Textiles, parfums, bijoux et Cie
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Muriel CHIRON-CHARRIER Illustrations de Wiebke Drenckhan

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Marie Curieuse

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Imprimé en France ISBN : 978-2-7598-1068-0 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

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SOMMAIRE MARIE CURIEUSE SE POSE ENCORE DES QUESTIONS… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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1re Partie : Des fibres dans mes textiles, mais lesquelles ?

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1 − MERCI LES BÊTES !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 2 − DES VÉGÉTAUX POUR HABILLER DE BELLES PLANTES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 3 − LES ROBES OSENT LA CELLULOSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 4 − QUAND LA CHIMIE M’HABILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53

2e Partie : D’ou viennent les couleurs des habits ?

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1 − JALOUSE D’UNE PERRUCHE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 2 − MON PANTALON JAUNE CITRON OU MA MINIJUPE ROUGE ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

3e Partie : Pourquoi les parfums sentent-ils bon ?

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1 − DES OVNI DANS MON NEZ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 2 − CIVETTE POUR STARLETTES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

4e Partie : Un petit (tout petit…) caillou brillant pour terminer ?

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1 − QUELQUES PIERRES DE PIERRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143 2 − DIAMONDS ARE MARIE’S BEST FRIENDS . . . . . . . . . . . . . . . 153 BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173

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MARIE CURIEUSE SE POSE ENCORE DES QUESTIONS… Quel casse-tête pour Marie, chaque matin, que de devoir trouver une tenue adéquate ! Pourtant ses placards débordent  ; elle ne peut plus fermer les tiroirs de sa commode. Mais non, vraiment, elle n’arrive pas à choisir les vêtements qu’elle mettra aujourd’hui. Finalement, si elle n’avait que deux pantalons et trois tee-shirts, la décision serait rapide, mais le plaisir ne serait pas au rendez-vous. Et puis, elle ne pourrait pas cancaner sur ses collègues ou se moquer de sa voisine, si elle ne faisait pas elle-même étalage du dernier look à la mode. Être habillée deux jours de suite de la même façon, quel sacrilège ! S’il s’agissait seulement de choisir une forme, la difficulté serait moins ardue, mais il faut aussi sélectionner une matière et une couleur.

Alerte à Malibu avec des maillots de bain en laine…  Si elle avait vécu au xe siècle, elle n’aurait hésité qu’entre lin et laine. Pas de quoi faire des folies ! Un peu plus tard, elle aurait pu opter pour des soieries lumineuses ou des cotonnades fraîches et colorées. Mais Marie est une jeune femme active du xxie siècle et elle dispose de quantités de fibres nouvelles aux qualités exceptionnelles. Si elle devait se trémousser en boîte de nuit avec une jupe

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Textiles, parfums, bijoux et C ie plissée en laine, elle ferait moins la fière ! Suivre son cours de gym abdo-fessier avec un pantalon en soie ne serait pas très adapté non plus. Et que dire des maillots de bain… Forcément notre curieuse a envie de tout savoir sur les fibres textiles d’hier et d’aujourd’hui.

Miroir, dis-moi, quelle couleur me rend plus belle ? Et la couleur !... Laquelle sera donc en phase avec son humeur ou son teint ? Les teintures offrent tellement de possibilités que cela n’améliore pas le temps de préparation du matin. Et si encore la tenue suffisait ! Elle va devoir ensuite se parfumer. Tant de questions en perspective… Mais elle ne nous lâchera pas tant que nous n’aurons pas répondu à toutes ses interrogations. Normal, quand on s’appelle Marie Curieuse !...

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MERCI LES BÊTES ! Heureusement que les animaux sont toujours là, prêts à rendre service pour notre confort et notre bien-être. Sans les poils du mouton et la bave de la chenille, que serions-nous devenus ? Nous aurions pris froid de générations en générations et nous continuerions à nous promener tout nus… Marie reste songeuse à cette idée, pas sûre que le spectacle serait toujours enthousiasmant. Comme tout le monde, elle aime bien les moutons. Ils font tellement partie de notre vie ancestrale, ils ont tant marqué nos civilisations qu’ils ont imprégné notre vocabulaire et inspiré l’imaginaire populaire. Pas une histoire sans loup et mouton. Tous les enfants ont joué à saute-mouton. Pour Marie, trouver sa tenue du matin, c’est comme chercher le mouton à cinq pattes… Un petit pull en laine ?

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À poils ! Utiliser la peau des animaux pour se vêtir est une idée archaïque qui a germé dans le cerveau de l’homme préhistorique. L’expérience qu’il en fit lui permit de se rendre compte que les bêtes à poils assuraient une meilleure protection contre le froid. Quand est-ce que l’envie lui prit de n’utiliser que le poil et de laisser son cuir à l’animal ? La date précise est bien difficile à estimer.

11 000 ans à compter les moutons … La domestication des moutons et des chèvres commence 9 000 ans avant notre ère, sur les hauts plateaux du nord de l’Irak. Il semblerait que le mouton ait fait son « apparition » en Europe 4 500 ans plus tard. Était-ce une pauvre brebis égarée qui se retrouva là par hasard ? Une brebis galeuse rejetée par les siens ? Des découvertes archéologiques montrent que le commerce des tissus débute au septième millénaire avant J.-C. Les plus anciens résidus de tissus ont été trouvés en Turquie (Anatolie), suivie de près par l’Égypte et la Palestine. Ils sont datés de 6 000 ans avant J.-C. et sont constitués de laine et de lin. Ce sont les fils les plus anciens. Trouver des fragments de tissus ancestraux est une tâche bien difficile, la matière étant fragile et non destinée à durer.

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Lambeaux de vie Les vêtements sont rarement conservés précieusement, en particulier s’ils sont ordinaires. C’est pourquoi les traces retrouvées sont souvent issues de tombeaux, provenant d’étoffes non portées, donc non usées et gardées à l’abri des intempéries. Les tenues complètes exposées dans les musées sont rarement celles de gens du peuple, mais plutôt des habits réservés à une élite, qui n’ont pas connu l’usure. Ils ne reflètent pas les costumes ordinaires mais nous renseignent toutefois sur la nature des fibres employées.

Croisement de mots Le vocabulaire lui-même a bien sûr évolué. Le mot tissu vient de tissage, opération consistant à croiser des fils pour les maintenir serrés les uns contre les autres. Ce mot est assez récent. Il a remplacé le terme ancien d’étoffe, longtemps usité. Devenu désuet, ce dernier évoque de nos jours des tissus épais, riches, luxueux.

À chacun son bas de laine Bien que le mouton soit de loin notre principal fournisseur, il n’est pas le seul animal à céder généreusement sa toison. Pas de bouc émissaire, mais des chèvres, des lapins, des lamas remplissent avec plus ou moins d’enthousiasme ce rôle. Géographiquement et socialement, la laine est universelle. Elle a toujours été portée par tous, du plus riche au plus pauvre, à travers les âges. Elle a marqué l’histoire de l’Europe par ses échanges commerciaux. Les moutons étaient tondus dans un pays, leur laine envoyée

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Textiles, parfums, bijoux et C ie dans un autre pour être nettoyée et filée, poursuivant son périple pour être tissée encore ailleurs. Les moutons seraient tout ébouriffés s’ils savaient le chemin parcouru par leurs petits poils…

Quand les mots s’échangent La laine fut pendant des siècles la fibre de base pour toutes les étoffes. Le terme de drap utilisé de nos jours pour le linge de lit désignait autrefois le produit issu de son tissage. Quant au mot lainage, il désignait initialement l’opération qui consistait à gratter une des faces du drap pour faire ressortir les poils. C’est le tissu lui-même qui finit par prendre ce nom.

Petit mouton devint très grand En Europe, l’Angleterre développa une grande industrie lainière au xviiie siècle, s’impliquant dans toutes les étapes, de la production de laine au tissage, sa voisine écossaise donnant naissance au fameux tweed. L’ancienne Flandre, aujourd’hui partagée entre les Pays-Bas et la Belgique, joua également un rôle important dans le commerce de ces étoffes. Elle ne produisait pas de laine mais l’achetait de pays producteurs européens et devint un lieu de fabrication des draps de laine. En France, les régions marquées par cette industrie furent essentiellement

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le Nord-Pas-de-Calais et la Normandie, orientées dans la création de laine peignée, tandis que le sud de la France était plutôt spécialisé dans la laine cardée. Aujourd’hui le premier producteur mondial est l’Australie.

Les femmes aussi veulent leurs petites laines Un virage important fut pris pour l’industrie lainière lorsqu’au xixe  siècle, les femmes, éprises d’émancipation et de plus de facilité à se mouvoir, puisèrent dans la garde-robe des hommes. Les lainages épais, aux couleurs souvent peu chatoyantes, durent évoluer pour se mettre à leur goût.

Il n’y a que les mailles qui m’aillent Au xxe siècle, l’apparition du jersey marqua une étape importante. Le tissage n’était plus le seul moyen d’assembler les fibres textiles. Elles pouvaient également être tricotées, formant des mailles. Les fils n’étaient alors plus croisés mais entrelacés, créant des boucles. Il fut consacré dans un premier temps à la production de bonnets et de bas, d’où le terme de bonneterie. Ce nom jersey s’inspire des tricots que portaient les marins de l’île de Jersey. Cette nouveauté acquit un rang de matière textile de premier plan, grâce à Coco Chanel qui créa de nombreuses robes et tailleurs en jersey, malheureusement absents de la garde-robe de Marie.

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Pas question de se laisser manger la laine sur le dos ! Tout n’est pas bon dans le mouton  ! Les différentes régions de son anatomie donnent des laines de qualités différentes. Les meilleures se trouvent sur le dessus du dos, dans le cou et sur l’épaule. Le mouton sauvage perd ses poils au printemps, contrairement à celui d’élevage, qu’il faut tondre. La fameuse race Mérinos, originaire du Maghreb puis élevée en Espagne, produit la plus belle laine. Cela ne se voit pas de prime abord, mais dans chaque toison, il y a deux types de poils : les longs et les courts, pour lesquels le traitement est différent. Nos autres amis poilus, le lapin angora, la chèvre mohair ou cachemire et l’alpaga, nous offrent des toisons produisant des lainages aux qualités exceptionnelles. Il suffit de se renseigner sur le prix d’un pull en mohair ou d’un gilet en cachemire pour comprendre que l’achat lui-même est forcément exceptionnel. Marie pourrait vous en parler, sa carte bleue s’en souvient encore…

Des molécules au poil ! D’un point de vue chimique, le constituant principal de la laine est la kératine, une protéine. On doit parler en fait de kératines au pluriel, car les protéines diffèrent

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selon l’animal. Cette kératine que chacun connaît pour être présente dans les cheveux et les ongles n’est pas spécifique à l’espèce humaine mais se retrouve aussi chez nos amis les bêtes. Celle des poils de mouton est une molécule complexe constituée d’acides aminés, parmi lesquels l’acide glutamique, la cystéine, la leucine, l’arginine et la proline sont majoritaires.

Travail à la chaîne Une protéine est une grosse molécule – une macromolécule – formée par l’accrochage de molécules plus petites appelées acides aminés. Ces derniers sont des acides carboxyliques qui comportent une fonction amine (atome d’azote lié à l’atome de carbone placé juste avant la fonction acide) et une fonction acide (un atome de carbone lié à un atome d’oxygène par une double liaison et à un groupe atome d’oxygèneatome d’hydrogène). Les acides aminés sont comme les maillons d’une chaîne, cette dernière constituant la protéine. La cystéine comprend un atome de soufre, ce qui permet la formation de ponts disulfures (par les atomes de soufre) entre chaînes, responsables de la résistance de la fibre. Parmi les acides aminés, certains comportent une fonction acide ou une fonction amine supplémentaire, ce qui permet la création de liaisons ioniques entre chaînes.

La laine n’aime pas les basiques La laine supporte très bien les solutions acides. Celles-ci améliorent même ses capacités tinctoriales. C’est pourquoi elle peut être teinte de toutes les couleurs,

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Textiles, parfums, bijoux et C ie à l’aide de teintures légèrement acides. Les solutions basiques sont à proscrire car elles la dégradent de façon irréversible. Il ne faut donc pas utiliser de lessives dites alcalines, terme ancien qui désigne les substances basiques. Les savons classiques et la plupart des lessives le sont. L’eau de Javel (hypochlorite de sodium), solution basique également, est à éviter puisqu’elle détruit les écailles de la fibre et la jaunit. Pour la blanchir, il vaut mieux utiliser l’eau oxygénée (peroxyde d’hydrogène) qui la décolore sans l’abîmer. Un dernier détail qui peut avoir son importance si vous souhaitez vous débarrasser de vieux pull-overs en les brûlant dans le jardin : la laine brûle très difficilement en produisant une odeur de corne brûlée pas très agréable...

Aparté de chimiste agacé Il est très regrettable de constater les difficultés à faire évoluer le vocabulaire scientifique usuel. Certains termes sont connus de longue date, tel le mot acide, même si le commun des mortels ne connaît pas sa définition chimique. Mais au moins le nom est-il connu. Le symbole pH a fait son entrée dans nos salles de bains par l’intermédiaire de nos shampoings et gels douche, ainsi que dans nos piscines, pour vérifier que l’eau dans laquelle nous barbotons ou que les détergents que nous nous mettons sur la peau ne le sont pas, acides. Ils doivent être neutres.

Ringards ! Pour d’autres, la ringardise a la vie longue. Si le fameux dioxyde de carbone a réussi à supplanter son

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aïeul gaz carbonique, « grâce » au réchauffement climatique et le battage médiatique dont il est la vedette, les pauvres bases et les indispensables ions n’ont pas réussi à franchir la porte de l’actualité. De nombreux ignorants continuent à leur préférer les termes désuets d’alcalins et de sels minéraux, héritiers d’une époque où la nomenclature scientifique n’était qu’une ébauche d’universalisation. Les bases ne sont que les opposées des acides. Alors pourquoi ne pas les appeler par leur nom ? Quant aux sels minéraux, lorsqu’ils sont dissous dans l’eau, ils forment des ions. C’est tout de même plus court, non ? Ils sont dans votre corps, ils participent au fonctionnement de votre organisme. Par respect pour eux, vous ne pouvez pas ignorer leur vrai nom. Cela peut aussi se révéler utile pour les mots croisés…

Les moutons aussi ont des écailles

Les propriétés physiques de la laine sont dues à une structure complexe très particulière et impossible à reproduire artificiellement. Elle présente une frisure naturelle, très caractéristique. Le poil comprend un canal central

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Textiles, parfums, bijoux et C ie dans sa partie interne, le cortex, recouvert d’écailles se chevauchant, constituant la cuticule. Ces dernières permettront, au moment du filage, d’accrocher les fibres entre elles. Riches en cystéine, elles sont également à l’origine du feutrage, accentué par une température élevée ou une action mécanique. Dans ces conditions, les écailles s’accrochent, les poils s’entremêlent. La laine change d’aspect, devenant épaisse et dure, rétrécissant. Marie garde un souvenir douloureux d’un blazer en laine qu’elle croyait pouvoir laver en machine. Elle aura, tout de même, fait un heureux : son petit cousin de dix ans qui a gagné une veste à sa taille.

Quand les kératines s’emmêlent… Dans le cortex, les kératines s’organisent selon une structure hélicoïdale, en spirale, constituant des microfibrilles, ou bien en pelotes. Dans le cas de ces dernières, la cystéine joue un rôle de cohésion pour maintenir l’ensemble. Cette capacité à dérouler les pelotes de kératines explique les propriétés élastiques de la laine. Elle peut en effet s’étirer jusqu’à un tiers de sa longueur initiale. Les fibres déformées reprennent leur forme d’origine, la laine ne se déforme pas, ne se froisse pas. Elle n’est pas susceptible…

Histoire d’eau Elle présente la particularité de pouvoir absorber une grande quantité d’eau sans paraître mouillée : elle est la plus hygroscopique de toutes les fibres. En dehors du fait que cela lui permet de se défroisser toute seule, cette propriété est importante pour les échanges thermiques entre le corps et l’extérieur. Elle explique les qualités

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physiques de cette matière. Elle absorbe l’eau tout aussi lentement qu’elle la laisse s’évaporer. Ses fibres renfermant jusqu’à 80 % d’air, c’est un très bon isolant thermique.

Revenons à nos moutons Entre la toison du mouton et le beau manteau en laine, il est évident qu’il faudra franchir quelques étapes. La tonte s’effectue une fois par an, au printemps, quand le mouton n’a plus besoin de son manteau. Il peut nous laisser sa petite laine pour réchauffer nos corps engourdis par la froidure à venir. La sienne repoussera, alors que nous nous acharnons à arracher les quelques poils qui recouvrent nos jambes, horrifiées par leur présence. La toison est enlevée d’un seul tenant ; le mouton est déshabillé d’un seul coup. Heureusement, le mouton n’est pas pudique. Le triage de la laine s’opère suivant les parties du corps puisque la qualité n’est pas homogène sur l’ensemble de son anatomie. La laine fraîchement tondue a un toucher gras et une odeur forte, dus à la présence de suint, mélange de substances sécrétées par les glandes sudoripares et de corps gras issus des glandes sébacées. À ce stade, Marie n’aurait aucune envie de s’en faire un bonnet ou une couverture dans laquelle se lover douillettement.

Au lavage ! La toison comprend donc une fraction soluble dans l’eau et une partie grasse insoluble. La quantité de suint et d’impuretés présents dans la laine tondue peut atteindre

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Textiles, parfums, bijoux et C ie les deux tiers de son poids. Pour éliminer ces graisses et impuretés, la laine doit être lavée. Un premier lavage à l’eau permet d’extraire la partie soluble dans l’eau froide, mais il faudra une eau plus chaude et la présence de détergents ou l’emploi de solvants pour séparer la partie graisseuse. Celle-ci, comprenant essentiellement de la lanoline, ne sera pas jetée mais précieusement conservée pour des applications en cosmétologie et dans l’alimentaire.

Mets de l’huile ! La laine est alors rêche et dure. Pour qu’elle puisse être travaillée plus facilement lors de la filature et pour éviter les problèmes d’électricité statique, elle est soumise à une projection d’huile lors d’une étape appelée ensimage. La suite dépend du type de fibres.

Les traitements donnent du fil à retordre Pour des fibres longues et fines, de bonne qualité, on procède tout d’abord au cardage. Cette opération consiste à écarter les fils, à les démêler en griffant la laine avec des aiguilles métalliques, à les paralléliser. Un cardage artisanal est réalisé avec des plaques en bois portant des pics. Dans l’industrie, la laine passe entre des tambours équipés de pointes métalliques. Le terme de cardage dérive des chardons qui étaient autrefois utilisés pour brosser la laine. À la sortie, la laine se présente sous la forme d’un ruban. On procède ensuite au peignage qui élimine les dernières impuretés et les fibres courtes qui auraient réussi à passer l’étape du cardage. Ces dernières sont récupérées et rassemblées avec les autres lots de laine à fibres courtes. Le ruban ne contenant plus que des fibres longues alignées et parallèles

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subit encore quelques opérations d’étirage, lissage, torsion et filage pour aboutir à une bobine de fil fin et régulier.

Allez, file ! Les fibres courtes subissent les mêmes opérations de cardage mais passent ensuite directement au filage. Les fils obtenus sont plus gros et irréguliers. La laine peignée donne des tissus de grande qualité notamment employés pour la confection de tailleurs. La laine cardée produit des tissus souples et doux, plus moelleux et épais, intéressants pour les manteaux.

Un tissu pas toujours doux comme un agneau Le tissu en laine peut être irritant pour la peau, il vaut mieux éviter son contact direct. Chacun sait que la laine donne un tissu fragile, présentant des problèmes de feutrage, de boulochage, réclamant des conditions de lavage particulières, tout en délicatesse. Le détergent doit être adapté. S’il est trop basique, il risque de réagir avec certaines des molécules de la fibre et la transformer.

De la douceur pour qu’elle soit douce La laine n’aime pas les variations brutales de température, elle doit être lavée et rincée avec une eau à la même température. Le pull mouillé ne doit pas être tordu ni suspendu car les fibres s’allongent et se déforment de façon définitive. Il doit être essoré et mis à sécher à plat, à l’ombre. Le nettoyage à « sec » est possible car les solvants ne réagissent pas avec la laine, ni ne la dissolvent.

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Egoïste ou partageuse ? Différentes appellations existent selon que la laine est la seule fibre présente ou qu’elle fait une petite place à d’autres. Les termes employés peuvent être assez trompeurs. Dans la laine « woolmark », elle ne partage pas, elle est seule présente. Dans la « pure laine vierge », elle accepte de partager la vedette avec 3 % d’autres fibres, tandis que dans la « laine vierge », ce taux monte à 7 %. Les « 100 % laine » ou « 100 % pure laine » sont des produits de moins bonne qualité, contrairement à l’impression donnée.

Armoire magique Marie sent poindre un soupçon de malhonnêteté dans ces appellations. Elle sera vigilante lors de ses achats. Ce n’est pas parce que l’armoire déborde qu’elle

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va se résigner et se freiner dans ses envies. Elle trouvera bien une solution à son problème d’espace. Une curieuse est forcément astucieuse. Dans son cerveau, elle arrive toujours à faire de la place pour de nouvelles connaissances. Elle y parviendra dans ses placards. Sauf qu’elle ne sait toujours pas ce qu’elle va se mettre sur le dos. Un petit chemisier en soie ?

Du thé à la soie Sa découverte daterait du IIIe millénaire avant J.-C. La légende raconte, qu’en 2 640 avant J.C., la femme de l’empereur Huang-Ti reçut un cocon dans sa tasse de thé, tombé d’un mûrier, et qu’en voulant l’attraper avec son épingle à chignon, elle retira un long fil. On imagine sa surprise et peut-être son dégoût ?! Ce qui est sûr, c’est que la soie fut la pièce maîtresse du commerce chinois. Elle fut propagée par les nomades vers les pays de la Méditerranée, en particulier l’empire romain. L’empire byzantin, successeur de ce dernier, poursuivit le culte de la soie comme symbole de gloire, de pouvoir, et se lança dans sa fabrication.

Le lin et la laine n’ont qu’à se rhabiller, la soie arrive… La soie fut connue en Europe grâce aux croisades. Les pèlerins arrivant à Constantinople découvrirent avec émerveillement ces tissus colorés doux et brillants et les ramenèrent en Europe. Ces étoffes véhiculaient une image de luxe et de richesse, par leur brillant, leur douceur et leurs couleurs éclatantes, bien éloignées de ce

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Textiles, parfums, bijoux et C ie que pouvaient offrir les fibres historiques en laine et en lin. Venise allait devenir la place commerciale privilégiée, entre l’Orient et l’Europe, mais également lieu d’élevage et de tissage. La culture du mûrier s’étendit progressivement à d’autres villes d’Italie puis à l’Espagne.

Qui n’est pas soyeux n’est pas Lyonnais ! En France, Louis XI entreprit de concurrencer les soyeux italiens et choisit Lyon comme ville d’installation des artisans, mais il se heurta à une opposition des Lyonnais. Un accord fut finalement trouvé, quelques années plus tard, sous le règne de François 1er. En 1540, un édit royal assura à Lyon le monopole de la fabrication des tissus en soie.

Jacquard Une étape importante fut franchie au début du xixe siècle, avec le perfectionnement du métier à tisser par le Lyonnais Joseph-Marie Jacquard. Ce dernier s’était inspiré des travaux du Grenoblois Jacques Vaucanson, également connu pour ses automates, lui-même ayant travaillé sur celui précédemment créé par Jean-Baptiste Falcon. Les soyeux se méfièrent d’abord de cette invention, craignant la perte d’emplois, mais ils finirent par être reconnaissants envers Jacquard, car le travail devint moins pénible et engendra progrès économiques et sociaux. Cela marqua le début de l’industrialisation du tissage de la soie. À Lyon, il entraîna le développement du quartier de la Croix-Rousse.

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MERCI LES BÊTES !

De moins en moins de soie chez soi La soie a régné pendant des siècles en Asie, puis a envahi l’Europe et rayonné pendant des siècles encore. Elle continue de s’auréoler d’une image de luxe et de raffinement. Mais aujourd’hui, elle est un peu tombée en désuétude. Elle ne représente plus qu’une part infime de la consommation textile mondiale, restant, toutefois, appréciée par ceux qui aiment dormir dans des draps de soie.

Dormir dans de la bave de chenille… Le ver à soie est la chenille du bombyx du mûrier. Cette charmante bestiole sécrète un fil pour s’enfermer dans un cocon, afin de se métamorphoser en papillon. En effet, quelques mois après que madame papillon ait pondu ses cinq cents œufs, ces derniers éclosent, et de chacun sort une larve. Celle-ci est une minuscule chenille (un magnan) qui se gave de feuilles de mûrier. La pauvresse est affamée. La chenille grossit beaucoup, vu qu’elle passe son temps à manger, mue quatre fois, puis s’installe pour son ultime transformation. Elle sécrète de la bave, à partir de ses glandes séricigènes, dont elle s’entoure. Le cocon est donc une petite pelote dans laquelle elle s’enroule progressivement. Elle produit un seul fil qui fait de 400 à 1 500 mètres de longueur. Imaginez l’ardeur qu’elle met à sa tâche ! La chenille devient progressivement une chrysalide, puis un papillon, qui perce le cocon pour prendre son envol. Ça, c’est tant que l’Homme n’est pas venu se mêler

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Textiles, parfums, bijoux et C ie de son affaire… Sauf que depuis que Madame Huang-Ti a reçu sa petite pelote dans son thé et qu’un Chinois s’est dit « Eureka ! » (en chinois), les humains sont venus perturber ce cycle immuable de la Nature.

Âmes sensibles, passez ce paragraphe Il faut absolument stopper le cycle avant la transformation en papillon. Le cocon doit être recueilli avant l’éclosion, avant qu’il ne soit cassé, ce qui donnerait des fils courts. Pour cela, on étouffe la chrysalide avec de l’air chaud ou des gaz asphyxiants. On laisse juste quelques cocons vivants pour assurer la reproduction. À ce stade, le fil obtenu est en soie dite naturelle ou soie grège. Les cocons sont ensuite séchés puis plongés dans de l’eau chaude, pouvant contenir un peu de savon ou de soude, pour éliminer le grès. L’obtention d’un fil est simple puisqu’il est obtenu directement en déroulant le cocon-pelote. Les fils trop fins sont rassemblés à plusieurs pour avoir un fil assez gros et résistant.

Des chenilles petites chimistes D’un point de vue chimique, la soie est, comme la laine, une substance protéinique. Le fil de soie est constitué de filaments d’une protéine nommée fibroïne (75 à 80 %), tenus par un liant appelé grès, constitué d’une autre protéine, la séricine (20 à 25 %). La fibroïne constitue également les fils d’araignée. Ces protéines sont, comme pour la laine, de longues chaînes issues de l’accrochage d’acides aminés. La glycine et l’alanine sont les acides aminés les plus abondants dans la fibroïne. Les chaînes sont liées entre elles dans un même plan, par des liaisons hydrogène. Il se crée également des interactions de type Van der Waals, entre plans.

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MERCI LES BÊTES !

Si forte mais si fragile La soie présente de très bonnes propriétés mécaniques, telles qu’une très grande résistance, surtout pour un fil si fin, et un fort pouvoir absorbant, ce qui la rend facile à teindre. Elle donne des tissus d’une grande souplesse et d’une remarquable douceur. Elle a une très bonne élasticité, donc ne se froisse pas, et procure une bonne protection thermique. Mais… elle est très chère. Elle est également difficile d’entretien, n’aimant pas trop les lavages. Elle ne supporte pas les bases, les détergents classiques sont donc proscrits. Elle est plus résistante aux acides, à condition qu’ils ne soient pas trop concentrés. L’eau de Javel la jaunit et la détruit.

Un tout petit peu de soie rien qu’à soi Cette sensibilité associée à un prix souvent prohibitif a fini par décourager le consommateur de base, n’attirant que l’amateur de produits de luxe. Marie se rangeant dans la première catégorie, elle ne connaîtra pas la joie de porter un chemisier en soie. Mais un tout petit foulard, pourquoi pas ? Une idée de cadeau… ça ne prend pas trop de place dans les tiroirs…

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La laine, c’est un peu chaud en été, même s’il paraît que c’est un très bon isolant thermique dans les deux sens, protégeant du froid comme de la chaleur. Marie n’imagine pas mettre son tailleur en laine par une chaleur estivale. La soie est plus légère mais n’entre pas dans son budget. D’ailleurs, elle attend toujours son petit foulard… Quel choix lui reste-t-il, sachant que du temps pour se préparer, il lui en reste peu.

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La caverne d’Ali Baba : la Nature L’Homme a toujours su puiser autour de lui dans la Nature, pour assouvir ses besoins et son confort. Il a notamment trouvé de la variété textile dans le monde végétal, sous forme de graines (coton) ou de tiges (lin). Si les fibres animales sont constituées de protéines, les végétales, quant à elles, contiennent essentiellement de la cellulose.

Le lin a la fibre historique Avant d’être une chemise beige légère ou une jupe blanche au froissé caractéristique, le lin est une plante de la famille des linacées. Elle se présente sous la forme d’une tige de 0,5 à 1,2 mètre de hauteur et de 1 à 3 millimètres de diamètre, portant des fleurs blanches ou bleues. Sa croissance est très rapide. Le lin est à l’origine du mot linge. Comme la laine, il s’agit d’une fibre très ancienne. Des graines de lin domestiqué ont été retrouvées sur des sites archéologiques, en même temps que des outils montrant une activité textile très ancienne, notamment en Syrie, dans des vestiges datés de 6000 ans avant J.-C. Le lin était bien connu des Égyptiens, il constituait leur textile de base. Il fut pendant des siècles, avec la laine, une des deux principales fibres.

Naissance de la bourse Cette plante est originaire d’Asie mais sa culture s’est étendue à tous les pays chauds ou tempérés. Elle pousse très bien dans le nord de la France. Les Flandres,

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la Bretagne et la Picardie sont des régions qui se sont beaucoup investies dans la culture du lin. Sa production fut un des piliers de l’activité économique du nord de l’Europe, Bruges rayonnant en tant que capitale linière du xiie au xve siècle. Les marchés, places de vente des tissus, prirent le nom de « bourses » car les marchands se réunissaient chez un Flamand nommé Van der Buerse. Il dériva ensuite pour désigner plus généralement les lieux d’échanges commerciaux, pour prendre finalement la signification que nous lui connaissons aujourd’hui.

Cocorico, le lin écolo Le xviiie est considéré comme le grand siècle du lin. Aujourd’hui, le lin est une plante de culture européenne, la France étant le premier pays producteur. Son utilisation est devenue plus confidentielle et a été écrasée par celle du coton, mais le goût actuel des pays industrialisés pour le naturel se retrouve également dans les fibres, ce qui explique un retour récent dans nos armoires. Le lin a toujours été considéré comme un tissu vecteur de bienfaits. De plus, il présente l’avantage sur le coton d’être une fibre plus écologique, nécessitant peu d’engrais et beaucoup moins de pesticides.

Du lin au linge La récolte et la préparation de la fibre sont difficiles. Celle-ci est obtenue avec la partie extérieure des tiges. Des graines est extraite l’huile de lin. La partie filamenteuse ne contient que 70 % de cellulose, le reste étant constitué d’hémicelluloses, de matières pectiques et de cires. Pour isoler les fibres, on procède à une première opération

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Textiles, parfums, bijoux et C ie qui se nomme le rouissage, l’objectif étant de séparer les fibres de la pectine qui les lie entre elles. Cette tâche peut s’effectuer de différentes façons, selon que l’on est dans une production artisanale ou industrielle. La pectine étant soluble dans l’eau, les fibres sont exposées dans un pré à la rosée et à la pluie pendant plusieurs semaines, si l’on n’est pas pressé, ou immergées dans l’eau. La pectine est transformée par fermentation hydrolysante. Celle-ci peut être accélérée par action d’une solution d’acide sulfurique diluée à chaud, mais pas dans les prés…

Opération de blanchiment risquée La matière résultante est séchée, puis soumise au teillage qui consiste à frapper le lin pour finir d’éliminer partiellement les matières non cellulosiques. Le lin est ensuite peigné, pour séparer les longues fibres, les courtes et les résidus et paralléliser les plus longues. Celles-ci sont enfin filées pour obtenir des fils fins, lisses et réguliers. À ce stade, le lin contient 75 à 85 % de cellulose pure. On effectue ensuite un blanchiment mais il entraîne un risque de fragilisation, de dégradation de la fibre et la possibilité de conséquences néfastes pour le tissu qui la contiendra. Il peut être effectué avec de l’eau de Javel ou de l’eau oxygénée.

Machin chose La cellulose est une grosse molécule, un polymère, constituée d’un enchaînement linéaire de glucose. Ces deux-là ont en commun leur terminaison et ce n’est pas un hasard. De façon générale, les oses sont des molécules qui comprennent 3 à 7 atomes de carbone, avec

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une fonction carbonyle et des fonctions alcool. Elles se présentent généralement sous forme cyclique. Les principaux exemples sont le fructose et le glucose. Lorsqu’un grand nombre d’oses intervient (plusieurs milliers), la chaîne formée est un polyholoside, autrement appelé glycanne. C’est le cas de la cellulose ainsi que de l’amidon. On peut ensuite rencontrer toute une gamme de dérivés d’oses donnant des molécules complexes et variées. Une différence notable entre les petits trains d’oses et les longues enfilades est que ces derniers n’ont pas de pouvoir édulcorant. Le glucose est l’ose le plus répandu dans les mondes végétal et animal, qu’il soit isolé ou associé dans des osides, ou encore sous forme de dérivés.

Une fibre très osée Dans la cellulose, il est donc accroché à lui-même un très grand nombre de fois. Des liaisons hydrogène assurent la cohésion entre chaînes dans un même plan,

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Textiles, parfums, bijoux et C ie assistées par des liaisons de type Van der Waals entre plans. L’hémicellulose est une macromolécule ressemblant à la cellulose, mais dont le constituant de base n’est pas que le glucose. D’autres oses tels que le xylose, le mannose, le galactose peuvent être présents. Les pectines sont également des polymères à base d’oses tels que le galactose. Elles servent à assurer la cohésion entre les fibres en créant une matrice qui les enrobe.

Des tee-shirts (in)solubles dans l’eau Dans la cellulose, le blocage des fonctions alcool dans les liaisons hydrogène explique son insolubilité dans l’eau. Heureusement, sinon les vêtements disparaîtraient à la première lessive. Elle n’est pas sensible à l’action des solutions acides ou basiques diluées. Par contre, les acides forts et concentrés détruisent la fibre ou la transforment de façon définitive, l’hydrolysant pour donner du glucose. Une chemise transformée en sirop… Dans le cas de l’acide acétique, la transformation aboutit à de l’acétate de cellulose. Le lin est également difficile à teindre car les parois des fibres sont épaisses et empêchent le colorant de pénétrer dans la fibre.

Toujours un fer à repasser dans son sac à main Le tissu fabriqué avec cette fibre présente une bonne résistance, qui augmente lorsqu’il est mouillé. Il est souple mais son élasticité est faible : il supporte mal la pliure. L’inconvénient

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des vêtements en lin est effectivement leur grande capacité à se froisser. Marie pourrait vous le confirmer, elle qui se retrouve avec un pantalon en accordéon, après une journée assise au bureau. Et que dire de sa veste blanche, qu’il faudrait repasser après chaque trajet en voiture !

Tout un monde de douceur Il n’est pas trop possessif avec l’eau. Il l’absorbe volontiers mais la laisse aussi bien s’évaporer  : il se mouille donc facilement et sèche rapidement. C’est une qualité. Par contre, il n’est pas un bon isolant thermique, ne protégeant bien ni du froid, ni de la chaleur. Il est donc plus indiqué pour des vêtements estivaux. Sans conteste, son principal attrait reste sa grande douceur…

C’est coton ! Quand elle décrypte les étiquettes de ses (nombreux) vêtements, Marie constate que le coton gagne le championnat de la fibre la plus présente dans ses placards. Comment cette plante a-t-elle réussi cet exploit et pourquoi  ? Elle est déjà mentionnée dans des écrits vers 7 000 avant J.-C., mais elle est connue pour être cultivée et teinte en Inde, depuis le IIIe millénaire avant notre ère.

Bourrage de coton En Europe, le coton est connu depuis le Moyen-Âge, mais il était alors utilisé pour le rembourrage. L’idée de le filer n’émergea qu’au xive siècle. À cette époque,

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Textiles, parfums, bijoux et C ie Venise le recevait du Moyen-Orient et organisait son tissage. Au début, il était mêlé à d’autres fibres telles que le lin ou la laine.

Des Indiennes à Paris L’intérêt pour cette fibre va croître avec l’arrivée des indiennes en France au xviie siècle. Il ne s’agissait pas de femmes provenant d’Inde mais bien de tissus de coton peints ou teints, dont les motifs étaient obtenus par impression et non par tissage de fi ls de couleur. Ces étoffes présentaient des couleurs éclatantes et résistaient mieux au lavage. Elles provenaient de ce pays, d’où leur nom. Ces tissus légers et colorés contrastaient avec les étoffes lourdes et épaisses. Colbert créa la Compagnie des Indes pour centraliser les importations en 1664. En Provence, des gens se lancèrent dans le dessin sur coton.

Déshabillez-vous ! Mais ces cotonnades d’Inde concurrençaient fortement les étoffes françaises. Les soyeux de Lyon et les drapiers de lin et de laine du Nord s’inquiétèrent pour leur propre production. Ils firent pression sur Colbert pour endiguer cette vague asiatique. Les indiennes furent finalement interdites en 1686 par Louvois. Leur importation, leur production et leur utilisation furent prohibées. Dans la rue, on pouvait vous obliger à vous dévêtir si vous portiez des indiennes.

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Fin de la prohibition Cette prohibition s’arrêta en 1759, n’ayant pu empêcher l’engouement pour ces toiles peintes, tellement attrayantes, l’interdiction suscitant toujours la convoitise. La France prit soixante-treize ans de retard sur d’autres pays tels que l’Angleterre. Cette date marqua le début de l’impression en France et le lancement de la fameuse toile de Jouy, à Jouy-en-Josas, par Christophe-Philippe Oberkampf. Ce fils et petit-fils de teinturiers naquit en Allemagne, pays où il ne fut pas instauré de prohibition et où il put acquérir les connaissances et le savoir-faire. Arrivé en France, il continua sa formation à Marseille, ville non touchée par l’interdiction, puis créa la célèbre manufacture, produisant des toiles légères et souples, illustrées d’une grande diversité de motifs.

Esclaves du coton En Amérique du Sud, le coton était connu et utilisé depuis toujours par les peuples amérindiens. Les colons y introduisirent des variétés d’Orient et intensifièrent sa culture, particulièrement en Virginie, Louisiane, Caroline, Floride et Géorgie, annonçant aussi, malheureusement, les débuts de l’esclavagisme.

De l’île de Jersey à nos tiroirs… L’évolution de l’hygiène au cours du xixe siècle, associée à une vision changeante du corps, de plus en plus montré et regardé, ainsi que l’attirance pour des matières plus faciles à laver, allaient inciter à privilégier le coton. Celui-ci permit la création de tissus moins fragiles, pouvant bouillir. Ce changement de mode de vie fut concomitant à la

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Textiles, parfums, bijoux et C ie révolution industrielle, faisant émerger de nouveaux procédés de tissage, améliorant la qualité des tissus. L’apparition du jersey de coton permit la fabrication de sous-vêtements plus confortables, cette matière apportant davantage d’aisance. Progressivement le coton prit une place essentielle dans les échanges commerciaux du xxe siècle, sa production se développant essentiellement dans les colonies. L’influence américaine du jean allait renforcer cette suprématie.

… en passant par Nîmes et Gênes Le succès mondial du fameux pantalon riveté en denim fabriqué par Jacob et Levi entraîna un accroissement de la consommation de coton. L’origine du mot denim est incertaine. Il est possible qu’il provienne d’un tissu du sud de la France, le sergé de Nîmes, dont la déformation a conduit au terme denim. Un des doutes sur cette origine est dû au fait que ce tissu était alors à base de laine et de soie, et non de coton. Le terme jean viendrait d’un tissu de laine fabriqué à partir d’un modèle originaire de Gênes en Italie. Le mot se serait transformé en jean mais pour désigner le tissu qui l’a remplacé.

Le sport entraîne le coton L’évolution des modes de vie allait influencer la nature des tissus des vêtements que nous portons. La pratique grandissante du sport, la mode du sportswear, le goût pour les sweat-shirts ou les tee-shirts ne fit qu’accroître notre consommation de coton.

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Issu de la nature mais pas très naturel Cette fibre «  naturelle  » présente en fait un bilan catastrophique pour l’environnement. La plante nécessite beaucoup de fertilisants pour sa croissance et de pesticides pour la protéger. Elle est très gourmande en eau, aussi bien pour sa culture que pour les traitements de blanchiment et de teinture qui suivent. À ce bilan, s’ajoutent les problèmes de traitement de ces eaux souillées ou de pollution si elles sont rejetées telles quelles.

Ouvrez les capsules Les capsules du cotonnier, arbuste de 1,5 à 6 mètres de hauteur, de la famille des malvacées, contiennent des graines recouvertes d’un duvet, objet de notre convoitise. La récolte doit se faire quand les capsules sont ouvertes. Elles sont alors séchées puis égrenées  : les fibres se détachent de la graine. Comme pour la laine, on procède au cardage si les fibres sont courtes, au peignage sur des fibres longues. Le ruban obtenu est étiré pour être transformé en mèche, puis filé. La masse volumineuse obtenue est comprimée pour réduire l’encombrement lors du transport.

Cousin du lin D’un point de vue chimique, le coton est constitué à 90 % de cellulose, le reste étant représenté par de l’eau, des hémicelluloses, des protéines, des matières pectiques, des cires et des substances minérales. Il présente des propriétés voisines de celles du lin.

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Origine des merceries La légère teinte beige naturelle est éliminée par blanchiment à l’eau de Javel ou à l’eau oxygénée. La fibre est ensuite traitée avec une solution concentrée d’hydroxyde de sodium (soude) puis rincée, pour transformer sa structure, afin d’améliorer ses propriétés. Cette opération fut inventée par l’Anglais John Mercer en 1844, ce qui justifie son nom : le mercerisage, et par extension les lieux de commercialisation, les merceries. Ce procédé modifie la structure de la fibre, sa paroi s’épaissit, elle devient plus solide et plus brillante. Elle est également plus facile à teindre. Son action consiste en une transformation du réseau cristallin de la cellulose.

Le petit cousin fait bien mieux La fibre de coton est assez résistante, encore meilleure lorsqu’elle est mouillée. Elle est plus souple et élastique que celle en lin. Elle supporte mieux le blanchiment et est plus facile à teindre, grâce à la finesse de ses parois. Elle ne se déforme pas trop mais est froissable. Le coton n’est pas un très bon isolant thermique mais cela peut être amélioré par grattage. Le tissu obtenu s’appelle alors du molleton. Il est très doux mais cependant pas autant que le lin. Il supporte mieux les traitements nettoyants et l’action mécanique.

Petit poil deviendra grand… Le coton est devenu un enjeu commercial, un objet géopolitique. Il est coté en bourse, il fait vivre des millions de travailleurs ; il transforme, voire déforme les paysages.

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Pour lui, on a dévié des cours d’eau, asséché la mer d’Aral, appauvri la biodiversité, créé des plantes OGM, acculé au suicide des paysans indiens. Il fait des milliers de kilomètres avant d’atteindre nos armoires, entre le lieu de culture, de filage, de tissage, de teinture, de fabrication, de commercialisation, consommant des milliers de litres de pétrole et produisant des tonnes de dioxyde de carbone, envoyées dans l’atmosphère. Ce petit poil sur la graine d’un arbuste, perdu au fond de l’Asie, a vraiment une histoire exceptionnelle.

Soupir... Marie se sent admirative devant l’histoire de ses teeshirts ou du voyage réalisé par son jean, mais elle culpabilise un peu de se savoir responsable des dégâts environnementaux provoqués par cette fibre d’usage et de rayonnement mondiaux. Elle se sent un peu découragée devant ses piles de vêtements. Non vraiment, l’humeur n’y est plus. Son enthousiasme s’est éteint. Elle est sur le point de se recoucher… dans ses draps… en coton !!!

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Marie n’est pas du genre à se décourager. Elle décide de tenter une nouvelle méthode : fermer les yeux, prendre au hasard et accepter ce qui lui vient dans les mains. C’est ça ou le licenciement assuré pour retard systématique. Alors ?... Oh, mais elle n’est pas mal cette petite jupe, et si douce. Quant à cette tunique, elle est parfaitement assortie. Mais en quelle matière est-ce donc ? Marie devient une angoissée des étiquettes. Lyocell ? Viloft ? Kesako ? Quelles sont donc ces matières inconnues ? Marie craint le pire. Que nous oblige-t-on à nous mettre sur le dos et sur nos jolies fesses délicates ? 43

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Copieur ! L’Homme, celui qui désigne à la fois tout le monde et personne, le grand responsable de tout mais qui désigne toujours les autres, a toujours eu comme dessein d’imiter la Nature, tout en cherchant à l’améliorer, dans tous les domaines, les fibres textiles ne faisant pas exception. Il s’est donc mis à l’ouvrage pour tenter d’imiter son lointain cousin le ver à soie. Cette tendance naturelle fut particulièrement encouragée par un début de xxe siècle à la démographie galopante en Europe, engendrant une demande croissante en tissus, associée à une forte amélioration du niveau de vie.

Un vêtement à soi… en soie ?  Chacun veut pouvoir se pavaner dans des tenues valorisantes, avoir sa tenue du dimanche, acquérir des vêtements devenant vitrines de son milieu social ou usurpations. L’exigence commerciale était telle que la production de fibres naturelles n’était plus suffisante pour assouvir les besoins. D’autant que les magnaneries étaient touchées par une épidémie de pébrine, maladie du ver à soie. Ce cher Pasteur avait beau œuvrer pour trouver une solution, le résultat se faisait attendre et les problèmes d’approvisionnement perturbaient les filatures depuis 1845.

Le comte est bon… L’idée d’imiter le bombyx du mûrier n’était pas neuve puisqu’elle avait déjà été proposée, en 1664, par l’Anglais Robert Hooke, qui se demandait s’il était possible de

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manipuler une matière, pour obtenir un fil imitant la soie. Quelques années plus tard, en 1734, le Français Antoine de Réaumur s’interrogeait également dans ses Mémoires sur cette possibilité. Celui qui allait travailler sans relâche, pendant des années, heureusement avec succès, et qui allait être considéré comme le premier créateur d’une fibre artificielle, est le comte Hilaire de Chardonnet. En 1884, il présenta son travail à l’Académie des sciences, expliquant comment fabriquer la soie artificielle.

… pour faire le collodion Dans son procédé, la cellulose des feuilles du mûrier réagit avec les acides nitrique et sulfurique pour donner du nitrate de cellulose, qui est ensuite plongé dans un mélange d’alcool et d’éther, pour donner un liquide épais, appelé collodion. Celui-ci peut ensuite être filé. Il breveta son idée l’année suivante, la présenta à l’Exposition universelle de Paris en 1889, puis dans la foulée, créa son usine à Besançon, marquant le début de l’industrie des textiles artificiels.

Soie artificielle et feu d’artifice Ce fil de nitrate de cellulose jouissait d’un bel aspect et possédait de bonnes propriétés mécaniques mais présentait le léger inconvénient d’être très inflammable, produisant lors de sa combustion des gaz toxiques. Les étoffes en soie artificielle, telle que la nommait son inventeur, étaient plus lourdes et moins élastiques qu’en soie ordinaire. Leur utilisation courante était handicapée par une incompatibilité avec l’eau : elle ne pouvait pas se laver. Il fallait être courageuse ou inconsciente pour se trémousser

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Textiles, parfums, bijoux et C ie dans une robe en nitrate de cellulose, certes magnifique, mais ne pouvant pas se laver et risquant vous transformer en torche vivante à l’approche de la moindre cigarette.

Grandeur et décadence Tout n’était pas rose, mais ce fut un début prometteur. Cette première fibre artificielle marqua une étape majeure, non seulement dans le domaine textile mais aussi dans le secteur du bois puisque la cellulose, constituant principal du monde végétal trouvait là un débouché important. En dépit de ses inconvénients, cette invention intéressa immédiatement beaucoup d’investisseurs étrangers et plusieurs brevets furent vendus à l’étranger. En quelques années, de nombreux lieux de fabrication furent créés en Europe. Les désagréments de cette fibre textile provoquèrent toutefois son abandon progressif, lorsque de nouveaux procédés virent le jour.

Les femmes rayonnent en rayonne L’appellation soie artificielle, trompeuse car laissant penser que la fibre était de composition similaire, fut abandonnée et remplacée par le mot rayonne pour les fibres longues et fibranne pour les courtes. Ce substantif fut choisi, semble-t-il, pour leur éclat « rayonnant ». Pour les inventeurs suivants, après les travaux d’Hilaire de Chardonnet et les problèmes inhérents au nitrate de cellulose, l’objectif était non pas de transformer, mais de dissoudre la cellulose afin de la faire passer dans une filière, avant de la solidifier. La substance obtenue est qualifiée de cellulose régénérée. Le problème majeur est que les liquides qui veulent bien solubiliser la cellulose ne se bousculent pas à la porte des chimistes…

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Quand la cellulose devient visqueuse viscose Les résultats arrivèrent avec la découverte de trois Anglais  : Cross, Bevan et Beadle, qui travaillèrent à l’élaboration d’un processus permettant de modifier la cellulose pour la rendre soluble, puis de la ramener à son état d’origine, en 1885. Ce processus fut appliqué à la synthèse d’une nouvelle fibre textile. Ainsi naquit la viscose. Derrière ce nom pas très alléchant, se cache une fibre qui allait révolutionner le monde de la mode et marquer le début de l’ère de l’industrie textile. Dans ce domaine, la société anglaise Courtaulds saura sentir l’ampleur du marché à venir, rachetant les brevets et investissant dans des usines pour devenir le premier producteur mondial.

Technique basique La matière première  utilisée dans le processus est de la pâte de bois. Pour la suite, deux procédés voisins ont été mis au point, faisant intervenir de la soude ou une solution cuivrée. Le premier procédé consiste à laisser tremper la pâte dans une solution concentrée d’hydroxyde de sodium (soude), milieu agressif très basique. Cette substance réagit avec les fonctions alcool de la cellulose en arrachant un hydrogène et la transforme en alcali-cellulose. La matière obtenue subit un déchiquetage et une maturation, puis l’action du sulfure de carbone pour donner du xanthate de cellulose. De la soude est à nouveau ajoutée pour le dissoudre, ce qui aboutit à un liquide très visqueux (à l’origine du mot viscose), le collodion.

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Filage sans fuseau, ni rouet… À ces opérations, succède une étape de mûrissement puis le filage au mouillé. La matière est envoyée sous pression dans une filière immergée dans un bain d’acide sulfurique qui détruit la partie xanthate et régénère la cellulose, qui se solidifie. Les impuretés restent dans la solution. Le filage est une opération très importante pour les propriétés et les qualités de la fibre car s’il aboutit à un fil plein et lisse, le textile n’aura pas un bon pouvoir thermique. Pour que ce soit le cas, il doit pouvoir emprisonner de l’air et donc doit être tissé avec une fibre irrégulière ou creuse.

Une liqueur à ne pas boire ! Le principe de la soie au cuivre ressemble beaucoup au précédent. La cellulose est dissoute dans une solution cuproammoniacale, joliment nommée liqueur de Schweitzer. Après filtration, on obtient un liquide qui est envoyé dans des filières, en milieu acide, comme pour la viscose à la soude.

Il fallait oser la viscose Question aspect, ce fil de viscose est blanc et brillant. Il possède les mêmes propriétés que le coton puisqu’il est, comme lui, constitué de cellulose. L’idée d’imiter la soie a donc finalement conduit à un simili-coton, qui n’en a que l’aspect. La viscose peut être mercerisée comme le coton. Elle a une bonne résistance à sec, mais beaucoup moins lorsqu’elle est mouillée. C’est là sa grosse faiblesse, elle est très perméable à l’eau. Elle n’est pas très élastique et se froisse facilement. Son affinité pour l’eau lui confère un très bon pouvoir absorbant donc une grande facilité

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à être teinte. Votre robe en viscose est brillante, parée de couleurs éclatantes, mais ne vous asseyez jamais et ne la lavez surtout pas. Ne soyons pas encore trop exigeants, les progrès vont venir…

Les courts se distinguent Bizarrement, les fils de viscose coupés court montrent des qualités différentes, ressemblant davantage au coton. Ce raccourcissement de la fibre lui vaut d’être rebaptisée Fibranne.

L’acétate se tâte avant d’arriver Les recherches menées dans d’autres domaines d’innovations vont être sources d’apports pour les fibres textiles, en particulier les travaux menés sur les filaments d’ampoules, déjà étroitement liés à la découverte ou l’utilisation des fibres précédentes, ainsi que ceux sur les pellicules de films moins combustibles. Dans cet objectif, arriva sur les paillasses des chimistes une molécule intéressante : l’acétate de cellulose. Cette substance est obtenue par action de l’anhydride acétique sur la cellulose. Cette réaction avait été découverte en 1869 mais l’idée de son utilisation ne germa qu’en 1894 et donna lieu à un dépôt de brevet. Toutefois, la mise au point du procédé industriel prit du temps et les premiers tissus en acétate ne virent le jour qu’en 1920. Ce fut le début de la production française, qui allait s’implanter pour quelques décennies dans la Région Rhône-Alpes.

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Le tri insoluble L’acétate de cellulose correspond à l’ester acétique de la cellulose. Il est synthétisé par action de l’acide et de l’anhydride acétiques sur la cellulose. Le produit obtenu est le triacétate de cellulose : l’estérification touche tous les hydroxyles. Ce processus mit du temps à aboutir pour des problèmes de solubilisation, le triacétate n’étant pas soluble dans les solvants usuels. Pour contourner le problème, on trouva un processus d’hydrolyse partielle des fonctions acétyles en milieu acide, conduisant à l’acétate de cellulose qui, lui, est soluble dans l’acétone. Il pouvait alors être filé à sec, par évaporation du solvant : le collodion est envoyé sous pression dans la filière traversée par un courant d’air chaud, qui permet l’évaporation du solvant. En sortie, on obtient les fils d’acétate de cellulose.

Quand l’acétate joue les doublures Ces fils sont brillants et soyeux. Ils ont une résistance un peu moins bonne que celle de la viscose. Ils ont un faible pouvoir absorbant puisque les sites hydrophiles (les fonctions alcool) sont bloqués par les groupes acétyles. L’acétate de cellulose présente une assez bonne élasticité, meilleure que celle de la viscose. Il se défroisse facilement. Il supporte les acides dilués uniquement ; les bases font la réaction inverse de sa formation donc le détruisent. Lorsqu’elles sont utilisées pour le lavage, elles doivent être faibles. Cette fibre ne supporte pas bien le chauffage en milieu humide, ce qui pose un problème pour le repassage. Elle est soluble dans de nombreux solvants organiques, donc attention aux taches susceptibles de devenir

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des trous... Elle présente également des problèmes d’électrisation, faisant se dresser les cheveux sur la tête. Sa ressemblance avec la soie, sa brillance, son toucher, furent à l’origine de son grand succès dans les tissus pour doublures. Mais ce qui la porta aux nues l’en fit redescendre pareillement. Cette utilisation la marqua et la catalogua.

Des fils de mauvaise réputation Les rayonnes jouirent d’un grand succès tout au long des années trente, leur production dépassant celle de la soie. Pendant les années d’Occupation, elles les remplacèrent d’autant que celle-ci subit la pénurie. Cette période allait finalement leur nuire par la suite, car elles rappelaient trop ces années de manque, symbolisant les pâles imitations. Le milieu de la mode s’enthousiasma pour ces nouvelles fibres, mais leur image de copie et les problèmes de rétrécissement à l’eau, allaient leur donner une mauvaise réputation qui s’avéra très tenace.

Rayonne, le retour masqué Après des années de rebut, ces fibres reviennent au goût du jour du fait de leur origine végétale, de l’image « naturelle » que les spécialistes du marketing ont su leur donner. Elles ont tout de même subi quelques heureuses améliorations, le consommateur du xxie siècle zappant rapidement les promesses non tenues. Parmi ces variantes perfectionnées se trouve la viscose modal. Elle présente une meilleure résistance aux bases, supporte mieux l’eau et sèche rapidement. Ces changements l’ont rapprochée de son cousin de composition : elle ressemble non plus à la soie mais au coton. D’ailleurs, elle lui est souvent mêlée.

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Les cousines Une autre fibre cellulosique actuelle  est le Viloft®, voisine également du coton, avec un meilleur comportement vis-à-vis de l’eau. Elle laisse passer la transpiration et isole mieux du froid. Autre fil de viscose de dernière génération, le Lyocell® a fait son entrée dans nos armoires dans les années 90. Il s’agit d’un simili coton d’une grande douceur, au toucher de peau de pêche. Il est très résistant, aussi bien sec que mouillé, et se lave en machine sans conséquences fâcheuses. Enfin le Tencel®, aux qualités comparables, jouit d’une grande facilité d’entretien et joue à fond l’image du produit naturel. Le vieil acétate, douloureusement traumatisé par ses années de doublure, a droit, lui aussi, à une seconde vie. Comme les autres, il a réussi son retour en jouant sur la communication d’un produit vert et grâce à l’amélioration de ses qualités. C’est désormais une fibre aux aspects plus variés, revenue sur le devant de la scène des vitrines.

L’appel de la forêt Marie croit sentir l’odeur de l’eucalyptus sur ses étagères. Des vêtements en bois… Les petites fleurs sur son tee-shirt s’ouvrent en corolle tandis que des abeilles viennent les butiner. Marie ne savait pas qu’elle hébergeait une forêt dans son armoire.

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Marie doit redescendre sur terre et chasser les papillons qui volètent devant elle. Elle sait bien que la cellulose ne joue pas les vedettes dans ses petites culottes et que la composition des tissus commence souvent par « poly », ce qui n’a rien à voir avec des mots gentils et courtois, ni avec la botanique. Alors, d’où viennent toutes ces « polychoses » qui nous recouvrent des pieds à la tête ?

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Nylon, ni court, mais très bas La réussite de la viscose donna bien évidemment des idées aux chimistes et surtout aux dirigeants de cette industrie naissante. Il fallait trouver de nouvelles fibres artificielles. Dans cet objectif, le chimiste Wallace Carothers fut recruté par l’entreprise Du Pont de Nemours pour travailler sur la polymérisation qui semblait être l’avenir de ces nouvelles matières. Il débuta ses travaux en 1928 pour aboutir, après plusieurs années de recherches, à la fibre qui allait révolutionner le monde du textile : le nylon.

6.6 C’est en effet en 1935 que Carothers réussit à fabriquer le premier fil de polyamide 6.6. Il s’agit là de la première fibre entièrement synthétique. Le succès sera tel, dans les années qui suivirent, que le mot nylon, qui est au départ une marque brevetée, deviendra un nom commun désignant les polyamides en général. Cette fibre porte les numéros 6.6 car elle est obtenue par réaction entre une diamine à 6 atomes de carbone et un diacide à 6 atomes de carbone également.

No run ? Menteurs ! Pourquoi ce nom nylon, qui n’existe dans aucune langue ? Lorsque chez Du Pont il s’est agi de trouver un nom à cette invention, dans la mesure où il s’est avéré que c’était une matière formidable pour les bas, certains ont pensé à « no run » (ne file pas). Puis comme cette appellation ne reflétait pas vraiment la réalité, le mot, à force de

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manipulation verbale et de déformation est devenu nylon. Une autre théorie raconte qu’il serait formé des initiales des prénoms des femmes des chimistes qui ont travaillé à son élaboration. C’est plus romantique…

Un petit fil pour l’homme, un grand bas pour la féminité Au début, cette substance s’est limitée à la fabrication des poils de brosses à dents, avant qu’on ne se rende compte qu’elle était parfaite pour les bas. Les premiers furent commercialisés en 1939 aux États-Unis, avec un énorme enthousiasme de la part des femmes et probablement aussi des hommes, qui découvraient une nouvelle sensation…

Du parachute à la chemise Pendant la guerre, on trouva au nylon plein d’autres applications, notamment pour les toiles de parachutes. C’était moins sexy ! Certains illuminés eurent la fâcheuse idée de les recycler en chemises, après la guerre, ce qui ne joua pas en sa faveur. Pourtant, l’argument d’absence de repassage était séduisant, mais elles posaient des problèmes de transpiration et collaient à la peau. De plus, le tissage n’était pas adapté, les chemises se déformaient ou laissaient apparaître de grands trous. Cet épisode malheureux refroidit un peu son lancement, mais le nylon avait des

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Textiles, parfums, bijoux et C ie arguments qui achevèrent d’assurer son succès : pas besoin de repassage, un faible volume donc peu d’encombrement dans les armoires ou les valises, un séchage rapide... Il devint finalement un textile très courant.

Bataille de chiffres Les chimistes allemands avaient eux aussi inventé un nylon dans les années trente : le Nylon 6. Un seul numéro suffit pour l’identifier car il était synthétisé par polymérisation d’une seule molécule qui comportait les deux systèmes d’accroche : le caprolactame se polymérise lui-même. Les Français, dans les années quarante, ont également développé un nylon mais à partir d’huile de ricin, nommé Rilsan ou Nylon 11.

Les vieux fils reviennent sur scène grâce aux micros Le nylon va atteindre son apogée dans les années cinquante au point de devenir un nom commun. Il va faiblir par la suite et devenir progressivement un peu désuet. Il a finalement disparu des étiquettes, mais la grande famille des polyamides est toujours là. Dans les années quatre-vingt-dix, il a subi une mutation importante grâce aux microfibres qui allaient permettre une infinie variation de formes, de textures, de couleurs, apportant une incroyable douceur. Toutes les fibres synthétiques ont bénéficié de ces nouveaux procédés permettant de former ces microfilaments, aux dimensions introuvables dans la nature.

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La métamorphose Leur finesse est extrême : dix kilomètres de fil pèsent seulement un gramme ! Ils présentent de grandes qualités de toucher, de confort, de facilité d’entretien, de capacité à laisser l’eau s’évaporer, ce qui fit leur succès et permit de réconcilier les fibres synthétiques avec leur public. Ces filaments ont révolutionné le monde du textile et remis au goût du jour ces vieilles fibres de mauvaise réputation. On peut jouer sur l’épaisseur, la section, varier les mélanges, travailler encore la fibre finie ou le tissu lui-même pour modifier son toucher, son aspect, sa brillance… Les manipulations, les métamorphoses, sont infinies pour le plus grand plaisir de nos tiroirs qui n’ont pas le temps de s’ennuyer.

Quand des amines et des acides se rencontrent, cela donne des ami… des Si l’on s’intéresse de près à la chimie de ces polyamides, on constate qu’ils ont une structure analogue à celle des protéines. La fibre 6.6 est du polyhexaméthylène adipamide, formé par réaction entre l’acide adipique et l’hexaméthylène diamine. Le premier est constitué d’une chaîne carbonée à six atomes de carbone dont les deux extrémités comportent une fonction acide. La deuxième est également une chaîne carbonée à six atomes de carbone dont les deux bouts comportent une fonction amine (atome d’azote). Chaque acide réagit avec chaque amine pour former un amide et une molécule d’eau. Ce phénomène pouvant se produire à chaque extrémité de la chaîne, toutes les molécules s’accrochent en même temps, il se produit une polymérisation. Comme si des milliers

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Textiles, parfums, bijoux et C ie de gens se donnaient la main, en alternant une personne qui porte des gants blancs (acide) avec une autre qui a des gants noirs (amine). Le gant noir ne peut s’accrocher qu’à un gant blanc.

Pas d’égoïsme, de la fraternité Le Nylon  6 est aussi le produit d’une réaction en chaîne, mais il ne fait intervenir qu’une seule molécule, le caprolactame, qui est un amide cyclique. La petite molécule de base se mord la queue. La réaction consiste à l’ouvrir et à l’obliger à s’accrocher à sa voisine identique plutôt que de se refermer sur elle-même. Chaque personne a un gant blanc et un gant noir mais ne doit pas se tenir les mains. Elle doit les séparer et les tendre à ses sœurs jumelles qui font de même, joignant ainsi des gants de couleur différente.

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Toutes les mêmes Le Nylon 11 est le résultat de la réaction d’une longue molécule qui comporte les fonctions acide et amine à ses deux extrémités : l’acide amino undécanoïque qui est issu de l’huile de ricin. Il comporte onze atomes de carbone le long de la chaîne, d’où son nom. Comme pour le Nylon 6, un seul type de molécule est présent. Elles s’accrochent toutes entre elles, par leur deux extrémités différentes.

Graines de tissus Quels que soient ses numéros, le nylon est fondu puis coulé sur un tambour refroidi. Il passe ensuite dans des broyeurs, pour être fragmenté en grains ou copeaux. Il peut ainsi être conservé et transporté. Au moment du filage, les grains sont fondus, la matière obtenue passe dans une filière puis se solidifie à l’air, en sortie. On peut l’étirer à chaud, de façon à paralléliser et aligner les chaînes, ce qui accroît la résistance à la rupture.

Une apparence de costaud mais si fragile au fond… Son pouvoir absorbant est très faible, permettant un séchage très rapide. Il ne s’enflamme pas, résiste mal aux acides mais est totalement inerte vis-à-vis des bases. Sa résistance à la traction est très grande ainsi qu’à l’usure. Les tissus en nylon sont très solides, tout en étant d’une grande finesse et très légers. Ils présentent une bonne élasticité et peuvent être considérés comme infroissables. Par contre, ils supportent mal les ultraviolets ;

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Textiles, parfums, bijoux et C ie ils jaunissent et se dégradent sous l’action de la lumière. À l’inverse des draps en coton que des générations de lingères ont exposé dans les prés pour les faire blanchir, il vaut mieux éviter de faire sécher au soleil les tee-shirts blancs en polyamides.

Attention danger ! Chacun aura probablement fait l’expérience des craquements et des étincelles des pulls enlevés rapidement. Sans parler des cheveux refusant de retourner à leur position d’origine sous l’effet de l’électrisation. En dehors de ces problèmes orageux, ce phénomène d’électricité statique engendre une attraction pour certaines salissures dommageable à l’esthétique. Outre cet inconvénient, assez mineur, il en est un autre qui peut avoir des conséquences beaucoup plus graves. Les polyamides brûlent en fondant, ce qui les rend très dangereux car la matière en fusion, liquide, s’incruste dans la peau, provoquant des brûlures profondes qui laissent de vilaines cicatrices. Les vêtements dans cette matière sont absolument à proscrire si l’activité présente un risque de combustion, si l’on est à proximité d’une flamme ou d’une autre source de chaleur. Les bas en nylon en particulier sont à éviter.

Des esters très poly Toujours dans l’optique de créer de nouvelles matières textiles, les recherches de deux chimistes anglais, J.R. Whinfield et J.T. Dickson, aboutirent à la réalisation du premier fil en polyester en 1941. Fait de polyéthylène téréphtalate, il sera commercialisé sous les

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marques Tergal et Dacron. Il remporta un gros succès également dans les années cinquante, comme le nylon. Il présentait l’inconvénient d’être sensible à la chaleur mais en contrepartie avait l’avantage de pouvoir être plissé de façon définitive. Les couturiers ont ainsi pu créer des costumes pour hommes aux plis permanents ou des jupes plissées à la mémoire de forme tenace. Comme toute fibre textile, elle avait ses petits inconvénients, notamment des problèmes d’électricité statique à l’image de son cousin le nylon. Certaines se souviendront de ces combinaisons qui collaient au corps dès le moindre mouvement. Le polyester prit progressivement une mauvaise image, comme le nylon, véhiculant une réputation de fibre bon marché, avant de connaître à son tour un souffle nouveau, grâce aux progrès techniques.

Un succès polaire Les scientifiques ont réussi à mettre au point des procédés permettant de manipuler les fibres polyesters, de les travailler pour améliorer leurs propriétés de gonflant et leurs qualités thermiques. Ainsi fut mis au point le Dacron® Hollofil, devenu roi des ouates de rembourrage. Le tergal allait aussi bénéficier de progrès pour améliorer ses relations intimes avec l’eau, laissant évacuer la transpiration. Il se mélange de plus en plus facilement aux fibres naturelles. Le coup d’éclat des polyesters, leur retour sous les lumières des magasins, se fit avec le débarquement des polaires dans les années quatre-vingt-dix. Derrière ce terme nordique se cache, en fait, un tissu en polyester gratté, dont les fibres sont enchevêtrées et aérées, ce qui permet d’améliorer ses qualités thermiques. Le vêtement coupé dans ce tissu est chaud et léger.

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Succès planétaire Les polyesters sont aujourd’hui les fibres textiles les plus produites dans le monde. Ils prennent des aspects, des textures très variés, et se cachent dans la plupart de nos vêtements. Ils sont très présents dans les tenues de sport et sont revenus au goût du jour grâce aux fameuses microfibres.

Le champion À l’échelle des atomes, les polyesters sont le résultat d’un enchaînement de molécules d’esters. La réaction qui conduit à leur formation se produit entre un diacide : l’acide téréphtalique et un diol, l’éthylène glycol ou le butane diol. Il s’agit d’un processus classique d’estérification entre un acide et un alcool aboutissant à un ester et de l’eau. Le principe de filage est le même que celui du nylon. Il est fondu, passé dans des filières, puis étiré à chaud.

Qualités et défauts Son pouvoir absorbant est également très faible. Il possède de très bonnes qualités de résistances chimique et mécanique. Son élasticité est excellente, ce qui rend le repassage inutile. Il supporte mieux les agents atmosphériques que le nylon et montre donc moins rapidement des signes de vieillissement. La lumière ne l’affecte pas trop ; le séchage en plein air ne lui déplaît pas. Il peut conserver un pli fait à 150 °C, même après plusieurs lavages. Heureux les Écossais qui portent des kilts en polyester ! Il s’électrise facilement, provoquant les mêmes désagréments pour

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nos cheveux que le nylon, un grisaillement et des taches tenaces, faisant croire que nous négligeons l’hygiène. Son faible pouvoir absorbant lui assure un séchage très rapide. Côté chaleur, il commence à se ramollir puis à fondre au-delà de 220 °C. Il brûle difficilement.

Rien ne se perd… Le PET (polyéthylène téréphtalate) ayant remplacé le PVC pour la fabrication de bouteilles en matière plastique contenant de l’eau minérale, le recyclage leur a donné une nouvelle vie improbable sous la forme de pulls. En effet, il s’agit de la même substance qui, refondue, donne la matière première qui part dans les filières, pour donner les fibres dont seront faites ces polaires qui arborent fièrement des étiquettes illustrant leur origine.

« Froid, moi ? Jamais !» Persévérant dans son désir de créer de nouveaux polymères, l’industrie textile a créé la fibre en polyacrylique et en polychlorure de vinyle. Ces dernières sont ininflammables et très résistantes mécaniquement mais supportent mal la chaleur. Des travaux d’amélioration aboutirent, toutefois, dans les années quarante, au Rhovyl®, commercialisé et rendu célèbre par Damart et son Thermolactyl.

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Toujours une question d’atomes crochus Les polyvinyliques, aussi appelés chlorofibres, sont le produit de la polymérisation du chlorure de vinyle. Cette fibre est l’équivalent du PVC (polychlorure de vinyle) dans sa version textile. Le monomère – le chlorure de vinyle – correspond à une molécule d’éthylène dont on a remplacé un atome d’hydrogène par un atome de chlore. Lors de la réaction de polyaddition, les atomes de carbone se lient les uns à la suite des autres. Le carbone qui ne porte que des hydrogènes s’accroche au carbone de la molécule voisine qui porte l’atome de chlore. La filature s’opère dans un solvant et non pas à l’état fondu, car les chlorofibres se décomposent sous l’effet de la chaleur.

Un costaud qui n’aime que le froid Le Rhovyl® est l’élément le plus connu de cette famille. Il a des propriétés remarquables d’inertie chimique. Il est ininflammable et résiste aussi bien aux acides qu’aux bases. Il présente également une grande résistance aux agents atmosphériques. Craignant la chaleur, il nécessite un lavage froid et refuse le repassage. En chauffant, il se décompose, ce qui est déjà très gênant pour votre sous-vêtement, mais en plus, il produit des vapeurs de chlorure d’hydrogène, gaz qui devient de l’acide chlorhydrique au contact de l’eau, par exemple dans votre nez. Il ne supporte pas le perchloréthylène, le pressing lui est donc interdit. Cela fait beaucoup de contraintes mais le résultat en vaut la peine, surtout par jours de grand froid…

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Quand les acryliques font trembler la laine Dans la foulée, les scientifiques lancèrent les acryliques au début des années cinquante. La famille des synthétiques s’agrandit. Cette fibre très particulière ressemble à de la laine mais sans ses inconvénients. Elle est indéformable et facile à laver, à l’inverse de son modèle. Les acryliques vont connaître la gloire grâce à la célèbre Courtelle®, fabriquée par Courtaulds. Elles sont aujourd’hui concurrencées par le retour flamboyant des polyesters qui envahissent tous les secteurs et qui se plaisent à nous réchauffer avec des couvertures en polaire ou microfibres toutes douces.

Toutes cousines Leur composition et leur fabrication ne sont pas sans rappeler celles de leurs aînés. Les polyacryliques s’obtiennent par polymérisation de l’acrylonitrile. Dans cette molécule à trois atomes de carbone, deux sont doublement liés entre eux, tandis que le troisième est triplement lié à un atome d’azote (groupe nitrile). La polymérisation se fait par addition et la matière est ensuite filée dans un solvant, comme pour les chlorofibres et pour la même raison : la substance se décompose en fondant. Le fil est étiré à chaud.

Les moutons n’ont qu’à se rhabiller Ces polymères sont assez inertes aux acides, aux solvants usuels, aux oxydants, aux intempéries… Leur pouvoir absorbant est faible. Ils ne sont pas sensibles à la lumière. Ils donnent des tissus au toucher doux et chaud. Leur légèreté, leur pouvoir gonflant, leur infeutrabilité leur ont permis de concurrencer la laine.

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Des tenues moulantes… Une autre fibre intéressante qui va faire son entrée dans nos tiroirs de façon fortuite, alors qu’elle n’était pas l’objet de recherche dans le domaine textile, est l’élasthanne. Le caoutchouc naturel était devenu primordial au début du xxe siècle. Aussi, dans la crainte d’une pénurie et pour subvenir aux besoins grandissants, les chimistes ont travaillé à la synthèse d’un remplaçant. La société Du Pont de Nemours a réussi à mettre au point l’élaboration d’un caoutchouc de synthèse : le néoprène. Il donnera la fibre élasthanne, connue sous la marque Lycra®. Dans les années soixante, cette fibre élastique était présente dans presque toutes les gaines. Incontournable aujourd’hui dans les maillots de bain et les collants, elle se fait discrète mais efficace dans les vêtements de fitness et de nombreux vêtements de sport. Appréciable également dans les pantalons, il suffit de quelques pourcents pour rendre le vêtement élastique.

Elastic girl Les élastofibres qui sont des élastomères de synthèse ont pour spécificité, comme leur nom l’indique, une très grande élasticité. Chimiquement, il s’agit de polyuréthanes, obtenus par addition de diols sur des isocyanates. Le polymère comporte le long de la chaîne des fonctions esters et des fonctions amides. La grande élasticité de ces fibres est due à leur structure cristalline. Des zones amorphes alternent avec des zones cristallines, ce qui apporte à la fois élasticité et solidité. Deux inconvénients des élastofibres sont leur incompatibilité avec l’eau de Javel et les produits chlorés (ce qui est un peu gênant pour un maillot de bain) et leur désamour pour

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les UV. En bref, si vous voulez faire durer votre bikini, il faut éviter les piscines et le soleil. Il vous reste le bain de minuit dans la mer… Ainsi la durée de vie de ces petits – voire très petits – bouts de tissus, est-elle toujours très limitée, pour le plus grand bonheur des fabricants et des commerçants.

Du téflon pour couvrir les poils… ou les poêles Dans cette quête effrénée de la nouveauté, les chimistes rivalisent d’imagination pour inventer les tissus les plus improbables. Dans certains cas, ce ne sont pas vraiment de nouveaux tissus qui sont réalisés mais des ajouts, des apprêts, des revêtements, suffisants pour transformer leurs propriétés. Les membranes collées rendent les vêtements imperméables, sans les transformer en cabines de sauna, car elles empêchent l’eau liquide de pénétrer mais laissent passer la vapeur d’eau, donc évitent la transpiration. Cette prouesse est réalisée par une matière plus connue pour le revêtement des poêles que les parkas, à savoir le téflon, icône de la marque Goretex®. Cette substance porte le joli nom de polytétrafluoroéthylène (PTFE). Son monomère est de l’éthylène dont les quatre atomes de carbone ont été remplacés par des atomes de fluor.

On n’arrête pas le progrès... L’enduction est aussi un savant mélange de substances étalées sur un tissu permettant, là encore, respirabilité et imperméabilité. Dans les tissus de dernière génération, l’innovation va jusqu’à l’encapsulation qui consiste à

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Textiles, parfums, bijoux et C ie emprisonner une substance dans une minuscule coque, étanche ou poreuse selon les besoins, et à l’insérer dans la fibre ou le tissu. Ainsi peuvent être enfermés des parfums, des agents hydratants, des médicaments…

À vos paillasses ! Si on s’intéresse à l’intimité des fibres, à leur nature moléculaire, à leur structure, on comprend mieux leur particularité et l’orientation des recherches qui ont été menées tout au long du xxe siècle. Les chercheurs sont partis des connaissances acquises sur les fibres naturelles et les premières fibres synthétiques. Ce sont les progrès des techniques d’analyse, les connaissances en chimie organique qui ont permis cette ascension rapide de la chimie des textiles.

Très longues et très crochues Les existantes montrent que pour être candidate à la création d’une fibre textile, une molécule ne peut pas jouer les petits formats. Elle doit être énorme. Tellement grande qu’elle a droit à l’appellation de macromolécule. Etre grosse ne suffit pas, elle doit privilégier la longueur, être linéaire. Ce mastodonte est obtenu par accrochage de molécules plus petites, c’est le principe de la polymérisation. Toutes les macromolécules ne sont pas forcément aptes à la fonction de fibre textile. Elles doivent pouvoir s’accrocher entre voisines sans s’enrouler, en restant alignées, et être assez longues pour avoir beaucoup d’accroches latérales, de façon à apporter de la solidité. Plus les interactions sont fortes entre macromolécules, plus la résistance à la rupture est grande.

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Enfilez les perles ! Tous les polymères textiles ont donc en commun d’être des macromolécules linéaires qui comportent des sites d’attractions. Ce qui varie et caractérise le polymère (un collier de perles) est le motif de base qui se répète (la perle du collier), le nombre de motifs (le nombre de perles), les groupements de bouts de chaînes (le fermoir). Un autre aspect important est la cristallinité, c’est-àdire l’organisation plus ou moins régulière des macromolécules, selon qu’elles sont en vrac mais figées (un plat de spaghettis dans l’assiette) ou légèrement orientées après passage dans la filière (comme si l’on avait aligné partiellement les spaghettis avec une fourchette) ou encore toutes alignées après étirage (les spaghettis sont bien rangés dans l’assiette). Dans le premier cas, on parle d’état amorphe ; dans le deuxième : d’état semicristallin, puis de cristallin pour le troisième. Dans ce dernier état, des liaisons peuvent s’établir, ce qui permet la cohésion de l’ensemble (les spaghettis sont un peu collés entre eux).

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Liaisons et cristallisation Les principales interactions sont des liaisons hydrogène entre les atomes d’hydrogène d’une chaîne et les atomes d’oxygène ou d’azote d’une autre, auxquelles s’ajoutent des liaisons de type Van der Waals. Le niveau de cristallisation est un point extrêmement important car il conditionne les propriétés de la fibre et donc du tissu. Plus ce niveau est élevé, plus la densité augmente et plus le tissu est lourd. Cela donne un meilleur tombé et une résistance mécanique accrue. L’étoffe est également moins soluble dans les solvants organiques.

Une histoire de température Les macromolécules doivent pouvoir se ranger les unes à côté des autres pour se lier et donner une organisation cristalline, mais celle-ci s’effondre si la température augmente car elle apporte l’énergie qui permet aux molécules de s’agiter et de se séparer. Ce résultat est un problème car si la fi bre est trop chauffée, le tissu perd ses propriétés. Pour éviter cette instabilité, il faut chauffer la fibre en l’étirant, assurant ainsi une fixation thermique.

Déformation garantie Une autre caractéristique importante du polymère à structure cristalline est sa température de fusion. S’il s’agit d’un polymère plutôt amorphe, on parlera de température de transition vitreuse. À ce stade, les molécules peuvent se déplacer les unes par rapport aux autres. Cette connaissance est essentielle car elle détermine les

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conditions de lavage et de séchage. Si la température est supérieure à cette valeur limite, le tissu va se déformer et rester figé après un rinçage à froid.

Et filez bien ! L’opération de filage est une étape prépondérante. Il existe trois façons de filer les fibres synthétiques : le filage humide, à sec ou par fusion. Lors du premier, la matière est sous forme de liquide visqueux  ; elle est envoyée dans les filières, elles-mêmes immergées dans un bain coagulant. Les fils se solidifient à la sortie. La viscose est filée selon ce procédé. On parle de filage à sec quand la substance textile est dissoute dans un solvant, donnant une pâte visqueuse qui passe dans des filières chauffées, au sein desquelles le solvant s’évapore. Les fils se solidifient à la sortie. C’est le cas pour l’acétate. Enfin, le filage par fusion va concerner les fibres synthétiques : la matière textile fondue passe dans la filière où elle est refroidie.

Affaire de trous… Chaque technique a une influence sur la section et l’aspect du fil, ce qui va conditionner les propriétés du tissu et donc son confort. On peut déterminer la forme de la section de la fibre au moment du filage. Selon qu’elle est circulaire ou non, le toucher des tissus est complètement transformé. Pour les fibres de synthèse, les possibilités sont vastes, elles dépendent de la forme du trou des filières. Quant à la finesse des fibres, elle détermine le toucher. Plus elles sont fines, plus il y en a pour former le fil et plus le fil est régulier.

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Chenilles atomiques Tant de fibres qui se cachent dans nos placards, que l’on néglige, que l’on ignore. Tant d’origines, de traitements, de mélanges pour aboutir à ces aspects, ces touchers, ces qualités multiples. Du poil de mouton aux fibres synthétiques, filles du pétrole et de l’art des chimistes, en passant par la bave d’une chenille ou la descendante de la cellulose, nos tiroirs regorgent de trésors moléculaires. Marie en a le tournis. Elle a l’impression de voir se tortiller toutes ces longues molécules alignées sur ses étagères. Tant de prouesses naturelles, scientifiques, techniques pour mettre en valeur son corps de rêve…

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Maintenant Marie va devoir choisir la couleur des vêtements qui couvriront avec sensualité son corps parfait que la pudeur, la froidure et la loi la convainquent de dissimuler. Elle va devoir affronter un obstacle supplémentaire qui risque fort d’allonger son temps de contemplation devant le miroir et aggraver le retard qui s’accumule, directement proportionnel au courroux de son chef bien-aimé. 75

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Se faire traiter d’oie blanche ou de perruche ? Quitte à choisir, Marie pense qu’elle opterait pour la dernière. Elle est plus colorée. Nul besoin d’être maquilleuse dans un cirque, artiste peintre ou starlette en goguette sur la Côte d’Azur pour se rendre compte que nous vivons dans un monde coloré. Ou du moins, celui qui se dévoile pour nous humains, lorsque tous les matins, le jour lève le rideau que la nuit s’évertue à descendre.

Le maïs, la voisine et le coq  Le monde coloré que nous percevons, par l’intermédiaire de nos cellules rétiniennes et de notre cerveau, n’est pas le même que celui de l’oie ou de la perruche justement, qui ne voient pas avec les mêmes yeux. Même la poule, au regard méchant, inquisiteur, accusateur, ne voit pas le bel épi de maïs qu’elle s’apprête à croquer, ni les œufs de la voisine, ni le coq qui se pâme, comme nous, qui, au demeurant, pouvons nous pâmer aussi parfois, devant d’autres coqs.

La mariée est en deuil ? Comme tous les êtres vivants, nous subissons malgré nous l’influence des couleurs. Depuis les temps les plus reculés, l’Homme a associé les couleurs à des impressions, des sentiments. Le langage des couleurs n’est pas universel,

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il peut dépendre de l’âge et de la situation géographique. Une même couleur peut revêtir des aspects parfois contradictoires, selon le lieu et l’époque. Ainsi, le noir, symbole de deuil et de tristesse dans notre civilisation occidentale, était-il symbole de fertilité et de renaissance dans l’Égypte ancienne. À l’inverse, le blanc, qui évoque le mariage en Europe, est la couleur du deuil en Inde. Cette information est de la plus haute importance si vous êtes un jour témoin d’un enterrement indien. Elle vous évitera une gaffe malheureuse du genre « vive la mariée ! ». Surtout si vous savez le dire en indien.

Les courgettes ne sont pas sexy Il est aussi reconnu que les couleurs ont une influence sur notre comportement. Le rouge est réputé excitant alors que le vert serait relaxant. Une vamp en robe rouge moulante ne produira pas le même effet en montant sur une scène qu’une beauté en fourreau vert pâle. Vous les trouvez sexy, les militaires, dans leur tenue kaki  ? Et imaginez une corrida avec une muleta vert pomme ! Le taureau n’y verrait que du feu, puisqu’il ne distingue pas les couleurs, mais les spectateurs seraient bien moins enthousiastes. Un chiffon rouge sang, voilà qui est plus excitant.

Plutôt éléphant ou plutôt paon ? Très tôt, dans l’histoire de la vie, les organismes vivants ont produit des molécules colorées. Chez les animaux et les végétaux, l’usage, sage ou excessif des couleurs, n’est pas gratuit. Arborer une robe discrète telle que celle de l’éléphant, ou chatoyante comme la queue d’un paon,

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Textiles, parfums, bijoux et C ie peut recouvrir diverses fonctions,  dont les principales sont la protection et la reproduction. Les superbes fleurs qui transforment nos prés en feux d’artifice, au printemps, n’étalent pas leurs couleurs pour le plaisir de nos yeux. La présence de molécules produisant un effet coloré dans leurs cellules est d’abord indispensable à leur fonctionnement. Elles peuvent aussi avoir un rôle protecteur vis-à-vis du rayonnement solaire, à la fois vital et destructeur.

Noyaux voyageurs L’attractivité de certaines couleurs à l’encontre d’insectes pollinisateurs est fondamentale pour la reproduction. Inversement, ces mêmes teintes peuvent être répulsives pour des prédateurs. De même, les couleurs des fruits vont attirer certains oiseaux qui en les dégustant, joueront les transporteurs de noyaux pour assurer la propagation de l’espèce. Le concours de cracheurs de noyaux de cerises participe bien sûr à ce grand cycle de la nature. L’important est que tout le monde ne souffle pas dans la même direction.

Choisissez bien vos couleurs ! La couleur n’est pas réservée au monde végétal. Les animaux aussi offrent une variété de couleurs, qui répondent encore à des objectifs de protection et de communication. Tous les animaux ont à se prémunir des effets du rayonnement UV de la lumière solaire. Les pigments qui jouent ce rôle sont les mélanines. La couleur de l’animal peut aussi lui permettre le camouflage, le champion toutes catégories étant bien sûr le caméléon, suivi de très près par le militaire en opération. À l’inverse, son aspect peut aussi provoquer la frayeur d’un prédateur et sa fuite. Il est bien connu que

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la parure joue aussi un rôle fondamental dans le rapprochement avec un éventuel partenaire sexuel. Dans la famille homo sapiens, il arrive qu’une tenue très colorée, censée attirer la convoitise, provoque dégoût et répulsion. L’aspect biologique des couleurs ne joue pas toujours son rôle dans un monde humain psychologiquement compliqué...

Dites-le avec des fleurs Ne perdons pas de vue, ce qui serait un comble pour un sujet sur la vision des couleurs, que ce genre d’étude doit être fait avec la perception qu’en ont les êtres visés, qui sont rarement humains. Les fleurs ne se font pas belles pour nous mais pour attirer les animaux, indispensables à leur fécondation et la pérennité de l’espèce. Nous sommes des animaux, certes, mais pas très utiles pour la fleur. Rien n’empêche ensuite un courtisan de choisir les plus belles d’entre elles pour les offrir à sa belle. L’objectif pouvant être, dans ce cas aussi, la transmission de la vie. La nature aura ainsi rempli deux fois son rôle.

Nuances de marrons Quelle que soit notre origine, nous sommes nousmêmes colorés par la mélanine de notre peau. L’effet cachet d’aspirine ou café au lait dépend de la quantité présente dans nos cellules.

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Des couleurs aux oreilles et aux doigts Le monde du vivant abonde de molécules colorées. Mais tous les pigments ne sont pas forcément d’origine végétale ou animale. Les minéraux peuvent aussi proposer une palette séduisante. Marie pourra rajouter quelques pierres brillantes à sa tenue, le moment venu… 

Allez les verts ! Marie ferme les yeux un instant et s’imagine loin de la ville, au milieu de la nature. Que voit-elle  ? Du blanc ?! Mais non, pas à la montagne en hiver ! Elle est à la campagne, ou en forêt, ou encore dans un parc public, et là que voit-elle ? Vous voyez ? Du vert, du vert et encore du vert ! La couleur dominante dans le monde végétal est sans conteste le vert. À quelle molécule devons-nous toute cette verdure ? Que tous les amateurs de chewing-gums se lèvent ! À la chlorophylle ! La gomme à mâcher aura ainsi permis à des générations d’adolescents acnéiques de connaître le nom scientifique (et de l’écrire sans faute) d’une des molécules les plus extraordinaires qui soient, parmi celles ayant joué un rôle fondamental pour l’évolution de la vie. En dehors de la suprématie du vert, les autres couleurs du vivant sont le jaune et l’orange, puis le bleu et le rouge. Mais que faut-il pour qu’une molécule soit « colorée » ?

Liaisons doubles Nous savons que les molécules sont constituées d’atomes liés entre eux. Les molécules du vivant ont un « squelette » carboné, ce qui signifie que des atomes de

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carbone liés entre eux créent la colonne vertébrale de la molécule, celle-ci pouvant être plus ou moins longue. À ces atomes de carbone viennent se lier des atomes d’hydrogène, d’oxygène, d’azote pour l’essentiel. Certaines de ces liaisons peuvent être qualifiées de double ou de triple. Un atome de carbone peut former quatre liaisons simples, ou deux liaisons simples et une double, ou encore une liaison simple et une triple. Le total fait toujours quatre : l’atome de carbone est tétravalent. Il a quatre bras pour s’accrocher à ses voisins, identiques ou différents. S’il n’a que trois voisins à qui se joindre, il tendra deux de ses quatre mains vers un seul d’entre eux, les deux autres mains serrant la main des deux autres partenaires. Il doit toujours avoir ses quatre bras attachés à quelqu’un.

Des électrons échangistes… Une liaison est formée par mise en commun de deux électrons, provenant chacun d’un atome. Notre atome de carbone, star incontestable du monde vivant, a donc quatre électrons à partager avec ses voisins. Lorsqu’il tend un bras pour s’accrocher à un collègue, il propose de partager son électron avec le voisin qui fait de même. Ces électrons sont dans un état énergétique stable, tant qu’on ne vient pas les embêter. Ils discutent, ils sont contents, ils font connaissance. « Vous êtes heureux dans votre atome de carbone ? – Oh, oui ! L’année dernière, j’étais dans un atome de cuivre. Quel chahut ! Je n’arrêtais pas de me déplacer. Un métal, croyez-moi, ce n’est pas de tout repos ! Être dans un pétale de rose, c’est tout de même plus agréable. Et vous ? – Ma foi, je ne suis là que depuis quelques jours. J’étais dans une molécule de dioxyde de carbone, à tournoyer dans l’air, quand nous avons été captés par cette magnifique fleur. J’en suis encore tout retourné ! ».

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… chatouilleux… Il est toutefois possible de chatouiller ces électrons et de les faire passer dans un état d’énergie plus élevé. Un peu comme si on venait vous piquer les fesses pour vous faire monter en haut de l’échelle. Problème : vous n’êtes pas très à l’aise sur le dernier barreau et vous avez très envie de redescendre. Les électrons aussi. Pour les faire monter, on leur a communiqué de l’énergie (lumière, chaleur). En revenant à leur état de confort, ils vont rendre cette énergie. Quelle forme d’énergie choisiriez-vous pour remercier votre piqueur ? Les électrons, eux, vont libérer de la chaleur ou de la lumière. Les molécules colorées ont tout simplement des électrons qui montent dans les étages supérieurs grâce à l’énergie apportée par la lumière et dégringolent dans leur niveau initial en envoyant à leur tour de la lumière. En recevant la lumière du soleil, ils reçoivent une multitude de lumières colorées (celles de l’arc-en-ciel) mais ils n’en renvoient que quelques-unes. Cette lumière colorée entre dans nos yeux et après quelques étapes neuronales intermédiaires fait dire à notre cerveau : tiens, quelle jolie rose rouge !

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… et voyageurs La particularité de ces molécules colorées est qu’elles ont de nombreuses doubles liaisons très proches. Les chimistes parlent de doubles liaisons conjuguées, car les électrons peuvent voyager d’une liaison à l’autre. Plus il y en a, et plus les électrons sont délocalisés. Il leur faut alors moins d’énergie pour atteindre leur niveau excité. La lumière émise est de plus grande longueur d’onde que pour des molécules non conjuguées, ce qui permet à cette lumière de rentrer dans le domaine du visible et nous procure le spectacle fabuleux des fleurs et oiseaux à belles couleurs. Chaque longueur d’onde caractérise une couleur de lumière, du rouge au violet en passant par toutes les nuances intermédiaires. La lumière rouge a une longueur d’onde plus grande que la violette. Au-delà du rouge la lumière n’est plus visible, on rentre dans le domaine des infrarouges. À l’autre extrémité, la lumière invisible devient très énergétique et correspond au rayonnement ultraviolet.

Science et poésie Porphyrines, caroténoïdes, anthocyanes, flavonoïdes, mélanines et quinones sont les principales familles de pigments à l’origine des couleurs. Attention ! N’ayons pas peur des mots ! Les termes scientifiques ne doivent pas effrayer. Ce ne sont que quelques lettres rassemblées, qui peuvent paraître repoussantes de prime abord, mais dont il faut relativiser la difficulté. Passez outre. Ne vous arrêtez pas pour si peu. Il est bien difficile de les éviter. C’est leur petit nom, pas pire que gymnastique, doryphore ou hurluberlu… Vous verrez que vous finirez par les trouver charmants et familiers, ces noms scientifiques. Ils sont un peu douloureux pour l’œil mais tellement doux à l’oreille.

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Textiles, parfums, bijoux et C ie Écoutez bien : porphyrines, caroténoïdes, anthocyanes, flavonoïdes, mélanines, quinones… Dans la famille des molécules colorées, intéressonsnous d’abord aux porphyrines.

J’ai toujours rêvé d’être une plante verte Les plus connues sont la chlorophylle, grâce à qui nous voyons la vie en vert – et non pas en rose – et l’hémoglobine, responsable de la couleur rouge des globules. Arrêtons-nous un instant sur cette fabuleuse molécule de chlorophylle. Nous nous devons de lui rendre hommage car nous lui devons la vie. Après ces quelques lignes, vous prendrez pour un compliment de vous faire traiter de plante verte  ! Un humain est incapable de reproduire l’exploit qu’un haricot vert réalise tous les jours !

Des électrons tout excités ! La chlorophylle permet la réalisation de la photosynthèse (littéralement fabrication par la lumière). Tandis que les plantes vertes se pâment au soleil, les photons, particules transportant l’énergie solaire, percutent leurs feuilles et rencontrent la molécule de chlorophylle. Comme nous l’avons vu précédemment, l’énergie apportée par ce photon permet à un électron, qui se vautrait tranquillement dans son état d’énergie le plus bas, de passer dans un état d’énergie supérieur. Cet électron est maintenant tout excité. Mais au lieu de revenir mener une vie de patachon dans son état initial

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en libérant l’énergie que lui avait généreusement donné ce gentil photon, il est conservé par la machinerie qui se cache au creux de la feuille.

La Nature, une usine chimique En effet, mesdames et messieurs, une plante verte est une véritable usine chimique. Ah, elle est belle la Nature ! Elle nous fabrique des produits chimiques. La chimie est partout… Mais revenons à nos moutons. Mais non, les moutons n’ont rien à faire ici. Malheureux, arrête de brouter cette herbe verte qui sert à illustrer notre propos. Place à la verdure. Nous disions donc que, grâce à cet électron qui est dans un état d’excitation pas possible, l’énergie est récupérée par le système qui permet de fabriquer du glucose avec le dioxyde de carbone (CO2) de l’air que la plante absorbe.

On déplore une disparition Sauf qu’il nous manque un électron qui a disparu dans le processus. Il est impératif de le récupérer. Un atome désemparé a perdu un électron et menace de sombrer dans la dépression. Heureusement, une molécule miracle est là pour résoudre les problèmes de défaut d’électrons : l’eau. C’est elle qui va étancher cette soif d’électron et va apporter par la même occasion les atomes d’hydrogène qui participent à la création du glucose. Elle est pas belle, la vie ?!

Il manque le rouge Et nous, que voyons-nous de cette machinerie complexe ? Du vert ! Mais pourquoi ? Ce sont les photons

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Textiles, parfums, bijoux et C ie de la lumière rouge du spectre solaire qui sont sacrifiés au nom de la vie. Ils sont absorbés et donc absents de la lumière que la plante nous renvoie dans l’œil. Supprimez les pixels rouges de votre téléviseur et vous ne verrez que du vert, du bleu ou du turquoise.

Couleurs d’automne Autre membre illustre de la famille des molécules colorées du vivant : les caroténoïdes, responsables des couleurs jaunes, orangées et rouges. Les caroténoïdes constituent une grande famille de molécules colorées présentes dans la plupart des végétaux. Ils rassemblent une profusion de molécules différentes, dont certaines ne se rencontrent que dans une seule espèce végétale. On distingue deux types de caroténoïdes : les carotènes et les xanthophylles. Les caroténoïdes sont très présents dans tout le monde végétal mais sont souvent cachés par la chlorophylle. Ils se laissent admirer en automne, lorsque la production de chlorophylle faiblit avec la diminution de la durée du jour et la baisse de température. Les caroténoïdes en profitent pour nous rappeler qu’ils sont bien là.

Une carotte, c’est pas mal non plus… Le carotène est présent dans… les carottes, évidemment, trop facile ! Mais pas seulement. Notons que les carottes n’ont pas toujours été orange. Leur couleur originale est le violet. C’est à la suite d’une mutation que le pigment violet ne s’est pas formé et a laissé la teinte orange, jusqu’alors masquée, se dévoiler. Ne soyez donc pas effrayé si l’on vous propose des carottes râpées violettes en entrée, puisqu’elles commencent à réapparaître. Ce n’est pas une innovation mais au contraire un légume oublié.

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Le sens du sacrifice La présence de carotène dans les végétaux est un bonheur pour nos yeux mais la nature inconsciente n’a pas conduit l’évolution dans ce but. L’intérêt du carotène, pour la vie végétale, est qu’il absorbe une partie du rayonnement solaire, laissé accessible par la chlorophylle et qu’il réagit avec l’oxygène de l’air, protégeant ainsi les cellules d’une attaque radicale. C’est ce que l’on appelle un antioxydant, puisqu’il se sacrifie en s’oxydant le premier, protégeant ainsi les voisins.

Hymne à la tomate Quelle extase d’observer l’évolution de la couleur de la tomate et l’impact sur la sensation éprouvée  ! Une tomate verte, non seulement ne nous fait pas saliver, mais ne se remarque même pas. Lors de son mûrissement, cette petite merveille de saveur et de senteur, découverte par les Aztèques, va voir disparaître sa chlorophylle, acceptable dans une laitue ou un concombre, mais peu ragoûtante pour une tomate à la croque-au-sel. La célèbre molécule verte va laisser peu à peu la place au lycopène, colorant rouge qui suscitera notre envie de mordre. Les tomates n’ont pas le monopole du lycopène, aussi le trouverat-on en concurrence avec le carotène, donnant une teinte rose modérée dans le pamplemousse, plus intense dans la pastèque ou carrément orange dans les abricots.

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Quand les oiseaux changent les couleurs Il existe des caroténoïdes chez les animaux mais ils ne savent pas les fabriquer. Ils assimilent ceux qu’ils puisent dans leur nourriture végétale, sans les modifier ou en les transformant pour donner des caroténoïdes particuliers, qui n’existent pas dans le règne végétal. Les champions de la couleur sont, sans conteste, les oiseaux, top models de Christian Lacroix mis à part. Ils trouvent les caroténoïdes dans leur alimentation et les transforment éventuellement. Les modifications entraînent l’apparition de nouvelles couleurs. L’effet visible est d’ailleurs variable selon leur nourriture.

Le flamant, l’algue et la crevette L’exemple le plus célèbre est celui des flamants roses qui doivent leur couleur aux petits crustacés orangés dont ils sont friands, qui sont eux-mêmes amateurs d’une algue colorée. Sans cet apport en caroténoïdes, le flamant serait bien pâlichon. L’explication est du même ordre pour le saumon, qui doit son succès autant à sa couleur qu’à sa saveur. Le chimiste sait toutefois synthétiser cette molécule colorante, pour que les saumons d’élevage ne soient pas jaloux de leurs frères sauvages, et surtout pour que le consommateur ne pense pas que l’on veuille le gruger. Le produit de synthèse connaît toutefois une légère variation, sans conséquence sur le goût, mais qui est détectable à l’analyse. Si vous voulez vérifier que votre poissonnier ne vous arnaque pas, transformez votre cuisine en laboratoire : à vos éprouvettes !

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Faim et fin cruelles Mais au fait, si les homards ont adopté ce colorant, qui les rend si appétissants et nous incite à les manger, dans leur propre nourriture, pourquoi ne sont-ils pas rouges déjà vivants ? Camouflent-ils ce pigment, attirant pour les gourmands, pour éviter de se faire repérer par des pêcheurs affamés ? Pas du tout, dit la langouste ! C’est parce que le caroténoïde est combiné à une protéine qui masque sa couleur. Il faudra toute la cruauté du cuisinier pour ébouillanter le malheureux et ainsi libérer la substance colorée, qui n’attend plus que le mariage avec la mayonnaise, pour illuminer nos assiettes.

T’as de bons yeux, tu sais ! Si le flamant sait bien pourquoi il est important pour sa santé de consommer ces crevettes, pourquoi est-il aussi essentiel pour moi, se demande Marie, de trouver dans mon assiette des carotènes ? Parce que certains sont des précurseurs de la vitamine A, intervenant dans le phénomène de la vision au niveau de la rétine (la vitamine A1 se nomme aussi rétinol). Ils seront convertis grâce à des enzymes spécifiques. Mangez des carottes et vous aurez de bons yeux, à défaut d’être beaux.

Une pointe de flavonoïdes et une pincée d’anthocyanes Une autre grande famille est celle des flavonoïdes, molécules encore essentiellement d’origine végétale, très répandues et souvent responsables de la couleur jaune.

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Textiles, parfums, bijoux et C ie Les flavonoïdes sont solubles dans l’eau à la différence des chlorophylles et des caroténoïdes. Cette propriété est importante pour l’utilisation de ces colorants.

Rose ou bleu, ce n’est pas une question de sexe C’est aussi le cas des anthocyanes (fleur bleue en grec), de structure chimique proche de celle des flavonoïdes, et qui donnent des teintes bleues ou rouges. La balance penche en faveur de l’une ou l’autre selon l’acidité du milieu. Il n’y a pas une variété d’hortensia bleu et une autre à pétales roses, mais une seule dont les nuances varient selon le type de sol. Encore plus surprenant : le bleuet et le coquelicot doivent leur couleur à la même molécule, mais irrigués par une sève d’acidité différente, le résultat sera divergent. La nature est économe en utilisant une même molécule pour des teintes différentes. Ainsi, la plupart des nuances rouges, violettes et bleues des fleurs et fruits du monde entier est due à la présence de cette famille de molécules. C’est le cas des géraniums, des framboises et des fraises, qui rougissent grâce à une molécule joliment nommée pélargonidine (une idée de prénom ?). Une petite modification de sa structure donne une molécule responsable de la couleur violette des mûres et du cassis.

Attendre que la chlorophylle se repose Comme pour les caroténoïdes, la teinte chaude et flamboyante des anthocyanes se révèle en automne, lorsque la chlorophylle se dégrade et disparaît. D’autant

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que la chaleur et la lumière vive de l’été ont encouragé sa formation. Il n’y a qu’à attendre le retrait de la reine verte pour que les végétaux puissent rougir à pleines feuilles.

Bonne mine grâce aux mélanines Les mélanines sont des espèces chimiques dont la couleur va du jaune au noir. Elles sont synthétisées par les animaux, à la différence des caroténoïdes et des flavonoïdes. Elles sont responsables de la couleur des poils et cheveux des mammifères (sauf ceux des roux) et de notre bronzage. Question couleurs, la  mélanine n’est pas très sélective. Elle est capable d’absorber toutes les longueurs d’onde, ce qui explique que nous ne soyons ni verts (sauf de rage), ni rouges (sauf de honte), ni bleus (sauf de peur) mais d’une couleur allant du beige rosé au marron. Nous sommes assez ternes à côté des oiseaux ou des fleurs. Heureusement que les vêtements et le maquillage viennent à notre secours pour nous faire remarquer.

Merci la mélanine Il existe différents types de mélanines, dont les proportions variables expliquent les variétés de bruns, châtains et blonds. Les albinos souffrent d’un trouble de la fabrication de la mélanine. Ils n’en synthétisent pas suffisamment. Leur peau est alors très vulnérable, car comme pour les pigments des végétaux, la mélanine a un rôle protecteur vis-à-vis du rayonnement solaire ultraviolet qui pourrait endommager les cellules.

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Blanc et noir, c’est sans espoir Une fleur noire serait riche en mélanine, sauf que les fleurs noires n’existent pas. La couleur est due à l’absorption partielle de lumière. Pour être noire, une fleur devrait absorber la totalité de la lumière reçue, ce qui la conduirait à sa perte, détruite par cet excès d’énergie. Elle prendrait un coup de soleil mortel. Fichtre ! Quels sadiques, ces horticulteurs ! À l’opposé, les fleurs parfaitement blanches ne sont pas viables non plus. Elles n’absorberaient aucune lumière et ne pourraient donc pas procéder à leur métabolisme. Les teintes très claires que nous offre la nature sont toujours légèrement nuancées.

Qui… nones ? Autre groupe de pigments ayant marqué l’histoire de la teinture, mais qui se montre discret dans notre environnement naturel : les quinones. Elles ne se font pas remarquer, grisâtres dans des racines, des écorces, des insectes ou des champignons. Parmi les deux cents molécules référencées, les naphtoquinones sont celles qui présentent le plus d’intérêt pour la coloration.

Du carotène sur ma jupe ? Les présentations sont faites. Les grandes familles colorées n’ont plus de secrets pour Marie. Il ne lui reste plus qu’à découvrir, parmi la grande diversité de végétaux et animaux colorés, ceux qui ont été utilisés pour la teinture, afin, et ce n’est pas la moindre des difficultés, de choisir ses vêtements du jour…

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S’extasier devant la queue du paon ou le plumage d’une perruche finit par donner des idées. Pourquoi les oiseaux seraient-ils les seuls à se pavaner en rouge et bleu, se demande Marie en farfouillant dans son armoire ? Les humains seraientils condamnés au beige et au marron ? Quelle tristesse ! Non contents d’être spectateurs de la beauté de la nature, ils ont rapidement cherché à capturer les colorants de celle-ci. Dans le panel de molécules colorées précédemment présentées, se trouvent les colorants les plus célèbres. 93

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Que vais-je mettre ? Mon pantalon jaune citron ? Le jaune est essentiellement apporté par les caroténoïdes et les flavonoïdes. La gaude, aussi connue sous le terme réséda, dont la culture était géographiquement assez étendue, était une plante utilisée dans sa totalité (tiges, feuilles) pour donner le colorant jaune qui fut le plus recherché pour ses qualités tinctoriales, pendant des siècles.

Épice ou teinture Citons aussi l’exemple du safran, plus connu aujourd’hui comme épice. Le safran provient d’une fleur, le crocus du Népal, pays dont il serait originaire. Les stigmates sont séchés et broyés pour donner la poudre orange que nous connaissons. Le safran est utilisé depuis l’Antiquité comme plante médicinale mais aussi pour teindre les tissus. Son prix exorbitant et une mauvaise tenue de la couleur ont fait disparaître cet usage (la couleur orangée avait tendance à pâlir vers le jaune). Il est désormais uniquement consommé comme épice.

Orange bouddhiste Autre sorte de colorant jaune très ancien : la poudre de curcuma. Cette plante est aussi, de nos jours, plus célèbre comme constituant du curry, que pour ses qualités tinctoriales. Le curcuma connut pourtant ses heures de gloire dans le milieu des teinturiers. Il était en particulier utilisé pour colorer les costumes des moines bouddhistes. Il est obtenu

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à partir du rhizome séché et broyé de la plante, essentiellement cultivée en Inde. Comme son voisin de luxe, le safran, le curcuma possède également des propriétés médicinales.

Autres jaunes Le carthame des teinturiers est une plante voisine du tournesol, du chardon et du pissenlit. Il pousse plus particulièrement sur le pourtour méditerranéen. La poudre obtenue à partir des fleurs peut donner, après quelques transformations, des colorants allant du jaune au rouge. Le genêt, joli arbuste odorant, bien connu de nos contrées, donne, après broyage, séchage et macération des fleurs, un colorant jaune employé en particulier pour la laine.

Ma mini jupe rouge ? La couleur rouge est utilisée depuis fort longtemps, notamment lors de rites funéraires, et reste une couleur mythique : le pourpre des empereurs, le manteau des rois, les robes des cardinaux et des magistrats... Elle est depuis longtemps rattachée au feu, à la guerre, au pouvoir, à l’amour passionnel, à la colère, au danger. Elle est, après le bleu, la couleur préférée d’une majorité de personnes. Les colorants rouges ont, eux aussi, plusieurs origines possibles.

Massacre de mollusques Le pourpre ou rouge de Tyr est connu depuis l’Antiquité. Il est issu d’un mollusque marin, nommé justement pourpre ou murex. Le pigment était extrait d’une toute

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Textiles, parfums, bijoux et C ie petite glande de cet animal pas bien grand. Les coquilles étaient cassées et les mollusques étaient laissés à macérer dans des bassins. Il fallait dix mille murex pour obtenir un gramme de colorant. Vous imaginez le massacre ! Son coût étant très élevé, ce colorant était réservé aux puissants, notamment aux empereurs romains. Il fut peu à peu remplacé par le kermès, issu d’un insecte, une cochenille qui parasitait le chêne kermès.

Ou broyage de cochenilles ? L’autre célèbre rouge de cochenille provient d’Amérique du Sud. Il fut découvert par les Aztèques. La cochenille est un insecte parasite de nombreuses plantes. La poudre rouge est obtenue en broyant l’abdomen séché de la femelle. Ce colorant est toujours en usage, actuellement, mais essentiellement pour l’alimentation. Il jouit d’un regain d’intérêt avec la tendance du retour au naturel.

Garance en uniforme Pour le rouge de garance, on utilisait la racine d’une plante du même nom. Ce colorant était bien connu des Gaulois et des Romains et la garance fut très cultivée dans le sud de la France. Il procurait sa belle couleur rouge aux uniformes de l’armée française, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Le pourpre, la garance ou le rouge de cochenille font tous partie de la famille des quinones.

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Pau brasil Lorsque les Portugais arrivèrent en Amérique du Sud, ils découvrirent un arbre particulier qui allait marquer l’histoire de ce pays jusque dans son nom. Depuis longtemps on appelait « brésil » un bois dont la couleur rappelait celle des braises. Il existait sur ce territoire un arbre qui n’était pas directement de cette couleur mais qui, après avoir été réduit en sciure et laissé macérer dans de l’eau plusieurs semaines, donnait un colorant rouge vif. Cet arbre fut nommé « pau brasil » et donna son nom au pays où il fut exploité. Il est aussi connu sous le nom de Pernambouc, une des villes où il fut cultivé. La production intense de Bois du Brésil a conduit à sa raréfaction. Sa survie est aujourd’hui menacée.

Un « M.E.C. » haut en couleur Un des plus grands chimistes français, Michel-Eugène Chevreul (1786-1889) a consacré une grande partie de sa vie à l’étude des colorants. Il travailla comme étudiant puis en tant que professeur de chimie au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris. Chargé de trouver des colorants pour les tissus militaires, il publia des études sur des matières colorantes végétales telles que l’indigo et le pastel. Par la suite, Louis XVIII le nomma directeur des teintures à la Manufacture royale des Gobelins. Cette fonction lui permit de rencontrer de nombreux teinturiers et de consacrer tous ses travaux de recherche aux substances colorées. Il a marqué profondément l’histoire de la teinture. Il travailla, en particulier, sur le Bois du Brésil pour tenter d’en extraire le principal colorant. Lorsqu’il y parvint, il l’appela « brésiline ». Cette espèce chimique fait partie de la famille des flavonoïdes. Elle s’oxyde facilement pour donner un autre colorant rouge de type quinone.

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Mon jean moulant ? Le bleu, quant à lui, remporte tous les suffrages lorsqu’il s’agit d’élire la couleur que chacun préfère. Évocation du ciel ou de la mer, elle inspire (c’est le cas de le dire) l’air, le bien-être, la sagesse… Le pastel des teinturiers est le plus ancien colorant bleu. La plante qui permit son utilisation est connue depuis la préhistoire. On retrouve sa trace dans les tombeaux des pharaons égyptiens. Il s’agit de la guède, pourvue d’une longue tige et de petites fleurs jaunes et répondant au joli nom savant d’Isatis. Fleur jaune ?! Eh oui ! car ce sont les feuilles qui produisent le pigment bleu et non les fleurs. Comme le pourpre, le pastel fut très utilisé par les Romains pour teindre les étoffes. La guède fût intensément cultivée dans toute l’Europe méridionale, en particulier en Italie. Au xvie siècle, un sérieux concurrent fut introduit, en provenance des Indes : l’indigotier.

Pays de cocagne La culture de la guède dans le Languedoc et la région toulousaine a fait la fortune de dynasties de pasteliers. Ce substantif provient de la méthode d’extraction du colorant. Les feuilles étaient broyées, rassemblées en paquets et exposées à l’air. Une première fermentation avait lieu, produisant des réactions chimiques qui modifiaient les

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molécules de la plante. Le cultivateur fragmentait le produit obtenu et le moulait sous forme de petits pains appelés « coques ». Voilà l’origine de l’expression « pays de cocagne » ! Le producteur de colorants pour teintures procédait ensuite à l’étape suivante. Les coques étaient cassées et arrosées pour produire une deuxième fermentation donnant une pâte (pastel). Un dernier lavage basique aboutissait au pastel incolore. Pour teindre les étoffes, il fallait les tremper dans un bain contenant le pastel, puis les exposer à l’air pour que l’oxydation magique se produise et transforme en quelques minutes un linge blanc en tissu bleu.

Une arrivée marquante L’autre source de colorant bleu est l’indigotier, petit arbuste originaire de l’Inde. Comme pour la guède, non seulement les fleurs de l’indigotier ne sont pas bleues, mais le bleu indigo n’existe même pas tel quel dans la plante. Son arrivée en Europe amorça une concurrence sévère avec le pastel car la plante était plus riche en colorant et donnait des teintes plus intenses. Le commerce de l’indigo était toutefois détenu par les Anglais qui avaient colonisé l’Inde et les négociants néerlandais qui en imposaient le prix. L’indigo fut très utilisé pour teindre les vêtements de travail. Il fut aussi malheureusement la seule couleur à émerger d’un monde de boue et de grisaille, pour les hommes qui subirent la guerre de tranchées, puisqu’il fut utilisé pour teindre les uniformes des poilus. Par la suite, 1960 sera le début de la gloire pour cette couleur qui deviendra mythique grâce à l’invention du blue-jean. Il ne s’agira alors plus d’indigo végétal mais de colorant de synthèse.

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Ma petite robe noire ? Pour le deuil, les adeptes du style gothique ou les broyeurs, le noir provient des mélanines. Elles sont naturellement présentes dans la peau pour nous protéger du soleil. Ces molécules absorbent toutes les longueurs d’onde du visible, ce qui explique leur aspect. Le noir n’est pas une couleur mais l’absence de couleur, l’absorption de toutes les lumières colorées qui viennent généreusement se jeter dans la gueule du noir.

Le noir est probablement une des teintes qui a le plus évolué au cours du xxe siècle. Le noir n’est plus seulement symbole de deuil dans nos civilisations occidentales, mais aussi d’élégance, de chic, de luxe sobre. Il peut aussi incarner la rébellion des blousons noirs. Cette « couleur » est devenue très contradictoire et peut se révéler paradoxale selon les occasions.

Pas compliqué La teinture des tissus est pratiquée depuis plus de 2 000 ans. Les premiers modes opératoires étaient des plus simples. La technique consistait à effectuer des dissolutions,

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de simples mélanges qui ne procuraient pas à la teinture une longue durée de vie et qui donnaient parfois des couleurs inattendues. Jusqu’au xixe siècle et l’avènement de la chimie de synthèse, la matière première était végétale ou animale, puisée parmi les substances dont nous venons de parler.

Le mauve est né … Tous ces colorants naturels étant souvent très chers, les progrès de la chimie, accomplis au cours du xixe siècle, ont incité les chimistes à travailler sur la synthèse de teintures à partir de matières premières plus abordables. 1856 voit l’aboutissement de la première synthèse d’un colorant, la mauvéine, par Perkin. Ce jeune chimiste tentait des expériences pour synthétiser de la quinine. Ses différents essais se soldèrent par des échecs mais au cours d’une manipulation, il obtint un solide noir, qui en se dissolvant dans l’alcool donnait une solution violette, qui se révéla très efficace pour la coloration des tissus. Réalisant l’importance et l’intérêt économique que pouvait représenter cette nouvelle invention, Perkin abandonna son poste à l’université de Londres et créa une entreprise afin de produire et commercialiser ce colorant mauve. Il développa lui-même le procédé de fabrication.

Plantes au repos, chimistes au boulot ! L’arrivée de la mauvéine dans le monde de la teinture fut un succès et amorça le début des colorants de synthèse, qui supplantèrent en quelques années ceux issus d’espèces

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Textiles, parfums, bijoux et C ie naturelles. La matière première de cette préparation était le benzène issu du goudron de houille. Celui-ci était la substance de base pour toute la chimie de synthèse avant d’être détrôné, quelques années plus tard, par celui que l’on qualifierait d’or noir : le pétrole.

Batailles de bleus Une vingtaine d’années après la découverte de Perkin, en 1878, l’Allemand Bayer détermina la structure de la molécule d’indigo puis mis au point sa synthèse. La matière première pour cette production était le naphtalène, issu lui aussi du goudron de houille. Sa production industrielle démarra en 1897. La fabrication intensive de l’indigo permit de le proposer à un prix bien plus bas et de meilleure qualité que l’indigo naturel, mais il fallut tout de même attendre quelques années pour voir l’arrêt de la production végétale.

Chacun son tour La suprématie du colorant bleu changea alors de nationalité. Le monopole de l’indigo en provenance des Indes était détenu par les Anglais. Le bleu de synthèse était, quant à lui, protégé par des brevets allemands. Les sujets de Sa Majesté royale avaient ruiné les pastelliers d’Italie et du sud de la France. Les Allemands ont sonné le glas de l’indigotier indien. L’essor de la pétrochimie amènera quantité de nouveaux colorants, concurrents de l’indigo de Bayer… Peu à peu, l’avancée des connaissances en chimie sur la structure des molécules et des savoir-faire expérimentaux en laboratoire affaiblit l’extraction des colorants naturels au profit des substances de synthèse, ouvrant la porte à la recherche et à la concurrence.

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Rencontre entre un colorant et une fibre Après avoir observé la nature et ses familles de molécules colorées, survolé les origines végétales et animales des principaux colorants, évoqué le remplacement de produits naturels par des équivalents de synthèse, il nous reste à évoquer l’instant où le colorant rencontre son tissu : la teinture en elle-même.

Accroche-toi ! Parmi les soucis des teinturiers, celui qui tient une place de choix est le problème de stabilité des couleurs. Qui n’a pas un jour poussé un hurlement de rage en sortant de son lave-linge un pantalon blanc devenu bleu, une petite culotte rose ayant viré au rouge ou un chemisier dont le blanc éclatant n’est plus qu’un lointain souvenir ? Quoi de plus désastreux qu’un vêtement qui dégorge ? La teinture ne doit pas partir avec l’eau du lavage. Encore moins changer de vêtement ! Les couleurs qui nous font la surprise d’avoir fait du troc ! Non ! Le colorant doit s’accrocher au tissu avec ses petits bras musclés et résister à l’appel de la rivière.

Tutti rikiki maousse costo ! Et que dire de ces couleurs qui fanent, qui passent, qui virent juste vers la couleur que l’on déteste. Cela nous valut quelques célèbres publicités qui vantaient des lessives qui gardaient les couleurs éclatantes. Les teintures ne sont pas toujours stables. Insupportable, vous en conviendrez ! Or, justement, les colorants extraits de leur milieu naturel ont tendance à évoluer. Juste pour nous punir de les avoir sortis de chez eux !

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Naissance d’une liaison très intime Tout l’art des maîtres teinturiers va donc consister à extraire la substance colorante et la traiter pour la stabiliser. Mais isoler des colorants ne suffit pas. La matière colorante doit se mêler intimement au substrat et s’y accrocher. Une teinture n’est pas un pigment. Elle n’est pas seulement un revêtement de surface, déposé sur le tissu, qui partirait rapidement à l’usure et au lavage. Il s’agit d’un colorant mêlé intimement à la fibre, qui doit s’y accrocher, le plus longtemps possible, et résister aux assauts de l’eau, la lessive, la lumière, des frottements. De plus, les lumières absorbées par les molécules de la teinture vont se cumuler avec celles absorbées par le tissu. La couleur résultante sera due à l’addition des lumières colorées renvoyées vers nos yeux. Autrement dit, le tissu teint ne sera pas forcément de la même couleur que le colorant présent dans la teinture.

Indispensables morsures Pour fixer la couleur, les teinturiers utilisent des « mordants » qui permettent la jonction entre la molécule colorante et la molécule de tissu. L’entité doit migrer à l’intérieur même de la fibre et s’y fixer solidement. La présence de sel s’est révélée rapidement indispensable pour obtenir des couleurs intenses et tenaces. Le sel permet une meilleure approche ainsi qu’une liaison plus efficace entre le colorant et la fibre de tissu. Différents facteurs influent sur la nuance de la teinte. La concentration du bain, sa température, le temps de trempage, la nature du tissu. Certains synthétiques se teignent difficilement.

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Le triomphe de la chimie La guède et l’indigotier peuvent pousser tranquillement. Ils n’intéressent plus que les abeilles. La plupart des sources animales et végétales de colorants sont laissées à leur propre sort. Certes, songe Marie, ces produits de synthèse rendent l’imagination moins fertile. L’idée que son jean soit coloré grâce au pétrole est moins poétique que l’image des récoltants de guède sous le soleil toulousain, mais les fleurs et les murex nous remercient de les oublier. La Nature nous inspire, elle nous montre la voie. À nous de savoir la copier et l’améliorer, sans prétention, mais avec admiration. Le pull-over rouge de Marie est chargé d’histoire…

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DES OVNIS DANS MON NEZ Dans quelques minutes ou quelques heures, peut-être un collègue envoûté posera-t-il un œil gourmand sur la silhouette épanouie de Marie ? En chemin, sa démarche sensuelle et son allure charmante lui auront probablement déjà valu quelques regards appuyés de la part d’hommes attablés à la terrasse d’un café ou de passants croisés sur un trottoir trop étroit. Certains pourraient même, les mal élevés, aller jusqu’à la siffler pour manifester plus clairement encore leur admiration et leur envie. La scène la fera certainement rougir et garder la tête raide, le regard porté au loin, affichant un air effarouché qui masquera péniblement sa satisfaction. Elle en frétillera de plaisir.

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Snif, snif !... Par contre, Marie n’apprécierait pas du tout qu’un grand blond, passant près d’elle, se mette à la renifler. Comme toutes les femmes, elle aime les regards, les sifflets d’admiration et les compliments, mais pas vraiment les considérations olfactives. Marie se dit que les humains sont des animaux vraiment pas comme les autres. Sa petite Zaza ne s’offusque pas lorsqu’un beau labrador vient humer ses effluves corporels. À bien y réfléchir, que pourrait-il sentir, ce roi de la truffe ? Ce charmant jeune homme ne détectera pas son empreinte odorante car elle aura œuvré, comme chaque jour, pour la détruire et la couvrir d’une autre, plus délicate selon elle. « Une femme qui ne se parfume pas n’a pas d’avenir  », affi rmait Paul Valéry. Marie s’apprête donc à camoufler son odeur derrière un paravent de déodorant et de parfum.

Mon premier est un animal qui fait hi han, les chiens aiment beaucoup mon deuxième, mon troisième est sous la croûte, mon tout ne sent rien Si nous devions établir une hiérarchie entre les sens, certainement classerions-nous l’odorat en dernier. Notre vocabulaire, si pauvre en la matière, montre bien à quel point nous négligeons ce sens, d’une importance pourtant colossale dans le monde animal. Nous savons tous ce qu’est la cécité ou la surdité mais qui connaît l’anosmie, à part les acharnés de mots croisés ?

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Pouah ! Qu’est-ce qui nous gêne, nous dérange dès que l’on évoque les odeurs, notamment les nôtres  ? s’interroge Marie. Pourtant, s’il y a bien des odeurs corporelles qui ne nous gênent pas, ce sont celles que nous dégageons. La sueur des personnes qui vous frôlent vous fait reculer, les odeurs fécales qui émanent des toilettes publiques vous donnent la nausée, les relents des pets qu’un indélicat a libérés sous votre nez vous répugnent, alors que les vôtres sentent si bon. En s’intéressant au monde olfactif, nous rentrons dans le domaine de l’intime. Accompagnons Marie dans cette exploration. Ouvrons grand nos narines…

Perception des odeurs On estime qu’une personne entraînée peut distinguer dix mille odeurs différentes. Mais quel est le processus physiologique qui conduit à l’identification d’une odeur ? La perception olfactive est due à l’interaction entre une molécule et un neurone olfactif. Un neurone est une cellule, telle qu’il en existe des milliards dans tout individu. Chaque cellule a une spécialité. Celle des neurones est la détection d’une information sensorielle et sa transmission au système nerveux central (moelle épinière ou cerveau). Les cellules du système nerveux, à travers un réseau complexe de circuits, véhiculent l’information.

Par le nez ou par la bouche Revenons au début du processus. Une des nombreuses molécules qui composent le parfum de Marie (ou l’une produite par l’usine chimique que constitue son corps,

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Textiles, parfums, bijoux et C ie pas forcément une nauséabonde) rentre dans le nez d’une personne voisine, au cours de l’inspiration. Le nez n’est pas la seule porte d’entrée. Une substance peut aussi s’inviter par voie rétro-nasale, en provenance de la bouche.

C’est le chaos ! Pour que cette première étape soit possible, les molécules odorantes doivent être volatiles, c’est-à-dire qu’elles doivent être suffisamment légères pour pouvoir passer de l’état liquide à l’état gazeux. Dans cet état, les molécules s’agitent dans tout l’espace disponible à une vitesse proche de celle du son (environ 340 mètres par seconde) jusqu’à ce que quelques-unes passent à proximité d’un nez et se fassent aspirer. Le mot gaz fut d’ailleurs créé par le médecin et chimiste flamand Van Helmont d’après le terme chaos. La route n’est pas très longue jusqu’au neurone, à moins d’être équipé d’un appendice particulièrement remarquable. Dans tous les cas, le trajet dépasse rarement quelques centimètres…

Un cage-nez Les malheureuses molécules qui se retrouvent piégées dans cette « péninsule » se dissolvent dans l’eau de la muqueuse qui tapisse le fond des fosses nasales. Le mucus est un milieu aqueux (qui contient essentiellement de l’eau) dans lequel baignent de nombreuses protéines. Il sert à éliminer des agents étrangers (toxines, bactéries, virus) et permet un lavage permanent de cette zone sensible. Les molécules inhalées rencontrent alors des protéines réceptrices qui constituent la membrane des cils

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qui baignent dans ce mucus. Ces cils n’ont rien à voir avec les poils disgracieux qui dépassent parfois de certains nez et que leur propriétaire s’évertue à couper, voire à arracher pour les plus courageux. Ces cils sont regroupés par touffes d’une vingtaine et constituent l’extrémité de chaque neurone olfactif.

Quelle activité ! L’accrochage de la molécule odorante à une protéine réceptrice déclenche une modification de forme de celle-ci, aboutissant à un signal dans le neurone qui va lui-même transmettre l’information. Chaque neurone est sensible à un seul type de récepteur. Il existe plusieurs milliers de récepteurs différents, mais des millions de neurones. Tous les neurones ayant les mêmes récepteurs ont des axones (autre extrémité du neurone) qui se rejoignent pour se lier à un neurone intermédiaire, ce qui permet d’intensifier le signal. Le sens de l’odorat est particulier dans la propagation de l’information car il est le seul qui présente un lien direct entre le neurone et la molécule venant du monde extérieur, sans intermédiaire entre ce dernier et le système nerveux. Le cerveau est en prise directe avec son environnement grâce au nez.

Sens préhistorique Une molécule odorante peut allumer plusieurs récepteurs différents et un récepteur peut être réveillé par plusieurs types de molécules odorantes. L’information, véhiculée à travers un réseau de connexions, aboutit au cortex olfactif. Cependant, la zone identifiée dans le cerveau comme étant celle permettant la reconnaissance

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Textiles, parfums, bijoux et C ie des odeurs, d’ailleurs très proche du nez, n’est pas la seule activée. Des scientifiques ont constaté que de nombreuses autres zones du cerveau étaient excitées, notamment celle concernée par les émotions. Ce lien avec le cerveau limbique et la proximité entre le récepteur et le cerveau témoigne du caractère ancestral de ce sens.

Une histoire de rencontres Il se produit donc une succession de réactions chimiques, conséquemment à la rencontre entre une molécule odorante et une protéine réceptrice, avant d’aboutir à la perception de l’odeur et sa reconnaissance. Mais que deviennent les molécules  après avoir été inhalées et accrochées aux protéines réceptrices ? Elles sont probablement dégradées, puis éliminées lors de l’expiration. Après avoir compris que la perception d’une odeur est conditionnée par la jonction entre deux molécules – celle de la substance odorante et celle qui est dans votre nez – il est légitime de se demander si, à une molécule odorante, correspond une protéine réceptrice ? L’interaction est-elle due à un mécanisme de type clé-serrure ? Cette question est restée longtemps sans réponse. Cela tenait du mystère.

Loin de mon nez, les poids lourds ! Revenons aux fondamentaux. Nous avons vu que pour qu’une molécule soit odorante, elle doit être légère, le terme « volatile » est préféré des chimistes. Elle doit être soluble dans l’eau mais avoir une affinité pour les graisses, ce qui

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est souvent incompatible. Ce problème est résolu par la présence de protéines (encore !) de transport qui permettent à des molécules liposolubles de se déplacer dans le mucus jusqu’aux cils. Ces conditions expliquent que toutes les substances n’ont pas forcément d’odeur, les plus lourdes et les trop grasses restant éloignées de notre mucus nasal.

Ester, tu sens bon L’étude comparée de la structure de substances et de leur odeur a montré que la présence de certains groupes d’atomes donne une odeur spécifique. En particulier, toutes les molécules à odeur fruitée ont systématiquement des parties communes, les classant dans la famille des esters. La présence de ce type de molécule dans les fruits est le résultat de la dégradation des acides gras qu’ils contiennent, lors du mûrissement.

OVNI : Objet Volatil Non Identifié À une odeur, est souvent associée une molécule. Il en existe une, responsable de l’odeur de violette et de foins séchés, mais que l’on retrouvera aussi dans la framboise, en compagnie d’une autre. C’est le mélange des deux qui donnera l’odeur de la framboise. Si l’herbe coupée rappelle l’odeur de la violette, c’est parce que le carotène, présent dans l’herbe, se décompose après avoir été coupé, en une molécule qui est la même que celle présente dans la fleur de violette. La cacahuète doit sa senteur grillée à une molécule qui participe aussi à celle du pain chaud et du chocolat et qui est commune aux substances ayant été le siège de réactions de Maillard.

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Ressemblances Le géraniol est une substance souvent présente dans les huiles essentielles, notamment dans la célèbre citronnelle, bien connue des moustiques. On la trouve aussi dans la feuille de géranium, mais le plaisir d’humer son parfum délicat revient incontestablement aux roses, qui en produisent pour le plus grand plaisir de nos neurones. Avez-vous remarqué la ressemblance des odeurs d’anis, de badiane et de fenouil ? Votre nez délicat ne s’est pas trompé puisque vos récepteurs ont vibré à la même substance, l’anéthol, présente dans ces trois végétaux.

OVNI : Odeur de Vanille Naturelle des Îles Comment ne pas évoquer le doux parfum de la vanille  ? Le constituant principal, responsable de son odeur et de son goût, est la vanilline. L’essence de vanille est extraite des gousses de la plante, qui pousse dans les îles de l’hémisphère Sud, telles que La Réunion, la Polynésie ou Madagascar. Les gousses subissent diverses opérations, au cours desquelles la vanilline est libérée. Les besoins en vanille sont énormes et la production naturelle ne peut pas subvenir à la demande. L’arôme de vanille, utilisé dans les parfums et comme arôme alimentaire, est, dans la plupart des cas, de l’éthyl-vanilline de synthèse. Elle ne restitue pas pleinement l’odeur de vanille

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puisqu’elle n’est qu’un des constituants du cocktail de molécules contenues dans les gousses de vanille, mais elle s’en rapproche fortement puisqu’elle ressemble beaucoup au constituant odoriférant majoritaire.

Larmes de cuisinières Un cas intéressant est celui de l’ail et l’oignon. Tous deux contiennent des substances soufrées irritantes, emprisonnées dans leurs cellules, tant qu’un cuisinier courageux n’a pas entrepris de les en déloger. Le carnage occasionné par le couteau sur les cellules de ces pauvres plantes va libérer des enzymes, qui vont jeter leur dévolu sur les aminoacides, rendus vulnérables par cette soudaine mise en relation qui leur sera fatale. Les résidus sont ces fameux composés soufrés qui agressent méchamment vos récepteurs nasaux. Dans le cas de l’oignon, cette attaque enzymatique produit également le responsable lacrymogène des larmes de cuisinières.

Ça sent le soufre ! Tant que nous en sommes à évoquer les odeurs soufrées, dans la famille odeurs horribles, les thiols occupent une place de choix. Ils ont pendant longtemps été appelés mercaptans, du fait de leur capacité à capturer les atomes de mercure. Dans ce groupe, se trouve le gaz que propulse la mouffette en direction de son adversaire. Effet garanti. C’est un peu le même genre de composé qui émane du vison, du furet ou de l’hermine.

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Textiles, parfums, bijoux et C ie Des molécules qui se ressemblent ont souvent des odeurs voisines. Mais il existe des cas où des petites modifications de structure entraînent des changements d’odeurs radicaux.

Des molécules qui se regardent dans la glace L’exemple le plus surprenant de molécules voisines à senteurs différentes est celui des molécules chirales. De quoi s’agit-il ? Certaines molécules ne diffèrent entre elles que par leur positionnement dans l’espace. Ces molécules sont images l’une de l’autre dans un miroir, comme des mains. Les chimistes appellent ce genre de molécules des énantiomères. Des chercheurs ont constaté que des molécules chirales pouvaient avoir des odeurs différentes. Ceci montre que l’organisation dans l’espace joue un rôle important et que les récepteurs olfactifs sont sensibles à la forme.

Une clé sans serrure pour ouvrir la boîte à mystères À l’inverse, certaines molécules très différentes dégagent une même odeur. La seule chose qui soit claire est que ce sujet ne l’est pas. La relation molécule-odeur est un problème très complexe, pas encore résolu. Il semblerait que la jonction entre la molécule odorante et la molécule réceptrice ne soit pas seulement du type clé-serrure, comme on a pu la penser à une époque. Il est impossible de prévoir l’odeur d’une molécule d’après sa structure. Le mystère a laissé entrevoir quelques brèches mais reste encore dense.

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Une odeur pour tous, tous une perception différente La principale difficulté d’étude est simplement due au fait que le résultat de l’expérience est une perception humaine, variable d’un individu à l’autre, et non un listing sorti d’un ordinateur ou un graphe tracé par un appareil de mesure. La reconnaissance d’une odeur fait appel à la mémoire, elle réveille un souvenir. La perception est la même pour tout le monde, mais l’appréciation d’une odeur et surtout sa description restent propres à chacun. Non seulement le seuil de perception est variable d’un individu à l’autre, mais il évolue aussi chez une même personne selon la température, la pression, le taux d’humidité, l’état psychologique. D’autre part, la perception est naturellement liée à la concentration du produit inhalé, mais le seuil olfactif est plus ou moins élevé, selon les substances.

Lui, je l’ai dans le nez ! Quelques autres phénomènes physiques sont étonnants comme l’accoutumance à une odeur, le fait de ne plus la sentir au bout de quelques minutes ou au contraire l’impossibilité de s’enlever une odeur du nez, généralement désagréable.

J’ peux pas sentir les chats ! Vous aurez probablement remarqué que les chiens, les chats ou autres bêtes à poils et néanmoins amies, ont un odorat nettement mieux développé que le nôtre. Cette

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Textiles, parfums, bijoux et C ie faiblesse s’explique par le fait que nous sommes moins bien équipés puisque nous avons moins de variétés de protéines réceptrices et de neurones olfactifs.

Mon nez, un aéroport ? Jusqu’à présent, nous avons parlé de molécule odorante au singulier, pour simplifier le propos, mais une odeur est en fait le résultat de l’atterrissage de plusieurs centaines de molécules dans nos fosses nasales. Comprendre le processus de détection d’une odeur n’est déjà pas très simple pour un seul type de molécules, mais l’unicité n’existe pas dans la nature. Elle ne nous propose que des mélanges ! Or, l’odeur d’un mélange n’est pas la somme des odeurs de chaque constituant du mélange, mais une odeur nouvelle. Sentez séparément tous les composants du parfum d’une rose et humez directement la rose. La sensation est différente et unique.

Besoin d’être mis au parfum La perception d’une odeur est liée à la mémoire du propriétaire du nez, donc à sa connaissance olfactive. Le processus de perception et de reconnaissance d’une odeur fait intervenir la chimie, la physiologie, la psychologie, la linguistique… Notre vocabulaire est malheureusement extrêmement pauvre dans ce domaine où olfaction et émotion sont intimement liées. L’exercice de mémorisation des odeurs ne relève pas simplement de l’acquisition de savoirs. Celui qui cherchera à améliorer son répertoire olfactif découvrira rapidement que l’apprentissage est difficile. Ferme les yeux, Marie, et hume...

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CIVETTE POUR STARLETTES Maintenant que Marie a été mise au parfum sur les phénomènes se produisant dans son nez et aboutissant à la perception d’une odeur, elle se demande à quoi sert de sentir : quelle est l’utilité biologique de l’existence de ce sens ? La vue, cela paraît évident, l’ouïe aussi, mais l’odorat ? Peut-être pour éviter de s’empoisonner. Oh, nous ne parlons pas de poisons sophistiqués, de molécules artificielles, que les chimistes ont su fabriquer, mais de substances dues à la dégradation de nourritures avariées.

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Pas frais mon poisson ?! L’odeur est en effet un avertissement salvateur pour l’affamé qui s’apprête à dévorer un sandwich dont le beurre est rance ou le jambon périmé. La preuve en est que lorsque nous avons un doute, nous approchons instinctivement le produit de notre nez et le reniflons avec inquiétude. De même, nous sentons les fruits pour estimer leur maturité. Notre seuil de détection est justement très bas pour les odeurs ammoniaquées ou soufrées qui sont celles émises par les organismes en cours de dégradation. Rassurée, Marie se dit que, grâce à son redoutable flair, il n’est pas né le poisson qui l’empoisonnera, surtout pas un pané !

Miel à la crotte ? L’attirance ou la répugnance exercée par une odeur n’est pas particulière à l’espèce humaine. Il semblerait que les animaux connaissent cet effet. Ainsi, certaines plantes modifieraient l’odeur qu’elles dégagent pour ne plus attirer les insectes lorsqu’elles ont été fécondées. D’autre part, vous aurez sûrement observé qu’il est courant de trouver des mouches se délecter sur une crotte, mais bien rare d’y rencontrer une abeille.

Éducation nasale Il semblerait, toutefois, que cette capacité chez l’Homme ne soit pas innée, mais acquise par l’éducation. Nous faisons l’apprentissage des odeurs malsaines.

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Le petit enfant mettra quelques années à éprouver du dégoût et de la nausée pour l’odeur des excréments.

Amande amère Ce pouvoir de détection des odeurs malsaines n’est vrai que pour celles liées à la vie. Il n’existe malheureusement pas de lien entre le seuil de perception et la toxicité pour les molécules qui ne découlent pas de la décomposition d’êtres vivants. Certaines molécules, mortelles à faible dose, sont inodores, telles que celle du monoxyde de carbone, ou ont une odeur qui, sans être plaisante, n’est pas désagréable, comme celle d’amande amère du cyanure d’hydrogène. Ce dernier se trouve sous forme d’acide cyanhydrique dans les noyaux de certains fruits, connaissance utile aux Romains, qui préparaient des poisons en broyant l’amande des noyaux de pêche.

Des pets qui sentent le soufre De nombreuses molécules sont libérées en permanence par notre corps au niveau de la peau ou des différents orifices. Les plus remarquables par leur intensité et leur universalité sont celles des flatulences et de la sueur. Concernant les premières, chaque homme (et femme, même les plus sexy) doivent se délester d’un demi-litre de gaz chaque jour, parmi lesquels de l’azote (diazote en langage scientifique), constituant majoritaire de l’air, inutilisé par notre organisme, mais absorbé en même temps que les aliments lorsque nous mangeons, du dioxyde de carbone issu de l’activité bactérienne dans l’intestin, du méthane et de l’hydrogène (dihydrogène). Or ces gaz sont inodores. Pourtant, chacun a fait l’expérience d’une tentative

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Textiles, parfums, bijoux et C ie de dégazage discret car silencieux, mais trahi par l’odeur dégagée. Qui sont les coupables ? Les atomes d’azote et de soufre présents dans les protéines digérées qui vont donner formation à de l’ammoniac et surtout du sulfure d’hydrogène. C’est lui le répugnant qui vous a trahi !

Pas de chou, ou alors à la crème Si vous avez prévu un cocktail ou une sortie cinéma, évitez de consommer des produits riches en aminoacides soufrés, tels que les choux, qui feront produire à votre usine chimique des quantités de sulfure d’hydrogène, que vous aurez du mal à garder en otage dans votre côlon.

Sulfureux ! Nous allons retrouver les mêmes coupables dans la sueur de vos aisselles. Bien que cette fois encore la sueur produite soit inodore, les bactéries vont travailler à la fabrication de ces molécules d’ammoniac et de sulfure d’hydrogène que nous apprécions tant. Puisque nous sommes dans les odeurs corporelles, signalons que l’urine ne sent pas très fort mais laissée à l’air et à l’action des bactéries, l’urée, qui est son principal constituant, est transformée en ammoniac, dont l’odeur est nettement plus forte et désagréable.

Bouquet final Et pour finir (c’est le cas de le dire), deux molécules qui répondent aux doux noms de putrescine et cadavérine (les chimistes sont de grands poètes), à odeurs écœurantes,

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résultant, comme vous vous en doutez, de la décomposition des corps. En fait, elles sont déjà présentes dans les organismes vivants, puisqu’elles sont exhalées par les haleines nauséabondes. À certaines doses, toutes deux sont des poisons.

Histoire d’or En dehors de ces considérations alimentaires, l’odorat joue-t-il un autre rôle ? A-t-il une fonction de communication comme chez les animaux ? Est-ce un argument de séduction ? Est-ce que l’on se trompe, lorsque l’on s’arrose abondamment de parfum payé à prix d’or, pour couvrir nos effluves corporels ?

Arrosage d’eau de rose à tout âge Depuis quand homo sapiens a-t-il eu l’idée saugrenue de s’asperger de liquides odorants ou de s’enduire de pommades parfumées ? Marie se dit qu’elle ne connaît aucun autre animal qui ait un tel désir de camoufler et modifier les odeurs qu’il dégage. Dans la haute Antiquité, les parfums avaient un rôle sacré. Ils étaient utilisés pour embaumer les morts, au cours de cérémonies religieuses. Ils accompagnaient aussi les offrandes divines et pouvaient même s’appliquer sur les statues. Cette pratique, à l’origine destinée à un usage spirituel, rentra peu à peu dans les habitudes des humains, à l’exception des plus pauvres, dont la quête quotidienne se limitait à la survie.

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Ça sent le roussi Il est probable que la première expérience de diffusion d’une odeur agréable fut liée à la combustion de matières telles que l’encens. Le mot parfum dériverait d’ailleurs de cette action : per fumum signifiant, en latin, par la fumée. Les Égyptiens s’arrosaient copieusement de kyphi, un mélange odorant à base de résine de pistachier, de raisins, de joncs, de miel, de myrrhe, de safran et de cannelle. Hum, les Égyptiennes devaient être à croquer ! Les Grecques firent également un grand usage des parfums, aux senteurs de fleurs (lys, rose, iris), d’épices (muscade, safran) ou de résines (myrrhe). Il était courant d’appliquer une fragrance différente pour chaque partie du corps. Aux matières végétales, vinrent s’ajouter des substances animales telles que le musc, l’ambre gris ou la civette. Les Romaines poursuivirent la tradition avec les mêmes matières premières, provenant d’ailleurs des conquêtes de l’Empire : Égypte, Inde et Arabie.

Gauloises menthol Avant l’arrivée des Romains, les Gauloises connaissaient déjà le plaisir des senteurs dégagées par des plantes telles que le thym, la menthe ou le basilic ainsi que des résines comme la térébenthine et le musc. Elles allaient vite devenir adeptes des senteurs romaines.

Les gants et les odeurs Comme pour l’hygiène, le Moyen Âge va marquer un tournant dans l’attrait pour les fragrances. Leur usage va progressivement tomber en désuétude, jusqu’à se réduire

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à la pratique religieuse. Il faudra attendre le retour des croisés, au xiie siècle, pour découvrir à nouveau le plaisir des senteurs orientales. La fabrication des parfums n’était alors pas dévolue à un corps de métier particulier, mais devint l’objet d’une concurrence, dès lors qu’elle évolua en un enjeu commercial. Parce qu’ils utilisaient les parfums en tannerie pour améliorer l’odeur des cuirs, les gantiers étaient particulièrement bien placés pour remporter le monopole. Ils furent alors appelés gantiers-parfumeurs.

Eau de Cologne À partir du xviie siècle, les senteurs devinrent plus légères, moins animales. Les parfums fleuris commencèrent à connaître le succès, même si la fameuse Eau de la Reine de Hongrie, aux senteurs de romarin, rose, fleur d’oranger, menthe et citron, était connue depuis le xive siècle. Reprenant les bases de la recette, la célèbre Eau de Cologne fit son apparition au tout début du xviii e, dans le laboratoire du chimiste italien JeanMarie Farina, qui travaillait alors à Cologne, comme l’on pouvait s’en douter.

Grasse : capitale des huiles Le goût pour les parfums fleuris entraîna la culture intensive des roses, des violettes et du jasmin. Les régions de prédilection de ces plantes virent s’installer les parfumeurs, qui, au xviiie, s’implantèrent en particulier dans une ville dont la renommée fut mondiale : Grasse. Son nom reste aujourd’hui encore associé au monde de la

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Textiles, parfums, bijoux et C ie parfumerie, mais les grandes maisons ne fabriquent plus sur place. La proportion de molécules d’origine naturelle étant très faible, les lieux de fabrication ne nécessitent plus la proximité des champs de fleurs.

De la racine au bouton, tout est bon pour sentir bon Autrefois, les produits utilisés pour fabriquer les parfums étaient essentiellement d’origine végétale. La partie exploitée pouvait être très variable, selon sa nature : la racine (iris), les feuilles ou les tiges (violette), les boutons (girofle), les fleurs (rose), les fruits (citron), les graines (angélique), l’écorce (cannelle), le bois (santal), la résine (benjoin), la mousse (chêne). À cette liste se rajoutaient quelques substances provenant du monde animal : le musc, la civette et l’ambre gris.

Se parfumer avec des sécrétions intestinales ?! Le daim musqué fabrique (pour son plus grand malheur) un liquide huileux très odorant, dans une petite zone de son abdomen, mélange contenant entre autres de la muscone, grandement responsable de l’odeur de cette sécrétion. Le musc pouvait être utilisé comme constituant d’un parfum pour son odeur particulière, qui prit justement

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le qualificatif de « musquée », ou comme fixateur, pour freiner l’évaporation des substances les plus volatiles. La civette est une sécrétion d’une glande de l’animal du même nom. Elle est produite majoritairement par le mâle dans une zone située entre l’anus et les parties génitales. Une autre espèce entrant autrefois dans la composition des parfums, pour son odeur ou comme fixateur, est l’ambre gris. L’intestin du cachalot produit une substance qui se retrouve sur les côtes et se dégrade en une matière appelée ambre gris.

???!!! Marie commence à regarder son fl acon avec un mélange d’inquiétude et de dégoût. Derrière les formes stylisées du verre, l’éclat doré du bouchon artistiquement dessiné, la poésie du nom, l’image de séduction véhiculée par la publicité, se cacheraient des sécrétions animales  ! Il serait question de glandes, d’abdomen et d’intestin  ?! Pour rassurer Marie, avant qu’elle ne commette un geste regrettable, précisons que ces matières animales ne sont, évidemment, plus utilisées aujourd’hui, afin de préserver les espèces. Elles ont été remplacées par des équivalents de synthèse. La civette peut dormir tranquille (et Marie aussi), ses glandes sont épargnées.

Ça sent bon le brûlé Une des techniques les plus anciennes pour révéler des odeurs est la combustion. Quelques curieux ont vite réalisé, probablement peu de temps après la découverte du feu (pas l’invention, car le feu ne nous a pas attendu

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Textiles, parfums, bijoux et C ie pour s’allumer) que certains végétaux dégageaient des senteurs agréables en brûlant. C’est le cas, en particulier, de l’encens et de la myrrhe. D’autres techniques plus sophistiquées sont apparues par la suite pour capturer les odeurs. Mais les plus gros progrès furent réalisés avec l’essor de la chimie organique, à la fin du xixe siècle.

Concrètement, comment fabrique-t-on un parfum ? La technique employée dépend de la source. L’objectif est d’extraire les molécules odorantes des plantes ou des substances animales. Une des méthodes les plus anciennes est l’enfleurage : on laisse macérer les végétaux dans de la graisse, parfois plusieurs jours, pour dissoudre les molécules odorantes. Cette technique, qui est plus employée aujourd’hui, était essentiellement utilisée pour les fleurs sensibles ne supportant pas le chauffage comme le jasmin. On obtenait alors une espèce de pommade, utilisée telle quelle ou lavée ensuite à l’alcool, afin que les molécules odorantes, plus solubles dans l’alcool que dans la graisse, s’y retrouvent.

Ne négligeons pas la graisse ! De toutes les techniques d’extraction des odeurs, la plus utilisée est l’hydro-distillation. Elle consiste à placer les végétaux dans une cuve remplie d’eau que l’on chauffe. L’eau se met à bouillir. La vapeur d’eau produite cherche à s’évacuer et entraîne avec elle les molécules odorantes. Ces vapeurs sont récupérées, refroidies et liquéfiées.

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On obtient ainsi deux phases : l’une aqueuse (constituée d’eau) et l’autre huileuse (essentielle). Chacune contient des substances dissoutes différentes, qui proviennent de la plante. Le partage se fait selon l’affinité de chaque produit pour l’eau ou l’huile. Pendant longtemps, on n’a conservé que l’eau parfumée (eau de rose ou de fleurs d’oranger), négligeant la phase graisseuse, remise au goût du jour avec les nombreuses huiles essentielles commercialisées aujourd’hui, dont les publicités vantent les mérites en oubliant de rappeler qu’il s’agit d’un concentré de molécules, pouvant avoir une action chimique indésirable.

Des montagnes de fleurs pour quelques gouttes

Cette méthode présente l’avantage de limiter le chauffage par rapport à une distillation du végétal seul. Le fait que les substances odorantes se combinent à la vapeur d’eau permet une évaporation à plus basse température.

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Textiles, parfums, bijoux et C ie Le résultat est donc l’obtention d’huiles essentielles et d’eaux aromatiques. Le rendement est cependant bien faible. Pour obtenir un kilogramme d’huile essentielle de rose, il faut distiller entre quatre mille et dix mille kilogrammes de pétales de rose. La lavande, bien plus productive, ne nécessite qu’environ 150 kg de fleurs. Le procédé est d’ailleurs toujours d’actualité concernant cette dernière.

L’extraction : concrète et absolu Les progrès de la chimie ont ensuite permis l’élaboration de solvants, avec lesquels on peut effectuer l’extraction des molécules odorantes. La méthode est simple : on laisse macérer les plantes dans un solvant, en chauffant ou non, afin que les composés se dissolvent. On filtre pour évacuer les déchets solides et on évapore le solvant. Le liquide visqueux obtenu s’appelle concrète. Cette dernière est ensuite lavée à l’alcool, pour éliminer les cires, et conduit, après évaporation, à l’absolu.

La chimie fait mieux que la nature ? L’utilisation de matières naturelles va rapidement devenir minoritaire grâce à l’essor de la chimie organique, à partir de la deuxième moitié du xixe siècle. Les parfums naturels sont des mélanges de produits chimiques fabriqués par la nature. Le chimiste a su analyser, identifier ces molécules, et les copier. L’intérêt des molécules de synthèse est de pouvoir sélectionner les molécules intéressantes et d’éliminer les indésirables. L’origine naturelle induit forcément une variabilité de la composition liée aux changements de conditions

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climatiques. De plus, pour assurer la consommation mondiale de parfums, il faudrait une consommation énorme de fleurs. Des problèmes de dégradation des molécules apparaissent parfois, au cours des traitements, conduisant à la formation de nouvelles substances qui peuvent perturber l’odeur. D’autre part, l’odeur de la fleur n’est pas toujours la même que l’essence extraite.

Copies pour prolétaires L’usage de molécules de synthèse permet de recréer le parfum de la fleur elle-même. Il lui facilite aussi une entrée dans tous les foyers, étant à la portée de toutes les bourses, ce qui n’était pas le cas des parfums naturels nécessitant une grande main-d’œuvre, produits de luxe réservés à la haute société.

Trouvons les responsables Ainsi les noms des sources odorantes ont-ils changé. La vanilline ne fait pas ombrage à la vanille, ni le menthol à la menthe, mais le benzaldéhyde est plus effrayant que l’amande amère, dont il est pourtant un constituant naturel essentiel. Les découvreurs eurent parfois l’intelligence d’inventer des petits noms pour les nouvelles espèces chimiques, évoquant leur milieu naturel, et plus doux à l’oreille que leur nom scientifique, établi selon les normes de la nomenclature en chimie. Ainsi apparurent sur l’orgue du parfumeur le citronnellal (citronnelle), les ionones (violette), le linalol (muguet, rose), le nérolidol (fleur d’oranger), la civettone (civette), l’exaltone (musc), la jasmone (jasmin)…

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Une chimie qui sent bon Le point de départ de cette chimie des odeurs est l’isolement, en 1833, de l’aldéhyde cinnamique présent dans l’essence de cannelle, suivi de près par le bornéol, provenant de l’essence de pin, et l’anéthol de l’essence d’anis. Les travaux de recherche vont s’accélérer afin d’extraire, isoler, identifier puis synthétiser tous les constituants odorants des plantes et animaux, connus et employés en parfumerie jusqu’alors. En 1866, le fameux benzaldéhyde est synthétisé et deviendra l’une des espèces chimiques les plus employées en parfumerie. La découverte de l’acide salicylique en 1860 sera un évènement, non seulement pour le monde de la pharmacie (synthèse de l’aspirine), mais aussi pour celui de la parfumerie, car il permettra celle de la coumarine, point de départ des parfums de type fougère.

Noms repoussants pour odeurs subtiles Quelques années plus tard, la vanilline fera une entrée triomphale dans le monde de la chimie des odeurs et des arômes. Les effluves puissants des cuirs seront emprisonnés dans des flacons grâce à la synthèse des quinoléines en 1880, tandis que l’arrivée du premier musc de synthèse enrichira la palette du créateur d’un fixateur puissant. Les odeurs de rose et de géranium seront assurées par le rhodinol, tandis que la violette nous accompagnera dans tous nos déplacements grâce à l’alpha-ionone. Le début du xxe siècle voit l’avènement de deux composés indispensables : l’alcool phényléthylique, dont le nom barbare contraste avec l’odeur délicate de rose, et le tout aussi effrayant hydroxycitronnellal, dont la présence est incontournable dans les plus beaux parfums fleuris.

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La palette du créateur Le créateur de parfums a une centaine d’essences naturelles à disposition mais des milliers de produits de synthèse pour offrir un catalogue d’une très grande variété. Aujourd’hui, 5 % seulement des constituants d’un parfum sont d’origine végétale. Avant la chimie de synthèse, le créateur pouvait difficilement faire preuve d’originalité dans la formulation des parfums car il disposait de peu d’échantillons différents. Grâce à l’essor de la chimie organique, le parfumeur dispose d’un éventail très large.

Quand les minoritaires jouent les premiers rôles En analysant les senteurs des végétaux, les chimistes se sont rendu compte que les odeurs étaient dues à un cocktail de constituants très variés, parfois plusieurs centaines,

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Textiles, parfums, bijoux et C ie aux proportions très différentes. On a pensé alors que les majoritaires suffisaient pour restituer l’odeur. Or, il est apparu que l’odeur résultante n’est pas liée à la quantité de chacun car certains minoritaires jouent un rôle prépondérant dans le résultat odorant final.

Penseurs d’odeurs La naissance d’un parfum est un véritable travail d’artiste. Ces créateurs sont des compositeurs d’odeurs comme existent des compositeurs de musique. L’inventeur imagine une odeur, il écrit une liste de noms de produits et une estimation de la proportion. Puis, il fait des retouches jusqu’à arriver au résultat pensé. L’ensemble doit être harmonieux, pour aboutir à une véritable œuvre esthétique. Il est important de remarquer qu’il s’agit d’un travail purement intellectuel. Un nez (puisque c’est ainsi que l’on nomme couramment ces créateurs de senteurs) qui perdrait l’odorat continuerait à créer, de mémoire. Cet exploit nécessite la mémorisation de milliers d’odeurs et des noms des molécules correspondantes.

L’ère du zapping Le parfumeur imagine ce que donnera l’association de ces produits ensemble. Cet exercice peut prendre des mois, voire des années. Toutefois, de nos jours, la production de parfums étant considérable, le consommateur devant être sollicité et tenté fréquemment par des nouveautés, la création de parfums se limite de plus en plus à de la transformation de solutions existantes. Cela permet de mettre rapidement sur le marché de nouveaux produits.

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De la musique pour le nez Comme en musique, un parfum comporte des notes. Les aiguës correspondent aux composés les plus volatils, ceux que votre nez va détecter immédiatement, ceux qui vont donner la première impression : ce sont les notes de tête. Elles sont agréables, fleuries ou fruitées, mais ne tiennent pas. Elles donnent une première impression. Ce sont elles que vous respirez à l’ouverture d’un flacon en magasin, elles qui vont conditionner votre frénésie d’achat ou pas. Elles sont donc très importantes pour la persuasion d’investissement, mais ne vous annoncent pas ce que deviendra l’odeur, après quelques heures passées sur votre peau.

Parfum au grand cœur Viennent ensuite les notes de cœur, un peu moins volatiles, dont l’odeur va perdurer quelques heures. Les responsables sont souvent à base de fleurs, de bois ou d’épices. Les plus tenaces, celles qui peuvent résister plusieurs jours, sont les notes de fond. Elles sont peu volatiles et marquent véritablement le caractère du parfum. Les constituants de base sont le musc, l’ambre, la mousse de chêne, etc., ou leurs homologues de synthèse.

Le jeu des sept familles Les parfums sont classés en différentes familles, depuis 1983, suite au travail de la Commission technique de la Société française des parfumeurs. La première étude en comptait cinq : florale, chypre, fougère, ambrée et cuir, divisées en sous-groupes. Une deuxième publication, en

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Textiles, parfums, bijoux et C ie 1990, proposa le rajout de deux familles supplémentaires : hespéridée et boisée. Depuis, de très nombreux parfums ont vu le jour, nécessitant une permanente remise à jour des sous-groupes.

Une bonne note ? La famille des hespéridées évoque les notes fruitées de la bergamote, du citron, de l’orange, de la mandarine… Celle des florales, comme son nom l’indique, est à base de fleurs telles que la rose, la violette, le jasmin, le muguet… Le terme de fougère, en revanche est sans rapport avec la plante mais rassemble des odeurs boisées de coumarine, de lavande, de bergamote, de géranium… La famille des chypres tient son nom du parfum de François Coty « Chypre », créé en 1917, qui connut un grand succès et fut le point de départ de cette lignée de parfums comprenant des accords de mousse de chêne, patchouly, bergamote… Le groupe des boisés, aux notes chaudes et riches, est à base de santal, patchouly, cèdre ou vétiver. Les parfums ambrés, orientaux, évoquent des notes poudrées, vanillées, douces et chaudes, parfois animales. Les cuirs comprennent des notes sèches, essayant de reproduire l’odeur caractéristique du cuir associée à une odeur de fumée de tabac.

Plutôt fougère ou plutôt floral ? La connaissance de ces familles et de leurs sous-divisions permet de choisir plus rapidement un parfum parmi la forêt de flacons qui se trouvent dans les parfumeries. Tous les parfums commercialisés

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CIVETTE POUR STARLETTES

depuis 1806 (Farina) sont répertoriés et classés. Vous pouvez donc directement tester des parfums correspondant à vos goûts ou éviter des erreurs aux conséquences parfois douloureuses à l’occasion d’un cadeau…

Odeurs géographiques et physiques À cette phase de création, succède l’élaboration industrielle. Les parfumeurs ne fabriquent pas les huiles et essences. Ils les achètent et font le mélange, selon la formule du créateur. La dénomination du produit obtenu dépend de la concentration. L’extrait contient de 15 à 30 % du mélange d’essences, l’eau de parfum de 10 à 15 % et l’eau de toilette de 5 à 10 %. La concentration est aussi variable selon le pays de commercialisation du parfum. Les Américaines aiment les parfums puissants, bien concentrés, tandis que les Asiatiques préfèrent des fragrances légères et discrètes, les Européennes – géographie oblige – se situant entre les deux.

Zéro sur ma peau Il peut être intéressant de savoir que la réaction entre les éléments du parfum et les molécules présentes sur la peau peut modifier l’odeur, en y mêlant de nouvelles, ou peut dégrader certaines substances odorantes.

Sentir ou ne pas sentir ? Ces renseignements comblent Marie mais la plongent dans des méditations. Finalement, pourquoi les mauvaises odeurs sont-elles mal vues  ? Quoique ce soit déjà un

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Textiles, parfums, bijoux et C ie exploit de voir une odeur ! Est-ce une question de culture ou d’éducation ? Le code social oblige à ne pas sentir ou sentir bon, mais tout cela est relatif. Nous vivons dans une société sans odeur ou excessivement parfumée. Les odeurs corporelles seraient donc désagréables, voire répulsives. Elles peuvent pourtant se révéler attractives dans d’autres situations. Des études récentes ont montré l’importance de l’odeur corporelle dans la séduction. En ce domaine, Homo sapiens serait bien un animal comme les autres. Zut, combien d’amoureux Marie a-t-elle ratés ? Combien d’Apollon qui ignorent même qu’ils sont fous d’elle, juste parce qu’elle a empêché ses molécules volatiles d’atteindre leurs récepteurs… En tout cas, Marie sait désormais pourquoi elle ne peut pas sentir son voisin. Il émet probablement des molécules incompatibles avec ses neurones olfactifs. Ou alors ses émanations sont-elles trop lourdes, comme ses blagues…

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QUELQUES PIERRES DE PIERRE Il ne reste plus que la touche finale : ajouter quelque babiole brillante et étincelante à sa tenue. « Diamonds are a girl’s best friends », chantait Marylin. Pauvre Marie, qui trouve qu’elle a bien peu d’amis ! Elle a beau faire des allusions très lourdes et des jeux de mots à deux sous, son chéri Pierre ne semble pas se précipiter pour lui en acheter, des pierres… Après tout, quelle importance ? Qu’est-ce qu’une pierre précieuse ? Un simple assemblage d’atomes. Et pas forcément les plus exceptionnels. Du carbone, de l’oxygène, du silicium, de l’aluminium… Rien que du très banal ! Pourquoi certains cailloux auraient-ils plus de valeur ? Pourquoi ces prix exorbitants ? Marie n’a pas encore rencontré d’amoureux assez fortuné et passionné pour lui offrir une petite pierre à plusieurs centaines ou milliers d’euros, voire centaines de milliers… Soyons fous ! Mais à part sur un échiquier, Marie n’a pas encore trouvé son fou… 143

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Un prix fou à tout point de vue Combien de vies de labeur, de blessures handicapantes, de morts d’épuisement, d’assassinats, pour ces minéraux que la Terre a fabriqués, dissimulés, emprisonnés, qui ne se sont pas laissé trouver aisément, ni récupérer facilement. Ah, ces petites pierres colorées, bien qu’un peu ternes avant d’avoir été taillées, quelle fascination elles exercent sur nous !

Une touche de couleur sortie des ténèbres Avant d’être de tout petits cadeaux pour grandes fortunes, les pierres précieuses ont longtemps été sacralisées et empreintes de valeurs spirituelles. Déjà, l’homme du néolithique attribuait des pouvoirs surnaturels à ces pierres colorées. Le monde de la couleur, essentiellement représenté par le règne animal et surtout végétal, trouvait là quelques étonnants représentants. Dans la roche grise, la terre marron, le sable beige, l’eau incolore, cet homme terne, seulement coloré par une mélanine qui présente bien peu de nuances sur sa palette, trouvait parfois des cailloux aux couleurs surprenantes, comme surgis de nulle part dans cet univers gris et marron, ou envoyés par des puissances divines, comme des messagers de l’au-delà.

Les quatre précieuses Les valeurs des pierres ont évolué au cours des temps, suivant les goûts, les disponibilités locales et les difficultés d’extraction. Les turquoises, lapis-lazuli, et améthystes connurent leur heure de gloire durant l’Antiquité. Le jade était très apprécié des Chinois et des Mexicains tandis que

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les Romains étaient friands de saphirs et d’émeraudes. Les diamants et les rubis, qui sont aujourd’hui les pierres les plus chères, étaient rares à ces époques. La raison en est simple : ils sont rares également dans l’écorce terrestre. La probabilité de rencontre avec une de ces pierres précieuses est aussi grande que celle de gagner au Loto en ne jouant pas ou de croiser la route d’E.T. en train de chercher sa maison. D’ailleurs, le saphir, l’émeraude, le diamant et le rubis durent attendre le 29 novembre 1968 pour avoir droit à l’appellation pierres précieuses par décret officiel. Ce sont les seules à avoir ce titre de noblesse. Les autres ne sont que des pierres fines ou pierres ornementales, mais toutes font partie de la grande famille des gemmes, à savoir des minéraux présentant des qualités esthétiques et physiques, alliant beauté, dureté et inaltérabilité. « Tout mon contraire », se lamente Marie. Mais au royaume de ces minéraux se trouvent deux intruses : l’ambre et la perle, qui sont d’origine organique (monde du vivant).

Nananère, elle est à moi, rien qu’à moi ! Les goûts des hommes (et des femmes…) n’ont guère évolué en ce sens, recherchant toujours des couleurs intenses, de l’éclat, de la transparence. Ces critères ne suffisent cependant pas pour que les esprits s’affolent à leur vue et que le désir de propriété s’affirme : elles doivent être rares. Quel intérêt de posséder ce que tout le monde peut s’offrir ? La pierre doit être belle et donner le sentiment à son propriétaire d’avoir une pièce unique, preuve que luimême l’est. Il doit avoir la conviction que n’importe quel quidam ne pourra pas la posséder, mais seulement l’admirer, à travers la vitre d’un bijoutier, et encore… Certaines ne passeront jamais par cet étal mais se réserveront pour les salles de ventes. Marie ne les verra qu’en photo…

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Une petite taille de printemps ? Pendant très longtemps, les pierres furent polies ou gravées, utilisées pour confectionner des objets. L’idée de les tailler ne germa que bien plus tard. En Inde, principal pays fournisseur de pierres fines du monde antique, les lapidaires ne se livraient pas vraiment à une taille, mais à un polissage avec une meule, en conservant assez fidèlement la forme d’origine de la pierre, afin de minimiser les pertes. La taille débuta en Italie à la Renaissance et se répandit à Paris, Anvers, Bruges. Marie se dit qu’il en fallut du courage ou de l’inconscience pour oser casser des pierres d’une valeur si exceptionnelle.

Anvers et contre tous Ce n’est qu’au cours de la seconde moitié du xve siècle que des tailles à facettes de diamants furent réalisées. Avec la maîtrise de cette technique, l’éclat allait être privilégié au détriment de la masse. Anvers et Bruges devinrent des plaques tournantes du commerce des diamants. Le métier de diamantaire apparut officiellement en 1582. Grâce à cet essor, Anvers devint, au xviie siècle, le principal centre économique d’Europe. Une ville où grouillent les diamants, voilà de quoi faire tourner bien des têtes…

Le lapidaire prend son temps… L’objectif d’un lapidaire, à qui l’on confie une pierre, est de la sublimer. Il doit choisir une taille qui permette de lui conserver sa valeur maximale. Cela demande un

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long travail d’investigation, une connaissance parfaite de la gemme avant de commencer son œuvre, pour adapter la forme désirée à l’organisation cristallographique du minéral. Marie se dit que si elle possédait un diamant de quelques dizaines de carats, elle accorderait un long, très long délai de réflexion à son lapidaire avant qu’il ne le malmène. Le diamant que l’on taille ne semble pas souffrir, mais son propriétaire, si !

Pas autant que les cristaux en formation ! Dans le sol, ces cristaux se sont formés dans des conditions de pression et de températures colossales. Le mot cristal vient du grec krystallos, dérivé de kryos qui signifie froid glacial car on croyait que ce type de roche était de la glace qui ne fondait jamais. Cette étymologie montre bien à quel point on ignorait l’origine de sa formation. Une pierre à plusieurs milliers d’euros, il ne manquerait plus qu’elle fonde ! Dans un cristal, les atomes s’organisent de façon régulière dans l’espace. Si le cristal a pu croître sans entrave, il forme alors une structure symétrique qui donne un minéral aux faces planes. Il peut présenter des formes géométriques simples ou en combiner plusieurs. Ses surfaces planes et lisses correspondent aux plans d’organisation des atomes. Il existe sept systèmes cristallins, donc sept figures architecturales possibles. C’est fou comme la Nature aime les mathématiques  ! Les principaux atomes qui entrent dans la composition des minéraux sont ceux de silicium, aluminium, oxygène, fer et calcium.

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Rencontre intime Toutes ces pierres ne doivent leur beauté qu’à la lumière qui les éclaire et à son interaction avec leur matière. Leur éclat fabuleux est le produit de la rencontre entre un système cristallin et la lumière. Les pierres précieuses sont transparentes : elles se laissent traverser par la lumière et révèlent toute leur splendeur intime. Elles n’ont rien à cacher. D’autres minéraux sont translucides : ils laissent passer la lumière mais ne permettent pas de reconnaître un objet placé de l’autre côté. Les opaques empêchent la lumière de passer : ils ne se laissent pas traverser. Trop pudiques peut-être…

Une traversée perturbée Pour celles qui acceptent cette intrusion dans leur intimité, la traversée lumineuse n’est pas sans conséquences. Le rayon incident est dévié lors de son entrée dans la pierre, ainsi qu’à sa sortie : il est réfracté. Cette déviation se mesure et permet de définir ce que l’on appelle l’indice de réfraction du milieu. Chaque matière transparente a son propre indice de réfraction, ce qui permet de l’identifier et de vérifier l’authenticité d’une pierre. Ce changement de direction lors du passage de l’air au minéral est dû au ralentissement de la lumière. Cette (infime) diminution de sa vitesse dépend de la couleur

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de la lumière. Quand on parle de ralentissement, il est peut-être bon de nuancer en rappelant que cette vitesse est d’environ 300 000 kilomètres par seconde, et que la précision ici donnée ne permet même pas de l’exprimer.

Dispersez-vous, les couleurs ! La lumière est composée d’une multitude de lumières colorées (et de lumières invisibles). Chaque couleur est déviée avec un angle particulier. Toutes ces lumières colorées sont alors séparées : la lumière est décomposée comme dans le phénomène de l’arc-en-ciel, où les gouttes de pluie jouent le même rôle. On appelle ce phénomène la dispersion et le fait de tailler la pierre va permettre de l’accentuer. Le diamant a un fort pouvoir dispersif, donnant ce fabuleux effet coloré que l’on nomme « les feux » et qui participe à son succès. Toutes les couleurs cachées de la lumière sont révélées et scintillent au gré de son mouvement. Marie veut bien le croire, mais elle aimerait bien le vérifier de ses propres yeux, admirer ces feux qui font sa renommée, de très très près…

Les autres jouent aux couleurs prisonnières Une pierre colorée vit en son sein ces mêmes phénomènes mais va rajouter celui de l’absorption. Comme pour les teintures, l’explication de la couleur réside dans le jeu entre matière et lumière. Certaines lumières colorées sont absorbées, d’autres traversent la pierre si elle est transparente, ou sont renvoyées de sa surface dans toutes les directions pour les opaques. Les lumières résultantes donnent la couleur apparente du minéral. Parfois certaines gemmes ne doivent leur couleur qu’à

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Textiles, parfums, bijoux et C ie des impuretés (gemmes allochromatiques). Ces pierres présentent alors des couleurs variées, qui dépendent de la nature de l’intrus. Celles dont la couleur est due aux constituants de base ont toujours la même couleur (gemmes idiochromatiques). Marie se dit que les géologues doivent être des gais lurons et que leur vocabulaire doit donner lieu à de sacrées blagues…

Même les pierres réfléchissent La couleur d’une pierre ne suffit pas à expliquer sa beauté et l’attraction qu’elle peut susciter. La fascination qu’elle produit est due à son éclat, lié à la réflexion de la lumière à sa surface. Plus cette dernière est importante, plus l’éclat est brillant. Le plus élevé est qualifié d’adamantin : c’est celui du diamant. Il arrive que la lumière soit réfléchie par des structures internes particulières, donnant un effet tel que l’astérisme, à savoir l’apparition d’une étoile à la surface du cristal.

Marie est-elle assez précieuse pour Pierre ? Marie aimerait bien recevoir une des quatre précieuses pour que son Pierre lui prouve à quel point elle est précieuse pour lui. Elle devrait peut-être l’aborder en usant d’arguments physiques. Il n’est pas question de mettre son corps de rêve en avant, puisqu’effectivement il n’est superbe qu’en rêve, mais d’évoquer des mots chers à son chéri : réfraction, dispersion, absorption, réflexion. Lui qui ne vit et ne lit que pour la physique, cela devrait le convaincre. Mais avant de faire son choix, elle a besoin

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d’en savoir un peu plus sur ces championnes. Leur position privilégiée sur le podium tient autant à leur beauté et leur éclat qu’à leur rareté, leur faible présence dans l’écorce terrestre découlant de leur formation dans des conditions très particulières.

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DIAMONDS ARE MARIE’S BEST FRIENDS Marie a un faible pour la plus fascinante d’entre elles : le diamant. Son nom vient du grec adamas, qui signifie indestructible. Il est le plus dur de tous les matériaux. Durant l’Antiquité, époque où il était déjà connu, il n’était pas utilisé pour sa beauté mais pour sa dureté, comme outil pour la gravure. Parce qu’on ne savait pas le travailler, à cause de sa résistance, il n’était pas utilisé comme pierre d’ornement. Comme beaucoup de gemmes, il était empreint de mysticisme et de superstitions. Pour certains, il possédait des vertus de purification, supposé capable de guérison. Pour d’autres, il apportait l’invincibilité à son propriétaire, grâce à ses pouvoirs magiques protecteurs. Il était plus un talisman qu’un bijou. 153

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Un gravier particulier L’Inde est resté le seul pays producteur jusqu’au xviiie siècle, avant que le diamant ne soit découvert au Brésil, en 1726. Tout au long de ces siècles, il fut extrait des graviers des cours d’eau. On ne connaissait pas sa roche-mère. L’évènement marquant de son histoire et de son exploration va se produire en Afrique du Sud, au cours de la seconde moitié du xixe siècle, avec la découverte de la plus extraordinaire source de diamants jamais trouvée.

Eurêka ! À cette époque, les Boers, sous la pression des Anglais, ont abandonné la région du Cap pour se replier sur le Transvaal et l’État libre d’Orange. En 1866, un jeune garçon cherchait une branche d’arbre dans laquelle tailler une canne, sur les bords de la rivière Orange, lorsqu’il remarqua une pierre brillante parmi les galets. Il venait de découvrir le premier diamant d’Afrique du Sud, un brut de 21 carats qui donnera une pierre taillée de 10 carats baptisée l’Eurêka. Le carat... Mais qu’est-ce donc que cette obscure mesure ? Le carat correspond à 0,2 gramme. Il tire son nom et sa valeur de la graine de caroubier, qui servit d’étalon grâce à sa masse constante. D’autres cailloux brillants seront découverts par des fermiers dans cette même région, déclenchant le début de la folie du diamant.

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Un petit tour à Kimberley Des milliers de personnes vinrent s’installer sur les rives de l’Orange. Tout un petit monde s’organisa, vivant dans des conditions difficiles et régi par la loi du plus fort. Les chercheurs se bousculaient pour fouiller le lit de la rivière. La concurrence était rude, les plus grosses pierres ayant été rapidement trouvées. Les hommes remontèrent alors progressivement vers le gisement primaire  pour découvrir la roche-mère, celle dans laquelle les diamants étaient incrustés, et que l’on appela kimberlite, en référence à la ville de Kimberley, où elle fut découverte. Cette roche, de couleur bleu-gris, est composée de péridotite et de mica.

De Beers, un nom éternel Les fermiers qui s’étaient installés vendirent leurs terres aux prospecteurs qui creusaient les mines. Cette période coïncide avec le début de la révolution industrielle et la montée du capitalisme. Un autre gisement important allait être mis au jour, marquant de son nom l’histoire du diamant, puisqu’il allait devenir celui de la plus grosse entreprise de diamants du monde : De Beers. Ce nom est celui des frères fermiers boers, propriétaires des terres où sera creusée la fameuse mine.

Un magot à protéger Ces camps d’exploration devinrent de véritables villes. Entre 1872 et 1874, à Kimberley et dans les environs, plus d’un million de carats furent extraits par an, dans des conditions d’exploitation assez artisanales, pénibles et

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Textiles, parfums, bijoux et C ie même meurtrières. Les De Beers finirent par vendre leur exploitation, lors de périodes incertaines, à l’Anglais Cecil Rhodes, visionnaire doté d’un grand sens des affaires. Cet homme allait jouer un rôle de premier plan dans l’histoire du commerce du diamant, créant un véritable monopole mondial. À coups de rachats successifs, il finit, en quelques années, par contrôler 90 % du marché mondial du diamant brut. Il gardera le nom de De Beers pour son entreprise. Il marqua cette région, économiquement et politiquement, au point de donner son nom à la Rhodésie (aujourd’hui Zimbabwe).

Le Cullinan, le champion Ce n’est toutefois pas dans ses mines que fut découvert le plus gros diamant de tous les temps, mais dans la mine Premier (baptisée ainsi car inaugurée par le Premier ministre), près de Pretoria, en 1905 : le Cullinan, brut de 3 106 carats (621 grammes). Une pierre de 11 cm de long, supposée être issue du clivage d’une pierre de 5 000 carats (1 kg) ! Il tient son nom du propriétaire de la mine, Thomas Cullinan. Le Cullinan fut vendu au gouvernement du Transvaal, qui l’offrit au roi Edouard VII d’Angleterre, pour célébrer la fin de la guerre des Boers. La délicate opération de taille fut confiée à des spécialistes renommés, les frères Asscher, célèbres lapidaires hollandais. L’étude préliminaire dura un an. La taille ne débuta qu’en 1908. Le Cullinan fut fragmenté en 9 grosses pierres et 96 petites, pour une masse totale de 1 056 carats, soit une perte de 65 % de la matière initiale. Les deux plus grosses pierres sont le Cullinan I (Grande étoile d’Afrique) de 530 carats et le Cullinan II (Petite étoile d’Afrique) de 317 carats. Le premier se trouve sur le sceptre royal et le deuxième sur la couronne d’Angleterre, conservés dans la Tour de Londres.

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L’empire du diamant Dans les années qui suivirent, la dynastie Oppenheimer travailla à la consolidation du monopole en associant les principaux pays producteurs et en créant un bureau de vente commun. Ernest Oppenheimer fit naître un véritable empire, dominant l’exploitation et la vente des diamants. Sa succession fut assurée par son fils Harry, qui réalisa l’importance des débuts de la publicité et créa le slogan « un diamant est éternel ». Cette association géniale du diamant à l’amour, lui donna une dimension sensuelle et artistique, qu’il ne perdit jamais, et qui inspire toujours tous les publicitaires. Tout cela rend Marie bien rêveuse… un diamant d’un kilogramme… a-t-il un frère jumeau quelque part encore enfoui en Afrique du Sud ? Ce serait tout de même un peu lourd en pendentif, non  ? Un tout petit frère, ou plutôt deux, pour des boucles d’oreilles, feraient bien son bonheur. Un bonheur éternel…

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Les gros d’Afrique L’Afrique du Sud est le pays qui a donné quatre des neuf plus gros diamants bruts : le Cullinan (3106 carats), l’Excelsior (995 carats), le Golden Jubilee (jaune, 755 carats), le Jonker (726 carats). Trois sur les quatre proviennent de la même mine : la mine Premier. Premier sur le podium…

Gros et moche ou petit et beau, il faut choisir 65 % de perte donnent envie de pleurer mais traduisent le choix auquel est soumis le lapidaire : privilégier la masse, même si des défauts gâchent l’éclat, ou perdre de la matière pour obtenir une pierre plus belle ? La question ne se pose que depuis que l’on sait tailler les diamants. Il fallut des années de mise au point des procédés, surtout pour le diamant dont l’extrême dureté a toujours été un handicap de ce point de vue. Les techniques de taille ont évolué au cours des siècles. Aux xive et xve siècles, on cherchait à conserver la forme initiale d’octaèdre du diamant. Au cours des siècles suivants, on sut réaliser de plus en plus de facettes. La taille « brillant », particulièrement adaptée au diamant, comporte 58 facettes. Marie, elle, a deux fossettes, qui font briller les yeux de son amoureux…

Un problème clivant Comment procède-t-on à la taille ? Une pierre peut parfois se briser selon un ou plusieurs plans privilégiés. On parle alors de clivage. Le diamant est une pierre qui a un fort clivage. On peut le fendre grâce à un choc,

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selon des directions permises par la structure atomique du diamant. Il faut pour cela trouver les plans d’organisation des atomes, ces petites billes qui constituent sa matière et qui sont associées avec une régularité parfaite, dans les trois dimensions de l’espace. Cette cassure donne des faces lisses, là où la cohésion est plus faible. Pour obtenir les facettes, la pierre est frottée sur des meules équipées de poudre de diamant. Ce travail prend parfois un temps considérable, surtout pour des pierres de grande valeur. The Centenary (ainsi nommé à l’occasion du centenaire de la De Beers), diamant brut de 599 carats, trouvé en 1986 dans la mine Premier, la même que pour le Cullinan, nécessita trois ans d’études et de travail, avant d’être transformé en un diamant taillé de 273 carats. On imagine aisément la nature des cauchemars qui peuplent les nuits des lapidaires à qui l’on confie de telles pierres.

Un diamant ou un charbon en pendentif ? Du point de vue de sa composition chimique, le diamant est du carbone pur. Il est constitué d’un assemblage d’atomes de carbone liés entre eux. Chacun tend l’une de ses quatre mains à trois voisins, formant un tétraèdre.

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Textiles, parfums, bijoux et C ie Son cousin, le charbon, est également constitué d’atomes de carbone, mais diffère par son organisation atomique. Dans le diamant, les atomes sont assemblés de façon régulière dans tout l’espace et sont fortement liés entre eux. Dans le charbon, ils s’organisent en couches, formant des feuillets qui glissent les uns sur les autres. L’interaction avec la lumière et la résistance physique en sont totalement modifiées. Diamant ou charbon, même carbone. Le diamant dans les coffres-forts et le charbon dans les fours. Sont bizarres ces humains !

Si vieux, si durs Le diamant s’est formé à une profondeur comprise entre 150 et 200 km sous la surface de la Terre, à des températures très élevées (supérieures à 1  000 °C) et sous de très fortes pressions (50 000 bar). Ces conditions extrêmes ne se trouvent qu’à de très grandes profondeurs. Si les diamants se retrouvent à la surface, c’est parce que des phénomènes géologiques les y ont poussés, par des sortes de cheminées appelées pipes. L’érosion les libère et les transporte vers les rivières. Les diamants ont un âge estimé entre 70 millions et 2 milliards d’années. Cette longévité s’explique grâce à son exceptionnelle dureté et inaltérabilité. Il en a de la chance, le diamant, jamais ridé, jamais vieux, toujours éclatant !

Une petite touche de couleur ? Ce n’est pas sa seule particularité. Sa transparence est unique. Un diamant de joaillerie doit être incolore, mais les teintes roses, jaunes, bleues, rouges donnent parfois

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des pierres beaucoup plus chères, à condition que les couleurs soient vives et homogènes. Il arrive même que la couleur en augmente la valeur. Les plus rares – donc les plus chers – mais également les plus petits, sont les rouges (seulement une dizaine dans le monde) et les verts. Viennent ensuite les roses, les bleus et enfin les jaunes, qui sont justement les plus courants, mais qui sont peu utilisés en joaillerie. Les couleurs sont dues à des atomes incorporés dans la structure, qui étaient présents dans le milieu, au moment de la formation de la pierre : atomes d’azote, de bore…

Les plus durs grimpent l’échelle Le diamant est la matière la plus dure. Il possède la dureté maximale (10) sur l’échelle de Mohs qui va de 1 à 10. Elle fut établie par le minéralogiste Friedrich Mohs, en prenant comme références dix minéraux courants qu’il a classés par ordre de résistance mutuelle à la rayure. Cette dureté en fait un matériau stratégique pour la sidérurgie car il est utilisé dans les outils de découpe. Sa rareté pose un problème pour tous les usages autres que la joaillerie. Heureusement, le procédé de synthèse est aujourd’hui efficace et permet de subvenir aux besoins, en complément des gisements encore en activité.

Les diamants aiment la géométrie Le diamant cristallise dans le système cubique, donnant des cristaux généralement octaédriques (à huit faces). Son clivage est facile suivant les faces de l’octaèdre. Cela rend la première étape de taille aisée mais la suite plus difficile. Il doit être travaillé avec précaution car il peut éclater au

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Textiles, parfums, bijoux et C ie cours d’un choc. Du fait de sa dureté extrême, il ne peut être taillé qu’avec un autre diamant. Son indice de réfraction est élevé et il présente une très forte dispersion de la lumière. Cette propriété lui procure un éclat particulier, « les feux », à condition d’être bien taillé. La taille en « brillant » à 58 facettes est privilégiée pour mettre en valeur ces propriétés optiques.

Où faire ses courses ? Aujourd’hui, l’Australie est le premier producteur de diamants industriels, suivie par la République démocratique du Congo avec des réserves colossales en diamants industriels. La République sud-africaine reste le premier producteur de diamants de joaillerie.

Une émeraude assortie à ses yeux verts ? L’émeraude tient son nom de sa couleur  : en latin smaragdus (dérivé du grec smaragdos) signifie pierre verte. Cela donnera esmeralda en espagnol. Quasimodo savait-il que sa belle était une émeraude ? Pendant des siècles, toutes les pierres vertes furent appelées émeraudes. Leur symbolique était forte et de signification variable selon les cultures. Elle pouvait être synonyme de bonheur, d’espoir de vie éternelle, mais aussi de sorcellerie. Chez les Grecs, elle était associée à la force et au bien-être, tandis qu’elle présentait des vertus thérapeutiques pour les Romains. En Amérique, elle était liée à la fertilité mais associée aux créatures de l’enfer pour les Chrétiens.

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Cléopâtre, encore et toujours… Elle était déjà connue en Égypte ancienne, où elle ornait parfois les bijoux funéraires. Sa symbolique semblait également contrastée, à la fois néfaste et bénéfique. Les pharaons exploitaient des mines d’émeraude, parmi lesquelles la célèbre mine de Cléopâtre. Ces gisements ont produit des émeraudes connues dans le monde entier. Leur exploitation a continué pendant la période grécoromaine puis a faibli progressivement jusqu’en 1740. « Ah Cléopâtre ! se dit Marie. Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas rappelée à notre bon souvenir. Dès que l’on parle de richesses, de beauté, elle se tient toujours en embuscade. Qu’il s’agisse de tissus, de crèmes, de maquillages ou de bijoux, elle se présente en spécialiste. Notre modèle à toutes…»

À la découverte de l’Amérique et ses merveilles Depuis la découverte de l’Amérique du Sud et de ses formidables réserves, la route de l’émeraude a changé. Son extraction avait démarré avant l’arrivée des Européens, vers le xe siècle. L’exploitation par les Espagnols débuta à partir de 1545, année de la découverte d’un gisement colombien. Les esclaves indiens travaillaient dans les mines dans des conditions lamentables. Beaucoup en moururent. Aujourd’hui encore, des carrières à ciel ouvert sont le lieu de travail de milliers d’hommes, dans des

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Textiles, parfums, bijoux et C ie conditions difficiles, avec un hébergement sommaire, des problèmes de salubrité et de violence. Les belles qui se pavanent avec leurs parures savent-elles dans quelles conditions leurs pierres ont été extraites ?... Un peu rabatjoie ? C’est vrai. Le coton a déjà suffisamment culpabilisé Marie. N’en rajoutons pas… L’exploitation au Brésil est plus récente puisqu’elle débuta au xxe siècle. Le continent africain s’est lancé également dans l’exploitation, en Zambie, au Zimbabwe et à Madagascar.

Un si beau jardin L’émeraude est constituée de cyclosilicate d’aluminium et de béryllium. Elle présente des tétraèdres formés d’un atome de silicium au centre, lié à quatre atomes d’oxygène (silice). Les tétraèdres sont ensuite associés par six, en forme d’anneau, mais pas un anneau dans lequel Marie pourrait glisser un doigt, ou alors seulement après avoir avalé la potion d’Alice qui l’aurait fait rapetisser jusqu’à un millionième de millimètre. Ces anneaux sont reliés entre eux par des atomes d’aluminium et de béryllium. Dans cette structure régulière, quelques atomes d’aluminium sont remplacés par du chrome et du vanadium, responsables de la couleur verte. Au centre des anneaux, quelques espaces vides sont comblés par des atomes alcalins (sodium, potassium, lithium) ou de petites molécules (dioxyde de carbone, eau). Ces corps étrangers gazeux, solides ou liquides se retrouvent prisonniers au moment de la croissance du cristal ou diffusent à l’intérieur par la suite, lors de cassures. On peut rencontrer des inclusions d’autres minéraux, dénommées « givres ». Ces inclusions qui, a priori constituent des défauts, ne dévalorisent pas forcément la pierre. Elles  présentent

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l’avantage de permettre de connaître son origine car les inclusions sont bien connues et particulières à la région de formation du cristal. Elles laissent une trace de l’environnement qui permet d’identifier sa provenance. Les spécialistes désignent ces givres par le terme de « jardin » d’une émeraude. Marie adore jardiner…

Rencontre improbable La formation de l’émeraude fut longtemps un mystère car elle contient des éléments présents dans le manteau terrestre (chrome, vanadium) et d’autres dans la croûte continentale (béryllium, silicium, aluminium). Cette coexistence en un même lieu est pour le moins étrange. Cette rencontre incongrue est à l’origine de sa rareté. Des études géologiques ont permis de comprendre sa formation. On doit cependant distinguer l’origine brésilienne de la colombienne, très différente.

Quand les roches brésiliennes dansent la samba… Au Brésil, ces gemmes se sont formées au cours de bouleversements géologiques, tels que des remontées de magma en fusion, fissurant la croûte terrestre et pénétrant par des interstices. Se sont alors produites des réactions physico-chimiques au cours desquelles les atomes des différentes roches se sont liés. Mais pour que la cristallisation se produise dans toute sa splendeur géométrique et régulière, il fallut du temps. Le refroidissement fut donc très lent, s’opérant en profondeur et dans les fissures. De nouvelles éruptions sont venues bousculer et compresser

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Textiles, parfums, bijoux et C ie les roches, les chauffer, les retransformer, permettant au chrome et au vanadium de faire leur entrée dans le minéral. Ces deux phases de cristallisation se sont produites il y a environ 2 milliards d’années puis 500 millions d’années. Les humains n’étaient pas encore là, ignorant cette samba atomique qui se jouait en profondeur, sous un sol qu’ils ne fouleraient que bien plus tard, à la recherche de ces cailloux pour lesquels ils seraient prêts à tous les excès.

Les Colombiennes préfèrent les chevauchements et les fluides qui se faufilent En Colombie, le phénomène géologique fut différent. Ce sont des masses fluides d’eau chaude sous pression qui se sont faufilées dans la roche. L’évènement est plus récent, puisqu’il date de 65 et 35 millions d’années. Ces périodes correspondent à deux épisodes tectoniques qui ont provoqué le plissement et le chevauchement de différentes couches géologiques, engendrant des infiltrations d’eau chaude chargée en différents constituants, dans des failles et fissures.

L’émeraude n’est pas clivante (tout le monde l’aime) L’émeraude est moins dure que le diamant : 7,5 à 8 sur l’échelle de Mohs. Son clivage est difficile. Lorsqu’on la casse, elle ne se fend pas dans une direction privilégiée, ne donne pas de forme régulière. Elle cristallise dans

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le système hexagonal, c’est-à-dire que les atomes qui la constituent sont reliés entre eux selon une architecture régulière aboutissant à des prismes à base hexagonale. On retrouve parfois cette géométrie dans l’aspect de la pierre brute. Les plus belles pierres sont très transparentes et présentent une couleur verte très intense. Les inclusions sont fréquentes. Les principaux pays producteurs sont toujours la Colombie et le Brésil.

Une imitation aussi belle que l’originale L’émeraude synthétique est utilisée en joaillerie, à la différence du diamant, car elle peut présenter des défauts (des jardins) comme les pierres naturelles. Leur esthétique se rapproche beaucoup des pierres naturelles. Les deux suivantes, saphir et rubis, possèdent également leurs sœurs de synthèse, mais ces dernières sont trop pures et exclusivement destinées à l’industrie. Les joaillers sont des gens formidables : ils transforment des défauts en qualité esthétique. La petite imperfection rend unique. Les parfaites n’ont aucun intérêt. À méditer…

Pierre de sang Le rubis doit son nom au terme latin Rubeus qui signifie rouge. Son symbolisme est assez universel. Pour tous les peuples, il est synonyme de courage, de victoire, d’amour. Il est considéré comme la pierre la plus importante dans beaucoup de cultures

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Textiles, parfums, bijoux et C ie anciennes. On le retrouve sur tous les bijoux des rois et reines d’Europe comme symbole du sang du Christ, sousentendant que le roi se donne à son peuple et son pays. La teinte du rubis s’étale du rose clair au rouge foncé. Mais le plus recherché est le rouge vif profond appelé « sang de pigeon ». Le plus gros rubis de qualité gemme connu à ce jour fait 250 carats et orne la couronne de Saint-Wenceslas. Elle est conservée en la cathédrale Saint-Guy de Prague.

Bleu, c’est tout de même mieux Le mot saphir viendrait de l’hébreu sappir signifiant « la chose la plus belle ». Pendant longtemps cette pierre bleue ne fut pas bien différenciée des rubis car elle appartient à la même famille de minéraux, les corindons, et se trouve dans les mêmes sites géographiques. En réalité, un saphir n’est pas toujours bleu mais peut présenter différentes couleurs. Un saphir sans précision est bleu, sinon on doit préciser la couleur : saphir jaune, saphir vert…

Des cailloux tombés du ciel On lui attribue des vertus diverses selon les cultures. Il peut être symbole d’immortalité, de chasteté, de justice, de vérité… Sa couleur le relie évidemment au ciel, aux divinités. Ainsi les rois portent-ils des rubis pour exprimer leur courage et des saphirs pour montrer leur dévouement à Dieu. L’Étoile de l’Inde est le plus gros saphir bleu, doté de 563 carats. Il est conservé au Musée d’histoire naturelle de New York. Il existe un saphir noir de 733 carats, le Black Star du Queensland, détenu par un heureux particulier.

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Un petit voyage en Birmanie ? La célèbre mine de la vallée de Mogok, dans l’ancienne Birmanie (aujourd’hui le Myanmar), a fourni aux riches de ce monde, depuis 1 500 ans, les plus beaux rubis mais aussi de superbes saphirs. On y a trouvé le plus gros saphir brut du monde : 63 000 carats, soit 12,6 kg ! Les gemmes sont encore extraites à plusieurs mètres de profondeur dans des gisements qui sont surveillés et contrôlés sévèrement par le gouvernement birman. Ils sont toujours exploités mais très appauvris. Aujourd’hui, l’essentiel des rubis vient d’une région entre la Thaïlande et le Cambodge.

Un pull du Cachemire mais pas un saphir Le Cachemire indien a donné les plus beaux saphirs mais les mines sont épuisées depuis 1975. Si l’on vous offre un saphir pour votre anniversaire, il viendra forcément d’ailleurs. Il est bon de se méfier car l’appellation « saphir du Cachemire » persiste, pour le prestige. L’Australie possède deux gisements dont un seul produit des saphirs pour la joaillerie. Le Sri Lanka est également un haut lieu du saphir depuis des siècles. Il possède le plus gros gisement de saphirs du monde. Actuellement, tous les saphirs et rubis d’Asie transitent par la Thaïlande, véritable plaque tournante des corindons.

Heureuse intrusion Les corindons se sont formés par intrusion de granit dans des roches calcaires appelées dolomites. Ils sont rarement extraits de la roche-mère mais plutôt exploités dans les gisements secondaires, là où les pierres se

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Textiles, parfums, bijoux et C ie retrouvent après érosion et transport dans des zones alluvionnaires. L’eau se charge de faire voyager les pierres du haut des montagnes. La récupération est plus facile… Le travail réside alors dans le lavage des sédiments qui les contiennent : les graviers des rivières sont recueillis dans des batées – comme pour l’or – afin que la séparation, basée sur des densités différentes, se fasse presque toute seule.

Ballet atomique Le rubis et le saphir sont des corindons, gemmes constituées d’oxyde d’aluminium. Ils contiennent des atomes d’oxygène liés à des atomes d’aluminium. Le corindon tire son nom du sanscrit kurunvinda. Ces minéraux se sont formés dans le sous-sol profond, mais moins que le diamant. Il cristallise dans le système rhomboédrique dont le motif ressemble à un cube déformé. Les atomes d’oxygène sont associés en hexagones, formant des couches de billes d’oxygène qui s’empilent en se décalant pour que les atomes de la couche suivante se retrouvent dans les creux de la précédente. Les atomes d’aluminium sont insérés dans des lacunes de la construction et permettent la cohésion en se liant très fortement à des atomes d’oxygène. Cette structure très compacte et solide est à l’origine de la dureté des corindons, à peine plus faible que le diamant : 9 sur l’échelle de Mohs.

Casse-toi ! Les corindons ne se clivent pas facilement mais on peut trouver des lignes de séparation selon les plans d’organisation des atomes d’oxygène. La pierre peut alors se

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casser en laissant apparaître une zone de cassure irrégulière mais aussi parfois en forme de coquillage, nommée pour cette raison cassure conchoïdale.

Feu d’artifice atomique Le corindon pur est incolore. Il est rouge, et s’appelle alors rubis, lorsque des atomes de chrome viennent se mêler à cette joyeuse danse atomique lors de la cristallisation, remplaçant quelques atomes d’aluminium. Différentes nuances de rouge se laissent admirer lorsque des atomes de fer se joignent à la fête. Tous les autres corindons colorés sont des saphirs : bleus, violets, jaunes, orange, verts, noirs, roses... La couleur bleue correspond au saphir officiel. Il doit sa teinte à quelques atomes intrus, mais bienvenus pour le plus grand plaisir de nos yeux : du titane et du fer. Les rubis sont rares, les saphirs sont beaucoup plus répandus. Marie se dit que cela doit donc pouvoir se trouver. Il paraît que cela pousse très bien au pied des sapins.

Un cabochon pour une étoile Un phénomène optique étonnant, nommé astérisme, se produit avec ces gemmes. Il arrive que l’on voie apparaître une étoile à six branches, très lumineuse, à la surface de la pierre lorsqu’on la fait tourner. Ceci est dû à sa structure cristalline, qui comprend des particules allongées parallèlement les unes aux autres dans plusieurs directions, et qui diffusent la lumière perpendiculairement. Pour révéler pleinement cette observation, la pierre doit être taillée en cabochon, une sorte de dôme avec un sommet poli.

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Rouge de confusion Le rubis peut parfois être confondu avec le spinelle, pierre rouge difficile à différencier pour des novices. De nombreux rubis de joyaux royaux sont en fait des spinelles. Aussi, méfiez-vous, certaines appellations entretiennent la confusion : le rubis balais est un spinelle, le rubis du Cap est un grenat, et le rubis de Sibérie une tourmaline…

Enfin prête ! Ça y est, Marie est prête. Certes, elle n’a pas trouvé de diamants, ni de rubis dans son coffre à bijoux, mais quelques imitations feront illusion. Ses collègues ne sont pas assez spécialistes pour déceler le vrai du faux. Elle a rangé son pyjama sous son oreiller, s’est vêtue avec élégance en variant les tissus, afin d’épater ses collègues en les énumérant, forte de ses nouvelles connaissances. Elle émet un parfum fleuri et délicat, brille des oreilles et scintille de tous ses doigts. Elle est en retard, comme tous les matins, mais heureuse de partir d’un pied léger et avec un cerveau bien rempli… Ne change pas Marie, reste curieuse !

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