfois de´forme´ localement en Cheminot (X. Gouvert).

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Saffre ou safre de´signe un limon e´pais ou une glaise durcie des valle´es du Sud-Est : le Safre a` Mimet 13, les Saffres a` Valre´as 84, les Saffras a` Carpentras 84, En Saffro a` Cuq-Toulza 81, la Saffrette a` Buis-les-Baronnies 26, le Saffre a` Villar-Loubie`re 05. Citons encore le doucin, ou doussine, un sol profond, marneux, sans sable ni cailloux et qui s’oppose a` la fois aux varennes (sableuses) et aux groies (caillouteuses) : le Doucin a` Nove´ 61 et a` Anneze´ 72, le Haut Doucin a` Saint-Pierre-des-Nids 55, les Doucins a` Mosnac, Saint-Dizant-du-Gua et Lorignac 17. Les groies et les graves appartiennent a` tout un ensemble de sols particulie`rement riches en cailloux : e´clats de pierres, concre´tions de silex ou de calcaire, galets et graviers. La groie est un sol argileux riche en e´clats de calcaire ; le terme est re´pandu dans l’Ouest et le Centre et prend localement les formes gras, groue, grouas, voire crouas sur les faluns d’Anjou, et sans doute aussi gruye`re. On trouve par exemple Pie`ce de la Groie a` Verdille 87, les Groies a` Haimps 17 et un Fief des Groies a` Aigrefeuille-d’Aunis 17, la Groue a` Marly-le-Roi, la Grange aux Groue`res a` Dunsur-Auron, les Grouettes a` Hermes 60 a` Laversines 60. A` Le´ognan et a` Tigne´ 49 se signalent les Grouas, le Grouas de la Boulaie et les Grouas de la Loge, a` Vauchre´tien 49 la Grouas ; D. Jeanson a releve´ les Crouas sur le cadastre de Villiers-auBouin 37 – mais les nombreux Croue`s et Crouas du Sud-Est seraient de simples creux (Pe´gorier). Ces noms sont de´rive´s de la tre`s vieille racine k*r associe´e aux roches et qui a pu eˆtre reprise dans le celte graua (gravier). On la retrouve dans la se´rie des graves, gre`ves et graviers associe´e aux e´pandages alluviaux caillouteux, et des gre`zes qui tapissent certains versants d’e´clats e´tale´s aux temps ge´lifs des pe´riodes glaciaires. Les noms de lieux qui en de´rivent sont extreˆmement re´pandus et meˆme des contre´es les portent, comme les Graves girondines ou le plateau des Gras dans le Gard. On trouve ainsi, avec le meˆme sens, des Grave, Gravois, Gravon, Lagrave, la Gravelle, Gravelotte, Graveson, Grauve, Gre´oux, Groue´, Groise, Groue, Grosne 90, Grausse, Gre`ze, Gre´zieux, Grez, Grais, Graix, Gre´zels, Gre´zolles, Gre´zette, Gries en Moselle, Gruau, les Gue´rouettes (Sancheville 28), Gre´gy, Gre´sy, Gressey 78, Gressy 77, Grisy, Giargia. Grep de´signe d’assez mauvaises terres caillouteuses dans le Sud-Ouest et le Centre, avec des NL en Gre´pi, Gre´pille, Gre´pon, Gre´pillon. Le gre`s, forme´ de sables agglutine´s, est de la meˆme famille avec des NL en Le Gre`s, les Gre`s, Grison. Gle`re, glie`re signalent des terrains graveleux et ont sans doute meˆme origine (cf. glarea pour gravier en latin) comme au ce´le`bre Plateau des Glie`res en Haute-Savoie – les Glie`res est un toponyme re´pandu en pays savoyard. Jard, employe´ en pays d’oı¨l pour des bancs de graviers, et apparent dans les noms de nombreux lieux-dits, a la meˆme origine. Les gre´es de Bretagne sont des collines de terrains pierreux, qui furent couvertes de landes ; de nombreux lieux-dits les Gre´es sont en Morbihan, Ille-etVilaine, Loire-Atlantique. Le basque emploie lakar, dont viennent des Lacarre, Lacarry et Lacarre 64. La racine k*r fournit e´galement la se´rie des craie, croye ou cloye, cra, crau, cre´as, crias, creuille (Bourgogne et Lorraine), associe´e a` d’autres terrains pierreux, surtout calcaires et qui transparaissent dans des Cravant, Cravanches, Lacrost 71, Craon, Craonne, Le Cre`s, Cre´cey, Crissay, le Cras, un Mont de Cra a` Villaines-les-

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Pre´voˆte 21 ou la ferme des Cras a` Brazey-en-Morvan 21, Crouay 14. Plus de cinquante lieux-dits font re´fe´rence directement a` la Craie. Croye et croyette, celleci de´signant spe´cialement des sables cimente´s en gre`s, ont un sens voisin en Ardennes et Picardie orientale : ex. la Croye a` Barby 08, la Croyette a` Rethel 08, les Croyettes a` Variscourt 02, a` Wasigny 08 ou Se´ry 08. Croue´e est un toponyme fre´quent en Lorraine, de meˆme origine et de meˆme sens, un terrain pierreux, comme la Grande Croue´e a` Anoux 54, la Croue´e a` Chadogne 55, Sur la Croue´e a` Quincy-Landze´court 55, les Croue´es a` Maxey-sur-Meuse 88. D’une fac¸on plus ge´ne´rale, bien des lieux-dits sont nantis de termes e´voquant la pierre (chap. 4) : pierriers et perriers ou pe´riers, pierreux et perreux, nombre de perruche qui n’ont rien d’oiseaux et apparaissent aussi sous les formes perruque ou pruquie`re, voire perruquie`re, et en occitan peire ou peyre, peyroux. Les ruffes sont, dans tout le Massif Central et ses bordures, notamment le Pe´rigord et le Quercy, des terrains rocailleux. Le terme s’applique en particulier aux pentes a` sols minces, de couleur violace´e ou rouge sombre, finement de´coupe´es par l’e´rosion dans les gre`s permiens tendres et a` grains fins (pe´lites) du bassin de Lode`ve, spe´cialement autour du Salagou, mais il est loin de s’y limiter comme l’indiquent les Ruffes a` The´dirac 46, a` Lubersac 19. M. Roblin propose d’en rapprocher toute une se´rie de NL comme la Roffie, Roffy, Roffey 89, Roiffe´ 86, Roiffeux 07, des Rouffac et surtout Rouffiac, Rouffy, Ruffec, Ruffieux, et les tre`s nombreux Rouffignac, Rouffigny, Ruffigne´, Ruffigny, ou` la tradition toponymique ne voit gue`re qu’un NP Rufinius, ce qui, e´tant donne´ le tre`s grand nombre de ces noms et l’extension de leur aire, semble peu vraisemblable. Le terme se retrouve dans des Ruffey (G. Taverdet) et dans Rouffiange a` Lafage-sur-Sombre 19, Roufairout a` Saint-Beauzire 43 ; probablement aussi dans Pe´ruffe a` Lacapelle-Biron 47.

Herbages, pacages Herbages et paˆtures forment un monde a` part par leurs paysages, leurs usages et bien entendu leur toponymie. Plusieurs familles de mots leur sont associe´es, dont les formes locales sont d’une ample richesse. Herbage, de´ja`, a une origine surprenante : la meˆme qui associe tout ensemble en anglais l’herbe (grass), le vert (green) et croıˆtre (to grew). En effet, l’herba latin dont il provient est donne´ pour issu du ghreb IE qui avait le sens de croıˆtre : ce serait « ce qui pousse tout seul ». L’Herbie`re, les Herbiers (dont une commune de Vende´e), l’Herbage et les Herbages (dont une vingtaine dans la Manche), Villiers-Herbisse 10, plusieurs dizaines de toponymes l’Herbe avec comple´ment (La Bonne Herbe a` Le´chelle 77, la Rouge Herbe a` Locon 62, En l’Herbe a` Vertault 21, etc.) illustrent ce domaine, auquel on peut ajouter plusieurs l’Erbe en Corse, des Punta d’Erba Mala (Orto), Erba Mora (Tralonca), Erba Vechia (Muro) ; mais Erbalunga serait un ancien Alba Longa, donc une Alpe Longue (J. Chiorboli). Des NL les Herbues apparaissent par dizaines en Haute-Marne et dans l’Aube ; certains, cependant, pourraient y eˆtre des de´formations d’aubue. L’herbe coupe´e donne le foin, a` son tour source de toponymes. Ils sont nombreux sous sa forme directe, avec des Valle´e des Foins, Voie des Foins et Chasse-Foins (Les

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Ormes-sur-Voulzie 77), Combe des Foins, Pre´ des Foins. Les noms en Fenil, Fenie`re, Fenace abondent. Affenadou, Affenage ont signale´ des lieux de stockage du foin. La forme nordique hay transparaıˆt a` Hoymille 59, peut-eˆtre dans plusieurs Haimont en Ardennes (Novion-Porcien 08) et Lorraine (Mogne´ville 55, Sandaucourt 88) ; elle viendrait d’un IE kau, au sens de tailler, alors que foin, du latin fenum, appartiendrait a` la grande famille feo (produire, IE dhei) dont fe´cond vient aussi. Le regain (seconde fauche) fournit une vingtaine de noms, parmi lesquels plusieurs Pre´ de, du ou a` Regain. Les fumades sont des terres engraisse´es par les troupeaux, a` l’origine d’une soixantaine de lieux-dits en Fumade, la Fumade, les Fumades, Fumat. Quelques herbes, surtout des gramine´es, peuvent eˆtre mentionne´es. La bauque est un terme me´ridional pour une herbe reˆche, dont viendraient la Bauquie`re ou les Bauquie`res (une vingtaine d’occurrences), Bauquet, Baoucous a` Trets 13 et Huresla-Parade 48, Beaucouse et Baucouse – et la Bauquie`re a parfois glisse´ vers la Banquie`re, comme a` Mauguio et a` Montpellier 34. Il s’agit en principe du brachypode rameux, e´galement nomme´ brusc en occitan : le Brusc, Brusq, Brusque, le Plan du Brusc a` Bouyon 06, totalisent une bonne vingtaine d’occurrences. Le gispet est une herbe drue et glissante de la montagne pyre´ne´enne (Festuca eskia, de eskia, qui fend, qui entaille) : il donne Cap du Gispet a` Montagagne 09, les Gispets a` Gourvieille 11, Clot de Gispetera a` Enveitg 66. Autre gramine´e, l’ivraie obtient quelques mentions : l’Ivraie a` Taingy 89 et la Vigne-d’Ivraie a` Courson-les-Carrie`res 89, le Champ d’Ivraye a` Saligny-le-Vif 18. Pre´, prairie viennent d’un pratum latin dont l’origine est elle-meˆme aussi dispute´e qu’obscure, l’interpre´tation la moins invraisemblable se re´fe´rant a` un creux humide ou a` une pente (IE pra), au motif que les pentes auraient e´te´ peu cultuve´es (Pokorny). Ils fournissent des centaines de noms de lieux, dont le parisien Saint-Germain-desPre´s n’est pas le moins connu. La seule Arde`che apparaıˆt avec quinze les Pre´s dans Ge´oportail. Les Hauts Pre´s sont plusieurs dizaines. Pre´-en-Pail 53, Le Pre´-SaintGervais 93, Pre´-Saint-E´vroult 28, Les Pre´s 26 sont des communes. Une forme pre´e existe aussi, surtout pour de larges fonds humides et notamment en Champagne, Ardennes et Aisne qui comptent plusieurs dizaines de la Pre´e. Se´gry 36 a une ancienne abbaye de la Pre´e au fond de la valle´e de l’Arnon, flanque´e d’un Moulin de la Pre´e et d’un hameau les Granges. D’autres formes re´gionales sont en prat ou praz : Prat 22, Prat-Bonrepaux 09, Pratodi-Giovellina 2B, Prats-de-Carlux et Prats-du-Pe´rigord 24, Prats-de-Mollo 66 et Prats-de-Sournia 66, Pratviel 81, Praz-sur-Arly 74, Pratz 39 sont aussi des communes. Argele`s-sur-Mer 66 a un lieu-dit Prats Negats (les pre´s noye´s) et un autre Prada Baixa (le pre´ bas). La forme prade et ses de´rive´s abondent, dont une trentaine de communes en Pradal, Pradeaux, Pradelle, Pradelles, Prades (neuf cas), Prade`res, Pradet, Pradette, Pradie`res, Pradiers, Pradinas, Pradines, Prads. Des noms comme Pardies dans le Sud-Ouest, Pretz-en-Argonne 55 (et meˆme un Pre´ de Pretz a` Seuild’Argonne 55), Praye, Prailles, Presles, Amfroipret 59 (avec un NP), des Lompre´ et Lompret (long pre´), Preures, Pre´au, Beaupre´, Beaupre´au sont re´pute´s venir des pre´s. On trouve aussi des lieux-dits les Pradasses a` Castries 34 ou a` Lanue´jouls. EsservalTartre a un Pre´ du Diable, outre les Pre´s Neufs et Pre´ du Raifour. Mignovillard a les

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Pre´s Nobles, Haimps 17 un Pre´ de l’Alleu, Monchecourt 59 des Pre´s des Sept Muids. Les Prairie abondent aussi, mais au rang des lieux-dits et hameaux. Une autre famille est associe´e a` l’ide´e de paıˆtre et comprend des Paˆture, Paˆtis, Padouen, Padenc, Pachis, Paisse, Paissis, Paˆquier, Pasquier, Pastenc, Paˆtureau et Pasturau, Patoire, Pacage, des Petits et Grands Paisseaux a` Bommiers 36, et Pas tout court en pays catalan : par exemple, le long de la Teˆt, Pas dels Porcs a` Villelongue-dela-Salanque, Pas de la Barca et Pas de les Carretes a` Canet-en-Roussillon 66, Pas de la Calc¸ a` Sainte-Marie 66, Pas de las Vaques (des vaches) a` Argele`s-sur-Mer au bord du Tech. Tous ces mots ont pour lointaine origine un paˆ IE qui avait le sens de nourrir et prote´ger, dont sont venus aussi bien le pasco, pascere latin, que le pain, et le food anglais. Le nom de la Pe´ve`le, petite contre´e au sud-est de Lille, porte´ par plusieurs villages, et celui de Pelves 62, semblent bien relever du meˆme sens, par un flamand pe`vre pour gazon, ou par le latin pabula. Pelouse est e´galement employe´, surtout en montagne – ou en ville de fac¸on plus re´cente. Le mot implique une origine distincte : il viendrait du latin pilosus, donc d’une me´taphore de ce qui est poilu ; d’introduction tardive, il semble avoir commence´ par de´signer au XIII e sie`cle une friche, ce qui le rapprocherait de l’ide´e associe´e a` quelque chose d’hirsute. Un risque est la confusion avec des sobriquets pour hommes poilus et les NP qui en de´rivent, comme Pelous ou Pilous. On trouve Pelouse en Loze`re et Pelousey dans le Doubs, et quelques dizaines de Pelouse avec comple´ment comme Pelouse de Batmale et Pelouse de Serre Se`que a` Ferre`re 65, Pelouse de Taillebourse a` Bouvante 26, Pelouse des Terres Ne`res a` Sengouagnet 31. De la meˆme famille probablement est peille, qui de´signe une motte de gazon en Lyonnais (un chiffon en occitan) et apparaıˆt dans E´peluy (anc. Espeluy) et E´puale´ (anc. Espellieu) selon Vurpas et Michel. Des centaines de toponymes sont en Angle, Anglade et formes voisines. Ces noms me´ritent que l’on s’y arreˆte un instant. L’interpre´tation courante, et paresseuse, y compris chez les linguistes les plus e´rudits, est qu’il s’agissait a` l’origine d’une parcelle en angle, d’une sorte de « coin », ou situe´e dans un « angle ». Ce qui bien e´videmment ne veut rien dire : toutes les parcelles ont des coins, celles qui sont « en forme de coin » sont rares, et l’on ne voit pas de quel autre « coin » il pourrait bien s’agir quand on observe le terrain. Pourtant, il est facile de constater, avec un peu de patience, que tous ces lieux-dits, ou presque tous, se situent dans des fonds de valle´es, en bordure de rivie`re, et sont associe´s a` des terrains bas plus ou moins humides, souvent a` des prairies. Or les dictionnaires e´tymologiques mentionnent bien une racine ang, angi, angr pour des pre´s, signale´e en ce sens en protogermanique (angjoˆ, angja, angra, ankja), norrois (eng), vieil anglais (eng), vieux saxon (angr), ne´erlandais (enc, eng, anger), francique et vieil allemand (anger), toujours dans le sens de « herbage non laboure´ » – le peuple des Angles, a` l’origine d’England, e´taient-ils les hommes des pre´s ? Dans le meˆme ordre d’ide´es, Orpustan signale pour Anglet 64 un latin angella « avec [...] le sens de « terrain bas » ». Il n’est pas impossible que le gaulois ana, de´ja` signale´ pour des fonds humides (chap. 5), ait un rapport avec le sujet. Tenons pour vraisemblable une origine de cette sorte, d’ou` viennent probablement, quand il ne s’agit pas de NP, les multiples Angles (167 dans Ge´oportail), Anglade (52), Anglars (16), Anglures, Angliers, Angle`s, Anglet, Anglin, Langlade, Langla-

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dure dans la Creuse, peut-eˆtre Anet, Englos (D. Poulet) ; voire l’Indre, mentionne´e jadis Angerem, et les Onglous au bord de l’e´tang de Thau a` Marseillan 34. Parmi les sites significatifs, mentionnons le Bas d’Angle a` E´chire´ 17 dans la valle´e de la Se`vre Niortaise, les Angle´es a` La Vile-aux-Dames 37 dans le val du Cher, les Ingle´es dans la plaine de l’Aube a` Saint-Nabord-sur-Aube 10, le chaˆteau de Langle au bord du Lot a` Caillac 46, les Angles a` Montigny 54 au bord de la Blette, Anglemont 88 entoure´ de pre´s humides, un Pre´ Anglais a` Varenne-Saint-Germain 21 au bord de l’Arconce, le vallon du Fond des Anglettes a` Camiers 62, Buron des Angles a` E´gliseneuve-d’Entraigues 63 entoure´ de fonds humides, le Marais des Angles de´ja` signale´ a` Rosnay 85. Dans les fonds humides des anciens me´andres du Doubs, Asnans-Beauvoisin 39 cache les Inglas et le Clos des Inglas. Meˆme Angouleˆme, qui semble devoir son nom a` la petite rivie`re l’Anguienne qui y conflue avec la Charente (P.-H. Billy), pourrait en eˆtre un e´cho. Ces noms ont parfois glisse´ vers des « Anglais » qui n’ont rien a` voir avec nos amis et adversaires d’outre-Manche, meˆme quand ils troˆnaient en Aquitaine ; mais ceci, tous les toponymistes se plaisent a` le rappeler. Certains termes d’origine germanique associe´s aux paysages de pre´s ont des formes de proche apparence. Au apparaıˆt fre´quemment en second terme en Alsace : Andlau (vers l’au, du nom de la rivie`re), Breitenau (large), Rothau (de la route ? de´friche´e ?), Eschau (du freˆne ?), Haguenau (de la foreˆt), Rhinau (du Rhin), Schoenau (belle prairie), La Wantzenau (au nom d’un saint), Wimmenau (avec l’osier), Mollau (du moulin) – ne pas confondre avec la terminaison gau, district. En allemand, Aue, issu d’un ancien awjo, signale une terre au bord de l’eau, une prairie. Bien diffe´rent, un celte clunia au sens de pacage est suppose´ a` l’origine de NL comme Cluny, Clugnat et peut-eˆtre les Claunay, Clunais, Cle´on, Treclun (X. Delamarre). Matt, tre`s fre´quent, indique une prairie humide et apparaıˆt dans de nombreux microtoponymes de la plaine du Rhin comme Saltz Matt, Wald Matt a` Berthelming 57, Obereienmatt, Neuenmatt, Niederrohrmatt et Heulehmatt a` La Wantzenau 67, la Pfeffermatt a` Kilstett, Weihermatt a` Sessenheim, dont le village voisin se nomme Stattmatten. Matt existe aussi en pays de collines ou`, dans la seule commune de Siewiller en Alsace bossue, se lisent Frohmatt, Kieffermatt, Wuestmatt, Langmatt, Schmalmatt, Holzmatt ; et dans les Vosges, au sens de prairie de fauche, comme Mu¨hlmaten a` Metzeral. La commune de Mittlach contient des lieux-dits Eselsmatten, Hammalmatte, Wildmatten, Homatt, Langmatten, Grosmatt. Le terme est tout aussi re´pandu en Lorraine : par exemple Lampersmatt, Hambuchmatt, Schanonenmatt a` Albestroff. Ebersheim a un redondant Aumatten, Ebersmunster un Testamentmatten. Ce Matt est diffe´rent du mate me´ridional associe´ a` des bois. Wiese a aussi le sens de prairie et se trouve dans des lieux-dits, et dans Waldweistroff de´ja` cite´ ; on trouve meˆme un Wiesenau a` Gottesheim, voisin d’un Reitmatt. Wasen, de meˆme origine, s’applique plutoˆt aux paˆtures plus lointaines, surtout en montagne : Langenwase, Kolbenwasen a` Mittlach ou Schmelzwasen, Rosselwasen, Redliswasen a` Stosswihr (a` coˆte´ de Grossmatten, Nisslesmatt, Saegmatt et Schluchtmatt), Wiesgrub a` Kappelkinger 57, Breitwiese et Nachtweide a` Bistroff 57, Schafers Nachtweide et Wustwiese a` Grostenquin 57. Il est possible que du wes originel, qui aurait de´signe´ une terre humide, soient encore venus d’autres noms

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comme La Ve`ze, Ve´zet, Ve´zelois (Dauzat), la Voulzie, la Voise, la Vouise, Wisembach, Ve´zelise sinon Ve´zelay. Le mot gazon est de cette famille et fut pre´ce´de´ par un germain waso. Il fournit un certain nombre de lieux-dits, surtout dans les Vosges, dont le ce´le`bre Gazon du Faing a` Plainfaing, ou le Gazon du Cerisier au Tholy.

La montagne pastorale La montagne pastorale a ses propres mots, et tout un corte`ge de toponymes lie´s au soin des troupeaux et au caracte`re saisonnier de l’activite´, impliquant de´placements pe´riodiques et habitats provisoires. Le principal mot-cle´ est alp ; il de´signe les pacages d’altitude ou alpages, qui ne peuvent eˆtre fre´quente´s qu’en saison chaude. Son origine est inconnue mais a donne´ lieu a` quantite´ de suppositions. Il est attache´ a` l’ide´e de pacage au moins depuis le VIII e sie`cle. Il a donne´ les Alpes et tous les noms qui en de´rivent. Outre la re´fe´rence a` alt (haut), certains l’ont rapproche´ d’un arattache´ aux rochers, alors que l’alpage s’oppose pre´cise´ment aux rochers nus ; d’autres y lisent alba, blanc comme neige, sans voir que l’alpe n’existe pre´cise´ment que quand la neige a disparu ; d’autres imaginent plus de brillant et de lumineux que de blanc dans alba, et donc l’aura des hauts royaumes divins... Une version moins courante mais mieux fonde´e, soutenue notamment par P.-H. Billy, l’associerait a` l’e´tymon IE al qui e´voquait tout ce qui nourrit, comme l’aliment, qui en vient aussi, et le latin alere : l’alpe, la` ou` se nourrit le be´tail. Une question est alors de savoir d’ou` vient le p et quelle est la part d’une interfe´rence e´ventuelle avec alt, altus, ce qui est la`-haut. Il semble que certains noms de hauteurs en alb, alba, n’aient rien a` voir avec le blanc mais indiquent de hauts reliefs, telles les Albe`res des Pyre´ne´es orientales, des noms comme Albens 73, L’Albenc, Lalbenque, peut-eˆtre Aubenas, les corses Elpa Nera (Osani 2A) et Erbalunga (Alba Longa), et probablement l’Albanie. La question se complique avec l’interfe´rence de la forme connue calm, chalm pour d’autres pacages hauts, qui s’exprime dans les Alpes par de nombreux Chalp, Lachalp, les Chalps, re´duits localement a` des Lachat, la Cha, la Chaz. Une version aup aurait le meˆme sens, et se retrouve notamment dans les noms de la Montagne de l’Aup a` Valdroˆme 26, le Plan d’Aups a` Bargeˆme 83 et Plan-d’AupsSainte-Baume 83, et une quarantaine de noms en Aup et Creˆte, Serre, Coˆte, Pre´s de l’Aup, et la Teˆte de l’Aupet a` coˆte´ de l’Aupillon en Ubaye (Les Orres 05), peut-eˆtre Aups 83. En outre, existe une forme arp, tre`s re´pandue dans les Alpes ou` arpitan et arpian e´voqueraient le montagnard et le berger, et ou` apparaissent de nombreux noms en Arp, Arpasse, Arpettaz, Arpette, Arpeyron, Arpiane, Arpillon, Arpion, Arpisson ; Sentenac-d’Oust 09 a des lieux-dits Bois d’Arp et Paˆturages d’Arp, la Montagne de l’Arp est dans la Droˆme. Cette forme se retrouverait dans les Arbailles des Pyre´ne´es occidentales. Le terme « arpitan » a e´te´ re´cemment choisi par certains liguistes pour remplacer le « franco-provenc¸al », nom habituel groupant l’ensemble des dialectes parle´s dans les Alpes franc¸aises et alentour. Les Pyre´ne´es elles-meˆmes ajoutent a` la richesse se´mantique, sinon a` la perplexite´. Deux e´tymons asp et ast y sont en rapport e´troit avec les surfaces pastorales et lisibles

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dans des noms de lieux comme la valle´e d’Aspe, Aspet, Aspin, Aspin-Aure, Aspin-enLavedan, Asasp qui est une sorte de redondance ; et Aast, Astazou, Astugue, Astau, ou le plateau d’Aston, vaste estive des Pyre´ne´es arie´geoises. Toutefois ast est donne´ pour pointe rocheuse en basque, tandis qu’asp et ast sont plus ou moins laborieusement interpre´te´s comme rochers, aspe e´tant parfois suppose´ re´sumer aitz-pe (pied de la roche). Il ne s’agit que de gloses linguistiques. En l’absence de preuve, et compte tenu de l’e´troite relation entre ces noms et les pacages d’altitude, ainsi que du roˆle ancestral et encore actuel de ceux-ci dans la vie locale, on peut pre´fe´rer imaginer une fort ancienne parente´ entre tous ces alp, alb, arp, aup, asp et ast, ou` les images de pelouse d’altitude et de rochers encaissants pourraient eˆtre associe´es. On laissera aux linguistes le soin de de´cider s’il s’agit d’indo-europe´en ou d’he´ritages ante´rieurs, ou d’adaptations des uns par l’autre. Alpe au sens de pacage de montagne a pour e´quivalent pyre´ne´en estive, plus facile a` comprendre : une e´vocation de l’e´te´, saison de la monte´e pastorale. Estivaux, Estieux, E´tevaux, E´tivaux, Estibe`re sont des toponymes de´rive´s. Ger a aussi le sens de pacage dans les Pyre´ne´es comme a` Ger de Boutx (Butx 31), le Ger a` Sault-de-Navailles 64, Ger 64 et Ger 65, Col de Ger a` Eaux-Bonnes 64 et a` Bagne`res-de-Bigorre 65 ; la` encore, le terme est proche du gar des rochers. Un e´quivalent dans le Massif Central pourrait eˆtre ve´drine, apparente´ au latin veterina qui est une autre de´signation des beˆtes de somme : plusieurs dizaines de Ve´drine, la Ve´drine, Ve´drines sont en Loze`re, Cantal, Haute-Loire, Puy-de-Doˆme, mais le sujet est discute´ (v. chap. 8). On trouve e´galement bauge et buge, avec des toponymes en Bauges, Boe`ge, Boge`ve, Buge de la Croix et Buge Vieille a` Saint-Sauvent 86, Buges Longues a` Polminhac et la Buge a` Lavigerie dans le Cantal, les Buges a` Perpezat 63, pour des pacages de moyenne montagne et, e´ventuellement, la cabane associe´e. Ces noms sont proches des Buiges et Bouiges, qui semblent plutoˆt relever des friches. Comme souvent, toutefois, ces noms peuvent de´signer a` la fois des paˆtures et des habitats. Plusieurs se´ries de noms sont associe´es aux lieux de stationnement saisonniers des bergers et des troupeaux en montagne. En ge´ne´ral, ils de´crivent a` la fois les abris et le terrain de regroupement des animaux, e´ventuellement enclos. Il en est ainsi du cayolar au Pays Basque et en Be´arn, dont le sens est alle´ bien au-dela` de la cabane de pierre : une unite´ pastorale complexe, qui pouvait meˆme eˆtre divise´e en parts (xotch) lorsqu’elle relevait d’une communaute´ de voisins. Cayolar apparaıˆt tel quel dans 120 noms de lieux, mais se cache aussi sous des formes alte´re´es comme Coueyla (huit occurrences, dont la Coueyla des Espagnols a` Gavarnie), Cujala (13 cas) et meˆme le Couyala dans les Landes de Bourideys 33. Il est tentant d’en rapprocher Cayon (7 lieux) et Cayenne (une centaine disperse´s en France, surtout de l’Ouest au Centre, outre le chef-lieu de la Guyane) : ce sont, au moins a` l’origine, d’autres noms de cabanes a` l’e´tymologie tre`s dispute´e, peut-eˆtre tout simplement des alte´rations du mot cabane. Rappelons que, proches par la forme, Cayla et Caylar sont des toponymes assez re´pandus, mais qui se re´fe`rent a` des chaˆteaux. L’orri (inutilement enjolive´ en orry) a la meˆme fonction, surtout dans le reste des Pyre´ne´es. Un orri comprend terrain, cloˆtures et constructions ; il peut avoir des formes complexes, avec abris spe´cialise´s pour la traite, les fromages, voire les poules ou le cochon quand chacun montait tous ses biens a` l’estive. Le terme orri et son

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diminutif orriet abondent encore dans les lieux-dits. Il est re´pute´ venir d’un latin horreum (grenier), ce dont on peut douter dans la mesure ou` aucun orri n’a jamais servi a` stocker le moindre grain : on fait paıˆtre en montagne, a` la rigueur on fauche, on ne moissonne pas. Le terme est plus probablement pre´latin, et la relation a` horreum a pu eˆtre invente´e par des e´rudits me´die´vaux, ou me´die´vistes, afin de latiniser un mot... barbare. On trouve des Pla, Prat, Bois, Col, Pic ou Puig de l’Orri, un Bac (ombre´e) de l’Orri a` Mijane`s 09. Auzat a des Orri de l’Escale, de la Raspe, de la Coume, du Picot, du Riufret, de Conques, de la Glise, des Estrets, de la Caudie`re, et bien d’autres encore. Orry-la-Ville 60 n’a visiblement aucun rapport avec le sujet et pourrait venir d’un NP Aurius, comme Oiry 51 ou Oiron 79. La marcairie vosgienne est de nature comparable a` l’orri et au cayolar ; le terme viendrait du lait (germanique melk), le trayeur ayant e´te´ appele´ melker, devenu marcaire. Des toponymes Marcairie ou Marcairerie subsistent dans le massif vosgien. H. Suter y ajoute des Marguerie, Margerie et Margeriaz pour la Savoie, qu’il estime issus de mulgere, traire (d’une racine indo-europe´enne melg qui serait aussi a` l’origine du grec galac- et du latin lacto-), et donc de meˆme sens que les marcairies. Plus ge´ne´rale est la jasse, ou jasserie, parfois jas, terme tre`s re´pandu dans le Massif Central mais qui a e´te´ employe´ un peu partout dans les Midis et les Alpes et dont semble meˆme venir assez suˆrement le nom d’Ajaccio. La racine serait un jacio baslatin de meˆme sens, avec l’ide´e... sous-jacente de gıˆte (l’endroit ou` l’on gıˆt, ou` l’on se repose, du latin jacere). Ge´oportail mentionne plus de 600 noms de lieux-dits en Jasse ; ils sont nombreux en Forez et Livradois et meˆme dans les Pyre´ne´es (a` Aston, Bielle 09). Limite´s par de´finition a` des paˆturages de montagne, aucun de ces mots n’a fourni de nom de commune – si ce n’est Ajaccio, et peut-eˆtre Jasses 64, pre`s de Navarrenx. Jasse prend dans les Alpes la forme de Gets (Les Gets 74), Giettaz, Giet, Giette, Gıˆte, dont La Giettaz 73. D’autres termes ont une valeur plus locale. Corral, courrau, courral, courtal sont des parcs pour animaux dans les Pyre´ne´es, plus ou moins e´quivalents d’orri ou de jasse, et de´rivent de la cour. Les Pyre´ne´es-Orientales comptent une trentaine de lieux-dits El Corral, El Cortal, El Cortalet et ces noms existent aussi en Arie`ge ; le Cortial leur re´pond dans le Velay. L’encastre est un enclos dans lequel on met les moutons en haute montagne et a donne´ des Enchastre (a` Chaˆteauneuf-d’Entraunes 06, Champcella 05), L’Encastre (Saint-Sauveur-sur-Tine´e 06, Vaudreuille 31), Enchastrayes 04 et l’Enchastraye a` Larche 04. L’estrop (de « troupeau ») est un autre lieu de regroupement de moutons et apparaıˆt dans les Me´es de l’Estrop (Prads-Haute-Ble´one 04), l’Estrop (Entraunes 06), Teˆte de l’Estrop (Me´olans-Revel 04), Montagne de l’Estrop (Pe´one 06) etc. Meira, maı¨ris de´signent aussi dans les Alpes des secteurs de paˆture et des habitats temporaires. Il en est venu Maı¨ris a` Lantosque, Beuil, Belve´de`re 06, Le Sauzed’Ubaye 04, la Maı¨rise a` Breil-sur-Roya 06 ; Meyrie`s a` Chaˆteau-Ville-Vieille 05, Meyronnes 04, Meyrueis 48, la Meire a` Saint-Paul-sur-Ubaye 04, la Meirio a` SaintMartin-Ve´subie 06, la Meiris a` Prads-Haute-Ble´one 04, Meiron a` MonsterouxMilieu 38. R. Luft leur voit toutefois deux origines possibles : major, majoris pour ce qui est au-dessus, en hauteur ; ou le provenc¸al meira pour ce qui changer de lieu,

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eˆtre mobile, lui-meˆme de´rive´ du latin migrare. H. Suter les classe comme alpages plus ou moins boise´s et leur attribue des NL Me´rils, Me´rine, Me´rier, Mie`re. Outre la loge et le buron, d’autres noms de cabanes sont associe´s a` la vie pastorale. C’est le cas de la baı¨te ou baı¨ta, cabane de pierres a` l’origine de quelques toponymes au Pays Basque (a` Ciboure, Lys) et dans les Alpes du Sud (les Baı¨tes a` La Piarre 05). Le bouillu comme cabane d’alpage a fourni des toponymes en Savoie, dont quatre lieux-dits dans la seule commune de Bourg-Saint-Maurice : le Bouillu des Mottets, le Bouillu de Praira, le Bouillu des Tufs et le Bouillu de la Vacherie. L’occitan cle`de (une claie) pour un treillis d’osier a pu indiquer des cabanes a` brebis ; il est apparent dans Clelles (Ise`re) et dans pre`s de 150 noms de lieux en la Cle`de, Cle´dette, Cle´delle. Mandre, mandrie dans la partie orientale de la France et mandria en Corse s’appliquent a` des cabanes et maisonnettes de bergers ou d’ermites ; sept communes et une centaine de lieux-dits, plus une dizaine en Corse, en portent les noms, qui semblent venir de la racine latine manere (demeurer). Manderen (Moselle), jadis Mandura, pourrait se rattacher a` cette source, mais non Mandeure (Doubs) qui est re´pute´e avoir e´te´ la capitale des E´duens dits Epomandui (« dompteurs de chevaux »), a` l’origine un Epomando-duro. Muande fournit une trentaine de lieux-dits, presque tous dans les Hautes-Alpes. Le terme de´signe un habitat conside´re´ comme mobile, ou du moins abritant des bergers itine´rants. Il a pour racine mutare, changer, en occitan mudar : on note plusieurs la Muande, Col des Muandes a` Ne´vache 05, Jas de la Muande a` Villar-Loubie`re, Cabane de la Muande et la Muandasse, le Muandon a` La Chapelle-en-Valgaudemar. Les Alpes ont aussi habert pour cabane ; le nom, qui pourrait venir d’abergement, a fourni une trentaine de lieux-dits en Ise`re. La Corse connaıˆt des paghingji et surtout pagliaju, pagliajolu, comme cabanes de berger en pierres se`ches (Castagniccia, Agriates), a` l’origine d’une vingtaine de toponymes. Les moments des saisons et les de´placements des troupeaux sont a` l’origine de subtilite´s et d’autres noms de lieux. Par exemple, on nomme (d’apre`s le mois de mai) mayen ou mayenc un paˆturage de demi-saison dans les Alpes et en Auvergne, premie`re e´tape vers la monte´e a` l’alpage, dont il re´sulte quelques noms de lieux-dits comme le Mayen a` Sainte-Foy-en-Tarentaise 74, Mont Mayen a` Pinsot 38, les Mayens a` Saint-Julien-Vocance. Le nom est parfois compris comme « moyen », paˆturage de moyenne altitude, interme´diaire. Rappelons que les mouvements des troupeaux ont laisse´ des noms de chemins favoris, sous la forme des drailles, et de quelques lieux de rassemblement et de tri des beˆtes, comme Le Triadou 34 au pied des Ce´vennes et une vingtaine d’autres Triadou, un Cortal Triador a` Corsavy 66, outre les nombreux NL signalant des citernes, abreuvoirs et autres lavognes.

Les animaux d’usage : aumailles et pe´cores Les animaux d’e´levage, ou domestiques, ont aussi leur vocabulaire toponymique. Un nom devenu rare, aumaille, ou beˆtes aumailles, du latin armentum, a jadis de´signe´ le gros be´tail ; on y trouverait la racine IE ar, au sens d’assemblage : c’est bien le

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troupeau qui est vise´. On trouve l’Aumaillerie a` Ce´aux 50 et a` Tersannes 87, le Pont d’Aumaille a` Brix 50. Armentie`res 59 semble en avoir tire´ son nom. Le bœuf, la vache et leur habitat apparaissent souvent sous des formes qui peuvent eˆtre anciennes, puisque le gwu IE a donne´ non seulement cow en anglais, Kuh en allemand mais aussi le bous grec, le bos latin et le bou celte, donc les bovins, tandis que le waka IE se retrouve dans les appellations de la vache, transmises par le latin vacca. Bouer, Boueilh, Labouheyre, Bouvresse, Bouverie, Biou sont des noms de lieux en rapport avec bœuf et bovin (Dauzat), ainsi sans doute que Bouvines et Paimbœuf – qui n’est pas d’origine normande et n’a donc pas de rapport avec beuf au sens d’habitat. Les Vacherie, Vaquerie, Vacheresse, la Vache`re, Bacarisse, Vacqueyras abondent, notamment en Auvergne. Des Chemins des Bœufs sillonnent le nord de la France comme a` Leewarde 59, a` Bucilly et a` Any-Martin-Rieux 02. Un Ne´ga-Biou (noie-bœuf) est a` Gaugeac 24, cinq Ne´gabous dans les Pyre´ne´es-Orientales dont un Co`rrec de Ne´gabous a` Ponteilla. Le Pre´ des Taureaux de Lansargues 34 annonce la spe´cialite´ camarguaise, mais comme toponyme re´cent, qui ne figurait pas sur la carte de Cassini. Pompignan 34 a un Aven de la Vache, Sailly-en-Ostrevent et Tortequesne 62 ont chacune un Pont des Deux Vaches ; c¸a` et la` sont de nombreux gue´s, pre´s ou ıˆles aux Vaches ; et plusieurs lieuxdits e´voquent une Vache Morte. Les Vaches Noires, coˆte rocheuse connue du Calvados a` l’est d’Houlgate, doivent leur nom re´cent a` l’image d’un troupeau de gros rochers e´boule´s. Le vieux franc¸ais ure est, comme son e´quivalent l’aurochs, tire´ d’un terme germanique de´signant le bison d’Europe. Des linguistes l’ont de´tecte´ dans des noms comme Orbais, Orbey, Urbe`s, Urbise, Urbeis, Urbach, voire Orbec, qui tous semblent avoir de´signe´ des rivie`res a` bœufs. Le radical germanique ox, Ochs, se lirait dans Oxelae¨re 59, qui serait la clairie`re aux bœufs, comme dans Ochsenmatten (les pre´s aux bœufs) a` Illfurth 68. Les ovins (IE et latin ovis) e´taient jadis dits ouailles, dont il reste des lieux dits en Ouailles, Pont de l’Ouaille (Nieul-le`s-Saintes 17), le Pas des Ouailles (Saint-AvitSaint-Nazaire 33), l’Ouaillerie (cinq noms dont deux a` Saint-Viaˆtre 41), le Champ de l’Ouaille a` Persac 86, Fief de l’Ouaille a` Haimps 17 et des noms comme Houeilles 40, Houeille`re a` Castelnau-d’Auzan 32, plusieurs Pe`le-Ouaille en Poitou, Coste Oueille`re a` Ancizan et Bagne`res-de-Bigorre, la Ouillerie (Saint-Sernin 11) ; mais la prudence est toujours ne´cessaire, surtout en montagne : ouille y est aussi une variante d’aiguille, et oueil a valeur de source. On trouve les Ovins a` Saint-Martin-leNœud 60 (seule mention du terme sur Ge´oportail), et un curieux Bois des Eauvins a` Cagny 14. Les latins vervex-berbex, d’un IE vren, qui avaient aussi une valeur ge´ne´rique avant de se concentrer sur les brebis, ont largement remplace´ les pre´ce´dents et donne´ quantite´ de Brebie`res, Berche`res, Berbiguie`res, les Berge`res et les Bergeries, ainsi probablement que les Bercy, Berzieux, Barbezieux 16, mais des lieux de forme proche ont plutoˆt une relation avec la boue, a` l’instar de Barbizon 77. Bourriot-Bergonce 40 associe une bouverie et une bergerie. Berge`res-le`s-Vertus 51 est certainement plus pittoresque qu’une simple « bergerie pre`s de Vertus », ce qu’elle fut ne´anmoins.

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Certaines Berge`res, toutefois, surtout si elles sont proches des villages, ont pu eˆtre jadis des verche`res. Le be´lier a aussi ses lieux-dits, mais dont certains viennent de NP ; notons par exemple un Col du Be´lier a` Belvis 11, un Bois du Be´lier au Syndicat 88, un Mont Be´lier a` Aure 08. Mouton viendrait selon les uns d’un gaulois multo, lui-meˆme issu d’un IE mel au sens de doux (cf. latin mulcedo), et s’est assez toˆt limite´ aux maˆles chaˆtre´s de l’espe`ce, selon d’autres du latin mulctus, chaˆtre´. Il a moins investi les toponymes, sauf pour des noms re´cents : une Plaine des Moutons est au-dessus de Super-Besse en Auvergne. Quelques dizaines de noms de lieux sont en Mouton ou le Mouton ; mais, en dehors de quelques indications probables comme Planche aux Moutons (ChaˆteauRenard 45) ou la Naue du Mouton (La Veuve 51), la Noue le Mouton (Herbeval 08), la Mare aux Moutons (Hautot-l’Auvray 76), il a pu s’agir de NP. L’agneau ou agnel (latin agnus, d’un IE egno de meˆme sens) est bien plus pre´sent, surtout en montagne : on compte sur les cartes une trentaine de Col ou Pas de l’Agnel ou de l’Agneau, d’autres en Cime, Caire, Clos, Champs et Creux de l’Agneau. L’e´vocation des capride´s n’est pas en reste : il est des centaines de lieux-dits en Che`vrerie, Chevrie`res, Chevreuse, Chevroux, Chevrelie`re, Chevrolie`re et les e´quivalents me´ridionaux et Cabrie`re, Cabrie`res, Cabrie`s, Cabrerets. Le chevreuil, dont le nom a la meˆme origine, a pu inspirer certains de ces noms, et notamment dans les tre`s nombreux Chabrol et Cabrol, souvent d’ailleurs de´rive´s de NP. Rocquencourt a meˆme un Che`vreloup. Le Bouc est tre`s pre´sent aussi comme NL, mais plus ambigu car cette forme a pu eˆtre en rapport avec le bois. Le bouc comme animal a une e´tymologie discute´e, peut-eˆtre au sens de frapper, celui qui frappe (de la teˆte). Par inversion, la cabre (che`vre) occitane devient parfois crabe, dans de nombreux Crabe`res ou Crabeyre, et dans des noms comme Escanecrabe (e´reinte-che`vre) : une commune de Haute-Garonne, des lieux-dits a` Fleurance 32, Clarens 65, e´voquant des passages difficiles meˆme pour les che`vres. A` l’origine est un IE kapro qui aurait de´signe´ d’abord un animal maˆle, puis spe´cialement le bouc, avant de glisser en latin de capro a` son fe´minin capra. Il a donne´ aussi les formes celte gabros et bretonne gavr dont paraissent issus des noms de lieux comme Gie`vres 41, Gabriac, Gevrey, Gevry, Givry, la foreˆt du Gavre, Gaˆvres, Le Gaˆvre ; Gavrinis, dans le golfe du Morbihan, est ainsi l’ıˆle aux che`vres. Le basque emploie ahuntz : d’Ahounsbiscarde´guy a` Ayherre, M. Morvan nous dit que « l’e´tymologie de cet oronyme ne pose pas de proble`me : ahuntz « che`vre », bizkar « dos, creˆte », egi « bord, lieu »avec dentale -d- de liaison ». Le vieux mot pe´core de´signait a` l’origine le be´tail, surtout le menu be´tail : le latin pecus (IE peku, le be´tail) avait aussi le sens figure´ de richesse, encore apparent dans pe´cuniaire ou pe´cule, avant d’eˆtre de´voye´ en e´vocation pe´jorative de troupeaux humains passifs (une pe´core, le vulgum pecus). Peu apparent en toponymie, il se signalerait toutefois par des noms comme Pe´corade 40, le Champ Pe´cor a` Ge´veze´ 35, Pe´coral a` Couze-et-Saint-Front 24 et plusieurs de´rive´s en Corse dont Pecorellu a` Corte, Pasci Pecora a` Ajaccio ou Punta Pecorareccia a` Petreto-Bicchisano.

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Monde e´questre, bourrique ou baudet L’indo-europe´en a fourni ekwo, dont le grec a fait hippo, le latin equus et le gaulois epos, l’occitan retenant egue pour la jument, le Be´arn ayant egoa. Fertile dans les noms communs (e´questre, e´quide´, e´quitation, etc.), la racine n’a pas fait grande fortune en toponymie. Il est possible que certains lieux-dits en de´rivent, mais les paronymes abondent et rien de suˆr n’est atteste´, meˆme si l’on peut penser que le Col de l’E`gue a` Orlu 09 et a` Espezel 11, le Puy de l’E`gue a` Teissie`res-le`s-Bioule`s 15, voire le Saut de l’E`gue a` Lamalou-les-Bains 34 sont de cette famille. Toutefois, certains linguistes voient epos dans Epfig 67 et meˆme dans E´poisses, nom qui est plus habituellement associe´ a` e´peisse (fourre´). Il en est de meˆme de la forme germanique hros, d’ou` viennent la rosse, et horse en anglais : elle peut apparaıˆtre dans certains ros- de la France du Nord, notamment des Rosendael, Rosenberg et surtout Rosskopf, mais le roseau et l’e´glantier y sont en conside´re´s comme plus vraisemblables, et ros est un rocher en Bretagne. En revanche, la forme plus re´cente cheval (latin d’origine grecque caballos) abonde en toute re´gion, avec cabal et cavale en occitan. Cheval Blanc et Cheval Noir ont pu eˆtre des noms d’auberges, mais on trouve toutes sortes d’attributs comme Mauvais Cheval (Montcel-le`s-Lune´ville 54) ou Cheval Mort, voire le Cheval Vert a` Ve´zenobres 30, les Grands Chevaux a` Somme-Vesle ou Grand Cheval a` Noirlieu, le Champ aux Chevaux (Somme-Bionne), le Trou aux Chevaux (Wisembach 88), la Fosse aux Chevaux a` Eteignie`res 08, la Quevallerie a` Touffreville-la-Corbeline 76 ou a` Samer 62 et les Quevallie`res a` Chaˆteau-Gontier 52, une trentaine de la Cavalerie dont une commune du Larzac, un Cre`ve-Chevaux a` Chantenay-Saint-Imbert 56, etc. La Corse a une quinzaine de lieux en Cavallo, dont trois Cavallo Monto, le Midi a des Cabal, Cabalets, Cabalou. Mais Cavalaire-sur-Mer 83 aurait une tout autre origine (chap. 8). Le breton emploie marc’h pour cheval, issu d’un IE marko de meˆme sens (dont viennent le mare´chal et mare, jument en anglais) et lui attribue entre autres le nom de Penmarc’h, ainsi e´quivalent du Capo Cavallo de Calenzana en Corse. Ploudaniel a un Lan Marc’h et Gourin un Lann Marc’h, Locoal-Mendon un autre Pen Marc’h, Plomodiern un Marc’h Moor (marais du cheval). Saint-Aignan, Guisse´ny, Langoal ont des Poul Marc’h ou Poul an Marc’h (trou du cheval), Gurunhuel un Traou Marc’h, et Le Vieux-Marche´ 22 a meˆme un Convenant Marc’h. Bayard a de´signe´ au Moyen-Aˆge un cheval bai, c’est-a`-dire « rouge » (latin badius, IE badyo) ; mais il est difficile de dire si les NL Bayard (une quarantaine) viennent de la`, ou d’un NP. Les noms de lieux-dits e´voquant la jument abondent aussi ; le nom latin jumentum serait de la famille du joug. La Bretagne a plusieurs pointes de la Jument (a` Poullan, Tre´gunbc, Dinard) et Kazeg Ven, au sud de Locronan, peut se traduire Jument blanche. On trouve c¸a` et la` des Combe, Teˆte, Iˆle, Pointe, Champ, Bois, Fontaine, Passage de la Jument. Jadis bacive a de´signe´ des brebis et juments ste´riles (brehaignes) conserve´es pour l’engraissement et la viande ; la forme Bacivers est re´pandue dans les Pyre´ne´es catalanes (trois a` Mantet, plusieurs a` Fontpe´drouse, Castell et Prats-de-Mollo 66) ; Bassibe´ est pre´sent en plusieurs communes du Gers et des Landes. Le basque emploie behor pour jument : Behorle´guy est une « creˆte de

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la jument » et Behorsaro a` Osse`s ajoute a` behor saro, « lieu de rassemblement des troupeaux ». Le haras de´signe un lieu d’e´levage et de dressage des chevaux, en ge´ne´ral dote´ d’un champ de courses. Ge´oportail enregistre plus d’une centaine de NL en Haras, surtout en Normandie, dont plusieurs dizaines dans le seul Calvados. Presque tous sont assortis d’un comple´ment : des Cheˆnes, du Buisson, du Verbois, du Paon... ; Le Mesnil-Mauger 14 a parmi ses lieux-dits habite´s le Haras, Haras du Maˆ, Haras des Rousses, Haras de Saint-Crespin, Haras de Bonneval, Haras du Plessis-Massey. D’e´tymologie tre`s discute´e, haras pourrait eˆtre en rapport avec un norrois har e´voquant le poil du cheval et, par la`, le cheval, comme dans haridelle (IE ghers, qui se dresse, cf. he´risse´, et hair en anglais, poil) ; toutefois, un hara latin d’origine inconnue a de´signe´ porcherie et poulailler et P. Guiraud voyait dans haridelle « aride » (desse´che´, squelettique)... L’aˆne est depuis fort longtemps charge´ de valeurs symboliques en tant qu’animal familier, robuste et adroit, pratique et peu exigeant, passant partout ou presque, mais aussi conside´re´ comme teˆtu, borne´. La forme aˆne vient d’asinus, dont l’origine est incertaine, peut-eˆtre orientale (ansu en sume´rien). Elle apparaıˆt de diverses fac¸ons dans les Asnie`res (une trentaine dont trois communes) et Agnie`res (deux communes et une vingtaine de lieux-dits avec divers attributs), plusieurs dizaines d’Aˆnerie dont cinq dans le Cher, une bonne vingtaine de Chemin des Aˆnes, aux Aˆnes ou des Aˆniers, une quinzaine de Pont aux Aˆnes, des Coˆte aux Aˆnes et une Coˆte aux Aˆniers a` Somme-Ye`vre 51, la Sente aux Aˆnes a` La Framboisie`re 28, quelques Combe aux Aˆnes ou Fosse aux Aˆnes, et meˆme les Charges d’Aˆnes a` Rivarennes et Cheille´ 37. Les nombreux Pas de l’Aˆne (ou de l’Aze´ en occitan) e´voquent des passages difficiles, meˆme pour un aˆne. L’occitan e´crit aze (qui se pronoce a`ze´ avec accent sur le a) et a donne´ quelques Pech d’Aze´, Pont d’Aze´, Coste d’Aze, Combe d’Aze, Sarrat de l’Aze (Montse´gur 09) et une dizaine d’Esquine d’Aze (e´chine d’aˆne) de´signant des creˆtes ; mais les Aze´ des pays d’oı¨l ont une autre origine, probablement lie´e a` l’eau (v. Azay). Le Midi a e´galement employe´ la forme saumade, tire´e du nom du baˆt en latin (sauma) d’ou` viennent l’expression « beˆte de somme », c’est-a`-dire de baˆt, de transport, et les sommie`res comme chemins forestiers. Une vingtaine de lieux-dits se rapportent a` saumade, dont trois les Saumades en Vaucluse, mais le terme a aussi fourni des NP. Une forme burro est pre´sente en pays catalan, par exemple dans le Salt del Burro a` Mosset 66, le Coll del Burro plus une Jac¸a dels Burros a` Fontpe´drouse, un Clot dels Burros a` Maureillas-las-Illas 66. Elle est de meˆme origine que les familiers bourricot et bourrique, peu repre´sente´s ou ambigus dans les noms de lieux : citons cependant un Col du Bourricot a` Bouquet 30. Ces formes seraient issues d’un latin burricus pour petit cheval, que curieusement les linguistes rapportent a` une racine grecque de´signant un brun roux, couleur de feu, ainsi que le feu (pyro-), issu de l’IE pur (feu). Une autre appellation est le baudet, dont l’e´tymon serait un bald au sens de hardi, fier ou joyeux, voire joyeux luron, l’aˆne ayant eu une certaine re´putation de lubricite´ bruyante. Plusieurs dizaines de toponymes sont en Baudet, le Baudet, les Baudets (dont des NP), ou encore le Chemin a` Baudets a` Capelle-Fermont 62, une Voyette

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des Baudets a` Marfontaine 02, Monte-a`-Baudet a` Bethon 51, Fosse´ a` Baudet a` Haravesnes 62, Fosse´ Baudet a` Cantin 59. La mule et le mulet ont partage´ avec l’aˆne la re´putation de robustesse et de beˆte de somme, notamment en montagne : on recense une quinzaine de Pas de la Mule plus des Pont de la Mule, Col de la Mule, Saut de la Mule ; des Pas des Muletiers (Colmars 04), Pas des Mulets et six Chemin des Mulets. Prenons garde toutefois : il existe aussi une dizaine de Muletie`re ou Mulatie`re, mais de tout autre origine ; il s’agirait de maladie`res ou maladreries selon H. Suter et E. Ne`gre.

Du coˆte´ de la soue Les porcins apparaissent aussi sous plusieurs formes. Cochon, que les e´tymologistes font venir d’une onomatope´e de son grognement, ce qui se comprend pourtant mieux pour le groin que pour le mot cochon lui-meˆme, est la plus familie`re, mais pas ne´cessairement la plus re´pandue : une dizaine de le Cochon ou les Cochons, ainsi que des Gue´, Mare, Ferme´, Fosse ou Fosse´ aux Cochons, meˆme un Aven des Cochons (Saint-Pierre-de-la-Fage 34) et un Mont aux Cochons (Saint-Jacquesd’Aliermont 76), un Plateau Cochons a` Salazie (la Re´union) et un Iˆlet a` Cochons a` Pointe-a`-Pitre (Guadeloupe), mais cochon peut ici de´signer des animaux marins, et un peu partout le sanglier. La forme cochon est employe´e dans les me´taphores morphologiques : nombre de rochers, ıˆlots et e´cueils sont cense´s e´voquer des cochons, teˆte ou dos de cochon : le Cochon a` Larmor-Plage, les Cochons a` Moe¨lan 29 ou` est aussi Beg Moc’h, qui signifie la Pointe au Cochon. La forme porc (IE porko, latin porcus) est assez re´pandue mais alte´re´e dans des Porcherie, Porcheresse, Pourcharesse, Pourcaresse, Pourche`res, Pourquie`re, Pourcieux, Porcareccia en Corse, et peut-eˆtre Portiragnes, ainsi qu’Orches 86 et Ourches 26 et 55 (du celte orco, jeune porc). La Porcherie est une commune de Haute-Vienne. Un Pas dels Porcs (pacage) est note´ a` Villelongue-de-la-Salanque au bord de la Teˆt, la Jac¸a dels Porcs a` Arles-sur-Tech 66 et le Jas des Porcs a` Esparronde-Verdon 04. Le breton moc’h (celte mokkos, porc ou sanglier) apparaıˆt encore dans deux Craou Moc’h (Pluzunet 22 et Roudouallec 56, craou = e´table) et un Guer an Moc’h a` Lanrivain (guer est hameau ou marais), ainsi que Mohon 56. Tourch 29 vient d’un autre breton tourc’h pour porc. De nombreux noms en truie se dispersent, dont par exemple Trotte-Truie a` Champniers 18 ou Se`me-Truie a` Beaumont 89, Fosse a` truie a` Bovelles 80, En Pisse-Truie a` Abbenans 25, Poil de Truie a` Rathay 72, mais certains d’entre eux peuvent avoir d’autres origines. Banvou 61 viendrait d’un celte banvo (truie). Quelques toponymes en goret, un nom d’onomatope´e tire´ du grognement, apparaissent dans l’Ouest comme l’E´chine du Goret a` Ranville-Breuillaud 16 ou le Champ Goret a` Frontenay-Rohan-Rohan 79 et Brie 16, la Valle´e Goret a` Lizant 26, les Gorets a` Taillecaval 33, Ingrandes 36 ou Sainte-Gemmes 41 ; mais il peut s’agir d’anciens NP. Le radical IE su, dont viennent les noms anglais et allemand du porc (swine et Schwein) et la forme latine sus, ainsi qu’en franc¸ais la soue (qui serait issue d’un

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gaulois su-teg, toit a` cochons) et les suide´s (famille du porc), se retrouve dans des lieux-dits qui semblent s’eˆtre rapporte´s au porc sauvage, c’est-a`-dire au sanglier, mieux qu’au porc domestique. Tel serait le cas des Suge`res et Souge`res, peut-eˆtre de Soyaux (A. Dauzat). On trouve en Alsace et Lorraine un certain nombre de Schweinau (prairie), Schweineck (coin), Schweinsberg (mont), Schweinsfels (falaise), Schweinsbach (ruisseau), Schweingrube (fosse), etc. Souil, la Souille sont de vieux noms communs pour des mares a` sangliers et de petits bourbiers, comme le Souil a` Exoudun 79. Souil transparaıˆt dans des noms de lieux comme Souillats, Souliats, Soulier, probablement Sully (G. Taverdet) et se trouve aussi sous les formes seul, sueil. On a meˆme a` Brue-Auriac 83 un Suei du Sanglier qui paraıˆt redondant. Il est tentant de rapprocher souil de la soue et donc du radical su (cochon) ; mais le Tre´sor de la Langue Franc¸aise et toute l’e´tymologie officielle y voient plutoˆt, comme pour souiller, un solium latin de´signant un baquet et qui serait de la famille de sedeo (sie`ge, s’asseoir)... Le mot sanglier lui-meˆme vient du latin singularis, qualifiant a` l’origine le maˆle vivant seul ; il est bien repre´sente´ dans des lieux-dits en Sanglier, quand ils ne viennent pas directement de NP : quelques dizaines d’occurrences le Sanglier, Mare au Sanglier, Font Sanglier, Col ou Roc du Sanglier, un Mont Sanglier a` La Tagnie`re 71, etc. L’occitan le nomme singlar, qui apparaıˆt dans quelques lieux-dits comme la Singlarie a` Najac 12, peut-eˆtre Singlade a` Goutrans 12, Singlas a` Larrazet 82, Singla a` Condezaygues 47. Dans la foreˆt de Retz a` Oigny-en-Valois 02, une originale Laie du Sanglier joue sur les mots en de´signant un chemin forestier et non la femelle de l’espe`ce... L’Alsace et la Moselle ont quelques noms e´quivalents en Eger (Egerberg a` Postroff 57). La basse-cour a fourni quelques dizaines de Poulailler, meˆme un Oppidum du Poulailler a` Lande´an 35, et plus encore les Poules, les Poulets, etc., qui ont pu eˆtre des NP. Le coq offre plus de varie´te´ : outre sa forme actuelle, par exemple a` Juche-Coq pre´sent dans quatre communes de Charente-Maritime, ou Chantecoq 45 et quelques dizaines d’homonymes, ainsi que des Chantecler, il s’est manifeste´ sous deux autres formes qui, comme coq d’ailleurs, viennent du gal IE (celui qui crie, celte calallaco, latin gallus, d’ou` les gallinace´s). Jau est employe´ surtout dans le Centre, l’Ouest et le Sud-Ouest, notamment en Gironde ; on trouve des Chante-Jau dans l’Indre et en Touraine, un Plume-Jau a` La Roche-Chalais 24, une Font de Jau a` Saint-Palais-du-Ne´ 16, etc. ; mais il peut se confondre avec des synonymes de mont, comme a` Croignon 33 ou` Saute-Jau correspond a` une butte. A` calallaco sont attribue´s des Caillac, Chailly, Chailley mais qui se confondent aise´ment avec des toponymes de´rive´s du caillou. Ge´line est de la meˆme famille et de´signait la poule ; plusieurs dizaines de NL s’y re´fe`rent, y compris six Gratte-Ge´line pour des lieux un peu perdus comme a` Villemorien et Anirey-Lingey dans l’Aube, ou Grattege´line a` Pre´aux 36. Le canard et la cane sont fort pre´sents aussi dans les noms de lieux, ou` Ge´oportail signale une bonne cinquantaine de Mare aux Canards (ou aux Canes). La forme picarde et wallonne anet serait a` l’origine d’Ennetie`res 59. Des noms de lieux s’e´crivent l’Oie, dont l’Oie Plume´e a` Meilhards 19, cinq l’Oie Blanche, un Piquel’Oie a` Lezay 79, un Roc de l’Oie a` Lacrouzette 81 qui vient du profil d’un rocher ;

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mais des noms aussi brefs sont sources de confusion, comme a` Oye-Plage ou` Oye est un oey (ıˆle en norrois). L’Oie, commune de Vende´e disparue en 2016 par fusion dans celle des Essarts, vient d’un auia au sens de fond humide, conforme a` son site. La forme me´ridionale auco est moins trompeuse, a` l’origine de l’Auque a` Landusse 47 ou de Bec d’Auque a` Rabastens 81, Pech d’Auque a` Corneilhan 34, Merde d’Auque a` Araux 64, et de plusieurs Pe´dauque (patte d’oie) qui peuvent signaler des bifurcations, comme Pe´dauco a` Merville 31, Pe´daucou a` Villeneuve-le`s-Bouloc 31. Un Portu Pedocchiu est a` Vico en Corse-du-Sud. La pintade (oiseau « peint ») et la dinde ou le dindon (volailles « d’Inde ») ont fourni aussi quelques noms, dont des appellations re´gionales comme Touil, Touille en Gascogne. L’abeille en compte bien davantage, sous sa forme actuelle ou comme Avette ; Avieux, Avioles viendraient des essaims d’abeilles ; Apier et l’Apie´ (seize occurrences dans le Midi). Apcher (une douzaine de sites, dans le Cantal et la Loze`re) et sans doute Ache`res, Asche`res-le-Marche´ 45 seraient issus d’apiarum, le rucher. Roquebillie`re 06 est interpre´te´ comme « roche abillie`re », a` abeilles ; « l’Apie´ et les Poiriers » est un lieudit de Quinson 04. L’occitan de´signe par bruc le rucher, a` l’origine de NL en Brusc, Brusq, Bruc, Bruquier, Bruquet, noms qui peuvent se confondre avec des e´vocations de bruye`res et broussailles, et de certains sols.

Mines et carrie`res L’exploitation des sols est loin d’eˆtre une affaire purement agricole, surtout quand elle s’e´tend aux sous-sols : les campagnes ont e´te´ constelle´es de carrie`res, puis de mines, qui ont laisse´ des traces dans la toponymie. Le terme carrie`re lui-meˆme, pris en ce sens, est issu du travail de la pierre a` baˆtir, e´quarrie, c’est-a`-dire taille´e au carre´, a` angles droits (latin quadrus, pierre de taille). Il ne doit pas eˆtre confondu avec la carrie`re comme lieu de courses de chars, ou de parcours professionnel par double me´taphore, et donc avec les toponymes en Carre`re, Carrie`re ou Charrie`re qui de´signent des chemins, autrement plus nombreux que ceux qui se rapportent a` des excavations ; mais, par exemple, les Grandes Carrie`res a` Osmanville 14 viennent bien de l’extraction et non du chemin de chars, et voisinent avec un ancien four a` chaux. Il en est de meˆme a` Vre´gille 70 ou a` Entrains-sur-Nohain 58 : l’observation du terrain peut lever le doute. Une raison en est que les carrie`res ont souvent rec¸u des noms spe´cialise´s selon la nature du produit obtenu. C’est le cas des marnie`res dont on extrayait des amendements pour terrains trop pauvres, secs ou calcaires : il en est venu de nombreux toponymes en la Marnie`re, la Marlie`re. En Bretagne, quelques Poullou Pry (trou d’argile) en sont la traduction. S’agissant de mate´riaux de construction, les graves sont prolifiques : on trouve des Gravie`res en fort grande quantite´, voire des Gre´vie`res, comme la Gre´vie`re a` Maisy, Variscourt et Pignicourt 02 ou Asfeld 08, Chouilly, Bazancourt, Beine-Nauroy 51, les Gre´vie`res a` De´sertines 03 ou Tinqueux 51. Le ballast, qui a d’abord de´signe´ le lest des navires de la Baltique a` partir du XIV e sie`cle, ne s’est re´pandu en son sens actuel qu’avec la construction des voies ferre´es ; mais cela a suffi pour susciter quelques noms comme le carrefour de la Ballastie`re a`

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Bonneuil-sur-Marne 94 ou la Ballastie`re a` Saint-Martin-de-Sanzay 49, a` Cintray et a` La Bonneville-sur-Iton 27, a` Cle´rey 10 – plus d’une vingtaine. L’extraction de marbre a donne´ Marbrie`re, comme a` Cuisia et Rye dans le Jura, a` Fauge`res 34, a` Grasse 06, Ardin 79, Vaux-en-Beaujolais 69, les Marbrie`res a` La Celle 83. Celle de gre`s coquilliers dits faluns a fourni Falunie`re : la Falunie`re a` Amberre 86 et a` Thiverval-Grignon 78, les Falunie`res a` Sainte-Maure-de-Touraine 37. L’Ardoise, l’Ardoisie`re ont quelques dizaines d’occurrences, comme a` Champigne´ ou Allonnes 49, Mizoe¨n 38, Cusset et Ce´rilly 03, Estaing 65, Nueilles-Aubiers 79 ; par image, on peut leur associer les Roches Bleues a` Mareuil-surLay 85. Des roches calcaires ont pu donner des Tuf, Tuffeau, Tuffie`re, et des dizaines de Craye`res en Champagne. On trouve par exemple une vingtaine de lieux-dits Tuffeau, en Touraine, Maine, Anjou et Poitou, comme le Tuffeau a` Nouzilly 37, les Tuffeaux a` Nazelles-Ne´gron 37, la Tuffie`re a` Saint-Ouen-enBelin 72, une trentaine de Tuffie`re, ainsi qu’une Fontaine des Tufs a` Sirod pre`s de la perte de l’Ain ; et le nouveau Tuffalun angevin, commune cre´e´e en 2016, qui y ajoute falun. Les NL associe´s au granite et au schiste sont davantage lie´s aux formes de relief (v. chap. 4). Les besoins en chaux et plaˆtre ont suscite´ des gypsie`res et des plaˆtrie`res. Le mot gypse, issu d’Orient par le grec puis le latin, a e´te´ introduit au XIVe sie`cle. Il figure dans la Gipsie`re a` Persac 86, le Gyp a` Ple´nise 39, Gyps 25 et 39, Gypson a` Vy-le`s-Rupt 70, Gypseuil 60, les Gissie`res a` Gue´bling 57 et Sur la Gissie`re a` Dompnon-le`s-Dieuze ainsi que dans divers la Gypsie`re et la Gypserie en Franche-Comte´, les Pie`ces de la Gipsie`re a` Persac 86, peut-eˆtre le Mont du Gif a` Sarcelles 95. Les Plaˆtrie`res existent en toute re´gion, et sous la forme les Plastre, le Plastra sans le Midi. La paˆture des Mille Trous a` Auxi-le-Chaˆteau 62 tire son nom des tre`s nombreuses petites carrie`res d’extraction de calcaire pour les fours a` chaux. Les anciens fours a` chaux ont laisse´ de multiples citations sous les formes le Four a` Chaux, Chaufour et Chauffour, E´chauffour 61, Escaufourt a` Saint-Souplet 59 (Les Caufours au XIII e s.), Chaufournel a` Quincy-Landze´court 55, ainsi que des Chauche`res et Chossie`res ; certains le Four en viennent aussi, et Forcalquier 04, ancien Furnocalcario. En revanche, les NL en Chaux ont un tout autre sens, surtout de pacage. Le sel est tre`s pre´sent en toponymie sous diverses formes telles que Chaˆteau-Salins et son voisin Marsal (au sens de grande saline, celte maros), plusieurs Salins, Saulnie`res et Le Sel-de-Bretagne, communes voisines d’Ille-et-Vilaine, Salies-du-Salat (mais non ne´cessairement le Salat comme rivie`re), Salies-de-Be´arn, Salindres, Seltz (et Seltzenberg, Seltzmatten, Seltzerweg) et Soppe en Alsace ; ainsi que des Saulnie`res, le Saunier, la Saumerais a` Jard-sur-Mer 85, la Voie Saunie`re a` Vaupoisson 10. Certains Salces, Sausses, la Saulce, ainsi que Saulxures et Saulxerottes, ont pu eˆtre rapporte´s au sel, mais non sans risques de confusion avec le saule. Soulce a pu de´signer un endroit ou` l’on de´posait le sel pour les animaux. Le radical peg lie´ a` la poix, que nous avons trouve´ a` la fois dans l’e´pice´a et les sols collants, a pu servir a` signaler des suintements bitumineux : de la` vient le nom de Pechelbronn, « fontaine de poix » (a` Merkwiller-Pe´chelbronn 67), longtemps seul site pe´trolier en France.

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Le fer a e´te´ le me´tal le plus employe´, et le plus productif en toponymie : des centaines de lieux-dits se nomment Ferrie`re, avec des variantes en Frie`res, Ferrette, Herre`re, ainsi que Montferrat, Montferrer. Toutefois, les risques de confusion ne manquent pas avec des chemins « ferre´s », fer au sens de sauvage (comme dans fe´roce), voire la fe`re (famille). D’autres toponymes de forme le Haut Fer se rapportent a` des scieries. L’e´quivalent germanique Eisen a donne´ Eisenberg a` Masevaux 68, Isenbuehl a` Rimsdorf 67, Isenburg a` Niederwisse 57, Eisenbrunnen a` Coume 57. Un celte isarnon, de meˆme origine qu’Eisen et iron (IE aes, eis), a pu donner Izernore 01 (Isarnoduro), sinon Yzernay 49. Les concre´tions ferrife`res nomme´es garluche dans le Sud-Ouest sont a` l’origine de noms comme la Plage de la Garluche a` Mimizan 40. Parmi les autres me´taux, seuls les plus pre´cieux ont laisse´ des traces tangibles. Il existe de nombreux noms en Argenteuil, Argentan, Argenton, Argentie`re ; mais, hors de quelques lieux d’extraction connus d’argent, ou plus souvent de plomb argentife`re, comme Largentie`re 07, L’Argentie`re-la-Basse´e 05, l’Argentie`re a` Saint-Martinla-Sauvete´ ou encore Argenson a` Maille´ 37, le Pic des Argentie`res a` Aulus-lesBains 09, les toponymistes sont plus porte´s a` y voir des argo = brillant, selon l’aspect des roches ou meˆme des eaux courantes, ou encore du gypse a` Argenteuil 95 ; ou, localement, de la monnaie ou des biens d’un ancien « argentier », tre´sorier d’une seigneurie ou d’une abbaye, comme a` Villeneuve-l’Argentie`re 34, ou` l’on battit monnaie mais qui n’eut pas de mine. De l’or (auris en latin) viendraient Orival, Orvault, Airvault, Vallauris, Uriage (Auriage au XI e s.) ; mais il a pu s’agir d’un sens me´taphorique, comme a` Airvault (Aurea vallis en 971), ou la Ville d’Or a` Dionay 38. Orbec viendrait d’or ou bien d’oure, e´boulis rocheux, du nordique uro, et aure a eu le sens de vent dans le Midi. L’Orie`ge et l’Arie`ge, vues parfois comme rivie`res a` paillettes d’or, sont plus probablement lie´es a` la racine ar- associe´e aux rochers. La Mine, les Mines totalisent une centaine de lieux-dits. Ces termes, qui ne se limitaient pas aux charbonnages, ont e´te´ ajoute´s a` des noms de communes dote´es de lieux d’extraction, du moins a` la belle e´poque de l’industrie, entre 1850 et 1950 surtout ; ils e´taient alors perc¸us comme valorisants. La tendance re´cente est a` s’en de´barrasser, de crainte d’eˆtre a` l’inverse mal juge´. D’autres NL sont les Minie`res (une soixantaine), les Minerais (une trentaine). Le Grand-Luce´ 72 a quatre habitats proches : les Minerais, les Bas Minerais, les Hauts Minerais et les Petits Minerais ; Entrains-sur-Nohain 58 a un lieu-dit le Minerai et un grand Bois du Minerai. Certains noms apportent des pre´cisions : cinq (la) Mine d’Argent, quinze la Mine d’Or ou les Mines d’Or, quelques Mine de Fer et meˆme l’Antimoine a` Chanac-lesMines 19, qui n’a rien d’anticle´rical mais signale un ancien lieu d’extraction de ce me´tal. En revanche, la Mine d’Enfer a` Pre´nouvellon 41, proche des Quarante Mines, d’un Boisseau et de plusieurs Muid, vient de mine au sens de mesure agraire. Plus rares, certains termes lie´s aux mines ont fourni quelques noms, comme l’Avaleresse (puits d’ae´ration) a` Vieux-Conde´ dans le bassin du Nord, une quinzaine de Terril dans le bassin du Nord et les potasses d’Alsace, le Crassier Marspich a` Se´re´mange-Erzange 57, plusieurs Crassier en Haute-Marne (ex. a` Brousseval) et Bourgogne (les Crassiers au Creusot) et nombre de Fosse, de Puits, meˆme de Faux Puits (Somain 59, Coucy-le`s-Eppes 62) et de Cite´. Lavaleix-les-Mines 23, entre

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Gue´ret et Aubusson, se distingue par trois Puits (dont l’ine´vitable Puits SainteBarbe), les Fosses, plus deux Verrerie. Le Puits Bernard a` Faymoreau 85 est un ancien puits de charbon, et des potasses d’Alsace il reste un Puits Staffelfelden, a` Staffelfelden 68, un Puits Berrwiller a` Berrwiller. Bure, qui a eu le sens de puits de mine en Wallonie, a peut-eˆtre ici sa place (v. Bordebure). Les quelques lieux-dits en Houille et Houille`re ne se trouvent pas dans les charbonnages et se rapportent en ge´ne´ral aux ouailles (ovins) ; et les quelques Minette existants sont absents du bassin de fer lorrain, dont le minerai fut appele´ minette. Les noms comme Charbonnie`re ou Carbonnie`res sont au contraire nombreux, mais ils se rapportaient a` la fabrication de charbon de bois et sont en ge´ne´ral lie´s a` des foreˆts. Huit communes se nomment Charbonnie`res, auxquelles on peut en ce sens ajouter Carbonne 31 ; de nombreux lieux-dits s’y ajoutent. Charbonnat 71 e´tait de´ja` Carbonacum a` l’e´poque romaine et n’a pas eu de mine, tandis qu’au contraire Charbonnier-les-Mines a exploite´ du charbon de`s le Moyen Aˆge, tout en n’ajoutant « les Mines » a` son nom qu’en 1936. Carbon-Blanc 33, ancien site de le´proserie, viendrait du surnom de la le`pre, qui fut « charbon blanc » ; E. Ne`gre y a vu comme source l’e´pi de maı¨s e´grene´, effectivement nomme´ ainsi dans le Sud-Ouest, mais l’hoˆpital existait bien avant l’apparition du maı¨s.

Les moulins Les formes d’industrie et d’artisanat les plus anciennes ont eu le temps de s’inscrire dans la liste des noms de lieux. Les moulins y sont sans doute les mieux repre´sente´s. On sait depuis fort longtemps exploiter l’e´nergie d’une chute d’eau, meˆme de quelques de´cime`tres, voire du fil de l’eau, pour faire tourner des me´canismes qui permettent d’e´craser des graines, de battre des fibres ou un minerai : le courant d’eau entraıˆne une roue a` pales ou a` aubes qui donne les mouvements. La force du vent a aussi e´te´ exploite´e, mais plus tardivement dans les campagnes franc¸aises, et pour moins longtemps : il reste actuellement bien plus de moulins a` eau que de moulins a` vent en fonction, et ces derniers ont surtout e´te´ restaure´s a` des fins touristiques. Le moindre ruisseau quelque peu permanent a e´te´ e´quipe´ de moulins – au point que, la` ou` venait a` manquer l’eau, des moulins ont rec¸u le surnom ironique d’E´coute-s’ilPleut, un classique parmi les noms pittoresques. La plupart des toponymes se pre´sentent sous la forme le Moulin avec un de´terminant de situation : village ou hameau voisin, nom du cours d’eau, caracte´ristique de site ou NP. Au moins 25 communes se nomment Moulin ou Moulins, tout court ou avec une pre´cision (Moulins-Engilbert, Moulins-sur-Ye`vre, etc.), Moulineaux, Moulines, Moulinet. Mourmelon serait un moulin qui murmure selon A. Dauzat... Des centaines de lieux-dits portent le nom de moulin, dont certains ont toujours un moulin en fonction. Les Moulin-Neuf vont par dizaines, dont deux communes de l’Arie`ge et de la Dordogne. S’y ajoutent des formes locales ou alte´re´es comme Moulare`s et Moulayre`s dans le Tarn, ainsi que Moudeire et Moudayre en Auvergne. L’occitan emploie Moulis, le corse Mulinu, Mulina, Muline, le catalan Moli.

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En Flandre le terme devient meulen : Steenvoorde 59 a des Steenmeulen (de pierre), Driwemeulen ou Drieven Meulen (de l’alle´e), Noorden Meulen (du nord), Eecke 59 un Meulen Houck et un Meulen Veld (le coin et le champ du moulin), Terdeghem 59 un autre Meulen Veld, etc. ; mais la forme Moulin y est tre`s pre´sente aussi. Le coˆte´ germanique fournit Muhl, dont Mulhouse (la maison du moulin) est le plus connu, avec de nombreux Muhlberg, Muhlmatt (pre´ du moulin), Muhlbach (ruisseau a` moulin) dont les deux communes Muhlbach-sur-Bruche 67 et Muhlbach-surMunster 68. En Bretagne, le terme devient milin, melin ou meil : ainsi de Beg Meil (la pointe du moulin), Milin Coz ou Milin Goz (le vieux moulin) a` Pluzunet, Plestin-les-Gre`ves, Mantallot dans les Coˆtes-d’Armor, Loc-Eguiner, Plougasnou, Guerlesquin, Landunvez dans le Finiste`re, des Milin Ne´vez (moulin neuf) a` Pluzunet ou Le VieuxMarche´ 22, Milin Bihan a` Squiffiac 22. Le m glisse localement vers le v comme a` Vilin Avel (Moulin a` Vent) a` Querrien 29, ou dans plusieurs Kervillen, dont Kervillen a` La Trinite´-sur-Mer 56 fut longtemps et faˆcheusement interpre´te´ Kervilaine... Le basque a eihera : des dizaines de lieux-dits portent ce nom, souvent avec un comple´ment comme Behereko Eihera a` Hasparren et a` Briscous (moulin d’en bas), Berroko Eihera a` Masparraute (moulin d’en haut), Urketako Eihera a` Ayherre (moulin de la boulaie), Agerreko Eihera a` Ayherre et a` Hasparren (moulin en vue), Bizkaiko Eihera a` Espelette (moulin de la creˆte). En outre, trois mots se rapportent ordinairement aux moulins selon G. Souillet, M. Mulon et J. Chaurand : Be´cherel, Choisel et Cocherel. Le be´cherel, d’un bicarellus d’origine gallo-germanique pour gobelet, est un terme de vieux franc¸ais de´signant les augets des roues de moulins ; il a fournir des Be´cherel, Be´chereau, Be´cheret, Becquerel, Be´querel dont Be´cherel 35. Il a pour synonyme le choisel, du latin caucellus pour vase, autre nom des augets : d’ou` des Choisel, Choiseau, Coisel et Coiseau fre´quents du Cotentin a` la Picardie, dont Choisel 78. L’e´tymologie est moins claire dans le cas des Cocherel et Coquerel, pourtant en ge´ne´ral attache´s aussi a` des moulins ; elle pourrait eˆtre, similairement, dans la conque ou conche de´signant une coquille ou une coupe, coche de´signant aussi une auge de moulin (G. Souillet) ; citons Cocherel 77 et Houlbec-Cocherel 27, Cocquerel 80, le Mont Coquerel a` Quie´ville 50. On peut ajouter a` ces noms Battereau ou Batarel : le premier est pre´sent de la Bourgogne a` la Vende´e, le second est son e´quivalent me´ridional. Ils de´signent le cliquet de distribution des grains vers la meule, et par la` le moulin lui-meˆme, a` Cheverny 41, Artannes-sur-Indre, Champigny-sur-Veude et Saint-Martin-le-Beau en Touraine (ou` la rivie`re des moulins a rec¸u elle-meˆme le nom de Battereau), Bengy-sur-Cran 18, Lavau 89, Battreau a` Secondigny 79, des Batarel ou Batarelles a` Graulhet 81, Ansouis 84, Roquebrussanne 83, Saint-Martin-de-Castillon 84, tous sur des biefs ou des rivie`res ; cela repre´sente plusieurs dizaines de noms de lieux, parfois redondants comme Moulin de Battereau a` Perrusson 37, Autheuil 28, Vaudelnay 49. Enfin Meunier, les Meuniers sont aussi un nom de lieu, qui ne vient pas toujours d’un NP : on trouve Chemin des Meuniers a` Jouarre 77, Rocincourt 62. Un Val des Meuniers est a` Doulevant-le-Chaˆteau 52, un Vau des Meuniers a` Beine 89, une

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Valle´e des Meuniers a` Arnancourt 52. On voit aussi des Ravin, Bois, Place, E´tang des Meuniers. La minoterie, terme plus re´cent que moulin, figure dans une vingtaine de lieux-dits la Minoterie, dont six en Loire-Atlantique, et dans une bonne vingtaine de la Minotie`re, mais il a pu s’agir de demeures d’une famille Minot. Notons au passage que Blond 87 fut un Blatomagos, donc le marche´ a` la farine (celte blato, a` la fois fleur et farine). Jadis les moulins e´taient proprie´te´ des seigneurs ou du clerge´, qui en controˆlaient l’usage et les redevances. Un toponyme comme le Moulin Banal a` Charentilly 37 en rappelle le statut ; on trouve aussi des mentions Moulin des Pauvres comme a` Renescure et a` Rexpoe¨de dans le Nord. Les lieux-dits portent parfois la marque de spe´cialisations : le Moulin a` l’Huile a` Sibiville 80 et E´coivres 80, le Moulin a` Huile a` Nanteuil-Notre-Dame 02 et Vassy 14, Moulin de l’Huile a` Chaˆtenet 17, La Barben 13 et le Moulin a` Foulon a` Garnay 28 ou a` Illiers-Combray 28. La fabrication d’aliments du be´tail dans les moulins peut eˆtre de´signe´e comme provenderie : il se trouve des lieux-dits La Provenderie a` Unverre 28, Neuvy-le-Roi 37, Tre´mont 49, Fle´e 72, les Provenderies a` Benassay 86, la Provanderie a` Blais 35, E´puisay 41. Ajoutons que les lieux-dits l’Huilerie, la Brasserie, la Sucrerie, l’E´quarrissage et l’Abattoir, la Laiterie, la Fromagerie vont par dizaines ; il existe plus de quinze la Fe´culerie, et une l’Amidonnerie a` Quesnoy-sur-Deule 59, plus les Amidonniers a` Toulouse et l’Amidon a` Loddes 03. Notons aussi plusieurs dizaines de NL le Pressoir, qui ne sont pas tous de raisins : il s’en trouve sept dans l’Eure et six en Calvados, seize dans le Loiret, dix-sept en Picardie. On peut leur ajouter, en pays d’oc, les quelques Pesteil et Pistre, de sens e´quivalent. Enfin, d’assez nombreux NL Mazel, Mazeu, Mazioux se re´fe`rent a` des lieux d’abattage d’animaux (latin macellum), ou` l’on trouve aussi une douzaine de la Tuerie et les Tueries a` Vauxaillon 02, une quinzaine de l’Escorcherie dont les Terres de l’Escorcherie a` Saint-Re´my 71 et un Pont de l’Escorcherie a` Dolus-d’Ole´ron 17. Notons encore quelques toponymes les Maquignons comme a` Goult 84 ou les Pre´s des Maquignons a` Brie´non-sur-Armanc¸on 89.

De la fabrique aux fabriques Apre`s les moulins, ce sont sans doute les forges qui ont marque´ le plus l’activite´ artisanale et industrielle des campagnes. Fabrication et fabrique, d’ailleurs, ont pour e´tymon un latin faber>fabrica, de la meˆme famille que le verbe faire (IE dhe) et qui de´signait tout atelier. L’atelier par excellence e´tait alors celui ou` se travaillait le me´tal. En sont issues directement les formes anciennes ou occitanes en Fabre et Fabre`gues, Fargue, Faure et Faurie, Fe`vre, Febvre ou Faivre, Faverges, et meˆme Haure ou Haurie en Be´arn ; et les formes de´rive´es forge, forgeron, de meˆme e´tymon. Des milliers de toponymes en te´moignent, mais il est vrai que beaucoup sont passe´s par l’interme´diaire d’un NP, tant le me´tier a fourni de patronymes. La forme classique Forge domine parmi les noms de lieux qui sont ou ont e´te´ associe´s a` cette industrie. Par exemple, en Ardennes, la Forge a` Girondelle, les Forges de Vireux a` Vireux-Molhain, les Vieilles Forges (hameau et lac des) aux Mazures ; ou en

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Touraine, la Forge a` Champigny-sur-Veude, a` Chaveignes, a` Fle´re´-la-Rivie`re, la Nouvelle Forge a` Courc¸ay, les Forges a` Azay-sur-Cher. Un Forgefer est a` Folles 87. Mareuil-sur-Arnon 18 a la Petite Forge sur l’Arnon a` l’amont du village, la Grande Forge a` l’aval. A` partir de la version plus me´ridionale existent des la Fabre`gue (dix dans le Gard, huit en Aveyron), la Fabre`ge, la Faverge (une vingtaine, notamment en HauteLoire), la Fargue (plus de trente dans le Tarn avec les Fargues, la Farguette), la Faourette devenue un quartier de Toulouse, la Horgue (quatorze dans le Gers). Les Farges est une commune de Dordogne. Une douzaine de la Farga se signalent dans les Pyre´ne´es-Orientales, comme a` Corsavy, Py ou Nohe`des. En Bretagne, l’e´quivalent est dans les Goff et Govel : Plogoff (le village du forgeron), Cosquer Goff (la vieille maison du forgeron) a` Plogonnec, Govel Goz (vieille forge) a` Ploudaniel et Tre´flaoue´nan, Govello a` Bono, Lauzach et Plumelec 56, la Govelle a` Batz-sur-Mer 44, Mane´ Goff a` Inguiniel 56, Porz an Goff a` Pluzunet et BulatPestivien, etc. Le terme, qui a des formes voisines en gae´lique ou irlandais, viendrait de l’IE geu/gheubh, courber, plier (le fer). Les langues nordiques ont fourni Schmitt, Schmidt, Smid-Smed et des Schmittviller 57, Schmittenthal a` Mouterhouse 57, Schmittgraben a` Durlinsdorf 68, etc. (de l’IE smi, couper, travailler un mate´riau). Assez toˆt servies par la force motrice de l’eau, comme les moulins, les forges se sont e´quipe´es d’outils me´caniques a` battre le fer ; les martinets (le nom vient de marteau) sont les plus connus et ont laisse´ de fort nombreux noms de lieux. Le risque de confusion est plus grand avec des NP qu’avec celui de l’oiseau, mais l’examen de la topographie du lieu peut donner un indice ; ainsi du Martinet a` Ganac 09 et a` Freychenet 09, comme a` Sionne 88 sur la Saoˆnelle, a` Sauxillanges 63, a` Charix 01, tous sur des sites de moulins. Quelques Haut Fourneau subsistent a` Chanc¸ay 37, Touligny 08, Paimpont et Availles-sur-Seiche 35 Parmi les de´rive´s, la Ferronnerie ou la Ferronnie`re sont re´pandus, ainsi que la Fonderie. Matton-et-Cle´mency 08 offre a` la fois la Ferronnerie et la Forge. Une dizaine de la Chaudronnerie subsistent dans le Centre et l’Iˆle-de-France ; on trouve aussi quelques Quincaille et Quincaillerie, une vingtaine de Taillanderie, une Cite´ des Me´taux a` Landrichamps 08. Et l’on sait que Villedieu dans la Manche est devenue Villedieu-les-Poeˆles pour ce´le´brer ses fabrications culinaires, mais seulement en 1962... L’acier se trouve bien dans quelques noms de lieux, mais sans doute le plus souvent par glissement et dans des toponymes d’origine diffe´rente, notamment a` partir d’acer (aigu, e´rable). Sa forme allemande Stahl a donne´ trois Stahlberg en Alsace, An Stahlen a` Dalem 57. On rele`ve en outre un tre`s grand nombre de lieux-dits la Fabrique, ge´ne´ralement situe´s au bord d’un cours d’eau encaisse´. Dans ce dernier cas, peut l’emporter le sens moderne de fabrique, de´connecte´ de forge et pouvant donc de´signer d’autres industries : la Fabrique a` Veyras, Albon-d’Arde`che ou Mariac 07, a` Thurins ou Tarnand 69, a` Se´ez 73 sont d’anciens moulinages ou filatures. On trouve aussi les Fabriques a` Jonzieux et a` Saint-Paul-en-Jarez 42, la Fabrique d’Allumettes a` Neuville-lez-Beaulieu 08. Ailleurs, la Fabrique peut avoir eu le sens religieux de re´union d’administrateurs d’une paroisse.

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L’industrie de la construction a laisse´ de tre`s nombreux lieux-dits la ou les Tuileries et la ou les Briqueteries, parfois suivis de NP, mais pas de nom de commune, sauf sans doute La Tuilie`re 42. Des noms en Tuilie`re, Teulade, Teule`re (une trentaine dans Ge´oportail) peuvent leur eˆtre assimile´s, ainsi que des The´olet et The´olier, mais certains viennent de NP. Les Verrerie abondent aussi, e´ventuellement au fond des bois ou` l’on disposait de sable et de combustible, comme a` Roybon dans la foreˆt de Chambaran, ou a` Veillens 41 en Sologne, qui est a` coˆte´ des Sables d’Or. S’y ajoutent des formes Verrie`re, Veyrines, Labeyrie et peut-eˆtre certains Ve´drines. Saint-Phal 10 a un Pont aux Verriers, Galargues 34 un Chemin des Verriers ; Ferrie`res-les-Verreries 34 a eu un artisanat du verre et en a comple´te´ son nom en 1918, comme Ferrie`res-laVerrerie 61 au XIXe sie`cle ; Saires-la-Verrerie 61 et Les Verreries-de-Moussans 34 sont dans la liste des communes. Quelques lieux en Glacerie et meˆme Glacie`re ont pu avoir cette origine. La poterie et les potiers sont e´galement en bonne place. Treize communes arborent le nom : Silly-la-Poterie et Veuilly-la-Poterie 02, Noron-la-Poterie 14, La PoterieMathieu 27, Saint-Quentin-la-Poterie 30, Saint-Jean-la-Poterie 56, Sars-Poteries 59, Saint-Germain-la-Poterie et Saint-Samson-la-Poterie 60, La Poterie-au-Perche 61, La Poterie-Cap-d’Antifer, Saumont-la-Poterie et Que`vreville-la-Poterie 76. Sept mentions le Chemin des Potiers figurent dans Ge´oportail, surtout en Picardie. Les lieux-dits la Poterie, les Poteries sont communs. Saint-Quentin-la-Poterie 30 a un quartier Terre Rouge, une ferme la Tuilie`re, et pour voisine Saint-Victor-des-Oules (= des pots). L’ancien pays de poteries autour d’Henrichemont 18 conserve les lieuxdits les Poteries (a` Neuvy-Deux-Clochers), les Grandes Poteries et la Tuilerie (Humbligny), les Oules, les Potiers, les Terres a` Pots et Cre`chepot (Morogues), la Poterie d’En Haut et la Poterie d’En Bas (Parassy), les Poteries (Ache`res), la Tranche´e des Poteries et les Terres des Poteries (Me´ry-e`s-Bois). L’Oulie`re, les Oulie`res signalent souvent d’anciennes poteries (IE auk, latin olla). Montouliers 34 s’expliquerait a` partir de l’oule comme lieu de poterie. L’activite´ se cache en outre sous des formes qui sont issues de figere, pe´trir et ont donne´ l’ancien nom des figulines : il en est ainsi de toponymes en Fe´lines, Flines, Flins, Flinesles-Raches 59. Fe´lines a donne´ cinq noms de communes, Fe´lines 07, Fe´lines 43, Fe´lines-Minervois et Fe´lines-Termene`s 11, Fe´lines-sur-Rimandoule 26. Persac 86 a un lieu-dit la Porcelaine sur une grande route, pre`s du hameau de Gosbost, que l’IGN orthographie Gros Beau sur certaines cartes ; une fabrique y avait e´te´ construite en 1851. Le travail du bois a fourni des Scierie (une centaine de lieux-dits) et leur e´quivalent me´ridional Se`gue et la Resse`gue (une dizaine), de nombreuses la Saboterie (notamment dans le Centre). Le bois d’œuvre est e´voque´ par le latin materia, que les linguistes repe`rent dans Marolles, Mary, Me´ry. Mais, si cet artisanat a donne´ bien des NP comme Charpentier et Carpentier, Tonnelier, il n’a pas laisse´ beaucoup d’autres traces toponymiques : a` peine si l’on trouve quelques Menuisier ou Fustier. Le travail de l’osier semble avoir encore mieux marque´ les lieux, avec plusieurs dizaines de la Vannerie et quelques allusions aux mandriers ou mandeliers, travailleurs

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de l’osier (le Mandelier a` Hernicourt 62, le Mandrier a` Thaas 51, les Mandriers aux Crozets 39), non sans possibilite´s de confusion ou de NP. Le textile et le cuir sont un peu mieux pre´sents. Foulon est tre`s re´pandu, y compris une dizaine de Moulin a` Foulon ou Moulin Foulon, une trentaine de Filature, les Filatures et les Hautes Filatures a` Saint-Vincent-de-Reins 69, le Moulin aux Draps a` Sainte-Hermine 85, la Draperie a` Langan 35 et Lire´ 49 et les Draperies a` Manthelan 37, le Tissage a` Corravillers 70, une vingtaine de la Magnanerie dont cinq dans le Gard. Les lieux-dits la Corderie abondent dans les Coˆtes-du-Nord, l’Ille-etVilaine et la Manche. Une cinquantaine de lieux-dits ont pour nom la Blanchisserie. Une vingtaine de noms se rapportent a` la Teinture et a` la Teinturerie, dont un Moulin Teinturier a` Courgeac 16. Baffy (a` Saint-Germain-Laval 42), Boffy (le Boffy a` Servance 70, Bussie`re-Boffy 87) auraient de´signe´ des ateliers de teinture, des latin baphium et grec bapheion (X. Gouvert, p. 762). Pothie`res 21 (anc. Pultarias) viendrait de pultaria, qui aurait eu le sens de moulin a` foulon (E. Ne`gre). La Tannerie a une quarantaine d’occurrences, la Corroirie une (Bre´al-sous-Montfort 35), les Me´gissiers apparemment une seule a` Souesmes 41 ; on note quelques la Sellerie, notamment en Normandie, les Selleries a` Vome´court et Moyemont dans les Vosges. Les Adoubes sont d’anciens quartiers de tanneries a` Annecy et a` Albertville : adouber e´tait pre´parer, appreˆter le cuir. La Papeterie fournit une trentaine de noms, plus les Papeteries a` Sollie`s-Toucas 83 ; on trouve la Cartonnerie a` Hondschoote 59 et a` Truyes 37, a` Tendron 18. La Cartoucherie apparaıˆt plusieurs fois, dont a` Pontailler-sur-Saoˆne 21, Brix 50, Briey et Auboue´ 54, tandis que la Poudrerie ou la Poudrie`re atteignent une cinquantaine d’occurrences, qui n’ont peut-eˆtre pas toutes le meˆme sens. Une vingtaine de la Distillerie sont signale´es dans Ge´oportail. La seule commune de Dun-sur-Auron 18, qui exploita du minerai de fer local, re´unit les lieux-dits le Minerai, les Mines (deux sites), la Forge et le Moulin de la Forge, la Blanchisserie, la Distillerie, l’E´quarrissage, la Peˆcherie... et le Loquet des Enfers. Plus re´cemment, l’industrie a ajoute´ quelques noms caracte´ristiques. On trouve une douzaine de lieux-dits la Manufacture, dont a` Fromelenne 08, Le´ognan 33, Bainsles-Bains et Saint-Die´-des-Vosges 88, les Manufactures a` Celles 24. La Glacerie 50 est une commune cre´e´e en 1901 a` partir d’un village ne´ d’une manufacture de glaces du XVII e sie`cle (disparue en 1834) et qui conserve deux sites la Verrerie et la Manufacture dans la valle´e du Trottebec, en banlieue de Cherbourg-Octeville. Une trentaine de lieux-dits se nomment l’Usine tout court, une quinzaine d’autres l’Usine avec comple´ment comme l’Usine au Lin a` Bucquoy 62, l’Usine a` Eau a` Servian 34, l’Usine d’En Bas et l’Usine d’En Haut a` Montchevrier 36. La Centrale a` Faymoreau 85 rappelle qu’il y eut la` une centrale e´lectrique thermique sur une exploitation de charbon. La Machine est une commune de la Nie`vre dont le nom vient d’une puissante machine mue par des chevaux, installe´e en 1670 pour l’extraction du charbon ; une trentaine de lieux-dits ont le meˆme nom et deux la Machinerie sont a` Charmes 21 et Chambrey 57. La Machine de Marly est ce qui reste d’une puissante roue capable de remonter l’eau de la Seine sur le plateau. La Machine est aussi un lieu-dit de

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Cre´cy-Couve´ 28, et fournit encore une vingtaine de NL disperse´s, de Suguer 09 a` Narbonne sur un canal, Longuyon 54 dans la valle´e de la Chiers, Chaulnes 80 en pleine campagne picarde. Une machine de concassage de minerais, nomme´e bocard du nom de son inventeur, a donne´ le Bocard a` Liffol-le-Petit et le Bocart a` Chevillon 52, le Bocart d’Eylie a` Sentein 09, d’autres dans la Nie`vre. L’Industrie a donne´ deux lieux-dits a` Nyoiseau 49 et Ampoigne´ 53, auxquels ont pu s’ajouter de nombreuses mentions tre`s re´centes de zones et parcs industriels. Notons encore quinze la Me´canique, les Me´caniques... Plus curieux est Freinville, a` Sevran 93, quartier ne´ de l’installation d’une usine de freins ferroviaires Westinghouse dans les anne´es 1890, qui a e´te´ ferme´e en 1997.

7. La vie des noms de lieux En tre`s grande majorite´, les noms de lieux en France sont d’origine ancienne, ante´rieure au XVe sie`cle. Pourtant, nombre d’entre eux ont change´ dans l’histoire, certains meˆme plusieurs fois, ce qui rend d’autant plus difficile, et parfois vaine, la recherche de leur origine, ou du moins de leur sens originel. Quelques-uns changent encore de nos jours : la toponymie comme e´tat des lieux reste chose vivante.

Successions de langues Des se´ries de noms sont si anciennes qu’elles viennent de langues inconnues, qui n’avaient pas d’e´criture : la transmission n’en fut longtemps qu’orale, avec toutes les alte´rations et variantes que l’on peut imaginer. C’est fre´quemment le cas de noms de rivie`res, ou hydronymes, et de noms de sommets et d’accidents du relief, ou oronymes. Nous avons de´ja` note´ l’abondance de syllabes aux rudes sonorite´s pour ceuxci, aux inflexions plus douces ou plus sourdes pour les eaux. Avec le temps, les noms se sont modifie´s de passage en passage, perdant leur sens au point de devoir eˆtre redouble´s, comme dans les Montpuy, Montcuq ou autres Cocumont. Les noms des e´tablissements humains, villes, villages, fermes ou parties de finages, sont en ge´ne´ral moins anciens. Ils tirent leur extreˆme complexite´ des vagues successives de peuplement et de mise en valeur des lieux. C’est la` un sujet fort difficile et controverse´, dont les approches meˆme ont beaucoup varie´ dans le temps et selon les ide´ologies : les uns tendant a` gonfler la contribution des Celtes a` la toponymie, d’autres l’apport germanique ou au moins francique (des Francs), d’autres encore la romanisation, et certains la part des langues les plus anciennes, pre´-indo-europe´ennes. A` l’arrie`re-plan, se devinaient des doctrines ethniques, voire raciales. Il faut ici garder a` l’esprit que, par de´finition, les noms rele`vent des langues, et non des ethnies. La diffusion des langues n’est pas e´gale aux de´placements des groupes ethniques : l’apparition de noms celtes ne signifie pas ne´cessairement l’arrive´e de populations d’Europe centrale (d’ou` est cense´e venir la langue celtique), et la romanisation de noms plus anciens n’a jamais re´sulte´ de l’invasion massive de tribus latines, mais de la diffusion de la langue devenue dominante dans les institutions. On sait que la confusion imprudente ou volontaire entre langues et peuples a e´te´ a` l’origine de bien des querelles et meˆme des pires de´voiements ethnicistes et racistes, surtout a` partir du concept de groupe de langues « indo-europe´ennes ». L’incontestable parente´ de langues celtes, scandinaves, ne´erlandaises, germaniques, slaves, latines,

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grecques, outre le sanscrit et d’autres langues orientales, n’a jamais permis qu’a` des esprits pervers de conclure a` leur invention par un quelconque peuple « e´lu » et « supe´rieur ». Des noms e´taient fixe´s de`s avant la diffusion des langues dites indo-europe´ennes ; on les dit, en France, pre´celtiques. On ne sait presque rien de ce substrat ; or le territoire actuel de la France (Corse comprise) e´tait habite´ au Pale´olithique et a fortiori au Ne´olithique, pe´riode de diffusion de l’agriculture : quantite´ de lieux avaient force´ment rec¸u des noms, transmis oralement ; non sans alte´rations, voire changements. On e´voque pour le Sud-Est des langues « ibe`res », adjectif plus commode que pre´cis ; et un pale´ocorse dont les traces oronymiques et hydronymiques sont tre`s voisines de celles du « continent ». On a un peu plus d’information au Sud-Ouest sur un suppose´ aquitain ou vascon, dont viendraient le basque et une partie du vocabulaire gascon, en des termes assez clairement compris et identifie´s, comme ili-berri pour villeneuve. On sait mal leur relation avec un ibe`re dont la Pe´ninsule Ibe´rique perpe´tue le nom. On n’a rien de tangible en revanche sur les langages des deux tiers septentrionaux de l’Hexagone actuel et leurs toponymies pre´celtiques ou pre´germaniques. Les noms des lieux les plus anciens ont pu se maintenir, ou eˆtre re´employe´s dans les langues indo-europe´ennes, qu’elles aient pris dans l’Hexagone les formes relativement voisines du celte, du roman ou du germanique. Les diffe´rences entre ces trois branches du rameau dit indo-europe´en sont d’ailleurs volontiers attribue´es en partie a` la survivance et a` l’incorporation de substrats ante´rieurs, ge´ographiquement diffe´rencie´s. Ce ne fut pas sans alte´rations ou changements de sens, et il n’est pas exceptionnel de pressentir un mot vascon, ibe`re ou autre sous un nom re´pute´ gaulois, donc celte, lui-meˆme e´ventuellement re´interpre´te´ en roman, c’est-a`-dire en latin populaire. A` l’e´chelle de la France entie`re, les plus nombreux des actuels noms de lieux habite´s principaux (contre´es, villes, villages, hameaux) semblent avoir e´te´ distribue´s ou modifie´s au cours du premier mille´naire avant notre e`re et des deux ou trois premiers sie`cles de celle-ci. La diffusion du celte par les Gaulois aurait commence´ vers le neuvie`me sie`cle avant notre calendrier, celle du roman au deuxie`me – la province dite Transalpine est apparue en -125, la Via Domitia et Narbonne sont atteste´es en -118, la guerre des Gaules a commence´ en -58. Entre temps, quelques incursions de marins et marchands grecs ont laisse´ des traces, bien connues mais menues : Massilia (Marseille) vers -600, plus tard Antibes, Agde, Leucate, He´racle´e (devenue SaintGilles), puis Nice, ont e´te´ pourvues de noms grecs. Coˆte´ nord, il est probable que certaines contre´es avaient, de`s avant notre e`re, un fonds de parlers pre´germaniques et germaniques au sens large. La romanisation a contribue´ a` stabiliser l’habitat et a` introduire un nouvel ordre urbain et rural. Elle fixa un re´seau de centres d’administration et de de´fense du territoire, en partie en se fondant sur des sites de´ja` urbanise´s, en partie sur des cre´ations nouvelles. Celles-ci arboraient a` l’envi les noms d’Auguste et de Ce´sar, associe´s a` quelque vieil e´tymon tel que dunum ou durum (mont fort et place forte), magos (marche´), nemeton (sanctuaire), briva (pont), rito (gue´), condate (confluent). Elle multiplia les grands domaines agricoles et leur corte`ge de hameaux de manœuvres, diffusant ainsi quantite´ de toponymes en villa, puis -ville, -viller, -villard ou

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meˆme -wihr, ou en curtis (-court) dans les re´gions septentrionales. Elle y ajouta en milieu rural les nombreux de´rive´s de l’ide´e de « maison » (manse, meix, etc.) ou de chaˆteau (salle, -hal). En vint aussi le corte`ge des toponymes lie´s aux routes, tels les Chausse´e, Estre´e et les noms associe´s a` l’ide´e de borne et de distance. De´ja` les toponymes de´signaient e´galement, tout autant que des lieux ponctuels, des ensembles de lieux, des contre´es. L’ordre romain fut aussi celui des pagi (pays), dont quantite´ de « pays » tirent encore aujourd’hui leur nom, autour d’un centre, d’une ancienne seigneurie ou parfois de caracte´ristiques physiques. Auparavant, les Gaulois se divisaient en groupes, ou tribus, en ge´ne´ral on dit plutoˆt « peuples », qui s’attribuaient des noms flatteurs pour affirmer leur pre´sence au monde : « les hommes » (tout simplement), « les valeureux », « les costauds », « les invincibles », etc. – une tradition jadis tre`s ge´ne´rale et qui se perpe´tue de nos jours dans certains sports d’e´quipe...

Mutations des temps trouble´s Cet usage fut a` l’origine d’une des premie`res mutations toponymiques : toute une se´rie de villes, cre´e´es ou du moins nomme´es par l’administration romaine sous des noms latins, prirent ensuite le nom de la tribu gauloise du lieu. C’e´tait dans bien des cas un retour au gaulois, mais sous un tout autre nom. C’est ainsi que Samarobriva (Pont sur Somme en celte romanise´) devint Amiens a` partir des Ambiens (Ambiani), Juliomagus (le marche´ de Jules) Angers par les Andes (ou Ande´caves), Nemetacum (le sanctuaire en celte) Arras par les Atre´bates, Augustodurum (le fort d’Auguste) Bayeux par les Bajocasses, Caesaromagus (le marche´ de Ce´sar) Beauvais par les Bellovaques. Avaricum (« sur Ye`vre ») devint Bourges par les Bituriges, Divona (un hydronyme au sens de rivie`re sacre´e) Cahors par les Cadurces, Autricum (« sur Eure ») Chartres par les Carnutes. E´vreux a e´te´ Mediolanum avant de prendre le nom des E´burovices, et Saintes a e´te´ un autre Mediolanum avant de se re´fe´rer aux Santons, sans aucun rapport avec la saintete´. Andemantunum (quelque chose comme Montlong) est devenue Langres par les Lingons, Vindunum (Montblanc) Le Mans par les Ce´nomans, Augustoritum (le gue´ d’Auguste) Limoges par les Le´movices, Noviomagus (Marche´neuf) Lisieux par les Lexoviens, Divodurum (Fort-Dieu) Metz par les Me´diomatrices, Condevincum (arc de confluence) Nantes par les Namne`tes. Lute`ce (la boueuse) est devenue Paris par les Parisiens (Parisii), Vesunna (de´esse locale hydronymique) Pe´rigueux par les Pe´trocores, Lemonum (les ormes) Poitiers par les Pictons, Durocortorum (le creux du fort) Reims par les Re`mes, Condate (Confluent) Rennes par les Redons et Segodunum (un fort bien fort...) Rodez par les Ruthe`nes. Augustomagus (marche´ d’Auguste) est devenu Senlis par les Silvanectes, Agedincum (sens discute´, peut-eˆtre « de la plaine » selon P.-H. Billy) Sens par les Se´nones, Caesarodunum (Mont Ce´sar) Tours par les Turons, Darioritum (le gue´ ferme) Vannes par les Ve´ne`tes. Plus complique´, Augustonemetum (le sanctuaire d’Auguste), pre´ce´demment Nemessos (un autre nom de sanctuaire), devint Arvernis par les Arvernes, puis Clairmont en 848 du nom de son chaˆteau, avant de fusionner

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en 1630 avec sa voisine Montferrand, bastide comtale du XII e sie`cle dote´e d’une charte de franchise en 1195, muant ainsi en Clermont-Ferrand. Le de´clin de l’emprise des institutions romaines s’est aggrave´ au III e sie`cle, ou` l’on a meˆme vu apparaıˆtre provisoirement un Empire Gaulois (257-274) forme´ par quelques ge´ne´raux ambitieux, et les sie`cles suivants ont e´te´ ceux des « grandes invasions » des Goths, Ostrogoths, Wisigoths, Vandales, Huns, Francs, Bourguignons. On dispute encore de leurs effets re´els sur les langues et les toponymes. Apre`s les estimations partisanes des linguistes allemands du XIX e sie`cle, qui leur avaient attribue´ un roˆle majeur mais qui semblent aujourd’hui excessives, la tendance est a` les minimiser : les intrus seraient passe´s relativement vite, certains avaient assimile´ le roman (surtout les Bourguignons), et des sonorite´s et lexe`mes celtes e´taient familiers aux locuteurs germaniques. Il est cependant certain qu’ils ont pris possession de l’autorite´ et de bien des domaines fonciers, auxquels ils ont laisse´ des noms. On a de´tecte´ quelques noms de lieux e´voquant des Goths, mais c’est surtout par les patronymes et leurs de´sinences que la toponymie a e´te´ affecte´e : les NP germaniques des nouveaux maıˆtres des lieux et proprie´taires de terres se sont impose´s, assortis des terminaisons de NL en -ing, -ans, -ein, -ens, -anx. C’est donc surtout dans la microtoponymie, celle des parcelles, des fermes disperse´es, des petits villages, et a` travers des noms de titulaires de biens, que ces temps de troubles et d’inse´curite´ se sont marque´s – et dans la disparition de nombreux noms plus anciens en des contre´es ruine´es et de´serte´es. Ces « barbares » ont balaye´ toute l’e´tendue de la France actuelle, mais les noms de villes principales n’en ont pas e´te´ affecte´s, et l’apport des nouveaux venus dans les toponymes issus de noms communs semble avoir e´te´ limite´, hors des re´gions d’implantation germanique et ne´erlandaise plus ancienne. Plus intenses et durables, mais plus limite´s dans l’espace, ont e´te´ les changements apporte´s par les arrive´es des Bretons a` partir du VI e sie`cle, des Normands a` partir du IX e sie`cle : ils ont introduit localement des toponymes nouveaux, qui ont coexiste´ avec de plus anciens. Ces noms pouvaient paraıˆtre tre`s exotiques aux indige`nes, dont le fonds gaulois ou germanique avait e´te´ tre`s romanise´ durant plusieurs sie`cles ; et pourtant le breton de´rive du celte et le normand du norrois, deux langues du groupe indo-europe´en : les nouveaute´s n’e´taient pas toujours si neuves, les adaptations ont e´te´ fre´quentes, meˆme si les ambiguı¨te´s n’ont pas manque´. Dans le Midi, les incursions ou les menaces des « Sarrasins », re´elles ou fantasme´es, ont laisse´ quelques traces, mais indirectes, et surtout sous la forme d’habitats de´fensifs. Ces sie`cles de troubles et d’invasions ont resserre´ et confine´ les habitats dans des formes ferme´es et sur des sites escarpe´s : ils furent aussi le temps des castellas et autres gastellu perche´s en refuges sur les hauteurs. En meˆme temps et ensuite, trois grandes sources de formation de noms de lieux se sont manifeste´es. Deux sont lie´es a` la christianisation et a` la formation du syste`me fe´odal, l’autre a` la nouvelle croissance me´die´vale. Les premie`res s’e´tendent largement du quatrie`me sie`cle de notre e`re a` la fin du Moyen Aˆge, la troisie`me se concentre du Xe au XIV e sie`cle, partiellement en rapport avec les autres.

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Intrusions fe´odales Une premie`re grande source de nominations nouvelles fut lie´e a` l’e´tablissement progressif de la fe´odalite´ et du re´gime seigneurial. Se fixe`rent et se diffuse`rent ainsi les noms en Chaˆteau ou Castel, en Salle ou Halle (Lis en Bretagne) et, dans le sillage des villae gallo-romaines a` l’origine des noms en -ville et de´rive´s, les -court et -hof ou hove. Apparurent les adjonctions -le-Comte, -le-Duc, -le-Roi et leurs de´rive´s ; les noms de re´serves et interdictions tels que Ban, Condamine, Deve`ze ou De´fens, Garenne, etc. ; les noms de contrats, redevances et dimensions de terrains tels que Me´tairie, Gazagne, Corve´e, Cens, Convenant, Quinze Arpents, etc. Quantite´ d’habitats anciens ou nouveaux rec¸urent le nom de leur seigneur, parfois assorti du titre dominus et sous des formes varie´es en sire, seigne, dom, dam : les curieux Bailleul-Sir-Berthoult 62, Villers-Sire-Nicole et Villers-Sir-Simon 59 qui viennent de sieurs Berthoult, Nicole et Simon ; Dambron 28, Damparis 39, Damprichard 25, Damre´mont 52, ou encore Le Tilleul-Dame-Agne`s 28. MagnyDamgan 70 vient d’un manoir fonde´ par un seigneur Hugon ; et dom-dam fut parfois compris comme d’en (chez), par exemple a` Lisle-en-Rigault 55 qui avait e´te´ LisleDam Rigault, puis d’en Rigault (E. Ne`gre). Si de ce´le`bres aristocrates adopte`rent le nom tre`s banal d’un de leurs domaines, comme Conde´ (un confluent), Guise (un pacage, cf. l’allemand Wiese), Bourbon (un bourbier), Valois (du val...), Montfort, Villequier (marais aux saules) ou Noailles (terre neuve), en sens inverse des seigneurs meˆme petits se mirent a` imposer a` d’autres villages ou domaines le nom qu’ils avaient choisi pour eux-meˆmes ou dont ils avaient he´rite´, au gre´ de l’e´volution des patrimoines, titres et dotations royales. Cela n’alla pas sans transferts ge´ographiques, migrations et remplacement de toponymes. L’habitude est ancienne : un Illiberis (villeneuve) dut prendre au IVe sie`cle le nom d’He´le`ne, me`re de l’empereur Constantin, ce qui donna oppidum Elena, puis Elne 66. En Bourgogne, Monetoy a duˆ adopter le nom d’E´pinac, Les Loges celui de Morlet, Nanvigne (Nantivinea, le val aux vignes) celui de Menou ; et, en 1725, Saint-Sernin-en-Brionnais celui de Vauban (G. Taverdet). Odomus (d’Odomagos, marche´ de l’Omois) devint Chaˆteau-Thierry au VIII e sie`cle. L’un des Azay de Touraine devint Azay-le-Rideau en 1237 selon le nom d’un Ridel a` qui le roi avait attribue´ la seigneurie. Calen, plus tard Challain, fut remplace´ par La Potherie en 1649, du nom de son nouveau seigneur, qui ne re´ussit pas tout a` fait a` faire oublier l’ancien : la commune fut renomme´e Challain-la-Potherie 49 en 1921. Des noms ainsi se de´double`rent, notamment a` l’occasion de la cre´ation des bastides et villeneuves : Arthe`s 81 vint d’un comte d’Artois fondateur, Beaumarche`s 32 du se´ne´chal toulousain Eustache de Beaumarchais, qui lui-meˆme tirait son nom d’un lieu-dit d’Othis 77. Rabastens-de-Bigorre 65 vient du Rabastens tarnais par l’interme´diaire de son fondateur Guillaume de Rabastens (1306). Beauvais-sur-Tescou 81 a e´te´ fonde´e et nomme´e par un e´veˆque de Beauvais. Montolza 46 a e´te´ fonde´e en 1319 pour le roi d’Angleterre par son se´ne´chal Guillaume de Toulouse (d’ou` Tolza). Tournay 65 a e´te´ e´difie´e en 1307 sur un lieu-dit Renson, et a rec¸u son nom de

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Tournai en Belgique, lieu d’origine du se´ne´chal fondateur. Labastide-d’Anjou 11 tient son nom exotique de sa fondation par un duc d’Anjou. Libourne a succe´de´ en 1270 a` un Fozera (« les fouge`res ») en prenant le nom de l’Anglais Leyburn, se´ne´chal fondateur de la bastide, comme Hastingues 40 celui du se´ne´chal anglais John de Hastings. Nicole 47 fut une autre fondation anglaise, adaptation du nom de Lincoln. Un lieu-dit Bonnafous (« bonne foi ») devint en 1234 Castelnau-de-Bonnafous et plus tard Castelnau-de-Le´vis 81, tandis que non loin Labastide, plus ancienne, fut nomme´e -de-Montfort apre`s sa conqueˆte en 1223 par Amauri de Montfort, puis Labastide-du-Tarn et enfin -de-Le´vis sous la Re´volution ; les deux portent ainsi le nom d’une famille originaire de Le´vy-Saint-Nom 78, qui fut largement dote´e en Albigeois, a` Mirepoix et Carcassonne – elle avait laisse´ dans la re´gion des souvenirs moins sinistres et donc des noms plus acceptables que les fameux Montfort, meˆme si Guy de Le´vis fut leur compagnon. La fondation et le nom de Valence 82 sont attribue´s a` un Guillaume de Lusignan, repre´sentant du roi d’Angleterre ; il avait adopte´ le nom de Valence qui e´tait a` la fois celui d’une possession des Lusignan en Charente (Valence 16) et d’une abbaye fonde´e par un Lusignan a` Couhe´ 86 – alors que Valence-sur-Baı¨se 32 et Valence-d’Albigeois 81 doivent le leur au prestige de Valence en Espagne. Geaune 40 vient de Geˆnes, mais par le nom d’un autre se´ne´chal du roi d’Angleterre, Antoine de Pessagne de Genoa, en fait un marchand geˆnois... Ce mouvement de bapteˆmes et substitutions de noms s’est prolonge´ longtemps et a meˆme e´te´ fort actif au-dela` du Moyen Aˆge. Chaˆteaux-en-Anjou devint Chaˆteau-laVallie`re en 1667 quand il fallut consoler la maıˆtresse de´chue du roi ; les Vallie`re tenaient un chaˆteau de ce nom a` Reugny 37, plus a` l’est. Magny devint Guiscard 60 en 1703 par la graˆce d’un mare´chal, Be´rulle 10 est un ancien Se´ant-en-Othe, change´ en 1562 par le nouveau proprie´taire (la famille de Be´rulle vient peut-eˆtre de l’Ardenne, ou` Bourg-Fide`le conserve une foreˆt et une route forestie`re de Be´rulle). Triviers devint Challes-les-Eaux 73 par le seigneur de Challes dans l’Ain. Bailleulsur-Esches devint Fosseuse 60 par la graˆce d’un seigneur de Fosseux (Somme). Montmorency 10 est un ancien Beaufort passe´ sous le duc de Montmorency en 1689, Morangis 91 un ancien Louans rebaptise´ d’apre`s un seigneur de Morangis 51. Simiane-Collongue 13 est un ancien Collongue alourdi par un sieur de Simiane 05, devenu Simiane tout court au XVIII e sie`cle et a` nouveau en 1814, et qui a attendu 1919 pour retrouver en partie son origine. Ces rebapteˆmes n’ont pas partout tenu, surtout les plus tardifs : la Re´volution de 1848 a supprime´ un Bourbon-Vende´e de 1814 (actuel La Roche-sur-Yon) et meˆme la crise limite´e de 1830 a eu raison de Villeneuve-Angouleˆme, appellation dont Villeneuve-le`s-Maguelone (alors Maguelonne) avait e´te´ affluble´e en 1816. Bouc (« l’embouchure ») dut se nommer Albertas au XVIII e sie`cle du nom de la famille des marquis titulaires, avant que la Re´volution ne lui re´affecte son ancien nom, comple´te´ plus tard en Bouc-Bel-Air 13. Si certains transferts se sont ainsi produits a` proximite´ relative de l’e´ponyme, les transferts a` grande distance n’ont pas e´te´ rares. Chaˆtres se vit change´e en Arpajon 91 par la fantaisie de son nouveau proprie´taire, venu d’Arpajon dans le Cantal, un nom apparente´ a` l’alpe... Chamarande 91 remplac¸a Bonnes en 1686 a` partir d’un seigneur de Chamarandes 52. Cagny se transforma en Crillon 60 en souvenir d’un compagnon d’Henri IV venu d’un village du Vaucluse, maintenant Crillon-le-Brave 84.

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Luynes 37 est un ancien Maille´ qui a duˆ prendre en 1619 le nom du conne´table de Luynes, originaire d’Aix-en-Provence. Reignac-sur-Indre 37 fut Brixis, puis Braye, passe´ a` un comte de Reignac venu du Bordelais. Estissac 10 est un ancien SaintLie´baud, rebaptise´ par La Rochefoucauld-Estissac, qui importait ainsi en Champagne un nom de lieu pe´rigourdin. Trognon est devenue Heudicourt 55 a` partir d’un Heudicourt de la Somme. Lamarche-en-Woe¨vre 55 fut Hadina, puis Has, avant son e´rection en baronnie en 1725 pour un de la Marche (en Corre`ze). Longvillers a accueilli au XVIII e sie`cle un nouveau chaˆteau de la famille de Noailles (Corre`ze) dont le nom a fini par effacer en 1801 celui du village, devenu Noailles 60. Cuille´ est devenue Rabodanges 61 par un seigneur de Rabodinghes (commune de Wisques 62). Villeneuve-la-Cornue s’est retrouve´e Salins 77, par le sieur de Salins en Franche-Comte´ – il n’y aucune trace de saline en ce Salins. La Houssaye a change´ pour Montboissier 28 a` partir d’une famille du hameau e´ponyme de Brousse 63. Frontenay, nomme´e Frontenay-l’Abattue depuis la de´molition de ses murailles en 1242 (les Lusignan s’e´taient insurge´s contre Louis IX) est redevenue Frontenay sous la Re´volution, puis Frontenay-RohanRohan en raison d’une seigneurie devenue duche´ et du mariage d’un Rohan avec une cousine en 1517. Villequier 18 est un ancien Monfaucon passe´ au XVII e sie`cle a` la famille normande de Villequiers. Entre 1775 et 1838, Rieux-Minervois 11 s’est nomme´e par deux fois Me´rinville, nom d’une famille du Loiret, et les habitants se disent encore aujourd’hui Me´rinvillois. Chaˆtillon-Coligny 45 ne s’est substitue´e a` Chaˆtillon-sur-Loing qu’en 1896, bien que les Coligny y fussent depuis le XVI e sie`cle ; leur nom vient de Bresse. Manses 09 porte le nom d’un ancien prieure´ de l’abbaye de Montolieu ; elle est devenue Portes en 1747 a` cause des comtes de Portes, a` nouveau Manses en 1790 d’autant mieux que la famille de Portes s’y e´tait rendue pe´nible, a` nouveau Portes en 1815 et Manses en 1899. Exceptionnellement, on vit meˆme changer le nom d’une rivie`re : le Nais ou Naye, affluent du Loir, devint l’E´cotais apre`s qu’un comte des E´cotais (le nom vient de Bretagne) ait acquis le chaˆteau de la Roche-Racan en Gaˆtine Tourangelle, pour mieux le distinguer d’un affluent homophone dont le nom e´volua vers Ne`gre. Des noms furent meˆme importe´s de l’e´tranger, soit par leurs fondateurs comme a` Libourne, Hastingues ou Geaune, soit par avatar des titres seigneuriaux. Custines 54 fut d’abord un Conde´ (confluent), rebaptise´ d’apre`s le marquisat de Custines en Belgique. Asfeld 08 est un ancien E´cry, mute´ en Avaux-la-Ville lors de son achat en 1685 par un comte d’Avaux (nom d’une commune voisine), puis rebaptise´ en 1728 par un comte d’Asfeld, alte´ration de Harsefeld (cheval+champ), ancienne seigneurie de Basse-Saxe pre`s de Hambourg. Carignan 08 est un ancien Yvois (de l’if) ce´de´ par Louis XIV a` la branche savoyarde de sa famille, qui imposa son nom. Broglie 27 e´tait un Chambrais, promu duche´ en 1742 pour un mare´chal victorieux, dont la famille venait du Pie´mont (Di Broglio est l’e´quivalent de Dubreuil, du celte broglio = petit bois enclos). Girodville est devenue Spada par son passage en 1716 a` un marquis italien, avant d’eˆtre inte´gre´e en 1972 a` Lamorville 55. Warty fut donne´e en 1704 a` Berwick, baˆtard royal d’Angleterre et ainsi « fils de Jacques II », ce qui donna l’insolite Fitz-James 60.

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Les Conde´ voulurent rebaptiser Montmorency 95 du nom de leur ancien fief d’Enghien pre`s de Bruxelles, et y furent autorise´s en 1689, mais l’ancien nom re´sista ; Enghien-les-Bains se limite de nos jours a` un lac, un casino ce´le`bre et une ancienne section de Montmorency, qui finit par devenir commune en 1850 en profitant de la mode des eaux thermales.

Hagionymie, l’odeur de saintete´ La chre´tiente´, tout en remployant souvent des lieux conside´re´s comme sacre´s dans les croyances anciennes, surtout s’il s’agissait de sites remarquables par leur e´minence ou leurs eaux, a introduit tout un vocabulaire qui a modifie´ les toponymes. Apparurent les NL e´voquant les e´glises et leurs annexes, les chapelles, les ermitages et tout le corte`ge des noms en -celle, les monaste`res, cloıˆtres et abbayes de´cline´s en nombreuses variantes, les lan en Bretagne, partout les oratoires, les autels, voire des croix confondues avec des croisements ; les noms associe´s aux ne´cropoles, aux hoˆpitaux et maladreries, dont bien des toponymes en Madeleine ; les NL inspire´s par les proprie´te´s eccle´siastiques (-l’E´veˆque, -l’Abbe´, le Val aux Preˆtres...), les Granges aux Dıˆmes, etc. Condate devint Montereau-Fault-Yonne 77, forme´ sur montier (monaste`re). Corbion devint Moutiers-au-Perche 61. A` l’ore´e de la Foreˆt de Compie`gne, Ge´rome´nil fut appele´e Saint-Sauveur apre`s une victoire sur les Anglais en 1359. On se mit a` remplacer des NL par ceux de saints auxquels se de´diaient les paroisses et leurs e´glises : les rebapteˆmes de villages se multiplie`rent, plongeant dans l’oubli d’anciens toponymes e´vocateurs. Lugdunum Convenarum changea pour Saint-Bertrand-de-Comminges 31 et Lugdunum Consorani (ex-Calagorris, ravin rouge) pour Saint-Girons 09. Mont-aux-Le´preux fut Mont-aux-Malades puis Mont-SaintAignan 76. Chaˆteau-Bigorre devint Saint-Le´zer 65, Noviente (un Nogent) SaintCloud 92, Brigoialus (un Bourgueil, le lieu du bourg) Saint-E´pain 37, He´racle´e Saint-Gilles 30 (a` nouveau He´racle´e en 1791...), Munzthal (val aux moines) SaintLouis-le`s-Bitche 57, Sitdiu (« en pleine croissance » en anglo-saxon selon P.-H. Billy) Saint-Omer 62, Le Pin (Pinus) Saint-Ouen-les-Vignes 37, De´as (de´esse) SaintPhilbert-de-Grandlieu 44, Legio (campement romain) Saint-Pol-de-Le´on 29, Aouste (d’Augusta Viromandum) Saint-Quentin 02, Cestre (Segester, la solide) Saint-Seine-l’Abbaye 21, Alet (qui croıˆt) Saint-Servan 35, Briga (montfort) SaintSymphorien (incorpore´e a` Tours 37), Dornegay (le trou aux e´pines) Saint-Pol-surMer (a` pre´sent avec Dunkerque). Elnon (d’apre`s sa rivie`re) a mute´ en Saint-Amand-les-Eaux 59, se retrouvant Elnon-Libre le temps de la Re´volution. Ernodurum (le fort de l’Arnon) devint Saint-Ambroix-sur-Arnon 18, Aninsola (sur l’Anille) Saint-Calais 72, Olonne (hydronyme, au confluent de la Marne et de l’Ornel) Saint-Dizier 52, Burlats (des trois Burle) Sainte-E´nimie 48. Lac-Mort devint Saint-Benoıˆt-de-la-Mort (ou du Lacmort) puis Saint-Benoıˆt-la-Foreˆt 37. Condat (confluent), lieu d’un tre`s ancien monaste`re (425) devint Saint-Oyend, puis Saint-Claude 39, et un Condate changea pour Sainte-Menehould 51, Juncturas (un autre confluent) pour Saint-Die´ 88.

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Parmi les toponymes issus de NP, citons Venc¸ay (NP romain Vencius) devenu Saint-Avertin 37, Indiciacus (NP gaulois) Saint-Flour 15, Meyenheimswiller (NP germanique, ou mois de mai) Saint-Jean-Saverne 67, Fleury-sur-Loire Saint-Benoıˆtsur-Loire 45. D’autres ont re´ussi a` pre´server leur ancien nom a` coˆte´ de celui du saint : Ange´ly (NP) est devenue Saint-Jean-d’Ange´ly 17, Arcy Arcy-Sainte-Restitute 02 ; Latona, e´volue´e en Losne (cf. loˆne, bras d’eau), est aujourd’hui Saint-Jean-de-Losne 21, Lohitzun (la limoneuse) Saint-Jean-de-Luz 64, Mauriennaise (NP romain) Saint-Jean-de-Maurienne 73, Fossat (les Fosse´s) Saint-Maur-des-Fosse´s 94, Thomie`res (du celte tumo « les monts » ?) Saint-Pons-de-Thomie`res 34. Non sans glissement parfois : BourgSaint-Ande´ol 07 fut d’abord Bergoiata, ge´ne´ralement rattache´ a` un gaulois ou germanique berg, hauteur. Augusta Tricastinorum, passe´e Flavia Tricastinorum puis Tricastinus du nom des Tricastins, peuple gaulois, re´interpre´te´e par erreur Tricastrinus en gagnant un r indu qui en changea le sens, muta doublement en Saint-Paul-Trois-Chaˆteaux 26 (P.-H. Billy), dont on aurait cherche´ en vain les imaginaires « trois chaˆteaux » primitifs. Plus subtilement, Saint-Pierre-d’Irube restitue a` peu pre`s l’ancien Hiriberri (Villeneuve). Certains de ces changements ont e´te´ pre´coces : Saint-Gaudens fut a` l’origine MasSaint-Pierre, rebaptise´e de`s le V e sie`cle pour honorer un martyr chre´tien victime des Wisigoths ; Briove`re muta pour Saint-Loˆ 50 au VI e s., Catolacus (NP romain) rec¸ut le nom de Saint-Denis 93 au VIIIe s. Le mouvement de bapteˆmes hagiotoponymiques semble avoir culmine´ au XII e sie`cle, mais il a pu s’agir en ces temps de simples e´mergences e´crites de noms bien ante´rieurs. Il s’est poursuivi sporadiquement : Pouey (un puy) est devenu Saint-Vincent-de-Paul 40 en 1828, Candes (confluent) Candes-Saint-Martin 37 en 1919 au motif que saint Martin y mourut... en 397, et la fusion d’Enschingen et de Bringhoffen 68 a fait apparaıˆtre un nouveau Saint-Bernard en 1972. La fusion de Clarques et Rebecques 62 en 2016 a donne´ un inattendu Saint-Augustin, tire´ il est vrai de celui d’une ancienne abbaye situe´e entre les deux villages. Ce mouvement a meˆme pu eˆtre a` e´pisodes : Lampridic devint Saint-Gildas de Landa, puis des Landes, puis Saint-Gildas-des-Bois 44 a` la faveur des plantations de l’e´poque moderne. Revession (le creux, le trou) devint Vellavos (des Vellaves, V e sie`cle) puis Vieille-Cite´ (Civitas Vetula, X e sie`cle), peut-eˆtre par re´interpre´tation de Vellave en Vetula, et enfin Saint-Paulien 43. Il est rare qu’il se soit inverse´ : mais Cinq-Mars-la-Pile 37 est un ancien Saint-Me´dard, alte´re´ en Saint-Mars puis curieusement compris Cinq-Mars a` la fin du XVIe sie`cle. Parfois aussi a-t-on change´ de saint : Saint-Roch 37 fut d’abord un Saint-Remi ; mais au XIV e sie`cle, il e´tait devenu plus impe´rieux de se prote´ger contre les maladies que contre les invasions. La Re´volution a supprime´ quantite´ de noms de communes en Saint, mais ils furent vite re´tablis. Et Ablois 51 est devenue Saint-Martin-d’Ablois en 1952, selon un nom qu’elle avait porte´ a` plusieurs reprises jadis en alternance avec Ablois, et qui n’e´tait plus officiel depuis 1793. La Ville-des-Trois-Maries est devenue en 1838 Les Saintes-Maries-de-la-Mer 13. Me´zoargues 13 n’est devenu Saint-Pierre-de-Me´zoargues qu’en 1992, meˆme si l’appellation Saint-Pierre e´tait familie`re auparavant.

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Saints disparus, saints cache´s et lieux saints Encore quelques saints se sont-ils efface´s. Sainte-Marguerite-le`s-Aumale 76 est devenue Morienne en 1953, Saint-Martin-d’Orb Le Bousquet-d’Orb 34 en 1881, Saint-Nicolas-de-Pont-Saint-Pierre a e´te´ alle´ge´e en Pont-Saint-Pierre 27 en 1905. Margerie 52, La Pernelle 50, Pompogne 47 furent jadis Sainte-Marguerite, SaintePe´ tronille, Sainte-Pomponne (G. Lavergne). Saint-Ouen-de-Barde, a` qui la Re´volution avait redonne´ son ancien nom de Bardes 50, l’a conserve´ depuis. Saint-Aignan-d’Hautefort 24 est devenu Hautefort en 1827, Saint-GillesGouarec 22 Gouarec en 1891, Saint-Nizier-sous-Charmoy 71 Les Bizots en 1904 et Saint-Sorlin 71 La Roche-Vineuse en 1908, reprenant un nom attribue´ en 1792. Les temps d’anticle´ricalisme autour de 1900 ont ainsi pu marquer quelques lieux, plus durablement que ceux de 1790. Il a pu s’agir de de´placements de chef-lieu : ainsi La Faurie 05, mieux place´e sur la grand-route dans la valle´e du Buech, remplace-t-elle Saint-Andre´-en-Beaucheˆne. Le Gue´-de-Longroi 28 (ou` roi a le sens de gue´), mieux place´e dans la valle´e de la Voise, se substitue a` Saint-Che´ron-du-Chemin en 1838. Dans les Ce´vennes, L’Estre´chure 30 a supplante´ en 1873 Saint-Martin-de Corconac en se de´tachant de Saumane et en absorbant le hameau originel de´chu, perche´ sur l’autre versant du Gardon a` l’e´cart de la route. Sainte-Marie-de-Frugie´ est devenue La Coquille 24 en 1856, mais en re´fe´rence a` un chemin de Saint-Jacques qui la traverse... Aujourd’hui, quelque 4 000 communes portent la mention Saint ou Sainte. En fait, le nombre des communes a` hagiotoponymes est bien plus e´leve´ encore. Outre les Notre-Dame, il inclut en effet des noms en Dam ou Dom comme Dommartin, Domre´my, Dampierre, Dannemarie ou Donnemarie, issus de dominus. S’y trouvent meˆme Dempeyre 63 (saint Pierre), Douriez 82 (de saint Ricarium), Domptail 54 et 88 (de saint Stephanum), Domcevrain 55 (par Symphorien), Doulevant 51 (de saint Lupentium). Des noms de saints sont parfois pris seuls, comme dans Louppysur-Loison qui vient aussi de Lupentium, ou Maure 64, Maxent 35 et Sixte 44. Il en est bien d’autres en Bretagne avec les Beuzec 29, Cle´den-Poher et Cle´den-CapSizun 29, E´dern 29, Gueltas 56, et ou` des noms de saints ont e´te´ associe´s a` quelque lan ou plou, tels les Lampaul (saint Paul), Languidic (de saint Guined), Loctudy pour saint Tugdual, Ploermel (de saint Armel), Ploze´vet (saint De´met). Samer est une contraction de Saint-Wulmer, Rocamadour d’un saint Amadour. Certains se cachent sous d’autres orthographes comme Sanary 83, pre´ce´demment Saint-Nazaire, soit Saint-Ne´ri en provenc¸al, jusqu’en 1890, et prolonge´ d’un surMer en 1923 ; ou Sains-en-Puisaye 89 et Sains-en-Amie´nois 80. Belhomert-Gue´nouville 28 est interpre´te´ comme un Beatus Launomarus (Saint-Lomer) et Corsaint 21 comme un « corps saint » – mais ici les commentaires fantaisistes et les calembours sont surabondants. Enfin, bien suˆr, s’ajoutent a` ces noms de communes en saints, affiche´s ou cache´s, quantite´ de noms de lieux-dits, issus d’anciens villages et paroisses de´chus. La chre´tiente´ triomphante a e´galement importe´ des noms orientaux, surtout en retour de croisade. D’une ancienne abbaye de Galile´e, nomme´e selon la re´gion

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proche-orientale (le nom signifie « re´gion » en he´breu et en arabe) pre`s de Saint-Die´des-Vosges 88, subsiste un Val de Galile´e, dont le nom a e´te´ repris par une communaute´ de communes. D’autres Galile´e sont a` Nanteuil-le-Haudouin 60 et Pas-en-Artois 62. Pamiers 09 vient d’Apame´e, importe´ de Phrygie pour son chaˆteau par un comte de Foix ; elle avait e´te´ auparavant Fre´delas (NP wisigoth). Damiatte 81 est une bastide de 1295 fonde´e par un seigneur de Castres qui la dota du nom de Damiette, ville d’E´gypte prise par les hommes de Louis IX en 1249 lors de la septie`me croisade. L’e´tang de la Mer Rouge en Brenne (Rosnay 36) aurait e´te´ nomme´ par un seigneur croise´. Signalons encore Be´ne´vent-l’Abbaye 23, dont le nom originel, Segondelas, a disparu au profit de celui d’une ville italienne d’ou` la nouvelle abbaye du lieu, he´ritie`re d’un monaste`re du XI e sie`cle, avait rec¸u des reliques attribue´es a` saint Barthe´lemy. On trouve d’assez nombreux hameaux ou fermes en Je´rusalem (plus de quarante) et Nazareth (une trentaine). La commune de Jugeac-Nazareth a e´te´ nomme´e en 1924 a` partir de la re´union de Jugeac et d’un hameau Nazareth qui de´pendait de Turenne ; ce nom avait e´te´ donne´ a` une le´proserie par un vicomte de Turenne retour des croisades. Les importations ont donne´ aussi des Bethle´em (au moins 25), Be´thanie (une douzaine, plus des Be´haine et Bithaine, ainsi que Baignes-Sainte-Radegonde 17, Beania en 1068), Je´richo (une douzaine de lieux-dits), voire Babilaine a` Osmoy-sur-Cher 18 (de Babylone, surnom du Caire pour les Croise´s) ou MontCauvaire 76, venu du Mont du Calvaire. Des allusions au Mont des Oliviers transparaissent dans Olivet 45 et 53 et certains Montolieu, Montoulieu (une vingtaine hors des re´gions de culture de l’olivier). De nombreux Lorette ont e´te´ inspire´s par le Loreto italien, cense´ avoir rec¸u des anges la maison natale de Je´sus, et la commune de Lorette 42 n’a e´te´ cre´e´e qu’en 1847, avec pour nom celui de la chapelle e´rige´e par son principal industriel.

Les terres nouvelles La troisie`me source de noms nouveaux, dans l’ensemble poste´rieure aux temps d’inse´curite´, est associe´e a` l’expansion des socie´te´s me´die´vales, a` la reconqueˆte du territoire et aux progre`s de l’agriculture et des e´changes qui ont accompagne´ le retour a` une paix meˆme tre`s relative, la mise en place des re´seaux de domination seigneuriaux et eccle´siastiques et la croissance de´mographique associe´e. Du X e sie`cle au XIVe, et plus spe´cialement aux XII e et XIII e, ont e´te´ de´friche´s des milliers d’hectares, cre´e´s ou ranime´s quantite´ de villages, de hameaux et de fermes, ame´nage´s e´tangs, rivie`res et canaux, partage´s des finages, de´limite´es des re´serves, obtenues des franchises : autant de sources de foisonnement toponymique. Bien entendu, ces noms apparurent dans les parlers locaux, de langues d’oil ou d’oc, qui pre´figuraient le franc¸ais a` partir d’une base romane enrichie de termes anciens, pre´celtes, celtes, et d’autres langues des pe´riphe´ries et des invasions, de base germanique ou nordique. Les plus anciens e´taient souvent incompris, et ainsi de´forme´s ou re´interpre´te´s : les toponymes sont plus stables que la langue de tous les jours, surtout quand ils identifient des repe`res physiques, eux-meˆmes tre`s stables.

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Outre les nombreux lieux imme´diatement de´signe´s sous le nom du patron de leur paroisse, et donc affiche´s en Saint- de`s l’origine, ces sie`cles virent fleurir tous les toponymes lie´s a` l’ide´e de nouveaute´, et au riche vocabulaire du de´frichement (v. chap. 6). Ce fut le temps des novales, Noailles, Neuilly et autres Neufmaisons, celui des Villeneuve, Neuville et Villenouvelle, des Castelnau et Chaˆteauneuf, des innombrables Essart, Artigue, Usclade et Ulis, Routis et Rompis, E´terpe et Arricau. Des habitats nouveaux furent dote´s de franchises, et e´ventuellement de bonnes de´fenses, afin d’attirer des colons : d’ou` les noms de Sauvete´s ou Salvetat, Sauveterre, Villefranche, Francheville et Villefranque, puis des bastides dote´es d’appellations plus ou moins tentatrices telles que Plaisance, Mirande, Beaumont, Beauregard, Bonnegarde, ou glorifiant leurs fondateurs comme nous l’avons de´ja` vu. Certains de ces habitats sont devenus de vraies villes, d’autres ne sont plus que des souvenirs. Tous ont « francise´ » la toponymie, meˆme s’ils reprenaient parfois de vieilles racines celtiques, ou importaient des noms e´trangers pour leur emprunter quelque prestige. Et les anciens habitats perche´s se de´double`rent : a` leur pied apparurent des hameaux ouverts, nomme´s « le Bas », « le Neuf », parfois Be´gude (l’auberge) dans le Midi. La liste est longue des emprunts et transferts de noms a` des fins ouvertement publicitaires. Coˆte´ Italie, Boulogne-sur-Gesse 31 s’inspira de Bologne, Fleurance 32 et Florent-en-Argonne 51 de Florence, Pavie 32 de Pavie, Viterbe 81 de Viterbe. Coˆte´ Espagne, Valence-d’Albigeois 81 et Valence-sur-Baı¨se 32 se sont re´fe´re´es a` Valence, Grenade 31 et Grenade-sur-l’Adour 40 a` Grenade, Cordes 81 et CordesTolosane 82 a` Cordoue, Barcelonne-du-Gers 32 a` Barcelone, Cadix 81 et Cadix (a` Cuq-Toulza 81) a` Cadiz, les navarraises Pampelune et Tudela fournissant Pampelonne 81 et Tudelle 32. De Belgique sont venues Bruges 33 et Bruges 64, Gan 64 (de Gand) et Tournay 65 (Tournai). Certains liens sont toutefois discute´s, comme pour Cologne 32, ou` certains voient mieux une Colonia romaine qu’une copie de l’allemande Cologne, sinon la landaise Grenade, ou` une tradition locale complaisante pre´tend voir une terre a` grains (granata)... D’autres emprunts et transferts ont e´te´ effectue´s en ces temps de peuplement et de cre´ations, selon des proce´dures qui ne sont pas toujours clairement connues – assez souvent pour des raisons de relations entre abbayes ou familles seigneuriales. Ancoˆne 26, qui est du XIII e sie`cle, a copie´ son homonyme italienne, comme Pe´rouges 01 vient de Pe´rouse. Baccarat 54 reproduirait le nom de Bacharach, ville rhe´nane. Barbaste 47 viendrait de l’aragonaise Barbastro, plus probablement que la vende´enne Barbaˆtre a` Noirmoutier. Conches-en-Ouche 27 est un ancien Castillon dont le nom a e´te´ emprunte´ a` l’abbaye de Conques (Aveyron) en souvenir d’un pe`lerinage de Compostelle et de son symbole coquillier. Croismare 54 (ancienne Haudonviller) a emprunte´ son nom a` Croix-Mare 76, Blaye-lesMines 81 a` Blaye 33 (E. Ne`gre), et Boulogne-Billancourt a` Boulogne-sur-Mer.

Bapteˆmes des temps modernes Passe´ les temps trouble´s des e´pide´mies et des guerres des XIVe et XVe sie`cles, quelques reprises et innovations ont enrichi la toponymie franc¸aise, mais plus ponctuellement.

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Le grand commerce international et la protection du littoral ont suscite´ la cre´ation du Havre en 1517, comme port le plus accessible de Paris, et pour une fois sous un nom commun. Il en fut autrement de Port-Louis : une premie`re place forte fut e´tablie entre 1590 et 1598 par les Espagnols, qui e´difie`rent le fort de l’Aigle ; Louis XIII reprit l’ide´e et le lieu, fit construire citadelle et ville close (1600-1622) et la proclama ville royale, sous son propre nom, en 1618. La ville a accueilli en 1666 la Compagnie des Indes orientales, mais celle-ci a traverse´ l’estuaire peu apre`s pour fonder Lorient, a` laquelle elle attribua ge´ne´reusement son propre nom. La de´fense du territoire et le souci de fixer des populations sont a` l’origine d’autres villes nouvelles frontalie`res ou inte´rieures, qui ont plus ou moins bien re´ussi. Toutes sont sur des plans en damier, et ont e´te´ assorties de de´fenses. Vitry-le-Franc¸ois 51 fut construite a` partir de 1544 a` la demande de Franc¸ois Ier pour tenir un passage strate´gique. Charleville fut cre´e´e pour Charles de Gonzague a` partir de 1606, tandis qu’Henri de Lorraine faisait baˆtir Henriville et Henridorff 57, un Philippe de Hanau Philippsbourg 57. A` la meˆme e´poque, Sully fit dessiner sur ses terres Henrichemont 18 et lui donna le nom de son ami Henri IV. Un peu plus tard (1631), le duccardinal de Richelieu fit construire une ville nouvelle en son pays familial (Richelieu 37), qu’il nomma simplement de son nom et fit orner tout aussi modestement de deux places, la Royale et la Cardinale, qui ont conserve´ ces noms... Outre ses nombreuses cre´ations ou re´fections de citadelles, Vauban se signala par plusieurs villes nouvelles de de´fense, portant hommage a` son roi : Sarrelouis, sur le site d’une Vaudrangeville ; Fort-Louis 67 ; Saint-Louis 68, associe´e a` Village-Neuf avant de s’en se´parer en 1793 sous le nom de Bourg-Libre, pour compenser la perte de Huningue ; Mont-Louis 66, a` 1 600 m dans les Pyre´ne´es ; Mont-Dauphin 05, juche´e sur la butte de Mille-Vents dans les Alpes. Ajoutons Neuf-Brisach 68, nomme´e d’apre`s la ville d’en face. Vauban fortifia aussi Phalsbourg, cre´e´e en 1570 comme place forte du duc de Palatinat (d’ou` son nom allemand, Pfalzburg) et devenue franc¸aise en 1661. A` l’origine e´trange`res aussi, citons L’Iˆle-Rousse au nord de la Corse, cre´e´e par Pascal Paoli en 1758 pour faire pie`ce a` la ge´noise Calvi, et qui fut un temps Paolina ; Albertville, nomme´e selon le roi de Sardaigne Charles-Albert a` partir de la fusion des villages de Conflans et de L’Hoˆpital en 1835 ; La Trinite´ 06, nomme´e La Trinite´Victor apre`s son de´tachement d’E`ze en 1818, selon le pre´ce´dent roi de Sardaigne, mais qui a perdu Victor en 1951. Les Napole´on ont laisse´ quelques traces, mais plus discre`tes. D’un canal Napole´on creuse´ a` partir de 1806 est venue l’Iˆle-Napole´on comme annexe de Mulhouse, mais relevant de trois communes diffe´rentes. Pontivy porta quelque temps le nom de Napole´onville, quand il fut question d’en faire le cheflieu de la Bretagne (1801-1821), et reprit ce nom de 1852 a` 1871, sous « Napole´on le Petit ». La Roche-sur-Yon 85 est une ville neuve de 1804, construite comme nouvelle pre´fecture de la Vende´e a` la place de Fontenay-le-Comte (devenue Fontenay-lePeuple) juge´e trop excentre´e, et alors nomme´e Napole´on ; elle devint BourbonVende´e en 1814, plus tard Napole´on-Vende´e, avant de reprendre le nom du site originel en 1870, plus modeste mais re´publicain.

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Innovations des temps contemporains A` partir du XVIII e sie`cle, trois grands mouvements d’expansion de la vie sociale et de diversification des territoires ont e´te´ producteurs de toponymes : les pre´mices de la mondialisation, ceux de la « re´volution industrielle » et ceux de la « civilisation des loisirs ». Le premier s’est appuye´ sur les conqueˆtes coloniales et des conflits internationaux, ou plus simplement l’extension des horizons familiers. Au compte de celle-ci, on pourra attribuer l’apparition de noms comme Mexique, Argentine, voire Canada, Californie, Louisiane, Ame´rique affecte´s a` de nouvelles fermes, voire a` d’anciens habitats, par des e´migre´s revenus au pays ou par he´ritage. La colonisation a introduit en des terres lointaines la toponymie franc¸aise traditionnelle, riche en noms de saints – syste´matiquement a` la Re´union pour les noms de communes – et en termes anciens, parfois a` partir de NP ou du vocabulaire maritime : par exemple les Barrachois, Souffleur, Baillif, Deshaies, Bellefontaine, Le Lorrain, Le Preˆcheur, La Trinite´, Basse-Terre, Capesterre et Terre-de-Haut, ou les pittoresques toponymes de l’orpaillage de Sau¨l en Guyane (v. chap. 9, Outre-Mer). En sens inverse, elle a importe´ des noms exotiques, e´voquant notamment quelques e´pisodes des conqueˆtes et des batailles me´morables. Certes, ils ont surtout envahi l’odonymie urbaine, les appellations de rues et de places ; mais on les trouve aussi dans des lieux-dits ruraux, et jusqu’au niveau de noms de communes. C’est ainsi que sont apparus des Alge´rie, Maroc, Tonkin, Madagascar, des Alger, Constantine (une cinquantaine de lieux-dits), surtout sous la forme de nouvelles fermes dans des re´gions en re´novation comme la Champagne, la Beauce, les Landes. Une ferme Mouzaı¨a est a` Cre´hange 57, un carrefour de Mouzaı¨a au Nouvion-en-Thie´rache 02. Mazagran surtout eut un re´ el succe`s apre`s la bataille de 1840 dans l’ouest de l’Alge´rie : plus de vingt lieux-dits, en diverses re´gions et notamment dans le Nord-Est. Les guerres napole´oniennes ont laisse´ des traces, davantage cependant en noms de rues qu’en lieux-dits : parmi ceux-ci, une vingtaine de Marengo, quelques Arcole dont une dizaine de Pont d’Arcole, une dizaine de Rivoli, quelques Wagram et Austerlitz, meˆme un Bautzen a` E´crouves 54 et peut-eˆtre un Lutzen a` Wattwiller 68, deux Ie´na (Le Bouchaud 03 et Sarte`ne 20) et, plus curieusement, sept Waterloo, tous dans le Sud-Ouest, dont quatre dans le Gers... mais aucun Trafalgar. On doit leur ajouter une bonne trentaine de Moscou, et Le Kremlin-Biceˆtre. Toutefois, le Second Empire a e´te´ plus efficace, la guerre de Crime´e ayant laisse´ bien davantage de NL, en des dizaines de Crime´e, Se´bastopol, Malakoff. La campagne d’Italie a e´te´ encore plus prolifique avec les Magenta et Solfe´rino. Plusieurs communes portent ces derniers noms (Malakoff 92, Solfe´rino 40, Magenta 51) ; neuf NL Solfe´rino sont dans le seul de´partement des Landes, sept Magenta dans les Landes et quatre en Gironde ; on a meˆme eu une ferme Solfe´ricourt a` Sissonne 02 (ensuite inte´gre´e au camp militaire et de´truite). Quelques e´pisodes ou anecdotes ont laisse´ d’autres traces. Saint-Pol-sur-Mer 59, de l’autre coˆte´ du port de Dunkerque, ne fut d’abord qu’un simple hameau de PetiteSynthe, nomme´ le « trou aux ronces » (Dornegat) ; promu commune en 1877, il s’est

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vu alors attribuer le nom de l’estaminet local, le Saint-Pol, ainsi baptise´ en me´moire du Chevalier de Saint-Pol-He´court, compagnon du fameux corsaire dunkerquois Jean Bart ; en 1889 on ajouta « sur Mer » – mais Saint-Pol n’est plus commune depuis sa fusion avec Dunkerque en 2011. A` Beuvry 62, le lieu-dit le Ballon e´voque l’atterrissage, le 19 septembre 1784, du premier ballon dirigeable, gonfle´ a` l’hydroge`ne, conc¸u et pilote´ par les fre`res Robert, partis de Paris et qui accomplirent 200 km en 6 heures. Le lieu-dit les Baraques a` Sangatte a e´te´ nomme´ Ble´riot-Plage en 1936, en souvenir de la premie`re traverse´e ae´rienne de la Manche (25 juillet 1909). Lindbergh-Plage est dans la commune de Saint-Loˆ-d’Ourville 50 ; elle doit son nom au fait que, lors de sa fameuse traverse´e de l’Atlantique le 21 mai 1927, Charles Lindbergh serait passe´ a` l’aplomb du lieu avant d’atterrir a` Paris ; on n’a pas manque´ d’y e´tablir une maison de repos des aviateurs.

Lieux d’aventure et civilisation des loisirs Depuis le XVIII e sie`cle, le registre des toponymes s’est e´tendu aux plaisirs et aux loisirs. Les noms sont en franc¸ais, et n’ont pas eu le temps de s’alte´rer. Ils ont ge´ne´ralement vise´ a` plaire. Ainsi se sont diffuse´s les noms de maisons ou d’annexes de plaisance de l’aristocratie et de la bourgeoisie : nous l’avons vu avec les Folie, Bagatelle, Tivoli, Boulingrin, Orangerie. Les Bel-Air, Bellevue, Beauregard, Mon Ide´e, Mon Plaisir se sont multiplie´s. Des noms antiques ont e´te´ exhume´s : une dizaine d’Olympe ou Mont Olympe et quelques Parnasse, dont Montparnasse, six la The´baı¨de. La seule petite commune de Jouy-le-Potier 45 en Sologne juxtapose des clairie`res au nom de Bellevue, Beauregard, Bel-Air, Beau-De´sir, la Graˆce de Dieu, l’Espe`re. Robinson (« fils de voleur »...) s’est ajoute´ au XIX e sie`cle, eu e´gard au succe`s du roman de Daniel de Foe : une cinquantaine de lieux-dits en portent le nom, et Le Plessis-Robinson, qui fut Le Plessis-Piquet jusqu’en 1909. Avec la vogue de la spe´le´ologie et de l’alpinisme, quantite´ de cavernes et de sommets ont rec¸u pour hommage des noms de personnes : soit de de´couvreurs ou de pionniers, soit de victimes, et parfois de simples proprie´taires. Citons les gouffres Le´pineux (a` la Pierre-Saint-Martin, Arette 64) et Berger (Engins 38), Jean-Bernard a` Samoe¨ns 74 (hommage a` Jean Dupont et Bernard Raffy, morts en exploration en 1963), Mirolda a` Samoe¨ns aussi (par les pre´noms de Michel Schmit, Roland Chenevier et Daniel Trouilleux, victimes d’une crue dans le Vercors en 1976), la grotte Chauvet (Vallon-Pont-d’Arc 07 de´couverte par Jean-Marie Chauvet, E´liette Brunel et Christian Hillaire en 1994), officiellement nomme´e Chauvet-Pont-d’Arc en 2014 ; la grotte Cosquer (a` Marseille pre`s du cap Morgiou, de´couverte par Henri Cosquer en 1991), l’Aven Armand a` Hures-la-Parade 48 (explore´ par Louis Armand en 1897), voire a` Saint-Bauzille-de-Putois 34 la grotte de l’Abbe´ Pialat (cure´ re´fractaire qui s’y re´fugia de 1790 a` 1794). Le Grand Batchimale (3 177 m) a` Loudenvielle 65 a e´te´ renomme´ pic Schrader en hommage a` Franz Schrader, pyre´ne´iste et admirable dessinateur des montagnes, qui le gravit en 1878. Nombre d’aspe´rite´s et de passages difficiles ont rec¸u des noms descriptifs et pittoresques, d’autres des noms de vainqueurs ou de victimes. Par

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exemple, a` Chamonix-Mont-Blanc 74, on note autour du glacier du Ge´ant et du Tacul les pointes Lachenal, Adolphe Rey, Duriez, Mieulet, Helbronner, Yeld, l’Aiguille de Saussure, le couloir Gervasutti, le col Freshfield ; et sur la face nord des Grandes Jorasses les e´perons ou pointes Croz, Walker, Whymper, Young, dans les Pe´riades les pointes Simond, Cupelin, la Bre`che Puiseux. Dans les E´crins sont le pic Coolidge 3771, du nom de son premier vainqueur connu (1877), le pic et la bre`che Lory, la pointe Mettrier, la pointe Xavier Blanc, le pic et le col Tuckett (3 568 et 3 529 m, le pic et le col Jean Gauthier (3 389 et 3 292 m, ou encore une pointe des Cine´astes (3 203 m, la pointe Ce´zanne (3 365 m et le refuge Ce´zanne (commune de Pelvoux 05) – les peintres ont peu e´te´ honore´s mais on n’oubliera pas l’ıˆle des Impressionnistes a` Chatou 78 et la Colline des Impressionnistes a` Bougival 78. C’est la mode des thermes et des bains de mer qui, a` partir du Second Empire, a apporte´ le plus de nouveaute´s. La moindre des choses fut d’ajouter les-Bains ou lesThermes au nom de la « station » littorale, appellation nouvelle en ce sens. Pour varier, d’autres pre´fe´re`rent les-Eaux, voire les-Flots, la Plage ou les Plages, meˆme les Pins, ou se contente`rent de la mention sur-Mer, qui ne se limite pas aux stations. Quelques noms cherche`rent a` briller : un Stella-Plage a` Cucq 62, un Paris-Plage promu en 1912 commune du Touquet-Paris-Plage, un Sables-d’Or-les-Pins a` Fre´hel et Plunion 22 – et, comme nous l’avons de´ja` vu (chap. 5), les coˆtes ont e´te´ affuble´es de noms qui ont e´te´ voulus se´ducteurs. D’autres consacre`rent la me´moire du fondateur : Malo-les-Bains et Bray-Dunes 59, Jullouville 50 qui a supplante´ l’ancien nom de Bouillon, devenu hameau en retrait ; Ker Emma en Tre´flez 22, qui porte le nom de l’e´pouse de Louis Rousseau. Il en fut de meˆme parfois pour les stations thermales, mises a` la mode avant et durant le Second Empire avec quelque complaisance pour la Cour : en 1840 Arles-les-Bains devient Ame´lie-les-Bains 66 au nom de l’e´pouse de Louis-Philippe et, en 1861, un quartier de Saint-Loubouer 40 est promu commune sous le nom d’Euge´nie-lesBains, selon l’e´pouse de Louis-Napole´on, Euge´nie de Montijo. Le plus souvent on se contenta d’ajouter « les Bains » au NL initial, comme a` Aix 73, Uriage 38, Divonne 01, Ne´ris 03 ou Molitg 66, Capvern 65, Aulus 09, Saubusse 40, parfois « les Thermes » (Ax 09, Barbotan 32, Amne´ville 57, Cransac 12, Salins 73), plus rarement « les Eaux » (Challes 73, Saint-Amand 59), et sans peur de redondances e´videntes (Bains-lesBains 88) ou cache´es comme a` Aix-les-Bains, Bagnols-les-Bains, Ax-les-Thermes, voire E´vaux-les-Bains ou E´vian-les-Bains, dont le premier terme comporte de´ja` l’ide´e d’eaux. Bagnoles-de-l’Orne 61 n’a e´te´ e´rige´e en commune qu’en 1913, a` partir des territoires de La Ferte´-Mace´, Couterne et Tesse´-la-Madeleine. Le phe´nome`ne s’est e´tendu au tourisme hivernal. Les stations de neige ont d’abord pris simplement le nom de leur commune (Le Grand-Bornand 74, Les Gets 74, Les Estables 43, Le Mont-Dore 63, Cauterets 65, Me´tabief 25), d’un simple lieu-dit (Courchevel a` Saint-Bon-Tarentaise 73, le Markstein a` Oderen 68, Guzet a` Ustou 09, Artouste a` Laruns 64, Gourette a` Eaux-Bonnes 65, Hautacam a` Beaucens 65, La Loge des Gardes a` Laprugne 03, le Lioran a` Laveissie`re 15), voire du paˆturage : Pra-Loup a` Uvernet-Fours 04, l’Alpe d’Huez a` Huez 38, l’Alpe du Grand Serre a` La Morte 38, les Deux Alpes re´unissant les alpages de Venosc et de Mont-deLans 38. Parfois l’on a choisi de profiter de la notorie´te´ du proche sommet : Ballon

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d’Alsace, le Gaschney (Stosswihr 68), la Norma (Villarodin-Bourget 73), ErrPuigmal (Err 66) ; ou meˆme de la montagne entie`re : Monts-d’Olmes a` Montferrier 09, Monts Jura (Mijoux et Le´lex 01), le Semnoz (Gruffy, Leschaux, Viuz-laChie´sa 74). Paradoxalement, comme l’a de´ja` remarque´ B. Debarbieux, le terme Val y est a` l’honneur alors qu’il s’agit de stations d’altitude : Valmorel, Valfre´jus, Val Louron, Val Thorens, Val Pelouse, Val Cenis, Val Claret. D’autres ont voulu se flatter de leur altitude (Isola 2000, Risoul 1850), et bien marquer leur e´minence par l’emploi de Super (Superbagne`res, Super-Besse, Super-Chaˆtel, Supersaxel, Superde´voluy, Super-Lioran) – on n’a pas encore d’Hyper. De peur de douter, on insiste : Guzet a` Ustou 09 est devenu GuzetNeige. Et quelques communes ont change´ leur nom pour be´ne´ficier de la notorie´te´ de celui de la station : Les Contamines deviennent Les Contamines-Montjoie en 1949 pour inte´grer la station du Val Montjoie, Macoˆt se nomme Maˆcot-la-Plagne en 1970, Les Avanchers 73 ajoutent Valmorel en 1987, Fontcouverte 73 la Toussuire la meˆme anne´e. En s’associant, les stations ont invente´ des noms fabrique´s pour la publicite´ : Espace Diamant (cinq communes de Haute-Savoie), Espace Killy (Val-d’Ise`re et Tignes, du nom du champion olympique), les Portes du Soleil (cinq communes de HauteSavoie et plusieurs suisses), les Sybelles (comprendre « les six belles », six communes en Maurienne), Valberg (trois communes des Alpes-Maritimes pour trois valle´es, et une allusion voile´e aux bergers...), l’e´trange Paradiski (La Plagne, Peisey-Vallandry et Les Arcs en Tarentaise), Me´tabief-Mont-d’Or (six communes), ou plus banalement les Trois-Valle´es (huit communes de Savoie dont Courchevel), Aux Trois Domaines (Ax-les-Thermes). Le phe´nome`ne affecte les parcs d’attractions, qui se sont multiplie´s depuis les anne´es 1980 et qui ont pris assez d’extension pour passer du stade de nom de marque a` celui de nom de lieu. Rarement ils se sont contente´s d’un NL pre´existant (le Puy du Fou aux E´pesses 85, donc « le mont du heˆtre », le Parc du Bocasse dans la commune du Bocasse 76, nom forme´ sur bois), ou d’un terme clair et pre´cis (Cite´ de l’Espace a` Toulouse 31). Certains ont rec¸u des noms savants, sinon pre´tentieux, comme le Futuroscope (Jaunay-Clan 81) ou Vulcania (Saint-Ours-les-Roches 63), Pale´opolis (Gannat 01), Micropolis (Saint-Le´ons 12), Terra Botanica a` Angers 47, le latin et le grec faisant suˆrement tre`s chic. Certains jouent sur la notorie´te´ ou le pittoresque d’un nom (Parc Aste´rix a` Plailly 60, la Re´cre´ des Trois Cure´s a` Mizac 29, le Petit Prince a` Ungersheim 68, pre´ce´demment Bioparc). Beaucoup, he´las, ont importe´ ou fabrique´ des noms a` l’anglaise, tels Disneyland (Marne-la-Valle´e 77), Kid Parc a` Gujan-Mestras 33, Festyland a` Bretteville-sur-Odon 14, Florida Parc a` Brochon 21, Canyon Park a` E´pretot 76, OK Corral a` Cuges-les-Pins 13, Magic World a` Hye`res 83, voire Fraispertuis City a` Jeanme´nil 88 ; avec peut-eˆtre une pointe d’humour a` Nigloland (Dolancourt 10), sinon a` Cigoland (Kintzheim 67), voire d’inde´cence au Napoleonland (sic) de Marolles-sur-Seine 77 juste en amont de Montereau, pre´vu pour 2021.

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Urbanisations re´centes Les « re´volutions industrielles » et l’e´talement urbain depuis les anne´es 1950 se sont traduits par l’apparition de quelques villes nouvelles, et surtout de grands espaces de pavillons et d’immeubles, dont certains au moins ont be´ne´ficie´ de plans d’ensemble. Quelques noms e´vocateurs les ont accompagne´s. Le plus connu est sans doute Decazeville 12, commune cre´e en 1829 pour les besoins de la side´rurgie a` partir du petit village de La Salle, et qui porte le nom du duc Decazes, ministre de Louis XVIII, he´ritier des mines de charbon et fondateur de l’usine en 1826. Bataville n’est qu’une cite´ de Moussey 57, fonde´e a` partir de 1931 autour d’une fabrique de chaussures par le Tche`que Thomas Bata. Stiring-Wendel 57 apparut en 1857 avec le nom de la puissante famille locale d’industriels. La cite´ ouvrie`re de Stahlheim (« village de l’acier ») fut cre´e´e en 1900 pre`s de l’acie´rie de Rombas et e´rige´e en commune en 1902 ; elle rec¸ut en 1919 le nom de l’ancien lieu-dit Amne´ville, faute d’avoir obtenu le nom souhaite´ de Pe´tainville, et fut a` nouveau Stahlheim de 1940 a` 1944. Les anciens pays miniers ont encore des NL de´rive´s des familles d’anciens proprie´taires de mines, d’inge´nieurs ou de firmes, plus rarement de groupements ouvriers ou figures du mouvement ouvrier. On trouve des cite´s Ame´lie, Max, Marie-Louise, Fernand-Anna, Kali-Sainte-The´re`se, Kullmann (Wittenheim 68) dans les anciennes mines de potasse d’Alsace, voire un terril Euge`ne et un terril The´odore. Une Cite´ de la Faı¨encerie est a` Digoin 71, une Cite´ Kuhlmann est a` Odomez 59, une Cite´ Schneider a` Escaudain 59 et une Cite´ Jean Schneider au Creusot 71, une Cite´ Talabot a` Anzin 59, une Cite´ Usinor a` Haulchin 59, tandis que Petite-Foreˆt 59 a une Cite´ Maurice Thorez, Sanvignes-les-Mines 71 une Cite´ Proudhon. Plus anonymes sont, d’apre`s les nume´ros des fosses des anciennes compagnies minie`res, et donc avec nombre d’homonymes, les Cite´ du no11 a` Loos-en-Gohelle 62, du no5 a` Lie´vin et du no9 a` Lens, du No7, du no3 et du no2 a` Mazingarbe, Cite´ du no1 et Corons du no3 a` Nœux-les-Mines et Corons du no2, Fosse no4 a` Hersin-Coupigny, Cite´ no5 et Cite´ no9 a` Barlin, Cite´ 32 et Cite´ 35 a` Houdain 62... D’autres cite´s ont rec¸u des noms champeˆtres comme les Alouettes a` Bully-lesMines 62, Abscon et Saint-Saulve 59, les Oiseaux a` Hallicourt 62, la Cite´ du Bon Air a` Auby 59, celle du Champ Fleuri a` Masny 59 ou celle des Petits Bois a` Lie´vin 62, les Cheˆnes a` Rouvroy, ou roboratifs comme des Cite´s de la Re´publique, une Cite´ des Arts et une Cite´ de l’Arle´sienne a` Avion 62 ; voire exotiques comme Cite´ du Maroc et Cite´ de Noume´a a` Rouvroy 62, et quelques autres Cite´ du Maroc e´voquant a` l’occasion des importations de main-d’œuvre coloniale. Plusieurs urbanisations poste´rieures a` 1871 ont rendu hommage a` l’Alsace et a` la Lorraine perdues, surtout en noms de rues, mais aussi dans quelques lieux-dits comme la Cite´ Alsacienne a` Grandvillars 90 ou le quartier Alsace-Lorraine a` Nevers 58. D’autres mouvements eurent lieu a` la fin des anne´es 1930, face aux nouvelles menaces : ainsi la Cite´ d’Alsace a` l’usine de Malpaire pour munitions et explosifs, e´tablie en foreˆt a` Pre´cigne´ 72 par repli d’une usine de Richviller 68, et ou` se trouve aujourd’hui encore la socie´te´ Alsetex. Certaines usines ont laisse´ des traces. On a de´ja` mentionne´ (chap. 6) Freinville a` Sevran 93, qui de´rive d’une fabrique de freins Westinghouse. Les Asturies, la Cite´

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Asturienne et meˆme le Bois des Asturies a` Auby 59 viennent de l’Asturienne des Mines, cre´e´e en 1853 (usine de 1869). La Cite´ Menier a` Noisiel 77 rappelle l’ancienne chocolaterie, comme la Cite´ Mame a` Tours 37 l’ancienne imprimerie. Le lieu-dit et le bassin Whitaker de la centrale e´lectrique de Revin 08 viennent d’un maıˆtre de forges anglais du XVIe sie`cle. On trouve une Cite´ des Me´taux a` Landrichamps 08, l’Usine a` Warcq 08, la Manufacture a` Fromelennes 08, tandis que, venus des groupements d’artisans et ouvriers de la fin du XIX e sie`cle, subsistent en Ardennes des lieux-dits tels que Espe´rance, l’Avenir, la Progre`s... Plus re´cents sont les quartiers et lieux-dits l’Illustration a` Bobigny, nomme´ d’apre`s le sie`ge d’un ce´le`bre magazine qui y e´tait e´tabli en 1933 et ou` l’imprimerie fonctionna jusqu’en 1971, ou Ae´roconstellation a` Cornebarrieu et Blagnac 31, l’Ae´rospatiale a` Saint-Martin-du-Touch 31. L’extension des banlieues a fait apparaıˆtre de nouvelles communes, auxquelles il a fallu donner des noms. Une section de Bondy, devenue autonome en 1905, a rec¸u pour nom Les Pavillons-sous-Bois en e´vocation des pavillons d’entre´e de la foreˆt de Bondy. Cre´e´e en 1867, la commune des Lilas doit le sien aux fleurs des jardins et guinguettes d’alors. Maisons est devenue Maisons-Laffitte en 1882 en raison de l’urbanisation du domaine du chaˆteau lance´e par le banquier Jacques Laffitte a` partir de 1834. Ne´ d’une gare, l’ancien e´cart du Bois de Colombes devint commune en 1896 sous le nom de Bois-Colombes. Malakoff a commence´ comme e´cart de Vanves sous le nom de Nouvelle-Californie vers 1850 ; la tour de Se´bastopol dite Malakoff, prise par les troupes franc¸aises en 1855, y fut reconstitue´e en plaˆtre, puis de´truite en 1870 ; ce nom russe et fugitif supplanta l’ame´ricain lors de la cre´ation de la commune en 1883. Le KremlinBiceˆtre, autonome en 1896, a un nom doublement exotique, forme´ sur celui d’un cabaret Au Sergent du Kremlin fonde´ par un ancien des guerres napole´oniennes, et celui de Winchester, alte´re´ par l’usage en Vincestre puis Bicestre, a` partir d’un chaˆteau du XIII e sie`cle appartenant a` un e´veˆque de Winchester, et qui fut remplace´ sous Louis XIII par un hoˆpital. Des centaines de nouveaux quartiers et cite´s d’habitation ou d’activite´s ont duˆ eˆtre nomme´s, et le mouvement se poursuit. Certains se contentent des lieux-dits ante´rieurs, comme la Grande Borne a` Grigny 91, les Minguettes a` Ve´nissieux 69, le Mirail a` Toulouse, le Moulin a` Vent et la Ferme du Temple a` Ris-Orangis 91 ou le Technopole des Quarante Arpents a` Champs-sur-Marne 77, voire la De´fense a` l’ouest de Paris (d’apre`s un monument de la guerre de 1871). D’autres tiennent a` leur apparence, comme les Pyramides a` E´vry 91 ou a` Champs-sur-Marne, a` leurs constructeurs comme les Castors et Cite´ des Castors (une quarantaine en France), les Cheminots du Chesnay a` Gagny 93. Quelques-uns se veulent attractifs, comme E´lyse´e a` La Celle-Saint-Cloud 78 et les nombreux Beausoleil et Bellevue. L’e´vocation de Paris est juge´e positive comme il apparaıˆt a` Parly (Le Chesnay 78), au Jardin Parisien (Clamart 92), a` Paris Jardins (Draveil 91), Paris Campagne (Drancy 93) ou au Petit Paris (Leuville-sur-Orge 91). D’autres encore se sont inspire´es de l’e´tranger. La sympathie de certaines municipalite´s pour l’Union Sovie´tique a fait qu’Ivry-sur-Seine 94 et Romainville ont (ou ont eu) une cite´ Gagarine et que Hautes-Vigneulles 57 a encore des e´tangs de Stalingrad.

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L’anglomanie a fait plus de ravages, surtout dans les zones d’affaires, comme les Ouest Park a` Louailles 72, Technoland a` Montbe´liard 25, Cannes Technopark 06, One Nation comme centre commercial aux Clayes-sous-Bois 78. Le grec a eu un certain succe`s a` He´liopolis, domaine naturiste de l’ıˆle du Levant (a` Hye`res 83) fonde´ en 1931, ou a` Sophia-Antipolis, parc technologique invente´ en 1969 par Pierre Laffitte, se´nateur et inge´nieur, et qui associe le nom grec d’Antibes au pre´nom de sa femme, lequel signifie aussi la sagesse en grec ; le parc s’e´tend sur Antibes et quatre autres communes. Des noms artificiels sont apparus, comme Garonor et Parinor a` Aulnay-sous-Bois, ou` le nord se change en or en perdant son d... Une mode re´cente multiplie les appellations Europe dans les nouveaux quartiers et parcs d’activite´s.

Pourquoi changer un nom de commune ? Les changements de noms de lieux-dits sont fugaces et difficiles a` saisir, sauf ponctuellement par la comparaison de cartes et de cadastres a` des dates diffe´rentes. Ils ont souvent e´te´ associe´s a` des substitutions de familles en habitat disperse´, ou a` la de´sue´tude de noms jadis lie´s a` des pratiques foncie`res me´die´vales. En revanche, les changements de noms de communes ont un caracte`re officiel, au moins depuis la Re´volution, et supposent un acte public motive´ par une demande majoritaire. Pourtant, ils ont eux-meˆmes pu changer, comme le savent bien ceux qui plongent dans les recherches ge´ne´alogiques. Ils n’e´taient pas re´ellement fixe´s avant la Re´volution, ou` ils refle´taient plutoˆt les noms de paroisses, et certains ont e´te´ bien fluctuants. Par exemple, dans l’Yonne, Bierry a e´te´ de´baptise´e en 1737 pour Anstrude, du nom de son nouveau seigneur, issu d’une famille e´cossaise ; elle devint Bierry-lesFontaines en 1790, Bierry-les-Belles-Fontaines en 1793, Anstrude en 1802, a` nouveau Bierry-les-Belles-Fontaines en 1848 et Anstrude en 1851, enfin Bierry-lesBelles-Fontaines en 1882. On sent bien ici l’effet des situations historiques. Toutefois, la France a e´te´ plus mode´re´e que d’autres nations dans les changements d’origine culturelle ou ide´ologique ; les noms des rues y sont plus sensibles aux modes et aux vindictes que les noms de lieux. La France a connu une exception avec les noms re´volutionnaires. La disparition des noms rappelant « les souvenirs de la royaute´, de la fe´odalite´ ou de la superstition » fut publiquement encourage´e a` partir du 5 septembre 1792. Il s’agissait d’abord d’effacer des mentions du roi et des titres de noblesse, chaˆteau, saints et e´glises, chapelles ou abbayes, jusqu’a` des noms comme Conde´, ou encore de seigneuries ou de villes porte´s par familles nobles : Bordeaux devint Commune-Franklin et Lyon Commune-Affranchie, Pont-l’E´ veˆque 14 Pont-Libre et Dunkerque Dune-Libre, Bourg-la-Reine 92 Bourg-l’E´galite´. Ce fut l’occasion d’honorer de nouvelles valeurs. De longues listes de ces mutations ont e´te´ dresse´es et l’on se limitera ici a` quelques exemples significatifs. On vit un Ham-les-Moines devenir Han-Sans-Culottes 08 et Saint-Claude 39, jadis Condat (confluent), devint Condat-Montagne ; non pour son relief mais en l’honneur de la fraction radicale des hauts gradins de l’Assemble´e. Meˆme le mot ville, sans doute trop lie´ a` chaˆteau par opposition, fut remplace´ en Coˆte-d’Or : Antigny-la-Ville

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devint Antigny-la-Montagne, Chaudenay-la-Ville Chaudenay-la Montagne, Gurgyla-Ville Gurgy-la-Commune, Mailly-la-Ville Mailly-le-Bas, Pagny-la-Ville Pagny-lePeuple et Villecomte Belle-Fontaine ; Villefranque 64 devint... Tricolor. Parfois le changement s’est limite´ a` reprendre symboliquement un nom ancien : ainsi de Preyssac en Pe´rigord, qui avait e´te´ rebaptise´ Chaˆteau-l’E´veˆque en 1347 parce que l’e´veˆque de Pe´rigueux y avait fait construire un chaˆteau – le hameau de Preyssac existe toujours mais la commune est redevenue Chaˆteau-l’E´veˆque 24. SaintAvertin 37 retrouva provisoirement son ancien nom de Vencey (e´crit Vanc¸ay ou Vansay). Dans l’Yonne, Malay-le-Vicomte et Malay-le-Roi reprirent, et ont conserve´ depuis, leurs anciens noms de Malay-le-Grand et Malay-le-Petit qu’ils portaient avant 1187, date a` laquelle fut re´gle´ un conflit d’attribution. Et, dans les Landes, Saint-Loubouer choisit Castera pour e´voquer son camp romain originel. Ailleurs on a pris un nom de terrain. Souvent de la rivie`re locale, comme SaintSymphorien 40 remplace´ par La Hure, Saint-Esteban 64 par Garralde, Bourbonl’Archambault 03 par Bruges-les-Bains, Saint-Projet 15 (-de-Salers depuis 1949) par Bertrande, Sainte-Eulalie 15 par Basse-Maronne, La Chapelle-Guillaume 28 par Hie`re (ou Yerre). Laussou 47, sur le Laussou (ou l’Aussoue) a durablement succe´de´ a` Boynet, un nom de seigneurie. Parfois fut choisi un lieu-dit plus ou moins e´minent : Saint-Andre´-de-Cubzac 33 devenant Montalon (haut lieu et principal hameau), Saint-Saturnin 18 Bombardon (un des villages), Saint-Hilaire-le-Chaˆtel 61 Les Grouas (terre de groie) du nom d’un lieu-dit. Berche`res-l’E´vesque 28, pays de carrie`res, devint Berche`res-les-Pierres (nom retrouve´ en 1879). Le moment toutefois e´tait propice a` l’exaltation des valeurs alors positives : Liberte´ (35 noms, plus de nombreux Mont-Libre, Val-Libre, etc.), E´galite´ (19 noms), Fraternite´ (16), Union ou Unite´ (56), Re´union (13), la Montagne (une centaine, meˆme en plaine... jusqu’a` Saint-Andre´-de-Seignanx dans les Landes hisse´e a` HauteMontagne !), Peuple, Nation ; meˆme, te´moignage d’un remarquable optimisme, la Loi, comme a` Neuvy-le-Roi 37 devenu Neuvy-la-Loi. Quelques noms furent honore´s, surtout Marat (une trentaine dont Saint-Nazaire 44, Pont-l’Abbe´ 22, Mont-de-Marsan 40 devenue Mont-Marat et Saint-Martin-de-Hinx 40 Marat-deHinx), Jean-Jacques Rousseau (Saint-Esprit 64, re´unie depuis a` Bayonne, ou Vaugirard, inte´gre´e depuis a` Paris) et son E´mile (a` Montmorency 95), Voltaire (Ferney en Ferney-Voltaire 01, Romilly-sur-Seine 10 en Romilly-Voltaire, Villiers 78 en Villiers-Voltaire). Le symbolique et meˆme le grandiose n’ont pas fait peur : Saint-Pierre-des-Corps 37 devenu La Clarte´ Re´publicaine et Sainte-Marie-l’Aiguillon 61 L’Aiguillon-Re´publicain, Saint-Michel-de-Rivie`re (depuis re´unie a` La Roche-Chalais 24) Ami-des-Lois ; Saint-Ouen-Marchefroy 28 L’Abolition, La Veuve 51 La Voix du Peuple, Anxtot (partie de l’actuel Parc-d’Anxtot 76) Liberticole, Chaˆteau-Thierry 02 E´galite´-surMarne, Villedieu 36 Ve´rite´, Sainte-Me`re-E´glise 50 Me`re-Libre et Saint-Sulpice-deFavie`res 91 Favie`res-De´fanatise´... Meˆme le calendrier re´publicain fut explore´, voire comple´te´ : Sainte-Colombe-laPetite 61 devient Prairial et sa voisine Saint-Le´onard-des-Parcs (a` laquelle elle a e´te´ re´unie depuis) Herbidor, Sainte-Marie-la-Robert 61 devenant Pommidor-sur-le-

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Don... Croixdalle 76 fut renomme´e De´cadine, et la franciade (pe´riode de quatre ans entre anne´es bissextiles) fut choisie pour nommer Lons-le-Saunier 39, Saint-Denis, La Chapelle-Saint-Denis et L’Iˆle-Saint-Denis 93, Allainville 78 (Franciade-Libre), Saint-Denis 89 (Franciade-sur-Yonne, aujourd’hui Saint-Denis-le`s-Sens) et SaintDenis 41 (Franciade-sur-Loire, aujourd’hui Saint-Denis-sur-Loire). L’Antiquite´ alors re´ve´re´e a fourni ses contingents : Saint-E´tienne-de-Baı¨gorry 64 devenue Thermopile, Saint-Caprais 03 The´mistocle, Saint-Christophe-en-Bresse 71 Hercule, Saint-Gilles 30 et Saint-Tropez 83 He´racle´e, Saint-Maximin 83 Marathon. On vit Autun 71 choisir Bibracte et Saint-Chinan 34 Vernodure (gaulois vernodurum, le fort des aulnes) ; et Brutus triompher dans une douzaine de lieux dont SainteMemmie 51 ou Ris-Orangis 91. Capbreton 40 devint Capbrutus, tandis que SainteMaxime 83 choisissait Cassius et Caluire-et-Cuire 69 le jeune he´ros romain Scevola. Plus curieusement, Meudon 92 devint Rabelais, qui n’y re´sida jamais meˆme s’il en avait e´te´ de´signe´ cure´ en 1551 ; Abe´lard remplac¸a Saint-Gildas (actuelle SaintGildas-de-Rhuys 56) ou` il e´tait ne´ (au Pallet). L’autopromotion ne fut pas absente de quelques ambitions : plus de vingt communes se voulurent Bel-Air, autant Bellevue, d’autres Beauvallon, Beau-Se´jour, BelleRoche. Saint-Bauzille-de-Putois 34 devint Bel-He´rault, Saint-Cyr-sur-Loire 37 Belle-Coˆte, Saint-Gibrien 51 Jolibois, Saint-Christophe-sur-le-Nais 37 Val-Riant, Chaˆteau-la-Vallie`re 37 Val Joyeux, Sainte-Luzaigne 36 Vin-Bon, Saint-Bresson 30 Mont-aux-Truffes, Saint-Bouize 18 Les Jardins ; et, fie`re de ses fabrications contribuant a` la de´fense de la Re´publique, Saint-E´tienne 42 fut successivement ArmesVille, Canton-d’Armes et Commune-d’Armes. On apprit meˆme l’art des mots-valises – Saint-Genou 36 fut Indreval et Abzac 33 GirDor-Isle pour ses trois cours d’eau – sinon des contrepe`teries et jeux de mots : plusieurs Saint-Bonnet devinrent ine´vitablement Bonnet-Rouge, Saint-E´loi 58 Loi, SaintePience 50 Sapience (savoir...), Saint-Baudel 18 Beau-Libre, Saint-Cle´ment 19 Ciclamen (sic), Iˆle de Re´ Iˆle Re´publicaine, Saint-Aouˆt Thermidor. Et quelques ignorances e´tymologiques aboutirent a` des travestissements cocasses : Melleroy 45 (de melleraie, bois de ne´fliers) en Melle-le-Peuple, Balleroy 14 (d’un gaulois Balaros ?) en Bal-sur-Droˆme et Faverois 90 (de la fe`ve) en Faveloi. Plusieurs Conde´, qui a` l’origine ne de´signaient que des confluents, ont e´te´ balaye´s, celui du Nord devenant NordLibre, celui du Cher Libre-Pont, ou Conde´-sur-Marne 51 Montagne-sur-Marne. La plupart de ces nouveaux noms ont e´te´ e´phe´me`res ; un de´cret de la Convention autorisait le retour aux anciens noms de`s novembre 1794 ; beaucoup ont e´te´ abandonne´ s de` s le Consulat ou l’Empire, les autres efface´ s par la Restauration – Prayssac 24 attendit 1831 pour reprendre le nom de Chaˆteau-l’E´veˆque, conserve´ depuis. Quelques-uns re´apparurent en 1848 a` la faveur de la Deuxie`me Re´publique, quitte, pour certains, a` eˆtre efface´s sous le Second Empire. Lentement, la Troisie`me Re´publique en fit ressurgir quelques-uns, comme Dun-sur-Auron 18 a` la place de Dun-le-Roi en 1880 ou Villeneuve-Minervois 11 au lieu de Villeneuve-les-Chanoines 11 en 1894, Le Montet 03 pour Le Montet-aux-Moines en 1893. En Saoˆne-et-Loire, Saint-Gengoux-le-Royal, momentane´ment Jouvence en 1790, devint Saint-Gengoux-le-National en 1848 et a` nouveau en 1882 ; Donzy-le-

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Royal 71 redevint Donzy-le-National en 1890 et Lessard-le-Royal 71 Lessard-leNational en 1908. Nogent-le-Roi 52, un temps Nogent-Haute-Marne dans les anne´es 1790, puis a` nouveau Nogent-le-Roi, se nomma Nogent-en-Bassigny en 1890, avant de se limiter a` Nogent en 1972 a` la faveur d’une fusion de communes, simplification discutable e´tant donne´ le nombre de Nogent... Les temps re´cents n’excluent pas des retours en arrie`re : Cormelles 14 est devenue Cormelles-leRoyal en 1969, comme avant 1789, et Riez 85 s’est mue´e en Notre-Dame-deRiez en 1956... Parmi les acquisitions de la Re´volution maintenues ou retrouve´es, Aisey-sur-Seine 21 est un ancien Aisey-le-Duc, Ambe`s 33 avait e´te´ Saint-Jacques-d’Ambe`s, Ancy-leLibre 89 Ancy-le-Serveux, nom repris en 1795 malgre´ son coˆte´ pe´joratif et reperdu en 1848. Beaumont-sur-Sarthe 72 remplac¸a Beaumont-le-Vicomte, Bellevue-laMontagne 43 Saint-Just-pre`s-Chomelis, Berche`res-les-Pierres 28 Berche` resl’E´veˆque, Brie´non-sur-Armanc¸on 89 Brie´non-l’Archeveˆque, Cerisy-la-Foreˆt 50 Cerisy-l’Abbaye, Chantelle 03 Chantelle-le-Chaˆteau, La Chaˆtre-Langlin 36 La Chaˆtre-le-Vicomte, Cirey-sur-Blaise 52 Cirey-le-Chaˆteau. Fontenay-le-Pesnel 14 est un ancien Saint-Aubin-de-Fontenay, Le Gros-Theil 27 fut Saint-Georges-duTheil, He´ricourt-en-Caux 76 Saint-Denis-d’He´ricourt, Labergement-le`s-Seurre 21 Labergement-le-Duc, Lozon 50 Saint-Louet-sur-Lozon. Mas-de-Londres 34 est un ancien Chaˆteau-de-Londres qui n’a pas craint de de´choir de chaˆteau en mas. Mesnil-Follemprise 76 a promu son hameau annexe pour ne plus s’appeler Mesnil-aux-Moines. Molineuf 41 est un ancien Saint-Secondin. Neuillyle-Brignon 37 avait e´te´ Neuilly-le-Noble, Nory-le-Bourg 70 Nory-l’Archeveˆque, Saint-Gilles-les-Bois 22 Saint-Gilles-le-Vicomte, Lavouˆte-sur-Loire 43 avait e´te´ La Vouˆte-de-Polignac, Villeneuve-sur-Yonne 89 Villeneuve-le-Roi. Les Plantiers 30 a remplace´ Saint-Marcel-de-Fontfouillouse, successivement sous la Re´volution et en 1874. En Martinique, Fort-Royal devint Fort-de-France. Et curieusement le bourg de Chaille´-les-Marais 85 est prolonge´ par la file de maisons qui porte encore le nom re´volutionnaire de Village de l’An VII. Conservateur, ou fermement re´publicain, le de´partement de l’Aube a adopte´ de´finitivement, ou retrouve´ plus tard, les noms re´volutionnaires de Balnot-sur-Laignes (jadis -le-Chaˆtel), Champ-sur-Barse (anc. Le Champ-au-Roi), Fontaine-les-Gre`s (anc. Fontaine-Saint-Georges, repris de 1801 a` 1859), Jully-sur-Sarce (anc. Jully-leChaˆtel). La Loge-aux-Che`vres fut juge´e pre´fe´rable a` La Loge-Mesgrigny qui e´voquait le nom d’une ancienne seigneurie de´teste´e, Mussy-sur-Seine a` Mussy-l’E´veˆque, Poivres a` Poivre-Sainte-Suzanne, Pont-sur-Seine a` Pont-le-Roi ; tandis que Thennelie`res a repris et conserve´ son ancien nom, qui avait e´te´ change´ en Paillot en 1765 par son e´rection en comte´ au profit d’un sieur Paillot, d’une famille troyenne d’officiers.

Glissements hie´rarchiques Hors ide´ologies, les changements officiels de noms de communes ont e´te´ nombreux depuis la Re´volution. Ils tiennent a` plusieurs raisons. Une premie`re, bien connue des ge´ographes, tient aux glissements hie´rarchiques entre les villages et hameaux com-

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posant la commune : le nom de l’habitat devenu dominant, ou du moins choisi pour chef-lieu, s’associe a` celui de l’habitat de´chu, ou le remplace. Aussi ces changements concernent-ils surtout des re´gions d’habitat disperse´, ou` la hie´rarchie du peuplement des diffe´rents hameaux et villages a pu changer dans le temps. En ge´ne´ral, ils s’accompagnent d’un transfert ge´ographique du chef-lieu communal et de la mairie ; souvent, d’un recentrage du territoire, l’ancien chef-lieu e´tant juge´ trop e´carte´. Les exemples abondent. Ainsi en Arie`ge, ou` il fut argumente´ par exemple « que le hameau du Cazal des Faures est a` l’extre´mite´ du territoire de la commune et ne compte que sept maisons, que le village appele´ Moulin Neuf se trouve au centre, sur la route Mirepoix Limoux, et compte quinze e´difices dont l’e´glise, la mairie, l’e´cole communale et une importante minoterie, il est de´libe´re´ qu’a` partir de 1876 la commune sera nomme´e Moulin-Neuf ». Maussans 81 devint Rouffiac en 1892, Maussans n’e´tant plus qu’un tre`s maigre hameau au nord de Rouffiac. Il en fut de meˆme pour Martilly devenue Bayet 03 en 1807, deux villages sur un coteau de Sioule ; Marquemont 60 change´e en Monneville en 1863, Gibrondes 81 devenue Jonquie`res en 1887, Nazeyrolles passant a` Auvers 43 en 1900, Marleville a` Attilly 02 en 1925, Montron change´e en Macogny 01 la meˆme anne´e, Jacqueville supplante´e par Amponville 77 en 1841, Patinges par Torteron 18 en 1876. Bassaucourt, ou` n’est plus gue`re qu’une ferme, est devenue Saint-Maurice-sous-lesCoˆtes 55 en 1856, habitat qui apparaissait de´ja` plus gros pre`s d’un sie`cle avant sur la carte de Cassini. La Celle-Bermontoise a disparu corps et biens au profit de La Villetelle 23 en 1912 – il reste une habitation du nom de la Celle au sud-est du village de la Villetelle. Saint-Le´ger-des-Fourches 21 est devenue Champeau en 1911, puis Champeau-en-Morvan (1992) ; l’ancien chef-lieu subsiste comme petit hameau. Montgauguier a e´te´ change´e en Maisonneuve 86 en 1908, celle-ci s’e´tant accrue le long de la Dive, tandis qu’il ne reste presque plus rien de celle-la`. Martainville-duCormier est devenue Le Cormier 27 en 1862, Martainville n’e´tant plus qu’un maigre hameau. Les changements de noms ne sont pas toujours radicaux, mais parfois objets de compromis. Masbaraud-Me´rignat 23 a succe´de´ en 1912 a` Me´rignat, ou` n’est plus qu’une ferme ; Bredons 15 est devenue Albepierre-Bredons en 1955, Albepierre e´tant plus gros et plus central. Marcilly devint Chaumoux-Marcilly 18 en 1896, comme Ronzie`res devint Tourzel-Ronzie`res 63 en 1901. Il a parfois suffi d’une permutation, comme a` Guinarthe-Parenties 64, qui e´tait Parenthies-Guinarthe jusqu’en 1845, ou Champniers-et-Reilhac 24, nomme´e Reilhac-et-Champniers avant 1847 ; mais c’e´tait au prix d’un changement de l’ordre alphabe´tique. Plus prudemment, Bernos 33 s’est change´e en Bernos-Beaulac en 1979, bien que Beaulac soit depuis longtemps, et de loin, plus peuple´ que le hameau de Bernos ou` demeure la mairie. Le changement a pu eˆtre progressif : Yon 01 est devenue Yon-et-Artemare 1863, Artemare en 1886 ; Fouffrans-et-Soirans 21 a e´te´ renomme´e Soirans-Fouffrans au XIX e sie`cle, puis en 1993 Soirans, Fouffrans n’existant plus que comme microtoponyme sans habitat (e´crit Fouffans sur la carte IGN). On a meˆme observe´ des retours en arrie`re : Le Masnau-Massuguie`s 81 fut d’abord Massuguie`s, puis Le Masnau de

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1873 a` 1920 ; le Masnau est un petit village au sud du Dadou, Massuguie`s un territoire d’habitat disperse´ au nord de la rivie`re. Il est vrai que les raisons des changements ne sont pas toujours e´videntes, et peuvent avoir cache´ des querelles internes : Enguiale`s 12 est devenue Le Fel en 1996 au profit d’un village a` peine plus gros et tout aussi perche´ des abords du Cantal ; Boucard a ce´de´ devant Le Noyer 18 en 1846, village pas plus central et situe´ sur la meˆme route ; Ladosse 24 s’est nomme´e Rudeau-Ladosse en 1950, Rudeau e´tant devenu chef-lieu, quoique tout aussi excentre´ a` l’extreˆme sud-est – proche de la route de´partementale il est vrai.

De´clins et descentes du peuplement Ces glissements, qui souvent ont e´te´ accompagne´s d’un transfert du chef-lieu et de la mairie, ont eux-meˆmes plusieurs causes. L’une d’elles tient au de´clin de l’ancien foyer e´ponyme : chaˆteau avec habitat perche´ de´fensif abandonne´, abbaye bien abrite´e mais devenue trop isole´e. Par exemple, Parlatges (une ancienne abbaye en fond de ravin) a ce´de´ la place en 1889 a` Saint-Pierre-de-la-Fage 34, village sur le plateau et les routes. Fre´dille 36 a des restes de l’ancienne abbaye cistercienne du Landais, de 1148 ; le nom de la commune en avait e´te´ Me´ne´tre´ol (« monaste`re »), puis Me´ne´trol-sous-leLandais, avant de prendre en 1902 le nom de son principal hameau. E´lestrec, dont l’e´glise fut frappe´e par la foudre en 1530, changea alors de nom au profit de son manoir de Guicquelleau ; re´duit a` une chapelle, celui-ci a, a` son tour, e´te´ remplace´ par Le Folgoe¨t 29 en 1829, annexe en croissance de Lesneven. Caylus 81 est devenue Rouairoux en 1802 : Caylus e´tait le vieux chaˆteau, Rouairoux le village de´pendant. Budelie`re, village de plateau et de route, a remplace´ en 1851 Le Chaˆtelet 23, perche´ au-dessus de la profonde valle´e de la Tardes. Dame-Sainte 18, hameau de coteau de´chu, a ce´de´ la place en 1911 a` Saugy, le village d’en face dans la valle´e de l’Arnon. Chastel-Marlhac 15, de´chu et excentre´, a e´te´ remplace´ en 1903 par Le Monteil. De meˆme Paulin 81, dont l’ancien centre n’avait plus gue`re qu’un baˆtiment du chaˆteau originel, a laisse´ en 1891 la place a` son ancienne annexe Paulinet : c’est le diminutif qui a gagne´. Cette re`gle n’exclut pas quelques contradictions : L’Absie 79, dont le nom signifie l’abbaye, est issue d’une abbaye royale d’origine be´ne´dictine mais n’en a pris le nom qu’en 1836. La foreˆt de l’Absie divise la commune en deux. La Chapelle-Seguin est le nom d’un gros hameau tout au nord du finage, au bord de la Se`vre nantaise. La commune a eu pour anciens noms La Chapelle-Seguin-et-Capsie (Seguin en 1793), puis La Chapelle-Seguin, enfin L’Absie, marquant le basculement de sa population principale vers le sud. La descente du peuplement a e´te´ un e´le´ment majeur de changements de volume des habitats. Elle a e´te´ lie´e d’un coˆte´ a` l’ame´lioration de la se´curite´, rendant moins ne´cessaires les sites de´fensifs et d’acce`s difficile, de l’autre au de´veloppement des transports et des e´changes. Elle a e´te´ tre`s sensible dans certaines contre´es de montagne, au point que de simples hameaux de pie´mont sont devenus majoritaires. Un

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bon exemple est celui de La Be´gude-de-Mazenc 26 : la commune a change´ de nom en 1892, abandonnant celui de Chaˆteauneuf-de-Mazenc, conserve´ par le village originel d’en haut devenu un simple hameau, 1 500 m au nord. Rac 26, ancien village du haut, avait ce´de´ en 1891 a` Malataverne, en bas sur la N7. Hix, village de´chu de Cerdagne, avait une « guinguette », devenue pre´ponde´rante puis nomme´e en 1815 Bourg-Madame en l’honneur de la duchesse d’Angouleˆme ; les habitants de la commune sont encore les Guinguettois. La descente de l’ancien habitat perche´ de Mourcairol 34 au profit des Aires en contrebas s’est traduite par la substitution des noms en 1845, la commune perdant a` cette occasion Villecelle un peu au nord, future Lamalou-les-Bains. La Rouvie`re 48, du nom d’un ancien hameau isole´ en hauteur, est devenue Pelouse en 1889, nom du village de valle´e sur la N 88. Ge´ovreissiat 01 est devenue Be´ard-Ge´ovreissiat en 2008 : Be´ard est le village peuple´ d’en bas, Ge´ovreissiat l’ancien village d’en haut. Touches 71, dont il reste un petit hameau perche´, e´tait devenue Bourgneuf-Val-d’Or en 1897 avant que ce nom disparaisse dans une fusion de 1971 avec Mercurey 71, Bourgneuf restant comme fraction du village. Champagny-sous-Uxelles 21, village de pied de la Coˆte d’Or, s’est substitue´ en 1883 a` Colombier-sous-Uxelles, hameau en hauteur d’ailleurs inte´gre´ ensuite a` la commune voisine de Bresse-sur-Grosne – de meˆme, quoique en inversion, Mas-Saint-Che´ly 48 a remplace´ Saint-Che´ly-du-Tarn, hameau de fond de gorge, annexe´ ensuite par Sainte-E´nimie. Miramont-d’Aiguillon 47, dont il reste un petit hameau perche´, a change´ en Lagarrigue, village du bas, en 1842. Fondamente 12, dans la valle´e de la Sorgue avec route et voie ferre´e, a remplace´ Montpaon en 1993. Blannaves est un hameau ruine´ en hauteur, supplante´ en 1869 par Branoux en contrebas, la commune devenant ensuite Branoux-les-Taillades 30 du nom d’un quartier de mineurs e´tale´ dans la valle´e du Gardon. Luc 12 est devenue Luc-la-Primaube en 2005 en raison de la notorie´te´ de son annexe commerc¸ante a` un carrefour fre´quente´, et Saint-Sulpice 81 a enfin reconnu en 2013 le poids de son annexe du confluent Tarn-Agout en devenant Saint-Sulpice-la-Pointe.

La promotion des carrefours et des centres d’activite´ Le de´veloppement des routes et des carrefours a e´te´ pour beaucoup dans ces substitutions de peuplement et, par suite, de noms. Goux 79 est devenue La Couarde en 1890, au nom pourtant peu flatteur mais mieux place´e, comme Lageon 79 sur une grande route a remplace´ en 1896 La Boissie`re-Thouarsaise, en pe´riphe´rie de la commune. La Pommeraie, quoique bien plus e´toffe´e que Clussais 79, s’est contente´e de Clussais-la-Pommeraie en 1958, tandis que Montgriffon 01 est passe´e au second rang dans Nivollet-Montgriffon en1883. Alboussie`re 07, actif carrefour, a remplace´ en 1880 Saint-Didier-de-Crussol 07 de´chue, comme Le Massegros 48 a pris la place d’Inos en 1839, et la meˆme anne´e La Croix-Blanche 47 celle de Fauguerolles, dont ne restent que des ruines d’une tour de l’ancien castellas, perche´e au bord d’un ravin. Eytables 01 a succe´de´ a` Ceignes en 1879 et Bellegarde a` Musinens en 1859 avant de devenir Bellegarde-sur-Valserine 01 en 1956. Saint-Pre´jet-du-Tarn 48 est devenue

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Les Vignes en 1914 ; les deux sont dans les gorges du Tarn, mais Les Vignes est sur la route et mieux expose´, en face de Saint-Projet. Portes-le`s-Valence 26, hameau du XII e sie`cle propulse´ par la route et la voie ferre´e, a pris en 1908 la place de Fiancey, qui tirait son nom d’un vieux castrum dont on a perdu la trace. Vilhac-et-Aiguilhanes 09 est devenue Lesparrou en 1915, ce hameau de la cluse de l’Hers Vif ayant largement de´passe´ les deux petits hameaux des hauteurs. Fridefont 15 a remplace´ en 1919 Sarus, a` pre´sent inhabite´. SaintNicolas-du-Pe´lem 22, village du bas sur la route, a remplace´ de`s 1836 Bothoa, petit hameau de plateau. Citons encore pour exemples les substitutions de Chauffayer 05 a` Aubassagne (1887) ; de Re´sentie`res 15 a` Fournols (1866), lieu-dit inhabite´ ; de Lafeuillade-en-Ve´zie 15 a` Lacapelle-en-Ve´zie ; de La Vernelle 36 a` Paulmery (1851) ; de Rezza 2A a` Scanafaghjaccia (1921). Berrie 86 a remplace´ en 1898 Nueilsur-Dive, dont restent a` l’e´cart les petits hameaux Bas-Nueil et Haut-Nueil. L’ancien nom subsiste toutefois en second rang dans Ladoix-Serrigny 21 (1988), BulatPestivien 22 (1876) ou Pianottoli-Caldarello 2A (1921). L’apparition d’un nouveau lieu d’emploi et de trafic a pu suffire au basculement : une usine, une mine, une gare de triage. Dommary-Baroncourt 55 se nommait Bouvigny avant 1898 ; Bouvigny subsiste comme hameau dans les collines au nord-est, mais avait e´te´ de´passe´ par la croissance des activite´s lie´es a` la mine (Dommary) et a` la gare (Baroncourt). En Aveyron, Baraque de Fraysse n’e´tait encore qu’un hameau de 15 habitants en 1866, dans la commune de Carcenac-Peyrale`s ; l’arrive´e du chemin de fer et la gare de Carcenac, toute proche, ont change´ sa situation et en ont fait un lieu de distribution et de collecte pour l’agriculture, dote´ de vastes entrepoˆts ; la commune, re´unie a` sa voisine Vors, est devenue Baraqueville 12 en 1972, et a meˆme e´te´ promue chef-lieu de canton a` la place de Sauveterre dans un canton dit de Baraqueville-Sauveterre – Baraqueville reste depuis 2014 « bureau centralisateur » d’un nouveau canton, mais qui, e´tendu a` l’ancien canton de Naucelle, a pris le nom de Ce´or-Se´gala, le Ce´or e´tant un cours d’eau local, affluent du Viaur. La Guerche-sur-l’Aubois 18 a remplace´ en 1860 Le Gravier graˆce au de´veloppement de sa bifurcation ferroviaire, comme Moissac 15 est devenue Neussargues en 1872, toutefois rectifie´ en Neussargues-Moissac en 1901. Saint-Julien-d’Empare 12 est devenue Capdenac-Gare en 1891. L’acie´rie et les logements ouvriers des Ancizes, dont le nom e´voque l’entaille de la Sioule encaisse´e, ont fait apparaıˆtre en 1885 le nom des Ancizes-Comps 63, Comps e´tant l’ancien village perche´ sur le plateau a` 4 km. Le Lardin 24 a supplante´ Bersac en 1922 en raison du succe`s d’une papeterie installe´e en 1907 ; une fusion de 1967 en a fait Le Lardin-Saint-Lazare, mais le nom courant reste Le Lardin, les habitants sont les Lardinois. Laudun 30 a pris le nom de Laudun-l’Ardoise en 2001 en raison de la notorie´te´ de son port et de sa zone industrielle au bord du Rhoˆne. L’apparition de stations de bains, de neige et de tourisme n’a pas manque´ de s’y ajouter. Alle`gre s’est nomme´e Alle`gre-les-Fumades en 1998 pour tirer parti de ses thermes. Perguet 29 est devenue Be´nodet en 1878 en raison du succe`s de la nouvelle station balne´aire a` l’embouchure de l’Odet. Odeillo, devenue Odeilla-Via par fusion en 1900, a pris en 1957 le nom complique´ de Font-Romeu-Odeillo-Via. Tayac 24 a

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choisi de se nommer Les Eyzies-de-Tayac en 1905 en consacrant la notorie´te´ des grottes orne´es d’un de ses lieux-dits – mais la culture pre´historique nomme´e d’apre`s son gisement reste e´videmment le tayacien ; Eyzies serait comme Eysines (terre du seigneur), ou d’un NP. La proximite´ d’une ville a pu e´galement favoriser la croissance de hameaux et villages proches, au point de les faire e´merger dans la hie´rarchie communale. Saint-Gene`sl’Enfant 63 a change´ son nom en Malauzat en 1928 : dans cette commune tre`s e´tire´e, Saint-Gene`s est au nord, donnant sur Riom, Malauzat au sud, de l’autre coˆte´ du Puy de Marcoin, et attire´e par Clermont-Ferrand. Payrin-Augmontel 81 doit son nom au de´veloppement de Payrin comme banlieue de Mazamet 1886, Augmontel, son nom pre´ce´dent, n’e´tant plus qu’un hameau excentre´.

Rectifier une orthographe Beaucoup de changements officiels de noms sont limite´s a` une simple rectification d’orthographe. En ge´ne´ral, il s’agit de mieux coller a` une e´tymologie, re´elle ou suppose´e. Les sie`cles passe´s ont donne´ de nombreux exemples d’alte´rations et d’approximations ou d’he´sitations : E´leu-dit-Leauwette 62 en est un exemple ce´le`bre, qui fut alternativement Alois, Elues, Elleux ou Esleux (sans doute un alleu) et a` qui dit-Leauwette a e´te´ ajoute´ au de´but du XVIIIe sie`cle, apparemment pour e´voquer le cours de la Souchez. Parmi les villes, les cas les plus connus sont ceux d’Ale`s 30, Alais avant 1926, changement qui a entraıˆne´ ceux de trois communes proches (le`s-Ale`s) ; Se`te, longtemps e´crit Cette, jusqu’a` un acte officiel de 1927 ; Montereau-Fault-Yonne, qui a attendu 1992 pour e´liminer un Faut-Yonne mal compris et, ainsi, bien montrer que l’Yonne s’y arreˆte (« fault », de faillir, qui « manque » et non pas « ne´cessite »). Le retour a` l’e´tymologie justifie que Puycelci 81 ait e´te´ rectifie´ Puycelsi en 2011 : c’est un ancien Celto Duno (fort celte) devenu Podium Celsium ; plus tard, la carte de Cassini e´crivait Puicelcy. De meˆme Volandry 42 s’e´crit Vaulandry depuis 1956, la premie`re syllabe e´voquant un val, non un vol. Azat-le-Riz 87 e´tait Azat-les-Ris en 1801 et a un bois du Ris au nord-est du village, sans doute en raison du ruisseau du Moulin qui traverse la commune ; elle a opte´ pour Azat-le-Ris en 1995. Les Cluses 66 a judicieusement remplace´ L’E´cluse en 1964, comme Bonrepaux 65 a e´te´ rectifie´ en Bonrepos (1905). Fontevrault 49, Fontevrauld sur la carte de Cassini, devenu Fontevrault-l’Abbaye en 1928, s’e´crit Fontevraud-l’Abbaye depuis 1967 car elle fut Fons Evraldi, la fontaine d’un certain Ebrald. Salignac-Eyvigues 33 a remplace´ Salignac-Eyvignes : l’ancienne e´criture e´tait Eyvigas ou Avigas, sans rapport avec des vignes. Villeneuve-le`s Maguelonne 34 a perdu un n en 1992, conforme´ment a` l’e´criture occitane, sans doute fide`le a` l’e´tymologie mag (hauteur) ou mago (marche´) et lona, plan d’eau. Grandchain est devenue Granchain 27 en 2008 (nom d’origine obscure ou` certains voient une grange) et Saint-Sulpice-de-Graimbouville Saint-Sulpice-deGrimbouville (NP Grimbold). Bassilac 24 est passe´e Bassillac en 2002, un peu plus conforme a` la prononciation locale (l mouille´) et surtout au Bassilhac du XIII e sie`cle,

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issu du NP Bassilius, qui toutefois n’a pas e´te´ repris ; au contraire, plus proche de l’occitan et de sa prononciation, Billac 19 s’e´crit Bilhac (NP Bilius) depuis 2007 (son mouille´). Lurcy-Le´vy 03 a change´ pour Lurcy-Le´vis en 1958, en rappel de la seigneurie originelle, dont l’e´tymologie reste mal comprise (Levicias au VIIIe sie`cle, peut-eˆtre un NP, la famille de Le´vis apparaissant au XII e sie`cle). Tre´loup est Tre´lou-surMarne 02 depuis 1966 : il s’agissait de Tres Lodioe (trois loges, les trois cabanes), et non de trois loups. Saint-Philippe-de-Seignac 33 est Saint-Philippe-du-Seignal depuis 1955, du nom de son ruisseau. Schwerdoff a retrouve´ en 1992 l’r du village (dorff) pour devenir Schwerdorff 57, Honskirich son e´glise a` travers Honskirch 57 (1961). Bre´haut fut rectifie´e en Bre´hand 22 de`s 1801, du nom d’un ancien seigneur fondateur, et en 1862 He´moustoir en He´monstoir 22, ce qui ne change pas le sens (vieux monaste`re). Plus subtils ou moins e´vidents sont d’autres changements officiels : Vaurezis s’e´crit Vauxrezis 02 depuis 1996, Chaleix Chalais 24 (2009, peut-eˆtre de cal, caillou) et The´ze´e 41 The´se´e (1974, anc. Tasciaca puis Thesis, peut-eˆtre d’un NP Tatius), Joserand 63 Jozerand (2009, plus conforme a` d’anciennes e´critures), Mauriat 63 Moriat (1984), Hostias 01 Hostiaz (2007). Belignat 01 est devenu Bellignat (1957), en de´saccord avec une e´tymologie suppose´e qui lui attribue un NP romain Bilinius, ou le Belenos gaulois, mais en jouant sur « bel ». La Valle´e-aux-Bleds 02 a pre´fe´re´ La Valle´e-au-Ble´ en 1961, alors que bled n’est qu’une ancienne e´criture de ble´, mais sans doute pour e´viter des moqueries associe´es au sens familier actuel de « bled ». L’y, plus orne´, se substitue volontiers au i en fin de nom : Cerisi-Belle-E´toile s’e´crit Cerisy-Belle-E´toile depuis 1979 et Damigni 61 Damigny depuis 1988, Couffi 41 Couffy depuis 1998. En sens inverse, E´trun 59 s’e´crit Estrun depuis 1994 (de strom, cours d’eau, Strum en 881), par retour a` un ancien franc¸ais qui l’e´loigne d’« e´tron », comme La Me´nie`re 60 est devenue La Mesnie`re en 1981 (la demeure). L’agglutination de l’article n’est plus a` la mode : Laigle 61 est devenue L’Aigle 1961, Labre`de 33 La Bre`de en 1987, Lemeix 21 Le Meix en 1943, Lapalme 11 La Palme en 1995, Laredorte 11 La Redorte en 1993, Labastide-Clairence 64 La Bastide-Clairence en 1988, etc. Localement, on n’a pas recule´ devant la complication : Lavilledieu 82 est devenue La Ville-Dieu-du-Temple en 1968 – les quatorze changements en Tarn-et-Garonne depuis la Re´volution ont tous eu pour effet d’allonger les noms... Curieusement cependant, Le Haucourt est devenu Lehaucourt 02 en 1998, La Palud 84 Lapalud en 1801, La Petite-Fontaine 90 Petitefontaine en 1962. Dans le meˆme esprit, on tend a` distinguer les composants du nom : Chaudesaigues 15 est Chaudes-Aigues depuis 1935, Chaˆteurenard 45 est Chaˆteau-Renard depuis 1996 pour mieux passer du goupil a` la famille Renard, qui en tint la seigneurie ; Chaˆtelguyon est devenue Chaˆtel-Guyon en 2007. On sera plus sceptique sur l’inte´reˆt qu’il y avait a` remplacer lez par le`s a` Rurange-le`s-Thionville (1933) ou Murviel-le`s-Montpellier (1955), les deux formes e´tant e´galement archaı¨ques. Quelques changements d’articles peuvent laisser perplexes : Sainte-Croix-de-Verdon 04 devenue SainteCroix-du-Verdon en 2005, Berre 06 passant a` Berre-des-Alpes en 1896 puis

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Berre-les-Alpes 06 en 1997, ce qui n’aurait gue`re de sens que si l’on avait voulu e´voquer par Alpes les estives et non la chaıˆne de montagnes, mais la commune est sans alpe : elle culmine a` 813 m et son habitat occupe la creˆte. Les modifications ne portent parfois que sur un nombre, voire sur un accent. Les changements d’accents rendent en principe l’e´criture plus proche de la prononciation : Theus 05 est devenue The´us en 1953, tandis qu’en Bretagne Landebia devenait Lande´bia (1886), Treverec Tre´ve´rec (1862). Certaines ont du mal a` se justifier : Mur-de-Bretagne 22, qui fut simplement Mur avant 1856, est devenue Muˆr-deBretagne en 1957 alors que le nom de´signe d’anciennes murailles, et Noe¨-lesMallets 10 a remplace´ Noe´-les-Mallets en 2011, peut-eˆtre pour faire plus joli, mais a` l’inverse de Ploe¨zal devenue Ploe´zal (1954). Plusieurs communes ont e´te´ de´barrasse´es d’un pluriel qui n’e´tait probablement qu’un ornement scriptural : ainsi Vallie`re 23 a remplace´ Vallie`res en 1996, Murol 63 Murols en 1953, Molesme 21 Molesmes en 1997, Fonsomme 02 Fonsommes (2011), Leschelle 02 Leschelles (2008), Neuville-sur-Vanne Neuville-sur-Vannes (2006) – mais Cirie`res 79 a e´limine´ Cirie`re en 2002. L’adaptation des orthographes aux parlers re´gionaux a provoque´ quelques vagues de changements, surtout en Bretagne et en Alsace-Lorraine, et plus re´cemment en Corse et dans les Pyre´ne´es-Orientales. La premie`re a volontiers adopte´ l’orthographe c’h pour un son guttural que rendait mal le ch franc¸ais ; ainsi de Kermoroch 22 a` Kermoroc’h, ou a` Plourac’h, Ploulec’h, Gommenec’h, Plouezoc’h – le mouvement s’est e´tale´ de 1877 a` 2002. Locquenvel a e´te´ change´e en Loc-Envel en 1902. Mulhouse a remplace´ Mulhausen en 1848 ; passe´es les nombreuses transformations de 1870 a` 1945, quelques noms alsaciens et lorrains ont encore e´te´ rectifie´s : Lohr 57 est devenue Lhor en 1947, Gottenhausen 67 Gottenhouse en 1948, Schaffhausen 67 Schaffhouse-sur-Zorn et Schweighausen 67 Schweighouse-sur-Moder en 1949, Kurtzenhausen 67 Kurtzenhouse en 1955, Bueswiller 67 Buswiller et Ueberach 67 Uberach en 1961. En Corse, les discussions sont vives, mais concernent surtout les lieux-dits, ou` la terminaison u tend a` remplacer le o, tandis qu’en pays catalan l’IGN s’efforce de coller aux formes locales dans la position des accents et les articles, ou` els se substitue a` les ; on commence a` voir des adaptations de meˆme sorte dans des contre´es occitanes, ou` l’on se plaıˆt a` doubler les poteaux indicateurs.

Euphe´mismes et quant-a`-soi Une raison ne´gative, mais sans doute une bonne raison de changer un nom s’est trouve´e dans le de´sir d’effacer le malaise ou d’e´viter la moquerie qu’attirent certaines consonances ou quelques doubles sens. La sensibilite´ sur ce sujet a beaucoup varie´ selon le temps et les lieux. Il advient meˆme de nos jours que des communes tirent gloire de leur nom et affichent ce qui, de possible ridicule, sonne comme un de´fi publicitaire : Poil, Cocumont, Longcochon, Arnac-la-Poste, Cucugnan, Le Cercueil ou Corps-Nuds font meˆme partie d’une « Association des communes de France aux noms burlesques, pittoresques ou chantants » cre´e´e en 2003. Le sie`ge de l’association, qui groupe une quarantaine de communes, est a` Saint-Lys 31, d’ou` le mou-

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vement e´tait parti de Minjoce´bos (mange-oignons), lieu-dit rendu ce´le`bre dans la re´gion par une chronique radiodiffuse´e humoristique et patoisante (1944-1965) suivie d’innombrables adaptations. Cette forme d’humour est re´cente, et d’ailleurs mode´re´ment partage´e. Bien plus nombreuses sont les situations ou` les noms de communes ont pu poser des proble`mes existentiels. Ce fut parfois momentane´, quoique aux effets durables : Les Allemands, village cre´e´ dans le Saugeais au cours des anne´es 1320 par l’importation de colons allemands, a obtenu de se nommer Les Allie´s 26 en 1915. Cette meˆme anne´e, Les Allemans 09 est devenue La Tour-du-Crieu. Allemands 14 a e´te´ nomme´e Fleury-sur-Orne en 1917, en hommage a` Fleury-sous-Douaumont 55, ane´antie pendant la bataille de Verdun. Brinon-les-Allemands avait de´ja` change´ pour Brinon-sur-Beuvron 58 en 1898 ; mais Les Allemans 47 est reste´e, ajoutant seulement -du-Dropt en 1890. Peut-eˆtre une raison semblable avait amene´ Fritzlard a` devenir Les Granges-Gontardes 26 en 1793. Plus contestable assure´ment est le cas de Le´vis-Saint-Nom 78 : a` l’origine Levicias (774), elle a ajoute´ ensuite le nom du patron de l’e´glise (Nummius), et eut pour seigneurs a` partir du XII e sie`cle les Le´vis, qui prirent peu apre`s le nom de Le´visMirepoix a` la faveur des ope´rations contre les cathares du Midi. La commune s’est nomme´e par la suite Saint-Nom-de-Le´vy, la forme y e´tant plus flatteuse que le i : elle fut joliment L’Yvette sous la Re´volution du nom de sa rivie`re, puis Le´vy, enfin Le´vySaint-Nom – mais elle a choisi de modifier son orthographe au plus fort des mesures antise´mites de 1943. C’est un autre sentiment qui a pousse´ les habitants de la Mort aux Juifs, hameau de Courtemaux 45, a` obtenir du Conseil d’E´tat un anodin Route de Louzouer en 1993 (S. Gendron) – l’ancien nom subsiste toutefois en 2015 sur les cartes IGN, suscitant une pe´tition du Centre Simon-Wiesenthal ; or il pourrait venir d’une simple mare (dite mortier dans la re´gion), assortie d’un jui de la famille sui (comme la soue) e´voquant les porcins ou la salete´ (Billy). Le « politiquement correct » a ses variations selon les e´poques et les re´gimes – heureusement mode´re´es en France, ou` l’on aurait bien du mal a` araser toutes les apparentes aspe´rite´s d’un si riche passe´ de peuplement et de de´nomination. Certains noms ont pu paraıˆtre de´sobligeants par eux-meˆmes, y compris pour de simples effets d’e´criture ou de prononciation. La Pisse 05 (une simple cascade...) est devenue Pelvoux en 1889, Pisdorf 67 Bischtroff-sur-Sarre en 1952, Les Crottes 05 Crots en 1970. Vesse, aussi Vaisse puis Vesse 03 (en fait vaysse, le coudrier) a choisi d’eˆtre Bellerive-sur-Allier en 1903. La Selle-en-Morvan a obtenu de se nommer La Celle-en-Morvan en 1961, ce qui fait passer l’apparence du toponyme du sens de chaˆteau (sella) a` celui d’ermitage (cella)... En Sologne, Tremblevy (village des peupliers dits trembles), alte´re´ en Tremblevif au XVII e sie`cle sans doute par allusion aux fie`vres des marais, a pris le nom de son e´glise, Saint-Viaˆtre, en 1854. Veaux 74 s’e´crit Vaux depuis 1872, d’ailleurs a` juste titre. Schweinheim a glisse´ vers Schwenheim 67 en 1953, remplac¸ant une e´vocation de cochon par un schwen qui semble issu de sven, a` la fois garc¸on et scandinave. La Molle 83 a opte´ pour Le Moˆle en 1862, Le Petit-Oisseau 72 pour Oisseau-le-Petit en 1961, Les Faisses 39 pour

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Bonnefontaine en 1897, Montcouyoul 81 (couyoul= cocu en occitan) pour MontRoc en 1926, Mille-Savates 61 pour Notre-Dame-du-Rocher en 1878. En HauteLoire, le couvent de femmes de Saint-Andre´-de-Comps (prononce´ con) avait obtenu de Charles VII de changer le nom en Lavaudieu, « pour ce que le nom de Cons est vil et deshonneste a` nommer aux religieuses » (cite´ par G. Taverdet). C’est toutefois surtout du coˆte´ des adjectifs que le baˆt blessait : il suffisait d’en changer. Le froid, le bas, le petit, le pauvre e´taient peu flatteurs. Fay-le-Froid est devenu Fay-sur-Lignon 43 en 1922, Saint-Genie`s-le-Bas 34 Saint-Genie`s-de-Fonte´dit en 1988, Barret-le-Bas 05 Barret-sur-Me´ouge en 2001. Cognac 87, devenue Cognac-le-Froid en 1919 pour se distinguer du Cognac charentais, a opte´ pour Cognac-la-Foreˆt en 1979. Beuvry 59, devenue Beuvry-du-Nord en 1933, a pre´fe´re´ Beuvry-la-Foreˆt en 1969. Saint-Bonnet-le-Pauvre 19 est Saint-Bonnet-les-Toursde-Merle depuis 1920, Presly-le-Che´tif 18 est Presly tout court depuis 1892. Nanc¸ois-le-Petit a change´ pour Nanc¸ois-sur-Ornain 55 (1935) et Louppy-le-Petit pour Louppy-sur Che´e 55 en 1921, Les Petites-Chiettes pour Bonlieu 39 en 1888, du nom de l’ancienne abbaye, mais son gentile´ reste Chiettards. Dans le meˆme esprit, Saint-Bonnet-le-De´sert 03 est devenue Saint-Bonnet-Tronc¸ais en 1893, Lurcy-le-Sauvage 03 Lurcy-Le´vy en 1815, puis Le´vis en 1958. Saint-Re´myMal-Baˆtie 59 a choisi Saint-Remy-du-Nord en 1912, La Chapelle-Moche 61 La Chapelle-d’Andaine en 1961, Saint-Pierre-des-Macchabe´es 07 Saint-Pierresur-Doux en 1922. Chevresis-le-Meldeux a profite´ d’une fusion de 1819 pour devenir Chevresis-Monceau 02. Rozoy-Gaˆtebled est devenue Rozoy-Bellevalle 02 en 1880, Saint-Paul-Labouffie est Saint-Paul-de-Loubres 46 depuis 1943, Buxie`resla-Grue 03 Buxie`res-les-Mines depuis 1880. Saint-Pierre-des-Cercueils est devenue Saint-Pierre-des-Fleurs 27 en 1924. Villers-aux-Corneilles 51 a pre´fe´re´ Villers-leChaˆteau en 1919, et Saint-Pierre-aux-Oies 51 a e´te´ raccourci en Saint-Pierre en 1913, Saint-Gilles-les-Boucheries 30 en Saint-Gilles en 1835. D’autres changements sont un peu curieux, ou bien anodins, mais vont toujours dans le sens d’une certaine banalisation, pour ne pas parler de platitude. Saint-Le´ger-desBruye`res 03 a pre´fe´re´ Saint-Le´ger-sur-Vouzance en 1899, et Sainte-Colombe-laCampagne 27 est devenue Sainte-Colombe-la-Commanderie en 1968, comme s’il fallait effacer un comple´ment trop agreste. Dun 23, devenue Dun-le-Palleteau en 1892, a choisi Dun-le-Palestel en 1952, pour e´viter « paletot » et faire plus occitan « authentique » ; Palestel e´tait une famille de seigneurs du XII e siie`cle dont le nom s’est alte´re´ ensuite (on trouve Palleteau en 1372). Cosne-sur-l’Œil 03 est devenue Cosned’Allier (1914). E´vry-sur-Seine a voulu s’appeler E´vry-Petit-Bourg en 1881 pour tirer parti de la renomme´e du chaˆteau de la Montespan, mais s’est de´barrasse´ en 1965 de son de´terminant, qui faisait « petit bras » (M. Mulon), et n’est plus qu’E´vry 91. Se´gurles-Goujons 19 est devenue Se´gur-le-Chaˆteau en 1924, Nanteuil-la-Fosse 51 Nanteuil-la-Foreˆt en 1974, Fontaine-les-Corps-Nuds 60 Fontaine-Chaalis en 1921, Saint-Martin-du-Tronsec 58 Saint-Martin-sur-Nohain en 1903 et Courcelles-auxBois 55 Courcelles-en-Barrois en 1934. Nueil-sous-les-Aubiers 79 avait pre´fe´re´ se nommer Nueil-sur-Argent en 1964, « sur » valant mieux que « sous » ; las, sa fusion

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avec Les Aubiers en 2001 en a fait Nueil-les-Aubiers : si l’Argent est perdu, du moins le « sous » est oublie´. Rappelons que ces attitudes ont entraıˆne´ aussi des changements dans les noms des de´partements, e´tale´s de 1941 a` 1990 : bas, infe´rieur et nord n’e´taient plus supporte´s... La Charente-Infe´rieure est devenue Charente-Maritime (1941), la SeineInfe´rieure Seine-Maritime (1955), la Loire-Infe´rieure Loire-Atlantique (1957), les Basses-Pyre´ne´es Pyre´ne´es-Atlantiques (1969). Les Basses-Alpes sont « promues » Alpes-de-Haute-Provence (1970), re´ussissant meˆme a` changer le bas en haut, et les Coˆtes-du-Nord Coˆtes-d’Armor en 1990. La Corse a choisi le sud et le haut, e´vitant Basse-Corse et Corse-du-Nord... Ce n’est qu’un premier aperc¸u d’un mouvement ge´ne´ral de distinction et d’autopromotion publicitaire des lieux.

Effacer une de´pendance Une autre raison de modifier le nom est d’effacer ou atte´nuer une de´pendance. Beaucoup de noms de communes ont pour attribut le nom d’une ville voisine, d’une ancienne seigneurie, voire d’un simple chef-lieu de canton. Certaines l’ont abandonne´ froidement, comme Chemilly-pre`s-Seignelay 89 (devenue Chemilly en 1905), Mayons-du-Luc 83 (Les Mayons en 1897), Fresnes-sous-Coucy 02 (Fresnes en 1943), Betting-le`s-Saint-Avold 57 (Betting en 2005) et Remering-le`s-Hargarten 57 (Re´mering en 1993). D’autres ont change´ de de´terminant. Par exemple, l’une des trois Chaˆteauneuf des Alpes-Maritimes avait e´te´ nomme´e Chaˆteauneuf-deContes en 1961, selon la ville voisine, son chef-lieu de canton ; elle a obtenu de passer a` Chaˆteauneuf-Villevieille en 1992 ; son Chaˆteunauf n’est pourtant qu’une tre`s ancienne ruine de castellas au sud du bourg. Une autre Chaˆteauneuf tient a` son nom, qui ne semble pas avoir e´te´ officiellement change´ ; l’Insee l’inscrit depuis 1954 sous le nom de Chaˆteauneuf-Grasse, appellation rejete´e par les habitants et la municipalite´, en ce qu’elle e´tablit une impression de de´pendance. La troisie`me est Chaˆteauneuf-d’Entraunes, dont la pre´cision date de 1801, comme pour les communes voisines. C’est souvent un nom de rivie`re qui fut pre´fe´re´ : Aspres-le`s-Veynes 05 choisit Aspressur-Bue¨ch en 1884, comme Sauveterre-de-Fumel 47 Sauveterre-la-Le´mance en 1890, Saint-Vincent-d’Excideuil 24 Saint-Vincent-sur-l’Isle en 1999, La Cellesous-Moret 77 La Celle-sur-Seine en 1902, Me´nil-Rambervillers 88 Me´ nilsur-Belvitte en 1904, Villotte-devant-Saint-Mihiel 55 Villeneuve-sur-Aire en 1925, Bellenod-sous-Origny 21 Bellenod-sur-Seine et Badefols-de-Cadouin 24 Badefols-sur-Dordogne en 1952, Viellenave-de-Bidache 64 Viellenave-sur-Bidouze en 1956. Sur d’autres the`mes, Gueblange-le`s-Sarralbe 57 devint Le Val-de-Gue´blange (1948), Saint-Laurent-de-Castelnaud 24 Saint-Laurent-la-Valle´e (1903), La Roche-sous-Brianc¸on 05 La Roche-de-Rame (1889) du nom d’une station antique disparue, Rama. Carsac-de-Villefranche, proche de Villefranche-de-Lonchat, bastide anglaise de 1287 (de Longchapt avant 1953), lui pre´fe´ra en 1961 une ancienne seigneurie, dont restent des ruines d’un chaˆteau sur une butte, devenant ainsi Carsac-de-Gurson 24.

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Thorey-le`s-E´poisses 21 choisit Thorey-en-Plaine (1889), Varennes-le`s-Nevers 58 Varennes-Vauzelles (1969), du nom d’un quartier de cheminots grandi en banlieue de Nevers. Flaujac 46 fut Flaujac-Lalbenque en 1918, mais Flaujac-Poujols de`s 1924. Tout en finesse, Noiron-sous-Be`ze 21 devint Noiron-sur-Be`ze en 1848, le premier de´signant le village proche Be`ze, ancienne seigneurie, le second la rivie`re qui passe dans les deux communes. Bligny-sous-Beaune 21 obtint Bligny-le`s-Beaune en 1949. A` l’occasion, on en profita pour une petite flatterie publicitaire : Pugetapre`s-Cuers 83 devenant Puget-Ville (1867), Saint-Martin-de-Senozan 71 SaintMartin-Belle-Roche (1894), Peyzac-de-Montignac 24 Peyzac-le-Moustier (1925), Saint-Martin-Lars-en-Tiffauges 85 Saint-Martin-des-Tilleuls (1951), Puttelangele`s-Farschviller 57 Puttelange-aux-Lacs 57 (1971), Sari-di-Porto-Vecchio 2A SariSolenzara en profitant du succe`s de sa nouvelle station balne´aire. Certaines communes pre´fe´re`rent pourtant un rattachement relativement prestigieux, lui-meˆme conside´re´ comme attractif. Les Adrets-de-Montauroux 83 devinrent Les Adrets-de-Fre´jus en 1891, puis de l’Este´rel en 1962 et Le Canet-du-Luc se nomma Le Cannet-des-Maures en 1927, Saint-Le´ger-d’Orange 84 Saint-Le´ger-du-Ventoux en 1953, Le´vignac-de-Seyches 47 Le´vignac-de-Guyenne en 1929 (d’un NP). Courcelles-sous-Grignon 21 pre´fe´ra Courcelles-le`s-Montbard en 1902, Saint-Aubinjouxte-Boulleng 76 choisit Saint-Aubin-le`s-Elbeuf en 1931, Noiron-le`s-Cıˆteaux 21 Noiron-sous-Gevrey en 1886 et Saint-Denis-le-Ceyze´riat 01 trouva plus avantageux Saint-Denis-le`s-Bourg en 1932. Le Pe´rigord s’imposa aux de´pens de ses villes : Pratsd’Orliac 24 devint Prats-du-Pe´rigord (1890), Auriac-de-Montignac 24 Auriac-duPe´rigord en 1925, Villefranche-de-Belve`s Villefranche-du-Pe´rigord (1893). La Beauce est plus ambigue¨ : mal juge´e par Villedieu-en-Beauce 41, devenue Villedieu-le-Chaˆteau en 1922, et par Fontaine-en-Beauce 41 qui lui pre´fe´ra un banal Fontaine-les-Coteaux en 1935, mais positivement par Saint-Le´onard 41 et par Champigny 41, qui ajoute`rent -en-Beauce en 1916 et 1958... On vit meˆme ainsi des choix nouveaux de de´pendance : Cherves et Saint-Laurent 17 ajoute`rent -de-Cognac en 1958 ; Sarge´ et Voivres 72 avaient choisi plus laborieusement -le`s-le-Mans en 1933. Sans peur de complications, la Moselle en usa largement : Maizie`res opta pour Maizie`res-le`s-Metz en 1847, Merci-le-Haut pour Mercyle`s-Metz (1861), Behren pour Behren-le`s-Forbach et Beyren pour Beyren-le`s-Sierck (1926), Wœlfling pour Wœlfling-le`s-Sarreguemines (1929), Rohrbach pour Rohrbach-le`s-Bitche (1930), Halling 57 pour Halling-le`s-Boulay-Moselle (1931) puis -le`s-Boulay (1957), Kerling pour Kerling-le`s-Sierck et Saint-Julien pour SaintJulien-le`s-Metz (1955), Hellering pour Hellering-le`s-Fe´ne´trange et Vallie`res pour Vallie`res-le`s-Metz en 1961. Plus surprenant, Saint-Paul 06 a attendu 2011 pour devenir officiellement Saint-Paul-de-Vence, nom que ses familiers lui avaient donne´ depuis longtemps. L’e´chelle des de´pendances se change ainsi en fierte´ d’appartenance, surtout a` des niveaux ge´ographiques plus larges. Nombreuses les communes qui ont choisi d’ajouter a` leur nom -en-Bretagne, -en-Anjou, -en-Touraine. Latour 63 a choisi La Tour-d’Auvergne en 1961, en se´parant l’article pour mieux rappeler qu’elle fut le berceau d’une ce´le`bre famille. Pour la meˆme raison, Castelmoron 33 ajouta -d’Albret a` son nom en 1957. Caupenne 32 est devenue Caupenne-d’Armagnac en 1899, le

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nom ajoutant ici un parfum de spiritueux. Et La Cadie`re 83 n’a pas he´site´ devant La Cadie`re-d’Azur de`s 1920, la renomme´e de la Coˆte d’Azur e´tant alors e´tablie.

L’art de la distinction Se distinguer est en effet tout un art, devenu de nos jours un art de la re´clame, ou mieux de la « promotion ». C’est le coˆte´ « positif » de la distinction, une fois de´barrasse´ des noms de´plaisants et des de´pendances inde´sire´es. Pourtant ce ne fut pas ne´cessairement la premie`re motivation. La plus ordinaire et suffisante des distinctions a consiste´ en effet a` se se´parer des homonymes, fort nombreux quand il s’agit de noms en Saint, voire en Mont. La Poste a pu insister en ce sens, afin d’ajuster la distribution du courrier, notamment en e´vitant la stricte homonymie a` l’inte´rieur d’un meˆme de´partement. C’est ainsi que de nombreuses pre´cisions par adjonction sont intervenues de 1918 a` 1923 : on peut relever par exemple 45 changements officiels avec pre´cision du nom de la commune dans l’Aube et 50 dans la Droˆme dans la seule anne´e 1919, 97 dans la Meuse de 1919 a` 1922, 43 dans le Doubs en 1922-1923. En ge´ne´ral, la solution a consiste´ a` ajouter un de´terminant au nom initial ; souvent il s’est agi du nom de la rivie`re locale, de celui de la ville proche, d’une appartenance territoriale, quelquefois d’un trait particulier (-l’Abbaye, un sommet proche, une production originale). Meulan-en-Yvelines 78 se nommait simplement Meulan jusqu’en 2003, a tente´ alors Meulan-sur-Seine en vue d’e´viter la confusion avec Melun, avant d’opter pour le nom du de´partement en 2010, apre`s un refus du Conseil d’E´tat arguant que Melun aussi e´tait sur la Seine. Chambon 63 a ajoute´ -sur-Lac en 1924, Bort 63 -l’E´tang en 1930 – en re´alite´ la commune contient plusieurs petits e´tangs –, Saint-E´loy 63 -la-Glacie`re en 1961. Saint-Maixent 79 a ajoute´ -l’E´cole en 1926, par re´fe´rence a` son e´cole militaire. Ambe´rieu 01 s’est dite -en-Bugey et Bourg 01 -en-Bresse en 1955, Carignan 33 et Saint-Caprais 33 ont ajoute´ -de-Bordeaux respectivement en 1913 et en 1978. Aix 13 n’est -en-Provence que depuis 1932. Saint-Ferre´ol 31 est nomme´e SaintFerre´ol-de-Comminges en 2003, et Rieux 31 Rieux-Volvestre six ans apre`s ; Saints 89 est Saints-en-Puisaye depuis 2012. Dans l’Aude, on s’est volontiers re´fe´re´ aux petites contre´es : Minervois, Corbie`res, Raze`s, Cabarde`s, Sault. Le nom du chef-lieu de canton, meˆme peu connu, a pu suffire : Sabadel et Se´naillac dans le Lot sont devenues Sabadel-Latronquie`re et Se´naillac-Latronquie`re en 1955. A` titre d’exemple, en Mayenne en 1919, Loigne´ a ajoute´ -sur-Mayenne, Beaulieu -sur-Oudon, Parigne´ -sur-Braye et Gennes -sur-Glaize, selon quatre rivie`res ; Le Bignon, Chaˆlons, Chevigne´, Maisoncelles et Saint-Ellier ont choisi l’ancienne province en ajoutant a` leur nom -du-Maine. Chaˆtres a pre´fe´re´ -la-Foreˆt, Colombiers -du-Plessis (le Plessis est un hameau au sud-est du village), Couesmes -en-Froulay (Froulay est une ancienne seigneurie, e´galement pre´sente dans le nom de Tesse´Froulay 61). Ambrie`res ajouta -le-Grand, Bre´tignolles -le-Moulin, Argenton -NotreDame (du nom de son e´glise), Parne´ -sur-Roc, Orge`res -la-Roche (un petit sommet au sud du village porte le nom de Roche ou Roches d’Orge`res). Des fusions de 1972 ont modifie´ les comple´ments : Ambrie`res-le-Grand est devenue Ambrie`res-les-

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Valle´es, Bre´tignolles-le-Moulin Le Housseau-Bre´ tignolles, Orge`res-la-Roche Lignie`res-Orge`res (Orge`res est devenue Bourg-d’Orge`res) et Couesnes-en-Froulay Couesnes-Veauce´. La distinction a pu se limiter a` opposer simplement deux voisins homonymes, selon leur appartenance ou leur situation, ou plus rarement selon quelque diffe´rence de qualite´. Elle a pu eˆtre tre`s ancienne, ante´rieure a` la formation des communes et des de´partements : nous avons vu de nombreuses distinctions entre des mentions -leComte et -l’E´veˆque, ou -le-Roi et -l’Abbe´ par exemple, entre -le-Haut et -le-Bas, Ober et Nieder, -de-Dalt et -de-Baı¨x. En Moselle, Pournoy-la-Grasse s’oppose a` Pournoy-la-Che´tive, d’ailleurs moins e´tendue et moins peuple´e ; dans l’Oise, Breuille-Sec, qui mord sur le plateau, voisine avec Breuil-le-Vert, qui se tient en fond de valle´e. Ces changements et adjonctions ne vont pas sans he´sitations : en Lorraine, Dommartin a e´te´ Dompmartin-la-Chaulcie en 1277, puis Dompmartin en 1703, Dommartin-le`s-Thiaucourt en 1710, Dommartin-sous-les-Coˆtes en 1752, Dommartin ensuite ; devenue Dommartin-la-Chapelle en 1860 en pe´riode d’offensive catholique et par l’installation d’une chapelle et d’une congre´gation, elle a repris en 1965, en le modernisant, son nom initial de Dommartin-la-Chausse´e. Beaucoup de ces additions peuvent passer pour neutres, pour de simples pre´cisions de localisation. Il va pourtant de soi que l’on a pu en profiter pour valoriser quelque peu le nom de la commune, du moins depuis le de´veloppement du tourisme et de la communication publicitaire. Les voies en sont multiples.

Nommer par et pour la renomme´e Certaines communes ont tire´ parti de la pre´sence d’un haut lieu ou d’un site connu : Chamonix 74 est devenue Chamonix-Mont-Blanc en 1921, Vallon 07 Vallon-Pontd’Arc en 1948, Vers 30 Vers-Pont-du-Gard en 1971, Rogny 89 Rogny-les-SeptE´cluses 1978, Sixt 74 Sixt-Fer-a`-Cheval en 1979. Saint-Maximin 83 a ajoute´ la Sainte-Baume a` son nom en 1920. Saint-Jean, hameau de Villefranche 06 (Villefranche-sur-Mer en 1988), fut e´rige´ en commune en 1904 sous le nom de SaintJean-sur-Mer, aussitoˆt remplace´ en 1907 par Saint-Jean-Cap-Ferrat. Peu apre`s, Roquebrune, devenue Cabbe´-Roquebrune en 1890 par fusion, pre´fe´rait Roquebrune-Cap-Martin en 1913. Le`ge 33 a attendu 1976 pour se nommer Le`ge-CapFerret. Vic 34 avait obtenu d’eˆtre Vic-les-E´tangs en 1885, nom qu’elle a fini par troquer en 1914 pour Vic-la-Gardiole. Saint-Germain-la-Feuille 21 est devenue Saint-Germain-Source-Seine en 1873 et Seillons 83 Seillons-Source-d’Argens en 1921. Le Bourget 73 a insiste´ pour devenir en 1953 Le Bourget-du-Lac, afin que nul n’en doute. Bien d’autres avantages, plus modestes, ont e´te´ ainsi mis en valeur pour rehausser un nom. Bort 19 est devenue Bort-les-Orgues de`s 1919 en raison de ses ce´le`bres rochers basaltiques, Be´con 49 Be´con-les-Granits en 1922, Le Bouchet 74 Le Bouchet-MontCharvin en 2013. Faute de mieux, Avon 37 a ajoute´ -les-Roches en 1936, Villaines 37 -les-Rochers en 1957, Bre´ville 14 -les-Monts en 2004 et Challes 01 -la-Montagne en

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2006. La Balme 38 n’a pas he´site´ devant la redondance en choisissant La Balme-lesGrottes en 1901. Collonges 19 est devenue Collonges-la-Rouge en 1968 pour la beaute´ de ses murs de gre`s. Ailleurs on s’est contente´ de se re´fe´rer a` des plans d’eau (Jugon-les-Lacs 22 en 1973, Fay-les-E´tangs 60 en 1965, Clairvaux-les-Lacs 39 en 1930) et les cascades ont eu quelque succe`s en Corre`ze (Gimel-les-Cascades en 1974), Arie`ge (Roquefort-les-Cascades en 1936) et Var (Sillans-la-Cascade en 1920). Plus surprenant, Caumont 14 est devenue Caumont-l’E´vente´ en 1955, ce qui ensuite contribua peut-eˆtre a` attirer des sites d’e´oliennes dans le voisinage. Les monuments n’ont pas e´te´ moins sollicite´s a` Toulouse-le-Chaˆteau 39 (1938), Ambillou-Chaˆteau 49 (1922), Servie`res-le-Chaˆteau 19 (1919), Betz-le-Chaˆteau 37 (1920), Saint-Mitre-les-Remparts 13 (1949), Hautefage-la-Tour 47 (1919), tandis que Saint-Vincent-du-Lauzet 04 devenait Saint-Vincent-les-Forts en 1923. Simiane 04 est passe´e Simiane-la-Rotonde en 1954 de par la forme de son chaˆteau fort a` douze pans. Citons encore Vabres-l’Abbaye 12 en 1955, Ressons-l’Abbaye 60 en 1994, Mazan-l’Abbaye 07 en 1954. Et, s’agissant de couvents, Baume 39 a choisi Baume-les-Messieurs en 1968 par syme´ trie et concurrence avec Baume-lesDames 25. L’histoire a fourni quelques arguments, consacre´s par des noms. Arnac 19 fut appele´e Arnac-Pompadour de`s avant la Re´volution, en raison du chaˆteau et des haras. Chaˆteauneuf-Calcernier 84 a pris le nom de Chaˆteauneuf-du-Pape en 1953, en me´moire de la papaute´ d’Avignon. Douvres 14 est Douvres-la-De´livrande depuis 1961, non en me´moire du De´barquement de 1944 mais d’apre`s sa basilique du Second Empire, e´difie´e sur un tre`s ancien lieu de pe`lerinage, sans doute pre´chre´tien. Vaison 84 est Vaison-la-Romaine depuis 1924 ; non loin, Aps 07 avait e´te´ rebaptise´e Alba en 1903 puis, en insistant, devint Alba-la-Romaine en 1986. Cormelles 14 eut jadis un privile`ge royal d’exemption de taxes en e´change de l’engagement de ses habitants a` de´fendre l’entre´e me´ridionale de Caen lorsque le roi y se´journait ; elle devint Cormelles-le-Royal, mais seulement en 1969. Saint-Antonin 81 s’est souvenue avoir e´te´ Nobilis Vallis au Moyen Aˆge : elle est Saint-Antonin-NobleVal depuis 1962. Montastruc 31 est devenue Montastruc-la-Conseille`re en 1890 : l’histoire locale officielle attribue ce nom au fait qu’une chaˆtelaine, e´pouse d’un conseiller au parlement de Toulouse, eut son portrait longtemps expose´ au relais de poste, pour l’avoir refuse´ a` un peintre un peu susceptible.

Privile`ges et spe´cialite´s C’est a` une spe´cialite´ plus ou moins originale qu’ont eu recours d’autres communes pour se distinguer. Le cas le plus connu est sans doute celui de Villedieu 50, ancienne cre´ation des Hospitaliers, devenue Villedieu-les-Poeˆles en 1962 en re´fe´rence a` sa tradition de dinanderie ; pourtant elle avait e´te´ pre´ce´de´e par Hotot 14, Hotot-lesBagues depuis 1955, pour sa tradition de bagues en crins meˆle´s de fils d’or et d’argent. Saint-Michel 04 est Saint-Michel-l’Observatoire depuis 1939. Plus banalement, Clermont 02 se nomme Clermont-les-Fermes depuis 1956, son habitat se limitant a` quatre ou cinq fermes groupe´es en Champagne crayeuse.

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La Fare 13 a choisi La Fare-les-Oliviers en 1919, et plusieurs communes ont ajoute´ a` leur nom -les-Pins, surtout en bord de mer. Nous avons de´ja` vu l’abondance des additions en plage, mer, sables, eaux, bains et thermes pour les stations balne´aires ; Six-Fours 83, devenue modestement Six-Fours-la-Plage en 1923, n’a pas re´siste´ a` changer pour Six-Fours-les-Plages en 1974... Inversement pourtant, Saint-JouinBruneval 76, ou` est le terminal pe´trolier d’Antifer, issue d’une fusion de 1823 et qui s’e´tait nomme´e Saint-Jouin-sur Mer en 1912, a repris son ancien nom en 1950. Saint-E´loy 19 a adopte´ Saint-E´loy-les-Tuileries en 1919, mais les tuileries n’y sont plus qu’un souvenir. Il en est de meˆme a` Ferrie`res 34, devenue Ferrie`res-les-Verreries en 1948. Nombre de communes ont voulu ajouter -les-Mines a` leur nom, surrtout au XIX e sie`cle, et meˆme plus tardivement comme Sanvignes 71 en 1924, Cagnac 81 en 1931 et Blaye 81 en 1937. Pe´ze`nes 34 est devenu Pe´ze`nes-les-Mines en 1926 pour sa bauxite, qui n’y est plus exploite´e. Mais, depuis le milieu du XXe sie`cle, ce qualificatif n’est plus porteur, et plusieurs communes ont obtenu de s’en de´barrasser, comme Couches 71 en 1955 (-les-Mines en 1853), Montchanin 71 en 1958 (elle le portait depuis 1854), E´pinac 71 en 1968 (63 ans apre`s l’avoir adopte´) ; Montceau-les-Mines 71, commune cre´e´e pour l’exploitation minie`re en 1856 sous le nom de Mont-Saint-Vincent, l’avait adopte´ en 1874 et le conserve fide`lement, le de´partement ayant d’ailleurs deux autres Montceaux. La re´fe´rence a` un cru prestigieux a souvent servi de motivation a` un comple´ment de nom. Elle explique l’abondance relative des recours a` Me´doc, Minervois, voire Corbie`res. Me´doc (ou de, en Me´doc) a e´te´ ajoute´ a` Saint-Yzens en 1907, Civrac en 1908, Saint-Vivien en 1923, Le Taillan en 1925, Ludon en 1931, Listrac et SaintAubin en 1932, Gaillan en 1935, Lesparre et Cissac en 1936, Moulis et Prignac en 1937, Le Plan en 1956, Castelnau en 1957 (un autre Le Plan girondin se contentait alors d’un -sur-Garonne). Cussac 33 a ajoute´ Fort-Me´doc en 1971. Saint-Christoly 33, devenue Saint-Christoly-et-Couque`ques en 1821, avait pre´ce´de´ le mouvement en se nommant Saint-Christoly-Me´doc de`s 1896 tandis que Saint-Laurent, nomme´e de-Me´doc de`s 1801, puis Saint-Laurent-et-Benon par fusion, a attendu 1988 pour eˆtre Saint-Laurent-Me´doc. Une dizaine de communes ont ajoute´ Minervois a` leur nom au cours des anne´es 1920 et 1930, quitte a` sacrifier d’anciens comple´ments comme a` Saint-Jean-de-Pardailhan 34, Fe´lines-Hautpoul 34 ou Villeneuve-les-Chanoines 11. Les grands climats bourguignons n’ont pas e´te´ en reste : Gevrey est devenu Gevrey-Chambertin de`s 1846, Aloxe a ajoute´ Corton en 1862, Vosne Romane´e en 1866, Chambolle Musigny en 1878, Puligny Montrachet en 1879, Solutre´ Pouilly en1912, Morey Saint-Denis en 1927. Chassagne-le-Haut a change´ pour Chassagne-Montrachet en 1879, Flagey-le`s-Gilly 21 pour Flagey-E´che´zeaux en 1886. Trois communes, Decize, Cheilly et Sampigny se sont partage´ le climat de Maranges et l’ont ajoute´ a` leur nom en 1895-1898. D’autres ont duˆ se contenter d’ajouter -les-Vignes (Saint-Ouen 37 en 1920, Queyssac 19 en 1919) ; Ayguemortes 33 a adopte´ -les-Graves en 1901. On sait que le retentissant changement de Chaˆlons-sur-Marne pour Chaˆlons-en-Champagne, obtenu en 1997 apre`s une premie`re annulation par le Conseil d’E´tat, fut motive´ par un usage d’avant la Re´volution, et par l’appartenance provinciale ; on

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peut penser que le prestige du champagne n’y fut pas e´tranger, non plus qu’a` certaines oppositions – Chaˆlons n’est pas pre´cise´ment dans le vignoble, lequel est tre`s jaloux de son appellation. Il est d’ailleurs surprenant que deux communes de la Sarthe, Domfront et Vire´, aient obtenu d’ajouter -en-Champagne a` leur nom en 1962, meˆme si ce terme est parfaitement justifie´ par leur appartenance a` la Champagne Mancelle... Le gouˆt de la publicite´ et de l’autopromotion n’a gue`re pour limite que la complaisance des pouvoirs publics. Passe encore que Saint-Julien-de-Valgalgues 30 ait change´ pour Saint-Julien-les-Rosiers (1955) et Bormes 83 pour Bormes-lesMimosas (1968). On peut eˆtre plus surpris par les qualificatifs de Colombey-lesBelles 54 (1889), Vezin-le-Coquet 35 (1920) et Rouperroux-le-Coquet 72 (1894), Mantes-la-Jolie (1953) et mieux encore par Cordes 81, devenu Cordes-sur-Ciel en 1993 au motif que le village est perche´. Druyes 89 a choisi Druyes-les-Belles-Fontaines en 1925, Lamadeleine 90 (32 habitants...) Lamadeleine-Val-des-Anges en 1937. En optant pour Eaux-Bonnes en 1861, Aas a perdu sa place de premie`re commune de France (alphabe´tiquement). Landes 41 s’est nomme´e Landes-le Gaulois en 1918, seule en France, et au motif (parfaitement anachronique) qu’on y avait trouve´ des menhirs (un lieu-dit s’y nomme la Pierre Leve´e). La Corre`ze a vu en 1919 tout a` la fois Chirac devenir Chirac-Bellevue, Pe´ret Pe´ret-Bel-Air (1919) et Brive Brive-la-Gaillarde au pre´texte d’anciennes fortifications. Bouc 13 a aussi choisi de devenir Bouc-Bel-Air en 1907, et deux de ses quartiers se nomment Beau Soleil et Bel Ombre (sic) – il est vrai que parmi ses autres quartiers sont les Morts et les Revenants...

La vertu des hommages Contrairement a` d’autres pays, la tradition franc¸aise est reste´e prudente a` l’e´gard des hommages rendus sous la forme de noms de lieux, du moins en dehors des rues et des places, dont les noms changent plus facilement selon les humeurs, voire les majorite´s. Quelques communes n’ont cependant pas e´chappe´ a` des ce´le´brations susceptibles d’avoir modifie´ des noms de lieux – outre les cas, de´ja` examine´s, de noms nouveaux lie´s a` des fondations de villes, villages et cite´s, ou a` des changements de seigneurs. Les hommages rendus a` des hommes de plume ont probablement e´te´ les plus nombreux. Saint-Michel-et-Bonnefare 24 re´sultait en 1793 de la fusion de Bonnefare et de Saint-Michel-de-Montaigne, ou` l’auteur des Essais eut jadis ses terres ; perdu a` cette occasion, le nom a e´te´ exhume´ en 1936 sous la forme retrouve´e de Saint-Michel-de-Montaigne. Aubigne´ 72 obtint en 1964 de s’appeler Aubigne´Racan, en tant que lieu de naissance de Racan (1589-1670), au chaˆteau de Champmarin qui subsiste comme manoir du XVIe sie`cle et s’accompagne d’un muse´e Racan. A` la suite, Saint-Paterne 37 devint Saint-Paterne-Racan en 1936, la commune englobant au sud le chaˆteau de la Roche-Racan (1634), qu’illustra l’e´crivain. Descartes 37 se nommait d’abord La Haye, et fut sous ce nom une place forte aux limites de la Touraine ; elle ajouta en 1802 le nom de Descartes, qui y e´tait ne´ en

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1596, et finit par abandonner celui de La Haye a` la faveur d’une fusion de communes en 1967. Carla 09 devient Carla-le-Comte au XVII e sie`cle, puis Carla-Bayle en 17901801, et a` nouveau en 1879, en l’honneur de Pierre Bayle (1647-1706), auteur du Dictionnaire historique et critique, qui y naquit. Cesson 35 a tenu en 1921 a` rendre hommage, sous la forme Cesson-Se´vigne´, a` la famille et a` la marquise de Se´vigne´, qui y avaient leur domaine. Champagne 17 devint Champagne-de-Blanzac en 1956, puis Champagne-de-Vigny en 1983, en hommage a` Alfred de Vigny qui y avait son domaine du Maine-Giraud. Milly 71 est devenue Milly-Lamartine en 1902 : l’e´crivain y avait passe´ son enfance. Illiers 28 a obtenu de se nommer Illiers-Combray en 1971, du nom sous lequel Marcel Proust l’a souvent e´voque´e. Le nom de Terre-Natale avait e´te´ choisi en 1972 par trois communes associe´es de Haute-Marne, d’apre`s le titre du roman de Marcel Arland, qui e´tait originaire du lieu ; mais ce nom a disparu en 2011, les communes re´unies ayant repris leur inde´pendance. Des inventeurs, pionniers et personnages historiques sont entre´s dans des noms de communes, ou de lieux-dits. Bonrepos 31 est devenue Bonrepos-Riquet en 1921 : l’inventeur du canal du Midi avait pu y racheter et re´ame´nager un chaˆteau avant meˆme d’engager son grand œuvre. Saint-Le´ger-Vauban 89 fut le lieu natal du mare´chal architecte (1633-1707), et a ainsi comple´te´ son nom en 1867 – il existe e´galement un canal Vauban en Alsace, d’Ensisheim a` Neuf-Brisach, ouvert en 1699 sur 37 km ; mais le canal Vauban de Harfleur au Havre (1667), qui pre´figurait celui de Tancarville, a e´te´ efface´ en 1962. Le canal de Craponne, de´rive´ de la Durance en 1554, porte le nom de son inge´nieur concessionnaire. Le marquis de Mirabeau a fourni deux comple´ments : Le Bignon-Mirabeau 45 en 1881, Les Pennes-Mirabeau 13 en 1902, en raison d’anciennes possessions de la famille ; mais Mirabeau (« bellevue ») est une commune du Vaucluse et a un homonyme en Haute-Provence. Quelques hommes d’armes ont laisse´ des traces. De´ja`, la vosgienne Domre´my avait honore´ Jeanne d’Arc sous le nom de Domre´my-la-Pucelle de`s 1578, et l’a conserve´ depuis. Chavaniac-Lafayette 43, ou` naquit La Fayette en 1757, a e´te´ cre´e´e en 1880 a` partir de Saint-Georges-d’Aurac, sous le nom de Chavagnac, Lafayette e´tant ajoute´ en 1884 et Chavagnac transforme´ en Chavaniac. Saint-Amans-Labastide, bastide du XIII e sie`cle, est devenue Saint-Amans-Soult en 1852, en hommage au mare´chal Soult, qui y naquit, et qui mourut en 1851 au chaˆteau qu’il y avait achete´. Thorey 54 devint Thorey-Lyautey en 1936, deux ans apre`s la mort du mare´chal en son chaˆteau. En sens inverse, les Napole´on furent de´baptise´s a` Pontivy, La Roche-sur-Yon et meˆme a` Brienne-le-Chaˆteau 10, nomme´e Brienne-Napole´on sous le Premier Empire, puis de 1849 a` 1881...

Comme´morations et terrains des armes Les guerres ont laisse´ des traces dans des noms de lieux-dits, et meˆme de communes. On connaıˆt les plages du de´barquement du 6 juin 1944, qui ont conserve´ leurs noms de code : d’ouest en est Utah (Sainte-Marie-du-Mont 50), Omaha (a` Sainte-Honorine-des-Pertes, Colleville-sur-Mer, Saint-Laurent-sur-Mer, Vierville-sur-Mer 14),

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Gold (Arromanches, Le Hamel, La Rivie`re 14), Juno (Courseulles-sur-Mer, SaintAubin-sur-Mer, Bernie`res-sur-Mer 14), Sword (6 communes, de Ouistreham a` Saint-Aubin-sur-Mer 14). Colleville-Montgomery 14 a acquis son nouveau nom en 1946 en hommage au mare´chal britannique, mais il existait un chaˆteau des Montgomery (XVII e sie`cle) a` Ducey (50). On a nomme´ Falaise Winston Churchill un haut lieu du de´barquement a` Tracy-sur-Mer 14. Le nom du malheureux maquis des Glie`res dans les Bornes s’est ajoute´ en 1947 a` Thorens-Glie`res 74 et Le PetitBornand-les-Glie`res 74, celui d’Oradour en 1950 a` Charly-Oradour 57, dont 39 habitants, exile´s a` Oradour-sur-Glane 87, ont e´te´ victimes du massacre du 10 juin 1944. La grotte du Massacre a` Floing 08 e´voque une exaction allemande du 29 aouˆt 1944. La guerre de 1914-1918 a provoque´ des modifications de natures diffe´rentes. Certaines communes ane´anties sont reste´es vides, mais leur nom maintenu par rattachement a` des voisines qui l’ont adopte´ : en Lorraine Regnie´ville a` ThiaucourtRegnie´ville 54, dans la Marne Hurlus (a` Wargemoulin-Hurlus), Le Mesnil-le`sHurlus (a` Minaucourt-le-Mesnil-le`s-Hurlus), Perthes-le`s-Hurlus (a` Souain-Perthes-le`s-Hurlus), Ripont (a` Rouvroy-Ripont), Tahure (a` Sommepy-Tahure), Moronvilliers (a` Pontfaverger-Moronvilliers), Nauroy (a` Beine-Nauroy) ; dans l’Aisne Beaulne-et-Chivy a` Vendresse-Beaulne 02, Moussy-sur-Aisne a` VerneuilCourtonne devenue Moussy-Verneuil, Courtecon a` Pancy-Courtecon. D’autres ont e´te´ divise´es, comme Vauclerc-et-la-Valle´e-Foulon entre Bouconville-Vauclair 02 et Oulches-la-Valle´e-Foulon 02. Quelques-unes ont conserve´ leur nom et une existence fictive, sans habitant, surtout dans la Meuse. Certains sites sont devenus me´morables sous des noms nouveaux, comme le Mont des Chars a` Berry-au-Bac 02, proche de la ferme du Chole´ra ; la Main de Massiges a` Massiges 51, un promontoire a` plusieurs creˆtes dessinant grossie`rement une main sur les cartes, objet de durs combats en septembre 1915 ; la Cote 304 a` Esnes-enArgonne 55 (avec monument), la Cote Quatre-Vingts a` Etinehem 80 (ne´cropole nationale), l’Infirmerie et Premier Zouave a` Fontenoy 02, la Butte des Zouaves a` Moulin-sous-Touvent 02 ; ou encore l’Affuˆt des Canons a` Sainte-Menehould. Meˆme le fils de Guillaume II, le fameux Kronprinz (« prince de la couronne ») se signale encore par cinq lieux-dits : des Abris du Kronprinz a` Varennes-enArgonne 55, un autre a` Nampcel 60, une Baraque a` Emberme´nil 54, un Tunnel a` Cumie`res-le-Mort-Homme 55 – loin de ces lieux, Alle`gre-les-Fumades 30 posse`de aussi sa Maison du Kronprinz, une villa balne´aire cossue qui aurait e´te´ construite a` son intention avant la guerre. Bouchavesnes-Bergen 80 a comple´te´ son nom en 1920, en reconnaissance de l’aide apporte´e a` la reconstruction du village par un armateur norve´gien et la ville de Bergen. Poilcourt-Sydney 08, a` l’origine le village de Paul, Paulicurtis, a rajoute´ Sydney en 1921 en remerciement pour l’aide apporte´e par la ville australienne a` la reconstruction du village de´truit, qui aurait meˆme pre´fe´re´ alors se nommer Sydney-sur-Retourne. Manchester a` Charleville-Me´zie`res 08 est un grand quartier issu d’une souscription financie`re lance´e en 1921 par le Manchester Guardian pour la reconstruction. E´lisabethville est une cite´-jardin a` plan rayonnant semi-circulaire fonde´e dans les anne´es 1920 a` Aubergenville 78 et ainsi nomme´e en l’honneur de la reine des Belges.

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Plus ancien, la Dernie`re Cartouche est le nom d’un lieu-dit de Bazeilles 08, site d’un e´pisode de la guerre de 1870, dont Alphonse de Neuville a peint un tableau connu, et d’un muse´e et d’un ossuaire ; mais il existe un homonyme dans les bois de WaillyBeaucamp 62. Plusieurs grottes des Camisards, a` Saint-Hippolyte-du-Fort 30, Saint-Maurice-de-Navacelles 34, Saint-Laurent-le-Minier 30, e´voquent les refuges d’insurge´s protestants (1702-1705). Une Foreˆt du Massacre, a` Lamoura 39, rappelle l’e´crasement par les Savoyards d’une troupe envoye´e par Franc¸ois Ier pour secourir Gene`ve assie´ge´e (1535). Et l’on e´voque encore le Camp du Drap d’Or a` Campagnele`s-Guıˆnes 62. Six communes en France portent le nom de Bataille, et 350 lieux-dits. La Bataille 79 e´voque un combat entre les troupes d’Anjou et d’Aquitaine en 1061. Castillon-laBataille 33 a remplace´ en 1953 Castillon-et-Capitourlan 33 pour rappeler la de´faite des Anglais le 17 juillet 1453, cense´e marquer la fin de la Guerre de Cent Ans. Arques-la-Bataille 76 et Ivry-la-Bataille 27 comme´morent des victoires d’Henri IV sur la Ligue (1589 et 1590) ; l’addition est de 1882 pour Arques, bien plus ancienne pour Ivry. Loigny-la-Bataille 28 a comme´more´ en 1901 un e´pisode de la guerre de 1870, Me´ry-la-Bataille 60 en 1932 un e´pisode de la Grande Guerre (juin 1918).

L’effet des fusions Les re´unions de communes ont en ge´ne´ral eu pour effet, soit de produire des noms complexes et parfois fort longs, soit des pertes d’information par compression. Elles ont plus exceptionnellement cre´e´ des mots entie`rement nouveaux. Beaucoup d’unions et de noms multiples ont e´te´ adopte´s sous la Re´volution a` l’occasion de la de´finition des communes, et lors d’une nouvelle vague dans les anne´es 1820. Ensuite les changements ont e´te´ sporadiques, lie´s notamment a` la de´population de certaines communes rurales. Celle-ci a incite´ les pouvoirs publics a` provoquer une nouvelle vague au de´but des anne´es 1970, tre`s ine´gale selon l’ardeur et l’habilete´ des pre´fets, pas toujours bien ve´cue et qui a e´te´ suivie de redivisions. Une nouvelle vague a e´te´ lance´e autour de 2015, en meˆme temps qu’apparaissaient de nouveaux noms de cantons et de communaute´s de communes, meˆme de re´gions, tandis que d’autres s’effac¸aient. Certains noms sont devenus fort longs, associant jusqu’a` trois, voire quatre e´le´ments distincts comme Robert-Magny-Laneuville-a`-Re´my 52, Saint-Germain-de-Tallevende-la-Lande-Vaumont 14 ou Saint-Re´my-en-Bouzemont-Saint-Genest-etIsson 51, qui de´tient le record de longueur – les Re´volutionnaires en avaient fait La Fraternite´. Le cas est fre´quent dans l’union de petits finages du Pays Basque et du Be´arn comme a` Cazaux-Fre´chet-Ane´ran-Camors 65, Alc¸ay-Alc¸abe´he´ty-Sunharette 64, Autevielle-Saint-Martin-Bideren 64, Lacarry-Arhan-Charritte-de-Haut 64, Rivie`re-Saas-et-Gourby 40. Drachenbronn-Birlenbach 67 ou Goldbach-Altenbach 68 ne manquent pas non plus d’ampleur. La fusion a pu eˆtre l’occasion de simplifier, notamment dans les re´unions de villages nague`re divise´s en Grand et Petit, Haut et Bas ou Ober et Nieder, comme a` Yutz 57, Betschdorf 67, ou avec d’autres de´terminants comme Richebourg 62 qui a re´uni en

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1971 Richebourg-l’Avoue´ et Richebourg-Saint-Vaast. La Courtade-Cournebouc-etRivie`res est devenue un banal Rivie`res 81. En 2013, Saint-E´tienne-en-De´voluy est devenue simplement De´voluy en fusionnant avec Agnie`res-en-De´voluy, La Cluse et Saint-Disdier. Dans certains cas, on n’a garde´ que le nom de la commune juge´e principale, comme a` Colombey-les-Deux-E´glises 52 qui a absorbe´ sept voisines en 1972, ou a` Spincourt 55 (quatre communes). Parfois on a limite´ les mentions : Castelnaud 24 devint par fusion Castelnaud-Fayrac en 1827 puis, re´unie a` La Chapelle-Pe´chaud en 1972, devint Castelnaud-la-Chapelle. L’union de Cheˆnehutte-les-Tuffeaux avec Tre`ves-Cunault a donne´ un Cheˆnehutte-Tre`ves-Cunault 49 de´ja` complexe mais dont ont disparu les Tuffeaux, pourtant un nom significatif du site. De meˆme, Estre´es-en-Chausse´e et Mons-enChausse´e ont donne´ Estre´es-Mons 80 en s’unissant, abandonnant ainsi l’inte´ressante mention des chausse´es, dont Estre´es toutefois conserve le sens. Villegusien 52, absorbant en 1972 les communes de Pie´pape, Prangey et Saint-Michel, s’est contente´e d’ajouter « le Lac » a` son nom. Ces pertes d’information ont e´te´ encore plus radicales quand certaines communes en ont profite´ pour abandonner leur ancien comple´ment. Nous l’avons vu pour Nogent 52, qui a voulu cesser d’eˆtre -en-Bassigny. Glaire 08, ancienne Glaire-Latour devenue Glaire-et-Villette en 1828, s’est dite Glaire tout court en fusionnant avec Iges en 1971. Hescamps 80, ancienne Hescamps-Saint-Clair, s’est contracte´e apre`s s’eˆtre unie a` trois voisines en 1972 aux noms pittoresques (Agnie`res, Frettemolle, Souplicourt). Champlitte-et-le-Pre´lot, Champlitte-la-Ville, Leffond, Margilley, Montarlot-le`s-Champlitte, Neuvelle-le`s-Champlitte ont fusionne´ en 1972 sous le simple nom de Champlitte 70. Froncles 52 e´tait devenue Froncles-Buxie`res en 1972 par fusion, et l’a oublie´ en 1974 apre`s association avec Provenche`res-sur-Marne. Bonze´e 55 n’a plus e´te´ en-Woe¨vre en s’unissant a` deux voisines.

La fabrique des noms nouveaux Les fusions de la Re´volution et du XIX e sie`cle avaient produit des noms plus ou moins complexes, rarement des noms nouveaux. Une exception ancienne fut Sarre-Union, unissant en 1794 Bouquenom, ancien village fort (Bockenheim) passe´ en 1697 sous l’autorite´ des ducs de Lorraine, et Neu-Sarrewerden, devenu Villeneuve, e´difie´e en face en 1706 par la famille de Nassau. Les Baroches 54 (« les paroisses ») a e´te´ le nom choisi en 1809 en re´unissant Ge´naville, Penil et Me´raumont, qui subsistent comme hameaux. Le Syndicat 88 est venu en 1868 d’un Syndicat de Saint-Ame´, re´union de plusieurs anciennes communes. En revanche, les fusions plus re´centes n’ont pas manque´ d’innovation. Parfois on s’est servi d’un nom pre´existant. Ouilly-le-Basset et Saint-Marc-d’Ouilly ont fusionne´ en 1947 sous le nom de Pont-d’Ouilly 14. Bayard-sur-Marne 52 associe Laneuville-a`-Bayard, Gourzon et Prez-sur-Marne. Bogny-sur-Meuse 08 a e´te´ cre´e´e en 1965 par les communes de Chaˆteau-Regnault, Braux et Levre´zy, mises d’accord sur le nom d’un de leurs hameaux, a` peu pre`s central. Champsevraine 52 a e´te´ forme´e par Bussie`res-le`s-Belmont et Corgirnon, qui se sont efface´es devant le nom d’un

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lieu-dit interme´diaire. La Roche-Rigault 86 a rassemble´ Le Bouchet et Claunay-enLoudun, dont les villages subsistent, le nouveau nom e´tant celui d’un hameau central pre´existant, noyau commerc¸ant sur route et voie ferre´e, avec silos, qui a rec¸u la mairie. Six communes de Tarentaise ont forme´ La Le´che`re en 1972, en prenant le nom d’un hameau connu pour ses thermes. L’Oudon 14 rassemble depuis 1973 dix communes unies sur le nom de la rivie`re principale. Chaˆtelet-sur-Meuse 52, qui associe Pouillyen-Bassigny et Beaucharmoy, est un nom nouveau a` la source de la Meuse ; il n’y avait plus de chaˆteau ni de chaˆtelet, mais subsistait un bois du Chaˆtelet sous un promontoire. Fre´hel 22 est issue de la fusion de Ple´he´rel et Ple´venon en 1972, en re´fe´rence au ce´le`bre cap Fre´hel (« des fourches » selon Falc’hun) ; mais l’union a e´te´ dissoute en 2004, Ple´he´rel conservant le nouveau nom alors que le cap est a` Ple´venon... Juge´s flatteurs, les termes Val et Hauts ont e´te´ volontiers employe´s. HauteAmance 52 est l’ancienne Hortes, fusionne´e en 1972 avec Montlandon, Rosoysur-Amance et Troischamps ; Les Hauts-de-Che´e 55 unissent cinq communes draine´es par la Che´e autour de Conde´-en-Barrois. Val-de-Vesle 51 est issue de la re´union de trois communes de la valle´e de la Vesle en 1964, Courmelois, Thuisy et Wez, et Val-des-Marais 51 de l’union d’Aulnay-aux-Planches, Aulnizeux, Coligny et Morains en 1976, autour des Marais de Saint-Gond. Val-des-Tilles 52 re´unit cinq villages autour Chalmessin ; la Tille, et deux de ses affluents de meˆme nom, traversent son territoire. Val-d’Auzon 10, draine´e en effet par l’Auzon, regroupe depuis 1972 les trois anciens finages communaux d’Auzon-les-Marais et Montangon au nord, et Villehardouin au sud, dans le chaˆteau duquel naquit le ce´le`bre chroniqueur, vers 1160. Valanjou 49 n’a rien d’un val. Val-Orbiquet, Val-de-Vie, Valdallie`re sont apparus en 2016 en Calvados. Val-de-Chalvagne 04 associe des hameaux disperse´s, anciens chefs-lieux des communes de Castellet-Saint-Cassien a` l’est, Montblanc au sud, Villevieille au nord, tre`s de´peuple´s et qui ont fusionne´ en 1973 ; la Chalvagne est la principale rivie`re, encaisse´e. Val-de-Meuse 52 est la plus vaste fusion de communes re´ussie et maintenue (onze anciennes communes), autour de Montigny-le-Roi. Ailleurs, on n’a pas he´site´ a` fabriquer des noms pour les besoins de la cause. Ambitieuse, Beausite 55 a joue´ sur les mots puisque le village principal se nommait Beauze´e-sur-Aire – les autres sont Amblaincourt, Deuxnœuds-devant-Beauze´e et Se´raucourt. A` coˆte´, Seuil-d’Argonne 55 vient de la fusion de Pretz (50 hab.), Senart (90 hab.) et Triaucourt-en-Argonne. Perceneige 89 est le nom original pris par Villers-Bronneux depuis sa fusion de 1972 avec Vertilly, Plessis-du-Me´e, Courceaux, Sognes et Grange-le-Bocage. Trois communes des Vosges ont choisi rien de moins que Capavenir-Vosges 88. Montegrosso 2B re´sulte d’une fusion de 1973 entre Cassano et Saint-Rainier-de-Balagne, elle-meˆme cre´e´e l’anne´e pre´ce´dente par l’union de Lunghignano et de Montemaggiore... Causse-et-Die`ge12 vient de la fusion de Salvagnac-Saint-Loup et Loupiac (1973) ; le nom a voulu associer le causse et la rivie`re qui s’y encaisse. Boisne´-la-Tude 17 a obtenu un nom compose´ sans rapport avec ceux de ses trois constituants, associant un ancien chemin des Romains (Chemin de Boisne´) a` une rivie`re locale. Les Trois-Domaines 55 rappelle qu’ils

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furent trois tre`s petits villages a` s’unir, Issoncourt, Mondrecourt et Rignaucourt. Six communes de Savoie ont choisi un joli Entrelacs en 2016. E´ole-en-Beauce 28 (quatre communes, 2016) doit tout a` son nouveau paysage d’e´oliennes. Enfin les nouvelles de´nominations n’ont pas e´chappe´ a` la mode des mots-valises et des contractions, au risque de rendre improbable toute tentative e´tymologique future. Bermesnil 80 re´unit Bernapre´ et Mesnil-Eudin, Tre´venans 90 Tre´tudans et Vourvenans, Framont 70 Franois et Mont-le-Fraˆnois. Charmont–sur-Marne 02 vient de Charte`ves et Mont-Saint-Pe`re, Pierremont-sur-Amance 52 de Pierrefaites et Montesson. Voulmentin apparaıˆt en 2013 par la re´union de Voultegon et SaintCle´mentin. Raival 55 re´sulte de l’union de Rosnes et E´rize-la-Grande, dans la valle´e de l’Ezrule, « Raival » semblant venir du R et du E´ de ses constituants, en de la prononciation « e´rule ». Val-Mont 21 est un original arrangement ne´ de l’union de Jours-en-Vaux et Ivry-enMontagne. Parnoy-en-Bassigny 52 associe Parnot et Fresnoy, en perdant le freˆne – Parnot est issu d’un NP. Lafresguimont-Saint-Martin 80 est un compromis difficile a` partir de Lafresnoye, Guibermesnil et Montmartin, plus Laboissie`re-Saint-Martin. Saulvaux 55 re´sume Saulx-en-Barrois, Vaux-la-Grande et Vaux-la-Petite. Valdivienne 86 a e´te´ forme´e en 1969 par la fusion de Saint-Martin-de-Rivie` re et Salles-en-Toulon au bord de la Vienne, et Morthemer (puis un an apre`s Chapelle-Mortemer) dans la valle´e encaisse´e de son affluent la Dive, ce qui explique le i central (val-Dive-Vienne) la` ou` l’on eut attendu Val-de-Vienne. Genilac 42 vient de Saint-Genis-Terrenoire, qui a fourni « geni », et La Cula, qui a fourni « lac » – un joli proble`me pour de futurs e´tymologistes. Encore plus loin de leurs noms originels, en 2016 trois communes angevines ont choisi Tuffalun, a` partir du tuffeau et des faluns, leurs roches caracte´ristiques. Certains de ces nouveaux noms n’auront e´te´ que fugaces, ayant disparu avec la de´sunion des communes, ou de nouvelles fusions e´largies. Villisle 55 avait e´te´ forme´e par Villotte-devant-Louppy et Lisle-en-Barrois, se´pare´es en 1986. Mambelin 25, issue de Dambelin et Mambouhans, a sombre´ en 1995. Les Mesnils-sur-Madon 54 venait de l’union de Crantenoy, Ormes-et-Ville et Vaudigny, dissoute 1987. Le Vallinot 52, fusionnant en 1972 Longeau et Percey-le-Pautel, avait pris le nom de leur rivie`re ; celui de Longeau-Percey lui a e´te´ pre´fe´re´ ensuite. Ban-de-la-Roche 67 avait fe´de´re´ en 1974-1975 quatre communes en faisant revivre le nom d’une ancienne seigneurie vosgienne ; elles se sont se´pare´es en 1992. Val-de-Gris, nom adopte´ par la re´union de douze communes haut-marnaises autour de Neuillyl’E´veˆque en 1972, a disparu en 1984, comme Terre-Natale de´ja` nomme´e. La nouvelle Valanjou (1974) se perd de´ja` dans le nouveau Chemille´-en-Anjou (2016). La cre´ation des nouveaux cantons en 2014 a eu sa part de nouveaute´s. Dans plus des deux tiers des de´partements, on s’est contente´ de les nommer selon leur chef-lieu, comme auparavant. Dans les autres, on a ose´ innover, quoique avec prudence : c¸a` et la` un ou deux noms de rivie`res, un nom de pays. Timidement, la Haute-Savoie s’est permis Le Mont-Blanc, la Savoie Le Bugey Savoyard, le Val-de-Marne un Plateau Briard. Toutefois, dans dix de´partements, les cantons ayant rec¸u un nom nouveau sont plus nombreux que les autres, les records (trois quarts) e´tant en Aveyron et dans

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les Landes ; curieusement d’ailleurs, tous sont dans les Midis, surtout le grand SudOuest. Le souci de promotion n’est pas absent, par exemple dans La Valle´e de l’Homme (Dordogne, en fait la Ve´ze`re des grottes, autour de Montignac), Les Grands Lacs (Landes), Le Pays de Lafayette (Haute-Loire), Dormans-Paysages de Champagne (Marne), Lavaur-Cocagne, Le Pastel, Les Hautes Terres d’Oc (Tarn), La Plaine d’Illiberis (Pyre´ne´es-Orientales) – mais la banalite´ n’a pas toujours e´te´ e´vite´e : Les Coteaux (Hautes-Pyre´ne´es), Deux Rivie`res et Valle´es (Haute-Loire), Les Deux Rives (Tarn), Le Cœur du Be´arn (Pyre´ne´es-Atlantiques), voire une Droˆme des Collines. Le re´sultat est parfois un peu obscur si l’on songe a` Enne-et-Alzon ou a` Vallon (Aveyron), Boe¨me-E´chelle ou Tude-Lavalette (Charente), parfois d’un franc¸ais alte´re´ par l’anglomanie (Le Nord-Gironde, Le Sud-Me´doc). Il peut eˆtre laborieux, surtout dans les Pyre´ne´es-Atlantiques, ou` les e´lus auront a` supporter plus de cinq mots dans une dizaine de cantons, dont Orthez-et-Terres-des-Graves-et-du-Sel, Pays-de-Bidache-Amikuze-et-Ostibarre, Terres-des-Luys-et-Coteaux-du-Vic-Bilh. Quelques surprises et sources de confusion ne sont pas exclues : le seul canton nomme´ La Crau est dans le Var, ou` il englobe les Maures, La Crau e´tant une commune, de´ja` ancien chef-lieu de canton il est vrai, mais tre`s de´cale´e vers l’ouest. Paradoxalement, le canton Aveyron-et-Tarn est en Aveyron (or le Tarn n’y passe nullement), tandis que Quercy-Aveyron et Quercy-Rouergue sont dans le Tarn-etGaronne.

La seconde vie des noms de lieux « Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin, Plus mon petit Lire´ que le mont Palatin, Et plus que l’air marin la douceur angevine. » (J. du Bellay, Les Regrets)

Enfin, n’oublions pas que les noms de lieux peuvent avoir une seconde vie hors d’eux-meˆmes. D’un coˆte´, ils ont servi a` nommer des personnes, de´signe´es d’apre`s leur lieu d’habitation ou de proprie´te´ : les nobles, nomme´s selon leur fief, puis n’importe quel habitant, a` qui le nom du lieu pouvait servir de de´terminant en des temps ou` les pre´noms et les surnoms e´taient en nombre limite´, puis finissait par devenir un NP durable. Ensuite les migrations des familles transportaient ces noms en de tout autres environnements, les uns prolife´rant, certains s’e´teignant. D’un autre coˆte´, des noms de lieux sont devenus des noms communs par la propre renomme´e du lieu. Ils ont pu acque´rir une notorie´te´ qui les de´passe, en e´tant a` l’origine d’un produit devenu fameux, d’un e´ve´nement singulier repris dans une expression courante : ils deviennent a` leur tour des mots du terroir. En ge´ne´ral pour le meilleur, parfois pour le pire si l’image est ne´gative. La gloire pour un nom de lieu est de perdre sa majuscule : on e´crit un bordeaux, du camembert, du tulle, le comblanchien. Le nom peut entrer en conjugaison : on limoge

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un grade´, un cadre. Il peut reformer un substantif par adjectivation : une nic¸oise, des charentaises, un cistercien ; et meˆme alors reprendre une majuscule dans certains contextes : le Bajocien, le Mouste´rien, la Marseillaise. Et Lourdes est devenu un pre´nom fe´minin dans l’Espagne tre`s chre´tienne. Ces promotions peuvent eˆtre durables, voire maintenir en vie des noms de lieux disparus, meˆme leur redonner vie : le Lute´tien est un e´tage du Cre´tace´ nomme´ d’apre`s Lute`ce, au diable Vauvert e´voque un ancien lieu-dit du sud de Paris, Ale´sia fait encore songer. Et comme la plupart des noms, ils peuvent devenir de´suets, peu a` peu s’effacer jusqu’a` s’oublier, surtout s’ils ne sont pas glorieux. En France, c’est d’abord a` table que se manifestent les noms de lieux devenus communs. Par les vins, e´videmment : du bordeaux, du bourgogne, du beaujolais, sauternes, sancerre, reuilly, anjou, saumur, bourgueil, chinon, vouvray, montlouis, meursault, chablis, julie´nas, chiroubles, condrieu, chaˆteauneuf-du-pape, fauge`res, gaillac, madiran, juranc¸on, tous des noms de ville, de village ou de pays ; meˆme un simple lieu-dit comme pe´charmant (un quartier de Creysse et Bergerac 24), bonnezeaux (a` Thouarce´ 49), moulin-a`-vent (a` Romane`che-Thorins 71), chanturgue (a` Clermont-Ferrand, du Puy de Chanturgue) : la liste des appellations controˆle´es compte pre`s de 600 noms de villages et lieux-dits, que l’on a pris l’habitude de traiter en noms communs. S’y ajoutent les liqueurs et autres plaisirs de bouche aux noms de terroir : armagnac, cognac, calvados, champagne, banyuls, cap-corse, etc. On n’oubliera pas les eaux : on dit aujourd’hui de l’e´vian, du vichy, de la volvic, de la wattwiller, de la que´zac, de la salvetat, voire de l’ore´e-du-bois (a` Saint-Amand-les-Eaux). Encore moins les fromages : le camembert, le livarot, le pont-l’e´veˆque, le ge´rome´, le roquefort, le munster, le beaufort, l’ossau-iraty, le sainte-maure, le saint-nectaire, le cantal, le coulommiers, le maroilles, l’e´poisses, le chaource, le soumaintrain, l’ervy, le saintmarcellin, le morbier, le langres et tant d’autres portent des noms de villages ou de pays. Quelques autres spe´cialite´s ont pu se hisser a` ce niveau : des marennes, des belon (huıˆtres), des noirmoutier (pommes de terre), des montmorency (cerises), une nic¸oise (salade), la flamiche (de Flandre), un paris-brest (paˆtisserie), un pithiviers (gaˆteau aux amandes). Des animaux domestiques ont rec¸u des noms de lieux : un briard (chien, de la Brie), un percheron (du Perche), un ardennais, un boulonnais (chevaux), la poitevine (brebis), une salers, un charolais, une tarine (de Tarentaise), une limousine, une bazadaise et bien d’autres repre´sentants de races bovines. Parmi les ce´pages, l’aramon porte le nom d’un village du Gard ; le chardonnay, d’un village de Bourgogne ; le chasselas aussi, apparemment depuis 1654, bien qu’il fuˆt connu avant sous d’autres noms, surtout en Suisse (edel, fendant). L’arbois vient d’Arbois 39, le frontignan de Frontignan 34, le viognier peut-eˆtre de Vions 73, le gamay a le nom d’un hameau de Saint-Aubin 21. Le sacy porte le nom d’une commune de l’Yonne, voisine de Vermonton ou` l’abbaye de Reigny mit au point le ce´page. Le sujet a ses pie`ges : le mauzac serait une de´formation de Moissac, l’auxerrois (rouge), typique du cahors (il se nomme aussi malbec ou coˆt) viendrait de Haute-Serre, lieu-dit de Catus 46, alors que l’auxerrois blanc a e´te´ e´labore´ en

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Lorraine et sert aux vins d’Alsace et de Moselle. Et le breton est l’autre nom du cabernet franc en val de Loire. Le frontignan est aussi le nom de la bouteille de 75 cl en Bordelais, la bordelaise celui d’une barrique de 225 l, et aussi d’une sauce (dite e´galement marchand de vin), tandis que bordeaux est une couleur rouge sombre. Bien d’autres objets portent des noms de lieux. On dit du se`vres, du baccarat, du limoges, du gien, du longwy pour porcelaines, cristaux, faı¨ences et e´maux fabrique´s en principe en ces lieux ; laguiole est devenu le nom d’un couteau, outre celui d’un fromage, cense´s venir de Laguiole 12. Les charentaises sont des pantoufles, le tulle un tissu, comme le sedan, dont on ne parle plus gue`re. Le denim est une toile outre-Atlantique, dont le nom vient « de Nıˆmes ». Une comtoise est une grande horloge droite. Une malouinie`re est une maison cossue, voire un manoir, des anciens corsaires de Saint-Malo. La baı¨onnette vient de Bayonne, le corbillard de Corbeil, la javel est un de´tersif qui fut produit a` Javel, commune incorpore´e a` Paris en 1860. Le comblanchien est une pierre de construction extraite dans le village e´ponyme de Coˆte-d’Or. La ge´ologie a volontiers emprunte´ aux communes et pays de France, pour des e´tages ou des facie`s de roches. Citons en remontant les mille´naires l’aquitanien, le burdigalien, le lute´tien, le campanien (de Champagne charentaise), le santonien (Saintes), le coniacien (Cognac), le turonien (Tours), le ce´nomanien (Le Mans), l’albien (de l’Aube), l’aptien (Apt 84), le barre´mien (Barreˆme 04), le berriasien (Berrias-etCasteljau 07), le bajocien (Bayeux 14), le jurassique, le toarcien (Thouars 79), le sine´murien (Semur-en-Auxois 21), l’hettangien (Hettange-Grande 57), le give´tien (Givet 08). Et, parmi les facie`s ou gisements locaux, le cuisien (Cuises 60), le stampien (E´tampes 91), le sparnacien (E´pernay 51), le ludien (Ludes 51), l’aturien (de l’Adour), l’urgonien (Orgon 13), le se´quanien (Saoˆne), le ste´phanien (SaintE´tienne 42) – certains de ces noms ont vieilli, sont hors d’usage ou remplace´s. Le meˆme phe´nome`ne touche les cultures pre´historiques : l’acheule´en vient de trouvailles faites a` Saint-Acheul, quartier d’Amiens ; l’abbevillien d’Abbeville et le chelle´en de Chelles 77, le tayacien des Eyzies-de-Tayac 24, le micoquien d’un autre lieu-dit des Eyzies, le mouste´rien du Moustier a` Saint-Le´on-de-Ve´ze`re 24, le chaˆtelperronien de Chaˆtelperron 03, l’aurignacien d’Aurignac 31, le gravettien de la Gravette a` Bayac 24, le solutre´en de Solutre´ 71, le magdale´nien de la Madeleine a` Tursac 24, l’azilien du Mas-d’Azil 09, le sauveterrien de Sauveterre-la-Le´mance 47, le tardenoisien du Tardenois (a` partir de Coincy 02), le chasse´en de Chassey-leCamp 71 – ici encore l’e´volution de la science a rendu caducs certains noms. Des e´ve´nements ont rendus communs quelques noms de lieux ou adjectifs de´rive´s ; mais non sans le´gendes et incertitudes, et certains conservent une majuscule. La Marseillaise est le plus connu ; on sait que ce « chant de guerre pour l’arme´e du Rhin » fut chante´ a` Paris par les Fe´de´re´s marseillais le 30 juillet 1792. On parle encore des Armagnacs et des Bourguignons, des Vende´ens, ou des cadets de Gascogne, dont les plus fameux portaient d’ailleurs des noms de villages gascons, Artagnan, Athos, Porthos, Aramits. « Tomber comme a` Gravelotte », transpose´ a` la pluie et a` la greˆle, vient du de´luge d’obus et mitraille subi par l’arme´e franc¸aise en aouˆt 1870 en Moselle. Un coup de Jarnac de´signe depuis 1547, apre`s un duel entre le sire du

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lieu et le repre´sentant du roi, une fac¸on soudaine et habile de se de´barrasser d’un adversaire ; mais le sens s’est alte´re´, pour prendre celui d’un tour de´loyal. Landerneau 29 est venue a` la gloire, bien avant la re´ussite d’E´douard Leclerc et de ses magasins, par l’expression « cela va faire du bruit dans Landerneau », tire´e d’une pie`ce de the´aˆtre a` succe`s remontant a` 1796 ; on a meˆme en ce sens employe´ la forme « un landerneau » pour une agitation me´diatique soudaine – c’e´tait avant le buzz. Une « conduite de Grenoble » est une expulsion sans me´nagement mais dont l’origine reste obscure, preˆtant a` plusieurs versions, ainsi que le « Tonnerre de Brest » qui e´voque des coups de canon, donne´s soit aux heures d’embauche de l’arsenal, soit apre`s une e´vasion, soit face a` une menace anglaise. A` travers le limogeage, qui vient de l’envoi a` Limoges, en 1916, de ge´ne´raux sanctionne´s pour leur inefficacite´, cette ville conserve une re´putation imme´rite´e de ville d’exil. La truanderie s’est servie de noms de villes pour exprimer discre`tement certains actes, au prix de calembours plus ou moins laborieux. Au temps de Villon de´ja`, « aller a` Niort » signifiait nier, a` Rouen vers la peine (allusion au supplice de la roue), envoyer a` Mortaigne ou Mortagne e´tait tuer, faire le guet a` Monfaucon (lieu d’un gibet royal) eˆtre pendu, aller a` Cachan se cacher (de la police ou des cre´anciers), Poitou avait le sens de « rien du tout », passer par Angouleˆme e´tait engouffrer, avaler, comme partir pour Laval ; Argenton et Argenteuil e´voquaient la richesse, ou le besoin d’argent. Aller a` Cognac e´tait recevoir un coup ; aller a` Versailles e´tait verser, pour une voiture ; aller en Cornouailles e´tait cocufier (faire porter des cornes), avoir e´tudie´ a` Asnie`res ne rien savoir (eˆtre un aˆne). Les vignerons du Berry disaient « parti a` Dormillon » (un lieu-dit d’Issoudun 36) pour un compagnon endormi sur le chantier. J. E. Merceron signale d’autres formules, comme aller a` Be´ziers (baiser) ou a` Bourges (homosexualite´, a` cause du « bougre »), a` Tours (revenir, eˆtre de « retour »), a` Cluny (cligner des yeux), etc. Les arts n’ont pas manque´ de faire vivre des noms de lieux bien au-dela` de leur site propre : Roncevaux avec la mort de Roland, Broce´liande et Campercorentin (Quimper-Corentin) dans les le´gendes arthuriennes, les lieux angevins et tourangeaux chers aux poe`tes de la Renaissance et a` Rabelais, comme Lire´ 49 ou, en Touraine, Lerne´, Seuilly, Cinais, etc. Les noms de La Bre`de, Combourg, Sache´, Nohant, Montsoreau, Villequier sont e´troitement lie´s a` des e´vocations litte´raires allant de Montesquieu a` Hugo, et Flaubert fut « l’ermite de Croisset » (hameau de Canteleu 76), Gide l’hoˆte de Cuverville 76. Alphonse Daudet a promu a` la gloire Cucugnan 11, Tarascon et Fontvieille 13. Fernay a rajoute´ Voltaire a` son nom, comme Milly Lamartine, et Illiers Combray. E´tretat a fourni a` Maurice Leblanc son Aiguille Creuse, et a` Claude Monet sa Manneporte, dont il fit des dizaines de tableaux, avant d’e´lever Giverny au rang de haut lieu. Courbet a ce´le´bre´ Ornans, et Pont-Aven, Barbizon, Auvers-sur-Oise sont familiers aux amateurs de peinture. La chanson aussi fait vivre des noms de lieux en passant par la Lorraine, en revenant de Nantes, sur la route de Louviers ou celle de Dijon, sur le pont d’Avignon, en louant la Paimpolaise, les Filles de Camaret et les Filles de la Rochelle, les Parapluies de Cherbourg, le beau ciel (Bet Ce´u) de Pau, Oˆ Toulouse, du coˆte´ de Nogent, les bois de Chaville, le Brest du Barbara de Pre´vert « sans cesse sous la pluie », Maubeuge

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au clair de lune, Vierzon et Vesoul qu’a « vues » Brel – sans oublier Paris, Marseille et la Corse aux multiples refrains. Meˆme des ce´le´brite´s temporaires, fussent-elles regrettables, restent attache´es a` des lieux dont on finit par oublier parfois l’exacte localisation : de nombreux noms de batailles anciennes et re´centes, le « papetier de Saint-Ce´re´ » en souvenir du premier populiste d’apre`s-guerre, l’empoisonneuse de Loudun, le Gambais de Landru, Lurs et bien d’autres... Il est des villes qui cumulent : on parle de vichy ou Vichy pour une eau de table, un tissu, un re´gime politique des anne´es 1940, trois sujets on ne peut plus distincts. Bordeaux apparaıˆt par une couleur, par son vin et par les deux bordelaises (barrique et sauce), mais les quatre sont lie´s. La durable notorie´te´ des lieux est augmente´e par l’emploi du ge´nitif : la liste en est bien plus longue, mais la valeur symbolique amoindrie, le lieu conserve sa majuscule et n’est pas devenu un vrai nom commun : on dit le plaˆtre de Paris, les rillettes de Tours (ou du Mans), la dentelle de Calais, le point d’Alenc¸on, la faı¨ence de Sarreguemines, le pruneau d’Agen, la fourme d’Ambert, mirabelle de Nancy, images d’E´pinal, terre de Sommie`res, Belle de Fontenay (sous-Bois, une pomme de terre), ail rose de Lautrec, piment d’Espelette, poule de Barbezieux ou de Houdan, ge´line de Touraine, beˆtise de Cambrai, calisson d’Aix et violette de Toulouse – de quoi assurer la promotion de centaines de terroirs. Serait-ce sur un faux-semblant : une basque vient d’un baste au sens de « rempli » d’e´toffe, troussis ; la sedan est en anglais une berline, qui vient de sedeo, eˆtre assis, et non de Sedan ; une limousine viendrait non du Limousin mais d’une protection de ve´hicule a` partir d’un manteau de cocher dit limousin car il prote´geait de la boue, ce limo si re´pandu en toponymie. Meˆme en ces matie`res, la prudence est de rigueur.

8. A` distance : pie`ges et e´nigmes de la toponymie En de´pit des efforts de´ploye´s et des progre`s de la science, il reste beaucoup d’incertitude dans l’origine et le sens des noms de lieux. Le plus souvent, on y travaille au conditionnel : pourrait, serait, possible, probable, vraisemblable sont des prothe`ses qui accompagnent ou devraient accompagner conclusions ou propositions. En effet, la plupart des noms de lieux n’ont pas d’acte de naissance. Ils viennent de la nuit des temps, durant laquelle ils ont e´volue´, ont e´te´ malmene´s, incompris, re´interpre´te´s, voire comple`tement change´s. Les exceptions tiennent aux cre´ations de´libe´re´es de villes ou de villages « neufs », bastides et villeneuves, Lorient ou Le Havre, Vitry-le-Franc¸ois ou Neuf-Brisach. Ce n’est pas ne´gligeable, c’est peu par rapport au nombre de villages et de hameaux, a` plus forte raison par rapport a` la multitude des lieux-dits inscrits dans la me´moire des habitants, sur les cartes du cadastre ou, se´lectivement, sur les cartes topographiques re´gulie`res. La plupart des toponymes nous sont parvenus selon la transmission orale. Pensons a` tout ce que cela peut comporter d’alte´rations, d’accents, de changements de phone`mes, consonnes et voyelles, voire permutations de syllabes, tous phe´nome`nes abondamment e´tudie´s par les linguistes, qui en ont identifie´ certaines re`gles ou re´gularite´s. Imaginons tout ce que cela peut comporter comme perte de sens originel, comme incompre´hensions, et comme tentatives de retrouver un sens, ce que les linguistes nomment remotivations, avec re´e´critures depuis le Haut Moyen Aˆge. Or la plupart des successions de peuples en un meˆme territoire ne se sont pas faites selon le principe de la table rase, avec ane´antissement des occupants pre´ce´dents et de leurs noms de lieux : les nouveaux ont adopte´, adapte´, traduit, innove´ a` leur tour, poursuivant le cheminement de la transmission orale puis e´crite. Une raison majeure des alte´rations et des remotivations re´side dans les glissements sous l’effet d’attractions : d’un terme qui n’est plus compris, on passe a` terme de sonorite´ proche plus familier, mieux compris, e´ventuellement plus se´duisant. Nous en avons vu de nombreux exemples, comme de Maladrerie vers Madeleine ou Malabry, de Deve`ze vers Divise, de Couderc a` Couard, de Paret vers Paradis, d’infe´rieur vers Enfer et d’envers a` Hiver, d’Orme a` Homme, de beuf a` bœuf, de Winchester a` Biceˆtre, de Ventoux ou Ostrevant vers Vent, de Penne a` Peigne, de puy a` puits, d’autres vers beau, ours, fou, cocu, anglais, banquie`re ou bouche`re, etc. Certes, il existe des textes. On a retrouve´ du gaulois e´crit ou grave´ ; ce fut d’abord en caracte`res grecs, puis latins : de´ja`, ce transfert de l’oral a` l’e´crit et de caracte`res a`

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d’autres plus ou moins bien maıˆtrise´s a pu cre´er quelques proble`mes. Ensuite, par de´finition, les textes les plus anciens sont de´ja` une transcription d’indications orales : donc soumis aux ale´as de la qualite´ de l’audition et de la qualite´ de l’e´criture, de l’application et de la culture du scribe ou du graveur ; voire de ses penchants a` e´crire des mots qui aient pour lui du sens. Puis ces textes ont e´te´ recopie´s : a` chaque copie se pose la question de la qualite´ de la lecture, et se repose la question des biais pre´ce´dents : compre´hension, interpre´tation, besoin de « corriger » ce qui a pu eˆtre perc¸u comme fautif. Chacun sait a` quel point une simple copie peut eˆtre source d’erreur, et quiconque s’est un peu inte´resse´ a` la ge´ne´alogie sait combien ont pu s’alte´rer des noms de personnes, sur un meˆme registre paroissial, dans une meˆme commune et en peu de temps, voire au long d’un meˆme acte. Les onomasticiens, a` juste titre, s’efforcent de retrouver et de comparer toutes les versions e´crites anciennes d’un meˆme nom de lieu, et sont de´sempare´s quand il n’en existe pas, ou trop peu, ou trop re´centes. Or il suffit de consulter les listes de versions successives d’un meˆme nom de lieu, mises au jour et publie´es dans les ouvrages les plus savants, pour constater leurs divergences, on n’oserait pas dire leur fantaisie. Il est clair que ces e´critures ne sont pas des preuves, mais seulement des indices, pre´cieux certes, irremplac¸ables meˆme, mais discutables en tant que transcriptions – que ce soit de formes orales ou e´crites. Les spe´cialistes qui en de´battent n’en ont que plus de me´rite. Il advient que, dans le feu de la discussion, de bons esprits l’oublient parfois, se raccrochent de´sespe´re´ment a` telle version – mais la ve´he´mence de l’affirmation n’est jamais un argument.

Trahisons de clercs Traduire est trahir, adage bien connu ; transcrire est trahir, tout autant, ou presque autant. Les ouvrages de toponymie ne manquent pas d’exemples d’alte´rations, parfois de mutations radicales susceptibles de changer totalement un sens. Sannois 95 fut entendu Cent Noix par un scribe du XIII e sie`cle qui en fit, consciencieusement ou par malice, un Centum Nuces ; il semble qu’auparavant (XII e s.) le nom latin ait e´te´ Centinodium, qui de´signait une renoue´e (« cent nœuds »), mais ce pouvait de´ja` eˆtre une re´interpre´tation de scribe ; et si l’on entendait alors quelque chose comme « san-noi », d’autres origines sont possibles mais non de´montrables, y compris du coˆte´ de sagne par exemple ; la forme e´crite Sanois est apparue en 1403, Sampnois en 1564 ; mais qu’en e´tait-il avant le XIV e sie`cle ? Pour les e´rudits, Longjumeau 91 est un ancien Noviomagus, incompris plus tard et devenu Nongemellum puis reconstruit par les scribes au XIII e sie`cle. Plusieurs noms en « puy » (butte) ont e´te´ transcrits en latin de scribe puteo, puits, comme Amplepuis 69. Dans Labouheyre 40, B. Boyrie-Fenie´ et J.J. Fenie´ voient la fe`ve (haba en gascon) au motif qu’en 1254 on trouve Herba Faveria, de la main d’un scribe imaginatif qui, apparemment, ne comprenait pas la Boere ou la Boueyre, termes assez communs que Ne`gre interpre`te bourbier et Morvan, plus justement, bouvine (de boaria) ; ce que d’ailleurs B. Boyrie-Fenie´ admet clairement dans un autre texte (Archeolandes.com).

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On a vu des scribes ajouter des lettres pour faire plus joli, ou plus euphonique. Un Duis (source) est devenu Druyes, ce qui a pu induire a` voir dans le nom un de´rive´ de derv, cheˆne. Vandœuvre-le`s-Nancy 54 est un ancien vendobriga, soit a` peu pre`s Blanquefort, ce qui aurait duˆ donner Vendeuvre ; un scribe l’a enjolive´ d’un o supple´tif, a` son tour source d’un gentile´ actuel absurde en Vandope´rien, alors qu’il n’y a la` ni œuvre ni ope´ra. Abscon 59 vient d’un Ascondinium qui serait de´rive´ du germain ask, le freˆne, mais le nom latin a e´te´ enjolive´ d’un b par un scribe qui y voyait un sens cache´ (abscons). Un nom comme Villeneuve-la-Comptal 11, village cre´e´ au XII e sie`cle, est fautif de`s l’origine : l’adjectif correct est comtal. Saint-Julien-en-Beaucheˆne 05 n’a rien a` voir avec un bel arbre : il s’agit d’une re´fe´rence au Bochaine, qui est le bassin du Bue¨ch. Beauchalot 31, bastide de 1324, porte le nom de l’agent royal charge´ du pare´age, Challot ; elle fut a` l’origine Vau Challot (Vallis Chaloti), et devint Bauchalot, puis « beau » fut pre´fe´re´ a` « bau ». Fromentel a` Alquines 62 fut compris comme un froid manteau, e´crit Frigidum Mantellum en 1233 puis Froitmantel en 1279, ce qui en aurait fait au moins une terre difficile, au lieu de la bonne terre a` ble´ dont il a l’apparence, le site et le sens initial... Corps-Nuds 35 est un cas ce´le`bre de re´e´criture d’un ancien Cornus, vicus Cornutius au VIe sie`cle (de « corne », pour une butte), devenu en latin Corporibus Nudis au XV e sie`cle par la graˆce d’un scribe dont on ne sait s’il e´tait distrait ou face´tieux ; le breton moderne a re´tabli Kornuz. Un Saint-Mard tourangeau a e´te´ de´libe´re´ment interpre´te´ Quintius Martius au XVIII e sie`cle par un e´rudit local, qui a meˆme invente´ une fausse inscription latine a` l’occasion ; le nom reste Cinq-Mars depuis (S. Gendron, pour Cinq-Mars-la-Pile 37). Port-Royal (a` Magny-les-Hameaux 78) semble avoir e´te´ un simple Porrois (apparemment un champ de poireaux), qu’une e´criture ge´ne´reuse voulut flatter. Joyeuse 07 fut Gogiatis au X e sie`cle, d’un NP latin, lequel fut re´e´crit Gaudiosa en 1275... Le cas de Vœuil-et-Giget 16 est bien connu aussi : Vœuil avait e´te´ Vadolio, « du coˆte´ du gue´ », mais fut accidentellement e´crit Vœnil en 1794, par erreur de lecture courante de u en n, ce qui a donne´ Vanille (et Giget-en-Vanille) peu apre`s... Un autre bel exemple est celui de Sexcles 19. Variant jadis autour de formes Secles, Cescles, le nom fut adapte´ par un clerc en 893 sous la forme Sicca Vallis, Se`cheval. Dauzat reprit sans e´tat d’aˆme cette remotivation et a encore bien des successeurs. Au contraire, E. Ne`gre a conside´re´ qu’il s’agissait d’une « mauvaise latinisation » et a opte´ pour une variante de Se´gala. Tout autant qu’au seigle, on pourrait penser a` sesque, sescha, le roseau, terme encore tre`s vivant en Limousin, ou` d’ailleurs il prend volontiers en toponymie, quoique paradoxalement, la forme Se`che. Le site de Sexcles, que ceinture la Maronne, est incompatible avec l’ide´e de « valle´e se`che » ; il rend possibles les deux autres versions ; j’avoue une pre´fe´rence pour la version roseaux. Les alte´rations n’ont pas cesse´, et nous avons vu que l’on change encore des noms de communes pour des questions d’orthographe et de rectifications e´tymologiques, fonde´es ou discutables. Les cartographes successifs de la famille Cassini, de la carte d’E´tat-Major, du cadastre et de l’IGN ont eu a` affronter quantite´ de proble`mes de compre´hension et de transcription. Pe´gorier en a e´crit tout un gros volume, bien

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Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France

documente´ et fort utile, sur les tournures re´gionales des mots du terroir. Quelques aberrations sont bien connues : le nom de la commune de Caste´ra-Lou reste le fruit de l’erreur d’un « franciman » d’oı¨l qui ne comprenait pas lou (« le » en occitan) : lou Casterar (le chaˆteau) devint LonCastera en 1801, Caste´ra-Lou en 1845 ; cette e´trangete´ n’a pas e´te´ corrige´e. Le provenc¸al Pas des Lanciers a fait sourire par son incompre´hension d’un Pas de l’Encia (passage e´troit, de l’entaille ou incise) ; comme le Jura fut affecte´ un temps d’un Grand Credo, rectifie´ depuis, mais a` tort, en Creˆt d’Eau, s’agissant en fait du Creˆt d’Au (ou Aup), alpage.

Phone`mes et graphe`mes Une partie substantielle des alte´rations de noms vient des habitudes de langage et de l’e´volution courante des phone`mes, savamment e´tudie´es par les linguistes. D’une e´poque a` l’autre, d’un lieu a` un autre, des consonnes changent (mutation), s’oublient (amuissement) ou permutent (me´tathe`se) ; des consonnes et des voyelles s’ajoutent (e´penthe`se). Caste´ra, de castrum, devient castel et chaˆteau en perdant son r ; formage (de la forme) donne fromage, berbix brebis, palud Padula en Corse, crique carque en Normandie. En Iˆle-de-France, Mousseaux-sur-Seine 78 fut un Monceaux (petit mont), E´tiolles 91 est un ancien Attioles (d’attegia, huttes en gaulois), Galluis 78 avait e´te´ Varluis (NP germanique selon M. Mulon). Et nous avons de´ja` note´, entre autres, les nombreux changements toponymiques d’Orme vers Homme. L’e´ponyme sen (vieux) devient hen, le p devient f ou b (cf. la trilogie pago, bago, fagus pour le heˆtre), ou s’efface (le pal IE pour escarpement devient fal, al, alis), le f se transforme en h et le v en b (en gascon), st devient e´t et sp > e´p, spelunca (grotte) donnant E´peluche (Comberanche-et-E´peluche 24). Le w e´volue en g et warde en garde, wast en gaˆtine. Le k et le s vont vers ch, le ch vers c, chausse´e passant a` cauchie en picard. En breton le m devient v dans certaines syllabes, mor (mer) changeant en vor et meur (grand) en veur, le k s’adoucit en g et le t en d (coat>goad). Rhotacisme (passage du l au r) et ze´tacisme (du s, du r ou du t au z) sont des figures classiques de ces transformations, qui ne facilitent pas le retour aux sources ; les oratoires sont devenus Ozoir, Ozouer, Auzouer, Louroux. Et, comme a` Louroux, les articles s’agglutinent au nom, ouvrant une se´rie d’autres fausses pistes et perplexite´s. A` cela s’ajoutent des fioritures graphiques, avec des y a` la place d’i, des z ou x supple´tifs comme en pays savoyard, des lettres s dessine´es comme des f, qui a` leur tour sont lues « comme c’est e´crit » et changent a` nouveau la donne. La lecture de ce qui est e´crit sans eˆtre bien compris transmet des sons incongrus : on dira a` tort Metss pour Metz au lieu de Mess, Brukselles au lieu de Brussel, Okserre au lieu d’Ausserre, Le Fa-ou pour ce qui se dit « le fou », Graulet au lieu de Graulliet (Graulhet 81), Mi-l’eau au lieu de Milliau ou au moins Mi-yo (Millau). En revanche, certains suffixes en -ay se prononcent aille en Bigorre, comme a` Tournay. Le w est tantoˆt v (au Nord-Est), tantoˆt ou (au Nord-Ouest), et Wissous 91 fut jadis e´crit Huitsous... Reims se dit Rince (ce qui vaut des « rinceaux » sur son blason), mais Amiens Amien, Sainte-Menehould se prononce localement Sainte-Menou.

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En bien des cas il n’est pas de logique apparente dans ces fac¸ons de dire, ou plutoˆt l’on peut supputer des logiques oublie´es. Le jeu d’e´change entre phone`mes, puis entre phone`mes et graphe`mes, n’a cesse´ d’e´loigner des e´tymons d’origine. Seuls des spe´cialistes de la phone´tique peuvent retrouver avec quelque se´curite´ un e´tymon originel vraisemblable, expliquer que telle mutation est impossible, ou du moins inaccoutume´e, et telle autre « naturelle » ; mais il leur arrive de disposer de plusieurs hypothe`ses concurrentes, et de ne pas s’accorder entre eux. Les exemples d’incompre´hension de termes anciens, dont le sens est oublie´ et suscite de nouvelles interpre´tations, sont le´gion. On connaıˆt bien le cas du Cap Le´vi (a` Fermanville 50), qui fut a` l’origine Capelvy, l’anse de la chapelle. Le Boupe`re 85 vient d’un Alba Petra (pierre blanche). Les Pre´caires a` Cle´ty 62 furent auparavant les Prie`res, et probablement a` l’origine les Pierrie`res. Rocroi 08 est une cite´ re´cente (ville forte du milieu du XVI e sie`cle) mais qui a garde´ l’ancien nom du lieu-dit ; celui-ci, alors e´crit Raucroix, semble avoir eu pour sens la croise´e (probablement le carrefour) de Radolfus, Raoul, et donc n’a pas plus a` voir avec un roc qu’avec un roi, bien que le nom ait e´te´ interpre´te´ Roc-Roi au XVIIIe sie`cle, ce qui conduisit les Re´volutionnaires a` la nommer Roc-Libre. S. Gendron cite les de´rives d’aireau (petit espace libre) et aubuis (sol blanc) : L’Aireau-Benoıˆt devenu Les Aubenoıˆts et l’Aireau-Millet les Hauts-Millets, les Aubuis devenus les Eaux Bues, les Obus, et les Hauts Bœufs. D. Jeanson, qui note aussi les Obuses, a trouve´ comme e´quivalents d’aireau « Aiseau, Eau, E´rault, E´reau, Erreau, Erriau, E´ziau, Haireau, He´reau, He´ros, He´rot, He´zeau, Laizeau, Le´reau, Le´riau, Le´zeau, Lizeau, Lurau, Lureau, Ros, Ruau ». Des Carrouges (carrefour) se sont retrouve´s Char-Rouge et meˆme Cas-Rouge. A` Satory (Versailles 78), un lieu-dit Cerf-Volant fut a` l’origine Sart Jollant (essart+NP), tandis qu’un autre sart, jadis e´crit Essartina, est devenu la Sardine a` Molezon 48. Au Croisic 44, un Mont-Esprit viendrait de la de´formation de « Lest pris », re´sultat de l’entassement des de´poˆts de lest des bateaux. A` Rabastens 82, la Belle est un ancien Avellano (pommeraie) passe´ par la Vela (XIII e s.) ; un autre Avellano est devenu Valle`res 37. A` Saint-Anthe`me 63, un plateau des Aygues (des eaux) est devenu le Plat des E´gaux. Plusieurs are´niers (terrains sableux) ont pris la forme l’Araigne´e. Mouilleron-le-Che´tif (peu fertile) est devenu Mouilleron-leCaptif 85, tandis que deux Podium Captivum sont devenus Pied Che´tif a` Massay 18 et Sompt 79. Millebosc 76 e´tait jadis « emmi le bosc », dans le bois (In Medio Bosco). On a du mal a` croire qu’une ancienne condamine soit devenue Les Cons des Mines sur le cadastre de Saint-E´loi-de-Gy 18 (D. Jeanson). Penne au sens de hauteur a e´te´ mal compris au Peigne du Chazal et au Peigne de la Garde a` Sant-Beauzire 43. Les Deux Sœurs de Villard-de-Lans 38 furent en re´alite´ les deux serres, et plusieurs lieux-dits en Perruche ou en Perruque viennent de terrains pierreux. La Roche des Chats a` Cornimont 88 fut jadis la Roche du Sapt (du sapin), le Mont du Chat et la Dent du Chat au-dessus du lac du Bourget viennent de Cha (calm, creˆte chauve) et Katzenthal 68 ne serait pas une valle´e des chats mais peut-eˆtre une alte´ration de kas, passage resserre´, pertuis, issue (cf. le chas d’une aiguille) pour de´signer une valle´e e´troite (M. Urban) – certains spe´cialistes sugge´rant toutefois un NP Chazo. Sept-Sorts 77 vient de sept sources, le Cul-de-Bouteille a`

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Saint-Louis-de-Montferrand 33 est sans doute simplement le coin du bois et le Grand Age a` Bassac a toutes chances d’eˆtre un « grand petit bois » ou une grande haie, le Pet-de-Grolles a` Tavant 37 une butte aux corbeaux. D’anciens E´piais (de spicarium, grange), de´signant notamment des lieux de redevances en nature, ont e´te´ e´crits E´pieds. Le sens de « faut », issu de faillir (manquer), a e´te´ confondu avec le verbe falloir, ce qui a entraıˆne´ des me´prises sur des lieux-dits Tout-y-Faut (y manque), et une correction re´cente de Montereau-Fault-Yonne, dont le l supple´tif est cense´ pallier l’ambiguı¨te´ (la` ou` s’arreˆte l’Yonne). Telle Via Munita (empierre´e) me´ridionale a e´te´ comprise Chemin de la Monnaie, et le Pain de Munition a` Pourrie`res 83 est un ancien Podium Munita, oppidum fortifie´. Les aıˆtres sont souvent devenus Eˆtres, des de´frichements ont e´te´ e´crits De´frocs, De´froques. De pareils glissements abondent a` partir d’alleux (terres libres) devenus les E´lus. Le chaos rocheux des Pierres Jaumaˆtres (a` Toulx-Sainte-Croix 23) vient d’un limpide Pierres aux Martes (fe´es), longtemps incompris. Saint-Martin-l’Heureux 51 fut jadis le Hureux, qui signifie le he´risse´. Les Vieux 76 e´tait a` l’origine les Vez (les gue´s). La Saucisse a` Quincy-Landre´court 25 a e´te´ une saussaie (saulaie). Estachies, dont le nom vient des pieux d’un pont (estaque), et se prononc¸ait les e´taques au XVII e sie`cle, a donne´ Les Attaques 62. Ostrevant (pays de l’est) se retrouve Ostrevent (vent d’est) dans des noms de communes du Nord. L’un des plus beaux exemples d’attraction et glissement avec inversion de consonnes est dans le passage de nombreux Maladie`re et Maladrerie a` des Madeleine, e´videmment appuye´ par les croyances et le clerge´ ; la plupart des lieux-dits la Madeleine en proviennent. L’oubli du sens de noms tre`s anciens a pu aboutir a` des redondances. Les Montcuq et Cocumont (mont+cuc) sont bien connus quoique souvent incompris pour cause de plaisanteries faciles, mais ne sont pas les seuls. Citons par exemple un Tuc de Tucol a` Galey 09, un Abıˆme du Creux Perce´ a` Pasques 21, plusieurs Trou de la Baume et de nombreuses Grotte de la Baume, Cloup del Traou (Gre`zes 46), un Truc de la Garde a` Saugues 43, un Soum du Pech a` Artix 09, les Cols de Port, du Portillon, de Pourtalet. Le Vignemale, le Puigmal sont peut-eˆtre dans ce cas selon certaines interpre´tations. L’Œil Doux dans la Montagne de la Clape (Fleury 11) est une redondance forme´e sur deux versions de la source, œil et duis. Estre´e-Cauchy 62 re´unit deux noms de meˆme sens (chausse´e), et Aire-sur-l’Adour contient deux fois l’hydronyme Atura. L’on peut meˆme trouver des cas de triplement : le Suc de Mourcairol a` Allanches 15 comprend suc, mourre et caire qui ont des sens voisins ; le Soum de Pet de Labigne a` Urdos et Etsaut 09 additionne soum (sommet), pet (puy) et bigne, qui annonce habituellement une hauteur. Le Soum des Tuques de Roque a` Villelongue 65 est de meˆme facture.

D’une langue a` l’autre, d’un saint l’autre Les pertes de sens sont aggrave´es ou multiplie´es dans le cas du passage a` une autre langue. Assez toˆt, le franc¸ais a largement oublie´ le gaulois, puis des termes germaniques et nordiques ont afflue´. Les transcriptions par des ge´ome`tres, cartographes et ge´ographes e´trangers aux idiomes locaux ont pu eˆtre proble´matiques. Des croisements

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de chemins en Bretagne (croaz-hent) ont e´te´ entendus « croissant » et e´crits de la sorte a` Combrit 29, Missillac 44, Gue´gon 56, Douarnenez 29 ; un croisement de Concarneau reste e´crit le Croissant du Treff sur la carte au 1 :25 000, rectifie´ en Croaz Hent du Treff a` d’autres e´chelles. Le curieux Illifaut 22 est forme´ sur ilis (e´glise) et fagus (heˆtre). Et le gaulois vidu (foreˆt) a abouti dans certains cas a` La Veuve. Heiltz-le-Maurupt 51, qui semble indiquer un mauvais ruisseau (mau-rupt), fut en fait Heis-l’Amaury, de heisi (buissons) et d’un NP, alte´re´ entre-temps en Helmauru puis Helmorup ; et le Mont Aime´ (a` Berge`res-le`s-Vertus 51) est un ancien mons Witmar (NP), devenu Aymeri en 1162, e´crit aussi Ymeri, Huimeri, Wimari, puis Moymeri, Montymer (prononce´ Montime´), d’ou` Montayme´ a` partir de 1605. Non loin, Montmort (commune de Montmort-Lucy 51) est un ancien Mons Maurus (mont noir) et son Mont Arme´ laisse perplexe. Saint-E´tienne-les-Orgues 04 n’a pas d’orgues, meˆme basaltiques, mais fut forme´e par les villages de Saint-E´tienne et d’One`gues, ce dernier issu d’un NP Ausone gallo-romain. Œuf-en-Ternois 62 pourrait venir d’un od germanique au sens de « domaine » (D. Poulet), comme Oye-Plage 62 du scandinave oey, ıˆle, et non d’une oie en de´pit de son faussement savant gentile´ actuel (Anse´riens, du nom latin de l’oie, anser...). Yeu, issu d’un iga ou oga norrois au sens d’ıˆle, fut e´crit ıˆle Dieu du XIV e au XVIII e sie`cle. La forme ancienne de Clairefouge`re 61, e´crite Clivefeugeriam, laisse penser qu’au lieu de claire il s’agissait de clif, falaise. Le ness, cap en norrois, a e´te´ traduit nez dans le Nez de Jobourg et le cap Gris-Nez, mais c’est justice : les deux termes ont la meˆme e´tymologie indo-europe´enne. Le jeu des francisations a largement contribue´ a` ces glissements, qui rendent difficile la de´tection de la forme originelle, et peuvent changer comple`tement un sens ancien. On peut avoir du mal a` reconnaıˆtre Ouderwijk (Ouderwich), le vieux village, derrie`re Audruicq 62, Altwihr (vieux ou haut village) derrie`re Aubure 68, Steinbach (le ruisseau pierreux) derrie`re E´teimbes et des pierres (stein) sous les E´ tiennes (Escœulles 62), Tuchenn (butte en breton) derrie`re le Signal de Toussaines, ou Kestenholz (bois de chaˆtaigniers) sous Chaˆtenois 67, voir Atharratze (lieu du passage pierreux, selon Orpustan) dans Tardets (a` Tardets-Sorholus 64, ou` Sorholus a le sens de « longchamp »). Villequier 76 ne vient pas de ville, mais de saule (willig) + marais (quier). Le Vieil Armand (a` Wattwiller 68) n’e´tait pas « vieux », mais willer (Hartmannswiller). Che´mery-les-Deux 57 a re´uni en 1793 Che´mery-la-Vieille et Che´mery-la-Neuve, celle-ci fonde´e en 1571 par des colons romans, en un lieu alors nomme´ Sonneberich en 130 (un coin au soleil) devenu Schomberg, Schonberg (Beaumont) et adapte´ phone´tiquement en Che´mery... A` Thionville, la Peezturme (tour du puits) est devenue la Tour aux Puces. Et l’on connaıˆt bien le cas de Disselbach (ruisseau furtif ?), compris ensuite comme Hiselbach (ruisseau des petites maisons), ce qui lui avait valu sa forme actuelle Maisonsgoutte 67 en francisation (maisons + goutte au sens de ruisseau), laquelle fut ensuite e´trangement adapte´e en allemand en Meisengott, dieu des me´sanges... En pays gallo, Benac’h, du breton ben-nec’h, au pied de la colline, a e´volue´ vers Benisse puis, mal compris, a fini par Belle-Iˆle, enfin Belle-Iˆle-en-Terre 56 pour la

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distinguer de la vraie Belle-Iˆle. Sennheim, la maison du vacher, est devenue Cernay 68, ce qui en ferait ailleurs une clairie`re enclose. La Goe´letterie a` SaintServan 35 ne viendrait pas de goe´lette mais de goualed, bas-fond et tre, village. Bourgdes-Comptes 35 s’e´crivit jadis Coms, Coons ou Comps, ce qui semble avoir de´signe´ un vallon (komb) ; le breton actuel traduit d’ailleurs correctement en Gwikomm. On sait qu’en banlieue parisienne le nom de l’e´veˆque de Winchester a e´te´ attire´ vers Biceˆtre, qui avait alors le sens de poisse, mauvais pre´sage. La substitution de noms de saints paroissiaux aux anciens noms de villages s’est souvent traduite par des confusions et cacographies, d’ailleurs dans les deux sens, et par l’apparition de faux noms de saints. Saint-Puy 32 est un ancien Summum Podium, « le haut puy », devenu Sempuy puis Saint-Puy par confusion entre semet saint. Saint-Arnac 66 e´tait Centernac, du nom d’homme latin Centirio assorti du suffixe -acum. Saint-Igny-de-Roche 71 et Saint-Igny-de-Vers 69 viendraient d’un NP Sentinius. Saint-Saufflieu 80 est une transcription d’un NP germanique Saisold. A` l’inverse, Sempesserre 32 est un ancien Saint-Pierre (devenu Sempe´ en gascon). Xaintrailles 47 vient de Sante-Araille (Sainte-Eulalie en gascon). Thannenkirch, en de´pit des apparences, ne vient pas des sapins mais de sainte Anne : il e´tait Sankt Annekirch au XVIIe sie`cle et le t de sainte s’est joint a` l’a d’Anne, le « san » restant finissant par disparaıˆtre. Sancerre 18 cache un Saint-Satyre. Saint-Chinian 34 fut un Saint-Aignan, prononce´ Sanch Anhan en languedocien. Saint-Chaise 28 vient de Quinque Casæ, cinq maisons. Figeac a un chaˆteau a` douves dit Ceint-d’Eau qui fut en fait Saint-Dau (Saint-Denis).

Les faux amis Re´e´critures et transmissions orales sont a` l’origine de quantite´ de « faux amis », entendons par la` des noms dont le sens paraıˆt clair, voire e´vident a` premie`re lecture, mais qui n’en est que plus parfaitement trompeur. Il en re´sulte non seulement des me´prises, mais encore bien des le´gendes, ainsi que la confection de blasons fantaisistes dits « armes parlantes » : une oie pour Oye-Plage (ıˆle) ou Essoyes 10, des tours pour Tours 37 (pays des Turons), une aile pour Allos 06 (alleu), un tonneau pour Artonne 63, des selles pour Selles-sur-Cher 41 (de cella, ermitage), un voilier pour Marines (Val-d’Oise !), des quilles pour Quillan 11 (NP latin ou ide´e de relief), un Maure pour Moret-sur-Loing 77... Un releve´ exhaustif des pie`ges et faux sens est d’autant moins possible que les cas trompeurs n’ont pas encore tous e´te´ e´tudie´s, ni meˆme repe´re´s. Mais on peut compter sur la sagacite´ des onomasticiens pour progresser dans leur de´couverte : tout toponyme dont le sens semble clair, e´vident, ne manque pas de susciter imme´diatement le scepticisme, re´flexe instinctif du chercheur : et s’il cachait quelque chose, que j’aie la chance de de´couvrir ? Bordeaux n’a jamais e´te´ pris pour un bord d’eaux, ni Tours pour un ensemble de tours, ni Rennes pour un troupeau de cervide´s nordiques. Or les faux amis sont le´gion ; il peut meˆme arriver que la me´fiance et le ze`le des spe´cialistes les conduisent a` des soupc¸ons excessifs et des interpre´tations e´chevele´es. Ce qui suit n’est qu’une e´nume´ration de quelques exemples de leurs re´sultats les plus

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assure´s ; certains d’entre eux, au demeurant, ont de´ja` e´te´ rencontre´s au cours des chapitres pre´ce´dents, mais me´ritaient d’eˆtre repris brie`vement ici. C’est souvent la forme ancienne des noms, atteste´e par des e´crits, qui met sur la voie. Mirecourt 88 n’est pas un bref regard, ni un ancien me´decin (mire) un peu limite´, mais vient de Mercuri Curtis, un lieu de´die´ au dieu du commerce. Maclaunay (a` Montmirail 51) n’a rien d’e´cossais mais serait l’aulnaie de Macco (NP) et Magnatl’E´trange 23 n’a rien de bizarre, venant du nom d’un marquis de l’Estrange. Thermes-Magnoac 65 n’a jamais eu de bains, et aurait duˆ s’e´crire Termes (limite) comme sa voisine Termes-d’Armagnac. Painfaut (a` Avessac 44) ne vient pas d’un manque de pain mais du breton Penn-Fau ou Fao, le bout de la heˆtraie. Rue 80 n’est pas un village-rue mais vient du village danois de Ry, dont le nom fut importe´ par les Vikings au IX e sie`cle. Aiguilles 05 fut Ad Guillum, au bord du Guil. Les Athe´e n’ont rien d’irreligieux, venant d’attegia, les huttes en gaulois. Vasteville 50 n’est en rien une ville e´tendue, mais fut un domaine (villa) des friches (wast, gaˆts, comme gaˆtine). Beaurepaire 60 vient de riparia, la rive et serait donc un Bellerive, ce qui justifie son gentile´ savant Belliripariens. Un Beurre-Doux a` Vindelle 16 masque un simple abreuvoir (Abeuredous). La provenc¸ale Oraison 04 pourrait venir d’aure, le vent, plutoˆt que d’une prie`re. Bonnœil 14 et Bonnœuvre 44 sont issues de Bono-ialo et Bono-briga (lieu et montfort) avec un NP ou le gaulois bona, bononia, fondation. A` Saint-Germain-les-Belles 87, « les Belles » est une de´formation de « la Beylie » et renvoie donc a` un magistrat, le bayle, non a` des donzelles. Nous avons de´ja` note´ maintes ambiguı¨te´s autour de la Mort, qui a pu n’eˆtre qu’une mare, et de l’Homme, qui a pu n’eˆtre qu’un orme... Les couleurs aussi sont trompeuses : Blond 87 vient du gaulois blato en rapport avec un marche´ aux farines, et Le Blanc 36 d’aballo, pommeraie, Bellebrune 62 de bronn, la source et bere, baie (la source aux baies). Chapeauroux doit se lire Cap Auroux (source de l’Auroux) et Chaˆteauroux fut un Chaˆteau de Raoul. Turckheim 68 n’est pas un village de Turcs, mais d’e´migre´s de Thuringe (Thuringerheim). Cavalaire-sur-Mer 83 n’a rien a` voir avec cheval : l’ancien nom Caccabaria e´tait en rapport avec chaudron, peut-eˆtre selon la forme du site originel. Chambord 41 n’est pas un bord de champ mais un gue´ dans une courbe de rivie`re (cambo rito). Bussy-Lettre´e et Dommartin-Lettre´e 51 n’ont rien de spe´cialement e´rudit mais sont un lieu de buis et un Saint-Martin sur une chausse´e romaine (estre´e). Grassendorf 67 serait issu de cros, creux, puis attire´ par grass, l’herbe (M. Urban). Des lieux-dits Exempt viendraient d’un affranchissement de taxes, d’autres auraient e´te´ des Exemple, mot venant d’essampler, agrandir (ex-amplium), signalant une extension par de´frichement (Gendron). Le De´luge 60 vient simplement des loges (cabanes) – mais une bonne vingtaine de lieux-dits le De´luge pourraient avoir ailleurs de tout autres origines, comme un fond mare´cageux. Fonsegrives (Quint-Fonsegrives 31) est sans grives, mais eut une fontaine sacre´e (Fons Sacriva) et le Taureau a` Girondelle 08 de´signe un tertre (tureau). Onglevert a` Audresselles 62 a e´te´ a` l’origine un Hungervelt, le champ de la faim (A. Fournet). Pommeuse 77 ne vient pas des pommes mais de Pons Magra (ou Mugra), pont sur le Morin. Poilcourt-Sydney 08 fut le domaine de Paul (Pauli Corte), augmente´ apre`s 1918 d’un hommage aux soldats australiens. Le fameux Gerbier des Joncs a` la source

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de la Loire n’a ni gerbes ni joncs, mais probablement gar pour rocher et jugum (ou joux) pour sommet (boise´). Gottesheim 67 n’est pas village divin, mais vient d’un NP germanique Gaudemar (Godomarsheim au VIIIe sie`cle). Lavouˆte-sur-Loire 42 est sans vouˆte, mais avec une volte (courbe prononce´e) de la Loire. Sceaux 92 est issu de cella : rien a` voir avec des documents scelle´s ou une scellerie. Un Bois aux Nains a` Bourgneuf-en-Retz 44 s’est re´ve´le´ eˆtre un ancien Bois Onnins, issu d’un gaulois onnenn pour freˆne (J. Merceron). Le Fouillebroc n’a rien de son apparence : c’est un ruisseau (brouk) sale (ful) en normand. Villemare´chal 77 est une villa de marais (anc. Marchad, Marchesium). Renard a` Re´ty 62 est un ancien Rikenacre, donc un « riche champ » (A. Fournet). Saint-Paul-Trois-Chaˆteaux 26 et le Tricastin ne sont pas e´tablis sur des chaˆteaux, mais sur le nom du peuple gaulois local, les Tricasses. La Pointe de la Torche a` Plomeur 29 n’a jamais e´claire´ le littoral de la baie d’Audierne, mais vient de torchenn, dorchenn, une hauteur, un tertre en breton (certains disent « en forme de sie`ge »). Le Peuple Fourchu a` Bury 60 n’e´voque pas une insurrection paysanne arme´e, mais un peuplier. Maladroit a` Saint-Paul-le`s-Durance 13 pre`s de Cadarache est seulement un mauvais adret. Le Bois du Pe´rou sur une butte du Chaˆtelet 18 est sur un sol pierreux. Saint-Martin-le-Beau 37 n’est pas « beau » mais fut jadis Sanctus Martinus Belli, ce qui fut interpre´te´ « de la guerre » ou « de la bataille », soit entre Normands et Tourangeaux en 903, soit plus probablement de 1044 entre comtes d’Anjou et de Blois (P. Gasnault) ; mais S. Gendron alle`gue que le latin bellum n’e´tait plus ici en usage depuis la fin de l’ordre romain, et laisse le champ ouvert, jusqu’a` un possible NP.

Homonymes et paronymes, la confusion des sens La diversite´ des origines linguistiques des noms de lieux, les glissements phoniques et graphiques, les attractions et les remotivations contribuent a` compliquer le de´chiffrement des toponymes en multipliant les homonymes ou paronymes. Il advient qu’un meˆme nom ait plusieurs origines : des Nivelle ou Noyelle peuvent venir de la noue (fond humide) ou du nouveau (novale), des Perrier peuvent venir de la pierre ou du poirier, et les quatre communes nomme´es Chaˆlons ou Chaˆlon sont ge´ne´ralement donne´es comme issues de quatre origines diffe´rentes : un Cala-dunno (Chaˆlons-du-Maine 53, sur pente et montfort), un Cabillonum (Chaˆlon-sur-Saoˆne, interpre´te´ comme cap, teˆte de navigation), le peuple Catalauni (Chaˆlons-en-Champagne), une villa Cabalio (NP, Chaˆlons-sur-Vesle 51) ; et en outre Chalonvillars 70 serait d’un NP germanique Calo ; mais les attributions peuvent encore e´voluer, les discussions ne sont pas acheve´es sur ces noms. Une meˆme ide´e peut eˆtre rendue par des mots tre`s diffe´rents selon leur origine, comme nous l’avons vu avec les diffe´rents e´tymons d’un meˆme type d’arbre, ou l’extreˆme varie´te´ des noms de´signant une hauteur, un habitat, meˆme une cabane. A` l’inverse, des racines d’apparence semblable peuvent avoir des sens tre`s diffe´rents : mar a le sens d’e´tendue d’eau (norrois) ou de grand (gaulois), limo le sens de boue ou d’orme, bod le sens d’habitat ou de bosquet en breton, comme lan celui de lande ou

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de sanctuaire. Un meˆme e´tymon a pu e´voluer au contraire en des formes tre`s diffe´rentes : ulmo en orme et limo, ilex en Alzette, Euzie`re et Houssaie, pele en plaine, plateau, palu, flur, feld ou veld (champ). Et quoi de plus frappant que la synonymie de fait entre Envermeu 76, Bram 11 et E´vron 53, qui toutes trois furent a` l’origine homonymes, par le gaulois Eburomagos, marche´ de l’if, dont les alte´rations ulte´rieures sont si dissemblables... En outre, on ne rappellera jamais assez qu’un nom de lieu d’apparence descriptif (appellatif) a pu passer par un NP, lui-meˆme e´ventuellement de´rive´ d’un nom commun ; or, si les lieux sont fixes, les personnes sont mobiles, et peuvent le´guer leur nom a` des lieux fort e´loigne´s de leur origine. On pourra toujours trouver des Figue`res dans le Nord, des Marin, Marine et Marinie`re loin des coˆtes, des Ferrie`re en des endroits qui n’ont jamais eu de fer et des Fabre hors de toute forge. Et certains mots sont polyse´miques, notamment quand ils sont pris comme me´taphores : la fourche par exemple, aussi bien bifurcation que col ou bois de justice. Un releve´ meˆme sommaire des ambiguı¨te´s les plus courantes peut permettre d’appre´cier la complexite´ du sujet. Par commodite´, suivons un ordre alphabe´tique. Alba est blanc en latin mais a servi aussi a` de´signer des hauteurs pastorales (alp) comme dans les Alpes, Lalbenque, Erbalunga (Alba Longa), peut-eˆtre Aubenas, les Albe`res ; il a pu de´signer aussi le peuplier blanc ou le saule blanc (aubier) dans des Albare`de, les Aubrais, Aube`re voire Abeele ; ou des sols blancs (aubue) dans des Terraube, Obterre, les Aubuis ; et il a meˆme pu se confondre avec le noisetier (avera) dans des Abe`re et Aubare`de. Alzine et Alzette sont en rapport, soit avec le cheˆne vert (ilex) soit avec l’aulne (aliso), tandis que des auzie`res (bois de cheˆnes verts) ont e´te´ confondus avec des lauzie`res (e´tendues de lauzes, de pierres plates), et peuvent meˆme de´signer des oseraies – en ce cas, l’e´cologie du lieu devrait permettre de de´cider. Et l’aulne-aliso se confond d’un coˆte´ avec l’alisier (sorbier) et voisine de l’autre avec alis (IE pal) au sens de paroi, falaise, escarpement. Aıˆtre et aire, aireau, airial, voire aiseau, ont souvent le meˆme sens ge´ne´ral de terrain jouxtant ou supportant l’habitation, mais aıˆtre peut avoir le sens restreint de cimetie`re et a pu prendre la forme Lattre ou, plus souvent, l’Eˆtre. Alt est vieux ou haut selon les cas, et certains ont cru voir des autels dans de simples hauteurs (aut, alt) comme au Lautaret. Aran a le sens de valle´e en basque, mais aranh d’e´pineux en gascon et en basque. Arrouil est un canal d’irrigation en occitan, arrouy est rouge en basque et en gascon et arrayou est une soulane dans les Pyre´ne´es. Des noms en ar-, probablement en rapport avec la pierre, ont pu eˆtre compris comme de´rive´s d’artos (ours). Aure (vent occitan) a pu eˆtre entendu heure ou se confondre avec l’or (aurea). Avancher est une oseraie, lavancher un e´boulis. Abellana (noisette) peut se confondre avec aballo (pomme), voire avec availle (fosse´) dans des noms comme Avelin, Aveline, Avellans, Avallon, Ablois. Et meˆme l’amour a pour concurrents l’amourette (une gramine´e) et l’amourier (muˆrier). Bac peut faire re´fe´rence a` un ubac, a` la vache (baque, baca), a` un ruisseau (bach, bakk) ou, rarement, a` un bateau de traverse´e. Bec et beg sont souvent confondus et dans plusieurs sens : pointe, sommet, cap, bout et meˆme embouchure (Beg-Le´guer a` Lannion 22) ; ruisseau en Normandie ; heˆtraie (gaulois bagos) ou laurier (baguier en

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occitan). Bat et bet (val et beau) rivalisent en occitan. La Barre peut venir aussi bien de bar, relief, que de barre´, ferme´, clos. La syllabe bed peut mettre sur la piste d’un fosse´ (gaulois bedo), du bouleau (be´dout dans le Midi), d’un de´fens (be´dat, de ve´dat, au sens d’interdit). Bel est soit beau, soit noir en basque, soit clair ou lumineux en gaulois (Belleˆme), ou meˆme vient du bouleau (Bellay). Une autre forme de bouleau, besse, peut rivaliser avec baisse, bas et, dans le Midi, avec baı¨sse (de vaysse, noisetier), baisse ; basse, baisse ont d’ailleurs le double sens de col et de lieu bas, voire de bas-fond. Banal peut e´voquer le ban seigneurial, le territoire communal... ou le geneˆt en breton. Beria a eu le sens de plaine en gaulois, berri est neuf et berro broussailles en basque, mais ces legs ne sont gue`re dans les meˆmes re´gions. En revanche, le beuf normand (habitat) et le bœuf franc¸ais ont pu eˆtre confondus, et leurs orthographes inverse´es. Bigne (source) et beigne, beugne (hauteur) sont faciles a` confondre, sauf sur le terrain ; mais plusieurs Beine sont aussi des de´rive´s de bagos, le heˆtre. On peut he´siter entre l’oronyme bin (qui est dans beigne) ou son e´quivalent vin, et bim, vim qui annoncent l’osier (latin vimen), mais les sites ont toutes chances d’eˆtre diffe´rents. Bourse et brousse permutent aise´ment. On connaıˆt l’ambivalence des bastides, village neuf dans le Sud-Ouest, grosse maison en Provence. La Bretagne a deux bod, habitat (IE bhu) et buisson. Bazoche peut eˆtre basilique ou marche´, et baroche est bazoche ou paroisse. Bouche a deux sens oppose´s : embouchure, qui est une ouverture, et bouchure, qui est cloˆture dans le bocage. Les noms en Borne peuvent eˆtre associe´s a` une limite, une bordure, ou a` une source (bronn, brunn germanique) ou encore a` un mamelon (bronn pour poitrine), et ces e´tymons ont parfois pu eˆtre e´crits sous la forme bourg ; les fre´quentes interversions bro-bor n’arrangent rien. Bre´, bren ont le sens de colline en breton (IE bhergh) et se confondent alors parfois avec le bron-mamelon comme a` Brignogan, mais ils e´voquent la boue et les marais ailleurs, surtout en Normandie et dans le Nord, sous les formes bre´, bray, bree. De meˆme famille, brau a souvent le sens de fond humide, mais certains Braux, Bre´vonnes sont attribue´s a` un gaulois brauon au sens de meule, ce qui rame`ne a` la poitrine. Ajoutons que dans Bre´tot, Bre´marde, Bre´vy et quelques autres, bre´ vient de breit, breidr au sens de « large ». Breuil a pu eˆtre rapporte´, avec de bons arguments, tantoˆt a` bruˆle´, tantoˆt a` brog (le pays en breton), et le plus souvent a` des broussailles. En celte briva est le pont, briga la hauteur prote´ge´e, ce qui fait encore he´siter pour Brest. Bruck a le sens de pont en germanique, mais Brouck en flamand comme Bruch en alsacien ont le double sens de marais et d’e´pineux, tandis que broc, broucq est un ruisseau en Normandie, broque (Labroque) peut signaler quelque chose qui pique (e´pineux ou rocher) et broccos est le blaireau en gaulois : autant de sources de perplexite´, d’autant que des formes Brou, Broux sont proches aussi de brousse, broussaille. Le bois, le buis et le buisson sont souvent pris l’un pour l’autre dans les Boissie`re, Bussy, Boussac, non sans confusions possibles avec bouche et meˆme avec le bouleau sous sa forme bez, bezo. Et bais est aussi une forme du ruisseau (bakk) : Outrebois 80 fut un Ultrabaiz (au-dela` du ruisseau). Le tre`s ancien oronyme cal au sens de rocher est rejoint par les gaulois callio pour caillou et caleto (dur), voire le peuple Cale`te, le calx latin (cense´ venir de l’IE kal,

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courbe´) au sens de talon, le caillou, dont sont issus chaussure, chausse´e, calcaire et chaux, ainsi que chaille. Les Chailly, Caillac et semblables peuvent en provenir ; mais on a pu supputer pour certains d’eux le gaulois calallaco (coq, IE gal2 au sens de cri). Et l’e´tymon cal a aussi le sens de chauve (latin calvus par l’IE gal1, nu), ce qui rapproche des nombreux toponymes en Calm, Chalm, Cha, laisse reˆveur sur l’expression « chauve comme un caillou » et perplexe sur la proximite´ entre chauve et chaume. L’autre ancien oronyme can (hauteur en ge´ne´ral) a pour voisins le chien (canis latin, IE kwon), ce qui a provoque´ des joutes a` propos du cap Canaille, et surtout la canne (roseau) et le canal, tous deux de l’IE khan (creux) par les latins canna et canalis : le sens de noms comme Cannes reste discute´. En outre, le chanvre donne aussi des noms en Can- (Canebie`re, Canabal, Canabe`re). Cap, chef viennent de la teˆte (latin caput, IE kaput) mais peuvent de´signer une pointe du rivage, un sommet, une source, la corne d’un bois, le chef-lieu d’un domaine, et on le trouve aussi dans la cabane, la capitelle et la capelle (chapelle). Il advient meˆme qu’il cache un camp, un champ comme a` Capendu 11, jadis Capendud : ca(m)p pendut, champ en pente (P. Fabre) ; tandis que Codebos (Cheylade 15) cache bien un cap de bosc, le bout d’un bois... Casse de´signe une pente d’e´boulis rocheux, et aussi le cheˆne dans le Midi. Cauca, cauco sont proches d’une ancienne de´signation du rocher (cuc), de la conque, d’une forme en chaudron (latin caccabus) ainsi que d’un nom me´ridional de la corneille (cauca, peut-eˆtre une onomatope´e de son cri), a` l’origine de noms tels que Caucalie`res. Caude, calde ont des sens oppose´s, chaud dans le Midi, froid dans le Nord-Ouest et le Nord-Est (kalt). Un toponyme comme Chaix peut avoir pour sens chai, cellier, ou rocher (apparente´ a` quie´, E. Ne`gre), ou gene´vrier nain dans les Alpes (H. Suter), comme cade. Chatre (La Chaˆtre) est de meˆme origine que chaˆteau (castra), mais chartre provient de carcer, prison, tandis que la Carte de´signe souvent une charte, une concession, ou un quatrie`me mille ; et que le nom du massif de la Grande Chartreuse e´tait probablement Cartucia bien avant l’arrive´e des moines (P. Billy), sans doute de kar, rocher. Derrie`re clit, cliv peuvent se cacher une fermeture (IE kleu), une falaise (norrois klif), de l’argile (IE glei), et une pente (IE klei). Clos (enclos) et clot (un creux en occitan) sont tre`s proches, et en occitan cros (un autre creux) peut avoir le sens de croix ou croisement. Dans les Collonges, Cologne, Coulanges il semble que l’on puisse avoir affaire soit a` des colonies de paysans libres, soit a` des collines. Cote (hameau en norrois et flamand) a parfois e´te´ confondu avec coˆte, coteau, au point d’eˆtre e´crit faussement Caudecoˆte, Coˆte-Coˆte en Normandie. Derrie`re des Crique normands, on peut lire la crique au sens habituel, ou l’e´glise (kirk, avec interversion de r et k). Dom dans un toponyme peut aussi bien e´voquer un domaine seigneurial qu’un bien du clerge´ ou un saint – rarement un doˆme. Les noms en E´cale, Escale, E´chelle se rapportent tantoˆt a` d’anciens lieux d’habitation temporaire (skali), tantoˆt a` un lieu d’e´tape, tantoˆt a` une pente tre`s raide, en escalier. E´crenne, Escrenne peut se relier soit a` des huttes, chaumie`res ou ateliers, voire abris souterrains (francique screona, vieux franc¸ais e´craigne), soit a` de fortes pentes a` e´boulis et meˆme a` une creˆte dentele´e (les E´crins). Esch a le double sens de manse et de freˆne en Alsace. E´tain peut venir de l’e´tang ou de la pierre (stein), mais pas vraiment du me´tal ; E´tang-Val aux Pieux 50 vient de stein. Dans le Midi, esquerre est aussi bien un abrupt qu’un e´clat (de bois, de

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pierre) ou un maladroit (gauche, cf. l’espagnol izquierda et le portugais esquerdo, le basque eskerra) ; et Estey, Este´ous, Estieu peuvent avoir un rapport soit avec une rigole, un cours d’eau (cf. e´tier), soit avec un pacage d’altitude (estive) – les deux sont, comme l’e´te´, cense´s venir d’æstus, IE aidh, chaleur... Nous avons de´ja` note´ l’extraordinaire diversite´ des de´rive´s de l’e´tymon fagus, le heˆtre (IE bhagos) ; rien d’e´tonnant a` ce qu’il ait entraıˆne´ d’innombrables confusions et remotivations avec les fe´es, les fous et follets, avec le ou la faux, le fouet et meˆme le fief (Le Fief-Sauvin 48, a` l’origine Fail, heˆtre). Fache est en Ardenne une bande de terre (fascis latin, IE bhasko), dans les Pyre´ne´es une barre rocheuse, et en Vende´e s’applique a` une pierre dresse´e (fiche´e). Feˆte, en toponymie, a ge´ne´ralement le sens de faıˆte, creˆte ; les Feˆtes Rompues sont sans doute les hauteurs de´friche´es a` Chante´rac 24, et Wisembach 68 a un Dansant de la Feˆte. La plupart des Folie viennent de feuille, feuille´e, mais certains ont e´te´ nomme´s, a` partir du XVIII e sie`cle, avec le sens d’investissement de´raisonnable mais plaisant. Font (fontaine, source) et fond (creux, valle´e) sont parfois confondus, notamment aux Antilles, et peuvent l’eˆtre aussi avec fonds (bien foncier). Fos, Fous, Foux, Foce indique dans le Midi soit une source, une fontaine, soit un col ou un passage, soit encore une gorge, un abıˆme et se confond ainsi avec fosse. Et nous avons vu qu’un « fosse´ » peut-eˆtre aussi bien une rigole qu’un talus. Gard de´signe un enclos et a la meˆme origine que hort (jardin) et cour, court (IE gher, enclos) ; mais il entre aussi dans de nombreux toponymes (La Garde, la Gardiole, Lagardelle...) avec le sens de de´fense et l’ide´e de guetter, veiller (comme dans regarder), d’apre`s l’IE wer et comme l’allemand Wacht. Hag a soit le sens de fagus (heˆtre), soit celui de hagi, haie, enclos ; et rappelons que haye est soit haie, soit foreˆt. Jard a tantoˆt le sens de jardin, tantoˆt le sens de graves, graviers. Kemper est confluent en Bretagne, mais chanvre en Flandre, ce qui a provoque´ quelques illusions sur l’extension ancienne du breton ou au moins du celte. Lan est en toponymie bretonne soit un terrain sacre´, soit la lande. Lille a pu eˆtre « petit » (norrois litill), y compris a` Lislebec (Pont-Audemer 76) ou « l’ıˆle », et meˆme Jules (Lillebonne fut Juliobonna). Mal, mau ont pu poser quelques proble`mes de sens (mal peut s’afficher au sens de mauvais, mais aussi a` l’e´gal de « me´chant » au sens de redoutable comme dans des Maule´on) et des proble`mes de voisinage, avec malus (pommier) et mala, malh (montagne, surtout dans les Pyre´ne´es) comme dans les cas de Bethmale, Matemale, Puigmal. Mandre est en occitan a` la fois renard, ruse´, gueux, et la bergerie ou cabane de berger en plusieurs re´gions. Martre a trois sens diffe´rents : la fe´e, le muste´lide´, le cimetie`re (cf. martroi, martray, de « martyr »). Matt a le sens de prairie humide en Alsace et mate, matte de broussailles, ce´pe´e ou bois dans le Sud et le bassin rhodanien, de portion de polder ou montille de marais dans l’Ouest ; ici, en principe, la diffe´rence ge´ographique vaut diffe´rence de sens. L’une des difficulte´s les plus courantes a trait aux mots en marc, marque, marche : s’y rejoignent au moins trois sens distincts, ceux de limite, frontie`re (mark, marche, IE merg), de marche´ (de merx), de marais (marchais, mare´cage, IE mori). NeufMarche´ 76 fut Neuve-Marche, en position frontalie`re sur l’Epte et plusieurs noms du Nord, comme Marquise, Marcq, Marchiennes sont objet de de´bats, d’autant que peut s’y meˆler un marga gaulois au sens de marne ou fond boueux. L’examen du site

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peut contribuer a` donner des pistes. Margerie, Marguerite, sinon Marcairie dans les montagnes pastorales savoyardes et vosgiennes ont pu laisser quelques he´sitations entre limite et laiterie (chap. 2 et 6). Nous avons de´ja` note´ les difficulte´s associe´es a` nauda, fond humide, qui prend des formes en Nœux, Noe¨l, Noe¨ et se confond facilement avec nouveau, comme a` Nœuxles-Mines qui fut Noewe, village nouveau ; et le noyer peut meˆme s’en meˆler, comme a` Neugartheim 67, qui n’est pas le lieu du nouveau jardin mais d’une noyeraie (Nugaretum). Ouille peut venir des ovins (ouailles) ou d’une aiguille, et meˆme prendre des formes en Houille et en Huile. La syllabe pal peut eˆtre rapporte´e a` un escarpement, a` une cloˆture (palis) ou a` un marais (palud), ce qui appelle au moins un examen du site. Les Pierre, Perrier, Perruque, Perruche ont en ge´ne´ral un rapport avec les pierres, mais ce peut eˆtre avec une chausse´e empierre´e, voire avec le poirier, et meˆme avec le gaulois petro (quatre) : Pierremande 02 fut un carrefour (de petro = quatre et mandalo = chemin). Poirier a pu aussi se confondre avec pre´. Plage a le sens de pente, versant dans les Alpes Maritimes. Poul (mare, anse) et plou se sont souvent meˆle´s en breton. Le ruisseau, le gue´ (gaulois rito), la rive (ripa), le sillon (raie, roye) et royal (re´al) se meˆlent assez fre´quemment dans des Re´al, Roye, Royel et autres toponymes semblables. Roque peut avoir eu le sens de roche, de hauteur, de chaˆteau par me´taphore, ou bien venir du corbeau (hrokas). Des syllabes comme rup, rob peuvent e´voquer une paroi (cf. rupestre), un ruisseau (rupt), un ravin ou une brisure, un essart (rupt, routis, rompis) dont les noms sont apparente´s soit a` rompre, soit a` bruˆler (roˆtir), des broussailles (ruppes), la couleur rouge et meˆme le cheˆne rouvre – route, roture et de´robe´ e´tant tout proches. Le saule et le sel, qui ont meˆme e´tymologie, donnent des formes souvent semblables ; et le Salat, affluent de la Garonne, vient peut-eˆtre du saltus. Sault vient soit de saltus (incultes, parcours) soit de quelque chose qui jaillit, ce qui peut eˆtre une source aussi bien qu’un rocher. Un sal a e´te´ associe´ a` des noms de reliefs. Sauve, et seube en occitan, ont aussi un double sens : la sylve (foreˆt) ou la franchise (cf. Sauveterre) ; Lasseube est plutoˆt la foreˆt, Lasseubetat une sauvete´, mais on peut souvent he´siter. Strat (route) et stret (e´troit) ont bien des chances d’eˆtre confondus. Sega, se`gue, a` la fois la scie et le taillis en occitan (ce qui taille et ce que l’on taille), a pu prendre par glissement des formes comme Se`ve, Soif, Soie ou Sou... Rappelons que Serve a au moins trois sens : non affranchie (pour une terre, chap. 3), foreˆt (de sylva), bassin de retenue (chap. 6). Et que Soulier peut venir de soulan (au soleil) ou de la soue, souille, mais non d’une chaussure. Tanne de´signe soit le sapin soit le cheˆne, et aussi une grotte (cf. tanie`re). L’if (latin taxus) et le blaireau (gaulois taxo) peuvent se confondre en des formes comme Taix, Tesson. Terme, outre sa proximite´ avec les bains (thermes) peut avoir deux origines tre`s diffe´rentes : une limite (cf. terminaison) et un tertre, parfois aussi e´crit Terne. Tour peut de´signer une tour de de´fense, ou une hauteur (cf. tertre, toron) et The´ron, Touron, Te´ron, Te´rondel se rapportent a` des sources en occitan. Trait peut venir de trajectus et de´signer un passage, mais certains Trait viennent de trie (troisie`me sole, jache`re). Tre´ a trois origines distinctes : trois, traverse´e (trans), portion de territoire

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(treb, treˆve). Nous avons aussi note´ que des Treix, Trech peuvent eˆtre rapporte´s a` des gue´s, traverse´es ou trajets, sinon a` des vasie`res, a` des friches (threisk), a` des sables bretons (trez). Ver dans un toponyme e´voque plusieurs sens distincts : majeur, principal en gaulois ; l’aulne (de vern) ; l’if (a` partir d’eburo, cf. Vergonnes 49) ; un courant ou une rive (Ve´ron, Ve´retz 37) ; la couleur verte (cf. verger) ; « les hommes » (de vir, maˆle). Vic est village ou crique selon les cas, et parfois meˆme a pu venir de vidu, foreˆt comme Vicq 59, anc. Uith ; et des proximite´s sont troublantes avec vy au sens de gue´, passage, tandis que certains vic-village ont e´te´ compris comme « vieux ». La confusion entre vieux et ville est banale dans les Pyre´ne´es ou` villa a pu donner vielle, bielle et meˆme gelle. Vin, ven sont associe´s soit a` blanc (vindo), soit a` un oronyme ancien, soit a` l’osier, soit au vent : le Ventoux est encore un lieu de disputes. Vis est pour certains une valle´e profonde (la Vis, l’Ise`re anc. Visara), pour d’autres un relief (Viso, Ve´suve, peut-eˆtre Ve´zelay). On peut encore, a` titre d’exemple de convergence et donc de difficulte´ d’interpre´tation, citer des toponymes en Yv- et Yf- : Yvignac 22 est attribue´ a` l’if comme Yversay 80 et des Yvoy, les Yverneaux a` un envers (ombre´e), Yffiniac 22 a` fines au sens de limite, Yvetot a` un habitat (tot) de l’eau (eve) dont rele`vent aussi les Yvelines et l’Yvette, et probablement Yvrandes 61, mais celle-ci peut-eˆtre a` partir d’un Equoranda dont l’equo, issu d’aqua, aurait e´volue´ vers ivo (R. Lepelley). Encore s’agit-il la` de cas re´solus, ou admis comme vraisemblables : il reste de larges plages de myste`re jusque dans un domaine aussi limite´.

Questions ouvertes En de´pit des efforts conside´rables, de la science et de l’inge´niosite´ des spe´cialistes, il reste bien des zones d’ombre, non seulement pour tel ou tel toponyme particulier, mais meˆme pour des familles de toponymes, d’e´tymons et d’appellatifs. J’ai de´ja` discute´ (chap. 5) des Angles et Anglade, fort nombreux et qui me´ritent un meilleur sort que celui auquel les abandonnent la plupart des onomasticiens. Les discussions autour d’alpe et arp n’ont gue`re cesse´, meˆme si un assez large consensus s’est dessine´ vers l’ide´e de montagne pastorale. Il y aurait sans doute lieu de faire un effort comparable vers les pyre´ne´ens asp et ast, tre`s pre´sents et dont les relations avec les sens de rocher, « pied de rocher » (as-pe´), voire caverne (E. Ne`gre, qui a peut-eˆtre confondu avec esplugue, de spelonca) sont probablement moins assure´es qu’avec l’ide´e de pacage d’altitude. Ave`ne est un toponyme qui pose un cas un peu particulier. Les uns, dont E. Ne`gre, y lisent avoine mais ce point de vue est tre`s conteste´. D’autres y voient une terre maigre, un sol de faible ressource, d’autres encore un pacage me´diocre. Cette e´tymologie n’en est pas e´tablie, mais pourrait se trouver dans le germanique wanna, au sens de maigre, peu ge´ne´reux, e´quivalent de l’ancien « che´tif ». Paradoxalement, P.-H. Billy pre´fe`re y voir un « paˆturage de choix » issu d’un saxon æfesn, qui semble avoir de´signe´ en vieil anglais des pacages a` cochons. Les formes Ave`ne, Avelle, Avesnes, Lavenne, Avenie`res, Avanne, Avenel, Avene´es, les Aveneaux

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abondent dans le Nord-Pas-de-Calais, mais sont pre´sentes en bien d’autres re´gions de la partie septentrionale du pays. Octeville-l’Avenel est dans la Manche, la forme Avesnes est partage´e par dix communes, dont Avesnes-en-Val et Avesnes-en-Bray en Seine-Maritime, Avesnes-en-Saosnois dans la Sarthe. Ces toponymes correspondent a` des substrats diffe´rents, aussi bien calcaires que granitiques. Les Avenaux ou Aveneaux sont assez nombreux en Charentes, dans l’Indre et le pays Nantais, mais ils peuvent relever de plusieurs familles de sens : des Ave`ne et Aveneau plus me´ridionaux sont rapporte´s au radical av- de´signant l’eau et qui a fourni une se´rie de rivie`res Ave`ne ou Ave`ze. Les incertitudes sur les sens des noms en Argent sont grandes ; en l’absence de mines, on est re´duit aux reflets de la rivie`re, ou a` un sens de lumie`re divine : possible, mais incertain. Elles sont a` rapprocher des interpre´tations suscite´es par des consonances en aurea, or, au risque de confusion avec des ar pour rocher ; a` rapprocher aussi des e´vocations du blanc, du clair et du lumineux dans les bel, lux, vindo : a` des interpre´tations e´le´mentaires d’espaces de´gage´s ou de couleur claire s’ajoutent des ide´es de brillance et de divinite´, qui n’ont pas e´te´ e´trange`res a` la vision gauloise et antique de certains lieux, conside´re´s comme sacre´s et place´s sous les auspices de quelque divinite´ Belenos, Belisama ou Lug. Les Bapaume et Bre´viandes me´riteraient des recherches nouvelles. On a bien du mal ici a` croire aux interpre´tations de l’imaginatif E. Ne`gre, qui voyait dans l’un « bre`ve viande », donc courte che`re, et dans l’autre, « on s’en bat les paumes », ce qui a` l’e´poque e´tait cense´ eˆtre un signe d’affliction – d’autres disent de joie. Plusieurs dizaines de Bre´viande ou Bre´viandes subsistent, surtout en Bourgogne et Sologne, en Touraine ; la plupart de ces lieux-dits sont en limite de foreˆt. C’e´tait aussi le cas de Bre´viandes 10 encore au XVIII e sie`cle, selon la carte de Cassini ou` le nom est sans s, mais a` pre´sent la commune est inte´gre´e a` l’agglome´ration de Troyes. Le rapport suppose´ a` une « bre`ve viande » a` du mal a` convaincre, surtout pour des e´poques ou` la consommation de viande n’e´tait pas courante. On pourrait rechercher du coˆte´ de la se´rie des noms e´voquant la bruye`re (cf. Bre´viaire chap. 6), comme le pensait Dauzat pour La Bre´viaire 14 ; des points d’eau en Bre´vannes, Bre´vent, Bre´vonnes (chap. 5) ; sinon des brebis et leurs lieux-dits en Bre´bie`res ; voire du gaulois brauon pour meule, rencontre´ a` propos de certains Bre´vans et Bre´vannes (chap. 6). Bapaume 62 fut e´crit Bætpalmis ou Bathpalme en latin de scribe au XII e sie`cle, ce qui ne dit rien sur une e´ventualite´ de re´interpre´tation, pas plus e´videmment que ses « armes parlantes » figurant des mains. En fait, plusieurs dizaines de Bapaume ou Bapeaume sont disperse´s en France, de la Charente a` la Picardie et jusqu’en Champagne. Contrairement aux Bre´viande, ils sont majoritairement proches des centres villageois, et bon nombre sont en des sites qui n’ont rien de particulie`rement aride ou « che´tif », pas plus d’ailleurs que celui de Bapaume 62. Palme, paume ont eu jadis bien d’autres sens que la paume de la main (mesure agraire, e´pi de ce´re´ale, voire buis ou saule selon M. Lachiver). L’interpre´tation de ces noms demandera encore quelques efforts. Certains auteurs leur ajoutent sans plus de de´bat Balledent, connu a` un seul exemplaire, commune de Haute-Vienne ; il est cense´ e´voquer aussi la faim (sans doute sous l’effet de l’argot re´cent « avoir la dent »...) ; mais cette fois E. Ne`gre l’interpre`te au contraire comme de´rive´ du balet (ouverture-balcon a` l’e´tage d’une

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maison, de l’Agenais au Limousin), en supposant un peu laborieusement balet-enc (pourvu d’un balet)... La racine bal, ge´ne´ralement associe´e a` des escarpements rocheux, est objet de gloses. Ses rapports avec balm, baume, ne sont pas bien de´finis, mais on aurait du mal a` les croire fortuits. Plus hasardeuses sont les hypothe`ses qui la relient aux « ballons » des Vosges, tout autant qu’au dieu gaulois Belenos : certains textes liant le Ballon d’Alsace, le Bollenberg (Westhalten 68 et Rouffach), « haut lieu cosmo-tellurique », le Belchen de Foreˆt Noire et les solstices semblent relever d’un e´sote´risme aussi e´chevele´ que celui de Bugarach et Rennes-le-Chaˆteau en pays dit « cathare », lieux de queˆtes mystique autant que de chasses au tre´sor. Il n’est pas toujours facile de de´meˆler les sens de berg (mont), burg (habitat perche´), bourg (ville), et briga (fort perche´, montfort), tre`s pre´sents aussi en toponymie et issus de l’IE bhergh (haut). Ils ont e´te´ associe´s de`s leur origine (germanique) par l’existence des habitats en hauteur, prote´ge´s sinon fortifie´s, au point que l’ide´e de montagne et celle de ville se seraient confondues ; ajoutons que le fort (latin fortis) semble provenir du meˆme e´tymon, ainsi d’ailleurs que la brigue comme force de re´sistance ou de pression. Les Bel-Air ont pu sembler trop e´vidents et certains ont voulu lire Bel Erm (grande friche), d’autres Belle Aire, d’autres encore des invocations a` Belenos ; mais la plupart des Bel-Air sont situe´s sur des routes et en hauteur, ce qui renforce le coˆte´ relativement re´cent et vaniteux du nom (bellevue, bel aspect). Les noms en borb, bourb comme Bourbon, Bourbonne sont relie´s tantoˆt a` une source jaillissante, tantoˆt a` un dieu des sources Bormo ou Borvo, tantoˆt a` la boue (la bourbe) : mais bourbier et source, meˆme thermale, ne sont pas synonymes et l’on a du mal a` s’en tirer en invoquant une source a` la fois boueuse et bouillonnante : les eaux thermales et mine´rales sont habituellement plutoˆt claires... Le seul point commun est dans l’e´tymologie, e´voquant les bulles (IE bhel, qui gonfle), tant de la boue que de la source, et donc possible e´le´ment de confusion pour des terroirs fort diffe´rents. Le pays d’Albret et son village e´ponyme Labrit restent objets de de´bats. D’un coˆte´ l’on est tente´ par la famille a` laquelle appartient entre autres Labre`de, du coˆte´ des e´vocations de buissons ; de l’autre, Billy, qui signale lui-meˆme cette parente´, est tente´ par un lapa qui re´fe`re a` la boue. Brande est en principe une terre de bruye`re, mais a aussi le sens d’inculte (gascon brana), et de bruˆlis, terre a` bruˆler ou venant d’eˆtre bruˆle´e. Buge, Buige, fre´quent en Limousin, est interpre´te´ selon les cas comme pacage, e´curie, lande, friche (cf. bouzigue). La famille des Chambon (avec Cambon, Camon, Camou) est de celles dont on discute fort. Il s’agit en ge´ne´ral de terrains alluviaux fertiles ; mais dans l’e´tymon cambo certains linguistes ne veulent voir que courbe (de la rivie`re), tandis que d’autres se laissent attirer par l’ide´e de « champ bon ». Et par ailleurs les nombreux cham, cam, voire cha du Sud-Est et des montagnes n’auraient pas davantage de rapports avec des champs, mais avec une ide´e de paysage nu, de roche ou de ve´ge´tation rase (calm au sens de chauve). Le de´bat porte d’ailleurs aussi bien sur l’origine des mots champ et campagne.

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L’e´tymon cant, pre´sent dans Cantal, Larchant, Chanturgue, Moercant, Cachan (Caticantus) pose aussi des proble`mes : il est associe´ a` des pierres, a` des reliefs, mais comme rebord, coin, angle ; les uns le rapprochent de chant (cercle de roue, ou position de coˆte´, sur la face e´troite), d’autres de coin, comme dans canton, ou cantou (coin de chemine´e ou bout de pain en occitan), ce qui renvoie a` des IE kost (coˆte´) ou ku (angle), d’ailleurs conside´re´s eux-meˆmes comme hypothe´tiques. Le sens de Ce´venne est d’autant plus discute´ qu’une se´rie de lieux-dits du Lot porte ce nom, en ge´ne´ral sur des versants raides de rive concave de me´andre, ce qui en fait l’e´quivalent des cingles pe´rigourdins ; mais il ne s’agit peut-eˆtre que d’un transfert d’image. Billy rapporte Ce´venne a` l’IE kem, couvrir, en se re´fe´rant a` la couverture forestie`re que voyait Strabon dans ce qu’il nommait Kemmenon. L’ide´e est se´duisante ; mais l’IE kem a aussi le sens de presser, serrer, ainsi qu’entourer, ourler, ce qui ferait des Ce´vennes le pays des serres, ou un pays de bordure, de´finitions d’ailleurs tre`s approprie´es au paysage et a` la situation. Une tradition linguistique d’apparence se´rieuse y voit un kemn celte au sens de dos, e´chine (gaulois cemenos ?). En fait les Ce´vennes sont bien un pays boise´, de serres et en bordure (du Massif Central ou de l’aire me´diterrane´enne selon les points de vue)... En revanche le rapprochement avec ce`be, oignon, n’est pas se´rieux, meˆme si l’oignon doux ce´venol (appellation prote´ge´e) est appre´cie´ des cuisinie`res timides. Nombreux, les noms en Cocu posent quelques proble`mes d’interpre´tation ; les spe´cialistes sont visiblement tente´s de proposer d’abord une allusion au coucou, agreste, pudique et sans proble`me linguistique. Mais il s’agit souvent d’e´minences, de buttes, qui e´voquent la vieille racine orographique cuc. Des chercheurs ont fait observer qu’en certains lieux cocu est le nom de la bardane, ou du pissenlit, ou de la carotte sauvage. Bien entendu la re´fe´rence a` un mari trompe´ n’est pas exclue localement, ne serait-ce que par attraction ou remotivation ; elle est sans aucun inte´reˆt pour notre propos. Les noms en Combres, Combray, Combrit, Combronde, voire Combrailles, suscitent aussi des he´sitations : la re´fe´rence est en ge´ne´ral le gaulois comberos, barrage, quelque chose qui encombre ou est encombre´, construit ou naturel. Cet « encombrement » a parfois pour sens un abattis d’arbres en de´friche ; ou encore confluent, avec le breton kemper comme apparente´ ; ce qui laisse perplexe, car le lien entre confluent et encombrement n’est pas e´vident pour des cours d’eau. Le couderc et son e´quivalent la couarde sont souvent l’objet de commentaires impre´cis comme « terrain vague », clairie`re, espace gazonne´, voire enclos prive´. Or c’est le co- qui est ici essentiel : il s’agit toujours, du moins a` l’origine et au sens ge´ne´ral, d’un terrain commun, a` libre pacage. La re´fe´rence au gaulois coterico, souvent cite´e sans autre explication, va dans ce sens, comme l’ont confirme´ von Wartburg (qui traduit « Gemeindeweide », prairie commune) et J. Se´guy, et les comparaisons britanniques (commons en anglais, cyttir en gallois selon P. Flatre`s, 1957, Ge´ographie rurale de quatre contre´es celtiques). Par glissement, le terme a pu ensuite s’appliquer a` un « petit pre´ enclos devant la maison » (FEW), au moins dans le Midi : « qui reste dans son couderc, si rien ne gagne, rien ne perd » (cite´ par A. Fel d’apre`s Vimont).

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Les explications donne´es sur l’origine des nombreux Dhuis, Doux, Dois, Doye, voire Adoux, ne sont pas toujours convaincantes : si le sens est clair, source pe´renne et abondante, la relation habituelle a` un duct latin (IE deuk) au sens de conduit n’est pas e´vidente pour une source, d’autant qu’en certains lieux doue´, doue`re ont le sens de mare ou lavoir (S. Gendron). Peut-eˆtre y aurait-il lieu de rechercher un autre e´tymon, ou du moins un autre sens : deuk est aussi « apporter » et « tirer », « guider » (d’ou` le duc et, en allemand, ziehen, Herzog). La question se pose encore pour les formes Oueil, Œil, Ooˆ qui se rapportent e´galement a` des sources, ou plus pre´cise´ment a` des cuvettes de sources, des vasques, parfois des cuvettes tout court, des e´tangs : la relation avec oculus, œil comme me´taphore morphologique est habituelle, sinon vraiment convaincante. Ces noms sont proches des pre´ce´dents, l’initiale d mise a` part. Ils se de´forment c¸a` et la` en Oye (plateau de Pontarlier), Oie (l’E´tang d’Oie a` Givry-en-Argonne 08, l’Angle d’Oie a` La Ronde 17, L’Oie 85) ; plutoˆt qu’a` l’œil on pourrait simplement penser a` une parente´ avec l’IE akwa (eau), qui a aussi donne´ les o¨y, ey, oe scandinaves (ıˆle). Dol n’est pas moins ambigu : il semble avoir le sens de me´andre en breton (Dolo, Landaul) ; il existe bien un IE dhel au sens de courbe, dont viendraient le grec dolos et le laltin dolus au sens de ruse, biais, de´tour ; mais dhel a aussi le sens de plaine ou de creux (cf. la doline, les dalles en Normandie, l’allemand Thal), et le Mont Dol a pu eˆtre nomme´ ainsi par sa position au milieu des marais, avant que son nom ne soit repris par le bourg voisin, Dol-de-Bretagne 35. D’amples discussions ont tourne´ autour d’un nom fre´quent en Lorraine, Bourgogne et jusqu’en Charente, Ensange, Essange, Ensonge, Ansange, voire un curieux Moulin de l’E´tanche a` Thorey-Lyautey 54 ; il s’agirait vraisemblablement d’enseignes, c’est-a`-dire de terres du seigneur conce´de´es (G. Duby). D’autres ont imagine´ d’apre`s Du Cange des terres enceintes, sans doute a` tort ; J. Peltre a cru y voir une mesure agraire d’origine franque. La place des Ingrandes est bien connue (chap. 2), en limite de territoire de peuples gaulois, et d’ailleurs souvent aujourd’hui de limite de´partementale ; mais les explications divergent sur le sens exact. Les uns privile´gient l’eau (aygue) a` partir des Aigurande et Eygurande, allant jusqu’a` y lire Icoranda par celtophilie (ic e´tant cense´ e´voquer l’eau en celte), mais tous les sites de la famille ne sont pas sur l’eau. D’autres y voient un equoranda qui de´signerait une limite « juste », ou un egoranda, eugoranda aux sens encore obscurs. Certains toponymes ont pris la forme Gue´rande (a` Chaveyriat 01 et a` Arfeuilles 03), la Guirande (Mirambeau 17, Lagorce 79), ce qui complique l’interpre´tation d’autres Gue´rande – meˆme si Gue´rande 44 n’a apparemment jamais e´te´ comprise en ce sens, alors qu’elle aussi est quelque peu « en limite ». Le groupe Joux, Jeu, Joran, Jorasses ne va pas sans difficulte´. Il est largement admis que joux de´signe habituellement une hauteur boise´e. L’origine est pour certains un jor, juris gaulois au sens de futaie. Mais certains auteurs tiennent a` y voir une me´taphore du joug, d’autres un avatar de la racine orographique cuc devenue jouk. Les choses se compliquent, comme toujours avec des noms et e´tymons monosyllabiques, par la proximite´ de jeu, de jau (coq), voire de gue´. Pied de Jeu a` Nuret-leFerron 36 est un hameau sur une tre`s faible bosse (pied=puy) dans un bois de la

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Brenne, et Pas-de-Jeu 79 a pu eˆtre un passage de gue´. Les Jouy sont le plus souvent rattache´s a` un NP latin Gaudius, mais leur nombre laisse penser que des glissements ont pu intervenir, peut-eˆtre a` partir de jor (hauteur boise´e, joux). Molard et molasse peuvent poser des proble`mes d’interpre´tation. Ils e´voquent le mou, alors que l’e´tymon est l’IE mel pour e´craser, moudre, qui a donne´ les latins moles, masse et mola, meule, ainsi que moˆle, molaire, meulie`re, molette : rien que du dur. Le molard alpin est un rocher saillant. Certains spe´cialistes y privile´gient la forme ronde, et semblent confondre la meule a` e´craser et la meule de paille ; mais la rondeur est loin d’eˆtre atteste´e dans tous les Molard alpins, notamment le long creˆt ace´re´ du Molard de Sisteron. Le doublement fautif mais courant du l (Mollard, Mollasse) accentue le contresens et rapproche faˆcheusement des mouille`res. Morgon aussi est objet de trouble. En Beaujolais, il de´signe un sol fait de de´bris de de´composition des schistes micace´s, mais ce sens peut avoir de´rive´ du « climat » de Morgon (Ville´-Morgon 69). Dans les Alpes, le Centre et l’Est il de´signe plutoˆt certains paˆturages de bordure, de marge, ou de´limite´s, et il est porte´ par quelques cours d’eau ; Bessat et Germi le relient a` Morge, Margerie, le notent a` la frontie`re des Alpes-Maritimes et l’associent a` l’ide´e de marge, soit a` partir de mark (limite), soit d’un gaulois morga pour des pierres bordie`res, tandis que J.-C. Bouvier l’associe a` un murr, autre e´vocation de pierres. Morgon et murger seraient ainsi apparente´s dans l’ide´e de muret, sinon de talus. Les relations entre des oronymes de forme pal, par, et sans doute bal me´riteraient d’eˆtre approfondies. Nous avons vu que pal, peut-eˆtre pre´-IE mais qui figure aussi dans les racines IE, aurait donne´ des al, alis (cf. Ale´sia) par omission du p, des bal, falaise par mutation de consonne, par avec rhotacisme, pel par changement de voyelle. La Teˆte Pelouse (La Clusaz 74), le mont Pellusegagne a` Larrau 65 (redondant par le gagna vascon), le Piapala a` Vallon-Pont-d’Arc 07, les Pale Rase, Pale Bidau a` Melles 31, le Tuc de la Paˆle des Camps a` Sentein 09, ainsi que le Pelvoux, ont des noms qui seraient en rapport avec de fortes pentes. Il en est de meˆme de divers Paris, Emparis, les Pares, voire de certains Paradis. Mais en meˆme temps pal a donne´ pieu et palissade, par se trouvant dans paroi, paret (mur), et des noms comme Pardies, Paray, Paroy qui e´voquent des enclos. Le parc lui-meˆme est a` l’origine (et encore en breton sous la forme park) un enclos, attribue´ a` un parra pre´latin (perche, selon le TLF), comme le parge (Les E´parges) en Lorraine ; paran a le sens de terrasse (entre deux murs ?). Cloˆture, paroi, falaise sont-ils proches, ou fortuitement voisins ? Les interpre´tations des noms en Provenche, Provenche`res, Pre´venches, Pre´venche`res, Pervinquie`res, Pre´vinquie`res ne sont pas toutes convaincantes. En occitan, les derniers pourraient eˆtre des lieux a` pervenches et les Fe´nie´ n’en doutent pas (§ 812) ; mais leur abondance laisse perplexe : nommer un lieu par des fleurs n’est pas tre`s commun, sauf a` conside´rer que les colonies naturelles de pervenches seraient re´pute´es signaler des terres jadis cultive´es, comme cela a pu eˆtre sugge´re´. E. Ne`gre a imagine´ un propinquioria qui aurait pour sens « proches environs » : on reste mode´re´ment convaincu et e´claire´. D’autres ont alle´gue´ un provende, ancienne mesure de grains. Or notons qu’en occitan, pervenquer est convaincre ou parvenir : des terres que

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l’on est parvenu a` « gagner » d’une certaine fac¸on, et qui seraient alors synonymes de gaignerie ? Revest est en Provence un terme ambigu. Un sens est regain, cher a` Giono : une terre reconquise sur une friche. Pe´gorier l’interpre`te comme revers, c’est-a`-dire ubac, ce que peut confirmer le Revest, vieux village du Revest-Saint-Martin 04, voire Revestdes-Brousses 04 ; mais les Revest-des-Eaux 83 et Revest-du-Bion (04), Revest-desRoches (06) sont en plein adret, comme bien d’autres, et certains sont en plaine. Riez, Rie`ze, Rietz semblent de´signer deux objets distincts en Ardennes et dans le Nord : dans un cas des biens communaux, e´ventuels terrains de jeux publics, a` l’instar des coudercs ; dans l’autre des landes mare´cageuses, anciens parcours pastoraux. Est-on passe´ de l’un a` l’autre sens par l’affectation publique de terrains peu convoite´s ? Les noms en Tep, Teppe appellent l’attention. D’une part ils sont associe´s a` des pentes, des hauteurs, surtout dans le Jura (la Grande Teppe a` Injoux-Ge´nissiat 39 et les Grandes Teppes a` Challonges 39), ainsi que Teppa en Corse (J. Chiorboli) et, en ce sens, sont proches des Tup, Tuc et Te´pe´ du Sud-Ouest, dont l’origine est conside´re´e comme pre´-latine, voire pre´-IE. D’autre part, ils abondent en plaine du coˆte´ de la Saoˆne (plusieurs dizaines en Saoˆne-et-Loire, une vingtaine dans l’Ain) ou` ils auraient le sens de buissons, friches, herbages pauvres, sans que l’e´tymologie en ait e´te´ vraiment e´claire´e. Les interpre´tations du riche groupe Vaivre, Voivre, Woe¨vre, Ve`vre, Vesvres, Vavre, Vaure, Vabre, Wavrans, Vorey, Lavaur, Gabre ne sont pas toujours satisfaisantes. Meˆme en excluant les le´gendaires vouivres, qui sont lie´es au serpent, s’y trouvent meˆle´s dans les interpre´tations au moins sept concepts distincts, bien qu’ils puissent eˆtre associe´s localement : le ravin, la friche, la broussaille, la foreˆt humide, le marais, la source et un vobero gaulois un peu myste´rieux compris comme un cheminement cache´ de ruisseaux sous bois et pre´sente´ comme la source de tous ces noms. Il peut y avoir la` des paronymies fortuites – varet, gue´ret n’est pas loin –, et quelques re´examens s’imposent. Un nom comme Vouvray 37, jadis Vobridius et Vaubridius, parfois rattache´ au groupe, notamment par S. Gendron, qui pense que vobero est passe´ du sens de ruisseau ou source cache´s a` celui de foreˆt humide, preˆte encore a` discussion. Varenne et garenne entretiennent des rapports parfois confus et le plus souvent entremeˆle´s. Chacun semble admettre leur parente´. Mais garenne aurait eu principalement le sens de terrain en de´fens, domaine re´serve´ de chasse au gibier, ce qui le relierait a` ward, garder ou au gaulois varros, poteau, selon les points de vue de linguistes. Varenne est habituellement une plaine alluviale plus ou moins sableuse des bords de rivie`res. De ce fait, le mot se rapprocherait d’un vara de la famille IE wed (eau), comme water, wasser, voda, voire winter (saison des pluies), apparent dans des toponymes de rive comme Vayres, Vaires, Ve´retz 37. Entre eau et garde, varenne et garenne, quel rapport, sinon une convergence d’usages et de consonances ? Les Ve´drine, fre´quents dans le Massif Central, ont des interpre´tations aussi contradictoires que pe´remptoires. Trois e´tymologies au moins sont donne´es. L’une, adopte´e par Ne`gre, y voit un latin veterina relatif aux beˆtes de somme, supposant qu’il y en avait la`, ou bien qu’il s’agissait d’un relais sur un chemin. Une seconde,

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adopte´e par Dauzat, y voit vitrina, donc une verrerie. Une troisie`me, en faveur aux Archives de´partementales du Cantal, y voit par vetera une « vieille terre », abandonne´e ou de long temps en friche. Il n’est pas impossible qu’il y ait la` un phe´nome`ne de convergence, et que les trois origines soient possibles, ayant abouti a` la meˆme forme pour des lieux distincts. Reste qu’un examen attentif des sites de ces lieux-dits exclut a` peu pre`s suˆrement les deux premie`res interpre´tations dans de nombreux cas, comme a` Chaliers 15, Coren 15, Vitrac-en-Viade`ne 12, Lago 48, Chassagnes 43, etc., ou` les sites des Ve´drine sont loin de tout chemin, ainsi que du moindre ruisseau a` moulin propice a` une fabrique. Enfin, les divers Vincelles et Vinzelles me´riteraient bien de nouveaux examens. Ils sont attribue´s sans discussion a` la vigne par Dauzat, Taverdet, et Ne`gre qui y voit une association entre vin et cella (pour ermites rubiconds ?). Or nombre d’entre eux sont dans des sites assez peu propices a` sa culture, meˆme jadis, notamment en Auvergne ou` Vinzelles 63 est au bord de l’Allier, en Aveyron ou` la Vinzelle de Grand-Vabre est au fond de l’abrupte valle´e du Lot, dans le Cantal ou` le Pas Vinzelin de Marcole`s est un gue´ a` 600 m en fond de valle´e boise´e, voire dans la Bresse ou` Vincelles 71 est dans la valle´e humide de la Seille, Vincelles 39 au bord de la Sonnette. E. Bouye´ a sugge´re´ un rapport avec le saule, ou l’osier, a` partir du latin vinculum (lien), plus vraisemblable pour ces sites. Si convergence il y a la`, elle appelle de nouveaux examens. Ces quelques exemples sont la` pour donner une ide´e des limites de nos connaissances et de la dimension des taˆches ne´cessaires. Ils ne cachent pas, mais au contraire soulignent, l’ampleur du travail de´ja` accompli. Ils montrent tout l’inte´reˆt que peut pre´senter la convergence d’approches et de re´flexions de natures diffe´rentes, venant de disciplines scientifiques distinctes mais qui ont tout inte´reˆt a` coope´rer. Pour le reste, on admettra que les origines exactes de certains noms ne pourront jamais eˆtre connues avec certitude et preuves ; souhaitons qu’elles puissent faire l’objet d’accords suffisamment larges. Et l’origine n’est qu’un e´le´ment de la vie des noms de lieux, dont les modifications, remotivations et mutations ne sont pas moins inte´ressantes.

9. La France en grandes re´gions toponymiques Des se´ries de noms de lieux peuvent former des groupements re´gionaux relativement caracte´ristiques. Cela tient en partie a` certains des caracte`res e´cologiques re´gionaux : modes de peuplement, types de paysages, place des foreˆts, prairies ou mare´cages, activite´s agricoles. Cela tient aussi a` l’histoire linguistique de ces re´gions, aux traces des cultures qui s’y sont succe´de´ ; voire a` l’histoire de leur peuplement et surtout de leur mise en valeur, celles des de´frichements, des nouveaux villages, de l’urbanisation. Aucune division du territoire, bien entendu, ne peut eˆtre satisfaisante : meˆme les bastions linguistiques pe´riphe´riques (basque, breton, flamand) ne fournissent pas une base ade´quate, car les traces toponymiques de ces langues se trouvent bien au-dela` des parlers actuels, d’ailleurs limite´s dans l’espace et dans leur pratique. La pre´sentation qui suit est donc propose´e selon une division tre`s simple, rapprochant les re´gions qui m’ont semble´ avoir le plus de points communs, et se diffe´rencier quelque peu de leurs voisines. Ainsi et d’abord le Centre et son val de Loire, avec Paris et son val de Seine, dont les plaines furent le creuset de l’identite´ linguistique franc¸aise d’oı¨l. Puis le Nord-Est, ou` la pre´sence germanique a e´te´ la plus soutenue. Le Nord et la Picardie, riches en e´le´ments d’origine nord-europe´enne. La Normandie, encore marque´e par les apports vikings. La Bretagne et les Pays-de-la-Loire, dont les campagnes ont e´te´ tre`s sensibles a` la longue domination des chaˆteaux et manoirs, et ou` celte et breton ont laisse´ des traces meˆle´es. Le Poitou, les Charentes, le Limousin et l’Auvergne, parce qu’ils forment une large bande de transition entre langue d’oı¨l et langue d’oc. Les Bourgognes et Rhoˆne-Alpes, qui prolongent autrement cette transition avec les mots particuliers du « franco-provenc¸al » ou « arpitan », des apports germains et un vocabulaire montagnard tre`s e´labore´. L’Aquitaine et Midi-Pyre´ne´es, qui ont en commun le gascon, sinon le vascon, peu de celte, et des tournures originales. Le Languedoc-Roussillon, la Provence-Alpes-Coˆte-d’Azur et la Corse, autre ensemble d’oc mais avec ses tonalite´s me´diterrane´ennes et davantage de contrastes locaux. Et les de´partements et territoires d’outre-mer, qui ouvrent de tout autres questions.

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Le Centre et l’Iˆle-de-France Au centre de la France, culturellement sinon ge´ome´triquement, Paris, l’Iˆle-deFrance et la re´gion dite Centre-Val de Loire ont en commun des formes de la langue d’oil et des prononciations conside´re´es comme relativement « pures », sans patois accuse´ ni tournures re´gionales tre`s sensibles. L’Institut de Touraine, a` Tours, be´ne´ficie d’un flux continu d’e´trangers venus apprendre ou perfectionner leur franc¸ais la` ou` il serait le moins alte´re´. Bien entendu, cela de´pend des milieux sociaux, et certains quartiers et banlieues de Paris se sont toujours comporte´s diffe´remment, phe´nome`ne accru par la diversification des origines de leurs habitants. Les toponymes sont assez anciens, dans leur ensemble, pour conserver cette image ge´ne´rale. Ils accordent une tre`s large place aux legs des civilisations rurales antiques et me´die´vales, des chaˆteaux et des abbayes qui les structuraient de contraintes et d’interdits, des foreˆts qu’ils entretenaient et exploitaient, aux noms change´s et importe´s par les proprie´taires successifs. Cette fraction du territoire a ses particularite´s, mais n’a pas de particularismes, de variantes internes sensibles, d’apports linguistiques originaux, contrairement aux autres ensembles re´gionaux du pays. La plupart des noms de lieux se lisent clairement par rapport au franc¸ais actuel ; ils n’en conservent pas moins quelques formes passe´es, dont le sens a pu s’oublier. Le substrat pre´celtique semble parcimonieux, en partie en l’absence de reliefs accuse´s, en partie en raison de l’intensite´ de l’occupation et de la mise en valeur celte et romaine. La solidite´ de la base des domaines ruraux antiques a multiplie´ les noms de lieux forme´s sur un patrimoine personnel (NP) assorti d’un suffixe ; les formes en -ay dominent, avec -y, -igny, -illy, des -eux et -euil e´pars, quelques -e´ vers l’ouest, mais gue`re de -ey. Les -ville et -villiers sont en abondance, du moins autour de Paris, mais les -villers tre`s rares. Les -ac et -an sont exceptionnels, comme d’ailleurs les -court a` l’exception des confins normands des Yvelines. Iˆle-de-France a e´te´ choisi comme nom de re´gion en 1976, apre`s « Re´gion Parisienne » ; le gentile´ Francilien est plus tardif. Toutefois, l’expression est apparue de`s la fin du XIVe sie`cle, dans la Chronique de Froissart. Quelques indices l’avaient pre´ce´de´e, comme ce territoire de´crit en 1358 « au cuer de France entre deux yeaues » (Jacquin de Chennvuie`res, dans S. Luce, Histoire de la Jacquerie, 1859), ces eaux e´tant celles de la Seine et de l’Oise. Il s’agissait de la France au sens restreint, comme proprie´te´ particulie`re des anciens rois cape´tiens. Le terme France avait d’abord, au IX e sie`cle, e´te´ employe´ extensivement comme ensemble des territoires que s’e´taient attribue´s les Francs en Europe, a` l’ouest et au nord des Alpes, puis restreint apre`s Charlemagne a` la partie occidentale.

Paris et alentour Nous avons de´ja` vu que « Paris » vient d’un peuple gaulois Parisii, apre`s avoir e´te´ nomme´e Lute`ce, probablement « la boueuse ». Le sens de Parisii reste discute´, au-dela` des le´gendes : certains e´rudits y voient un vieux celte pour chaudron, ce qui e´claire peu. Un pays de France est voisin de Paris, au nord-est. Son nom est porte´

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encore par quelques communes du Val-d’Oise comme Roissy-en-France 95, Belloy, Bonneuil, Chaˆtenay, Mareil, Puiseux -en-France, plus Tremblay-en-France 93, la communaute´ d’agglome´ration Terres de France (Sevran, Villepinte, Tremblay-enFrance) et la communaute´ de communes Plaines et Monts de France sie´geant a` Dammartin-en-Goe¨le 77. Il est plus ou moins e´quivalent a` Parisis, nom qui subsiste a` Villeparisis 77, Fontenay-en-Parisis 95 et Cormeilles-en-Parisis 95, et qui a e´te´ repris par la communaute´ du Parisis autour de Franconville 95. C’est donc surtout le Vald’Oise qui a he´rite´ du Parisis et de la France au sens restreint. La division de Paris en vingt arrondissements est assez ancienne pour qu’elle se soit ancre´e dans les pratiques : leurs nume´ros sont devenus des noms de lieux, et l’on sait de quoi l’on parle quand on e´voque le Seizie`me par opposition au Vingtie`me, le Huitie`me comme lieu du luxe avec son Triangle d’Or, ou le Sixie`me comme lieu « branche´ ». Toutefois, des quartiers ont de longue date une existence et un nom, meˆme si leurs contours sont plus flous : le Marais, Montparnasse ; la Butte aux Cailles dont le nom semble e´vident mais ou`, si la topographie confirme bien butte, Cailles a pu signifier cailloux ; la Goutte-d’Or dont le nom viendrait d’un vin blanc jadis produit sur ses pentes. S’y sont ajoute´es en 1859 et 1929 des communes absorbe´es partiellement ou en entier ; ces dernie`res, dont les noms persistent dans les coutumes, e´taient Vaugirard (NP), Grenelle (des graviers), Auteuil (de haut), Passy (NP), Batignolles (petites baˆtisses ?), Montmartre (Mont Mercure, remotive´ en mont des martyrs ou du cimetie`re), La Chapelle-Saint-Denis, La Villette, Belleville qui fut d’abord Savies, puis Poitronville, puis Belleville au XVI e sie`cle sans que l’on sache bien pourquoi ; enfin Charonne (car+onna, de roc et d’eau) et Bercy (bergerie). Parmi les quartiers les plus familiers aux Parisiens, mentionnons la Cite´, ou` fut le noyau meˆme d’une ville organise´e ; le Louvre, dont le nom reste discute´, peut-eˆtre un ancien Lupara, lieu de loups ou plutoˆt de louveterie ; les Tuileries, dont le chaˆteau a disparu en 1871, son nom e´tant emprunte´ a` d’anciennes tuileries. Le nom d’autres quartiers est attache´ a` un e´tablissement de forte marque, l’Ope´ra, la Bourse, les Halles, ou a` une paroisse en Saint. On parle moins du Quartier Latin depuis que ses e´coles ont e´te´ disperse´es, mais le Montparnasse reste pre´sent : il n’a rien d’un mont mais avait e´te´ nomme´ en re´fe´rence culturelle helle´nisante par les e´tudiants du proche Quartier Latin, qui avaient coutume de s’y rassembler en promenades, agapes et de´clamations poe´tiques, sur des terrains vagues de pierres et gravats rejete´s par Paris. Nommons encore le Gros-Caillou (ouest du Septie`me) et Chaillot (de caillou), Monceau (petit mont), le Roule (ancien village Romiliacum, d’un NP), les E´pinettes (les ronces), Les Grandes Carrie`res, Clignancourt (d’un domaine de Cleninius, NP), les Buttes Chaumont (encore un mont chauve), Poissonnie`re (de l’ancien chassemare´e en provenance des ports de la Manche et de la Mer du Nord), Picpus (d’origine inconnue mais sujet a` de multiples le´gendes autour de Pique-Puce). Le Sentier est un ancien centre du textile et de la presse ; l’origine de son nom reste discute´e : e´crit autrefois Centier, il aurait pu de´signer un chantier, le champtier, ou venir d’une alte´ration de censier (proprie´taire foncier titulaire du cens ?) – Censier est un autre lieu-dit parisien (Cinquie`me), la rue Censier ayant jadis e´te´ aussi rue du Centier, du Sentier ; elle a e´te´ interpre´te´e comme e´tant a` l’origine rue Sans Chef, c’est-a`-dire impasse...

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Re´cemment, chaque arrondissement a e´te´ divise´ en quartiers officiels, aux appellations parfois complique´es (trois termes et cinq noms a` Moskova-Porte de Montparnasse-Porte de Clignancourt). Leurs noms sont surtout fonde´s sur les anciens villages, sur des monuments ou institutions (Palais-Royal, les Halles, Invalides, Archives, Monnaie, Ode´on), sur des e´glises ou anciennes paroisses (Saint-Placide, Saint-Victor, Saint-Gervais, Saint-Germain-l’Auxerrois...) et sur des odonymes familiers (Re´publique, Nation, Pereire-Malesherbes, Porte Dauphine, LouisBlanc-Aqueduc...). Ces derniers ont donc introduit des noms de personnages historiques plus ou moins ce´le`bres (Dupleix-La Motte-Piquet, Lafayette, Alexandre-Dumas, Gambetta, Citroe¨n-Boucicaut, Georges Brassens, Le´on-BlumFolie-Regnault...) ou meˆme oublie´s (Croulebarbe, Perne´ ty, Popincourt, Secre´tan...), et importe´ toute une se´rie de noms de lieux exotiques en souvenir de batailles, au risque de rapprochements inattendus (Tolbiac, Hoche-Friedland, Salpeˆtrie`re-Austerlitz, Courcelles-Wagram...). Mais les rues de Paris ont de´ja` suscite´ de nombreux livres et n’entrent pas dans notre propos. Les noms de lieux alentour sont assez souvent explicites et ont e´te´ bien e´tudie´s. Nanterre vient non pas de nant (ravin) mais de nemeto, sanctuaire. Clichy vient probablement d’un promontoire (clipp). Puteaux est au contraire un ancien putel, un bourbier qui sentait mauvais. Neuilly-sur-Seine vient de nouveau, novale. Suresnes pourrait venir d’une source (sor). Rueil-Malmaison fut un rotu-ialo (lieu du gue´ pour Rueil) assorti d’un « mauvais lieu ». Garches vient peut-eˆtre de guerche (de´fense). Boulogne-Billancourt est un ancien rove-rito (gue´ des rouvres), devenu Les Mesnuls (les maisonnettes), puis a importe´ le nom de Boulogne-sur-Mer apre`s un pe`lerinage (XIVe sie`cle) – Billancourt e´tant le domaine (cour) de Bolo (NP). Se`vres vient d’un hydronyme connu (Savara), porte´ par son ruisseau. Meudon fut un Melodunum (mello colline et dunum hauteur fortifie´e). Issy-lesMoulineaux (les petits moulins) est souvent pre´sente´ comme venant d’un NP gaulois Icio, Iccio, mais l’abondance de noms de meˆme construction, y compris les Izeure et Issoire auvergnats, peut faire penser a` la base gauloise uxo, uxello pour hauteur, compatible avec le site. Vanves, ancien Venva, est parfois interpre´te´ comme issu du bas-latin venna digue, haie, voire barrage a` poissons, d’ou` est venue aussi la vanne. On a vu que Malakoff est une importation de la bataille de Crime´e. Bagneux est « les bains », Sceaux est une ancienne cella et fut longtemps e´crit Ceaux. Bourg-la-Reine a e´te´ nomme´e au XII e sie`cle en hommage a` Ade´laı¨de, e´pouse de Louis VI le Gros. L’Hay¨-les-Roses viendrait d’un NP Laius, augmente´ en 1914 pour sa roseraie. Arcueil a pour origine les arches d’un aqueduc. Ivry-sur-Seine vient des ifs, mais peut-eˆtre a` travers un NP, comme Vitry-sur-Seine d’un NP Victorius. Thiais, Choisy-le-Roi, Orly viendraient aussi de NP. Cre´teil semble combiner crista, creˆte + ialo, et Charenton-lePont serait issu de car, hauteur rocheuse. Fresnes vient simplement du freˆne, et Chennevie`res-sur-Marne du chanvre. Vincennes a pu eˆtre vidu-cenna, en gaulois foreˆt et pointe (P.-H. Billy), mais d’autres interpre´tations ont e´te´ avance´es. Montreuil vient de monaste`re, Bagnolet d’un petit bain, peut-eˆtre une simple mare. Les Lilas est une cre´ation re´cente (1867) consacrant des jardins fleuris. Pantin aurait e´te´ en rapport avec un bas-fond mare´cageux, d’une racine qui a donne´ en italien et en espagnol le pantano, un bourbier, quoique aussi un lac de barrage (latin palta, boue, IE pele).

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Stains a pour origine les e´tangs. Pierrefitte-sur-Seine, d’une pierre dresse´e, n’a aucun rapport avec la Seine, que son territoire n’atteint pas. Villetaneuse a e´te´ une ferme « pouilleuse » (Villa Tineosa) remotive´e en tanneuse, en l’absence pourtant de tanneries (F. Bournon 1896, M. Mulon). Aubervilliers (Albertvillare), Bobigny (Balbiniacum), Bondy (Bonisiaca), Le Raincy (Rensiacum), Gagny (Ganiaco, Waniacus), Villemomble, Rosny-sous-Bois sont attribue´s a` des NP. La mention -sous-Bois, commune a` Rosny-, Les Pavillons-, Aulnay-, fait allusion a` l’ancienne vaste et dangereuse foreˆt de Bondy. Les Neuilly furent des novales (terres nouvelles), les Noisy des coudraies. Aulnay-sous-Bois vient des aulnes, Tremblay des trembles et n’est « en-France » que depuˆis 1989. Villepinte fut Villa picta, peut-eˆtre une maison tre`s de´core´e. Sevran est un ancien Ceperente, puis Ceverent, qui reste inexplique´ ; peut-eˆtre de cepa, haie vive ? On ne sait si Montfermeil e´tait un mont ferme (solide), ou qui ferme, qui barre...

La deuxie`me couronne Les de´partements de l’Iˆle-de-France, meˆme re´cents, ont rec¸u des noms de rivie`res, plus ou moins augmente´s ; les Yvelines semblent faire exception, venant de la foreˆt d’Yveline, mais ce nom (transcrit jadis Sylva Æqualina) est construit sur eve, hydronyme, comme d’ailleurs l’Yvette. Versailles a un nom tre`s agricole qui se relie a` versenne, labours ; la Re´volution en avait fait curieusement mais assez logiquement Berceau-de-la-Liberte´. Houilles viendrait des brebis (ouailles), Le Ve´sinet d’un voisinage, Andre´sy a pu eˆtre un gaulois ande-ritum (autour du gue´) voire anderritum (gue´ aux vaches). Meulan (-en-Yvelines depuis 2010) est probablement de mello (colline) comme Melun. Mantes (Medanta) viendrait de med, humide, Ache`res d’apiarium, rucher. Chatou (Cattus Villa), Viroflay (villa Offeni), Sartrouville (Satorvilla), Poissy (Pinciacum), peut-eˆtre Houdan semblent venus de NP. Aubergenville n’aurait rien d’une auberge, mais de´riverait du NP Adalbert. Rambouillet vient d’un Rambeuil (Rumbelitto au VIII e s.) dont la racine peut eˆtre dans une de´friche (rompis+ ialo) a` moins qu’il ne se soit agi que de rameaux. Chevreuse viendrait des che`vres. L’Essonne aurait e´te´ une Axona, homonyme de l’Aisne. Le de´partement de ce nom a e´te´ cre´e´ en 1968 ; il s’e´tend en partie sur les plateaux du Hurepoix, dont il a e´te´ question a` propos d’he´rupe (paysage he´risse´). E´tampes vient de stampon, broyer, probablement au Ve sie`cle ; mais on ignore pourquoi : peut-eˆtre du concassage de pierres pour la chausse´e de Paris a` la Loire... Dourdan est probablement construit sur duro, porte au sens de fortification, mais on a e´voque´ aussi dour (rivie`re) et don (colline). Limours (Lemauso) serait de l’orme (gaulois lemo), ou boueuse (de limo). Le curieux nom de commune D’Huison-Longueville est une mauvaise e´criture a` partir de dhuis, source. Arpajon est une importation seigneuriale en provenance du Cantal, qui fait apparaıˆtre ici une alpe bien insolite. E´vry pourrait venir de l’if (gaulois eburo). Corbeil-Essonnes est tre`s discute´ : corb et ialo, mais le sens de corb est multiple, entre rochers et corvide´s, un coin a` corbeaux, ou peut-eˆtre simplement une courbe de la Seine (Billy) ; la ville a donne´ son nom au corbillard. Bie`vres tient son nom de la rivie`re, qui l’a rec¸u des castors. Palaiseau (Palaciolo) serait un petit palais, une proprie´te´ royale des VI e-VIII e s. Les Ulis e´voquent un

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de´frichement par bruˆlis. Orsay viendrait du houx (urcetum), si ce n’est d’un NP. Massy (Massiacum), Mennecy viennent de NP. Longjumeau aurait e´te´ un Noviomagos (marche´ neuf) mal transcrit en Nongemellum au XI e s., Mongimel au XIII e s. ; mais il peut y avoir bien d’autres raisons a` ces he´sitations et « monts jumeaux » ne serait meˆme pas impossible, au moins par remotivation. Athis-Mons vient de mont et du gaulois attegia (huttes). Morsang-sur-Orge et Morsang-sur-Seine viennent de murocincto, « ceint de murs ». Bre´tigny-sur-Orge a pu eˆtre conside´re´ comme un endroit boueux (de bard). Yerres tient son nom de sa rivie`re, l’Ye`res, hydronyme tre`s ancien. Le Val-d’Oise est partage´ entre France ou Parisis a` l’est, le Vexin Franc¸ais a` l’ouest, dont le nom vient du peuple Veliocasse et l’adjectif de la proximite´ du pays de France, par opposition au Vexin Normand qui est de l’autre coˆte´ de l’Epte. Le chef-lieu Pontoise a un nom e´vident, pont sur l’Oise. Taverny l’est presque autant (tabernæ, boutiques ou cabarets). Des noms comme Cergy, Osny, Persan, Goussainville, Vallangoujard viendraient de NP. Luzarches semble avoir le meˆme nom que sa rivie`re l’Ysieux (hydronyme is). Presles a eu le sens de prairie, Marly-la-Ville de marne (marl). Louvres est venu de Lupara, rivie`re aux loups. Groslay, anc. Graulidum, peut venir des graviers. La grande foreˆt de Carnelle, constelle´e de carrefours et strie´e de routes, et qui a meˆme une jolie mare des Sylphes, semble en rapport avec car, pierre, a` moins qu’elle n’e´voque le charme comme arbre. Sarcelles serait construit sur sarco (cerceuil) comme d’autres lieux de restes fune´raires. Argenteuil devrait son « argent » au brillant de la rivie`re ou au gypse local, Cormeilles-en-Parisis vient du cormier, E´piais-le`s-Louvres et E´piais-Rhus de grenier (spicarium, abri a` e´pis), Rhus ayant pu avoir le sens de ruisseau. Courdimanche fut Curtis Dominica, la cour du maıˆtre. Le curieux nom de Wy-dit-Joli-Village, qui fut Huis puis Vy, n’est pas explique´ ; le radical a pu eˆtre aussi bien habitat (huis) que vicus ou meˆme gue´, et la suite n’a pour toute re´fe´rence qu’une le´gende sur une flatterie ou une moquerie d’Henri IV, a` qui l’on en preˆta bien d’autres ; son territoire nu comprend un lieu-dit la Beauce avec un Chemin des Meuniers et, au sud-ouest, sur les basses pentes d’un lambeau de plateau, un hameau l’Enfer et un Bois de l’Enfer (d’en bas). Auvers-sur-Oise, a` l’instar de bien d’autres Auvers, vient d’arevernum, forme´ sur vern (aulne) comme fond de valle´e humide, are ayant seulement un sens locatif (le lieu de). Nesles-la-Valle´e a probablement eu le sens de « terre nouvelle ». Pierrelaye a celui de pierre large, peut-eˆtre un me´galithe. Montlignon n’a rien d’un mont, mais vient de petit moulin, moulignon (M. Mulon). Gonesse, Viarmes, E´couen restent obscurs. Montmorency fut un mont (au sens de hauteur fortifie´e) reprenant le NP Morency pre´existant. Les Conde´ voulurent le rebaptiser Enghien, du nom d’une de leurs possessions du Hainaut belge (de Edo, NP avec -ing) ; puis le nom fut restreint a` une partie de Montmorency, devenue commune en 1850 et augmente´e alors de -lesBains. Deuil-la-Barre aurait e´te´ Divo-ialo, lieu sacre´ ; la Barre s’est ajoute´e en 1952, marquant la croissance d’un quartier de ce nom e´tabli autour d’une gare et sur la grand-route de Paris et Saint-Denis a` Auvers-sur-Oise et Beauvais. La Seine-et-Marne est un grand de´partement qui s’e´tend sur plusieurs contre´es. Au nord-ouest est le pays de Goe¨le, jadis Gauharia, ce qui aurait eu pour sens « pays

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haut » en langue germanique ; les limites en sont floues, Dammartin-en-Goe¨le 77 pre´sidant meˆme a` une communaute´ dite des Plaines et Monts de France... Au nordest, l’Ourcq, affluent de la Marne, a donne´ l’Orxois, en partie dans le de´partement de l’Aisne. Le Multien est plus e´tendu et plusieurs communes, en partie dans l’Oise, portent son nom ; celui-ci vient de Meaux, lui-meˆme issu d’un peuple Melde ; l’adjectif Meldois se limite aux habitants de Meaux. Vaires-sur-Marne est relie´e a` vara (rive), Chelles a` l’oronyme cal qui apparaıˆt aussi au mont Chalat, lequel domine la ville et porte le Fort de Chelles. Marne-la-Valle´e est le nom adopte´ en 1972 pour une « ville nouvelle » associant pas moins de 26 communes, dont Chessy (du NP Cassius) ou` sont la gare du TGV et une partie du parc Disneyland, Champs-sur-Marne ou` est l’essentiel de l’universite´. Chessy et cinq autres communes ont forme´ le centre d’activite´s Val d’Europe. Lognes vient sans doute de luc (bois), Torcy d’un NP Torcius, Colle´gien d’une curtis (cour) mal identifie´e, Noisy-le-Grand et Noisiel e´voquent des noisetiers, Bussy-Saint-Georges et Bussy-Saint-Martin le buis. Lagny vient d’un NP Latinius, Coupvray fut un Curtis Prothasii (NP) selon M. Mulon. Le curieux nom de CouillyPont-aux-Dames vient d’un NP Caulius (villa Coliacum) et d’un pont pre`s d’une abbaye de femmes, adjoint en 1930 ; mais le premier terme a pu e´voquer une colline. La plus grande partie de la Seine-et-Marne est en Brie, nom tre`s pre´sent dans de nombreuses communes et communaute´s de communes ; l’origine de Brie reste discute´e, mais est probablement en rapport avec l’oronyme tre`s commun bhergh qui a donne´ les multiples bre´ou briga. Le nom va jusqu’aux portes de Paris (Sucy-enBrie 94, La Queue-en-Brie 94, Marolles-en-Brie 94, Roissy-en-Brie 77). Au sud-est, le Montois, au relief mamelonne´, s’affiche en quelques communes (Mons-, Sognolles-, Cessois-en-Montois) ; son nom s’oppose a` celui de la Basse´e voisine, qui correspond a` la large plaine humide de la Seine aupre`s de Bray-sur-Seine. Cette dernie`re a un nom de marais caracte´ristique, porte´ aussi par trois autres communes (Saint-Sauveur-, Mousseaux-, Bazoches-les-Bray). Au sud-ouest, une partie du de´partement s’e´tend en Gaˆtinais, dont Maisoncelles-en-Gaˆtinais et Beaumont-duGaˆtinais. A` l’ouest de Fontainebleau, le nom du pays de Bie`re est porte´ par plusieurs communes (Villiers-, Fleury-, Chailly-, Saint-Martin-en Bie`re) et une communaute´ sie´geant a` Ce´ly ; il est attribue´ au gaulois beria, plaine. Melun, comme Meudon 92, a e´te´ un Mellodunum, ou` s’ajoutent mello, colline et dunum, hauteur fortifie´e. Se´nart est un nom de foreˆt, porte´ par plusieurs communes -sous-Se´nart ; il est rattache´ faute de mieux a` un NP germanique obscur, alors que d’autres interpre´tations semblent possibles, comme seno (vieux) et hart (foreˆt). La ville nouvelle de Melun-Se´nart rassemble seize communes, mais a beaucoup moins investi que Marne-la-Valle´e. Fontainebleau reste discute´, mais son Bleau, jadis Blahaut, est sans doute un NP germanique, ce qui rend impropre le gentile´ Bellifontain. La foreˆt de Fontainebleau est tre`s riche en toponymes e´vocateurs et me´taphoriques, jusqu’a` un Mont Enflamme´, un Hurlevent, une Malmontagne, des Gorges du Houx et Gorge aux Loups, une se´rie de carrefours conse´cutifs de la Jeunesse, de Ve´nus, de la Beaute´, du Vert-Galant, du Rendez-Vous, des Demoiselles, des Soupirs, des Embrassades et du Bonheur puis des Adieux, des Oublis, non loin du Rocher du Mauvais Passage, en une sorte de Carte de Tendre qui finirait mal.

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Coulommiers vient probablement de pigeonniers (colombiers). Jouarre est un ancien Divodurum (fort sacre´), La Ferte´-sous-Jouarre et La Ferte´-Gaucher ont des noms de forteresses. Comme tant d’autres, Provins a longtemps e´te´ suppose´e venir d’un NP jusqu’a` ce que soit avance´e une interpre´tation plus vraisemblable en « (foreˆt) profonde » qu’e´voquait de´ja` le castris Provinus du IXe sie`cle (Billy). Nangis, qui fut un Nagiacus, est attribue´ a` un NP. Montereau-Fault-Yonne est construit sur « petit monaste`re » (Monasteriolum) tandis que fault signifie « qui manque, qui s’ache`ve », au bout de l’Yonne en effet. Nemours viendrait de nemeto, sanctuaire. Moret-surLoing avait le sens de petit mare´cage (de mor) et Souppes-sur-Loing vient de suppa, soupe, au sens de mare´cage aussi, tandis que Malesherbes signalait de mauvauses paˆtures.

Autour de la Loire Les pays du Centre sont de vals, de plaines et de bas plateaux, ou` les seuls reliefs un peu accuse´s sont ceux des coteaux bordant les vals, et en Berry le prolongement affaibli des grandes coˆtes orientales du Bassin Parisien. Ils alternent grands paysages de´couverts, jadis volontiers nomme´s beauce, champagne ou plaine, et des paysages boise´s des gaˆtines et des foreˆts royales et seigneuriales, avec quelques espaces de marais et d’e´tangs intercale´s. L’opposition entre plaine et gaˆtine fut longtemps conside´re´e comme fondamentale, et meˆme culturelle autant que visuelle. Aussi les e´le´ments de paysage ont-ils une place insistante dans les noms de lieux-dits, avec ceux qui s’attachent aux qualite´s des sols. La Loire fut Liger, d’ou` vient l’adjectif lige´rien ; mais le sens en est perdu (v. chap. 5). On sait que le de´partement du Loiret porte le nom d’une petite rivie`re, en fait simple re´surgence d’un sous-e´coulement de la Loire au lieu-dit la Source, devenu une annexe et un lieu de croissance des activite´s orle´anaises. Orle´ans a e´te´ Cenabum, nom qui a suscite´ des gloses peu convaincantes ; son nom actuel, du IVe sie`cle, vient d’un Aure´lien lui-meˆme obscur, peut-eˆtre un empereur romain. Olivet est atteste´ comme importation du Mont des Oliviers (XIIe-XIII e s.). Les Aubrais viennent du peuplier blanc, Meung-sur-Loire d’un Magodunum, marche´ et montfort. La grande foreˆt d’Orle´ans est troue´e de clairie`res dont les toponymes ont en ge´ne´ral des aspects re´cents et imme´ diatement compre´ hensibles ; par exemple, a` Ingrannes 45, on lit Fontaine de Maumaison et Fontaine des Sourdillons (sources), Carrefour des Huit Routes, Grande et Petite Bruye`re, le Cheˆne Pointu, Centimaisons, le Climat des Hauts, les Houssie`res (houx), la Boulaie (bouleau), le Loup Pendu, Cropechat, Maison Neuve, les Essarts, la Sauvage`re, le Marchais (marais), le Gazon, la Cour Dieu (ancienne abbaye), Horsdeville, la Femme Morte, la Petite Comtesse, la Surprise, e´tang de la Comtesse, e´tang de la Binoche (de la bicoque), e´tang Neuf. Ingrannes a lui-meˆme le sens de village-limite, comme les nombreux Ingrandes, ici sur une ancienne route romaine entre Orle´ans et Sens, donc entre peuples Carnutes et Se´nones, et hors de tout fleuve. Pithiviers apparaıˆt forme´ sur le gaulois petuarus, quatre, et viculus, ce qui en aurait fait un « petit village du carrefour ». Montargis aurait e´te´ un « mont argileux » (Billy), parmi bien d’autres interpre´tations. Briare fut un brivo-duro (pont et porte), Gien a

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e´te´ interpre´te´ comme divo-magos, marche´ sacre´. Sully-sur-Loire est rapproche´ de souille, seuille, terrain mare´cageux ; sa communaute´ de communes est nomme´e Sullias. Salbris vient de Salebriva, pont sur la Sauldre, Romorantin d’un gue´ (rito) sur le Morentin (aujourd’hui le Rantin), affluent de la Sauldre. Neung-sur-Beuvron fut un Noviodunum (nouveau montfort). Cheverny peut eˆtre compris comme lieu des cavernes (S. Gendron), Chambord comme cambo-rito, gue´ et courbe. Le nom de la Sologne reste myste´rieux, bien qu’il existe en France d’autres formes proches. L’ancienne forme Secalonia a e´te´ diversement interpre´te´e ; Billy penche pour sek, couper, qui pourrait e´voquer d’anciens de´frichements ; d’autres y voient un pays a` seigle, un se´gala, ce que la nature siliceuse des sols pourrait faire admettre, au milieu des vastes fromentaux voisins. La toponymie locale y est tre`s lie´e aux eaux, e´tangs, bois et a` la faune et a` l’artisanat associe´ (tuileries, briqueteries, poteries), ainsi qu’a` la mention de proprie´te´s aristocratiques ou de plaisance et a` de nombreux chaˆteaux. Me´nestreau-en-Villette 45, par exemple, a un e´tang des Seigneurs et un e´tang des Vicomtes, la Faisanderie, la Motte, l’e´tang du Donjon, Maison des Chasseurs et un Bois de la Ville Sans Moitie´ (exempt de redevances ?), plusieurs lieux en Fouge`re et Bruye`re, le Bois des Elfes, les Sylphes, Bel-Air, Beau-Midi. Des lieux-dits en Gault, dont Marcilly-en-Gault 41, font allusion a` la foreˆt seigneuriale (cf. vidu, wald). La Beauce est comme une anti-Sologne : paysage nu, sols fertiles et habitat groupe´ ; nous avons vu que le gaulois belsa avait le sens de pays clair, nu, un e´quivalent de champagne. Blois, au nom tre`s discute´, a probablement eu la meˆme racine. Voves e´voque un bois (gaulois vidu). Chaˆteaudun a bien e´te´ un castello dunum, donc doublement « fort ». Vendoˆme fut Vindocino, plus tard Vendenis, ce qui a e´te´ tre`s diversement interpre´te´ (un relief blanc ?). Chartres vient du peuple Carnute, apre`s avoir e´te´ Autricum, du nom ancien de l’Eure (Atura). Dreux (anc. Durocasis) viendrait d’un peuple Durocasse. Anet serait issu du gaulois ana (marais), E´pernon des e´pineux, Maintenon reste objet de discussions. Le Thimerais, au sud-ouest de Dreux, est un ancien pagus Theodemerensis, nom dont vient aussi Thimert (a` Thimert-Gaˆtelles 28), qui fut sie`ge de la seigneurie. La Touraine et Tours viennent du peuple gaulois Turon, et n’ont rien a` voir avec des tours, en de´pit du blason de la ville. Celle-ci fut une cre´ation romaine nomme´e Cæsarodunum, mont Ce´sar, restreinte ensuite a` une petite Cite´ ; saint Martin fonda l’abbaye de Marmoutier (le « grand monaste`re ») tout pre`s sur la rive droite, puis le site de sa se´pulture hors les murs de Tours devint un lieu de pe`lerinage ou` se de´veloppa un gros bourg, devenu Chaˆteauneuf, ce qui donna a` Tours deux noyaux. Saint-Pierre-des-Corps devrait ses « corps » a` une ne´cropole. La Riche vient du surnom de son e´glise, apparu au XII e sie`cle, qui avait cependant commence´ comme Notre-Dame-la-Pauvre. Joue´-le`s-Tours aurait e´te´ forme´ sur le NP Gaudius comme les Jouy en ge´ne´ral, a` moins d’y voir une hauteur (jeu, jor), ce que le site justifierait. Dans le val de Loire, Amboise semble tirer son nom du confluent de la Loire avec l’Amasse (du gaulois amb, rivie`re), tandis que Langeais, anc. Alingaviensis, pourrait avoir e´te´, comme Langon 33, d’un (s)alinco e´voquant un bord de rivie`re ; mais les deux noms restent discute´s. Luynes est une importation seigneuriale de Provence.

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Vouvray balance entre vobero (fond humide boise´, pour le bas) et vidubriga (mont boise´) pour le haut... Bourgueil a simplement e´te´ forme´ sur bourg et ialo (lieu, clairie`re). Candes-Saint-Martin est un confluent (de condate) de la Loire et de la Vienne, autorise´ en 1949 a` ajouter le nom du saint qui y est mort mais a e´te´ enseveli ensuite a` Tours. Le Ve´ron est la petite contre´e a` l’extre´mite´ de l’interfluve LoireVienne, sans doute de vara, qui a eu le sens de rive et que l’on retrouverait au bord du Cher a` Ve´retz. Plusieurs toponymes comme Huismes, Usse´ (a` Rigny-Usse´), Husseau (a` Montlouis), Lussault, tous associe´s au vigoureux coteau de Loire, viennent probablement d’uxello (hauteur), ce qui conforterait la relation Joue´-jeu. Au nord de la Loire, les campagnes sont pour l’essentiel dans une autre Gaˆtine ; au sud re`gnent les plateaux de grande culture, dont le plus proche de Tours vers l’est a nom Champeigne (champagne) – bien des lieux-dits y sont en Beauce ou en Champeigne. Loches (anc. Lucas, Loccis) reste incompris au terme d’hypothe`ses peu e´taye´es ; un de´rive´ de luc (petit bois) reste plausible. Ble´re´ fut Briotreide, ce qui a pu signifier le pied du pont (Briva-tragetio, S. Gendron). Chenonceaux pourrait venir de « petits chenaux », le chaˆteau s’e´crit au singulier. Montre´sor vient du « tre´sorier » du chapitre de la cathe´drale de Tours, titulaire de la seigneurie. Chinon (Cainone au VI e s.) n’est pas mieux compris que Loches ; un vieil oronyme de forme can est possible. Au sud, plusieurs villages ont e´te´ ce´le´bre´s par Rabelais, comme Lerne´, Seuily, Cinais, Ligre´, La Roche-Clermault, L’Iˆle-Bouchard ; ils viennent tous de NP. Descartes est un ancien La Haye, devenu La Haye-Descartes en 1802 et simplement Descartes en 1967, en hommage au philosophe qui y naquit. Ligueil viendrait de lugo, boue, marais, Le Grand-Pressigny d’un NP. Yzeures-surCreuse 37 fut un Icio-duro, de la famille des Issoire et autres Usson ou Issoudun, qui semblent mieux relever d’uxo (haut) que d’un NP. Le Berry et Bourges ont rec¸u leur nom du peuple Biturige, ce qui en celte voulait a` peu pre`s dire « les rois du monde » ; le nom pre´ce´dent de Bourges e´tait Avaricum, tire´ de sa rivie`re l’Ye`vre (Evra). Les ge´ographes parlent d’une Champagne Berrichonne comme e´cho me´ridional des grandes plaines ce´re´alie`res du nord de la Loire. Chaˆteauroux n’a cependant rien de la couleur des ble´s muˆrs : ce fut un Chaˆteau Raoul. Issoudun a bien e´te´ un Uxellodunum, haut (ou e´minent) montfort. Vatan fut Vestennio, De Vastinno, ce qui en ferait un lieu de Gaˆtine, ou du moins un lieu de friches. Valenc¸ay serait d’un NP, comme Vierzon. Mehun-sur-Ye`vre aurait e´te´ un Magodunum (marche´-montfort). Autour de Saint-Amand-Montrond, plusieurs villages se disputent le me´rite relatif d’eˆtre au centre ge´ome´trique de la France ; une aire de l’A 71, dite autoroute Arverne, s’en est atribue´ le nom, entre Farges-Allichamps et Brue`re-Allichamps. Allichamps, qui fut e´crit Aalis Campis et parfois encore Allischamps, a pu eˆtre forme´ sur alleu, ou mieux sur alis, falaise, a` proximite´ d’un de´file´ du Cher ou` apparaıˆt le lieu-dit la Baume ; Brue`re a e´te´ Brivodurum (pont-fort). La Champagne Berrichonne s’entoure d’une se´rie de contre´es assez diffe´rentes d’aspect. A` l’ouest, la Brenne est un pays de marais et d’e´tangs nomme´ d’apre`s le bren gaulois (fange). Le Blanc, de´ja` cite´, a de´signe´ une pommeraie (aballo). A` l’est, le relief s’accidente dans le Sancerrois. Sancerre, comme son voisin Saint-Satur, ont e´te´ jadis mentionne´s comme Sancti Satyri, tandis que Sancergues e´tait un Saint-Cierge (Sancti Cyricus). Henrichemont fut un village cre´e´ par Sully et nomme´ en l’honneur

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de son ami Henri IV, au sein d’un franc-alleu qui se flatte encore sous le nom de « principaute´ souveraine de Boisbelle ». Le voisinage est appele´ Pays Fort en raison de ses sols lourds. Vers le sud-est, la valle´e de l’Aubois draine une de´pression marneuse, humide et bocage`re, dite Val de Germigny d’apre`s le village de Germigny-l’Exempt. Ce nom est forme´ sur un NP et une curieuse alte´ration du nom d’un ancien chaˆteau voisin, Luisant, dont il reste une ferme a` ce nom dans la commune voisine de Vereaux – le nom de Vereaux, dans le vallon de la Fausse Rivie`re, affluent de l’Aubois, fait penser a` vara au sens de rive ; plusieurs lieux-dits se nomment les E´vereaux dans la re´gion (Loiret, Loir-et-Cher), peut-eˆtre en rapport avec eve (eau). Au milieu des herbages, Sancoins, gros marche´ de be´tail, fut Tincontium, qui pourrait avoir eu pour racine un de´rive´ de l’IE teng (mouille´) ; un quartier s’y nomme le Gue´ de la Vache. Au sud du Berry s’e´tend le Boischaut, pays au bois, dit parfois aussi Valle´e Noire dans sa partie la plus marneuse. Un pre´tendu Boischaut Nord est apparu re´cemment parmi les pays officiels de la re´gion Centre, avec pour sie`ge Valenc¸ay ; il n’a rien a` voir avec la de´finition classique du Boischaut et son invention a sans doute eu pour but d’e´viter le mot Gaˆtine, qui s’applique a` certaines de ses parties. La Chaˆtre 36 est un ancien castrum. Nohant-Vic 36, au cœur du pays de George Sand, est forme´ de deux villages, le premier sur nauda, noue. Argenton-sur-Creuse 36 fut Argantomago, mais faute de mines d’argent ce fut peut-eˆtre pour la vivacite´ des eaux. En amont, le beau site de Gargilesse-Dampierre correspond bien a` la racine garg, gorge ; E´guzon, longtemps e´crit Aiguzon, vient des eaux. Les hauteurs mode´re´es et boise´es de la Marche, dont Saint-Priest-la-Marche 18 conserve le nom, font bien la transition (marche) avec le Limousin et l’Auvergne.

Les re´gions du Nord-Est Les re´gions du Nord-Est ont dans l’ensemble une tradition d’habitat plutoˆt groupe´, en villages espace´s entre lesquels apparaissent peu de hameaux, plutoˆt quelques rares fermes. Les toponymes y ont plus qu’ailleurs des racines d’origine germanique, qu’ils soient issus de noms propres ou de noms communs. Ils comportent souvent les e´le´ments -court-, -ville ou -viller, ou un suffixe en -y, localement -ing ou -ange, montrant qu’il s’agit la` d’un substrat ancien, bien ante´rieur aux invasions des Goths et des Francs. On trouve aussi des terminaisons en -ay, -ey, -igny ou -illy ; des -euil se voient en Champagne, quelques -eux sont e´pars. Le vocabulaire toponymique a plusieurs termes originaux, diffe´rents selon les contre´es. Par exemple, fagne (fond humide, mare´cage) est fre´quent en Ardenne, rupt et goutte (ruisseau) dans les Vosges, somme (source) en Champagne, et haye (foreˆt) en Lorraine. Ces re´gions dispute´es, ravage´es par les guerres, n’ont pas manque´ a` la fois de villages de´vaste´s et abandonne´s, comme de villages cre´e´s ou reconstruits sous la forme de villes neuves au plan en damier. Parmi les premiers ont figure´ des noms comme Vitry-le-Bruˆle´ (actuel Vitry-en-Perthois 51) et les communes abandonne´es apre`s 1918, mais dont les noms ont e´te´ maintenus dans la Marne et aux

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abords de Verdun (chap. 7). Parmi les secondes, Vitry-le-Franc¸ois 51 et CharlevilleMe´zie`res 08 sont les plus connues, mais la Lorraine en contient bien d’autres.

En Champagne La Champagne a un nom transparent, comme plaine de champs ouverts, d’ailleurs devenu un nom commun pre´sent en d’autres re´gions. La Marne a pour racine Matriona, la me`re des eaux, et l’Aube vient de la blancheur de la craie. Reims a pris le nom du peuple gaulois Re`me, Chaˆlons-en-Champagne (anc. Durocatelaunos) du peuple gaulois Catalauni (racine cata, combattant) et Troyes du peuple Tricasse. Les vallons qui mode`lent la retombe´e du pays d’Othe a` l’ouest de Troyes ont pour nom les gueules : on trouve la Gueule Sergeat et la Gueule Bertaix a` Saint-Germain, la Gueule aux Dames, les Gueules a` Laines-aux-Bois, la Gueule a` Souligny, la Gueule a` l’Herme a` Bouilly ; mais du coˆte´ sud de la foreˆt d’Othe ils deviennent des fonds. Othe fut Usta ; P.-H. Billy relie Othe a` un IE ozdos (branche) qui le situerait comme pays forestier de tre`s longue date. E´pernay vient de sperna, e´pine ; rien a` voir avec L’E´pine 51, a` la basilique flamboyante, ancienne Melette (du ne´flier) dont le nom actuel vient d’une suppose´e relique de la couronne d’e´pines christique. Magenta 51 est un ancien quartier de Dizy baptise´ en 1859 pour ce´le´brer la victoire en Italie, la commune s’appelant ensuite Dizy-Magenta (1881), puis Magenta obtenant son inde´pendance en 1965. Fismes 51, de fines, limite, est bien a` la limite occidentale de la Champagne. Muizon 51 est un ancien Mutatio Villa, un relais routier. Bussy-Lettre´e et Dommartin-Lettre´e sont des transcriptions originales d’estre´e (chausse´e). Pleurs 51, jadis Pleurre, fut Plaiotrum en 1052, association apparente des radicaux gaulois plavio e´voquant un fond mare´cageux, et durum, de´signant une forteresse : ce serait en somme le Fort des Marais ; sa voisine Gaye n’est pas un antonyme, mais vient de vadum, le gue´. Le Mont Aime´ est un ancien Mont Aymeri, prononce´ Montime´. Il est a` Berge`res-le`s-Vertus 51, celle-ci e´tant simplement les bergeries pre`s de Vertus, bourg qui tirerait son nom du dieu gaulois Vertutis, assimile´ a` Apollon. Vitry-le-Franc¸ois 51 est une ville nouvelle a` plan en damier, que Franc¸ois Ier a fait construire a` partir de 1544 a` des fins de´fensives pour tenir la troue´e de la Marne. Son nom vient du monarque et d’un Vitry plus ancien, actuel Vitry-en-Perthois, qui fut aussi Vitry-le-Bruˆle´ pour avoir e´te´ trois fois victime des arme´es en ce passage strate´gique. Ce Vitry fut Victoriacum castrum aux VI e et X e sie`cles, ce qui en ferait le chaˆteau d’un certain Victorius plutoˆt que d’une victoire. En revanche, la proche Vitry-la-Ville 52 aurait e´te´ Vetereii Villa en 1690, donc un Villevieille – sauf remotivation. Somme est un terme tre`s employe´ en Champagne crayeuse pour source : associe´ au nom de la rivie`re qui en sort, on le trouve dans la Marne a` Somme-Vesle, SommeTourbe, Somme-Suippe, Somme-Ye`vre, Somme-Bionne, Somsois, Sompuis, Sommepy-Tahure ou` il est associe´ au nom d’une commune de´truite en 1914-1918, et en Champagne ardennaise a` Sommauthe 08 et Sommerance 08. Semide 08 vient de

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Somme-Aidin, la source de l’Aidin. En Meuse, Sommedieue est a` la teˆte de la Dieue, Sommelonne de l’Ornel. Plusieurs villages en Hurlus, surtout parmi les communes abandonne´es apre`s 1918, portent le nom local d’une plante des anciens savarts champenois (Sinapis alba, ou se´ne´ve´ blanc, moutarde blanche). Le thym serpolet, autre plante des savarts, se nomme pouillot en Champagne ; son nom serait a` l’origine de celui de la Champagne Pouilleuse, remplace´ de nos jours par Champagne Crayeuse ; il n’a gue`re donne´ de NL, si ce n’est peut-eˆtre les Pouillys a` Be´theny 51, les Pouillottes a` Charmont 51. Le savart lui-meˆme, dont le nom viendrait d’un celte samaro pour des labours d’e´te´ (samo = e´te´) ou pour une maigre ve´ge´tation d’e´te´, figure dans plusieurs dizaines de noms de lieux, dans la Marne surtout, et les de´partements voisins : les Grands Savarts a` Pouilly 51, les Savarts Blancs a` Montmirail 51, les Savarts de Varsovie a` Beine-Nauroy 51, les Savards a` Allibaudie`res 10, le Savart de la Montagne a` Ployart-et-Vaurseine 02, etc. Dans l’Aube, Nogent-sur-Seine fut Noviens, Novogentum (IXe sie`cle), « nouveau » village d’origine gallo-romaine. Non loin a` Ferreux-Quincey 10, l’abbaye du Paraclet d’Abe´lard et He´loı¨se vient du grec paracletos pour intercesseur (le saint esprit). Romilly-sur-Seine, issue d’un NP, s’est appele´e Romilly-Voltaire pendant la Re´volution, Voltaire y ayant e´te´ enterre´ pendant quelques anne´es dans l’abbaye de son neveu. En banlieue de Troyes, Copainville a e´te´ de 1959 a` 1995 un village de jeunes travailleurs et quartier d’accueil, avec mairie et conseil, cre´e´ par l’abbe´ Honnet sur un site d’anciennes teintureries. Les reliefs a` l’est de la Champagne sont associe´s au vieux terme bar (hauteur) qui se lit dans Bar-sur-Aube, Bar-sur-Seine, leurs environs dits Baralbin et Barse´quanais, le Barrois et Ligny-en-Barrois. Il en est de meˆme pour Bar-le-Duc 55 qui fut Caturicis, du peuple gaulois Caturige, puis Bar, et ajouta -le-Duc en passant au XIIIe sie`cle sous l’autorite´ du duc de Lorraine. Chaumont 52 a un nom classique de mont nu, Langres 52 doit son nom au peuple gaulois Lingon. Le nom du lac d’Orient vient d’une ancienne possession des Templiers de Je´rusalem ; ceux du lac du Der et de la foreˆt du Der, ainsi que de Montier-en-Der 52, de´rivent du nom celte du cheˆne. Le pays du Bassigny, au contraire, a e´te´ suppose´ venir d’un NP, chose rare pour une contre´e ; mais il a pu s’agir simplement d’un « pays bas », ou` Bourbonne a un nom d’eaux bourbeuses. La Haute-Marne a e´te´ un de´partement remarque´, dans les anne´es 1970, pour la vigueur de ses fusions de communes et l’invention de nouveaux noms.

Ardenne et Argonne Les toponymistes s’accordent a` conside´rer qu’Ardenne viendrait d’un celte ard au sens de haut, pentu, accidente´ et boise´. Les lieux-dits en Fagne (fond humide, marais) et Rie`ze (sens voisin, tourbie`re ou lande humide) y abondent, ainsi que les We`bes (anciens bois exempte´s de redevances accorde´s aux communes pauvres). Au nord-ouest du de´partement des Ardennes, le pays des Rie`zes, Sarts et Thie´rache reprend deux noms communs traditionnels. Quoique de meˆme vigueur, et aussi accidente´e, l’Argonne aurait pour racine l’IE et celte perk, qui de´signait le cheˆne (Billy) : le rapport n’est pas e´vident, mais perk se

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retrouve dans le nom de l’antique foreˆt « hercynienne », dont l’Argonne est en somme une he´ritie`re ve´ge´tale et toponymique a` la fois. Son relief est soutenu par un banc de gre`s nomme´ gaize, dont le nom se retrouve dans quelques toponymes comme les Gaizettes a` Signy-l’Abbaye 08 et a` Nouart 08. Parmi les lieux-dits, nombreux sont ceux qui ont un rapport avec l’administration des bois, comme la Gruerie (Vienne-leChaˆteau 51 et d’autres lieux), la Controˆlerie (Clermont-en-Argonne 55), et avec des cheminements, comme la Chave´e (chemin creux), la Tranche´e (chemin rectiligne en foreˆt), la Chalade (chemin sinueux, cf. Lachalade 55), la Haute Chevauche´e, voire la Gorge aux Larrons au Claon 55, commune dont le nom se rapporte a` la prairie, du celte clun. La racine perk transparaıˆt aussi dans le Perthois, pays de plaine au sud de l’Argonne ou` confluent la Marne, l’Ornain, la Vie`re, la Che´e et la Blaise ; Perthes 52 est un village a` l’ouest de Saint-Dizier. Trois villages en Heiltz seraient issus du germanique heissi, broussailles. Florent-en-Argonne 51 a un plan en damier qui rappelle sa cre´ation de´libe´re´e et d’une seule pie`ce par le comte de Champagne en 1224, quand il s’agissait de peupler et tenir la marche argonnaise. Le village se nommait Florence en 1252, les noms de villes ce´le`bres e´tant alors souvent adopte´s par les villes nouvelles pour se valoriser et attirer les habitants ; la mention « en Argonne » date de 1922. Charleville-Me´zie`res a commence´ sous la forme d’Arcias, arche de pont, dont provient Arches 08, qui est face a` Me´zie`res. Me´zie`res fut d’abord Castrensis, le chaˆteau, dont les restes ont e´te´ rebaptise´s Maceriæ, les vieux murs. Charleville est un villeneuve fonde´e sous Charles de Gonzague a` partir de 1660. Leur union ne date que de 1966, avec quatre autres communes ; les habitants sont dits Carolomace´riens... Sedan, Villa Sedensi au X e sie`cle, a e´te´ interpre´te´ comme un site en longueur par Dauzat (gaulois setu, long), un site large par Billy (germanique sit). Le terme aurait pu de´signer son assiette, comme l’anglais sedan (pour berline) vient de la chaise a` porteur (latin et IE sed, eˆtre assis) : en fait, la ville campe a` l’endroit ou` la Meuse passe des plateaux se´dimentaires et d’une plaine large au massif ancien forestier ou` elle s’encaisse. Vouziers viendrait du saule (gaulois vorrike, P.-H. Billy), Rethel serait un de´rive´ de ritu, le gue´. Carignan est un ancien Yvois (de l’if), rebaptise´ du nom de la ville italienne lors de sa cession par Louis XIV a` la famille de Savoie-Carignan (1662). Le nom de Rocroi a e´te´ interpre´te´ comme croise´e de Raoul, mais il s’agit d’une ville forte du XVI e sie`cle succe´dant a` un ancien village de ce nom. Bourg-Fide`le est une cre´ation contemporaine (1566), en un lieu-dit le Drapeau, en laquelle Antoine de Croy¨ reconnaissait la fide´lite´ des habitants a` l’e´glise re´forme´e. Renwez vient de wez, le gue´, prononc ve´ et pre´ce´de´ d’un NP. A` Warne´court 08, draine´e par le ruisseau des Rejets qui coule vers la Meuse, plusieurs chemins font le tour du finage en suivant les courbes de niveau et ont pour noms Chemin du Four a` Chaux, des Aisances, des Dix-Sept Quartiers, du Gauval, recoupe´s par des chemins perpendiculaires (Chemin du Terne, du Petit-Bonheur). L’encaissement de la Meuse et de la Semoy, incisant en me´andres tre`s accuse´s le massif ardennais, a multiplie´ les sites pittoresques aux noms image´s : le Risque Tout et la Roche de l’Uf (ou de la Luve) a` Fumay, le mont Malgre´ Tout, Roche des Mintch

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(germanique mensch = des hommes ?), les Dames de Meuse, les Quatre Fils Aymon, Roche Bayard, la Roche aux Sept Villages, la Roche a` Sept Heures, le Chaˆteau Bossu, la Roche aux Corpias (aux corbeaux), Croix d’Enfer et un de´bonnaire et re´cent Banc des Touristes a` Revin – les nombreuses forges ont laisse´ moins de traces dans la toponymie. En Champagne ardennaise, le Porcien, dont le nom figure dans Chaˆteau-Porcien, Chaumont-Porcien, Novion-Porcien, serait associe´ a` l’ide´e de port (sur l’Aisne). Le nom ge´ographique savant des Creˆtes pre´ardennaises a fini par entrer dans la toponymie avec la communaute´ de communes de ce nom.

En Lorraine welche Le nom de la Lorraine vient de Lotharingie, et donc du partage de 855 entre les fils de Lothaire Ier ; mais la Lotharingie a` l’origine comprenait les Pays-Bas, la Rhe´nanie et l’Alsace. Le nom des Vosges se retrouve dans la Voˆge, pays de collines entre Vosges du sud et coˆtes des Bars. L’origine est tre`s discute´e ; la facilite´ est d’y voir un nom de dieu (Vosego), mais des formes anciennes germaniques en Wasago, Wesge, Waszgau sont proches de weso, le mot vosgien pour prairie. P.-H. Billy y verrait une ide´e de coupure, en le rapprochant des fameux et tre`s virtuels « monts Faucilles » des ge´ographes de jadis, correspondant a` la Voˆge et dont le nom pourrait eˆte e´quivalent aux fos, foce de´signant des cols entre les bassins de la Saoˆne et de la Moselle. Le nom de la Meuse est lie´ a` l’ide´e de mare´cage (IE meus) ; la Moselle est son diminutif et a son propre diminutif dans la Moselotte. La Meurthe aurait pour origine des termes gaulois murta, qui mouille, ou mutro, marais. L’Alzette est d’aliso, l’aulne ; la Seille est une rivie`re des saules ou une rivie`re sale´e, les deux racines e´tant e´troitement lie´es. La Vezouse aurait pour origine l’IE ves, couler, comme la Ve´ze`re et la Weser ; la Sarre, anc. Saravus, l’IE ser, se mouvoir, couler. La Chiers (Koor au Luxembourg) est parfois rapporte´e a` la racine car, comme rivie`re des rochers. Le nom de Nancy est de la famille de nant, valle´e ; celui de Toul de tullo, renflement, hauteur. Longwy fut Longus Vicus, un village en longueur. Verdun est en celte le grand ou principal fort (ver et dun) ou le montfort du bord d’eau (la Meuse), et Briey vient de briga (autre ville forte ou hauteur prote´ge´e). Le nom de Commercy est forme´ non sur le commerce mais sur com-marchia, confins communs a` la Lorraine et au Barrois. Neufchaˆteau e´tait bien un Castro Novo au VII e sie`cle, mais l’environnement linguistique lui a fait mettre l’adjectif avant le substantif. E´pinal apparaıˆtrait comme une me´taphore de l’e´pine dorsale a` partir de l’e´peron rocheux de son chaˆteau ; l’interpre´tation est inge´nieuse, mais il a pu s’agit simplement d’un site d’e´pineux. Le nom de Lune´ville reste douteux, sans rapport avec la lune en de´pit de le´gendes ; une forme ancienne Linatis incite P.-H. Billy a` proposer un e´quivalent de « linie`re ». Saxon-Sion 54 vient de l’ancienne Segodunum, point fort de la tribu des Seunti, dont le nom reste aussi dans celui du Saintois ou Xaintois. Les communes relevant du de´partement des Vosges s’e´crivent en Xaintois (Rouvres, Me´nil) ; en Meurthe-etMoselle l’orthographe est Saintois (communaute´s du Saintois, du Saintois au Vermois) mais aucune commune n’en porte le nom. Le Vermois, pays au sud-est de Nancy, est conserve´ par Ville-en-Vermois et Manoncourt-en-Vermois et par deux

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communaute´s (Pays du Sel et du Vermois, du Saintois au Vermois) ; il viendrait d’un Verobona disparu, au sens de grande fondation (ver+bona). Le Saulnois est le pays du sel, ou du moins de la Seille. Sanmiellois est le nom d’une communaute´ de communes forme´e autour de Saint-Mihiel ; tre`s re´cent, cet adjectif ne figure pas dans les noms de communes. Le nom de pays le plus porte´ est sans doute celui de la Woe¨vre, qui apparaıˆt dans plus de vingt communes et deux communaute´s (Coˆtes de Meuse-Woe¨vre, Canton de Fresnes-en-Woe¨vre). On sait qu’il vient d’un celte vobero, qui e´voque un e´coulement sous bois, un pays humide et broussailleux et se retrouve dans La Voivre 88 et Les Voivres 88. Deux pays portent le nom d’Ornois, l’un au sud de la Meuse autour de l’Ornain, dont le nom est repris par la communaute´ du Val d’Ornois (Gondrecourt-le-Chaˆteau 55) et la nouvelle commune Val-d’Ornain, issue d’une fusion de 1973 ; l’autre autour de l’Orne, affluent de la Moselle, qui a sa source a` Ornes, village de´truit du Verdunois sous la Coˆte de Meuse, et coule vers l’est par E´tain, Jarny et Rombas. Orne et Ornain sont compris comme de simples hydronymes, des « cours d’eau ». Haye est un nom commun familier en Lorraine, au sens de foreˆt : la foreˆt de la Haye aux portes de Nancy est la plus e´tendue et la plus connue, et nomme tout un pays, ainsi que plusieurs communes au nord-ouest de Nancy : Vie´ville, Dome`vre, Villers, Rosie`res, Celaine sont « en-Haye », meˆme assez loin de l’actuelle foreˆt. Le nom s’applique aussi a` La Haye 88, La Haye-Pesnel 55, La Haye-du-Puits 54. D’autres termes familiers sont goutte, goulotte et rupt au sens de ruisseau, surtout dans les Vosges, ou` la fagne devient le faing, comme a` Plainfaing et au Gazon de Faing, gazon ayant le sens de pre´. Chaume est employe´ pour les pacages d’altitude, au-dessus de la foreˆt. Fains 55, en revanche, vient de fanum, le temple, et non de faing, tourbie`re. Le ban est un terme souvent employe´ dans les lieux-dits, au sens de de´fens, de re´serve seigneuriale, comme Banbois, Banvoie, Ban de la Cour ; on rele`ve une quarantaine de lieux-dits l’Embanie, surtout en Meuthe-et-Moselle, et les Vieilles Embanies a` Marche´ville-en-Woe¨vre 55. Trois communes des Vosges sont en Ban (de Laveline, de-Sapt, sur-Meurthe). Quart en Re´serve, de sens voisin, est porte´ par douze lieuxdits de Meurthe-et-Moselle, huit de Meuse, cinq des Vosges et deux de Moselle. Les Ensanges est plus original, fre´quent en Meurthe-et-Moselle et dans les Vosges ; il semble avoir de´signe´ des terres du seigneur, et parfois une mesure agraire. RobertEspagne 55 serait a` relier a` spania, qui avait le sens de domaine, territoire ; le nom s’est parfois e´crit Empagne. La Corve´e, que l’on trouve aussi en Champagne et en Bourgogne, est un autre nom de lieu-dit familier en Lorraine. Les noms en Maix, de la famille du manse, le sont tout autant, dont Maixe 54, Lahaymeix et Maxey-sur-Vaise 55. Ge´rardmer, qui se prononce Ge´rarme´, et son fromage ge´rome´, est de cette famille (avec un NP). Les Baroches 54 et Les Paroches 88 e´voquent des paroisses. Parmi d’autres curiosite´s, Le Clerjus 88 associe a` juris (montagne boise´e) l’ide´e de clairie`re. Une rivie`re et quatre villages de la Meuse en Thonne (-le-Long, -les-Pre´s, -le-Thil) et Thonnelle viendraient d’une racine celte pour une valle´e. De nombreux vallons vosgiens portent le nom de Basse, par exemple a` Turquestein-Blancrupt 57 ou

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Moussey 88 ; et bien des sommets ont le nom de Teˆte, e´quivalent du kopf germanique, comme la Teˆte des Blanches Roches et la Teˆte de Bipierre a` Moussey 88 ; ou de Faıˆte, parfois Feˆte tels le Haut de la Feˆte a` Belmont-sur-Buttant 88 et le curieux Dansant de la Feˆte a` Wisembach 88. Chaufecourt 88 est un ancien Chauvecourt. Les confluences ont des appellations originales. Entre-Deux-Eaux 88 est a` un site de convergence de vallons ; plusieurs lieux-dits de ce nom sont en Meuse, un autre a` Dompaire 88, a` une confluence. Raon-l’E´tape 88 est un confluent (rua) auquel s’est fixe´ au XVIe sie`cle un pe´age (tappe) ; on trouve aussi Raon-le`s-Leau 54, Raon-surPlaine 88, Raon-aux-Bois 88, La Petite-Raon 88 et quelques lieux-dits comme le Raon a` Hoe´ville 54. Gemaingoutte 88 est forme´ sur gemein, confluent – comme Sarreguemines 57. Chef-Haut 88 de´signe une teˆte de valle´e. Grand 88 vient du dieu gaulois Grannus, ainsi que l’attestent des de´couvertes arche´ologiques. Deneuvre, Vendœuvre sont forme´s sur briga, hauteur fortifie´e, Brieulles sur briva et durum (le fort du pont). Nijon 55 fut Noviomagus, Kirschenaue 57 Numagen (Noviomagum), donc des nouveaux marche´s. Nove´ant-surMoselle 57 a e´te´ a` l’origine Ad Noveam Viam, « sur la nouvelle route ». Delme 57 fut Ad duodecimum lapidem, soit la douzie`me borne (a` partir de Metz). Mirecourt 88 est une ancienne Mercuri Curtis, de´die´e au dieu du commerce. Remiremont 88 semble venir de l’abbaye de saint Romaric (VII e s.), mais fut compris plus tard comme un mont rond (Runberc), la forme actuelle datant du XVI e s. (Billy). E´tain 55 a e´te´ Stagnum et Stein, ce qui en faisait aussi bien un e´tang que de la pierre selon les remotivations. Marsal vient du sel, mar e´tant peut-eˆtre au sens de grand (grande saline ?). Le heˆtre a donne´ de nombreux de´rive´s comme Fey 57, Foug 54 (gentile´ Fagusiens), Faxe 57, Faulx 54, des Fay, Bonfe´y, Befey, Retonfe´y, Liffol. Colroy et Conroi viendraient du coudrier (E. Ne`gre, A. Dauzat), Saulcy et les Saulxures ou Saulxerotte 54 du saule, Conthil 57, Marthille 57 ou Thil 54 du tilleul, Malroy de malus (pommier), Norroy du noyer, Pournoy du prunier. Les Vigneulles et les nombreux lieux-dits la Vignotte viennent de la vigne. Chantraine 88 a e´te´ cre´e´e en 1892 a` partir des Forges ; le nom vient de canta rana, chante-grenouille, d’un fond mare´cageux. La Baffe 88 aurait le sens de moquerie (E. Ne`gre) – ou de teinturerie ? Parmi les cre´ations de villes neuves, Henriville 57 vient du duc de Lorraine Henri II (1608), comme Henridorff (1614) et Sainte-Marguerite (1612, selon sa femme Marguerite de Mantoue). Charleville-sous-Bois 57 a e´te´ fonde´e par Charles de Lorraine en1618. Philippsbourg 57porte le nom d’un comte Philippe IV de Hanau qui y fit construire un chaˆteau en 1544, Phalsbourg 57 celui d’un comte de Palatinat (Pfalz) en 1568. Givrycourt 57 est venue en 1629 d’un Givry, cardinal e´veˆque de Metz, Porcelette de l’e´veˆque Jean des Porcelets (1611). Brouderdorff (le village des fre`res) a e´te´ cre´e´ en 1616 par cinq fre`res de Lutzelbourg. On note aussi quatre Laneuveville, deux Laneuvelotte, deux Neuviller. Forge´ville a e´te´ cre´e´e en 1736 par Henri Forgent a` Halstroff 57, Bataville a` Moussey 57 par le Tche`que Bata, fabricant de chaussures, en 1931. Les noms des intercommunalite´s se re´fe`rent majoritairement a` une ville, une rivie`re ou un nom de pays. Signalons toutefois parmi les curiosite´s, sinon les calembours, une communaute´ du Pie´mont Vosgien (Badonviller 54), les Valle´es du Cristal

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(Baccarat 54), un Val des Couleurs (jeu de mots sur Vaucouleurs 55, dont l’origine reste obscure), Meuse-Voie Sacre´e, Lacs et des Hauts Rupts (Ge´rardmer 88), Hauts Champs (Saint-Michel-sur-Meurthe 88), Marches de Lorraine (Lamarche 88), Terre de Granite (Le Syndicat 88). Le Pays de Jeanne a disparu dans la nouvelle communaute´ du Bassin de Neufchaˆteau, la jolie mais e´phe´me`re Pipistrelle (chauvesouris) dans celle du Pays du Saintois. La microtoponymie est souvent inte´ressante. Prenons l’exemple de Taintrux 88, dans le haut bassin du Taintroue´ ; ces deux noms, issus d’un Teintruth de 1050, interpre´te´ comme Tinctus Rivus, pourraient venir de la couleur rouge des eaux teinte´es par les gre`s permiens. Le centre actuel est la Ville du Pre´. Les hauteurs sont le Haut de la Feˆte (un faıˆte) et le Rain (versant) de la Feˆte, le Kemberg (mont courbe), la Table Rouquine, le Noirmont et les deux buttes escarpe´es du Chastel, alte´re´ en la Chazete´ ; le Chaumont, et le massif de la Madeleine, lieu qui e´tait re´serve´ aux le´preux comme ce nom l’indique souvent, et de´pendait de l’hoˆpital de Saint-Die´. Parmi les autres lieux-dits, on lit les Censes de Grandrupt, le Banbois (bois re´serve´ du seigneur) et Teˆte de Blanbois (sans doute alte´ration de Banbois) ; Roche du Gros Rain, Roche Pierre Trois Jambes, le Mauvais Champ, l’Envers, les Basses Fosses, Xainfeing, la Goutte des Mares, Froide Goutte, Froide Fontaine, les Rouges Eaux, Rougiville ; les Trois Scieries, les Terres Meˆle´es, la Pierre Perce´e, Pierre de Laıˆtre (de l’aıˆtre, ancien cimetie`re), et un insolite Petit Paris.

Alsace et Moselle L’Alsace et une partie de la Moselle sont beaucoup plus marque´es par les toponymes de langue germanique, quoique avec des diffe´rences sensibles, l’Alsace relevant du haut-allemand, la Moselle du bas-allemand ou platt. Les annexions par l’Allemagne ont entraıˆne´ des remaniements, traductions et francisations successives et ine´gales – avant 1871, le de´partement de la Moselle allait de Longwy a` Bitche et celui de la Meurthe e´tait au sud, comportant Chaˆteau-Salins et Sarrebourg, tandis que l’actuel Territoire de Belfort e´tait dans le Haut-Rhin. Une se´rie de termes germaniques fonde quantite´ de noms de lieux, tels au (prairie humide), bach (ruisseau), berg (mont), bronn (fontaine), bruch (marais), bruck (pont), bourg (habitat fortifie´), buhl (colline), busch, horst ou loch (bosquet), dorf ou troff (village), esche (freˆne), feld (champ), furt (gue´), gau (re´gion, secteur), hart ou hardt (foreˆt), haus (maison), heim (habitat, maison, village), hof (ferme ou village), herr (seigneur), holz (bois), kirch (e´glise), kopf (teˆte, mont), land (terre), matt (pre´), munster (monaste`re), ried (plaine alluviale), roth (essart), saltz et soultz (sel), scheide, schiedt (ore´e, bois, taillis), statt (ville), stein (pierre), strasse (route), thal (valle´e), wald (foreˆt, hauteur boise´e), wiese (prairie) et wasen (chaume, ou prairie d’altitude), weyer (e´tang), wihr, willer (village), woerth (bord d’eau) et les qualificatifs ober (haut), nieder (bas), mittel (moyen), breit (large, cf. Breitenau, Breitenbach), hoh (haut), neu (nouveau), scho¨n (beau), schwarz (noir). Les terminaisons de noms de communes en -ing, -ingen et -hof sont fort nombreuses, ainsi que les -weiler, -willer et -dorf, plus ou moins de´forme´ en trof, strof. En Alsace, les formes en -ach sont d’origine romane, similaires aux -ac d’autres re´gions. Du coˆte´

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de Thionville, tout un ensemble de communes ont des noms en -ange, adaptation locale romanise´e d’un suffixe locatif -ing d’origine germanique : Marange-Silvange, Clouange, Florange, Hayange, Nilvange, Algrange, Entrange, Œutrange, Volkrange, Se´re´mange, Erzange, Knutange, Uckange, Ottange, Volmerange-les-Mines et meˆme Boulange, etc. Selon A. Simmer, il s’agit de formes tre`s anciennes construites en ge´ne´ral sur un NP et l’indication d’un domaine, avec un suffixe germano-romain, et non d’une importation franque suppose´e et plus tardive. Les terminaisons en -y, -court et -ville, fre´quentes en Moselle, surtout occidentale, ne se retrouvent pas en Alsace ; celle-ci emploie willer et dorf, la Moselle viller et troff. En Alsace, les terminaisons les plus fre´quentes des noms de communes sont en -heim (245 cas) ; ensuite viennent les -willer (95 cas, plus trois -ville´ et 18 - wihr en HautRhin), les -dorf (38) et les -house ou -haus (33) ; les -hoff, -hoffen ne sont que 18, moins que les - ing, -ingen ou -ingue (23). Du coˆte´ des appellatifs, bach apparaıˆt 67 fois dans les noms de communes, berg 20 fois, bourg 17 fois, thal 15 fois, soultz ou setz 11 fois et au (prairie) 11 fois. Les autres occurrences sont plus faibles : bronn et feld 7 fois, kirche 8 fois, holtz 6 fois, muhl (moulin), matt et wald 5 fois. En Moselle, 97 noms de communes ont -ing pour terminaison, 73 -ange (et 18 -en). Suivent 62 noms en -y (et 31 en -ey, -oy, -ay ou -igny), 42 en -viller ou -villers (un seul en -willer), 41 en -court, 31 en -ville et 30 en -troff (plus 7 en dorff) ; une quinzaine de -heim ou -house, seulement un -hof. On trouve en Moselle plusieurs terminaisons en -visse qui sont re´pute´es venir du vicus : Metzervisse, Waldwis, Gavisse, Obervisse et Niedervisse. Une partie de la Moselle est dite tiche (sens d’allemand, meˆme famille que deutsch et teuton), l’autre welche (ou romane), au sens de franc¸aise.

Lorraine tiche Metz est un ancien Divodurum (citadelle sacre´e) qui a pris le nom du peuple gaulois Mediomatrice (« du milieu de la terre maternelle ») e´volue´ ensuite en Mettis. Thionville vient d’un NP Theodo. Forbach est interpre´te´ comme rivie`re des pins (germanique fohr, pin ou e´pice´a). Sarreguemines est le confluent (germ. gemein, re´union) de la Sarre et de la Blies. Sarrebourg a un nom e´vident, comme Chaˆteau-Salins. Bitche est attribue´ a` un NP, ou mieux a` la butte qui marque son site de citadelle, comme Bitschhoffen et Bitschwiller en Alsace (M. Urban). Boulay-Moselle vient du bouleau. Audun-le-Roman 54 et Audun-le-Tiche 57 furent Awdeux, Aude`ve, mots forme´s a` partir d’aqueduc ; leurs e´pithe`tes marquent la limite linguistique. En de´pit de l’abondance des toponymes issus de NP avec suffixe, les noms communs ne manquent pas dans la toponymie mosellane. Selon A. Simmer, par exemple, Flasgarten est le jardin a` lin (la Moselle a aussi Flastroff 57), Hargarten une chenevie`re ; Luze´raille (a` Jouy-aux-Arches) et Ozerailles des oseraies, comme Ozerailles 54. Falck 57 viendrait de fagus, le heˆtre (et non du faucon), Lemud de limo, l’orme, Ohrenthal (a` Rolbing) et Ohreneck (a` Lieberschiedt) de l’e´rable (ohrn), Aspach 57 du tremble (asp et bach) comme Haspelschiedt 57 (foreˆt de trembles) tandis que le sapin (tanne) se trouve dans Damme-et-Quatre-Vents 57, ou` quatre-vents a le sens de carrefour. Plesnois 57vient des platanes, Hirbach est le ruisseau de l’aulne (erl). Au nord de la Moselle, le Warndt est un ancien Warende, au sens de de´fens : le terme

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est voisin de garenne et a de´signe´ une re´serve forestie`re de chasse ; une communaute´ de communes centre´e sur Creutzwald en a repris le nom. Tromborn 57 est trois fontaines, Montbronn 57 la grande source (« mont » viendrait ici de magna, magne), Sturzenbronn 57 la source jaillissante, Morsbronn (a` Hilsprich) la fontaine du marais. Le marais serait repre´sente´ aussi par La Maxe 57, Anoux 54 (gaulois ana), Kanfen 57 (bord du marais, de cant, + fen comme fagne, synonyme du Moercant flamand), Lambach 57 (lam=marais). Chieulles e´quivaut a` mare (latin sullium, souille). Kontz et Haute-Kontz viennent de condate, confluent. Macker, Macheren et meˆme Belmach (a` Aspach) viennent de maceria, vieux murs, tandis que Maxstadt est un ancien mago (marche´). Xousse 57 e´voque le sel, la r. Seille balanc¸ant entre sel et saule. La Fromuehle (a` Petit-Re´derching) signale un moulin banal (vrone, frohn = corve´e). Spicheren vient de spicarium, grenier. Rhodes signale un essart (roth). Parmi les noms curieux, Turquestin (a` Turquestin-Blancrupt) est une pierre perce´e (de durch, a` travers, et stein, pierre), Lafrimbolle 57 serait une fontaine tarie (lasabrunnen), Calembourg (a` Laumesfeld et a` Norroy-le-Veneur) un mont chauve (de calm et berg), Tiercelet 54 viendrait de tisch-lar, donc une prairie du coˆte´ « tiche » (germanique), tandis que la jolie Bibiche 57 (Bibera en 1204) vient du castor. Xouaxange 57 (Schwekesingen en 1240) vient du NP Swiko. Tarquimpol 57 re´sulterait d’une e´volution de Decempagi (Dix Cantons), Basse Yutz de Judicium (action de justice). La francisation, qui peut eˆtre fort ancienne, a fait Voyer 57 a` partir de weiher (e´tang). Plusieurs Galgenberg signalent d’anciens promontoires a` gibet, e´quivalents des Justice ; le Galgenberg de Cattenom 57 domine la plaine de la Moselle.

En Alsace L’Alsace est ge´ne´ralement interpre´te´e comme pays de l’Ill (Elsass en germanique). P.-H. Billy tend a` rapprocher ce nom de celui du peuple gaulois Alisate et Ill d’un Alisa qui serait donc rivie`re des aulnes ; mais Urban y voit alisia au sens de falaise, hauteurs accuse´es... Le Rhin lui-meˆme a un nom ge´ne´ralement rapporte´ a` l’une des lointaines racines hydronymiques, signifiant simplement « qui coule ». Le nom de la Moder vient de matra, la me`re des eaux, comme la Marne, et comme la Mutterbach. La Zorn serait synonyme de la Sarre (de ser, qui coule). La plupart des autres hydronymes restent discute´s. Celui de la Lauter a donne´ lieu a` des gloses contradictoires : luto pour boueuse, un vieux germanique hlutar limpide, ou un celte lautron, bain, bassin pour se laver, e´ventuellement une attraction vers laut, bruyant. Strasbourg, d’abord Argentorate (argent e´tant cense´ de´crire le scintillement de l’Ill, rate un fortin, un rempart), est devenue le « bourg de la route » au de´but du V e sie`cle. Mulhouse est « la maison du moulin », Colmar est un ancien Columbarium (colombier). Le nom de Se´lestat, qui fut Scaltistat, et a e´te´ francise´ a` partir de Schlettstadt, serait la ville (stat) du mare´cage (scald comme Escaut) mais M. Urban y lit skat (enclos) et Billy slad (ravin). Dans Wissembourg, wissen est compris par certains comme weiss (blanc), par d’autres wiese (prairie), voire comme un NP. Saverne, anc. Tabernis, vient plus suˆrement des tavernes bordant la grand’route vers la Lorraine. Haguenau semble compose´ de hagen, e´quivalent de haye (bois, taillis)

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mais aussi de clos, et de au, pre´ humide ; toutefois Urban pre´fe`re comme premier e´le´ment ak, avec une ide´e de recul (un lieu e´carte´ ou tabou). Thann vient du sapin (Tanne), Altkirch est clairement la vieille e´glise, Munster le monaste`re. Obernai est « en amont » (ober) sur la rivie`re Nai comme Lauterbourg est sur la Lauter. Lautenbach et Lautenbachzell, dans le Florival vosgien, pourraient venir d’eaux limoneuses (luto), avec attraction vers laut, bruyantes, tandis que Lutter 68 dans le Sundgau viendrait d’eaux limpides, Luttenbach-pre`s-Munster 68 d’eaux boueuses : le´gitimes he´sitations autour de trois concepts distincts, voire oppose´s. Neuf-Brisach, ville cre´e´e par Vauban, a e´te´ nomme´e face a` l’allemande Brisach, qui vient d’un NP. Ribeauville´ viendrait d’un NP Ratbald, Molsheim d’un NP Modil, Guebwiller d’un NP Gebun ; Cernay est une francisation de Sennheim (NP) et Saint-Louis a e´te´ nomme´e par re´ve´rence a` Louis XIV. Le Sundgau est la contre´e (gau) du sud. Le Kochersberg, beau pays de collines agricoles a` l’ouest de Strasbourg, a un nom d’origine inde´cise, peut-eˆtre redondant si son premier e´le´ment est interpre´te´ comme kuk, terme pre´-IE pour hauteur. L’Uffried est un petit pays entre Rhin, Moder et Sauer, fonde´ sur ried, plaine alluviale ; uff est l’e´quivalent de auf, sur, comme a` Uffholtz 68 (sur le bois) ; une intercommunalite´ a choisi le nom de l’Uffried. On nomme Outre-Foreˆt le pays au nord de la grande foreˆt d’Haguenau, mais par adaptation de l’allemand Unterwald qui signifie plus bas, en aval. Niederbronn est la fontaine d’en bas, Pechelbronn la fontaine de poix, ou` le bitume suintait en surface. Parmi les curiosite´s, Albe´ se rapporte a` l’aulne (Arlebach en alsacien, germ. erl). Le lac d’Alfeld (Sewen 68) ne vient pas d’un champ (feld) mais d’alveola, ici comme cirque glaciaire. Avolsheim e´voque les noisetiers (d’avellana), Baerenfelsen (a` Kruth 68) et Baerenkopf (a` Hohrod 68) les ours, Ebersmunster et Eberbach (Eberbach-Seltz 67) le sanglier, Falkenstein (a` Sickert 68) le faucon. Barr a le sens de hauteur, comme les bar champenois et lorrains. Boofzheim serait d’un celte bava, boue. Chalampe´ vient de calamus, roseau. Le Champ du Feu (1 098 m a` Belmont 67), qui est simplement en alsacien le champ du haut (Hochfeld), a pour interpre´tations oppose´es le faıˆte, le heˆtre, le be´tail (germ. vieh), et meˆme le diable ou le feu des charbonniers. La Chatte Pendue, site de rochers a` Rothau 67, n’aurait e´te´ qu’un bois (hatt) en pente... E´teimbes est une francisation de Steinbach (ruisseau pierreux). Ferrette ne viendrait pas du fer, mais du poirier (germ. pfirt). Le lac des Truites (a` Soultzeren 68) est une fausse traduction de l’allemand Forelle : il e´tait le lac du Forlet, donc du fourneau ou du chaudron, me´taphore jadis employe´e pour les formes en cuve. Frohn de´signait la corve´e et donc la re´serve seigneuriale comme a` Fronholz, Frohnackerhof, Frohmuhl 67 (moulin banal) ; une trentaine de toponymes commencent par Frohn, Froenh. Le Gaschney (a` Stosswihr 68) viendrait de la racine cast, coupe´, indiquant un lieu difficile d’acce`s. Kembs vient de cambo, courbe (du Rhin). Kaysersberg serait issu de castrum, non d’un empereur (Kaiser), et le Haut-Koenigsbourg (anc. Cunsberg) de cuno (relief en coˆne) et non d’un roi. Klingenthal est une valle´e en gorge, mais le nom a servi la fabrique de lames apparue en 1730. Krautwiller, Krutenau et Kruth viennent de gereut, de´frichement ; Krautergersheim

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est un ancien Ergersheim (« sur l’Erger ») qui a fait sa publicite´ de`s le XVIIIe sie`cle en ajoutant kraut (chou) en tant que capitale du chou a` choucroute. Le Markstein signale une borne frontie`re et Merkwiller un village frontalier. Marmoutier, inspire´ par le Marnoutier tourangeau de saint Martin, est ici le monaste`re de saint Maur. Michel est une interpre´tation d’une racine germanique pour grand (IE mag) : Michelberg (a` Lampertheim 67) est Grandmont et Michelbach 68 un Grandrupt. Neugartheim (a` Neugartheim-Ittenheim 67) n’est pas le nouveau hameau du jardin mais vient de Nugaretum, noyeraie. Les Quelles (a` La Broque 67) a e´te´ compris comme les sources (germ. quelle) mais viendrait de Gefa¨ll e´volue´ en Quevelles, les pentes. Reich aurait de´signe´ non un empire mais un roc (racine rik) dans Reichsfeld, Reichshoffen, Reichstett, comme dans Riquewihr. Rosenwiller a` Rosheim 67 est bien un « hameau de Rosheim » (wihr apud Rosheim en 1371) mais Rosenwiller a` Dettwiller 67 est un village cre´e´ par le comte de Rosen en 1664 ; et Rosenau un pre´ aux roseaux. Wimmenau est aussi une oseraie. Spiegelberg 68 vient de speculum, indiquant une tour de guet. Staffelfelden est le champ de l’e´table, comme Stephanfeld (Brumath 67), ancien Stabula, dont la compre´hension a e´volue´ vers E´tienne... Storckensohn est litte´ralement « fils des cigognes » : aucun rapport avec les oiseaux bien entendu, M. Urban rappelle qu’il fut Starkisoge, quelque chose comme l’e´tier d’une prairie humide. Vogelgru¨n n’a rien de vert, gru¨n venant de grien, gravier.

Les re´gions du Nord Entre Iˆle-de-France et Belgique s’e´tend un vaste ensemble de plaines et de plateaux qui ont beaucoup de points communs, tant dans les noms que dans les paysages. Il re´unit Picardie et Nord-Pas-de-Calais. C’est un domaine de la grande culture de champs ouverts, donc de « campagnes », d’habitat plutoˆt groupe´ en petites cellules qui ont acquis et conserve´ leur statut de communes. Il a e´te´ souvent ravage´ par les guerres, et pourtant il a e´te´ tre`s marque´ par l’industrie et par les actives circulations entre Paris et les villes de l’Europe du Nord-Ouest.

La couleur picarde Le mot Picardie n’apparaıˆt qu’au de´but du XIII e sie`cle ; Picard, plus ancien (XI e s. ?) serait construit sur la pique et sur piqueur, mais les interpre´tations sont tre`s divergentes : les uns y voient le sens de laboureur, les autres un fantassin, porteur de pique, certains meˆme prennent pique au sens de larcin, ou de raillerie... Il a de´signe´ de nos jours une re´gion forme´e de trois de´partements, Aisne, Oise et Somme, mais le picard comme parler a une aire diffe´rente, beaucoup plus e´tendue vers le nord en Pas-deCalais, tandis que l’Aisne est en partie champenoise. Quinquin (le bambin) est re´pute´ picard ; les Quinquinettes est un lieu-dit d’Obies 59 ; le Quinquin est a` Vez 60, en Valois. Les toponymes y sont fortement colore´s par des fac¸ons de parler, et par l’abondance de racines anciennes de diverses formes nordiques, au sein desquelles il est difficile de

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de´meˆler les apports ne´erlandais, germaniques et meˆme norrois qui fournissent des formes particulie`res de noms, plus denses ici que dans les autres re´gions, Nord-Est excepte´. Les microtoponymes eux-meˆmes sont riches en expressions des anciens re´gimes agraires, mesures de terrain et statut des terres : beaucoup de Muids, Fief, Alleu. Ils sont souvent expressifs, savoureux, voire vigoureux, meˆme crus, notamment dans l’Aisne. Et dans ces pays de faible relief, le moindre accident prend de l’ampleur : les lieux-dits abondent en raies, royes et royons, rideaux, frettes et fosses, et la moindre bosse y devient la Montagne. Le picard remplace volontiers ch par k, quitte a` prononcer le s en chuintant. Le cheˆne y est devenu quesne, la chausse´e cauchie. Le chemin creux, chave´e en Lorraine, y est cave´e, le choisel (moulin) coisel. On a ainsi par exemple Cauchy-a`-la-Tour 62, Villers-en-Cauchies 59 ou` une ferme-auberge du XVIII e sie`cle est la Grande Cauchie, Catenoy 60 issu du chaˆtaignier, Carnie`res 59 du charme, Le Quesnoy 59 (avec pour gentile´ savant Quercitain...) et le Queˆne au Leu (au loup) a` Audignies 59 du cheˆne. Quennevie`res a` Moulin-sous-Touvent 60 vient de che`nevie`re, Le Cateau-Cambre´sis 59 de chaˆteau – le re´sultat peut ainsi eˆtre plus conforme a` l’e´tymologie. Parmi les autres noms caracte´ristiques et relativement re´pandus, on citera ave`ne, pre´sent dans six noms de communes dont Avesnes-sur-Helpe 59 et dans bien des lieux-dits, plus l’Avesnois, et semblant de´signer un sol pauvre. Riez et rietz sont des termes habituellement associe´s soit a` des terres pauvres, des friches, soit au pre´ communal servant e´galement de terrain de jeux, a` l’instar du couderc me´ridional – les deux acceptions ne sont pas incompatibles : ainsi des Rietz a` Buire-le-Sec 62 et a` Marœuil 62, Canton du Rietz a` Neuville-Saint-Vaast 62, Mont des Rietz a` Campigneulles-les-Grandes 62, le Riez a` Brebis a` Frencq 62, Riez a` Joncs a` Bauvin 59 dans la partie mare´cageuse du Flot de Wingles, voire des Erriers (Laon 02, Pronleroy 60). Fache est fre´quent aussi dans les lieux-dits, le sens originel e´tant une bande de terre, puis un quartier de parcelles ; il en est des dizaines en Avesnois, avec toutes sortes de comple´ments tels que Fache du Marais a` Pon-sur-Sambre 59, Fache du Fresne, de la Commune ou des Fosses a` Floursies 59, Fache du Temple a` Saint-Aubin 59, Fache des Trente a` Vieux-Mesnil 59. Bove de´signe un abri souterrain comme a` Boves 80 et Presles-et-Boves 02, Bovelles 80, nombre de lieux-dits en Boves, Bauves, Bovettes ou Bovelles. Creutte et Croutte sont pour des grottes ou cavernes, comme a` Muret-et-Crouttes 02, Crouttes-sur-Marne 02, avec meˆme une Montagne des Creuttes a` Mons-en-Laonnois 02. Watine ou Wattine est la fac¸on re´gionale d’e´crire gaˆtine et se manifeste dans plusieurs dizaines de lieux-dits du Nord et de Picardie, avec meˆme Watinette a` Nomain 59 et a` Questrecques 62. L’ancien bassin houiller a ses toponymes particuliers avec ses cite´s, ses corons, ses fosses, souvent de´signe´s par de simples nume´ros. Mais coron ne se limite pas au « pays noir » : on trouve un Coron de la Verrerie dans les faubourgs du Quesnoy, et d’autres disperse´s.

Des racines nordiques Comme dans le Nord-Est, mais avec des nuances, les noms ont souvent e´te´ forme´s sur un NP titulaire du lieu, suivi d’un suffixe : surtout -y, assez souvent -igny, -illy, ainsi

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que -ies (Fourmies, Landrecies, Hargnies, Wambrechies...) et -iers, parfois -ay, -eux ou -euil. Une terminaison en -ecques apparaıˆt en Flandre et alentour, par exemple a` He´zecques, Senlecques, Ecquedecques, Blendecques, Wardrecques, E´perlecques, raccourcie dans l’Audomarois (Mentque, Tilques, Quesque, Zouafques). La terminaison en -ing devient ici -ingues (Affringues, Autingues) ou -inghem, -inghen (Audinghen, Bainghen, Balinghem, Bouvelinghem...). On trouve meˆme des associations redondantes, comme a` Volkerinkhove, forme´ d’un NP, de -ing et de -hof. L’apparition de noms d’origine germanique semble remonter au VI e sie`cle avant notre e`re. Hem, ham (la maison) se manifeste souvent, parfois sous les formes han, hen, voire hain, en, ent ; toutes ces terminaisons prononcent « an ». Thun est un autre habitat, souvent en suffixe pre´ce´de´ d’un ancien NP, comme a` Alincthun, Audincthun, Baincthun, Fre´thun, Landrethun. Court est tre`s employe´, tout en laissant la place a` quelques -hove, e´quivalents du germanique hof. Hof existe aussi, comme Hof Veld (champ) a` Volckerinckhove, Moerhof (du marais) a` Ghyvelde, Cray Hof (aux corneilles) a` Zegerscappel. Le suffixe -ville est moins pre´sent qu’au Nord-Est, mais villers est tre`s fre´quent, tant en fin qu’en de´but de nom : 44 communes, dont 12 dans l’Oise, commencent par Villers. Cense est tre`s re´pandu, souvent associe´ a` une grosse ferme isole´e. Rue de´signe un village ou un hameau tre`s e´tire´, surtout en Avesnois et en Thie´rache. Buire, de la famille du germanique bur, a de´signe´ des cabanes ; il apparaıˆt dans Buireau-Bois 62, Buire-le-Sec 62, Burbure 62, Rambures 80 et Ramburelles 80 ou` ram e´voquerait un bois (cf. rame, rameau). Scheure, scure, indiquent une grange, un abri comme a` E´cuires 62, Buysscheure 59 (avec bois), Caudescure a` Merville 59 (froid), Renescure 59 (avec NP). E´taples 62, Staple 59 viennent de stapel, poteau, signalant un entrepoˆt. Schoote est un enclos comme a` Hondschoote 59. Zuydcoote 59, ancien Soutcota, serait forme´ sur le sel (plutoˆt que le sud) et cota, baraque. L’abondance des estre´es et chausse´es, cauchies en picard, dont celles qui portent le nom de Chausse´e Brunehaut, n’est pas moins sensible et a donne´ des noms comme Estre´es 02, Estre´eBlanche 62, Estre´bœuf 80, Estre´elles 62, E´tre´just 80, E´tre´aupont 02, et meˆme Estre´e-Cauchy 62. Parmi les noms communs aux sonorite´s nordiques les plus repre´sentatifs, on peut citer becque, ruisseau, qui apparaıˆt dans Bousbecque 59 (du bois), Guarbecque 62 et Morbecque 59 (du marais), Steenbecque 59 (pierreux), ou Entre les Besques a` Millam 59, la Longue Becque, affluent de l’Aa. Ce radical prend aussi les formes baix ou bais comme a` Roubaix 59 (avec roseau) et Roubais (a` La Flamengrie 02), Wambaix 59 (maigre), Marbaix 59 (mare), Fleurbaix 62 (de flor, champ), Sorbais 02 (sec), voire Baizieux 80 ou Be´zu-le-Gue´ry 02, Be´zu-Saint-Germain 02 et son hameau Be´zuet, E´paux-Be´zu 02 ou` E´paux a le sens de de´fens, et son hameau Be´zu-les-Fe`ves qui fut les Fe`vres (forgerons, selon Chaurand-Lebe`gue). Bronn, la source, se lit dans Bellebrune 62 (avec beer pour des baies), ou dans Thiembronne 62 (Teenbronne en flamand, peut-eˆtre avec teen, osier) ; un e´quivalent burth (naissance) apparaıˆt dans Bourthes 62 a` la source de l’Aa et Lisbourg 62 (anc. Liegeborth) a` la source de la Lys (D. Poulet). Ness au sens de cap a donne´ les caps Blanc-Nez et Gris-Nez, ou Longuenesse. Berg (mont) est dans Bergues 59, Isbergues 62 et son hameau Berguette, Fauquember-

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gues 62 (un Montfaucon), Looberghe 59 (avec pre´ ou bosquet). Dal (valle´e) est e´vident a` Watterdal (Seninghem 62) ou le Dael a` Me´teren 59, et semble pre´sent a` De´lettes 62 (Dalette au XI e s.), dans la valle´e de la Lys, voire a` Dennebrœucq 62 dans la meˆme valle´e (avec un marais). Mille a le sens de pre´ ou de paˆturage communal a` Hoymille 59 (hoy = foin), Millebrugge ou Mille-Brugghe (Bierne 59, Steene 59), Benkies Mille a` Warhem 59. Ler, laer, signale une friche, ou un pacage, comme a` Leers 59, Laires 62, Lillers 62, Toufflers, Flers 62 et Flers 80, Oxelaere 59 (avec ox pour bœuf) ; larris semble pouvoir en eˆtre rapproche´ et apparaıˆt par dizaines dans chacun des trois de´partements picards (les Larris). Loo est associe´ a` l’ide´e de petit bois et de pacage, parfois de marais local : Loon-Plage 59, Looberghe 59, Wattrelos 59 (avec water). Brouck, tre`s fre´quent, signale un marais : Cappelle-Brouck 59 et Saint-PierreBrouck 59, Brouckerque 59, Breucq a` Ble´quin 59, Bourbourg 59 (anc. Broekburg, le fort du marais), Hazebrouck 59 (avec lie`vre ?), Rubrouck 59 (roseaux ou broussailles). Moer a un sens voisin dans les Moe¨res, Moercant 59 (bord du marais) et la communaute´ de la Morinie, qui reprend un tre`s ancien nom de pays autour de The´rouanne, relatif au peuple des Morins. Mark a parfois aussi ce sens, par exemple dans Marquion 62 et Marquise 62, Marck 62, Marquillies 59, la Marque qui coule en pays lillois et passe par Pont-a`-Marcq, Marcq-en-Barœul et Marquette-lez-Lille ; toutefois, le terme peut se confondre avec mark au sens de frontie`re, limite : Marquette-en-Ostrevant 59 et Marcq-en-Ostrevent 59 sont voisines et en limite de pays, et le val de la Naville Tortue qui les traverse a peu de fonds humides. Hout signale un bois ; le Houtland est la partie inte´rieure de la Flandre franc¸aise, le « pays au bois » ; on lui rapporte Bouquehault 62 (avec bouq, le heˆtre), l’Eeckhout (du cheˆne) a` Comines 59 et Eekhout Veld a` Merckhinghem 59, Avroult 62 (a` l’e´cart, afar), Houtkerque 59 (e´glise), Houten Brouck a` Nieurlet 59, Wormhout, etc. Le nom gaulois du heˆtre, bago, (famille de fagus) transparaıˆt dans Bavay 59, Beines a` Guiscard 60, Beaumont-en-Beine 02 et La Neuville-en-Beine 02. Le bouleau a donne´ Berck 62 et sans doute le Berck a` Saint-Tricat 62, mais le Mont de Berck a` Saint-Josse 62 pourrait bien eˆtre un berg (mont). Nieppe 59 a pour origine l’orme, niep en ne´erlandais, qui apparaıˆt dans plusieurs lieux-dits comme Nieppe Houck a` Croche 59 ou a` Pitgam 59. Arneke 59 et Eecke 59 sont du cheˆne, Abscon 59 et Achiet 62 du freˆne (ask) ; Arleux 59 e´voque le coudrier (hasla), tandis que l’Abeele ou Abeel a` Boeschep, Wormhout ou Rubrouck 59 sont du peuplier. Linde, pour le tilleul, est pre´sent dans Lynde 59 et de nombreux lieux-dits, comme Lynde Strate a` Merris ou Arneke, Linselles 59, Linzeux 62. Quelques formes hydronymiques sont particulie`res. Un pre´latin appa pour l’eau serait dans l’Helpe, l’Eau d’Eppe, Eppe-Sauvage et des de´rive´s comme Annappes, Gue´mappe ; on lui rattache parfois l’Aisne, bien que l’ancien nom fuˆt Axona (d’ou` l’actuel gentile´ axonien). P.-H. Billy tend a` voir la meˆme racine dans les Weppes, petit pays a` l’ouest de Lille, la` ou` d’autres ont lu vesper, le couchant. L’Aa est plutoˆt associe´ a` un germanique ahwa, pour l’eau « qui va », prenant la forme elve dans Wimerelve > Wimereux 62, « la rivie`re aux courlis » (A. Fournet), ou plus probablement aux osiers. La Lys, ancienne Legia, serait de pleu, IE pour couler (P.-H. Billy) ; la Scarpe aurait le sens de rivie`re tortueuse, a` partir de l’IE s-kerb,

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courbe´ ; l’Escaut, ancien Scaldis, aurait un sens voisin, mais a` partir de l’IE s-kel, tordu. Escaudœuvres, forme´ avec briga, aurait e´te´ un fort de l’Escaut ; le gentile´ est savamment Scaldobrigien. L’Oise fut Isara, de l’hydronyme pre´celte is, attache´ a` ce qui coule vite ; l’Yser serait de meˆme origine. On a pu distinguer d’un coˆte´ des eaux tranquilles, aux noms fonde´s soit sur une racine sam, comme la Sambre et la Somme, soit sur tawa ou tara, comme la The`ve, le The´rain, avec Thie`vres 62 et Tavaux-et-Pontse´ricourt 02 ; d’un autre coˆte´ des eaux plus remuantes, qu’e´voquerait le radical strom dans E´trun 62 entre Scarpe et Gy, Estrun 59 sur un me´andre de la Sense´e, Lestrem 62 sur la Lawe, E´trœungt 59 sur l’Helpe en bout de massif ardennais, Estreux 59, Estourmel 59. Cela semble pourtant bien difficile pour ces deux dernie`res, qui n’ont que des vallons a` peine esquisse´s et a` e´coulement sporadique.

Le coˆte´ flamand Le nom de la Flandre viendrait d’un germanique flauma, au sens de pays d’eaux, de terres inonde´es. Les parlers flamands, ou ne´erlandais, ont largement de´borde´ de l’actuelle Flandre franc¸aise, en particulier au nord-ouest du Pas-de-Calais, dans les pays du Calaisis et de Saint-Omer. L’e´criture de certains appellatifs nordiques y a pris des formes particulie`res. Notons kerk pour l’e´glise, meulen pour le moulin, steen pour la pierre, straet pour la route, veld pour le champ, zeele pour salle (maison de notable) comme a` Bruxeele (avec marais), Strazeele (avec route), et les e´volutions vers Linselles et Linzeux (tilleul). L’exigeante gestion des eaux a laisse´ gracht et watergang (canal, fosse´), dyck (digue et aussi fosse´), vliet (ruisseau), peene (cours d’eau), voord (gue´). Steenvoorde est le gue´ de pierre, Steendam a` Houtkerque 59 la digue de pierre. Noordpeene est au bord de la Peene Becque ; Peene Hof et Peene Meerschen sont des lieux-dits de Bollezeele dans la valle´e de l’Yser ; Peene est un hydronyme ancien, d’origine germanique, qui se trouverait aussi dans Pe´nin 62 selon Gysseling. Houck est le coin, pre´sent dans de nombreux lieux-dits avec toutes sortes de de´terminants, comme pour Middel Houck (milieu), Langen Houck (long), Meule Houck (moulin), Meersch Houck (marais), Brouw Put Houck (puits de la brasserie) dans la commune d’Oudezeele (« vieux domaine »). La Flandre franc¸aise est parfois nomme´e Westhoek. On retrouve le terme dans Leffrinckoucke 59, avec un NP. Le microtoponyme veld est surabondant ; par exemple, Noordpeene a un Clooster Veld (cloıˆtre), un Casteel Veld (chaˆteau), un Kerke Veld (e´glise), un Middel Veld (milieu), un Driesch Veld (friche), un Lyncke Veld (bord de la rivie`re Lyncke Becque). Veld et houck sont d’ailleurs souvent e´quivalents et parfois traduits : on note le Coin du Riveld a` Oudezeele... Dunkerque est l’e´glise de la dune et englobe notamment Mardyck (digue-fosse´ de la mer), Rosendae¨l (valle´e des roseaux). Audruicq 62 fut un Ouderwijk, vieux village. Ghyvelde 59 semble forme´ sur osier et champ. Godewaerswelde 59 a le sens de « champs be´nis ». Wissant serait de wit-sand (sable blanc) comme Witternesse de witness (cap blanc). Wylder 59 semble eˆtre le meˆme mot que villars. Wattrelos peut eˆtre compris comme un terrain boise´ mare´cageux (water+loo). Pitgam 59 serait le

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hameau (ham) du puits (pit), sauf NP. Le gibet, galg, se lit dans le Galg Houck de Zegerscappel, a` coˆte´ de la Potence de Ledringhem ; un autre Galg Houck est a` Teleghem, un Galgberg a` Merckeghem sur un promontoire dominant la plaine de Millam, un Galg Brouck a` Holque.

Villes et pays Lille est sans myste`re une ancienne ıˆle, jadis Insula. La commune comprend aussi Wazelles (de was, marais, et hem, habitat), Lomme (de ulma, orme), Hellemmes (NP+hem). Roubaix est la rivie`re aux roseaux, Tourcoing viendait d’un NP, comme Douai et Valenciennes. Cambrai 59, anc. Camaracum, pourrait eˆtre reporte´ a` cam, courbe de rivie`re, ici l’Escaut. Maubeuge 59 est discute´, peut-eˆtre une mauvaise (mau) courbe (germ. beuge) de la Sambre. Bavay 59 vient du celte bago, heˆtre, Le Quesnoy 59 du cheˆne. Phalempin 59 semble avoir e´te´ forme´e sur fanum et pinus (temple et pin). Armentie`res 59 aurait le sens de lieu du gros be´tail (armentum). On appelle Audomarois le pays de Saint-Omer. Le Hainaut est le pays de la r. Haine, dont le nom semble lie´ a` hag, les bois. L’Ostrevant est le pays ou la marche de l’Est (Ooster-ban). Le Carembault, autour de Phalempin et Carvin, est un ancien pays dont le nom, porte´ par une intercommunalite´ et par Camphin-en-Carembault, est aussi forme´ sur ban (pour bault) et peut-eˆtre sur un radical IE korn, le grain : l’e´quivalent d’un Fromental ? La Pe´ve`le vient sans doute de pabulum, paˆturage ; Pelves et Templeuve auraient la meˆme racine. Le Me´lantois a e´te´ Medionantus, le val (nant) me´dian (celui de la Marque). Arras 62 et l’Artois viennent du peuple gaulois Atre´bate, interpre´te´ comme ad-treba, « ceux d’ici ». Lens 62 (anc. Lenna) serait issu d’un hydronyme ou peut-eˆtre du celte lindon (e´tang). La Gohelle, autour de Lens, est comprise comme « pays haut » par Billy, peut-eˆtre au sens de pays de l’autorite´ du chef-lieu. Be´thune 62 pourrait eˆtre la ville de la rivie`re (thun et bek, bais, ici la Lawe), mais certains y voient un enclos, d’autres une perte de rivie`re (comme dans be´toire) ou encore un NP. Calais 62 serait de cala, la crique et Boulogne-sur-Mer 62 est une « fondation » (gaulois bononia). Sa voisine Outreau est bien un outre-eau, de l’autre coˆte´ de la Liane. The´rouanne 62, que P.-H. Billy interpre`te a` partir de tru, traverse´e, l’endroit ou` la grande route ancienne passe la Lys en devenant la Leule`ne, est a` l’origine du pays Ternois, dont vient aussi la r. Ternoise ; une dizaine de communes ont Ternois ou Ternoise dans leur nom. Le Touquet e´tait un « petit bois » (touche), promu commune en 1912 en ajoutant Paris-Plage pour sa publicite´. Entre collines de l’Artois et plaine de l’Aa, la petite contre´e de Bre´denarde vient de breiten aard, terre large. Amiens 80 tire son nom du peuple gaulois Ambiani ; elle avait e´te´ Samarobriva, donc Pont-sur-Somme. Abbeville 80 fut bien la ville de l’abbe´ (de Saint-Riquier), Pe´ronne 80 et Montdidier 80 sont issues de NP. Albert 80 se nommait Ancre comme sa rivie`re (sans doute d’ankro, courbe) et Concini fut nomme´ mare´chal d’Ancre ; a` sa chute en 1620, la seigneurie fut donne´e a` Charles d’Albert de Luynes, qui y imposa son nom, venu des Alberti de Florence... Le Santerre vient apparemment de sana terra, terre saine, fertile, que l’on opposait au Marquenterre, terre des marais. Le Ponthieu, au nord d’Abbeville, eut pour chef-lieu Pontibus, « le pont », ou`

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la chausse´e d’Amiens a` Boulogne passait l’Authie : le nom du village de PonchesEstruval 80 semble pre´cise´ment eˆtre forme´ sur Ponthieu (ou pont), estre´e et val. Le Vimeu, au sud-ouest d’Abbeville, est lie´ a` la r. Visme ou Vimeuse (anc. Vimina), qui naıˆt a` Vismes 80 ; ces noms, discute´s, pourraient bien avoir un rapport avec l’IE wei (lier, enrouler) dont viennent vimen (l’osier), comme willow et Weide (le saule), et aussi Ghyvelde. Le nom de Beauvais 60, ancien marche´ de Ce´sar (Caesaromagus), vient du peuple Bellovaque et n’est donc pas, contrairement a` des homonymes, e´quivalent de Beauvoir ou Bellevue, mais a pu eˆtre attire´ en ce sens. Senlis 60, anc. Ratomagos (marche´ des murs, des remparts), a pris le nom du peuple Silvanecte, qui contient silva, la foreˆt. Le nom de la grande foreˆt d’Halatte, voisine de Senlis et porte´ par plusieurs communes, viendrait de hasel, noisetier (Billy), ou plus ge´ne´ralement du germanique hasla (rameaux, halliers). Noyon 60 e´tait un autre marche´, mais nouveau (Noviomagos). Compie`gne 60, Compendio Villa au VI e sie`cle, est interpre´te´ comme compendium, raccourci, sur une route de Soissons a` Beauvais plus courte que par Senlis. Montataire 60 est en rapport avec le The´rain, Creil 60 viendrait d’un NP. Laon 02 a souvent, comme Lyon, e´te´ attribue´e a` un dieu gaulois Lug ; la tendance re´cente est d’en faire un fort des marais (lugo et dunum). Soissons 02, d’abord Noviodunum (fort neuf), est devenue la cite´ du peuple des Suessiones. SaintQuentin 02 a e´te´ rebaptise´e au IXe sie`cle apre`s avoir e´te´ Augusta Viromandurum, du peuple Viromandi, dont le Vermandois et le village de Vermand 02 portent encore le nom. Vervins 02 serait un e´quivalent de Verdun mais forme´ sur ver (grand) et bino (chaˆteau fort ou montfort). Guise 02 vient de wiese, prairie. Au nord du de´partement de l’Aisne, le nom de la Thie´rache, tre`s pre´sent parmi les noms de communes, et porte´ par trois intercommunalite´s et un pays, est suppose´ venir du NP germanique d’un titulaire de pays me´rovingien, faute de peuple gaulois connu. Le Tardenois semble venu d’un village disparu, Tardunum, forme´ de tar, au-dela` et dunum, fort ; une communaute´ de communes a repris le nom du Tardenois. Le Valois, jadis pagis Vadense, est re´pute´ venir de Vez 02, lui-meˆme de vadum (le gue´), ancien oppidum et chef-lieu sur l’Automne. L’Orxois est le pays de l’Ourcq et apparaıˆt dans Che´zy-en-Orxois 02 et Marigny-en-Orxois 02. Le nom de ChaˆteauThierry 02 date du IX e ou Xe sie`cle et semble avoir succe´de´ a` un Otmus ou Odomagus, dont vient le nom de pays Omois ; celui-ci revit dans certaines activite´s et entreprises, et dans une zone d’activite´ autoroutie`re au nord du chef-lieu, mais pas en nom de commune ou d’intercommunalite´.

Curiosite´s locales Parmi les curiosite´s, Aubenton 02 vient de la confluence de l’Aube et du Ton. Zoteux 62 fut Altara, puis les Auteulx : on peut y lire soit les autels (comme Les Autels 02), soit les hauteurs, ce que permet la topographie. Zouafques 62 semble se rapporter aux Sue`ves, peuple germanique qui y aurait eu une colonie. Sangatte 62 associe sand et gate, sable et porte, passage. La Leule`ne e´tait une voie fre´quente´e, probablement pre´-romaine, de The´rouanne a` Sangatte en bord de mer sur 50 km ;

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plusieurs villages et lieux-dits comme Leulinghem, Leulingue, en conservent le nom (v. chap. 2), qui a pu venir d’un celte leuga, comme la lieue. Cae¨stre 59 vient de castrum, comme Cassel 59. Crayvick 59 est compris comme le village du corbeau. Le Sourd 02 vient de source. Le De´luge 60 semble eˆtre une e´volution de logio, loge (cabane forestie`re), meˆme si le gentile´ moderne se veut Diluvien. Les Attaques 62 fut Estachies, du nom des pieux d’une jete´e. Nous avons note´ qu’Œuf-en-Ternois 62 viendrait d’un od germanique au sens de domaine, Oye-Plage 59 du norrois augja, ıˆle (anc. Ogia). Zutkerque 62 est l’e´glise du sud. Quae¨dypre 59 est forme´ sur quaed, mauvais ou petit, et yper, ormeau. Hirson 02 (anc. Iricio) semble bien venir du he´risson, mais fut aussi e´crit Hyrechon et Hyrecon au XIII e s. Y 80, village de Santerre qui a le nom le plus court de France, vient de l’eau ; le nom se prononce i, mais le gentile´ savamment grec est Ypsilonien ; Avois, E´vien, auraient e´te´ mieux fonde´s... Wimy 02, au bord de l’Ardenne et de l’Oise, a deux hameaux annexes en Rue (Rue des Marais, Rue d’E´creveaux), un lieu-dit Quiquengrogne qui abrita une verrerie et un autre la Briqueterie, plus la Malgouverne, les Warennes, la Grande Couture, et le Point d’Arreˆt au passage d’une ancienne voie ferre´e. Sa voisine Luzoir 02 juxtapose le Fosse´ de Mise`re et la Terre des Pauvres. E. Ne`gre suppose dans Luzoir, jadis Lusoir, une ancienne are`ne (latin lusorium) qui n’aurait pas laisse´ de trace ; ce peut aussi bien eˆtre un usoir au sens lorrain (de´gagement devant les maisons). A` Clairfontaine 02, juste au nord, on note les hameaux Rue Nul-s’y-Frotte, Rue des Nourris, Rue de Paris, Rue des Cendreux, Rue des Fontaines, la Rue Tortue, le Moulin d’E´coute-s’ilPleut. Les intercommunalite´s ont ose´ quelques formes nouvelles. On notera la fioriture en y des Villes d’Oyse dans l’Aisne (La Fe`re), tandis que la Valle´e de l’Oise (Me´zie`res-surOise 02) est plus sobre ; le Chemin des Dames, devenu haut lieu des tueries de 19141918 ; les Trois Rivie`res, d’apre`s la convergence de l’Oise avec le Gland et le Ton ; un Pays des Sources a` l’ouest de Noyon 60 ; les peu inspire´s Cœur Sud Oise, Pierre-SudOise et Ruraloise ; une Picardie Verte vers Formerie. Un Pays du Coquelicot, autour d’Albert 80, rend hommage aux victimes britanniques de la bataille de la Somme de 1916, dont la fleur des champs abandonne´s e´tait devenue l’emble`me. Mer et Terre d’Opale au Touquet, Opale du Sud a` Berck, e´voquent la Coˆte d’Opale. Une curieuse Porte des Valle´es est aux portes... d’Arras ; Osartis-Marquion, a` l’est de l’Artois, semble reposer sur un jeu de mots entre est et oser (oser l’Artois...), Marquion s’e´tant ajoute´e par fusion et portant elle-meˆme le sens de marche. A` titre d’exemple de la richesse des lieux-dits en Picardie, on peut prendre Estre´esle`s-Cre´cy 80, site de la ce´le`bre bataille d’aouˆt 1346. La commune est traverse´e a` l’ouest par une Chausse´e Brunehaut parfaitement rectiligne ; par contraste, un quartier la Voie qui Tourne est de l’autre coˆte´. On trouve Terre a` Dıˆme et Terres Madame, la Longue Haie, Canton de la Motte (ancien chaˆteau), le Moulin Rathuile, Sentier de la Watine (gaˆtine) ; et la Croix de Boheˆme, lieu-dit dote´ d’un monument rappelant la bataille de Cre´cy au de´but de la Guerre de Cent Ans, ou` mourut le roi de Bohe`me (Jean de Luxembourg), allie´ des Franc¸ais vaincus. La commune voisine Dampierre-sur-Authie a une Plaine des Trois Rideaux, Entre Deux Cave´es, Terre a` Navettes, aux Angle´es dans le fond humide de la valle´e de l’Authie pre`s du Marais du

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Voisin et du Haut des Riez, une ferme isole´e Watte´glise et, non loin, le gros village de Wadicourt proche du Sentier de la Watine d’Estre´es – wad, watt ont ici le sens de gaˆtine mieux que de gue´.

Les Normandies L’installation au IXe sie`cle des « hommes du Nord », Normands ou Vikings, sur les coˆtes de la Manche a fait apparaıˆtre la Normandie. La distinction entre Haute et Basse-Normandie est ancienne et, e´videmment, fonde´e sur la pre´sence ou l’absence de la capitale (Rouen), non sur l’altitude. Contrairement a` d’autres nouveaux venus ou envahisseurs de passage, les hommes du Nord ont fait apparaıˆtre des toponymes norrois caracte´ristiques, qui toutefois restent assez proches du littoral dans la Manche (surtout au nord), le nord du Calvados et le nord-ouest de l’Eure ; ils couvrent plus largement l’inte´rieur en Seine-Maritime (R. Lepelley). Toutefois, appartenant au domaine indo-europe´en, les termes d’origine norroise ont de nombreux points communs avec les autres sources septentrionales, ne´erlandaises et germaniques, pre´sentes notamment dans le Nord et le Nord-Est ; des termes d’importation anglaise s’y sont ajoute´s. Les uns et les autres peuvent ainsi se confondre, au point qu’il est bien difficile de de´clarer norrois, germain, ne´erlandais, celte ou anglo-saxon tel toponyme de Normandie. Aussi les linguistes rivalisent-ils dans la subtilite´ et la contradiction : bien des de´bats restent ouverts.

Sources norroises – et voisines La racine IE pour habiter, bhu, a pu prendre en Normandie la forme beuf, parfois e´crit bœuf, parfois bus : Elbeuf 76, Elbeuf-en-Bray 76 et Elbeuf-sur-Andelle 76 (avec welle, source), plusieurs Criquebeuf ou Cricquebœuf (e´glise), Quillebeuf-surSeine 27 (quille de kill, passe ou bras de mer). Bol, bus sont de la meˆme famille, avec le sens de manse, ou un e´quivalent de cour, -court : Bolbec 76 (avec bek, ruisseau), Bolleville 50, Bourgue´bus 14, Le Buˆ-sur-Rouvres 14, Carquebut 50 (avec e´glise), Butot 76 et Butot-Ve´nesville 76 (avec tot), voire les Godebouts a` Brestot 27. Torp est un hameau ou une ferme isole´e : le Torp a` Billy 14 ou Colleville 76, Village, Chaˆteau et Plaine de Torp a` Villers-Canivet 14, Le Torpt 27, Le Torp-Mesnil 76. Le radical a pu e´voluer vers tour comme a` Saussetour (Fresville 50, avec saule) ou la Rue de Sauxtour (Thie´ville 14). Le suffixe tot (norrois toft), qui a de´signe´ une ferme, est tre`s re´pandu : Maltot 14 (et plusieurs lieux-dits), Yvetot 76 (yve pour eau), Bonneville-Aptot 24 (ap pour pommier), Lanquetot 76 (long) et plusieurs lieux-dits semblables, Criquetot (quatre communes et des lieux-dits) ; le Cul du Tot est un quartier de Petiville 76. Cot, cotte e´tait une cabane : Cottun 14 (avec dun), Cotte´vrard 76 (avec NP), Caudecotte (froid) a` Bazoques 27, Vaucottes (du val) a` Vattetot-sur-Mer 76 et les curieux e´quivalents Cotte-Cotte (alte´ration de caude cotte) a` Sierville 76 et

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Gre´monville 76. Skal a indique´ une habitation temporaire et se lit dans E´calgrain (Auderville 50), Bre´que´cal (Tourlaville 50, avec bre´ = colline), E´calles-Alix 76, Villers-E´calles 76, Estouteville-E´calles 76 et meˆme Veauville-le`s-Quelles 76, ancien Veauville-d’Escalles compris ensuite selon quelle, source. L’habitat comporte aussi de nombreux ham comme Ouistreham (ouest), le Hamel (des dizaines de lieux-dits dans chacun des de´partements), voire Huppain de Porten-Bessin-Huppain 14, ainsi que des hus comme a` E´tainhus (avec pierre) ou Sahurs 76 (anc. Salhus, de sal, saule). Kirk est l’e´glise, lisible dans les Criquetot, a` Cricqueville-en-Auge 14 et Cricqueville-en-Bessin 14, Yvecrique 76 (yve=eau), Querqueville 50, La Crique 76. Il est vrai toutefois que kriki est une crique, qui a pu eˆtre soupc¸onne´e dans certains lieux-dits en Crique ; les sites des Criquebeuf ne correspondent pas a` cette hypothe`se. Tuit apparaıˆt assez souvent ; issu d’un thveit norrois au sens d’essart, il ne doit pas eˆtre confondu avec tot. On le trouve par exemple dans quatre communes Le Thuit dans l’Eure et divers lieux-dits le Tuit, voire Aptuit a` Corneville-sur-Risle 27 (ap = pomme, e´crit Aptuy par l’IGN), Criquetuit a` Bacqueville 27. Delle est un labour, un quartier du finage ; il en est des quantite´s dans les lieux-dits du Calvados, surtout dans la Campagne de Caen, munies de de´terminants : Delle du Haut a` Chicheboville, des Dunes a` Moult, des Fresnes a` Vicques, des Pierres a` Oue´zy, du Bourg Neuf a` Vendeuvre ; une communaute´ de communes des Delles est apparue dans la Manche autour de Bre´ville-sur-Mer. Vast est friche, comme dans gaˆtine : Le Vast 50, Sottevast 50 (NP), les Vasts a` Mont-Calvaire 76. Gate est un chemin, une rue ou une porte comme a` Houlgate (avec houl, creux) ou Gatteville-le-Phare 50. Un norois bekkr a donne´ bec pour ruisseau, comme le becque nordiste et le bach germanique : Caudebec-en-Caux et Caudebec-le`s-Elbeuf 76 (froid) et plusieurs lieux-dits, Bricquebec 50 (de la colline), Bolbec, Beaubec-la-Rosie`re 76, Foulbec 27 (sale) et dans le meˆme sens le Fouillebroc, ruisseau de l’Eure, avec une forme qui est aussi dans Bruquedalle (La Chapelle-Saint-Ouen 76, ou` dalle = valle´e). Fleur est conside´re´ comme de la famille de fjord, flot et du flamand vliet, il a pu avoir le sens de rivie`re dans Barfleur, Harfleur (NP), Honfleur (avec horn = corne ou angle, ou NP ?), Vittefleur (blanche) ; mais les interpre´tations sont tre`s divergentes car flur, floor (terrain, maison) ont pu interfe´rer. On trouve un quille pour source (norrois kilde, germ. quelle) dans trois E´quilbec a` Breuville 50, Ne`greville 50, Brix 50, a` des teˆtes de ruisseaux. La toponymie littorale est e´videmment riche en ce domaine. R. Lepelley signale de tre`s nombreux termes pour de´signer les caps et pointes, tels a` Gatteville-le-Phare 50 flik (le Havre de Flicmare), hein (les Hennemares), kra (Havre et Moulin de Crabec), ou encore barmr (mamelon comme Barfleur). Bec peut y avoir ce sens, comme au Bec d’Andaine (Geneˆts 50), le Bec a` Flamanville 50, le Bec d’Amont a` Gre´villeHague 50, le Grand Bec a` Villerville 14, la Pointe du Bec de l’Aˆne a` Jobourg 50, qui ne peuvent eˆtre pris au sens homonyme de cours d’eau. La Pointe du Hoc viendrait d’un haka pour promontoire, probablement apparente´ a` haugr (hauteur) qui a aussi donne´ hougue dans Saint-Vaast-la-Hougue 50, et plusieurs dizaines de lieux-dits les Hogues sur le Caux, la Hoguette et les Hoguettes dans

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le Calvados et la Manche. Ness, pre´sent aussi en Nord-Picardie, apparaıˆt au Nez de Jobourg 50, a` la Pointe du Nez de Saint-Germain-des-Vaux 50, au Nez a` Vattetotsur-Mer 76. Cliff a le sens de falaise rocheuse a` Clitourps 50 (avec torp), Cle´ville 14 et Cle´ville 76, Cle´ville au Rozel 50. Ket et sker de´signent des rochers ou e´cueils : Vitequet (Re´ville 50, re´cif blanc), plateau des E´quets (Gouberville 50), l’E´cre´hou a` Pirou 50 et les E´cre´hou a` Portbail 50. Holm est une ıˆle (cf. Stockholm) qui a pris parfois la forme hou : Le Houlme 76, le Home-Varaville a` Varaville 14, Tatihou (a` Saint-Vaast-la-Hougue 50, avec NP), Quettehou 50 (NP ou ket, rocher) et meˆme Saint-Quentin-sur-le-Homme 50 et plusieurs le Homme en Calvados et Eure. Raz est un courant marin, comme le Raz Blanchard entre la Hague et Aurigny (Blanchard serait un adjectif lie´ a` la couleur des eaux), le Raz de Barfleur ; le terme est re´pute´ norrois mais s’est diffuse´ jusqu’en Bretagne ; il en est de meˆme du run, de sens voisin, comme le Run entre Saint-Vaast et Tatihou, le Run a` Fermanville 50, sans raport avec le run breton qui a le sens de mont. Hafn est une baie abrite´e, une rade, dont vient le port en anglais et allemand (haven, Hafen) : on retient le Hable a` Cosqueville 50 et Regne´ville-sur-Mer 50, et surtout Le Havre 76 et plusieurs lieux-dits le Havre disperse´s, mais ce terme aussi s’est ge´ne´ralise´ et se trouve en d’autres re´gions. Un norrois kili a le sens de passe et serait a` l’origine de Quillebeuf-sur-Seine 27, sur la rive gauche du fleuve en bordure du Marais Vernier ; mais c’est un sujet tre`s discute´ – nous avons vu que d’autres quille auraient le sens de source et la quille du bateau vient aussi du norrois, d’un terme qui a pu signifier poteau. Vik est une anse, sans rapport ici avec le village (vicus) : d’ou` Sanvic au Havre (san = sable), le Havre de Houlvi a` Gatteville-le-Phare 50 et le fameux Cap Le´vi (de Capelvic, l’anse de la chapelle). Mare de´signe l’eau stgnante comme a` Roumare 76 (avec NP), E´tainnemare (a` E´touteville 76, e´tain = pierre), Fongueusemare 76 (fangeuse), Parfondemare (profonde) a` La Hanouard 76 et de nombreux autres lieux-dits, mais peut aussi signaler un bassin d’eau abrite´ sur le littoral comme a` Flicmare. Quier, parfois chier, cher, de´signe un marais, comme a` Villequier 76 (avec welig, saule), a` l’Orcher de Gonfreville-l’Orcher 76 sinon a` Cherbourg 50. Melr est la dune en norrois, dont de´rivent les mielles au sens de dunes ou, plus souvent, de couloirs entre dunes : plusieurs lieux-dits les Mielles dans la Manche, comme a` Glatigny ou Bre´hal, Surtainville ou Tourlaville, La Miellette a` Regne´ville-sur-Mer 50, le Marais Mielles a` Couteville-sur-Mer 50, la zone prote´ge´e des Mielles d’Allonne a` SaintRe´my-des-Landes ; le terme est connu aussi en Bretagne. Brekka, brik est hauteur, colline, pente, versant, comme ailleurs la brigue : ainsi de Bricquebec 50, Bricquebosq 50 (bois), Briquedalle (valle´e, a` Sassetot-le-Mauconduit 76), Briquemare a` Cauville-sur-Mer 76, Bricqueville 14, la Pointe du Brick a` Maupertus-sur-Mer 50. Kamb est un dos de terrain : Cambe, La Cambe 14, Cambremer 14, les Cambres a` Anceaumeville 76 et des lieux-dits Cambremont. Dal est une valle´e comme aux Petites-Dalles et Grandes-Dalles, a` Dieppedalle 76 (valle´e profonde), Oudalle 76 (valle´e du loup), Daubeuf-Serville 76, Daubeuf-la-Campagne 27 et Daubeuf-pe`s-Vatteville 27 (dal + beuf, habitat de la valle´e, trois communes en Haute-Normandie).

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Hol, hou est un creux (cf. l’anglais hole et la houle) comme a` la Houle a` Bolleville 50, La Harenge`re 27 ou E´calles-Alix 76, Houlgate 14, Houlgrave a` Criquebeuf-laCampagne 27 et plusieurs Houlbec pour sites de ruisseaux encaisse´s et divers lieux-dits la Houlette ; mais la topographie doit eˆtre observe´e, car ces termes sont proches de hou-holm pour ıˆle et de holl pour colline arrondie : les Haules a` Orvaux 27 ou a` E´turqueraye 27, Voudeville 50, les Haulles aux Bottereaux 27 sont bien sur des croupes, ainsi que la Houlette a` Heurtevent 14. Oure, Or se rapportent aux rochers ou aux graviers a` Orbec et a` sa rivie`re l’Orbiquet, sans doute aussi a` l’Orcher de Gonfreville (avec quier, marais). Stein est la pierre, avec des formes de´rive´es dans E´talondes 76 (avec londe = foreˆt), E´tainhus 76 (hus = maison), E´taintot (a` SaintWandrille-Ranc¸on 76). Bouk est le heˆtre, apparent dans Bouquelon 27 (avec londe = foreˆt) et Bouquelon a` Boos 76, Bouquetot 27 ou Bouquetot a` Clarbec 14, et d’autres lieux-dits semblables, peut-eˆtre des Boncourt. Eik, le cheˆne, figure dans Yquelon 50 et Yquebeuf 76 et esk, le freˆne, dans plusieurs Ectot et Hectot. Lindebeuf 76 et plusieurs Lintot viennent de lind, tilleul. Tournebu 14 vient de thorn, l’e´pine. Lundr est un bois, dont viennent de nombreux lieux en la Londe, ainsi qu’E´caquelon 27 (foreˆt des voleurs), E´toublon (a` Sotteville 76, bois des souches, stubbi). Hag de´signe haie, broussailles et parfois un enclos, pour lequel on trouve aussi gart, gard comme dans Auppegard 76 ou E´pe´gard 27 (avec pommier) ; la Hague en Cotentin s’est ajoute´e a` sept noms de communes ; Fleury 50 a des lieux-dits la Haute Hague, la Grande Hague, la Petite Hague. Pour le reste, la Normandie a un riche me´lange d’adaptation de noms communs de diverses origines, sans apport particulier. Les toponymes en -ville sont particulie`rement nombreux, alors que les -court sont rares, les viller et villiers exceptionnels. Les terminaisons en -y, -ay sont pre´sentes, mais moins que dans les re´gions voisines ; on note des -ey et -e´ ; le Calvados a un groupe de -igny et -illy, l’Orne des terminaisons en -ai. Les noms en -ie`re et -erie sont nombreux au sud, aux abords du Maine et de la Bretagne. Le pays de Caux a de grosses fermes e´parses et encloses nomme´es masures, terme qui fournit de nombreux lieux-dits les Masures, avec ou sans comple´ment. Mesnil est un terme fre´quent. Le Pays de Bray est forme´ sur un vieux terme celte bracco pour marais, qui est re´pandu en Normandie sous diverses formes. Sur les plateaux calcaires de grande culture, les noms de terroir relatifs aux sols signalent souvent les passages argileux comme Marnie`re, Ardillie`re, ou font allusion a` des bosquets, buissons, e´pines, arbustes comme Hie`ble, Ye`ble (sureau). Les e´vocations d’e´pines sont fort nombreuses. La commune de Boisemont 27, par exemple, a parmi ses lieux-dits les Hautes Landes, le Vert Buisson, la Haute Mare, les Essarts, Le´omesnil, Haut Becquet (un dos de terrain), les Vingt Acres, les Six Acres, les Grandes Marnie`res, le Haut Cruel (de croue´e, terrain pierreux), les Cinq E´pines, les Navets (sans doute de navette, plante ole´agineuse), la Maladrie, le Chemin de la Forge, et plus curieusement la Porte Bleue et le Bordel. Sa voisine Mesnil-Verclives 27 a le Champ Cailloux et les Glaises, Bre´val, le Quesnay, la Londe, le Buissonnet et un curieux les Olivettes, la Briqueterie, le Te´le´graphe, Coupe-Gueule. Verclives est forme´e sur clif, falaise, et

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correspond a` une butte assez accuse´e ; ver est peut-eˆtre l’augmentatif celte (haut, e´minent).

Villes et pays en Normandie Le de´partement de la Manche tire e´videmment son nom de la mer bordie`re, ellemeˆme ainsi nomme´e par image d’un « bras » de mer : cela peut paraıˆtre e´troit, mais l’anglais l’est plus encore, qui la nomme canal (Channel). Le Cotentin est le pays de Coutances, nom tre`s discute´ qui, a` partir d’une forme ancienne Constantia, a e´te´ l’objet d’interpre´tations plus inge´nieuses les unes que les autres sans eˆtre vraiment convaincantes, d’autant qu’un ancien nom Cosedia n’est pas bien plus clair ; les uns imaginent un lieu d’assemble´e, devenu un lieu fortifie´ permanent au sens banal de « constance », d’autres pre´fe`rent un rebapteˆme du nom d’un empereur Constance ou Constantin. Cherbourg (devenue Cherbourg-Octeville en 2000 puis Cherbourg-en-Cotentin en 2016 apre`s fusions) semble associer e´glise (kirk) et bourg (F. de Beaurepaire, P.-H. Billy), mais certains ont vu dans la premie`re syllabe un marais (quier) ici plus logique. Avranches 50 porte le nom du peuple gaulois Abrincate et Granville 50 est simplement « grande » ville. Le nom des ıˆles Chausey (rattache´es a` Granville) serait forme´ sur oey, ıˆle, et un NP norrois. La coˆte occidentale du Cotentin a de nombreuses formations dunaires, riches en toponymes Mielle et Miellettes. Vers l’est, Les Veys 50 ont un nom de marais littoral, parent des wadden ne´erlandais. Le Calvados tire son nom d’un haut-fond marin au large d’Arromanches, objet de controverses image´es : on y a vu un dos de cheval, un dos nu ou une e´chine de veau... Caen est re´pute´ issu de catu, bataille et magos, champ ou marche´ ; mais personne n’a trouve´ de quelle bataille il s’agissait – en fait peut-eˆtre un Champ de Mars. La Campagne de Caen est une plaine de grande culture, de meˆme sens que d’autres campagnes ou champagnes. Bayeux, ancien Augustodurum, a pris le nom du peuple Baiocasse et Lisieux, ancienne Noviomagos (marche´ neuf), celui des Lexoves. Le Bessin a la meˆme origine que son chef-lieu Bayeux, et le Lieuvin est apparente´ a` Lisieux. Le pays d’Auge, herbager et bocager de tradition, semble avoir un rapport avec l’eau, mais P.-H. Billy pre´fe`re y voir un ealgian anglo-saxon qui impliquerait une ide´e de de´fense, une sorte de marche. Vire a le nom de sa rivie`re, simple hydronyme. L’Orne est aussi un hydronyme ancien, peut-eˆtre du groupe atura comme l’Eure. Son de´partement est un peu a` part en Normandie : les toponymes d’origine nordique, norrois ou anglo-saxons, y sont rares et les noms sont plutoˆt ceux des re´gions de l’Ouest, avec beaucoup de terminaisons en -ie`re et -erie et un habitat plus disperse´. Alenc¸on viendrait d’un NP gaulois, Argentan fut Argentomagos ou` l’argent aurait e´te´ celui du reflet de la rivie`re, en l’absence de mines. Le Perche paraıˆt issu de perk, l’un des anciens noms du cheˆne ; Mortagne-au-Perche a e´te´ e´crit Mauritania au XI e sie`cle, ce qui a pu laisser penser a` un peuplement a` la peau sombre, mais ce pouvait eˆtre une interpre´tation de scribe : d’autres Mortagne sont compris comme morte-eau, mare ou e´tang. Se´es viendrait d’un peuple celte Sagien. Flers est issu d’un hlar au sens de lande, friche, comme dans les larris.

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L’Eure est un hydronyme de racine atur, de´rive´ de av (eau), mais le nom actuel d’E´vreux, qui fut jadis Mediolanum, vient du peuple Eburovice, tre`s proche du nom gaulois de l’if (eburo). Le pays d’Ouche, au sud-ouest, en partie dans l’Orne, semble avoir un rapport avec osca, au sens d’entaille, qu’il pourrait devoir a` l’enfoncement de la Risle et des affluents ; Billy propose pour celle-ci, d’origine obscure, une racine IE qui en ferait « la bruyante ». Le Neubourg est un bourg nouveau, et la Plaine de Neubourg est un plateau. Bernay est de la famille des bray (marais) tandis que sa voisine Brionne vient de Brivodurum (le fort du pont). Les Andelys auraient pour origine ande-ialo, ou` ande a le sens d’en aval, au-dessous ; dol (plaine) a aussi e´te´ propose´. Le nom du Vexin vient du peuple Ve´liocasse ; il est partage´ par l’Epte entre Vexin normand a` l’ouest, Vexin franc¸ais en Iˆle-de-France. L’Epte, jadis Itta, comme l’Iton, et l’Ay dans la Manche (jadis Ete), auraient pour e´tymon un hydronyme itt. Rouen est un ancien Rotomagos, interpre´te´ comme le marche´ du gue´. Le Roumois, bien que de l’autre coˆte´ de la Seine, est forme´ sur Rouen. Elbeuf, on l’a vu (chap. 5), apparaıˆt comme un habitat de la source. Le Havre, cre´e´ en 1517 comme Havre de Graˆce, a un nom limpide. Fe´camp aurait e´te´ forme´ sur fisk et haven, un port aux poissons. Dieppe a le sens de profond (diep). Le pays de Caux vient du peuple Cale`te ; l’un comme l’autre ont pu avoir un rapport avec la vieille racine cal pour roche (caillou, calcaire) ; Cale`te aurait pu avoir le sens de « les durs », comme la Cale´donie. L’Aliermont, petit pays aux curieux villages tre`s allonge´s sur les creˆtes au nord du Caux, souvent assortis de lieux-dits Bout d’Aval et Bout d’Amont, pourrait venir d’une redondance entre mont et hallr, versant, pente. Le nom d’E´tretat est tre`s discute´ ; une version re´cente le donne pour de´rive´ de stur et stak, soit rocher dresse´ ; sa Manneporte, arche ce´le`bre creuse´e par l’e´rosion marine dans la craie, est la « grande porte ». Eu e´voque l’eau, Le Tre´port est le port « au-dela` » (d’Eu). Yvetot est aussi forme´ sur eve (eau), comme Eawy. Veules-les-Roses et Veulettes-sur-Mer viendraient de l’anglo-saxon well, ici au sens de valle´e plus que source – ce fut peut-eˆtre vale. Envermeu a e´te´ compris comme Eburomagos, le marche´ de l’if. Aumale 76 fut albe marle, l’argile blanche. Plaine est un nom de lieu-dit fre´quent sur les plateaux, notamment le Caux : Saint-Martin-aux-Bruneaux 76 affiche des Plaine du Chaˆteau, du Val, de la Butte, du Moulin a` Vent, de la Campagne ; sa voisine Veulettes-sur-Mer 76 contient la Plaine des Falaises.

Curiosite´s normandes Parmi quelques toponymes curieux ou remarquables, on notera la fre´quence de De´sert au sud-ouest de la re´gion, dont une commune (Le De´sert 14) : c’est un e´quivalent de wast et de gaˆtine, avec une insistance particulie`re pour mieux souligner l’œuvre de colonisation agricole des ducs de Normandie dans des parties excentre´es et vides du duche´. Le sud de la Manche et l’ouest de l’Orne abondent en lieux-dits la Fieffe, terme e´voquant des de´frichements et des concessions a` bail perpe´tuel ; il s’y trouve aussi des Eˆtre (avec de´terminant) en bordure des foreˆts. Hoˆtel, suivi d’un NP, y est tre`s re´pandu, avec le sens de maison ; on note meˆme un Hoˆtel De´sert au Vre´tot 50. Hameau, avec un NP, n’est pas moins fre´quent.

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Les noms e´voquant une pre´sence anglaise sont nombreux a` proximite´ du littoral, dans des lieux-dits Anglesqueville ou Englesqueville, et les communes d’Englesqueville-en-Auge 14, Englesqueville-la-Perce´e 14, Anglesqueville-Esneval 76, Anglesqueville-le-Bras-Long 76, ou encore des Inglemare, l’Ingleterre, voire l’Anglaicherie (sept lieux-dits en Basse-Normandie). Une vingtaine de Bretteville semblent signaler des pre´sences « bretonnes », mais qui peuvent eˆtre des Iˆles Britanniques. Guincestre a` Gouville 27 ressemble a` un Winchester. D’autres noms ont e´te´ relie´s a` un apport anglo-saxon (F. de Beaurepaire), comme une partie des noms termine´s en hou et en ton, tel Cropton a` Curcy-sur-Orne 14, voire Cottun 14 et Cottun a` Tournie`res 14, qui toutefois ont e´te´ aussi interpre´te´s cotte (cabane) + dun ; et peut-eˆtre Brotonne (la foreˆt et plusieurs lieux-dits), ou` bro a pu eˆtre un ruisseau (cf. l’anglais brook). Le Bec-de-Croc (Bois-Himont 76) est un ancien Bethecrot compose´ d’un NP et de l’anglo-saxon croft pour pie`ce de terre ou enclos, qui se trouverait aussi a` Vannecrocq 27, et dans des toponymes en Crotte et Crouˆte (G. Chartier) sans rapport avec l’e´tymon crypte (grotte) qui les fonde en Picardie. Lillebec a` Pont-Audemer 27 et Lilletot a` Fourmetot 27 comportent l’adjectif littil, petit ; Lislebec a` Saint-Sylvestrede-Cormeilles 27, chaˆteau au-dessus d’un vallon, est un autre Lillebec ou` une orthographe errone´e semble substituer « ıˆle » a` « petit ». En revanche, Lillebonne est une ancienne Juliobona (fondation au nom de Jules Ce´sar). Villedieu-les-Poe¨les 50 et Hotot-les-Bagues 14 ont adopte´ le nom de leurs productions traditionnelles. Beaumont-le-Hareng 76 est sans rapport avec la peˆche mais porte le nom d’un seigneur, Harenc, comme Beaumont-le-Roger 27. La Dynamite, a` Ablon 14, tire son nom d’une ancienne usine de munitions installe´e par Nobel en 1877 et dont il reste une cite´ ouvrie`re. Les eaux chaudes de Bagnoles-de-l’Orne 61 et le nom, qui e´voque les bains, e´taient connus au Moyen Aˆge, meˆme si la commune ne date que de 1913. Le Lieu est un toponyme tre`s fre´quent dans le Calvados et l’Eure, comme le Lieu aux Clercs, le Lieu aux Plaids a` Conde´-sur-Risle 27, Le Lieu Homo a` Saint-Christophesur-Conde´ 27, le Gentil Lieu au Breuil-en-Auge 14 et le Lieu Gentil a` Hotot-enAuge 14, le Lieu Che´ri et le Lieu Doux a` Ouilly-le-Vicomte 14, le Lieu des Ifs et le Lieu Plaisant au Mesnil-Mauger 14. Pour l’anecdote, notons Le Cul Mouille´ a` Sainte-Marie-du-Mont 50, en teˆte de vallon, et la Culotte Se`che a` Goupillie`res 76, non loin de la Gaillarde. Vieux 14 tire son nom du peuple gaulois Viducasse et NeufMarche´ 76 est une fausse re´interpre´tation de Neuve-Marche, au sens de mark, limite, en situation frontalie`re au bord de l’Epte ; ce sens se retrouve dans Moulins-laMarche 61 et la communaute´ de communes de L’Aigle et de la Marche dans l’Orne. Parmi les noms nouveaux, souvent repris ou cre´e´s par les communaute´s de communes, rappelons la Suisse Normande, nomme´e vers 1880 a` des fins publicitaires pour ses reliefs tre`s relativement accidente´s, de part et d’autre de l’Orne au sud-ouest de Caen, et les noms flatteurs pour la Coˆte d’Albaˆtre (littoral du pays de Caux), la Coˆte de Graˆce (Honfleur), la Coˆte Fleurie (Deauville) et la Coˆte de Nacre (nordouest de Caen) ; moins connues, la Coˆte des Havres (ouest du Cotentin) et la Coˆte des Isles (Portbail). Le passage de la De´route est le nom parfois donne´ au bras de mer entre Cotentin et ıˆles Anglo-normandes, en raison des nombreux naufrages qui s’y sont produits sur les multiples hauts-fonds.

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Le terme bocage, pre´sent dans plusieurs noms de communes (neuf dans le Calvados, trois dans la Manche dont un Yvetot-Bocage), entre dans ceux de six communaute´s (Be´ny-Bocage, Villers-Bocage, Bocage coutanc¸ais, Bocage carrougien, Bocage d’Athis-de-l’Orne, Bocage de Passais-la-Conception), et dans le Pays du Bocage (ouest de l’Orne). Le lin est promu par les communaute´s Plateau de Caux-Fleur de Lin (Doudeville) et Entre Mer et Lin (Fontaine-le-Dun) en Seine-Maritime, ou` l’on n’a pas he´site´ devant un Monts et Valle´es (villages de l’Aliermont) et un Plateau Vert (Fre´ville), plus un Pays des Hautes Falaises. En pleine Campagne de Caen, une communaute´ de communes a choisi Val-e`s-Dunes. A` la pointe sud-ouest du Calvados, la communaute´ Se´verine est celle de Saint-Sever-Calvados.

L’Ouest : Pays-de-Loire et Bretagne L’Ouest de la France a une communaute´ de paysages et d’histoire agraire, qu’il partage d’ailleurs a` certains points de vue avec la Basse-Normandie. Elle tient notamment a` la pre´sence de paysages bocagers, meˆme si l’e´volution de l’agriculture a fait disparaıˆtre une partie d’entre eux, et a` une certaine tradition de structures rurales, marque´e par la disse´mination de l’habitat et le roˆle passe´ des manoirs et des hobereaux. La toponymie agraire en est e´videmment empreinte. Toutefois, la croissance urbaine et la modernisation de l’agriculture ont fait e´voluer les paysages, et introduit quelques nouveaux toponymes, surtout sur le littoral.

Villes et pays de l’Ouest Ces pays sont de langue d’oil, sur un vieux fonds celte sensiblement romanise´ avant l’arrive´e des Bretons. Le breton surimpose´ se limite a` la partie occidentale de la pe´ninsule armoricaine, ou` il a lui-meˆme inte´gre´ certains termes pre´existants. Pour l’ensemble de l’Ouest, et contrairement a` d’autres re´gions, les terminaisons en -y et -ay sont rares ; elles sont un peu plus nombreuses en -an, -at, surtout -e´ (hors de la pe´ninsule). Les lieux-dits sont tre`s riches en suffixes -ie`re et -erie, le plus souvent pre´ce´de´s de NP, ainsi qu’en -is, -ais et -aie, avec quelques nuances : la Sarthe a moins de NP, -ie`re et -erie que la Mayenne, plus de noms communs dans les toponymes. Les suffixes de noms de communes en court et -ville ou -viller sont absents, ou exceptionnels ; en revanche, il existe d’assez nombreux toponymes de la forme la Ville suivie d’un NP, plus rarement d’un autre de´terminant : la Ville au Traıˆtre et la Ville-Juhel au Vieux-Bourg 22. On trouve aussi des Ville-e`s avec NP : Ville-e`s-Martin a` Saint-Nazaire 44, Ville-e`s-Bourets a` Plumaugat 22, Ville-e`s-Coquens a` SaintMartin-des-Pre´s 22, la Ville-e`s-Chevriers ou la Ville-e`s-Meuniers a` Saint-Vran 22. Augan 56, par exemple, a la Ville Cadio, la Ville Fief, la Ville Ruaud, la Ville Rio, la Ville Hervio, la Ville Clairo, la Ville Salou, la Ville Voisin, la Ville Gue´ho, la Ville Me´no, la Ville Costard, la Ville Cue´, la Ville Moussard, la Ville Jagu, la Ville-e`sGourio... La tre`s grande abondance de ces toponymes issus de NP fait que ces re´gions ont, moins que d’autres, des noms de lieux construits sur des noms communs et

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susceptibles de de´crire des qualite´s des lieux, telles du moins qu’elles furent jadis perc¸ues. On trouve surtout des allusions a` la ve´ge´tation ou aux sols, qui n’ont pas le coˆte´ savoureux de re´gions du Centre ou de Picardie. Parmi les termes assez fre´quents, on remarque notamment Gaignerie, le Fief, l’Eˆtre, indiquant le plus souvent une terre conce´de´e et de´friche´e : l’Eˆtre Gagne´ a` Chaˆteau-Gontier 53. De nombreuses mentions de chaˆteaux et manoirs voisinent avec des lieux-dits la Me´tairie. Les terres de re´serve y ont pris le nom de De´fais ou De´fait. Le De´sert des confins normands, objet de de´frichements et d’installation d’ermitages apre`s le XI e sie`cle, se prolonge en Ille-et-Vilaine et Mayenne ; son nom figure dans ceux de Louvigne´-du-De´sert 35 et La Bazouge-du-De´sert 35, qui l’ont adopte´ au XVIII e sie`cle, et a` Magny-le-De´sert 61, Saint-Maurice-du-De´sert 61, Saint-Aubin-duDe´sert 53, Saint-Calais-du-De´sert, Saint-Mars-du-De´sert et au nord de la Mayenne.

Maine et Anjou Le Mans est un ancien Vindinon (vindo dunum, fort blanc ou sacre´) qui a pris le nom du peuple gaulois Ce´nomanien ; la forme s’alte´ra en Celmans, ce qui fut pris pour un de´monstratif, avec pour conse´quence l’abandon ulte´rieur du ce´. Le lien est apparent avec le Maine, jadis Celmaine. Le Maine s’e´tendait aussi a` l’ouest sur l’actuelle Mayenne, ce qui ame`ne parfois a` distinguer entre Haut-Maine (de´partement de la Sarthe) et Bas-Maine (de´partement de la Mayenne). Or la rivie`re Mayenne, qui aboutit a` la Maine, est aussi appele´e Maine en plusieurs points de son cours, notamment a` sa source au lieu-dit Maine (a` Lalacelle 61, sous le mont des Avaloirs), puis au Pont de Maine a` Saint-Calais-du-De´sert 53, au Val de Maine a` Madre´ 53, au Bois du Maine a` Rennes-en-Grenouilles 53 et, encore bien audela` de Laval, a` Sur Maine (Fromentie`res 53) qui est au bord de la rivie`re ; et plus loin la commune de Montreuil-sur-Maine (et non du-Maine) rive droite, tre`s en amont du confluent avec la Sarthe. P.-H. Billy interpre`te Maine et Mayenne comme des rivie`res me´dianes, du milieu (gaulois Meduana), entre la Sarthe et la Vilaine. Si ce jugement est exact, le rapport entre Ce´nomans, le Maine (province), la MaineMayenne (hydronyme) n’est pas vraiment de´fini ; il est difficile de penser a` une simple coı¨ncidence. La ville de Mayenne a le meˆme nom que la rivie`re qui la traverse ; juste en amont de la ville, dans la commune, le site de Brives (rive droite) et Haute-Brives (rive gauche) porte le nom gaulois du pont, briva, et a re´ve´le´ des restes antiques. Laval, fonde´e au XI e sie`cle comme Widonis de Valle en associant le nom de son seigneur Wido a` celui de la valle´e de la Mayenne, n’a garde´ de ce nom que la seconde partie. Le Pail (on prononce paille) est un pays au nord-est de la Mayenne, dont une grande foreˆt et plusieurs communes portent le nom : Pre´-en-Pail, Villepail, Saint-Cyr-en-Pail ; il viendrait de palus entendu comme pieu (Billy) mais, situe´ juste au pied du plus haut relief re´gional, le Mont des Avaloirs (417 m), ce palus pourrait tout aussi bien avoir e´te´ pris au sens de plaine. La foreˆt de Pail est draine´e vers la Sarthe par le Merdereau. Les Coe¨vrons, au sud, forment un ensemble de collines a` la bordure du massif ancien armoricain. Le nom, Coebron en 989, est tre`s discute´ ; une ancienne interpre´tation

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fonde´e sur coat et bronn (mamelons boise´s) avait le me´rite de la vraisemblance et de la conformite´ du paysage. Plus re´centes, d’autres gloses semblent plus hasardeuses ; Billy y voit cyprium, le cuivre, un indice de minerais du massif ancien. E´vron est toute proche ; elle serait un Eburomagos, marche´ de l’if – Coe¨vrons pourrait donc simplement eˆtre le bois d’E´vron, sinon bois d’if... Juste au sud, e´galement sur le massif ancien, une petite contre´e est dite Charnie ; une foreˆt et plusieurs villages en conservent le nom, les uns dans la Mayenne, les autres dans la Sarthe ; il est possible que ce nom (Carneia en 989) soit en rapport avec car, la roche, appellation d’un pays rocailleux. Au nord-ouest de la Sarthe s’e´le`vent les Alpes Mancelles, un bien grand nom, mais re´pute´ ancien, pour un me´diocre relief qui atteint au mieux 243 m et dans lequel la Sarthe s’enfonce par la Valle´e de Mise`re a` Saint-Le´onard-des-Bois. Cette commune a parmi ses lieux-dits les Roches du Sphynx (image de la forme) et des noms en Vente du Carrefour, la Haute Vente et la Basse Vente, l’Ermitage, la Cour, le Chaˆteau des Alouettes, la Chevalerie, les Magnolias, la Verrerie, la Claie, l’Ouche, le De´luge. Mamers 72, sous-pre´fecture frontalie`re, a le nom d’un saint. Le Saosnois, dont plusieurs villages arborent le nom, la Saosnette qui passe a` Saosnes et l’Orne Saosnoise qui coule vers la Sarthe, doivent leur nom a` un hydronyme Sagonna, parent de la Saoˆne. L’Huisne vient d’un autre hydronyme ancien, de la famille des is, ic. Le nom de Belin, au sud du Mans, est porte´ par cinq communes -en-Belin ; il viendrait du dieu gaulois Belenos. Vibraye 72 est forme´ sur vic et la rivie`re Braye, affluent du Loir, dont le nom e´voque les fonds humides. Au nord-ouest du Mans, plusieurs villages sont -en-Champagne, dont un Domfront et un Neuvy, ainsi que Cosse´-en-Champagne 53, et des restes d’une abbaye de Champagne subsistent a` Tennie 72, un Petit Champagne a` Rouez 72 : il s’agit la` d’une des « champagnes » au sens de paysage cultive´ et ouvert, de´gage´, contrastant avec la Charnie voisine et parfois nomme´e Champagne Mancelle. L’origine du nom de La Fle`che 72 est tre`s discute´e. Les formes anciennes sont autour de Fiscia ; on a propose´ fisc, fesc (domaine relevant du tre´sor public), plus difficilement finis>fissus, fixus pour un habitat des confins de la province, re´cemment fascia (bande) comme e´quivalent de plesse, donc un « plessis ». L’Anjou, comme Angers, tirent leur nom du peuple gaulois Andecave ; Angers avait e´te´ auparavant Juliomagos. Deux pays se partagent le nord de l’Anjou : le Baugeois a` l’est, le Segre´en a` l’ouest, qui portent les noms de leurs chefs-lieux. Bauge´ 49, du moins son pre´de´cesseur et voisin Le Vieil-Bauge´, qui est sur une butte, fut Villa Balgiaco, apparemment avec un NP ; Billy veut y voir l’IE bhel au sens de brillant et en de´duit un marais, que le site ne rend pas e´vident ; or bhel est aussi gonflement et floraison. Segre´ 49 pourrait venir de sek, avec une ide´e de lieu e´carte´. Les ce´le`bres ardoisie`res d’Anjou ont laisse´ peu de traces toponymiques : l’IGN ne rele`ve que cinq lieux-dits, dont les Ardoisie`res des Grands Carreaux a` Tre´laze´ 49. Dans la valle´e de la Loire, l’Anjou se tenait entre deux Ingrandes, Ingrandes-deTouraine 37 et Ingrandes 49. A` l’est, Saumur 49 a e´te´ diversement interpre´te´ ; e´carte´es certaines solutions de murailles auxquelles s’opposerait la phone´tique (sine muro, salvus murus), ne restent gue`re que l’ide´e d’un marais sale´ ou, moins improbable, d’un marais aux saules. L’autre ville notable au sud de la Loire est

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Cholet, ancienne Caulletum qui e´voque le caillou ou le four a` chaux. Les Mauges sont un pays bocager du massif ancien au nord-ouest de Cholet ; il se nomma jadis la Mauge, Medalgie Pagus, dont le nom viendrait des mines de me´tal, a` l’instar des Coe¨vrons si ces interpre´tations sont correctes. Les Coteaux du Layon ont une bonne re´putation viticole ; la rivie`re fut l’Ara (hydronyme ar), qui devint l’Arayon, compris ensuite comme Layon ; onze communes portent son nom. Les fusions de 2016 font apparaıˆtre de nouveaux noms : par exemple Ore´e-d’Anjou 49 la plus en aval sur la Loire et Mauges-sur-Loire sa voisine ; Se`vremoine, Lys-Haut-Layon, LoireAuthion, chacune a` partir de deux rivie`res, Erdre-en-Anjou d’une seule.

Pays nantais et vende´ens La Vende´e tient son nom de son fleuve principal, de vindo, blanc ou sacre´. Son cheflieu La Roche-sur-Yon est une « ville nouvelle », mais de 1804, sorte de fondation coloniale destine´e a` recevoir la pre´fecture en un point plus central que Fontenay-leComte, et d’assurer la maıˆtrise, sinon la reconqueˆte, d’un pays rebelle. Succe´dant a` un village du meˆme nom, et point d’appui des forces re´publicaines, elle fut nomme´e Napole´on ; elle devint Bourbon-Vende´e de`s 1814, Napole´on pendant les Cent Jours, Bourbon-Vende´e jusqu’en 1848 ou`, curieusement, la Deuxie`me Re´publique restaura Napole´on, que le Second Empire transforma en Napole´on-Vende´e, de`s 1852. Il a fallu attendre 1871 pour que la ville retrouve le nom du village originel. Olonne, Les Sables-d’Olonne, Chaˆteau-d’Olonne, L’Iˆle-d’Olonne, la foreˆt et le pays d’Olonne tiennent leur nom d’un hydronyme onna, comme la rivie`re locale Vertonne, qui s’est aussi jadis appele´e Olonne et de´bouche dans les marais au hameau de Vertou. Le nom de la commune des E´pesses 85 se re´fe`re aux broussailles ou fourre´s ; elle abrite le ce´le`bre site touristique du Puy du Fou, ou « mont du heˆtre ». Le nom germanique d’un ancien seigneur est reste´ dans La Chapelle-Achard et La Motte-Achard, ce qui a conduit a` nommer Pays des Achards la communaute´ de communes qui les englobe ; elle comprend, entre autres, Nieul-le-Dolent, Sainte-Flaive-des-Loups et SaintJulien-des-Landes, dont les noms donnent une certaine ide´e d’isolement bocager. La Vende´e est borde´e au sud par le Marais Poitevin, au nord-ouest par le Marais Breton, que prolonge l’ıˆle basse de Noirmoutier : autant de noms limpides, comme d’ailleurs une grande partie de leurs lieux-dits, d’appellations relativement re´centes. On y nomme prises ou mattes les terrains conquis successivement sur la mer, misottes des pre´s sale´s : a` Saint-Michel-en-l’Herm par exemple figurent des lieuxdits les Misottes, Prise Nouvelle, Prise de Gros Jonc, Prise de Malakoff, les Polders, Desse`chement le Roux, Digue du Maroc, plus une Digue des Habitants. A` Bouin sont plusieurs lieux-dits les Pre´s, le Jard, la ou les Mattes, les Polders du Dain, des Champs, de la Parisienne, de Coupelasse et de Saint-Ce´rans, le Bras Sale´, le Marais Sale´, ainsi que l’Espe´rance, Mon Reˆve ou Beau Soleil. La coˆte vende´enne s’est voulue Coˆte des Lumie`res, l’intercommunalite´ de La Tranche, L’Aiguillon et La Faute, qui inclut Luc¸on, a choisi Pays Ne´ de la Mer ; on sait que celle-ci n’a cesse´ d’y faire des incursions, jusqu’au drame de 2010. Luc¸on viendrait d’un NP. Triaize 85, au sud de Luc¸on, se niche sur trois ıˆles au milieu du marais, d’ou` son nom, jadis Triacia. Le Village de l’An VII a` Chaille´-les-

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Marais est une extension du bourg, construite en 1798 sur un coteau « face au midi », a` la demande d’habitants qui voulaient sortir du marais. Chaille´ vient des cailloux des ıˆles du marais, ou` sont des lieux-dits Chaillezais, le Perrier, la Coupe du Rocher, le Bout du Rocher ; un Maguelonne a pu avoir le sens de « grand marais ». La commune est traverse´e par le canal des Cinq Abbe´s, construit par cinq abbayes en 1217 ; on y trouve le Pas des Vaches, le Pain Be´ni, des Terre Neuve et Maison Neuve, le Moulin des Dames (abbesses), la Prise, deux Bel-Air, des lieux-dits en Sable, Sableau, Sablie`re et en Garenne, un Tournebride et plusieurs mentions de Vignes, trois habitats au nom du Bot. Nantes a e´te´ Condevincum, une ville de confluent, puis a pris le nom des Namne`tes, Portus Namnetum, plus tard Naoned en breton. Meˆme si Nantes a pu eˆtre la capitale de la Bretagne en des temps de grande faiblesse du pouvoir parisien, le pays Nantais a e´te´ tre`s peu marque´ par les noms bretons : quelques traces seulement du coˆte´ du littoral. Ancenis viendrait d’un NP. Tout au nord, Chaˆteaubriant a pris le nom de son seigneur Briant, d’origine bretonne, au de´but du XI e sie`cle, mais sur le site de l’ancien village de Be´re´, dont un quartier de la ville perpe´tue le nom, issu de bre´, hauteur. La Me´e est le nom habituellement donne´ au pays de Chaˆteaubriant ; il a le sens de « milieu », d’« entre-deux » et correspond a` la marche qui se´parait jadis le domaine rennais du domaine nantais. Le pays de Retz, qui a pu eˆtre e´crit Rais comme le fut Gilles de Rais, le fameux BarbeBleue, est en fait le pays de Reze´, ville au sud de Nantes ; celle-ci fut Ratiate, nom qui e´voque les murailles dont elle e´tait enceinte. Paimbœuf, jadis Penbo, n’a rien a` voir avec un habitat normand ; le nom se comprend comme « teˆte de bœuf », peut-eˆtre une me´taphore image´e d’un repe`re commode en bord de Loire ou cache un bod breton (village du bout ?). Le curieux Saint-Michel-Chef-Chef vient d’un ancien et obscur Chevesche´, peut-eˆtre du chevecier, tre´sorier d’un chapitre. La toponymie du pays de Retz n’a gue`re de breton, meˆme probablement a` Pornic, au nom discute´ mais qui semble fonde´ sur port. Le littoral est dit Coˆte de Jade. Au nord de l’estuaire, la ville majeure est Saint-Nazaire 44, dont l’origine est ancienne, le nom du Haut Moyen Aˆge et le de´veloppement du XIXe sie`cle, lance´ par l’arrive´e de la voie ferre´e qui en fit l’avant-port de Nantes, et plus tard le principal chantier naval franc¸ais. Gue´rande et sa presqu’ıˆle ont e´te´ l’objet d’interpre´tations diverses : certains, sans doute influence´s par le sel des marais, y ont vu du blanc (vindo, gwen) avec un pays ou une limite de pays (rand) ou un quartier (ran) ; d’autres une garenne ou des gue´rets, en s’appuyant sur la mention Varandi au XII e s. ; mais nous avons note´ ailleurs des Gue´rande au sens d’Ingrande, limite de territoire. La Grande Brie`re est un pittoresque marais a` l’est, dont le nom est commun pour des terres mare´cageuses, et apparente´ a` bray : d’autres Brie`re existent dans l’Ouest, par exemple a` Savenay 44, Mayenne et Fougerolles-du-Plessis 53, a` Bre´e 53 dont le nom meˆme est significatif, a` Paimpont 35 ou a` Gue´gan 56 ; une quinzaine sont dans la Sarthe, dont Sainte-Marie-la-Brie`re 72. C’est aussi par la voie ferre´e que s’est impose´e a` Escoublac, graˆce aux Parisiens, la plage de la Baule, devenue plus connue que le village au point d’en pre´ce´der le nom, officiellement La Baule-Escoublac 44. Le littoral a e´te´ nomme´ Coˆte d’Amour. La Baule est un nom commun, de´signant un banc de sable en marais salant, comme la

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Baule de Merquel a` Mesquer, les Baules de Sissable et le Pont des Baules a` Gue´rande. Escoubiac est cense´ venir d’un NP, ou d’escubia, poste de garde. Pornichet 44 e´voque un port, comme diminutif de Pornic. Les cours d’eau drainant les marais ont pour nom e´tier ; le Grand Traict et le Petit Traict au Croisic, le Traict de Pen-Be´ a` Mesquer sont des vasie`res, comme les veys normands. Des noms comme Mesquer, Le Croisic, Le Pouliguen (anse blanche), Penestin, et nombre de lieux-dits en Ker-, te´moignent d’anciens apports bretons outre-Vilaine. Plus au nord, Gue´me´ne´-Penfao est traduit comme « mont blanc du bout de la heˆtraie » (gwen et mene´, penn et fao). Bre´tilien est le nouveau nom des habitants d’Ille-et-Vilaine, choisi par consultation en 2013. Il est forme´ sur Bretagne et Ille – la Vilaine a e´te´ omise, comme si son nom e´tait mal supporte´. Pourtant ce n’est qu’une ancienne Visona a` l’hydronyme anodin, forme´ sur onna, eau courante et vis, wis, qui se retrouve dans la Vienne ou la Ve´ze`re. Rennes y est la grande ville, ancienne Condate au confluent de la Vilaine et de l’Ille ; elle prit ensuite le nom du peuple Redone, qui aurait de´signe´ des conducteurs ou des utilisateurs de chars (de rad, roue) ou, peut-eˆtre mieux, des cavaliers (de reidh). Redon 35, en revanche, ancien Rotone, viendrait de rotu, le gue´ ; une parente´ avec les Redones ne serait cependant pas invraisemblable ; peut-eˆtre meˆme les Redones e´taient-ils « ceux du gue´ »... Vitre´ vient du NP Victorius, Fouge`res de la fouge`re sans surprise. On trouve encore au nord Pleine-Fouge`res 35, simplement une plaine a` fouge`res, au sud Le Grand-Fougeray 35, qui fut Felkeriac en 852, Fulkeriac en 903 (latin filex), ce qui vaut a` ses habitants le curieux nom de Fulke´riens. Le Coglais ou Cogle`s est un petit pays au nord de Fouge`res, dont le nom est porte´ par plusieurs communes ; il viendrait d’un kogh IE, au sens d’enclos. Guichen est « le vieux village » (gwik et hen). Paimpont est un village de teˆte (penn) de pont, connu pour sa vaste foreˆt. Celle-ci n’est pourtant qu’un reliquat de l’ancienne Broce´liande qui s’e´tendait sur le dos de la pe´ninsule jusqu’a` Carhaix ; son nom, connu par les re´cits arthuriens mais longtemps oublie´, est volontiers repris de nos jours pour sa joliesse et ses e´vocations, et un nouveau pays le porte ; il signifie en fait « pays au bois », ou plus pre´cise´ment aux broussailles (famille de brosse et brousse, avec land). Toutefois, c’est l’intercommunalite´ de Combourg qui se dit Pays de la Bretagne romantique, en souvenir de Chateaubriand – on ne sait si Combourg est un bruˆlis (combour, E. Ne`gre), un Encombre (comboros) ou un bourg avec NP. Dol-de-Bretagne 35, ne´e d’un monaste`re au bord des marais au pied du Mont-Dol, nom porte´ par la commune voisine, a fait l’objet de nombreux de´bats. Certains commentateurs ont vu en dol un synonyme de me´andre, la rivie`re locale ayant pu servir de douve protectrice. Il paraıˆt plus logique de voir dans ce Dol, avec P.-H. Billy, un e´tymon IE dholo pour plaine, terrain bas, apparente´ a` pole (cf. doline, polie´) ; le Mont Dol est une butte isole´e dans la plaine. Dans ces marais, les rivie`res ont pour nom Biez ou Bief, et le terme Pre´ est fre´quent vers l’ouest, tandis que Polder est tre`s employe´ a` l’est, ou` se trouvent meˆme une ferme dite le Polder des Quatre Salines avec pour voisine l’Expe´rience, et le hameau de Palluel (de palu, marais) a` Roz-surCouesnon 35. Cancale, anc. Cancavena, viendrait de conque et aven (rivie`re), mais on a pu tout aussi bien y voir un can (promontoire) et cava (creux). La pointe du Grouin porte un nom assez re´pandu pour un cap, la Pointe du Hock ayant un aspect plus normand.

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Aux environs, les e´pithe`tes assez rares de Saint-Me´loir-des-Ondes et Saint-Benoıˆtdes-Ondes sont anciennes, datant au moins du XVI e sie`cle (de Undis). A` Saint-Malo, qui porte le nom d’un des moines gallois venus au VI e sie`cle, le promontoire de la Cite´ est une e´vocation de l’ancienne cite´ d’Alet (ou Aleth), de´truite par les Vikings. De celle-ci vient le Clos Poulet, petite contre´e de Saint-Malo vers le sud, de Pou Alet, pays d’Alet. Dinard 35 a pour racine dun (montfort) comme la proche Dinan 22. Le nom de la Rance viendrait d’une tre`s ancienne e´vocation d’un bruissement ou d’un ronflement.

La pe´ninsule Le de´partement des Coˆtes-du-Nord s’est voulu des Coˆtes-d’Armor, en vue d’ame´liorer son image. Son territoire est presque celui de l’ancienne Domnone´e, apparente´e au Devon britannique et a` son peuple Danmoni ou Damnoni, noms ou` se tiendrait l’e´tymon don, profond. Vers l’est des Coˆtes-d’Armor, le Poudouvre ou Poudour est un ancien pays forme´ sur pou (pays) et dour (eau), entre Rance et Arguenon ; mais il n’a pas inspire´ de nom de commune. Son voisin est le Penthie`vre, ancien pagus Pentevr, dont le nom semble avoir e´te´ forme´ sur penn (teˆte) et tevr, au sens de rivage e´leve´, haute coˆte (cf. tevenn), et a e´te´ adopte´ par l’intercommunalite´ Coˆte de Penthie`vre ; mais, par le jeu des familles seigneuriales, le fort de Penthie`vre est a` Quiberon 56... Lamballe est interpre´te´ comme lan (ermitage) d’un saint Paul, dans l’ancien territoire de Maroue´ (celte maro-ialo, ailleurs Mareuil, grande clairie`re ou lieu majeur) ; il reste un Maroue´ comme village de la commune de Lamballe, au sud-ouest. Le Mene´ tout court (la montagne) est un ensemble de hauteurs au sud de Lamballe, jadis connu pour ses landes, de nos jours pour son dynamisme agro-social. Merdrignac viendrait d’un NP Maternus, Loude´ac d’un autre NP, Ple´boulle de plou et Paul. Le cap Fre´hel est un nom breton d’apre`s le courant (from) et la hauteur (uhel). La coˆte, jusqu’au-dela` de Saint-Malo, a rec¸u le nom de Coˆte d’E´meraude. La partie centrale des Coˆtes-d’Armor, autour et surtout a` l’ouest de Saint-Brieuc, est le Goe¨lo, nom d’origine gauloise de l’ancien pagus Velviensis, donc de Vellaves homonymes de ceux d’Auvergne. Il est en pays gallo, c’est-a`-dire de langue romane. Mais Goe¨lo et Gallo sont des noms distincts : le second vient du gall breton, par quoi les Bretons eux-meˆmes de´signaient l’e´tranger, ou le franc¸ais, semblable au welche du Nord-Est, qui a donne´ Wallon. Le paradoxe est que ce terme avait e´te´ employe´ par les Anglo-Saxons, sous la forme wealh, pour qualifier les peuples celtes (dont les Bretons) qui les avaient pre´ce´de´s en Grande-Bretagne, d’ou` le pays de Galles – de cette racine pourraient aussi venir la Gaule et les Gaulois, ainsi que les peuples Volques. Puis les Bretons l’ont retourne´ vers d’autres « e´trangers » voisins : on est toujours l’e´tranger de quelqu’un. Guingamp est un camp (ou champ) « blanc », ce qui a pu vouloir dire sacre´. L’ıˆle de Bre´hat a un nom celte fonde´ sur l’ide´e de relief (briga ou bre´). Quintin a e´te´ identifie´ comme le lieu de la cinquie`me borne milliaire (Quintinia), dans la commune actuelle du Vieux-Bourg, d’ou` la seigneurie fut de´place´e. La partie occidentale des Coˆtesd’Armor, de langue bretonne, est le Tre´gorrois, ou Tre´gor. Ce nom et celui de

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Tre´guier, l’ancien chef-lieu, viennent d’un peuple Tricori originaire du Trigger en Grande-Bretagne, nom qui a pu signifier trois sommets ; mais ces trois sommets sont en quelque sorte importe´s : ils ne correspondent en aucun cas a` un site local, en de´pit du ze`le de quelques commentateurs. Lannion est forme´ de lan et d’un NP. Paimpol est le bout (pen) de l’anse (poul). Perros-Guirec est de pen ros (promontoire) et d’un saint. Pleumeur-Bodou est « la grande (meur) paroisse (plou) dans les bois (bod) ». Tre´beurden serait forme´ sur tre´ (village, quartier) et « Breton », Tre´gastel sur tre´ et kastell (chaˆteau ou promontoire). La Coˆte de Granit Rose a des sites recherche´s au nord de Lannion. Elle est prolonge´e en mer par les Sept Iˆles, dont la plus connue est l’Iˆle aux Moines ; mais Sept-ıˆles ne serait qu’une fausse traduction de Santiles au sens d’ıˆle du Saint (sant enez). Yffiniac 22 vient du latin ad fines (a` la limite), devenu Adfiniac. Mantallot 22 vient du chemin gaulois (mantalon). Le Finiste`re est bien un « bout du monde », curieusement prive´ d’un r en franc¸ais, et correctement nomme´ en breton Penn ar Bed. Le nom de sa plus grande ville, Brest, semble bien appartenir a` la famille des bre´-briga et autres hauteurs. Quimper, la pre´fecture, est un confluent, comme Quimperle´, confluent de l’Elle´ (kemper-elle´). Chaˆteaulin est forme´ sur kastell et nin, qui signale un faıˆte. Douarnenez comporte douar, terre et enez, ıˆle. Concarneau est la conque de Cournouaille (Kern). Morlaix a e´te´ mont Relaix (Relaxus), ce qui a e´te´ interpre´te´ comme « abandonne´ », mais relais a signifie´ aussi embasement de muraille ; on peut remarquer sa proximite´ avec Relecq (cf. pre`s de Brest Le Relecq-Kerhuon) qui a eu le sens de cimetie`re et de relique. La partie septentrionale du Finiste`re est le Le´on, la partie me´ridionale la Cornouaille. Le premier viendrait de l’e´tablissement d’une le´gion romaine (legio). Le second (Kerne´ ou Bro Gernev en breton) est importe´ de la Cornouaille britannique (Cornwall), comme Domnone´e le fut du Devon ; il est lui-meˆme compose´ de corne, au sens de la pointe de la Grande-Bretagne, et du wealh pour e´tranger (vu de l’Europe du Nord) que l’on retrouve dans Galles, Gallo, Gaulois et Wallon. Le Le´on a e´te´ divise´ entre le pays d’Ac’h (sans doute des eaux) a` l’ouest, ou` sont les grands abers Vrac’h (d’Ach), Benoıˆt et Ildut (deux noms de saints), et Daoudour a` l’est, dont le nom aurait pour sens « entre deux eaux » (l’E´lorn et la ria de Morlaix) et serait synonyme du Poudouvre oriental. La pointe sud-ouest du Finiste`re est appele´e pays Bigouden, nom qui ne daterait que du XVIII e sie`cle et que l’on dit en rapport avec la pointe (racine beg) des coiffes locales ; elle se nomma Pen Marc’h (du cheval), ce qui fut traduit en Cap Caval ; en fait, le beg a pu tout aussi bien de´signer cette pointe de la Cornouaille, bien avant les coiffes. Benodet est l’embouchure de l’Odet, ben ayant aussi le sens de bouche, ouverture. Situe´s entre ces deux grands ensembles, et entre deux voies romaines, les Monts d’Arre´e tireraient leur nom d’ahes, latin pour acce`s, accessible, comme d’ailleurs Carhaix, apparemment forme´ sur caer (citadelle sur roc) et ahes. Ils culminent au Roc’h Ruz (roc rouge) a` 387 m en Ploune´our-Me´nez (plou+NP+mont), point le plus haut de toute la Bretagne quoique moins connu que le Roc’h Tre´vezel (383 m dans la meˆme commune). A` l’ouest, la petite plaine du Porzay, du breton Porzoed, vient de porz et coat, le port (ou la cour ?) et le bois. Le Huelgoat, connu pour ses boules de granite en foreˆt, est « le bois d’en haut ». Le Yeun Elez (marais de l’Ellez) est un marais

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a` tourbie`res, en partie occupe´ par le lac de barrage de Saint-Michel (communes de Botmeur, Brasparts, Brennilis, Loqueffret), au pied du Signal de Toussaines, mauvaise transcription du Tuchenn ar Kador (tertre du troˆne). Botmeur est le « grand village », et a pour hameau Botcador, qui porte le nom du sommet. Brennilis est fait d’e´glise (ilis) et colline (bre´), Brasparts de brath (piquant) et perth (buisson, haie) ; Loqueffret est loc+NP. Le Poher, autour de Carhaix, vient de Pou-Caer, le pays de Carhaix. Le Finiste`re est borde´ a` l’ouest par la mer d’Iroise. Ce nom, repris par une intercommunalite´, semble venir d’ervoas, tre`s profond. Parmi les ıˆles, Ouessant est la plus e´tendue et peuple´e, la plus haute aussi ; son nom de´riverait d’uxisama, au sens de « la plus haute », qui est aussi la plus « au vent », ce que les marins nomment « haut ». Mole`ne est l’ıˆle chauve (breton Moal Enez), Be´niguet serait l’ıˆle face a` la pointe (Saint-Mathieu). Sein est plus discute´ : gaulois sen (vieille), roman sena (sinueuse), voire breton sizun (sept) comme le cap Sizun, e´voquant de vieilles le´gendes de preˆtresses. Le Fromveur, de froud courant et veur pour meur, grand, est un puissant et dangereux courant de mare´e qui s’inverse entre Ouessant et Mole`ne. La pointe du Raz fait re´fe´rence a` un autre courant, le Raz de Sein. On nomme en ge´ne´ral ıˆles du Ponant (=couchant) l’ensemble des ıˆles de Bretagne, incluant parfois e´galement Yeu en Vende´e, e´ventuellement Aix, voire Chausey, sinon toutes les ıˆles de la Manche et de l’Atlantique, par opposition aux ıˆles du Levant en Me´diterrane´e. La coˆte du Le´on a rec¸u le nom de Coˆte des Le´gendes. Le pays Pagan, de Plouguerneau a` Brignogan (de bre´, colline+NP), tirerait son nom (« paı¨en ») de ce que les e´vange´listes grands-bretons du Ve sie`cle trouvaient ses habitants durs a` convertir, et sans doute un peu trop amateurs d’e´paves (lagan). Ce pays n’a plus de re´elle existence et n’entre pas en toponymie. Le Juch 29 e´quivaut a` butte, yeuc’h, comme « jeu » ailleurs. Plouguerneau aurait le sens de plou+Cornouaille, bien qu’il ne soit pas en Cornouaille bretonne ; mais son de´terminant a pu eˆtre importe´ de Cornouaille britannique, et il y eut un saint Kerneo... Landerneau est de lan+(saint) Ternog. Le nom de Plougastel-Daoulas est forme´ par plou+kastell+deux rivie`res (daou-goas). Crozon pourrait venir d’un cruc au sens de hauteur, Camaret de kam (courbe), Roscanvel de ros (versant, hauteur)+NP, Pen-Hir est la longue pointe. Lagat Yar a` Camaret se traduit « l’œil de la poule » parce que son alignement de me´galithes serait dans l’axe de la constellation de la Ple´iade (nomme´e la poule en breton). L’archipel des Gle´nan aurait pour racine un celte glanno, rivage. Le Morbihan a e´te´ dessine´ autour de la « petite mer » (mor bihan) aux nombreuses ıˆles, dite golfe du Morbihan. Vannes doit son nom au peuple gaulois Ve´ne`te, Lorient a` la Compagnie des Indes orientales qui en fit son port de base au XVII e sie`cle, a` partir du port de guerre de Port-Louis, baptise´ selon Louis XIII. En amont de Lorient sur l’Odet, Hennebont est le pont vieux (hen+pont) ; au sud, l’ıˆle de Groix a le nom des galets (meˆme racine ancienne que gravier). Entre Lorient et Vannes, s’interposent la presqu’ıˆle de Quiberon (Ker+NP Beroe¨n) et les alignements me´galithiques de Carnac (de karn, tas de pierres), e´voque´s par la Coˆte des Me´glithes. La presqu’ıˆle de Rhuys aurait pour source ro-wid, dont le sens est... bellevue. Vers l’est, Damgan est la dune ou la roche blanche (gwen), ou aux e´paves (lagan). Belle-Iˆle est une de´formation ancienne de Vindilis, qui aurait litte´ralement pour sens l’e´glise

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blanche mais a pu eˆtre l’ıˆle (enez) blanche (ou sacre´e). Ses voisines Houat et Hoedic sont re´pute´es signifier canard et caneton selon leur forme, mais Houat fut Siata, avec le sens de « lien » (IE seito). Vers l’inte´rieur, le Porhoe¨t est un ancien Pou Tre Coat, le pays au-dela` de la foreˆt : une Transylvanie en quelque sorte. La Trinite´-Porhoe¨t est le chef-lieu d’une communaute´ du Porhoe¨t. Pontivy, le pont de Saint-Ivy, fut un temps Napole´onville, envisage´e comme capitale de la Bretagne. Izernac, a` Nivillac 56, vient du gaulois isarnos, le fer ; non loin sont des lieux-dits le Visigot, Bel Essor, Belleville, la Bonne Fac¸on ; Nivillac a le sens de terre neuve (novo-ialo). Parmi les noms d’intercommunalite´s un peu particuliers en Bretagne, on notera le Pays Glazik au sud de la Montagne Noire, dont le nom (bleu) vient de la couleur des costumes de feˆte ; la communaute´ du Roi Morvan, autour de Gourin 56 ; celle de Mauron en Broce´liande (Mauron 56) ; celle de Du Guesclin, autour de Broons 22 ou` naquit le futur conne´table – Broons est plus probablement du mare´cage, comme bray, que de la hauteur, comme bre´. Cideral 22 est un acronyme dont le l final est pour Loude´ac mais qui joue sur le cidre. Citons encore Kreizh Breizh (Bretagne centrale) a` Rostrenen 22 (la coˆte aux ronces), Beg-ar-C’hra autour de Plouaret 22, dont le nom est celui d’un lieu-dit central (a` Ploune´vez-Moe¨dec), au sens de « sommet de la coˆte » et par ailleurs carrefour notable sur l’axe de la N 12 Paris-Brest.

La marque bretonne Le breton est une langue d’origine celte ; elle appartient, avec le gallois et le cornique, a` un groupe dit brittonique qui s’est forme´ au sein des Iˆles Britanniques. Les pousse´es anglo-saxonnes ont provoque´ au V e et au VI e sie`cle des migrations de populations vers l’actuelle pe´ninsule bretonne, en partie d’ailleurs appele´es par les autorite´s romaines pour la de´fense contre les invasions germaniques. Les nouveaux venus y ont trouve´ un fonds de noms gaulois, donc d’origine celte aussi mais qui avaient e´volue´ diffe´remment, et qui avaient fortement inte´gre´ la romanisation. En fait, l’importation des noms bretons n’a e´te´ sensible et durable que dans la partie occidentale de la pe´ninsule, meˆme si elle a pu sporadiquement marquer des noms de lieux jusque dans le Pays Nantais et les franges de la Normandie. C’est ainsi que l’on distingue, a` l’ouest d’une ligne de Paimpol a` l’embouchure de la Vilaine, une Bretagne dite bretonnante, et a` l’est un pays dit gallo, de base romane, dont les noms rele`vent de la langue d’oil. Ne´anmoins, la re´sistance de certains toponymes est souvent plus forte que celle des parlers courants, et l’on trouve en pays gallo de nombreux toponymes d’origine gauloise, voire ante´rieurs, plus ou moins modifie´s par le passage ou la proximite´ des Bretons. On peut dresser un bref inventaire des noms communs apparents dans les toponymes bretons. Leur de´chiffrement est toutefois rendu difficile par l’e´volution et la de´formation des toponymes originels, par leur ressemblance avec d’autres termes celtes ante´rieurs, par l’inte´gration de noms d’origine romane de´ja` en place avant l’arrive´e des Bretons, et par certaines caracte´ristiques meˆmes du breton. Dans cette langue, en effet, les consonnes mutent selon leur place dans le mot, ce qui les pre´ce`de, le genre, et quelque peu selon les lieux. Les linguistes ont reconnu ainsi plusieurs se´ries, en

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ge´ne´ral vers un adoucissement : le p devenant b puis v (pen devient ben, braz vraz), le t allant vers d (tevenn>devenn) puis z, le k passant a` g (de coat a` goad) puis ch, et le m se transformant souvent en v comme mor (la mer) dans Arvor, ou meur (grand) en veur, le moulin (milin) en vilin. Dans quelques cas, surtout d’importation, le mouvement est inverse : le v du vic et du viller romans a donne´ les gui et guiler. Des e´volutions ont entraıˆne´ aussi des diffe´rences intrare´gionales, notamment entre les plou, plo, ple´, pleu qui de´signent la communaute´ locale de base. Les toponymes sont tre`s marque´s par un ensemble original de termes de´crivant l’habitat. La base en est le plou, donne´ pour e´quivalent de paroisse et a` l’origine de nombreuses communes. Il est ge´ne´ralement admis comme issu du plebs latin, le peuple. Remarquons toutefois qu’il avait ses e´quivalents dans le plwyf gallois et le pluw cornique, et que plebs lui-meˆme vient d’un IE pele au sens de plein, masse, dont sont tire´s aussi to fill (remplir), plenty, complet – et la ple`be. Sous ses diverses formes, il est suivi habituellement d’un nom de saint, parfois d’un autre NP, et aussi d’un adjectif ou d’un nom commun : Pleubian (petit), Pleumeur (grand), Plone´vez (nouveau), Ple´lan avec lann (lande), Plougastel avec kastell, Plobannalec et Ploubazlanec avec le geneˆt, Plouhinec avec l’ajonc, Plusquellec avec le chardon, etc. Au-dessus du plou, comme synonymes de pays ou contre´e, mais bien plus discre`tement, sont apparus bro, comme Broe´rec pour le Vannetais, au sens de pays du chef Waroch, po ou pou qui transparaıˆt dans le Poher autour de Carhaix, ou le pays Pourlet. Au-dessous ou a` coˆte´ du plou, figurent toute une se´rie de termes : douar, tre´, gui, lan, loc, ker, ty, bod. Douar a le sens ge´ne´ral de terre, et particulier de domaine ; Douarnenez est la terre de l’ıˆle (enez). Tre´ ou tref est un quartier reconnu du plou, avec plusieurs villages ou hameaux : selon D. Pichot, Pleubian avait sept tref au XI e sie`cle. Le tre´ a pu se hisser au rang de commune : 70 communes bretonnes, dont plus de la moitie´ en Coˆtes-d’Armor, commencent par Tre´ au lieu de Plou : Tre´ve´ 22, Le Tre´hou 29, Tre´gastel 22 (avec chaˆteau), Tre´meur 22 (grand) et bien d’autres, suivis d’un nom de saint comme Treflaoue´nan ou Trefflagat 29, Tre´ve´rec 22. Trogue´ry 22 est de la meˆme se´rie, avec un NP ; mais tre´ est aussi trois : Treffieux 44, qui a le sens de « trois fiefs », ou Tre´guier 22 (« trois sommets ») n’en font pas partie. Lan a eu le sens de lieu sacre´, parfois d’ermitage ou monaste`re ; un proble`me est que le nom se confond trop souvent avec celui de la lande (lann). Il est fre´quemment suivi d’un NP, surtout de saint (Lanne´dern, Landivisiau, Lanildut, etc.). Quelques-uns ont cependant un appellatif : Lanmeur (grand), Langoat (avec bois). Loc est compris aussi comme lieu consacre´, ou ermitage, en ge´ne´ral avec NP (Loctudy, Loc-Envel, Locronan, Locque´nole´ et Locunole´, Lope´rec, Loguivy...). Gui (gwik) est une adaptation du vic roman, souvent un centre de paroisse, un « bourg » ou village principal d’une commune : Guiclan est le bourg des landes, Guimiliau ou Guipavas auraient des noms de saints – mais Guillac viendrait de kelli, bosquet comme Le Quillio. Guiler est l’e´quivalent de viller, villers, villiers dans d’autres re´gions, dans plusieurs lieux-dits et deux communes, Guiler-sur-Goyen 29 et Guilers 29. Ker est un terme ge´ne´ral pour un lieu d’habitation, e´ventuellement isole´, mais souvent hisse´ au niveau du hameau, du village et meˆme de la commune (pre`s d’une vingtaine). Il est le plus souvent suivi d’un NP, mais les noms de choses et adjectifs ne sont pas rares : Kerfourn 56 (du four), Kernascle´den 56 (de l’e´cluse),

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Kergroas (carrefour), Gorre´ker (d’en haut) et Kerzuot (avec du=noir et aod=coˆte) a` Ploze´vet 29, divers Kergue´len (houx) et de nombreux Kernevez (nouveau) et Cosquer (vieux). Ker a pu devenir guer par adoucissement, comme a` Guer 56, Guerveur (grand) a` Plougasnou, ou eˆtre e´crit car ou meˆme cal dans Calorguen 22 (anc. Kerorgen, avec NP) ; il peut se confondre avec caer, rocher, dont il serait d’ailleurs issu. Ty, maison ou meˆme petite maison, a fourni de fort nombreux microtoponymes mais qui ne se sont pas hisse´s au niveau des communes ; le Cotty (Kerlaz 29) est la vieille maison (coz+ty). On trouve aussi Penty pour une maison « du bout ». Bod, de la famille IE bhu (habiter), donc e´quivalent du beuf ou bu normand, apparaıˆt par exemple a` Botmeur 29 (grand), dans Bot Braz et Bot Bihan a` Langoe¨lan 56 ; mais il peut eˆtre confondu avec bod, buisson. Camors 56, par exemple, contient Bod Kesten (chaˆtaignier), Bodavel (au vent), Bodihuello (d’en haut), Bod er Floc’h (de l’e´cuyer). Bod a pu donner des formes beuf ou bœuf, comme a` Kerbœuf (Le VieuxBourg 22), voire Paimbœuf ; il peut eˆtre tout aussi bien un celte pre´-breton. Lez, Les ou Lis signale un manoir, une maison seigneuriale, e´quivalent de salle, hall, voire de cour, court : Lesneven 29 correspond a` La Courneuve, Lesvern (en SaintFre´gant) est la Cour du Marais, Leslan en Campe´ne´ac 44 le chaˆteau de la lande. Lescoue¨t a` Se´rent 56 est le manoir du bois, comme une dizaine d’autres en Morbihan et Coˆtes-d’Armor, plus une dizaine de Lescoat dans le Finiste`re. A` Plabennec 22, Lesque´len (du houx) correspond a` une motte fe´odale tout pre`s du hameau de la Salle. Le´zardrieux est le chaˆteau (les) pre`s (ar) du Trieux. Caer semble venir de kar, rocher et a pu de´signer un chaˆteau-fort, une citadelle comme a` Carhaix. Kastell est une autre forme du chaˆteau, d’origine romane, et s’applique aussi par image a` un rocher e´leve´, un promontoire coˆtier, comme Kastell Ac’h a` Plouguerneau 29 ou la pointe du Castelmeur a` Cle´den-Cap-Sizun 29 ; on a meˆme un Kastell al Lez a` Guisse´ny 29. Moguer, Magor viennent des anciennes murailles (latin maceria) dans Ploumoguer 29 ou Ploumagoar 22, ou Magoue¨ro a` Plouhinec 56, e´quivalents des Maze`res ou Mazie`res. Ilis est le nom breton de l’e´glise comme dans Brennilis (avec bre´, hauteur) et de nombreux Prat Ilis, Pont Ilis, etc. ; abad de l’abbe´ (Park an Abad a` Argol 29, Stang an Abad a` Pleyben 29) ; manac’h du moine (Coat Manac’h a` Plouray 56, Mezou Manac’h a` Garlan 29) ; escop de l’e´veˆque dans Plescop 56 (avec plou), Kernescop (tas de pierre, une dizaine de lieux-dits), Esquibien 29 ; bellec du cure´ (pointe du Bellec a` Telgruc-sur-Mer 29, Me´nez Crec’h ar Bellec a` Mae¨l-Carhaix 22), cloarec du clerc ou du clerge´ (Porz an Cloarec a` Plougasnou 29) ; mais ces noms, surtout les derniers, sont aussi souvent des NP. Minihy est un territoire monastique comme a` Minihy-Tre´guier 22, Minihi a` Locoal-Mondon 56, le Me´ne´hy a` Me´ne´ac 22, Le Minihic-sur-Rance 35. Le monaste`re est d’origine latine et a donne´ surtout des Mouster, quelques Moustoir, ainsi que des noms en monter, mont : Monterfil 35 (avec fouge`re), Monterrein (avec NP ?), Montrelais 44. Kemenet a de´signe´ une terre confie´e en commende et transparaıˆt dans Gue´me´ne´-surScorff 56, qui n’est ni un mont blanc (gwen+mene´) ni un montebourg (gwi+mene´), contrairement a` Gue´mene´-Penfao 44. Convenant est beaucoup plus re´pandu, sauf en Morbihan, donnant plusieurs dizaines de lieux-dits, certains seuls, les autres avec un

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NC ou un NP : Convenant Roz (rouge) a` Tonque´dec 22 ou Du (noir) a` Lannion 22, Guen (blanc) a` Be´gard 22, Glaz (bleu) et Braz (grand) a` Rospez 22, Convenant ar Groaz (du carrefour) a` Guimae¨c 29. Maez, mezou, me´jou de´signent un champ ouvert : Mezou Manac’h de´ja` cite´, Maez Uhel (d’en haut) et Kervae¨z (avec maison) a` Landre´varzec 29, Mezou Braz a` Locquirec 29, Park Me´zou a` Ploumagoar 22, Me´jou Me´nez (du mont) a` Combrit 29. Prat est le pre´, surabondant. Park est tre`s fre´quent et indiquait un enclos, un pre´ prote´ge´. Cleuz, cle´zio, cleuziou est un talus ou un fosse´, fournissant des dizaines de noms de lieux, parfois avec un adjectif : Cleuziou Guen a` Guiscriff 56, Cleuziou Vraz a` Lope´rec 29, Kle´zio a` Bignan 56, le Cle´zieu a` Tre´ve´ 22. Kae a de´signe´ aussi un enclos, comme dans Que´meur (grand) a` Loctudy ou a` Tre´livan ; moins sans doute que kenk, qui a eu le sens de plessis et se lit dans plusieurs dizaines de Quinquis, tout court ou avec comple´ment, comme Quinquis Meur a` Plougonven 80, Quinquis Uhella et Izella a` Pont-de-Buis-le`s-Quimerc’h 29 (d’en haut et d’en bas), Canquisque´lenn (avec houx) a` Kernascle´den 56, Coe¨t er Ganquis a` Camors 56. Notons que, si menhir est un mot breton au sens de pierre longue, le breton emploie plus souvent peulven (pieu de pierre, pierre fiche´e) comme a` Douarnenez 29 (Me´ nez Peulven), Louargat 22 (Peulve´nou), Plouigneau 29 (Croaz ar Peulven). Hent, parent de sente, indique un chemin, Croaz Hent en ge´ne´ral une croise´e de chemins – parfois mal compris et devenu Croissant. On trouve quelques Hent Glaz (chemin bleu-vert, certains empierre´s d’ardoise), des Hent Coz (ancien) et Hent Meur (grand) qui sont parfois des tronc¸ons de voies romaines, des Pen ar Hent (bout du chemin) ; et des chemins des morts (Hent an Ankou a` Gourin 56, Hent ar Marv). Meilh ou Meil et Milin signalent un moulin ; Milin ar Run a` Lanvellec 22 est le moulin de la colline mais en fond de valle´e du Roscoat, suivi en aval par Milin ar Stang (de l’e´tang). Meilh Dour sur l’Aulne pre`s de Chaˆteaulin est « moulin de l’eau », Meilh Stang Bihan a` Quimper le moulin du petit e´tang ; mais meil est aussi un poisson, mulet ou rouget, ce que certains supposent a` la pointe de Beg Meil (Fouesnant 29) ; et, le m glissant vers v, nombre de Kerveil et Kervilin parlent aussi de moulins, voire Kervilaine a` Belz 56. Goff, Govel sont forgeron et forge, comme le Gouvello a` Saint-Trimoe¨l 22 et a` SainteBrigitte 56, et Plogoff la paroisse du forgeron, Roscoff la roche ou falaise du forgeron. Le littoral dans son ensemble est Arvor ou Armor (pre`s de la mer) et Larmor-Baden lui associe baden pour bateau ; mais le rivage proprement dit est aod, par exemple dans Ty an Aod a` Rosnoe¨n 29, Aod Vraz a` Te´venn en Santec 29, la pointe de Feunteun Aod a` Plogoff 29, l’Anse de Milin an Aod a` Lanildut 29, An Aod Uhel (en haut) a` Lannion 22. Duault 22 est forme´ sur du (noir, au sens de pente a` l’ombre, au nord) et aod. Enez est mis pour ıˆle ; on trouvera Enez Vihan a` Pleumeur-Bodou 22 ou a` Tre´flez 29 ; mais Enez Vraz et Enez Vihan a` Saint-Vougay 29 sont a` l’inte´rieur des terres pre`s du chaˆteau de Kerjean, de nombreux Enez se dispersent hors du littoral, avec des Penn Enez au sens de presqu’ıˆle, comme a` Lande´da 29. Les abris et anses sont le plus souvent poul comme dans les nombreux le Pouldu (noir), Tre´boul, a` Ploumanac’h (anc. Poull-manac’h, l’anse au moine), Paimpol (de penn et poul). Toul (mare) est parfois e´quivalent. Konk est le meˆme mot que conque, comme au Conquet ou a` Concarneau. Porz, porzh sont des ports. Loc’h est lagune, bili (vili) est un cordon de galets : Kervily a`

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Penmarc’h. Traez, trez est une plage de sable, Trez Hir la plage longue a` Crozon 29, ou` Trez Rouz est la plage rouge, Poul an Trez le bassin de la plage. Tevenn est une dune, Erdeven est « devant la dune » ; citons un lieu-dit Te´venn a` Santec, un autre a` Sibiril, Te´venn Braz a` Cle´der, Te´venn Meur a` Plouescat, Teven Pen a` LampaulPloudalme´zeau ; mais ce terme s’emploie aussi pour une coˆte rocheuse. Les promontoires sont le plus souvent indique´s par pen, e´quivalent de teˆte, cap : Penmarc’h (du cheval), Penn Lann a` Billiers 56, Penn ar Ru Meur (pointe du grand courant) et Penn ar Men Du (de la roche noire) a` Ouessant. Toutefois pen, adouci en ben, de´signe aussi le bout, donc l’embouchure d’un fleuve, comme a` Be´nodet (de l’Odet), Binic (de l’Ic), Benaven a` Ne´vez 29 au bout de l’Aven. Beg, bec ont le sens de pointe : Beg Meil a` Fouesnant, Beg er Lan et Beg er Vil a` Quiberon, Beg Lann a` Sarzeau ; mais beg s’emploie aussi a` l’inte´rieur pour tout pointement, ou simple sommet. En fait, sur les cartes, le terme franc¸ais « pointe » est de loin le plus fre´quent. Karreg est tre`s employe´ pour des rochers, des e´cueils ; la racine en est le tre`s ancien kar pour roche. Kastell est une me´taphore pour un promontoire d’apparence imprenable, et a donne´ des pointes du Chaˆteau ou du Castel meˆme la` ou` ne fut aucun fort. A` l’inte´rieur, plusieurs noms se partagent les hauteurs ou les fortes pentes. Mene´, menez (famille de mont, montagne) est des plus re´pandus, jusque dans des Miniac, Me´ne´ac, et pour de grands ensembles. Creac’h, c’hra, cruc, probablement apparente´s au tre`s ancien kar, sont tre`s pre´sents en microtoponymie comme a` Telgruc-surMer 29, Cruguel (une dizaine, dont une commune du Morbihan), Crucuny (a` Carnac 56), Crucuno (Erdeven 56, Plouharnel 56) ; Ge´oportail rele`ve des dizaines de Creac’h et des dizaines de Pen ar C’hra, quelques Beg ar C’hra ; un de´rive´ cnec’h se lirait dans une se´rie de Que´ne´ac ou Que´ne´ac’h, Quiniac a` Pleumeleuc 35, Quignac a` Guerlesquin 29. Krugenn est e´galement tre`s employe´ pour des e´cueils ou` des ıˆlots rocheux, comme a` l’entre´e du port de Saint-Gue´nole´ en Penmarc’h 29. Bre´ et ses variantes (bar, bri, bran) rele`vent de la racine IE bherg (hauteur) comme a` Brest, Brandivy 56, Bre´han 56, a` Bre´le´ve´nez (Lannion 22, Cle´der 29) qui a le sens de « montjoie », ou au Mene´ Bre´, tautologique. Bren, bron sont proches mais semblent plutoˆt e´voquer un mamelon (Brennilis). Ros, roz sont surtout associe´s a` des pentes fortes comme dans Rosanbo (coteau du r. Bo), Lanvellec, Perros (de Penn ar Roz), Roscoff, Rosporden, Rostrenen. Run, rhun sont tout aussi fre´quents et ont le sens de butte ; le terme est parfois re´duit a` un ru qui peut se confondre avec rouge ; mais les nombreux le Rhun peuvent avoir e´te´ des NP. Tuchenn, dossen, torr, torchenn indiquent un tertre, comme Duchenn a` Plone´is 29, Beg an Duchenn a` Tourch 29, Prat an Dorchen a` Plomeur 29, Beg an Dorchen qui fut mal traduit en pointe de la Torche (Plomeur 29). Gorre, goueled indiquent le haut, comme uhel, uzel (parent du gaulois uxello), oppose´s a` izel, en bas. Traon, tron, trou indiquent une valle´e ; Traondon est une valle´e profonde a` PleyberChrist 29 et Tromelin (une dizaine, comme a` Locmalo 56) le val du moulin. Toul est aussi bien une perce´e, une troue´e, qu’une mare, et se lit partout. Komm, cum a le sens de valle´e, vallon, combe ; Commana 29 en vient peut-eˆtre, avec ana pour marais ; mais val et nant sont plus fre´quents. Dour et Ster de´signent une rivie`re, goas (gwas, gwez), parfois laz, un ruisseau : Dourduff est une rivie`re noire (du), Dourguen a` Ploudaniel 29, Tre´garantec 29, Plone´is 29 une rivie`re blanche, Lanester 56 est forme´

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sur lande et rivie`re, Ster ar Manac’h a` Pleyben 29 est une rivie`re au moine, Goasguen a` Pluzunet 22 est un blanc ruisseau comme plusieurs Goasven, et Daoulas 29 a le sens de deux ruisseaux. Frout est un courant rapide : plusieurs Camfrout dans le Finiste`re, Froutguen a` Combrit 29. Le confluent est kemper (Quimper, Quimperle´), proche du vieux franc¸ais combre de meˆme sens (cf. Combrit 29). Le gue´ est soit wez, gwazel dans Gae¨l 35 ou, parent du gaulois rito, prend la forme rod, roudou : Roudouallec fut Roeded gallec, le gue´ du Franc ; le Roudourou de Guingamp est un gue´ rouge. Pont est romain, devenant parfois bont (Hennebont 56). Aber est une valle´e profonde a` mare´e ; hors des grands abers finiste´riens, Crozon 29 a` un lieu-dit L’Aber, plus la plage et l’ıˆle de l’Aber. Erquy 22 et Ergue´ 29 viennent d’arcae pour barrage, digue. Stank, stang de´signe un e´tang. Guern est de la famille de verne, l’aulne, et signale en principe un marais (Guern 56) ; il a pu se de´former en yeun : plusieurs dizaines de lieux-dits, dont plusieurs Pen ar Yeun, Penn Yeun et Me´nez Yeun a` Ploune´ourLanvern 29, Yeun ar Merdy (du maire) a` Laz 29. Coat est le bois, souvent sous la forme adoucie goad : la Bretagne inte´rieure le pays aux bois (Argoad ou Arcoat). On trouve l’Argoat a` Saint-Gildas 22 ou Yvias 22, Traou en Argoat a` Ploue´zec 22, Kerne´vez an Argoat a` Kergrist-Moe¨lou 22, l’Argoue¨t et le Vieil Argoue¨t a` Le Bode´o 22. Coat-Losquet est un bois bruˆle´ : sept lieux-dits ont ce nom sur les cartes IGN. Derv est le cheˆne (Derval 44), faou le heˆtre (Le Faoue¨t 22, Le Faoue¨t 56), guern l’aulne (et le marais), haleg le saule (Guern Hale´guen a` Pleyben 29, Goaz Halec a` Ploubezre 22, Poul an Hale´guen a` Plouvorn 19), kell le coudrier (Quelve´hen a` Merdrignac et Kergrist 56, Quelven a` Guern 56 et Pluzunet 22, Golven a` Languidic 56, Quelloue´ a` Noyal-Pontivy 56), krenn le tremble (Coat Crenn a` Spe´zet 29, Lann ar Crenn a` Collorec 29, le Gre´nit a` Plumelin 56). Kistin e´voque le chaˆtaignier (Quistinic 56, Quistinit a` Rosporden ou a` Sizun 29, Quisteny a` Pe´aule 56). L’if a donne´ Yvignac-la-Tour 22 ainsi que des lieux-dits en Kerivin ou Kernivinen. Garzh est une haie d’arbres : Gars Halec a` Ergue´-Gabe´ric 29 est une haie de saules, Garzuel a` Brasparts la haie d’en haut, Garzmeur a` Locam 22 la grande haie. Killi est un bosquet : Qulli Bihan a` Brasparts 29, Quillihuel a` Langonnet le bosquet d’en haut, de nombreux Quillien et Quillou. Banal, Balan est le geneˆt (Bannalec 29), radenn la fouge`re (Radenac 56, Re´dene´ 29), qui est fil en gallo (Monterfil 35), kelenn le houx (Quelneuc 56 et plusieurs lieux-dits morbihanais). Lann est a` la fois la lande et l’ajonc, tre`s re´pandu en toponymie mais difficile a` de´meˆler du lan, lieu consacre´. Dreneg de´signe un e´pineux, apparente´ au thorn nordique : Le Drennec 29, Toull Drez a` Douarnenez, le Drezeul a` Saint-Dolay 56, Dre´zeux a` Gue´rande 44 ; on trouve aussi spern en plusieurs lieux-dits disperse´s. Men est la pierre, houarn le fer (comme le gaulois isarnon) : Lann Groaz Houarn a` Tonque´dec 22, Roz Houarn a` Gourin 56. Bihan est petit, tandis que grand est braz ou meur ; coz est vieux, hen ancien ; nevez est nouveau ; don est profond. Guen peut eˆtre a` la fois blanc, pur ou sacre´ : Menez Guen est aussi bien Clermont que Montblanc ; du est noir, ru rouge, glaz de´signe a` la fois le vert et le bleu, la mer et la verdure, et meˆme l’ardoise comme a` Roc’h Glaz Braz a` Magoar.

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Des Charentes a` l’Auvergne Poitou, Charentes, Limousin et Auvergne dessinent un espace de transition entre nord et sud, entre langue d’oil et langue d’oc. Ine´galement, a` vrai dire : les premiers sont plutoˆt d’oı¨l, les suivants plutoˆt d’oc ; et ils sont tisse´s de nuances. Les toponymes a` suffixes, principalement mais non exclusivement forme´s a` partir de patronymes, ont leurs propres diffe´rences. Les -ac abondent en Charentes, Limousin et sud de l’Auvergne, les -at en Auvergne et Creuse. Les -ay et les -e´ se concentrent en Poitou et confins charentais, les -eix en Auvergne et Limousin, ou` ils fournissent quantite´ de lieux-dits. Les -euil sont un peu partout, les -igny se limitent au Poitou. La dispersion relative de l’habitat multiplie les noms de lieux lie´s aux bois, broussailles et prairies : de nombreux noms en Age, Buge ou Buige e´voquent de petits bois ou des paˆtures vagues. La mode´ration relative du relief ame`ne a` nommer la moindre e´minence, surtout en Puy, Peu ou meˆme Pe´, ainsi qu’en Dognon (comme dun, dunum) et en Rez, Ron, Grun ; et tous les passages un peu difficiles, Malpas ou Maupas. La` ou` les paysages s’accidentent, fleurissent des noms spe´cifiques, enrichis aussi par le volcanisme et le thermalisme.

Poitou et Charentes Le Poitou et Poitiers tiennent leur nom du peuple Picte ; auparavant Poitiers fut un Lemonum, une terre d’ormes. Chaˆtellerault, Chauvigny, Montmorillon, Civray, Lusignan seraient issus de NP. Les habitants de Lusignan se disent Me´lusins : la puissance historique de son chaˆteau et de ses seigneurs, dont certains furent rois de Chypre (1282-1474) et dont les toponymes font trace jusqu’au Canada, ont e´te´ attribue´s a` la fe´e Me´lusine, figure le´gendaire des confins poitevins et vende´ens, dont vient meˆme une communaute´ du Pays Me´lusin ; mais Lusignan viendrait d’un NP Licinius. Loudun 86 vient de luc (bois) et dun (mont fort), Mirebeau 86 a le sens de Bellevue, son pays est le Mirebalais. Charroux 86 est un carrefour. Le nom de Vouille´ 86 pourrait venir d’un gue´ sur l’Auxance, comme celui de Vouille´ 79 sur le Lambon. Vivonne 86 fut un Vicus Vedonensis, c’est-a`-dire un village du gue´, ou` la voie antique Poitiers-Saintes traversait la Vonne. Liguge´ 86, ou` saint Martin fonda son premier monaste`re en 361, aurait eu pour sens « les petites loges » (cabanes). Entre Vienne et Clain au sud-est de Poitiers, les plateaux sont nomme´s Grandes et Petites Brandes, ce mot ayant le sens de lande et terre pauvre. La plupart des petits pays, ne´anmoins, portent le nom de leur chef-lieu : Chaˆtelleraudais, Montmorillonnais, Mellois, Niortais, Thouarsais, etc. La microtoponymie ne manque pas de noms e´vocateurs : a` titre d’exemple, Payre´ 86 (le pierreux), sur la Dive au sud de Poitiers, a dans son bouquet Cre`ve-Cœur, la Garnison, la Repoussardie`re, Malfoie, le Cerisier Galeux, la Vacheresse, l’Attente au Loup, la Vieille Bouche`re, la Piferie, les Grandes Brousses, Champ du Chail (du caillou), le Noyer Fouillard, le Chemin Chausse´ (ancienne route nomme´e le Chemin des Romains), Champ de la Borne (a` la limite sud du finage), les Minie`res (gros hameau sur l’ex-N 10), Champ de l’Hie`ble, ainsi qu’un Neuil (nouveau), un Beaulieu et un Cheˆne-Vert. Les Rien de Bon et la Che´tive

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Coupe a` Iteuil 86, Risque-Tout et Champs de l’Enfer a` Smarves 86, laissent reˆveur sur des situations du passe´. Les deux Se`vres dont le 79e de´partement tire son nom sont la Nantaise et la Niortaise ; l’hydronyme est un grand classique en seg, comme la Seine. Niort 79 est un novio rito (nouveau gue´). Bressuire aurait e´te´ nomme´ d’apre`s brivo (pont) et Segora, autre hydronyme en seg, ancien nom de la ville et du Dolo qui la traverse, sous-affluent du Thouet par l’Argenton – il existe diffe´rentes interpre´tations plus anciennes. Thouars, le Thouarsais, le Thouet, le Thouret son affluent pourraient venir d’un hydronyme en tevo (tranquille ?) ; le Thouarsais a connu une forme Toarce`s au XIII e sie`cle. Airvault 79 aurait e´te´ un « val d’or » (Aurea Vallis) par la prospe´rite´ de son abbaye. Parthenay 79 vient d’un NP. Au sud, Melle, jadis Medolo, a une e´tymologie controverse´e, le gaulois mal-mello (colline) e´tant la plus vraisemblable et la plus ancienne ; les mines ont pu ensuite fournir une remotivation vers me´tal. On nomme Plaine la contre´e ce´re´alie`re et de´couverte qui va vers Fontenay-le-Comte en longeant le Marais Poitevin. Du coˆte´ de Bressuire et Parthenay on est au contraire en Gaˆtine (parfois dite Poitevine, ou de Parthenay), nom porte´ par des communaute´s et un nouveau canton. Entre les deux, il est habituel de distinguer une contre´e d’Entre Plaine et Gaˆtine, situe´e entre les deux Se`vres et consacre´e aussi par une communaute´ de communes. Le Pays Pe`lebois est le surnom donne´ a` la petite contre´e entourant la foreˆt de l’Hermitain, au sud de Saint-Maixent-l’E´cole 79, qui avait pour spe´cialite´ l’e´corc¸age des piquets destine´s aux vignobles voisins ; il existe un muse´e de la coiffe et du pays Pe`lebois a` Souvigne´ 79 et une maison Pe`leboise a` La Couarde 79. E´chire´ 79, qui viendrait d’un NP romain, connue pour ses beurres, et qui s’orne du chaˆteau du Coudray-Salbart, ne manque pas de lieux-dits aux noms pittoresques : Valle´e du Diable, l’Aˆne Mort, Casse E´chine, l’Ormeau Casse-Botte, Cure-Bourse, TrotteCoye, la Biceˆtre, Chaˆteau Gaillard, le Bas d’Angle, Buffe-Ageasse (souffle pie), le Peu (puy), le Cul de la Poeˆle, le Sabat, Pie´mont, Tournelie`vre... Le nom de la Charente semble bien venir du radical car, roche, mais par l’interme´diaire du gaulois caranto, qui aurait eu le sens de roche sablonneuse. L’ancien de´partement de Charente-Infe´rieure a e´te´ rebaptise´ Charente-Maritime en 1941. La Rochelle, cre´e´e comme port prote´ge´ au XI e sie`cle, a le sens de « petite forteresse ». Rochefort a surenche´ri tardivement : c’est un ame´nagement de Vauban, en un site inte´rieur moins expose´, et succe´dant a` Brouage envase´e et hors d’usage. Le nom de Brouage, ıˆle au milieu des marais, e´voque ceux-ci (par broco, meˆme famille que bray). Port-des-Barques est explicite, Bourcefranc-le-Chapus est un bourg franc du cap (caput), Marennes a le sens de « maritime ». Dans le nom de l’ıˆle de Re´, les linguistes lisent ratis, rempart, murailles. Ole´ron est plus controverse´e : ils y ont vu une ıˆle plate a` partir de (p)laro (Billy), une ıˆle odorante (latin oleo) et bien d’autres choses encore ; le nom officiel et celui de ses communes sont avec e´, mais localement on dit Olron et l’on e´crit Oleron. L’ıˆle d’Aix, qui forme une commune dite Iˆle-d’Aix, est relie´e a` acqua. L’ıˆle Madame doit son nom a` l’abbesse de Saintes qui en eut la proprie´te´ ; elle est rattache´e a` Port-des-Barques.

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Ces ıˆles animent la mer des Pertuis, du nom des de´troits qui les se´parent du continent. Le Fort Boyard et Boyardville (Saint-Georges-d’Ole´ron 17) devraient leur nom a` un banc de sable, ce que les marins hollandais nommaient banjaert, ici Banjaert Hollandis. Ces ıˆles et les marais de la Seudre, de Brouage et Poitevin ont de nombreux lieux-dits en Prise pour les terres conquises sur la mer, en Marais, Raises, Maraise, Marchais et autres Mouille-Pieds (La Couarde-sur-Mer, Ballon, Rochefort, Dompierre-surMer), ou Angle. Des lieux-dits en Tanne, a` peu pre`s e´quivalents de Prise, de´signent des accumulations littorales plus ou moins borde´es de digues naturelles, a` Ole´ron et dans le marais de Brouage ; les Tannes sont un hameau de Moe¨ze. Les bas reliefs e´mergeant des marais se nomment Iˆle et Iˆleau ; on trouve aussi beaucoup de Cabane et quelques Cayenne, des Conche au sens de canal comme dans le Marais Sauvage d’Arc¸ais 79, des Mizotte (Charron 17, Esnandes 17) du nom local de l’herbe a` moutons. Le littoral a ses Grouin pour des caps, Conche pour des anses comme la Conche des Baleines au nord de Re´ ou l’Anse de la Maleconche a` Ole´ron, Pas (acce`s au rivage), Peu (de podium) pour tout monticule dunaire, c¸a` et la` des Groies (sols caillouteux) et des Chirons (cailloux). Le Fier d’Ars est suppose´ avoir la meˆme e´tymologie que fjord (ide´e de flot), mais il est seul de son espe`ce. L’Aunis, ancienne province, a garde´ son nom de contre´e, porte´ par plusieurs communes. Aunis viendrait d’un Alionis, chaˆteau e´quivalent d’un « Montaigu », transparent dans Chaˆtelaillon (Billy). Matha est un de´rive´ de matte (broussailles) ; ce nom est fre´quent parmi les lieux-dits charentais, et jusqu’a` Ole´ron. Un autre terme fre´quent est Pre´e, la Pre´e, au sens de fond humide en herbe ; on trouve une Pre´e Sale´e a` Villedoux 17, une autre a` Vergeroux 17. Surge`res est simplement « sur Ge`res », sa rivie`re. Saintes, ancienne Mediolanum Santonum, a e´te´ la capitale du Saintonge, les deux noms n’ayant rien de religieux mais e´tant issus du peuple gaulois Santon. Jonzac vient d’un NP, Pons d’un oppidum dominant un pont sur la Seugne. Royan fut Rugianum, « la rouge » probablement a` cause de ses roches. L’origine de Cognac, jadis Comnac ou Compnac, reste discute´e (NP romain Cominius ?). Outre sa Champagne, son vignoble se divise en Fins Bois et Borderies, ce nom e´voquant les bois de bordure, les premiers a` avoir e´te´ de´friche´s lors de son extension, avant les Fins Bois. Jarnac 16 (Agannagum, Agernaco) viendrait d’un NP, comme Segonzac. Angouleˆme (Iculisma, Eculisnensis aux IV e et VI e sie`cles) est associe´e a` une petite rivie`re l’Anguienne, jadis l’Inguine ; il pourrait s’agir de noms de la famille des Aygurande-Ingrande, ce qui n’est toutefois pas commun pour un chef-lieu romain et e´veˆche´ ancien ; ou plutoˆt de la se´rie des noms en angle et anglade, tre`s bien repre´sente´e en Poitou et Charentes. Ruffec est probablement de la famille des ruffes (terrains rocailleux) comme Rouffiac 16 et les divers Rouffignac pre´sents en Charente, Pe´rigord et Limousin (M. Robin). Confolens est un confluent ; Barbezieux (anc. Berbecilliam) e´voque une bergerie. Touve´rac, petite commune des confins me´ridionaux, est le sie`ge d’une communaute´ de communes qui n’a pas trouve´ mieux comme nom que 4B-Sud Charente, associant les quatre cantons de Barbezieux-Saint-Hilaire, Baignes-SainteRadegonde, Brossac et Blanzac-Poucharesse... La Rochefoucauld commenc¸a par un chaˆteau de la Roche, comple´te´ par le nom de l’un de ses premiers seigneurs, d’une

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branche des Lusignan. A` l’ouest de la ville, une plate-forme calcaire est constelle´e de de´pressions karstiques, notamment dans la grande foreˆt de Braconne, ou` l’on rele`ve a` Jauldes la Grande Fosse, le Trou de la Truie, le Puits des Fragonnie`res (fragon est le petit houx).

Le Limousin Le Limousin et Limoges doivent leur nom au peuple gaulois Le´movice. Auparavant, Limoges avait e´te´ le gue´ d’Auguste (Augustoritum). Vers le nord, Nieul a le sens de nouveau, Nantiat d’un ravin ou torrent (nant). Blond et les monts de Blond viennent de Blatomago, marche´ au ble´. Bellac ne vient pas d’un lac mais d’un NP Bellus avec le suffixe -ac. Le nom d’Ambazac est forme´ de la meˆme fac¸on ; les Monts d’Ambazac sont les principaux reliefs de cette partie de la Haute-Vienne. Proche, Laurie`re 87 tire son nom d’anciennes mines d’or. La mine´ralisation du socle en ces lieux avait fait de Bessines-sur-Gartempe le haut lieu d’extraction de l’uranium en France ; Bessines vient de besse, bouleau, et la Gartempe de la racine hydronymique vara. Saint-Le´ger-Magnazix et Saint-AmandMagnazeix 87 sont deux communes au nord de la Haute-Vienne ; il s’y trouve des lieux-dits caracte´ristiques : le Marcoux et Landes en position de limite, Mont-Cocu (doublon), Peu (puy) de la Fortune, Peu Long, Peu de Moitie´ et Peu de la Fille, Camp de Ce´sar (site classe´), les Grands et les Petits Caires, les Fonds du Peux, les Gorces (fourre´, lande). Magnazeix vient de la seigneurie de Magnac, dont le nom reste pre´sent a` Magnac-Laval 87, qui est proche ; un homonyme, Magnac-Bourg, est tout au sud du de´partement ; ces noms viendraient d’un NP en « grand ». Vers le sud-ouest, Rochechouart associe roc, au sens de chaˆteau, a` un e´quivalent de choucas, mais sans doute par l’interme´diaire d’un NP. Le bourg est le sie`ge d’une intercommunalite´ dite de la Me´te´orite, des traces d’un gigantesque crate`re ayant e´te´ de´tecte´es et interpre´te´es en 1967-1969 par F. Kraut dans un cercle d’une vingtaine de kilome`tres ; le point d’impact est a` la Judie, commune de Pressignac 16 ; on y a de´limite´ une « Re´serve naturelle de l’Astroble`me de Rochechouart-Chassenon ». Plus au sud, le pays des Feuillardiers, consacre´ par une autre communaute´ de communes, tient son nom d’une ancienne spe´cialisation dans la fabrication de cercles de chaˆtaignier pour les tonneaux de Charente et du Bordelais ; Oradour-sur-Vayres 87 (« oratoire ») en est le centre. A` l’est, Eymoutiers fut Agentum, devenu Aient, au sens de roche aigue¨, aiguille ; la mention d’un monaste`re (moutiers) est poste´rieure. Un pays dit des Monts et Barrages a son sie`ge a` Bujaleuf (de boduo, corneille, ou de buge...), et couvre une partie du fameux plateau de Millevaches. Au centre du Limousin et partage´ entre ses trois de´partements, celui-ci est un haut lieu des controverses onomastiques : on y a vu des troupeaux de vaches, puis des collines ressemblant a` des vaches ( !), mille sources (bache, bachas), une montagne vide (melo vacua, Dauzat). Le nom a d’abord e´te´ celui d’un village, de´ja` interpre´te´ par un clerc du XIe sie`cle en Millevaccas ; Billy sugge`re a` son tour le terme gache, fre´quent en Limousin pour des bourbiers et des e´tangs, en admettant mille comme ide´e de profusion. La commune de Millevaches 19 est a` la source de la Vienne, son finage e´corne´ par la Ve´ze`re.

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Non loin au sud-ouest, le massif des Mone´die`res culmine au Puy de la Mone´die`re (919 m) et contient un hameau de la Mone´die`re (Chaumeil 19) ; ces noms pourraient venir de munitus, fortifie´, comme l’indiqueraient des traces d’enceinte antique. La Ve´ze`re a un nom forme´ sur ves, couler, la Corre`ze sur ret, courir et co-, avec. Le nom de la Corre`ze est porte´ aussi par une commune et par le de´partement. Uzerche tiendrait son nom de la Ve´ze`re, Ussel du gaulois uxello pour hauteur, qui a peut-eˆtre contribue´ aussi quelque peu au pre´ce´dent. Le chaˆteau de Ventadour (« l’e´vente´ », a` Moustier-Ventadour 19) fut chef-lieu d’une vicomte´, et son nom a e´te´ retenu par la communaute´ de communes forme´e autour d’E´gletons. Celle-ci pourrait avoir pour origine glutis, terrain argileux, bourbier. Eygurande marque la limite entre pays des Le´movices et pays des Arvernes. Bort-les-Orgues doit son de´terminant, ajoute´ en 1919, aux orgues basaltiques qui se refle`tent dans la Dordogne ; Dauzat a vu dans Bort boduo-rito, le gue´ aux corneilles, les Fe´nie´ un gue´ aux rochers (bal ou bar + rito). Tulle pourrait venir du celte tullo, gonflement, hauteur, bien que sa forme ancienne Tutela l’a fait mettre en rapport avec une de´esse romaine de ce nom, atteste´e en certains lieux de Gaule, toutefois sans aucune trace ici. Le pays de la Xaintrie, au sudest du de´partement de la Corre`ze, aurait e´te´ pour certains Terra Sanctaria, une possession d’e´glise ; d’autres ont imagine´ un rapport avec le vieux terme cheintre ou l’ancien e´tymon cant au sens de limite, marche, bordure. Au nord-ouest, Pompadour est le site connu d’un chaˆteau et d’un haras national, partage´ entre deux communes, Arnac-Pompadour et Saint-Sornin-Lavolps. Le nom est porte´ par une communaute´ de communes. C’est une forme de pompidou, qui de´signe un replat dans les montagnes me´ridionales. On trouve aussi des lieux-dits Pompadour a` Peyrilhac 87 et Aixe-sur-Vienne 87. Brive vient directement du gaulois briva, pont ; -la-Gaillarde a e´te´ ajoute´ en 1929, au pre´texte de ses restes de fortifications. Turenne, au sud, est construit sur turra, tour, hauteur ; Yssandon, a` l’ouest, sur uxello, comme Ussel. Le de´partement de la Creuse fait dans la simplicite´. Le nom de la Creuse viendrait de son encaissement meˆme, dont Crozant tout au nord est un e´cho. Gue´ret a le sens commun de gue´ret. Aubusson est re´pute´e venir d’un gaulois albuca, terre blanche argileuse. Bourganeuf et Le Grand-Bourg ont des noms sans myste`re. La Souterraine vient d’un sanctuaire souterrain, devenu la crypte de l’e´glise ; elle s’orne d’un coquet gentile´, a` l’origine de l’intercommunalite´ du pays Sostranien. Dun-le-Palestel 23 (de dunum) a suscite´ un Dunois dont le nom subsiste dans La Celle-Dunoise, Bussie`reDunoise, Saint-Sulpice-le-Dunois ; Palestel vient d’une famille seigneuriale. E´vaux-les-Bains vient de eve, eau. Le nord du de´partement se divise en BasseMarche a` l’ouest et Marche ou Haute-Marche a` l’est, le nom soulignant bien une limite historique du territoire. Gouzon 23 y est le sie`ge d’une communaute´ dite Carrefour des Quatre Provinces. Beaucoup de lieux-dits sont forme´s sur un NP (parfois un nom commun) suivi du suffixe adjectif -eix, e´quivalent de -ais ailleurs, comme Issoudun-Le´trieix 23, deux Saint-Yrieix (-des-Bois et -la-Montagne), Maisonneix a` Chaˆtelus-le-Marcheix 23 et a` Saint-Silvain-Bellegarde, qui a aussi Rimareix : ou encore le Deveix, Cheix, Belleteix et Malleiteix a` Champagnat, Lauradoueix a` Gouzon (d’un oratoire).

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L’Auvergne Une originalite´ de l’Auvergne est dans la multiplication des noms lie´s a` la terminologie des formes volcaniques : ainsi de puy, suc, truc, doˆme, cheire, plane`ze pour les reliefs, et gour, narse, sagne pour les creux. Une autre tient a` l’abondance des allusions aux eaux thermales et mine´rales, directement comme a` Chaudes-Aigues 15, Chaˆteauneuf-les-Bains 03, voire Eaux Mine´rales (a` Saint-Priest-des-Champs 63) ou indirectement comme a` La Bourboule 63 et Bourbon-l’Archambault 03. On trouve aussi abondance de mentions -les-Mines, de Jasse et de Buron dans les montagnes pastorales, de Limagne et de Varenne dans les plaines ; plus une terminaison particulie`re des -euil, en –ue´jouls et -ue´jols. L’Auvergne doit son nom au peuple Arverne. Au nord, le Bourbonnais doit le sien a` ses sols argileux (comme le bourbier). Moulins 03 va de soi, comme Lapalisse (palissade) et Le Donjon – celle-ci ayant e´te´ nomme´e Val Libre sous la Re´volution, la communaute´ de communes s’est autorise´ le nom du Donjon-Val Libre. Montluc¸on viendrait d’un NP, ainsi peut-eˆtre que Commentry. Au nord-ouest, Tronc¸ais 03 et la foreˆt de Tronc¸ais viennent de tronce, qui de´signait une grosse futaie. Au sud-ouest, la Combraille vient de comboros, abattis, barrage ou confluent selon les points de vue ; le nom est parfois au pluriel. Gannat 03 est souvent donne´ comme issu d’un NP, mais gane, ganne est un terme fre´quent en ces re´gions pour une flaque, une mare, un fond boueux ou une rigole ; une ancienne forme Vaddinacum n’a rien qui s’oppose a` un tel sens. Vichy a e´te´ un Aquae Caldae (eaux chaudes) mais le nom actuel vient de vicus. Une communaute´ Varennes-Forterre, sie´geant a` Varennes-sur-Allier, rappelle l’importance de ces deux termes dans les campagnes ; la Forterre est un petit pays de sols lourds entre Lapalisse et l’Allier. La commune de Thiel-sur-Acolin 03, par exemple, a dans ses lieux-dits les Mouille`res, Patouille, la Creuse, les Gouttes, la Varenne, la Forte Terre, les Bruye`res, les Trembles, les Joncs, un Chaˆteau et un Moulin de la Fin en extre´mite´ du vaste finage, et plusieurs lieux en Loge, et surtout le Louage et une Locaterie, te´moins des anciens me´tayages. On nomme Sologne Bourbonnaise les plaines et bas plateaux a` l’est de Moulins, riches en bois et e´tangs, mais le terme n’entre pas dans les noms de lieux. Clermont-Ferrand fut Augustonemetum (nemeto = sanctuaire) puis Clairmont en 848, et a fusionne´ avec Montferrand en 1630 en comprimant les termes. Royat, en banlieue riche de Clermont, est pourtant « la rouge » : elle fut l’ancienne Rubiacum, du nom des roches rouges de la pouzzolane. Riom fut un Rigomagos, marche´ du roi. Aigueperse a le sens d’« eaux e´parses ». La fertile Grande Limagne (de limo, comme limon) est prolonge´e au sud de plusieurs « petites » Limagnes en bassins plus limite´s, et flanque´e de varennes se hissant parfois au nom de contre´es, comme la Varenne de Lezoux, ou` Lezoux a eu le sens de limoneuse, ou boueuse. Lempdes 63 viendrait du gaulois lindon, e´tang ; Lempdes-sur-Allagnon 43 est un peu au sud, mais en HauteLoire dans la Limagne de Brioude. Vers l’ouest, les buttes volcaniques ont e´te´ divise´es en Monts Doˆmes au nord, Monts Dore au sud : les premiers selon leur apparence et la pre´sence du Puy de Doˆme, les seconds d’apre`s le nom local des torrents, dore, porte´ aussi par la Dordogne et

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Le Mont-Dore. Une communaute´ de communes, sie´geant a` Saint-Saturnin, a choisi de s’appeler les Cheires en re´fe´rence aux surfaces de laves rocailleuses. C’est ne´anmoins le terme puy qui est le plus pre´sent dans les noms de reliefs. On nomme pays des Couzes (des torrents) les reliefs accidente´s au sud de ClermontFerrand. Le plateau de Gergovie, ancienne coule´e de laves que l’e´rosion a laisse´e en relief, comme la longue Serre a` Chanonat, est re´pute´ eˆtre le lieu d’une des rares victoires des Gaulois sur les Romains. Gergovie vient sans doute de garg, pour des rochers aˆpres ; le nom est porte´ par un hameau de La Roche-Blanche, re´cemment encore nomme´ Merdogne ; une intercommunalite´, sie´geant a` Veyre-Monton, s’est nomme´e Gergovie-Val-d’Allier-Communaute´. On appelle encore Dauphine´ d’Auvergne une petite contre´e a` l’ouest d’Issoire ; le nom est issu d’un partage du XII e sie`cle qui en re´servait l’autorite´ a` une branche des comtes d’Auvergne, allie´e a` la famille du comte du Viennois, d’ou` fut importe´ le pre´nom Dauphin. Le nom de Mareugheol 63, un peu e´trange, signifiait en gaulois la grande clairie`re, ou un lieu majeur (dans les cultes ou le territoire) comme Marvejols 48. Issoire 63 a e´te´ Iciodurum au VI e s. et Ussoire au XIII e s., ce qui sugge`re un uxo (hauteur) assorti d’un duro, mais d’autres solutions ont e´te´ avance´es, avec NP. Yzeure 03 (et Yzeures-sur-Creuse 37) ont e´galement e´te´ Iciodurum, avec les meˆmes incertitudes. Usson 63, un peu a` l’est, est bien d’uxello et a entraıˆne´ un Saint-E´tienne-sur-Usson, un La Chapelle-sous-Usson. Nonette, juche´e sur un e´troit promontoire dominant l’Allier, viendrait d’un occitan nono au sens de rocher pointu, aiguille (E. Ne`gre, repris par Fe´nie´), plutoˆt rare cependant, pour ne pas dire imagine´. Billom 63 est un ancien Billiomaco, forme´ sur billio, arbre sacre´ et magos, marche´. Les monts a` l’est de l’Allier forment le Livradois ; le nom vient de son ancien chef-lieu Liberate, peut-eˆtre issu du celtique lebor (long) indiquant un lieu de passage ; Liberate est devenu peu a` peu Cleurettes, aujourd’hui simple hameau tout au nord de la commune d’Ambert. Ambert 63 est forme´ sur amb, rivie`re et rito, gue´. Thiers 63 est un ancien Tigernus, probablement issu d’un tirn au sens de mont aigu (de steig, piquer). La Durolle y porte un nom classique de torrent, proche de Dore et Doron. Chabreloche a e´te´ forme´ sur cham et ouche ou oche (entaille de la Durolle), volontiers re´interpre´te´s par les le´gendes en e´quivalents de che`vre et oie... Le Cantal e´voque une racine canto au sens de rebord, pente. Le Plomb du Cantal, on l’a vu, de´crit un mont a` sommet plat. La Plane`ze a e´te´ un toponyme avant que les ge´ographes n’en fassent un ge´ne´rique de plateau de laves incline´ autour d’un volcan ; le terme est consacre´ par une communaute´ de communes, sie´geant a` Ussel 15, autre uxello, et un pays, sie´geant a` Saint-Flour. Le Ce´zallier a un nom qui n’apparaıˆt pas avant le XVIII e sie`cle et pourrait venir de se´gala, pays a` seigle. L’Artense, plateau voisin, a un nom plus ancien fonde´ sur artu, pierre. Salers vient probablement de l’oronyme sal. Aurillac, Mauriac et Maurs seraient issus de NP. Au sud-ouest, la Chaˆtaigneraie a un nom explicite. Au sud, le Carlade`s (ou Carladez) est le pays de Carlat, simple village mais ancienne vicomte´, dont le nom vient de castelar, chaˆteau. Au sud-est, le Caldague`s est le pays de Chaudes-Aigues. La Haute-Loire correspond en grande partie au Velay, qui doit au peuple Vellave son nom. Le Puy est explicite, et Polignac est de la meˆme famille (Podemniaco, de

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podium). Yssingeaux 43 est suppose´ de´river d’un NP germanique Isingaud, Brioude vient de briva, pont. La Chaise-Dieu fut casa dei, donc maison de dieu, en fait un tre`s ancien lieu de culte ante´rieur au christianisme. Au sud-ouest, Saugues, et la Seuge qui l’arrose, ont le nom du saule. Non loin, Gre`zes e´voque les pierres ; son finage comporte de nombreux lieux-dits caracte´ristiques : Truc de la Garde, Roche Montru, les Cayres, Ped Redon (puy rond), le Peu, le Suc pour les reliefs ; pour les bas, Sagne Redonde (ronde), Sagne Besseire (aux bouleaux), le Sagnas, la Sagne, la Chalm, plusieurs la Cham ; la Grifoulie`re (du houx), la Freycene`de (freˆne), les Vesses (coudraies), le Brujassou, le Breuil (broussailles) ; le Mazel, la Borie, la Bastide, la Maison Neuve, la Clauze et, plus curieusement le Chaˆteau de l’Allemand... Le Chaliergue est un petit pays, jadis Callianicum, donc des cailloux. L’Emblave`s (ou Emblavez), vers Lavouˆte-sur-Loire, est un petit pays au ble´, un fromental. A` l’est, le Me´zenc et le Meygal sont des monts dont les noms restent discute´s, entre un mag pre´gaulois au sens de hauteur, mont, et une situation d’entre-deux (cf. mey en occitan), a` la limite du pays vellave. Une communaute´ de communes des Sucs rappelle la tre`s forte pre´sence de ce terme dans les noms de buttes et sommets, souvent volcaniques. A` Bellevue-la-Montagne 43, Uffour a le sens d’infernet, en bas, au pied d’un Peymarie, alors qu’Issamas est sur une hauteur (d’uxello).

De la Bourgogne aux Alpes Alpes, Jura et bassin se´quano-rhodanien forment un ensemble relativement homoge`ne du point de vue linguistique, marque´ par quelques tournures particulie`res, en l’absence de langue spe´cifique. Il appartient a` un vaste domaine de base romane qui s’e´tend a` une partie de la Suisse et des Alpes pie´montaises. Les termes d’apparence pre´-IE sont discrets ; en revanche, le fonds celtique est tre`s pre´sent, ainsi que l’apport germanique, meˆme si les Burgondes avaient de long temps adopte´ des parlers romans. Dans les noms de communes, la forme dominante des suffixes est en -ay, sauf tout au sud en Arde`che et Droˆme, ou` les formes sont plutoˆt -ac et -an. S’y ajoutent des -at dans l’Ain, des -eu et -eux dans le Lyonnais, des -ey en Bourgogne et FrancheComte´, des -y, -igny et -illy en Bourgogne et en Savoie. Les -court et les -ville sont rares, mais les villard et villers abondent dans le Jura. Une particularite´ des pays savoyards et jurassiens est dans la pre´sence de finales en -az et -oz, plus rarement -ez, ainsi qu’en -ex ou -ax, qui d’ailleurs ne se prononcent pas, e´quivalant a` un e muet, a` la rigueur a` a ou o : Oyonnax, Culoz, La Clusaz, le Semnoz, Morez, Avoriaz. Une autre particularite´ est la pre´sence de sons ts (ou dz) a` la place des ch ou j du franc¸ais courant ; elle est localement conserve´e, notamment en Brionnais, e´voque´ comme « pays du tseu » (M. Rossi), mais n’est pas transcrite dans les noms de lieux.

Arpitan ? Une certaine originalite´ est apporte´e par ce que l’on a nomme´ le franco-provenc¸al, et que des linguistes contemporains pre´fe`rent dire « arpitan », d’un mot forme´ sur l’alpe comme paˆturage montagnard. Son aire dessine un grand triangle entre Neuchaˆtel en

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Suisse, Roanne, Grenoble et Suse en Italie. Certains spe´cialistes conside`rent que l’arpitan se diffe´rencie a` la fois des langues d’oı¨l et d’oc. En toponymie, il s’agit toutefois davantage de tournures locales que de bases originales. La richesse de la toponymie se lit surtout dans les formes lie´es a` la fre´quentation et a` l’exploitation de la montagne, des espaces pastoraux et boise´s, et plus re´cemment de la haute montagne, ainsi qu’aux rivie`res et aux formes de leurs lits et de la ve´ge´tation des berges. Parmi les termes un peu originaux de la montagne pre´sents dans les noms de lieux, certaines familles se remarquent. Ainsi de Cha, Chalm, Chalp et Chaux, voire Leschaux, Lachat et meˆme une Montagne du Chat, ainsi que Charve, Charvet, Chervaz, ou Charre, tous de´rive´s d’un calm au sens de chauve, nu : il s’agit en ge´ne´ral de sommets et de surfaces a` ve´ge´tation rase sur terrain rocailleux. Dans le domaine pastoral, outre Alpe, Arp et Aup pour les pacages estivaux d’altitude, on remarque la fre´quence des Pra (pre´) et diminutifs en Pre`le, Pre´la et Prelaz, des Mayen (pacage de mi-hauteur), des Pe`che, Pe´cheux et meˆme Pe´quignot pour des pacages. La jasse prend des formes en Giette, Giettaz, voire Gıˆte. Signalons aussi la fre´quence des Ronc, Rage, Rotte pour d’anciens de´frichements, ainsi qu’Ars ou Arsine. Les Orcie`res, Vallorcine 74 e´voquent d’anciens habitats d’ours. Des formes originales s’attachent aussi aux noms d’arbres, sous lesquels on retrouve ne´anmoins des e´tymons connus. La sylve devient Serve, Servan, Se´vrier 74, les buissons sont fre´quemment en Ripe ou Rappe. Pesse signale l’e´pice´a, Biolle ou Buloz le bouleau, Lars le me´le`ze, Arolle le pin cembro, Vargne, Vuarnet le sapin blanc, Darbel le jeune sapin (nombreux noms en Darbelay), Vorge le saule ou l’osier, Voray, Vorraz, Varosse l’aulne, Aulagnier le noisetier, Avoudrey le pommier. Du coˆte´ des fonds humides et mare´cageux, les noms de lieux-dits sont riches en Seigne (sagne), Mousse (mouille`re), Bette, Flache, Goille, Jaille (terrains boueux), Voite (pre´ humide). Les appellations de torrents se sont de´multiplie´es en Dranse, Doron, la se´rie des Foron, Furan, Furens, Fier, Suran, ainsi que les Arve et Arvan, auxquels s’ajoutent des Nant et des Morge ou Morgon. Abrie`s de´signe des rapides. Bief, Be´al est souvent employe´ pour ruisseau, Doux, Doye l’est pour source, ainsi que Bionne (=bignon). Bache, Bachas, signale un point d’eau, une vasque ; le gue´ s’e´crit Gas, Gaz. Les chemins deviennent vie (voie), tandis que Vieu, Vif, Viuz sont des adaptations de vicus. Les cols ont diverses de´signations, dont Baisse et Fourche, Forclaz. Les lieux de guet sont en Garde, Guette et aussi Varde, Vuarde. Les reliefs ont e´videmment une grande richesse de termes. Une famille tire´e de cal, cala prend les formes Challe, Chal, Chalanche, voire les Sallanches et Sallanches 74, au sens de ravin, coule´e, e´boulis, parfois abri. Chaˆble est une pente ravine´e, source de dizaines de lieux-dits en Haute-Savoie. Le car (rocher) se traduit en Caire, Cayre, Charre et Charras. Une autre famille repose sur la pierre, sous les formes Lave, Lauze et Lauzie`re ; Lanche, Lavanche, Lauvie`re, souvent associe´s a` des lieux d’avalanches et d’e´boulements. L’autaret est un lieu haut (col du Lautaret), arche e´voque un contrefort (Larche, cirque d’Archiane). Cle`ves, Clive indique une pente, Fe`cle, Feclaz des fentes ou crevasses (les Fe`cles au-dessus de Nantua, la Fe´claz aux De´serts 73). La famille sasse (pierre) est tre`s pre´sente en Savoie par les Seyssel, Sixt, Sassenage, Mont-Saxonnex. La creˆte devient Creys et le faıˆte Frette, le podium a

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une variante en Poype dans l’Ain et l’Ise`re. Teppe, Molard, Thureau (tertre) abondent. Des noms en Rousset, les Grandes Rousses semblent de´signer des roches mieux qu’une couleur.

L’alpe et les Alpes Les Alpes sont la montagne par excellence, dont le nom a e´te´ repris jusque dans de lointains pays, jusqu’en Nouvelle-Ze´lande, et l’alpe est un paˆturage de montagne. Beaucoup a e´te´ e´crit sur l’origine et le sens du mot, entre un al consacre´ a` la nourriture et un alb qui comporterait, avec le blanc, l’ide´e de clarte´ divine, en passant par un alt (haut) peu vraisemblable par son t. Retenons ici l’abondance des noms de lieux-dits ou` alp est pre´sent, e´ventuellement sous la forme arp par rhotacisme, aup par vocalisme : Montagne de l’Arp (Saint-Laurent-en-Royans 26), l’Arpette (une vingtaine en Savoie), l’Arpettaz (tout autant), trois Col de l’Arpettaz dont un a` Ugine, une Teˆte de l’Arpettaz a` Dingy-Saint-Clair 74, l’Aup (plusieurs dizaines dont un Mont l’Aup a` Lalley 39 ou la Coˆte de l’Aup a` Abondance 74), des Teˆte de l’Aupet a` De´voluy et aux Orres 05, la foreˆt de l’Aup (Droˆme), sinon Aups 83. La Savoie fut Sapaudia au IV e sie`cle ; tre`s de´battu, le nom pourrait avoir la meˆme origine que sapin, comme Le Sappey-en-Chartreuse. Le Dauphine´ vient du pre´nom d’un he´ritier du comte Guigues de Vienne (de´but du XII e s.), avant de devenir apanage du fils du roi de France ; le pre´nom e´tait alors rare, et peut-eˆtre importe´ par la me`re, anglaise, du premier Dauphin ; mais le sujet reste discute´. Parmi les massifs, le Chablais, ancien Caput Laci, de´signe les monts de « teˆte de lac », en l’occurrence le Le´man, qui est « le lac » par excellence (de limnos). Le Sale`ve est l’une des nombreuses formes d’un relief en saillie, dont te´moignent bien d’autres noms de reliefs comme Ville-en-Sallaz et Viuz-en-Sallaz 74, Saillans 26 ; le Semnoz pourrait eˆtre un de´rive´ de « sommet ». Les Bornes seraient le pays des sources (de brunna, bronn), les Bauges celui des e´tables (gaulois botegia). La Chartreuse a pour racine car, le rocher meˆme, pre´sent dans l’adjectif cartusien ; les chartreux ont tire´ leur nom du monaste`re qu’ils y avaient e´tabli. Le Vercors viendrait d’un peuple gaulois Vertamocore, mais l’on sait que ver e´tait un indicateur de hauteur, de puissance. Le Trie`ves est un carrefour (trois voies), la Matheysine, anc. Matanatis puis Matacena, pourrait avoir e´te´ un plateau boise´ (de matta). Belledonne est un ancien Freydane (de « froid »), rebaptise´ au XVII e sie`cle « Belle Dame » pour des raisons non e´lucide´es, dame/donne ayant peut-eˆtre e´te´ simplement une adaptation de « dane », caverne ; le massif conserve un col de Freydane. Les Sept-Laux semblent eˆtre les sept lacs, mais le sujet est discute´ ; la Lauzie`re indique un lieu de lauzes. La Maurienne, valle´e de l’Arc, serait issue d’un NP Maurius, la Tarentaise, haute valle´e de l’Ise`re, d’un gue´ (IE tra) selon l’ancien nom de Mouˆtiers, Darantasia. L’Oisans viendrait d’un peuple gaulois Ucenne. La Vanoise fut Valle Noysy au XIV e sie`cle, ce qui en fait un val des noyers (ou noisetiers). Dans Pelvoux se lit une ancienne racine pal pour forte pente, pelvo ayant le sens de haute montagne. Les E´crins ont le sens de creˆte dentele´e (escrenna, meˆme racine que cre´neau).

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Grenoble vient de Gratianopolis, la ville de Gratien, empereur de la fin du IV e sie`cle qui la promut. Le Gre´sivaudan, large plaine de l’Ise`re, en est un de´rive´. Le nom de Chambe´ry e´voque pour certains la courbe d’une rivie`re, peut-eˆtre avec beria (plaine) mais plusieurs autres versions circulent. Annecy de´riverait d’un NP gaulois. Albertville a e´te´ nomme´e en l’honneur du roi de Sardaigne Charles-Albert lors de la re´union de Conflans et de Villefranche-de-L’Hoˆpital en 1835. Ugine viendrait d’augine, un bief ame´nage´ (H. Suter). Les curieux noms Chichilianne et Se´chilienne seraient d’un NP Cæcilius. Beaufort a e´te´ successivement villa Lucia, Luce, puis Belfort (1225), Saint-Maximin (1308), Saint-Maxime de Beaufort (1738), et donne son nom au Beaufortain. Chamonix reste obscur, peut-eˆtre un campus munitus (fortifie´). Bonneville est une cre´ation tardive (1283), succe´dant a` un Fulciniacum (NP Fulcinius) dont vient le nom du Faucigny. E´vian-les-Bains est fonde´ sur le radical eve, l’eau, et Thonon-lesBains pourrait venir d’un celte tosna, onde (Billy), bien que certains y voient un dunum, comme a` Thoˆnes. Annemasse reste discute´e, peut-eˆtre d’un groupe gaulois ; on peut penser aussi au gaulois ana, marais, comme d’ailleurs pour Annecy. La Chautagne, pays de marais dans la plaine du Rhoˆne face a` Culoz, vient des chaˆtaigniers, peut-eˆtre avec le meˆme ana en suffixe. La haute montagne alpine ne manque pas d’appellations originales, et de noms nouveaux cre´e´s par les alpinistes, puis par et pour les stations de tourisme et de sports. Si ceux-la` rivalisent de me´taphores de formes, tout en y ajoutant quelques noms de personnes en hommage, ceux-ci ont commence´ par reprendre des noms de lieux-dits locaux, quitte a` les comple´ter, telle la station des Deux-Alpes cre´e´e a` partir de l’Alpe de Ve´nosc et de l’Alpe de Mont-de-Lans. La mode re´cente est d’inventer des noms racoleurs et de´localise´s : Portes du Soleil (Morzine), Les Trois Valle´es (Courchevel), Paradiski (La Plagne), Espace Diamant (Praz-sur-Arly), Espace Lumie`re (Pra Loup), Grand Massif (Flaine), les Sybelles (La Toussuire et cinq autres, soit « six belles »...). Parmi les noms bien plus anciens, mais de´ja` flatteurs, Valloire en Maurienne fut une Vallis Aurea, une valle´e dore´e (Suter), d’ou` l’on atteint le col du Galibier, dont le nom est interpre´te´ comme « magnificent » (Billy). Le hameau de Laval en haute Maurienne a e´te´ promu commune en 1886 sous le nom de Val-d’Ise`re 73. Tignes, juste en aval, pourrait venir d’un ancien tine au sens de trou, valle´e profonde ; connue pour son lac de barrage de 1952, qui entraıˆna le de´placement du village en hauteur, elle est associe´e a` Val-d’Ise`re dans un Espace Killy, du nom du champion olympique des anne´es 1960. Mege`ve 74, sur un col entre les bassins de l’Arve et de l’Arly, aurait pour sens « milieu des eaux » (mie`ge-eve). Le nom de la Meije a le sens de Pic du Midi. Lanslevillard, comme Lanslebourg et le Mont-Cenis, sont l’objet d’interpre´tations divergentes et incertaines ; on aimerait sugge´rer pour les premiers l’appellatif lans, lanche (pente a` avalanches). Cenis, Cenisio coˆte´ italien, pourrait eˆtre de cerne (parfois cenne), au sens de de´friche ; le Montecenisio et le Bard Cenisio italiens voisinent avec un Novalesa signalant une novale.

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Jura et Franche-Comte´ Le Jura est plus qu’un massif montagneux : c’est un ensemble culturel, e´labore´ sur et par la montagne, en limite de l’Hexagone et en liaison e´troite avec la Suisse romande. Outre la vie pastorale et forestie`re, et des formes particulie`res d’habiter, de travailler et de parler, y ont prospe´re´ des activite´s originales, tenant a` une tradition d’occupation ne´cessaire des jours d’hiver : travail du bois, horlogerie, lunetterie, taille de pierres fines ; meˆme les activite´s lourdes de la me´canique industrielle de Montbe´liard et Belfort en sont issues. Le Jura ne se confond pas avec la Franche-Comte´, puisque celle-ci exclut le de´partement de l’Ain, largement jurassien, mais inclut celui de la Haute-Saoˆne, qui ne l’est pas. Toutefois, les deux ont tendance a` se confondre en un ensemble « comtois ». Le Jura est par excellence un pays de bois : Jura, comme joux, est re´pute´ venir de jor, terme gaulois pour d’amples foreˆts, juris en latin ; les toponymes en Joux y sont d’ailleurs fort re´pandus ; les Joret, Jorret et Jorasses font partie de la famille. On y trouve des noms de lieux en Abergement (terre conce´de´e), plus rarement Fruitie`re (coope´rative fromage`re) comme Plan de la Fruitie`re a` Bois-d’Amont 39, d’assez nombreux Vie (voie, chemin), Vy (pour vicus), Grange, Chalet, ainsi que des Velle (pour villa ou ville), comme Velle-le-Chaˆtel 70 et de nombreux Sous la Velle, Sur la Velle, Bois de la Velle, du moins dans le Doubs et la Haute-Saoˆne. Des habitats de´double´s s’affichent en Dessus et Dessous. Notons de nombreux noms de commune termine´s en -a, quelques-uns en -od, et -ans du coˆte´ de Belfort, jusqu’a` Tre´venans forme´e en 1972 par la re´union de Te´trudans et Vourvenans (qui venaient de NP). Les grands classiques du relief jurassien fournissent quantite´ de Combe, Creˆt, Cluse, voire une Montagne du Creˆt et le Creˆt d’En Bas a` Che´zery-Furens 01 ; des Cule´e et Recule´e, y compris Culoz 01 et Reculloz 25 ; des Planche au sens de plan, plaine. Quelques Molard, Tureau, Tartre de´signent des sommets ou des buttes, dont le Grand Taureau a` Pontarlier ou Esserval-Tartre 39, au-dessus d’Esserval-Combe 39. Les noms en Lave (pierre) sont fre´quents, associe´s a` d’autres qui e´voquent les plans taraude´s, comme Lapiaz de Besain a` Besain 39 ou les Lapis a` Oye-et-Pallet 25. Les gouffres (emposieux) sont surtout nomme´s Trou ou Gouffre mais on trouve l’Embossieux et l’Embouteilleux a` La Pesse 39. Sagne (fond humide) s’e´crit plutoˆt Seigne dans le Jura. Au sud, le Jura s’arreˆte a` la valle´e du Rhoˆne, meˆme si ge´ologiquement en font partie les reliefs qui encadrent le lac du Bourget, Mont du Chat et Gros Foug, soit du chaume et du heˆtre. Le Bugey y tire son nom de Belley, anc. Bellicium, chef-lieu du peuple Bellicien. Ambe´rieu-en-Bugey fut la cite´ du peuple Ambarre, dont le nom aurait signifie´ « des deux coˆte´s de la Saoˆne », alors nomme´e Arar. Le Valromey est nomme´ d’apre`s sa voie romaine, dite la Vie (voie) du Loup au-dela` de Vieu 01. Nantua 01 est conforme a` sa valle´e profonde (nant), tandis que l’E´cluse, site de fort et de de´file´ par ou` le Rhoˆne tranche les reliefs (Le´az 01), est une mauvaise orthographe pour la Cluse. Gex est forme´ sur jasse, Divonne-les-Bains 01 sur une source et rivie`re sacre´e, la Divonne (div et onna) qui continue sous le nom de Versois. Les Monts Jura au sens e´troit sont la plus haute e´chine orientale, dominant Gex et Gene`ve. Celle-ci va du Grand Creˆt d’Eau au sud au Col de la Faucille au nord. Le

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premier, compris Grand Credo par les premiers ge´ome`tres, fut faussement rectifie´ : c’est sans doute un Creˆt d’Aup, d’alpage. Le second n’est probablement qu’un diminutif de Fos, terme classique pour un col. Entre les deux, le point culminant du Jura est le Creˆt de la Neige (1 729 m). La Valserine, connue pour les fameuses « marmites de ge´ant » et autres sculptures pittoresques de son lit, longe ce relief a` l’ouest ; son nom a une forme hydronymique fre´quente (Serein, Suran, etc.), pre´ce´de´e de Val. Bellegarde-sur-Valserine 01, au confluent avec le Rhoˆne, me´rite bien son nom strate´gique. Vers l’ouest, le Jura tombe sur la plaine de la Saoˆne par le Revermont, tout aussi bien nomme´. Oyonnax 01 est plus obscur ; on y a vu des ouailles (brebis) ou mieux un NP de domaine Oionus (Suter) ; le x ne se prononce e´videmment pas, le a s’effleure. Izernore 01 aurait e´te´ isarno-durum, une sorte de « portes de fer ». Lons-le-Saunier 39 devrait ses deux e´le´ments a` sa source sale´e, Lons semblant attache´ a` une ide´e de source, d’eau (Billy). Salins-les-Bains 39 retrouve cette dualite´. Arbois 39 viendrait de l’arbousier, Poligny d’un NP, Baume-les-Messieurs d’une abbaye d’hommes tapie dans une profonde recule´e aux roches apparentes. Dole 39 reste discute´, mais semble eˆtre de la meˆme famille que le Dol-de-Bretagne, plus clairement dans le sens de plaine. Saint-Claude 39 fut un Condate (confluent), rebaptise´ au XV e sie`cle. Morbier 39 est un « bief mort », tandis que Morez 39, ancienne Combe-Noire, est devenu Combe-a`Morel ou Morel-sous-Morbier, puis Morez apre`s l’installation d’une forge de l’industriel E´tienne Morel en 1563. Mouthe 25 semble venir de motte. Pontarlier 25 a succe´de´ a` une Ariolica (petite aire), dont le nom subsiste dans la plaine voisine de la Chaux d’Arlier ; la ville et ses ponts sont sur le Doubs, juste en aval de La Cluse-etMijoux, au nom jurassien doublement caracte´ristique. Ornans 25 viendrait d’un NP, Champagnole 25 est une « petite champagne ». Morteau 25 est un e´quivalent de Morbier. Le nom de Maıˆche 25 e´voque un mare´cage. Montbe´liard 25 vient d’un NP, Sochaux 25 a pu se comprendre « sous la chaux », chaux devant bien entendu eˆtre pris ici au sens de chaume, habituel en Jura. Belfort 90 a une fausse e´vidence : car elle fut Beffert, d’un NP germanique qui se devine encore dans la prononciation actuelle du nom : on dit Beffort. N’e´tant plus compris au XIII e sie`cle, le nom fut refait en bel fort ; la citadelle et sa ce´le`bre re´sistance en 1870-1871, qui ont valu au Territoire de Belfort d’exister au rang de de´partement, ont renforce´ l’illusion e´tymologique. Giromagny 90 est forme´ sur un mesnil pre´ce´de´ d’un NP. Besanc¸on fut Vesontio, successivement relie´ a` un oronyme, puis a` l’hydronyme courant ves, e´voquant le Doubs dont le nom est habituellement rapporte´ a` dhub, noir, sombre, ou dubno, profond, termes d’ailleurs apparente´s par leur forme et leur origine. La Saoˆne a sa source en Lorraine, a` Viome´nil 88. La Haute-Saoˆne peut passer pour pays de transition entre Lorraine, Champagne et Bourgogne. La Voˆge, contre´e de partage des eaux, a le meˆme nom que les Vosges. Vesoul (anc. Castro Vesulio) donne lieu a` des interpre´tations contradictoires, voire oppose´es ; la racine hydronymique ves n’a rien d’invraisemblable, qui en ferait une cousine de Besanc¸on ; mais un oronyme ves avait e´te´ propose´ par Dauzat-Rostaing pour les deux, tandis que Billy penche pour un NP. Luxeuil-les-Bains preˆte aussi a` discussion ; l’ide´e de luc (bois plus ou

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moins sacre´) ne semble pas plus e´trange qu’un leuks qui e´voquerait la brillance de ses eaux... Non loin, au pied des Vosges, le pays des Mille E´tangs doit son nom a` l’abondance des plans d’eau retenus derrie`re des collines morainiques. Billy note que Lure a e´te´ Luterhaa en 817, ce qui en aurait fait une rivie`re (aha) claire (hluta) en haut allemand, mais que le nom a pu eˆtre adapte´ d’un gaulois ante´rieur (lautro au sens de bain). L’Ognon, qui y passe, fut jadis un Lignon, issu d’un hydronyme assez courant. Gray (anc. Gradiacus) serait d’un NP latin Gratus.

En Bourgogne La Bourgogne tient son nom des Burgondes, un peuple de langue germanique longtemps e´tabli en Europe centrale et en voie de migration vers le sud-ouest au temps des grandes invasions. Au V e sie`cle, leur royaume s’e´tendait principalement dans le bassin du Rhoˆne, de Langres a` Avignon et de Nevers a` Zu¨rich. Peu a` peu re´tre´ci, il a ensuite (IX e-Xe s.) e´te´ divise´ en un duche´ de Bourgogne a` l’ouest, et a` l’est un comte´ de´pendant mais dote´ de franchises, devenu au XIV e sie`cle la FrancheComte´ (comte´ e´tait alors au fe´minin). De´ja` largement romanise´, le parler des Bourguignons n’a que peu affecte´ la toponymie, sinon par quelques tournures particulie`res et quelques apports germaniques difficiles a` de´meˆler du fonds galloromain. Alors que le massif jurassien occupe la plus grande partie de la Franche-Comte´, la Bourgogne proprement dite associe aux plaines de la Saoˆne les reliefs assez marque´s du sud-est du Bassin Parisien, frange´s au-dessus des plaines par les coˆtes viticoles. Cette position sur les voies de passage entre Rhoˆne et Seine, ou Lyon et Paris, en a fait un seuil tre`s parcouru, marque´ par les relais routiers, couronne´ de chaˆteaux, serti d’abbayes dans ses replis. La moindre butte s’y nomme Montagne, ou au moins Montcel (cf. Montceau-les-Mines) ; la Montagne tout court est le nom de la ligne de creˆte entre bassins de la Seine et de la Saoˆne ; la coˆte de Chassagne-Montrachet est meˆme la Grande Montagne. Non loin du Creusot, un double pointement basaltique a` Drevin (Saint-Pierre-de-Varennes 71), montant a` 494 m, a e´te´ nomme´ le Volcan. En compensation, la moindre portion de plateau se nomme Plain, d’ou` l’on domine des lieux-dits en Combe ou Creusot. Le vignoble est divise´ en « climats », portant des noms propres, dont les plus prestigieux ont e´te´ associe´s aux noms des communes du milieu du XIXe sie`cle (GevreyChambertin, Aloxe-Corton) aux anne´es 1920 (Morey-Saint-Denis) ; mais le terme climat n’entre pas dans les toponymes. Parmi ceux-ci, on note de nombreux Champ, Paˆquier (paˆturage), Meix, Murger (muret), Larrey (coˆte), Brosse (petit bois, broussailles), E´pesse ou E´poisse (fourre´), Cerne ou Cernay (de´friche close). Saint-Maurice-aux-Riches-Hommes 89 e´voque l’opulence des abbe´s du Moyen Aˆge, mais les abbayes ce´le` bres affectionnaient les bas-fonds : Cıˆ teaux (Saint-Nicolas-le` sCıˆteaux 21) vient du roseau (cistellus), Cluny 71 d’un pacage (clunio), Fontenay (Marmagne 21) d’une source, Pontigny 89 d’un pont sur le Serein et leur voisine Clairvaux (Ville-sous-la-Ferte´ 10) a un nom explicite. Le nom de la Coˆte d’Or a e´te´ propose´ en 1789 par le de´pute´ de Dijon Andre´-Re´my Arnoult a` partir des Coˆtes de Nuits et de Beaune, par une heureuse association entre

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la richesse du vignoble et ses couleurs automnales – les autres de´partements bourguignons ont plus banalement des noms de rivie`res. Gamay, hameau de SaintAubin 21, est l’e´ponyme d’un ce´page longtemps me´prise´, sous les hauteurs de la Chaise du Bon Dieu... et des Justices, qui montent encore plus haut. Dijon, pour les spe´cialistes, a du divin dans son nom, et Beaune s’inspire du dieu gaulois Belenos ; mais Nuits doit son nom au noyer. Montbard 21 redouble la hauteur (mons et bar, barro), Saulieu 21 a la meˆme racine que le proche Serein (hydronique Sedena). Ahuy 21 vient d’un aqueduc. Le Mont Auxois, site de fouilles d’Ale´sia (Alise-SainteReine 21), fut mons Alisiensis ; tous ces voisins sont cense´s se rapporter a` la racine alisia, au sens de falaise, paroi rocheuse ; il en est probablement de meˆme d’AuxeyDuresses 21 et Aloxe-Corton 21. L’Yonne fut Icauna, d’ou` l’adjectif icaunais, issu d’un hydronyme ic, is. Auxerre 89 vient d’une base hydronymique diffe´rente (atura) peut-eˆtre accompagne´e de l’e´tymon duro (porte, fort). Tonnerre 89 associe un oronyme (famille de tour) et un autre duro. Sens vient du peuple gaulois Se´none, plus apparent dans le Se´nonais. Avallon 89 de´signe clairement une pommeraie. Les noms de Ve´zelay 89 et Joigny 89 sont moins limpides ; Ve´zelay, qui fut Uzellac, a pu de´signer une hauteur, avant d’eˆtre attire´ par un NP. La Puisaye, contre´e plutoˆt humide et argileuse, tirerait son nom des puits, tandis que son voisin le Forterre, plus ce´re´alier, fut conside´re´ comme un pays de terres fortes. La Nie`vre est une rivie`re qui a inspire´ a` la fois le nom de Nevers et celui de son de´partement ; Billy y voit nebh, ne´buleux, Taverdet un hydronyme courant (cf. Nive). Cosne-Cours-sur-Loire 58 associe Cosne, qui fut un condate (confluent) et Cours, qui vient de curtis. Clamecy 58 n’est pas vraiment e´lucide´ : racine calm, ou un NP. Chaˆteau-Chinon 58, ancien Castrum Caninio, pourrait avoir pour origine l’oronyme can. Decize 58, place prote´ge´e dans son ıˆle de la Loire, ou` se croisaient deux voies anciennes, probablement la Decetia cite´e par Jules Ce´sar, a e´te´ interpre´te´ comme situe´ a` « dix lieues » gauloises (env. 25 km) d’un point de re´fe´rence encore mal pre´cise´ ; mais en cette re´gion decize a aussi, a` partir de « descendre », le sens d’aval d’un cours d’eau, et la ville est au de´bouche´ de l’Aron dans la Loire. Tout pre`s, La Machine 58 a e´te´ ainsi nomme´e en 1670 a` partir d’une grosse installation d’extraction de charbon. Le Morvan pourrait eˆtre interpre´te´ commune une « montagne noire » (de mauro et vin), dont il a bien l’aspect vu de loin. Le mont Beuvray correspond a` l’ancienne place forte de Bibracte, haut lieu des E´duens ; ces noms ont e´te´ souvent attribue´s au castor (biber) ; cependant, un aussi « haut lieu » n’a pu manquer d’eˆtre objet de controverses plus ou moins imaginatives, comme d’ailleurs Ale´sia. A` l’ouest, le Bazois, dont plusieurs communes portent le nom, ainsi que Bazolles et son hameau et e´tang de Baye, au partage des eaux entre les bassins de la Loire et de la Seine, ont un e´tymon commun, bied (bief, canal). Le chef-lieu de la Saoˆne-et-Loire, Chalon-sur-Saoˆne, ancien Cabillonum, apparaıˆt comme de´rive´ de cap, qui a pu avoir ici le sens de teˆte de la navigation. Autun de´rive directement d’un Augustodunum, place forte de´die´e a` Auguste, tandis que Charolles vient de Quadrigillæ, qui de´signait un fort carre´, passe´ ensuite par divers avatars tels que Cadtella, Carollæ. Semur-en-Brionnais 71, comme Semur-en-Auxois 21, est un

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ancien lieu fort, en e´peron barre´ ; le nom pourrait eˆtre issu de sene muro (vieux mur) ; G. Taverdet le croit plus ancien, mais ne peut eˆtre plus pre´cis. Le nom du Brionnais est lie´ au chaˆteau de Briant 71, forme´ sur briga, hauteur prote´ge´e. Digoin, sur la Loire, semble sugge´rer des eaux sacre´es, a` l’instar de Divonne. L’origine de Maˆcon reste discute´e ; peut-eˆtre de mata, prairie humide. Tournus, anc. Tinurtium, est suppose´e venir d’un hydronyme en tin (tine est aussi un trou). Cuisery et Cuiseaux seraient issus d’une famille hydronymique a` laquelle appartiennent les Couzes et le Cousin. Louhans et Gueugnon viendraient de NP. Le nom de la Bresse (Briscia au VIIe s.) reste inde´cis, entre braco mare´cage et un e´tymon bien connu brk pour le bouleau.

Autour de Lyon Comme la plupart des cours d’eau, le Rhoˆne et la Saoˆne ont des noms d’origine lointaine, des e´tymologies discute´es ; mais il s’y trouve toujours l’ide´e de quelque chose qui coule, plus ou moins vivement. La Saoˆne a d’ailleurs eu plusieurs noms, Arar et Sauconna. Il est possible qu’elle ait eu quelque chose en commun avec la Seine, dont elle partage l’adjectif se´quanien, et avec le peuple gaulois Se´quane. Curieusement, le confluent de la Saoˆne et du Rhoˆne a` Lyon n’a pas donne´ de toponyme particulier ou significatif. En revanche, leur cours est parseme´ de loˆnes (bras mort, e´tangs), de brotteaux (atterrissements alluviaux broussailleux) et d’isles qui nomment maints lieux-dits. Lyon, ancienne Lugdunum, a suscite´ des controverses et des fantasmes autour d’un dieu gaulois Lug discute´, d’une « lumie`re » particulie`re ou d’un bois sacre´ (luc). Si dunum comme hauteur fortifie´e n’est pas douteux, une tendance re´cente est a` lire dans la premie`re syllabe lugo, mare´cage : ce serait un montfort des marais. Alentour, Villeurbanne fut une Villa Urbana ; donc un chef-lieu de domaine agricole. Bron 69 viendrait d’un NP, ou de bronn pour un mamelon, compatible avec sa topographie. La plupart des villes voisines, dont plusieurs sont en -ieu ou -ieux, jusqu’a` Condrieu, seraient issues de noms de domaines, avec NP. Amplepuis 69 vient de puy (podium) et non de puits (puteum). Tarare 69 semble construit sur duro (lieu fort). Beaujeu 69 et son beaujolais sont des noms tardifs (XI e sie`cle) ou` le jeu fut probablement un joux (foreˆt). Tre´voux 01 a eu le sens de bifurcation (trivium). A` l’est, la Dombes (les Dombes jusqu’au XVII e sie`cle), peut venir de dheubn, dubno avec le sens de profond, trou, associe´ a` sa multitude d’e´tangs conserve´s et re´ame´nage´s au sein des e´pandages glaciaires. Givors 69 est interpre´te´ comme Gavaro-rito, le gue´ du Gier. Celui-ci, peut-eˆtre d’une racine gar (cailloux), est a` l’origine des noms de Rive-de-Gier 42 et du Jarez, contre´e qui l’accompagne au nord comme au sud dans le « sillon houiller » de Saint-E´tienne, et dont sept communes portent le nom. Saint-E´tienne 42 apparaıˆt au XI e sie`cle avec pour de´terminant « de Furan », du nom de sa rivie`re, l’un des noms communs pour torrent (avec foron, suran). Il semble pourtant n’y avoir la` aucun rapport avec Feurs 42, qui fut Forum Segusiavorum, le haut lieu du peuple Se´gusiave, jadis assez glorieuse pour qu’en soient venus la plaine et les monts du Forez. Boe¨n 42 est une ancienne Bodenno, peut-eˆtre de bodio (eaux jaunes) ; mais le nom est aussi attache´ a` des cabanes. Montbrison ajoute a` mons un NP.

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Plus au nord, Roanne 42 est a` la teˆte d’un autre bassin du cours de la Loire. Selon les travaux de X. Gouvert, l’ancienne Rodubna aurait le meˆme e´tymon ered que le Rhoˆne, plus dubno pour profond ; le Renaison, qui conflue avec la Loire a` Roanne, aurait la meˆme origine : un cours d’eau profond. Le meˆme auteur a bien montre´ les limites du domaine Se´gusiave, a` la pre´sence de noms de la famille d’Ingrande (equoranda) : a` l’ouest, coˆte´ Arvernes, Guirande (Les Salles 42), E´garande a` Estivareilles 42 et la Croix-Guirande (Noire´table 42), voire Gue´rande a` Arfeuilles 03 ; au nord, coˆte´ E´duens, Iguerande 71 sur la Loire et la Marande (anc. Chamarande) a` Noailly 42, Chamarande a` Saint-Germain-l’Espinasse 42, Chamarande a` Pradines 42 ; a` l’est, coˆte´ Ambarres, les Gue´randes a` Chaveyriat 01, Arandas 01 et les Arandons a` Chalamont 01 ; au sud, coˆte´ Allobroges, E´garande a` Farnay 42 et E´garande a` Rive-de-Gier 42, et coˆte´ Vellave Randon a` Saint-Didier-en-Velay 43, Margerie (margo rito, le gue´ de la frontie`re) a` Margerie-Chantagret 42. Au sud, le mont Pilat est nomme´ d’apre`s pile, au sens de colonne, hauteur. Annonay 07 vient d’un NP. Au-dela` du Pilat, le Val d’Ay a le nom de sa rivie`re (=eau), affluent du Rhoˆne, que portent aussi trois communes. Le nom re´gional est le Vivarais, qui vient de son ancien chef-lieu Viviers 07, au bord du Rhoˆne. On nomme Boutie`res une petite contre´e des monts du Vivarais, domine´e par le massif du Me´zenc et draine´e par l’Eyrieux ; mais seule Saint-Julien-Boutie`res 07 en porte le nom, avec le cirque des Boutie`res a` Bore´e 07, pre`s duquel le Suc de Touron a une appellation redondante. Ni le Me´zenc ni les Boutie`res n’ont d’e´tymologie assure´e : peut-eˆtre une situation d’entre-deux pour le premier, d’extre´mite´ pour le second. Tout pre`s, le fameux Gerbier de Jonc (Saint-Martial 07), juste une butte aux sources de la Loire, a pu eˆtre gerbier par l’image d’une meule, mais vient plus probablement de gar, rocher, et jonc semble eˆtre une adaptation de joux. Privas 07, qui de´riverait d’un NP Privatius, est au bord de l’Ouve`ze, nom que porte e´galement un torrent de la Droˆme qui traverse, et parfois ravage, Vaison-laRomaine ; une ancienne racine hydronymique ves est probable en ces noms. Aubenas 07 est forme´ sur alba, comme sa voisine Alba-la-Romaine, ainsi adjective´e en raison de ses restes antiques ; alba n’aurait pas ici le sens de blanc, mais d’altitude, sinon de pacage d’altitude (alp). La Montagne de Berg, dont le nom est repris par les communes voisines Saint-Ande´ol-de-Berg 07et Villeneuve-de-Berg 07, vient de briga. Une intercommunalite´ Berg et Coiron lui associe le plateau volcanique rugueux qui, juste au nord, envoie ses digitations vers le Rhoˆne et dont le nom semble bien apparente´ a` caire, rocher. Largentie`re 07 est une ancienne Se´galie`re (de se´gala, seigle) rebaptise´e au XIIIe sie`cle en raison de ses mines d’argent. Dans les montagnes arde´choises, les noms en Chaux, Cham et Suc sont des plus fre´quents. Le Tanargue a probablement la meˆme racine que le Tarn. Joyeuse aurait e´te´ Jovis Aqua avant qu’un scribe ne la transforme en Gaudosa : re´fe´rence a` Jupiter, ou simplement a` une joux (foreˆt) ? Le bas plateau des Gras, traverse´ par l’Arde`che, est nomme´ d’apre`s les rochers (gar). La grotte Chauvet-Pont-d’Arc est a` Vallon-Pont-d’Arc et a rec¸u son nom officiel en 2014, associant celui de son principal inventeur a` celui d’une arche naturelle et spectaculaire creuse´e par l’Arde`che. Valence 26 fut une colonie romaine au nom flatteur (vaillant, vigoureux). La Voultesur-Rhoˆne 07 a un nom de me´andre, mais Tournon-sur-Rhoˆne 07 vient de turro, un

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oronyme. Monte´limar 26 vient d’un NP Aymar, Aymeric. Le Tricastin vient du peuple Tricasse, mais fut compris plus tard comme « trois chaˆteaux », nom porte´ a` tort depuis 1801 par Saint-Paul-Trois-Chaˆteaux 26. Nyons 26 fut un marche´ neuf (Novomagos), Die 26 a le sens de divin, lie´ a` une de´esse gauloise Andaria. Le pays de Sault vient de saltus, le beau relief en « synclinal perche´ » de la foreˆt de Saou probablement de sek ou sel, saillant. Les Baronnies ont e´te´ nomme´es au XIII e sie`cle comme fiefs de barons. Au nord, le Royans, dont le nom est porte´ par plusieurs communes, est un ancien Rodanum, rougier, sans doute en raison de ses sables rouges. On nomme Monts du Matin le rebord occidental du Vercors, vu a` partir de la plaine de Valence ; le nom vient d’entrer dans la nomenclature officielle avec la cre´ation en 2014 du canton Vercors-Monts du Matin. Romans-sur-Ise`re 26 est suppose´e devoir son nom du Haut Moyen Aˆge a` la re´sistance de parlers romans en milieu alors plus ou moins germanise´. Vienne 38 fut le chef-lieu du Bas-Dauphine´ ; son nom ancien, Vienna ou Vigenna, reste obscur ; Billy serait tente´ d’y voir une e´vocation du vigoureux courant du Rhoˆne. Bourgoin-Jallieu 38 fut d’abord un burg (Bergusia) repris selon le nom des Burgondes (Burgundium 1183) puis devenu Bergoin ; mais Bergusia a pour origine un ancien berg. Jallieu vient d’un NP Gallius ; Jallieu avait pris son inde´pendance en 1789, mais la re´union s’est faite en 1967 ; le gentile´ est tre`s fusionnel (Berjallien). Les contre´es voisines de bas plateaux ont nom Terres Froides et, au sud, Chambaran ; ce dernier nom, parfois e´crit Chambarand, a sans doute un rapport avec les nombreux cham alpestres. Au sud, la plaine de la Valloire, dont le nom est conserve´ par Saint-Sorlan-enValloire 26 et Mornas-en-Valloire 26, est e´videmment sans aucun rapport avec la Loire : elle fut une Vallis Aurea, au sens de contre´e riche. Elle est prolonge´e vers l’est par la Bie`vre, une autre re´fe´rence aux castors, qui toutefois n’est pas reprise dans les noms de communes ; un pays de Bie`vre-Valloire les re´unit, du moins en Ise`re. Au nord, Cre´mieu vient d’un NP et l’Iˆle Cre´mieu est une appellation consacre´e, y compris par une intercommunalite´, mais n’est qu’une plaine triangulaire borde´e sur deux coˆte´s par le Rhoˆne.

Le Sud-Ouest D’un fonds vascon Le Sud-Ouest de la France, fortement romanise´, appartient au domaine des langues d’oc, a` l’exception de son extreˆme pointe, ou` re`gnent les toponymes basques. S’il a enregistre´ des apports nordiques aux temps des grandes invasions, surtout vandales et wisigoths, il semble bien que le celte l’ait auparavant tre`s peu marque´ : les termes proprement gaulois y sont rares, surtout au sud de la Garonne. De ce fait, la romanisation a compose´ avec un vieux fonds linguistique et toponymique particulier. Selon les auteurs, il est nomme´ vascon, aquitain, protobasque, basco-aquitain ; j’emploie vascon pour simplifier, par pure commodite´ et sans parti pris linguistique,

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encore moins ethnique. Il englobe des termes qui ont marque´ a` la fois le Pays Basque et la Gascogne au sens large ; basque et gascon sont d’ailleurs des adjectifs de meˆme racine. On sait peu de choses sur d’autres e´le´ments pre´celtes et pre´latins e´ventuels, bien que les hypothe`ses sur des parlers dits ibe´riques ne manquent pas, leurs relations avec un suppose´ vascon restant obscures. La montagne pyre´ne´enne, notamment, comporte de nombreux noms d’origine tre`s ancienne comme cuc, tuque (sommet, pic), gar (rocher), lit (pierres, e´boulis), boum (lac, ibon en Aragon). Cet ensemble est aussi la principale partie de la France ou` re`gnent les noms en -ac, sauf dans les Landes et les Pyre´ne´es-Atlantiques. Ils sont comple´te´s par des noms en -an, surtout dans le Gers et les Hautes-Pyre´ne´es, quelques -at. En revanche, les suffixes en -y, -ay, -ey sont peu nombreux. Parmi les particularite´s locales, notons une certaine fre´quence de suffixes en -ens et -eins (Boussens, Tonneins) que l’on dit parfois wisigothiques et variantes des -ing germaniques. Des terminaisons en -on et surtout -un (Ozon 65, Ossun 65, Je´gun 32, Balansun 64, Peyrun 65), dans les Pyre´ne´es et le Be´arn, sont conside´re´es comme d’origine vasconne. Ce pourrait aussi eˆtre le cas d’un groupe de suffixes en -ein dans l’Arie`ge en Couserans (Sentein, Audressein, etc.), et plus probablement -os en Bigorre et Be´arn (Sabalos 65, Lizos 65, Libaros 65, Nistos 65, Esparros 65, Agos-Vidalos 65, Abos 64, Abidos 64, Agnos 64, Bidos 64) ainsi qu’en Gironde (Bernos, Budos, Cudos, Giscos). Toutefois, les adjectifs prennent souvent la finale -ous en gascon (comme -eux en langue d’oil) : en Bigorre Poumarous 65 vient du pommier, Tilhouse et Lutilhous du tilleul (le second avec luc, bois), Peyrouse des pierres, Camous d’un champ fertile ; Campistrous des champs aussi, peut-eˆtre avec l’ide´e de pie´tine´, tasse´ (pistre, comme pe´tri) ; Argelouse 40 est argileuse. Or -os et -ous peuvent eˆtre e´quivalents ; on trouve meˆme Semboue`s ou Ugnouas 65 (de´rive´s d’un NP ?). Il convient de noter qu’en fait les attributions de lieux a` des NP se limitent souvent au nom seul, ou admettent les pre´positions e´quivalentes « chez » et surtout « en », bien plus que la suffixation adjective ; les -ie`re et -erie sont ici marginaux, et plus souvent en -e`re ou -era. Les lieux-dits sont massivement occitans, avec quelques inflexions : vers l’ouest, du Gers aux Landes et dans une partie des Pyre´ne´es, le v>b et le f>h. Ainsi ville devient bielle, faget (heˆtre) haget, femme henne, le fer her, la fontaine hont, hount. Ce passage du f au h est conside´re´ comme caracte´ristique du gascon. Un autre trait est l’abondance des bastides comme fondations villageoises et urbaines des XIII e-XIV e sie`cles, pre´ce´de´es par des sauvete´s (XI e-XII e s.) pourvues de franchises, mais en ge´ne´ral de moindre dimension. Il s’agit de formes de re´organisation et de densification du peuplement apre`s des sie`cles d’inse´curite´, souvent oriente´es vers l’affirmation de la puissance et les luttes de pouvoir de seigneurs locaux, du clerge´ ou du pouvoir royal, qui parfois s’associaient deux a` deux en pare´age – Villeneuve-duPare´age 09 conserve ce terme. Le choix de noms attractifs, Villeneuve ou Villefranche, La Salvetat (sauvete´), Plaisance, Beaumont, Florence, Grenade, et tant d’autres, te´moignait alors d’un re´el souci de publicite´ en vue d’attirer des colons. L’Aquitaine e´tait nomme´e au temps de Ce´sar, mais le nom peut eˆtre plus ancien et son origine est tre`s discute´e. La plupart des commentateurs y voient l’eau (IE ak), quelques-uns un peuple Ausque (Auscii) qui aurait e´te´ centre´ sur ce qui est devenu Auch. Son extension a beaucoup varie´, au point d’avoir pu se limiter a` des territoires

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au nord de la Garonne. La Gascogne est un ensemble de contre´es aux contours inde´finis, mais situe´es dans les plaines et collines au sud de la Garonne ; le Be´arn en est en ge´ne´ral exclu, sans diffe´rence culturelle majeure mais en raison de sa forte personnalite´. Les environs de Toulouse et les pays tarnais ont appartenu au HautLanguedoc, dont Toulouse fut le chef-lieu. La plupart des de´partements ont des noms de rivie`res. Garonne est habituellement rapporte´e a` gar, de car, le rocher et onna, onda, cours d’eau ; Gironde ne serait qu’une adaptation locale du meˆme nom. Le Tarn (dont le n final n’est pas localement prononce´) a des origines plus obscures : hydronyme pre´latin, re´fe´rence a` des abrupts en tar (cf. le Tanargue non loin de sa source), ou a` ses traverse´es (tra) ? Le Lot (ici le t se prononce toujours) fut l’Olt, dont il reste un nom de pays ; il s’agirait d’un hydronyme ancien ol, avec le sens de mouvement, ou d’eaux rouges ; plusieurs communes en conservent le nom, ainsi qu’une communaute´ (Pays d’Olt et d’Aubrac). La Dordogne vient d’un hydronyme re´pandu dour, dubro, comme la Durance, les Dorons, le Dourdou et bien d’autres ; deux de ses teˆtes issues du Puy de Sancy ont noms Dore et Dogne, mais cette distinction pourrait eˆtre une adaptation fantaisiste re´cente. L’Aveyron a pour racine av, qui e´voque l’eau. Le Gers fut Egircius : l’IE eghero a eu le sens de lac, et le ferait ainsi parent du fameux Ache´ron grec ; l’Hers Vif et l’Hers Mort du Toulousain lui seraient apparente´s. L’Arie`ge sort de l’hydronyme ar, qui aurait eu le sens de blanc, brillant, argente´ mais a aussi et surtout e´te´ attache´ aux rochers. Le nom des Pyre´ne´es est re´pute´ avoir e´te´ donne´ par les Grecs, mais nul n’a jamais vu de rapport entre les Pyre´ne´es et le feu (racine pyro en grec) : les Grecs n’y seraient pour rien, ou ils ont pu adapter un nom pre´existant ; Billy sugge`re un rapprochement inte´ressant avec la racine dont vient l’actuel basque buru, au sens de teˆte, sommet.

Le domaine toulousain La premie`re mention connue de Foix 09 en fait un Castro Fusci, mais aucune interpre´tation n’a pre´valu ; fous, fos, qui est un creux en occitan, parfois une valle´e profonde, est assez vraisemblable, mais on peut pre´fe´rer le latin fuscus, sombre, peuteˆtre d’apre`s le rocher qui porte la vieille ville : fosc est tre`s employe´ en ce sens dans la montagne catalane voisine. Pamiers 09 est une villeneuve du XII e sie`cle qui a rec¸u un nom importe´ des Croisades, celui d’Apame´e. Lavelanet 09 vient des noisetiers (avella) ; le Pays d’Olmes qui l’environne est le pays des ormes. Le Plantaurel, qui forme une longue creˆte horizontale en avant des Pyre´ne´es, associe plan et hauteur (turro). Le Couserans, ou bassin du Salat a` l’ouest de l’Arie`ge, vient du peuple Consorani et Saint-Girons 09 fut a` l’origine Lugdunum Consorani. En avantpays, le Volvestre et le Volp, rivie`re qui le traverse, ont pu eˆtre en rapport avec les peuples Volques, gaulois apparus en re´gion toulousaine au III e sie`cle avant notre e`re. La Ballongue est une valle´e longue, Bethmale a e´te´ bat mala au XV e sie`cle (valle´e mauvaise, E. Ne`gre) ; le bat originel ayant e´te´ attire´ par beth, beau, on a pu l’interpre´ter tardivement beth mala (belle montagne). Le Se´rou viendrait de cella, petit monaste`re, par un ancien village Sero (Billy). La Barguillie`re pourrait avoir un rapport avec le gascon barguera, parc a` ovins plus ou moins mobile. Le plateau d’Aston semble incorporer la vieille racine pyre´ne´enne ast, paˆturage parmi les roches.

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Plus a` l’est, le Donezan viendrait d’un NP Dalmatius. Que´rigut y est interpre´te´ comme quer acuus, creˆte rocheuse aigue¨, Mijane`s comme « moyenne », a` mi-chemin. Pour Carcanie`res, on a le choix entre le cheˆne (quercus), un oronyme ancien (car), une gorge de l’Aude (de garg, Dauzat) et meˆme un improbable « querelleuse » imagine´ par E. Ne`gre. La valle´e de Sos, dont le nom est porte´ par Vicdessos 09 et le chaˆteau ruine´ de Montre´al-de-Sos a` Auzat 09, a des homonymes en Aragon et a` la limite des Landes en Lot-et-Garonne : Sos 47, sur un site d’oppidum, aurait e´te´ la capitale d’un peuple « aquitain » Sotiate qu’on voit mal en haute Arie`ge. L’onomasticien barcelonais J. M. Albaige`s (Enciclopedia de los toponı´micos espan˜oles, Madrid : Planeta, 1998) rapproche Sos de lieux en Sort, Suert, qui pourraient avoir meˆme racine que le subi (zubi) basque et de´signer ainsi un pont, un passage – les noms des peuples e´tant d’e´ventuels de´rive´s, sauf simple homonymie. Toutefois, ces noms peuvent tout aussi bien signaler une source ; on trouve Sort-en-Chalosse 40, Sort a` Saint-Sever 40, Soorts-Hossegor 40, un Cortal d’En Sos a` Sournia 66, ainsi d’ailleurs que la trilogie Suerta, Suerto, Suertu en Haute-Corse a` Bastia, Tallone et Ersa, qui semblent plus en rapport avec des sources qu’avec des ponts. Toulouse, ancienne Tolosa, est un nom discute´. Il a pu eˆtre mis en rapport avec tullo, au sens de hauteur : mais dans ce cas, la topographie implique qu’il ne peut s’agir a` l’origine que de Vieille-Toulouse 31, village proche sur les hauteurs des collines du Terrefort, qui s’est d’ailleurs re´ve´le´ tre`s riche en restes arche´ologiques. A` l’est, le Lauragais doit son nom a` la petite commune de Laurac, qui est dans l’Aude. Le nom de Muret 31, sur la Garonne, vient de ses anciennes murailles. Grenade 31 est une bastide de 1290 en pare´age entre abbe´ et roi, alors dote´e, pour le prestige, d’un nom de ville andalouse. A` l’ouest, la foreˆt de Bouconne a un nom en rapport avec les bois. Le Touge`s est le pays que draine le Touch. Vers le sud-ouest, le Ne´bouzan viendrait d’un ancien village de meˆme nom, devenu hameau de Villeneuve-Le´cussan 31 a` l’extre´mite´ sud-ouest, dans la haute valle´e de la Save : soit d’un NP Nepotianus, ou plutoˆt « brumeux » (de IE nebh, latin nebula) – il existe un Ne´bouzat 63 et un Ne´bouzac a` Plaux 15 qui ont pu avoir ce sens. Le Comminges fut le pays des Conve`nes, dont le chef-lieu Lugdunum Convenarum a e´te´ identifie´ avec Saint-Bertrand-de-Comminges 31. Montre´jeau 31 est un mont royal. Saint-Gaudens 31 fut Mansus, puis Mas-Saint-Pierre avant de porter le nom d’un jeune martyr des Wisigoths. La plaine de Rivie`re est un e´largissement de la valle´e de la Garonne a` la sortie des Pyre´ne´es ; Rivie`re a ici le sens de Ribe´ral, plaine en bord d’eau. Le nom de Luchon est re´pute´ venir d’un dieu Ilixo, mais lui-meˆme lie´ a` un hydronyme qui se retrouve en amont dans le Lis et le cirque du Lis (a` tort Lys), avec le sens de torrent. A` Bagne`res-de-Luchon 31 de´bouchent deux valle´es montagnardes peuple´es, Oueil et Larboust ; Oueil est e´quivalent de source (« œil »), Arboust est a` rapprocher d’autres toponymes pyre´ne´ens Oust 09, Ustou 09, Ouste´ 65, Arbe´ost 65, Be´ost 65, Ayzac-Ost 65 et qui semblent issus d’une racine archaı¨que ust de´signant une plaine, une valle´e relativement large ou un replat (arb e´tant peuteˆtre en rapport avec le paˆturage). Au nord de Toulouse, en bordure du Massif Central, la pre´sence de termes celtiques dans la toponymie augmente. Le de´partement du Tarn se partage entre plateaux du

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Massif Central et collines et plaines du Bassin Aquitain. Parmi les premiers, le Sidobre est rapporte´ a` briga, hauteur, avec un de´terminant discute´ (sie`ge ?). Le plateau d’Angle`s le prolonge vers l’est, entre Arn et Agout ; Angle`s e´voque des prairies humides. Lacaune vient d’une grotte. Le Se´gala est sans surprise un pays du seigle. Pampelonne est une bastide de 1290, farde´e du nom de Pampelune. Vers l’ouest, la Gre´signe est un bloc de´tache´ du massif, boise´ et nomme´ comme le gre`s dont il est fait. Le nom d’Albi 81 reste discute´ ; faute d’indices probants autres qu’un ancien Albiga, on a e´voque´ blanc (alb), haut (alp) et meˆme aballo (pommier) ; Billy penche pour un transfert de peuple Albici a` partir de Riez 04, qui fut jadis Alebaece, et qui a pour voisin un Albiosc (a` Esparron-de-Verdon 04). Castres 81 fut e´videmment un camp romain (castrum). Mazamet 81 serait un mas muni d’un NP. Graulhet 81 est cense´ venir des grenouilles (graulhas en occitan), Lavaur 81 et le Vaurais d’un vaure-vabre bien connu mais tantoˆt traite´ comme un ravin, ce qui s’oppose au site, tantoˆt comme un fond humide et boise´ (celte vobero), plus plausible ; des Vabre et Vaour du massif ancien re´pondent mieux au premier sens. Carmaux 81 est discute´ aussi, probablement issu d’un NP – ou du charme. Rodez 12 et le Rouergue viennent du peuple Ruthe`ne. Villefranche-de-Rouergue 12 est une bastide de 1252 fonde´e pour y transfe´rer le sie`ge de la se´ne´chausse´e du Rouergue. Millau 12 a e´te´ au VIIIe s. Ameglado, interpre´te´ par Billy comme forme´ sur amb, rivie`re et clado, fosse´, donc rivie`re encaisse´e, ce qui peut correspondre au site. Elle avait e´te´ auparavant Condemago (marche´ du confluent) mais dans un site voisin, de´truit au moment des invasions. Decazeville 12 est une cre´ation industrielle du XIXe sie`cle, Baraqueville 12 est ne´e plus tard des intenses trafics agricoles d’un carrefour en rase campagne. Le territoire de l’Aveyron s’e´tend sur plusieurs causses aux toponymes caracte´ristiques en Sotch, Aven, Cloup, etc., encadre´s de blocs de massif ancien comme le Le´vezou, mot apparemment forme´ sur l’une des appellations de la pierre (lav, comme pour lave et lauze). Le Larzac viendrait de l’ancien larix pour me´le`ze, qui est dans le nom du pin laricio et dans les Lars alpins. Au sud, le Rougier de Camare`s vient des sols rouges des terrains permiens ; Camare`s 12 fut Cambar, probablement de la racine gauloise cambo (courbe de rivie`re), sur le Dourdou sinueux. Au nord, Entraygues-sur-Truye`re 12 justifie son nom par son site au confluent du Lot ; Espalion 12 viendrait de spei, piton rocheux. La Viade`ne est un petit pays entre Lot et Truye`re, et apparaıˆt a` Vitrac-deViade`ne ; le foyer originel en aurait e´te´ Bez-Be´de`ne, anc. Betone, dont subsiste un prieure´ a` Campouriez 12 sur un e´troit promontoire de la profonde valle´e de la Selves : bez comme bed pourraient eˆtre en rapport avec l’ide´e de fosse´. Laguiole 12 vient d’e´glise (anc. La Glaziole, la Glaiole) et son g ne s’entend pas. Saint-Che´ly-d’Aubrac 12 est un saint E´loi, prononce´ sanch e´li en occitan. L’Aubrac lui-meˆme, plateau humide, a probablement le sens de haut marais (alt+bracco, comme bray), ce qui peut sembler paradoxal mais a pu s’appliquer au site du village e´ponyme, aujourd’hui hameau d’Aubrac a` Saint-Che´ly-d’Aubrac, mentionne´ Alto Braco en 1120. Au nord, le Barrez est forme´ sur bar, relief, hauteur ; Mur-de-Barrez et Lacroix-de-Barrez 12 en conservent le nom. Vers l’ouest, le Quercy est bien le pays des cheˆnes (quercus) ; on distingue le HautQuercy du chef-lieu et le Bas-Quercy plus au sud (en Tarn-et-Garonne surtout), dit

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Quercy Blanc pour e´viter le « bas » et parce qu’il est plus cultive´, moins boise´ que l’autre. Cahors 46 vient du peuple Cadurce. Figeac 46 viendrait d’un NP, comme Souillac et Gramat. Le nom de Gourdon 46 semble e´voquer une ceinture (IE gherdh), une enceinte. Le puy d’Issolud a` Vayrac 46 vient d’un Uxellodunum (montfort en gaulois). Limogne 46 et le Limargue sont forme´s sur limo, la boue – le Limargue est une de´pression dans les terrains marneux entre Causses et Chaˆtaigneraie. Uzech, Luzech 46 semblent venir du celte uxo (hauteur). La Bouriane est une contre´e boise´e au sud de Gourdon, dont le nom aurait le sens de pacage, soit par boaria, soit par bourre au sens d’herbe a` brouter, non a` faucher ; d’autres toponymes en Bouriane, Bourianne se dispersent dans le Sud-Ouest et en Auvergne. Montauban 82 est une fondation du XI e sie`cle, au simple sens de mont blanc. Castelsarrasin 82 ne doit rien a` des Maures : c’est un castelnau du XII e sie`cle, mis en place au nom du comte de Tolouse par un certain Raymond Sarrasin. Moissac 82 a un nom controverse´, entre NP et latin musteus au sens de frais, humide. Caussade 82 est la chausse´e, Grisolles 82 vient d’e´glise. Ne`grepelisse 82 n’a pas rec¸u d’explication satisfaisante ; pelisse a des chances d’eˆtre palis, comme dans palissade. Verdun-surGaronne 82 est l’un des rares toponymes d’origine celte dans la valle´e de la Garonne ; les hasards des alliances fe´odales ont fait apparaıˆtre une seigneurie de Rivie`reVerdun, associant ce terroir montalbanais a` une partie du Comminges, qui en a retenu le nom ; ce Verdun a toutes chances d’eˆtre un montfort de l’eau, du bord du fleuve (vara+duno). Valence 82 est une bastide anglaise de 1283, couramment appele´e Valence-d’Agen. La Lomagne est une contre´e des reliefs a` l’ouest de la Garonne ; son nom est cense´ venir d’un certain Liutman et de l’e´poque carolingienne ; Beaumont-de-Lomagne 82 est une bastide de 1282.

La mouvance bordelaise Le nom de la Guyenne viendrait directement de celui de l’Aquitaine. On l’oppose a` la Gascogne, mais leurs limites sont floues. Celles de la Guyenne ont fort varie´ selon les moments et les institutions, et les parlers de Guyenne sont principalement de forme gasconne, sauf dans quelques cantons au nord de la Gironde. Le nom de Bordeaux a fait beaucoup de´battre et reste discute´, au-dela` d’un « bord d’eau » trop e´vident pour eˆtre suˆr. Sa forme latine Burdigala a fini par susciter un rapprochement avec bourde au sens de marais, bourbier, localement atteste´ par exemple par l’Eau Bourde, petit affluent de la Garonne ; gala serait de cal, cala, au sens de crique : Bordeaux serait alors la crique du marais (M. Morvan), ce que le site autorise. En aval, Blaye 33 est rapporte´ au celte blavo (IE bhel), selon la couleur des eaux girondines et l’humeur, entre jaune et vert-bleu... Libourne 33, bastide de 1270, porte le nom de son fondateur britannique Leyburn ; Leyburn est une ville du Yorkshire ; aucun jumelage entre les deux. L’Entre-Deux-Mers est un nom historique, atteste´ en 1080, pour de´signer les collines et plateaux entre Garonne et Dordogne. Lesparre-Me´doc 33 vient d’espar, pie`ce de charpente. Le Me´doc fut le pays d’un peuple gaulois Me´dule. Le Verdon est forme´ sur vara (bord d’eau) et duno, montfort. Le pays de Buch fut celui d’un peuple Boii ou Boı¨ens ; La Teste-de-Buch 33 garde en son nom le souvenir d’en avoir e´te´ le

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chef-lieu, la teˆte. Arcachon 33 semble issu d’un terme vascon au sens de bre`che, goulet qui peut correspondre au de´bouche´ de son bassin. Bazas 33 viendrait du peuple Vasate. Bernos-Beaulac associe un petit hameau chef-lieu apparemment forme´ sur verne (aulne) et le suffixe -os, et un village a` la traverse´e du Ciron, qui n’a jamais eu d’autre lac que le bief d’une forge et a pu eˆtre un Belloc (beaulieu). Captieux 33 est parfois interpre´te´ caput sylva, teˆte de la foreˆt, mais pourrait tout aussi bien eˆtre la source (cap, chef) du Thus, affluent du Ciron, qui y naıˆt. La Re´ole 33 vient de regula, la re`gle monastique de son abbaye. Langon 33 serait synonyme de bord d’eau (gaulois alinco), comme Langeais 37. La Bre`de 33, pays de Montesquieu, n’est autre qu’un buisson d’e´pines. Sauternes 33 pourrait eˆtre un de´rive´ de saltus. Le Pe´rigord et Pe´rigueux portent le nom du peuple Petrocore, interpre´te´ comme « quatre arme´es ». On y distingue depuis longtemps un Pe´rigord Blanc, aux calcaires apparents et aux horizons relativement ouverts, et plus a` l’est un Pe´rigord Noir (Sarladais) d’aspect plus sombre, plus boise´, plus ferme´, aux cheˆnes noirs plus pre´sents. Les besoins de la publicite´ y ont ajoute´ plus re´cemment un Pe´rigord « Vert » au nord (Nontronnais), un Pe´rigord « Pourpre » (Bergeracois) viticole aux couleurs de pampres. Bergerac 24 de´riverait d’un NP. Le nom de Sarlat 24, au sud-est, viendrait de « serre large » pour les uns, ce qui peut sembler paradoxal, pour d’autres de l’eau vive (IE ser) de la Couze, laquelle porte un nom de torrent re´pandu. Pour P.-H. Billy, Nontron a pu eˆtre un Nemetodurum (sanctuaire enclos ou avec fort). Excideuil 24 semble appartenir a` la famille gauloise uxello (hauteur). Ribe´rac 24 est associe´ a` l’ide´e de rive ou rivie`re, Brantoˆme 24 a` l’IE bhron, promontoire, mamelon. La Force 24 vient d’un lieu fortifie´. Entre Pe´rigord et Bordelais s’interposent deux marches forestie`res, au nord la Double, au sud le Landais ; celui-ci a le nom de la lande, celui-la` fut Edobola, ce qui le rattacherait au latin ebulus pour le sureau, devenu hie`ble en franc¸ais – on a pu aussi y voir la racine dub, sombre, noir, comme pour d’autres lieux boise´s. Agen 47, jadis Aginnum, reste objet de discussion : peut-eˆtre hauteur, a` partir d’un IE ak, rocher aigu, convenant a` un oppidum ; mais agin est l’if en basque et le nom a pu eˆtre d’origine vasconne. Marmande 47 vient de mirmande, ancien nom de maison forte (de mirer, guetter). Ne´rac 47 est sans doute d’un NP, ainsi que Tonneins 47, a` suffixe dit wisigothique. Villeneuve-sur-Lot 47 est une bastide de 1254. Fumel est obscur (E. Ne`gre y voit « femelle »...), la Le´mance pourrait eˆtre en rapport avec limus (boue) ou lemno (lac), le chaˆteau de Bonaguil a tout du nid d’aigle (aguil). Derrie`re Houeille`s 47 se lit probablement une feuille´e, la foreˆt. Casteljaloux 47 a probablement signifie´ : chaˆteau bien de´fendu. Duras viendrait de duro (lieu fortifie´), Seyches 47 de l’e´tymon latin saxum, rocher. Penne-d’Agenais 47 vient de pe`ne, e´minence rocheuse du Pays des Serres, lequel a un nom re´cent attribue´ a` un ensemble de fortes collines allonge´es du coˆte´ du Bas-Quercy.

Le pays gascon L’Agenais rele`ve au moins pour partie du domaine gascon. En fait, plus par commodite´ que par raison, il est fre´quent de conside´rer comme gascons les pays a` l’inte´rieur de la courbe de la Garonne, et principalement les de´partements du

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Gers, des Hautes-Pyre´ne´es et des Landes. Dans cette aire, les toponymes d’origine celte sont particulie`rement discrets, ceux d’origine vasconne plus pre´sents ; mais les traces gothiques, spe´cialement wisigothiques, n’ont pas manque´, ni plus tard les bastides, du moins hors des Pyre´ne´es. Le remplacement du f par h y est habituel, comme celui du v par b ; en ge´ne´ral, le gascon e´vite le f : fre`che (du freˆne) y devient facilement re`che et Richet a` Pissos 40 vient d’un Frayssinet (donc aussi du freˆne). Auch 32 est une ancienne Iliberri (villeneuve en vascon) qui a pris ensuite le nom du peuple Ausque (Auscii). En sens inverse, Eauze 32 vient des aulnes (alisa) et aurait donne´ ce nom au peuple E´lusate. Nogaro 32 vient de nougare`de, noyeraie. Condom 32, jadis Condomus, passe pour un marche´ du confluent (condomagos) mais semble mieux pouvoir relever d’un ancien condominium, condamine. La Romieu 32 tire son nom des pe`lerins, ceux qui allaient « a` Rome », meˆme si c’e´tait a` Compostelle. Le joli petit village perche´ de Larressingle 32 vient de cingula, ceinture, propre a` ses fortifications circulaires. Lectoure 32, qui fut un oppidum, reste obscur, et le peuple Lectorate parfois mentionne´ lui aurait duˆ son nom ; les formes anciennes Lactora et gasconne Leitoure ouvrent d’autres pistes, dont le lit pre´latin pyre´ne´en pour des e´boulis, possible en ce site rocheux ; mais non des conclusions. Lombez 32 serait un autre Iliberri, e´volue´ vers Ilumberri. Fleurance, Valence-sur-Baı¨se et Mirande 32 sont des bastides de la fin du XIII e sie`cle, Plaisance de 1322, qui toutes ont rec¸u des noms flatteurs pour attirer le peuplement. Castelnau-Barbarens 32 a e´te´ Castet Neu de Barbarencs en 1140 : un de ces castelnau d’avant les bastides, mais apparemment « en pays barbare ». Gimont 32 est une bastide de 1265, d’abord Francheville, qui a pris ensuite le nom de sa rivie`re, la Gimone, et fourni celui du petit pays, le Gimoe`s – Billy sugge`re dans ces noms un e´tymon IE gheimon, hiver, atteste´ par X. Delamarre : la Gimone, indigente avant les apports des canaux pyre´ne´ens, n’e´tait-elle jadis perc¸ue que comme un cours d’eau d’hiver ? A` titre d’exemple de la toponymie locale, Escazeaux 32 (les petites maisons ou les petits jardins) a pour lieux-dits Garrigues, Borde Neuve, Tucol et Caste´ra sur une creˆte, Escarpiades sur un versant, Madame comme grosse ferme pre`s du Bois de la Salle ; Padouenc, les Pradelles, les Herbets et le vallon Taille Pasteng pour ce qui est des paˆtures ; Talave`re et son voisin Tale`re, la Gre`ze, les Granges, Cap del Bosc avec pour voisin le Bout du Bois. Les pays gersois conservent des noms particuliers, parfois repris dans ceux des communes. Le Save`s est le pays de la Save, hydronyme re´pandu en Europe. L’Astarac s’e´tend sur le sud du de´partement du Gers ; il serait issu d’un NP Asterius, un comte nanti aux temps carolingiens. Il en est de meˆme plus au nord pour le Fezensac, dont Vic-Fezensac 32 porte encore le nom, et le Fezenzaguet qui en est issu, autour de Mauvezin 32 (« mauvais voisin »). Au sud, le Magnoac (dans les Hautes-Pyre´ne´es) viendrait d’un autre NP. Vers l’ouest, le Pardiac viendrait d’un chaˆteau Monpardiac disparu, du latin paries pour d’anciens murs, comme un e´quivalent de Maze`res. Entre Auch et Condom, la Te´nare`ze tire son nom d’une voie pre´romaine qui aurait rec¸u au Moyen Aˆge le nom de terrena (chemin de terre). La Baı¨se n’a pas donne´ de nom de pays ; son nom pourrait eˆtre en rapport avec basse, comme bassure et d’autres fonds

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de valle´es. Le plus connu et le plus e´tendu de ces pays est e´videmment l’Armagnac, qui semble lui aussi forme´ sur un nom germanique de seigneur titulaire. La persistance des noms de pays se marque dans les Landes, de´partement qui porte le nom abre´ge´ des Landes de Gascogne, vaste contre´e de saltus, marais et foreˆts disperse´es avant son massif boisement en pins au XIX e sie`cle. Le Gabardan, a` l’est, et Gabarret 40 son chef-lieu, sont en rapport avec le nom local des ronces et ajoncs. Le pays d’Albret, dont la famille seigneuriale fut jadis ce´le`bre, est nomme´ selon son chef-lieu Labrit, dont l’e´tymon brit, bret e´voque soit des buissons (cf. La Bre`de) soit un terrain boueux. Le Marsan, dont la pre´fecture Mont-de-Marsan porte le nom, serait construit sur un NP. Au nord, le pays de Born porte le nom d’un village disparu, d’e´tymologie discute´e (un creux, un puits ?) ; il reste vivant dans plusieurs noms de communes, dont la plus connue est Parentis-en-Born, qui fut exceptionnel en France par son pe´trole. Le Marensin, au sud du Born, borde l’Atlantique ; le nom vient de la mer, comme celui de la Maremne qui le relaie au sud. Le Seignanx a e´te´ mentionne´ Sexsignani par les Romains, ce qui aurait eu le sens de « six rameaux », peut-eˆtre par allusion a` sa division en six clans ; deux communes portent son nom, ainsi qu’une intercommunalite´. En son sein, Orx, le marais et l’e´tang d’Orx pourraient provenir de l’eau en vascon (ur en basque). Selon Billy, la Chalosse semble tirer son nom d’un ancien village Sescossa, auquel a succe´de´ un Castelnau de Silosa devenu Castelnau-deChalosse ; la racine est sans doute le roseau (sesca) ; un nom plus ancien, vascon, est parfois envisage´ mais sans preuve. Le Tursan est un petit pays de collines a` l’ouest d’Aire-sur-l’Adour ; son nom (Teurcensi au XI e s.) ne viendrait pourtant pas de l’Adour (qui fut Atur), mais d’un NP seigneurial ; Vielle-Tursan 40 (vielle=ville) et Castelnau-de-Tursan 40 en perpe´tuent le nom. Dax 40 est « d’ax », ville d’eau par excellence, ancienne Aquæ Tarbelli du nom d’un peuple gaulois. Peyrehorade 40 signifie pierre troue´e, Hagetmau 40 mauvaise heˆtraie, Mauco 40 un mauvais coin. Hastingues 40 a e´te´ une bastide royale anglaise lance´e en 1289 par le se´ne´chal Hastings. Hossegor 40, qui s’e´crivit Ossegor, pourrait avoir eu le sens d’eau (osse) rouge (gorri) et Soorts, associe´ dans la commune de Soorts-Hossegor, celui de source. Soustons 40, Sostono vers 1100, semble venir de sosta, pacage ou du moins halte sur un parcours pastoral, mais pourrait aussi eˆtre rapproche´ des noms en sos, sort e´voque´s plus haut (un anglais Southtown parfois invoque´ est pure fantaisie). Biscarosse 40 est volontiers interpre´te´ comme issu d’un vascon biskar, e´chine, encore pre´sent en basque, et a` Vizkar 65. Aire-sur-l’Adour 40, Atora en 590, vient du nom meˆme de l’Adour, jadis Atura ; elle avait auparavant e´te´ Vicojuli, village de Jules (Ce´sar). La Bigorre correspond en gros aux Hautes-Pyre´ne´es et entre dans des toponymes comme Bagne`res-de-Bigorre et le Pic du Midi de Bigorre. Le nom a e´te´ porte´ par une ville, Begorra (actuel Saint-Le´zer) et un peuple aquitain de nom voisin (on dit de nos jours Bigourdan) ; l’e´tymon en serait un vascon au sens de tordu ou rebelle... Tarbes 65 semble venir d’un peuple Tarbelli (dot Dax a porte´ le nom), ou de l’IE treb (peuple, habitat), ce qui n’est pas incompatible. Le nom de Lourdes 65, jadis Lorda, Lorde, proche de Lourde 31 et Lordat 09, semble pre´latin mais obscur ; la forme originelle vasconne Ilura (ville) a e´te´ suppose´e ; Billy sugge`re une e´ventuelle

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parente´ avec le basque lur (terre, pays). Ossun 65 pourrait appartenir a` la famille hydronymique ossa, comme Oursbelille en aval, qui y ajoute un ancien Belle-Isle. Maubourguet 65 fut un mauvais petit bourg. Lannemezan 65 et son plateau en e´ventail sont la « lande du milieu » entre Garonne et Adour. Un peu plus a` l’ouest, le Rustan est associe´ a` l’Arros, affluent de l’Adour, et a` une racine hydronymique ros (IE ros, couler) ; des communes en rappellent le nom, mais avec des orthographes diffe´rencie´es : Saint-Sever-de-Rustan 65, Se`re-Rustaing 65, Lamarque-Rustang 65. La plaine de l’Adour est appele´e Rivie`re, puis Rivie`re-Basse, noms qui entrent dans ceux de quelques communes. De l’autre coˆte´ de l’Adour, un autre plateau en e´ventail est celui de Ger 64, village dont la racine est dans un terme pyre´ne´en e´voquant des paˆturages, comme au pic de Ger (Eaux-Bonnes 64). Un peu au nord, le Vic-Bilh est le « vieux vic » (village). Tout ce pie´mont pyre´ne´en de Bigorre, de l’Astarac et du Be´arn a des creˆtes e´troites, nomme´es pouges, entre des valle´es encaisse´es ; des maisons ouvertes vers l’est pour tourner le dos aux vents pluvieux ; des terroirs morcele´s ou` la lande avait une grande place. De la` re´sultent de nombreux microtoponymes en Pouge, Poutge, d’autres en Laa`, Laas (lande) et Touya (fouge`re et ajoncs), des communes aux noms compose´s par associations anciennes, et des de´doublements caracte´ristiques de hameaux et villages marque´s par l’orientation : Daban et Darre´ (devant et derrie`re pour est et ouest), Dessus et Dessous pour sud (vers la montagne) et nord. La montagne pyre´ne´enne, dont le versant franc¸ais est relativement e´troit, est fragmente´e par des valle´es sud-nord qui ont e´te´ autant de petits pays. A` l’est, la valle´e d’Aure ne vient pas de l’or mais d’un hydronyme ; elle est draine´e par la Neste, autre hydronyme pour des torrents, et de´double´e en amont par son affluent le Louron, ancien Iluron (rac. is, isl, qui coule vite) ; Vielle-Aure 65 et Vielle-Louron 65 en sont d’anciens chefs-lieux, ou` vielle a le sens de ville. Tramezaı¨gues 65 y a un nom de confluent. Entre Garonne et Neste s’e´tend la Barousse, ancienne Varossa, valle´e de l’Ourse, un petit affluent de la Garonne de la famille hydronymique ossa, l’ours n’ayant sans doute e´te´ qu’un e´le´ment d’attraction ulte´rieur. De l’autre coˆte´ de la Neste, les reliefs pre´montagnards rele`vent des Baronnies, anciens fiefs ou` troˆne le chaˆteau de Mauvezin 65, un autre « me´chant voisin » soucieux de se faire respecter. Le massif du Ne´ouvielle troˆne au sud, de son nom de « vieille neige ». A` l’ouest s’ouvre l’e´ventail des sept valle´es du Lavedan dont sort le Gave de Pau ; le nom de pays vient d’un peuple Lavetan, dont l’e´ponyme pourrait eˆtre le village de Lau (commune de Lau-Balagnas 65), ce qui pourrait faire penser a` un e´quivalent de pierre (lav). Cauterets 65 y e´voque des eaux chaudes. Gavarnie 65 est lie´ au gave, vieux nom ge´ne´rique de torrent. Le Vignemale serait, comme le Puigmal en Cerdagne, un mont (bigne, racine pre´latine bunia) difficile (mal) plutoˆt qu’un mont (mala) blanc (vindo) ou un redondant vin (pre´-IE, mont)+mala (montagne) mais les discussions ne sont pas closes ; une origine celte est toutefois peu probable en ces lieux pour un relief aussi e´minent, un nom vascon plus vraisemblable, re´interpre´te´ ensuite. A` l’ouest, le val d’Azun est la valle´e de l’Ouzom, un autre hydronyme en osse, qui a sa source au Cap d’Ouzom dans le cirque du Litor (de lit, e´boulis). Plus au sud et plus haut a` la frontie`re, le Balaı¨tous (3 144 m) est suppose´ eˆtre un « val laiteux » aux estives

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tre`s productrices en lait, selon divers e´rudits, dont Billy. L’interpre´tation est surprenante : il s’agit d’un massif e´leve´, en partie englace´, non d’une valle´e ; cette rare productivite´ n’a pas d’attestation connue ; d’autres attribuent l’adjectif « laiteux » a` la couleur des eaux d’un glacier. On penserait plus volontiers a` une racine lit pour des e´boulis, des versants pierreux comme pour Litor, et pour Literola en Luchonnais sur la meˆme creˆte frontalie`re, assorti de l’oronyme bal. Les deux grandes valle´es des Pyre´ne´es be´arnaises sont Ossau et Aspe. La premie`re, domine´e par le Pic du Midi d’Ossau, semble relever du groupe hydronymique Osse de´ja` mentionne´ ; elle abrite Eaux-Bonnes 64, et la station d’Eaux-Chaudes, dans la commune de Laruns 64, nomme´e selon le basque lar, lande. Arudy 64, qui fut Aruri, aurait e´te´ forme´ sur ar, rocher (comme beaucoup de toponymes des environs) et uri (ili), ville. Aspe est un nom discute´ ; soit aitz (rocher) et pe´ (pied), soit plutoˆt une base ast-asp qui semble avoir aussi bien servi pour des hauteurs rocheuses que pour des paˆturages de montagne, comme a` Aspin-en-Lavedan 65, Aspet 31. Lescun 64 viendrait de lats, terme vascon pour ruisseau. En aval, Oloron-Sainte-Marie 64 est un ancien Iluro : courant rapide, ou Ili-onna (ville et rivie`re), ou une divinite´ des eaux. Le Bare´tous est un petit pays de´bouchant sur Oloron, dont Lanne-en-Bare´tous 64 (lande) conserve le nom ; celui-ci vient du glissement de valet (petit val) en baret : c’est le pays des vallons. Aramits 64 est forme´ sur aran, valle´e, Arette 64 sur ar, rocher. Le finage d’Arette monte jusqu’au pic d’Anie, qui porte le nom basque francise´ du chevreau (ahun˜a). Navarrenx 64, comme la Navarre, vient de nava, pre´latin pour une plaine, un creux de pie´mont. Orthez 64, ainsi qu’Orthevielle 40 et le pays d’Orthe dans les Landes, sont discute´s : hort pour jardin ne semble pas convenir ; une racine aquitaine est probable mais non e´lucide´e ; ort, ortu a le sens de rocher pointu en Corse ou dans l’He´rault (l’Hortus ou Ortus). Puyooˆ vient de podium (puy), Mourenx 64, comme Morlaa`s 64 et Morlanne 64, probablement de moure, museau, comme me´taphore d’un relief bombe´. Le Be´arn a toujours e´te´ conside´re´ comme terre gasconne. Il fut peuple´ par les Venarni et eut pour chef-lieu Beneharnum, ancien nom de Lescar – le nom actuel viendrait de lats, ruisseau, comme Lescun, plus gor=rouge ou sec (Orpustan) ; ou de laska, pierre (Billy) ; le r ne se prononce pas. Pau 64 semble avoir eu pour e´tymon un e´quivalent de pieu, palissade. Gan 64, jadis Gant, Gand, est une bastide de 1335 fonde´e par Gaston II, pe`re de Gaston Fe´bus retour de Flandre, et vient de la flamande Gand. En amont, Nay 64 (on prononce naille) a pour racine nagi, lieu humide, comme ailleurs la noue ; Igon 64 vient de ihigune, fond des joncs. Coarraze 64 serait forme´e d’ego (sud) et arraza (promontoire). Le site de cluse de Be´tharram (Lestelle-Be´tharram 64) est Guatarram en be´arnais, avec pour sens « porte (ata) sud (ego) de la valle´e (aran) » (J. Rebenne) ou escarpement (gat) rocheux (arr). Au nord du Gave, les pays de collines sont traverse´s par des rivie`res encaisse´es, au nom de Luy et Le´es (racine lats). Le Soubestre, ou Saubestre, est une contre´e proche des Landes ; son nom vient de sylva, foreˆt ; il reste vivant, et fournit des noms d’entreprises, mais pas de communes. En son sein, Philondenx 64, limitrophe des Landes, a un nom curieux, que Fe´nie´ rapporte a` un « hilhon », e´quivalent de pierrefitte (fiche´e), pilon, de´signant une borne-limite. Philondenx et la proche Pimbo 40,

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de l’autre coˆte´ de la limite, sont localement synonymes de « trou perdu », en partie en raison de leur nom inhabituel, en partie pour leur petitesse et leur situation de confins. Celui de Pimbo, bastide eccle´siastique de 1268 sur une creˆte, vient du thym, pimbo en gascon.

Le coin basque Le Pays Basque (Euzkal Herria en basque) couvre la partie occidentale des Pyre´ne´esAtlantiques. Il se divise en Soule, Basse-Navarre et Labourd. Le Labourd viendrait de urd, plateau et laba, bruˆlis, ou bien de lap, ronce. Navarre est nava-herri, pays de valle´es. Soule aurait e´te´ forme´ sur zubel, qui est le nom basque de l’orme et signifie bois noir. La principale ville est Bayonne 64, qui est en pays de parler gascon, comme ses voisines Boucau (embouchure) et Anglet 64 (d’anglade, terre basse humide). Son nom, encore discute´, semble forme´ sur des racines vasconnes : baı¨pour rivie`re et ona pour colline ou -un comme locatif. Le nom de Biarritz 64 est beaucoup plus obscur ; on y a vu selon le basque deux rochers, des rochers noirs, des cheˆnes ou meˆme une grasse prairie, voire un NP germanique ; l’interpre´tation la plus plausible associerait l’herbe en basque (belar) au rocher (aitz) ou a` un suffixe collectif. Bidart 64 est « entre (arte) les chemins (bide) » et Uharte 64 « entre les eaux (ur) ». Gue´tary 64 est discute´, mais le plus souvent rapproche´ d’une ide´e de guet, tour de guet. Saint-Jean-de-Luz 64 (Donibane-Lohitzun en basque) contient dans luz l’ide´e de marais (lohi est la boue). Sa voisine Ciboure 64 est le bout (buru) du pont (zubi) et Urrugne est « de l’autre coˆte´ de l’eau », ici la Nivelle. Hendaye 64, de (h)andi-ibia, est le grand gue´ ou le gue´ des souches (Orpustan). Nive et Nivelle sont des noms associe´s a` la neige. La Bidassoa semble avoir accouple´ a` bide (chemin) le vieil hydronyme ossa. Ascain 64 est forme´ sur aitz, rocher et gain, hauteur, Hasparren 64 sur aitz et barren, « de l’inte´rieur ». Le massif des Arbailles serait forme´ sur la racine arp commune aux pacages de montagne. Un certain nombre de mots-cle´s basques re´currents parse`ment les lieux-dits, d’autant plus nombreux que l’habitat est assez disperse´ dans ces reliefs et que la vie pastorale y a ajoute´ ses propres de´signations. Leur de´tection est rendue difficile par la complexite´ de la langue et de ses inflexions, et par la fac¸on dont ils ont e´te´ transcrits sur les cartes. De surcroıˆt, le basque a fait des emprunts au gascon et au latin en adaptant certaines racines, comme pour l’e´glise (elissa), la cour (gorte), la croix et le croisement (curutch), l’ancien fort ou chaˆteau fort (castel > gastelu), voire le chaˆtaignier (castan > gaztan). Borda est tre`s fre´quent pour une ferme isole´e ; a` Mendionde, par exemple, on rele`ve Bordaberria (bordeneuve), Etcheberriborda (la ferme de maisonneuve), Bordezaharre´a (bordevieille). La base de l’habitat est etche (etxe), la maison : Etchegoine´a et Etchegoyen (maison d’en haut) ou Etcheberrigorria (maison neuve rouge) voisinent a` Iholdy, les lieux-dits Etchegoine´a et Etcheberria (maisonneuve) sont nombreux, ou les Goyenetche. Iri est un domaine, comme a` Irissarry (avec brousse), lur la terre, le pays : Lurberri et Lurberria sont des e´quivalents de Neuilly ou Nouvion, terre neuve. Ili (iri) est la ville : Iliberri 64 une villeneuve, Iruri est traduit en franc¸ais par Trois-Villes 64. Jaur a

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le sens de seigneur, noble, et se lit dans de nombreux Jaure´guy, a` Jauriberria (Domezain-Berraute 64, avec « neuf ») ou Jaurigagna (Larrau 64, avec « haut »). Eta a le sens de lieu, souvent en suffixe. Errota est un essart : Errotaberria (neuf) a` Bidart, Errotazahar (vieux) a` Saint-Jean-de-Luz, Errotaxipia (petit) a` Arcangues. Eihera est le moulin, seul ou pre´ce´de´ d’un de´terminant comme Behereko Elhera (d’en bas ou d’aval) a` Hasparren, Me´harin 64 ou Briscous 64. Olha ou ola est une cabane ou une forge. Cayolar est une cabane de berger de la montagne pastorale, tre`s pre´sente en certains lieux comme a` Larrau. Le chemin est bide, Bidache 64 est bide+aitz, ce qui en ferait un chemin empierre´. Le pont est zubi (« gue´ de bois », forme´ sur gue´ ibi et bois zu), le col lepo, qui de´signe aussi le cou ; zubi et lepo apparaissent souvent dans les lieux-dits. Parmi les adjectifs fre´quemment incorpore´s a` des toponymes, bel est noir, gorri rouge (ou sec), zuri (xuri) blanc ; handi est grand, xipi (tchipi) petit. Berri est nouveau (Lecumberry, lieu neuf, fut sans doute une novale, un de´frichement), zahar vieux. Zabal est plat, large, meha e´troit : Mendizabal a` Be´horle´guy 64, a` l’oppose´ de Meharoztegui a` Urepel 64 qui est bien une creˆte e´troite, Gaineko Meharua a` Armendarits 64 un haut vallon e´troit. Arbe´roue 64 viendrait de arr, pierre et bel, noir. Le terme de quartier est employe´ pour des parties de finages, comme a` Hasparren, Bardos, Bidache ou Labastide-Clarence. Le basque a tout un e´ventail de noms pour la montagne. La base en est mendi (mont) surabondant. Mendive 64 est un pied de montagne et Mendionde 64 a pour sens « pre`s de la montagne », en l’occurrence l’Ursuya (de ur, eau, avec le sens de chaˆteau d’eau), mais il existe bien des lieux-dits de meˆme forme. Bosmendieta a` Larrau 64 correspond a` Cinq Montagnes. On emploie aussi mun, muno, monho pour des collines, ces termes ayant peut-eˆtre e´te´ emprunte´s a` la forme romane mons. Othamono a` Hosta 64 est ainsi le mont des ajoncs, Otsamunho a` Aldudes 64 le mont des loups, Arguimonho a` Saint-Just-Ibarre 64 un clermont (argui=clair) ; Monhoa est un sommet a` Urepel. Bun, buno sont d’autres monts, peut-eˆtre apparente´s aux pre´ce´dents, et dont le bunia suppose´ au Vignemale pourrait eˆtre un e´cho. Buru est teˆte, sommet (Mendiburu a` Be´horle´guy 64), mais a aussi le sens de bout, limite, comme le pen breton. Ona est colline, dans Oneis, Abense (en basque Onize) et peut-eˆtre Bayonne. Gain signifie hauteur, avec les formes de´rive´es goyen, garai, gora et surtout gagna : plusieurs a` Larrau comme Otchogorrigagna, a` 1 923 m le Pic rouge (ou nu, gorri) du Loup (otso), Chardekagagna (1 893 m) qui est le Pic de la Fourche. A` SainteEngraˆce 64, Utzigagna serait le sommet du partage, Gaste´lugagna le mont du chaˆteau. Zurrusta Gaina a` Lasse 64 est le mont de la Cascade, Zazpigagna a` Larrau les Sept Sommets, Urritzgaray a` Saint-Martin-d’Arberoue 64 un mont des coudriers, Oyergain le sommet d’Oyercq 64 (traductions d’apre`s M. Morvan). Bidegaı¨nea, hameau de Saint-E´tienne-de-Baı¨gorry, est sur le chemin (bide) d’en haut – et Bidegain un patronyme re´pandu. Le terme e´quivalent de creˆte ou coteau en basque est alde, comme pour Aldudes et le pays des Aldudes ; mais il a le double sens de coˆte et coˆte´ (a` coˆte´ de) : Elizalde´a a` Macaye 64 est du coˆte´ de l’e´glise, Elissalde a` Urt 64 est a` coˆte´ de l’e´glise, ou la coˆte de

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l’e´glise (et meˆme ici de deux e´glises de monaste`res) ; ce nom est aussi un NP courant. Plus fre´quent ou plus explicite est egui, eguy, aussi egi, hegi, de´signant une coˆte, une creˆte et qui se lit dans Arne´guy 64 (avec des e´pineux), Iroule´guy 64 (trois creˆtes), Be´horle´guy 64 qui est la creˆte de la jument, Faale´guy (ou Faalegi) a` Biriatou 64 la creˆte des heˆtres, Handiague´ a` Aincille 64 une grande creˆte, face au Handiamendi (grand mont) d’Este´renc¸uby 64. Ispe´guy 64 est pour M. Morvan la creˆte au pied de la roche, Misplatse´gui a` Che´raute 64 la creˆte des ne´fliers. Bizkar est un autre terme re´pandu pour dos, e´chine, creˆte : outre Biscarosse 40 et Vizkar 65, il a donne´ Bizkarze´ a` Larrau, Bizkarzun a` Ascain, Bizkayluze (longue creˆte) a` Espelette, Idolkobizkarra (creˆte des joncs) a` Sare. On trouve meˆme un compose´ e´guy-bizkar avec Ahounbiscarde´guy a` Ayherre 64, qui serait la creˆte en dos de che`vre (ahoun) ou quelque chose d’e´quivalent. Le basque emploie aussi boxi, botxe comme escarpement (Aboze´ a` Espelette). Kasko, kosko, kaskoa et kokotx, variantes de « menton », e´voquent des reliefs dans les Koskoroy a` Saint-E´tienne-de-Baı¨gorry et Kokoltche´ a` Che´raute, Coscohandy (grand sommet) a` Uhart-Cize 64. Adar, la corne, se lit dans l’Adarza a` Banca 64. Bil (rond) e´voque un mont rond, un doˆme : Gorospil (a` Ainhoa) est le montrond du houx, Mendibil a` Be´horle´guy un mont rond (tandis que Mendibel est une montagne noire). On trouve encore tuturu dans le Toutoulia a` Saint-E´tienne-de-Baı¨gorry, terme qui s’apparente aux tuc et tup gascons. L’orographie basque connaıˆt quelques me´langes avec le gascon comme dans Tre´poyko Cascoa (mont des trois puys) a` Me´harin 64 et dans plusieurs Biscarrague, ou` bizkar est une e´chine. Le basque emploie aussi murru, e´quivalent du mourre gascon (museau) dans Murrubeltza (mont noir) et Murrutxipia (petit mont) a` Sainte-Engraˆce, Murruoin (pied du mont) a` Aldudes. Moko a le sens de bec : la Pointe Mokoa a` Urrugne, Mokorreta a` Lecumberry. Harri, karr, garr, arr sont emloye´s pour rocher, aitz pour roche (pointue). Le mont Harrigorry a` Banca est un rocher rouge. Arbel, « roche noire », de´signe en basque l’ardoise et se lit dans Arbildura, colline de Saint-Martin-d’Arberoue ou` -dura serait une alte´ration de gora, hauteur. Le pic d’Ascune a` Aussurucq serait de aitz-gune, lieu de roche, comme Atchapuru a` Saint-Esteben, de aitz et buru (teˆte) ; Atxuria a` Sare et Harchuria a` Ispoure seraient aitz-xuria, roche blanche (M. Morvan). Harrigorri a` Banca est une roche rouge, Lerdatze´ a` Armendaritz la roche aux pins. Harpidey a` Jaxu 64 associe roche, chemin (bide), creˆte (egi) : un chemin de creˆte rocheuse. Garralda a` He´lette 64 a le sens de pente rocheuse. Leize signale un gouffre, parfois une grotte ou une perte, ou au moins un vallon profond : Leizealdia a` Juxue 64 signie la coˆte (ou a` coˆte´) du gouffre, Leiciaguemendi a` Ainharp 64 la montagne du gouffre, au-dessus d’un habitat Leiciaguec¸ahar ou Leiziagazaharra « le vieux » (zahar). A` Sainte-Engraˆce par exemple, se cachent en montagne Taskako Leza et Tchakhur Leza, Achouri Lezia (de l’agneau), Hirou Leziak, Karrikalako Lezia, Laminako Lezia, Odita Lezia a` coˆte´ d’une grotte de l’Ours et d’un Trou Souffleur, un Trou du Bison, un Trou du Mouton et une grotte du Hibou ; et d’un autre Trou Souffleur – toponymes porte´s en franc¸ais sur les cartes dans cette commune pittoresque et touristique. Le basque emploie erreka, erroitz, ezter, osin dans les sens de ravin, pre´cipice, gorge, gouffre ou abıˆme, xilo pour un trou, hobi ou abi pour une fosse ou une crevasse, mais

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ces notions sont relatives et interchangeables. Erreka de´signe aussi une rivie`re, plutoˆt un torrent, ou un habitat de rive ; le Lakako Erreka qui coule a` Osse`s est un torrent a` graviers. A` Sainte-Engraˆce sont un trou Zinglako Ziloua, et un Ache´ri Chiloua (Trou de l’Agneau). Esterenc¸uby 64 est « le pont des gorges » et compte un hameau et la rivie`re d’Esterenguibel. A` Biriatou 64 se remarque un Osinko Lepoa (col du pre´cipice) ou Col d’Osin, avec un dolmen du meˆme nom. Les gorges de Kakoue´ta sont « tortueuses », de gako qui apparaıˆt aussi a` Gakoe´ta a` Bidarray 64. Urd est un plateau, comme dans le Labourd et Urdos 64. La valle´e est aran – ainsi qu’ailleurs dans les Pyre´ne´es centrales, ou` la Garonne vient du Val d’Aran ; ibar est synonyme, comme a` Ibarra (Sainte-Engraˆce) et Saint-Just-Ibarre 64, et nava a un sens voisin, qui se trouve dans Navarre et Navarrenx. Ur est l’eau, uhart une ıˆle : Uhart-Cize 64 et Uhart-Mixe 64, plusieurs Uhart et Uharte, Uhartea sont dans des fonds de valle´es mais peuvent aussi de´signer des rives, des fractions de plaine alluviale. Baı¨est la rivie`re, et Baı¨gorry la rivie`re rouge, colore´e par les gre`s permiens. Une autre racine lats, de´ja` note´e en Be´arn, a le sens de ruisseau et apparaıˆt dans de nombreux noms de lieux, comme Latxalde´a et la rivie`re Latsa a` Larressore 64, Latseko Elhera (moulin) a` Ustaritz. Ibi est le gue´, Olhaı¨by 64 un gue´ des cabanes. Ithurri est une source, une fontaine, dans de nombreux toponymes dont Ithurbide (avec chemin) a` Urcuit 64 et plusieurs Ithurbidea, ou Ithurxilo (avec trou) a` Aincille 64, Ithurchilo (meˆme sens) a` Lasse 64. Aintzi est un fond humide, un mare´cage, sans doute a` l’origine d’Aincille 64, et haitz l’aulne : le couple fonctionne comme vern-guern-yeun en Bretagne. Ihi est le jonc, qui a donne´ Iholdy 64, comme Igon 64 qui est en Be´arn. Ala, alha, ele est un paˆturage, a` l’origine de He´lette 64. L’herbe est belar, bera. Sore est un pre´ ou un champ : Sorholus a` Tardets-Sorholus 64 a le sens de long champ, Sorhapuru (a` Larribar-Sorhapuru 64) le bout des champs, Larressore 64 un pre´ ou un champ dans la lande. Larre est la lande, le pacage : Larribar est le val des landes. On sait que la Rhune, hauteur tre`s fre´quente´e, est en fait Larrun, lieu de landes ; Larrau 64 est Larra-un, autre lieu de lande ; on note Larramendia (mont) a` SaintMichel 64, Larreburu (sommet) a` Arne´guy 64. Ira, iratz est la fouge`re, d’ou` vient la foreˆt d’Irati, et itsas, isats, jats le geneˆt, dont viennent Jaxu 64 et Jatxou 64, Itsasadarre a` Macaye 64, Jatslepoa (col des geneˆts) a` Lecumberry 64. Elhar est la bruye`re : on lit Elharrea a` Barcus 64, Elhar a` Moncayolle-Larrory-Mendibieu 64. Les e´pineux ont pour noms arrai, arrantz, elhorri : Bidarray 64 est un chemin des e´pineux, Elhorriko Kaskoa (a` Saint-E´tienne-deBaı¨gorry) le sommet des e´pineux. Espel est le buis, apparent dans Espelette 64. Barta a le meˆme sens que la barthe en gascon : des broussailles de fond humide ; on trouve Bartaburu a` Esquiule 64 (le bout de la barthe) et d’ailleurs plusieurs Barthe. Olhan est la foreˆt : Olhanmendi a` Be´horle´guy 64 (avec mont) et Olhanbidea (avec chemin) a` Souraı¨de 64. Xara de´signe des broussailles e´paisses, des fourre´s, donnant, outre la commune de Sare, des noms en Sarri, Sarria, -sarri comme Irissarry (le domaine des fourre´s), Gastelusare a` Ordiarp 64 sur un site perche´ de fort protohistorique. Le cheˆne (pe´doncule´) est haritz et Armendarits 64 est fait de arr pierre, mendi mont et haritz cheˆne. Le cheˆne tauzin, plus petit, ametz, a donne´ quelques

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lieux-dits (et des NP Amestoy). Le freˆne est leizar, Lissarrague une freˆnaie. Le bouleau est urki, apparent dans la Fontaine d’Urkila et Urkilako Lepoa (col) a` Sare pre`s de la Rhune. Le cheˆne vert est abar : on note des lieux-dits en Abarratia, dont une butte a` Isturits 64. Le heˆtre (bago, pago) est comme la racine IE bhago (d’ou` vient fagus) : il donne plusieurs toponymes a` Larrau dont Bagozabalaga, l’endroit du plateau aux heˆtres, avec plateau (zabal) et lieu (aga), ou Bagoyhar forme´ sur heˆtre et bruye`re. Intsaur est le noyer, a` l’origine de lieux-dits (et NP) comme Inchauspe´ a` Larrau. L’orme est zubel (bois noir), le peuplier zunar. Le basque emploie peu de noms d’animaux en toponymie, si ce n’est le loup (otso), comme nous l’avons vu pour Otsamunho (Aldudes) et Oxocelhaya (le lieu du loup), ou la palombe (urso) qui apparaıˆt dans Ursoteyko Lepoa (col des palombes) a` Louhossoa 64 et Urchamendy (mont des palombes) a` Arbouet-Sussaute 64 – plusieurs Palombie`res et Col des Palombie`res sont signale´s.

Les Midis me´diterrane´ens Les re´gions riveraines de la Me´diterrane´e forment un ensemble relativement cohe´rent par leurs parlers, leur culture, leurs paysages et leurs toponymes. Les langues sont romanes, et d’oc sur le continent, le catalan e´tant tre`s proche du languedocien. Les formes de la ve´ge´tation et des cultures sont me´diterrane´ennes, du moins a` altitude mode´re´e, ce qui introduit des toponymes particuliers lie´s, par exemple, aux tamaris, aux amandiers, aux oliviers, aux figuiers ; aux gene´vriers et arbousiers, aux cheˆnes verts et aux cheˆnes kerme`s, dits garrics. La garrigue, qui en a pris le nom, re`gne dans les friches, surtout en terrain calcaire, le maquis sur les terrains siliceux. Les cultures comportent beaucoup de vignes, de vergers et de jardins. Le littoral a ses formes particulie`res de ve´ge´tation halophile avec des toponymes tels que Salobre, Salanque, Engane. La pre´sence de hauts-reliefs proches de la mer s’y traduit par l’abondance et la violence des torrents et de leurs crues, nomme´es gardonnades et vidourlades dans le Gard a` partir du Gardon et du Vidourle. Elle a contribue´ aussi aux transhumances de troupeaux, suivant des chemins (drailles) et des relais. Ces reliefs vigoureux aux creˆtes et corniches apparentes, troue´s de grottes et de gouffres, ont leur propre vocabulaire, riche notamment en Baux, Balme et Baume. Une longue tradition d’inse´curite´ face aux incursions maritimes y a multiplie´ les formes d’habitat perche´, couronne´ de murs, dont viennent les Caste´la et Caste´ra, Roque, Gardiole, double´s en contrebas d’habitats plus re´cents des pe´riodes plus calmes, dont les be´gudes ou` l’on pouvait se rafraıˆchir. Enfin, le climat et la beaute´ des paysages ont attire´ les foules urbaines depuis la fin du XIX e sie`cle, tant dans les garrigues inte´rieures (le Luberon) que sur le littoral, et une cohorte de noms nouveaux. Les toponymes d’origine romane dominants ont leur couleur d’oc et quelques formes particulie`res, surtout aux extre´mite´s, incorpore´es plus tardivement au territoire de la France : pays catalans au sud-ouest, nic¸ois a` l’est, corses au sud-est. Il va de soi que, localement, ont e´te´ inte´gre´s des toponymes plus anciens, d’origine mal connue. On

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sait peu de choses des Ibe`res et Ligures cense´s avoir occupe´ ces re´gions avant les Celtes et Romains, mais de la Corse a` la Catalogne on note des noms, surtout des oronymes, aux racines fort anciennes et qui ont leurs e´quivalents dans toutes les Pyre´ne´es jusqu’au Pays Basque inclus. Il advient aussi que deux orthographes soient disponibles pour un meˆme toponyme, selon le degre´ de francisation ou de re´gionalisation adopte´ par les ge´ographes, topographes et e´lus locaux : les cartes de l’IGN te´moignent de nombreux changements re´cents, et certaines communes se sont dote´es de panneaux routiers aix noms plus catalans, occitans ou provenc¸aux que nature, voire invente´s et sans nulle histoire. Les noms de communes « latins » en -ac sont pre´sents mais sans exce`s, moins nombreux que dans le Sud-Ouest, plus denses dans l’Aude qu’ailleurs. Les suffixes en -an sont plus fre´quents. Le catalan a surtout des terminaisons en -a, tandis que les pays gardois ont pour originalite´ des terminaisons en -argue, -argues, et que d’assez nombreux -ols et -ouls se manifestent plus au nord en montagne. Les autres suffixes habituels (y, ay, at...) sont rares, les -court et les -ville exceptionnels. En microtoponymie, on emploie beaucoup les Mas et les En (chez) suivis d’un NP, parfois d’un nom commun qui a pu eˆtre pris pour un NP. Les terminaisons adjectives peuvent eˆtre en -e`s, -esc, -enc.

Le coˆte´ catalan Le de´partement des Pyre´ne´es-Orientales correspond a` ce que l’on nomme Catalogne du Nord, dont l’incorporation a` la France date de 1648. La langue catalane contribue a` son originalite´ et a marque´ sa toponymie, sur un vieux fonds de termes pre´latins assez pre´sent en montagne, comme cuc qui transparaıˆt dans le Cogollo d’Oreilla, une forte butte, la Serra Cogollera de Corneilla-de-Conflent 66 et le Serrat de Cougoul a` Serralongue 66, tous deux redondants, ou quer, car (roc) pour le Carlit et dans un Roc del Quer, lui aussi redondant, a` Montferrer 66. La forme des noms de lieux a quelques particularite´s : fre´quence de noms monosyllabiques, terminaisons en -a, emploi du double ll mouille´ qui se prononce presque comme i (Lloˆ, Llagone, Llupia). Cette forme a e´volue´ selon que la tendance a e´te´ a` la francisation ou a` la recatalanisation des e´critures, qui est la mode re´cente. Mas est tre`s employe´ pour l’habitat, ainsi que la pre´position en (chez), voire les deux ensemble (Mas d’en...). Can, fre´quent, a le sens de casa d’en (la maison de chez, ou du) : a` Montferrer par exemple, des lieux-dits habite´s sont Can Bac (de l’ubac), Can Vall (de la valle´e), Can Pau (de Paul), Can Pei (de Pierre), etc. On trouve aussi des casot (petite maison) pour des cabanes, comme Casot del Guarda (tour de guet) a` Laroque-des-Albe`res 66, des cortal et cortalet pour des abris de bergers. Orri et jasse sont e´galement employe´s dans ce sens mais sont partage´s avec d’autres re´gions. Colomina, fre´quent en plaine, est le nom local de condamine : Alenya 66 offre des Colomina del Forn (du four), de les Vinyes (des vignes), de Be´arn. Vinyer est un vignoble. Veı¨nat a le sens de voisinage : Fuilla 66 a trois hameaux Veı¨nat d’Amunt, Veı¨nat del Mig, Veı¨nat de Baix (d’amont, du milieu, d’en bas), Targassonne 66 un Veinat de Baix et un Veinat de Dalt (d’en haut), Montferrer un Veı¨nat de la Miseria.

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Dans les toponymes montagnards apparaıˆt couramment puig (de podium, =puy), prononce´ pouch ou poutch : le Puigmal (difficile, mauvais, ou simple redondance avec mala, pre´roman pour montagne), le Puig Fourcat (fourchu) a` Maureillas-lasIllas, le Puig Caga-Llops (chie-loups) a` Prats-de-Mollo-la-Preste, voire un redondant Puig de la Tossa a` Ayguatebia 66, tossa e´tant une butte comme au Tossal Colomer (des palombes) pre`s du Carlit, le Pic de la Tosa a` Porta 66. Puig, cependant, a souvent e´te´ transcrit pic sur les cartes topographiques. Serra, serrat sont tre`s employe´s pour des creˆtes, des e´chines. On trouve aussi souvent Roc, ou encore la Souque (variante de suc) a` Corsavy 66, la Torre (tour) d’Eina a` Eyne 66. Plusieurs noms de communes viennent d’un volo catalan qui a le sens d’escarpement et qui pourrait eˆtre apparente´ a` un bol pre´latin, voire pre´-IE : Montbolo, Boule-d’Amont suivie en aval par Bouleterne`re (de terre noire) dans la meˆme valle´e du Boule`s, et selon toute apparence Le Boulou. Pla est tout aussi re´pandu que puig, au sens de replat, sommet plat, plateau. La plupart des cols sont nomme´s Coll, comme Coll dels Tres Faigts (des trois heˆtres) a` Sore`de ou Coll de l’Alzina (du cheˆne vert) a` Banyuls, avec pour diminutif collada (Collada del Vent, du vent, a` Py) ; mais en Cerdagne Port et Portella (Porteille en franc¸ais, comme la Porteille d’Orlu) ont leur place, comme a` Vernet-les-Bains Portella de Dalt, Portella de Baix, ou a` Py la Portella de Rotja qui e´chancre la creˆte des Esquerdes de Rotja. Bac ou baga (la Baga a` Valcebolle`re) est l’ombre´e, sola (prononce´ soula) la soulane : la Sola de la Carrera (de la route) a` Railleu 66 est adosse´e au Bac des Pradets (des pre´s) de Sansa 66. Clot est un creux, cirque ou vallon : Clot d’Avall a` Caixas, Estany del Clot a` Nohe`des, Clot de l’Orri a` Los Masos 66. Cova est une grotte : la Cova et Cova Forada a` Cerbe`re, Cova Bastera a` Corneilla-de-Conflent 66, Bac de la Cova dels Porcs a` Corsavy 66. Socarrada (dessouchage) de´signe un de´frichement : Puig de la Socarrada aux Angles, la Socarrade a` Taurinya, El Socarrat a` Matemale. Du coˆte´ des eaux on remarquera estany et estanyol pour e´tang, voire l’Estanyolet a` Saint-Este`ve 66, en double diminutif. Sanya (comme sagne) sert pour pour les fonds humides et mare´cageux, surtout de la plaine littorale : la Sanya a` Canohe`s 66, Sanyes del Deve`s et Sanyes Grans a` Salses-le-Chaˆteau 66. On dit aussi Mollere (avec ll mouille´) en montagne, par exemple a` Enveigt 66 sur le flanc sud du Carlit (Molleres de Maura, Molleret de la Padrilla), ou la Mollera dels Clots a` Font-Romeu. Bage, peut-eˆtre pre´romain mais ne´anmoins proche de « bas », est aussi un fond humide : d’ou` Bages 66 et son marais sans vigne au milieu du vignoble, draine´ par l’Agulla de la Mar (le canal de la mer), ou Bajoles a` Cabestany 66, laquelle est « bout de l’e´tang » comme Capestang 34. Gorg s’emploie en montagne pour de petits lacs : Gorg Blau (bleu) a` Nohe`de 66 et Gorg Negre (noir) a` Olette 66, Gorg de l’Infern (de l’enfer, du fond) a` Sahorre 66. Il existe aussi en plaine avec le meˆme sens que sanya, notamment a` Torreilles 66 (Gorg d’En Guilhem), ou le Gorg d’en Bou (du bœuf) a` Saint-Nazaire 66. Pou est un puits : Pou dels Pobres (des pauvres) a` Sainte-Colombe-de-la-Commanderie 66, Pou de la Mer a` Vingrau 66. Le ruisseau est riu, rec, correc comme le Correc de la Garriga a` Banyuls-des-Aspres 66 ou le Correc des Anglades et le Rec de les Alberes a` Villelongue-dels-Monts 66 ; correc est un ravin en montagne, tel Correc Fosc (sombre) a`

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Castell 66 – parmi une bonne dizaine de Correc Fosc. Agulla a le sens de canal de drainage ou d’irrigation, comme l’Agulla de la Juncassa (de la jonchaie) a` Trouillas 66. Le Roussillon vient d’un ancien Ruscino, encore pre´sent dans Castel-Roussillon, vieil oppidum dans l’actuelle commune de Perpignan. La racine rous, juge´e sans rapport avec roux ou rouge, est suppose´e phe´nicienne ou libyenne, peut-eˆtre avec le sens de montagne tombant dans la mer. Perpignan, Perpinya en catalan, semble avoir e´te´ nomme´e plus tard a` partir d’un NP latin. Rivesaltes 66 a le sens d’Hauterives. Elne 66 a e´te´ Illiberis (pre´latin villeneuve) avant d’eˆtre rebaptise´e Elena (Castrum Helenæ) en l’honneur de la me`re de Constantin Ier. Collioure 66 vient d’une autre villeneuve : Cauco Illiberis, contracte´ ensuite en Cochliure, cauco ayant eu le sens de conque. Cerbe`re 66, anc. Cervaria, aurait un rapport avec car, ker au sens de rocher. Elle avait e´te´ qualifie´e de locus finis galliæ par Pomponius Mela au Ier sie`cle, « la` ou` finissent les Gaules », argument employe´ pour fixer la frontie`re en 1659 ; on avait peut-eˆtre fait le rapprochement avec le Cerbe`re gardien des enfers... Argele`s-surMer 66 est un lieu argileux selon certains, ou plus probablement e´pineux, Banyulssur-Mer 66 un lieu de bains. Port-Vendres 66 a e´te´ Portus Veneris, apparemment un port avec un temple de Ve´nus. La coˆte rocheuse est nomme´e Coˆte Vermeille, sans doute plus pour ses pampres que pour ses roches ; le nom est consacre´ par le nouveau canton d’Argele`s-sur-Mer. Au nord, le littoral de sable et de lagunes a rec¸u le nom de Coˆte Radieuse, devenu exceptionnellement en 1982 celui d’un canton autour de Saint-Cyprien 66 – mais la re´forme de 2014 l’a supprime´, deux de ses communes se retrouvant dans le nouveau canton pompeusement nomme´ la Plaine d’Illiberis, pour dire mieux qu’Elne, deux autres dans le nouveau canton bien platement intitule´ la Coˆte Sableuse. On trouve El Salobre a` Torreilles 66, et Saint-Laurent-de-la-Salanque 66 te´moigne aussi pour quelques terres sale´es, avec le nouveau canton de la Coˆte Salanquaise. Le Barcare`s 66 vient des barques de peˆcheurs. On nomme Ribe´ral l’ensemble des terres irrigue´es des valle´es de´bouchant en Roussillon. Quelques lieux-dits El Riberal apparaissent c¸a` et la`, comme a` Pe´zilla-laRivie`re 66, Sainte-Marie 66, Trouillas 66, Soler 66 (le Grand Ribe´ral). Ces plaines sont parseme´es de toponymes en Mas et en Hort ou Ortes (jardin). Au nord, le fort de Salses marque la limite du pays catalan ; le nom de Salses 66 semble en rapport avec les saules de la plaine mare´cageuse qu’il domine. Les Aspres sont les terrains rocailleux et accidente´s des avant-monts pyre´ne´ens : de asper, comme aˆpre et aspe´rite´ ; le nouveau canton de Thuir en a rec¸u le nom. Aux deux grandes valle´es de la Teˆt et du Tech correspondent dans les Pyre´ne´es le Conflent et le Vallespir. Conflent a le sens de confluence, en raison des nombreux torrents qui convergent en amont de Prades ; Vallespir est le val des Aspres. Plus au nord, le Fenouille`des, ou Fenouillet, draine´ par l’Agly, vient du fenouil. L’Agly est de la famille d’agulla (cours d’eau) ; il fut jadis Verdouble, des celtes vern et dubro, rivie`re des aulnes. Au sud, la creˆte des Albe`res a fixe´ la frontie`re ; elle s’abaisse au Perthus, emprunte´ par route, autoroute et a` terme la ligne ferroviaire a` grande vitesse, et dont le nom est le meˆme que pertuis. Albe`res semble eˆtre de la famille d’alp, mais la

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montagne est boise´e, avec une ve´ge´tation particulie`re de cheˆnes-lie`ges ; Sore`de vient pre´cise´ment de la sube´raie (anc. Subereta, foreˆt de cheˆnes-lie`ges). Le Canigou, montagne symbolique, a un nom forme´ sur le radical pre´latin can, hauteur rocheuse – sans rapport avec le can locatif ; un nouveau canton en a pris le nom. Ce´ret 66 viendrait de cereta, cerise, et ses environs ont conserve´ cette spe´cialite´. Prades 66 vient des pre´s. Arles-sur-Tech 66 n’a pas la meˆme origine qu’Arles 13, mais viendrait d’arula, autel, depuis la fondation d’une abbaye du VIII e sie`cle. Ame´lie-les-Bains-Palalda 66 est un ancien Banys d’Arles (Bains d’Arles) rebaptise´ du pre´nom de la femme de Louis-Philippe en 1840 et promue commune par re´union avec Palalda, dont le nom vient d’une demeure seigneuriale (« palais »). Au fond du Vallespir, Prats-de-Mollo-la-Preste 66 est une autre station thermale ; Prats vient des pre´s, mollo serait une roche ou une borne – sinon une mouille`re – et la Preste viendrait d’un NP, a` moins qu’il ne s’agisse encore de pre´s. En Conflent, le beau village d’Eus 66, perche´ en soulane, est un ancien Elzina (du cheˆne vert). Vernet-les-Bains 66, autre station thermale, doit son nom aux aulnes. Villefranchede-Conflent 66 est une cre´ation du XII e sie`cle, a` fonction de capitale locale. Molitgles-Bains 66 vient de moulin. On nomme Garrotxes (racine gar, rocher ; prononciation Garrotches) un groupe de quelques communes autour d’Ayguatebia 66 (eau tie`de) et de Caudie`s 66 (eaux chaudes). Au-dela` du col de la Perche, nomme´ d’apre`s la perche qui avait sens de borne et de signal, on entre dans le haut bassin du Se`gre, et en Cerdagne ; ce nom vient d’un peuple Cerretan (ou Ke´re`te), comme d’ailleurs la sardane et le NP Sarda. Bien des toponymes conservent une base pre´latine mal de´finie : Err, Lloˆ, Eyne, Nahuja, Osse´ja – ces deux dernie`res ayant pu avoir pour sens « au-dessus de la plaine ». Le chef-lieu (en Espagne) est Puigcerda`, le mont cerdan. Mont-Louis 66, citadelle de 1681 au nom du roi, tient l’entre´e. Ur 66 semble lie´ a` un nom pre´latin de l’eau, fre´quent dans les Pyre´ne´es et de meˆme sens en basque. Bolque`re 66 associe bol (escarpement) et quer (rocher). Angoustrine e´voque une valle´e e´troite, les Escaldes des eaux chaudes, comme Caldegue`s a` Bourg-Madame 66, ancienne Guingueta d’Hix rebaptise´e en 1815. Saillagouse 66 viendrait des saules. Saint-Pierre-dels-Forcats e´voque par Forcats (les fourches) la bifurcation de la voie romaine. Des fusions ont donne´ les noms complique´s de Font-Romeu-OdeilloVia 66 et Angoustrine-Villeneuve-des-Escaldes 66. Font-Romeu vient d’une fontaine de pe`lerins, Odeillo serait d’un NP germanique. Au nord, le haut bassin de l’Aude s’e´panouit dans le Capcir, dont le nom aurait pour sens « teˆte de valle´e » (de l’Aude). Matemale 66 est forme´ sur mata, foreˆt et mala, montagne ou mauvaise selon les interpre´tations. Fontrabiouse 66 est une fontaine rageuse, La Llagonne 66 vient de lacuna, du nom d’une lagune asse´che´e tardivement. Le col de la Quillane (1 731 m) doit son nom a` ce qu’il permet d’acce´der au bassin de l’Aude, dont Quillan 11 e´tait le principal relais. En arrie`re, le massif du Carlit fait la jonction avec les Pyre´ne´es arie´geoises ; le nom, prononce´ Carlitte, apparaıˆt forme´ sur des racines pre´latines car (roc) et lit (pierre, e´boulis). Le col de Puymorens pourrait venir, non d’un puy antithe´tique, mais d’une interpre´tation fautive d’un Pi Morens (pi pour pin, morens pour noir ?) et se dit Coll

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Pimorent en catalan ; il est pre´ce´de´ par des villages au nom de col (Porta 66, Porte´Puymorens 66). Le massif du Carlit (2 921 m) est un chaˆteau d’eau d’ou` divergent la Teˆt et l’Aude, des teˆtes du Se`gre au sud, de l’Arie`ge a` l’ouest ; il est constelle´ de pics (puig coˆte´ catalan, pic coˆte´ arie´geois), cols (coll), e´chines (serra) et creux (coma), ombre´es et soulanes (bac, sola` ou solana), fonds pastoraux (jac¸a, orri, cortal) et de lacs naturels (estany) ou de barrage.

L’Aude et l’He´rault Le Bas-Languedoc va de Salses au Rhoˆne. Il ne de´signe pas des terres « basses », mais la partie du Languedoc ou` n’e´tait pas sa capitale, Toulouse. Son axe principal est le couloir qui va de Nıˆmes a` la re´gion toulousaine par Narbonne ; la Via Domitia le jalonnait, prolonge´e a` partir de Narbonne par la Via Aquitania, et allant vers le sud apre`s Narbonne. Celle-ci fut Narbo Martius Decumanorum, de´die´e a` Mars et abritant des ve´te´rans de la Dixie`me Le´gion romaine ; mais Narbo, plus ancien, reste obscur ; un radical narb pre´-IE aurait le sens d’« entre » (Orpustan) et la racine hydronymique onna est possible : ce serait alors un entraygues, entre Aude et e´tangs... L’Aude semble venir d’un vieil hydronyme. La premie`re forme connue de Carcassonne 11 a e´te´ Kroukationnum, cruc de´signant un pointement rocheux, onna e´tant une base hydronymique courante. Castelnaudary 11 a e´te´ un chaˆteauneuf, ary e´tant en ge´ne´ral interpre´te´ au sens pre´roman de rocher (ar). Bram 11 a e´te´ un Eburomagus (marche´ de l’if), Le´zignan-Corbie`res 11 viendrait d’un NP. Au sud de Narbonne, Bages 11, homonyme du Bages catalan et dont un grand e´tang porte le nom, a le sens de fond humide. Sigean 11 serait d’un NP romain avec le suffixe -an. Fitou 11 de´rive d’une pierre fitte (fiche´e), une borne, a` la limite meˆme du Languedoc et de la Catalogne. Leucate 11 est « la blanche », un des rares toponymes grecs atteste´s. La Clape est un relief littoral au nom transparent (clap, tas de pierres). L’encadrement montagneux est puissant, forme´ au sud-ouest par les Corbie`res, au nord par la retombe´e du Massif Central. Le nom des Corbie`res a donne´ lieu a` d’aˆpres discussions sans conclusion convaincante : monts des corbeaux, monts courbes, nom de´rive´ d’une rivie`re sinueuse. Elles sont pre´sentes dans plusieurs noms de communes, et ont leurs propres subdivisions : la Montagne d’Alaric au nord, dont le nom remonte aux Wisigoths (Ve sie`cle), le Val au centre-nord, le Termene`s au centre-est, qui entrent aussi dans des noms de communes : Villar-en-Val, Pradelles-en-Val ou Rouex-en-Val, Villerouge-Termene`s, Fe´lines-Termene´s. Termene`s vient du village de Termes, dans les gorges de Terminet, qui comme son nom l’indique e´tait a` la limite de trois pagi (de Carcassonne, du Raze`s et de Narbonne). Au sud, le puissant creˆt qui marque la limite avec la Catalogne porte le chaˆteau ruine´ de Que´ribus (de quer, rocher). Il domine Cucugnan, village rendu ce´le`bre par un cure´ d’Alphonse Daudet et dont le nom vient de cuc. Il s’y abaisse au Grau de Maury – montrant que grau est un passage (gradus), et pas seulement l’e´tier d’un e´tang. Plus a` l’ouest, ce long creˆt est tranche´ par l’Agly dans les gorges de Galamus (racine probable cala) et culmine au Pech de Bugarach (1 230 m), lieu d’autant de fantasmes

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e´sote´riques que le proche village perche´ de Rennes-le-Chaˆteau ; Bugarach est un village a` son pied ; le nom viendrait de burg. Au-dela` des gorges de l’Aude vers l’ouest s’e´tend un Pays de Sault, homonyme de celui de la Droˆme, ancien saltus encore garni de bois et de garrigues ; Belcaire y est un « beau rocher ». Plus au nord, l’ensemble de collines qui prolonge les Corbie`res, et qui comporte d’ailleurs un village nomme´ Corbie`res, est le Raze`s ; le nom semble de´river du nom originel de Rennes-le-Chaˆteau, Redas ou Redae, peut-eˆtre du temps des Volques, que Billy relie a` l’IE ret, au sens de poteau ou de hauteur. Le Kercorb, qui additionne quer, rocher, et le corb des Corbie`res, est une fraction du Raze`s au sudouest, autour de Chalabre 11, ancienne Calabriga au nom e´vocateur d’un point fort parmi les reliefs. Quillan 11 serait d’un NP, interpre´tation qui peut sembler paresseuse quand on observe que des sommets plus ou moins proches se nomment Quille, comme la Quille sur la creˆte me´ridionale des Corbie`res, entre Saint-Paul-deFenouillet 66 et Duilhac-sous-Peyrepertuse 11, et une dizaine d’homonymes dans l’Aude, bien d’autres jusqu’en Provence et en Auvergne. Limoux 11 serait la boueuse (racine lim). De l’autre coˆte´ du grand couloir audois, s’e´le`ve la Montagne Noire. Son horizon de plateau descendant vers Carcassonnne est nomme´ Cabarde`s, nom porte´ par plusieurs communes, et qui vient d’un ancien chaˆteau Caput Arietis, « teˆte de be´lier », une me´taphore pour son rocher, e´volue´ en Cabaret – les ruines en sont encore visibles sur son oppidum a` Lastours 11, qu’elles ont servi a` nommer (« les tours »). Le Minervois suit a` l’est, divise´ entre Aude et He´rault ; Minerve 34 tient de la de´esse romaine son nom, tre`s porte´ par les villages alentour. Les principaux reliefs au nord sont l’Espinouse, « e´pineuse », et le Somail, qui est le meˆme mot que sommet. Une coule´e de laves transversale, nord-sud, conserve´e en hauteur par inversion de relief, pierreuse et escarpe´e, a nom Escandorgue. Les interpre´tations en sont confuses et parfois surprenantes, entre bardeau (Ne`gre) et orge (Hamlin, Billy). Or l’on trouve Escandolie`res comme commune en Aveyron et Escandolie`res sur un versant bien raide a` Rodelle 12, plusieurs Scandolajo ou apparente´s en Corse, qui tous correspondent a` des versants escarpe´s et boise´s, rendant tre`s improbable la re´fe´rence a` l’orge. Le nom d’Escande, assez fre´quent comme NP mais aussi dans des lieux-dits languedociens, comme Escandelle a` Castans 11 dans la Montagne Noire, se rapporte a` quelque passage difficile ; scando en latin a le sens de grimper, escalader, de l’IE skand, grimper. On n’est d’ailleurs pas loin du Pas de l’Escalette, par lequel on grimpe sur le Causse du Larzac. En contrebas, Lode`ve 34 vient de luto, au sens de terrain boueux ou mare´cageux. Vers l’est, la Bue`ges, dont trois communes portent le nom, semble associe´e au gaulois bodio, jaune, par la couleur de ses eaux. Le nom du plateau de Londres, ou` sont Saint-Martin-de-Londres, Mas-de-Londres et Notre-Dame-deLondres 34, et ou` Londres fut apparemment Dunderas, Dundras au XI e sie`cle, reste inexplique´. Ganges 34, anc. Agantico, tirerait son nom des e´pineux. Saint-Jean-deCuculles 34 conserve la racine oronymique cuc, que l’on peut penser inspire´e par la proximite´ du vigoureux Pic Saint-Loup. Les Matelles 34 vient de mate au sens de foreˆt maigre, buissons. Saint-Mathieu-de-Tre´viers 34 fut un trivium, trois voies

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divergeant vers les reliefs ; a` coˆte´, Le Triadou 34 signale d’ailleurs un lieu de tri des troupeaux avant la monte´e sur les estives par les drailles. Le nom de Montpellier 34, quoique relativement re´cent (IXe sie`cle), reste discute´ et les formes anciennes elles-meˆmes avaient de´ja` varie´ selon les interpre´tations des scribes ; ont e´te´ e´voque´s tour a` tour, en comple´ment du « mont » indiscute´, le pastel, un verrou, des petits pois, une pelouse, une redondance entre mons et un autre indicateur de hauteur ou de pente (pestel, pal, pensulum, comme Mont pentu) ; le concours reste ouvert. Le surnom local est le Clapas, le tas de pierres. Plus anciens sont les sites proches de Mauguio et de Maguelone. Mauguio 34 fut Melgorum, Melgueil, issu d’un NP encore discute´. Maguelone, qui ne survit que par Villeneuvele`s-Maguelone 34 et la petite presqu’ıˆle de Maguelone qu’elle englobe, est aussi sujette a` discussion : avec lona pour marais, on peut avoir mago pour marche´, magalo pour grand ou mag pour butte, toutes possibilite´s que n’exclut pas le site. Le nom de Palavas semble en rapport avec palu. Lunel 34 n’a rec¸u aucune interpre´tation e´taye´e. Pe´zenas 34 semble nomme´ d’apre`s la Peyne, rivie`re qui y rejoint l’He´rault et dont la source est a` Pe´ze`nes ; le gentile´ Pisce´nois, qui se rapporte au poisson, est impropre. Be´ziers 34 fut un oppidum Bettara ou Biterra au temps des Volques, avant notre e`re ; le gentile´ est Biterrois. Ce nom pre´latin, qui semble se retrouver dans Be´darieux 34, mais avec rieu, rivie`re, reste objet de de´bats, allant d’un vascon bide-erri (ville de la route) a` l’IE bhel au sens de clair donnant ici baet, ce qui en ferait une sorte de Clermont ; elle fut Beterræ Septimanorum car les ve´te´rans de la Septie`me Le´gion romaine y furent installe´s. Vers l’ouest, Ense´rune (a` Nissan-lez-Ense´rune 34) fut un oppidum dont le nom serait fonde´ sur set, hauteur ou mieux sur anto et duno, un montfort en limite. Capestang 34 est au bout (cap) d’un e´tang. Sur le littoral, la ville la plus ancienne est sans doute Agde 34, fondation massaliote au VI e sie`cle avant notre e`re sous le nom d’Agathe´ Tykhe´ (le bon coin ou la bonne fortune), puis Agathe´ Polis (la ville aimable, Bonneville). Vendres 34 (on prononce vindre`s) tient son nom d’un autre temple a` Ve´nus. Se`te 34, discute´e aussi, semble venir de set, hauteur, ce que pourrait justifier son Mont Saint-Clair ; l’ancienne orthographe alternative Cette est abandonne´e depuis 1927. Se´rignan 34, Frontignan 34 sont construits sur des NP, comme Valras 34 (de Valerius). La Gardiole est un relief littoral au nom explicite. L’e´tang de Thau fut jadis de Taur, ce qui semblerait e´voquer un taureau mais n’a pas rec¸u d’interpre´tation convaincante ; ce Taur pourrait tout aussi bien avoir le sens de tertre, tureau, en re´fe´rence aux buttes des reliefs bordiers. Me`ze 34 est la ville en son milieu, Bouzigues 34 est un nom occitan pour friches. Balaruc 34 reste inexplique´ mais vient sans doute d’un oronyme (cf. racine bal), adapte´ a` son pointement rocheux qui fit de Balaruc-le-Vieux un oppidum.

Les Ce´vennes et alentour L’ensemble des Ce´vennes et des contre´es environnantes forme un monde un peu particulier : reliefs rudes, couverture forestie`re ou` le chaˆtaignier a eu une place particulie`re dans la vie rurale, communications difficiles, orages et crues parfois violents, accueil estival des troupeaux des plaines, dispersion de l’habitat, valeurs

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de refuge qui ont favorise´ les re´sistances, notamment celles des protestants, culture de muˆriers et travail de la soie, ressources minie`res et activite´s industrielles des pie´monts. Ce´venne reste un terme discute´, entre e´chine ou serre, couverture ou bordure (v. chap. 8). Serre, au masculin, est le toponyme le plus re´pandu pour ces reliefs. Mais on trouve aussi de nombreux toponymes en tour, tourel, tourron comme le Tourel a` MoissacValle´e-Franc¸aise 48, les Tourres a` Ponteil-et-Bre´sis 30, le Pic de la Tourette a` Chamborigaud 30, quelques truc (Truc de Montaigu a` Valleraugue 30, Truc du Midi a` Palhers 48) et suc (le Suc a` Saint-Sauveur-Camprieu 30, le Suquet a` SaintLaurent-de-Tre`ves 48 ou Meyrannes 30, voire Serre du Suc a` Combas 30), de nombreux mourre (museau) dont le Mourfrais a` Sablie`res 07, le Moure de la Gardille a` la source de l’Allier et du Chassezac (Saint-Fre´zal-d’Albuges 48). Ranc, parfois e´crit Ronc, est fre´quent pour des versants rocheux. Malarce-sur-laThines 07en collectionne plusieurs : Ranc de la Bogne, Ranc de Rode, Ranc des Grandes Taillades, etc. La Cam, la Cham, voire les Champs signalent des sommets plats. Divers Pompidou correspondent a` des replats sur les pentes. Les versants au soleil sont en ge´ne´ral dits Adrech, les ombre´es souvent Avers, Ave`s, E´vers. Plusieurs toponymes en Rouvie`re, Roveyre, Rouveyrette, Rouvergue, Rovergue signalent des cheˆnaies de rouvre. Soubeyran (d’en haut) s’oppose a` Souteyran (d’en bas) et le Mas Soubeyran de Mialet 30, qui abrite le Muse´e du De´sert protestant, a plusieurs homonymes. Du passe´ se´ricicole demeurent quelques lieux-dits la Magnanerie, et les Magnanarelles a` Saint-Andre´-de-Majencoules 30. Plusieurs lieux-dits e´voquent les drailles de transhumance, dont la Draille des Troupeaux a` Florac 48, la Combe de la Draille a` Goudargues 30, la Draille a` Malbosc 07. Le Gard, et les Gardons qui le constituent, viennent d’hydronymes au sens de torrent ; le Gard fut Vardo au V e sie`cle, ce qui se rapporte a` ver, qui coule, comme pour le Var, le Verdouble, la Vernaison, etc. La limite de´partementale se´pare la Valle´e Franc¸aise en Loze`re, draine´e par le Gardon de Sainte-Croix, et le Valborgne dans le Gard, draine´ par le Gardon de Saint-Jean. Valle´e Franc¸aise aurait eu le sens de valle´e des Francs, Valborgne serait construit sur borna, au sens de trou, creux profond, soulignant l’encaissement de cette haute valle´e. Le mont Aigoual est bien un distributeur d’eaux, comme son nom l’indique et en de´pit de controverses laborieuses et paradoxales ; le terme aldi, composant d’anciennes versions du nom, et apparent a` la fin du nom dans al, peut avoir eu le sens de pente, versant, qu’il a conserve´ dans les Pyre´ne´es. Langogne 48 a fait penser a` un hydronyme celte avec le sens de « saut ». Le mont Loze`re est un petit bloc de terrains anciens dans le nom duquel on pourrait lire lauze, pierre plate, ou mieux lisa, escarpement, contrefort ; mais l’e´tymologie n’en est pas assure´e, pas plus que celle du Goulet, qui lui succe`de imme´diatement au nord. Le Tarn a sa source sur le Loze`re, au Pont-de-Montvert, pre`s du Pic Cassini, par lequel est honore´e la famille de cartographes du XVIII e sie`cle. Plus a` l’est en Arde`che, le Tanargue est un autre bloc du massif ancien sur le rebord oriental des Ce´vennes, ancien Taranicus, dont le nom pourrait avoir la meˆme origine lointaine que le Tarn, oronyme mieux que traverse´e (tra). L’Arde`che a sa source a` Astet 07

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non loin du lieu-dit Chaparde`che (cap d’Arde`che) et du col de la Chavade, ou` passe la draille de Cham Longe, a` pre´sent jalonne´e d’une douzaine d’e´oliennes. La Margeride est un autre bloc de massif ancien, plus e´tendu et oriente´ SE-NO ; son nom serait forme´ sur morga (limite, marge) et rit (gue´). Le pays de Randon semble y confirmer l’ide´e de limite (rand) et apparaıˆt dans le Truc de Randon (1 401 m) et le Signal de Randon (1 551 m), point culminant de la Margeride, ainsi que dans Chaˆteauneuf-de-Randon 48, Rieutort-de-Randon 48 et Arzenc-de-Randon 48. Le Ge´vaudan et Javols viennent d’un peuple gaulois Gabale, dont le nom e´voque le radical gab (gorge). Marvejols 48 est une « grande clairie`re » (maro-ue´jols) ou un hautlieu. Mende 48 reste hypothe´tique ; le nom, comme celui de son mont Mimat qui la domine au sud, semble indiquer une ide´e de relief, comme dans e´minence (IE men) ; de fac¸on assez originale, l’ancienne forme Mimate fait supposer a` P.-H. Billy un autre sens du radical IE men (esprit, pense´e) qui pourrait se rapporter a` un lieu de culte gaulois. Florac viendrait d’un NP latin Florius. Le Vigan 30 semble issu de vic ; la forme ancienne Avicantus a fait sugge´rer a` P.-H. Billy une association av (eau) et canto (pente), fort plausible dans ce milieu de puissants ruissellements ; mais vigan (de´rive´ de vic, vicus) a aussi le sens de grand-place de bourg ou village en occitan, comme a` Albi. Anduze 30 pourrait eˆtre associe´e a` un IE andh au sens de jaillissement : source, ou plutoˆt vigueur du Verdon a` la sortie de la montagne ? Ale`s 30 est tout aussi obscur ; une ancienne forme en Aris pourrait e´galement avoir un sens hydronymique ; mais des alisio au sens de relief, falaise (cf. Ale´sia) ou meˆme de l’aulne (alisier) ne seraient pas force´ment absurdes. Ribaute-les-Tavernes 30, juste au sud sur le Gardon d’Anduze, a un nom pittoresque qui associe a` une haute rive (alta ripa) la pre´sence de lieux d’e´tape au passage d’un pont et au pied des reliefs. Uze`s 30 reste obscur ; sa position en relief au-dessus de la valle´e encaisse´e de l’Alzon, face a` un relief nomme´ la Montagne, fait songer a` l’uxello gaulois, tre`s employe´ ailleurs pour des positions e´minentes.

L’ouverture du Rhoˆne Languedoc et Provence sont de part et d’autre du Rhoˆne, dont le couloir s’ouvre largement sur la mer. Les reliefs s’e´cartent du littoral, laissant un large ensemble de pays bas dont les paysages sont aussi complexes que le peuplement et l’histoire. Le delta du Rhoˆne s’y est e´tale´ en un milieu original et mouvant, la Camargue. Ce nom a rec¸u diffe´rentes interpre´tations, d’un peu probable NP a` cam, courbe e´voquant le cours du Rhoˆne – mais cam a aussi le sens de « plat, nu ». La terminaison -argue est tre`s pre´sente aux environs (cf. Marsillargues 34, Aumargues 30, Candillargues 34, Caissargues 30). Le grand e´tang de Vaccare`s tiendrait son nom des vaches. Les lieux habite´s y ont le nom de Mas, les plans d’eau sont partage´s en Clos ou plus rarement Jeu. Les parties peu profondes ont nom Baisse (la Baisse de Cinq Cent Francs a` Arles), les terres e´merge´es Radeau (Radeau des Flamants, des Tamaris, de Mergues, Radeaux Bessons dans l’E´tang de l’Impe´rial aux Saintes-Maries-de-laMer 13) et Montille si elles sont le´ge`rement sure´leve´es : Montille du Renard, Montille de la Vigie aux Saintes-Maries. Vers l’embouchure du Grand Rhoˆne, les fle`ches

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de sable ont des theys : les They de la Gracieuse, de la Balancelle, de l’Annibal, de la Tartane, d’Euge`ne, de Roustan se succe`dent depuis le golfe de Fos, dont certains noms e´voquent ceux de bateaux naufrage´s, qui ont pu contribuer a` fixer les sables. Les basses terres sale´es a` salicornes sont les Sansouires, comme a` Auge´ry, ou Mas Neuf des Sansouires dans la commune d’Arles, les Sansouires des Rie`ges (la rie`ge est la salsepareille) aux Saintes-Maries-de-la-Mer ; ou parfois des Enganes : Clos des Enganes et les Enganes de Millet (Arles). Une Digue des Flamants et une Baisse des Flamants rappellent l’abondance de ces oiseaux ; une puissante pompe a laisse´ un lieu-dit Machine du Grau d’Enfer (Arles). Le Grau-du-Roi 30 est nomme´ d’apre`s grau, passage (latin gradus) qui a ici le sens d’e´tier, et a e´te´ flanque´ des deux stations de Port-Camargue au sud, La GrandeMotte a` l’ouest. En arrie`re, Aigues-Mortes 30 est un ancien port, double´ dans les anne´es 1240 par une ville nouvelle fortifie´e qui rec¸ut ce nom, tire´ d’un e´tang voisin, donc bien ante´rieur a` la de´che´ance du port. Le palu voisin, a` Saint-Laurent-d’Aigouze ou` Aigouze e´voque les eaux, a abrite´ l’abbaye de Psalmodi dont le nom, tire´ des psaumes, semble remonter au VI e sie`cle ; affecte´ a` tort d’un y, il subsiste dans un hameau et un Mas de Psalmodi. Vers l’inte´rieur, la plaine est nomme´e Vistrenque, du nom du Vistre qui y coule depuis l’est de Nıˆmes. Vauvert 30 est un « val vert » – sans rapport avec l’expression familie`re « au diable vauvert », laquelle se rapportait aux pe´riphe´ries parisiennes. C’est a` Verge`ze 30 (NP gaulois ?) qu’est la source des Bouillens, au nom caracte´ristique d’eaux bouillonnantes, a` l’origine des eaux Perrier. Nıˆmes 30 vient d’une racine gauloise nem, au sens de source sacre´e ou de sanctuaire. De l’autre coˆte´ de la Camargue, a` l’est du bas Rhoˆne, s’e´tend la Crau, plaine caillouteuse et se`che issue d’anciens e´pandages de la Durance et dont le nom est ge´ne´ralement attribue´ a` la racine pre´-IE car, rocher, pierre. Au nord, les Alpilles sont de (tre`s) « petites Alpes ». Il semble que les villes principales, Salon-de-Provence 13, Berre 13 et Istres 13 doivent toutes trois leur nom a` de vieilles racines pre´-IE e´voquant un relief, une colline : sal, ber, is (Rostaing, Billy). Fos-sur-Mer 13 au contraire signale un creux, une ouverture. Martigues de´riverait de Maritima, et Marignane pourrait aussi e´voquer la mer, ou un NP Marinius. Vitrolles vient probablement de verrerie. On sait depuis longtemps que Marseille vient de Massalia, colonie des Grecs de Phoce´e (d’ou` l’adjectif phoce´en encore utilise´), atteste´e au VIe sie`cle avant notre e`re. On ignore l’e´tymologie de ce nom, qui ne semble pas avoir une base grecque mais a e´te´ probablement emprunte´ par les Grecs a` une de´signation locale ante´rieure (cf Marsillargues 34). Entre cent hypothe`ses toutes plus inge´nieuses les unes que les autres, celle d’un fond humide n’est pas la plus absurde ; curieusement, elle rapprocherait Marseille de Paris (Lute`ce) et de Lyon, ainsi que d’Arles 13, interpre´te´e d’apre`s le gaulois are-late, « pre`s du marais » (la Camargue). Aix-en-Provence 13 a un nom sans myste`re, issu d’aquæ, les eaux. Les Milles 13 tient son nom des bornes milliaires a` la traverse´e de l’Arc par la Voie Aure´lienne venant de Marseille. Le massif de l’Estaque semble avoir e´te´ nomme´ a` partir de l’anse de l’Estaque, a` Marseille, dont le nom vient des pieux d’amarrage, comme pour une estacade. Les ıˆles du Frioul seraient nomme´es d’apre`s le provenc¸ai frieu, de´troit (latin fretum), sans autre rapport avec le Frioul italien. Les Calanques portent un nom commun et

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Cassis, jadis Carsis, semble avoir e´te´ forme´ sur car, rocher. Le cap Canaille viendrait de can, autre racine pre´-IE pour une paroi, un a`-pic. La Ciotat 13 est un diminutif de cite´. Beaucaire 30 est un nom du XI e sie`cle de forme Bellicadri qui avait pour sens « beau carre´ », allusion a` son chaˆteau perche´ – mais caire, cayre´ se confond avec l’ide´e de pierre ou roc et Bellicadri a toutes chances de n’eˆtre qu’une remotivation me´die´vale ; les vieux radicaux de roches bal et caire ont plus de vraisemblance et d’anciennete´, comme a` Belcaire 11. Le nom de Tarascon 13 serait lie´ a` l’ide´e de traverse´e du Rhoˆne (par la Via Domitia) selon la racine tar, tra et le suffixe ancien en -asque, dit « ligure », assez re´pandu en Provence ; la fameuse tarasque comme animal fabuleux vient de Tarascon, non l’inverse. Avignon 84, anc. Avenio, a pour origine un hydronyme (racine av). Orange 84, anc. Arausio devenue Aurenga au XII e s., pourrait venir de ar et ous, « pre`s de l’embouchure » (de l’Aygue). Le Comtat Venaissin fut le comte´ de Venasque, aujourd’hui un simple mais beau village dont le nom associe vindo (blanc) ou l’oronyme vin, ven, et le suffixe -asque. Vaucluse a le sens de val clos, qui correspond au site de re´surgence de la Fontaine de Vaucluse. Le terme a e´te´ e´tendu au plateau puis au de´partement. Le mont Ventoux est certes tre`s « venteux », mais les spe´cialistes n’y voient qu’une attraction facile, tout en divergeant sur les interpre´tations : la forme ancienne Vinturi aurait eu pour racine le pre´-IE ven, vin pour un relief bien marque´, ou un IE svento, vigoureux, vindo (blanc) ayant peu de partisans. Vaison, dite la Romaine en raison de ses nombreux restes arche´ologiques, jadis Vesio, nom attribue´ aussi a` une divinite´ de source, viendrait de ves, humide ou cours d’eau. Le nom de Carpentras 84 a e´te´ forme´ sur carpentum, une forme de chariot, et ratis, muraille ; mais le sens de leur re´union reste discute´. Apt 84 fut Apia Julia, en hommage a` Jules Ce´sar, Apia demeurant obscur, peut-eˆtre un hydronyme sur la base ap. Cavaillon 84 semble venir de l’oronyme cap, e´ventuellement assorti d’un av pour eau, comme son mont Caveau qui domine la ville, et comme Chalonsur-Saoˆne de laquelle les onomasticiens la rapprochent ; elle fut aussi le centre d’un peuple Cavare. Pertuis 84 porte bien son nom, qui semble annoncer le de´file´ de la Durance en amont. Le proche Luberon, et l’ancien oppidum de Lauris en aval de Pertuis, sont sans doute en rapport avec la racine lau de´signant la pierre, laura un e´boulis. Dans toute la Provence calcaire, les noms comme Les Baux, Sainte-Baume, Beaumes-de-Venise abondent et signalent des parois rocheuses, avec ou sans cavernes ou abris sous roche – Venise ayant ici le sens de Venaissin.

Montagnes provenc¸ales et azure´ennes Les reliefs ensoleille´s des parties les plus me´ridionales des Alpes et des Pre´alpes sont vigoureusement accidente´s, et ont offert d’amples terrains de parcours pastoraux. Ce n’est pas un hasard si, par exemple, les Hautes-Alpes ont de nombreux lieux-dits en Muande, lieu d’e´tape de bergers en mouvement. La Durance traverse tous les grands paysages provenc¸aux, avec pour affluent principal le Verdon ; les deux tirent leur nom de bases hydronymiques re´pandues en dour-dubro et vara. Ils circulent a` travers des « plans » (plateaux) et des barres de relief coupe´es de de´file´s nomme´s « clues »

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(cluses), ces termes figurant dans quantite´ de toponymes. Le Plan de Canjuers, ou` a e´te´ e´tabli un vaste camp militaire, tire son nom d’un village de la commune de Montferrat 83, qui fut jadis Campus Julii, un camp de Ce´sar. Manosque 04 et sa petite voisine Mane viennent de l’oronyme man, men de´signant une forte pente ou une e´minence. Forcalquier 04 vient de « four a` chaux ». Sisteron 04 remonte a` un oppidum ou` Billy lit les racines segh, tenir et ster, solide : un site qui tient bon. Le meˆme aperc¸oit dans Digne 04 une racine din, tourbillon, qui aurait pu signaler une source chaude quelque peu bouillonnante, a` l’instar des Boulidou et autres Bollaro ; mais le sujet est discute´. Le nom de Valensole 04 l’est encore plus, entre val-soleil, petite Valence et un peuple Variance suppose´ d’apre`s d’anciennes e´critures du lieu. Barcelonnette 04 semble avoir e´te´ un Rigomagos (marche´ royal ?) avant d’eˆtre reconstruite au XIII e sie`cle sous un comte de Provence et de Barcelone, qui en aurait fait un diminutif de celle-ci ; un e´quivalent serait Barcillonnette 05, sauf si l’on y lit bar (relief). Le nom de l’Ubaye serait le meˆme que l’ubac (opacus, a` l’ombre). Vers le nord, Gap 05 a un nom qui reste obscur ; une ancienne forme Vappinquo a pu faire penser a` une racine hydronymique. Le Bochaine, a` l’ouest des Hautes-Alpes, ne vient pas de bosc mais du Bue¨ch, dont le nom est en rapport soit avec bodio, aux eaux jaunes, comme la Bue`ges he´raultaise, soit avec bhodio au sens de lit de rivie`re. Le Champsaur, au nord de Gap, tiendrait de camp saur, donc jaunaˆtre aussi. De´voluy, au nord-ouest de Gap, viendrait de divo et ialo, clairie`re ou site divins ; son nom a e´te´ e´tendu a` une contre´e, devenue commune en 2016 par fusions. Embrun 05 a e´te´ atteste´e Eburoduno, ce qui en fait en somme un chaˆteau d’if... Plus a` l’est, le Queyras est re´pute´ devoir son nom a` un peuple Quadriate ; il est difficile pourtant de ne pas faire un rapport avec cayre, au sens de rocher et pays de rocaille. Brianc¸on 05 vient de briga, hauteur fortifie´e – comme La Brigue 06. Vers le sud-est en pays Nic¸ois, le Mercantour pourrait tirer son nom du passage longtemps re´pe´te´ de marchands et de leurs convois ; il serait au moins aussi justifie´ d’y voir un rapport avec marga, limite. Le Cheiron, point culminant des Pre´alpes de Grasse, est de la famille des cayre (roches). Menton 06 peut avoir le meˆme radical oronymique ancien que Manosque. Monaco, atteste´ en grec au VI e sie`cle avant notre e`re, pourrait avoir la meˆme origine ; curieusement, elle a e´te´ appele´e Morgue, Mourgue au Moyen Aˆge, sans doute par re´interpre´tation a` partir de l’ide´e de moine (mourgue en occitan). Le village perche´ d’E`ze 06, qui fut Avisone, a e´te´ interpre´te´ a` partir d’un oronyme « ligure » ab par Rostaing ; Billy pre´fe`re y voir un IE aues « qui brille » ; on peut penser aussi au cheˆne vert (yeuse), comme pour Eus 66, tout aussi beau et perche´. Nice 06 porte l’un des rares noms grecs en France, au sens de victoire, sur l’origine duquel on ne sait rien. Antibes 06 est grecque aussi, fonde´e par les Phoce´ens de Marseille au V e sie`cle avec pour nom Antipolis, « en face de la ville » ou « la ville d’en face », mais on ignore de laquelle – Nice n’existait pas encore ; certains pensent a` la Corse ; on verrait pourtant mieux « anti » par rapport a` Marseille, cite´ d’origine. Le parc Sophia-Antipolis s’inspire du nom d’Antibes (chap. 7). Selon les points de vue, Cagnes-sur-Mer 06, Cannes 06 et Le Cannet 06 viennent des roseaux, ou de l’oronyme pre´latin can. Grasse 06 viendrait d’un NP Crassus. Les ıˆles de Le´rins,

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jadis Lero et Lerina, auraient eu le sens d’ıˆles plates (IE p-laro) mais le sujet est controverse´. Le nom de l’Este´rel reste aussi discute´ ; une forme ancienne Stelel fait sugge´rer a` P.H. Billy qu’il viendrait du grec stylus, au sens de pilier ; des partisans du pre´-IE voient plutoˆt un oronyme ster, mais l’ide´e serait la meˆme – la couleur rouge des sols n’a pas pre´valu. Les Maures, au sens de montagne noire, posent moins de proble`mes, hors des fantasmes ethniques. Fre´jus 83 fut un Forum Julii, de Jules Ce´sar. Draguignan 83 semble venir d’un NP romain, mais un hydronyme drau, drac (famille du Drac, de la Durance) ne serait pas impossible, rapporte´ a` la valle´e de la Nartuby. Cogolin 83, jadis Cucullinus, vient apparemment de l’oronyme cuc. La Londe-les-Maures 83 est exotique : c’est une importation du XVII e sie`cle par un nouveau proprie´taire originaire de Normandie, ou` londe a le sens de foreˆt – du viking en Me´diterrane´e... Il semble que Hye`res 83 vienne simplement d’area, un endroit. Ses trois ıˆles ont des noms simples aussi : Levant, Port-Cros (creux), Porquerolles (de porcherie). La plage de l’Almanarre a` Hye`res porte le nom du phare en arabe (al manar). Enfin Toulon viendrait du gaulois telon, source. Notons que l’expression Coˆte d’Azur, propose´e en 1887 par le Dijonnais S. Lie´geard, qui fut e´crivain, pre´fet et de´pute´, est une fille de la Coˆte-d’Or, qui l’a pre´ce´de´e de pre`s d’un sie`cle. Son nom a prolife´re´ ; elle a donne´ l’adjectif azure´en, elle est entre´e dans le nom de la re´gion Provence-Alpes-Coˆte-d’Azur, dans celui de l’agglome´ration nic¸oise (Nice-Coˆte-d’Azur) et de son ae´roport, dans celui des communaute´s de communes des Monts d’Azur (Saint-Auban 06) et des Alpes d’Azur (Puget-The´niers 06), laquelle forme aussi un Pays des Valle´es d’Azur-Mercantour, et l’on a meˆme cre´e´ en 2012 un Parc re´gional des Pre´alpes d’Azur...

La Corse Nul ne sait exactement quels furent les premiers occupants de la Corse, dont les plus anciennes traces atteste´es seraient du dixie`me mille´naire avant notre e`re. Des signes d’une culture agraire et de villages remontent au sixie`me mille´naire, les plus anciennes statues-menhirs a` -1 500 avant notre e`re, certains indices de pre´sence phe´nicienne et e´trusque au septie`me sie`cle avant notre e`re, la conqueˆte romaine n’ayant commence´ qu’autour de -250. Bien des lieux e´taient donc de´ja` nomme´s avant celle-ci. La Corse partage ainsi avec d’autres re´gions franc¸aises d’anciennes racines pre´-IE, surtout dans la de´signation des reliefs ou` se repe`rent aise´ment des car, cuc, cal et autres can. On ne sait rien de ce qui pourrait relever d’un ibe`re ou d’un ligure largement suppose´s, sinon dans la proximite´ de certains toponymes avec de vieux termes pyre´ne´ens. Des e´rudits pensent que la langue corse actuelle a e´te´ partiellement forme´e bien ante´rieurement a` la romanisation, mais sur un meˆme fonds indo-europe´en que le latin ; Se´ne`que, exile´ en Corse en l’an 40, trouvait la langue locale barbare et incompre´hensible. Plus tard, le passage des Vandales puis des Ostrogoths a pu laisser d’autres traces. Du IX e au XIII e sie`cle, la Corse a e´te´ re´gie par Pise et ses lieux ont pris des tournures toscanes ; il ne semble pas que la domination ge´noise poste´rieure ait change´ sensiblement parlers et toponymes, d’autant que le geˆnois lui-meˆme avait

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beaucoup emprunte´ au toscan, au moins dans l’e´criture. Depuis l’acquisition franc¸aise de 1768, la question toponymique est double : fixer la part de la francisation, et se distinguer de l’italien. Il suffit de lire les cartes de l’IGN pour voir qu’elle est en constante e´volution : des noms en franc¸ais, d’autres de forme italienne (terminaisons en o), d’autres de forme plus « corse » (terminaisons en u, emploi d’e´critures de forme ghj, etc.). La tendance actuelle est a` s’appliquer a` de´velopper la dernie`re. La trop « toscane » Ajaccio devrait s’e´crire Aghjacciu... Le nom meˆme de la Corse reste discute´. Kyrne en grec, Corsica en latin pourraient avoir la meˆme racine, de forme approximative kurs, mais a` quoi correspond-elle ? Des e´rudits y voient du phe´nicien, sinon du libyen, ou du pre´-IE, d’autres de l’indoeurope´en. Au moins trois images semblent parmi les moins improbables : l’une e´voquerait des rochers quelque peu escarpe´s, une autre une ide´e de coupure (mais insulaire ou orographique ?), la troisie`me la couverture ve´ge´tale par bois et maquis. Possibles, elles te´moignent surtout des repre´sentations actuelles de l’ıˆle, ou du moins des repre´sentations attribue´es a` d’anciens voyageurs e´trangers, et de l’inge´niosite´ des linguistes ; mais aucun document de´cisif n’a e´te´ trouve´. La re´cente division de la Corse en deux de´partements a fourni deux noms te´moignant d’un re´el souci de valorisation : e´vitant d’employer les comple´mentaires Nord ou Basse, juge´s de´pre´ciatifs, on a choisi Haute-Corse et Corse-du-Sud. Leur division reprend une tre`s ancienne opposition entre Cismonte et Pumonte : la partie avant les monts, du point de vue de l’autorite´ pe´ninsulaire, la partie au-dela` des monts ; la premie`re mieux assimile´e, la seconde plus autonome, sinon archaı¨que. La premie`re a pour chef-lieu Bastia, dont le nom signifie « baˆtie » ; la seconde Ajaccio, dont le nom semble bien venir d’un lieu de repos de troupeaux et de bergers, d’une jasse (ad jacium) – une diffe´rence symbolique, avant qu’Ajaccio n’acquie`re la pre´e´minence. Corte a le sens de cour, court, un domaine seigneurial (curtis). Calvi est des rochers (cal) ou de cala, attire´ par « chauve ». Porto-Vecchio a le sens e´vident de vieux port. Bonifacio porte le nom de son refondateur, Boniface de Toscane, vers 830. Sarte`ne (Sarte´ en corse) serait un nom pre´latin e´voquant des rochers he´risse´s, comme la Sardaigne, voire la Cerdagne. Une ıˆle aussi accidente´e que la Corse abonde en oronymes, souvent d’origine ancienne. Parmi ces derniers, J. Chiorboli observe notamment que car, rocher, se lit dans Carbini, Cervione, Carge`se ; can, tas de pierre, dans Cagnani (a` Casaglione) et dans plusieurs noms en Canale comme Pila Canale ; cal, forte pente, dans Calacuccia, Calasima (a` Albertacce) ; cuc, butte, est dans Calacuccia, Cucuruzzu (a` Levie). Les noms des sommets sont d’une grande varie´te´. On y trouve assez banalement monte, et tre`s fre´quemment cima ; poghiu ou poggio, e´quivalents du puy ; pic, et punta ou pinzu de meˆme sens comme Pinzu Rossu (rouge) a` Nocario, Pinzu di l’Ucellu (de l’oiseau) a` Zerubia ou Pinzi a i Corbi (aux corbeaux) a` Evisa, et une se´rie de Pinzalone, dont un a` Rogliano ; parfois serra comme creˆte e´troite, telle la Serra di Caciatori (des chasseurs) a` San-Pietro-di-Tenda, voire Pinzarellu de sens voisin (Carge`se, Arbori) ; ou encore tre`s souvent capu (cap au sens de teˆte). Punta et capu ne sont pas moins employe´s, bien entendu, pour des promontoires du littoral. Le mot franc¸ais creˆte apparaıˆt aussi. Penta signale un rocher e´minent, comme a` Penta di Casinca ; teppa, proche du tup garonnais, un rocher escarpe´ ou une pente raide ; pal a un sens voisin (Palasca,

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Palneca), ainsi que scalda (e´chelle) : Scaldasole a` Bastelica et a` Pietracorbara, Scaldella a` Sotta, Scala Mare a` Oliverse, etc. Chiappa, proche du clap languedocien, est une pierre plate : la Chiappa a` Porto-Vecchio, Chiappe a` Vivario, Chiappone a` SanGavino-di-Carbini, Chiaparelli a` Aghione, plusieurs Chiapparella, A Chiappa de l’Aculeja (de l’aigle) a` Zicavo. Culletta est e´quivalent de colline, et de meˆme racine, comme Cullizola di Tiba a` Osani. Guardiola est, comme la Gardiole he´raultaise, un belve´de`re pour guetteurs. Le fait que le sens de certains de ces mots anciens ait e´te´ oublie´ explique la fre´quence des formes redondantes : un Monte Cucaru a` Canari, un Capu a Cuccula a` Evisa, un Monte di u Poggio a` Rogliano, une Punta di e Pinzarella a` Pila-Canale, un Capu Pinzutu a` Gale´ria. Bocca est le terme le plus employe´ pour un col : Gale´ria par exemple additionne une Bocca de l’Omo Mortu (de l’orme mort), une Bocca Basse, une Bocca d’Acqua Fredda, une Bocca di l’Erbaghjolu (de l’herbage), une Bocca a Scala (de l’e´chelle), une Bocca di Novella (de la novale), une Bocca Rossa (rouge). Toutefois, les cartes mentionnent aussi col, parfois forca (fourche) et assez souvent foce (creux, dont le village et la commune de Foce, plusieurs Foce Alta et Foce Piana) et les redondances ne manquent pas : Vezzani a un Col de Foce d’Eria et, au sud, un Col de Foce ; Porto-Vecchio, une Foce Incesa, Serreria une Bocca di u Furcatu ; et Carbini une Bocca di Barocaggio, ce dernier terme ayant le sens d’enjambement. Inzecca (entaille) apparaıˆt plus rarement, mais le de´file´ de l’Inzecca (Ghisoni) est ce´le`bre en Corse. Une se´rie de termes tourne autour de l’ide´e de courbure, crochet, coude selon J. Chiorboli, avec des formes en oncine et ancone comme Uncinu (Fozzano 2A), Punta di l’Uncinutu (Sari-Solenzara 2A), l’Onca (Guagno 2A), Tralonca 2B, Lancone (de´file´ a` Olmeta-di-Tuda 2B), Ancone (Calcatoggio 2A) et Piscia d’Ancone (Salice 2A), Anconi (Lavatoggio 2 B). Le meˆme auteur mentionne que des formes en creux, en chaudron, ont donne´ de curieux toponymes en Cacao (Cauro), Cacavu (Letia), Cacaucio (Ale´ria), Caccavelli (Poggio-di-Nazza) de´rive´s du latin caccabus, chaudron. Cala est une anse profonde, au sens de calanque, comme la Cala Genovese a` Piana et la redondante Cala di Conca a` Sarte`ne ; mais les ce´le`bres Calanchi de Piana sont des rochers de´chiquete´s, non des anses, comme la Calanca Murata de Conca ou la Calanca Longa d’Albertacce, la Calanca d’Olmeto, Calanche a` Piedicorte-di-Gaggio dans les gorges du Tavignano. Tracone, travone indiquent des ravins, des gorges ou au moins des bas-fonds (Stragonato a` Ciamannacce, Trave a` Volpajola, Travoni a` Vescovato, Travolo a` Belgode`re, Travone a` Pruno, Travonatu a` Aregno). La racine tav est associe´e a` des creux, voire des trous : on note plusieurs Punta Tafunata, un Monte Tafunatu a` Arro, un Capu Tafunatu a` Manso. Une caverne est de´signe´e grotta ou spelonca dans le nord de l’ıˆle ; Speloncato est une commune, Spelonca et Spelonche apparaissent une vingtaine de fois, E Spelonche est le nom d’une creˆte de la commune de Luri ; Farinole a une Grotta di u Banditu, Peri la Grotta di Sampiero Corso. Dans le sud, apparaıˆt le terme sapara, peut-eˆtre d’origine pre´latine : Sapara Ventosa et Sapara Rugnosa (galeuse) a` Sarte`ne, Sapara di Vacca a` Figari, Sapara di u Porcu a` Sainte-Lucie-de-Tallano, et bien d’autres. Les sources sont en ge´ne´ral Fontana, avec diminutifs ou augmentatifs Fontanella et

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Fontanone ; mais quelques Bollaro, voire Bolero, signalent des sources bouillonnantes : Bollaro a` Silvareccio, Funtana di u Bullaru a` San-Gavino-di-Tenda, Bolero a` Pietroso, Bollero a` Pianello, Funtana di Bolleru a` Feliceto. Fiume est le nom habituel pour un torrent, avec des lieux-dits en Fiuminale, Fiumicellu. Le Fiumorbo (Fium’Orbu) est un fleuve du sud de Haute-Corse, passant par les de´file´s de Strette (e´troits) et de l’Inzecca (entaille), et par une contre´e homonyme dont le nom est porte´ par quatre communes ; mais presque partout c’est le nom de « ruisseau » qui a e´te´ choisi pour de´signer les cours d’eau sur les cartes. Piana est la plaine, avec diffe´rentes variantes en Pianu, Pianure, Pianella meˆme pour de simples replats. De plaines littorales mare´cageuses viennent des noms en Padula (cf. palu) : Padule Longhe a` Montegrosso, Padule a` Venzolasca et Padulone a` Valle di Campoloro, un e´tang Padulu Tortu (tors) a` Zonza. En montagne, pozzi (puits) de´signe des tourbie`res ; celles de Bastelica sont les plus connues ; il existe des dizaines de lieux-dits en Pozzi. Foce n’est pas seulement col, mais signale une embouchure a` Saint-Florent, celle de l’Aliso. Quelques dizaines de toponymes en macchia, macchione e´voquent le maquis, souvent avec un adjectif : Macchia Negra a` Asco, Macchia Soprana et Macchia Sottana (d’en haut, d’en bas) a` Porto-Vecchio, Macchia Alta a` Prunelli-di-Fiumorbo. Les noms en bosco ou boscu (bois) sont rares (quatre exemplaires sur Ge´oportail), mais valdu au sens de foreˆt, proche du germanique mais peut-eˆtre d’un IE des temps pre´latins, comme en gaulois, figure par dizaines, dont plusieurs Valdu Niellu (foreˆt noire) a` Albertacce, Vallica et Olivese, un Valdu Seccu a` Asco, un Valdu Verde a` Olivese. Les termes e´voquant les versants ensoleille´s, comme la Sulana de Luri, semblent plus rares que ceux de l’ombre, nomme´s sous des formes varie´es de l’envers (Ambarscia a` Bocognano, Ambarcione a` Rosazia, l’Unverccia a` Grosseto), de l’ombre´e (Umbrone a` Calenzana, l’Umbrione a` Borgo, Ombriaccia a` Perelli) ou de l’ubac (Bacinu a` Levie, Punta et Costa Bacinello au Monte Renoso a` Bocognano). Le terme alp associe´ aux montagnes pastorales a pe´ne´tre´ en Corse et se devinerait dans les noms Elpa (dont l’Elpa Nera a` Osani), Arpali (a` Ortaca), Erbalunga (Brando) qui aurait e´te´ une Alba Longa. La vie pastorale a laisse´, outre des bergeries, des noms caracte´ristiques en Erbaiola (herbage), jasse (Ajaccio, Jaceiolu a` Sarte`ne), mandre (bergerie) avec nombreux lieux-dits en Mandrie, Mandriolo, Mandriaccia, Mandre Vecchie a` Calenzana et Mandria Vecchia a` Santo-Pietro-di-Tenda. Guagno-les-Bains viendrait de guadagno, bail a` cheptel (gazaille ou gazagne dans le Midi de la France). Prato, pratu (pre´) est un microtoponyme re´pandu, porte´ aussi par une commune (Prato-di-Giovellina). Deux termes reviennent fre´quemment en toponymie rurale, campu et aghia (aja, aghja). Le premier est le meˆme que champ et peut subsister en plein maquis. Le second a le sens d’aire, lieu, souvent de´fini par quelque de´terminant : Aghia Piana, Aghja del Piovanu (de la pluie) a` Albitreccia, Aja Alta a` Aghione, plusieurs Aja Rossa (rouge), un Aja al Comunu a` Cagnano. Quelques noms en Novella se sont rapporte´s a` des terres nouvellement de´friche´es (novales), d’autres en Debbiu et Diceppi a` des de´frichements par e´cobuages et dessouchage, en ge´ne´ral sans comple´ment ; on a cependant un Capo Diceppo a` Antisanti, un col nomme´ Bocca di Campu Debbiu a` la limite de Zevaco et Azilone-Ampaza, une Punta Debbiole a` Moltifao. L’ager n’est

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gue`re e´voque´ que par l’Agriate, ancienne terre de culture du nord-est, abandonne´e a` la fin du XIXe sie`cle et affuble´e depuis du terme de « de´sert des Agriates ». Chiosu est un clos, pre´sent par dizaines parmi les lieux-dits. La maison est la casa, a` l’origine de quantite´ de noms en Casanova (neuve) et Casavecchie (vieilles). Les noms en Castello, Castellu, Castellucciu, dont un Castellu di u Corbu (du corbeau) a` Viggianello, sont surabondants. Ils sont parfois associe´s a` quelque ruine perche´e ; mais on peut penser que dans certains cas, comme les kastel bretons, ils ont pu de´signer un relief saillant, donnant l’impression d’un chaˆteau fort. La meˆme ambiguı¨te´ s’attache au mot torre (tour), mais la Corse s’est jadis barde´e de fort nombreuses tours, de guet plus que de´fense, dont les pierres demeurent. Marina est le nom commun aux petits hameaux portuaires au bas des villages perche´s du Cap Corse et d’ailleurs, en ge´ne´ral suivi du nom de la commune. Les arbres et les plantes du maquis ont donne´ quelques toponymes propres a` la Corse. Carco, Carcu, Carcheto signalent le cheˆne, mais on trouve aussi Quercu, et un Capu di u Quercetu a` Serriera. Leccia est le cheˆne vert (du latin ilex), abondant en toponymie. Le heˆtre apparaıˆt sous les nombreuses variantes issues de fagus (Fagu, Fogu, Foiu...). Le sapin (ghjallicu) n’a pas moins de diversite´ : Giallicu a` Lopigna, Galghello a` Soveria, Gialgheta Nera a` Ciamannacce, Giallicatapiano (avec plaine, dont un e´tang et une bergerie) a` Vivario, Punta a la Gialgarella a` Bocognano, Jallicu (a` Ze´rubia et Quenza) ou encore a` Argiusta-Moriccio – J. Chiorboli en a compte´ trente formes diffe´rentes, auxquelles s’ajoutent des de´rive´s de la forme latine abies, comme Aitone. Piobba, Piobetta e´voquent le peuplier (piobu), Ogliastro l’ole´astre (olivier sauvage), Tasso l’if (latin taxus), Albitreccia l’arbousier (albitru). Le jonc (ghjuncu) transparaıˆt dans le nom de Giuncheto et dans des Giuncaja (Ersa, Zigliara), Giunchellu (Alata), Junchelli (plusieurs) ; la fouge`re dans des Felce (dont une commune), Filette, et le fameux site me´galithique de Filitosa (Sollacaro). La bruye`re fournit de nombreux Scopa comme la bergerie d’Aghia a Scopa a` Partinello ou la Punta a Scopa a` Osani. L’asphode`le serait a` l’origine de divers Albuceta, Talavuceta (Zonza, Ota), Tarabucceta (Sarte`ne), le ciste donne des Mucchieta et apparente´s. Enfin le figuier est a` l’origine de quantite´ de noms en Fica, Ficajola, l’olivier d’une vingtaine de variantes du type Olivese, Olivetu, Alivi. Ces appellations se combinent localement en une grande richesse de noms de lieux. Par exemple, sur le territoire d’Argiusta-Moriccio au cœur de la Corse-du-Sud, se trouvent des lieux-dits Punta di Jallicu Solu (pointe du sapin isole´), Lecci Torti (cheˆnes verts tordus) et Licciula, Punta di a Querceta (de la cheˆnaie), Filetta (fougeraie), Punta d’Erba Rossa (de l’herbe rouge), Valdeniella (foreˆt noire), Albitrone (de l’arbousier), Plan di Selva (de la foreˆt), plus une Creˆte des Pozzi (tourbie`res). Enfin, si le domaine animal n’est pas tre`s productif en toponymie corse, on doit bien e´voquer le mouflon (muvra) ce´le´bre´ par quelques sommets comme la Punta Muvrareccia a` Gale´ria ou a` Quenza, qui a aussi une Punta di a Muvra, le Capu di a Muvragha a` Manso, ou par le Saltu Muvratu a` Albitreccia.

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Outre-Mer Oure-Mer, des noms franc¸ais ont e´te´ importe´s sur un fond autochtone au cours des sie`cles re´cents de la colonisation, ou s’y sont substitue´s. Les situations sont bien entendu diffe´rentes selon les de´partements et les territoires, et les e´tudes scientifiques ont e´te´ bien plus limite´es que dans la me´tropole ; l’enjeu toponymique n’en est pas moins inte´ressant. Trois sortes de configurations se pre´sentent : dans les de´partements et territoires les plus anciens, les noms d’origine indige`ne sont en petit nombre, sauf en Guyane, ou` le peuplement est bien moins dense. Dans les territoires du Pacifique au contraire, les importations du franc¸ais tiennent peu de place. Restent les territoires austraux et des Iˆles e´parses, qui e´taient vides au moment de l’appropriation, et ou` il a fallu nommer tous les lieux, a` partir du vocabulaire franc¸ais de noms communs, et des re´ve´rences historiques et ge´ographiques non moins me´tropolitaines – quelques apports e´trangers ont pu venir de navigateurs et de peˆcheurs.

Coˆte´ Caraı¨bes Antilles aurait pour origine un portugais ante ilhas, les ıˆles qui pre´ce`dent (le continent) – d’autres disent anti-ilhas, les ıˆles des antipodes. Les Antilles font partie d’un espace dit Caraı¨be, du nom d’un peuple Karib qui aurait eu pour sens « les braves », « les hommes forts ». Dans ces Caraı¨bes, peu de noms d’origine pre´colombienne ont e´te´ conserve´s. Carbet a e´te´ importe´ du Bre´sil (tupi) par les premiers Franc¸ais pour de´signer la « grande maison » du village, puis e´tendu a` l’ensemble du village et figure en plusieurs lieux-dits dont Le Carbet 972, les Pitons du Carbet au Morne-Vert 972, Carbet a` Trois-Rivie`res 971, ainsi que des dizaines de Carbet avec comple´ment en Guyane, surtout a` Re´gina ; un Carbet des Journalistes a e´te´ ajoute´ a` Kourou. Ajoupa est une paillote a` un seul pan de toit. Ajoupa-Bouillon est une commune en Martinique. Fort-de-France a l’Ajoupa Soldat, le Grand Ajoupa est un lieu-dit partage´ par Vieux-Fort et Trois-Rivie`res (Guadeloupe). Caye de´signe un ıˆlot ou re´cif, un relief corallien : il en est des dizaines en Guadeloupe. Plus rares, ont e´te´ conserve´s Kahouane et Anse Kahouane (Saint-Franc¸ois 971) et Iˆlet a` Kahouane (Deshaies 971) qui e´voquent une tortue ; Macouba 972 et un Morne Macouba a` Grand’Rivie`re 972 pour la raie d’eau douce ; Maniba (a` Case-Pilote et Le MorneVert 972) signifierait « tais-toi ». Meˆme les noms de chefs caraı¨bes ont e´te´ francise´s : Le Simon, La Rose, Le Franc¸ois, Le Robert, Pilote (a` Case-Pilote et Rivie`re-Pilote), Salomon, Arlet en Martinique. Le terme de base pour l’habitat est case, tre`s pre´sent, jusqu’au niveau communal (Case-Pilote 972). Le domaine agricole s’est appele´ place, et surtout habitation, bien e´tudie´ par V. Huyghues-Belrose. Le premier a presque disparu, le second abonde, suivi en ge´ne´ral d’un NP, parfois d’un autre terme comme Habitation Union a` Sainte-Marie 972, Habitation La`-Haut au Robert 972, Habitation Val d’Or a` Rivie`re-Sale´e 972, Habitation Caraı¨be a` Petit-Canal 971, Habitation GrandeAnse a` Trois-Rivie`res 971, Habitation l’Avenir au Saint-Esprit 972. Quartier fut le premier nom des e´tablissements de colons mais s’est peu conserve´, au sens de hameau, ou de lotissement des terres d’une ancienne habitation dont il garde le

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nom. Outre un ıˆlot proche du rivage (Les Trois-Iˆlets 972), ıˆlet peut de´signer un hameau de cases : Iˆlet a` Cabrit (Terre-de-Haut), a` Cochons (Pointe-a`-Pitre), a` Eaux, aux Rats (Le Robert), du Tre´sor et du Galion (La Trinite´), Le´zard (Re´gina), Totor (Cilaos), Ronde et Haute (Saint-Jospeh) ; mais ce terme est beaucoup plus employe´ a` la Re´union. La trace est un sentier fre´quente´ et nomme´ : les Traces des Creˆtes, des E´tangs, BailleArgent, des Monts Caraı¨bes en Guadeloupe ; la Trace des Je´suites, Trace des Caps en Martinique, ou` la Route de la Trace est devenue Nationale 3 mais a garde´ son nom. Le boucan est la cabane ou` l’on se´chait au feu (boucanait) la viande ; il figure en cinq communes de Guadeloupe (dont Boucan Grigne-au-Vent a` Bouillante et la Boucan a` Sainte-Rose), deux en Martinique (au Marin et au Vauclin). On trouve mention de Chaˆteau, Fort, Redoute, Batterie. La plupart de ces termes sont accompagne´s de noms d’anciennes familles de colons. Certains NL e´voquent des notables, notamment des gouverneurs ; d’autres ont retenu des noms communs inspire´s par l’environnement ou un souvenir historique. Les noms de communes en Saint- ou Sainte-sont nombreux, les autres croyances ont une place plus discre`te : en Martinique, Zombi (Le Diamant), Fond Zombi (Saint-Joseph), Pointe Zombi (Le Franc¸ois), Rocher Zombi (Rivie`re-Pilote) – zombi a pu passer pour e´quivalent de diable, terme bien pre´sent aussi en toponymie. Les deux mots de base pour la topographie sont morne et fond. Le premier vient du portugais et de´signe une colline, une hauteur quelconque ; il est parent du mourre occitan. Le second est des origines de la colonisation et de´signe toute de´pression, valle´e, vallon ; il est parfois e´crit fonds, mais sans rapport avec « foncier ». Les lieuxdits portant ces noms suivis d’un de´terminant sont innombrables en Guadeloupe et en Martinique. Gros-Morne, Le Morne-Rouge et Le Morne-Vert en Martinique, Morne-a`-l’Eau en Guadeloupe sont des communes, les Grands Fonds un secteur accidente´ a` Grande-Terre (Guadeloupe). Rivie`re est ge´ne´ral pour tout cours d’eau, et a donne´ quelques noms de communes : Rivie`re-Pilote, Rivie`re-Sale´e, Grand’Rivie`re en Martinique, Trois-Rivie`res en Guadeloupe. Ravine est e´galement tre`s pre´sent : citons entre autres Ravine Bœuf a` SaintLouis 971, Ravine Sable´e a` Anse-Bertrand 971, Ravine Bois a` Diable aux Abymes 971, Ravine Acajou a` Rivie`re-Pilote 972, Ravine Chaudie`re au Lorrain 972, les Ravinie`res a` Saint-Esprit 972. Sur les coˆtes, les termes dominants sont pointe pour une avance´e (cap est rare), anse ou cul-de-sac pour un rentrant ; mais on trouve aussi des baie, havre, rade, accul, sans qu’aucune logique ou hie´rarchie s’y puisse vraiment distinguer. A` coˆte´ de NP, l’imagination et la fantaisie ont fixe´ des Pointes du Diable, Petit-Ne`gre, Banane, Roseau, Camphre, de Sans Souci, d’Enfer, du Bout, des Ne`gres, Canicule, a` Bacchus, Coq-Souris, du Gris-Gris, un Cap Enrage´, Anse Four-a` Chaux, Anse a` l’Eau. Les formes ve´ge´tales y ont ajoute´ savane, au sens de prairie, source de nombreux noms de lieux, comme Savane Jalousie a` Macouba 972, Savane a` Mulets a` SaintClaude 971, Savane aux Ananas a` Capesterre-Belle-Eau 971, Fond Savane a` Ducos 972, Savane des Pe´trifications a` Sainte-Anne 972. On ne trouve que deux mentions de Prairie (Martinique). Mangrove de´crit les formations littorales mais n’est employe´

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que depuis le XIXe sie`cle et n’entre donc gue`re en toponymie ; mangle, qui de´signe des pale´tuviers (mangliers), donne quelques lieux-dits comme les Mangles a` Petit-Canal 971 ou au Lamentin 972, la Pointe des Mangles a` Port-Louis 971, Mangles de FolleAnse a` Saint-Louis 971 (a` Marie-Galante). Plusieurs noms de plantes locales figurent, importe´s du Bre´sil ou du franc¸ais, comme Morne Acajou (Le Franc¸ois 972), Gros-Acajou (Gourbeyre 971) ; Balata (La Trinite´ 972, Sainte-Rose 971, Matoury 973) ou Mont Balata (Le Lamentin, 972) ; Fond Ge´nipa (Sainte-Rose 971) ou Ge´nipa a` Ducos 972, a` Iracoubo 973 ; le Gommier (Petit-Bourg 971), Morne Gommier (Le Saint-Esprit 972, Le Marin 972), Goyave 971, et une quinzaine de toponymes avec Palmiste. La faune a quelques repre´sentants marquants, surtout sous forme de Le´zard (iguane), Gosier (Le Gosier 971), surnom du pe´lican, et de lamantins, e´crits ici avec e (Lamentin 971 et Le Lamentin 972) ou sous leur surnom de « vaches de mer » : Cul-de-Sac a` Vache (Les Trois-Iˆlets dans la baie de Ge´nipa), Pointe a` Vache (Terre-de-Bas 971 aux Saintes) et Morne a` Vache (Bouillante 971). Au Lamentin 972 figurent aussi un rare Cul-de-Sac Cohe´, au nom local de l’engoulevent, cohe´ – et une marina Port-Cohe´. En l’absence de termes ame´rindiens, beaucoup de noms de lieux sont caracte´ristiques de la colonisation de terres neuves, dans leur simplicite´ meˆme : les Mamelles (a` PetitBourg) et Petites Mamelles (a` Capesterre-Belle-Eau) pour des buttes jumelles, De´couverte (a` Saint-Louis), Nez Casse´ (Saint-Claude), Cafe´ie`re (nombreux lieuxdits), Cascade aux E´crevisses (Petit-Bourg), Dos de Cheval pour une e´chine (TroisRivie`res), Trou a` Diable (Terre-de-Haut, Bouillante, grotte de Marie-Galante a` Grand-Bourg) et Gueule Grand-Gouffre (Saint-Louis), Grand Bois, Belle Espe´rance, Grande Falaise, Richeplaine, Bains Jaunes et la Soufrie`re en Guadeloupe ; Vert Pre´, Flamboyants (a` Gros-Morne et Sainte-Anne), Fond Cacao (plusieurs), presqu’ıˆle de la Caravelle (La Trinite´), le Galion, Pointe Savane, Roches Carre´es, Bois Neuf, Morne Malgre´ Tout (Sainte-Anne), Monde´sir, Fond Gens Libres (Le Lorrain, Le Vauclin, Le Marin), le Diamant, et bien entendu la Montagne Pele´e a` la Martinique. Plus quelques noms pittoresques comme Pointe Coin a` Nous et Pointe J’ai Fouille´ a` Vieux-Bourg 971, Pitt Cle´ry a` Rivie`re-Pilote 972 (un pitt est une are`ne pour combats de coqs) et meˆme des Tivoli a` Grand-Bourg 971 et Fort-de-France 972. La Guadeloupe (402 000 hab.) a un nom d’origine... arabe (wad al-lub, rivie`re aux cailloux noirs), transmis d’Espagne par le nom d’un des navires de Christophe Colomb. Les marins espagnols ont aussi nomme´ la De´ sirade (fort attendue apre`s 21 jours de navigation lors de la deuxie`me expe´dition de Colomb en 1493), Marie-Galante (navire amiral de Colomb lors de ce meˆme voyage), les Saintes (aperc¸ues a` la Toussaint 1493). Pointe-a`-Pitre porterait le nom local d’un agave, mais a donne´ lieu a` d’autres interpre´tations le´gendaires. Basse-Terre est a` la fois le nom du chef-lieu et paradoxalement celui de la partie la plus haute du de´partement, oppose´e a` la Grande-Terre a` l’est. C’est qu’en Guadeloupe les expressions des marins ont e´te´ fortes : bas de´signe l’ouest (sous le vent) dans la zone tropicale ou` les vents dominants (alize´s) sont d’est en ouest ; haut, ou cap, de´signe ce qui est « au vent », face au vent : les Capesterre de Guadeloupe et de Marie-Galante sont coˆte´ est, Basse-Terre, choisie comme chef-lieu, e´tait a` l’abri a` l’oppose´. De meˆme, les Saintes sont divise´es en Terre de Haut (a` l’est) et Terre-de-Bas (a` l’ouest).

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La Martinique (386 000 hab.) e´tait nomme´e Juanacera ou Iguanacera (ıˆle aux iguanes) par les Caraı¨bes, Matinino par les Arawaks quand Colomb y a de´barque´ en 1502. Ce nom a e´te´ cartographie´ en 1529 par Diego Ribeiro, puis est devenu Matinnic sur la carte de Descelliers (1546), Martinique sur une carte de 1580. Matinino avait le sens d’ıˆle sans pe`res ou des femmes seules, ce qui fut a` l’origine de plusieurs mythes, comme d’ailleurs en Amazonie – alors qu’il semble, selon T. L’E´tang, que le nom ait e´te´ en relation avec l’existence de registres lexicaux diffe´rents pour les femmes et les hommes. Matinino a e´volue´ vers Martin par l’effet de la colonisation chre´tienne, avant que s’invente a` des fins touristiques une fausse traduction de Matinino en « ıˆle aux fleurs » (informations fournies par V. HuyghuesBelrose, que je remercie vivement ici). Fort-de-France a e´te´ nomme´ Cul-de-Sac Royal (1635), Fort-Royal (1672) avec un intervalle Fort-de-la-Re´publique (1793-1794), Fort-de-France enfin en 1807 et son gentile´ est Foyalais, par contraction de Fort-Royal. Schoelcher est un ancien quartier de Fort-de-France nomme´ Case-Navire, devenu commune en 1888 et qui rec¸ut alors le nom du pionnier de la lutte antiesclavagiste. Ducos est un ancien Trou-au-Chat, qui a pris en 1855 le nom du ministre des colonies The´odore Ducos (1801-1855). Le nom de La Trinite´ vient de la re´union de trois quartiers de`s 1658, dont le Petit-Bre´sil qui e´voque l’arrive´e d’anciens colons hollandais e´vince´s du Bre´sil. Les Trois-Iˆlets e´tait Cul-de-Sac-a`-Vaches avant de devenir commune en 1849. Dans les Caraı¨bes, deux possessions franc¸aises ont le statut de collectivite´ d’outremer depuis 2007. Saint-Barthe´lemy (9 300 hab.) est la francisation de San Bartolome, nomme´e par Christophe Colomb en 1493 selon son fre`re, auparavant Ouanaiao (le pe´lican) en karib. Son chef-lieu, d’abord le Care´nage, est devenu et reste´ Gustavia en 1787, l’ıˆle ayant e´te´ ce´de´e a` Gustave III de Sue`de en 1784, avant de revenir a` la France en 1878. Hors Gustavia, et y compris dans les divers ıˆlots qui l’entourent (Fre´gate, Chevreau, Fourchue...), la toponymie est franc¸aise, avec des Cul-de-Sac, Marigot, Grand Fond, Lorient, Grande Saline, Public, Quartier du Roi, Anse des Cayes, Anse des Le´zards, Terre Neuve, Anse aux Flamands, Colombier, Care´nage, le Gouverneur, et force Morne, Anse ou Pointe. Saint-Martin (36 000 hab.) est la moitie´ nord de l’ıˆle Saint-Martin, baptise´e par Colomb le jour de la Saint-Martin 1493 et partage´e entre France et Pays-Bas depuis 1648, mais ensuite plusieurs fois occupe´e par les Anglais. Le nom karib e´tait Sualouiga, l’ıˆle du sel, que l’on dit avoir succe´de´ a` un arawak Oualichi, autre « ıˆle des femmes ». Elle a le meˆme statut que Saint-Barthe´lemy. La toponymie est un me´lange de noms d’origine franc¸aise, anglaise (Sandy Ground, Red Rock, Eastern Point) et ne´erlandaise, voire bilingues (E´tang de Simsonbaai, Pointe du Bluff, Plum Bay/Baie des Prunes). Le chef-lieu est Marigot, l’ae´roport est a` Grand-Case, domine´ par le Pic Paradis (424 m) ; Cul-de-Sac et Quartier d’Orle´ans sont a` l’est, ou` l’ıˆle Tintamarre comple`te le territoire. Un Mont des Accords ou Concordia comme´more le partage de 1648. La Guyane est un tre`s grand territoire (84 000 km2, un sixie`me de la me´tropole) de faible peuplement (244 000 hab., 3 au km2) et de colonisation tardive (xVIIe et surtout XIX e sie`cle) : les termes ame´rindiens y sont nombreux, les apports europe´ens marginaux. De vastes territoires ne sont peuple´s ni d’habitants ni de toponymes, au

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moins sur les cartes de´taille´es. Le nom meˆme de la Guyane est ame´rindien, et connu des Europe´ens au moins depuis 1532. Son origine a e´te´ l’objet de nombreux commentaires, mais il semble bien qu’il ait de´signe´ a` la fois une rivie`re (peut-eˆtre un affluent de l’Ore´noque) et un peuple ame´rindien, avec le sens ge´ne´ral d’eau : pays des eaux, ceux de l’eau. Cayenne porte le nom de sa rivie`re, qui semble avoir e´te´ Kalayni en langue karib et a d’abord e´te´ e´crit Caiane (V. Huyghues-Belrose) ; il a subi ensuite l’attraction de cayenne, qui de´signait une cabane dans certaines re´gions franc¸aises, un recoin du bateau dans le vocabulaire des marins ; il n’a donc pas e´te´ importe´, mais a` peine adapte´. Maripasoula est le saut (soula) du palmier (maripa), Ouanary vient du le´zard-caı¨man (drace`ne), Sau¨l du NP de son fondateur (1910). Plusieurs communes et bourgs ont le nom de leur rivie`re (Sinnamary, Mana, Camopi, Kourou, Cayenne). La pe´ne´tration coloniale a e´te´ longtemps lente, he´sitante, conflictuelle entre Anglais, Hollandais et Franc¸ais. Elle a connu de nombreux e´checs : les Iˆles du Salut, devant Kourou, doivent leur nom au fait qu’elles servirent de refuge, sain et sans moustiques, aux quelques survivants d’une aventureuse colonie agricole mal organise´e par Choiseul en 1763 dans des marais malsains ; en leur sein, l’ıˆle du Diable a servi de bagne de 1852 a` 1947, comme annexe isole´e du bagne de Saint-Laurent-du-Maroni. Le peuplement reste limite´ au littoral et aux deux grands fleuves qui encadrent le territoire, Oyapok a` l’est, Maroni a` l’ouest. On ne connaıˆt gue`re que deux lieux-dits avec Habitation, mais d’autres ont le nom de Ferme. Les marais littoraux sont nomme´s pripri, comme les Pripris de Yiyi a` Sinnamary, ou le Grand Pripri de Kourou, et les « savanes » sont des e´tendues de pacages, souvent mare´cageuses (« savanes noye´es »). Les noms de lieux introduits tiennent parfois de camps disperse´s du bagne (Saint-Louis, la Charbonnie`re a` Saint-Laurent-du-Maroni), souvent de l’anecdote, d’un souvenir particulier et surtout de l’orpaillage : Savane Mal Ventre et Savane de Trou Poissons a` Iracoubo, Coco, Banane, Risque-Tout, Toulouse, Savane Domaine a` Montsine´ry-Tonnegrande. Crique est le nom ge´ne´ral pour les rivie`res, visiblement tire´ de l’anglais creek. De´grad est tre`s employe´ pour tout de´barcade`re fluvial ; mais le De´grad des Cannes a` Cayenne a e´te´ re´ame´nage´ en vrai port. Dans la foreˆt, seuls quelques sites d’orpaillage ont suscite´ des noms, souvent baroques : a` Sau¨l, Cambrouze, Cent-Sous, Popote, De´grad Sardine, Repentir, Valide, Espoir, Patience, Certitude ; a` Maripasoula, De´grad Fourmi, Montagne Chien Mort, Montagne Ame´ricain, Espe´rance, Petit Paradis, Cambrouze, Cafe´ ; dans la foreˆt de Saint-Laurent-du-Maroni, Bonne Entente, De´cision, Re´veil ; on trouve un Mont Respect dans un Massif Lucifer... Dans les bassins de l’Oyapok et de l’Approuague a` l’est, les noms en Carbet abondent, ainsi que ceux en Iˆlet pour des ıˆles fluviales. Le long du Maroni a` l’ouest, quelques de´nominations par des Noirs marrons se remarquent : Tabiki de´signe une ıˆle et les habitats ont nom Kampou, pre´ce´de´ d’un de´terminant, ou Patatpe sur les rives de l’Alitani (Haut-Maroni) ; Enene Patatpe est le hameau le plus lointain de la Guyane, a` sa pointe sud-ouest. A` l’inverse, le Centre Spatial Guyanais de Kourou a cre´e´ tout le long du littoral une se´rie d’installations aux noms de code, avec force initiales et nume´ros.

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La Re´union Le de´partement-re´gion de la Re´union est une ıˆle sans annexe, divise´e en 24 communes, et de loin la plus peuple´e d’outremer (835 000 hab. pour 2 500 km2). L’ıˆle e´tait inhabite´e jusqu’aux de´barquements et prises de « possession » qui se sont succe´de´ au XVII e sie`cle ; toute la toponymie est donc poste´rieure. Elle n’est cependant pas entie`rement franc¸aise : la colonisation agricole s’est faite, a` partir de Madagascar au de´but, en transfe´rant quantite´ d’esclaves originaires de cette ıˆle et d’Afrique de l’Est, nomme´s globalement Cafres d’un terme arabe au sens d’infide`les. Des plantations de cafe´, puis de canne, certains se sont enfuis et ont ve´cu dans la montagne dont ils ont parseme´ les lieux de noms malgaches. Apre`s l’abolition de l’esclavage en 1848, l’importation de main-d’œuvre indienne, surtout tamoul (« Malabar » a` la Re´union) a introduit d’autres termes, mais davantage dans le langage courant que dans la toponymie. L’ıˆle elle-meˆme a eu plusieurs noms, dont certains e´phe´me`res comme England Forest par un bateau de passage en 1613 ; elle fut Mascarin en 1638, du nom d’un navigateur portugais qui a e´te´ conserve´ dans les Mascareignes en ge´ne´ral ; puis Bourbon en 1649, lors de l’occupation officielle. Les Re´volutionnaires la nomme`rent la Re´union en 1793, en comme´moration de la rencontre des Marseillais et des gardes nationaux lors de la prise des Tuileries le 10 aouˆt 1792. C’est la bre`ve occupation anglaise qui re´tablit Bourbon en 1810, jusqu’a` ce que la Re´volution de 1848 revienne a` Re´union et supprime l’esclavage. Les douze premie`res communes nomme´es ont toutes rec¸u des noms en Saint, mais souvent tire´s du pre´nom meˆme du gouverneur, d’un proprie´taire ou d’un membre de la famille. Les douze autres ont e´te´ nomme´es apre`s 1882, toutes d’un nom commun au contraire. L’ıˆle a plusieurs dissyme´tries, qui se sont marque´es dans son occupation et dans ses noms de lieux. Comme toute ıˆle tropicale, elle a un coˆte´ au vent (est) et un coˆte´ sous le vent (ouest) ; c’est bien entendu par ce dernier qu’a commence´ l’occupation : La Possession rappelle par son nom la premie`re e´tape, Le Port le premier e´tablissement, et la premie`re capitale fut Saint-Paul, d’ailleurs la premie`re nomme´e (1663), ou` est la Grotte des Premiers Franc¸ais. Une deuxie`me diffe´rence tient au transfert du chef-lieu en 1738 sur la coˆte septentrionale, a` Saint-Denis, a` la fois parce que le gouverneur s’y trouvait plus pre`s de Maurice, alors principale possession franc¸aise sous le nom d’Iˆle de France, et parce que les plantations de cafe´ et le peuplement tendaient a` se concentrer dans cette direction, ou` les conditions e´cologiques paraissaient meilleures. C’est sur ce versant nord que sont les plus nombreux toponymes se rapportant a` la colonisation agricole. La troisie`me dissyme´trie tient a` la distribution du relief : les parties hautes et boise´es, en particulier autour des trois grands cirques de Salazie, Mafate et Cilaos, ont e´te´ le refuge des esclaves fugitifs (« marrons ») et, de ce fait, ont la plus forte densite´ de toponymes malgaches. Enfin, le tiers oriental de l’ıˆle est domine´ par le Volcan actif, la Fournaise ; il a e´te´ occupe´ tardivement et incomple`tement, ce dont te´moigne aussi la toponymie – Saint-Philippe est d’ailleurs la dernie`re commune en Saint a` avoir e´te´ nomme´e, la seule au XIX e sie`cle. Entre les deux massifs montagneux, un haut couloir offre la seule traverse´e nord-sud de l’ıˆle hors du littoral ; il est e´galement d’occupation relativement re´cente, et

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appre´cie´ pour les vertus climatiques de l’altitude moyenne en pays tropical : les hameaux et quartiers de La Plaine-des-Palmistes et du Tampon ont prolife´re´. Le premier nom est explicite et son habitat est, a` mi-hauteur, un exemple de colonisation organise´e, avec des rues partant d’une Ligne Ze´ro et d’un Premier Village a` une Ligne Quatre Mille au-dela` d’un Deuxie`me Village ; s’y trouvent meˆme un Piton des Songes, un Piton et une Caverne des Fe´es. Au-dela` du col Bellevue, Le Tampon est un peu plus haut ; l’origine du nom est discute´e, mais pourrait eˆtre dans un mot malgache au sens de belve´de`re. Plusieurs quartiers y sont nomme´s d’apre`s la distance kilome´trique sur la route, a` partir de la principale ville du sud, Saint-Louis : le Onzie`me, Douzie`me, le Quatorzie`me, jusqu’au Vingt-Troisie`me et a` un Pont des Trente. N’y manquent pas des noms comme Mon Caprice, la Concession, Bel Air. Au nord, le plateau de la Plaine des Cafres se tient vers 1 400-1 600 m et Bourg Murat est un gros hameau abritant plusieurs e´tablissements publics. Iˆlet est un terme ge´ne´ral pour les petits hameaux disperse´s, comme a` Mafate Iˆlet des Orangers, des Lataniers, a` Bourse, a` Malheur... ; mais Camp existe aussi, voire Commune (surtout a` Sainte-Suzanne). Les termes antillais en Morne et Fond sont pre´sents a` la Re´union, mais discre`tement. On trouve aussi quelques puys, mais le terme ge´ne´ral pour une hauteur est piton, qui va du Piton des Neiges, point culminant de l’ıˆle a` 3 070 m, a` de simples petites buttes. Rempart de´signe un vigoureux escarpement, surtout aux abords du Volcan, Plaine toute e´tendue un peu plate, quelle que soit son altitude ; mais on trouve aussi quelques Plateau. Savane est employe´ pour des prairies, mais moins largement qu’aux Antilles. Les valle´es sont surtout appele´es Bras ou Ravine : Bras-Panon est une commune du nord-est ; a` La Possession, la Ravine a` Malheur nomme a` la fois une valle´e, un hameau, un piton et une pointe du littoral. Celui-ci alterne anses et, indiffe´remment, pointes et caps ; plusieurs mentions de Souffleur signalent des lieux ou` jaillissent les vagues. Parmi les noms d’origine malgache, plusieurs toponymes, surtout des reliefs et des foreˆts, viennent du surnom de chefs marrons ce´le`bres, comme Dimitile, Cimandef (l’inflexible), Mafate (« qui tue », mais le nom a e´te´ aussi attribue´ aux sources sulfureuses malodorantes du cirque) : les Marrons, comme les Gaulois et certains bandits ou seigneurs ce´le`bres, s’attribuaient volontiers des noms flatteurs, du genre Tranche-Roc, l’Indomptable ou Sans-Quartier. Le nom du cirque de Salazie est discute´, entre un objet de cuisson (broche a` boucan ou marmite) et un « bon campement » qui semble tardif et apocryphe. Celui de Cilaos est admis au sens de « qu’on ne quitte pas » (M.-A. Payet) mais a aussi e´te´ interpre´te´ « invaincu ». Le Maı¨do, belve´de`re dominant le cirque de Mafate, a pour sens « sommet bruˆle´ ». Le Te´velave signifie « grande foreˆt », le Grand Be´nare´ (sommet a` 2 898 m) « grand froid ». Manapany a` Saint-Joseph et a` Petite-Iˆle est chauve-souris, les Makes (a` Saint-Louis) vient des makis, le´muriens introduits de Madagascar au milieu du XIX e sie`cle mais rapidement chasse´s. Parmi les autres noms originaux ou caracte´ristiques, importe´s de diverses origines, plusieurs lieux-dits conservent Moka, du temps des grandes cafe´ie`res d’antan, notamment a` Sainte-Marie, plus un Piton Moka a` Sainte-Rose. La Plaine des Gre`gues (Saint-Joseph) viendrait du cafe´ « a` la grecque ». Takamaka (a` Saint-Benoıˆt, Saint-Philippe) signale un arbre re´sineux (Calophyllum) dont le nom est ame´rindien

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mais commun aux rivages de l’Oce´an Indien. Bre`de est un nom d’origine indienne pour toutes feuilles comestibles (Piton des Bre`des, Coteau de Bre`des au Tampon et a` Plaine-des-Palmistes). Les mentions Bois des Ne`fles, Bois Rouge sont en plusieurs exemplaires, ainsi que le calembour Mare a` Boue (Le Tampon, Saint-Leu). Rempart et Cascades sont tre`s fre´quents. Ravine des Figues (a` Sainte-Marie) a le sens de « vallon des bananes ». Le village d’Entre-Deux est sur l’interfluve e´troit entre le Bras de la Plaine et le Bras de Cilaos, qui confluent a` la limite sud de la commune. La colonisation agricole a multiplie´ les noms de bons sentiments, en particulier pour des habitats isole´s : la Confiance, l’Espe´rance, Abondance, Harmonie, surtout a` SainteMarie et Saint-Benoıˆt. Le Volcan, a` l’est, a sa se´rie propre avec le Piton de la Fournaise, de nombreux Crate`re, des noms comme Gueule Rouge, les Quatre Gueules, le Chaˆteau Fort (pour un rocher tre`s saillant), la Mare de Lave, Puy Mi-Coˆte, le Grand Bruˆle´, d’autres Bruˆle´, des Coule´e de Lave suivis d’une date. Mayotte (217 000 hab.) est devenue un de´partement franc¸ais en 2011. Elle avait e´te´ achete´e a` son sultan en 1843, puis a fait partie des Comores, ce qui a cre´e´ d’amples litiges internationaux. Sa toponymie est presque entie`rement autochtone. La langue vernaculaire ou shimaore´ est d’origine africaine (bantou) avec plusieurs dialectes. Elle est parle´e par plus de la moitie´ des habitants et comprise par les trois quarts, un tiers utilisant un parler malgache ; des termes d’origine arabe ont e´galement e´te´ incorpore´s. Le nom meˆme de Mayotte est la forme franc¸aise du swahili Mayoti (M.-F. Rombi), au sens approximatif et ge´ne´ral « le pays », ce qui rend vaine son interpre´tation par l’arabe (« la mort », cense´ invoquer de nombreux naufrages). Les principaux termes toponymiques sont Muji (bourg, village), Mlima (mont), Bandra (plaine), Chissioua (ıˆle), Tsiraka (presqu’ıˆle), Mtsanga (sable, plage), Be´ (pointe) et Rassi (cap), Padza (ravine). Parmi les noms de villages, Chiconi viendrait du souk (marche´ public) arabe, Sada de communaute´, Dembe´ni de « bonne eau », Acoua aurait le sens de baie profonde, Bandraboua serait la plaine des bre`des et Bandre´le´ la longue plaine. Mtsamboro est Mtsanga Boro (plage + NP du fondateur), Mtsangamouji le village de la plage. Tsingoni viendrait peut-eˆtre du sel, Koungou du muscadier. Tsararano (a` Dembe´ni) aurait aussi le sens de bonne eau, mais en malgache, dont viendraient e´galement Passmainty (sable noir, a` Mamoudzou) et le mont Be´nara (660 m, point culminant) au sens de grand froid, comme a` la Re´union le mont Be´nare´. Il n’est gue`re en franc¸ais que les noms de Petite Terre, l’ıˆle annexe orientale ou` les me´tropolitains avaient e´tabli leurs bases, et quelques-uns de ses toponymes comme Labattoir, la Ferme, les hauteurs de la Vigie et la centrale thermique des Badaniers.

Iˆles du Pacifique La France conserve la responsabilite´ de quatre collectivite´s dans le Pacifique : Nouvelle-Cale´donie, Polyne´sie franc¸aise, Wallis-et-Futuna, Clipperton. Les trois premie`res sont peuple´es, mais diffe´remment. La base du peuplement et du langage est commune : il s’agit de populations autochtones parlant une large varie´te´ de langues dites « oce´aniennes centrales et orientales », sous-groupe des langues dites austrone´siennes. Mais on compte officiellement 28 langues kanak dans la seule Nouvelle-

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Cale´donie, et la Polyne´sie englobe des dizaines d’ıˆles, ou` les parlers ont pu se diffe´rencier plus ou moins. La plus grande partie de la toponymie est d’origine locale. La pe´ne´tration franc¸aise ne l’a affecte´e que ponctuellement, et d’ailleurs n’est pas la seule, puisque certains noms de lieux viennent de « de´couvertes » et de´nominations par des voyageurs de passage, notamment anglais, ou de pasteurs anglicans. Nouvelle-Cale´donie est un nom attribue´ par James Cook, par re´fe´rence aux reliefs de l’E´cosse, jadis Cale´donie – un nom d’origine celte qui aurait eu le sens de dur, « les durs »... Le terme revendique´ par les inde´pendantistes est Kanaky ; mais Kanak (« les Hommes », nague`re Canaque en franc¸ais) est un terme venu d’Hawaı¨ et ge´ne´ralise´ par les Britanniques. Au sens strict, Kanak correspond a` Me´lane´sien, la principale communaute´ d’appartenance, mais qui ne compte toutefois que 100 000 des 270 000 habitants et dont les parlers se divisent en langues distinctes ; la principale (drehu) n’atteint gue`re que 6 % de locuteurs. Le franc¸ais est compris par la quasitotalite´ des habitants, dont 29 % sont d’origine europe´enne. L’ıˆle principale (16 700 km2, 228 000 hab.) est nomme´e la Grande Terre. Elle eut pour surnom le Caillou, atteste´ de`s avant 1880, meˆlant par la` une e´vocation de son relief, du bagne (apparu en 1864) et du mot « Cale´donie ». La capitale, Noume´a, a un nom autochtone d’origine encore obscure, apre`s avoir e´te´ nomme´e Port-de-France de 1854 a` 1866. Alentour, seuls quelques noms d’origine coloniale sont apparus, surtout dans la Province Sud : Magenta pour un quartier de Noume´a, un Mont d’Or en raison de la de´couverte de quelques paillettes, devenu Mont-Dore par la graˆce de missionnaires auvergnats. Hors de Mont-Dore, un seul nom de commune serait d’origine franc¸aise, Farino, qui aurait e´te´ donne´ par un colon corse en souvenir de Farinole (Cap Corse). Cook nomma aussi en 1774 Pine Island, devenue l’ıˆle des Pins, en raison de ses araucarias (« pins colonnaires ») ; elle est appele´e Kunie´ en kanak, du nom de son peuple, qui forme huit tribus. Les autres toponymes d’origine franc¸aise de´crivent quelques sites comme Foreˆt Noye´e, Foreˆt de Saille´, Rivie`re Bleue, Montagne des Sources, les Grandes Fouge`res, les chutes de la Madeleine, col de la Pirogue, Pocquereux, la Couvele´e, plaine des Gaı¨acs (acacias) ; des noms de mines de nickel ou d’exploitations : mines Liliane ou Gallie´ni, Camp des Sapins, la Forestie`re, Port Boise´ ; surtout, des points du littoral : baie du Santal, cap Dumoulin, cap Be´gat, cap des Trois Sapins, cap Bocage, cap Tonnerre, re´cif de l’Arche d’Alliance, ıˆle aux Canards et presque toute la toponymie coˆtie`re des ıˆles Loyaute´, dont les Ple´iades, les Jumeaux, Passe de la Baleine, du Taureau, Pointe Escarpe´e, pour les re´cifs d’Ouve´a. Les noms de lieux kanak ont e´te´ transcrits sur les cartes d’apre`s des indications orales plus ou moins bien comprises par les topographes du XIX e sie`cle, eux-meˆmes de plusieurs nationalite´s, allemands, hollandais, anglais ou franc¸ais. Ils sont en cours de re´vision depuis les accords de Matignon (1988) et de Noume´a (1998) et le nouveau statut des territoires. Les uns se rapportent a` des noms de peuples, clans ou tribus, les autres a` des e´le´ments et particularite´s des paysages. La complexite´ des langues locales n’en rend pas aise´e la compre´hension et les indications sont tre`s fragmentaires. Pour se limiter a` quelques exemples, Paı¨ta serait la version d’un ge´ome`tre allemand d’apre`s le nom d’un chef de tribu. Thio, Kouaoua (Kaa Wi Paa en langue me´a) sont des noms de clans. Poindimie´ viendrait des « cadets du clan de Wimia » ; Oue´goa,

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de ouen (eau) et de Goa (nom de clan) ; Pone´rihouen aurait pour sens « l’embouchure du fleuve », Bourail « queue de le´zard », Ouve´a « ıˆle lointaine », la septentrionale Belep « ıˆle du soleil » – ici le soleil est au nord. Mais il s’agit la` de noms a` la franc¸aise, de´sormais double´s dans les textes et sur les panneaux routiers par des noms e´crits a` partir des diverses langues kanak : Dau Ar pour Belep, Burhai pour Bourail, Iaai pour Ouve´a, Pwarairiwa pour Pone´rihouen, Co¨o¨ pour Thio, etc. (J.-Ch. Gay). Les ıˆ les Loyaute´ , qui forment la troisie` me province de Nouvelle-Cale´ donie (18 300 hab.), doivent leur nom actuel au passage d’un navire anglais Loyalty ou Loyalist en 1789-90. Mare´ avait e´te´ nomme´e Britannia du nom du navire anglais qui y accosta en 1803, tandis qu’en 1827 Dumont d’Urville baptisait Lifou Chabrol, du nom du ministre ayant favorise´ son expe´dition, et Ouve´a Halgan, du nom d’un amiral de´pute´ ; mais les noms locaux l’ont emporte´ ensuite. Lifou est a` pre´sent Drehu, lieu de la langue kanak qui a le plus de locuteurs. Des de´pendances insulaires inhabite´es ont rec¸u des noms de « de´couvreurs » ou de navires, voire d’armateurs, surtout anglais : Hunter, Matthew, Walpole au sud-est, Bellona, Chesterfield a` l’ouest, re´cifs d’Entrecasteaux, de Pe´trie, de l’Astrolabe, Beautemps-Beaupre´ au nord. Un sommet et un massif montagneux de la Grande Terre portent le nom du grand ge´ographe et explorateur Humboldt. Polyne´sie est un nom construit d’apre`s le grec, au sens de multiples ıˆles, propose´ par Dumont d’Urville en 1831 en meˆme temps que Microne´sie (petites ıˆles) et Me´lane´sie (ıˆles noires). Si les deux derniers termes sont discute´s et ne sont plus tre`s employe´s, Polyne´sie Franc¸aise demeure au moins comme nom d’une collectivite´ d’outre-mer, de 270 000 hab. sur 4 200 km2. Elle comprend environ 120 ıˆles (72 habite´es) en cinq subdivisions : l’archipel de la Socie´te´ (237 000 hab. dont 36 000 pour les ıˆles Sous le Vent), en fait un nom d’origine anglaise puisque choisi par Cook en hommage a` la Royal Society de Londres ; les Tuamotu (15 500 hab.) ou « ıˆles du large » en maohi (tua haute mer, motu ıˆle) ; les Gambier (1 400 hab.) qui, contrairement aux apparences, ont e´galement un nom anglais, celui d’un amiral ayant soutenu la mission du navigateur Wilson, qui les visita en 1797 ; les Marquises (9 300 hab.), nomme´es en espagnol par leur « de´couvreur » Mendan˜a (1595) en hommage au marquis de Can˜ete, vice-roi du Pe´rou et soutien de son expe´ dition ; les Australes (6 800 hab.), en effet les plus au sud de l’ensemble, au niveau du tropique du Capricorne, et dont l’appellation maohi re´cente est Tuhaa Pae, « la cinquie`me partie » ; leur inte´gration a` la Polyne´sie Franc¸aise est de 1881. Les ıˆles polyne´siennes ont une toponymie d’origine maohi, non sans variantes locales autour de la forme principale, dite tahitien. Au recensement de 2007, 132 000 personnes de´claraient parler en famille le franc¸ais, 47 000 le polyne´sien (sans autre pre´cision), 47 000 le tahitien, 5 100 le marquisien, 2 900 le paumotu (langue des Tuamotu), 2 500 l’une des langues des Australes, 420 le mangare´vien (Gambier) ; 970 le hakka (chinois) et 950 d’autres langues chinoises. Les toponymes contiennent de larges emprunts au vocabulaire descriptif courant des paysages et des sites, ou` reviennent fre´quemment fare (case), motu (ıˆle), moua ou mauna (montagne), ona (sable), mata (cap), ava (passe) et hao (chenal), faa (valle´e avec baie), pape (rivie`re), ana (grotte), nui (grand) et iti (petit), roa (long) et poto (court). Ils comportent e´galement des citations d’anceˆtres, de familles, surtout de familles royales, et tout un

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vocabulaire fonde´ sur les mythes, croyances et le´gendes, en grande partie oublie´ ou difficile a` reconstituer. Tahiti (184 000 hab., deux tiers de la Polyne´sie, sur 1 000 km2) aurait pour sens l’unique, ou seule en mer (tahi = un, tai = mer). Son chef-lieu tire son nom d’un de ses quartiers, Papeete (prononcer pape´-e´te´), forme´ sur pape, rivie`re ou eau douce et ete, tantoˆt compris comme jaillissement, tantoˆt comme corbeille ou peut-eˆtre vasque ; un autre quartier, Vaiete, a le meˆme sens (vai= eau). Le nom de Hitiaa, commune a` l’est de Tahiti, signifie levant. Moorea a pour sens « mont long », Rurutu (Australes) serait « le rocher qui surgit », Mataiva (Tuamotu) « les neuf passes », Rangiroa « grand ciel », Moruroa « la grande nasse », Nuku Hiva (Marquises) « le pays de par la`-bas » (S. Jourdan) et Bora-Bora serait « le premier ne´ »... Les noms europe´ens introduits se limitent a` quelques ıˆles ou groupes d’ıˆles, et a` des de´tails littoraux. C’est ainsi que les Tuamotu sont parfois divise´es en archipels : Acte´on (nom du navire de l’Anglais E. Russell, 1837), ıˆles du De´sappointement (Napuka), du Duc de Gloucester (par l’Anglais Ph. Carteret en 1767), du Roi Georges (George III, par J. Byron en 1765), Palliser (amiral anglais, par Cook en 1774), Raevski (ge´ne´ral russe, nom attribue´ par Bellingshausen en 1820). Aux Gambier, le point culminant est le mont Duff (441 m), du nom du navire de J. Wilson, ou Aurotini en paumotu. Moorea a une baie de Cook. Meˆme la plupart des de´tails du littoral sont en polyne´sien, le franc¸ais ayant simplement ajoute´ passe, pointe, re´cif ou baie et, a` l’inte´rieur, valle´e ou mont – au risque de redondances, comme Passe Avarapa a` Moorea. C’est a` peine si l’on note a` Papeete le Pic Rouge, une Valle´e de la Mission, une Valle´e Sainte-Ame´lie et Domaine Labbe´, un Port Phaeton a` Taravao ; ou un Canal du Bordelais entre Hiva Oa et Tahuata (Marquises), une baie du Controˆleur et Terre De´serte a` Nuku Hiva. Le groupe Wallis-et-Futuna (12 200 hab.), entre Polyne´sie Franc¸aise et NouvelleCale´donie, a` une latitude un peu plus basse (entre 13 et 14oS), a e´galement le statut de collectivite´ territoriale, avec un se´nateur et un de´pute´, et un re´gime coutumier particulier, admettant l’existence de rois. Ces ıˆles avaient rec¸u quelques baleiniers depuis la fin du XVIII e sie`cle, puis des missionnaires catholiques ; un accord de protectorat fut signe´ avec les rois en 1886-1887. Wallis avait e´te´ nomme´e en 1767 par un navigateur anglais passant non loin, mais son nom local est Uve´a, comme la plus septentrionale des Loyaute´. Futuna est un nom local, qui signalerait une plante toxique ; elle a pour annexe inhabite´e Alofi. La toponymie est entie`rement polyne´sienne. De rares noms franc¸ais se proposent comme e´quivalents suppose´s, par exemple Pointe Falaise (Utu a Gogo), Pointe des Pyramides (Utu Magalua) et Pointe Nord (Fatua) a` Futuna. Clipperton est un atoll de´sert au large du Mexique, d’environ 3 km de diame`tre, ou` fut exploite´ du guano mais qui ne rec¸oit plus que des expe´ditions scientifiques. Son nom vient de son de´couvreur, un flibustier anglais de passage en 1704, suivi en 1711 par des Franc¸ais qui choisirent ıˆle de la Passion, mais le premier nom resta. La France s’attribua ensuite l’ıˆlot, revendique´ par le Mexique et sur lequel les E´tats-Unis construisirent une piste pour avions en 1944. C’est une proprie´te´ d’E´tat, administre´e depuis la Polyne´sie. Les rares toponymes sont franc¸ais et, hors de camp Bougainville, descriptifs : ıˆle aux Sternes, ıˆle aux Œufs, le Rocher, le Pouce, la Pince...

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Les ıˆles tre`s e´parses La France de´tient et ge`re sous diverses latitudes d’autres groupes de territoires, tre`s e´ parpille´ s mais rassemble´ s en deux entite´ s administratives : Saint-Pierre-etMiquelon juste au sud de Terre-Neuve, les Terres Australes, Antarctiques et E´parses dans l’he´misphe`re Sud. Saint-Pierre-et-Miquelon forme un groupe de trois ıˆles, dont deux sont relie´es par un cordon de sable. Le statut est celui d’une collectivite´ territoriale, mais fut un temps celui d’un de´partement. Le territoire est petit (242 km2) et n’a que 6 000 habitants. La possession est ancienne (1535), contemporaine des conqueˆtes du Canada et fonde´e sur la peˆche, mais le peuplement date surtout d’apre`s 1763, conse´cutif a` la perte du Canada. Saint-Pierre, petite mais peuple´e, semble avoir e´te´ nomme´e en re´fe´rence au patron des peˆcheurs. Miquelon, au nord, aurait e´te´ Port Miquel a` partir du nom d’un peˆcheur basque. Langlade aurait d’abord e´te´ Terra England, francise´e peu a` peu en Anglois puis Langlade. Les deux dernie`res, soude´es, ont forme´ entretemps un Anglois-Miclon. La Grande Miquelon a tout au nord un village avec port du meˆme nom ; au sud, Langlade ou Petite Miquelon n’a que deux maigres hameaux a` l’Anse du Gouvernement et a` Pointe Plate. La toponymie est entie`rement franc¸aise. Au centre de Miquelon, le Grand Barrachois est une lagune dont le nom, qui existe aussi a` SaintDenis (Re´union), viendrait du basque barr txipia, de´signant une petite barre (le lido). On trouve dans le groupe miquelonnais un cap Perce´, un cap Coupe´, un cap du Nid a` l’Aigle... Saint-Pierre, nom de l’ıˆle du sud et de son gros village portuaire, chef-lieu de la collectivite´, est se´pare´e de Langlade par un de´troit de 5 km nomme´ curieusement la Baie, et entoure´e de petites ıˆles aux noms simples : Iˆle aux Pigeons, aux Vainqueurs ; aux Marins, du Grand Commandeur. L’ensemble nomme´ Terres Australes et Antarctiques Franc¸aises (TAAF) re´unit des territoires tre`s espace´s, inhabite´s ou seulement dote´s de bases a` usage scientifique et donc sans habitants permanents. Il forme un territoire d’outre-mer, administre´ par un pre´fet sie´geant a` la Re´union. Il est divise´ en cinq districts : Amsterdam et Saint-Paul, les ıˆles Crozet, les ıˆles Kerguelen, Terre-Ade´lie, le dernier e´tant forme´ des Iˆles E´parses, qui lui ont e´te´ rattache´es par une loi de 2007 mais sans changer le nom officiel. Quatre bases des re´gions froides sont e´tablies et entretenues : Martin-de-Vivie`s a` Amsterdam, Alfred-Faure aux Crozet (Possession), Port-auxFranc¸ais a` Kerguelen, Dumont-d’Urville en Terre-Ade´lie. Une cinquie`me, assez diffe´rente, est l’objet d’une coope´ration internationale en plein continent antarctique et relie´e a` Dumont-d’Urville. Trois autres postes sont tenus par des militaires dans les E´parses, ce qui porte a` huit le nombre de lieux habite´s par rotations dans l’ensemble des TAAF. ´ parses sont sous souverainete´ franc¸aise depuis 1897 mais ne sont vraiLes Iˆles E ment conside´re´es comme une entite´ que depuis 2007. Elles sont situe´es aux alentours de Madagascar (quatre dans le Canal de Mozambique, une au nord-est) et leur inte´reˆt est manifestement strate´gique. Tromelin, la plus orientale, nomme´e ıˆle des Sables en 1722, porte le nom du commandant de la premie`re corvette a` y avoir aborde´ en 1776, recueillant une poigne´e de survivants de naufrages ; elle a 1 km2

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(1 700 m de long), une station me´te´orologique et un ae´rodrome. Les Glorieuses sont a` l’est de Mayotte et ont e´te´ de´couvertes et nomme´es en 1878 par un Re´unionnais admirateur de l’insurrection parisienne de 1830 (les Trois Glorieuses) ; elles comportent une « grande » ıˆle (3 km de diame`tre) e´quipe´e d’ae´rodrome, poste militaire et station me´te´o, et plusieurs ıˆlots (du Lys, aux Crabes, Roches Vertes), au total 7 km2. Juan de Nova (4,4 km2) est au milieu du Canal de Mozambique et porte depuis 1501 le nom de son de´couvreur portugais ; elle eut des pirates, des peˆcheurs, une exploitation de guano ; y sont entretenus un poste militaire, un ae´rodrome et une station me´te´o. Plus au sud, Bassas da India est un atoll, de´couvert et nomme´ par un Portugais en 1511 ; tre`s basse en effet, de 12 km de diame`tre mais a` peine quelques hectares e´merge´s, elle est vide et presque submerge´e a` mare´e haute, sans piste d’atterrissage. Encore au sud mais appartenant au meˆme ensemble de relief, Europa a rec¸u tardivement le nom du navire anglais qui l’avait aperc¸ue en 1774 ; la plus e´tendue des cinq (22 km2, 6 a` 7 km de diame`tre), elle a e´te´ sporadiquement habite´e ; s’y tiennent ae´rodrome, poste militaire et station me´te´o. Amsterdam et Saint-Paul sont deux ıˆles de moyenne latitude (autour de 38oS) dans le sud de l’Oce´an Indien, a` mi-chemin de l’Australie a` Madagascar, distantes d’une centaine de kilome`tres. Elles ont e´te´ vues a` plusieurs reprises aux XVI e et XVII e sie`cles et e´taient inhabite´es. Amsterdam (59 km2) a e´te´ baptise´e en 1633 par Van Diemen, qui naviguait sur la Nieuv-Amsterdam. La France s’en est de´clare´e proprie´taire en 1843 puis 1892, mais l’a de´laisse´e jusqu’en 1919. Paul Martin-deVivie`s, me´te´orologue, y e´tablit en 1950 la base scientifique qui a pris son nom a` sa mort en 1972, et ou` se font des recherches sur les climats. Le site avait e´te´ nomme´ La Roche-Godon en 1961, et auparavant Camp Heurtin, du nom d’un Re´unionnais qui avait importe´ en 1871 un e´levage bovin auquel il renonc¸a tre`s vite, abandonnant ses animaux qui ravage`rent la ve´ge´tation insulaire. La toponymie d’Amsterdam porte des traces des diffe´rentes explorations ou` s’associent l’espagnol (pointe del Cano du nom du premier de´couvreur en 1522), le ne´erlandais (pointe Vleming, du nom du premier explorateur a` avoir de´barque´, en 1696), l’anglais (pointe Godenough, une carte ayant e´te´ dresse´e par des Anglais en 1874), l’italo-autrichien (pointe Novara, du nom du bateau d’une expe´dition scientifique autrichienne de´barque´e en 1857 et lui-meˆme inspire´ par la victoire autrichienne de Novare en 1849...), et surtout le franc¸ais : Mont de la Dives (point culminant, 881 m), l’Olympe, le Fourneau, le Chaudron, la Grande Marmite, pointe et falaise d’Entrecasteaux, pointe de la Recherche (nom d’un navire d’Entrecasteaux), plateau des Tourbie`res... Saint-Paul, plus petite (8 km2), est inhabite´e ; elle figurait sous la forme portugaise S. Paulo sur une carte de 1559, puis fut nomme´e Zeewolf un sie`cle apre`s, du nom du bateau d’un navigateur hollandais. Une pointe Hutchinson et une pointe Smith s’ajoutent a` quelques noms franc¸ais e´le´mentaires, de´signant d’autres caps selon les points cardinaux. Les ıˆles Crozet (340 km2) forment un petit archipel au sud-ouest de l’Oce´an Indien, entre 46oS et 46o30’ S, aux alentours du 51oE, donc a` une longitude entre celles de Mayotte et de la Re´union. Elles ont e´te´ aborde´es en 1772 par Marion Dufresne, qui

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leur a donne´ le nom de son second du Mascarin. La prise de possession a e´te´ reconfirme´e en 1923. L’ıˆle de l’Est, la plus orientale, est se´pare´e de l’ıˆle de la Possession, la principale, par un large de´troit nomme´ Canal des Orques. Une centaine de kilome`tres a` l’ouest e´merge l’ıˆle aux Cochons, ou` pullulaient des descendants de cochons apporte´s par des peˆcheurs ; elle est comple´te´e sur la meˆme plate-forme par les ıˆlots des Apoˆtres au nord, l’ıˆle des Pingouins au sud (ou` abondent en fait les manchots). Ces ıˆles n’ont jamais e´te´ habite´es, mais la richesse de leur faune a attire´ fre´quemment chasseurs et peˆcheurs ; des quotas de peˆche ont duˆ eˆtre e´tablis et attribue´s. Une base scientifique est installe´e sur le versant oriental de la Possession (sous le vent a` cette latitude) et porte le nom d’Alfred Faure, me´te´orologue (19251968), chef de la mission qui l’e´tablit en 1964. Toute la toponymie est franc¸aise et caracte´ristique des terres neuves : a` la Possession, des noms de bateaux (pic du Mascarin, cap de l’He´roı¨ne, du Gallie´ni, du Gauss, de l’Antare`s, de la Meurthe, baie du Lape´rouse), d’explorateurs (pointe de Bougainville), des auteurs de re´cits d’aventure honore´s (mont Jules Verne, rivie`re MobyDick), ou d’e´le´ments de site (mont des Crate`res, cap Vertical, Lac Perdu). Le plateau Jeannel rend hommage a` un naturaliste (1879-1965), qui fut directeur du Muse´um National d’Histoire Naturelle et participa a` des expe´ditions dans les Australes ; la pointe Max Douguet, a` un amiral explorateur (1903-1989) familier des Australes ; le mont Branca, en 1901, a` un ge´ologue allemand (1844-1928), le cap Chivaud, a` un membre de l’expe´dition de l’Antare`s en 1931. La baie Ame´ricaine est une ancienne America Bay qui e´voque le souvenir d’un bateau de chasseurs de phoques, l’America. Le point culminant de l’ıˆle aux Cochons est le mont Richard-Foy (1849-1918), nom d’un amiral a` qui a e´te´ e´galement de´die´ un ıˆlot des Kerguelen ; celui de l’ıˆle de l’Est, le plus haut de l’archipel (1 050 m), est le pic Marion-Dufresne. Les ıˆles Kerguelen sont en fait compose´es d’une seule tre`s grande ıˆle (6 675 km2) et d’une poussie`re d’ıˆlots qui l’environnent, au total 7 215 km2, presque la taille de la Corse. L’ensemble est a` peu pre`s e´quidistant de l’Afrique, de l’Antarctique et de l’Australie, vers 49oS et 70oE. Le nom est celui de leur de´couvreur, marin breton (1734-1797), qui les vit en 1772 et les nomma France Australe ; ensuite Cook en fit des ıˆles de la De´solation avant de leur attribuer loyalement le nom de Kerguelen. La possession fut re´affirme´e en 1893, des entreprises d’e´levage e´choue`rent et l’ıˆle resta inhabite´e, mise a` part la station scientifique de Port-aux-Franc¸ais installe´e en 1950. Ce vaste territoire a demande´ un grand travail de cartographie et de de´nomination, poursuivi durant des de´cennies, de 1908 a` 1952, de la part de R. et H. Rallier du Baty et A. et E. Aubert de la Ru¨e, puis par une Commission de Toponymie officielle qui a fait des additions et des re´visions. Un certain nombre de termes sont des he´ritages de peˆcheurs phoquiers anglophones tre`s pre´sents a` la fin du XVIIIe sie`cle et durant le XIX e ; certains ont e´te´ traduits, comme la baie Accessible, la pointe du Cuir Sale´ (Salt Skin, du traitement de la peau des e´le´phants de mer) ou les Rochers du De´sespoir. Les Trois Swains viennent aussi d’eux ; la baie de l’African comme´more un baleinier de 1804. Port Fuller conserve le nom d’un des phoquiers les plus connus de la seconde moitie´ du XIX e sie`cle. Une expe´dition britannique de 1874, celle du Challenger, a laisse´ de nombreux noms de membres de son e´quipage, dont les ıˆles Bethell et Sibbald, ainsi que le cap et les ıˆlots du Challenger.

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A` cela s’ajoutent des hommages. La grande calotte glaciaire, qui monte a` 1 049 m, porte le nom de Cook. Lui-meˆme en 1776 avait nomme´ le mont Campbell pour honorer son tuteur, l’ıˆle Howe du nom de l’amiral anglais, le cap George pour le roi George III, la presqu’ıˆle Cumberland d’apre`s le fre`re du roi, ainsi qu’un cap Sandwich. Le mont Ross rappelle le passage du navigateur anglais qui visita les lieux avec l’Erebus et le Terror en 1840 ; la pointe et l’ancienne station Molloy ont le nom d’un de ses matelots, l’ıˆle McMurdo celui d’un des officiers. Le lac Eaton a le nom d’un naturaliste anglais qui a travaille´ sur la faune en 1874, le Mont Mawson celui de l’auteur de la premie`re reconnaissance ae´rienne des ıˆles en 1930 (hydravion de l’expe´dition britannique de la Discovery) et le glacier Tilman a e´te´ nomme´ re´cemment (1999) du nom d’un navigateur anglais disparu en mer en 1977. Des expe´ditions allemandes avaient attribue´ quelques noms, surtout en 1874, mais la plupart ont e´te´ efface´s a` partir de 1914, comme le pic et le glacier Richthofen au profit de Guynemer et la presqu’ıˆle Bismarck par Joffre... Il reste un cap Neumayer de 1874 et, en fond de baie, un Bras Enzensperger et un Bras Karl-Luyten, de l’expe´dition de 1902 ; mais la Commission a nomme´ en 1967 un mont von Schleinitz pour honorer le chef de l’expe´diiton allemande de la Gazelle en 1874. Hormis quelques noms attribue´s par Kerguelen lui-meˆme, tels que plage de la Possession, golfe Choiseul, cap Franc¸ais, anse du Gros-Ventre (un de ses bateaux) et baie de la Mouche (sa chaloupe), ainsi que plusieurs noms bretons (anse de Quiberon, pointe de Penmarc’h...), la plupart des autres termes datent du XX e sie`cle. On y trouve quelques hommages ge´ne´raux (Jeanne d’Arc, Buffon, Gay-Lussac, Ampe`re, Arago, Berlioz, Sibe´lius, Hoche, Gallie´ni, Foch, Pierre Curie, les Joliot-Curie) et des hommages aux principaux explorateurs et animateurs, dans les grandes presqu’ıˆles Courbet (l’amiral, 1827-1885), Ronarc’h (amiral, 18651940), Rallier du Baty (chef de l’expe´dition de la Curieuse en 1912-1914), Loranchet (son second). Pour des financements qu’elle apporta en 1908 et 1913, une presqu’ıˆle rec¸ut le nom de la Socie´te´-de-Ge´ographie, et trois ge´ographes franc¸ais furent gratifie´s d’un glacier Jean-Brunhes, d’un glacier Raoul-Blanchard et d’un mont de-Martonne. On a meˆme rendu des hommages impersonnels en nommant plusieurs professions (Cartographes, Me´caniciens, Ornithologue...) et certains instruments (Alidade, Limnigraphe, Tellurome`tre...), pouvant preˆter a` quelques confusions : Monts de l’Ae´ronavale, e´tang des Centaures (il s’agit de fuse´es spatiales), glacier et passe de l’Alouette et plateau des Alouettes, non pour des oiseaux mais en reconnaissance des services rendus par les he´licopte`res de ce nom – il existe aussi une Areˆte des Djinns aux Crozet, et un plateau des Djinns en Terre-Ade´lie, pour un autre type d’he´licopte`re. Autre source de confusion e´ventuelle, les noms de navires des expe´ditions n’ont pas manque´ : presqu’ıˆle du Bougainville, port, pointe et passe Curieuse ou de la Curieuse, baie de la Dauphine, presqu’ıˆle de la Discovery, port de l’Eure, presqu’ıˆle du Gauss, bassin et passage de la Gazelle, ıˆle de la Carmen, presqu’ıˆle Fanny, pointe de l’Espe´rance et bien d’autres. Il va de soi que dans ces paysages a` nommer, les termes descriptifs sont surabondants. Sous les cieux charge´s et sur les reliefs difficiles de Kerguelen, ils sont volontiers pessimistes : mont Brouillard, mont des Brumes, col du Blizzard, mont

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des Rafales, mont des Tempeˆtes, plateau des Fondrie`res, col et glacier de la Casse De´serte, les Chausse-Trapes, col du Coup de Tabac, Plaine de Dante, col et Volcan du Diable, lac et val d’Enfer, lac de la De´ception, mont de la De´route, les Hauts de Hurlevent, un lac de la Malchance, Val Sinistre, Val du Silence, Val Sombre... Pour le reste, les noms e´voquent surtout des formes de reliefs comme la Bastille, le Donjon, le Gendarme, la Calanque, la baie de l’A`-Pic, le mont du Fer-a`-Cheval, le plateau des Drumlins, des espe`ces ve´ge´tales comme le mont des Lichens, l’anse aux Choux, le lac de Fouge`res, le col et le gave de l’Azorella (une ombellife`re en coussinets), des espe`ces animales comme la rivie`re des Macaronis (une varie´te´ de manchots), l’ıˆle aux Skuas (un corvide´), la presqu’ıˆle des Sauteurs (des gorfous), l’e´tang des Canards, la plaine des Sarcelles (les deux sont des canards d’Eaton), la baie de la Baleine et le golfe des Baleiniers, la plage du Peau-Bleue (un requin). Une originalite´ de la toponymie des Kerguelen est l’abondance des transferts de noms de lieux me´troplitains : me´taphores, re´miniscences, nostalgie. La principale baie d’accueil, relativement ferme´e et bourre´e d’ıˆles, a e´te´ e´videmment nomme´e baie du Morbihan ; mais on a aussi baie d’Audierne, baie de Be´nodet, chausse´e de Be´niguet, anse de Camaret, Belle-Iˆle, pointe de Rothe´neuf dans le registre breton. Ainsi qu’un glacier et un lac de Chamonix, un glacier de Plan-Praz, un plateau des Sept-Laux, le Cirque de Gavarnie, des rochers de´nomme´s le Chaˆteau d’If, ChaˆteauGaillard, une areˆte de l’Ailefroide, une Cascade de la Loze`re, des Roches Tuilie`re et Sanadoire. Des plaines mare´cageuses a` l’est ont e´te´ nomme´es la Camargue et les Dombes. Ou comment se retrouver chez soi en exil temporaire...

Antarctique Le continent antarctique, depuis le Traite´ international de 1959, est interdit a` toute appropriation par un E´tat et la France n’en « posse`de » donc pas un hectare. Toutefois, les E´tats peuvent y installer et entretenir des bases scientifiques. La France s’est inte´resse´e depuis longtemps a` une partie de la coˆte situe´e face au sud-ouest de l’Australie, sur environ 270 km de littoral. Dumont d’Urville avait nomme´ Terre Ade´lie, du pre´nom de son e´pouse, ce secteur glace´, a` 66o40’S et 136 a` 142oE, qu’il avait aborde´ en 1840. Il a fallu attendre Charcot (1903 et 1910, 1932) pour y revoir des Franc¸ais, mais la France a re´affirme´ son inte´reˆt en 1924. La Terre-Ade´lie, de´finie en 1938, est cense´e se prolonger jusqu’au poˆle Sud, sur plus de 2 500 km, simple fiction d’une revendication de´ja` ancienne. La France a e´tabli sur l’ıˆle des Pe´trels en 1956 une base scientifique tre`s e´quipe´e, nomme´e Dumont-d’Urville, comple´te´e par une installation sur le littoral continental a` 4 km, Cap Prudhomme (nom d’un inge´nieur me´te´orologue disparu en 1959). Les expe´ditions qui se sont succe´de´, et les pe´re´grinations des scientifiques en mission ont fait nommer bien des lieux, selon les habitudes en pays neuf : termes descriptifs, hommages a` des pionniers et a` des autorite´s, voire a` des outils. Hors quelques noms donne´s par Dumont d’Urville (Rocher du De´barquement, Pointe-Ge´ologie, cap Robert, cap Pe´pin...), par l’Australien Mawson (1882-1958) en 1912 tels que mer Dumont-d’Urville, cap Margerie (ge´ologue franc¸ais), la plupart ont e´te´ fixe´s lors des expe´ditions franc¸aises des anne´es 1950. Le glacier de l’Astrolabe, le plus proche de la

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base, porte le nom de la corvette de Dumont d’Urville, le glacier de la Ze´le´e celui de sa seconde corvette, et le glacier du Franc¸ais celui du premier bateau de Charcot (1903). Parmi les noms descriptifs et les me´taphores image´es, on citera les ıˆles de la Baleine, du Chameau, du Lion, le Kouglof, la Molaire, la Tour de Pise, l’Anse Bleue ; pour leurs ressources, ıˆle des Sternes, ıˆle des Manchots, ıˆle de l’Empereur et baie des Empereurs (il s’agit de manchots). Parmi les transferts ge´ographiques par ressemblance ou nostalgie, sont le mont Cervin, la Conche´e et Ce´zembre importe´s de SaintMalo, le rocher des Drus, la pointe du Raz. On trouve aussi quelques anecdotes fige´es dans l’ıˆle des Rescape´s ou l’ıˆle des Parasites (perturbations radio...), un Carrefour et une Bifur ; plusieurs ıˆles ont rec¸u des noms de constellations et signes du zodiaque. Parmi les hommages, Port-Martin, lieu de la premie`re base (1950-1951), 60 km a` l’est de l’actuelle, porte le nom d’un membre de l’expe´dition de 1949, de´ce´de´ en mer lors du voyage aller ; le glacier Liotard, celui du chef du premier hivernage (1950) ; la base Marret, du chef de l’hivernage suivant ; le plateau Fritz-Loewe, d’un geophysicien australien ayant hiverne´ en 1951. On note aussi le Nunatak (nom inuit groenlandais d’un rocher e´mergeant de la calotte glaciaire, ge´ne´rique en ge´omorphologie) du Bon Docteur, hommage a` un me´decin des expe´ditions ; l’ıˆle Le Mauguen, du nom d’un technicien victime d’un accident d’he´licopte`re en 1999, jadis ıˆle Alexis-Carrel ; et, parmi les hommages plus lointains, sont les ıˆles Claude-Bernard, Jean-Rostand, Cuvier, le glacier du Commandant-Charcot, le cap Darwin. Une base annexe dite Concordia a e´te´ installe´e a` partir de 1997 et habite´e depuis 2005, en coope´ration avec l’Italie, en plein inlandsis, en un lieu que l’arme´e ame´ricaine avait nomme´ Doˆme C, a` 1 145 km de Dumont-d’Urville (75o06’S, 123o20’E, a` 3 233 m d’altitude) ; elle est accessible par convoi terrestre (dix jours depuis Dumont-d’Urville) ou par avion le´ger ; le lieu est hors du triangle fictif allant du rivage de Terre-Ade´lie au poˆle. Les recherches sont diversifie´es : glaciologie, climatologie, ge´ophysique, astronomie, technologies ; et meˆme sciences humaines et de sante´ : isolement, me´decine, voire pre´paration a` une hypothe´tique exploration de Mars. C’est ainsi que notre voyage en queˆte des noms des terroirs et lieux de France s’ache`ve par un de´sert glace´ au cœur d’un continent vide, en une apparence de non-lieu, pourtant habite´ et actif, scrutant attentivement le devenir du Monde et de l’humanite´...

Re´fe´rences

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Index des e´tymons et noms de lieux

en italiques, les e´tymons et noms communs qui entrent dans la composition de noms de lieux en romain avec Majuscule, les noms de lieux traite´s individuellement dans le texte Aa 268 Aast 393 Abad 534 Abadie 158 aballo 369 abarine 292 abattis 360 abattoir 407 abbaye 158 Abbeville 158, 513 Abe´ce`de 334 abe´e 376 Abeel 180 Abeele 511 abenevis 126 aber 305 abergement 123 Abet 335 abıˆme 258 Abitarelle 106 Ablois 370, 421 Aboze´ 568 Abrest 328 abreuvoir 266 Abrie`s 546 Abscon 465 Absie 158, 437 ac 63 acacia 337 Acajou 590 acate, acapte 126 accenteur 356 accol 374 accru 357 accul 72, 305 ach 64 Ac’h 530 Achards (Pays des) 526 Ache`res 402, 491 Acheux 366 Achiet 332, 511 Acoua 595 acre 130 Acte´on 598 adar 219

Adarza 568 Adour 271 Adoux 265 adret, adrech 318 Adrets-de-l’Este´rel (Les) 446 affenage 389 affouage 135 agadis 290 agal, agau 267, 375 Agde 414, 577 aˆge, age 328 aige 362 Agen 212, 561 ager 366 aghia 43 Aghja del Piovanu 586 aginn 212 Agly 573 agneau, agnel 397 Agnes 267 Agnie`res 399 Agnolles 370 agranier 347 Agriate 366, 587 agrier 128 Agulla de la Juncassa 573 Ahounbiscarde´guy 568 Ahun 366 ahuntz 397 Ahuy 376, 552 aigle 355 Aigoual 578 Aigouze 580 Aigrefeuille 348 Aigual 375 aigue, aygue 267 Aiguebelle 174 Aigueperse 543 Aigues-Juntes 284 Aigues-Mortes 580 aiguille 224 Aiguilles 471 Aiguillon 284

Aigurande 71 Aiminade 132 Aincille 290, 569 aintzi 290 aire 43 Aireau, Airon 43 Aires (Les) 438 Aire-sur-l’Adour 563 airial 43 Airvault 181, 539 ais, -ois 65 aisance 43 Aiseau 43 Aisne 271, 511 Aitone 335 aıˆtre 43, 145, 473 aix 267 Aix (ıˆle d’) 539 Aix-d’Angillon 267, 362 Aix-en-Provence 447, 580 Ajaccio 394, 584 Aja Rossa 586 ajonc 348 Ajots, Ajoux 348 ajoupa 588 Ajoupa-Bouillon 588 ajust 284 Ajustants 284 Aladers 345 alajou 346 Alaric (l’) 575 Alauze 235 alba 473 Alba-la-Romaine 449, 554 Albare`de 181 Albe´ 507 Albepierre-Bredons 436 Albe`res 573 Albert 513 Albertville 425, 548 Albi 559

Albitreccia 345, 587 Alboussie`re 438 Albret 480, 563 Albuceta 345 Albussie`re 345 Alc¸ay 291 alde 82 Aldudes 88, 567 Alenc¸on 520 Ale`s 234, 440, 579 Ale´sia, Alise 234 Alfeld (lac d’) 507 Alfred-Faure (bas) 601 Alger 426 Aliermont 521 Aliguier 337 alis 234, 473 Aliscamps 177 Alise-Sainte-Reine 552 alisier 337 Aliso 291 Alivi 587 alize´ 316 alle´e 94 Alle`gre-les-Fumades 439 Allemans-du-Dropt (Les) 443 alleu, alleud 123 Alleuf 123 Allichamps 496 Allier 272 Allie´s (Les) 443 allmend 134 Allonnes 148 Alluets 123 Almanarre 314, 583 alouette 356 Alouettes 602 Aloxe 234 Aloxe-Corton 552 alpe 392 Alpes 547 Alpes Mancelles 525 Alpilles 580

612 Alsace 506 alt 186, 473 Altdorf 24 Altkirch 76, 186, 507 Alyscamps 56 Alzette, Alzonne 291, 501 alzine 473 Alzine 311 Alzou 234 Amance 276 amandier 371 amarinier 292 amb 276 Ambarscia 586 Ambazac 541 Ambe´rieu 447, 549 Ambert 276, 544 Ambe`s, Ambon 276 Amboise 276, 495 Ambronay 221 Ame´lie-les-Bains 428, 574 amer 314 Ametzlepo 331 amidonniers 407 Amiens 415, 513 Amne´ville 276 amont, aval 80 amour, amourette 196 Amourie´ 336 Amplepuis 206, 553 Amponville 436 Ampuis 109 Amsterdam 600 an 64 ana 288 ana (Polyn.) 597 An Aod Uhel 535 anc, anche 65 Ancenis 527 ancize 100 Ancizes-Comps 439 Ancoˆne 424, 585 Ancy-le-Libre 435 Andelys (Les) 283, 521 andernad 78 Andernay 78 Andlau 391 Andouzoir 255 andraon 78 Andre´sy 491 Anduze 579 aˆne 399 aˆne´e 131 Anet 288, 495

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France ange´lus 152 Angers 415, 525 anglade 390 Anglaicherie 522 Anglars 390 angle 390 Angle`s 390, 559 Anglesqueville 522 Anglet 566 Anglure 390 Angoisse 103 Angouleˆme 390, 540 Angouste 103 Angoustrine 574 Anguienne 540 Anie (Pic d’) 565 Anjou 525 Ankou 147 Annappes 273 Annecy 548 Annois 288 Annonay 554 Annonciade 151 Annot 288 Anor 118 Anoux 506 ans 64 Ansange 117 anse 302 Anstrude 432 Antheuil, Anteuil 71 Antibes 414, 582, 588 Antimoine 404 anto 71 Antrain 81 antre 258 anx, enx, onx 64 aod 298 Aod Vraz 535 Aouste 284 Apier 402 apothicaire 139 Apoˆtres (ıˆlots des) 601 Apparition 151 Apremont 237 Apt 581 Aptot 516 Aptuit 517 aquilon 316 Aquitaine 556 ar, aritz 228 ar, au 76 Arable 334 Araigne´e 467 araille 238 Aramits 245, 565

aran 473 Aran 245 aranh, aragnou 347 Aravis 228 Arbailles 392, 566 Arbel 568 Arbe´ost 558 Arbe´roue 567 Arbessier 337 Arblay 334 Arbois 550 arbousier 345 arbre 328 Arbresle (L’) 328 Arc 271 arc, arche 376 Arcachon 561 Arches 500 archeveˆque 161 Archiane 546 archidiacre 161 Arcis, Arcy 359 Arcole 426 Arcosse 291 Arcueil 376, 490 ard 78 Ardenne 78, 499 Ardilles 384 ardoisie`re 403 are, ar 82 are, arre 177 are`ne 383 are`nes 57 Are´niers 383 areˆte 226 Arette 228, 565 Arfeuille 348 Argele`s 348, 573 Argeliers 384 Argelouse 556 argent 181 Argent 479 Argentan 181, 520 Argenteuil 65, 181, 492 argentie`re 404 Argentie`re 181 Argenton, Argentan 109 Argenton-sur-Creuse 497 Argentre´ 37 argile 384 Argiusta-Moriccio 587 Argonne 499 argues, ergues 64

Arguimonho 567 Arie`ge 271, 557 Arjuzanx 78 Arlempdes 148 Arles 82, 177, 580 Arles-sur-Tech 574 Arleux 370, 511 Armagnac 563 Armendarits 332, 569 Armentie`res 396, 513 Armes (place d’) 56 Armie`re 343 Armor, Arvor 298 Arnac 347 Arnac-Pompadour 449 Arne´guy 225, 347, 568 Arneke 511 arole 335 arp 392 Arp, Arpette 547 Arpajon 418, 491 arpent 130 Arpettaz 392, 547 Arpillon 392 Arques 376 arrachis 360 Arras 24, 415, 513 Arrats 271 arrayou 318 arre 228 Arreau, Arrens 228 Arre´e (Monts d’) 530 arricau 360 arrieu 276 arrigau 276 arrola 278 Arros 228, 271, 564 arrouil 473 arrouy 184 arsine 359 Artemare 436 Artense 544 Arthe`s 417 Arthez 350 artigue 359 Artois 513 Artonne 350 Artzamendi 350 Arudy 565 Arve 271, 546 Arvan 546 Arvillard 76 Arvor Vili 307 Arzillie`res 384 Ascain 79, 566 ascle 100

Index des e´tymons et noms de lieux Ascq, Asch 332 Ascune 568 Asfeld 419, 500 Asnie`res 399 Aspach 505 aspe 392, 565 Aspet, Aspin 393, 565 aspre 237 Aspres (les) 573 Aspres-sur-Bue¨ch 445 asque 65 ast, asp 392 ast, est, ost 65 Astarac 562 Astau 393 Aston 557 Astroble`me (l’) 541 Astrolabe (l’) 597, 603 astruc 176 Asturies 430 at 64 Atchapuru 568 Athe´e, Athis 49, 471 Athis-Mons 492 Attaques (Les) 468, 515 attegia 49 Attilly 436 Atton 29, 217 Attuech 49 atur 271 au 391 aubaine 135 Aubazines 319 aube 74 Aubenas 554 Aubenoıˆts 467 Aubenton 514 Aubepierre 180 aube´pine 347 auberge 105 Aubergenville 491 Aubervilliers 491 Aubeterre 180 Aubevoye 88 aubier 334 Aubigne´-Racan 451 Aubisque 293 Aubrac 559 Aubrais, Aubuis 180, 334 aubue 386 Aubure 469 Aubusson 542 Aucaleuc 348 Auch 20, 562

aud, oude 186 Aude 272, 575 Audincthun 186 Audomarois 513 Audresselles 27 Audruicq 469 Audun 376 Audun-le-Roman 505 Audun-le-Tiche 505 Auech, Aue`re 264 Auge (Pays d’) 520 auge 281 Aulnay, Aulnoy 291 Aulnay-sous-Bois 491 aulne, aulnaie 291 aumaille 395 Aumale 385, 521 Aumelas 333, 371 aumoˆne, aumoˆnerie 163 Aunat, Aunay 332 Aunis 540 aup 392 Aup, Aupet 547 Auppegard 46, 519 Aups 392 auque 402 aure 316, 473 Aure 564 Aure´lien 111 Aurillac 544 aurore 74 Auroux, Aurouer 157 Aurouze 316 Austerlitz 426 Australes (ıˆles) 597 aut, alt 76 autan 316 autel 157 Auteuil 65, 489 Autheux 157 autoroute 112 Autun 552 Au Vent 316 Auvergne 543 Auvers 436, 492 Auvillar 76 Auxerre 30, 552 Auxey-Duresses 552 Auxois 552 auzie`re 331 Auzouer 157 av 268 ava (Polyn.) 597 Avail 268 availle 271, 378 Avalen 369

613 Avallon 369, 552 Avancher 292 aveline 370, 473 Avellans 370 aven 254 Ave`ne 367 Avenie`res 367 avenir 197 Averdon 336 avers, ave`s 318 averse 320 Avesnes 177, 478 Avesnois 509 avet 335 avette 402 Aveyron 557 Ave`ze 268 Avignon 268, 581 avoine 367 Avolsheim 507 Avon-les-Roches 448 Avoudrey 369 Avranches 520 Avrolles 29, 336 Avroult 82, 325 ax, aix 64 ay, ai, ey, y 64 Ay 554 Ay (l’) 521 Ayen, Ayn 212 Ayguatebia 190, 572 aygue 267 Ayous 372 Ayrault 43 Azat-le-Ris 440 Azay, Aze´ 268 Azay-le-Rideau 417 aze 399 Azerables 334 Azun 564 Babile`ne 423 bac 97, 473 bac, baque 319 Baccarat 424 Bacchus 208 Bac des Pradets 572 bach 269 bachas 251, 546 bacive 398 Badaniers (les) 595 Badecon 198 Badefols 198, 445 Baerenfelsen 507 Baerenkopf 507 Baffe, Baffie, Baffye 410, 503

Baga 572 Bagatelle 51 Bagert 329 Bages 575 Bagneux 268, 490 Bagnoles-de-l’Orne 428 Bagnolet 268, 490 bago 329 Bagozabalaga 570 baguier 372 bai 270 baie 305 Baignes-Sainte-Radegonde 423 Baı¨gorry 270 baigt 244 Baigts 270 Baillargues 367 baille, baillet 35 Bailleul 35 bailli, bailly 135 bains 267 Bains Jaunes 590 Baı¨se 562 baisse 99, 474 Baisse de Cinq Cent Francs 579 Baı¨sset 370 baissette 99 baı¨tes 395 baix 269 Bajoles 572 bal, bau 235 Balagnas 346 balague`re 317 Balaı¨tous 232, 564 balan 346 Balanec 346 Balaruc 577 Balata 590 balcon 242 Balesmes 148 ballast 402 ballon 221 Ballon 427, 480 Ballongue 188, 244, 557 Ballore 235 Balme-les-Grottes (La) 449 balme, baume 235, 257 ban, banal 122, 474 Banalec 346 Banbois 502 banc 241, 311

614 bancel 374 Ban-de-Sapt 502 bandit 140 bandite 122 bandoulier 140 Bandra 595 Bandraboua 595 Bandre´le´ 595 banlieue 54 banne, baenne 89, 219 Banvou 400 Banyuls 268, 573 Bapaume 479 bar 209, 301 Baradoz 145 Baragne 347 Baralbin 499 baraque 50 Baraqueville 50, 439, 559 barat, barade 377 barbacane 104 Barbaste 424 Barbaˆtre 424 Barbezieux 396, 540 barbier 139 Barbizon 396 Barcaju 99 Barcare`s (Le) 573 Barcelonne-du-Gers 424 Barcelonnette 582 Barcillonnette 582 Barcus 246 bard, bart 287 Bare`ges 244 baret, bare´tou 244 Baretge 346 Bare´tous 565 Bareyt 380 Barfleur 301, 517 Barge`me 209 Barguillie`re 557 Barjavel 368 barle 96 Bar-le-Duc 209, 499 Barnenez 209 Barocaggio (Bocca di) 585 Baroche 155, 455 baron, baronne 120 Baronnies 120, 555, 564 Barousse 564 Barr 507 barrachois 312, 599

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France Barrail 35 barrat 35 barre 226, 312, 474 Barreˆme 460 barrenc 274 Barret-sur-Me´ouge 444 Barrez 559 barri, barry 55 barriade 55 barrie`re 54, 129 Barrois 499 Barry-d’Islemade 55 Barse´quanais 499 Bar-sur-Aube 209 Bar-sur-Seine 209 Bartaburu 569 Bartas, Barthe`s 341 bartavelle 356 barthe 341 bas 75, 76 bas, bassure 251 Basque (Pays) 566 Bassas da India (ıˆle) 600 basse, baisse 311 Basse´e (la) 493 Basse-Terre 590 Basse-Yutz 506 Bassigny 499 Bassillac 440 Bassuet 251 bast, basta, bastan 84 Bastane`s 363 Baste 363 Bastia 25, 584 bastide 25 Bastille (la) 25 bastion 33 bat, batch 244 bataille 454 Bataville 430, 503 Baˆtie (La) 25 Batignolles 489 battarel 406 batte´e 360 Battereau 406 battle 136 Baube 354 baudet 399 Baudre 287 bauge 393 Baugeois 525 Bauges (les) 547 Baugy 287 baule 308

Baule (La) 527 baume 235 Baume-les-Messieurs 550 bauque 389 Bautzen 426 Bavay 329, 511 Bavinchove 39 bayard 398 Bayet 436 Bayeux 415, 520 bayle, baylet 136 Bayonne 566 baz 311 Bazas 561 Bazeilles, Bazeuge 155 bazoche 155 Bazois 552 Bazolles 552 Be´ (Mayotte) 595 be´al 376 Be´ard-Ge´ovreissiat 438 Be´arn 565 beau 174 Beaucaire 581 beauce 365, 495 Beauchalot 465 Beaufay 175 Beaufort 174, 548 Beaufortain 548 Beaujeu 553 Beaulieu 174 Beaumarchais 175 Beaumarche`s 417 Beaumes-de-Venise 581 Beaumesnil 175 Beaumont 174 Beaumont-deLomagne 560 Beaumont-en-Beine 511 Beaumont-le-Hareng 522 Beaune 148, 552 Beaupre´au 389 Beauquesne 330 Beaurain 265 Beaurepaire 471 Beaurivage 174 Beauronne 351 Beause´jour 174 Beausite 456 Beauvais 174, 415, 514

Beauvais-sur-Tescou 417 Beauvoir 174 bec 219, 301, 473 bec, becque 269 be´casse 356 Becdalle 245 Bec de l’Aˆne 517 Bec-de-Croc 522 be´cherel 406 Be´con-les-Granits 448 Be´court 325 Be´cude`re 368 bed 474 Be´darieux 577 Be´darrides 192 be´dat 122 Be´deille 335 be´die`re 282 Be´doue`re 266 Bedous 334 Beffes 199 Beffou 329 beg 220, 301, 473 Beg an Duchenn 536 Beg an Toullou 301 Beg-ar-C’hra 532 Beg ar Manach 301 Beg ar Scaf 301 Beg Douar 301 Beg Meil 301, 535 Beg Pen ar Vir 301 be´gude 107 Be´gude-de-Mazenc (La) 438 Be´horle´guy 225, 398, 568 Beine 221, 329, 474 Beine-Nauroy 221 Beines 511 Beire, Bie`re 241 bel 174, 474 bel, belz 182 Belabre 328 Bel-Air 480 Belcaire 576 Belcastel 175 Bel E´bat 196 Belenos, Belisama 148 Be´lesta 174 Belfey 329 Belfort 174, 550 Belhade 244 Belhomert 422 be´lier 397 Belin 525

Index des e´tymons et noms de lieux Bellac 541 Belle (la) 467 Belleau 174 Bellebat 174 Bellebrune 262, 471 Bellec 534 Belledonne 547 Bellegarde 32, 438, 550 Belle Hoˆtesse 106 Belle-Iˆle 531 Belle-Iˆle-en-Terre 469 Belle Jument 124 Bellerive-sur-Allier 443 Belleserre 174 Belleville 489 Bellevue 174 Belley 334, 549 Bellignat 441 Belloc 62, 174 Bellona 597 Bellou, Belloy 175 Belve`ze 174 Be´nara 595 Be´nare´ 594 Benaster 285 Benaven 536 be´ne´fice 163 Beneuvre 210 Be´ne´vent-l’Abbaye 423 Be´niguet 531 Be´nodet 285, 439, 530 Bentaillou 315 Be´ost 558 Be´querel 406 berceau 250 Berche 101 Berche`res 396, 433 Berck 334, 511 Bercy 396, 489 Berdoulat 328 Berduc 328 berg 210 Berg 554 berge 276 Bergemont 124 Berger (gouffre) 427 Bergerac 396, 561 Berge`res-le`s-Vertus 498 Bergerie 396 Bergheim 210 Bergues 210, 510 beria 241 berle 293

Bermesnil 457 Bernat 291 Bernay 521 Berne`de 291 Bernos 291, 436, 561 Berraute 241 Berraute 328 Berre 210, 580 berri 185 Berrias-et-Casteljau 460 Berrie 439 Berroyer 339 Berru 241 Berry 496 Bert 291 Bertigny 287 Be´rulle 418 Be`s, Bech 334 besace 133, 155 Besanc¸on 211, 550 Besc, Bescat 161 besse, besse`de 334 Besse`ges 334 Besseyre-Soubronne 77 Bessie`res 334 Bessimon 259 Bessin 520 Bessines 541 Betbe`se 174 Be´thanie 423 Be´tharram 228, 565 Bethle´em 423 Bethmale 557 be´thune 282 Be´thune 513 be´toire 282 Betpouey 174 Bette 546 beuf 24 beugne, beugnon 221 Beuil 235 beurador 266 Beure 49 Beurre-Doux 471 Beuvray 351, 552 Beuvron 351 Beuvry-la-Foreˆt 444 Beuz 346 Beuzec 422 Bey, Bez 376 Bez-Be´de`ne 559 Be´ziat 20 Be´ziers 577 Be´zo 334

615 Be´zolle 211 Bezons 211 Be´zu 510 Be´zu-les-Fe`ves 510 Biale`res 376 Biarritz 566 biber 351 Bibiche 506 Bibracte 552 biceˆtre 179 biche 351 Bidache 88, 567 Bidarray 88, 569 Bidart 88, 566 Bidassoa 566 bide 88 bied, bief 281, 376 bielh 185 bielle 20 Bie`re 493 Bie`vre 351, 555 Bie`vres 491 bigne, beigne 221 bignon, bigne 263 Bignon-Mirabeau (Le) 452 Bigorre 563 Bigouden (Pays) 66, 530 bihan 188 bil 221 Bilhac 441 Billie`re 20 Billom 148, 544 Binic 285 Bio 88 Biollet 334 Bionne 546 Biou 396 Bioule 334 biredis 122 Birken 334 Birkenwald 325 Biscarosse 563 Biscarrague 568 Bischholtz 325 bischoff 161 Bischtroff 161, 443 Bischwiller 19, 161 bise 317 Bisseuil 346 Bitche 505 Bitschhoffen 505 Bitschwiller 505 Bizkayluze 568 Bizots (Les) 422

blache 341 blaireau 352 Blaise 268 Blaisy 349 blanc 180 Blanc (Le) 180, 496 blanchisserie 410 Blanc-Nez (cap) 510 Blanot 148 Blanquefort 180 Blaquie`re 341 blat 367 Blavet 184 Blaye 424, 560 ble´, bled 367 Bleiz 349 Ble´nod 148 Ble´one 349 Ble´re´ 97, 496 Ble´riot-Plage 427 Blesmes 148 ble´ton 335 bleu 184 Bligny 269 Blois 269, 495 blond 184 Blond 471, 541 Blootland 512 Bluse, Bleuse 386 Boˆ (Le) 25 Bobigny 491 bocage 361, 523 Bocard 411 Bocasse 429 bocca 99 Bocca (La) 284 Bocca di Novella 585 Bochaine 582 bod, bot 24, 340 Bodavel 534 Bod er Floc’h 534 Bodihuello 534 Bodilis 25, 155 Bod Kesten 534 Bod Spern 340 Boe`ge 393 Bœil-Be´zing 235 Boe¨n 24 Boe¨n 553 bœuf 396 Bogny-sur-Meuse 455 Bohain 23, 324 boire 280 bois 324 Bois aux Nains 472 Boisbelle 497

616 Boischaut 497 Bois-Colombes 431 Bois d’Amour 196 Boisemont 519 Boisne´-la-Tude 456 boisseau, boissele´e 132 Boissie`re 324, 346 Boissy 324 Boıˆte a` Conin 200 bol, boule 235 Bolbec 516 bole, boule 69 bollaro 262 Bollero 586 Bolque`re 235, 574 bon 174 bona, bononia 24 Bonaguil 561 Boncourt 325 Bondy 491 Bon Encontre 106 bongarant 153 Bonheur 176 Bonifacio 584 Bonlieu 444 Bonnafous 175 Bonnefont 175 Bonnefontaine 444 Bonnegarde 175 Bonnelles 108 Bonnemaison 176 Bonnemare 175 Bonneuil 24 Bonneval 176 Bonneville 176, 548 bonnier 133, 173 Bonnœil 471 Bonnœuvre 471 Bonrepos 175, 440 Bonrepos-Riquet 452 Boofzheim 507 Bora-Bora 598 bord 72 Bord 262 Borda 39 Bordaberria 566 borde 39 Bordeaux 560 Bordebure 49 Bordenave 185 Borderies 540 Bordessoule 39 borie 40 Borio 40 Bormes-les-Mimosas 451

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France born 262 Born (Pays de) 563 Bornand 262 borne 68, 173, 474 Bornes (les) 262, 547 Bort-les-Orgues 448, 542 borvo, bormo 263 bosc, bosquet 324 Bosmendieta 567 bossis 377 Botcador 531 Botmeur 25, 531 botte 312 Boube´e 386 boucan 589 Boucau 284, 566 Bouc-Bel-Air 418, 451 Bouchavesnes-Bergen 453 bouche 99, 284, 474 Bouchemaine 284 Bouchet 346 bouchot 310 bouchure 362 boucle 283 Bouconne 558 Boueilh 396 Bouffelaure 316 Bouhebent 315 bouige, bouygue 343 Bouillens (les) 580 bouillu 395 Bouix 346 Boulange 505 Boulay-Moselle 505 boulbe`ne 386 Boulbonne 386 bouleau, boulaie 334 Boule-d’Amont 572 Bouleterne`re 572 boulevard 55 boulidou 262 boulingrin 55 Bouloc 26, 176 Boulogne 24 Boulogne-Billancourt 424, 490 Boulogne-sur-Gesse 424 Boulogne-sur-Mer 513 Bouloise 386 Boulou (Le) 572 boum 298 Boupe`re 467 Boupille`re 352

Bouquehault 325, 511 Bouquelon 326, 519 Bouquetot 329 Bourail 597 bourbe, bourbier 287 Bourbon 263, 480 Bourbonnais 543 Bourboule (La) 263 Bourbourg 287, 511 Bourcefranc-leChapus 539 bourg 28, 54 Bourgaltroff 24 Bourganeuf 542 Bourg-des-Comptes 470 Bourg-en-Bresse 447 Bourgeoisie (la) 29 Bourges 415, 496 Bourget-du-Lac (Le) 448 Bourg-Fide`le 500 Bourg-Joli 29 Bourg-la-Reine 490 Bourg-Madame 438, 574 Bourgneuf 438 Bourgogne 551 Bourgoin-Jallieu 555 Bourg-Saint-Ande´ol 421 Bourgue´bus 25, 516 Bourgueil 496 Bouriane 560 Bourideys 263 bournais 386 Bournazel 262 bourne 262 bourrine 49 bourrique 399 bourse 195, 339, 474 Bourthes 262, 510 Bousbecque 269, 510 bousquet, bosquet 324 Bousquet-d’Orb (Le) 422 Boussac 474 bout 73 Bout de La` 73 bouteille 324 Bout Enrage´ 73 Boutie`res 554 Bouveresse 396 Bouvines 396 Bouxwiller 19 bouzigue 343, 577

Bouzine 69 bove 38 Boves 509 Boyardville, FortBoyard 540 Boyne 69 brache 344 bracque, bracke 339 Bracquetuit 358 Braine 287, 354 Bram 109, 336, 473, 575 Bramafan 194 brana, branne 339 brande, branne 339 Branne 354 Brande 480, 538 Branoux-les-Taillades 438 Brantoˆme 561 bras (la Re´union) 594 Brasle, Braslou 293 Brasparts 531 brasserie 407 Braux, Brax 287, 474 bray 287 Bray-Dunes 428 braz 187 bre´ 209, 474 Bre´aute´ 157 Brebie`res 396 brebis 396 brec 210 Bre´chaumont 97 bre`che 101 bre`de 347, 595 Bre`de (La) 561 Bre´denarde 189, 513 bre´e, bre´ 287 Bre´ganc¸on 29 Bre´hand 441 Bre´hat 529 Bre´he´mont 205 breid 189 Breitenau 189, 391 Breitenbach 269 Bre´le´ve´nez 210, 536 Bre´mie`re 339 bren, brenne 287 Brenne 496 Brennilis 155, 210, 531 bre´ole 339 Bre´que´cal 517 Bre´quets 237 Bresse 287, 553 Bressuire 539

Index des e´tymons et noms de lieux Brest 530 Brestot 189 brete`che 33 Bre´tigny 492 Bre´tilien 528 bre´tillod 281 Bretteville 522 breuil 340 Breuil 474, 511 Bre´vands 339 Bre´vanne 266, 368 Bre´viaire 339 Bre´viandes 479 Bre´vy 305 Brianc¸on 29, 582 Briant 553 Briantes 29 Briare 30, 97, 494 bric, bricque, briquet 29, 210 Bricquebec 210, 518 Brides 97 Brie 97, 493 Brienne 97 brie`re 287 Brie`re (Grande) 527 Brieulles 97, 503 Briey 501 briga, brigue 29 brigand 140 Brignogan 221, 474 Brignoles 221 Brignon 29 Brigue (La) 210, 582 Brigueuil 29 Brimont 29 Brinon-sur-Beuvron 443 Briollay 97 Brion 29 Brionnais 553 Brionne 97, 271, 521 Briord 37 Brioude 97, 545 Briquedalle 210, 518 Briquemare 210 briqueterie 409 brise 317 Brissarthe 97 briva 97 Brive 97, 451, 542 bro 67 Bro, Broue 72 broc, broque 210, 474 Broce´liande 528 broc’h 352

Broe¨rec 67, 533 Broglie 419 Brognon 262 bron, bronnio 221 Bron 553 bronn, brunn 262 Bronze´e 455 Broons 221, 532 broque, broc 269 Brosse 339 Brotonne 522 brotteau 281 Brotteaux 339 Brouage 287, 539 brouc 347 brouck 287 Brouckerque 287, 511 Brouderdorff 24, 503 brouennec 293 Brouillard (mont) 601 Brouillet 340 brousse, brosse 339 Brouste 340 Brouw Put Houck 512 Broye 29, 287 bruch 287, 339 bruck 97 Bruel 340 Brue`re 496 bruge 168 Bruges 339, 424 brugue, brug 338 Bruguie`re 339 bruˆle´, bruˆlis 359 Brumath 352 brume 321 brun 183 Brunehaut (chausse´e) 111, 510 Brunhes 371 Brunier 371 brunn 262 Brunnmatt 262 Brunstatt 262 Bruquedalle 269 Bruquier 402 brusc 389 brusque 339 Bruxeele 27, 512 bruye`re 338 bruz 339 Buˆ 25 bucaille 361 Buch 329, 560 Budelie`re 437 Buech 184, 582

617 Bue`ge 184 Bue`ges 576 Bueil 354 Buffe-Ageasse 356 Buffevent 315 Buffie`re 315 Bugarach 575 buge 393 Bugey 549 buhl 221, 504 Buige 480 Buire 49, 510 buis 346 buisson 340 Bujaleuf 354, 541 Bulat-Pestivien 439 Buloz 334, 546 bun 221 bur, buron 49 Burbure 510 Burelles 49 burg 28 Burlats 317 burle 317 burro 399 buru 208 buse, busard 355 Bussie`re 346 Bussy 346 Bussy-Lettre´e 92, 471 Bussy-Saint-Georges 493 but, butte 215 Butot 25, 516 Butte-aux-Cailles 489 Buttes-Chaumont 216, 489 buvette 107 Buxeuil 346 Buxie`res-les-Mines 444 Buysscheure 44, 510 Cabal 398 cabane 47 Cabanes Tchanque´es 47 Cabarde`s 68, 576 cabaret 107 Cabestany 572 Cabot, Caborde 47 cabourle 358 cabre 397 Cabrerets 397 Cabrie`res 397 Cacavu 249, 585 Cachan 234

cacou 171 Cadarache 345 cade 345 Cadie`re 345 Cadie`re-d’Azur (La) 447 Cadix 424 Caen 109, 520 caer 213 Cae¨stre 515 Cafe´ie`re 590 Cafourque 93 Caga-Llops 572 cagarol 354 cagio 110 Cagnani 584 cagnard 320 Cagnes 230, 582 Cagnotte 230 cagot 171 cagouille 354 Cagueloup 349 Cahagne 345 Cahan, Cahon 109 Cahors 415, 560 cahuge 256 cahute 48 Caillac 401 caillebaude 197 caillou 230 Caillou (le) 596 caire, cairn 229 Caix 110 cal 474 cala 230, 303 Calacuccia 208, 584 calade 89, 230 Calais 191, 513 calanc 104 Calanca Murata 585 calanque 230, 303 Calasima 584 Caldague`s 544 Caldane 189 calde 475 Caldegue`s 268, 574 Calembourg 506 calm, cam 190, 342 Calmont 342 Calorguen 34, 534 Calprenade 333 calt 189 Calvados 520 Calvi 584 Camare`s 559 Camaret 531

618 Camargue 579 Camblanes-et-Meynac 201 cambo 282 cambon 383 Cambrai 282, 513 cambre 221 Cambremer 221, 518 Cambron 282 Cambronne 262 Camfrout 537 cami 86 cami ferrat 91 cami roumieu 111 Camisards (grotte des) 454 cammas, capmas 22 Camou 282 Camous 556 camp 143, 364 Camp du Drap d’Or 144 Campagnac 364 Campan 364 Campane 156 Campistrous 556 Campo Santo 144 Campredon 365 Campsegret 145 campus 365 can 230, 475 Canabal, Cannebie`re 46, 368 Canaille (cap) 230 canal 281, 375 canard 401 Can Bac 571 Cancale 528 cance, cance´ 72 cancel 34 Can de l’Hospitalet 230 Candes 284 Candes-Saint-Martin 496 Canigou 574 Canjuers 582 Cannes 582 Cannet (Le) 582 Cannet-des-Maures (Le) 446 Canonge 162 Canourgue 162 Canquisque´lenn 535 cant, canto 72, 234, 481 Cantafaroune 356

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France Cantagach 356 Cantagasse 356 Cantagril 350 Cantal 544 Cantaloup 349 Cantelause 356 Canteperlic 356 Canterane 350 Cantobre 72 canton 61, 381 canyon 278 caoudeyre 249 cap 207, 263, 300, 475 Capavenir-Vosges 456 Capcir 574 Capdenac-Gare 439 Capdevielle 20 Capdrot 263 Capestang 577 Capesterre 590 Capicciolu 300 capitelle 48 Cap Le´vi 467 cappel, capelle 156 Cappelle-Brouck 511 Captieux 561 Capu a Cuccula 585 Caquin 171 car, kar 228 Caracatu 348 Caragoudes 228 Caraı¨be 588 Caralp 228 caramantran 197 Carayol 89 carbet 588 Carbie`re 368 Carbini 228, 584 Carbon-Blanc 405 carbonnie`re 405 Carcanie`res 558 Carcassonne 575 Carce`s 143 Carco 330, 586 Cardon 348 Cardroc 34 Carembault 513 careˆme 152 Carfantin 34 Carge`se 228, 584 Carhaix 213, 530 Carignan 419, 500 Carignan-de-Bordeaux 447 Carla-Bayle 452 Carla, Carlux 31

Carlade`s (le) 544 Carlat 544 Carlit 574 Carmaux 559 Carmoy, Carnoy 333 Carnac 228, 531 carnaval 197 Carnelle 492 Carnie`res 509 Carpentras 37, 581 carque 155 Carquebut 25, 155, 516 Carquefou 527 Carqueiranne 228 carreau, carrel 93 carrefour 93 carre`re, carrie`re 89, 402 Carrie`re (la) 57 carroi, carroir 93 Carrouges 93 Carroz 93 Carsac-de-Gurson 445 Carte (la) 108, 475 Cartele`gue 108 Cas-Rouge 467 casa, case 26 Casabianca 180 cascade 279 case 588 caselle 48 Case-Pilote 588 Casinca, Castirla 212 Casino 27 casot 48 Casot del Guarda 571 Cassagne 330 casse 230 casse, cassou 330 Cassel 31, 515 cassine 27 Cassini (Pic) 578 Cassis 581 Cassue´jouls 65 Castagne 333 Castagniccia 333 Castanet 333 castel, castet 31 Casteljaloux 561 Castellucciu 586 Castelmeur 31 Castelmore 183 Castelmoron-d’Albret 446 castelnau 26, 31, 183

Castelnau-Barbarens 562 Castelnaudary 575 Castelnau-de-Le´vis 418 Castelnaud-la-Chapelle 455 Castelsarrasin 170, 560 caste´ra, caste´la 31 Caste´ra-Lou 466 Castet 31 Castillon 31 Castillon-la-Bataille 454 castor 352 Castres 30, 559 castrum 30 Catalogne du Nord 571 Cateau-Cambre´sis 68, 509 cateau, catillon 31 Catenoy 509 cathe´drale 156 catin 169 cauca 475 Caucalie`re 354 cauchie 92 Caucia 348 caud 189 Caudebec 189, 517 Caudecoste 26 Caudecoˆte 475 Caudecotte 39, 189, 516 Caudescure 510 Caudie`s 574 Caumont 26 Caumont-l’E´vente´ 449 caune, caulne 256 Caupenne-d’Armagnac 446 caussade 91, 519 causse 240 Causse-et-Die`ge 456 Caussiniojouls 241 Cauterets 189, 564 Caux (Pays de) 191, 521 Cavaillon 581 Cavalaire-sur-Mer 471 Cavalerie 398 Cavallo 398 Cavan 355 cave, cava 256

Index des e´tymons et noms de lieux cave´e 89, 274 caverne 256 caye 313, 588 cayenne 47 Cayenne 591 Cayeux 110 Cayla, Caylar, Caylus 31 cayolar 393 cayre 229 cazal, cazaux 27, 46 Cazenave, Cazevieille 27 Ceint-d’Eau 470 Celhay 241 cella, celle 27 Celle-en-Morvan 443 Celle-sur-Seine 445 cens, censive 40, 127 Censier 489 Cent-Acres 130 Centaures (e´tang des) 602 Ce´pe`de 362 ce´pe´e 362 Cerbe`re 228, 573 cercueil 145 Cerdagne 574 Ce´reire`de 371 Ce´ret 371, 574 cerf 350 Cerfontaine 350 Cerf-Volant 467 Cergy 492 Cerisay 371 cerisier 371 Cernay 470, 507 Cerneux 358 Cernoy 334 Cerqueux 146 cers 317 Certines 357 Cervie`res 350 Cervione 228, 584 Ce´sar (Camp de) 30 Cescau 293 Cessie`res 371 Cesson-Se´vigne´ 452 Ce´ton 327 ce´venne 235, 481 Ce´zallier 544 Ce´zanne 428 Chaban 47 Chablais 547 chable 104 Chaˆble 546

chablis 341 Chabot 47 Chabreloche 544 Chabris 97 Chabrol 397 chaffaut 44 Chaffois 44 chaille, chaillou 230 Chaille´-les-Marais 527 Chaillezais 527 Chaillot 230, 489 chaıˆne 224 Chaise-Dieu (La) 153, 545 Chaix 475 Chalabre 102, 576 Chalais 230, 441 Chalampe´ 507 Chalange 142 Chalat (mont) 493 chale´e 89 chalet 48 Chaliergue 545 Challain-la-Potherie 417 Challanche 230 Challans 230 challe 546 Challes-les-Eaux 418 Chaˆlons-du-Maine 472 Chaˆlons-en-Champagne 450, 472, 498 Chaˆlons-sur-Vesle 472 Chaˆlon-sur-Saoˆne 472, 552 Chalonvillars 472 Chalosse 563 chalot 44 Chalp 392 Chamarande 71, 418, 554 Chambaran 555 Chambe´ry 548 Chambezon 29 chambon 176, 365, 383, 480 Chambord 95, 471, 495 chambre 118, 221 Chameau 350 chaminat 386 chamois 351 Chamonix 448, 548 champ 364 Champagnac 364 champagne 364

619 Champagne Mancelle 525 Champagne-de-Vigny 452 Champagnole 550 Champagny-sousUxelles 438 champart 128 Champcevrais 365 Champ de Mars 56 champ des morts 144 Champ Dolent 144 Champ du Feu (le) 507 Champeau-en-Morvan 436 Champeigne 496 Champenous 347 Champe´on 29 Champlitte 365, 455 Champniers-etReilhac 436 Champs-sur-Marne 493 Champsaur 582 Champsecret 145 Champsevraine 455 champtier, champlain 108, 382 Chanceaux 34 chancel 34 Chancelade 34 chanoine 162 Chantegril 350 Chanteleu 349 Chanteperdrix 356 Chantepie 356 Chanteraine 350 Chanteuges 234 chantier 382 Chantoiseau 356 Chantraine 503 Chanturgue 234, 459 chanvre 368 Chaparde`che 579 Chapareillan 365 chape, chapieu 44 Chapeauroux 471 chapelle 156 Chapelle-d’Andaine (La) 444 chapieu, chapet 48 chapitre 162 charbonnie`re 405 Chardekagagna 567 Charente 271, 539

Charenton-le-Pont 490 Charleville-Me´zie`res 425, 500 Charleville-sous-Bois 503 Charly-Oradour 453 Charmant Som 205 charme 333 Charmes 190 Charmoile 333 Charmont 342, 457 Charmoy 333 charnage 163 Charnie 525 Charolle 552 Charonne 489 Charost 93 Charpine 333 Charritte 341 Char-Rouge 467 Charroux 538 charrue´e 131 Chars (Mont des) 453 chartre 143 Chartres 415, 495 Chartre-sur-le-Loir (La) 143 Chartreuse 475, 547 Charve 546 Chassagne 330 chasse 88 Chasselas 459 chasse-mare´e 88 Chassey-le-Camp 460 Chaˆtaigneraie (la) 544 chaˆtaignier 333 chaˆteau, chaˆtel 30, 117 Chaˆteaubriant 527 Chaˆteau-Chinon 552 Chaˆteaudun 495 Chaˆteau-la-Vallie`re 418 Chaˆteaulin 530 Chaˆteauneuf-d’Entraunes 445 Chaˆteauneuf-du-Pape 449 Chaˆteauneuf-Grasse 445 Chaˆteauneuf-Villevieille 445 Chaˆteau-Renard 441 Chaˆteauroux 471, 496 Chaˆteau-Salins 505

620 Chaˆteau-Thierry 417, 514 Chaˆtelaillon 540 Chaˆtelard 31 Chaˆtelet-sur-Meuse 456 Chaˆtellerault 538 Chaˆtellus 31 Chaˆtenois 469 Chaˆtenoy 333 Chaˆtillon 31 Chaˆtillon-Coligny 419 Chatou 491 Chaˆtre, La Chaˆtre 30, 475, 497 Chatte Pendue (la) 507 chaud 189 Chaudbuisson 189 Chaudes-Aigues 189 chaudie`re 249 chaudron 249 Chaufecourt 502 Chauffayer 439 chauffour 403 Chaumard 342 chaume, cha, cham 342 chaumie`re 41 Chaumont 190, 342 Chaumoux-Marcilly 436 Chausey 520 chausse´e, chaussade 91, 312 chausse´e Brunehaut 111 Chautagne 548 Chauvet-Pont-d’Arc (grotte) 427 Chauvigny 538 Chaux 342 Chaux-d’Arlier 550 Chavagne, Chavannes 47 Chavanay 355 Chavaniac-Lafayette 452 chave, chavade 256 chave´e 89 Chazal, Chazelles 27 chazelle 48 chef 263 Chef-Boutonne 263 Chef-Haut 207, 502 cheintre, chaintre 374 cheire 229 Cheiron 582

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France Chelles 493 Che´mery-les-Deux 469 chemin 86 Chemin 112 Chemin des Dames 112 chemin des morts 147 chemin des Romains 112 chemin ferre´ 91 chemine´e 102 Cheminot 111 cheˆnaie, chesnay 330 chenal 281, 313 Che´neve´es 368 cheˆne-vert 331 chenevie`re 46 Chennevie`res 368, 490 Chenonceaux 496 Cher 271 Cherbourg 289, 520 Chervaz 546 Chessy 493 Chestefield 597 che´tif 177 Chevagne´ 355 cheval, chevaux 398 Cheval Blanc 105 chevalier 121 cheve´, chave´ee 374 Cheverny 495 Chevigne´, Chevigny 47 che`vre 397 Chevresis-Monceau 444 chevreuil 351 Chevreuse 491 Chevrolie`re 397 Chey 375 Cheylard 31 Cheyroux 228 chez 62 Che´zal, Che´zeau 27 Chiaparelli 585 chiappa 231 Chiappa de l’Aculeja 585 Chichilianne 548 Chiconi 595 chier 289 Chiers 501 Chieulles 506 chillon 230 chilo 258

Chiloup 349 Chinon 496 Chirac 228, 451 chiron 228 Chirouze 375 chirurgien 139 Chissioua 595 choisel 406 Choisy-le-Roi 490 Chole´ra (Ferme du) 453 Cholet 526 choque 360 chot 356 chouan, chouannie`re 63, 356 chouette 355 chourum 255 Christ 150 chuc, chuque 208 churi 181 chute 279 Ciboure 566 Cideral 532 Cieutat 53 cigogne 266 Cilaos 594 Cimandef 594 cime 225 cimetie`re 144 Cinais 496 cingle 235 Cinq-Mars-la-Pile 421, 465 Ciotat (La) 53, 581 ciotta 250 Cirande 71 cirque 248 Cismonte 584 ciste 345 citadelle 53 Cite´ 52, 430, 489 cite´-jardin 53 Cıˆteaux 551 citerne 266 civade, civadie`re 367 Civray 538 claie, clayette 35 Clairefouge`re 469 Clairfontaine 515 clairie`re 358 Clairvaux 551 Clairvaux-les-Lacs 449 Clamecy 199, 552 Clanty 171 Claon 500

clap, clapier 231 Clapare`de 231 Clape (la) 231, 575 clarte´ 153 clastre, claustre 36, 159 clave, clavette 104 Clavie`re 104 clayette 35 cle`de 35 Cle´den-Poher 422 Clef des Champs 199 Cle´guer 35 Clelles 395 Cle´on 391 clercs 160 Cle´re´, Cle´ry 358 clergue 160 Clerjus (Le) 502 Clermont-Ferrand 415, 543 Clermont-les-Fermes 449 Clesse´ 231 Cleurettes 544 cleuz, cleuzio 374 Cleuziou Guen 535 Cle`ves 546 Cle´ville 300, 518 Clichy 300, 490 clif, clive 300, 475 Clignancourt 489 climat 382 Cliousclat 300 Clipperton 598 clite 385 Clitourps 24, 300 Cloarec 534 clocher 156 cloıˆtre 36, 159 Clooster Veld 512 Clos, Closerie 34 clot, clottes 251 Clot de l’Orri 572 cloup 253, 255 clunia 391 Cluny 391, 551 cluse, clue 104 cluseau 38 Cluse-et-Mijoux (La) 550 Cluses (Les) 440 Clussais-la-Pommeraie 438 Clytes 385 Coarraze 227, 565 coat 327

Index des e´tymons et noms de lieux Coat an Noz, an Hay 75 Coat-Losquet 327, 359 coche 101 cocherel 406 cochon 400 Cochons (ıˆle aux) 601 cocu 481 Coe¨t er Ganquis 535 Coe¨tlogon 327 Coe¨vrons 221, 524 Coglais (le) 528 Cognac 540 Cognac-la-Foreˆt 444 Cogolie`re 356 Cogolin 583 Cogollo 571 Coharde 134 Cohe´ 590 Coignie`res 371 coigt 101 coin 381 Coiron 554 Coisevaux 275 col, coll 98 Colibard 125 Collada del Vent 572 Coll dels Tres Faigts 572 colle, collet 98, 213 colle`ge, colle´giale 156 Colle´gien 156, 493 Colleville-Montgomery 453 collibert, culvert 125 colline 213 Colline´e 368 Collioure 303, 573 Collobrie`res 354 collonges 124, 475 Collonges-la-Rouge 449 Colmar 45, 506 colmet, cormet 98 Cologne 124, 424 Colombey-les-Belles 451 colombier 45 Colome´ 45 Colomina 117 Colomina del Forn 571 colonie 124 Colpo 359 Colroy 370

Combault, Combelle 246 combe 246 comble 213 Combourg 528 Combraille 543 combre 280, 376, 481 come, comme 246 Commana 246, 536 commande 124 commanderie 158 Commentry 543 Commercy 501 Comminges 558 communal 133 commune 61 Compains 94 compayre´ 231 compendium 93 Compie`gne 94, 514 Compreignac 328 comte, comtal 119 comtesse 119 con, conne, connerie 200 conca, conche 250, 303 Concarneau 250, 530 Conches-en-Ouche 424 concise 35, 358 Concordia 591, 604 condamine 117 Condat 284 condate 284 Conde´ 284 Condom 562 Condrieu 553 confins 70 Conflans 284 Conflent 283, 573 confluent 283 Confolens 540 Confolent 284 confort 153 conil, conin 353 conque 250 Conquet (Le) 303 Conroi, Conroy 370, 503 Cons 246 Cons des Mines 467 Constantine 426 contamine 117 Conthil 503 contor, contour 137 contrebandier 141 contre´e 61, 382

621 Controˆlerie (la) 500 Contz 284 convenant 124, 534 convers 162 Cook (glacier) 602 Coolidge (pic) 428 Copainville 499 Coppegueule 140 coq 401 Coquelicot (Pays du) 515 coquerel 406 coquibus 200 Coquille (La) 422 Coquinpre´ 196 cor 36, 38, 228 Corbeil-Essonnes 491 Corbie`re 354 Corbie`res 575 Cordes 424, 451 Corlay 36 Cormeilles 65, 337 Cormeilles-en-Parisis 492 Cormelles-le-Royal 449 Cormery 337 cormet 98 cormier 337 Cormier (Le) 436 corne 73, 219 cornet, cornette 219 corniche 242 Cornouaille 530 coron 42 Corps-Nuds 465 corral 394 Correc de la Garriga 572 Correc Fosc 572 Corre`ge 307 correrie 162 Corre`ze 273, 542 Corsaint 422 Corse 584 Corsept 293 cortal 38, 394 Cortal d’En Sos 558 Corte 228, 584 corve´e 127 cos 226 Cosne 284, 552 Cosquer (grotte) 427, 534 costa 298 Costecalde 189

coˆte, coteau 226 Coˆte d’Ame´thyste 299 Coˆte d’Azur 299, 583 Coˆte d’Or 299, 552 Cotentin 520 Cote Quatre-Vingts 453 Coˆte Radieuse 573 Coˆte Roˆtie 320 cotte 39 Cotte-Cotte 39, 516 Cotte´vrard 516 Cottun 516, 522 Cotty 534 couarc’h 368 Couarde 134, 438 couchant 75 coucou, coucut 356 Coucouron 208 couderc, coudert 134, 481 coudol 230 Coudouy 371 Coudray 370 coudrier 370 Coueyla 393 Couffe´, Couffy 70 Couffignal 70 Coufoulens 284 cougol 208 Cougoul (Serrat de) 571 Couhins 70 couillade 98 Couilly-Pont-auxDames 493 Coulanges, Collanges 124 coule´dou 378 coule´e 383 Couleurs (Val des) 504 couloir 103 Coulommiers 45, 494 coume 246 Coupe-Gorge 140 coupe´e 132 Coupvray 493 Couque`ques 208 cour, court 38 courade, couret 103, 370 Courance 275 Courcelles 38 Courcelles-en-Barrois 444 Courdemange 38

622 Courdimanche 492 coureau 313 coure´e 42 cournau 381 courre`ge 373 Coursie`re 94 court 189 Courte Soupe 194 courtil 38, 46 courtine 34 Courtisols 46 Cousance 275 Couserans 557 Cousin 275 Coustouge 33 Coutances 520 Coutras 37 couture 373 couvent 158 Couy 190 couyoul 356 couze 275 Couzes (Pays des) 544 cova 256 Cova Forada 572 Cox 227 coz 186 crabe 351 Crabec 517 Crabioules 351 crai, cra 221 craie 387 cran 305 Cranou 359 Craonne 388 Craponne (canal de) 452 crassier 404 craste 270 crau 228, 387 Crau (La) 458 Cravant 388 Cray Hof 510 craye`re 403 Crayvick 515 Cre´ac’h 213 Cre´cy 388, 515 credo 152 Creil 514 cre´mat 320 Cre´meaux 337 Cre´mieu 555 cre`ne 101 Crenn 537 Cre`s, Cras 388 cresson 293

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France Crestia, Crestian 171 creˆt, creˆte 225 Creˆt d’Eau 466 Cre´teil 490 Creˆtes pre´ardennaises 501 Creuse (la) 542 creutte, crotte 257 Creutzwald 325 creux 250 Cre`vecœur 193 Cre`ve-Cul 193 Creys 546 Cricqueville 517 Crillon-le-Brave 418 Crime´e 426 crique 155, 302, 475 crique (en Guyane) 592 Criquebeuf 517 Criquetot 155 Criquetuit 517 Cristal (Valle´es du) 503 croaz-hent 93, 535 crocq, crochet 307, 382 crohot 308 Croisette 93 Croismare 424 Croissant 93 Croisset 461 croix 93, 157 Croix-Blanche (La) 438 Croix de Boheˆme 515 Croix du Sud 337 crolie`re, crolais 289 Cropton 522 cros, crosette 251 crot 382 Crots 443 Crouas 387 croue´e 388 Croulebarbe 490 croupe 225 Crouttes-sur-Marne 509 Croux 93 Crouzilles 93 croye, croyette 388 Crozant 542 croze, crozet 93, 251 Crozet (ıˆles) 600 Crozon 213, 531 cruc, crug 213 Crucuno 536 cruet 188

Cruguel 213, 536 cuc 208 Cuche, Cuchet 208 Cucugnan 208, 575 Cuculles 208 Cucuruzzu 208, 584 Cueille 213 Cuges 208 Cuguron 208 Cuiseaux 553 Cuisery 553 Cujala 393 cul 200, 247 Cul-de-Bouteille 467 cul-de-sac 305 cule´e 247 Culotte Se`che (la) 522 Culoz 248, 549 culvert 125 cuno 119, 507 Cure 273 cure´ 161 cure´e 378 curutch 157 Custines 419 cuve 249 Cuverville 125 cuzou, cuzoul 256 cypre`s 337 Daban 75 Dabo 29 Dael (le) 511 daim 351 dalle 245 dam 152, 377 dames 159 Dames de Meuse 501 Damgan 531 Damiatte 423 Dammartin 22 Dammartin-en-Goe¨le 493 Damme-et-QuatreVents 505 Damon 79 Dampierre 22 Dampmart 152 Dampmesnil 152 Dampniat 117 Damre´mont 152 Damville 152 Dansant de la Feˆte 503 Daoudour 530 Daoulas 270 Darbelay 546 darre´ 75

Daubeuf 519 Dauendorf 24 Dauga 290 dauphin 121 Dauphine´ 121, 547 Dauphine´ d’Auvergne 544 Daval 80 Dax 563 debat 75 Debbiu 359 Decazeville 430, 559 Decize 149, 552 De´couverte 590 De´fais 524 De´faite (Pointe de la) 207 de´fens, de´fait, deffand 122 De´fense (la) 431 de´file´ 103 de´fonce 358 de´friche 358 de´froc, de´frou 358 de´funt 146 de´grad (Guyane) 592 dela` 81 De´lettes 511 delle 382 Delles (les) 517 Delme 108, 503 De´luge (le) 471, 515 Dembe´ni 595 demeure 20 demi-lune 94 demoiselle 166 de´mon 165 Dempeyre 422 Deneuvre 503 denier 133 Dennebrœucq 287, 511 dent 220 Dent du Chat 467 Der 331 Dernie`re Cartouche (la) 454 De´route 522 derv 331 Derval 537 De´sappointement (ıˆles du) 598 Descartes 451, 496 Deschale 361 de´sert 83, 521, 524

Index des e´tymons et noms de lieux De´sespoir (Rochers du) 601 de´solation 193 Dessertines 357 dessous 77 dessus 75 Destrousse 140 Desvre 272 de´troit 102, 314 Deuil-la-Barre 65, 149, 492 Deuˆlemont 285 Deume 163 deuve, de`ve 374 Deux-Se`vres 539 Deux Sœurs (les) 467 deve`ze 122 devin 168 De´voluy 455, 582 Deyme 163 dhuis 482 D’Huison-Longueville 491 Dhuizon 264 dhuno, dun 29 dhuys 264 diable 164 Diable (ıˆle du) 592 diablerie, diablesse 165 diacre 161 Diane 150 diaoul 164 Diceppo (Capo) 586 diceppu 359 Die 555 Dieffenthal 245 Die´moz 108 Diennes 149 Dieppe 521 Dieppedalle 245, 518 Dieu 153 Dieulefit 153 Dieulivol 153 Dieulouard 153 Die´val 149 diffe´rend 142 Digne 582 Digoin 149, 553 digue 377 Dijon 149, 552 Dıˆmage 163 dıˆme, dixme 163 Dıˆmerie 163 Dimitile 594 Dinan 29 Dinard 29, 529

Dıˆnetard 83 Dions 149 Dirinon 331 dispute 142 distillerie 410 Diusse 79 divo 149 Divonne 149, 549 Dixmont 192 Djinns 602 Dœuil 149 dognon 217 doigt 220, 265 dol 283 Dol 482, 528 Dole 550 doline 253 Dolo 283 dom 152, 475 domaine 22, 117 Dombasle 22, 152 Dombes 553 Domcevrain 422 doˆme 217 Domec 117 Doˆmes (Monts) 543 Domeyrat 152 Domfront 152 Dommartin 22 Dommartin-laChausse´e 448 Dommary-Baroncourt 439 Domme, Domps 217 Domnone´e 529 Dompierre 22 Domptail 422 Domre´my 152, 452 Donezan 558 Donjeux 216 donjon 33 Donjon (Le) 543 Donon (le) 29 Dordogne 272, 557 Dore, Doire 272 Dore (Monts) 543 dorf 24 Dormans 30 dormeurs 144 Dormillon 461 dormillouse 353 dorn 347 Dornach 347 doron 272, 275 dos, dos d’aˆne 225 dossen, duchen 209

623 Douai 513 douaire 126 douanier 141 Douarnenez 67 Douat 264 Double (la) 561 Doubs 285 douc 209 doucin 387 doue´, doue´e 264 Doulevant 152, 422 Doumenc 117 Doumergue 117 dour 272 Dourdan 491 Dourdou 272 Dourduff 272, 536 Dourgne 272 Dourguen 536 Douriez 422 Douryen 264 Douvres-la-De´livrande 449 doux, doye, douis 264 drac 165 Drac 272 drachen 165 Drachenbronn 165 dragon 165 Draguignan 583 draille, draye, draie 89 Draille des Troupeaux 578 dranse 272, 275, 546 Drech 318 Drehu 597 Dre´maux 144 dreneg 347 Drennec 537 Dreuilhe 331 Dreux 495 Drevant 331 dre`ve 89 drezenn 347 Dre´zeux 537 Driesch, Dresch 344 Driesch Veld 512 Droˆme 272 Druyes-les-Belles-Fontaines 451, 465 du 182 Duault 319, 535 duc, duchesse 120 Ducos 591 Duesme 182 Duff (mont) 598

duis 264 Dumont-d’Urville (base) 603 dun, dunum 29 dune 217, 307 Dunkerque 512 Dun-le-Palestel 444, 542 Dunois 542 Durance 272, 581 Duras 30 Durfort 30 duro, durum 30 Durolle (la) 544 Durtol 65 dyck 377 Dye´, Dyo 149 Dynamite (la) 522 eau, eaux 267 Eau Bourde 560 Eau d’Eppe 511 Eaux-Bonnes 451, 565 Eaux Bues 467 Eaux-Chaudes 565 Eaux Mine´rales 543 Eauze 562 Eawy 268, 521 Eberbach 507 Ebersmunster 507 E´breuil 336 eburo 336 e´cale, escale 50 E´calgrain 517 E´calles 517 E´caquelon 326 e´cart 82 e´chelle 102 e´cheneau 379 E´cherenne 222 E´chevenex 368 e´chine, esquine 225 E´chire´ 539 E´chirolles 353 e´choppe 42 e´chou 357 eck 382 Eckendorf 24 e´cluse 110 e´cobue 359 e´coparc 59 E´cotais (l’) 341, 419 E´couen 492 e´coufle 355 e´coute-s’il-pleut 320 ecques 64 E´cre´hou 518

624 e´crenne 50, 475 e´crevisse 293 E´crins (les) 222, 547 Ectot 519 e´cueil 312 E´cuires 510 e´cureuil 353 e´curie 45 e´cuyer 121 E´dern 422 eecke 332 Eeckhout 332, 511 E´garande 554 e´gare´ 198 E´gaux 267, 467 e`ge, euge, euges 65 eger 401 e´glantier 347 E´gletons 542 e´glise 155 E`gue 398 egui 225 E´guzon 497 ei 64 eich 332 Eichwald 332 eihera 406 eil, eille 65 ein 64 Eisenberg 404 Elbeuf 25, 265, 516 E´leu-dit-Leauwette 440 elhorri 347 E´lisabethville 453 elissa 155 Elissalde 155, 567 Elne 417, 573 Elpa Nera 586 E´lus 123 E´lyse´es (Champs) 56 embanie 122, 502 embarcade`re 315 Embergement 124 Emblave`s 367, 545 Embossieu 255 Embouteillou 255 Embrun 29, 336, 582 embuc, embut 255, 282 e´mine´e 131 e´mousse 363 emposieu 255 en 62 enc, enque 65 encantada 166 encastre 394

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France enchante´ 166 Enchastraye 394 encire, encise 100 enclave 85 Enclos 34 enclume 241 encombre 280 Encre`ne, Encrenaz 101 Endoussoir 255 Enene Patatpe 592 enez 310, 535 enfer 78, 259 engane 309 Enganes de Millet 580 Engenthal 245 Enghien-les-Bains 419, 492 Englesqueville 522 Ennetie`res 401 ens, eins 64 ensange 117, 482 enseigne 117 Ense´rune 71, 577 entaille 100 ente 329 entrage 128 Entraigues 80, 284 Entrains 276 Entrammes 276 Entraunes 284 Entraygues-surTruye`re 559 entre 80 Entrecasteaux (re´cif) 597 Entre-Deux 595 Entre-Deux-Eaux 284, 502 Entre-Deux-Mers 560 Entrelacs 457 Entre les Besques 510 Entre Plaine et Gaˆtine 539 Entreportes 81 Envermeu 473, 521 envers 318 E´ole-en-Beauce 457 e´paisse 340 E´parges (Les) 36 E´parses (Iˆles) 599 E´paux-Be´zu 510 e´pe´e, espade 224 E´pegard 46, 369, 519 E´peluche 466 E´pernay 498 E´pernon 347, 495

e´pervier 355 E´pesses 340 Epfig 398 e´pi 380 E´piais 340 E´piais-Rhus 492 e´pice´a 335 E´pieds, E´piais, E´piez 44, 468 e´piers 44 E´pinac 417 E´pinal 501 E´pinay 347 E´pine (L’) 162, 420, 498 E´pinettes (les) 489 E´pivent 315 E´poisses 340 Eppe 273 Eppe-Sauvage 511 Epte 521 E´quets (les) 518 E´quilbec 265, 517 e´rable 334 erba 388 Erbalunga 392, 586 Erbre´e, Erbray 328 Erdeven 308, 536 erie 62 erle 292 Erlenbach 292 Erlenwald 292 Erloy 334 erme 343 ermitage 158 Erquy 377, 537 Err 574 erreka 568 Erriers 509 errota 360 e`s, eux 65 Esbarres 129 Escaldes (les) 189, 574 escale 110, 475 escalette 102 Escalette (Pas de l’) 576 Escalleclif 300 Escande, Escandelle 576 Escandolie`res 576 Escandorgue 576 Escanecrabe 199, 397 escare`ne 237 escarpe 237 Escaudœuvres 512 Escaufourt 403

Escaut 289, 512 Escazeaux 46, 562 esch 383, 475 Escles 150 Escondu 85 Escorcherie 407 Escoube´ 346 Escoubiac 528 Escouloubre 29 Escourch 94 escourgeon 367 escourre 378 escousse 43 Escrennes 222 escur 85 escure 319 eskob 161 Espalion 559 Espantallops 199 esparbe`s 355 Especie`res 335 Espelette 346 Espeluque 257 espe´rance 197 Espe´rou 126 Espigoule 33 Espinasse 347 Espinouse 347, 576 Espital 138 esplanade 57 esplugue 257 esquer, esquiu 237 esquerre 475 Esquibien 534 Esquine d’Aze 225 esquirol 353 essart, essert 357 Esserval-Tartre 215 Essonne 491 estacade 315 Estagel 107 Estagnol 296 Estaing 296 Estaires 110 estanque 280 estany 296 estaque 110, 315, 580 Estarp 360 Este´rel 583 Esterenc¸uby 97, 569 Estey, Este´ou 269 estieu 476 Estissac 419 estive 393 Estomac (l’) 285 Estourmel 512

Index des e´tymons et noms de lieux estran 308 estrech 102 Estre´chure (L’) 422 estre´e, estrade 92 Estre´e-Cauchy 92 Estre´es-le`s-Cre´cy 515 Estre´es-Mons 455 estrem, estremau 85 Estreux 512 estrop 394 Estruchon 361 Estrun 270, 441 e´table 45 E´tain 475, 503 E´tainhus 28, 231, 519 E´tainnemare 518 E´taintot 296, 519 E´talondes 231, 326, 519 E´tampes 491 e´tang, estang 296 E´taples 45, 510 E´tauhague 362 E´taule 107 etche, etxe 42 Etcheberria 566 E´teimbes 469, 507 E´telan 68 E´tennemare 296 e´teule 368 E´tiennes 469 e´tier 269 E´tiolles 466 e´toc, estoc 360 E´tohague 45 e´toile 94 E´ton 29 E´toublon 519 e´trangle 103 E´traz 92 eˆtre 43, 145 E´tre´aupont 92 Eˆtre Gagne´ (l’) 524 E´trelles 92 E´tre´pagny 360 e´tre`pe, e´terpe 360 E´trepoix 360 E´tretat 187, 521 E´trœungt 270 e´troit 102 E´troubles 142 eu, eux, ieu 64 Eu 268, 521 euc, ec 64 Euche 46 Euge´nie-les-Bains 428

euil, euilh, œil 65 Eure 271, 521 Europa (ıˆle) 600 Eus 574 Euvy 268 Euze 331 euzie`re 331 e´vangiles 152 E´vaux 149, 268, 542 eve 268 E´vente´ 315 e´veˆque 161 E´vereaux (les) 497 e´vers, e´versin 318 E´vian 268, 548 E´vreux 415, 521 E´vron 473, 525 E´vry 336, 444, 491 ex, eix 64 example 118 Excideuil 79, 561 exclue 125 exemple 357 Exempt 357 Exmes 79 Extreˆme 85 eygue 267 Eygurande 71, 542 Eyminade 132 Eymoutiers 541 Eyrolles 43 Eysine 118 Eytables 438 Eyzies-de-Tayac (Les) 440 E`ze 582 ezter 278 Fa, le Faˆ 154 faa (Polyn.) 597 Faale´guy 568 Fabas 368 fabre, fabre`gue 407 fabrique 407 fache 242, 375, 476, 509 fade 166 fadet, fadette 167 fage, faget 329 fagne 288 Fagnon 289 faim, famine 194 Faing 289 Fains 70, 154, 289, 502 faı¨sse, faysse 375 Faitas 226 faıˆte, feˆte 226

625 Fajac 330 Falabre`gue 336 falaise 234, 299 Falck 505 Falconnet 355 Falga 345 Falguie`re 345 falise 234 Falkenberg 355 Falkenstein 507 Famars 154 Fanch (Pays) 66 fange 289 Fanjeaux 150, 154 fanum 154 Faoue¨t (Le) 537 fare, fe`re 42 fare´ (Polyn.) 597 Fare-les-Oliviers (La) 450 Faremoutiers 158 farfadet 167 farge, fargue 407 farigoule 371 Farino 596 fatigue 199 faubourg 54 fauche´e 131 Faucigny 548 Faucille (col de la) 549 faucon 355 Fauge`res 345 Fauquembergues 210, 510 Faurie (La) 422 faux-monnayeur 141 faverge 407 Faverois 434 favie`re 368 Faxe 503 fay, fau 329 Fayard 330 Fayence 330 Fay-sur-Lignon 444 Fe´camp 521 Fe´claz 102 fe`cle, fiscle 101 Fe`cle, Feclaz 546 fe´e 166, 476 Feings 70 feixe 375 Fel (Le) 437 Felce 345, 587 feld 365 Fe´lines 409 fels, felsen 234

femme morte 147 Fendeille 101 feneˆtre 101 Feneu 154 Feneyrols 45 fenil, fenier 45, 389 Fenollar 372 fenouil 372 Fenouillet 573 fente 101 fe`re 42 ferme 40 Ferrette 507 ferrie`re 404 Ferrie`res-les-Verreries 450 ferronnerie 408 ferte´ 32 Ferte´-Gaucher (La) 494 Fertil, Fertis 343 Fesc, Fesq 128 fesse 375 Festubert 34 feˆte 197, 226, 476 Feˆtes Rompues (les) 476 Feuche`res 345 Feuillardiers (Pays des) 541 feuille´e, feuillage 327 Feurs 109, 553 Fey 503 Fezensac 562 Fezenzaguet 562 Ficajola 371, 587 Fied 116 fief, fieffe 116 Fief-Sauvin (Le) 476 Fier 546 Fier d’Ars 304, 540 Fies 335 Fieu 116 Figare`de 371 Figeac 560 Figue`res 371 figuier 371 filature 410 filiole 378 Filitosa 587 fin, fins 70, 379 finage 379 Finestret, Finestrelle 102 Finiste`re 530 Fins 70

626 Fiquefleur 304 fisc 128 fiscle 101 Fisel (Pays) 66 Fismes 70, 498 Fitou 575 Fitz-James 419 fiume 269 Fiuminale 269 Fiumorbo 586 Flamboyants 590 Flandre 512 Flasgarten 505 Flastroff 505 Fle`che (La) 525 Flers 511, 520 Flesquie`res 345 fleur 303 Fleurance 424, 562 Fleurbaix 510 Fleury-sur-Orne 443 Flicmare 296, 307, 517 Flines 409 Florac 579 Florbaix 365 Florent-en-Argonne 424, 500 flot, flotte 268 Flumen 269 flur 365 Flux (le) 269 foce 99, 254 Foce Incesa 585 foin 388 foire, foirail 109 Foix 557 Folgoe¨t (Le) 437 folie 51, 476 Folle Emprise 195 fond 247, 589 Fond Cacao 590 Fondamente 438 fondis, fondoire 290 Fonds (les Grands) 589 Fonfre`de 261 Fongueusemare 296, 518 Fonroque 26 Fonsegrives 471 Font-Romeu 261, 439, 574 font, fontaine 261 Fontainebleau 493 Fontaine-Chaalis 444 Fontenay 551

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France Fontevraud 440 Fontfre`de 190 Fontjoncouse 261 Fontrabiouse 574 foran, forest 84 forat 254 Forbach 269, 335, 505 Forca 99 Forcalquier 403, 582 Force (La) 561 Forclaz 100 Forenville 109 foreˆt, forest 323 Forez 109, 553 forge 407 Forge´ville 503 forn 45 Foron 275, 546 forst, furst 120, 323 fort 32 Fort-de-France 591 Forterre 385, 543 Fort-Louis 425 fos, fous 99, 254 Fos-sur-Mer 285, 580 fosse 253 fosse´ 377 Fosseuse 418 fou, fouet 329, 476 Foug 503, 549 Fouga 345 Fougeray 345 fouge`re 345 Fouge`res 528 Fouillebroc 178, 472 Fouilloux 327 Foulbec 178 foulleton 167 foulon 410 Fouquerolles 345 fouquet 353 four 45 four a` chaux 403 fourche 92, 99, 142 Fourdrain 347 Fournaise (la) 593 Fouroux 340 fourre´ 340 fous, foux 262, 476 Foussoubie 282 frache 363 Fragne, Franois 332 Fragon 348 Fraisse, Fraysse 332 Franc¸ais (glacier du) 604

franc-alleu 123 Francazal 125 France 488 Franche-Comte´ 551 Francheville 125 Franchises 125 Franc¸ois (Le) 588 Franque`ze 327 Frasne 332 frau, frou, frot 343 Freˆche, Fre´chet 332 Fre´dille 437 Fre´hel 456, 529 Freinville 411 Freistroff 24 Fre´jairolles 345 Fre´jus 109, 583 Freland 68 Fre´montiers 158 freˆne, fresne 332 fre`res 160 Fresnaye 332 Fresnes 490 fressange 128 fret, frey 190 Fre´toy 34 frette 34, 236, 374 Freydane 547 friche 343 Fridefont 439 frigolet 371 fringale 194 Frioul (ıˆles du) 580 Frohmuhl 507 frohn 127 froid 190 Froidcul 190 fromagerie 407 froment 366 Fromental 366 Fromenteau 87 Fromentel 465 Fromuehle 506 Fromveur 269, 531 Froncles 455 Fronholz 507 Frontenay-RohanRohan 419 Frontignan 577 frout, froud 269 Fruche, Fruges 343 fuie, fuye 45 ful 178 Fultot 178 fumade 389 Fumel 561

furan 275 Furan, Furens 546 furet 353 furst 120, 323 furt 96 furte, furterie 141 Fuste´rouau 327 futaie 327 Futuna 598 Futuroscope 429 ga 95 Gabardan 68, 563 Gabarret 347, 563 gabelle 129 gabelou 141 gabion 48 Gabre 273 gacel 294 gache, gasse 33, 294 Gacilly (La) 294 gadagne 358 gadelle 372 Gae¨l 537 Gagarine 431 gagnerie 358 Gagny 491 gai 176 Gaı¨acs (Plaine des) 596 gaignage 358 gaillard 176 gain, gagne (basque) 79 gaıˆte 33 gaize 500 Gaizettes (les) 500 Galamus 575 Gale´ria 585 galerne 317 galg 143 Galgberg 513 Galgenberg 143, 506 Galg Houck 513 Galibier 548 Galile´e 423 Gallo 529 Galluis 466 Gamarte 283 Gamay 459, 552 Gambier (ıˆles) 597 Gan 424, 565 Ganagobie 255 Ganges 576 Gannat 270, 543 ganne 270 Gap 582 gar 228 Garos 228

Index des e´tymons et noms de lieux Garache 380 garagaı¨ 256 Garches 490 gard 45, 476 Gard, Gardon 275, 578 Gardanne 46 garde 32, 222 Gardiole 32 gare 110 garenne, garande 122, 484 Garet 380 gargante 277 Gargantua 173 Gargas 277 Gargilesse 277, 497 gargo 84 gariote 51 garluche 404 garn, garneau 229 garne 347 Garonne 228, 557 Garonor 432 Garrabet 347 Garralda 568 garrec 229 garric 331 garrigue 344 Garrotxes 574 Garrouste 368 Garsalec 36, 537 Gartempe 541 Gartfeld 46 garzh 36 Garzmeur 537 gasagne 126 Gaschney 507 Gascogne 557, 561 gasquet 95 Gasquie`re 380 Gastellu 31 Gastelusare 31, 569 Gaˆtacier 194 Gaˆte 363 Gaˆte-Argent 193 Gaˆte-Bourse 141 Gaˆtinais 493 gaˆtine 363 Gaˆtine Poitevine 539 Gatteville-le-Phare 517 Gaudissart 357 gaut, gault 123, 325 gavache 171 Gavarnie 275, 564

Gavaudun 92 gave 275 Gavre 397 Gavrinis 397 Gaye 498 gaz, gas 95 gazagne 358 gazaille 126 gazelle 95, 602 gazon 392 Gazon du Faing 289 Geaune 418 ge´henne 193 Ge´lade 321 ge´line 401 ge´linotte 356 gelle 20 Gemaingoutte 284, 502 Ge´menos 223 gendarme 223 geneˆt 346 gene´vrier 345 Genilac 457 Ge´nipa 590 genne 285 Gennes, Gesnes 285 Genouille´ 346 Gens Libres (Fond) 590 gentiane 372 ger 393 Ger 564 Ge´rardmer 502 gerbage 128 Gerbier des Joncs 471 gerfaut 355 Gergovie 544 Gergueil 84 Germigny-l’Exempt 497 Gers 557 Gets 394 Ge´vaudan 579 Gevrey-Chambertin 450 Gex 549 Ghyvelde 365, 512 Giallicatapiano 587 Giallicu 587 gibet 142 Gien 494 Giettaz 394, 546 Gif 403 Gimbre`de 345

627 Gimel-les-Cascades 449 Gimoe`s, Gimont 562 Gineste 346 Giou-de-Mamou 150 Gioux 150 Giromagny 550 Gironde 557 Gisors 95 gispet 389 Giuncaja 293, 587 Givors 553 Givrycourt 503 glacerie 409 glacie`re 258 Glaire 455 glaise 385 Gland 277 Glandage 245 glande´e, glandage 135 Glandon 245 glane 135 Glane, Gland 245, 277 glanna, glano 277 Glanne, Glannes 245, 277 Glatigny 385 glaz, glazik 184, 532 gle`be 123 glen 245 Gle´nan 531 Gleyzenove 155 glie`re 387 Gliseneuve 155 Glisolles 155 glocken 156 Glorieuses (ıˆles) 600 Glun 245 Gnoules 370 goas, gwaz 270 Goasguen 537 Goaz Halec 537 gobelin 167 gobie 255 Godewaersvelde 365 godon 168 Goe¨le 492 Goe´letterie 470 Goe¨lo 529 Gohelle 513 gois 95 Gold 453 golfe 305 Golven 537 Gommier 590 Gonesse 492

gorce, gorse 36, 340 Gordes 228 goret 400 Gorg de l’Infern 572 gorge 277 Gorospil 568 Gorosti 348 Gorre´ker 534 gorri 184 Gosier 590 got 123 Gottesheim 472 Gouaux 264 Goueil 264 Gouesnou 270 gouffre 259 gouge 168 gouille, goille 294 gouine 168 goule 278 goulet 101 Goulet (massif du) 578 goupil 352 gour, gourg, gourp 277 Gourdon 560 Gourgue, Gourgoul 278 Goussainville 492 goutte 263 Goutte-d’Or 489 govel 408 Goyave 590 graˆce 152 gracht 377 graf 119 graille 354 Gramat 560 Grambois 356 Grammont 186 Granchain 440 grand 186 Grand 148, 503 Grand Age (le) 468 Grandes Carrie`res 489 Grand-Fougeray (Le) 528 Grand-Pressigny (Le) 496 Grand’Rivie`re 589 grange 43 grange dıˆmie`re 163 Grangermont 205 Granges-Gontardes (Les) 443 Granier 44

628 granite 233 Granville 520 Gras (plateau des) 554 gras 230 Grasse 582 Grassendorf 24, 471 Grateloup 349 gratte 194 grau 296 Grau de Maury 575 Grau-du-Roi (Le) 580 Graulhet 293, 559 Gravelotte 460 graves 387 Gravette (la) 460 gravie`re 402 Gray 551 grebet 133 grec 317 gre´e 229, 388 Gre`gues (Plaine des) 594 greˆle 320 Grenade 424, 558 Grenelle 356, 489 Grenier, Granie´ 44 Gre´nit 537 Grenoble 548 grenouille 293 Gre´ny 334 Gre´olie`res 348 grep 387 gre´pon 229 gre`s 387 Gre´signe 559 Gre´sivaudan 548 Gressey 387 gre`ve 306 gre`ze 387 Gre`zes 545 griffoul 348 Grigneuseville 198 gripet 89 Gris-Nez (cap) 510 Grisolles 155, 560 gritt 359 grive 356 groie 387 groin, grouin 218, 301 Groix 531 Grolie`re 354 grolle, graille 354 Gron 218 Gros-Caillou 489 groseille 372 Groslay 492

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France Gros-Morne 589 Grosne 271, 387 gross 186 Grossbliederstroff 24 Grossmatt 391 Grostenquin 186 grotte 256 Grouas 387 Gruerie (la) 500 grun 218 gruyer, gruerie 137 Guadeloupe 590 Guagno-les-Bains 586 Guarbecque 269, 292, 510 gue´, gua 95 Guebwiller 507 Gue´-de-Longroi (Le) 422 Guelle 278 Gueltas 422 Gue´mappes 284 Gue´me´ne´ 124 Gue´me´ne´-Penfao 528 Gue´me´ne´-sur-Scorff 534 gue´nard 297 Guer, Guern 291 Gue´rande 71, 527 Gue´randes (les) 554 guerche 32 Guerche-sur-l’Aubois (La) 439 gue´ret 380 Gue´ret 542 Guern 537 Guerveur 534 guet 33 Gue´tary 566 Guette (pointe de la) 302 Gueugnon 553 gueule 278, 498 Gueule aux Dames (la) 498 Gueule GrandGouffre 590 gueux, gueuserie 193 gui 19 Guichen 528 Guiclan 19, 533 Guilers 19, 533 Guillac 533 guille, guillerie 200, 352 Guinarthe-Parenties 436

Guincestre 522 Guingamp 529 guinguette 107 Guirande 71, 554 Guiscard 418 Guise 514 Gustavia 591 gut 176 Guyane 591 Guyenne 560 gwen 181 gy 88 Gyp 403 gypsie`re 403 habert 395 habitation 588 haˆble 304 hack 362 hafer 367 hag 476 Hagenthal 245 Haget 330 Hagetmau 330, 563 hague 214, 362 Haguenau 362, 506 haie 361 Haimont 389 Hainaut 513 haizegoa 317 Halatte 514 haleg 292 halle 27 hallier, hallot 341 ham 23 hameau, hamel 23 handi 187 Handiague´ 568 hangar 44 hao (Polyn.) 597 haras 399 Harchuria 568 hardt 325 Harfleur 517 Hargarten 505 haritz 332 Harpidey 568 Harrigorri 568 hasel 341, 514 Hasparren 566 Haspelschiedt 334, 505 Hastingues 418, 563 haˆte 131, 373 Haules (les) 519 haus 28 haut 75, 76

Haut de la Feˆte 503 Haute-Amance 456 Hauterive 276 Haute-Serre 459 haut fourneau 408 Haut-Koenigsbourg 507 Hautmoitiers 158 Hauts Bœufs 467 Hauts-de-Che´e (Les) 456 Hauts-Millets 467 havre 304 Havre (Le) 521 hay 389 haye 326 Haye (la) 502 Haye-du-Puits (La) 502 Hayette, Hayotte 361 Hay¨-les-Roses (L’) 490 Hazebrouck 287, 511 Hazel 370 He`ches 373 hectare 133 Hectot 519 Heidelstraessel 111 Heiltz 327 Heiltz-le-Maurupt 469 heisi 341 He´lette 569 Helfaut 365 He´liopolis 432 Hellemmes 513 Helpe 511 Heltuit 358 hem, heim 23 He´monstoir 441 hen 186 Hendaye 566 Hennebont 97, 531 Hennemares 517 Henne Morte 147 Henrichemont 425, 496 Henridorff 24, 425, 503 Henriville 425, 503 hent 88 Hent Glaz 535 He´racle´e 414 He´rault 271 herbe, herbage 388 herbu 308 He´re´chou 332 herm, erm 343 Hermant 343

Index des e´tymons et noms de lieux hermitage 158 he´ron 356 Herre`re 404 Hers 557 he´rupe 364 herzog 120 Hescamps 455 Hesdin 28 Heudicourt 419 Heuland 68 heule 374 heureux 198 Heurtebise 317 Heurtevent 315 hibou 355 hie`ble 337 hill, hille 214 Hinx 70 hir 189 Hirbach 505 Hiriberria 68 Hirson 515 His 70 Hitiaa 598 hiver 319 Hoc, Hock 214, 517 hoch, hoh 78 hoche 101 Hoche 46 Hoedic 532 hof, hoffen 38 hofste`de 39 Hof Veld 510 Hogue, Hoguette 214, 517 Hohrod 78 Hohwald 78 hol, houl 251 Hollande 251 holm, hou 311 holtz 325 Holtzwihr 19, 325 Hombleux 368 Home-Varaville (le) 518 Homme 333 Homme (Le) 311 homme mort 146 homme´e 131 Hondschoote 39 Honfleur 303, 517 honneur, honor 118 Honskirch 441 Hontambe`re 262 Hontanx 262 hopf 368

hoˆpital 138 Horgne 219 horgue 408 horle 374 horn 219 hort 45 hospital, hospitalet 138 Hossegor 563 Hostens 125 Hostiaz 441 Hostis (L’) 125 hostise 125 hoˆtel, hoˆterie 41, 106 Hoˆtel De´sert 521 Hotot-les-Bagues 449 hou, hougue 214 Houat 532 houck 381 Houdan 491 Houeille`s 561 Houga 345 Hougue 302 Houilles 491 Houlbec 251, 519 Houle (la) 519 Houlgate 251, 517, 519 Houlme 311, 333, 518 Houlvi 305, 518 houn, hount 262 Hourquette 100 Houssaye 348 hout 325 Houten Brouck 511 Houtkerque 325, 511 Houtland 325, 511 Houtteville 325 houx 348 hove 39 Hoymille 134, 389 hubac 319 huche 216 Huelgoat 79, 530 Huest 363 huguenot 170 huilerie 407 Huis (L’) 28 Huismes 79, 496 Huisne 525 Huitsous 467 hulotte 355 Humboldt (mont) 597 Hunter 597 Hupeloup 349 Huppain 23, 517 Hurepoix 364

629 Hurlevent 315 hurlu 342 Hurtie`res 348 hus, huis 28 Husseau 79, 496 Husseren 28 hutte, hutteau 28, 48 Hye`res 43, 583 ialos 65 ibar 245 Ibarra 569 ibi 96 ibon 298 ic, is 272 Iclon 326 Idolkobizkarra 568 Ie´na 426 ie`re 62 ies 64 if 335 ignes, ines 64 igny, illy 64 Igon 565 igue 254 Iguerande 554 iguzki 319 ihi 293 Iholdy 293, 569 ˆıle 310 ˆIle-de-France 488 ˆIle-Napole´on 425 ˆIle-Rousse (L’) 425 ˆılet 589, 594 ilhar 339 Iliberri 20, 566 ilion 281 ilis 155 Ill, Ille 272 Illas 20 Illats 372 Illiers-Combray 452 Illifaut 469 Illustration (L’) 431 Imbut 255 Impressionnistes 428 Inchauspe´ 570 incise 100 Incudine 241 industrie 411 infernet 78, 259 ing, ingen, ingue 64 Inglemare 296, 522 Ingrande 71, 482 Ingrannes 494 intendant 137 inversu 319

Inzecca 100 Inzinzac 128 Irati 346 Iribarne 79 Iriberry 20 Irigoina 68 Irissarry 20, 566, 569 Iroise 531 Iroule´guy 225, 568 Iruri 566 Is, Issy 272 isard 351 Isbergues 210, 510 iscle 281 Isenburg 404 Ise`re 272 Ispe´guy 568 Issamas 545 Issart, Issarle`s 357 Issoire 30, 79, 544 Issolud (Puy d’) 560 Issoudun 79, 496 Issy-les-Moulineaux 490 isthme 314 Istres 211, 580 ithur 265 Ithurbide 266, 569 Ithurxilo 569 iti (Polyn.) 597 Iton 521 itt 521 Itxassou 346 Ivoy 336 ivraie 389 Ivry 336, 490 Iwuy 268 Izaourt 272, 293 Izernac 532 Izernore 404, 550 Izeure 272 jache`re 380 jaille 294 Jalade 321 jalle 270 Jallicu 587 jallois 133 Jalousie 196 Janais (La) 348 Janvry 345 Jappeloup 349 jardin 45 Jarez 553 Jarjaye 368 Jarnac 540 Jarre´e 91

630 Jarrige 344 jarrouille 363 jasse 394 Jatslepoa 569 Jatxou 346 jau 401 Jaure´guy 277 Jaurigagna 567 Javauges 92 javelle 367 Javols 579 Je´rusalem 423 Je´sus 150 Je-t’en-Queue 198 jeu 216 Jeu-les-Bois 216 Jeumont 150 Jeurre 150 Jeussie`re 380 Jo, Job, Jou 326 Joch 216 Jœuf 169 Jœuvres 29 Joigny 552 joli 175 Joli Cœur 175 jols 65 jonc, jonchaie 293 Jonche`res 293 Jonchery 293 Jonquie`res 293, 436 Jonzac 540 Joos 270 jor, jour 216 Joran 216 jorasse 216 Jorasses 326 Jorquenay, Jorxay 351 Jors 95 joualle 373 Jouarre 30, 150, 494 Joucou 208 Joue´-le`s-Tours 495 Jouques 208 journal, jour 131 Jou-sous-Montjou 150 joux 216, 326, 482 Jouy, Jouars 150 Jouy-le-Potier 427 Jovis 150 Joyeuse 465, 554 joyeux 176 Jozerand 441 Juan de Nova (ıˆle) 600 Juch 531 juden 169

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France juge, jugie, jugerie 136 juge`re 131 Jugon-les-Lacs 449 juif, juive 169 Jullouville 428 jument 398 Juncasse 293 Juno 453 Jura 326, 549 Jurvielle 19 justice 142 Jutge 136 Juxue 208 juzan 78 Kahouane 588 Kakoue´ta 569 Kaltenbrunnen 190 kampou (Guyane) 592 Kanfen 506 kappel 156 karreg, karrik 229, 312 karront 89 kastell 302 Katzenthal 245, 467 Kaysersberg 507 kelvez 370 Kembs 507 kemenet 124 kemper 476 kenk 35 ker 34 Kerandraon 78 Kerbach 155 Kerbœuf 534 kerc’h 367 Kercorb 576 Kerdalidec 197 Ker Emma 428 Kerfeunteun 34 Kerfourn 34, 533 Kergloff 34 Kergrist 34 Kergroas 534 Kerguelen 348, 601 Kerilis 155 Kerivin 537 kerk, kerque 155 Kermoroc’h 34 Kernascle´den 34, 533 Kernescop 534 Kernevez 534 Kervae¨z 535 Kerveil, Kervilin 535 Kervillen 406 Kervily 535 Kerzuot 534

kessel 249 Ke´vez 124 killi 340 kirch 155 Kirschenaue 503 klein 187 Klingenthal 507 klocke 156 Kochersberg 507 koenig 119 Kokoltche´ 568 Kontz 506 kopf 208 korrigan 167 Kouglof (le) 604 Koungou 595 Kourou 592 Krautergersheim 507 Krautwiller 507 kreiz, krenn 81 Kremlin-Biceˆtre (Le) 431 Kronprinz 453 krugen 229 Krummfeld 373 Krutenau 507 Kruth 360, 507 laa` 338 Labaroche 156 Labastide 26 Labastide-d’Anjou 418 Labastide-de-Le´vis 418 Labat, Labbe´ 158 Labech 318 Labesque 161 Labets 359 Labeyrie 409 Laborde 39 Laborie 40 Labouheyre 396, 464 Labourd 359, 566 Labrespy 347 Labrit 563 Labro 72 lac 295 Lacanau 375 Lacarre 388 Lacaune 256, 559 Lachalade 500 Lacommande 158 Ladern 345 Ladoix-Serrigny 439 Ladreit 318 Ladrerie 139 lae¨r 141 laer, leer 344

Lafeuillade-en-Ve´zie 439 Lafresguimont-SaintMartin 457 Lafrimbolle 506 Lagarde, Lagarde`re 32 Lagarrigue 438 Lagat Yar 531 Lageon 438 Lagny 493 lagon 295 Lagorce 36 Lagraulet 354 Laguiole 155, 278, 559 lagune 295 Lahaymeix 502 laıˆche 293 laie, layon 94 Laigne´ 70 Laires 511 laiterie 407 Lalbenque 392 Laleuf, Lalo 123 Lalinde 298 Lamadeleine-Val-desAnges 451 Lamarche 70, 504 Lamarche-en-Woe¨vre 419 Lamarque 70 Lamarque-Rustang 564 Lamasque`re 168 Lambach 506 Lamballe 529 lame 373 Lamentin 590 Lamme, Laumes 288 Lamotte, Lamothe 31 Lamoura 286 Lampaul 422 lan 159 Lanascol 338 Lancire, Lancyre 100 Lancone 585 land 68 Landais (le) 561 lande 338 Landerneau 159, 461, 531 Landes (les) 563 Landes-le Gaulois 451 Landivisiau 159 Lanester 270, 338 Laneuveville 503 lang 188

Index des e´tymons et noms de lieux Langeais 495 Langlade 599 Langle 391 Langoat 159, 327 Langon 561 Langoz 159 Langres 415, 499 Languidic 422 Lanildut 159 Lanmeur 159, 187 lann 338 Lanne-en-Bare´tous 565 Lanne´dern 159 Lannemezan 338, 564 Lannevez 159 Lannilis 159 Lannion 530 Lanouaille 357 Lanoue 246 Lanquetot 516 Lanslevillard 548 Laon 149, 514 Lapalisse 35, 543 lapiaz 232 lapin 353 Laprugne 370 lar, larra 338 Larboust 558 Larchant 234 Lardin-Saint-Lazare (Le) 439 large 189 Largentie`re 554 Larmor 299 Larmor-Baden 535 Larramendia 569 Larrau 569 Larressingle 36, 562 Larressore 569 Larreule 158 larrey 227 Larribar 569 larris 338, 344, 511 larron 141 Larrun 569 Lartigaut 359 Laruns 565 Larzac 559 Lasbordes 39 Lasseube 324 lassus 77 Lastours 576 Latga-Soutro 78 Latoue 252 lats 272, 565

Latsa 569 Latseko Elhera 569 Lattre 145 lau, laus 295 Lau 564 Laubrie`res 328 Laudun-l’Ardoise 439 laume 288 Lauragais 68, 558 laurier 372 Laurie`re 541 Lauris 581 Laussou 433 Lautaret 99 Lautenbach 507 Lauter (la) 265, 506 lautro 265 Lauwerdal 82 lauze 232 Laval 524 Lavanche 546 lavande 372 Lavaudieu 444 Lavaur 273, 559 Lavaur-Cocagne 458 lave, lavanche 232 Lavedan 564 Lavelanet 557 Lavie`re 232 Lavigerie 136 lavogne 266 Lavouˆte 283, 472 Lay 272 Laye 327 Layon 526 lazaret 139 Le´aupartie 284 leccia 331, 587 Le´che`re 293, 456 Le´cousse 125 Lecques 232 Lectoure 562 Lecumberry 567 le`de 308 Le´denez 311 Leers 511 Le´es 565 leet 378 Leffrincoucke 512 Le`ge-Cap-Ferret 448 Leigne 70 Leizealdia 568 Le´man 547 Le´mance 561 Lempdes 298, 543 Lemud 505

631 Lencloıˆtre 36 Lendit 109 lenn 295 Lens 298, 513, 530 Le´pineux (gouffre) 427 lepo 99 Lerdatze´ 568 Le´rins 582 Lerne´ 496 les 62 le`s, lez 82 Lescar 565 Leschaux 546 Lesches 293 Lescoat 39, 534 Lescoue¨t 534 Lescun 565 Lescure 319 Leslan 39, 534 Lesneven 39, 534 Lesparre-Me´doc 560 Lesparrou 439 Lespinassse 347 Lespugue 258 Lesque´len 39, 534 Lestrem 512 Lesvern 39, 534 lette 308 Leucate 181, 414, 575 leukos 181 Leule`ne 112, 514 Leulinghem 112 levant 74 leve´e 376 Levens 232 Le´vezou 559 Le´vi (cap) 305 Le´vignac 446 Le´vis-Saint-Nom 443 leydier 129 Leymont 386 Leyritz 344 leza 258 le´zard 354 Le´zard 590 Le´zardrieux 39, 534 Le´zignan-Corbie`res 575 Lezoux 288, 543 Lhe´raule 334 Libourne 418, 560 libre 126 Lices 56 Lichie`re 293 lido 307 Lie´oux, Lieuche 181

lieu 61 Lieu 522 Lieuvin 520 lie`vre 353 Liffol 329, 503 ligne 94 Ligne`res 368 Ligny-en-Barrois 499 Ligre´ 496 Ligueuil 65 Liguge´ 538 lilas 372 Lilas (Les) 490 lille 188 Lille 476, 513 Lillebec 188 Lillebonne 24, 188, 522 Lillers 344, 511 Lilletot 188 Limagne 385, 543 Limargue 385, 560 Limay 386 Limerzel 145, 155 limite 70 Limoges 415, 541 Limogne 560 limon 385 Limours 333, 386, 491 Limousin 541 Limoux 576 lin 368 Lindbergh-Plage 427 linde 336 Lindebeuf 336 Lindenberg 336 lindon 298 Linie`res 368 Linselles 27, 511 Linthes, Linthelles 71 Lintot 336, 519 Linzeux 27, 511 Lion d’Or 105 lis 39 Lis 558 Lisbourg 510 lise 288 lisie`re 72 Lisieux 415 Lislebec 522 Lisle-en-Rigaut 417 Lissarrague 570 lit 232 Literole 232 Litor 232, 564 Littes 288

632 Livoy, Livet 336 Livradois 544 lizar 332 Lizeray 288 Llagonne (La) 574 Lloˆ 574 loc 62 locature, locaterie 126 Loc-Envel 442 loc’h, loch 295, 504 Loches 496 Loctudy 422 Lode`ve 288, 576 lods 128 loge 48 logis 41, 49 Lognes 326, 493 lohi 288 Loigny-la-Bataille 454 Loire, Loir 272 Loire-Authion 526 Lomagne 560 Lombers 20 Lombez 20, 562 Lomme 333, 513 londe 326 Londe (La) 338 Londe-les-Maures (La) 583 Londinie`res 326 Londres 576 loˆne, losne 280 long 188 Longchamp, Longpre´ 188 Longcochon 188 Longemer 297 Longe`ves 268 Longeville 188 Longjumeau 464, 492 Longueil 188 Longuenesse 510 Longwe´ 188 Longwy 188, 501 Lons-le-Saunier 298, 550 loo, los 288 Looberghe 210, 510 Loon-Plage 511 Loos 288 Loqueffret 531 Lordat 563 Lorette 423 Loreux 157 Lorient 74, 531 loriot 356

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France Lorraine 501 Lortet 46 lost 73 Lostanvern 73 Lostenez 73 Lot 557 louarn 352 Loude´ac 529 Loudun 149, 538 loue 288 Loueuse 288 Louhans 553 loup 349 loup pendu 147 Louppy-sur Che´e 444 Louppy-sur-Loison 422 Lourde 563 Lourdes 20, 563 Lourdoueix 157 Louron 564 Louroux, Lourouer 157 Lourties 348 Loustau, Loustalet 41 Louvie 288 Louvie`re 349 Louvre 489 Louvres 349, 492 Louze 288 Loyaute´ (ıˆles) 597 Loye 288 Loze`re 234, 578 Luberon 581 lubite 49 luc, lug 149, 326 Luc-la-Primaube 438 Luchon 558 Lucifer 165 Lucmau 326 Luc¸on 526 Ludie`res 167 Luet, Luart 326 Lugdunum 149 Lunel 577 Lune´ville 501 Lurberri 566 Lurcy-Le´vis 441, 444 Lure 265, 551 Lusignan 538 Lussault 496 Lutilhous 556 lutin 167 Luttenbach 507 Lutter 507 Lutzen 426

Luxeuil-les-Bains 550 Luy, Luz 272, 565 Luynes 419, 495 Luzarches 492 luze 189 Luzech 560 Luze´raille 505 luzerne 368 Luzoir 515 Lynde 511 Lyon 149, 553 Lys 272, 511 Lys-Haut-Layon 526 Macchia, Macchione 345 Macchia Negra 586 maceria 37 Machaut 44 machine 410 Machine (La) 410, 552 Machine du Grau d’Enfer 580 Mackeren 506 Maclaunay 471 Macogny 436 Maˆcon 553 Macouba 588 Madame 116 Madame (ıˆle) 539 Madeleine 139 Madone 151 Maez Uhel 535 Mafate 594 mag, meg 211 Magalas 187, 211 magasin 106 Magenta 426, 498 Magnac-Bourg 541 Magnac-Laval 541 Magnanarelles (les) 578 Magnat-l’E´trange 471 Magnazeix 541 magne 187 Magnoac 562 Magny, Magneux 21 Magoar 37 magos 109 Magoue¨ro 534 Maguelone 527, 577 Mahomet 170 Maıˆche 550 Maı¨do 594 mail 55 mailh, mail 211 Mailleraye 371

main, moyen 81 Main de Massiges 453 maine, mayne 21, 524 Maintenon 495 maı¨re 80 maı¨ris 394 maison 21 Maison-Dieu 153 Maisonneix 542 Maisonneuve 436 Maisonsgoutte 469 Maisons-Laffitte 431 Maixe 502 Majargues 211 Majastre 187, 211 majou 80 Makes (les) 594 mal, mau 179 Malabry 139 maladie`re, maladrerie 138 Maladroit 472 Malain 154 Malakoff 426, 431 Malassis 179 Malataverne 438 Malausse`ne 233 Malautie`re 139 Malauzat 440 Malbirade 179 male 211, 476 male, mala 211 Male`ne (La) 211 Malesherbes 179, 494 malgre´ 198 Malicorne 196 Malifrappe 196 Malle´loy 371 Malleret 369 Malmaison 179 Malmedonne 195 Malo-les-Bains 428 malouinie`re 42 malpas 102, 179 Malpense´e 179 Malroy 503 Maltot 516 Maltourne´e 179 malus 211 Malval 179 malvers 319 Malville, Malvillers 19 mamelles 220, 590 mamelon 220 Mamers 525 Mametz 21

Index des e´tymons et noms de lieux manac’h 159 Manapany 594 Manche 520 Manchester 453 Mandeure 30, 395 mandre 352, 395, 476 Mandre Vecchie 586 Mandrier 410 Mane 582 Mange-Tian 83 Mangles (les) 590 mangrove 589 Manhoue´ 95 Maniba 588 Manneporte 187, 461, 521 manoir 21 Manosque 582 Mans (Le) 415, 524 manse 21 Mansempuy 22 Mansencoˆme 22 Manses 419 Mansle 87 mant, ment 87 Mantallot 530 mantalon 87 Mantes 87, 491 Mantes-la-Jolie 451 Mantet 87 Manthelan 87, 109 Manthes 87 manufacture 410 Maquignons 407 maquis 344 mar 187 marais 286 Marat 286 Marbaix 510 marbrie`re 403 marcairie 394 Marc¸ay 327 marc’h 398 marchais 286, 297 marche, marque 70 marche´ 108 Marche (la) 497, 542 Marches de Lorraine 504 Marcilly-en-Gault 495 Marck 511 Marcq 286 Marcq-en-Barœul 511 Marcq-en-Ostrevent 511 mardelle 297

Mardereau 178 Mardyck 512 mare 296 Mare a` Boue 595 Maremne 563 Marengo 426 Marennes 296, 539 Marensin 563 Maresches 286 Mareugheol 65, 544 Mareuil 187 Margeride 579 margerie 70, 394, 554 Marguerite 70 Marie-Galante 590 Marignane 580 Marigot 591 marina 57, 298 Marion-Dufresne (pic) 601 Maripasoula 592 mark, marque 70, 476 Markstein 508 Marlavagne 267 marlie`re 385, 402 Marly 385, 492 Marmande 33, 561 marmite 279 Marmoutier 158, 495, 508 marne, marle 384 Marne 272 Marne-la-Valle´e 493 marnie`re 402 Maroilles 65 Marolles 409 Maroue´ 529 marque 70, 286, 511 Marquenterre 513 Marquette 70, 511 Marquillies 511 Marquion 511 marquis, marquise 120 Marquise 286, 511 Marquises (ıˆles) 597 marronnier 337 Marsal 187, 403, 503 Marsan 563 Marsangy 286 Marsannay 286 Marseille 414, 580 marte, marthe 166 Marthille 503 Marthoret, Marteray 144 Martigues 580

633 Martin-de-Vivie`s (base) 600 martinet 408 Martinique 591 martre, martret 144, 476 martroi 144 Martroi-aux-Corps (Le) 145 marv, maro 147 Marvejols 65, 187, 579 mas 21 Masbaraud-Me´rignat 436 Mas-de-Londres 435 Masnau-Massuguie`s (Le) 436 Masny 21 masque 168 Masquie`res 168 Massacre (Foreˆt du) 454 Mas-Saint-Che´ly 438 Massegros (Le) 438 Masseube 22, 324 Massugues 345 Massy 492 masure 21 mata (Polyn.) 597 Matafelon 346 matagot 167 Mataiva 598 mate, matte 328 Matelles 328, 576 Matemale 211, 328, 574 Matha 540 Matheysine 328, 547 Matin (Monts du) 555 matt 391, 476 matte 309, 476 Matthew 597 Maubeuge 513 Maubourguet 179, 564 Mauco 563 maudit 178 Mauges 526 Mauguio 577 Maule´on 179 Maupas, Malpas 102 Maupertuis 103, 179 maure 170, 183 Maurepas 179, 195 Maures (les) 583 Mauriac 544 Maurienne 547

Maurs 544 Maurupt 179 mausole´e 146 mauvais 179 Mauvezin 20 Maux 21 Mauzun 109 maxe 286 Maxe (La) 506 Maxent 422 Maxstadt 506 mayen 395 Mayenne 524 Mayet 109 Mayotte 595 Mayronnes 148 Mazagran 426 Mazamet 559 Mazel 407 Maze`res, Mazie`res 37 mazet, mazuc 51 Me´alet 37 me´andre 283 me´canique 411 me´chant 179 me´chou, me´jou 366 Me´dan 109 me´decin 139 mediolanum 153 Me´doc 560 Me´e 81, 527 Me´es (Les) 21 me`ge, metge 139 Mege`ve 548 Meharoztegui 567 Mehun 29, 109, 496 Meije 74, 548 Meilh Dour 535 Meillant 154 meire 394 meix 21 Me´janne 81 Me´jou Me´nez 535 Me´lantois 513 Melay, Moloy 369 Melette 371 me´le`ze 335 Melle 211, 539 Mellecey 291, 434 mello, melo 211 Me´loise 291 Melun 211, 491 Me´lusin (Pays) 538 men 231 mencaude´e 132 Mende 231, 579

634 mendi 205 Mendibel 182 Mendibil 205 Mendiburu 567 Mendionde 205, 567 Mendive 205, 567 Mendizabal 567 Mene´ 529 Me´nerbes 150 Me´nestreau-en-Villette 495 Menetou 158 Me´ne´trol 158 Me´ne´tru 158 menez, mene´ 204 Menez Guen 537 Me´nigoutte 264 me´nil, mesnil 21 Mennecy 492 Menou 417 Menta 87 Menton 231, 582 Me´olans 154 mer 297 Mercantour 582 Mercat, Mercatel 108 Merck 70 Mercoire 150 Mercue`s 150 Mercure 150 Mercurey 150 merde, merdeux 178 Merdereau, Merdanson 178 merdi, merdy 137 Merdrignac 529 merisier 371 Merkwiller 508 Mer Rouge (la) 423 Me´ry 409, 454 Merzer 145 Mescla 284 Mesland 154 Meslay 371 Mesnie`re 21, 441 Mesnil-Verclives 519 Mesple`des 371 mesplier 371 messe 152 messire 116 mesures 130 me´tairie 41 Me´te´orite 541 Metz 21, 415, 505 Meudon 211, 490 Meulan 211, 447, 491

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France meulen 406 Meung 109, 494 meunier 406 meur 187 Meurt-de-Faim 194 Meurthe 501 Meuse 286, 501 Meygal 545 Meylan 154 Meyrie`s 394 Meyronne 394 Meyrueis 394 mez, maez 366 Me`ze 577 Me´zenc 545 Me´zie`res 37 Mialet 37 Michelbach 508 Michelberg 508 micocoulier 336 Micropolis 429 Middel Houck 512 midi 74 miech, miet 81 mie`ge 81 mielle 308 Mig 81 Mijane`s 558 mil 367 miletu 37 Milgranier 371 Milhas 367 milin 406 Milin ar Run 535 Millam 134 Millars, Millas 108 Millau 559 mille 134 Millebosc 467 Millebrugge 97, 511 Mille E´tangs 551 Milles (Les) 580 Millevaches 541 Milly-Lamartine 452 mimosa 337 mine 132 mine, minie`re 404 Minerve 150, 576 Minervois 68 minihy 159 Minjoce´bos 443 minoterie 407 Miquelon 599 Mirabel, Mirebeau 174 Mirabelle 371 Miradoux 33

Mirande 33, 562 Mirebalais 538 Mirebeau 538 Mirecourt 150, 471 mirmande 33 Mirolda (gouffre) 427 mise`re 193 Misplatse´gui 568 mistral 318 mittel 81 Mittelwihr 19 Mi-Voie, Mivoie 108 mizotte 309 Mlima 595 moc’h 400 Moder 272 Moercant 72, 234 Moe¨res 286, 511 moguer 37 moine 159 Moissac 560 Moka 594 Moko 568 Molain 154 Molandier 205 molard, mollard 217, 483 molasse 233 Moˆle (Le) 443 Mole´ans 205 Mole`ne 531 moli 405 Molineuf 435 Molitg-les-Bains 574 Mollera dels Clots 572 Molliens 154 mollie`re 290 Molsheim 507 Monaco 582 monaste`re 158 Monceau 489 Moncontour 137 Mondorff 24 Mone´die`res 542 Moneste´rol 158 Monestier 158 monge 159 monial, moniale 159 Mon Ide´e 197 Monnaie 36, 91, 468 Monneville 436 Monpazier 137 Monrepos 197 Monsieur 116 mont 204 montagne 204

Montagne (la) 551 Montagne Noire 182 Montailleur 87 Mont Aime´ 469 montant 204 Montargis 494 Mont Arme´ 469 Montastruc 176, 449 Montataire 514 Montauban 180, 560 Montbard 552 Montbe´liard 550 Mont-Blanc 224 Montboissier 419 Montbolo 235 Montboudif 162 Montbrison 553 Montbronn 506 montcalm 190, 204, 342 Mont-Cauvaire 423 Montceau-les-Mines 450 Mont-Cenis 548 Montchanin 176, 450 Montcuq 208 Mont-Dauphin 425 Mont-de-Marsan 563 Montde´sir 197 Montdidier 513 Mont-d’Or 181 Mont-Dore 543, 596 Monte-a`-Peine 199 Montegrosso 456 Monteil (Le) 437 Monte´limar 555 Monte´pilloy 33 Montereau 158 Montereau-FaultYonne 440 Monterfil 534 Mont-Esprit 467 Montfermeil 491 Montferrier 404 Montier 158 montil, montille 281 Montille de la Vigie 579 montjoie 160 Montjoux 150 Montlignon 492 Mont-Louis 425, 574 Montluc¸on 543 Montmain 187 Montmartre 489 Montmaurin 183

Index des e´tymons et noms de lieux Montmorency 418, 492 Montmorillon 538 Montmort 469 Montois (le) 43 Montolieu 423 Montolza 417 Montouliers 409 Montparnasse 489 Montpellier 577 Montpertuis 205 Montplaisir 197 Montre-Cul 199 Montre´jeau 118, 558 Montrelais 205 Montre´sor 137, 496 Montreuil 158, 490 Montreux 158 Mont-Roc 444 Montrodat 37 Mont-Saint-Aignan 420 Mont-Saxonnex 546 Montse´gur 191 Montsoreau 184 Montsuˆrs 191 Moon 109 moor, moos 286 Moorea 598 Moque-Baril 195 Moque-Souris 195 moraine 219 Moranche 219 Morangis 418 Morbecque 269, 510 Morbier 550 Morbihan 531 Moreuil 336 Morey 219 Morez 550 morge 275 Morge, Morgex 70, 546 morgon 275, 483 Moriat 441 Morienne 422 Morinie 511 Morlaa`s 565 Morlaix 530 Morlanne 565 Morlet 417 morne 219, 589 Morne-a`-l’Eau 589 Morne-Rouge (Le) 589 Morne-Vert (Le) 589 Morogues 219

Morsains, Morsang 36, 492 Morsbronn 506 mort, morte 146 Mortagne-au-Perche 520 Mort aux Juifs 443 morte 281 Morteau 297, 550 Mortemer 297 mortier 297 Morue 179 Moruroa 598 Morvan 552 Morzine 219 Moselle 286, 501 mosque´e 170 motte 31 motu (Polyn.) 597 moua, mauna (Polyn.) 597 Moudayre 405 mouille, mouille`re 290 Mouille-Pieds 540 Mouilleron-le-Captif 467 Moulare`s 405 Mouleydier 205 moulin 405 Moulin-Neuf 436 Moulins 543 moulis 405 Moura 286 Mourenx 565 Moure`ze 219 Mourfrais 578 mourgue 159 Mourier 336 mourre, moure 218 Mousse 546 Mousseaux-sur-Seine 466 Moussu 116 Moustier 158 Moutaret 158 Mouthe 550 Moutier 158, 420 mouton 397 Mouzaı¨a 426 Moyenneville 154 Moyeuvre 29 Mtsamboro 595 Mtsanga 595 Mtsangamouji 595 muande 395 Mucchieta 587

635 muche 38 Muchembled 199 Mudaison 108 muhl 406 muid 132 Muizon 108, 498 Muji 595 Mulatie`re 139 mule, mulet 400 Mulhouse 442, 506 mulinu 405 Mulsanne 36 Multien 68, 493 Munition (Pain de) 36 Munster 507 mur, murger 36 muraille 129 Murbach 286 Muret 558 murocinctus 36 Murrubeltza 568 museau 218 mutatio 108 Muvra 351 Muvrareccia (Punta) 587 Muvratu (Saltu) 587 Myans 81 myrtille 372 M’y-V’la 198 Nages 247 Nahuja 574 Nampont 148 Namps 244 Nampteuil 245 Nanc¸ois-sur-Ornain 444 Nancy 501 Nangis 494 nant 244 Nanterre 30, 148, 490 Nantes 415, 527 Nanteuil 65, 245, 444 Nantiat 541 Nantua 245, 549 Napuka 598 Narbonne 575 Narcy 289 narse 289 Nasbinals 368 Naucelle 27 Naude 246 Naurouze 316 nauze 246 Navacelles 27, 185 Navailles 357

Navarre 566 Navarrenx 247, 565 navette 368 Nay 565 Nazareth 423 Neauphle, Neaufles 154 nebbio 321 Ne´bouzan 321, 558 Ne´bouzat 558 ne´cropole 144 Ne´ de la Mer (Pays) 526 ne´flier 371 Ne´gabous 396 ne`gre 182 Ne`grepelisse 560 Ne`greville 182 neige, ne´ou 321 nemeton 148 Nemours 148, 494 Ne´ouvielle 564 Ne´rac 561 Nesles-la-Valle´e 492 Nesmes, Nesmy 148 Nespouls 371 ness 300 neste 275 Neubourg 521 neuf 185 Neuf-Brisach 425 Neufchaˆteau 501 Neuf-Marche´ 522 Neugartheim 508 Neuilly 185, 490 Neung 29, 185, 495 Neussargues 439 Neuville 185 Neuvy, Neuvic 185 Neuwiller 185 Nevers 29, 552 Ne´vet, Ne´vert 148 ne´vez 185 Neyrolles 370 nez, ness 300 Nice 414, 582 Nicole 418 nieder 79 Niederbronn 507 niellu 182 Nieppe 333, 511 nier 182 Nieul 65, 185, 541 Nie`vre 552 Nijon 503 Nıˆmes 580

636 Niort 95, 539 Nistos 275 Nivala 321 Nive, Nivelle 185, 566 Nivillac 532 Nivollet-Montgriffon 438 Noailles 185, 357, 419 noble 116 Noceta 370 Nods 246 Noe´ 246 Nœux 246, 477 Nogaro 562 Nogent 185, 435, 499 Nogue`res 370 Nohant 185 Nohant-Vic 497 Nohic 185 noir 182 noire, noyre 280 Noirlieu 182 Noirmoutier 182 Noiron-sur-Be`ze 446 Noisement 141 noisetier 370 Noisiel 370, 493 Noisy 491 Noisy-le-Grand 493 Nonant 148 Nonette 544 nonnain, nonnette 160 nonne 160 Nontron 561 Noordpeene 512 nord 75 Normandie 516 Norroy 503 Nort-sur-Erdre 118 notaire 138 Notre-Dame 151 Notre-Dame-duRocher 444 Nouan 246 noue 246 Nougare`de 370 Noume´a 596 Noutary 138 nouveau 185 Nouvelle-Cale´donie 596 Nouvion 185 Nouzilly 370 novale 357 Nove´ant 88, 503 Novion 109, 185

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France Noyal 357 Noye 246 noye´ 147 noyer 370 Noyer (Le) 437 Noyon 109, 514 Nozay 370 Nozie`res 370 Nuaille´ 185 Nueil 185, 444 nui (Polyn.) 597 nuisance 141 nuisement 141 Nuits 552 Nuku Hiva 598 Nuzie`res 142 Nyons 555 ober 79 Oberdorf 24 Obernai 507 Obterre 180 Obus 467 Ochsenmatten 396 œil 264 Œil Doux 264 Œuf-en-Ternois 118, 469 Œufs Durs (les) 199 Offekerque 39 Ogeu, Ogenne 328 Ogliastro 587 Ognon 551 Ohreneck 505 Ohrenthal 505 oie 402 Oie 264 Oisans 547 Oise (l’) 272, 512 Oisseau 79, 443 ol, ols, ouls 65 Olagnier 370 Ole´ron 539 Olhaı¨by 50, 569 Olhanmendi 569 Olivet 494 olivette 371 Olmes 333, 557 Olonne 526 Oloron-Sainte-Marie 20, 565 ols 65 Olt 272, 557 Omaha 452 ombre´e 319 Ombriaccia 586 Omois 514

on, en 64 ona 212 ona (Polyn.) 597 Onay 332 Onca 585 Ondes, Ondaine 270 ondo 82 Ondres 384 Onglevert 471 onna, onne 271 Ooˆ 264 Opale 515 Opio, Opoul 30 Oppe`de 30 oppidum 30, 206 or 181 Oradour 157 Oraison 316, 471 Orange 581 oratoire 157 Orbais 396 Orbec 396, 519 Orbey 271, 396 Orcher (l’) 518 Orches 400 Orcie`re 349 ore´e 71 Ore´e-d’Anjou 526 orfraie 356 orge 367 Orge`res 367 orgues 223 orient 74 Orient (lac d’) 499 Oriol 356 Orival 404 Orle´ans 494 Orly 490 orme, ormeau 333 Ormesson 333 Ornain (l’) 502 Ornans 550 Orne 271, 520 Ornois 502 Orques (Canal des) 601 orri 393 Orrouy 157 Orsay 348, 492 ort 46, 212 Ortaffa 46 Orthe (Pays d’) 565 Orthevielle 46, 565 Orthez 46, 565 ortie 348 Ortu, Ortus 212

Orvault 404 Orvaux 181 Orx 563 Orxois 493, 514 os, osse 65 Osartis-Marquion 515 osc, osque 65 osier, oseraie 292 Osny 492 Ospedale 138 osque 100 Osquich 100 Ossau 565 Osse´ja 574 Ossoue 291 Ossun 564 ost 73 Ostrevant 66, 513 Ostwald 325 Othamono 567 Othe 498 Othis 125 Otsamunho 567 ouailles 396 Ouanary 592 ouche 46 Ouche (pays d’) 46, 521 Oudalle 245, 518 oude 186 Oudezeele 27, 186, 512 Oudon (L’) 456 oueil 264, 482, 558 Ouessant 79, 531 ouest 75 ouie 72 ouille 224, 477 Ouistreham 517 oule, oulette 249, 280 oulie`re 409 Ourches 400 Ourcq 271 ours 349 Oursbelille 564 Oursie`re 350 Ourtie`re 348 Ourtigues 348 ous, ouse, oux 65 Oussie`re 348 Oust 558 oustal 41 outre 81 Outreau 81, 513 Outrebois 81, 269, 474

Index des e´tymons et noms de lieux Outre-Foreˆt 507 Ouve´a 597 Ouvertuit 358 Ouzom 564 Ouzouer 157 Oxelae¨re 396, 511 Oxocelhaya 241, 349 Oye-Plage 311 Oyes 264 Oyonnax 550 Oytier 108 Ozerailles 292, 505 Ozoir 157 pacage 390 pacheu 98 padouen 134, 390 padula 310 Padulone 586 Padza 595 pagan 169 Pagan (Pays) 66, 531 pagliaju 45, 395 pagus 66 Pail 524 pailler 45 paillote 51 Paimbœuf 396, 527 Paimpol 530 Paimpont 528 Pain de Munition 468 pain de sucre 223 Painfaut 194, 471 Pain Perdu 194 paissie`re 376 paisson 135 pal 477, 483 pala, pale 234 Paladru 310 Palaiseau 491 Palalda 574 palanque 96 Palavas 577 Pale´opolis 429 Palis, Palisse 35 Pallare`s 45 Palluau 310 Palluel 528 palme 129 Palmiste 590 palombe 356 Palome`re 356 palu, palud 309 Pamiers 423, 557 Pampelonne 424, 559 Pampe´rigouste 201 Pannessie`res 367

Panouse 367 Pantin 490 pape (Polyn.) 597 Papeete 598 papeterie 410 par 483 Paraclet 151, 499 paradis 145 Paradiski 429 paran 47 Paray 36 parc 35, 56 parc de loisirs 57 parcelle 379 Pardiac 562 Pardies 36 pare´age 556 Parempuyre 109 paret, parge 36, 236 Parfondemare 518 Parigny 108 paris 236 Paris 415, 488 Parly 431 Parnoy-en-Bassigny 457 Paroche 156 paroi 236 paroisse 156 parpaillot 170 Part-Dieu 163 Parthenay 539 parvis 157 Pas-de-Jeu 199 Pas des Lanciers 100, 466 pas, paisse 390 pas, passage 97 pasquier 390 passe, passage 313 passe, passe´e, passie`re 97 Passe-Vite 195 Passion 151 Passmainty 595 Passy 489 Pastel (Le) 458 pastenc 390 patarra 236 patatpe (Guyane) 592 Pater Noster 151 Patibulaire 143 patouille 294 patte-d’oie 92 paˆture, paˆtis 390 Pau 565

637 Paudabe´ 193 Paulinet 437 pauvre 193 Pave´ 91 Pavie 424 pavillon 41 Payre´ 538 Payrin-Augmontel 440 payrol 249 pays 66 paysage, paysan 66 Pays Fort 497 pazier 137 pe´age 129 pech 206 Pe´charmant 459 Pechelbronn 403 Pe´cheux 546 pe´core 397 Pe´dauque, Pe´dauco 93 Peene 512 Peezturme 469 Pe´gairolles 385 Pe´gomas 385 peigne 207 Peigne du Chazal 467 peille 390 Peine Perdue 195 pele´, pelat 177 pe`le, pelle 194 Pe`lebois (Pays) 539 Pellefigue 194 Pellegrue 194 Pelleport 194 Pellouailles 194 Pe´lossier 347 pelouse 390, 438 Peltre 330 Pelves 513 Pelvoux 234, 443, 547 Pemp Hent 89 pen, penn 207, 263, 300 Pen ar Bed 73 Pen ar C’hra 536 Pen-Be´ 285 pendu 147 peneux 169 Pen Hir 189, 531 Penhoe¨t 327 Pe´nin 512 Pen Marc’h 530 Penn ar Men Du 536 Pennaros, Pennarun 207 Penn ar Ru Meur 536 Pennavayre 207

penne, pe`ne 207 Penne-d’Agenais 561 Penn Enez 535 Pennes-Mirabeau (Les) 452 Penngoyen 263 Penta 233 Penta di Casinca 584 pente 233 pentecoˆte 152 Penthie`vre 529 penti 50 Pe´quignot 546 Perceneige 456 perche 69, 130 Perche (le) 330 Perche (Col de la) 574 perdigal 356 perdreau 356 perdu 82 Pe´ret 370 Pe´ret-Bel-Air 451 Pe´rigord 561 Pe´rigueux 415, 561 Perne´ty 490 Pe´ronne 513 Pe´rou (Bois du) 472 Pe´rouges 424 Pe´rouse 231 Perpignan 573 Perrache 231 Perret 95 perreux 388 Perrier 477 Perrigny 231 Perros-Guirec 530 perruche, perruque 231 Persan 492 perte 282 Perte des Soucis 282 Perthes, Perthois 330, 500 Perthus 103 pertuis 103, 313, 581 Pervinquie`res 483 pesquier 267 pesse, pessie`re 335 pet 206 Pe´tard, Pe´tarel 236 Pet-de-Grolles 468 petit 187 Petit-Bre´sil 591 Petit-Ne`gre 589 Pe´touille 334 peu 206 peulven 172

638 Peuple 334 Peuple Fourchu 472 peuplier 333 Pe´ve`le 66, 513 peyre 231 Peyrecave 231 Peyrefitte 172 Peyrehorade 563 Peyrouse 556 peyroux 388 Pe´zenas 577 Pe´ze`nes-les-Mines 450 pfad 88 pfaff 161 Pfetterhouse 231 Pfuhl 288 Phalempin 513 Phalsbourg 425, 503 phare 314 Philippsbourg 425, 503 Philondenx 565 piana 240 Pianottoli-Caldarello 439 piboul, pible 334 pic, picasse 206 Picardie 508 Picotalen 194 Picpus 489 pie, pie´ 379 pie´, pied 206 pie`ce 133, 379 Pied Che´tif 467 Pierge 91 pierre 231 Pierre´ 91 Pierre au Diable 173 Pierre Fade 173 Pierrefitte 172, 491 pierre folle 173 Pierre Frite 172 Pierrelatte 172 Pierrelaye 492 pierre leve´e 172 Pierremande 87, 192 Pierremont-surAmance 457 Pierre Plante´e 172 Pierres Jaumaˆtres 468 pierrier 388 pigeonnier 45 Pilat 554 pile, pilat 222 pilier 69 pilori 143 Pimbo 371, 565

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France pin, pine`de 335 Pinay, Pinon 335 Pinchefalise 300 Pingouins (ıˆle des) 601 Pins (ıˆle des) 596 Pinzarellu 584 Pinzu di l’Ucellu 584 Piobetta 334, 587 pique, piquette 206 piquey 308 Pire-Aller, Pis-Aller 195 pisse, pissette 279 Pisseloup 349 piste 86 Pitgam 512 Pithiviers 494 piton 222 Piton des Neiges 594 Pitt Cle´ry 590 pla, plain, plan 239 Placitray 157 placitre, placi 134, 157 plage 237, 306 plagne 26, 239 plaine, plain 238, 365 Plaine (la) 539 Plaine-des-Palmistes 594 Plainfaing 502 plaisance 197, 562 Planay 239, 335 planche 96, 240 Plancoe¨t 358 plane`te, planasse 239 plane`ze 240 Plantaurel 557 Plantiers (Les) 435 Plastre 403 platane 334 plateau 239, 312 platier, platin 308 Platis 240 plaˆtrie`re 403 Pleaux 67 Ple´boulle 529 Ple´chaˆtel 67 pleine 239 Ple´lan 67 Plescop 67, 161, 534 Plesnois 335, 505 plesse 34 Plessis 34 Pleubian 67, 533 Pleumeur 67 Pleumeur-Bodou 530

Pleurs 288, 498 plo, plot 223, 229 Plobannalec 67, 533 Ploermel 422 Plogastel 67 Plogoff 408, 535 plomb 222 Plomeur 67 Plonevez 67 plou 67 Ploubazlanec 67 Ploudiry 331 Plougastel 67, 531, 533 Plouguerneau 531 Plouhinec 67, 533 Ploumanac’h 535 Ploumoguer 37 Ploune´our-Me´nez 530 Ploune´vez 185 Ploze´vet 422 pluie 320 Pluriel 67 Plusquellec 67, 533 poel, poul 297 poe¨t 206 poggio 206 Poher 67, 531 Poilcourt-Sydney 453 poinsson 132 Point du Jour 74 pointe 207, 301 Pointe-a`-Pitre 590 Pointe-Ge´ologie 603 poirier 370 Poissonnie`re 489 Poissy 491 Poitiers 415, 538 Poitou 538 polder 309 Polignac 544 Poligny 550 Polincove 39 polissoir 172 Polygone 57 Polyne´sie Franc¸aise 597 Pomerol 369 Pommeuse 369, 471 pommier 369 Pompadour 542 pompidou 242 Pompogne 422 ponant 75 Ponant (ıˆles du) 531 Ponches-Estruval 514 Pone´rihouen 597

Pons 96, 540 pont 96, 312 Pont-a`-Marcq 511 Pontarlier 550 Pont-de-Briques 97 Pont-de-Ruan 109 Pont-d’Ouilly 455 Pont du Diable 164 Ponthieu 513 Pontigny 551 Pontivy 425, 532 Pontoise 4992 porc 400 Porcelette 503 Porcherie 400 Porcien 501 Porge 37 Porhoe¨t 67, 532 Pornichet 528 Porquerolles 583 port 109 Port (Le) 593 Porta 575 Port-aux-Franc¸ais (base) 601 Port-Cros 583 Port-des-Barques 539 porte, portail 37 portel 98 Portella de Dalt 572 Porte´-Puymorens 575 Portes-le`s-Valence 439 portet, porz 110 Portillon 98 Port-Louis 425, 531 Port-Martin 604 Portoteni 195 Porto-Vecchio 584 Port-Royal 465 Port-Vendres 150, 573 Porzay 530 Possession (La) 593, 601 Possonie`re (la) 132 poste 105 pot 98 poteau 69 potence 142 poterie 409 poterne 104 Pothe´es 117 Pothie`res 410 poto (Polyn.) 597 pou 67, 266 poublan 124 Pou dels Pobres 572

Index des e´tymons et noms de lieux Poudouvre 529 poudrerie 410 poue´ 266 pouge 89, 227 pouillot, pouilleux 342 Pouillottes (les) 499 Pouilly 288 Pouillys (les) 499 poul 302 poulailler 401 Pouldouran 297 Pouldreuzic 297 Pouldu 182, 302 poule, poulet 401 Poulet 67 Poulet (Clos) 529 Pouliguen (Le) 181 Poullan 67 Poulmarc’h 297 Poumarous 556 poupe 220 Pourcharesse 400 Pourcieux 400 Pourlet (Pays) 66 Pournoy 503 pourpris 47 Pourquie`re 400 Pourraque 345 pourri 178 Pourrie`res 370 Pourtalet 98 pousaraque 266 pousterle 104 pouts 266 Pouzols 266 Poype 220 pozzine 294 pozzu 266 prade 389 Prade`res 389 Pradines 389 prat, praz 389 Prats-de-Mollo-laPreste 574 Prats-du-Pe´rigord 446 pre´, pre´e 389 pre´bende 163 Pre´caires 467 pre´cipice 259 Pre´cy 330 Pre´e Sale´e 540 Pre´la 546 Premiers Franc¸ais (Grotte des) 593 Prends-y-Garde 195 Prentegarde 195

presbyte`re 157 Presles 389, 492 Presly 444 presqu’ıˆle 311 pressoir 407 preˆtre 160 Pre´venche`res 373, 483 pre´voˆt, pre´vost 136 prieure´, priorat 159 Prignac 328 prince, princesse 120 Pripri 592 prise 309, 357 prison 143 Privas 554 provenderie 407 Provins 494 Prunelli 347 prunellier 347 prunier 370 Prunoy 370 Psalmodi 580 puant 178 Publier 334 puch, puech 266 puget 206 Puget-Ville 446 puig 206 Puigmal 211, 572 Puisaye 552 Puiseux 266 puits 254, 266, 405 Pumonte 584 punais 178 purgatoire 152 put 266 pute, putain 169 Puteaux 490 Putifaie 173 Puttelange-aux-Lacs 446 puy 206 Puycelci 440 Puy du Fou 429 Puy-en-Velay (Le) 544 Puymorens 206, 574 Puyooˆ 565 Py 335 Pyla 308 Pyre´ne´es 557 Quae¨dypre 333, 515 quai 314, 362 quarantaine 139 Quarouble 93 quart en re´serve 122, 502

639 quartier 55, 381 Quatremare 192 Quatre-Vents 93 Queige 107 Que´lennec 348 quelle 265 Quelles (Les) 265, 508 Quelloue´ 537 Quelneuc 537 Quelve´hen 537 Quelven 370 Que´ment 124 Que´meur 362, 535 Que´ne´ac 536 Quennevie`res 509 Quercetu (Capu di u) 586 Quercy 330, 559 querelle 142 Que´ribus 575 Que´rigut 229, 558 querme 99 Que´roy 93 Querqueville 155, 517 Querre`re 89 Quesnay, Quesnoy 330, 509 Questrecques 333 Quettehou 311, 518 queue 42, 133 Queue de Morue 179 Queuille 213 quevaise 124 Queyras 229, 582 queyrau 93 Quiberon 531 quie´, quier, quie`re 229, 289 Quillan 576 Quillane (Col de la) 574 quille 314 Quille (la) 576 Quillebeuf 516, 518 Quillien, Quillou 340, 537 Quimper 284 Quimperle´ 530 quincaillerie 408 Quincampoix 201 Quiniac 536 Quinquin 508 Quinquis 35 Quinquis Izella 535 quint 128 Quint 108

Quinte (La) 108 Quintin 529 Quiquengrogne 201 Quistinic 333, 537 rabasse 372 rabaste 142 Rabastens 417 Rabelais 334 Rabodanges 419 Rabofaı¨sse 201 rabot 353 rabouille 353 rachis 360 rade 304 radeau 311 Radeau des Flamants 579 raden 346 Radenac 537 ragondin 353 ragot 363 raie 281, 373 raille, rayol 238 rain, rein 72, 236, 265 Raincy (Le) 491 raine 293, 350 Raival 457 Rajat 360 Rambouillet 491 Rambures 49, 510 ramier, rame´e 329 ramonet 137 ranc, ronc 238 Rance (la) 529 randa 71 Randens 71 Randon 71, 579 Rang-du-Fliers 268, 378 Rangiroa 598 raon 284 Raon-l’E´tape 502 rapide 278 Rappe 177 rasie`re 132 Raspail 177 raspe 177, 237 Rassi 595 Rastouil 368 rat 353 ratapenade 353 raˆteau 222 ratis, rate 37 Ravie`re 368 ravin, ravine 274, 589 Ravine a` Malheur 594

640 Ravine Bœuf 589 Ravine Bois a` Diable 589 ray 212 rayol 238, 275 raz 313 Raz Blanchard 518 Raz de Sein 531 Raze`s 576 Re´ 37, 539 re´age 373, 380 re´al 118 Re´alville 26 Rebergues 210 Rebirechioulet 199 rec, rech 276 re´cif 313 re´compense 198 Recoules 228 Recouvrance 151 recule´ 84 recule´e 248 Re´dene´ 346, 537 Redon 95, 528 redoute 33 regain 389 regatiu 378 re´gion 61 re`gle 158 Re´gordane 112 Reichsfeld 508 Reichstett 508 Reignac-sur-Indre 419 Reims 415 rein, rhin 72, 236 re´jau 118 Relecq 530 relief 128 religieuse 159 relique 162 Remiremont 503 remise 44 rempart 36, 236 Renaison 554 renard 352, 472 rencloˆture 309 Renescure 44, 510 Rennes 415, 528 Rennes-le-Chaˆteau 576 rente 126 Renwez 500 Re´ole (La) 158, 561 replat 242 repos, repost 84 reppe 341

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France Re´quista 176 resclause 376 Re´sentie`res 357, 439 restanque 280 Restinclie`res 345 restouble 368 re´surgence 282 Rethel 500 Retjons 61 Retournac 283 Retz (Pays de) 527 Reule (la) 158 Re´union (la) 593 Revermont 550 revers, revest 319 Revest 484 rez 212 Reze´ 527 Rezza 439 rhin 72, 236 Rhin (le) 272 Rhinau 391 Rhodes 506 Rhoˆne (le) 272 rhun 212 Rhune (la) 338 Rhuys 531 ria 305 Rians 118 Riasse, Riassou 293 ribaude 168 Ribaute-les-Tavernes 579 ribbe 94 Ribeauville´ 507 Ribe´rac 561 ribe´ral 276, 573 Riceys 360 riche 176 Riche (La) 495 Richebourg 176 Richelieu 176, 425 Richet 562 Ricordaine 71 rideau 374 ried 290 Riedisheim 290 rie`ge 580 Rien-n’y-Vaut 193 Rietz 290, 509 rieu 276 Rieucros 285 Rieussec 285 Rieutort 283 Rieux-Minervois 419 riez, rietz 135, 484

rie`ze 290 Rie`zes, Sarts et Thie´rache 499 rif 276 rigole 378 rin, rain 265 rio 276 Riom 118, 543 Ripaille 341 rippe, reppe 341 Riquewihr 19, 508 Risle (la) 521 Risquetout 195 rito 95 ritter 121 riu, riou 276 rive 276 Rive-de-Gier 553 Rivesaltes 276, 573 Riviera 298 rivie`re 276, 589 Rivie`re 558 Rivie`re-Basse 564 Rivie`re-Pilote 588 Rivie`res 455 Rivie`re-Sale´e 589 Rivoli 426 rix, rigo 118 roa (Polyn.) 597 Roanne 554 Robert (Le) 588 Robert-Espagne 502 robin 274 Robinson 427 roc, roche 227 Rocamadour 227, 422 roc’h 228 Rochechouart 541 Roche-Clermault (La) 496 Roche-de-Rame (La) 445 Roche des Chats 467 Rochefort 539 Rochefoucauld (La) 540 Rochelle (La) 539 Roche-Rigault (La) 456 Roche-sur-Yon (La) 425, 526 Roche-Vineuse (La) 422 Roc’h Glaz Braz 537 Roc’h Ruz 530 Rocroi 467 rodat 37

Rode 359 Rodern 359 Rodez 415, 559 Roffey 388 Rogny-les-SeptE´cluses 448 Rohr 293 roi, royal 118 Roie, Roye 373 roig, roya 184 Roissy 348 Roiville 96 romanin 372 Romans-sur-Ise`re 555 Romieu (La) 562 Romiguie`res 348 Romilly-sur-Seine 499 Romorantin 495 Rompe´es 360 rompis 360 Rompudes 360 ron 212 ronc 238 ronce 348 Ronchin 348 rond, rond-point 94 Ronge`res 348 Roost 359 roque 34, 227 Roquebrune 183 Roquebrune-CapMartin 448 Roquefort-les-Cascades 449 Roquetoire 347 roquille 132 Rorschwihr 19 ros, roz 228 Rosanbo 536 Rosay, Rozoy 293 Roscoff 535 roseau 293 Rosendae¨l 512 Rosendal 293 Rosenwiller 508 Rosny-sous-Bois 491 Ross (mont) 602 Rosskopf 398 rosso 184 Rostrenen 228 Rosult 293 Roth 359 Rothlach 359 rotte, rote 90 Rottes 359 roture 360

Index des e´tymons et noms de lieux Rouairoux 437 Roubaix 269, 510 roubine 274 rouch 293 roudou 95 Roudouallec 95, 537 Roudourou 95, 537 Roue´e 373 Rouelles 265 Rouen 521 roue`re, roye`re 274 Rouergue 559 Rouffiac 388, 436, 540 Rouffignac 388 rouge 183 Rougier de Camare`s 559 Roule 489 Roume`gue 348 Roumois 521 Rouperroux-leCoquet 451 Rousses (les Grandes) 547 Rousset 360 Roussie`re 293 Roussillon 183, 573 route 90 routier 140 routin 94 routis 359 Rouvie`re 330 rouvre 330 roux, rousse 183 Rouzig (Pays) 66 Rove 330 Roveyre 578 roya 184 Royage 373 Royan 540 Royans 555 Royat 183, 543 roye 380, 477 Roye 96 royon 374 Roz Houarn 537 Rozoy-Bellevalle 444 ru 276 ru, rouzic 184 Rubrouck 287, 511 Rudeau-Ladosse 437 Rudelle 90 rue 42, 90 Rue 471 Rueil-Malmaison 490 Ruelle 95

ruffe 388 Ruffec 540 Ruffey 388 run, rhun 212 Run (le) 518 Ruoms 118 ruppe 177, 341 rupt 274, 276 Rurutu 598 Rustan 564 ruz 276 Saales 27 Sabarthe`s 341 Sabbat 166 sable, sablons 306, 384 saboterie 409 Sacre´-Cœur 151 sacrifice 172 sacristie 162 Sacy 459 Sada 595 Saffloz 357 saffre 387 sagard 370 sagne 289 Sahuc 337 Sahune 71 Sahurs 28, 517 saigne 289 Saignolles 289 Sail 338 Saillagouse 292, 574 Saillans 547 saillant 222, 263 sainfoin 368 Sains-en-Puisaye 422 saint, sainte 151 Saint-Amand-les-Eaux 420 Saint-Amans-Soult 452 Saint-Ambroix 420 Saint-Antonin-NobleVal 449 Saint-Arnac 470 Saint-Aubin-le`s-Elbeuf 446 Saint-Avertin 421 Saint-Barthe´lemy 591 Saint-Benoıˆt-la-Foreˆt 420 Saint-Bertrand-deComminges 558 Saint-Bonnet-lesTours-de-Merle 444 Saint-Bonnet-Tronc¸ais 444

641 Saint-Chaise 470 Saint-Che´ly-d’Aubrac 559 Saint-Chinian 470 Saint-Clair-sur-Epte 87 Saint-Claud 62 Saint-Claude 420, 550 Saint-Cloud 420 Saint-Denis 421 Saint-Denis-le`s-Bourg 446 Saint-Die´-des-Vosges 420 Saint-Dizier 420 Sainte-E´nimie 420 Sainte-Gemme 62 Saint-E´loy-les-Tuileries 450 Sainte-Marguerite 503 Saint-E´pain 420 Saintes 415, 540 Saintes (les) 590 Saint-Esprit 151 Saint-E´tienne 553 Saint-E´tienne-lesOrgues 448, 469 Saint-Flour 421 Saint-Gaudens 421, 558 Saint-Gengoux 434 Saint-Genie`s-de-Fonte´dit 444 Saint-Germain-lesBelles 471 Saint-GermainSource-Seine 448 Saint-Gildas-des-Bois 421 Saint-Gilles 420, 444 Saint-Girons 557 Saint-Igny 470 Saint-Jean-Cap-Ferrat 448 Saint-Jean-de-Cuculles 576 Saint-Jean-de-Losne 421 Saint-Jean-de-Luz 421, 566 Saint-Jean-du-Doigt 162 Saint-Jouin-Bruneval 450 Saint-Julien-en-Beaucheˆne 465

Saint-Julien-les-Rosiers 451 Saint-Laurent-Me´doc 450 Saint-Le´ger-du-Ventoux 446 Saint-Le´ger-Vauban 452 Saint-Le´onard-desBois 525 Saint-Le´zer 420 Saint-Loˆ 421 Saint-Louis 425 Saint-Maixent-l’E´cole 447 Saint-Malo 529 Saint-Martin 591 Saint-Martin-BelleRoche 446 Saint-Martin-des-Tilleuls 446 Saint-Martin-l’Heureux 198, 468 Saint-Martin-le-Beau 472 Saint-Martin-surNohain 444 Saint-Mathieu-de-Tre´viers 576 Saint-Maur-des-Fosse´s 421 Saint-Maurice-auxRiches-Hommes 551 Saint-Maurice-sousles-Coˆtes 436 Saint-Maximin-la Sainte-Baume 448 Saint-Me´loir-desOndes 529 Saint-Michel-ChefChef 527 Saint-Michel-de-Montaigne 451 Saint-Michel-enl’Herm 526 Saint-Michel-l’Observatoire 449 Saint-Mitre-les-Remparts 449 Saint-Nazaire 527 Saint-Nicolas-duPe´lem 439 Saintois 501 Saint-Omer 420

642 Saint-Paterne-Racan 451 Saint-Paul 600 Saint-Paul-de-Loubres 444 Saint-Paul-de-Vence 446 Saint-Paul-Trois-Chaˆteaux 421 Saint-Paulien 421 Saint-Philippe (Re´union) 593 Saint-Philippe-du-Seignal 441 Saint-Pierre-aux-Oies 444 Saint-Pierre-d’Irube 421 Saint-Pierre-de-laFage 437 Saint-Pierre-dels-Forcats 574 Saint-Pierre-desCorps 495 Saint-Pierre-desFleurs 444 Saint-Pierre-etMiquelon 599 Saint-Pierre-sur-Doux 444 Saint-Pol-de-Le´on 420 Saint-Pol-sur-Mer 426 Saint-Puy 470 Saint-Quentin 420, 514 Saint-Remy-du-Nord 444 Saint-Remy-en-Bouzemont-Saint-Genestet-Isson 454 Saint-Roch 421 Saint-Satur 496 Saint-Saufflieu 470 Saint-Seine-l’Abbaye 420 Saint-Servan 420 Saint-Sulpice-de-Grimbouville 440 Saint-Sulpice-la-Pointe 438 Saint-Vaast-la-Hougue 517 Saint-Viaˆtre 443 Saint-Vincent-de-Paul 421 saison 380

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France Saix 232 sal 212, 477 Salagou 212 salanque 309 Salazie 594 Salbris 97, 495 sale 178 Salers 212, 544 Salesse 292 Sale`ve 212, 222, 547 Salies 403 Salignac-Eyvigues 440 Salindres 403 salins 292, 403, 419 Salins-les-Bains 550 Sallanches 230, 546 Sallaz 222 salle 27 salme´e 132 salobre 309, 573 Salon 212 Salon-de-Provence 580 Salses 573 saltus 337 salut 153 Salut (ıˆles du) 592 Sambre (la) 512 Sambuc 337 Samer 422 Sanary 422 Sancergues 496 Sancerre 470, 496 Sancoins 497 sanct, sankt 151 sand 384 Sangatte 514 sanglier 401 sangsue 294 Sanitas 139 Sanmiellois 502 Sannois 464 Sans Nom 199 Sans-Souci 197 sansouire 309 Sansouires des Rie`ges 580 sant, santo, santa 151 Santenay 86 Santerre 513 Sanvic 518 Sanxay 327 sanya, sanyes 289 Sanyes del Deve`s 572 Saoˆne 272, 553 Saosnois 525

Saou 555 Sap, Sappey 335 Sapara Ventosa 585 sapin 335 Sappey-en-Chartreuse (Le) 547 sarats 292 Sarcelles 492 Sardine 357, 467 Sare 341, 569 Sarge´-le`s-le-Mans 446 Sari-Solenzara 446 Sarlat 561 Sarrail 226 Sarraltroff 24 sarrasin 170 sarrat 101 Sarre 273, 501 Sarrebourg 505 Sarrecave 226 Sarreguemines 284, 505 Sarrelouis 425 Sarremezan 226 Sarre-Union 455 sarri 341 sart 357 Sarte`ne 584 Sarthe 273 Sartrouville 491 sasse, sasso 232 Sassenage 330, 546 Sassie`re 232 Satan 165 Sathonay 108 Satolas 86 Saubestre 565 Sauchy-Cauchy 92 Saucisse (la) 468 Saugues 545 Saugy 437 Sau¨l 592 Sauldre 272 saule, saulaie 292 Saulges 292 Saulieu 552 Saulnois 502 Saulsotte 292 Sault 338 Sault (Pays de) 555, 576 Saulvaux 457 Saulx 292 Saulxerotte 503 Saulxures 292 saumade 399

Saumur 292, 525 Saunie`res 403 saur 184 saussaie 292 Sausset 292 Saussetour 516 Sausseusemare 296 saut 279, 477 Saut de la Pucelle 200 Saut du Procureur 198 Sauternes 561 Sautuyt 358 sauve 477 sauvete´ 25 Sauveterre-laLe´mance 445 Savage, Sauvage 83 savane 589, 594 Savane Mal Ventre 592 savart 341 Savary 341 Save 273 Saverne 106, 506 Save`s 68, 562 Savoie 547 Saxon-Sion 501 Scaldasole 585 Scandolajo 576 Scarpe 511 Scaven 337 Sceaux 27, 472, 490 Sceaux-du-Gaˆtinais 148 Scharrach 210 scheiden, schiedt 72 Scheuerberg 44 scheure, scure 44 Schirhoffen 39 schiste 232 Schlierbach 269 Schlucht 103 schmitt 408 Schoelcher 591 Schœnau 391 Schœnberg 175 Schœnbourg 175 scho¨n 175 Schrader (pic) 427 schwartz 183 schwein 401 Schwenheim 443 Schwerdorff 441 scialet 255 scierie 409 scogliu 312 Scopa 587

Index des e´tymons et noms de lieux Scoul 355 Se´bastopol 426 sec 190 Se`cheval 190 Se´chilienne 548 secret 145 Sedan 500 Se`de, Se´deron 23 se´e, seilh 321 Se´es 520 Se´ez 108 se´gala 367, 559 Segonzac 540 Segre´ 525 se`gue 363 se´gur 191 Se´gur-le-Chaˆteau 444 Seignanx 563 seigne 116, 289 seigneur 115 Seille (la) 506 Seillons-Source-d’Argens 448 Sein (ıˆle de) 75, 531 Seine 272 Seix 232 sel 403 Se´lestat 289, 506 Selh de la Baque 321 Selles 27 Selles-sur-Cher 27, 469 Selongey 282 Seltz 403 selve 324 Semide 498 Semnoz 547 Sempesserre 470 Semur 186 Semur-en-Auxois 552 Semur-en-Brionnais 552 sen 186 Senan 109 Senantes 148 Se´nart 493 Sendets 86 se´ne´chal, se´ne´chas 136 Seneuil 186 Senlis 415, 514 Sennevoy 372 Sens 415, 552 sente, sentier 85 Sentier (le) 489 sentinelle 222 Seppois 335

sept 192 Septe`mes 108 septentrion 75 Sept-ıˆles 530 Sept-Laux 547 Sept-Sorts 467 Serein (le) 552 se´rente 335 Se`re-Rustaing 564 sergent 137 Serieys 371 Se´rignan 577 Se´rou 557 Serqueux 146 serra, serrat 226 Serrabona 226 Serra di Caciatori 584 serre, serrie`re 225 Serres (Pays des) 561 servan 167 serve 126, 324, 376, 477 Sescos 293 sesque 293 Sesquie`re 293 Sestrie`res 232 Se`te 232, 440, 577 setier, se´te´re´e 131 seube 324 Seuge (la) 545 seuil 242 Seuil-d’Argonne 456 Seuilly 496 Seurre 30 Se`vre 273 Se`vremoine 526 Se`vres 490 Se´vrier 546 Sex, Sey 232 Sexcles 293, 465 sey 363 Seyches 561 Seyssel 232, 546 sibylle 168 Sidobre 559 sie`ge 23 sieur 116 Sigean 575 Sigone 232 Sillans-la-Cascade 449 sillon 307, 373 Silvarecce 324 Simiane-Collongue 418 Simiane-la-Rotonde 449

643 Simon (Le) 588 Sinde`res 86 Singlar 401 single 235 Singrist 151 Sinistre (Val) 603 sire 116 Sisteron 212, 582 sistre 232 site 23 Siure 331 Six-Fours-les-Plages 450 Sixt 108 Sixte 422 Sixt-Fer-a`-Cheval 448 Sizun (Cap) 531 Socarrada 360 Socarrat 572 Sochaux 550 Socie´te´ (ıˆles de la) 597 socque 360 sœurs 160 Sognolles 266 soie, soif 363 Soirans 436 Soissons 514 sole 379 soleil 319 Solfe´ricourt 426 Solfe´rino 426 solier 44 Sollie`s 319 Sologne 495, 543 sombre 381 Somloire 263 somme 263 Somme (la) 512 Sommedieue 499 Sommepy-Tahure 498 Sommesous 263 sommet, som 205 sommie`re 94 Soorts-Hossegor 558 Sophia-Antipolis 432 Soppe 403 Sorbais 510 sorbier 337 sorcier, sorcie`re 168 Sore`de 331 Sorgues 261 Sorhapuru 569 Sorholus 469, 569 Sort-en-Chalosse 558 Sos 558 sosta, souste 44

sotch, souc 253 sotray 167 Sottereau 167 sou 363 Soubeyran, Soubirou 77 Soubeyran (Mas) 578 soubie 282 Soubronne 77 souc 253 souche 360 souci, soucy 282 souffleur 313, 594 Soufrie`re (la) 590 souil, souille 294, 401 Souillac 560 Souillats 401 souille 294 soula, soulan 319 Soulaines-Dhuys 282 Soule 566 souleilla 319 Soulier 401 soultz 294 Soultzbach 269 soum, som 205 Soupetard 83 Souppes-sur-Loing 494 Souraı¨de 88, 271 Sourbe`s 337 source 261 Sourdon 261 sourn 261 sous 77 Sous le Vent 316 souste 444 Soustons 44, 563 Souterraine (La) 542 Souteyran 77 Soutra, Soustre 77 Soyaux 401 Spada 419 Speloncato 585 Spelunca 258 Spe´lungue 257 spern 347 Sperono (pointe de) 302 Spicheren 506 Spiegel 33 Spiegelberg 508 Spital 138 Spoulga 258 Squiffiec 337 stade 57

644 Staffelfelden 508 Stahlberg 408 Stahlheim 430 Stains 491 Stalingrad 431 stang, stank 296 Staple 510 station 23, 110 statt, stael 22 Stattmatten 391 Steenbecque 231, 269, 510 Steendam 512 Steene 91 Steenvoorde 91 stein, steen 91, 231 steir 270 ste`le 146 Stenay 231 Stephanfeld 508 Sternes (ıˆle des) 604 stett, stede 22 Stiring-Wendel 430 stivel 265 Storckensohn 508 Strasbourg 506 Strazeele 27, 512 stret 477 strette 102 Strette (de´file´ des) 586 strom 270 stur 187 Sturzenbronn 506 Suara 331 Subligny 282 Subra, Subran 77 suc, suchet 208 sueil 401 Suertu 558 Suet, Suel 242 suffie 335 Suge`res 401 Suhast 329 Suisse Normande 522 Sully 401, 495 sumpf 294 Sundgau 66, 507 Sundhofen 39 Sunhar 333 super 80 suquet 208 sur 77 suran 275 Suran (le) 546 sureau 337 Suresnes 490

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France Surge`res 540 sutra 77 suzan 78 Sword 453 Sybelles (les) 429 Sylphes (mare des) 492 Sylvane`s 324 sylve 324 Synagogue 155 syndic 137 Syndicat (Le) 138 TAAF 599 tabellion 138 tabiki (Guyane) 592 table 241 tabut, tabuc 275 taˆche 127 tafone 252 Tafunatu (Monte) 585 Tahiti 598 taillanderie 408 taille 129 Taille, Taillade 341 taillis 341 Taintrux 504 Taisnie`res 353 Taı¨x, Thaix 336 Taize´ 353 Takamaka 594 talamon 374 Talavuceta 587 talo, talamon 237 talus 374 talve`re 374 talweg 275 tamaris 371 Tampon (Le) 594 Tanargue 554, 578 Tanay, Tannay 332 tanie`re 352 tann 332 tanne 252, 477 Tanne 540 tannerie 410 Tarare 95, 553 Tarascon 95, 581 Tarbes 24, 563 Tardenois 514 Tardets 469 Tarentaise 547 Tarn 273, 557 Tarquimpol 506 tart, tartre 214 Tartaras 355 Tartas 95, 214 Tartereˆts 214

Tartifume 83 tasque 215 Tasso 587 Tatihou 311, 518 tatte 344 Taureau 215 taus 209 Tauxie`res 336 Tauziat 331 tauzin 331 Tavant, Tavaux 191 tavera 253 taverne 106 Taverny 492 tavo 191 tavola 241 Tech, Teich 336 Technoland 432 technopole 59 te´choue`re 352 teghia 49 Teillay 336 teinturerie 410 Teisserre 336 te´le´graphe 110 tempeˆte 320 temple 154 Templemars 154 Templeuve 154, 513 Templiers 154 Te´nare`ze 562 te`nement 127 tenue, tenure 127 tep, teppe 318, 484 terme 70, 214, 477 Termene`s 575 Ternant 245 Ternois, Ternoise 513 terp, terpen 215 terrage128 Terre-Ade´lie 603 Terre de Granite 504 terrefort 385 Terre Maudite 194 Terre-Natale 452 Terres Australes et Antarctiques Franc¸aises (TAAF) 599 terril 404 terroir 383 Terroir a` Part 82 tertre 214 tesson 352 Teste-de-Buch (La) 560 teˆte 207, 300

Teˆte des Blanches Roches 503 Te´tons de l’Abbesse 200 teufel 165 Teulade, Teule`re 409 Te´velave 594 tevenn 308 thal 245 Thann 335, 507 Thannenkirch 470 Thau 577 The´baı¨de 197 Theil, They 336 Thenelles 332 The´olet 409 The´rain (le) 512 thermes 268 Thermes-Magnoac 471 the´ron 265 The´rondel 214 The´rondels 265 The´rouanne 513 The´se´e 441 Theurot 215 they 307 They de la Gracieuse 580 Theys 352 Thiais 490 Thiel-sur-Acolin 543 Thiembronne 262, 293, 510 Thie´rache 514 Thiers 544 Thie`vres 512 Thil 503 Thilouse 336 Thimerais 495 Thimert-Gaˆtelles 495 Thionville 505 Thoires, Thoiras 32 Thoiry 32, 214 Thomie`res 215 Thoˆnes 548 Thonne 502 Thonon-les-Bains 548 Thorens 32, 214 Thorens-Glie`res 453 Thorey-en-Plaine 446 Thorey-Lyautey 452 thorn 347 Thoronet 265 Thou 215 Thouars 539

Index des e´tymons et noms de lieux thresk 344 Thueyts 49 Thuir 49 Thuit (Le) 358 Thumeries 215 thun 41 Thury 214 ti, ty 49 Tiercelet 506 Tignes 548 Tilhouse 556 Tillay, Tillon 336 tilleul 336 Tilleul Dame-Agne`s 417 tindoul 255 tine 249 Tintamarre (ıˆle) 591 tire´ 94 Tire-Gorge 140 tissage 410 Tivoli 51 Tolbiac 490 tombes, tombeau 146 tome 146 Tonkin 426 Tonneins 561 Tonnerre 30, 552 toppe 344 Torche (la) 302, 472 Torcy 493 Tordre 356 toron, touron 265 torp, torpt 24, 516 torrent 274 Torteron 436 Tossal Colomer 572 tossenn, tosten 209 tot, topt, topf 22 tou, toue 252 touche 328 Touge`s 558 touil 402 Toujas 345 toul 252, 303 Toul 215, 501 Toulifaut 193 Toullae¨ron 141 Toulon 583 Toulouse 216, 558 toupi 249 Touquet (Le) 328, 513 tour 32 Touraine 495 tourbie`re 294 Tourcoing 513

Tour-d’Auvergne (La) 446 Tour-du-Crieu (La) 443 Toureilles 32, 215 tourmente 320 Tournay 417 Tournebride 106 Tournebu 519 Tournebut 347 Tournetuit 358 tournie`re 374 Tournon-sur-Rhoˆne 554 Tournus 553 Touron 477 Tourres (les) 578 Tours 415, 495 Tourzel-Ronzie`res 436 Toussaines 469, 531 Toutes Aures 316 Toutoulia 568 Tout-y-Faut 193, 468 touya 345 Trie`ves 93 tra, trans 82 trabuc 102 trabucaı¨re 140 trace 86, 589 tracone, travone 278 traict 306 trailhe 86 trait 95, 477 Tralonca 585 Tramesaygues 81, 284 tramontane 318 Tranche-Lion 198 tranche´e 94 tranquille 191 traon, traou 245 Traondon 536 trappe 86 Traque, Trac 86 Traquenard 140 travers 237 Traverse 94 travone, tracone 165, 585 tre´, treff 23 Tre´babu 24 Tre`bes, Tre´bas 23 Tre´beurden 24, 530 Tre´bief 192 Tre´dion 24 Treffieux 533 Tre´gastel 24, 530, 533

645 Tre´gor 529 Tre´guier 530 Treix, Treiz, Trech 95, 344 treize 192 Treize-Vents 315 Tre´lou-sur-Marne 441 trem 167 Tremblay 491 tremble 334 Tre´meur 24 tre´mois 380 Tre´molat 334 Tre´moulet 334 tre´passe´ 146 Tre´port (Le) 82, 521 Tre´poy 360 Tre´poyko Cascoa 568 tre´sor, tre´sorier 136 Tresserre 82 trest, rest 366 Treuzer 97 Tre´venans 457 Treˆves 93 Tre´voux 93, 553 trez 306, 384 Trez Hir 189 triadou 395, 577 Triangle d’Or 489 Tricastin 555 trie, triot 381 Trieu 381 Trie`ves 547 Trigobeure 83 Trigodina 83 Trimouille 334 tringue 378 Trinite´ 151 Trinite´ (La) 425, 591 Trisch, Treisch 344 Trith 95 trivium 93 troff 24 trogne 363 Trois-Domaines (Les) 456 Trois-Iˆlets 589 Trois-Rivie`res 589 Tromborn 506 Tromelin (ıˆle) 599 Trompe-Pauvres 193 Tronc¸ais 328, 543 tronce 327 tronche 360 Trooˆ 252 trou 252

Trou a` Diable 590 troubles 142 Trou du Cul 199 trouil 294 Trou Souffleur 568 trousse 196 Trousse-Chemise 196 Troyes 498 truand, truanderie 140 truc 209 Truffadou 201 truffie`re 372 truie 400 Truites (lac des) 507 Truyes 252 Tsararano 595 Tsingoni 595 Tsiraka 595 Tuamotu (ıˆles) 597 tuc, tucol 209 tuchenn 209 Tuchenn ar Kador 531 Tudelle 150, 424 Tuerie 407 Tuffalun 457 tuffie`re 403 Tuhaa Pae 597 tuilerie 409 Tuileries 489 tuit 358 Tulle 216, 542 tullo 215 tumulus 215 tune, tuine 252 tup, tusse 209 tuque, tuhou 209 turcie 214, 376 Turckheim 471 tureau, turel 215 Turenne 542 turge 344 turlure, turlute 200 turon 215 Turquestin 506 Tursan 563 tute 252 txipi 188 ubac 319 Ubaye 582 Ucel 79 ue`ge, ue´jols, ue´jouls 65 Uff (Roche de l’) 500 Uffholtz 325, 507 Uffour, Uffernet 78, 545 Uffried 507

646 Ugine 281, 548 Ugnouas 556 Uhart 569 uharte 311, 566 uhel 79 Ulis 359, 491 Ulle´es 359 Ulmes 333 Umbrone 319, 586 un 65 Uncinu 585 ur 271 Ur 574 Urbe`s, Urbeis 271, 396 Urchamendy 570 Urcuit 334 urd 241 Urdos 241, 569 ure 396 Urepel 271 Uriage 181 Urkilako Lepoa 570 urritz 370 Urritzgaray 567 Ursoteyko Lepoa 570 Ursuya 271, 567 us 65 usage, usages 125 Usclade 359 usine 410 Usse´ 79, 496 Ussel 79, 542, 544 Usson, Ussou 79, 544 Ustou 558 Utah 452 Uve´a 598 Uvernet 259 Uxelles, Uzelle 79 uxello 79 Uxellodunum 79 Uzech 560 Uzerche 542 Uze`s 579 vabre, vaure 273, 559 vacant 343 Vaccare`s 579 vache 396, 590 Vache`re 396 Vacheresse 396 Vacqueyras 396 Vaiete 598 vaine 343 Vaires 277, 493 Vaison-la-Romaine 449, 581

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France vaı¨sse, vaysse 370 val 243 Valanjou 457 valat 243, 377 Valberg 429 Valborgne 578 Valdallie`re 456 Val-d’Auzon 456 Val-de-Chalvagne 456 Val-de-Gue´blange (Le) 445 Val-de-Meuse 456 Val-des-Marais 456 Val-des-Tilles 456 Val d’Europe 493 Val-de-Vesle 456 Val-de-Vie 456 Val-d’Ise`re 548 Valdivienne 457 Val-d’Ornain 502 valdu 325 Valdu Niellu 586 Valenc¸ay 496 Valence 418, 424, 554, 560 Valence-sur-Baı¨se 562 Valenciennes 513 Valensole 582 vall 244 Vallage 244 Vallangoujard 492 Vallauris 181 Valle´e-au-Ble´ 441 Valle´e Franc¸aise 578 Valle`res 369, 467 Vallespir 573 valleuse 244 Valloire 548, 555 vallon 246 Vallon-Pont-d’Arc 448, 554 Vallorcine 546 Valmasque 168 Val-Mont 457 Valois 514 Val-Orbiquet 456 Valras 577 Valromey 549 Valserine 550 valy 89 van, ven, vin 210 Vandœuvre-le`s-Nancy 465 vanneau 356 Vannecrocq 522 vannerie 409

Vannes 415, 531 Vanoise 211, 547 Vans (Les) 211 Vanves 49 Vaour 273, 559 Vaquerie 396 var 237, 478 Var 277 vara 277 varade 243 Varaigne 380 Varan, Ve´ran 237 varande 122 Varappe 237 varde 32, 222, 302 varenne 384, 484 Varennes-Forterre 543 Varennes-Vauzelles 446 Varet 380 vasie`re 308 vasquet 50 vast 517 Vasteville 471 Vatan 496 Vauban 417 Vauban (canal) 452 vaucelle 243 Vaucluse 581 Vaucottes 516 Vaucouleurs 504 Vaucresson 293 Vaugirard 489 Vaulandry 440 Vaunage, Vaunaveys 247 Vaurais 559 vaure 273 Vautuit 358 Vauvert 185, 580 Vaux 443 Vauxrezis 441 vauzelle 243 vavasseur 121 Vavray 273 Vayssette 370 Veauville-le`s-Quelles 517 vecchio 186 Vecqueville 161 ve´drine 393, 484 veı¨nat 20, 571 Veı¨nat de la Miseria 571 Velaine 125

Velay 544 Velle 125, 549 Vellesmes 148 ven 210 Venaissin (Comtat) 581 ve´nard 297 Venasque 211, 581 Vende 128 Vende´e 181, 526 Vendeuil 65, 181 Vendeuvre 29 Vendoˆme 181, 495 Vendres 150, 577 vent 315 Ventadour 315, 542 Vente, Vendue 324 ventes 128 Venteuges 65 Ventoux 211, 581 veˆpres, vespre´e 152 ver 80, 187, 478 Vercantie`re 292 verche`re 46 Verclives 519 Vercors 547 Verdanson 178 verdier 137 Verdon 581 Verdun 29, 187, 501 Verdun-sur-Garonne 560 Vereaux 497 Ve´retz 277 verge, verge´e 130 verger 46, 369 Verge`ze 580 Vergne 291 Vergt 291 Vergy 187 Vermand 514 Vermandois 514 Vermois 501 Vermont 204 Vernajoul 291 Vernantes 148 verne 291 Vernejoul 65 Vernelle (La) 439 Vernet-les-Bains 574 Verneuil 65, 291 Vernie`re 291 Ve´ron 277, 496 verpille`re 354 verrerie 409

Index des e´tymons et noms de lieux Vers-Pont-du-Gard 448 Versailles 374, 491 versaine 373 versant 233 vert 184 Vertaut 187 Vert Galant 184 Vertonne 526 Vertou 191 Vertus 149 Vervins 34, 514 Verze´ 187 ves, veso 211 Vescovato 161 Ve´signeul 20 Ve´sinet (Le) 491 Vesoul 211, 550 Vesvres 273 Veuil 325 Veuilly 274 Veules, Veulettes 265 Veules-les-Roses 521 Veuve 325 Veuzit 346 Vexin 521 Vexin Franc¸ais 492 vey 95 Veyre, Veyret 380 Veys (Les) 520 Vez 514 Ve`ze 392 Ve´zelay 552 Ve´zelise 392 Ve´zenobre 29 Ve´ze`re 273, 542 ve´zin, ve´ziau 20 Vezin-le-Coquet 451 Ve´zinet (Le) 20 Vezouse 501 Via Agrippa 111 Via Aurelia 111 Viade`ne 559 Via Domitia 111 viale 20 Viarmes 492 Vibraye 19, 525 vic, vicq 17-19, 305, 478 Vic-Bilh 564 Vicdessos 558 Vic-Fezensac 562 Vichy 462, 543 Vic-la-Gardiole 448 vicomte 119 vicomtesse 119 vidame 119

Vide-Gousset 141 vie 88 Vie du Loup (la) 549 Vieil Armand (le) 469 Vieille-Toulouse 558 vielle, viella 19, 478 Vielle-Aure 564 Vielle-Louron 564 Viellese´gure 19 Vienne 273, 555 Vie`re, Viers 380 Vierge 150 Vierzon 496 Vieu 546 vieux, vieil 185 Vieux 468, 522 Vieux-Viel 185 Vif 546 vigan 56 Vigan (Le) 579 vigne 369 Vignemale 211, 564 Vignes (Les) 439 Vigneulles 369, 503 Vigneux-sur-Seine 19 viguier, vigerie 136 vilaine 125 Vilaine (la) 528 Vilde´ 153 vili 307 Vilin Avel 406 villa, village 17-18 Villa 51 Village de l’An VII 435, 526 Villaines 125 Villaines-les-Rochers 448 Villainville 54 villard, villars 19 ville 17-19, 523 ville close 52 Villedieu 153 Villedieu-le-Chaˆteau 446 Villedieu-les-Poeˆles 449 Ville-e`s-Chevriers 523 Ville Fief 523 Villefranche 26 Villefranche-deConflent 574 Villefranche-deRouergue 559 Villegusien-le-Lac 455 Villejuif 169

647 Villemare´chal 472 Villemomble 491 Villemoustaussou 19 Villeneuve-la-Comptal 465 Villeneuve-le`s-Maguelone 440 Villeneuve-sur-Aire 445 Villeneuve-sur-Lot 561 Villepinte 491 Villepreux 19 Villequier 289, 292, 419 villeret 19 villers, villiers 19 Villers-en-Cauchies 509 Villers-le-Chaˆteau 444 Villers-Sir-Simon 417 Villetaneuse 491 Villetelle (La) 436 Villette 489 Villeurbanne 553 vim 292 Vimaire 292 Vimeu 292, 514 Vimines 292 Vimoutiers 158 vin 210, 478 vincelle 485 Vincelles 369 Vincennes 490 vindo 181 Vineuil 65 Vinsobres 29 Vinyer 571 Violaine 125 violette 372 Viols, Violet 88 Vions 459 viorne 337 vir 301 Vire 520 Virebouton 106 Viroflay 491 vis 478 Vis (la) 273 Vistrenque 580 vitaille 106 vitarelle 106 Vitequet 237, 518 Viterbe 424 Vitre´ 528 Vitrolles 580 Vitry-en-Perthois 498

Vitry-la-Ville 498 Vitry-le-Franc¸ois 425, 498 Vitry-sur-Seine 490 Vittefleur 304, 517 Viuz 546 Vivarais 554 Vivonne 19, 538 Vizkar 568 vliet 268, 378 Vœuil-et-Giget 95, 465 Voˆge 501 Vogelgru¨n 508 Void-Vacon 325 voie 87, 133 Voie Verte 112 voire 273 voisin, voisine´e 20 Voite 33, 546 voivre 273, 484, 502 Volcan (le) 551 Volckerinckhove 39 voleur 140 volp 352 Volp (le) 557 volte 283 Volvestre 557 voorde 96 Voray 546 Vorche`re 292 Voreppe 237 vorge, vorze 292 Vosges 501 Vosne-Romane´e 450 Vouille´ 274, 538 Voulaines 125 Voulmentin 457 Voulte-sur-Rhoˆne (La) 554 Voulzie 392 Vourze 292 Vouˆte (La) 283 Vouvray 325, 496 Vouziers, Vouzy 292, 500 Voves 495 Voyer 506 voyette 88 Vuarde 222 Vuarne 335 Vulcania 429 Wagram 426 wald 325 Waldweistroff 24 Waldwis 505 Wallis-et-Futuna 598

648 Walpole 597 Wambaix 177, 510 Wangenfed 366 wanna 177 Warande 122, 384 Warde 32 Warndt 505 Warne´court 500 wasen 391 wast 363 watergang 378 Waterloo 426 Watte´glise 515 Watterdal 511 Wattignies 363 Wattine 509 Wattrelos 288, 511 Wavrans 273 Wazelles 513f we`be 125 weiler 19 weiss, wit, vit, 181 Weppes 511 Wervicq 88 west 73 Westhoek 512 weyer 504

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France wez 95 Whitaker 431 wiese 391 wihr 19 Wildstein 231 willer 19 Willerwald 325 Wimereux 511 Wimmenau 391, 508 Wimy 515 Winston Churchill (Falaise) 453 Wissant 512 Wissembourg 506 Wissous 79 wit 181 Withof 39 Witternesse 512 Wizernes 273 Wœrth 277 Woe¨vre 273, 502 wolf 349 Wuestmatt 391 wy 88 Wy-dit-Joli-Village 492 Wylder 512 Xaintois 501

Xaintrailles 470 Xaintrie 542 Xouaxange 506 Xousse 506 Y 268, 515 Ye`bles 337 Yerre 271 Yerres 492 Yeu 311, 469 yeun 291 Yeun ar Merdy 537 Yeun Elez 292, 530 Ye`vre 496 Yffiniac 70, 530 Ygrande 71 yoch, youch 216 Yonne 272, 552 Yquebeuf 332 Yquelon 326, 519 Yrouerre 157 Ysieux (l’) 492 Yssandon 542 Yssingeaux 545 Yutz 136 Yvandres 478 Yvecrique 517 Yvelines 268, 491

Yvernaux 319 Yvetot 268, 516, 521 Yvette 491 Yvignac 336, 478, 537 Yys 336 Yzernay 404 Yzeure 30, 544 Yzeures-sur-Creuse 496 ZAC, ZAD 57 zahar 186 Zazpigagna 567 zeele 27 Zegerscappel 156 zell 27 Zinsec 128 Zombi 589 zone 57 Zorn (la) 506 Zoteux 157, 514 Zouafques 514 Zouaves (Butte des) 453 zubi 97 ZUP, ZUS 58 Zuthove 39 Zuydcoote 39, 510

Table des matie`res

Sommaire ...............................................................................................................................

7

Introduction. Les noms qui sont ................................................................................ Mais qu’est-ce qui est ?.......................................................................................................... Questions et re´ponses : le lieu et le nom ........................................................................ Raisons de faire, raisons de dire ........................................................................................ Trois de´fis ................................................................................................................................. Ce qui peut eˆtre ...................................................................................................................... Mode d’emploi ........................................................................................................................ Rappel de quelques abre´viations ....................................................................................... Sources et me´thodes ..............................................................................................................

9 9 10 11 12 13 14 15 15

1

Habiter et s’abriter De villa en village ................................................................................................................... Demeurer, rester ..................................................................................................................... Eˆtre la` ......................................................................................................................................... Croıˆtre et baˆtir ......................................................................................................................... D’autres maisons .................................................................................................................... Les quatre anciens piliers de la se´curite´ ......................................................................... Se prote´ger : l’habitat perche´ et clos ................................................................................ De plesse en mur .................................................................................................................... De cour en borde ................................................................................................................... De ferme en fe`re ..................................................................................................................... Maisons en re´gion .................................................................................................................. Ailes et ateliers de la ferme ................................................................................................. Aux abords, coˆte´ ouche ........................................................................................................ Cabanes et cabanons ............................................................................................................. De folie en plaisance ............................................................................................................. Les facettes de la ville ........................................................................................................... Rencontres, replis et de´ploiements ................................................................................... De zone en parc ......................................................................................................................

17 20 22 24 26 28 30 34 38 40 42 43 45 47 51 52 56 58

650

Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France

2

Pays et chemins : le territoire et ses re´seaux Chez soi .................................................................................................................................... La queue des noms ................................................................................................................ Reparler du pays ..................................................................................................................... Le pays par le peuple ........................................................................................................... Bornes et limites ..................................................................................................................... Se situer ..................................................................................................................................... De haut en bas ........................................................................................................................ Entre deux et coˆte a` coˆte ..................................................................................................... A` l’e´cart : les coins perdus ou cache´s............................................................................... Sentir, pister, cheminer ........................................................................................................ La route et la rue .................................................................................................................... Munies, chausse´es, ferre´es .................................................................................................. Divergences et croisements ................................................................................................. Passer l’eau ............................................................................................................................... Les deux faces du col ............................................................................................................ E´chancrures .............................................................................................................................. Les portes e´troites .................................................................................................................. Les relais .................................................................................................................................... Rencontres et transferts ........................................................................................................ Odonymie..................................................................................................................................

62 63 66 67 68 73 76 80 82 85 90 91 92 95 97 100 102 105 108 111

3

La vie sociale et ses distinctions Le maıˆtre et son domaine .................................................................................................... Ce qui reste des anciens titres ............................................................................................ Autorite´ et interdits................................................................................................................ L’e´mancipation par contrat................................................................................................. Le fardeau des redevances ................................................................................................. Surface et contenance ........................................................................................................... Biens communs et partage´s ................................................................................................ Les agents de la relation sociale ........................................................................................ Le soin de la sante´ ................................................................................................................. Souci de se´curite´ ..................................................................................................................... Du chaˆtiment ........................................................................................................................... Les lieux de la mort ............................................................................................................... Du coˆte´ du sacre´..................................................................................................................... Les mots de la chre´tiente´ .....................................................................................................

115 118 121 123 127 129 133 135 138 140 142 144 148 150

Table des matie`res

651

Les e´difices du culte .............................................................................................................. Abbayes et monaste`res ......................................................................................................... Ceux du clerge´ ........................................................................................................................ Tre´sors d’e´glise ....................................................................................................................... Male´fices et sortile`ges ........................................................................................................... Les petits eˆtres des bois ...................................................................................................... Ceux qui sont diffe´rents ....................................................................................................... Me´galithes et chaos................................................................................................................ Du bon coˆte´ ............................................................................................................................. L’envers du de´cor ................................................................................................................... Le gouˆt des couleurs ............................................................................................................. Des e´pithe`tes bipolaires ........................................................................................................ Quelques singularite´s ............................................................................................................ Jeux de nombres ..................................................................................................................... Dure e´tait la vie ....................................................................................................................... Terroirs en feˆte ........................................................................................................................ Saveurs du pittoresque .........................................................................................................

153 157 160 162 163 166 168 172 174 177 180 185 190 191 192 196 198

4

Terrains de jeu E´minences ................................................................................................................................. Som, puy, pic ........................................................................................................................... Vieux oronymes ...................................................................................................................... D’autres hauteurs ................................................................................................................... Formes d’en haut ................................................................................................................... Images et me´taphores ........................................................................................................... Monts en long ......................................................................................................................... Des rocs et des pierres .......................................................................................................... Pentes et parois ....................................................................................................................... Plans, plaines et plateaux ..................................................................................................... Vaux, vals, valle´es ................................................................................................................. Images en creux ...................................................................................................................... Les vrais trous.......................................................................................................................... Ou` l’eau s’engouffre .............................................................................................................. Sous roche ................................................................................................................................ Les grands fonds de la peur ................................................................................................

203 205 208 212 217 221 224 227 233 238 243 247 251 254 256 258

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Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France

5

Eaux, bords d’eaux et me´te´ores Sources, fontaines et points d’eau .................................................................................... Les eaux qui courent ........................................................................................................... Les noms de rivie`res .............................................................................................................. Ravins et torrents.................................................................................................................... Le cours des eaux ................................................................................................................... Les lits et les rives................................................................................................................... Accidents de parcours ........................................................................................................... Marais et bourbiers ................................................................................................................ Faune, flore et sols des fonds mouille´s ........................................................................... Lacs et e´tangs .......................................................................................................................... Le littoral ................................................................................................................................... Abris de mer ............................................................................................................................. Coˆtes basses ............................................................................................................................. Lignes de coˆte .......................................................................................................................... Les me´te´ores : le vent qui souffle ...................................................................................... L’ombre et le soleil ................................................................................................................ Brumes, neiges et glaces.......................................................................................................

261 267 271 274 275 279 282 285 291 294 298 302 306 310 315 318 320

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Paysages, ressources et travaux Des noms de bois ................................................................................................................... Les arbres de la foreˆt ............................................................................................................. Utiles incultes .......................................................................................................................... Terres en repos ....................................................................................................................... Ve´ge´tations du saltus............................................................................................................. Buissons d’e´pines ................................................................................................................... Les animaux des confins ...................................................................................................... Les sauvageons ........................................................................................................................ La gent aile´e ............................................................................................................................. Les de´frichements .................................................................................................................. Bocages et gaˆtines .................................................................................................................. Champs et champagnes ....................................................................................................... Plantes cultive´es ...................................................................................................................... Plantations ................................................................................................................................ Modeler le terrain................................................................................................................... Les ame´nagements hydrauliques....................................................................................... Les divisions du finage .........................................................................................................

323 328 337 342 344 346 348 350 354 357 361 364 366 369 373 375 379

Table des matie`res

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Sols et terroirs .......................................................................................................................... Herbages, pacages .................................................................................................................. La montagne pastorale ......................................................................................................... Les animaux d’usage : aumailles et pe´cores................................................................... Monde e´questre, bourrique ou baudet ........................................................................... Du coˆte´ de la soue ................................................................................................................. Mines et carrie`res ................................................................................................................... Les moulins .............................................................................................................................. De la fabrique aux fabriques ..............................................................................................

383 388 392 395 398 400 402 405 407

7

La vie des noms de lieux Successions de langues ......................................................................................................... Mutations des temps trouble´s ............................................................................................ Intrusions fe´odales ................................................................................................................. Hagionymie, l’odeur de saintete´ ........................................................................................ Saints disparus, saints cache´s et lieux saints ................................................................. Les terres nouvelles................................................................................................................ Bapteˆmes des temps modernes ........................................................................................ Innovations des temps contemporains ............................................................................ Lieux d’aventure et civilisation des loisirs .................................................................... Urbanisations re´centes .......................................................................................................... Pourquoi changer un nom de commune ? ..................................................................... Glissements hie´rarchiques ................................................................................................... De´clins et descentes du peuplement ................................................................................ La promotion des carrefours et des centres d’activite´ ............................................... Rectifier une orthographe .................................................................................................... Euphe´mismes et quant-a`-soi .............................................................................................. Effacer une de´pendance ....................................................................................................... L’art de la distinction ............................................................................................................ Nommer par et pour la renomme´e .................................................................................. Privile`ges et spe´cialite´s .......................................................................................................... La vertu des hommages ....................................................................................................... Comme´morations et terrains des armes ......................................................................... L’effet des fusions .................................................................................................................. La fabrique des noms nouveaux........................................................................................ La seconde vie des noms de lieux.....................................................................................

413 415 417 420 422 423 424 426 427 430 432 435 437 438 440 442 445 447 448 449 451 452 454 455 458

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Tre´sor du terroir : les noms de lieux de la France

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A` distance : pie`ges et e´nigmes de la toponymie Trahisons de clercs ................................................................................................................ Phone`mes et graphe`mes ....................................................................................................... D’une langue a` l’autre, d’un saint l’autre ...................................................................... Les faux amis ........................................................................................................................... Homonymes et paronymes, la confusion des sens ...................................................... Questions ouvertes .................................................................................................................

464 466 468 470 472 478

9

La France en grandes re´gions toponymiques Le Centre et l’Iˆle-de-France ............................................................................................... Paris et alentour.................................................................................................................. La deuxie`me couronne ....................................................................................................... Autour de la Loire .............................................................................................................. Les re´gions du Nord-Est ...................................................................................................... En Champagne................................................................................................................... Ardenne et Argonne ........................................................................................................... En Lorraine welche ............................................................................................................ Alsace et Moselle................................................................................................................. Lorraine tiche ...................................................................................................................... En Alsace............................................................................................................................. Les re´gions du Nord.............................................................................................................. La couleur picarde .............................................................................................................. Des racines nordiques ....................................................................................................... Le coˆte´ flamand .................................................................................................................. Villes et pays ....................................................................................................................... Curiosite´s locales ................................................................................................................. Les Normandies ...................................................................................................................... Sources norroises – et voisines ........................................................................................... Villes et pays en Normandie ............................................................................................. Curiosite´s normandes ......................................................................................................... L’Ouest : Pays-de-Loire et Bretagne ................................................................................ Villes et pays de l’Ouest..................................................................................................... Maine et Anjou .................................................................................................................. Pays nantais et vende´ens................................................................................................... La pe´ninsule ........................................................................................................................ La marque bretonne ..............................................................................................................

488 488 491 494 497 498 499 501 504 505 506 508 508 509 512 513 514 516 516 520 521 523 523 524 526 529 532

Table des matie`res

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Des Charentes a` l’Auvergne ............................................................................................... Poitou et Charentes ............................................................................................................ Le Limousin ........................................................................................................................ L’Auvergne ........................................................................................................................ De la Bourgogne aux Alpes ................................................................................................ Arpitan ? .............................................................................................................................. L’alpe et les Alpes ............................................................................................................... Jura et Franche-Comte´..................................................................................................... En Bourgogne ..................................................................................................................... Autour de Lyon .................................................................................................................. Le Sud-Ouest........................................................................................................................... D’un fonds vascon ............................................................................................................. Le domaine toulousain ...................................................................................................... La mouvance bordelaise .................................................................................................... Le pays gascon .................................................................................................................... Le coin basque .................................................................................................................... Les Midis me´diterrane´ens ................................................................................................... Le coˆte´ catalan .................................................................................................................... L’Aude et l’He´rault ........................................................................................................... Les Ce´vennes et alentour ................................................................................................... L’ouverture du Rhoˆne........................................................................................................ Montagnes provenc¸ales et azure´ennes ............................................................................. La Corse .............................................................................................................................. Outre-Mer ................................................................................................................................. Coˆte´ Caraı¨bes ...................................................................................................................... La Re´union ......................................................................................................................... Iˆles du Pacifique ................................................................................................................. Les ıˆles tre`s e´parses ............................................................................................................. Antarctique ..........................................................................................................................

538 538 541 543 545 545 547 549 551 553 555 555 557 560 561 566 570 571 575 577 579 581 583 588 588 593 595 599 603

Re´fe´rences .............................................................................................................................. 605 Index .......................................................................................................................................... 611

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