Symbiose et Ambiguïté 2130366031, 9782130366034

‘Le thème de la symbiose, dit l'auteur, est relativement nouveau en psychologie et en psychopathologie, du moins so

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Symbiose et Ambiguïté
 2130366031, 9782130366034

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Symbiose et ambiguïté

Le fil rouge Section 1

Psychanalyse

dirigée par

Christian David Michel de M’Uzan Serge Viderman

José Bleger

Symbiose et ambiguïté Etude psychanalytique

Traduit de l’espagnol par Annie Morvan

Presses Universitaires de France

Le présent ouvrage est la traduction française de

SIMBIOSIS Y AMBIGÜEDAD Estudio psicoanalitico by José Bleger publié par Editorial Paidós, Buenos Aires, 3« éd., 1975 © 1967, by José Bleger

ISBN

2 13 036603 1

lre édition : 1er trimestre 1981 © Presses Universitaires de France, 1981 108, Bd Saint-Germain, 75006 Paris

Sommaire

AVANT-PROPOS,

7 Première Partie SUR LA SYMBIOSE

CHAPITRE PREMIER

Etude de la dépendance-indépendance dans son rapport au processus de projection-introjection, 15 Objectif, 15 - Autisme et symbiose de transfert, 16 - Antécé­ dents, 16 - Narcissisme de transfert, 18 - Symbiose et actuation psychopathique, 20 - Antécédents de la patiente, 21 - Dépen­ dance-indépendance, 22 — Résumé, 28 - Commentaires sur le début de la cure, 29 - Evolution, 32 — Fragmentation, disso­ ciation et contrôle dans l'espace, 33 — La réintrojection et le corps comme buffer, 34 - Quelques aspects caractéristiques de l'appa­ rition de ¿’insight, 38 - Synthèse et conclusions, 42 CHAPITRE II

La symbiose dans Le repos du guerrier, 45 Symbiose et nature de la relation d’objet, 47 — Le matériel, 53 — Conditionnement du lien symbiotique, 54 — La rencontre et le retour du refoulé, 56 - Processus d’acceptation du dépositaire, 57 Récapitulation, 59 - Formation ou établissement du lien sym­ biotique, 60 - Raillerie et pitié, 64 - La métamorphose, 67 Les dangers du lien symbiotique, 69 — Le temps, 70 - La sexualité, 71 — L’équilibre dans le lien symbiotique, 72 Vicissitudes du lien symbiotique, 76 — Agglutination et dis­ persion, 79 — Fragmentation de l’objet agglutiné par diversifi­ cation des relations d’objet, 80 — La séparation, 83 — Résumé du cours ultérieur de la symbiose, 85 - Epilogue, 89 - Résumé et conclusion, 89 CHAPITRE III

Modalités de la relation d’objet, 93

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SYMBIOSE ET AMBIGUÏTÉ

CHAPITRE IV

Etude de la partie psychotique de la personnalité, 101 Introduction, 101 - Problèmes techniques, 108 - Etude du maté­ riel clinique, 121 — Résumé et conclusions, 196

Deuxième Partie SUR L’AMBIGUÏTÉ CHAPITRE V

L’ambiguïté dans la clinique psychanalytique, 203 Introduction, 203 - Discrimination du concept d’ambiguïté, 206 L’ambiguïté et autres phénomènes, 216 - Clinique et structure de l’ambiguïté, 221 - Omnipotence du « moi syncrétique », 228 Phénomènes de transition, 235 - Conflit et dilemme, 240 - « Moi factique » et personnalité psychopathique, 241 - Ambiguïté de Vacting out, 253 — La pensée, 255 — La personnalité auto­ ritaire, 257 — Synthèse, 257 — Pourquoi l’ambiguïté subsistet-elle ?, 258 — Fonction « émoussante » de l’ambiguïté dans la régression, 267 - Quelques commentaires à propos de la biblio­ graphie sur l’ambiguïté, 270 CHAPITRE VI

Psychanalyse du cadre psychanalytique, 283 Résumé, 298

Troisième Partie APPENDICE CHAPITRE VII

Ambivalence et ambiguïté. Antécédents bibliographiques, 303 Bleuler, 303 - L’ambiguïté dans les écrits de Freud, 306 — La divalence dans les écrits de Freud, 312 - L’ambivalence dans les écrits de Freud, 318 - Melanie Klein et Fairbairn, 327 Travaux d’autres auteurs, 336 — Antécédents bibliographiques sur l’ambiguïté, 345 CHAPITRE VIII

Commentaire sur Le sens opposé dans les mots primitifs, 349 CHAPITRE IX

Ambiguïté et syncrétisme dans L’inquiétante étrangeté de Freud, 357 BIBLIOGRAPHIE,

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Avant-propos

Le thème de la symbiose est relativement nouveau en psychologie et en psychopathologie, du moins sous ce nom ; il apparaît en effet sous d’autres formes dans les travaux psychanalytiques de nombreux auteurs et dans certaines études se rapportant aux premiers stades du développement de la personnalité. Cet ouvrage se veut une contribution aux recherches sur la symbiose, thème que nous estimons d’une grande importance pour une meilleure compréhension des problèmes de la psychologie normale et de la psychopathologie, de la psychologie individuelle et de la psychologie de groupe, de la psychologie des institutions et de la psychologie des communautés. Telle est, en somme, l’ampleur des domaines et des problèmes que recouvrent les recherches sur la symbiose. Cependant, bien qu’armés d’antécédents bibliographiques, il ne s’agit pas ici de baptiser d’un nom nouveau des phéno­ mènes déjà connus, mais de les resituer autour d’un concept plus proche de la réalité : la symbiose nous place d’emblée, et dès le début du développement de la personnalité, dans l’interrelation humaine qui présente ici des caractères très particuliers ; son étude nous aide à comprendre d’autres phénomènes de la vie et de la pathologie de l’adulte et exige que nous révisions certaines hypothèses et certaines théories. C’est ce que nous tenterons de faire tout au long de ce livre. L’étude de la symbiose nous a d’autre part conduit à un autre problème d’importance capitale : celui de l’ambiguïté

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dans la normalité, la pathologie et la vie quotidienne. L’hypo­ thèse selon laquelle le noyau — ou raison fondamentale — qui permet au lien ou à l’interdépendance symbiotique de se constituer ou de persister serait, dans son essence même, de nature ambiguë, nous a fourni le pont entre ces deux thèmes. Nous avons donc été inévitablement conduit à étudier l’ambiguïté, laquelle à son tour nous a amené à reconsidérer certains concepts utilisés antérieurement et se rapportant à l’autisme, au narcissisme primaire, à l’identification, etc. Etant donné que le lecteur parcourrera ici le chemin d’une recherche, il lui sera facile, nous l’espérons, de constater qu’au fur et à mesure des chapitres nous avons dû opérer certaines modifications des concepts. Il nous paraît important de sou­ ligner que tout au long du livre se dégagent peu à peu quelques hypothèses générales qui confèrent une unité à l’ensemble de l’ouvrage et sont des points fondamentaux touchant l’essence même, non seulement des phénomènes étudiés mais aussi des théories et des hypothèses qui les sustentent. L’un de ces points fondamentaux est la remise en question de l’assertion selon laquelle les premiers stades de la vie de l’être humain se caractérisent par l’isolement ; ce serait à partir de cet isolement que le sujet entrerait graduellement en relation avec d’autres êtres humains. Cette assertion est la quintessence de l’individualisme portée au domaine scienti­ fique car l’individu ne naît pas être isolé et ne peut donc struc­ turer peu à peu sa nature sociale en perdant cet isolement au profit de l’assimilation de la culture. En remplacement de cette hypothèse, nous avons été amené à concevoir un état d'indifférenciation primitive, point de départ du développe­ ment humain. Ce qui signifie, entre autres, que nous n’avons plus à chercher comment l’enfant, tout au long de son déve­ loppement, entre en relation avec le monde extérieur, mais comment un type de relation (indifférenciée) se modifie pour parvenir, dans le meilleur des cas, au développement de l’identité et du sens du réel. George Bernard Shaw dit un jour et avec raison que « l’indépendance est un préjugé des classes moyennes » ; mais nous entrerions ici dans le domaine de la sociologie de la connaissance scientifique. Ajoutons que cet état d’indifférenciation primitive est une organisation particulière du moi et du monde qui nous oblige,

AVANT-PROPOS

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comme tout progrès scientifique, à mobiliser nos forces et à affronter une nouvelle blessure de notre narcissisme ; pour rappeler les propos de Freud : notre identité et notre sens de la réalité ne constituent pas Videntité et le sens du réel mais une de leurs organisations possibles. Nous devons alors reconnaître que ce qui se différencie de notre modalité, de notre structure ou de notre organisation n’est pas toujours une distorsion ou un déficit mais bien souvent une organisation autre qu’il nous faut étudier en tant que telle. Certains trouveront notre proposition simpliste et déjà connue. D’autres la considéreront absurde et relevant du contresens. De toute façon, elle représente à nos yeux un des points fondamentaux de la théorie psychanalytique car elle bouleverse un des « modèles » scientifiques essentiels de la psy­ chologie et de la psychanalyse, le remet en question, le réévalue et oblige à en faire l’examen à partir de nouvelles prémisses. Cette indifférenciation primitive n’est pas non plus, dans l’absolu, un état d’indifférenciation mais bien une structure ou une organisation distincte qui comprend toujours le sujet et son milieu, entités non différenciées. C’est un résidu de noyaux de cette indifférenciation primitive qui, chez une personnalité « mûre », est responsable de la persistance de la symbiose. Ce résidu, nous lui avons donné le nom de noyau agglutiné et il se manifeste aussi bien dans le développement normal (adolescence, période de crise ou de changements) que dans la pathologie (épilepsie, mélancolie, etc.). Si la totalité ou une grande partie de la personnalité se structure autour d’une des modalités de cette indifférenciation primitive, nous nous trouvons alors devant le type de personnalité ambiguë ou devant des traits de caractère ambigus. Par ailleurs, soulignons que cette indifférenciation primitive et ses deux phénomènes les plus saillants (symbiose et ambiguïté) sont normaux non seule­ ment en fonction de leur grandeur mais aussi de leur dyna­ mique ; ils peuvent donc signifier ou impliquer aussi des tableaux pathologiques ou des moments pathologiques dont certains sont même nécessaires à l’évolution normale de la personnalité. Nous souhaitons que cet ouvrage reflète cet axe de recherche et le transmette au lecteur. Nous nous sommes également penché sur quelques-unes de ces considérations cliniques et théoriques dans d’autres publications écrites conjointement,

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et particulièrement dans notre livre Psicohigiene y psicología institucional et dans la préface et l’appendice de la traduction en espagnol des œuvres psychologiquee de G. Politzer. Autre point fondamental auquel j’ai déjà fait allusion : celui de remettre en question la primauté mentale du phéno­ mène psychologique ; pour être psychologique, le phénomène devrait être originairement mental et si ce dernier n’apparaît pas sous une forme manifeste, il devrait alors préexister sous une forme inconsciente. Au lieu et place de cette hypothèse qui, plus qu’une hypothèse, est un modèle conceptuel de la psychologie, nous avançons l’idée que le phénomène mental est une des modalités de la conduite, que son apparition est postérieure à celle des autres conduites et que les premières structures indifférenciées, syncrétiques, sont des relations essentiellement corporelles. Cette hypothèse a également été développée dans les ouvrages cités ci-dessus et nous ne la reprendrons pas ici en détail. Mais elle nous semble suffi­ samment importante pour être au moins rappelée dans cet avant-propos. Les divers chapitres de ce livre comportent des références bibliographiques qui permettront de constater que ces deux hypothèses ne sont pas non plus entièrement nouvelles en matière de recherche psychanalytique mais elles n’ont pas été suffisamment approfondies et leurs conséquences, nécessaires et inéluctables, n’ont pas été développées. Nous nous sommes donc proposé de le faire ici. Un sujet de cette ampleur (la symbiose et l’ambiguïté, bien qu’embrassant des phénomènes cliniques différents, ne sont qu’un seul et même thème) sur lequel les recherches ne sont pas très avancées et qui met en jeu des hypothèses aussi vastes, ne saurait être exposé dans un ouvrage aux caracté­ ristiques d’un traité ; nous espérons que le lecteur s’accordera avec nous pour dire que s’il est parfois plus facile de lire un traité (et encore, pas toujours), il est tout aussi facile de « momifier » les connaissances qu’il contient. Notre objectif est précisément le contraire d’une telle démarche. Bien que citant les chercheurs qui ont apporté leur contribution à ce thème, nous ne présenterons pas de bibliographie systématique puisque nous avons voulu regrouper ici nos propres recherches et nos propres résultats, ce qui ne nous empêchera pas de faire mention des recherches et des conceptions d’autres auteurs.

AVANT-PROPOS

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Pour ces mêmes raisons, nous n’examinerons pas les ressem­ blances et les différences avec d’autres conceptions se rapportant à notre sujet comme par exemple celle de «l’objet mort-vivant » développée par W. Baranger, celle du « psychisme fœtal » de A. Racovsky ou celle du « noyau léthargique » de F. Cesio. Nous avons dû fournir un effort relativement important pour ne pas inclure dans cet ouvrage une analyse biologique de la symbiose et une analyse artistique, esthétique et philoso­ phique de l’ambiguïté. C’est volontairement que nous les avons tenues à l’écart malgré le vif intérêt qu’elles nous ins­ pirent. Nous avons voulu nous limiter de la façon la plus stricte possible à la clinique et aux théories et hypothèses qui en découlent et non pénétrer dans des domaines — biolo­ gique, philosophique et esthétique — qui nous en auraient probablement considérablement éloigné. Cependant, un minimum de connaissance de la symbiose en biologie laisse entrevoir des rapports très intéressants ou du moins très prometteurs avec la symbiose, le parasitisme, le commensalisme, le saprophytisme, le mutualisme, etc., et avec l’étude passionnante des lichens et du phénomène spec­ taculaire de la néoténie. Ce dernier a tout particulièrement retenu notre attention car le sujet profondément symbiotique ou la personne présentant une ambiguïté profonde nous a toujours semblé présenter des caractères intimement liés à ce phénomène qu’en biologie on appelle néoténie. Nous ne faisons que mentionner au passage ces rapports qui demande­ raient à être développés en tant que tels. La seconde et la troisième partie de ce livre n’ont pas encore été publiées, tandis que les chapitres de la première partie relatifs à la symbiose ont déjà été portés à la connais­ sance du public. Le chapitre premier dans la Revista de Psicoanálisis, 1960, vol. XVII ; le second, présenté à l’Asso­ ciation argentine de Psychanalyse en avril 1961, a été publié dans la Revista de Psicoanálisis, 1961, vol. XVIII et 1962, vol. XIX ; le chapitre troisième, présenté au Symposium sur l’œuvre de Melanie Klein, 1961, a été publié dans la Revista de Psicoanálisis, 1962, vol. XIX ; quant au quatrième chapitre, il a été publié dans la Revista Uruguaya de Psico­ análisis, 1964, vol. VI, 2-3. Buenos Aires, janvier 1967,

PREMIÈRE PARTIE

Sur

la symbiose

CHAPITRE PREMIER

Etude de la dépendance-indépendance dans son rapport au processus de projection-introjection

« Le processus de différenciation de l’objet devient particulièrement important du fait que la dépendance infantile se caractérise non seulement par l’identifi­ cation mais aussi par l’attitude d’incorporation orale. Ainsi, l’individu incorpore l’objet auquel il s’est identifié. Cette étrange anomalie psychologique peut être la clé de bien des énigmes métaphysiques. Cepen­ dant, il est courant de trouver dans les rêves une équivalence complète entre être à l’intérieur d’un objet et avoir l’objet au-dedans de soi... Devant une telle situation, le travail pour différencier l’objet trouve sa solution dans le problème de l’expulsion d’un objet incorporé, c’est-à-dire dans le problème de l’expulsion de contenus. » R. Faibbaibn.

Objectif Le présent chapitre a pour but d’étudier certains aspects de la dépendance et de l’évolution d’une malade, que j’appel­ lerai Maria Cristina, au cours de sa cure psychanalytique. De la dépendance totale, prise comme point de départ, à l’indépendance ou dépendance mûre, il y a une période très longue qui peut durer toute la vie et que Fairbairn appelle « période transitionnelle » ; au cours de cette période, coexistent et alternent des traits de dépendance infantile et des traits d’indépendance mûre et de formation réactionnelle face à la dépendance. Le développement vers une dépendance mûre s’est vu, chez ma patiente, entravé par une modification du processus de projection-introjection qui a entraîné des phénomènes

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d’autisme et de symbiose tendant à stabiliser ou à équilibrer les fluctuations. Autrement dit, nous développerons ici deux thèses fondamentales, intimement liées aux travaux de Fairbairn et de l’école de Melanie Klein, à savoir : 1) Que les perturbations du processus de projection-introjection sont à la base des conflits de dépendance-indépendance. 2) Que s’est imposée, au cours de l’analyse de la patiente, la nécessité d’étudier la formation de conduites de types autistique et symbiotique étroitement liées aux phéno­ mènes de projection-introjection et, naturellement, au maniement d’anxiétés paranoïdes et dépressives. Autisme et symbiose de transfert En partant de la seconde thèse et en m’attachant parti­ culièrement à ma malade, j’ai constaté non seulement l’appa­ rition alternée de conduites de types autistique et symbiotique mais aussi la coexistence de l'autisme et de la symbiose dans la relation de transfert, cette dernière ayant lieu sur deux fronts : la patiente demeurait distante, empêchant le théra­ peute de franchir la « barrière » et de pénétrer dans sa vie intérieure (autisme) en même temps qu’elle établissait un autre type de lien qui réduisait le rôle du thérapeute à celui d’un dépositaire sur qui elle faisait une projection intense pour tenter d’établir un lien symbiotique nécessaire et indispensable1. Antécédents Bleuler introduisit le terme d’autisme pour désigner ce que Janet avait étudié comme « perte du sens du réel » et que Bleuler définit comme « éloignement de la réalité en même temps que prédominance relative ou absolue de la vie intérieure ». On considère de nos jours que l’autisme est une conduite de défense face à des situations de persécution et qu’y prédo­

1. Le concept d’autisme et sa reformulation en relation avec la symbiose sont développés dans le chapitre sur l’ambiguïté.

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mine la relation à des objets intérieurs ; le lien est donc de caractère essentiellement narcissique. Pour Kanner, la caractéristique prédominante de l’autisme précoce infantile est le retrait et la distance d’avec le monde extérieur qui demeure une barrière de séparation. Tout ce qui signifie forcer ou rompre cette barrière est vécu avec une grande angoisse. Pichón-Rivière soutenait à ses séminaires que l’autisme est une étape normale et nécessaire de l’évolution de l’enfant et que le tableau décrit par Kanner apparaît lorsqu’il y a fixation ou régression à cette forme autistique. Les résidus autistiques de cette période du développement (les « parcs naturels ») sont les éléments sur lesquels s’installent les névroses, les psychoses et les pathologies caractérielles ; signalons également l’intervention de noyaux autistiques dans la vie normale (rêves, fantasmes, etc.). M. Mahler a étudié un tableau différent de celui observé par Kanner et apparemment tout à fait opposé : les psychoses symbiotiques qui se caractérisent par un lien de dépendance très étroit avec un objet extérieur. La symptomatologie est tout à fait manifeste lorsque la symbiose se rompt en forme de crises de panique ou catastrophiques. Il s’agit de projec­ tions massives sur un objet dans lequel vient alors s’aliéner une bonne partie du moi du sujet. Cela signifie aussi une fixation ou une régression à une relation symbiotique primi­ tive, la relation mère-enfant, par ailleurs normale durant le développement. Tout comme les symptômes typiques de la désagrégation schizophrénique apparaissent lorsque l’autisme se brise, la psychose symbiotique apparaît lorsque se brise la symbiose. M. Mahler distingue trois types de psychoses infantiles : l’autisme précoce infantile de Kanner, le syndrome psycho­ tique de symbiose infantile de Mahler et enfin un troisième groupe, plus bénin, décrit par Mahler, Ross, de Fries et Geleerd qui se caractérise par un emploi simultané ou alterné de la part du moi de mécanismes névrotiques, de l’autisme et de la symbiose. Les perturbations du sens du réel, du sens de l’identité et du schéma corporel sont évidentes dans les trois cas. M. Mahler décrit des cas plus bénins encore et ce qui nous intéresse justement dans la pratique psychanalytique est la possibilité de détecter des expressions, aussi minimes

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soient-elles, de ces troubles, même chez des patients non psychotiques. En ce sens, D. Liberman a étudié ce que lui-même a désigné sous le nom d’autisme de transfert et qu’il définit de la façon suivante : « C’est la manifestation du stade narcissique dans la situation psychanalytique. L’autisme s’oppose à l’établisse­ ment d’une relation de réciprocité, d’un certain lien objectif avec l’analyste. » Geneviève Racker s’est également penchée sur ce thème d’un point de vue strictement technique tout en s’accordant avec D. Liberman sur les fondements théoriques. Narcissisme de transfert Avec Maria Cristina, ma patiente, il était évident que la relation de transfert répondait aux caractéristiques décrites par Liberman : un manque de lien objectif avec l’analyste et un refus d’établir une relation de réciprocité. D’une part elle m’opposait une barrière et ne me permettait pas d’entrer dans son monde interne : je ne devais m’occuper que de ce qu’elle me donnait, de parties d’elle-même en rapport avec des personnes de sa famille. De l’autre, elle ne me traitait pas comme distinct et différencié d’elle mais comme un objet qu’elle rendait dépositaire d’une grande quantité d’objets et de liens qu’elle ne pouvait pas prendre en charge. Il ne s’agissait pas seulement de contrôler la réintrojection mais d’un contrôle plus général destiné à m’empêcher de perturber l’ensemble de ses relations narcissiques. En examinant les choses d’un peu plus près, nous pouvons voir que le lien autistique comme le lien symbiotique sont, dans le transfert, des relations narcissiques. Ils sont tous deux des relations à des objets internes et servent à préserver le principe de plaisir et à défendre des objets de l’intromission de la réalité extérieure. La projection massive qui se produit et qui rend difficile à Maria Cristina de se séparer de moi instaure une relation symbiotique de transfert. Cependant, la relation, et la dépen­ dance de ce qui est projeté, n’est pas une relation à l’autre mais une relation narcissique. C’est pourquoi il me semble important de distinguer, comme le fait Pichon-Rivière, le

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déposant du déposé et du dépositaire. Maria Cristina doit veiller à ce que l’analyste (dépositaire) ne fasse irruption ni « à l’intérieur » d’elle-même, ni dans sa formation autistique, ni dans le déposé. La relation de transfert autistique est tout aussi narcis­ sique que la relation de transfert symbiotique. Mais dans la seconde, le dépositaire appartient au monde extérieur tandis que dans la première il appartient à une région du corps propre ou de la psyché. Si nous élargissons momentanément le champ de notre recherche, nous pouvons voir que dans toute psychanalyse existe, à quelques variantes près, une projection dans l’ana­ lyste d’objets internes ou de parties d’objets internes en même temps qu’une assignation de rôles, recherche permanente d’une relation de dépendance symbiotique, qui implique simultanément le maintien et le contrôle d’une barrière qui ne doit pas être franchie (autisme). Le transfert autistique et le transfert symbiotique sont, dans les deux cas, une relation narcissique, c’est-à-dire une relation à des objets intérieurs entre lesquels s’est établi un fort processus de scission et de dissociation et, sur une partie d’entre eux, d’expulsion projective. Ainsi, l’autisme et la symbiose sont les deux extrêmes d’une scission entre projeté et introjecté. Il ne peut y avoir d’autisme sans symbiose et vice versa, quels que soient les variantes et les degrés atteints par ces phénomènes. Le diagnostic s’établit à partir de ce qui est manifeste ou prédominant. La coexistence de l’autisme et de la symbiose explique le caractère apparemment para­ doxal et contradictoire du transfert chez les patients psycho­ tiques. Lorsqu’on ne s’intéressait qu’à la conduite autistique, on avait conclu à un manque de relation de transfert chez les psychotiques (Freud). Plus tard, on découvrit que le transfert psychotique s’installe rapidement et massivement ; ce fut l’attention portée à la relation symbiotique établie par le psychotique qui permit cette découverte. Elle fut plus tardive parce que la symbiose est « muette » et ne présente de symp­ tômes notoires qu’en cas de rupture ; mais chez les psycho­ tiques, cette rupture est masquée par un repli sur la défense autistique. Pichón-Rivière dit du transfert des psychotiques que « la tendance à établir des contacts avec les autres est

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aussi intense que la tendance à l’isolement comme défense ». Nous pouvons maintenant réfléchir sur ce fait : un autisme complet, sans symbiose, est incompatible avec la vie. D’autre part, le transfert symbiotique explique aussi la viscosité épileptique comme étant une de ses variantes. Nous nous attacherons maintenant au problème de la dépendance en relation aux phénomènes de projection-introjection. Son étude m’a permis d’y retrouver l’autisme et la symbiose et c’est pourquoi je l’introduis ici, bien que je souhaite m’en occuper ultérieurement de façon plus spécifique. Symbiose et actuation psychopathique La symbiose repose sur le processus d’identification pro­ jective dans lequel la relation du déposant avec le déposé a été attentivement étudiée (appauvrissement ou vidage du déposant, dépendance envers le déposé, etc.) mais non celle du déposé avec le dépositaire. Dans le matériel clinique présenté ici, cette distinction est fondamentale. Dans la projection, tout se passe à l’intérieur du sujet La définition elle-même est donnée en fonction du déposant et du déposé. La relation avec le dépositaire se limite à l’action de déposer et n’altère ni ne modifie la conduite du dépositaire ; on peut être dépositaire des objets internes de l’autre sans qu’on n’en ait jamais connaissance ni que la conduite en soit influencée. Dans les relations familiales de notre malade, la projection a des conséquences très différentes : le dépositaire « agit » le rôle qui correspond au déposé (il assume le rôle). Par exemple, au cours de la première séance, lorsque la mère assume la fonction de contrôle de sa fille. En ce cas, la dis­ tance entre déposant et dépositaire disparaît. D’une certaine façon (la communication préverbale est également présente dans la communication verbale), cette actuation ou cette acceptation du rôle projeté est provoquée par la projection ; il peut arriver aussi que l’on délègue un rôle dans la conduite déjà existante du dépositaire ou — plus fréquemment — que les deux phénomènes interviennent ; provoquer l’actua­ tion d’un rôle et le déléguer dans la conduite déjà existante de l’autre. Dans la relation de transfert de ma malade, il y eut

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une tentative permanente de provoquer ou de déléguer un rôle chez le thérapeute. En vérité, on devrait parler de symbiose lorsque la pro­ jection est croisée et que chacun agit en fonction des rôles compensatoires de l’autre. La symbiose est, de cette manière, un type de dépendance ou d’interdépendance au sein du monde extérieur. Le besoin de provoquer 1’ « actuation » de rôles est l’indice d’un déficit dans la communication au plan symbolique. Ces considérations nous conduisent à pouvoir qualifier les groupes familiaux semblables à celui de notre malade Maria Cristina de groupes narcissiques et/ou symbiotiques, au sens où chaque membre est dépositaire et « agit » des rôles appar­ tenant à des relations avec certains objets intérieurs des autres, tout ceci en solidarité et en complémentarité. Le narcissisme est, dans ce cas, un narcissisme de groupe qui coïncide cer­ tainement avec le phénomène d’endogamie. Ces groupes fami­ liaux sont qualifiés par Mme Minkowsky de groupes agglutinés ou épileptoïdes. La rupture de l’interjeu de rôles symbiotiques désagrège et disperse le groupe (en fait un groupe schizoïde). Antécédents de la patiente Maria Cristina a 18 ans lorsqu’elle entre en cure, il y a environ trois ans (octobre 1956). Elle vivait avec ses parents à Santa Fe qu’elle quitta début 1956 pour aller faire ses études de médecine à Rosario et retrouver son frère Juan qui y faisait les mêmes études depuis déjà plusieurs années. La cellule familiale s’était ainsi progressivement dispersée. Un an auparavant (novembre 1955), se produisit un fait fondamental dans la rupture et le changement de la structure familiale. Le père eut une hémorragie cérébrale et « redevint un véritable bébé » ; son caractère changea radicalement. Maria Cristina se souvient de lui comme d’un homme agressif, affecti­ vement à l’écart de ses enfants et de sa femme. A la suite de cette maladie sa mère « prit la maison en main » et à partir de ce moment ses conflits avec elle ne firent que s’accentuer. La mère est décrite comme une femme douce mais rancunière, d’un niveau culturel plus élevé que le mari et qui se lamente de ce que son mariage a fait échouer sa carrière de musicienne.

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Avec la maladie du père, l’organisation familiale se brise et surviennent alors pour Maria Cristina des moments de désorientation, de confusion, d’incertitude parce qu’elle ne connaît pas — entre autres — la situation économique de sa famille. Malgré tout, son départ pour Rosario est décidé. Les relations avec son frère Juan ont toujours été très bonnes ; il avait été pour elle un soutien et était maintenant un espoir. Mais la relation avec Juan avait changé elle aussi parce qu’il s’était fiancé. Elle fut, en plus, déçue de constater que son frère avait pris du retard dans ses études et ne passait plus ses examens depuis déjà plusieurs années. Elle commença alors à fréquenter un jeune homme qui avait de grandes difficultés dans ses études et avec qui elle se disputait souvent. Trois crises nerveuses survenues au cours de l’année 1958 décidèrent du traitement. L’une d’elles survint dans la rue avec son fiancé lorsqu’elle apprit l’existence d’un mouvement révolutionnaire dans la région et vit des avions qui allaient bombarder une base militaire ; elle ressentit une grande angoisse, pensa que les avions allaient les bombarder, se sentit mal et s’évanouit. Transportée en clinique, elle se mit à pleurer et à être secouée de tremblements et passa plusieurs nuits en ayant peur de dormir et de rêver. Deux crises posté­ rieures se produisirent après les disputes avec son fiancé. Plus tard, elle se rappela qu’elle avait eu une première crise de nerfs à l’âge de 10 ans et une autre en 1955 à la suite d’une dispute avec sa mère : elle s’était levée et s’était écroulée sur la table en sanglotant. Dépendance-indépendance Le problème fondamental qui va guider l’analyse apparaît dès le premier entretien avec la mère et la fille : c’est celui de la dépendance-indépendance. La mère semble remarquer un changement chez sa fille tandis que Maria Cristina se plaint de ce que ses parents n’acceptent pas ses fiançailles (son indépendance).1 1 ) Au cours de la première séance, elle raconte que la nuit précédant son premier entretien avec moi — c’était aussi la première nuit qu’elle passait à la pension — elle ne

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savait pas si elle avait fait un rêve ou avait eu un fantasme : en se retournant dans son lit il lui sembla voir sa compagne de chambre nue et cela lui rappela sa mère. 2) Je lui interprète qu’elle se rappelle de cela maintenant parce que c’est une façon de faciliter la relation à l’inconnu : la pension nouvelle, moi et le traitement. C’est être accompa­ gnée par sa mère pour se sentir protégée. 3) Elle répond « c’est exact » et continue à raconter que sa mère a appris ses fiançailles et que son père a réagi en disant à sa mère de lui interdire de continuer à fréquenter ce « bon à rien ». Une fois, lors de courtes vacances à Santa Fe, sa mère lui interdit de sortir avec son fiancé et lui donna quelque chose à faire ; elle eut peur et obéit. En 3) elle me présente l’autre image de sa mère. Lorsqu’en 2) je lui signale comment elle utilise l’aspect protecteur de sa mère lorsqu’elle se trouve face à des situations inconnues et dangereuses, elle me montre en IJ l’image contraire : l’aspect possessif de cette protection, reflet du caractère pos­ sessif et de contrôle de sa propre affection pour sa mère. Lorsque pour se sentir protégée face à une situation inconnue elle vient au premier entretien accompagnée de sa mère, l’anxiété paranoïde face à cet inconnu est telle que le binôme symbiotique doit apparaître : la mère protectrice doit être avec elle. Lorsque au cours de la première séance elle se sou­ vient de sa mère pour entrer en relation avec l’inconnu, la mère protectrice est donnée comme objet interne et Maria Cristina passe de la relation symbiotique à la relation autistique qu’elle projette en moi pour refaire la symbiose avec moi. Lorsqu’elle me voit pour la seconde fois, mon aspect inconnu et dangereux diminue et permet l’introjection de l’objet protecteur. Mais quand elle projette la mère protec­ trice dans l’analyste, dans l’inconnu, les risques que cela implique font surgir la mère possessive pour assurer une défense et ne pas se livrer complètement. L’objet persécuteur (possessif) est le surmoi qui agit aussi en protecteur. Les deux objets (protecteur et possessif) sont chargés -—• séparément — de son propre besoin d’être protégée et du caractère absorbant de ses propres sentiments (de son avidité). Ils coexistent et leur prédominance, en tant qu’objets internes, alterne ; mais

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lorsque les peurs sont plus grandes (le premier entretien) il ne suffit pas de venir intérieurement accompagnée : Maria Cristina doit venir avec sa mère, en unité symbiotique et chacune assume un rôle qui, séparément, est un aspect du problème présent chez l’une et chez l’autre. La mère assume le rôle de personne dominante, possessive, accusatrice, curieuse, qui contrôle et souligne que sa fille a changé et que c’est là la raison pour qu’elle commence cette cure ; elle personnifie le surmoi de Maria Cristina. La fille assume le rôle de personne indépendante, soulignant que ses parents la retiennent et l’em­ pêchent d’avoir un fiancé, ha projection et la délégation (Weiss) dans sa mère de sa propre dépendance et de son besoin de protection font que Maria Cristina peut insister sur son indépendance. D’autre part, le caractère conflictuel de cette indépendance se confirme également dans ses relations avec son fiancé dans la mesure où elle reporte sur cette nouvelle relation sa relation à sa mère, bien que de manière inverse : c’est elle qui protège le fiancé, d’une façon également absor­ bante, et tend à l’aider pour qu’il poursuive ses études ; le lien symbiotique se restructure. 4) J’interprète qu’elle se demande de quel côté je vais être : du sien ou de celui de sa mère.5 5) Elle répond « c’est exact » et continue en racontant que lorsque ses parents vinrent à Rosario, ils lui firent quitter la pension où elle vivait et que sa mère la prit avec eux à l’hôtel. « Cela m’a angoissée qu’ils me fassent venir avec eux. Parce que moi, je me sens très gênée avec mon père quand je suis avec lui. Je dois m’en aller. Avant-hier soir, en parlant avec la fiancée de mon frère, je me suis rappelé que quand j’étais petite, je l’appelais vieux grigou et je me souviens que mon père aimait bien que je l’appelle comme ça. » En disant cela, et à la suite de mon interprétation, Maria Cristina signale la relation érotique à son père sain qu’elle revit maintenant avec moi ; c’est pourquoi elle fait appel à sa mère (surmoi maternel) au début de la séance : la mère la défend de ses impulsions génitales mais ces dernières, à leur tour, lui permettent de se défendre du caractère absorbant de sa relation à sa mère (surmoi oral).

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6) « Je me souviens d’un rêve que j’ai fait il y a deux ans. Je marchais sur un trottoir et je me sentais très seule. J’entrais dans une maison avec un jardin qui ressemblait à une place. Je me suis assise sur un banc de pierre et à côté de moi s’assit une ombre, presque un fantôme. Je me suis sentie tranquil­ lisée. En sortant, le fantôme s’est transformé en un garçon qui me plaisait. Ses amis, qui étaient assis par terre, lui dirent bonjour. Et quand nous sommes sortis tous les deux, il y avait la voiture de papa. Il a traversé la rue et il était tout barbu. Il ne m’a rien dit. Il m’a simplement regardée et alors j’ai dit à Jorge « filons », et on s’est mis à courir et Jorge a disparu au coin de la rue et il y avait mon père qui fumait une cigarette et me regardait. Je suis descendue par l’autre côté et, lui, il courait derrière moi. Il n’y avait personne dans la rue et après, je ne me souviens plus. Ce rêve je m’en suis souvenue une fois quand maman était très en colère parce que Juan — pour démontrer la valeur de la psychanalyse — a demandé que je raconte un rêve et j’ai raconté devant maman que quand j’étais petite, je suis entrée dans la salle de bains et j’ai vu papa en train d’uriner. Inutile de dire que maman était scandalisée. » En 3), elle insiste sur la tentative de ses parents pour la sépa­ rer de son fiancé, ce qui recouvre son propre désir de les sépa­ rer tous les deux et son inquiétude devant son père sur qui elle projette ses propres fantasmes œdipiens pour elle persécuteurs. En réactivant dans le transfert une relation affective et éro­ tique, des fantasmes de persécution envers la mère se réveillent. Son père, elle et tous les enfants de la maison appartiennent à la mère, sont intériorisés en elle (la maison dans son rêve) et à travers la relation avec les hommes se trouve la relation incestueuse à son père, en 5). La difficulté de se séparer de la mère, de sortir de la mère, n’est autre que la difficulté d’affronter le conflit œdipien et l’envie de la mère à cause de ses contenus. Intériorisée dans sa mère, Maria Cristina se sent protégée et ne craint pas les fantasmes. La relation symbiotique avec la mère la protège des situations de persécution. C’est pour cette raison qu’elle reste liée à sa mère par une relation de dépendance symbiotique. Si elles se séparaient, elle devrait introjecter et manier en elle des tensions qui dépassent les capacités de son propre moi, affronter ou élaborer ces anxiétés.

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7) D’après son récit (le rêve et le souvenir), la mère rend Juan responsable des fiançailles erronées et des « choses » que Maria Cristina apprend. Elle poursuit : « Elle se trompe toujours (la mère) et elle dit ma chérie à Juan et mon chéri à moi et ça, ça le gêne lui aussi bien que moi. Moi, quand j’étais petite, elle me mettait des pantalons et à mon frère elle lui a fait porter une jupe. » Elle raconte que c’est Juan qui a découvert tout cela en posant des questions et que sa mère a dit : « Ça y est, ils sont en train de m’analyser. » De même qu’elle se sent menacée par l’union de ses parents, elle inverse la situation, projette et provoque la colère de sa mère en faisant couple avec son frère ; tout comme la mère utilise son père contre elle — « ton père ne veut pas que tu ailles avec ce bon à rien » — elle utilise son frère en projetant sur lui sa partie active qui tend à la séparation d’avec les parents. La séparation est conflictive parce qu’il s’agit aussi d’une séparation d’avec des parents unis ou plutôt d’avec une mère qui possède le père à l’intérieur d’elle ; la séparation a un caractère compulsif et revendicatif. Elle a besoin de la relation avec moi pour se défendre et satisfaire sa rivalité avec sa mère. Sa propre agression est détournée vers le père, ce qui lui permet de cacher à sa mère et à elle-même son conflit œdipien et de prendre en charge l’hostilité de la mère envers son mari. Elle défend son frère contre sa mère : il n’est pas coupable, c’est la mère qui l’est, qui l’a confondue, a confondu son sexe à elle et ne l’a pas laissée être femme ; elle projette ainsi sur sa mère sa propre envie de destruction. Elle défend son frère contre sa mère parce que cela signifie le défendre de sa propre agression et de sa propre rivalité pour prendre la place d’un homme (père, frère) afin de pénétrer dans la mère. Son frère remplace le père et elle peut ainsi former face à sa mère et avec Juan un couple moins dangereux que si elle s’unissait à son père. Tout aussi dangereuse cependant est l’union avec moi qui suscite l’envie de sa mère. Chaque membre de la famille n’est pas un être avec lequel elle entre en relation objective mais un dépositaire de ses tensions et de ses objets intérieurs ; d’autre part, elle-même intériorise et agit les rôles qui correspondent aux tensions des autres. On peut dire qu’elle est venue à l’analyse mais

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qu’elle y a été aussi envoyée ou amenée et qu’elle a amené les membres de sa famille avec elle. Tant qu’elle reste à l’intérieur de sa mère, elle peut utiliser ses contenus (père, frère) comme s'ils lui appartenaient sans entrer en conflit et tout en camouflant son désir de s’emparer de tous les contenus de sa mère. 8) Elle raconte, à la fin de la séance, comment son frère et elle passèrent un pacte pour être toujours unis face aux parents mais que maintenant elle est désespérée de voir que son frère ne la défend pas. 9) Comme je suis resté silencieux, elle dit : « J’ai eu l’impres­ sion que vous étiez parti. J’ai eu peur de rester toute seule, la même peur que durant les crises, surtout les deux dernières. Pendant la première j’ai surtout eu peur que papa entre dans ma chambre. J’avais l’impression que ce jour-là j’assistais à un enterrement. Et ce qui a vraiment provoqué la crise, ce sont les avions qui passaient. » 10) J’interprète qu’elle a peur que je la laisse seule tout comme elle s’est sentie abandonnée par son père et par son frère Juan. La peur de rester seule est la peur de réintrojecter tout ce qu’elle avait auparavant projeté dans moi ; quand elle s’adresse directement à moi («j’ai eu l’impression que vous étiez parti »), elle tente d’exercer un contrôle beaucoup plus direct et beau­ coup plus strict sur moi, sur ce qu’elle a déposé en moi. 11) A l’interprétation 10), elle répond : « Oui, après l’hémor­ ragie cérébrale de papa, j’ai commencé à parler de lui au passé. Un jour j’ai dit : quand papa est mort. » 12) J’interprète qu’il est plus difficile pour elle de voir son père malade que mort. Tout comme il lui est difficile de sentir que je ne la laisse pas complètement seule mais que je ne l’accompagne pas non plus comme elle en a besoin. 13) « Oui. C’est comme s’il était mon fils et non mon père. Il a l’air d’un enfant, sauf quand il devient violent. Mainte­ nant, je préfère le voir violent que de le voir comme il est presque toujours. » Et immédiatement elle ajoute : « Tout

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de suite, j’ai eu l’impression que vous alliez me couper en deux. Comme si vous alliez dicter une sentence et me couper en deux avec une épée. Et en entendant la sonnette, j’ai eu l’impression que mon père allait arriver et me demander si je n’ai rien oublié. J’ai toujours présente à l’esprit l’image de ma mère épiant derrière les portes. Elle a cette habitude. Hier, pendant l’examen, il y a eu quelque chose de bizarre. Je suis allée passer mon examen prête à être collée mais je savais que j’allais le réussir. » En 8) elle prépare sa séparation d’avec moi ; elle craint la solitude comme une réintrojection de son père détruit, de sa propre agression, de sa partie envieuse et qui contrôle, projetée dans sa mère : elle se souvient de ses crises comme d’une défense face à la réintrojection. Elle s’est sentie soumise à un examen intérieur (en 13) et en usant de séduction, elle tente de s’assurer que je l’accepte et que j’accepte tout ce qu’elle a projeté en moi. Elle préférerait que je sois violent avec elle parce que ainsi elle aurait, plus qu’en ce moment, l’assurance que je m’occupe d’elle et que je m’intéresse à ses choses. Etre dans l’attente d’un jugement est aussi une technique dont elle se sert pour contrôler si je vais assumer ou non le rôle de dépositaire et pour provoquer le rôle en moi. Le fantasme d’être coupée en deux par une épée est la pro­ jection en moi de ses propres mécanismes de dissociation vio­ lents grâce auxquels elle divise son moi et ses objets. Le fait d’avoir entendu la sonnette signifie qu’elle est restée vigilante et qu’elle a contrôlé tout ce qui se passait autour de moi et en moi. La curiosité apparaît personnifiée en sa mère et le contrôle en son père. Résumé Avant de poursuivre, il est préférable de faire brièvement le point sur ce que nous venons d’exposer. Nous avons vu que pour Maria Cristina, il y a un problème de dépendance-indépendance. A partir des données que nous possédons maintenant, nous pouvons ajouter que ce problème est un conflit entre deux niveaux du développement : l’oralité et la génitalité. Nous avons signalé la dissociation ou séparation des termes

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de ce conflit et l’action de « déposer » chaque partie du conflit dans chaque parent : le père est le dépositaire des tendances génitales (indépendance, séparation d’avec la mère) et ses tendances orales sont projetées dans la mère (dépendance). Au cours des séances, elle se sent unie à moi en tant que père sain, puissant, tandis que la mère est tenue à l’écart, exclue, envieuse. Le fantasme de séparer ses parents est un besoin imposé par la dissociation du conflit et c’est pourquoi elle part de chez elle pour faire ses études à Rosario lorsque sa mère prend la direction de la maison ; c’est-à-dire que lorsque la mère assume les deux rôles (père et mère), le contrôle échoue et la confusion et la désorientation apparaissent. Nous pouvons nous demander le pourquoi de la ségrégation de Maria Cristina à ce moment-là et pourquoi les tensions ne sont pas élaborées. Signalons que le besoin de reconstruire des liens ne se présente pas seulement chez Maria Cristina mais chez tous les membres de la famille. Pour Maria Cristina, le conflit oralité-génitalité reste sans solution et sans qu’elle puisse choisir l’une ou l’autre comme défense, parce que chaque niveau du développement est utilisé contre l’autre, parce que chacune est, en soi, un conflit. Pourquoi ? Parce que la dépendance orale est marquée de sa propre avidité et donc du danger d’être absorbée et détruite. L’indépendance résumée dans ses pulsions génitales embrasse sa propre agres­ sion et sa propre rivalité avec les hommes, avec la culpabilité qui en découle et le cercle vicieux que représente se lier à des objets dans un but de réparation puis entrer en rivalité et tendre à les détruire et à se détruire par représailles. Nous en resterons là pour le moment car ce résumé n’a pour but que de permettre au lecteur de mieux comprendre le développement qui va suivre. Commentaires sur le début de la cure La demande de traitement et le premier entretien furent à l’initiative de son frère Juan. Maria Cristina vient avec sa mère : toutes deux entrent dans le cabinet et tant qu’elles demeurent ensemble, c’est la mère qui parle, déclarant, pour résumer son récit, que sa fille a changé. Lorsque je demande

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à la mère qu’elle attende dehors, elle n’oppose pas de dif­ ficultés et Maria Cristina ne manifeste aucun signe. On reprend les antécédents et Maria Cristina insiste sur le fait que ses parents n’acceptent pas ses fiançailles. Elle ne demande la présence de sa mère que pour décider des honoraires et de la fréquence des séances. La première séance est une négation totale de la nouvelle situation et de la relation nouvelle avec moi. Elle me parle comme si elle me connaissait déjà et comme si je la connaissais elle et tous ses problèmes. Au cours de la séance, elle parle de sa mère, de son père, de son frère et de son fiancé, et même de Jorge, un jeune homme qu’elle a vu en rêve et dont je devinerai qui il est au cours des séances suivantes. Elle ne me parle pas d’elle mais de ses objets ; ou plutôt la seule façon de me parler d’elle est de me parler de ses objets. Intérieure­ ment, apparemment, elle n’a rien. Elle est répartie en chacun des objets. Elle est elle-même tant que le groupe familial se maintient ; qu’il se désagrège et c’est elle-même qui se désagrège. Elle me parle, mais non comme à une personne différenciée de sa propre identité ; elle répond « oui », « exact », « bien sûr », à toutes mes interprétations mais elle ne prend pas vraiment contact avec moi de façon directe. Je suis un dépositaire pour ses objets. Le fait de ne pas me reconnaître comme personne différenciée, distincte, implique un déficit de la formation de la personne et de son propre sentiment d’identité. Pour ne pas se sentir angoissée, elle doit rebâtir sa famille dans la relation avec moi. En sortant de la séance, elle reste coincée dans l’ascenseur, entre deux étages, audessus du mien. Nous pouvons dire qu’au cours de cette première séance — et longtemps après — se produisent des événements importants : a) La verbalisation est facile et fluide. Le matériel qu’elle offre est abondant. Elle « inonde » et « envahit » avec ce matériel. Nous rendons compte de cette particularité dans la transcription de la séance afin que le lecteur puisse ressentir le vécu contre-transférentiel. b) En même temps, elle me tient à distance, ne me laisse pas vraiment pénétrer son monde ; c’est-à-dire qu’elle-même garde ses distances.

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c) Ce qu’elle exprime verbalement n’est pas un simple dire mais une manière d'agir, de faire quelque chose avec moi et avec elle-même : une tentative pour me remplir de choses qu’elle ne peut garder en elle et pour me contrôler afin que j’agisse comme elle en a besoin tout en évitant la réintrojection. Je dois être dépositaire de ses objets. d) Tout ceci signifie le besoin de conserver les différentes parties d’elle-même divisées et séparées. Elle a effectué sur moi une projection intense et massive d’objets qu’elle projetait auparavant de façon fragmentée dans chaque membre de sa famille. La distance qu’elle maintient entre nous deux tend à éviter la réintrojection et à protéger son monde intérieur. Elle tente de recréer, dans la relation de transfert, sa dépendance envers son groupe familial car ce dernier ne remplit plus bien sa fonction de dépositaire des objets projetés. La peur de la réintrojection est d’autant plus grande que je suis seul à agir en dépositaire et qu’elle n’est pas sûre que j’assume pleinement ce rôle. Nous nous trouvons devant une fragmentation et une dissociation du processus de projection-introjection, avec une organisation conséquente du projeté et de l’introjecté. Cette organisation donne à la dissociation stabilité et permanence. Je souligne qu’il ne s’agit pas d’une paralysie mais bien d’une dissociation du processus de projection-introjection. Lorsque Maria Cristina sort de la première séance, elle reste coincée dans l’ascenseur. Le processus de projection, le fait de « déposer » ses objets, a été si massif qu’à la fin de la séance elle reste elle-même enfermée dans l’objet dépositaire réintrojecté. En prenant l’ascenseur, elle appuie sur le bouton de l’étage supérieur comme si elle était au rez-de-chaussée et arrivait à la séance. L’acte de déposer n’avait pas réussi : il ne s’était pas transformé en délégation ou en actuation. A la fin de la séance se produit cet incident claustrophobique, tentative pour se protéger du danger que représente la perte du contrôle de ses objets et — par conséquent — de son propre moi. Nous pouvons rechercher dans son passé d’autres défenses contre la réintrojection : l’évanouissement au cours de la crise nerveuse, le bombardement signifiant un danger de réintrojection massif et brusque, tout comme les caractéris­

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tiques de sa projection antérieure. L’évanouissement fut une fuite et une échappatoire à ce danger, les convulsions une expulsion du réintrojecté ; la peur de dormir une peur de perdre le contrôle de la dissociation (équivalent à un retour du refoulé). Evolution S’il est difficile de rendre compte de façon tout à fait exacte à ce jour du traitement psychanalytique de Maria Cristina, on peut cependant dire de façon schématique qu’il a passé par trois grandes étapes fondamentales : la première au cours de laquelle elle répondait à mes interprétations par un « oui », « bon », « c’est vrai » ; la seconde où mes interprétations étaient suivies d’un court silence, après quoi elle reprenait le fil de ce qu’elle avait dit auparavant ou changeait de sujet tout en répondant inconsciemment à l’interprétation. Enfin, la troisième, au cours de laquelle elle répondait à mes interpré­ tations avec un « Mmm » qui exprimait l’étonnement et la découverte. Nous voyons que ces trois types de réponses correspondent, dans la relation de transfert, à la diminution progressive de la distance et à une augmentation de la « per­ méabilité », liées toutes deux à une augmentation de 1 'insight corrélative à une diminution graduelle des angoisses et au rétablissement relatif du processus de projection-introjection. La première étape se caractérise par un effort constant pour conserver telles quelles les situations par crainte et pour se défendre de l’introjection, par peur de tout changement et de l’examen de ses propres contenus. Au cours d’une des premières séances, elle parle de sa peur de l’obscurité et de son effroi lorsqu’en ouvrant une armoire elle pensa qu’elle allait y trouver quelque chose en trois morceaux. Elle se tut puis déclara qu’elle avait eu le fantasme d’une tête qui se mettait dans sa bouche. L’interprétation que je donnai fut qu’elle avait peur que je l’oblige à voir les choses qui étaient en elle et qui se composaient de trois parties : sa mère, son père et son frère. Il fut possible de confirmer ultérieure­ ment, grâce à d’autre matériel, qu’elle redoutait effectivement de s’examiner intérieurement ; elle n’était pas sûre de moi en tant que dépositaire parce qu’elle craignait qu’à tout moment je lui renvoie violemment tout (dans la bouche).

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Les angoisses paranoïdes étaient essentiellement liées à son agression et à son avidité projetées respectivement sur son père et sur sa mère. Le premier prenait la forme du fantasme de Frankestein et la seconde de Dracula ; elle rêvait souvent de morts, d’araignées, et rêvait quelquefois en couleur. La seconde étape de l’analyse débuta lorsque s’établit, dans le transfert, la relation symbiotique ; elle n’avait de cesse de vouloir convaincre son fiancé de s’analyser avec moi et, bien qu’elle ne l’eût jamais dit ni explicitement demandé, elle acceptait mes interprétations en ce sens ; mais en revanche, elle poussa son frère à s’analyser avec une de mes amies. Cette attitude répondait à plusieurs objectifs ou besoins : aider son frère, contrôler et apaiser ma femme à cause de ses fantasmes œdipiens. Le conflit représenté par l’union de ses parents avec ses séquelles d’agression et de culpabilité se déplaça totalement sur la relation de transfert. Le thème de l’analyse de son frère disparut complètement du matériel des séances. Lorsque son frère alla mieux et reprit ses études, sa culpa­ bilité diminua en même temps qu’apparut le désir de l’avan­ tager. Elle rentra alors en rivalité ouverte avec moi. A partir de ce moment, elle ne parla plus de ses études. Une longue période de transition comprenant une grande partie de la seconde et de la troisième étape de l’analyse — où elle se trouve encore maintenant — donna lieu à des phénomènes particuliers que j’examinerai plus en détails : la fragmentation et le contrôle dans l’espace de ses angoisses paranoïdes et la participation du corps en tant que buffer à la réintrojection. Fragmentation, dissociation et contrôle dans l'espace En raison de l’organisation première de la famille, les dif­ férentes villes (Santa Fe, Rosario, Buenos Aires) devinrent, par déplacement, dépositaires de relations diverses : Santa Fe représente sa dépendance (oralité), Buenos Aires sa tentative d’indépendance et de maturité (génitalité) et Rosario sa rivalité. Chaque ville est utilisée comme défense et comme refuge face aux conflits qui surgissent dans les autres. En J. BI.EGER

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conséquence, ses symptômes apparaissent pendant les voyages (lien entre un lieu et un autre) et l’analyse se centra alors sur eux. Puis surviennent une dissociation et une fragmen­ tation à propos de chaque ville ; par exemple lorsqu’elle est à Santa Fe elle reste chez elle et ne sort pas, ne voit pas ses amies ni ses relations, dissociant par là et une fois de plus sa dépendance (la maison) de l’indépendance (ses amies) ; à Buenos Aires elle arrive en retard aux séances et à Rosario elle évite l’hôpital de façon phobique. Lorsque je me rendis pour la première fois à Rosario pour y donner quelques cours, elle s’évanouit à l’hôpital, endroit qui était au centre de sa rivalité avec moi et qui, du fait de ma présence, vint s’ajouter à ses tentatives d’indépendance et de génitalité. Cette fragmentation de l’espace est la projection de la fragmentation de ses conflits, ce qui rend possible une réintrojection progressive, fragmentée et contrôlée, en même temps qu’une élaboration graduelle en « fragments » ; un travail patient s’échelonnant sur plusieurs mois et qui semblait totalement improductif permit cependant plus tard à Yinsight d’apparaître sous forme condensée et explosive comme nous le verrons plus loin. La fragmentation des conflits (fragmen­ tation des objets, du moi et de leurs rapports) fut utile pour leur réélaboration graduelle, peut-être parce que la relation symbiotique est une relation qui condense une grande quantité de choses fort complexes et fort contradictoires qui demandent à être émiettées avant d’être peu à peu réintrojectées et pro­ gressivement élaborées. La réintrojection et le corps comme buffer La réintrojection ne peut se faire que par « petites doses » et à un rythme approprié ; si l’on dépasse un certain « seuil », la réintrojection agit comme un brusque retour du refoulé ; dans le cas présent, la réintrojection peut avoir lieu au niveau du corps, ce qui implique déjà un certain degré possible de réintrojection mais signifie aussi que le corps est utilisé comme un buffer veillant à ce que l’équilibre au niveau mental ne soit pas altéré. J’appelle cette fonction du corps buffer parce que le sens premier de ce terme s’applique aux solutions qui

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s’opposent ou qui amortissent tout changement d’acidité ou d’alcalinité du milieu (le corps buffer, mécanisme homéosta­ tique). Pour illustrer cet exemple, je rapporterai une séance qui eut lieu après presque deux ans d’analyse et que j’ai choisi à cause des circonstances qui rendirent le phénomène plus évident. Ce fut un lundi, après qu’elle eut annulé une séance et moi une autre. Le samedi précédent, elle avait assisté à un de mes cours à Rosario. Elle savait qu’après cette séance j’allais m’absenter une semaine. 1 ) Elle arrive à l’heure. Elle croise les bras puis prend son poignet gauche : « Je ressens la même chose que samedi der­ nier. Une légère sensation de confusion. » Elle raconte que ce samedi-là elle rencontra une de ses amies et son frère dans un café et qu’ils passèrent des heures à étudier les dessins d’une malade schizophrène : « Et tout à coup, j’ai commencé à me sentir mal ; une confusion et une sensation qui me ser­ raient le cerveau. Je manquais d’air et j’avais envie de partir en courant. Je me suis calmée mais j’avais l’impression que mon cerveau n’était pas à moi. Même chose en entrant à votre cours, quand vous êtes arrivé je me suis calmée. Puis nous avons pris le bus et j’ai ressenti une grande confusion : je suis restée seule et je sentais que j’étais assise mais qu’en même temps je n’étais pas dans l’autobus, que je courais à côté. J’ai eu peur et je suis descendue. Il pleuvait et cela m’a rafraîchie. Avant, quand je pleurais et que je tremblais, je n’avais pas peur de devenir folle. » Cette sensation de confusion qu’elle ressent en venant à la séance est la même que lorsque je me suis rendu à Rosario. Deux parties qu’elle maintenait séparées et divisées se mélan­ gent. A ceci vient s’ajouter le fait que si d’un côté elle me conserve comme un objet très frustrant (j’ai annulé une séance et je pars pour une semaine), de l’autre elle m’intériorise en tant qu’objet libidinal et idéalisé en utilisant mes connais­ sances pour interpréter les dessins de cette schizophrène. Mon voyage à Rosario fait qu’elle ne contrôle plus la division de l’objet (frustrant et idéalisé) dans la séparation spatiale, ce qui est aussi cause de confusion. L’introjection échoue et ne peut être conservée parce que la rencontre de l’objet frustrant et de l’objet idéalisé provoque la

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folie et c’est alors qu’elle se sent oppressée de l’intérieur (manque d’air). Elle redevient calme lorsque peuvent avoir lieu la division et le contrôle de la partie introjectée à l’inté­ rieur du corps : « Je me suis calmée mais j’avais l’impression que mon cerveau n’était plus à moi », ce qui veut dire que l’identification introjective était refusée, que les connaissances m’appartenaient, qu’elle ne pouvait pas intérieurement les accepter parce que l’objet introjecté était chargé de sa propre avidité et de son propre besoin de contrôle. Elle se sent calme lorsqu’elle me voit entrer au cours car elle vérifie ainsi que je ne suis pas en elle mais en dehors d’elle et que donc je ne peux ni la contrôler ni la détruire comme elle-même ne m’a pas détruit par sa colère contre les frustrations. Le cerveau fonc­ tionne dans la division corps-esprit de la même façon que dans la division dans l’espace, c’est-à-dire en contrôlant la sépa­ ration de deux sentiments distincts ou de deux parties de la division de l’objet. Elle-même signale que lorsqu’elle était prise de tremble­ ments et de convulsions tout était moins angoissant et plus facile, tandis que maintenant qu’ils ne se manifestent plus, elle a peur de devenir folle. Les tremblements et les convulsions lui servaient de « barrière » pour ne pas avoir à expérimenter « la peur de devenir folle ». Lorsque la division corps-esprit est à nouveau sur le point d’échouer, survient un dédouble­ ment total : elle sent qu’elle est assise et qu’en même temps elle court à côté de l’autobus. Il s’agit d’une tentative de rétablir la division entre objets persécuteurs et objets protecteurs : d’une part l’autisme (rester assise sans moi avec ses objets intérieurs) et d’autre part la symbiose (courir à côté du bus comme si elle partait en voyage avec moi). Cette apparition du phéno­ mène du « double » se produit pour échapper à la confusion de se voir elle-même confondue avec le psychanalyste. 2) Je lui interprète que sa confusion vient de ce qu’elle est furieuse que j’ai annulé une séance et que je l’ai abandonnée pour une semaine et qu’elle s’efforce de ne pas détruire par la colère ce qu’elle a pris de bon et de valable en moi. 3J Elle répond :