Tractatus de constructione (Artistarium)
 9070419394, 9789070419394

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GOSVIN DE MARBAIS TRACTATUS DE CONSTRUCTIONE

ARTISTARIUM A Series of Texts on Mediaeval Logic, Grammar & Semantics EDITORS L.M. de RIJK

Leiden & E.P. BOS Leiden

H.A.G. BRAAKHUIS Nijmegen & C.H. KNEEPKENS Groningen Secretary of the Series P.J.J.M. BAKKER Nijmegen

ARTISTARIUM

11

GOSVIN DE MARBAIS

TRACTATUS DE CONSTRUCTIONE

Edition, introduction, index par IRENE ROSIER-CATACH

Nijmegen lngenium Publishers 1998

ISBN 90 70419 39 4 Copyright 1998 by Ingenium Publishers, P.O. Box 1342, 6501 BH Nijmegen, The Netherlands. All rights reserved. No part of this book may be reproduced or translated in any form, by print, photoprint, microfilm, microfiche or any other means without written pennission from the publisher. PRINTED by KRIPS REPRO MEPPEL, THE NETHERLANDS.

SOMMAIRE

INTRODUCTION

1. Le genre litteraire 2. Organisation du traite

3. Gosvin de Marbais et les Sophismata grammaticalia de Robertus Anglicus 4. Quelques points de doctrine 4.1. Definition des parties du discours, signification 4.2. La construction 4.3. La Physique 4.4. La completude 5. L'auteur Conclusion Ouvrages cites

VII

VIII XII

XIII XX III

XX III XX VII

XXIX

xxx XX XII XLII XL VII

GoSVIN DE MARBAIS, TRACTATUS DE CONSTRUCTIONE

Index capitulorum Principes d' edition Edition Apparatus criticus Index rerum et exemplorum Index locorum

3 4 5

85 89 107

INTRODUCTION

Le Tractatus de constructione de Gosvin de Marbais est un petit traite systematique de syntaxe. 11 nous semble constituer un bon representant des connaissances qui pouvaient etre attendues d'un etudiant de la Faculte des Arts au XIIl 0 siecle. Si I' on connait bien !es traites De Modis Significandi 1, qui fleurissent a partir des annees 1270, on realise a present qu'ils s'inserent dans le paradigme plus large de la 'grammaire speculative universitaire', caracteristique de I' enseignement grammatical de la Faculte des Arts des la premiere moitie du XIII 0 siecle2 . La section grammaticale du fameux Guide de l 'etudiant du ms. Rippoll 1093, probablement anterieur, en presente deja certaines particularites4, mais le representant le plus ce!ebre des debuts de cette tradition est Robert Kilwardby, auteur d'un tres influent commentaire sur Priscien Mineur, correspondant a son enseignement de la grammaire et de la logique a Paris (ca.1237-45). Ce paradigme se caracterise par plusieurs traits, qui tiennent a la nature de l'enseignement des Arts - notamment a !'integration dans un meme cursus de la grammaire, la logique, et la philosophie, et a la specificite des 'lec;:ons', sous forme disputee et argumentee L'on repere aisement des elements communs, telles !es considerations epistemologiques sur la nature 'scientifique' (au sens des Seconds Analytiques) de la grammaire, !'adoption d'un modele syntaxique fonde Sur la Physique d' Aristote, mais egalement des points de divergence, qui distinguent un certain groupe d'auteurs, que nous avons regroupes sous le nom d"intentionalistes' en raison de !'accent mis sur la notion d"intention de signifier5 ', des auteurs des traites De Modis Significandi, appeles 'Modistes' par !es medievaux eux-memes, au XIV0 siecle. Tous ces grammairiens de l'Universite s'interessent a la definition de leur discipline comme science, distincte, possedant un sujet determine et

1. Pour une presentation d'ensemble recente, integrant des traites inedits, voir Marmo (1994) et la bibliographie citee. On y ajoutera !'introduction de Kelly (1995), a !'edition de Michel de Marbais. 2. Voir Kneepkens (1995), pp. 247 sq. Pour une acception plus large de !'expression 'grammaire speculative', s'appliquant a toute grammaire comportant des elaborations doctrinales developpees, faisant intervenir des elements philosophiques et logiques, et destinee aux etudiants 'avances' (provecti), par opposition aux debutants, des le XII' siecle, voir Fredborg (1988). 3. Ed. Lafleur & Carrier (1992). 4. Voir Rosier (1997a). 5. Rosier (1994) et la bibliographie citee.

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INTRODUCTION

universel6 , et posent !es 'modes de signifier' comme principes, servant a constituer !es parties du discours et a assigner !es causes de la construction et de la correction. Deux elements au moins permettent des distinguer des approches differentes. En premier lieu, seuls les Modistes consacrent une part importante de leurs traites a la demonstration du fondement des modes de signifier dans des modes d'intelliger et des modes d'etre, liant signification, noetique et ontologie, ce qu' on ne trouve pas dans !es traites de Ia premiere moitie du XIII 0 siecle. Ce sont ces developpements, philosophiquement marques, qui feront I' obj et des critiques au XIV0 siecle. En second lieu, seuls !es 'intentionalistes' prennent en consideration !es relations entre locuteur et auditeur, ce qui leur permet d'expliquer non seulement le fonctionnement des enonces corrects ordinaires, mais egalement celui des enonces incomplets, elliptiques, figures, qui, tout en etant, pour certains, agrammaticaux, pour d'autres, differents du modele assertif standard sujet + predicat, sont neanmoins porteurs de sens et interpretables7 . Le reperage des ressemblances et des differences, et la prise en compte des evolutions doctrinal es, au sein de cette 'grammaire speculative universitaire', est important tant pour l'histoire des theories du langage, que pour celle de la theologie. C'est en effet aux traites grammaticaux du milieu du xme siecle, et non aux traites modistes, qu'il faut penser lorsqu'on recherche les sources des reflexions linguistiques presentes dans !es commentaires sur !es Sentences ecrits par Jes premiers grands scolastiques, Alexandre de Hales, Bonaventure, Albert le Grand OU Thomas d' Aquin, dans !es annees 1250. Nous tenterons precisement dans cette introduction de situer le Tractatus de Gosvin de Marbais dans la production grammaticale du Xlll 0 siecle. 1. LE GENRE LITTERAIRE

L' on sait que Jes statuts des universites donnent des prescriptions sur Jes textes qui doivent etre !us, ou plus exactement 'entendus'. II s' agit, pour la grammaire, de quatre textes, Priscien Majeur (Institutiones Grammaticae I-XVI), Priscien Mineur (Jnstitutiones Grammaticae XVII-XVIII), le Barbarismus (troisieme partie de I'Ars

6. Vair Sirridge (l 990a). 7. Vair Rosier (a paraitre). Dans I' etat actuel de la recherche, l' on peut dire que I' approche 'intentionaliste' ne peut pas ou plus etre qualifiee de 'pre-modiste', que ce tenne soit entendu au sens doctrinal ou au sens chronologique, et qu' ii existe un dialogue reel avec Jes modistes, en partie responsable de certaines evolutions sensibles dans la derniere generation de Modistes (voir Marmo 1995).

INTRODUCTION

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maior de Donat), et le De Accentu faussement attribue a Priscien8 . L'etudiant arrive ainsi a la connaissance de la matiere vocale, des parties du discours, de la construction, des defauts et figures du discours, et de la prosodie. Les commentaires sur ces textes attestent bien de cette pratique de la lecture des textes au programme, qui comprend la division et l' explication du texte, puis Jes questions (dubitabilia). L'etudiant doit par ailleurs participer a un certain nombre de disputes, dont atteste !'existence de nombreux 'sophismes' grammaticaux9 . Plusieurs recueils de sophismes constituent de veritables traites systematiques de syntaxe, souvent d'ailleurs qualifies du nom de Summae. L'on peut mentionner la Summa d'un certain Magister Durandus10, datant certainement de la premiere moitie du XIIIe siecle, la Summa gramatica de Roger Bacon (ca. 1240)11, ou Jes Sophismata grammaticalia de Robertus Anglicus, preserves dans huit manuscrits 12 . La matiere traitee correspond au contenu du Priscien Mineur, mais reorganisee et presentee de maniere ordonnee. La caracteristique de ces recueils est precisement que !'auteur part, pour chaque question, d'un 'sophisme', c'est-a-dire d'un exemple judicieusement choisi, forge OU repris a ]a tradition, dont !'analyse, menee SOUS forme disputee, va permettre d'aborder differents problemes syntaxiques (Jes figures, le gerondif, l'impersonnel etc.). L' organisation des chapitres suit un plan raisonne, avec souvent des renvois a ce qui precede ou ce qui suit. Ce trait distingue bien ces Sommes, qui correspondent probablement aux disputationes in scholis, des collections de sophismes independants que l' on rencontre dans la seconde moitie du xme. siecle, dont I' origine est certainement Jes disputes a caractere plus solennel auxquelles se livraient Jes mai'tres et Jes bacheliers hors de leurs ecoles. Le Tractatus de constructione n'a pas une structure uniforme pour chacune de ses sections. Les· chapitres presentent une grande variete dans Jes modes d'analyse, que l'on peut organiser selon le mode d'argumentation. (1) En un cas seulement, le chapitre consiste en un simple expose didactique du sujet, sans questions ou arguments (chap. 15). (2) Plus souvent, un tel expose est suivi de la mention de differentes objections, contre tel ou tel point de la presentation, avec leurs solutions. C'est le cas du chap. 5, qui enumere Jes quatre grands types de construction, pour contester ensuite cette division, puis finalement la justifier en repondant point par point aux objections.

8. Voir Ebbesen et Rosier (1997). 9. Voir Rosier (1991). 10. VoirRosier (1991), p. 217. 11. Ed. Steele (1940), voir Rosier (1997b), par. 1. 12. Pour la liste des huit manuscrits, voir Rosier (1991), p. 213.

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INTRODUCTION

L'expose introductif est souvent propose sous forme de regulae (voir chap. 9, qui donne trois regles de la construction du nominatif avec le datif; chap. 12, qm enumere !es cinq regles de la construction du nominatif avec l' ablatit) ; certaines de ces regulae peuvent faire I' obj et de questions argumentees (par exemple la regle 4 dans le chap. 9; voir aussi chap. 17). (3) Dans le cas le plus frequemment observe, un chapitre est constitue par plusieurs questions disputees (voir chap. 1, 2, 11, 16, 18, 20, 23) Le plus souvent ell es sont enumerees en tete de chapitre, introduites par la formule : Circa .. . tria (duo etc.) sunt inquirenda. L'expose prend ensuite differentes formes: soit !'on presente chacune des questions avec ses rationes et l' on regroupe ensuite en un second bloc, pour chacune, la solution suivie de la reponse aux arguments ; soit une premiere question est etudiee separement, avec ses rationes, sa solution, la reponse aux arguments, puis une seconde, etc. ; parfois encore ces deux presentations alternent, pour !es differentes questions d'un meme chapitre. La derniere partie du chapitre consiste souvent, apres une ou deux questions generales, en !'enumeration d'une batterie de petites questions, generalement introduites sans rationes, ou exceptionnellement avec un ou deux arguments, !es solutions de chacune des questions etant indiquees dans le meme ordre (chap. 8, 13). (4) Dans quelques cas, c'est un sophisme qui ouvre le chapitre, et qui permet de traiter le probleme grammatical qu'il illustre, comme c'est le cas dans les Semmes de sophismes precedemment mentionnees. C 'est ainsi que Gosvin propose, dans le chap. 14, d'aborder la construction nom+pronom a !'aide de l'exemple classique Nominativo hie magister. La caracteristique d'une telle analyse par mode de sophisme, c' est que l' enonce choisi fait I' objet de plusieurs questions: la premiere est, comrne dans tous !es sophismes de l'epoque, celle de la correction et de la completude de l'enonce; la seconde suit naturellement la premiere, puisqu'il s'agit de montrer la maniere dont l'enonce sophismatique, qui presente une incompletude formelle, peut etre ramene a un enonce complet, OU du moins de justifier que, maJgre cette incompletude, ii puisse etre juge acceptable; enfin la troisieme partie du sophisme est constituee, a nouveau, par une batterie de questions mineures se posant 'incidemrnent', ici a propos de la declinaison. La premiere question, qui porte sur la completude, est de portee plus generale, et voit sa solution precedee de l' expose et de la refutation d'autres solutions alternatives. Elle propose ensuite un long developpement sur les principes de completude de l'enonce. Ce type de determinatio, incluant des objections possibles a la solution retenue, est egalement un trait caracteristique de la production sophismatique. La construction substantif + substantif est envisagee, dans le chap. 6, avec l'exemple classique d'appositio,

INTRODUCTION

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animal homo. Dans le chap. 17, le sophisme Vada Romam permet une discussion sur la regle, precedemment enoncee, sur Jes constructions absolues. Mais une autre question est introduite, sur la nature nominale ou adverbiale de Romam. De meme, la construction des gerondifs et des supins est abordee 'grace a l'exemple' canonique Est legendum musas (chap. 22), avec la question initiale classique sur la completude. II est a noter que ces chapitres presentes sous forme de sophismes sont ceux pour lesquels, nous le verrons, Jes correspondances avec Jes sophismata de Robertos Anglicus sont Jes plus importantes, et qui presentent Jes developpements Jes plus elabores sur le plan de la doctrine, avec de nombreuses references philosophiques. Les presentations (3) et (4) sont tres proches, a la fois par la presence des rationes et des solutions qui leur correspondent, et par I' existence, en fin de chapitre, d'une batterie de petites questions secondaires. Les differentes varietes que nous avons decrites correspondent tout a fait a ce que I' on rencontre clans differents recueils de sophismes de l'epoque. On peut noter que !'argumentation est ici donnee de maniere particulierement soignee. II est tout a fait exceptionnel qu'il manque un argument ou une reponse a un argument, ou encore que les rationes ne soient pas enoncees clans le meme ordre que leurs solutions. II s'agit manifestement d'un manuel bien redige. On ajoutera que le man:re essaye d'etre le plus clair et le plus complet possible, par de nombreuses mises au point complementaires, introduites par la mention 'Nata'. Celles-ci permettent, par exemple, de rappeler des definitions (par ex. chap. 2, arg. 2.2). Dans le meme ordre d'idee, on peut mentionner !'expose du probleme au moyen de regles, introduites soit clans un expose introductif, nous l'avons dit, soit comme reponse a l'une des questions posees (ex. chap. 8, sol. ad 10). Ces regles, derivees de Priscien, sont deja parfois enoncees comme telles par Pierre Helie, puis reformulees par Gosvin, a partir d'une conceptualisation en partie ancienne, en partie nouvelle, integrant Jes developpements propres au XIII' siecle 13 . Les differentes presentations apparentent ce manuel a la fois aux compendia logiques, aux recueils de distinctiones ou Jes regles logiques qui introduisent chaque chapitre sont traitees a !'aide de sophismes, et aux sommes de sophismes 14 .

13. Comparer par exemple la regle de la construction du nominatif avec l' ablatif dans le Tractatus, chap. 12, avec la Summa super Priscianum de Pierre Helie, ed. Reilly (1993), vol. II, p. 1027:98-100. Pour apprecier !'evolution de la terminologie voir aussi la regle suivante: Tractatus, chap. 12, regle 4: "Omne nomen verbale significans passionem aliunde derelictam ex vi passionis converse in habitum vel ex vi cause efficientis cum ablativo construitur, ut fessus labore, cassus lumine" et Pierre Helie, Summa super Priscianum, ibid., p. 1028:8-9: "Nomina quoque habentia passivam significationem exigunt ablativum casum ut 'fessus labore', ... " 14. Voir Libera (1985a).

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INTRODUCTION

2. 0RGANISATION DU TRAITE

Le Tractatus de construetione de Gosvin de Marbais est un traite de syntaxe, ou I' on retrouve tous !es chapitres classiques presents dans !es recueils de sophismes, et qui correspondent a des passages precis des Institutiones de Priscien. Dans ce sens ces traites ou recueils sont tout a fait complementaires des commentaires sur ce texte, presentant la matiere a connaitre de maniere organisee, et non plus lineairement en suivant I' ordre du texte de Priscien Le traite commence par des questions, que !'on trouve egalement en introduction des recueils de sophismes (voir la Summa gramatica de Roger Bacon, !es Sophismata de Robertus Anglicus, le Sicut dicit Remigius de Magister Johannes 15 , etc.) sur la constructio elle-meme. Etant donnes les principes, requis par !es Seconds Analytiques, auxquels une discipline doit repondre pour meriter le nom de science, ii importe de maniere preliminaire de demontrer que la construction est un ens (chap 1), qu'elle a un sujet (chap 2), qu'elle est possible (chap. 4) et a quelles conditions elle !'est Une fois presentes !es quatre grands modes de construction (transitive, intransitive, retransitive, reciproque) (chap. 5), on peut passer a I' analyse des differents types de constructions: (1) nom+nom (chap.6-13), (2) nom+pronom (chap. 14), (3) verbe+nom (chap. 15-23). Dans le premier groupe (1), sont analysees successivement, !es constructions substantif + substantif (chap. 6), substantif + adjectif (chap. 7), nominatif+oblique (genitif: chap. 8, datif: chap. 9, accusatif: chap. 10), vocatif (chap. 11), nominatif+ablatif (chap. 12), ablatif absolu (chap. 13). Apres l'etude du type (2) (nom+pronom), Gosvin passe au type (3), ou sont etudiees !es differentes constructions des verbes (chap. 15), vocatifs (chap. 16), adjectifs (chap. 17), impersonnels (chap. 18) et substantifs (chap.19), puis !es suppletions (chap. 20), !es gerondifs et supins (chap. 21-22) et enfin !es infinitifs (chap. 23). Comme on peut le constater, le plan du Tractatus est presqu'exactement celui du livre XVIII des Institutiones. On le retrouve de ce fait dans d'autres sommes contemporaines, differemment structurees. C' est le cas par exemple pour la Summa magistri Durandi, qui opte pour une presentation par regles et sophismes. Dans le Tractatus de Gosvin, le fait que la construction soit propre ou figuree n'est pas un principe de classement, puisque, comme chez Priscien, la construction nominatif+nominatifinclut !es figures de l'appositio ou de l'evocatio. Dans d'autres

15. Contenu dans le ms. Paris, BnF lat 16618, ff. 40r-114ra, voir Rosier (1991), pp. 217-218 et Jes extraits edites dans Rosier (1994), et Rosier (1993).

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sommes, cette distinction est essentielle. C' est le cas dans la Summa gramatica de Roger Bacon qui traite d'abord des cinq figures de construction, avant d'en venir aux constructions difficiles, ou dans le traite de Magister Johannes, (Sicut dicit Remigius) qui, a !'inverse, aborde un premier ensemble de sophismes illustrant Jes difficultes grammaticales classiques (interjection, impersonnels, infinitifs, gerondifs, supins), puis un second ensemble regroupant toutes Jes constructions figurees. 3. GOSVIN DE MARBAIS ET LES SOPHISMATA GRAMMATICALIA DE ROBERTUS ANGLICUS

Il nous faut a present aborder la question des relations entre le Tractatus de constructione de Gosvin de Marbais, et Jes Sophismata grammaticalia de Robertus Anglicus. Ces deux ouvrages presentent en effet des similitudes frappantes de structure et de contenu, ainsi qu'un certain nombre de correspondances litterales, qui sont trap importantes pour etre le seul fait du hasard. Nous ne ferons qu'en signaler quelques unes, et reprendrons la question de maniere plus complete lorsque sera achevee )'edition des Sophismata, que nous preparons avec Christine Brousseau, Anne Grondeux et Mary Sirridge. Des comparaisons, menees avec le commentaire sur Priscien Mineur de Robert Kilwardby, nous font penser que Jes Sophismata ne sont pas de cet auteur. L'attribution a Robert Kilwardby n'est attestee dans aucun manuscrit. Elle a ete suggeree, d'une part parce que Robert Kilwardby est parfois appele Robertus Anglicus - bien que l'on connaisse d'autn)s auteurs pour qui c'est egalement le cas16, d' autre part en raison de la mention de sophismata grammaticalia parmi Jes Cl!Uvres attribuees a Kilwardby dans Jes anciens catalogues dominicains17 . Des differences quant au contenu doctrinal, et quant au degre d'elaboration de certaines notions techniques, nous font penser que Jes Sophismata de Robertus Anglicus appartiennent a une periode posterieure a celle correspondant a I' enseignement parisien du maitre anglais. 16. Notamment un commentateur sur le Tractatus de Pierre d'Espagne, qui enseigna a Montpellier au debut des annees 1270 et ecrivit un Tractatus quadrantis et un commentaire sur le De sphera de Johannes de Sacrobosco): voir De Rijk (1969) et Lewry (1982). 17. Voir la bibliographie des maitres et bacheliers de l'Ordre Dominicain etablie vers 1325 au couvent St Jacques (dont une section date de ca. 1305) [dans G. Meersseman, Laurentii Pignon catalogi et Chronica (Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica, XVIII), Rome 1936, p. 57], reprise dans le Catalogus Fratrum qui claruerunt doctrina de Laurent Pignon, compose entre 1394 et 1412, puis par !es auteurs des catalogues de Scriptores Ordinis Praedicatorum, comme celui de J. Quetif et J. Echard, Paris, 1719, vol. I, pp. 374-380; voir aussi Jes Anna/es Sex Regum Angliae de Nicholas Trevet (+ 1328), ed. par A. Hall, Oxford, 1719, vol. I, p. 235.

XIV

INTRODUCTION

Le plan des Sophismata n'est pas exactement le meme que celui du Tractatus de Gosvin, puisque, apres la discussion preliminaire, sont etudiees d' abord successivement les constructions nom + nom, nom + pronom, puis nom + verbe, mais ii est neanmoins proche de celui des Institutiones de Priscien, a la difference des traites qui separent constructions propres et figurees. (1) La question des differences entre oratio et constructio, avec laquelle s' ouvrent les Sophismata, est la seconde du premier chapitre dans le Tractatus. Les deux textes dependent manifestement l'un de l'autre. Les arguments 2.1. et 2.2. sont quasiment identiques, un peu plus brefs dans les Sophismata : 18

Tractatus, chap. 1

Sophismata, introd.

2.1. Quecumque habent unam (et)

//Z f. 135ra// Et videtur quod non differant tali ratione. Quorumcumque diffinitiones sunt eedem, ipsa sunt eadem.

eamdem diffinitionem inter se sunt eadem, cum in diffinitione genus sit pro materia, differentie vero pro forma. Sed constructio et oratio eamdem habent diffinitionem, scilicet hanc, congrua dictionum ordinatio perfectamque sententiam demonstrans. Ergo constructio et oratio sunt eadem. 2.2. (Opp.) Sed contra. Non sunt idem causa et causatum, cum dividantur ex opposito, quoniam eorum que sunt, quedam sunt causa sicut elementa, quedam causata sicut elementata. Sed constructio est causa orationis, sicut interpositio terre est causa eclipsis. Quare constructio et oratio non sunt eadem.

Sed diffinitio constructionis est hec : congrua dictionum ordinatio, sirniliter et orationis. Ergo constructio et oratio idem sunt et ita non differunt. Sed contra. Non sunt eadem causa et causatum. Cum ergo ex constructione causetur oratio - per constructionem enim dictionum fit oratio - non erunt idem oratio et constructio.

La solution negative, dans une formulation legerement differente, est la meme, plus developpee dans les Sophismata :

18. Nous citons !es Sophismata a partir du ms. de base, Zwettl, StiftsbibL cod. 338, ff. 135161 ~ Z, eventuellement corrige a partir d' autres manuscrits, notamment St Florian, StiftsbibL XI. 632, ff 64r-86r, Bamberg, StaatsbibL HJ V. 1, ff 65r-94v et Basel, UniversitatsbibL B VIII, 4, ff 49v-76r.

INTRODUCTION

xv

Tractatus

Sophismata

Sol ad 2. Ad illud autem quod querebatur utrum constructio et oratio eadem essent, dicendum est quod non. Ad 2.1. Ad rationem in oppositum dicendum est quod hoc quod dico 'ordinatio' aliter tenetur in diffinitione constructionis quam orationis, quoniam m diffinitione constructionis dicit ordinationem que est forma partis, quia constructio consistit ex actuali ordinatione predicati cum subiecto vel partis cum parte.

Solutio. Dicimus quod differunt constructio et oratio.

Sed in diffinitione orationis dicit ordinationem que est forma totius ...

Si vero dicat compositionem que est forma totius, sic convenit orationi et non constructioni ....

Ad illud quod obicitur primo, dicendum quod duplex est compositio, quedam que est forma partis, quedam que est forma totius, sicut patet in domo. Compositio huius partis cum hac parte appellatur compositio que est forma partis. Compositio autem que resultat ex compositione omnium partium appellatur compositio que est forma totius, sicut domuitas.

Mais l' expose des Sophismata est plus long, introduisant une solution alternative. (2) Le premier probleme aborde, clans les deux traites, est celui de la construction appositive de deux substantifs, animal homo, et de deux adjectifs, coloratum album (voir lnstit. XVII, 144-145). Bien que l'expose des Sophismata soit plus elabore, l' on retrouve, en des formulations tres proches, l' argument 1. 1. du Tractatus montrant que ces constructions sont des solecismes, et !'argument contra 1.2. sur la convenance plus grande qui existerait entre deux termes identiques selon leurs modes de signifier et leurs signifies, qu' entre deux termes pour lesquels ceux-ci s' opposeraient, pour justifier que la construction soit correcte19 :

19. 11 est interessant de signaler le passage suivant de la Glosa Admirantes, apropos de la meme question, car proche dans sa formulation, il est en fait different dans son contenu puisque pour !'auteur adjectif et substantif conviennent par leur signifie et different par leurs modes de signifier, alors que pour Gosvin et Robertus ils different a la fois par leur signifie et par leur mode de signifier: " Magis enim communicant adinvicem ea que communicant in modo significandi et significatione, quam illa que communicant solum in significato et non in modo significandi. Sed adiectivum et substantivum communicant solum in significato et non in modo significandi" (dans Thurot (1869), p. 255).

XVI

INTRODUCTION

Tractatus, chap. 6

Sophismata, soph. Animal homo vel homo animal

12. (Opp.) Sed quod hec sit congrua

//Z 135ra// Et quod in huiusmodi constructione non sit improprietas aliqua videtur sic. Magis conveniunt ea que conveniunt in significatione et in modo significandi, quam ea que conveniunt nee in significatione nee in modo signifi.candi.

animal homo, hoc ostendo tali ratione. Magis conveniunt ilia que conveniunt in significato et modo significandi, quam ilia que repugnant in utroque.

Sed duo substantiva conveniunt in significato et in modo significandi. ( ... ). Sed duo substantiva conveniunt in significato, quia utrumque significat substantiam, et in modo significandi, quia utrumque significat per se stanter. Sed adiectivum cum substantivo repugnat a parte significati, quia unum significat substantiam, et aliud accidens, et a parte modi significandi, quia unum significat per se stanter et aliud dependenter.

Cum ergo constructio fiat ratione convenientie et maior est convenientia unius substantivi cum alio substantivo quam adiectivi cum substantivo, ergo cum convenienter dicatur homo a/bus, convenientius debet dici animal homo.

Sed due dictiones substantive conveniunt in significatione et //Z 135rb// in modo significandi, quia utrumque significat substantiam et per modum substantie. Sed substantivum et adiectivum non conveniunt in significatione, quia unum significat substantiam, alterum vero accidens, nee conveniunt in modo significandi, quia substantivum significat substantive, adiectivum vero adiective. Quare plus conveniunt due dictiones substantive quam adiectivum et substantivum. Cum ergo constructio fiat penes ydemptitatem vel convenientiam, patet quod simpliciter vel magis erit propria constructio duorum substantivorum immediate ordinatorum quam nominis substantivi et adiectivi. Quare si hec est simpliciter congrua homo a/bus, hec erit simpliciter congrua animal homo.

Les reponses de Gosvin a ces arguments sont moins elaborees, mais doctrinalement proches, puisqu'il considere, comme Robertus Anglicus, (1) que homo animal constitue une redondance semantique (nugatio): du fait que 'homme' contient deja

INTRODUCTION

X\"11

l'idee d'animal, celle-ci se trouve exprimee de maniere superflue par l'adjonction du terme animal, (2) que animal homo est une figure et ne contient pas de repetition inutile, le genre (animal) n'incluant pas l'intellection de l'espece (homo), homo pouvant done etre appose pour specifier animal (3) Le second probleme etudie clans !es Sophismata est celui de la construction nom +pron om, avec I' exemple Nominativo hie magister. Or, nous 1' avons dit, le chap. 14 du Traetatus, consacre a cette construction, est l'un de ceux que Gosvin choisit de traiter a l'aide d'un sophisme, le meme precisement. Les paralleles sont tout a fait frappants, du mo ins clans I' enonce des questions, qui sont presentees en bloc au debut clans le Traetatus, et envisagees l'une apres l'autre clans Jes Sophismata.

Traetatus, chap. 14

Sophismata, soph. Nominativo hie magister

Dicta de constructione nomm1s cum nomine, consequenter dicendum est de constructione nominis cum pronomine, et gratia exempli ponatur hec oratio Nominativo hie magister, que dicitur esse congrua et perfecta quantum ad intellectum, incongrua et imperfecta quantum ad sensum. Circa istam constructionem tria sunt inquirenda 1. Primum est de predicta distinctione.

//Z 136ra// Dicta de constructione nominum inter se, dicendum est de constructione nominis ad pronomen. Et iuxta hoc queritur de hoc sophismate Nominativo hie magister. I. Et primo queritur utrum sit perfecta vel imperfecta, secundo utrum sit congrua vel incongrua. Et dicitur communiter quad perfecta est quoad intellectum, imperfecta quoad sensum. Sed quad huiusmodi distinctio nulla sit videtur. [ ... ] II. Hoc habito, queritur quomodo possit perfici oratio predicta, scilicet hec Nominativo hie magister ... //Z l36rb// [ ... ] Ill Et quia tactum est de declinatione, queruntur hie quedam questiones circa declinationem incidentes.

2. Secundum est a quo verbo perficiatur locutio, aut per hoc verbum ponitur aut per hoc verbum attribuitur. 3. Tertium est de questionibus circa declinationem incidentibus.

Certains arguments ant des formulations tres proches, par exemple dans la seconde partie, ou !'on s'interroge sur le verbe qu'il faudrait restituer pour rendre l'enonce complet:

XVIII

INTRODUCTION

Tractatus, chap. 14

Sophismata

2.1. (Resp.) Sed quod hec oratio habeat perfici per hoc verbum declinatur hoc ostenditur tali ratione, quoniam per illud verbum quod ultimo finit intellectum auditoris est oratio perficienda. Sed per hoc verbum declinatur ultimo finitur intellectus auditoris. Ergo per illud debet fieri orationis complementum. Maior probatur per Donatum dicentem: 'magister nomen appellativum generis masculini numeri singularis etc. quad declinatur sic', quare cum hoc verbum declinatur ultimo finiat intellectum auditoris, per ipsum sumetur perfectio orationis.

//Z 136ra// Si aliqua oratio habeat perfici per plura debet perfici per illud quo ultimo finiebatur intellectus audientis. Cum ergo ultimo finiebatur intellectus audientis per hoc quod dico 'declinabitur sic', quad patet (est enim sensus 'magister' est nomen appellativum numeri singularis, figure simplicis, casus nominativi et vocativi quad declinatur sic, 'nominativo hie magister'). Ergo sic debet esse sensus huius orationis : nominative hie magister declinatur et sic perficitur.

En outre, la batterie de petites questions qui est donnee dans la troisieme partie du sophisme est en grande partie la meme, bien que l' ordre differe, comme le montre la correspondance suivante :

Tractatus, chap. 14 3.1. 3.2. 3.3. 3.5.

3.6.

3.7 + 3.8 + 3.9. 3.10. 3.11 3.12

Sophismata, Z 136rb-136va Ql Q7 Q3 Q14 Ql2 Ql6

Ql7 Q2 QIO

Mais !es solutions sont le plus souvent differentes, beaucoup plus elaborees clans les Sophismata. La solution a la question principale semblerait pouvoir nous donner une indication quant a I' ordre de la dependance entre les deux traites. En effet, le premier probleme traite, dans Jes deux cas, etait celui de savoir si I' on pouvait resoudre la question de la completude de l' enonce Nominativo hie magister, en disant qu'il etait

INTRODUCTION

XIX

'complet selon l'intellection' et 'incomplet selon le sens', solution qui suscitait une discussion sur la legitimite d'une telle distinction (cf. texte cit. supra, au debut de notre paragraphe (3)). L'une des manieres d'interpreter cette distinction est de dire que 'complet selon l'intellection' renvoie au type d'intellection que peuvent se former les sages, qui utilisent leur intellect, alors que 'complet selon le sens' concerne le sens que peuvent se former les gens grossiers (rudes) ou moins avances (minus provecti) que ne peuvent acceder qu' aux sensibles, et se limitent done a une correction gramrnaticale, sans pouvoir depasser le niveau de la forme. Dans les Sophismata, la premiere solution proposee pour interpreter la distinction entre 'complet selon !'intellect' et 'complet selon !es sens' est precisement celle que nous venons de rapporter, et elle permet de conclure qu'une phrase peut fare 'complete selon !es sages = selon !'intellect' et 'incomplete selon !es rudes = selon !es sens'. Dans le Tractatus, ce mode d'interpretation de la distinction est attribue a des quidam, mais Gosvin ne conclut pas positivement sur la possibilite pour un enonce d' fare complet en une acception et incomplet en une autre, du fait que la question portait sur la distinction elle-meme et non sur la completude de l'enonce Cependant on peut penser que la reponse a cette derniere question aurait ete traitee comme dans les Sophismata, puisque tout le developpement qui suit est precisement une description des differentes manieres dont un enonce peut fare 'complet selon l'intellection' sans fare 'complet selon lessens' : Tractatus, chap. 14

Sophismata, soph. Nominativo hie magister

Sol. ad 1. Solutia. Ad pnmum dico quod distinctio est bona, sed quo modo intelligatur, pro ambiguo reputatur. Quidam enim exponunt hoc modo : potest autem colligi ex propria distinctione hominum.

//Z 136ra// Sed quia nihil de distinctione dicetur ammodo, preterea respondendum est et dicendum quod distinctio ista non valet sub verbis predictis, scilicet quod potest esse perfecta quoad sensum vel quoad intellectum, sed sic habet intelligi ista distinctio

xx

INTRODUCTION

Hominum enim quidam sunt rudes, et tales utuntur sensu tantum, alii vero sunt subtiles, et illi utuntur intellectu.

Dicunt ergo quod oratio perfecta quantum ad rudes, qui solum sensibilia apprehendunt, est perfecta quoad sensum. Sed oratio perfecta quantum ad subtiles est perfecta quoad intellectum.

quad per 'sensum' intelliguntur sens1biles, qui utuntur sensu sicut novi vel minus provecti, per 'intellectum' autem intelliguntur intelligibiles et sapientes et magis provecti. Sic ergo intelligenda est dicta distinctio, quod aliqua oratio potest esse perfecta quoad sapientes imperfecta quoad rudes ...

Le fait que I' interpretation de la distinction a I' aide de l' opposition sapientes!rudes soit soutenue dans !es Sophismata et presentee comme defendue par des quid.am dans le Tractatus, ne permet cependant rien de conclure de maniere definitive, puisque nous trouvons en fait cette solution deja chez dans un texte anterieur, a savoir dans les Quaestiones super Primum Priscianum, de Nicolas de Paris 20 Ainsi, elle aurait pu a la fois avoir ete critiquee par Gosvin, et avoir ete retenue comme solution possible dans !es Sophismata - on notera cependant qu'il n'y est pas fait mention de quidam qui auraient soutenu precedemment cette position. Qu'il s'agisse d'une opinion commune est en taus cas atteste, puisque Magister Johannes la mentionne comme l'une des quatre interpretations existantes de la distinction entre perfectio ad sensum et perfectio ad intellectum, et la critique de maniere tres ferme 21 . C' est le cas egalement dans le sophisme anonyme '0 magister'. On notera, incidemment, que l'une des objections de Gosvin contre cette interpretation de la distinction est assez proche de celle que donne I' auteur anonyme de ce sophisme '0 magister', s'appuyant sur !'image de l'instrument 22 . L'on constate une autre correspondance, dans le meme sophisme, apropos de la discussion de la seconde question, la reponse reposant sur la distinction entre actes signifies et actes exerces. Elle constitue, dans le Tractatus, un argument contra concede comme solution (arg. 2.5), et, clans !es Sophismata, la troisieme positio

20. Ms. Oxford, Bodi Lib., Lat. misc. f. 34, f. l 7vb, edition en preparation par C.H. Kneepkens, qui nous a aimablement communique sa transcription. 21. Texte cite dans Rosier (1988), pp. 28-29; voir aussi Rosier (1994), pp. 50-53. 22. Voir Rosier (1988), p. 74.

INTRODUCTION

XX!

avancee clans la dispute, finalement retenue comme solution definitive clans la determinatio23. (4) Comme on pouvait s'y attendre au vu des developpements qui precedent, on retrouve des correspondances litterales entre Jes deux ouvrages avec le sophisme Vado Romam, qui apparait clans le chap. 17 du Tractatus, et comme sophisme n° 15 clans Jes Sophismata, Vado Romam quo pervento transeundum est ultra (Z 155vb sq.). Une fois de plus, !es premiers arguments sont tres proches, ainsi que la solution, qui repose sur la distinction, presentee en termes exactement semblables, entre motus naturalis et motus voluntarius. Cependant de nombreux developpements presents clans Jes Sophismata sont absents du Tractatus. ( 5) On constate egalement des parallel es clans I' analyse des impersonnels : le Tractatus traite clans un chapitre de la possibilite de I' existence de verb es impersonnels (chap. 18, Q. 1), puis clans un autre chapitre du probleme de savoir si le verbe substantif peut fonctionner comme impersonnel (clans des constructions comme Est inter canem et lupum, chap. 19, Q. 2). Ces deux questions sont abordees ensemble clans le sophisme n° 10 de la collection de Robertus Anglicus, Interest mea et imperatoris castam ducere uxorem (Z 14lva sq.) 24 . (6) De meme, !es correspondances sont importantes entre le chap. 20 sur Jes suppletiones, qui contient la discussion sur l'exemple amatus sum et le sophisme n° 11 des Sophismata, Amatus sum velfui (Z 149vb sq.). On y retrouve la meme batterie de petites questions sur Jes suppletiones, ainsi que la question majeure de savoir si !'expression en question constitue un mot ou un enonce. On se contentera de citer la solution a la premiere question, qui, une fois de plus, fait apparaitre la dependance entre Jes deux textes, en meme temps que le caractere simplifie de la reponse du Tractatus2 5 :

23. Vair Rosier (1994), p. 190 et note. 24. Vair Sirridge (1990b) et (1993) et l'apparat de !'edition infra. 25. Pour !'analyse detaillee de ce sophisme voir Brousseau-Beuermann (1991) et BrousseauBeuermann (1993). II est interessant de remarquer avec elle que la discussion de la suppletio est importante tant dans le Tractatus de Gosvin, oil elle constitue le theme principal du chapitre, que dans Jes Sophismata de Robertus, ce qui est le cas aussi dans d'autres sophismes d'origine parisienne (Sicut dicit Remigius, de Magister Johannes, sophisme du ms. BnF lat. 16135, etc.), alors que Robert Kilwardby, dans son commentaire sur Priscien Mineur, suivi en cela par Roger Bacon (Summa gramatica, ed. Steele (1940), pp. 147 sq.), utilise le terme circumlocutio, et s'interesse principalement a I' evocatio.

XXII

INTRODUCTION

Tractatus, chap. 20

Sophismata, soph. Amatus sum

Et sciendum quod duabus de causis invente fuerunt suppletiones : una propter commoditatem, alia propter necessitatem. Suppletio que fit propter commoditatem est unius vocis minus note per notiorem dictionem expressio, et talis suppletio potest dici interpretatio, ut philosophus in greco exponitur per hoc quod est amator sapientie in latino. Sed suppletio que fit propter necessitatem est ut motus et eius terminus, qui in unica dictione significari non poterant, per plures dictiones circumloquerentur.

l/Z !Siva// Notandum ergo quod sup-

pletio potest fieri duplici de causa, scilicet vel propter utilitatem vel propter maiorem expressionem sive ut melius intelligatur, licet alio modo posset apprehendi et intelligi talis suppletio, uncle suppletio nihil aliud est nisi conclusio sive expositio vocabulorum per aliud vocabulum sive per alia vocabula magis notum vel magis nota, sicut si exponatur hoc nomen philosophus per hoc quod est amator sapientie, vel anthropos per hoc quod est homo. Est autem alia suppletio que non solum est propter utilitatem, sed etiam propter necessitatem .

II est probable que l'achevement de !'edition des Sophismata fera appara!tre d'autres paralleles avec le Tractatus. Ceux que nous avons releves nous montrent clairement la dependance entre Jes deux traites, mais nous ne sommes pas en mesure d' evaluer I' orientation de la relation. En effet, la complexite plus grande des Sophismata pourrait faire penser qu'ils sont posterieurs. Mais ceci peut simplement tenir au 'niveau' des ouvrages, a !'orientation plus didactique du Tractatus, et plus technique des Sophismata. En outre, le fait que Gosvin s'ecarte de sa presentation ordinaire des matieres par ensembles de questions, pour choisir parfois la presentation par sophismes, et que ce soit precisement clans ces chapitres que Jes paralleles avec les Sophismata soient les plus remarquables, peut !'inverse faire penser que Gosvin s'est inspire la de la presentation des Sophismata. Cette etude comparative nous confirme egalement la circulation existante entre !es differents genres litteraires mis au service de l'enseignement de la syntaxe: chaque point discute, qui a pour source un passage des Institutiones de Priscien, est illustre par un exemple paradigmatique, le maitre pouvant choisir de l'aborder a partir d'un expose simple, de regles, de questions 'disputees', ou de questions sur un sophisme. Les chapitres du Tractatus de Gosvin de Marbais peuvent etre le plus souvent mis en relation avec un des sophismata de la collection de Robertus Anglicus.

a

INTRODUCTION

XXIII

4. QUELQUES POINTS DE DOCTRINE

Comme c'est souvent le cas dans les grammaires universitaires de l'epoque, le Tractatus s' offre comme un melange de regles elementaires, presentees de maniere didactique, et de raisonnements complexes, fondes sur les grands textes philosophiques d' Aristote, le De Anima, la Metaphysique, la Physique surtout, qui viennent s'ajouter aux ouvrages plus classiques de la logica vetus, comme les Categoriae, le De Jnte1pretatione ou le Liber Sex Principiis. Le premier ensemble de sources est instructif pour ce qui concerne la datation de notre traite, car ce n' est guere avant les annees 1240 que les grammairiens font une utilisation systematique de la Physique, les citations du De Anima ou la Metaphysique apparaissant un peu plus tardivement et allant croissant au fur et amesure qu' on s' avance dans le siecle. 4.1. Definition des parties du discours, signification et mode de signifier Au xme siecle, les grammairiens distinguent dans un mot plusieurs elements: (1) sa matiere vocale, (2) son signifie lexical, (3) ce qui le constitue comme partie du discours (nom ou verbe), (4) ce qui le categorise comme espece d'une partie du discours (par ex. substantif ou adjectif, propre ou commun, pour le nom), (5) ses accidents. On constate des evolutions dans la terminologie, que l'on peut resumer dans le tableau suivant :

XXJV

INTRODUCTION

(2) Jean le Page 26 Magister

(4)

(3)

(5)

significatum

consignificatum

(-io)

(-io)

(-io)

speciale (-is)

generate (-is)

Nicolas de Paris, significatum

id.

Johannesr

id.

id.

OU

OU

modus

modus

modus

significandi

significandi

significandi

substantialis

substantialis

accidentalis

magis generalis

minus generalis

modus

modus

modus

Kilwardby2 8 ,

significandi

significandi

significandi

Roger Bacon

essentialis

essentialis

accidentalis

generalis

specialis

Robert

significatum

26. Jean le Page, Syncategoremata, ed. Braakhuis (1979), vol. I, p. 189 "Duplex est significatio dictionum: generalis et specialis ; sicut patet in hoc nomine homo ; hoc enim nomen homo significat substantiam cum qualitate, et hec est generalis significatio, specialis est significatio humanitatis. Similiter patet in alio: significare agere vel pati est significatio generalis, cursus vero est specialis significatio ". Nicolas de Paris, Syncategoreumata, ed. Braakhuis ( 1979), vol. II, p. 4511: "Dicendum quod duplex est significatio in partibus orationis: generalis et specialis. Generalis est a qua imponitur quelibet pars in specie partis, sicut significare substantiam cum qualitate est illud a quo nomen est nomen. Et specialis a qua vox specialiter imponitur, sicut nomen ad significandum hanc substantiam vel illam, idest communem vel propriam, sub qualitate hac vel ilia, idestcommuni vel propria (.. )". VoirKneepkens (1995), p. 251; Braakhuis (1997), pp. 310-311. 27. Magister Johannes, Sicut dicit Remigius, ms. BnF lat. 16618, f 41vb: "Ex dictis patet quid est modus significandi in dictionibus, quoniam generalia significata et accidentia sunt modi

significandi in dictionibus, ut dictum est, et patet quod modus significandi, quidam est accidentalis, ut est modus significandi qui est consignificatum vel accidentia, et est quidam substantialis, sicut est generale significatum. Et hoc secundum duobus modis est, scilicet magis generale ut in nomine significare substantiam cum qualitate, et minus generale, ut significare substantive vel adiective (...) ".

28. Robert Kilwardby, Super Priscianum minorem, ms. Vat. Urb. lat. 298, f. 26rb: "Dico modum generalem qui est essentialis parti in genere, distinguens ipsum ab aliis partibus, secundum quod dicimus nomen significare per modum habitus, verbum vero per modum esse et fieri et sic de aliis. Dico autem modum specialem secundum quod nomen dividitur per adicctivum et substantivum ... " Voir edition note 16 pour une illustration de cette difference de terminologie, dans un argument identique, utilise dans le Tractatus et dans le In Donati artem maiorem III attribue a Robert Kilwardby.

INTRODUCTION

xxv

Deja chez Nicolas de Paris, tout ce qui est signification grammaticale peut etre designe comme modus significandi29 , mais ce n'est qu'avec Robert Kilwardby, puis Jes Modistes que sera systematiquement et exclusivement utilisee la terminologie des modes de signifier: I' absence de I' opposition entre significatio genera/is vs. specialis, chez ces grammairiens, est tres caracteristique. Pour Jes auteurs qui en faisaient usage, la notion de significatio specialis montrait une certaine ambigui:te, puisqu'elle renvoyait tant6t a la signification lexicale (2), tant6t a la signification grammaticale specifique (4). Cette ambigui:te est bien pen;:ue par un commentateur du Tractatus de Pierre d 'Espagne 30 , et on la retrouve chez Gosvin, puisqu' ii dit a la fois que la "signification speciale est principe du vrai et du faux'', pour expliquer la difference entre les noms homo et asinus (difference semantique de deux no ms de la meme categorie grammaticale)31 et qu'il prend ailleurs soin de preciser qu'il parle de " la signification speciale qui est un mode de signifier", a propos par exemple de I' opposition entre substantif et adjectif (chap. 4, ad 2). Gosvin se rapproche encore des auteurs parisiens de la premiere moitie du XIII' siecle, lorsqu'il utilise en outre !'opposition entre qualitas specialis et qualitas genera/is (chap. 8, ad 12), que l'on trouve aussi chez Jean le Page 32 ou entre qualitas specialis et qualitas substantialis3 3 ,

29. Nicolas de Paris, ed. Braakhuis (1979), vol.l: 216 "Sed distinguendus est dupliciter modus significandi est enim quidam modus significandi qui dicitur significatio alicuius, alius qui dicitur consignificatio ". 30. Commentaire de Robertus Anglicus sur le Tractatus de Pierre d'Espagne, ed. De Rijk (1969), p. 42: "Queritur utmm nomen oblicum secundum dyalecticum sit nomen. Et ostendo quod sic, quoniam loycus considerat significatum speciale dictionis ; sed idem est significatum in recto et in oblico ; ergo sicut rectus est nomen, ita et oblicus debet esse nomen ... Ad primum argumentum dicendum quod quamvis in recto et obliquo sit idem significatum speciale, tamen non est idem modus significandi specialis, ut iam patuit. " 31. Gosvin, Tractatus, chap. 1: " significatio specialis dicitur per quam una pars specialis differt ab alia parte speciali, que partes continentur sub eodem genere, ut homo et asinus, quia significatio specialis horninis differt a significatione speciali asini ". 32. Jean le Page, Appellationes, ed. Libera (1985b), p. 217, par. 23; id. Syncategoreumata, ed. Braakhuis (1979), p. 225 "Dicimus quod duplex est qualitas: generalis et specialis. Hoc enim nomen homo significat substantiam cum qualitate et significat specialem qualitatem circa substantiam ; et hec specialis qualitas potest removeri et privari per nomen infinitum. Sed generalis qualitas non potest privari; cum enim dicitur non homo, privatur qualitas specialis sed non privatur qualitas generalis, sed remanet significatio qualitatis generalis ". 33. Gosvin, Tractatus, chap. 20, arg. 2.1 et ad 2.1. Qualitas substantialis est aussi la qualite qui dislingue le substantif, par opposition a la qualitas accidentalis qui caracterise I' adjectif, voir ibid., chap. 6, 1.2. (nota).

XXVI

INTRODUCTION

qu'utilise la Glosa Admirantes sur le Doctrinale 34 . II distingue dans le meme sens entre une qualitas specialis intrinseca, a partir de laquelle se realise !'imposition du nom, et qui correspond done a la signification lexicale, et une qualitas specialis extrinseca, qui correspond a la consignification (chap. 8, sol. ad 1 et sol. ad 2), probablement toujours a cause de l'ambigulte que nous avons notee sur le qualificatif specialis. L' on voit bi en que la terminologie n' est pas bi en etablie, bi en que la theorie de la double imposition, que I' on retrouvera chez !es Modistes, soit deja presente • Gosvin dit bien que la vox est d' abord rendue " significative ", puis "consignificative" (chap. 8, sol. ad 2). Notre maitre utilise frequemment la notion de modus significandi, mais de maniere tres imprecise. En effet, si elle recouvre parfois toutes Jes proprietes grammaticales du mot (=3, 4, 5), elle correspond parfois de maniere restreinte a la seule signification generique (=2) par opposition aux accidents (chap. 16(1), sol. ad 4), ou au contraire aux seuls accidents (=5) par opposition a la significatio essentia/is (chap. 6, ad I.I), ou encore a la signification specifique (=3), servant par exemple a distinguer le substantif, qui signifie per modum per se stanter, et l'adjectif qui signifie per modum dependenter (chap. 4, ad 2). La distinction entre significatum et modus significandi est souvent invoquee, en parallele avec celle entre res et modus, notamment pour preciser les domaines du logicien et du grammairien, qui s'occupent respectivement de la verite et de la correction. L' on ne trouve pas de discussion sur les 'fondements' des modes de signifier telle que la menent les Modistes. Neanmoins, quelques indications sont donnees en passant. Notamment, Gosvin precise que les modes de signifier comme !es modes de "consignifier" se fondent sur la vox, et expliquent, lorsqu'ils s'accordent, la correction (congruitas), alors que !es modi intelligendi se fondent sur la "chose c' est-a-dire l'intellection de la chose ou signifie special" et justifient, lorsqu'ils se correspondent, la completude (pe1fectio) (chap. 14, sol. ad I (nota)). L'analyse de la distinction entre congruitas et perfectio fait l'objet de nombreuses discussions a l'epoque. Certains auteurs, comme le maitre Simon auteur du Domus gramatice, soutiennent, comme Gosvin, que la congruitas releve du plan de la vox et des modi significandi, la perfectio de celui des choses et des modi intelligendi 35• A !'inverse, 34. Texte dans Thurot (1869), p. 274, cite dans l'apparat de !'edition n. infra. 39 35. Domus gramatice, ed. Otto (1963), p. 51. L'auteur du Domus gramatice n'est certainement pas le meme que celui des Quaestiones super 2° minoris voluminis Prisciani. Seules ces demieres presentent toutes Jes caracteristiques du modisme, et des parentes manifestes avec Jes traites des autres Modistes danois, alors que le Domus gramatice semble doctrinalement mains elabore, d'ou son assignation une periode anteneure (ca. 1250170, voir Pinborg (1967), pp. 95-97).

a

INTRODUCTION

XX VII

Kilwardby, comme !es Modistes ensuite, ne separe pas modi significandi et modi intelligendi, mais le premier admet tout a fait, a la difference des seconds, qu'il puisse y avoir perfectio (ou acceptabilite) sans congruitas (grammaticalite)36 . On relevera egalement une distinction, que nous n'avons pas trouvee ailleurs, entre un modus significandi exterior, qui correspond a un mode de signifier identifie par une marque dans le mot (a parte vocis et terminationis), et un modus significandi interior, qui correspond a une propriete purement semantique, !es deux pouvant determiner un type de construction. 4.2. La construction Gosvin debute son traite par des considerations generales sur la construction, qm constitue l'objet de son traite. A la question commune sur le sujet de la construction, Gosvin repond en distinguant le sujet "radical", qui est le mot, et le sujet qui permet a la construction d'etre connue (subjectum in quo cognoscitur), qui est l'enonce, une distinction qui coincide, en termes differents, avec celle souvent posee, vers le milieu du :xrne siecle, entre subiectum attributionis (vox litterata) et subiectum praedicationis (oratio)3 7 . Trois elements sont necessaires a la construction. (1) En premier lieu, il importe que !es mots construits aient un signifie defini (2) En second lieu, qu'ils soient determines quant aune certaine nature relationnelle, puisque "la construction se fait grace a une relation de dependance" (in omni constructione exigitur unum constructibile ad aliud dependere, chap. 7, ad 1.2). Ce principe important, que !'on trouve chez Robert Kilwardby et Roger Bacon et que reprendront !es Modistes, implique que dans une construction il y ait un terme qui soit dependant ou signifie dependenter, et un autre qui signifie per se stanter, ayant ainsi la propriete de terminer la dependance ouverte par le premier. Gosvin precise qu'il s'agit soit d'une veritable dependance (dependentia), dans le cas de l'adjectif, par exemple, qui depend du substantif, soit d'une relation (respectus) qui met deux termes en rapport par l'intermediaire de certaines proprietes, comme dans la construction du substantif avec l'adjectif (chap. 3). (3) En troisieme lieu, !es constructibles doivent avoir des accidents. Du fait que !es parties du discours indeclinables n'ont pas d'accidents, !'on ne dira pas a proprement parler qu'elles sont 'construites', mais qu'elles sont 'unies'. Les Modistes laissent de cote cette opposition, en tentant de poser un mode de fonctionnement identique pour toutes !es relations entre constructibles.

36. Sur ces questions, Sirridge (1983), id. (1988), Rosier (1988), pp. 40-47. 37. Voir Rosier (1997a), pp. 266-267.

XXVIII

INTRODUCTION

Pour chaque construction, Gosvin va definir de maniere systematique ce qui constitue le medium ou le principium construendi d'un terme avec l'autre. Ces media construendi sont hierarchises, !es uns ayant la fonction d'une "cause efficiente" (causa efficiens), !es autres d'une "cause dispositive" (causa disponens). De maniere coherente avec les requisits qui viennent d'etre mentionnes, Gosvin considere que la cause efficiente se definit a partir de la relation de dependance : ainsi, le principe de la construction sujet-verbe est la propriete de 'substantivation' de la part du sujet, et !"inclination finie' de la part du verbe. La cause dispositive est constituee par !es accidents des deux termes construits: ceux de l'un doivent etre en 'conformite' avec ceux de l'autre, ce qui recouvre a la fois !'accord de 'similitude', lorsque !es deux mots construits possedent !es 'memes accidents' (accidentia simi/ia), par ex. la personne et le nombre, et !'accord de 'proportion', lorsqu'ils ant des accidents 'correlatifs', par ex. le cas du nom qui correspond au mode du verbe (chap 3, sol. ad 2). La presence d'une relation de dependance bien formee est tout autant necessaire que la conformite des accidents: l'enonce a/bus currit presente bien !'accord des accidents, et neanmoins la construction est incorrecte du fait que les deux constructibles signifient dependenter (chap. 16 (1), sol ad 4). La fonction d'un constructible clans la relation de dependance a pour origine le fait qu'il signifie per se stanter ou a !'inverse dependenter. Gosvin explique aussi que le terme dependant doit etre 'formel', c'est le cas de l'adjectiflorsqu'il determine le substantif, ou de I' appot clans sa relation au sujet. C' est une idee que I' on trouve encore dans la Grammatica Speculativa de Thomas d'Erfurt 38 , et qui est une reformulation de celle que !'auteur du Domus gramatice attribue aPierre Helie, selon laquelle le terme regissant doit etre 'formel' par rapport au terme regi 39. L' on remarque au plan de la syntaxe le meme phenomene que nous notions au plan de la semantique (supra 4.1 ), a savoir un manque d'homogeneite dans Jes termes et notions utilisees. Cette caracteristique apparait bi en si I' on compare le traite de Gosvin aux traites modistes. Par exemple, ii est clair que Jes Modistes tentent de presenter un traitement unifie de la syntaxe en faisant reposer toutes Jes relations de construction sur le principe de la dependance. Gosvin admet theoriquement ce point, et pourtant l' on retrouve chez Jui la distinction entre exigere et regere, exigere recouvrant Ja relation de dependance OU de determination, regere etant reserve a une relation syntaxique faisant intervenir le cas. Cette imprecision du metalangage n'est

38. Ed. Bursill-Hall (1971), p. 280. 39. Domus gramatice, ed. Otto (1963), p. 55: 13-16; p. 55: 31-33.

INTRODUCTION

XXIX

pas propre a Gosvin. Nous la retrouvons notamment dans le Guide de l'etudiant, a propos de ces memes notions40 , mais elle constitue un trait assez general des traites du milieu du Xlll 0 siecle, oil l'on voit cohabiter l'ancien et le nouveau. Parrni les idees nouvelles, se trouve le principe que toute construction depend d'une relation de dependance, mais la notion plus ancienne de regime, qui poursuit son chemin dans la grammaire didactique, continue d'etre utilisee. Par opposition aces imprecisions, les Modistes, des la premiere generation, apparaissent comme des auteurs conscients de la portee des nouveautes introduites, desireux d' en tirer toutes Jes consequences, dans un grand souci de coherence theorique. Ainsi, alors que l' on retrouve chez Gosvin l' enumeration, classique dans Jes grammaires didactiques, des types de construction decrits a partir de leur valeur (ex vi possessionis, ex vi possessoris, ex vi demonstrationis essentie, etc.), Jes Modistes, cherchant a se situer a un plan de plus grande generalite, ne considereront plus le detail des differentes constructions, comme celles d'un nom avec le genitif, ne retenant que !es principes qui sont communs a toutes. 4.3. La Physique Un des traits qui nous semble caracteristique de la grammaire universitaire a partir de la premiere moitie du xme siecle est !'utilisation de la Physique d' Aristote 41 . Le fondement de cette utilisation est bien explicite par Gosvin : Constructio est motus rationis proportionatus motui in naturis (p 10) 42 . L'on recherche done dans une construction, comme dans un mouvement nature!, un terme initial (terminus initialis, principium) et un terme final (terminus finalis, terminus ad quern). On notera la presence du couple terminus initialis vs. finalis, que I' on trouve par exemple dans le Guide de l 'etudiant43 , la Glosa Admirantes44 ou les Sophismata de Robertus Anglicus, alors que Robert Kilwardby ou Roger Bacon se servent exclusivement du couple principium ( ou terminus a quo) vs. terminus (ou terminus ad quern), que reprendront Jes Modistes. Gosvin se refere parfois a un passage precis de la Physique, apropos d'une question qui paralt tout a fait triviale. Des considerations sur le mouvement du mobile, ou plus encore, sur une question aussi brulante que celle de l'eternite du temps ou du mouvement, n'interviennent que pour

40. Voir Rosier (1997a), p. 275. 41. Voir Kelly (1995) et Rosier (1997a) pp. 271-273 et (1997b). 42. Voir Roger Bacon, Summa gramatica, ed. Steele (1940): " ... constructio sit quidam motus et operacio racionis ". 43. Ed. Lafleur & Carrier (1992), § 212. 44. Voir Thurot (1869), p. 291.

xxx

INTRODUCTION

decrire la declinaison, qui fait passer du nominatif aux autres cas, comme un type de mouvement (declinatio est motus rationis). Ce recours a la Physique est important dans le Tractatus, qu'il s'agisse de la distinction entre le mouvement nature! "qui habet principium sui intra" et le mouvement volontaire " qui habet sui principium extra", invoquee pour expliquer I' absence de preposition dans la construction Vada Romam, de la definition averrolste du mouvement, exitus ab otio in actum, mentionnee pour justifier un usage impersonnel du verbe substantif, ou encore de la mutation dans la forme et permanence dans la matiere qui caracterisent la transformation, pour rendre compte de la transformation du participe en nom dans certaines constructions (voir infra, 5). 4. 4. La completude

Nous avons distingue ailleurs un certain nombre de traits qui nous semblent caracteristiques d'une approche grammaticale que nous avons qualifiee d"intentionaliste', prenant en compte la production du sens dans toute sa complexite, au dela de la simple union des constructibles par leurs modes de signifier. Ces traits se retrouvent aisement dans le Tractatus de constructione. C'est le cas d'abord de !'opposition entre deux intellections, premiere et seconde, l'intellection premiere etant celle produite par Jes modes de signifier, la seconde par le sens (i.e. la signification lexicale) des termes (chap. 6, ad 7-8 (nota)). Elle permet de distinguer entre deux types de correction, qui se rapportent a chacune des intellections. Contrairement aux Modistes, Jes auteurs qui revendiquent une telle distinction admettent done qu'un enonce soit acceptable sans etre grammaticalement correct. Ainsi I' enonce figure presente-t-il une discrepance en terme d' accord par exemple (ex. turba ruunt), tout en etant parfaitement acceptable, puisqu'intelligible, et meme optimal par rapport au sens que veut transmettre l'auditeur45 . Mais cette position vaut egalement pour Jes enonces ordinaires, et Gosvin mentionne l'exemple, lui aussi frequent, de la distinction entre lego et ego lego : sur le plan simple de la production du sens, ces deux enonces sont equivalents, mais ils ne le sont pas si l' on considere I' effet qu' ils produisent sur !es facultes sensitives et intellectives (chap. 14, ad 1. 7). Les Modistes, en revendiquant la stricte equivalence entre ces deux sequences, montrent bien qu'ils n'envisagent que le premier plan. Gosvin explicite d'ailleurs clairement !es deux aspects du fonctionnement du langage, le premier qui ne vise qu'a 'mouvoir Jes sens', le second qui cherche a 'mouvoir !'intellect'. 11 distingue ainsi, comme d'autres auteurs, une fonction purement informative du

45. Voir Rosier (1994), pp. 46 sq. et la bibliographie citee.

INTRODUCTION

XXXI

langage, qui s'adresse a la seule faculte sensitive et se fonde sur !'utilisation du discours ordinaire, correct et complet, et une fonction affective ou expressive, plus noble, qui peut recourir a des formes linguistiques plus complexes, eventuellement deviantes par rapport aux regles communes. Gosvin, contrairement a d'autres auteurs, ne veut pas rapporter chacune de ces fonctions a un type particulier de locuteur, d'un cote les rudes, de l'autre les bons auteurs et les philosophes (chap. 14, sol. ad 1, texte cit. supra 3 (4)). Comme Magister Johannes, il semble penser que chaque locuteur peut utiliser, comme bon lui semble, le langage selon l'une ou l'autre fonction, ce qui permet d'evaluer la correction d'un enonce de deux manieres differentes 46 . De maniere caracteristique egalement, Gosvin propose, comme d'autres, un modele tres general de completude integrant les enonces grammaticaux ordinaires, les enonces formellement incomplets (" tronques "), mais dont Jes elements manquants peuvent fare restitues en contexte, et les enonces figures, grammaticalement incorrects, mais qui peuvent etre ramenes a des enonces corrects si l' on comprend la raison de la variation formelle, qui fournit la ratio excusans de la figure 47 . L'on mentionnera en troisieme lieu l'importante distinction entre actus significatus et actus exercitus, invoquee, en un passage que l' on retrouve dans les sophismata grammaticalia de Robertus Anglicus, pour expliquer que certains enonces ou l'acte est exerce, et non pas signifie, n'ont pas besoin de verbe exprime (chap. 23, sol. ad 2) 48 . II est notable, dans cet ordre d'idees, que le traite de Gosvin sur la construction, s'ouvre et se ferme sur !'affirmation de la dimension intersubjective du langage. La premiere phrase, citant la ce!ebre maxime de Platon, exprime au mieux la fonction qu'a celui-ci de nous permettre d'exprimer a autrui ce que nous pensons. Et le traite se conclut sur une etonnante affirmation imputee a Priscien, selon laquelle de nombreux grammairiens redouteraient de poser une difference entre correction et completude. Gosvin defend fermement l'idee que si la correction ne depend que de l' accord des accidents ou des modes de signifier, la completude repose sur !'apprehension du sens: si la prononciation d'un enonce ne laisse pas !'esprit de l' auditeur au repos, formule empruntee a Aristote, al ors, meme bien forme, ii sera juge " incomplet" ou " imparfait ". Doit-on voir dans cette affirmation une intention polemique? II est vrai que les premiers Modistes, comme Martin de Dacie 49 ,

46. Voir l'apparat de !'edition infra, n. 92. 47. Pour des points de comparaison, voir Rosier (1994), chap. 1. 48. Voir Rosier (1994), chap. 5. 49. Modi signijicandi, ed. Roos (1961), p. 112:19-22.

XXXII

INTRODUCTION

n'admettent pas ce recours au sens pour definir la completude, et affirment en consequence qu'un enonce ne produit du sens que s'il est correct grammaticalement. Gosvin donne pour la completude un certain nombre de conditions formelles, telles la presence d'un supp6t et d'un app6t et la conformite des accidents, et mentionne ensuite l'apprehensio sententie, qui peut soit etre immediatement perceptible, dans un enonce complet ad sensum, soit necessiter un des processus de reconstruction dont nous avons parle, dans un enonce complet ad intellectum. 5. L'AUTEUR

Le Tractatus de Gosvin de Marbais est contenu dans le ms. Paris, BnF lat. 15135 (f. 72ra-84va), anciennement Saint-Victor 548. Notre traite faisait partie du ms. cote JJJ 24 (puis Dd 18, 566) dans l'inventaire de Claude de Grandrue, ainsi signale: "Alius tractatus de grammatica signanter de constructione " 50 Les ouvrages que contenait originellement ce manuscrit de Saint-Victor ont ete disperses et se retrouvent aujourd'hui dans plusieurs manuscrits (Paris, BnF lat. 15135, Paris, BnF lat. 8471 et Berne 51951 ), mais notre grammaire est restee dans le ms. Paris BnF lat. 1513 5. La description du ms. ci-dessous precise parfois entre crochets la description initialement donnee par Claude de Grandrue en 1514, et nous ajoutons en note !es ceuvres originellement contenues clans le ms. de Saint-Victor mais ensuite dispersees clans divers autres manuscrits. L' on remarquera que le ms. originel comportait plusieurs ceuvres de grammaire ou de litterature, et notamment des ouvrages de Jean de Garlande et de Geoffroy de Vinsauf. Paris, BnF lat. 1513 5 f. 1-10 Anon, De grammatica f. 11 versus [Quedam inter que metra quedam] f. 13r-2lr 52 Translatio sancti Nicolai 53 54 f. 36r-40v Fassio sancti Cyrici et [Julittae} matris5 5

50. Le catalogue de la bibliotheque de l 'abbaye de Saint-Victor de Paris de Claude de Grandrue, 1514, ed. par G. Ouy, Paris: CNRS, 1983, pp. 365-366. 51. E. Pellegrin, 1942, "Manuscrits de l'abbaye de Saint-Victor et d'anciens colleges de Paris a la Bibliotheque municipale de Berne, a la Bibliotheque Vaticane et a Paris", Bibliotheque de I 'Ecole des Charles 103, 69-98, voir pp. 77 sq. 52. Le mss. JJJ 24 contenait ensuite au f. 25 un Compendium artis musice metrificate et ars discantandi. 53. Voir Catalogus codicum hagiographicorum /atinorum, t. III, Paris, Picard, 1893, p. 301. 54. Le ms. JJJ 24 contenait ensuite au f. 41, la Summa de sanitate servanda a magistro Johanne de Toleto composita; puis au f. 51, le Distigium de Johannes de Garlandia [decrit comme:

INTRODUCTION

f 72-86va f 86 56 f.113 57 f 133

f 163 f. 201

f. 260

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Magister Gosvinus de Marbais, Tractatus de constructione [Alius tractatus de grammatica signanter de constructione] Varie epistole [Copie plurium litterarum, inter quas sunt plures concementes statum monasterii Sancti Victoris Parisiensis, signanter de morte Thome, prioris eiusdem loci] Esopus58 Versus [metra secundum ordinem litterarum alphabetii, sumpta de diversis auctoribus, ad probandum productionem vel brevitatem quarumdam dictionum] Geoffroy de Vinsauf, Poetria Nova 59 [Nova poetria Gaufridi metrificata] Johannes de Garlandia, Liber de aequivocis [Liber g maticalis metricus et glosatus qui dicitur Equivoca] Quesita quedam grammaticalia cum responsionibus eorum60

Le nom de !'auteur nous est donne a la fin du traite: Explicit tractatus Magistri Gosvini de Afarbais. Que ce maltre Gosvin ait enseigne la gramrnaire nous est confirme par un exemple: "Gosvinus legit tractatum suis scolaribus" (f. 80va). Nous ne trouvons dans le traite aucune information sur !'auteur, mises a part Jes mentions, peu explicites, de Saint-Denis d'un c6te 61 , et d'une visite du roi a Sois-

Metra de grammatica incipientia: Cespitat in phaleris cum eorum glossis], et au f. 57, un Liber grammaticalis dictus dictionarius glosatus: ces f. 51-71 se trouvent actuellement dans le ms. Berne 519, f. 140-160. 55. Voir Catalogus, op. cit., p. 302. 56. Aux f. 96-112 etait le texte incomplet des Fabulae d'Avianus [decrit comme Quadraginta duo capitula metrorum moralium] aujourd'hui dans le ms. Paris BnF lat. 8471, f. 1-17. 57. Les f. 130-131 contenaient le De lupo, attribue a Ovide et a d'autres auteurs, aujourd'hui dans le ms. BnF lat. 8471, f. 18-19. 58. Voir J. Bastin, Recueil general des Jsopets, t. 2, Paris, 1930, p. IV. 59. Ed. par Fara! (1924), voir p. 27 et 197-262; voir E. Cadoni, Goffredo di Vinsauf de tribus sociis (Commedie latine del XI!e e XI/le secole, II), Genes, 1980, p. 314. 60. Pour la description du contenu du ms. de Saint-Victor, nous renvoyons a la nouvelle edition de l'ouvrage de G. Ouy, cit. supra n. 50; ii y donne egalement la description du ms.: "Parch. 155xl05mm ' Collection de fragments constituee a Saint-Victor, sans doute vers la fin du XV siecle." Pour le traite de Gosvin, ii donne la description suivante: "(ff. 72-85). XIII' s. (debut), belle minuscule de tres petit module sur 2 col.... ". La datation que nous proposons pour le traite, fondee uniquement sur le contenu doctrinal, est posterieure (voir infra). 61. Chap. 17: "Si ad questionem factam per ubi et quo respondentur propria nomina, aut ergo respondentur propria nomina regionum vel civitatum. Si nomina regionum hoc est mediante prepositione, ut ad Ytaliam vel in Ytalia. Si vero respondentur propria nomina civitatum hoc est dupliciter, aut significatur per c!fcumlocutionem aut per simplicem dictionem. Primo modo respondetur mediante prepositione, ut ad sanctum Dyonisium et in sancto Dyonisio. "

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sons62 . Le Chartularium ne mentionne pas de maitre de grammaire de ce nom pour le XIII0 siecle. Marbais est dans la province de Brabant De fait, ce prenom Gosvin (Gossuinus, Goswinus) etait cornmun au Moyen Age dans cette region (voir Gossuin de Bossut, moine de l'abbaye cistercienne de Villiers en Brabant, v. 1230; Goswin de Hex, t 1475, ne aLoenhaut dans le Brabant)63 . Antoine Dondaine, reprenant le dossier de !'action judiciaire menee contre Siger de Brabant par l'inquisiteur de France, Simon Duval, a etabli que c'est en compagnie de deux autres maitres, Bernier de Nivelles et Goswin de la Chapelle, que Siger fut cite, le 23 novembre 1276, a comparaitre pour crime d'heresie a SaintQuentinM Ces maitres sont mentionnes, dans la citation, comme chanoines a Liege, Siger a Saint-Paul, Goswin de la Chapelle et Bernier a Saint Martin de Liege65 . Les maitres ne se presenterent pas le 18 janvier 1277, mais ii n'est pas sur qu'ils furent pour autant condamnes, puisque !'on sait, pour Siger et Bernier du moins, qu'ils poursuivirent leur carriere de chanoine66 . Quelques annees plus tard, Siger se rendit en Italie a la Curie pontificate, OU il fut poignarde le 22 fovrier 1281 par un secretaire devenu fou. Une lettre de Peckham, du 10 novembre 1284, indique que Jes deux principaux auteurs de la doctrine jugee heretique de !'unite de la forme substantielle etaient deux clercs seculiers, qui seraient morts en Italie. Etant donne que Bernier est mentionne dans des documents posterieurs a la condamnation de 1277, et que Boece de Dacie semble etre entre chez !es Dominicains apres cette date 67 , on a pense que Goswin pouvait etre le second maitre qui accompagna Siger en Italie, pour y mourir avec lui68 , une hypothese a laquelle ne souscrit pas KA Gauthier69 . Ces evenements sont a I' origine de la" legende de Siger '', selon laquelle Siger aurait ete exile en Italie 62. Chap. 17: "Si sint tertie declinationis respondetur ad ubi per ablativum ut '[,'bi est rex ?' Suessione '. " 63. Le P. Bataillon nous signale !'existence d'un frater Gosvinus, a Paris en 1272, qui a donne deux sermons, l'un chez les Beguines, l'autre aux Champeaux, mais ce predicateur ne pouvait etre un maitre es arts. 64. VoirDondaine(l947). 65. " ... Districte vobis et cuilibet vestrum precipiendo mandamus, quatenus (magistrum) Sugerum de Brebancio canonicum S. Pauli Leodiensis et magistrum Gossioynum de Capella canonicum sancti Martini Leodiensis et magistrum Bemerum de Vuulla (leg. Nivella) canonicurn eiudern de crirnine heresis probabiliter et vehementer suspectos ... ",ibid. p. 192. 66. Ibid., p. 26-27. 67. Le P. Bataillon nous precise cependant que cette information, que transrnettent les anciens catalogues des ecrivains de l'Ordre des Precheurs, n'est pas confirmee. 68. Dondaine (1947), pp. 190-191. 69. Gauthier (1984), p. 27.

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a la suite des condamnations de 1277, pour y mourir miserablement' 0 . A Dondaine suggere comme "simple hypothese de recherche" que ce Goswin de la Chapelle, compagnon de Siger, pourrait etre le grammairien Gosvin de Marbais~ . Si cette hypothese s'averait exacte, elle nous donnerait une indication precise sur la datation du traite. En effet, avant ces evenements, Siger avait ete au cceur de ce conflit institutionnel que !'on appelle la 'scission des Normands', et que relate le cardinal-Jegat Simon de Brion72 . L'election d' Aubry de Reims comme recteur, a Noel 1271, avait ete refusee par la majorite de la nation normande, ainsi que par trois autres maitres, un de la nation fram,:aise, un de la nation picarde et un de la nation anglaise. Ces maitres, consideres comme ayant fait scission, ne furent pas convoques a !'election du successeur d' Aubry, le 25 mars 1272, et elirent de ce fait a leur tete leur propre recteur, le picard Siger de Brabant, la faculte des arts se retrouvant alors avec deux factions, chacune avec son recteur, jusqu'a !'arbitrage du cardinal, le 7 mai 1275. On peut penser que c'est a la suite de ces evenements que Siger repartit, avec ses deux compagnons, Bernier de Nivelle et Goswin de la Chapelle, pour Liege, ou ils se trouvaient au moment ou ils furent convoques par l'Inquisiteur, le 23 novembre 1276. Si Goswin de la Chapelle et Gosvin de Marbais sont le meme personnage, !'on pourrait done dater le Tractatus d'avant 1275-76, de la periode ou Jes trois maltres etaient encore a Paris. Par ailleurs, puisque, au moment de !'election de Noel 1271, un seul maitre de la nation picarde est designe .comme ayant refuse I' election, cela implique que Goswin et Bernier n'etaient a cette epoque que des bacheliers; on peut en effet penser qu'ils figurent parmi !es sequaces de Siger mentionnes dans le recit de Simon de Brion73 . Etant donne que !'auteur du Tractatus est designe comme magister Gosvinus, si !es deux Gosvin etaient le meme personnage, le traite aurait ete compose apres Noel 1271 ou apres !'election de Siger en mars 1272- 4 . 1

70. Voir Dondaine (1947), pp. 189-190; Nardi (1948); Gauthier (1984); Libera (1994), pp. 35 sq. 71. Ibid., n. 48, p. 181. 72. Chartularium Universitatis Parisiensis, t. I, n° 460, pp. 521-530; voir Gauthier (1984), pp. 20-25; voir aussi Libera (1991), pp. 163-165. 73. Chartularium, ibid., p. 521. 74. Ceci n'est qu'une hypothese, comme nous le fait remarquer le P. Bataillon, puisque ces maitres ne sont pas nommes dans I' arbitrage du Jegat. Le fait que Bernier et Goswin soient associes dans la convocation ulterieure de l'lnquisiteur en 1276 ne prouve pas en effet qu'ils etaient Jes sequaces de Siger dans le con.flit anterieur du 'schisme des Normands'. S'ils ne sont pas Jes sequaces de Siger, ils peuvent alors tres bien avoir ete d~ja maitres a cette epoque. Gauthier (1984, p. 24), qui avance l'hypothese qu'ils sont bien Jes sequaces mentionnes par Simon, et done des

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Les donnees confirmees, concernant Goswin de la Chapelle, sont done minces. On sait seulement qu'il fut convoque a comparaltre en compagnie de Siger de Brabant et de Bernier de Nivelles, alors qu'il se trouvait a Liege, en novembre 1276, qu'il ne se presenta pas a Saint-Quentin, et qu'il etait a cette epoque maltre et chanoine de Saint-Martin de Liege. Si I' on recherche maintenant ce qui pourrait justifier !'identification de Goswin de la Chapelle avec Gosvin de Marbais, auteur de notre Tractatus, on peut avancer trois arguments, eux aussi assez fragiles. Le premier est d' ordre chronologique : du point de vue de la doctrine grammaticale, en effet, ces annees 1270 pourraient tout afait correspondre a la date de composition du traite, ce que confirment !es differents paralleles que nous avons cites, notamment avec !es sophismata de Robertus Anglicus. Le second est d' ordre geographique : Marbais est en effet, nous I' avons dit, dans la province du Brabant, proche de Liege. Le troisieme enfin, que nous allons maintenant explorer, est d'ordre doctrinal. En !'absence d'indices historiques probants, nous pouvons en effet lire le Tractatus de constructione, pour chercher si certains points de doctrine s'apparentent a celles de Siger, des averro!stes, ou plus generalement des philosophes de la faculte des arts du troisieme quart du xrne siecle, soit encore se retrouvent dans la liste des propositions condamnees par Etienne Tempier en 1277. En effet, meme s'il est maintenant assure que le conflit de 1272-1275, dans lequel fut implique Siger, etait d'ordre corporatiste, que la 'pars Sigerii' ne peut plus etre confondue avec le 'parti' des averro!stes, et que la citation de l'Inquisiteur contre Siger et ses compagnons est de toutes faiyons anterieure aux condamnations de 1277, !es positions soutenues par Siger peuvent bien, en partie du moins, etre qualifiees d'averro!stes et avoir ete, parmi d'autres, visees par !es condamnations. Et !'on peut vraisemblablement penser que de telles positions ont pu influencer ses compagnons. Deux paralleles entre le Tractatus et !es theses condamnees en 1277 sont particulierement interessants. Le premier concerne le fameux ideal philosophique, revendique par les maltres es arts, le second l'eternite du temps. Nous avons par ailleurs releve un certain nombre de theses philosophiques, pour lesquelles ii serait interessant de retrouver des paralleles qui permettraient de situer plus precisement le milieu de notre grammairien. (1) Ideal philosophique. Chap. 23, arg. 1 A. Item patet per Priscianum qui dicit 'Legere est bonum', 'Philosophari est optimum'.

bachehers de Siger, suggere qu'ils auraient pu devenir maitres entre 1271 et 1276, la pars Normanorum ayant procede ades promotions a la maitrise.

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Cet exemple Philosophari est optimum, construit grammaticalement sur Legere est bonum, effectivement atteste chez Priscien15 , rappelle bien entendu la proposition 40 condamnee par Etienne Tempier: "Quad non est excellentior status quam vacare philosophiae" (Hissette, n° 1, p. 15). On sait que cet ideal proclamant la philosophie comme but de l'homme, terme auquel il pouvait s'arreter (ibi statur), etait bien revendique par les maitres parisiens, notamment clans leurs introductions a la philosophie. On trouve un tel eloge de la philosophie chez Aubry de Reims, Siger de Brabant ou Boece de Dacie16 . (2) Eternite du temps. Chap. 14, arg. 2.3. (Opp.) Preterea cum per eternitatem temporis probet Philosophus eternitatem motus, et non econverso, patet ergo quod motus et tempus inter se convertuntur, ut

Sol. ad 1. Solutia. Ad primum dicendum quod nominativus cum obliquo

non construitur gratia substantie, cum talis constructio fiat gratia dependentie, et substantia sit principium per se standi. Nee etiam ratione qualitatis generalis ; nam cum illa sit in omni nomine, sicut arguitur, tune omne nomen posset poni in tali constructione ; quod falsum est. Sed constructio nominativi cum obliquo fit gratia qualitatis extrinsece diversimode dependentis ad alterum sicut iam videbitur. Et nota quod dicitur 'qualitatis extrinsece' ad differentiam qualitatis intrinsece. Qualitas intrinseca est ilia que per vocem significatur ut homo etc. Qualitas vero extrinseca est illa que vocem consequitur consignificativa'""ii, ut cum dicitur : 'capa Sortis', sensus est : capa que est possessio Sortis.

38. Cf. Simon, Domus gramatice, p. 58.

TRACTATUS DE CONSTRUCTIONE

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Et notandum quod triplex est dependentia. Est enim dependentia declinationis qua obliqui dependent a recto. Et est alia dependentia derivationis qua dependet derivativum a suo pnm1t1vo, et ratione talis dependentie non fit predicta constructio. Et alia""viii est que fit ratione 39 qualitatis . Et hec est duplex. Una qua dependet dispositio ad suum dispositum, sive adiectivum ad suum substantivum, et ratione talis dependentie non fit predicta constructio ; alia est dependentia qualitatis ad id cuius est et sic construitur cum genitivo, vel cui acquiritur et sic cum dativo, vel a quo terminatur et sic cum accusativo, vel a quo efficitur et sic cum ablativo. Ad 1.2. Ad rationem in oppositum dicendum est quod qualitas specialis secundum id quod est principium veri vel falsi, non est principium talis constructionis, tamenxxix ratione modi significandi potest esse principium, ut 40 dictum est in precedentibus .

Sol. ad 2. Quod autem querebatur utrum proprium nomen construatur, dicendum est quod non, cum talis constructio fiat gratia qualitatis specialis extrinsece dependentis ad aliud, et substantia prima nee tota nee bipertita 41 dicitur ad aliud, ut significantie, ut vivo vitam. Ibi enim est antitho//80vb//sis , scilicet positio casus pro casu, scilicet accusativi pro ablativo, quia vivo vita convenienter dicitur. 124 Sciendum tamen est, sicut dicit Priscianus , quod verba transitiva possunt construi absolute et econverso absoluta transitive. Gratia huius queritur utrum verba absoluta possint transire in rem alienam. Et gratia exempli ponatur ilia oratio vado Romam, circa quam ad presens duo sunt inquirenda 1. Primum de constructione huius verbi vado cum accusativo Romam. 2. Secundum erit utrum Ii Romam sit nomen vel 125 adverbium .

123. Priscianus, lnstitutiones grammaticae XVIII, 155 (GLK III, p. 277: 19-26). L'expression more passivorum est utilisee a propos de la construction des impersonnels de sens passif, voir ibid. XVII, 91 (GLK III, p. 158: 22-23). 124. Priscianus, Institution es grammaticae XVIII, 36 (GLK III, p. 270 : 23 sq.). 125. Sur cet exemple, voir !es references dans Rosier (1991), n°' 175, 176, 177. Venant de Donat, cet exemple est deja analyse au xn• siecle, on le rencontre au XIII• s. notamment dans le Doctrinale, v. 148, la glose Admirantes (voir Thurot (1869), pp. 332-334) et le Super Priscianum minorem de Robert Kilwardby (ad XVII, 44). Sur !es correspondances avec le sophisme n° 15 des Sophismata grammatica/ia de Robertus Anglicus, voir intro. supra, par. 3 (4).

TRACTATUS DECONSTRUCTIONE

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1. Circa primum proceditur in hunc modum, ostendendo quod incongrue dicitur : 'vado Romam', 1.1. primo, tali ratione, quia differentia assignatur inter verba transitiva et verba absoluta : verba enim transitiva transeunt in rem alienam, ut video magistrum, sed verba absoluta solum transeunt in rem propriam, ut vivo vitam. Cum ergo hoc verbum vado sit absolutum, quia non format de se passivum, ergo accusativum non requiret alienum. Sed Ii Romam rem significat alienam. Quare incongrue dicitur : 'vado Romam'. 1.2. (Opp.) In oppositum dicendum est: vado et venio significant motus contrarios et respectu diversorum terminorum, quoniam venio significat motum localem comparatum ad terminum initialem, qui significatur per ablativum ; sed vado significat motum localem respectu termini finalis qui significatur per accusativum. Ex hoc arguitur in hunc modum. Sicut se habet hoc verbum venio ad ablativum, ita se habet hoc verbum vado ad accusativum. Sed hoc verbum venio sine prepositione construitur cum ablativo. Quare sicut convenienter dicitur : 'venio Roma', convenienter dicetur : 'vado Romam'. 1.3. (Opp.) Item, convenienter dicitur: 'vado viam', 'curro spatium', et hoc est quia, licet Ii viam et Ii spatium non significent proprium terminum motus localis, tamen significant quandam dispositionem motum localem immediate consequentem. Similiter, cum per proprium nomen importetur proprietas immediate finiens motum localem, ut videtur, ex ordinatione sui motus localis cum termino proprio sufficienter intelligitur prepositio 1'. Queritur utrum hoc habeat veritatem et videtur quod sic, tali ratione. l'.1. Omnis passio propria immediate unitur cum subiecto. Cum igitur nomen proprium importet quandam proprietatem immediate finientem motum localem, ex ordinatione unius cum altero sufficienter intelligitur prepositio. 1' .2. (Opp.) Si hoc concedatur, contra. Mai or appropriatio importatur per pronomen demonstrativum quam per nomen proprium, quod patet per 126 Priscianum dicentem, si queratur : 'Quis currit?' et respondeatur : 'Aiax', indiget ulteriori questione et respondetur : 'Thelamonius' vel 'Oleney filius'. Sed si respondetur pronomen demonstrativum, ut iste vel ille, non indiget ulteriori questione. Patet ergo quod maior importatur appropriatio per pronomen demonstrativum quam per nomen proprium. Sed ex ordinatione motus localis cum pronomine demonstrativoixxvii non intelligitur prepositio. Ergo nee ex ordinatione ipsius cum nomine proprio. Et ita cum inconvenienter dicitur: 'vado //8 lra// hanc villam', inconvenienter dicetur : 'vado Romam'.

126. Priscianus, lnslitutiones grammaticae XVII, 35 (GLK III, p. 130 : 5-6).

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GOSVIN DE MARBAIS

Nota quod propria nomina ratione habilitatis vocis habent pluralem numerum, ut duo Aiaces. Sed ratione impositionis sue actualis et institutionis non habent pluralem numerum. 1' .3. Item, sicut Roma est nomen proprium, ita Anglia vel Ytalia est nomen proprium. Sed inconvenienter dicitur : 'vado Ytaliam', quod patet per 127 Donatum qui