Sullana varia: aux sources de la première guerre civile romaine 9782701802428, 2701802423

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Sullana varia: aux sources de la première guerre civile romaine
 9782701802428, 2701802423

Table of contents :
Préambule......Page 4
Introduction. Les sources sur la guerre civile......Page 5
I. L'année 88......Page 25
La lex de dictature creando et la collation......Page 40
L'intitulé de la dictature......Page 46
La durée de la dictature......Page 53
III. La prolatio pomerii......Page 58
La male mort......Page 68
Suicide et belle mort......Page 80
V. Le pro Roscio......Page 92
Le statut des liberi proscriptorum......Page 104
Le débat autour de la lex Plautia......Page 111
VII. Les séquelles de la proscription......Page 118
Un proscrit : C. Norbanus......Page 119
Un fils de proscrit : C. Vibius Pansa Caetronianus......Page 123
Conclusion. L'énigme, l'exemplum et le mythe......Page 128
Abréviations......Page 143
Publications......Page 144
Index nominum......Page 155
Index Locorum......Page 158
Table des matières......Page 162

Citation preview

DE L'ARCHÉOLOGIE À

François

L'HISTOIRE

HINARD

SVLLANA VARIA Aux sources de la première guerre civile romaine

D E BOCCARD

^ S ! ^ ^ G I E À ^ ^ T OIR E

François

HINARD

S V L L A N A VARIA Aux sources de la première guerre civile romaine



Préambule

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rt io„\ ^natoir :eur sertorien), comme ilVavait différent I S ^ ' " questeur) „. „ fils). Mais i l y avait aussi des nom™ ' chaque camp pere qui avait si peu de prénoms et si ~ „ £ " , ? fréquentes dans un monde bien faites pour égarer le prosooo Droson granh nartS f « e n t s , homonymies Dolabella de la même é p o q S ^ S ^ ; ° - Con.cn, deuxième proscription, à l'occ^i™ ï i » ' Poqm de li ' plèbe avait fait affiche m ^ M ^ S ^ ^ Terentius Varro tribun de L nyme proscrit : i l craignait "qu- ' - > " ne lui arrivât la même mésaventure qu ° o « d u avec L,. L. Sw5 S f i Cornélius Cinna En somme, le rapprochement des documents numismatiques textes littéraires nous a appris au moins une chose, c'est que les consuls ne s'en remettaient toujours au sort pour l'affectation de leur questeur: il est très vraisemblable que Fabius Hispaniensis ait été un bon connaisseur de l'Hispanie d'où sa famille était issue, comme probablement aussi Tarquitius. En d'autres termes, Annius, comme avant lui Sertorius, s'était entouré de personnages qui des compétences propres à la province qui lui avait été assig 45 Les monnaies de la période suivante posent Iles aussi, de nombreux problêmes d'interprétation (pour ne rien dire de la datation). Un seul exemple suf fira: une émission de Faustus Cornélius comporte, entre autres, une représentation d'une déesse (buste au droit premier denier avec, au revers, la remise de Jugurtha à Sylla ; en big< •nant un lituus au revers pour le second avec, au droit, un buste d'Hercule à moins qu'il ne s'agisse de Bocchus). Or cette déesse est interprétée comme Diane, tantôt comme la de nos connaissances, il est Venus panthée protectrice de Sylla. En l'< est fonction de l'idée de trancher parce que toute qu ' on croit avoir été la sienne qu'on se fait du personnage de Sylla et de dans les décennies qui ont suivi. c n t M X

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' éairroî) 8oKi[idaeie fait écho au es ôaov GéXoi qui, au paragraphe précédent indique la durée prétendument indéterminée de la dictature. 33

Et précisément cette mention legibus scribundis fait difficulté dans la mesure où elle paraît redondante avec rei publicae constituendae puisque la restauration de l'Etat passait nécessairement par l'établissement de lois nouvelles et puisqu'en tout état de cause les Fastes Capitolins ne donnent que rpc . Si elle est retenue par beaucoup d'historiens modernes à la suite de Th. Mommsen , c'est parce qu'un scholiaste de Cicéron fait un commentaire au pro S ex. Roscio en écrivant : Valerius Flaccus praetor sullanis temporibus fuit. Hic tulit legem : 34

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quicquid Sulla dixisset lex esset. Si quid ergo ad populum tulisset Sulla ualebaî lege Cornelia ; si quid uoluisset facere et non tulisset ad populum, hoc ualebaî lege Valeria *. Mais la monstruosité institutionnelle est telle qu'il est difficile de 3

ne pas voir là une transcription d'un thème polémique : on sait biènque c'est un procédé classique de définir une institution qu'on combat par une caricature de certains de ses effets potentiels. Et c'est Cicéron lui-même qui, parce qu'il n'a jamais cessé de dénoncer le caractère exorbitant du pouvoir confié à Sylla, a joué le rôle le plus déterminant dans ce processus : Ille de quo legem populus Romnus iusserat ut ipsius uoluntas ei posset esse pro lege . . . On est en droit de penser que le scholiaste avait ce texte en tête lorsqu'il rédigea sa note. Th. Mommsen a fait observer que toutes lois organiques de Sylla ou de César ont été soumises aux comices, ce qui revient à dire qu'à supposer que le pouvoir de promulguer des leges datae ait caractérisé leur magistrature, ce dont on peut 39

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33. App.,£C 1,462. 34. Sur le sens de Rem Publicam constituere v. C. Nicolet [1964], 226-228. 35. Un certain nombre d'auteurs ont mis en doute la validité de cette partie de la titulature : H. Bellen [1975], 559-560 ; T. Hantos [1988], 69 36. Inscr. Ital. 13, 3, 1, 130; v. aussi, A. Degrassi [1954], s. a.: [L(ucius) Cornélius L(uci) f(ilius) Sulla] / Félix / d[ictator r(ei) p(ublicae)] co[nst(ituendae)]. Déjà H. Bellen [1975], 559-562 avait émis de sérieux doutes sur la validité de cette appellation l.s. chez Appien. Et, plus récemment, W. Kunkel, R. Wittmann, H. Galsterer & C. Meier [1995], 703, ne retiennent que r.p.c. 37. DP 4, 427. V. en particulier E . Gabba, comment, ad loc; A. Keaveney [1982], 161 ; en dernier lieu, A. Baroni [2007], 785-791, qui transforme bravement l'expression en legumferendarum comme si cette nouvelle formulation avait quelque vraisemblance. Une exception notable, celle de D. McFayden [1930], 65. 38. Sehol. Gronou. 314,7-10 St.. 39. Cic.,IWerr. 3,82.

légitimement douter, ce pouvoir n'avait jamais été activé. On observera d'ailleurs que les Triumvirs, qui avaient calqué (comme ils l'avaient expressément fait aussi pour la proscription) les pouvoirs de leur nouvelle magistrature sur ceux qu'avait détenus Sylla, furent simplement IHuiri rei publicae constituendae : à cette occasion ils évoquent la titulature même de leur prédécesseur : ... €T€ p 0 9

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, formule qui, en effet, peut se traduire par «un autre personnage qui, avant nous, fut dictateur et qui, lui aussi, rétablit l'État [rem publicam constituit] en proie à la guerre civile .» 41

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On remarquera, par ailleurs, qu'Appien, qui prétend reproduire (au discours indirect) les termes mêmes de la missive que Sylla aurait envoyée à L. Valerius Flaccus pour lui demander d'obtenir du peuple le vote d'une loi décidant de la création d'une dictature, lui fait dire: «Sylla estimait que, étant donné la conjoncture, ce qui serait utile à la cité, ce serait la magistrature appelée «dictature», dont l'usage était tombé en désuétude depuis quatre cents ans. Celui qu'ils éliraient, i l entendait qu'il exerçât le pouvoir non pas pour une durée déterminée, mais jusqu'à ce qu'il eût redonné leur stabilité à la cité, à l'Italie et à l'empire entier, ébranlés par les séditions et les guerres.» Et il ajoute: «Celui qui avait donné lecture de l'avis le rapportait à Sylla lui-même et il n'y avait pas d'équivoque : Sylla ne s'était pas retenu, à la fin de sa lettre, de dévoiler qu'il pensait que, dans cette tâche également, c'était lui qui rendrait les plus grands services à la cité . » I l est tout à fait invraisemblable que Sylla ait lui-même souligné la désuétude de la dictature et on sait que la dernière fois que cette magistrature fut conférée ce fut en 202. Nous sommes donc en face de deux contradictions : celle de la date de la dernière dictature par rapport à ce que nous savons des fastes de cette magistrature et celle de sa désuétude soulignée par Sylla lui-même. La seconde est assez facile à résoudre : il ne s'agirait que d'une véritable provocation, nouvelle preuve que Sylla serait affecté de tous les vices caractéristiques du véritable tyran . La solution de la première peut se trouver dans un texte de Denys d'Halicarnasse jamais cité : en 483 une violente polé43

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41. App., BC 4, 39. On fera observer, au passage, que cette précision exclut que les dictatures de César aient pu être ainsi qualifiées. 42. Cette référence explicite à Sylla de la part des triumvirs, et l'intégration de la mention RPC à leur magistrature incite évidemment à supposer une telle qualification pour la dictature de 82, malgré B. Wosnik [1963], 100-101. 43. App., BC 1,459. 44. E . Gabba [1956], 96 & n. 2, propose une explication peu convaincante à cette «grossière erreur» : selon lui, Appien se serait inspiré, pour décrire la dictature comme une tyrannie, du passage dans lequel Denys d'Halicarnasse présente la première, celle de T. Larcius, comme une magistrature bénéfique et qui l'est restée jusqu'à la troisième génération avant la sienne (5, 77, 2) ; et un peu plus loin (§ 4), il précise qu'environ quatre cents ans après Larcius Sylla exerça une véritable tyrannie qu'il évoque de façon très schématique (§ 5 ; v. E. Gabba [1996], 126-127). Appien aurait donc simplement reproduit l'estimation de Denys. 45. C'était déjà l'analyse de P. Cantalupi [1900 (1971)], 102. 46. Texte qui m'a été signalé par G. Poma que je consultais sur l'année 482.

mique s'était élevée à propos du nom des candidats pour l'année suivante, les patriciens ayant l'intention de faire élire deux personnages des leurs, notamment Ap. Claudius qui passait pour être l'ennemi le plus déterminé de la plèbe, et les tribuns empêchant par tous les moyens la tenue des comices. Les élections n'ayant pas pu se tenir à temps, Denys écrit que l'année suivante, quatre cents ans donc avant la dictature de Sylla, certains sénateurs envisageaient de choisir «pour les élections des magistrats un dictateur [ôiKTcrropct éXéaOcu r&v àpXoapeoriâv ë v e r a ] (...) et que ce dernier, une fois investi de son pouvoir, chassât les fauteurs de troubles hors de la cité et redressât les éventuelles erreurs commises par les précédents magistrats et, après avoir établi la forme de gouvernement correspondant à son désir [TOV Te Koapov TOI) TroXiTeupotTos ôv PouXeToa KaTaaTr|aàpevov], remît les magistratures aux hommes les meilleurs .»; d'autres de désigner des interreges simplement chargés «de veiller à ce que les élections concernant les magistratures se déroulent de la meilleure manière . » En définitive, ce fut le second avis « le plus modéré » qui l'emporta et on désigna A. Sempronius Atratinus comme interrex, mais, ajoute Denys, quant au reste des magistratures, elles furent supprimées [al ôè âXXai KonreXuGïiaav àpxat]-» 47

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Peu importe, en l'occurrence que l'épisode (que ne rapporte pas Tite-Live) ne soit qu'une invention de 1 'annalistique, comme a voulu le démontrer F. Munzer , puisque la tradition en était solidement établie et que la magistrature a pu servir de référence: pour F Bandel , qui donne pourtant Sempronius Atratinus dans sa liste de dictateurs avec la titulature comitiorum habendorum causa en reproduisant une notice de Lydus , i l s'agissait en réalité d'un interrex . L'essentiel est qu'il y a une parenté évidente entre la titulature de la dictature que Denys d'Halicarnasse écrit avoir été imaginée à l'époque (TOV TÉ KOOpov TO0 TToXiTeupaTos ... KaTaoTqadpevoy) et la titulature qu'Appien dit avoir été celle de Sylla (êtrl [ . . . ] KaTaorderei TT\S TroXiTeiaç) et celle des Triumvirs dont nous savons par ailleurs qu'elle se disait en latin Rei Publicae constituendae (eni KonrctaTàoet T&V TrapovTcov). Et comme les faits que rapporte Denys sont censés être ceux de l'année 482, cela fait bien, j ' y insiste, les quatre cents ans qu ' Appien met entre la dernière dictature de cette ampleur et celle de Sylla. 49

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Dès lors on peut légitimement faire l'hypothèse qu'il y avait deux versions de la tradition que Denys avait trouvée et qu'il a fait le choix de la seconde, qui présentait Sempronius Atratinus avec une charge qui se limitait à la tenue des

47. Dion. Hal. 8,90, 3. Le texte et la traduction sont de N. Monleau qui prépare r édition dans la CUF. 48. Ibid. 4 49. Re Sempronius 20. 50. F. Bandel [1910 (1987)], 13-14, s. a. 83 51. Mag. 1,38. 52. En ce sens, v. aussi MRR s. a. 482.

comices consulaires (TÛV àpxctipeaiôv eveica); mais comme la situation paraissait trop bloquée pour qu'un interroi puisse obtenir un apaisement de sa seule autorité i l a bien été obligé d'introduire une clause particulière (al Ôè dXXai KaTeXtjGriaav àpxai) qui renvoie sans aucun doute à la soumission des magistratures ordinaires par la dictature. En d'autres termes, l'histoire était plus cohérente si elle comportait la nomination d'un dictateur, seul magistrat capable de surmonter l'opposition des tribuns, mais comme Denys s'est appliqué à montrer que les différentes dictatures de l'époque républicaine, avant celle de Sylla, avaient été gérées dans un esprit de réconciliation , il ne voulait pas légitimer par un précédent un pouvoir qu'il jugeait exorbitant et qu'il accusait Sylla d'avoir exercé de façon tyrannique : c'est d'autant plus évident que lorsqu'il parle de lui, i l affirme qu'il fut le premier à en user avec dureté et cruauté (ïïiKpâç ... Km (upcos) depuis à peu près quatre cents ans (b\iov n TeTpaKo(TLCOV ÔKryevopevov €TrsqU

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dans m mutilation qui oblige la victime à en être X ^ ^ ^ te aussi des indications qui laissent à penser au'ÏW*™ is on collective (hic, alius, Me) d'un corps vivant Et nui* Ï ? , tilation S e n t i t é ainsi subie par la victime: « k 1 £ C ^ ^ ? * * « * brouiller les traits de Marius comme ceux d'un être s a T ° se plût fallait pas qu'on r i t le rec plût àà contempler contempler ce ce crime crime et et ce ce massacre, massacre, ne ne fallait-il Etre ?» Et pour terminer avec cette troisième «tradition», il convientde naître er Firmicus Maternus qui n'ajoute certes pas grand-chose mais qui prés« citer les mutilations dans un ordre qui nous intéresse puisqu'il fait '™ •>-«•x «EKOVTCS, àXX* VIT' âvâyKT)$ ou8è i T p l v eiTeXOeiv airrôv es rf|v T r a T p i ô a ovv Ô T T X O L S KOÙ ToaowSe ical Toiowoe dyaOoùs T T O X I T U Ç KaTaKaveîv, ê0é|xe9a. On sait, en effet, que c'est après Thapsus que César fit exécuter un certain nombre de personnages en vue : Faustus Sulla, Afranius, P. Cornélius Lentulus Spinther (cas. 75), mais aussi Pompeia et les enfants qu'elle avait eus de Faustus. Et si on doit en croire certaines sources le massacre a été plus important qu'on ne le dit ordinairement : Bell. Afr. 85,9 ; App., BC 2,416 ; Plut., Caes. 53,7. 76. App., £ C 4,12. 77. Dio47,13,4. 78. F. Hinard [1985], notamment 239-244. 79. Plut., Cato min. 70, 8 : T Ô Çityos ; cf App., BC 2, 99. On s'accorde en général pour admettre qu'en cette année 46 il était propréteur (MRR sa.). 80. Plut., cit. Appien (cit.) dit : îmô T Ù OTepva.

rouvrir avec ses ongles la plaie que le médecin avait refermée (à la manière d'une bête sauvage, dit Appien). I l n'empêche : on sait bien que César se serait lamenté que son adversaire l'ait empêché de lui faire grâce et que cette mort volontaire est restée un thème de débats, voire de diatribes politiques , préciséent parce qu ' elle était une belle mort . 81

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Apparemment, i l en fut de même quelques années plus tard avec le suicide des tyrannicides vaincus à Philippes et les variantes ne concernent, semble-t-il que le modus opérande Ainsi Brutus qui se tua vraisemblablement en se transperçant le cœur de son épée (TÔ £u|>os, écrit Appien ) par la voie directe, si je puis dire, c'est à dire en maintenant la lame de la main droite de façon à ce qu'elle pénètre précisément entre les côtes . I l mourut dans l'instant et lui aussi est resté dans la mémoire des Romains comme celui qui, parce qu'il cultivait la vertu, avait voulu rendre la République aux citoyens . Et les anciens de citer les vers tragiques qu'il aurait prononcés avant de se tuer . Pourtant, il semble bien que sa tête ait été tranchée et expédiée à Rome sans que, d'ailleurs, cela empêche Antoine de lui faire rendre les honneurs funèbres . 83

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Reste le cas très intriguant de Cassius. Certains textes nous apprennent simplement qu'il se donna ou se fit donner la mort , sans autre précision. Et quelques uns ajoutent, comme un détail extraordinaire, qu'il mourut avec l'épée qui lui avait servi à tuer César: ©aujiaçjLcoratov 8è T&V fièv àvGpœmvtûv TÔ ïïepl Kdaoïov • r|TTT|0€ls y à p ev OLXITTTTOLÇ, emiviù T Ô £i(f)iôiû) 8i0€ipev èauTÔv $ KctTà K a i o a p o ç ê x P Ï Ï ^ ^ - Pourtant, de plus nombreuses sources, apparemment peu suspectes d'appartenir à une tradition unique, nous disent clairement qu'il se fit trancher la tête par un affranchi, en somme qu'il se suicida par décapitation. C'est le cas, notamment de Velleius Paterculus : ... lacerna caput circumdedtt eMMmtqw ceruicem interritus liberîo praebuit. Déciderat CassU caput, cwn emcâms aduenit nuntians Brutum esse uictorem . 88

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mort

81. R. J . morte m, a embarrassé plu 82. Ce qui ne eux, devait restei

.BC4,131 84. Velleius (H, 70 rement la plus exacte) de mucronem cor emicat, tm

recommandé le recours au suicide qui, pour

description la plus détaillée (ce qui ne signifie pas nécessaide procéder: reiectoque laeuo super caput bracchio, cum

admouisset mammillae ad eum ipsum locum, qua dextera tenens uulnus uno ictu transfi

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.51,1 et Dio 47,49. 87. Dio moururent servi pour l'assassinat de César» (TOI s £t*

Mais on trouve la même indication chez Florus et chez Plutarque et on peut penser que la formulation, plus allusive, d'Appien ou d'Orose , évoque cette façon de se faire donner la mort. 92

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On n'a pas, selon moi, prêté assez d'attention à ce cas, unique à ma connaissance, d'un suicide par décapitation. Sans doute cette mort a-t-elle été traitée comme une belle mort. C'est, en tout cas, l'amalgame des deux «Libérateurs», Brutus et Cassius, qui a en quelque sorte favorisé l'image positive d'un procédé de mort volontaire qui avait de quoi choquer plus d'un citoyen, même parmi ceux qui avaient embrassé la cause des tyrannicides. Et pourtant on trouve, chez Valère-Maxime un pamphlet d'une rare violence contre ce personnage poussé à subir le châtiment le plus déshonorant par une démence dont l'origine se trouvait dans la monstruosité de son parricide . D'une certaine façon, la pudeur manifestée par certaines sources pour évoquer cette mort volontaire hors du commun prouve le malaise qu'elle avait dû susciter chez les Romains. 96

On a donc quelques raisons de se demander comment une mort pareille a pu passer pour une belle mort et, avant tout, pourquoi Cassius avait choisi délibérément ce mode s'apparentant à l'exécution publique d'un condamné à ceci près que c'est avec un glaive que le coup a été porté et non avec une hache. Appien imagine d'ailleurs que Pindarus, qui a disparu après la mort de Cassius, l'avait peut-être égorgé de sa propre initiative . Cette gêne s'explique par le fait que Cassius avait sans doute donné des ordres précis sur la façon dont i l voulait mourir et c'est probablement là qu'il faut chercher un éclaircissement. Les hor97

92.2,17,13: ... cum speculator quoque in id missus tardius nuntiaret, transactum de partibus ratus uni ex proximis auferendum praebuit caput. 93. Plut., Brut. 43, 8: ... TOT € 8è Tàç x^ Pu8as é m a

K€a\f|v àvayaytùv KCU yupvwaaç TÔ Tpdxr|Xov àîroKo^ai Trapéaxev. EûpéGï] yàp f| Ke4>a\f| 8ixa TOU awpaToç. zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA

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94. App.,2?C4,113: ïltvôapos pèv 8f| 8ecnr6TT)v, UTréxovTa rr\v a$âyr\v StexpiFcrro. 95. Oros. 6,18,16 : Quare ad desesperationem adacti Brutus et Cassius immaturam sibi mor9

tem ante belli terminum coegerunt. Nam inuitatis percussoribus Cassius caput, Brutus lotus praebuit. Même formulation non explicite dans uir. UL 83,4 : Gaius Cassius Longinus (...)ab Antonio uictus, cum eamdem fortunam Bruti putaret, qui uicerat, Pindaro liberto iugulum praebuit. 96. Val. Max. 6, 8, 4: Alla nobilitas, alius furor, sed fidei par exemplum. Pindarus Cassium Philippensi proelio uictum, nuper ab eo manumissus, iussu ipsius obtruncatum insultationi hostium subtraxit seque e conspectu hominum uoluntaria morte abstulit, ita ut ne corpus quidem eius absumpti inueniretur. Quis deorum, grauissimi sceleris ultor, illam dexteram, quae in necem patriae parentis exarserat, tanto torpore inligauit, ut se tremibunda Pindari genibus summitteret, ne publici parricidii quas merebatur poenas arbitrio piae uictoriae exsolueret ? tu profecto tune, diue Iuli, caelestibus tuis uulneribus debitam exegisti uindictam, perfldum erga te caput sordidi auxilii supplex fieri cogendo, eo animi aestu compulsum, ut neque retinere uitam uellet nequefinire sua manu auderet.

Il est significatif que, pas plus que le suicide de Catulus ou celui de Merula, la mort de Cassius n'ait suscité d'intérêt particulier (E. Rawson [1986], qui affirme «Cassius, possibly a more interesting, because a more ambiguous, figure than the virtuous Brutus ... », ne cite pas ce texte de Valère-Maxime), comme si, en définitive, la façon de se donner la mort ne relevait que de l'anecdote, de l'intendance même, en quelque sorte. 97. BC 4,113.

reurs inimaginables auxquelles avaient donné lieu, dans les générations précédentes, les règlements de compte entre factions rivales, avaient amené à modifier les comportements de ceux qui étaient les plus exposés et on peut imaginer qu'ils avaient trouvé, dans la philosophie, non seulement des justifications à leur activité et à leurs choix politiques, mais aussi des guides de vie (et de mort) qu'ils s'appliquaient à suivre avec plus ou moins de détermination. On sait bien que Caton avait fait des idées stoïciennes sa règle et que, dès 63, Cicéron l'avait brocardé : Hoc homo ingeniosissimus, M. Cato, auctoribus eruditissim inductus arripuit, neque disputandi causa, ut magna pars, sed ita uiuend Petunt aliquid publicani : caue quicquam habeat momenti gratia ; supplice qui ueniunt miseri et calamitosi : sceleratus et nefarius fueris si quicquam m ricordia adductus feceris . . . " Rien d'étonnant, donc, à ce qu'au moment de prendre la décision de se donner la mort i l ait eu un entretien avec deux philosophes, l'un stoïcien et l'autre académicien , avant de relire trois fois le Phédon : cela ne signifie pas qu'il ait été éclectique, simplement cela veut dire que sur une base stoïcienne, i l avait, sa vie durant, continué de débattre des grands problèmes et, notamment, des choix politiques qu'il avait été amené à faire. En l'occurrence, ces réflexions avaient entraîné une conception de la belle mort qui n'était guère éloignée de celle dont la mentalité aristocratique des générations précédentes était porteuse. Pour ce qui était des tyrannicides, eux aussi avaient cherché une justification à leurs choix politiques dans les systèmes philosophiques qui avaient leur préférence : l'Académie pour Brutus, le Jardin pour Cassius . En ce qui concerne Brutus, on sait qu'il était entouré d'amis philosophes, comme P. Volumnius , mais on se rappellera aussi ses dernières paroles, que rapporte Plutarque , et qui donnent le sentiment qu'il avait voulu laisser de lui l'image d'un personnage qui avait cultivé la vertu et dont le dernier acte, sa mort, devait être en accord avec tout ce qu'il avait fait et dit au cours de sa carrière. En d'autres termes, même dans la tempête et surtout en prévision de la tempête, ces hommes s'étaient préparés aussi bien au tyrannicide ce qui les conduisit à l'assassinat d'un homme qui leur était proche, voire à qui i l étaient redevables de leur vie et de leur statut, qu'à une mort digne et qu'ils voulaient belle à l'image de leur vie et non pas seulement à la représentation que s'en faisait le vulgaire. 98

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i oa Sur l'importance de la philosophie dans les milieux politiques de la fin de la République on verra M. Crawford [1979], J.-L. Ferrary [1988], 602-615 et M. T. Griffin & J. Barnes [1989]. ^mO^TlnUCato min. 69 : Apollonidès était un Stoïcien, Démétrios un Péripatéticien.

ini A P P ' BC 2, 410. Sur l'interprétation de cette triple lecture du traité de Platon (cf ; P min. 69-70) on lira l'interprétation de G. Sauron [1994], 8-9. ° Pour ee qui concerne les justifications philosophiques de leur décision de tuer César p.

„ D I T s • v. F. Hinard 158. Plutarque les tenait de ce même Volumnius auteur d'un opuscule sur

Et il me semble que c'est à la lumière de ces préoccupations qu'il faut tenter d'expliquer aussi la mort de Cassius. I l était probablement un de ceux qui pr . naient le moins de liberté avec les objectifs qu'il s'était fixés, ce que confiri^ Appien qui évoque le caractère entier du personnage . Sa détermination à mourir dans les formes qu'il avait lui-même déterminées avec précision ne peut être inter, prêtée comme un accident et i l faut la comprendre à la lumière de ses choix phi. losophiques. On se rappellera donc l'affirmation de Lucrèce, parlant de la mort: e

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Nam si in morte malumst malis morsuque ferarum tractari, non inuenio qui non sit acerbum ignibus inpositum calidis torrescere flammis aut in melle situm suffocari, atque rigere frigore, cum summo gelidi cubât aequore saxi, urgeriue super ne obtritum pondère terme . 106

Ces vers ne sont, en définitive, que le développement de la fameuse formule d'Epicure: ô OdvaToç ouôèv Trpôs f|p.as qui n'implique pas seulement l'indifférence à la mort et au cadavre qui ne représente plus rien, mais aussi le mépris pour ceux qui en craignent les formes. On peut donc conclure que, jusque dans le choix de sa façon de mourir, Cassius a proclamé son adhésion à la doctrine, avec cet acharnement qui faisait partie de son caractère . D'un certain point de vue, i l avait choisi une belle mort dans la ligne des idées qui avaient guidé sa vie, sans transiger au dernier moment. 107

108

a sans aucun doute choqué bien des Romains qui se sont d'en oublier les modalités ou au moins d'en gommer les aspects 109

105.5C.4,561:'Ev 8è fats KCÙ T T O V O I S ô \ièv K â o m o s àpeTaaTpeirri, Ka8dTTep es rov aj(ùvwry\v 0 1 povopaxouvTeç, es \iôvov T Ô V T T 6 X € | I O V (tyeoopa. Sur ce texte v. A. Momigliano [1941], 106. 3, : «Car si dans l'état de mort c'est un malheur que d'être broyé par les mâchoires et la morsure des bêtes fauves, je ne vois pas pourquoi il n'est pas douloureux de prendre place sur un bûcher pour y rôtir dans les flammes, ou d'être mis dans du miel qui vous étouffe, ou d'être raidi par le froid sur la pierre glacée du tombeau où l'on vous a couché, ou enfin d'être écrasé et broyé sous le poids de la terre qui vous recouvre. » 107. Mén. 124 A. (A. Long & D. Sedley [1987], 154) : EuvéGiCe 8è ev T $ vopiCeiv [iï)86v TTpôç rjpaç T Ô V Gàvarov erre! irâv àyaOôv KCÙ KCXKÔV ev aicrOifaei- OT€pT)ais 8é èvriv aiaOiioews ô OdvaTOç. 108. Si on nous suit, la mort même de Cassius va dans le sens d'une adhésion à la doctrine du Jardin et a donc son importance dans le débat qui, depuis Plutarque, se renouvelle sans cesse sur cette question (cf. C. J. Castner [1988], notamment p. 31). 109. On en trouve pourtant des traces, en particulier dans une Suasoria de Sénèque le Rhéteur , 14): (Cicéron délibère s'il doit demander la vie à Antoine) ... Fuga quam periculosa esset *

quocumque peruenisset, seruiendum illi esse : ferendam esse aut Cassii

les plus scandaleux pour l'embrasser dans l'admiration collective à l'égard des «Libérateurs» . Parce qu'en définitive si les mœurs avaient changé du fait même des atrocités commises dans les décennies antérieures et si on s'accommodait d'un corps sans tête pour célébrer des funérailles (comme celles de Brutus ), si donc on ne pensait pas que sa propre mort pût être efficace, c'est-à-dire qu'on eût avec elle le moyen d'entraîner ses ennemis dans une malédiction commune (comme au temps de Cornélius Merula et de Papius Mutilus), on n'était pas prêt, pour autant, à admettre les outrances de Tépicurisme ni son mépris du corps mort; et si les héros par excellence, pour l'opposition à l'Empire, devaient être Caton et Brutus, et la tendance philosophique, le stoïcisme et non Tépicurisme , i l ne faut peut-être pas sous-estimer l'horreur qu'avait pu susciter la mort de Cassius dans le rejet, ou du moins la marginalisation, de cette doctrine. 110

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Il me semble qu'on a des indices pour interpréter un aspect de la nouvelle conception de la mort. I l s'agit des deux copies en marbre des statues en bronze du sanctuaire d'Athéna Nikèphoros à Pergame : le Galate mourant et le suicide du Galate avec sa femme . Ces deux statues, d'une remarquable qualité, avaient dû être installées par César dans les jardins qu'il possédait sur le Quirinal . Essayons d'en dire un peu plus à leur propos : sans doute, comme le souligne F. Coarelli, i l y avait bien des raisons qui expliquaient la présence de cet ensemble dans une propriété de César (les liens personnels de César avec Pergame, le thème de la victoire sur les Gaulois ... ), mais on est en droit de se demander si cet ensemble de personnages morts, mourants ou en train de se donner la mort, ne représente pas autre chose que la victoire sur des barbares , parce qu'après tout i l se dégage une grande noblesse de ces hommes et de ces femmes qui se tuent pour échapper à la servitude. Sans vouloir surinterpréter les intentions de César , i l y avait au moins un rappel de ce que pouvait être la vraie belle mort (avec des détails dont le sens nous échappe, mais qu'il faudrait 113

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110. Sur cette question on se reportera à E . Rawson [1980]. 111. C f supra et note 87. 112 V. A. Momigliano [1941] qui, malheureusement, n'a rien dit du suicide de Cassius. 113 L a première conservée dans les Musée Capitolins, la seconde dans le Palais Altemps, toutes deux faisant partie d'un groupe qui devait comporter en outre une Galate morte avec son enfant encore attaché à son sein. Sur cet ensemble, on verra maintenant F. Coarelli [1995]. 114. Selon l'interprétation de F. Coarelli cité n. précédente; cependant, M. Marvin [2002], 212 maintient, sur critères stylistiques, une datation au second siècle p. C. 115. Le rapprochement que G. Zecchini [1990], 256-257, opère avec deux monnaies de César (RRC 452,4 & 5 datées de 48-47, et 468 de 46-45) qui figurent des Gaulois attachés au pied d'un trophée ne me paraît pas du tout relever de la même intention. 116. On ne saurait évidemment faire un rapprochement direct avec la consécration dans le temple de Venus Genetrix par le dictateur de deux tableaux de Timomaque représentant deux fous (Ajax et Médée), consécration magistralement interprétée par G. Sauron [2001], mais on retiendra de cet exemple que l'installation de ces copies d'œuvres pergaméniennes sanctuaire de Venus Erycina pouvait prendre, pour l'aristocratie de

analyser avec soin ) et il n'était pas indifférent que les personnages m fussent figurés dans une nudité héroïque (et pas seulement barbare) témoignassent d'une science toute militaire de la mise à mort par p - î Wih par la voie directe, qu'utilisera Brutus, soit par la voie haute — v e r f ^ (oit depuis la « salière gauche ») qui évite une boucherie t««*îi« alenw t 117

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L'étude anthropologique de la mort, à Rome, reste à faire, d'autant 5 Apulée, l'intégrité corporelle était à nouveau, de son temps, une ? ^ pectabilité d'un corps mort . ' garantie de 118

9

Chapitre V

L e pro Roscio

n ne peut pas se dispenser, lorsqu'on aborde des sujets qui touchent de près ou de loin à la dictature de Sylla, de s'expliquer à propos de la première plaidoirie de Cicéron dans un procès pénal, tant elle a servi à l'élaboration de la représentation qu'on se fait de ladite dictature. Les raisons pour lesquelles ce discours occupe une place quasi inexpugnable dans la stratégie d'intelligence de toute la période sont de deux ordres. Idéologiques d'abord (je serais tenté de dire «au fond»). I l était rassurant en effet (et ce, à toute époque), de savoir que « le (futur) grand orateur» n'avait pas le moins du monde acquiescé à un régime si horrible et que, même, malgré son jeune âge et sa situation sociale assez vulnérable, i l avait eu l'audace de résister , alors que les plus grands représentants de la noblesse romaine étaient résignés à accepter un nouveau pouvoir, quand ils ne lui avaient pas prêté la main. La chose est trop bien connue pour que j ' y insiste. 1

iques, ensuite, qui ne sont que la conséquence des premières. D faut bien nous à l'intérieur d'un décor idéologique dont nous-mêmes un élément et dont, par conséquent, nous ne pouvons nous départir. Comme la majorité des sources anciennes semblent présenter la dictature de Svlla comme une tyrannie sanglante et, m ê m e , comme le prototype de la tyrannie sanglante, la recherche ne et, notamment, en pouvait que tenter d'affiner la qu'après cet acte de expliquer l'émergence en partant pour la résistance le jeune 2 trouver tous les éléments qui Grèce , i l a bien fallu fouiller sa 1. Il faut dire autem et gloria qui potentis contra L .

d'oublier procès et reviendrai 2. L'ense

lui-même (Off. 2, 51) semble avoir accrédité cette idée: Maxime eoque maior si quando accidit ut ei subueniatur urgerique uideatur, ut nos et saepe alias et adulescentes opes pro Sex, Roscio Amerino fecimus. Mais on n'aura garde

à l'extrême fin de l'année 44, soit plus de trente années après le de l'époque à laquelle la plaidoirie a été prononcée. Je se trouve dans C/c. 3,4-7.

liaient dans ce sens et chaque prétendue trouvaille non seulement re image, mais était elle-même l'objet d'approfondissements. Le fait que d . >riens aient depuis longtemps mis en doute les raisons politiques du voval^ ° yage ^ jeune Cicéron en Grèce n'y a rien changé : le rempart s'est renforcé a,t 1

v

Mon objectif n'est donc évidemment pas de raser la citadelle «j de la rendre accessible à d'autres forces que celles qui l'occupent dep plusieurs

On se rappelle sans doute l'origine de toute cette affaire. Une histoire sordide: un chevalier romain, Sex. Roscius, a été assassiné, à Rome, après un souper au sud du Champ de Mars ; i l était originaire d'un municipe d'Ombrie méridionale, Amélie, où se trouvaient les treize propriétés qui servaient d'assise économique à son statut social ; et son fils, homonyme, a été poursuivi pour parricide par un parent, T. Roscius Magnus, un tout jeune homme, qui avait besoin d'un patronus expérimenté et qui s'est donc tourné vers C. Erucius, un orateur confirmé qui avait fait ses classes sous un grand maître ès rhétorique, Antoine. L'affaire était celle-là. Et elle n'était que cela. Il fallait donc à un avocat, quel qu'il fût, trouver un moyen de défendre l'indéfendable, le parricide. Et pour comprendre la stratégie dudit avocat, il faut se remémorer quelques points de la procédure pénale romaine . Dans la première phase, in iure, le magistrat écoutait le plaignant, jugeait de son intérêt à se porter accusateur ; il lui faisait prêter le serment de n'être point un calomniateur et évaluait le bien-fondé de sa requête. S'il r acceptait, i l convoquait celui qui n'était pas encore un accusé, 1 'interrogeait et au cas où il décidait de poursuivre, il mettait en place la procédure. On entrait alors dans la phase in iudicio, qui s'ouvrait sur le procès proprement dit, sans qu'il y ait eu d'instruction proprement dite. Ce qui revient à dire que les juges ne savaient de l'affaire que ce qu'ils pouvaient en avoir appris par les rumeurs. Le procès commençait par le discours de l'accusateur principal, le plaignant n'étant, en l'occurrence que le subscriptor qui siégeait à ses côtés sur le banc de l'accusation. Lui répondait la paidorie du défenseur avant que ne soient cités les témoins qui, en définitive, n'étaient là que pour étayer la présentation des faits de celui qui les avait cités. Enfin venait un moment capital celui de Yaltercatio, le moment où accusateur et défenseur s'affrontaient sur la base de leur discours, avec le souvenir des témoignages en soutien : c'était là que se jouait, en grande partie, l'issue du procès. Il fallait y montrer un sens de la répartie, une capacité à anticiper les arguments de l'adversaire, toutes qualités qui devaient avoir été acquises au cours de la for3

3. Sur laquelle on consultera encore l'indispensable A. H. J. Greenidge [1901].

niation. Malheureusement nous n'avons conservé aucune trace de ces échanges parfois très vifs, de ces moments intenses. C'était enfin la délibération des juges entendu que, jugeant dans le cadre d'une loi quifixaitun châtiment pour le crime, ils pas à discuter de la peine bien était déclaré coupable et il était soumis à la peine légale, ou bien déclaré innocent et relaxe ; i l pouvait arriver que le tribunal se sente incapable de se prononcer, auquel cas on décidait un plus ample informé, qui ouvrait la voie à une nouvelle session. F

Cette description sommaire de la procédure est essentielle parce qu'elle montre la différence de fond qui existe entre nos pratiques judiciaires actuelles, pour lesquelles l'objectif est de trouver la vérité et de fixer la peine en conséquence, et celles des Romains pour lesquelles l'enjeu n'était pas la vérité mais le gain de la cause . 4

Pour la gagner, cette cause il fallait avoir une juste appréhension des juges , nous pouvons nous-mêmes qui composaient le tribunal nous en faire une idée. Ils éfc parce que Sylla leur avait rendu l'exclusivité de la judicature , sans aucun doute de perSylla avait trouvé, en sonnages entrés à la curie de de la moitié de ses membres novembre 82, une par ailleurs il avait procédé à (il en restait donc moins it, pour ce faire, puisé dans l'ordre un doublement nombre , Autrement dit, le vivier le plus proche nouveaux sénateurs encore dans le jury, devait siéger même temps de se montrer proches de leur milieu d'être agrégés . Il fallait dignes de la haute mission 7 donc leur tenir un langage propre à eu de témoins et , n'avait qu'un argul'accusation personnage assez înquiement à faire propriété d'Amélie dont son tant, une sorte de père lui avait laissé la gestion et les revenus ; et son père, qui vivait le plus clair L „™ ^ * * PnmP avec son second fils, mort au moment des faits, avait de son temps à dans le discours d'Erucius, d'autres imputay décidé de le 5

6

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4. V. là-deesus J. E . C H. winning *&• » P ' . Maineui ^ observci a

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j pas exactement combien ils étaient : A. H. M. Jones [1972], 68, composé à partir dans t

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Cluent. 74).

confirme cette hypothèse en s'adressant à eux au cours de l'exorde de son discours : Qui ex

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in senatum propter dignitatem, ex senatu in hoc consilium delecîi estis propîer

Wiseman [ 1971 ], notamment

tions, mais comme Cicéron les balaye d'un revers de main, i l est impossible savoir de quoi i l pouvait bien s'agir : « à moins que vous n'attendiez de moi q je réfute ce qui a été dit par lui sur le péculat (de peculatu) et toutes ces for& ries de la même eau dont nous n'avons pas eu connaissance avant aujourd'hui et dont i l a fait de nouveaux griefs. Ce ne sont, m'a-t-il semblé, que déclamations empruntées à quelque autre discours qu'il préparait contre un autre accusé, tant elles sont incongrues dans une accusation de parricide et devant la personnalité du défenseur» (§82). I l fallait donc faire avec ce dossier pour lequel i l y avait peu de choses \ défendre dans une cause horrible. Et paradoxalement, c'était probablement là que se trouvait le moyen de défense le plus sûr : dans une société structurée autour de la personne du pater familias le crime était aussi incroyable qu'il était monstrueux et on pouvait susciter une incrédulité qui ne demandait qu'à se confirmer.

Ce petit préambule m'a paru indispensable parce qu'avant même d'en chercher « le sens profond » et « les dessous politiques » i l faut préciser les données objectives de ce procès. I l me semble d'ailleurs qu'on ne saurait résumer l'affaire comme l'ont fait plusieurs auteurs modernes, en s'appuyant sur le détail de la plaidoirie de l'avocat de la défense , parce que cela supose une utilisation de ce texte comme d'une source primaire, le rapport d'un juge d'instruction, en quelque sorte. 8

9

C'est pourquoi je crois utile aussi de chercher à comprendre le scénario de substitution (à celui de l'accusateur) qu'a mis en place l'avocat pour emporter la conviction des juges. La dominante dudit scénario, c'est son caractère offensif qui fait que non seulement i l ne consacre qu'une ligne à l'exposé de l'affaire, mais que dès le début de la narratio i l retourne l'accusation contre l'accusateur lui-même. «J'espère que le fait même ne laisse pas de doute sur la personne qu'on doit soupçonner du forfait ; mais si l'exposé des faits ne transforme pas ce qui n'est encore que soupçon en évidence, alors jugez en effet que mon client a trempé dans le crime» (§ 18). Et ce retournement de situation s'explique naturellement du fait que Roscius le fils aurait été victime d'une machination dont l'inspirateur caché serait un certain L. Cornélius Chrysogonus, un affranchi de Sylla, dont Cicéron a amené le nom de façon théâtrale : « . . . les accusateurs n'ont fait aucune allusion à la machination qui a entraîné ce procès. Quelle estelle donc? Les biens du père de Sex. Roscius, ici présent, d'une valeur de six millions de sesterces, c'est du très courageux et très illustre L . Sulla, dont je

neUe ed

8. J. Carcopino [1942 ] 151. 9. Comme on voit encore le faire P. B. J. Harvey [2007].

le nom avec révérence, qu'un jeune homme très puissant, s'il j ai nommé fut dans notre cité, dit les avoir achetés deux mille L. Cornélius Chrysogonus » (§§ 5-6). Et pendant toute la durée de sa plaidoirie devenue réquisitoire, l'avocat a joué avec ce personnage absent registre nquiet du personnage très influent et redoutable, tantôt sur celui, comique de 1 ' affranchi comme g parvenu tantôt sur celui de l'indignation: «C'est pour cela que la noblesse, dont on attendait tant, a reconquis l'État par les armes et par le fer? Pour que les affranchis et les mauvais esclaves des nobles puissent, selon leur bon vouloir, attenter à nos biens, à notre fortune, a notre v i e ? » (§ 141)

prononce

10

Et en même temps, ce scénario de substitution repose sur la démonstration de l'impossibilité morale et psychologique du parricide qui permettait de créer une véritable connivence avec les juges. En présentant une histoire bien «ficelée» qui avait toutes les apparences de la vraisemblance, et en la développant avec assez de prolixité pour donner un sentiment de solidité, le défenseur créait les conditions d'une vraie complicité avec les juges qu'il rassurait, s'agissant d'un de se forger une conviction crime si abominable, et à qui i l de qu appuyaient des références communes : références morales g 1 opposition entre vie à la campagne et vie à la ville , mais aussi dans le rappel des devoirs de la clientèle (à propos de Caecilia Metella), références psychologiques pour tout ce qui concernait la motivation criminelle et la conception du remords , et, bien sûr, références culturelles qui servaient à étayer les précédentes . C'est donc par l'ensemble d'un système de défense particulièrement cohérent et propre à éveiller les passions, allant de l'indignation à rencontre des coupe-jarrets et de leurs commanditaires à l'apitoiement sur la victime innocente et totalement démunie, que l'avocat pouvait faire naître cette complicité «les preuves font bien que les juges estiment nécessaire à son cause la meilleure ; mais leurs passions obtiennent ce résultat qu'ils veuillent qu'elle le soit ; et ce qu'ils * ^ cToient aussi .» , le détail de la machination que dénonce Mais, à y re clair : les biens de Sex. Roscius le père auraient été Cicéron n'est pas associé à l'accusateur, Magnus, et à un autre Roscius, achetés par Chry T. Capito, un notable Amérie ; en un mot les trois compères auraient fait main 11

12

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14

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10. Cf. aussi, au § traitement 12 Sur ces considérations psychologiques, on verra S. Citroni Marchetti [1986], notamment M. Riggsby [1999], en particulier -113, et §§ 46-48), mais on pourrait 13. En Y penser à sa façon de caractériser les pnncipaux acteurs de ce drame en les affublant des oripeaux comiques 1 4 Qui > I ' VI, 2, 2 : Probationes enim effh

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taussi évidemment pour l'accusation comme le .„ inoenio res iudicatur (§ torts VaU

basse sur ces biens en déclarant que Roscius était un proscrit et Chrys aurait réparti le butin : trois propriétés pour Capito, le reste en indivision g lui et Magnus qui en prit possession au nom des deux. Mais les décurie? d'Amérie, apprenant qu'on affirmait que l'un d'entre eux avait fait le mauvais choix au moment du retour de Sylla et en serait mort, auraient décidé de lav l'honneur de leur municipe pour témoigner à la face du monde que personne a Amène n'avait manqué à la cause de la noblesse romaine, et pour «veillera préserver la réputation du père et la fortune de son fils innocent» (§ 25). H avaient donc missionné dix d'entre eux, dont Capito, qui se rendirent dans le camp de l'armée qui tenait le siège de Volaterres et auraient, là, obtenu satisfaction. A ceci près que les biens ne furent pas restitués à Roscius le fils qui, se sentant menacé, aurait pris le parti de se réfugier auprès de Caecilia Metella puisque les Roscii se trouvaient dans la clientèle de la gens de cette matrone. C'est donc cette femme qui mit le fils à l'abri des égorgeurs qui auraient été apostés pour le faire taire et qui sollicita ses proches lorsqu'on apprit que Magnus, à l'instigation de Çhrysogonus et de Capito, s'était porté accusateur contre lui dans un procès de pariridium. « Voilà le projet et voilà la folie meurtrière qui les a mus et qui était telle qu'ils vous ont livré, pour que l'égorgiez, l'homme qu'ils n'ont pas pu trucider, quelque désir qu'ils en (§ 29) (

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Plusieurs choses sont confuses là-dedans, le l'ai dit : d'abord on ne comprend pas bien quelle pouvait être la place de Magnus dans la prétendue societas constituée par les trois compères présumés : associé de plein droit ou mandataire de Çhrysogonus ? Et puis, i l n'est pas du tout certain que les biens aient été vendus : « E ne fait aucun doute que le prix de ces biens n'a fait l'objet d'aucune inscription dans la bandit nous en a joué une plu fine que nous ne pensons ou, s'il y a une inscription, c'est qu'on a truqué registres comptables, parce qu'il est évident que ce n'est pas au titre de qu on ^ a mis . ailleurs, Cicéron a parlé, dans ( le récit de la mission des décurions, de « biens non attribués » (praedia uacua) qu'il était question de rendre au fils, ce qui, en termes juridiques, signifie qu agissait de propriétés qui n'appartenaient à personne : donc i l n'y avait effecti vement pas eu de vente et ces biens étaient uacua tant que la succession n'était pas réglée. Mais i l y a aussi des invraisemblances sur lesquelles je vais revenir. r

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Auparavant, i l convient de fixer les faits qui paraissent établis et à partir desquels l'avocat a dû construire son scénario. Le premier d'entre eux est l'annonce qui a été faite que le vieux Roscius aurait été proscrit et, conséquemment, la mission confiée aux decem primi des décurions de laver son honneur et celui d'Amérie: le texte qui la décidait a été lu en séance à la demande de l'acocat. Le second est que Capito possédait en toute légalité trois propriétés qui avaient appartenu à la victime. À cela i l faudrait ajouter une vraisemblance: la présence de Magnus sur certaines des propriétés du mort. Les invraisemblances concernent surtout (mais pas exclusivement) Çhrysogonus et Sylla: i l est très improbable que les décurions, se rendant en

délégation à l'armée devant Volaterres s'y soient rendus pour y rencontrer Sylla 25) qui n'avait aucune raison de s'y trouver: certes i l devait bien s'agir de légions qu'il avait commandées antérieurement, mais quelle que soit la date à laquelle eut lieu l'ambassade, ils n'avaient aucune raison d'espérer qu'il y fût présent. Et i l y a encore moins de raisons qu'ils y aient rencontré Chrysogonus qui n'avait aucun titre à se trouver dans un camp militaire. Et toujours pour ce qui concerne la mission des decem primi, ils n'étaient certainement pas venus pour que les propriétés fussent rendues à Roscius le fils : seul les concernait l'honneur du père, l'un des leurs, et donc leur honneur à eux. Par ailleurs, si l'avocat s'en prend avec tant violence à Capito, c'est à l'évidence pour le dissuader de venir témoig de Capito nous verrons après comme j il entendra évoquées entendu qu'on s'y préparait, on le fait témoig aussi d'autres palmes de gladiateur remportées par lui dont il n'imagine pas que j'aie même pu entendre parler» (§ 84). I l y avait là, en effet, de quoi dissuader un très honorable chevalier : être traîné dans la boue par un avocat apparemment prêt à tout pour sauver la tête de son client. Et il est remarquable que Cicéron ne remette jamais en cause la légitimité de la propriété de ce personnage sur trois biens ayant appartenu à la victime. Il faut se rendre à l'évidence: l'occupation des propriétés de Roscius dire que, puisqu'elle a prouve pas la culpabilité le profit de Chrysogonus), il été le fait de Magnus ( que sa plainte contre Roscius n'est pas impossible qu' Capito, elles viennent probale fils a été acceptée. Q on a la trace dans l'accusation blement d'une affaire Et si Amène s'était décidée à de péculat l'honneur de Roscius le père, envoyer celui-ci ne figurait pas sur la c ' était bien au nombre des victimes enneet qu' liste des it achevée fin 82. Et le seul personnage qui s mies au le questeur de cette année-là, puisque qui pouvait et de vendre les biens é d' c' que les biens en question nefiguraientpas sur confisqués : y avait pas eu vente et que c'était peut-être une sur la condamnation du fils, à moins qu'il ne soit agi ses antici . s

rr g. Kinsey [1985], 188-189, suivi par A. R. Dyck [2003], 236-237, suppose que c'est une de dettes, dans une période antérieure de la vie de Roscius le fils, qui aurait pu tte accusation de péculat. Mais la chose est impossible parce que le grief ne peut ~uer qu'à des malversations dans des affaires concernant les deniers publics : D 48,13,1. péculat on verra essentiellement F. Gnoli [1979]. Comme ce rustre n'avait aucune raison — la moindre responsabilité publique, c'est qu'il avait hérité cette responsabilité puiseffet la loi de peeulatu était oppposable à l'héritier : Publica iudicia peculatus et de residuis ce

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tundarum similiter aduersus heredem exercentur, nec immerito, cum in his quaestio princiblatae pecuniae moueatur (D Papin. 36 quaest (D 48,13,16).

d'une pure escroquerie de Chrysogonus, avec la complicité du questeur en T)e Orat. 2. 198.

! 3. Ibid. 124, ORF 229-233 qui reconstitue, a partir de Cic, de Or. 2, 197-203) des pans urs et de l'accusateur et du défenseur. 3

15

Cic

On ajoutera d'ailleurs qu'on peut douter du caractère populaire de la désignation des consuls dans cette période de la Cinnana dominatio et que, par conséquent, la magistrature de Norbanus ne devait pas faire jurisprudence . 17

Reste une donnée sur laquelle on n'insiste guère mais qui, dans ce contexte politique, prend une importance certaine: C. Norbanus avait été proscrit (comme aussi son fils, le monetalis de 83) ; son nom était le troisième de laliste et suivait immédiatement celui des consuls de 82, Cm Papirius Carbo et C. Marius . Or la proscription avait pour conséquence, outre la mise à mort et la confiscation des biens, la damnatio memoriae qui impliquait que la collectivité abolît effectivement le souvenir d'un personnage dont aucune sépulture ne devait conserver les cendres et dont le culte familial avait été dispersé. Il aurait été curieux que, dans ce contexte, Cicéron fît explicitement référence à C. Norbanus, dont nous avons vu qu'il ne s'était guère illustré, pour se réclamer de son exemple. 18

D'où sortait donc Norbanus ? I l reste peu de choses pour le savoir. On se demande aussi ce qui a bien pu lui valoir d'être élu consul, cinq ans au moins après sa préture , à un moment où on se préparait fébrilement à résister à Sylla, alors que son collègue était un aristocrate de vieille souche, L. Cornélius Scipio Asiaticus. E. Badian a attiré depuis longtemps l'attention sur cet assemblage à la tête de L'État de deux personnages dont le nom avait peut-être pour fonction d'assurer à la fois le ralliement des Italiens et la fidélité de la vieille aristocratie . Quand les choses devaient aller plus mal, en 82, devaient être consuls Cn. Papirius Carbo, pour des raisons de compétence militaire, et C. Marius, malgré son très jeune âge, pour réveiller les ardeurs partisanes. Mais cette interprétation implique évidemment que les élections n'étaient plus qu'une formalité et que les consuls étaient choisis par d'autres voies que le suffrage populaire ou qu'il n'y avait que deux candidats, ce qui est très vraisemblable mais non démontré. 19

20

Pour en revenir précisément au consul de 83, une notation de Cicéron pourrait peut-être confirmer sa qualité de citoyen de fraîche date. I l s'agit du passage du de Officiis dans lequel, affirmant qu'à certaines conditions une accusation peut valoir admiration à qui la porte, i l rappelle précisément celle que lança P. Sulpicius Rufus contre C. Norbanus, seditiosum et inutilem ciuem . L'adjectif seditiosus ne fait guère de difficulté puisque c'est précisément pour avoir suscité une seditio que Norbanus était poursuivi. En revanche le qualificatif inutilis est plus surprenant. 21

17. F. Hinard [2006], 253. 18. La précision est donnée par Orose (V, 21, 3). Pour ce qui est de la proscription du monetalis de 83, v. F. Hinard [1985], 386. (MRR 88) et qui semble *s rude que inus Carbo pendant trois ans (85,84,82). 20. E. Badian [1958 (1984)], 243-244 et E. Badian [1962], 230-231. 21.2,49.

On observera que la structure de cette qualification est semblable aux deux autres que j ' ai relevées dans le livre I I du de Oratore : à chaque fois Norbanus est dit seditiosus avant qu'on ne lui ajoute une seconde caractéristique (furiosus, a udelis et, ici, inutilis), ce qui incite évidemment à chercher un sens précis pour ce dernier adjectif. Le problème est que l'emploi à'inutilis pour qualifier des personnes est extrêmement rare et que le texte du de Oratore est la seule occurrence où i l se trouve comme épithète de ciuis. On peut suggérer une solution à ce petit problème sémantique en examinant le contexte de ces références à Norbanus et l'atmosphère politique dans laquelle i l est évoqué. 22

En dehors de son allusion au gouvernement de Sicile, Cicéron ne parle de Norbanus que dans le cadre du procès de maiestate à lui intenté par Sulpicius et on peut penser que les trois qualifications qui nous intéressent sont empruntées au discours d'accusation lui-même. C'est d'autant plus vraisemblable que Cicéron insiste sur le fait que ce réquisitoire mit en valeur de façon éclatante le talent de Sulpicius : etiam P. Sulpieii eloquentiam accusatio illustrauit cum sedi tiosum et inutilem ciuem, C. in iudicium uocauit. De même, dans le de Oratore, i l insiste sur la révélation que fut, pour Antoine , mais aussi pour la foule nombreuse qui le discours du jeune orateur qui dut rester gravé dans les mémoires. Quant implications politiques du procès, elles sont à peu près connues que l'année 95 est précisément celle de la lex Licinia Mucia qui préciser les conditions juridiques d'appartenance à la citoyenneté et de mettre en place une juridiction permanente pour trancher les litiges Or que ces mesures législatives aient été décidées à la suite incidents qui avaient émaillé le proces : en senatus et principal témoin de l'accusation, avait pris et Italiens qui manifestaient trop donc ! Quel vacarme ! Quand bruyamment, en leur citant peu cet orgueil... » 27 on n ' a père ni mère, une 23

25

en général comme signi'on lui connaît dans les termes, si on admet que

Dans ce "28 fiant " textes juridiques :

TLL ~

T

proposé

'

par le traducteur de la C U F 23.2,89. 24.2, 25. Grâce même année,

notamment

nombreuse "de l'importance de l'enjeu de ce procès intenté à Norbanus. 9g Comme c'est le cas lorsqu'il est question de qualifier des choses (Cic, de Off. 1, 32, er l'occ urrence, des promesses). no Cf., P * exemple, le cas de nullité d'un testament: Inter cetera, quae ad ordinanda testâ3

e f l

tes necessario desiderantur, principale ius est de liberis heredibus instituendis uel exheredane vraeteritis istis rumpatur testamentum : namquefilioqui in potestate est praeterito inutile

Cicéron cite Sulpicius, celui-ci aurait adopté une attitude assez provocante (et en tout état de cause, appropriée à celle de son principal témoin, Scaurus) en accusant, devant une foule mêlée, l'ancien tribun d'être un fou furieux (furiosum) dont l'acharnement contre un ancien consul (in hominis consularis calamU tate crudelem) avait entraîné des troubles graves (seditiosum), toutes choses qui le "disqualifiaient", c'est-à-dire lui faisaient perdre le droit de se réclamer de la citoyenneté romaine (inutilem ciuem) dont la concession était nulle et non avenue. Ce qui impliquait que sa famille l'avait acquise très récemment. L'argument est purement philologique et paraîtra peut-être bien ténu, mais il est à mettre en série avec les arguments historiques que j ' ai évoqués plus haut et qui, tous, incitent à considérer Norbanus comme un personnage peu recommandable (il était un des responsables de la guerre civile) et qu'il n'aurait pas été convenable de citer: i l n'était effectivement pas un homo nouus, ce qui eût impliqué l'appartenance à une souche romaine : i l n'était qu'un individu à peine sorti de la barbarie que son comportement devait précipiter dans les ténèbres de l'Enfer . 30

Un fils de proscrit : C. Vibius Pansa Caetronianus Le cas du consul de 43 mérite de retenir l'attention: Dion Cassius précise, en effet, qu'il fut consul cette année-là «bien que son père eût été inscrit sur les listes de Sylla ». J'en avais naturellement déduit, après Gundel et beaucoup d'autres, que son père était un Vibius qui avait été proscrit et que, par conséquent, i l fallait le distinguer du C. Vibius Pansa dont l'existence est attestée dans une lettre de Cicéron en 51 où i l est qualifié de tribun de la plèbe . Mais 31

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est testamentum (D XXVIH, 2, 30, Gai. 7° ad ed. prou.). Le sens est confirmé par le fait qu'inutilis se trouve parfois opposé à ratus: Sifilius aut seruus pactus sit ne ipse peteret, inutile est pactum. si uero in rem pacti sunt id est ne ea pecunia peteretur, ita pactio eorum rata habenda erit aduersus patrem dominumue ...(D n, 14,28,2, Gai. 1 ° ad ed. prou.) ; comme aussi le fait qu'il soit rapproché d'inefficax: Quibus ex causis datio legati inutilis est, ex isdem causis etiam ademptio inefficax habetur, ueluti si uiam pro parte adimas aut pro parte liberum esse uetes (D 34,4,14,1, Florent. H°inst.). t

y

30. Il est très significatif que, pour qualifier les proscrits et leurs descendants dont s'entoura César en 49, Cicéron ait employé le terme veKvia (F. Hinard [1985], 213-219). Au nombre de ces gens figurait C. Norbanus le fils. 31. Le nom est attesté par une inscription trouvée au Champ de Mars, près du tombeau des Hirtii, et qui était donc celle de son propre tombeau (ILLRP 421) : Ex S(enatus) C(onsulto) I C. Vibio C. F. Pasae I Caetronian(o) co(n)s(ulï).

32. Dio 45, 17, 1 : OUTOÇ yàp, KCUTOI TOO TraTpôs avrov èç Ta XeuK0)|iaTa Ta XuXXeia êcrypa(|>€i/TOS, wraTOç TOT€ onre8eix0n ••• 33. /Œ16. 34. F. Hinard, [1985], 408-410. 35. C i c , Fam. 8,8,6-8. : «La veille des Kalendes d'octobre, dans le temple d'Apollon (...) Le cos. M. Marcellus ayant été entendu sur les provinces consulaires, il a été décidé à ce sujet: le Sénat estime qu'aucun des magistrats qui ont le pouvoir d'intercession ou de prohibition ne doit empêcher qu'on puisse au plus tôt saisir le Sénat et faire un sénatus-consulte sur une affaire q u i

prolifique érudit, spécialiste de la fiche prosopographique, a faisant observer que la solution était plus simple c encore : il était le fils naturel d'un Caetronius (proscrit) qui droits civiques en se faisant adopter par un C. Vibius Pansa, sans doute le monetalis de 90 . La solution de bon sens aurait échappé à mes prédécesseurs parce qu'ils ignoraient que l'adoption fût un moyen de tourner l'interdiction d'accès istratures , et à moi parce que je n'aurais pas compris le véritable sens affirmation de Dion qui ne dit pas que Pansa n'avait pas pu faire carrière 149, mais qui se contente d'enregistrer comme un fait notable que son père avait été inscrit sur les listes de Sylla. un

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Je crains que la démarche de ce bouillant et fécond collègue ne soit un peu simplificatrice : le problème prosopographique est trop complexe pour qu'on contente de constater une concordance onomastique à propos de deux occurrences d'un nom. La proscription de 82 a opéré, dans le personnel politique de cette époque, une saignée particulièrement grave et je crains que la prosopographie moderne ne l'accentue encore. A y regarder de près, en effet, nous voyons apparaître fugitivement, dans ces dernières années de la République, plusieurs personnages qu'il est évidemment très tentant de réduire à un seul. D'abord le tnbun de la plèbe de l'année 51. Ensuite notre consul, dont nous savons seulement que son père avait été proscrit et qu'il était un Caetronius adopté par un Vibius, comme en témoigne son agnomen. Et puis on «connaît» un Pansa, sénateur qui, en 43, fut chargé d'une mission secrète auprès de Brutus et de Cassius: mieux vaudrait ne pas l'oublier . Enfin un T. Vibius dont on a eu vite fait de voir en lui le frère, ou encore le fils du consul , même si rien ne permet de dire qu'il portait le cognomen Pansa; en tout cas i l n'intervient pas ici dans les questions d'identification. De tout cela nous sommes bien contraints de retenir au premier abord qu'il y avait, comme le pensaient nos prédécesseurs deux C. Vibius Pansa, dont l'un portait Y agnomen Caetronianus . 39

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Je ne reviendrai pas sur le fait que l'homonymie n'a jamais prouvé 1'« identité » : on ne s'inquiète guère de trouver, dans notre documentation, et 43

intéresse l'État romain ; celui qui y aura mis obstacle, le Sénat estime qu'il aura agi contre l'État. Si quelqu'un fait intercession à ce présent sénatus-eonsulte, le Sénat ordonne que le texte de sa résolution soit rédigé et que le Sénat soit à nouveau saisi au plus tôt. Ont fait intercession à ce sénatus-eonsulte C . Caelius, L . Vinicius, P. Cornélius, C. Vibius Pansa, tribuns de la plèbe. 36.F.X.Ryan 37 RE

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38 Ce qui m'a permis de noter, avec une certaine satisfaction, que c'était une découverte d'une 1 U > 3 5 0

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*Q A P P » ' ' ' V° simplifier. 40 C i c ' Fam. X I , 12, 1 » 394 SB (a. 43): son tabellarius apporte une lettre de Decimus B C

1?' Qui, je l'ai dit, témoigne, sans aucun doute d'une adoption (v. D. R. Shackleton Bailey 2i 85) laquelle nous ne pouvons malheureusement rien dire sinon que, dans notre hypodoit être antérieure à 82 et qu'elle s'est réalisée entre deux familles d'origine étrusque. > —l'Introduction. s u r

précisément pour la période triumvirale, plusieurs Iunii Silani portant le même prénom, mais dont on sait bien qu'on ne peut les «réduire» à n'être qu'un seul personnage . Alors y a-t-il invraisemblance à ce qu'on trouve mentionnés, a quelques années de distance, deux Vibii Pansae prénommés tous les deux Caius ? Après tout, si un Vibius avait été proscrit en 82 (et i l y en avait au moins un autre, Sex. Vibius ), cela signifie sans doute que la "famille" ou la gens avait eu un statut social dominant dans la Rome du début du siècle, c'est-à-dire qu'elle avait été nombreuse, et on connaît trop peu d'entre ces gens pour nous permettre succomber à la tentation de simplifier : mieux vaut s'en tenir à la lectio difficilior, au moins dans un premier temps . 44

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Or, à y regarder d'un peu plus près, c'est-à-dire en s'interrogeant conditions socio-politiques de époque troublée, on trouve quelques solides arguments pour croire que le consul de 43 n'avait pas eu de carrière antérieure a 49. Si, en effet, Dion remarque que Pansa Caetronianus devint consul quoique proscription, c'est parce que ce père son père eûl proscrit était -être le monetalis de 90 ) : l'adoption avait pour but non seulement fils des victimes de la proscription l'accès à la magistrature, mais elle surtout, d'une façon plus générale à leur rendre un statut la proscription avait fait perdre à toute leur famille. En objet de faire disparaître le souvenir même de ce déshonneur au moins celle de 82, a été vécue comme une ont été les victimes, n'était-ce que par le traitement du cadavre exécutés, la privation de sépulture, la confiscation et la vente d'une damnaîio memoriae je dispositions de la lex Cornelia qui prescriptorum étaient beaucoup plus rigoureuses qu' fallu une loi pour les autoriser à revenir à Rome. Si on exemples de "restitutions" par le moyen d'une adoption que celle ïst peut-être parce que les cas on été peu nombreux (compte tenu gis s ait d'une adrog lée par les pontifes ), mais c'est aussi, sans aucun doute, parce que le changement de statut abolissait le souvenir de l'état antérieur. L'adoption était bien ce qu'elle devait être, une seconde naissance. Puisqu'un C. Vibius Pansa avait une carrière politique qui l'avait amené au tribunal en 51, i l ne pouvait pas être, dans la société romaine, un fils de proscrit: i l avait déjà été élu à d'autres magistratures et il est tout à fait invraisemblable que l'historien grec puisse faire mention 47

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44. F. Hinard [1985], 479-480. 45. Il était de Larinum, mais on ne sait rien d'une éventuelle parenté entre les deux person nages (Ibid. 407-408). 46. S'il fallait pousser l'hypothèse, je me demanderais comment se serait appelé u jeune Caetronius adopté par un C. Vibius Pansa qui aurait déjà un fils homonyme. 47. C'était déjà l'hypothèse de M. Crawford, RRC 349). 48. V. supra chap. VI. n

de cette tare familiale pour l'année 43. Et d'ailleurs, si Dion écrit àïïeôeixO ! i l faut bien que ce rare ait un sens . 1

UTTOITOÇ

rore

49

Il faut se rendre à l'évidence : i l y avait bien deux C. Vibius Pansa, l'un avait été tr. pl. 51 ; c'est peut-être lui le Pansa qu'on trouve dans une ambassade secrète envoyée par le Sénat en 43, avec un certain Lucceius; cette mission donne des indications sur les orientations politiques du personnage et qui auraient pu lui valoir d'être proscrit à la fin de l'année, en même temps que son compagnon d'ambassade. Quant à l'autre, Caetronianus, i l fut l'éphémère consul de 43.

Mon propos dans ce chapitre n'était pas de remettre en cause une méthode simple de classement de faits n vue d'une exploitation sérielle fondée sur une définie, méthode qu'on appelle « prosopographi plus de donner un aperçu historiographique sur le développement de cette méthode pour la période chronologique qui m'intéresse i c i . I l était plutôt de montrer que la plupart des études réalisées ces dernières année , à obscurcir le débat sinon l'occulter, parce qu'au total personnel politique de la fin de 1; République en raisonnant sur de es rapprochements onomastiques (parfoi incomplets) et on n'utilise pas toutes les de la philologie pour exami ner nos sources. Mais surtout, i l i faire ainsi des fiches isolées, on se prive des historique claire et on banalise d'une donc des faits qui ont ei considérable dans la société romaine de la fin de la Républiq pas une simple condamnation à 1 ' exil dont on revenir les victimes : c'étaient des familles entières qui avaient été touchées et qui étaient anéanties. Ce n'est tout de même pas un hasard si les Triumvirs la renouvelèrent pour éliminer ceux qu'ils considéraient comme leurs adversaires : elle avait démontré sa terrible efficacité pour débarrasser définitivement Rome de toute opposition. 5 1

53

Comme l'a très bien rappelé André Chastagnol , la prosopographie est une méthode exigeante : «il va de soi que, pour les interprétations qui se présentent 54

49. Ce texte ne peut s'interpréter que comme un témoignage du fait que c'était la première magistrature à laquelle parvenait notre C. Vibius Pansa. Et qu'on ne me dise pas que c'était impossible : Cn. Pompeius était encore chevalier lorsqu'il fut élu consul pour 80 ! Si donc je lis bien le grec, je pense qu'il est inutile d'imaginer pour lui une préture en 48, comme le fait MRR. 50. Pour une définition générale, v. A. Chastagnol [1970] ,1210-1211. 51 L'exposé en a été fait par C. Nicolet [1970]. 52. V. supra, chap. IV, ma critique de B. A. Marshall [1985]. 53. Avec des composantes nouvelles, comme l'effet de surprise, le fait que les listes restèrent le caractère terroriste (F. Hinard [2006], 256-258). A

à chaque pas de l'enquête, la formation et 1 * expérience propre du chercheur jouent un rôle essentiel, l'historien devant, par définition, tout savoir pour être en mesure de prendre position à n'importe quel moment de façon valable sur un détail quelconque au cours de 1 ' analyse et de formuler ensuite en pleine connaissance de cause les déductions synthétiques.

Conclusion

L'énigme, Vexemplum et le mythe

e crois que la question de l'énigme est close. I l ne s'agissait pas d'une approche qui relevât du travail de l'historien : pour celle qu'avaient posée Sénèque et Plutarque, elle est du domaine des moralistes ; celle qu'avait habilement formulée J. Carcopino à partir de Salluste et d'Appien, elle n'était en somme qu'une énigme à caractère psychologique affublée d'une harde istitutionnelle. Pour l u i , Sylla avait tout fait pour établir à son profit un pouvoir royal et s'il a abdiqué la dictature, « . . . ce fut malgé lui, parce que les temps n'étaient pas mûrs, et que mieux valait, par un feint désaveu, se dégager fièrement d'un dessein encore aventureux, que se rapetisser dans l'évidence d'un échec ou se briser contre l'irréalisable ».

J

1

é par U . Laffi peut semEn revanche le concept de mythe a bler avoir une légitimité puisqu'on est nécessairement amené à s'interroger sur le statut historiographique de 1 ' oeuvre du de sa personne même. Et je lui avais emboîté le pas . Toutefois la temporelle que le savant collègue a imposée à son regard sa concentration exclusive sur les réalités l'ont empêché d'atteindre pleinement l'objectif q u ' i l s'était fixé. Pour est né des forces conjuguées de la propagande popularis et de la qui, une fois ses pouvoirs rétablis, n ' avait plus aucun intérêt à se dire d'un personnage accusé d'avoir été le prototype de la crudelitas la victoire de César sur le syllanien Pompée qui aurait scellé la nai ce m e. 2

3

4

entièrement U . Laffi dans cette analyse. D'abord parce On ne peut pas que les Romains n'ont pas eu besoin d'un mythe symbole de la tyrannie pendant tout l'Empire et parce que 1 tyrannique de Sylla n'était pas encore fixée, comme en témoigne encore e, qui écrivait : etiam inimici fatebuntiir bene

l J . Carcop 2* U . Laffi [ 3 F. Hinard ] U . Laffi [ #

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illum [se. Sullam] arma sumpsisse, bene posuisse . I l me semble donc qu'il vaudrait mieux utiliser le terme exemplum qui rend mieux compte de l'utilisation de modèles différents à partir d'une image encore assez complexe et, complémentairement, de récupérations diverses d'une même image, si bien que, si la trame historique de Vexemplum était conservée, son «utilisation pratique» sollicitait des valeurs très différentes d'une époque à l'autre . 5

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Les travaux récents sur ce thème insistent davantage sur les permanences que sur les évolutions et laissent toujours de côté la création de nouveaux modèles pour se concentrer sur les exemples anciens (Coriolan, Camille, Manlius Capitolinus et quelques autres). Pourtant la documentation permettrait de s'intéresser à la constitution même d'exempla nouveaux et à leur évolution, et je suis persuadé que Sylla est de ces personnages dont on peut suivre l'élaboration de V exemplum.

Mais i l faut évidemment user de précautions pour se faire une idée des traits dominants du personnage et de son œuvre qui étaient destinés à perdurer dans un modèle. Je ne crois pas du tout, par exemple que, comme l'a écrit U. Laffi , dans les trente années qui ont suivi sa mort, Sylla ait été perçu par le peuple romain comme représentant d'abord la crudelitas. Cicéron en témoigne, qui constitue pratiquement la seule source écrite disponible sur le sujet (à l'exception de quelques textes de Salluste, dont certains controversés — j ' y reviendrai). I l a été négligé par J. Carcopino qui a privilégié les fragments de Salluste qui allaient dans son sens. En revanche S. Lanciotti a voulu montrer que c'est précisément l'orateur qui avait formalisé en Sylla le type même du tyran ; mais i l a traité son sujet à partir de deux textes cicéroniens appartenant à des genres dissemblables, à des époques différentes et écrits dans des perspectives tout à fait particulières : i l aurait donc fallu tenir compte de toutes ces données pour ce qu'elles sont. 8

Sans donc vouloir reprendre tous les passages de Cicéron qui nous sont restés et qui évoquent le personnage de Sylla, je voudrais montrer que Vexemplum n'était pas encore fixé. Et il y a, à cela une bonne raison : Cicéron avait vu Sylla en chair et en os, i l l'avait entendu parler au Forum ou ailleurs , et i l s'adressait à des gens qui, comme lui, l'avaient connu et dont les opinions étaient sans doute divergentes. I l ne lui était donc pas possible de schématiser, ce qui est le 9

5. Sen., Consol. Marcia 12,6.

6. La recherche sur ce thème s'est cinsidérablement développée ces dernières années. V. par exemple, J.-M. David [1998] ; I. Oppermann [2000] ; J. D. Chaplin [2000] ; F. Bûcher [2006]. 7. Comme l'a bien montré, à partir d'un exemple bien documenté, M. Coudry [2001]. 8. Cité supra n. 4 ; v. aussi S. Lanciotti [1977, S. Lanciotti [1978]. 9. Cic, Phil. 5,17: Cinnam memini, uidi Sullam, modo Caesarem ... Cf. aussi Cat. 3,24.

opre de Vexemplum. On ne peut pas, comme le fait S. Lanciotti pour montrer ue; l'image de Sylla comme tyran s'est constituée très tôt, prétendre s'appuyer ^sur la définition du tyran que Cicéron, au soir de sa vie, a prêtée à Caton, à la fin if un long exposé sur la doctrine stoïcienne qui se concluait par un portrait du Î : «Il méritera mieux le titre de roi que Tarquin, qui ne sut l'être ni de luimême ni des siens ; mieux le titre de maître du peuple (c'est l'équivalent de dictateur) que Sylla, qui fut le maître de trois vices désastreux, la débauche, la pidité mieux le titre de riche que Crassus, qui trouvé trop pauvre, n'aurait jamais eu l'idée d'aller passer l'Euphrate, alors qu'il n'y avait aucune raison de guerre .» Ce n'est pas un hasard si, dans le schéma imaginé par Cicéron, Caton a recours à l'exemple de Sylla contre les mesures duquel l'homme politique qu'il était n'avait jamais cessé de ferrailler; et on ne peut donc pas faire comme si cette affirmation était celle de Cicéron lui-même. Par conséquent i l n'est pas non plus possible de rapprocher ce texte de nature philosophique d'un fragment du discours prononcé vingt ans plus tôt sur la Loi agraire, dans un contexte politique difficile où Cicéron se trouvait dans la situation d'avoir à défendre ce qui restait du système mis en place par Sylla tout en se défendant de l'accusation de yllanisme » que ses adversaires avaient lancée contre lui : « les lois i l n'en est pas une, à mon avis, de plus inique, ni qui ressemble à une loi que celle que l'interroi L. Flaccus a portée en faveur de Sylla pour Car dans tous les autres pays, l'établissement pour effet d ' abolir ou de^ supprimer toutes les lois ; ici c'est par tyran dans l'État. Cette loi est odieuse, comme je Ts elle n'est pas sans excuse, car plutôt que l'œuvre d'un homme celle des circonstances .» À 1 ' évidence, le consul xercice d'équilibre pour dénoncer le pouvoir exorbitant qui i à Sylla (comme i l l'a d'ailleurs toujours fait) tout en défendant les mesures prises : en jouant sur le mot tyrannus1 2 i l a défini la dictature de Sylla comme une tyrannie légale — ce qui, au passage, exonère son aspiré à la royauté de Sylla que Cicéron a souI l n'est pas question de recenser ici tous les que l'accusation de crudelitas, qui apparemment lignés , je voudrais 10

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10. Fin. 3,15: Rectius enim appellabitur rex quam Tarquinius, qui nec se nec suos regere potuit, rectius magister populi (is est enim dictator) quam Sulla, qui îrium pestiferorum uitiorum, luxuriae auaritiae, crudelitatis, magister fuit, rectius diues quam Crassus, qui, nisi eguisset, numquam Euphratem nuua oeiu causa iransire uoimssei. 11 n i , 5 : Omnium legum iniquissimam dissimillimamque legis esse arbitror eam quam L . Flaccus interrex de Sulla lulit, ut omnia quaecumque Me fecisset essent rata. Nam cwn ceteris in ciuitatibus tyrannis institutis leges omnes exstinguantur atque tollantur, hic rei publicae tyranmtm lege constituit. Est inuidiosa lex, sicuti dixi, uerum tamen habet excusationem ; non enim uidetur horninis lex esse, sed temporis. u r u n e

12. P ° approche assez fine de l'ambiguïté de ce terme, v. J. Béranger [1935]. 13 L'étude reste à faire: R. T. Ridley [1975] a donné là-dessus une étude chronologique soie après œuvre, mais il manque une synthèse. On verra donc encore R. V. Desrosiers us récemment, M. B. Dowling [2000] qui, malheureusement, n'a pas enrichi sa J^UI*»»*—^ convaincante, d'autres sources que littéraires. s

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est la seule des caractéristiques tyranniques qui soit constante chez l'orateur à propos de Sylla, n'est pas nécessairement la cuauté au sens moderne. De ce point de vue, très significatif est un passage du de Officiis dans lequel Cicéron veut montrer, par des exemples, qu'on ne peut maintenir son autorité par la crainte comme prétendait le faire le tyran César; à cette occasion vient l'exemple de Sylla qui est évoqué en ces termes : «... en effet toute injustice à l'égard des alliés cessa d'apparaître quand on eut montré une telle cruauté à l'égard des citoyens. Ainsi donc, avec cet homme, une cause qui était belle moralement fut suivie dune victoire qui ne l'était point : i l osa dire, en effet, en plantant la pique des enchères — alors qu'il vendait sur la place publique les biens de gens honnêtes, riches et, en tout cas, de citoyens — qu'il vendait son propre butin .» En l'occurrence ce que Cicéron met en rapport ici ce sont la cruauté et la confiscation — ou plutôt une certaine forme (militaire) de confiscation. D'une façon générale on observe d'ailleurs qu'on ne trouve, chez Cicéron, aucune évocation des victimes de la proscription qui ont été décapitées et dont le cadavre a été mutilé , aucune allusion non plus aux exécutions massives de la Villa publica au lendemain de la victoire de la Porte Colline. Et on ne peut manquer de s'apercevoir qu'on ne connaît, par Cicéron, que bien peu de noms de proscrits ; l'examen du vocabulaire de la proscription montre que cette catégorie, loin de fournir des thèmes pathétiques, a plutôt fait l'objet d'un silence méprisant . 14

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En d'autres termes, lorsque Cicéron a accolé le terme crudelitas à Sylla, i l l'a fait en détournant le sens que la propagande popularis donnait à cet adjectif pour le spécialiser dans un domaine beaucoup moins offensif puisque 14. 2, 27: ... desitum est enim uideri quidquam in socios iniquum, cum exstitisset in dues tanta crudelitas. Ergo in Mo secuta est honestam causam non honesta uictoria ; est enim ausus dicere, hasta posita cum bona in foro uenderet et bonorum uirorum et locupletium et certe ciuium, praedam se suam uendere. 15. Sauf, peut-être, de façon allusive aux §§ 49-50 du pro Quinctio : v. F. Hinard [1975] et R.

T. Ridley [1975], 87-88. 16. Les deux proscrits connus par les discours — Cn. Decidius (Cluent. 161) et A. Trebonius (Il Verr. 1, 123) — sont des personnages sur lesquels il ne s'arrête guère. On constate aussi que, lorsqu'il s'agit d'un homme qui peut servir sa cause, l'orateur évite soigneusement de le qualifier de proscrit: Periit cum Us etpropter eos quos diligebat (Quinct., 70, à propos de Sex. Alfenus). Quant à C. Curtius qu'il recommande à Q. Valerius Orca en 45, il ne dit pas qu'il est fils d'un proscrit; il écrit simplement qu'il eut à souffrir Yiniustissima calamitas de l'époque syllanienne (Tam.,XHI,5,2). 17. Ce n'est pas le lieu de revenir ici l'étude systématique du vocabulaire de la proscription que j'ai menée jadis. L'épuration a fourni à Cicéron l'occasion de faire naître l'effroi : dans le pro Quinctio, quand il a évoqué le consessus des chefs syllaniens devant qui on procédait aux exécutions (§§ 46 et 72 ; uid. aussi mon article — F. Hinard [1975] — 101 et n. 5) ; dans le pro Roscio, ensuite, lorsqu'il a invité les juges à empêcher le retour des massacres : hic, in foro, ante tribunal tuum, M. Fanni, ante pedes uestros, iudices, inter ipsa subsellia ... (§ 12). Pour ce qui est du pathétique, en revanche, il ne s'est guère alimenté du souvenir de la proscription — probablement parce qu'elle était perçue comme une procédure déshonorante pour qui en était la victime (elle était une ignominia, Rose. Amer. 119).

'accusation qui paraît la plus constante chez Cicéron et qui, par conséquent, échappe à toute interprétation par l'opportunisme , est celle d'auaritia. Avant la composition du de Ojficiis, Cicéron s'était déjà, à deux reprises, prononcé nubliquement contre cette pratique qui avait consisté à s'emparer du bien de citoyens romains comme s'il s'était agi d'une praeda prise sur des barbares peu importe, en l'occurrence, que Sylla ait été contraint par le refus du Sénat de procéder ainsi au titre de son pouvoir proconsulaire puis dictatorial, le fait est que la forme de confiscation des biens de citoyens romains l'assimilait à celle de biens d'ennemis, ce qui constituait un renchérissement sur l'ignominie dont étaient victimes les proscrits. Salluste a reproduit, lui aussi, ce type d'accusation, mais en lui apportant une connotation nouvelle. Dans le discours qu'il a prêté à César sur le sort à réserver aux complices de Catilina, i l lui a fait d'abord reconnaître que, lorsque Sylla fit égorger Damasippus et un certain nombre d'autres factieux, i l n'y avait personne qui ne se louât de cette épuration : « Ce fut là pourtant » ajoute-t-il, « le point de départ d'un grand malheur. Quiconque avait envie d'une maison de ville ou de campagne, ou simplement d'un meuble ou d'un vêtement, travaillait à en faire inscrire le possesseur sur la liste des proscrits. Ainsi, ceux qui s'étaient d'abord réjouis de la mort de Damasippus étaient bientôt traînés eux-mêmes au supplice, et regorgement ne prit fin qu'à l'heure où Sylla eut comblé de richesses toutes ses créatures . » On ne peut pas ne pas observer que Salluste dénonce comme moteur de la proscription, Yauaritia plutôt que de la crudelitas. 18

20

Toute une série de faits confirment d'ailleurs que Cicéron ne retient pas le caractère cruel de Sylla : le fait que saeuitia et saeuus employés comme substituts expressifs de crudelitas et de crudeUs ne se trouvent jamais pour caractériser l'action du dictateur . Quant à acerbitas i l n'est employé qu'une seule fois 21

18. Explication qui vient naturellement pour le texte du de Finibus cité supra lorsqu'on oublie que c'est un propos prêté à Caton : Cicéron aurait «réduit» Sylla pour permettre le paraUèle avec César. Cela dit, il fallait que cette «réduction» eût quelque vraisemblance. On ne saurait oublier, par ailleurs, que ce texte fait partie de ceux qui ont été déterminants pour imposer l'image de Sylla comme tyran dans l'historiographie moderne. 19. Dans les Verrines d'abord: Hic [se. L . Sulla] tantumpotuit ut nemo illo inuito nec bona nec patriam nec uitam retinere posset ; tantum animi habuit ad audaciam ut dicere in contione non dubitaret, bona ciuium Romanorum cum uenderet, se praedam suant uendere (II Verr. 3, 81 ) ; dans le De lege agraria ensuite : L . Sulla cum bona indemnatorum ciuium funesta illa auctione sua uenderet et se praedam suam diceret uendere .,. (Leg, agr. II, 56). 20. Sali., Cat. 51, 32-33 : Nostra memoria, uictor Sulla cum Damasippum et alios eiusmodi, qui malo rei publicae creuerant, iugulari iussit, quis non factum eius laudabat ? Hommes scelestos etfactiosos, qui seditionibus rem publicam exagitauerant, merito necatos aiebant. Sed ea res magnae initium cladis fuit. Nam uti quisque domum aut uillam, postremo uas aut uestimentum alicuius concupiuerat, dabat operam ut is in proscriptorurn numéro esset. Ita illi quibus Bamasippi mors laetitiae fuerat paulo post ipsi trahebantur, neque priusfinisiugulandi fuit quam Sulla omnis suos diuitiis expieuit.

21. Comme 1 ' a justement remarqué S. Lanciotti [1977], 146, n. 11.

pour la proscriptio de 82 . Par ailleurs on a déjà observé depuis longtemps q l'adjectif sullanus, lorsqu'il ne qualifie pas l'époque en général (sullanum tem* pus) concernait essentiellement des questions économiques: les sullanaep l sessiones, les sullani agri . Cette remarque aide à comprendre certaines allusions de Cicéron à Sylla, notamment celle que contient une lettre à Atticus datée des derniers jours de décembre 50 et dans laquelle l'orateur a évoqué l'éventualité d'une victoire de César : « Car personne ne peut, à coup sûr, quand on en est venu aux armes, dire ce qui arrivera ; mais tous savent que si ceux du bon parti sont vaincus cet homme n'épargnera pas plus que Cinna le sang des principaux citoyens, pas plus que Sylla le bien des riches . » Ces deux exempla mis en système sont intéressants, n'en déplaise à certains : Cinna symbolisait l'absence de clementia, c'est-à-dire la crudelitas au sens propre; pour Sylla c'était l'absence de moderatio notamment pour ce qui concernait le bien d'autrui, autrement dit Yauaritia. Or, i l ne fait aucun doute que ces exemples relevaient d'une spontanéité relative dans une lettre angoissée et, en tout cas, étaient constitués en des termes qui devaient ne pas surprendre le destinataire, mais au contraire entraîner son adhésion immédiate puisque telle est la fonction de Y exemplum. 22

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De tout cela une conclusion s'impose : Sylla n'est certainement pas, d'après le témoignage de Cicéron, le symbole de cruauté qu'on serait tenté d'imaginer à la lumière de jugements plus tardifs . I n particulier lorsqu'il se trouve inséré dans une série d'exemples ce sont plutôt ses adversaires populaires qui illustrent le uitium : L. Cinna crudelis, C. Marius in iracimdia persévérons, L . Sulla uehemens * ... D'une certaine façon, cela se confirme lorsqu'en 63 le consul, pro27

2

22. Cluent. 151 : ... omnem

texte, v. C.

suae ... Sur le sens à donner à ce

n'est pas plus explicite:

Proscriptions miserrimum nomen illum et omnis acerbitas sullani temporis quid habet quod maxime sit insigne ad memorïam crudelitatis ? Opinor poenam in ciues romanos nominatim sine iudicio constitutam (Domo 43).

23. V. là-dessus R. V. Desrosiers [1969], 83 & n. 53. 24. Att. 7,7,7 : Nemim est enim exploratum, cum ad arma uentum sit, quidfuturum sit; at illud omnibus, si boni uicti sint, ne in caede principum clementiorem hune fore quam Cinna fuerit nec moderatiorem quam Sulla in pecuniis locupletium. M. B. Dowling [2000], 309, a parfaitement

exploité ce document. 25. «I due personaggi sono utilizzati in questo caso in maniera alquanto curiosa, almeno a prima vista. Stupisce inanzi tutto, la scelta di Cinna e non di Silla, corne termine di paragone per la crudelitas» (S. Lanciotti [1977], 151, n. 35). 26. L'absence de moderatio est un reproche qui revient sous la plume de Cicéron écrivant à Atticus en août 47 (XI, 21, 3) : Sullana confers : in quibus omnia génère ipso praeclarissima fuerunt moderatione paulo minus temperata. («Tu compares le gouvernement de Sylla : de fait, tout y était, dans le principe même, excellent, bien qu'insuffisamment tempéré par l'esprit de mesure. » V. là-dessus la remarque du traducteur, J. Beaujeu, p. 163). 27. Sur lesquels M. B. Dowling [2000] a des développements très éclairants. 28. Cic, Phil., XI, 1. Sylla est qualifié de uehemens lorsque Cicéron évoque la dispersion des restes de Marius : C. Mari sitas reliquias apud Anienem dissipari iussit Sulla uictor acerbiore odio incitatus quam si tam sapiens fuisset quam fuit uehemens (Leg., II, 56).

onçant la troisième Catilinaire, invita ses auditeurs à retrouver le souvenir des roubles civils dont Rome avait été le théâtre : «L. Sylla écrasa Sulpicius ; de C. Marius, défenseur de cette cité, et de tant d'autres courageux citoyens, il bannit les uns et fit mourir les autres. Le consul Cn. Octavius prit les armes et chassa de Rome son collègue ; et toute cette place se couvrit de monceaux de cadavres et fut inondée de sang romain. Plus tard Cinna et Marius l'emportèrent : les plus illustres citoyens furent tués et les gloires qui rayonnaient sur le pays furent éteintes. Vint Sylla qui vengea les horreurs de cette victoire, mais au çrix, faut-il le rappeler, de quelle diminution de citoyens, de quel malheur pour l'État . » Le caractère sanguinaire des rivalités civiles où Sylla n'est pas impliqué contraste singulièrement avec la façon un peu abstraite dont i l est rendu compte des deux épurations syllaniennes (deminutione ciuium) : cela s'explique par la volonté de Cicéron de réaffirmer, devant le peuple, à la fin de l'année 63, le caractère légal de ces épurations pour en pérenniser les conséquences. C'est une évidence qu'il faudrait ne pas perdre de vue. 29

*

Dans ces conditions, faut-il réellement dénier à Salluste la paternité des Lettres à César sous qu'il se trouve dans l'une d'entre elles, une affirmation qui ne concorde pas l'idée qu'on se fait de la cruauté de Sylla ? On y lit, en effet, cette affirmation: « L . , à qui, selon le droit de la guerre, la victoire donnait toute licence en comprenant que la mort de ses ennemis pouvait fortifier son , n'en fit périr qu'un petit nombre, et i l aima mieux retenir le reste par la terreur .» I l suffit de faire la catalogue de ceux fussent proscrits et qui ne l'ont point été n'est pas entièrement fausse. Deux personna P. Cornélius Ceteghus, qui avait été déclaré qui était revenu à Rome en même temps que « Sylla Cethegus qui, avec Cinna et Marius, avait été son adversaire été chassé de Rome en même temps qu'eux : i l impl lui rendre tous les services qu'il voudrait .» C de Préneste dont i l mashostis publicus en 88, et sacra la po d'Orient, avait prévu de racheSvlla à son qui, après le consul sous lequel i l servait ; mais i l ter son pardon en 30

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29. Cat., III, 24 : Etenim recordamini, Quirites, omnis ciuilis dissensiones, non solum eas quas audistis, sed eas quas uosmet ipsi meministis atque uidistis. L . Sulla P. Sulpicium oppressif, C. Marium, custodem huius urbis, multosque fortis uiros partim eiecit ex ciuitate, partim interemit. Cn. Octauius consul armis expulit ex urbe conlegam ; omnis hic locus aceruis corporum et ciuium sanguine redundauit. Superauit postea Cinna cum Mario; tum uero, clarissimis uiris interfectis lumina ciuitatis exstincta sunt. Vltus est huius uictoriae crudelitatem postea Sulla ; ne dici quidem opus est quanta deminutione ciuium et quanta calamitate reipublicae. 30. Ad Caes. II, 4,1: L . Sulla, cui omnia in uictoria lege belli licuerunt, tametsi supplicio hostium partis suas muniri intellegebat; tamen paucis interfectis ceteros beneficio quam metu reti-

31. App-,

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avait dû se contenter de massacrer, entre autres, Flauius Fimbria et C. Antipater deux de ses légats, puisque le consul n'était pas venu au dîner guet-apens . (V peut aussi faire une liste assez longue de personnages qui, sans avoir été aussi impliqués dans la lutte contre Sylla, avaient vécu en bonne entente avec Marius Cinna et leurs successeurs dans les années 87-82 . I l ne me paraît pas faire de doute que Sylla avait cherché à composer avec ses adversaires, comme il l'a fait avec le consul Scipion en 83. Et d'un certain point de vue, un texte tardif nous confirme la chose. I l agit d passage de La Cité de Dieu, dans lequel Augustin, qui puisait à bonne source, affirme, à propos de l'affichage de la liste de proscription : Contristabat numerus, sed consolabatur modus . Cela signifie, en effet, que le caractère fermé de la proscription avait permis à ceux qui redoutaient une épuration plus large de revenir, ce que confirme Cicéron , même si on se désolait qu'il y eût tant de victimes désignées (il est vrai qu'Augustin, avec deux mille noms, donne un chiffre aberrant ). I l n'y a donc pas lieu de suspecter la paternité de Salluste sur ces textes, en s ' appuyant sur ce seul passage . 32

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Mais i l y a sans que l'image de Sylla n'était pas pour encore fixée au point de d exempta d'une tonalité cohérente. Au lendemain de Pharsale, la : grande à Rome et on ne savait pas quelle attitude prendre ; alors le fit enlever la statue de Pompée et celle de Sylla qui se trouvaient pro rosi . Mais une fois sa réorganisation du Forum réalisée en articulation avec le Iulium, César, en 44,fitplacer les statues en question sur les construits dans l'axe de I I est évident qu'il n'aurait pas été possible de procéder à cette installa tion si le personnage le prototype du tyran et c'est d'autant plus vrai statues conïncidait avec V l'espace : i l ne devait rester que ces deux-là. Ce qui est l'occurrence, c'est que le mot de Cicéron à cette occasion, affirmant était un moyen pour César de garantir la pérennité des siennes, est fois par Plutarque, mais les deux fois en référence aux statues de est évidemment amené à déduire de cela d'abord que la réinsatallation de la statue de Sylla n'était pas un objet de débat : elle n'avait été enlevée que parce que Pompée était considéré comme un 9

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3 9

32.Ibid.421. Hinard 34. Ciu. Dei 3,2S. mentio fieret defunctos sese periculis arbitrarentur, nomen refertur hominis studiosissimi nobilitatis.

36. F. Hinard [1985a], 116-120. M. B. Dowling [2000], qui examine en détail les témoi omet 38. Dio 42,18,2. M

llanien ; ensuite qu'il y avait plusieurs statues de Pompée qui avaient été enleprobablement aussi plusieurs statues de Sylla qui avaient subi le même L sort et que les unes et les autres furent remises en place, notamment au théâtre de Pompée . À cela on ajoutera qu'une troisième statue de Sylla est épigraphiquement attestée sur le Quirinal dédiée par les habitants du uicus Laci Fundani . Enfin, dans sa galerie des Romains qui avaient fait la grandeur de leur cité, Auguste avait évidemment placé une statue et un elogium de Sylla, alors que le dernier roi de Rome, considéré comme un tyran, ne figurait pas dans la liste de ces personnages illustres . S

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Et ce n'est pas tout. I l y a un bâtiment dont nos sources littéraires ne parlent que très rarement et dont les vestiges archéologiques sont infimes. Il s'agit de la Curia Cornelia qui avait pourtant une grande importance : elle avait remplacé la vieille Curia Hostilia devenue trop exiguë lorsque Sylla eut porté le nombre de sénateurs à six cents. Elle n'était pas achevée à sa mort et c'est très vraisemblablement son fils Faustus qui en fit la dédicace comme c'est lui qui en assura la restauration en 5 2 . On sait que lorsqu'après la guerre civile César eut modifié son projet d'agrandissement du Forum pour constituer le Forum Iulium, il n'avait pas empiété sur l'emplacement de ladite curie dont l'angle nord se voit encore dans le mur du fond d'une taberna de la nouvelle place. Cela a, évidemment, une signification. I l n'était pas question d'abolir le souvenir de cet espace syllanien : la démolition n'en fut décidée qu'après la dédicace du Forum I u l i u m , en 46, après qu'au lendemain de la victoire de Thapsus César eut fait exécuter, entre autres, Faustus Sulla, sa femme Pompeia et leurs enfants. A sa place on édifia un temple à Félicitas qui fut inauguré par Lépide en 44, mais dont la vie ne fut que de courte durée parce que l'année suivante il dut être détruit sur ordre du Sénat pour permettre la reconstruction d'une nouvelle curie (Hostilia) qui ne fut jamais édifiée. 43

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40. V. G . Lahusen [1983], 43. 41. ILLRP 352.= CIL I ,721 : L . Cornelio L.f. I Sullae Felici I dictatori I uicus laci Fund (ani). Le fait que cette base d'une statue érigée par les habitants d'un quartier de Rome soit parvenue jusqu'à nous incite à tempérer l'image tyrannique que véhicule une partie de la documentation littéraire, d'autant qu'on trouve, ailleurs en Italie, plusieurs autres bases avec la même dédicace au dictateur. 42. Sur cette question, on verra, en dernier lieu, M. Spannagel [1999], 317-344. 43. Dio, 40,50,2 ; v. LTVR, s. n. (Krause & Hurst). 44. F. Coarelli [1983], 153-156. 45. Encore que, pendant longtemps, parce que ce n'était pas Sylla qui avait inauguré la curie que nécessitait l'augmentation du nombre de sénateurs, et peut-être aussi pour ne pas remplacer le nom d'un roi de Rome par celui du dictateur, l'habitude s'était prise de l'appeler à nouveau curia hostilia. V. là-dessus M. Bonnefond-Coudry [1989], 62. 46. Dio, 43,22,2. V. F. Coarelli [1983], 135 & 154. 47. Le choix de cette divinité amène à se poser la question de savoir si, en fait, la décision n'avait pas été prise antérieurement au déclenchement de la guerre civile et si le soin de bâtir ce ple n'avait pas été confié à Faustus Sulla. 2

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Tout cela permet de se faire une idée moins vague de la représentation que se faisaient de Sylla les Romains de l'extrême fin de la République: certes il l avait à la fois soulagés, en les débarrassant des fauteurs de troubles, et effrayés par une brutalité inouïe, dont, à l'occasion, ils avaient été eux-mêmes les instruments actifs , en traitant des citoyens romains comme des barbares et en bannissant tous leurs descendants mâles ; mais i l avait, pour un temps, misfinà la terreur instaurée par Marius, Cinna et leurs héritiers et rétabli l'ordre. D'une certaine façon, Appien, dans l'introduction à ses Guerres civiles, ne dit pas autre chose, en évoquant la réaction de la foule au moment des ses obsèques : «Si grands étaient encore sans doute l'effroi qu'inspirait à ceux qui le voyaient la magistrature qu'il avait exercée, ou la stupéfaction que son abdication leur avait causée, ou le respect qu'il avait éveillé en eux en s'engageant à rendre des comptes, ou encore un sentiment d'affection à la pensée que sa dictature avait servi l'intérêt public .» On observera qu'il ne parle pas de cruauté et qu'en latin, sur un document officiel tout cela devrait se traduire par la formule bene de Re Publica meritus. e s

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Que s'est-il donc cialiser dans le registre concept d ' accident de 1 ' de de la processus d'é Je crois au contraire couleur en fonction ments majeurs qui ont César en 49 et le

tt fini par se spéfaut introduire ici un exemplaire, celui faute de méthode que d'un tyran, les Romains jà l'avoir cela impliquerait que le linéaire et régulier. , des altérations de , i l y a eu deux événe: la victoire de de la proscription en 43.

La victoire de César a eu deux conséquences majeures. D'une part la clementia que ses partisans se sont employés à présenter comme sa qualité dominante. a entraîné par contraste l'absence de ladite qualité chez Sylla. Peu importe, au demeurant, que César ait su, à certain moments, se débarrasser d'opposants qu'il jugeait trop dangereux (et certaines sources laissent entendre qu'au lendemain de Thapsus, ce ne sont pas seulement Faustus Sulla et sa famille, Afranius et L . Iulius Caesar le jeune qui furent exécutés ), i l ne mit pas en œuvre une purge systématique comme Sylla, ni même comme Marius et Cinna en 87, et ce 50

48. V. supra le chapitre IV consacré à la Mort. 49. App., £ C 1 , 1 1 . 50. Bell. Afr. 85,4-9 ; App., BC 2,416 ; Plut., Caes. 53,7.

à ce que fût renouvelée la proscription 51 Indiscutablement cette modération faisait ressortir la cruauté de ses prédécesseurs. D'autre part, on voit apparaître, notamment dans l'historiographie grecque d'époque impériale, et principalement dans l'œuvre d'Appien , une problématique nouvelle qui visait à atténuer la responsabilité de César dans les bouleversements institutionnels qu'il avait apportés en la reportant sur Sylla qui en aurait été l'initiateur: c'est vrai pour le cumul de la dictature avec le consulat 53 qui impliquait le pouvoir de désignation des magistrats, et ce l'est aussi pour la durée de la magistrature . D'où cette remarque d'Appien à propos de César : « . . . i l fut le second, après Sylla, à être nommé dictateur à vie . » alors que tous s'attendaient

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Mais l'événement déterminant, celui qui a tout changé, c'est le renouvellement à la fin de l'année 43 de la proscription à l'initiative des triumvirs. Cette pratique a eu deux conséquences sur l'image de Sylla: elle a modifié la représentation qu'on se faisait de la proscription et elle a généré un type nouveau, celui du prescripteur assoiffé de sang. La proscription de 43 n'a eu de commun avec celle de 82 que le nom, même 5i les triumvirs, dans leur édit , ont fait explicitement référence à Sylla en assuque les victimes moins nombreuses que celle de celui qui nous, fut armé du pouvoir suprême pour réorganiser l'État au moment des guerres civiles et que vous avez surnommé «Félix» en considération de ses succès . » Les différences n 43, la décision en fut prise avant même que et mise en œuvre avant que des pouvoirs exceptionnels triumvirs par la lex Titia 59 afin de bénéficier d es termes, l'épuration de 43 s' glement de comptes personnels ce que confirmait le dernier 56

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51. V . R . me recours : ita sullaturit animus eius 52. Mais on trouve déjà cette (Sulla 39,7). 53. App., BC 1,478-479.



En tout cas, selon Cicéron, Pompée brûlait d'y avoir iam diu (Att. 9,10,6). chez Denys d'Halicarnasse (5, 77, 4) et Plutarque

54. Ibid. 462. 55. Ibid. 15.

56. Je pense que le texte donné par Appien, sans qu'on puisse le considérer à coup sûr comme une reproduction fidèle de F édit original, doit en être très proche: F. Hinard [1985a] & n. 4; P. Wallmann [1989], 43 & J. Henderson [1997], n. 21. 57 App., BC 4, 39. Cette parenté était si évidente que les triumvirs sont restés comme les Sullae ... discipuli très (Iuu. 2, 28), Je l'ai dit, ce texte nous prouve qu'aucune des dictatures de César n'a été RPC. 58. Alors que celle de 82 n'avait pas été décidée en vertu des pouvoirs dictatoriaux (qui ne furent décidés qu'après qu'on eut constaté que le vide politique nécessitait le recours à cette magistrature d'exception), et surtout elle correspondait à une épuration consécutive à une guerre cv^ l'obieetif. au moins affiché, de punir les excès commis et de mettre un terme au cycle 59 Sur cette recherche d'un effet de surprise et, donc, sur le caractère terroriste de la mesure, Hinard [2006], 256-258.

membre de phrase du passage de l'édit que je viens de citer: «bien qu'il soit évident que trois hommes ont nécessairement plus d'ennemis qu'un seul.» À cela i l convient d'ajouter que tous ceux qui avaient été condamnés pénalement au titre de la lex Pedia dirigée contre les tyrannicides furent portés sur la liste de proscription comme une sorte de renchérissement sur la peine de mort qui avait été prononcée contre eux. Mais surtout une caractéristique propre à la proscription de 43 la différenciait de celle de 82 : elle était une procédure ouverte et permanente, ce qui veut dire que les triumvirs conservaient le pouvoir d'ajouter (comme de radier) des noms sur la liste . Et d'ailleurs, Suétone raconte, sur la foi de Iulius Saturninus, que «Lépide ayant au Sénat tâché d'excuser le passé et donné l'espoir qu'on serait clément à l'avenir, Auguste déclara qu'il avait mis un terme à la proscription, mais en gardant toute liberté. » 60

61

Il était donc inévitable que l'image de la première proscription ait été contaminée par la seconde, et ce d'autant plus facilement que désormais aucune épuration attestée dans l'histoire de Rome ne prit cette forme particulière. Cette contamination se constate un peu partout dans les récits d'époque impériale de la première proscription. Ainsi pour l'exécution des proscrits, je rappelle qu'Appien a donné cette description un peu confuse: «De ces gens-là (se. les sénateurs proscrits), certains, pris à l'improviste, furent immolés dans les lieux mêmes où ils furent trouvés : dans leur maison, dans les rues, dans les temples ; d'autres, mis en état d'arrestation, furent amenés jusque devant Sylla et furent jetés à ses pieds ; d'autres furent traînés et foulés aux pieds sans qu'aucun de ceux qui étaient les témoins de ces spectacles épouvantables osât dire un mot tant la terreur était grande » . J'ai dit, dans un précédent chapitre qu'il y avait probablement contamination, puisque les 36 proscrits de 82 que nous savons avoir été exécutés alors qu'ils se trouvaient à Rome ont été amenés au forum pour y subir la securi percussio. Le rapprochement avec un texte de Dion Cassius sur la seconde proscription est éclairant: «Bien des gens, en effet furent tués çà et là dans leur maison ; beaucoup aussi sur les chemins et sur les places publiques ainsi que près des lieux sacrés .»La similitude des formulations conduit à penser qu'Appien a amalgamé une source républicaine qui faisait référence à des exécutions aux ordres du magistrat et une source plus tardive, voisine de celle à laquelle a puisé Dion, qui décrivait la chasse à l'homme sous les triumvirs. 62

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60. Sur cette question, v. F. Hinard [1985a], 247-255. 61. Diu.Aug. 27,3.

62. App.,#C 1,443: Kai TÛvôe oï |ièv àôoKiiyojs KaTaXapPavopevoi SiecfrôeipovTo êi^Oa ow€\a|xpdvovTO, èv O I K I G U Ç , TI OT€V(OTTOLS f\ lepoîs, oï 8è ^ieTeopoi rrpàs rov SvXXav ep6|i€V0L T€ Kai TTpô TTOÔÛV airroO plirroi)|i€VOi- 0 1 ôè KOÙ êaupovTO Kai KareTTarovVTO ouôè