Revue de linguistique romane [77]

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REVUE DE

LINGUISTIQUE ROMANE PUBLIÉE PAR LA

SOCIÉTÉ DE LINGUISTIQUE ROMANE

Razze latine non esistono : ..... esiste la latinità

Tome 77

S TRASBOURG

2013

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Les débuts du français à la Chancellerie royale : analyse scriptologique des chartes de Philippe III (1270-1285)

1. Introduction Le présent article, qui s’inscrit dans le cadre de nos travaux pour le projet « Les plus anciens documents linguistiques de la France » (DocLing) 1, a un double objectif : (a) fournir un aperçu des traits saillants du français tel qu’il était utilisé à la chancellerie royale à l’époque de Philippe III (1270-1285) selon la méthode scripto-géolinguistique appliquée par Anthonij Dees (1928-2001), notamment dans son Atlas des formes et des constructions des chartes françaises du 13e siècle (Dees 1980) ; et (b) élaborer ultérieurement les données ainsi obtenues à l’aide des outils dialectométriques de l’ ‘École dialectométrique salzbourgeoise’ (EDS, cf. Goebl 2008a ; 2012), notamment en visualisant la position géolinguistique de la chancellerie royale à l’intérieur du réseau scriptologique de la France oïlique médiévale.

Les deux objectifs s’inscrivent à leur tour dans deux interrogations plus générales. En premier lieu, il s’agira de mieux cerner la validité et le potentiel des méthodes de mesure de Dees. Celles-ci se verront pleinement confirmées ici, mais elles ont en partie été occultées par d’autres travaux de ce même auteur, notamment son article « Dialectes et scriptae à l’époque de l’ancien français » (Dees 1985). En effet, certains choix terminologiques et argumentatifs peu heureux dans cet article ont soulevé des réactions très critiques dans la communauté scientifique 2. En deuxième lieu – mais c’est l’interrogation la plus importante – nous souhaiterions appréhender sur une base non spéculative les caractéristiques de la langue de la chancellerie royale au XIIIe siècle qui est, jusqu’ici, pratiquement inconnue 3.

Cf. ‹www.mediaevistik.uzh.ch/docling› ; la description la plus récente du projet et de ses buts est fournie par Glessgen 2010 ; elle reprend, intègre et actualise les descriptions précédentes du même auteur (par ordre chronologique) dans Glessgen 2001, 2003 et 2007 ; cf. aussi la nouvelle version du site, mise en ligne en juillet 2013. 2 Sur la position d’Anthonij Dees dans l’histoire de la scriptologie française, cf. Völker 2003, 57-66. 3 Nous avons pu analyser jusqu’ici deux documents isolés issus de la chancellerie royale, cf. Videsott 2010 (charte d’arbitrage de 1241) et 2011a (traité de paix 1

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Cette méconnaissance n’est d’ailleurs pas limitée à la langue de la chancellerie royale au XIIIe siècle, mais s’élargit de manière plus générale à la langue de Paris et de ses environs dans son ensemble. Jusqu’à présent, il n’existe que l’étude très méritoire, mais datée, d’Ernst Metzke 1880/81 qui essaye de donner une description organique de ce qu’il appelle ‘Dialect von Ile-de-France’. Cette étude se heurte à deux problèmes méthodologiques majeurs qui ne la rendent consultable qu’avec beaucoup de prudence (cf. Videsott 2010, 63, n. 3) : (1) ses données reposent, entre autres, sur le premier volume des Ordonnances (ORF I) ; or, celui-ci édite les textes sous les dates originales respectives, tout en ayant fréquemment recours à la copie la plus accessible, souvent nettement postérieure et ce, parfois de plusieurs siècles ; (2) Metzke prend comme attestations de la langue de la capitale les textes dits « donnés à Paris », mais issus en fait des différentes chancelleries de l’administration royale dont les dimensions géolinguistiques nécessitent une attention toute particulière ; étant donné la composition hétérogène et les intentions de communication supralocales de ces chancelleries, la réduction identificatoire de Metzke n’est pas légitime, du moins pas a priori.

L’influence de la chancellerie royale sur la formation de la langue française standard a souvent été soulignée, sans que l’apparition du français dans cette chancellerie, ses caractéristiques internes ni même les mécanismes de diffusion de ce modèle supposé n’aient jamais été examinés dans le détail (cf. Videsott 2011, 62). Cet état de faits est d’autant plus frappant que l’une des thèses principales de la scriptologie française était que l’ ‘uniformité’ et la ‘régularité’ linguistique précoce du Nord de la France serait due à l’influence centrale d’un modèle ‘parisien’ (ou ‘francien’, comme il était nommé à l’époque), qui aurait rayonné sur les scriptae oïliques par le biais de canaux non seulement littéraires, mais aussi administratifs ; cf. par ex. : « Les chancelleries royales ont aussi contribué de manière décisive à ce que le francien, dialecte de l’Île-de-France, s’impose comme langue des documents et repousse peu à peu jusqu’au début du XIVe siècle les scriptae régionales et locales jusqu’alors prédominantes » (Winkelmann 1991, 15 ; notre trad.).

L’idée de la superposition d’une ‘koinè royale’ aux différentes scriptae du domaine d’oïl déjà au XIIIe siècle semble aussi avoir dicté la décision d’arrêter à 1271 le projet d’édition des Plus anciens documents linguistiques de la France, comme il ressort de la justification avancée par Jacques Monfrin :

anglo-français de 1259) ; il s’agit d’actes très précoces dans lesquels le choix de langue poursuit des finalités diplomatiques qui affectent également les choix linguistiques.

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« Enfin, il se trouve que le dialecte est très peu apparent dans les chartes des régions qui n’ont admis l’usage du français que dans la seconde moitié du XIIIe siècle » (Monfrin 2001, 69).

Entre-temps, on sait que le processus de ‘dédialectalisation’ s’est déroulé plus lentement qu’on ne l’a supposé, et que des régions comme la Picardie ont gardé leur ‘individualité linguistique’ jusque dans les chartes, au moins jusqu’aux premières décennies du XVe siècle (Lusignan 2012, 185) ; dès 1970, Hans Goebl a pu montrer la complexité et la lenteur de ces processus en prenant l’exemple très parlant de la Normandie occidentale (diocèse de Coutances) et des Îles Anglo-Normandes (cf. Goebl 1970). Mais toutes les réflexions sur la neutralisation linguistique dans les scriptae régionales souffrent de l’absence d’une description systématique de la langue vernaculaire écrite à Paris, et – avant tout – dans les différentes chancelleries de l’administration royale (la chancellerie royale à proprement parler, mais aussi la chancellerie de la prévôté de Paris 4). C’est la raison pour laquelle nous avons commencé en 2005 à nous occuper de plus près de la production écrite en langue vernaculaire de ces chancelleries ‘centrales’ au XIIIe siècle. La première phase de ce travail, dédiée au repérage des documents français et latins de cette période, s’est déroulée dans le cadre d’une bourse Schrödinger, financée par le Fonds autrichien pour la recherche scientifique FWF (Fonds für Wissenschaft und Forschung) 5. Pendant l’année universitaire 2005-2006, nous avons fouillé, à Paris et dans les environs, tous les fonds d’archives pertinents 6, tout en recevant l’appui de l’École des Chartes et nombre de précieux conseils de la part de collègues

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Sur le rapport entre la chancellerie de la prévôté de Paris et la chancellerie royale, cf. les observations dans Videsott 2011b. L’analyse de la production écrite des autres prévôtés et des sénéchaussées – elles aussi des organes de l’administration royale – doit tenir compte du fait qu’elles ne disposaient pas encore, au XIIIe siècle, d’une chancellerie constituée, mais qu’elles se servaient de scribes divers, souvent appelés ad hoc. Il s’agit du projet FWF J 2509 G07 : « La langue de la chancellerie royale capétienne au XIIIe siècle : analyse quantitative et philologique sur la base des plus anciens documents ». Il a été poursuivi (sous le titre « Les plus anciens documents linguistiques de la France – Identifikation und Digitalisierung der Dokumente ») avec des fonds de recherche de l’Université libre de Bolzano. Que les deux mécènes reçoivent ici l’expression de ma reconnaissance ! En outre, je remercie sincèrement Hans Goebl (Salzbourg), Martin Glessgen (Zurich) et Serge Lusignan (Montréal) d’avoir bien voulu me faire bénéficier de leurs commentaires sur des versions précédentes de cet article, et Emmanuel Faure (Berlin) d’en avoir aimablement revu la forme. En février 2009, nous avons complété nos recherches aux National Archives de Kew/ Londres et en mars 2010 aux Archives Vaticanes.

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historiens, notamment Élisabeth Lalou et Xavier Hélary 7. Ce travail a permis l’identification de centaines de documents en français établis à la prévôté de Paris et surtout de plus de 130 documents originaux rédigés en français, issus de la chancellerie royale au XIIIe siècle. La deuxième phase a consisté à transcrire et éditer les documents retenus selon les modalités mises au point pour la nouvelle série des Plus anciens documents 8. Cette deuxième partie du travail est pratiquement achevée et aboutira dans le courant de l’année 2013 à l’édition intégrale des 130 documents français que nous avons pu identifier comme issus plus directement de la chancellerie royale (Videsott 2013). Actuellement, nous avons commencé les travaux pour la troisième phase prévue du projet, celle de la description et de l’analyse linguistique des textes. L’étude suivante veut en fournir un exemple concret. En même temps, elle s’inscrit dans une optique méthodologique plus générale, car la méthode ici présentée permet d’intégrer d’autres corpus scriptologiques analogues ; il deviendra ainsi possible de structurer l’espace géolinguistique du domaine d’oïl médiéval tel qu’il est représenté par le témoignage des scriptae. D’un point de vue méthodologique, il s’agit là d’une opération de reconstitution sous les auspices d’une analyse globale et globalisante 9. Nous espérons ainsi pouvoir élargir cette recherche également aux autres corpus des Plus anciens documents 10.

Nous avons présenté les premiers résultats de ce travail de répertoire systématique dans Videsott 2011b. 8 Cf. les critères d’édition sur le site DocLing ‹www. mediaevistik.uzh.ch/docling›. 9 Soulignons dès à présent que les deux méthodes ici présentées et utilisées, celle d’Anthonij Dees et celle, dialectométrique, de Hans Goebl, sont des méthodes autonomes et bien définies, dont les points forts sont la constitution de synthèses au niveau général. Si l’intérêt épistémologique vise des documents et traits linguistiques isolés, d’autres méthodes sont plus appropriées. 10 Les corpus en ligne à partir de l’été 2013 sont, en dehors de la Chancellerie royale, Les chartes – de Douai [1204-1271 : 506 doc.], Mestayer / Thomas Brunner – de la Haute-Marne [1232-1275 : 276 doc.], Gabriel Gigot / Dumitru Kihaï  – du Jura et de la Haute-Saône [1243-1300 : 240 doc.], Claire Muller – de la Marne [1234-1272 : 230 doc.], Dumitru Kihaï – de la Meurthe et-Moselle [1232-1265 : 290 doc.], Martin-D. Glessgen / MichelArnod  – de la Meuse [1225-1270 : 237 doc.], Anne-Christelle Matthey – de la Saône-et-Loire et de la Nièvre [1257-1331 : 125 doc.], Julia Alletsgruber – des Vosges [1235-1271 ; 146 doc.], Jean Lanher / David Trotter D’autres corpus sont en chantier (cf. la liste dans Glessgen 2010, 14). 7

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2. Le corpus analysé : les documents français de Philippe III Parmi les quelque 130 actes qui constituent notre Corpus d’actes français du XIIIe siècle de la chancellerie royale capétienne (cf. Videsott 2011b), nous avons retenu pour cette première analyse les documents relevant du règne de Philippe III, dit le Hardi (25 août 1270-5 octobre 1285). Le règne de ce souverain est souvent considéré comme une ‘transition’ (cf. Sivéry 2003, 9) entre ceux marqués par les fortes personnalités de Louis IX, le futur Saint Louis (8 novembre 1226-25 août 1270) et de Philippe IV, dit le Bel (5 octobre 1285-29 novembre 1314). L’analyse historique a montré que le temps de Philippe III s’inscrit bien plus dans la continuité du long règne de son père, Louis IX, que dans la préparation des grands changements politiques du règne de son fils Philippe IV (cf. Sivéry 2003, 9). Ce diagnostic se reflète aussi sur le plan linguistique : si c’est Louis IX qui a ouvert en premier sa chancellerie à l’usage du français en 1241 (cf. Videsott 2010), il n’a fait par la suite qu’un usage modeste de la langue vernaculaire – même si celle-ci intervient alors dans des occasions particulièrement importantes et solennelles 11. En revanche, Philippe IV a été le premier roi à nommer, à partir de 1295, des gardes des sceaux laïques, sous le ministère desquels l’usage du français augmenta sensiblement (cf. Videsott 2011b). Philippe III s’inscrit ici clairement dans la trajectoire établie par Louis IX : avec une dizaine de documents en français pour ses quinze années de règne, la chancellerie royale sous Philippe III n’augmente que faiblement l’usage qui avait été fait de cette langue sous Louis IX (cinq documents pour 44 années de règne) ; ce fait contraste nettement avec l’extension de l’usage du français qui se manifeste sous Philippe IV : nous avons répertorié plus de 100 documents pour les quinze années de son règne jusqu’en 1300. Notre analyse actuelle repose donc sur un corpus restreint – en tout quatorze documents, qui peuvent toutefois être d’une dimension importante 12. Onze d’entre eux remplissent intégralement les cinq critères établis pour la sélection comme ‘acte royal’ dans notre corpus (cf. Videsott 2011b : avoir été conservé sous forme d’original, être intitulé au nom du roi, avoir été établi à la chancellerie royale au XIIIe siècle, être rédigé en français, ne pas être une traduction) ; il s’agit des chartes suivantes (nous donnons le numéro courant du document et sa siglaison dans notre corpus) : Nous nous référons en particulier aux accords franco-anglais de 1258-1259, connus sous le nom de « Traité de Paris » (cf. note 3). 12 Une description archivistique détaillée des documents retenus est fournie dans Videsott 2011b ; quant à leur longueur, les quatorze actes comportent en tout ca 11.500 mots. 11

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1/ R 1271 12 32 01 = décembre 1271 3/ R 1279 10 26 01 = 26 octobre 1279 4/ R 1280 06 28 01 = 28 juin 1280 5/ R 1281 02 28 01 = 28 février 1281 6/ R 1282 07 20 01 = 20 juillet 1282 7/ R 1284 05 17 01 = 17 mai 1284 9/ R 1285 02 28 01 = 28 février 1285 11/ R 1285 03 32 01 = mars 1285 (le testament de Philippe III) 12/ R 1285 03 32 02 = mars 1285 (minute originale du document 11/ ) 13/ R 1285 10 05 01 = 1270-1285 (document non daté, mais rédigé sous le règne de Philippe III) 14/ R 1285 10 05 02 = 1270-1285 (document non daté, mais rédigé sous le règne de Philippe III).

Au vu du faible nombre de documents, nous avons décidé de renoncer au premier et au dernier des cinq critères. Nous avons donc admis en plus dans le corpus de cette analyse les chartes suivantes, toutes réalisées à la chancellerie royale (et qui du point de vue de notre analyse, représentent des documents autonomes) : 2/ RT 1275 12 32 02 = décembre 1275 (traduction en français d’un document latin) 8/ RC 1284 05 17 02 = 17 mai 1284 (copie du XIIIe siècle du document 7/ ) 10/ RV 1285 02 28 02 = 28 février 1285 (vidimus du document 9/ réalisé le 4 décembre 1285).

En revanche, nous n’avons pas retenu ici plusieurs documents en français de la même période, mais dont la rédaction par la chancellerie royale reste douteuse 13. À titre d’exemple, nous reproduisons ci-dessous l’édition du premier de ces quatorze documents. Il s’agit d’une lettre patente plutôt brève de décembre 1271 (pour l’édition du corpus royal intégral, nous renvoyons à Videsott 2013). L’édition du texte suit les critères du projet des Plus anciens documents lin-

Appartiennent à cette catégorie par ex. les ordonnances de Philippe III transcrites dans la sénéchaussée du Poitou et conservées aujourd’hui aux A.M. de Poitiers (C 1, liasse 6, n° 139 ; C 2, liasse 6, n° 140 ; C 3, liasse 6, n° 141 ; C 4, liasse 6, n° 142, cf. Langlois 1887, 389-414, nr. 25, 50, 140, 164).

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guistiques de la France, édition électronique 14 ; notons quelques éléments essentiels : – dans notre édition interprétative, la ponctuation médiévale est placée au milieu de la ligne ; par contre, la ponctuation moderne, ajoutée pour une meilleure compréhension du document, est placée en position normale ; – les abréviations sont résolues en italiques, les majuscules de l’original indiquées en caractères gras ; – les sous-unités du contenu sont marquées par un chiffre en caractères gras ; – un « / » simple indique les alinéas de l’original, un « // » double est placé au début de toutes les cinq lignes.

1/ R 1271 12 32 01 Paris – 1271, décembre Type de document : Lettre patente Objet : [1] Philippe [III, dit le Hardi], roi de France, [3] règle la régence du royaume et la tutelle de ses enfants, s’il devait mourir prématurément. [5] S’il décède avant la majorité de son fils aîné, [6] Pierre comte d’Alençon, frère du roi, aura la garde du royaume pendant la minorité du prince héritier, [8] qui durera jusqu’à l’âge de 14 ans. [10] Au cas où Pierre d’Alençon ferait défaut, il sera remplacé par Jean, comte de Blois, [9] qui fait aussi partie du conseil de régence. [12] Plusieurs autres notables sont aussi nommés comme membres de ce conseil. [15] Jean Sarrasin et Pierre de La Brosse sont nommés tuteurs des enfants du roi jusqu’à leur majorité. [16] Pendant ce temps, les droits des princes ne peuvent être limités qu’à l’unanimité du conseil de régence. [17] Les régents sont autorisés à faire des dépenses pour les besoins du royaume ; [19] le restant sera déposé au Temple, à Paris, et mis à disposition du prince aîné quand il aura atteint sa majorité. Auteur : Philippe [III, dit le Hardi], roi de France Disposant : id. Sceau : id. Bénéficiaires de l’acte : Pierre, comte d’Alençon ; Jean [Ier], comte de Blois-Châtillon Autres acteurs mentionnés : Guy de Genève, évêque de Langres ; Odon [II] de Lorris, évêque de Bayeux ; Matthieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis ; Pierre de Barbez, archidiacre de Dunois en l’église de Chartres ; Henri de Vézelay et Jean de Troyes, clercs du roi et archidiacres en l’église de Bayeux ; Jean d’Acre, bouteiller de France ; Erard, sire de Valéry, chambrier de France et connétable de Champagne ; Imbert de Beaujeu, connétable de France ; Simon [II], sire de Clermont-Nesle ; Julien de Péronne et Geoffroi de Villette, chevaliers ; Jean Sarrasin et Pierre de La Brosse, sergents. Rédacteur : Chancellerie royale [ChR] 14

Cf. École nationale des Chartes 2001, 2005 ; Glessgen 2003, 371-386 ; Glessgen/Stein 2005 et Glessgen 2010, 12-18 ; cf. aussi les critères d’édition sur le site de DocLing (cf. supra n. 8).

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Original parchemin, scellé du sceau en cire blanche pendant sur double queue de Philippe [III], roi de France Paris AN : J 401 – Régences, n° 3 Éditions antérieures : Duchesne 1621, 109 ; Dupuy 1655, 143 ; ORF XI, 349-350. Commentaire : Philippe III a réglé la régence une première fois déjà le 2 octobre 1270, au camp devant Carthage. Cette ordonnance était écrite en latin (cf. Duchesne 1621, 69 ; Dupuy 1655, 142 ; ORF I, 295). La présente ordonnance n’en est pas une traduction, mais diffère de celle-ci en plusieurs endroits. L’une et l’autre furent annulées, devenues caduques, Philippe III ayant vécu jusqu’à la majorité de son fils aîné.

1 Phelippes par la grace de Dieu rois de France, 2 à touz ceus qui ces presentes letres verront, salut. 3 Nous fesons à sa/voir 4 que nous , par la grace de Dieu sains e hetiez de cors, avons ordené de nostre roiaume en ceste maniere · 5 Ce est / à savoir que se il avenoit que nous trespassissons de cest siecle , anceis que li ainznez de noz enfanz eüst acompli le / quatorzime an de son aage, 6 nous voulons e ordenons que nostre trés chier frere e nostre feel Pierres cuens d’Alençon // gart nostre roiaume · 7 lequel nostre frere Pierre , nous establissons principal tuteur e defendeeur e garde d’icelui roi/aume e des apartenances, e de noz devant diz enfanz , 8 jusques à tant que li ainznez d’iceus noz enfanz ait acompli le / quatorzime an de son aage, si comme il est desus dit.

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9 E voulons e ordenons que il ait à son conseil au 15 besoignes dou roi/ aume , nostre amé e nostre feel Jehan conte de Blois e les autres qui sont desouz nommez · 10 en tele maniere que se il / avenoit que li devant dit Pierres nostre frere trespassast de cest siecle , anceiz que li devant dit ainznez de noz enfanz // fust venuz au devant dit aage, 11 nous voulons e ordenons , que li devant dit Jehan cuens de Blois, se il seurvit icelui nostre / frere, soit principau garde e tuteur e defendeeur dou devant dit roiaume , e de noz devant diz enfanz, si comme il est / desus dit.

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12 E ceus que nous voulons qui soient especiaument dou conseil es besoignes dou roiaume , sont ceus qui / sont ci nommez · 13 ce est à savoir noz amez e noz feeus , Gui evesque de Lengres · Ode evesque de Baieux · Maci abé / de Seint Denis, mestre Pierres de Barbez arcediacre de Dunois en l’eglise de Chartres, mestre Henri de Verdelai , e // mestre Jehan de Troies noz clers, arcediacres en l’eglise de Baieux, nostre amé cousin Jehan d’Acre bouteillier de France, / Erart sires de Valeri chamberier de France , e connoistable de Champaigne · nostre amé cousins

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Sic !

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Ymbert de Biaugieu / connoistable de France, Symon sires de Neele, Julien de Peronne , e Giefroi de Vilette chevaliers, Jehan Sarrazin e Pier/res de La Broce noz serjanz . 14 e les autres que li devant diz nostre frere voudra apeler oveques ces, se mestiers en est. / ,

15 De_rechief nous voulons especiaument , que iceus devant diz Jehan Sarrazin , e Pierres de La Broce gardent noz enfanz // oveque ceus que li devant dit nostre freres Pierres, ou li cuens de Blois, se il le seurvit, establira à ce, jusques à tant / que li ainznez d’iceus noz enfanz ait acompli le quatorzime an de son aage. 16 E si voulons e ordenons , que iceus noz enfanz / ne soient ostez de la devant dite garde , jusques à tant que li ainznez ait acompli icelui aage, se n’estoit par le commun conseil / de touz ceus qui sont desus nommez. 17 Derechief nous voulons que nostre devant dit frere Pierres ou li devant dit cuens de / Blois, se il le seurvit, si comme il est desus dit, 18 ce est à savoir cil qui gardera le devant dit roiaume, face ses despens pour // les besoignes dou roiaume des biens de celui meisme roiaume, 19 e li demoranz soit mis en garde à Paris au Temple, à / baillier e à delivrer au commandement dou devant dit ainzné de noz enfanz, quant il vendra au devant dit aage, se il ne le couve/noit despendre, se mestiers en estoit, pour la defense dou devant dit roiaume. 20 Ou tesmoing de la quele chose, nous avons / fet meitre nostre seel à ces presentes letres. 21 Ce fu fet à Paris, 22 en l’an de l’incarnation nostre Seigneur , mil · deus cenz e / septante e un, 23 ou mois de dezembre.

3. La méthode scripto-géolinguistique d’Anthonij Dees La méthode scripto-géolinguistique d’Anthonij Dees repose sur le calcul d’un taux de fréquence (en pourcentage) relatif à la présence d’un quelconque critère scripturaire examiné dans un corpus de chartes donné. Étant donné que Dees (1980, XII) n’explique sa méthode que d’une manière très succincte, il nous semble utile de la présenter plus en détail (cf. Goebl 2008b, 4-6). Le point de départ est constitué d’une matrice de données bidimensionnelle N*p, représentée par l’Atlas de 1980 ; dans cette matrice : N = 28 points d’enquête ou « régions scripturaires majeures » p = 282 critères grapho-phonétiques, morphologiques ou syntaxiques (qui correspondent aux en-têtes des 282 cartes de l’ouvrage publié).

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L’abscisse des 28 points d’enquête (= objets de la matrice de données) et l’ordonnée des 282 critères (= attributs de la matrice de données) forment une aire remplie par des valeurs indiquant les qualités des attributs, qui correspondent aux valeurs de fréquence de chaque critère calculées selon les modalités que nous présenterons plus loin. Observons toutefois d’abord que les 28 macro-régions représentées dans l’Atlas de Dees sont le résultat de l’agglomération de 85 unités spatiales mineures (cf. la table de concordance entre les régions scripturaires majeures et mineures dans Goebl 2008b, 28). Ainsi, la macro-région 19 « Région parisienne », qui sera au centre des analyses suivantes, est composée des micro-régions 54 « Région parisienne » 16, 55 « Val d’Oise », 56 « Paris » et 57 « Seine-et-Marne » (voir l’étiquetage des polygones dans les cartes 2 et 4-5 dans l’annexe). Pour éviter les malentendus, nous utilisons toujours les noms des régions de Dees en les mettant entre guillemets : « Région parisienne » se réfère donc toujours à cette macro- (ou micro-)région dans l’Atlas, et pas à une région géographique réelle. Cependant, cette « Région parisienne » (appellation jusqu’en 1976 de l’actuelle région administrative d’Île-de-France) a été délimitée par Dees sur la base de la répartition administrative moderne de la France en départements, au même titre que d’autres régions comme 09 « Bretagne », 10 « Normandie », 15 « Hainaut », 16 « Wallonie », 26 « FrancheComté » ou 27 « Bourgogne », mais il est fort probable que cette « Région parisienne » est à assimiler dans la vision historique de Dees à l’‘Ile-de-France’ des traités de linguistique historique, berceau supposé de la langue française standard. Pour des raisons géo-historiques évidentes, nous concentrerons dans le présent travail les comparaisons entre notre corpus et les données de Dees en premier lieu sur cette « Région parisienne », tant au niveau des macro-régions (cf. chapitres 4 et 5) qu’à celui des micro-régions de l’Atlas (cf. chapitre 6). Retenons dès maintenant que la « Région parisienne » de Dees se révèlera assez hétérogène et, de la sorte, moins adéquate pour la description historique du français que d’autres régions définies par ce chercheur. Revenons aux modalités de calcul : pour chaque phénomène linguistique qu’il voulait analyser, Dees a réparti les formes examinées en deux groupes, de manière à ce qu’elles forment deux catégories binaires. Par exemple, pour analyser l’un des aspects de la variation grapho-morphologique des adjectifs Malheureusement, plusieurs macro- et microrégions portent le même nom, comme ici la « Région parisienne ». Il faut donc bien noter le chiffre qui accompagne la désignation des régions respectives pour savoir si on se trouve au niveau des macro- ou microrégions de Dees.

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et les pronoms démonstratifs, la présence ou non du i-antéposé (critère 61, cf. la description du critère dans Dees 1980, 314), il a formé deux classes en opposition binaire entre elles : (a) la première (= groupe 1) contenant les formes avec des graphies en i- ‹ic-, ich-, is-› (icele, iceli, icelui, iceus etc.) et (b) la deuxième (= groupe 2) contenant les formes sans i- ‹c-, ch-, s-› (ce, ceismes, cel, cele, celes, celui, ces, cest, ceste, cestes, cestui, ceus, cez, cil, ciz etc.) – cf. la liste des formes relevées dans Dees 1980, 325sq.

La fréquence des formes est d’abord calculée charte par charte. Si une charte ne présente que des formes appartenant à l’un des deux groupes binaires (dans notre exemple : uniquement des formes en ‹ic-, ich-, is-› [groupe 1] ou uniquement des formes en ‹c-, ch-, s-› [groupe 2]), cette charte entre dans le calcul des pourcentages de fréquence avec la valeur « 1 » (si elle ne connaît que des formes du groupe 1) ou « 0 » (si elle ne connaît que des formes du groupe 2), indépendamment de la fréquence absolue d’une forme concrète à l’intérieur de la charte même. Concrètement, à une charte qui présente comme démonstratif la forme ‹iceus› pour ‘ceux’ (et seulement celle-ci) est attribuée la valeur « 1 », sans distinguer si la forme ‹iceus› apparaît une ou plusieurs fois ; si en revanche elle présente la forme exclusive ‹ceus› elle est affectée de la valeur « 0 ». Si enfin une charte présente des formes appartenant aux deux catégories en question, cette charte entre dans le calcul des pourcentages de fréquence avec une valeur oscillant entre 0,01 et 0,99, selon la proportion des occurrences absolues des formes appartenant à chaque groupe. La charte de décembre 1271 publiée ci-dessus présente ainsi six démonstratifs en i- (groupe 1) et dix-sept formes sans i- (groupe 2) : Groupe 1

Groupe 2

‹icelui› dans les sous-unités 1/7, 1/11, 1/16

‹ce› dans les sous-unités 1/4, 1/13, 1/15, 1/18

‹iceus› dans les sous-unités 1/15 [2x], 1/16

‹celui› dans la sous-unité 1/18 ‹ces› dans les sous-unités 1/2, 1/14, 1/20 ; ‹cest› dans les sous-unités 1/4, 1/10 ; ‹ceste› dans la sous-unité 1/4 ; ‹ceus› dans les sous-unités 1/2, 1/12 [2x], 1/15, 1/16 ; ‹cil› dans la sous-unité 1/18.

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14

PAUL VIDESOTT

Elle entre donc avec une valeur de 0,26 (= 6/ 23) dans le calcul de la fréquence dans tout le corpus des formes appartenant au groupe 1 du critère 61. Après le calcul des valeurs ‘brutes’, charte par charte, pour les formes réunies dans le groupe 1 de chaque critère, les effectifs obtenus sont convertis en pourcentages en divisant leur somme par le nombre de chartes qui contiennent des formes appartenant soit au premier, soit au deuxième groupe, selon la formule suivante (cf. Goebl 2008b, 29) :

(α)

Ʃ

chartes (du centre scripturaire j) avec des occurrences de l’attribut visualisé (groupe 1)

Ʃ

chartes (du centre scripturaire j) avec des occurrences de l’attribut visualisé (groupe 1) et de l’attribut non visualisé (groupe 2)

% = 100 *

La liste suivante contient l’inventaire complet des formes appartenant aux deux groupes du critère 61 – choisi pour notre exemplification – relevées dans notre corpus de Philippe III 17 : Groupe 1, icele, iceli, icelui, iceus : ‹icele› 13/4 ‹iceli› 12/73 ‹icelui› 1/7, 1/11, 1/16 ; 3/5 ; 11/73 ; 13/8 ; 14/8 ‹iceus› 1/15 [2x], 1/16 Groupe 2, ce, ceismes, cel, cele, celes, celui, ces, cest, ceste, cestes, cestui, ceus, cez, cil, ciz : ‹ce› 1/4, 1/13, 1/15, 1/18 ; 2/4, 2/5, 2/24, 2/25 ; 6/5, 6/8, 6/12, 6/13 ; 7/5 [2x], 7/8 çe, 7/17, 7/21, 7/22, 7/24, 7/25 ; 8/5 [2x], 8/8, 8/17, 8/21, 8/22, 8/24, 8/25 ; 9/5, 9/12, 9/14, 9/16, 9/17, 9/18, 9/19, 9/20 ; 10/5, 10/12, 10/14, 10/16, 10/17, 10/18, 10/19, 10/20 ;11/11, 11/24, 11/25, 11/38, 11/59, 11/67 [2x], 11/73 ; 12/11, 12/25, 12/38, 12/59, 12/67 [2x], 12/73 ; 13/9, 13/12 ‹ceismes› 12/24 ‹cel› 11/35 ; 12/8, 12/12, 12/24, 12/26, 12/30, 12/33, 12/35 ‹cele› 2/5 ; 3/2 ; 4/2 ; 5/2 ; 6/9, 6/11 ; 9/15 ; 10/15 ; 11/6, 11/8, 11/12, 11/24, 11/26, 11/30, 11/33, 11/61, 11/66 [2x] ; 12/6, 12/61, 12/66 [2x] ‹celes› 2/14, 2/15 ; 6/13 ‹celui› 1/18 ; 6/19 ; 9/15, 9/18 ; 10/15, 10/18 ; 13/7 ; 14/6 ‹ces› 1/2, 1/14, 1/20 ; 4/4 ; 5/4, 5/6 ; 6/20 ; 7/18, 7/26, 7/31, 7/32 ; 8/11, 8/18, 8/26, 8/31, 8/32 ; 9/16, 9/19 ; 10/16, 10/19 ; 11/70, 11/79 ; 12/70, 12/79 ; 13/12 ; 14/11, 14/13 ‹cest› 1/4, 1/10 ; 3/5 ; 7/17, 7/18, 7/24 ; 8/17, 8/18, 8/24 ; 9/12 ; 10/12 ; 11/5, 11/65, 11/72, 11/75, 11/77, 11/78 ; 12/5, 12/65, 12/72, 12/75, 12/77, 12/78 17

Le premier chiffre se réfère au numéro courant du document dans notre corpus, le deuxième aux sous-unités de contenu. Pour le contrôle de nos données, nous renvoyons de nouveau à l’édition à venir des documents dans Videsott 2013.

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‹ceste› 1/4 ; 2/7, 2/23, 2/24 [2x] ; 6/5, 6/7, 6/20, 6/22 ; 9/8, 9/10 ; 10/8, 10/10 ; 11/71, 11/76, 12/71, 12/76 ‹cestes› 6/22 ‹cestui› 9/5 ‹ceus› 1/2, 1/12 [2x], 1/15, 1/16 ; 2/14, 2/15, 2/24 [2x] ; 7/17 ; 8/17 ; 9/2, 9/15 ; 10/2, 10/15 ; 11/67, 11/76, 11/78 [2x] ; 12/67, 12/76, 12/78 [2x] ; 13/2 ; 14/14 ‹cez› 7/14 ; 8/14 ‹cil› 1/18 ; 6/7, 6/10 ; 7/2 ; 8/2 ; 11/67 ; 12/67 ; 14/6, 14/7 ‹ciz› 7/28 ; 8/28.

Les formes relevant du critère 61 sont présentes dans chacune des 14 chartes de notre corpus, mais celles du premier groupe, en i-, le sont uniquement dans les chartes 1/, 3/, 11/, 12/, 13/ et 14/. Leur fréquence « brute » dans les chartes concernées est donc :

6/23 = 0,26 pour la charte 1 (éditée ci-dessus) 1/3 = 0,33 pour la charte 3 1/35 = 0,03 pour la charte 11 1/35 = 0,03 pour la charte 12 2/ 7 = 0,29 pour la charte 13 1/ 7 = 0,14 pour la charte 14. Somme : 1,08.

La fréquence « brute » totale des formes du groupe 1 est convertie en un pourcentage de fréquence en appliquant la formule (α) ; en d’autres termes, la « somme » (ici 1,08) est divisée par le nombre total de chartes qui contiennent une des formes qui relèvent du critère en question (groupe 1 ou groupe 2, donc ici la totalité des 14 chartes) :

1,08/14 * 100 = 7,71% = (arrondi) 8%. Pour le corpus de chartes de Philippe III, on obtient donc une valeur de 8% pour le critère 61, à comparer aux autres valeurs du même critère présentes dans l’Atlas de Dees 18. Toujours pour le critère 61, la première valeur de comparaison est de 11% (arrondi de 11,15%), selon le calcul de Dees pour les chartes de la « Région parisienne » (cf. en 4) et, par la suite, les valeurs de toutes les autres régions scripturaires prises en compte dans l’Atlas (cf. Dees 1980, 67). Selon ce schéma, nous avons calculé, pour notre corpus de quatorze documents de Philippe III, la fréquence de 268 des 282 critères analysés par 18

Les fréquences des formes du groupe 2 (non visualisées dans l’ « Atlas ») sont déterminables par soustraction en retranchant à un total de 100 la fréquence en % du groupe 1 ; dans notre exemple : 100 - 7,71% = 92,29%.

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16

PAUL VIDESOTT

Dees 19. Les 268 valeurs ainsi calculées peuvent donc s’ajouter comme « région scripturaire » supplémentaire au réseau scriptologique analysé par Dees, qui, rappelons-le, contient déjà 28 macro- et 85 micro-régions 20. Il faut remarquer que les oppositions de Dees – choisies à l’issue d’un processus de réflexion géolinguistique (« après de longs tâtonnements », comme il le dit lui-même dans Dees 1980, XI) – ne sont pas toujours d’une binarité absolue. L’objectif de Dees était de regrouper des formes donnant « le meilleur résultat cartographique en terme de cohérence des aires et qui permettra souvent de se faire une idée de l’histoire des formes étudiées » (Dees 1980, XI). Pour le critère 61 que nous venons de citer, l’intérêt épistémologique réside dans la présence du i- antéposé en général, sans distinguer si chaque forme retenue dans le deuxième groupe est effectivement documentée aussi avec i- (dans ce cas-là, il s’agirait d’une binarité parfaite). Parmi toutes les méthodes d’analyse scriptologique disponibles, le choix de la ‘méthode Dees’ a l’avantage immédiat de permettre de ‘localiser’ la scripta d’une chancellerie donnée – comme la chancellerie royale ou la prévôté de Paris – dans l’espace diatopique de la France oïlique au XIIIe siècle. La méthode ici appliquée s’inscrit donc dans les processus de localisation quantitative. À notre connaissance, personne n’a encore entrepris de décrire l’ancrage diatopique de la langue des chancelleries supra-locales du royaume capétien de manière inductive, à partir des documents eux-mêmes ; jusqu’alors, ces documents ont toujours été vus comme représentants de la langue de la capitale ou de l’Île-de-France du simple fait qu’ils portaient dans la datatio « donné à Paris […] ». Or, nous savons que c’est surtout le ‘rédacteur’ – donc l’institution responsable pour la rédaction de l’acte – qui détermine la langue du document et non pas le lieu où un scribe se trouve physiquement au moment de la rédaction (cf. Glessgen 2008).

La limitation aux 268 premiers critères est due au fait que les analyses scriptométriques menées sur l’Atlas avec un grand profit heuristique par Hans Goebl (cf. Goebl 1998 ; 2001 ; 2005 ; 2006 ; 2007 ; 2008b ; 2011a ; 2011b ; Goebl/Schiltz 2001) tiennent, elles aussi, compte de ces seuls critères ; de la sorte, la comparabilité des résultats reste garantie. Il faut remarquer que Dees a renoncé à calculer la fréquence d’un groupe de formes quand le nombre des chartes qui les contenaient était inférieur à 6 (cf. Dees 1980, XII) ; pour notre part, étant donné que notre corpus compte un total de quatorze chartes, nous avons toujours effectué ce calcul. 20 Le but premier de nos prochains travaux scriptométriques est donc d’établir deux séries complètes de 268 valeurs supplémentaires (l’une pour la chancellerie royale et l’autre pour la prévôté de Paris) et de les insérer dans la banque de données qui sert de base aux dépouillements scriptométriques effectués par Hans Goebl sur l’Atlas de Dees. 19

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LES DÉBUTS DU FRANÇAIS À LA CHANCELLERIE ROYALE

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Tout en étant bien conscient que la scripta des chancelleries parisiennes de l’administration royale – du fait de leurs intentions communicatives, clairement suprarégionales – ne s’interprète pas exclusivement du point de vue diatopique, il nous semble néanmoins intéressant d’examiner dans quelle mesure les autres scriptae oïliques ressemblaient dès le XIIIe siècle à la forme linguistique utilisée dans ces chancelleries fondamentales. Cependant, surtout à ce stade provisoire du projet, on restera prudent quant aux conclusions à formuler : en raison du petit nombre de documents de l’époque de Philippe III qui sont à notre disposition, plusieurs critères ne sont pas représentés (voir les critères de fréquence « -1 » dans la liste en 4) ; avant d’affirmer que telle ou telle forme linguistique « n’était pas employée » à la chancellerie royale au XIIIe siècle, il faudra donc attendre les résultats de l’analyse du corpus intégral, qui comprend aussi les documents de Louis IX et, surtout, de Philippe IV (quelques exemples à ce sujet sont mentionnés au point 5). De plus, le fait qu’on applique ici à l’analyse scriptologique uniquement les 268 critères déjà utilisés par Dees signifie que d’autres critères, probablement tout aussi pertinents, restent exclus. Ces critères (comme la présence des graphies ‹k› et ‹w› dans d’autres contextes que ceux prévus par les critères 134, 135 et 251 de Dees, la présence du ‹h› antihiatique, l’alternance ‹an/en› etc.) feront l’objet d’une analyse ultérieure 21. Le but de cette étude, soulignons-le, n’est pas en premier lieu l’analyse de la langue des chartes françaises de Philippe III en tant que telle, mais l’analyse de sa position géo-relationnelle au sein du réseau scriptologique constitué par l’Atlas de Dees.

4. Analyse scriptologique quantitative Le tableau suivant renferme le résultat de notre analyse. Les trois colonnes contiennent les informations suivantes : Colonne 1 : numéro du critère conformément à l’Atlas de Dees (pour la description des critères, voir Dees 1980, 313-321) Colonne 2 : fréquence (en %) des formes du premier groupe dans notre corpus (le chiffre « -1 » est utilisé en l’absence d’attestations) Colonne 3 : fréquence (en %) – à titre comparatif – des formes du même groupe pour la macro-région scripturaire « Région parisienne » selon l’Atlas

21

Une analyse préliminaire allant dans le même sens a été réalisée, avec des résultats notables, au semestre d’été 2012 lors du séminaire « Le francien – mythe et réalité » dirigé par Martin Glessgen à l’Université de Zurich, auquel nous avons pu participer partiellement.

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Critère Dees 1980

Fréquence Fréquence Corpus « Région Philippe Parisienne » III (Dees 1980)

Critère Dees 1980

Fréquence Fréquence Corpus « Région Philippe Parisienne » III (Dees 1980)

1

-1

0

31

-1

-1

2

-1

0

32

-1

-1

3

-1

-1

33

0

0

4

-1

-1

34

4

58

5

-1

0

35

0

0

6

-1

0

36

-1

-1

7

-1

0

37

19

61

8

0

0

38

0

0

9

0

0

39

0

0

10

-1

-1

40

0

1

11

75

17

41

0

0

12

0

0

42

20

78

13

94

81

43

100

98

14

0

3

44

100

98

15

-1

14

45

0

0

16

90

95

46

0

0

17

0

-1

47

-1

-1

18

63

0

48

0

0

19

89

92

49

0

0

20

0

-1

50

38

64

21

10

-1

51

0

0

22

0

-1

52

0

6

23

0

0

53

0

32

24

0

0

54

-1

84

25

100

28

55

-1

43

26

0

-1

56

0

0

27

0

0

57

-1

-1

28

0

0

58

0

5

29

0

0

59

0

0

30

-1

-1

60

0

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LES DÉBUTS DU FRANÇAIS À LA CHANCELLERIE ROYALE

Critère Dees 1980

Fréquence Fréquence Corpus « Région Philippe Parisienne » III (Dees 1980)

Critère Dees 1980

Fréquence Fréquence Corpus « Région Philippe Parisienne » III (Dees 1980)

61

8

11

91

33

65

62

20

41

92

0

0

63

20

9

93

0

0

64

3

62

94

18

17

65

14

16

95

0

6

66

20

57

96

60

83

67

2

6

97

0

4

68

100

89

98

83

82

69

-1

0

99

100

82

70

-1

56

100

15

77

71

-1

-1

101

100

98

72

-1

0

102

-1

-1

73

0

1

103

0

0

74

0

0

104

0

8

75

8

1

105

0

0

76

100

59

106

0

0

77

-1

0

107

100

62

78

-1

1

108

0

4

79

0

0

109

-1

0

80

0

0

110

-1

38

81

100

45

111

0

0

82

-1

0

112

100

100

83

0

2

113

14

12

84

0

0

114

40

35

85

0

8

115

0

0

86

8

50

116

0

15

87

100

97

117

0

0

88

0

21

118

55

26

89

82

95

119

0

0

90

17

35

120

0

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Critère Dees 1980

Fréquence Fréquence Corpus « Région Philippe Parisienne » III (Dees 1980)

Critère Dees 1980

Fréquence Fréquence Corpus « Région Philippe Parisienne » III (Dees 1980)

121

-1

-1

151

50

13

122

17

63

152

0

86

123

58

81

153

-1

0

124

0

0

154

-1

0

125

0

0

155

0

3

126

0

0

156

0

0

127

50

71

157

0

0

128

67

50

158

0

38

129

-1

0

159

-1

5

130

-1

0

160

-1

95

131

-1

0

161

67

49

132

-1

0

162

57

81

133

-1

0

163

100

69

134

0

0

164

0

1

135

0

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LES DÉBUTS DU FRANÇAIS À LA CHANCELLERIE ROYALE

Critère Dees 1980

Fréquence Fréquence Corpus « Région Philippe Parisienne » III (Dees 1980)

Critère Dees 1980

Fréquence Fréquence Corpus « Région Philippe Parisienne » III (Dees 1980)

181

0

3

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0

0

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PAUL VIDESOTT

Critère Dees 1980

Fréquence Fréquence Corpus « Région Philippe Parisienne » III (Dees 1980)

Critère Dees 1980

Fréquence Fréquence Corpus « Région Philippe Parisienne » III (Dees 1980)

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4

255

0

0

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267

0

0

254

0

0

268

0

0

Parmi les critères analysés, sont d’un intérêt particulier ceux où les documents de la chancellerie royale oscillent encore entre des formes différentes, comme dans les exemples suivants : 37. L’article défini au cas sujet du masc. pl. : alternance les, los : li Groupe 1, les ‹les› commandons que toz les lés et les dons … soient paié 11/69 [2x] ; 12/69 [2x] Groupe 2, li ‹li› li orfevre euvrent 2/20 ; li jugement et li taxement à faire 7/22 [2x], li diz hoirs de Champaigne pooions demander, li diz … sunt … quite 7/24 [2x], lidit Eymond et Blanche sunt tenu 7/25, 7/28 ; 8/22 [2x], 8/24 [2x], 8/28 ; comme … li fié devront 9/13 ; 10/13 ; li dui abbé 11/78 ; 12/78 Fréquence dans 86 « Chancellerie royale » : 1,34 / 7 [= le critère est présent sous une forme appartenant au groupe 1 ou 2 dans sept chartes] * 100 = 19,14 = (arrondi) 19%

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LES DÉBUTS DU FRANÇAIS À LA CHANCELLERIE ROYALE

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89. Les adjectifs et les pronoms ‘tout’ : alternance -ou- : -oGroupe 1, tout, toute, toutes, touz ‹tout› tout soient il pelé 2/11 ; tout tens 4/4 ; tout tens 5/3 ; tout ce qui forfet en sera 6/8 ; certaines viles tout ensemble 7/14, tout ce qui est encor à recevoir 7/21, tout le droit 7/28 ; ne en tout , ne en partie 7/30 ; 8/14, 8/21, 8/28, 8/31 ; tout ce qui est dit devant 9/17, Et avec tout ce 9/18 ; 10/17, 10/18 ‹toute› toute la haute joustisce 6/19 ; toute manière 9/4, toute porveance 9/6 ; 10/4, 10/6 ‹toutes› toutes genz 2/18, en toutes noz villes 2/20 ; toutes les dites monnoies, toutes celes que chascuns avra 6/13 [2x], toutes les monnoies 6/18, en toutes choses 6/22 ; de toutes actions desus dites , et de toutes autres 7/24 [2x], toutes detes cleres 7/25 ; 8/25 ; toutes les apartenances 9/7, 9/9, toutes les choses 9/16 ; 10/7, 10/9, 10/16 ; toutes noz detes 11/5, toutes ces choses 11/70 ; 12/5, 12/70 ; toutes ces choses 14/13 ‹touz› à touz ceus 1/2, touz ceus qui sont desus nommez 1/16 ; touz ceus qui font monnoies 2/15, à touz les barons 2/24 ; se fust touz aprestez 3/4, la feste touz sainz 3/8 ; à touz ceus qui sunt 9/2, rapelant touz autres testamenz 11/4 ; 12/4 ; facent touz jours mes 12/58 [2x], touz les léz et les dons 12/69 ; à touz ceus qui sont 13/2, touz jors mes 13/4, 13/11, 13/12 [2x] Groupe 2, tote, totes, toz ‹tote› tote la-raison 7/28 ; 8/28 ‹totes› totes les rentes 7/17, totes les detes 7/19, totes les autres choses 7/23, de totes demandes , de totes quereles 7/24 [2x], totes les dites soixante mile lb. 7/27, totes les choses 7/30 ; 8/17, 8/19, 8/23 ; 8/24 [4x], 8/30 ‹toz› toz jors 5/5 ; pour eschiver toz debaz 7/14, delivré à toz jourz 7/24, à la Toz sainz procheinement à venir7/27 ; 8/14, 8/24, 8/27 [2x] ; et toz noz biens 9/17, à toz ceus qui sunt 10/2, toz noz biens 10/17, toz jors mes 11/58 [2x], toz les lés et les dons 11/69 Fréquence dans 86 « Chancellerie royale » : 11,42/14 * 100 = 81,57 = (arrondi) 82% 94. Les adjectifs et les pronoms ‘quel’ : alternance -ie- : -e-, -eiGroupe 1, quiex ‹quiex› li quiex n’est pas legiers galioz por mariner 3/5 ; as quiex, quant à ceste execution fere 11/76 ; 12/76 Groupe 2, quel, quele, queles, quels ‹quel› le quel nostre frere Pierre 1/7 ; lequel nostres sires Diex face et maintiengne bon 4/4, lequel nous creons que vous oez volentiers bon 4/6 ; le quel nostres Sires face bon et joiex toz jors 5/5 ; lequel nous savons que vous desirrez que soit bons 5/6 ; de quelquel chose que ce soit 7/17, 7/24 [2x] ; 8/17, 8/24 [2x] ; En tesmoing de laquel chose 11/79 ‹quele› Ou tesmoing de la quele chose 1/20 ; quele qu’ele soit 6/4 ; En tesmoing de laquele chose 12/79

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PAUL VIDESOTT

‹queles› les queles y-ont acoustumé à courre 2/4 ; Les queles deus mile livres 13/8 ; lesqueles nous commandons à garder 13/12 ; ‹quels› des quels li rois Henris pooit faire sa volenté 7/12 ; 8/12 Fréquence dans 86 « Chancellerie royale » : 2/11 * 100 = 18,18 = (arrondi) 18% 114. Le numéral ‘soixante’ : alternance -e- : -oi-, -ei-, -ai-, -iGroupe 1, sexante ‹sexante› À la Meson Dieu de Pontoise sexante lb. tur. 11/14 [3x], 11/31, 11/33, 11/34, 11/35, 11/36, 11/49 ; 12/14 [3x], 12/31 Groupe 2, soixante ‹soixante› l’an de l’incarnation nostre Seigneur ·M·CC· soixante quinze 2/26 ; 7/26 soixante mile lb. de torn., 7/27, 7/29 ; 8/26, 8/27, 8/29 Fréquence dans 86 « Chancellerie royale » : 2/5 * 100 = 40,00 = 40% 122. L’adjectif ‘dit’ au cas sujet du masc. sg. : alternance -ø : -s Groupe 1, dit ‹dit› li devant dit Pierres nostre frere trespassast de cest siecle, anceiz que li devant dit ainznez de noz enfanz fust venuz au devant dit aage 1/10 [2x] ; que li devant dit Jehan cuens de Blois … soit principau garde 1/11, oveque ceus que li devant dit nostre freres Pierres … establira 1/15, que nostre devant dit frere Pierres ou li devant dit cuens de Blois … face ses despens 1/17 Groupe 2, diz ‹diz› les autres que li devant diz nostre frere voudra apeler oveques ces 1/14 ; li devant diz nostre hoirs soit tenuz à noz deus filz desus nonmez 9/11 ; 10/11 ; li devant diz aumoniers , qui pour le tens sera , prendra en noz coffres 13/8, Encor cil diz escuiers a prins les chateus, comme li diz chevaliers le dit 14/7 [2x], Et a li diz escuiers encores esté à penre un frere au dit chevalier 14/8, Encor a-prins li diz escuiers un cousin au dit chevalier 14/9, Et a prins encores li diz escuiers un vallet au dit chevalier 14/10 Fréquence dans 86 « Chancellerie royale » : 0,83/5 * 100 = 16,6 = 17% 148. Le substantif ‘femme’ : alternance -a- : -eGroupe 1, fame, fames ‹fame› l’ame de la royne Ysabel jadiz nostre fame 12/68 ; nostre trés chiere fame , Ysabel reine de France 13/5 ‹fames› À autres povres fames marier et assener 12/53 Groupe 2, femme, femmes

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LES DÉBUTS DU FRANÇAIS À LA CHANCELLERIE ROYALE

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‹femme› l’ame de la reine Isabel jadis nostre femme 11/68 ‹femmes› À autres povres femmes marier 11/53 Fréquence dans 86 « Chancellerie royale » : 2/3 * 100 = 66,67 = 67% 190. Le substantif ‘seigneur’ : alternance se- : seiGroupe 1, segneur ‹segneur› segneur d’Illande 3/2 ; 4/2 ; 5/2 ; en l’an nostre Segneur 9/22 ; 10/22 ; en l’an nostre Segneur 11/81 Groupe 2, seigneur ‹seigneur› en l’an de l’incarnation nostre Seigneur 1/22 ; li billons sera as seigneurs de leus 2/17, l’an de l’incarnation nostre Seigneur 2/26 ; en l’an nostre Seigneur 12/81 ; nostre trés chier seigneur et père 13/5 ; qui a nom mon seigneur Ellebaut de Mairi 14/4 Fréquence dans 86 « Chancellerie royale » : 6/11 * 100 = 54,55 = 55% 231. Le parfait du verbe ‘être’ à la 3e pers. du sg. : alternance fu, fui : fut, fuit Groupe 1, fu ‹fu› Ce fu fet à Paris 1/21 ; Ce fu donné à Paris 2/25 ; Ce fu fet à Paris 6/24 ; pais et acorz fu fais 7/10, dés le jour que ciz acorz fu faiz en avant 7/28, Ce fu fait à Meleun 7/33 ; 8/28, 8/33 ; Ce fu fet à Paris 9/20 ; 10/20 ; Ce fu fet à Paris 11/80 ; 12/80 ; avec le conmendement fu prins li clers à la dite dame, et fu prins au jour de vostre bailif 14/12 [2x] Groupe 2, fut ‹fut› des diz contenz et descorz pais et acorz fut fais 8/10 Fréquence dans 86 « Chancellerie royale » : 9,67/10 * 100 = 96,70 = 97% 248. L’infinitif du verbe ‘faire’ : alternance -ei-, -e- : -ai-, -ae-, -aGroupe 1, feire, fere ‹feire› si comme il verront que bien sera à feire 12/5, por feire perpetuelment nostre anniversaire 12/17 ‹fere› por fere vous homage 3/4 ; et que du fere diligaument apere prochainnement plus granz preuz 6/23 ; qu’il ne devoient ne poient fere par raison de bail 8/8 ; comme nous le poons fere quant à ores 9/4, Et il et leur hoir en seront tenu à fere tiex redevances 9/13, si comme il verra que sera à fere 9/18 ; 10/4, 10/13, 10/18 ; si comme il verront que bien sera à fere 11/5, por fere en cele abbaïe nostre anniversaire 11/6, 11/7, 11/9, 11/10, 11/11, 11/13, 11/17, 11/19, 11/21, 11/23, 11/24, 11/27, 11/28, 11/31, 11/32, 11/34, 11/36, 11/37, 11/57, 11/58, 11/60 [2x], 11/67, 11/73 [2x], 11/76, 11/77, 11/78 ; 12/6, 12/7, 12/9, 12/10, 12/11, 12/13, 12/19, 12/21, 12/22, 12/23, 12/24, 12/27, 12/28, 12/31, 12/32,

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PAUL VIDESOTT

12/34, 12/36, 12/37, 12/57, 12/58, 12/60 [2x], 12/67, 12/73 [2x], 12/76, 12/77, 12/78 ; il sera miauz et plus profitablement à fere 13/7 Groupe 2, faire ‹faire› faire encontre ceste ordenance 2/7, sanz faire dessevrance apperte 2/18, 2/19 ; qu’il ne devoient ne pooient faire 7/8, des quels li rois Henris pooit faire sa volenté 7/12, li jugement et li taxement à faire 7/22, Et sommes encor tenu, nous et nostre hoir , de faire et procurer, faire tenir et acomplir 7/30 [2x] ; 8/12, 8/22, 8/30 [2x] ; por faire autresi nostre anniversaire 11/22 ; pour faire droit et raison 14/14 Fréquence dans 86 « Chancellerie royale » : 7,17/11 * 100 = 65,18 = 65%

Ces exemples, ainsi que d’autres semblables, démontrent qu’au temps de Philippe III la chancellerie royale n’avait pas encore établi une stricte norme pour ses documents en français. L’homogénéité linguistique des chartes royales augmente sensiblement sous Philippe IV, bien qu’une certaine variation résiduelle soit observable jusqu’à la fin du siècle (date limite de notre corpus).

5. Bilan scriptologique Avant d’établir un bilan scriptologique de l’analyse précédente, nous devons préciser les différences structurelles entre les deux corpus, celui de Dees et le nôtre. En premier lieu, les données de Dees ne sont pas toutes pareillement fiables sur le plan des transcriptions (cf. infra), alors que les nôtres sont passées par une bonne dizaine de relectures par nos soins et diverses vérifications par d’autres personnes 22. Par ailleurs, l’Atlas de Dees réunit un plus grand nombre de documents – en tout 104 – qui couvrent, pour le vecteur scripturaire de la « Région parisienne » une tranche chronologique plus grande. En revanche, notre corpus ne couvre que quinze ans (1270-1285) de la deuxième moitié de ce siècle et ne comprend que quatorze documents. La plus importante différence enfin concerne l’origine précise des documents ; notre corpus restreint a l’avantage d’une homogénéité maximale, alors que le corpus de la « Région parisienne » 23 de Dees réunit des documents provenant des chancelleries les plus diverses. Le tableau suivant résume les différences les plus importantes entre les deux corpus : Je souhaiterais remercier en particulier Dumitru Kihaï (Zurich) pour ses relectures constantes ainsi que Jean-Paul Chauveau (Nancy) qui a accepté de relire toutes mes transcriptions des documents de Philippe III. 23 Malheureusement il n’a pas été possible d’établir comment ces 104 documents ont été attribués aux quatre micro-régions qui constituent la macro-région « Région parisienne » ; mais nous supposons que les documents provenant de la Prévôté de Paris et des abbayes parisiennes ont été assignés à la micro-région 56 « Paris ». 22

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LES DÉBUTS DU FRANÇAIS À LA CHANCELLERIE ROYALE

Corpus

Philippe III

Dees 1980 « Région parisienne »

Nombre de documents

14

104 [10224]

Période

1271-1285

1236-1300

[1271-1280] : 4 [1281-1285] : 10

Chancelleries de provenance (en l’absence d’une identification du rédacteur, nous indiquons l’auteur mentionné)

24

Chancellerie royale [14]

27

[1231-1240] : 1 [1241-1250] : 2 [1251-1260] : 14 [1261-1270] : 21 [1271-1280] : 12 [1281-1290] : 22 [1291-1300] : 30 ? [États de revenus des villes de Pontoise et de Mantes] : 3 (1260) Abbaye du Pont-Notre-Dame : 3 (1247 ; 1259 ; 1265-66) Adam de Longperrier, chevalier : 1 (1264) Adam le Chambellan, sire de Mesnil Aubry : 1 (1260-61) Anseau de Garlande, sire de Tournent : 2 (1260-61 ; 1270) Ansel de l’Isle, écuyer : 1 (1277) Bauduin de Pois, fis de Hue de Pois : 1 (1268) Dreue le Jeune, garde du sceau de la châtellenie de Pontoise : 2 (1300) Enfants du chevalier Hue de Pois : 1 (1262) Galeran, chambrier de Saint-Germain des Prés : 1 (1253) Gaucher de Châtillon, seigneur de Crécy : 1 (1258) Gautier de Nemours, maréchal de France : 2 (1260 ; 1265) Gautier, prieur de la Celle en Brie : 1 (1256) Guillaume le Valet, écuyer d’Osny : 1 (1283) Guillaume Tirel, sire de Pois : 3 (1276 ; 1278) Henri de Trie, chevalier : 1 (1283)

Dees (1980, 310) mentionne deux documents des Layettes I (n° 870 et 871) qui sont en latin. Il doit s’agir d’une coquille, mais il nous a été impossible de trouver les bons documents.

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28

PAUL VIDESOTT

Corpus

Chancelleries de provenance (en l’absence d’une identification du rédacteur, nous indiquons l’auteur mentionné)

Philippe III

Dees 1980 « Région parisienne »

Chancellerie royale [14]

Henri, comte de Rosnay : 1 (1268-69) Hugue, chambrier de Saint-Martin-desChamps : 1 (1279) Isabeau, abbesse, et le couvent de NotreDame de Jouarre : 1 (1260) Jacques de Poissy, clerc : 2 (1295 ; 1299) Jean d’Acy, doyen de Meaux : 1 (1260) Jean des Barres, seigneur de Villegenard : 1 (1253) Jehanne, dame de Cormeilles : 1 (1283) Lancelot, chevalier, sire de Vineuil : 1 (1260) Maires et communauté de Provins : 1 (1268) Maires et les pairs de la communauté de Pontoise : 8 (1276 ; 1280 ; 1287 ; 1288 ; 1290 ; 1292 ; 1295 ; 1299) Matthieu de Montmorency, Hoite sire de Sannois, Jean sire de Chars : 1 (1265) Matthieu le Chambellan, sire de Villebeon : 2 (1269-70) Matthieu, prieur de Tournan : 1 (1259) Nicolas de Châtenai, chevalier : 1 (1265) Nicolas de Pomponne, chevalier : 1 (1262) Odes de Sannois, chevalier : 1 (1267) Pierre le Sanglier, écuyer d’Osny : 1 (1283) Pierre, abbé de Saint-Maur-des-Fossés : 1 (1275) Pierre, évêque de Meaux : 1 (1236) Prévôté d’Etampes : 2 (1290 ; 1292) Prévôté de Beaumont : 1 (1268) Prévôté de Chateaulandon : 1 (1265-66) Prévôté de Melun : 1 (1282) Prévôté de Paris : 39 (à partir de 12651300) Renaud, seigneur de Tricot, chevalier du roi et Geoffroi de la Chapelle, panetier de France : 1 (1249) Robert de Musi : 1 (1290) Simon de Poissy : 1 (1261) Sybille, abbesse de Faremoutiers : 1 (1265) Ythier de Nanteuil, prieur de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem : 1 (1294)

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LES DÉBUTS DU FRANÇAIS À LA CHANCELLERIE ROYALE

Corpus

Editions utilisées

Philippe III

Videsott 2013 [tous les 14 documents]

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Dees 1980 « Région parisienne » Brièle 1894 [9 documents] Carolus-Barré 1964 [6 documents] Delisle 1904 [1 document] Depoin 1886 [27 documents] Depoin 1921 [7 documents] La Du 1960 [1 document] Layettes II 1866 [1 document] Layettes III 1875 [14 documents] Layettes IV 1901 [12 documents] Merlet 1906 [2 documents] Metelais 1912 [1 document] Pahin 1923 [2 documents] Terroine/Fossier 1966 [19 documents]

De cette juxtaposition découlent deux choses : l’analyse complète du corpus royal avec ses 130 documents échelonnés entre 1241 et 1300 sera pleinement comparable aux données de Dees. Plus important encore, la scripta administrative parisienne commence avec le premier document royal de 1241 ; et elle reste également liée de près aux chancelleries de l’administration royale par la suite (chancellerie royale et prévôté). Il ressort des données dont nous disposons actuellement que l’élaboration de la langue vernaculaire s’est faite dans les chancelleries à Paris du haut vers le bas, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres régions de la France oïlique. Cette conclusion peut sembler surprenante à la première vue, mais elle s’explique facilement par le fait qu’à Paris, capitale du royaume et sous le contrôle direct du pouvoir royal, il n’y avait pas de pouvoir seigneural ‘bas’ comparable à celui qui était présent dans les autres régions françaises. Cet état de fait a sans doute également contribué à l’apparition tardive du français à l’écrit dans la capitale. Chacun de ces quatre paramètres (fiabilité, chronologie, dimension, lieu de production) est responsable de certaines différences entre les deux corpus. Le corpus de Dees, qui porte sur un plus grand nombre de documents et sur une époque plus large, contient ainsi un certain nombre de formes qui ne sont pas présentes dans notre corpus, parce qu’elles appartiennent à une phase chronologique soit antérieure (elles sont par exemple encore documentées à la chancellerie royale au temps de Louis IX, mais pas par la suite 25), soit postérieure (c’est-à-dire relevant du règne de Philippe IV 26) ; parfois, l’absence dans notre corpus semble due à sa dimension réduite ; c’est le cas p.ex. des C’est le cas des formes du futur du verbe ‘être’ ert, iert, dont la chancellerie royale use encore en 1259, cf. Videsott 2011, 748. 26 Par exemple, une forme comme volanté (critères 200-203), qui n’apparaît à la chancellerie royale qu’à partir de 1296. 25

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critères 238 et 239 (formes du futur du verbe ‘ouïr’, bien documentées tant dans les documents de Louis IX que dans ceux de Philippe IV). Enfin, un certain nombre de critères de l’Atlas de Dees n’apparaissent pas dans le sous-corpus de la « Région parisienne » et il sont également absents de notre corpus ; nous les avons par conséquent exclus d’emblée de notre bilan scriptologique. Toutes restrictions considérées, 61 des 268 critères de Dees sont absents des données soit de l’un des deux corpus, soit même des deux 27. Nous avons ainsi retenu pour notre comparaison les 207 critères restants. Or, sur les 207 critères retenus, 83 (= 40%) ont des valeurs identiques (valeurs arrondies à l’unité pleine) dans les deux corpus 28 ; pour 43 autres (= 20%), les valeurs de notre corpus ne diffèrent que très peu (< 5%) de celles de Dees 29. C’est un premier constat de poids puisqu’il prouve une concordance réelle entre les données de Dees pour la scripta ‘parisienne’ et les caractéristiques de la chancellerie royale à notre période. Cela est rassurant dans le sens où les résultats des deux corpus, malgré leurs différences, démontrent une certaine cohérence interne. Sur cette base, les éventuelles divergences linguistiques gagnent en intérêt. En effet, 81 des 268 critères (= 40%) diffèrent de manière significative (> 5%) des scores de Dees pour la « Région parisienne », différence qui demande donc une interprétation plus détaillée. Si nous faisons abstraction ici du paramètre de fiabilité qui concerne quelques éditions utilisées par Dees, les différences entre notre corpus et celui de Dees vont dans les deux sens : ou bien la langue de la chancellerie royale présente une concentration plus faible d’un trait scriptologique donné 30 que les différentes chancelleries de la « Région parisienne » confondues, ou bien elle en présente une plus forte 31. Il s’agit des critères qui présentent la valeur « -1 » dans le tableau ci-dessus : 1-7, 10, 15, 17, 20-22, 26, 30-32, 36, 47, 54, 55, 57, 69, 70-72, 77, 78, 82, 102, 109, 110, 121, 129133, 138, 147, 150, 153, 154, 159, 160, 179, 183-185, 188, 212-214, 226, 229, 230, 234, 238-240, 256. 28 Critères 8, 9, 12, 23, 24, 27-29, 33, 35, 38, 39, 41, 45, 46, 48, 49, 51, 56, 59, 74, 79, 80, 84, 92, 93, 103, 105, 106, 111, 112, 115, 117, 119, 124-126, 134, 135, 137, 141, 143, 149, 156, 157, 165, 173, 174, 192, 193, 196, 197, 199-201, 209-211, 215, 218, 220, 221, 223, 224, 227, 232, 233, 237, 242, 245-247, 250, 251, 254, 255, 257, 261, 262, 264, 265, 267, 268. 29 Critères 14, 16, 19, 40, 43, 44, 58, 61, 65, 67, 73, 83, 87, 94, 97, 98, 101, 108, 113, 114, 136, 142, 145, 146, 155, 164, 167, 172, 177, 180-182, 204, 205, 216, 222, 228, 243, 244, 248, 258, 259, 263. 30 Appartiennent à ce groupe les critères 11, 13, 18, 25, 63, 68, 75, 76, 81, 99, 107, 118, 128, 139, 144, 151, 161, 163, 168, 175, 187, 190, 194, 198, 217, 231, 236, 241, 249, 252, 260. 31 C’est le cas pour les critères 34, 37, 42, 50, 52, 53, 60, 62, 64, 66, 85, 86, 88, 89, 90, 91, 95, 96, 100, 105, 116, 120, 122, 123, 127, 140, 148, 152, 158, 162, 166, 169, 170, 171, 176, 178, 186, 189, 191, 195, 202, 203, 206, 207, 208, 219, 225, 235, 253, 266. 27

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Dans le premier cas, l’on peut supposer que la chancellerie royale a réduit ou supprimé une forme alternative présente dans la scripta de la « Région parisienne » ; ainsi, notre corpus montre une suppression complète d’une variante dans les cas suivants (la suppression porte toujours sur le premier groupe des critères) : 53. L’article contracté ‘en+le’ : alternance el, eu, u : o, ou

[Phil. III : 0% ; RP 32%]

104. Le numéral ‘trois’ : alternance -ei-, -e-, -ai-, -ae- : -oi-, -oe- [Phil. III : 0% ; RP 8%] 202. Le substantif ‘volonté’ : alternance -on-, -un- : -en-, -an-

[Phil. III : 0% ; RP 23%]

225. Le présent du subjonctif du verbe ‘être’ : alternance -ei-, -e-, -ai-, -ae- : -oi-, -oe- à la 3e pers. du pl. [Phil. III : 0% ; RP 8%] 235. Le futur du verbe ‘avoir’ : alternance ar- : aur-, auer-, avr-, aver[Phil. III : 0% ; RP 12%]

Dans ces cas, la fréquence dans notre corpus de Philippe III est déjà et toujours de 0%, tandis que dans les autres chancelleries de la « Région parisienne », elle atteint encore des valeurs entre 8% et 32% (cf. les valeurs des critères reportées dans le tableau ci-dessus en 4). Dans d’autres cas, la chancellerie royale a pleinement généralisé une forme qui intervient dans le corpus de Dees comme une variante parmi d’autres ; par ex. (notre corpus correspond de nouveau aux formes du premier groupe des critères) : 68. Le pronom démonstratif ‘ceux’ : alternance -el-, -eu- : -(e,i)a-, -e(o)- [Phil. III : 100% ; RP 89%] 87. L’adjectif possessif de la 3e pers. pl. : alternance leur, luer : lor, luor, lur [Phil. III : 100% ; RP 97%] 144. Le substantif ‘dieu’ : alternance -ieu-, -iu- : -e-, -ei-, -eu- [Phil. III : 100% ; RP 74%] 187. Le substantif ‘seigneur’ : alternance -eu- : -o-, -ou-, -u- [Phil. III : 100% ; RP 83%] 194. Le substantif ‘successeur’ : alternance -eu- : -o-, -ou-, -u- [Phil. III : 100% ; RP 92%]

Ici, les formes de notre corpus atteignent une fréquence de 100%, tandis qu’elles oscillent encore entre 74% et 97% dans les autres chancelleries regroupées par Dees dans la macro-région « Région parisienne » (cf. de nouveau les valeurs reportées dans le tableau ci-dessus en 4). La logique diachronique de ces différences est variable : parfois les notaires de la chancellerie royale sont plus conservateurs que leurs homologues dans les autres chancelleries de la « Région parisienne ». Un exemple en est l’élision

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graphique du -s- préconsonantique, telle qu’elle est représentée par le critère : 176. Le substantif ‘maître’ : alternance -t- : -st-,

où, dans les chartes de Philippe III, la forme mestre est encore la seule utilisée, contrairement aux documents de la « Région parisienne », où la forme metre apparaît déjà de manière sporadique (6% des occurrences). Toutefois, bien plus fréquemment, la chancellerie royale est plus innovatrice (comme dans le cas de la réduction du système bicasuel 32 ou de la généralisation de formes en -eu- dans le suffixe -ŌRE 33) ; cf. les critères : 206. La déclinaison des substantifs (sans noms propres) : alternance -ø : -s, -z, -x au cas sujet du masc. sing. 207. La déclinaison des substantifs (sans noms propres) : alternance -s, -z, -x : -ø au cas sujet du masc. pl. 208. La déclinaison des substantifs : alternance -s : -ø au cas sujet du fém. sing. 187. Le substantif ‘seigneur’ : alternance -eu- : -o-, -ou-, -u194. Le substantif ‘successeur’ : alternance -eu- : -o-, -ou-, -u-

De manière plus générale, on peut résumer de la manière suivante les différences et les ressemblances entre les deux corpus analysés : (1) Là où Philippe III et Dees 1980 concordent, il s’agit dans la plupart des cas d’un accord sur une échelle plus large, qui comprend souvent aussi les régions (toujours selon l’Atlas de 1980) 4 « Indre, Cher », 5 « Orléanais », 10 « Normandie », 12 « Oise », 18 « Marne », 20 « Yonne », 21 « Aube » et 28 « Nièvre, Allier ». Somme toute, à partir des ressemblances mises en évidence, on peut dire que les notaires royaux respectaient assez consciencieusement les usages scriptologiques des territoires qui appartenaient à l’époque au noyau du domaine royal. Celui-ci s’étendait grosso modo le long de la Seine, de l’embouchure jusqu’aux portes de Provins. Par ailleurs, les notaires du roi acceptaient aussi des traits champenois, région qui n’entrera formellement dans le domaine royal qu’en 1284, mais était déjà liée très étroitement à la couronne 34. (2) Là où il y a des différences, elles semblent refléter des dynamismes linguistiques internes à la « Région parisienne » que pour l’instant nous résumons par le binôme « conservatisme – innovation ». Nous souhaitons pouvoir vérifier par la suite dans Notre analyse confirme à ce sujet pleinement les conclusions de Völker 2003, 189190. 33 Pour la distribution de ce critère dans le domaine d’oïl, cf. Gossen 1967, 93-95. 34 Ces liens ressortiront plus nettement une fois réalisée l’analyse comparée des chartes du corpus royal et de celles de Champagne rassemblées par Kihaï 2011. 32

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quelle mesure on peut faire intervenir une explication sociolinguistique basée sur la différence de portée communicative (comme dans d’autres scénarios scriptologiques, cf. Trotter 1997 pour la Gascogne et Videsott 2009, 421 pour l’Italie du Nord ; cf. également Völker 2003, 137sqq.). Selon ce modèle, les scribes auraient été capables de conformer leur langue aux exigences du commanditaire des actes et surtout à la valeur communicative que celui-ci voulait leur donner. On devrait donc s’attendre dans les chartes de la chancellerie royale à une langue plus dérégionalisée que celle de chartes à portée locale des autres chancelleries de la « Région parisienne » ; en tout cas, ni l’une ni l’autre, en tant que langues écrites, ne peuvent être vues comme le simple reflet d’une variété locale effectivement parlée dans la capitale ou ses environs.

6. Bilan géolinguistique Ce résultat de l’analyse scriptologique peut être en un deuxième temps nuancé et accentué par l’analyse dialectométrique de nos données à l’intérieur même des données de Dees. Cette comparaison permet en même temps de prouver la pertinence de sa méthode pour établir des bilans géolinguistiques. Les quatre cartes dialectométriques présentées dans l’annexe éclairent quatre aspects différents du ‘lieu géolinguistique’ de la chancellerie royale à l’intérieur de l’espace scriptologique oïlique. Pour les modalités d’établissement de ces cartes, nous renvoyons, une fois de plus, aux travaux de Hans Goebl cités à la note 19, en particulier à Goebl 2008b et 2011. Soulignons toutefois que (1) l’analyse scriptométrique suivante est menée à partir non plus des 28 macro-régions de l’Atlas, mais des 85 micro-régions qui en sont à la base, auxquelles s’ajoute comme 86 e micro-région la ‘chancellerie royale’, et que (2) la base de départ n’est plus la matrice de données bidimensionnelle N*p = 28 * 268 présentée au chapitre 3, mais une matrice de similarité N*N avec 86 * 86 valeurs de similarité.

Enfin, il faut souligner que parmi les divers indices à disposition pour calculer les similarités présentes à l’intérieur d’une matrice de données bidimensionnelle, nous avons choisi la ‘métrique moyenne de Manhattan’ 35, particulièrement adéquate pour nos types de données.

6.1. Analyse scriptométrique : carte de similarité Voir carte 2. Il s’agit d’une carte choroplèthe qui indique la distribution des similarités relatives au point de référence 86 (« chancellerie royale »). Elle montre que les ressemblances les plus fortes – représentées par la couleur 35

Cet index de similarité est présenté dans Videsott 2009, 409-411.

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rouge – recouvrent une surface compacte comprenant, selon leur disposition géographique, les polygones 24 « Eure » (faisant partie de la macro-région 10 « Normandie ») ; 36 « Oise sud-est » (12 « Oise ») ; 54 « Région parisienne », 55 « Val d’Oise », 56 « Paris », 57 « Seine-et-Marne » (19 « Région parisienne ») ; 52 « Marne ouest » (18 « Marne ») et 85 « Nièvre, Allier » (identique à la macro-région 28 « Nièvre, Allier). C’est donc un espace qui va grosso modo de la Normandie jusqu’en Champagne avec une ramification correspondant au Bourbonnais. Ce noyau géolinguistique s’ouvre sur des aires latérales à forte ressemblance (couleur orange) qui couvrent essentiellement le ‘Centre’. Cette visualisation est, à notre connaissance, la première représentation quantitative des rapports géolinguistiques qui existent entre la langue de la chancellerie royale (bien que limitée ici aux seuls documents du temps de Philippe III) et le reste du domaine d’oïl. La disposition des polygones à plus haute ressemblance présente à notre avis des parallèles frappants avec l’extension du domaine royal capétien dans la première moitié du XIIIe siècle, au moins pour ce qui concerne la Normandie récemment acquise par PhilippeAuguste et la bande allongée allant de Beauvais jusqu’à Bourges (voir la carte 1 dans l’annexe). Étant donné qu’à l’époque de Philippe III, le domaine royal englobait aussi une grande partie de la Picardie et de la vallée de la Loire, la correspondance entre les similarités linguistiques ici visualisées et la région historique évoquée n’est pas parfaite, mais au moins suffisamment grande pour pouvoir envisager un lien.

6.2. Analyse scriptométrique : carte interponctuelle Voir carte 3. Le message iconique des cartes interponctuelles (ou cartes à cloisons) correspond dans ses grandes lignes à celui des cartes à isoglosses traditionnelles. L’algorithme de visualisation met en valeur les cloisons bleues, très épaisses, correspondant à des frontières linguistiques marquées. On remarque le sillonnement interponctuel relativement intense affectant le Centre (cf. aussi Goebl 2011b, 7) et surtout l’autonomie de la langue de la chancellerie royale par rapport à sa base ‘francilienne’. Le polygone 86 « chancellerie royale » est en effet le seul de ceux qui forment la macro-région 19 « Région parisienne » à être entièrement entouré de frontières très marquées. Cet effet séparateur s’explique par les différences que nous avons constatées entre les chartes de Philippe III et celles utilisées par Dees pour les chancelleries limitrophes pour env. 40% des critères. On sait que ces différences, encore si nettes au XIIIe siècle, iront en diminuant graduellement et constamment dans les siècles suivants.

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6.3. Analyse scriptométrique : carte de la synopse du ‘coefficient d’asymétrie de Fisher’ (CAF) Voir carte 4. Le coefficient d’asymétrie de Fisher (CAF) est l’une des cartes maîtresses de la dialectométrie salzbourgeoise, « car il permet la saisie (par voie quantitative) d’une des propriétés centrales de n’importe quel réseau interactif, à savoir le degré d’interaction et d’échange avec lequel chaque membre (ou élément) du réseau en question participe aux flux et courants de communication qui, inévitablement, sillonnent le maillage du réseau examiné » (Goebl 2011b, 8). Le calcul repose sur la symétrie des distributions de similarité dont la variance ressort d’une comparaison de la disposition des histogrammes (cf. carte 2 en bas à gauche) pour chacune des 86 cartes de similarité possibles dans notre réseau. Les polygones en rouge de ce type de cartes (ici à deux paliers chromatiques pour faire mieux ressortir le message linguistique) renvoient à des régions dont le comportement scripturaire est – selon la terminologie de Hans Goebl – celui des « abstentionnistes », c’est-à-dire à des régions qui sont restées à l’écart des grands phénomènes de « brassage » et de nivellation linguistique (en allemand : « Sprachausgleich ») en cours au XIIIe siècle. Au contraire, les polygones bleus désignent les régions linguistiques qui au XIIIe siècle étaient le « moteur » de ce compromis linguistique. Il n’est guère surprenant, mais cela confirme tout de même notre analyse scriptologique, que le polygone 86 (« chancellerie royale ») fasse partie du deuxième groupe, tout comme le polygone 57 « Seine-et-Marne ». En revanche, les polygones 54 « Région parisienne », 55 « Val d’Oise » et 56 « Paris » appartiennent au secteur « abstentionniste » rouge. Une interprétation sociolinguistique de cet état des choses pourrait aboutir à la conclusion qu’en règle générale, c’est la langue de la chancellerie royale qui a influencé de manière plus forte celle des chancelleries locales, plutôt que l’inverse 36. Cette conclusion concorde avec l’histoire de l’usage du français à Paris, que nous avons vu se dérouler en rapport étroit avec les chancelleries de l’administration royale, mais elle contredirait alors la supposition d’Anthony Lodge, selon laquelle la koinè royale serait le résultat d’un mouvement de bas en haut (‘bottom up’). Nos données plaident en faveur de l’explication inverse : la situation linguistique de Paris et de l’Île-de-France au Bas Moyen Âge semble être plutôt le résultat d’un processus de haut en bas (‘top-down’). Concrètement, la langue écrite supra-locale, telle qu’elle était utilisée à la chancellerie royale, semble avoir joué un rôle déterminant dans les différentes 36

Les chancelleries « locales » parisiennes sont surtout celles des grandes abbayes, notamment Saint-Maur-des-Fossés, Saint-Germain-des-Prés, Saint-Denis-en-France et Saint-Victor-de-Paris.

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évolutions du diasystème de l’écrit et, éventuellement même – mais beaucoup plus tard – de l’oral.

6.4. Analyse scriptométrique : analyse dendrographique Voir carte 5. L’analyse dendrographique occupe aussi une place de choix dans la dialectométrie salzbourgeoise, car elle permet de combiner des informations spatiales avec des informations chronologiques (cf. Goebl 2011b, 9). L’arbre en question a été généré avec l’algorithme proposé, en 1963, par le statisticien américain J.A. Ward jr., et appartient aux méthodes de la ‘classification ascendante hiérarchique’, dont la logique consiste dans la classification d’un continuum en ‘feuilles’ toujours plus cohérentes et similaires, jusque à la ramification complète en ‘feuilles’ individuelles (qui correspondent, dans leur visualisation spatiale, aux polygones des cartes précédentes). Au contraire des cartes de similarité, à cloisons et de synopse interprétées précédemment, l’interprétation d’une agglomération hiérarchique ne peut se faire que sur le plan fictif et hypothétique, car elle présuppose un continuum – se divisant par la suite en dendrèmes (groupement à l’intérieur de l’arbre) de plus en plus homogènes et uniformes – qui, en réalité, n’a jamais existé. En d’autres termes : bien que le résultat de notre agglomération hiérarchique soit très plausible, tant du point de vue spatial que du point de vue historique, il faut résister à la tentation de considérer ce dendrogramme comme le procès-verbal d’une évolution réelle, car à la ‘racine’ de l’arbre il n’y a jamais eu une scripta générale et indifférenciée pour le domaine d’oïl, qui par la suite se serait différenciée dans les scriptae individuables au XIIIe siècle. C’est donc dans cette optique ‘fictive’ que nous suivons la fragmentation de l’arbre à partir de sa racine vers les 86 ‘feuilles’. Nous avons décidé de visualiser une situation double : d’un côté celle qui se présente si l’on représente sur le plan géographique les deux dendrèmes se formant après la première fragmentation de l’arbre (« nœud » 1) : les chorèmes (spatialisation des dendrèmes) bleu et rouge (auquel appartiennent aussi les polygones colorés en vert) montrent un domaine d’oïl biparti assez exactement le long de la moitié géographique, mais avec un renflement clair vers l’est correspondant à la Champagne. À l’intérieur du macro-dendrème rouge, nous avons fait ressortir en vert le dernier micro-dendrème dont se détache la branche 86 (« Chancellerie royale ») avant de former une feuille autonome (« nœud » 2). Dans la logique des arbres arborescents, les dendrèmes qui se séparent des « nœuds » à proximité des feuilles sont très homogènes du point de vue classificatoire. Le microdendrème en question est composé des feuilles 86, 36 (« Oise sud-est »), 57

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(« Seine-et-Marne ») et 52 (« Marne ouest »). Ce résultat s’accorde pleinement avec la conclusion avancée à la fin de l’analyse scriptologique, qui avait déjà montré que la scripta de la chancellerie royale contient des traits champenois.

7. Conclusions Le but méthodologique de cet article était de montrer comment un outil fondamental pour la recherche sur le français médiéval, l’Atlas de Dees, est intégrable à de nouveaux corpus de chartes. Plus ces sous-corpus seront nombreux et cohérents, plus les résultats des analyses qui s’y réfèrent seront nuancés et fins. Parmi les méthodes d’analyse possibles, celle qui a recours aux outils de l’ ‘École dialectométrique salzbourgeoise’ a l’avantage d’utiliser aussi – comme l’Atlas de Dees – des représentations cartographiques pour la visualisation de données linguistiques. Ce type de visualisation revêt une importance particulière, car des concepts spatiaux ont une référence immédiate à la réalité concrète et, pour cette raison, il est supérieur à beaucoup d’autres formes de représentation en linguistique. Dans notre cas, les méthodes choisies ont permis de visualiser pour la première fois les rapports géolinguistiques qui existent entre la langue de la chancellerie royale et le reste du domaine d’oïl à partir d’un corpus de 14 chartes royales de la deuxième moitié du XIIIe siècle. Il en résulte que la chancellerie royale s’intègre parfaitement dans le paysage scriptologique du Centre de la France oïlique, offrant de multiples parallèles avec l’extension du domaine royal à l’époque. En outre, on a constaté une influence d’usages scriptologiques champenois sur la scripta supra-locale parisienne, encore à l’époque de Philippe III, ce qui nous semble être l’un des résultats les plus novateurs de notre analyse 37. Mais le fait qu’à la base de notre analyse, il y ait des documents de la chancellerie royale et donc d’une chancellerie d’importance majeure pour l’histoire de la langue française, nous amène à quelques considérations finales : (1) D’un point de vue externe, la production écrite administrative à Paris commence en 1241 avec la Chancellerie royale et reste étroitement liée aux chancelleries de l’administration royale. Il s’ensuit qu’à Paris, l’usage du français à l’écrit est, en tout cas chronologiquement, secondaire par rapport à d’autres régions françaises, qui en ont fait un usage assez répandu dès le XIIe voire la première moitié du XIIIe siècle.

37

Nos conclusions différent donc sensiblement de celles de Cerquiglini 2007, 209, quand il affirme : « La mise au point définitive d’un français commun écrit interdialectal et sa diffusion ne durent rien à l’Île-de-France, mais tout aux principautés de l’Ouest ».

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(2) D’un point de vue interne, l’élaboration et la configuration concrète du français à Paris semble avoir suivi, dans la scripta administrative, un parcours de haut en bas. Par ailleurs, les particularités graphématiques et morphologiques de la scripta parisienne montrent une influence remarquable de la Champagne voisine. (3) Le fait que la scripta parisienne soit secondaire et étroitement liée aux chancelleries de l’administration royale explique assez bien pourquoi elle apparaît dès les débuts sous une forme plus « supra-locale » que d’autres scriptae 38. (4) Néanmoins, la langue de la chancellerie royale avant 1285 (date limite du corpus ici analysé) est encore nettement identifiable à l’intérieur des scriptae oïliques : on doit donc conclure qu’elle n’exerçait pas encore l’influence sur celles-ci qui est documentable un siècle plus tard 39.

Université de Bolzano

Paul VIDESOTT

Le fait est encore peu étudié : dans la majeure partie des langues romanes écrites, la forme diatopique qui est à la base de la langue standard n’est pas celle qui peut se targuer de posséder les premières attestations de cette langue. 39 V. Grübl 2013a et, ici, Grübl 2013b. 38

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LES DÉBUTS DU FRANÇAIS À LA CHANCELLERIE ROYALE

39

7. Bibliographie 7.1. Editions Brièle, Léon 1894. Archives de l’Hôtel-Dieu de Paris (1157-1300), Paris, Imprimerie nationale. Carolus-Barré, Louis 1964. Les plus anciennes chartes en langue française. I. Problèmes généraux et recueil de pièces originales conservées aux Archives de l’Oise 1241-1286, Paris, Klinchsieck. DocLing = Glessgen, Martin-D., 22013. Les plus anciens documents linguistiques de la France. Édition électronique, Collection fondée par Jacques Monfrin, poursuivie par M.-D.G., première édition en collaboration avec Françoise Vielliard et Olivier Guyotjeannin (12009), nouvelle édition entièrement revue et élargie, en collaboration avec Frédéric Duval et Paul Videsott ; . Delisle, Leopold 1904. Les enquêtes administratives du règne de Saint Louis et la chronique de l’anonyme de Béthune, Paris, Imprimerie nationale [Recueil des Historiens des Gaules et de la France, 24]. Depoin, Joseph 1886. Cartulaire de l’Hôtel-Dieu de Pontoise, Pontoise [Documents édités par la Société historique du Vexin]. Depoin, Joseph 1921. Recueil de chartes et documents de Saint-Martin-des-Champs, monastère parisien. Tome V, Paris, Picard [Archives de la France monastique, 21]. Duchesne, André 1621. Histoire de la maison de Chastillon-sur-Marne, avec les généalogies et armes des illustres familles de France et des Pays-Bas lesquelles y ont été alliées ; le tout divisé en XII livres, et justifié par chartes, titres, arrêts et autorités des plus fidèles historiens, Paris, Cramoisy. Dupuy, Pierre 1655. Traité de la majorité de nos roys et des régences du royaume, avec les preuves tirées tant du Trésor des chartes du roy que des registres du parlement et autres lieux ; ensemble un traité des prééminences du parlement de Paris, Paris, Du Puis/Martin. La Du, Milan S. 1960-63. Chartes et documents poitevins du XIIIe siècle en langue vulgaire, Poitiers [Archives historiques du Poitou, 57 et 58]. Layettes I = Teulet, Alexandre 1863. Layettes du Trésor des Chartes. Tome I : 755-1223, Paris, Imprimerie Nationale ; Plon. Layettes II = Teulet, Alexandre 1866. Layettes du Trésor des Chartes. Tome II : 12241246, Paris, Imprimerie Nationale ; Plon. Layettes III = Delaborde, Joseph 1875. Layettes du Trésor des Chartes. Tome III : 12471260, Paris, Imprimerie Nationale ; Plon. Layettes IV = Berger, Elie 1902. Layettes du Trésor des Chartes. Tome IV : 1261-1270, Paris, Imprimerie Nationale ; Plon. Merlet, René 1906. Cartulaire de Saint-Jean-en-Vallée de Chartres, Chartres, Garnier. Métais, abbé Ch. 1912. Cartulaire de Notre-Dame de Josaphat. Tome II, Chartres, Garnier [Société archéologique d’Eure-et-Loir]. ORF = Pardessus, Jean-Marie ; Secousse, Denis-François ; Laurière, Eusèbe de 17231847. Ordonnances des rois de France de la troisième race recueillies par ordre

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PAUL VIDESOTT

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LES DÉBUTS DU FRANÇAIS À LA CHANCELLERIE ROYALE

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PAUL VIDESOTT

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LES DÉBUTS DU FRANÇAIS À LA CHANCELLERIE ROYALE

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PAUL VIDESOTT

8. Annexes

Carte 1 – Fiefs tenus de la couronne et domaine royal vers 1259 (de : Jean RICHARD, Saint Louis. © Librairie Arthème Fayard 1983)

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LES DÉBUTS DU FRANÇAIS À LA CHANCELLERIE ROYALE

Domaine d'Oïl XIIIe siècle

ARTOIS Somme, Pas-de-Calais

documents non littéraires DEES 1980

34

24

86

22

3

7

69

71 76

63

70

Moselle, Meurthe-et-Moselle

75

Vosges

61

79

BERRY Vienne

77

78

81 85

BOURBONNAIS, Nièvre

84

80

FRANCHE-COMTE

BOURGOGNE

Charente, Charente-Maritime

carte de Thiessen 85 + 1 points d'atlas 229 segments de polygone

[1] von 66.67 bis 70.84 (n = 8)

14

[2] bis 75.01 (n = 13)

12

[3] bis 79.18 (n = 22)

9

8

8

8

[4] bis 83.39 (n = 20)

7

[5] bis 87.60 (n = 13)

5

4

3

60

LORRAINE

74

72

65

83

10 9

6

SAINTONGE

5

58

5

1

68

64

82

16

2

fec. HAIMERL, SOBOTA conc. VIDESOTT a.d. 2012

53

59

73

66

13

100

km

52

14

4

67

50 51

57

47

48

62

8

POITOU 50

49 37

54

11

15

18

0

56

45

39

38 35

46

42 43

36

12 20

17

Vendée, Deux-Sèvres

32

33

55

19 21

29

27

25

BRETAGNE

26

28

NORMANDIE

23

44

41

PICARDIE

N N

31

30

WALLONIE

Hainaut

Nord 40

2

[6] bis 91.81 (n = 9) S umme der E lemente: 85

66

69

72

75

78

81

84

87

90

MIN = 66.67 (P . 74) MW = 79.18 ME D = 79.15 MAX = 91.81 (P . 57)

Carte 2 – Carte choroplèthe de la distribution de similarité relative au point de référence 86 (Chancellerie royale). Corpus : 268 attributs scripturaires (Dees 1980) ; Indice de similarité : SMM (Métrique moyenne de Manhattan) ; Algorithme d’intervallisation : MEDMW 2-tuple ; Hachures blanches : scores minimal et maximal.

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PAUL VIDESOTT

Domaine d'Oïl XIIIe siècle

ARTOIS Nord

Somme, Pas-de-Calais

documents non littéraires DEES 1980

Hainaut

WALLONIE

PICARDIE

N N

NORMANDIE LORRAINE Moselle, Meurthe-et-Moselle

BRETAGNE

Vosges

Vendée, Deux-Sèvres

FRANCHE-COMTE

POITOU 0

50

BERRY Vienne

100

km

BOURBONNAIS, Nièvre

BOURGOGNE

Charente, Charente-Maritime

SAINTONGE carte de Thiessen 85 + 1 points d'atlas 229 segments de polygone

fec. HAIMERL, SOBOTA conc. VIDESOTT a.d. 2012

[1] von 1.28 bis 10.13 (n = 122)

83

[2] bis 20.39 (n = 107)

75

S umme der E lemente: 229 MIN = 1.28

39 32

MW = 10.13 ME D = 9.57

1

3

5

7

9

11

13

15

17

19

MAX = 20.39

Carte 3 – Carte à cloisons (ou : carte à interpoints en fonction discriminatoire). Corpus : 268 attributs scripturaires (Dees 1980) ; Indice de distance : DMM = 100-SMM (Métrique de Manhattan moyenne) ; Algorithme d’intervallisation : MEDMW 2-tuple.

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Domaine d'Oïl XIIIe siècle

ARTOIS Somme, Pas-de-Calais

documents non littéraires DEES 1980

34

24

56

55

50

3

69

71 76

63

70

Moselle, Meurthe-et-Moselle

75

Vosges

61

83

79

85

BERRY Vienne

77

78

81

10 9

6

SAINTONGE

fec. HAIMERL, SOBOTA conc. VIDESOTT a.d. 2012

58

60

LORRAINE

74

72

65

82

16

7

1

68

64

59

5

100

km

53

14 8

2

0

52

73

66

13

15

4

67

50

62 11

17

POITOU

47

48 51

54

20

18

49 37

57

45

39

38 35

46

42 43

36

12

21

Vendée, Deux-Sèvres

32

33

86

22

19

29

27

25

BRETAGNE

26

28

NORMANDIE

23

44

41

PICARDIE

N N

31

30

WALLONIE

Hainaut

Nord 40

BOURBONNAIS, Nièvre

80

84

FRANCHE-COMTE

BOURGOGNE

Charente, Charente-Maritime

carte de Thiessen 85 + 1 points d'atlas 229 segments de polygone

[1] von -0.79 bis 0.07 (n = 38)

46 33

[2] bis 1.12 (n = 48) S umme der E lemente: 86 MIN = -0.79 (P . 50) MW = 0.07 ME D = 0.10

5 2 -0.786

-0.540

-0.295

-0.050

0.195

0.440

0.685

MAX = 1.12 (P . 2)

0.930

Carte 4 – Carte choroplèthe de la synopse de 86 coefficients d’asymétrie de Fisher (CAF). Corpus : 268 attributs scripturaires (Dees 1980) ; Indice de similarité : DMM (Métrique moyenne de Manhattan) ; Algorithme d’intervallisation : MEDMW 2-tuple ; Hachures blanches: scores minimal et maximal.

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Domaine d'Oïl XIIIe siècle

ARTOIS Somme, Pas-de-Calais

documents non littéraires DEES 1980

34

24

86

22

3

fec. HAIMERL, SOBOTA conc. VIDESOTT a.d. 2012

SAINTONGE

60

69

71 76

63

70

Moselle, Meurthe-et-Moselle

75

Vosges

61

83

79 77

78

81

10 85

BERRY Vienne

1

72

65

82

9 6

2

68

64

LORRAINE

74

13

16

7

100

km

58

73

66

53

59

5

POITOU 50

52

14 8

4

67

50 51

57

47

48

37

54

11

15

18

49

62

20 17

0

56

45

39

38 35

46

42 43

36

12

21

Vendée, Deux-Sèvres

32

33

55

19

29

27

25

BRETAGNE

26

28

NORMANDIE

23

44

41

PICARDIE

N N

31

30

WALLONIE

Hainaut

Nord 40

BOURBONNAIS, Nièvre

84

80

FRANCHE-COMTE

BOURGOGNE

Charente, Charente-Maritime

carte de Thiessen 85 + 1 points d'atlas 229 segments de polygone

Carte 5 – Classification dendrographique de 86 points-Dees. Algorithme agglomératif : méthode de J. A. Ward Jr. ; Corpus : 268 attributs scripturaires (Dees 1980) ; Indice de similarité : DMM (Métrique moyenne de Manhattan).

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Du latin au roumain : une nouvelle hypothèse sur l’origine du supin en roumain

1. Introduction et but de l’article Il est bien connu que le roumain est la seule langue romane à disposer de quatre formes verbales non-finies : l’infinitif (1a), le gérondif (1b) et le participe passé (1c) existent dans les autres langues romanes, tandis que le supin (1d) ne se retrouve qu’en roumain 1. (1)

(a) a cânt-a

“chanter”



(b) cânt-ând

“(en) chantant”



(c) cânt-a-t

“chanté”



(d) de cânt-a-t

“à/de chanter”

L’histoire du supin roumain est controversée : certains chercheurs considèrent que cette forme est héritée du latin (Grandgent 1908, 49 ; Bourciez 1946, 250 ; Elcock 1975 [1960], 123 ; Diaconescu 1971, 156 ; Lombard 1974, 302 ; Joseph 1983, 170, 172), tandis que pour d’autres le supin est apparu en roumain à partir du participe passé, comme une conséquence de la disparition de la valeur verbale de l’infinitif (Densusianu 1961, 151 ; Rosetti 1968, 256 ; Caragiu-Marioțeanu 1962, 32 et 1975, 140 ; Brâncuș 2007 [1967] ; Dimitrescu 1978, 289 ; Vasiliu, Ionescu-Ruxăndoiu 1986, 198 ; Frâncu 2009, 132). Récemment, Hill (2012) a montré que le remplacement de l’infinitif par le supin a été favorisé par le contexte postnominal, grâce à l’ambiguïté catégorielle de de introduisant ces formes non-finies (préposition ou complémenteur).

1

Atanasov (2002, 235) remarque la présence de quelques formes similaires au supin en mégléno-roumain. Ces formes n’existent que dans des expressions figées, telles que din vrut, din nivrut “bon gré, mal gré”, din niștiút “à cause de l’ignorance”, dúpu spus “à ce que l’on dit”, la sițirát “à moissonner”. Des formes ressemblant au supin sont aussi enregistrées en mégléno-roumain dans l’ALR s.n. II (măşină di cusut “���������������������������������������������������������������������������������� machine à coudre������������������������������������������������������������������ ”����������������������������������������������������������������� ), mais dans ce contexte il s’agit plutôt d’une structure empruntée comme telle au daco-roumain, puisqu’elle ressemble à un nom composé.

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ADINA DRAGOMIRESCU

Dans cet article, utilisant un large corpus de textes en (ancien) roumain, nous allons montrer que le supin verbal n’est pas hérité du latin, mais qu’il est apparu en roumain. À la différence des analyses proposées auparavant, nous allons démontrer que la source du supin verbal n’est pas le participe passé, mais le supin nominal. En bref, ce supin nominal a été ré-analysé en tant que forme verbale dans des contextes prépositionnels dans lesquels la présence de l’article défini était bloquée par la présence de la préposition. Nous allons procéder de la manière suivante : premièrement, nous allons présenter les données les plus importantes concernant le supin en roumain actuel (les deux types de supin, les différences entre le supin et le participe passé, la syntaxe externe du supin, c’est-à-dire sa distribution, et la syntaxe interne de cette forme verbale) ; en deuxième lieu, nous allons discuter des hypothèses sur l’origine du supin roumain proposées dans la bibliographie (l’héritage latin, le contact avec les langues slaves et avec l’albanais) ; enfin, nous allons présenter les donnés offertes par le corpus d’ancien roumain, qui excluent de toute évidence les hypothèses proposées auparavant, pour en finir avec une description plus détaillée de notre hypothèse, résumée ci-dessus.

2. Le supin roumain. Une présentation Avant de présenter les résultats de notre recherche, dans cette section nous allons brièvement examiner les données les plus importantes concernant le supin roumain : la relation morphologique et syntaxique entre le supin nominal et le supin verbal, la relation entre le supin et le participe passé, la distribution du supin en roumain actuel et les caractéristiques les plus importantes de la syntaxe interne du supin.

2.1. Le supin nominal et le supin verbal Dans la tradition grammaticale roumaine, le terme ‘supin’ couvre (au moins) deux réalités : le supin nominal et le supin verbal. Du point de vue de la morphologie interne, tous les deux sont identiques au participe passé et sont formés, dans la flexion régulière, avec l’affixe flexionnel de parfait (commun au supin, au participe passé, au passé simple et au plusque-parfait), dont la forme est dépendante de la classe flexionnelle des verbes, auquel s’ajoute l’affixe propre au participe passé (-t le plus souvent) : Classe du verbe (2)

(I)

Infinitif

Participe passé / Supin

a cânt-a “chanter”

cânt-a PARF-tPART



(II)

a ved-ea “voir”

văz-u PARF-tPART



(III)

a trec-e “passer”

trec-u PARF-tPART

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NOUVELLE HYPOTHÈSE SUR L’ORIGINE DU SUPIN EN ROUMAIN



(IVa)

a cit-i “lire” cit-i PARF-tPART



(IVb)

a hotăr-î “décider”

53

hotăr-â PARF-tPART

Il faut ajouter que quelques verbes appartenant à la 3e conjugaison forment le participe passé et le supin en ajoutant au radical du verbe seulement l’affixe flexionnel du participe (-s ou -t). Ce type d’irrégularité morphologique est hérité du latin (Allen/Greenough 2001 [1888], 85) : Infinitif



Participe passé / Supin

(3)

a merg-e “marcher”

mer-s



a rup-e “rompre”

rup-t

Du point de vue syntaxique, le caractère verbal ou nominal des formes est établi en fonction de la distribution dans le contexte 2 : (i) Le supin nominal se combine avec des déterminants (l’article défini, le plus souvent) et son argument interne est réalisé ou bien par un génitif flexionnel (4a), ou bien par un génitif prépositionnel (4b) : (4)

(a) cititul



romanelor

lire(sup).def romans.def.gen

(b) cititul

de romane



lire(sup).def de romans



“la lecture de romans”

(ii) Le supin ambigu du point de vue catégoriel est toujours précédé d’une ‘préposition’ (de “de/à”, la “à”, pe “à”, pentru “������������������������������ pour�������������������������� ”������������������������� ) ; en l’absence de l’argument interne, le contexte syntaxique n’offre aucun indice pour établir la valeur nominale ou verbale du supin : (5)

Ion se

Ion cl.refl

apucă

de citit

commence

de lire.sup

“Ion commence à lire”

(iii) Le supin verbal est toujours précédé d’une ‘préposition’ (de “de/à”, la “à”, pe “à”, pentru “pour”) et sa valeur verbale est mise en relief par la présence d’un objet direct à l’accusatif (6a) ou, très rarement, d’un sujet au nominatif (6b) : (6)

(a) Ion se

apucă

de citit

romane



Ion cl.refl commence de lire.sup romans.acc



“Ion commence à lire des romans”



2

Notre classification est fondée sur Brâncuș 2007 [1967], 168 et Pană Dindelegan 1992 et 2013 ; pour d’autres classifications voir, par exemple, Cornilescu/Cosma 2010.

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ADINA DRAGOMIRESCU

(b) am

cumpărat

măsuțe de jucat

copiii

acheté

tables de jouer.sup

enfants.def.nom



(j’)ai



“j’ai acheté des tables (à jouer) pour mes enfants”

Cette classification parmi d’autres a été choisie puisqu’elle reflète, comme on le verra plus bas, l’évolution historique du supin en roumain, qui, conformément à notre étude de corpus, suit le trajet (i) > (ii) > (iii).

2.2. Le supin et le participe passé Il est nécessaire de souligner les différences entre le supin et le participe passé parce qu’il y a des chercheurs qui considèrent que le supin n’est qu’un sous-type de participe passé (Caragiu Marioțeanu 1962 ; Soare 2002 et 2007) et que, par conséquent, il ne devrait pas être considéré comme une forme verbale non-finie à part. Mais malgré la ressemblance formelle entre le participe passé et le supin 3, les deux formes diffèrent à plusieurs égards (voir Niculescu 1965, 23, Manoliu-Manea 1993 [1985], 103-104, 110-112, Stan 2001, dans ELR, s.v. supin, Hill 2002, Pană Dindelegan 2007 ; 2008, 510-511). Tout d’abord, il y a des différences morpho-syntaxiques entre les deux formes : (i) Tandis que le supin est invariable (7a), le participe passé autonome (c’est-à-dire celui qui n’apparaît pas dans la structure des temps verbaux composés) est variable et s’accorde en genre, en nombre et, parfois, en cas, avec une expression nominale, tout comme les adjectifs (7b) ; (7)

(a) roman / romane de citit



(b) roman citit / romane citite

roman / romans de lire.sup





roman lu(part) / romans lus(part)

“un roman / des romans à lire” “un roman lu” / “des romans lus”

(ii) Le participe passé est le seul à paraître dans la structure des formes verbales composées, à savoir, le passé composé (8a), le conditionnel parfait (8b), le subjonctif parfait (8c), etc. ; (8) (a) am citit

3

“j’ai lu”

(b) aș fi citit “j’aurais lu”

(c) să fi citit “que j’aie lu”

Un argument supplémentaire pour différencier du point de vue de la forme le supin et le participe passé est apporté par Maiden (2012 ; voir aussi la bibliographie), qui montre que dans certains villages isolés de Transylvanie et de Maramureș le verbe fi “être” est employé avec la forme régulière fost pour le participe passé, mais avec une autre forme, innovatrice, fiut, pour le supin : Fost-ai la târg? De fiut am fost, dar n-am cumpărat nimic (de Deda, dans Maiden 2012, 15) (litt.) “As-tu été au marché ? Pour y être, j’y ai été, mais je n’ai rien acheté”.

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(iii) Ce n’est que le supin qui peut occuper une position de complément (voir (5), (14), etc.) ; (iv) Le supin est toujours précédé d’une ‘préposition’, de le plus souvent ; les exceptions sont controversées et concernent une structure comme (9), largement discutée dans la bibliographie (voir Sandfeld/Olsen 1936, 281 ; Lombard 1974, 301 ; Neamțu 1980 ; Stan 2001, dans ELR, s.v. supin ; Pană Dindelegan 2007, 170-171) ; en revanche, le participe passé apparaît très rarement dans le contexte prépositionnel (10) ; (9) trebuie mers la școală

“il faut aller à l’école”

(10) de obosită ce era, n-a mai ajuns la școală

“elle était si fatiguée qu’elle n’est plus arrivée à l’école”.

Ensuite, il y a des propriétés sémantiques qui différencient les deux formes : (i) Le participe passé a une valeur passive dans la plupart des cas (11a) ; les exceptions sont assez rares (11b ; voir Pană Dindelegan 2007, 169 ; Nicolae/ Dragomirescu 2009) ; le plus souvent, le supin est actif (comme dans (5), (6), etc.), mais il peut aussi avoir une valeur passive (comme dans (7a), (13c) etc.) ; (11) (a) mărul mâncat “la pomme (qui a été) mangée”

(b) omul mâncat / decedat “un homme qui a (déjà) mangé / qui est décédé”

(ii) Du point de vue temporel, le participe passé exprime toujours le passé, tandis que l’interprétation temporelle du supin dépend toujours du contexte : le supin qui apparaît dans les structures à contrôle a un temps anaphorique, dépendant du temps du verbe principal (12) et le supin indépendant peut se voir attribuer une valeur atemporelle (13a), de présent (13b), de futur (13c) ou de passé (13d) : (12) (a) Ion se apucă de citit



“Ion commence à lire”

(b) Ion s-a apucat de citit “Ion a commencé à lire”

(c) Ion se va apuca de citit



“Ion commencera à lire”

(13) (a) mașină de călcat

“fer à repasser”

(b) căldură de nesuportat



“une chaleur insupportable”

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(c) lucrări de corectat



“des épreuves à corriger”

(d) cal de furat



“un cheval volé” (qui provient du vol)

(iii) Du point de vue aspectuel, le participe est toujours perfectif (comme dans (7b), (11)), tandis que le supin peut avoir différentes valeurs aspectuelles, perfectives (14a) ou imperfectives (14b). (14) (a) am terminat de citit cartea

“j’ai fini de lire le livre”

(b) am de citit o carte



“j’ai un livre à lire”

(iv) Le supin a souvent une valeur modale (déontique ou de possibilité), tandis que le participe passé est neutre de ce point de vue : (15) (a) o poezie de învățat până mâine

“une poésie qu’il faut apprendre (par coeur) jusqu’à demain”

(b) greșeală de neiertat



“une erreur impardonnable”

Enfin, la nominalisation du participe passé et celle du supin ont des résultats différents : les noms participiaux (16a) sont concrets et comptables, tandis que les noms-supin (16b) sont abstraits et non-comptables, préservant des propriétés verbales qui imposent une lecture active, agentive (Hill 2002, 498). (16) (a) învățatul / învățații

din



appris.def.sg / appris.def.pl du



“le savant / des savants du 19e siècle”

secolul

XIX

siècle.def

19

(b) învățatul / *învățații poeziei

a

durat mult



appris.sup.def / appris.sup.def.pl

a

duré beaucoup



“apprendre la poésie a duré beaucoup”.

poésie.def.gen

2.3. La distribution du supin en roumain actuel En romain actuel, le supin a une distribution très complexe, qui a été largement discutée dans beaucoup de travaux antérieurs (Pană Dindelegan 2008, 509-524 ; 2013). Avant de commencer à présenter les contextes particuliers, il faut faire quelques remarques :

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(i) Le supin nominal (accompagné d’un déterminant et ayant un argument interne au génitif – voir (4a), cititul romanelor) a une distribution identique aux noms proprement dits et, par conséquent, nous n’allons pas insister ici sur sa distribution ; (ii) Le supin verbal (et le supin ambigu, qui sera également pris en considération ici, pour simplifier la discussion) peut apparaître dans beaucoup de contextes syntaxiques, dont certains sont spécifiques au supin et d’autres sont communs au supin, à l’infinitif et/ou au subjonctif ; nous n’allons pas insister ici sur la concurrence entre ces trois formes verbales en roumain, puisque cela pourrait faire l’objet d’un autre article, mais il faut quand même ajouter le supin dans la concurrence bien connue entre l’infinitif et le subjonctif dans l’aire balkanique (Pană Dindelegan 2008, 510-512 ; 2013, 244) ; (iii) La présentation ci-dessous est très schématique, puisque la distribution du supin en roumain actuel n’est pas l’objet de cet article ; elle ne sert qu’à mieux comprendre l’histoire du supin, et notre thèse concernant son apparition. 2.3.1. Le supin dans le groupe nominal et la structure verbe copulatif + supin. Dans ces deux structures parallèles, le supin peut avoir des valeurs sémantiques différentes. Il a fréquemment une valeur modale déontique (17) ou il exprime le but (18). Il peut aussi exprimer l’origine de l’entité dénotée par le nom (19), une qualité subjective de celle-ci (20) ou bien il peut être le complément d’un nom verbal (21). (17) (a) roman de citit

“un roman à lire”

(18) (a) mașină de spălat “machine à laver” (19) (a) cal de furat

“un cheval volé” (qui provient du vol)

(20) (a) lucru de mirat

“une chose étonnante”

(21) (a) dorința de citit



“le désir de lire”

(b) romanul este de citit “le roman est à lire” (b) mașina este de spălat (litt.) “cette machine est [desti- née] à laver” (b) calul este de furat “ce cheval a été volé” (b) acest lucru este de mirat “cette chose est étonnante” (b) dorința lui este de citit “son désir est de lire”

2.3.2. Le supin dans le groupe adjectival. Le contexte adjectival favorise l’apparition de plusieurs types de supin. Tout d’abord, il y a quelques adjectifs (gata “prêt”, bun “bon”, apt “apte”, demn “digne”, vrednic “digne”, greu “������ difficile”, ușor “facile”) qui peuvent avoir un complément prépositionnel exprimé

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par le supin (22). Ensuite, certains adjectifs peuvent avoir des adjoints à valeur temporelle ou restrictive exprimés par le supin, le plus souvent précédés de la préposition la “à” (23). Enfin, un type spécial d’adjoint fonctionnant comme un intensifieur est exprimé par le supin à la forme négative (24). (22) (a) el e gata de venit la noi



“il est prêt à venir chez nous”

(b) acest argument e demn de luat în seamă “cet argument est digne d’être pris en considération”

(c) acest lucru e greu de făcut



“cette chose est difficile à faire”

(23) (a) rochie fină la pipăit

“une robe fine au toucher”

(b) elev bun la citit



“un élève qui sait bien lire”

(24)

frumoasă de nespus



“très belle” (litt. “si belle que l’on ne peut pas le dire”)



Un exemple tel que (22c) illustre la présence du supin après les adjectifs qui apparaissent dans ce que l’on appelle ‘tough-construction’ (qui a été analysée pour le roumain par Joseph 1980, Pană Dindelegan 1982, Hill 2002, Dye 2006, etc.). La structure impersonnelle est illustrée dans (25a) et la structure qui exemplifie la montée de l’objet direct du supin dans la position de sujet de la construction impersonnelle est illustrée dans (25b). Contrairement à ce qui se passe en français, en roumain littéraire ce n’est que le verbe fi “être” qui s’accorde avec le sujet monté, tandis que greu “difficile” reste invariable ; c’est la raison pour laquelle il a été considéré comme un adverbe (et non un adjectif) dans la tradition grammaticale roumaine. L’accord de greu est quand même possible dans la langue parlée (25c). (25) (a) e greu de făcut acest lucru



“il est difficile de faire cette chose”

(b) acest lucru e greu de făcut / aceste lucruri sunt greu de făcut “cette chose est difficile à faire” / “ces choses sont difficiles à faire”

(c) lucrurile astea sunt grele de făcut



(roumain parlé)

“ces choses sont difficiles à faire”

2.3.3. Le supin dépendant d’un verbe. Les situations dans lesquelles le supin dépend d’un verbe sont très variées : le supin peut occuper des positions syntaxiques argumentales (2.3.3.1.) ou bien il peut être un adjoint (2.3.3.2.).

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2.3.3.1. D’abord, le supin peut être un objet prépositionnel introduit par différentes prépositions, qui sont sélectionnées par le régent (26) 4. Ensuite, le supin peut se combiner avec des verbes transitifs modaux (tels que a avea “avoir”) ou aspectuels (tels que a continua “continuer”, a termina “terminer”, a sfârși “finir”), les deux verbes formant ensemble un prédicat complexe (27) 5. Le supin est également un objet direct de certains verbes transitifs (tel que a da “donner”, a aduce “apporter”, a cumpăra “������������������������������� acheter������������������������ ”����������������������� ), mais cette construction (28) a été aussi analysée comme une ellipse de la tête nominale (voir Pană Dindelegan 2013, 239). Enfin, le supin est le sujet postverbal des verbes ou constructions impersonnelles (29) 6 ; voir aussi 2.3.2, exemple (25a). (26) (a) s-a apucat de citit romane

“il a commencé à lire des romans”

(b) se pune pe citit



(roumain parlé)

“il commence à lire”

(c) a luat la puricat problema



(roumain parlé)

“il a commencé à examiner attentivement le problème”

(27) (a) nu am de citit cartea

“je ne dois pas lire ce livre”

(b) am terminat de citit cartea

4





5



6

“j’ai fini de lire ce livre”

Dans ces cas, la préposition ne fait pas partie de la structure du supin. Le principal argument en est qu’un nom précédé de la même préposition peut également apparaître dans ces contextes : s-a apucat de treabă / s-a pus pe treabă “il a commencé le travail” Les tests syntaxiques pour interpréter ces structures comme des prédicats complexes sont les suivants (Guţu Romalo 2005 [1956], Rizzi 1982, Monachesi 1998, Abeillé/ Godard 2003, Dragomirescu 2013) : (i) le contrôle obligatoire du sujet du supin par le sujet du verbe principal (eu i) am terminat de citit PROi cartea “j’ai fini de lire le livre” *(eu) am terminat de citit tu cartea (ii) la montée obligatoire des clitiques argumentaux du supin et de la négation sur le verbe principal : cartea nu o termin de citit “ce livre, je ne finis pas de le lire” Il faut remarquer que dans ces structures le sujet du supin a une lecture arbitraire (i) ou est contrôlé par l’objet indirect au datif du verbe principal (ii) : (i) este / rămâne [de văzut PROarb] “il est / reste à voir” (ii) mii-e greu [de acceptat PROi] o minciună “il est difficile pour moi d’accepter un mensonge”

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(28) (a) îmi dă (ceva) de băut

“il me donne (quelque chose) à boire”

(b) cumpăr copiilor (ceva) de îmbrăcat



“j’achète aux enfants (quelque chose) pour s’habiller”

(29) (a) este / rămâne de văzut

“il est / reste à voir”

(b) mi-e greu de acceptat o minciună

“il est difficile pour moi d’accepter un mensonge”

2.3.3.2. Le supin adjoint 7 a, le plus souvent, soit une valeur de but (30), soit une valeur restrictive (31). (30) Ion a plecat la munte la vânat

“Ion est allé chasser dans les montagnes”

(31) el m-a întrecut la alergat

“il a couru plus vite que moi” (litt. “il m’a surclassé à courir”)

2.3.4. Le supin en constructions détachées. Le supin précédé de la préposition de et représentant une information déjà présente dans le discours peut apparaître dans des constructions topicalisées, en position détachée à gauche. C’est un mécanisme spécial que le roumain utilise pour topicaliser / doubler la prédication principale 8 (Pană Dindelegan 2003b, 2008, 522).

7

8



Un type spécial d’adjoint de manière, qui a beaucoup attiré l’attention des chercheurs (Sandfeld/Olsen 1936, 301 ; Reinheimer-Rîpeanu/Leahu 1983 ; Stan 2001, dans ELR, s.v., supin ; Stan 2003, 23 ; Mârzea Vasile 2010 ; Chircu 2012 , 88), est représenté par les structures du type Am avut ce mânca pe alese “Nous avons eu de quoi manger au choix” ; pe apucate “à la hâte” ; pe neașteptate “à l’improviste”, qui ont été expliquées comme ayant leur origine dans une forme de supin. Pour le roumain actuel, ces formes fonctionnent comme des locutions adverbiales et nous n’allons donc pas les discuter dans cette étude. Deux observations sont nécessaires pour cette discussion : (i) Dans ces contextes, dans les autres langues romanes (l’aroumain inclus), c’est l’infinitif qui est utilisé à la place du supin roumain (Pană Dindelegan 2003b ; 2013) : ti dureari, nu mi doari multu (aroumain, DIARO, dans Pană Dindelegan 2013) (litt.) “quant à avoir de la peine, je n’en ai pas trop” dormire, dormo poco (italien, dans Maiden/Robustelli 2009, 365) ¿dormir? no duermo nada (espagnol, Antonio Fortin, c.p.) pour dormir, il dort (français, Benjamin Fagard, c.p.) (ii) Comme dans d’autres cas dans lesquels la préposition ne fait pas partie de la structure du supin, dans cette structure de topicalisation des adjectifs ou des noms nus sont aussi possibles, ce qui soulève des problèmes pour l’interprétation de de (Pană Dindelegan 2003b, 153-154 ; 2013) : de frumoasă, e frumoasă, dar... (litt.) “(Quant à être) belle, elle est belle, mais…”

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NOUVELLE HYPOTHÈSE SUR L’ORIGINE DU SUPIN EN ROUMAIN

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(32) (a) de mâncat, am mâncat

(litt.) “pour manger, j’ai mangé”

(b) de citit romanul, sigur că îl citise (litt.) “pour lire le roman, il est sûr qu’il l’avait lu”

2.3.5. Le supin à valeur impérative. Très rarement, le supin est utilisé à la place de l’impératif pour exprimer l’idée que la personne visée par l’impératif n’est pas spécifiée. Pană Dindelegan (2003a, 146 ; 2008, 517) considère que ces structures sont des constructions elliptiques, où le verbe a fi “être” à valeur modale a été supprimé : (33) de citit romanul până mâine!

“obligation de lire le roman jusqu’à demain”

2.4. La syntaxe interne du supin. Les points-clef La description de la syntaxe du supin en roumain ne fait pas l’objet de cet article. Nous allons seulement insister sur quelques aspects qui sont essentiels pour comprendre le développement et la spécificité de cette forme verbale en roumain. Tout d’abord, un verbe transitif au supin peut avoir un objet direct (34a). Ce n’est pas surprenant, puisqu’en roumain toutes les autres formes verbales non-finies peuvent avoir un objet direct 9. Ce qui est spécifique au supin est l’impossibilité d’avoir un objet direct animé et spécifique, introduit par la préposition grammaticalisée pe (34b). Pană Dindelegan (2003a, 144) explique l’absence de pe par le fait que l’objet direct introduit par pe doit être également doublé par un clitique, ce qui serait impossible dans le cas du supin. Cornilescu/Cosma (2010) ont montré que l’on peut expliquer cette contrainte sur l’objet du supin du point de vue sémantique : l’objet du supin a d’habitude une lecture générique, qui est incompatible avec pe. (34) (a) Ion se apucă de citit romane

(b) *Ion se apucă de (o) invitat pe Maria



9

“Ion commence à lire des romans”



“Ion commence à inviter Maria”

de frate, mi-e frate, dar… (litt.) “Quant à être mon frère, il est mon frère, mais…” Le participe passé est suivi d’un objet direct seulement dans des situations exceptionnelles : [om] nefăcut armata (‹forum.realitatea.net›) “un homme qui n’a pas servi dans l’armée”

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Ensuite, le supin peut avoir – très rarement – un sujet lexical propre (voir Pană Dindelegan 2011 ; 2013, 204, 236 ; Dragomirescu 2011). Ce n’est pas exceptionnel, puisque, comme dans d’autres langues romanes, les formes verbales non-finies peuvent avoir leur propre sujet en roumain ; celui-ci est obligatoirement post-verbal dans le cas de l’infinitif et du supin et pré- ou post-verbal pour le gérondif et le participe passé 10. À la différence des autres formes verbales non-finies, le sujet du supin est strictement conditionné du point de vue syntaxique, n’étant possible que dans deux contextes : (i) premièrement, le sujet d’un supin adnominal ayant à l’origine une proposition relative dans laquelle l’adjoint locatif a été relativisé et dont la trace peut être exprimée par un pronom (35) (voir Cornilescu/Cosma 2010) ; (ii) deuxièmement, le sujet d’un supin passif accompagné d’un complément d’agent 11 (36). (35) masă de stat patru persoane la ea

“une table pour quatre personnes”

(36) e greu de rezolvat problema de către toți copiii

(litt.) “il est difficile de résoudre le problème par tous les enfants”

Enfin, le supin ne peut pas accueillir des formes clitiques. Cette propriété (à côté de l’absence de la négation et des auxiliaires) a été mise en relation avec l’absence de la catégorie [temps] et de l’absence de la projection T (Hill 2002, Dye 2006, Cornilescu/Cosma 2010). (37) *Ion se apucă de îl citit

“Ion commence à le lire”

3. Les hypothèses sur l’origine du supin en roumain Nous avons déjà mentionné dans l’introduction que l’origine du supin en roumain est controversée. Dans cette section, nous allons présenter à tour de rôle les hypothèses proposées auparavant dans la bibliographie : (i) le supin roumain est hérité du latin ; (ii) le supin est créé en roumain (à partir du par La présence du sujet est illustrée par des exemples comme les suivants : (i) dorinţa de a cânta Ion (infinitif) “le désir de Ion de chanter” (ii) venind Ion, petrecerea s-a încheiat (gérondif) “quand Ion est arrivé, la partie s’est terminée” (iii) odată venit Ion, petrecerea s-a terminat (participe passé) “quand Ion est arrivé, la partie s’est terminée”. 11 Si le complément d’agent n’est pas exprimé, le supin a une lecture active et son argument est un objet direct (Pană Dindelegan 2003a, 145) : e greu de rezolvat problema “il est difficile de résoudre le problème” 10

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ticipe passé) sous l’influence du substrat ou du contact linguistique entre le roumain et l’albanais ou entre le roumain et les langues slaves, le proto-slave et le slavon d’église ci-inclus.

3.1. Le supin en latin Il est bien connu que le supin latin était un nom verbal, formé à partir du radical du supin auquel on ajoute la désinence d’accusatif -um ou la désinence de (datif-)ablatif -ū. Ces deux formes flexionnelles ont deux fonctions différentes (Gildersleeve 1974 [1867], 64 ; Allen/Greenough 2001 [1888], 310 ; Sloman 1906, 108 ; Ernout 1953, 231 ; Palmer 1977 [1954], 324 ; Brâncuș 2007 [1967], 167 ; Reinheimer Râpeanu 2001, 302). 3.1.1. Nous allons présenter à tour de rôle les deux types de supin attestés en latin. 3.1.1.1. Le supin en -um est utilisé dans au moins deux contextes différents. Tout d’abord, il exprime le but de l’action exprimée par un verbe de mouvement ou par un verbe dont le sens inclut l’idée de mouvement (le plus souvent īre “aller” et venīre “venir” − Gildersleeve 1974 [1867], 284 ; Bennett 1910, 453 ; Palmer 1977 [1954], 324 ; Woodcock 1959, 112 ; Bauer 2000, 225) : (38) (a) vēnit spectātum (dans Allen/Greenough 2001 [1888], 72)



“aller se coucher”

(d) comissatum ibo (Plaute, dans Palmer 1977 [1954], 324)



“je vais chasser”

(c) ire dormitum (dans Ernout/Thomas 1959, 261)



“il est venu voir”

(b) eo venatum (dans Brâncuș 1967, 167)

“je vais pour les rejoindre”

(e) Galliae lēgātī ad Caesarem grātulātum convēnerunt (César, dans Gildersleeve 1974 [1867], 283)



“les délégués de Gaule sont venus pour féliciter César”

Bauer (2000, 225) a observé qu’en latin archaïque le supin en -um suivait surtout des verbes intransitifs (eo “aller”, venio “venir”) mais les verbes construits avec un supin sont devenus plus variés, incluant les verbes transitifs de mouvement (fero “porter”, duco “conduire”, veho “transporter”, etc.) et par la suite les verbes transitifs impliquant un certain type de mouvement (do “donner”, mitto “envoyer”, etc.). Bauer souligne aussi que même si les verbes acceptant un supin sont de plus en plus nombreux, le supin en tant que tel devient moins fréquent dans l’histoire de la langue latine.

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Le deuxième usage de la forme en -um est le supin exprimant la destination, dans des expressions figées (39a-b), ou l’intention (39c). Palmer (1977 [1954], 324) considère que cet usage est dérivé par une relation d’analogie entre les verbes signifiant “envoyer” et les verbes signifiant “donner” et “prendre”. (39) (a) dare nuptum (dans Ernout/Thomas 1959, 261)

“donner en mariage”

(b) uenum dare (dans Ernout/Thomas 1959, 261)

“vendre”

(c) dicuntur […] senem sessum recepisse (Cicéron, dans Ernout/Thomas 1959, 261)



“il est dit que l’on a déterminé le vieux à s’asseoir”

Il faut mentionner qu’en latin archaïque et en latin classique le supin à l’accusatif pouvait − assez rarement − être suivi d’un objet direct à l’accusatif (Allen/Greenough 2001 [1888], 310 ; Bennett 1910, 453 ; Riemann 1935, 515 ; Palmer 1977 [1954], 325 ; Woodcock 1959, 112 ; Bauer 2000, 225) : (40) (a) si dives it petitum pauperioris gratiam (Plaute, dans Palmer 1977, 325)



“si l’homme riche va demander grâce pour les pauvres”

(b) legatos ad Caesarem mittunt auxilium rogatum Thomas 1959, 22)

(César, dans Ernout/

“ils envoient des délégués à César pour demander de l’aide”

(c) vēnerunt questum iniūriās (Tite-Live, dans Allen/Greenough2001 [1888], 310)



“ils sont venus pour porter plainte contre les injustices”

(d) admonitum venimus te, non flagitatum (Cicéron, dans Woodcock 1959, 112)

“nous venons te rappeler ta promesse et non pas te presser de la tenir”

(e) Hannibal inuictus patriam dēfēnsum reuocātus (est) (Cornelius Nepos, dans Lavency 1985, 189)



“invaincu, Hannibal fut rappelé pour défendre son pays”

3.1.1.2. L’origine du supin latin en -ū est controversée : il est soit un datif exprimant le but (Allen/Greenough 2001 [1888], 310), soit un ablatif exprimant la source (Woodcock 1959, 112), soit un locatif (Sloman 1906, 322). Dans la plupart des cas, cette forme fonctionnait en latin classique comme le complément de certains adjectifs signifiant “beau”, “bon”, “digne”, “facile”, “difficile”, “utile”, etc. Dans ces constructions, le supin exprime l’action par rapport à laquelle la qualité exprimée par l’adjectif est assertée (Allen/ Greenough 2001 [1888], 310).

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(41) (a) facile factū (dans Woodcock 1959, 112)



“faits dignes d’être rapportés”

(g) iucundum auditū (dans Ernout/Thomas 1959, 261)



“honteux à faire”

(f) dignum memoratū (dans Ernout/Thomas 1959, 261)



“ce qu’il y a de mieux à faire”

(e) turpe factū (dans Ernout/Thomas 1959, 261)



“chose facile à dire”

(d) optimum factū (dans Ernout/Thomas 1959, 261)



“chose étonnante à dire”

(c) (res) facilis dictū (dans Ernout/Thomas 1959, 261)



“facile à faire”

(b) mīrābile dictū (dans Allen/Greenough 2001 [1888], 72)

“agréable à écouter”

(h) rem nōn modo vīsū foedam, sed etiam audītū (Cicéron, dans Allen/Greenough 2001 [1888], 310)



“une chose horrible non seulement à voir, mais aussi à entendre”

Rarement, le supin en -ū était utilisé après la séquence [verbe copulatif + adjectif] (Allen/Greenough 2001 [1888], 310, Ernout 1953, 231, Pinkster 1990, 137) : (42) (a) quaerunt quid optimum factū sit (Cicéron, dans Allen/Greenough 2001 [1888], 310)

“ils demandent ce qui est le meilleur à faire”

(b) sī hōc fās est dictū (Cicéron, dans Allen/Greenough 2001 [1888], 310)



“si l’on peut oser cette expression”

Très rarement, le supin en -ū peut suivre des verbes (Gildersleeve 1974 [1867], 284, Allen/Greenough 2001 [1888], 311, Bauer 2000, 227) : (43) (a) (Vīlicus) prīmus cubitū surgat, postrēmus cubitum eat Gildersleeve 1974 [1867], 284)

(Catulle, dans

“le fermier doit être le premier à se réveiller et le dernier à aller au lit”

(b) obsōnātū redeō (Plaute, dans Gildersleeve 1974 [1867], 284)

“je reviens après avoir fait des provisions”

(c) pudet dictū (Tacite, dans Allen/Greenough 2001 [1888], 311)



“il est honteux de dire”

À la différence du supin en -um, le supin en -ū ne peut pas avoir un objet direct ; si l’on a besoin d’un objet direct, on utilise l’infinitif à la place du supin (Bauer 2000, 227).

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3.1.2. L’apparition du supin en latin archaïque. Tandis que le développement de l’infinitif a été beaucoup étudié, la conclusion étant qu’à l’origine de l’infinitif dans différentes langues (y compris le latin) on trouve une forme nominale au datif, à l’accusatif et au locatif, exprimant le but (voir Benett 1910, 367 ; Woodcock 1959, 15 ; Haspelmath 1989, 288, 291), l’apparition du supin (en latin) n’a pas été étudiée en détail, à l’exception notable de l’étude récente de Fruyt (2011). Dans l’étude de Fruyt, la formation et le développement de l’infinitif, du supin et du participe en latin sont considérés comme un type spécial de grammaticalisation impliquant transcatégorisation (une forme nominale devenant une forme verbale). Dans ce qui suit, nous allons résumer les idées les plus importantes concernant l’évolution du supin, qui illustre non seulement la transcatégorisation, mais aussi une restriction significative dans la distribution. Nous allons démontrer dans la section 4.3. que ce type de développement caractérise également l’apparition du supin verbal en roumain. Fruyt (2011, 761, 763sq.) montre que l’affixe processuel *-tu- hérité de l’indo-européen est à l’origine d’un nom verbal (un infinitif, le plus souvent) dans plusieurs langues indo-européennes. Le résultat de cette forme en latin est le supin. Le supin latin représente des expressions nominales figées : un accusatif directif en -tum et un datif prospectif en -tū. Les valeurs originales de ces formes ont été importantes dans le processus de transcatégorisation. Ce qui est important pour la comparaison avec le roumain est que le même affixe *-tu- a été aussi préservé en latin avec sa fonction primaire et qu’il apparaît dans beaucoup de noms processuels. Fruyt (2011, 764) souligne aussi l’ambiguïté des formes du supin en latin, qui peuvent être interprétées soit comme de vrais noms, soit comme des formes verbo-nominales. Concrètement, dans un exemple comme (43b), obsōnātū peut être interprété soit comme une forme du nom masculin obsōnā-tus, -ūs “le fait d’aller au marché pour faire des achats”, soit comme un nom processuel dérivé avec l’affixe *-tu- à partir du radical verbal de obsōnārī “aller au marché pour faire des provisions”. D’autres exemples illustrant l’ambiguïté nom processuel − supin verbal sont cités dans cette étude (Fruyt 2011, 767) : mercātum, qui peut être ou bien le supin du verbe mercārī “acheter”, ou bien l’accusatif du nom mercātus, -ūs “le fait d’acheter ; marché” ; les formes aquātum, lignātum, pābulātum, appartenant au vocabulaire technique militaire, qui peuvent être interprétées soit comme les supins des verbes déponents aquārī “faire des provisions d’eau”, lignārī “faire des provisions de bois”, pābulārī “faire des provisions de fourrage”, soit comme des formes des noms processuels aquātus, -ūs, lignātus, -ūs, pābulātus, -ūs. Ce type d’ambiguïté est illustré par beaucoup d’exemples dans les dictionnaires latins. Fruyt (2011, 765) montre que les exemples de ce type démontrent indubitablement

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l’existence d’une étape intermédiaire pendant laquelle les noms processuels sont devenus des noms verbaux et après des formes verbo-nominales du verbe. Une autre observation importante de Fruyt (2011, 766) est que le supin nominal en -tum formé à partir d’un nom en *-tu- a une distribution différente du supin verbal en -tum : le premier a un comportement nominal, prenant un complément au génitif, tandis que le deuxième fonctionne comme une forme verbale complètement grammaticalisée et apparaît dans les mêmes contextes que le verbe auquel il appartient. Ce type de comportement peut être mis en relation avec la distinction entre le supin nominal et le supin verbal en roumain, le supin verbo-nominal roumain reflétant toujours l’étape d’ambiguïté qui a caractérisé ces formes en latin aussi. Enfin, Fruyt (2011, 771) montre que la formation du supin en latin, avant les premiers textes latins, représente un type spécial de grammaticalisation, puisque le point d’arrivée a moins d’autonomie syntaxique que le point de départ. 3.1.3. La disparition du supin en bas latin. L’idée qu’en latin le supin (en -um ou en -ū) n’était plus une forme vivante après la période classique est présente partout dans la bibliographie (Gildersleeve 1974 [1867], 284 ; Grandgent 1908, 45 ; Lavency 1985, 108). Bourciez (1946, 110), Ernout/Thomas (1959, 260), Elcock (1975 [1960], 123), Iordan/Manoliu (1965, 189), Bauer (2000, 248), Frâncu (2000, 120) soulignent le fait qu’en latin classique, dans la poésie, mais aussi dans la langue parlée et puis en bas latin / latin tardif, on utilisait l’infinitif (44a-d) ou le gérondif (44e) à la place du supin en -um, pour exprimer le but après des verbes de mouvement : (44) (a) vado piscare (dans Bourciez 1946, 110)



“je vais pêcher”

(b) venimus adorare eum (dans Bourciez 1946, 110) “nous sommes venus pour (l’) adorer”

(c) eximus… ludos uisere (Plaute, dans Ernout/Thomas 1959, 260)



“nous sortons pour voir les jeux”

(d) cum veneris ad bibere (Saint Augustin, dans Bauer 2000, 248)

“parce que tu es venu pour boire”

(e) venio ad legendum (dans Elcock 1975 [1960], 123)



“je viens pour lire”

Une situation pareille caractérise le supin en -ū (Gildersleeve 1974 [1867], 284 ; Allen/Greenough 2001 [1888], 311 ; Ernout 1953, 231 ; Bauer 2000, 249), remplacé soit par l’infinitif (45a,b), soit par le gérondif (45c,d) :

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(45) (a) facilēs aurem praebēre (Properce, dans Allen/Greenough 2001 [1888], 311)



“facile à dire”

(c) facile ad dicendum (dans Elcock 1975 [1960], 123)



“trop disposés à prêter l’oreille”

(b) facile dicere (dans Bauer 2000, 249)

“facile à dire”

(d) cibus facillimus ad concoquendum (Cicéron, dans Gildersleeve 1974[1867], 284)



“aliments très faciles à digérer”

Beaucoup de chercheurs ont avancé l’idée radicale que, après une période dans laquelle le supin, l’infinitif et le gérondif ont alterné dans les mêmes contextes, le supin a complètement disparu du latin (Grandgent 1908, 45 ; Bauer 2000, 250 ; Haverling 2009, 370), puisqu’en bas latin on ne trouve que des expressions figées du type « mirabile dictū ». La disparition du supin latin est soutenue également par le fait que le supin n’est pas attesté dans les langues romanes (à l’exception du roumain, pour lequel nous allons rejeter l’idée de l’héritage latin). Pour conclure les deux dernières sections, l’évolution du supin en latin peut être schématisée comme suit : (i) en latin archaïque, le supin était une forme nominale ; (ii) en latin classique, le supin devient une forme verbale ; dans cette période, il y a des contextes ambigus, dans lesquels le supin peut être interprété soit comme un nom, soit comme un verbe ; le supin nominal devient moins productif, tandis que le supin verbal diversifie sa distribution ; (iii) en bas latin le supin verbal a une distribution de plus en plus limitée et il disparaît finalement, étant remplacé par l’infinitif et par le gérondif précédé d’une préposition ; le supin nominal est encore bien représenté, mais le mécanisme par lequel il est dérivé n’est plus productif. Dans la section 4.3., nous allons proposer un scénario similaire pour l’apparition du supin verbal en roumain.

3.2. Le ‘supin’ en albanais Brâncuș (2007 [1967]) suggère que l’évolution interne du supin en roumain a été probablement influencée par l’albanais, une langue qui est génétiquement apparentée à la langue dace (le substrat du roumain) et qui a été en contact (indirect) avec le roumain dans l’ensemble linguistique balkanique. La caractéristique de l’albanais essentielle pour cette discussion est l’existence d’une forme unique correspondant à l’infinitif et au participe des langues romanes, dont l’interprétation est controversée (voir aussi Sandfeld 1930, 131 ; Rosetti 1968, 258 ; Joseph 1983, 85-100 ; Frâncu 2000, 131). Les grammaires traditionnelles de l’albanais et des études générativistes récentes (Manzini/

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Savoia 2007) ne parlent pas de ‘supin’ en albanais, mais seulement de l’‘infinitif’, notamment de deux types d’infinitif, comme on va voir ci-dessous. Cependant, Brâncuș (2007 [1967]) a identifié des correspondances évidentes entre l’infinitif en albanais et le supin en roumain. Maiden (2012, 14) mentionne aussi le possible effet de restauration que l’infinitif albanais a pu avoir sur le supin roumain. Brâncuș (2007 [1967]) et Manzini/Savoia (2007) ont montré qu’il y a deux types d’infinitif en albanais, les deux étant créés à partir des formes participiales (ce qui peut être mis en relation avec l’homonymie participe passé − supin en roumain) : (i) le premier est spécifique aux dialectes guègues, parlés dans le nord du territoire albanais, et correspond à l’infinitif des langues romanes : (46) me punue (dans Brâncuș 2007 [1967], 169)

“(< avec) travailler”

(ii) le deuxième (47a) est spécifique aux dialectes tosques, parlés dans le sud, et également à l’albanais littéraire, qui ont tous les deux perdu l’infinitif proprement dit ; à partir de cette construction, les dialectes guègues ont créé une forme parallèle, avec des différences morphologiques (47b) : (47) (a) për të punuar (dans Brâncuș 2007 [1967], 169)

“pour / de travailler”

(b) për të punue (dans Brâncuș 2007 [1967], 169)



“pour / de travailler”.

Le deuxième type est important pour la comparaison avec le supin roumain pour au moins deux raisons. Du point de vue morphologique, il est formé à partir d’un nom participial neutre à l’accusatif, précédé de la préposition për “����������������������������������������������������������������������� de, pour��������������������������������������������������������������� ”�������������������������������������������������������������� . Du point de vue syntaxique (de la distribution), cet infinitif correspond parfaitement au supin roumain, à savoir qu’il a les trois valeurs (nominale, ambiguë et verbale) et qu’il apparaît dans les mêmes contextes (voir Brâncuș 2007 [1967], 170) : (48) sende për të shitur (albanais, dans Brâncuș 2007 [1967], 171) vs obiecte de vândut (roumain)

“des objets à vendre”

(49) është për t’u çuditur (albanais, dans Brâncuș 2007 [1967], 171) vs este de mirat (roumain)

“c’est étonnant”

(50) i mirë për të martuar (albanais, dans Brâncuș 2007 [1967], 171) vs bun de însurat (roumain)

“apte à se marier”

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(51) i jap për të ngrënë (albanais, dans Brâncuș 2007 [1967], 171) vs îi dau de mâncat (roumain)

“je lui donne à manger”

(52) kam për të shkruar (albanais, dans Brâncuș 2007 [1967], 171) vs am de citit (roumain)

“j’ai (quelque chose) à lire”

(53) për të punuar, punoj (albanais, dans Brâncuș 2007 [1967], 171) vs de muncit, muncesc (roumain)

“pour travailler, je travaille”

Au terme de cette section on peut conclure que, étant donné que le roumain et l’albanais n’ont pas eu de contacts linguistiques directs et que le ‘supin’ (ou le deuxième type d’infinitif) est une création tardive en albanais, il est peu probable que le dace ait eu un supin ou que le roumain ait emprunté le supin de l’albanais. Au contraire, il s’agit plutôt d’une évolution convergente des deux langues, qui ont compensé la perte de l’infinitif par une nouvelle forme verbale dont le fonctionnement est très similaire.

3.3. Le supin dans les langues slaves Le contact linguistique du roumain avec les langues slaves, y compris le slavon d’église, peut aussi être pris en considération pour expliquer l’apparition du supin en roumain, puisqu’une forme fonctionnellement équivalente a existé ou existe aussi dans les langues slaves. Il faut mentionner que cette hypothèse n’est pas présente dans les études antérieures ; ce fait ne s’explique pas par l’exclusion de ce type d’emprunt par les chercheurs, mais par le fait qu’il n’existe pas encore, à notre connaissance, d’étude ample portant sur la diachronie du supin (en roumain ou dans les langues slaves). Les chercheurs ont observé que dans les langues slaves le supin était utilisé après les verbes de mouvement pour exprimer le but de l’action, comme le supin latin en -um. Schenker (2002, 104) a montré que le supin existait en proto-slave / slave commun et que la forme (en -tь) et la fonction du supin (à savoir, spécifier le but de l’action après des verbes de mouvement) indique l’accusatif singulier en -ŭm en tant que source indo-européenne du supin (voir aussi Meillet 1965 [1924], 242). Cubberley (2002, 32) suggère aussi qu’en proto-slave l’infinitif et le supin étaient tous les deux des formes nouvelles, dérivées avec l’affixe -t à partir des noms indo-européens aux cas obliques, figées dans des formes non-déclinables. Le supin est également attesté dans le slavon d’église après des verbes de mouvement, avec un complément au génitif (Schmalstieg 1983, 108 ; Joseph 1983, 102-104), mais l’infinitif a remplacé le supin dans des constructions plus tardives (Huntley 2002, 156). Le complé-

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ment au génitif est aussi spécifique au roumain et cette correspondance peut expliquer l’extension de cette construction en ancien roumain par l’intermédiaire des traductions. Cubberley (2002, 32) mentionne aussi l’existence du supin en vieux russe. Le supin était en voie de disparition depuis le slave commun (Meillet 1965 [1924], 243). Il n’est donc pas étonnant que la plupart des langues slaves modernes (le russe − Cubberley 2002, 42, le bulgare − Joseph 1983, 118 ; Scatton 2002, 215, 219 ; le macédonien − Joseph 1983, 106 ; Friedman 2002, 273 ; le haut-sorabe − De Bray 1969, 743 ; Stone 2002, 640 – et le tchèque − Mann 1957, 164 ; Short 2002, 486 ; Sussex/Cubberley 2006, 308) aient perdu le supin. En tchèque il existe encore une trace du supin, illustrée par la construction (54). (54) jít spat (tchèque, dans Short 2002, 486) “aller se coucher”

Le supin n’a survécu qu’en slovène (Meillet 1965 [1924], 243, 491 ; De Bray 1969, 411 ; Joseph 1983, 136 ; Priestly 2002, 416-418, 436 ; Sussex/Cubberley 2006, 308) et en bas-sorabe (Meillet 1965 [1924], 243, 491 ; De Bray 1969, 411 ; Stone 2002, 640, 665). En slovène, le supin a la même forme que l’infinitif, à l’exception de la finale i, qui est propre à l’infinitif et non au supin. Le supin est utilisé en tant que complément des verbes dont le sens contient l’information de mouvement (55a, b). Il faut aussi mentionner que Priestly (2002, 436) montre que l’objet direct du supin qui était au génitif dans l’ancienne langue (55c) est à l’accusatif dans la langue actuelle (55d). Cette évolution ressemble au développement du supin verbal en roumain (avec un objet direct à l’accusatif) à partir d’un supin nominal (avec un complément au génitif). En bas-sorabe certains verbes de mouvement peuvent également être suivis d’un supin (56). (55) (a) poslala je sina študirat (slovène, dans Priestly 2002, 436)

“elle a envoyé son fils (loin) pour étudier”

(b) męram spat (slovène, dans Priestly 2002, 436)



“je dois (aller) me coucher”



(c) grem domęv sezgat dnęvnikagénitif (slovène, dans Priestly 2002, 436)



(d) grem domęv sezgat dnęvnikaccusatif (slovène, dans Priestly 2002, 436)



“je vais à la maison pour brûler mon journal”

(56) Źensa wjacor pojźomy rejowat (bas-sorabe, dans Stone 2002, 665) “il faut aller danser ce soir”

Après avoir présenté les données les plus importantes concernant le supin dans les langues slaves, on peut en tirer la conclusion que, étant donné le

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contexte unique dans lequel le supin a été / est utilisé, notamment après des verbes de mouvement, pour exprimer le but de l’action 12, l’apparition du supin en roumain ne peut pas être le résultat du contact linguistique avec les langues slaves. Cependant, il est possible que l’existence du supin (suivi d’un complément au génitif) surtout dans le slavon d’église ait influencé la fréquence de la structure correspondante en roumain, par l’intermédiaire des traductions. Il faut aussi souligner le développement diachronique parallèle du roumain et du slovène à l’égard du type de complément que le supin peut prendre (au génitif, dans un stage antérieur de la langue et ensuite à l’accusatif, plus récemment).

4. Une nouvelle hypothèse sur l’origine du supin verbal en roumain Les deux possibilités que nous avons prises en considération jusqu’à présent − (i) le supin roumain est hérité du latin et (ii) le supin est créé en roumain, à partir du participe passé, peut-être sous l’influence du contact linguistique avec l’albanais et/ou les langes slaves − ne sont pas satisfaisantes à notre avis.

4.1. Les arguments contre l’héritage latin Le fait que le supin roumain n’est ni hérité du latin, ni influencé par le contact avec les langues slaves est soutenu par plusieurs arguments, qui sont présents dans la bibliographie (Caragiu Marioțeanu 1962, 32 et 1975, 140 ; Niculescu 1965, 23 ; Brâncuș 2007 [1967], 167 ; Manoliu-Manea 1977, 229 ; Dimitrescu 1978, 289, 326, 335 ; Frâncu 2009, 132) : (i) le supin n’est plus attesté en bas latin, la variété du latin qui est à la base du roumain ; (ii) le supin n’existe pas dans les autres langues romanes. Dans ce qui suit, nous allons apporter des arguments supplémentaires en faveur du fait que le supin verbal est une création du roumain et que le point de départ de cette nouvelle forme verbale n’est pas le participe passé, mais le supin nominal. Il faut se rappeler qu’à la différence du supin verbal le supin nominal était encore fréquent en bas latin et donc, il est assez naturel que le roumain en ait hérité. Le concept central, qui peut expliquer la présence du supin dans des langues très différentes (le latin, le roumain, l’albanais, les Il semble que l’apparition du « supin » exprimant le but après des verbes de mouvement est un phénomène universel. Par exemple, cette construction est enregistrée dans les langues caraïbes (Brown et al. 2005, 202) sans aucune relation avec les langues considérées dans cet article : epi-he wi-tə-jai (wayana, dans Jackson 1972, 60) se baigner.sup je vais “je vais quelque part pour me baigner”

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langues slaves, les langues caraïbes) est celui de convergence dans l’évolution des langues.

4.2. Arguments supplémentaires offerts par le corpus Notre hypothèse est soutenue par l’étude d’un large corpus de textes roumains du 16e au 19e siècles (voir la liste à la fin de l’article). L’étude du corpus offre beaucoup d’arguments qui soutiennent notre hypothèse. Tout d’abord, dans les premiers textes roumains conservés (qui datent du 16 siècle), seulement deux constructions contenant le supin sont attestées, le supin dans le groupe nominal, précédé de de (57) et le supin adjoint, à valeur modale ou temporelle, jamais à valeur de but, précédé de différentes prépositions (58). Il est important de mentionner que ces deux structures sont très rares et ne ressemblent pas du tout au supin latin (voir 3.1.). e

(57) (a) carte de cununat (Documente XVI, 1591, p. 169)

(b) cărţi de iertat (Documente XVI, 1591, p. 170)



“certificat de mariage” “lettres pour être pardonné”

(c) dzilele de plâns (Palia de la Orăștie, 1581-1582, p. 176)



“les jours à pleurer”

(d) veșmânte de îmbrăcat (Palia de la Orăștie, 1581-1582, p. 270)



“des vêtements pour s’habiller”

(e) calul de furat (Scrisorile de la Bistrița, début du 17e siècle, p. 67)



“le cheval volé” (qui provient du vol)

(58) (a) au scos (…) picioarele meale den lunrecat (Psaltirea Hurmuzaki, 1491-1520)

“il a empêché mes pieds de glisser”

(b) popa să lase 4 molitve pănă la lepădat (Coresi, Pravila,1560-1562, p. 226)



“le pope doit faire quatre prières jusqu’au reniement”

(c) iară ale păcătoşilor suflete, după ieşit aşa se şi duc (Coresi, Tâlcul evangheliilor, 1567-1568, p. 75)



“et les âmes des pécheurs, après être sorties, s’en vont”

Ensuite, une observation importante est qu’au lieu des deux constructions latines avec un supin ((38), (41)) l’ancien roumain utilise l’infinitif : dans les exemples (59a, b) on trouve l’infinitif (long, avec l’affixe hérité du latin, ou court, sans cet affixe) exprimant le but, après un verbe de mouvement et dans les exemples (60a, b) on trouve l’infinitif en tant que complément des adjectifs signifiant “facile”, “digne”. Cet état de choses confirme le fait que, dès le bas latin, l’infinitif avait remplacé le supin dans ces constructions.

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(59) (a) și îmbla a vedea (Psaltirea Hurmuzaki, 1491-1520, p. 121)





(b) cinre duce-me-va în cetate de-a chinuirea (Psaltirea Hurmuzaki, 1491-1520, p. 181)



“il marchait pour voir”

“qui est-ce qui va me conduire dans la cité pour me torturer ?”

(60) (a) că nu e lesne a întra bogatul în împărăţia ceriului (Coresi, Tâlcul evanghelii lor,1567-1568, p. 75) “il sera difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux”

(b) destoinic a să baterea (Corbea, Dictiones latinae 13 , 1691-1697, p. 538)



“digne de lutter”

En outre, les constructions latines avec le supin − qui correspondent à des constructions à l’infinitif en ancien roumain − sont attestées tard en roumain. Le supin qui exprime le but, après des verbes de mouvement (correspondant au supin à l’accusatif du latin), est rarement attesté à partir du 18e siècle (61) et plus fréquent après la fin du 19e siècle, tandis que le supin suivant des adjectifs (correspondant au supin à l’ablatif du latin) est présent dans les textes à partir de la fin du 17e siècle (62). (61) (a) cându împărățiia va vrea să iasă la vânat (Radu Greceanu, 1711, p. 121)

“quand l’empereur voudra aller chasser”

(b) să ne ducem la scăldat (Creangă, Amintiri, 1881, 51)



“que nous allions nous baigner”

(62) (a) anevoie de hiert (Corbea, Dictiones latinae, 1691-1697, p. 61)



“difficile à bouillir”

(b) vreame bună de vănat (Foletul novel, 1693-1704, p. 111) “temps favorable pour aller à la chasse”

(c) multe și vrednice de auzit istorii (Anonimul Brâncovenesc, 1706-1717, p. 275)



“beaucoup d’histoires dignes d’être écoutées”

Enfin, tandis que le supin latin (en -um) pouvait être suivi d’un objet direct (voir 3.1.1.1, (40)), en roumain, le supin avec un objet direct est attesté à partir de la fin du 17e siècle (voir 4.3., (69)). Résumant les résultats de notre étude de corpus, il faut mentionner que la distribution du supin en roumain s’est diversifiée peu à peu 14 (voir Drago Voir Pană Dindelegan (2011) pour une analyse détaillée de l’usage du supin dans le dictionnaire de Corbea. 14 Des observations non-systématiques concernant la distribution du supin en diachronie sont présentes dans la bibliographie : Diaconescu (1971), Stan (2001) dans ELR, s.v. supin, Gheţie (1997, 349), Donovetsky (2005-2007, 68), Frâncu (2009, 132, 322), Pană Dindelegan (2011), etc. 13

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mirescu 2012). Chronologiquement, les innovations les plus importantes de chaque siècle ont suivi l’ordre : (i) 16 e siècle et début du 17e siècle : le supin dans le groupe nominal [voir (17a)-(21a), (57)] et le supin adjoint à valeur modale ou temporelle [voir (58)] (ii) 17e siècle : la structure verbe copulatif + supin [voir (17b)-(21b)], le supin dans le groupe adjectival [voir (22)] et le supin après des verbes à régime prépositionnel [voir (26c)] (iii) 18e siècle : le supin détaché [voir (32)] et le supin adjoint à valeur de but [voir (61)] (iv) 19e siècle : le supin après des verbes sans régime prépositionnel [voir (27)], la ‘toughconstruction’ [voir (22c)] et le supin à valeur impérative [voir (33)]

Tous ces faits prouvent que les premières attestations du supin roumain ne sont pas en relation avec le supin latin. Les contextes spécifiques au supin latin sont réalisés en ancien roumain par l’infinitif et seulement dès la fin du 17e siècle par le supin aussi.

4.3. Notre hypothèse Les points essentiels de notre hypothèse sont les suivants : (i) le roumain a hérité du latin le procédé de formation des supins nominaux 15 (voir les exemples cités dans la section 3.1.2.) ; (ii) le supin verbal est apparu indépendamment en roumain, suivant un trajet similaire au développement du supin verbal en latin ; (iii) le fait décisif est que le supin nominal a été ré-analysé d’abord comme une forme ambiguë du point de vue catégoriel et ensuite comme une forme verbale dans les contextes prépositionnels dans lequels la présence de l’article défini déterminant le supin était bloquée par la préposition. Dans ce qui suit, nous allons nous concentrer sur les arguments en faveur de notre hypothèse. L’étude du corpus nous montre que la transcatégorisation du supin a eu lieu dans un processus à deux étapes chronologiquement distinctes, que nous allons présenter à tour de rôle : dans la première étape, le supin nominal a été ré-analysé comme une forme ambiguë du point de vue catégoriel ; dans la deuxième étape, cette forme ambiguë devient une forme verbale proprement dite, capable d’avoir son propre objet direct à l’accusatif et même son propre sujet.

Le supin nominal désignant les travaux agricoles (secerat “le fait de moissonner”, treierat “le fait de battre (le blé)”, cules “le fait de récolter”, semănat “le fait de semer”) peut justifier l’existence de ces formes en roumain depuis les temps les plus anciens (voir Donovetsky 2005-2007, 71-72).

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4.3.1. Le point essentiel de notre hypothèse par rapport à d’autres hypothèses qui soutiennent que le supin est créé en roumain (Caragiu Marioțeanu 1962) est que la forme d’origine du supin verbal est le supin nominal, et non le participe passé. Cette idée est soutenue par plusieurs arguments. Tout d’abord, dans les premiers textes conservés en roumain, le supin nominal (accompagné d’un déterminant et/ou d’un génitif) − un nom abstrait, non-comptable, masculin-neutre − était très fréquent. La fréquence de cette forme (et, bien sûr la variété des contextes syntaxiques, y compris le contexte prépositionnel) a pu favoriser sa transcatégorisation. Si l’on compare la fréquence du supin nominal et du supin verbal dans les textes du 16e siècle, on peut facilement démontrer qu’il ne fait aucun doute que le supin nominal est une forme antérieure au supin verbal (le supin ambigu y compris). Par exemple, dans Psaltirea Hurmuzaki (1491-1520), le supin ambigu ne présente que quelques attestations (voir l’exemple (58a) et les structures stéréotypées dans (63)), tandis que le supin nominal a une fréquence impressionnante (64). De même, dans Coresi, Tâlcul evangheliilor (1567-1568), le supin ambigu est attesté seulement dans des structures stéréotypées (65a), à l’exception d’un exemple contenant un supin circonstanciel (65b), tandis que le supin nominal a une fréquence très élevée (66) : (63) pără în svâşit ; pănră în svârşit ; pănră în svârşit (Psaltirea Hurmuzaki, 14911520, p. 93, 149, 151) “jusqu’à la fin” (64) ieșitul “la sortie”, începutul “le commencement”, ustenitul “la fatigue”, vânratul “la chasse”, chematul “l’appel”, răsăritul “le lever du soleil”, apusul “le coucher du soleil”, cruțatul “le pardon”, știutul “le savoir”, adunratul “l’économie”, cuntinritul “la fin”, urritul “la haine”, răsăditul “la plantation”, venritul “la venue”, aplecatul “le penchement”, biruitul “la victoire” (Psaltirea Hurmuzaki, 14911520) (65) (a) de începutu, din început ; la sfârșit (Coresi, Tâlcul evangheliilor, 1567-1568, p. 31, 31, 32 ; 34)

“au début”, “à la fin”

(b) credinţa iaste dentru auzit (Coresi, Tâlcul evangheliilor, 1567-1568, p. 49)

“la source de la croyance est ce que l’on entend”

(66) împlutul “le remplissage”, născutul “la naissance”, îngrupatul “l’enterrement”, clătitul “le rinçage”, turburatul “le brouillage”, auzitul “le fait d’ouïr”, suitul “la montée”, venitul “la venue”, crescutul “la croissance”, tâmpinatul “l’accueil”, deresul “la réparation”, datul “la donation”, cerșutul “le fait de mendier”, cetitul “la lecture”, plânsul “le fait de pleurer”, căitul “le regret”, adunatul “le fait de rassembler” (Coresi, Tâlcul evangheliilor, 1567-1568)

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Ensuite, si l’on analyse les supins nominaux ci-dessus, on peut constater que les verbes correspondants sont transitifs (a vâna “chasser”, a chema “appeller”, a cruța “pardonner”, a ști “savoir”, a urî “haïr”, a răsădi “planter”, a birui “vaincre”, a îngropa “enterrer”, a clăti “rincer”, a tulbura “brouiller”, a auzi “ouïr”, a citi “lire”, a aduna “���������������������������������������������� ressembler������������������������������������ ”����������������������������������� ) aussi bien qu’intransitifs, inergatifs aussi bien qu’inaccusatifs (a ieși “sortir”, a începe “commencer”, a osteni “se fatiguer”, a răsări “se lever (le soleil)”, a apune “se coucher (le soleil)”, a conteni “finir”, a veni “venir”, a (se) apleca “se pencher”, a se naște “naître”, a sui “monter”, a crește “croître”, a cerși “mendier”, a plânge “pleurer”, a se căi “se repentir”). Le fait que la fréquence des supins correspondant aux verbes transitifs et celle des supins correspondant à des verbes intransitifs est similaire constitue un argument contre l’hypothèse que le supin s’est développé précisement à partir des participes des verbes intransitifs du type mersul “��������������� le fait de marcher” (Caragiu Marioțeanu 1962, 35-36), puisqu’il semble que la formation des supins nominaux était très productive, indépendamment du type de verbe correspondant. En outre, il faut mentionner qu’en ancien roumain, comme dans le roumain actuel (voir 2.2., l’exemple (16)), la nominalisation du participe passé et du supin a des résultats différents : tandis que les supins nominaux sont des noms abstraits, non-comptables, avec une forme unique masculine-neutre, désignant d’habitude une action continue, les participes passés nominalisés passifs (de verbes transitifs (67c,d)) et actifs (de verbes intransitifs (67a,b)) sont des noms concrets, comptables, soit masculins-neutres, soit féminins, désignant le résultat d’une action (voir Diaconescu 1971, 152 ; Stan 2003, 57, 79-81) : (67) (a) preveşte greşitul dereptulu şi cere a-l omorri elu 1491-1520, p. 118)

(Psaltirea Hurmuzaki,

“considère correctement celui qui a commis une erreur et demande qu’il soit tué”

(b) griji me luatu-me-au de greşiţii ce lasă leagea ta (Psaltirea Hurmuzaki, 1491-1520, p. 191)





“je me fais du souci pour ceux qui, commettant une erreur, quittent ta loi”

(c) vindecatul nu ştia cine iaste (Coresi, Tâlcul evangheliilor, 1567-1568, p. 44) “celui qui avait été guéri ne savait pas qui c’était”

(d) voao iaste dată să ştiţi ascunsele împărăţiei lu Dumnezeu (Coresi, Tâlcul evan gheliilor, 1567-1568, p. 105)



“à vous il est donné de connaître les mystères du royaume de Dieu”

Enfin, il faut souligner encore une fois que la transcatégorisation du supin dans le contexte prépositionnel a été rendue possible grâce à une caractéristique

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essentielle du roumain, à savoir le fait que seulement des noms nus (sans modifieurs) peuvent apparaître après les prépositions suivies d’une forme d’accusatif (excepté cu “avec” et de-a “~ à”) (68). Les deux contextes dans lesquels le supin ambigu est attesté pour la première fois, à savoir dans le groupe nominal, après la préposition de, et le supin circonstanciel, après d’autres prépositions, sont des contextes où l’articulation est bloquée. La transcatégorisation a été également favorisée par le fait que le supin nominal est un nom non-comptable ; donc, après une préposition, seule la forme unique de masculin-neutre est possible : (68) (a) curs pentru studenți

“un cours pour les étudiants”



(b) *curs pentru studenții



(c) curs pentru studenții străini



“un cours pour les étudiants étrangers”

4.3.2. La deuxième étape du processus de transcatégorisation est représentée par la ré-analyse de la forme ambiguë comme une forme verbale capable de prendre un objet direct à l’accusatif ou un sujet au nominatif. Les premiers exemples qui attestent cette nouvelle propriété du supin appartiennent à la fin du 17e siècle ; les constructions [supin + objet direct] (69) et [supin + sujet] (70) sont donc attestées un siècle après les premières attestations du supin ambigu. Ce qui est encore intéressant est que la nouvelle ré-analyse s’est produite dans le même contexte que la première ré-analyse, à savoir dans le cas du supin dans le groupe nominal : (69) (a) mescioară de numărat banii (Corbea, Dictiones latinae, 1691-1697, p. 3)





(b) vas de țânut ulei (Corbea, Dictiones latinae, 1691-1697, p. 87)



“une petite table servant à compter l’argent” “un récipient pour y tenir l’huile”

(c) nu ne săturam (...) de măritat fetele după peminteni (Neculce, Letopisețul, 18e siècle, p. 382)



“nous n’avions pas assez de donner nos filles en mariage aux indigènes”

(70) (a) loc de cinat şase înş (Corbea, Dictiones latinae, 1691-1697, p. 232)



“une place où six personnes peuvent dîner”

(b) scaun de şezut şase oameni (Corbea, Dictiones latinae, 1691-1697, p. 232) “une chaise sur laquelle peuvent s’asseoir six personnes”

(c) avè şi vreme de vinit mojâcii (Neculce, Letopisețul, 18e siècle, p. 254)

“on avait assez de temps pour que les manants viennent”

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5. Conclusions Dans cet article nous avons essayé d’éclaircir le débat autour de l’origine du supin en roumain. Utilisant un large corpus de textes en ancien roumain, nous avons montré que le supin verbal est apparu en roumain à partir du supin nominal, un mécanisme de formation de mots hérité du latin, à la suite d’un processus de ré-analyse / transcatégorisation à deux étapes : d’abord, [supin nominal > supin ambigu du point de vue catégoriel] et ensuite [supin ambigu > supin verbal]. La création du supin en roumain est similaire à la création du supin en latin. Mais tandis que le supin latin a été éliminé de la langue à cause de l’extension de l’infinitif, le supin roumain a survécu et, en outre, est beaucoup plus diversifié dans la langue actuelle, probablement grâce à la perte de l’infinitif. On a eu besoin de cette nouvelle forme verbale pour exprimer une action sans en préciser le temps, l’aspect et la personne ou pour compenser le système des diathèses, dans lequel seulement deux valeurs, actif et passif, n’étaient pas suffisantes (Brâncuș 2007 [1967], 173, Manoliu-Manea 1993 [1985]). Institut de Linguistique « Iorgu Iordan − Al. Rosetti » et Université de Bucarest

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6. Bibliographie 6.1. Sources ALR s.n. II = Atlasul lingvistic român, serie nouă, vol. II, Bucureşti, Editura Academiei, 1956. Budai-Deleanu, Ion, Ţiganiada, ed. Florea Fugariu, Bucureşti, Editura Minerva, 1981. Caragiale, I. L., Kir Ianulea. Nuvele şi povestiri, Prefaţă şi tabel cronologic de Al. Oprea, Ediţia a II-a revăzută, Bucureşti, Editura Albatros, 1979. Chivu, Gheorghe, « ‹Cei doi excessuri a amerii› − o ‹istoriolă› romantică într-un calendar de la sfârșitul secolului al XVIII-lea », Limbă și literatură I-II, 2002, p. 84-98. Corbea, Teodor, Dictiones latinae cum valachica interpretatione [1691-1697], Ediție de Alin-Mihai Gherman, Volumul I : Studiu introductiv, note și text, Clusium, 2001. Cette recherche a été soutenue par le Programme Opérationnel Sectoriel de Développement des Ressources Humaines (SOP HRD), financé par le Fonds Social Européen et par le Gouvernement de la Roumanie (n° du contrat : SOP HRD/89/1.5/S/59758).

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Passé simple et passé composé dans l’histoire du français. Changement paradigmatique, réorganisation et régrammation 1

1. Point de départ et objectifs de la présente étude Le présent travail se propose d’étudier l’alternance entre deux formes du passé, le passé simple (PS) et le passé composé (PC), dans une perspective diachronique, depuis le 16 e siècle. Dans la mesure où les deux formes apparaissent en parallèle, leur opposition porte sur leur valeur aspectuelle : le PS, forme synthétique ou non composée, introduit une valeur perfective dans le passé, coupée du présent ou du moment de l’énonciation du locuteur (1), alors que le PC, forme analytique ou composée, véhicule une valeur de passé intimement liée à ce point de repère (2) : (1)

Mercredi j’accompagnai Patrick à la salle Gaveau, où Michelangeli jouait du Haydn et du Mozart avec l’Ensemble instrumental de France [...]. (Mathews, Ma vie dans la CIA : une chronique de l’année 1973, 132, 2005, cit. Frantext)

(2)

Moi tout seul, maintenant, j’ai compris et appris la chanson de la bonté. (Guibert, Le protocole compassionnel, 131, 2007, cit. Frantext)

Cette opposition est étayée par les adverbiaux présents dans le co-texte. En (1), l’adverbe de passé, mercredi, souligne que l’action à laquelle réfère le PS est coupée du moment de l’énonciation, tandis qu’en (2), l’adverbe de présent, maintenant, souligne le rapport avec le moi-ici-maintenant du locuteur. La recherche admet généralement cette différence sémantico-fonctionnelle entre les deux formes du passé, au-delà des différences terminologiques. Ainsi, Schøsler (2012) considère le PS comme un ‘perfectum historicum’ et le

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Nous tenons à remercier Lene Schøsler et Bruno Courbon ainsi qu’André Thibault pour l’intérêt qu’ils ont porté à notre travail et pour leurs précieuses propositions de modification de ce texte.

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JAN LINDSCHOUW

PC comme un ‘perfectum praesens’ ; Vetters (2010, 282-287) affirme que le PS traduit une valeur de ‘passé perfectif’, tandis que le PC véhicule un ‘passé d’antérieur’ ; Caudal/Vetters (2007, 122-124) soulignent que le PS exprime une valeur d’‘aoriste’, contrairement au PC, qui véhicule une valeur ‘résultative’ (v. infra 2.1). Par l’affaiblissement du PS à travers le 20 e siècle, le PC est parvenu à exprimer une valeur perfective pure, coupée du présent, comme l’illustre (3), où l’adverbial le mardi matin, de même que les imparfaits du co-texte, marquent la rupture avec le présent : (3)

Le mardi matin, après le week-end prolongé, le neurologue m’a téléphoné. J’étais contente de vérifier qu’il y avait bien un humain sous la blouse [...]. (Gault, Le corps incertain, 45, 2006, cit. Frantext)

Le présent travail se propose d’étudier ce type d’alternance, en considérant la relation entre le PS et le PC comme une opposition sémantico-fonctionnelle de nature paradigmatique qui s’inverse au cours de l’histoire du français (Lehmann 1995 [1982] et Nørgård-Sørensen et al. 2011) ; selon nous, le PS passe d’un système à valeurs bipartites en français de la Renaissance à un système à valeur unitaire en français moderne, alors que pendant cette même période le PC passe d’un système à valeur unitaire à un système à valeurs bipartites. Nous examinerons alors si l’évolution subie par le PS peut être considérée comme un cas de ‘régrammation’ (Andersen 2006), à savoir comme un processus qui modifie les systèmes grammaticaux existants (Heltoft et al. 2005 et NørgårdSørensen et al. 2011). La grammaticalisation considère dans cette logique non pas seulement le passage classique d’un contenu lexical à un contenu grammatical, mais aussi les réorganisations à l’intérieur d’un système grammatical (v. infra 2.2), d’où le terme de ‘régrammation’. Bien que le PC soit également réorganisé au cours de la période examinée, nous allons démontrer qu’il ne subira pas un processus de ‘régrammation’, dans la mesure où il ouvre son domaine d’emploi. Nous considérerons la question du changement entre les deux formes du passé également selon la théorie de la concordance du marquage et de l’innovation linguistique d’Andersen (2001a et 2001b) afin d’étudier si les changements survenus sont motivés de façon interne ou externe. Enfin, les formes seront étudiées en intime relation avec les compléments du temps (Klum 1961, Caron/Liu 1999, Thibault 2000, 62-96), pour établir des points de repère permettant d’identifier les valeurs des formes du passé sans s’exposer au danger de la circularité. Caron/Liu (1999) ont déjà traité l’évolution du PS et du PC à partir des compléments du temps de façon très convaincante, mais ils n’ont tenu compte que d’un seul genre textuel, à savoir la littérature épistolaire, ce qui limite la

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PASSÉ SIMPLE ET PASSÉ COMPOSÉ DANS L’HISTOIRE DU FRANÇAIS

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portée de leurs conclusions. En fait, Weinrich (1973, 92) a montré l’importance de tenir compte de différents genres textuels pour rendre compte de la distribution de ces deux formes de passé. D’après lui, de façon générale, le PS appartient au monde raconté ou de la narration, monde que l’on trouve notamment dans les genres littéraires, alors que le PC relève du monde commenté, qui est plutôt présent dans le genre argumentatif, mais aussi dans le discours direct 2. Pour cette raison, nous étudierons l’évolution du PS et du PC en tenant compte d’un vaste éventail de genres textuels. Ces genres seront classifiés selon le continuum communicatif proposé par Koch/Oesterreicher (2001, 586), qui distinguent un pôle de distance et un pôle d’immédiateté (v. infra 3). L’évolution sera documentée à partir de plusieurs coupes synchroniques, l’accent étant mis sur le 16 e, le 18e et les 20 e /21e siècles. Ces trois siècles ont été choisis parce qu’ils permettent d’illustrer les changements qui se sont produits. En effet, le 18e siècle peut être considéré comme la période de transition, où le PC commence à prendre du terrain sur le PS (Caron/Liu 1999, 43 ; Vetters 2010, 288 et Schøsler 2012). En revanche, le 16e siècle constitue la situation d’origine où le PS et le PC étaient employés avec deux valeurs bien distinctes (‘perfectum historicum’ et ‘perfectum praesens’), alors que les 20 e /21e siècles représentent la période dans laquelle le PS cède la place au PC. Dans sa fonction narrative, le PS a aussi été évincé par le présent de narration, et même par le futur (dans des nécrologies, par exemple). Le PC n’est donc pas le seul concurrent du PS, mais dans le présent travail, nous ne mettons l’accent que sur l’alternance entre ces deux formes. Pour la composition du corpus et le nombre d’occurrences prises en considération, voir infra. Cette étude se compose de trois parties : une partie théorique, une partie méthodologique et une partie empirique. Dans la partie théorique, nous passerons d’abord en revue les travaux récents les plus importants sur l’alternance entre les deux formes du passé et développerons ensuite les parties pertinentes de la théorie de la grammaticalisation pour l’étude des deux formes du passé en question, de même que la théorie de la concordance du marquage et de l’innovation linguistique d’Andersen (2001a et 2001b). Dans la partie méthodologique, nous discuterons la composition du corpus, y compris le nombre d’occurrences pris en considération. Nous présenterons également les types d’adverbiaux étudiés, de même que le modèle communicatif de Koch/ 2



Il est vrai que cette opposition, assez simpliste, est notamment pertinente pour le français écrit du genre formel et pour les étapes révolues du français. Pour le passé simple du portugais et de l’espagnol américain, ainsi que pour le passé composé du français oral et écrit peu formel et de l’italien septentrional, cette distinction est totalement inopérante.

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Oesterreicher (2001) destiné à établir un corpus représentatif. Dans la partie empirique, l’évolution du PS et du PC sera mise en évidence à partir des coupes synchroniques évoquées supra.

2. Conceptions théoriques L’objectif de cette section est triple. Premièrement, elle consistera à faire mention des études récentes réalisées sur l’alternance entre le PS et le PC et d’évaluer l’époque à laquelle les changements dans la distribution de leurs valeurs sémantico-fonctionnelles se seraient produits. Deuxièmement, elle cernera les aspects les plus importants de la théorie de la grammaticalisation, notamment de la notion de ‘régrammation’. Enfin, nous présenterons la théorie d’Andersen (2001a et 2001b), afin d’étudier si les changements survenus dans le système du passé sont introduits de façon interne ou externe.

2.1. Valeurs attribuées au PS et au PC 3 Comme nous l’avons dit supra, la plupart des chercheurs sont d’accord, toutes périodes confondues, pour admettre que le PS exprime une valeur de passé coupée du présent ou du moment de l’énonciation du locuteur, comme le montre (1), alors que le PC indique une valeur de passé motivée par le présent, comme l’illustre (2). Cependant, ils proposent des termes différents pour définir cette différence sémantico-fonctionnelle. Ainsi, Schøsler (1973 et 2012) considère le PS comme un ‘perfectum historicum’ et le PC comme un ‘perfectum praesens’ ; Vetters (2010, 282-287) affirme que le PS traduit une valeur de passé perfectif, tandis que le PC véhicule un passé d’antérieur ; Caudal/Vetters (2007, 122-124) soulignent que le PS exprime une valeur d’aoriste, contrairement au PC, qui véhicule une valeur résultative 4. Caron/Liu (1999) se concentrent notamment sur les corrélations entre les adverbiaux de temps et les formes du passé, mais ils affirment que le PS est « un temps d’époque Au cours du 20 e siècle, de nombreuses études ont été consacrées aux valeurs attribuées à ces deux formes du passé et à leur évolution sémantique. Or, pour la présente exposition nous nous référons en particulier aux études récentes, c.-à-d. celles de la fin du 20 e siècle et du début du 21e siècle, dans la mesure où celles-ci sont dans une large mesure fondées sur les études antérieures datant de la dernière moitié de 20 e siècle. 4 La valeur résultative, en fait, est plus qu’une différence terminologique par rapport aux autres valeurs cernées pour le PC ; elle est plutôt aspectuelle que temporelle. D’ailleurs, Thibault (2000, 167-168) critique la conception de résultativité par rapport au PC en soulignant que l’impression de résultativité qu’on peut parfois prêter à un PC découle en général de tout un ensemble de facteurs, dont le temps verbal n’est qu’un élément parmi tant d’autres. 3

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passé » et le PC « un temps d’époque présent » (op. cit., 39). Judge (2007, 157) est du même avis en affirmant que le PS constitue les moments forts d’un récit, tandis que le PC donne une impression d’immédiateté. Cependant, elle montre que le PS peut exprimer des valeurs dites ‘occasionnelles’, notamment fréquentes en journalisme. En d’autres termes, le PS peut mettre en relief un contraste entre le passé et le présent ; il sert aussi pour les flash-back dans les récits écrits et peut enfin être utilisé à des fins humoristiques (op. cit., 160-161). Ces valeurs auraient été présentes dès l’ancien français, selon l’auteur (op. cit., 162). Tout en reconnaissant ces valeurs, Judge est consciente que l’opposition entre le PS et le PC est également déterminée par des facteurs diaphasiques et diamésiques. Ainsi le PC dénote un élément de discours (et par conséquent d’informalité), contrairement au PS qui relève plutôt du médium écrit (le récit) et du registre formel, voire soutenu (op. cit., 165). L’idée que ces deux formes du passé sont déterminées par des éléments stylistiques est plus explicitement articulée par Weinrich (1973), qui s’inspire de Benveniste (1966). D’après Weinrich, les deux formes verbales sont conditionnées par leur appartenance à des genres textuels spécifiques. Ainsi le PS appartient au monde raconté ou au monde du récit, alors que le PC relève du monde commenté ou de discours. À partir de cette répartition textuelle découlent les valeurs sémantico-fonctionnelles des deux formes du passé. D’après l’auteur, le PS distancie le locuteur du présent, dans la mesure où le récit est un filtre qui coupe le passé du présent. En revanche, le domaine du discours établit un lien avec le moment de l’énonciation, puisqu’on actualise le passé en le commentant. C’est cette capacité qui explique, selon lui, pourquoi le PC, du moins dans certains registres et genres textuels du français contemporain, traduit une valeur de passé motivée par le présent. C’est aussi la répartition de ces deux formes par rapport aux genres textuels qui explique, selon Weinrich (op. cit., 96-97), pourquoi certains chercheurs comme Gili y Gaya (1954 [1943]) considèrent que le PS traduit une valeur d’objectivité et le PC une valeur de subjectivité 5. Si le PS exprime l’objectivité, c’est qu’il appartient au monde du 5



Il importe de souligner que les affirmations de Gili y Gaya (1954 [1943]) concernent l’espagnol où il existe également deux formes du passé : ‘el perfecto compuesto’ ‘le parfait composé’ et ‘el perfecto simple’ ‘le parfait simple’. Comme ces deux formes correspondent dans une certaine mesure respectivement au passé composé et au passé simple en français, tant pour la forme que pour le contenu, nous pensons que les affirmations avancées par Gili y Gaya sont jusqu’à un certain point valables pour le français. Cependant, les affirmations de Weinrich concernant l’usage des équivalents du PS et du PC dans les autres langues romanes ont une dimension très généralisatrice. Il existe bien entendu des différences considérables entre elles ; à l’intérieur même du diasystème de l’espagnol, les différences sont énormes d’une région à l’autre ; de même pour l’italien.

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récit, où le locuteur raconte, de façon voulue objective, ce qui s’est passé autrefois. En revanche, si le PC est pourvu de valeurs subjectives, c’est qu’il relève du monde du commentaire, où le locuteur commente des faits reliés de façon plus ou moins explicite à son univers de discours. En dépit de cette dichotomie fonctionnelle claire entre les deux formes du passé, force est de constater que le système du passé a subi des changements considérables au cours du temps, ce qui a eu pour conséquence que le PC peut dans l’état actuel de la langue être utilisé dans un contexte de passé coupé du présent, domaine réservé autrefois au PS, tel que l’illustre (3). Dans la discussion scientifique, on a cherché à quel moment ce changement s’est produit. Il y a une certaine unanimité pour considérer le 18e siècle comme la phase de transition où le PC commence à l’emporter sur le PS pour exprimer une valeur de passé coupé du moment de la parole (Le Guern 1986 ; Caron/Liu 1999, 43 ; Caudal/Vetters 2007, 132-134 ; Vetters 2010, 289 et Schøsler 2012). Cependant, Foulet (1968 [1919]), Bonnard/Régnier (1997 [1914]) et Buridant (2000, 380-381) affirment que le PC fonctionne déjà comme temps du passé pur en ancien français. Mais cette analyse a été contestée par plusieurs chercheurs. Schøsler (1973 et 2012) montre que dans les parties narratives en ancien français le PC fonctionne toujours comme un présent de narration, tandis que Wilmet (1998, 364-365) souligne que dans les alternances des temps entre le PS et le PC, le PC possède la valeur d’un présent à cette époque-là. Comme il ressortira de la section 4, compte tenu des éléments de documentation exploités, nos analyses confirment que le changement commence timidement à se produire au 17e siècle pour s’accélérer au 18e siècle. On peut se demander pourquoi c’est précisément au 18e siècle que ce changement s’est produit et non avant. Plusieurs chercheurs (Weinrich 1973, 291 sqq. et Vetters 2010, 288-289) imputent ce fait à la fameuse ‘règle des 24 heures’ énoncée par Henri Estienne au 16e siècle et qui a été reprise aveuglément par de nombreux grammairiens de l’époque. D’après cette règle, le PC s’emploie pour les événements survenus le jour de l’énonciation et le PS pour les événements situés plus loin dans le passé. Bien que cette règle n’ait guère correspondu à la réalité langagière, comme le signale Wilmet (1992), elle a eu une certaine influence, notamment aux 16e et 17e siècles, dans la mesure où l’Académie française l’a farouchement invoquée pour corriger les œuvres classiques dans lesquelles elle n’était pas respectée (Weinrich 1973, 295 et Vetters 2010, 289). Donc la politique langagière a fort probablement déterminé, jusqu’à un certain degré du moins, la distribution du PS et du PC, même dans l’oral ‘représenté’ (Marchello-Nizia 2012) à cette époque-là, mais il n’est pas exclu

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de supposer que certains locuteurs du 16e et du 17e siècle aient employé le PC à valeur de passé coupé du présent dans leurs propres interlangues 6.

2.2. Le PS et la thèse de la ‘régrammation’ Comme nous l’avons déjà dit, l’un des objectif de cet article est d’étudier si l’évolution du système du passé, et en particulier celle du PS, pourra être considérée dans une perspective de grammaticalisation, ou de ‘régrammation’, comme cela a déjà été proposé pour le mode subjonctif (Loengarov 2006 ; Lindschouw 2008 ; 2011a et 2013) et pour le futur synthétique ou morphologique en français (Lindschouw 2011b). Cette section sera vouée à une justification de la thèse de la ‘régrammation’ pour l’étude du PS. De façon très générale, il existe deux courants de la théorie de la grammaticalisation : un courant classique et un courant ‘élargi’. D’après la définition classique, la grammaticalisation présente deux phases : du lexical au grammatical d’abord, du grammatical au plus grammatical ensuite (Bybee et al. 1994 ; Lehmann 1995 [1982] ; Haspelmath 1999, 2004 ; Detges/Waltereit 2002 ; Heine 2003 ; Hopper/Traugott 2003 [1993] et Marchello-Nizia 2006). L’évolution primaire du PC, observée dans la transition du bas latin à l’ancien français peut en effet être caractérisée comme un processus de grammaticalisation traditionnel, comme Vetters (2010, 286-288) et Schøsler (2012) l’ont déjà montré : au cours de cette période, la collocation avoir/être + participe passé change d’une unité lexicale libre à une unité grammaticale figée. Dans la construction lexicale non grammaticalisée de départ, les deux éléments pouvaient être placés librement dans la phrase et habere avait son sens lexical fort désignant la possession et des états présents, alors que le participe passé fonctionnait comme un complément d’objet direct de habere. Dans la transition vers l’ancien français, cette construction développe petit à petit des traits grammaticaux. Par exemple, habere/avoir perd son sens lexical plein de possession pour acquérir un sens plus abstrait et fonctionner ainsi comme un auxiliaire. En outre, le participe passé perd son statut de complément d’objet direct pour fusionner avec l’auxiliaire, changement qui est accompagné d’une fixation de l’ordre de ces deux unités. Une fois que ce 6



Le terme d’interlangue est emprunté à la didactique des langues étrangères pour désigner la langue d’un apprenant par rapport à la norme de la langue que celui-ci est en train d’apprendre. Or, ce terme a également été proposé pour décrire une phase du changement linguistique. Andersen (1973) compare ainsi le locuteur produisant des réanalyses, dont certaines peuvent conduire au changement linguistique, à l’enfant qui est en train d’acquérir sa langue maternelle. Dans cette optique, tous les locuteurs ont leur propre interlangue qui varie souvent par rapport à la norme établie.

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figement s’est mis en place, le PC développe des valeurs de passé, d’abord une valeur de passé dont les effets durent toujours au moment de l’énonciation ; ensuite une valeur de passé détachée de ce point. Il importe de souligner que cette grammaticalisation du PC est achevée depuis longtemps en français de la Renaissance, période dans laquelle notre collecte des données commence. Comme nous nous intéressons au phénomène de la grammaticalisation en tant que réorganisation du système grammatical, appelée ‘régrammation’ (cf. infra), la première étape de la grammaticalisation du PC n’est pas pertinente pour cette étude. Comme la définition traditionnelle se révèle à la fois étroite et peu précise, un certain nombre de linguistes ont proposé une définition élargie, notamment Bybee et al. (1994), Marchello-Nizia (2001), Heltoft et al. (2005), Nørgård-Sørensen et al. (2011). Ces chercheurs sont grosso modo d’accord pour admettre que la grammaticalisation est un processus qui non seulement accorde un statut grammatical à des éléments ou à des systèmes qui ne l’avaient pas autrefois mais aussi qui change les systèmes grammaticaux existants 7. Nous allons nous appuyer sur la définition élargie de la grammaticalisation pour l’étude de l’évolution du système du passé, et notamment celle du PS. On peut ainsi estimer que ce tiroir verbal a subi un processus de ‘régrammation’ (Andersen 2006), dans la mesure où son prédécesseur issu du parfait latin (Vetters 2010, 282) exerçait déjà une fonction grammaticale ; mais, comme le résultat d’une ‘régrammation’, il a obtenu un nouveau statut grammatical. Si l’évolution du PS peut être caractérisée comme une ‘régrammation’, il faut au moins que les deux conditions suivantes soient présentes : (1) Le processus de ‘régrammation’ présuppose une ‘réduction paradigmatique’ (Lehmann 1985 et 1995 [1982], 132 sqq.). Un élément essentiel d’une telle réduction est la perte de poids d’un signe linguistique à l’intérieur d’un paradigme et le manque de liberté du locuteur pour choisir un signe et le remplacer par un autre signe dans le paradigme (op. cit., 137 sqq.). À mesure que la possibilité d’alternance entre les membres du paradigme diminue puis disparaît, la catégorie linguistique subit un processus d’‘obligatorification’ 8 et de ‘spécialisation’ (Hopper/Traugott 2003 [1993], 116-118). Si le PS se réduit au Dans Lindschouw (2011b, 57-63), on trouve une discussion minutieuse sur les problèmes liés à la définition classique sur la grammaticalisation. Il nous a semblé superflu de reprendre cette discussion, et nous renvoyons le lecteur à l’article précédent, paru dans la RLiR. 8 Ce néologisme est proposé en anglais par Lehmann (1995 [1982], 139), mais a ultérieurement subi une francisation par Lamiroy (2003, 414) et Loengarov (2006), pour ne citer que quelques chercheurs. 7

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cours de l’histoire du français, on pourra avancer l’hypothèse qu’il va perdre sa possibilité d’alterner avec le PC et subir ainsi un processus d’‘obligatorification’ et de ‘spécialisation’. (2) Le processus de ‘régrammation’ présuppose une ‘désémantisation’ (Heine 2003, 579), ‘bleaching’ (Hopper/Traugott 2003 [1993], 76 et 94), ‘semantic attrition’ (Lehmann 1985, 307) du contenu grammatico-fonctionnel du PS. En effet, si la valeur temporelle du PS était bipartite dans des états révolus du français, ce qui lui permettait d’indiquer un contenu passé lié au moment de l’énonciation (Vetters 2010, 282) et un contenu passé détaché de ce point, on pourrait également avancer l’hypothèse qu’au cours des siècles, il se transformera progressivement en un système à valeur unitaire, ce qui apparaîtrait comme un symptôme de sa réduction paradigmatique. Dans ce qui suit, nous allons examiner la validité de ces deux hypothèses. Comme une conséquence directe de la réduction paradigmatique et de la désémantisation du PS, on peut avancer une troisième hypothèse selon laquelle le rapport paradigmatique entre le PS et le PC se renversera et connaîtra un changement au niveau du marquage au cours de la période examinée (cf. aussi Schøsler 2012). Si le PS est la forme non marquée en français de la Renaissance, au sein de son système sémantico-fonctionnel bipartite, le PC est la forme marquée, à valeur sémantico-fonctionnelle unitaire. En raison de la réduction paradigmatique et de la désémantisation du PS et de l’élargissement du domaine d’emploi du PC, nous allons examiner si ce dernier finira par devenir la forme non marquée et le PS la forme marquée en français moderne (cf. infra 2.3).

2.3. Actualisation Dans l’introduction, nous avons affirmé que le changement entre le PS et le PC sera examiné à partir de la théorie de la concordance du marquage et de l’innovation linguistique conçue par Andersen (2001a et 2001b) afin d’étudier si les changements survenus sont motivés de façon interne ou externe. D’après cette conception théorique, les innovations se propagent à l’intérieur du système linguistique suivant une hiérarchie de marquage prédictive, selon que l’innovation est motivée de façon interne ou externe. Les changements motivés par des facteurs externes sont souvent introduits ‘par en haut’ et résultent a priori du contact linguistique ou de besoins communicatifs et pragmatiques particuliers 9 qui sont favorisés par les groupes dominants dans la société, alors

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Il importe de souligner que le processus d’actualisation peut changer d’une époque à l’autre, notamment en fonction du médium de communication, qui joue un rôle

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que les changements motivés par des facteurs internes sont introduits ‘par en bas’. D’après Andersen (2001a, 32), la nature marquée (m) ou non marquée (nm) des contextes peut être définie selon une série de paramètres : style (soutenu [m], standard [nm]), médium (écrit [m], parlé [nm]), morphologie (pluriel [m], singulier [nm]), syntaxe (proposition subordonnée [m], proposition principale [nm]), etc. La nature d’un changement, motivé de façon interne ou externe, détermine la manifestation des innovations. En effet, les changements introduits ‘par en haut’ apparaissent dans les contextes marqués, comme par exemple le genre argumentatif et la poésie, et se propagent ultérieurement à des genres textuels non marqués, comme par exemple l’oral ‘authentique’ et l’oral ‘représenté’ (Marchello-Nizia 2012) tel que le discours direct et les répliques dans les pièces de théâtre. En revanche, les changements introduits ‘par en bas’ apparaissent en principe d’abord dans les genres textuels non marqués pour se propager ensuite aux genres marqués. On peut reprocher à la théorie du marquage qu’elle contienne des éléments ‘spéculatifs’, difficiles à prouver. Il est vrai que nous ne savons rien de sûr des intentions des locuteurs et du statut des éléments linguistiques en diachronie, mais si l’on soumet toutes ses hypothèses à des tests empiriques, on peut examiner leur force prédictive et dans quelle mesure elles constituent un cadre théorique. En effet, la ‘théorie’ d’Andersen (2001a et 2001b) a été évaluée à partir de données provenant de langues typologiquement et génétiquement différentes, à titre d’exemple de l’allemand, de l’anglais, du français, du russe et du norvégien ; voir toutes les contributions du recueil d’articles dont font partie les articles d’Andersen (2001a et 2001b). Nous l’avons également évaluée pour l’étude des modes verbaux en français (Lindschouw 2011a) et pour l’évolution du système du futur en français (Lindschouw 2011b). Comme toutes ces contributions confirment dans l’ensemble sa théorie, nous avons un fondement assez solide pour l’accepter et l’utiliser comme cadre explicatif dans cet article. Dans la présente étude, nous allons examiner comment les évolutions sémantico-fonctionnelles du PC se manifestent dans la langue à partir du français de la Renaissance et comment elles se propagent ultérieurement dans la langue, selon le modèle d’Andersen. important pour le contact linguistique. A titre d’exemple, les variétés de français d’Amérique subissent massivement l’influence de l’anglais, mais moins on est instruit (en français), plus on est touché par l’anglais, donc les changements induits par l’anglais ne sont pas du tout introduits ‘par en haut’. On peut fort probablement s’imaginer que les médiums de communications électroniques (dans le sens large) accélèrent ce genre de changements. Or, pour ce qui est de la période prémoderne, le contact linguistique était réduit à de petits cercles érudits ; pour cette raison, les contacts linguistiques étaient alors induits ‘par en haut’. Pensez par exemple à l’influence du latin et de l’italien sur le français à l’époque de la Renaissance.

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3. Méthode Afin d’examiner la distribution et l’évolution du PS et du PC, nous avons collecté 600 occurrences à partir de Frantext (cf. la bibliographie). 200 occurrences ont été collectées pour chaque siècle. Puisque nous nous intéressons à l’alternance entre les deux formes du passé, notamment à la concurrence entre elles pour exprimer un contenu de passé coupé du moment de l’énonciation, notre collecte des données commencera à partir du moment où la première concurrence a été observée. Comme les changements du système du passé ne sont pas abrupts d’un siècle à un autre, et pour des soucis de clarté, nous ne mettrons l’accent que sur les 16e, 18e et 20 e siècles pour les raisons présentées dans les remarques introductives. On peut à juste titre se demander si 600 occurrences sont suffisantes pour ce genre d’interrogation. Cependant, dans nos études sur l’évolution du système des modes verbaux en français (Lindschouw 2011a) et des formes du futur (Lindschouw 2011b), nous avons pu constater que les changements à l’intérieur du système verbal se produisent si lentement qu’il est impossible d’identifier une évolution d’un siècle à l’autre. Par conséquent, nous proposons des coupes synchroniques plus larges et séparées de deux siècles. Cela dit, nos conclusions doivent être interprétées avec une certaine réserve et il est important à l’avenir d’ajouter à notre étude des données supplémentaires afin de pouvoir renforcer nos conclusions. Nous nous sommes référé à Weinrich (1973) en section 2.1. concernant l’importance des genres textuels pour comprendre le fonctionnement des deux formes du passé. En fait, Weinrich ne se réfère qu’à deux genres textuels, le monde raconté et le monde commenté, mais il existe d’innombrables genres textuels dont il faut a priori tenir compte afin d’établir un corpus représentatif. C’est pourquoi, nous prendrons en considération un vaste éventail de genres textuels pour la collecte des données. Pour faire ressortir un corpus représentatif de la réalité langagière et des échantillons dépourvus de partis pris idiosyncrasiques, les données ont été choisies de sorte qu’elles représentent les pôles du continuum communicatif proposé par Koch/Oesterreicher (2001, 586) qui appellent ‘immédiat’ le contexte communicatif qui déclenche typiquement une production orale et ‘distance’ le contexte communicatif qui déclenche typiquement une production écrite. Ils énumèrent dix paramètres extralinguistiques permettant d’analyser vers quel pôle un texte peut être catégorisé. Ces paramètres sont présentés dans le tableau 1. Nous tenons à souligner que Koch/Oesterreicher distinguent entre les termes ‘conception’ et ‘genre textuel’, c.-à-d. que les deux pôles extralinguistiques du tableau 1 ne coïncident pas avec les genres textuels, mais y sont reliés :

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Immédiat

Distance

communication privée

communication publique

interlocuteur intime

interlocuteur inconnu

émotionnalité forte

émotionnalité faible

ancrage actionnel et situationnel

détachement actionnel et situationnel

ancrage référentiel dans la situation

détachement référentiel de la situation

coprésence spatio-temporelle

séparation spatio-temporelle

coopération communicative intense

coopération communicative minime

dialogue

monologue

communication spontanée

communication préparée

liberté thématique

fixation thématique

Tableau 1. Paramètres permettant de définir les pôles de l’immédiat et de la distance (Koch/Oesterreicher 2001, 586)

Les données ont été choisies et réparties en trois groupes. Le premier groupe, censé représenter la distance, est constitué de textes argumentatifs (i.e. de textes académiques, historiques et religieux, d’essais philosophiques, de mémoires, de récits de voyage, etc.). Ces textes sont proches du pôle de la distance parce qu’ils relèvent d’une communication publique où l’interlocuteur est inconnu ; l’émotionnalité est plutôt faible ; il s’agit le plus souvent d’un monologue au sens large du terme, la communication est préparée, les thèmes sont fixés à l’avance, etc. Le deuxième groupe, censé représenter l’immédiat, est constitué de textes reflétant l’oral ‘représenté’ (Marchello-Nizia 2012), c.-à-d. les pièces de théâtre et les dialogues dans les textes littéraires narratifs. Il est vrai qu’il faut se garder d’identifier discours direct et répliques avec la langue parlée, parce qu’ils ne présentent pas la même spontanéité, coopération communicative et liberté thématique que la langue parlée stricto sensu, mais n’en sont qu’un reflet. C’est précisément pour répondre à cette objection que nous employons le terme de l’oral ‘représenté’. Quoi qu’il en soit, nous considérons que le discours direct et les répliques ont été rédigés avec la claire intention de rendre une impression de spontanéité et d’informalité, ce qui justifie qu’on puisse les retenir pour illustrer le pôle de l’immédiateté communicative. Le troisième groupe représente une sorte de groupe intermédiaire situé entre l’immédiat et la distance. Les textes de fiction en prose se situent entre la communication typique de l’immédiat et la communication typique de la distance, puisqu’ils présentent différents degrés de formalité selon le style de l’auteur. Il est vrai que dans un premier temps ce genre textuel est plus près du pôle de la distance que du pôle de l’immédiat si l’on en juge par

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les critères énumérés dans le tableau supra. Cependant, chez certains romanciers, on retrouve un style très personnalisé, intime et émotionnel, du moins pour l’époque contemporaine, ce qui permet de voir dans ce genre certains traits propres au pôle de l’immédiat, bien qu’il faille reconnaître que de façon générale, la publication d’un roman est un acte public et souvent le fruit de réécritures multiples. Pour les périodes antérieures, l’utilisation de données orales est bien sûr exclue. Pour la langue moderne, nous ne nous servirons que des données écrites et non des données orales transcrites, parce que le remplacement du PS par le PC est quasiment achevé dans le médium parlé, ce que confirme une recherche lancée dans le corpus oral Discours sur la ville. Corpus de Français Parlé Parisien des années 2000 (CFPP2000).

3.1. Compléments du temps Une étude d’ordre sémantico-pragmatique comme celle-ci est sans cesse exposée au danger de la circularité. En d’autres termes, comment s’assurer que le PS et le PC traduisent effectivement les valeurs décrites dans la section 2.1. ? Pour prévenir ce danger, nous avons décidé d’étudier les deux formes du passé en intime relation avec les compléments du temps. Ce procédé est originellement proposé par Klum (1961) et élaboré ultérieurement par Caron/Liu (1999) pour l’étude de la concurrence entre le PS et le PC dans la littérature épistolaire et par Thibault (2000) pour l’espagnol renacentista. Il existe deux méthodes pour étudier le changement dans le système du passé. Soit on peut considérer que ce sont les adverbiaux de temps qui changent au cours de l’histoire. Dans ce cas-là, les formes verbales représentent les éléments constants de l’énoncé à partir desquelles on peut mesurer les changements des adverbiaux. Soit on peut adopter le procédé inverse en considérant les adverbiaux temporels comme l’élément stable de l’énoncé et à partir de ceux-ci mesurer les changements survenus aux formes verbales. Il importe de souligner que ces deux méthodes sont inconciliables, car si l’on essaie de les combiner, on s’expose au risque de la circularité. Dans cette étude, nous avons choisi d’adopter la deuxième méthode. Par conséquent, nous considérons que les adverbiaux constituent l’élément stable de l’énoncé à partir desquels on peut mesurer les changements des formes verbales. Cela n’implique pas que le locuteur n’est pas doté de la possibilité d’exprimer subjectivement une coupure ou un lien avec le présent énonciatif en dépit de la valeur sémantique véhiculée par les adverbiaux. Mais nous devons écarter cet aspect dans le présent travail pour ne pas obtenir de résultats imprécis et contradictoires. Nous avons regroupé les compléments du temps en deux groupes généraux : les adverbiaux de passé et les adverbiaux de présent. Les adverbiaux de

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passé peuvent être divisés en cinq sous-groupes : hier, la veille/le lendemain, les adverbiaux désignant les jours de la semaine, les adverbiaux formés sur le modèle le/ce + unité de temps + (-là), par exemple la nuit du 16 mai ou ce jour-là, et enfin les adverbiaux ponctuels comme ensuite, puis, alors, après, etc. Ces adverbiaux désignent tous des actions passées coupées du moment de la parole. Les adverbiaux de présent comportent trois sous-groupes : les adverbiaux de présent pur comme maintenant, aujourd’hui et à présent, les adverbiaux duratifs comme depuis/dès/jusqu’à + unité de temps lié au présent (jusqu’à ce jour/nos jours, depuis trois jours, etc.) et enfin les adverbiaux formés sur le modèle ce + unité de temps comme ce matin, cette nuit, etc. Ces adverbiaux désignent tous des actions passées motivées par le moment de l’énonciation d’une façon ou d’une autre. Les adverbiaux de présent pur désignent des actions simultanées avec le moment de l’énonciation ; les duratifs expriment des états de choses passés qui durent encore au moment de la parole et pour les adverbiaux du type ce + unité de temps, le déictique ce inclut le procès verbal au moment de l’énonciation. Ces adverbiaux sont grosso modo du même type que ceux qui sont pris en considération par Caron/Liu (1999). Cependant, nous avons élargi la palette d’adverbiaux avec les ponctuels parmi les adverbiaux de passé et avec les adverbiaux de présent pur et les duratifs parmi les adverbiaux de présent pour avoir accès à une gamme plus large, plus représentative de la réalité langagière. Il importe cependant de souligner que le statut de hier comme adverbial de passé est contesté. La plupart des chercheurs n’hésitent pas à considérer hier comme un adverbe qui désigne des actions coupées du moment de la parole, du moins pour les états révolus du français (Caudal/Vetters 2007, 126 et Vetters 2010, 289), peut-être en raison de l’influence de la fameuse ‘règle des 24 heures’ que plusieurs grammairiens de l’époque avaient adoptée sans conteste. Selon cette ‘règle’, hier serait un adverbe de passé, puisqu’il désigne des actions qui ne se sont pas produites le même jour que le moment de l’énonciation. Caron/Liu (1999, 40 et 42) admettent cependant que le point référentiel de hier dépend obligatoirement du moi-ici-maintenant du locuteur. Comme tous les autres adverbiaux de passé, hier est calculé à partir du lui-là-à ce moment-là, donc à partir d’un point de référence au passé (Wilmet 1998, 298, 348, 357 sqq.), mais il semblerait que cet adverbe établisse un lien intime avec le moi-ici-maintenant, analyse que nous poursuivrons dans la présente étude. Nous considérons que cet adverbe est à cheval entre le passé et le présent, mais l’avons regroupé – faute de mieux – parmi les adverbiaux de passé. Comme le montrera la section empirique, l’évolution des deux formes du passé est particulière après cet adverbe, ce qui justifie qu’il forme son propre sous-groupe.

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PASSÉ SIMPLE ET PASSÉ COMPOSÉ DANS L’HISTOIRE DU FRANÇAIS

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Les deux groupes d’adverbiaux ne sont toutefois pas représentés de manière tout à fait égale dans nos résultats. Comme nous nous intéressons en particulier à la substitution du PS par le PC pour l’expression d’un contenu passé pur, 150 sur les 200 occurrences de chaque siècle comprennent un adverbial de passé, alors que les 50 restantes contiennent un adverbial de présent. 3.1.1. Inclusion et exclusion d’adverbiaux Comme nous nous intéressons au glissement des valeurs respectives du PS et du PC en rapport avec les adverbiaux de temps considérés comme l’ancrage temporel constant, ces adverbiaux ne sont répertoriés qu’avec l’un de ces deux tiroirs verbaux et non avec d’autres temps du passé tels que le présent historique, l’imparfait, le plus-que-parfait, etc. En outre, nous n’avons tenu compte que des occurrences dans lesquelles la portée de ces adverbiaux affecte le PS ou le PC et non d’autres constituants de la phrase. En d’autres termes, les types d’occurrences suivants ont été écartés lors de la collecte des données : – L’adverbial temporel porte sur un syntagme infinitif : (4)

Après m’avoir vue au théâtre, il m’avait envoyé ce mot : « J’ai aimé vous voir hier soir rythmer vos textes d’une main volontaire, de chef d’orchestre, ou de votre genou […]. » (Angot, Rendez-vous, 66, 2006, cit. Frantext)

– L’adverbial remplit une fonction d’argument ou de circonstant valentiel dans la phrase comme sujet, complément d’objet direct ou indirect, attribut du sujet, etc. En (5) l’adverbe temporel le lendemain fonctionne comme un complément circonstanciel de temps qui remplit une fonction valentielle, dans la mesure où il est impossible de l’omettre sans créer une structure agrammaticale, et en (6) l’année 1948 occupe la position sujet de la phrase : (5)

Je ne sais plus si je rencontrai Orazio le premier soir où je m’aventurai dans les parages, si ce fut le lendemain, ou plus tard. (Bianciotti, Le Pas si lent de l’amour, 54, 2007, cit. Frantext)

(6)

Après une phase d’assainissement progressif et d’amélioration en 1947, l’année 1948 a vu se réaliser un progrès d’ensemble certain mais encore réduit […]. (Sans mention d’auteur, L’Industrie des conserves en France, 21, 1950, cit. Frantext)

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4. Résultats empiriques Le PS est issu du parfait latin et en tant que tel déjà grammaticalisé en latin classique (cf. section 2.2.) où il avait acquis une valeur de passé perfectif, mais avait également d’autres emplois qu’il a perdus au cours de l’histoire, par exemple des emplois en tant que passé antérieur et plus-que-parfait (Vetters 2010, 282), emplois qui se sont perpétués en espagnol et en portugais (Thibault 2000). C’est pourquoi Vetters (2010) considère que le parfait latin est un ‘praeteritum perfectum’ et non un ‘perfectum praesens’ contrairement à la tradition (Wilmet 1992). C’est hors de la portée de la présente étude de discuter si le parfait latin était une forme de passé détachée ou non du moment de la parole. Toutefois, il est probable que ce tiroir verbal était déjà pourvu de ces deux valeurs en latin, car nous avons constaté certains emplois du PS au 16e siècle où cette forme exprimait une valeur de passé reliée au moment de la parole (cf. section 4.1.), ce qui est également observé par Caron/Liu (1999, 50) et Schøsler (1973 et 2012). Cela peut être interprété comme une fonction résiduelle héritée du latin. Comme cette étude reste cantonnée à l’évolution des deux formes du passé en français, nous n’étudierons pas cette question en profondeur ici, mais renvoyons le lecteur à l’étude de González Fernández (1980) sur les valeurs du parfait latin. Comme nous l’avons déjà dit en 2.2., le PC trouve son origine en bas latin où il fonctionne comme une entité lexicale libre désignant la possession, mais ensuite, il subit un processus de grammaticalisation dans le sens ‘traditionnel’ de ce terme en raison duquel il se fige en tant que forme verbale exprimant d’abord une action de passé liée au moment de l’énonciation pour développer ultérieurement des valeurs de passé pur (Vetters 2010, 286-288 et Schøsler 2012). Cette transition est toutefois lente. Vetters (2010, 286) souligne que bien que la fonction grammaticalisée du PC existe dès les textes les plus anciens du français, on trouve également des occurrences de avoir + participe passé où avoir a gardé son sens lexical plein. Une telle coexistence entre une valeur d’origine et une valeur nouvelle grammaticalisée est aussi connue sous le nom de ‘layering’ (Hopper 1991, 22) dans la discussion scientifique. Cependant, la valeur d’origine disparaît apparemment de la langue au cours de l’ancien et du moyen français ; du moins, nous n’avons pas trouvé d’attestations de la construction lexicale libre lors de la collecte des données du 16e siècle. Comme nous l’avons affirmé en section 3, nous présenterons les données sous forme de trois coupes synchroniques, centrées sur le 16e, le 18e et les 20 e /21e siècles afin d’étudier le glissement des valeurs respectives du PS et du PC pour l’expression d’un contenu passé pur détaché du moment de l’énonciation en intime relation avec les compléments du temps.

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PASSÉ SIMPLE ET PASSÉ COMPOSÉ DANS L’HISTOIRE DU FRANÇAIS

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4.1. 16 e siècle Le tableau 2 présente la distribution des deux formes de passé par rapport aux adverbiaux de passé et de présent au 16 e siècle : Adverbial général

Adverbiaux de passé

Adverbiaux de présent

Adverbial spécifique

Passé simple

Passé composé

Hier

28 (14,5 %)

2 (1 %)

La veille/le lendemain

30 (15 %)

0 (0 %)

Jour de la semaine

29 (14,5 %)

1 (0,5 %)

Le/ce + unité de temps + (-là)

27 (13,5 %)

3 (1,5 %)

Ponctuel

28 (14 %)

2 (1 %)

Présent pur

1 (0,5 %)

15 (7,5 %)

Duratif

0 (0 %)

17 (8,5 %)

Ce + unité de temps

0 (0 %)

17 (8,5 %)

143 (71,5 %)

57 (28,5 %)

Total : 200 occurrences (100 %)

Tableau 2 – Adverbiaux et formes de passé (16 e siècle)

Dans un premier temps, les résultats montrent une belle symétrie pour ce qui est de la répartition du PS et du PC par rapport à ces adverbiaux : le PS a une forte tendance à se combiner avec les adverbiaux de passé, tous sousgroupes confondus, alors que le PC s’assemble avec les adverbiaux de présent. Cette distribution nette indique que le PS exprime une valeur de passé pur, alors que le PC véhicule une action de passé intimement liée au moment de l’énonciation. Donnons quelques exemples à titre illustratif de ces valeurs. Sous (7), le PS assembla traduit une valeur de passé coupée du moment de la parole, analyse étayée par l’adverbial de passé, un Dimanche au matin, de même que l’imparfait sentoit et le passé simple donna présents dans le cotexte, qui marquent que le décor est au passé. En (8), le PC a eu traduit une valeur de passé liée au moment de l’énonciation, ce que soulignent l’adverbe temporel ce matin ainsi que les deux présents et les deux futurs du co-texte : (7)

[…] et combien que le second se sentoit totalement desnué de savoir, cela luy donna courage : et quelques jours apres, il assembla un Dimanche au matin neuf ou dix personnes, […]. (Palissy, Recepte veritable, 197, 1563, cit. Frantext)

(8)

[…] car la presence d’un si excellent Senateur m’augmentera le courage, de sorte que j’espere s’il y vient, que NICOT n’aura pas sur moy l’avantage qu’il a eu ce matin. (Brués, Les Dialogues de Guy de Brués contre les nouveaux académiciens, 239, 1557, cit. Frantext)

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Cette distribution symétrique est également confirmée par le tableau 3 qui montre la distribution des deux types d’adverbiaux et des deux formes verbales par rapport aux genres textuels. Ainsi, le PS s’emploie massivement avec les adverbiaux de passé dans toute la gamme de genres textuels pris en compte (le genre argumentatif, la littérature/la narration et le discours direct). Inversement, le PC se combine presque exclusivement avec les adverbiaux de présent dans tous ces genres textuels : Adverbial Adverbiaux de passé

Adverbiaux de présent

Genre textuel

Passé simple

Passé composé

Argumentatif

48 (24 %)

2 (1 %)

Littéraire

50 (25 %)

0 (0 %)

Discours direct

44 (22 %)

6 (3 %)

Argumentatif

0 (0 %)

16 (8 %)

Littéraire

1 (0,5 %)

14 (7 %)

Discours direct

0 (0 %)

19 (9,5 %)

143 (71,5 %)

57 (28,5 %)

Total : 200 occurrences (100 %)

Tableau 3 – Adverbiaux, formes de passé et genres textuels (16 e siècle)

Cependant, les deux tableaux révèlent des tendances opposées à cette distribution symétrique. Premièrement, le PS semble traduire une action de passé motivée par le moment de l’énonciation ; cette tendance ressort notamment de la distribution des formes verbales en combinaison avec l’adverbe hier. Le tableau 2 montre une tendance très forte du PS à se combiner avec cet adverbe. En section 3.1., nous avons montré qu’il n’y a pas unanimité parmi les chercheurs pour ce qui est de la valeur à y attribuer et avons conclu que cet adverbe est à cheval entre le passé et le présent, car d’un côté il indique que le procès verbal est achevé au moment de la parole, mais d’un autre côté il est si proche de l’acte de la parole qu’il y est toujours relié. Si l’on accepte cette analyse, les données chiffrées révèlent un certain nombre de cas qui soulignent que le PS véhicule un contenu passé lié au moment de la parole à côté de la valeur – bien plus fréquente – d’un contenu passé coupé du présent et constitue ainsi un système à valeurs bipartites au 16e siècle. Ce système va se réduire considérablement au cours des siècles suivants. Deuxièmement, nos données révèlent une autre tendance qui s’oppose à la distribution générale des formes de passé au 16 e siècle. Nous avons relevé huit occurrences dans lesquelles le PC se combine avec un adverbial de passé, ce qui suggère qu’il peut traduire un contenu de passé pur dans ces contextes spécifiques. L’exemple (9) sert à titre illustratif de cet usage :

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PASSÉ SIMPLE ET PASSÉ COMPOSÉ DANS L’HISTOIRE DU FRANÇAIS

(9)

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[…] car d’autrefois à Naples j’ay eu l’amitié d’une vieille femme qui avoit cognoissance de toutes les herbes du monde, et par icelles guerissoit plusieurs maladies, […]. (Amboise, Les Neapolitaines : comedie Françoise Facecieuse, 166, 1584, cit. Frantext)

Dans cette occurrence, le PC traduit clairement un contenu passé coupé du moi-ici-maintenant, ce que soulignent l’adverbe de passé d’autrefois de même que les deux imparfaits avoit et guerissoit du co-texte. Il est intéressant de constater que cet emploi du PC est presque exclusivement réservé au discours direct, genre textuel proche du pôle de l’immédiat dans le modèle communicatif de Koch/Oesterreicher (2001) (cf. tableau 1), ce qui vaut également pour (9), qui est tiré d’une pièce de théâtre. Nous pensons qu’il s’agit d’une innovation qui apparaît dans un contexte non-marqué, ce qui suggère qu’elle peut être introduite ‘par en bas’, si l’on accepte la théorie d’Andersen (2001a et 2001b) sur l’innovation linguistique (cf. section 2.3.). L’analyse semble plausible, parce que cette valeur va augmenter au cours des siècles suivants tout en se répandant aux genres textuels non marqués. Parmi ces 8 occurrences, nous en avons relevé 2 tirées des lettres privées de Calvin, dont (10) sert à titre illustratif : (10)

Car apres m’avoir requis au mois de janvier d’interceder pour luy au mariage de Merne, il m’a mandé que Wilerzy l’avoit aymé ante multos menses jusque à le demander […]. (Calvin, Lettres à Monsieur et Madame de Falais, 144, 1543-1554, cit. Frantext)

Ici le PC a mandé est utilisé avec une valeur de passé coupé du présent, ce qui est étayé par la présence de l’adverbial introduit par apres et le plusque-parfait avoit aymé, utilisé pour assurer la concordance du temps dans la proposition complétive enchâssée dans le prédicat a mandé. Schøsler (2012), ayant travaillé systématiquement sur l’emploi du PS et du PC dans l’œuvre de Calvin, considère que le PS traduit une valeur de ‘perfectum historicum’ et le PC une valeur de ‘perfectum praesens’, qu’il s’agisse de ses traités ou de ses lettres privées, quoique nous ayons affaire à deux genres bien distincts. Nous ne sommes pas entièrement d’accord avec cette analyse. Pour les lettres privées, nous avons pu constater que le PC s’emploie jusqu’à un certain point avec une valeur de passé pur ou de ‘perfectum historicum’, ce qui cadre parfaitement avec l’analyse d’Andersen (2001a et 2001b), puisqu’il s’agit d’un changement introduit ‘par en bas’, qui va se répandre progressivement dans les siècles à venir.

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4.2. 18 e siècle Au 18e siècle, le système du passé a subi des changements considérables comme le révèlent les tableaux 4 et 5. Les données montrent que le PC gagne du terrain sur le PS pour l’expression d’un contenu de passé coupé du moment de la parole, ce qui justifie que l’on qualifie ce siècle de période de transition : Adverbial général

Adverbiaux de passé

Adverbiaux de présent

Adverbial spécifique

Passé simple

Passé composé

Hier

17 (8,5 %)

13 (6,5 %)

La veille/le lendemain

26 (13 %)

4 (2 %)

Jour de la semaine

24 (12 %)

6 (3 %)

Le/ce + unité de temps + (-là)

26 (13 %)

4 (2 %)

Ponctuel

25 (12,5 %)

5 (2,5 %)

Présent pur

0 (0 %)

16 (8 %)

Duratif

0 (0 %)

17 (8,5 %)

Ce + unité de temps

0 (0 %)

17 (8,5 %)

118 (59 %)

82 (41 %)

Total : 200 occurrences (100 %)

Tableau 4 – Adverbiaux et formes de passé (18e siècle)

Il est cependant intéressant de constater que le changement est plus avancé après certains adverbiaux, notamment après hier. Si le PS était de loin la forme préférée après cet adverbe au 16e siècle, le PS et le PC ont maintenant une distribution presque égale. Nous avons même retenu un certain nombre d’occurrences où le PS et le PC alternent après hier, dans le même ouvrage et chez le même auteur, tel que l’illustrent (11) et (12) : (11)

Hier en soupant tu nous as entretenus de magistrats et de prêtres. (Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, 27, 1784, cit. Frantext)

(12) […] comme je te vis hier au soir lorsque je te présentai mes filles et ma femme […]. (Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, 28, 1784, cit. Frantext)

Bien que la fréquence du PC soit moins considérable après les autres adverbiaux de passé, force est de constater que cette alternance entre les deux formes a également été observée chez le même auteur après tous les adverbiaux, quoique dans une moindre mesure qu’en combinaison avec hier, ce qui témoigne que nous avons affaire à un changement en cours.

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PASSÉ SIMPLE ET PASSÉ COMPOSÉ DANS L’HISTOIRE DU FRANÇAIS

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Il se peut cependant que le changement le plus important observé pour l’adverbe hier doive être mis en rapport avec le fait que celui-ci est à cheval entre le passé et le présent (cf. section 3.1.). Cet adverbe constitue donc un contexte favorable pour les deux interprétations. En termes de grammaticalisation (ou de ‘régrammation’) cela correspond à un cas de ‘overlap’ (Heine 1993, 48-53), de ‘bridging context’ (Heine 2002) ou de ‘critical context’ (Diewald 2002). Selon ce modèle, une forme A qui subira ultérieurement un processus de grammaticalisation, ou de ‘régrammation’ dans notre cas, existe dans une certaine étape synchronique de la langue pour traduire une valeur déterminée. Ensuite, une nouvelle forme B, concurrente de A, entre dans la langue, ce qui crée une ambiguïté référentielle entre la forme A et B. Enfin, la forme A se perd (ou souvent se (ré)grammaticalise), et seule la forme B est capable d’exprimer la valeur réservée auparavant à la forme A. Il existe, après l’adverbe hier une ambiguïté référentielle. Puisqu’il n’est pas clair pour le locuteur si l’action dénotée par le verbe en relation avec cet adverbe a des répercussions ou non sur le présent énonciatif 10, il peut choisir librement entre les deux formes de passé. Comme une conséquence de cette ambiguïté, les valeurs originelles du PS et du PC vont se modifier, et le PC pourra désormais s’utiliser progressivement avec les adverbiaux de passé pur. Le fait que l’emploi du PS ait diminué après l’adverbe hier en passant de 28 occurrences au 16e siècle à 17 occurrences au 18e siècle dans notre corpus peut également être interprété comme un signe que la capacité du PS à traduire un contenu de passé motivé par le moment de l’énonciation s’est affaiblie, tendance également corroborée par l’absence totale du PS en combinaison avec les adverbiaux de présent. Le PS est donc en train d’évoluer d’un système à valeurs bipartites à un système à valeur unitaire et ainsi de limiter son contenu à l’expression d’un passé coupé du moment de l’énonciation. En revanche, le PC est en train d’ouvrir son champ d’application par rapport au 16e siècle, dans la mesure où il peut être employé ou bien avec une valeur de passé pur (avec les adverbiaux de passé) ou bien avec une valeur de passé motivée par l’énonciation (avec les adverbiaux de présent). Si l’on prend en considération la distribution des deux formes de passé par rapport aux genres textuels, la répartition est assez révélatrice. Comme le montre le tableau 5, le PC employé avec une valeur de passé est plutôt fréquent dans le discours direct, c.-à-d. dans l’oral ‘représenté’ (MarchelloNizia 2012), genre proche du pôle de l’immédiat dans le modèle de Koch/ 10

Rappelons que dans cette étude, nous considérons les adverbiaux temporels comme l’élément stable de l’énoncé afin d’être capable de mesurer les changements survenus dans les formes verbales.

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Oesterreicher (2001), alors que sa fréquence dans les genres plus proches du pôle de la distance, les genres argumentatifs et littéraires, est assez modeste. Cette répartition pourrait suggérer que le changement sémantico-fonctionnel du PS est motivé ‘par en bas’ (Andersen 2001a et 2001b) comme nous l’avons proposé en section 4.1. Cependant, le PS est généralement la forme la plus fréquente tous genres compris à cette étape synchronique ; il faut attendre les siècles suivants pour observer une distribution différente. Adverbial Adverbiaux de passé

Adverbiaux de présent

Genre textuel

Passé simple

Passé composé

Argumentatif

43 (21,5 %)

7 (3,5 %)

Littéraire

46 (23 %)

4 (2 %)

Discours direct

29 (14,5 %)

21 (10,5 %)

Argumentatif

0 (0 %)

16 (8 %)

Littéraire

0 (0 %)

17 (8,5 %)

Discours direct

0 (0 %)

17 (8,5 %)

118 (59 %)

82 (41 %)

Total : 200 occurrences (100 %)

Tableau 5 – Adverbiaux, formes de passé et genres textuels (18e siècle)

Considérons maintenant les raisons pour lesquelles le changement du système du passé commence à se manifester à ce moment précis. Nous avons déjà proposé que la valeur sémantique de l’adverbe hier constitue un élément important du changement du PS, puisqu’il est à cheval entre le passé et le présent. Toutefois, d’autres explications sont également plausibles. Bien que la fameuse ‘règle des 24 heures’ n’ait guère reflété la réalité langagière, elle a fort probablement eu une importance considérable en tant qu’instrument normatif, puisque l’Académie française l’a farouchement invoquée pour adapter les œuvres classiques au ‘bon usage’ de l’époque (Weinrich 1973, 295 et Vetters 2010, 289), comme nous l’avons dit supra en 2.1. Comme cette ‘règle’ était notamment évoquée pour satisfaire aux impératifs de la dramaturgie classique française aux 16e et 17e siècles avec la poétique aristotélicienne comme point de repère, il n’est pas exclu de penser que cette ‘règle’ a été maintenue de façon moins rigide au 18e siècle où les préceptes classiques ne jouissaient plus de la même importance. On peut donc s’imaginer qu’un tel affaiblissement a ‘rendu légale’ l’utilisation du PC pour des événements qui ne sont pas survenus le jour même où le locuteur en parle. Cette hypothèse cadre parfaitement avec l’idée selon laquelle l’emploi du PC en tant que forme de passé pur serait une innovation ‘par en bas’, car les prescriptions de l’Académie française ont

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probablement réprimé dans le médium écrit un usage répandu déjà dans le médium parlé ‘authentique’. Le changement du système du passé peut enfin être mis en relation avec une tendance plus générale dans le système verbal français qui tend à remplacer les formes synthétiques par les formes analytiques. Pour ce qui est du système du futur, le futur analytique commence à prendre du terrain sur le futur synthétique pour l’expression d’un contenu de futur coupé du moment de l’énonciation à partir du 18e siècle (Lindschouw 2011b), c.-à-d. en même temps que le PC commence à concurrencer le PS. La tendance selon laquelle les formes synthétiques se font remplacer par les formes analytiques pourrait être reliée à une analyse interlinguistique et acquisitionnelle : les formes analytiques sont plus faciles à acquérir et à repérer que les formes synthétiques, parce qu’elles sont plus faciles à incorporer mentalement dans les interlangues 11 des locuteurs (Lund 2009, 95-96).

4.3. 20 e /21e siècles Pour ce qui est de l’époque moderne, nous constatons que le système du passé a subi encore des modifications considérables par rapport au 18e siècle. Le tableau 6 indique que de façon générale, le PC est devenu la forme la plus courante pour traduire un contenu de passé coupé du moment de l’énonciation et s’est ainsi étendu au domaine réservé autrefois au PS : Adverbial général

Adverbiaux de passé

Adverbiaux de présent

Adverbial spécifique

Passé simple

Passé composé

Hier

0 (0 %)

30 (15 %)

La veille/le lendemain

16 (8 %)

14 (7 %)

Jour de la semaine

8 (4 %)

22 (11 %)

Le/ce + unité de temps + (-là)

9 (4,5 %)

21 (10,5 %)

Ponctuel

9 (4,5 %)

21 (10,5 %)

Présent pur

1 (0,5 %)

15 (7,5 %)

Duratif

0 (0 %)

17 (8,5 %)

Ce + unité de temps

1 (0,5 %)

16 (8 %)

44 (22 %)

156 (78 %)

Total : 200 occurrences (100 %)

Tableau 6 – Adverbiaux et formes de passé (20 e /21e siècles)

Force est cependant de constater que la répartition du PS et du PC diffère après les divers adverbiaux de passé. Hier présente la distribution la plus 11

Pour une définition de ce terme, voir supra 2.1.

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spectaculaire, dans la mesure où cet adverbe présente une configuration exactement inversée. Il est passé d’une situation au 16e siècle où le PS était la forme préférée à une situation aux 20 e /21e siècles, où le PC est devenu la forme exclusive, changement qui est également confirmé par Caron/Liu (1999, 42-45) pour le genre épistolaire. Nous avons déjà émis l’hypothèse que ce changement important pourrait être relié au statut sémantiquement ambigu de hier (cf. section 3.1. et 4.2.). Cette conclusion est bien entendu fondée sur les résultats de notre corpus et devrait être supplée par d’autres études futures. Les autres adverbiaux de passé n’emboîtent le pas à hier qu’avec retard, comme nous l’avons observé pour les siècles précédents. Les adverbiaux du type ‘jour de la semaine’, le/ce + unité de temps + (-là) de même que les adverbiaux ponctuels ont une préférence nette pour le PC, contrairement aux siècles précédents où le PS était la forme dominante. En revanche, les adverbiaux du type ‘la veille/le lendemain’ sont plutôt conservateurs, parce que parmi les adverbiaux examinés ce type est le plus résistant au changement, bien qu’on puisse observer une évolution en faveur du PC au cours des siècles. Si ces adverbiaux se combinaient exclusivement avec le PS au 16e siècle, ils ont maintenant une répartition plus ou moins égale entre le PS et le PC. Il semble que le statut conservateur de ces deux adverbiaux doive être expliqué en termes de genres textuels plutôt qu’à partir de leur valeur sémantique. Parmi les 30 occurrences observées de ces deux adverbiaux à l’époque moderne, seules 5 occurrences relèvent du discours direct, alors que les 25 restantes sont issues de la littérature et des genres argumentatifs à traits narratifs, à savoir les livres d’histoire, les mémoires, les récits de voyage, etc. Comme nous allons le voir dans ce qui suit, ces deux genres sont ceux qui acceptent encore l’usage du PS, alors que cette forme est presque disparue dans le discours direct. En dépit de l’évolution manifeste en faveur du PC pour l’expression d’un contenu passé coupé du moment de l’énonciation, il existe dans notre corpus quelques exemples où le PS et le PC alternent après un adverbial de passé chez le même auteur, comme c’était aussi le cas au 18e siècle. En (13), le narrateur emploie le PS quitta et le PC ai éprouvé après l’adverbial l’année suivante. Quoiqu’elle réfère dans les deux cas à des événements passés, on peut avancer l’hypothèse que le PC indique une action dont les conséquences se laissent encore ressentir au moment de l’énonciation en 2007. Cette hypothèse est pourtant difficile à vérifier objectivement, faut d’accès aux procédés cognitifs de S. Veil, mais rien dans le contexte ne contredit cette hypothèse. Ainsi, on peut suggérer que le PC soit dans certains cas employé avec sa valeur primaire, même lorsqu’il réfère à des événements passés ‘authentiques’ :

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(13) Lorsque de Gaulle quitta l’Élysée, l’année suivante, je n’ai pas éprouvé de regret. J’avais d’ailleurs voté non au référendum, moins à cause de la réforme du Sénat, [...]. (Veil, Une vie, 156, 2007, cit. Frantext)

En même temps, nous avons relevé 2 occurrences dans lesquelles le PS peut traduire un contenu de passé motivé par le moment de l’énonciation, tel que l’illustrent (14) et (15) : (14) […] mais je vous l’enverrai certainement, car elle est un hommage à cette petite fille admirable que vous fûtes aujourd’hui à cinq heures du matin. (Sartre, Lettres au castor et à quelques autres, vol. I (1926-1939), 18, 1983, cit. Frantext) (15) […] tout ce que je vis et entendis dans le cours de cette journée, écrivit-il le lendemain dans une note insensée qui nous est parvenue, […]. (Guéhenno, Jean-Jacques : t. 3 : Grandeur et misère d’un esprit : 1758-1778, 247, 1952, cit. Frantext)

En (14), le PS fûtes véhicule clairement un contenu de passé motivé par le moment de l’énonciation, analyse corroborée par l’adverbe aujourd’hui ainsi que le futur et le présent du co-texte. Cet usage est cependant stylistiquement marqué et peut probablement être expliqué par le sens que l’auteur va apporter à cet énoncé. Sartre est connu pour employer un style érudit, et le castor, un animal doué, auquel il s’adresse, est sa compagne, Simone de Beauvoir. Il n’est pas exclu qu’il a choisi le PS pour donner une tonalité savante à son texte. L’exemple (15) est un peu trompeur, dans la mesure où les deux PS vis et entendis font partie d’une citation datant du 18e siècle et ne reflètent guère l’usage actuel. Quoiqu’il en soit, ces deux occurrences témoignent que le PS a été doté d’une capacité à exprimer deux valeurs sémantico-fonctionnelles dans des états révolus de la langue, mais que la valeur de passé motivé par l’énonciation s’est perdue, ce qu’indique également l’absence totale du PS après l’adverbe hier aux 20 e /21e siècles dans le corpus que nous avons constitué. Sur la base de celui-ci, ces chiffres permettent donc de conclure que le PS est passé d’un système à valeurs bipartites présent dans des états révolus de la langue à un système à valeur unitaire en français moderne où il s’est spécialisé dans l’introduction d’un contenu de passé coupé du moment de la parole. En revanche, le PC est passé d’un système à valeur unitaire au 16 e siècle à un système à valeurs bipartites en français moderne, puisqu’à côté de sa valeur première (contenu de passé lié au présent), il est désormais capable de traduire également un contenu de passé coupé du présent. Toutefois, il serait injustifié de dire que le PC a supplanté entièrement le PS pour l’expression d’un contenu de passé détaché du moment de l’énonciation,

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car la distribution de ces deux formes diffère selon le genre textuel, tel qu’en témoigne le tableau 7 : Adverbial Adverbiaux de passé

Adverbiaux de présent

Genre textuel

Passé simple

Passé composé

Argumentatif

21 (10,5 %)

29 (14,5 %)

Littéraire

18 (9 %)

32 (16 %)

Discours direct

3 (1,5 %)

47 (23,5 %)

Argumentatif

1 (0,5 %)

15 (7,5 %)

Littéraire

0 (0 %)

17 (8,5 %)

Discours direct

1 (0,5 %)

16 (8 %)

44 (22 %)

156 (78 %)

Total : 200 occurrences (200)

Tableau 7 – Adverbiaux, formes de passé et genres textuels (20 e /21e siècles)

Ce tableau révèle que le remplacement du PS par le PC est quasiment achevé dans les genres proches du pôle de l’immédiat, c.-à-d. dans l’oral ‘représenté’ (Marchello-Nizia 2012), où nous avons relevé seulement 3 occurrences du PS, contrairement à 47 occurrences du PC. Toutefois, dans les genres plus proches du pôle de la distance, à savoir les genres argumentatifs, la répartition entre les deux passés est à peu près égale, avec une fréquence quelque peu élevée en faveur du PC. Pour le genre littéraire, se situant entre l’immédiat et la distance (cf. section 3), le PC est la forme préférée pour l’expression d’une valeur de passé coupée du moment de l’énonciation avec 32 occurrences, mais le PS a toujours un certain poids avec 18 occurrences. Cette répartition des données confirme l’hypothèse que le changement sémantique du PC en faveur d’un contenu passé détaché du moment de la parole a été une innovation motivée ‘par en bas’. Au 18e siècle, le PC était notamment employé avec cette valeur dans les genres non marqués, à savoir ceux qui sont proches du pôle de l’immédiat, mais au cours des siècles, cette valeur s’est transmise aux genres marqués, c.-à-d. ceux qui sont proches du pôle de la distance.

4.4. ‘Régrammation’ du PS ? Sur la base des données empiriques présentées dans les sections 4.1 à 4.3., est-il permis de conclure que le PS a subi un processus de ‘régrammation’ ? Nos données révèlent nettement que le contenu du PS a été réanalysé au cours de la période examinée. Sa valeur bipartite originelle au moyen de laquelle il pouvait exprimer un contenu de passé motivé par le moment de l’énonciation et un contenu de passé coupé de ce point de repère, a été réana-

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lysée et ainsi réduite, de sorte que le PS est parvenu à constituer un système à valeur unitaire en français moderne, dans la mesure où il ne peut exprimer qu’un contenu de passé détaché du moment de l’énonciation. En termes de grammaticalisation (ou de ‘régrammation’), ce tiroir verbal a ainsi subi un processus de désémantisation au cours de la période examinée. En dépit de cette désémantisation, on peut se demander si le système du passé a subi un processus d’‘obligatorification’ ou de ‘spécialisation’ et par là une réduction paradigmatique (cf. supra 2.2.). La réponse à cette question dépend en grande partie des genres textuels qu’on prend en considération. On peut parler d’un processus d’‘obligatorification’ si l’on se réfère uniquement aux genres textuels proches du pôle de l’immédiat (l’oral ‘représenté’) dans le modèle communicatif de Koch/Oesterreicher (2001), puisque le PS en a quasiment disparu au cours des siècles examinés. En revanche, dans les genres proches du pôle de la distance (le genre argumentatif) et ceux qui se situent entre le pôle de la distance et celui de l’immédiat (la littérature), le PS et le PC alternent librement, quoique dans une moindre mesure qu’autrefois. Cependant, Schøsler (1973) a montré que même dans ces genres le PS est codifié, car son usage a disparu de certains contextes linguistiques dans lesquels il était présent à des étapes révolues du français, constat qui confirme en effet la réduction et ainsi la ‘régrammation’ du PS. Cette ‘régrammation’ a eu comme conséquence que ce tiroir verbal a commencé à fonctionner comme marqueur stylistique. Si au 16e siècle, le PS était présent dans une vaste gamme de genres textuels, il s’emploie maintenant uniquement dans les genres textuels plutôt formels. En d’autres termes, la valeur stylistique est passée au premier plan à l’intérieur du domaine d’emploi du PS, alors que la valeur sémanticofonctionnelle précise (contenu de passé coupé du moment de la parole) est passée à l’arrière-plan. Pour ces raisons, on peut conclure que le PS est en train de subir un processus de ‘régrammation’ qui a atteint l’une de ses dernières phases. Pour employer la métaphore du ‘overlap model’ (Heine 1993, 48-53 et 2002 ; Diewald 2002), exposée en section 4.2., on peut dire que la forme A (la forme ‘ancienne’ : le PS) et la forme B (la forme ‘nouvelle’ : le PC) se sont trouvées à la deuxième phase, i.e. la phase de concurrence, à partir du 18e siècle pour l’expression d’un contenu de passé coupé du moment de l’énonciation, mais aux 20 e /21e siècles, la troisième phase, i.e. la phase où la forme ‘nouvelle’ l’emporte sur la forme ‘ancienne’ est en train d’être atteinte, parce que le PS a disparu de certains genres textuels contrairement au PC. Reste à savoir si le PS va disparaître des genres textuels proches de la distance au cours des siècles à venir.

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Pour ce qui est du PC, il est vrai que nous avons affaire à une réorganisation à l’intérieur du système verbal et à une réanalyse de son contenu sémantico-fonctionnel, mais le changement que ce tiroir verbal a connu ne peut être qualifié de ‘régrammation’, parce qu’il a ouvert son domaine d’emploi plutôt que de le restreindre au cours des siècles. Cette forme représente la forme extensive ou progressive dans le système du passé, dans la mesure où il est passé d’un état où il formait un système à valeur unitaire (contenu de passé motivé par le moment de l’énonciation) à un système à valeurs bipartites (où il garde sa valeur première, mais peut également traduire un contenu détaché du moment de l’énonciation). En outre, si le PS a subi une réduction par rapport aux genres textuels, le PC a connu un élargissement. Au 16e et au 18e siècle, sa valeur nouvelle (contenu de passé pur), était surtout présente dans les genres textuels proches de l’immédiat, mais aux 20e /21e siècles, le PC est employé avec cette valeur dans les genres textuels proches de l’immédiat de même que dans ceux qui sont proches de la distance. Comme une conséquence de la ‘régrammation’ du PS et de l’élargissement du PC, l’évolution observée témoigne également d’un renversement du statut de marquage et ainsi du rapport paradigmatique entre ces deux formes. Si l’on recourt à la définition de marquage d’Andersen (2001a), selon laquelle la portée de la forme marquée est comprise dans celle de la forme non marquée, on peut dire que le PS était la forme non marquée au 16e siècle, puisqu’il formait un système à valeurs bipartites, alors que le PC formait un système à valeur unitaire. À cette époque-là, la valeur du PC (contenu de passé motivé par le moment de l’énonciation) était comprise dans la portée du PS. Au cours des siècles, cette opposition de marquage s’est inversée, de sorte que le PC est devenu la forme non marquée, parce qu’il présente un système à valeurs bipartites, tandis que le PS ne traduit qu’une seule valeur sémantico-fonctionnelle, comprise, d’ailleurs, dans la portée du PC.

5. Conclusions Cette étude a traité de la distribution et de l’évolution de deux formes de passé, le PS et le PC, au cours de la période qui va du français de la Renaissance (le 16e siècle) au français moderne (les 20 e /21e siècles). L’accent a été mis sur la corrélation entre ces deux tiroirs verbaux et les adverbiaux de passé et de présent afin de déterminer l’évolution de leurs contenus passés, en rapport ou non avec le moment de l’énonciation, et ces adverbiaux ont été analysés comme le point temporel stable de l’énoncé. Nos données révèlent que le système du passé a subi des changements d’ordre sémantico-fonctionnel considérables et que le changement du PS peut

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être considéré comme un processus de ‘régrammation’, dans la mesure où ce tiroir verbal subit un processus de désémantisation en passant d’un système à valeurs bipartites en français de la Renaissance à un système à valeur unitaire en français moderne accompagné d’une ‘obligatorification’ ou d’une ‘spécialisation’, symptôme d’une réduction paradigmatique, puisque l’alternance du PS avec le PC s’est effacée dans certains genres textuels, notamment ceux qui sont proches du pôle de l’immédiat selon le modèle communicatif de Koch/ Oesterreicher (2001). Par conséquent, le PS fonctionne comme un marqueur stylistique en français moderne. En effet, cette valeur est passée au premier plan à l’intérieur du domaine d’emploi du PS, alors que la valeur sémanticofonctionnelle précise (contenu de passé coupé du moment de la parole) est passée à l’arrière-plan. Comme une conséquence directe de la ‘régrammation’ du PS, son concurrent, le PC, a ouvert son domaine d’emploi en passant d’un système à valeur unitaire au 16e siècle à un système à valeurs bipartites aux 20 e /21e siècles et en s’étendant à toute la palette de genres textuels. Bien que le PS n’ait pas encore cédé la place entièrement au PC, il n’est pas exclu qu’un tel scénario se produira dans les siècles à venir. Nous avons également montré que l’élargissement sémantico-fonctionnel du PC (contenu de passé coupé du moment de l’énonciation) est une innovation motivée ‘par en bas’ et ainsi de façon interne, dans la mesure où elle est d’abord apparue dans les genres proches du pôle de l’immédiat pour s’étendre au cours des siècles aux genres proches du pôle de la distance. Le changement observé pour le PS et le PC ressemble dans une large mesure aux changements qui ont affecté le système du futur (Lindschouw 2011b) et les modes verbaux (Lindschouw 2008 ; 2011a et 2013). Dans Lind­ schouw (2011b), nous avons montré que dans le système du futur, le futur synthétique s’est réduit considérablement depuis le moyen français, tandis que sa forme concurrente, le futur analytique, a élargi son domaine d’emploi. Quoique le futur synthétique n’ait pas encore subi un processus de ‘régrammation’, il n’est pas exclu qu’une telle chose se produise à plus long terme. Dans Lindschouw (2008 ; 2011a et 2013), nous avons montré que depuis l’ancien français, le subjonctif a subi un processus de ‘régrammation’, du moins dans les subordonnées concessives, contrairement à l’indicatif qui a ouvert son champ d’emploi pendant cette même période. Dans ces trois cas, nous avons affaire à un changement au moyen duquel une forme (la forme ancienne) se réduit (et dans certains cas subit une ‘régrammation’) et se fait concurrencer par la forme nouvelle qui étend son domaine d’emploi. Ces évolutions parallèles pourraient suggérer que nous avons affaire à un cas de

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‘grammaticalisation reliée’ (Nørgård-Sørensen et al. 2011) à l’intérieur du système verbal conjugué, c.-à-d. des changements simultanés et consécutifs dans une langue ou une famille de langue, changements que les descriptions traditionnelles ont tendance à considérer comme des cas isolés. Dans la section 4.2., nous avons proposé une analyse pour expliquer cette grammaticalisation reliée, notamment entre le système du futur et le système du passé. Ces deux systèmes consistent en une alternance entre une forme analytique et une forme synthétique, dont la forme synthétique cède la place à la forme analytique au cours de l’histoire. Cette tendance pourrait être reliée à une analyse interlinguistique et acquisitionnelle : les formes analytiques sont plus faciles à acquérir et à repérer que les formes synthétiques, parce qu’elles sont plus faciles à incorporer mentalement dans les interlangues des locuteurs (Lund 2009, 95-96), le terme d’interlangue étant employé pour désigner une phase du système langagier de tous les locuteurs d’une langue (Andersen 1973). Toutefois, des études supplémentaires, notamment pour ce qui est du rapport entre le PS et le PC, sont nécessaires pour pouvoir conclure à une grammaticalisation reliée entre les différentes parties du système verbal conjugué. Dans cette étude, nous n’avons pris en considération que la corrélation entre les adverbiaux de temps et les formes de passé, mais pour avoir un fondement empirique encore plus solide, il faudra également tenir compte d’autres contextes où apparaissent les deux formes de passé. Il serait aussi pertinent de prendre en considération les autres langues romanes où existe une alternance entre une forme synthétique et une forme analytique. Une telle étude permettrait de vérifier si les langues romanes suivent le même schéma évolutif à l’intérieur du système verbal, et, le cas échéant, à la même vitesse. Ainsi on pourrait étudier si quelques langues sont plutôt conservatrices et d’autres plutôt innovatrices par rapport à leur source commune, le latin. Université de Copenhague

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Eléments gallo-italiens et gallo-romans dans les parlers corses Si les parlers corses s’inscrivent indubitablement dans l’aire italo-romane centrale voire centre-méridionale 1, plusieurs auteurs y ont noté l’existence d’éléments de provenance gallo-italienne, spécialement ligurienne, ou encore de provenance gallo-romane 2. Le présent article tente d’apporter une contribution à cet inventaire, à partir de données issues d’enquêtes de terrain (BDLC) et de dictionnaires dialectaux (Alfonsi 1932, Ceccaldi 1982, Falcucci 1915), tout en approfondissant les données lexicales anciennes 3. Par ailleurs, en suivant la démarche d’Annalisa Nesi (1992), nous avons effectué plusieurs sondages dans des textes corses médiévaux, rédigés en latin et/ou en toscan, textes qui laissent filtrer des dialectalismes corses.

1. Les apports gallo-italiens Les investigations menées autour des parlers du Cap Corse avaient permis de recenser quelques formes dites à ‘sonorisation romane’ (Medori 1999, vol. 1, 96-113), dans la suite des travaux de Rohlfs (1990, 150-160), de Tekavčić (1980) et de Guazzelli (1996), pour le toscan et l’italien 4. Ainsi, la Corse connaît, dans son patrimoine lexical, les formes suivantes recensées par Rohlfs (1990, 15, 150-151, 154) pour le toscan : spada “épée”, strada “route”, pagà “payer”, lagu ou lavu “lac”, poveru “pauvre”. Les trois premières coexistent, dans certaines régions insulaires, avec les continuateurs réguliers de la base latine, dont la consonne sourde étymologique est conservée 5 : spata < spatha REW 8128, strata < strata REW 8291, pacà < pacāre REW 6132. Voir notamment Merlo 1924-1925 et Dalbera-Stefanaggi 1991 et 2001. Bottiglioni 1928 et 1939, Rohlfs 1941, Medori 1999, 2004 et 2005, HohnerleinBuchinger 2003, Dalbera-Stefanaggi 2004, Toso 2008. 3 J’adresse mes remerciements pour la documentation italo-romane et gallo-romane à X. Afonso-Alvarez, P. Baudinot, E. Buchi, M. T. De Luca, St. Orsini et S. Traber. Un remerciement tout particulier est adressé à M. Pfister pour ses précieux conseils et la documentation italo-romane. 4 Guazzelli 1996, 9-20 rappelle en introduction à son étude, les différentes théories visant à expliquer la présence de termes toscans et italiens avec consonne intervocalique affaiblie (sonorisation, spirantisation). 5 Elle peut éventuellement subir une sonorisation secondaire et autochtone ; voir notamment Dalbera-Stefanaggi 1991 §§ 242-292 et 2001, 61-76, 163-177. 1 2

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À cette liste s’ajoutent savone “savon”, pevaru “poivre” 6, cavestru “bâillon pour le sevrage”, cuverta “couverture” et le verbe pudè “pouvoir”, qui sont pancorses (Dalbera-Stefanaggi 2004 ; Medori 1999 et 2005). Les enquêtes dialectologiques (BDLC, Medori 1999, vol. 1, 96-113) ont par ailleurs permis de relever des formes conformes à l’usage de la langue standard, comme sapone < sapōne REW 7589 (cf. aussi Falcucci 1915), cuperta 7 < coopĕr īre REW 2205 et capestra < capĭstrum REW 1631 “muselière” ou capestru “bâillon pour le sevrage” (cf. it. sapone, coperta, capestro). Les autres formes à ‘sonorisation romane’ citées précédemment, contrastent, en revanche, avec l’italien et le toscan qui ont pepe 8 < pĭper REW 6521, capestro et coperta (DEI), potere < *potere (cf. REW 6682 pŏsse). Cependant, l’italien et le toscan anciens connaissaient également coverta (depuis le XIIIe s., cf. TLIO s.v. coperta), tandis que des textes liguriens et émiliens attestent cavestro (XIVe s., cf. TLIO s.v. capestro), confortant l’origine septentrionale du corse cavestru. De même, les variantes de type pevere, pevar(e) sont diffusées sur tout le territoire de l’Italie du nord (AIS 1010) 9. Et cavezza “bâillon, caveçon” 10 a un exact correspondant avec l’italien cavezza “licol” (le dérivé cavezzina est attesté dp. 1353, DELI s.v. cavezza) qui a aussi capezzale ‘oreiller’ < capĭtium REW 1637. Dalbera-Stefanaggi (2004) 11 a également mis en évidence le contraste posé par la présence de civudda avec des variantes de type civodda “oignon” dans les parlers du sud de la Corse, qui s’oppose à cipolla < *cēpŭlla REW 1820 dans le nord de l’île et en italien. Le substantif civudda rappelle les attestations italiennes septentrionales datant du XIIe au XIVe s de type cevola citées par le TLIO s.v. cipolla. Pour la Toscane, Rohlfs (1966-1969 § 206 ; 1990, 153) cite civolla relevé dans la province de Pistoia. La réalisation cacuminale -dd- du Voir aussi les dérivés, pour le corse : pivarella “thym” et pivarone “poivron” chez Falcucci 1915 ; et pour les dialectes italo-romans septentrionaux : lig. erba peive, lomb. erba péver “lepidium latifolium”, “thymus vulgaris” et “ribes nigrum”, tous in DEI s.v. piperella et peperella. Concernant lagu et poveru, la situation est semblable à celle que l’on observe pour l’italien avec lago et povero pour les étymons lacus REW 4836 et paupera REW 6305.2 (de pauper REW 6305). 7 Cf. aussi cupertu, -a, participe passé du verbe copre “couvrir” < coopĕr īre REW 2205 qui conserve la consonne étymologique dans tout le paradigme. 8 Avec les dérivés peperella et piperella ainsi que peperone (voir supra). 9 Voir aussi in DEI s.v. pevere, pepe, peperone. 10 Le masculin cavezzu “muselière pour le sevrage du veau” est aussi présent en corse avec les dérivés cavizzone “caveçon”, “muselière” et cavizzale “traversin” ; voir Dalbera-Stefanaggi 2004, 59. Ces formes, ainsi que le verbe cavazzà “fouir” relevé dans la BDLC, s’opposent au continuateur autochtone de caput REW 1668 > capu “tête”. 11 Voir aussi Medori 1999 vol. 1, 113. 6



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corse méridional civudda continue théoriquement -ll-. Toutefois les formes italo-romanes septentrionales, hormis le bolognais cevolle (1324-28 TLIO s.v. cipolla), présentent toutes une liquide simple. Il est donc possible que civudda reflète un croisement entre un ancien *cipudda ou *cipodda et cevol(l)a. Les formes régulières de la voyelle tonique selon les parlers (Dalbera-Stefanaggi 1991) pourraient confirmer cette hypothèse. Semblant provenir d’Italie du nord, on relève aussi, en corse, les termes agru “aigre”, agrura “rosée, fraîcheur saisissante du soir et du matin”, areru avec aredu voire areu “présure” 12 que le LEI glose sous acer. L’article du LEI recense agru, avec plusieurs dérivés, parmi les formes empruntées aux dialectes septentrionaux (§ 2, voir italien agro), face à la variante autochtone acru (§ 1). Concernant agrura, l’article du LEI montre que ce type lexical est restreint strictement au génois (agrûa) et au corse, qui l’a emprunté à la variété ligurienne 13. Le LEI enregistre par ailleurs areru avec les dérivés de type italien agretto qui désignent la “saveur aigre” ou “acidulée” 14. L’article du dictionnaire recense aussi un ensemble de continuateur de acer qui font référence à la “présure”, au “lait caillé”, etc. Parmi ceux-ci, on note l’existence dans les parlers lombards et tridentins de deux dérivés agrér(o) et agrèra 15 qui désignent des récipients où l’on conserve la présure. C’est à ces formes que areru pourrait remonter, car, outre l’amuïssement de la vélaire, les variations de l’interprétation de la consonne du suffixe laissent à penser que la source originelle s’est opacifiée 16. Areru peut aussi signifier “estomac du cabri dont on extrait la présure” ; voir Falcucci 1915 s.v. aredu, et BDLC. 13 Dans le LEI agrura est glosé dans les formes populaires autochtones. Guarnerio (1915-1916, 521) recense agrestu avec le même signifié, qu’il propose de voir comme continuateur d’agrestis et propose, pour agrura, un croisement entre agrestu et friscura “fraîcheur”. Quant à areghju “ombre, fraîcheur du soir” (Falcucci 1915 s.v. aréghiu ; BDLC), l’auteur propose d’y voir un correspondant de l’italien oreggio < *aur ĭdi āre REW 794, que l’on peut rapprocher du choronyme corse Orezza. 14 Sur le territoire insulaire, areru se déploie autour de grands chemins de transhumance employés traditionnellement par les bergers du Niolu, voir Ravis Giordani 2001, 282-283. Par ailleurs, si agrura est restreint à l’aire septentrionale, areghju appartient à l’aire méridionale extrême. 15 Cela rappelle le cas de lofia “truie”, “laie” dont Hohnerlein-Buchinger (2003 s.v. lôfia/lovia) suppose une pénétration en corse depuis le lombard et l’émilien transitant par la Ligurie et la Lunigiana. 16 Il est difficile de faire remonter aredu-areu à agretto car l’affaiblissement de la géminée aurait dû conduire à sa dégémination (Rohlfs 1966-1969 § 229), et l’on aurait alors eu *agretu (avec, éventuellement, une lénition secondaire). On pourrait en revanche postuler une adaptation locale depuis agrero, la forme aredu pouvant 12

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Bien que rares au regard d’autres régions de l’Italie médiévale, les textes de Corse ou relatifs à la Corse en vulgaire toscan 17 ou en latin, apportent cependant des informations sur quelques termes en provenance d’Italie septentrionale dans l’île. Ainsi, les Statuti di San Colombano (Leca 1989) attestent, en 1348, l’usage de pagar(e) “payer” (notamment 129, 138 et 115, 116, pour des formes fléchies) et du nom propre Spada (idem 117) à rapprocher du substantif spada “épée” 18. Si les relevés dialectologiques (Medori 1999, vol. 1, 98, 108) confirment, sur le territoire de l’ancienne seigneurie, l’emploi de pagà ([pa'ga] et [pa'ga]), spada y alterne avec spata (['spata], ['spada], ['spa d a]). A l’opposé, quelques documents attestent des continuateurs héréditaires du latin f īcus REW 3281 avec conservation de la sourde entre 1092 et 1370, alors que les dialectes corses présentent régulièrement des réalisations affaiblies de la vélaire (jusqu’à l’amuïssement) 19, soit figu, voire fiu 20, à côté de ficu “figue”. On relève d’une part les noms propres Ficaie avec Ficale en 1092  (Scalfati 1996, 74), l’anthroponyme Ficone en 1364 (Larson 2003, 330) 21 et Ficaia en 1370 (Scalfati 1992, 196), et d’autre part les substantifs fica en 1220 (pl. le fiche in TLIO s.v. fica et Stussi 1993, 241), et en 1370 (pl. fiche, Scalfati résulter d’une confusion entre /r/ et /d/ intervocaliques dans certaines régions insulaires. En effet, Dalbera-Stefanaggi 1991 § 249 rappelle : « dans toute la partie centrale de l’île, si -d- aboutit généralement à [d] par lénition, on trouve très souvent des réalisations [r] […]. Les continuateurs de -d- et de -r- sont alors confondus, à l’intérieur du mot du moins […] ». La perte de -r- intervocalique dans areu pourrait aussi s’envisager comme un emprunt transitant par le génois. 17 Voir Nesi 1992 qui a dressé un inventaire de textes publiés exploitables pour des analyses linguistiques. Des textes d’archives, beaucoup plus abondants, sont toutefois exploitables pour l’Époque Moderne ou Contemporaine. 18 Pagar(e) se retrouve aussi dans un texte corse copié en 1364 (Larson 2003, 329) ainsi que dans la Cronica di Giovanni della Grossa en 1464 (Letteron / Casanova / Giacomo-Marcellesi 1998). Le nom propre Spade est attesté également dans un texte de 1370 publié par Scalfati 1992, 195. 19 Il faut toutefois signaler qu’en corse, la vélaire étymologique -c- en position intervocalique, particulièrement devant voyelle d’arrière, peut être sonorisée voire spirantisée sur le territoire insulaire, y compris en zone méridionale réputée plus conservatrice (Dalbera-Stefanaggi 1991 §262). Des variations de traitement sont également observées en Toscane (Rohlfs 1966-1969 § 195). 20 Falcucci 1915 s.v. ficu, glose la variante figu “pomme d’Adam” pour les parlers du sud. Voir aussi le nom du “foie”, fegatu (avec figatellu “saucisse à base de foie” ; sur fecatu < *ficatum, voir ALiR 1, 81-94), avec affaiblissement de la vélaire (Medori 1999 vol. 1, 100-102, Dalbera-Stefanaggi 2004, 58-59). 21 Concernant Ficone, Falcucci 1915 s.v. ficoni précise : « agg. detto a coloro che hanno la gola grossa, dicesi talv. ai genovesi » (voir aussi Toso 1995 et Hohnerlein-Buchinger 2003, 90). Brattö (1955, 99) précise toutefois que le nom propre Ficus peut venir autant d’un surnom depuis le substantif fico que d’un hypocoristique depuis le prénom Fredericus.

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1992, 197) ; ficu en 1348 (pl. fichi in Leca 1989, 121, 123), et encore en 1370 (pl. fichi, Scalfati 1992, 197) avec fica. La Toscane, quant à elle, témoigne de l’usage concomitant de fico et figo au XIVe s (TLIO s.v. fico), alors que fico survit massivement dans l’usage contemporain (AIS 1289) 22. Le fait est également observable pour le suffixe d’agent -tōre(m) qui offre, à côté des continuateurs héréditaires -atore et -itore, les variantes avec ‘sonorisation romane’ -adore voire -aore et -idore 23. Les données des textes anciens de Corse concordent avec ces faits et rappellent la situation de la Toscane où l’on note l’alternance de formes avec une transcription de l’occlusive sourde ou sonore (Guazzelli 1996). La conservation de la sourde étymologique s’observe avec -atore et -itore dans des textes corses datés de 1220 et 1430, tandis que la variante avec sonore se note dans la période antérieure, en 1100 et en 1248. Un texte en latin de 1100 atteste en effet servidoris (“serviteur”, Larson 1998), alors que les dictionnaires dialectaux glosent servitore (Ceccaldi 1982 s.v. sirbitore), et que des textes de 1430 présentent aussi, pour le suffixe la sourde étymologique dans tenitore ou riscotitore “gérant, trésorier”, “receveur, percepteur” (Scalfati 1992, 202-203). Les enquêtes de terrain (BLDC, Medori 1999, vol. 1, 96-113) attestent la coexistence en corse, parfois dans la même localité, avec les mêmes informateurs, du suffixe hérité et du suffixe emprunté, par exemple pour les termes cacciatore “chasseur”, cantatore “chanteur”, lavuratore “laboureur” et piscatore “pêcheur” qui alternent avec caccia(d)ore, canta(d)ore, lavura(d)ore et pisca(d)ore 24. Le dictionnaire dialectal de Falcucci (1915) offre une situation similaire. On y relève par exemple appaltadore, castradore, mais muradore avec muratore et cacciatora. Chez Ceccaldi (1982), dans une aire dialectale où la conservation des sourdes étymologiques est régulière, on note par contre l’usage exclusif du suffixe issu de la ‘sonorisation romane’, ainsi : cacciadore et cacciadora, cantadore, lauradore etc. Des hésitations semblables à la situation contemporaine s’observent avec les attestations de segura, sigurassi, sicurar dans les Statuti di San Colombano en 1348 (Leca 1989) 25, qui concordent avec les données dialectales Rohlfs 1979, 132 relève à l’entrée figo : « fanno i fighi » (« fanno le smorfie ») dans la région de Pistoia. 23 Medori 1999 vol. 1, 111sq. Voir aussi Nesi 1992, 929 qui cite sarvittore au XVe s. Pour les variantes présentes en ancien toscan voir Guazzelli 1996, 24-26 et 31 notamment. 24 Ces termes peuvent être aussi soumis à la seconde lénition qui affecte une partie du territoire insulaire et qui peut conduire à l’amuïssement de la dentale sonore. 25 Les variantes relevées dans le texte sont seguri (120, 128, adjectif m. pl., et verbe – forme fléchie), segura (123, 124), segurato (124), sigurassi (131), sicurar (131) pour le texte de 1348 et segura (138), segurato (139) en 1498, ainsi que sigura (148) en 1522. 22

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contemporaines, par ex. chez Falcucci 1915 qui glose siguru et sicuru “sûr”. La forme seguro, dont le vocalisme autant que la sonorisation de la vélaire révèlent un emprunt, attestée dans les textes corses jusqu’au XVIIe s (Nesi 1992, 929), est aussi présente dans les documents toscans médiévaux de Pise et Lucques (Guazzelli 1996). Notons que les différentes étapes des Satuti rédigées entre 1348 et 1522 attestent les signifiés “promise, fiancée” pour segura et “promettre (la main de), fiancer” pour sigurar, signifiés qui ont disparu des parlers contemporains 26. À l’inverse, certaines formes ont disparu ou se sont spécialisées : le verbe podere relevé en 1348 (Leca 1989, 129) survit au travers de l’usage exclusif de pudè (vs. it. potere) 27, tandis que le substantif podere “propriété, terrain” attesté en 1370 (Scalfati 1992, 195-197, 199) 28 a disparu et que le substantif putere “pouvoir” est probablement un emprunt savant au toscan. Dans un article des Statuti di San Colombano (Leca 1989, 141) daté de 1498, on trouve, par ailleurs, receputo, alors que trois textes du même siècle, dont un de la même région, livrent la forme qui correspond au verbe corse contemporain riceve /-a (< recipere REW 7120). On trouve, en effet, ricevuto et ricevuti en 1430 (Scalfati 1992, 202, 203) 29, et recivuto en 1491 en Balagne (Migliorini – Folena 1953, 136), voire regiebuti, -a dans la Cronica de 1464 (Letteron / Casanova / Giacomo-Marcellesi 1998) 30. De la même façon, on relève en 1370 (Scalfati 1992, 195) sequitarano (< *secutare REW 7778) 31 alors que les parlers corses n’attestent que de variantes avec sonores, seguità, segutà à confronter avec seghutargli dans la Cronaca senese de 1202-1362 in TLIO (voir aussi DEI s.v. secutare). Cette situation rappelle à nouveau celle de la Toscane médiévale décrite par Guazzelli 1996. Le GDLI s.v. sicuranza (§3), sicurare (§2, 11, 13) et sicuro (§ 15, 17) donne des signifiés approchants sans toutefois attester strictement ceux de “fiancer (se)” ou “fiancé(e)”. 27 Les parlers corses attestent peut-être, au travers du participe passé pututu (à côté de pussutu), l’usage d’une forme héréditaire issue de *potere (voir REW 6682 posse et DELI s.v. potere). Voir aussi Rohlfs 1979, 175. 28 Castellani 2000, 145-147 (et le même auteur cité in DELI s.v. podere) envisagent l’introduction de cette forme en Toscane d’où elle a irradié, depuis les parlers septentrionaux, spécialement depuis Bologne, en raison du prestige sur toute l’Italie, voire l’Europe, de l’école juridique bolognaise au XIIe siècle. 29 La partie latinisante du texte livre toutefois recepi ; de même un texte de 1540 mêlant toscan et latin donne receputo à deux reprises (Graziani 1998, vol. 2, 137). 30 Le chroniqueur est originaire de l’extrême sud de l’île (Grossa), où les consonnes sourdes étymologiques sont conservées. 31 Pour l’italien seguitare, le DELI dit ceci : « Formazione non chiara : forse da seguìto, part. pas. di seguire. […] ». Le sud de la Corse présente quant à elle suvità, probablement issu de subitare REW 8365. 26

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Relativement aux résultats de -x- latin, la Corse connaît, conformément à ce qui passe en Toscane, des résultats mixtes, c’est à dire ss [ss] et sci [ʃʃ]. On peut opposer ainsi massella, avec mansella et massedda < maxilla REW 5443 “joue”, “mâchoire” à coscia < coxa REW 2292 “cuisse” 32. Le polymorphisme toscan a fait l’objet de débats sur l’origine des deux résultats 33. Rohlfs (1966-1969 § 225 et 1990, 155), notamment, a émis l’hypothèse d’emprunts aux parlers septentrionaux, particulièrement ligures, pour les éléments lexicaux présentant [ʃʃ], face à [ss] plus régulier en toscan. L’auteur nuance toutefois, en supposant que les formes avec [ʃʃ] puissent être imputables à des courants d’influences venus d’Italie du Nord. Pour ce qui est du doublet italo-roman lassare – lasciare, Florescu reconstruit, dans le DERom (s.v. */’laks-a-/), une variante étymologique secondaire de */lak’s-a-re/ avec */lak’si-a-re/ 34. La répartition aréologique des formes italo-romanes montre que les issues du second étymon sont nettement septentrionales, ce que l’on peut observer aussi sur la carte AIS 1657. Le corse contemporain use exclusivement de lascià 35. Cependant, les sondages effectués dans les textes insulaires anciens mettent en évidence l’usage de lassidi “héritages” en 1370 (Scalfati 1992, 195) 36 et de lassare en 1348 et 1464 37, jusqu’au XVIe siècle 38. Les témoignages des textes laissent supposer que lascià se soit imposé plus tardivement dans l’île au détriment de *lassà. Il existe une variante dialectale cossa de coscia relevée par Dalbera-Stefanaggi 1991§ 210. Quant à massella “joue” (vs it. mascella), Rohlfs 1979, 155 le recense aussi à l’île d’Elbe. Enfin, la variante mansella s’explique par dissimilation de [ss]. 33 Voir notamment Rohlfs 1966-1969 § 225 et 1972, 155 ; Tekavčić 1980 §§ 161-171.5 ; Castellani 2000, 398-399. 34 Cette formulation permet d’ailleurs un compromis – notamment – entre les hypothèses de Rohlfs et les premières propositions de reconstructions étymologiques de Meyer-Lübke (cf. Rohlfs 1966-1969 § 225). 35 Voir, s.v. lascià, Falcucci 1915, Ceccaldi 1982, Alfonsi 1932, BDLC. Voir aussi cartes 49, 1016 ou 1303 de l’ALEIC. 36 Le -d- de lassidi reflète sûrement la lénition intervocalique qui affecte les consonnes dans cette région (voir note 5). La comparaison avec les différents éléments de ces deux textes tend à conforter l’interprétation [ss] du digramme ‹ss›. Il faut peut-être ajouter à l’inventaire, avec réserve, lasaraio en 1491 (Migliorini – Folena 1953, 136137, texte n° 110). 37 Voir Leca 1989, 124 : lassa, IP Pe3, et lassò, PS Pe3 ; et in Letteron / Casanova / Giacomo-Marcellesi 1998, 91 avec notamment lassato PP ; et 1998, 103, 261 lassò PS Pe3, ou encore 1998, 431 lassorno PS Pe 6. Voir aussi le commentaire de M. Giacomo-Marcellesi 1998, XL en introduction de l’édition. Il faut peut-être ajouter à l’inventaire lasaraio IF Pe 1, en 1491 (Migliorini – Folena, 1953, 137). 38 Voir par exemple [ello] lassi (SP Pe3) en 1530 dans un texte du Cap Corse (Graziani 1997, 194), lassorno (PS Pe6) dans un texte de Balagne datant de 1573 (Graziani 32

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D’autre part, toujours pour “laisser”, on trouve lagare en 1370 (lagarlo in Scalfati 1992, 195-200), que l’ensemble des parlers insulaires emploient aujourd’hui encore comme concurrent de lascià 39. Sur la carte AIS 1657 lagare est présent dans les parlers lombards, vénètes 40, et ladins, (voir aussi DEI s.v. lagare). Rohlfs (1941, 25-26 et 1990, 184) y reconnait un étymon « francogerm. *lakan » 41 dont des continuateurs sont attestés en ancien lombard et en ancien français. Il souligne aussi sa présence dans des textes toscans des XIIIe et XIVe s (voir aussi Rohlfs 1979, 146). Les deux synonymes corses contemporains, lascià et lagà, montrent donc deux vagues d’influences septentrionales, la plus ancienne étant celle de lagà. Concernant à nouveau le lexique agricole, le cas du substantif brocciu “fromage que l’on fait avec du petit lait et du lait pur” (BDLC) est digne d’intérêt. Nesi (1992, 929) signale la forme broccio dans un texte daté de 1494 copié au XVIIe siècle 42. Brocciu serait un des continuateurs de la base préromane *brok(k)- “ciò che spunta o punge ; dente sporgente” sous laquelle le LEI glose de nombreuses formes italo-romanes. Parmi celles-ci, la structure de l’article met en évidence un ensemble lexical (§ 4.e) dont les signifiés se recoupent autour de “cibi di sapore aspro”. Les différentes formes désignent des sortes de fromages ou font référence à la coagulation du lait et se déploient essentiellement en Italie du nord, spécialement en Ligurie et Lombardie. La Corse s’inscrit, avec ces deux régions, dans un ensemble qui se prolonge vers l’ouest et le nord avec les aires provençales et francoprovençales 43. Les liens avec l’Italie Septentrionale ont aussi des échos en onomastique avec, notamment, le très caractéristique *Lombardu. Stussi (1990b, 59) note, dans un texte de 1260, l’anthroponyme Mezolonb(ar)do, et précise, selon une situation bien connue, qu’il désigne une personne originaire d’Italie Septen-

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1998, vol. 2, 41) et lassato dans un autre texte de Balagne de 1577 (Bianco 2008, 190). Voir notamment Falcucci 1915 s.v. lacà (et lecà dans l’Appendice) qui signale aussi sa présence en ancien toscan et lombard, et BDLC. On recense les variantes lacà, lecà et legà. Voir aussi Bortolan 1893, qui l’atteste à partir de 1560. Voir à nouveau (note 15) le cas du corse lofia “truie”, “laie” qui est rattaché généralement à un étymon germanique (langobard) lefa (Arcamone 1993-1994, 771) qui a des continuateurs en Italie septentrionale. Il s’agit des Statuti di Brando e Nonza édités en 1884. On relève en occitan : bros “petit lait”, “fromage pétri et fermenté”, “caillebotte”, brossa “caillebotte”, “lait caillé”, “fromage frais” et brossar “grumeler”, “se tourner”, “se réduire en caillebotte” (DOF). Pour le francoprovençal on relève : brǫsẹ́ “coaguler” cité in LEI s.v. *brok(k)-. L’affinité du corse brocciu avec le Piémont, la Ligurie et la Provence avait déjà été soulignée par Rohlfs 1979, 108.

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trionale 44. Les textes corses publiés permettent en fait d’attester l’usage de *Lombardu, devenu un véritable prénom, de façon continue, jusqu’au dernier quart du XVIe siècle 45. Outre le Mezolonb(ar)do de 1260 on trouve en effet Lombarduccio en 1370 et en 1386 (Scalfati 1992, 121), puis Lombardino en 1564 (Emmanuelli 1973, 37), et Lombardo dans des actes notariés de 1574 à 1576 (AAN : 5). Le nom propre *Lombardu est également présent dans la toponymie insulaire, avec, par exemple u Lombarducciu. Un toponyme est digne d’intérêt pour notre perspective, c’est celui du Castel Lombardo qui désigne une colonie rurale génoise fondée en 1272 sur le territoire de l’Évêché d’Aiacciu. L’étude historique menée par J. A. Cancellieri (1981, 120) met en relief l’attribution du nom Castel Lombardo lors de sa création 46, par la nature de son peuplement. En effet, la documentation montre que l’on y trouve non seulement des familles génoises, mais aussi piémontaises et émiliennes, et surtout lombardes avec des foyers provenant de Milan et Pavie. L’historien souligne l’intérêt de l’apport de ces populations, pour leurs qualités de bâtisseurs, et surtout leur maîtrise des techniques agricoles et du drainage de l’eau 47.

2. Apports gallo-romans L’évocation du lexique rural nous conduit à évoquer un terme relatif à l’élevage, et tout à la fois les apports gallo-romans au lexique corse 48. Au regard de la situation italo-romane contemporaine, les désignations corses de l’“âne” sont relativement originales. En effet, alors que l’extrême Comme le souligne l’auteur, cette personne semble totalement assimilée puisque l’homme est qualifié « da Spelumcato ». Pour la Toscane, à date identique, voir Brattö 1955, 144-145. 45 La première attestation est en fait l’ethnonyme Lombardi in Scalfati 1996, 75 dans un texte de 1092 écrit probablement en Toscane. 46 Sur la toponymie urbaine d’Ajaccio voir Chiodi-Tischer 1999 et Dalbera-Stefanaggi 2001. Concernant, à l’inverse, la présence des Corses en Terra Ferma, et notamment en Ligurie, entre le XIIIe et le XVe s, voir Cancellieri 1984. 47 Voir aussi les remarques de Hohnerlein-Buchinger 2003 au sujet des colons venus de Ligurie. 48 L’attestation la plus ancienne est donnée par Larson 1998 qui souligne la présence du gallicisme investisione dans un texte corse daté entre 1151 et 1167 (ou dans une échelle maximale : 1132-1171). La présence de quelques gallicismes (par ex. covardo, damigella, stendardo) est signalée par Giacomo-Marcellesi pour le XVe s. dans la Cronica di Giovanni dell Grossa (in Letteron / Casanova / Giacomo-Marcellesi 1998, XXXVI), qui souligne : « tous ces mots appartiennent au répertoire lexical de la littérature chevaleresque italienne ». 44

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sud de l’île 49 conserve, avec asinu, le continuateur du latin asĭnu(m) (voir, s.v. asĭnus, REW 704, LEI), sur les trois quarts restants du territoire insulaire, l’“âne” est désigné par sumere ou sameri 50, résultant d’un emprunt à l’ancien français somier “bête de somme” (< sagmarius REW 7512 attesté depuis ca 1100, FEW s.v. sagmarius 51 ; Hope 1971, 121-122 à somiero, -e). Les deux types lexicaux coexistent parfois dans une même localité, où asinu apparaît alors dans des expressions figées visant à stigmatiser bêtise et ignorance 52. En Italie, les variantes contemporaines de somiere sont rares et dispersées (carte AIS 1066), à côté des développements autochtones de *sauma(m) (< sagma(m) DELI s.v. soma) et *saumariu(m) (< sagmariu(m) DELI s.v. somaro), soit soma, somaro et somaio 53, et des autres noms de l’âne, dont asino 54. La plus ancienne attestation italo-romane de somiere, avec la forme latinisante sumerius en 1171, est livrée, pour le sicilien, par Varvaro (1977, 99-100, à sumerius, samerius) 55. Cella (2003, 262-263, à somiere) insiste quant à elle sur la présence importante des variantes de somiere dans les textes à caractère pratique du XIIIe siècle 56. Les sondages effectués dans les textes corses permettent de recenser, en négatif, le type asinu dans des zones où sumere s’est imposé exclusivement pour désigner l’“âne”. On note ainsi, de façon continue, des formations Y compris l’îlot ligurien de Bonifaziu ; cf. par ex. carte BDLC. Falcucci 1915 dit que la forme asinu est commune à toute la Corse, bien qu’il recense également sumeri, -e. Il glose aussi “âne” s.v. fera qui a aujourd’hui le sens générique de “bête de somme” ou “bovins”. Dans la BDLC une seule localité donne fera pour “ânesse” . 51 Le FEW s.v. sagmarius donne plusieurs attestations gallo-romanes des continuateurs de [equus] sagmarius avec les signifiés “âne”, “ânon”, “ânesse”. 52 Par exemple à Evisa, Ceccaldi 1982 s.v. asinu dit que asinu est d’emploi littéraire ou proverbial face à sumere qui est la forme courante. A Prupià, sameru / sameri côtoie asinu, pour lequel un témoignage recueilli auprès d’A. Filippi permet de préciser que asinu est rare et utilisé surtout dans la forme dépréciative « o asinò ! ». 53 Voir aussi Hope 1971, 121-122 à somiero, -e. Somaro et somaio connaissent, à côté de “âne”, un signifié plus large de “bête de somme”. Gdf : « somier, somm- adj. “de somme, de charge” » ; « somiere s.f. “bête de somme” » et GdfC « somier mod. sommier, s.m. “bête de somme” ». En corse, “bête de somme” est rendu généralement par fera (voir supra). 54 Le TLIO s.v. asino donne la plus ancienne attestation en 1268 en toscan. 55 Bezzola 1925, vol. 2, 166 relève également somiere avec une première attestation dans les Annali genovesi en 1225 avec saumerius (les attestations successives sont someriis in Rolandino Padovano en 1229, somerio in Riccardo di S. Germano en 1231). 56 Voir aussi DELI et DEI s.v. somiere ; hormis la Sicile, les textes cités par les auteurs proviennent essentiellement de Ligurie, Vénétie et Toscane. 49

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anthroponymiques avec Asino à partir de 1220 jusqu’au XVIIe siècle : les relevés donnent (Culia d’) Asino en 1220 (Stussi 1993, 241), Asinello en 1260 (Stussi 1990b, 59), Asino et Asinuccio en 1370 (Scalafti 1992), et Asinello est attesté ensuite au XVIe et au début du XVIIe siècle (voir Canavelli-Colonna 2007 à Asinello) 57. Parallèlement, on relève des variantes du substantif someri en 1348 dans le Cap Corse (Leca 1989, 121, 125, 127, 130) 58, et les noms de personnes Someruccio et Somerello dans le centre de l’île en 1364 (Larson 2003, 329), qui persistent avec Someruccio jusqu’en 1591 dans l’ancienne Seigneurie Leca (Canavelli-Colonna 2007) 59. Il faut noter aussi que certaines localités où le substantif sumere s’est imposé présentent des reliquats toponymiques contemporains de asinu, tandis que d’autres conservent des traces du couple synonymique asinu – sumere. À titre d’exemple, dans les communes suivantes, où l’on use exclusivement de sumere pour désigner l’“âne”, on relève Asinaccia à Lumiu (FAGEC 1976, 5 ; voir Alfonsi 1932 qui ne donne que sumere pour la Balagna), a Costa à l’Asinella à Ascu (CESIT), Asinella à Canavaghja (CESIT), Asinau à u Sulaghju (FAGEC 1990, 187), Asinaghia à a Sarrera (FAGEC 1990, 86), Monte Asininu à Ghjirulatu (Falcucci 1915 s.v. Ghjirlatu et Asininu – appendice), ou encore Acqua Asinaghja à Cuttuli (CESIT). Par ailleurs, Ponte à l’Asinu (CESIT, FAGEC 1976a, 28) coexiste avec Spino Sumere à Corti (FAGEC 1976a, 28), tandis que Collo dell’asino apparaît dans le Plan Terrier en 1795 et le cadastre napoléonien en 1867 de Prupià, face à Bocca di Sumerajo dans le cadastre révisé de 1949 (Filippi 2010).

3. Entre gallo-italien et gallo-roman Outre le nom du brocciu évoqué plus haut, le cas de sumere nous invite à rappeler, conformément à la situation italienne (voir notamment Hope 1971, 636-637 ou Cella 2003, 60, 70-71, 256-263), le succès des continuateurs galloromans du suffixe -ariu(m). Il y a quelques années (Medori 2004), l’examen Emmanuelli 1973, 35 recense aussi Asinoncello en 1564 que Canavelli-Colonna 2007 interprète comme dérivé de asino et à l’origine de Sinucello (voir le nom famille Sinoncelli). Canavelli-Colonna 2007 cite notamment le cas de Sinucello della Rocca ayant vécu entre 1219 et 1312, mais l’édition de la Cronica di Giovanni della Grossa par Letteron / Casanova / Giacomo-Marcellesi 1998 donne Simoncello (avec la même forme pour deux individus distincts). 58 Les Statuti di San Colombano permettent de recenser someri masculin singulier et pluriel (Leca 1989, 121, 125, 127, 130), somera pour le féminin singulier (Leca 1989, 130), et somere pour le féminin pluriel (Leca 1989, 125). 59 L’auteur précise que le petit-fils d’un Someruccio de 1537 était dénommé Sinnaruccio. 57

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de la situation corse permettait de distinguer, à côté des continuateurs autochtones, deux catégories de formes en corse : les variantes de -iere, avec diphtongue, et les variantes de type -eru, -era sans diphtongue. Le corpus traité à l’époque a permis de mettre en évidence la productivité du suffixe féminin -era, notamment dans la formation des noms d’activités agricoles (spulera “vannage”, tribbiera “dépiquage”, sighera “moisson”, “fenaison”, etc.), et de locutions adverbiales (par ex. à spiccera “très vite”). L’absence de diphtongue et les champs lexicaux de ces dérivés laissaient aussi envisager l’antériorité de -era (certaines formes masculines en -eru apparaissent comme des réfections), sur le type -iere. Dans le cadre de la présente étude, la relecture de P. Aebischer (1976) et de M. Pfister (1995) permet aujourd’hui de conforter l’hypothèse de l’antériorité de -era et d’envisager, plutôt qu’une source gallo-romane comme formulé à l’époque, une provenance lombarde, piémontaise, voire ligurienne du suffixe, bien qu’il ne soit pas exclu qu’il puisse s’agir d’un développement autochtone 60 de *-aira < -aria. Confortant l’hypothèse d’un apport gallo-italien du suffixe, il faut remarquer que les bases lexicales des toponymes cités par Aebischer (1976, 216), conformément à ceux qui ont été cités supra, appartiennent au domaine rural (Erbera, Porkera). Pour la Corse on peut citer également le toponyme A Sarrera, de prononciation locale A Sarreda (cf. areru – aredu), qui pourrait dériver de sarra “crête de montagnes” (Ceccaldi 1982 s.v. sarra) ou, plutôt, de sarrà “fermer”, “clôturer” 61. Il faut noter aussi que certaines formes corses présentant la variante masculine -eru semblent provenir d’Italie septentrionale, particulièrement de Lombardie et du Piémont 62 comme mulat Cependant, les données corses montrent plutôt une palatalisation de yod conduisant à -aghju depuis le suffixe latin -ariu(m) (Medori 2004) ou dissimilation (-aru, variante du suffixe latin selon Aebischer 1976, 217). Par ailleurs, Toso (2008, 89) considère qu’il faut retenir comme des continuateurs typiquement ligures de -ariu(m) les formes apocopées en -à et -è que l’on trouve dans le parler d’Aiacciu. Toutefois, les parlers d’Aiacciu et Bastia et des villages périphériques montrent une tendance populaire à l’apocope produisant ainsi de nombreux oxytons qui vont bien au-delà des continuateurs de -ariu(m) (par ex. : fiadò pour fiadone “sorte de flan au brocciu”, mercà pour mercatu “marché”, voire Mercà di Pè pour Mercatu di i Pesci litt. “marché aux poissons”, etc.). 61 Il pourrait donc s’agir, à l’origine, d’une “clôture”, signifié pour lequel le corse a en outre serrenda (BLDC) qui est aussi un nom de Lombardie et du Piémont (DELI s.v. serrare et DEI s.v. serranda). 62 Plutôt que de Ligurie. En effet, concernant la Ligurie, Aebischer 1976 et Pfister 1995 ont mis en évidence, la persistance de la forme féminine face à la réfection masculine en -a(r). Pfister 1995, 198 dit : « Penso che la Liguria nel sec. XII si trovasse in una zona di contatto tra la forma primaria in -aro e l’influsso cisalpino antico con la novità irradiata in -er < -eir < -airo < -ariu. La novità -aria al femminile si impose, 60

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teru et panatteru 63. Dans cette perspective, l’hypothèse de rattacher areru au lombard agrero - agrera (supra) trouverait ici de nouveaux arguments. Concernant le suffixe gallo-roman lui-même pour lequel on remarque régulièrement une réduction de la diphtongue (Medori 2004), et les termes qu’il a servi à former, on peut conclure avec les sondages effectués dans les textes corses. Ceux-ci permettent de retrouver des formes disparues de l’usage ou en désuétude, comme ragioneri relevé en 1348 par Leca (1989, 117 raxoneri ; 118, 131 rasoneri et 132, 135 raggioneri), qui survit au moins jusqu’au XVIe siècle, comme le souligne Larson (2003, 334). Le terme ragioneri, désignait “i titolari della ragione, cioè della giustizia, con funzioni giudicanti”, et est qualifié par Larson (2003, 334) de typiquement corse. Le DELI précise que le terme ragione avec la valeur de “justice” était anciennement répandu, mais les attestations italiennes de ragioniere sont, elles, relatives à l’activité comptable (DEI, DELI) 64. Concernant la base ragione elle appartient à un ensemble lexical dont l’aboutissement par l’affriquée sonore de ti étymologique a été discutée, et il faut probablement y voir, avec Cella (2003, 18-20), une influence septentrionale, gallo-italienne, « [in] un ambito di diffusione almeno parzialmente tutelato dal latino » (Cella 2003, 19) plutôt qu’un emprunt au gallo-roman (voir aussi Rohlfs 1966-1969, § 289). De source provençale est enfin loseri “expert” (Leca 1989, 121 et 141), qui est attesté aux côtés du verbe losare en 1348 et en 1534 (Leca 1989, 141 et 150), et des substantifs losa “estimation, expertise” (lose, Leca 1989, 132 et 141), et losata (Leca 1989, 121). Bien qu’en désuétude, le corse connaît, avec luseru et losa, des attestations contemporaines de mêmes signifiés (Falcucci 1915) 65. -er nel maschile no, di modo che la forma maschile -ar (genov. -a) anteriore a -er ha vinto e condotto alla coppia moderna squilibrata -a(r) m. /-aira f. ». Voir par ex. DPI s.v. panatè et panatera. 63 Voir aussi le français muletier (attesté depuis le XIVe s. cf. TLFi s.v. muletier et FEW s.v. mulus ; Gdf “de mulet […]”, GdfC “conducteur de mulets” s.v. muletier), et panetier. Le corse a aussi – de façon isolée : voir LEI s.v. bos/bovem – buiatteru “bouvier” construit sans doute sur le modèle de mulatteru. Concernant panatteru, le DELI s.v. pane recense le substantif panettone considéré comme lombard et qui a un correspondant corse avec panetta (“sorte de brioche”). 64 Toutefois le DELI dit s.v. ragione “appartenenza di diritto, competenza” (av. 1348, G. Villani) et le DEI s.v. ragione “diritto, diritto canonico o civile, partita di conti (XIV sec.), giurisdizione […]”. 65 Voir Falcucci 1915 s.v. losa, et Alfonsi 1932 s.v. losa donne également “dommage, dégât”. Le DEI s.v. lauso “lode” recense aussi « corso losa parere ». Le TLIO recense losa “manifestazione di stima e apprezzamento” pour le toscan au XIIIe s. Voir aussi Cella 2003, 151 pour lausore / lauzore “louange”, et c’est ce signifié que l’on peut reconnaître dans Falcucci 1915 s.v. losu qui en donne un emploi proverbial : « Piglia losu e po’ riposa » qu’il explique ainsi « procacciati onore, lode e poi riposa ».

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Losa est relevé également en ancien génois (Hohnerlein-Buchinger 2003, 107), et pour l’italien, le GDLI glose losare : “consigliare, raccomandare” qui est qualifié d’ancien, et dont l’origine provençale est soulignée et comparée à l’ancien français los “lode”, “approvazione, consiglio” (1080) » (cf. par ex. TLFi s.v. los) ; cette comparaison est également effectuée par Falcucci (1915).

4. Conclusion En guise de conclusion, il faut rappeler qu’en avril 2003, Dalbera-Stefanaggi (2004), proposait de revenir sur les pas de l’article de Rohlfs (1941) : l’« Italianità linguistica della Corsica ». S’inscrivant dans une suite de réflexions (Bottiglioni 1928, Hohnerlein-Buchinger 2003, Medori 1999), l’auteure soulignait l’intérêt de réévaluer les éléments de provenance septentrionale, particulièrement d’aire ligurienne, dans les parlers corses. Toso saluait, peu de temps après (2008), l’intérêt de la démarche dont les premières moissons ont été fécondes. La recherche présentée ici semble conforter la démarche et les espoirs générés par celle-ci. En effet, il n’a pas été possible de traiter ici de l’ensemble des éléments qui pourraient nourrir cette réflexion. Au niveau de la méthode, il semble intéressant pour la Corse de poursuivre l’initiative de Nesi (1992) et de se tourner vers les travaux des historiens et archéologues car, un regard en direction de la naissance du Castel Lombardo étudiée par Cancellieri (1981) permet de percevoir, en croisement des données linguistiques, l’importance des contacts avec l’Italie septentrionale dans l’acquisition de techniques agricoles, d’élevage et culinaires dont le lexique corse semble avoir été marqué. Pour ce qui est des gallicismes à proprement parler, la question mérite d’être creusée, notamment sur les voies et périodes de pénétration de ceux-ci. Ainsi, la fondation de l’autre grande ville de Corse, la Bastia (cf. fr. bastille), par le génois Lomello Lomellini en 1380 (Chiodi-Tischer 1999, 23-24), peut laisser penser qu’une partie de ceux-ci a pu s’infiltrer par le biais de l’Italie du nord, bien que Larson 1998 souligne toutefois la présence du « gallicismo investisione » dans un texte du XIIe siècle, et que lexique et onomastique engagent aussi à considérer des apports plus anciens, que nous tâcherons d’exposer ultérieurement. Université de Corse P. Paoli

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5. Bibliographie AAN = Association Archéologique du Nebbio, 1977. « Lieux dits et noms de personnes dans les actes notarié du Nebbio », Cahiers Corsica 75, 1-12. Aebischer, Paul, 1976. « Perspective cavalière du développement du suffixe -arius dans les langues romanes et particulièrement en italien prélittéraire », Études de stratigraphie linguistique (Romanica Helvetica, 87), 209-219. AIS = Jaberg, Karl / Jud, Jakob, 1928-1940. Sprach- und Sachatlas Italiens und der Süd­ schweiz, Atlante Italo-Svizzero, Zofingen, Ringier, 8 vol.# ALEIC = Bottiglioni, Gino, 1933-1942. Atlante Linguistico Etnografico Italiano della Corsica, Pisa, L’Italia dialettale, 10 vol.# Alfonsi, Tommaso, 1970 [1932]. Il dialetto còrso nella parlata balanina, Sala Bolognese, Arnaldo Forni Editore. Arcamone, Maria Giovanna, 1993-1994. « L’elemento germanico antico, medievale e moderno », in : Serianni, Luca / Trifone, Pietro / Asor Rosa, Alberto (ed.), Storia della lingua italiana. Le altre lingue, Torino, Einaudi, vol. III, 751-790. BDLC = Banque de Données Langue Corse, éd. par Marie José Dalbera-Stefanaggi et al. ‹bdlc.univ-corse.fr›. Bezzola, Reto, 1925. Abbozzo di una storia dei gallicismi nei primi secoli (750-1300), saggio storico-linguistico, Heidelberg, Winter. Bianco, Pierre, 2008. Calvi, préside et cité de Corse aux XVIIe et XVIIIe siècles, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola. Bortolan, Domenico,1984 [1894]. Vocabolario del dialetto antico vicentino, Sala Bolognese, Arnaldo Forni Editore. Bottiglioni, Gino, 1928. « L’antico genovese e le isole linguistiche sardo-corse », Italia Dialettale 4, 1-60, 130-139. Brattö, Olof, 1955. Nuovi studi di antroponimia fiorentina, I nomi meno frequenti del libro di Montaperti (MCCLX), Stockholm, Almquist & Wiksell. Canavelli-Colonna, 2007. Dictionnaire des prénoms corses, 630 prénoms du XIIIe au XIXe siècle à l’origine des noms de famille, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola. Cancellieri, Jean André, 1981. « Formes rurales de la colonisation génoise en Corse au XIIIe siècle : un essai de typologie », Mélanges de l’École Française de Rome, Moyen-Âge – Temps Moderne 93, 89-146. Cancellieri, Jean André, 1984. « Directions de recherche sur la démographie de la Corse médiévale (XIIIe – XVe siècles) », in : Comba, Rinaldo / Piccini, Gabriella / Pinto, Giuliano (ed.), Strutture familiari, epidemie, migrazioni nell’Italia medievale, Napoli, Edizioni Scientifiche Italiane, 401-433. Casapullo, Rosa, 1999. « Il Medioevo », in : Bruni, Francesco (ed.), Storia della lingua italiana, Bologna, Il Mulino. Castellani, Arrigo, 2000. Grammatica storica della lingua italiana. Introduzione, Bologna, Il Mulino, Vol. I. Ceccaldi, Mathieu, 1982 [1974]. Dictionnaire corse – français, Pieve d’Evisa, Paris, Editions Klincksieck.

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STELLA MEDORI

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De verbo de percepción a marcador de disculpa: la evolución diacrónica del verbo sentir en español 1. Introducción El acto de percepción reúne una amplia bibliografía interdisciplinaria abarcando y recorriendo áreas desde la filosofía y la psicología hasta la lingüística y sus varias subdisciplinas. La particular atracción que los lingüistas han experimentado hacia los verbos de percepción se traduce a su vez en el florecimiento de los estudios lingüísticos dedicados a este tema (cf. entre otros Viberg 2001, 2005, 2008; Enghels 2007; Hanegreefs 2008; Vesterinen 2010). Sin embargo, llama la atención que la mayor parte de esta literatura focaliza en los verbos de percepción visual (ver, mirar) a veces en comparación con la percepción auditiva (oír, escuchar). Contrariamente a estos verbos ‘dominantes’, pocos estudios han sido dedicados a los verbos de percepción que designan modalidades ‘inferiores’ como el olfato (cf. Ibarretxe 1999b; Fernández Jaén 2006), el gusto y el tacto (de tipo probar, tocar, saborear), precisamente porque su estatuto inferior desde el punto de vista cognitivo se refleja también en cierta pobreza sintáctica y semántica. Dentro de este conjunto, conviene destacar el caso particular del verbo sentir, que no ha sido estudiado exhaustivamente pero que se caracteriza con todo por una estructura sintáctica y semántica muy rica. En este artículo nos dedicamos a un uso muy particular del verbo sentir en español, a saber su empleo como marcador de disculpa: (1)

Estaba distraído, lo siento. (CREA: La Razón, 09/04/2003)

A fin de darse cuenta del carácter particular de esta expresión, conviene detenerse un momento en sus cognados en otras lenguas románicas y germánicas. Para presentar un acto de disculpa se recurre en inglés a la expresión I am sorry, I feel sorry. El Oxford Dictionary of English nos enseña que la palabra sorry deriva de sarig en inglés antiguo (de origen germánico occidental *sairaz), que significa “con pena, con dolor, físico o mental” 1. En neerlandés, al lado del préstamo al inglés sorry, se encuentra la expresión het spijt me, lit. “(eso) me pesa”. La palabra spijt es la forma abreviada de despijt, adaptada del francés despit, que significa “desprecio” (principios s. 15) y más tarde 1



El diccionario menciona además un cambio ortográfico de la -a- en -o- por la influencia de la palabra emparentada sorrow (de origen germánico *surgo), que también significa ‘tormento, arrepentimiento, pena, preocupación’.

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MARLIES JANSEGERS / RENATA ENGHELS

“resentimiento” (ca. 1540), “decepción” (ca. 1840) y “arrepentimiento” (principios s. 20) (cf. TLFi, dépit; FEW 3, 54sq., despectus). En francés se utiliza la expresión (je suis) désolé, préstamo del latín clásico desol āre, expresando así la idea de estar abandonado y de estar solo. Por un cambio – y cierto debilitamiento – semántico evoluciona también hacia el significado “estar lleno de arrepentimiento” (cf TLFi, désolé; FEW 3, 54, desolare). Volviendo al español llama la atención que la etimología de lo siento no se relaciona con el origen de los demás marcadores, dado que viene directamente del latín sent īre (cf. DCELC 4, 190sq., sentir) por lo que literalmente significa “lo percibo”. Aclarar este lazo único entre por un lado el verbo de percepción general sentir, y por el otro lado el marcador de disculpa lo siento es el objetivo principal de este análisis. El estudio se desarrollará en tres fases. En primer lugar (sección 2) pasaremos revista a las principales características sintácticas y semánticas del verbo sentir que justifican su clasificación como verbo de percepción dominante. La observación de que, desde una perspectiva semántica interlingüística, el español parece ser la única lengua románica en haber desarrollado de manera tan pronunciada el significado emotivo del verbo, hará necesario un estudio diacrónico más detallado del verbo (sección 3). En el apartado 4 dedicamos atención particular a la evolución del núcleo emotivo y mostraremos mediante un estudio de colocaciones cómo el significado de disculpa se ha desarrollado a partir de una fuerte polarización del significado emotivo negativo en los siglos 17-18 y la subsiguiente convencionalización de esta implicación. Finalmente, la sección 5 explicará cómo el uso del marcador lo siento se ha generalizado en los siglos 20-21, como resultado de un complejo proceso de gramaticalización y de subjetivización.

2. Sentir: perfil sintáctico-semántico Igual que los verbos de percepción dominantes el verbo sentir admite una amplia gama de construcciones sintácticas. No solo se construye con OD nominales – de naturaleza concreta (2) o abstracta (3) – sino que también admite complementos verbales, o sea estructuras con una subordinada completiva introducida por la conjunción que (4), construcciones infinitivas (5) y de gerundio (6). Además, admite construcciones atributivas en las que el sujeto atribuye una propiedad particular al objeto percibido (7). (2)

La tibieza de una mano le sujeta la frente. Y ella siente la mano de Tomasa. (CREA: Chacón D., La voz dormida, 2002)

(3)

Francisco: No siento rencor, lo que sí siento es una gran indiferencia y, sobre todo, pena. (CREA: El Periódico Extremadura, 06/05/2004)

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LA EVOLUCIÓN DIACRÓNICA DEL VERBO SENTIR EN ESPAÑOL

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(4)

Para que sintieran que su poder es en sí mismo frágil y pedante; que sólo sirve si se arriesga al servicio de una causa grande. (CREA: La Vanguardia, 17/04/1995)

(5)

La sangre no deja de manar, el médico de Split era un inepto. La siente resbalar por su rostro, no es sangre lo que ve, ni sombra externa alguna lo que ocupa su retina, sino el catálogo de los hoteles de primera que frecuentó en el pasado. (CREA: Torres, M., Hombres de lluvia, 2004)

(6)

Ayer, después de casi dos meses de tiempo inseguro y chaparrones intermitentes, que según parece han sido agua bendita para el campo, estalló por fin la primavera y la sentí bullendo provocativa a través de los cristales de la ventana. (CREA: Martín Gaite, C., Nubosidad variable, 1992)

(7)

Y más aún, cuando al detenerse para coger el aire enrarecido que por el túnel circulaba escasamente sentía próximo el resuello del perseguidor, agrandado por los ecos interiores, como el de una alimaña. (CREA: Aguirre, F.J., Nuevas leyendas del Monasterio de Piedra, 2000)

Esta riqueza sintáctica se traduce en una intrincada opulencia semántica. En los ejemplos (2, 5, 6) el verbo refiere a la percepción física táctil, mientras que en el ejemplo (7), alude a la percepción auditiva. Por la presencia de la completiva en (4), su significado entra en el campo de la cognición. El ejemplo (3), en cambio, hace referencia más bien a una sensación interna lo que, como explicaremos más abajo, parece fomentar su uso en contextos emotivos. La diferencia entre las frases (2) y (3) corresponde a la distinción establecida por Viberg (2005, 129) entre la percepción interna (que refiere a una emoción experimentada por el sujeto desde dentro) y la percepción externa (causada por estímulos externos al cuerpo). Relacionados con estos contextos de percepción interna, y particularmente interesantes para el estudio actual, son los casos en los que el verbo denota una emoción más bien negativa de arrepentimiento. En los casos siguientes, el verbo sentir adopta el significado específico de lamentar, tanto en su uso verbal pleno (8) como en la expresión fija lo siento (9): (8)

Hay gente que se disculpa por sentarse aquí y hacerme preguntas. «Siento molestarte». (CREA: El País, 05/07/2004)

(9)

Lo siento, señor, pero como estamos inmersos en esta operación me encontraba un poco despistada. (CREA: Giménez Bartlett, A., Serpientes en el paraíso. El nuevo caso de Petra Delicado, 2002)

Además, un estudio comparativo anterior (Enghels/Jansegers en prensa) ha revelado que el fuerte desarrollo del significado emotivo del verbo sentir y su subsiguiente evolución semántica hacia una expresión de disculpa se revela como una particularidad exclusiva del verbo español en comparación con sus cognados en francés y en italiano. Por consiguiente, surge la pregunta fundamental de saber cómo ha evolucionado diacrónicamente la semántica de

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sentir. Y más específicamente, cómo el significado emotivo – y relacionado con esto su uso peculiar como marcador de disculpa – ha podido surgir con el tiempo entre los distintos significados del verbo y cuáles son los posibles correlatos sintácticos de este cambio semántico-pragmático.

3. Evolución semántica del verbo sentir 3.1. Metodología y datos generales Nuestra investigación diacrónica se sirve de un amplio corpus – basado en el Corpus Diacrónico del Español, CORDE – que se extiende desde el siglo 14 hasta hoy día. A fin de obtener una muestra representativa, hemos seleccionado todas las ocurrencias del verbo sentir sobre un conjunto de aproximadamente 10 000 000 de palabras por siglo 2. La tabla siguiente resume los períodos examinados así como el número total de palabras por período y por siglo. siglo 14

número total palabras / s.

número de palabas

total por siglo analizado

8 264 744 1301-1400

8 264 744

8 264 744

1401-1435

4 825 266

1475-1485

5 470 831

1525-1530

4 442 350

1570-1575

4 839 875

15

22 206 827

16

46 024 378

17

29 305 702

18

1620-1625

4 491 136

1650-1700

4 342 264

9 897 911 1701-1800

9 897 911

1801-1835

5 836 152

1885-1890

4 463 233

1905-1910

5 415 491

1955-1960

4 440 091

15 407 236 2003-2004

5 102 826

19

34 599 806

20

112 928 452

21

período analizado

10 296 097 9 282 225 8 833 400 9 897 911 10 299 385 9 855 582 5 102 826

Tabla 1. Composición del corpus 2



Como la disponibilidad de textos en el CORDE difiere considerablemente según los distintos siglos en cuestión, el punto de partida para la composición del corpus no ha podido ser cronológico. En cambio, el principal punto de partida para la selección de ejemplos ha sido obtener un número comparable de palabras por siglo en vez de un mismo período cronológico. Para el español del siglo 21, partimos de una muestra de 5 000 000 de ejemplos.

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LA EVOLUCIÓN DIACRÓNICA DEL VERBO SENTIR EN ESPAÑOL

Con el objetivo de obtener un grado máximo de representatividad, no hemos realizado ninguna preselección en cuanto a género o registro, el único criterio siendo geográfico, o sea solo hemos seleccionado ejemplos peninsulares. De esta manera, un total de más de 16 000 ocurrencias del verbo sentir ha sido seleccionado. La presente investigación se basa en un muestreo de 200 ejemplos seleccionados por siglo, lo que resulta en un corpus de 1600 casos. En primer lugar, el cálculo del número de ocurrencias del verbo sentir por siglo ya arroja una imagen general de su evolución de frecuencia:

   

siglo

frecuencia / 100 000 palabras

40

14

10,3

30

15

22,9

20

16

27

10 0 14

15

16

17

18

19

20

21

17

30,5

18

18,5

19

29,3

20

22,2

21

12,9

Tabla 2. Evolución frecuencia sentir / 100 000 palabras

Por un lado, la frecuencia de uso general del verbo aumenta paulatinamente desde el siglo 14 hasta el siglo 17 aproximadamente. Por otro lado, después de un notable descenso en el siglo 18, su frecuencia parece restablecerse de nuevo en el siglo 19 para disminuir constantemente hasta hoy día. Interpretando esta evolución cuantitativa a la luz del principio de la versatilidad económica según el cual la frecuencia de uso está correlacionada con la versatilidad semántica (cf. Zipf 1949, 16), podríamos postular que el aumento cuantitativo conlleva también cierto enriquecimiento polisémico del verbo 3. Paralelamente, el descenso a partir del siglo 20 podría apuntar a un perfil semántico menos versátil. A fin de verificar esta hipótesis, el análisis cuantitativo se completará con una aproximación cualitativa, basada en la evolución semántica del verbo.

3



De la misma manera, el papel fundamental de la frecuencia en el surgimiento de la polisemia está puesto en evidencia más recientemente en Fenk-Oczlon/Fenk 2010.

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MARLIES JANSEGERS / RENATA ENGHELS

3.2. De verbo perceptivo a verbo emotivo El análisis de la evolución semántica permite identificar básicamente cuatro categorías principales, o sea (1) la percepción física – incluyendo varias modalidades específicas de percepción, (2) la percepción cognitiva, (3) la percepción emotiva y (4) una categoría de casos ambiguos. Como se observa en la tabla 3, estos significados están presentes en cada fase de la diacronía del verbo, pero difieren considerablemente en cuanto a sus respectivas frecuencias: 14 # % p. física 105 52,5 p. cognitiva 57 28,5 p. emotiva 23 11,5 ambiguo 15 7,5

 

15 16 # % # % 76 38 56 29 51 25,5 43 21,5 63 31,5 83 41,5 10 5 18 9

17 # % 50 25 34 17 102 51 14 7

18 # % 46 23 48 24 96 48 10 5

19 20 21 # % # % # % 73 36,5 55 27,5 50 25 13 6,5 23 11,5 30 15 92 46 93 46,5 88 44 22 11 29 14,5 32 16

60 P  física

40

cognitiva

20

emotiva

0

híbrido 14 15 16 17 18 19 20 21

 

Tabla 3. Evolución semántica de sentir

Se deduce de este gráfico que sentir, siendo principalmente un verbo de percepción física en los siglos 14-15 (52,5%, 38%), es más frecuentemente verbo emotivo en español contemporáneo (cf. 46,5%, 44%). Esta evolución concuerda con la consabida tendencia inherente a las unidades polisémicas de extender sus significados más concretos o físicos a ámbitos más abstractos (cf. Sweetser 1990) 4. En lo que sigue, se discutirá primero la evolución de cada núcleo semántico destacado, prestando a continuación especial atención al núcleo emotivo (sección 4). �������������������������������������������������������������������������������� Sin embargo, como arguye Vanhove (2008, 346) este cambio unidireccional no siempre está apoyado por los datos etimológicos. Es bien sabido por ejemplo que el verbo de percepción física auditiva en francés entendre (oír) se ha desarrollado a partir de un verbo cognitivo con el sentido de “entender”, “comprender”.

4

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LA EVOLUCIÓN DIACRÓNICA DEL VERBO SENTIR EN ESPAÑOL

Primero, focalizándonos en las distintas modalidades de la percepción física, llama la atención que a lo largo de la historia ninguna de las distintas modalidades específicas parece inducir de manera significativa al uso de sentir: #

14 %

#

15 %

#

16 %

#

17 %

#

18 %

#

19 %

#

20 %

#

21 %

p. física 81 40,5 46 23 28 14 23 11,5 28 14 44 22 37 18,5 42 21 general visual 5 2,5 - 1 0,5 1 0,5 auditivo 11 5,5 14 7 22 11 21 10,5 12 6 23 11,5 8 4 gustativo 1 0,5 2 1 2 1 1 0,5 1 0,5 olfativo 5 2,5 6 3 1 0,5 1 0,5 1 0,5 táctil 2 1 8 4 3 1,5 5 2,5 4 2 5 2,5 9 4,5 7 3,5 Tabla 4. Evolución semántica modalidades de percepción

Así, observamos que la percepción visual se expresa raramente mediante el verbo sentir (10). La misma observación se aplica a las modalidades inferiores como el olfato (11), el gusto (12) y – aunque algo más frecuentemente – el tacto (13). La única modalidad que parece expresarse regularmente mediante el verbo resulta ser la auditiva (14), sobre todo en los siglos 16-17 y el siglo 19 pero ha desaparecido casi por completo en el corpus actual. En cambio, los contextos en los que sentir denota una percepción general (15), sin especificación de una modalidad en particular, se revelan otra vez más frecuentes en el corpus contemporáneo 5 : (10) Sin duda siento allí venir Belisa; ¿no ves cómo una luz resplandeciente detrás de aquellos hayas se divisa? (CORDE: Montemayor, Jorge de, Cancionero, 1554 – 1559) (11) […], sentiendo el olor de las especias que non avia costunbrado, […]. (CORDE: Sánchez de Vercial, Clemente, Libro de los exemplos por A. B. C., c 1400 – c 1421) (12) […] cada bola la mantienen en la boca todo el tiempo que sienten el gusto áspero y fuerte de la hoja. (CORDE: Ulloa, Antonio de, Noticias americanas, 1772)

5

Esta constatación sugiere que en el fondo, el significado básico del verbo sentir es esencialmente el de “percibir por uno de los sentidos” y que solo considerando los elementos complementarios del contexto podemos asignar una modalidad de percepción particular al verbo. En efecto, la misma importancia del contexto para la constitución de un significado específico ha sido puesto en evidencia desde el enfoque dinámico del significado (cf. Glessgen 2011, 447) y recuerda el estudio de François (2007) quien resalta los múltiples facetas semánticas y complementarias de ciertos verbos en francés identificando para cada verbo en cuestión distintos ‘foyers de polysémie’.

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(13) Sin embargo, he visto oscilar a muchos de los jóvenes, […], probablemente sentir el empuje repugnante de la pistola en el bolsillo de atrás del pantalón. (CORDE: Gómez de la Serna, Ramón, Automoribundia, 1948) (14) […] caminando por una pequeña senda de una espesa floresta, llegando a un camino que de través se hacía, sintió ruido de caballos y voces de gentes que con prisa caminaban. (CORDE: Hernández de Villaumbrales, P., Peregrinación de la vida del hombre, 1552) (15) Tomará conciencia de los diversos movimientos, sintiendo cada parte del cuerpo, por ejemplo, dejar caer la cabeza y levantarla, inclinarla, etc. (CORDE: Tierno, Bernabé, Los problemas de los hijos. Soluciones prácticas, 2004)

Segundo, es bien sabido que los verbos de percepción física se prestan a una serie de movimientos metafóricos bien definidos: en las lenguas indoeuropeas se observan conexiones regulares entre la percepción visual y el campo de la cognición (como en veo lo que quieres decir, cf. Danesi 1990; Ibarretxe 1999a; Sweetser 1990). Este lazo privilegiado se manifiesta también en la evolución semántica de sentir. Como se observa en la tabla 3, en los siglos 16-18 alternan las frecuencias de la percepción física y la cognitiva en el sentido de “saber”, “pensar”, “darse cuenta de”: (16) Pues ya bien paresçe e se manifiesta el noble Infante de los escogidos que Dios quiso ungir entre los nacidos por destruimiento de los arrianos, *e por que los nobles, fieles christianos sientan que biven por él defendidos. (CORDE: Villasandino, A. de, Poesías, 1379-1425) (17)

Parece, pues, indubitable, atendido todo lo que hasta aquí hemos alegado, que es muy grande la probabilidad extrínseca de esta sentencia. Lo mismo siento de la probabilidad intrínseca, en consideración de las razones siguientes. (CORDE: Feijoo, B. J., Cartas eruditas y curiosas, 1742)

(18) Isabel de la Hoz sintió muy pronto que era obligatorio rebelarse contra aquel confortable reducto interior, como contra una tentación perversa: la tentación de no salir. (CORDE: Pombo, Á., Una ventana al norte, 2004)

Además, en los casos en los que sentir equivale a un verbo de cognición, regularmente adopta la sintaxis específica de verbos como pensar o saber. De esta manera, está claro que la completiva introducida por la conjunción que en el ejemplo (16) así como el uso del objeto preposicional introducido por de en (17) induce a la interpretación cognitiva equivalente a verbos como pensar (cf. “lo mismo pienso de la probabilidad intrínseca”) 6. Finalmente, el núcleo cognitivo del verbo sigue siendo en vigor hoy día (18), añadiendo en algunos casos un matiz de intuición más bien que de cognición pura.

6

El uso de la completiva con verbos de percepción ha sido relacionado con una lectura de percepción indirecta mediante la cual el perceptor obtiene datos sobre el mundo externo a partir de un proceso de razonamiento sobre sus percepciones (cf. Enghels 2007, 16-22). De ahí su lazo con el campo de la percepción cognitiva.

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LA EVOLUCIÓN DIACRÓNICA DEL VERBO SENTIR EN ESPAÑOL

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Como se observa en la tabla 3, cada vez más ejemplos contemporáneos desafían clasificación unívoca según uno de los núcleos semánticos destacados. Tal categoría recuerda el problema señalado con frecuencia en la semántica cognitiva relativo a la delimitación de las categorías semánticas (cf. entre otros Zeschel 2010). En efecto, varios ejemplos del corpus evidencian la ambigüedad del verbo: (19) Fundadas en el rol de concebir, y aunque voluntariamente renuncien a esa posibilidad con el uso de métodos anticonceptivos, el hecho de entrar en una situación en la cual la reproducción ya no es biológicamente posible puede mermar su autoestima al sentir que desaparece una parte de su feminidad, que envejece y disminuye su atractivo sexual. (CORDE: Ara Roldán, A., El libro de la Salud Natural para la Mujer, 2004) (20) ¡Otra vez como en sueños este rincón de España, este olor de la nieve que mi memoria siente! (CORDE: Panero, L., Escrito a cada instante, 1949)

En la frase (19), el significado vacila entre la percepción física general (parafraseable por “al experimentar/percibir físicamente que desaparece una parte de su feminidad”) y la cognición (“dándose cuenta de que desaparece una parte de su feminidad”). De la misma manera, en la frase (20), se alude tanto a la percepción olfativa (por la presencia del sustantivo olor) como a algún proceso cognitivo de recuerdo (por la palabra memoria). Finalmente, la percepción emotiva sufre una subida continua culminando en el siglo 17, a partir del cual se observa una consolidación cuantitativa como lo ilustra el gráfico. Esta tendencia confirma la caracterización del verbo sentir como ‘basic emotional feeling word’ (Ibarretxe 1999b, 37): siglo

60" 40" 20" 0"

14"

15"

16"

17"

18"

19"

20"

14 15 16 17 18 19 20 21

frecuencia # % 23 11,5 63 31,5 83 40,5 102 51 96 48 92 46 93 46,5 88 44

Tabla 5. Evolución núcleo emotivo

Como ya mencionamos más arriba (cf. sección 2), solo el verbo español ha conocido un desarrollo tan amplio de este núcleo emotivo de tal manera que incluso ha dado lugar a un uso más gramaticalizado, cristalizado hoy día en el

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marcador de disculpa lo siento. El apartado siguiente se concentra especialmente en esta peculiaridad.

4. La evolución diacrónica del núcleo emotivo 4.1. De emoción neutra y positiva a emoción negativa El análisis más detenido de las ocurrencias específicas del núcleo emotivo revela que engloba ejemplos muy diversificados: (21) La Olimpia (1863) de Edouard Manet, pintor por el que Gauguin sintió siempre una gran admiración. (CREA: Identidades, 10/2004) (22) […] una extraña presencia, presentida tan sólo en la aguda consciencia del dolor, de la angustia que me llegan de lejos, que ya sintieron antes los hombres olvidados, […]. (CREA: Gil I.M., Poemas de dolor antiguo, 1949) (23) El viejo Llizo vino bravamente a decirme cuánto sentía que nuestro trabajo común, que había comenzado en aquel inolvidable 7 de noviembre, se hubiera terminado. (CORDE: Barea, A., La forja de un rebelde, 1951)

De acuerdo con entre otros Damasio (2003) y Gibbs (2005), las emociones básicas – alegría, sorpresa, orgullo, tristeza, enfado, miedo y vergüenza – se dejan clasificar esencialmente en emociones positivas y negativas. Esta bipartición se manifiesta claramente en nuestros datos empíricos. La frase (21) alude a una emoción positiva por la presencia del SN una gran admiración. En (22), en cambio, los SN dolor y angustia llevan a una carga axiológica negativa. Paralelamente, el significado global de (23) se aproxima al de lamentar, deplorar, interpretación reforzada por la presencia del subjuntivo en la subordinada. Esos datos evidencian la necesidad de destacar por lo menos dos subcategorías dentro del núcleo emotivo: siglo

14 15 16 17 18 19 20 21

total núcleo emotivo # % 23 11,5 63 31,5 83 40,5 102 51 96 48 92 46 93 46,5 88 44

positiva / negativa neutra # % # % 19 9,5 4 2 55 27,5 8 4 58 28 25 12,5 40 20 62 31 47 23,5 49 24,5 68 34 24 12 71 35,5 22 11 76 38 12 6

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40 30 positiva

20

negativa

10 0 14 15 16 17 18 19 20 21

Tabla 6. Evolución emoción positiva vs. negativa

En esta tabla, observamos que aunque ambas clases están presentes en las distintas épocas, surgen unas marcadas diferencias diacrónicas de frecuencia. A ese respecto, llama la atención la destacada proporción del polo negativo en los siglos 17-18, contrariamente a los demás siglos en los que la emoción positiva parece dominar cuantitativamente. Como ilustran los ejemplos (24) – (26), sentir ya podía adoptar un significado correspondiente a lamentar y deplorar en los siglos 14-16 (aunque sea un uso más bien marginal del verbo): (24) E el hijo del arrayaz de Algezira hermano de Mahomad, que avia quedado en pos del rrey, firio al alguazil de quatro heridas; pero el alguazil, sintiendo se mucho de su señor el rrey que matauan don Mahomad e su hijo, no torno a catar por quien lo avia herido, […]. (CORDE: Anónimo, Gran crónica de Alfonso XI, 1348 – 1379) (25) Don Álvaro, que nunca jamás en los fechos de caballería ni en las otras cosas que oviese de fazer sintió aver trabajo, nin menos temió peligro que por esta causa le pudiese venir, envió un caballero a suplicar al Rey quisiese dar licencia para fazer una carrera tan solamente. (CORDE: Anónimo, Crónica de Don Álvaro de Luna, 1453) (26) […] supo cómo Aristóteles avía publicado ciertos libros de natural philosophía que dél avía él oýdo; y sintiólo y pésole tanto, que luego le embió una carta en que dezía las palabras siguientes: […] (CORDE: Mejía, P., Silva de varia lección, 1540 – 1550)

En los siglos 17-18, en cambio, el polo negativo del verbo sentir se extiende cada vez más, abarcando no solo ocurrencias equivalentes a lamentar (27) sino incluso casos en los que su significado se aproxima al sentido emotivo de sufrir (28) y temer (29):

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(27) Estaba don Diego en la prisión con poca paciencia, sintiendo haber perdido á Leonida, de quien estaba en extremo aficionado. (CORDE: Castillo Solórzano, A., Jornadas alegres, 1626) (28) Ella. Bien haya la clausura de mi colegio, porque en ella ignoraba de amor los riesgos. Mas yo sintiera de que usted abusara de mi inocencia. (CORDE: Anónimo, La sencillez, 1795) (29) ¡Oh día aciago; día funesto, lleno de desgracia, lleno de horrores, lleno de amargura! No siento, no, la muerte que amenaza mis alientos… (CORDE: González del Castillo, J. I., Poesías, 1795)

Es más, el verbo incluso parece adoptar la sintaxis de esta clase verbal, como lo muestra la presencia de la preposición de detrás del verbo en el ejemplo (28) conforme a la estructura sintáctica “sufrir de algo”. En lo que sigue argumentaremos que la alta frecuencia del polo negativo en los siglos 17-18 posibilitó la generalización del significado ‘lamentar’ en el perfil semántico de sentir tan propio al español.

4.2. Mecanismos responsables del cambio semántico Es consabido que dos mecanismos lingüísticos son de importancia fundamental en el cambio semántico, a saber la metáfora y la metonimia. Aunque estos fenómenos no son fáciles de cuantificar, su papel fundamental en la creación del significado “lamentar” – y más tarde del marcador lo siento – se deduce mediante algunas colocaciones recurrentes en el corpus. A ese respecto, dedicamos particular atención a dos parámetros específicos, a saber (1) la naturaleza léxico-semántica particular del objeto directo (OD) del verbo y (2) la presencia de determinados complementos adverbiales (Cadv) locativos. Por lo que atañe al OD, a lo largo de su historia, sentir frecuentemente combina con una categoría específica de OD léxicos de tipo dolor y pena – relacionados, claro, con el núcleo emotivo negativo, como se observa en el ejemplo siguiente: (30) Pero a vuestra clemencia pido que se apiade y fuerce a vos mesma a leer ésta, en parte declarativa de la grave pena que por vos este Floriano siente. (CORDE: Rodríguez Florián, J., Comedia llamada Florinea, 1554)

La frecuencia de este tipo de OD abstractos aumenta continuamente a lo largo de los siglos hasta culminar en el siglo 17. Tras haber llegado a su colmo, experimenta una manifiesta tendencia a la baja hasta tocar fondo en el siglo 20 7. 7



Aunque muestra otra vez una ligera tendencia alcista en el español contemporáneo, la proporción actual queda con todo debajo del mínimo observado en el siglo 14.

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    80

siglo

60 40 20 0

14

15

16

17

18

19

20

21

14 15 16 17 18 19 20 21

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# OD OD negativo nominal # % 95 28 29,5 126 57 45,2 90 43 47,8 45 57,7 78 90 38 42,2 98 34 34,7 128 29 22,7 117 33 28,2

Tabla 7. Evolución OD negativo

Dada esta colocación frecuente, postulamos que el verbo ha incorporado el OD como tipo de objeto interno en su propio significado, lo que hace redundante su presencia explícita a largo plazo. Este fenómeno de cambio semántico se conoce como «conventionalization of implicatures» (cf. Viberg 1999, 95) 8. En segundo lugar, un análisis del tipo de complementos adverbiales presentes en el entorno sintáctico del verbo apunta en la misma dirección. En efecto, estos frecuentemente refieren a la localización interna (en el alma, en el corazón) del sentimiento: (31)

A pesar, con todo, de estas reflexiones, sentía rebelársele en el corazón una especie de tristeza, que no podía sacudir al verse tratado como galeote con aquel vil manjar a que no podía arrostrar su inapetencia. (CORDE: Montengón, P., Eusebio, 1786)

Esta colocación se relaciona con la metáfora corazón como contenedor, mencionada muchas veces como relevante para el dominio de las emociones (Lakoff/Johnson 1980, 31sq.; Kövecses 2008, 391). Aún más, como observan Fenk-Oczlon y Fenk (2010, 103): «Through the conventionalization of the metaphors and metonymies, the source words get additional meanings», y por consiguiente, «the respective word has become polysemous». Teniendo 8

Cabe precisar que Viberg (1999, 95) califica este tipo de cambio de ‘extensión semántica’. Sin embargo, siguiendo la línea romanística tradicional de Blank (1997) y de acuerdo con los resultados empíricos más recientes de Grassi (2013), este tipo de cambio se analizará más bien como un caso de especialización dentro del cambio taxonómico. Véase también Glessgen (2011, 433sq.) para más información acerca de los tipos de cambio semántico.

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en cuenta este mecanismo básico, es probable que este tipo de metáfora haya contribuido al desarrollo del sentido de disculpa del verbo: el perceptor experimenta una emoción negativa en su corazón, o sea un sentimiento de arrepentimiento. A ese respecto, el cálculo de la frecuencia relativa de CCadv (aunque generalmente no tan frecuentes) que refieren a una localización interna deja traslucir cierta tendencia en apoyo de tal evolución:

siglo

total frecuencia Cadv

frecuencia Cadv localización interna

frecuencia relativa Cadv localización interna

14

5

-

-

15

11

3

27,3%

16

21

8

38,1%

17

14

3

21,4%

18

17

8

47,1%

19

19

9

47,4%

20

28

3

10,7%

21

40

-

-

Tabla 8. Frecuencia relativa de Cadv de localización interna

De esta tabla, se deduce que proporcionalmente, el número total de CCadv que denotan una localización interna culmina de manera general hasta el siglo 19 9, disminuye considerablemente a partir del siglo 20 para desaparecer por completo en el corpus contemporáneo. En suma, tal como la presencia del OD, la mención explícita de la localización interna de la emoción disminuye en usos más recientes – más particularmente en los siglos 20-21 – como una posible consecuencia de su incorporación en el significado propio del verbo. Postulamos que en la evolución de sentir se ha producido un cambio semántico por el que se ha convencionalizado este sentido de emoción negativa. De esta manera, la expresión termina almacenándose como un significado global (de “sentir algo negativo en el corazón” a “lamentar”, “deplorar”); una vez adquirido este significado unitario, la repetición frecuente de sus modificado

9

Excepción hecha de un notable quiebro en el siglo 17, que aparentemente se revela en varios aspectos como siglo bisagra, no solo en nuestros datos sino también en otros estudios diacrónicos. Así, por ejemplo, en su investigación acerca de la formación de marcadores de discurso en -mente, Company (2011, 11) también califica esta 2ª mitad del Siglo de Oro de outlier.

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res (en este caso el OD y el Cadv) se hace redundante y ello habrá favorecido la elipsis: el significado global de la expresión entera recae entonces sobre el elemento que se mantiene (en este caso el verbo sentir) y el valor contextual de la expresión se convencionaliza 10. En efecto, en su estudio dedicado a los orígenes semánticos de las palabras para emociones, Kurath (1921, 62) concluye: «An important factor in the shift from the meaning ‘heart’ to the specific emotions of ‘anger, courage, joy, etc.’ are certain set expressions in which the word absorbs the meaning of its modifier, and so ultimately comes to stand for one or more specific emotions». El mismo autor también subraya el papel fundamental de la frecuencia en este proceso: «If the word in question is frequently used with certain modifiers or in set contexts, it absorbs their meaning, and in time the modifiers are omitted» (Kurath 1921, 11). Estos fenómenos de integración de componentes semánticos en el significado del verbo recuerdan hasta cierto punto la noción de ‘incorporated valence’ [valencia incorporada] de Talmy (1985, 96sq.) y su descripción del español como una lengua que exhibe un ‘verb-conflation pattern and almost no productive satellites’ [modelo de unión de verbo y casi no satélites productivos] (Talmy 1985, 123), y que se define entonces como ‘verb-framed’. Efectivamente, autores como Slobin (1996), Talmy (1985, 2000) o Bohnemeyer et al. (2007) clasifican las lenguas con base en su manera de lexicalizar la información núcleo de determinado campo semántico. La clasificación se ha desarrollado a partir del campo de los verbos de movimiento y opone las lenguas ‘verb-framed’, en las que la trayectoria (‘path’) se expresa en el verbo principal, a las lenguas ‘satellite-framed’, que expresan la trayectoria del movimiento mediante un elemento satélite, o sea una partícula verbal, un adverbio o una preposición. Vimos en la introducción a este artículo que lenguas como el inglés y el neerlandés recurren al sustantivo sorry, spijt para expresar el arrepentimiento y omiten generalmente el verbo de percepción (feel, voelen). Ahora bien, podríamos postular que la evolución diferente que han sufrido las diferentes expresiones de disculpa se deja explicar a partir de esta clasificación: el español (‘verb-framed’) ha mantenido el verbo, integrando al mismo tiempo el significado de sus complementos (negativos y de localización interna) en la semántica del verbo de percepción sentir; al contrario, el neerlandés y el inglés (‘satellite-framed’) mantienen la expresión del complemento, sin tener que mencionar el propio verbo de percepción. Claro está que esta hipótesis – que implicaría en cierta medida una generalización 10

���������������������������������������������������������������������������������� En otros casos de gramaticalización se produce asimismo elipsis de uno de los elementos de la expresión originaria (cf. entre otros Azofra Sierra 2011 a propósito de la partícula aparte en español y Garachana 1998 sobre el marcador no obstante).

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de la oposición a otros campos semánticos – necesita más comprobación en análisis futuros. Aunque la convencionalización de las metáforas antedichas explica la evolución semántica del verbo sentir hacia el significado negativo equivalente a lamentar, no deja constancia de la fijación sintáctica inherente al marcador lo siento. En el apartado siguiente, dedicaremos especial atención a los posibles correlatos sintácticos involucrados en este cambio semántico.

5. La aparición de un marcador de disculpa 5.1 Marco teórico: gramaticalización por subjetivización La existencia y el uso de la expresión fija lo siento, derivada del verbo sentir, recuerda la caracterización de un proceso de cambio más específico, a saber la gramaticalización. La conceptualización ‘tradicional’ o ‘prototípica’ de la gramaticalización focaliza en la reducción de la estructura y la forma de unidades lingüísticas, al mismo tiempo que subraya el aumento de su dependencia morfosintáctica (véase entre otros Lehmann 1995; Haspelmath 2004; Fischer 2007). Sin embargo, aunque reconociendo esta definición de la gramaticalización como un cambio principalmente morfosintáctico de reducción, otros autores insisten asimismo en el aspecto semántico implicado, destacando la metaforización como el mecanismo predominante en la gramaticalización (cf. Heine/Claudi/Hünnemeyer 1991, 48; Heine 1997, 76). En efecto, varios estudiosos refieren a la gramaticalización como el proceso metafórico-metonímico mediante el cual un hablante u oyente manipula pragmáticamente las formas a partir de su uso en contextos discursivos específicos. Más particularmente efectúan ciertas inferencias e implicaciones que, una vez difundidas o socializadas, pueden llegar a convertirse en un significado convencional cristalizado, acumulado al valor conservador etimológico de la forma (Company 2003, 21; Traugott 1999b; Traugott/Dasher 2002; Schwenter/Traugott 2000 entre otros). De esta descripción, resulta la importancia del contexto lingüístico en el proceso de cambio, captada mediante el término de ‘context-induced reinterpretation’ por Heine/Claudi/Hünnemeyer (1991). Significa que solo por su uso en contextos específicos las formas se recargan con nuevos significados (cf. Company 2003, 40 y las referencias allí citadas). Además, cabe destacar que muchas veces estas inferencias coinciden con valoraciones subjetivas. Significa que el hablante carga el mensaje con alguna apreciación o valoración personal, que incita al oyente a interpretar más de lo que efectivamente se dice (López Couso 2010, 139sq.; Traugott 2010,

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106-109) 11. Por eso, en estudios más recientes dedicados a procesos de gramaticalización, varios autores han insistido en la fuerte correlación entre la gramaticalización de entidades lingüísticas por un lado y el incremento en su expresividad y subjetividad por el otro. En otros términos, la gramaticalización puede ser motivada por la necesidad experimentada por el hablante de comunicar actitudes y opiniones personales invitando al oyente a que infiera acertadamente la perspectiva o el punto de vista que quiere transmitir. Este tipo de inferencias da lugar a «gramaticalizaciones por subjetivización» (Company 2004a-b, 2008), y recuerda el uso del marcador de disculpa lo siento que se caracteriza por un lado por una fijación de la forma, y por otro lado por un uso más subjetivo del verbo sentir 12. Efectivamente, Traugott (1995a, 2; 1999a, 3 13) define la subjetivización como un mecanismo que induce los significados a un cambio «toward greater subjectivity [and] become increasingly associated with speaker attitude». Sin embargo, como observa López-Couso (2010, 148) este fenómeno ha sido definido esencialmente en términos semántico-pragmáticos, mientras que la posible relación entre la subjetivación y ciertos cambios estructurales ha quedado casi sin tocar. Por eso resulta de gran interés ir más allá de esta noción más bien intuitiva, e identificar y explorar sus correlatos formales. Por lo que atañe al español, Company (2004a, 2006) ha explorado los posibles correlatos morfosintácticos que se dejan agrupar en dos conjuntos principales, a saber (1) la pérdida de las capacidades sintácticas y la fijación de la forma o construcción En la literatura se señala como ejemplos el surgimiento de los conectores concesivos como while en inglés (Traugott 1982; Traugott / König 1991, 199-201), mientras en español (Company 2008) y embora en portugués (Pinto de Lima 1997). Así, Brinton / Traugott (2005, 108) notan que «since grammaticalization involves shifts towards more abstract, less referential, markers, the prime function of which is to represent the speaker’s perspective on the situation or to get others to do things, it is necessarily the case that subjectification is characteristic of grammaticalization». 12 ������������������������������������������������������������������������������������ Cabe precisar que existe una polémica en cuanto a la problemática de si la subjetivización puede o no considerarse como una gramaticalización. Sin embargo, dada la amplia bibliografía dedicada a esta paradoja y nuestro objetivo de realizar el estudio detallado de lo siento, no nos extendemos aquí sobre estos problemas teóricos y terminológicos. Por eso, siguiendo Company (2004a, 65) consideramos la gramaticalización como un término hiperónimo refiriendo a «un macrocambio dinámico, un cambio de cambios, que engloba distintas subclases y procesos […] la rutinización o cristalización del uso, sea cual sea la direccionalidad del cambio» (cf. entre otros también Azofra Sierra 2011). Por consiguiente, esta conceptualización permite considerar la subjetivización como una especie de gramaticalización (cf. entre otros Company 2008, 204 siguiendo Traugott 1995a-b). 13 Conviene precisar que interpretamos la subjetivización aquí básicamente desde el punto de vista diacrónico como Traugott y a diferencia de Langacker que adopta una perspectiva más bien sincrónica del fenómeno. 11

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y (2) la ampliación del alcance de la forma o construcción y la autonomía de la predicación. En lo que sigue, examinaremos en qué medida estos criterios morfosintácticos se aplican al desarrollo del marcador de disculpa.

5.2 En busca de correlatos morfosintácticos 5.2.1 Pérdida de las capacidades sintácticas del verbo y fijación de la forma Company (2004a-b, 2006) sostiene que el proceso de subjetivización implica un paulatino empobrecimiento sintáctico o incluso una cancelación sintáctica. Por lo que concierne al sentido de disculpa del verbo sentir, saltan a la vista algunas restricciones sintácticas respecto a la complementación y más precisamente al tipo de OD. Como se observa en la tabla 9, el número de OD distintos culmina en los siglos 17-18, mientras que a partir del siglo 19 parecen manifestarse más restricciones 14 : Siglo

# tipos OD

14 15 16 17 18 19 20 21

1 3 4 5 6 4 4 3

Tabla 9. Tipos distintos de OD con sentirlamentar

En efecto, en los siglos 17-18, notamos que el verbo, al lado de su uso absoluto (32), admite una amplia gama de OD distintos, abarcando formas nominales (33a), pronominales (33b), infinitivas (33c) y completivas – precedidas (33d) o no de la preposición de (33e) –, pero también otras subordinadas (33f). En el corpus contemporáneo, en cambio, el verbo con significado de disculpa solo selecciona tres tipos de OD, a saber un infinitivo (34a), una completiva (34b) y sobre todo el pronombre lo (34c): (32) ¡Esta sí que es materia para reír, forma para llorar y privación para sentir! (CORDE: Enríquez Gómez A., El siglo pitagórico y Vida de don Gregorio Guadaña, 1644) 14

De acuerdo con el objetivo de estudiar el uso del marcador lo siento, para el cálculo de los datos cuantitativos nos limitamos en esta sección a los usos de sentir con valor emotivo negativo.

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(33) a. He sentido mucho la muerte de D. García de Porras, […]. (CORDE: Antonio N., Cartas, 1663 – 1683) b. Dios sabe cuántos mas medios clandestinos estarán poniendo en obra, para salir del cenagal en que están; y yo creo que al fin saldrán con la suya buen pro les haga; que yo aunque lo sentiré amargamente, me sabré al fin consolar. (CORDE: Azara J.N., Cartas de Azara al ministro Roda en 1769, 1769) c. Estaba don Diego en la prisión con poca paciencia, sintiendo haber perdido á Leonida, de quien estaba en extremo aficionado; […]. (CORDE: Castillo Solórzano A., Jornadas alegres, 1626) d. Mas yo sintiera de que usted abusara de mi inocencia. (CORDE: anónimo, La sencillez. Tonadilla a dúo, 1795) e. La mía correspondiendo, yo os doy por todo las más rendidas gracias, sintiendo que no se extienda la paga á donde alcanza el afecto. (CORDE: Cruz R., La fingida Arcadia, 1758) f. En la aflicción referida estaba el perseguido Fabio, considerando la cruel violencia de los villanos, sintiendo cómo en ella le apartaban de su hermosa Rosaura, á quien amaba tiernamente. (CORDE: Castillo Solórzano A., Jornadas alegres, 1626) (34) a. Muy alto, el actor y guionista, tarea que piensa retomar con Damon muy pronto, suelta un cálido “hola, siento llegar tarde” cuando aparece ante un reducido grupo de periodistas para promocionar Paycheck, […]. (CREA: Prensa, 2004) b. Debo manifestarle definitivamente que he sentido mucho que me tomase por un usurero de la más baja índole. (CREA: Baroja P., Desde la última vuelta del camino. Memorias, 1944-1949) c. Pocos se dan por enterados de este estado de cosas, y nosotros, que lo sentimos, vamos a hacer lo que podamos para tratar de poner remedio a tal situación. (CREA: Urabayen L., La tierra humanizada, 1949)

Además, la frecuencia del pronombre lo como complemento del verbo sentir e indicador del significado de disculpa aumenta considerablemente en siglos más recientes: siglo 14 15 16 17 18 19 20 21

uso absol. nominal pronominal compl. Inf # 1 1 1 8 3 1 1

% 25 12,5 4 12,9 6,1 4,2 8,3

# % 3 75 4 50 7 28 20 32,5 11 22,4 4 16,7 -

# 2 12 21 10 8 16 9

% 25 48 33,9 20,4 33,3 72,7 75

# 1 3 8 8 7 3 2

% 12,5 12 12,9 16,3 29,2 13,6 16,7

completiva # % 2 8 4 6,5 16 32,6 4 16,7 3 13,6 -

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subordinada # % 1 1,6 1 2,1 -

total # 4 8 25 62 49 24 22 12

% 100 100 100 100 100 100 100 100

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80 60 40 20 0 14

15

16

17

18

19

20

21

Tabla 10. Frecuencia complementación sentirlamentar y fijación de ‘lo’

Aunque en el marcador de disculpa, el verbo sigue siendo esencialmente transitivo por la presencia de lo, está claro que este OD ya no es referencial – ya no refiere a un antecedente individuado mencionado en el cotexto – y por consiguiente, pertenece a los pacientes menos prototípicos (Hopper/Thompson 1980). Esto recuerda y apunta a una de las conocidas consecuencias del proceso de gramaticalización en general, a saber, el debilitamiento o decoloración del significado referencial originario de las formas (cf. ‘bleaching’ o ‘desemanticization’, Heine/Reh 1984). Segundo, se observa en el marcador de disculpa una fijación formal bien clara del verbo mismo. Se trata más precisamente de una restricción respecto de la persona y del tiempo gramatical. En cuanto a la persona, llama la atención que el uso de la primera persona del singular vinculado a este sentido emotivo negativo aumenta considerablemente a lo largo de la historia y culmina en español contemporáneo. La evolución del tiempo gramatical arroja una imagen muy similar y observamos también un incremento significativo del indicativo presente vinculado a este particular sentido del verbo (véase tabla 11): siglo

total ocurr.

14 15 16 17 18 19 20 21

4 8 25 62 49 24 22 12

1ª p. sg. # 1 4 3 27 24 13 17 8

% 25 50 12 43,5 49 52,2 77,3 66,7

indic. pres. # 0 2 7 27 22 12 17 11

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% 0 25 28 43,5 44,9 50 77,3 91,7

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    100 50

1a  p.sg.

Ind.Pres. 0

14

15

16

17

18

19

20

21

Tabla 11. Restricción hacia la 1a p.sg.+ Ind. Pres. con sentirlamentar

No obstante, cabe mencionar que al mismo tiempo, este desarrollo del significado de disculpa bajo la forma de la expresión fija lo siento aún coexiste en español contemporáneo con expresiones sintácticas más variadas del significado de arrepentimiento. Esto ocurre por ejemplo cuando el verbo selecciona un infinitivo como OD en combinación o no con un adverbio de cantidad: (35) En cuanto a la vista… Bien, claro; pero no es todavía como antes. Esta tarde de sábado debes de estar con Amós. ¡Cuánto siento no haberos acompañado! (CORDE: Guillén, J., Carta de Guillén, 1948)

Por consiguiente, aunque la cancelación sintáctica del verbo en su sentido de lamentar no se ha completado enteramente, sí se observa un manifiesto debilitamiento sintáctico en la reducción de la variación de OD con que se combina. 5.2.2 Ampliación del alcance y autonomía de la predicación Varios autores (cf. Company 2004a) establecen una conexión entre la subjetivización de una forma o construcción y su posición en la frase: elementos subjetivizados tienden a moverse hacia posiciones periféricas, de manera que su significado incide sobre la expresión oracional entera 15. En nuestro corpus Es precisamente esta mayor autonomía e independencia de la estructura sintáctica que distingue la subjetivización de la gramaticalización en sentido tradicional. En efecto, la movilidad sintáctica inherente a los marcadores del discurso choca con el parámetro de la fijación posicional relacionado con la gramaticalización (cf. Lehman 1985). Este conflicto está a la base de la polémica muy viva alrededor de la pregunta de si la subjetivización puede o no considerarse como una gramaticalización (cf. supra), lo que lleva a la caracterización de la «subjetivización como un cambio bastante paradójico, además de conflictivo» (Company 2004a, 33; véase también Van Bogaert 2011 para una discusión acerca de este conflicto entre fijación vs. movilidad sintáctica aplicada a la gramaticalización del marcador pragmático I think en inglés).

15

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contemporáneo, se destaca que lo siento muchas veces se sitúa en la zona periférica de la frase como en el ejemplo siguiente: (36) R. Sí, qué vergüenza ese encuentro; me hablaba en la Feria de Francfort y yo azorado le contesté: «Lo siento, no hablo alemán», y su agente me apuntó: «El señor Habermas le está hablando en inglés». (CREA: El País, 22/03/2003)

Esta posición particular está relacionada estrechamente con otra propiedad sintáctica, a saber la autonomía de la predicación. A ese respecto, como ilustra el ejemplo (37), está claro que lo siento constituye frecuentemente una predicación autónoma por sí misma, que está prosódicamente independiente y se encuentra entre pausas, aislada del contexto circundante mediante comas: (37) R. Sí, lo que más me gusta es ver películas de las que llaman clásicas, del cine clásico, aunque la comedia musical no, lo siento, no es para mí. (CREA: El País, 01/02/1987)

Del corpus resalta que este uso de lo siento bajo forma de una predicación autónoma solo surge a partir del siglo 18, y aún muy marginalmente, mientras abunda en el corpus contemporáneo. siglo

total ocurr. lo

14 15 16 17 18 19 20 21

1 11 20 10 8 16 9

Pred. autón.

# 2 3 10 6

% 20 37,5 62,5 66,7

Tabla 12. ‘lo siento’ como predicación autónoma.

5.3 De marcador de disculpa a marcador adversativo El análisis de los correlatos morfosintácticos que atestiguan del proceso de subjetivización y gramaticalización de sentir, nos lleva a concluir que el marcador de disculpa lo siento es una creación del español de los siglos 19-21. Sin embargo, el estudio más detenido de sus ocurrencias en el corpus contemporáneo (s. 21) indica que – pese al descenso de su frecuencia general con respecto a los demás significados del verbo (cf. supra tablas 3,5) – su significado actual ni siquiera se limita a la expresión de arrepentimiento equivalente a

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lamentar, sino que en determinadas circunstancias incluso parece extenderse hacia el campo de las llamadas ‘emociones sociales’ (Damasio 2003, 43-45). En el ejemplo siguiente, el uso de lo siento no implica el sentido de arrepentimiento sino que señala que el locutor va a introducir un contenido que tal vez sea contrario a las expectativas o deseos del interlocutor: (38) El día antes de su llegada el comandante mayor me llamó: Mañana hay un desfile en honor del general Burguete. Lo siento, pero no tengo a nadie más que a ti para ser cabo de gastadores. (CORDE: Barea, A., La forja de un rebelde, 1951)

Así, por este uso particular, lo siento entra en contextos adversativos y de contraexpectativa conforme a la idea de que por distintas razones, los hablantes se posicionan explícitamente a sí mismos y a sus enunciados frente a expectativas surgidas por el discurso anterior o por algún conocimiento de fondo (Mortier/Degand 2009, 303). De hecho, este uso solo observado en los ejemplos más recientes se deja interpretar en términos del llamado proceso de ‘intersubjetivización‘ que se puede definir como «a mechanism whereby meanings become more centered on the addressee» (Traugott 1999a, 3). El análisis más detenido de los diferentes valores pragmáticos del marcador de disculpa cae fuera del ámbito del artículo presente, pero merece ser el objetivo de estudios futuros.

6. Conclusión Este estudio diacrónico sobre la estructura polisémica del verbo sentir permite entender mejor el lazo único que existe entre el verbo de percepción y el marcador de disculpa lo siento. Su uso en el español contemporáneo es el resultado de un largo y complicado proceso semántico que se desarrolló en dos fases principales. En los siglos 16-18 se observa una fuerte extensión de la polisemia de sentir hacia el campo de la emoción negativa, lo que se refleja en el alto número de colocaciones de tipo sentir ODnegativo Cadvlocalización interna . A la luz de los mecanismos básicos de la metáfora y la metonimia como fuentes principales del cambio semántico, la presencia de estas colocaciones en el corpus diacrónico sugiere que el uso del verbo sentir para designar el sentimiento de arrepentimiento ha surgido del esquema: sentir + objeto valorativo negativo + locativo [‘en el corazón/alma’]. Efectivamente, su mención explícita disminuye en siglos más recientes (s. 19-21), como una posible consecuencia de su incorporación en el significado del propio verbo. Por su parte la creación del sentido de arrepentimiento ha fomentado su uso y desarrollo como marcador de disculpa. El análisis del núcleo negativo revela que pese a un descenso

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considerable de su frecuencia general en tiempos más recientes, el polo negativo del verbo parece desarrollarse cada vez más hasta fomentar usos más pragmáticos. La fijación de la forma lo siento parece cumplirse en los siglos 20-21. El estudio cuantitativo muestra efectivamente que los parámetros citados en la bibliografía como indicios del proceso de gramaticalización y de subjetivización apuntan hacia este análisis: en los siglos 20 y 21 abunda el uso del pronombre lo como OD del verbo, que se utiliza mayoritariamente en primera persona singular del presente de indicativo. La predicación en su totalidad adquiere más alcance y se sitúa en la periferia de la oración. En cuanto a su significado notamos una clara evolución de expresión de emoción negativa hacia una expresión subjetiva que da cuenta de las opiniones y de los sentimientos del locutor, hacia finalmente una expresión que se centra cada vez más en el interlocutor, y se identifica como marcador adversativo en el corpus actual. Puestos en evidencia tanto la evolución semántica del verbo como el origen del marcador de disculpa, quedan por investigar más detalladamente los valores semántico-pragmáticos del marcador lo siento. Universidad de Gante

Marlies JANSEGERS

Universidad de Gante

Renata ENGHELS

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Fr. ébarouir : étymologie-histoire et étymologie-reconstruction À la discussion sur les mérites respectifs de l’étymologie-histoire et de l’étymologie-reconstruction nous aimerions apporter un élément de comparaison qui, du fait de son extrême simplicité, est susceptible d’être éclairant. Nous allons nous intéresser à un mot que les dictionnaires français ont enregistré pendant presque trois siècles, de la fin du 17e siècle jusqu’au milieu du 20 e siècle, un verbe transitif ébarouir “(en parlant de l’action du soleil) dessécher (les bordages d’une embarcation, les douves d’une futaille) de manière à les disjoindre” et son dérivé ébarouissage s.m. “état de ce qui est ébaroui” (1792—1948, JalN), dont l’étymologie est disputée. Apparu sous le Roi Soleil, comme de juste, il a disparu lorsque furent officiellement déclarés révolus « la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages ». Les dictionnaires, comme le Dictionnaire Général, les Larousse et les Robert, le donnent d’étymologie inconnue. Deux étymologies ont pourtant été proposées par deux grands noms en la matière, Antoine Thomas et Walther von Wartburg, mais celle de Thomas n’a pas convaincu von Wartburg et celle de von Wartburg laisse vraiment sceptique. Selon Thomas (1909, 383sq.), il s’agit d’une altération d’un verbe du poitevin médiéval esbaloïr v.tr. “éblouir ; ébahir”, avec une ��������������������������������� « ������������������������������� extension����������������������  »�������������������� , qu’il faut constater « et comment ne pas l’admettre? » (Thomas 1909, 384), depuis son application à l’action du soleil sur l’organe de la vue jusqu’à l’action du soleil sur l’étanchéité d’objets en bois. Wartburg (FEW 15/1, 71b) a considéré qu’il y avait incompatibilité entre les sens des deux verbes et a retenu la proposition de Brüch (1917, 681sq.), un étymon germanique occidental *barwjan, qui expliquerait le moyen haut allemand barwen/berwen “dénuder���������������������������������������������������������������������������  ; découvrir��������������������������������������������������������������� ” et son emprunt par le français, qui, après un très long incognito, se serait manifesté, préfixé en ex- et évolué sémantiquement depuis “présenter des parties découvertes” jusqu’à “présenter des fentes”.

Inutile de dire que si la proposition de Thomas fait difficulté du point de vue du sens, celle retenue par von Wartburg n’en fait pas moins. On comprend que les dictionnaires n’aient pas osé trancher entre deux propositions difficiles.

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JEAN-PAUL CHAUVEAU

Deux voies pour trouver une solution s’ouvrent, (1) soit faire méthodiquement l’histoire du mot depuis ses plus anciennes attestations, les plus proches de l’origine, jusqu’à ses plus récentes manifestations, l’étymologie-histoire ; (2) soit tenter de reconstruire, à partir des variétés contemporaines, le point de départ dans une démarche régressive, l’étymologie-reconstruction.

1. Questions méthodologiques 1.1. Étymologie-histoire Pour un mot qui apparaît à l’époque classique, l’histoire du mot paraît la voie la plus fructueuse. On dispose d’une vaste documentation écrite sur cette époque, qui ne se limite pas aux œuvres des grands classiques et qui nous livre un matériel lexical incomparablement plus fourni que celui de beaucoup d’autres langues, particulièrement celui des langues de civilisations disparues à date ancienne. La documentation textuelle qui subsiste de cette époque est abondante et la documentation lexicographique qui en était contemporaine l’est également. Eh bien, malgré ces conditions apparemment favorables, l’histoire du mot français ne nous servira à rien, pour en faire l’étymologie. Car il s’agit en français d’un mot de la langue de la marine, monosémique de la première attestation jusqu’à la dernière, dont la forme est restée constante du début à la fin, qui ne se rattache à rien du tout de connu à l’intérieur du lexique français et qui n’a aucun correspondant dans les lexiques maritimes des autres langues européennes. Voici la première attestation : « Un vaisseau Ebarouy. Se dit de celuy qui s’est deseché au Soleil, ou au vent, en sorte que les Bordages se soient retirez, et que les coutures se soient ouvertes » (Desroches 1687, JalN = Ozanam 1691, 265 aux variantes graphiques près).

Et voici la définition du verbe ébarouir et l’exemple qui l’illustre dans le dernier dictionnaire de marine qui le donne, le dernier dictionnaire général à le mentionner étant le Robert 1956 : « dessécher au soleil (v. hâle) ce qui ouvre les coutures, produit des fentes (écliage), des gerces : une embarcation ébarouie fait eau par toutes les coutures » (Merrien 1958, 249).

La seule variation est bien minime, c’est que les dictionnaires appliquent le verbe à des bateaux, mais aussi, pour certains, à des futailles ou encore à des seaux. En fait il s’agit toujours de vaisseaux, soit navires, soit contenants, en assemblages de planches de bois, bordages à franc bord ou douves de tonneau. On a donc affaire à un mot sans histoire, égal à lui-même de l’enregistrement

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de son apparition dans le monde jusqu’à celui de sa dernière présence avant disparition, relevant d’une nomenclature technique qui se poursuit tant que la technique est pratiquée et qui disparaît avec elle. La seule possibilité pour l’étymologiser serait de pouvoir le rattacher à quelque chose d’autre, mais ce n’est pas l’histoire de la langue de la marine qui peut le permettre.

1.2. Étymologie-reconstruction Une autre solution, c’est de tirer parti de l’existence de cette petite famille lexicale dans des domaines linguistiques francophones qui sont séparés depuis plusieurs siècles par l’Océan atlantique : la côte ouest de la France, le Québec, l’Acadie et la Louisiane. On peut valablement supposer que les données sont autochtones en France et qu’elles ont émigré dans le Nouveau-Monde, à partir des premiers établissements, en 1605 (Port Royal, actuelle Nouvelle-Ecosse) en Acadie, en 1608 (Québec) au Québec, en 1702 (Mobile, actuel Alabama) en Louisiane. On a donc pratiquement quatre siècles et quelques milliers de km entre ces quatre foyers. Ces différentes communautés humaines appartiennent à un même ensemble linguistique dont le français, langue commune, forme le centre. Lorsqu’elles partagent un particularisme par rapport au français, celui-ci poursuit fréquemment un régionalisme occidental que les immigrants originaires de l’ouest de la France ont diffusé dans toutes les colonies. Il y a certes eu des contacts entre les différentes colonies francophones d’Amérique, notamment les Acadiens déportés qui sont devenus les Cajuns de Louisiane, mais il n’y a pas eu de circulation généralisée entre les différentes communautés qui se sont développées de façon autonome, de sorte que chacune manifeste des traits linguistiques qui lui sont propres. Et les trois groupes du Nouveau-Monde se sont séparés de la Métropole européenne entre leur départ, au début du 17e siècle ou du 18e siècle, et leur rattachement administratif au Canada et aux Etats-Unis, dès 1713 pour l’Acadie, 1760 pour le Québec et 1803 pour la Louisiane. Si l’on constate une conjonction entre les différentes communautés des deux rives de l’Atlantique, il est sûr qu’elle est fondée sur un état antérieur à la formation des colonies francophones, et donc qu’elle remonte au 16e siècle au plus tard, à moins qu’on puisse prouver qu’il s’agit de la convergence d’évolutions spontanées indépendantes. Le rassemblement des sens attestés pour notre famille lexicale montre une gamme d’applications parallèle des deux côtés de l’Atlantique pour le verbe ébarouir ou son participe passé-adjectif ébaroui. Aussi bien en Europe, que dans le Nouveau Monde ils correspondent à différents états (A) de contenants en bois, (B) d’objets non-contenants, (C) du comportement physique d’humains et (D) du comportement psychologique d’humains.

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Dans le tableau suivant sont signalés par ♠ les données européennes, par ♥ les données québécoises, par ♦ les données acadiennes, par ♣ les données louisianaises, et enfin par ◙ les attestations dans une autre langue que le français.

Les abréviations, références et conventions sont celles du FEW. (A) Des contenants en bois. 1. Verbe : ♠ CharI. Char. ébarouir v.intr. “(d’une futaille) sécher et perdre son étanchéité ; (des douelles d’une futaille, des lames d’un parquet, des planches d’un bateau) se disjoindre” Sefco, aun. s’ébarouir v.pr. “se disjoindre”, saint. ébarouir v.tr. “(de l’action de la chaleur ou de l’air) dessécher et disjoindre les douelles (d’un seau, d’un cuvier, d’une futaille ou autres vaisseaux analogues)” Musset, s’ébarrouit/s’ébarouir v.pr. “se disjoindre, se dilater” Musset ; ♥ Ontario s’ébarouir v.pr. “(des planches d’un baril) se retirer par la chaleur” (Windsor 1748, PotierHalford), Québec “(des ouvrages de tonnellerie) s’ouvrir, séchés par le soleil ou la chaleur du feu, ou autrement” Viger 1810, ẹ b a r w i r v.intr. “(d’un tonneau) se disjoindre” ALEC 226b, s ẹ b a r w i r v.pr. ibid. ; ♣ Louisac. ebarouir v.intr. “(des vaisseaux de bois que la sécheresse fait) fendiller, relacher les cercles et disjoindre les douves” Ditchy. ◙ Auv. [Combraille du nord] eibarî v. “dessécher” Reichel, [Limagne] “(d’un récipient) perdre, laisser fuir” Reichel 1, périg. eibarrî v.tr. “(du soleil) dessécher, disjoindre (un tonneau)”. Limagne eibarissouz adj. “desséchant” Reichel. Participe passé-adjectif : ♠ Vouvant ẹ b a r w i adj. “(tonneau) fissuré par la sécheresse”, VendéeS. id. ALO p 61, ẹ b r  ẹ ibid. p 60, ẹ b r w ā ibid. p 59, ẹ b ā r i ibid. p 62, DSèvres ẹ b a r w i ibid. p 78, ẹ b ā r i ibid. p 77, Aiript ẹ b a r w i “(tonneau) dont les douves se séparent et dont les cercles sont disjoints” P 180, CharI. “(tonneau) fissuré par la sécheresse” ALO 214, Ré ẹ b ā r i ibid. p 68, Oléron ẹ b ā r ǫ y i t ibid., aun. ébaroui “(d’un fût) disjoint, qui laisse couler le liquide qu’il contient, par ex. à la suite d’une grande sécheresse”, saint. “disjoint par la sécheresse, la chaleur” Musset, ébarouit “non étanche” BM, Char. ẹ b a r w i “(tonneau) fissuré par la sécheresse” ALO, Gir. ẹ b ā r w ẹ ibid. p 123, ẹ b ā r w i t ibid. p 124 ; ♥ Québec ébaroui adj. “(d’un seau, d’une cuvette) qui est desséché par la gelée ou la chaleur et dont les douelles tendent à se disjoindre, à tomber” Clapin 1894, “(cuve, tonneau, tinette) dont les douves, contractées par la chaleur, laissent filtrer les liquides” Dionne 1909, ẹ b a r w i /ẹ b a r  i “(tonneau) disjoint par la sécheresse” (ALEC 226a ; Lavoie 2124), “(d’un bateau) non étanche” ALEC 1400 p 38 ; ẹ b a r w i s ẹ Lavoie 2124 p 16 ; ♦ Acadie ébaroui adj. “(fût) dont les douves se sont contractées, pour avoir été exposées au soleil et à la chaleur et qui n’est plus étanche” Poirier, ẹ b a r w i “(ton1



Compte non tenu d’un homonyme, sur lequel voir ci-après.

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neau) disjoint” (Gaspésie, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Ecosse, Massignon 1293), Baie-Ste-Marie ébarroui “(contenant en bois) qui laisse sortir un peu de liquide”, Rivière-Bourgeois “(cuve) qui a été laissée trop longtemps au soleil”. ◙ Limagne ibari adj. “(des vaisseaux de bois, tonneaux, barils) desséché”, eibarid “qui laisse fuir” Reichel, Char. ẹ b ā r w ẹ adj. “(tonneau) fissuré par la sécheresse” (ALO p 97, 119), ẹ b ā r i ibid. p 90, ẹ b a r i ibid. p 92, ẹ b á r i ibid. p 95, ẹ b  r a ibid. p 87, ẹ b á r ẹ ibid. p 94, ẹ b ā r ẹ ibid. p 118, Dordogne ẹ b a r w ẹ ibid. p 122. ALO 214.

(B) Des objets non-contenants. 1. ♠ Poit. s’ébarouir v.pr. “(d’un fruit trop mûr) s’écraser ; tomber en ruine” Favre, ChefB. “tomber de vétusté” (> Lalanne), CharI. Char. “tomber en ruine” Sefco, Montlieu s’ébarrouit “tomber en botte” Musset ; ♥ Québec être (tout) ébaroui loc. verb. “être défoncé, déglingué” DesruisseauxExpr, ébaroui adj. “(d’un feu) dont des tisons sont dispersés autour du brasier” (DulongCanad ; ALEC 79 p 98).

(C) Le comportement physique d’humains. 1. ♠ CharI. ébarouir v.intr. “rire à gorge déployée” Sefco. 2. ♠ CharI. ébaroui adj. “qui a soif” Sefco ; ♦ Baie-Ste-Marie ébarroui adj. “qui a très soif” (> rég., Cormier). 3. ♠ Saint. ébaroui adj. “qui souffre d’incontinence” Musset. 4. ♥ Québec être ébaroui loc. verb. “éprouver un flux hémorroïdal ; avoir les hémorroïdes”Clapin 1894. 5. ♥ Québec ébarouir v.tr. “(du soleil) faire cligner les yeux” DulongCanad, QuébecEst être ébaroui loc. verb. “cligner des yeux” ALEC 2097, Charlevoix ẹ b a r w i adj. “(des yeux) qui clignent” (Lavoie 2327 p 07, 10) ; ♦ Acadie ébarouir v.tr. “éblouir” Cormier ; Acadie ébaroui adj. “(des yeux) ouverts d’étonnement“ Cormier. 6. ♥ Québec ébaroui adj. “gourmand, glouton, qui mange beaucoup” DulongCanad, ẹ b a r  i “excessivement gourmand” ALEC 252. 7. ♥ Québec ébaroui adj. “courbaturé par un coup ou une chute” (Dunn 1880 ; Clapin 1894 ; Dionne 1909), être ébaroui loc. verb. “être étourdi” (ALEC 2208 p 16, 50) ; ♦ Acadie ébaroui adj. “qui parle d’une façon inintelligible” Cormier ; ♣ Louisac. ebaroui adj. “courbaturé par un coup ou une chute” Ditchy. ◙ Limagne eibarid adj. “étourdi” Reichel. 8. ♥ Charlevoix, Saguenay, Lac-St-Jean, Côte-Nord s ẹ b a r w i r v.pr. “perdre connaissance” Lavoie 2444, Lac-St-Jean s ẹ b a r z w i r ibid. ; Saguenay ébaroui adj. “sans connaissance” ALEC 2097 p 16 ; ♦ Acadie s’ébaroui v.pr. “s’affaler, perdre connaissance” Cormier ; ♣ Louisiane ébaroui/baroui adj. “shaky, weak”.

(D) Le comportement psychologique d’humains. 1. ♠ MaraisV. b a r  i adj. “ébahi, éberlué”, CharI. Char. ébaroui “stupéfait, abasourdi, ahuri” Sefco, Montlieu “abasourdi, stupéfait” ; ♥ Québec ébarouir v.tr. “étonner, ébaudir [sic], abasourdir” GPFC 1930 ; Québec ébaroui adj. “étourdi,

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abasourdi” (Dunn 1880 ; Clapin 1894), ébarroui “abasourdi” DesruisseauxExpr ; ♦ Acadie ébarouir v.tr. “étonner, ébahir” Cormier ; ébaroui adj. “ébahi, abasourdi, étourdi” Cormier, avoir la tête ébarouie loc. verb. “avoir juste assez d’idée pour se conduire” Poirier. Acadie ébarouissement m. “état de celui qui est décontenancé ; étourdissement” (1975, Cormier) ; ♣ Louisiane ébarouir/-er v.tr. “to stun, to startle” ; Louisac. ebaroui adj. “étourdi, abasourdi” Ditchy. 2. ♠ Saint. s’ébarrouit v.pr. “se réjouir” Musset. St-Seurin ébaroui adj.“réjoui”. CharI. ébarouissement m. “réjouissance, divertissement” Sefco, saint. “réjouissances” Musset.

Cette liste conduit à faire quelques constatations éclairantes : (1) Tous ces exemples du verbe ou du participe-adjectif relèvent du vocabulaire terrien et n’ont rien à voir, a priori, avec le vocabulaire maritime. (2) Le champ d’application du verbe s’est considérablement étendu, puisqu’il peut se dire d’objets autres que des contenants et s’appliquer à des humains, des points de vue physique et psychologique. Cela signifie que l’on est sorti du « monosémisme » du verbe en français. On peut espérer avoir atteint la zone linguistique où le verbe est vivant, donc plastique, susceptible de connaître des maintiens de stades antérieurs, mais aussi des développements, des innovations, à partir du même point de départ que le verbe français, mais aussi de points de départ différents. (3) Les quatre domaines d’application distingués sont représentés de part et d’autre de l’Atlantique. Cette concordance, opposée à l’isolement dans le vocabulaire maritime du français, laisse penser que cette large gamme sémantique ne résulte pas tout entière de développements indépendants postérieurs à l’implantation du mot français dans chacune des zones linguistiques, mais d’un point de départ qui devait déjà être ramifié sémantiquement. (4) Les attestations dans une autre langue sont limitées, mais intéressantes. Elles touchent essentiellement la zone de contact entre oïl et occitan : Auvergne, Angoumois, Périgord. Face à la constance formelle dans les variétés françaises, elles manifestent une variation : assez souvent la labio-vélaire de la syllabe finale disparaît et parfois le verbe a changé de conjugaison. Sur le plan sémantique, à une exception près, les attestations ne concernent que le sens « (vaisseau) fissuré par la sécheresse », exactement comme en français. Ces différentes caractéristiques sont typiques d’un emprunt de contact 2. Voilà qui invite à considérer le verbe français, lui aussi, comme un emprunt parallèle qui n’a retenu qu’un sens spécialisé dans un vocabulaire technique.

De fait, tout montre que ce verbe est originellement un régionalisme du français de l’Ouest, exporté outre-mer par les nombreux émigrants originaires de cette région et, parallèlement, passé dans le lexique maritime de la côte atlantique, auquel le français l’a emprunté, comme il l’a fait pour l’essentiel de son vocabulaire de marine qui lui vient du normand, ou bien d’autres lan2



C’est pourtant dans de telles formes que Gam1-2 voit le départ de frm. ébarouir dont la finale aurait été influencée, ultérieurement, par évanouir, épanouir, brouir.

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gues telles que le provençal, l’anglais, le néerlandais, etc. De façon attendue, le monosémisme caractérise l’emprunt par rapport à sa source polysémique. Cela suffit pour montrer que le verbe français ébarouir doit être laissé de côté pour l’étymologie. Ce qu’on cherche, c’est l’étymon de l’étymon du verbe du français de la marine.

2. La logique du sens Il faut donc se concentrer sur la famille régionale et retrouver quel pouvait être son état primitif. Il faut focaliser l’examen sur l’ensemble des variantes régionalisées repérées, qu’elles soient dialectales ou expatriées, qui sont les seuls témoins disponibles sur le français régional auquel le français de la marine a emprunté le mot. Il faut pour cela reconstruire, à partir des attestations contemporaines, le verbe ébarouir initial, antérieur à la dispersion des locuteurs. Il s’agit de mettre en évidence des ensembles sémantiquement cohérents en les hiérarchisant par la distinction des sens secondaires, qui sont issus, par une figure de langue (métaphore, métonymie, extension, spécialisation, etc.), d’un sens premier.

2.1. Le groupe “disjoint, non étanche” Il est clair que : – C 2. ébaroui “qui a soif” (Charente-Maritime ; Acadie) est une métaphore du tonneau desséché qui doit être combugé, humidifié, de toute urgence si l’on ne veut pas le perdre (A 1), de même qu’un assoiffé s’humecte le gosier, se rince la dalle, etc. – C 3. Saint. ébaroui “qui souffre d’incontinence” et C 4. Québec ébaroui “qui souffre d’un flux hémorroïdal” sont des métaphores du tonneau qui n’est plus étanche. – B 1. CharI. Char. ébaroui “qui tombe en ruine”, etc. est lui aussi une métaphore du tonneau aux douves disjointes au point de se démantibuler, de même que, par extension, B 1. Québec ébaroui “défoncé, déglingué”, ou encore B 1. Québec ébaroui “(feu) dont des tisons sont dispersés autour du brasier” qui applique la métaphore au feu dont les bûches consommées en leur centre ne sont plus que des tisons écartés et qui ne flambe plus. C’est l’image de la barrique disjointe, la futaille en botte, qui est à l’origine de ce groupement sémantique, par une série de métaphores, indépendantes les unes des autres, mais à partir du même point commun : “(tonneau) disjoint”.

Mais, pour d’autres sens, il paraît impossible d’adopter le même point de départ sémantique. On est incapable d’imaginer la figure de langue qui pourrait relier les deux sémèmes. Il faut donc, dans un premier temps, procéder à des regroupements indépendants.

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2.2. Le groupe “ouverture d’un organe du visage” On peut lier, par une métonymie entre “être joyeux” et “manifester sa joie” : D 2. Saint. s’ébarrouit v. pr. “se réjouir” et C 1. CharI. ébarouir v.intr.“rire à gorge déployée”, donc “éclater de rire, s’esclaffer de rire”. Ce sens lié, à l’ouverture maximale de la bouche sous l’effet du rire, peut être rapproché de C 6. Québec ébaroui adj. “glouton, qui mange beaucoup”, donc qui ouvre grand la bouche pour avaler. On peut voir un autre point de contact avec l’ouverture d’un autre organe du visage humain, l’œil, dans C 5. Québec être ébaroui “cligner des yeux” et Acadie ébaroui “(des yeux) ouverts d’étonnement”. Ces deux sens paraissent contradictoires, mais une lumière éblouissante peut contraindre à fermer les yeux comme à les ouvrir tout grands 3. Ces différents sens ont affaire avec l’ouverture d’un organe du visage humain, la bouche et les yeux, et ils ont une grande analogie avec les douves ouvertes du tonneau desséché, dont ils pourraient dépendre, mais ce n’est pas obligatoire. Un verbe de sens général pourrait tout aussi bien recevoir des applications particulières, comme se fendre la pipe/ se fendre la pêche “rire”, les/des yeux bien fendus (quelques dizaines d’exemples dans Frantext depuis 1627), bouche fendue (62 exemples de 1537 à 1949 dans Frantext). Et un verbe surtout employé à propos des yeux peut aussi s’appliquer à d’autres parties du corps. Frantext assure qu’on peut écarquiller les yeux, mais aussi les jambes, les pas, les coudes, les mains, les doigts, le pouce, la cervelle, les sourcils, le nez, les narines, la bouche, les traits, la face, le cou, etc. 4.

2.3. Le groupe “perturbation de la conscience” Enfin on peut établir un autre ensemble avec C 7. Québec ébaroui adj. “étourdi”, etc., C 8. Québec ébaroui adj. “sans connaissance”, Louisiane (é)baroui “faible, chancelant”, etc. et D 1. MaraisV. ẹ b a r  i adj. “ébahi, éberlué”. On voit une gradation depuis l’étonnement qui fige quelqu’un sur place, en passant par l’étourdissement qui limite l’activité, puis la faiblesse qui fait chanceler jusqu’à la perte de connaissance. Cela peut se comprendre « Un rayon de soleil, pareil à une flèche de lumière, pénétra brusquement dans la chambre et le força à écarquiller ses yeux encore voilés par les brumes du sommeil » (1848, Murger, Frantext) ; « les deux soldats se dressaient côte à côte, écarquillaient des prunelles effarées, aveuglés par l’éclat brutal de la lanterne... » (1888, Courteline, Frantext) 4 Cf. « Ducasse - un écarquillé. Il écarquille ses yeux tout ronds ; il écarquille ses coudes pointus ; il écarquille ses jambes qui tricotent ; il écarquille sa bouche coupée en fente de tirelire... » (1886, Jules Vallès, Frantext) 3



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par une série d’extensions, à partir du sens le plus faible “étonné”. D’ailleurs le français étonné lui-même est un affaiblissement de sens, une restriction, à partir de “étourdi par un coup violent”. Au total on a trois sous-groupes de sens : – “(vaisseau) disjoint, dont les douves ou les bordages sont entrouverts”, qui donne lieu à quelques emplois métaphoriques ; – “(organe du visage, bouche, yeux) qui s’ouvre tout grand ou qui se ferme convulsivement” ; –

“(humain) qui est ébranlé par un choc psychique, stupéfait ; ébranlé par un choc physique, étourdi ; ébranlé au point de perdre momentanément connaissance, évanoui”.

Comment ces trois ensembles peuvent-ils se relier les uns aux autres et quel peut être celui qui est au départ des deux autres? On peut s’appuyer sur des comparaisons. La première est toute proche. Il existe un paronyme, dans le sud du Berry et le Bourbonnais, qui est attesté sous trois sens qui offrent des similitudes 5. Sous la forme du participe-adjectif ébaloui/ébalui, il signifie : “aveuglé par le soleil”, “ahuri, étonné”, enfin “(du vin) éventé”. C’est clairement le participe d’un verbe voisin du français éblouir, qui, secondairement, signifie l’étonnement parce qu’une personne étonnée écarquille les yeux comme quelqu’un qui est aveuglé. Et l’altération du vin éventé lui vient de ce qu’on l’a sorti de l’obscurité et de la fraîcheur de la cave pour l’exposer à l’air (d’où éventer en français) ou au soleil (d’où ébalouir dans ces parlers). Cela montre que les métaphores ne vont pas systématiquement de la matière inanimée à la matière animée puis au psychisme 6. Une seconde comparaison peut être faite avec un synonyme et paronyme de ébaroui “étonné, abasourdi”, l’adjectif français ébahi. C’est un dérivé de la famille d’afr. baer, frm. béer “être ouvert” qu’on a encore dans la locution bouche bée et qu’on retrouve aussi dans la locution de l’époque classique gueule bée loc. nom. f. “futaille ouverte ou défoncée par un bout”. Voilà une 5 6



Ce parallélisme a déjà été évoqué par Thomas (1909, 384, note 4). Voici les données de ce type qui accroissent la documentation de FEW 15/1, 153a : A. Franchesse ébaluir v.tr. “aveugler” Gagnon ; bourbonn. ébalui adj. “aveuglé (par le soleil)” Piquand, Franchesse ébalui “aveuglé par le soleil”. — B. Franchesse ébaluir v.tr. “ahurir, troubler” Gagnon, Fleuriel ébalui adj. “étonné”. — C. Bourbonn. ebal(o)uir v. intr. “s’évaporer, s’éventer, se troubler” Piquand, Franchesse s’ébalouir v.pr. “s’évaporer, perdre force et parfum”, Lurcis-Lévis ébaluir v. intr. “évaporer, éventer” ; centr. ébalui adj. “éventé, évaporé, affaibli”, bourbonn. ébalui “éventé, abimé” Piquand, Franchesse, Moulins, VSioule, Fleuriel “(liquide) éventé”, Souvigny id., ébaloui, Chemilly ébalué. Il est tentant d’en rapprocher mfr. epalouir v. “fondre ou être oppressé par une chaleur extrême” Cotgr 1611 (FEW 22/2, 246a).

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famille qui offre de remarquables parallèles avec notre ébaroui, puisque les deux adjectifs bée et ébahi peuvent, comme ébaroui, se référer à l’ouverture de la bouche, à celle des tonneaux et à l’étonnement des humains. Ce qui doit être premier dans le cas de ébarouir, c’est l’ouverture des yeux et de la bouche, (1) qui est la marque la plus évidente de l’étonnement et qui, par une métonymie, l’aura signifié ; (2) et que, par métaphore, on aura appliquée à un contenant disjoint. On peut donc reconstruire la gamme sémantique que connaissait le participe-adjectif avant la dispersion des locuteurs et l’ordonner. ébaroui participe passé-adjectif A. D’un humain. 1.a. “dont l’ouverture des yeux (écarquillés ou clignants) est perturbée (en réaction à un stimulus extérieur, tel que l’éclat du soleil)”. 1.b. « dont la bouche s’ouvre toute grande (sous l’effet d’un choc psychique provoqué par un stimulus extérieur)”. 2. “ébranlé par un choc psychique, stupéfait”. B. D’un vaisseau de bois, contenant ou bateau. “dont la jonction des éléments constitutifs (bordages, douves) est perturbée par l’action du soleil ou la sécheresse, disjoint et non étanche”.

Du point de vue étymologique, l’origine ultime de cette famille, son point de départ, ce ne peut être que le verbe attesté au 13e siècle esbaloïr v. tr. “éblouir ; ébahir / blenden ; außer Fassung bringen” dans trois œuvres dont au moins deux sont clairement marquées par la langue du sud-ouest d’oïl (Thomas 1909, 384 ; TL 3, 790 ; v. encore Naudeau 1981, 323), un verbe parallèle de celui qu’attestent apr. esbalauzit part. passé adj. “abasourdi, ébahi” et afrpr. esbaloïr v.a. “éblouir, ébahir” (ca. 1230) (tous FEW 15/1, 153a, [*exblaudire]). Il n’y a pas de difficulté à établir une continuité entre les données anciennes et les données modernes : (1) du point de vue formel, le -l- intervocalique est devenu la vibrante -r- par assimilation régressive, phénomène banal mais qui doit être antérieur à l’amuïssement des consonnes finales ; (2) du point de vue du sens, les étapes intermédiaires, métonymiques et métaphoriques, ont maintenu des témoignages multiples et concordants jusqu’à l’époque contemporaine ; (3) il y a concordance entre les attestations médiévales et la répartition dialectale moderne et entre celle-ci et les français expatriés dont les particularismes s’enracinent dans ceux de l’Ouest français. On voit le rôle que joue le champ de dispersion des attestations localisées des deux côtés de l’Atlantique dans cette argumentation étymologique : il per-

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met de reconstituer l’ensemble des sens du mot en les hiérarchisant. Il atteste aussi le point de départ sémantique “qui est ébloui ; qui cligne des yeux” qui n’a plus été récupéré en France. Sans ces matériaux, on peut parvenir à l’étymologie correcte, témoin Antoine Thomas, mais pour la rendre convaincante on a besoin d’eux, témoin Walther von Wartburg qui a rejeté la solution de Thomas.

3. Interprétation 3.1. Étymologie-histoire et étymologie-reconstruction Du point de vue méthodologique, il faut constater que, si Antoine Thomas et Walther von Wartburg n’ont pas entrepris cette reconstruction, c’est en partie pour des raisons contingentes : à leur époque une bonne partie des matériaux linguistiques d’Amérique utilisés ci-dessus étaient encore indisponibles, quoique les dictionnaires de Dunn (1880) et de Clapin (1894) fussent déjà publiés lorsque Thomas insérait sa notice dans la Romania en 1909 7 et que la documentation ne fût plus négligeable sur le Québec, l’Acadie et la Louisiane en 1968 quand paraissait le fascicule 123 du FEW. On peut, au-delà des lacunes de l’information, soupçonner des raisons plus fondamentales. Jouait aussi dans l’affaire la conception du français commun de l’époque classique comme langue-toit de toutes les variétés francophones, même si Thomas et Wartburg étaient de ceux qui s’intéressaient le plus activement aux variétés minorées. Il n’y a rien d’étonnant à cela, car cette attitude n’a pas encore tout à fait disparu dans les études consacrées aux français expatriés 8. Enfin la méthode de recherche a aussi sa part de responsabilité dans la perspective en cause. Les étymologistes-historiens, lorsqu’ils doivent situer dans le temps leurs matériaux, se fondent d’abord sur la date des documents qui les livrent, dans une perspective principalement philologique. L’histoire est souvent assimilée à l’historiographie qui progresse communément du passé en direction du présent. Antoine Thomas, même si sa pratique était beaucoup plus souple, n’hésitait pas à caractériser la méthode historique en étymologie

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Mais il n’ignorait pas les français d’Amérique du nord, puisque, dans ce même article de la Romania, Thomas (1909, 396sq.) utilise la documentation que lui a fournie, en réponse à sa sollicitation, Adjutor Rivard sur le nom d’oiseau canadien esterlet. Mais c’est la définition comme “oiseau aquatique de la côte d’Acadie”, qu’il avait rencontrée dans l’édition du Dictionnaire de l’Académie française de 1762, qui avait motivé sa demande de renseignements. Ainsi, par exemple, québécois/acadien ébaroui “(en parlant des yeux) qui clignent (parfois en raison d’un éblouissement) ; ouverts d’étonnement” est traité comme une « innovation canadienne » à partir du terme de marine (Gauvain 2010, 245-247).

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comme l’étude de la succession historique, par la comparaison des différents états chronologiquement situés : « L’étymologie n’est qu’une branche de la philologie ; c’est une science essentiellement historique, et la seule méthode qui lui convienne est la méthode historique. Quel que soit le domaine linguistique où elle s’exerce, elle ne pourra arriver à se constituer qu’en étudiant comparativement et contradictoirement la succession historique des faits, des sons et des idées » (Thomas 1904, 11). La méthode historique retrace le passé à partir des traces subsistantes, des documents archivés ou même des souvenirs maintenus dans la tradition orale, beaucoup plus volontiers qu’à partir des survivances toujours actuelles qui sont considérées comme des incitations à l’enquête plutôt que des sources pour celle-ci. Et il n’y a pas très longtemps que s’est développée l’idée que les français expatriés et les créoles pouvaient expliquer, sur des points particuliers, le français commun, cf. Chaudenson (1973), Poirier (1979), par exemple. Dans une perspective étroitement historiographique, le verbe français ébarouir est attesté dès la fin du 17e siècle, tandis que ses corrélats régionaux ne sont documentés que postérieurement, surtout au 20 e siècle ; ces derniers n’illustreraient donc que la diffusion contemporaine du verbe français. Au contraire, la régression prouve que les matériaux contemporains sont logiquement antérieurs à celui-ci et qu’ils témoignent donc pour un état linguistique inatteignable à partir de lui. Elle inverse la perspective, elle remet l’histoire sur ses pieds. Bien évidemment la régression et l’étymologie-reconstruction n’invalident pas la progression et l’étymologie-histoire. Elles sont, d’abord, capables de les suppléer, lorsque ces dernières sont inopérantes faute de documentation historique adéquate pour retracer l’histoire d’un type lexical. C’est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit de la langue populaire à laquelle l’écrit ne s’intéresse que très marginalement. Et encore la littérature française ne manque pas d’écrits qui mettent en œuvre cette langue populaire. La nécessité occasionnelle de la régression pour un domaine linguistique, tel que le français, où la documentation manuscrite ou livresque, accumulée depuis un millénaire, occupe des kilomètres de rayonnages implique que la régression peut se révéler indispensable pour n’importe quelle langue, au moins dans certains cas. Le volume des textes littéraires et documentaires en latin de l’Empire romain qui subsiste n’est-il pas incommensurablement moins important que celui du royaume de Louis XIV? La méthode la plus efficace et la plus rigoureuse pour reconstituer ce que l’écrit ne fournit pas, c’est de partir de la documentation la plus vaste et la mieux établie, qui est sans conteste la documentation contemporaine, pour reconstruire rationnellement et progressivement les étapes

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antérieures, en appuyant la reconstruction sur les traces laissées par la documentation historique, s’il en existe, par la confrontation avec les régularités formelles et par la comparaison avec les évolutions sémantiques parallèles. La valeur d’exemplarité de ce cas de figure pourrait être mise en doute, puisque les bases de la reconstruction n’ont pas subi des remodelages systémiques qui les auraient autonomisées. On n’est cependant plus tout à fait dans le cadre des variétés géographiquement distinctes d’une même langue. Car les variétés européennes sont des parlers dialectaux du français, tandis que les variétés américaines sont des français expatriés. L’intercompréhension serait certainement difficile entre un Saintongeais, un Québécois, un Acadien et un Louisianais s’exprimant chacun dans son vernaculaire. Mais, plus profondément, ces vernaculaires relèvent de deux types distincts, les dialectes historiques et les français régionaux et donc leur différence n’est pas seulement de surface, même si elle n’est pas de celles qui séparent des langues apparentées 9. En outre, le point de départ auquel on aboutit est un lexème dialectal, l’ancien poitevin esbaloïr qui, génétiquement, est isolé dans l’ensemble français et a pour cognats l’ancien francoprovençal esbaloïr v. tr. et l’ancien provençal esbalauzit part. passé-adj. (FEW 15/1, 153a). On n’est déjà plus, avec notre exemple, dans le champ de la pure reconstruction interne. Ce qui est plus important, c’est que les données contemporaines, qui forment l’essentiel des matériaux traités, trouvent leur cohérence dans un verbe reconstruit qui remonte, au plus tard, à la Renaissance. Entre le prototype reconstruit et les données dont on l’a déduit, l’écart temporel est d’un demi-millénaire. C’est à peu près le même espace de temps qui sépare Isidore de Séville (mort en 636) et l’auteur de la Chanson de Roland, œuvre que l’on date d’environ 1100, c’està-dire entre une langue latine littéraire toujours vivace et une langue romane devenue le véhicule parfaitement constitué d’une nouvelle littérature. La distance chronologique qui sépare les attestations contemporaines de ébarouir de leur ancêtre commun, d’une part, et l’écart temporel entre le latin, langue naturelle, et les langues romanes instituées, d’autre part, sont comparables.

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Il existe aussi des cas où le point de départ ne se rencontre plus que dans de nouveaux systèmes linguistiques, nés de français expatriés. L’étymologie des français grébiche n.f. “système de reliure” et sauce gribiche loc. nom. f. “sauce accompagnant poissons et crustacés” est insoluble tant qu’on ne les met pas en relation avec le cribiche “écrevisse” des créoles à base lexicale française des Antilles, cf. Thibault (2012, 89-95) et, pour la documentation, ALPA 145. Semblablement, frm. baliverner ne conserve son sens primaire “marcher sans but, de façon erratique” que dans les créoles de La Réunion, de Maurice, de La Martinique et dans un seul parler dialectal de France, tandis que les variétés françaises ne connaissent que des sens secondaires, cf. Chauveau (2007).

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3.2. Les apports de l’étymologie-reconstruction Un intérêt spécial de l’étymologie régressive réside dans le fait qu’elle se doit de justifier chacune de ses procédures et qu’elle ne peut pas se satisfaire de rapprochements approximatifs. Elle a donc pour vertu de contraindre la lexicographie elle-même à plus de rigueur, c’est-à-dire qu’elle se doit d’établir rigoureusement les données qu’elle pose comme base de la reconstruction. Les données auvergnates citées ci-dessus résultent d’un choix raisonné. Car dans le dictionnaire de Reichel (2005), sous la même entrée eibarî v., les signifiés [Combraille du nord] eibarî v. “dessécher”, [Limagne] “(d’un récipient) perdre, laisser fuir” sont associés à un signifié [Limagne] eibarî “élever (du bétail)” avec lequel on ne voit pas de lien sémantique. Et ce d’autant plus que ce dernier signifié est au centre d’une famille dérivationnelle exclusive qui comprend : eibaridou m. “lieu d’élevage”, eibarissaire m. “éleveur”, eibarissouz adj. “d’élevage”, eibarizou/-zuo f. “élevage”. Tant les rapports morphologiques que sémantiques plaident pour la séparation entre deux verbes homophones, car si “dessécher (les douves d’un tonneau)” peut se relier par une métaphore à “éblouir”, on ne voit pas par quelle figure de langue “élever (un animal domestique)” pourrait le faire. Il convient plutôt de replacer cet auv. eibarî “élever (du bétail)” au sein du champ sémantique de l’élevage dans l’ensemble occitan. On voit alors tout de suite la proximité avec la famille citée dans le même dictionnaire pour la Haute-Loire s.v. abarî v.tr. “élever (du bétail)”, etc. qui fournit la documentation la plus septentrionale du type de frpr. occit. abari “élever” (FEW 15/1, 68ab, *barjan ; auxquels il faut joindre des données éparpillées FEW 21, 445b et 451a). La seule différence réside dans l’initiale ei- au lieu de a-. Le plus simple est d’y voir une variation préfixale : ex- et ad-. Cette variation est celle-là même qui distingue, au même sens, afr. eslever, mfr. frm. élever (FEW 5, 273b, levare) et afr. mfr. alever, apr. alevar, etc. (FEW 24, 330a, allevare). La conjonction spatiale de eibarî “élever (du bétail)” et eibarî “dessécher” résulte de la rencontre de deux aires distinctes : celle de esbarouir “dessécher”, emprunté au sud-ouest du domaine d’oïl et adapté, d’une part, et celle de abarir/esbarir “élever (du bétail)” qui s’étend sur une grande partie des domaines francoprovençal et occitan, d’autre part. Mais c’est surtout dans l’explication proprement étymologique elle-même que la régression se révèle intéressante. Le FEW aligne à la fin de l’article *barwjan le dérivé : saint. ébarouissement “réjouissances” dont le sémantisme est étranger aux matériaux précédents. Du point de vue morphologique, il n’y a pas à douter que ce type lexical soit un dérivé du verbe ébarouir. Mais, d’un point de vue sémantique, quel peut être le lien entre “réjouissances” et “dessé-

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cher (les bordages d’une embarcation, les douves d’une futaille) de manière à les disjoindre”? Le rattachement au verbe de ce nom d’action dérivé s’impose sans qu’on puisse le comprendre : « et comment ne pas l’admettre? » disait Antoine Thomas pour rattacher ébarouir “dessécher” à esbaloïr “éblouir”. Une démarche régressive ne saurait se satisfaire d’un tel renoncement à justifier ce qu’on rapproche de façon plus intuitive que raisonnée, parce que c’est la porte ouverte aux solutions aventurées. Si elle ne peut pas rendre compte de la difficulté, elle s’obligera à signaler qu’un tel type lexical ne peut prendre place dans la reconstruction. La démarche régressive ne peut pas se dispenser de justifier toutes ses opérations, elle se doit d’écarter explicitement les fausses solutions et elle doit s’abstenir des facilités tacites. Dans le cas présent, elle a pu raccorder le substantif à un verbe signifiant “se réjouir”, à partir de “éclater de rire” et ultimement de “ouvrir la bouche”, donc dans une logique sémantique. L’étymologie-reconstruction se révèle plus rigoureuse que ce qu’on pourrait caractériser comme une étymologie-rattachement qui se fonde sur la cohérence apparente d’une famille lexicale, en pariant sur la faiblesse des risques inhérents à ce choix méthodologique.

3.3. Conclusion L’intérêt le plus général de l’étymologie régressive réside dans les contraintes qu’elle impose à l’étymologisation. Chacune des procédures étymologisantes doit y être justifiée rigoureusement par les régularités de l’évolution formelle et par la logique des évolutions sémantiques appuyée sur des parallèles. Ainsi conçue, elle s’accorde tout à fait avec l’étymologie-histoire, dont elle fortifie la démarche étymologique, parce que ses exigences internes l’obligent à renoncer aux approximations. L’étymologie régressive, qui part des données modernes, ne peut franchir les obstacles qu’elle rencontre qu’en les affrontant méthodiquement : à défaut, elle échoue nécessairement. Dans une perspective plus étroite, l’étymologie régressive est susceptible de surmonter l’absence de documentation historique qui rend muette l’étymologie-histoire. La démarche régressive peut donc non seulement dépasser les limites inhérentes à l’étymologie-histoire, mais elle peut aussi en corriger les insuffisances. Tous comptes faits, étymologie-histoire et étymologie-reconstruction opèrent dans « deux directions de sens opposé, mais complémentaire » de la démarche comparative classique telle que la présentait, par exemple, Benveniste (1969, 8). ATILF-CNRS, Université de Lorraine

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4. Références bibliographiques ALPA = Le Dû, Jean / Brun-Trigaud, Guylaine, 2011. Atlas linguistique des Petites Antilles, Paris, CTHS, vol. 1. Benveniste, Emile, 1969. Le vocabulaire des institutions indo-européennes. 1. Economie, parenté, société, Paris, Editions de Minuit. Brüch, Josef, 1917. « Zu Meyer-Lübkes etymologischem Wörterbuch », ZrP 38, 676-702. Chaudenson, Robert , 1973. « Pour une étude comparée des créoles et parlers français d’outre-mer : survivance et innovation », RLiR 37, 342-371. Chauveau, Jean-Paul, 2007. « Grâce à l’apport des créoles à l’histoire du français, trêve de balivernes! », in : Brasseur, Patrice / Véronique, Georges Daniel, Mondes créoles et francophones. Mélanges offerts à Robert Chaudenson, Paris, L’Harmattan, 189199. Clapin, Sylva, 1894. Dictionnaire canadien-français ou Lexique-glossaire des mots, expressions et locutions ne se trouvant pas dans les dictionnaires courants, Montréal/ Boston, Beauchemin/Clapin. Dunn, Oscar, 1880. Glossaire franco-canadien et vocabulaire de locutions vicieuses usitées au Canada, Québec, Côté. Gauvain, Karine, 2010. L’élargissement sémantique des mots issus du vocabulaire maritime dans les français acadien et québécois, thèse, Québec, Faculté des Lettres de l’Université Laval. JalN = Nouveau glossaire nautique d’Augustin Jal, La Haye/Paris, Mouton/CNRS, 1970-. Merrien, Jean, 1958. Dictionnaire de la mer, Paris, Robert Laffont. Naudeau, Olivier, 1981. “Les Franco-Provençalismes de la Passion Sainte Catherine : faits d’auteur ou apports de copiste? », ZrP 97, 316-328. Ozanam, Jacques, 1691. Dictionnaire mathématique ou idée générale des mathématiques, Paris, Michallet. Poirier, Claude, 1979. « Créoles à base française, français régionaux et français québécois : éclairages réciproques », RLiR 43, 400-425. Reichel, Karl-Heinz, 2005. Grand dictionnaire général auvergnat-français, Nonette, Créer. Thibault, André (ed), 2012. Le français dans les Antilles : études linguistiques, Paris, L’Harmattan. Thomas, Antoine, 1904. Nouveaux Essais de philologie française, Paris, Bouillon. Thomas, Antoine, 1909. « Notes étymologiques et lexicographiques », R 38, 353-405.

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Les avatars conceptuels de la famille du roum. faţă. Le témoignage des traductions de la Bible 1. Bien que, au niveau lexical, la tendance générale dans la rédaction des anciennes traductions en roumain était de trouver les correspondants roumains les plus adéquats aux termes du texte-source et de les utiliser comme tels, souvent, ces textes contiennent des termes entre lesquels s’établissent des relations de synonymie, sans que cela reflète nécessairement la situation du texte-source. À côté de cette situation, il y en a une autre où plusieurs termes du texte-source – ayant des sphères sémantiques quasi-compatibles –, se voyaient assigner par les traducteurs et les réviseurs roumains un même terme roumain ou des doublets de la même famille lexicale 1. Bien sûr, en roumain, ce terme-là, quoi qu’il en fût, avait ses valeurs et ses emplois. Par son utilisation dans des traductions, assez fréquemment, on pouvait le solliciter pour exprimer de nouvelles nuances, et même de nouvelles valeurs. Ce processus fait partie intégrante de celui par lequel les langues développent leur niveau lexico-sémantique. Mais, la simple existence de celui-ci ne conduit pas toujours à la concrétisation des valences du terme, ou au développement de ses possibilités, ou à l’amélioration de ses performances (v. Gafton 2007). Une situation intéressante, capable de nous offrir diverses suggestions, est donnée par l’emploi des mots tels que a făţări, făţărie, făţarnic, făţărnicie. Selon da, en roumain, cette famille présente les formes et les valeurs suivantes : – făţare “feinte, dissimulation, hypocrisie”, – a făţări “être partial, dissimuler”, “feindre”, – făţărie “partialité, dissimulation”, – făţărnicie “dissimulation, hypocrisie” ; – făţarnic “partial, hypocrite, feint”, – a făţărnici “feindre”.

De moins en moins utilisés à présent (restent encore dans l’usage făţarnic et făţărnicie, fort concurrencés par ipocrit et ipocrizie) et donc sur le point de 1



En ce qui concerne la question des sources, voir nos études respectives (Gafton 2005, 2012b).

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devenir archaïques, ces termes sont assez bien représentés dans les anciens textes roumains 2. Les situations où ceux-ci apparaissent dans les anciennes traductions roumaines de textes religieux indiquent tout de même un certain élargissement des possibilités qu’ils avaient, aussi bien que l’apparition d’une concurrence entre eux, jusqu’au point de mettre en péril l’intelligibilité du texte et la position de ces mots dans le système. À cause de cela, nous considérons que ce cas mérite d’être analysé, car il nous offre la possibilité d’observer l’effort que ces termes font pour gagner des positions propres dans le système et rend visibles certains éléments de dynamique lexico-sémantique 3. 2. Quoique les cas énumérés dans ce qui suit soient relativement contemporains (ils apparaissent dans le même texte ou dans des textes qui, sur l’échelle de l’évolution de la langue, sont situés assez près temporellement), ceux-ci présentent des différences qui nous permettent d’observer l’existence de quelques usages différents, capables de surcharger le niveau lexico-sémantique, avec des conséquences diverses, mais qui sont aussi le résultat des caractéristiques contextuelles propres à l’étape respective de développement de la langue. Au XVIe siècle, on rencontre dans les différentes régions du territoire roumain une activité assez soutenue de traduction, qui concerne les divers livres bibliques (avec comme source le texte slavon, grec, latin ou hongrois). Toutefois, ce n’est qu’en 1648, à Alba Iulia (anciennement Bălgrad), en Transylvanie, qu’on a réussi à traduire intégralement le Nouveau Testament (ntb) 4. C’est une traduction d’après la Vulgate, et qui a suivi aussi la Septante et, peut-être, une version allemande. La traduction est conçue d’après la conception protestante, c’est-à-dire qu’elle se préoccupe du lecteur (ou de l’auditoire) qu’elle essaie d’édifier. C’est pourquoi cette traduction utilise pleinement le niveau lexical de la langue commune (sinon les traducteurs utilisent des gloses marginales), mais aussi une syntaxe accessible, sans influence de la part des textes-sources, tout en essayant d’offrir un texte intelligible. Quarante ans plus tard, en 1688, à Bucarest, paraît la traduction intégrale de la Bible (bb). Pour ce qui est de l’Ancien Testament, le texte n’est, en fait, que la traduction faite quelques années plus tôt (1661-1664) par Nico2





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En ce qui concerne l’étymologie, les valeurs et l’évolution, v. da, s.v. făţare et suiv. A făţări et făţărie se trouvaient sur la même position et, par conséquent, en concurrence avec a făţărnici et făţărnicie. Nous avons adopté cette même perspective dans une étude sur le champ sémantique “éduquer” (v. Gafton 2012c). Cf. la bibliographie infra pour les sigles des éditions de la Bible et des livres bibliques.

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lae Milescu, grand érudit moldave, d’après l’édition de la Septante parue à Francfort en 1597. Le texte, révisé par un autre érudit moldave, le métropolite Dosoftei, sera la base de l’Ancien Testament de la Bible de Bucarest (1688). L’autre partie, le Nouveau Testament, a été constituée par la révision valaque du Nouveau Testament de 1648. Bien qu’utilisant des textes traduits par d’autres, et qui ne sont donc pas le résultat d’un travail original de leur part, les auteurs de la Bible de Bucarest n’ont pas fait qu’un simple collage ; ils ont publié le texte après en avoir fait une révision (assez courte d’ailleurs). Leur conception, proche de celle de Nicolae Milescu, très éloignée de celle des auteurs de ntb, est, pratiquement, de reproduire la forme du texte grec, dans les cadres de la langue roumaine. Ils ne s’intéressent pas du tout au lecteur (ou à l’auditoire), mais ils cherchent à ne léser aucunement le texte-source. C’est pourquoi cette version contient de nombreux calques (non seulement au niveau lexico-sémantique, mais aussi au niveau grammatical) et, en général, tend à reproduire les structures de la langue-source dans les formes du roumain, à peu près à tous les niveaux, en forçant les capacités du système de la langue roumaine. En fait, ce livre n’a pas été utilisé et, bien sûr, n’eut aucun impact sur les développements de la langue roumaine. La grande différence entre ces deux textes, ntb et bb, est due à ces deux conceptions différentes : les uns vont construire un texte intelligible pour un auditoire concret et vivant et veulent véhiculer le contenu en respectant le système et l’usage courant ; les autres veulent, principalement, garder la forme du texte et, peut-être, remplacer le modèle slavon par celui du grec, donc construire l’aspect littéraire du roumain selon le modèle grec. 2.1. Une première catégorie de situations se réfère aux noms faţă (précédé ou non par une préposition) et făţărie, qui apparaissent dans des contextes où, autant les termes correspondants des textes slavon, latin et grec, que la traduction correcte, comme celle de la Bible 2001, ainsi que les valeurs imposées par les contextes, portent sur – selon le cas, et la forme qu’ils reçoivent – des sens tels que “impartialité”, “partialité”, “fait de juger (ou non) selon les apparences”. 2.1.1. Le segment de Ap., 10, 34 est rendu dans cb comme suit : « E mai de-adevăru înţelegu că nu spre faţă căută Zeul », ce qui correspond au texte slavon : ne na lica zrit´ b g . Quatre-vingt-dix ans plus tard, à peu près, ntb rendra ainsi le fragment : « Cu adevăr aflu că Dumnezău nu aleage faţa », en traduisant le lat. non est personarum acceptor Deus.

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Le texte reproduit les paroles de saint Pierre, qui renvoie au Dt., 10, 17, où l’on se réfère à Dieu comme à « Celui qui ne regarde pas la face ». L’expression symbolise l’impartialité divine, qui apprécie et juge sans tenir compte des attributs qui, en définitive, sont obtenus toujours grâce à la divinité, celle-ci ne prenant en considération que la manière dont l’être humain manifeste son libre arbitre, en référence directe à la façon dont on observe les commandements de Dieu et dont on suit sa voie. La Bible contient, d’ailleurs, bien des fragments où l’on exprime le même contenu (1Rois, 16, 7 ou la synthèse paulinienne dans Rom., 2, 11 5). Les termes employés dans les versions en grec, latin et slavon de Ap., 10, 34, montrent qu’il s’agit de “face”, même si le texte utilisait cette modalité d’expression afin d’indiquer “l’impartialité” de Dieu, sans tenir compte de ce que l’aspect de l’individu exprime (état physique et/ou psychique, fortune, statut social) 6. Sans changer le sens, cp traduit par « După de-adevăr înţeleg că nu în făţărie caută Dumnezeu », le terme se rapportant à obrăzar “masque”. Par n’importe quelle des solutions présentées, le récepteur accède au contenu à illustrer, “Dieu ne juge pas selon les apparences”, donc “Dieu est impartial”. Cette idée est bien exprimée dans la Bible 2001 : « Cu adevărat cunosc că Domnul nu este părtinitor » (où il y a aussi une note par laquelle on fait la transition de la forme concrète d’expression du texte vers le sens ainsi encrypté : « A nu căuta la faţa omului = a fi imparţial »). 5





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« Pentru că nu iaste făţărnicie lîngă Dumnezău » (bb), qui essaie de rendre : ouj gavr ejstin proswpolhmyiva paraV tw~/ qew~/ ; « Că nu iaste la Dumnezău aleagere de faţă » (ntb), qui traduit : non enim est acceptio personarum apud Deum ; « nu iaste, amu, spre făţărie căutare den Dumnezeu » (cp). ���������������������������������������� La meilleure solution apparaît chez Anania : « Căci la Dumnezeu nu există părtinire ! » (Bible 2001). Par exemple, la séquence : « Să nu făţărniceşti în gurile oamenilor şi în buzile tale păzeaşte-te » (bb, Eccl., 1, 29) Mhv ujp okriqh/"~ ejn stoVm asin ajn qrwvp wn, doit transmettre ce que la Bible 2001 exprime par : « Nu fi făţarnic înaintea oamenilor ». À ce qu’on voit, « în gurile oamenilor » constitue une expression qui véhicule quelque chose d’autre que le sens concret auquel le syntagme renverrait. On met ici face à face deux méta-sémèmes qui ont pour point de départ des expressions douées de concrétude. Bien qu’exprimant des sens différents, respectivement “hypocrisie” et “en public”, à cause de leurs possibilités d’usage, offertes par leur sens proche par métonymie (“devant, in praesentia”), faţă et gură deviennent respectivement deux modalités destinées à signifier la même chose. D’habitude, les situations de ce genre sont déchiffrées pour le lecteur dans ntb, mais pas dans bb. En fait, généralement, c’est ainsi qu’apparaissent les calques, solution des plus déroutantes. Puisque bb reprend d’habitude ce qui apparaît dans le texte grec, que l’expression y soit expliquée ou non, le lecteur de la bb se heurte inévitablement à des difficultés pour déchiffrer le contenu, parce que ce que les réviseurs de ce texte ont en vue c’est, avant tout, la forme. C’est le même cas pour le XVIe siècle, dans la relation avec le slavon.

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À la différence de cela, en s’éloignant de ntb – dans une tentative de suivre de près le texte grec : oujk e[stin proswpolhvm pth" oJ QeoV" – bb semble forcer le terme : « Cu adevărat pricep că nu e făţarnic Dumnezău ». Cette solution, à ce qu’on va voir, est le résultat aussi bien de la mise en relation des deux termes, que du positionnement syntaxique que făţarnic obtient dans bb. On pourrait croire que făţărie et făţarnic n’avaient pas des sphères sémantiques clairement délimitées (l’un par rapport à l’autre et chacun dans le cadre du lexique de la langue), ce qui faisait que, surtout le terme plus récent – făţarnic – a tendance à se laisser charger par les auteurs des traductions de valeurs difficiles à gérer. En même temps, on a eu ainsi l’idée d’utiliser le nom făţarnic avec le sens de “qui se laisse tromper par les hypocrites, qui juge selon l’aspect, partial”. Cette solution – impropre et qui produit de la confusion – n’est pas singulière. 2.1.2. On peut prouver cela par l’observation de cas tels que « Domnu iaste în ceruri, şi făţărie nu iaste la el » (ntb, Ef., 6, 9) – conformément à et personarum acceptio non est apud eum 7 –, à la différence de bb, qui n’arrive pas à dépasser le terme făţărnicie 8 – même si le modèle grec reste évident : « kaiV proswpolhmyiva oujk e[stin par j aujtw~/ . On a une distribution identique dans Col., 3, 25, où, tandis que ntb traduit non est personarum par : « Iară cel ce face obidă, obida va lua, şi nu iaste făţărie », bb recourt à făţărnicie, bien que le texte grec présente « kaiV oujk e[stin proswpolhmyiva 9 ». De même pour 1P, 1, 17 : « Şi să chemaţi Părinte pre acela ce giudecă fără făţărie » (ntb), selon le lat. qui sine acceptione personarum iudicat, tandis que bb rend le gr. « toVn ajp roswpolhvm ptw krivnonta par « Şi deaca chemaţi ‹ părinte › pre cela ce fără făţărnicie judecă » 10. À ce que l’on comprend, il fallait exprimer l’idée de “regarder la face”, afin de produire le sens “partial”, attribut qu’on nie à propos de Dieu. On ne La solution donnée par Coresi, conforme à son style d’agir sur le texte, reste maladroite, sous l’empire de la forme : « că la el nu iaste nici o căutătură » (cp). 8 La Bible 2001 présente : « şi că la el nu există părtinire ». 9 Dans cp on a : « că nu caută Domnului, ce trupului », et dans la Bible 2001 : « şi părtinire nu poate fi », c’est-à-dire “on les jugera selon leurs actions, impartialement”. 10 Dans cb et cv on a : « Şi se Tatăl chemareţi, nu făţărindu » (cb), « Şi se Tatăl chiemaţi, nefăţărîndu » (cv). L’élément souligné correspond, dans le cas des textes du XVIe siècle, au sl. : nelicem™tna (licem™rß avec le sens “ujp okrith~"”, “qui dissimule”). Dans cp la traduction n’est pas adéquate aux nécessités du texte-source : « Tatăl chemaret nefăţarnici ». La Bible 2001 présente : « Şi dacă-l chemaţi ca pe un Tată cel ce cu nepărtinire judecă ». 7



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peut pas dire qu’on ait affaire à des traductions erronées (bien qu’on observe que les traducteurs ont l’intention d’affirmer : « Dieu n’est pas hypocrite »). Évidemment, tous ces textes chargent les termes utilisés de la valeur désirée par les traducteurs/réviseurs et exigée par le texte. « Dieu n’est pas hypocrite » ou « Dieu juge sans hypocrisie » signifie “Dieu juge sans regarder l’aspect, impartialement”. Il y a, quand même, des traductions qui restent inadéquates, parce que la tentative de suivre les textes-modèles, sans avoir un fondement dans la configuration du roumain, fait que le résultat est incorrect. En fait, on ne peut pas concevoir l’équivalence entre părtinitor et făţarnic, de sorte que l’énoncé « Dieu n’est pas partial » équivaille à « Dieu n’est pas hypocrite ». La situation créée, par laquelle on force les limites sémantiques des termes, est favorisée par le fait que le sens des termes roumains n’avait pas encore été stabilisé par un usage de longue durée (ce pourrait être, probablement, un argument de plus en faveur du caractère cultivé et récent de ceux-ci). Si l’on examine le terme grec et sa traduction dans bb on peut considérer que les réviseurs de bb ne connaissaient suffisamment ni l’adjectif, ni le verbe, et n’arrivaient pas non plus à trouver un équivalent roumain adéquat. Il est vrai que le nom proVs wpon avait des sens tels que “visage, figure, face, masque, personne”, et que le vb. lambavn w avait les sens de “saisir, attraper, prendre, contenir, recevoir”. L’adj. gr. proswpolhvpth" et le verbe correspondant, proswpolhptevw, tous les deux propres au texte biblique, devaient, tout de même, être pris en tant que tels dans le processus de la traduction, avec les sens respectifs de “partial, subjectif” et “être partial, subjectif”, et non analysés. Il est évident que les réviseurs de bb n’ont pas consulté les versions du XVIe, et qu’ils ont considéré ntb comme un texte à corriger, en rejetant les suggestions qui s’y trouvaient ou en considérant que, parfois, ils peuvent changer la forme (făţărnicie au lieu de făţărie) sans conséquences, pratique qu’on remarque souvent si l’on compare les deux textes. L’effort des réviseurs de bb de suivre fidèlement le texte grec apparaît aussi dans Gal., 2, 6, où ntb traduit Deus personam hominis non accipit par « Dumnezău făţăriia omului nu priimeaşte » 11, tandis que le gr. proVs wpon oJ qeoV" ajn qrwvp ou ouj lambavnei est rendu dans bb par « faţa omului Dumnezău nu priimeaşte ». Cette fois-ci, le composé n’apparaît plus dans le texte grec, les éléments sont séparés et distanciés, le type de traduction pratiquée jusqu’alors par les réviseurs de bb étant compatible avec cette situation.

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De même, chez Coresi on a « că Domnul nu gîndeaşte de văzătura oamenilor » (cp). Dans la Bible 2001, « Dumnezeu nu caută la faţa omului ».

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Il arrive presque la même chose dans J, 7, 24, où, à côté de « Nu giudecareţi în făţărie » (ntb), qui rend nolite iudicare secundum faciem, bb présente « Nu judecaţi în făţărie », qui traduit le gr. mhv krivnete kat j o[yin 12. Ici également, le texte grec change le terme (comme, d’ailleurs, celui du latin aussi), en utilisant o!yi" “aspect, apparition”. Enfin, dans Iac., 2, 9, où cb, cv et cp traduisent « iară se spre faţă căutaţi », « iară se în făţărie căutaţi », « e să căutaret spre făţărie », en rendant awe li na lica zrite, et ntb traduit par « Iară să veţi căuta în făţărie », qui rend si autem personas accipitis ; en essayant de rendre le même verbe, eij deV proswpolhmptei~te, bb va traduire par « Iară de faceţi făţărie » 13. En plus de la continuelle adaptation du texte bb au texte grec, qui conduit souvent à forcer le sens 14 des termes utilisés, à cause des incompatibilités entre la langue-modèle et le roumain, on remarque que les réviseurs de bb connaissaient le terme făţărie et pouvaient accepter son utilisation (pour l’analyse par segmentation et la traduction conséquente voir aussi infra 3.3., la note). 2.1.3. À côté des cas précédents, celui de Iac., 2, 1 ouvre de nouvelles possibilités d’analyse. Après que les textes du siècle précédent eurent traduit « Fraţii miei, nu întru faţă căutîndu se aveţi credinţa Domnului nostru » (cb), « [F]raţii miei, nu în făţărie prăvindu » (cv), « Fraţii miei, nu în făţărie căutaţi » (cp), pour rendre bratïe noa ne vß lica zrewe, ntb va traduire le lat. nolite in personarum acceptione par « Fraţii miei, să n-aveţi cu făţărnicie credinţa Domnului nostru ». À la différence de celui-ci, de la même manière que dans les cas antérieurs, bb révise le segment de ntb et considère que le gr. mhv ejn proswpolhmyivai" sera rendu au mieux par « Fraţii miei, nu întru făţării aveţi credinţa Domnului nostru » 15. Dans un autre fragment, où il est question des jugements subjectifs des prêtres, bb traduit le gr. ajllaV ejl ambavnete proVs wpa evn noVm w~/ par « Şi eu am dat Dans la Bible 2001 on a « Nu judecaţi după înfăţişare ». Les traductions antérieures à bb sont confirmées aussi par la Bible 2001 : « dar dacă cu părtinire cătaţi la faţa omului». 14 Il est plutôt improbable que ces termes aient pu finir par acquérir ces sens et ces usages s’ils avaient été utilisés par le locuteur sans être sous la forte influence d’un texte étranger. Le fait que ntb – texte orienté vers le lecteur et ayant comme principal enjeu une large compréhensibilité du texte – cherche à utiliser les termes sans forcer le système et les habitudes du locuteur en est, à notre avis, la meilleure preuve. D’ailleurs, la dominante de bb est de suivre à tout prix le texte grec, alors que celle de ntb est de mettre le contenu à la portée du lecteur (public). 15 La Bible 2001 présente « Fraţii mei, nu întru părtinire să vă aveţi voi credinţa în Domnul nostru ». 12 13

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pre voi defăimaţi şi lepădaţi la toate limbile, pentru care voi n-aţi păzit căile meale ce făţăriiaţi în leage » (bb, Malach., 2, 9) 16, en utilisant le verbe. On remarque pour le moment que, à côté des cas où, au lieu du nom făţărie de ntb, le texte valaque a présenté le nom făţărnicie, lorsqu’il fallait traduire “objectivité, impartialité / partialité” – concepts exprimés au XVIe siècle, tout comme dans ntb, aussi par des locutions ayant comme noyau le nom faţă – on a des situations où bb utilise faţă et făţărie, mais également des cas où ntb utilise făţărnicie. À notre avis, ces aspects sont significatifs en ce qui concerne les possibilités dont étaient investis les termes plus récents, comme ceux dont on parle ici. On pourrait donc considérer que les traducteurs et les réviseurs croyaient que făţărnicie était capable de porter la valeur avec laquelle on utilisait făţărie. Si les choses en sont là, cela signifie que, à l’époque, il y avait un dilemme en ce qui concerne les sens de ces termes, dont les valences s’accumulaient ; par conséquent, une concurrence s’installait entre deux termes de la même famille, qui n’auraient pas dû entretenir de tels rapports 17. Autrement dit, les locuteurs ne confondaient pas les termes à positions stables, mais les mots dont les positions dans le système étaient en mouvement et qui pouvaient donner l’impression qu’ils portent les mêmes valeurs. 3. À partir du sens de “visage, aspect”, les termes observés ci-dessus avaient à rendre, métaphoriquement, le sens de “(im)partialité” 18. En grec, latin et slavon, ils correspondaient à des termes tels que proswpolhvm pth", proswpolhptevw, persona, et licem™rß, lica. Si on a en vue le sens d’origine et, ensuite, le sens final, on observe qu’il y a entre eux une distance qu’il est plus difficile d’apercevoir, à cause du sens final, mais dont l’état de latence rend aussi plus difficile l’explication du sens initial par le sens final. En d’autres termes, entre “aspect” et “impartialité” il faut qu’il y ait une liaison, même si elle n’est pas de l’ordre de l’évidence. Dans la Bible 2001 : « nu aţi păzit căile Mele, ci-n cumpănirea legii aţi cătat la faţa omului ». 17 Ce cas est typique pour illustrer la divergence entre les évolutions par voie naturelle, quand un terme est dans l’usage commun du locuteur et suit la trajectoire offerte par les possibilités données par l’étymologie du terme en combinaison avec les propensions du système et les habitudes des locuteurs, d’une part, et, d’autre part, les actions des traducteurs, coincés entre les sollicitations du texte, le modèle représenté par la langue-source et les possibilités de la langue-cible. 18 On rencontre aussi des situations de ce genre dans d’autres types de textes, dont les sources restent obscures : « egumenul să fie preut şi să grijască de toţi ca un părinte de feciorii săi, şi făr[ă] făţărie să socotească, să împarţă tuturor într-un chip » (drb 131, 1-3) ; « Aşa iaste şi lucrul postului, că cela ce-l va ţinea postul cumu se cade şi fără făţărie, mare folos va avea » (ccî, 49, 21-22). 16

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3.1. Dans tous les exemples antérieurs il s’agit de situations où apparaît une expression biblique dont l’élément central porte sur “face, visage, aspect”. À partir d’un terme qui exprime l’aspect de quelqu’un (physionomie, habits etc.) et qui comporte des implications sur l’état de santé (physique, mentale, psychique), position sociale etc., peut naître une métaphore nouvelle. Vu qu’une personne douée d’un aspect qui correspond à des exigences d’ordre biologique et social, peut bénéficier – plus facilement et grâce seulement à ces données bio-sociales – de traitements privilégiés, le conseil de ne pas juger selon l’apparence arrive à signifier “ne pas favoriser” (quelqu’un qu’on juge pour ses faits et conformément à des lois spécifiques, selon des éléments extérieurs par rapport à ces faits et à ces lois). Les formes d’expression en question arrivent ainsi à équivaloir à une impulsion de dépassement (par leur élucidation) des éléments qui n’appartiennent pas à la ‘cause’, une impulsion vers l’impartialité. Mais, d’autre part, si l’aspect a une telle force qu’il peut déterminer des jugements qui n’y sont pas liés, l’individu peut être tenté de se procurer un aspect qui ne lui est pas propre (ce qui peut contribuer non seulement à ce que le ‘juge’ soit trompé, mais peut aussi entraîner celui-ci à se laisser tromper, avec, d’ailleurs, une excuse plausible, à savoir qu’il s’est trompé à cause du décalage entre l’apparence et l’essence). Cet acte est une “dissimulation”, qui conduit (car c’est son premier but) à la “tromperie” 19. 3.1.1. Provenant de la même origine, suivant la même voie, jusqu’à un certain point, un nouveau sens surgit qu’on peut exprimer au moyen du même terme. À cause de cela, des situations apparaissent où – sans avoir le textesource – bien qu’il soit possible d’avoir en vue leur appartenance au sens de “partialité”, il est assez difficile d’exclure le sens de “dissimulation” : « că mă ducu eu acolo unde făţerie nu este » (cs, 260, 15-16). 3.1.2. Le vrai caractère de cette impasse devient évident au moment où l’on regarde les syntagmes : « dragoste fără de făţărie » (bb, 2Cor., 6, 6), « în dragoste nefăţarnică » (ntb), « în dragoste curată » (cp) ; « în iubire nefăţarnică » (Bible 2001). Il est difficile de savoir ce qu’on entendait à l’époque (ou ce qu’on entend à présent) à la réception de ces segments. Mais si nous envisageons les traducteurs et les réviseurs, nous pouvons nous considérer avisés sur ce qu’ils auraient dû comprendre, face au texte grec ou latin : ejn ajgavph/ ajn upokrivtw/, in caritate non ficta, tous les deux en indiquant qu’il s’agit de “dissimulation” 20. Voir Arvinte 2001 ; Gafton 2007a. Voir aussi « Iară săvîrşitul poruncii iaste dragostea den curată inimă şi ştiinţă bună şi credinţă fără făţărie » (bb, 1Tim., 1, 5), pour kaiV pivs tew" ajn upokrivtou, et « ştiinţa

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3.1.3. Le risque de confusion apparaît aussi dans les deux situations suivantes : « Deci, lepădînd toată răutatea şi tot vicleşugul şi făţărniciile şi zavistiile şi toate muzaviriile » (bb, 1P, 2, 1), « Derept aceaia, părăsind toată răutatea şi toată înşălăciunea şi făţăriile şi zavistiile şi toate clevetele » (ntb), où les fragments soulignés traduisent ujp okrivs ei" et simulationes 21 ; « Sufletele voastre curăţîndu-le cu ascultarea adevărului pren Duh, întru iubire frăţască fără făţărie, den curată inimă » (bb, 1P, I, 22), « Inimile voastre curăţind întru ascultarea adevărului prin Duh, în dragostea frăţească, nefăţarnică, din inimă curată » (ntb) ajn upoVk riton, simplici 22.

Quelques observations s’imposent sur ces deux cas. Premièrement, la relation avec le sens premier se maintient et elle est chaque fois visible. À la différence du cas “impartialité” / “partialité”, pour “dissimulation, tromperie”, la distance par rapport au sens fondamental est plus réduite, et le locuteur peut encore la récupérer. Deuxièmement, les deux contextes ci-dessus – identiques du point de vue sémantique –, montrent que les termes s’inversent (pour les textes du siècle précédent, on remarque que le premier cas utilise le même terme, tandis que le deuxième inclut les deux termes). Donc, făţărie et făţărnicie apparaissent aussi bien dans bb que dans ntb (quoique la source ntb présente un changement de terme, cela ne change pas la situation qui nous intéresse), ce qui signifie que les préférences n’avaient pas une force absolue ou qu’il n’y avait pas de contraintes d’ordre sémantique. On en déduit que les deux termes étaient acceptables pour les auteurs des textes respectifs et que, comme dans le cas “impartialité” / “partialité”, ils pouvaient exprimer le même sens 23. 3.2. Au-delà des exemples où les termes en question conservaient des traces de leur parcours sémantique ou des cas où les contextes, aussi bien que leurs valeurs potentielles, pouvaient les amener vers des zones d’interférence sémantique, il y a aussi des situations où ils expriment, sans équivoque, le sens de “dissimulation, tromperie”. bună şi credinţa nefăţarnică » (ntb) pour et fide non ficta. Chez Coresi on a nefaţarnică et chez Anania, « credinţă nefăţarnică ». 21 Dans les textes du XVIe siècle, déjà, la situation n’est pas différente : « Părăsiţi, amu, toate realele şi toată gîmbosea şi făţăriă şi rîvnea şi toate clevetele » (cb), « Părrăsiţi, amu, totu rreul şi totu hiclenşigul şi făţăriia şi zavistul şi toate clevetele » (cv), « părăsiţi, amu, tot răul şi toate hicleşugurile şi făţăriile şi urîciunile şi toate clevetele » (cp), où le terme analysé a pour correspondant le sl. lic™m™rïe. 22 Dans les textes du XVIe siècle : « frăţie dragă nefăţărită dintru curata inimă » (cb), « iuboste nefăţarrnic[ă] » (cv), « nefăţarnici » (cp) qui traduisent le sl. nelicem™rno. 23 Sur la relation entre ntb et bb, voir Gafton 2002.

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3.2.1. C’est le cas dans Gal., 2, 13, où ntb présente la traduction suivante : « Şi să arăta a fi cu ei împreună şi ceialalţi jidovi, aşa cît şi Varnava să trăgea cu făţărniciia lor ». Le correspondant latin est : Et simulationi eius consenserunt ceteri Iudaei, ita ut Barnabas duceretur ab eis in illam simulationem, ce qui correspond au gr. kaiV sunupekrivqhsan aujtw~/ kaiV oij loipoiV Ij oudai~oi, w@ste kaiV Barnavb a" sunaphvcqh oij aujtw~n th/~ ujp okrivs ei, traduit dans bb par « Şi împreună făţărniciră cu el şi ceialalţi jidovi, cît şi Varnava împreună să luo cu a lor făţărnicie » 24. Au-delà de la tentative des érudits transylvains – dans la première partie du verset – de traduire à la portée du lecteur 25, en utilisant des termes différents pour le même terme du texte latin, dans ce cas, “la feinte, la dissimulation” sont transmises par les deux textes. Il faut aussi observer que tous les deux le font par l’intermédiaire du même mot, făţărnicie. 3.2.2. Dans les situations suivantes, on enregistre toujours un haut degré de stabilité sémantique pour “dissimulation” : « Şi acesta, viind la Ierusalím şi chip de pace făţărnicind » (bb, 2Macc., 5, 25), qui traduit O%uto" deV paragenoVm eno" eij" IJ erosoVl uma, kaiV tonV eijrhnikoVn ujp okriqeiV" 26 ; « să făţărească, ca cum are mînca ceale ce de împăratul sînt rînduite, den cărnurile cealea ale jîrtvei » (bb, 2Macc., 6, 21), qui traduit ujp okriqh~nai deV wJ" ejs wivonta ; « Noi, dară, den ceale fripte cărnuri vom pune, şi tu, făţărind că guşti den ceale de porc, te mîntuiaşte » (bb, Iosip, 1145a, 42-44) ; « Pentru că nu iaste vreadnic vîrstei noastre a făţărnici » (bb, 2Macc., 6, 24), qui traduit ouj gaVr th~" hJm etevr a" hJlikiva " a!xioVn ejs tin ujp okriqh~nai 27 ;

«  Şi împreună cu el s-au făţărnicit şi ceilalţi iudei, încât până şi Barnaba a fost atras în făţărnicia lor » (Anania), avec une note pour le verbe mis en évidence : « ils se sont engagés dans le double jeu de Pierre ». 25 D’ailleurs, dans ntb on essaie constamment de trouver des solutions, en raison de l’intérêt que l’on porte à la compréhension du texte par le lecteur. C’est pourquoi, à la différence de « Şi păzind, au trimis prilăstitori, făţărnicind pre sine a fi direpţi, ca să-l prinză pre el în cuvînt, ca să-l dea pre el împărăţiei şi puterii diregătoriului » (bb, Lc., 20, 20), d’après KaiV parathrhvs ante" ajp evs teilan ejn kaqevtou", ujp okrinomevnou" eja utouV" dikaivo u" ei n\ ai, on trouve dans ntb « Derept aceaia luînd aminte pre El, trimisără leşuitori, carii să făcea pre sine a fi derepţi », en essayant ainsi de traduire Et observantes miserunt insidiatores, qui se iustos simularent. 26 Dans la Bible 2001 : « s-a prefăcut a fi paşnic ». 27 Dans la Bible 2001, le traducteur fait le choix (tout comme, d’ailleurs, dans le verset suivant) d’un autre genre de traduction, qui ne laisse pas voir, toutefois, le sens à exprimer : « Nu se cuvine ca la vîrsta noastră să ne jucăm de-a v-aţi ascunselea ». Audelà de tout commentaire, il convient d’observer que, à notre avis, l’option du traducteur découle aussi du fait que, dans ces segments, le discours acquiert des accents qui mettent en opposition l’attitude de haute moralité d’Eléazar et le conseil puéril des organisateurs du festin, ce que, à ce qu’on voit, le traducteur a voulu souligner. 24

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« Şi ei, pentru a mea făţărnicie şi pentru cea puţină şi scurtă viaţă, să vor rătăci pren mine, şi urîciune şi pîngăriciune bătrîneaţelor voiu pune » (bb, 2Macc., 6, 25), qui traduit kaiV aujtoiV diaV thvn ejmhvn ujp oVk risin ; « Cel ce cearcă leagea sătura-să-va de dînsa, şi cel ce făţăreaşte scîrbi-să-va întru el » (bb, Eccl., 32, 15), qui traduit O J zhtw~n noVm on ejm plhsqhvs etai aujtou~, kaiV oJ ujp okrinoVm eno" skandalisqhvs etai ejn aujt w~/ , où “feindre” devient “agir insidieusement, traîtreusement”. L’essence de l’idée est reprise dans Eccl., 33, 2 : « Bărbatul înţelept nu va urî leagea, iară cel ce făţăreaşte într-însa iaste ca corabiia în furtună » (bb), qui traduit jAnhvr swfoV" ouj mishvs ei noVm on : oJ deV ujp okrinoVm ono" ejn aujt w~,/ wJ" ejn kataigivdi ploi~on. Chez Anania on a « cel ce se joacă cu ea », l’auteur rédigeant une note (bien sûr, puisqu’il tient ainsi à s’exprimer) par laquelle il renvoie à l’homme hypocrite. À notre avis, le sens à rendre était celui de “déformer, dénaturer” (par dissimulation) 28. « Aşa şi voi, den afară vă arătaţi oamenilor direpţi, iară denlăuntru plini sînteţi de făţăriia nelegiuirii » (bb, Mt., 23, 28), qui traduit e[s wden deV ejs te mestoiV ujp okri -v sew" kaiV ajnomiva ", à côté de « Aşia şi voi, din afară vă arătaţi oamenilor derepţi, den lăuntru, plini sînteţi de făţărie şi de strîmbătate » (ntb), qui traduit pleni estis hypocrisi, et iniquitate.

3.2.3. Par l’intermédiaire des mêmes termes, le concept apparaît comme plus clairement défini dans sa zone abstraite, les contextes suivants arrivant à porter le noyau de sens des termes ; c’est par de pareils emplois que les valences des termes se figent et que l’équivalence se produit entre ce qu’ils doivent exprimer et ce qu’ils réussissent à exprimer : « Vai de voi, cărtulari şi farisei făţarnici, că încungiuraţi marea şi uscatul să faceţi den păgîn jidov şi cînd va fi făcut, faceţi pre el fiiul Gheennei » (ntb, Mt., 23, 15), « Vai de voi, cărturari şi farisei făţarnici ! » (bb), où les éléments mis en évidence ont pour correspondants, respectivement, le lat. hypocritae et le gr. ujp okritaiv 29. « Iară El, ştiind făţăriia lor, zise lor : ‹ Ce Mă ispitiţi ? › » (ntb, Mc., 12, 15), « Iară el, ştiind făţăriia lor, zise lor » (bb), d’après, respectivement, Qui sciens versutiam illorum, ait illis et oJ deV eijd wv" aujt w~n thvn ujp oVk risin ei[p en aujtoi~". « Întîiu vă păziţi de aluatul fariseilor, care iaste făţăriia » (ntb, Lc., 12, 1), « Întîiu, luaţi-vă aminte pre voi de aluatul fariseilor, care iaste făţărie » (bb), selon Attendite a fermento Pharisaeorum, quod est hypocrisis et prosevcete eja utoi~" ajp oV th~" zuvm h", h@ti" ejs tiVn ujp oVk risi". « Întru făţăriia grăitorilor minciuni aprinşi fiind în ştiinţa lor » (ntb, 1Tim., 4, 2), « Întru făţărniciia celor mincinoşi la cuvinte, arşi fiind cu a lor ştiinţă » (bb), qui traduisent in hypocrisi et ejn ujp okrivs ei.

Cf. également : « Şti Domnedzeu inrima ta şi înţeleage toate cugetele tale şi veade toate făţările tale şi plecatul tău ainte încă de cuvîntul tău » (cs 298, 15-16). 29 Ce terme, qu’on associe aux pharisiens, pour lequel voir aussi Mt., 23, 13-15, apparaît souvent dans l’Evangile selon Matthieu. 28

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3.3. Dans les situations présentées ci-dessus, les termes de bb qui font l’objet de notre intérêt rendent les formes grecques ujp okrivn w et ujp okrivsi", qui signifient respectivement “différencier ou séparer, répondre, expliquer, interpréter, jouer un rôle, contrefaire, changer, dissimuler”, ensuite “regarder la face, l’aspect, regarder subjectivement”, et “réponse, pantomime, apparence, dissimulation” 30. La traduction d’un fragment plus problématique, qui a induit en erreur les réviseurs valaques, est significative pour les risques de confusion lors de la traduction, pour le désir de suivre le texte grec à tout prix et pour les erreurs auxquelles conduit l’existence des sens plausibles. À cause du caractère sacrosaint du mot, l’une des plus terribles fautes, probablement, c’est la prononciation d’un serment. Après qu’on énonce l’interdiction de nommer en vain le nom de Dieu (Ex., 20, 7), le problème du caractère sacrosaint du mot est traité dans la plupart des livres bibliques. Tandis que dans le Lévitique et dans Nombres on accepte toujours le serment (surtout dans Num., 30, ensuite Dt. 23, 22), par la parole de Jésus, dans le Nouveau Testament (Mt., 5, 33-37), celui-ci est totalement interdit (cf. Gafton 2005). Dans le cadre de son discours complexe, Jacques reprend cette interdiction, mais en même temps il offre une solution, dans l’esprit des conseils qu’il donne, et dans celui, général, de l’Epître : « Iară mainte de toate, fraţii miei, nu giurareţi nece pre cer, nece pre pămînt, nece cu alt giurămîntu, iară cuvîntul vostru fie aşia : ‹ ei, ce nu e nu-i › 31, ca să nu cădeţi în giudecată » (ntb, Iac., 5, 12) ; « Şi mai nainte de toate, fraţii miei, nu vă juraţi nice pre ceriu, nice pre pămînt, nice pre alt orice jurămînt. Ce fie voao : ‹ Aşa ! ›, aşa şi ‹ Nu ! ›, nu, ca nu în făţărnicie să cădeţi ! » (bb), en grec h!tw deV ujm w~n toV naiV naiV, kaiV toV ou! ou!, i@na mhv ujp oV krivsin pevshte, et en latin Sit autem sermo vester. Est, est : Non, non : ut non sub iudicio decidatis 32. La traduction de 2001 parvient à exprimer Les gr. krivsi" et krivn w se réfèrent à une “distinction, dispute entre, choix, séparation”, d’où “contestation judiciaire”, et puis “procès, jugement, sentence, condamnation”. Le préfixoïde ujp oV-, préposition et adverbe, signifie “sous, dessous”, et peut porter aussi des sens de la catégorie : “insidieusement, cache, apparence, approximation, inexactitude” (d’où le péril de l’inconnu qui peut attaquer à tout moment). 31 On croit que la segmentation indique une omission des éditeurs de ntb, car il aurait fallu qu’il y ait : « […] cuvîntul vostru fie : ‹ Aşia ! ›, ei, ce nu e, nu-i », où ei est une forme de l’affirmation, reprise du slavon (voir aussi la réponse de Saphire, dans cb, fa, 5, 8). 32 Les textes du XVIe siècle présentent « fraţii miei, nu jurareţi-vă, nice cu ceriul, nice cu pămîntul, nice cu altul cu carevare jurămîntu. Ce fie voao : ce iaste, iaste şi ce nu e, nu e, dereptu se nu întru făţărie cădeţi » (cb) ; « fraţii miei, nu vă giurareţi, nece cu ceriul, nece cu [pă]mîntul, nece cu altul oarecarele giurămîntu. Ce fie, amu, voao : cia ce iaste, ee şi ceaia ce nu e, nu, se nu în făţărie cădeţi » (cv) ; « fraţii miei, nu vă 30

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avec exactitude l’idée de la parfaite concordance entre la parole et l’action, de la concrétisation fidèle de la parole : « Dar înainte de toate, fraţii mei, să nu vă juraţi, nici pe cer, nici pe pămînt, nici cu orice alt jurămînt ; ci Da-ul vostru să fie da şi Nu-ul vostru să fie nu, ca să nu cădeţi sub judecată » (Bible 2001) 33. Dans le contexte de cette formulation catégorique, on pourrait croire que les deux traductions sont également acceptables (celui qui fait un faux serment, ou auquel il arrive de ne pas pouvoir tenir sa parole, peut être jugé, tout comme, à la suite du faux serment ou de la promesse non-respectée, il peut être considéré comme hypocrite), bien que les limites soient devenues trop larges. Si l’on regarde la version grecque, on observe cependant qu’il ne s’agit pas de pokrivsi" “dissimulation”, mais de ujp oV- “sous, dessous” et de krivsi" “procès, jugement”. Le sens des termes antérieurs a pour point de départ l’aspect, étant donné qu’il existe une tendance à considérer qu’entre l’apparence et l’essence il y a une relation presque dépourvue d’articulation, donc de congruence. D’où il résulte la tendance de juger selon l’aspect. Quand même, non seulement l’aspect a un caractère labile, mais, vue la tentation mentionnée, on est tenté aussi d’utiliser frauduleusement ce type de signal. Par conséquent, il se crée une relation entre “aspect” et “contrefaçon”. Les textes bibliques emploient ces termes avec les sens qu’ils avaient en grec, antérieurement à la traduction de la Bible. D’ailleurs, même les options des traducteurs sont déterminées par la préexistence des sens, des nuances et des usages de ces termes 34. 4. Les situations antérieures concernent l’utilisation, dans les anciennes traductions roumaines, des vb. a făţărnici, a făţări et du nom făţărnicie, făţărie – pratiquement, toutes les possibilités formelles existantes. Les sens avec lesquels ces termes apparaissent sont, essentiellement, “être partial”, “feindre, simuler”, et “partialité”, “dissimulation”, qui, tous, ont pour point de départ un sens concret qui a créé une image, raffinée progressivement par abstraction et associations d’idées. Les séquences citées nous montrent que, pratiquement, les paires mentionnées étaient dans des relations de synonymie – jurareţi nece pre ceriu, nece pre pămînt, nece cu alt fie ce blăstem. Fie voao : ce iaste, iaste, e ce nu e, nu, de nu în făţărie să cădeţi » (cp). Bien que l’unité du segment final semble remarquable, elle découle de ce qui apparaît dans le texte slavon : da ne vß licem™rïe v´padaete. 33 Une discussion spéciale dans Gafton 2011. 34 Il y a de nombreuses situations où le texte biblique, et surtout le Nouveau Testament, a essayé de conférer de nouveaux sens aux termes ou d’employer des termes à caractère neutre, libres de marques ou de connotations pré-chrétiennes. Bien sûr, cela – la constitution d’une langue biblique – n’a pas pu être entièrement réalisé.

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pour les deux catégories de sens. De même, tous ces mots circulaient dans les textes indiqués. Même dans le cas où l’on peut constater des préférences pour un certain terme, on peut affirmer que celles-ci ne sont déterminées ni par les valeurs sémantiques de celui-ci, ni par un usage préféré, qui résulte des contraintes d’ordre linguistique. Cette situation nous apprend aussi que, dans le cas où le texte résulte de la révision d’une version antérieure, mais avec une rigoureuse observation et un contrôle détaillé, exercés par l’intermédiaire d’une version unique, au-delà des risques inhérents, pourrait apparaître également l’avantage que, en bénéficiant d’une traduction de qualité et en suivant l’original à l’aide d’un texte bien compris, qui permet des interprétations et des orientations correctes du texte, le hasard fait que les équivalents dans la langue-cible soient adéquats aux formes à traduire, ou qu’ils possèdent des valences libres et compatibles avec les nécessités de la traduction à ce moment-là. Dans de pareils cas, le terme utilisé a des chances d’évoluer dans la direction que la traduction impose, ce qui peut être au profit de la langue. Si la situation ne correspond pas à ce cas de figure, et le terme n’est pas le plus adéquat (à cause de ses valences naturelles, aussi bien que des contraintes imposées par l’univers lexical de la langue-cible), sa sphère sémantique peut être forcée par divers traits de contenu, ou acquérir des nuances par attraction, qui ne sont pas propres à ses valeurs (ou compatibles avec celles-ci), et qui changent sa trajectoire sémantique (voir Gafton 2012a). La situation suivante est significative pour la manière dont le traducteur doit se frayer un chemin à travers le réseau des sens et des mots de la langue, à cause des divers conditionnements. Dans Iac., 3, 17, les textes du XVIe siècle présentent « E a susului preamîndrie ainte, amu, curată iaste, e după aceaia cu pace blîndă, bună, supunetoare, împlută de bună mesereare şi de faptul bunelor, nepărut şi nefăţărită » (cb), « fără păreare şi nefăţarrnică » (cv), « negînditoriu şi nefăţarnic » (cp), les termes soulignés ayant pour correspondant nesumena i nelic™m™rnaa. Au siècle suivant, on rend la séquence par, respectivement, « fără osîndire şi fără făţărie » (ntb) pour non iudicans, sine simulatione et « neîndoită cu gîndul şi nefăţarnică » (bb) pour ajdiavk rito", ajn upoVk rito". Ces solutions correspondent et sont acceptables, conformes aux sollicitations du texte à traduire, qui exigeait respectivement les sens de “qui ne fait pas de distinctions, de différenciations, qui ne sépare pas”, donc “impartial”, et “sincère, qui n’est pas hypocrite”. De manière juste, la Bible 2001, traduit ici par «  nepărtinitoare, nefăţarnică ». Après avoir utilisé ces termes dans la même position, le traducteur se voit mis dans la situation de les placer l’un après l’autre, afin de rendre

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deux sens. Mais, le hasard fait que făţarnic a acquis – par son utilisation dans des traductions – les deux sens. D’une part, donc, deux termes de la même famille lexicale peuvent entrer en concurrence, puisqu’ils ont la capacité de véhiculer le même sens ; d’autre part, chacun d’eux lutte non seulement pour gagner une position plus certaine et plus stable dans le cadre du système, mais aussi pour éliminer l’autre. Au bout du compte, la répartition des termes ne respecte pas une certaine règle de distribution, ne poursuit pas des buts et n’a pas en vue des valeurs. La simple possibilité, que le système offre et que l’usage concrétise, devient, au moment où l’on tente de dresser une norme, un problème que les traducteurs s’efforcent de résoudre. C’est un cas où la norme en formation hésite, au niveau de l’individu, entre la tendance naturelle à utiliser toutes les ressources existantes, et la tendance culturelle à ordonner le système conformément à des principes, y compris celui de l’efficacité. La lutte des termes pour survivre se déroule dans la conscience des traducteurs et des récepteurs, qui font des spéculations à propos des possibilités d’expression des termes et des capacités de ceux-ci à offrir des avantages au système. Il y a pourtant des cas où l’élargissement des possibilités entraîne des pertes d’identité et des conflits avec d’autres termes. Dans le cas où les deux termes se trouvent dans une telle position, les chances les plus grandes de résister appartiennent à celui d’entre eux qui est favorisé par des facteurs formels (la capacité de s’intégrer dans des séries formelles et de fonctionner comme tel), mais aussi de contenu (la capacité de renoncer à certains traits de contenu), et aussi par divers facteurs contextuels (cf. Gafton 2010a ; 2010b). Université Alexandru Ioan Cuza, Iaşi

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5. Bibliographie 5.1. Sigles des livres bibliques cités Ex. = L’Exode

J = L’Évangile selon saint Jean

Num. = Les Nombres

Ap. = Les Actes des Apôtres

Dt. = Le Deutéronome

Rom. = L’Épître aux Romains

1Rois = Premier Livre des Rois

2Cor. = Deuxième Épître aux Corinthiens

2Macc. = Deuxième Livre des Maccabées

Gal. = L’Épître aux Galates

Eccl. L’Ecclésiastique

Ef. = L’Épître aux Éphésiens

Malach.= Malachie

Col. = L’Épître aux Colossiens

Iosip = Le Livre de Joseph (apocryphe)

1Tim. = Première épître à Timothée

Mt. = L’Évangile selon saint Matthieu

Iac. = Épître de saint Jacques

Mc. = L’Évangile selon saint Marc

1P = Première Épître de saint Pierre

Lc. = L’Évangile selon saint Luc

5.2. Éditions de la Bible et des anciens textes roumains bb = Biblia 1688, 2001, 2002. (ed. Vasile Arvinte et Ioan Caproşu), Iaşi, Editura Universităţii Alexandru Ioan Cuza, 2 tomes. Bible 2001 = Biblia […] 2001. (ed. Bartolomeu Valeriu Anania), Bucureşti, Editura Institutului Biblic. Biblia sacra secundum Vulgatam clementinam […] 1922. (ed. Michael Hetzenauer), Ratisbonae, S. Sedis Apost. et Rit. Congr. Typogr. cb = Codicele Bratul, 2003. (ed. Alexandru Gafton), Iaşi, Editura Universităţii Alexandru Ioan Cuza. ccî = Coresi, Carte cu învăţătură (1581), 1914. (ed. Sextil Puşcariu et Alexie Procopovici), Bucureşti, Imprimeria Socec. cp = « Lucrul Apostolesc. Apostolul tipărit de diaconul Coresi la Braşov în anul 1563 », 1930, dans : (ed. Ion Bianu) Texte de limbă din secolul XVI, Bucureşti, Tiparul Cultura Naţională. cs = Codex Sturdzanus 1993. (ed. Gheorghe Chivu), Bucureşti, Editura Academiei. cv = Codicele Voroneţean, 1981. (ed. Mariana Costinescu), Bucureşti, Editura Academiei. drb = Documente româneşti 1907. (ed. Ion Bianu), Bucureşti, Institutul Carl Göbl, Ier t., fasc. 1-2. La Bible de Jérusalem (...) 1975. (ed. R. de Vaux et al.), Paris, Desclee de Brouwer. La Sainte Bible Polyglotte, 1900. (ed. Fulcran Grégoire Vigouroux), Paris, Roger et Chernoviz, Ier t. Novum Testamentum Graece et Latine, 1984 (ed. Eberhard Nestle, Erwin Nestle, Kurt Aland, Barbara Aland), Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft.

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ntb = Noul Testament, 1998. (ed. Eva Mîrza), Alba Iulia, Editura Reîntregirea. Sainte Bible 1843 (ed. Louis de Carrières), Lille, L. Lefort, Ier t. Septuaginta. Id est Vetus Testamentum Graece ixta 70 interpretes […] 1935. (ed. Alfred Rahlfs), Stuttgart, Privilegierte württembergische Bibelanstalt, II tomes.

5.3. Articles et ouvrages Arvinte, Vasile, 2001. « Normele limbii literare în Biblia de la Bucureşti (1688) », in : Arvinte, Vasile / Caproşu, Ioan (ed.), Biblia 1688, Iaşi, Editura Universităţii Alexandru Ioan Cuza, Ier t., I-CLXXXIV. Bailly, Anatole, 1996. Dictionnaire Grec-Français, (ed. Louis Séchan et Pierre Chantraine), Paris, Hachette. Chantraine, Pierre, 1983. Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots, Paris, Klincksieck. Densusianu, Ovid, 1901, 1938. Histoire de la langue roumaine, Paris, Ernest Leroux, 2 tomes. Ernout-Meillet = Alfred Ernout, Antoine Meillet, 1932. Dictionnaire étymologique de la langue latine. Histoire des mots, Paris, Klincksieck. Gafton, Alexandru, 2001. Evoluţia limbii române prin traduceri biblice din secolul al XVI-lea, Iaşi, Editura Universităţii Alexandru Ioan Cuza. Gafton, Alexandru, 2002. « Relaţia dintre Noul Testament de la Bălgrad (1648) şi textul corespunzător din Biblia de la Bucureşti (1688) », in : Arvinte, Vasile / Caproşu, Ioan (ed.), Biblia 1688, Iaşi, Editura Universităţii Alexandru Ioan Cuza, t. II, p. lv-lxxxvi. Gafton, Alexandru, 2005. După Luther. Traducerea vechilor texte biblice, Iaşi, Editura Universităţii Alexandru Ioan Cuza. Gafton, Alexandru 2007a. « Palia de la Orăştie ca traducere », in : Gafton, Alexandru / Arvinte, Vasile (ed.), Palia de la Orăştie. Studii, Iaşi, 7-256. Gafton, Alexandru, 2007b. « Polivalenţa la nivel lexical. Un caz : vrom. a ţinea », in : Analele Universităţii Alexandru Ioan Cuza, III.e Lingvistică, Editura Universităţii Alexandru Ioan Cuza, 37-50. Gafton, Alexandru 2010a. « Consecinţele profunde ale contactelor lingvistice », in : Chivu, Gheorghe / Uţă-Bărbulescu, Oana (ed.), Studii de limba română. Omagiu profesorului Grigore Brâncuş, Bucureşti, Editura Universităţii Bucureşti, 77-100. Gafton, Alexandru 2010b. « Principiul diacronic în edificarea normei literare », in : Zafiu, Rodica, et al. (ed.), Limba română : controverse, delimitări, noi ipoteze, actele celui de-al 9-lea colocviu al catedrei de limba română, Bucureşti, Editura Universităţii Bucureşti, Ier t., 347-353. Gafton, Alexandru 2011. « Asupra unei traduceri din Biblia de la 1688 », in : Chivu, Gheorghe, et al. (ed.), Filologie şi bibliologie, In Honorem Vasile D. Ţâra, Timişoara, Editura Universităţii de Vest, 207-211. Gafton, Alexandru, 2012a. De la traducere la norma literară, Iaşi, Editura Universităţii Alexandru Ioan Cuza.

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Gafton, Alexandru, 2012b. « Sources déclarées et sources réelles. Le cas des anciennes traductions roumaines de la Bible », in : Pavel, Eugen, et al. (ed.), Synergies Roumanie 7, 257-284. Gafton, Alexandru, 2012c. « Termes appartenant au champ semantique “éduquer”. Une perspective diachronique sur le processus », in : Pop, Ana-Maria (ed.), In Magistri Honorem Vasile Frăţilă, 50 de ani de carieră universitară, Tîrgu-Mureş, Editura Ardealul, 223-245. Gheţie, Ion, 1975. Baza dialectală a românei literare, Bucureşti, Editura Academiei. Istoria limbii române literare Epoca veche (1532–1780), 1997, par Gheorghe Chivu, Mariana Costinescu, Constantin Frâncu, Ion Gheţie, Alexandra Roman Moraru et Mirela Teodorescu, coord. Ion Gheţie, Bucureşti, Editura Academiei. Ivănescu, Gheorghe, 1980. Istoria limbii române, Iaşi, Editura Junimea. Munteanu Ştefan / Ţâra Vasile, 1983. Istoria limbii române literare. Privire generală, Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti. Philippide, Alexandru, 1925, 1927. Originea Romînilor, Iaşi, Tipografia Viaţa Romînească, 2 tomes. Philippide, Alexandru, 1984. Principii de istorie a limbii, in : Ivănescu, Gheorghe / Pamfil, Carmen Gabriela (ed.), Alexandru Philippide, Opere alese, Bucureşti, Editura Academiei. Puşcariu, Sextil, 1937. Études de linguistique roumaine, Cluj-Bucureşti, Monitorul Oficial et Imprimeriile Statului. Scriban, August, 1939. Dicţionaru limbii româneşti, Iaşi, Presa Bună. Tiktin, Heimann, 1985-1988. Rumänisch-Deutsches Wörterbuch, (ed. Paul Miron), Wiesbaden, Harrassowitz (avec des étymologies revues et établies par Vasile Arvinte), 3 tomes.

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La langue de Jean de Vignay dans le Miroir historial : perspectives philologiques 1 Le chantier d’édition du Miroir historial, qui, dans les dernières années, a donné lieu à la parution de plusieurs articles 2, aboutira très prochainement à la publication d’un premier volume comprenant les quatre premiers livres de l’ouvrage 3. Si les travaux réalisés jusqu’ici se sont principalement concentrés sur l’étude de la tradition manuscrite et sur les questions relatives à la fidélité de la traduction au texte latin du Speculum historiale 4, la présente contribution s’attachera surtout à mettre en évidence les spécificités linguistiques du manuscrit J1, considéré comme l’exemplaire de dédicace à la reine Jeanne de Bourgogne et daté de 1333 5. Les particularités que présente la langue de J1 se sont en effet révélées déterminantes dans l’entreprise éditoriale qui nous occupe et ont nourri notre 1



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Il nous est agréable de remercier Craig Baker, Laurent Brun et Yan Greub pour leur lecture critique du tapuscrit. Nos vifs remerciements vont d’autre part à Gilles Roques, dont les remarques et l’information ont contribué à l’enrichissement de ce travail. Voir Brun/Cavagna 2005, 2006 et 2008. Pour rappel, le Miroir historial, comme sa source latine, le Speculum historiale dans la version vulgate, est constitué de trente-deux livres. Aux travaux mentionnés on ajoutera Cavagna 2011. Le texte latin est disponible dans la transcription du ms. 797 de la Bibliothèque municipale de Douai, réalisée par l’Atelier Vincent de Beauvais (Université de Nancy 2), consultable à l’adresse Internet : ‹http ://atilf.atilf.fr/bichard/› (page consultée le 26 avril 2012). L’étude porte sur le prologue et les quatre premiers livres du Miroir historial. Les mss retenus sont, dans l’ordre de citation : J1 = Paris, BN, fr. 316, portant la date de 1333 A1 = Leyde, BR, Voss. Gall. Fol.3.A, daté de 1332 Or1 = Paris, BN, fr. 312, daté de 1396 B1 = Paris, BN, n. a. fr. 15939, 1370-1380 G1 = Paris, BN, fr. 308, 1455 N1 = Paris, BN, fr. 50, 1459-1463 Nous recourons d’autre part aux sigles suivants : MH pour le Miroir historial ; SH pour le Speculum historiale ; JdV pour Jean de Vignay. Les sigles utilisés pour les sources sont ceux du DEAF.

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NATHALIE BRAGANTINI-MAILLARD / MATTIA CAVAGNA

réflexion philologique. Plusieurs indices invitent à penser qu’elle reflète en grande partie la langue de l’auteur, ce qui a des conséquences importantes sur les choix éditoriaux 6. Par ailleurs, certaines leçons curieuses, propres à J1 ou partagées par les témoins retenus, A1 et/ou Or1, jettent une lumière nouvelle sur les modalités de traduction de Jean de Vignay et sur l’état de l’ancêtre de la tradition manuscrite. L’étude de la langue du manuscrit J1 ouvre ainsi un certain nombre de perspectives par rapport à la généalogie des témoins, sur le choix du manuscrit de base pour l’édition, sur la nature de ce que l’on considère comme l’original de Jean de Vignay. L’hypothèse qu’une première collation avait permis de formuler sur les branches hautes 7 du stemma codicum des huit premiers livres du MH et sur laquelle se fonde l’édition opposait J1 à α, ancêtre commun de A1 et Or1. Le ms. A1 a subi un processus de révision assez important, d’où l’emploi du sigle A1’ désignant le manuscrit révisé. L’autre témoin de la branche α, Or1, date de 1396. Le reste de la tradition manuscrite découle, à travers un intermédiaire disparu noté ß, du manuscrit J1. Les témoins retenus ici sont B1, G1 et N1. La division en deux branches de la tradition manuscrite se trouve confirmée et affinée par une confrontation plus serrée de l’état de langue et de l’état de traduction des trois manuscrits. Ainsi, le fait qu’en de multiples endroits, J1 se distingue de A1 et/ou Or1 par des régionalismes et des originalités lexicales étaye la séparation que nous avions établie entre la famille α et celle de J1. Plus précisément, les mss A1 et Or1, ensemble ou individuellement, s’écartent des leçons de J1 soit par non-reconnaissance, soit par banalisation. D’autre part, l’avancement de nos recherches – conjointement à l’utilisation de supports numériques meilleurs que les anciens microfilms en noir et blanc – nous oblige à revenir sur certaines conclusions qui avaient été avancées. L’analyse que nous avons pu mener sur le ms. A1 révèle que les rapports entre A1 et Or1 sont plus complexes qu’on a pu le croire jusqu’à présent. Elle permet désormais de constater que la totalité des variantes que partagent les deux manuscrits coïncide en réalité avec des leçons révisées, ce qui autorise à affirmer que Or1 transmet, lui aussi, en partie la version révisée. Le manuscrit corrigé A1’ et le témoin Or1 témoignent donc, plus ou moins fidèlement, d’une révision qui fut effectuée en amont, probablement sur le manuscrit original lui-même 8. La présente contribution se propose de rendre compte des particularités linguistiques, notamment lexicales, du manuscrit J1, qui reflètent la langue et 6 7

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Voir 3.1. Choix du manuscrit de base et critères ecdotiques. Pour un aperçu général de la tradition manuscrite, nous renvoyons à Brun/Cavagna 2005 et 2006. La question est approfondie dans Cavagna 2014.

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LA LANGUE DE JEAN DE VIGNAY DANS LE MIROIR HISTORIAL

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la technique de traduction de JdV. Nous verrons ainsi le rôle déterminant que joue ce type d’étude linguistique dans les critères qui président à l’édition du MH ainsi que sur notre perception du manuscrit original.

1. Régionalismes de l’Ouest De manière quasi unanime, les mss transmettent des normandismes, qui remontent sans équivoque à JdV, tels que forciblement “avec force” 9 (I, 2, IV, 20, 26), mot bien présent chez JdV 10, londe “bocage” 11 (III, 83) ou encore pileice “orge concassé” 12 (IV, 64). Parmi ses leçons isolées, J1 compte un certain nombre de régionalismes lexicaux plus ou moins assurés, sur lesquels le modèle des mss A1’ et Or1 intervient de manière presque systématique en faveur du français commun. Orientant vers l’Ouest, voire plus précisément vers la Normandie, dont JdV était natif, ces régionalismes de J1 sont attribuables, sans trop d’incertitude, au traducteur. Ils côtoient en outre des régionalismes graphico-phonétiques et morphologiques de l’Ouest, qui, dans ces conditions, ont chance d’avoir été introduits par le traducteur. En voici les principaux éléments.

1.1. Régionalismes lexicaux acomparagier et comparagier “comparer” (I, 11, II, 10, 31, 39, III, 97, IV, 4). Il s’agit d’occidentalismes, particulièrement bien présents en normand ; voir ANDi, s. v. acomparager et comparagier ; DMF2012, s. v. accomparager et comparager ; Roques 1998, 566 ; Roques 2007, 217-219. La situation de ces deux régionalismes au sein de la tradition qui nous occupe est complexe 13. Tantôt A1Or1 les conservent, tandis que J1 tend à leur substituer aconpaingnier (II, 1), comparer (II, 31) ; tantôt c’est Or1 qui s’écarte en préférant acompaingnier (III, 97), contre A1J1. En outre, J1 peut porter comparagier avec A1, contre la forme préfixée en a- dans Or1 (IV, 4).

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Voir Gdf IV, 70a-b, ANDi et DMF2012, s. v. forcible et forciblement ; Roques 1998, p. 566. Voir Roques 1991, 280 ; JVignayOisivG, Introduction, p. 142 ; Roques 2006, 568 ; JVignayEnsK, p. 25 ; JVignayOdoT, VIII/137, VIII/161, etc. ; LégDorVignD, Introduction, p. 73, ainsi que 536/125 var f et 1068/50 var c. Normandisme d’attestation visiblement récente au XIVe siècle et restreinte au moyen français ; voir FEW XVI, 490b, lundr ; DMF2012, s. v. londe. Le mot apparaît dans le contexte suivant : J1. […] pres d’une londe de bois de Liben, pour traduire SH. […] juxta dempsitatem saltus Libani. Seul le ms. G1 s’écarte du modèle en substituant lande à londe. Mot récent ; voir FEW VIII, 490a, pilare. Une complexité semblable se dégage de la confrontation d’autres témoins pour l’occurrence du IV, 4 ; voir Snavely 1911, p. 361, XV/4 var.

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bleste “motte de terre” (II, 21, 2 occ.) : J1. la raempli de manieres de metaus et de blestes de pierres precieuses et d’autres pierres de diverses manieres […] entre ces III parties sont blestes 14 A1’. la raempli de manieres de metaus et de motes et de pierres precieuses et d’autres pierres de diverses manieres […] entre ces III parties sont motes Or1. la raempli de manieres de metaus et de pierres precieuses et d’autres pierres de diverses manieres motes de terre […] entre ces III parties sont motes B1. la raempli de manieres de metaux et de blestes de pierres precieuses et d’autres pierres de diverses manieres […] entre ces III parties sont blestes G1. la raempli de manieres de metaulx et de bestes de pierres precieuses et d’autres pierres de diverses manieres […] entre ces III parties sont roches N1. la rempli de manieres de metaulz de pierres precieuses et d’autres pierres de diverses manieres […] entre ces III parties sont belestes Le mot bleste traduit le lat. gleba pour désigner une motte de terre. ANDi, s. v. bleste et FEW I, 410a, blista (Pont-Audemer, Guernesey, Bessin, Vire, etc.), ainsi que les témoins cités par Gdf I, 665a, s. v. bloste (anglo-normands : Chardry et Saint Edouard le Confesseur) et TL I, 1001, s. v. blestre, orientent vers une forme de l’Ouest, plus spécifiquement normande et anglo-normande, le mot apparaissant ailleurs, notamment en picard, sous une forme bloste. Signalons que, plus loin dans le MH (III, 105), c’est l’expression commune motes de terre qui apparaît dans tous les mss, dont J1. Comme le montre la collation ci-dessus, le régionalisme bleste est conservé dans B1, mais pose problème aux témoins plus tardifs G1 et N1, qui le transcrivent sous une forme erronée (bestes, belestes), l’éludent ou le comprennent de manière approximative comme un synonyme de pierre ou de roche. cremetonneux “craintif” (II, 6) : cremetonneux J1B1, paoureus A1’Or1, cremecomieux G1N1. Le groupe adjectival plus cremetonneus traduit le comparatif lat. timoratiores. Visiblement, cremetonneux n’a pas été compris par les copistes de G1N1, qui le déforment en cremecomieux. L’adjectif employé par J1, dérivé de cremeteux (lui bien connu en AF), paraît relativement peu répandu et pourrait bien constituer un régionalisme normand, voire plus largement occidental ; voir Gdf II, 364c, s. v. cremetonnos ; TL II, 1025, s. v. cremetonos ; FEW XIII-2, 238b, tremere ; auxquels on ajoutera VoieParadPrD, § 275, 12, où Roques 1991, 604, reconnaît quelques normandismes. Il est peut-être partagé par le Centre ; voir SommeLaurB, 51/306 var. du ms. X (Londres, British Library, Add. 54180) 15. desestable “instable” (II, 1) : desestable J1B1G1N1, non estable A1’Or1. Desestable traduit le lat. instabilis. Le réviseur remplace cet adjectif par la forme analytique non estable, leçon de A1’ et Or1. Les autres attestations du mot et de son paradigme morphologique orienteraient vers l’Ouest et l’anglo-normand ; voir TL II, 1575 ; ANDi, s. v. desestable, desestablité, destable, destableté, deestable ; FEW XII, 221b, stabilis ; 14

Sauf indication contraire, c’est nous qui soulignons dans les citations. Le ms. B de l’Ovide moralisé porte une variante cremeconneuse pour cremetereuse (OvMorB 2, p. 275, 738var), mais, pour l’heure, sa copie n’est pas localisée.

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Matsumura/Roques 2007, 311, penchent pour un anglo-normandisme ; auxquels on ajoutera LégDorVignD, Introduction, p. 72 et 763/1455 var p (desestablis) ; AngierDialO, v. 18796 ; JAntRectG, XXXIII, 9 ; avec une hésitation semblable, dans les mss de BalJosPr1M 69, 59, entre forme synthétique desestables (BN, fr. 187, 86a ; BN, fr. 1038, 128c ; BN, fr. 17229, 256b) et forme analytique non estables (BN, fr. 22938b) 16. eschaude “esquif, petite barque” (IV, 38) : eschaude J1, nassele A1’Or1. L’eschaude désigne une petite barque et traduit ici le lat. scafa (SH. […] piscatoria scafa trepidus transit). C’est un normandisme, dont les plus anciennes occurrences enregistrées pour l’heure datent du dernier tiers du XIVe siècle ; voir Gdf III, 352c, s. v. escande1 ; DMF2012, s. v. escaude, qui signale l’attestation relevée par FennisGal, s. v. escaude, du Clos des Galées de Rouen, 1384 ; FEW XVII, 633b, scalda ; auxquels on ajoutera RidelVik, s. v. écaude. Il est, par conséquent, imputable à JdV, et le MH permet d’en situer désormais la première attestation autour de 1333. esclargier v. intr., “briller, s’illustrer” (III, 100) : esclargiee J1A1B1, eslargie N1, esclarchee G1, esclarcie Or1 : SH. Eo tempore scilicet tempore Romuli sibillam ferunt erictream claruisse. J1A1B1. En ce temps, c’est assavoir el temps de Romuli, il dient Sebile Heriteienne estre esclargiee. Le verbe esclargier, que J1 partage, entre autres, avec A1, est d’un emploi rare, qui plus est, circonscrit chronologiquement et régionalement (Gdf III, 402a ; TL III, 917 ; ANDi, s. v. esclarcir ; FEW III, 276a, *exclaricare). De nombreuses occurrences provenant de textes (anglo-)normands, il est à ranger parmi les régionalismes du traducteur. En outre, le sens qu’il revêt ici (“s’illustrer”) est mieux attesté pour le verbe du deuxième groupe esclarcir, employé par J1 lui-même au IV, 40. Toutes ces particularités expliquent l’intervention banalisante du copiste de Or1, qui lui préfère esclarcir. esgener “blesser, torturer” (II, 4, 42, 47, etc.). Deux cas de figure se présentent dans le livre II : - esgenee J1B1N1, contre bleciee A1’Or1, grevee/esmeue G1 (II, 4, 42) ; - esgener J1B1N1Or1, contre blecier A1’, grever G1 (II, 47, 2 occ.). Le verbe esgener apparaît en deux endroits du chapitre, avec chaque fois la même répartition entre les mss. Il faut néanmoins préciser qu’à la première occurrence, Or1 ressent le besoin de gloser ainsi : esgenant c’est a dire en lui gienant. Le mot est apparemment d’un emploi rare et vieilli au XIVe siècle, mais qui serait à considérer comme un régionalisme du Nord-Ouest. Voir Gdf III, 467 sqq., nombreux exemples normands ; TL III, 1070 ; ANDi ; FEW XXI, 430b, date esgener de 1120XIVe s., notamment dans AndréCoutP et ContPerc1R, III, 2, Glossaire de L. Foulet, L’occurrence enregistrée par DMF2012, s. v. desestable, et extraite de la traduction de la Legenda aurea par JdV, dans la version qu’en procure Jean Batallier en 1476, est à comprendre comme le participe passé desestablez “privé de”, d’un desestabler, issu de desestablir ; voir LégDorVignD, Glossaire, p. 1360, s. v. desestablez.

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egener de de 1491 et soi esgener de 1170-ca 1300, Avesnes ; DMF2012, uniquement chez Oresme, qui par ailleurs était lui-même normand, originaire de Bayeux. leumages “légumes” (III, 121) : potages A1’Or1, beuvrages B1, buvrages G1, leumages N1. Le mot traduit l’ablatif latin leguminibus dans la proposition leguminibus utebatur et herbis (« il se nourrissait de légumes et d’herbes »). La plupart des attestations de cette forme en -eu (à distinguer de l’autre forme enregistrée en -o du type lyonage 1421 Fribourg, qui s’inscrit dans le prolongement des formes lion du frprov.) se localisent dans l’aire normande, surtout aux XIVe et XVe siècles ; voir Gdf IV, 766a, s. v. leunage, dont en particulier l’attestation de 1305 se lit dans Cartulaire et actes d’Enguerran de Marigny, éd. J. Favier, p. 170, Enguerran de Marigny, né à Lyons-laForêt en Normandie, étant bien implanté dans la région et ses biens principalement groupés à Écouis et Mainneville ; TL V, 351 ; DMF2012, s. v. leünage ; FEW V, 246a, legumen ; JVignayOisivG, Glossaire, 513, s. v. leunage ; Roques 2006, 568-569 ; G. Roques repère en outre des attestations à Rouen, à la fin XIIIe s. (CoutEauB, 279, CoutEauB, 315, CoutEauB, 315), à St-Lô, en 1462 (Notices, Mémoires et documents de la Société d’agriculture, d’archéologie et d’histoire naturelle du département de la Manche, I, 2e éd., 1857, p. 161) et à Cherbourg, en 1486 (Revue catholique de Normandie, 18, 1909, p. 177). molument “preuve” (I, 6) : molument J1A1B1G1N1, corrigé en moument A1’, monnement Or1. Le terme traduit le lat. monimenta au sens de “preuve, confirmation” : SH. […] benefactoris monimenta certissima capiuntur. J1. […] si comme en terre, en mer, en yaue, en ciel et en toutes autres choses qui sont regardees, l’en prent tres certain molument de celi qui bien les a faites, c’est a dire de Dieu, car il donne et embat sa grace es choses devant dites […] Fait inhabituel, c’est Or1 qui transmet cette fois une leçon isolée à considérer aussi comme un normandisme. DMF2012 propose en effet une seule attestation de monnement dans des actes normands médio-français. Le mot renvoie toutefois au conseil, non à la preuve, comme dans notre passage. L’emploi du nom molument, donné par les autres mss, dont J1, semble circonscrit dans l’aire anglo-normande. Cette forme en -u constitue une variante de moliment, qui désigne le droit sur la mouture. Étant donné que moliment est, pour sa part, également attesté en normand et en anglo-normand (Gdf V, 374c ; ANDi, s. v. moliment ; FEW VI-3, 31b, molere), il serait raisonnable de rattacher l’usage qui est fait de molument dans J1 aux régionalismes introduits par JdV. Le sémantisme que celui-ci lui confère correspond néanmoins à un hapax. quaquenel / quaquevel “sommet (d’une montagne)” (IV, 8 et 62) : J1

A1’

Or1

B1

G1

N1

IV, 8

quaquenel

sommet (suivi de el biffé)

sommerel

quoquerel

sommet

quaquenel

IV, 62

quaquevel

lacune

sommet

quaquerel

sommet

quaquenel

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La forme quaquevel est enregistrée comme normandisme et anglo-normandisme pour désigner le sommet de la tête, plus rarement le sommet d’une montagne ; voir TL II, 154, s. v. chachevel ; ANDi, s. v. kakenole1 ; FEW II, 21a, caccabus ; auxquels on ajoutera JVignayOisivG, p. 142 et Glossaire, p. 520, s. v. quaquevel ; MahArE, Glossaire, s. v. caquevel ; DialGregEvrS, v. 11933 ; Roques 1989, 583 ; Roques 2006, 568 ; Nobel 2009, 141-142. Parmi les manuscrits descendant de J1, on note que B1N1 conservent ce régionalisme sous des formes légèrement modifiées, alors que G1 le remplace par sommet 17 . L’unique leçon de A1 qu’il nous reste (sommet) résulte d’une correction, dont la séquence -el biffée suggère que la leçon originale se rapprochait de celle de J1. La leçon du ms. Or1 semblerait avoir été en quelque sorte contaminée ici par la révision opérée sur A1’, comme si le copiste avait lu sommerel en confondant t et r, sans voir la rature – à peine perceptible – sur el, noté au début de la deuxième colonne du texte. Quaquenel/quaquevel, qui, au chap. IV, 8, transpose le lat. cacumen, désigne le sommet d’une montagne : SH. Ascendamus in cacumen montis. MH. Monton el quaquenel de cele montaingne. Soulignons d’autre part que si le substitut sommet ne pose aucun problème, il n’en est pas de même du mot sommerel. Celui-ci est certes enregistré comme dérivé de sommier pour désigner une poutre (Gdf VII, 470b ; DMF2012, s. v. sommereau ; FEW XI, 69b, sagmarius), mais le sémantisme de sa famille lexicale ne correspond pas à notre contexte. Dans le sens qui nous intéresse, sommerel pourrait bien être une forme de sommeril, hapax du XIIIe siècle, qui se rapporte toutefois strictement au sommet de la tête (Gdf VII, 470b ; TL IX, 825 ; FEW XII, 429b, summus). somier “porteur” (d’une personne) (IV, 23) : somier J1, sonner B1N1, aorné G1, covert A1’, donneur Or1. Le latin à traduire est velatum “voilé, couvert” : SH. […] in cuius expugnationem L iuvenes amplexos Minerve symulacrum et sacerdotem dee velatum ornamentis inter ipsa altaria trucidarunt. J1. […] en la quele bataille L jouvenciaus despecierent le faus ymage et decouperent le prestre somier des aornemens a la deesse entre les autiex. La remarquable diffraction qui s’est produite dans les témoins ainsi que la correction apportée sur le ms. A1’ confirment que le mot somier remonte bien au modèle de toute la tradition manuscrite. Somier paraît désigner ici celui qui a la charge de porter et de garder certains objets, en l’occurrence, des objets religieux. L’application à un être humain est connue, mais demeure très rare. En dehors de notre texte, elle se rencontre en emploi métaphorique dans le Pelerinage Jhesucrist de Guillaume de Digulleville, ainsi que dans le Mystère de la Passion d’Eustache Marcadé ; voir Gdf VII, 467c ; TL IX, 828 ; DMF2012. Les Pèlerinages de Guillaume de Digulleville contenant pléthore de normandismes septentrionaux 18, il est possible que l’emploi D’autres témoins de l’occurrence IV, 8 présentent une variation similaire entre sommet et sommerel ; voir Snavely 1911, p. 372, XXVII/4 var. 18 Voir Greub 2003, p. 376 ; Stumpf 2008. 17

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particulier qui affecte le mot somier dans notre extrait corresponde également à un régionalisme. Sinon, on peut conjecturer une extension récente. soudement J1, 10 occ. (II, 19 ; III 28, 58, 65, 67, 118 ; IV 17, 51). A1 et Or1 modifient systématiquement en soudainement/soudeinnement/soubdainement, plus une occurrence soustement (Or1 III, 67) ; B1 conserve soudement à sept reprises et modifie ailleurs en soudainement ; G1 modifie systématiquement en soudainement/soubdainement ; N1 généralise soudainement. L’adverbe soudement traduit les lat. inopinato ou subito “subitement”. C’est un régionalisme de l’Ouest et de l’anglo-normand, attesté dans plusieurs textes médiévaux, dont les traductions par JdV de la Legenda aurea (BN, fr. 241, ca 1348), de l’Itinerarium d’Odoric de Pordenone (JVignayOdoT, VIII/215) et des Otia imperialia (Gdf VII, 494b ; TL IX, 701, s. v. sode1 ; ANDi, s. v. soudeement ; DMF2012 ; FEW XII, 337a, subitus ; Roques 1998, 566 ; LégDorVignD, Introduction, p. 76 ; JVignayOisivG, Glossaire, p. 524, s. v. soudement).

À ces régionalismes pourrait s’adjoindre, mais sans grande certitude, le nom verne (voir infra).

1.2. Régionalismes grapho-phonétiques et morphologiques La coloration normande du vocabulaire du ms. J1 se trouve corroborée par des faits grapho-phonétiques et morphologiques typiques de la même aire régionale. Sans nier le rôle du copiste, on peut les attribuer au traducteur luimême, à plus forte raison quand ils sont transmis par certains témoins, peu enclins par ailleurs à conserver les régionalismes. En voici les traits les plus saillants : (1) Les graphies desierrent (II, 14, 2 occ.) et, dans J1 comme dans A1, mierre “myrrhe” (II, 24) témoignent d’une segmentation de [i] en [ię] sous l’action ouvrante de [r] explosif subséquent, connue dans plusieurs régions (Nord, Nord-Est, orléanais), mais aussi caractéristique de l’Ouest, notamment de l’anglo-normand et du normand 19. La forme inédite gierre 20, généralisée dans J1 à partir du chap. I, 12 pour noter gerre (= genre), pourrait relever du même phénomène, la segmentation de [ẹ] en pareille configuration étant typique de l’Ouest 21. À l’exception de A1, les autres témoins font disparaître les formes régionales en ie en faveur des formes communes. Notons que A1 transmet une graphie qui rend compte de l’aboutissement normand de [ĕ] latin tonique entravé par yod, à savoir la réduction de [íẹi] à [yé] par perte de l’élément final : siextement (II, 39) (d’après siex < lat. sĕx) 22. (2) Gerre et gierre (“genre, sorte”, “manière”, “lignage”) sont des formes du mot genre, qui traduisent tantôt genus, tantôt natura. Dans J1, c’est la forme gerre qui est d’abord Voir Pope 19613, § 1172 ; Gossen 1970, § 10, p. 59 ; Chaurand 1972, 83-84. Voir infra. 21 Voir Pope 19613, § 1172. 22 Voir Chaurand 1972, 43 et 62 ; LRL II/2, 329. 19

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employée (I 4, 6, 8, 11), puis gierre (I, 12, 15, II, 1, 17, 21, 30, III 30, 33, 38, IV, 4, etc.). A1’Or1 tendent à corriger en maniere/nature. Cependant, au chap. I, 8, ils optent pour lignage, et là où J1 porte la séquence en gierre, ils lui préfèrent en commun (I, 15) 23 ou generalment (II, 33). Enfin, le groupe de divers gierres (III, 38) a également posé problème à A1’Or1, qui portent respectivement de beste d’autre nature et de diverse semence c’est a dire de diverse nature. La forme gierre n’est attestée, à ce jour, que chez JdV (JVignayOisivG, Glossaire, p. 509, s. v. gierre). Le relevé de formes proches, gerre et jère, ferait pencher pour un régionalisme du Nord-Ouest, voire normand (FEW IV, 116b, genus ; DEAF G, 465, 41-43 ; DMF2012, s. v. genre). En général, la leçon gierre ne pose pas de véritable problème aux mss plus tardifs du groupe ß, qui, quand ils ne la maintiennent pas, à l’instar de B1, lui rendent simplement sa forme commune genre. Il en va tout autrement dans A1’ et Or1, qui remplacent le régionalisme par maniere, nature ou lignage, termes communs et répandus, dans une tentative de nivellement linguistique. (3) Les graphies jane (II, 86, III, 90, 110, 111, IV, 27, 31, etc.) et janesce (III, 107, 111, IV, 34) correspondent à l’adjectif jeune et au substantif jeunesce. Elles s’expliquent soit à partir d’une forme jenne, où [ẽ] se serait ouvert en [ã], soit à partir d’une forme jone/ jonesce (d’ailleurs sporadiquement présente, II, 93, 118, 123, etc.), où [o] nasalisé se serait ouvert en [ã] (cf. dongier/dangier). Le phénomène paraît être régional, plus spécifiquement normand. TL IV, 1766, s. v. jonece, 1831, s. v. juene, et FEW V, 92b, juvenis enregistrent en effet les formes en a, entre autres 24, dans Modus et Ratio. Le Livre des deduis du roy Modus d’Henri de Ferrières, qui, natif de Normandie, a laissé une empreinte normande sur le texte. Dans la même source, on rencontre également des formes proches en -oa : joaneche et joanes (TL IV, 1766, s. v. jonece, 1831, s. v. juene ; DMF2012, s. v. jeune). D’autres témoins confortent une hypothèse normande, comme, au premier chef, le ms. P1 (BN, fr. 241) de la Légende dorée de JdV 25, mais aussi le ms. C (Berlin Staatsbibl. Hamilton 257) contenant les fabliaux édités par NoomenFabl 26 et la Chronique normande de Pierre Cochon 27. Étant donné que les formes en -a sont partagées par intermittence aussi bien avec B1 qu’avec A1, les autres mss francisant en jeune/jenne ou se trompant sur le mot (II, 86 yaux G1), on peut supposer qu’elles ont été introduites par le traducteur à titre de normandismes. (4) Le démonstratif neutre ce apparaît en de très nombreux endroits sous la forme nasalisée cen, voire icen, typique de l’Ouest et tout particulièrement du normand 28 (icen : I, 11 ; cen : II, 4, 13, 87, 114, III, 10, 28, 37, 38, IV, 3, 16, 23, 83, etc.). Il arrive que cette La leçon de J1 du pechié en gierre reflète ici l’expression latine de peccato in genere. Celle de A1’Or1 opère un glissement sémantique cohérent basé sur l’idée que le péché est commun à tous les hommes. 24 Aussi dans Renart et Li Proverbes au vilain (TL IV, 1831, s. v. juene). 25 Voir LégDorVignD, Introduction, p. 74. 26 Voir DEAF J, 665, 36 sqq., 674, 14 sqq. 27 Voir ChronPCochonR, 33, 34, 96, 121, 147 et 221, ainsi qu’un document de Rouen cité p. 105, n. 2. 28 Voir Chaurand 1972, 105-106 ; Dees 1987, n° 10. 23

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nasalisation (ou contraction de ce + ne/en ?) affecte le régime masculin pluriel ceus (cen qui II, 10). À de rares exceptions près (ex. III, 120 cen J1A1 ; II, 13 cen J1B1), les autres mss ignorent le phénomène et portent ce ou bien semblent avoir été induits en erreur, à l’instar de G1, qui donne eulx à III, 28. Signalons qu’en revanche, on ne rencontre pas la forme len pour le pronom personnel masculin le. (5) L’adverbe de négation ne se rencontre parfois sous la forme archaïque nen devant voyelle (II, 4, 9, 88, etc.), mais aussi devant consonne (II 1, 6, 59, 104, III, 13, etc.), sans que la distribution des leçons entre les témoins soit régulière. L’identification de nen est par ailleurs délicate, dans la mesure où la graphie manuscrite ne distingue pas l’adverbe négatif nen et la séquence n’en et que le cotexte ne permet pas toujours de faire le départ entre les deux emplois. Pourtant, quand on n’a pas nettement affaire à un verbe usuellement associé au pronom adverbial en à valeur aspectuelle ou à toute référence pronominale par en, il est licite d’interpréter nen, présent dans un ou plusieurs témoins, comme une forme de l’adverbe ne et de supposer que celleci remonte au modèle de la tradition manuscrite 29. Reste à cerner les raisons de la présence de cet archaïsme. Les attestations relevées par les dictionnaires suggèrent qu’au XIVe siècle, la conservation de cette forme archaïque est mieux ancrée en normand ; voir DMF2012, s. v. ne ; FEW VII, 184b, non. Dans une copie anglo-normande du Jeu d’Adam, A. Långfors 30 rapproche nen de la forme normande cen du démonstratif, ce qui semble se confirmer dans notre texte (cf. supra, § 4). (6) Il est fréquent que la désinence de P4 -ons se réduise à -on (uson IV, 6), phénomène souvent partagé par A1 : voion (II, 31), lison (II, 102), resurrexiron (II, 129), avon (IV, 6), revivron (IV, 53), etc., ou que A1 peut même être seul à transmettre : avon et poon (II, 113), devon (II, 114), reedefion et soion (IV, 46), gardon (IV, 58), etc. Cette désinence est bien répandue à l’Ouest, notamment en Normandie 31. (7) On rencontre une occurrence de la forme tonique du pronom personnel régime féminin singulier lié (IV, 1), contre li dans les autres mss, la forme en -ié étant spécifique de l’Ouest, avec une présence plus marquée en normand 32. (8) Signalons enfin la généralisation de la fermeture en [i] de [ẹ] initial libre dans les mots de la famille de creer : crier (II, 9, 17, III, 65, etc.), crié (I, 3, II, 3, 17, 18, IV, 45, etc.), cria (II, 9, 17, 20, etc.), criature (II, 17, IV, 52, etc.), criateur (II, 17, 31, etc.). Il est exceptionnel de retrouver cette forme dans les autres témoins (criez Or1 II, 35), qui rétablissent les formes communes en cree-/crea-. Le trait, répandu en AF, parti Voici un exemple tiré du III, 13 : Car pour ce que le pueple, qui estoit ententif a la charnalité, nen pooit pas la verité concevoir, conmanda Nostre Sire Jhesucrist [...]. Ici le mot verité a une connotation métaphysique et non contingente : on ne peut envisager une séquence qui serait composée de la négation élidée n’ suivie d’un pronom en complément et renvoyant, par exemple, au contenu des propositions précédentes (en concevoir la vérité “concevoir la vérité à propos de cela”). 30 Voir Långfors 1929, 82. Nous remercions G. Roques pour cette indication. 31 Voir Fouché 19672, § 95a, p. 191 ; Dees 1980, n° 233 ; Dees 1987, n° 440 ; JVignayOisivG, 141. 32 Voir Nyrop, II, § 530, 3° ; Zink 1997, 18 et 22 ; et en dernière analyse, Atkinson 2012, qui fait parfaitement le point sur la question, notamment p. 368-384. 29

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culièrement au XIe siècle 33, est également attesté en picard 34. A-t-il pu gagner l’ouest du domaine d’oïl ? Faut-il y voir un archaïsme régional propre au traducteur ?

2. Une traduction latinisante entre archaïsme et innovation 2.1. Emprunts directs au latin de la source On a souligné la propension de JdV à coller à son modèle latin, aussi bien au niveau (morpho)syntaxique qu’au niveau lexical 35. Malgré l’évolution que connaît sa technique au fil des années, elle peut globalement être qualifiée de latinisante. Or c’est précisément l’une des caractéristiques linguistiques du ms. J1 que d’être émaillé de calques de la source latine et d’emprunts, directs ou francisés. Parmi les emprunts morphosyntaxiques directs, il faut signaler la récurrence de noms propres transférés intacts dans leur forme latine d’accusatif : par Zenonem (III, 107 ; par Zenon A1’Or1), traduction de SH. per Zenonem, contre Cyrum (IV, 1 ; c. Cyre Or1), traduction de SH. adversus Cyrum ; de datif : Remo et Remulo A1J1 (III, 99 ; Remus et Romulus Or1), a Cyro A1J1 (IV, 19 ; a Cyrus Or1) ; mais surtout de génitif singulier : de Martis (I, 8 ; de March A1, de martirs Or1), Origenis A1J1 (I, 14 ; d’Origene Or1), Romi et Romuli A1J1 (III, 96 ; Remus et Romulus Or1), de Romuli (III, 100 ; de Romulus Or1), de Bructi (IV, 31 ; de benti A1 ; de Bructus Or1). Certains peuvent être maintenus dans A1, tel le filz Phoroney (II, 110) (- Phoronei A1), calque du lat. filius Phoronei, que Or1 traduit en le filz Phoroneus. Mais Or1 peut aussi se passer d’intervenir, comme dans filz Foroney (II, 131), de Cresi (IV, 17) ou (de) Cyri, tantôt maintenue par Or1 (IV, 8, 9, 10, etc.), tantôt francisée en (de) Cyre (IV, 9, 10, etc.). Un cas se présente où c’est A1 qui paraît privilégier l’emprunt. Ainsi, au III, 8, pour rendre l’idée d’itération, il reprend le latin item, alors que J1 propose le français de rechief. Comme c’est parfois le cas, Or1 témoigne de l’une et de l’autre tendance à la fois : SH. Item […] ut per observantiam X mandatorum resartiatur decimus ordo qui cecidit angelorum. Item ut sicut populus Egiptiorum propter impietatem ydolatrie et populi Dei oppressionem exterminatus erat X plagis, sic populus Hebreorum a Deo vocatus, ad cultum Dei reformaretur decem preceptis.

Voir Pope 19613, § 234, p. 108. Voir Gossen 1970, § 35. 35 Voir en particulier Buridant 1980 ; Gerner 2000 ; Gosman 1986 ; Trotter 2000 ; Pignatelli 2000 ; JVignayOisivG, p. 111 sqq. ; Evdokimova 2008. 33

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J1. De rechief que par les X commandemens de la loy soit recouvree la disiesme ordre des angres qui chaïrent ; de rechief que aussi, comme le pueple des Egyptiens, pour les ydoles qu’il aoroient, pour l’oppression du pueple furent peris par X plaies. A1. Item que par les X commandemens de la loy soit recouvré le disiesme ordre des angres qui chaïrent ; item que aussi comme le peuple des Egypciens pour les ydoles que il aouroient pour l’oppression du peuple furent peris par X plaies. Or1. Item derechief que par les dis commandemens de la loy soit recouvré le disieme ordre des anges qui chantent ; derechief que aussy comme le pueple des Egyptiens pour ydoles qu’ilz aouroient pour l’oppression du pueple furent pris par X plaies.

Notons que la leçon item de A1 n’est pas le fruit d’une révision, si bien qu’on aurait tendance à la considérer comme la leçon originale, face à la locution de rechief de J1. Même si, du point de vue stemmatique, l’accord J1Or1 a normalement un poids déterminant, on pourrait admettre, dans un cas comme celui-ci, que chacun des deux copistes a pris l’initiative de remplacer l’adverbe item. Toujours est-il que la convergence de la technique de traduction qui s’observe entre A1 et J1 conduit de manière raisonnable à attribuer la plupart des phénomènes d’emprunts morphosyntaxiques et lexicaux au traducteur JdV. Le ms. J1 comporte enfin des emprunts directs lexicaux, inédits ou rares, et que A1’ et/ou Or1 francisent, non sans d’ailleurs se tromper parfois. En voici quelques exemples. cubitori (III, 83) : coutes A1’B1G1Or1, coudees N1. En guise de traduction du latin XXX cubitorum, J1 porte XXX cubitori sans abréviation, tandis que A1’Or1 ainsi que les continuateurs de la branche ß francisent en XXX coutes ou en XXX coudees. Reste que A1’ adopte cette leçon à la suite d’une correction, bien visible, ce qui autorise à avancer que la leçon de J1 remonte à la traduction. Si, par référence à l’unité de mesure, le MF et les siècles suivants ont pu connaître des mots savants tels que cubite “coude, coudée” ou son dérivé cubital “de la longueur d’une coudée” (Gdf II, 390b, s. v. cubital et cubite ; FEW II/2, 1450a, cubitum), l’emprunt direct cubitori demeure néanmoins isolé. Compte tenu de sa finale en -i, qui imite le latin, il est légitime de conjecturer une inadvertance du traducteur, qui, ailleurs dans le texte, use toujours du mot coude. cynara (III, 84) : cynara J1B1N1, chinara G1, harpes A1’Or1. Le lat. cynara (lat. class. cinyra) renvoie à un instrument à cordes. La forme francisée cynare se rencontre dans une édition de 1534 de la Bible de Lefèvre d’Étaples (Gdf II, 410c) ; la forme cinyre, issue du lat. class., est attestée au XVIIe siècle (FEW II/1, 691a, kinyra). mala punica (III, 21) : mala punica J1B1G1N1, pomes d’orenge A1’Or1. J1 et sa famille reprennent l’expression latine mala punica employée par SH pour référer à des grenades, ce qui devient pommes d’orenge dans A1’Or1. L’emprunt textuel, sans aucun doute opéré par JdV lui-même, reste sans écho.

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nabla (III, 84) : nabla J1B1G1N1, naquaires A1’Or1. J1 reprend tel quel le neutre pluriel nabla, qui désigne des instruments à cordes comparables à des cithares. La transposition opérée par A1’Or1 en naquaires “tambourins” est donc approximative. On rencontre bien l’emprunt francisé nable au XVIe siècle, mais de manière très limitée (Gdf V, 461a ; FEW VII, 1a, nablum). Cela invite à considérer l’emprunt direct nabla comme une solution trouvée par JdV face à un terme latin renvoyant à une réalité étrangère qui devait lui être inconnue. nebulon (IV, 83), glouton A1’Or1. J1 conserve sous une forme à peine francisée le latin du texte-source au génitif singulier nebulonis “vaurien”. L’emprunt revenant ailleurs dans le MH, notamment au livre XXV, 84 36, et étant également attesté chez Rabelais, dans Pantagruel, et enregistré par Cotgrave (FEW VII, 71a, nebula), il n’est pas à mettre sur le compte d’une méconnaissance ou d’une incompréhension du texte latin, mais procède d’un choix délibéré qui aura des continuateurs.

Conjointement à ces emprunts, sur lesquels le réviseur, modèle de A1’ et Or1, a cru opportun d’intervenir en raison de leur forme latine et parce que le français disposait alors d’un lexème tout aussi approprié, il en est de nombreux autres qui, de toute évidence, ont embarrassé par leur archaïsme ou leur nouveauté. Nous allons en voir plusieurs occurrences. Elles font partie d’un ensemble de leçons qui devaient se démarquer de la langue ordinaire de l’époque soit par leur caractère obsolète, soit par leur caractère novateur, soit encore par leur rareté. Cette polarisation du vocabulaire, entre ancien et moderne, distingue tout particulièrement J1, face aux états de langue plus unifiés et standardisés dans A1’ et Or1. Elle serait à rapprocher du style caractéristique de JdV, tout à la fois conservateur et audacieux dans son souci de restituer ad litteram le texte de son modèle latin.

2.2. Archaïsmes lexicaux Le vocabulaire du ms. J1 se distingue sporadiquement par son caractère vieilli au XIVe siècle. Comme en témoignent les leçons de A1’ et Or1, le réviseur s’est alors efforcé le plus souvent de le moderniser. Cette particularité récurrente de J1 rejoint le style archaïsant qui s’observe dans les choix de traduction, notamment par calque du latin. Voici quelques-uns des archaïsmes relevés. aemplir “accomplir, exécuter” (IV, 13) : aempli J1A1, acompli Or1. Le verbe ancien aemplir est en perte de vitesse dès le XIVe siècle dans cette acception (Gdf I, 120c ; TL I, 162 ; ANDi ; DMF2012 ; FEW, IV, 591a, implere). Il fut très probablement 36

Le quatrième tome du ms. J, contenant le livre XXV, a disparu. La leçon nebulon est conservée par l’édition d’Antoine Vérard de 1495-1496 (Paris, BN, RES-G-203, fol. 139v), tandis que les mss Or4 (BN, fr. 314) et C4 (BN, fr. 52) le modifient en mauvaiz.

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inspiré au traducteur par l’original latin emplevit, dont il constitue un calque. JdV le sollicite également dans sa Légende dorée ; voir LégDorVignD, Introduction, p. 71. arment “(troupeau de) bœufs” (III, 27) : armenz J1B1G1N1, buefs (puis armens par la suite) Or1. Traduit le lat. armentis pour désigner des bœufs. Le terme arment, propre à la littérature biblique, est un archaïsme, dont le MH fournit la seule et dernière occurrence connue en MF (Gdf I, 400c ; TL I, 537 ; ANDi, s. v. arment1 ; FEW I, 142b et XXV, 280b, armentum). our “extrémité, bord” (III, 18 et 21) : J1 III, 18 III, 21

A1’

Or1

B1

G1

N1

our

bort

bort

our

or

or

our

ourlé

ourlé

or

ourlet

our

ours

franges

franges

ours

ourlés

ours

La leçon our de J1 traduit le lat. ora, désignant l’extrémité, le bord. Cet emploi, fréquent en AF, devient rare en MF ; voir Gdf III, 672a, s. v. eur2 ; TL VI, 1164, s. v. or2 ; DMF2012, s. v. or3 ; FEW VII, 382a, ora. A1’ et Or1 modernisent tantôt en bort, tantôt en ourlé ou frange. Au sein de la branche ß, seul le copiste de G1 intervient en ce sens, en préférant le mot ourlet, encore qu’il s’en abstienne pour la première occurrence (III, 18). Mais, compte tenu de la graphie or qu’il adopte alors, on ne peut exclure qu’il ait compris our au sens de aurum, le contexte pouvant en effet induire en erreur : Et entre le fons du henap et l’our estoient cercles d’or tornoiables et estoient apelez esperes. silve “forêt” (III, 77) : silve J1B1G1N1, forest A1’Or1. La leçon de J1 silve est à rapprocher de l’ancien français selve ou silve. L’emploi du mot, bien connu pour désigner la forêt, s’essouffle néanmoins en MF (Gdf VII, 367b, s. v. selve ; TL IX, 382, s. v. selve ; DMF2012, s. v. sylve ; FEW XI, 614b, silva). A1’ et Or1 lui préfèrent d’ailleurs le moderne forest. On peut donc se demander s’il s’agit d’un continuateur de l’AF selve ou d’un calque du modèle latin silva. suegre “beau-père” (III, 3 et IV, 18) : J1

A1’

III, 3

suegre

pere de sa femme

IV, 18

suegre

pere sa fame

Or1

B1

pere sa femme

G1

N1

suegre

seigneur

socre

suegre

segre

serourge

socre

Le terme suegre, conservé avec constance dans J1B1, traduit littéralement le lat. socer, qui est précisément son étymon. La leçon pere (de) sa femme, généralisée dans A1’, mais non dans Or1, qui rejoint J1 au IV, 18, est de toute évidence une modernisation. La leçon de G1 serait une mélecture de suegre, qui était sans doute sorti d’usage

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sous cette forme au XVe siècle. Ce qui appelle toutefois à la prudence quant au caractère obsolète du mot, c’est sa pérennité en MF sous d’autres graphies, sogre, socre, soir (Gdf VII, 590b, s. v. suire2 ; TL IX, 1069, s. v. suire1 ; ANDi, s. v. socre ; DMF2012, s. v. socre1 et aussi socre2 pour le féminin ; FEW XII, 15b, socer). D’ailleurs, N1 le maintient sous une forme socre, plus latinisante. Peut-être le terme était-il devenu recherché. Cependant, les sources qui l’emploient étant très souvent localisées à l’ouest du domaine d’oïl, aurait-on affaire à un archaïsme régionalement marqué ? Dans tous les cas, suegre remonte sans doute au traducteur. La traduction par JdV des Otia imperialia en offre d’ailleurs une autre occurrence ; voir JVignayOisivG, XCII/9, ainsi que Glossaire, p. 523, s. v. seugre.

2.3. Nouveautés lexicales Loin de se constituer uniquement d’archaïsmes, la langue de J1 introduit un nombre remarquable d’emplois récents et de nouveautés, qui correspondent à des premières attestations, ou à des hapax quand elles n’ont pas été reprises par l’usage. 2.3.1. Acceptions récentes au XIVe siècle animel, adj., “animal” (II, 32) J1A1Or1B1G1N1 : SH. Actiones autem ut dictum est sunt tres scilicet animalis, spiritualis, naturalis, quibus similia sunt instrumenta corporis. MH. […] et, si comme dit est, il sont III accions : animel, esperituel, naturel. Et a ces accions sont semblables instrumens de cors. Ce calque francisé de l’adjectif latin animalis, repris plus loin dans le chapitre pour traiter précisément des membres animelz, est intéressant du point de vue à la fois linguistique et philologique. Tous les manuscrits s’accordent ici pour proposer cette leçon, qui constitue de toute évidence une des rares et des plus anciennes attestations du mot (Gdf VIII, 124b, s. v. animal ; FEW XXIV, 593a, animalis). L’hypothèse de la rareté et de la relative nouveauté du mot pourrait être confortée par le traitement d’une autre occurrence du lat. animal, au chap. II, 37, exposant les vertus de l’âme : SH. Ideoque licet etiam videatur puer esse animal antequam homo… J1B1G1N1. Ja soit ce que elle soit veue estre essenciel avant que homme… A1’Or1. Ja soit ce que elle soit veue estre beste avant que homme… Hormis le fait que la traduction modifie ici le sujet de la concessive – puer > elle (= l’âme) –, la leçon révisée de A1’ et Or1 reflète mieux le texte latin, d’autant plus qu’en bien d’autres endroits du texte, le substantif animal est traduit par beste (II, 27, 28, 29, etc.). Toutefois, comment expliquer ici la leçon essenciel de J1 et des manuscrits du groupe ß ? Et que portait le ms. A1 avant révision ? Nous sommes probablement en présence d’une diffractio in absentia. Le modèle de la tradition présentait sans doute une leçon que les deux branches de la tradition ont jugé bon de modifier : il devait s’agir du mot animel ou anemel (subst. ou adj. ?), qu’une lecture trop rapide, mais aussi une réflexion sémantique cohérente ont pu transformer en essenciel.

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detrait “enlevé, ôté” (III, 27) : detraite J1B1G1N1, A1 lacunaire, ostee Or1. Traduit le lat. detracta au sens neutre de “enlevée” : SH. Detractaque pelle hostie… > MH. Et la pel du sacrefice detraite… Ce sens est neuf au XIVe siècle (Gdf II, 689c ; TL II, 1836 ; DMF2012, s. v. detraire ; FEW XIII/2, 178a, trahere). Notre texte en livre une des attestations les plus anciennes. siel “dais, montant de lit” (III, 84) : sielz J1B1, cielz G1N1, entailleures A1’, entaillemens Or1 : SH. De quibus fecit rex fulcra et sedilia domus domini et domus regie […] MH. Desquiex (de différents bois) le roy fist les sieges et les sielz de la maison Nostre Seigneur et de la maison royal […] Les mots latins fulcra “montants de lit” et sedilia “sièges” sont traduits par le couple les sieges et les sielz/cielz dans J1 et ß, mais par les sieges et les entailleures/entaillemens dans A1’ et Or1. Sieges correspond a priori à sedilia. La leçon sielz de J1B1 est moins évidente. On peut d’emblée exclure qu’il s’agisse du nom seel “seau”, dont la graphie prend parfois acte de la fermeture en i de e initial (DMF2012, s. v. siel ; FEW XI, 661a, *sitellus), car quel glissement sémantique supposer dans le contexte ? La graphie adoptée par G1N1 invite à reconnaître plutôt le pluriel de ciel. Le mot peut en effet désigner un dais, en particulier un dais de lit, sens qui se répand à partir du XIVe siècle ; voir TL II, 426, une occurrence chez Brunet Latin ; DMF2012, D.4, qui relève une graphie siel dans un document de 1343 ; FEW II-1, 35a, caelum. Tout se passe comme si le réviseur n’avait pas saisi la signification du mot qu’il a remplacé, puisque le terme entailleures (A1’), dont le copiste de Or1 se contente de modifier la désinence (entaillemens), désigne plutôt des gravures, des sculptures et s’éloigne fort du texte latin. Sans doute la difficulté venait-elle d’une leçon originale sielz, qui, à l’époque, devait correspondre à un néologisme.

2.3.2. Premières attestations contrarie “contradiction” (III, 44) : contrarieté A1’Or1B1G1N1. Contrarie rend le lat. contrarietas. En comparaison avec contrarieté, forme savante très répandue en MF et donnée par tous les témoins de notre texte, il paraît être d’un emploi récent au XIVe siècle et très rare d’une manière générale en MF (Gdf II, 269b, s. v. contralie et IX, 179b, s. v. contrarieté ; TL II, 783, s. v. contrarie et contrarieté ; FEW II-2, 1121b, contrarius, une occ. chez Gace Brulé ; DMF2012, s. v. contrariété et contrarie, dont sont enregistrées deux occ., dans le Rosarius et chez Charles d’Orléans). Le mot contrarieté résultant d’une révision dans A1’, il ne fait aucun doute que la leçon de J1 reflète la traduction originale de JdV. denier “nombre dix” (III, 8, 2 occ.) : SH. Ideoque autem lex moralis sub denario qui constat ex tribus et VII data est […]. Item quia denarius est primus limes in numeris et impletione decalogi consistit prima perfectio spiritualis […] J1. Et pour ce la loy moral est donnee sus la significacion du denier (corr. danter), qui est de III et de VII. […] Et aprés, le denier est le premier en nombres, et en

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l’acomplissement des X commandemens de la loy est la premiere perfection esperituel […] J1 III, 8

A1’

B1

G1

danter nombre de X

nombre le X denier

danter

danter

denier

X

derrenier derrenier

nombre de X

Or1

N1 doultez derrenier

Le terme denier, présent dans la première formulation divergente de Or1 (nombre le X denier) et deux phrases plus loin dans J1, était sans doute présent dans la traduction originale à la place de danter. Cette dernière leçon, correspondant à un emploi, semble-t-il, non attesté ailleurs, résulte sans aucun doute d’une erreur de lecture lors de la copie. Nous l’avons donc corrigée. Toutefois, l’emploi du mot denier pour dénoter le nombre dix – sens confirmé par la source latine, le contexte et les variantes A1’Or1 – mérite d’être souligné, puisque les seules autres attestations de cette application sont circonscrites dans l’œuvre de JdV, l’une dans la traduction de la Legenda aurea, l’autre dans les Merveilles de la terre d’Outremer. Dans son adaptation de la Légende dorée, Jean Batallier a conservé la leçon denier, qui ne devait donc pas poser de problème de compréhension au XVe siècle ; voir LégDorVignD, 284/30, Glossaire, p. 1359, s. v. denier, JVignayOdoT, XXVI/48. Les dictionnaires n’enregistrent pas l’emploi à ce jour (Gdf IX, 302a ; TL II, 1393 ; DMF2012 ; FEW III, 39b, denarius). Trois hypothèses sont envisageables pour expliquer ce néologisme dans l’œuvre de notre traducteur. 1) JdV a confondu l’adj. numéral lat. denario “relatif à dix” avec le substantif denarius “monnaie”. 2) La forme denier pourrait aussi résulter d’une réduction phonétique de dizenier, applicable à un groupe de dix personnes, encore qu’aucun dictionnaire ne signale un tel phénomène (Gdf IX, 389a, s. v. disenier ; DMF2012, s. v. dizainier ; FEW III, 23b, decem). 3) Aussi est-il plus vraisemblable de considérer l’emploi du français denier au sens numéral comme un calque du modèle latin, qui recourt à la construction absolue de denarius en ce sens, d’abord dans l’expression sub denario, puis en position de sujet précisément là où J1 porte le nom denier. L’emploi absolu de denarius pour signifier le nombre dix est attesté chez les Pères de l’Eglise (Blaise 19672, II, s. v. denarius1 ; voir aussi Edwards-Merrilees 2002, III, s. v. denarius2) – c’est d’ailleurs d’une telle construction qu’est né dès l’Antiquité le terme denarius/denier pour désigner la monnaie, qui originellement valait dix as. La substantivation de denarius “nombre dix” remonte donc au moins au lat. médiéval, et l’emploi de denier comme nom procéderait d’une influence du latin. residu “le reste, ce qui reste” (III, 30) : residu J1B1G1, remanant A1’, demourant N1Or1. Le terme residu est tiré du modèle lat. residuum. Emprunt savant très fréquent en MF, il est toutefois d’un emploi récent à l’époque du MH, puisque ses premières attestations enregistrées remontent à 1331, voire à 1365 pour le sens général “le reste, ce qui reste”, qui nous intéresse ici (Gdf VII, 97b et X, 556b ; TL VIII, 1015 ; DMF2012 ; FEW X, 297b, residuum ; TLFi). Il y a fort à parier que residu provient du traducteur, dans la mesure où cette leçon de J1 fait écho à la source latine et s’impose moins pour l’époque que les termes anciens remanant et demourant

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respectivement employés par A1’Or1. L’occurrence du MH repousse la première attestation du sens large “ce qui reste” à 1332-1333. sabbatisme (III, 40, rubrique) : sabbatisme J1B1G1N1, fester A1’Or1. La leçon sabbatisme semble être un emprunt francisé de la source lat. sabbatismo pour désigner le jour de fête. Le mot est inconnu ailleurs en français médiéval, mais il a tout de même été compris par la famille ß, qui le maintient. Il faut attendre le XVIIe siècle pour en rencontrer des occurrences, où il désigne alors l’observance du sabbat, emploi aujourd’hui vieilli (FEW XI, 3a, sabbatum ; TLFi, s. v. sabbat). Imputable au traducteur, le recours au terme sabbatisme dans le MH permet donc de conjecturer une introduction du mot en français par francisation du lat. sabbatismus et de faire remonter la première attestation aux années 1330. zelotipe (III, 43, rubrique et texte, 2 occ.) : zelotipe J1B1G1N1, jalousie A1’, zeloripe/ jalousie Or1. Zelotipe correspond au lat. zelotipie “jalousie”. J1, ß et Or1 s’accordent pour en donner un calque plus ou moins fidèle (zelotipe / zeloripe), tandis que A1’ corrige en jalousie. Le premier enregistrement de zelotipe date du XVIIe siècle, mais le mot est adjectif, au sens de “jaloux” ou “zélé”. Ses occurrences ultérieures, au XIXe siècle, peuvent certes prendre la forme nominale. Elles continuent toutefois de renvoyer à l’individu atteint de jalousie, avec une stricte application dans le domaine psychiatrique (FEW XIV, 661a, 5, zelus). On signalera toutefois que l’emprunt direct zelotipie est attesté chez Palsgrave pour marquer stricto sensu la jalousie (FEW XIV, 661a, 4, zelus) et que le nom zelodiation se rencontre dans la première moitié du XVe siècle pour renvoyer à l’ardeur amoureuse (DMF2012, une occ. dans les Règles de la seconde rhétorique ; mais rattaché à zelosus). En somme, le MH fournit désormais la première occurrence du terme zelotipe, occurrence qui, en dénotant la jalousie, constitue cependant un hapax sémantique.

2.3.3. Hapax sémantiques coton “étoffe de coton rouge” (III, 24) : coton J1B1G1N1, vermeil A1’Or1. La leçon coton, dont la graphie ne fait aucun doute dans les mss, traduit le lat. crocum, qui désigne la couleur de safran : SH. […] signari quatuor elementa […] per crocum ignem, quia in colore ei similatur. J1. […] es IIII couleurs des couvertures sont senefiés les IIII elemens : par le bis, la terre, car il est de terre et est premier terrien et a verte couleur ; par le pourpre, la mer, car il est taint des eschales de la mer ; par la jacinctine, l’air ; et par le coton, le feu, car il li resemble en couleur. Sauf erreur, le sens qui serait pris ici par coton reste inconnu des dictionnaires, le mot étant exploité pour évoquer essentiellement la couleur blanche. Il faut toutefois noter que certains de ses dérivés sont susceptibles d’impliquer la présence de motifs ornementaux, tel cotonnade “étoffe de coton à dessin tissé” (FEW XIX, 101a, qutun). La leçon de J1, qui n’a aucunement embarrassé ses continuateurs, a peu de chance de relever d’une erreur de copie. Le même mot coton est en effet associé à la couleur rouge dans l’expression de coton II foiz taint (III, 21), transmise intacte par

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les mss retenus. Elle transpose le lat. cocco bis tincto. Coton implique donc nécessairement le sème /rouge/. Il est aussi coordonné à un terme dénotant une variété de rouge : de porpre et de coton II foiz taint 37. Cette coordination oriente implicitement vers la teinte rouge, de la même manière que l’analogie posée avec le feu dans les lignes qui nous occupent. Se souvenant du passage du III, 21, éloigné d’à peine un feuillet et demi, le traducteur a-t-il tenu pour acquise cette association du mot coton avec la couleur rouge pour référer exclusivement à une étoffe de coton rouge, ou bien a-t-il lu le lat. crocum pour coccum “étoffe teinte en écarlate” ? Il serait cependant raisonnable de supposer que le sens pris ici par coton était récent au XIVe siècle ou propre à un domaine technique. La banalisation en vermeil dans A1’ témoigne en tous cas du fait que le réviseur a compris le sens pris par coton. enfantee (fame –) “en couches” (III, 34, rubrique) : enfantee J1B1G1N1, qui a eu enfant A1’Or1. Le participe passé féminin enfantee, qui correspond au lat. puerpere, signifie “accouchée, en couches”, sens non attesté ailleurs. Le réviseur (A1’Or1) préfère du reste recourir à une périphrase définitoire, femme qui a eu enfant. Les témoins du groupe ß ayant toutefois maintenu la leçon de J1, qui, à l’évidence, n’a donc pas soulevé d’obstacle pour eux, on pourrait supposer une extension sémantique initiatrice ou récente, que A1’Or1 ont préféré remplacer par une périphrase. L’expression fame enfantee, réduite à un nom suivi d’un participe passé à valeur active, a en outre le mérite d’imiter le caractère condensé du terme latin, ce qui reflète le style latinisant de JdV. engroissié “enrichi” (III, 105) : monteplié A1’Or1, omis B1, ennoblis G1, plain N1. Le participe passé engroissié, que J1 est seul à livrer, traduit le lat. opulentissimo dans le sens spécifique de “enrichi, puissant”, confirmé par les diverses variantes. Le verbe n’est pas recensé en ce sens, sous quelque forme que ce soit (Gdf III, 183a et IX, 468a, s. v. engrossier, III, 184a et IX, 468a, s. v. engrossir ; TL III, 412, s. v. engroissier ; DMF2012, s. v. engrosser et engrossir ; FEW IV, 273a, *grossia). FEW IV, 277b atteste néanmoins l’adj. gros au sens de “puissant” (‘machtig’) et c’est sans doute à ce sémantisme qu’il faut rattacher le participe passé engroissié utilisé par JdV. La diffraction des témoins issus de J1 confirme qu’il s’agit d’un mot problématique, et la correction apportée sur le ms. A1’ indique qu’il correspond à la leçon originale. huis “embouchure” (III, 111) : huis J1B1N1, entrees A1’Or1, omis G1. Le terme huis prolonge le lat. du texte-source hostia (lat. class. ostium) pour désigner, semble-t-il, l’embouchure du Rhône : Et adonc est Marsile faite pres des huis du Rone es yaues es loingtainz senz (« dans un golfe écarté »). Le mot huis est d’un emploi encore bien vivant en MF, mais plutôt dans son acception première et concrète de “porte (d’un bâtiment)” et par extension “ouverture” (Gdf IX, 773a ; TL XI, 23 ; DMF2012 ; FEW VII, 437a, ostium ; TLFi). En outre, le sens qu’il prend ici n’est attesté nulle part ailleurs. Cela peut expliquer l’intervention du réviseur (A1’ et Or1) en faveur de entrees. Ce dernier mot est à peine plus récent, mais il avait au moins le mérite d’être connu, dès l’AF, pour référer à une voie d’accès et, de manière spécifique, à l’embouchure d’un cours d’eau (TL III, 657 ; FEW IV, 774b, intrare). 37

Tous les témoins s’accordent sur cette leçon.

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siege “selle (de cheval)” (III, 83) : sieges A1J1N1, siege B1G1, seles Or1. Le mot siege traduit le lat. sessio. Son emploi pour désigner une selle de cheval remonte à l’original, puisqu’il est transmis par A1. Sauf erreur, le sens spécialisé qu’il revêt ici est inconnu des dictionnaires, sinon avec complément dans un rapport tout-partie dans l’expression, d’abord relevée par Richelet, siège d’une selle, qui correspond à la « partie de la selle sur laquelle le cavalier est assis » (FEW XI, 409b, sedicare). Dans le MH, le recours à siege peut résulter d’une traduction littérale du lat. sessio par rapprochement étymologique. D’ailleurs, Or1 francise ce qu’il a pu considérer comme un latinisme. L’accord des autres témoins avec J1 inciterait à l’admettre plutôt comme un néologisme qui serait resté rare sans pour autant poser de réel problème de compréhension au cours du MF. vernes “planches ou rondins” (III, 77, 2 occ.) : vernes J1B1N1, veirieres/vernes G1, ymages A1’Or1 (fautif). Le terme vernes est un calque du modèle lat. verna : SH. In summitate vero muri per gyrum affixa erant aurea verna ad magnitudinem hominis, propter aves ambigendas, ut de longe aspicientibus quasi silva aurea videretur. J1. En la souveraine partie de tout entour estoient fichiees vernes dorees pour chacier les oisiaus et estoient granz conme un homme, et de loing estoit veu as regardans aussi conme une silve d’or. Le mot verne, d’origine gauloise et attesté dès le XIIe siècle, demeure d’un emploi rare, peut-être d’ailleurs en raison de sa spécialisation technique, le verne désignant un gouvernail ou tout engin fait avec le bois d’aulne, voire une solive en MF (Gdf VIII, 198c ; TL XI, 299 ; ANDi ; DMF2012 ; FEW XIV, 300a-301a, verno- ; TLFi, s. v. vergne). Aujourd’hui, sous l’orthographe vergne, c’est un régionalisme du Sud correspondant à aulne dans le Nord (FEW XIV, 300a ; TLFi, s. v. vergne). Autant d’acceptions qui ne conviennent pas à notre contexte. Les vernes qui entourent la partie supérieure du temple correspondent, selon toute vraisemblance, à de longues pièces de bois, planches ou rondins. Ce sens serait un hapax. Sa technicité et sa rareté expliqueraient que le réviseur (A1’Or1) ait achoppé sur le mot et l’ait mal interprété comme un synonyme d’ymages “représentations, statues”, qu’il lui substitue.

2.3.4. Raretés lexicales ou emplois recherchés La langue de J1 a enfin la particularité d’user de raretés lexicales ou sémantiques, qui rejoignent de fait l’objectif visé par le recours aux archaïsmes et aux nouveautés, à savoir résoudre au mieux, avec les moyens que procure le français de l’époque, la difficulté que pose la richesse lexicale du latin, le caractère abstrait d’un discours ou le caractère inédit d’une réalité exotique, sans trop trahir la source latine. cenaille (III, 77) : cenaille J1B1N1, estage A1’G1, cenacle Or1. Le mot cenaille traduit cenaculum et désigne d’une manière globale une pièce située à un étage supérieur. Il s’agit d’une forme populaire de cenacle, celui-ci étant d’ailleurs préféré par Or1. Le correcteur de A1’ et le copiste de G1 ont banalisé en estage, employé du reste dans la

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suite de la phrase dans tous les mss. Cenaille étant attesté depuis la première moitié du XIIIe siècle, la difficulté qu’il a manifestement présentée ne semble pas devoir tenir à son caractère récent. Trochet 2006, 410-411 suggère toutefois de rattacher l’introduction du terme au domaine savant des ateliers monastiques du Nord. Au vu de la variation qui entoure son emploi dans notre texte, tout porte à croire qu’il devait encore être considéré comme recherché en MF. Le rattachement à une aire régionale particulière ne semble pas envisageable, d’après les témoins ; voir Gdf II, 103b, s. v. chenail et VII, 428a, sinal ; TL II, 105, s. v. cenail ; DMF2012, s. v. cenail et cenacle ; FEW II/1, 577a, cenaculum. combien que “autant que” (III, 99) : combien que J1B1G1, combien N1, tant comme A1’Or1 : SH. Immo vero, inquit, carum si quantum volet quisque bibat. J1. Mes chier se chascun bevoit combien que il voudroit. Le tour construit avec combien que imite le texte latin, quantum volet. La locution conjonctive combien que accompagnée de l’indicatif est à comprendre avec la valeur, assez peu répandue, d’équivalence “autant que” 38. FEW II-2, 1544a, quomodo, l’enregistre uniquement dans Guillaume de Dole (v. 2945). On la trouve aussi dans MirNDChartrK, 141/25, VMortAnB, v. 1171, BeaumCoutS, 798, 1281, DialGregEvrS, v. 16864. Elle a donc de fortes chances d’être originelle, tandis que la révision de A1’ et Or1 relève d’une banalisation. enbeu “imprégné, plein” (III, 65) : enbeues J1A1B1G1N1, enclines Or1. Le participe passé féminin pluriel enbeues, dont seul s’écarte Or1, est un calque du lat. de la source imbutas “imprégnées, pleines”. Il reste peu attesté dans ce sens en français médiéval (Gdf IX, 432b, s. v. embeu et 783b, s. v. imbu ; ANDi, s. v. embevrer ; DMF2012, s. v. embu ; FEW IV, 568a, imbibere), ce qui explique l’intervention de Or1. enrougi “teinté de rouge” (III, 104) : enrougi J1A1G1N1, en rougi B1, rougi Or1. Le verbe enrougir dans le sens concret de “teinter de rouge” en particulier par du sang est visiblement peu usité en français médiéval ; voir FEW X, 535a, rubeus, “rendre rouge” notamment dans le Roman d’Alexandre (ca 1280, Ainc de si bele dame nus om parler n’oï, Vis ot blanc comme lis de color enrogi Ausi vermeil con rose qui naist miedi, Armstrong 19722, p. 133, v. 24) ; ContPerc1R, III, 2, Glossaire de L. Foulet, s. v. enrogir ; Jehan de Wavrin, Recueil des chroniques et anciennes istories de la Grant Bretaigne, éd. W. Hardy et E.L.C.P. Hardy, Londres, 1864-1891, I, p. 494 ; ANDi, s. v. enrugir. En revanche, le verbe simple concurrent rougir, employé par Or1, voit ses occurrences se multiplier dans cette acception en MF (DMF2012 ; FEW X, 534b, rubeus). lobeur “flatteur, flagorneur” (IV, 7) : lobeurs J1A1, flateurs/lobeurs Or1. Il s’agit de résoudre ici le lat. adulatores. Compte tenu de la restriction d’emploi que paraît connaître le terme lobeur en MF, on peut postuler qu’il s’agit sinon d’un archaïsme, du moins d’un lexème recherché ; voir Gdf V, 9b, s. v. lobeor ; TL V, 547, s. v. lobëor ; Sauf erreur, Soutet 1992 n’en fait pas mention, en regard des valeurs concessives de la locution.

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ANDi, s. v. lobeor ; DMF2012 ; FEW XVI, 473b, *lobbôn ; auxquels on ajoutera PercefR 3, I, 498/9 ; AlexPr2H, 250/10 ; MolinetFaitzD, 409/58 ; voir aussi Roques 2008, 291. Signalons par ailleurs que Jean Batallier supprime loberies dans son adaptation de la Légende dorée de Jean de Vignay ; voir LégDorVignD, Introduction, p. 74. Dans sa copie du MH, Or1 est loin d’être systématique dans ses écarts : il substitue le synonyme flateurs uniquement dans la rubrique et transmet lobeurs dans le texte, signe qu’après une première banalisation, il a toléré l’emploi du terme, le considérant comme (encore) compréhensible grâce à la glose de la rubrique. luc “bois” (III, 86) : luc J1B1G1N1, bois Or1. Le mot luc sert à transposer le lat. lucum, désignant un bois, en l’occurrence un bois sacré : SH. Huius ergo temporibus regnavit in Samaria primo quidem Acab pessimus ydolatra qui templum in Samaria edificavit et lucum plantavit [...] J1. Et es temps de cestui regna premier en Samarie Achab, le tres mauvés ydolatre qui edefia un temple en Samarie et planta le luc. Seul Or1 banalise en bois. Plutôt qu’un calque francisé du modèle latin, il faut identifier luc comme le toponyme Luc, issu du lat. lucum et attribué, seul ou en composition, au sens originel de “bois”, à une pléiade de villages ou de villes des territoires d’oïl et d’oc 39. Notre texte l’emploie par antonomase comme nom commun. Le transfert catégoriel est attesté en champenois sous une forme luz, dans une période allant jusqu’à la première moitié du XIVe siècle ; voir FEW V, 441a, lucus, 1287-1340, dont Essomes-sur-Marne (Aisne ; canton de Château-Thierry) 1287, A Perrot de Ghambli, garde dou luz d’Esçome et de la garenne de Chast[illon] a pie, Longnon 1914, 57 ; 1288, garde dou luz d’Essomme et de la garanne de Chastiau Thierri, ibid., 94. Quant à la forme avec -c, elle est enregistrée en dehors du domaine d’oïl, dans la vallée de Cauterets (FEW V, 441a). Le nom propre rayonnant sur l’ensemble des domaines d’oïl et d’oc, il reste difficile d’affilier l’emploi du nom commun à une région particulière. La leçon luc semble du reste ne pas avoir embarrassé les continuateurs de J1, signe peut-être qu’elle devait être peu marquée. Elle a donc chance d’être du cru de JdV, mais l’emploi de luc comme nom commun constitue, pour l’heure, une rareté. plenteiveté (III, 55) : plenteiveté J1B1, plaintiveté G1, plantiveté N1, brahaingneté A1’Or1. La leçon plenteiveté “fertilité” est la seule convenable pour rendre le lat. fertilitatem, à la différence de son antonyme brahaingneté “stérilité”, donné par A1’Or1. Le mot plenteiveté, qui, dans un premier temps, a pu être noté par un copiste de A1 avant d’être corrigé en brehaingneté, a visiblement posé un problème de compréhension parce que, malgré son ancienneté (ca 1120, dans un texte anglo-normand), il devait être d’un emploi assez rare, voire réservé aux traductions des XIIe et XIIIe siècles ; voir Gdf VI, 216c ; TL VII, 1148 ; ANDi, s. v. plentiveté ; DMF2012, s. v. plentiveté ; FEW IX, 58a, plenitas ; auxquels on ajoutera planteiveté dans GratienBL, Causa 32, q4c2/63, traduisant fecunditas ; GlParR, 8954, glosant ubertas. 39

Voir Kaufmann 1913, 66-69, qui donne toutes les raisons d’y voir un toponyme ; voir aussi Hubschmid 1963, 394 ; Bevans 1941, 25.

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Jean Batallier corrige d’ailleurs la leçon plenteiveté qu’il rencontre dans la traduction de la Legenda aurea par Jean de Vignay 40. On ajoutera à cet ensemble le recours à un terme spécifique du vocabulaire technique des traducteurs, à savoir flun, réservé à la désignation du Jourdain, mais non sans désaccord entre les témoins (III, 49, IV, 29, 30) : flun J1A1, flueve Or1. L’emploi qui en est fait ici est conforme à la pratique médiévale, où le mot présente la particularité de s’appliquer au fleuve biblique ; voir Gougenheim 1970, 284-285 ; Gdf IV, 40b ; TL III, 1957 ; ANDi ; FEW III, 643a, flumen ; DMF2012, s. v. flum. Le passage suivant est exemplaire, puisque flun relève de l’initiative du traducteur, en servant à expliciter le simple latin Iordanem : SH. Precepit etiam Dominus ut Levite in omnibus tribubus dispersi haberent XLVIII civitates ad habitandum […]. Ex hiis XLVIII civitatibus, VI erant refugii scilicet tres ultra Iordanem et tres citra. J1. Nostre Sire conmanda que les Levitiques fussent espartiz en toutes les ligniees et que il eussent XLVIII citez a habiter […]. De ces XLVIII citez les VI estoient citez de refuge, c’est assavoir III outre le flun Jourdain et III par deça. (III, 49) Signalons néanmoins qu’après l’avoir corrigé en début de livre, Or1 consent à maintenir flun (III, 50, 55, IV, 30, 43, 46), preuve que le terme provient bien du traducteur. Sans compter qu’il réapparaît pour le même référent biblique dans la traduction des Otia imperialia par Jean de Vignay ; voir JVignayOisivG, Glossaire, s. v. flun.

3. Perspectives philologiques 3.1. Choix du manuscrit de base et critères ecdotiques L’édition du MH vise à reconstituer un texte aussi proche que possible de celui qu’a produit JdV, autrement dit de l’original (O) issu de la plume du traducteur. Le choix du manuscrit J1 comme base de l’édition du premier tome s’impose désormais à la fois pour des raisons linguistiques et stemmatiques 41. Tout d’abord, l’examen linguistique qui vient d’être mené montre que J1 est très souvent seul à conserver des régionalismes lexicaux, voire graphico-phonétiques et morphologiques, qui convergent vers une zone linguistique occidentale comprenant la Normandie, ce qui permettrait d’attribuer ces particularités au traducteur JdV. La plupart d’entre elles ne se retrouvent pas dans Nous n’avons pu retrouver l’occurrence dans le ms. BN, fr. 241. Dans un premier temps (Brun/Cavagna 2006, 422-423), nous avions choisi le ms. Or comme base de notre édition surtout pour des raisons matérielles. Trois tomes sur quatre sont conservés, alors qu’avec A et J nous ne disposons que de deux tomes sur quatre. De plus, à la différence des manuscrits A1 et J3, qui présentent des lacunes de plusieurs feuillets, les trois manuscrits Or conservent leur intégrité codicologique.

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les mss A1’ et Or1. À ces régionalismes s’ajoutent des emplois lexicaux remarquables, qui se distinguent par leur rareté, leur caractère archaïque ou, au contraire, novateur. Ensuite, J1 est le seul des trois témoins retenus à n’avoir pas été ����������������������������������������������������������������������������� contaminé ������������������������������������������������������������������������� par la version révisée. La révision, on le rappelle, a été probablement effectuée directement sur le manuscrit original (O’) et se reflète à différents degrés sur A1’ et Or1. La question de l’identité du réviseur est bien évidemment une question cruciale. Dans l’hypothèse où le réviseur serait JdV lui-même, nous serions en présence de variantes d’auteur, qui auraient alors une valeur considérable. Certaines révisions fautives ou approximatives (voir nabla, siel, vernes et plenteiveté) vont pourtant à l’encontre de cette hypothèse 42. Toujours est-il qu’elles ont pour effet de dénaturer en profondeur ce qu’il s’imposerait de considérer comme la traduction originale, tant du point de vue de la coloration régionale que du point de vue de la technique de traduction, notamment de la syntaxe. L’édition sera donc réalisée à partir de la transcription du ms. J1, qui sera systématiquement vérifiée sur les mss A1 et Or1 et corrigée d’après eux, le cas échéant. En dehors des segments qui ont fait l’objet d’une révision, nous sommes désormais en présence d’un stemma codicum trifide où J1, A1 et Or1 ont la même autorité stemmatique, si bien que les accords entre deux manuscrits sur trois sont, en principe, déterminants. Il faut ajouter que le texte latin du SH peut également orienter nos décisions en présence de lieux variants particulièrement complexes. La configuration A1 – Or1 – SH contre J1 nous impose sans aucun doute d’intervenir sur le manuscrit de base, même là où celui-ci présente une leçon tout à fait acceptable. Il va de soi qu’au niveau des graphies et des formes, les critères linguistiques primeront sur le raisonnement ecdotique, puisque les copistes de A1 et de Or1 ont également éliminé, même indépendamment de la révision et donc indépendamment l’un de l’autre, des traits régionaux (soudement, cen, nen, etc.). Dans ces cas, où le critère linguistique s’impose sur le stemma, nous conservons rigoureusement les traits régionaux propres à J1. En revanche, les accords A1’ – Or1 n’ont pas d’autorité stemmatique, puisqu’ils reflètent le processus de révision qui s’est produit ultérieurement à la traduction originale. Cela dit, en raison de l’intérêt que revêtent les segments révisés, toutes les variantes qui, dans le ms. A1’, ont été insérées par la main du correcteur seront présentées dans l’apparat critique en étant soulignées afin d’être mises en exergue et distinguées des autres variantes. 42

Pour le détail de la discussion, voir Cavagna 2014.

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3.2. État de la traduction dans l’original de Jean de Vignay La collation des trois témoins retenus nous invite finalement à nous interroger sur la nature du manuscrit qui se situe à l’origine de toute la tradition, à savoir celui qu’on doit considérer comme le manuscrit issu de la plume du traducteur. 3.2.1. Fautes primaires En dehors de toute trace de révision, les trois manuscrits conservent une série de leçons qu’on aurait tendance à considérer comme des erreurs de copie, mais qui, en vertu de leur diffusion dans le stemma codicum, reflètent sans aucun doute l’état du modèle de la tradition manuscrite. La méthode philologique traditionnelle nous porterait à considérer ces leçons comme des fautes de copiste et à les attribuer au rédacteur d’un archétype disparu, c’està-dire d’une copie fautive, différente de l’original, qui aurait contaminé la totalité de la tradition manuscrite. Cette hypothèse se heurte à des données contextuelles et textuelles. Tout d’abord, il est peu vraisemblable qu’avant les années 1333-1334 (dates de réalisation des mss J1 et A1), il ait existé un autre modèle, aujourd’hui disparu, qui se serait intercalé entre l’original et les premières copies conservées. Ensuite, le relevé des passages en question montre que les problèmes textuels entrent dans une typologie précise et qu’ils sont probablement attribuables au traducteur 43. Un seul exemple, pris au chap. II, 1, suffira à en donner une idée : SH. Itaque dicere quid est Deus secundum substantiam est impossibile, meliusque innotescere poterit ex omnium rerum ablatione. Negationes siquidem in divinis vere sunt, affirmationes autem incompacte 44. J1. Et pource, a dire quel chose Dieu est selonc sa substance, c’est impossible, quar de toutes autres choses tu porroies cognoistre les negacions qui sont vraies es choses devines de toutes autres choses et les affirmacions sont sans conparoison.

Selon son habitude, JdV traduit les deux premières propositions mot à mot, en calquant la syntaxe latine jusqu’au groupe c’est impossible, à partir duquel il s’écarte du modèle pour insérer une justificative introduite par car, transposition du lat. siquidem, puis le groupe prépositionnel de toutes autres choses. L’insertion d’une forme verbale de deuxième personne (tu porroies Inutile de rappeler que l’idée d’un manuscrit original parfait et dépourvu de toutes fautes n’est qu’une abstraction ; voir, entre autres, Avalle 1978. 44 « Et pour cela, dire ce qu’est Dieu selon la substance est impossible, et il peut mieux se faire connaître par la suppression de toute chose. Car si les négations concernant les choses divines sont vraies, les affirmations en revanche ne sont pas compatibles avec elles » (nous traduisons). 43

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cognoistre) s’explique facilement par la confusion entre -t et -s à la finale du modèle poterit. En revanche, le terme latin ablatio “suppression” ne semble pas avoir été reconnu, le mot ablation n’étant attesté en français qu’à partir du XIVe siècle. Peut-on imaginer qu’il ait été transformé en alium pour s’ajouter au groupe omnium rerum ? Ce qu’il importe surtout de souligner, c’est qu’une fois traduit le groupe in divinis par es choses divines, JdV semble revenir sur le groupe de toutes autres choses et l’insère à nouveau, sans pourtant effacer l’occurrence précédente. La traduction propose ainsi un doublon, mais aussi un texte erroné, puisque le groupe de toutes autres choses se trouve rattaché à deux groupes recteurs, les negacions et les choses divines, qui lui sont sémantiquement étrangers d’après le modèle latin. L’absence de variantes dans les trois manuscrits confirme bien que ce doublon remonte à la source de la tradition manuscrite. Dans d’autres passages (ex. III, 56 et 78), on retrouve exactement le même cas de figure : un problème de lecture ou de compréhension de la source latine engendre la répétition erronée d’un segment phrastique. Les répétitions de ce type peuvent être considérées comme des ‘fautes primaires’, concept récemment proposé par Baker 2011 dans son examen des deux rédactions du Bestiaire attribué à Pierre de Beauvais. Les fautes qu’il appelle primaires seraient le fait d’un remanieur qui serait revenu sur la première version du Bestiaire pour y insérer de nouveaux segments textuels. Au moment de la ‘mise au net’ de la version remaniée (version longue), le copiste aurait été confronté à un modèle complexe où l’articulation entre éléments primitifs et insertions tardives n’était pas toujours très nette. Or, il est intéressant de constater que certains des passages analysés présentent des caractéristiques partagées par nos exemples, en particulier la répétition fautive de certains segments textuels 45. Le modèle esquissé par Baker 2011 pourrait donc bien être appliqué à l’original de JdV, qui, d’après notre hypothèse, devait avoir, à plusieurs endroits, l’aspect d’un brouillon. Si la situation diffère par le fait que le Bestiaire comporte l’intervention d’un remanieur et présente un décalage flagrant entre un texte primitif et un texte révisé, nous pouvons néanmoins considérer que l’opération de translation linguistique impose également au traducteur de jouer un double rôle. En effet, le travail de traduction se situe en quelque sorte au carrefour du processus de copie et de l’acte de création ou plutôt de re-création d’un texte. Cela est d’autant plus vrai que JdV, on le sait, tend à suivre fidèlement sa source. Sa traduction-calque progresse ainsi de manière littérale et son travail se rapproche concrètement de celui d’un copiste. On imagine sans peine qu’un problème de lecture ou de compréhension ait des conséquences Voir les conclusions de son analyse, Baker 2011, 308.

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rétroactives immédiates sur le segment de texte qui aura été traduit et écrit entre-temps. Le modèle qui se situe à l’origine des trois copies J1, A1 et Or1 devait présenter bien des traces de corrections, d’amendements, de repentirs et d’ajouts, bref, une instabilité textuelle symptomatique de la complexité du travail de traduction. 3.2.2. Une orientation régionale secondaire ? Enfin, il n’est pas exclu que le caractère complexe et stratifié de l’original – même en dehors du processus de révision – rende compte par ailleurs d’une forme de collaboration entre JdV et un auxiliaire anonyme qui aurait été chargé de transcrire, voire de traduire certains passages de l’encyclopédie. Une telle hypothèse repose sur plusieurs indices, textuels et linguistiques. Tout d’abord, dans les différentes sections du MH, on remarque des décalages assez importants dans la traduction des mêmes éléments du texte latin – tournures syntaxiques, traitement des pronoms personnels, expressions lexicalisées, noms propres 46. Ensuite, nous avons repéré, dans J1 ou dans les trois mss à la fois, certains traits régionaux qui semblent en contradiction avec une coloration occidentale propre à la langue JdV. Ces quelques rares formes, dont il sera question ici, sont susceptibles de renvoyer à une aire orientale, soit qu’elles appartiennent strictement au Nord-Est et à l’Est, soit qu’elles sont ambiguës et localisables aussi bien dans l’Ouest que dans l’Est. La collation des manuscrits montre que ces formes remontent très haut dans le stemma. (1) Le digramme ei/ey note une diphtongaison secondaire de [ẹ], issu de a latin tonique libre, en [éi], dans lei et amey. Le trait est spécifique non seulement du Nord-Est et de l’Est 47, mais aussi de la Normandie, qui en fournit quelques exemples 48. Cette graphie est pour ainsi dire propre à J1, remplacée en général par la forme commune en -e dans les témoins, comme c’est le cas de lei (III, 80, lat. latitudinem), pour lé dans les autres mss. En revanche, on explique mal la graphie coustumei (III, 12) qui traduit le lat. ritu et qui est donc censée correspondre au nom coustume avec [] final et non [ẹ] tonique. Coustume n’est attesté nulle part ailleurs sous une telle forme. Le nom acostumee existe bien comme synonyme de coustume (TL I, 118, s. v. acostumee), mais il ne pourrait être noté avec -ei final. D’ailleurs, les autres mss sont L’étude de ces décalages fera l’objet d’une publication ultérieure. Voir par ex. SommeLaurB, Introduction, 74 ; JPrioratR, v. 2741, amey : clamey ; Hicks 1996, p. 63, l. 107, mesley ; Roumant du marquis de Saluce et de sa femme Griselidys, dans PhMézGrisG, 226/47 ; les chartes des XIVe-XVe s. rédigées en Flandres, Wallonie, Lorraine, Bourgogne et Franche-Comté en attestent également. 48 Voir Fouché 1969 2, II, p. 263 ; Fouché 19672, § 184a ; LRL II/2, 330 ; Gossen 1970, § 1, p. 48. 46 47

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unanimes pour transmettre coustume. Faut-il y voir une graphie fautive, introduite par le copiste, qui aura interprété une séquence lacoustume comme le groupe l’acoustumé ? Ailleurs, la forme amey donne lieu à un phénomène de diffraction. Dans le ms. J1, le groupe un amey, pour un amé (II, 2), traduit le lat. condilectum. La même forme est encore bien visible dans le ms. A1’, malgré le fait que le réviseur soit intervenu en grattant le -y à la finale, produisant ainsi la leçon I ame. C’est probablement à partir d’une forme similaire que le copiste de Or1 a engendré la leçon erronée une ame, en interprétant le chiffre romain I comme un féminin, alors qu’il fallait sans doute lire un amé. Les autres mss proposent des leçons divergentes : un amor B1, un amy G1, un ami N1 49. En définitive, il est licite d’attribuer les autres formes en -ei à l’original. L’hypothèse est confortée par le témoignage de A1, qui tantôt rejoint J1 avec B1 pour noter cheitis (II, 9 ; chaitiz B1), contre chetis G1N1Or1 – encore que cheitis puisse tout aussi bien être une simple graphie pour chetis –, tantôt transmet seul la forme neis (III, 111), régime pluriel de nef, contre nes J1N1Or1 ou nefs G1 50. (2) La graphie betement, transmise par J1B1 (III, 75), pour batement G1, traduit le lat. flagello “coup donné” : SH. Ibi est illa incomparabilis humilitas sub flagello Dei. J1. Ici est cele humilité non comparable souz le betement de Dieu.

La graphie en -e rend compte d’une fermeture de [a] initial atone en [ẹ]. C’est cette forme qui devait apparaître sur l’original de notre texte, puisque le correcteur de A1’ modifie le tracé de la première lettre en engendrant la leçon vetement et que le copiste de Or1 précise la graphie en insérant un -s étymologique (vestement). De même, N1 se fourvoie en comprenant blecement. De toute évidence, ces interventions ne s’expliquent que par non-reconnaissance d’un régionalisme. Cependant, faute d’attestation dans l’Ouest ou dans les régions voisines, on peut douter que la forme en [ẹ] soit le fait de JdV. En revanche, Gdf IX, 305c, s. v. batement, enregistre une occurrence de baitement dans un texte du XIVe siècle localisable en Lorraine, Des XVI peichiés qui viennent de jouer. Certes, une forme en -ai est plus attendue en lorrain qu’une forme en -e. Néanmoins, on ne peut exclure que betement, qui apparaît dans notre texte, soit une pure graphie pour baitement (de même que, dans l’Est, le digramme ei peut La substitution d’ami opérée par certains mss est à rapprocher de l’emploi possible d’amey pour ami ; voir, par exemple, Philippe de Vigneulles, Journal, 68, 88, 109. 50 B1 omet le passage qui contient le mot.

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apparaître pour e ; voir Gossen 1970, 49), ce qui permettrait de l’attribuer à un collaborateur de JdV. D’ailleurs, ce type de fermeture est attesté avec la graphie -e parmi les traits orientaux que contient la SommeLaurB (ex. essauz pour assauz ; voir Introduction, p. 76). (3) La forme savoir (III, 107) correspond au substantif savor “saveur” (SH. saporis ; saveur Or1). La forme peut être de l’Ouest (ANDi, s. v. savur) aussi bien que du Nord-Est, cette dernière aire régionale étant propice à l’interchangeabilité des graphies oi et ue 51. (4) Signalons enfin le terme handelete “baguette” (IV, 6, erronément graphié avec c au lieu de t dans J1), qui correspond au lat. calamo : SH. […] et calamo lento levo accipitrem visco contractum in terram stravit. A1J1Or1. Et un oisel leur vint d’une autre partie et a une petite handelete recorbee au bout prist l’esprevier et le geta a terre.

L’emploi de handelete, ainsi que celui des autres mots de la famille, dont le verbe handeler, se localise dans l’aire lorraine (Gdf III, 412a, s. v. handeler ; DEAF H, 130, s. v. handeler ; DMF2012, s. v. handeler et handelette ; FEW XVI, 139a, handeln). Le MH en offre l’attestation la plus ancienne. Comment expliquer ces régionalismes de l’Est et du Nord-Est ? Compte tenu du peu d’attestations qu’on en a, rien n’interdit de supposer que leur zone d’emploi ait atteint l’Ouest. Mais, nous l’avons vu, il n’est pas impossible qu’ils soient dus à un collaborateur de JdV, natif de l’Est, qui serait intervenu dans la toute première phase du travail, soit lors de la première transcription d’un brouillon, soit même dans le travail de traduction.

4. Conclusion Le travail d’édition et l’étude linguistique qui l’accompagne nous ont permis d’avancer dans la connaissance du MH et du traducteur JdV, qui, malgré son importance dans le panorama des lettres françaises du XIVe siècle, reste très largement méconnu et trop souvent sous-estimé. Le sort des nombreux régionalismes normands que nous avons présentés ici nous paraît emblématique de ce qui caractérise la transmission des textes au Moyen Âge. La couche linguistique qui était sans aucun doute propre à l’auteur de la traduction a été assez rapidement effacée d’une part sous l’action du réviseur, de l’autre, sous le réflexe moins systématique, mais également très important, des copistes. Les réflexions menées ici ont en outre permis d’insister sur le rôle décisif joué par l’analyse linguistique non seulement sur les choix éditoriaux, mais 51

Voir Pope 19613, § 720** ; Gossen 1970, p. 77, n. 32.

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aussi sur l’étude des rapports entre les témoins. Si la supériorité de J1 sur les autres témoins ne fait désormais aucun doute, la question de la version révisée conservée par le ms. A1’ et, en partie, par le ms. Or1 mérite toutefois une attention particulière. Cela dit, nous pouvons désormais affirmer que l’édition du premier tome du MH repose sur des bases solides et est très proche de son achèvement. Université catholique de Louvain

Nathalie BRAGANTINIMAILLARD

Université catholique de Louvain

Mattia CAVAGNA

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COMPTES RENDUS

Problèmes généraux Frédéric DUVAL (ed.), La « logique » du sens. Autour des propositions de Robert Martin, Metz, Presses de l’Université Paul Verlaine (Recherches linguistiques, 32), 2011, 325 pages. L’ouvrage qui réunit les contributions du colloque tenu en l’honneur de Robert Martin en mars 2011 est une très belle illustration de ses propositions théoriques. Cette forme d’hommage rendue au grand linguiste regroupe dix-sept études précédées d’une Introduction de F. Duval, et suivies d’une Bibliographie de Robert Martin depuis 1996 (ses publications précédentes avaient été listées dans le volume Les Formes du sens paru en 1997). Ces études, comme le souligne F. Duval dans sa présentation liminaire, couvrent un très large empan de la linguistique dans son aspect sémantique, logique et énonciatif. Elles touchent au cœur des propositions qu’au fil de ses ouvrages R. Martin a formulées et qui ont à bien des égards renouvelé l’intérêt et les développements en France de la sémantique grammaticale : sémantique vériconditionnelle, logique des ‘mondes possibles’, univers de croyance, notion de ‘flou’ en sémantique, autant de concepts qui depuis irriguent le champ de la linguistique. Les participants à ce volume ont majoritairement exploité et développé les propositions de R. Martin en sémantique : quatorze des études éclairent ou testent un aspect du domaine. Un court texte liminaire est de la plume de R. Martin lui-même (« De quelques convictions », [7-15]) : il y expose les trois éléments qui sont pour lui au fondement de la linguistique, et qui doivent être au cœur de l’activité du linguiste – de quelque école qu’il se réclame. Ce sont : la conviction de l’unicité de la linguistique ; la quête d’une cohérence, non incompatible avec le choix d’un modèle ou d’une théorie ; et, de façon qui pourrait paraître hétérogène sauf à considérer qu’il s’agit, au même titre que les deux précédents, d’un réquisit adressé aux linguistes : l’importance capitale à accorder à l’automatisation (et sa conviction repose sur sa pratique et ses découvertes en tant que maître d’œuvre du TLF et du DMF). Plaçant ces trois ‘convictions’ en exergue du volume, et du colloque qui en est à la source, R. Martin éclaire d’une façon fort éclairante sa démarche multi-dimensionnelle durant quatre décennies. Il n’était pas possible d’évoquer la démarche théorique de R. Martin sans rappeler son rapport à la théorie de G. Guillaume. L’article d’O. Soutet, intitulé « Sémantique ‘martinienne’ et sémantique guillaumienne » [17-30], et qui se propose « d’évaluer

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COMPTES RENDUS

la linguistique de R. Martin par rapport à la théorie psychomécanique » [25], a été, à très juste titre, placé en tête du recueil. Il s’agit d’un texte brillant et perspicace, qui en une douzaine de pages alertes, passionnantes aussi par le parcours générationnel qu’il dessine, explore au fond et de façon convaincante la relation de R. Martin à son ‘maître’ G. Guillaume. L’auteur y décrit en particulier le tournant théorique, la ‘rupture idéologique’ initiée par R. Martin dès 1976 dans Inférence, antonymie et paraphrase, et consommée six ans plus tard dans Pour une logique du sens et Langage et croyance. Nous citerons une formule qui résume bien ce décalage : « Autant dire qu’à Martin la psychosystématique offre une épistémologie d’opportunité et d’efficacité, mais en aucun cas une épistémologie de conviction » [21sq.] ; pour Martin en effet, la langue n’est en aucun cas sa propre théorie, comme elle l’était Guillaume, à qui l’exigence épistémologique de Martin était étrangère. Un second point sépare R. Martin de G. Guillaume : le premier place au centre de son analyse la phrase, le second le mot – ce qui mettra Martin dans la position de définir comme une limite de la psychomécanique le fait que « la ‘sémantique guillaumienne’ n’a pas encore résolu […] le problème de ses rapports avec la syntaxe » (1980, cité [24]). En effet, comme toutes les théories développées à partir des années 70, celle de R. Martin définit la phrase comme l’unité centrale de l’analyse. Pour finir, O. Soutet souligne, de façon très éclairante, la façon dont R. Martin, s’il s’est éloigné de la démarche théorique guillaumienne, a cependant opéré une « sorte de réappropriation d’un certain type de formulation guillaumienne », qui laisse transparaître la « dette considérable » de R. Martin à l’égard de la psychomécanique, dette qui à aucun moment n’a « altéré sa liberté de chercheur ni réduit le champ d’exercice de ses hypothèses propres » [29]. L’analyse de B. Combettes [31-46], intitulée « La syntaxe dans le modèle sémanticologique de R. Martin, problèmes et méthodes », approfondit de façon très éclairante l’un des points de rupture mis en évidence dans l’article précédent : la place de la syntaxe dans la pensée théorique de R. Martin, en soi et par rapport à Guillaume. La priorité donnée par R. Martin dans ses recherches à l’élaboration d’un modèle sémantico-logique semble reléguer à l’arrière-plan la syntaxe. Or B. Combettes montre que, par l’exigence affirmée par R. Martin d’aboutir à « une vision globale du système linguistique dans son entier », il est conduit au contraire à donner sa place au champ des constructions ; si, comme il l’écrivait en 1991, « une véritable syntaxe guillaumienne reste encore à créer », il entend intégrer dans son modèle l’unité ‘phrase’. De façon extrêmement acérée, B. Combettes analyse les étapes de cette intégration ; il en voit la première étape dans le soin avec lequel R. Martin distingue ‘classe’ et ‘catégorie’, deux concepts souvent utilisés mollement ou de façon quasi synonymique. Pour R. Martin, la ‘classe’ est une notion de nature morphosyntaxique, elle se définit suivant la grammaire distributionnelle comme l’ensemble des éléments commutables ; la ‘catégorie’, elle, est au fondement de la sémantique grammaticale, elle est essentielle dans le modèle guillaumien où elle apparaît comme une « représentation mentale » [34] – « La grammaire guillaumienne est une grammaire catégorielle », écrit Martin en 1965. Un autre aspect du modèle développé par R. Martin révèle, comme le montre B. Combettes, l’usage spécifique qui y est fait de la syntaxe : comme dans les autres modèles – et en particulier comme dans le modèle génératif qui, très souvent, apparaît comme ‘l’autre’ dans le raisonnement de Martin –, l’analyse linguistique a bien pour fin de rendre compte des énoncés possibles : non pas à des fins de définition de la ‘grammaticalité’, mais afin de mettre au jour les valeurs de vérité des énoncés – et ce à travers des opérations de nature logique. B. Com-

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bettes montre comment, dans les modèles qui s’élaborent et s’affinent entre 1976 et 1981, le niveau sémantique le plus profond (composant sémantico-logique) va informer les schèmes syntaxiques (valenciel, puis fonctionnel), avant que la composante discursive ne les transforme en un énoncé. Concernant donc la place de la syntaxe dans ce modèle dont l’architecture est fondée sur la sémantique, B. Combettes souligne que, tout autant que la structure fonctionnelle, elle se trouve intégrée comme composante à part entière dans le système élaboré par R. Martin – même si les spécificités du modèle laissent penser qu’il rencontrerait des limites dans le traitement de structures complexes telles que la prédication seconde ou la parataxe. Annie Bertin revient elle aussi sur cette question (« Syntaxe et lexicographie, le rêve d’un grammairien », [47-69]) et rappelle, à travers l’intérêt constant du lexicographe pour les ‘mots grammaticaux’, et à travers la citation de la phrase liminaire de l’étude sur rien (un ouvrage fondateur que l’on pourrait voir comme une des premières enquêtes sur le processus de ‘grammaticalisation’), que R. Martin a constamment allié « souci de lexicographe » (et de sémanticien) et « intérêt pour la syntaxe ». A. Bertin insiste en outre sur un point très intéressant de la démarche de R. Martin diachronicien guillaumien : le souci de détecter, chaque fois que possible, un « parallélisme entre l’organisation des ‘saisies’ en synchronie et l’évolution historique » [56]. Et elle termine son étude par un questionnement important, évoqué par R. Martin lui-même, sur la nécessité de repenser les fondements théoriques de la lexicographie par une mutation vers une description des ‘usages’. Le témoignage de M. Wilmet (« Temps et aspect 2 X 20 après », [71-85]) est éclairant et stimulant : à la fois compagnon en guillaumisme, en diachronie, et en sémantique, et co-auteur d’une Syntaxe du moyen français (1980) qui reste un jalon, il rappelle les questionnements fondamentaux de R. Martin sur l’approche guillaumienne dès les années 1970, et les réponses qu’il a contribué à y apporter dans une démarche épistémologique informée par les réflexions contemporaines. Et dans un ‘coup d’œil prospectif’, il revient de façon très éclairante sur les implications d’un point de théorie qui les distingue (les oppose ?) dans l’analyse de l’imparfait. Après ces quatre études centrées sur la théorie en elle-même, vient une série d’analyses de points particuliers à la lumière de l’approche développée par R. Martin. La première, celle de Ch. Surcouf, est consacrée au présent (« Quelques réflexions épistémologiques sur l’analyse d’un temps grammatical : un examen partiel du rôle du présent en encodage », [87-106]). C’est une étude importante et approfondie des divers facteurs à prendre en compte dans l’encodage, qui se situe dans la suite d’études récentes sur le domaine (Barcelò et Bres 2006, Gosselin 2005, Creissels 2006 entre autres). L’auteur rappelle quelques fondamentaux (« aucun morphème verbal ne fonctionne indépendamment du radical verbal qu’il suffixe », plusieurs facteurs interfèrent dans l’interprétation, la taille d’énoncé nécessaire à l’interprétation n’est pas un donné), et liste [95] les six marqueurs nécessaires au calcul du sens. Il couple ensuite la démarche qu’il développe du ‘Principe d’encodage de la contemporanéité’ et l’opposition de re/ de dicto développée par R. Martin, avant de conclure sur la difficulté à envisager la possibilité d’un encodage global de tous les tiroirs verbaux. Dans la suivante (« Univers de croyance et polyphonie », [107-120]), H. Nølke compare l’approche qu’il a lui-même développée (la théorie SCAndinave de la POLyphonie LINguistiquE) à celle des univers de croyance élaborée par R. Martin, et illustre

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son propos à travers l’exemple de la concession. L’auteur montre ainsi les différences entre les deux approches, l’une centrée sur la vériconditionalité, et l’autre sur l’interaction entre locuteurs. Mais il souligne aussi que ces deux approches ont en commun de pouvoir prendre en compte « l’idée du marquage des croyances qui ne sont pas celles du locuteur » (p. 116), et que de ce fait elles se complètent. Les trois études suivantes sont consacrées aux déterminants. Celle de P. Larrivée (« Non-dit, implicatures, contexte », [121-136]), est centrée sur le mode d’analyse du déterminant existentiel – spécialement à travers quelques et surtout some. L’auteur montre, grâce à l’analyse d’un corpus oral de 200 occurrences de some issues du BNC, et au traitement des implicatures générées par ce déterminant dans les échanges, que la majorité des énoncés ne génère pas nécessairement une implicature ; il en conclut que les implicatures conversationnelles généralisées de quantité ne sont pas des éléments du sens même des expressions scalaires, et que la notion de non-dit développée en particulier par R. Martin est essentielle pour rendre compte des cas où il y a implicature(s). Dans son étude (« Pour une logique du sens des déterminants », [137-161]), E. Lavric montre « l’extrême utilité d’une théorie des mondes possibles et des univers » [138] pour rendre compte des valeurs des déterminants, spécialement dans une étude contrastive entre français, espagnol et allemand. Elle rend compte ainsi finement des valeurs des indéfinis du petit nombre (quelques / certains, einige / manche, algunos) et des déterminants de la totalité (tout-tout les / chaque, jeder-alle, todo-todos / cada), et met au jour les différences d’emploi qui les opposent dans les trois langues. S’ouvre ensuite une série de trois études, fondées elles aussi sur des notions développées par R. Martin, mais illustrant un autre pan de ses recherches : celui de la diachronie. L’étude de M. Manoliu-Manea (« Universaux linguistiques, pragma-sémantique et changement linguistique », [163-181]), qui ouvre cet ensemble, montre l’efficacité et la pertinence de la notion d’univers de croyance pour rendre compte d’une série de changements dans les langues romanes qui ont généré des différences essentielles entre elles : position du démonstratif (et spécialement sa postposition au nom), marquage (prépositionnel) de l’objet direct, valeur du verbe réfléchi. L’analyse diachronique suivante concerne les adverbes de négation (« Universaux linguistiques et négations », [183-197]). M. Iliescu s’appuie sur la distinction opérée par R. Marin entre ‘universaux fonctionnels’ et ‘universaux conceptuels’ pour rendre compte, dans des langues diverses, des procédés de grammaticalisation des renforcements de la négation (pour les langues romanes latin ne-ullus, ne-unus…, ne-homo, nehilum, l’utilisation de punctum, passum, mica, gutta, natus, res, gens…). Elle montre ainsi que « le recours à des mots génériques pour exprimer différentes formes de négation contenant le sème /+humain/ peut être considéré comme faisant partie des universaux conceptuels » [194]. Dans une étude très fournie et très dense sur une sous-classe de verbes essentiellement pronominaux du français, J. François (« La polysémie sélectionnelle, source majeure de la pronominalisation essentielle en français », [199-225]) poursuit son exploration du champ verbal du français. Il examine ici le sous-ensemble des VEP (verbes essentiellement pronominaux) ayant présenté dans le passé au moins un emploi transitif (ex. : s’écrouler), et pour ce faire il fait appel à une notion développée par R. Martin, celle de ‘polysémie externe sélectionnelle’, qui désigne « une répartition différente des fonctions grammaticales sur un même schème profond de nature sémantico-logique ».

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Après un inventaire fondé sur quatre sources lexicographiques, l’auteur souligne les différences considérables entre les quatre listes obtenues (438 verbes au total), qui ne s’accordent que sur 33 verbes. Il retient finalement les 39 VEP ayant connu un emploi transitif à une étape de leur histoire et les examine au prisme de 15 dictionnaires fournissant des éléments historiques, donnant ainsi un bon exemple de ce que sera la description qu’il prépare « du profil diachronique des 163 VEP du français du XXIe siècle » [222]. Les cinq dernières études s’adressent à l’activité lexicographique de R. Martin, soit pour tester ou compléter certaines de ses propositions théoriques, soit pour illustrer certaines difficultés propres à la pratique lexicographique. Dans un bref article (« Inférences à fondement lexical : pour une dimension ontologique de la sémantique lexicale », [227-237]), D. Śliwa plaide pour l’intégration d’une dimension ontologique dans la sémantique lexicale, ce qui apparaîtrait comme un prolongement de la ligne développée par R. Martin. L’étude suivante, de S. Saulnier (« Le sémantisme flou, la scalarité et les cardinaux », [239-257]), met à l’épreuve la notion martinienne de ‘sémantisme flou’ quand il s’agit de décrire des usages périphériques des noms de nombre (exemples : J’en ai pour cinq minutes, C’est à trois pas d’ici). L’auteur montre que dans ces emplois la scalarité des cardinaux semble disparaître (j’en ai pour deux secondes / vingt secondes sont synonymes), mais le cardinal est susceptible de degré, or il s’agit de métaphore dans ces cas ; et surtout, le cardinal, d’après l’auteur, constitue un foyer de résistance au ‘flou’. L’enquête de F. Möhren explore un point de sémantique historique – un autre des champs d’élection de R. Martin – (« A la quête du sens : le vague et les couleurs », [259280]). Revenant tout d’abord sur la pertinence de la notion de ‘flou’ en sémantique, il se propose, afin de la mettre à l’épreuve, d’examiner dans cette perspective le champ des noms de couleur. Prenant comme exemple les huit couleurs canoniques de l’héraldique, il montre que la désignation de ces couleurs dans les textes varie (ex. : azur et ses dérivés, inde, puis bleu ; ou argent et blanc), et se demande si ces différentes dénominations appartiennent toutes, ou non, à cette langue de spécialité. Au terme d’une analyse extrêmement riche et passionnante, il montre que l’héraldique, champ d’une spécialité rigoureuse, « est un cas d’école, car elle permet de sonder les désignations ancrées dans le langage commun » [276] : en effet, la variabilité qu’offre l’usage « n’a rien à voir avec la notion de ‘flou’ ou de ‘vague’ », « la gamme illimitée des couleurs [étant] segmentée par des désignations ne couvrant pas toutes les couleurs possibles et ayant des tendances à se recouper » [275sq.]. L’article de D. Trotter (« Science avec conscience : réflexions sur le lexique scientifique et le DMF », [281-299]) s’adresse lui aussi à la pratique de lexicographe de R. Martin. Il met en évidence une difficulté propre à l’étude du vocabulaire scientifique ou technique : l’utilisation de mots proprement techniques dans des textes, tels les romans, qui ne le sont pas (tels aimant, magnet ou magnate) ; et il évoque les cas nombreux où des termes qui pourraient appartenir au vocabulaire scientifique montrent une tendance à la variation (moë “mouette” et mauvis “sorte de grive” ; charrée “contenance d’une charrette prise comme unité de mesure” ; sac, qui désigne d’une part un contenant, et d’autre part une unité de mesure équivalant à son contenu). Ces pratiques le conduisent à s’interroger sur la notion même de langue, ou terme, scientifique, et à montrer que bien des mots « ont pour ainsi dire une double existence, mots courants d’une part, mots tech-

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niques ‘de métier’ d’autre part » [295] – et il rappelle que si « le référent est le même », c’est « le savoir encyclopédique du locuteur qui ne l’est pas » (ibid.). Enfin, P. Kunstmann analyse son expérience d’auteur d’un dictionnaire de la langue de Chrétien de Troyes (DÉCT-1) intégré aux côtés du TLF et du DMF après enrichissement des articles (DÉCT-2), et présente une réflexion importante sur la différence de traitement accordée aux deux aspects de la description des mots que sont la synonymie et l’antonymie (« Synonymie et antonymie : des propositions de R. Martin à la préparation de la seconde phase du Dictionnaire électronique de Chrétien de Troyes », [301-317]). Alors que les synonymes d’un mot apparaissent assez régulièrement dans les articles des divers dictionnaires, il n’en va pas de même des antonymes. Et pourtant, comme le savent les médiévistes, et comme l’a montré R. Martin dans ses contributions au DMF, « l’expression de la totalité par la conjonction des contraires » [309] par exemple représente un pan non négligeable de l’écriture médiévale, et les jeux antonymiques de façon générale ne sont pas rares à cette période, tant dans les chiasmes que dans d’autres figures poétiques. L’importance de ces pratiques a conduit l’auteur du dictionnaire à accorder à ces deux figures une position importante dans la structure des notices, et à prendre la décision de « placer les balises ANTON./SYNON. en tête de paragraphe, juste après la définition du lexème » [313] – en prenant garde d’en distinguer soigneusement ce qui est simplement parasynonymies ou associations. Le volume se conclut par une bibliographie de six pages rassemblant les publications de R. Martin parues entre 1996 et 2010. À travers le large empan des thèmes abordés, ce volume illustre magnifiquement combien ont été et restent fructueuses et efficaces les propositions de R. Martin, articulées en un modèle d’ensemble cohérent. Ces études ouvrent à leur tour vers l’avenir en annonçant ou suggérant de nouveaux développements. Christiane MARCHELLO-NIZIA

Romanche Hans GOEBL (sous la direction de), Atlant linguistich dl ladin dolomitich y di dialec vejins, 2a pert / Atlante linguistico del ladino dolomitico e dei dialetti limitrofi, 2a parte / Sprachatlas des Dolomitenladinischen und angrenzender Dialekte, 2. Teil, 5 vol. de cartes + 2 vol. d’index ; Strasbourg, SLiR/ELIPHI (Coll. Bibliothèque de Linguistique Romane, Hors Série n° 2.1-2.7), 2013. Voici la seconde partie de l’ALD. Elle forme le magnifique complément de la première partie, dont les sept volumes ont été publiés en 1998 et dont il a été rendu compte en son temps (ici 67, 261-265). Tandis que cette dernière était dédiée essentiellement à l’étude de la variation phonétique, cette seconde partie est consacrée au lexique et à la morpho-syntaxe. Un questionnaire de 1063 questions a été établi par Paul Videsott, regroupées par thèmes, comme traditionnellement, de manière à favoriser le déroule-

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ment de l’entretien entre l’enquêteur et les enquêtés. Les questions ont été libellées en italien, langue de l’enquête dans la presque totalité des points, mais, pour faciliter la relation entre enquêteurs et informateurs, elles ont été traduites en ladin et en allemand, cette dernière langue ayant été la langue de l’enquête dans les Grisons. Les enquêtes ont été menées entre 2001 et 2007 dans les mêmes lieux et souvent avec les mêmes informateurs que pour la première partie. Mais, alors que pour celle-ci deux enquêtes avaient été faites dans chaque point, cette seconde partie, étant donné le volume du questionnaire, est fondée sur une seule enquête menée avec plusieurs informateurs dans chaque point. Au total 833 informateurs, donc selon une moyenne de 3,8 personnes par point, ont été interrogés par 10 enquêteurs. Le questionnaire a été conçu pour couvrir tous les aspects de la vie humaine. Comme dans toutes les entreprises ethnolinguistiques, les travaux et les jours en forment la base, travaux domestiques, artisanaux, ruraux, le temps qu’il fait, le temps qui passe, les âges de la vie, etc. Ne manquent pas les réalités spécifiques comme le poêle (439), la bourrasque de neige (693), la neige mêlée d’eau (702), l’edelweis (799), etc. Mais on peut noter aussi des cartes qui sont originales dans le panorama de ce type d’ouvrage, consacrées à des réalités telles que les couleurs du jeu de cartes (263, 264), l’accordéon (292), l’harmonica (293), les injonctions de l’instituteur aux écoliers (306, 320), la bonne du curé (361), etc. Les faits morphosyntaxiques ont été intégrés dans les différents thèmes abordés pour atténuer le plus possible l’artificialité éventuelle des questions. Mais un index grammatical, qui comporte près d’une centaine de catégorisations, permet de retrouver dans les titres des cartes, par exemple, la cinquantaine d’exemples d’un verbe conjugué à la première personne du singulier, les quelque quatre-vingt-dix cas de représentants du verbe *essere, la dizaine d’exemples d’un subjonctif imparfait, la soixantaine de propositions interrogatives, les trois propositions interro-négatives, etc. Comme pour la première partie, les enquêtes ont été systématiquement enregistrées. Les enquêteurs, par la réécoute des enregistrements, ont établi de façon définitive les réponses dans le questionnaire et elles ont été, à partir de là, introduites dans la banque de données transcrites. Ont été sélectionnées les seules réponses basilectales, selon le jugement métalinguistique des informateurs eux-mêmes, qui ont la compétence du maniement des systèmes local et supra-local et de leur distinction. On peut en juger par leurs commentaires sur le sens, le registre, etc. des réponses, que rapportent les légendes de certaines cartes. La complexité sémantique et syntaxique, plus grande que pour ALD1, a entraîné des réponses multiples. Toutes n’ont pas toujours pu prendre place sur la carte. En tel cas, il a été choisi de cartographier in extenso la première ou la principale réponse et de reporter l’autre ou les autres réponse(s) dans le volume supplémentaire. On peut y voir aussi un moyen d’évaluer l’étendue des compétences des informateurs. Ainsi par rapport à la carte 5 « il loro zio / la loro zia », le complément fournit, entre autres, les formes du type barba / ameda signalées comme archaïques par les témoins ou au contraire les formes zio / zia signalées comme italianismes, les types Onkel / Tante signalés comme germanismes, etc. Au total les cinq volumes comportent 1066 cartes, dont un bon nombre sont doubles ou rapportent des syntagmes. Chaque volume peut être consulté de manière autonome, puisque chacun d’eux reprend les informations nécessaires : la liste des abréviations, le système de transcription phonétique, la liste des 217 localités explorées et de leurs informateurs, une liste alphabétique des localités explorées, la liste des localités

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explorées antérieurement par l’AIS, l’ALI, l’ASLEF et Karl von Ettmayer avec les correspondances à l’ALD (ce qui permet de voir que plus de la moitié des enquêtes de celui-ci ont été conduites dans des localités inexplorées par les entreprises antérieures), les cartes des noms officiels des points d’enquête, celle des enquêteurs, celle des noms dialectaux des points d’enquête, celle du nom des habitants de ces points et celle des noms dialectaux des parlers. En outre, le site informatique de l’ALD (‹http://ald2.sbg.ac.at›), tout comme (‹http:// ald1.sbg.ac.at›), offre à la consultation en ligne chaque carte en format pdf, la liste des données de chaque carte en ordre des points, en ordre alphabétique, en ordre alphabétique inverse. Il donne aussi accès au moteur de recherche qui permet d’interroger la base des données et, parallèlement, à la base sonore où l’on peut repérer pour chaque question de chaque point le contexte d’enquête où a été recueillie la réponse cartographiée. Cette somme impressionnante de moyens couronne l’entreprise magistrale de l’ALD et en fait l’une des œuvres marquantes de la géolinguistique, par ses innovations qui renouvellent et enrichissent la tradition établie par l’ALF et l’AIS et dont il se proclame le continuateur [vii]. Jean-Paul CHAUVEAU

Italoromania Paul VIDESOTT, Padania scrittologica. Analisi scrittologiche e scrittometriche di testi in italiano settentrionale antico dalle origini al 1525 (Beihefte zur ZrP, 343), Tübingen, Niemeyer, 2009, xvii + 624 pages. L’ouvrage pionnier de Paul Videsott 1 consiste en une application des méthodes de la scriptologie et – partiellement – de la scriptométrie aux documents de l’Italie du nord, en se basant sur les outils développés par l’école de Salzbourg qui est dirigée avec brio par Hans Goebl. Un tel examen de l’Italie est un desideratum reconnu depuis Sabatini en 1968 [11]. Des précisions et d’abord, la chronologie : Videsott prend en considération des textes allant des origines jusqu’à 1525, date des Prose della volgar lingua de Bembo, année charnière pour l’histoire de l’italien surtout écrit. Cette période est divisée en cinq parties pour permettre une analyse à la fois diachronique et diatopique [7]. Le corpus traité, dénommé ici le CorSP ou Corpus Scriptologicum Padanum comprend 2.064 documents [50 ; liste des documents : 64-227], représentant 36 punti di rilevamento. Pour l’analyse scriptologique (voir infra), entrent en ligne de compte 320 traits graphiques [28-48]. Tous les documents sont déjà édités, seule solution pour obtenir la masse suffisante pour les besoins d’une analyse quantitative ; l’auteur est pleinement conscient cependant (« La

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Voir aussi son article dans ce présent fascicule, « Le français à la Chancellerie royale au temps de Philippe III », pp. 5-51.

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critica sulle fonti » [53]) que le procédé n’est pas sans risques en ce qui concerne la qualité des éditions d’un point de vue philologique : il souligne « l’urgente bisogna di creare anche per l’area italoromanze – sull’ esempio di quelle galloromanze et germanica – un corpus esaustivo di testi non letterari editi in maniera filologicamente attendibile » [54]. « Non letterari » car pour la scriptologie il est depuis longtemps reconnu que les textes littéraires, ayant pour vocation une distribution plus grande sur le modèle du « NäheDistanz-Kontinuum » de Koch/Oesterreicher, sont plus susceptibles de se laisser entraîner par une dédialectalisation ou une standardisation, les textes non-littéraires de type juridique, commercial, etc., restant plus proches de leur origine locale, et étant en tout cas moins soucieux de considérations de qualité stylistique [57]. Nota : l’Italie du nord semble être relativement démunie de documents vernaculaires par rapport à la France. Pour la ville de l’écrit par excellence, Bologne, par exemple, 48 documents médiévaux seulement sont disponibles sous forme de textes édités [51] ; dans une région culturellement bien moins riche comme la Lorraine, on a pour la même période plusieurs milliers de documents en langue vernaculaire. La partie scriptologique (la plus importante de l’ouvrage) se base ainsi sur une analyse à la fois philologique (des traits saillants censés représenter les éléments régionaux les plus caractéristiques) et quantitative. Cette dernière utilise surtout deux types de calculs : la Frel ou fréquence relative (indice utilisé par Dees), et la Dabs ou « Differenza tra la loro occorrenza assoluta et quella prevista teoricamente ». La première est basée [271] sur le total des occurrences du phénomène dans le corpus divisé par le nombre de mots dans celui-ci. La Dabs est plus compliquée : elle est calculée (1) en soustrayant à la fréquence absolue du trait en question pour le point d’enquête, la fréquence prévue de ce trait pour l’endroit ; celle-ci est calculée à son tour (2) en divisant le nombre d’occurrences du trait dans le corpus intégral par le total des mots et en multipliant ce résultat par le nombre de mots relevés pour l’endroit [273sq.]. La Dabs fournit ainsi un indice sur la discordance (ou l’identité) entre ce qui est prévisible dans une situation moyenne, et ce qui se passe réellement. Cela permet à l’auteur de présenter une série détaillée de résultats [269-395] portant moins sur des punti di rilevamento, que sur les critères graphiques à travers la Padania. Or, dans tout cela le problème fondamental est comme toujours le rapport entre graphie et réalité phonétique. L’analyse scriptologique occupe plus d’une centaine de pages [290-406]. Un élément à mon avis important sinon essentiel : après chaque phénomène discuté à partir des textes médiévaux, l’auteur introduit un « confronto con i dati dialettali moderni ». Ce qui s’avère souvent très révélateur. L’analyse scriptométrique [407-418] est plus compliquée sur le plan mathématique. Il s’agit d’une série de calculs de taxinomie numérique [10] permettant d’établir (dans le cas présent) d’une part la distance linguistique entre certains endroits (Gênes ; Venise ; Milan) et la moyenne de l’Italie septentrionale ; d’autre part, à travers toute la zone, une « classificazione gerarchico-agglomerante » ; les résultats sont notamment présentés sous la forme de cartes qui permettent la visualisation par exemple d’une variante graphique, ou encore, d’une forme médiévale en comparaison avec la situation dialectale d’aujourd’hui [459-620]. Un ouvrage comme celui de Videsott est nécessairement très détaillé et il ne saurait être question de reprendre ici tous les éléments de l’analyse. À titre d’exemple, cependant, voici ce que fournit le commentaire sur les dérivés de ce-, ci- latins. En toscan,

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évidemment, le résultat sera [č] (l’alphabet phonétique est celui de l’AIS). Dans la Padania [353], l’on retrouve [θ], [s] < [ts], [š], [ŝ], [h], [ṣ] ou [č]. Selon Videsott [353], « Nel sostrato dialettale generatore si può quindi ipotizzare uno sviluppo prescritturale di [č] in [ts] e uno sviluppo scritturale (tipizzato) [ts] > [s] risp. [ts] > [θ] ». Le « confronto con i dati dialettali moderni » [369] ne révèle qu’à Udine la forme intermédiaire [ts] ; selon Benincà (1995), le frioulan connaît une zone conservatrice ce, ci [č] (?), une zone d’innovation [s], et une zone intermédiaire [ts] [353 n. 148], ou « area residua » [369]. Or, les graphies des documents étudiés ici sont , . C’est donc une convergence très partielle mais qui soutient l’hypothèse de la perte de l’affriquée et de la transition [ts] > [s] (etc.). La distinction entre « prescritturale » (invisible) et « scritturale » est ainsi maintenue. Nous abordons ici inévitablement la question de la distinction entre graphie et son. Celle-ci est encore plus visible dans un deuxième exemple : l’issue du groupe latin [cons. + l] et en particulier [pl]. La palatalisation de l’italien standard n’est pas universelle dans les scriptae et se maintient souvent. L’explication traditionnelle (Rohlfs, Sanga, Zamboni) est que dans certaines régions, et notamment dans le Veneto, [pl]/[bl]/[fl] ont réellement subsisté, quitte à être palatalisés dans une seconde phase. Leur maintien au Moyen Âge serait dû à un « trattamento galloromanico di questi gruppi » [382 n. 190 ; Rohlfs 1966]. La thèse d’une survivance réelle – c’est-à-dire : phonétique – est cependant contredite en partie par des graphies hypercorrectes du type clera pour cera « mine, expression du visage », relevées par Rohlfs lui-même mais également par Stussi [383 n. 192]. Seraient-ce des graphies latinisantes ou conservatrices comme le voulait Alinei [383] ? L’étude des scriptae ajoute des éléments de détails à la discussion [383sqq.], sans pour autant permettre de conclure s’il s’agit d’une graphie conservatrice ou d’une réalité phonétique reproduite par les scriptae. À travers toute la période (depuis les premières attestations, surtout dans le Veneto, à partir de 1205, jusqu’au début du XVIe s.) se trouve la graphie . Videsott interprète les graphies tardives comme « senz’altro » des « latinismi grafici » [384], à part celles d’Udine, mais hésite devant les textes plus anciens (« Meno chiara è l’interpretazione delle prime testimonianze ... » [384]). Dans les dialectes modernes [394], Udine est le seul endroit qui manifeste encore une prononciation avec [l] (cf. la carte no 126). Le statut des graphies est donc relativement clair pour ce qui est de la région frioulane : il est logique de supposer que représente la continuation du groupe [pl] latin qui survit encore à Udine. Pour les autres documents de CorSP, il est difficile d’être certain : s’agit-il de graphie ou de phonétisme ? En tout cas, les données rassemblées ici alimentent un débat important, et soulignent l’utilité des formes dialectales d’aujourd’hui pour éclairer les graphies médiévales, et vice versa. L’étude de Videsott montre clairement que ce procédé est valable. L’ouvrage de Paul Videsott est exigeant pour le lecteur : il s’agit d’une étude dont les détails sont souvent remarquables. Si l’aspect mathématique est parfois effrayant, le « confronto » entre dialectologie moderne et scriptae médiévales montre clairement à la fois les continuités et les changements qui ont eu lieu. C’est un livre qui contribue beaucoup à notre connaissance de l’italien du nord, d’une part parce qu’il repose sur un examen minutieux de traits réels et documentés, et d’autre part parce qu’il conjugue avec efficacité philologie et linguistique. David TROTTER

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Ibéroromania – Espagnol Concepción COMPANY COMPANY (dir.), Sintaxis histórica de la lengua española. Primera parte: la frase verbal, 2006; Segunda parte: la frase nominal, 2009, México D. F., UNAM/Fondo de Cultura Económica, 2 + 2 vol., ### / 1404 + 1738 páginas. La Sintaxis histórica de la lengua española (SHLE), de la que aquí reseñamos los volúmenes que hasta el momento han sido publicados (entre 2006 y 2009), es la gran obra de referencia sobre sintaxis histórica del español aparecida en los últimos años. Su publicación coincide, en el plazo de unos pocos años, con la de la Gramática descriptiva de la lengua española (GDLE), dirigida por Ignacio Bosque y Violeta Demonte, y la Nueva gramática de la lengua española (NGLE), obra de la Real Academia Española y la Asociación de Academias de la Lengua Española. El conjunto de grandes tratados sobre gramática que todas ellas constituyen, publicados en fechas recientes, ha permitido situar a nuestra lengua al nivel de otras que ya contaban con trabajos modernos caracterizados por su exhaustividad y, sobre todo, por recoger en sus páginas las más valiosas aportaciones de la lingüística contemporánea. La SHLE es una obra novedosa en el panorama de la lingüística histórica española, aunque no tanto en el de la lingüística románica. Es una obra exhaustiva de referencia, de lo que da idea su tamaño: las dos partes publicadas hasta ahora constan de cuatro volúmenes que suman en conjunto más de 3000 páginas. La primera de estas dos partes se dedica a la frase verbal, y la segunda, a la frase nominal. Asimismo, como su directora, Concepción Company, indica en el prólogo [1ª parte, xxix], están proyectadas otras dos partes más: la tercera, en la que se estudiarán las preposiciones, conjunciones, oración simple, coordinación y subordinación, y la cuarta, que se ocupará del orden de palabras, de diversos fenómenos asociados a la estructuración del discurso y de otros cambios. Por su exhaustividad, la SHLE sigue el modelo de grandes obras del siglo XIX, como las de Diez y Meyer Lübke. Pero, en el grado de especialización dentro de la materia que abarca, la SHLE supera no solo a esas grandes obras, sino, en buena medida, a mucho de lo que se ha escrito a propósito de nuestra lengua y de otras lenguas románicas. La bibliografía acumulada desde finales del siglo XIX sobre historia de las diversas lenguas romances y sobre la diacronía de su gramática en general, es ingente. Asimismo, existe una gran bibliografía especializada sobre cuestiones más concretas, relacionadas, sobre todo, con el léxico y la fonética, pero también la sintaxis. Pero no es muy amplio el panorama en cuanto a obras generales de sintaxis histórica, si bien Company cita algunas de ellas en el prólogo: Gamillscheg (1957), Harris (1978), Ménard (1988) y Nyrop (1930), sobre el francés, así como Rohlfs (1949/1968) y Tekavčič (1972), sobre el italiano. No existía algo similar para nuestra lengua, pues grandes obras como la de Menéndez Pidal (véase, por ejemplo, la nueva edición de su Historia de la lengua española, de 2005) carecían del grado de especialización en sintaxis de la que aquí reseñamos. Quizás lo que más se aproxime sean los diversos estudios sobre cuestiones morfosintácticas realizados por Rafael Lapesa y compilados por Rafael Cano Aquilar y M.ª Teresa Echenique en un solo volumen (Lapesa 1908-2001). Por la exhaustividad señalada, la SHLE aspira a ser la

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gran obra de referencia sobre sintaxis histórica de la lengua española, propósito que, en parte, ya ha conseguido, y que conseguirá plenamente tras su culminación. La SHLE es una obra colectiva, al igual que la GDLE. Como recuerdan Bosque & Demonte (1999, vol.1, xx) en el prólogo de la GDLE, «parece claro que los tratados exhaustivos sobre campos tan amplios como la gramática ya no pueden ser en este tiempo obras individuales». Es tanto lo que se ha publicado sobre sintaxis del español, sincrónica y diacrónica, en los últimos años, y sobre aspectos tan concretos, que es imposible que un solo autor domine toda la bibliografía. Este tipo de obras colectivas, por otra parte, ofrecen una amplitud de miras que difícilmente pueden conseguir las obras de un único autor, las cuales, como también señalan Bosque & Demonte (1999, vol. 1, pág. xxvi), «giran muchas veces sobre unas pocas cuestiones que raramente pueden estudiar en profundidad». Pero las relaciones entre esta obra y la SHLE van más allá de su coincidencia en el tiempo y de sus similitudes en cuanto a concepción y alcance. Company cita explícitamente a la GDLE como «fuente de inspiración», y ello en dos sentidos: «por el modo de convocar y llevar a cabo aquella gramática», y «porque ver el proyecto de ellos concluido significaba que se podían lograr buenos resultados colectivos en el ámbito hispánico» [1ª parte, xviii]. Por otra parte, en la bibliografía de los diversos capítulos, la GDLE es una referencia constante, pues en todos ellos se citan aquellos capítulos de esta última obra en los que se desarrollan temas coincidentes. Tampoco se puede dejar de percibir la estrecha relación entre la SHLE y la NGLE, así como entre esta última y la GDLE. La gramática académica es la única de estas tres grandes obras que no es una obra colectiva. No obstante, si bien la autoría, sobre el papel, corresponde a la Real Academia Española y a la Asociación de Academias de la Lengua Española, es sabido que la cabeza que ha dirigido y materializado el proyecto es la de su Ponente, Ignacio Bosque, uno de los directores de la GDLE. Sin duda, sin esta última no hubiera sido posible una gramática académica como la NGLE. Pero no solo se nutrió de la ingente base de conocimientos descriptivos que proporcionó la GDLE, sino que también se benefició de las aportaciones de las diversas Academias de la Lengua, entre las cuales la mexicana representa al país con mayor número de hispanohablantes. Y precisamente es México el país donde nace la SHLE, cuya directora es miembro de la Academia Mexicana de la Lengua, al igual que alguno de sus colaboradores, como José G. Moreno de Alba. La publicación de las dos primeras partes de la SHLE precedió en el tiempo a la de la NGLE, por lo que esta última se ha beneficiado también de los materiales que allí se ofrecían. Aunque la NGLE es una obra sincrónica, centrada en la descripción gramatical, no desdeña la presencia de la variación: «Es imposible que en una descripción gramatical se analicen con similar profundidad todos los tipos de variación lingüística que hoy se reconocen en la lengua española. Es plausible, en cambio, resaltar de forma somera los aspectos más notables de cada una de estas formas de variación allá donde se considere conveniente hacerlo» (Real Academia Española y Asociación de Academias de la Lengua Española, 2009, vol. 1, xliii). Y entre esas formas de variación está, por supuesto, la histórica. Siempre que es pertinente, aparecen consideraciones sobre la historia del fenómeno estudiado. Y, en este sentido, la SHLE ha constituido una referencia fundamental, por mucho que, al no contener la NGLE una bibliografía, no podamos constatarlo sobre el papel. Por indicar solo algunos ejemplos, son inevitables las consi-

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deraciones históricas al describir el uso de las diversas formas de tratamiento (que, en la SHLE, se estudian en el capítulo 15 de la segunda parte), o de la preposición a con el objeto directo (objeto del capítulo 5 de la primera parte de la SHLE), o al consignar los valores de las formas verbales del pasado (estudiadas en los capítulos 1 y 3 de la primera parte de la SHLE). Cada una de las dos partes publicadas hasta ahora de la SHLE consta de dos volúmenes. La primera parte, dedicada a la frase verbal, consta a su vez de cinco secciones. Los capítulos que conforman la primera de ellas abordan diferentes cuestiones relacionadas con el paradigma verbal: los valores y evolución de los tiempos pasados de indicativo, la reorganización modo-temporal de las formas verbales del subjuntivo, y el origen y evolución de los tiempos de formación romance: los tiempos compuestos y los futuros y condicionales. En la segunda sección, dedicada a los complementos argumentales del verbo, se estudian el complemento directo y el complemento indirecto, las oraciones bitransitivas y los fenómenos de leísmo, laísmo y loísmo. La tercera sección, sobre voz media y diátesis, consta de un único capítulo, dedicado al clítico se. La cuarta sección, que aborda el estudio de algunas clases de verbos, dedica un capítulo a los verbos de movimiento (más concretamente, al estudio diacrónico de las perífrasis verbales formadas a partir de ellos), otro a los verbos causativos y otro a los verbos haber y tener; en este último capítulo se describe el proceso de sustitución del primer verbo por el segundo en construcciones posesivas, y se destina un apartado a la descripción diacrónica de las construcciones existenciales con haber. En la quinta y última sección de esta primera parte se estudian tres cuestiones: la expresión de la negación en el español medieval y su evolución hasta el español moderno, los complementos locativos (junto con las preposiciones y los adverbios que expresan relaciones locativas) y los cambios producidos en la colocación de los pronombres átonos. La segunda parte de la obra, dedicada a la frase nominal, consta también de cinco secciones. La primera de ellas aborda la estructura general de la frase nominal en dos capítulos: uno de ellos estudia dicha estructura en el español alfonsí y, aunque dedicado a un periodo cronológico muy concreto, permite establecer el marco conceptual en el que se van a mover los restantes capítulos de esta sección; el otro capítulo se centra en las frases nominales que tienen como núcleo un nombre común. La segunda sección está dedicada a lo que en la terminología de la obra se denomina ‘margen izquierdo’ del núcleo nominal. Es decir, en ella se estudian las diversas categorías incluidas en las clases de los determinantes y cuantificadores: el artículo definido, el artículo indefinido, los demostrativos, los posesivos y los cuantificadores (numerales, indefinidos, de grado, interrogativos, exclamativos, así como los indefinidos compuestos y los genérico-impersonales omne y uno). También se estudia en esta parte una construcción solo residual en algunas variedades del español contemporáneo, pero con una importante presencia en el conjunto de la Romania: artículo + posesivo + sustantivo. La tercera sección se dedica al ‘margen derecho del núcleo’ nominal, es decir, los complementos del nombre; concretamente, se estudia en ella el orden relativo sustantivo-adjetivo, los complementos adnominales, las oraciones subordinadas completivas del nombre, y algunas cuestiones relativas a las oraciones de relativo encabezadas por que y por el relativo compuesto el que, la que, lo que. La última sección consta de solo dos capítulos, en los que se estudia la formación del paradigma pronominal de las formas de tratamiento y la evolución de las nominalizaciones de infinitivo; cf. la tabla tematica y de autores:

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Vol. 1

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I. El paradigma verbal

Tomo 1 1a parte: La frase verbal

José G. Moreno de Alba

Valores verbales de los tiempos pasados de indicativo y su evolución

Alexandre Veiga Rodríguez

Las formas verbales subjuntivas. Su reorganización modotemporal

Patrizia Romani

Tiempos de formación romance I. Los tiempos compuestos

Concepción Company Company

Tiempos de formación romance II. Los futuros y condicionales

Brenda Laca

El objeto directo. La marcación preposicional

Concepción Company El objeto indirecto II. Los argumenCompany tos del verbo Rosa María Ortiz CiscoLa bitransitividad mani Marcela Flores Cervantes Leísmo, laísmo y loísmo I. Voz media y Sergio Bogard El clítico se. Valores y evolución diátesis Chantal Melis

Vol. 1, Tomo 2 1a parte:

II. Algunas Milagros Alfonso Vega clases de verbos Axel Hernández Díaz

La frase verbal

Vol. 2 Tomo 1 2a parte: La frase nominal

III. Otros cambios en la frase verbal

I. La estructura general de la frase nominal

Verbos de movimiento. La formación de los futuros perifrásicos Verbos causativos Posesión y existencia. La competencia de haber y tener y haber existencial

Bruno Camus Bergareche

La expresión de la negación José María García-Miguel Los complementos locativos Dorien Nieuwenhuijsen

Cambios en la colocación de los pronombres átonos

Concepción Company Company

Estructura general de la frase nominal en el español alfonsí. Esbozo de diacronía

Sergio Bogard

La frase nominal con núcleo sustantivo común

Rosa María Ortiz Ciscomani

La creación y generalización del artículo definido

Mar Garachana II. El margen Camarero izquierdo del núcleo. Josefina García Fajardo La modificación Norohella Huerta Flores Concepción Company Company

La creación y generalización del artículo indefinido Los demostrativos. Funciones y valores referenciales Los posesivos Artículo+posesivo+sustantivo y estructuras afines

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Bruno Camus Bergareche II. El margen Alvaro S. Octavio de izquierdo del Toledo y Huerta, núcleo. Cristina Sánchez López La modificación Concepción Company Company, Julia Pozas Loyo Vol. 2

La frase nominal

III. El margen derecho del núcleo. La expansión

IV. Otros cambios en la frase nominal

Cuantificadores II. Los cuantificadores interrogativos y exclamativos Los indefinidos compuestos y los pronombres genérico-impersonales omne y uno

Angelita Martínez López

La frase adjetiva. El orden del sustantivo y el adjetivo

José G. Moreno de Alba

Sintagmas completivos del nombre: complementos adnominales y oraciones subordinadas completivas del nombre

Javier Elvira

Las oraciones de relativo I. El nexo que

José Luis Girón Alconchel

Las oraciones de relativo II. Evolución del relativo compuesto el que, la que, lo que

Bob de Jonge, Dorien Nieuwenhuijsen

Formación del paradigma pronominal de las formas de tratamiento

Rena Torres Cacoullos

Las nominalizaciones de infinitivo

Tomo 2 2a parte:

Cuantificadores I. Los cuantificadores propios

La obra aparece precedida de una serie de consideraciones de la directora que enfocan algunos de sus aspectos más valiosos. Un peligro obvio de cualquier obra colectiva es la heterogeneidad y la falta de coherencia. Company ha conseguido soslayar ese peligro marcando una serie de pautas para que la obra sea homogénea, siempre dentro de la variedad y el respeto al trabajo de cada autor. De esta manera, por ejemplo, todos los capítulos presentan una estructura similar, y obligatoriamente incorporan una presentación del problema, un apartado de revisión bibliográfica, otro de análisis de los factores pertinentes para el fenómeno estudiado, tanto desde un punto de vista sincrónico como diacrónico, así como, por supuesto, la diacronía del fenómeno. Cada capítulo termina con una conclusión, la relación del corpus que ha servido de base al capítulo y las referencias bibliográficas. En cuanto a la estructura general de la obra, la directora destaca lo inusual de que esta se enfoque en las construcciones y no tanto en las clases de palabras que las integran. Este planteamiento ha llevado a que se dediquen varios capítulos a analizar algunas clases de palabras (por ejemplo, ciertas clases verbales, en la cuarta sección de la primera parte), puesto que las clases gramaticales se entienden «como grandes clases cuyos miembros participan de un comportamiento semántico y distribucional afín» [1ª parte, xxi]. Y, efectivamente, encontramos excelentes descripciones de las propiedades y diacronía de ciertas clases de palabras, asunto este al que volveremos a referirnos, pese a que el conjunto analizado incluye solo unas pocas. Lo que no resulta del todo claro es

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por qué se considera que este planteamiento encaja mejor en una obra estructurada por construcciones y no por clases de palabras, puesto que, en la lingüística moderna, las clases de palabras se entienden, precisamente, como clases de elementos que comparten propiedades morfológicas, semánticas y, claro está, sintácticas y distribucionales. En una obra de carácter diacrónico no es posible recurrir a la introspección ni a los datos efímeros. Por ello, era forzoso que la descripción estuviera basada en un corpus. Consciente, nuevamente, de la importancia de ser en extremo cuidadosa en este punto, Company ha impuesto una serie de requisitos para que el corpus manejado por cada autor cumpla unos mínimos de rigor y coherencia: que sea obligatorio y en él se utilicen una serie de textos base, que sea temáticamente diverso, cronológicamente amplio y diatópicamente diversificado. Ello no impide que existan ciertas desigualdades entre los capítulos en lo que al corpus se refiere, o en lo tocante a los periodos cronológicos que se analizan en cada uno de ellos. Así, por ejemplo, en su reseña de la obra, Rodríguez Molina (2011) destaca el que en muchos capítulos se amplíe el corpus base y se someta a los datos a un control filológico riguroso, pero también recuerda que otros capítulos se limitan al corpus base, o incluso a porciones de él. Este mismo autor proporciona algún ejemplo de cierta arbitrariedad en la selección del periodo cronológico estudiado, como es el caso del capítulo 15 de la segunda parte, sobre las formas de tratamiento, que pone el límite cronológico en el siglo XV, cuando los siglos XVIII y XIX son cruciales en aspectos tales como la evolución de usted y las diferencias entre España y América. Asimismo, llama la atención sobre el hecho de que algunos capítulos, como el 6 de la segunda parte, utilicen manuscritos tardíos en los que puede haber alteraciones respecto a la lengua original. Por su parte, en su reseña de la primera parte de la obra, Sáez Rivera (2007) lamenta que el capítulo 9, dedicado al clítico se, limite su corpus al siglo XVI, con lo que no recoge bien la pérdida de concordancia en secuencias del tipo de Se vende casas. También hace referencia este autor a los saltos existentes en los corpus manejados en algunos capítulos. Uno de los valores más sobresalientes de la obra es el esfuerzo por incorporar la variación diatópica a la descripción diacrónica (así se destaca en reseñas como las de Sáez Rivera 2007, o Herrero Ruiz de Loizaga 2007). Efectivamente, se incorporan al corpus textos mexicanos a partir del siglo XVI, con el objetivo de «mostrar con ello la gran escisión dialectal del español ocurrida en el siglo XVI» [1ª parte, xxvii]. La directora lamenta la dificultad que hubiera supuesto incorporar textos de otros dialectos de América, lo que no resta mérito a la decisión de incluir el español americano. Dicha inclusión, junto con la ampliación del análisis de los fenómenos más allá del siglo XVI, supone un importante paso para una mejor comprensión de la historia del español de América y las divergencias entre este y el español peninsular. En relación con la presencia de la variación diatópica y la diacronía, se podría poner algún pequeño reparo, y es que no se distingan variedades dentro del español medieval, como ha apuntado, por ejemplo, Rodríguez Molina (2011). Yendo ahora del ámbito de la variación interna al español al de la variación entre las lenguas románicas, se observan en la obra ciertas desigualdades, y así, junto con capítulos en que apenas hay presencia de lo panrománico, otros merecen ser destacados en este sentido. Entre ellos están, dentro de la primera parte, el capítulo 2, en el que las formas del subjuntivo español se contrastan no solo con el sistema latino, sino también con otras variedades románicas, especialmente el gallego. También destacan los capítulos 4, sobre los futuros y condicionales, tiempos de formación romance; 13, en el que se dedica todo

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un apartado a la expresión de la negación en la Romania; y 14, sobre los complementos locativos. En la segunda parte, cabe destacar el capítulo 7, en el que se sitúa al español en el conjunto de la Romania en relación con la construcción , y el 10, donde encontramos un apartado sobre los indefinidos estudiados en el conjunto de las diversas lenguas romances. La SHLE es una obra descriptiva, en la que se excluyen las argumentaciones exclusivamente teóricas y se da prioridad a la exposición de las regularidades, al análisis minucioso y la abundante ejemplificación. De hecho, la introducción comienza con una exposición de los antecedentes de la obra en la que su directora asienta las bases del trabajo que se propone compilar. En ella se critica la perspectiva que los estudios sobre la sintaxis histórica adoptaban en el estructuralismo, marco teórico que prima la descripción sincrónica sobre la diacrónica, y en el que los estudios históricos eran, según Company, más que estudios diacrónicos, gramáticas sincrónicas comparadas. Se propone por ello la superación de los principios estructuralistas y llama la atención sobre los estudios llevados a cabo en los últimos 20 o 25 años, con el desarrollo de la tipología, la sociolingüística y los estudios pragmáticos y sobre el discurso, la determinación de nuevos fenómenos de cambio no observados antes y los avances realizados en el marco del funcionalismo, que rompen con la idea de la autonomía de la sintaxis. La obra se propone, con gran amplitud de miras, incorporar la herencia de las teorías lingüísticas de más actualidad, tanto funcionalistas como formalistas, así como la tradición filológica hispánica. El propósito descriptivo es un elemento que tiene en común esta obra con las indicadas al comienzo de esta reseña. La SHLE es una obra de referencia que combina dos ámbitos: el estudio diacrónico y la descripción sintáctica. Sobre el primero no vamos a añadir nada a lo ya indicado. Pueden consultarse al respecto las numerosas reseñas que han recibido las dos partes de la obra (a las ya mencionadas se pueden añadir, entre otras, las de Espinosa Elorza 2006, Ramírez Luengo 2008, Wright 2007 y García Martín 2009). Pero sí nos gustaría hacer algunas consideraciones sobre la concepción de la sintaxis presente en la obra. Partimos del supuesto de que una obra descriptiva no puede sino recoger los logros obtenidos por investigadores que se han acercado al estudio de los fenómenos analizados desde perspectivas teóricas. Pero, sobre todo, una obra descriptiva de sintaxis como la presente (ya sea sincrónica o diacrónica) ha de contar con unos criterios claros para determinar qué tipo de fenómenos es necesario consignar y describir en una obra de referencia, y en este aspecto residen, creemos, algunos de sus pocos puntos débiles. Frente a lo señalado por Cano Aguilar (1995), en el sentido de que la mayoría de los estudios recientes sobre sintaxis histórica del español adoptan una perspectiva descriptiva que se centra en aportar datos y clasificarlos, hemos de destacar que la descripción en la SHLE alcanza un alto grado de detalle y finura en el análisis, no solo con respecto a la diacronía de los fenómenos estudiados, sino con respecto a los fenómenos en sí. Así, por ejemplo, en el capítulo 10 de la primera parte no solo se hace un detallado estudio de la diacronía y los cambios experimentados en las perífrasis estudiadas, sino que se presenta una teoría coherente y un análisis profundo que convierten a este capítulo en consulta obligada para todo aquel que quiera profundizar en el tema. También en la primera parte, el capítulo 11 presenta una detallada exposición de las características de los verbos causativos. En la segunda parte, podemos destacar el capítulo 6, sobre posesivos, en el que, además del estudio diacrónico, se realiza una completa descripción de

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las clases de posesivos y la estructura de la oración en que aparecen; o los capítulos 8 y 9, sobre cuantificadores, categorías de enorme complejidad perfectamente estudiadas por autores especializados en la materia. Y podríamos seguir ofreciendo ejemplos, pero, junto a esto, en ocasiones es difícil determinar cuáles han sido los criterios que han regido la selección y organización de los contenidos. Salvo por la asunción, explícitamente declarada en la introducción, de una estructura que prima las construcciones sobre las clases de palabras, no resulta evidente por qué se han seleccionado unos temas y no otros y por qué se han organizado como se ha hecho. Ello llama más la atención teniendo en cuenta que pocos años antes se había publicado la GDLE, obra que proporcionaba, con su exhaustividad, un patrón que seguir en cuanto a los contenidos sintácticos fundamentales. Así, en la sección dedicada a los argumentos verbales se estudian el objeto directo y el objeto indirecto, pero no otros complementos argumentales, como el complemento de régimen. En la sección titulada «Algunas clases de verbos», en la que se estudian los verbos de movimiento (en relación con la formación de los futuros perifrásticos), los causativos y los de posesión y existencia, se lleva a cabo una excelente y documentada exposición de las características y evolución de estas clases de verbos (o de las construcciones a las que dan lugar) que nos hace lamentar la falta de exposiciones similares para otras muchas, como la de los atributivos. Y se echa de menos una explicación de los criterios que subyacen a la clasificación verbal y de los motivos por los que es pertinente estudiar la historia de algunas clases y no de otras. En este sentido, hay que valorar, en la segunda parte, la presencia de un capítulo inicial en el que se delinean las cuestiones abordadas en los capítulos siguientes y que, por tanto, cumple una función introductoria. Aun así, cabe preguntarse sobre el porqué de ciertas ausencias. Una de las más llamativas, lamentada por la propia directora [2ª parte, xiv], es la ausencia de un capítulo sobre el nombre propio. Por lo demás, es cierto que los diferentes capítulos de esta segunda parte recogen, de modo general, las cuestiones fundamentales para el estudio de la frase nominal, pero también se detectan algunas lagunas. Por ejemplo, en los dos capítulos dedicados a las oraciones de relativo se estudian con detalle dos tipos de pronombres relativos (que, por una parte, y el relativo compuesto el que, la que, lo que, por otra) y su evolución, y se introducen algunas observaciones sobre la estructura de las oraciones en que aparecen, así como sobre otros relativos. Pero quizás habría sido pertinente completar esta parte con algún capítulo general sobre las oraciones de relativo, y con el estudio de otros pronombres. Por ejemplo, sobre el posesivo cuyo (también usado como interrogativo) apenas se hacen algunas observaciones en el capítulo 14 de la segunda parte, sobre los relativos compuestos, y no se dice nada en el capítulo de los posesivos. Y podríamos dar algunos ejemplos más relativos a esta misma segunda parte. Así, se dedican ocho capítulos al estudio del margen izquierdo del núcleo, y cuatro al margen derecho, pero en relación con este último no se trata, por ejemplo, la aposición. Hay un capítulo dedicado a la frase adjetiva, en el que en realidad no se estudia la estructura de las frases que tienen como núcleo un adjetivo, sino el orden relativo entre adjetivo y sustantivo dentro de la frase nominal. Se dedica, asimismo, un capítulo a la formación del paradigma pronominal de las formas de tratamiento, pero no se ha dedicado un capítulo al estudio de los pronombres personales, salvo algunas cuestiones relativas a los pronombres átonos. Seguramente, muchas de las cuestiones que he señalado se verán

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subsanadas en los volúmenes que restan por aparecer, pero parece que otras deberían haber tenido su lugar aquí y tienen difícil encaje en otras partes de la gramática. Consideraciones similares podemos hacer respecto al tratamiento de algunas cuestiones sintácticas que afectan a más de un tipo de estructuras y que, por tanto, se pueden abordar en más de un capítulo. Uno de esos temas es el de la posesión. En la primera parte hay un capítulo directamente relacionado con este fenómeno: el capítulo 9, sobre los verbos que expresan posesión y existencia; pero también es un tema que competería al capítulo 6, sobre el objeto indirecto, donde, de hecho, se hace alusión al dativo posesivo. En la segunda parte, son varios los capítulos que están relacionados con la posesión: directamente lo están el capítulo 6, sobre los posesivos, y el capítulo 7, dedicado a las frases nominales con artículo y posesivo; pero también habría sido pertinente tratar algunas cuestiones en los capítulos 3, sobre el artículo definido, y 12, sobre los sintagmas completivos del nombre. No cabe duda de que cualquier investigador que decida llevar a cabo un estudio diacrónico (y también sincrónico) sobre la posesión en español dispone aquí de una referencia fundamental. No obstante, si su interés se centra, por ejemplo, en el dativo posesivo o en el uso del artículo, y de otros determinantes, con valor posesivo, va a encontrar poca, o ninguna, información al respecto. Y se trata de propiedades sintácticas que el español comparte con otras muchas lenguas de la Romania. Otro ejemplo podría ser el de la impersonalidad. En la obra encontramos tres capítulos clave para la comprensión del fenómeno, tanto en su diacronía como en la situación actual: en la primera parte, el capítulo 9, sobre el clítico se, en el que se estudian las construcciones impersonales activas y las construcciones pasivas reflejas, y el capítulo 12, en el que se estudian los verbos existenciales; en la segunda parte, es excelente el capítulo 10, sobre los indefinidos cualquiera y uno (genérico-impersonal), presentes en el español, y omne, desaparecido en siglo XVII, pero que se ha mantenido en otras lenguas romances. Sin embargo, no se estudian otras construcciones impersonales, como las formadas con el verbo hacer, los verbos que designan fenómenos naturales o los usos impersonales de la segunda persona del singular y la tercera del plural. Las cuestiones comentadas son quizá inevitables, y hasta cierto punto esperables, en una obra cuyo objetivo, que cumple con creces, es el estudio de la diacronía de los fenómenos sintácticos estudiados, y no la elaboración de un tratado sobre sintaxis. No obstante, en alguna ocasión se observa un manejo algo controvertido de ciertos conceptos sintácticos. Por ejemplo, uno de los conceptos más importantes y recurrentes en la segunda parte, sobre la frase nominal, es el de ‘frase nominal escueta’. Para su definición, se cita a Bosque (1996a) como referencia. Sin embargo, el concepto de frase nominal escueta que se maneja en esta obra tiene una diferencia notable con el que propone Bosque. Aquí, se entiende por frase nominal escueta aquella que consta únicamente del núcleo nombre común. Es decir, que se consideran frases nominales no escuetas tanto las que carecen de determinantes, pero tienen complementos, como las que, careciendo o no de complementos, llevan determinante (cabría preguntarse si, de haberse incluido un capítulo dedicado a los nombres propios, estos habrían sido considerados frases nominales escuetas). Pero, para Bosque, una frase nominal escueta es una frase nominal sin determinación; es decir, que podría tener complementos y seguir siendo una frase nominal escueta, a diferencia de lo que parece asumirse en esta obra. Las diferencias entre una frase nominal escueta y una frase nominal con determinación son lo suficientemente sustanciales como para que en la GDLE se dedique un capítulo entero a esta cuestión, o Bosque (1996b) haya editado un libro completo sobre el tema. Pero en

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la SHLE no encontramos ningún estudio sobre las diferencias entre una frase nominal con determinante y sin él desde un punto de vista diacrónico. Es algo que, sorprendentemente, no ocupa ningún lugar en un capítulo como el dedicado al artículo definido. Como conclusión a todo lo señalado, quisiéramos resaltar que, pese a la existencia de pequeñas desigualdades, unas pocas lagunas y algunos aspectos mejorables, nos encontramos quizás ante la obra sobre sintaxis histórica del español más relevante hasta la fecha. Se trata de una gran obra de consulta y referencia, elaborada con extremo rigor científico. Por todo ello, no nos queda sino esperar con interés e ilusión los tomos que todavía han de ser publicados.

María Victoria PAVÓN LUCERO

Referencias bibliográficas Bosque, Ignacio, 2006a. «Por qué determinados sustantivos no son sustantivos determinados», in: Bosque, Ignacio (ed.), 2006b, 13-119. Bosque, Ignacio (ed.), 2006b. El sustantivo sin determinación. La ausencia de determinante en la lengua española, Madrid, Visor. Bosque, Ignacio / Demonte, Violeta (dir.), 1999. Gramática descriptiva de la lengua española, Madrid, Espasa Calpe, 3 vol. Cano Aguilar, Rafael, 1995. «Problemas metodológicos en sintaxis histórica española», REspL 25, 323-346. Espinosa Elorza, Rosa María, 2006. «Reseña de Company 2006», RFE 86, 435-458. Gamillscheg, Ernst, 1957. Historische französische Syntax, Tubinga, Niemeyer. Harris, Martin B., 1978. The evolution of French Syntax. A comparative approach, Londres, Longman. García Martín, José María, 2009. «Reseña de Company 2009», RHLE 4, 88-100. Herrero Ruiz de Loizaga, 2007. «Reseña de Company 2009», RHLE 2, 197-204. Lapesa, Rafael, 1908-2001. Estudios de morfosintaxis histórica del español, Madrid, Gredos (ed. Rafael Cano Aguilar y M.ª Teresa Echenique). Ménard, Philippe, 1988. Syntaxe de l’ancien français, Bordeaux, Éditions Biére.# Menéndez Pidal, Ramón, 2005. Historia de la lengua española, Madrid, Fundación Ramón Menéndez Pidal / Real Academia Española, 2 vol. Nybtebaby Colán, Dan / Rodríguez Marín, Rafael, 2003. Bibliografía básica y selectiva de lingüística románica, Salamanca, Universidad de Las Palmas de Gran Canaria / Universidad de Alcalá. Nyrop, Kristoffer, 1930. Grammaire historique de la langue française, Copenhague, Gyldendalske Boghandel Nordisk, 6 vol. Ramírez Luengo, José Luis, 2008. «Reseña de Company 2006», RILI 6, 228-233. Real Academia Española y Asociación de Academias de la Lengua Española, 2009. Nueva gramática de la lengua española, Madrid, Espasa, 2 vol. Rodríguez Molina, Javier, 2011. «Reseña de Company 2009», RFE 91, 343-362.

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Rohlfs, Gerhard, 1949/1968. Grammatica storica della lingua italiana de dei suoi dialetti. Sintassi e formazione delle parole, Turín, Einaudi, 3 vol. Sáez Rivera, Daniel M., 2007. «Reseña de Company 2006», Dicenda 25, 253-294. Tekavčič, Pavao, 1972. Grammatica storica dell’italiano, Bolonia, Mulino. Wright, Roger, 2007. «Reseña de Company 2006», BHS 83, 595-596.

Manuel ARIZA, La lengua del siglo XII (Dialectos centrales), Madrid, Arco Libros (Bibliotheca Philologica), 2009, 350 págs. El rigor de Manuel Ariza se hace patente en esta antología de textos y monografía sobre la lengua española del siglo XII, basada en el respeto a los principios de la escuela de filología española, formulados en las obras clásicas de Menéndez Pidal y Rafael Lapesa, maestro del autor del libro. La obra se inicia con un prólogo [9-13], seguido de un panorama general, en el cual se definen los dialectos centrales a los que se refiere el inciso incluido en el título: mozárabe, leonés, aragonés y castellano [15-30]. Quedan fuera, por tanto, los antecedentes de las lenguas ibéricas distintas del castellano. El texto se divide, después de esos preliminares, en tres partes: I. Los textos romances [31-107]; II. Los elementos constitutivos [109-188]; y III. Vocabulario [189-350]. Al final del tercer apartado, para cerrar el volumen, se encuentra la lista de las fuentes consultadas y la bibliografía. A lo largo de todo el libro pueden percibirse las opiniones de Ariza sobre cuestiones de profundo calado en la historia del español, siempre al hilo de la descripción lingüística del corpus estudiado. La primera parte se estructura, a su vez, en tres bloques temáticos consagrados a la descripción de la lengua literaria, los documentos notariales y los fueros, siempre desde un punto de vista lingüístico. Principia el análisis de los textos literarios con La disputa del alma y el cuerpo, conservada en un manuscrito de Oña (1201). Se hace un exhaustivo comentario lingüístico (grafías, fonética, morfosintaxis y léxico) y estilístico de La disputa, para concluir con un excurso sobre su plausible origen francés, como traducción del poema Un samedi par nuit (El debate como traducción). Se analiza, también detalladamente, la lengua de El auto de los Reyes Magos; capítulo en el que aflora la cercanía del autor al tratar la polémica sobre «la existencia de versos ‹de arte mayor›, pero, como sobre esto nadie ha dicho nada, más vale no meneallo» [49]. A continuación se describen, uno a uno, los documentos notariales, agrupados en textos romanceados (nueve en total) y en textos semirromanceados (diez). Se sigue un orden cronológico, solo alterado por la inclusión del más antiguo de los semirromanceados al final del apartado correspondiente debido a su extrema dificultad, ya señalada por el editor Fernández Catón. Cada uno de los textos se transcribe completo y se analiza en los tres niveles habituales del comentario lingüístico universitario: gráfico-fonético, morfosintáctico y léxico. Se trata, sin duda, de una antología comentada de gran utilidad pedagógica para profesores y estudiantes de enseñanza superior. Por último, se cierra la primera parte con la descripción de la lengua de los fueros, donde se sigue a Lapesa, especialmente en los de Avilés, Valformoso de las Monjas y Villaruz de Rioseco. Resulta un espléndido repaso de los Estudios de Lingüística Española del maestro del autor. Vuelve a aparecer al final

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de este apartado la documentación de Oña, en este caso en referencia a los fueros de Cornudilla, Oña y Celaperlata (sic, posiblemente se refiere a Cillaperlata, municipio de España, en el camino que une Oña con Trespaderne, sobre el río Ebro). En la segunda parte se muestra el saber gramatical (gráfico-fonético y morfosintáctico) y léxico (antroponimia incluida) del autor, en una suerte de descripción lingüística completa de los dialectos iberorrománicos centrales del siglo XII. Se repasan, a la luz de los datos extraídos de los textos comentados en la primera parte y de otros no incluidos en la antología, asuntos tan trascendentes como la diptongación, el vocalismo final, la inestabilidad de las vocales átonas internas, la sonorización, la acción de las yodes pidalianas en el surgimiento del orden palatal, los cambios en las sibilantes, los grupos consonánticos, las grafías, la morfología, las clases de palabras y la sintaxis oracional. Llama poderosamente la atención el apartado dedicado a la antroponimia, donde se incluyen, además de algunas precisiones sobre el sistema denominativo, el nombre de pila y los apellidos presentes en los documentos, sendos capítulos consagrados al análisis de los apodos y a la presencia de las minorías sociales. Finalmente, esta segunda parte se clausura con la enumeración de los elementos constitutivos del léxico: voces prerromanas, germanismos, arabismos, palabras latinas, galicismos y occitanismos. Las últimas dos páginas nos ofrecen las fechas adelantadas de primera aparición de muchas palabras, y ello pese a advertir el autor que tal dato «no tiene demasiada importancia salvo en determinados casos –y continúa–. Quiero decir, que da lo mismo que no tengamos testimonio de una forma como meior hasta el siglo XI o el siglo que sea, porque su evolución fonética nos habla de su existencia desde el latín hablado» [186]. En total aporta veintiuna dataciones en esas páginas donde, precisamente, afirma que no se va a ocupar del asunto de las primeras apariciones: «Si pusiéramos todas las voces que no estaban atestiguadas antes del siglo XIII ofreceríamos una lista bastante amplia, pero no merece la pena» [187]. En algunas lexías el autor se entretiene en brindar datos curiosos, aunque poco completos; explica, por ejemplo, que el zoónimo foina aparece en Gracián, B. Foz y Sender, el mexicano F. J. Clavijero, el argentino Cambareces y en Ortega y Gasset 1. Por último, casi la mitad del volumen contiene el vocabulario extraído de los textos, con cerca de dos mil voces romances, según estimación aproximada del autor, quien confiesa no haber hecho el recuento; contenido «que no está mal» [192]. Lo más llamativo de este glosario o vocabulario, pues como tal se presenta, es la transparencia y honestidad del autor (afirma: «Pongo un asterisco en palabras que no he sido capaz de saber el significado», sic), quien ha organizado cada entrada de acuerdo con unos criterios flexibles (nos da el significado de la voz y la transcripción fonética solo cuando las estima necesarias, pero las etimologías siempre). La aplicación del rigor filológico es de una exhaustividad encomiable, pues incluso se evita incluir palabras recogidas en otras obras «como, por ejemplo, en el Léxico de Lapesa, por no saber si se registran en textos originales o en copias» [193]. La lectura de la nomenclatura en su conjunto y de cada una de las entradas resulta muy enriquecedora. 1



Ariza no especifica dónde y la voz no aparece ni en las concordancias de la obra completa publicadas por Javier Fresnillo Núñez (Fresnillo Núñez, Javier, CONCORDANTIA ORTEGIANA. Concordantia in José Ortega y Gasset opera omnia, Alicante, Publicaciones de la Universidad de Alicante, 2004), ni en la nueva edición de la misma (Ortega y Gasset, José, Obras completas, Madrid, Taurus-Fundación José Ortega y Gasset, 2004-2010).

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La cronología prealfonsí del corpus y su naturaleza multidialectal convierten la antología estudiada por Ariza en una fuente de datos no solo sobre el siglo XII, pues se observa el intento de marcar el período de vigencia de los términos; véanse como ejemplos almadraque (1195-fines de la Edad Media, con perduración posterior en algunas zonas) y almuzalla (siglo X-fines de la Edad Media, aunque conservada en Álava según el Diccionario Histórico). Caso interesante de superviviencia es, sin duda, el de axarico, identificable con el xerique que puede leerse en los contratos firmados entre distintos ganaderos y el monasterio de San Millán de Yuso sobre el aprovechamiento de los montes abaciales en el primer tercio del siglo XVII. En el conjunto de los registros notariales millanenses auriseculares, veintidós escrituras contienen las voces jericación, jericar o jerique. Esta última forma pervive en La Rioja como «la licencia que permite pastar a estos animales [los cerdos] en la bellota» 2. En conclusión, estamos ante una obra de indudable valor pedagógico y didáctico, en la que trasparecen muchas ideas del autor y de la escuela de filología española sobre la historia de los dialectos centrales. No obstante su encuadramiento en la línea pidaliana, puede decirse que en este libro se afrontan, con notable contemporaneidad, por no decir modernidad, cuestiones de gran actualidad. Aquí y allá se destilan referencias a la sociolingüística histórica, como las alusiones al problema de los datos escasos. El investigador debe hacer, dentro de sus posibilidades, el mejor aprovechamiento de los testimonios disponibles, por exiguos que estos sean, aunque a veces la penuria obliga a renunciar a intentos vanos, como reconoce el propio autor en la introducción al capítulo dedicado a la morfosintaxis: Frente a la relativa riqueza de datos romances en fonética y en léxico, son relativamente pobres los datos morfosintácticos. Es verdad que en ocasiones se intercalan frases enteras en un texto latino, pero son las menos. Lo más frecuente es que lo romance aparezca en sintagmas sencillos, salvo en el gran número de oraciones subordinadas con que. No es, pues, posible escribir una “gramática” del siglo XII, a no ser que demos por supuesto formas que deberían existir, pero que no hemos registrado. Por lo tanto, este capítulo va a ser muy incompleto, sintiéndolo mucho [144] Y es que lidiar con la lengua del siglo XII es tarea ardua que nos lleva a preguntarnos si hay lengua, es decir si hay algo más que dialectos, y si lo que hay, sea lo que sea, constituye un sistema completo del que solo podemos alcanzar los pocos fragmentos que han llegado hasta nosotros en los textos. José Ramón CARRIAZO RUIZ

Elías Pastor, L. V. y Muntión Hernáez, C., Los pastores de Cameros, Logroño, Gobierno de La Rioja-Consejería de Agricultura y Alimentación, 1989, 41.

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Xosé Lluis GARCÍA ARIAS (coord.) / Emili CASANOVA (ed.), Toponimia hispánica. Origen y evolución de nuestros topónimos más importantes, Valencia, Denes, 2011, 396 páginas. El coordinador de esta obra nos explica, en la introducción, las peripecias de su gestación: un proyecto de diccionario toponímico europeo al que finalmente renunció la editorial promotora. Con los materiales españoles ya elaborados, y gracias a la capacidad organizativa del editor, se aseguró su publicación en la editorial valenciana Denes para evitar que el trabajo realizado cayera en saco roto. La estructura de la obra, pues, está condicionada por el proyecto inicial: diversos especialistas, uno por cada comunidad autónoma, fueron invitados a redactar artículos breves sobre los principales topónimos de cada una de ellas; orientativamente, 10 topónimos por provincia 1. El caso de Castilla y León no se amolda a esta estructura pues se divide en tres capítulos: «León», «Castilla» y «Zamora y Salamanca». E, inversamente, el País Vasco y Navarra se presentan en un solo capítulo. Al final, un breve capítulo monográfico da cuenta del topónimo España. Se trata, así, de un libro dedicado a la toponimia española y no hispánica, como deja entrever el título. El libro se presenta, pues, en 19 capítulos ordenados geográficamente según la zona de que tratan: de oeste a este, y de norte a sur, en, aproximadamente, tres franjas. Esto resulta un tanto desconcertante para el lector porque disemina las realidades lingüísticas: para el dominio catalán, por ejemplo, hay que recurrir al capítulo 6 («Cataluña»), obviar los siguientes, encabezados por León, Castilla, etc., retomar la lectura en el 13 («Comunidad Valenciana»), obviar Extremadura, etc., y finalizar en el capítulo 17 («Baleares»). Del mismo modo, la división de la comunidad autónoma de Castilla y León en diversos capítulos parece obedecer a la diversa realidad lingüística de sus zonas, pero esta queda difuminada en la presentación por capítulos, donde al capítulo de «Asturias» no sigue el de «León» (ambos redactados, además, por el mismo autor: el coordinador del volumen X. Ll. García Arias). Vista la estructura lingüística de la Península Ibérica, creemos que hubiera sido más acertado ordenar los capítulos invirtiendo los criterios de ordenación: en primer lugar, de norte a sur, y, en segundo, de oeste a este. En el interior de cada capítulo, los autores parecen haber gozado de cierta libertad tanto en la estructura del mismo como en la elección de los topónimos estudiados. Algunos capítulos presentan los topónimos en orden alfabético (el de Aragón, el de Cataluña, el de León, etc.); en otros, los autores discuten primero los macrotopónimos e hidrónimos (p. ej., el capítulo de Andalucía, encabezado por este topónimo y por el hidrónimo Guadalquivir; o el de Castilla, de idéntica estructura), o presentan algún otro tipo de ordenación conceptual (por provincias; los topónimos que designan capitales de provincia en primer lugar, seguidos del resto de topónimos, etc.). En general, todos los autores han optado, suponemos que siguiendo instrucciones del coordinador, por incluir en su selección los nombres de las capitales de provincia, el nombre de la comunidad (si no coincide con un nombre de ciudad) y algunos hidrónimos u orónimos relevantes. 1



Para el lector no español, indicaremos que España se divide en 17 comunidades autónomas de extensión muy variable; algunas constan de una sola provincia (p. ej., Asturias, La Rioja o Murcia) y, en el otro extremo, otras constan de 8 o 9 (Andalucía, o Castilla y León). Las ciudades autónomas de Ceuta y Melilla, en suelo africano, se han incluido en el capítulo que lleva por título «Andalucía, Ceuta y Melilla».

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Esto ha llevado a algunos autores a no tener prácticamente posibilidad de elegir: en el capítulo de las Baleares, el inventario de 10 topónimos estudiados se agota con los nombres de los archipiélagos (Balears, Pitiüses), de las islas, y de las capitales de cada una de ellas; se han tenido que dejar de lado un sinfín de topónimos interesantes por varios conceptos. Pero en otras zonas el autor del capítulo ha gozado de una cierta capacidad de maniobra; en estos casos los topónimos elegidos para ser presentados han sido los que ofrecen interés desde el punto de vista lingüístico pero también algunos relevantes para la historia cultural del territorio. Aquí nos hacemos eco de las palabras de la presentación: «una visión de conjunto de los topónimos europeos más conocidos y sus implicaciones culturales». Así pues, que se incluya un artículo dedicado a un topónimo como Santo Domingo de la Calzada obedece al interés histórico y cultural de la fundación de esta ciudad en el Camino de Santiago y no al interés lingüístico de los componentes del topónimo, transparente para cualquier filólogo o lector culto que conozca el español. Del mismo modo, la inclusión del topónimo Montserrat no responde al interés de la explicación etimológica del mismo, sino a aspectos de tipo cultural. No hay que olvidar el proyecto inicial que suponía explicar un cierto número de topónimos europeos: lo que resulta evidente para un romanista o un hablante de una lengua románica no tiene por qué serlo para un germanista o eslavista o un hablante de una lengua germánica o eslava. El proyecto inicial hubiera tenido un interés comparatístico evidente para ilustrar las diversas tipologías de topónimos europeos. Cada capítulo concluye con la bibliografía (y las fuentes) utilizadas. En total, el libro recoge casi 500 artículos que, calculamos, son los que se recogen en el índice toponímico final (páginas 399-404, fuera de numeración). Pero hay que decir que algunos artículos contienen explicaciones sobre otros topónimos además del mencionado en el título del artículo. Sin duda, hubiera sido muy interesante hacer un índice exhaustivo de los topónimos mencionados en toda la obra. Un lector interesado en el topónimo Picu Urriellu o en la denominación no genuina del mismo pico, Naranjo de Bulnes, pensará, a partir del índice, que estos topónimos no están estudiados en la obra; pues bien, sí lo están s.v. Picos d’Europa (este sí, incluido en el índice). Si bien algún lector informado puede suponer que el topónimo Urtx se halle explicado s.v. Urgell, es más difícil que alguien busque Paco Otajuán (en Huesca) s.v. La Solana (en Ciudad Real), o Zuenzurrunera o Clamores s.v. (Lagunas de) Ruidera, o Salàs s.v. Tremp, y así sucesivamente. Además, algunos autores han recogido una gran cantidad de parónimos, incluso no españoles, en sus artículos; así, por ejemplo, Emilio Nieto Ballester lo hace de un modo sistemático en los capítulos por él redactados. Incluso, puestos a desear, hubiéramos deseado, además de un índice exhaustivo de los topónimos mencionados (también los exotopónimos), un índice de formas antiguas, de antropónimos y étimos. En general, los artículos presentan una estructura que comprende unos elementos mínimos como son el título del artículo, que corresponde al topónimo estudiado, una descripción del lugar que designa el topónimo («ciudad situada en ...», «montaña al este de ...», «río que discurre por ...»), la presentación de algunos datos históricos y la explicación de su etimología. Algunos capítulos incluyen sistemáticamente el gentilicio correspondiente. Pero, en cualquier caso, no se trata de una estructura rígida; cada autor ha tenido una cierta libertad para redactar sus artículos; desde la extensión (de pocas líneas hasta casi una página) a otros detalles. En algunos aspectos hubiera sido deseable una mayor unidad de criterios; por ejemplo, en los criterios tipográficos: los étimos de origen latino están en algunos capítulos escritos en mayúsculas; en otros, en versalita; los

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significados de los étimos se indican con comillas dobles en algunos capítulos o con comillas simples en otros, etc. El conjunto de artículos tiene un nivel de alta divulgación. Sin ser una obra destinada a especialistas en la materia, puede contener también indicaciones interesantes para estos; en algunos casos se echa de menos una mayor argumentación a la hora de aceptar o rechazar alguna hipótesis etimológica, pero, desde luego, la obra cumple el objetivo de llegar a un «público culto pero no especialista» [10] e incluso el especialista puede encontrar en ella informaciones relevantes para su investigación. Maria-Reina BASTARDAS I RUFAT

Galloromania – Occitan Philippe OLIVIER, Dictionnaire d’ancien occitan auvergnat. Mauriacois et Sanflorain (1340–1540) (Beihefte zur ZrP, 349), Niemeyer, Tübingen, 2009. Préface de Max Pfister. xlv + 1306 pages. Le Dictionnaire d’ancien occitan auvergnat (DAOA) résulte d’une thèse de doctorat sous la direction de Jean-Pierre Chambon entreprise par un chercheur du CNRS en géologie qui a dédié quinze ans à ce travail monumental. Grâce à cette réalisation, nous disposons à présent d’un nouvel outil lexicographique pour l’occitan médiéval qu’il conviendra de prendre en considération, à côté de ceux existants. Le DAOA est dans les faits un dictionnaire ‘complémentaire’ tout comme le « Supplement-Wörterbuch » d’Emil Levy, couvrant une époque et une région jusqu’ici peu décrites. Il ajoute ainsi une nouvelle facette à la lexicographie de l’ancien occitan qui a cette caractéristique d’être une lexicographie fragmentaire : le Raynouard est avant tout un « Dictionnaire de la langue des troubadours » ; le DOM couvre à ce jour une grande partie de la lettre A ; le DAO traite un segment restreint des domaines onomasiologiques envisageables (la partie « A L’univers » du Begriffssystem de R. Hallig et W. v. Wartburg) ; cela vaut également pour le DAG (qui inclura en 2020 également la partie « B L’homme » et non la partie « C L’homme et l’univers », mais qui se concentre dorénavant sur les seuls textes documentaires, antérieurs à 1300). Le FEW enfin repose essentiellement sur l’ensemble de ces dictionnaires, à l’exception de la refonte de la lettre A sous la direction de Jean-Pierre Chambon puis de Jean-Paul Chauveau, qui a intégré de très nombreux matériaux lexicologiques complémentaires. Le pan ajouté par le DAOA, quant à lui, enrichit la description de l’occitan septentrional de la fin du Moyen-Âge (1340-1540) sur base documentaire. Pour les trois paramètres de l’espace, du temps et des genres textuels qui délimitent le cadre de tout dictionnaire, les choix retenus par Philippe Olivier correspondent à des lacunes sensibles. C’est évident pour l’espace et le temps : l’auteur souligne que l’auvergnat est moins bien traité que d’autres régions et c’était là sa motivation première : « si l’on souhaite lire des textes dans cette variété d’occitan, ou bien étudier l’histoire celleci, on ne dispose que de très peu d’outils fiables » (Introduction, [xi]). Quant aux genres textuels documentaires, ils sont encore très largement sous-représentés pour les langues

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(gallo)romanes médiévales, la tradition des études lui ayant toujours préféré de loin les textes littéraires 1. Nous souhaiterions souligner que le DAOA représente véritablement une entreprise lexicographique de grande envergure. En premier lieu, il repose sur un corpus de textes identifiés et intégralement transcrits par Philippe Olivier lui-même. L’auteur n’a retenu que des manuscrits originaux puisque ceux-ci se trouvaient en nombre suffisamment abondant pour fournir un large socle à son dictionnaire. Il a effectué un travail philologique exemplaire, allant jusqu’à retourner au manuscrit dans les très rares cas où les textes avaient déjà fait l’objet d’une édition. Il a transcrit en tout environ 200 documents d’importance variable provenant d’une trentaine de communes, en particulier de SaintFlour, dont l’administration a produit un grand nombre de registres consulaires : « ces derniers (...) totalisent plus de 4.500 folios » (Introduction, [xvi]). On se reportera aux pages xxix à xl pour l’inventaire utilement commenté de ces sources. On notera également que pour l’Auvergne, le DAOA est pleinement complémentaire aux trois éditions des registres des comptes des consuls de Montferrand d’Anthony Lodge (1985, 2006, 2010, v. ici, 76, 281-316). Les réalisations des deux chercheurs ont en commun le travail de première main et la qualité de mettre au jour des traditions de discours insuffisamment connues et pourtant très caractéristiques de la scripturalité occitane pendant tout le Moyen Âge. En revanche, si Anthony Lodge a choisi d’éditer un corpus de textes et d’en fournir un glossaire, Philippe Olivier s’est concentré sur le travail lexicographique en renonçant à publier ses très nombreuses éditions préalables. Quant à la macrostructure, l’ouvrage repose sur deux siècles de production textuelle administrative (1340-1540) dont la plus grande densité se place entre 1380 et 1480. L’auteur explique que la chronologie lui a été dictée par la contingence de la documentation. En effet, le terminus ad quem de 1540 correspond au moment de l’introduction du français comme langue administrative dans la région, à savoir la moitié est du département actuel du Cantal (Introduction, [xiii]). La nomenclature du DAOA ne connaît aucune restriction puisqu’elle est le résultat d’un dépouillement intégral du lexique contenu dans les 200 documents identifiés. D’après un sondage, la nomenclature comporte environ 7 000 entrées principales qui forment ainsi un glossaire exhaustif des documents étudiés. Ce choix, qui correspond à une absence délibérée de filtre, met à la disposition du lecteur l’intégralité des informations lexicales contenues dans le corpus textuel. Loin de la glossographie traditionnelle qui se donne la tâche d’expliciter les mots soi-disant difficiles – pour satisfaire à une telle exigence, encore faudrait-il avoir traité l’ensemble des mots –, le DAOA s’inscrit dans une perspective résolument plus moderne, préconisée depuis maintenant plusieurs années (cf. notamment Chambon 2006 2). Si l’idée de travailler sur les textes produits dans la moitié d’un département pendant deux siècles peut sembler restrictive, elle s’avère au contraire très judicieuse dans

Dans ce même ordre d’idées, nous avons dû constater très régulièrement que même les matériaux de Brunel et BrunelS n’ont pas toujours été pris en considération de manière systèmatique par le FEW. 2 ����������������������������������������������������������������������������������������� « Lexicographie et philologie : réflexions sur les glossaires d’éditions de textes (français médiéval et préclassique, ancien occitan) », RLiR 70, 123-141. 1

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la mesure où elle-seule fournit au linguiste la photographie en gros plan d’un état de langue. Étant convaincue nous-même que le travail en microscopie fournit un appui solide à une analyse ultérieure, il nous semble que la démarche de Philippe Olivier lui permet d’embrasser toute la complexité de son objet d’étude. Dans la microstructure, il est notable que le DAOA bénéficie des acquis de la lexicographie monolingue. Le fait mérite d’être souligné tant la description des langues médiévales galloromanes s’est vue retardataire par rapport à celle des langues standard européennes actuelles. Notamment, la méthode d’établissement des définitions est exemplaire : l’auteur propose le plus souvent une définition aristotélicienne à laquelle s’ajoutent, le cas échéant, des précisions d’ordre contextuel. La finesse des ca 12 000 sens dégagés améliore ainsi souvent les définitions des dictionnaires antérieurs (cf. par exemple l’article tener, [1202-08]). On apprécie également à la fin des articles la présence de renvois synonymiques. La lemmatisation suit les principes adoptés dans le DOM qui eux-même reposent sur ceux de Levy, avec une adaptation nécessaire pour la variété auvergnate. Les variantes rencontrées sont indiquées et organisées. La catégorisation grammaticale des entrées est rigoureuse. On notera que Philippe Olivier a apporté un soin particulier au dégagement et au traitement des locutions (cf. par exemple l’article dreit). Or, ce travail minutieux fait trop souvent défaut à la description autant de l’ancien occitan que de l’ancien français. Dans l’attention aux syntagmes tout comme dans le travail sémantique, les apports du DAOA dépassent très largement le cadre régional. Chaque article comporte enfin un choix raisonné d’exemples dont les paramètres (explicités dans l’introduction, [xix]) sont en premier lieu la clarté des passages et la date. Leur présence, naturellement indispensable, permet de mesurer le travail philologique soigné mené en amont. Le seul regret concerne l’absence d’étiquettes diasystématiques. Il est vrai que le fort marquage diaphasique de la variété de langue décrite aurait mené à une certaine redondance. Mais la régionalité des lexèmes (dans leur aspect formel ou sémantique) aurait dû être signalée. Étant-donné l’ampleur du corpus et la qualité du travail autant philologique que lexicographique, les apports du DAOA se vérifient pour de très nombreux lexèmes. Nous avons effectué un sondage qui nous a convaincue de l’utilité de ce dictionnaire pour une meilleure compréhension de la trajectoire historique du lexique occitan. Le plus souvent, les données recueillies permettent d’élargir l’extension chronologique de lexèmes attestés de manière restreinte. Cela vaut autant pour les diatopismes auvergnats que pour les mots ayant connu une diffusion panoccitane. Prenons quelques exemples : – aocc. parran s.f. “jardin près d’une maison entourée d’une clôture” : FEW 7, 662a, *parra atteste ce dérivé au Moyen Âge seulement aux 12e et 13e siècles. Le DAOA ajoute deux attestations dépassant ce segment (parra(s) 1414 et 1408/1586?) et propose une nouvelle définition (“terre soigneusement cultivée à proximité d’une maison”) ;

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– le terme de gestion agricole aocc. pessa s.f. “portion de terre d’un seul tenant et appartenant à un individu” : FEW 8, 339b, *pettia n’enregistre qu’une seule attestation (tardive) dans ce sens en aocc. : « apr. pessa (Albi 1377, RLR 47, 371) ». DAOA en fournit trois attestations supplémentaires (1408–1586?, 1463 et 1473). Grâce au DAOA, on dépasse un état lexicographique dans lequel on ne dispose que d’un hapax languedocien. Ces nouvelles données laissent entendre que ce lexème a dû exister dans ce sens dans différentes régions occitanes à travers plusieurs siècles ; – le terme de gestion agricole aocc. maionil / mainial “ensemble des dépendances d’une ferme, domaine rural” : les continuateurs de ce lexème, essentiellement oïlique (cf. aussi DEAFpré s.v. maisnil), sont rares en langue d’oc ; FEW 61, 255a, mansionile enregistre seulement « maionil (1248–1355) [trois attestations] ». Or, le DAOA relève deux attestations complémentaires diphtonguées maynial (1408–1487? et 1408–1586?). Ces occurrences, en élargissant le cadre spatio-temporel des continuateurs occitans de mansionile, prouvent leur vitalité au bas Moyen Âge 3 ; – aocc. orador : FEW 7, 386b, oratorium atteste l’issue héréditaire ponctuelle du substantif en occitan, cf. apr. orador “petite chapelle isolée ou attenante à un édifice, oratoire” (Rn [= fin 13e s., SaintMarieMad 2] ; Brunel [= 1195, Puy-de-Dôme, charte n° 282]). DAOA ajoute à lui-seul trois attestations comprises entre 1381 et 1462 dans le canton de Saint-Flour. Il est ainsi permis de postuler une continuité plus forte de l’issue héréditaire orador au moins dans la partie septentrionale du domaine d’oc. On se demandera toutefois si cette répartition géographique des données est conforme à une réalité linguistique ou bien si celle-ci est imputable à l’absence de travaux comparables à celui du DAOA pour d’autres régions. Il est patent que le DAOA complète très utilement la lexicographie existante, par la nature documentaire de son corpus, la région concernée, enfin par le segment chronologique couvert qui permet d’avoir accès au lexique occitan jusqu’à la fin de son existence documentaire à l’époque pré-moderne. Malheureusement, les nouvelles informations dégagées par le DAOA ne sont pas apparentes dans les articles en raison de l’absence de commentaires et de renvois systématiques à la bibliographie de référence 4. Nous n’avons pas compris quels critères Philippe Olivier a choisi pour citer ponctuellement FEW, DOM ou Lv. Le renvoi à l’ALMC paraît, quant à lui, systématique et présente l’avantage de pouvoir identifier les constantes lexicales de l’auvergnat entre le bas Moyen Âge et aujourd’hui. Dans l’introduction [xxii–xxiv], Philippe Olivier évoque l’intérêt de son dictionnaire en vue d’interprétations ultérieures. Il souhaite et espère notamment qu’un « travail d’analyse de détail du contenu du DAOA » soit entrepris. Cela permettrait en effet de mettre en avant ses apports en termes de régionalité, de chronologie ou de choix diaphasiques. Une attention particulière pourrait porter notamment sur les francismes afin de 3



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Notons qu’une attestation partiellement latinisée asnilo recueillie dans le second testament de l’évêque Étienne II de Clermont, original daté de 959 (cf. Carles 2011, 176sq.) confirme l’existence de lexème en ancien auvergnat à haute époque. Celle-ci est en revanche pleinement mise à profit dans l’étude lexicologique de l’auteur « Ancien auvergnat (perditz) rostigola : un représentant de lat. rusticula en galloroman », RLiR 73 (2009), 139-145.

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décrire les prémices de la disparition à l’écrit de l’occitan au profit du français. Le corpus documentaire régional du DAOA constitue le laboratoire idéal pour mener une étude appropriée de cette phase charnière et pour préciser les données vieillies de l’ouvrage de Brun 1923 (Recherches historiques sur l’introduction du français dans les provinces du Midi). Cette approche interprétative du DAOA pourrait idéalement prendre appui sur les hypothèses formulées par Jean-Pierre Chambon et Philippe Olivier lui-même en 2000 5. On peut également souhaiter que Philippe Olivier publie l’immense travail d’édition qui a servi de base à son dictionnaire, rendant ainsi possible d’autres interrogations, grapho-phonétiques, grammaticales ou textuelles. En conclusion, l’auteur a eu le grand mérite de mettre à la disposition de la communauté scientifique un travail définitoire remarquable réalisé à partir une matière lexicale méconnue, permettant enfin des études fiables sur la langue documentaire auvergnate du bas Moyen-Âge. Nous souhaiterions enfin insister sur le fait que l’ouvrage de Philippe Olivier contribue de manière significative à la modernisation et à l’introduction de nouveaux standards dans la lexicographie occitane en France. Hélène CARLES

Français Steffen HEIDINGER, French anticausatives. A diachronic perspective, Berlin/New York, De Gruyter (Linguistische Arbeiten), 2010, 205 pagine. Il lavoro di Steffen Heidinger rappresenta la versione riveduta della sua tesi di dottorato, redatta nell’ambito del Graduiertenkolleg ‘Sprachliche Repräsentationen und ihre Interpretation’ (Universität Stuttgart) e dell’École doctorale ‘Cognition, langage, inter­ action’ (Université Paris 8) e difesa nell’ottobre del 2008. Si prefigge di tracciare lo sviluppo diacronico dei verbi anticausativi francesi presenti nelle due varianti degli anticausativi riflessivi e quindi marcati (nel lavoro indicati con la sigla RACs, da ‘reflexive anticausatives’) e degli anticausativi non marcati (indicati con la sigla UACs, da ‘unmarked anticausatives’). L’obiettivo è di chiarire le cause che hanno condotto all’apparizione e alla diffusione dei RACs a scapito degli UACs, presenti nella lingua già prima che emergano e si diffondano i RACs. Le domande centrali poste nel lavoro riguardano quindi il modo in cui nel corso della storia si impongono le nuove forme di alternanza valenziale tra i verbi causativi e i rispettivi verbi anticausativi marcati con il riflessivo, come e perché si diffondono, e quali ripercussioni hanno sugli anticausativi formalmente non marcati e sul modello valenziale da questi rappresentato. Il lavoro è suddiviso in sette capitoli. Nel primo, l’introduzione, l’autore sintetizza le tematiche affrontate negli altri capitoli e gli obiettivi ivi proposti.



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« L’histoire linguistique de l’Auvergne et du Velay : notes pour une synthèse provisoire », Travaux de linguistique et de philologie 38 (2000), 83-153.

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Il secondo capitolo è dedicato a riflessioni di carattere teorico. Vi vengono discussi concetti importanti per l’analisi del materiale empirico, tra cui in primo luogo quelli di anticausatività, valenza, alternanza valenziale e cambiamento valenziale. Passando in rassegna la bibliografia rilevante al riguardo, Heidinger perviene a una definizione dei verbi anticausativi che sarà per lui operativa per il suo lavoro: li considera verbi non necessariamente marcati come tali, aspettualmente dinamici, impegnati nel fenomeno dell’alternanza tra causatività e anticausatività e applicati in frasi contenenti necessariamente un argomento con funzione di soggetto e ruolo semantico di theme, quindi rappresentante un’entità coinvolta in maniera non agentiva nell’evento espresso; l’evento stesso non implicherebbe una causa, ma non escluderebbe una sua menzione facoltativa con l’aiuto di un sintagma preposizionale. Con riferimento in particolare ai lavori di Smith (1970), Levin & Rappaport Hovav (1995) Alexiadou et al. (2006) e Schäfer (2008) 1, tematicamente incentrati sulla formazione dei verbi anticausativi, Heidinger valuta gli anticausativi non marcati come verbi intransitivi non sottoposti a manipolazione valenziale, gli anticausativi riflessivi, invece, come verbi risultanti da una modificazione valenziale del corrispondente verbo transitivo attraverso l’aggiunta del riflessivo e la cancellazione dell’argomento riservato all’agente. Nel terzo capitolo l’autore affronta una questione fondamentale per l’impostazione del lavoro. Essa riguarda i motivi dello sviluppo del riflessivo verso un espediente formale con facoltà di marcare l’anticausatività. La domanda è posta con riguardo a tre prospettive, di cui la prima interessa il francese antico del 12. secolo, quindi il periodo in cui la struttura riflessiva sembra essere ancora sottospecificata riguardo al ruolo semantico del soggetto e alla referenzialità del riflessivo. Heidinger constata sulla base del corpus da lui spogliato che in questo secolo gli anticausativi non marcati prevalgono in modo massiccio su quelli marcati (129 vs. 5 tokens ossia 96,3% vs. 3,7%) [cf. 35] e che i RACs sono attestati nei testi solo a partire dalla seconda metà del secolo. Nel caso dei RACs non ci sarebbe quindi continuità dal latino tardo, in cui le forme riflessive segnalanti l’anticausatività sono invece ben attestate. A più riprese Heidinger sottolinea la cesura di questa continuità, in quanto nei testi da lui analizzati e anche da quanto ricavato dalla letteratura al riguardo (in particolare Hatcher (1942) 2), forme di questo tipo vi sembrano essere del tutto assenti. Ne deduce «that reflexive anticausatives were lost, just like anticausatives formed with r-verbs, before the onset of Old French. But unlike the suffix -r, the reflexive anticausative reemerges in French» [30]. Consapevole

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Alexiadou, Artemis / Anagnostopoulou, Elena / Schäfer, Florian, 2006. «The pro­ perties of anticausatives crosslinguistically», in: Frascarelli, Mara (ed.), Phases of Interpretation, Berlin, Mouton, 175-199. Levin, Beth / Rappaport Hovav, Malka, 1995. Unaccusativity: At the Syntax-Lexical Semantics Interface, Cambridge, Cambridge University Press. Schäfer, Florian, 2008. The syntax of (anti-)causatives: External arguments in change-of-state contexts, Amsterdam, Benjamins. Smith, Carlota S., 1970. «Jespersen’s ‘Move and Change’ Class and Causation Verbs in English», in: Jazayery Mohammad A. et al. (ed.), Linguistic and Literary Studies in Honor of Archibald A. Hill, Vol. 2: Descriptive Linguistics, The Hague, Mouton de Gruyter, 101-109. Hatcher, Anna, 1942. Reflexive verbs: Latin, Old French, Modern French, Baltimore, John Hopkins Press.

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di questa conclusione forse un po’ troppo sbrigativa, nella nota (4) [30-31] Heidinger la relativizza ribadendo: «I am aware that this is not the only possible interpretation of these facts. Two other possible interpretations are (i) that RACs were not part of the variety of Late Latin that is the basis of Old French and (ii) that RACs continuously existed from Late Latin to Old French but are not attested in the written sources». E più avanti tematizza il problema soprattutto riguardo alla lingua parlata, pervenendo alla seguente conclusione: «Thus, since at present, there is no reliable method for measuring the spread of RAC in the speech community, I have to leave this aspect of the spread out of the discussion » [67]. I testi spogliati per il francese antico sono: la Chanson de Roland (1100), edizione Steinsieck (1999); Le Voyage de Saint Brendan (1112) di Benedeit, edizione Ruhe (1977); Roman de Thèbes (1160), edizione Olef-Krafft (2002); Lancelot di Chrestien de Troyes (1171), edizione Jauss-Meyer (1974); Guillaume d’Angleterre di Chrestien de Troyes (1175), edizione Klüppelholz (1987). In questo corpus Heidinger individua tre tipi formali per esprimere l’anticausatività: a. forme senza marcatore, b. verbi con riflessivo, c. strutture perifrastiche del tipo ‘devenir + stato’ e ‘avoir + stato’ [cf. 33-34]. Non potendo avvalersi di un reperimento digitale degli UACs, Heidinger al riguardo fa notare che «the relevant data had to be searched ‘manually’ in texts» [32‑33], senza dare ulteriori informazioni al proposito. Senza dubbio, un’individuazione manuale dei verbi non marcati costituisce un compito arduo e, visto l’alto numero dei versi sottoposti a esame, per Heidinger non è esclusa la possibilità di verbi non registrati. Lo spoglio porta ad un’altra constatazione importante che potrebbe anche spiegare l’emergere delle strutture con riflessivo nel francese antico. Da intermediari potrebbero aver funto, così Heidinger, strutture con verbi psicologici (psych verbs), in quanto esibiscono tratti sintattici e semantici analoghi a quelli dei RACs: il soggetto non è un agente e il riflessivo non è un argomento, per cui non può essere dotato di ruolo semantico [cf. 42-43]. I verbi sono intransitivi, derivati da verbi transitivi attraverso l’aggiunta del riflessivo, da Heidinger interpretato come un operatore che a livello lessicale e quindi valenziale cancella l’argomento con ruolo semantico di agente del verbo transitivo attribuendo la funzione di soggetto all’argomento con il ruolo semantico di undergoer ossia, nel caso specifico dei verbi psicologici, di experiencer in quanto rappresentato da entità animate. Diversamente da questi verbi, i RACs avrebbero invece come soggetto un undergoer in prevalenza non-animato e con il ruolo semantico di theme [cf. 48-51]. Per Heidinger, il fatto che le strutture con verbi psicologici siano attestate già prima dell’avvento dei RACs, cioè già nei due testi della prima metà del 12. secolo (così p.e. i verbi criembre, esbaudir, esclargir, dementer, doloser, esragier, merveiller, repentir, repaiser in combinazione con soggetto non-agentivo e riflessivo non-referenziale nella Chanson de Roland [cf. 46]), e che abbiano una presenza numericamente importante nei testi che a questi seguono, è evidenza sufficiente per supporre che abbiano servito come modello agli RACs. La seconda prospettiva riguarda le cause e le circostanze che hanno portato all’apparizione dei RACs. In quanto riconducibili a un’operazione valenziale con la quale l’agente del verbo transitivo corrispondente è cancellato dalla struttura argomentale del lessema stesso (cf. sopra), Heidinger suppone che i RACs rappresentino il risultato di un’operazione analoga a quella subita dai verbi psicologici (cf. sopra), per cui dal punto di vista strutturale e semantico la loro comparsa non rappresenterebbe un’innovazione [cf. 51].

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A questa seconda prospettiva è strettamente legata la terza, incentrata sui processi che hanno presumibilmente condotto alla diffusione dei RACs. Heidinger al proposito si chiede se essa sia da ricondurre a rianalisi e/o a estensione analogica [cf. 52 ss.], ambedue meccanismi spesso responsabili per cambiamenti linguistici. Da Heidinger questi due meccanismi vengono valutati come più o meno equi e contigui nel processo che porta alla formazione dei RACs. La rianalisi in certi contesti è da lui considerata addirittura un caso speciale di estensione [cf. 61]: permettendo l’interpretazione di un’autentica struttura riflessiva anche come struttura anticausativa (tipo Jean s’est blessé), questo specifico tipo di rianalisi rappresenterebbe la possibile premessa per l’estensione del rispettivo modello ad altri verbi transitivi. Allo stesso modo, attraverso lo sfruttamento della presenza di un modello valenziale già preesistente e attivato con i verbi psicologici, anche l’estensione analogica avrebbe giocato un ruolo importante nell’incremento dei RACs. Il quarto capitolo è focalizzato sugli aspetti quantitativi e qualitativi della diffusione dei RACs, registrati da Heidinger sulla base di indagini campione su tre corpora: il Nouveau Corpus d’Amsterdam per il francese antico (periodo 1100 - 1299), il Dictionnaire du Moyen Français per il francese medio (periodo 1330 - 1520) e Frantext per il periodo che segue il francese medio (periodo 1610 - 1990). I parametri indicativi per l’aspetto quantitativo in termini di tokens sono la frequenza assoluta delle occorrenze dei RACs nei tre periodi analizzati e la frequenza relativa calcolata sulla base della relazione tra la loro frequenza assoluta e il numero delle parole dell’intero corpus. Per calcolare la diffusione dei RACs in termini di types, Heidinger si serve di un semplice indice, basato sulla relazione fra il numero dei RACs individuati per un dato periodo e il numero complessivo delle parole registrate nel corpus per lo stesso periodo. Il confronto fra types e tokens in quest’ultimo caso può apparire perlomeno discutibile, in quanto nel conteggio dei tokens rientrano anche gli usi ripetuti degli stessi RACs, come d’altronde osserva anche Heidinger nella nota (5) [74]: «With respect to the parameter of relative lexical diffusion it should be noted that beyond a certain corpus size the verbs (as types) would repeat themselves.» Il risultato delle analisi dimostra che i RACs aumentano notevolmente sia riguardo alla loro frequenza relativa che alla loro diffusione lessicale dall’antico francese verso il francese moderno, ma che la frequenza relativa non evidenzia un incremento costante, in quanto inizia lentamente, evolve massicciamente dopo la fine del francese medio per poi nuovamente calare a partire dalla metà del 18. secolo. Per quanto riguarda l’aspetto qualitativo dello sviluppo dei RACs, Heidinger si chiede se possano essere rilevate delle differenze fra questi verbi nei tre periodi presi in considerazione e se la forte diffusione possa essere spiegata con un loro eventuale cambiamento tipologico. A questo proposito vengono sottoposti a esame i parametri riguardanti la classe semantica cui i rispettivi verbi appartengono, l’animatezza del loro soggetto e la relazione nella distribuzione fra RACs e UACs lungo il periodo analizzato. Heidinger constata che la diffusione dei RACs non parte da una classe semantica per poi coinvolgere una dopo l’altra le restanti classi [cf. 81-82] e che quindi al riguardo le classi semantiche non sono state incisive. Le classi dei verbi di cambiamento di stato, dei verbi aspettuali, dei verbi di apparizione e dei verbi di cambiamento di posizione, presenti sin dall’inizio, continuano a essere ampliate parallelamente. Durante l’intero periodo, i verbi di cambiamento di stato costituiscono però decisamente la classe dominante in termini di frequenza. Le altre si sviluppano con frequenze non eque. Ciò che cambia nel corso dei secoli, così conclude Heidinger, non sono quindi le classi semantiche, ma la

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proporzione riguardo all’aumento dei verbi al loro interno, soprattutto dopo il periodo del francese medio, punto che segna la svolta decisiva nell’incremento dei RACs. Anche riguardo all’animatezza dei soggetti non si assisterebbe a un cambio essenziale tra il francese antico e il francese moderno. La differenza riguarda solo la proporzione della distribuzione fra soggetti animati e non-animati combinabili con i rispettivi verbi. Mentre la frequenza relativa dei verbi con soggetto animato rimane più o meno stabile durante i secoli, i verbi con soggetto non-animato evolvono invece numericamente in analogia alla frequenza relativa totale dei RAC, fatto non sorprendente visto che l’anticausatività interessa in primo luogo entità inanimate. Heidinger ipotizza, però, che la forte presenza di soggetti animati nei primi RACs possa essere spiegata attraverso l’analogia con le strutture con verbo psicologico di cui i RACs con grande probabilità calcano il modello (v. sopra). I RACs con soggetto animato rappresenterebbero quindi lo stadio intermedio fra le strutture con verbo psicologico e i RACs con soggetto inanimato [cf. 88]. La domanda, infine, se la struttura riflessiva dei verbi anticausativi possa alternarsi con la struttura non marcata interessa un aspetto che evidenzia il cambio linguistico più importante tra il francese antico e quello moderno. Heidinger dimostra infatti, che la maggioranza dei RACs fino alla fine del francese medio era costituita da verbi applicabili anche come UACs. Dopo il rispettivo periodo, invece, questo duplice uso si riduce fortemente a favore dell’uso come RACs. Il cambio coincide temporalmente con il forte incremento dei RACs a partire dalla fine del francese medio e non è indotto specificamente da una regola di successione, né del genere ‘tipo 1 > tipo 2’, né del genere ‘tipo 1 > tipo 1,2’ [cf. 95]. Questo cambiamento non avrebbe però condotto a una totale cancellazione degli UACs come evidenzia il loro numero ancora considerevole nel francese moderno (Heidinger al proposito cita Rothemberg (1974) 3 che ne avrebbe individuati 311 su un totale di 7.080 verbi [cf. 104]), e vi sarebbero presenti addirittura UACs che si sono imposti contro i RACs. Heidinger non specifica, però, se si tratta di verbi già presenti in stadi più remoti della lingua o se si tratta di verbi nuovi. Il quinto capitolo si prefigge di individuare eventuali divergenze semantiche fra i RACs e gli UACs sulla base della loro struttura aspettuale e causale. A questo proposito è indagata la distribuzione di alcuni indicatori aspettuali e causali nell’uso dei verbi augmenter, durcir, empirer, enfler, gonfler, grossir. Lo studio, in questo teoricamente supportato da un approfondito confronto con bibliografia pertinente (tra cui in particolare Zribi-Hertz (1987), Labelle (1992) e Bassac (1995)) 4, individua differenze a seconda che i verbi vengano usati come RACs o come UACs. Come parametri aspettuali vengono indicati la perfettività, la telicità e lo stato risultativo di un evento. In quanto la perfettività riguarda il compimento di un evento, la telicità ne rappresenterebbe un sottotipo, perché oltre alla perfettività dell’evento ne implica anche lo stato risulta Rothemberg, Mira, 1974. Les verbes à la fois transitifs et intransitifs en français moderne, The Hague / Berlin, Mouton. 4 Bassac, Christian, 1995. Le statut de verbe dit ergatif: Étude contrastive anglais – français, Doctoral dissertation, Université de Nancy II. Labelle, Marie, 1992. «Change of state and valency», Journal of Linguistics 28, 375414. Zribi-Hertz, Anne, 1987. «L’ergativité réflexive en français moderne», Le français moderne 55, 23-54. 3

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tivo. I RACs focalizzerebbero lo stato risultativo dell’evento espresso, gli UACs invece l’evento. Questa divergenza di focus aspettuale fra le due classi risulterebbe da una diversa distribuzione, in essi, degli indicatori aspettuali che per il focus sullo stato risultativo sono: l’espressione dello stato risultativo e sintagmi preposizionali quantificanti e specificanti il cambiamento di stato espresso; per la telicità: l’espressione dello stato risultativo, sintagmi preposizionali quantificanti il cambiamento di stato, espressioni di gradazione come tellement ... que, e avverbi di gradazione quantificata come complètement [cf. 151-157]. Il dato statistico più importante che emerge dal confronto dimostra una netta prevalenza, nei RACs rispetto agli UACs, degli indicatori focalizzanti lo stato risultativo dell’evento (10,7% vs. 3,0%), una prevalenza minore, invece, degli indicatori implicanti la telicità dell’evento (9,4% vs. 5,6%) [cf. 166]. Heidinger ne deduce che gli anticausativi riflessivi sono preferiti ai verbi non marcati in contesti in cui è focalizzato lo stato risultativo di un evento. Aggiungerei che con questi verbi allo stato risultativo si accompagna anche un aspetto olistico dell’evento rappresentato, in quanto l’ undergoer nella funzione di soggetto ne è affetto nella sua totalità. Per quanto concerne la struttura causale, l’asserzione di partenza formulata da Heidinger è che in combinazione con verbi anticausativi il soggetto non può mai esprimere una causa e che una causa non è in generale nemmeno implicata nella matrice del verbo stesso. Eventuali sintagmi preposizionali esprimenti una causa sarebbero elementi aggiuntivi e non proiezioni di un tratto semantico inerente alla struttura anticausativa del verbo. L’assenza di una causa rappresenterebbe quindi la caratteristica condivisa dalle strutture anticausative. La differenza semantica fra i RACs e gli UACs, invece, consisterebbe nel fatto che i RACs sono più vicini al punto finale negativo su una scala di spontaneità deputata a indicare il grado di probabilità con cui un evento si realizza o non si realizza senza l’intervento di una causa esterna, mentre gli UACs sarebbero più vicini al polo positivo di spontaneità. Perciò nel contesto dei RACs una causa sarebbe semanticamente più presente che non nel contesto degli UACs, il che varrebbe anche per i verbi permettenti ambedue gli usi. Heidinger è però consapevole della problematicità di tale generalizzazione, in quanto il posizionamento di eventi su una scala di spontaneità è difficilmente oggettivabile [cf. 144]. Più avanti nel testo, Heidinger ribadisce però, che nei RACs il riflessivo come esplicito segnale di anticausativizzazione e come «a formal trace of the transitive-causative use» [cf. 184] contribuirebbe a segnalare una maggiore salienza della causa dell’evento rispetto agli UACs. Questa interpretazione è convalidata dalle percentuali al proposito rilevate: l’espressione della causa per mezzo di sintagmi preposizionali è attestata in 10,3% dei RACs e solo in 3,5% degli UACs del corpus, e questa preferenza vale per tutti e sei i verbi, anche se con relazioni differenti per ciascun singolo verbo [cf. 165]. A questo punto ci si potrebbe chiedere, se la maggiore presenza di sintagmi preposizionali con i RACs non possa essere imputata anche a un aumento della loro valenza per effetto del riflessivo. Almeno per diversi sintagmi preposizionali introdotti dalla preposizione de mi pare si possa fare un tale ragionamento. In alcuni esempi tratti dal corpus, il sintagma preposizionale sembra infatti rappresentare piuttosto un argomento in funzione di un oggetto preposizionale che non di un costituente quantificativo o specificativo facoltativamente aggiunto. Per illustrare quanto osservato riporto due esempi proposti da Heidinger per l’esemplificazione di un sintagma preposizionale quantificante il cambiamento e di un sintagma preposizionale specificante il cambiamento:

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[...] les camps se grossirent des polonais insurgés de l’armée du général BorKomarowski, (Ambrière, 1946; Frantext; mod. St. H.) [167] [...] et son sein se gonfle de lait. (Céline, 1932; Frantext; mod. St. H.) [168] A mio avviso, questo tipo di uso del sintagma preposizionale è escluso per gli UACs per il semplice fatto che non è previsto nella loro valenza. I sintagmi preposizionali con RACa e UACs, tematica che Heidinger affronta a più riprese senza però fare distinzioni al riguardo [cf. 111‑118, 125, 151‑157 e 162‑171], andrebbero quindi analizzati anche in questo senso. Gli esempi riportati sembrano infatti riflettere la facoltà del riflessivo di aumentare la valenza del verbo rendendo necessaria la presenza di un sintagma preposizionale introdotto da de, e quindi di modificare non solo il carattere causale e aspettuale, ma anche lessicale del verbo. Se questa considerazione è corretta, i rispettivi sintagmi preposizionali andrebbero valutati come proiezioni di tratti semantici inerenti al verbo. Concluderei quindi che l’aggiunta di sintagmi preposizionali nel caso degli UACs è sottoposta soltanto a restrizioni di compatibilità semantica (p.e. nel caso di circostanziali di tempo), nel caso dei RACs oltre a queste anche a restrizioni di carattere valenziale. Proprio il fatto osservato da Heidinger che «the PPs can render the RAC grammatical and the UAC ungrammatical, but, crucially, they cannot render the RAC ungrammatical» [118] mi sembra sostenere questa interpretazione. Nel sesto capitolo Heidinger analizza i RACs e gli UACs riguardo alla distribuzione dei loro ausiliari être e avoir e ai valori aspettuali da questi espressi: être accentuerebbe l’aspetto risultativo di un evento, avoir l’evento stesso. Per il fatto che être sia stato sostituito da avoir come ausiliare perfettivo degli UACs nel periodo del passaggio dal francese antico al francese medio, la distinzione fra l’aspetto perfettivo e imperfettivo dei rispettivi verbi non poteva più essere svolta dall’ausiliare. Heidinger suppone quindi che l’incremento e il successo dei RACs sia stato favorito proprio dalla necessità di garantire l’espressione della perfettività e della telicità dell’evento anticausativo. I due processi sarebbero quindi causalmente connessi, anche se la causa prima per la diffusione dei RACs è da Heidinger individuata nella sostituzione dell’ausiliare. Essa, inoltre, non avrebbe intaccato solo gli anticausativi, ma anche altri verbi intransitivi. Questo fatto spiegherebbe inoltre come mai i RACs si siano propagati senza cambiare i tratti funzionali a loro inerenti e senza promuovere nuovi tipi di anticausativi. Se dunque in questo capitolo il regresso del verbo être come ausiliare degli UACs e la sua sostituzione con avoir sono presentati come una specie di trigger per la diffusione dei RACs, ci si sarebbe augurati anche una risposta al perché di questo cambiamento. Nel lavoro una rispettiva risposta manca però; manca anche un rimando alla letteratura al riguardo. In più, in questo contesto si sarebbe potuto affrontare un’ulteriore domanda e cioè se la sostituzione dell’ausiliare e la presenza di strutture con verbo psicologico e riflessivo, indicate ambedue come premesse importanti e decisive per la formazione e la diffusione dei RACs, abbiano in qualche modo interagito o se invece si tratta di fenomeni indipendenti. Nella conclusione, infine, Heidinger riassume in modo conciso gli obiettivi, la metodologia e i risultati del suo lavoro. Si tratta di un’esposizione molto chiara, comprensibile e informativa anche per chi non abbia letto l’intera opera. In sintesi, il lavoro di Heidinger rappresenta il risultato convincente di un’analisi articolata e svolta a diversi livelli di indagine della complessa storia degli anticausativi francesi. Lo studio effettuato con grande rigore scientifico getta luce su un aspetto finora

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trascurato nella linguistica francese, dove tuttora prevalgono i lavori teorico-sincronici sull’anticausatività. Heidinger sa sfruttarli garantendo così all’approccio empirico del suo lavoro una base teorica solida. La presentazione è chiara, in più supportata da tabelle e figure che illustrano in modo sintetico il risultato delle singole analisi nonché da riassunti per i primi quattro capitoli (per coerenza sarebbero stati auspicabili anche per gli ultimi due). In complesso si tratta quindi di un lavoro molto ricco di informazioni e anche di spunti per ulteriori ricerche, la cui lettura consiglierei vivamente a tutti coloro che sono interessati alla storia del francese e in particolare alla storia dei verbi anticausativi e alle strutture sintattiche da essi implicati. Heidi SILLER-RUNGGALDIER

Hélène BLONDEAU, Cet « autres » qui nous distingue : tendances communautaires et parcours individuels dans le système des pronoms en français québécois, Québec, Les Presses de l’Université Laval (collection « Les voies du français »), 2011, xiv + 254 pages. L’ouvrage de la sociolinguiste Hélène Blondeau analyse le système pronominal en français québécois et se concentre tout particulièrement sur l’évolution et les changements linguistiques repérables au niveau communautaire et dans les parlers individuels au fil du temps. Plus précisément, la variation analysée est celle des formes simples et composées des pronoms non clitiques du pluriel comme dans les occurrences suivantes [2] : (1) C’est sûr que nous autres on était un peu des babyboomers (MTL : 25’95) (2) Quand on fait la visite, on la fait pas tout seul nous on la fait avec l’infirmière (MTL : 25’95) L’étude, divisée en onzw chapitres, se concentre sur l’analyse du comportement linguistique de la communauté (dans les chapitres 2 à 8), plutôt que sur des parcours linguistiques individuels (auxquels sont consacrés les chapitres 9 et 10). Les deux premiers chapitres [1-8 et 9-28] contiennent des rappels grammaticaux et méthodologiques sur le système des pronoms personnels en français et expliquent en détails la variation existant en français québécois. Le chapitre 3 [29-52] présente les quatre bases de données de natures diverses sur lesquelles repose l’analyse : – le corpus Sankoff-Cedergren 1971, premier corpus sociolinguistique composé de 120 locuteurs natifs de Montréal et de langue maternelle française ; – le corpus de Sankoff-Cedergren Montréal 1984 qui est un suivi de cohorte qui contient les entrevues de 60 des 120 locuteurs de 1971 dans une perspective longitudinale ; à ces 60 locuteurs initiaux ont été ajoutés 12 jeunes locuteurs (15-25 ans) afin de maintenir un éventail d’âges semblable à celui du corpus 1971 ; – le corpus de Sankoff-Cedergren Montréal 1995, regroupant les entrevues d’une cohorte de 14 locuteurs dont 12 avaient été interrogés en 1971 et en 1984 ;

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– la base de données Récits du Français Québécois d’autrefois (RFQ), compilée par Luc Lacourcière et Carmen Roy à des fins ethnographiques dans les années 1940 et 1950 auprès de conteurs-locuteurs de français québécois vivant dans différentes régions du Québec. Afin de pouvoir cerner un changement potentiel, l’auteur utilise une méthode de triangulation en examinant différents ensembles de données permettant plusieurs types de comparaisons, ainsi que des analyses régressives grâce au logiciel Goldvarb (version 2) [39sq.]. Blondeau conclut ce chapitre en établissant un tableau récapitulant les groupes de facteurs extralinguistiques retenus pour l’analyse des trois bases de données montréalaises : un groupe de facteurs sociaux (groupe socio-professionnel, mobilité professionnelle, scolarité, sexe), un groupe de facteurs temporels (année d’enregistrement) et un groupe de facteurs stylistiques (thème de discussion et situation d’interaction) [52]. Les chapitres 4 [53-78] et 5 [79-104] approfondissent la discussion sur l’opposition des formes clitiques et non clitiques des pronoms en français. Blondeau se rattache au courant théorique qui s’appuie sur les données du français parlé et perçoit les clitiques comme une composante morphologique du verbe. Le chapitre 5 présente en détails la variation entre les formes simples et les formes composées des pronoms non clitiques du pluriel en français parlé au Québec, et plus précisément l’alternance des formes nous, vous, eux, elles et celles accompagnées par autres : nous autres, vous autres, eux autres [79]. Les facteurs linguistiques retenus pour les analyses principales et secondaires sont [91] : – la personne : 1re, 2e, 3e masculin et féminin – le syntagme : nominal ou prépositionnel, avec comme groupe de facteurs supplémentaires le type de préposition – à, de, avec, entre, pour, autres – le double marquage : présence ou absence, avec comme groupe de facteurs supplémentaires la fonction du double marquage – sujet, objet direct, objet indirect, possessif, double – la position : antéposée ou postposée – le contraste référentiel : présence ou absence – le type de construction : attribut, présentatif, introducteur, comparatif, coordonné, question, autre Les occurrences avec la préposition chez ont été exclues en raison de leur caractère catégorique d’utilisation de la forme simple (chez nous) qui semble empêcher l’emploi de la forme composée. Le chapitre 6 [105-139] livre les résultats de l’analyse quantitative principale menée sur l’échantillon de 30 locuteurs montréalais interviewés en 1971 et 1984 ainsi que les résultats d’une analyse secondaire. Il en ressort que la forme composée avec « autres » est la plus courante et agit comme « variante habituelle » alors que la forme simple n’est utilisée que dans 13 % des cas [138]. Au vu des résultats de l’analyse de la variation, l’hypothèse d’un contraste sémantique comme explication de l’alternance des formes doit être exclue ; les points marquants de l’analyse ont plutôt mis en valeur deux groupes de facteurs contraignant la variation :

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(1) la catégorie morphologique de la personne : la 1re personne du pluriel favorise la forme simple, et (2) le type de syntagme : les syntagmes prépositionnels favorisent le choix de la forme simple davantage que les syntagmes nominaux apparaissant seuls. D’autre part, les résultats de l’analyse secondaire ont fait ressortir une hiérarchie prépositionnelle qui remet en question le rôle de l’alternance à des fins de distinction sémantique pour départager la pluralité nombreuse de la pluralité restreinte [138 sq.]. Les chapitres 7 et 8 [141-187] révèlent les résultats de plusieurs analyses quantitatives des facteurs sociaux menées sur les trente locuteurs de 1971 et 1984 qui mettent en évidence le comportement différentiel des hommes et des femmes car ces dernières favorisent l’usage de la forme simple (17 %, poids relatif = 0,584). Le groupe socio-professionnel élevé et le facteur de la mobilité professionnelle descendante favorisent également l’usage de la forme simple (respectivement 25  % , poids relatif = 0,722 et 16 %, poids relatif = 0,638). Pour ce qui est des facteurs stylistiques, le thème de discussion de la scolarité favorise l’usage de la forme simple à 20 % (poids relatif = 0,607), puis viennent les thèmes de la résidence (19 %, poids relatif = 0,578), de la langue (17 %, poids relatif = 0,598) et de l’occupation (17 %, poids relatif = 0,606). Enfin pour le groupe des facteurs temporels, l’année d’enregistrement 1984 favorise nettement l’usage de la forme simple avec 18 % (poids relatif = 0,606) par rapport à 1971 (8 %, poids relatif 0,372) [142]. Viennent ensuite trois analyses secondaires : la première porte sur les pronoms non clitiques insérés dans des syntagmes prépositionnels [154], l’autre sur les pronoms non clitiques en contexte linguistique de double marquage [155-158] et la dernière, sous forme d’étude comparative, sur le contexte de formalité pour tous les contextes linguistiques et en contexte de double marquage [158sq.]. Blondeau conclut que la variable qu’elle observe en temps réel « correspond bien à la définition d’un marqueur sociolinguistique puisqu’elle suit un modèle d’hétérogénéité ordonné sur l’axe tant social que stylistique » [165], et que le prestige social de cette variable est associé à la forme simple, employée plus fréquemment en contexte de formalité. Enfin, elle souligne que cette même forme simple de la variable augmente en fréquence de façon nette entre 1971 et 1984 [166]. Le chapitre 8 [167-187] contient une analyse approfondie de la dimension temporelle de la variation à l’étude grâce à l’analyse des données du RFQ, qui représente l’état le plus ancien de la variable en français québécois [168-170]. En comparant cette première étape avec les résultats de l’analyse des facteurs linguistiques obtenus aux chapitres précédents, Blondeau établit qu’un changement a bien eu lieu dans les facteurs linguistiques au fil du temps avec une augmentation en faveur des formes simples, surtout dans le contexte des syntagmes nominaux de la 1re personne en position antéposée [179]. Une section analysant la production du modificateur même qu’elle compare à autres [180187] révèle que même joue un rôle au niveau de l’emphase, alors que autre a subi un processus de grammaticalisation qui le renvoie aujourd’hui à une marque morphologique de pluralité plutôt qu’à un procédé discursif. Les analyses quantitatives révèlent donc bien un changement communautaire en français québécois entre le début et la fin du XXe siècle. Même si les deux séries des pronoms non clitiques de forme composée et de forme simple continuent à coexister, la forme simple du pronom non clitique est de plus

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en plus fortement associée à la formalité par les locuteurs de français québécois et son usage gagne incontestablement du terrain [187]. Les chapitres 9 [189-209] et 10 [211-228] sont consacrés à l’analyse de trajectoires individuelles grâce à l’étude d’une cohorte de douze locuteurs montréalais enregistrés pour les trois corpus de Sankoff-Cedergren (Montréal 1971, 1984, 1995). Blondeau montre ainsi que la tendance communautaire qu’elle a observée se confirme et s’articule dans les trajectoires individuelles sur 24 ans de parler en temps réel. Finalement, le chapitre 11 [229-240] livre en dernier lieu une conclusion fondamentale selon laquelle « les pronoms non clitiques du pluriel ont été impliqués dans un processus de grammaticalisation qui a laissé des traces dans les données en temps réel » qu’elle a pu étudier [239]. Blondeau termine en affirmant que « le processus avancé de grammaticalisation des formes composées semble avoir donné lieu à une spécialisation sociostylistique des variantes. Ainsi, la stratification sociale et stylistique qui caractérise la variable semble en faire un marqueur sociolinguistique qui illustre bien la dynamique à l’œuvre au sein de la communauté linguistique [du français québécois] » [239]. Carole SALMON

Créole à base lexicale française Jean LE DÛ / Guylaine BRUN-TRIGAUD, Atlas linguistique des Petites Antilles. Volume I, Préface de Jean Bernabé, Enquêtes coordonnées par Robert Damoiseau, Paris, Éditions du CTHS, 2011, 350 pages. Après les atlas linguistiques de La Réunion, de Rodrigues et de Haïti, les créoles à base lexicale française bénéficient d’un nouveau moyen d’information. Celui-ci ne couvre que les « îles du vent » : Saint-Martin, Saint-Barthélemy, La Guadeloupe, La Désirade, Les Saintes, Marie-Galante, La Dominique, La Martinique, Sainte-Lucie, Trinité, auxquelles est adjointe, à titre de comparaison, une enquête à Oiapoque, au Brésil, à la frontière avec la Guyane. Il avait été prévu d’inclure cette dernière dans le champ de l’atlas, mais les circonstances en ont décidé autrement ; l’espoir reste d’une enquête spécifique. Faute de moyens, les expansions ponctuelles de ces créoles à Saint-Vincentet-Grenadines, à la Grenade et dans la presqu’île de Paria au Venezuela [pp. 18-19] n’ont pu être traitées. L’atlas s’étend sur cinq pays, les départements et collectivités d’OutreMer français où le français est langue officielle, les pays du Commonwealth que sont La Dominique, Sainte-Lucie et Trinité-et-Tobago qui ont l’anglais pour langue officielle, enfin le Brésil. Au total les enquêtes ont été conduites dans 48 points, un pour chaque île à Saint-Martin, Saint-Barthélemy, La Désirade, Marie-Galante, Trinité et chacune des îles habitées des Saintes, tandis que La Dominique et Sainte-Lucie en comptent chacune huit et que La Guadeloupe et La Martinique ont fait l’objet chacune de douze enquêtes. Le questionnaire comprend 467 questions, mais la liste qui en est donnée [pp. 331-335] n’en énumère que 466. Il comporte essentiellement des mots à traduire [q. 1 « la mer »], [q. 2 « les vagues »], des syntagmes [q. 25 « il fait chaud »], [q. 26 « il fait froid », des phrases [q. 119 « le ramier est plus gros que la tourterelle »], [q. 147 « ma tante allait souvent à l’église »], des questions ouvertes [q. 108 « nommez et décrivez les crabes de

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mer et de terre que vous connaissez »], [q. 110 « énumérez et décrivez les coquillages que vous connaissez »]. Les enquêtes ont été menées, enregistrées et transcrites en API par seize étudiants de l’Université des Antilles et de la Guyane, et la moitié d’entre elles est l’œuvre d’une même personne, Madjanie Leprix. Dans chaque point un informateur principal a éventuellement été aidé par un proche. La majorité de ces témoins était âgée au minimum d’une cinquantaine d’années au moment de l’enquête ; la plupart n’avaient reçu qu’une instruction primaire et une bonne part avait des difficultés à s’exprimer en français. Le matériel obtenu a fait l’objet de 330 premières cartes ou listes, classées en 11 rubriques : nature, météorologie, les plantes, les fruits, les animaux domestiques, les animaux sauvages, le temps qui passe-le temps social, l’espace-les transports, quantités, couleurs, grammaire (1e partie). Les matériaux relatifs aux humains (corps, vêtements, nourriture, maison, ameublement, métiers, parenté, relations, etc.) sont réservés pour un volume en préparation. Les titres des cartes sont en français et en anglais et ils sont indexés [pp. 339-350] dans les trois langues officielles sur l’espace couvert : français, anglais, portugais. Les cartes sont consacrées aux mots et aux syntagmes simples, tandis que les phrases se déclinent en listes, pour préserver la lisibilité. Les données sont également listées en cas de réponses lacunaires ou trop faiblement variantes. Les questions ouvertes aboutissent à des énumérations de types isolés [150] et à des listes plus ou moins fournies de dénominations parallèles d’un même coquillage par exemple [148 et 149]. Il y a presque une centaine de listes sur les 330 notions répertoriées. Les cartes rapportent les correspondants locaux du titre en notation phonétique, mais elles sont aussi très fréquemment accompagnées de petites cartes schématiques qui visualisent l’organisation de la variation formelle. Ce peut être la répartition des différents types lexicaux pomme Cythère vs. prune Cythère [65], poyo vs. ti-nain vs. fig [67 « banane à cuire »], ou celle des résultats [i], [e], [u] et [y], de la voyelle centrale [ə] du français dans la syllabe initiale des réflexes de serein “rosée” [26], demain [177], devant [217], etc. Mais ces cartes explicatives peuvent aussi visualiser les zones où, dans les parlers de France, le verbe pleuvoir a disparu, comme en créole, au profit de locutions choir de la pluie, tomber de l’eau, faire de la pluie, etc. [28]. La symbolisation de la carte « abeille » de l’ALF montre bien que c’est la forme populaire dominante mouche à miel qui est à l’origine des principaux types créoles [muʃ a mjɛl] ou par ellipse [mjɛl], tandis que la forme du français s’est implantée dans les îles restées sous administration française [114]. Quelques questions se sont révélées peu rentables lexicalement. Ainsi les noms de mois poursuivent tous les noms du français. Mais, tandis que « janvier » [212] et « mai » [213] n’apparaissent que sous les formes du français, les noms des autres mois [187-193] manifestent l’adaptation à la phonétique créole et ceux de « août » [192] et « septembre [193], surtout, documentent la concurrence entre formes de la langue commune et de la langue populaire. A l’inverse, nombre de cartes mettent en évidence une riche variation lexicale. Pour éviter qu’on ne s’y égare, chaque carte ou liste est accompagnée d’un commentaire éclairant. Celui-ci permet d’identifier le référent de la carte en décrivant, s’il le faut à l’aide d’une photo (par exemple, des fruits de l’arbre à pain, du mancenillier, du tamarinier, du pommier de Cythère, etc.), des réalités de la flore ou de la faune particulières aux Antilles, comme par exemple le topinambour antillais [48], qui n’a rien à voir sur le

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plan botanique avec celui qu’on cultive en Europe. C’est particulièrement utile lorsque le français courant peine à distinguer le pomelo et le pamplemousse [71 et 72]. Le commentaire apporte quelquefois une évaluation de la qualité des données. Les enquêtes ayant été faites par une dizaine de personnes différentes, il n’est pas sûr que toutes les réponses soient également topiques. Le commentaire signale à propos de certaines données ‘des erreurs d’interprétation de la question’ [129] ou que ‘la question a sans doute été mal comprise’ [120]. Ces approximations peuvent être moins ponctuelles : ainsi pour « banane dessert » [68] par opposition à « banane à cuire » [67], ‘de nombreux informateurs ont traduit l’expression ‘banane à dessert’, ce qui ne représente probablement pas la forme effectivement utilisée’ [68]. Le commentaire des cartes « crevette » [144] et « écrevisse » [145] indique ‘qu’une certaine confusion règne parmi les locuteurs entre écrevisses et crevettes, mais aussi homard’, raison de la bigarrure des réponses qui ont été réparties telles que les ont obtenues les enquêtes. Le transcripteur de l’enquête peut aussi avoir pris des commentaires contextuels pour des réponses. Il est peu probable qu’à Marie-Galante la locution zãma a kãn signifie “herbe” [56], puisqu’elle correspond à zama a kann que le dictionnaire de Barbotin définit “amarres, tête feuillue de la canne à sucre, quand elle sert pour attacher les paquets de cannes”. Comme noms prétendus du verrat, ‘la forme koʃɔn ‘cochonne’ (02) est pour le moins inattendue, et koʃõ malelive ‘cochon mal élevé’ est un jugement « moral » sur l’animal’ [86] : il est probable que ces deuxième ou troisième réponses à la question relèvent du vocabulaire contextuel spontanément cité par les informateurs. Toutes ces remarques permettront d’éviter des exploitations erronées que pourrait engendrer la fidélité aux transcriptions. Il peut arriver qu’une réponse soit explicitement signalée comme non-équivalente au titre de la carte ou de la liste : c’est le cas de pu qui est placé entre parenthèses dans le tableau des formes de la liste « et », le commentaire signalant que cette réponse a été ‘induite par la question’ et qu’elle n’a pas le sens de “et” [276]. Les points problématiques dans les résultats de l’enquête sont bien repérés et signalés à l’attention du lecteur. Un autre objectif de ce commentaire est l’identification des types lexicaux. Celle-ci bien évidemment ne rend pas compte de toutes les variantes. Le lecteur saura de luimême rattacher au type pat fig “main de bananes” qui est signalé, de même que ses variantes pak fig et pap banan [70], la forme isolée par fig (pt 8), de même que la forme silɛks “vélomoteur” au type solɛks, nom de marque signalé [248]. Le syntagme martiniquais bɔ kaj la “devant la maison” [217] n’a pas besoin d’être explicité étant donné la fréquence de bɔ “près de ; tout près” [230, 231, 233]. Le commentaire se concentre sur les types lexicaux qui resteraient énigmatiques pour des non-familiers des créoles antillais comme zajãn “bois, forêt” rattaché au toponyme biblique Sion passé par l’anglais [12, 13, 14], ou comme napi dus “patate douce” à Oyapoque, dont napi est identifié comme ‘un mot de la langue caraïbe des Indiens way��������������������������������������� ã�������������������������������������� pi du Haut-Oyapock’ (60). Ce bref commentaire n’a pour but que de rattacher les formes cartographiées à un type connu : bize “champ” [15] à Sainte-Lucie est identifié comme un emploi spécifique d’un mot signifiant fondamentalement “endroit, lieu”, notion qui ne fait pas l’objet d’une carte, bitasjõ est identifié comme du type de habitation “exploitation agricole”, sans qu’on cherche à expliquer comment celui-ci a pu devenir un synonyme de morne [11], ni comment kãpã “bois, forêt” peut remonter au français campagne [12]. Ce bref commentaire est seulement conçu comme un outil préparatoire à l’analyse et à l’explication des données cartographiées, office qu’il remplit au mieux des possibilités. Pour aller plus loin, il faut faire une analyse serrée. Les résultats de la consonne finale des représentants de abeille

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[114], grenouille [133], écailles [135] et coquille [146] oscillent entre [j], [ʒ] et [l], mais, au sens de “coquillage” [146] ou “coquille de lambi” [148], on ne rencontre que [l] dans les formes kal et zekal, ce qui laisse supposer que celles-ci continuent afr.mfr. escale/ norm. écale “coquille” (FEW 17, 77a) comme au Québec, à Saint-Pierre-et-Miquelon et en Louisiane. Quelques dizaines de types échappent à cette identification et sont signalés comme obscurs. On peut en éclairer quelques-uns. Pour “humide” mik [25] représente le régionalisme du français mucre, surtout normand, mais aussi passé au Québec (TLF). Le martiniquais degra “jardin” [55] est lié à mart. degrade “labourer”, sens spécifique de frm. dégrader, à partir du sens de “défricher”. Le nom de banane guadeloupéen bakɔg [68] se relie au type bien connu bacove, nom du fruit du bacovier (FEW 20, 57). Le murõ “gecko” de Saint-Barthélemy [110] correspond excellemment avec le normannisme mouron “salamandre” qui déborde sur le Perche et le Maine (FEW 6/1, 549b) et qui a déjà traversé l’Atlantique nord pour s’installer au Québec comme nom du triton (ALEC 1559). Son synonyme à Oyapoque laghaʧis [110] se rattache au portugais du Brésil lagartixa. Sainte-Lucie bibit “araignée” (112) remonte à une variante du terme enfantin bébête “petite bête” (FEW 1, 341a) qui est également passée au Québec : bibite f. “insecte ; bête quelconque” (GPFC). Toutes les Petites Antilles connaissent võvõ “bourdon” ‘sans aucun doute une onomatopée’ [115], mais il est curieux de constater que la même formation onomatopéique vounvoun “bourdonnement” est attestée en limousin et périgourdin (FEW 21, 271a). Les Saintes siyɛd bwa “phasme” [121] doit représenter “scieur de bois” qui peut être rapproché de métaphores comparables, telles que SeudreS. scieurs de long “moucherons qui dansent le soir, aux rayons du soleil” ou BanR. scieu de buô (= bois) “cerf-volant, escarbot” (FEW 11, 368b). La cartographie, ici comme ailleurs, a une vertu heuristique quant à l’histoire des types lexicaux. Le rôle joué par le contexte administratif est justement souligné, car les îles se différencient pour une part selon la langue qui y est officielle. Les îles sous administration française, qui ont maintenu le contact avec la langue source, sont seules à connaître des emprunts récents au français, comme vague [1], plage [2], champ [15], pieuvre [143], avion [249], aérodrome, aéroport [250], etc. Les anglicismes sont typiques des îles devenues anglophones : beach [2], pond, pool, swamp, dam [8], lake [10], bush [13], field [15], carnival [201], plane [249], airport [251], etc. Et le point brésilien est seul à avoir emprunté le portugais lago [8]. Le contexte administratif a parfois favorisé l’étagement des variantes. Ainsi le français nuage [27] est d’abord devenu nwaʒ, aujourd’hui typique des îles anglophones, tandis que les îles francophones ont été influencées plus récemment par la forme du français, d’où nijaʒ. Le contact toujours présent avec le français dans les départements d’outre-mer ne se limite pas à la langue scolaire, mais s’étend à des registres moins formels. Parmi les dénominations des “sales bêtes” [106], les réflexes de cochonnerie et saloperie n’apparaissent que dans les îles sous administration française et, même, se rencontre à La Guadeloupe salopeté, qui n’a pas besoin de l’astérisque puisque Raphaël Confiant l’écrit volontiers et qui a des parallèles français d’origine populaire dans des domaines sémantiques voisins, comme mocheté ou cochonceté. La répartition peut parfois cependant surprendre : la distinction entre “froid” et “frais” se maintient bien dans les îles anglophones, tandis qu’elle tend à s’estomper dans les îles sous administration française au profit de frɛt/ fwɛt “froid”, à moins que la forme féminine frɛʃ ne se soit généralisée pour “frais” [23]. Les îles anglophones sont seules, pratiquement, à conserver une tournure telle que i ʃo “il fait chaud” [20], i ʃɛʃ “il fait

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sec” [22], i fwe “il fait frais” [23], i fwɛt “il fait froid” [24], ‘ce qui signifie sans doute qu’elle est conservatrice’ [20]. Mais ces répartitions ne sont pas toutes conditionnées par l’environnement linguistique. Si, pour dénommer la rosée [26], les îles anglophones préfèrent des réflexes de serein et les îles francophones des réflexes de rosée, cela n’implique pas un étagement chronologique, mais des choix simplificateurs entre les dénominations de l’humidité qui tombe le soir (le serein) et celle qui tombe le matin (la rosée), selon l’opposition des dictionnaires de l’époque classique (Mon 1636—Fér 1787). D’ailleurs les formes ruze/wuze ont l’air de continuer une forme française ancienne ou régionale (cf. FEW 10, 473b). Outre les emprunts aux langues amérindiennes, pour la faune et la flore essentiellement, et les emprunts aux langues africaines qui paraissent beaucoup plus exceptionnels qu’en haïtien, les spécificités lexicales sont puisées dans des variantes diachroniques et diatopiques du français. Les archaïsmes par rapport au français contemporain ne sont pas toujours faciles à distinguer des régionalismes du français. Néanmoins rasin “légume”, noté à La Guadeloupe et à Marie-Galante, peut difficilement représenter ‘une trace du parler dialectal’ [45], puisque le mot est enregistré avec ce sens de “plante dont la seule partie souterraine est comestible (carotte, betterave, navet, etc.) ; partie souterraine que l’on mange” depuis le 12e siècle et reste signalé dans les dictionnaires contemporains comme ‘vieilli’ (TLF). De même, pour expliquer la forme fwitaʒ “fruits” de Sainte-Lucie, les formes dialectales de l’Ouest français sont moins utiles que le français fruitage connu du 14e au 17e siècle et répandu à travers tout le Canada francophone comme dénomination collective des fruits sauvages (ALEC 1662). Le type duvã dɛjɛ “à l’envers” [227] a certes des correspondants ‘dans les parlers de l’ouest de la France’, mais c’est surtout une ellipse d’afr. mfr. ce devant derriere, mfr. sen devant derriere, c’en devant derriere, frm. sens devant derrière (cf. TL 2, 83 et 1850 ; DMF s.v. devant et derrière ; TLF s.v. sens). Le féminin qui est impliqué par la locution krab hõtɛz, correspondant du français contemporain crabe honteux [151], est lié au genre féminin de crabe qui était courant en français jusqu’au milieu du 18e siècle, plutôt qu’à ses survivances dans les parlers dialectaux et le français régional des côtes de la Manche (FEW 16, 350a). Le martiniquais kule dlo “rivière” [7] peut difficilement, comme il est proposé, se rattacher à coulée f. “vallée” de l’ouest et du centre de la France (FEW 2, 882a) qui est motivé par la forme de ce passage étroit, tandis que pour une rivière c’est plus naturellement mfr. coulée “mouvement d’un liquide qui coule” Cotgr 1611 (ibid. 883a). Une forme comme zozjo “oiseau” [124] n’est pas une ‘prononciation dialectale du français d’oïl’ [124], mais une forme de français populaire ancienne. A cela s’ajoutent des archaïsmes indiscutables, telles la conservation de chair comme dénomination de la viande [295], ou celle de gibier “oiseau” [124], parallèle de celle de l’acadien (ALEC 1466), la distinction entre venaison “gibier à poil” et gibier “gibier à plume” ayant disparu en français au 18e siècle (FEW 16, 2b, note 1). Sur la carte « dans la rivière » [221] il n’y a que quelques exemples de dans, face au quasi général en, dans ne s’étant implanté véritablement en français qu’au cours du 16 e siècle. De même il y a de véritables régionalismes, tel que bouc “crevette ; écrevisse” [144, 145], kalmasõ “lambi” [147] qui est du type normand calimaçon “escargot” passé au Canada et en Louisiane (FEW 5, 341a), chat(r)ou “pieuvre” [143], chevrette “crevette” [144], cribiche “écrevisse” (145), etc. Il n’y a qu’en Normandie que barre(s) du jour “aube” paraisse véritablement implanté en France ; il a dû se diffuser au Québec, en Acadie

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GALLOROMANIA

(ALEC 1706), en Louisiane (DLF) et dans les créoles de l’Océan indien (DECOI) et des Antilles, à La Guadeloupe, La Martinique et Sainte-Lucie [169], par le canal de la langue de la marine. Le type presque généralisé masõn “mur” [220], connu au Québec, en Acadie et dans les créoles de l’Océan indien (DECOI) est lui aussi régionalisé en France (FEW 16, 507a). La variante du frm. burgau “coquillage univalve nacré” (TLF) de type brigo [149] n’a de correspondants qu’en Saintonge et Haute-Bretagne (voir FEW 3, 897b ; 21, 266b). Le type viɲo “bigorneau” [150] est normand (TLF ; FEW 14, 474a ; 22/2, 247b). Quelques formes martiniquaises pour le cri du cochon : wk, gw, gwk [100] correspondent au frm. coin “cri du cochon” Cotgr 161l (FEW 16, 650a) et surtout au verbe qui en est dérivé coinquer, attesté notamment dans l’ouest de la France (ibid. 651a). Une proposition intéressante rattache Oyapoque bhuje “ordures” [178], correspondant au guyanais brouyé “ordures”, au régionalisme de l’Ouest bourrier “ordure, déchet” (DRF 150-152). Guadeloupe õ tikrazi [pt 14] et tikraz [pt 15] “un tout petit peu” [268] doivent se rattacher à la locution adverbiale norm. à crâse “en grande quantité” (FEW 16, 368), connue également en Haute-Bretagne (ALBRAM 310*). Quelques données se signalent comme d’origine régionale par leur forme ou leur sens. Dans les réflexes du substantif français nuit [175] le -t final ‘se prononçait à l’arrivée des colons, alors que la c. 829 [lire 929] « nuit » de l’ALF ne donne plus que trois attestations de la forme nɥit en Anjou’. Si cette forme est devenue rare dans l’ouest de la France, de nombreuses attestations en ont été retrouvées au Québec et en Acadie (ALEC 1715). Il en va de même pour frɛt “froid” [24] qui est dominant au Canada (ALEC 1186). Le français de l’ouest de la France est parfois mieux connu par ses expansions que par ses maintiens sur place. Le sens des données de la carte « bourg » [235] est explicité, par son titre anglais « village centre » et le commentaire, comme le correspondant du mot courant comme dénomination de l’agglomération centrale d’un village dans une vaste zone d’habitat dispersé de l’ouest de la France (DRF). Cet atlas de conception classique en domaine français est essentiellement un recueil lexical. Mais la dernière section du volume [289-330], qui constitue la première partie de la grammaire, est consacrée aux déterminants nominaux : articles, démonstratifs et possessifs. En outre, une série de listes et, pour les plus simples, quelques cartes engrangent des traductions de phrases du questionnaire qui illustrent la variation morpho-syntaxique : « auparavant, on râpait le manioc » [53], « les oranges que je voulais te cueillir ne sont pas encore mûres » [78], « voici une mangue que je t’ai cueillie » [80], « ce chien aboie tout le temps » [103], « les plumes du coq sont belles » [104], « les rats sont des sales bêtes » [104], « je me suis fait piquer par un moustique » [166], « le merle chante le matin et le soir » [167], « j’ai tué une scolopendre » [168], « quel âge a-t-il ? » [185], « le pasteur habite près du temple » [260], « désormais, je conduirai moins vite » [261], « je ne mange pas beaucoup » [263], « prends un peu de riz » [267], « il y avait beaucoup de monde » [277]. Le but de cet atlas n’est pas de décrire sous tous leurs aspects les créoles des Petites Antilles, mais de donner une image réaliste et suffisamment riche de leur variation. Grâce à une présentation soignée et très agréable, à des illustrations informatives et à des commentaires éclairants, il remplit parfaitement son but et fournit un instrument de travail très efficace et un complément indispensable aux dictionnaires et grammaires des créoles de chacune des îles et susceptible de favoriser des analyses comparatives. Jean-Paul CHAUVEAU

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COMPTES RENDUS

Philologie et édition Anne-Marie LIÉTARD-ROUZÉ (ed.), Messire Gilles de Chin natif de Tournesis, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion (Textes et perspectives. Bibliothèque des Seigneurs du Nord), 2010, 235 pages. Des deux mises en prose transmises par le ms. Godefroy 50 de la Bibliothèque municipale de Lille (L), provenant de l’atelier de Jean de Wavrin, c’est le Livre des amours du chastellain de Coucy et de la dame de Fayel qui a surtout suscité l’intérêt des critiques ; pour ce texte nous disposons de deux éditions parues en 1994 (dues respectivement à A.M. Babbi et à F. Suard et A. Petit), tandis que l’Histoire de Messire Gilles de Chin, transmise aussi par le ms. Bruxelles, KBR 10237 (B), n’était accessible jusqu’ici que dans la vieille édition de R. Chalon (Mons 1837) ou dans la thèse inédite de L.Ph. Cormier (Evanston 1954). Anne-Marie Liétard-Rouzé a donc le mérite d’avoir rendu à nouveau disponible le texte du roman, de surcroît sous une forme renouvelée : en effet, à la différence de ses prédécesseurs qui ont fondé leurs éditions sur B, elle publie le texte du ms. lillois 1. Ce codex a aussi fait l’objet d’une numérisation partielle (début, fin, section Gilles de Chin) disponible dans le CD-ROM en annexe au volume ; les dix miniatures aquarellées qui illustrent le roman, dues au maître de Wavrin, sont en outre reproduites en noir et blanc dans le texte même. Le protagoniste de cette biographie romanesque est un personnage historique ayant vécu au XIIe siècle dans le Hainaut belge, dont la légende pourrait avoir une origine monastique en raison des liens entre sa famille et l’abbaye de Saint-Ghislain [22sq.]. Œuvre ancrée dans le Nord, caractérisée par une « idée de patriotisme régional qui exalte le rêve et l’ambition de former une nation » [51], le Gilles de Chin en prose appartient, selon L.-R., à une littérature de circonstance. Son auteur aurait choisi de réécrire l’ancien poème fondamentalement « pour exalter la gloire du Prince et la noblesse hennuyère » [59]. Le problème de l’identité du prosateur demeure ouvert : en renvoyant aux travaux de A. Bayot et de C. Liégeois (1903), L.-R. soutient que Gilles de Chin, Gillion de Trazegnies et le Livre des faits de Jacques de Lalain seraient l’œuvre d’un même auteur anonyme [16] ; cependant, quelques pages plus loin elle nuance son affirmation en parlant d’« un auteur (ou un atelier) unique » [29, n. 2]. De même, Élisabeth Gaucher (La biographie chevaleresque, Paris 1994, p. 226), en discutant l’attribution des trois ouvrages à Jean de Wavrin, avait conclu à l’existence d’un ou plusieurs ateliers d’écriture sous le patronage de celui-ci « d’où sortaient des œuvres romanesques présentant le même style et les mêmes motifs narratifs ». L’introduction s’ouvre par la description des manuscrits [13-21] : B contient un prologue barré où la mise en prose, présentée comme une traduction du latin, est offerte à Jean de Créquy (dédicace disparue dans le prologue définitif qui est copié à la suite) ; l’aspect peu soigné, la graphie difficile à déchiffrer qui permettrait d’expliquer quelques

1

Ce ms. étant acéphale, L.-R. déclare avoir adopté le titre Messire Gilles de Chin parce que cette expression est soulignée dans le prologue et figure aussi comme intitulation dans le ms. B. Cependant, tant la couverture que la page de titre de l’édition portent la formulation plus ample Messire Gilles de Chin natif du Tournesis ; encore, le titre qui précède l’édition proprement dite est Histoire de Messire Gilles de Chin [69].

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PHILOLOGIE ET ÉDITION

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fautes du copiste de L, amènent L.-R. à confirmer l’hypothèse avancée par Doutrepont selon laquelle le ms. de Bruxelles serait la minute de L. Ce qui est intéressant, c’est l’attitude du copiste lillois, qui semble animé d’un esprit de contradiction à l’égard de son modèle « dont il inverse presque systématiquement les usages pour les graphies, l’emploi des phénomènes phonétiques régionaux ainsi [que] des phénomènes morphologiques », au point qu’il est difficile de déterminer « lequel est le plus picardisant des deux manuscrits » [21]. Le choix de variantes du ms. de Bruxelles réunies à la fin du texte [193-197] permet de se faire une idée de cette opposition. Les deux mises en proses transmises par le ms. L ont été copiées par des mains différentes et réunies après coup, mais ce avant 1467, date de la première mention du ms. de Lille dans l’inventaire de la bibliothèque de Philippe le Bon (Barrois, n. 1293). En revanche, les tables des chapitres qui précèdent les textes sont d’une main moderne et occupent des cahiers ajoutés vraisemblablement lors de la réfection de la reliure, après la Révolution (curieusement, dans le CD c’est la table du Châtelain de Coucy qui a été numérisée et non pas celle de Gilles de Chin). B et L peuvent être datés à la fin du second tiers du XVe s. grâce au filigrane, un P gothique qui apparente les témoins de Gilles de Chin à trois autres manuscrits portant les armes de Jean de Wavrin et illustrés également par le maître de Wavrin : Bruxelles, KBR 10238 (Sires de Gavre), Gand, B.U. 470 (Olivier de Castille) et Paris, BnF fr. 11610 (Comte d’Artois). La description des deux témoins est suivie d’un paragraphe consacré à la source versifiée, une canchon en octosyllabes composée vers 1230-1240 par Gautier de Tournay qui affirme avoir repris à son tour un poème du siècle précédent écrit par un certain Gautier le Cordier (un seul témoin, Paris, Ars. 3140, copie du XVIe s. exécutée pour l’évêque de Cambrai, Jean Pelet ; éd. E.B. Place, Evanston 1941). Sont rappelées les sources historiques et littéraires de cet ouvrage, reconnu comme le premier roman historico-biographique en langue d’oïl [21-24]. Après l’« Analyse du texte » [25-27], quelques chapitres examinent de manière approfondie le travail de translation/adaptation opéré par le prosateur (techniques de mise en prose, traitement des personnages et des épisodes visant à l’exaltation de la noblesse du Hainaut et à la célébration de Philippe le Bon et de sa politique) [29-60]. L’étude de la langue de L [61-67] relève les traits picards ou plus généralement septentrionaux et signale quelques faits syntaxiques et stylistiques qui caractérisent les œuvres en prose du XVe siècle. On regrette l’absence d’une bibliographie réunissant les ouvrages cités dans l’Introduction (d’autant plus que les références complètes des éditions de Chalon et Cormier ne sont données nulle part ailleurs) et d’une présentation des principes suivis pour l’établissement du texte. L’édition elle-même est accompagnée d’un apparat en bas de page qui rend compte de l’aspect paléographique du ms. L et des interventions de l’éditrice. La transcription est fiable ; néanmoins, quelques sondages menés sur le manuscrit numérisé montrent qu’il y a des lectures à rectifier : 2 2, donques, et non doncques ; 6, serchier, non cerchier ; 40, plus, non pluis ; 92, le ms. a apparance comme dans le glossaire ; 108, Dieux, non Dieu ; 231, le ms. a s’y employerent comme dans le glossaire ; 282, au duc, et non du d. ;

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Le texte est divisé en unités numérotées qui ne correspondent pas toujours à une ponctuation forte.

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COMPTES RENDUS

351, par lui en fust, non p. en lui f. ; 359 nouvellez et destrier, non nouvelles et destriers ; 514 bienvingna […] Gilles, non bienveigna […] Gillez ; 557 veu que le roy, et non v. le r. ; 640 lire pelerignage plutôt que pelegrinage ; 1079 lequel, non leque. Quelques remarques à propos du texte : 35, non obstant ce que alors le seigneur de Chin ne fust ung moult hault baron et tenoit grant hostel : m’appuyant sur 8 (Verité fu que messire Gerard, qui pour lors estoit seigneur et grant baron ou paÿs de Haynau), je propose de supprimer ne ; le sens du passage serait donc le suivant : le jeune Gilles n’avait pas beaucoup appris [dans la demeure de son père] bien que le seigneur de Chin fût un très haut baron et qu’il tînt une maison importante 45, corriger la Hamede en La H., comme dans l’Index des noms propres 52, preulx et esmervilliez : j’accueillerais la leçon du ms. B joieulx et e 226, lire dedens (un seul mot) 371, fais : dans la note 87 on lit « Graphies id. dans les deux mss, corr. nécessaire selon le sens », mais la leçon des deux mss n’est indiquée nulle part (L : fait) 380, par enseignes ly avoit envoyés : dans la note 91 on lit « envoyés, corr. d’après B », mais selon l’apparat des variantes le ms. B a ly envoyoit (cf. p. 194) 459, ulisions : faute du copiste pour ilusions (à corriger aussi dans le glossaire) 468, la correction de jehy (attesté par les deux mss) en jehyst est fautive, jehy ses pechiés étant une construction absolue ; on pourrait accueillir la correction proposée par L.P. Cormier jehis (cf. la n. 122), mais l’absence d’accord plur. des part. passés est fréquente dans le ms. L (cf. p. 65) 506, d’esmouvoir : lire desmouvoir (“dissuader, détourner”), à corriger aussi dans le glossaire 659, ajouter une virgule après mort et la supprimer après Gillez ; lire par le commandement 672, virgule au lieu de point après promist 791, a par elle : supprimer la note 186 (« Graphie id. dans les deux mss, on attendrait a part. ») ; selon TLFi s.v. part « Dans la loc. a par(t) suivie d’un pron. pers., part semble avoir été substitué à l’a. fr. par », mais la forme a par est encore bien attestée en mfr. : cf. entre autres les glossaires de CligesPrC, ErecPr2C, Wauquelin, Manekine, GuillOrPrT s.v. par 876, la lance et le fer lui fist passer tout oultre plus de deux piet et demi : l’intégration de deux d’après B (qui comporterait la correction de piet en piés) n’est pas nécessaire. La leçon plus de p. et d. est d’ailleurs conservée en 654 927, mist la main a l’espee : on peut garder la leçon du ms. de base m. main a l’e. (cf. DMF, s.v. épée, et CligesPrC, Gloss. s.v. mettre) 1135, se retraïrent, tous a Antoing : déplacer la virgule avant se retraïrent 1181, messire G. de Ch. moult, joieulx sejourna : supprimer la virgule ou la déplacer (avant m.) 1237, le mot Gilles, signalé dans la note 97 comme ‘oublié’, n’a pas été intégré dans le texte.

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L’index des noms propres [199-206] précède le glossaire [207-235] ; dans l’un comme dans l’autre n’est indiquée, malheureusement, que la première occurrence 3. Le glossaire, en outre, n’est accompagné d’aucune indication sur les critères de sélection ou les dictionnaires utilisés. Plutôt large, il enregistre les variantes graphiques et donne le contexte en cas de locutions ou de couples coordonnés. On constate un certain arbitraire dans la lemmatisation, surtout en ce qui concerne les verbes pour lesquels l’entrée peut être représentée par l’infinitif figurant dans le texte, par une forme reconstituée suivie d’un astérisque, ou par la forme conjuguée ; par ailleurs, les lemmes ne sont pas suivis de leur statut grammatical. Je propose quelques compléments et corrections : ajouter (n’) acompter a qqc ds sambloit qu’il n’accoutast (accontast?) a riens 21 : “ne pas accorder de l’importance à qqc” (cf. DMF Or me pendeiz puys que j’ay dit veriteit : je n’acompte a riens (Jean D’Outrem., Myr. histors G., a.1400, 26) anuit 468 : “la nuit dernière” ; la locution des a., citée ici et traduite par “dès ce soir”, se lit en 522  appartenir 23 : “être lié à”, le sens de “convenir” ne s’adapte pas à ce contexte ajouter assambler (verbe) ds Sy assamblerent les deux chevaliers 392 : “engager le combat, venir au contact” ; (substantif) ds a l’assambler 1199 : “affrontement, mêlée, choc entre adversaires” baghes, bagues : s’agissant d’homonymes (212 “bague”, 324 “bagages”), il vaudrait mieux dégrouper les entrées ajouter battant ds chassierent tout b. 122 : “vite, immédiatement” (cf. aussi 1093 lez mena battant), qui serait rare en mfr. d’après le DMF s.v. battre ; par ailleurs le DMF ignore tout batant dont M. G. Roques me signale plusieurs exemples en mfr., entre autres ds Journal Bourgeois de Paris 171, 172 et 360 ; MystPacienceJob Meiller var. p. 87 ; MartinLeFranc Champion Deschaux 24317  ; MystRésurrectionAngers, Servet, 9908 ; TissierFarces 9, 192, 553 (avec note) ; CohenFarces 223, 244 ; GuillFlamang MystSDidier, 300 ; Mercadé MystPassion, éd. Richard, 5494 ; GuillCoquillart Droits Nouveaux 1594 déjà ds Gdf 8, 303c, etc. contournoit 252 est se contournoit cotte 106 : le contexte est c. de maille, non c. a armes (qui se lit en 343) ajouter deffendre son corps a qqn (leur deffendoit son corps 608) : “empêcher qqn de toucher à son corps, à sa personne” (cf. DMF d. sa personne à qqn. : un seul ex. Dea, je vous deffend ma personne, Sots Magn., a. 1488, 208) derompre 404 : le contexte donné (d. la presse) ne figure pas ici mais en 1251 empaindre, ds l’empaint et le rua par terre 876 : le sens donné dans le glossaire (“se précipita sur lui”) correspond dans Gdf 48c à l’emploi pronominal ; ici ce serait plutôt “frapper” (cf. DMF) encontre, ds a l’e. de lui 694, ne signifie pas “combat” ; il s’agit de la loc. prép. a l’e. de “contre”

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De plus, dans le glossaire les irrégularités sont fréquentes : 84, amender, mais 38, amenda ; 480, raconvoyer*, mais 148, raconvoyez ; 644, assis, mais 8, assize ; 1010, arester, arrester, mais la première occurrence est en 223 ; 642, trousser, tourser, mais la première occurrence est en 373, etc.

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COMPTES RENDUS

le sens de enpeschiés (d’amour vilaine) 451 me semble être “occupé par”, plutôt que “torturé” ajouter fulsissien 608 : “médecin” haultain (voiage) 476 : “exceptionnel”, non “lointain” haÿr 18 signifie ici “éprouver un sentiment d’aversion profonde envers qqn”, plutôt que “maudire” ajouter se healmer ds se commenchoient a eulx h. 98 : “se couvrir d’un heaume” ; dans le DMF, pour l’emploi pronominal, un seul ex. de la fin du XIVe s. (les Françoiz, le plus tost qu’ilz pourent, se heaumerent et vindrent combatre contre les Angloiz (Chron. Valois L., c.1377-1397, 249) ; également, le DEAF h 324, 39 n’a qu’un ex. de 1377. G. Roques me signale deux autres ex. : Puis s’alla ledit chevalier heaulmer, et revint faire son debvoir, OMarcheMém SHF 4, 117 ; Alors Jehan se fist heaumer, Gilion Trasignyes Wolff 90a ; desheaumer est plus usuel (cf. DMF et Gdf) ajouter pour le jour 70 : “ce jour même” pour ocube en énumération avec tentes et pavillons, trefz et o. 898, v. les remarques de G. Roques ds Mettre en prose aux XIVe-XVIe siècles (Turnhoult 2010, pp. 19-20), qui signale l’extrême rareté du mot après 1400 (dernière attestation dans le DMF Gerard de NeversL, c.1451-1464, 61) deux sens différents sont donnés s.v. pas et s.v. tenir pour tenir le pas 59 : retenir “participer au pas d’armes”  poindre 48 : le contexte donné se trouve en 52 ajouter se refraindre de ds se refraigny de 305 : “s’abstenir de” (dans le DMF l’attestation la plus tardive est du début du XVe s. : Chr. Piz., Trois vertus W.H., c. 1405, 20) ajouter rescourre de ds le rescoust d’estre pris 260 : “sauver de” residence : le mot a été corrigé à juste titre en resistence (se r. n’y estoit mise)1010, supprimer l’entrée ; ajouter y mettre resistance, “ne pas se laisser faire” (cf. DMF, Villon, Poèmes variés R.H., c.1456-1463, 70) ajouter rigoller 443 : empl. tr. “se moquer de qqn”  risee, ds dont la r. et le cri 47, ne concerne pas les chevaux, mais le public de la joute, le sens est donc “éclat de rire” et non “hennissement” routes 102 : non “routes” mais “compagnie, troupes de gens” 257, ajouter sachier ds sachierent leurs espees : “tirer une arme de son fourreau” ajouter tenir ds se a vous ne tient 104 : “si vous ne faites pas difficulté, si vous ne vous y opposez pas” ajouter tonner ds la loc. ne pas ouïr Dieu tonnant, 52, 87 et passim (cf. DMF s.v. tonner et DistLoc 260 s.v. Dieu) transmuer de rime en prose 3 pourra enrichir la liste d’exemples du DMF comprenant MabrienV, ErecPr2C et CligesPrC (cf. aussi Blancandin (ca 1450-60), éd. Greco, 85,5 et 150,6) ; par contre translater de r. en p. manque dans le DMF (quelques ex. dans Doutrepont, Mises en proses 1939, pp. 392-393 : AnsCartPr, Florent et Lyon, Maugis, Richard sans peur par Gilles Corrozet ; ajouter : Vie de saint Martin en prose ms. Tours, BM 1025 ; Vie des Trois Maries, par Jean Drouyn Rouen, Jehan Brouges,

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PHILOLOGIE ET ÉDITION

1512 ; G. Roques me signale aussi GuillOrPrT 1, 1 ; Molinet, Roman de la Rose moralisé) value, ds pas n’estoient a la value d’avoir les pris du tournoy 270, signifie “n’étaient pas dignes” plutôt que “n’avaient pas la capacité” ajouter villenee 827 : “outragée, maltraitée virer 714 est se virer. Les proverbes n’ont pas fait l’objet d’un relevé systématique. Quelques-uns sont cités dans l’introduction à propos des techniques de mise en prose [40] ; on pourrait ajouter encore : 38, le bon oisel s’affaitice de lui meismes (Hassell O42) ; 428, en armes et en amours se treuve assez souvent pour une joye cent doleurs (Di StefLoc 454a) ; 501, celui qui entreprent lointaing voyage sans grant advis, n’est pas tenus pour sage ; 1127, il n’est feste qu’il ne couviengne prendre fin (Hassell F58) ; 1241, la maniere de fuyr est de partir a eure ; 1314, quant en ung royalme il y a ung bon Charle, il y a des Rollans et Oliviers assés. Je signale enfin quelques régionalismes : 501 tempre “de bonne eure” (déjà dans la source en vers), et 993 tombissement, “vacarme”, sont aussi présents dans la mise en prose du Châtelain de Coucy (cf. RLiR, 58, 1994, p. 593) 1062 aatine “défi” (déjà dans la source), très rare à cette époque (dernier ex. dans DMF Gerard de NeversL, comme pour ocube : cf. G. Roques ds Mettre en prose cit., p. 20) 256 aconsiewir (baissierent les lances, sy aconsiewy chacun le sien) “atteindre, parvenir à frapper” : encore une fois l’ex. le plus tardif du DMF vient de Gerard de NeversL, qui présente le même contexte « baissa la lance, sy a. … » 574 discipline, 1219 dissipline dans faire d. “ravager, massacrer” (dans DMF quatre ex. seulement tirés de Flor. Octav. L, Percef. III, R., et Gerard de NeversL.) 1163 parasouvy (de) “rempli de (d’un sentiment, d’une qualité)” : dans le DMF deux exemples seulement tirés du Comte d’Artois ; le contexte correspondant au premier (Comte Artois S, c.1453-1467, 16) est presqu’identique au texte de 1163 « La belle fu acordee au noble conte [a messire Gillez de Chine] qui tant en fu parassouvy de leesse que nul ne [le] sçavroit dire … ». Au total, on a ici une édition sérieuse qui donne accès à un texte agréable à lire 4. Barbara FERRARI

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Une dernière révision aurait permis d’éliminer quelques coquilles : dans le titre qui figure aux pages 3 et 5 tournesis au lieu de Tournesis ; [12] la cote du ms. du comte d’Artois est Paris, BnF fr. 11610 et non 1160 ; [15, n. 4] Dame de Fayely ; [21, n. 21] la date de l’éd. Place est à compléter 1941, le titre doit être corrigé en L’Histore de Gille de Chyn ; [164], 1037 aultrez. il la majuscule manque après le point ; [199] sous « Index des noms propres » on lit « Seules sont été indiquées les premières occurrences » ; [223] dernière ligne o fol au lieu d’au fol.

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Gerrit BOS / Julia ZWINK (ed.), Berakhyah ben Natronai ha-Nakdan. Sefer Koʾaḥ ha-Avanim (On the Virtue of the Stones). Hebrew Text and English Translation. With a Lexicological Analysis of the Romance Terminology and Source Study, Leiden/Boston, Brill, 2010 (Études sur le Judaïsme Médiéval, 40), 2010, x + 187 pages. Au regard de l’importance accordée, à juste titre, à la vaste littérature religieuse que nous ont léguée les communautés juives médiévales du territoire d’oïl, les œuvres profanes produites par ces mêmes communautés sont parfois traitées en parents pauvres par la recherche philologique. La présente édition du Koaḥ ha-Avanim 1, préparée par Gerrit Bos et Julia Zwink, est donc particulièrement bienvenue : elle rend accessible un important lapidaire hébreu, dont l’intérêt pour la linguistique romane réside dans les nombreux termes français et latins qu’il renferme. Les différents chapitres de l’ouvrage ne sont pas signés, mais comme la seconde partie du livre [77-148], qui examine les termes français et latins attestés dans le lapidaire, est attribuée à Julia Zwink dans la préface [vii] et l’introduction [14], nous pouvons supposer que la première partie – composée d’une introduction générale [1-14], de l’édition du texte hébreu [15-63] et d’un tableau confrontant le contenu du Koaḥ ha-Avanim à celui d’une traduction anonyme en hébreu du lapidaire de Marbode [65-75] – est de la plume de Gerrit Bos. L’introduction du livre débute par une présentation de l’auteur médiéval [1-5] : Berechiah ben Natronai était un savant juif qui rédigea une collection de 119 fables ésopiques, deux traités d’éthique, une adaptation en hébreu des Quaestiones Naturales d’Adélard de Bath, ainsi que des commentaires sur la Bible. Les hypothèses formulées par différents chercheurs quant aux dates et lieux de sa vie sont passées en revue [1-3] : Berechiah aurait vécu, respectivement, autour de 1230-1245, ou bien vers 1190, ou avant 1170, ou encore au XIIIe siècle ; selon d’autres, il serait né au début du XIIe siècle et aurait atteint le zénith de son activité autour de 1160 ou 1170, ou bien il aurait fleuri de la fin du XIIe siècle au XIIIe siècle, ou encore pendant la deuxième moitié du XIIe siècle ; parmi les lieux et régions évoqués, nous pouvons citer, entre autres, Oxford, Dreux, la Provence, la Bourgogne et Rouen. En guise de conclusion, Bos constate que même l’hypothèse la plus récente, avancée par Norman Golb (qui situe Berechiah à Rouen pendant la deuxième moitié du XIIe siècle), ne constitue probablement pas encore le dernier mot sur la vie de l’auteur [3], mais il ne se prononce pas davantage sur la question des lieux et dates de vie de ce savant médiéval furtif. Concernant le Koaḥ ha-Avanim, Bos affirme qu’il aurait été rédigé à une date inconnue [5], sans proposer une datation du texte qui lui semblerait probable 2. Le seul manuscrit – un recueil liturgique conservant le texte



Comme le premier mot du titre hébreu ne comporte pas de Aleph, nous le transcrivons ici sans ‹ʾ›. 2 Le manque d’une datation explicite du texte par les éditeurs risque de prêter à confusion, et ce d’autant plus que la quatrième de couverture du livre affirme que le lapidaire aurait été écrit autour de 1300, date qui ne semble être reprise nulle part à l’intérieur de l’ouvrage. Faut-il lire « autour de 1200 », ce qui serait plus ou moins en accord avec l’avis exprimé par Golb (mais poserait un problème pour ce qui est de l’identification de Lapidcl comme source, voir infra) ? 1

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du lapidaire dans ses marges – date du XIVe siècle [5-6]. Le lapidaire renferme des descriptions de soixante-douze pierres, rangées dans l’ordre alphabétique, et détaille leurs propriétés physiques, ainsi que leurs vertus médicinales et magiques ; il ne contient pas de descriptions allégoriques [6]. Dans l’étude des sources, Bos cite différentes traductions en hébreu du lapidaire de Marbode [11-13] et souligne l’importance du Lapidaire de Cambridge (Lapidcl 3, anglo-normand, 1ère moitié du XIIIe siècle) comme source de l’œuvre de Berechiah [12]. L’édition du texte hébreu [15-63] est très fiable ; les émendations éditoriales sont documentées dans l’apparat et paraissent, pour la plupart, judicieuses. Seules quelques corrections introduites par l’éditeur sont discutables : ainsi la graphie porreus ne nécessite-t-elle pas de correction en porels [18] ; si l’on maintient ematice ‘hématite’ au lieu d’émender en ametiste, il n’est pas nécessaire de corriger l’explication étymologique fournie par le texte, qui rattache le nom de la pierre au grec αἷμα “sang” [28] ; la transcription relativement libre de YaḴaNṬ comme jacint aurait pu être expliquée dans une note [54] ; enfin, l’émendation de WWaSR SPYR (transcrit wazzer saphir) en jagunce evage [54] paraît téméraire. L’édition est accompagnée d’une traduction complète du texte en anglais et de notes abondantes dont la plupart concernent les termes en latin et en langue vernaculaire attestés dans le lapidaire. Pour le lecteur romaniste, c’est avant tout l’étude détaillée de la terminologie romane et latine attestée dans le texte [77-148] qui présente un intérêt certain. Cette partie du livre débute par une caractérisation linguistique générale des mots non hébreux attestés dans le Koaḥ ha-Avanim [77-87] : au total, ce dernier contient vingt-deux mots latins (essentiellement des noms de pierres) et quatre-vingt-un mots français, dont une soixantaine de désignations de pierres [81]. Pour ce qui est de la localisation linguistique du texte, Julia Zwink semble hésiter entre la Normandie et le domaine anglo-normand, car elle affirme : « The Romance terms in the Koʾaḥ ha-Avanim can clearly be identified as O. Fr. or Angl.-Nor. » 4, mais déclare également : « Berakhyah lived and worked in Normandy » [79]. Ce dernier constat illustre d’ailleurs une harmonisation imparfaite des deux parties du livre, car il est justifié par un renvoi à l’introduction, qui ne contient pourtant pas d’assertion définitive quant au lieu d’activité de Berechiah. Julia Zwink présente ensuite les particularités graphiques dues à l’emploi de l’écriture hébraïque [8487], ainsi que son système de translittération, qui nous paraît exemplaire [87-88]. Elle esquisse enfin la structure des chapitres dédiés à l’analyse lexicologique et à l’étude des sources [89-90], qui constituent les deux éléments principaux de cette partie du livre. Signalons encore quelques corrections mineures : les Juifs d’Espagne furent expulsés non pas à la fin du XVIe siècle, mais en 1492 [77, n. 6] ; BlondhPo 5 n’est pas une œuvre 3



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Les sigles employés ici sont ceux du DEAF : voir la bibliographie électronique disponible sur ‹www.deaf-page.de›. La juxtaposition des termes « O. Fr. » et « Angl.-Nor. » sur un même niveau (ici et passim) nous semble peu heureuse : au sujet de l’unité de l’ancien français continental et de l’anglo-normand voir par ex. William Rothwell, « Playing ‘follow my leader’ in Anglo-Norman studies », JFLS 6 (1996), 177-210, et surtout David Trotter, « L’anglo-normand : variété insulaire, ou variété isolée? », Médiévales 45 (2003), 43-54. Les sigles employés ici sont ceux du DEAF : voir la bibliographie électronique disponible sur ‹www.deaf-page.de›.

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poétique homogène, mais un recueil de différents poèmes [78] ; « Vossler (1929) » [78, n. 15] n’est pas la seule référence concernant le rôle de l’Ile de France dans le développement des scriptas de l’ancien français ; un renvoi générique à Blondh ne paraît pas entièrement suffisant pour attribuer l’hypothèse d’un judéo-français distinct de l’ancien français à David Blondheim 6 ; la parution du TL ne s’est arrêtée ni en 1976 [82, n. 32] ni en 1989 [158] ; la première édition de l’AND [82, n. 32] aurait pu être complétée par sa deuxième édition, entièrement revue et augmentée, qui a maintenant atteint la lettre M. L’analyse lexicologique [90-111] fournit une étude approfondie de tous les mots non hébreux du lapidaire et intègre ses résultats dans le contexte fourni par la lexicologie historique. Pour l’ancien français, elle tient systématiquement compte du TL, du FEW et de l’AND ; pour le moyen latin, elle s’appuie sur MltWb, ThesLL, Georges et Forcellini. Par là-même, elle surpasse de loin les prétentions bien plus modestes de beaucoup d’autres glossaires d’édition, d’une part, en assurant que les résultats obtenus concordent avec nos connaissances actuelles sur le vocabulaire de l’ancien français et, d’autre part, en fournissant des matériaux utiles à la lexicographie historique. Signalons néanmoins quelques détails : la forme PeYŠQŠ devrait éventuellement être lue pesches plutôt que p(i)esque[s] [94], car le ms. semble porter un signe diacritique sur le Q qui indiquerait une prononciation affriquée [176, planche n° 5] ; la correction de ṢWNṢʾ GRNṬ en jagonce grenat [94] aboutit à un résultat juste, mais n’est pas nécessaire, car le ms. porte, en fait, YGNṢʾ GRNṬ (= jagonce grenat) [176] ; la forme GeYYṬʾə nous semble représenter jaiete f. “variété de lignite, jais” (DEAF J 49 : graphie geite à ajouter) plutôt que jaiet m. “id.” [101] ; pour YaRaYiYṬʾ (= gerachite “espèce de pierre précieuse”) [102], on aurait pu renvoyer à DEAF G 559, qui répertorie une variante garatite avec -a- en syllabe initiale ; à propos de jacint grenat [108], il aurait été intéressant de signaler que le syntagme jacincte grenette est attesté dans LapidapS 222 (cf. DEAF J 21 jacinte) ; lors de l’analyse de la forme ʾaRaDNLʾ ‘hirondelle’ [110], qui présente le problème d’une métathèse de -d- et -n-, il aurait été utile de mentionner que le manuscrit porte comme correction supra-linéaire la forme régulière ʾRWNDLʾ [187, planche n° 16 ; cf. aussi 61], que nous transcririons arondele en graphie courante ; enfin, la forme ṢeYRYiʾoWN [111] est à rapprocher de ṢRLYʾWN, attesté ailleurs chez le même auteur (BerechiahG n° 59), et doit, à notre avis, être corrigée en cernion m. “pierre en forme de pierre de lance, bélemnite” (< gr. κεραύνιον adj. “du tonnerre”, LidScott 942a). L’étude des sources [111-148], qui est clairement le fruit d’un travail ardu, passe en revue chaque description de pierre et tente de la situer dans la tradition textuelle des lapidaires. Elle met en relief l’importance de Lapidcl comme source principale du Koaḥ ha-Avanim et identifie également un certain nombre de descriptions de pierres provenant de Lapidff, Lapidal, Lapidfp, Lapidsp et Lapidva. D’autres sources sont également prises en considération, mais leur influence est moins nette et se limite à un petit nombre de descriptions de pierres. Les résultats sont résumés dans un tableau synoptique très utile [147-148].



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Cf. notamment Blondh, p. cxxxvi, qui affirme que « la première question qui se pose est naturellement : les Juifs parlaient-ils ou non une langue à eux, une langue à part ? Or, nos matériaux ne permettent pas une réponse vraiment scientifique à cette question ».

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Des index alphabétiques des mots [149-154] permettent le repérage rapide d’un terme donné à l’intérieur de l’ouvrage ; ils sont suivis par une bibliographie [155-158] et un index thématique [159-170]. Le volume est clos par seize planches en noir et blanc d’une qualité exemplaire [171-187], qui reproduisent l’intégralité du manuscrit et permettent ainsi au lecteur hébraïsant de vérifier chaque détail de l’édition. En somme, les auteurs ont réussi l’exploit de présenter un texte hébreu – donc a priori d’un abord peu commode pour la plupart des romanistes – sous une forme entièrement accessible à des non-spécialistes, sans pour autant sacrifier la rigueur scientifique à des fins de vulgarisation transdisciplinaire. On aurait pu souhaiter une harmonisation plus conséquente entre les deux parties du volume, ainsi qu’un examen encore plus poussé du texte hébreu (et notamment une proposition de datation et de localisation). Néanmoins, l’ouvrage apporte une contribution majeure à nos connaissances sur l’histoire des lapidaires et de leur terminologie en langue vernaculaire, ainsi que sur le transfert des savoirs entre juifs et chrétiens. Il sera consulté avec beaucoup de profit tant par des hébraïsants que par des romanistes et des historiens des sciences. Marc KIWITT

Giovanni PALUMBO (ed.), Le Roman d’Abladane, Paris, Champion (Classiques français du Moyen Âge, 164), 2011, 181 pages. Après avoir édité de vastes textes, par exemple Les Trois fils de Rois, G. Palumbo aborde un court récit (à peine 22 pages), sur qui plane l’ombre tutélaire de Richard de Fournival et qui avait déjà dans le passé retenu l’attention de Du Cange, La Curne 1, P. Paris, G. Paris, sans parler des érudits locaux qui se sont intéressés à ce récit de la fondation d’Amiens. De plus, comme le ms. jouait à cache-cache depuis un siècle et demi avec les éditeurs 2, qui en ont été réduits à en imprimer des copies faites au 18e siècle, qui avaient elles-mêmes une fâcheuse tendance à s’évaporer, on comprend que la redécouverte du fameux ms., en 1985, appelait une mise au point éditoriale définitive, histoire sans doute de momifier ce texte et de faire perdre au manuscrit toute envie de nouvelle évasion. Le travail est mené avec un grand sérieux et les conclusions en sont solides, tant 1

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Ce n’est pas seulement dans la version éditée par Favre en 1875 que La Curne a un article « Abladene. Abladane. Subst. ». Déjà dans le fascicule A-Asseureté, publié à la fin du 18e siècle par Mouchet, et qu’on peut lire sur Gallica, l’article y figure tel quel, à la seule exception d’une faute introduite par Favre (qui imprime dicté au lieu de dicte) dans sa citation de Grognet, citation dont le texte semble avoir été en outre un peu altérée par La Curne (ou Mouchet), puisque l’édition Méon porte : « Premièrement tu fus dicte Abladene, Pour les beaux blez & boys comme en Dardaine. Un peu après as été dicte [sic : dicté est donc une faute de l’édition Favre] Some Pour la raison de la belle eau de Some, Puis St Firmin te [ce te, qui est aussi dans la version de La Curne, appuie donc la leçon de Méon] mit nom Amiens, Quant fut martyr, dit je m’en vois à miens ». Parmi lesquels L. F. Flutre (1898-1978), qui était lié au petit village de Mesnil-Martinsart, situé dans la Somme, auquel il a consacré deux ouvrages en 1955 : MesnilMartinsart. Essai d’histoire locale, Droz, 75 pages et Le parler picard de MesnilMartinsart, Droz.

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sur la genèse de l’œuvre, que sur son auteur et que sur son intérêt littéraire. Je voudrais me concentrer ici sur la partie linguistique, qui est minutieuse. GP a ainsi dressé un inventaire solide des particularités linguistiques du manuscrit, dont le caractère picard n’est pas douteux. Je me pose maintenant la question de savoir si ce document linguistique reflète l’ancien ou le moyen français. Je vais me livrer à l’examen de quelques cas. Examinons des donc que “depuis que”. La note afférente nous apprend que « les dictionnaires [Gdf = EmpConstPrC et TL] ne documentent que deux exemples de la locution ». Mais P. Imbs, Les propositions temporelles en ancien français, 384, en a cité deux autres (MarArsTeintL 28 et RoseMLa 10260 var.). De son côté, et même s’il manque encore dans l’article donc du DMF, M. Plouzeau (RLaR 116, 538) a mentionné l’existence de desdont que dans Perceforest (où il est assez courant cf. glossaires des 1ère, 2ème, 4ème et 5ème parties de l’édition Roussineau). Quant à moi, je récapitule tout ce que je connais : Charles avoit esté malades des donc qu’il parti d’Espaigne Turpin 5Wa 38, 32 (ms. de base BNF fr. 1850, Est, 2e q. 13e s.) 3 des donc que Noël fist par les Dieu commans cele arche CesTuimAlC 2156 (pic.-wall., 2et. 13e s.) Des dont qu’Adans engendra Seth MarArsTeintL 28 (Arras, 2e m. 13e s.) Desdont que la vi BaudCondéS 1, 143, 212 (hain. ca. 1280) k’aprés son seigneur ert alee des dont c’on li ot aportee nouvele que navrés estoit CleomH 12234 (flandr., 1285) (avec tmèse) des dont la verité savoit que la roÿne morte estoit qu’il ot a Chastel Noble esté CleomH 15611 (flandr., 1285) ains l’atourna ensi une damoisele desdont qu’il estoit en l’aage de . xij . ans pour ce qu’il ne li voult s’amour otroier MerlinS 451 (pic., 1316) a celui que vous desheritastes des dont qu’il estoit petis enfes en bercoel LancPrS 2, 375 (pic., 1316) des dont que on commensa primes a porter armes JMeunVégR 30 (pic., 1340) (cf. JMeunVégL 1, 21) et l’avoit nori desdont k’il estoit petis enfes EmpConstPrC 162/136 (Tournai, fin 13e s.) Sire, ce fu des dont que li empereres de Romme sist devant Costantinnoble LaurinT 5790 (aussi 9909, 14202) (pic. , fin 13e s.) 4 N’onques puis riens ne me prisastes Des lors que (ms Ca : Des dont que) par amour amastes RoseMLa 10260 var (pic. 5, fin 13e s.) desdont qu’il oï nouvelles de la semonse ChronBaud1K 688 (pic., fin 13e s.) et sour cest article mesire Willaume de Mortagne parla au comte de Savoie, desdont k’il fu en Flandre, si comme vous li ramenteverés (1298, Lettre de Gui de Dampierre (Comte de Flandre et Marquis de Namur) ds Mémoires de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, t. 28 (1854), p. 40)

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C’est la seule attestation qu’on ne puisse pas rattacher au domaine picard. L’œuvre date du 1er q. du 13e s. et semble sans couleur régionale. Corriger ds DEAFBibl l’indication que le ms. BNF fr. 22548-22550 serait « frc. ». Voir E. Langlois BEC 65 (1904), 102.

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car des donques que services est bailliés a aucun, BeaumCoutS 820 (pic., 1300) 6 en la senefiance qu’il iert sers Jhesu Crist des dont qu’il ot naissance GirAmCharlM 11412 (pic., ca. 1305) Des chou ke (K : Des dont que) primes folias RenclMisH 205, 7 var. (pic., déb. 14e s.) Des donc que son filz fu tué, II ne se fut point remué RenContrR 30031 (champ. mérid., ca. 1342) Desdont que vich Martin BelleHelR 8346 (hain., mil. 14e s.) desdont que (dans les glossaires de PercefR1 ; 2 ; 4 ; 5 ; aussi desdoncques que dans les pièces lyriques de PercefL2 98, 164 var.) (pic., mil. 15e s.) des dont qu’elle n’avoit que XIIII ans…oncques bien ne fist YsayeTrG 349 (pic., mil. 15e s.) Des dont qu’elle fu mise au temple CohenRég 55a (Mons, 1501). Au total, on a l’impression que desdont que est un picardisme ancien, plutôt de la période de l’ancien que du moyen français. Sauf erreur, il n’a pas été relevé chez Froissart. Les rares attestations du 15e apparaissent dans des œuvres archaïsantes. Celle du Régisseur de la Passion se lit dans un passage qui n’est pas dans une Passion connue et est difficilement utilisable. Au total on attribuerait la conjonction à une œuvre originelle picarde datant de la fin du 13e plutôt qu’à un copiste du 15e siècle. Le cas de tresoirs (pour tresor) 45 § 14 est tout différent. Notons d’abord que les renvois à JPreisMyrG 20 et à Remacle AW 22 sont à écarter car ils concernent o entravé ; au contraire FlutreMPic 66, qui donne plusieurs ex. de oir pour or s.m. en picard au 17e siècle, s’applique bien à notre cas. On doit d’abord reconnaître que les formes tresoir ou oir ne pullulent pas au Moyen Âge, au moins d’après les dictionnaires. C’est GdfC qui est le plus riche avec deux formes tres(s)oir, auxquelles le FEW 13, 1, 310b ne peut joindre qu’un renvoi à MolinetFD et le DMF un exemple de Froissart 7. Ce nouvel exemple est donc le bienvenu. Il importe d’étoffer les matériaux pour savoir si le fait est phonétique ou ne serait pas dû à l’influence d’avoir s. m. ou à l’attraction de roi auquel tresoir est souvent associé 8. Voici les matériaux : au 14e s. Chron. depuis le comm. du monde, ms. Nancy 194 (473) ds GdfC (ms. qui pourrait être pic., début 14e s.) ; LancPrM 8, 114, 113 (ms. de 1316, pic.) ; GirRossAlH 275 qui fait rimer tresoirs : hoirs (bourg., ca 1334) et 3038 tresoir : oir (= or conjonction) ; RenContrR1 p. 329 où tresoir rime avec le subst. or (ms. A : champ., 2e q. du 14e s.) 9 ; au 15e s., on connaît les attestations, relevées dans les

Voyez l’indication contradictoire de DEAFBibl : « peu de traits pic. (mérid.), 1283 ; ms. de base prob. BN fr. 11652 [frc. ca. 1300] ». Mais c’est un texte en prose et comment peut-on concilier la présence de traits pic. et le caractère « francien » du ms. ? 7 La forme oir pour or est encore plus rare puisque le FEW 25, 1020a est seul à la mentionner, avec un renvoi Jd’OutrMyrG. 8 Ainsi tresoirs le roi (Chron., ms. Nancy ds GdfC ), ou tresoir du roy (Froissart) et dans plusieurs autres contextes il s’agit bien du trésor d’un roi. Cf. aussi une définition comme « ensemble des ressources de l’État ou du roi, des sommes destinées au service public ». 9 On lit tresoir ds BaudSebB 1, 252, mais au passage correspondant, tiré du même ms., BaudSebC 252 imprime tresor. 6



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dictionnaires, de Froissart 10, JPreisMyrB 5, 58 11, MolinetFD, auxquelles j’ajoute JStavB 548, FlorOctAlL 17032-9var. (ms. de 1455, pic.), BelleHelR 10514, 11698 (ms. de 1471, pic.), Enfances Garin de Monglane K., 26, 1362 (15e s., pic.), Gaguin, Déb. labour. T., (ca. 1480, auteur né en Artois) 303 (à la rime avec valloir) et Gaguin, Passe temps oisiv. T., (1489) 1077 (à la rime avec espoir), enfin RézeauPrières 2, 333 (ms. du 15e ; l’éditeur dit « voeuillés 14 tresoir 20 orientent vers une graphie picardo-wallonne » ; ce qui est juste pour voeuillés 12) ; mais il y a aussi Cochon, Chron. norm. B. 165 (ca. 1430, norm.). Au total, il est assez probable que la graphie soit attribuable au 15e siècle, et qu’elle y couvre une aire orientale (picardo-wallonne et bourguigno-champenoise), ce qui relèverait du copiste. Examinons maintenant mavaisement 49 § 36, en signalant que le texte connaît aussi malvais (1 ex.) et malvaisement (1 ex.). Gossen (115), notant qu’en picard « le développement normal de l est la vocalisation, tandis que la chute du l (comme en wallon, lorrain et normand) est exceptionnelle », ne citait que « mavaise Mons, Saint-Omer, mavaistié Aiol ». La synthèse la plus complète et la plus claire sur le problème se lit dans RemDiff­ Dial 38-42. Je voudrais ici me concentrer uniquement sur le cas de mavais (et ses dérivés) au Moyen Âge : – Gdf donne mavaisement ms. Berne 113 des Lorrains (bourg., fin 13e s.) ; maiveisement Saint-Omer (13e s. = GirySOmer 468) ; mavisté ms. BNF fr. 19160 des Lorrains (= HervisH 3846) où il est courant (lorr., 2e t. 13e s.) ; mavistieit PsLorr (lorr., 1365) ; mavoistié GuillSAndréJehC 4183 = ms. BNF fr. 1659 (bret., 1441) – le DMF ne relève pas la graphie – GdfC n’a que des attestations anglo-normandes – TL donne mavestiez MirNDChartrK 29, 38 (ms : Chartres, 14e s.), mavestié FlorenceW 464 et 5263 (ms. : Est, ca. 1300) – FEW ajoute mavez PassBonnesF 1493 (ms. : pic., déb. 15e s) ; mavaisement Loh = BibleBNfr1753L (pic. (Vermandois), 1350) ; mavaistés AdHale = AdHaleChansB 29, 3, 5 (mais aucun ms. n’a cette forme ; tous ont au passage en question (cf. AdHale­ ChansM 29, 27) un type mauv-, sauf Oxford Douce 308 (Metz, ca. 1320) qui donne mavistiés) ; BalJos = BalJosCamA 9696 (ms. : pic., 1300) ; mavaistié (Froiss, Lac = FroissChronK 2, 116). Ces matériaux ne sont pas suffisants, pour conclure. Je réunirai ci-dessous toutes les formes du type mav-, à savoir mavais(ement), maves(ement), mavaistié, en écartant les formes anglo-normandes où le type mav- est usuel (cf. AND), classées par grands domaines linguistiques :

À FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 24 on peut ajouter ID., Ibid., 205. Aussi JPreisMirB 5, 181, JPreisMirB 3, 271 et JPreisMirG gloss. 12 MolinetFD 582, 376 ; Lannoy, Instruct. prince P. H., c.1439-1442, 374 (var. ms. BNF 1957) ; HuonAlS 94v°1, 18 ; aussi voeullés (Ballade de Baudet Herenc ds Le Doctrinal de la Seconde Rhétorique, éd. E. Langlois, Recueil d’Arts de Seconde Rhétorique, p. 184.) ; CohenRég 9b et 115a ; HuonAlS 92r°1, 10, 93v°1, 21, 94r°1, 22 ; plus probantes encore (parce que plus courantes) les formes voeu(i)lle(nt) confirmeraient cette localisation. 10

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– Picard : GirySOmer 468 (Saint-Omer, 13e s.) maiveisement Miracles du capiel de roses (= BNf fr. 2162 éd. (médiocre) ds Medievalia et Humanistica, 38 (2013), 12, 175 (pic., mil. 13e s.) mavais AiolR 1012, 1711, 2597 (pic. 2e m., 13e s.) mavais, mavaist(i)é 13 JerBaudG 5190 et JerMGodG 2717 (art., ca. 1275) mavaise, mavaisté AlexParHM 530, 24 ; 535, 21 (tourn., ca. 1285) mavais 14, mavestés HerbCandS 4286 var. B (= Boulogne 192 : pic., 1295) mavais BalJosCamA 9696 (ms. : pic., 1300) mavaisté CourtAmSS 128 et 712 (pic. ca. 1300) mavais et mavaisté MaugisV 4905 (pic.?, ca. 1300) mavese YvainF 5135var S (= BNF fr. 12603 : pic., 13e /14e) mavais NoomenFabl 65, I138, ChastVergiS 326, 302 (= tous deux BN 25545 : déb. 14e s., Flandres cf. MélThiry 310-311) mavais BrunLatC 1, 146, 3 ; 2, 16, 1 ; 2, 80, 5 (hain., déb. 14e s.) mavais 15 MerlinP 2, 30 (pic., déb. 14e s.) mavais LancPrS 3, 28/22 et 30/24 mavais, LancPrS 4, 110/22 (pic., 1316) 16 mavaisement SoneG 1026, 8122 (hain., 2e q. 14e s.) mavais, mavaisté JMeunVégR 106 (ms. : pic., 1340) mavaistié 17 Loh = BibleBNfr1753L (pic. (Vermandois), 1350) mavaisement HAndArC 272F (= ms. St Omer 68 : art., 14es.) mavais PassBonnesF 1493 (ms. : pic., déb. 15e s) mavez FroissChronK 2, 116 mavaistié. – Wallon : SortApostB 486, 12 (namurois, 2e m. 13e s.) mavais Gloses wallones (wall., fin 13e s.) ds MélGParis 251, 23 et 51 mavais BaudCondS 1, 12/337, 97/36 et 42, 282/410 et 349/2329 var. T (wall., ca. 1300) mavais(tié) ElesS1, 98 (wall. , ca. 1300) mavaisté Charte (1317, Dinant), éd . G. Kurth, Chartes de l’Abbaye de Saint-Hubert en Ardenne, 487 mavais BaudCondS 1, 465, 32 et 38 var. D (= BNF fr. 1634 : wall., 3e q. 14es.) mavais, mavés J’ai relevé dans ce texte 14 formes mav- contre 13 malv- et une seule mauv-. Inversement autre est la seule forme utilisée (plus de cent exemples) 14 J’ai relevé dans ce texte 2 formes mav- contre 23 mauv-et 8 malv-. 15 J’ai relevé dans ce texte 4 formes mav- contre 112 mauv- et 44 malv-. 16 Je n’ai relevé dans les trois volumes de l’édition que ces 3 formes mav- contre 49 mauv- et 188 malv-. 17 Unique exemple en face de malv- (9 ex.) et mauv- (7ex.). 13

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COMPTES RENDUS

Sept péchés C., 1102 et 2368 (wall., 2 em. 15e s.) mavais PèlerinageVieHumaine, ms BR Bruxelles (18064-18069) ds Myst. Moralités liég. C., p. 112 (15e s., wall.) mavais. – Lorrain : GregEzH 15, 24, 27, 28, 96 (lorr., ca. 1200) mavais 18 DialAmeB 10, 9 et 10 ; 18, 4 (lorr., ca. 1200) mavaz, mavistiz RobBlois ds BnF fr. 24301 ds R 16 (1887), 31n. 5 (lorr., 2 e m. 13e s.) ; PhNovAgesF 186var 10 (ms. messin, fin 13e-déb. 14e) mavais SommeLaurB 244/111var Z (= Metz 665 : lorr., ca. 1300) mavais BretTournD 227 et 549 (ms. lorr., déb. 14e s.) mavistié et mavais ProvUpsIIH 156 et 157 (lorr., 14e s.) mavais FloovantA var. p. 189/129 (lorr., 14e s.) mavais MPolGregM t. 2, 88 var. et t. 4, p. 173 var. (lorr. : 1e m. 14e s.) mavais VoeuxPaonR 232, 745, 2297 tous var. P1 (= Oxford, Douce 308, Metz, 1320) mavais, aussi Oxford Douce 308 au passage correspondant à AdHaleChansM 29, 27 mavistiés, cf. encore M. Atchison, The Chansonnier of Oxford Bodleian MS Douce 308, passim) Doc. (Metz, 1347) mavais ds A. Schulte, Geschichte des mittelalterlichen Handels und Verkehrs zwischen Westdeutschland und Italien mit Ausschluss von Venedig, t.2, p. 12 PsLorrB 200, 22var (BNF fr. 9572 : lorr., 2e m. 14e s.) mavais BaudSebC 15060 (lorr., 3e q. 14e s.) mavais LionBourgAlK 408, 1229 etc. (lorr., 15e s.) mavais 19 . – Champenois : [DocAubeC (Aube, 1264) *mavais 20 ] TroiePr15V 48 (champ., 4e q. 13e s.) mavaisement MarieFabW 93, 56var V (= BNF fr. 25405 : champ. sept. 1300) mavais Document de 1309 ds P. Varin, Archives administratives de la ville de Reims, t. 2, 1, p. 94 mavesement Document de 1320, ds A. Longnon, Documents relatifs au comté de Champagne et de Brie, 1172-1361. Les comptes administratifs, p. 170 mavais. – Est : HerbCandS 11910 (Est, ca. 1235) mavese MonGuillA 683, 5753 (traits du Nord-Est, 3e q. 13e s.) mavese Dans ce texte, 5 ex. de mav- en face de 24 de malv-. Dans ce texte, 25 ex. de malv- et 0 mauv-. 20 Il y a bien mavaises au glossaire (malvais), mais le texte (46, 3) porte, à juste titre, mamises (pour le sens v. lettres…maumises ds Gdf 5, 125b). 18

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RobBloisEnsF 1228 et RobBloisChastF 379 (bourg. sept. ou lorr., 3e t. 13e s.) mavaistié, mavese BalJosPr1M 136 (Est, fin 13e s.) mavaistié VisTondLF 30, 10 ; 50, 10 ; 56, 12 et 13 etc., (Nord-Est, 14e s.) mavais FlorenceW 464, 4118, 4214, 5004, et 5263 (Est, ca. 1300) mavestié, mavese(ment) RenR 12214var. L (= Ars. 3335 : Est, 14e s.) mavais VisTondLF 30/10 ; 50/10 ; 56/12 et 13 ; 57/1 (Nord-Est, 14e s.) mavais 21 . – Bourguignon : GuibAndrM 1904 (bourg., 1270) mavesement 22 Lorrains ds Gdf, LapidBern113P 80, DurmartG 4804 et 15454, StengelDigby 108, 9 (tous quatre = ms. Berne 113 passim : bourg., fin 13e s.) mavaisement, mavais, mavaisté, mavesement GirRossAlH 3722 (bourg., ca. 1334) mavais. – Franc-comtois : Cartulaire de Hugues de Chalon, éd. B. Prost et S. Bougenot, 386 et 477 (frcomt., 1263 et 1317) mavais YsLyonB 60, 64 et 88, 32 (frcomt., fin 13e s.) mavaistié, mavais ProvArbR 40 (Arbois, déb. 14e s.) mavais StouffArb 111, 30 (Arbois, 1384) mauestié. – Normand : NoomenFabl 18, 410, NoomenFabl 71, 13varC et 32varC, NoomenFabl 83, C330, AvocasR 369 (tous ds ms. Berlin Hamilton 257 : norm., 13e s.) mavese, mavaisement RenM 1b, 3001 et RenM 9, 1797 et 1801 (norm., 2e m. 13e s.) mavese, mavaisté JerusT 313 var. I (BL Add. 36615 : norm., ca. 1300) mavaise FauvelL 930 (norm., 14e s.) mavès 23 Chronique des abbés de Saint-Ouen de Rouen, éd. Fr. Michel, 63 (norm., 14 e s.) mavese. – Ouest : MirNDChartrK 23,192 et 29, 38 (ms : Chartres, 14e s.) 24 mavese, mavestiez GuillSAndréJehC 4183 (bret., 1441) mavoistié. – Sans coloration régionale : DoctSauvS 87var. b (= Ars 5201 : franc., 13e s.) mavais SGraalIVH 2, 400 et 3, 353 (13e s.) mavais Ce ms. ne connaît que mav- et jamais malv- ou mauv-. Seul ex. en face de 2 mauvesement. 23 C’est la graphie du premier copiste, le plus marqué régionalement, qui n’utilise pas le type mauv- , que le second emploie constamment (14 ex.). 24 En face de 7 ex. de mauv-. 21

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COMPTES RENDUS

TristPrC 2, 482, 3 (13e s.) mavese Sermon (ms. BNF lat. 16481 ds N. Bériou, L’avènement des maîtres de la parole, 1, 443 n. 255 : Paris, 1273) maves EnfVivF 3027var. C4 (= Milan, Bibl. Trivulziana 1025 : franc., 3e t. 13e s.) mavese Confiteor (ms. Bodmer 147 ds RHT 4, 1974, 312 : fin 13e s.) mavese TroiePr1C 77/18, 135/11, 148/60 (fin 13e s.) mavais CoincyI36L 214 var. H (= BN fr. 1533 : fin 13e s.) mavesement MorPhilPrH 106, 4 ; 116, 3 à 5 ; 134 ; 142, 1, 148, 10 (fin 13e s.) mavais Correctoire de Gérard de Huy (BAV, Vat. lat. 4240, fol. 102rb ; fin 13e s.) mavais BestAmOctT 1677 (ca. 1300) mavaistié BlancandinPS 5001 (franc., ca. 1300) mavais RoseLPoirion 223, 2172, 3549, 20864 (ca. 1330) maves(ement) NoomenFabl 12, 262-4sqq et 33, 128 (BNF fr. 837 (franc, 4e q. 13e s.) mavese RenM 23, 426 mavaisement RenM 23, 1926 mavese Chantilly 684 f°2(fin 13e-déb. 14e) mavais SClairePr (ms. AN LL 1601, ds Fr. Berriot, Spiritualités, hétérodoxies et imaginaires, p. 23 (Paris, déb. 14e s.) mavés FauvelChansR 55, 6 (BN fr. 146, ca. 1318) mavaisement SGraalIIIJosTO 33 (1e m. 14e s.) mavese ChronTemplTyrM 294, 9 (Chypre, 1343) mavaisté ElucidaireT 279, 13varR 283, 8var R etc. (BNF fr. 187 : 14e s.) mavais Le Rosaire d’Arnauld de Villeneuve, Ars 2872 f° 413v° (traits occit., fin 14e s.) mavais BibleMoralisée du BNF fr. 166 12r° (Paris, 1400) mavais OvArtPrR 1, 2932var. D (mil., 15e s.) mavaistié Chr. Piz., Chem. estude P., 5426 var. B (= BNF fr. 1643 : 15e s.) mavais Gers., Oeuvres complètes G., 7, 373 (= BNF fr. 24841 : 15e s.) mavais. On voit que la graphie mav- est générale aux 13e et 14e siècles et qu’elle disparaît au 15 s., un peu plus tôt et plus vite en picard, compte tenu de l’abondance de textes représentant cette région. Ce tableau amènerait à ne pas attribuer la graphie à l’initiative d’un copiste picard de la fin du 15e, mais à y voir la transcription d’un texte antérieur. e

Le texte est bien établi : 27, il n’était pas nécessaire de suivre la correction de Flutre pour le faisoit lanchier es gargoulles, qui doit signifier « il le (le venin) faisait par magie lancer dans les gargouilles [depuis le lieu où il le confectionnait] » ; 75, pour quittoit, l’imparfait se comprend bien : « L’empereur dit qu’il ne prendrait pas les clefs tant qu’il n’y serait pas autorisé, et qu’il leur abandonnait la cité et le pouvoir, si la couronne ne descendait pas sur sa tête ». Les notes sont riches d’informations précises : 96, à propos de entremente que, la graphie entremente, très rare, se retrouve dans une var. de PierreLaCépède, ParisVienneK

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510, 16 : et entretant (var. entremente ds E = Bruxelles BR 9632-3, ms. qui a des traits du Nord) ilz prindrent chascun ung mors de pain. Ajouter au glossaire, très soigneux : air (en - “en l’air”) 21 (pendue en air), à côté de en l’air 22 ; attesté par 3 ex. entre 1350 et 1400 ds DMF 2012, se trouve encore en 1431 ds Entrées roy. G.L., 68 parler que “dire que” 11 (le livre parloit ainsi que…) cf. un seul ex. ds DMF 2012 s.v. parler : « parler que “dire que” : ...car je feray ung brief qui parlerat que Gaufroit mande a Charles qu’il luy vueil paier tous les ans le cav[a]ge qu’il require (JEAN D’OUTREM., Myr. histors G., a.1400, 32) » ; autre exemple, que me rappelle May Plouzeau (en me renvoyant à RLiR 71, 580) : je ne parle pas que nature a assez de pou de chose (ConsBoèceCompC2 III, 3, 57), tournure avec sujet personnel, qui se situe dans la ligne des deux exemples de TL 7, 292, 48-52 part (de la - ou “du côté où”) 25, Ø DMF 2012 (qui a cependant : celle part Où le dangier a son esgart (LA HAYE, P. peste, 1426, 78) et Selon la part ou il veult tendre (COURCY, Chem. vaill. D., 1406, 45) 25 ; cf. la part ou “là où” (1556) ds FEW 7, 670b ; on ajoutera : s’estoit venue arrester en la part ou estoit Cardenois, Cardenois C., c.1380-1400, 106 ; mal couvers…dou lés de le part ou il fu alés, FroissMeliadorB 9020 ; Jacques Tetaldy qui estoit sur le mur a sa garde bien loingz de la part ou entroient les Turcqz, WavrinChronAnglH 5, 257. Ces trois cas reflètent plus la langue de la copie du 15e que celle d’un auteur du 13e siècle. En somme, le texte pourra être utilisé aussi bien par le DEAF que par le DMF ; mais le problème sera de mettre une date à côté de l’extrait utilisé. Gilles ROQUES

Frédéric DUVAL (ed.), Le Mystère de saint Clément de Metz, Genève, Droz (Textes Littéraires français), 2011, 813 pages. Disons-le d’emblée : c’est un travail monumental dans tous les sens du terme que nous livre Frédéric Duval avec ce gros volume consacré à l’édition du Mystère de saint Clément. Importante pour l’histoire du théâtre médiéval et en particulier pour l’étude de l’activité dramatique messine au Moyen Âge, cette pièce anonyme présente de remarquables qualités dramaturgiques et constitue en outre l’un des éléments majeurs de la production hagiographique liée au culte du premier évêque de Metz. Connu pour avoir débarrassé la ville d’un serpent-dragon, le Graouilly, Clément suscita une vive dévotion et inspira une abondante littérature en latin et en langue vulgaire (citons e.a. la Chronique universelle de Philippe de Vigneulles, où un long passage lui est consacré). Le texte du mystère, qui se rapproche d’une des quatre vies latines, témoigne du dynamisme du culte du saint dans la seconde moitié du XVe siècle, mais il n’est toutefois pas absolument sûr que la pièce ait bien été représentée : les chroniques urbaines, qui conservent la trace de nombreux spectacles donnés à Metz durant la période médiévale, restent Le premier étant sous le sens de “côté” (C3, avec d’autres exemples de celle part), le second sous celui de “endroit, lieu” (C1).

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muettes sur notre jeu, mais il est vrai que l’information y est lacunaire pour la période durant laquelle le mystère a pu être joué. Avec prudence, l’éditeur situe peu après 1439 la composition initiale du texte, dont une copie modernisée sera réalisée en vue d’un spectacle une trentaine d’années plus tard [112-119]. Tous les éléments que nous venons d’évoquer sont détaillés dans une introduction solidement documentée, qui fournit aussi un résumé circonstancié du drame [28-34]. On notera que l’analyse des aspects littéraires [46-83] tient très judicieusement compte de la spécificité des textes de théâtre et de leur destination scénique, une approche encore trop rare et pourtant indispensable si l’on veut apprécier à leur juste valeur les œuvres de ce type. Le relevé des scènes de genre montre comment le fatiste s’est habilement réapproprié certains motifs conventionnels des mystères pour servir l’économie de sa pièce. À propos du rusticus qui s’amuse aux dépens d’un voyageur cherchant son chemin, on pourrait ajouter aux références citées [56-57, note 64] le renvoi à un jeu méconnu dans lequel le personnage s’en prend à des pèlerins (Gilbert Ouy, « Le Miracle des trois pèlerins de Saint-Jacques. Une pièce médiévale sauvée de la destruction », Pluteus, 2, 1984, 93-139), et signaler la récente étude de Jacques Merceron, « L’étrange parole du vilain ou rusticus dans le théâtre religieux français de la fin du Moyen Âge », Performance, Drama and Spectacle in the Medieval City. Essays in Honour of Alan Hindley, C. Emerson, A. Tudor et M. Longtin (ed.), Louvain, 2010, 17-46). L’attention que l’éditeur porte à la dramaturgie se marque également dans l’étude de la versification [105-112]. La composition ne brille certes par aucune originalité particulière, elle est même très peu ornée : les 9220 vers sont pour l’essentiel des octosyllabes à rimes plates, dont l’enfilade monotone n’est brisée que par la présence sporadique de mètres plus courts ou de formes à refrain – pour la plupart, des variétés de rondeaux triolets – venant souligner certains moments de la pièce. Les rimes sont souvent approximatives, et s’il pratique la rime mnémonique, le fatiste ignore quasi complètement la stichomythie. Le mérite de F.D. est d’avoir jeté un regard neuf sur les irrégularités prosodiques que dénonçaient ses prédécesseurs. Il met en évidence le fait que beaucoup de ces phénomènes – quand ils n’ont pas été introduits par le premier éditeur – sont réductibles si l’on s’abstrait des graphies de la copie pour jouer, comme le fatiste a dû le faire, des ressources d’une langue encore non standardisée (où coexistent formes étymologiques ou refaites, hiatus réduits ou non…), ou si l’on tient compte de la performance, qui devait gommer à l’oral des anomalies apparentes (l’éditeur s’inscrit sur ce point dans le prolongement des recherches initiées par Darwin Smith et Xavier Leroux). F.D. s’interroge ainsi avec pertinence sur le fonctionnement des apostrophes qui faussent la mesure d’une série de vers ; souvent inutiles sur scène où le spectateur voit bien à qui l’on s’adresse, peut-être ne relevaient-elles que du stade écrit, ou étaient-elles considérées comme des éléments indépendants, non comptabilisables dans le vers. D’un véritable intérêt pour les spécialistes du théâtre médiéval, ce mystère était jusqu’à date récente d’un accès particulièrement difficile. Le texte complet n’était en effet disponible que dans l’édition procurée par Charles Abel en 1861, un volume tiré à 141 exemplaires seulement, détruits pour la plupart dans un incendie qui dévasta la maison d’imprimerie Rousseau-Pallez. Il y a quelques années, la mise en ligne d’une version numérisée d’un des exemplaires rescapés a sans conteste ouvert les portes du Mystère de saint Clément à un public élargi, sans que cela n’assure pour autant aux lecteurs potentiels un bonheur complet. Réalisé à l’ère pré-scientifique, le travail d’Abel est en effet celui d’un philologue amateur de bonne volonté, mais opérant sans méthode

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rigoureuse. Son édition est déparée par de multiples fautes de lecture et de ponctuation ; les graphies et la langue ont été partiellement modernisées ou normalisées. Abel n’a pas été avare en corrections, souvent injustifiées et pas toujours signalées. Des vers entiers ont été reconstruits, sans grande considération pour la métrique ; des didascalies, créées de toutes pièces. Les défaillances de cette publication ont entaché l’interprétation que le monde savant a faite du mystère : dans ses fameuses Recherches sur le vers français au XVe siècle, H. Chatelain a ainsi estimé que le fatiste était un versificateur peu soigneux, tandis que Petit de Julleville prenait pour argent comptant des didascalies inventées par un éditeur auquel le dictionnaire de Godefroy doit aussi des fantômes lexicographiques. C’est le cas par ex. du nom sonuoule, ‘sorte de fromage’ (Gdf 7, 475c et encore FEW 22/1, 309a), né d’une mélecture d’Abel pour le syntagme s’on voulés (voir la note au v. 8119 ; cet emploi du pronom sera commenté ici plus bas). Au-delà du fait qu’il donne enfin à lire un texte incontestablement plus sûr que celui d’Abel, le travail de F.D. présente aussi un autre intérêt remarquable : il offre une magistrale démonstration de philologie en faisant voir comment l’on peut réaliser à frais nouveaux et sur des bases aussi fermes que possible l’édition critique d’un texte dont le manuscrit unique n’existe plus (celui-ci a péri dans les flammes à la fin de la seconde guerre mondiale). F.D. n’est pas le seul à s’essayer à cet exercice singulier et périlleux à la fois : comme il le note, M.-L. Chênerie puis J. Lemaire ont ainsi récemment republié Le Roman de Gliglois (respectivement Paris, Champion, 2003 et Liège, Éditions de l’Université de Liège, 2005), dont la copie avait brûlé en 1904. On pourrait également rappeler le cas du Pèlerinage de Charlemagne, dont le ms. a été égaré alors même que paraissait la première des éditions de Koschwitz (1879), et qui a nourri une réflexion critique sur l’établissement des textes perdus 1. Dans la partie consacrée à l’établissement du texte [119-157], l’éditeur s’explique très longuement sur les fondements de son entreprise et sur la méthode qu’il a appliquée. En l’absence du témoin principal, F.D. disposait, outre l’édition d’Abel, de trois documents : la thèse qu’un élève de Stengel, Fritz Tinius, consacra en 1909 à l’étude de la langue du drame ; un fac-similé de la main d’Abel (cette reproduction de quatre vers du ms. original suffit à laisser entrevoir les confusions auxquelles pouvaient conduire les tracés de la copie) ; quelques feuilles des dernières épreuves du mystère, avec des corrections d’Abel qui permettent de mieux saisir la manière d’opérer du savant. La thèse de Tinius est une pièce essentielle de ce dossier. Dans l’introduction, le jeune philologue allemand, qui a attentivement collationné l’édition d’Abel avec le ms, se livre en effet à une critique minutieuse du travail de son prédécesseur, dont il relève les divergences par rapport au témoin manuscrit ; en appui à son étude linguistique, Tinius réédite aussi plus de mille vers répartis sur deux longs extraits. Ainsi se met en place une typologie des interventions d’Abel, qui rend possibles le repérage et la correction raisonnée de celles-ci jusque dans les passages non réédités par Tinius. La métrique, la récurrence de leçons douteuses et la confrontation du mystère avec d’autres textes en moyen français constituent les autres balises qui ont guidé le travail de F.D. Rigueur, prudence et interventionnisme

1

Voir e.a. Cavaliere, Alfredo, « Per il testo critico del Pèlerinage Charlemagne », in : Studi in honore di Italo Siciliano, Firenze, Olschki, 1966, I, 213-223 ; Horrent, Jules, « Contribution à l’établissement du texte perdu du Pèlerinage de Charlemagne », in : Ibid., I, 557-579 et encore l’introduction de Madeleine Tyssens à sa tradition critique de la chanson (Gand, Story-Scientia, 1977).

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modéré sont les maîtres mots qui qualifient sa méthode. Ajoutons-y la probité. Le nouvel éditeur ne dissimule ni la part importante de conjecture, ni le caractère composite du texte qu’il a établi : « orienté vers l’archétype, parce qu’il corrige les leçons insatisfaisantes dont les copistes du manuscrit perdu étaient peut-être responsables, il conserve bien des traces des interventions d’Abel » [150]. À l’exception des didascalies, reléguées dans l’apparat, les parties reconstruites par Abel – y compris les sections très largement conjecturales, comme c’est le cas d’une trentaine de vers du prologue –, ont été conservées et sont signalées par l’italique. Le texte intègre les leçons de Tinius, que le nouvel éditeur n’a que rarement rejetées. F.D. justifie dûment l’ensemble de ses choix dans l’introduction ou dans les notes, très abondantes. Le lecteur dispose ainsi des moyens de distinguer les différentes strates éditoriales et la part de chacun. L’édition du texte n’appelle guère de remarques : – 311, nous suggérons de remplacer la virgule après sermon par un point virgule ou un point – les v. 362-363 sont à ponctuer Remercions, mes bons amis, / Les angels de paradis ! – 1103, ajouter une virgule après terre – 3130, éditer quoi qu’il en deux mots selon le principe énoncé en introduction à propos de la séparation des mots [158] – 6499, éditer n’eus sus marchié (au lieu de susmarchié), en accord avec la leçon et le commentaire donnés en note – 9209, coquille : lire …lles et non 1les. Quelques commentaires à propos des notes : – 96 se est ici une graphie de l’adj. dém. masc. et non du pronom dém. neutre (Buridant 2000, § 96) – 383 : concernant l’octosyllabe, le terme césure est discutable (cf. règle de B. de Cornulier, Théorie du vers, 1982) ; la coupe de l’octosyllabe n’est en tout cas pas fixe – 1180-1181, les formes commanday et demanday sont données comme les seules formes de participe passé en -ay du mystère, mais il faut ajouter enivray 1020. Comme le souligne F.D., il n’était en effet guère concevable de prétendre décrire la langue d’un texte établi avec une aussi grande part d’hypothèses. L’étude de langue [83-103] vise donc prioritairement à attirer l’attention sur les traits les plus récurrents que présente la scripta messine du mystère, afin d’aider les lecteurs qui connaîtraient mal celle-ci. L’astérique signale un fait « diatopiquement marqué, en général lorrain » [83], mais beaucoup des traits pointés sont d’une diffusion plus large et cette expansion est tantôt précisée, tantôt non. Sans doute n’aurait-il pas été inutile de rappeler que le lorrain partage plusieurs caractéristiques avec le wallon et le picard, comme l’aboutissement graphique à ey du produit du /a/ tonique libre (§ 1), l’absence d’épenthèse dans les groupes consonantiques secondaires n’r et l’r (§ 13 et 45) ou le maintien du w d’origine germanique (§ 24), pour ne citer que celles-là. Quant aux échanges entre ar et er « d’après la tendance à la fermeture de /a/ en lorrain, en particulier devant /r/ » [§ 4, 86], ils constituent un phénomène très généralisé en moyen français. Dans le paragraphe 16 consacré aux confusions graphiques entre s et c, les formes conceil 264 et nonserés 308 sont classées par erreur avec les exemples où le trait se présente à l’initiale. Parmi les élé-

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ments remarquables, mentionnons pour la morphologie verbale la forme noncesse 553, avec « une désinence lorraine de la P1 en -esse dans un verbe à infinitif en -er » [98], et dans la partie syntaxique, le type on avons (cinq exemples dans la pièce), bien attesté par ailleurs, pour l’essentiel dans le corpus des farces et sotties, et son homologue on avez (plus rare dans la langue mais dont le mystère offre huit occurrences). Quant au type on ont, F.D. note que G. Zink avait situé à Metz son centre de diffusion : ainsi, « Le Mystère de saint Clément prouve qu’à Metz, on peut se substituer aux pronoms personnels sujets de P3, 4, 5, 6. » [101]. Le glossaire est très riche, et rarement pris en défaut. On peut y apporter quelques ajouts et remarques de détail, qui n’enlèvent rien à l’excellente qualité de l’ensemble : [asseoir], assouoir 5368, v. en emploi intrans., “disposer des pierres ou des matériaux de construction pour édifier un bâtiment” : cet emploi intrans. (et techn.) manque au DMF ajouter aver 6128, adj., “avare” (DMF) ajouter begnivolent 497, 6897, 8476, adj., “bienveillant” (DMF s.v. benevolent) ; FEW 1, 325a, s.v. benevolus) ajouter benyvolence 6801, subst. f., “bienveillance” besagüe, subst. f. (FEW 1, 378b, s.v. bisacutus) : “outil de charpentier dont les bouts acérés sont taillés l’un en ciseau, l’autre en bec d’âne”, la glose aurait pu se compléter du renvoi à la forme moderne besaiguë (TLF 4, 421a) ajouter char 8118, subst. f., “viande” ajouter clamour 1483, subs. f., “cri adressé au ciel, prière” corde, tirer à sa corde, 8479 traduire plutôt “entraîner à sa suite” [crenter] est commenté au glossaire de la façon suivante : « (FM créanter) emploi trans. : crenter qqn de + inf. “assurer, promettre à qqn de + inf.”, v. 1276 ». Le seul ex. fourni par le DMF pour creanter qqn de + inf. est celui du texte : Car je vous ai piessa crenté/ De faire tout vostre vouloir, MistSClemA 1276-1277. La construction pourrait tout aussi bien être creanter a qqn de + inf., les formes du C.R. direct et indirect du pr. pers. P5 étant indistinctes. La structure la plus fréquemment attestée par les dictionnaires est en effet creanter qqc. a qqn (T.-L. 2, 1022 ; Gdf 2, 361c-362a et DMF), mais le complément de personne en construction directe n’est pas impossible avec ce verbe (GuillOrPrT, 118, rubrique : Comment Maillefer creanta la royne Esmeree du consentement de Clarisse). Ajouter en outre sous la même entrée du glossaire crenter a qqn que 6430, “promettre à qqn que” (FEW 2, 1304a, *credentare, s.v. credere). Le v. creanter est encore attesté chez Trévoux, mais s’est révélé introuvable dans le TLF et dans les autres dictionnaires du FM consultés (lire MF au lieu de FM dans le renvoi de l’éditeur ?). ajouter enferme 6329, adj., enferme de maladie “malade, infirme” ajouter enfermerie 6355, 6372, “lieu où on soigne les malades (dans un établissemnt religieux), infirmerie” (DMF) ajouter enseigner, v. trans., 4373, “montrer, indiquer” ; 4375, “enseigner, instruire” ajouter entachié, part. passé en emploi adjectival, entachié de maladie 6375, “infecté, atteint d’une maladie”

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estal, ajouter au DMF les loc. estre en petit estal 5550 (estal : loyal) “être en mauvaise forme, ne pas aller bien” et estre en bon estal 6589 (estal : val), “être en bon état, aller bien” (FEW 17, 206a, *stal) ajouter fin : mettre qqn a fin 3851, “mettre à mort, tuer” (DMF) ledenger ajouter 3749 mu “muet” est signalé comme subst. masc. mais figure aussi dans le texte comme adj. (Vous n’avés esté sours ne mus 5357) ajouter oubliance : mettre qqn ou qqc. en oubliance, 1340, 1496, 1566 (avec diérèse dans tous ces ex.), “oublier” (DMF) permerain, adj. “souverain” : ajouter premerain 7088, forme qui sera préférée en vedette (DMF ; FEW 9, 378b, primarius) ajouter perseus 2667, adj., “paresseux” (DMF, FEW 8, 447a, pigritia) raimbre est à placer entre crochets (seule la forme du part. passé raimpns 5803 étant attestée dans le texte) [roit] 4668 est à traduire par “raide” plutôt que par “ferme, rude”, conformément à la traduction donnée s.v. pigne pour la loc. roit comme pigne “raide comme un peigne” qui concerne la même occurrence [rompre] : ajouter les occ. des v. 6445 et 7573, qui offrent l’une et l’autre l’expression avoir la hanche route, éclairant un emploi similaire au 967, dans un passage où le texte est lacunaire ajouter sendail, 7189, “cendal, tissu de soie ressemblant au taffetas, souvent teint en rouge” (DMF ; FEW 11, 641b, sindon) ajouter sentier : tenir son sentier 5981, “se diriger, se rendre” ; cf. Di Stefano, 797, s.v. sentier, tenir le sentier, prendre la route ; 903, s.v. voie, tenir sa voie ou tenir sa voie vers, “se diriger (vers)” soulas, ajouter 6839 aux occ. pour le sens “plaisir, agrément, joie“ ajouter tors 6539, adj., “tordu, boiteux” (d’une pers.) ; 6748, “sinueux” (aler la voie non torte “prendre le chemin direct”), DMF. Clément étant un saint bâtisseur, la pièce est émaillée de diverses scènes où des ouvriers s’activent à élever des édifices, et le glossaire recèle nombre de termes ayant trait aux outils, matériaux ou actes de construction. Outre les mots asseoir et besagüe déjà mentionnés, citons encore chavron 3092, 3095, “chevron” ; escaillié 4770, “couvert de motifs disposés comme des écailles de poisson” ou “nettoyé des éclats de pierre” (FEW 17, 89a et 91a) ; Gdf 3, 350b, cite l’occ. du MistSClemA s.v. escaillié, adj., “couvert d’ardoises”, mais s’interroge sur le sens du mot dans cet ex. ; estaiche 4753, “pieu, poteau” ; filliere 4753, “grande pièce de bois posée de travers pour supporter les chevrons” ; fizel 2761, 2807 etc., “morceau de bois servant d’outil au charpentier et dont la forme et l’usage sont indéterminés 2” ; grosse hache 2672, grande hache 2816, “hache

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F.D. ajoute en remarque que « Gdf, s.v. fizel, cite comme unique ex. l’occ. du v. 2807 et glose “instrument de maçon, l’équerre”. FEW, t. 222, p. 229b s’appuie sur le Mystère de saint Clément d’après Gdf et rapproche le subst. de ficel, “corde de maçon”. La forme fizel peut sans problème être rattachée à fuseau (cf. Prens ung fizel et

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d’équarrisage, doloire” ; houel 8762, 8828, “houe à lame forte, aplatie, taillée en biseau, servant au défoncement des terrains”, marrien 3065 etc., “bois (de construction)”, pioche 7454, “outil de terrassier composé d’un manche et d’un fer courbé, pioche”(signalé comme mot rare en français médiéval) ; plonc, “fil à plomb” (a plonc et a ligne 3118, “parfaitement”) ; tareille 4625, “tarière, vrille utilisée par les charpentiers pour percer les pièces de bois” ; tison 3134, 6250, “pièce de bois” (sens donné comme « un régionalisme du quart Nord-Est » [809] ; tonnette 4535, 4606, “maillet, marteau de bois” (seul ex. cité par God. pour ce mot conservé en messin). Notons enfin que le volume se complète encore d’une courte liste des proverbes [103104], d’un répertoire des Dramatis personae par ordre d’apparition dans le jeu [721-725], ainsi que d’un Index nominum [727-737]. En conclusion, on a affaire ici à un travail soigné et rigoureux. La consultation de ce volume, remarquable par son exposé méthodologique, rendra des services à bien des éditeurs, non seulement à ceux qui envisageraient de republier une œuvre dont les témoins sont aujourd’hui perdus, mais également à ceux qui s’attelleront à des textes conservés dans des manuscrits uniques. Le Mystère de saint Clément est susceptible d’intéresser tant les historiens et les lexicologues que les spécialistes du théâtre, et tous trouveront dans l’édition de F.D. un texte fiable et une masse d’informations précieuses. Nadine HENRARD

Approches du bilinguisme latin-français au Moyen Âge. Linguistique, Codicologie, Esthétique. Études réunies par Stéphanie Le Briz et Géraldine Veysseyre, Turnhout, Brepols (CNRS – Centre d’études Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge – Collection d’Études médiévales de Nice, vol. 11), 2010, 522 pagine. Il volume consta di dodici saggi suddivisi in tre sezioni, preceduti da un’introduzione delle curatrici Stéphanie Le Briz et Géraldine Veysseyre dal titolo Les rapports entre latin et langue d’oïl en France septentrionale (XIIe-XVe s.): hiérarchie, concurrence ou complémentarité? Pour le repérage et l’analyse de textes médiévaux bilingues [1334] e chiusi dalle conclusioni di Anne Grondeux [441-449]. La raccolta è completata da un’esaustiva Bibliographie (utile supporto per qualsiasi studio a venire) [451-472], e da due dettagliatissimi indici, rispettivamente dei nomi e delle opere [473-498] e dei manoscritti e degli incunaboli antichi [499-510], ancora delle curatrici, oltre che da sei belle tavole a colori che affiancano le illustrazioni in bianco e nero contenute nei singoli articoli. La sezione Penser le bilinguisme au Moyen Âge: lexique et traductions [35-163] si apre con Pierre Nobel, Le statut du français dans le glossaire latin-français du ms. de Montpellier H 110 [37-62]. Il saggio è introdotto da un breve prospetto della lessicografia latina monolingue [38-42] che contestualizza il glossario latino-francese del ms. H 110 ta quelongne dans la farce Tout-Ménage, dans Recueil de farces (1450-1550), éd. A. Tissier, Genève, 1989, t. V, p. 305, v. 189], ex. cité par Gdf s.v. fuisel). » [775].

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della Bibl. Univ. di Montpellier (M) studiato da N. M, datato al 1370-1380 e appartenente alla famiglia denominata dell’Aalma da Mario Roques 1, è riportato da N. alla zona piccardo-vallona sulla base di lessemi diatopicamente marcati quali caure e leson [45] e di toponimi del nord-est. Quanto alla genesi del glossario, N. osserva che in M vengono combinati articoli del Papias e del Catholicon e identifica il compilatore con un chierico o un monaco molto poco versato nel latino [43]. A seguire, il saggio affronta la struttura del glossario e lo statuto reciproco di latino e francese che essa sottintende. Le strategie del glossatore risultano essere le più varie: il significante latino è ora semplicemente trasposto in francese (es. cathedra = chaiere [50]); altrove, sono tradotti sia il lemma che la definizione della fonte latina (es. compitum = quarrefour, lieu ou se assemblent plusieurs voies [54]); in altri casi, la definizione latina è affiancata dalla definizione francese (es. cabreas = aprilis mensis dicitur – un mois, avril [56]), o, ancora, la spiegazione etimologica latina viene prima riportata e poi fatta oggetto di traduzione. La mancanza di sistematicità nell’assetto complessivo di M lo isola dagli altri glossari coevi e successivi; il suo interesse come oggetto di studio riposa peraltro sulla presenza di termini privi di riscontro negli altri glossari latino-francesi e sul fatto che esso dà accesso alle prime fasi della tradizione lessicografica francese. Il seguente Frédéric Duval, Le lexique de la civilisation romaine au Moyen Âge: de la diglossie à l’interlinguisme [63-79] si inserisce nell’ormai più che decennale lavoro dell’autore sul lessico delle traduzioni mediofrancesi dal latino, di cui condivide l’assunto primario: in un contesto, come quello medievale, di massima permeabilità fra francese e latino – sia in termini di diglossia che in termini di bilinguismo –, il lessico delle traduzioni francesi di materia classica deve essere approcciato a partire da un concetto di ‘interlangue’ (da riferirsi non ai testi ma ai singoli lessemi [67]). I calchi sul latino che costellano le traduzioni francesi, necessari alla resa di lessemi latini privi di corrispondenti volgari, non sono, infatti, «ni exclusivement latins ni exclusivement français» [67]: il loro statuto linguistico va bensì precisato di volta in volta. I casi di studio affrontati nel saggio (basi lessicali: velites; asser, asseres; aries, arietes/ariet; penates; rostres; asile; pretexta/pretexte) [68-78] mirano in particolare a mostrare come le difficoltà risiedano nel «distinguer un mot latin et un mot français formellement identiques» (es. i plurali in -es) e, all’opposto, nel «mésurer à quel degré un mot morphologiquement français peut être latin», si attivi cioè semanticamente «via le latin» [67]. L’analisi di D., chiara e problematizzante a un tempo, mette in luce come una corretta valutazione dei latinismi non possa prescindere né da indagini estese sul ‘corpus’ dei volgarizzamenti francesi globalmente considerato, né dalla valutazione dei contesti immediati in cui i latinismi appaiono; il saggio si conclude sulla misurata valutazione: «l’autonymie des mots de civilisation se prolonge souvent fort tard et rend très délicate voire impossible leur définition» [78]. Joëlle Ducos, Latin et textes scientifiques français: bilinguisme, ignorance ou terminologie? [81-98] è dedicato alle traduzioni volgari di testi scientifici fra fine XIII e inizio XV sec. Il soggetto è dei più interessanti: queste traduzioni testimoniano infatti del costituirsi di una tradizione scientifica e filosofica di espressione francese e di un rapporto fra latino e francese, al contempo di dipendenza e rottura, dei più complessi. Il primo dei soggetti d’indagine affrontato da D. è l’etimologia, in quanto procedimento in cui il francese si mostra massimamente permeabile rispetto al latino. D. precisa innanzitutto

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Roques, Mario (ed.), Recueil général des Lexiques français du Moyen Âge (XIIe-XVe siècle), Paris, Champion, 1936-1938.

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le ragioni epistemologiche – tassonomiche e mnemotecniche – dell’istituto etimologico, per poi concentrarsi sulle modalità di resa delle etimologie latine in volgare. Le soluzioni dei traduttori risultano in sostanza riportabili a tre tipologie: «décalque du latin [...]; citation conjointe du mot latin qui est adapté et de sa traduction; [...] traduction littérale qui fait perdre la relation entre signifiant et signifié» [86]; la lunga persistenza del latino nelle ‘etichette’ attesta che esso, ben più del volgare, assicura una «stabilisation dénominative» veicolante «catégorisation du réel» [87]. D. allarga quindi il campo alle opzioni lessicali dei traduttori [87-90], osservando come la scelta fra, da un lato, calchi latini e, dall’altro, francese dipenda non solo dall’epoca dei testi e dalla cultura del traduttore, ma anche dalla natura dei testi tradotti, dal pubblico cui essi sono destinati e dalle finalità culturali delle traduzioni. Esemplare, in questo senso, l’opera di Nicole Oresme e in particolare il suo Livre du Ciel (1377) [90-98]. Contrariamente alle precedenti traduzioni aristoteliche dell’autore (Etica e Politica), fondate sulla rivendicazione della dignità del francese come lingua di cultura e del tutto impermeabili al latino, il Livre du Ciel è contraddistinto da una capillare compresenza delle due lingue. Tale bilinguismo strutturale è connaturato all’operazione culturale che si esplica nel testo: «la présence simultanée de français et de latin est à traiter en termes de savoirs et de niveaux d’interprétation. [...] La francisation n’est plus obligatoire, [...] l’emploi de la langue vernaculaire [...] met en évidence des domaines des savoirs, le savoir scientifique étant en français, les autres domaines en latin» [97]. La prima sezione si chiude con Anne-Françoise Leurquin-Labie, «Voy doncques o liseur a quans mault nous sommes obligiez». La traduction de la Vie de Christine l’Admirable de Thomas de Cantimpré [99-163]. Il saggio è dedicato all’inedito volgarizzamento francese della vita latina della beata Cristina di Saint-Trond, composta nel 1232 da Thomas de Cantimpré. Il testo latino è trasmesso da otto testimoni [108sg., n. 29], mentre quello francese è relato dal solo ms. Bruxelles, Bibl. Royale, 10487-10490, proveniente dalla biblioteca del duca di Borgogna Filippo il Buono [99-100]. Il saggio si compone di due sezioni: introduzione [99-111] ed edizione del testo, completata da glossario selettivo e indice dei nomi [113-163]. L.-L. contestualizza l’agiografia dal punto di vista storico, storico-letterario e di storia della tradizione. La studiosa identifica il modello latino diretto della traduzione nel manoscritto 4459-4470 della Bibl. Royale, copiato a Villers-en-Brabant da un monaco originario di Saint-Trond, e analizza le peculiarità lessicali e sintattiche del volgarizzamento, caratterizzato da un’adesione tanto marcata alla fonte latina da risultare spesso incomprensibile a meno di un ritorno sull’originale. Tale assetto è riportato ad un’origine scolare della traduzione. L’ipotesi è convincente, e potrebbe anzi essere supportata da una datazione del volgarizzamento leggermente più arretrata rispetto a quella proposta da L.-L., la quale in sostanza fa coincidere l’epoca di esecuzione del ms. 10487-10490, 1450-1467, con l’epoca di redazione della traduzione; tale possibilità non è ostacolata dai dati relativi al ms. latino impiegato come modello, datato al 1320. L’accurata edizione affianca il testo francese a quello latino edito negli Acta Sanctorum (1865), completato dalle varianti significative del ms. BR 4459-4470. La scelta di presentare al lettore anche il testo della fonte è quanto mai opportuna, dati i punti critici, soprattutto sintattici, della traduzione. A questo riguardo, sarà interessante rilevare che alcuni dei numerosissimi elementi di difficoltà del testo francese potrebbero essere ascritti, oltre che a sviste del traduttore, ad accidenti occorsi nel corso della tradizione; a titolo puramente esemplificativo, si potrà richiamare il § 16, dove cumque spiritali ebrietate digesta actuales sensus propria membrorum loca reciperent è reso

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con et quant, la espirituelle hebrieté digeree, les propres des membres les sens actuelz recevoient: l’omissione di loca, causante totale fraintendimento della frase, potrebbe essere imputata tanto al volgarizzatore quanto ad un copista maldestro. La sezione seguente – Aménager le bilinguisme au Moyen Âge: cohabitation matérielle et syntaxique des deux langues [165-356] – si apre con il contributo di Christine Ruby, Les psautiers bilingues latin / français dans l’Angleterre du XIIe siècle. Affirmation d’une langue et d’une écriture [167-190], dedicato a indagare il rapporto fra latino e francese nell’ambito della particolare tipologia testuale dei salteri. Lo studio di R. si incentra su quindici manoscritti databili entro il XII secolo, tutti di provenienza insulare, ripartibili in quattro classi sulla base della tipologia codicologica, altamente significativa dello statuto reciproco di latino e volgare: (1) due salteri trilingui latino / francese / inglese (Cambridge, Trinity College, R 17 1 – salterio di Eadwine – e Paris, BnF, lat. 8846, il secondo dei quali copiato sul primo). Il testo continuo dei Salmi è presentato solo in latino (nelle tre versioni, affiancate e impaginate a specchio tra recto e verso, ‘iuxta Hebraicum’, romana e gallicana, quest’ultima gerarchicamente sovraordinata nella ‘mise en page’ e completata da una glossa marginale latina). L’anglonormanno e l’inglese compaiono nelle glosse interlineari, rispettivamente del salterio ebraico e di quello romano: il latino ha uno statuto superiore rispetto al volgare. In aggiunta a quanto segnalato da R., e senza volerne revocare in dubbio le conclusioni, varrà la pena ricordare che nella sezione dedicata ai Cantici del Salterio di Eadwine (ff. 262v-275r) il francese passa da lingua di glossa a lingua del testo continuo (il ms. BnF, lat. 8846, in quanto mutilo, non fornisce riscontri); (2) cinque salteri bilingui paralleli latino / francese (London, BL, Cotton Nero C IV – Salterio di Winchester – e Paris, BnF, lat. 768 e n. a. lat. 1670; Copenhagen, Universitetsbibliotek, AM 618 4°; Oxford, St John’s College, printed book HB 4/4 a 4 21), che «affichent [...], par leur disposition parfaitement symétrique, l’égalité entre les deux langues» [180] 2 ; del massimo interesse la notazione circa il fatto che alcune soluzioni scrittorie – soprattutto a livello di abbreviazioni – sono associate in modo esclusivo a ciascuna delle due lingue; (3) due salteri a versetti alternati latino / francese, entrambi frammentari (Maidstone, Kent County Archives, Fa Z 1 e London, BL, Cotton Vitellius E IX): la ‘mise en page’ dei due codici, pur attestando lo statuto pienamente legittimo del volgare, per via dell’anteposizione del latino al francese depone in favore della subordinazione del secondo al primo; 2



Il salterio di Winchester si differenzia dagli altri quattro manoscritti di questo gruppo per via dell’impaginazione “a specchio” del primo quaderno: «sur les versos le latin [est] à gauche et le français à droite, [...] au contraire sur les rectos le français [est] à gauche et le latin à droite» [174]); la particolarità, giustamente rilevata da R., può essere messa in relazione con l’impaginazione delle Bibbie con glossa e, nell’ambito dei salteri volgari, con quella dei salteri trilingui di Eadwine e Parigi che, come già accennato, «présente[nt] une mise en page en miroir entre le verso et le recto: version hébraïque en position intérieure, version romaine en position centrale et version gallicane [...] en position extérieure» (Maria Careri / Christine Ruby / Ian Short, Livres et écritures en français et en occitan au XIIe siècle. Catalogue illustré, Roma, Viella, 2011, 26).

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(4) due salteri con traduzione interlineare (Paris, AN, AB XIX 1734 n° 1 e London, BL, Arundel 230): la posizione subordinata del francese è saldamente dimostrata dal modulo di scrittura più piccolo che gli è riservato; i due codici presentano però una differenza notevole: nel frammento delle Archives nationales, infatti, il francese è, sotto il profilo sintattico, pienamente indipendente dal latino, mentre nei primi Salmi del codice londinese la traduzione volgare assolve ad una funzione di glossa, col testo francese stravolto sintatticamente e fatto aderire ‘mot à mot’ al latino. Il saggio è completato da un breve paragrafo dedicato al salterio di Oxford (Oxford, Bodl. Libr., Douce 320), il più antico dei salteri anglonormanni e l’unico a non presentare il testo latino, e da una sintetica contestualizzazione storica delle traduzioni dei Salmi di area inglese. R. sottolinea come il salterio di Oxford «semble être la source de celui de tous les autres psautiers présentés [...], hormis les deux trilingues et sans doute le fragment des Archives nationales» [184], dato che revoca in dubbio l’ipotesi tradizionale che le traduzioni continue derivino da quelle interlineari. La studiosa mette inoltre in rilievo le caratteristiche materiali e testuali della tradizione illustrata e ne precisa ambienti di produzione – insistendo sull’importanza dei centri benedettini – e modalità di impiego – affermando giustamente che «on ne peut considérer nos psautiers médiévaux comme des livres liturgiques» [190]. Lo studio di R. apre interessanti prospettive su una tradizione testuale che, per ambienti di produzione, antichità dei testimoni e intrinseca complessità, è del massimo interesse. Nicole Bériou, Latin et langues vernaculaires dans les traces écrites de la parole vive des prédicateurs (XIIIe-XIVe siècles) [191-206] prende in conto il bilinguismo latinovolgare nella predicazione medievale. Il campo d’indagine è contraddistinto da confini molto labili e nel complesso limitato: i testi-modello delle Artes praedicandi due-trecentesche, infatti, attestano la permeabilità fra latino e francese solo sul piano sintattico – la sintassi latina è avvicinata a quella francese onde facilitare i predicatori nella trasposizione in volgare del testo latino di partenza –, ma non dicono nulla quanto alla compresenza delle due lingue nella predicazione effettiva. Conservano invece traccia più o meno fedele delle «prises de parole» [194] reali (ma la comprensione del grado di fedeltà è tutt’altro che immediata) le raccolte di sermoni ‘ex post’ quali quella dell’italiano Federico Visconti e le ‘reportationes’ – registrazioni di prediche reali ad opera di uditori –, oltre che, naturalmente, i pochi sermoni bilingui arrivatici. Queste testimonianze consentono di osservare come la compresenza di latino e volgare si esplichi in modi diversi e rimonti a funzioni distinte a seconda dei testi. Si va dai casi in cui elementi lessicali volgari si insinuano, in veste morfologica latinizzata, in un dettato uniformemente latino (Federico Visconti); ai casi in cui il volgare è impiegato per glossare lemmi latini dal significato incerto; ai veri e propri ‘pastiches’, rispetto ai quali è verosimile ipotizzare un ricorso al bilinguismo per ragioni di «expressivité narrative» [203]. Il misurato saggio di B. – che, fra gli altri meriti, ha quello di estendere il campo d’indagine oltre il dominio oitanico, rivolgendosi anche all’area italiana: scelta quanto mai opportuna data la centralizzazione della cultura clericale, in primo luogo domenicana, fra XIII e XV sec. – si chiude sull’auspicio di ulteriori indagini, per le quali dovrà essere prioritaria la sensibilità «à la variété des situations, voire à des transformations induites par le temps» [206]. Françoise Vielliard, La traduction des Disticha Catonis par Jean Le Fèvre: perspectives codicologiques [207-238], indaga il bilinguismo latino-francese in relazione ad una singola opera e alla sua tradizione manoscritta. Il saggio si apre con un denso prospetto

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delle numerose traduzioni francesi medievali dei Disticha Catonis: tre versioni bilingui anglonormanne di XII sec.; quattro versioni continentali, tutte duecentesche: due in prosa e due – di Adam de Suel e Jean du Chastelet – in ‘couplets d’octosyllabes’ (la prima delle quali bilingue in alcuni settori della tradizione). V. si concentra sulla traduzione in ‘décasyllabes’ del giurista Jean Le Fèvre, attivo nella seconda metà del Trecento. Dopo una panoramica sull’attività letteraria di Le Fèvre e sulle caratteristiche della sua traduzione dei Disticha [213-218], l’attenzione di V. si appunta sulla vasta tradizione mano­ scritta dell’opera, di cui si procura in appendice un quadro riepilogativo, diviso fra mss. mono e bilingui [218-228]. V. prende in conto come la struttura tripartita dell’originale (Epistula ad filium – Breves Sententiae – Disticha) trova seguito nella ‘mise en page’ dei trentotto testimoni dell’opera e il modo in cui i ventisei manoscritti bilingui (di cui «dixneuf donnent le texte latin complet et sept uniquement des lemmes latins» [220]) concepiscono il rapporto fra latino e francese. I testimoni bilingui si rivelano essere quelli più aderenti alle partizioni del testo latino di partenza; la ‘mise en page’ di tutti i manoscritti bilingui – con l’unica, rilevante eccezione del ms. Toulouse, Bibl. Mun. 822 – attesta inoltre chiaramente la preminenza del latino sul francese. Il saggio di V. si pone come prima, fondamentale tappa del lavoro sui Disticha Catonis di Le Fèvre, rispetto ai quali, secondo quanto segnalato dalla stessa studiosa, sarà prioritario capire se il bilinguismo testimoniatoci dai manoscritti rimonti all’autore, o se l’immissione del latino vada piuttosto ascritta a fasi successive della trasmissione del testo. Con Isabelle Vedrenne-Fajolles, Du bilinguisme français-latin dans le commentaire aux Aphorismes d’Hippocrate par Martin de Saint Gilles (1362-1363), manuscrit BnF, fr. 24246 (1429-1430) [239-281] torniamo ai testi scientifici già presi in conto da J. Ducos. L’opera fatta oggetto di analisi è un lungo commentario ad Ippocrate, trasmesso dal solo ms. Paris, BnF, fr. 24246, copiato nel 1429 dal medico Jehan Tourtier [244]. L’alternanza fra francese e latino nel testo è costante: il latino è impiegato per le citazioni degli aforismi di Ippocrate, in chiusura dei commenti di Martin de Saint Gilles e Galeno che li accompagnano, e non di rado in apertura di questi ultimi. Il testo del ‘commentaire’ è inoltre percorso da numerose altre inserzioni latine, meno sistematiche ma capillari, su cui V.-F. si concentra. La studiosa mette in luce come sia oltremodo difficile ricondurre l’alternanza francese / latino a un paradigma stabile. L’impiego del latino è costante solo quando viene ripreso l’aforisma alla base della ‘sequenza’, o perché esso è impiegato come ‘fil-rouge’ del commento, o perché se ne procura un’analisi in termini di critica testuale; in questi casi, il latino è posto in rilievo mediante sottolineatura in rosso. Nell’enunciazione dei titoli di opere o di capitoli, l’oscillazione fra francese e latino non sembra invece improntata a criteri fissi; laddove presente, il latino non è mai evidenziato dalla ‘mise en page’. Il latino è poi impiegato con sistematicità nelle citazioni di autorità – da Aristotele, Ippocrate e Galeno – e nelle riflessioni lessicografiche riprese da Galeno; le prime sono messe sempre in rilievo dal punto di vista grafico, mentre di norma i lemmi latini che compaiono nelle seconde sono semplicemente inquadrati da due punti. La compresenza delle due lingue è massima a livello di termini medici, testimoniando della complessità dell’«intégration d’une nouvelle terminologie médicale française en discours» [272]. Martin de Saint-Gilles, pur non sottraendosi a calchi e neologismi, fa infatti massicciamente ricorso al latino per lemmi che, a metà Trecento, erano ancora sprovvisti di equivalente francese e sembra aver preferito evitare «des formes françaises vouées à être instables et plus ambiguës [...] que leur modèle latin». Con estrema frequenza, inoltre, Martin fa seguire i termini medici procurati in latino da una spiegazione

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francese, o fa ricorso a binomi, combinanti, a seconda dei casi, «deux mots latins, un mot latin et un mot français ou deux mots français, l’un étant plus savant que l’autre» [274]. Lo studio di V.-F. riunisce felicemente la riflessione lessicografica e la valutazione dei dati desumibili dalla ‘mise en page’ del manoscritto; mi permetto solo di avanzare uno spunto di riflessione: la studiosa parte dall’assunto che «nous considérerons ici comme latines les formes qui ne présentent aucune adaptation morphologique qui signalerait l’emprunt», pur dichiarandosi «consciente [...] que certaines des occurrences ainsi relévées peuvent avoir été déjà assimilées en français, bien qu’elles aient gardé une forme latine» [262]: sarebbe possibile affinare la ricerca adottando, secondo quanto proposto da M. Duval, il concetto di ‘interlangue’ e problematizzare l’equivalenza tra forma morfologica e appartenenza linguistica? Stéphanie Le Briz et Géraldine Veysseyre, Composition et réception médiévale de la lettre bilingue de Grâce de Dieu au Pèlerin (Guillaume de Digulleville, Le Pèlerinage de l’âme, vers 1593-1784) [283-356], si concentrano sull’epistola a versi alternati francese / latino che, nella finzione allegorica del Pèlerinage, è scritta da Grâce de Dieu e letta da Justice al Pellegrino. Nei 192 versi della lettera, il latino «se trouve régulièrement cantonné à des fonctions syntaxiques facultatives» [294]; le studiose propongono di conseguenza una lettura del testo fondata sui soli versi francesi (gli unici ad essere stampati) [294-305]. Segue un’accurata disamina della ‘mise en page’ dell’epistola nei manoscritti del Pèlerinage e del trattamento riservato al testo da parte dei copisti [306-319], da cui emerge che, su trentaquattro testimoni presi in conto (cfr. l’app. I [333sg.]), solo il British Libr., Add. 38120 distingue graficamente latino e volgare, e che – fermo restando che esistono manoscritti più o meno scorretti – i versi latini e quelli volgari sono interessati dal medesimo tasso di varianza. Il saggio si conclude con l’analisi nel dettaglio dei manoscritti Bruxelles, BR 11065-11073 e Paris, BnF, fr. 1138, in cui l’epistola è andata maggiormente soggetta a manipolazioni [320-331]. Le due riscritture, entrambe edite in appendice [335-337 e 339-356], sono caratterizzate rispettivamente da un forte scorciamento del testo e dalla soppressione del latino, e dall’affiancamento di una traduzione francese in rima, fedele quanto al contenuto e molto curata sotto il profilo formale, ai versi latini originali; le studiose individuano il pubblico dei due manoscritti in un «lectorat de culture intermediaire» [327]. L. B. e V. pervengono così a render conto tanto della particolare tecnica compositiva adottata da Guillaume de Digulleville nell’epistola di Grâce de Dieu – che prevede due modalità di fruizione: nella forma bilingue o nella sola componente francese – quanto del modo in cui il testo è stato recepito e fruito. Colgo l’occasione per presentare un ragionamento circa la versificazione dell’epistola, che non rientrava negli interessi di L. B. e V.: la lettera di Grâce de Dieu si compone di ventiquattro strofe di otto versi di otto sillabe, caratterizzate da «l’unicité de la rime au sein de chaque huitain» [287] (tratto, quest’ultimo, che non ha riscontro in nessuno dei testi bilingui a versi alternati del Medioevo francese). L’analisi dei versi latini consente di osservare che, se la tenuta delle rime non pone grosse difficoltà nelle strofe con versi francesi a terminazione maschile (si richiede semplicemente accentuazione ossitona del latino), essa è invece problematica per cinque delle diciannove strofe con versi volgari a terminazione femminile (str. II, III, VII, XIII, XIV). Sia adottando l’accentuazione ‘canonica’ del latino sia assumendone realizzazione ossitona, infatti, in serie come vie : consciencie : phisionomie : facie : estudie : sobrie : maladie : flebotomie (str. II) o nice : bellice : malice : modice : justice : magnifice : vice : judice (str. XIV) l’accentuazione delle parole francesi e quella delle parole latine non coincidono. Il dato non esclude

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che Guillaume de Digulleville abbia concepito le strofe dell’epistola come monorimi: la possibilità di far rimare parossitoni e proparossitoni, sebbene rara, è ben documentata nella versificazione mediolatina 3. L’ipotesi che Guillaume abbia fatto ricorso ad un istituto della tradizione latina è avvalorata dalla tipologia dei versi adottati: come osservato da L. B. e V., infatti, i versi dell’epistola – e in generale i versi del Pèlerinage – contano otto sillabe a prescindere dalla posizione dell’accento (si alternano, in sostanza, ‘octosyllabes’ maschili ed ‘eptasyllabes’ femminili): una soluzione tipica della poesia latina medievale. La particolarità di entrambi questi istituti metrici potrebbe essere rilevante rispetto ai manoscritti che sono intervenuti sui versi francesi a terminazione femminile riconducendoli ad ottosillabi regolari, lasciando però intatti i versi latini [314-316]. Il differente trattamento di latino e francese sarò certo dipeso dal fatto che «ajouter une syllabe à un vers latin était techniquement plus difficile» [316], ma un certo peso potrebbe essere attribuito anche al fatto che i versi latini e quelli francesi erano passibili di apparire ai copisti come legati da una semplice “rima per l’occhio”, o forse addirittura come aventi due terminazioni diverse. Questa seconda eventualità potrebbe essere avvalorata dalla strategia di traduzione dei versi latini del ms. BnF fr. 1138 di cui sopra, che opta «une structure en rimes croisées abababab cdcdcdcd etc.» [326], non riconducendo cioè i versi tradotti dal latino in francese alla rima dei versi francesi preesistenti. L’ultima sezione del volume, Jouer du bilinguisme au Moyen Âge: «un problème d’esthétique médiévale» [357-440], si apre con il saggio di Jean-Pierre Bordier, Deux théâtres, deux bilinguismes [359-392]. B. si propone di verificare le finalità estetiche sottintese al mistilinguismo dei testi teatrali medievali, così da ampliare l’analisi di stampo sociolinguistico proposta da Yvonne Cazal 4, a giudizio della quale l’impiego del volgare nei testi teatrali medievali è al contempo una concessione, da parte delle gerarchie ecclesiastiche, al laicato e alle componenti meno colte della società e uno strumento di affermazione della superiorità del latino. B. rivendica giustamente la necessità di considerare «chaque pièce comme une œuvre d’art originale» [374] e di problematizzare la posizione del teatro bilingue sull’asse ‘litterati’ / ‘illitterati’. Lo studioso si rivolge in primo luogo ai testi in cui la componente latina è predominante [367-374]: lo Sponsus occitanico (che, andrà ricordato, Avalle ritiene non «languedocien» [363], ma di origine pittavina e copiato da un copista del Limosino settentrionale) 5 ; la Suscitatio Lazari e il Ludus super iconia sancti Nicolai di Ilario d’Orléans; il Ludus Daneli di Beauvais; il Ludus de Passione dei Carmina Burana; il Ludus pascalis del ‘Livre de la Trésorière’ del monastero di Origny e il Jeu d’Adam. B. osserva come in ognuno di questi testi il volgare non si limiti a ‘tradurre’ il latino, ma sviluppi significati suoi propri. Relativamente al Jeu d’Adam, in particolare, è improprio affermare che il volgare assolve ad una funzione di glossa: il francese, infatti, «dit toute autre chose», sviluppando autonomamente «l’invention intellectuelle et la création artistique» [373sg.]. La seconda sezione del saggio [374-389] è dedicata ai testi teatrali in cui il francese è lingua dominante e il latino figura «sous la forme d’insertions brèves» [374]. B. prende in conto i casi in cui il latino 3



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Norberg, Dag, Introduction à la versification latine médiévale, Stockholm, Almqvist & Wiksell, 1958, 46-47. Cazal, Yvonne, Les Voix du peuple, Verbum Dei. Le bilinguisme latin-langue vulgaire au Moyen Âge, Genève, Droz, 1998. Avalle, d’Arco Silvio, Lo «Sponsus», in: Id., La doppia verità, Firenze, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2002, 613-677, 630 e 644.

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è limitato agli elementi paratestuali (rubriche, didascalie etc.), quelli in cui le inserzioni latine sono desunte da preghiere, formule devozionali e dalle Scritture, e quelli in cui il latino è impiegato nell’enunciazione dei temi di sermoni che aprono i testi teatrali o ne sono parte integrante (in appendice, il sermone bilingue di Simonia del testo protestante La Verité cachee [391sg.]). Il contributo si conclude su una riflessione circa il modo in cui il teatro francese sfrutta – non di rado piegandolo a fini comici, parodici e satirici – il gioco fra latino e lingua romanza: «la coexistence des deux langues témoigne de la différence qui les oppose au regard de la puissance sociale, du jeu rhétorique et de la valeur de vérité, elle témoigne aussi de la séparation qui traverse la société entre ceux qui les savent toutes deux, ceux qui n’en savent qu’une et ceux qui, les sachant toutes deux, ne veulent en savoir qu’une» [389]. In Le bilinguisme dans les Matines de la Vierge de Martial d’Auvergne [393-410], Marie-Laure Savoye studia il bilinguismo latino / francese nell’opera mariana di Martial d’Auvergne e il suo trattamento nella tradizione, manoscritta e a stampa, del testo. Il ricorso al latino da parte di Martial sembra rispondere a due finalità: istituire un sistema di rimandi fra le Matines e la liturgia mariana delle ore, che costituisce lo ‘scheletro’ dell’opera [396, 399], e sperimentare nuove soluzioni poetiche. In apertura del poema («5911 vers de mètres variés» [392]), le frequenti inserzioni latine riprendono letteralmente il testo della liturgia delle ore all’uso di Parigi e rimarcano la connessione fra testo ed intertesto. La connessione è ulteriormente ribadita dalle partizioni interne dell’opera di Martial − organizzata «selon le rythme des trois nocturnes» [398] − e dal sistema di rubriche che ad esse si associa [399]. Tale assetto controbilancia il fatto che, tanto sul piano delle riprese letterali quanto sul piano del contenuto, il legame con il modello liturgico vada progressivamente affievolendosi: le Matines raccontano infatti la vita della Vergine sul modello primario della Legenda Aurea. Dall’analisi dei quattro manoscritti e dei numerosi incunaboli che trasmettono l’opera emerge che l’importanza di rubriche e partizioni interne è stata mal recepita nel corso della tradizione, incline a sopprimere gli elementi che riconnettono le Matines alla liturgia [399]. Gli inserti latini che costellano il testo rimangono invece estremamente stabili. Come accennato, il ricorso al latino da parte di Martial è dettato, oltre che da finalità strutturali, da finalità strettamente poetiche, di sperimentazione rimica e linguistica. Mettendo a frutto la sua ‘diglossia professionale’, Martial trae ispirazione dai tecnicismi del linguaggio giuridico (latino), derivandone calchi lessicali e costrutti morfologici del tutto inconsueti per il volgare [405-408]. L’ultimo saggio del volume, Gérard Gros, L’oraison mariale et son modèle. Étude sur l’insertion du texte latin dans la prière poétique en français (Louenges de Nostre Dame..., Paris, Michel Le Noir, s. d. [après 1506]) [411-440] è dedicato a quattro componimenti mariani bilingui figuranti nelle Louanges de Nostre Dame, edizione apparsa dopo il 1506 e derivante dalle Louenges a Nostre Seigneur, a Nostre Dame et aux Benoitz Sains et Saintes de Paradis pubblicate per i tipi di Antoine Vérard fra 1499 e 1503. I testi presi in conto sono: (1) Il componimento a versi alternati latino / francese La Vierge ou j’ay mis m’esperance [413-420]. G. studia il modo in cui il testo medievale − relato, oltre che dalle stampe, da quattro manoscritti, il più antico dei quali, Tours, Bibl. Mun. 948, forse ancora duecentesco − è ‘mis à jour’ nell’edizione di Le Noir. Dal confronto fra il testo a stampa e quello del codice di Tours (ma sarebbe stato interessante disporre di

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qualche informazione aggiuntiva in merito agli altri tre manoscritti) emerge come le edizioni abbiano un numero di strofe inferiore rispetto al ms. e abbiano sottoposto il testo a revisione lessicale «aux fins de modernisations de termes» [414]. La revisione non ha però intaccato il latino, che, «sauf inadvertance, ne souffre pas»: le varianti introdotte nelle edizioni di Vérard e Le Noir lo fanno anzi «gagner en concision, en variété, en expressivité» [420], e l’alternanza delle due lingue è meglio gestita nelle edizioni del Cinquecento che non nel ms. (2) L’esposizione in versi dell’Ave Maria di Jean Molinet, in sedici strofe di quattordici ‘octosyllabes’; ogni strofa si apre su una parola latina, e tali inserti alloglotti compongono, in acrostico, la prima parte dell’Ave Maria [420-426]. Molinet si muove sapientemente tra tradizione e innovazione, coniugando elementi del passato (ripresa della strofa di Hélinant; echi dei Miracles di Gautier de Coinci) con la nuova vena dei Rhétoriqueurs. (3) A vous dame, des cieuls royne et princesse, parafrasi in versi (undici strofe di otto ‘décasyllabes’ chiuse da un invio di sei versi) dell’Ave Maria in cui le lettere iniziali di ogni verso compongono l’incipit dell’Ave Maria [426-428]; la ‘mise en page’ dell’edizione di Le Noir, non adottando una disposizione in verticale dei versi, impedisce il riconoscimento dell’acrostico. (4) Salut a vous, Dame de hault paraige di Jean Lemaire, parafrasi del Salve Regina strutturata su un acrostico sillabico molto complesso: le sillabe formanti acrostico si collocano ora a inizio verso, ora dopo la cesura, percorrono la strofa in diagonale o vi disegnano delle figure. G. analizza le caratteristiche stilistiche del testo di Lemaire e mette a confronto la ‘mise en page’ della stampa con quella del ms., appartenuto a Lemaire e da lui commissionato, Paris, BnF, n. a. fr. 4061: qui le sillabe dell’acrostico sono messe in rilievo mediante inchiostro rosso, mentre nella stampa il gioco compositivo non è segnalato da alcun artificio tipografico. Muovendosi con agilità fra manoscritti e stampe e facendo interagire valutazioni di carattere storico-letterario con le problematiche relative alla tradizione e alla ricezione dei testi, G. apre nuovi orizzonti sulla letteratura mariana tardo-quattrocentesca, mettendo in debita luce sia i tratti innovativi che la caratterizzano, sia i legami che essa intrattiene con la tradizione medievale. Il presente volume rappresenta un sicuro progresso per lo studio del bilinguismo latino / francese nel Basso e Tardo Medioevo, e non è illecito credere che si porrà come punto di riferimento per gli studi a venire. I saggi in esso contenuti hanno il merito di illustrare come le dinamiche fra latino e volgare si articolino su una molteplicità di livelli e debbano essere affrontate per mezzo di un metodo il più possibile avvertito, che sappia tener conto, a un tempo, di come il confine fra latino e lingua romanza sia più o meno labile a seconda delle epoche e delle tipologie testuali, e di come la compresenza di due o più lingue possa essere ascritta ai più vari gradi di competenza linguistica e alle più varie finalità comunicative ed estetiche. I dodici contributi sanno in particolare associare riflessione lessicografica e in generale linguistica ad un’approfondita conoscenza della tradizione, manoscritta e a stampa, dei testi, e mostrano quali fondamentali apporti si possano ricavare dallo studio delle dinamiche di trasmissione delle opere del Medioevo e dall’analisi delle singolarità dei testimoni. Caterina MENICHETTI

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NÉCROLOGIE Colette DONDAINE (1921-2012)

Avec Colette Dondaine, décédée le 23 octobre 2012, ce sont deux siècles et demi de patois comtois qui se sont éteints. Elle était née à Breuchotte, petit village jouxtant Raddon – situé dans la vallée du Breuchin entre Luxeuil et Faucogney –, où ses parents étaient instituteurs. Son père, lui-même élevé par son grand-père, né en 1826, parlait un patois très archaïque, de cette région particulièrement reculée au fin fond du département de la Haute-Saône, adossée à la montagne vosgienne, entre le col du Mont-deFourche et le col des Croix, et dominée par le Ballon de Servance. Zone montagneuse, jadis bien peuplée, elle avait périclité dès le milieu du 19e siècle et était depuis le début du 20 e siècle en voie de désertification. Autant, de l’autre côté de la chaîne des Faucilles qui les sépare, la vallée de la Haute-Moselle, chère à O. Bloch, se retrouvait vivifiée par le trafic débouchant à Remiremont, puis à Nancy par Épinal, toutes les petites villes ayant été de surcroît repeuplées après 1871, par l’immigration d’Alsaciens quittant leur province annexée en franchissant le col de Bussang, autant le cul-de-sac comtois, dépendant au Moyen-Âge de la seigneurie de Faucogney, qui fut aussi la dernière poche de résistance à la conquête française de 1674 (et où les blessés, les femmes et les enfants, qui s’étaient réfugiés dans l’église, furent passés au fil de l’épée et l’église incendiée), vivait en autarcie. Aussi, terminant ses études à la Sorbonne, la jeune étudiante avait rédigé, en 1939-40, sous la direction de Ch. Bruneau, lui-même spécialiste des patois des Ardennes, un diplôme d’études supérieures sur cette région et plus particulièrement sur la frontière linguistique entre les parlers vosgiens et les parlers comtois 1. Dans le Paris occupé, où ils achevaient leurs études supérieures, elle unit sa destinée à Lucien Dondaine, un autre Haut-Saônois, dont la famille était de la région de Vesoul, et dont elle avait fait la connaissance avant-guerre, lors de l’oral du baccalauréat qu’ils avaient passé ensemble. Agrégation de grammaire en poche (lui en 1944, elle en 1947), ils furent bientôt nommés, au lendemain de la guerre, professeurs dans les lycées de Besançon. Une décennie plus tard, elle s’orientait vers une carrière administrative, en devenant, en 1959, directrice du Collège de Mont­joux (Annexe du lycée Victor Hugo). Le hasard vint la chercher. R. Loriot, professeur à l’Université de Dijon, qui présidait alors aux destinées de l’Atlas linguistique bourguignon, créé dans la série des Nouveaux Atlas linguistiques de la France, dirigée par A. Dauzat et P. Gardette, recherchait en

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La publication de ce mémoire, à laquelle C. Dondaine travaillait depuis plusieurs années, fournirait un beau complément à l’Atlas linguistique et ethnographique de la Franche-Comté, dont le maillage n’a pas retenu le cœur de cette petite région. En attendant on pourra se reporter à son article « La pénétration du lorrain dans le comtois du nord d’après les deux premiers tomes de l’ALFC », Vox Romanica 40, 1981, 171-178.

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NÉCROLOGIE

cette même année 1959, un enquêteur pour la partie comtoise de l’Atlas, et il fut informé de l’existence d’un mémoire s’y rapportant, soutenu en Sorbonne près de vingt ans plus tôt. Il en retrouva vite l’auteur et ce fut le début d’une douzaine d’années d’enquêtes effectuées, avec l’aide d’une subvention du CNRS, pendant les vacances scolaires par M. et Mme Dondaine, promenant leur caravane successivement dans chacun des 90 villages retenus comme points d’enquête dans le Doubs, le Jura, la Haute-Saône, le Territoire de Belfort, en débordant très légèrement sur la Haute-Marne, la Côte d’Or, les Vosges et la Suisse. Tout naturellement, dès 1960, elle fut appelée à l’Université de Dijon comme assistante, et elle y gravit tous les échelons de la carrière de Professeur. En 1969, à Strasbourg, sous la direction de Georges Straka, elle soutient sa thèse (Les parlers Comtois d’oïl, qui restera dorénavant l’ouvrage de référence sur le sujet), publiée en 1972 dans la Bibliothèque française et romane du Centre de philologie romane. Elle put alors se consacrer à la publication de son chef d’œuvre, l’Atlas linguistique et ethnographique de la Franche-Comté, 4 volumes parus entre 1972 et 1991, le quatrième (consacré à la morphologie et à la syntaxe) étant signé de Lucien Dondaine. En lui-même, cet Atlas est déjà l’une des meilleures réussites de cette admirable collection, par la richesse des matériaux et l’attention portée aux détails de la vie rurale, où l’on reconnaît aussi l’influence de l’abbé Garneret, dessinateur des planches ; mais il est aussi complété par un volume, qui fait défaut à la plupart des autres régions, une synthèse indispensable, le Trésor étymologique des mots de la Franche-Comté, éditée en 2002, pour ouvrir la BiLiRo, la collection des études qui accompagne désormais notre Revue. Ce volume sert d’index à l’Atlas mais permet aussi de brancher directement ses matériaux sur le FEW et le GPSR, les deux ouvrages historiques majeurs, qui permettent de situer chacune des formes patoises dans le cadre plus vaste du gallo-roman et d’intégrer ainsi le comtois dans le domaine de la linguistique romane. À côté de ces travaux des champs, elle menait aussi des travaux plus citadins et particulièrement bisontins, plus conformes à sa qualité de membre éminent de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Besançon. Elle avait ainsi préparé une thèse complémentaire consacrée aux Noëls bisontins, dont elle tira en 1997 un beau volume où les textes sont reproduits, accompagnés de la notation des airs, traduits et accompagnés d’une introduction grammaticale succincte et d’un glossaire, assez large, qui élucide magistralement les difficultés des textes en mettant en œuvre la compétence sans égale de l’experte en patois comtois. On retrouve les mêmes qualités dans son édition-traduction de La Jacquemardade, poème épi-comique bisontin de 1753, qu’on a lue, sous la signature de M. Gaiffe et de C. Dondaine, dans le numéro de l’année 2009 de la revue Barbizier. Jusqu’à l’été 2012, elle n’a pas cessé de travailler sur les patois comtois, l’occupation de toute une vie, une vie de devoir, où toute la passion était concentrée dans le travail de la dialectologue, conçu comme un sacerdoce. Mais cette rigueur extrême, alliée à une modestie de bon artisan, n’excluait pas le comportement amical, dont nous sommes plusieurs à porter témoignage. Elle laisse à la science et aux amis de la Franche-Comté le Trésor, recueilli au moment opportun et bien mis en ordre, d’un parler qu’elle aura vu mourir. Mais il en reste encore inexploités les monuments écrits, qui n’attendent que de trouver des lecteurs aussi passionnés qu’elle le fut ; ils pourront toujours puiser dans les travaux de Colette Dondaine des renseignements clairs et sûrs. Gilles ROQUES

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PETER SCHIFKO

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Peter SCHIFKO (1938-2012)

Peter Schifko, professeur de la chaire de linguistique romane ����������������������� à l’U������������������ niversité d’économie de Vienne, est décédé le 13 novembre dernier. Peter Schifko avait commencé sa carrière comme chercheur à l’institut de philologie romane de l’Université de Vienne. Il a écrit sa thèse de doctorat sur le subjonctif en français et en espagnol (Subjonctif und subjuntivo, Vienne, Braumüller, 1967) et sa thèse de doctorat d’État sur un sujet de sémantique structurale, l’expression des relations spatiales en langue française (Aspekte einer strukturalen Lexikologie : zur Bezeichnung räumlicher Beziehungen im modernen Französisch, Berne, Francke, 1977). C’est en 1981 qu’il a obtenu la chaire de linguistique romane à l’institut de langues romanes de la « Wirtschaftsuniversität Wien », à laquelle il a dédié toute son énergie jusqu’à sa retraite en 2000. Peter Schifko était spécialiste de linguistique espagnole et française, son domaine de prédilection était la linguistique synchronique, et sa préférence allait à l’approche structurale. Ses travaux les plus importants concernent d’une part la sémantique et de l’autre les langues de spécialité, surtout le langage économique. Il était persuadé que pour bien décrire une langue de spécialité, il fallait connaître à fond le domaine de spécialité décrit. En arrivant à l’Université d’économie, il s’est donc lancé dans l’étude des sciences économiques, ce qui lui a permis d’écrire deux manuels uniques en leur genre : Langage économique : éléments d’économie générale et Lenguaje económico : elementos de economía general (Vienne, Service-Fachverlag, 1989 et 1994). Il a toujours encouragé ses assistants à l’Université d’économie à ne pas se limiter à l’étude du langage économique, mais à se définir comme linguistes tout court, et à élargir et diversifier leurs compétences linguistiques. C’est ainsi que plusieurs de ses élèves ont pu accéder à des chaires de philologie romane. Peter Schifko était un membre très actif de notre Société, dont il fréquentait les Congrès avec assiduité. Il a pu y nouer des contacts scientifiques qui se sont doublés d’amitiés durables. Les travaux de Peter Schifko traduisent les qualités de son intelligence : il avait l’esprit clair, l’analyse fine, le raisonnement élégant. Quel que soit le problème, il ne perdait jamais de vue les tenants et les aboutissants, la structure générale, la vue d’ensemble du domaine de recherche concerné. Parmi ses publications qui valent toujours la peine d’être lues, on trouve son introduction à la sémantique, Bedeutungstheorie (Stuttgart, Frommann-Holzbog, 1975), ses articles sur le morphème zéro, « Zero in der allgemeinen und romanischen Sprachwissenschaft » (ZrPh 89/1973) et sur les jeux de langue, « Sprachspiel und Didaktik der Linguistik » (ZrPh 103/1987), ainsi que sa contribution

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NÉCROLOGIE

publiée dans le volume du LRL consacré à l’espagnol, « Lexikologie und Semantik ». On n’oubliera pas ses articles sur la nature et la définition des langues de spécialité (« ¿Qué hay de especial en las lenguas de especialidad? », dans Padilla Gálvez, 1998, El lenguaje económico et « ¿Existen lenguas de especialidad? » dans Bargalló, 2001, Las lenguas de especialidad y su didáctica) – autant de publications qui procurent à la lecture un plaisir intellectuel intense, combiné à la sensation de comprendre et de dominer enfin le domaine de recherche en question. Intelligent, modeste et chaleureux de caractère, Peter Schifko a dirigé pendant une décennie l’Institut de langues romanes de l’Université d’économie de Vienne, avec le calme, la tolérance et le bon sens qui lui étaient propres. Il y a laissé des traces, tant du point de vue humain que scientifique – même si à l’époque on ne ressentait pas son influence. Il nous a pourtant tous marqués, et il nous manquera. Notre deuil se joint à celui de sa famille. Eva LAVRIC

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CHRONIQUE CILFR2010 DE VALENCIA Querido congresista, Ya hemos terminado la preparación de las actas del congreso y ya han sido publicadas por la editorial de Gruyter. También como prometimos hemos editado un CD con las actas, para que todo congresista pueda leer su contenido, de acuerdo con lo que decimos en su presentación: «El present CD-ROM clou el treball del Comité organitzador del 26é CILFR2010, celebrat a València l’any 2010. A la fi d’esta experiència intensa de quatre anys, nosaltres tenim la convicció que l’aprofitament d’un congrés de Romanística consta de dos parts: una, la convivència i el contacte entre col·legues, entre escoles i metodologies diferents, entre professors consagrats i jóvens, entre estudiosos de distints països i llengües, entre filòlegs sincrònics i diacrònics i l’assistència a les ponències i comunicacions de la matèria de cadascun dels participants; l’altra, la lectura reposada i comparada dels textos originats pel congrés, on es pot pausadament analitzar la manera d’enfocar els problemes no resolts de la Lingüística, la rica bibliografia usada i començar nous estudis incitats pels treballs presentats. Per això nosaltres estem satisfets de poder acabar la nostra tasca amb la publicació d’un CD d’ús privat per a totes les persones que han participat al congrés de València. Este CD-ROM, que conté tots els materials seleccionats pels diferents comités científics, es fa amb la idea que servisca d’aprenentatge i per a suplir la dificultat que tenen molts investigadors, departaments i països d’adquirir les actes publicades per l’editorial De Gruyter. El nostre plaer és més gran encara d’haver pogut realitzar la nostra idea a pesar de la difícil situació econòmica que viu València i Espanya perquè sempre ens han ensenyat a complir els nostres deures i a lluitar pels nostres ideals en qualsevol situació per difícil que siga. Benvolgut congressiste, esperem que et siga útil este CD-ROM com a instrument de progrés en la teua formació lingüística, d’avanç en la ciència lingüística i de treball harmoniosament conjunt entre tots els romanistes. Deixem ben clar que el CD té el mateix contingut que les actes oficials que publica l’editorial De Gruyter, com és tradició, però és un material sense ISBN, amb una paginació diferent, per a ús particular, que no es pot copiar ni imprimir per a ús alié. Amb ell, la Universitat de València dóna per acabat el 26é CILFR2010. Gràcies per la seua participació i comprensió.»

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CHRONIQUE

Pero no tenemos capacidad económica ni humana para enviarlo a todos ustedes. Por ello le proponemos tres posibilidades de recogida del CD: (a) Que lo recojan durante el CILFR 2013 de Nancy (en el bureau de la Société de Linguistique Romane), personalmente. (b) Que lo recojan durante el CILFR 2013 de Nancy (en el bureau de la Société de Linguistique Romane), mediante un colega o amigo y un escrito de autorización para ello. (c) Que nos envien su dirección postal, a la dirección eléctronica ‹lluí[email protected]›, comprometiéndose a pagar el envío por contrareembolso directamente en el correo de su país. Gracias por su comprensión Agradecidos por su participación en Valencia Emili CASANOVA Cesáreo CALVO RIGUAL

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La métaphonie romane occidentale*

1. Introduction Il y a quelques années, Fernando Sánchez Miret (2008) montrait de façon implacable le désordre qui règne dans les études de phonologie diachronique romane à propos d’une série d’évolutions de voyelles toniques, telles que celles de f ēci > fr., aocc. fis, cat. fiu (aussi esp. hize), f ŭ(i)sti > afr. fus, aocc., acat. fust (aesp. fuste), lĕctu > fr. lit, aocc. lieit/liech, cat. llit (mais esp. lecho), fŏlia > fr. feuille, aocc. fuelha, cat. fulla (mais esp. hoja). En effet, la littérature nous offre une terminologie très variée et parfois déroutante, un même phénomène n’est pas traité de la même façon dans les différentes traditions nationales et on ignore souvent ce que la comparaison peut offrir à la reconstruction diachronique. Je voudrais démontrer ici que tous ces phénomènes peuvent trouver une explication unitaire dans le cadre d’un modèle que la grammaire de Lausberg a d’une certaine façon rendu standard chez les romanistes 1 : il s’agit d’une diphtongaison des voyelles mi-ouvertes et d’une fermeture des voyelles mifermées, toutes deux conditionnées par les sons qui suivent 2. Ce modèle doit à mon avis être corroboré par les précisions suivantes :

*



1



2

Je remercie Yan Greub et Giovanni Palumbo pour leurs commentaires portant sur une version précédente de cet article, et Anna Constantinidis, pour sa révision linguistique. Ce n’est pas le cas pour la discipline et la pratique universitaire de la phonétique historique du français, enfermée dans une dimension monolinguistique. Cf. Morin 2003, en particulier pp. 163sq. Lausberg (1971, §§ 198, 205 et 274) partage l’hypothèse de Schürr (1936 ; 1955-1956) selon laquelle la diphtongaison spontanée serait une extension analogique de cette diphtongaison conditionnée ; pour ma part, je crois qu’il s’agit d’un processus successif qui s’est développé indépendamment dans les différentes variétés (cf. Voretzsch 1900, 632 ; Wartburg 1967, 69 ; Křepinský 1958, 317 ; Lüdtke 1955, 225 ; Hafner 1955, 186 ; Hilty 1969 ; Pfister 1970 ; Loporcaro 2011, 120sqq.). Bien qu’elles divergent dans l’attribution des différents cas à l’un ou à l’autre processus, les grammaires historiques du français (Meyer-Lübke 1934, § 56 ; Richter 1934, §§ 110 et 155 ; Fouché

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MARCELLO BARBATO

(1) l’action sur les voyelles, souvent attribuée aux consonnes palatales, doit être attribuée à la semi-consonne palatale (yod), donc à une phase antérieure à la phonologisation des consonnes palatales 3 ; (2) l’effet produit par yod (et waw) et la métaphonie par -i, -u ne sont pas deux phénomènes distincts 4 : il s’agit du même processus métaphonique, déclenché, comme en germanique, tant par une voyelle haute que par la semi-consonne  5 ; (3) ce processus frappe d’abord les voyelles mi-ouvertes, ensuite les voyelles mi-fermées 6.

Les deux premiers points ont déjà été établis par Voretzsch en 1900 à propos de l’ancien provençal. Après une analyse détaillée, il constate (p. 615) : « dass Konsonanten an und für sich keine Diphthongierung hervorrufen, weder Explosiva noch Reibelaut noch Liquida, sondern nur vokalisches und halbvokalisches i und u nebst verwandten Lauten » 7. Plus loin (p. 642), il établit une relation entre diphtongaison et fermeture (Umlaut). Quant au troisième point, sur la base de considérations internes et externes (ibid. 643), il croit – au contraire de ce qu’on va essayer de démontrer – que la fermeture des voyelles mi-fermées est plus ancienne que la diphtongaison des voyelles mi-ouvertes.

3



4



5



6



7



1952-1961, 288-292 ; Bourciez/Bourciez 1967, § 50) considèrent unanimement que la diphtongaison conditionnée est postérieure à la diphtongaison spontanée. Pour l’indécision entre yod et consonne palatale dans les approches traditionnelles, voir Pensado 1985, 639 et n. Par -i, on entend la voyelle longue du latin qui est passée à /i/ avant de s’effacer ; par -u, la voyelle brève qui a échappé, au moins pour un certain temps et dans certaines variétés, à l’ouverture en /o/ (cf. infra). C’est aussi l’idée de Schürr, en ce qui concerne la diphtongaison (cf. aussi Hilty 1969 et Pfister 1970). Sur la base de considérations géolinguistiques, Wüest (1979, 119120) soutient que la métaphonie par -i, -u est un phénomène plus ancien que l’effet produit par yod. Selon Lüdtke (1956, 99) et Lausberg (1971, § 192), « l’harmonisation à distance » a précédé « l’harmonisation au contact ». À propos de la métaphonie par -i et -u, Maiden (1991, 126-129) trouve que la norme est plutôt le contraire. Lausberg (1947, 1950) et Lüdtke (1956) croient qu’en latin les voyelles moyennes étaient sujettes à une fermeture métaphonique ; après la constitution du système vocalique roman, la métaphonie se serait étendue analogiquement aux nouvelles voyelles mi-fermées. Contre l’idée que la métaphonie est antérieure à la constitution du système vocalique roman, cf. cependant Wartburg (1967, 20) et Loporcaro (2011, 127 et n.). La seule métaphonie latine qu’on peut reconnaître avec certitude est celle de ōstiu > *ūstiu, bēstia > *bīstia. Voretzsch formule même une critique prophétique d’une hypothèse « à la Schürr » (cf. n. 2) : voir p. 631 « Diese Hypothese – sollte sie einen Vertreter finden oder gefunden haben – ist für das Französische unbedingt abzulehnen. Die Analogie hätte dann in einem Umfang wie sonst kaum jemals gewirkt […] », avec les considérations raisonnables qui suivent.

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LA MÉTAPHONIE ROMANE OCCIDENTALE

Il faut constater qu’au lieu d’élargir ces acquis dans une perspective plus large, la recherche ultérieure a morcelé le cadre de la question. Les investigations dont on dispose, même excellentes, ou bien s’appliquent à une seule langue, ou bien traitent un seul aspect de la question (par exemple la diphtongaison et pas la fermeture ; la métaphonie par -i, -u et pas l’effet de yod ; les voyelles antérieures et pas les postérieures), quand elles ne cumulent pas les deux limitations. Notre hypothèse, par contre, a un triple avantage : (1) elle permet d’expliquer les résultats des voyelles mi-ouvertes et ceux des voyelles mi-fermées ; (2) elle intègre les évolutions vocaliques et consonantiques dans une chronologie unique ; (3) elle s’applique à toutes les variétés romanes occidentales, y compris les variétés ibéro-romanes (c’est-à-dire de l’Iberia). Comme une étude à part est consacrée à ces dernières, on se concentrera ici sur les variétés galloromanes, romanes alpines et gallo-italiennes. Voici le cadre de la diffusion des changements impliqués 8 : français9

romanche13

ladin14

-

-

-

+/-

+

-

+

+

+

+

+

+

(3)

+

+

+

+

+

+

(4)

+

+

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+

+/-

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(5)

+/-

+/-

+/-

+/-

-

-

(6)

-

-

-

-

-

-



9



11



12

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it. sept.12

(1)





13

occitan11

(2)

8

10

frpr.10

Bibliographie générale : REW et FEW, s.vv. ; Schürr 1955-1956 ; Lausberg 1971, §§ 172, 196-207, 481, 484, 720, 763, 905 ; Hilty 1969 ; Wüest 1979 ; Sánchez Miret 1998. Meyer-Lübke 1934, §§ 51, 52, 56, 58 ; Bourciez/Bourciez 1967, §§ 49, 50, 69, 70 ; Fouché 1952-1961. Hafner 1955, §§ 2, 5, 22-25, 43. Voretsch 1900 ; Anglade 1921, 60sqq., 78sqq. ; Pfister 1970 ; Ronjat 1930-1941, §§ 67, 81-91, 99-104. La situation est foncièrement la même en gascon, cf. Millardet 1910, 614sqq. ; Rohlfs 1970, 118. Rohlfs 1966-1969, §§ 53, 71, 74, 96, 112, 117, 274, 281, 283, 575, 971 ; Maiden 1991, ch. 6. Lüdtke 1955 ; Eichenhofer 1999. Kramer 1977 (je cite les formes de la Val Gardena). Quant à la diphtongaison, il est impossible de vérifier les conditions du frioulan, qui a diphtongué tout /ɛ ɔ/. Toutefois, il ne semble pas avoir de traces de fermeture métaphonique (cf. Benincà 1989 et 1995).

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MARCELLO BARBATO

(1) diphtongaison des voyelles mi-ouvertes par -u ; (2) diphtongaison des voyelles mi-ouvertes par -i ; (3) diphtongaison des voyelles mi-ouvertes par yod (et waw) ; (4) fermeture des voyelles mi-fermées par -i ; (5) fermeture des voyelles mi-fermées par yod (et waw) ; (6) fermeture des voyelles mi-fermées par -u.

Je dois préciser que, dans cette perspective, ce qui est important n’est pas que le phénomène en question soit systématique, mais bien qu’il apparaisse dans une certaine aire. Il suffit par exemple de consulter Rohlfs ou Ronjat pour se rendre compte que toutes les variétés occitanes et gallo-italiennes ne sont pas soumises aux mêmes conditions : il y a des variétés où la diphtongaison ne se produit pas, ou pas dans tous les contextes ; dans d’autres variétés, il peut y avoir variation libre ou diffusion lexicale. Tout cela doit naturellement faire l’objet de travaux monographiques et ne peut donc trouver sa place dans une vue à vol d’oiseau comme celle qui est proposée ici 15. Il est impossible aussi de traiter du processus de diphtongaison dans tous ses détails. Je me limite donc à avertir que les diphtongues ont souvent été monophtonguées dans la suite de l’évolution, p.ex. fr. feuille, sursilv. fegla, engad. fögla, posch. ['føʎa], etc. 16.

2. Les données (1) Diphtongaison des voyelles mi-ouvertes par -u. Ce processus est caractéristique du romanche, cf. par exemple sursilv. grŏssu > gries - grŏssos > gross, aucĕllu > utschí - aucĕllos > utschials. En Italie du Nord, il est restreint à des variétés lombardes alpines, par ex. ticin. ['nøs] - ['nosa], ['bel] ['bɛla], ossol. ['nest] - ['nosta], ['bil] - ['bela] ‘le/la nôtre’, ‘beau/belle’ (Lüdtke 1956, 115). Mais il laisse aussi des traces dans les autres variétés : (a) Dans le cas de voyelle tonique en hiatus avec -u : dĕu > aocc., afrpr., fr. Dieu, judaeu > afr. juieu, aocc. juzieu, Matthaeu > aocc. Mat(h)ieu, fr. Mathieu, m ĕu(m) > aocc. mieu, fr. mien, *tŏum > afr. tuen, etc. 17. Bien sûr, les formes françaises et francoprovençales pourraient aussi s’expliquer par la diphtongaison spontanée, mais il paraît Je dois également renoncer à un contrôle philologique des sources. Pour les alternances uo/ue/u et ie/i en ancien occitan, cf. Pfister 1970 ; pour la variation diatopique des résultats de ĕ + yod en ancien français, cf. Pfister 2002. 17 En ancien provençal, la forme *tuou a été remplacée par un tieu analogique. Pour une plus riche documentation sur l’évolution de la voyelle en hiatus, je renvoie à Barbato (2010a, 18-19 ; 2010b, 40-44 et 60), où l’idée de la diphtongaison métaphonique n’est toutefois pas encore développée. 15 16

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LA MÉTAPHONIE ROMANE OCCIDENTALE

peu économique de les séparer des formes du provençal, variété qui – faut-il le rappeler ? – ne diphtongue pas les voyelles en syllabe ouverte. (b) Lorsque la consonne intervocalique est une vélaire : cŏcu > afr. cueux, aocc. cuoc/ cuec, fŏcu > fr. feu, afrpr. fue, aocc. fuoc/fuec, innŏc(u)u > aocc. enuoc, iŏcu > fr. jeu, afrpr. jue, aocc. juoc/juec, l ŏcu > fr. lieu, afrpr. lue, aocc. luoc/luec ; et parfois une labiale : ŏpus > afr. ues, aocc. uops, *trŏppu > aocc. truep (et par analogie prŏpe > pruep) 18. Cette diphtongaison ne peut pas toujours être distinguée de la diphtongaison spontanée en français et francoprovençal, mais sa nature distincte apparaît dans les variétés où le résultat de la diphtongaison spontanée de ŏ, au lieu de se superposer à celui de la diphtongaison métaphonique, se confond avec celui de ō (Hafner 1955, 114) : ŏ[

ŏcu

afrpr.mérid.

ue

ue

a.fribourg.

ou

uo

Les formes nŏvu > aocc. nuou/nueu, *ŏvu > aocc. uou/ueu, bŏve > aocc. buou/bueu, pourraient rentrer aussi bien sous b) que sous a), si l’on suppose des bases *nŏu, *ŏu, *bŏu  19 ; lorsque /e/ final est tombé, se sont ajoutés par analogie br ĕve > aocc. brieu, *gr ĕve > aocc. grieu, lĕve > aocc. lieu, mŏvet > aocc. muou/mueu 20. Des conditions similaires se retrouvent dans certaines variétés gallo-italiennes, qui ignorent aussi bien la métaphonie par -u que la diphtongaison spontanée. À Isolaccia, Valtellina (Rohlfs 1966-1969, § 113) : ŏc(u)lu,

'øʎ

-i

ŏssu

*ŏssi

mŏla

fŏcu

jŏcu

'ɔs

'øs

'mɔla

'føk

'dʒøk

(2) Diphtongaison des voyelles mi-ouvertes par -i. Bien qu’il n’en reste que peu de traces à cause de la disparition des formes flexionnelles en -i, ce processus a été général en galloroman, cf. h ĕri > fr. hier, aocc. ier, *illaei > aocc., afrpr. liei, afr. li, m ĕi > aocc. miei 21, vendĕdi > aocc. vendiei, fr. vendi, Il faut remarquer avec Reinchenkron (1934, 165) que seul /ɔ/ est concerné par la diphtongaison avant labiale/vélaire + -u. On attribuera donc graecu > afr. grieu à la diphtongaison spontanée (la forme aocc. grieu donnée par le REW est fautive). 19 Cf. hoc oum dans Probe, bobus dans la Mulomedicina Chironis. 20 Selon la succession *['brɛe] > *['brɛ] > *['brɛw] (cf. cat. breu) contre fr. *['breve] > *['brev] > brief. Mais il est aussi possible que brieu, grieu, lieu doivent leur diphtongue au *-i du pluriel, et muou à l’analogie de *mŏvio (Reichenkron 1934, 161-164). 21 En réalité, on s’attendrait à des formes métaphoniques au cas sujet pluriel (*ŏssi, apĕrti), mais l’analogie a confondu ces formes avec celles du régime singulier.

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MARCELLO BARBATO

*vendĕ(di)sti > aocc. vendiest, français très ancien vendies, st ĕtui > afr. *[es'tewi] > estui, *mŏvui > afr. *['mowi] > mui, aocc. *['mogwi] > muec, pŏtui > aocc. puec, vŏlui > aocc. vuelc, etc. 22. Encore une fois, le parallèle du provençal pousse à exclure qu’une diphtongaison spontanée ait eu lieu en français, diphtongaison qui n’expliquerait d’ailleurs pas la forme vendies. Même si elles pourraient aussi bien être l’effet de la diphtongaison spontanée 23, Kramer attribue les formes ladines suivantes à cette même origine métaphonique : m ĕi > ['mi], bĕlli > ['bie], mart ĕlli > [mar'tie], in + h ĕri > [i'nier]. En sursilvan, il ne reste que ier < h ĕri. Le phénomène est mieux représenté en gallo-italien, où ce sont les pluriels en -s qui ont disparu : par ex. ticin. aviert ‘ouverts’, valses. ['nøf] ‘nouveaux’, valtell. ['øs] ‘(les) os’, etc. (3) Diphtongaison des voyelles mi-ouvertes par yod (et waw). Comme le montrent les cas de sursilv. pir < pĕior, miez < m ĕdiu, feglia < fŏlia, sis < sĕx, queissa < cŏxa 24, la diphtongaison par yod a bien existé en romanche, même si elle a parfois été effacée par des nivellements analogiques. En ladin, cette diphtongaison est évidente dans le cas de /ɔ/, qui normalement ne se diphtongue ni en syllabe fermée (cf. cŏllu > ['kɔl]) ni en syllabe ouverte avant -a (*nŏra > ['nɔra]) : hinc + hŏdie

fŏlia

ŏc(u)lu

cŏctu

cŏxa

*jŏvia

'kue

'fuea

'uedl

'kuet

'kuesa

'ʒueba

Pour l’Italie du Nord, voir par exemple tic. miei ‘mieux’, miez ‘mi’, valses. ['vøj] ‘je veux’, [a'køj] ‘aujourd’hui’, valtell. ['øʎ], etc. De façon générale, le yod qui est présent dans les bases latines avec j (gj, dj), lj, nj, cl (gl), gn, x, ct, rj, sj, mj, vj (bj), pj agit 25, cf. par exemple aocc. miei < m ĕdiu, fuelha < fŏlia, engien < ingĕniu 26, vielh < v ĕclu, lieit < lĕctu, sieis < sĕx, cuer < cŏriu, cerieiza < *cer ĕsea ; avec pj, on a aocc. apropcha < Pour les formes des parfaits cf. Wahlgren 1920, 103 ; Fouché 1967, 314. En ladin, /ɛ/ connait en effet une diphtongaison spontanée en syllabe ouverte et fermée. Pour la conservation spéciale du pluriel en -i cf. Mourin 1964, 338-340. 24 Cf. aussi tscheriescha à côté de tscherescha < cer ĕsea, plievgia < *pl ŏvia, siemi < sŏmniu (Eichenhofer 1999, § 59, 156, 190). Le romanche ne connait pas de diphtongaison inconditionnée. 25 On suppose la vocalisation de cl, gl, gn, ct, x en [jl], [jn], [jt], [js] (Lausberg 1971, §§ 422, 433, 441, 444) et la confusion de j, gj, dj en [j] (Straka 1965, 137). 26 Cette forme est plus rare que engenh, où la nasale a peut-être fermé la voyelle (Voretzsch 1900, 612), mais elle est bien attestée (cf. FEW 4, 685 et 687). Voir aussi fr., afrpr. engin < *engiein. 22

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LA MÉTAPHONIE ROMANE OCCIDENTALE

*adprŏpiat, sans doute par « Stammausgleich » (Voretzsch 1900, 612), mais des formes diphtonguées (aprueche, reprueche) sont attestées en ancien français (Fouché 1952-1961, 238) ; pour vj cf. fr. liège < *lĕviu, cierge < cĕrvia 27. Par contre, le yod qui est présent dans les bases avec tj, cj (aocc. pretz < pr ĕtiu, forsa < fŏrtia) n’agit pas, à part dans les cas de pr ĕtiu > fr. prix, afrpr. pri(e)s, t ĕrtiu > fr. tiers, afrpr. tierz, pĕttia > fr. pièce, afrpr. pieci, n ĕptia > fr. nièce, afrpr. nieci, spĕcies > fr. épice, Graecia > afr. Grice. On pourrait attribuer certaines formes du français et du francoprovençal à la diphtongaison spontanée (cf. Meyer-Lübke 1934, § 56 ; Richter 1934, §§ 110 et 155 ; Bourciez/Bourciez 1967, § 49 et 69), mais il semble difficile d’expliquer le type à syllabe fermée t ĕrtiu, le type pĕttia, avec géminée étymologique, ainsi que le type fŏlia, où les données comparatives montrent que le yod a géminé la consonne (Lausberg 1971, §§ 463, 464 et 472) 28. En outre, il existe en Suisse une aire qui maintient la distinction entre les diphtongues métaphoniques et les diphtongues spontanées de /ɛ ɔ/, qui se sont confondues avec celles de /e o/. Déjà en ancien fribourgeois (Hafner 1955, §§ 2, 5, 22 et 23) : + conditionnée

v ĕt(u)la > vielli

cŏriu > cuor

- conditionnée

lĕp(o)r- > leyvra

mŏla > moula

Dans les patois (Wüest 1979, 182 ; cf. déjà Hilty 1969, 97) : + conditionnée

pĕttia > ['pjesə]

- conditionnée

m ĕle > ['mae]

ŏc(u)lu

> ['we]

nŏvu > ['nao]

Pour ce qui est de l’effet du waw, on trouve peut-être une diphtongaison dans *sĕquo > afr. sieu, aocc. siec 29 ; dans ĕqua > afr. ive, frpr. ['ivə] (GPSR 7,

On n’a pas d’exemples avec mj et gn, mais la comparaison avec les variétés ibériques (Barbato, ms. a) nous permet de les ajouter à la liste. Je laisse de côté gr et dr, où la formation de yod est moins générale. On sait que dans une partie de l’Italie du Nord et de l’Engadine, ct a donné [t] : il faudrait étudier la corrélation entre ce résultat et la (non-)diphtongaison. Il est intéressant de remarquer qu’en ladin on a une diphtongaison avant ct > [t], x > [s], cl, gl > [gl] > [dl] : faut-il supposer même dans cette variété une étape avec yod ? Cf. aussi aocc. suegra < sŏc(e)ra, qui fait penser à une vocalisation *['sɔjra]/*['sɔwra], ensuite régressée. 28 Voir cependant les essais de Fouché (1952-1961, 236) et de Sánchez Miret (1998, 229231). 29 Mais la diphtongaison – qui se retrouve aussi en ancien francoprovençal (Hafner 1955, 163) – pourrait s’expliquer par le yod de *sequio (Reichenkron 1934, 165). 27

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MARCELLO BARBATO

150) 30 ; dans le celtisme leuca > fr. lieue 31 ; dans les germanismes *fehu > afr., aocc. fieu, a.dauph. fie, *speot- > afr. espiet/espieu 32, aocc. espieut, *streup- > afr. estrieu/estrief, aocc. estrieu(p), *treuwa > afr. trieue 33. Il faut toutefois noter que ces germanismes pourraient être d’origine septentrionale 34, et donc avoir acquis leur diphtongue lors de la diphtongaison spontanée du français. On ne saurait tirer trop de conclusions de la troisième personne des parfaits en -ui, car on ignore dans quelle direction a agi l’analogie : f ēc ī

f ēcit

*mŏvu ī

*mŏvuit

afr.

fis

fist

mui

mui

aocc.

fis

fets

muec

moc

L’opposition entre la première et la troisième personne a-t-elle été étendue en provençal (*muec > moc) ? Ou, y a-t-il eu en français une tendance générale à niveler les paradigmes (*fest > fist, *moi > mui) ? (4) Fermeture des voyelles mi-fermées par -i. Là aussi, on n’a que peu de traces dans les variétés transalpines (point de vue : Rome) : *tōtti > aocc., afr. tuit 35, (ecce +) *ĭsti, *ĭlli > aocc., afr. (c)ist, (c)il, cŭi, *illŭi, *dŭi, f ŭi > afr., aocc. cui, lui, dui, fui, *f ŭsti > aocc. fust, fr. fus, -ĭsti > afr. -is, f ēci > fr., aocc. fis, *pr ēsi > fr., aocc. pris, *v ēnui, *t ēnui > aocc. vinc, tinc, v ēni, *t ēni > afr. vin, tin 36. En ladin, on ne recense que eccu + ĭsti, ĭlli > ['kiʃ], ['ki], et en romanche, la désinence aengad. -ist < -ĭsti (Mourin 1964, 251sqq.), qui pourrait être analogique 37. La métaphonie par -i était jadis générale en Italie Mais on pourrait aussi croire à une action de [j] plutôt que de [w] : ĕqua > *['ɛjwa] > *['jewa] > ive ; cf. aqua > ['ajwa] > afr. eve, frpr. ['evə] (GPSR 7, 12). L’occitan a le type ega sans diphtongue ; la forme gega citée par le FEW – correspondant à « Cout. Azun » de Lv – s’explique par la diphtongaison de /ɛ/ initial en gascon, cf. land. ['jɛrbə] < h ĕrba (Millardet 1910, 620). 31 L’aocc. legua présuppose la métathèse *lecua. 32 Pour cette double forme voir FEW 17, 178. 33 L’aocc. tregua présuppose *trewa. 34 Outre les entrées relatives du FEW, voir à ce propos Pfister 1973, en part. p. 147. 35 Pour la disparition de la métaphonie dans les formes de cas sujet pluriel, voir supra, n. 21. Il en reste encore quelques exemples en ancien provençal, p.ex. capĭlli > cabil (pour un report détaillé, voir Pfister 1970). Je laisse de côté les dérivés de vigĭnti, où la présence de /i/ peut avoir une autre explication (cf. it. dĭgitu > dito). 36 En ancien français ajoutons aussi dēbui > *['diwi] > dui, bĭbui > *['biwi] > bui, etc. (Fouché 1967, 314). 37 Est-ce suffisant pour attribuer le phénomène à ces variétés ? Voir aussi plus bas, n. 43. 30

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LA MÉTAPHONIE ROMANE OCCIDENTALE

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du Nord, bien que, pour des raisons analogiques, elle ait complètement disparu dans certains dialectes : a.lomb. pisci < pĭsci, nigri < n ĭgri, multi < m ŭlti, ascusi < *abscōsi. Pour les variétés modernes, voir p.ex. Val Maggia ['vɛrd] ['vird] ‘vert, verts’, ['forn] - ['fyrn] ‘four, fours’, valses. ['mɛs] - ['mis] ‘(le) mois, (les) mois’, etc. (5) Fermeture des voyelles mi-fermées par yod (et par waw). De façon générale, il n’y a fermeture pour aucune des bases mentionnées (cf. p.ex. aocc. trist ĭtia > tristesa, *tr ĭchea > tresa, corr ĭgia > coreia, consĭliu > conselh, stam ĭnea > estamenha, apĭc(u)la > abelha, sĭgnu > senh, str ĭctu > estreit, bŭxu > bois, - ōriu > -or, cer(e)v ĭsia > cerveza, rŭbeu > roge, sēpia > sepcha, vindēmia > vendemnha). On compte toutefois quelques exceptions : a(u)gŭriu

it. sept.a. agur (LEI 3, 2302sq.), aocc. aür, afr. eür

cēreu

it. sept.a. cirio 38, aocc. cire, ciri, cirge, frpr. cirjo, fr. cirge 39

ēbriu

fr. ivre, aocc. ivri 40

*lŭ tria aocc. luiria, frpr. luire, it. sept. lüdria *kr ĭppia

aocc. crupi, it. sept. cripia 41, gripia, grupia (AIS 1168)

sēpia

aocc. sipia, Menton supia (Faré)

vindēmia

occ. vindimia, vendumia, it. sept. vendümia (AIS 1316cp) 42

condŭct-

aocc. conduch, fr. conduit

trŭcta fr. truite, it. sept. trüta

Seul le français a lutte (afr. luite) < lŭcta, puits < pŭteu et cuivre < cypriu. On peut laisser de côté buis < bŭxu, car c’est seulement à partir du XVIIe siècle que le type originaire bouis a été « langsam durch einfluß von buisson zu buis umgewandelt » (FEW 1, 667) ; et busse < bŭttia, qui est une modification de bosse « durch einwirkung von cuve » (ibid. 659) 43. Cf. Salvioni 1890, s.v. Mais en français et francoprovençal, la fermeture pourrait s’expliquer par l’influence de cēra > cire, ciri. Le vocalisme de la variante fr. cierge reste sans explication (FEW 2, 605). 40 Il n’est pas nécessaire de postuler une base avec ĕ (FEW 3, 201). 41 Déjà en ancien pavois (Salvioni 1890, s.v.). Afin d’expliquer /y/, Wartburg (FEW 16, 391) pense à une alternance germanique kripp-/krupp-, mais il me paraît plus probable qu’il y ait eu labialisation de la voyelle haute avant consonne bilabiale, cf. plus bas, supia et vendumia. 42 La forme vendimia attestée dans un document vénitien-dalmate de 1371 (Dotto 2008, s.v.) et l’istr. sipa peuvent s’expliquer par un processus spontané de fermeture. 43 Le frioulan a condut (à côté de condòt), trùte, lùte mais vendème, sèpe, grèpie, trèp < tr ĭ viu (Pirona/Carletti/Corgnali 1967). En ladin, on a condüta, trëve et vendèmia, qui est évidemment un « schriftsprachlich[er] Italianismus » (EWD). En romanche 38 39

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MARCELLO BARBATO

Les bases cĭlia (-um), m ĭliu, str ĭgile, t ĭlia (-um), t ĭnea, lĭgnu (-a), p ŭgnu, sont particulièrement capricieuses. L’ancien provençal affiche une alternance celha/cilha, melh/milh, telh/tilh, estrilha/estrelha, tegno/tigno, lenh/linh, ponh/punh. En incluant les formes anciennes et dialectales, on découvre que le français, outre cil, a aussi mil/meil, til/teil, étrille/étreille, tigne/teigne, lin/ leigne 44. Dans tous ces cas, on connaît aussi des résultats avec /i/ et /u/ en Italie du Nord, par ex. ver. (Raldón) ['sije] (AIS 102, p. 372), emil.occ. (San Secondo parm.) ['mij] (AIS 1467cp, p. 413), emil.occ. (Sologno) ['tijj] (AIS 580, p. 453), gen. ['tia] (AIS 684, p. 178), APiem. (Villafalletto) ['stria] (AIS 1242, p. 172), tic.alp.occ. (Aurìgeno) ['li] (AIS 541, p. 52), ven.merid. (Crespadoro) ['puo] (AIS 1679cp, p. 362) 45. Il y a probablement fermeture de /e/ par waw dans r ē(g)ula > afr. riule, t ē(g)ula > afr. tiule, a.lim. tible (FEW 13, 153) 46, qui ont attiré n ĕ(b)ula > afr. niule 47. Quant aux parfaits en -ui, la fermeture en français dēbuit > *['diwet] > dut, bĭbuit > *['biwet] > but, etc. pourrait encore une fois être due à l’analogie de la première personne (on n’a pas de fermeture dans *v ēnuit, *t ēnuit > aocc. venc, tenc). (6) Fermeture des voyelles mi-fermées par -u. Dans la Romania occidentale, ce phénomène se retrouve presque uniquement en asturien (cf. Barbato, ms. a). La seule trace en gallo-roman en est probablement sē(b)u > *['seu] > afr., afrpr. siu (FEW 11, 358) 48, occit. siu (ibid. 359) 49.

3. Reconstruction À présent, comment expliquer les différents résultats exposés ? Le premier facteur est l’ouverture décalée de -u :



44



45



46 47



48 49

(sursilv.) – où /e/ roman commun donne /e/, /o/ roman commun donne /u/ – on a régulièrement a(u)gŭriu > agur, ēbriu > eiver, lŭcta > lutga, quadrŭ viu > cadruvi (plus l’italianisme vendemia). L’hypothèse de Meyer-Lübke (1934, § 52), selon laquelle il y a un conditionnement de la structure du mot (cil vs merveille), ne trouve donc pas confirmation à plus grande échelle. Cf. aussi Philipon 1918-1919 ; Castellani 1961, 80-81. On ne trouve de fermeture en ladin et en frioulan que dans p ŭgnu ; en romanche, il n’y en a pas du tout (REW ; Kramer 1977, 145 ; Eichenhofer 1999, § 201). Où représente probablement [w]. La qualité fermée de la voyelle semble assurée. En ancien français, les trois mots affichent une alternance i/ie, mais [e] pourrait être un « übergangslaut » (FEW 10, 223) : niule > nieule. Cf. aussi it. n[e]bbia. À côté de sieu, sans doute avec voyelle de transition (cf. n. précédente). À côté de seu < *['se] < sēbu (cf. n. 20).

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LA MÉTAPHONIE ROMANE OCCIDENTALE

métaphonie

ouverture de -u

¦

¦

¦

en fr., frpr., occit., lad., it. sept. (partie)

¦

¦

de /ɛ ɔ/

¦

¦

¦

¦

en romanche, it. sept. (partie)

de /e o/

¦

¦

¦

331

Dans la plupart des variétés, -u n’a pas d’effet métaphonique, car il s’est déjà ouvert en [o] : c’est aussi le cas du catalan, de l’aragonais et du castillan, dans la Péninsule ibérique. Les seules traces de l’effet de -u (« -u résiduel ») se trouvent dans les mots où il était précédé par une voyelle en hiatus (mieu) ou par une consonne [+ grave] qui a pu en retarder l’ouverture (fuoc < *focu) 50. Dans certaines variétés plus conservatrices, la voyelle est restée fermée assez longtemps pour affecter /ɛ ɔ/, mais pas assez pour affecter /e o/ : c’est aussi le cas du galicien-portugais dans l’Iberia. Seul l’asturien conserve [u] < -u et fait donc état d’une métaphonie des voyelles mi-fermées (Barbato, ms. a). En d’autres termes, les variétés où il y a métaphonie de /ɛ ɔ/ par -u présupposent un système où ŭ final ne s’est pas confondu avec ŏ et ō, mais avec ū (Lausberg 1971, § 274). Plus tard, /u/ et /o/ se sont confondus, ce qui explique l’absence de la métaphonie de /e o/ par -u :

C’est l’explication de Schürr, également suivie par Wüest ; Voretzsch croyait à un croisement – peu vraisemblable – de fuou et foc. Straka (1964 ; 1978) soutient qu’en français l’ouverture de -u est postérieure à l’effacement des occlusives intervocaliques, mais il tire justement cette conclusion des cas où la voyelle est précédée par une consonne vélaire ou labiale.

50

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332

MARCELLO BARBATO

ī

ĭ

ē

ā, ă

ĕ

i

e

a

i

e

a

ŏ

ō

ŭ

o

ū

u o

La plupart des variétés présuppose par contre le système roman commun, avec métaphonie par -i mais pas par -u, étant donné que -ū était presque inexistant : ī

ĭ

ē

ā, ă

ĕ

i

e

a

i

e

a

ŏ

ō

ŭ

ū

o

u o

Cependant, dans certaines variétés, lorsqu’il était précédé par une voyelle et par une consonne grave (vélaire ou labiale), -ŭ ne s’est pas ouvert en /o/, ce qui explique mieu, fuoc, etc. Mais là aussi, plus tard, il y a eu une confusion entre /u/ et /o/, qui explique l’absence de la métaphonie de /e o/ par -u 51 : ī

ĭ

ē

ĕ

ā,

a

i

e

a

i

e

a

ŏ

ō

ŭ

o

ū

u o

Dans les différents systèmes, finalement, /o/ final a pu être effacé, mais il est encore documenté en francoprovençal (Wüest 1979, 149) et en italoroman septentrional (Loporcaro 2005-2006), ainsi qu’en ibéroroman. Le deuxième facteur décisif est la chronologie relative de la palatalisation et de la métaphonie 52. On peut établir la succession suivante 53 : À cause de l’effacement de la consonne, /u/ s’est conservé en tant que semi-voyelle en francoprovençal et en français (feu, lieu, jeu). 52 Le terme « palatalisation » est utilisé ici, comme c’est souvent le cas (cf. p.ex. Loporcaro 2011, 143), pour désigner l’évolution globale de yod et des consonnes affectées par yod, même si la base est déjà palatale ([j] > [dʒ]) ou si le résultat ne l’est pas ([tj] > [ts]). 53 La notation des résultats de tj et cj est purement conventionnelle : ce qui importe est que, comme le montrent plusieurs variétés, ces deux groupes aient donné lieu au début à deux phonèmes distincts. Je conçois l’évolution comme un processus allophonique de palatalisation de la consonne (par exemple [lj] > [ʎj]), suivi par une coalescence ([ʎ]). Évidemment, je ne crois pas à une évolution du type [lj] > [ʎj] > [jʎj] (Fouché 1952-1961, 901sqq.). 51

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LA MÉTAPHONIE ROMANE OCCIDENTALE

333

(1) phonologisation de tj > /ts/, cj > /tʃ/ ; (2) diphtongaison de /ɛ ɔ/ avant yod, waw, -i (-u) ; (3) phonologisation de j (gj, dj) > /dʒ/, lj, gl > /ʎ/, nj, gn > // ; (4) fermeture de /e o/ avant yod, waw, -i.

Cette chronologie explique l’absence de diphtongaison par yod dans les bases avec tj, cj, qui – on le sait – ont été frappées les premières par la palatalisation et que l’effacement précoce de yod a soustraites à la métaphonie. Elle explique aussi l’absence de fermeture par yod dans les bases avec j, lj, gl, nj, gn, où il n’y avait plus de yod au moment de la fermeture. Toutefois, la succession des changements ne doit pas être considérée de façon rigide 54 : il peut y avoir des superpositions entre (1) et (2), comme le montrent les types tiers, pièce, où évidemment la diphtongaison s’est imposée avant que le contexte métaphonique s’efface. La diphtongaison de ĕ avant tj paraît même sans exceptions en français ; par contre on a scŏrtea > écorce, fŏrtia > force, *nŏptias > noces 55. L’asymétrie de ces résultats en français et francoprovençal laisse croire : a) que la diphtongaison de la voyelle antérieure est plus ancienne que celle de la voyelle postérieure ; b) que la Lugdunensis a été le foyer de la diphtongaison métaphonique 56. Des superpositions entre (3) et (4) pourraient également expliquer les alternances qu’on a vues dans cĭlia, lĭgnu, m ĭliu, str ĭgile, t ĭlia, t ĭnea, mais il y a d’autres explications possibles. Pour str ĭgile et t ĭnea, il se peut que la fermeture se soit produite d’abord en protonie (p.ex. dans les types ‘étriller’, ‘tigneux’), où elle est normale 57. Plus généralement, il pourrait s’agir partout d’une fermeture plus tardive due au contexte palatal : la fermeture de /e/ avant /ʎ/ et // est un phénomène dont les raisons articulatoires sont connues et qui se produit ailleurs dans la Romania (cf. it. consĭliu > consiglio, t ĭnea > tigna) 58. Dans le cas de pŭgnu, la comparaison avec l’it. pugno montre qu’on peut partir d’une base romane commune avec /u/ (Castellani 1961, 81). Je pars de l’idée que les changements ont une durée assez longue pour pouvoir se superposer. Si deux processus sont à l’état de règles allophoniques, l’ordre de ces règles peut changer selon les locuteurs et s’inverser au cours du temps. Les règles peuvent aussi avoir une variabilité sociolinguistique, ce qui détermine a posteriori l’effet de diffusion lexicale. Pour une critique de la chronologie relative inspirée par l’idée de changement discret et ponctuel, voir Gsell 1996 et Morin 2003. 55 Mais cf. apic., awall. nueche(s) et les formes dialectales correspondantes (FEW 7, 243). 56 Sur le rôle innovateur de la Lugdunensis, cf. Lausberg 1971, § 36 et Greub/Chambon 2009, 2502. 57 FEW 12, 304 et 13, 343. 58 Castellani 1961 ; Pensado 1985 ; Barbato, ms. b. Ce n’est pas un hasard si Roncaglia (1965, 49) parle de « anafonesi » pour les cas provençaux. Philipon (1918-1919, 433) donne aussi des preuves de la tardivité de la fermeture : prov. abelha > abilho, lyon. oreilli > orilli, lig. megiu > migiu, mil. stregia > strigia. 54

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Pour ce qui est des groupes labiale + yod, nos variétés se divisent. Celles qui, comme les langues ibériques (cf. espagnol rubio, jibia, vendimia, etc.), ont conservé la semi-consonne, connaissent la métaphonie : kr ĭppia it. sept.

quadrŭ viu -

crupia

rŭ biu -

sēpia

vindēmia

supia

vendumia

alors que celles qui ont palatalisé le groupe (mj > [ndʒ], vj (bj) > [vdʒ], pj > [ptʃ]) ou bien anticipé le yod dans la syllabe tonique (cf. plus bas afr. estreit, bois, etc.), ne la connaissent pas : fr.

crèche

afrpr.

creipi

carrouge -

rouge

sèche

vendange

roibo

ceypes

vendeimi

Les variétés gallo-italiennes qui connaissent la palatalisation n’ont pas de fermeture métaphonique, cf. génois vendegna, carugiu 59 ; par contre, on retrouve la métaphonie dans les variétés occitanes non-palatalisantes (sipia, vindimia). Il reste à présent à expliquer l’évolution des bases avec x, ct, rj, sj. En règle générale, il n’y a pas eu de fermeture métaphonique, car le yod était en contact avec la voyelle tonique ou était entré en contact avec celle-ci suite à une métathèse 60 : ct > [jt]

par ex.

x > [js]

afr. estreit afr. bois

rj > [jr]

fr. -oir

sj > [jz]

afr. cerveise

Évidemment, à la différence de la diphtongaison (lĕctu > *lieit), la fermeture métaphonique par yod ne se produit pas en contact. Mais pourquoi dans certaines bases avec rj, comme on l’a vu plus haut, y a-t-il eu métaphonie ? Dans le cas de a(u)gŭriu (cf. aussi acat. ahuir) e de cēreu (cat. ciri), la métathèse a probablement été retardée ou empêchée par le caractère mi-savant du mot 61 : *[a'ɣorjo] > *[a'ɣurjo] > *[a'ɣuro] ; *['tserjo] > ['tsirjo] ; dans le Ici comme en français, /u/ est le résultat de /o/ roman commun. Je crois que la métathèse explique de façon bien plus simple l’évolution des groupes sj et rj que des hypothèses telles que l’« anticipation de yod » (Fouché 1952-1961, 916sqq.) ou le « yod de transition » (Straka 1965). Voir Torreblanca 1992 pour l’ibéroroman. 61 Cf. aussi tosc.a. aguro (LEI 3, 2302) contre l’attendu **agóio. 59

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cas de cypriu, ēbriu, *lŭtria (cf. aussi cat. lludria) par le groupe consonantique : *['koprju] > *['kuvrjo] > *['kuvro] ; *['evrjo] > *['ivrjo] ; *['lodrja] > ['ludrja]. On est ainsi parvenu à un traitement unitaire de cas qui ont été expliqués de façons très différentes (Bourciez/Bourciez 1967, § 75 et 81 ; Fouché 19521961, 403-105 et 411 ; Straka 1964, 43-45). Il reste cependant encore quelques cas qui résistent à l’explication : aocc. dŭctu

(a)fr.

-

doit

conduch

conduit

lŭcta

locha

luite

trŭcta

trucha/trocha

truite/troite

condŭctu

Pour expliquer ces alternances en gallo-roman, Straka (1964, 43-45), suivi par Wüest (1979, 123), a proposé que les formes avec (/u/ >) /y/ ou bien reflètent des processus analogiques (cf. condūcere), ou des bases alternatives *['lujta], *['trujta] dues à une métaphonie antérieure à l’ouverture de ŭ tonique 62. Je crois que dans le cas de lŭcta et trŭcta également, il y a une analogie, bien que phonétique et non morphologique : il faut considérer qu’outre (-)dŭctus (soumis à la pression de dūcere), il n’y avait que flŭctus avec ŭ, en face duquel on avait frūctus, lūctus, (-)strūctus, (-)sūctus avec ū. On peut donc aisément supposer des bases analogiques *lūcta, *trūcta, requises également par cat. lluita, truita, esp. lucha, trucha, port. luta, truta 63. Dans le cas de pŭteu > puits, on a aussi supposé une très ancienne base métaphonique *['putju] (cf. Fouché 1952-1961, 403 ; Bourciez/Bourciez 1967, § 75 ; Straka 1964, 43-45). Mais pourquoi n’y a-t-il pas de fermeture dans les bases similaires (arbŭteu, corrŭptiare, excŭrtiare, etc.) ? En réalité, la fermeture dans pŭteu a été brillamment expliquée par Wartburg, qui a remarqué la coïncidence de l’aire du type à /y/ avec celle d’autres franquismes : le *['potju] des Gallo-Romains a été influencé par le *['putti] des Francs (issu à son tour de pŭteu), « sodass im bereich der fränk. siedlung ein ptiu entstand » (FEW 9, 631). Pour les doutes sur l’existence de la métaphonie à une époque si ancienne, cf. plus haut n. 6. 63 Cf. déjà Fouché 1952-1961, 199. Bourciez/Bourciez 1967, § 81 donnent des bases lūcta, trūcta tout court. Cf. aussi plus haut, n. 43, frioul. condut, trùte, lùte. 62

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4. Conclusion Au terme de cette étude, je crois avoir répondu à presque toutes les questions posées par Sánchez Miret (2008, 19-20). Commençons par la dernière : (1) Les processus appelés Umlaut, métaphonie, dilation, diphtongaison conditionnée, ont-ils quelque chose en commun ? Il s’agit toujours de l’effet d’un élément fermé sur la voyelle tonique, mais il faut distinguer l’action sur les voyelles mi-ouvertes, plus ancienne, de celle sur les voyelles mi-fermées, plus récente. (2) Qu’est-ce qui explique l’évolution différente des voyelles dans les mêmes contextes ? La chronologie relative de l’ouverture de -u et de la palatalisation (c’est-à-dire l’effacement du contexte métaphonique). (3) L’influence d’une voyelle finale et l’influence d’une consonne palatale représententelles le même type de processus ? Non, il faut distinguer l’influence de la voyelle finale et du yod (métaphonie) d’une part, de l’influence d’une consonne palatale de l’autre, qu’en suivant la tradition italienne on pourrait appeler « anaphonie ».

Je n’ai par contre pas répondu à la première question du savant espagnol : (4) Quel est le mécanisme phonétique qui explique la diphtongaison de la voyelle miouverte ?

À ce propos, je dirai que l’idée d’une dissimilation qui accentue l’ouverture de la voyelle devant un élément fermé (ɛ > ɛɛ  > eɛ > ɛ) me paraît convaincante 64. Elle pourrait expliquer la priorité de la diphtongaison de ĕ avant yod (cf. pièce mais force) : évidemment, la dissimilation est plus urgente dans la séquence [ɛ…j] que dans celle [ɔ…j], dont les éléments ne partagent pas le même lieu d’articulation. Une hiérarchie de dissimilation pourrait aussi permettre d’expliquer pourquoi la diphtongaison par -u résiduel se trouve dans certains cas et pas dans d’autres : +

dissimilation

-

ɔu

ɛu

ɔ…u

ɛ…u

*tuou

mieu

fuoc

grec

La dissimilation est favorisée si les voyelles sont en contact ou si, ne l’étant pas, elles partagent le même lieu d’articulation. La métaphonie des voyelles mi-ouvertes est donc probablement une dissimilation, tandis que la métaphonie des voyelles mi-fermées est certainement une assimilation. Là aussi, dans les cas de -u résiduel, on observe une asy Pour l’histoire, cette idée est avancée pour la première fois, à ma connaissance, par Millardet (1910, 629 et n.), qui l’attribue à son tour à « une aimable communication de M. M. Grammont ».

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métrie entre j ŭ(g)u > jou et sē(b)u > siu : l’assimilation se produit lorsque la distance est considérable (eu), pas lorsqu’elle est minime (ou). Que peut-on dire, finalement, sur la chronologie de ces processus ? Sur la base d’arguments de chronologie relative 65, Reichenkron (1934, 170) date la diphtongaison métaphonique entre le IVe et le VIe siècle. Wartburg, quant à lui, situe ce phénomène au début du Ve siècle 66, évidemment parce qu’il est antérieur à l’allongement des voyelles en syllabe ouverte, qu’il situe dans le courant de ce même siècle. Sur la base de sa datation de la diphtongaison spontanée française (a. 280-310), Křepinský (1958, 318) attribue la naissance de la diphtongaison conditionnée « à la génération de 220-250 » ; mais on pourrait facilement opposer à son modèle les critiques qui ont été portées à la chronologie relative de Straka (1956) par Morin (2003). Enfin, Hilty (1969, 95) et Pfister (1970, 59) se limitent à attribuer l’évolution à la période « vor der Völkerwanderung ». Il existe d’autres arguments, de nature interne et externe, pour une datation reculée de la diphtongaison et de la fermeture métaphoniques : (1) les deux phénomènes présupposent une certaine unité de la Romania occidentale, antérieure à la formation des nouvelles consciences nationales au VIIe siècle ; (2) ils entourent la palatalisation des groupes avec yod, qui est considérée comme très ancienne (Herman 1998, 14) ; (3) à la différence de la fermeture (*kr ĭppia), la diphtongaison n’atteint pas nécessairement les germanismes (*fehu, etc.) 67 ; (4) la fermeture est antérieure à l’effacement des voyelles finales, qui se manifeste peut-être déjà au début du VIIe siècle (Chambon/ Greub 2000, 156-157). Par contre, la diphtongaison ne peut pas être antérieure à la formation du système vocalique roman, qui « a dû se dérouler, essentiellement aux IIIe et IVe siècles et s’achever au Ve » (Herman 1998, 10) 68. La palatalisation nous pousse donc à reculer la date de la métaphonie, l’évolution du système Déjà soulevés par Millardet (1910, 628). Dans l’édition allemande de 1950, on lit, p. 79 : « Mit Bourciez 159 und Richter, Chron. Phon. 142 setzen wir diesen Wandel etwa in den Anfang des 5. Jahrh. » ; ce passage disparaît dans l’édition française de 1967. En réalité, ni Bourciez (1930, § 154) ni Richter (1934, § 110) ne distinguent exactement la diphtongaison conditionnée de la spontanée ; comme le reconnaît Wartburg, la datation de celle-ci (« um 400 ») dérive de la mauvaise interprétation d’un passage de Servius. 67 L’aocc. orguelh < germ. *urgoli (FEW 17, 414-416) pourrait aussi avoir eu une médiation septentrionale. 68 La question de la chronologie du vocalisme roman est fort débattue, mais il me semble que la position de Herman est celle qui parvient le mieux à concilier les données documentaires et les conclusions tirées de la reconstruction. Voir aussi Wüest (1979, 340-342), Loporcaro (2001, 112). 65

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MARCELLO BARBATO

vocalique à l’avancer ! Toutefois, la contradiction s’estompe si l’on considère que ce qui est déterminant n’est pas la palatalisation en soi, qui est très ancienne, mais la phonologisation des consonnes palatales, qui est peut-être plus récente que l’on croit 69. On peut donc proposer la chronologie suivante, bien sûr très approximative 70 : siècle phonologisation de tj > /ts/, cj > /tʃ/ métaphonie de /ɛ ɔ/

IIe

IIIe

IVe

Ve

VIe

- - - - - - - - - - - -à - - - - - - - - - - - -à

phonologisation de j (gj, dj) > /dʒ/, lj, gl > /ʎ/, nj, gn > // métaphonie de /e o/

- - - - - - - - - - - -à - - - - - - - - - - - -à

La métaphonie romane occidentale appartient à bon escient à la première vague de changements atteignant la phonologie du latin, qui produit évidemment déjà des différenciations géographiques, bien que restreintes au niveau macro-régional. Università di Napoli « L’Orientale »

Marcello BARBATO

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Par exemple, la métaphonie a pu se produire après la palatalisation mais avant l’absorption de [j] : ['pɛttja] > *['pɛttsja] > *['pettsja]. Ou bien, il y avait deux processus synchroniques ordonnés : /'pɛttja/ → ['pettja] (métaphonie) → ['pettsa] (coalescence). Etc. 70 D’autant plus qu’elle aplatit inévitablement la variation verticale du latin (sur laquelle voir Varvaro 1984). Ce schéma pourrait s’appliquer à un sort de sermo mediocris, aussi éloigné de la langue littéraire que des variétés ayant subi des interférences provenant des langues de substrat. 69

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La standardisation du français au Moyen Âge : point de vue scriptologique

1. Introduction En 2004, la question des origines du français standard a trouvé une nouvelle réponse par la publi­cation d’un ouvrage monographique très favorablement accueilli par la critique 1 : dans sa Socio­linguistic His­to­ry of Paris­ian French, R. Anthony Lodge tâche d’expliquer le caractère diatopique­ment mixte ou neutre du fran­­çais écrit, en faisant remonter cette variété, qui ne fut explicitement codi­fiée qu’au 17e siècle, à un pro­ces­sus de koïnéisation orale qui se serait pro­­duit aux 12e et 13e siècles dans la jeu­ne capitale fran­­çaise. L’énorme croissance dé­mo­graphique que la ville de Paris con­­nut ef­fec­tivement au Moyen Âge central (cf. Bautier 1978 ; Bald­­win 2010 ; Sohn 2012) a ame­né Lodge à mettre en pa­ral­lèle le con­­tex­te his­to­ri­que pa­ri­sien et des situations de contact lin­guis­tique bien dé­crites par la sociolinguis­tique moderne, à sa­voir la ‘nais­san­ce de dia­lec­tes nou­veaux’ à la suite d’une im­mi­gration ur­bai­ne pous­ sée (cf. Kerswill 2002 ; Kers­will/Trudgill 2005 ; Trud­gill 22006). Com­­me les vil­les nou­vel­les du 20 e siècle, le ‘creuset’ parisien médiéval aurait mis en con­ tact des locuteurs de dif­fé­rentes pro­venances dialectales qui s’accommodaient dans leurs échan­ges lin­guis­ti­ques quo­tidiens, processus d’où aurait emergé une variété par­lée dia­topiquement mixte, perçue par la suite comme sociolecte typique d’une cer­taine couche de la bourgeoisie pa­ri­sienne. C’est ce parler ur­bain qui aurait été mi­s à l’écrit à la Chancellerie royale, institution dont on sait qu’elle a forte­ment con­tri­bué à la pro­pa­ga­tion d’un français écrit déjà relativement unifié à partir de la fin du 13e siècle (cf. Lu­signan 2003 ; Videsott 2013). Dans ce qui suit, j’essaierai de montrer qu’en dépit du grand succès qu’elle a connu, la théorie lodgienne d’une origine orale et parisienne du fran­çais écrit rencontre de sérieux pro­blè­mes, tant au niveau méthodologique qu’empirique, au point qu’elle me paraît nécessiter une révision de fond. Cette con­ viction a mûri pendant l’élaboration de ma thèse de doctorat, consacrée à l’histoire de la scripta diplomatique de Beauvais (1241­-1455) et, plus particulièrement, à la question de savoir quels étaient les con­textes institutionnels qui ont favorisé, au cours de la période exa­mi­née, le re­­foulement progressif de 1

Cf. Donaldson (2005) ; Ernst (2006) ; Winters (2006) ; Hunnius (2007) ; Milroy (2008).

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traits graphématiques et morphologiques picards par une variété supra-régionale, précurseur du français standard (cf. Grübl, sous presse). Cet objectif m’a conduit à m’interroger sur l’origine et sur la nature diasystématique de la variété qui a fini par supplanter les scrip­tae régio­nales du domaine d’oïl. Or, l’examen critique des hypothèses proposées jusque-là sur le sujet a révélé que les don­nées dia­lec­tolo­giques et scrip­to­lo­giques dont se sert Lodge (2004, 3-92) pour étayer son idée d’une koïnè orale préfigurant le français écrit sont en grande partie mal interpré­tées, voire er­ro­­nées. Au niveau mé­tho­dologique, il s’avère qu’en se focalisant de manière ex­clu­­sive sur les con­­tacts lin­guis­tiques potentiellement survenus dans la langue parlée de Paris, Lodge méconnaît le rôle fondamental joué par la scripturalité littéraire et administrative dans la for­ma­tion – plu­ri­­sé­culaire, pluricentrique et invo­lon­taire – d’une norme écrite d’envergure supra-ré­gio­nale. Je souhaiterais néanmoins souligner que ma réflexion sur la standardisation médiévale s’inspire de la théorisation variationnelle développée par Anthony Lodge, à qui revient le mérite d’avoir repris cette question fondamentale de la linguistique historique jusqu’alors dominée par des mythes idéologisés. Même si je dois contredire l’argumentation de Lodge, je suis parfaitement conscient de la valeur de son travail, qui a permis de porter le débat sur un terrain proprement scientifique. J’affirmerai donc que l’histoire du fran­çais écrit ne peut se réduire, en toute sim­plicité, à l’émer­­gence relati­ve­ment tar­dive d’un centre po­litique, à partir duquel la lan­gue officielle, née de la bouche du peuple en moins d’un siècle et demi, aurait peu à peu conquis le royaume tout entier. Il con­viendra, au contraire, de pousser plus loin la recherche sur les con­tacts au niveau de l’écrit, con­tacts qui ont sans aucun doute suscité la genèse d’une variété suprarégionale bien avant que les in­sti­tutions royales n’adoptent le français comme langue administrative. Tout porte à croire, en effet, que les processus de ni­vel­ lement lin­­guis­tique dont est issu le français standard ont été engendrés dès le 12e siècle par l’échange inter­ré­gional des ma­nu­scrits littéraires (cf. Greub 2007). Ce n’est qu’à partir de la fin du 13e siècle que cette va­riété dia­topi­que­ ment neutre a trouvé un moule institutionnel stabilisant, en tant que nou­velle ‘langue du roi’, qui, pour égaler son émule, le latin, dans le do­mai­ne juridique, devait assurer la fonction com­mu­­ni­cative et iden­ti­taire d’une langue pour ainsi dire ‘na­tio­nale’, écrite de fa­çon uni­forme dans toutes les pro­vinces du royaume (cf. Lusignan 1999 ; 2003). Loin de re­pro­duire lit­té­ra­le­ment un par­ ler usité dans une seule communauté urbaine du vaste domaine linguistique con­cer­né, le fran­çais royal s’appuie sur une longue tradition scripturaire à base pluricentrique qui se manifeste déjà bien avant le milieu du 13e siècle et qui dépasse largement les limites du royaume (cf. Völker 2003 ; Gleß­gen 2008). Les impulsions ma­jeures vers la for­ma­tion d’une koïnè française à portée

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su­pra-régionale pro­viennent, on le sait, de régions autres que l’Île-de-France (cf. Pfister 1973 ; Fon­det 1995). Mais la rencontre des variétés régionales qui déboucha sur le français royal du 14e siècle, et sur le français écrit moderne, ne s’est pas produite par le biais d’‘importa­tions’ dia­­­lec­ta­les dans la langue parlée de Paris ; elle est le fruit de la scripturalité 2.

2. Révision de la thèse d’une koïnè orale parisienne à l’origine du français standard Il est aujourd’hui établi que le français standard ne résulte pas de la mise par écrit d’un dia­­­lecte primaire, dont la forme spécifique s’expliquerait par l’évolution ‘naturelle’ à partir du la­tin parlé dans une aire donnée. Il est établi, de ce fait, que le ‘francien’, supposé comme base dialectale de la langue na­­ tio­­na­le par les philologues de la fin du 19e siècle, n’a jamais existé en tant que va­rié­té autoch­­tone, ni en Île-de-France ni ailleurs 3. Comme la koïnè grecque ou le haut alle­mand, le fran­çais écrit se caractérise, en effet, par un curieux mélange de traits dialectaux, originaires de dif­fé­rentes régions du domaine d’oïl. Le français standard est donc le produit d’un contact de va­riétés lin­guis­ tiques, pro­ces­sus à long terme dont les cir­con­stances his­toriques – tem­po­relles et spa­­­tiales, institutionnelles et discursives – restent à élucider. Les premières études d’où il ressort clairement que la base du fran­­­çais écrit ne peut être iden­tifiée à un dialecte ‘pur’ ont été réalisées dans le cadre des tra­vaux pour l’Atlas Linguistique et Ethno­­gra­phique de l’Île-de-France et de l’Orléanais (ALIFO = Simoni-Aurem­bou 1973a/1978 4). Je me limi­te­rai ici à présenter cinq traits lin­guis­tiques (cf. tableau 1) dont la variante standard se dis­tingue net­te­ment des formes ver­na­cu­laires qui ont été repérées, sous forme de vestiges, dans les en­quêtes me­­nées en Île-de-France par les collaborateurs de l’ALIFO, autour de l’an 1970. Ces traits sont précisément les mêmes aux­ quels fait appel Lodge (2004, 53-71) pour mettre en évidence son scénario d’une koïnéi­­sa­tion orale sur­ve­nue dans le Paris médié­val. Cela me permettra

2



3



4

Je voudrais chaleureusement remercier tous ceux qui m’ont guidé et conseillé, tant sur le plan scientifique qu’amical, pendant les longues années de la préparation de ma thèse de doctorat, tout particulièrement mon maître Wulf Oesterreicher, ainsi qu’Andreas Dufter, Martin-Dietrich Gleßgen, Maria Selig et Harald Völker. Je tiens à remercier également Jean-Paul Chauveau, Geoffrey Roger et Paul Videsott pour la discussion de mes thèses lors et à la suite du XXVIIe CILPR à Nancy, et mon collègue Benjamin Massot, qui s’est donné la peine de la révision stylistique du présent article. Cf. Chaurand (1983) ; Bergounioux (1989) ; Cerquiglini (2007, 127-163) ; Grübl (sous presse, chapitre 3). Cf. aussi [Simo­n i-]Aurem­bou (1973b et 1976) ; Fondet (1980 et 1995).

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de discuter, dans les sections 2.1 à 2.3, l’origine des formes du fran­çais standard en question, en contrastant les hy­po­­thèses de pro­ve­­nance en­­­visagées par Lodge et les résultats de mes propres recherches. Traits linguistiques

Variantes du français standard

[e] accentué en syllabe ouverte (p. ex. sēta(m) > soie) ou devant palatale (p. ex. t ēctu(m) > toit)

, , ,

2

-ĕllos, -ĕllis

3

1

[wa] (< [wε]) ou [ε]

Variantes dialectales en Île-de-France [wε] ou [ε] (ou bien [we] ou [e]), sporadiquement [wa]

[o]

[jo]

3 personne du pluriel, indicatif présent

-ent (amuï)

-ont [ɔ̃ ]

4

1re personne du pluriel, subjonctif présent / indicatif ou subjonctif imparfait / conditionnel

-ions [jɔ̃ ]

-eins/-ains []

5

3e personne du pluriel, indicatif im­parfait / conditionnel

-aient [ε]

-eint/-aint []

e

Tableau 1 : Variantes du français standard et variantes dialectales repérées en Île-de-France aux environs de 1970 (d’après [Simoni-]Aurem­­bou 1973b et 1976 ; Fondet 1980 et 1995)

2.1 [e] accentué en syllabe ouverte ou devant palatale La variabilité de ce trait vocalique a laissé ses traces jusque dans le français standard con­tem­porain. De­puis la Révolution, le digramme correspond à [wa], variante populaire pari­sienne sous l’An­cien Régime, à laquelle s’opposait la prononciation ‘aristocratique’ [wε]. À côté de ces va­riantes, peut-être courantes à Paris dès la fin du 13e siècle 5, le français moderne connaît également la prononciation [ε] (graphiée , ou ), caractéristique des dialectes occidentaux et conventionnalisée dans la langue standard pour une série d’ethno­nymes (français, anglais, etc.), pour les terminaisons verbales de

5

Cf. Michaëls­son (1959, 290-292) ; Rhein­felder (41968, §§ 41sq.) ; Wüest (1979, 200 ; 1985, 241). Chauveau (2012) exprime de sérieuses réserves sur l’hypo­­thèse traditionnelle selon laquelle [wa] aurait existé à Paris à une époque aussi précoce que la fin du 13e ou le 14e siècle. Cf., à ce propos, ci-dessous.

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l’indicatif im­parfait et du condi­tion­nel ainsi que pour des mots isolés tels que raie, mon­naie, craie, faible, secret, tonnerre ou seigle. De­vant nasale sont de règle [] ou [ε], respectivement en position libre ou en po­si­tion entravée (p. ex. plein, pleine) (cf. Wüest 1979, 198-204). Concernant la variation dialectale en Île-de-France, [Simoni-]Aurembou (1973b, 383-385 ; 1976, 267-273 et carte 5 à la page 279) et Fondet (1995, 196-202) ont observé que [wε] prédominait dans les parlers des environs de Paris autour de l’an 1970, mais seu­le­ment à l’intérieur d’une zone s’étendant jusqu’à 40 kilomètres à l’ouest et jusqu’à 20 kilomètres au sud de la ville. Audelà de cette limite, l’ALIFO montre une zone [ε] très compacte, surtout pour les abou­tissements de [e] latin accentué devant palatale (droit, froid, toit), et même à l’intérieur de la zone [wε] limi­trophe de Paris (près de Pon­toise, par exemple), les cartes témoignent de la pré­sence spora­dique de formes en [ε], dans des mots comme froid, toit ou comme croire, moi, toi 6. Curieusement, les formes en [ε] étaient ressenties comme plus anciennes par les lo­­cu­teurs aux endroits où elles étaient en concurrence avec [wε]. Dans ces aires con­­ser­vatrices, [ε] apparaît surtout dans des proverbes et des expressions figées, ce qui laisse sup­po­ser que la mo­­nophtongue ne représente pas le résultat d’une réduction de [wε], mais qu’elle s’est déve­lop­pée di­­­rectement à partir de [ej]. Dans le cas contraire, les diphtongues issues de [o] accentué devant palatale (p. ex. dans croix, voix) auraient également dû être réduites ; mais ici, l’ALIFO donne [wε] sans exception (cf. aussi Wüest 1979, 200). [Simoni-]Aurembou (1976, 279) et Fondet (1995, 202) en arrivent à la conclusion que l’aire occidentale où [e] latin accentué en syllabe ouverte ou devant palatale a régulièrement abouti à [ε], forme par­tiel­le­ment adoptée en français standard, s’étendait originellement jus­qu’aux portes de Paris, tandis que [wε], variante sans doute originaire du nord-est du domaine d’oïl, ne s’est affirmée que plus tard en Île-de-France. Cette position se trouve en accord avec une hypothèse déjà avancée par André Hau­dri­court selon laquelle la prononciation [ε] représenterait, dans le français parisien, une couche plus an­cienne que la variante prestigieuse [wε], celle-ci n’ayant été introduite dans la ville qu’au 12e ou au 13e siècle, probablement en même temps que le digramme , ty­pique des scrip­tae nord-orientales (cf. Pfister 1973). Haudricourt en déduit que le français parisien a été un ‘par­ler ré­cep­­teur’ jusqu’au Moyen Âge tardif : « L’évolution normale de ẹi à Paris était la confusion avec ęi (issu de ai) 7, de même que ẹ de vert s’est confondu avec le ę de ver. Il n’est pas vraisemblable que le 6



7



Les terminaisons verbales de l’imparfait et du conditionnel constituent un cas à part. Cf. ci-dessous, section 2.3. Cf., par exemple, plaie, mai, paix, etc. [K.G.].

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Pa­r isien [sic] ait par­ticipé à l’évolution graduelle qui a amené, par exemple, de rei à roi. On doit suppo­ser qu’il y a eu emprunt, à un autre dialecte, de formes déjà partiel­ le­ment ou to­tale­ment mutées, tout comme nous constatons aujourd’hui que les patois empruntent au français, une par une, des formes qui leur sont étrangères. Certes, la notion du par­­ler parisien comme parler récepteur ne va pas sans bouleverser un peu la conception que nous nous faisons aujourd’hui des rapports mutuels des parlers fran­çais. Mais il suffit de se rappeler que ce n’est qu’assez tard que le parler de la ca­pi­tale s’est im­posé nettement comme langue de la littérature et de la culture et l’on sera beau­coup plus tenté d’admettre que, sur un point de phonologie historique tel que celui qui nous a retenu ici, un parler autre que parisien ait pu fonctionner comme dialecte di­recteur. » (Haudri­court 1948, 218)

Or, les résultats obtenus grâce aux études basées sur l’ALIFO sont en con­ tra­diction avec le tableau dialectal, beaucoup moins détaillé, qui se dégage des cartes cor­­­­res­pon­dantes de l’Atlas Lin­guistique de la France (ALF = Gilliéron/ Edmont 1902-1910). C’est pourquoi Lodge (2004), qui s’ap­­­puie principalement sur les don­nées de l’atlas na­tio­nal, en arrive à une in­ter­­pré­tation sen­ sible­ment différente de celle proposée par [Si­moni-]Aurem­bou (1973b ; 1976) et par Fondet (1995). La comparaison des deux approches fait ap­paraître, en fait, que la carte générée par Lodge (2004, 64 ; cf. ci-dessous, « map 12 ») pour décrire la variation de [ε] ~ [wε] ~ [wa] dans le domaine d’oïl à la fin du 19e siècle ne peut re­­pré­senter des iso­glosses au niveau des dialectes primaires.

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La carte montre une impor­tante zone [wa], qui comprend toute la France orientale avec l’Île-de-France, à côté d’une zone [wε], encore plus vaste, embrassant une partie de la Picardie et les régions situées à l’ouest et au sud de l’Île-de-France, de sorte que le do­maine de [ε] se trouve repoussé à l’extrême ouest, à peu près à la Basse-Nor­man­die et à la Bre­tagne. Étonnamment, Lodge (2010a, 36) considère [wa] comme forme auto­chtone des dia­lectes orientaux, car il qualifie cette variante de « Incursion[s] from the east » et suppose que la ‘bosse’ formée par l’Île-de-France au côté ouest de la zone [wa] lais­se­rait entrevoir « that these particular forms [c’est-à-dire [wa] ; K.G.] entered Paris from the east ». Lodge voit donc dans le tracé des iso­glosses modernes le reflet d’un mouvement migra­toire médiéval. En dialecto­logie, par contre, l’on est unanime à considérer que les formes en [wa], qui sont ef­fec­tive­ment attestées dans l’ALF pour la France orientale, ne repré­sent­ent pas une couche dia­lec­tale an­cienne, mais des em­prunts tardifs au fran­çais standard pro­non­cé à la parisienne : « Je suppose [...] que [wa] était à l’origine une prononciation essentiellement parisienne. La plupart des dialectes français périphériques sont restés fidèles à [wę]. Il est vrai que l’ALF atteste de façon sporadique des formes en [wa] dans presque tous les dia­lec­tes d’oïl, mais ce sont le plus souvent des formes parachutées, récem­ ment em­prun­­tées. Au fond, comme le français a changé de norme à une épo­que re­la­ tivement tardive, nous avons la rare chance de bien pouvoir distinguer les emprunts ré­cents du fonds ancien des patois. » (Wüest 1979, 201)

De même, l’Atlas linguistique et ethnographique de la Champagne et de la Brie (ALCB = Bource­lot 1966/1969/1978), qui recouvre une grande partie du domaine duquel proviendrait [wa] selon Lodge, distingue différentes couches dialectales représentées par [wε] et [wa] : « La prononciation est courante dans les cantons de Givet et de Fumay [dans le nord du département des Ardennes ; K.G.] [...] et en Belgique [...] ; il en est de même dans l’ensemble de la Brie chez les personnes qui ont dépassé la soi­xan­taine ; bien plus, celles-ci emploient encore ces formes patoises dans la conversation fran­çaise. Dans le centre et le sud de la Haute-Marne, les types sont exclusi­ve­ ment réservés au patois et meurent lentement. Presque partout on tend à se rapprocher de la prononciation française , mais dans certaines régions [...], on en reste à : ou .  » (Bour­ce­lot/ Ta­ver­det 1966, carte 98 : « (Le) MOIS ») 8

8



La variation de [wε], [wa] et d’autres formes est également attestée par les cartes 68 (froid), 193 (ce soir) et 651 (poire) ; cf. Bourcelot/Taverdet (1966/1969).

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L’âge et le statut variationnel des formes dia­­lec­tales co­existantes sont également pris en compte par [Simoni-]Aurembou (1973b, 385 ; 1976, 269) pour expliquer la pré­sence syn­chro­nique de [ε] ~ [wε] ou de [wε] ~ [wa] à certains points d’enquête de l’ALIFO : « Une chose est certaine, c’est que lorsque les témoins prononcent wa/wè, wè est senti comme plus ancien que wa, et lorsqu’ils prononcent wè/è, c’est è qui est senti comme plus ancien. » ([Simoni-]Aurembou 1973b, 285)

L’hypothèse de Lodge (2004, 90-92) selon laquelle [wε] serait la forme autochtone de l’Île-de-France, tandis que [ε] et [wa] y auraient été ‘importées’, au cours des 12e et 13e siècles, par des locuteurs dialectophones ve­nus respectivement de l’ouest et de l’est du domaine d’oïl est donc in­fi rmée par les données des atlas régio­­naux, qui permettent de distinguer différentes strates dia­­lec­tales et de reconstruire des scé­na­rios dia­chroniques assez cohérents. Quant à [wa], dia­lec­to­logues et historiens de la langue s’accordent à y voir une innovation spécifique du par­ler parisien, d’origine sans doute plus tardive (cf. ci-dessous). On retiendra que, selon toute vraisemblance, [ε] relève d’une couche dialectale an­­­cienne en Île-de-France, au moins dans sa partie occidentale. La région était peut-être une zone de transition au Moyen Âge où les variantes [ε] et [wε] s’enchevêtraient, sans doute en fonc­­tion de différents contextes phonétiques (cf. Taverdet 1974 ; Chauveau 1989, 79-143). Ce qui est sûr, c’est que l’expansion croissante du digramme dans les manuscrits du 13e siècle s’explique par le haut prestige culturel de cette variante originellement ré­pandue en Flandre et en Pi­car­­die (cf. Pfister 1973, 244-246 et 252sq. ; Monjour 1989, 21 ; Pfister 1993, 29sq.). Il est, cependant, très in­certain que cette diffusion au niveau des scriptae ait entraîné un remplacement complet de [ε] par [wε] dans la langue parlée de Paris. Le fait que les deux variantes aient été adoptées dans la pro­non­ciation stan­dard laisse plutôt supposer qu’elles ont coexisté pendant plusieurs siècles dans la ca­pi­tale, en tant qu’allo­pho­nes porteurs de différentes valeurs sociales. « Les anciennes graphies françois, estoit, monnoie, etc. ne prouvent aucu­ne­ment que le pas­sage de ei à oi ait jamais été général en parisien. Il est vraisemblable que, dans tous ces mots et dans bien d’autres, les deux prononciations [à savoir [wε] et [ε] ; K.G.] ont dû se maintenir côte à côte pendant as­sez longtemps. La vaste extension de la graphie par oi est le fait d’une époque où les for­­mes de l’est avaient une va­leur sociale su­pé­r ieure, au XII ième siècle la littérature est surtout champenoise, au XIII ième siècle surtout pi­car­de. » (Haudricourt 1948, 212)

Sous cet aspect, la répartition de [ε] et de [wa], qui a remplacé [wε], dans le système du français mo­­derne est à même de conforter le scénario diachronique

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envisagé par Morin (2008) où [ε(j)] repré­sente la seule forme autochtone de l’Île-de-France qui a été partiellement supplantée par la pronon­ciation docte [wε], d’origine picarde et associée au digramme , « sauf dans des formes très fré­quentes, comme les dé­si­nences de l’imparfait, dont la graphie s’est ajustée au cours du XVIIIe siè­cle (et encore plus tard dans le dictionnaire de l’Académie Française) (il) disoit > (il) disait. » (Morin 2008, 2915)

Cette hypothèse gagne encore en plausibilité si l’on prend en considération la forme dialectale, oxyto­nique, de la 3e per­sonne du pluriel de l’indicatif imparfait (ils diseint [] ; cf. ci-dessus, tableau 1, trait n° 5), où la présence de la consonne nasale inter­dit le pas­sage à [oj] > [wε] (cf. plein). Si la variante [wε] n’est donc pas autochtone à Paris, mais une pronon­ciation soutenue, ‘importée’ avec le digramme picard , [wa] pour­rait représenter une pronon­ciation approximative (‘écor­chée’) de [wε] surgie seulement vers l’extrême fin du Moyen Âge. En suivant l’analyse graphé­matique de Chauveau (2012), qui réfute l’interprétation de (forme attestée dans les rôles de taille pari­siens de la fin du 13e siècle 9, mais aussi dans des textes lorrains et normands) comme reflet précoce du parisianisme [wa], et en postdatant l’ouverture ‘populaire’ de [wε] en [wa] aux 15e /16e siècles, l’on com­pren­dra que cette dernière variante n’a jamais eu de corollaire graphématique propre. Il se peut, en effet, qu’elle ne date que d’une époque où était déjà si bien établi à l’écrit qu’aucune nouvelle variante gra­phique n’a pu se développer, et cela d’autant moins pour une forme orale aussi stig­ma­tisée 10.

2.2 -ĕllos , -ĕllis Concernant la variation [o] ~ [jo], la situation paraît assez claire, car dans tout le do­maine recouvert par l’ALIFO l’aboutissement dialectal est [jo] (cf. [Simoni-]Aurembou 1973b, 387-390 ; cf. aussi Wüest 1979, 297sq. et 1985, 243 ; Lodge 2004, 69 et 92sq.). Cette pro­non­ciation (graphiée ) servant à marquer le ‘patois de Paris’ dans les textes sati­riques du 18e siècle, Wüest (1985) suppose que la différence entre [o] et [jo] (ou bien de leurs formes anciennes, [eaw] et [jaw]) était de nature diastratique dans la ville de Paris. Cela est mis en évidence déjà par un commentaire métalin­guis­tique de Théodore de Bèze : 9



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Cf. Michaëls­son (1959, 290-292) ; Lodge (2004, 91sq.). Cf. aussi Pope (²1952, § 525) : « In Late Middle French the modern lowered pronunciation wa made its appearance in vulgar speech, at first before r. This broad pronunciation, however, found no favour with the educated classes or the grammarians (Palsgrave excepted), in either the sixteenth or seventeenth century, and was not fully accepted until the upheaval of the Revolution had destroyed the old tradition [...]. »

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« Vitanda est autem vitiosissima vulgi Parisiensis pronuntiatio in hac triphtongo, nem­pe l’iaue, & siau, pro seau, beau, ruisseau, & similia. » (Bèze 1584, 52)

Pareillement, [Simoni-]Aurembou (1973b, 390) qualifie [o] de « prononciation savante », en opposition à la forme « populaire parisienne et provinciale » [jo]. La variante autochtone de l’Île-de-France semble donc avoir pris une valeur diastratiquement basse dans l’espace com­mu­nicatif ur­bain, où elle se trouvait en concurrence avec la forme soutenue [o] (phé­no­mène connu sous le nom de ‘chaîne variationnelle’ ; cf. Koch/Oesterreicher 22011, 16). Alors que la recherche traditionnelle est donc unanime pour attribuer à [o] un statut variation­nel haut par rapport à la forme rurale et indigène, [jo], Lodge (2004, 64sq.) envisage une origine dialectale pour [o] < [eaw] également, en supposant une provenance orientale : « The origin of the undifferentiated variant ([o] < [əo] < [eaw]) is uncertain. It is poss­ible that it was an endogenous innovation of upper-class Parisian speech. How­ ever, the concentration of monophthongal forms in dialects spoken to the east of Paris (and their presence in western dialects too) makes one suspect that an exo­gen­ous origin is in fact more plausible. » (Lodge 2004, 65)

Cette hypothèse se trouverait justifiée par les données de l’ALF, qui montre effectivement des formes éparses en [o] dans la partie est du domaine d’oïl. Or, si l’on compare le tableau dia­lectal qui ressort de l’ALF au témoignage plus fiable des atlas régionaux, il s’avère de nou­veau que l’atlas national ne fait que relever des formes ‘parachutées’, récemment empruntées à la langue na­­­tio­nale. L’ALCB montre, en effet, une majorité de formes en [jo] pour le mot ruisseau (cartes 209/210) ; la diphtongue est exclusive pour eau (carte 315) 11. Même les cartes de l’ALF citées par Lodge (2004, 64sq.) à l’appui de sa thèse d’une zone dialectale [o] à l’est de Pa­ris ne me paraissent pas permettre une telle interprétation. Il est vrai que pour manteau (carte 810) et pour eau (carte 432), l’ALF signale une majorité de formes en [o] dans les départements de Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, Marne et Aube ainsi que dans le sud de l’Aisne et dans le nord de la Haute-Marne. Dans le cas de rideau (carte 1157), par contre, [jo] est assez fréquent, et pour seau, on ne compte pas moins de 22 formes en [jo] ou en [jø] sur 24 points d’enquête que j’ai vérifiés dans les dépar­te­ments nommés ci-dessus.

11

Il est vrai que les aboutissements de aqua(m) n’ont pas encore été suffisamment expliqués (cf. Rheinfelder 41968, §§ 541 et 544). Mais bien que eau ne soit pas un résultat de -ĕllos/-ĕllis, on peut supposer que le mot a rejoint le développement de ces formes à un certain point de son histoire. Cf., par exemple, le verdict de Bèze (1584, 52) cité ci-dessus.

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Lodge (2004, 93) se réfère, en outre, à une série de cartes de l’atlas littéraire de Dees (1987, 129, 156 et 160) qui, selon lui, témoigneraient d’une forte présence de dans les ma­nuscrits médié­vaux originaires de l’est. Il est cependant in­com­pré­hensible que Lodge ait pu adop­ter une telle vision, car l’examen des cartes citées révèle une réalité parfaitement con­traire 12 : – pour le mot château, Dees (1987, 160) si­gnale 100 % de graphies en  13 dans l’Aisne, la Marne, l’Aube et l’Yonne ainsi que 95 % de graphies en dans la Haute-Marne ; – pour beauté (Dees 1987, 156), on relève 98 % (Aisne), 100 % (Marne), 83 % (Aube), 67 % (Yonne) et 77 % (Haute-Marne) de graphies en  ; –

les ad­jectifs beau et nouveau (Dees 1987, 129) sont écrits en à 100 % (Aine), 100 % (Marne), 90 % (Aube), 100 % (Yonne) et 77 % (Haute-Marne).

Il est vrai que pour les départe­ments situés encore plus à l’est (Moselle/ Meurthe-et-Moselle, Vosges), Dees indique trois fois 0 % de contre 100 % de  ; mais ces chiffres ont été marqués d’un point d’inter­ro­ ga­tion dans l’atlas, parce qu’ils ne sont basés, dans chaque cas, que sur une ou deux occurrences. Ils sont d’ailleurs clairement contredits par la base de données des Plus anciens documents linguistiques de la France qui répertorie pour la Lorraine une majorité de formes en , surtout dans les toponymes en Beau- (cf. DocLing). Lodge (2004, 65) ne semble pas lui-même consi­dérer les contrées proches de l’aire germanique comme fai­sant partie de sa zone [o] hypo­thé­tique, telle qu’elle ap­pa­raît sur la carte corres­pon­­dante, éla­borée par lui à par­tir de la carte 812 de l’ALF (manteau ; cf. ci-dessous, « map 13 »). Comme il affirme que le mouve­ment mi­gra­toire à la base de l’accrois­sement démographique du Paris médiéval serait provenu surtout de l’arrière-pays urbain, c’est-à-dire de l’intérieur d’un cercle d’environ 70 kilomètres autour de la ville, il serait effective­ment peu logique de prendre en compte les régions trop écartées du centre. Il faut remarquer, pourtant, que les départements champenois et lorrains où Lodge voit l’origine dialectale de [o] se trouvent, eux aussi, de loin en dehors du hinterland parisien...

Cette erreur a déjà été signalée par Morin (2008, 2914). Sont incluses des formes du cas sujet au singulier ou bien du cas régime au pluriel en .

12 13

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En se demandant pour quelles régions continentales Dees (1987) donne un taux de réelle­ment bas, on ne trouve que la Franche-Comté (entre 20 et 33 %) et la Wallonie (entre 0 et 36 %), qui ne sont toutefois pas connues comme des centres d’irradiation scripturaire au 13e siècle. Par contre, les chiffres indiqués par Dees (1987, 129, 156 et 160) pour l’Angleterre (qui ne figure pas comme ré­gion dans le premier atlas de Dees 1980) sont, à mon avis, particulière­ment inté­res­sants : à part un taux de 100 % basé sur une seule occurrence de dans le cas de château, les cartes signalent 0 % de graphies en pour beauté (sur quatre occurrences au total) et 13 % de graphies en pour beau/nouveau (sur six occurrences au total). Certes, l’apogée de la litté­ra­ture anglo-nor­mande était déjà passé au 13e siècle, mais il est indubitable qu’après l’an 1204, l’on a continué à transcrire des manu­scrits anglais en assez grand nombre dans le royaume de France, ce qui pourrait rendre crédible l’idée d’une influence anglo-normande sur les scriptae fran­ çaises des 13e et 14e siècles. Tandis qu’une évolution spontanée de [jaw] (monosyllabique) en [eaw] (disyllabique) ne paraît guère plausible phonétiquement (cf. Rheinfelder 41968, § 324 ; Morin 2008, 2914), la pré­­fé­rence du moyen fran-

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çais écrit pour la variante graphique pour­rait donc s’expliquer par le pres­tige litté­raire ancien de celle-ci, probablement du fait même qu’elle n’avait pas de con­tre­partie dialectale dans la Fran­ce médié­vale, de sorte que [eaw] représentait un langage nettement châtié, réservé à la lecture à haute voix. Le tableau suivant résume les pourcentages indiqués par Dees (1987) pour la varia­tion gra­phique de (contre ) dans les manuscrits littéraires du 13e siècle. Je n’ai reproduit que les chiffres concernant les régions qui sont d’intérêt ici. Les départements orientaux, où Lodge localise l’origine dialectale de [o], apparaissent en gris clair ; les régions pour lesquelles Dees signale un taux de réellement bas apparaissent en gris foncé : beau/nouveau

beauté

château

Aisne

100

98

100

Marne

100

100

100

Aube

90

83

100

Yonne

100

67

100 ?

Haute-Marne

77

77

95

Moselle/Meurthe-etMosel­le

0 ?

0 ?

pas d’occurrences

pas d’occurrences

0 ?

pas d’occurrences

Région parisienne

86

81

86

Wallonie

36

17

0 ?

Franche-Comté

20

25

33

Angleterre

13

0

100 ?

Vosges

Tableau 2 : Taux des graphies en (contre ) dans les manucrits littéraires du 13e siècle d’après Dees (1987, 129, 156 et 160)

Pour autant, je n’oserais pas proposer une solution définitive à la difficile question de la réus­site de comme variante graphique du français protostandard. Les cartes de Dees (1987) nous apprennent que l’essor de au détriment de a été relativement tardif en France, ce qui vaut également pour les manuscrits originaires de Paris (cf. tableau 2, ci-des­sus). Lodge (2004, 92sq.) signale encore 100 % de graphies en pour les chartes françaises expé­diées au nom du Prévôt de Paris au 13e siècle ; même pour la période entre 1300 et 1365, le taux de n’excéderait pas les 9 % dans ce type de documents juridiques. Ce n’est que dans l’œuvre de Christine de Pizan, datant du

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premier tiers du 15e siècle, que Lodge constate un bou­le­verse­ment avec 80 % de contre 20 % de . Concernant la provenance de , une simple recherche que j’ai ef­fectuée dans la Base de Français Médiéval (BFM) apporte néan­moins des indices en faveur de l’hypothèse for­mulée ci-dessus, selon la­quelle l’An­gle­ terre pourrait être la véritable région d’origine du trigramme, at­tri­bué par erreur aux scriptae orien­tales par Lodge. La BFM donne, en effet, 318 oc­cur­ rences de beau qui ne se trouvent que dans trois manu­scrits : La vie d’Édouard le confesseur (autour de 1245) de Matthieu Paris, Le Livre de seyntz medicines (1354) d’Henri de Lancastre et l’ano­nyme Estoire de Griseldis en rimes et par personnages (1395). Tandis que la provenance régionale de ce dernier texte n’a pas été vérifiée par l’équipe BFM, les textes de Matthieu Paris et d’Henri de Lancastre ont été classés « anglo-normand[s] » dans la rubrique « Dialecte » 14. La graphie semble donc avoir été cou­rante en An­gle­terre à une époque où elle ne l’était guère encore en France. Il faudra une étude pour élucider par quelle voie la variante gra­­phique anglo-normande a fini par sup­­plan­ter la graphie française traditionnelle et dialectale­ment fondée, , à une époque aussi tardive que les 14e et 15e siècles. *** L’on a vu que l’hypothèse dialectale avancée par Lodge pour expliquer l’origine de [o]/ et de [wa] s’avère intenable au niveau empirique. Sur le plan méthodo­logique aussi, l­’ar­gu­ment géolinguistique suivi par Lodge me paraît hautement problématique. On a en effet du mal à comprendre pourquoi l’auteur cherche, comme à tout prix, une origine dialectale des va­riantes standard [o] et [wa], car, du moins pour ce qui est des environs de Paris, il reconnaît bien que les limites dialectales dont témoigne l’ALF pour la fin du 19e siècle ne se prêtent pas telles quelles à une étude de dialectologie historique. « It needs to be emphasised that the isoglosses traced out here depict the dialect situation as it was found by Gilliéron and Edmont in the late nineteenth century, not as it might have existed in medieval times. Isoglosses can and do move over time. » (Lodge 2010a, 36)

Ainsi, Lodge a parfaitement raison d’interpréter la ‘bosse’ formée par l’Îlede-France au côté ouest de la partie orientale du domaine d’oïl (cf. les cartes reproduites ci-dessus) comme la conséquence d’une dif­fusion des variantes ur­baines, [o] et [wa], dans les parlers des environs de la capitale (« the hinter­ 14

Cf. ‹http ://bfm.ens-lyon.fr/IMG/pdf/Liste_BFM112.pdf› [dernier accès au fichier le 12 août 2013].

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land dialect of Paris », abrégé en « HDP » par Lodge 2004, 57), qui connais­ saient ori­­gi­nel­le­ment des formes dialectales différentes de la prononciation standard, à savoir [jo] et [ε]. La ‘bosse’ francilienne formée par les isoglosses correspondantes est donc sans aucun doute un phé­no­mène au ni­veau des dialectes ‘ter­tiai­res’, dû à des évolutions régiolectales postérieures à la formation de la variété standard. Cependant, concernant la pro­ve­nance des variantes standard, se pose la question de savoir pourquoi, selon Lodge, ces formes auraient forcément leur origine à l’est de l’Île-de-France, dans une vaste aire dialectale étrangement homo­gène, d’où elles auraient été trans­­­­portées vers la ville médiévale et où elles auraient évolué, par la suite, au même rythme qu’à Paris, pendant une période aussi longue que celle qui s’éten­d du 12e (époque du transfert pré­­­sumé de [o] et de [wa] vers l’ouest) jusqu’à la fin du 19e siècle (coupe syn­chro­nique docu­men­tée par l’ALF). « The particular bulge like configuration common to [...] these [...] isoglosses in the ALF has perhaps something important to say about the linguistic history of the region. It suggests that in each case one of the variants originated outside the HDP box, and that at some point it took root in Paris, from where it subsequently diffused out into a city’s immediate hinterland, to form a bulge visible on the modern dialect maps. » (Lodge 2004, 67 ; italiques par K.G.)

Il me paraît évident que, malgré les réserves qu’il ex­pri­me, Lodge succombe fatalement à la tentation de considérer les isoglosses modernes comme l’effet d’une migration médiévale, sans te­nir compte du fait que l’ALF relève souvent des formes standard ‘para­chutées’, même hors des régions limitrophes de Paris. La supposition de départ selon laquelle la présence mo­derne de cer­ taines formes linguis­tiques à l’est de l’Île-de-France impliquerait leur existence au Moyen Âge n’a, en vérité, aucune plausibilité. Aussi séduisante que soit la ‘théorie de migration’, sur un plan général, pour expliquer le caractère composite du français, elle risque de s’effondrer, car elle part d’une hypo­thèse de base injustifiée et s’appuie sur des données qui la démentent à y regarder de plus près.

2.3 Morphologie verbale Cu­rieusement, les désinences verbales du français standard présentées dans le tableau 1 (traits 3 à 5) sont aussi celles des dialectes normands (3e personne du pluriel, indicatif présent : ils chant-ent ; 1re per­sonne du pluriel, subjonctif présent / indicatif ou subjonctif imparfait / condi­tion­nel : (que) nous chant-ions, que nous chant-ass-ions, nous chant-er-ions ; 3e personne au pluriel, indi­catif imparfait / con­di­tionnel : ils chant-aient, ils chant-eraient). Par contre, les formes dia­­lec­tales caractéristiques des anciens parlers

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d’Île-de-France sont ils chant-ont, nous chant(er/ass)-eins et ils chant(er)eint 15. En fait, la forme oxytonique de la 3e personne du pluriel du présent est largement attestée comme marque du ‘patois de Paris’ dans les textes littéraires analysés par Wüest (1985, 249), les anonymes Agréables confé­rences de deux paysans de Saint-Ouen et de Mont­mo­rency sur les affaires du temps (1649-1651) et La pipe cassée de Jean-Joseph Vadé (1719-1757). Fondet (1995, 194) signale aussi des formes de la 3e personne du pluriel de l’imparfait en -aint dans les Agréables confé­rences. La répartition géographique frappante des désinences verbales a amené Fondet (1995, 192-194) à la con­clusion que les formes du français standard sont d’origine normande. Cette hypothèse est encore renforcée par la présence d’un -d- épenthétique dans les formes normandes du futur et du con­di­ tion­nel, phé­no­mène conventionnalisé dans le français standard, mais ab­sent des an­ciens dia­lectes franciliens. Fondet (1995, 193) explique cette « étonnante convergence » par le fait que les plus importants centres littéraires du 12e siècle se trouvaient en Nor­man­die et en Angle­terre. C’est grâce au poids culturel précoce de ces régions que les variantes oc­cidentales des ter­mi­naisons verbales se seraient peu à peu imposées dans l’usage écrit de la France entière. Chez Lodge (2004), la variation au niveau des terminaisons verbales reçoit une interpré­tation différente, même si l’auteur se réfère plusieurs fois à Fondet (1995). Malheureusement, il règne une certaine confusion surtout en ce qui concerne la variation des formes de la 1re per­sonne du pluriel, -ions ~ -eins, car, bien que la carte établie par Lodge (2004, 67 ; cf. ci-dessous, « map 15 ») sur la base de la carte 512 de l’ALF porte la légende « éteins » (on admettra, pour la désinence, une prononciation moderne [] < [jns]), c’est la forme -iens (on admettra [j], provenant de [jns] ou bien d’une forme disyl­la­bique, [i.(j)ns]) que l’auteur nomme dans le titre des cha­pitres correspondants de son livre. À la page 66, les variantes « -iens/-eins » sont même indiquées en alternative, mais il n’est pas expliqué en quoi pourrait con­sis­ter leur différence. En revanche, les exemples que Lodge (2004, 89 et 178sq.) a pris dans des tex­tes du 13e, du 14e et du 17e siècle, ainsi que chez Agnel (1855, 54 et 60), re­pré­sentent sans ex­cep­tion le type diphtongué (ou disyllabique) -iens, avec des variantes telles que -ien, -iem, -yen, -iem(m)es ou -ia(i)ns. Pareillement, Lodge (2004, 67sq.) parle d’abord de -aint [] comme terminaison de la 3e personne du pluriel de l’indicatif imparfait, mais parmi les exemples cités aux pp. 70 et 177sq. figurent des formes en -ien(t), -ia(i)nt, -iont et -ions. Cf. Fondet (1995, 203, carte n° 1) et les cartes suivantes de l’ALF : 679 (habitent), 1064 (portent), 401 (devaient), 513 (étaient), 1366 (viendraient), 512 (étions), 515 (serions), 518 (soyons) et 100 (ayons).

15

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Certes, le polymorphisme dont les textes témoignent au niveau des désinences ver­bales est considérable et, de ce fait, difficile à cerner. Il aurait quand même été souhaitable que Lodge s’efforçât de mieux distinguer deux types de formes apparemment différents, avant d’en tirer des conclusions générales sur une question aussi com­plexe que celle de la formation du fran­çais standard. D’après Lodge, -iens (= -eins ?) serait la désinence autochtone des dialectes franciliens (« HDP » ; cf. ci-dessus) qui aurait été concurrencée dès le 13e siècle par la forme occidentale -ions, établie dans la langue parlée de Paris suite à l’immigration de locuteurs dialectophones venus de l’ouest : « the non-HDP ‘western’ variant -ions appears to have become established quite early in Parisian usage, alongside the HDP form -iens. However, competition between forms of the 4th person imperfect persisted for a long time. » (Lodge 2004, 89)

Or, cette interprétation est en désaccord avec les données dialectologiques dont nous disposons. Si l’on considère, dans un premier temps, les seuls ré­sultats qu’ont appor­tés les enquêtes menées autour de 1970 dans le cadre du projet ALIFO, il s’avère que dans l’arrière-pays parisien l’ancienne terminaison dialectale de la 1re personne du pluriel de l’imparfait et du conditionnel

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était -eins [], non pas -iens [j] 16. Cela est confirmé par les cartes 512 (étions) et 515 (serions) de l’ALF qui donnent, elles aussi, uniquement des formes en [] pour la France centrale. À la 1re personne du subjonctif présent, [] s’est réguliè­re­­ment déve­loppé à partir des for­mes de la 1re ou de la 3e conjugaison latine (excepté les radicaux en -i-) : can­t ēmus > chanteins ; mittāmus > metains. Par contre, les termi­ naisons de l’imparfait et du condi­tion­nel ne s’expliquent que par analogie avec des formes oxyto­niques de la 3e personne du pluriel (chant(er)-aint), dont les variantes régulières, paroxy­ to­ niques comme en français préclassique (*cant ēbant > chan­téjent ; *cantāre habēbant > chanteréjent), paraissent avoir été remplacées as­sez tôt en Île-de-France, probablement sous l’influence de la forme oxytonique du singulier (chan­t (er)éjt) (cf. Fouché 21967, 241). Qu’en est-il alors des formes en -iens, qui ne sont pas attestés pour l’Île-deFrance dans l’ALIFO, mais qui sont effectivement des formes très fréquentes en ancien français, surtout dans les scriptae du nord et de l’est ? – Phonétiquement, la désinence s’est développée à partir de -āmus après palatale ; elle est donc ré­gulière dans les formes de l’imparfait et du conditionnel des verbes issus de la 2e conju­gaison la­tine (hab-ē-bāmus > àv-e-ámus > av-(i-)jens). Selon Rheinfelder (1967, § 433), cette terminaison, qui est le plus souvent traitée comme disylla­bi­que dans la poésie en vers (cf. Pope 21952, § 918 ; Fouché 2 1967, 242), a été généralisée assez tôt en an­cien français, de sorte qu’elle se trouve aussi et dès le début dans les verbes issus des 1re et 4e conju­gai­­sons latines. En tant que désinence du subjonctif présent, -iens (monosyllabique) s’est développé à partir des terminaisons la­tines -i āmus ou -āmus après pa­la­ tale ; -iens est donc régulier pour les verbes issus des radicaux en -­i- de la 3e conjugaison latine (cap-i-āmus) ou des verbes de la 2e conjugaison la­tine (-eāmus) ainsi que pour être (sej-jens < *sejāmus 17) et chez avoir (aj-jens < habeāmus). D’après Rheinfelder (1967, § 428), la désinence aurait été généralisée, en raison de sa haute fréquence, pour tous les verbes au cours du 13e siècle. Or, ces observations valent peut-être plutôt pour une forme idéalisée de l’ancien français écrit, de forte empreinte nord-orientale, que pour les dialectes d’Île-de-France. Il ne faut pas oublier, en effet, que la grammaire historique traditionnelle partait en principe de l’équation ‘français = francien’. Fouché (21967, 205) a tout de même envisagé une provenance orientale des « formes franciennes en -iens ».

Quant aux formes du subjonctif présent (ALF 518 et 100), cf. ci-dessous. Cf., pour cette forme, Pope (21952, § 919) ; Fouché (21967, 206) ; Rheinfelder (41968, §§ 101sq.).

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Pour expliquer la terminaison mo­derne du subjonctif présent, -ions, on sup­pose un croisement de -iens (monosyllabique) et de -ons, variante oc­ci­ den­tale qui s’explique par analogie avec les formes de l’indicatif (*cantumos, selon le modèle de sumus) 18. Mais ce n’est qu’au 15e siècle que la nouvelle désinence a supplanté la variante orientale, -iens, comme ter­minaison du subjonctif présent. Dans les formes de l’im­par­fait et du con­di­tionnel, -ions s’ex­plique aussi par un croise­ment de -iens (initialement disyllabique) et de ­-ons. La nouvelle terminaison est déjà attestée dans la Chanson de Roland (cf. Pope 2 1952, § 918), et il semble que son emploi à l’écrit a con­stam­ment augmenté au cours des 13e et 14e siècles. Elle s’est donc imposée avec une certaine avance par rapport aux nouvelles formes du subjonctif pré­sent dont elle a sans doute favorisé l’essor. Ce qu’il est important de retenir, c’est que jusque vers la fin du 13e siècle, -iens était la forme normale des scriptae nord-orientales qui devait jouir du prestige littéraire des textes où elle était couramment employée, dans les romans de Chrétien, par exemple. Par contre, -ions se présente comme un compromis innovateur entre -iens et l’ancienne forme occidentale, -ons. Ce n’est qu’à partir du 13e siècle que la nouvelle terminaison s’est peu à peu affirmée à l’écrit, au détriment de -iens. Les chiffres correspondants indiqués dans l’atlas de Dees (1980, 243) sont à cet égard uni­voques : pour la 1re per­sonne du pluriel de l’indicatif imparfait en -iens ont été relevés des taux de 100 % en Wal­lonie, dans le Hainaut, les Ardennes, la Marne et les Vosges ; des taux entre 90 % et 94 % sont in­di­qués pour le Nord, la Meuse, la Moselle/Meurtheet-Moselle, la Haute-Marne, la Bourgogne et la Franche-Comté. Même pour la Région parisienne, Dees signale encore 56 % de formes en -iens/-iemes, rapport variationnel qui est à peu près confirmé par les chiffres auxquels ar­rive Lodge (2004, 89) par son dépouillement des chartes expédiées au 13e siècle par le Prévôt de Paris (66 % de -iens/-iemes contre 33 % de -iom/-ions). En se référant à Metzke (1881, 90sq.), Pope (21952, § 907) sup­pose que ­-iens prédominait encore comme désinence du subjonctif dans les textes pa­ri­siens du 14e siècle. Il se pose maintenant la question du rapport qui existait entre les formes en -iens et celles en -eins, identifiées les unes aux autres par Lodge (2004, 66sq.). Vu que les atlas linguis­ti­ques attestent uniquement -eins comme variante dialectale des désinences de l’indicatif impar­fait et du conditionnel (cf. Fondet 1995 ; ALF 512, 515), il paraît effectivement étrange que les textes satiriques modernes imitant le ‘patois de Paris’ emploient la désinence -iens, que j’ai qualifiée de variante prestigieuse des scriptae médiévales, comme forme orale 18

Cf. Pope (21952, § 907) ; Fouché (21967, 190 et 203) ; Rheinfelder (1967, § 426).

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diastratiquement basse. Comment expliquer une telle inversion du marquage variationnel ? À mon avis, nous disposons d’une clef interprétative pour la variation des formes en question grâce à l’analyse scriptologique de la plus ancienne charte royale en langue française qui nous soit transmise, de 1241 (cf. Videsott 2010 ; cf. aussi Lodge 2010a). En fait, les trois formes du subjonctif présent qui se trouvent dans cette charte (metains, tesmognein, confermain) peuvent être considérées comme des « formes orales caractéristiques pour l’Île-de-France » (Videsott 2010, 377), car, contrairement à -iens, ce type morphologique n’est que rarement attesté dans les textes médiévaux et trouve un parallèle frappant dans les formes de l’imparfait et du conditionnel repérées dans les dialectes modernes. Lorentz (1886, 42) a relevé des formes de l’imparfait et du conditionnel en -eins dans l’Histoire de Saint Louis de Jean de Joinville (cf. Wailly (éd.) 1874) ainsi que dans une charte française de 1281, insérée dans un vidimus royal en latin expédié, à son tour, en mars 1282 à Sermaises, dans le Loiret (« apud Sarmesias in Belsia » ; Quantin (éd.) 1873, n° 708, 361-363). Dans la teneur de la charte vidimée sont attestées de nombreuses formes de l’imparfait en -iens, mais aussi quatre occurrences de poveins et une fois teneeins. Que ces formes aient déjà figuré dans la charte originale ou qu’elles aient été introduites dans le processus de recopiage est, dans ce cas-là, une question de moindre importance, car l’acte vidimé est un échange conclu entre Humbert de Beaujeu, connétable royal et seigneur de Saint-Maurice-Thizouaille (Yonne), et le chapitre cathédral d’Auxerre (Yonne). En fait, l’Auxerrois, région d’origine probable de la charte vidimée, fait également partie du domaine dialectal moderne de -eins (cf. Fondet 1995, 203 ; ALF 512, 515). On peut par ailleurs exclure un développement de -eins [] à partir de -iens [j]/[i.], puisque [jε] s’est monophtongué en français après palatale (chier > cher), mais justement pas devant une consonne nasale (chien). Je suppose donc que la différence entre -eins et -iens n’est pas d’ordre purement graphique, comme l’a soutenu Lorentz (1886, 42) par rapport à l’Histoire de Saint Louis, mais qu’il s’agissait de deux variantes diasystématiquement distinctes en Île-de-France. Cela est mis en évidence, à mon avis, par les cartes 518 et 100 de l’ALF qui donnent les formes régulières de la 1re personne du pluriel du subjonctif présent des verbes être et avoir, respectivement [swεj] et [εj], mais aussi je seins [s] et j’ains [], variantes sans doute formées par analogie avec la forme oxytonique de la 3e personne au pluriel, ils seint (cf. ci-dessus ; Fouché 21967, 241 ; Fondet 1995, 195sq.). Le fait que les formes monosyllabiques soient uniquement attestées avec le pronom sujet de la 1re personne du singulier les fait apparaître comme des variantes anciennes, typiquement dialectales (cf. Hausmann 1979). Fouché (21967, 241) a qualifié les formes oxy-

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toniques de la 3e personne du pluriel de « formes très anciennes ». En fait, la voyelle atone dans les formes du type seint (< *sējant) doit s’être amuïe avant la nasalisation de la diphtongue tonique au 9e siècle. Il est vrai que [swεj] et [εj] sont aussi majoritairement attestés avec le pronom je/j’ dans l’ALF, mais on en trouve aussi des occurrences avec le pronom nous, ce qui permet de considérer ces formes comme plus jeunes que les variantes monosyllabiques. J’ai d’ailleurs exprimé mes doutes sur l’hypothèse que la diphtongue [wε] (< [oj] < [ej]) serait autochtone en Île-de-France (cf. ci-dessus, section 2.1). Sous cet aspect également, les formes disyllabiques me semblent représenter non pas des variantes dialectales anciennes, mais des emprunts au langage cultivé des classes supérieures parisiennes qui sont d’implantation plus récente en Île-de-France que les formes analogiques je seins et j’ains. Encore une fois : le fait qu’un développement comme celui de [swεj] ou [εj] paraît ‘régulier’ (= ‘français’) aux yeux de la grammaire historique, ne dit en vérité rien sur le caractère autochtone des formes concernées en Île-de-France. Il faut se libérer ici du centralisme téléologique de la philologie traditionnelle 19. Dans cette perspective, une forme de l’imparfait comme poveins, attestée quatre fois dans la charte d’Humbert de Beaujeu (cf. ci-dessus), représente un fort indice en faveur de l’hypothèse que -eins était la forme anciennement générale des dialectes centraux, car dans ce cas précis, l’aboutissement ‘régulier’ serait en -iens (pov-(i)-iens < pot-ē-bāmus). On retiendra que la vaste répartition de -iens dans les scriptae médiévales du nord-est interdit de mettre cette variante soutenue, d’envergure suprarégionale, sur le même plan que -eins, qui est une forme diatopiquement restreinte, spécifique de la France centrale. Il apparaît d’ailleurs que la désinence dialectale a rapidement disparu de la scripta royale vers la fin du 13e siècle, ce qui montre que cette scripta était au début plus marquée au niveau diatopique et qu’elle a subi ensuite un processus de dérégionalisation, tout comme les autres scriptae oïliques. Il faudra une étude pour déterminer les emplois relatifs de -­ eins ~ -iens ~ -ions à différentes étapes de l’évolution de la scripta parisienne, surtout à travers la seconde moitié du 13e siècle. Il me semble, toutefois, que la variation de -eins ~ -iens, caractéristique des textes centraux du 13e siècle, témoigne de la coexistence de deux formes diatopiquement et diastratiquement bien différentes. Ce n’est que dans un deuxième temps que la nouvelle forme supra-régionale -ions a gagné du terrain dans les textes. Au subjonctif présent, il lui faudra plus d’un siècle pour supplanter -iens à l’écrit. Cf. Grübl (sous presse, chapitre 3). Cf. Oesterreicher (2007) pour une critique générale des tendances téléologiques dans l’historiographie des langues romanes.

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L’on pourrait alors se demander si la variation -iens ~ -ions dont témoignent les textes satiriques imitant le ‘patois de Paris’ n’est pas un peu du même ordre que la variation -eins ~ -iens attestée dans les textes médiévaux. La question qui se pose est donc celle qu’on a déjà formulée ci-dessus : comment expliquet-on que la forme prestigieuse des scriptae médiévales du nord et de l’est, -iens, apparaît comme variante régionale et diastratiquement basse à l’époque moderne ? – La réponse pourrait venir de l’évolution de l’ancienne diphtongue nasale [j] > [], qui paraît avoir commencé à se monophtonguer déjà au 12e siècle (cf. Rheinfelder 41968, § 206), mais dont la prononciation monovocalique ne s’est définitivement imposée qu’au 17e siècle (cf. Morin 2008, 2920). Tant que la diphtongue a été prononcée, la désinence dialectale -eins [j] doit avoir été ressentie comme fondamentalement différente de la désinence -iens [j]. Mais au moment où [j] s’est monophtongué en [], la différence par rapport à [j] s’est réduite à la présence de la semi-consonne prévocalique, ce qui peut avoir mené à l’identification des variantes -iens et -eins [(j)] et, par là, à une contamination de [j] par la valeur diastratiquement basse de []. L’existence moderne des formes [swεj] et [εj] (ALF 518 et 100), qui semblent être des variantes dialectales plus jeunes en Île-de-France que je seins/j’ains, donne peut-être une piste pour comprendre la dévaluation diasystématique des formes verbales en -iens, refoulées de l’écrit par la nouvelle terminaison -ions entre le 13e et le 15e siècle. Que les textes satiriques des 17e et 18e siècles emploient la variante -iens pour mettre en scène le ‘patois de Paris’ (cf. Lodge 2004, 178sq.) pourrait s’expliquer par la plus grande saillance phonique de la terminaison diphtonguée. Or, Agnel (1855, 53-83) signale, lui aussi, uniquement des formes en -iens ou en -ions comme variantes employées par les paysans des environs de Paris au 19e siècle. Il faudra donc admettre que la variante standard ait joué en faveur de -iens, à savoir par un ‘recroisement’ de -ions, ­cette fois-ci avec l’ancienne variante dialetale -eins []. L’hypothèse selon laquelle la semi-consonne prénasale a été généralisée comme une sorte de schibboleth du ‘patois de Paris’ pourrait, en fait, être renforcée par les formes de la 3e personne du pluriel de l’indicatif imparfait en -­ ient (cf. Lodge 2004, 70 et 177sq. ; cf. ci-dessus), car dans ce contexte morphologique la semiconsonne ne s’explique pas phonétiquement. Les atlas linguistiques donnent pourtant clairement, à quelques exceptions près, la monophtongue [] comme désinence dialectale, soit de la 1re, soit de la 3e personne du pluriel. Face à ce tableau plutôt déconcertant, je ne prétendrai pas pouvoir donner une explication satisfaisante au problème épineux de la variation des terminaisons verbales en ancien et en moyen français. Pour le résoudre, il faudra procéder à des études très détaillées qui s’évertuent à synthétiser les données dialectales modernes, la variation dans les textes médiévaux pari-

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siens et centraux, ainsi que les tendances à la standardisation supra-régionale dont témoigne la variation dans les autres scriptae oïliques. J’insisterai, en tout cas, sur une distinction consciencieuse des terminaisons -eins et -­iens, dont le statut diasystématique respectif dans la scripta parisienne doit être reconstruit avec beaucoup de prudence. C’est à cet égard que la description de Lodge (2004) me paraît nécessiter une révision. Avant de s’interroger sur la provenance régionale de -ions, il conviendra, en fait, de présumer que -iens est aussi une variante ‘importée’ en Île-de-France. Le chapitre qui suit permettra de mettre en évidence, dans une perspective d’ensemble, que supposer une origine écrite de -iens – tout comme de -ions, de et de – est finalement beaucoup plus plausible que la thèse d’une provenance dialectale, d’‘en bas’.

3. Le rôle de la scripturalité dans la formation pluriséculaire d’une variété suprarégionale du français La thèse d’une koïnè écrite, d’origine littéraire, à la base du mélange dialectal qui caractérise la variété standard du français a déjà été avancée par Cerquiglini (1991, 114-124 ; cf. aussi 2007, 165-214). Or, cette approche a été fermement réfutée par Lodge (2004, 71-76), surtout en raison de deux apories qu’elle impliquerait : le ‘problème des données et de la chronologie’ et le ‘problème de l’implémentation’. Pour Lodge (2004, 74sq.), le premier aspect contradictoire de l’hypothèse d’une koïnè littéraire médiévale réside dans le fait que nous n’avons guère de manuscrits originaux qui datent d’avant 1200, de sorte que nous manquons de base empirique pour mettre en évidence l’existence précoce d’une variété suprarégionale du français. De plus, les travaux de Dees (1980 ; 1985 ; 1987) et de Pfister (1993) n’auraient pas apporté d’indices en faveur d’une base linguistique commune des scriptae du 13e siècle et, par là, démenti les idées de Remacle (1948). Il serait par principe plus plausible d’admettre une élaboration des scriptae à partir des niveaux local et régional, non pas la ‘dialectalisation’ secondaire d’une norme française préétablie. La seconde aporie dénoncée par Lodge (2004, 75sq.) résulterait de l’impossibilité de savoir par quelle voie une norme littéraire se serait imposée ‘par le haut’ comme variété parlée non seulement des membres de la cour royale 20, 20

Lodge se réfère ici aux fameux vers de Conon de Béthune (« mon langaige ont blasmé li François... ») qui datent probablement d’autour de l’an 1180 (cf. Pfister 1973, 217sq.). Cf. Cerquiglini (2007, 176-182) pour une critique convaincante de l’interprétation traditionnelle du poème comme premier commentaire métalinguistique attestant la supériorité du français d’Île-de-France par rapport aux autres dialectes.

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mais surtout du peuple parisien, vu que celui-ci était majoritairement composé d’illettrés au Moyen Âge. En fait, Lodge part de l’hypothèse qu’au bas Moyen Âge, une koïnè préfigurant le français était déjà la langue habituelle de la plupart des habitants de la capitale. Cette situtation, irrémédiablement énigmatique du point de vue de la théorie d’une genèse littéraire du français, s’expliquerait aisément si l’on partait de l’idée d’une formation de la koïnè en tant que variété parlée des Parisiens mêmes. Selon Lodge, cette variété diatopiquement mixte aurait émergé des échanges quotidiens de locuteurs dialectophones venus s’installer dans la ville, s’accommodant linguistiquement les uns aux autres dans le nouvel environnement. À partir des années 1240, la koïnè orale parisienne aurait été mise à l’écrit à la Chancellerie royale, d’où elle aurait été propagée par la suite comme scripta unitaire du royaume. C’est donc ‘par le bas’ que le français se serait imposé comme langue commune ; il s’agirait d’emblée d’un « fait des locuteurs » (Lodge 2010b ; ici 74, 15), des locuteurs parisiens, plus précisément. « The fact remains [...] that both the standard language and the colloquial speech of Paris have long embodied the specific mixture of dialect forms we considered [...]. It is unlikely, on the grounds both of the chronology of the textual evidence and of the mode of implementation, that a written standard came first, to be subsequently extended to speech. On the other hand, the cartographical data we examined [...] make it look as though developments could have occurred the other way round : that dialect-mixing may well have happened first in the everyday speech of Paris, and that the ‘new’ spoken variety resulting from this provided the basis for subsequent elaboration and standardisation. » (Lodge 2004, 76)

Je ne nierai pas que le scénario d’un brassage dialectal survenu dans la masse des habitants de Paris apparaît, en principe, parfaitement probable, autant sur le plan historique (cf. Bautier 1978 ; Bald­­win 2010 ; Sohn 2012) que sociolinguistique (cf. Kerswill 2002 ; Kerswill/Trudgill 2005). Pourtant, comme on l’a vu au chapitre précédent, les données dialectales et textuelles ne permettent le plus souvent pas de les interpréter du point de vue adopté par Lodge. Cela suggère que, même s’il est plausible, en principe, d’admettre la formation d’une variété parlée dialectalement neutre à Paris, il n’est peutêtre pas judicieux de faire dériver de cette koïnè orale potentielle la scripta spécifique des institutions royales, qui a abouti au français standard. En fait, cette variété écrite a bien pu se développer indépendamment des contacts survenus dans le parisien oral, à savoir en tant que forme intermédiaire entre différentes scriptae régionales 21. Sous cet aspect, on peut aisément éluder l’argument ‘chronologique’ de Lodge qui s’oppose à l’idée que les scriptae régionales ne seraient que des créations secondaires, issues de la ‘fragmenta21

Cf. surtout Selig (2008).

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tion’ d’une norme littéraire préexistante. Sous ce même aspect, il me paraît également nécessaire de revenir sur la supposition qui est à la base de ce que Lodge appelle le ‘problème de l’implémentation’, à savoir sur l’hypothèse qu’à la fin du Moyen Âge les Parisiens auraient parlé une variété diatopiquement mixte que l’on pourrait identifier, plus ou moins, à la future variété standard : « If we move forward, temporarily, to the end of the Middle Ages, it is clear that Parisian speech was indeed, by then, a mixed dialect (a koine) containing forms drawn from several regions of northern France. How did a supra-regional written koine believed to have emerged before the twelfth century come to be accepted as the spoken language of most Parisians by the end of the Middle Ages ? [...] Writing need not remain a mere record, and can influence the community of speech [...], but it is doubtful whether, given levels of literacy in the thirteenth or fourteenth centuries, the prestige of vernacular written forms, and even familiarity with them, were sufficient for this to happen on a significant scale, even among elites. » (Lodge 2010a, 33) 22

Ici se pose la question de savoir comment Lodge a pu en arriver à la conviction qu’aux 13e et 14e siècles, la plupart des Parisiens parlaient déjà la variété dialectalement mixte dont serait issu le français écrit. Il me semble que Lodge fonde sa certitude principalement sur les chiffres qui résultent de son dépouillement des chartes expédiées par le Prévôt de Paris entre 1249 et 1365. Certes, Lodge n’ignore pas la difficulté qui consiste à reconstruire une variété parlée uniquement à partir de textes écrits. Mais, faute d’une meilleure base empirique, il procède quand même à une projection de la variation dont témoigne la langue des chartes parisiennes sur la langue parlée à la même époque dans la capitale, en invoquant le principe formulé par Dees (1985) selon lequel la langue des chartes médiévales laisserait entrevoir, dans une certaine mesure, les variétés parlées sous-jacentes. « The written forms we encounter in these documents cannot be interpreted in a simple referential way. Medieval French spellings could stand for a multiplicity of pro­­­­nunciations and could travel independently of speech. [...] However, the fact that we are dealing with speech refracted through the prism of a writing system, and that the relationship between speech and writing was complex, does not mean that there was no relationship between the two codes, particularly in the early stages of the development of a writing system. When we encounter partic­ ular Old French spelling variants rather than alternatives, we must not infer that the writer intended particular pronunciations in each particular case, but, analys­ed quantitatively, we might expect that variation in the writing system do correlate in some measure with variation in the speech of the community. » (Lodge 2004, 84sq.)

Dans les grandes lignes, l’analyse quantitative à laquelle Lodge (2004, 88-93) soumet les actes de la Prévôté donne pour résultat que, au cours de Cf. aussi Lodge (2004, 75).

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la période examinée, la langue des chartes parisiennes s’est peu à peu rapprochée de la norme du français écrit moderne, en privilégiant de plus en plus les formes caractéristiques de celui-ci (-ions, , ), au détriment des variantes qui ne sont pas entrées dans le système du français standard (-iens, ) ou seulement dans une moindre proportion (//) et qui sont généralement considérées par Lodge comme des formes dialectales autochtones de l’Île-de-France 23. Les désinences verbales de la 3e personne du pluriel du présent (-ent) et de l’imparfait (-aient/-oient) sont même exclusivement employées dès les plus anciennes chartes en français du Prévôt. Lodge en arrive à la conclusion que les variantes linguistiques orales qu’il associe aux formes graphiques qui sont en régression dans les textes (-iens, [jaw] > [jo], [ε] pour //) auraient peu à peu disparu de la norme du ‘bon’ parisien parlé, tel qu’il se serait formé par koïnéisation au cours des 12e et 13e siècles, tandis que les variantes complémentaires (-ions, [eaw] > [o], [wε] pour ) s’y seraient de plus en plus affirmées, si elles n’étaient pas exclusives dès les premiers textes (-ent, ­­- aient/-oient). « We saw that the Parisian writing system embodied a specifically Parisian mixture of dialect forms, and, while resisting the temptation to see these spellings naïvely as direct representations of speech, we followed Dees’s thinking that vari­ ability in the writing system, analysed quantitatively, correlated up to a point with variation in speech. No valid reconstruction of the spoken language is possible, of course, but it would appear that koinéisation in Paris occured progressively, with different exo­gen­ous elements being absorbed into the Parisian system at different times. » (Lodge 2004, 102) 24

À mon avis, l’idée selon laquelle la réduction progressive de la variabilité de certains traits linguistiques à l’écrit témoignerait d’une réduction simultanée, voire primaire, des variantes concernées dans un certain registre du parisien parlé repose, en vérité, sur une illusion d’optique. En effet, ce que laisse entrevoir l’évolution de la scripta employée à la Prévôté de Paris n’est pas la stabilisation progressive d’une norme orale proto-française parmi les habitants de la capitale, mais, tout simplement, un effet de standardisation à l’écrit qui équivaut à un processus de dérégionalisation de la scripta parisienne, initialement plus fortement marquée au niveau diatopique. Le principe formulé par Dees (1985) selon lequel la variation dans les chartes refléterait, dans une certaine mesure, la variation à l’oral vaut d’ailleurs uniquement dans une perspective synchronique. Ainsi, il est légitime de Cela ne vaut pas pour les représentants graphiques de [ε], que Lodge tient pour un apport dialectal de l’ouest. 24 Cf. également Lodge (2010a, 40). 23

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comparer différentes scriptae médiévales d’une même époque pour déterminer à quel point s’y manifestaient les réalités dialectales sous-jacentes. Dans une perspective diachronique, par contre, on ne peut pas mettre en parallèle a priori l’évolution à l’écrit et celle qui est potentiellement survenue à l’oral, car il faut s’interdire de comparer deux états historiques d’une scripta en partant de la supposition que l’oral aurait influencé l’écrit au même degré pendant toute la période examinée. En fait, la standardisation de l’écrit médiéval consiste précisément dans une autonomisation croissante du code graphique par rapport à ce qui se passait dans les variétés parlées. Faut-il rappeler qu’à la fin du 16e siècle le français était quasiment figé à l’écrit, tandis que la très grande majorité des Français continuaient à parler des dialectes ou même des langues régionales ? Sous cet aspect, on ne voit pas la difficulté qu’un scribe parisien du 14e siècle aurait eu à écrire et , mais à prononcer [ε] et [jaw] dans son langage habituel. D’ailleurs, les fameuses sources du ‘patois de Paris’, tel qu’il devait encore être courant dans la ville aux 17e et 18e siècles, montrent précisément que tous les Parisiens ne parlaient pas le français jusqu’à une époque bien postérieure au Moyen Âge tardif. L’hypothèse de Lodge selon laquelle à la fin du Moyen Âge le peuple parisien parlait un dialecte urbain relativement stable dont la configuration spécifique aurait préfiguré le français standard repose, on l’a vu, sur une projection injustifiée des données textuelles sur les caractéristiques de la langue parlée. Dans ce contexte, Völker (2011, 101sq. et 107) a tout à fait raison de souligner, en se référant au modèle de Haugen (1983), que la ‘diffusion’ de la variété standard dans l’oralité des masses est, même en France, un phénomène des 19e et 20 e siècles, tandis que la ‘sélection’ et la ‘codification’ de la norme sont des processus généralement contrôlés par une petite élite intellectuelle ou politique qui agit loin et indépendamment des locuteurs. Videsott (2013 ; ici, 3-49 ; cf. surtout 35sq.) a tout récemment montré que la scripta de la Chancellerie royale ne se confondait pas, au 13e siècle, avec les scriptae des ‘lieux d’écriture’ mineurs de Paris et de l’Île-de-France. Il apparaît, au contraire, que la scripta royale tendait à réaliser un compromis linguistique d’envergure supra-régionale, tandis que la variété du français employée par les institutions locales était encore plus proche du dialecte parlé en Île-de-France et restait, de ce fait, à l’écart du grand processus de nivellement linguistique en cours. Concernant, encore une fois, la scripta de la Prévôté de Paris dont Lodge (2004) a étudié l’évolution diachronique, le processus de dérégionalisation linguistique qu’on peut observer dans les chartes me semble parfaitement s’accorder avec l’histoire de cette institution. À ne pas confondre avec la Chancellerie, où étaient rédigés les actes expédiés au nom du roi même, la Prévôté était une institution de la juridiction gracieuse du roi qui siégeait au Châtelet.

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La compétence territoriale de ce service notarial pour l’authentification des actes privés se limitait au début à Paris et à 116 communes situées dans les environs de la ville 25. Or, Lusignan (2003, 63sq.) a observé que le rayon d’activité de la Prévôté s’est considérablement élargi sous Philippe le Bel (12851314), de sorte que les actes passés au Châtelet provenaient désormais du royaume entier. Les chartes émanant de la Prévôté sont d’ailleurs rédigées en français presque exclusivement à partir des années 1260. Carolus-Barré (1963, 422 ; 1976, 153sqq.) supposait même que l’usage innovateur du français au Châtelet a fait décliner le notariat épiscopal et archidiaconal à Paris qui est resté attaché trop longtemps au latin. En tout cas, il y a un parallèle frappant entre l’élargissement de la portée communicative des actes rédigés à la Prévôté à partir des années 1280 et la qualité du français employé dans les chartes : plus on communiquait à un niveau supra-régional, plus on évitait les formes linguistiques trop spécifiquement locales. L’an 1280 marque, en outre, le début d’une innovation institutionnelle dont l’importance pour l’histoire de la standardisation du français doit, à mon avis, être considérée comme centrale. À partir de cette date ont été établies dans le royaume entier des institutions royales de juridiction gracieuse organisées selon le modèle de la Prévôté de Paris. Ce nouveau service notarial, assuré au sein du réseau administratif des baillages et prévôtés royaux, a rapidement connu un grand succès, sans doute en raison de l’usage exclusif qu’il faisait du français dans les actes, comme au Châtelet. Monfrin (1972, 53) a retenu l’an 1270 comme date limite du projet d’édition des Plus anciens documents linguistiques de la France, de crainte que le tournant administratif et diplomatique dont témoignent les documents postérieurs aux années 1270 ne prive ceux-ci de leur intérêt dialectologique 26 : « Comme les actes émanés de bureaux d’écritures [sic] des bailliages et prévôtés sont toujours en français, on pourrait penser que la dialectologie va y gagner. Malheureusement le personnel qu’emploient ces bureaux n’est pas forcément un personnel local ; les officiers royaux des baillages, dont la carrière se poursuit parfois en des lieux divers, amènent souvent leurs clercs avec eux. De plus, ces services sont en relation constante avec la cour royale et les bureaux parisiens. Il est à craindre qu’ils ne s’efforcent d’éliminer les caractères trop voyants d’un dialecte particulier. Et ces actes, répandus par milliers, donnent très vite le ton. [...] Si bien qu’en gros, vers 1280, les chartes cessent d’être, pour le dialectologue, une source de premier ordre. » (Monfrin 1972, 53sq.)

La standardisation linguistique dans l’écrit documentaire va donc de pair avec la centralisation administrative du royaume, poussée en avant surtout à Cf. Carolus-Barré (1963 ; 1976). Cf. aussi Videsott (2013 ; ici, 4sq.).

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partir des années 1280. Mais loin de propager un modèle linguistique diatopiquement restreint, de souche parisienne, le français employé par les institutions royales est effectivement une langue « à vocation commune » 27 qui paraît se faire l’émule du latin, en lui arrachant son privilège jusque-là incontesté d’universalité spatiale et temporelle. Selon Lusignan (1999, 123), le français royal du 14e siècle « apparaît comme une langue uniforme sans ici ni ailleurs, à l’image de la souveraineté royale qui s’affirme uniment sur l’ensemble de la France ; il est la langue identitaire du roi. » Or, même si le français des institutions royales semble réaliser, pour la première fois, un parfait équilibre entre les langues d’écriture régionales (qui ne cessent toutefois d’être employées, dans des contextes diplomatiques hors l’emprise du pouvoir royal) 28, cette langue unitaire s’inspire néanmoins d’une longue tradition de supra-régionalité qui se manifeste déjà dans l’écrit documentaire de la première moitié du 13e siècle, hors du royaume de France, ainsi que dans les textes littéraires. Concernant la langue juridique d’avant 1250, on peut renvoyer aux études de Lanher (1975 ; 1986) et de Gleßgen (2008) sur les plus anciennes chartes en français de Lorraine. De ces travaux, il ressort clairement que déjà dans les années 1230 et 1240 la langue employée dans les actes issus des grandes chancelleries lorraines s’inscrit dans une forte tendance supra-régionale et latinisante, tandis que les actes rédigés par des bureaux d’écriture mineurs ou par des scribes libres sont le plus souvent imprégnés de dialectalismes. « [...] si telle charte, généralement issue d’une grande chancellerie, ne compte que peu de traits dialectaux, telle autre, due à la main d’un scribe qui rédige pour le compte d’une personnalité de moindre importance, traduit une méconnaissance non négli­gea­ble de la ‘bonne’ langue écrite française. [...] Là, un scribe ‘savant’, passant selon le besoin de son métier du latin au français, et utilisant dès lors une langue plus artificielle, collant au latin, déjà étymologique et très proche de la koiné utilisée sur l’ensemble du domaine fran­çais ; ici, un scribe sans grande culture, ou même sans connaissance autre que celle d’une graphie très élémentaire, et transcrivant de façon plus phonétique, sans réfé­rence aucune à un étymon latin sous-jacent. » (Lanher 1975, XXXVIsq.)

La neutralisation de la langue au niveau diatopique paraît donc correspondre systématiquement à un marquage diastratiquement haut des textes. Je reprends ici une expression de Cerquiglini (1991, 114). Je renvoie ici à l’analyse de mon corpus beauvaisien (1241-1455). En effet, les chartes issues de la chancellerie épiscopale de Beauvais montrent les principales marques picardes jusqu’aux années 1370/1380. De facture généralement très professionnelle, ces documents paraissent arborer leurs picardismes avec fierté ; ils témoignent, par là, d’une orgueilleuse identité seigneuriale, parfaitement enra­ci­née dans la tra­di­­tion locale. Cf. Grübl (sous presse, chapitre 5).

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Inutile de dire que ce procédé fonctionnait tout indépendamment d’un modèle linguistique central ou parisien, étant donné qu’avant les années 1240, la langue vernaculaire ne s’employait pas à l’écrit en Île-de-France. Les données textuelles soutiennent, au contraire, l’idée d’un ‘paysage scriptural’ essentiellement pluricentrique. Selon Gleßgen (2008, 522), des variantes typiquement picardes ou bourguignonnes disposaient « de suffisamment de prestige pour être introduites en Lorraine » 29. Lanher (1986, 123) observe, par ailleurs, que la langue des chartes issues des grandes chancelleries lorraines s’est sensiblement régionalisée à la fin du 13e siècle. On pourrait supposer que cette tendance s’expliquerait surtout par l’appartenance de la Lorraine au Saint-Empire. Or, les plus anciennes chartes françaises rédigées à la chancellerie épiscopale de Beauvais sont aussi moins dialectales que celles qui datent des années 1280 à 1380 (cf. Grübl, sous presse, chapitre 5) 30. Il ne faut donc pas penser que la standardisation linguistique survenue dans les actes de l’administration royale ait dès le début affecté la pratique des scribes des autres lieux d’écriture. Il est, au contraire, possible qu’une grande chancellerie seigneuriale élabore dans un premier temps une norme linguistique propre, d’empreinte régionale, pour n’adopter que beaucoup plus tard la scripta supra-régionale du roi. Le fait que les plus anciens textes soient généralement moins dialectaux que les textes plus récents montre d’ailleurs que l’idée d’une régionalisation secondaire des scriptae n’est pas inappropriée en soi. Certes, elle semble contredire le principe de l’élaboration pluricentrique de la langue vernaculaire ; elle paraît, par contre, logique si l’on prend en compte le modèle du latin qui a fortement influencé la rédaction et la mise à l’écrit des plus anciennes chartes en français. Pour ce qui est des textes littéraires, Greub (2007) a montré que le recopiage des manuscrits dans des régions dialectalement différentes de leur région d’origine favorisait sans doute le maintien dans les textes des formes linguistiques supra-régionales tandis que les formes dialectalement trop spécifiques risquaient d’être remplacées par des variantes neutres. « […] il y a inégalité entre la tendance à la neutralisation des formes spécifiques et la tendance à la spécification des formes neutres : celle-ci est très faible, tandis que la pre­­mière est relativement forte. Cela découle logiquement du fait qu’il n’y a écart Kristol (1989 ; ici 53, 366) donne des exemples très convaincants du rayonnement de la scripta picarde dans l’Angleterre de la fin du 14e siècle. 30 Selon Carl Theodor Gossen, cette observation vaut pour les chartes picardes en général : « On pourrait presque dire que la scripta franco-picarde se picardisa de plus en plus au cours du XIIIe siècle » (Gossen 1956, 104). C’est par là que s’expliquerait l’impression que les traits dialectaux « ne semblent que greffés sur [un] fonds commun français » (Gossen 1956, 101). 29

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en­tre les deux pôles du diasystème, et, par conséquent, pression systémique vers une mo­dification, que dans le cas de formes spécifiques. Tendantiellement [sic], et toutes cho­ses égales par ailleurs, une copie sera donc plus neutre linguistiquement que le texte co­pié. […] Il convient de souligner que cette neutralisation est indépendante de toute vo­­ lonté délibérée de donner au texte copié une plus grande aptitude à la commu­n i­ cation à distance, ou de le rendre plus conforme à un modèle (parisien) préexistant. » (Greub 2007, 431sq.)

La circulation surtout des plus fameux textes, qui étaient recopiés maintes et maintes fois, a donc très probablement suscité la formation involontaire d’une norme linguistique diatopiquement neutre déjà avant le 13e siècle. En fait, même si Dees (surtout 1985) a toujours nié l’existence d’une koïnè française supra-régionale avant 1300, son constat que la langue des manuscrits littéraires du 13e siècle était moins dialectale que celle des chartes rédigées à la même époque peut être considéré comme une reconnaissance implicite du plus haut degré de standardisation dans les textes littéraires 31. Certes, l’hypothèse de Cerquiglini (1991, 118sqq.) selon laquelle un « illustre françois » aurait été délibérément créé et ‘mis au point’ comme une « langue des lettres et des lettrés » par des clercs de l’époque carolingienne a besoin d’être relativisée. Pourtant, on aurait tort de refuser tout net l’idée d’un nivellement linguistique précoce dans le domaine littéraire, engendré par l’échange interrégional des manuscrits et des scribes 32. Il va sans dire que, comme dans le cas des chartes de la première moitié du 13e siècle, ce processus de standardisation était de nature essentiellement pluricentrique. Dans la future recherche sur la question, il conviendra surtout de déterminer de quelles régions provenaient, selon les époques, les impulsions standardisantes Cf. Wüest (2003, 216). Völker (2003, 60, note 260) fait remarquer que l’impression du haut degré de dialectalité que donnent les chartes dépouillées pour le premier atlas de Dees (1980) s’explique surtout par le fait que Dees n’a retenu pour son corpus que des actes qui s’inscrivaient dans un cadre local précis. Ce procédé était sans doute motivé par la nécessité pratique d’une localisation certaine des textes ; il a tout de même eu pour effet que les actes d’une portée communicative plus large, qui emploient tendanciellement un français moins dialectal, se trouvaient a priori exclus du corpus. – Cf. Goebl (2011) pour une comparaison dialectométrique des deux atlas de Dees (1980 et 1987). 32 Concernant la pratique des scribes médiévaux, Schøsler (2005) nous livre un bel exemple de l’effet involontairement standardisant que pouvait avoir le choix de telle ou telle forme linguistique lors du recopiage d’un manuscrit. – La recherche sur la standardisation du moyen haut allemand est aujourd’hui plus avancée que ne l’est la recherche analogue en romanistique. En fait, les médiévistes germanistes sont généralement d’accord pour admettre l’existence au 13e siècle d’une norme littéraire supra-régionale, constituée surtout d’éléments alémaniques orientaux et bavarois. Cf. Gärtner (2004, 3030sq.). 31

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majeures. Traditionnellement, on retient l’empire Plantagenêt et la Picardie comme régions directrices respectivement du 12e et du 13e siècle 33. Comme on a vu au chapitre 2, les désinences verbales du français standard et le trigramme paraissent être de provenance occidentale ou anglaise ; est, par contre, un digramme typiquement picard. On retiendra que l’uniformisation du français écrit qui est visiblement promue dans les actes issus des institutions royales à partir des années 1280 n’est pas le point de départ absolu du grand processus de nivellement linguistique qui a abouti, en dernière instance, au français standard moderne. Comme on l’a vu, la tendance à la neutralisation des formes dialectales est déjà caractéristique de certains spécimens de l’écrit documentaire de la première moitié du 13e siècle, et elle paraît dès lors assurer un marquage diastratiquement haut des textes. Même si les bases de données textuelles dont nous disposons aujourd’hui 34 n’ont pas encore été suffisammant explorées pour qu’on puisse formuler des hypothèses précises, tout porte à croire que les effets de nivellement linguistique qui s’observent dans les plus anciennes chartes françaises sont l’écho d’un processus de standardisation dans le domaine littéraire qui est dû surtout à la circulation des plus fameux textes de la littérature courtoise et qui était probablement à l’œuvre dès le 12e siècle. Il est même établi que déjà à l’époque carolingienne, l’insertion d’éléments romans dans les chartes latines entraînait la stabilisation de certaines conventions graphématiques 35. En fait, cette chronologie est la seule plausible si l’on tient compte de l’histoire de l’élaboration de la langue vernaculaire. Pour comprendre le long processus de la standardisation du français médiéval, il faudra suivre l’histoire de celuici dès son emploi systématique dans les nouveaux genres textuels de la littérature en langue vernaculaire 36, sinon depuis ses plus anciennes attestations à l’écrit : « L’élaboration d’une tradition écrite vernaculaire est un processus ancien. Nous avons toutes les raisons de croire que celle-ci commence de manière systématique dès le IXe siècle à travers la mise à l’écrit des toponymes vernaculaires en contexte Cf. Wacker (1916) ; Delbouille (1970, 195). Cf. aussi Lusignan (2012, 45-53) pour l’importance capitale de l’Angleterre dans l’élaboration du français littéraire médiéval. 34 Ici, je pense surtout à l’édition électronique des Plus anciens documents linguistiques de la France (DocLing) et au Nouveau Corpus d’Amsterdam (cf. Kunstmann/ Stein (ed.) 2007). 35 L’étude des toponymes vernaculaires en contexte latin réalisée par Carles (2011) sur un corpus auvergnat (9e-11e siècles) montre que la mise en place d’un système graphématique occitan commence effectivement dès la Réforme carolingienne. L’élargissement de cette étude sur un corpus lexical pangalloroman, actuellement en cours, montre une cohérence de fait entre les domaines d’oc et d’oïl. 36 Cf. Oesterreicher (2013). 33

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latin […]. Ces formes ponctuelles constituent un véritable laboratoire d’expérimentation gra­phé­­­­matique pour les scribes depuis la Réforme carolingienne. Le réseau scripto­lo­gi­que de la langue d’oïl se constitue très probablement comme celui de la langue d’oc dès l’époque pré-textuelle, bien avant les textes écrits pleins du XIIe siècle, de nature littéraire ou religieuse. En français, les chartes n’interviennent qu’après ces deux éta­pes (toponymes en contexte latin, puis textes littéraires). On comprend mieux le de­gré de développement des conceptions de norme dans les grands lieux d’écriture, dans la mesure où celles-ci ont été forgées à travers plusieurs siècles déjà, avant de se trouver cristallisées dans ces documents juridiques. » (Gleßgen 2008 ; ici 72, 522)

4. Conclusion On a vu que l’hypothèse d’une koïné orale parisienne à l’origine du français standard se heurte à de sérieux problèmes, tant au niveau empirique que méthodologique ; elle est, dès lors, intenable et doit être remplacée. Même si l’étude de Lodge (2004) a donné des impulsions très précieuses à la recherche sur l’histoire du parisien parlé, il est évident que l’histoire du français écrit ne peut se réduire à l’essor tardif de Paris en tant que centre politique du royaume. En se limitant aux seuls textes administratifs parisiens, qui sont les plus tardifs en langue vernaculaire de tout le domaine d’oïl, et en expliquant leurs particularités linguistiques dans les seuls termes de la ‘sociolinguistique urbaine’, on nierait toute une tradition de l’écrit vernaculaire qui a atteint son apogée littéraire déjà un siècle avant que les premières chartes en français soient écrites à Paris, et qui reste foncièrement pluricentrique au moins jusqu’à la fin du 14e siècle 37. À mon avis, il faut distinguer clairement l’histoire de la prononciation du français, d’une part, et l’évolution de son système morphologique et graphique, d’autre part. Le cas de l’allemand standard me paraît à cet égard révélateur, car cette variété écrite s’est formée de manière pluricentrique au cours des 14e et 15e siècles, tandis que sa prononciation orthoépique n’a été réglementée que beaucoup plus tard et sur un modèle tout à fait artificiel d’allure septentrionale qui n’a aucun rapport avec les régions orientales du centre et du sud où cette langue a été élaborée à l’écrit et dont elle possède les principaux traits dialectaux 38. On peut accepter que l’histoire de la prononciation du français Lusignan (2004, 225-231) montre que les villes des communes picardes ont encore longtemps gardé leur autonomie linguistique à l’écrit. Cf. aussi Lusignan (2012, 145185). 38 Cf. Besch (1967 ; 2003). Il est intéressant, par ailleurs, que l’on ait aussi proposé pour l’allemand l’hypothèse d’une koïnè orale à l’origine de la variété standard. Cette koïnè se serait formée au Moyen Âge en Haute-Saxe et en Silésie, régions 37

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soit étroitement liée à la ville de Paris et aux processus de nivellement linguistique à l’oral qui sont probablement survenus dans la capitale à partir du 12e siècle. Par contre, la ‘substance’ graphique, morphologique et certainement aussi lexicale 39 du français doit être considérée dans le vaste contexte historique de l’élaboration pluricentrique d’une tradition vernaculaire écrite ; c’est un système, semble-t-il, qui s’est formé indépendamment de ses réalisations phonétiques potentielles 40. Dans cette perspective, la distinction notionnelle entre ‘koïnéisation’ et ‘standardisation’, telle qu’elle a été proposée par Lodge (2010b et 2011), me paraît plutôt dommageable pour la description des processus de nivellement qui étaient à l’œuvre dans le français écrit médiéval. En effet, la ‘koïnéisation’ – en tant que forme de contact de différentes variétés diatopiques – n’est pas un phénomène exclusif de l’oral. Comme le montre, encore une fois, l’histoire du haut allemand, la formation d’une variété écrite d’envergure suprarégionale représente un contexte privilégié pour la rencontre, le mélange et le nivellement des scriptae régionales. À l’époque prémoderne, la ‘standardisation’ – en tant que stabilisation d’une variété de référence – ne peut donc être conçue comme une mesure délibérée, visant à l’imposition ‘par le haut’ d’un modèle linguistique tout fait. Elle est plutôt un automatisme, un effet involontaire 41, résultant de la concurrence de différents centres de la scripturalité dont le poids relatif peut changer selon les époques et selon les genres textuels. Toujours est-il que l’action simultanée de différents lieux d’écriture favorise précisément la ‘koïnéisation’ linguistique, c’est-à-dire le mélange et la neutralisation réciproque des scriptae régionales 42. Autrement dit : le fait que les variétés standard des grandes langues européennes soient le plus souvent des formes intermédiaires entre différentes variétés régionales s’explique logiquement par la nature pluricentrique du long processus d’élaboration d’une tradition vernaculaire écrite. Le cas de l’italien, où une variété relativement bien

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nouvellement colonisées aux 11e et 12e siècles par des germanophones venus de l’ouest (cf. Frings 1936). Or, cette hypothèse a été fortement relativisée par son auteur même (cf. Frings/Schmitt 1944) et passe depuis longtemps pour obsolète. Cf. Baldinger (1962 ; ici 26, 309-330). Cf. Gleßgen (2012), qui souligne notamment la relative autonomie de la variation graphématique et morphologique dans l’écrit médiéval par rapport à l’oral. Il serait sans doute préférable d’employer le terme allemand Überdachung (‘chapeautage par une variété qui sert de toit linguistique’), de Kloss (21978), qui a l’avantage de ne pas suggérer des actions délibérées de planification linguistique. Cf. Grübl (2011) et Grübl (sous presse, chapitre 2) pour un modèle permettant de distinguer différents types de koïnès historiques selon le critère de leur ge­nèse à un stade d’élaboration nul ou précoce (généralement oral) ou à un stade d’élaboration plutôt avancé (généralement écrit).

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définie au niveau diatopique, le florentin littéraire, a été imposée de manière pour ainsi dire hégémonique, me paraît, en fait, plutôt exceptionnel. Le français standard est à l’évidence du même type que l’allemand, une langue écrite dialectalement composite par formation pluricentrique. Université de Munich

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Détermination des formes grammaticales et localisation des textes L’origine du pronom régime accentué moyen français régional lie, wallon lèye 0. — Une forme grammaticale particulière peut-elle aider à localiser un texte français du Moyen Âge ? Voici la question générale que soulève à nouveau l’article publié récemment dans notre revue par J. K. Atkinson (2012), article consacré à l’examen du « pron. fém. rég. lie en ancien français » (v. § 1). Notre brève contribution entend répondre positivement à cette question, mais en renouvelant l’approche, pour arriver à un résultat assuré. Nous montrerons : (1) qu’une forme grammaticale, à la condition d’être exactement identifiée et suffisamment déterminée dans ses conditions d’emploi, est un argument de choix pour localiser le texte auquel elle appartient ; (2) qu’en retour, une forme grammaticale rare et assurément régionale peut servir à éclairer l’histoire du microsystème dont elle relève*. Dans la forme mfr. lie du Boèce en rime, dont J. K. Atkinson prépare l’édition (4893 C’est voirs, dist Böeces a lie ['liə]. / Dont estoet, dist Philoso�������� phie), il nous semblait tout naturellement reconnaître la forme wallonne lèy 1 du pronom féminin wallon en dehors de la zone verbale (cf. wallon, dans la variété liégeoise de Sprimont, c’èst veûr, di-st-i à lèy “c’est vrai, dit-il à elle”) ; mais reconnaître n’est pas identifier, car, comme nous le verrons, les relations superficielles sont trompeuses, et d’autant plus pour les formes grammaticales que celles-ci sont brèves et sujettes à divers types de réfection. Nous voulons établir ici que la forme lie du Boèce en rime relève bien du même type que la forme wallonne lèy et variantes. Nous interrogerons dans ce but les variétés orales du nord-est du domaine d’oïl, qui nous sont connues par des matériaux nombreux et sûrs. Après avoir montré que wall. lèy et variantes représentent un type lie (identification au niveau phonique) (§ 2-3), nous analyserons ce type tout en expliquant sa genèse au sein des formes obliques du pronom personnel (identification au niveau morphématique) (§ 4-7).

* 1

Nous remercions, pour leur lecture attentive, Jean-Pierre Chambon et Eva Buchi. lèy est la graphie reçue dans l’orthographe usuelle du wallon, graphie que nous remettrons ici en question (§ 3).

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Une fois explicité le caractère unique et novateur de lie, nous montrerons son apport pour la localisation des textes où ce type pourrait être trouvé (§ 8-9) et exposerons l’intérêt de notre petite découverte pour la connaissance de l’histoire du pronom personnel oblique en français (§ 10). Voici, espérons-nous, ce qui pourrait être le fruit d’un dialogue entre linguistique et philologie. 1. — Nous savons, grâce à la patiente enquête d’Atkinson (2011), que la traduction en vers de la Consolatio philosophiae de Boèce, qu’il distingue sous le nom de Boèce en rimes, date du troisième quart du 14e siècle et est l’œuvre de Jehan de Thys. Atkinson a non seulement localisé le texte en Wallonie en y relevant plusieurs traits phoniques régionaux attestés par la rime et plusieurs régionalismes lexicaux, mais a aussi résolu l’énigme de l’attribution du texte grâce à sa connaissance parfaite de la tradition de Boèce en langue française (Atkinson 2011, 500-510) 2. Dans son dernier article, Atkinson (2012) s’interroge sur lie, une forme rare du pronom féminin tonique, dont il a trouvé une quarantaine d’exemplaires, notamment à la rime, dans le manuscrit choisi comme base pour l’édition du texte (P = BN fr. 576 ff. 1-82r, daté de 1383, dont le scribe porte le nom latinisé Petrus de Palude de Fura 3), alors que l’autre témoin (Q = BN fr. 1543 ff. 1-76v, daté de 1402, dont le scribe est Alixandres Dannes, picard) s’efforce manifestement de remplacer cette forme, qu’il juge disconvenante, par li ou par elle ou de l’éviter, par des réécritures, sans toujours y parvenir (Atkinson 2012, 364-366). La question — où nous voyons plutôt deux questions — qui préoccupe l’éditeur est celle-ci : « D’où vient cette forme, et serait-elle l’indice précieux d’une localisation régionale ? » (ibid., 363). S’ensuit un patient examen de toutes les formes fortes du pronom personnel féminin observables dans les textes (littéraires ou non) du domaine d’oïl, « à l’exclusion des formes plus ou moins universelles li et lui » (ibid., 366), examen prenant appui sur la recherche ancienne de Rydberg (1905), complétée par une abondante bibliographie de sources et de travaux secondaires.



2



3

Pour l’attribution du texte à Jehan de Thys, v. Atkinson (2011, 500-510). Thys (wall. [tīs], néerl. [til] ; 1155, cop. 15e s., « Oliverus de Tis », 1262 « Tis sive Til ») est le nom d’une localité de la province de Liège, arrondissement de Waremme ; v. Herbillon (1986, 155). Identification du lieu désigné par de Fura : Tervueren, province du Brabant flamand, arrondissement de Louvain ; v. Atkinson (2011, 469, n. 1).

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Le point de départ, non remis en question par Atkinson, est que les formes toniques féminines remontent toutes à « dat. f. illaei, contamination entre illî [sic] et illae (CIL VI 14 et 484) […] d’où a.fr. *liei > li » (Atkinson 2012, 367, citant Väänänen 1963, 130 ; formulation légèrement différente dans Väänänen 3 1981, 122). La question « d’où vient cette forme ? », à savoir lie, n’est pas posée. L’analyse s’informe consciencieusement de toutes les graphies rencontrées dans les textes, mais ne parvient pas à les rattacher aux principaux types reconnus par les grammaires de l’ancien français ; le questionnement bute sur l’interprétation des graphies lei, le, d’une part, lie, d’autre part. La fin de l’article débouche sur une conclusion assez fragile : « Finalement, pour en revenir aux lie dissyllabiques du Boèce en rime, nous n’avons rien trouvé qui corresponde exactement à leur emploi régulier dans ce texte. Les régionalismes déjà repérés et quelques rimes significatives (Atkinson 2011) nous ont mené dans la Wallonie et plus particulièrement dans la Wallonie orientale. Puisque l’origine wallonne de notre texte semblait donc avérée, il nous a fallu chercher ailleurs une explication de leur occurrence. Et même si les graphies lie et cestie du Poème moral et de la charte d’Andenne semblaient encourageantes, leur valeur syllabique était incertaine, et loin d’être concluante ; de même pour les lie des textes lorrains (tel que la Guerre de Metz) et les documents de la Champagne-Ardenne et de la Lorraine occidentale cités ci-dessus (Rydberg 381) » (ibid., 391).

En dernier lieu, cherchant une « hypothèse qui réponde à sa question initiale » (ibid., 392), l’auteur met en relation le lie du Boèce et la forme lee (parfois éditée lée) du pronom féminin accentué contenue dans plusieurs textes liégeois des 14e et 15e siècles, tous conservés par des manuscrits du 15e siècle (le Paweilhar Giffou, le Myreur des histors de Jean d’Outremeuse, la Chronique de Jean de Stavelot), ainsi que la forme leye (relevée seulement chez Jean de Stavelot), ce qui est une bonne piste, mais ce qui ne résoud pourtant pas la question primordiale : « d’où vient cette forme ? ». 2. — Laissant maintenant les graphies de côté, nous nous intéresserons aux formes (morphèmes et formes phoniques dans lesquelles ils se réalisent) du pronom personnel dans les dialectes belgoromans (dialectes wallon, picard, lorrain et champenois), telles que les fait connaître l’Atlas linguistique de la Wallonie (ALW). Il s’agira pour nous de montrer la place qu’occupe le pronom wallon lèy dans le système synchronique des formes pronominales obliques du wallon et de proposer une explication de la genèse de cette forme. Pour la catégorisation des pronoms personnels, le modèle à fondement syntaxique de Skårup (1975 ; 1994, 71-76) est pour nous l’instrument adéquat, car s’il vise la description de l’ancien français, il convient pour décrire les variétés d’oïl actuelles et pour les mettre en relation avec les états anciens de la

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langue. Ce modèle distingue la zone verbale, qui « peut comprendre, outre le verbe fini, la négation ne, les pronoms régimes du type le, la, les [clitiques], et un pronom sujet si celui-ci suit le verbe » (Skårup 1994, 71) et les positions en dehors de la zone verbale, à savoir les zones pré- et postverbale, comprenant notamment les pronoms régimes de préposition et les pronoms sujets antéposés. Dans frm. je ne le lui dis pas à lui, les trois premiers pronoms sont dans la zone verbale, le dernier en dehors (en l’occurrence, dans la zone postverbale). 3. — La notice et carte 28 elle, [pronom] personnel tonique non conjoint de l’ALW 2 (Remacle 1969, 91-93) 4 permet d’observer l’aire d’extension du pronom wallon lèy, ly, lḗy (domaines wallon et wallo-picard), auxquels s’ajoutent līy, lī (domaine wallo-lorrain et petite aire champenoise de Belgique) et, par diphtongaison secondaire de lḗy, līéy, lyèy… (petite aire lorraine méridionale de Belgique) 5. Ces formes, qui à l’évidence représentent le même type, couvrent l’essentiel de la Belgique romane à l’exception d’une aire hennuyère occidentale (picarde) où règne un type li, sans distinction de genre ; la même aire hennuyère connaît l’infiltration sporadique de èl (elle). En tant que pronom situé hors zone verbale, le pronom lèy et variantes fonctionne comme régime de préposition (avou lèy, sins lèy, por lèy, divant lèy “avec elle, sans elle, pour elle, devant elle”) ; comme renforcement du sujet (qui di-st-èle, lèy ? lèy, èle dit… “que dit-elle, elle ? elle, elle dit…”) ; comme régime de c’èst (c’èst lèy, c’èst lèy-minme, c’èst lèy qui… “c’est elle, c’est ellemême, c’est elle qui…”) ; comme complément du comparatif (vos-èstez ossi bone qui lèy “vous êtes aussi bonne qu’elle”). Ces exemples sont tirés de la variété liégeoise du wallon (Haust 1933, 367) ; dans toutes ces positions, la forme du masculin (lui) est en liégeois lu. Wall. lèy et variantes s’analyse tout naturellement en lie, la seule explication possible de la relation entre la forme marginale méridionale līy et les formes dominantes lèy, ly étant l’ouverture régulière de i tonique devant yod, changement largement attesté quoiqu’avec des extensions très variables selon les cas (Remacle 1992, 87-88) 6.

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5 6



Fondée sur la question de l’Enquête de Jean Haust « je le lui dirai, à lui ; à elle », complétée par les questions « il est beaucoup plus vieux qu’elle », « il est tout le temps près d’elle ». — Pour les formes phoniques, nous conservons le système de notation de l’ALW ; pour les exemples (syntagmes et phrases), nous employons l’orthographe usuelle du wallon (orthographe dite ‘Feller’). Nous revenons plus loin (§ 9, sous 2) sur la limite méridionale de l’aire de līy. Pour une extension très vaste de l’ouverture de i en è devant yod, v. ALW 17, not. 36 fille. La forme à voyelle è s’accorde, dans ce cas aussi, avec l’opposition de genre entre fils [fi] et fille [fèy] et variantes.

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Pourtant, ce n’est pas cette analyse qui est proposée par Remacle (1969, 91 ; v. aussi Remacle 1992, 153), qui voit dans lèy « un type, actuellement différencié, remontant comme l’ital. lei, à un lat. *illaei et parallèle au masc. *illui, w[allon] lu ». Remacle (1969, 91) n’explique pas comment « à ce type primitif se rattachent toutes les f[ormes] en -y et aussi lî avec ī long (probt abrégé de lîy ?) ». Or, non seulement l’évolution -èy > -iy n’est pas attestée (seule l’évolution inverse l’est), mais surtout, la forme *(il)lèi que masque *illaei, qui est bien à l’origine de afr. li (par réduction d’une triphtongue iei), aurait régulièrement abouti à wallon lḗ (par réduction de la diphtongue ei) ; sur cette différence importante du traitement de è devant palatale (diphtongaison conditionnée en français, absence de diphtongaison en wallon comme dans une vaste zone orientale), v. Remacle (1992, 64-67) et Wüest (1979, 188-189). Le rapprochement entre wallon lèy et italien lei est superficiel et trompeur. Wall. lèy n’est pas le cognat d’afr. li pronom féminin accentué. Il faut rechercher l’origine véritable de cette forme à finale féminine, qui, en vertu de son analyse au plan phonique, doit être typisée par lie et qui, selon les règles de l’orthographe wallonne, devrait être graphiée lèye (graphie que nous utiliserons désormais). 4. — La genèse de lie ne peut être envisagée que par la considération attentive des relations (de similarité et d’opposition) que cette forme entretient avec les autres formes du même ensemble, à savoir les formes obliques du pronom personnel, dans la zone verbale et en dehors de celle-ci. En effet, un trait significatif différencie les pronoms régimes dans les parlers (du nord du domaine) d’oïl : alors que les pronoms régimes directs de la zone verbale (type le) fonctionnent de façon autonome à l’intérieur de leur zone, sans relation avec les pronoms régimes situés hors zone verbale, les pronoms régimes indirects de la zone verbale (type li) entretiennent des relations fortes avec les pronoms régimes hors zone verbale. L’histoire singulière des pronoms régimes obliques (désignation sous laquelle nous englobons les pronoms régimes indirects de la zone verbale et les pronoms régimes hors zone verbale) est, à notre avis, strictement liée à cette mise en relation. Comme, sauf erreur de notre part, ce lien n’a pas été mis en évidence jusqu’ici, il nous faut l’expliciter. L’analyse des données relatives aux pronoms obliques dans les dialectes belgoromans — où nous serons conduite à revoir certaines analyses de nos prédécesseurs — permet de reconstituer une chaîne d’événements et de

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déduire les tendances évolutives qui les gouvernent. Nous pensons que la mise au jour de cet enchaînement et de ces tendances peut éclairer utilement l’histoire des pronoms obliques en français, ce mot entendu au sens large. 5. — Les tendances évolutives qui se déduisent de l’enchaînement des événements gagnent, pour la clarté de l’exposé, à être présentées en premier lieu ; elles sont au nombre de trois. (1) La distinction entre pronoms directs et pronoms obliques dans la zone verbale, caractéristique de la 3e personne exclusivement, est non seulement maintenue, mais renforcée. L’histoire des représentants du ou des pronoms directs de la zone verbale dans les dialectes belgoromans doit être envisagée en termes de diversification ; cette tendance multiplie en effet les variantes, en fonction de contraintes positionnelles ou contextuelles, des formes représentant soit le morphème neutralisé quant au genre le (wallon, picard), soit les morphèmes différenciés le et la (wallo-lorrain, lorrain, champenois) 7. Au contraire, l’histoire des représentants du pronom oblique de la zone verbale dans les mêmes dialectes doit être envisagée en termes d’unification, la variation du pronom unique li, indéterminé quant au genre, étant peu importante et, semble-t-il, plus libre 8. Or cette unification tire, selon nous, sa 7





8

Ainsi, pour rendre compte de la variation de le, pronom direct de la zone verbale neutralisé quant au genre, dans le seul dialecte liégeois actuel, il faut considérer : (1) trois formes pleines du pronom unique dans la zone verbale : èl en début de zone verbale devant cons. (èl vèyez-ve ? [èl vèyḗf] “le / la voyez-vous ?”) et dans la zone verbale après pronom non amalgamé (v. ci-dessous) ; lu, tonique, en fin de zone verbale après forme verbale à finale consonantique (tchèsse-lu [čès lu] “chasse-le / -la”) ; li dans la zone verbale après pronom non amalgamé (èle li vout [èlli v], en variation libre avec èlle èl vout [èllèl v] “elle le / la veut”) ; — (2) la forme élidée l’, qui apparaît dans la zone verbale après voy. (dji l’a [ǧi la], mais verv. djèl a, “je l’ai” ; nos l’ vèyans [nòl vèyã] “nous le / la voyons”) et à la fin de la zone verbale après forme verbale à finale vocalique (vèyez-l’ [vèyḗl] “voyez-le / -la”) ; — (3) de nombreuses formes où un autre clitique s’amalgame avec le pronom : djèl veû (sur dji) [ǧèl v], tèl veûs [tèl v] (sur ti) “je / tu le / la vois”, dinez-mèl [diné mèl] (sur mi) “donnez-lemoi”, sèl vout [sèl v] (sur si) “s’il le veut”, i nèl vout nin (sur ni) [i nèl v nẽ] “il ne le veut pas”, etc. (cf. Haust 1933). — Par bien des aspects, le système wallon amplifie certains phénomènes observables dès l’ancien français. Si l’on considère, cette fois à l’échelle de l’ensemble du domaine belgoroman, le pronom oblique de la zone verbale neutralisé quant au genre (v. ALW 2, not. et carte 37 lui, [pronom] régime indirect conjoint, devant consonne et add., régime indirect tonique postposé au verbe), on constate l’unicité et la relative stabilité formelle du type unique li, qui ne s’élide pas et ne s’amalgame pas. C’est probablement ce phénomène de résistance qui explique les réalisations (variables) à voyelle ou à consonne longues ([lī], en wallon, [lli], [llī], en picard) ou à consonne palatalisée

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source de la relation qui s’est établie entre les formes obliques dans la zone verbale et en dehors de celle-ci. (2) Cette relation entre formes obliques n’aurait pu être décelée si elle n’avait eu un effet plus visible. Nous pensons que c’est elle qui a provoqué la migration de formes, qui, tout en conservant leur foyer d’implantation originel, se sont expatriées en dehors de celui-ci. Dans les dialectes belgoromans, li migre en dehors de la zone verbale (vers l’extérieur) et en vient à concurrencer et à éliminer certaines formes situées hors zone verbale : cet événement est premier et déclencheur d’un ensemble de processus de concurrence / élimination / création ou emprunt (v. § 6). — Le français, qui a lui aussi connu cette migration externe (sans qu’elle ait été aperçue), y ajoute la migration vers la zone verbale (vers l’intérieur) de la forme lui (v. § 7). Ce dernier phénomène est abordé, mais jamais à proprement parler expliqué, ni par les manuels de morphologie historique ni par les études particulières (v. § 10). (3) L’opposition entre masculin et féminin seulement hors zone verbale (par les formes lt. illui CIL X 2564 vs lt. *illaei) se met en place dès le protoroman avant la séparation de la Dacie. Elle concerne, en effet, à l’exclusion de l’ibéroroman : — le galloroman (fr. lui, afr. li et occit. lui, liei hors zone verbale, par opposition à afr. li, occit. lhi, indifférenciés quant au genre dans la zone verbale, < *illi) ; — l’italoroman, excepté le sud (it. lui, lei, par opposition à gli, le, ici avec opposition de genre introduite plus récemment dans la zone verbale) ; — le roumain (roum. lui, ei, par opposition à i) 9. Il s’agit là d’une innovation essentielle, qui acte la naissance de la distinction entre zone verbale et zone périphérique, cette distinction conditionnant l’histoire ultérieure des pronoms personnels. L’opposition entre masculin et féminin s’est maintenue jusqu’aujourd’hui en domaine d’oïl, sauf en picard, mais parfois au prix d’un renouvellement des formes. En wallon s’est créée une forme nouvelle, lie, analogique (produit de li, expatrié continuant illi, et de -e, marque du féminin), donc motivée, alors que lé (< *illaei), la forme qu’elle remplace dans le système, ne l’était pas. — En français, li (< *illae) a été concurrencé puis supplanté par elle, forme empruntée à la forme sujet (v. § 7).

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([lyi], [yi], en picard) à l’intérieur de la zone verbale, mais jamais à la fin de celleci (là où le pronom est accentué) : pour le liégeois, par ex., i lî dit “il lui dit”, dis-li “dis-lui”. — Toutes les formes du pronom oblique à l’intérieur de la zone verbale se ramènent au type li, continuant illī, dont la variation, en regard de celle du pronom direct le, continuant illu, est minime et au moins partiellement libre. Pour une vue d’ensemble, v. par exemple Bourciez (51946, § 101, 222b, 305b, 432b, 489b).

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Les tendances 1 et 2 (unification, migration) agissent donc à l’exclusion de la troisième en picard ; les tendances 1, 2, 3 (unification, migration, maintien de la différenciation de genre par création ou emprunt) agissent conjointement dans la plus grande partie du domaine belgoroman, ainsi qu’en français. Quel que soit le système d’arrivée, la forme li / lé (< *illaei), qui apparaît comme le point faible du système, disparaît. En français, la forme li (< illi), homophone de la forme li (< *illaei), disparaît également. 6. — Dans le tableau qui suit, nous reconstituons l’enchaînement des événements à l’origine des trois microsystèmes morphologiques du pronom oblique de la troisième personne observables dans les dialectes belgoromans, enchaînement déduit de la seule analyse des formes dialectales et de leur répartition (ALW, notices et carte 27 lui, 28 elle, [pronoms] personnels régimes toniques non conjoints, et 37 lui, [pronom] personnel régime conjoint). Le système picard (résultant de l’enchaînement d’événements synthétisés dans la première colonne) comporte une seule forme oblique, non différenciée quant au genre : il li dit, à li “il lui dit à lui / à elle”. Le système wallon central (deuxième colonne) comporte deux formes différenciées, dont une fonctionne dans la zone verbale et hors zone verbale (li sans distinction de genre dans la zone verbale, mais masculin en dehors, de illi ; lie forme nouvelle, féminin analogique construit sur li) : il li dit, à li “il lui dit à lui”, il li dit, à lie “… à elle”. Le système wallon oriental (troisième colonne) comporte trois formes différenciées (li, non différencié quant au genre, dans la zone verbale ; lui masculin, hors zone verbale, de illui ; lie féminin, hors zone verbale, forme nouvelle) : il li dit, à lui, il li dit, à lie. Chaque solution est un compromis entre solidarité de classe (celle des pronoms obliques, par opposition aux pronoms directs) et différenciation de genre (marquée seulement hors zone verbale).

picard

wallon central

wallon oriental

(1) migration de li indéterminé quant au genre (< illi) hors zone verbale.

+

+

+

(2) concurrence de li, li / lé f. (< *illaei), lui m. (< illui) 10 .

+

+

+

(3) élimination de li f. et lui m. au bénéfice de li.

+

-

-

(4) passage de li au masculin.

-

+

+

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(5) création de la forme analogique lie f., sur li m., concurrence et élimination de lé f.

-

+

+

(6) concurrence de li m. et lui m.

-

+

+

(7) élimination de lui m. au bénéfice de li m.

-

+

+

(8) élimination de li m. au bénéfice de lui m.

-

-

+

7. — Quant à l’évolution conduisant au microsystème français, tel qu’il est lui aussi observable aujourd’hui, elle se distingue des trois précédentes sur deux points. (1) Il y a eu concurrence à la fois dans la zone verbale et en dehors de celleci. À la migration vers l’extérieur de li s’est en effet ajoutée la migration vers l’intérieur de lui, ce qui a conduit à une double concurrence. Celle entre li et lui dans la zone verbale s’est soldée au bénéfice de lui qui, de masculin, est devenu indifférencié quant au genre. (2) Le processus évolutif hors zone verbale s’est opéré comme en wallon oriental, à cette différence près qu’il n’y a pas eu création analogique d’une forme nouvelle (lie : phase 5), mais emprunt de la forme sujet elle. Le système résultant comporte deux formes différenciées (lui indéterminé quant au genre dans la zone verbale, mais masculin en dehors, de *illui ; elle féminin, de illa, hors zone verbale). Ce système apparaît comme le plus hétéroclite des quatre systèmes ici envisagés, car il n’est transparent ni sur le plan fonctionnel (cf. elle) ni sur le plan de la différenciation en genre (cf. lui). 8. — La forme lie, représentée par awall. lie du Boèce en rimes et par wall. actuel lèye, est à présent exactement identifiée. Quant à son type et à sa genèse, nous avons montré qu’il ne s’agit pas, comme on l’a pensé jusqu’ici, d’un archaïsme (survie de *illaei), mais bien d’une innovation (forme féminine créée à partir de li, s’analysant en li-e). Le Boèce en rimes ne peut donc être né que dans le domaine linguistique qui a inventé, au plus tard dans le troisième quart du 14e siècle, la forme féminine lie du pronom oblique continuée jusqu’aujourd’hui par wall. lèye. Maistre Jehan de Thys, l’auteur du Boèce, employait dans son idiolecte le type 10

V. ALW 2, not. et carte 27 lui, [pronom] personnel tonique non conjoint : lui est représenté par lu en général, par lou, loû dans une aire orientale (cf. Boutier 2000) ; li est représenté par li, l dans le reste du domaine. Dans le tableau des formes (ALW 2, l.c.), il faut dégager les deux types et reclasser les formes rangées sous II et III. Dans le commentaire, il faut ôter le point d’interrogation dans « li… (anc. et m. fr. li, lat. illī) ?) » ; il n’y a pas de doute sur l’appartenance de l (brabançon) au type li. La carte montre la poussée de li d’ouest en est.

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lie, qu’il semble le premier à nous transmettre sous la forme lie, attestée par la rime. Le chroniqueur Jean d’Outremeuse, auteur du Myreur des histors, liégeois au sens le plus strict, emploie aux environs de 1390 ce même type lie, réalisé [lèy], que deux manuscrits de traditions indépendantes transcrivent lee ; la forme est bien attribuable à l’auteur 11. Le copiste du Myreur, Jean de Stavelot (1388/1390–v. 1449), liégeois depuis son entrée au monastère de Saint-Laurent, auteur d’une continuation du Myreur rédigée à la fin de sa vie, utilise dans son œuvre personnelle autographe les formes lee et leye 12. Le Paweilhar Giffou, recueil de sentences des échevins de Liège, dont le manuscrit le plus ancien, aujourd’hui perdu, remonte au début du 15e siècle, contient plusieurs mentions de lie sous les formes lee et ley 13. Au 15e siècle, la forme centrale elle l’emporte sur la forme régionale. Celle-ci n’est pas relevée par Remacle dans les documents de la cour de justice de Roanne–La Gleize (1492–1794) (v. Remacle 1967, spécialement 25 sv., pour le relevé des particularités morphologiques) 14. Les mentions les plus tardives de lée dans des V. Goosse (1965, spéc. xiii-xii, pour le classement des mss ; cxxxviii-cxxxix pour l’étude des formes fortes du pronom féminin), DEAFbibl [JPreisMyrG] ; l’édition du texte est fondée sur b [Bruxelles Bibl. roy. II 3030, fin 15e s., remontant à la copie de Jean de Stavelot sur l’original] et prend en compte les variantes de a [Bruxelles Bibl. roy. 10 463, datant de 1596]. Goosse relève seulement trois exemplaires de elle dans le ms. de base b, « qui a francisé son modèle », un seul exemplaire de elle dans a, qui l’a « modernisé » ; lee est la forme habituelle dans les deux mss (Goosse 1965, lvi et cxxxviii). 12 V. Borgnet (1861) d’après ms. autographe [Bruxelles Bibl. royale 10 457-62]. Pour les mentions de lee, leye, v. Borgnet (1861, 486, 559, 587 [d’après le glossaire 609] ; ajouter 45, 296) : « sa femme en auroit la tirche part del argent […] pour lee governeir » [45] ; « lee et les siens » [296] (mais plus bas « par elles ») ; « desub lee » [Madame de Bourgogne] [486] ; « avecque leye » [deux mentions, Madame de Bourgogne] [559] ; « alle requeste de lee », « lee-meismes » [587]. 13 V. Baguette (1946, xvii-liii, pour la description et le classement des mss). Les jugements rapportés dans le texte composite du Paweilhar s’échelonnent de 1280 à 1357 ; l’histoire de ce texte est complexe et devrait être réexaminée à la lumière d’arguments linguistiques. On tient pour acquis que le ms. de base, édité par Baguette (A, dont se servaient les échevins de Liège ; détruit en 1944), est le meilleur et le plus ancien témoin (début 15e siècle). Dans ce témoin se lisent : § 18 « ilhe astoient en point de lee » [ils (les héritiers) pouvaient agir au nom de leur mère], var. B 15e s. ley ; § 82 « paiier a leye vii sous d’amende », var. B ley ; § 158 « li damme se plent et je pour ley, que ses jarbes ly furent prise malgreit ley et a forche » [discours direct de la défense] ; § 176 « Une femme veve astoit qui bin avoit ses humiers en xvi muis de spelte qui apres ley devoient parvenire à une siene filhe ». Deux de ces quatre mentions sont recensées au glossaire (Baguette 1946, 104). 14 Il n’y a pas non plus de mention ancienne dans la Syntaxe de La Gleize du même auteur (Remacle 1952, 205-206), alors que cet ouvrage est abondamment pourvu de documents et de commentaires historiques. 11

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textes français originaires de Wallonie qui soient venues à notre connaissance se lisent dans deux témoignages rapportés devant la cour de justice de Hamoir (province de Liège) en 1553 et 1556, documents qui, à plusieurs égards, apparaissent comme exceptionnels 15. Nous pouvons considérer que, jusqu’à plus ample informé, nous avons daté du dernier tiers du 14e siècle la création du type régional lie, reconstruit grâce à l’analyse des formes contemporaines dialectales qui continuent ce type (v. tableau du § 6, étape 5). Dans les textes français de Wallonie, la forme régionale lee, leye se raréfie dès la deuxième moitié du 15e siècle. 9. — Il nous reste à montrer que ce type lie n’a jamais été connu en dehors de l’aire où nous l’avons observé (1) et qu’il y a bien remplacé le type lé, issue attendue de *illaei en wallon (2) (v. le même tableau, étape 5). Ce n’est qu’à cette double condition que lie sera définitivement déterminé et que sa présence dans un texte constituera un critère de localisation efficace. (1) Quant à la limite occidentale de l’aire de lie, elle a déjà été précisée (§ 6) : la solution wallonne (lie) au problème du pronom oblique s’oppose à la solution picarde (extension du rôle de li, généralisé comme pronom oblique universel). Il n’y a aucune raison que cette limite ait varié depuis le moment où le système picard a remarquablement innové en renonçant à la différenciation instaurée dans la catégorie du pronom oblique dès le protoroman. Quant à la limite méridionale, elle n’est pas fournie par la carte de l’ALW, car la forme lie a été relevée jusqu’aux frontières politiques de la Wallonie, et s’étend donc supposément au-delà du territoire exploré par l’atlas wallon. Pour tracer la partie occidentale de cette limite, dans les domaines linguistiquement wallon et champenois, nous aurions aimé disposer de cartes dans l’ALCB et dans l’enquête de Bruneau sur les patois d’Ardenne (Bruneau 1914–1926) ; malheureusement, ces données font défaut. L’enquête de Babin sur les parlers champenois et lorrains de l’Argonne fournit des matériaux qui y suppléent au moins partiellement (Babin 1954, 303, 692-694) : le type dominant est lé (l, ly, lay ; par diphtongaison récente de ḗ final) ; ces formes représentent donc *illaei sans diphtongaison. Pour tracer la partie orientale de cette limite, dans le domaine linguistiquement lorrain, on peut se fier à V. Renard (1960, 203-4, § 94). L’un de ceux-ci concerne les relations d’une sorcière avec le diable : « vinve et apparut à elle [i. e. la sorcière] un galand [i. e. le diable] tout noir vesty, disant qu’elle ne plourast point car il ly donroit or et argent à foison et lée tappat sur son xhouz [“giron”] une bourse plainne d’argent, lée baisant et faisant promesses, de sorte qu’il fist d’elle ses plaisiers et volunteis et lée fist renoncir à Dieu et à la Vierge Marie […] » (trois autres mentions de lée dans la suite). On note que lée est ici employé aussi comme pronom de la zone verbale.

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l’ALLR (carte 1151) : le seul type attesté, à l’exception de trois points donnant lie (līy), tous trois situés en Belgique, est lé (lè, lḗy, ly, cette forme dominante, lāy ; même remarque quant à la diphtongaison récente). Ainsi, le type novateur wallon, qui s’est diffusé sur les confins septentrionaux des domaines champenois et lorrain, se heurte, légèrement au sud de la frontière politique qui sépare la Belgique de la France, au type conservateur lorrain (ALLR, l.c.), bourguignon (ALB 1727) et partiellement comtois (ALFC 1256) lé, représentant *illaei, sans diphtongaison du è. (2) Or la Wallonie orientale a aussi appartenu à ce grand bloc oriental conservateur. La forme lé, que nous avons posée par reconstruction (§ 6 ; étapes 2 et 5), peut en effet être attestée, à condition de bien la distinguer de la forme qui l’a remplacée dans le microsystème des formes obliques wallonnes, à savoir lie. C’est à lé, et non à lie, que se rattachent les graphies à finale masculine , parfois , des 13e et 14e s., où les digrammes , notent communément [é] (graphies des plus communes en wallon, mais aussi en lorrain, en bourguignon et en comtois ; v. Remacle 1948, 42, 127-128 ; Gossen 1967, 140-157 ; cf. Atkinson 2012, 388-389). En revanche, c’est à lie que se rattachent la forme lie du Boèce (assurée par le mètre et la rime) et les graphies à voyelle ouverte et à finale féminine , des écrivains et écrivants liégeois (Jean d’Outremeuse, Jean de Stavelot, les auteurs du Paweilhar, etc.) (cf. Gossen 1967, 310-311 ; Atkinson l.c., sans la distinction que nous proposons). Il faudrait poursuivre les dépouillements de façon systématique, en privilégiant les documents datés et localisés avec certitude, pour préciser la limite, cette fois sous l’angle chronologique, entre lé et lie, types qui ne font qu’affleurer, rappelons-le, aux côtés des types centraux li, puis elle, ceux-ci ne pouvant naturellement pas être écartés de l’examen. Ce qui apparaît à ce stade comme assuré, en considération de l’aréologie de lie, c’est que ce type morphologique novateur s’est constitué en wallon oriental au plus tard dans le troisième quart du 14e siècle et qu’il s’est diffusé à partir de Liège et de Namur, du nord vers le sud, en évinçant le type héréditaire lé (< *illae). Selon toute vraisemblance, la limite méridionale de l’aire de lie (aire de conflit avec lé) s’est fixée plus tardivement que sa limite occidentale. Nous considérons que la forme lie est à présent suffisamment déterminée et qu’elle pourra servir à localiser les textes ou les manuscrits moyen français où elle sera exactement identifiée. On aura soin de ne plus confondre le type lie, tel qu’il vient d’être décrit, avec la graphie  16. Quelques exercices pour vérifier l’application de ce principe. — (1) Comment interpréter lie dans certains mss du Maugis d’Aigremont [MaugisV, 2e t. 13e s., transmis

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10. — L’identification et la détermination de la forme régionale lie du pronom personnel pourrait apparaître comme un tout petit problème. Pourtant, ce que nous avons découvert, chemin faisant, nous invite non seulement à revoir quelques explications communes, répétées de manuel en manuel (1), mais aussi à nous interroger sur la manière dont on conçoit l’histoire des formes grammaticales (2) et les relations entre la langue et sa représentation écrite (3-4). par trois mss picards] et du Lion de Bourges [LionBourgAlK, mil. 14e s., ms lorrain du 14e s.] (problème soulevé par Atkinson 2012, 390-391). Certainement, comme Atkinson le propose avec beaucoup trop de prudence, comme une graphie, nous dirions comme une féminisation superficielle de li f. (< *illaei), dans un moment où cette forme, devenant désuète dans la langue centrale, était progressivement remplacée par elle ; le mètre et la rime permettent en effet, dans le second texte au moins, d’assurer que lie remplace un plus ancien li. Cette graphie lie concurrente de li n’est pas rare dans des documents du milieu du 14 e s. originaires des Ardennes, de la Meuse et du nord de la Marne (cf. Rydberg 1905, 381 ; Atkinson 2012, 389). — (2) Comment interpréter lie dans le vers 2850 du Poème moral [PoèmeMorB, déb. 13e s.], dans le vers, transmis par L [= Louvain Université G 53, env. 1311, traits du nord du domaine lorrain selon l’éditeur, traits wallons selon le DEAF], graphie exceptionnelle, toutes les autres mentions du pronom dans ce texte ayant la forme li : « Que vraie humiliteit et quant qu’a lie atient » (cf. Atkinson 2012, 391) ? Ici aussi, comme une graphie du scribe (l’usage de la forme centrale li est constant dans le texte et la position de li(e) devant voyelle en fait, de toute façon, une forme monosyllabique). Ce lapsus calami (cf. aussi cestie au vers 2895) doit être vu, comme dans les cas cités sous 1, en tant qu’indice de la provenance régionale du manuscrit. — (3) Comment interpréter lie dans le Noël dialectal comtois évoqué par Dondaine (1972, 361-362) « Ny et étoile dans lou cie [ciel : sī] Que set pus belle que lie » ? À notre avis, comme la transcription de la forme [lī], représentant l’issue locale, dans une aire ayant pour centre Besançon, de *illaei, avec diphtongaison (comme dans certains parlers sud-bourguignons et francoprovençaux). Ce noël, écrit par le bisontin Christin Prost (1629-1671), a paru pour la première fois dans une plaquette sans nom d’auteur à Besançon, chez Jean Couché, 1682 (v. Dondaine 1972 : 16 ; ‹http :// fr.wikipedia.org/wiki/Littérature_de_langue_comtoise›). — (4) Comment, enfin, interpréter lie dans une charte wallonne originale originaire d’Andenne [Belgique, province de Namur], datée de 1272, publiée par Wilmotte (document XI, Wilmotte 1890, 94 = Wilmotte 1932, 145 ; document cité par Gossen 1967, 311, sous le sigle W 255 ; « le seul document wallon avec lie » pour Atkinson 2012, 391, n. 122) ? Cette charte ‘wallonne’, émanant de Guy comte de Flandres, contient de nombreuses graphies singulières, qu’une autre expédition du même document (document XII, Wilmotte 1932, 146) corrige, par exemple : mardie “mardi”, chue pron. démonstratif (ce) et deux mentions de lie. Or, il n’a pas été vu que si l’une d’elles est bien une graphie de li pron. personnel féminin (« terres qu’il tenoent de lie », où lie réfère à « la glise d’Andenne »), l’autre est une graphie de li pron. personnel masculin (« Mais se achuun i avoit qui se dotaist ke pou auist rendut a le glise si s’en aquittaist sorlonc chu qu’il quidroit bien faire, quar chu demoure entre lie et sa chonsiense » ; séparation des mots, ponctuation et distinction i/j et u/v nôtres). Il fallait retourner au texte et le lire attentivement pour écarter ce mirage d’une première mention de lie.

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(1) La morphologie historique du français, qui retrace linéairement, et parfois téléologiquement, l’histoire des formes grammaticales, explique que la « substitution de lui à li » (Moignet 1965, 134-136 17, discutant ensuite l’hypothèse antérieure de Foulet ; v. aussi Zink 1997, 263-268) a été rendue nécessaire par la confusion de ces deux formes, celle-ci ayant une origine phonétique (réduction de lui à li) 18. Ceci n’est pas exact, non seulement parce que l’événement conditionnant ([ẅi] > [i]) est inattesté, mais surtout parce qu’il aurait entraîné la perte d’une catégorie, que la langue aurait dû ensuite recréer (schéma explicatif de l’accident, ici mortel, suivi d’une réparation). Notre hypothèse de la migration de la forme neutralisée quant au genre li propre à la zone verbale en dehors de celle-ci (§ 5) explique les faits en termes de concurrence (ce qui n’a rien à voir avec une confusion) et fait place aux diverses variantes régionales qui se sont ensuivies à partir de cet événement déclencheur (§ 6-7). La morphologie historique du français doit aussi expliquer pourquoi elle, forme de sujet, est devenue forme oblique. Voici comment on raconte cette histoire dans la meilleure étude sur le pronom personnel français : « Elle [la langue] a donc profité des circonstances phonétiques pour utiliser lui comme forme du cas unique masculin, et elle a éliminé li, devenu inutile, puisqu’elle promouvait elle comme forme à cas unique du féminin : ainsi était restaurée en sémiologie l’opposition des genres » (Moignet 1965, 135). Le lecteur qui a bien voulu nous suivre aura compris que cet exposé inverse les causes et les effets. (2) Concevoir comme linéaire et orientée l’histoire de « la » langue a faussé les pistes et continue de les fausser. Avec le petit problème de lie, nous avons tout d’abord appris à intégrer la variation dans l’histoire et à déceler les tendances évolutives qui aboutissent à des microsystèmes différenciés qu’atteste « la » langue, certes unique mais variable. Si le français d’aujourd’hui dit je lui dis à elle et non pas je li dis à lie, ce n’est pas du tout parce que la première solution s’imposait, mais bien parce qu’a été sélectionnée et acceptée la variété où s’est créée cette solution. « Le remplacement de li par lui ne nous paraît pas avoir une grande importance du point de vue systématique, mais il est intéressant en ceci qu’il nous renseigne sur les conditions du choix des signes opéré par la langue pour correspondre au système de pensée. » (Moignet 1965, 135). 18 « En effet, la tendance phonétique, dans un mot grammatical, est sans doute à ce que lui passe à li, mais d’autre part, une réaction inconsciente amène à rétablir la forme plus étoffée lui, le mot étant prédicatif. La langue n’a pas accepté la confusion des genres résultant de cette situation phonétique ; d’autre part, créant le pronom ontique de cas unique, elle visait à instaurer une forme non fléchie » (Moignet 1965, 135). 17

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(3) Lorsque la variation est envisagée dans les travaux de morphologie historique, c’est de manière marginale. Un tableau donne les formes graphiques usuelles de l’ancien français (‘classique’, ‘central’) avant d’envisager, comme des déviances, des formes qui n’entrent pas dans le tableau ; ces formes sont dites dialectales (à titre d’exemple, Zink 41997, 84-100). Avec le problème de lie, nous avons compris que pour prendre au sérieux la variation dans la langue, il est nécessaire d’envisager les formes non pas isolément et en tant qu’elles perturbent un système idéal, mais au sein des microsystèmes dans lesquels elles ont fonctionné et fonctionnent. (4) Pour atteindre cet objectif, il faut oser quitter le niveau des textes et des graphies (la « photographie » de la langue, Saussure 1915, 45), au risque de s’enliser toujours dans les mêmes problèmes d’interprétation insolubles, pour se placer au niveau du diasystème qui a produit ces textes : un système vivant qui n’est pas connu seulement par des textes, comme on le dit trop souvent, mais aussi par des variétés orales contemporaines nommées dialectes. Université de Liège

Marie-Guy BOUTIER

Références bibliographiques ALB = Taverdet, Gérard, Atlas linguistique et ethnographique de Bourgogne, Paris, CNRS, 1975-1980 (3 volumes). ALCB = Bourcelot, Henri, Atlas linguistique et ethnographique de la Champagne et de la Brie, Paris, CNRS, 1966-1978 [pas de données exploitables ici]. ALFC = Dondaine, Colette, Atlas linguistique et ethnographique de la Franche-Comté, Paris, CNRS, 1972-1991 (4 volumes). ALLR = Lanher, Jean / Litaize, Alain / Richard, Jean, Atlas linguistique et ethnographique de la Lorraine romane, 1979-1988 (4 volumes). ALW = Atlas linguistique de la Wallonie, Liège, Vaillant-Carmanne/Université de Liège, 1956- (10 volumes parus). ALW 2 = Remacle, Louis, 1969. Atlas linguistique de la Wallonie, Tome 2, Aspects morphologiques, Liège, Vaillant-Carmanne. Atkinson, J. Keith, 2011. « La traduction wallonne de la Consolatio philosophiae de Boèce (le Boece en rime, 3e qu. XIVe siècle, de Jehan de Thys) : analyses lexicologiques, scriptologiques et philologiques », RLiR 75, 469-516. Atkinson, J. Keith, 2012. « Le pron. fém. rég. lie en ancien français », RLiR 76, 363-399. Babin, Jean, 1954. Les parlers de l’Argonne, Paris, Klincksieck, 1954. Baguette, Albert, 1946 (ed.). Le Paweilhar Giffou, Liège, Commission communale de l’histoire de l’ancien pays de Liège.

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MARIE-GUY BOUTIER

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Un bestiaire pas si bête : moutons (de poussière), chatons (d’arbre) et leurs synonymes. Essai de sémantique comparée

1. Introduction 1 Comme tout un chacun, le lexicologue du français de Belgique se doit de faire, de temps à autre, le ménage chez lui, en passant par exemple le torchon* à la cuisine et le mop* dans l’entrée. Faire ainsi son samedi* ne le passionnera sans doute guère, sauf s’il nettoie également sous les meubles à l’aide d’une brosse à poussières* et d’une ramassette* 2 et s’intéresse aux désignations régionales des amas de poussière ainsi recueillis : minousses, moumoutches, nounous, nounousses et plumetions ; il constatera que plusieurs d’entre elles sont également des appellations du chat. Si, intrigué par ce rapprochement, il élargit sa recherche aux synonymes en français et dans d’autres langues, il verra qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé mais qu’il peut être rapproché de celui du chaton d’arbre. Il pourra alors délaisser définitivement sa ramassette pour s’intéresser à l’un et à l’autre. Les noms des animaux n’ont en effet jamais cessé d’être productifs dans la langue. Ils peuvent ainsi, en français, connaître un emploi figuré témoignant des qualités et défauts prêtés à l’animal, comme pour mfr. frm. buse “personne sotte” (FEW 1, 655b, buteo), frm. cochon “homme malpropre” (depuis Voltaire ; FEW 2, 1254b, koš) ou frm. taureau “homme très vigoureux” (familier ; depuis 1798 ; FEW 13/1, 130b, taurus). Mais ils peuvent également être employés pour désigner un objet, et cela dans différents domaines comme celui de la guerre et des armes, avec par exemple bélier “machine de guerre 1



2



Une première version de ce texte a bénéficié des remarques, propositions et compléments de Jean-Paul Chauveau : qu’il en soit très vivement remercié. Torchon “pièce de toile absorbante, servant à laver le sol”, mop “balai à franges”, faire mon/ton/son samedi “faire le nettoyage hebdomadaire de la maison (souvent en fin de semaine)”, brosse à poussières “balayette utilisée pour nettoyer les poussières, les petits débris”, ramassette “petite pelle à manche court et à bords relevés, utilisée pour ramasser les balayures” (définitions tirées de Francard et al. 2010).

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employée par les anciens et au Moyen Âge” (depuis 1548 ; TLFi ; FEW 15/1, 91b, belle) et mfr. frm. chien “pièce d’une arme à feu qui s’abat sur le percuteur” (avant 1630 ; TLFi ; FEW 2, 195a, canis), celui du sport avec cheval d’arçon(s) “appareil cylindrique, sur quatre pieds, généralement en cuir, servant aux exercices de saut et de voltige” (depuis 1946 ; TLFi ; FEW 25, 103b, *arcio), des soins du corps avec blaireau “pinceau à barbe” (depuis 1867 ; FEW 1, 401a, *blāros) ou encore, plus récemment, de l’informatique, avec souris “périphérique d’entrée relié à l’ordinateur par un cordon et permettant, en guidant le déplacement du curseur sur l’écran, de sélectionner une commande ou une option, sans passer par le clavier de l’ordinateur” (depuis 1984 ; TLFi ; emprunt sémantique d’angl. mouse). Le sens premier et le sens dérivé sont liés soit par un rapport de métonymie, à l’instar de blaireau, le pinceau ainsi désigné étant à l’origine fabriqué avec les poils de cet animal, soit par analogie, en raison de leur ressemblance physique (bélier, cheval d’arçon(s)). C’est à cette seconde catégorie qu’appartiennent mouton de poussière et chaton (d’arbre) qui, avec leurs synonymes en français et dans plusieurs autres langues, vont faire l’objet d’une analyse détaillée 3 s’inscrivant dans la tradition onomasiologique, déjà ancienne mais toujours présente (ainsi Julià Luna 2009). C’est que le concept choisi mérite une attention toute particulière : il constitue en effet, suivant la terminologie d’Andreas Blank, un centre d’attraction sémantique, alors que, généralement, ce sont surtout les concepts tabous qui appartiennent à cette catégorie.

2. Mouton de poussière et ses synonymes 2.1. Dans les langues galloromanes 2.1.1. Types lexicaux employés Dans les langues galloromanes, plusieurs types lexicaux sont employés pour désigner les moutons de poussière. Cette réalité relevant du domaine domestique et non de la littérature, elle est généralement sous-représentée dans les dictionnaires, à l’exception notable du FEW dont les sources sont variées. Le syntagme flocon de poussière est attesté avec ce sens dès le milieu du XIXe siècle : La maison, du pied de l’escalier jusqu’aux mansardes, y compris le salon où jamais on n’avait reçu, et la salle à manger où l’on ne mangeait pas, était encombrée des objets les plus diversement hétéroclites ; le tout couvert d’araignées, et visité 3



Cette recherche n’a cependant pas de prétention à l’exhaustivité.

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par des chats qui possédaient là leur écuelle, et qui entraînaient, en se vautrant, des flocons de poussière feutrée, emmêlée d’ailes de papillons et de mouches mortes du dernier automne. (Wey, Francis, 1858-1859. « La Chaconne d’Amadis », Musée des familles, lectures du soir 26, 323-333, p. 327)

Les dictionnaires ne l’enregistrent pas habituellement, mais il se retrouve fréquemment dans les définitions des autres lexèmes de même sens, comme dans le PRob 2011 (s.v. mouton) ou la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française (s.v. mouton), dans le TLFi s.v. peluche et dans une citation de Barbusse (1916) s.v. rare, ainsi que dans de nombreuses autres définitions citées dans le FEW comme, pour les parlers des Ardennes, minons pl. “flocons légers de poussière sous les lits” (FEW 6/2, 96b, min‑), frm. moutons pl. “flocons de poussière qui se forment sous les meubles” (FEW 6/3, 207a, *multo) ou wallon (Charleroi) plomion “petite plume ; flocon de poussière” (FEW 9, 86b, plūma). Flocon de poussière n’a cependant pas de lien avec les animaux, contrairement à la plupart des autres lexèmes ou syntagmes employés pour désigner les moutons de poussière 4. Parmi ceux-ci, mouton est le plus anciennement attesté. Selon le FEW (FEW 6/3, 207a, *multo) qui, sur ce point, reprend le Grand Larousse encyclopédique en dix volumes (le volume correspondant datant de 1963), il apparaît d’abord chez Balzac, sans marque ; c’est en effet le cas dans une lettre à sa sœur, Laure de Balzac, datée de 1819 : « Regardez donc cette toile d’araignée où cette grosse mouche pousse des cris à m’étourdir ! ces moutons qui se promènent sous le lit ! cette poussière sur les vitres qui m’aveugle ! » (Correspondance d’Honoré de Balzac (1819-1850), Paris, Lévy, tome 1, 1876, p. 2). La destinataire, le contexte et l’italique sont significatifs du vocabulaire familier. La première attestation lexicographique paraît être DG 1897 “amas consistants de poussière qui se forment sous les meubles”, suivi par Larousse 1903 “amas de poussière qui se forment sous les meubles” ; à partir de la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie française, ce lexème est considéré comme familier. Il en est de même dans la deuxième édition du Français correct. Guide pratique de Grevisse (1979) et dans le TLFi. Dans les dictionnaires généraux plus récents (neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française dont le fascicule correspondant date de 2003, PRob 2011, PLi 2012), cette marque a cependant disparu. On peut également constater que seul le pluriel est attesté dans le FEW et le PLi 2012, mais que le TLFi, le Dictionnaire de l’Académie française, le Dictionary of Animal Names and Expressions Used Figuratively by Modern Francophone Authors (Foley 2005) et le 4



Nous ne nous attardons pas sur le syntagme boules de poussière, qui n’est attesté que ponctuellement et le plus souvent dans la littérature récente.

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PRob 2011 n’indiquent rien de tel. Internet, notamment Google livres, offre de nombreuses attestations dans des textes du registre courant ; le singulier y est également bien représenté. Une évolution sur ces deux points a donc eu lieu durant les dernières décennies. Chaton se rencontre aussi avec le sens de “mouton de poussière” dans le français général. Absent du FEW, il est cependant recensé par le TLFi qui en donne une attestation tirée d’un texte de J. Romains de 1932 ; s’il est considéré comme familier par Grevisse dans son Français correct. Guide pratique (1979) et par Foley 2005, il est en revanche présenté sans marque dans le PRob 2011 et le PLi 2012. Comme pour mouton, les attestations relevées sur des sites Internet permettent de constater que chaton n’est plus réservé au registre familier et s’emploie aussi au singulier. On le rencontre également dans des dictionnaires bilingues ; ainsi, sous l’entrée chaton, le Groot nederlands Larousse woordenboek 1981, dictionnaire français-néerlandais, classe pluis et stofvlok qui ont le sens de “mouton de poussière”. Si flocon de poussière, mouton et chaton sont employés en français standard, d’autres types lexicaux connaissent une diffusion plus limitée ; on les rencontre notamment dans le français de Belgique, où chaton et mouton sont peu usités avec ce sens (Francard et alii 2010, 242). Parmi ces types lexicaux figure minon n. m., employé en Suisse romande ainsi que dans d’autres régions (Thibault / Knecht 2004, 520) : Le sens de “agglomérats de poussière” est plus rare [que celui de “chatons de certains arbres”] ; dans les patois, on le relève en Flandre, en Picardie, dans les Ardennes et en Moselle (v. FEW) ; en fr. rég. de France, il est vivant dans les Ardennes, en Champagne, en Lorraine, en Franche-Comté, en Saône-et-Loire, dans l’Ain, en Savoie et dans le Beaujolais […].

À l’origine, minon a en français le sens de “chat” (mfr. frm. mynon m. chez Eustache Deschamps, minon en 1548, 1585/1600 et 1606 ; FEW 6/2, 96a, min‑) ; par la suite, il a pris ceux de “poil doux, duvet” en mfr. (FEW 6/2, 96b, min‑) et de “petit chat” dans le langage enfantin (depuis 1611 ; FEW 6/2, 96a, min‑). Dans certains dialectes, notamment en Lorraine, on rencontre également le type minon avec le sens de “chat” ou de “petit chat” (ibid.). Le rapprochement entre le chat et le mouton de poussière se retrouve également dans d’autres types lexicaux formés sur le radical min- (FEW 6/2, 96b), comme le type masculin minousse, employé dans le français régional de Lorraine au singulier (Roques / Roques 1979, 183) et dans le français régional de Belgique au pluriel (Francard et alii 2010) ; le type minous [minu] n. m. pl. est également employé dans le français régional de Belgique et, au singulier, dans le Nord-Pas-de-Calais et au Québec (ibid. ; le Harrap’s unabridged dictionary

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(Stevenson 2007) glose ce lexème par “boule de poussière” en précisant qu’il s’agit d’un canadianisme). Là encore, le sens originel de ces deux types est celui de “chat”, attesté à travers frm. minou n. m. “petit chat” (terme enfantin, cité pour la première fois dans la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie ; FEW 6/2, 96b, min-), wallon minou “chat”, wallon (Neufchâteau) minousse “petit chat”, lorrain minoûsse (Cumières) et minousse (Moselle) “chat (terme enfantin)” (FEW 6/2, 97a, min‑). Le picard (Artois) connaît également minou “fourrure ; pl. duvet de laine, de coton qui se réfugie sous les meubles” et “petit chat” (FEW 6/2, 96b, min-) ainsi qu’une autre formation dérivée sur le nom du chat, picard (Saint-Pol) [min] “légers poils provenant de l’usure des étoffes et qui s’accumulent sous les meubles” (FEW 6/2, 97b, min-). Dans les Deux-Sèvres, c’est minot m. “bourre, flocon de poussière, mouton” que l’on trouve (SEFCO). Les types nounousses n. m. pl. et nounous [nunu] n. m. pl., qui tous deux connaissent une vitalité moyenne mais stable dans le français de Belgique (Francard et alii 2010), constituent assurément une aphérèse redoublée de minousses et de minou. Le premier type est également attesté au Québec (ibid.) et le second en picard (FEW 23, 53a, poussière). Quant à moumoutches n. m. pl., c’est un belgicisme de vitalité moyenne et significativement décroissante employé principalement en Wallonie orientale (Francard et alii 2010). Ce type lexical a connu une évolution sémantique comparable à celle des autres : le français atteste le sens de “chat” à travers frm. moumoute m., terme enfantin signifiant “chat” (1845–1874), puis, avec le f., celui de “chatte” (depuis 1907 ; FEW 6/2, 180a, mit-), attesté aussi sous la forme moumouche : J’aurais tant voulu que, dans cette maison du Sud, le second séjour dure à tout jamais. Quand ils me parlaient, avec des mots, c’était pour me dire des « viens mon moumouche adoré », des « voici le plus beau chat du monde » ou des « plus doux que toi, il n’y a pas ». Je ne méritais pas tant. L’amoureux vrai, frileux, se contente de peu. (Yves Navarre, 1986. Une vie de chat. FRANTEXT)

En wallon, pour ce même type lexical, on relève également le sens de “peluche” : Lès habits d’ sôye bwèrdés d’ôr’rève, Lès bèlès rôbes a dobe volant, Lès mantês d’ v’loûr fôrés d’moumoutche Et lès capuches a grands golés Sôrtît d’ leûs-årmås toûr a toûr. (Ponthier, Noël, 1932. « Dam’zèle Mayå (1212) », Bulletin de la société de littérature wallonne 64, 467-477, p. 470)

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Il s’agit d’une réduplication de moute, dénomination dialectale de la chatte (Francard et alii 2010 ; FEW 6/2, 180a, mit-). Enfin, le type masculin miton apparaît dans une partie de l’ouest de la France. L’angevin l’emploie ainsi avec les sens “espèce de trèfle ; duvet qui se dépose sur les meubles et qui provient de l’usure des habits” (FEW 6/2, 176a, mit-), à rapprocher de frm. miton “chat (terme enfantin)” (1660, 1845–1874 ; FEW 6/2, 175b, mit-), tout comme haut breton miton m. “chaton de poussière, mouton de poussière ; chaton d’arbre ; fleur de trèfle (sud de la LoireAtlantique) ; pubis” (Auffray), bas manceau miton m. “flocon de poussière, de balayures, de tissu ; chaton de saule ; chat bien fourré” (Cercle Jules-Ferry), haut manceau miton m. “flocon de poussière, de balayures, de déchets de tissus ; chaton du saule, du coudrier ; tour de cou, col de fourrure ; chat, chaton ; capitules du trèfle des champs” (Bertin / Beucher / Leprince 2004). Deux dérivés de la famille de plume ont également le sens de “mouton de poussière”. Le premier, plumetions n. m., est un belgicisme (Grevisse 1979, Francard et alii 2010), attesté uniquement au pluriel ; sa vitalité est peu élevée et décroissante en Wallonie (ibid.). Il est à mettre en relation avec le liégeois ploum’tion “filament de linge ; flocon de neige” (FEW 9, 86b, plūma). Le second, le type lexical représenté par plomion et plumion, a été relevé en wallon, à Charleroi, avec les sens “petite plume ; flocon de poussière” (FEW 9, 86b, plūma), ainsi qu’à Mons, avec le sens de “petite plume ; duvet ; ordure qui se forme sous le lit” (Sigart 1866, 286). 2.1.2. Analyse Parmi ces différents types lexicaux, flocon représente le plus neutre car il n’a jamais été limité au registre familier. Comme pour flocon de neige ou flocons de céréales, les traits sémantiques communs entre des flocons et les moutons de poussière sont la taille réduite et la légèreté qui fait qu’un souffle même léger les déplace. On peut également noter que le lexème flocon n’a pas de connotation négative. Les deux dérivés de plume, plumetions et plumion, partagent également ces deux traits sémantiques de la légèreté (« léger comme une plume ») ainsi que la taille réduite (de la plume archétypale à laquelle vient s’ajouter le diminutif). Deux autres viennent s’y ajouter. Le premier est celui de la longueur : dans leur région d’attestation, ces deux lexèmes ont en effet également le sens de “filament” : liégeois ploumion “filament de linge”, wallon (Namur) plumion “filament de linge, brin détaché d’un tissu”, picard (La Louvière) plomion “filament d’étoffe”, liégeois ploum’tion “filament de linge” (FEW 9, 86b, plūma). Les moutons de poussière présentent en effet souvent une forme

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allongée et qui est exprimée dans la définition reprise par le FEW de minons à Neuchâtel (Suisse), “petit rouleau de poussière” (FEW 6/2, 96b, min-). Le second trait sémantique commun avec la plume est celui de la douceur : ceuxci ont un aspect duveteux qui donne l’impression qu’ils doivent être doux au toucher. Mais ce sont deux animaux, le chat et, dans une bien moindre mesure, le mouton, qui sont les plus représentés parmi les synonymes de mouton de poussière employés dans les parlers galloromans. Un des traits communs entre les moutons de poussière et flocon et les deux dérivés de plume se retrouve chez ces deux animaux : la douceur. La douceur, réelle ou supposée, est celle de leur pelage ou de leur laine ; elle apparaît clairement, par exemple, dans mfr. mynon n. m. “poil doux, duvet” (FEW 6/2, 96b, min-). Un second trait peut être rapproché de l’un de ceux précédemment soulignés : cette légèreté des flocons, qui est aussi celle des moutons de poussière qu’un souffle d’air, même léger, fait se déplacer, et que l’on retrouve dans picard (Saint-Pol) [minõ] sg. “légers poils provenant de l’usure des étoffes et qui s’accumulent sous les meubles”, Ardennes minons pl. “flocons légers de poussière sous les lits” (FEW 6/2, 96b, min-), doit être mise en relation avec la mobilité du chat et du mouton. Mais d’autres traits communs encore semblent pouvoir être distingués même s’ils n’apparaissent pas aussi clairement dans les définitions de ces lexèmes. Ainsi, la couleur des moutons de poussière, le plus souvent gris, peut rappeler celle de certains moutons. On peut penser que cette similitude était également valable pour le chat, si fréquent dans ces désignations ; on pourrait alors en conclure que le chat prototypique possède une fourrure de couleur grise. Enfin, le chat et le mouton sont des animaux domestiques, utiles parce qu’ils chassent certains nuisibles ou fournissent de la laine, dont on ne redoute pas la présence dans ou à proximité de la maison et qui sont connotés de façon positive grâce, par exemple, à la douceur de leur fourrure ou de leur laine. Cette connotation positive transparaît, dans la désignation des moutons de poussière, par l’emploi de termes du registre enfantin (minou, minousse en Moselle) ou dans le sens diminutif de ces lexèmes (“petit chat”) ; elle se retrouve également dans la formation diminutive des termes ayant le sens de “flocon de poussière” comme plumetion et plumion, issus de plume. La poussière ainsi désignée n’est donc pas inquiétante, comme elle pourrait l’être si elle était noire, grasse, gluante ou malodorante, mais familière et sans danger (douceur, couleur grisée). C’est sans doute pour cette raison que, à notre connaissance, le rat ne figure pas dans ce bestiaire : celui-ci est en effet

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connoté bien trop négativement, malgré la longueur de sa queue, sa couleur (gris foncé il est vrai) et sa mobilité, pour correspondre aux traits des moutons de poussière tels qu’ils apparaissent à la confrontation des caractéristiques sémantiques de ces différents synonymes.

2.2. Dans les langues romanes autres que galloromanes Plusieurs types de formations peuvent être observés dans ces langues. Le type flocon de poussière apparaît ainsi en italien avec fiocco di polvere (Arizzi 1999) ; bioccolo di polvere (Arizzi 1999) est familier selon Boch 2000 ; Ghiotti 1970 s.v. chaton ne cite que le pluriel bioccoli di polvere. Bioccoli di lana, littéralement “flocons de laine” (Salati 1966 s.v. mouton1), se rencontre également dans la lexicographie. L’espagnol connaît quant à lui la périphrase pelotillas de polvo (García-Pelayo y Gross / Testas 1999 s.v. mouton, Ros Mas 2007 s.v. mouton), composée avec pelotilla “petite balle” et polvo “poussière”. Ce syntagme ne figure cependant pas sous pelotilla dans García-Pelayo y Gross / Testas 1999. Les moutons de poussière peuvent également être désignés par comparaison avec de la peluche ou de la fourrure, mais aussi de la laine. Pour les deux premières, c’est le cas en espagnol avec pelusa, qui a aussi le sens de “duvet, peluche” (Vidal 1997, Ros Mas 2007), borra (depuis Cervantes, DCECH ; Vidal 1997 ; Ros Mas 2007), qui a aussi le sens de “bourre”, et tamo (Amador 1970, Denis / Maraval 1971 s.v. mouton, Vidal 1997, García-Pelayo y Gross / Testas 1999), originellement “duvet, bourre”, et en italien, avec peluria “duvet” (GDLI, Ghiotti 1970). Mais c’est la laine qui connaît le plus grand nombre de formations, en italien, avec le simple lana (depuis 1863 ; aussi dans le dialecte milanais, 1840 ; DELI 2 ; Ghiotti 1970 ; Les dictionnaires Sansoni 2006 ; Margueron / Folena 1999 s.v. mouton ; ce sens n’est en revanche pas indiqué sous lana), le syntagme bioccoli di lana, littéralement “flocons de laine” (Salati 1966 s.v. mouton1), et plusieurs dérivés : laniccio (depuis 1891, DELI 2 ; romain laniccia, ibid. ; GDLI ; Salati 1966 ; Arizzi 1999 ; Les dictionnaires Sansoni 2006, s.v. chaton), formé avec un suffixe diminutif sur lana “laine” (est familier selon Boch 2000), lanetta (Arizzi 1999) et lanugine (Salati 1966 s.v. mouton1) dont le sens le plus répandu est celui de “duvet”. On rapprochera ces différentes formations sur laine de mouton de poussière lui-même, la première étant produite par cet animal et lui conférant l’impression qu’il est doux au toucher. Le chat apparaît quant à lui en italien dans l’expression gatto/gatti di polvere, littéralement “chat/chats de poussière”. Celle-ci n’est pas recensée dans les dictionnaires (Ø GDLI, Rouède 1965, Salati 1966, Ghiotti 1970, Les dictionnaires Sansoni 2006), mais apparaît dans des écrits en ligne comme des

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forums, parfois entre guillemets. Google livres fournit également plusieurs attestations de gatti di polvere, dans des textes datant majoritairement du XXIe siècle. Preuve à la fois de la vivacité de cette expression et de sa motivation sémantique : une vidéo publicitaire pour un robot aspirateur (Folletto VR100) met en scène un chat fait uniquement de poussière pourchassé par l’aspirateur dans toute la maison. Cette figure est très forte, parce qu’elle est en même temps métonymique et métaphorique : métaphorique, parce que la poussière rappelle un chat, mais également métonymique, parce que la présence d’un chat dans un logement a très souvent pour conséquence une abondance de poils s’agglomérant sous les meubles.

2.3. Dans des langues non romanes L’image du chat se retrouve de nouveau dans l’anglais américain dust kitten (Pilard / Stevenson 2004 s.v. dust, Stevenson 20072 s.v. dust). L’allemand et le néerlandais lui préfèrent celle de la souris. Le premier connaît ainsi Wollmaus n. f., littéralement “souris de laine” (de Wolle n. f. “laine” et Maus n. f. “souris”), recensé dans Grappin 1999 et dans la version allemande de Wikipédia (‹http ://de.wikipedia.org/wiki/Wollmaus› consultation : 1er février 2013) ; ce composé est également employé, à côté de Chinchilla n. m. (2008. Harrap’s universal) pour désigner le chinchilla (2008. Harrap’s universal ; Wikipedia), animal ressemblant en effet à une souris. Le néerlandais a quant à lui stofmuizen, littéralement “souris (au pl.) de poussière”, formé de stof “poussière” et muis “souris”, qui, s’il n’est pas d’un emploi extrêmement fréquent, est bien attesté : « Veel vrouwen durven de werkster niet te wijzen op stofmuizen onder de bank  » (‹http ://archief.nrc.nl/index.php/2008/September/13/Overig/z18/ Help,+ik+heb+een+hulp›). Il est en revanche absent de la lexicographie générale (Ø Groot nederlands Larousse woordenboek 1983, Gallas 1985, Van Dale Groot woordenboek 2005, Prisma Handwoordenboek Nederlands 2005, Bogaards 2007) ; peut-être faut-il y voir une certaine réticence, de la part des lexicographes, à faire entrer dans les dictionnaires des formations pouvant sembler peu sérieuses ou enfantines (référence à la souris). Attesté depuis 1952, dust bunny (ou dust bunnies) est familier et employé principalement en anglo-américain (OED s.v. dust ; Pilard / Stevenson 2004 s.v. mouton, dust ; Stevenson 2007 s.v. chaton, minou, dust) ; là encore, l’expression renvoie à un animal familier, au pelage doux et d’une couleur tirant sur le gris (lapin de garenne) dans la représentation que l’on s’en fait le plus généralement. On ne pourra en revanche pas en dire autant de Lurch n. m., employé en Autriche avec le sens de “moutons de poussière” (‹http ://de.wikipedia.org/ wiki/Staubmaus› consultation : 1er février 2013) mais dont le sens initial est

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“batracien, amphibien” (Hachette Langenscheidt 1997, Grappin 1999, Gottschalk / Bentot 2006). Toutes les désignations ne font cependant pas référence à des animaux. Sans surprise, certaines formations périphrastiques sont formées sur un type flocon de poussière, comme allemand Staubflocke, composé de Staub n. m. “poussière” et de Flocke n. f. “flocon” (Mattutat 1989, Hachette Langenscheidt 1997, Harrap’s universal 2008 ; dans Grappin 1999, on ne le trouve pas dans la nomenclature, mais sous Wollmaus) ; il est recensé uniquement au pluriel et considéré comme familier par Gottschalk / Bentot 2006. En néerlandais, on trouve le syntagme vloken stof, composé des deux substantifs vlok “touffe ; flocon” et stof “poussière” (Gallas 1983 [graphie vlokken stof], Bogaards 2007), mais également stofvlok, répertorié dans les dictionnaires les plus anciens (Groot nederlands Larousse woordenboek 1981 s.v. chaton, Groot nederlands Larousse 1983, Gallas 1985) mais absent des plus récents (Prisma Handwoordenboek Nederlands 2005, Van Dale Groot woordenboek 2005, Bogaards 2007). Le néerlandais pluis a également le sens de “moutons de poussière” (Groot nederlands Larousse woordenboek… 1981 s.v. chaton, Groot nederlands Larousse woordenboek 1983 s.v. pluis1) ; son sens initial est “peluche, poil”. Dans certains dictionnaires, il n’apparaît d’ailleurs qu’avec ce sens de “peluche, poil” (Gallas 1985, Prisma Handwoordenboek Nederlands 2005 s.v. pluis 2, Van Dale Groot woordenboek 2005 s.v. pluis1, Bogaards 2007 s.v. pluis1 et pluis 2). Le Groot nederlands Larousse woordenboek 1981, dictionnaire français-néerlandais, mentionne pluisjes, diminutif de pluis, sous mouton (de poussière). Cette formation n’est pas attestée dans les autres ouvrages consultés (Ø Groot nederlands Larousse woordenboek 1983, Gallas 1985, Van Dale Groot woordenboek 2005, Bogaards 2007) ou alors avec des sens différents (Prisma Handwoordenboek Nederlands 2005 s.v. pluis 2). Enfin, stofpluis, littéralement “peluche de poussière” (stof “poussière” et pluis “peluche, poil”), ne connaît pas un usage très répandu, mais est tout de même attesté : « Waarschijnlijk was na het verwijderen van de ventilator, de luchtafvoer niet meer optimaal geweest in de kast, hetgeen de stofpluis tot gevolg had » (‹http :// mignonnie.web-log.nl/mignonnie/2005/11/index.html›). Comme stofmuizen, il est absent de la lexicographie générale (Ø Groot nederlands Larousse woordenboek 1983, Gallas 1985, Van Dale Groot woordenboek 2005, Prisma Handwoordenboek Nederlands 2005, Bogaards 2007). Avec ce même sens, les dictionnaires d’anglais recensent aussi fluff (Pilard / Stevenson 2004 s.v. mouton, Corréard / Grundy 2007 s.v. mouton, Mcneillie 2007, Stevenson 2007 s.v. mouton et fluff), ball of fluff (Corréard / Grundy

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2007 s.v. chaton, Mcneillie 2007 s.v. chaton, Stevenson 2007 s.v. chaton) ou, au pluriel, balls of fluff (2007 Le Robert & Collins s.v. chaton1, Durand / Love 2008 s.v. chaton1), littéralement balle(s) de peluche, et bits of fluff (Mcneillie 2007 s.v. mouton, Stevenson 2007 s.v. mouton), (bits of) fluff (2007 Le Robert & Collins s.v. mouton, Durand / Love 2008 s.v. mouton). D’autres sont formés avec ball, comme le déjà cité anglais ball of fluff (Corréard / Grundy 2007 s.v. chaton ; Stevenson 2007 s.v. chaton) et l’anglo-américain dustball (Stevenson 2007 s.v. chaton) ou dust ball (Pilard / Stevenson 2004 s.v. dust, Stevenson 2007 s.v. dust). On remarquera que, dans Le Robert & Collins 2007 comme dans de nombreux autres dictionnaires, et pas forcément les moins complets, ce ne sont pas les formations à partir de noms d’animaux qui sont recensées, mais des formations descriptives, neutres, du type balls of fluff, bits of fluff, voire aucune d’entre elles. Ce phénomène n’est pas lié à une limitation de la nomenclature imposée par la taille de l’ouvrage puisque l’OED ne recense pas dust kitten et ne voit apparaître dust bunny dans sa nomenclature qu’en 2006, alors que dust bunny et dust kitten apparaissent dans le Harrap’s shorter dictionnaire anglais-français/français-anglais en un volume (Pilard / Stevenson 2004) ; il s’agit donc là de choix éditoriaux témoignant d’une sorte de censure de ces formations pouvant sembler enfantines, humoristiques ou trop domestiques. On peut également remarquer que les dictionnaires de langue les plus anciens (années 1960 et avant) n’intègrent pas toujours des sens comme celui de “mouton de poussière” alors que les plus récents le font bien davantage.

3. Chaton (d’arbre) et ses synonymes Toutes les dénominations qui vont être présentées par la suite sont des créations des langues modernes, les dénominations latines ayant été abandonnées ou seulement reprises par emprunt de la langue scientifique. Les dénominations scientifiques feront donc l’objet d’un traitement rapide (3.1.), tandis que l’examen des dénominations de formation populaire, qui constituent le véritable objet de cet article, sera davantage poussé (3.2.).

3.1. Dénominations scientifiques Le lexique spécialisé de la botanique emploie trois types lexicaux : iulus, amentum et nucamentum. Le premier se retrouve dans fr. iule m. “chaton de certaines fleurs” (Dictionnaire de l’Académie 9e édition, TLFi, PRob 2011 ; Ø PLi 2012), attesté depuis le XVIIIe siècle :

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Iuliferres ou Plantes à chatons. On appelle Iule ou Chaton, en Latin Iulus, la partie de ces Plantes qui est composée d’une quantité d’étamines seulement, ou d’étamines & de petites feüilles ou écailles attachées à un corps ou axe commun. (Guettard, M., 1747, Observations sur les plantes. Tome premier, Paris, Durand, p. V)

C’est un emprunt à latin botanique iulus, qui lui-même l’a emprunté à latin iuli, -orum n. m. pl., “chatons [du coudrier]”, employé par Pline (ThLL, Gaffiot 1964), et qui lui-même est un emprunt au grec ίουλος, -ου n. m. “fleur à duvet ou fleur mâle dans les plantes à sexes distincts”, employé par Théophraste dans son Histoire des plantes et qui, plus généralement, désigne “tout objet velu ou chevelu” (Bailly 1963). Il a également été emprunté par l’anglais sous la forme iulus (1668–1757, OED) mais aussi sous celle de jul, rare (1725, OED). Plusieurs dérivés peuvent être mentionnés : julifères apparaît ainsi sous la plume de Lamarck, à la fin du XVIIIe siècle ; c’est un emprunt à latin botanique iuliferae : « Arbores ramosæ, fructu a flore remoto, seu Iuliferæ » (Ray, John, 1704. Historiae plantarum. Tomus tertius, Londres, p. 5). Les Juliflores ont constitué une classe de plantes portant des chatons ; le mot apparaît durant la première moitié du XIXe siècle (1840. Dictionnaire des sciences naturelles. Supplément. Tome 1, Paris, Fitois, p. 257). L’anglais connaît quant à lui les adjectifs juliferous “qui porte des chatons” (1668–1769, OED) et juliform “qui a la forme d’un chaton” (1882, OED s.v. juliferous). Latin botanique amentum n. n. (Stearn 1996, 367) “chaton” « apparaît aux 15e et 16e s. dans les premières traductions latines des naturalistes grecs : ‘Cachrys dicta, quam nonnulli Amentum appellant’ trad. de Dioscoride par Ruellius, ‘Quid amentum et iulus avellanae’ trad. de Théophraste par Gaza, ‘Amentum : ή κάχρυς’ ibid. » (FEW 24, 432a, amentum). Avec le sens de “vrille”, ce terme est attesté depuis le latin médiéval (ca 825 ; LEI 2, 761, āmentum). En latin classique, amentum n. n. a le sens de “courroie, lanière adaptée aux javelots” (ThLL). Il a été emprunté par le vocabulaire spécialisé de la botanique en fr. (amentum, Brice 2011, 25), en espagnol, avec amento n. m. (Amador 1970 ; Denis / Maraval 1971 s.v. chaton ; Vidal 1997 ; García-Pelayo y Gross / Testas 1999 ; DEA ; Ros Mas 2007), et en italien, avec amento n. m. (DELI 2 ; GDLI ; Rouède 1965 ; Salati 1966 ; Ghiotti 1970 ; Arizzi 1999 ; Margueron / Folena 1999 s.v. chaton, aucune entrée amento n’apparaît cependant dans la nomenclature ; Les dictionnaires Sansoni 2006 s.v. chaton) qui apparaît avant 1597 (LEI 2, 761, āmentum). Le catalan emploie ament (DECat), l’anglais amentum, attesté depuis 1770 (OED), et ament, depuis 1791 (OED) ; ils n’apparaissent que dans les dictionnaires à la nomenclature la plus large (Mcneillie 2007 s.v. chaton et Stevenson 20072 s.v. chaton citent ainsi ces deux lexèmes mais ne leur consacrent toutefois pas d’articles dans la partie anglais-français).

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Plusieurs dérivés formés en latin botanique sur amentum ont eux aussi fait l’objet d’emprunts ; telle est l’origine de fr. amentifère adj. “qui porte des chatons” (depuis 1863 ; FEW 24, 432a, amentum ; TLFi ; Boullard 1988, 24 ; Jouy 2010, 17 ; Brice 2011, 25 ; PRob 2011), amentales f. pl. (FEW 24, 432a, amentum) et amentacées f. pl. (ibid.), employés notamment pour désigner un ensemble de plantes, amentiforme adj. “en forme de chaton” (FEW 24, 432a, amentum), amentiflore adj. “dont la floraison est en chaton” (Jouy 2010, 17). L’italien botanique connaît (piante) amentacee adj. “qui présente des inflorescences en épi” (1793, 1879 ; LEI 2, 761, āmentum, traduit par nos soins), n. f. pl. “famille de plantes dont les fleurs sont disposées en chaton” (1829–1879 ; ibid.), amentifero adj. “qui porte des chatons (à propos d’une plante ; lexique de la botanique)” (1950, ibid.), amentiforme adj. “en forme de chaton (lexique de la botanique)” (1950, ibid.), amentato adj. “se dit d’un végétal avec des chatons (lexique de la botanique)” (1983, ibid.). Le catalan emploie amentaci (DECat), tandis que portugais amentilho (DELP ; Peixoto da Fonseca 1957 ; Da Costa Carvalho s. d. ; Rousé / Cardoso s. d. ; Roquete s. d.) est un emprunt au castillan amentillo qui aurait été introduit dans la langue par Brotero (1744–1828 ; DELP). Le portugais connaît également amentífero adj. qui serait un emprunt au français (ibid.) et amentiforme adj. (ibid.). Peuvent également être relevés, en anglais, amentaceous adj. “de la nature d’un chaton ; qui porte des chatons” (depuis 1737, OED, traduit par nos soins), amental adj. (et n.) “qui porte des chatons” (depuis 1847, OED), amentiferous adj., de même sens (depuis 1854, OED), et amentiform adj. “qui a la forme d’un chaton” (depuis 1869, OED). Le troisième type lexical est latin botanique nucamentum. Ce lexème apparaît en latin chez Pline, au pluriel, avec le sens de “fruits de certains arbres, qui ont la forme d’une noix, ex. les pommes de pin” (Gaffiot 1964). Au XVIe siècle, toujours en latin, il est employé avec le sens de “chaton” : « La fleur des noyers, couldres, & arbres semblables, Nucamentum » (Estienne, Robert, 1549. Dictionnaire françois latin, Paris, p. 173, s.v. fleur). Dès la seconde moitié du XIXe siècle, ce terme tombe en désuétude : « Nucamentum. Synonyme inusité d’amentum ou iulus, chaton. A été employé pour désigner des fruits secs monospermes […] » (Germain de Saint-Pierre, Ernest, 1870. Nouveau dictionnaire de botanique, Paris, p. 955). Il apparaît toutefois encore ponctuellement dans certains dictionnaires contemporains spécialisés (“Synonyme désuet de chaton” ; Jouy 2010, 192). L’anglais connaît nucament, d’un emploi rare (1633–1813, OED).

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3.2. Dénominations de formation populaire 3.2.1. Dans les langues galloromanes Plusieurs types lexicaux employés pour désigner les moutons de poussière sont également usités pour les chatons d’arbre. Le premier d’entre eux, le plus évident, est mfr. frm. chaton “épi de fleur du saule, du noyer, du coudrier, etc.” (depuis 1530, FEW 2, 518b, cattus). Ce même type lexical est attesté dans plusieurs parlers galloromans : normand, gallo, percheron, poitevin (avec parfois une forme féminine), francoprovençal, provençal, languedocien, rouergat, parler des Cévennes, bas-limousin (FEW 2, 519a, cattus ; ALN carte 450 ; ALL carte 480, point 16 ; ALLOr carte 272 ; ALO carte 337), parler du Centre (ALCe carte 134), lorrain, auvergnat, franc-comtois (Rolland 1914, 28 ; ALFC carte 474 ; ALAL carte 288), bourguignon (ALB carte 647), wallon et gaumais (ALW p. 390). On le retrouve également en gascon (gatou ; Rolland 1914, 29 ; ALG carte 156). Le type òpetit chatonó apparaît en poitevin (ALO carte 337, points 66 et 65). Plusieurs dérivés sont également recensés, comme, dans le parler de la région de Castres, catounèl “chaton”, en poitevin, chatouner (FEW 2, 519a, cattus), et en languedocien [katuna] (ALLOr carte 272) “produire des chatons (noisetier, etc.)”, ou encore, dans la Vienne, chatonon n. m. “fleur mâle du saule, du noyer, du noisetier, etc.” (Rolland 1914, 28), en normand, le type [katone] (ALN carte 450, points 63, 76 et 72), ou, en franc-comtois, [ʃεtno] (ALFC carte 474, points 42, 48, 49 et 57), [tʃεtnε :] (ibid., point 18) et [ʃatnεj] (ibid., point 39). C’est probablement un des types les plus largement diffusés, employé dans le vocabulaire général comme dans le lexique spécialisé de la botanique (Boullard 1988, 91 ; Jouy 2010, 61 ; Brice 2011, 66). Le simple chat est également employé avec ce sens depuis 1694 (FEW 2, 519a, cattus) ; il est aussi attesté ponctuellement à travers son équivalent féminin en wallon (ALW p. 390) et en limousin (ALAL carte 288, point 27 : Combresol, Corrèze), avec le masculin pluriel, en franc-comtois avec [ʧε] (ALFC carte 474, point 4), en bourguignon (ALB carte 647, point 111), en normand (ALN carte 450, point 1 : Guernesey), en poitevin (ALO carte 337, point 19), en limousin (ALAL carte 288, point 40 : Lagraulière, Corrèze), mais aussi dans le Gard (ALLOr carte 272, point 30.06) et, dans le français de Bretagne, avec le syntagme petit chat “fleur de saule” (Esnault 1925, 95), également relevé ponctuellement en Normandie (ALN carte 450, point 41 : Saint-Fraimbault, Orne), en Vendée, en Gironde, dans l’Indre-et-Loire et dans la Vienne (ALO carte 337). Le caractère récent de ce sens du type chat, sa diffusion moindre et le nombre limité de ses dérivés incitent à y voir une

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dérivation synonymique de chaton. C’est peut-être également de chaton plutôt que de chat que doivent être rapprochés [tsatεt] (Valais ; FEW 2, 519a, cattus) et cat’lé n. m. (Boulogne-sur-Mer ; Rolland 1914, 28), signifiant “chaton de saule, de noisetier, etc.”, qui pourraient eux aussi avoir été formés sur le type chaton, par greffe suffixale. En franc-comtois, sur le type lexical chat ont été formés, par réduplication, le type [tʃatʃa] (ALFC carte 474, points 11 et 16) et [tʃεtʃεmin] (ibid., point 12), ce dernier formé avec le type lexical minon (cf. infra). Le type masculin minon connaît quant à lui une large diffusion : Le type est attesté dans un très grand nombre de parlers galloromans, en part. dans l’Est d’oïl et le francoprovençal : il a été relevé dans l’Est wallon, le Nord, la Picardie, la Normandie, le Centre, la Bourgogne, la Champagne, la Lorraine, la Franche-Comté, la Haute-Savoie, la Savoie, l’Ain, le Rhône, la Loire, l’Isère, les Hautes-Alpes, le Gard, la Haute-Garonne, le Lot, la Lozère, l’Ardèche, la HauteLoire, la Haute-Vienne, la Corrèze, la Dordogne et la Charente (v. FEW). En fr. rég. de France, il subsiste en Normandie (spor.), en Champagne, en Lorraine, en Bourgogne, en Franche-Comté et dans le Beaujolais […]. (Thibault / Knecht 2004, 520)

Ce substantif est de nos jours considéré comme régional ou vieilli par le TLFi. Il apparaît toutefois dans le Grand dictionnaire Erasme français-néerlandais (Gallas 1983) qui lui consacre une entrée ; son pendant, le Grand dictionnaire Erasme néerlandais-français (Gallas 1985) le propose quant à lui comme équivalent pour les mots néerlandais katje et wilgekatje “minon de saule”. Minon est employé au pluriel avec ce sens en mfr. (1596–1660 ; FEW 6/2, 96b, min-) ; il apparaît pour la première fois dans l’édition de 1596 du Dictionnaire françois-alemand et alemand-françois de Levinus Hulsius. Le syntagme petit minon a parfois également le même sens : p’tè minon à Polignac (Jura) et p’ti mignon à Guernesey (Rolland 1914, 28-29). À l’origine, en mfr. et frm., minon a le sens de “chat” (FEW 6/2, 96a, min-) avant de prendre celui de “petit chat (terme enfantin)” (depuis 1611, ibid.). Ces deux sens se retrouvent dans de nombreux dialectes galloromans (ibid.). Du type minon “chaton de noisetier, etc.” sont issus deux types lexicaux de même sens à l’extension géographique limitée : [miñ], par formation régressive, et, par redoublement, [mimin], relevés tous deux très ponctuellement en wallon (ALW p. 391) ainsi qu’en Normandie pour le second (ALN carte 450 : Eure). Les formes auvergnates [minunε] et [minuna] “chaton (du noisetier)” (points 801 et 804 de l’ALF, carte B 1498 ; ALAL carte 288) ont elles aussi été formées sur le type lexical minon, par dérivation. Comme elles, le type òninonó, relevé dans une région incluant le Loir-et-Cher, l’Indre, le Cher et l’Allier (ALCe carte 134), en est très probablement issu.

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La référence au chat est aussi présente en picard de Belgique (ALW p. 390), wallon, lorrain, poitevin, saintongeais, limousin, lyonnais, nordoccitan et languedocien minou n. m. “chaton de noisetier, etc.” (FEW 6/2, 97a, min- ; ALW p. 390 ; ALLo carte 125 ; ALO carte 337 ; ALL carte 480 ; ALAL carte 288 ; ALLOr carte 272, point 30.05), aussi relevé ponctuellement dans le Cher (ALCe carte 134, point 41), wallon, gaumais et lorrain minousse (FEW 6/2, 97a, min- ; ALW p. 390 ; ALLo carte 125), wallon et gaumais minouche (FEW 6/2, 97a, min-, ALW p. 390), picard minoutche (ALW p. 390), dans les parlers de la Charente et de l’Ardèche avec la forme [min] (FEW 6/2, 97a, min-) et en Franche-Comté avec minouz (Rolland 1914, 28). Lorrain (Fraize) manousse n. f. “chaton du saule” (FEW 21, 68a, fleur du saule) est probablement une variante du type lexical représenté par wallon, gaumais et lorrain minousse. Ces différentes formes et localisations doivent être rapprochées du type représenté par frm. minou “petit chat (terme enfantin)”, également présent, entre autres, en wallon (FEW 6/2, 96b, min-). Cette langue a également minousse “petit chat” (Neufchâteau ; ibid.) et minouche “chat (terme enfantin)” (Namur ; FEW 6/2, 97a, min-). Avec le sens de “chaton de noisetier, etc.”, fr. minou se rencontre également dans des dictionnaires bilingues ; l’article que lui consacre le Harrap’s unabridged dictionary (Stevenson 2007) le glose ainsi par “bourgeon de saule” en précisant qu’il s’agit d’un canadianisme. Ce type est en effet très fréquemment relevé, à côté de chat et chaton, au Québec et en Acadie, par Dulong / Bergeron 1980, 1609 (minou, minou de saule, minou de chaton, petit minou, petit minou de saule, et aussi par dérivation régressive, point 114, avec petits mines) et Massignon 263 (minou, petit minou). En Wallonie, sur minou a été formé, par réduplication après aphérèse, le type nounou, nunu, employé dans les parlers picard et wallon (Rolland 1914, 29 ; ALW, p. 391 ; Haust 1948, 91), et en Wallonie et Lorraine le type nounousse, formé de la même façon sur minousse et employé dans les parlers picard, wallon, gaumais et lorrain (nord de la zone ; ALW p. 391 ; ALLo carte 125). Le wallon connaît également un type nênê, attesté dans la région de Liège (Haust 1948, 91), de même sens mais de formation obscure selon l’ALW. Il pourrait s’agir d’une formation de même nature sur minet (cf. infra). Sur minou et minon ont été formés, en wallon également, les types minoucacate, minou-cascas et menon-tchètchèt, dont le second terme est « le redoublement affectif de òcható […], de + cate (< néerl. kat, FEW 16, 302a), de + cas’ (à interpréter sans doute comme représentant òcatsó < all. katze, FEW 16, 302a) » (ALW p. 391). Trois points de la carte 918 de l’ALF attestent quant à eux de l’existence d’un type lexical masculin mimi de même sens en manceau, en angevin et en poitevin (aussi ALO carte 337) ; Rolland 1914, 29 le loca-

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lise également dans la région d’Orléans, l’ALCB et l’ALFC en Champagne (Haute-Marne et Aube ; ALCB carte 640 ; Haute-Marne, ALFC carte 474, point 72), l’ALB en Bourgogne (Yonne et Côte-d’Or ; carte 647, points 10, 20, 46), l’ALN en Normandie (carte 450, points 29, 41 et 42), l’ALIFO et l’ALCe dans la région Centre (cartes 318 et 134), l’ALO en Saintonge (carte 337). Le point 630 de l’ALG l’atteste aussi dans la Gironde (carte 156). Il a été formé, par redoublement et apocope, sur un des nombreux types lexicaux désignant le chat et commençant par mi-. [mime], relevé dans la Charente (ALO carte 337, point 100), doit très certainement en être rapproché. Enfin, minonètte n. f. (Bruyères-sur-Fère, Aisne ; Rolland 1914, 29) est un dérivé formé sur minon avec le suffixe diminutif ‑ette (Nyrop 1936, 117), et minètte n. f. un dérivé formé par greffe suffixale avec le même suffixe sur minon ou minou ou une féminisation de minet (cf. infra) ; il est attesté en Seine-et-Marne et en Saôneet-Loire (Rolland 1914, 29). Le chat se retrouve encore dans de nombreuses autres désignations du chaton d’arbre. Le wallon (région de Liège notamment) emploie également avec ce même sens moumouche, moumoutche (Haust 1948, 91 ; ALW p. 391), dont on a vu supra qu’il est lui aussi lié au chat. En wallon (région de Thuin) est également attesté mouche (ALW p. 391), de même sens et formé par aphérèse sur le précédent. Le type [mumut] apparaît aussi dans le nord-est de la Normandie (ALN carte 450, point 100 : Berneval-le-Grand, Seine-Maritime) ; ce sens est absent du FEW (6/2, 180a). Minet est employé avec le sens “chaton du noisetier, etc.” en normand et dans les dialectes du Centre, de Provence, des Bouches-du-Rhône, des Cévennes, de la Creuse (FEW 6/2, 97a, min- ; ALCe carte 134), de FrancheComté, de Vendée (Rolland 1914, 29), du Rhône (ALL carte 480, point 11) et de Normandie (ALN carte 450) ainsi qu’en Seine-et-Marne (ALCB carte 640) et dans le sud des Yvelines (ALIFO carte 318, point 14). Le sens général de “petit chat” apparaît en français en 1718 ; avec celui de “chat”, il est présent dans de nombreux dialectes (FEW 6/2, 97a, min-). Nènètte n. f., “chaton du noisetier, etc.”, attesté dans le Maine-et-Loire (Rolland 1914, 29), en est certainement issu, tout comme [minεta] n. f. (Saint-Laurent, Creuse ; ALAL carte 288, point 33). Minaud, n. m. dérivé formé avec le suffixe -aud (Nyrop 1936, 176-177), est employé avec le sens botanique dans les dialectes du Centre de la France, du Berry et du Lyonnais ainsi qu’en bourguignon et en francoprovençal (FEW 6/2, 97b, min- ; ALCe carte 134) ; sur ce lexème a été formé un dérivé, de même sens, qui apparaît dans une zone incluant l’Auvergne (Lastic [mináudo] f. ; FEW 6/2, 97b, min- ; ALCe carte 134, point 65, La Petite-Marche, Allier :

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[minɔda] ; ALL carte 480, points 23, 35 et 36) et le Limousin (Creuse [minóda], Chavanat minâoudo, Haute-Vienne [minóda], [mináuda], Corrèze [minóda], [minodú] m., etc. ; FEW 6/2, 97b, min- ; ALAL carte 288). Le sens premier du simple, celui de “chat” est attesté en français vers 1550 (FEW 6/2, 97b, min-) ; il est également attesté dans plusieurs dialectes : angevin minôt, Centre et Sologne minaud “petit chat”, Toulouse minaut, -audo “chat, chatte”, Agen minau “matou”, minaou (ibid.). Parmi les autres formations issues de cette même base min- peuvent être cités, en Haute-Vienne, [minatu] et [do mina] (ALAL, carte 288, points 55 et 63), tous deux employés pour désigner les chatons du saule. [kaminẽ], quant à lui, (ALN carte 450, point 112 : Saint-Riquier-ès-Plains, Seine-Maritime), qui est bien distinct du féminin [kmiˈnɛi], le représentant de fr. cheminée (cf. ALN 969), est probablement un composé de [ka] “chat” et de [minẽ] m. “petit chat, minet” (avec nasalisation progressive). Le type lexical miton n. m. a, en français comme dans plusieurs dialectes, le sens de “chat” : frm. miton “chat (terme enfantin)” (1660–1874 ; FEW 6/2, 175b, mit-), normand miton “jeune chat”, bourguignon (Saône-et-Loire) “chat”, gallo miston “chat”, neuchâtelois “chat (terme de caresse)” (FEW 6/2, 175b et 176a, mit-). Dans certaines régions de France, il a également le sens de “chatons (d’arbre)” : normand mitons “chatons du coudrier”, gallo (LoireAtlantique), bas-manceau, haut-manceau, angevin “chaton de noisetier, de châtaignier, de saule”, percheron et poitevin id. (FEW 6/2, 176a, mit- ; ALN carte 450, points 56 et 67 ; ALO carte 337, point 1), saintongeais (ALO carte 337, points 73 et 112), mais aussi en Île-de-France et dans l’Orléanais (ALIFO carte 318). La carte 918 de l’ALF nous apprend quant à elle que le type lexical mite n. f. “chatte ; nom de caresse de la chatte”, attesté en français comme en gallo (FEW 6/2, 175b, mit-), de même origine, a également le sens “chatons du noisetier” en gallo, dans la commune de Sucé (Loire-Atlantique ; point 446), dans l’Orne et dans le Loir-et-Cher (ALIFO carte 318, points 33 et 58), tandis que la carte 450 de l’ALN relève le type [mitn] à Ourville-en-Caux (Seine-Martime ; point 111), la carte 318 de l’ALIFO un type masculin [mito] (points 17, 37, 39, 48 et 50), et la carte 288 de l’ALAL un type féminin [mitu] à Saint-Martin-la-Méanne (Corrèze ; point 30) qui doivent certainement en être rapprochés. [mimit], attesté en Charente-Maritime (ALO carte 337, points 69, 70 et 107), est quant à lui issu de mite par réduplication. De la même façon, à Albertville (savoyard), on relève mire n. m. “gros chat, matou” (FEW 6/2, 179a, mit-) et mirë pl. “chatons du saule”, miret m. “fleur du châtaignier” (ibid.) ; dans l’Ain, [mər] n. m. a le sens de “petit chat” et [mr] “chaton du noisetier” (FEW 6/2, 179b, mit-), attesté également sous

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les formes [mər] (Ruffieu, Ain), [mir] (Isère ; FEW 6/2, 179b, mit- ; ALL carte 480, points 52, 63 et 65), [mer] (Loire ; ALL carte 480, point 66), ainsi que [miru], dans la Drôme (FEW 6/2, 179b, mit-) et dans une zone à cheval sur l’Ardèche, la Haute-Loire et la Loire (ALL carte 480, points 70, 75, 72 et 69). Dans le Dauphiné, mira n. f. a le même sens (Rolland 1914, 29). Sur la même base ont été formés dauphinois mironton n. m. “chaton du noyer” (Grenoble) et savoyard [merne] n. m. “chaton du noisetier” (FEW 6/2, 179b, mit-). Enfin, angevin mouton n. m. “chaton de saule” (FEW 6/2, 180a, mit-) peut être rapproché d’angevin moute n. f. “chatte” (ibid.) ou de mouton (cf. infra). Le picard et le wallon connaissent également un type lexical marou n. m. “matou” (FEW 6/1, 359a, marm-) ; le sens “chaton de noisetier” de ce lexème est quant à lui attesté en picard (Wallonie ; ALW p. 391). Dans ces deux mêmes langues existent aussi des formations syntagmatiques avec les types òqueue de cható (picard et wallon), òbite de cható (picard) et òchat-queueó (picard ; ALW p. 391). Le type catkins, relevé dans les Îles anglo-normandes sous la forme [katkens] à Guernesey et [katkins] à Sercq (ALN carte 450, points 1 et 2), doit lui aussi être rapproché des différentes désignations du chat. C’est un emprunt à anglais catkin (cf. infra). Enfin, un type òmiaouó apparaît également pour désigner le chaton de saule, en poitevin (Triaize, Vendée), sous la forme [mjau] (ALO carte 337, point 62). Il doit être rapproché de frm. miaou “onomatopée pour le cri du chat, miaulement” (1619 ; dep. 1867) et frm. miaou n. m. “chat” (terme familier, dep. 1867 ; FEW 6/2, 66a, miau-). Les autres animaux sont bien moins représentés. Le rat apparaît en picard de Belgique, en wallon et en normand dans le type òqueue de rat(e)ó (ALW p. 391 ; ALN carte 450, point 35 : Cricqueville-en-Bessin, Calvados), très peu fréquent. Une formation similaire, dans laquelle rat n’est utilisé là encore que comme second élément de lexie, peut être relevée en provençal ([kwa de ra] “chaton (du noisetier)”, point 864 de l’ALF, carte B 1498). La souris n’apparaît quant à elle que de façon marginale, avec le type souricette relevé une fois en wallon (ALW p. 391). Les désignations rappelant les ovins sont un peu plus nombreuses. En wallon est ainsi attesté cowe di mouton (ALW p. 391), littéralement “queue de mouton”, attestation dans laquelle cet animal n’apparaît lui aussi que comme second élément de lexie. Le type lexical mouton est également employé seul avec le sens de “chaton de saule, de noyer, de noisetier, etc.” dans l’Orne, l’Eure, la Seine-Maritime, la Mayenne, l’Indre-et-Loire, le Loir-et-Cher, le Loiret, la Haute-Saône, l’Isère (Rolland 1914, 27 ; ALIFO carte 318, point 19), la Loire-Atlantique, le Maine-et-Loire, l’Indre-et-Loire, la Charente (ALO

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carte 337, points 15, 2, 5 et 87) et la Manche (ALN carte 450, point 28 : Reffuveille), mais également dans un point québécois (Dulong / Bergeron 1980, point 1609). Le type òpetit moutonó apparaît ponctuellement dans la LoireAtlantique et la Gironde (ALO carte 337, points 16 et 124 ; ALG carte 156, point 630). Un dérivé, [mutony], est recensé en Normandie (ALN carte 450, point 95 : Hodeng-Hodenger). Il est à signaler que Wartburg n’a pas classé de telles données s.v. *multo (6/3, 205-208), mais sous mit- : angevin mouton m. “chaton de saule” est ainsi considéré comme un dérivé de normand moute f. “chatte”, etc. (FEW 6/2, 180a). La répartition des attestations de mouton venant d’être citées est un argument en faveur de l’autre solution. Le type lexical représenté par fr. brebis n. f. “femelle de Ovis aries” (depuis début XIIe s. ; TLFi ; FEW 14, 337a, verv ēx) a également ponctuellement, en wallon, en picard (ALF p. 391) ainsi que dans la Mayenne (Rolland 1914, 27) et en Normandie (ALN carte 450, points 40 et 55 : Rouellé et Hesloup, Orne), le sens de “fleur du noisetier, etc.”. Diminutif du précédent, le type brebiette a initialement le sens de “petite brebis” (depuis le XVe s. ; FEW 14, 337b, verv ēx) ; en champenois, en picard et en manceau il a également celui de “fleur du noisetier” (ibid. ; Rolland 1914, 27 ; ALCB carte 640), tout comme le dérivé de formation comparable berbizette, employé en picard de Belgique et en wallon avec différentes variantes (ALF p. 391), à comparer avec mfr. brebisette “petite brebis”, wallon (Liège) bèrbizète (FEW 14, 337b, verv ēx ; Haust 1948, 91). Parmi les autres diminutifs de même type figurent les types berbizot n. m. (picard de Belgique et wallon ; FEW 14, 337b, verv ēx ; ALW p. 391), bèrbijote n. f. (wallon et picard ; ALW p. 391 ; Rolland 1914, 27) et [bεrbiʒat] (ALFC carte 474, point 28), berbizon (wallon ; ALW p. 391) et berbinotte (champenois ; Rolland 1914, 27 ; ALCB carte 640 : sud de l’Aube) ; les types féminins barberotte (Seine-et-Marne, ALCB carte 640) et barbette (sud de la Seine-et-Marne, ibid.) ont quant à eux subi l’influence de barbe, tandis que champenois (Ardennes) [bijòt] n. f. (ALCB carte 640) a probablement été formé par aphérèse sur le type brebisette. À l’exception de berbizette, ces différents types connaissent une diffusion limitée. Bedot n. m. “mouton (terme enfantin)” est un lexème du picard (Mons ; FEW 1, 312a, bed- ; Rolland 1914, 27) ; dans ce dialecte comme en wallon, il est employé également avec le sens de “chaton de coudrier” (ALF carte 918 ; ALW p. 391). Picard bêbèdot et wallon bèdéye (ibid.), de même sens, en sont issus par redoublement et greffe suffixale. Normand bèbè et picard bi do mé, bèdomè (Rolland 1914, 27 ; ALN carte 450, points 93, 98, 99, 101 et 102) doivent eux aussi en être rapprochés.

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Quant au type synonyme représenté par picard mèmè, mêmê (ALW p. 391 ; FEW 6/1, 566a, me-), angevin mémais, memê et picard [mĕmε:k] (FEW 6/1, 566b, me-), il doit être rapproché de picard mèmè n. m. “brebis, mouton (terme enfantin)”, angevin memê (FEW 6/1, 566a, me-). De même racine, languedocien meco n. f. signifie “chèvre” (FEW 6, 566b, me-) ; la carte 272 de l’ALLOr atteste également, pour deux points de l’Aude (11.30 et 11.31), le sens de “chaton d’arbre”, tout comme la carte 156 de l’ALG qui permet d’étendre sa zone de diffusion à la Dordogne, au Lot-et-Garonne, à la HauteGaronne et à l’Ariège. De ces différentes formations liées au mouton ou à la chèvre doit aussi être rapproché le type berger, relevé une fois en wallon (ALW p. 391), « peut-être par association automatique entre les notions de mouton et de berger » (ALW p. 392). L’occitan connaît également un type lexical chenille “chaton du noisetier” avec des formes comme [ʃnił] et [kaniłə] (Gironde), [kaniłos] pl. (Lot-etGaronne et Tarn-et-Garonne ; FEW 3/1, 189a, can īcula ; ALG carte 156), [tʃaniʎa] (ALAL carte 288, point 71 : Saint-Vincent-Connezac, Dordogne) ; le même type se rencontre également en languedocien (ALLOr carte 272, points 11.10 et 11.17) et en franc-comtois ([ʃnεj], ALFC carte 474, point 63) ; la carte 337 de l’ALO l’atteste aussi ponctuellement en Vendée (points 17 et 21), dans les Deux-Sèvres (29), dans la Vienne (35), la Charente (96, 114, 115) et la Charente-Maritime (110). Il est également connu au Québec : chenilles, chenilles de saule (Dulong / Bergeron 1980, carte 1609). Dans la région parisienne, on emploie un type chenillon n. m., relevé sous la forme ch’niyon (Rolland 1914, 29), dérivé de chenille. Le type lexical lapin a également pris ponctuellement le sens de “chaton du noisetier”, en français au XVIIIe siècle ainsi que dans l’Aisne (Rolland 1914, 29 ; ALCB carte 640), la Marne (ALCB carte 640) et l’Oise (ALIFO carte 318, points 0 [pti lap] et 1 [lap]). Languedocien cadel n. m. “chaton, fleur du saule”, kadel “chaton de noisetier” (Alzon, Lasalle) et cadelá vb. “pousser des chatons” (FEW 2, 497b, catellus ; ALLOr carte 272, points 30.03 et 07.05 pour le substantif, 07.05 et 12.33 pour le verbe) sont quant à eux à rapprocher d’anc. occitan cadel, languedocien kadεl “petit d’un chien” (FEW 2, 496b, catellus). Enfin, en Bourgogne est attesté ponctuellement un type loulou ([lulu] ; ALFC carte 474, point 85, Sacquenay en Côte-d’Or), sans doute à rapprocher du substantif loup (FEW 5, 457a, lŭpus). Dans une partie de la Lorraine romane, plus précisément dans le pays de Haye et dans les vallées vosgiennes d’Alsace (Lanher / Litaize 2002, 111 ; ALLo carte 125), on emploie le lexème féminin pampille avec le sens de

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“chaton”, mais également avec ceux de “décoration faite de branchages” et de “rameaux (de la fête du même nom)” (Lanher / Litaize 2002, 111). Le premier sens étant très différent des deux autres, on pourrait penser qu’il y a là deux types lexicaux : la deuxième et la troisième définition pourraient être rapprochées du type lexical représenté par le lorrain (Fraize, Vosges) pampî “buis” (FEW 7, 515b, palma), de la même famille que le lorrain (Fraize, Vosges) dimouèje de paumes “dimanche avant Pâques” (FEW 7, 515a, palma), tandis que la première, celle de “chaton”, serait issue de frm. pampille “petit motif de passementerie comprenant un macaron d’où s’échappent de petites cordelettes (dans la toilette espagnole)” (avant 1872 ; TLFi ; FEW 7, 531b, *pamp-). La forme tombante des chatons d’arbre peut en effet rappeler celle des pampilles. Les traditions locales permettent en réalité d’établir la communauté d’origine de ces trois sens, les chatons étant liés à l’usage qui est fait des branches de saule lors des Rameaux : « ‘Les branches de marsault, garnies de leurs chatons et bénites le jour des Rameaux, préservent la maison du tonnerre. Chaque fois qu’il tonne, on en jette un brin dans le feu.’ Vosges » (Rolland 1914, 31). La fête de Pâques est elle aussi liée aux chatons. À partir de Pâques a en effet été formé le type lexical pâquette, attesté en champenois sous plusieurs formes, dont paquotte n. f. “chaton odorant du saule marsault” et pâqueutte, et en lorrain pâquette (FEW 7, 703a, pascha ; ALCB carte 640) ; le saule marsault fleurit en effet à l’époque de Pâques (pour une formation comparable pour une autre plante fleurissant à la même époque, cf. pâquerette). Ce dérivé a été formé avec les équivalents locaux du suffixe diminutif français -ette (< ‑ĭtta, Nyrop 1936, 117). Le nom de la Pentecôte aurait également donné son nom au chaton du noisetier, etc. dans le département de la Meurthe (Rolland 1914, 29). La chandelle est de façon marginale représentée en wallon (un seul point de l’ALW ; ALW p. 391), en gallo (Chéméré, Loire-Atlantique ; ALF, carte 918) et en languedocien ([kãndelas] pl., point 759, ALF carte B 1498 ; ALLOr carte 272, points 07.01, 30.01 [tʃadεl] et 07.03 [tʃadelu]). Un verbe [tʃadela], signifiant “faire des chatons”, en est issu ; il est attesté ponctuellement en Ardèche (ALLOr carte 272, points 07.01 et 07.03). Le lexème roupie n. f. est employé avec le sens de “chaton de noisetier, etc.” en Suisse francophone (Rolland 1914, 29) et en Normandie (ALN carte 450, points 68 et 78) ; son sens premier est celui de “goutte d’humeur qui pend au nez” (depuis le XIIIe s. ; FEW 21, 419a, roupie). Lanterne aurait également eu ce sens de “chaton de saule, etc.”, selon E. Rolland, dans la région de Dijon (Rolland 1914, 30). Un substantif sucé n. m.

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en serait lui aussi un synonyme ; « il paraît que les enfants sucent cette fleur » (ibid.). Le type òboucle d’oreilleó n’apparaît quant à lui qu’en lorrain, à Cumières (Meuse ; ALLo carte 125), tandis que le type òpendantó (Seine-et-Marne ; ALCB carte 640) est évidemment issu du verbe pendre. La carte 918 de l’ALF laisse apparaître un autre type pour quatre points, deux en manceau et deux en angevin : andouille. La forme phonétique de ces quatre attestations, [duj], laisse penser qu’il s’agit d’un emprunt récent au français ou d’un calque de cette langue. Le chaton d’arbre est ainsi désigné par analogie avec la forme de cette saucisse (sens général attesté depuis ca 1178 ; TLFi ; FEW 4, 652b, ĭndŭct ĭlis) et avec sa position, pendante, dans la cheminée où elle est fumée. De ce substantif doivent être rapprochés boudin (Essonne ; ALIFO carte 318, point 28) et le syntagme petit boudin (Eure ; Rolland 1914, 30), eux aussi employés avec le sens de “chaton de noisetier, etc.”. Parmi les types lexicaux isolés figure [ʃukε], relevé en franc-comtois (ALFC carte 474, point 52 : Fertans, dans le Doubs), qui doit très probablement être rapproché de franc-comtois (Doubs) chouque n. f. “huppe, toupet”, dont sont dérivés chouquet, choucot “grappe, bouquet” (FEW 17, 50b, schocken). Dans l’Allier apparaît un type òplume de sauleó ((ALCe carte 134, point 63) et, dans le Cher, à Cernoy-en-Berry, non loin du Loiret (ALCe carte 134), un type òmiglonó, à rapprocher de berrichon miglon n. m. “gland qui pend au cou des dindons” (FEW 22/2, 20b, dinde) et Loiret [migl] m. pl. “appendices charnus qui pendent sous le cou des chèvres” (FEW 22/1, 290b, appendice au cou des chèvres). Normand (Guernesey) ouètte n. f. “fleur du saule, du noyer et du noisetier”, auvergnat (Creuse) ouèto (Rolland 1914, 30) sont certainement à rattacher à frm. ouate (ouette au XVIIIe s. ; hypothèse citée dans FEW 21, 68a, fleur du saule) : formellement les deux types sont identiques ; sémantiquement la métaphore avec “bourre de soie, de laine, etc.” est claire ; du point de vue des usages, le mot est employé en botanique populaire : herbe à la houette, ouate naturelle, etc. (FEW 21, 443a, ouate). Le type lexical òcharliteó, représenté en gascon (Bigorre) sous la forme charlita n. f. “fleurs de l’aune”, en béarnais avec charlites pl. “chaton, assemblage de fleurs de certains arbres, fleurs du châtaignier, de l’aune”, escharlites, serlites, cherlites “id.” (FEW 21, 49b, fleur ; ALG carte 156), doit être rapproché de béarnais cherlit “gazouillement de certains oiseaux”, cherlitá v. n. “éclater en gouttelettes, grésiller (graisse)” et cherlites f. pl. “gouttelettes qui

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éclatent en jaillissant de la graisse en ébullition” (FEW 13/2, 362a, tšarl), spécialement du dernier par une métaphore visuelle. Enfin, wallon djèyê, aussi peu fréquent, est d’origine obscure (ALW p. 391), tout comme [nivε :l] n. f. (Yonne ; ALCB carte 640), champenois (HauteMarne) [brɔdjɔt] n. f. (ALCB carte 640). Normand (Orne) bilghyé n. m. et gallo (environs de Rennes) bruyô n. m. (Rolland 1914, 30), de même sens, résistent également à l’analyse, tout comme languedocien et gascon [ruko] n. f. “chaton de saule” (FEW 21, 68a, fleur du saule ; ALG carte 156, points 658, 659 et 669) et [mεkεt] n. f. (sud de la Haute-Marne ; ALCB carte 640). La surreprésentation du chat et la large diffusion des différents types lexicaux se rapportant à cet animal, comme chaton ou minon, est donc manifeste. Les ovins, avec mouton, brebis et leurs dérivés, viennent après en fréquence et variété des dérivés, tandis que les formations rappelant la souris, la chenille ou le lapin sont marginales. Il en est de même pour les quelques inanimés employés avec ce sens, les uns évoquant la période d’apparition des chatons (type pâquette), les autres des produits de la vie courante : chandelle, lanterne, andouille, etc. C’est que les animaux les plus fréquemment représentés ont plusieurs traits communs avec le chaton d’arbre. Le premier est celui de la longueur cylindrique, comme celle de la queue du chat et du mouton. Ce point est partagé avec les désignations du type andouille ou chandelle. Dans tous les cas, il s’agit plutôt d’une longueur verticale, tombante. Le deuxième est celui de la non-rigidité, de la souplesse et de la mobilité des chatons qui pendent et que le vent peut agiter, qui sont également celles de la queue des animaux. Le troisième trait commun est l’aspect duveteux, la douceur qui caractérisent à la fois les chatons d’arbre, le pelage du chat et la toison du mouton. Le dernier trait enfin est celui de l’aspect positif des uns et des autres. Les chatons sont ceux d’arbres fréquents, familiers, et pour certains portant des fruits comestibles (noisetiers, noyers). Félins et ovins appartiennent eux aussi à l’univers domestique auquel ils contribuent, les uns par leur présence et leur chasse des rongeurs nuisibles, les autres par leur production de laine et de viande ; ce ne sont pas là des animaux dangereux, agressifs ou éveillant des associations négatives. Ce point apparaît également dans l’emploi de termes désignant de petits ou jeunes animaux, de termes enfantins de désignation du chat comme minon, minou, miton, etc. (de ce type peuvent être rapprochées les formations du type petit + substantif comme petit boudin) ou de diminutifs comme chaton ou brebisette. Aucun de ces lexèmes n’a, à l’origine, une signification de type “vieux matou laid et libidineux” ; seul le très ponctuel wallon

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marou n. m., à l’origine “matou”, s’écarte clairement de la désignation du petit chat. La seule attestation d’une formation sur le substantif souris, le type wallon souricette, apparaît ainsi sous la forme d’un diminutif, comme pour atténuer le côté déplaisant et nuisible de ce rongeur, tandis que le type òqueue de rató, attesté en Wallonie et en provençal, se focalise non sur l’animal lui-même, mais sur sa queue. Certains de ces types lexicaux présentent-ils des fréquences ou des localisations particulières ? Certaines zones montrent-elles une prédilection marquée pour un animal ou une formation ? En l’état, la documentation ne permet pas de distinguer de particularités de ce genre en raison de sa précision inégale en fonction des régions, certaines ne possédant pas de carte dévolue au chaton d’arbre dans leur atlas linguistique et ethnographique ; ainsi, si de nombreuses formations sont recensées pour la Wallonie, c’est grâce à la richesse et à la précision de son atlas linguistique. Enfin, on remarquera également que les formations dans les langues romanes et les dialectes romans se distinguent nettement de celles du latin botanique : les premières témoignent d’évolutions spontanées, naturelles, non dépourvues de verve, tandis que les secondes, celles du latin botanique, se caractérisent par leur construction et leur sérieux (rapprochement du chaton d’arbre non d’un animal, mais d’une courroie, d’une lanière adaptée aux javelots pour amentum) ; ce peuvent également être des emprunts au latin classique (iulus), mais pas des calques sur des formations galloromanes (pas de *cattonus). 3.2.2. Dans les langues romanes autres que galloromanes Les langues romanes autres que galloromanes connaissent des emplois comparables à ceux précédemment relevés. Dans le langage courant sont ainsi employés avec le sens de “chaton d’arbre”, en italien, gatto n. m. (avant 1730, DELI 2 s.v. gattino ; GDLI s.v. gatto1) et son dérivé gattino n. m. (depuis 1813, DELI 2 ; est populaire selon le même ouvrage ; GDLI s.v. gattino3 ; Salati 1966 ; Ghiotti 1970 ; Arizzi 1999 ; Margueron / Folena 1999 ; Les dictionnaires Sansoni 2006 s.v. gattino 2), qui ont pour sens premier respectivement “chat” et “chaton ; minet, minette (fam.)” (Margueron / Folena 1999). Pour désigner le chaton d’arbre, l’espagnol emploie candelilla, qui a initialement le sens de “petite chandelle” (depuis 1513, DCECH s.v. candela ; Amador 1970 ; GarcíaPelayo y Gross / Testas 1999 ; Ros Mas 2007) ; candela en est un dérivé régressif ; DCECH s.v. candela).

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3.2.3. Dans des langues non romanes Le chat et le chaton se retrouvent également dans plusieurs langues non romanes. En breton, c’est à travers bichik-mignaou, bichik-mignaon, bichikmignao, bis-mignaon, formés de breton bichik “chaton” ou de breton biz “chat” et de fr. minon selon Esnault 1925, 95. En réalité, si le premier élément est bien bissig/bichik m. “chaton”, le second élément serait plutôt miniaou onomatopée “miaou, miaulement du chat” ; on les retrouve tous deux, francisés, dans le syntagme du français régional de Bretagne bichic à mignon “fleur de saule” (Quimper ; cité par Esnault 1925, 95). Toujours en breton, “chaton de saule ou de noisetier” peut également se dire bichik-kah (littéralement “chaton de chat”), kaz-halek (“chat [de] saule”) et boulou moutik (“boules [de] petit-chat” ; Esnault 1925, 95). Dans sa Flore populaire, E. Rolland recense d’autres formations : kéjer bihan (littéralement “petits chats”), kéjer halek (“chats de saule”), bisego, bichego, bicheio halek (“petits minets de saule” ; Rolland 1914, 30). L’allemand connaît quant à lui Kätzchen n. n., qui a initialement le sens de “petit chat, chaton” (Mattutat 1989, Hachette Langenscheidt 1997, Grappin 1999, Gottschalk / Bentot 2006, Harrap’s universal 2008 s.v. chaton) et qui appartient au lexique de la botanique sans pour autant être spécialisé. On trouve aussi dans les dictionnaires Weidenkätzchen n. n. “chaton de saule”, composé avec Weide n. f. “saule” (Hachette Langenscheidt 1997, Grappin 1999, Harrap’s universal 2008) et Haselkätzschen “chaton de noisetier” (Harrap’s universal 2008). En néerlandais, het katje est un diminutif de kat “chat” (Groot nederlands Larousse woordenboek 1981 s.v. chaton, Bogaards 2007). L’anglais connaît également plusieurs lexèmes ayant initialement le sens de “chat”. Ainsi chat n. “chaton duveteux du saule, du pin, du chêne, du noisetier, etc.” est obsolète ou dialectal ; cet emprunt au français apparaît dans le lexique vers 1400 (OED ; traduit par nos soins). L’anglais a également employé le substantif chaton, chatton, attesté depuis 1578 mais de nos jours obsolète (OED). Pussy appartient quant à lui au langage enfantin ou familier ; il y désigne quelque chose de doux et de pelucheux, en particulier un chaton de saule. Avec ce sens, il est attesté depuis 1858 (OED) ; les sens plus anciens, liés au chat, apparaissent au XVIe siècle (ibid.). Composé de pussy et de cat, le substantif pussycat est d’un emploi familier. Son sens premier est celui de “chat”, à l’origine dans le langage enfantin (depuis 1698, OED) ; le sens de “chaton de saule ou de noisetier”, aujourd’hui régional, apparaît en 1850 (OED ; Watts 2000). Les chatons du seul noisetier sont également appelés pussy cat’s tail (Watts 2000). Pussy willow, composé de pussy et willow “saule”, est originaire

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des États-Unis. L’OED en donne une définition précise : “chaton doux, duveteux de diverses espèces de saules (genre Salix), ou ces chatons collectivement ; n’importe quel saule portant de tels chatons, plus particulièrement (en Amérique du nord) le saule discolore, Salix discolor, et, en Grande-Bretagne, le saule marsault, Salix caprea, et le saule cendré, Salix cinerea. Également : une branche de saule portant de tels chatons, parfois portée comme emblème lors de fêtes” (traduit par nos soins) ; il apparaît dans la documentation en 1851 (OED). Le chat se retrouve aussi dans le composé cat’s tail “chaton”, littéralement “queue de chat”, employé depuis 1611 (OED, Watts 2000). Mais le plus fréquemment employé est très certainement catkin, lui aussi lié au nom du chat. C’est en effet un emprunt au néerlandais katteken “chaton” et “chaton de noisetier, de saule, etc.” (OED, Onions 1966, Klein 1971) effectué en 1578 par le botaniste Henry Lyte dans son ouvrage Niewe Herball (OED). Il n’apparaît que dans certains dictionnaires contemporains (Ehrlich et al. 1980, Collins 2001, Pilard / Stevenson 2004 s.v. chaton1, Corréard / Grundy 2007, Mcneillie 2007, Stevenson 2007, Durand / Love 2008) et ne semble pas, contrairement à ce qu’indique le Longman Dictionary of Contemporary English (1995), employé surtout en anglais britannique. Catkinate adj. est un dérivé de catkin signifiant “qui ressemble à un chaton” (Klein 1971 s.v. catkin). Le mouton est lui aussi présent dans ce bestiaire, à travers lamb’s tails, littéralement “queues d’agneau” ; il signifie “chatons du noisetier” et est attesté depuis 1882 (OED s.v. lamb). De ce syntagme peuvent être rapprochées trois autres formations répertoriées par Watts 2000 ayant toutes trois le même sens. La première est lambkins, relevé dans un ouvrage sur le vocabulaire du Wiltshire, comté du sud-ouest de l’Angleterre, paru en 1893. L’OED ne recense pour sa part que deux sens pour ce lexème : “petit agneau, jeune agneau” (depuis 1579) et, dérivé de celui-ci, “personne jeune et tendre” (depuis 1600 ; traduit par nos soins), principalement utilisé comme terme d’affection. La deuxième et la troisième sont baa lambs et baccy lambs, toutes deux employées dans le Somerset (sud-ouest de l’Angleterre) et recensées dans un ouvrage de 1922. Le substantif baa désigne le cri du mouton ou de l’agneau (attesté depuis 1589, OED), tandis que baccy est une abréviation de la langue commune pour tobacco (depuis 1834, OED), qui trouve très probablement sa motivation dans la couleur de ces chatons. L’oie est elle aussi représentée, seule ou en famille. Seule, elle apparaît dans l’emploie de gosling, à l’origine “jeune oie” (depuis ca 1425, OED), mais qui a aussi le sens de “chaton ou fleur sur un arbre” (depuis 1706, OED) ; avec ses petits, on la trouve dans dialectal geese and goslings, littéralement “oies

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et oisons”, relevé à partir de 1854 (OED) ; goose and gesslings, attesté dans le Northumberland, en est très certainement une variante, employée pour désigner le chaton du saule marsault (Watts 2000). Watts répertorie également le syntagme goose chicks, de même sens et employé dans le Devonshire, formé avec le substantif chick “oisillon” ; il précise que goslings est plus fréquent que ce dernier. Goose withy, désignant lui aussi le chaton du saule marsault, est quant à lui composé avec le substantif withy, désignant le saule, quel qu’il soit, parfois plus précisément le saule des vanniers (Salix viminalis) ; il apparaît chez Lyte (Watts 2000).

4. Conclusion Comme il l’a déjà été précisé, l’exhaustivité n’était pas l’objectif de cette recherche : quelques formations, d’origine inconnue, ont été écartées, et de nombreuses autres, très certainement, ont échappé à notre attention, notamment dans le FEW pour lequel on ne dispose malheureusement pas d’un classement onomasiologique fin des données citées dans l’ensemble de l’œuvre. Dans notre optique, les choix de classement effectués par la Flore populaire de Rolland (1914), en fonction de la plante, et par les atlas linguistiques, permettent un accès aux données bien plus rapide et exhaustif ; le FEW autorise quant à lui une comparaison rapide des différents sens d’un même item et le repérage aisé de ses dérivés. Ces deux grands types de sources, tous deux abondants en données, se complètent donc bien. Quelle que soit leur source, les exemples traités suffisent à la fois pour mettre à jour les motivations communes qui ont présidé au choix de ces désignations, et pour témoigner de la pertinence de traiter en parallèle les différents lexèmes et syntagmes employés par plusieurs langues pour désigner les moutons de poussière et les chatons d’arbre. L’analyse a en effet démontré qu’un grand nombre de désignations se retrouvaient d’une langue à l’autre : le chat pour les moutons de poussière et le chaton, avec des termes enfantins ou pour appeler l’animal, pour les chatons d’arbre. Les unes comme les autres sont fondées sur l’analogie : objet en longueur, cylindrique, qui n’est pas rigide, mobile et ne présente pas d’incompatibilité de couleur entre l’animal et le mouton de poussière et le chaton d’arbre. Ces similitudes dans les formations peuvent avoir deux explications : monophylétique, c’est-à-dire une seule et unique origine avec diffusion dans différentes langues, ou polyphylétique, à savoir plusieurs sources indépendantes les unes des autres. Dans le cas du chaton d’arbre, on pourrait ainsi tout à fait imaginer une origine unique, celle de l’image du chaton, créée dans le lexique spécialisé de la botanique, dans un traité par exemple, qui aurait par la

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suite été diffusée par le biais de ce lexique dans différentes langues et régions et serait à l’origine de la création de parallèles avec d’autres noms du jeune chat. L’examen du latin médiéval ne va cependant pas dans ce sens, pas plus que l’existence de parallèles (chenille f. peut ainsi dénommer “chenille, larve du papillon” et “chaton de saule”) ou que le fait que les noms du chat, de la chatte ou du chaton peuvent aussi bien dénommer les deux mêmes réalités (cf. Caprini 2001). De tels parallèles manifestent qu’on a affaire à des métaphores populaires susceptibles de se manifester et de se développer spontanément. Il est évident que l’adoption d’un mot par la langue normée favorise sa diffusion et qu’il peut y avoir des dérivations synonymiques, mais les parallèles internes et les parallèles externes (avec d’autres langues) montrent qu’à l’intérieur d’un même ensemble de civilisation l’imagination populaire sélectionne des motivations identiques ou semblables. L’exemple de mouton de poussière fournit quant à lui un parallèle intéressant à l’appui de cette origine polyphylétique de chaton d’arbre : n’appartenant pas à un lexique technique ou spécialisé, il est très peu probable que ses désignations aient une origine unique. Or, ce sont des procédés de formation comparables à ceux des noms de chatons d’arbre que l’on peut y observer, dans différentes langues et régions. L’existence, en outre, de formations avec d’autres animaux (ovins, oies) pour désigner ces chatons s’expliquerait difficilement dans ce cadre. À l’image des différentes désignations du mouton de poussière, celles des chatons d’arbre sont donc très probablement polyphylétiques. Un autre point est particulièrement intéressant dans ces deux exemples : c’est le type de changement qui est à l’origine de ces changements sémantiques, la métaphore (Blank 1997, 157-190), qui, dans nos deux cas, s’appuie sur des similarités à la fois visuelles et tactiles. Elle « représente le changement sémantique le plus spectaculaire mais c’est de loin le moins fréquent, parce que, justement, il repose sur le rapprochement de deux concepts entre lesquels il n’existe pas de liens neuronaux préétablis » (Glessgen 2011, 435). Peut-être nos deux exemples apporteront-ils quelques éléments aux travaux de linguistique cognitive. D’autres questions encore restent ouvertes. Ainsi, les animaux en question varient-ils en fonction des zones géographiques ou linguistiques ? Les relevés effectués montrent que le substantif anglais goose “oie” et ses dérivés sont présents dans plusieurs formations en Angleterre, alors que de telles formations n’ont été nulle part relevées ailleurs par nous. Des recherches dans d’autres langues, non indo-européennes notamment et n’ayant pas été en contact étroit et pluriséculaire avec des langues indo-européennes, auxquelles elles auraient pu emprunter des images, pourraient permettre de définir s’il s’agit d’un

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phénomène isolé et si des formations différentes de celles déjà observées existent dans ces langues. Université catholique de Louvain

Aude WIRTH-JAILLARD

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AUDE WIRTH-JAILLARD

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Sur le type ˹mer˺ “petite étendue d’eau douce” dans le lexique et la toponymie du nord du domaine comtois (Haute-Saône, Territoire-de-Belfort, Haut-Rhin, Jura suisse) 1 Le FEW (16, 521a = Wartburg 1956, 281-282 ; cf. aussi FEW 16, 534 n. 9, marr) a classé sous abfrq. marisk un type lexical ˹mer˺, qu’il a relevé surtout dans le domaine lorrain. Plus au sud, le FEW ne mentionne que Plancher mer et Bourn. [mæ], qu’il glose tous les deux par “mare”. L’objet de la présente note est de reprendre et d’accroître la documentation, tant lexicale que toponymique, concernant ce type dans le nord du domaine comtois d’oïl (HauteSaône, Territoire-de-Belfort, marge comtoise du Haut-Rhin, Jura suisse).

1. Attestations lexicales haut-saônoises Nous ajouterons d’abord plusieurs attestations lexicales du type ˹mer˺ localisées dans le département de la Haute-Saône.

1.1. Plancher mer “mare” et ama “mare, étang” Le parler de Bournois (Doubs) oppose ou opposait clairement [mæ] “mare d’eau généralement située dans les prés” 2 < ˹mer˺ à [mær] “mare” < fr. mare (Roussey 1894, 207 et 208), avec répartition sémantique entre le mot traditionnel et le mot emprunté au français, [mæ] s’appliquant à des mares occupant des dépressions naturelle, [mær] (à ajouter FEW 16, 533a, marr) à des mares aménagées. Il est probable que le parler de Plancher-les-Mines a connu une situation similaire. 1



2



Certaines des remarques ci-dessous (§ 1.3., 1.4., 2.1.1., 2.1.2., 2.1.3.) reprennent des matériaux parus dans le confidentiel Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Lure (Chambon 2009, 132 ; 2011, 188-189 ; 2013, 216-218). Nos vifs remerciements s’adressent à MM. Louis Jeandel, Alain Guillaume, Jean Hennequin et Wulf Müller pour les renseignements qu’ils ont bien voulu nous communiquer. Le FEW (16, 521a) a simplifié la définition en “mare”.

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JEAN-PIERRE CHAMBON

Sous marisk, où von Wartburg l’a classé (FEW 16, 521a), Plancher-lesMines mer “mare” fait en effet figure de donnée suspecte. Lorsque l’auteur du Vocabulaire de Plancher-les-Mines (Poulet 1878) note en fin de mot, il entend en effet, sans aucun doute, représenter une consonne effectivement articulée 3. Il convient donc de rapporter Plancher mer (= [mɛr]) “mare”, comme Bourn. [mær], au type de fr. mare (FEW 16, 533a, marr = Wartburg 1956, 283), dans les issues duquel le maintien de [r] final, après l’amuïssement de schwa, est régulier. D’autre part, von Wartburg a rangé Plancher ama “mare, étang” (Poulet 1878, 87) sous massa (FEW 6/1, 446b). Sous ce lemme, ce mot est tout à fait isolé au plan sémantique. Bien que Poulet ne précise pas le genre, nous supposerons que ama est un substantif féminin 4 ayant subi l’accrétion partielle de l’article définif : cf. Plancher avoitsche “pervenche” (Poulet 1878, 89), à comparer à Châten. Doubs, Montbél. voi(t)che, « mit artikelagglutination » (FEW 14, 461a et b, vincapervinca ; ALFC 2, CIII ; Dondaine 2002, 557). Nous proposons donc de reclasser ama sous marisk dans le FEW. Le parler de Plancher a donc probablement connu, comme celui de Bournois, un représentant du type ˹mare˺ (à classer sous marr dans le FEW), emprunté au français, et un représentant du type autochtone ˹mer˺ (à classer, du moins provisoirement, sous marisk).

1.2. Mfr. rég. mart (Roye 1407) Dans une reconnaissance du chevalier Guillaume de Grammont (Grandmont) concernant ce qu’il tient du duc et comte de Bourgogne « en la ville, finaige et territoire de Roe [aujourd’hui Roye] et de la Coste [aujourd’hui La Côte] prés de Lure », document daté de 1407 (1406 a. st.) 5, on peut lire le passage suivant : « Item, en la Mart, demi journaul de terre entre Girard de chiez Richart, d’une part, et la mart, d’autre part ». Dans ce passage, la première occurrence du mot est clairement un nom propre de lieu désignant le terroir où se trouve le champ dont il est question :

3



4



5

Cf. cor “cœur” (Poulet 1878, 104) = Plancher-Bas [cœːr] ALFC 871* p 16, Ronchamp [køːr] ALF 306 p 56 ; mar “maire” (Poulet 1878, 141) = Bourn. [mær] “maire” (Roussey 1894, 208), Fougerolles mèr (Grandjean 1979, 109) ; mor (de līvre) “becde-lièvre” (Poulet 1878, 145) = Melisey [moːr] (de lièvre) ALFC 1109* p 22 (ø Plancher-Bas p 16) ; quar “angle rentrant, coin” (Poulet 1878, 160) = Melisey [kaːr] “coin (du feu)” ALFC 932 p 22 (autre type lexical à Plancher-Bas p 16). Dans lequel il voit un « subst. verb. du lat. ad massa, masse (d’eau), par chute de la term[inaison] » A. D. Doubs, 1 B 632, f. 227 sqq. ������������������������������������������������� La transcription de ce document nous a été communiquée par MM. Alain Guillaume et Jean Hennequin.

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LE TYPE ˹MER˺ “PETITE ÉTENDUE D’EAU DOUCE”

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comme nous le verrons plus loin (§ 2.2.1.), ce nom propre s’est conservé sur place en tant que tel et le référent motivant était encore porté sur la carte en 1954. Dans la seconde occurrence, on ne peut avoir affaire, en revanche, qu’à un nom commun féminin mart désignant la nappe d’eau fournissant la motivation objective du microtoponyme la Mart. Cette nappe d’eau était évidemment comprise à l’intérieur du terroir de la Mart : dans le document de 1407, elle sert, avec la parcelle appartenant à Girard de chiez Richart, à délimiter à l’intérieur du terroir le champ d’un demi-journal tenu par Guillaume de Grammont.

1.3. Mfr. rég. mer (Faucogney 1441) L’historien Pierre Gresser (2003, 117) a analysé dans les termes suivants un passage d’un compte rendu de l’inspection des étangs de la châtellenie de Faucogney, compte rendu datant de 1441 : Enfin, la dernière réserve piscicole [de la châtellenie] ne porte même pas le nom d’étang, mais de « grant place en maniere d’abime appellee la Mer de la Mer ». Située en haut de la « montayne » de la Mer, la retenue d’eau ne pouvait pas se vider car elle était environnée de « grosses roiches et montaynes ». Persuadés de l’existence de bons poissons, Jehan Barresolz et Nicolas Hugon [les deux inspecteurs] précisèrent les difficultés de la pêche « pour ce que c’est malaisier et parfond (profond) lieu et se pert le poisson en cavernes qui sont dans ladite Mer ».

Dans « grant place en maniere d’abime appellee la Mer de la Mer », ce qui est édité « la Mer » contient en réalité le nom commun féminin mer, tandis que la seconde occurrence est bien la Mer, nom propre de ce que le document décrit comme un gouffre (abime). Dans la troisième occurrence (à éditer « en cavernes qui sont dans ladite mer »), on a de nouveau affaire au nom commun. Il est certain que la mer de la Mer ne désignait pas, contrairement à ce que l’analyse de Gresser pourrait laisser entendre, un étang situé près du village de La Mer, actuellement dans la commune de Faucogney-et-la-Mer (HauteSaône). Cet étang, qui relevait lui aussi de la châtellenie de Faucogney, est en effet décrit précédemment dans le document (Gresser 2003, 116). Si la mer de la Mer « ne porte même pas le nom d’étang », c’est que mer s’applique ici à une réalité naturelle très particulière : une « grant place en maniere d’abime » et non pas un étang construit et aménagé 6. Ce type de réalité étant très rare 6



Sur l’aménagement des étangs de la châtellenie de Faucogney, établis grâce à une « levée de terre pour barrer le cours d’un ruisseau et former une réserve piscicole », voir Gresser 2003, 123-128, et, de manière plus générale, Gresser 2008, 167-192. Sur les étangs actuels de la région, tous « peu ou prou aménagés par l’homme », « même si certains d’entre eux ont une origine naturelle », voir Mathieu 1991, 200-205.

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JEAN-PIERRE CHAMBON

dans les environs de Faucogney, on préfèrera penser que le nom commun mer et le nom propre la Mer qu’il a généré se sont appliqués au « puits naturel » aujourd’hui appelé la Mer de Ferrière, situé sur le plateau (« en haut de la “montayne” »), au-dessus de Ferrière(s)-le-Bas (commune d’Amont-et-Effreney). Nous aurons l’occasion de reparler de ce site (ci-dessous § 1.4. et 2.1.3.).

1.4. Mfr. rég. mar (Faucogney 1466/1467) La forme mar se lit en un autre passage des comptes de la châtellenie de Faucogney, en 1466/1467. Voici le texte, tel qu’on le lit chez Lassus (1990, 141 n. 1) 7 : De Jehan Desbois de Faucoigney, mareschault, pour luy avoir baillier licence d’avoir édiffier une mole a mereschault sus le rupt de Ferrièrs, devant Faucoigney, qu’il sied dessus de la mar de montant dessus ladite ferriers pour icelle mole esmodié et effiler telle ferrure que bon luy semblera pour payant chascun an tant comme luy et ses hjoirs leurs plaira avoir ladite mole, une livre cire à terme de Saint Martin d’iver....

L’édition semble souffrir de diverses imperfections. (i) « Ferrièrs » est probablement une faute de frappe pour « Ferrieres », faute imputable à un transcripteur habitué à employer les accents selon l’usage du français d’aujourd’hui 8. (ii) Il en va de même de « ferriers » (également pour « Ferrieres »). (iii) Quant à « hjoirs », il ne peut s’agir que de « hoirs » : les caractères h et j voisinent sur nos claviers et une seule frappe maladroite peut engendrer « hj ». (iv) Il vaudrait mieux éditer « quil » et non « qu’il » : on a affaire à une graphie, assez courante en moyen français, du pronom relatif qui (Marchello-Nizia 1979, 160 ; cf. Hu 6, 289-290) ; l’antécédent est une mole a mereschault. La bonne compréhension du passage implique aussi l’identification des noms propres géographiques. À cet égard, il convient de supprimer la virgule inopportune dans « Ferrièrs, devant Faucoigney » et de comprendre Ferriers devant Faucoigney comme un toponyme complexe dans lequel la préposition devant introduit le nom d’un lieu central (ici le siège de la paroisse et de la châtellenie) pris comme point de repère 9. Ferriers devant

7



8



9

Lassus indique que le texte (A. D. Côte-d’Or, B 4722, f. 149) lui a été communiqué par Frédéric Tuaillon. Cf. « revière », « près », « à », « perpétuelle », « perpétuels » dans la transcription d’un autre passage des mêmes comptes (Lassus 1990, loc. cit.). Cf., en Haute-Saône, Frotelz devant Vesoul 1423-1424 = Frotey-lès-Vesoul (NDC 3, 157) ; Monteigny devant Vesoul et Ponz devant Vesoul 1301 (Philipon 1914, 500) = Montigny-lès-Vesoul et Pont-lès-Vesoul (commune d’Échenoz) ; Oricort devant Monjustin 1308 = Oricourt (Philipon 1914, 500-501) ; Sainte Marie devant Faucon-

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LE TYPE ˹MER˺ “PETITE ÉTENDUE D’EAU DOUCE”

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Faucoigney, repris ensuite par Ferriers, est donc à identifier au hameau actuellement nommé Ferrières-le-Bas (IGN 1 :25 000, 3520 O ; NDC 1, 154). Celui-ci se trouve dans la commune d’Amont-et-Effreney (jusqu’à la Révolution simple « canton d’Amont » de la paroisse de Faucogney), à quelques centaines de mètres de Faucogney, sur la rive droite du Breuchin 10. Le nom de cette localité est attesté sous sa forme vulgaire dès ca 1300 (Ferrieres, Longnon 1901-1914, 2, 210, 214) et en 1473/1474 sous une forme voisine de celle de 1466/1467 : Feraeres devant Fau[cogney] (Gresser 2010, 105 et n. 70). Le syntagme le rupt de Ferriers devant Faucoigney désigne par conséquent le ruisseau aujourd’hui dénommé Ruisseau de la Mer de Ferrières 11, qui, venant de la zone de Mourey, se jette dans le Breuchin un peu en aval de Ferrière(s)le-Bas, après avoir traversé le hameau. Il ressort donc du texte que mar s’applique ici au « puits naturel » de la Mer de Ferrière (commune d’Amont-et-Effreney) que nous venons d’évoquer (cidessus § 1.3). Cette étendue d’eau remarquable a motivé le microtoponyme la Mer, devenu par la suite la Mer de Ferrière (voir ci-dessous § 2.1.3.). Toutefois, dans le passage que nous avons examiné, mar paraît fonctionner comme nom commun et non pas comme nom propre. Si nous comprenons correctement le texte, la mole a mereschault dont il est question était située en amont de la Mer de Ferrière, vers le Mourey.

1.5. Bilan Il convient de ramener – du moins provisoirement – sous marisk, dans le FEW, mfr. rég. mar(t)/mer s. f. (Roye, Faucogney 1407—1466/1467) 12 et Plancher ama s. [f. ?] “mare”. Compte tenu des contextes et des référents, nous proposons la définition suivante du mot médiéval : “petite étendue d’eau douce occupant une dépression naturelle fermée (parfois d’une grande profondeur)”.

gney 1427 (Billerey 1977, 9) = Sainte-Marie-en-Chanois ; Villario ante Luxovium ca 1400 et mil. 15e s. (Clouzot 1940, 56, 90) = Villers-lès-Luxeuil ; le Vaul devant Gouhenans 1572 et Val devant Gouhenans 1703 (NDC 5, 343) = Val-de-Gouhenans. Sur cet usage, particulièrement fréquent dans le baillage d’Amont, voir Fray (2006, 126-127, 336-337) ; cf. aussi Vincent (1937, 38). 10 À ne pas confondre avec la Ferrière, nom d’un autre hameau d’Amont-et-Effreney, situé lui aussi dans la vallée du Breuchin, mais en amont de Faucogney et sur la rive gauche. 11 Lu sur un panneau in situ, en 2009. Ce ruisseau ne porte pas de nom sur IGN 1 :25  000, 3520 O. 12 Ajouter également mfr. frm. rég. mer “lac” (Vosges 1475 et 17e s., Lebel 1956, § 193). Sauf erreur de notre part, ce type lexical est resté inconnu du DMF (2012).

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JEAN-PIERRE CHAMBON

On ajoutera également à l’article marisk du FEW Mouthier-en-Bresse (Saôneet-Loire) maie s. f. “mare”, mal classé sous marr (FEW 16, 533a) 13.

2. Exemplaires toponymiques du mot simple Dans la partie septentrionale du domaine comtois d’oïl, les toponymes simples formés à partir du type lexical ˹mer˺ apparaissent sous les formes ˹Mer˺, ˹Mai˺ et ˹Maie˺. Nous traiterons d’abord les exemplaires où les formes anciennes et/ou la dénotation des toponymes assurent le rattachement au type lexical étudié (§ 2.1-2.3.), puis les cas dans lesquels des données complémentaires seraient nécessaires pour acquérir une certitude (§ 2.4.). Grâce à M. Wulf Müller, nous pourrons ajouter des données du Jura suisse (§ 2.5.).

2.1. Le type ˹Mer˺ En toponymie, ce type est attesté depuis ca 1300 en Haute-Saône. Il s’est parfois fixé sous la forme Mer, fixation favorisée, semble-t-il, par homographisation avec frm. mer s. f. “vaste étendue d’eau salée qui couvre une grande partie de la surface du globe”. 2.1.1. La Mer (Luxeuil ca 1300, Haute-Saône) Longnon (1901-1914, 2, 212) a édité ainsi un passage des rôles du pariage de la terre de Luxeuil (ca 1300), sous la rubrique « Lixiu » (= Luxeuil) : « Item iii estans et les fossez de la vile portanz poissons et un vevier que l’en dit la mer ». La formule métalinguistique ayant recours au verbe dire et le jeu des articles (un n que l’en dit la N) conduisent à penser que vevier est ici un nom commun, tandis que la Mer est le nom propre du vivier. On éditera donc : « un vevier que l’en dit la Mer ». Ce microhydronyme luxovien semble avoir disparu 14. 2.1.2. La Mer (Faucogney dp. 1375, Haute-Saône) La Mer est le nom d’un hameau de Faucogney (commune de Faucogneyet-la-Mer, ; voir NDC 3, 17 et IGN 1 :25 000, 3520 O. L’étymologie a été éta ALB 1200 (mare) confirme la présence du type dans l’ouest de la Saône-et-Loire et de la Côte-d’Or (généralement [mɑ(ː)], parfois [mɛː]) ; cf. encore ALFC 1, XVIII p 86 (Magny-les-Auxonne, Côte-d’Or). Pour le département du Jura : Annoire [maː] s. f. “mare” (ALFC 1, XVIII p 90 ; Dondaine 2002, 347, qui permet de rectifier la forme) et Villevieux [mɑː] “id.” (ALJA 141 p 9). 14 Il se pourrait en revanche que cette pièce d’eau ait pris, en 1337, le nom d’Estant dou Vivier (ADHS, H 653 ; aimable communication de M. Louis Jeandel). 13

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blie par Lebel (1956, § 193) 15, mais la littérature toponymique ne mentionne aucune forme ancienne. Relevons donc les attestations qui sont venues à notre connaissance : mfr. la Mair 1375 (Gresser 2003, 110 et 117), 1383/1384 (Gresser 2003, 112) et 1384/1385 (Gresser 2003, 117), la Marc (avec -c postiche, ou à interpréter Març ?) 1404 (Gresser 2008, 172 n. 127), la Mar 1473/1474 (Gresser 2010, 105 et n. 70), la Mer 1425 (« la ville de la Mer », A. D. Côte-d’Or, B 4701) 16, la Mer 1535-1537 (Delsalle 2001, 100), frm. La Mer 1654 (Lassus 1995, 171), la Mer 1693, 1716 (tous les deux Caritey 1989, 110), 1757 (Michel 1977, 483 n. 49) et 1760-1761 (Cassini, feuille 144), La Mer en 1858 (Dieu 1858, pl. 12) et depuis. La localité doit son nom à un étang qui constituait, aux 14e et 15e siècles, une importante réserve piscicole de la seigneurie de Faucogney 17. Le développement d’un habitat permanent à La Mer – la localité est mentionnée dès 1319 (Finot 1886, 184, 185) – est probablement lié à l’existence de cette réserve 18. Gresser (2003, 122) écrit que « la consultation du R.I.V.O.L.I. ne permet pas d’identifier, parmi les trente toponymes [du secteur] comportant le mot étang, celui qui – éventuellement – perpétue le souvenir de la réserve piscicole ayant appartenu au duc-comte de Bourgogne ». Notre hypothèse est que l’étang éponyme se trouvait à La Mer même et aura été asséché. 2.1.3. La Mer de Ferrière (Amont-et-Effreney dp. 1441, Haute-Saône) À Amont-et-Effreney, commune voisine de Faucogney (mais autrefois simple section de Faucogney), le lieu-dit la Mer de Ferrière (section D2 au Selon Taverdet (1987, 29) : « Très certainement une forme locale de « marre » (avec le sens de “lac, étang”), du germanique - scandinave sans doute MARR ; il s’agit bien sûr du même mot que le latin mare/fr. mer ; les Indo-européens étaient un peuple essentiellement continental et n’avaient pas de mot spécifique pour parler de la mer ; le groupe latin a donc pris le nom du lac pour désigner cette réalité nouvelle ; un peu comme les Suisses qui appellent l’Atlantique la Grande Gouille. Cf. en Côted’Or, Saint-Martin-de-la-Mer ». Voir encore la n. 15 : « On présente généralement le fr. mare comme une forme d’origine scandinave introduite par les Normands ; on pourrait tout aussi bien penser à une forme d’origine gauloise. [...] D’autre part, les formes toponymiques sont en général plus fréquemment gauloises que normandes, surtout dans l’Est de la France. Quoi qu’il en soit, on remonte toujours à la même racine indo-européenne que le latin MARE ou l’allemand Meer ». Voir encore Lassus/Taverdet (1995, 120) : « C’est une forme ancienne de mar qui apparaît dans La Mer, h. de Faucogney (70) ». 16 Aimable communication de Louis Jeandel. 17 Voir Gresser (2003, 121-122 ; 2008, 160). 18 Des loges, voire des maisons (un exemple à Quers, Haute-Saône), étaient construites à proximité des réserves de pêche, afin d’abriter « les pêcheurs et ceux qui procédaient à la prise et à la vente du poisson » ainsi que « les gardes chargés de surveiller la pêche » (Gresser 2003, 127-128 ; 2008, 185, 190-191). 15

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cadastre) 19 est mentionné par Suchaux (1866, 1, 16 et n. 1), qui précise qu’« on appelle ainsi un puits naturel dont on ne peut sonder la profondeur, et dont les eaux nourrissent de la carpe et de la tanche ». Cette dépression marécageuse, où « on a exploité la tourbe jusqu’à la fin du XIX e siècle » (NDC 1, 154), se trouve entre Rouge Grange, Es Mourey et Es Côtes (IGN 1 :25 000, 3520 O). Il en sort le Ruisseau de la Mer de Ferrières, affluent de droite du Breuchin, à Faucogney. On a vu ci-dessus que ce site était nommé la Mer en 1441 (§ 1.3.), puis mentionné (sans nom propre) en 1466/1467 (§ 1.4.). Le déterminant de Ferrière a servi à distinguer cette étendue d’eau de la localité (plus importante) de la Mer, située à peu de distance (commune de Faucogney-et-la-Mer) et autrefois dans la même paroisse de Faucogney (ci-dessus § 2.1.2.). 2.1.4. Goutte de la Mer (Bellemagny, Haut-Rhin) Oberlé/Sittler (1980-1982, 1, 147) indiquent que « le ruisseau dit “goutte de la mer” traverse le finage » de Bellemagny (ø IGN 1 :25 000, 3621 ET).

2.2. Le type ˹Mai˺ L’amuïssement de [r] final a parfois conduit à des graphies May ou Mai, au pluriel Maix. 2.2.1. May (Roye dp. 1407 [la Mart], Haute-Saône) Un lieu-dit la Mart est mentionné à plusieurs reprises en 1407 (1406 a. st.) dans la reconnaissance déjà citée de Guillaume de Grammont (ci-dessus § 1.2.) concernant Roye et La Côte. Voici les contextes dans lesquels apparaît ce microtoponyme : (1) « Item, a la Mart, ung journaul aprés la terre es hoirs au Perreret » ; (2) « Item, un faul de prey seant ou Prey la Bonhar : la moitié aprés le Roussel et Champ les Bons, l’autre moitié siet a la Mart » ; (3) « Item ung journaul en trois pieces : l’une siet de coste la terre Jehannin Bourrart, l’autre en la Vie de Lure, aprés la terre Thevenat dit Renanne, l’autre piece siet a la Mart » ; (4) « Item, ou Champ les Bon, demi journaul, entre Jehan Demoingin, d’une part, et Guillaume Toillax, d’autre part. Item, deux cornoz de prey contenant demie faul, l’un seant en Champ les Bons et la Vie, le premier entre Huguenim Febre, d’une part, et le Hambarre, d’autre part ; ly autre cournot siet entre Jehan Demangin, d’une part, et la Mart, d’autre part » ;

Renseignement dû à l’amabilité de Mme Marie-José Fontaine. Voir aussi le relevé cadastral de 1826 (ADHS, série T, Archives des archives, A 33) ; aimable communication de M. Louis Jeandel.

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(5) [immédiatement après (4)] « Item, en la Mart, demi journaul de terre entre Girard de chiez Richart, d’une part, et la mart, d’autre part » ; (6) « Item, a la Mart, ung journaul entre Jehannenat Bichel, d’une part, et Jehan Vuillemey, d’autre part ».

En (3) et en (4), on peut poser qu’on a affaire à des champs et à des prés qui ne sont pas attenants, mais qui, étant décrits ensemble, n’en sont pas moins voisins. En toute rigueur, (2) semble indiquer à la fois que toute la superficie de pré en question se trouvait dans le terroir dit le Prey la Bonhar 20, une moitié en limite du terroir dit Champ les Bons, la seconde moitié étant située à la Mart. Or, il n’est pas impossible qu’un bien foncier soit présenté par le document comme divisé entre deux terroirs : on en a un exemple plus explicite en (4) « en Champ les Bons et la Vie ». Il est donc permis de conclure que les terroirs de Champ les Bons et de la Mart étaient contigus 21. Les contextes (3) et (4) confirment cette interprétation : (3) suggère en effet que la Mart était proche du terroir dit la Vie de Lure, et il en va de même en (4), si, comme nous le supposons, la Vie y est bien une ellipse de la Vie de Lure. Il est également probable qu’une même terre exploitée par Jehan Demoingin/Demangin (4) était située ou Champ les Bon et servait de confront au cournot de pré sis à la Mart. Nous avons déjà commenté (ci-dessus § 1.2.) le contexte (5). Tout semble donc indiquer que le terroir de la Mart était contigu au terroir de Champ les Bon(s) et proche de la Vie (de Lure). À la Mart se trouvait, d’autre part, la réalité naturelle désignée par le substantif féminin mart (en d’autres termes, le nom propre était alors transparent ou, si l’on préfère, objectivement motivé et relativement motivé). Or, on peut identifier, d’une part, Champ les Bon(s) avec Champs les Bons, à l’ouest de la commune de Roye (aujourd’hui parmi les bassins d’une sablière), à la limite de Lure, et, d’autre part, la Vie de Lure (ou la Vie) avec Sur la Voie de Lure, nom d’un terroir situé au nord de Champs les Bons, également à la limite de Lure 22. D’autre part, dans une autre reconnaissance de 1407, par Guiot de Grammont (Grantmont) 23, le même terroir de Roye est mentionné sous la forme la Ce microtoponyme apparaît aussi dans le contexte suivant : « li autre [= cornot] siet de coste le Prey Jehan Bivel ou Prey la Bonart ». 21 Champ les Bons jouxtait la limite de Lure, comme le montre le contexte suivant : « Item, sur la Fontainme [sic] de Champ les Bon, demie faul de prey, entre ceulx de Lure, d’une part, et Jehan l’Esbauby, d’autre part ». 22 Ancien cadastre de Roye (1813), respectivement feuille A 9 et feuille C 5 (données aimablement communiquées par M. Alain Guillaume). Tous les deux IGN 1 :25 000, 3521 O. 23 A. D. Doubs, 1 B 632, f. 278-287v (aimable communication de MM. Alain Guillaume et Jean Hennequin). 20

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May : « ou lieu dit en la May, deux journaulx, tenans a Jehan Taguel », « deux faulchies ou prey de la May, tenans a Broiefort », « ou lieu dit en la May, deux journaux, tenans a Estevenin Triqué ». Il convient donc d’identifier la Mart/la May avec May, lieu-dit de Roye situé à l’est de Champs les Bons et au sud-est de Sur la Voie de Lure (IGN 1 :25  000, Lure, nos 1-2, 1954). En outre, la carte IGN de 1954 indiquait, juste au sud de May, l’existence d’une petite nappe d’eau de forme circulaire et, toute proche, d’une autre étendue d’eau de dimensions encore plus réduites : le Creux du Tonnerre 24. Était-ce là une sorte de puits naturel relié souterrainement au Rahin, comme c’est, disait-on, le cas du Trou du Bouvier, situé sur la R. N. 19, à la sortie de la Verrerie, en direction de La Côte (le Creux de Montchardon sur la carte de l’IGN) ? Nous supposerons, en tout cas, que cette nappe ou ce Creux était, en 1407, désigné par le nom commun mart et avait motivé le nom propre la Mart. Au plan formel, nous avons déjà relevé ci-dessus (§ 2.1.2.) des formes médiévales en ‑a‑ en 1404 et 1473/1474, en alternance avec des formes en ‑e‑. On peut donc poser avec certitude que le microtoponyme de Roye la Mart (muni d’un -t purement graphique) est devenu la May par amuïssement de [r] final post­ vocalique, et que celui-ci, du fait d’une perte occasionnelle de l’article défini (antérieure au début du 19e siècle, l’ancien cadastre de Roye portant déjà May en 1813) 25, est devenu May. 2.2.2. Le Pré de la Mart/le Pré de la May (Roye 1407, Haute-Saône) À la même date de 1407, la reconnaissance de Guiot de Grammont 26 mentionne « une piece de prey estant en la prairie de Roye, appelé [sic] le Pré de la Mart ». Or, le même document mentionne le même terroir sous la forme le Prey de la May : « deux faulchies ou Pré de la May, tenans a Broiefort », et fait également usage du toponyme simple examiné ci-dessus (§ 2.2.1.) sous la forme la May. On remarque que cette reconnaissance, qui écrit soit la Mart soit, le plus souvent, la May, écrit aussi constamment Roye (forme récente), alors que la reconnaissance de Guillaume de Grammont (ci-dessus § 2.2.1.),

Tout cela se trouve à présent dans les bassins de la sablière qui occupe une bonne partie de territoire communal de Roye. Dieu (1858, pl. 14) indique seulement le Creux du Tonnerre (et deux autres mares dans ce secteur, mais plus à l’est, à gauche et droite du chemin direct de Roye à Lure). 25 Feuille A 9 (aimable communication de M. Alain Guillaume). Le microtoponyme a été supprimé des éditions récentes de la carte IGN. 26 Voir ci-dessus n. 23. 24

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qui écrit toujours la Mart, emploie toujours la forme anciennes Ro(h)e (ou, une seule fois, Rouhe) et non la forme innovante Roye 27. 2.2.3. Les Maix (dp. 1720, Roye, Haute-Saône) M. Alain Guillaume nous indique que ce lieu-dit, encore connu des habitants de Roye, désignait, dans la zone aujourd’hui occupée par le bassin de la sablière situé immédiatement à l’ouest de la D 438, un ensemble de creux naturels qui se remplissaient parfois d’eau. Il nous indique également que ce microtoponyme est attesté au 18e siècle : 1720 « un autre [pré] au finage de Roye, lieu dit Vers les Maix » (ADHS, 2 E 21 420) ; 1767 « champz emplantez de seigne [...] : Vers les Maix, trois quartes » (ADHS, B 8876) ; 1767 « Vers les Maix, deux faux » (ADHS, B 8876). 2.2.4. La Mai (Vézelois dp. 1655, Territoire-de-Belfort) Stoffel (1876, 344) relève la Mai, nom d’un lieu-dit de Vézelois, et fournit frm. en la Mair 1655 comme forme ancienne 28. 2.2.5. Combe de la Mai (Essert, Territoire-de-Belfort), le Champ de la May (Essert 15e s.) Stoffel (1876, 344) enregistre Combe de la Mai, nom d’un lieu-dit d’Essert 29. À titre de forme ancienne, il fournit une formation parallèle ou plutôt un emploi du simple correspondant : mfr. les champs de la May 15e s.

2.3. Le type ˹Maie˺ En microtoponymie, les graphies Maie, Maye s’expliquent par un alignement, à partir du type précédent 2.2., sur frm. maie du fait du genre féminin des noms de lieux. Cette homographisation s’est opérée à partir (i) de l’homophonie existant entre le type lexical et toponymique et le mot comtois désignant la maie (cf., par exemple Bournois [mæ] “mare” et [mæ] “huche”, Roussey 1894, 207) 30, et (ii) de la variation graphique affectant le nom commun en français, où le mot a connu, notamment, les variantes mai et maie/maye 31. 29 30

Sur le toponyme Roye < Rohe, voir Chambon/Jeandel/Guillaume, à paraître. Rien sur IGN 1 :25 000, 3621 OT. Combe de Mai sur IGN 1 :25 000, 3621 OT. Cf. frcomt. [mɛ]/[maː] “pétrin” (ALFC 318 ; Dondaine 2002, 355 ; FEW 6/1, 26b, magis). 31 Pour les différentes graphies du mot français (maie, mai, mait, mée, met), encore au 19e siècle, voir Li (3, 379), DG (2, 1147) et TLF (11, 160) ; maye est attesté dans Cotgrave 1611 (FEW6/1, 26b, magis) ; ø Catach 1995. 27

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On retrouve la même graphie chez le glossairiste de Mouthier-en-Bresse (voir ci-dessus § 1.5.). On peut penser que cet accrochage a pu être facilité par les potentialités sémantiques de maie (cf., en particulier, adauph. mayt s. f. “creux d’un étang” [14e s.], nant. maie “creux d’un fossé” (tous les deux FEW 6/1, 27b). 2.3.1. Chenevières de la Maie sous Mont Châtel (Lure, Haute-Saône) La carte IGN 1 :25 000, Lure, nos1-2 (1954), portait un nom de lieu-dit Chenevières de la Maie sous Mont Châtel (abrégé en Chenevières de la Maie dans les éditions plus récentes). Ce nom s’appliquait, à Lure, au quadrilatère délimité par la route de Froideterre (rue Roger-Salengro) et les rues des Chalets, des Cloies et des Carrières 32. En 1954, la carte représentait un petit étang dans ce terroir. 2.3.2. Maie Bouvot (Passavant-la-Rochère, Haute-Saône) Le terroir portant ce nom est situé au sud-ouest de Passavant, un peu à l’ouest d’un étang (IGN 1 :25 000, 3319 E). Le déterminant construit en asyndète est le nom de famille Bouvot. 2.3.3. Haut de la Maie (Gonvillars, Haute-Saône) À Gonvillars (aujourd’hui commune de Saulnot), Haut de la Maie désigne un replat situé sur la hauteur dominant le village au sud-est (cote 426), à la limite du département du Doubs. Légèrement à l’est, la carte IGN 1 :25 000, 3521 O indique deux cuvettes (sans eau).

2.4. Autres exemplaires Dans les exemples précédents, des formes anciennes et/ou des caractéristiques saillantes des référents garantissent le rattachement des toponymes au type lexical ˹mer˺ qui nous intéresse. Dans les cas que nous allons à présent énumérer, ce rattachement n’est que vraisemblable, car il se fonde exclusivement sur les formes actuelles. Pour plus de sûreté, des recherches supplémentaires concernant les formes anciennes et sur le terrain seraient donc nécessaires. Dans la liste suivante, on a affaire, sauf indication contraire, à des noms de lieux-dits 33. Cf., dans le même secteur, la rue des Chènevières. Les relevés cadastraux concernant Amont-et-Effreney et Vy-lès-Lure nous ont été fournis par Mme Marie-José Fontaine, qui voudra bien trouver ici l’expression de nos remerciements.

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2.4.1. Le type ˹Mai(x)˺ On remarquera que maix est aussi une graphie ancienne pour maie (attestée à Vouhenans en 1768, Jeandel 2011, 100) et on citera les noms de lieux-dits suivants : – Mai du Clos, Les Fessey, Haute-Saône, immédiatement à l’ouest de Fessey-Dessous (cadastre du 20 e siècle consulté sur le site Géoportail de l’IGN) ; – May des Bas, Amont-et-Effreney (section C 2), Haute-Saône ; – Fosses de Mai, Lutran (aujourd’hui Valdieu-Lutran), Haut-Rhin (Stoffel 1876, 344 ; ø Oberlé/Sittler 1980-1982, 3, 1535-1536) ; – Haut de la Maix, Jasney, Haute-Saône, au cadastre de 1829 (aimable communication de M. Louis Jeandel) ; – Prés-la-Mai, Chaux, Territoire-de-Belfort (Stoffel 1976, 344).

2.4.2. Le type ˹Maie˺ On peut envisager l’attraction graphique, plus fréquente, de frm. maie/ maye dans les microtoponymes suivants (situés, sauf indication contraire, dans le département de la Haute-Saône) 34 : – la Maie, lieu-dit, autrefois ferme, Menoncourt et Eguenigue, Territoire-de-Belfort, frm. la Maix 1718, Lamaix 1775, la Mai 1860, la May 1868 (Stoffel 1876, 344 ; Stoffel 1868, 112 ; Vautherin 1896-1901, [III], 231 ; lieu-dit, IGN 1 :25 000, 3621 OT) 35 ; – la Maye, Villafans (IGN 1 :25 000, 3421 E), May au cadastre de 1824 (aimable communication de M. Louis Jeandel)  ; comme M. Jeandel nous le fait observer, on voit en photographie aérienne (site Géoportail de l’IGN) une curieuse trace circulaire qui pourrait être l’empreinte d’une mare asséchée ; – En la Maye, Vy-lès-Lure (section A), assez probablement identique à la Maix (même commune et même section) ; – les Mayes (1826), Amont-et-Effreney (section D) 36 ; Champ des Mayes, même commune (section B 2) ; – les Mayes, Vy-lès-Lure (section D 2) ; – Aux Maies, Citers (cadastre de 1938, section D) ; La même explication pourrait être envisagée pour les microtoponymes bourguignons dans lesquels Taverdet (1991, 1067) a pressenti l’attraction de maie “pétrin” (sous différentes variantes graphiques : cf. Champ de la Maie, Champ de la Mai, la Mée, l’Ouche de la Met etc.). 35 Éguenigue et Menoncourt sont des communes adjacentes. La ferme mentionnée par Stoffel pourrait être la Ferme Gérig (IGN 1 :25 000, 3621 OT), à la limite des deux communes, mais sur le territoire d’Éguenigue, légèrement au sud du lieu-dit la Maie sur la carte de l’IGN. 36 ADHS, série T, Archives des archives, A 33 (aimable communication de M. Louis Jeandel). 34

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– En la Maye Perrin, Vy-lès-Lure (section B) 37 ; – les Mayes du Châtelle, Les Magny (IGN 1 :25 000, 3421 E) ; – la Haute Maie, Passavant-la-Rochère (IGN 1 :25 000, 3319 E) ; – Le Bois de la Grande Maye, Fallon (IGN 1 :25 000, 3422 E).

On ajoutera la forme dialectale Më, « sf. » (c’est-à-dire probablement précédé de l’article défini), nom d’un lieu-dit de Châtenois-les-Forges (Territoire-de-Belfort) relevé par Vautherin (1896-1901, [III], 247), qui a ce commentaire : « paraît se réclamer de maie [dans le parler de Châtenois më] ou maî [“mai”, voir III, 230]. Un arbre fruitier isolé semblait confirmer cette hypothèse ».

2.5. Les données du Jura suisse Nous devons les données microtoponymiques suivantes, tirées du fichier du Glossaire des patois de la Suisse romande, à la grande amabilité de M. Wulf Müller : – La May (Saint-Ursanne) = id. (Carte nationale de la Suisse au 1 :25 000, 1085) ; – La Metz (Courrendlin) = La Met, écart, à proximité d’un étang, lequel est situé dans la commune limitrophe de Delémont (Carte nationale de la Suisse au 1 :25 000, 1086) ; – Devant la Mai (Mervelier) ; – Devant la Melt (Vermes) ; – Champ de la Maie (Saulcy) ; – La Côte de la Met (Châtillon) = Côte de Mai, lieu-dit (Carte nationale de la Suisse au 1 :25  000, 1106) ; – La fontaine de la Met (Châtillon) ; – Prés de la Mer (Pleujouse).

Aucun de ces exemplaires n’est assuré par des formes anciennes ou par un référent tout à fait prototypique ; il est néanmoins aréologiquement fort probable que le type ˹mer˺/˹mai˺ se prolonge dans la toponymie du canton suisse du Jura.

3. Deux probables dérivés diminutifs en -atte/-ette (Territoire-de-Belfort) Dans le Territoire-de-Belfort, on relève les deux diminutifs suivants : la Maratte, lieu-dit, Étueffont (Stoffel 1868, 112 ; ø IGN 1 :25 000, 3620 ET) 37

Le déterminant est le nom d’homme Perrin.

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et la Marette, lieu-dit, Saint-Germain-le-Châtelet (Stoffel 1868, 113 ; ø IGN 1 :25  000, 3621 OT et IGN 1 :25 000, 3620 ET). Dans ces dérivés, les types ˹mar˺ (˹mer˺) et ˹mare˺ ne peuvent être discernés du point de vue formel. Du point de vue géolinguistique, il existe néanmoins une forte présomption en faveur de ˹mar˺ : originaire de Normandie (FEW 16, 533-534, marr ; pour la toponymie, cf. Vincent 1937, § 549), le type ˹mare˺, ne peut en effet être venu dans l’Est que véhiculé par le français standardisé ; en outre, le diminutif ˹marette˺ s. f. “petite mare” n’est relevé par le FEW (16, 533a) que dans des patois des domaines normand et picard (ø TLF).

4. Le type dérivé ˹la Marcelle˺ Nous avons relevé plusieurs exemplaires de ce type dans le nord du domaine linguistique comtois. Les cinq premiers ci-dessous désignent des référents prototypiques. Dans deux autres cas (ci-dessous § 4.6.), nous n’avons pas de renseignements sur les référents.

4.1. La Marcelle (Melisey dp. 1383/1384, Haute-Saône) La Marcelle, nom d’un écart de Melisey situé à peu de distance des Guidons, est lié à Étang de la Marcelle, nom qui désigne un vaste étang situé un peu au sud des maisons (IGN 1 :25 000, 3520 O). Nous avons connaissance des formes suivantes : mfr. la Mercelle dessus Melesey 1383/1384 (Gresser 2003, 123 ; cf. Gresser 2004, 258 et 2008, 173), la Marsoille 1394/1395 (Gresser 2003, 118), la Merçoille de Melisey 1441 (Gresser 2003, 116 et 118, qui édite « la Mercoille »), la Mercelle 1468/1469 (Gresser 2003, 118) 38, frm. l’étang de la Mercelle 1754 (ADHS, 339 E dépôt supplément 1) 39, la Marcelle et la Marcelle du Haut 1760-1761 (carte de Cassini, feuille 144) 40, la grange de La Marchelle 1786 (ADHS, B 386) 41, La Marcelle et Sur la Marcelle 1840 (cadastre de Melisey, respectivement section D et section E ; Curtit 2011, 91), la Mercelle 1866 (hameau ; Suchaux 1866, 2, 57), la Mercel Gresser ne semble pas avoir reconnu le continuateur actuel de ces formes médiévales. 39 Aimable communication de Louis Jeandel. 40 Sur la carte de Cassini, la Marcelle du Haut, habitat aujourd’hui disparu (ø cadastre de 1840, Curtit 2011, 91), est situé au nord de la Marcelle, au sud de Nozjean (= les Nogents, commune d’Écromagny) et au nord-ouest de la Courberotte (écart de Melisey) ; voir IGN 1 :25 000, 3520 O. Cette petite localité devait par conséquent se trouver dans les parages des écarts actuels des Guidons et du Serrurey (commune de Melisey). 41 Aimable communication de Louis Jeandel. 38

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ou Marcelle 1972 (hameau ; NDC 4, 100) 42. Les attestations médiévales s’appliquent à l’étang : il est certain que la Marcelle a d’abord été le nom propre de cette étendue d’eau, et n’a été attaché que secondairement à la désignation d’un très modeste habitat. Les documents médiévaux cités par Gresser (2003, 116, 122, 123-124) décrivent cet étang, qui relevait de la terre de Faucogney 43, avec une précision inhabituelle. Comme à la Mer de Ferrière (ci-dessus § 1.3., 1.4. et 2.1.3.), il s’agissait d’« une place en maniere d’abime, qui ne se peut vuidier ni escorre » (document de 1441) 44. L’étang était alimenté par une source subaquatique : « ou milieu d-icelli estang, a une fosse ronde plaine d’aigue gittens, qui a environ XXX piez [= ca 9 m] d’overture par dessus et environ XXVI piés [= ca 9 m] de parfont, ou li poisson se retrait et dessoubz certenes trolieres de terre que sont devant la dicte fosse » (document de 1383/1384).

4.2. La Marcelle (Faverney/Mersuay, Haute-Saône) En Haute-Saône, on retrouve le même toponyme dans la Marcelle, nom d’un terroir de Faverney 45 et Mersuay 46. Le contexte topographique et microtoponymique est caractéristique : la Marcelle désigne une zone basse située sur la rive droite de la Lanterne, dépression délimitée au sud-ouest par le Fossé de la Marcelle (petit ruisseau qui sert de limite aux communes de Faverney et de Mersuay) et drainée en son centre par un fossé d’assainissement nommé Noue de la Marcelle (commune de Faverney, puis, au sud, commune de Mersuay) 47. Au vu des attestations antérieures et postérieures, on considérera la graphie (1394/1395 et 1441) comme une notation de [ɛ]. Dans La Marchelle (1786), on peut supposer que, le groupe [‑rs‑] intervocalique passant régulièrement à [‑ʃ‑] dans les parlers de la région, la graphie est une tentative de noter un stade intermédiaire (*[rsj] ?) ; cf. Dondaine (1972, 130-131). 43 Selon (Gresser 2003, 117, 118, 122), l’étang de la Marcelle n’apparaîtrait dans les comptes qu’à partir de 1394/1395. Cette date semble toutefois contradictoire avec le fait que Gresser (2003, 123) cite la Mercelle dessus Melesey en 1383/1384 (cf. encore Gresser 2004, 258 et 2008, 173). 44 Gresser édite « escorré » et justifie ainsi son interprétation : « le verbe “escurrer” signifie écoulé » (Gresser 2003, 139 n. 48). On a affaire, en réalité, à l’infinitif escorre “faire courir l’eau de (un étang) dehors, vider (un étang)” (doc. 1325 dans Gdf 3, 427 = DMF 2012 ; cf. TL 3, 973 [fig.] ; FEW 3, 284a, excurrere). 45 IGN 1 :25 000, 3320 E et cadastre du 20 e siècle (consulté sur le site Géoportail de l’IGN). Cf. encore Sur la Marcelle, lieu-dit de Faverney (cadastre du 20 e siècle, consulté sur le site Géoportail de l’IGN). 46 Cadastre du 20 e siècle (consulté sur le site Géoportail de l’IGN). 47 IGN 1 :25 000, 3420 O et 3320 E. Pour Noue < noue “prairie marécageuse”, voir FEW 7, 53ab, *nauda ; Lebel 1956, § 45, 98 ; Sindou 1982, 250-251 ; Dondaine 1989, 163-164 ; Dondaine 2002, 378. 42

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En outre, le lieu-dit de Mersuay les Noyeures 48 ou les Moyeures 49, entre le Fossé de la Marcelle et la Noue de la Marcelle, paraît dériver de noyer 50 ou de mouiller 51. Tout laisse à penser que ce secteur a été autrefois occupé par une étendue d’eau.

4.3. [lɛ mɛˈʃɛl] (Bouligney, Haute-Saône) L’ALFC (154*) a recueilli à Bouligney la donnée suivante : « A 36, mɛʃɛl f. = dans les bois, trou rempli d’eau, où on pêche les grenouilles ». Cette donnée (non indexée dans Dondaine 2002) est présentée comme une donnée lexicale, mais il nous semble très improbable, étant donnée la glose fournie, qu’il s’agisse d’un nom commun. Nous pensons qu’on a plus sûrement affaire à un nom propre de lieu (microtoponyme) [lɛ mɛˈʃɛl] désignant une mare, sans doute située à Bouligney. Or, le parler de cette localité fait passer le groupe [‑rs‑] à [‑ʃ‑] (Dondaine 1972, 127 ; ALFC 332, 466, 467). Nous pensons donc que [mɛˈʃɛl] repose sur un plus ancien *[mɛrˈsɛl] (*Mercelle).

4.4. Les Maichelles (Cravanche, Territoire-de-Belfort) Vautherin (1896-1901, [III], 231) relève Les Maichelles, « n[om] de petits étangs près Cravanche » en « fr[ançais] cad[astral] » (ø) IGN 1 :25 000, 3621 OT) et ajoute « en pat[ois] Maitchelles », en renvoyant au « Dr J. V. », initiales de sa source, Joseph Vautherin, frère de l’auteur (voir op. cit., I, 128). La carte IGN (IGN 1 :25 000,3621 OT) connaît la Méchelle, nom d’un quartier au nord-est de Cravanche. Cravanche se trouve dans la zone du domaine comtois où le groupe intervocalique [‑rs‑] passe à [‑ʃ‑] (cf. ci-dessus § 4.3.), mais parfois aussi, exceptionnellement, sans doute par hyperpatoisisme, à [‑t͡ ʃ‑] (cf. Territoire de Belfort p 7 et 11 dans ALFC 466 et 467). Stoffel (1876, 347) fournit deux mentions anciennes (sans identification à un toponyme actuel) : mfr. Marcelle 1588 et all. vff der Marcel 1589 52.

Cadastre du 20 e siècle, consulté sur le site Géoportail de l’IGN. IGN 1 :25 000, 3320 E. 50 Cf. FEW 7, 76a, necare, qui ne relève cependant pas de sens convenable en toponymie. 51 Fr. mouillure s. f. “état de ce qui est mouillé” (dp. 1er tiers 13e s., TLF 11, 1144 ; FEW 6/3, 46b, *molliare) ; cf. la Mouillure, lieu-dit, Saint-Julien-lès-Metz, Moselle (Anon. s. d.). 52 Cf. aussi la Macelle, nom d’une ferme, commune de Varennes-sous-Dun (Saône-etLoire), la Marcelle 18e s. et 1827 (Taverdet 1991, 1106 ; Rossi 2009, 395 ; rapprochements sans valeur). 48 49

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4.5. En/En la Marcelle (Roye 1766, Haute-Saône), les Marcelles (Roye) M. Louis Jeandel (communication personnelle du 18 mars 2011) nous signale aimablement en Marcelle, nom d’un lieu-dit de Roye mentionné en 1766 (ADHS, B 8876). M. Alain Guillaume nous signale une autre attestation du même microtoponyme en 1767 : « En la Marcelle, environ une faux entre les champs des Arbues d’une part et le terrain communaux d’autre (ADHS, B 8876). Il nous indique également qu’un lieu-dit les Marcelles, désignant une zone marécageuse, est encore connu des habitants de Roye, au sud de la Verrerie, à l’est de la route reliant la Verrerie et Roye, avant le carrefour (cote 301). Nous avons déjà rencontré à Roye le lexème et le toponyme simples correspondants (ci-dessus § 1.2., 2.2.1., 2.2.3.).

4.6. Autres exemplaires C’est encore à l’amabilité de M. Louis Jeandel que nous devons la connaissance des deux microtoponymes haut-saônois suivants : les Machelles (ou les Marchelles), nom d’un terroir d’Esmoulières, section D, attesté en 1826 (ADHS, série T, Archives des archives), et la Méchelle Picot (+ nom de famille Picot), nom d’un terroir de Corbenay. Dans les deux cas, on peut supposer que ces formes françaises ont été empruntées après le passage comtois de [‑rs‑] à [‑ʃ‑].

4.7. Le type toponymique ˹la Marcelle˺ et le type lexical ˹mar˺/˹mer˺ Le rapport du type toponymique ˹la Marcelle˺ avec le type lexical ˹mar˺/˹mer˺ semble extrêmement probable. On pourrait penser avoir affaire à un dérivé formé à l’aide du suffixe diminutif médiéval ‑cel, f. ‑cele (Nyrop 1908, 100-101 ; Meyer-Lübke 1966, § 157). L’emploi d’un tel suffixe serait néanmoins tout à fait exceptionnel, à notre connaissance, dans la toponymie de la Haute-Saône et du Territoire-de-Belfort. C’est pourquoi il nous semble préférable de penser que ˹la Marcelle˺ est un dérivé construit avec le suffixe diminutif plus usuel ‑ele (< ‑ella) sur une base [mars‑]. La relative densité toponymique laisserait penser que ce dérivé a été lexicalisé et, étant attesté depuis 1383/1384, qu’il a pu appartenir à une couche plus ancienne que celle dont relèvent les diminutifs la Maratte et la Marette (ci-dessus § 3). Plusieurs autres éléments militent dans ce sens. (i) Un rapport morphologique similaire semble pouvoir être établi entre le simple La Marre, nom d’une commune du Jura 53, et le dérivé la Marsotte, 53

La carte IGN 1 :25 000 (consultée sur le site Géoportail) indique de très nombreuses cuvettes, dont plusieurs en eau, autour de La Marre. Il est très probable

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nom d’un lieu-dit de cette commune (Rousset 1853-1858, 3, 360 = CAG 39, 484) 54. (ii) Les formes anciennes de la Mare, nom d’un écart de la commune de Saint-Ambreuil (Saône-et-Loire) sont afr. la Marz Monna 1129-1155 et la Mars 1227 (Rigault 2008, 425). Ce sont là les plus anciennes attestations toponymiques que nous connaissions. La captation par frm. mare (< marr) ne se fait jour qu’à partir de 1663 (la Mare proche la Ferthey ; op. cit., loc. cit.) 55. (iii) Non loin de Saint-Ambreuil et dans une zone où [mɑː] a été noté dans le lexique contemporain (voir ci-dessus § 1.5. et n. 13), on relève afr. rég. mars s. f. dans les deux versions d’un arbitrage concernant le prieuré de Palleau (Saône-et-Loire) et les habitants de la localité voisine de L’Abergment-lès-Seurre (Côte-d’Or). Le contexte suggère qu’on a affaire à l’attestation lexicale la plus ancienne de notre type : 1279 (orig.) « il [le bois de Palleau] doit estre es hommes doudit Abergemant jusque a la fin dou bois par devers l’Abergemant, c’est a savoir tant comme il ha doudit bois entre le byez de la mars de la Taissenere et la vie des Boolais qui est en l’essart au Bornot, par la quel vie l’on va de Paluaul audit Abergemant » (Alletsgruber 2012, 2, n° 12, 18-19) 56. que le toponyme a été capté par fr. mare [‑ʃ‑] (Remacle 1992, 125) montrent que le point de départ est bien Mers 57.

5. Conclusion Si afr. rég. mars ou *marz représente bien, comme nous le pensons, le point de départ médiéval du type lexical ˹mer˺, ce point de départ s’avère incompatible avec les hypothèses étymologiques avancées jusqu’ici : lat. mare avec influence germanique pour le sens (Bloch 1917, 64, 317), bas-all marsch (Horning 1922, 200, avec des réserves), « rückbildung aus dem typus marchas (marisk + ‑aceu) » (FEW 16, 522a n. 17) ou encore afrq. *mari (Gamillscheg 1970, 125-126 ; Lebel 1956, § 408). Notre conclusion est décevante : les données placées par von Wartburg sous marisk ainsi que celles que nous avons traitées ci-dessus sont à verser, jusqu’à nouvel ordre, dans les Matériaux d’origine inconnue ou incertaine (FEW 21, 28a, 30a, sous mare et étang). C’est une preuve que l’étymologie galloromane est loin d’être achevée. Université de Paris-Sorbonne

Jean-Pierre CHAMBON

Il faut peut être aussi interpréter març mfr. marc s. m. “marais” (FEW16, 521a et n. 15, maris) relevé par Gdf (5, 162 = DMF 2012) : « En tant que le siege du roy Charles estoit devant Arras, ses gens passerent, par un dimence apres disner, la riviere du marc Saint Michiel par une petite planque » (Mém. de P. de Fenin, an 1414, Soc. de l’H. de Fr.). Cf. aussi la Marc ( = la Març ?) 1404 (ci-dessus § 2.1.2.).

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JEAN-PIERRE CHAMBON

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Régionalité linguistique du Mystère de saint Vincent (BnF, fr. 12538)

0. Présentation du texte et remarques préliminaires Le Mystère de saint Vincent (désormais SV) nous est parvenu dans un seul manuscrit conservé à Paris, le ms. BnF, fr. 12538. Ce volume est composé de 214 feuillets numérotés et ne contient pas d’autre texte que SV, qui compte un peu plus de 15.000 vers répartis en trois journées. Cette pièce anonyme a été représentée à Angers en 1471 en présence de René d’Anjou, de sa seconde épouse Jeanne de Laval et de son frère Charles du Maine. Mais il est maintenant établi que le texte dont nous disposons a été composé en vue d’une représentation qui doit avoir eu lieu en 1476 au Lude, dans l’actuel département de la Sarthe. Ainsi, alors que le prologue de 1471 a été reporté dans le manuscrit sans modification apparente, le texte du mystère paraît avoir été repris en vue d’une nouvelle représentation. Ces remaniements se vérifient par l’intervention d’une seconde main dans le dernier cahier et par l’ajout de quelques indications scéniques dans les marges. Localiser la langue d’un texte dont on connaît relativement bien l’histoire ne devrait poser aucune difficulté. En l’occurrence, on pourrait même être tenté de croire que la localisation de SV s’impose d’emblée et naturellement dans le domaine angevin. Mais la circulation des textes dramatiques et celle de leurs auteurs au Moyen Âge nous interdisent d’identifier trop spontanément l’aire d’origine de la langue d’une pièce au lieu de sa représentation. Cette étude pour la régionalité linguistique de SV se fonde sur une liste sélective de remarques 1. Elle s’appuie également sur la consultation de plusieurs textes contemporains du mystère, dont la langue ou l’origine occidentale a pu être établie avec un degré suffisant de probabilité 2. Nous renvoyons 1



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Ont été mis de côté quelques traits du Nord ou de l’Est non significatifs du fait de leur emploi très minoritaire dans SV et de leur large diffusion dans le domaine d’oïl hors de leur domaine d’origine. Nous utilisons les sigles du DEAF et les abréviations du DMF2012 et du FEW. Les autres abréviations utilisées sont développées dans la bibliographie. Nous remercions vivement G. Roques pour l’importante documentation qu’il nous a transmise afin d’étayer l’analyse de plusieurs items envisagés ici.

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à SV en reprenant la numérotation de notre édition (voir Leroux 2011) et en signalant par une apostrophe le texte inscrit dans les marges du manuscrit 3. La délimitation des différentes zones régionales de l’Ouest du domaine d’oïl est effectuée d’après la « Carte du domaine gallo-roman » de P. Fouché (FouchéPhon, après la p. 106). Le Nord-Ouest constitue l’aire de localisation postulée pour SV d’après les critères extra-linguistiques dont nous disposons. Cette zone réunit l’Anjou (ou l’actuel département du Maine-et-Loire), le Maine (ou les actuels départements de la Mayenne et de la Sarthe) et la Bretagne romane (ou les actuels départements de l’Ille-et-Vilaine et de la LoireAtlantique). Au nord, le domaine normand est formé de l’actuelle région de la Normandie 4, amputée de sa frange orientale et légèrement étendue au-delà de ses limites méridionales. Au sud, le Sud-Ouest est composé du Poitou (ou des actuels départements de la Vendée, des Deux-Sèvres et de la Vienne) et de la Saintonge (ou des actuels départements de la Charente-Maritime et de la Charente).

1. Étude des traits phonétiques et graphiques La localisation du texte s’appuie sur un peu plus d’une quinzaine de traits phonétiques et graphiques. L’alternance des graphies autour du son [ę], la forme jardrin et la généralisation du vocalisme [i] pour la conjonction de subordination se assurent une localisation large dans l’Ouest, avec des prolongements dans les domaines normand ou anglo-normand. L’emploi de la graphie oai et de ses variantes, le traitement phonétique de challon, la réduction de l’hiatus dans les mots issus du lat. pagensis et la réduction de l’hiatus en [i] plutôt qu’en [ę] dans le paradigme issu du lat. adj ūtare permettent d’affiner cette première orientation. Ces traits conduisent plus spécifiquement vers le Nord-Ouest et la Normandie (surtout méridionale). L’emploi de la forme ebelucer oriente vers le Nord-Ouest et peut-être vers l’Orléanais. Qu’elle soit large ou plus circonscrite, cette première localisation est confirmée par plusieurs items qui, pour diverses raisons, ne nous paraissent pas décisifs. Ainsi, la réduction de -uis à -us, bien attestée dans l’Ouest, est un trait régional qui correspond à l’aire de localisation du mystère, mais cet item reste douteux. Par ailleurs, le traitement phonétique de l’adverbe encore, avec [õ] à l’initiale, et les particularités phonétiques de subler orientent vers l’Ouest, mais pas nécessairement de façon spécifique. Enfin, veillart est loca

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Ainsi, « 1006’ » renvoie au texte marginal copié autour du v. 1006. Dans plusieurs ouvrages cités ici, la Normandie est intégrée à l’Ouest (voir par ex. Pope, p. 500).

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lisé dans l’Ouest et la Normandie méridionale, mais reste très largement minoritaire dans SV. La forme draine semble tirer vers la Normandie et le domaine anglonormand l’aire de la localisation du texte, mais elle est représentée de façon trop minoritaire pour devoir être prise en compte. Enfin, les recherches menées sur charruer et chiesne conduisent à écarter ces items.

1.1. Phénomènes généraux Nous rassemblons dans cette section les phénomènes phonétiques et graphiques communs à plusieurs formes. • Alternances graphiques autour du son [ę]. — Les graphies ay (ou ey) alternent régulièrement avec oy, qui semble transcrire majoritairement [ę] plutôt que [wę] 5. En outre, la graphie phonétique e peut se substituer à ay (ou ey), indépendamment de sa position dans le mot 6. La diversité et l’éparpillement des cas relevés ne permet pas a priori une localisation du texte à partir de l’emploi de ces graphies (Marchello-Nizia 1997, p. 75-80 ; ZinkPhon, p. 197) 7. Il est néanmoins bien établi que la diphtongue [ẹi] a évolué en [ọi] « dans tout le domaine d’oïl, sauf à l’Ouest (Anjou, Maine, Touraine, Perche, Bretagne, Normandie centrale et méridionale, Poitou) et dans l’Orléanais » (FouchéPhon, p. 270). De plus, « [t]he use of ę < O.F. ei instead of francien wę < O.F. oi » est caractéristique de l’Ouest au XVIe siècle (Pope, p. 505). Enfin, dans Les .XV. joies de mariage, la graphie faye “foie” (QJoyesR 14/96) favorise la localisation du texte dans l’aire occidentale du domaine d’oïl (QJoyesR, p. XXXVI) 8.

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Voir par ex. apersçay “j’aperçois” 2072, 10252, courtaisie 13029 ≠ courtoisie 5967, 8035, 8127, 8207, 12910, deloy 190 ( : foy 189), 413 ( : loy), etc. ≠ delay 828 ( : loy 828), delayemens 670, deleys 10251, effray “effroi” 231, 320, effrays 640, faye “foie” 13883, 13905 ( : gaye 13904), layaument “loyalement” 12678 ≠ loyaument 865, 1173, 1232, 1456, 4946, lays “lois” 886 ( : palays 885) ≠ loy 30, 81, etc., nayer “noyer” 2204, playe “plaie” 4027 ( : joye 4028), 9338 ( : envoye 9340), poyas “payas” 7099, praye “proie” 9467 ( : joye 9468) ≠ proye 354 ( : pourroye 355), 14546 ( : joye 14545), resçayvent “reçoivent” 7933, soit “sait” 14223. Voir par ex. acheson 479, 7580, 8853, 10529 ≠ occasion 253, cesir “saisir” 1669, ceson “saison” 2171, 5113, 6060, 9799, é “j’ai” 10345, let “laid” 166, vesseau “vaisseau” 167. Hors du domaine occidental, voir par ex. layaument dans BelleHelR, v. 4763 (Hainaut, milieu du XIVe s.), courtaisie dans PassionBonnesF, v. 1520 (Picardie, début du XIVe s.) ou apersçay dans une lettre de Jean de Werchin (Hainaut, 1407), bien que la graphie puisse résulter dans cet extrait d’un rapprochement avec savoir (WERCHIN, Corresp. G.-W., p. 158). Voir aussi courtaisie dans BEAUVAU, Troyle B., vol. 2, VII/97 (sachant que le manuscrit de base compte des traits « que l’on relève le plus souvent dans les chartes

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Ainsi, tout particulièrement dans les mots dont une voyelle [ẹ] s’est diphtonguée en [ẹi], le passage à la graphie e ou le maintien des graphies ay (et ey) là où le moyen français tend à généraliser oy peut être perçu comme un indice de localisation occidentale du texte. En l’occurrence, la réduction de la diphtongue [ẹi] à [ę] apparaît comme caractéristique de l’Ouest (Pope, p. 502 ; Nobel 2004, p. 162). [loc. : Normandie et Ouest] • La graphie oai et ses variantes. — La graphie oai et ses variantes sont employées dans joaye 9, oayseau / oayson 10 et angouaisse 11. D’une manière plus inattendue, la graphie ouaye est encore employée dans la conjugaison du verbe ouïr : ouaye SP1 14748 ( : monnoye 14745) compte pour une syllabe et ouaye Impft1 13116 ( : joye 13115) compte pour deux. Ces graphies transcrivent régulièrement le son [wę] (ou [uę] dans ouaye Impft1 13116). Y. Greub relève la graphie oaye “oie” et note que sa régularité « indique qu’il y a là un fait linguistique », même si « la valeur du critère est incertaine » (GreubRég, p. 196). Selon lui, quelques indices laissent penser que cette graphie oriente vers l’Ouest (GreubRég, p. 302) 12. Les formes similaires relevées par le FEW confirment cette localisation (FEW 25, 775b-776a) 13. Des graphies analogues relevées dans d’autres mots viennent



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angevines et dans les registres de la Chambre des Comptes d’Angers » (p. 549)), courtaysie dans GuillSAndréJehC, v. 2326, et courtaisies dans Charles de Hongrie C., p. 35. Voir joaye 4394, 4397 ( : essaye 4398), 7696, 8317, 9384, à côté de joye qui est bien plus fréquent et se trouve à la rime avec -oye ou -aye. Voir oayseau 14539, 14546 ≠ oyseau 8106, oayseaux 3897 ≠ oyseaux 9577, oayseaulx 14391, 14418, 14425, 14493, 14534, 14705 ≠ oyseaulx 14478, oayson 4168, 4869, oaison 4861, 5062. Voir angouaisse 10584, 10873, engouaisse 7153, 12442, angouaisseux 10853. Noter encore la graphie ouaie dans angouaiesseuses 12538. Dans TissierFarces38 (d’après le ms. BnF, fr. 25467), voir oaye 292 ( : monnoye 291), 483, 682 ( : cuidoye 681), ouaye 442 ( : voye 441), 1501 ( : poye 1500), oays 685 ( : joays 686), 1502, oaysons “petites oies” 1502. Voir encore ouayes en 1466 dans le Compte de l’Hôtel-Dieu de Baieux (i.e. Bayeux) (Delisle 1903, p. 247, n. 124), oayes dans un document vendéen de 1533 (Clouzot 1903, p. 134, n. 4), ouayson dans un glossaire latinfrançais normand (Eure, 1348) (RoquesLex 1, p. 251, dans une variante du ms. Conches 1), ouaysons en 1511-1513 dans un document relatif à Angers (Port 1870, p. 55b), mais aussi ouayes dans Les “Apologues” de Guillaume Tardif et les “Facetiae morales” de Laurent Valla (c. 1493-1498) (TARDIF, Apologues R., p. 69, § 182, et p. 72, § 219) et dans Le Parangon de nouvelles publié à Lyon en 1531 (Parangon de nouvelles, p. 153, l. 29 ; où ouayes n’est pas une graphie pour ouailles “brebis”, mais bien pour oyes dans l’expression ferrer les oyes “perdre son temps” (RLiR 47 (1983), p. 262)). Voir aussi dans CptRenéL oaiseau en 1474 (pièce 150, p. 44 ; cf. GdfC 10, 228a), oayseaux en 1453 (pièce 98, p. 32), en 1471 (pièce 143, p. 42), en 1477 (pièce 253, p. 92)

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compléter cette documentation 14. En dépit de quelques exemples situés hors du domaine occidental, l’emploi de ces graphies oriente probablement vers le Nord-Ouest et la Normandie méridionale. [loc. : Nord-Ouest et Normandie méridionale] • Vocalisme du radical du paradigme morphologique issu du lat. veclus (FEW 14, 360b, s. v. v ĕt ŭlus) : veillart “vieillard” 6488, 7858. — Présent dans plusieurs textes de l’Ouest 15, le radical relevé est considéré comme occidental : « La carte 1390 de l’ALF montre que la forme [vèy], [vœy] s’étend des Landes septentrionales à la Normandie méridionale, et recouvre notamment une partie de l’Anjou, le Maine et la quasi-totalité de la Haute-Bretagne » (Thom 1981, p. 62 ; voir aussi Chambon 1999, p. 271, et Verrier/Onillon 2, 312b). Toutefois, cette forme est nettement minoritaire dans SV à côté de vueil(le) et vueillart. [loc. : Normandie méridionale, Nord-Ouest et Sud-Ouest] • Réduction de -uis à -us : chapus “billot de bois” 6690’ (≠ chapuis 13710 ( : puis 13711), 13713’), pertus 12096, 12171 ( : plus 12170) (≠ pertuys 11957 ( : amis 11958), 12153, 12183, 12184), russelle “ruisselle” 9170. — Ces formes en -us sont localisées dans l’Ouest par E. Goerlich qui note que « [d]er Diphtong ui ist auf u reduciert in : les fruz Anj. M. XXIV 13 ; so auch im heutigen Patois : bru = bruit ; pertus = pertuis » (GoerlichNW, p. 57 ; voir aussi GentePoit, p. 31-32, et Pope, p. 502) 16. Quant au radical relevé et oaiseaulx en 1471-1472 (pièce 642, p. 240). Voir encore oaiseau (à côté de suymes) dans ProvM, n° 1436 (extrait du ms. BnF, lat. 10360), oaiseaux dans les Cronicques et ystoires des Bretons (La Lande de Calan 1910, p. 107), oayseaux (à côté de ayseaux) dans un document vendéen de 1533 (Clouzot 1903, p. 134, n. 4), mais aussi oaiseaux dans l’Histoire de Griseldis de Christine de Pisan (Jeanneau 1970, p. 166). 14 Voir jouaie (FEW 4, 80b), joaie dans JonesBret, t. 2, p. 481, joaye dans GuillSAndréJehC, v. 2184, 2353, 2392, 3067, 3071, 3101, 4155 (cf. DEAF, J424), AiquinJ, v. 1116, 1687, 1807, 2568, FierPrMi, p. 117, l. 1681, joays dans TissierFarces38, v. 686 ( : oays 685) (d’après le ms. BnF, fr. 25467), et jouaye en 1534 chez Jacques Cartier (Bideaux 1986, p. 113). Voir aussi cloaison “cloison” dans La vaillance des Marseillaises (VaillMarVM, p. 35) et CptRenéL, en 1451 (pièce 205, p. 76), en 1459 (pièce 201, p. 74), en 1463 (pièce 71, p. 24), en 1470 (pièce 198, p. 71, et pièce 298, p. 113), en 1474 (pièce 58, p. 20, et pièce 740, p. 329). 15 Voir veil “vieux” dans AiquinJ, v. 2107, BarbeK, v. 7148, PacJobM, v. 1351 (ainsi que vel au v. 1063), QJoyesR, 1/200, 4/12, etc., veille “vieille” dans QJoyesR, 3/213, 4/53, 60, 64, 71, etc., et veillesse “vieillesse” dans QJoyesR, 6/233, etc. Voir aussi MichelJ, p. LXIX, § 25, et GentePoit, p. 198b. 16 J. Pignon relève plusieurs formes significatives dans des textes poitevins (GentePoit, p. 177a, 182a et 198a). Voir aussi bussons dans QJoyesR 8/142, 12/83, et charruye dans PacJobM, v. 965.

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dans russelle 9170, il est signalé par Verrier et Onillon (Verrier/Onillon 2, 228a-b) 17. P. Fouché situe cependant de telles formes dans l’Est et le NordEst (FouchéPhon, p. 287-288). Avec M. Thom qui considère que celles-ci « paraissent difficilement localisables » (Thom 1981, p. 62), nous préférons donc écarter cet item pour la localisation de SV. • Vocalisme de la conjonction si. — La conjonction de subordination se “si” apparaît déjà souvent en moyen français sous la forme si (Marchello-Nizia 1997, p. 362). Dans SV, la forme si est largement majoritaire. Cet emploi est considéré par C. Buridant comme caractéristique de « l’aire anglonormande en particulier » (Buridant, p. 627). De son côté, P. Ménard souligne que, en ancien français, la conjonction se est « rare sous la forme si, sauf parfois dans les parlers de l’Ouest » (Ménard 1994, p. 235) et affirme plus loin qu’« [e]n anglo-normand et dans les parlers de l’Ouest la conjonction se apparaît normalement sous la forme si » (Ménard 1994, p. 343). Cette forme est encore relevée dans Le Mystère de Sainte Barbe en cinq journées et Regnault et Janneton. L’emploi récurrent de si au détriment de se apparaît ainsi comme un indice de localisation occidentale du texte. [loc. : Ouest et domaine anglo-normand] • Réduction de l’hiatus aï. — Nous envisageons successivement les paradigmes issus d’adj ūtare et de pagensis. (a) L’ancien hiatus aï compte systématiquement pour une syllabe dans le verbe aider et le substantif aide. Dans SV, sa réduction n’aboutit vraisemblablement pas à [ę] mais à [i], comme tend à le prouver la rime cuide : aide 4786-4787. Le vocalisme en [i] de la première syllabe est attesté dans le Nord-Ouest et la Normandie méridionale (FEW 24, 161b et 162b), ainsi que dans un texte poitevin (GentePoit, p. 68, v. 106). Il apparaît encore dans La ressource de la chrestienté d’André de La Vigne, originaire de La Rochelle 18. 17

Voir aussi russeau dans MichelJ, p. LXXI, § 40. Voir LA VIGNE, Ress. chrest. B, v. 52 et 725. Notons encore, dans Le Mystère de sainte Barbe en cinq journées, la rime aide : bride (BarbeLL, v. 20435-20436), où aide compte pour une syllabe. Dans la Passion de Jean Michel, O. Jodogne corrige pour le mètre le v. 26974 afin d’obtenir une prononciation dissyllabique du mot aide placé à la rime avec subcide, mais la rime subcide : aide (MichelJ, v. 26973-26974), avec aide comptant pour une syllabe, convient si on considère que l’hiatus s’est réduit en [i]. Signalant ensuite que, « dans un vers régulier, aÿde 10944 rime avec succide » (MichelJ, p. LVII, § 10), l’éditeur suppose sans doute que, dans ce vers, ne ayde doit être lu n(e) aÿde, mais on pourrait lire në ide. Enfin, O. Jodogne explique la rime remede : aide (MichelJ, v. 29913-29914) en affirmant que, dans ce cas, aide « rime

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Le traitement du substantif aye “aide” marqué par l’amuïssement de [d] intervocalique reste problématique dans SV. Le mot apparaît deux fois à la rime avec Marie. Au v. 8462, le mot compte pour deux syllabes et l’hiatus est maintenu. Nous obtenons ainsi la rime Marie : aÿe 8461-8462. Mais au v. 5852, le mot compte pour une syllabe. Pour la rime Marie : aye 58515852, il faut donc supposer que, dans aye, la réduction de l’hiatus se fait aussi en [i]. En dépit de deux exemples relevés dans un document relatif au Mystère des trois doms 19, la documentation réunie oriente vers plusieurs aires occidentales. [loc. : Nord-Ouest (> Anjou, Bretagne romane), Normandie méridionale (> Orne) et Poitou] (b) Tandis que paysant 6484 compte pour deux syllabes, pais (ou pays) “pays” compte 21 fois pour une syllabe 20 et 10 fois pour deux 21. La réduction de l’hiatus à [ẹ] dans paysan est largement attestée, bien au-delà de l’aire de localisation de SV (FEW 7, 470b-471a). En revanche, cette évolution dans pais est caractéristique d’une aire bien plus limitée (FEW 7, 469a ; Verrier/Onillon 2, 95a). Le phénomène est aussi signalé dans la Passion de Jean Michel (MichelJ, p. LVII) et le Libvre du bon Jehan (Reis 1906, p. 87). La réduction de l’hiatus à [ẹ] paraît donc circonscrite à la Normandie et à l’Anjou. Toutefois, le fait que pais rime systématiquement avec un mot en -is suggère que la réduction de l’hiatus a abouti à [i] plutôt qu’à [ẹ]. Cette évolution n’est pas attestée par les dictionnaires consultés. Mais, confortée par les observations déjà faites sur aide et aider, celle-ci est confirmée par Le Mystère de sainte Barbe en cinq journées où pays compte pour une ou deux syllabes, mais rime toujours avec un mot en -is. J.-H. Kim y établit que l’hiatus se réduit en [i] et il répertorie ce phénomène parmi les traits régionaux de l’Ouest (BarbeK, p. 418-419). Ce phénomène est aussi vérifié dans en è » (MichelJ, p. LVII, § 10). Mais il paraît plus pertinent de supposer que ces deux vers riment en [i] et que remede doit être lu remide. 19 Voir MystTroisDoms, p. 591 et 597. Mais apparaît aussi la désinence -oint à la P6 de l’imparfait de l’indicatif (MystTroisDoms, p. 592), dont la valeur régionale est discutée plus loin. 20 Aux v. 1368, 2859, 3252, 3345, 4308 ( : amis 4307), 8390, 8392, 8416, 8420, 8434, 8492 ( : avis 8491), 8502, 8506, 9030, 9781, 9842, 10225, 10759, 12457 ( : amis 12458), 14908, 14910. 21 Aux v. 574, 617, 1735, 1800, 1802, 1850 ( : devis 1851), 3403, 3431 ( : haïs 3432), 10564, 10568.

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la Passion de Jean Michel par les rimes pays : haÿs 11534-11535 et amys : pays 17695-17696, où pays est monosyllabique. La réduction de l’hiatus en [i] explique ce « jeu étrange » qui, pour O. Jodogne, devait permettre à pays monosyllabique de rimer en [i] (MichelJ, p. LVII, § 10). Enfin, un exemple similaire est relevé dans Regnault et Janneton au v. 707, où pais, monosyllabique, rime avec mis, amis et brebis (ReJanR, p. 36). Les documents consultés indiquent que cet occidentalisme est principalement représenté dans le Nord-Ouest et la Normandie méridionale. [loc. : Nord-Ouest (> Anjou) et Normandie méridionale (> Orne)]

1.2. Traitements spécifiques Nous rassemblons dans cette section les formes dont le caractère régional tient au traitement spécifique dont elles sont l’objet. • challon, s. m., “petit bateau à fond plat”, 14765’ : Ilz boullent le challon. 14765’. — Marqué par le vocalisme [õ] dans la syllabe finale, challon est donné par le FEW comme caractéristique du Nord-Ouest et de la Normandie (FEW 2, 633b). Alors que Verrier et Onillon relèvent chalon à côté de chaland (Verrier/Onillon 1, 178a, s. v. chaland), chalons est encore signalé chez l’Angevin Pierre Le Loyer (1550-1634) par Huguet qui se demande s’il ne faudrait pas lire chalans (Hu 2, 176b). Complétée par plusieurs pièces d’archives qui juxtaposent les formes chalon et chalan 22, cette documentation confirme l’ancrage de cette forme en Anjou. Remarque contextuelle : le mot apparaît dans une brève indication scénique attribuée au remanieur, où se trouve également le verbe bouller dont le caractère régional est discuté (voir infra). [loc. : Nord-Ouest (> Anjou, Maine) et Normandie (> Orne)] • charruer, v. tr., “conduire, guider”, 11353 : (un bourreau s’adresse à Vincent qui doit être supplicié :) Vous aurez la teste esfondree, / puis qu’il fault que je vous charrue. 11352-11353. — Le verbe charruer “labourer” est relevé par le FEW, notamment dans l’Ouest (FEW 2, 425a ; voir aussi Verrier/ Onillon 1, 187b, et DMF2012, s. v. charruer). Le sens figuré proposé ici n’étant pas relevé dans les dictionnaires consultés et ayant été déduit de la situation dramatique, nous devons envisager que la forme, employée ici à la La forme chalon est relevée dans une pièce du XIIIe siècle des Coutumes et institutions de l’Anjou et du Maine (BeautBeaup, 1re partie, t. 1, p. 163), dans un document de la Sarthe de 1378 (BeautBeaup, 2e partie, t. 4, p. 79) et un autre de Champtoceaux (Maine-et-Loire) de 1451 (BeautBeaup, 2e partie, t. 4, p. 167).

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rime avec le substantif rue 11354, résulte d’un traitement phonétique particulier du verbe charrier (ou charroyer) “conduire, guider” (DMF2012, s. v. charrier 3) que ne signale pas le FEW avec le vocalisme [ü] (FEW 2, 429b-430a). Le sens du verbe et son identification demeurant incertains, nous laissons de côté cet item. • chiesne “chaîne”, 11253, 11400. — La réduction de l’hiatus dans chaeine aboutit usuellement à chesne dans SV, mais aussi à chiesne 11253, 11400. La présence d’un [y] n’est attestée par le FEW que dans le Calvados dans k y ẽ n (FEW 2, 498b). Toutefois, un inventaire de l’abbaye Saint-Bénigne à Dijon daté de 1519, mais connu par une copie de 1724, fournit de nombreuses graphies pour le mot qui se caractérisent par la présence d’un [y] 23. Enfin, la même graphie apparaît encore dans un document à Cognac en 1515 (Dupont-Ferrier 1902, p. 121). Les localisations de ces deux derniers exemples invalident la première conclusion tirée de la consultation du FEW. • draine, adj. f. subst., “dernière”, 944 : Helas, que je boyve une draine “un dernier coup” / ou au moins plaine ceste tasse, 944-945. — Issu du lat. de retro (FEW 3, 47a-49b), l’adjectif draine se caractérise ici par l’amuïssement des voyelles atones : afr. dereraine > afr. mfr. derraine (relevé dans le texte au v. 6825) > draine. Spécifique de la région normande (FEW 3, 48b), la forme est également relevée comme une variante de derein dans l’ANDi, qui donne plusieurs exemples de l’ajectif substantivé. [loc. : Normandie et domaine anglo-normand] • ebelucer, v. pr., “se soulever, s’agiter, se ranimer”, 9444 : (un bourreau s’adresse à Vincent :) Pourtant n’yra ne ça ne la ! / Tu n’as garde de repucer / ne de toy point ebelucer ! / Deslie tost ce pié, Grimault ! 9442-9445. — Le verbe esberucier est signalé dans l’Est (notamment le domaine champenois) et le Nord (chez Gautier de Coinci et Gautier d’Arras), ainsi que dans le domaine anglo-normand et l’Orléanais (FEW 21, 406b ; Gdf 3, 341b ; TL 3, 801-802 ; AND2i, s. v. esbrucer). L’évolution de [r] en [l] qui caractérise cette forme a été relevée dans une variante au v. 3732 du Roman de la rose dans l’édition d’E. Langlois : « Ba si s’esbeluce » (RoseLLangl, t. 2, p. 186, où Ba = BnF, fr. 1571). Cette occurrence suggère une localisation dans l’Orléanais de la forme en [l]. Mais celle-ci se poursuit jusqu’à l’époque contemporaine en Haute-Bretagne, dans le Maine et l’Anjou dans le verbe Dans MémSBGH 10 (1894), voir chiesne (p. 40), chienne (p. 55 et 59), chiennettes (p. 76) et chienons (p. 34). Le document répertorie dans le glossaire (p. 327) les formes chiesne, chienne, chiennette et chienons. Malgré la défiance de l’éditeur visà-vis de cette copie (p. 3), la récurrence de cette graphie paraît en garantir l’originalité.

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éblucer, utilisé à propos des jeunes enfants ou des oiseaux avec les sens secondaires de “éveiller, élever” à la voix transitive et “croître, grandir” en construction pronominale (FEW 21, 451a ; RLiR 30, p. 116-117). Remarque contextuelle : ebelucer est employé dans la même phrase que le verbe repucer dont le caractère régional est discuté (voir infra). [loc. : Nord-Ouest, (?) Orléanais] • jardrin, s. m., “jardin” 10676. — Bien que la forme apparaisse ponctuellement ailleurs, notamment dans une charte champenoise (Matsumura 2004, p. 606), la réduplication progressive dont résulte le second r (CleriadusZ, p. LXXVI) est caractéristique d’une aire occidentale, à l’exclusion de la Normandie (ALF 712 ; GreubRég, p. 169-170 et 341-342). Nous relevons encore cette forme dans Le Mystère de la Résurrection (Mist­ RésAngS, v. 4900) et La Pacience de Job (PacJobM, v. 5161), à côté de jardriner (PacJobM, v. 5147, 5162). [loc. : Ouest] • subler, v. intr., “siffler”, 7272 (à côté de sifflet “rasade, gorgée, lampée” 12304) : Tu peuz trop bien subler a baude. 7272 24. — L. Jagueneau signale que « la réalisation en [bl] (actuellement [bj] dans le Centre-Ouest), sans sifflante, a été très répandue, surtout dans l’Ouest où elle est toujours attestée, de même qu’en franco-provençal et en occitan (A.L.F. cartes 12311232) » (Jagueneau 2006, p. 289 ; voir aussi FEW 11, 565a). Les exemples enregistrés dans les dictionnaires (Gdf 7, 416c ; Hu 7, 96b ; TL 9, 1049) confirment que ce consonantisme est largement répandu, bien qu’il soit particulièrement bien ancré dans l’Ouest. Quant au vocalisme en [ü] qui caractérise la syllabe initiale, il est relevé en Bretagne romane (Coulabin, 346), en Anjou (MistRésAngS, t. 1, p. 47, et t. 2, p. 997) et plus largement dans l’Ouest, mais pas de manière spécifique (FEW 11, 565a-b). La concomitance de ces deux traitements phonétiques oriente probablement vers l’Ouest 25. [loc. : Ouest] • uncor, adv., “encore”, 13066, 14799, uncorre 7499, 9186, 12622, 12747, oncore 11347’ (didascalie ajoutée, puis barrée par le remanieur). — Avec l’initiale Sur la tournure subler a baude, voir Cohen 1956, p. 131, MistRésAngS, t. 1, p. 47, et Leroux 2011, t. 2a, p. 280. 25 J.-P. Chambon et J.-P. Chauveau notent de leur côté : « En moyen français et en français préclassique, les exemples (…) que nous sommes en mesure de localiser sont occidentaux » (Chambon/Chauveau 2000, p. 67). 24

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en [õ], l’adverbe est attesté dans les patois modernes dans deux aires principales : la Normandie et le Maine, d’une part, et le domaine francoprovençal, d’autre part (FEW 4, 475a) 26. Relevant cette forme dans la Bible du XIIIe siècle, P. Nobel note plus largement qu’elle est « surtout fréquente en anglonormand et dans l’Ouest continental » (Nobel 2012, p. 30). [loc. : Ouest, domaine anglo-normand et domaine francoprovençal]

2. Étude des traits morphologiques Tandis que la localisation de deux formes verbales demeure discutable, la moitié des phénomènes pris en compte confirme massivement la localisation linguistique de SV dans l’Ouest, avec un ancrage plus spécifique dans le NordOuest. Parmi les traits qui peuvent être considérés comme régionaux, plusieurs orientent vers le Nord et le Nord-Est. Ceux-ci sont cependant minoritaires et se rencontrent suffisamment régulièrement dans des textes de l’Ouest pour qu’ils ne semblent pas déterminants.

2.1. Morphologie des pronoms et des déterminants Les formes régionales relevées dans les pronoms personnels favorisent une localisation large dans le domaine occidental. Alors que l’emploi du démonstratif ça paraît occidental, le caractère régional du démonstratif cestes est remis en question. • Le pronom personnel el au féminin singulier. — À la P3, à côté de elle, la forme el est fréquente 27. Parfois utilisée par le copiste au détriment du mètre, cette forme est caractéristique de l’aire occidentale du domaine d’oïl (ZinkMorpho, p. 93-94 ; Pope, p. 503). [loc. : Ouest] • Le pronom personnel eulx au féminin pluriel : …aux bestes sauvaiges, / afin que d’eulx soit devoré 14442-14443. — L’emploi du pronom eulx pour le féminin à la P6 est caractéristique de l’Ouest (ZinkMorpho, p. 94 ; Zink 1997, p. 19). La forme est aussi relevée dans La Vengeance Raguidel (Veng­RagR, p. 98). [loc. : Ouest] Voir uncore dans VaillMarVM, v. 193. La forme oncores relevée dans Le Mystère de saint Genis (OUDIN, St Genis M.S., v. 3294) concilie les deux orientations linguistiques que suggèrent les premiers éléments d’analyse recueillis ici. 27 Voir aux v. 4137, 4958, 4959, 6972, 8377, 11465, 12040 (forme corr.), 12196, 12204, 12206, 12697, 12979, 14198 (forme corr.), 14280, 14742, 14931. 26

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• Le pronom personnel ly pour luy au masculin. — À la P3, tandis que li atone est progressivement supplanté par lui au XVe siècle, l’emploi fréquent de ly pour luy tonique au masculin singulier du CRind semble résulter de « [l]a tendance à la réduction de /ẅí/ à /i/ qui se fait sentir à l’Ouest au XIIe siècle » (ZinkMorpho, p. 98-99). Dans SV, ly alterne avec luy après préposition aux v. 31, 1505, 1510, 14402, ainsi que dans Dictes ly “Diteslui” 14317. [loc. : Ouest] • Le déterminant démonstratif sa : Ses pouvres gens la l’ensepveliront / par l’ordonnance a sa bonne matrosne, / a qui Jhesus envoya (…) 172-174, (…) avant que je porte sa maxe / qui me poyse tant sur l’espaule ! 946-947, Nous luy donnons sa cocte d’armes, / afin qu’on congnoisse qu’il est 2065-2066, Sa forest est espouentable 2277, Or adviser quel gref et quel oultraige / nous fait sa gent fainte, faulce et inique 2531-2532, Vous leur donnerez (…) / (…) sa paire de vieulx houseaux / qui pendent a celle cheville 3896-3899, De celle faulse loy paienne / ne vieulx plus, mais la chrestienne / a jamais je vueil maintenir, / sans sa faulse loy plus tenir 5831-5834, Sa faulse loy mal pourpencee, / qui est orde, ville et paillarde, / oste, je te pry, et regarde / que te vallent ses marmousez 6904-6907, Amis de Dieu, qui souffrez paine / et fain en sa prinson villaine 7758-7759, Chace sa mouche qui te point 8752, Baille sa chesne par dehors 9620, Or ça, baille moy maintenant / sa chesne, si sera lyé ! 9624-9625, Trante besans d’or je vous donne, / qui sont en sa bourse de soye 10889-10890, Que sa piece de fer soit chaude 11659, et delaisson sa deablerie / laquelle (…) 13242-13243, Baisse sa teste vistement 13755, Boute luy de sa couverture / sur luy (…) 14127-14128, J’ay grant paour que sa gent me voyge, / qui est de mauvaise nature 14897-14898. — Dans les exemples relevés, l’emploi de sa comme démonstratif est vérifié par l’impossibilité de référer à une personne pouvant être considérée comme le possesseur de l’objet déterminé. Le mot sa acquiert une valeur déictique et doit être traduit par ‘cette’. Aux v. 5831-5834, on note l’alternance de celle faulse loy et sa faulse loy qui confirme l’équivalence de celle et sa avec une valeur démonstrative. Alors que nous relevons un autre emploi du démonstratif sa dans Le Mystère du roy Advenir (JPrierM, v. 6284-6285), G. Roques en signale plusieurs exemples dans la traduction du De viribus herbarum localisé dans le Sud-Ouest (RLiR 77 (2013), p. 578). Ainsi, parallèlement à la création analogique du démonstratif ce d’après l’article défini le, celle du féminin sa d’après la paraît caractéristique de l’Ouest. [loc. : Ouest]

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• Le déterminant démonstratif cestes : cestes manieres et formes 10641, cestes lectres 10734, cestes choses 13051, cestes gens 13185. — Le maintien du féminin pluriel cestes en moyen français est considéré comme caractéristique de l’Ouest (Pope, p. 326 ; GoerlichNW, p. 72). Mais, dans son édition d’une traduction d’Aeneas Silvius Piccolomini, J.-C. Lemaire estime que le recours à cestes relève au XVe siècle d’un marquage stylistique du texte (Lemaire 2007, p. 54). Une recherche en plein texte du démonstratif cestes dans le DMF2012 fait apparaître une grande représentation de l’auteur vendéen Pierre Bersuire, mais aussi un nombre très important d’attestations relevées dans différents textes de Georges Chastellain. Si la liste des occurrences orientant vers l’Ouest peut être allongée 28, d’autres encore conduisent hors de la partie occidentale du domaine d’oïl 29. Il paraît donc peu pertinent de réduire l’aire de localisation de cestes à l’Ouest.

2.2. Morphologie verbale L’emploi récurrent de suymes (IP4 du verbe estre), du radical vieu- à l’IP du verbe vouloir et des infinitifs suyvoir et ensuyvoir garantit une localisation de SV dans l’Ouest et plus précisément dans le Nord-Ouest. La seule occurrence de l’infinitif nectir confirme cette orientation large, malgré un ancrage possible de la forme dans le domaine picard. En dépit de leur représentation dans certaines parties de l’Est, du Nord ou du Nord-Est, l’emploi des désinences -on à la P4 et -ge au SP3 des verbes des classes II et III sont des traits bien attestés dans plusieurs textes de l’Ouest. • Terminaison en -oir de l’infinitif issu du lat. sĕqu ĕre : suyvoir 1575, 1586, 2728, ensuyvoir 8965 ≠ ensuivre 5534. — Ces infinitifs en -oir sont signalés dans la région du Maine (FEW 11, 488b). Ils apparaissent encore dans des coutumes de l’Anjou et du Maine du milieu du XVe siècle (BeautBeaup, 1re partie, t. 2, p. 90) et de la fin du XIVe siècle : les homes le Roy le doivent seudre en son ost (BeautBeaup, 1re partie, t. 1, p. 99-100), Voir Charles de Hongrie C., p. 65, une pièce du Cartulaire de Vitré (1309-1334) (BullCHAM 12 (1896), p. 201, 205, 206, 207, 213, 214, 310) et un document nantais de 1342 (Jones 1989, p. 116). 29 Voir JacLegrBonB, p. 386, ainsi que plusieurs emplois isolés dans un texte attribué au poète bourguignon Georges Chastellain (Cowling 2002, p. 88), dans les mémoires d’Olivier de La Marche (c. 1470) (Petitot 1825, p. 361, où cestes armes apparaît comme une variante de celles armes employé par ailleurs presque systématiquement) et sous la plume de l’Agenais Nompar de Caumont (Le Lièvre de La Grange 1858, p. 56). 28

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où suyvoir est donné comme une variante de seudre (BeautBeaup, 1re partie, t. 1, p. 99, n. 7) 30. [loc. : Nord-Ouest (> Maine)] • nectir, v. tr., “rendre net, nettoyer”, 7401 : Si bien te nectiray ta cote / qu’il n’y aura ung seul pelet. 7401-7402. — À côté de neter, la forme en -ir est d’un emploi limité en ancien français. Elle est signalée dans le Pas-deCalais au XIIIe siècle comme un hapax (FEW 7, 148a) 31. Elle apparaît au XVe siècle en Normandie. Le DMF2012 relève en effet une occurrence du verbe dans L’ABC des doubles (1451) de Guillaume Alexis (originaire de l’Eure, où il a vécu) (DMF2012, s. v. nettir). Cette forme se retrouve aussi dans une lettre de 1535 du cardinal Jean du Bellay, né à Souday (Loir-etCher, à la limite de la Sarthe) en 1492 (ou 1498) (Scheurer 1969, t. 1, n° 215, p. 452), et dans plusieurs pièces d’archives qui témoignent de son emploi dans le Nord-Ouest 32 et le Sud-Ouest 33. J.-P. Chambon et J.-P. Chauveau notent qu’« [a]u 16e siècle, net(t)ir, rare aupravant, est employé exclusivement par des auteurs occidentaux » (Chambon/Chauveau 2000, p. 62). Il est « encore de quelque usage au XVIIe s. » (mais est condamné par Voiture) et a été conservé en Normandie et le Haut-Maine (Gdf 5, 491b). Le domaine circonscrit par le FEW pour nettir et ses composés renvoie presque exclusivement à la Normandie, au Nord-Ouest et au Poitou (FEW 7, 148a-b ; voir aussi Verrier/Onillon 2, 55b). La documentation confirme un fort ancrage de nettir dans l’Ouest du domaine d’oïl, en dépit de la seule attestation ancienne relevée dans le domaine picard. [loc. : Normandie, Nord-Ouest, Poitou et (?) Picardie] • Le radical vieu- à l’IP du verbe vouloir. — Aux P1, 2 et 3 de l’IP de vouloir, nous relevons le radical vieu- 34. Alors que vieult s’explique à l’IP3 par l’évo D’après le ms. B = BnF, fr. 5359 (av. 1388) (BeautBeaup, 1re partie, t. 1, p. 66). Godefroy cite un extrait de « Les Cheval. bannerets, Pièc. rel. à l’hist. de Fr., XII, 447 » (Gdf 5, 491b), mais le statut du texte demeure trop incertain pour que l’exemple puisse être pris en compte. 32 Dans des comptes du Maine-et-Loire de 1451-1452, où on relève nectir (Matz 2000, p. 115 et 116) et neictir (p. 115), à côté de nitiez, netiez, neictier et nitier (p. 115), dans des documents d’Angers de 1542 (RHO 1885, p. 74) et de 1551 (RHO 1885, p. 77), ainsi que dans des documents de 1585 relatifs à l’abbaye de Beaumontlez-Tours (MémSAT 26 (1877), p. 229). 33 Dans des documents relatifs aux travaux à l’abbaye Sainte-Croix de Poitiers (14851486) (René Crozet, Textes et documents relatifs à l’histoire des arts en Poitou (Moyen Âge - début de la Renaissance), AHPoit 53 (1942), p. 194) et dans les Comptes de l’écurie de François d’Angoulême (1513-1514) (BullPHCTHS 1898, p. 70). 34 IP1 : vieulx 2681, 2840 ( : mieulx 2839), 3001, 5832, 11665, 12040, 12313, 12578, 12591, 12618, 12746, 12861, 13212, 13232, 13779, 14704, 14906, 14974, vieul (dans 30 31

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lution de [ueu] en [iœ] (Pope, p. 204), les formes des P1 et 2 sont analogiques de la précédente. Un relevé effectué dans des textes de l’Ouest 35 permet d’affirmer, avec G. Roussineau (ReJanR, p. 38), que le radical vieu- est particulièrement bien représenté dans cette aire linguistique, notamment dans le domaine angevin 36, le Sud-Ouest 37 et les zones périphériques de la Normandie et de l’Orléanais 38. L’étude réalisée par G. Roques (ActesMfr4, p. 227-268) fait apparaître que vieu- est répandu jusqu’au XIVe siècle et se maintient dans l’Ouest au XVe siècle 39. Dans cette période, on relève cependant vieult dans d’autres aires de la Galloromania 40. [loc. : Ouest (> Anjou)] • Emploi de la finale -ge au SP3 des verbes des classes II et III : Ilz ne sauroient si bien courir / qu’il ne les prenge au trebuchet. 1929-1930, J’ay grant

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vieul ge) 10394, 10776 ; IP2 : vieulx 284, 649, 2635, 6894, 6913, 6936, 8996, 9003, 9895, 10031, 11524 ; IP3 : vieult 1554, 2283, 2301, 3721, 4483, 5660, 5676, 6317, 7023, 8332, 9285, 9731, 9771, 9847, 10967, 11441, 12640, 12648, 14089, 14097, 14098, 14310. La rime dieux : veulx 3877-3878 laisse supposer dans l’original l’IP1 vieulx au lieu veulx. IP1 : vieulx dans Charles de Hongrie C., p. 18, GuillSAndréJehC, v. 2534, JPrieurM, v. 1033, 1493, 1841, etc., LivreCœurB, v. 882, 1867, 2115, CXL, l. 17, Mortifiement, f. 11v°, l. 18, MichelJ, v. 18701, ReJanR, v. 132, 787, PacJobM, v. 5675, TissierFarces38, v. 55, vieux dans MichelJ, v. 16940, vieu dans LivreCœurB, v. 203, vieul (dans vieul ge) dans BarbeK, v. 8365, et JPrieurM, v. 15528, et vieu (dans vieu ge) dans TissierFarces38, v. 1326 ; IP2 : vieulx dans BarbeK, v. 1486, JPrieurM, v. 3627, 3859, 4189, etc., Mortifiement, f. 23v°, l. 6, f. 34r°, l. 13, f. 41v°, l. 5, etc., MichelJ, v. 18879, 24959, et QJoyesR 11/194 ; IP3 : vieult dans BarbeK, v. 8995, 9596, Charles de Hongrie C., p. 55, 58, 59, etc., GuillSAndréJehC, v. 585, 3629, JPrieurM, v. 1685, 1717, 1856, etc., LivreCœurB, v. 1314, 1483, 2072, 2131, MichelJ, v. 18789, QJoyesR 1/42, 2/13, 3/252, etc., TissierFarces38, v. 700, 839, TissierFarces49, v. 1, 17 (voir Chambon 2000, p. 20). Voir vieult chez Pierre Chastellain (CHAST., Temps rec. D., p. 80, v. 1076), qui a travaillé à la cour du roi René et dont la langue connaît quelques régionalismes occidentaux (RLiR 46 (1982), p. 504-507). Dans Livre Regnart S.-H., p. 37, 88, 128, 144 (ca. 1460), qui nous conduit vers le quart sud-ouest du domaine d’oïl (RLiR 62 (1998), p. 573). IP2 : vieulx dans Curial H., p. 11, l. 19 ; IP3 vieult dans Myst. siège Orléans H. (c. 1480-1500), v. 1553, 5582, 7070, et Curial H., p. 11, l. 26 (dans le manuscrit de base et, p. 36, dans les var. vieult BV et vieut HP 2) et l. 34, p. 25, l. 5. Restreinte aux textes de la période ciblée, une recherche en plein texte de l’IP3 vieult dans le DMF2012 corrobore ces conclusions. Voir FloriantPrL, p. 105, 116, 125, 149, 154 (ca. 1480), sachant que « [d]eviations from the standard Île de France dialect are too few and too inconclusive to enable one to attribute any other dialect to either scribe » (Williams 1951, p. 220), GalienPr1K, p. 28, 99, 108 (ca. 1450), où T. Matsumura relève deux régionalismes qui orienteraient vers le Hainaut (ZrP 116 (2000), p. 337), Journal d’un bourgeois de Paris (Tuetey 1881, p. 38, § 71) et une chronique de Charles le Téméraire (Bliggenstorfer 1988, p. 79). Voir aussi un document de l’Oise de 1527 (BullSHPIF 51 (1924), p. 119, 120).

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paour que sa gent me voyge, / qui est de mauvaise nature. 14897-14898. — Au SP3 des verbes prendre et veoir, nous relevons les formes prenge 1930 et voyge 14897 ( : ce croi ge 14896). L’emploi de la finale -ge se rencontre « dans le Sud-Ouest, l’Anjou, le Maine, la Bretagne, le Perche, la Normandie, la partie moyenne de la Picardie, le Hainaut et la région de Tournay [i.e. Tournai] et de Namur » (FouchéVerbe, p. 208). Peut-être influencée par son étude de la langue de frère Angier, M. K. Pope juge, quant à elle, que cette finale est caractéristique de l’Ouest et plus particulièrement du Sud-Ouest du domaine d’oïl (Pope, p. 344 et 503 ; voir aussi GoerlichNW, p. 80) 41, même si des formes en -ge sont aussi relevées dans le Nord 42. En dépit de la localisation orientale proposée par P. Fouché, l’emploi au SP3 de la finale -ge paraît nettement caractéristique de l’Ouest du domaine d’oïl. [loc. : Ouest, Nord] • La désinence -on à la P4. — La désinence -on est récurrente dans SV à l’IP4, à l’intérieur du vers comme à la rime. Selon P. Fouché, cette réduction de -ons à -on est caractéristique de l’Ouest et d’une partie de la Picardie (FouchéVerbe, p. 191 ; voir aussi GoerlichNW, p. 79). Notant que cette désinence n’est pas rare dans La Vengeance Raguidel, G. Roussineau précise que « [c]es formes, si elles sont sporadiquement attestées au NordEst et à l’Est, sont surtout fréquentes à l’Ouest » (VengRagR, p. 101) 43. Le caractère occidental de ce trait morphologique prévaut sur sa localisation ponctuelle dans une partie de la Picardie. [loc. : Ouest, Nord-Est et Est] • Emploi de suymes à l’IP4 du verbe estre. — Alors que sommes 7766 n’est employé qu’une fois, la forme régionale suymes est récurrente 44. Il s’agit Voir JPrierM, v. 1541, 8141, MistRésAngS, t. 1, p. 37, et QJoyesR, p. XXXVI-XXXVII. Voir prenge(nt) dans BaudCondS 1 (Li Dis des trois mors et des trois vis (XVII), p. 203, v. 164), FroissChronAmD, t. 3, p. 386, § 701/50, GilMuisK 1, p. 249, JArkAmP, t. 2, p. 68, 74, 83, 84, MerlinSR, p. LXXVIII, §16, PlacTimT, p. 270 (insertion du ms. BnF, fr. 212), Thompson 1999, p. 99, §1, l. 4, et vienge(nt) dans FROISS., Dits Débats F., p. 312, v. 323, FroissChronAmD, t. 4, p. 272, §891/80, MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., p. 22a, v. 1901. 43 Voir QJoyesR, p. XXXVII, PacJobM, p. 34 et 46, ReJanR, p. 39, MichelJ, p. LXXXVLXXXVI, et Charles de Hongrie C., p. XXXV. La désinence est relevée dans Le Mystère de sainte Barbe en cinq journées comme un trait spécifique « de la scripta dialectale normande » (Lemaire 2009, p. 502, qui renvoie à AndrBaumVerbe, p. 62), ainsi que dans des fragments d’un Mystère de saint Blaise (BlaiseL, par ex. au Feuillet I, v. 30-34) et d’un mystère du Mont-Saint-Michel (= MirSMichel). 44 Voir aux v. 513, 1122, 1149, 1174, 1276, 1582, 1586, 1589, 2491, 3237, 3556, 3853, 4231, 4331, 4387, 5099, 6063, 6202, 6343, 6346, 6349, 6757, 6800, 6854, 7978, 8060, 8063, 41

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d’une forme analogique du vocalisme de l’IP1, « qui apparaît au moyen âge dans des documents de la Bretagne et que l’on trouve encore au XVe et au XVIe siècles » (FouchéVerbe, p. 419 ; voir aussi GoerlichNW, p. 85, Thom 1981, p. 63, et Chambon 1999, p. 270). La documentation recueillie dans différents textes 45 ou pièces d’archives 46 incite à élargir cette aire de localisation au Sud-Ouest 47. [loc. : Ouest]

3. Étude des traits syntaxiques Deux traits syntaxiques peuvent être envisagés comme des régionalismes. L’emploi de quel en tournure comparative négative, d’une part, et celui de la locution estre d’assent suivie d’une subordonnée complétive, d’autre part, confirment assez sûrement l’aire de localisation recherchée pour le mystère, avec des extensions possibles dans un domaine périphérique. • assent, s. m., estre d’assent que + subj., “être d’avis que, être d’opinion que”, 13010 : je seroys bien d’assent / qu’i feissons visitacion 13010-13011. — Tandis que Godefroy souligne le maintien du substantif assent dans le 8240, 8882, 10147, 10173, 10191, 10196, 10205, 10823, 11183, 11893, 12776, 12858, 13092, 13164, 13628, 13640, 13952, 13962, 14223, 14613, 14614, 14616, 14784. 45 Voir AiquinJ, v. 2098, BarbeK, v. 76, 491, 677, etc., GuillSAndréJehC, v. 694, 696, 802, 847, 1143, 1304, 3341, CAGNY, Chron. M., p. 174 et 175, ChansBNfr12744P, p. 145, v. 6, FierPrMi, p. 82, l. 748, MerlinSR, p. CIII-CIV, MirSMich, p. 33, 34 et 35, PacJobM, v. 6435, ProvM, n° 1400 et 2332 (extraits du ms. BnF, lat. 10360, où on relève aussi oaiseau), QJoyesR, Prol. 126, 15/275, VaillMarVM, v. 17, 21, 25, 206. La forme régionale est encore employée dans une variante de ContPerc3R, v. 39076 : « Q v. suimes (!) » (ContPerc3R, p. 229 ; où Q = BnF, fr. 1429), deux variantes du Pèlerinage de l’âme de Guillaume de Digulleville (c. 1355-1358) (GUILL. DIGULL., Pèler. âme S., v. 355 et 4766) et deux variantes du Curial d’Alain Chartier (Curial H., p. 39 (var. de R à p. 19, l. 4) et p. 44 (var. de R à p. 27, l. 5 et 8)). 46 La forme suymes (ou suimes) apparaît dans plusieurs pièces du Cartulaire de Vitré (1269-1339) (BullCHAM 12 (1896), p. 72, 73, 74, 103, 195, 203, 226, 227, 232, 233, 235, 317, 318, 333), dans deux pièces des Archives départementales de la Loire-Inférieure relatives à deux communes du Morbihan, Rieux (1282) et Ploërmel (1289) (Rosenzweig 1895, p. 318 et 348), dans un document relatif à la commune de Thibouville (Eure) (MémSAN 15 (1846), p. 265b), dans des pièces poitevines de 1326 (Blanchard 1899, t. 2, p. 285) et de 1332 (p. 513), dans une lettre de Louis XI signée à Tours par son secrétaire L. Tyndo (1479) (AHPoit 1 (1872), p. 184), dans un document de 1479 relatif à Saint-Quentin-sur-le-Homme (Manche) (SALSAAM 2 (1859), p. 548, 549, 550), dans une lettre signée à Angers par Jean Robineau, notaire et secrétaire du roi (1488) (La Trémoille 1875, p. 137). 47 Hors de l’Ouest, nous relevons suymes dans un texte de Pierre de La Cépède, originaire de Marseille (Terrebasse 1835, p. LVIIIv°, texte du ms. BnF, fr. 1479).

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Poitou, l’Aunis et la Normandie (Gdf 1, 436b) et que les locutions estre d’assent et estre d’assent de + inf. “se mettre d’accord pour” sont bien représentées dans la partie occidentale du domaine d’oïl (FEW 25, 520a ; voir aussi Gdf 1, 436a, et DMF2012, s. v. assens, qui citent ChronGuesclF, v. 4141), le FEW relève à Loches (Indre-et-Loire) la locution être bain d’assent que “donner son consentement à ce que” (FEW 25, 520a). Nous relevons par ailleurs estre d’un commun assent que + ind. dans Le Débat des Deux Fortunés d’Amours d’Alain Chartier (R 15 (1886), p. 612), qui est né à Bayeux à la fin du XIVe siècle, et estre d’assent que + subj. dans des documents relatifs à Saint-Jean-d’Angély (Charente-Maritime) 48. La construction de la locution estre d’assent que paraît caractéristique de l’Ouest et de la Normandie. [loc. : Ouest et Normandie] • Emploi de quel en tournure comparative négative : Prince, jamais n’auray de ses ribaux / foulx chrestiens mercy quel d’un vueil chien 2582-2583, Puissance n’ont quel une pierre 6916, Vertu ne force / n’ont ne ne pourroient avoir / quelle une escorce 6933-6935, Il ne parle quel une souche 11712. — Le mot quel est employé à quatre reprises dans une tournure comparative négative du type ne… quel immédiatement suivie du terme comparant et comprise au sens de “ne… pas plus que, ne… pas davantage que”. Elle est relevée par M. K. Pope (AngDialGregP, p. 73-75 ; voir aussi Ménard 1994, p. 342, et Buridant, p. 649-650). D’après le corpus réuni, la localisation occidentale de cette construction paraît indiscutable. Les ouvrages cités fournissent plusieurs extraits empruntés à La Vie de saint Grégoire le Grand de frère Angier, à la Chronique des ducs de Normandie de Benoît, aux Miracles de Nostre Dame de Chartres de Jehan Le Marchant, au Livre des manières d’Étienne de Fougères et à La Passion sainte Catherine, poème poitevin du XIIIe siècle (ca. 1230) composé par Aumeric, probablement moine au monastère de Saint-Michel-en-L’Herm 49. À ces textes, nous ajoutons deux exemples relevés dans Le Mystère de sainte Barbe en cinq journées (BarbeK, v. 3429 et 3491). Enfin, la présence de cette construction dans Le Roman de la Rose étend l’aire de localisation à l’Orléanais. Tandis que l’analyse de cette

Dans des documents de 1379 (Saudau 1886, p. 75), de 1384 (Saudau 1886, p. 80) et de 1396 (AHSA 26 (1897), p. 12 ; voir aussi p. 14). 49 Dans son édition (SCathAumN), Olivier Naudeau situe la langue du texte dans le Sud-Ouest (Aunis, Haut-Limousin). 48

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construction demeure incertaine, il ne fait aucun doute que son emploi fournit un précieux indice pour la localisation occidentale de SV. [loc. : Ouest et Orléanais]

4. Étude des traits lexicaux Une dizaine de mots relève d’une aire occidentale comprise au sens large. Ceux-ci recouvrent globalement le bloc Nord-Ouest / Sud-Ouest : corbin, macre, pianche (peut-être avec une aire méridionale), pochee, repucer. Certains de ces occidentalismes étendent leur aire : – à la Normandie (ou à la Basse-Normandie) : dabte (avec une représentation dans le Sud-Ouest limitée au Poitou), estamau, natre, o, – à la Normandie, au Centre, à la Champagne, à la Bourgogne, au domaine francoprovençal et au sud-est du domaine d’oc : plumer, – à la Normandie et au domaine d’oc : desplacer, fouillouse – ou au domaine d’oc : pianche (quoique cette extension soit discutable).

Quelques mots relèvent spécifiquement du domaine normand ou de la Basse-Normandie, avec une éventuelle extension au domaine anglo-normand : ambicieux, desgailler, (?) empris, (?) guygne. Une quinzaine d’items est caractéristique d’une zone occidentale, à l’intérieur de laquelle ceux-ci peuvent relever d’une aire plus circonscrite : –

du Nord-Ouest : clavereul, ebelucer, mesloyer, poussé, (> Bretagne romane) (?) consulle, corporaille, gris, herme, (> Maine et Anjou) corbeau, (> Anjou) esgras, gruesche, lechecu,

– du Nord-Ouest et Sud-Ouest : (> Ille-et-Vilaine, Maine, Anjou et Poitou) enbasmer, –

du Sud-Ouest : (> Poitou) miterons, (> Saintonge) saugrené.

L’aire de localisation d’une douzaine d’items se trouve à cheval sur une partie du Nord-Ouest et un domaine périphérique occidental : – soit sur la Bretagne romane et la Normandie (ou la Basse-Normandie) : savance, sus (dans l’expression estre sus bout), – soit sur la partie méridionale du Nord-Ouest (Loire-Atlantique et l’Anjou) et la Basse-Normandie : enmanché, – soit sur la partie orientale du Nord-Ouest (le Maine, l’Anjou et la Touraine) et la Normandie : brucher, embasté, veson,

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– soit sur la partie orientale du Nord-Ouest (le Maine et l’Anjou) et le Sud-Ouest (ou le Poitou) : bourré, diffamer, moret, – soit sur la Touraine et le Centre : (?) abillee, – soit sur la Touraine et le Centre et la Saintonge : batable.

Plusieurs items sont caractéristiques d’une partie plus ou moins circonscrite du bloc Nord-Ouest / Sud-Ouest et connaissent également un ancrage dans une autre partie de la Galloromania : – – – – – – –

dans le Nord-Ouest et le domaine provençal : debas, dans le Maine, la Normandie et la Picardie : renchiere, dans l’Anjou et la Moselle : touzer, dans (?) l’Anjou, la Saintonge et le domaine méridional : putonnier, dans la Normandie, le Nord-Ouest, le Poitou et le domaine d’oc : si que non, dans le Sud-Ouest et le domaine provençal : (?) divinal, dans le Sud-Ouest et les domaines provençal et francoprovençal : (?) desdire.

Rares sont les formes régionales relevées dans SV dont l’aire de localisation ne recoupe pas au moins partiellement la Normandie, le Nord-Ouest ou le Sud-Ouest. À côté de gode qui nous conduit vers le sud de la Galloromania (du Bourbonnais au Languedoc), le substantif imperaulté et le verbe jurier semblent nous orienter d’une façon mal assurée vers l’est de la Galloromania. Pour des raisons diverses, les études menées sur les mots becu, bouller, boutin, coquibus, eschaufourré, gaulle, grousser, hongner, ost, pion, poy, poue, serre et yvresse conduisent à ne pas tenir compte de ces items ou, du moins, à mettre de côté les conclusions auxquelles nous avons pu parvenir. • abillee, p. pa. f. de habiller, “préparée, apprêtée”, 6268, 12191 : (un diable fait le serment que Valérien et Vincent) prendront la loy sarrazine / ou si que non que leur cuisine / sera laidement abillee. 6266-6268, et t’enquiers (…) / si la herce qu’ay commandee / au chartrenier est abillee. 12189-12191. — Avec le sens spécifique de “préparer (d’une activité ménagère quelconque)”, le verbe abiller est étudié par Y. Greub qui conclut que « la Normandie et la partie la plus occidentale du domaine d’oïl semblent exclues » et fait l’hypothèse « que l’unité lexico-sémantique est spécifique diatopiquement du Centre, de la Touraine (et du Perche) au Berry » (GreubRég, p. 59). Le second exemple relevé dans SV est écarté, parce qu’il peut être rapproché des attestations exclues par Y. Greub, où abiller désigne l’action de préparer au moyen de garniture ou d’adjonction. En revanche, dans le premier exemple de SV, l’emploi du verbe, appliqué à la cuisine diabolique, correspond aux exemples fournis par Y. Greub, notamment pour abiller à boire et abiller à qqn son disgner. Toutefois, plusieurs exemples

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du DMF2012 appliqués spécifiquement au domaine culinaire sont classés avec le sens de “préparer, garnir qqch (pour le mettre en état ou pour l’orner)”, qui est écarté par Y. Greub. Parmi les textes cités, nous relevons les Matines de la Vierge de Martial d’Auvergne (qui naît et vit à Paris), Les Facéties de Poge, texte traduit par Guillaume Tardif (né au Puy-en-Velay et précepteur du futur Charles VIII), et Les Cent Nouvelles nouvelles, texte produit dans l’entourage du duc de Bourgogne Philippe le Bon, qui réside surtout dans la partie septentrionale de ses états à cette époque (DLFr, p. 228a-230a). Ainsi, avec G. Roques qui juge cet item incertain (Roques 2008, p. 79), nous retiendrons que l’orientation régionale suggérée par l’emploi du verbe ne peut être considérée qu’à titre indicatif. Remarque contextuelle : la première occurrence du participe passé abillee est employée dans la même phrase que la locution adverbiale si que non dont le caractère régional est discuté (voir infra). [loc. : (?) Touraine, Centre] • ambicieux, adj., “rancunier, entêté”, 9250, “fier, entêté”, 10864 : (Vincent reproche à Dacien son entêtement :) Ta parolle malicieuse / ne ta fierté ambicieuse / ne t’y vallent rien 9249-9251, (la femme de Dacien explique la métamorphose de son état moral :) J’ay bel atrait et chiere precieuse / pour rude acueil, fier et ambicieux 10863-10864. — Avec le sens de “rancunier, fier, entêté”, l’adjectif est caractéristique du domaine normand (FEW 24, 403a). [loc. : Normandie] • batable, adj., “qui mérite d’être battu”, 8359, 13817 : Ilz sont batables comme plastre. 8359, Pensons de nous y excercer / et d’y lier ce gars follastre / qui est batable comme plastre. 13815-13817. — L’adjectif est fréquemment attesté au sens de “qui peut être battu, susceptible d’être battu” (Gdf 1, 596b) ou plus précisément “que l’on peut soumettre au tir de l’artillerie” (DMF2012). Car, dans tous les exemples fournis 50, l’adjectif qualifie une ville qui peut être assiégée avec des chances d’être battue. Dans SV où batable comme plastre est directement inspiré de battre comme plastre (DiStefLoc, 697a), l’adjectif a précisément le sens de “qui mérite d’être Y compris dans les deux passages extraits par Godefroy d’une lettre d’Antoine Perrenot de Granvelle (Weiss 1844, p. 514), qui oriente peut-être vers la partie orientale du domaine d’oïl où a vécu l’auteur, et au texte de Pierre Charron, De la Sagesse (livre III, chap. XX) (De la Sagesse, Bordeaux, 1601, consulté dans sa version numérisée sur Gallica, p. 705). Dans ce dernier exemple, l’adjectif est employé dans une métaphore filée où la place forte représente l’homme de bien.

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battu (ou frappé)”. Dans cette acception, l’adjectif est caractéristique du Centre et de la Saintonge (FEW 1, 292a). Huguet relève cependant un exemple de l’adjectif avec le même sens dans Le Moyen de Parvenir (1617) de Béroalde de Verville (1556-1626) qui est né à Paris et qui écrit et passe la fin de sa vie à Tours (Hu 1, 514a). [loc. : Saintonge, Touraine et Centre] • becu, adj. m., “qui présente un défaut de dentition”, 7529 : Ce vueil vueillart usé becu / c’om appelle Valerien 7529-7530. — D’une manière encore incertaine, car les attestations avec ce sens sont trop peu nombreuses (FEW 1, 304b-305c), les données orientent « vers l’Ouest au sens large (de la Normandie au Centre) » (GreubRég, p. 76 ; voir aussi GreubRég, p. 296-297). Dans les exemples relevés par Godefroy, becu est plusieurs fois coordonné à l’adjectif camus et est donné avec le sens de “qui a le nez aquilin et tirant sur la forme d’un bec d’oiseau” (Gdf 1, 608b). Le mot est encore relevé avec ce sens par P. Ménard dans plusieurs textes (Ménard 1980, notamment p. 237). Relevé dans une pièce de François Briand (HistBriandC, p. 28), l’adjectif substantivé béchu est compris par H. Chardon avec le sens proposé par Godefroy, mais rien ne permet de confirmer cette analyse dans ce texte manceau. De même, l’emploi du mot dans le sobriquet Martin le becu dans la farce intitulée Les deux maris et leurs deux femmes reste sémantiquement trop imprécis pour pouvoir être exploité 51. Dans SV, on sait que Valérien estoit de la langue empesché 79, mais, le mot étant employé comme une injure, rien ne nous permet d’affirmer qu’il est fait référence ici à la bouche du personnage plutôt qu’à son nez. Il est donc préférable d’écarter cet item pour la localisation du texte. • bouller, v. tr., “pousser, faire rouler (un bateau pour le mettre à l’eau)”, 14765’ : Ilz boullent le challon. 14765’. — L’emploi du verbe bouller dans SV doit être rapproché d’un extrait du Livre de la vertu du sacrement de mariage (c. 1384-1389) de Philippe de Mézières : (…) vent septentrionnal ne fortune boulant la precieuse nacelle (DMF2012). Le dictionnaire propose le sens de “ballotter, secouer”, mais le sens retenu ici conviendrait. Alors que cet exemple oriente vers la Picardie, les sens de “rouler, charrier en roulant”, “(faire) rouler” et “pousser de côté” sont localisés par le FEW dans la Basse-Normandie (FEW 1, 610b). Les exemples cités par Godefroy proposent rarement un emploi figuré du verbe, hormis ceux empruntés à 51

Voir TissierFarces6, v. 564, et la note correspondante où A. Tissier précise que la tournure est employée pour désigner un mari trompé. Sans discuter l’emploi du mot becu, Y. Greub localise cette farce dans le nord de la Normandie (GreubRég, p. 251252).

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Pierre de Ronsard et Robert Garnier où on retrouve le sens de “rouler, précipiter comme une boule” (Gdf 1, 701b). La documentation ne permet pas de garantir la valeur régionale du verbe dans cet emploi. Remarque contextuelle : le mot apparaît dans une brève indication scénique attribuée au remanieur, où se trouve aussi le substantif challon dont le caractère régional est discuté (voir supra). • bourré, s. m., estre au bourré, “se reposer, être couché sur une litière”, 3600 : Tu as mestier d’estre au bourré ! / Te fault il dormir au souleil ? 36003601. — Alors que le féminin bourrée “fagot de menues branches” est communément attesté (DMF2012, s. v. bourrée 1 ; GdfC 9, 357b), le masculin bourré n’est relevé que dans une occurrence avec le même sens (Gdf 1, 707b ; DMF2012, s. v. bourré). Dans SV, le personnage interrogé est cousché sur terre 3596’. En l’occurrence, le sens requis est celui de “litière”, attesté pour le féminin bourrée en Anjou et dans le Poitou (FEW 1, 644a ; Verrier/Onillon 1, 128b). La masculinisation de bourrée peut être liée à la présence du mot à la rime avec l’adjectif eschauffouré 3599. Remarque contextuelle : le mot est employé à la rime avec eschauffouré dont le caractère régional est discuté (voir infra). [loc. : Anjou et Poitou] • boutin, s. m., estre a boutin, “mettre en commun l’argent obtenu”, 4251 : Veulx tu qu’a boutin nous soion, / sans que façons extorsion / de ce qu’on nous pourra donner ? 4251-4253. — La locution a boutin “en commun” est caractéristique du Poitou (FEW 15-1, 212b) 52. Mais elle doit certainement être rapprochée de la locution usuelle à butin “en partageant ce que l’on a pris” (DMF2012, s. v. butin ; voir aussi TL 1, 1211, GdfC 8, 399b, et Hu 2, 33a-b pour d’autres expressions similaires) qu’il convient de rattacher à l’étymon bûte (FEW 15-1, 33b, n. 2). Les exemples fournis renvoient sans distinction particulière au domaine d’oïl. Ainsi, contrairement à ce que laissent présumer les premières informations fournies par le FEW, il est peu probable que le mot boutin doive être considéré comme un régionalisme poitevin. Cet item sera donc écarté au moment de conclure. • brucher, v. tr., “faire tomber, pousser”, 7604’ : Il les bruche en la basse fousse 7604’. — Le verbe brucher est relevé par le FEW avec le sens de “broncher” dans la région du Havre et en bas-manceau (FEW 1, 565a) et celui de “broncher, trébucher” dans l’Orne (FEW 15-2, 5b). Dans SV, le Le mot est relevé avec la même graphie dans PacJobM, v. 2702, 3568, 3595, et Herbin 1995, p. 7, l. /31, texte du XVe siècle dont la langue « est celle de l’Ouest du domaine d’oïl et, très vraisemblablement, du Centre Ouest » (p. XXIV).

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verbe acquiert une valeur factitive. Si l’étymologie du mot paraît incertaine, son rattachement au domaine normand et plus particulièrement à la Haute-Normandie est assuré (Decorde, 36b). L’implantation du mot dans le Bas-Maine est confirmée par Dottin (Dottin, 95b). [loc. : Normandie et Maine] • clavereul, clavereux, s. m., “grande vrille pour percer le bois, tarière”, 12060, 12165. — Le mot est caractéristique du Nord-Ouest (FEW 2, 769b). Relevé par Verrier et Onillon avec les sens de “vrille à cuiller, sorte de perçage” et “tarière” (Verrier/Onillon 1, 208b), il apparaît encore dans une traduction anonyme du traité De regimine principum (1279) de Gilles de Romes (Gdf 2, 149b), exécutée à Vannes en 1444 à la demande du comte de Laval (= GouvRoisArs), et dans un document angevin de 1450 (BeautBeaup, 2e partie, t. 4, p. 157). Ces occurrences confirment une localisation du mot dans le Nord-Ouest. [loc. : Nord-Ouest] • consulle, s. m., “conseil, assemblée de personnes qui délibèrent”, 1162 : Partons avant que l’empereur, / noustre frere, soit ou consulle. 1161-1162. — Alors que le substantif masculin consule est rare, mais attesté pour désigner un magistrat romain (DMF2012, s. v. consul), le contexte permet d’établir que consulle désigne ici le conseil des sénateurs de Rome. Toutefois, le mot n’est pas signalé dans les dictionnaires consultés parmi les formes issues du lat. concĭlium, hormis par le FEW : « Entlehnt bret. kuzul ,,rat“ » (FEW 2, 1072). L’emploi de cette forme nous oriente donc vers la Bretagne, mais l’absence de documentation complémentaire et le fait que le mot soit placé à la rime avec nulle 1163 ne permettent pas de garantir cette localisation. [loc. : (?) Bretagne romane] • coquibus, s. m., “niais, nigaud, imbécile”, 7276, 9568, 9666, 11798, 12496. — Le substantif coquibus est étudié par Y. Greub qui conclut qu’« [a]u 15e et au début du 16 e s., le mot semble nettement picard », mais que « [c]e critère ne peut être utilisé pour la localisation qu’avec prudence » (Greub­ Rég, p. 104). Les remarques formulées par T. Matsumura font apparaître d’autres attestations (Matsumura 2004, p. 605 et 617), parmi lesquelles celle du v. 6566 du Champion des dames de Martin Le Franc, qui contient notamment plusieurs occidentalismes (Matsumura 1999, p. 608-609). Associée à la moralité normande que signale Y. Greub 53, cette référence 53

« Moralité des blasphémateurs du nom de Dieu [normande] » (GreubRég, p. 104).

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atteste bien de la présence de coquibus en Normandie. À défaut d’amener à une localisation occidentale (ou normande) du substantif, ces remarques démontrent que la localisation picarde du mot est contestable et que son emploi n’est pas improbable dans l’aire de localisation recherchée. • corbeau, s. m., “bout de rondin incomplètement carbonisé”, 11706 : (alors que les bourreaux s’évertuent à souffler sur le tapis de braises où est couché Vincent, l’un d’eux s’exclame :) Helas, si nous eussons emblé / ung sac de corbeau seullement, / croiez de vroy certainement / que nous eusson esté reffaiz ! 11705-11708. — Le mot corbeau relevé avec le sens retenu est propre à la langue des charbonniers (Verrier/Onillon 1, 225b). Dottin relève à Montourtier, dans l’actuel département de la Mayenne, le même mot avec le sens de “branche de bois sèche ou morte dans un arbre” (Dottin, 299a). Ce sens pourrait aussi convenir. [loc. : Anjou et Maine] • corbin, s. m., “corbeau”, 11290, 14453, 14454, 14474, 14475, 14481, 14492, 14509, 14510, 14515, 14521, 14537, 14540, 14551, 14561, 14566. — Le type en -in est caractéristique de l’aire occidentale du domaine d’oïl (GreubRég, p. 104, Matsumura 2004, p. 600, Chambon 1999, p. 263-264). Remarque contextuelle : une occurrence du mot est employée comme sujet du verbe desgailler dont le caractère régional est discuté (voir infra). [loc. : Ouest] • corporaille, s. f., “carcasse, cage thoracique”, 9128, 13883 : Desrompez luy la corporaille / et soit paigné par telle voye / que trippes et boyaux on voye ! 9128-9130, Persez luy boyaulx et ventraille / bien tost, sans que plus on arreste, / poictrine, faye et corporaille, car ce n’est q’un foul deshonneste. 13881-13884. — Le substantif corporaille est caractéristique de la région de Bain (Ille-et-Vilaine, Redon) avec le sens de “carcasse” (FEW 2, 1216b) 54. Le mot est signalé par Coulabin au sens de “tripe, tripaille” dans un exemple où celui de “carcasse” conviendrait davantage (Coulabin, 99). Le mot est encore employé par Paul Féval, qui est né et a fait ses études à Rennes (Féval 1867, p. 126). Dans SV , le mot désigne donc par métaphore une partie du corps de Vincent, correspondant à la cage thoracique. [loc. : Ille-et-Vilaine]

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Le FEW renvoie de manière erronée à RTrP 1, p. 232. On y lit en fait, à propos d’un poulet : « j’ai mangé les douz’ailes, les dou quesses et la corporaille », une note précisant que la corporaille désigne la carcasse du poulet.

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• dabte, s. m., “urine”, 12075 : (la femme du geôlier annonce qu’elle ajoutera de son urine dans un mélange qu’elle doit préparer :) Il ne sentira point eau rouse / et y mectray bien autre chose. / Destrempé sera de mon dabte. 12073-12705. — Le mot est déjà attesté en anglo-normand et normand (XIIe et XIIIe s.) (Gdf 2, 423c ; ANDi, s. v. date 3 ; TL 2, 1198 ; FEW 21, 318b). Godefroy relève deux exemples plus tardifs dans le Passe temps de tout homme et de toute femme (1480) de Guillaume Alexis, originaire de l’Eure, et dans Les Serees (1584) de Guillaume Bouchet, juge et consul à Poitiers. Il ajoute que le mot se trouve dans le patois du Bessin (Gdf 2, 423c) et le FEW définit une aire qui englobe la Normandie, le Nord-Ouest et la région poitevine (FEW 21, 318b ; voir aussi Coulabin, 117, et Dottin, 133b). Remarque contextuelle : dans l’entourage du mot se trouvent plusieurs occur­ rences du substantif moret dont le caractère régional est discuté (voir infra). [loc. : Normandie (> Manche, Calvados, Orne), Nord-Ouest et Poitou] • debas, adv., “en bas”, 14796 : (Dieu s’adresse à l’archange Gabriel :) Gabriel, allez nunciez / la debas a une matronne 14795-14796. — L’adverbe debas est caractéristique du Nord-Ouest (FEW 1, 275a ; voir aussi Verrier/ Onillon 1, 262a, Montesson, 196, et Dottin, 134a). Mais il est aussi attesté dans la région provençale (FEW 1, 275a). [loc. : Nord-Ouest et domaine provençal] • desdire, v. tr., “contredire, s’opposer à”, 1104, 1559, 1866, 3427, 3542, 3569, 6318, 9403, 9982, 10483, 11578. — Alors que le sens est usuel en ancien français, il devient rare au XVe siècle et « n’est attesté dans les patois modernes que dans le domaine occitan et en Saintonge (…). Le sens est limité à une aire méridionale, sans qu’on puisse préciser plus, et au sens large : régions de langue d’oc, région francoprovençalisante, Saintonge, Poitou » (GreubRég, p. 114). Mais, relevant plusieurs autres attestations 55, T. Matsumura invite à repenser cette analyse (Matsumura 2004, p. 617). Cet item ne sera donc envisagé qu’à titre indicatif. [loc. : (?) Sud-Ouest, domaines d’oc et francoprovençal] • desgailler, v. pr., “s’amuser, s’en donner à cœur joie”, 14492 : (un bourreau regarde un corbeau défendre le corps de Vincent :) Venez veoirs une grant bataille, / comme ce corbin se desgaille / seul contre ses autres oayseaulx ! 14491-14493. — À côté d’emplois non pronominaux du verbe (Gdf 2, 591b ; 55

Voir aussi BarbeK, v. 2271, et LivreCœurB, v. 103 et 740.

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FEW 16, 7b), le FEW relève se dégallíei “s’égayer” en Normandie (FEW 16, 8b). Remarque contextuelle : le verbe a pour sujet le substantif corbin dont le caractère régional est discuté (voir supra). [loc. : Normandie (> Manche)] • desplacer, v. intr., “s’en aller, quitter un lieu, partir d’un endroit”, 1675, 2171 : (…), ains que je desplace / ne vous aussi, parler vueil face a face / avecques vous (…) 1675-1677, Il est ceson que l’on desplace. / Le sejournez rien ne nous fait. 2171-2172. — L’analyse porte sur les emplois transitifs du verbe avec le sens de “s’en aller, quitter un lieu, partir d’un endroit”. Relevé dans Colin, fils de Thévot le maire, le verbe est analysé comme « un occidentalisme d’aire large (Paris et Normandie compris, de même que l’Ouest occitan) » (GreubRég, p. 280). Il apparaît encore dans le Mystère de saint Louis de Pierre Gringore (Montaiglon/Rothschild 1877, p. 129, v. 2855), né vers 1475, probablement en Normandie (DLFr, p. 1418a), Le Mistère du Viel Testament (Rothschild 1882, v. 30861), Le Mystère de Judith et Holofernés (MystJudHolR, v. 187, 251, 679) et La Vie de Sainct Christofle (SChristofleS, v. 372, 1462, 2913). La présence du verbe desplacer avec le sens retenu dans le texte de Chevalet incite à élargir la délimitation de l’aire occidentale envisagée. [loc. : Normandie, Ouest et (?) domaine occitan] • diffamer, v. tr., “blesser, défigurer”, 14506 : (un bourreau à propos du corps de Vincent qu’un loup est sur le point de manger :) Il sera de luy diffamé, / certes, s’il y peut acrocher. 14506-14507. — Le verbe diffamer est commun en moyen français avec le sens de “porter atteinte à l’image, à la réputation de qqn” (DMF2012 ; GdfC 9, 380a-b), mais le passage au sens figuré “blesser physiquement, défigurer” est caractéristique de l’Ouest. Dans SV, Grimaut et Heurtaut espèrent qu’un loup derompra le pelisson 14504 du martyr et, ce faisant, qu’[i]l sera de lui diffamé 14506. En l’occurrence, l’emploi du sens régional paraît assuré. Cette acception est relevée en Anjou, dans le Maine et le Poitou (FEW 3, 73a ; Verrier/Onillon 1, 292b-293a ; Montesson, 210 ; Dottin, 157b). Alors que ce sens disparaît au XVIe siècle (Brunot 1906, p. 188), Huguet le signale encore dans un Adieu fait à la ville de Bloys (Montaiglon 1857, p. 219), chez François Béroalde de Verville, Vauquelin de La Fresnaye, Nicolas de Troyes 56, Agrippa d’Aubigné et Ronsard, qui 56

Voir NicTroyK, p. 168, l. 72, p. 248, l. 75, p. 249, l. 105, p. 292, l. 1174, avec le sens de “blesser, meurtrir” (NicTroyK, p. 326).

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emploie quelques régionalismes, mais aussi chez Jacques Amyot, Roger de Collerye et Claude Fauchet (Hu 3, 176b). [loc. : Maine, Anjou et Sud-Ouest] • divinal, adj., “divin”, 1753, 7039 : Ung tas de faulx trompeurs acornardiz, / oultrecuidez, meschans et enrudiz / vont desprisant le pouoir divinal / de toutz noz dieux, 1751-1754, vecy les dieux en qui je croy / et deesses (…), / regnans es cieulx en divinal aroy, 7037-7039. — L’adjectif divinal est relevé en ancien occitan (FEW 3, 109a). Dans le domaine septentrional, Godefroy le signale dans Le Livre des saincts anges (1478) de François Eximines (ou Ximénès), qui oriente vers le domaine catalan, et, à plusieurs reprises, dans les Epistres morales et familieres du Traverseur (1545) de Jean Bouchet, né à Poitiers en 1476 (Gdf 2, 700a-b ; voir aussi Hu 3, 232a). Le DMF2012 relève encore une occurrence dans un document poitevin (DMF2012, s. v. devinal). Quoique limitée, la documentation recueillie favorise une localisation dans le Sud-Ouest et le domaine provençal. Cette conclusion est cependant fragilisée par l’emploi du syntagme office divinal dans le Roman de Cardenois (Est, 3e tiers du XIVe s.) (CardenoisC, p. 88, l. 3). [loc. : (?) Sud-Ouest et domaine provençal] • embasté, p. pa. de [embaster] employé comme adj., “qui est dans une situation désagréable, mal loti”, 7440 : Aussi j’ay cousché embasté / et me suys toute nuyt graté / tant suys rongneux, plain de cyrons / et tout mengé de miterons. 7440-7443. — Un exemple fourni par Verrier et Onillon correspond à l’emploi du mot dans SV (Verrier/Onillon 1, 327a). Sans doute faut-il rapprocher le verbe du normand « s’embâter ,,s’empêtrer“ » (FEW 1, 280a). Les dictionnaires consultés renvoient à l’Anjou et à la Normandie. Toutefois, le syntagme relevé dans SV apparaît dans la farce des Femmes qui font baster leurs maris aux corneilles (Paris, 2e décennie du XVIe s.) (Koopmans 2011, p. 420a, v. 302-306) et le mot se trouve dans La Joueuse dupée ou l’intrigue des Académies (1664) de Jean de la Forge (Fournel 1967, p. 310). Il est encore enregistré au XVIIIe siècle avec le même sens dans les dictionnaires de Richelet (Rich 1732, t. 1, p. 588a) et de l’Académie (Ac 1762, t. 1, p. 603b) comme un terme familier. Le mot semble donc se spécialiser hors de son domaine d’origine dans le registre familier du théâtre comique. Remarque contextuelle : dans l’entourage immédiat de cette seule occurrence du mot se trouve le mot miterons dont le caractère régional est discuté (voir infra). [loc. : Anjou et Normandie]

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• empris, s. m., “entreprise, action”, 60 : (à propos de la représentation théâtrale, dans le prologue :) ains que noustre empris cesse 60. — À côté de emprises “entreprises, actions hostiles” 277, le substantif empris n’apparaît qu’une fois dans SV. La position du mot dans ce décasyllabe et le compte des syllabes garantissent que l’absence d’un e final ne résulte pas de l’inattention du copiste. Le substantif masculin empris est signalé par Godefroy avec le sens de “prise, entrée en possession ?” (Gdf 3, 75a, s. v. empris 1) au f. 71r° du ms. BnF, fr. 1978 (XIVe s.), qui contient La Regle de l’Hospital de Saint Johan de Jherusalem, que le DEAF ne localise pas (= RègleHospPrD). Mais, dans cet extrait, empris pourrait être compris au sens de “entreprise, action”. Godefroy relève encore le substantif masculin empris “associé”, avec un exemple emprunté à Guillaume de Tyr (Gdf 3, 75a, s. v. empris 2). Le mot est relevé par le FEW avec le sens de “allié” chez Benoît de Sainte-Maure (Touraine, XIIe s.) et celui de “celui qui prend part à un complot” dans l’Histoire de Guillaume le Maréchal, texte normand de la 1re moitié du XIIIe siècle (FEW 4, 602a). Le DMF2012 signale empris “entreprise” dans un extrait de La Vie du Prince noir (1385) de Héraut Chandos 57, ainsi que sous la plume de Georges Chastellain, originaire des Flandres. Enfin, le substantif empris “entreprise” est relevé dans La deuxième collection anglo-normande des Miracles de la Sainte Vierge NostreDame (AND2i, s. v. emprise). À l’exception d’un exemple plus tardif qui nous conduit vers le Nord 58, les exemples rencontrés du substantif empris avec le sens relevé dans SV orientent globalement vers les domaines normand et anglo-normand 59, où la chute du e final est fréquente. [loc. : (?) Normandie et domaine anglo-normand] • enbasmer, v. pr., “s’endormir”, 12618 : (Dieu s’adresse à ses anges qu’il envoie auprès de Vincent pour le réconforter :) Prenez force de violectes, / de rouses et aussi de palme, / car je vieulx que Vincent s’enbasme / et qu’il sente l’odourement / de mon tresdoulx avenement, 12616-12620. — Tandis que le contexte immédiat du verbe inciterait à comprendre enbasmer dans une acception plus ou moins liée au sens moderne de “sentir bon”, aucun des dictionnaires consultés ne relève le verbe en tournure pronominale avec un sens approchant. Une analyse plus large de la scène laisse Alors que l’auteur est du Hainaut, le copiste est anglais. Voir Françon 1934, p. 108. 59 Voir aussi LångforsInc, p. 76, dans un extrait de « Londres, Mus. Brit., Lansd. 397, f° 10v° », et ChronGuesclF, t. 2, p. 172, var. des ms. E et F au v. 864, où T. Matsumura relève estre de grant empris qu’il propose de gloser par “entreprendre quelque chose de grand (?)” (RLiR 57 (1993), p. 315). 57

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supposer que la descente des anges auprès de Vincent a lieu pendant que ce dernier est assoupi. Avec le sens de “s’endormir”, le verbe enbasmer est caractéristique du Nord-Ouest et du Poitou (FEW 1, 226a). Verrier et Onillon ne signalent que le participe passé embâmé dans l’expression citée dans le FEW (Verrier/Onillon 1, 326b) 60. Remarque contextuelle : le verbe est employé dans le même vers que la forme vieulx (IP1 de vouloir) dont le caractère régional est discuté (voir supra). [loc. : Nord-Ouest (> Ille-et-Vilaine, Maine, Anjou) et Poitou] • enmanché, p. pa. de [enmancher], “habillé, accoutré”, 7470 : (acceptant enfin de se lever pour obéir à son maître, un serviteur se plaint de sa condition :) De moy lever je suys d’acort. / A, que je suys lasche enmanché ! “Ah, je suis accoutré d’habits trop larges !” 7469-7470. — Le sens usuel de “pourvu d’un manche” ne convient pas. Le verbe emmancher est signalé avec le sens de “endosser un vêtement à manches” dans la région nantaise (FEW 6-1, 211b) et celui de “mettre, arranger, ajuster” dans la région angevine (Verrier/Onillon 1, 331a). Huguet signale un emploi du mot au sens de “ayant des manches” chez Agrippa d’Aubigné (1552-1630), originaire de la Saintonge (Hu 3, 347a, s. v. emmanché 2) 61. Cotgrave relève le participe dans le syntagme lasche emmanché avec les sens de “lazie, idle, slothfull, weake, feeble, loosse ioynted, faint-hearted” (Cotgr 1611, p. 331a). Confirmant l’emploi du participe dans ce syntagme avec le sens retenu pour SV, Cotgrave souligne surtout l’ambiguité de cette tournure qui associe les deux sens de l’adjectif lasche, “lâche, couard” et “lâche, détendu”. Celle-ci apparaît d’ailleurs dans La farce de PatesOuaintes jouée à Caen en 1492, où l’un des fils de La Mère est appelé Lache-enmanché. Si celui-ci fait preuve de couardise, c’est bien à son allure que La Mère le reconnaît (Bonnin 1843, p. 5-6). Dans SV, le serviteur ne fait certainement pas l’aveu de sa paresse, alors que son maître désespère de le réveiller. Cet aveu-là n’est adressé qu’aux spectateurs grâce Au XVIe siècle, le verbe semble utilisé avec le même sens par le poète parisien Guillaume Crétin (Chesney 1932, p. 268, v. 24) ; il est encore employé dans la région de Tours par Philippe Prévost dans un poème où il paraît avoir le sens de “s’enivrer” (Clerici Balmas 2004, p. 63). 61 Dans une autre entrée, Huguet relève emmanché en indiquant simplement que le terme est « employé dans un sens libre » (Hu 3, 347a, s. v. emmanché 1). Mais l’exemple emprunté à Nicolas de Troyes ne peut être rapproché de celui de SV, car le participe passé y a le sens de “bien membré” (voir NicTroyK, p. 182, l. 9, et l’entrée au glossaire, p. 328, qui donne “avoir un beau membre”, ainsi que Bilder 2002, p. 226). 60

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à l’ambiguité de la tournure. À son maître, il se plaint plutôt de sa condition et plus précisément de sa tenue mal ajustée. Les sens requis pour la compréhension de ce passage sont relevés en BasseNormandie et dans le Sud-Ouest. Le sens signalé par Huguet dans le SudOuest paraît moins approprié. En conclusion, le sens retenu pour le mot dans SV paraît bien orienter vers la Basse-Normandie et le Nord-Ouest. [loc. : Basse-Normandie et Nord-Ouest (> Loire-Atlantique, Anjou)] • eschauffourré, adj., “animé, échauffé”, 3599 : Que fault il a ce vaillant sire ? / Comment il est eschaufourré ! 3598-3599. — Le verbe eschauffourer est attesté au sens de “effaroucher” (FEW 3, 909a), qui ne convient pas dans le passage. On relève par ailleurs achaforé “animé, échauffé” dans la région de Neufchâteau (ville francophone de la province de Luxembourg, Belgique) (FEW 3, 909a). Mais Huguet signale l’adjectif eschaufourré au sens de “extravagant, fou” dans la traduction d’Horace effectuée en 1549 par de François Habert, né à Issoudun (Indre) (Hu 3, 602a). Cette seconde attestation nous ramène avec un sens envisageable dans SV vers une aire périphérique du domaine de localisation du texte. La documentation reste trop ponctuelle pour être prise en compte. Remarque contextuelle : le mot est employé à la rime avec bourré dont le caractère régional est discuté (voir supra). • esgras, s. m., “verjus”, 4939 : Il (i.e. un pâté) est bon, car j’en ay tasté, / fait de pouletz et pigeons gras. / Dedans y a de bons esgras. 4937-4939. — Relevé par G. Roques dans la traduction du De viribus herbarum (RLiR 77 (2013), p. 585), esgras est caractéristique de l’Ouest et de l’Anjou (Gdf 1, 184c-185a, s. v. aigret 1 ; FEW 24, 96a, et 99a, n. 6 ; DMF2012). [loc. : Anjou] • estamau, s. m., “grand vase d’étain ou de métal précieux muni d’un couvercle et d’une ou deux anses”, 4093 : Et du vin cest estamau plain / voire fauldra, j’en suys certain. 4093-4094. — À côté de la forme estamoie, le mot se caractérise par sa finale en -al (ou -ail). Les dictionnaires consultés relèvent estamal dans un inventaire du duc de Normandie (1363) et un second de Charles VI (1420) (Gdf 3, 595b ; FEW 12, 227a), ainsi que dans L’ABC des doubles de Guillaume Alexis, originaire de l’Eure (FEW 12, 227a ; DMF2012). Le substantif est présenté par le FEW comme caractéristique de la Normandie et cette localisation est confirmée par une occurrence du mot dans un document normand de 1394 (Gay 1887-1928, t. 2, p. 129a). Toutefois, l’aire du mot semble devoir être étendue. En effet,

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alors que les deux exemples proposés par Godefroy apparaissent dans le Glossaire archéologique de V. Gay (Gay 1887-1928, t. 1, p. 667b), ils y sont suivis de deux autres exemples de 1421 et 1471 qui conduisent vers l’Anjou. Confirmée par d’autres documents (Moranvillé 1903, p. 392), cette localisation angevine peut-être étendue au Nord-Ouest 62, ainsi qu’au SudOuest 63. [loc. : Normandie, Nord-ouest, Sud-Ouest] • fouillouse, s. f., “petit sac, bourse”, 4199 : Las, je n’ay fourmé de monnoye ! / Fouillouse, tu es mal garnie ! 4198-4199. — Le substantif est relevé par le FEW avec le sens retenu (FEW 3, 666b-667a ; Hu 4, 182a). Le DMF2012 donne feullouse dans un extrait du Champion des dames de Martin Le Franc qui oriente sans doute vers la Normandie. Néanmoins, J.-P. Chambon précise que le mot est probablement d’origine occitane (RLiR 55 (1991), p. 552). Le FEW confirme largement la localisation régionale du mot dans l’aire méridionale. Ce relevé peut être complété par MystTroisDoms, v. 4008, 4987, et SChristofleS, v. 2359, 12040, dont la langue est localisée ou nous oriente vers le sud-est du domaine galloroman (RLiR 112 (2008), p. 276-277). Le mot est toutefois bien représenté dans la partie occidentale du domaine d’oïl et notamment dans l’aire de localisation de SV (FEW 3, 666b-667a). Remarque contextuelle : le mot se trouve dans l’entourage immédiat des substantifs herme et pion dont le caractère régional est discuté (voir infra). [loc. : Normandie, Ouest et domaine d’oc] • gaulle, s. f., coup de gaulle, “mauvais coup”, 3089 : (alors qu’il cherche son chemin et n’obtient aucune réponse d’un laboureur qui n’entend rien à ses questions, un messager s’écrie :) Quel coup de gaulle ! 3089. — Le sens de cette exclamation est déduit de deux expressions relevées par le FEW : donner un coup de gaule par sous l’huis “jouer un mauvais tour” et être mis à la gaule “en mauvaise situation” (FEW 17, 495b). La première tournure apparaît sous la plume de Noël du Fail (1520-1591), né à Saint-Erblon Le mot se trouve dans un document du Mans de 1491 (BullSASAS 38 (1901), p. 288), dans des documents nantais de 1465 (BullSAHNLA 3 (1863), p. 52) et de la 1re moitié du XVIe siècle (Granges de Surgères 1898, p. 323), dans un inventaire du château de Chinon (Indre-et-Loire) de 1519 (AHPoit 20 (1889), p. 317), dans des documents relatifs à la ville de Rennes (2e moitié du XVe s.) (Leguay 1991, p. 351, n. 7, Leguay 2009, p. 347, et RB 46 (1911), p. 201-202), dans Kerhervé 1987, p. 401, SAHNLA 66/67 (1927), p. 197, et SHAB 86 (2008), p. 129-130. 63 Voir un document relatif à l’entrée du roi à Poitiers en 1519 (Rivaud 2004, vol. 2, p. 676). 62

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(Ille-et-Vilaine) (reprise dans Hu 4, 280a, avec le sens de “mauvais tour”). La seconde est caractéristique de la Saintonge (FEW 17, 495b). Toutefois, une autre occurrence de l’expression est relevé dans le Tableau des differens de la religion de Philippe de Marnix (Marnix de Sainte-Aldegonde 1600, t. 1, p. 141v°). Ce dernier élément tendant à contredire une localisation occidentale encore fragile, cet item est écarté. • gode, s. f., “vaurien, fainéant”, 7473 : (le geôlier s’adresse à son valet :) Je cuide qui auroit cerché / tout le monde de cy en Rode / ne trouveroit plus lasche gode / que tu es, sanglant gars pouacre ! 7471-7474. — Le mot gode est relevé dans le syntagme lasche gode par Godefroy, où il est analysé comme un adjectif avec le sens de “efféminé” (Gdf 4, 299c, s. v. gode 3). Mais Godefroy et, à sa suite, Huguet ne proposent pas moins de quatre entrées pour différentes acceptions de gode qui peuvent être rattachées à un même mot. La question a réglée par A. Dauzat pour qui « gode est une dédiminutivisation (suivant l’excellente expression de M. Gilliéron) de godon, sobriquet fréquemment donné aux Anglais au cours du XVe siècle, d’après leur juron favori goddam » (Dauzat 1915-1917, p. 245). Il ajoute « que le terme ne paraît pas avoir vécu dans les patois de l’ouest, région où la domination anglaise, traditionnelle depuis les Plantagenêts et les ducs de Normandie, ne donna pas lieu aux mêmes exactions et à la même antipathie » (Dauzat 1915-1917, p. 246). Déduit des exemples cités, le sens dérivé que nous avons retenu est relevé chez Mistral. Il est en outre confirmé par le fait que le mot a servi à la création de termes péjoratifs et d’un nom propre de diable dans le domaine d’oc (Henrard 1998, p. 337, n. 23). Cette orientation pour la localisation du mot est confirmée par J.-P. Chambon et de J.-P. Chauveau qui délimitent une bande allant du Bourbonnais au Languedoc et excluent l’Ouest (Chambon/Chauveau 2000, p. 58). [loc. : Bourbonnais, Auvergne, Aveyron et Languedoc] • gris, adj. subst., “homme aux cheveux gris”, 6305, 6435 : (un païen dénonce l’activité apostolique de Valérien et Vincent :) C’est ung villain o une mitre, / qui a la barbe toute grise / (…) Vincent, / lequel a le nom et le pris / que luy donne ce villain gris. 6293-6294//6303-6305, (exclamation d’un bourreau à propos de Valérien :) et l’eust juré le villain gris ! 6435. — Dans les deux passages cités, le mot gris désigne Valérien, dont la barbe toute grise 6294 souligne l’âge avancé. L’emploi de l’adjectif substantivé gris pour désigner un homme aux cheveux gris est relevé dans le parler de Pléchâtel (Ille-etVilaine) (FEW 16, 82a ; DEAF, G1419).

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Remarque contextuelle : le mot est employé dans la même phrase que le mot o dont le caractère régional est discuté (voir infra). [loc. : Ille-et-Vilaine] • grousser, grosser, v. intr., “grogner, protester”, 6416, 9594 : et, s’il a chrestien qui grousse, 6416, Si tu oiz nullement qu’il grosse / ne qu’il barbete ne rechine, / que tu luy frotes bien l’eschine ! 9594-9596. — « Le critère oriente de façon non-décisive vers une ‘aire occidentale typique’ » (GreubRég, p. 297 ; voir aussi GreubRég, p. 155-156, Matsumura 2004, p. 600, Chambon 1999, p. 267, et Dottin, 241b) 64. Mais le DMF2012 fournit de nombreux exemples répartis dans l’ensemble du domaine d’oïl qui invalident le caractère régional initialement envisagé. • gruesche, s. f., jouer a la gruesche, “jouer au volant (fait d’ailes de perdrix)”, 8091 : A aultre jeu qu’a la gruesche / il les convient faire jouer, / s’ilz ne veullent desavouer / leur dieu qu’ilz appellent Jhesus. 8091-8094. — Le mot gruesche est une variante de l’adjectif substantivé griesche. Le vocalisme du mot est typique de la région angevine (FEW 4, 211a ; voir aussi Verrier/Onillon 1, 454b) 65. [loc. : Anjou] • guygne, s. f., jouer de la guygne, “viser en fermant un œil”, 12035 : (le valet interroge son maître dont il doit rapporter le matériel :) Apporterai ge point l’esquerre ? / Fault il point jouer de la guygne ? 12034-12035. — Dans ce passage, le valet s’interroge sur la nécessité d’apporter son équerre au geôlier (qui fait alors office de charpentier), puis lui demande s’il ne faut pas jouer de la guygne. Le mot guignes est relevé au sens de “jambes” dans la Saintonge (FEW 21, 311a), mais il n’est pas question, dans notre texte, de jouer de la guygne (qui pourrait signifier “s’enfuir” ou encore “marcher vite, se dépêcher”) pour aller chercher ladite équerre. Par ailleurs, comprendre jouer de la guygne au sens de “jouer de malchance” est d’autant Voir aussi LivreCœurB, CXXIV, l. 25, CXXV, l. 2. Nous relevons plus loin dans le mystère l’adjectif gouaiche dans le syntagme perdriz gouaiche “perdrix grise” 11330 ( : fraiche 11329). La locution est bien attestée (FEW 4, 211a, et 21, 240a ; DEAF, G941), mais le vocalisme du mot reste inexpliqué et son étymon incertain (FEW 4, 213b, n. 20). Néanmoins, la forme est peut-être régionale. Godefroy relève goeche et gouache dans Le Débat des hérauts d’armes (DebHerbP, p. 7, § 8) dont l’auteur est probablement normand (DebHerbP, p. X) et chez le naturaliste Pierre Bellon, né au Mans (Gdf 4, 301c). La forme est encore signalée par le MED (MED, G3, 283a). Mais le DEAF signale aussi la forme dans AldL 131/3, d’après un manuscrit picard (DEAF, G1383).

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plus improbable que le mot guigne “guignon, malchance” n’est attesté qu’à partir du XIXe siècle. En revanche, puisqu’il est question de calculer des angles pour aligner ou disposer correctement les bonnes gaulles 12020 pour fabriquer la herse 12022 demandée par Dacien, il nous semble que, dans la réplique des v. 12034-12035, le valet cherche à savoir si le geôlier travaillera en utilisant l’équerre ou au jugé, c’est-à-dire en fermant ou clignant un œil. En Normandie, la cligne désigne le jeu de cache-cache ou de cache-musette (FEW 2, 800a-b). Or, dans la même région, le FEW signale guigne comme une variante de cligne dans guigne-muchette (FEW 2, 800b). Nous proposons donc de comprendre jouer de la guygne au sens de “viser en fermant un œil”. Cette analyse étant encore à confirmer, l’orientation régionale qu’elle fournit dans le domaine normand ne sera retenue qu’à titre indicatif. [loc. : (?) Normandie] • herme, s., “liard, petite monnaie de bronze”, 4201 : car je n’ay ne pion ne herme / de quoy je peusse en la taverne / avoir du vin une choppine. 4201-4203. — Le mot herme est signalé par Sainéan avec le sens retenu au début du XVIe siècle. Il s’agit d’« une forme, renforcée par un h- initial, du représentant de an ĭma en emploi grammatical comme deuxième élément de négation » (FEW 22-2, 289b). Rencontré uniquement dans des phrases négatives, il constitue l’« ancêtre de Pipriac hęrm “pas du tout”, Bain herme “rien” (ici 22, I, 17b) » (FEW 22-2, 289b). C’est aussi dans la partie orientale de la Bretagne (Malestroit, Morbihan, Ploërmel) que le FEW relève il n’y en a pas erme “il n’y en a pas du tout” (FEW 24, 583b). L’emploi de ce mot oriente vers la Bretagne romane. Si le mot herme apparaît dans SV après la négation ne, le contexte garantit cependant qu’il ne signifie pas “rien, pas du tout”, mais qu’il a déjà le sens donné par Sainéan et désigne une pièce de monnoye 4198. Nous sommes donc en présence d’une première attestation du mot avec ce sens. Remarque contextuelle : le mot se trouve dans l’entourage des substantifs fouillouse et pion dont le caractère régional est discuté (voir supra et infra). [loc. : Bretagne romane] • hongner, v. intr., “murmurer, grommeler”, 2419, 7467 : Encore non sai ge hongner / ne dire ung tout seul mot pour doubte / qu’il me tuassent somme toute. 2419-2421, Si tu veulx contre moy hongner, / je te batray jusqu’a la mort. 7467-7468. — T. Matsumara relève le verbe hongner dans Le Champion des dames de Martin Le Franc et signale que le terme est

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« normand (avant d’être diffusé plus largement ?) » (Matsumura 1999, p. 609 ; voir aussi Gdf 4, 484a-b, FEW 16, 184a, DEAF, H536-537, et DMF2012). Y. Greub parvient à la même conclusion dans son étude du substantif hoigne. S’il est « surtout normand » en ancien français, « [e]n moyen français, le mot semble avoir été répandu plus largement, même s’il reste spécialement bien attesté en Normandie » (GreubRég, p. 164-165). Le verbe a perdu son caractère régional à la fin du XVe siècle et ne constitue donc plus un item déterminant pour la localisation de SV. • imperaulté, s. f., “fonction de gouverneur investie de l’autorité impériale”, 665, 9973, 10612, 11177. — Le substantif imperaulté est relevé comme un hapax dans Le livre et mistere du glorieux seigneur et martir saint Adrien (FEW 4, 586b ; DMF2012, s. v. imperiauté), pièce de la fin du XVe siècle, localisable dans l’Est du domaine d’oïl et, probablement, en Bourgogne (DLFr, p. 1329a-b). Il est encore attesté dans un document peut-être champenois (Guénée 1987, p. 240). La documentation recueillie ne permet sans doute pas de garantir une localisation orientale du mot qui est probablement savant. [loc. : (?) Est] • jurier, v. tr., “injurier, offenser”, 7501. — Le verbe est relevé par Godefroy dans un seul exemple emprunté à Eustache Deschamps (Gdf 4, 675a, repris dans le DMF2012), dont la langue est marquée par des « mots picards, nord-champenois, lorrains ou même un peu plus lointains parfois (nordpicards-wallons), sans qu’on sache certainement si les limites des aires nous sont connues imprécisément ou si l’auteur a emprunté quelques mots étrangers mais voisins » (GreubRég, p. 375). Le verbe est aussi relevé avec le même sens dans un document genevois du XVIe siècle (Coram-Mekkey 2006, p. 269). On le rencontre encore dans une traduction française d’une homélie attribuée Haimon de Halberstadt (mort en 853), extrait d’un texte lorrain (et peut-être messin) daté du début du XIIIe siècle (HaimonS, p. 92). Quoique la documentation soit restreinte, elle paraît orienter vers l’est du domaine d’oïl et la région de Genève. [loc. : (?) Lorraine et région de Genève] • lechecu, s. m., “petit chien de manchon”, 3928 : Je donneray ce petit chien / qui m’a cousté plus d’un escu. / Les gens l’appellent lechecu. / C’est ung chien de tresbonne orine. 3926-3929. — Outre le sens de “homme qui flatte bassement” signalé notamment dans le Nord-Ouest (FEW 16, 461b), le substantif liche-cul connaît le sens de “petit chien de manchon” (i.e. un

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chien de toute petite taille que les dames portent dans leur manchon), qui est propre à l’Anjou (FEW 16, 461b ; Verrier/Onillon 1, 518a). [loc. : Anjou] • macre, s. f., “châtaigne d’eau, marron d’eau, mâgre nageante”, 7267, 11305 : De toy je ne donne une macre, 7267, trestouz ne vous craigns pas deux macres ! 11305. — Si le fruit désigné n’est pas caractéristique de l’Ouest du domaine d’oïl, le mot y est particulièrement bien attesté (FEW 21, 176a ; Verrier/Onillon 2, 2a-b ; Coulabin, 231). Godefroy signale la forme chez Rabelais et le naturaliste Pierre Belon (né en 1517 à Souletière, près du Mans), avant de préciser que le mot macle « est resté en Poitou pour désigner la châtaigne d’eau » (Gdf 5, 60b) 66. Notons que les occurrences relevées dans SV et Le Mystère de sainte Barbe en cinq journées (BarbeLL, v. 20124) constituent les premières attestations connues du mot. [loc. : Ouest] • mesloyer, v. tr., “mélanger”, 12139, 12140’ : Mect ou mouret, je te supplie, / et mesloye moret et ligne. 12138-12139, Il mect dedans le test la ligne et mesloye o une brochete 12140’. — Les trois exemples proposés par Godefroy (Gdf 5, 290a) sont empruntés à Guy Juvénal 67, à Baïf (1532-1589) et au Jouvencel de Jean de Bueil (d’après La Curne de Sainte-Palaye ; voir Lecestre 1889, p. 202), dont la famille est originaire de Touraine (DLFr, p. 755b). Dans le FEW, à l’exception de meleiller relevé dans l’Isère, toutes les attestations de mesloier “mélanger” sont localisées dans le Nord-Ouest (FEW 6-2, 160a), avec des formes fréquemment marquées par la graphie -ayer, qui alterne régulièrement dans SV avec -oyer. Enfin, au début du XVIe siècle, le verbe est employé par Antoine Fuzy, né à Épinal en 1560, dans Le Franc Archer de la Vraye Eglise 68. La grande majorité de la documentation recueillie oriente vers le Nord-Ouest, en dépit de quelques attestations susceptibles de conduire hors de cette région.

Nous écartons les deux exemples que Godefroy attribue de manière erronée à Gautier de Coincy (Gdf 5, 61b, repris par FEW 21, 176b, n. 1 ; voir ColletCoincy, p. 561). 67 Guy Juvénal est « [n]é dans le Maine, vers le milieu du XVe siècle, de parents pauvres » (Piolin 1861, p. 252). En 1497, l’abbé en titre de Saint-Sulpice de Bourges le fait « venir du Convent de Chezal-Benoist » (Cher) (Blondeau 1689, p. 680). Il est l’auteur de textes imprimés à Bourges au début du XVIe siècle (Catherinot 1683). 68 Le franc-archer de la vraye Église, contre les abus et énormités de la fausse…, 1619, consulté dans sa version numérisée sur Gallica, p. 276 et 314. 66

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Remarque contextuelle : les deux occurrences du verbe sont employées avec le substantif moret et la préposition o dont le caractère régional est discuté (voir supra et infra). [loc. : Nord-Ouest] • miterons, s. m. pl., “larves de charançons”, 7443 : Aussi j’ay cousché embasté / et me suys toute nuyt graté / tant suys rongneux, plain de cyrons / et tout mengé de miterons. 7440-7443. — La forme mitron est caractéristique de la région poitevine (FEW 21, 274b). Remarque contextuelle : dans l’entourage de cette seule occurrence du mot se trouve le participe passé embasté dont le caractère régional est discuté (voir supra). [loc. : Poitou] • moret, mouret, s. m., “paille brûlée, réduite en brouet avec de l’eau”, 12039, 12066, 12079, 12087, 12121, 12126, 12134, 12138, 12139. — La localisation du mot avec le sens artisanal attesté dans SV est caractéristique du domaine angevin (Verrier/Onillon 2, 41a-b), de la Saintonge et du Poitou (Gdf 5, 408a, s. v. moret 1). Godefroy cite Pantagruel (et l’on sait que la langue de Rabelais compte un assez grand nombre de régionalismes poitevins), où le moret désigne une “sorte d’encre” (repris dans Hu 5, 334a, s. v. moret 2). Godefroy et le FEW (FEW 6-1, 551b) signalent aussi le sens de “savon de lessive”, emprunté à Cotgrave. C’est ainsi que, dans son édition des Quatre histoires par personnaiges de François Briand, maistre des escolles de Saint-Benoist en la cité du Mans, H. Chardon donne à moret le sens de “savon” (HistBriandC, p. 34, n. 2) de manière erronée 69. L’emploi du mot dans SV oriente vers le Sud-Ouest et l’Anjou. Remarque contextuelle : dans l’entourage des premières occurrences du mot se trouve le substantif dabte dont le caractère régional est discuté (voir supra) ; les deux dernières occurrences du mot sont dans la même phrase que la première occurrence du verbe mesloyer dont le caractère régional est discuté (voir supra). [loc. : Sud-Ouest et Anjou] • natre, adj., “méchant, misérable (employé comme terme d’insulte)”, 3596, 12482 : Mais vous, ort sanglant villain natre ? 3596, Je seroie bien fin foul natre, / si je m’en meslaye de rien. 12482-12483. — Les deux syntagmes villain natre et foul natre relevés dans le mystère sont usuels. Comme l’a bien établi E. Langlois (ZrP 31 (1877), p. 220-225), l’adjectif natre est dérivé du 69

Voir le compte rendu de d’E. Langlois à HistBriandC, BEC 67/1 (1906), p. 292-293.

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substantif vilainastre (formé de vilain et du suffixe -astre) ; le mot apparaît rapidement sous la forme vilain nastre que G. Roques comprend au sens de “fieffé vilain” 70 et sur le modèle duquel est formé le syntagme fol nastre. La localisation de natre a été effectuée par G. Roques à partir d’un assez large corpus 71, auquel viennent s’ajouter la Passion à Amboise 72 et Le Champion des dames de Martin Le Franc (Matsumura 1999, p. 609, qui propose « Ouest et Sud-Ouest »). Nous reprenons à notre compte la conclusion de G. Roques qui note que l’aire du mot recouvre la Normandie, le NordOuest et le Sud-Ouest. [loc. : Normandie et Ouest] • o, prép., o qqch, “avec”, 6, 49, 2358, 2544, 3372, 3524, 4869, 5680, 5682, 6139, 6157, 6278, 6293, 6462, 7060, 7555, 7683, 9949, 11012, 11050, 12103, 12104, 12140’, 12597, 13365, 14514 (x 2), 14519, o qqn, “avec, en compagnie de”, 876, 880, 1747, 2392, 2456, 4091, 4589, 5354, 5356, 5441, 5785, 6573, 7008, 7022, 7706, 8761, 11701, 12556, 12772, 12786, 12840, 12917, 13187, 13212, 13414, 14205, 14243, 14372’, 14537, 14551, 14626. — J.-P. Chambon montre que o « semble, à partir du 15e siècle, marqué régionalement, notamment de l’Ouest (…), où il subsiste dialectalement » (Chambon 1993, p. 315). De son côté, Y. Greub estime que « [l]e critère oriente nettement et sûrement vers l’Ouest, à l’exclusion de la Haute-Normandie et du Centre, ou vers la Francoprovençalie. Il ne permet pas d’exclure Paris, ni absolument la Picardie, même s’il rend une localisation dans cette région très improbable » (GreubRég, p. 196 ; voir aussi Chambon 1999, p. 269, GoerlichNW, p. 78, GentePoit, p. 189b). M. Thom aboutit aux mêmes conclusions, précisant que la préposition s’est maintenue « dans la plus grande partie de la Haute-Bretagne, dans la Mayenne et dans l’ouest de la Sarthe » (Thom 1981, p. 60). Les occurrences relevées par ailleurs confirment ces conclusions 73. [loc. : Basse-Normandie et Ouest] • ost, s. m., “groupe de personnes, rassemblement de gens”, 3871 : (à propos des fidèles qui se rendent à une cérémonie païenne :) Ilz sont desja plus de six mille. / Oncques mais ne vy si grant ost 3870-3871. — Le substantif est Compte rendu de SJeanBaptOct1G, ZrP 95 (1979), p. 436-440, à la p. 437. Roques 1989, p. 270-271. 72 Voir Picot 1890, v. 325 et 606, ainsi que G. Roques, compte rendu de Myst. Pass. Amb. R., RLiR 56 (1992), p. 335. 73 Voir BarbeK, v. 4472, 7633, GuillSAndréJehC, v. 3314, 3406, 3448, HistBriandC, p. 12, 28 et 47, BlaiseL, p. 310, et deux noëls poitevins (Fey 2008, p. 33 et 135). 70 71

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relevé dans le Nord et plus précisément en Picardie avec les sens de “troupeau” et “groupe” (Gdf 5, 653c ; FEW 4, 500a). Nous relevons cependant deux exemples du mot avec le même sens dans Le Mystère de la Conception (MistConcL, v. 4457, 8365) dont la langue peut être située dans une aire assez large de la région alpine, à cheval sur les domaines provençal et francoprovençal (Leroux 2008, p. 407). Cette nouvelle occurrence relevée dans SV semble indiquer que cette acception du mot n’est pas spécifiquement picarde au XVe siècle. Le caractère régional de cet emploi doit donc être remis en question. • pianche, s. f., “boisson”, 12953 : Par fine force de bien boyre / auront perdu sens et memoire. / Les ungs fauldra porter couscher. / Ses femmes se feront hochez / par fine force de pianche. 12949-12953. — Le substantif est bien attesté (Gdf 6, 140a ; FEW 8, 422b ; Hu 5, 777a-b ; DMF2012). Dans le domaine d’oïl, le mot est caractéristique de l’Ouest 74 ; il a peut-être également une aire méridionale (GreubRég, p. 203-204 et 248). [loc. : Ouest et (?) domaine d’oc] • pion, s. m., “pièce de monnaie”, 4201 : car je n’ay ne pion ne herme / de quoy je peusse en la taverne / avoir du vin une choppine. 4201-4203. — S’il est bien ici question de boire du vin, le sens de “buveur, ivrogne” ne convient pas pour le mot pion, pourtant bien attesté en ancien et moyen français (Gdf 6, 168b-c ; Hu 5, 791a-b, s. v. pion 2 ; FEW 8, 422b ; DMF2012, s. v. pion 1). Le sens retenu pour ce mot est déduit du contexte. Tout comme le substantif herme auquel il est coordonné, le mot pion désigne une pièce de monnoye 4198. Nous faisons l’hypothèse qu’il s’agit d’un diminutif de py (ou piè), attesté sous différentes graphies au sens de “sou” dans la région alpine (FEW 22-2, 292b). Peut-être même faut-il y voir une variante de pioùm “sou, pièce de bronze”, attesté cette fois dans le sud-ouest du domaine galloroman (Salies-de-Béran, Basses-Pyrénées, Orthez) (FEW 22-2, 293a). Le fait que ce pioùm, comme l’herme, désigne précisément une pièce de bronze pourrait favoriser cette identification. Mais l’analyse du mot demeure trop incertaine pour qu’une éventuelle orientation méridionale soit retenue comme critère de localisation du texte. Remarque contextuelle : le mot se trouve dans l’entourage immédiat des substantifs fouillouse et herme dont le caractère régional est discuté (voir supra). [loc. : (?) domaine d’oc] 74

Voir aussi BarbeK, v. 2564.

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• plumer, v. tr., “peler, éplucher (un fruit)”, 2698 : (un bourreau s’attribue des exploits ridicules :) Bref, j’entreprans (…) / en quatre jours plumer une chastaigne / et a trois coups rompre deux dens de paigne 2697-2699. — Le sens du verbe plumer est assuré par le contexte. Dans l’étude qu’il consacre à l’expression peler la châtaigne et ses variantes, G. Roques établit que l’emploi de plumer dans ce sens constitue sans doute un régionalisme dont l’aire recouvre une large bande centrale, allant de la Normandie au Poitou dans l’Ouest et des Ardennes à l’Hérault dans l’Est (Roques 1995, p. 19 ; voir aussi FEW 9, 88b-89a, et Thibault, 267) 75. L’emploi de plumer au sens de “peler, éplucher (un fruit)” vient corroborer ces conclusions. [loc. : Normandie, Nord-Ouest, Sud-Ouest, Centre, Champagne, Bourgogne, domaine francoprovençal et sud-est du domaine d’oc] • pochee, s. f., “sac plein”, 11561, 11567’, 12337 : (les bourreaux vont chercher du charbon :) Chascun en aura sa pochee. 11561, (…) vont querir du charbon dessoubz ung chaffault et emportent chascun sa pochee 11565’-11567’, (les bourreaux rapportent des tessons qu’ils glissent sous Vincent :) Veez en cy plaine une pochee / que tu auras dessoubz l’eschine. 12337-12338. — Relevé en ancien et moyen français dans l’Ouest du domaine d’oïl (FEW 16, 638b ; Gdf 6, 238c 76 ; Hu 6, 45a ; Verrier/Onillon 2, 129a), le mot pochée, dérivé du mot régional poche avec le sens de “grand sac de toile qui contient des céréales” (DRF, p. 811b-813a ; voir aussi Chambon/Chauveau 2000, p. 64-65) est « un type lexical caractéristique de l’Ouest (de la Normandie à la Saintonge) et du Centre, attesté dep. le 14e s. » (DRF, p. 814b). [loc. : Ouest] • poue, s. f., “patte, griffe”, 14514 : (un bourreau à propos d’un loup repoussé par le corbeau qui garde le corps de Vincent :) Ne o les dens ne o la poue, / il n’a peu le corbin blesser. 14514-14515. — Relevée dès le XIIe siècle, la forme poe oriente vers le nord-est du domaine d’oïl et le domaine Son étude est complétée par d’autres occurrences relevées dans un texte saintongeais tardif (Duguet 1970, p. 234), la Chronique française du poète parisien Guillaume Crétin (Rigamonti 1997, p. 440) et l’Enfer des mauvaises femmes (fin du XVe s.) dont la langue n’est pas marquée par « des traits dialectaux saillants » (ColomboTimelli 2001, p. 502) (voir Colombo-Timelli 2002, p. 212, où l’éditrice glose plumer par “enlever l’écorce” (p. 224b), mais où G. Roques nous propose de retenir le sens de “cacher la vérité”). 76 Les quatre citations extraites par Godefroy des Archives nationales sont toutes relatives aux pays de la Loire moyenne (Chevalier 1993). Le cinquième exemple est extrait d’un arrêt relatif à la ville de Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher) (Mantellier 1869, t. 3, p. 194). Le dernier est emprunté à Agrippa d’Aubigné (1552-1630), originaire de la Saintonge. 75

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anglo-normand (FEW 8, 75b). En moyen français, les auteurs et les textes signalés par le FEW et le DMF2012 (DMF2012, s. v. poe 1) confirment l’ancrage de poue dans ces deux aires géographiques. Mais les exemples empruntés à Villon et au Mystère du Vieil Testament étendent l’aire d’emploi du mot dans le domaine d’oïl. Enfin, Huguet fournit un exemple emprunté à une Farce trouvée à Fribourg (Hu 6, 104a). Le domaine de localisation du mot pourrait donc être élargi au francoprovençal. Ainsi, contrairement à ce que laissaient présumer les premières informations fournies, il n’est pas certain que le mot poue doive être considéré comme régional. Remarque contextuelle : le substantif est employé dans la même phrase que corbin et o dont le caractère régional est discuté (voir supra). • poussé, p. pa. de pousser employé comme adj., “poussif, asthmatique”, 6443 : Je ne suy ne gras ne poussé, / je suis fort abille et allegre, / aussi je ne suis pas trop maigre. / A frapper je ne fauldray pas. 6443-6446. — Le personnage affirme ici être dans une bonne forme physique. Alors que le verbe pousser est relevé avec le sens de “haleter, être essoufflé” par le DMF2012 dans la Passion d’Amboise (Picot 1890, v. 419), l’emploi de poussé avec le sens retenu est signalé dans l’actuel département de l’Ille-etVilaine (FEW 9, 556a). G. Roques confirme le caractère régional du verbe avec ce sens en Indre-et-Loire avec la Passion d’Amboise (RLiR 56 (1992), p. 335) et nous signale un autre emploi dans Le Mystère de sainte Barbe en deux journées (Seefeldt 1908, v. 2603). Aussi convient-il d’élargir l’aire de localisation de cet item au Nord-Ouest. [loc. : Nord-Ouest] • poy, adv., “peu”, 3069, 4569, 5355, 6287, 9045, 9151, 13219, 14136. — À côté de peu qui reste largement majoritaire dans SV, la forme poy pourrait être considérée comme « un indice de localisation dans l’Ouest » (GreubRég, p. 208). Mais J.-J. Salverda de Grave réfute toute valeur régionale à cette forme (Salverda de Grave 1928) et M. Roques s’accorde pleinement à son argumentation (Roques 1929, p. 267-268). Nous écartons donc cet item de notre étude. • putonnier, s. m., “vaurien, homme débauché”, 12292 : sanglant ribault, gars putonnier ! 12292. — Rattaché au moyen français putenier (FEW 9, 635b), le mot putonier oriente « vers le Sud galloroman (au Sud d’une ligne La Rochelle-Genève) » (GreubRég, p. 209 ; voir aussi Matsumura 2004, p. 614). Pour le domaine d’oïl, cette localisation est confirmée par les deux exemples du DMF2012, l’un extrait du Mystère du Roy Advenir (JPrierM,

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v. 7776) et l’autre d’un document poitevin de 1460 (DMF2012, s. v. putenier). Il est cependant relevé dans Maître Pathelin, dont le texte original (où putonier constitue une variable spécifique) est localisé en Anjou (GreubRég, p. 302). Y. Greub signale que « la seule attestation d’une forme à vocalisme de deuxième syllabe /o/ (…) est bas-limousine » (GreubRég, p. 209). L’hypothèse d’A. Tissier, qui suggère que putonier résulte d’un croisement entre pautonier “coquin, vaurien, scélérat” (DMF2012, s. v. pautonier ; FEW 16, 616a) et putier “coureur de filles, débauché” (TissierFarces38, p. 435, n. 734), mérite d’être retenue 77. Dans SV, le mot putonnier – seconde occurrence connue d’un terme jusqu’ici considéré comme un hapax – nous conduit vers le sud de l’aire poitevine. [loc. : domaine méridional, Saintonge et (?) Anjou] • renchiere, s. f., jouer ou servir qqn de renchiere, “faire des difficultés avec qqn”, 14324 : (un bourreau à propos de Vincent :) Servy sera de noz mestiers, / s’il nous joue ou sert de renchiere. 14323-14324. — Pour le mot renchiere “enchère, offre plus haute”, le FEW fournit cette précision : « besonders flandr. pik. norm. Maine » (FEW 2, 441b ; voir aussi Gdf 7, 21b, Hu 6, 489a, et DMF2012). Présent dans La Chasse d’amours, le mot est commenté par J.-P. Chambon qui renvoie notamment à deux textes d’André de La Vigne (TraLiPhi 31 (1993), p. 341). Enfin, le mot est fréquent dans différents poèmes d’Alain Chartier 78. [loc. : Picardie, Normandie et Maine] • repucer, v. intr., “regimber”, 9443 : (un bourreau s’adresse à Vincent :) Pourtant n’yra ne ça ne la ! / Tu n’as garde de repucer / ne de toy point ebelucer ! / Deslie tost ce pié, Grimault ! 9442-9445. — Le seul exemple fourni par Godefroy (Gdf 7, 69b, s. v. repousser, -ucier) est extrait du Libvre du bon Jehan (GuillSAndréJehC, v. 2640-2641). Il est repris dans le DMF2012 (DMF2012, s. v. repousser) et le FEW (FEW 9, 559b, s. v. *pŭlsiare), où J.-P. Chauveau ajoute qu’on ne peut « séparer mfr. repucier et Jers. repuchir des formes dialectales du type repusser classées ici 9, 557 b, pŭlsare II 2 b, qu’il est difficile, étant donnée leur localisation exclusivement dans l’Ouest d’expliquer par un emprunt savant au latin » (FEW 22-1, 269a). La forme repucier doit donc être rattachée au paradigme issu Employé aux v. 916 et 9465 dans SV, pautonnier est interchangeable avec putonnier. Voir Hult 2003, p. 606. Alors que l’auteur est né à Bayeux autour de 1385 et est entré au service de Yolande d’Anjou, puis à celui du dauphin, fils de Charles VI, on notera que « [l]a scripta du copiste est marquée par de nombreux traits picards » (p. LXXVII).

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du lat. pŭlsare dont la teinte occidentale est confirmée par J.-P. Chambon dans son étude du déverbal repuce, relevé dans un texte du poète angevin Charles de Bourdigné (Chambon 1999, p. 270). Remarque contextuelle : repucer est employé dans la même phrase que le verbe ebelucer dont le caractère régional est discuté (voir supra). [loc. : Ouest] • saugrené, p. pa. de [saugrener], “parsemé de sel à gros grains”, 9346 : Dacian. – (…) / Gardez que sur Vincent n’ayt playe / qui tost ne soit de sel remplie. / (…) / Qu’il soit bien pouldré et sallé ! / (…) Bavart. – S’il n’est saugrené et gallé / et bien pouldré qu’on nous pugnice ! 9338-9339//9343//93469347. — Le verbe est relevé chez Brantôme avec le sens de “assaisonner” (FEW 4, 235a) et le participe passé chez André de La Vigne avec le sens de “parsemé” (DMF2012) 79. Le sens précis de “parsemer de sel à gros grains” est spécifique de l’actuel département de la Charente-Maritime (FEW 4, 235a). [loc. : Sud-Ouest (> Charente-Maritime)] • savance, s. f., “savoir, connaissance, intelligence”, 1500, 1885, 2758, 5033, 5506, 6253, 6328, 14608. — Le substantif savance est caractéristique de la Bretagne et de la Normandie (FEW 11, 196a ; Gdf 7, 333c-334a ; TL 9, 250 ; Hu 6, 712a ; DMF2012 ; AND2i). Une étude synthétique de cette documentation a été réalisée par G. Roques (RLiR 68 (2004), p. 309). Nous ajoutons une occurrence du mot savance dans le fragment d’un mystère du Mont-Saint-Michel (MirSMich, p. 38) qui confirme son ancrage normand. Mais la présence du mot dans La Pacience de Job (PacJobM, v. 822) – et de non savance (PacJobM, v. 3426) – indique une extension de l’aire d’emploi du mot vers le domaine de localisation recherchée pour SV. [loc. : Normandie et Bretagne romane] • serre, s. f., estre a sserre, “être lié (plus ou moins fortement)”, 9627, 11249. – (…) Or ça, baille moy maintenant / sa chesne, si sera lyé ! / Avant aprouche moy ce pié ! / Dictes ! Est il assez a sserre ? Grimault. – Ouÿ ! Or le couschon a terre. / Il n’a garde de deslier. 9624-9629, allez le moy querir grant erre, / et qu’il ne soit pas trop a sserre ! / Amenez le moy bellement. / Defferrez le tout doulcement / des jambes et aussi des piez, / aprés de la chiesne liez / son corps trestout aux environs. 11248-11254. — Le fait que serre soit placé à la rime garantit notre lecture du mot avec un e final atone. Dans cet exemple, G. Roques préfère le sens de “parsemé comme de grains de sel” (RLiR 47 (1983), p. 262).

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Le mot serre est régulièrement relevé comme substantif féminin par les dictionnaires consultés et dans un emploi adverbial par Huguet au sens de “d’une manière serrée” (Hu 6, 779a-b, s. v. serre 2). Il est encore signalé comme adjectif au sens de “serré (d’une corde)” en Normandie et dans l’expression tenit à sarre “être serré fortement”, caractéristique de la Saintonge (FEW 11, 503a). Ces deux attestations expliquent l’expression estre a sserre 9627, 11249, dans deux passages où il est question de lier Vincent avec une chaîne. Cette tournure est aussi relevée dans Le Mystère de la Résurrection d’Angers : estre asserre (= a serre), “être serré, en grand nombre” (MistRésAngS, t. 2, p. 995). Ainsi, l’emploi de serre dans l’expression estre a sserre semble nous orienter vers différents points de l’aire de localisation du texte, mais d’une façon qui reste sans doute trop fragile pour que l’item soit pris en compte au moment de conclure. • si, adv., ou si que non, loc. adv., “ou sinon”, 6267 : (un diable fait le serment que Valérien et Vincent abandonneront la religion chrétienne :) prendront la loy sarrazine / ou si que non que leur cuisine / sera laidement abillee. 6266-6268. — La locution est caractéristique du domaine d’oc (Lv 7, 647a-b) et, pour le domaine d’oïl, de la Normandie et de la Bretagne romane (FEW 11, 561a). Plusieurs occurrences de cette locution sont relevées dans des documents d’archives du Nord-Ouest 80, ainsi que du Sud-Ouest 81. Le Tobler-Lommatzsch (TL 6, 772-773) relève la locution dans Le Roman du Mont-SaintMichel de Guillaume de Saint-Pair (Cotentin, XIIe s.) et La Vie de saint Martin de Péan Gatineau (= PeanGatS2) (Tours, XIIIe s.) 82. À ces exemples viennent s’ajouter ceux relevés dans la Chronique des Ducs de Normandie (BenDucF, v. 41484), Le roman d’Aquin ou La conqueste de la Bretaigne

Dans des coutumes de l’Anjou et du Maine (BeautBeaup, 1re partie, t. 1, p. 193, 196 et p. 334), dans deux documents nantais de 1336 (Travers 1836, t. 1, p. 419) et de 1342 (Jones 1989, p. 115), dans un document du Maine de 1398 relatif à un procès entre le Prieur de Quincampoix et le Curé de Beaumont-Pied-de-Bœuf (ProvMaine 16 (1908), p. 145) et dans un Coutumier breton de la fin du XIVe siècle (BullMém­ SADIV 11 (1877), p. 45). 81 Dans un document d’archives poitevin (AHPoit 30 (1899), p. 268). 82 Le dictionnaire relève encore la locution dans la Chronique rimée de Philippe Mousket (Hainaut, ca. 1243) (= MousketR) et Richars li biaus (Picardie, XIIIe s.) (= RichF), mais sous la forme u se ce non. On s’interroge sur la valeur de ce, qui doit sans doute être analysé comme un pronom démonstratif plutôt que comme le morphème que. Il convient donc de rattacher ces deux exemples à se ce nom “sans cela, autrement” relevé chez Eustache Deschamps comme une variante de sinon (FEW 11, 561b). 80

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par le roy Charlemaigne 83, Le Mystère de la Résurrection 84 et la Passion de Jean Michel (MICHEL, Myst. Pass. J., v. 26880). Remarque contextuelle : cette seule occurrence de la locution si que non se trouve dans l’entourage immédiat de la première occurrence du participe passé abillee dont le caractère régional est discuté (voir supra). [loc. : Normandie, Nord-Ouest, Poitou et domaine d’oc] • sus, prép., estre sus bout, “être guéri, être rétabli”, 13077 : (un bourreau à propos de Vincent précédemment laissé dans un piteux état :) il est gueri de ses doleurs, / il est sus bout, tout defferré. 13076-13077. — La locution sus bout est attestée au sens de “debout” dans une aire englobant notamment la Normandie et le Nord-Ouest (FEW 15-1, 222a ; voir aussi Coulabin, 347). Mais, le texte faisant de il est sus bout 13077 une reprise synonymique de il est gueri de ses douleurs 13076, estre sus bout doit être compris au sens de “être guéri, être rétabli”. Cette expression est plus précisément localisée en Basse-Normandie et Bretagne romane (FEW 15-1, 222a). [loc. : Basse-Normandie et Bretagne romane] • touzer, v. tr., “battre, frapper (sur la partie chevelue du crâne)”, 7282 : (un bourreau s’exclame, en frappant Vincent ou Valérien :) Tu es touzé dessus la teste 7282. — Au sens propre, le verbe touser “tondre (les brebis), couper les cheveux” est largement répandu dans l’ensemble du domaine d’oïl (FEW 13-2, 29b ; TL 10, 467-468 ; Hu 7, 286a-b). Dans le passage, ce sens ne convient pas et le verbe doit être compris dans un sens figuré. En l’occurrence, pour garantir un glissement du sens propre au figuré, les coups portés le sont probablement sur la partie chevelue du crâne. Il doit donc s’agir de tapes sur la tête effectuée avec le plat de la main, autrement dit de calottes. Le sens de “battre, blesser” est relevé par le FEW dans le patois saunois (département de la Moselle), avec un vocalisme initial en [a] (ou [ǫ] dans un déverbal) (FEW 13-2, 30a). Mais cette acception du verbe ne doit pas être limitée à la Moselle. En effet, relevant touzer au sens de “tondre”, Verrier et Onillon attestent de l’emploi du sens figuré dans le domaine angevin : « J’ai bien d’autres chats à touzer » (Verrier/Onillon 2, 291b). L’emploi du verbe touzer au sens de “frapper, battre” peut donc être

Voir Ou si non ja d’i[cy] ne tournerez (AiquinJ, v. 2505) qui corrige inutilement la leçon du manuscrit de base en ou si que non jadis ne tournerez (AiquinJ, p. 168). 84 Pour Ou ce que non (MistRésAngS, v. 7819), P. Servet donne la variante : « 7819 : Ou si que non BI. » (MistRésAngS, t. 1, p. 408). 83

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considéré comme caractéristique de l’Anjou et d’une aire circonscrite dans l’Est du domaine d’oïl. [loc. : Anjou et Moselle] • veson, s. m., “personne qui s’agite en vain, personne qui remue beaucoup pour peu de besogne”, 12972, 13396 : (un diable s’adresse à Lucifer :) Vous estes ung mauvais veson / entre nous deables (…) 12972-12973, (l’épouse du geôlier insulte un bourreau :) Je te feisse voller la teste, / sanglant truant, paillart veson ! 13395-13396. — Le mot veson est employé à deux reprises comme un terme d’injure dans les rimes venaison : veson 12971-12972 et veson : prinson “prison” 13396-13397. Il est relevé par le FEW avec différents sens : « Nfr. vézon f. ,,prostituée“ DelvEr, vezon (1897, SainPar), norm. vézon, Tôtes, PtAud. veson, bess. nant. vézon ; St-Pol ,,personne méchante, acariâtre“ ; Bray véson ,,personne qui remue beaucoup“, bess. vézon (m. f.) ,,celui, celle qui s’agite sans objet“, ang. vezon ,,id. ; colère“, Vendôme ,,grosse femme mal fichue“. PtAud. veson m. ,,force, énergie“, faire ses vesons ,,faire beaucoup de bruit pour rien“, veson ,,celui qui remue beaucoup pour peu de besogne“ » (FEW 14, 675b). Nous excluons les sens de “prostituée” et “personne méchante, acariâtre” qui sont moins adaptés au texte et dont l’aire de localisation pourrait d’ailleurs être étendue (FEW 14, 530a). L’emploi masculin du substantif avec le sens retenu est localisable dans les domaines normand et angevin, avec une extension dans le Nord. Ajoutons que, dans les parlers de l’Anjou, le mot vézoux “celui qui pleure longuement et en jetant des cris” (synonyme de brâillard et brâillaud) (Verrier/Onillon 2, 320b) peut être rapproché de veson, si on considère que tous deux sont issus du verbe vezouner, relevé dans le Poitou avec le sens de “vesser” (FEW 14, 529a et 675a-b) et “siffler, faire entendre un bruit à la fois sifflant et ronflant comme une houssine qui frappe l’air” (Verrier/Onillon 2, 320b). [loc. : Normandie et Anjou] • yvresse, adj. f., “ivrognesse”, 5003 : S’elle n’estoit ainsi yvresse, / se seroit une bonne femme. 5003-5004. — Après avoir conclu que l’adjectif « semble spécifique du sud-est d’oïl, dans les patois modernes de même qu’anciennement » (GreubRég, p. 240), Y. Greub estime que « [l]e matériel de la discussion de yvresse n’est pas assez important pour que nous puissions porter un jugement définitif » (GreubRég, p. 263). Le DMF2012 fournit deux autres exemples, extraits de Bernard de Gordon, professeur de médecine à l’Université de Montpellier à la fin du XIIIe siècle, et de Laurent de Premierfait qui, d’origine champenoise, séjourne en Avignon dans la dernière

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décennie du XIVe siècle (DMF2012, s. v. yvresse 2). La localisation du mot demeure trop incertaine pour être prise en compte.

5. Conclusion Le texte contenu dans le ms. BnF, fr. 12538 est marqué par de nombreux occidentalismes. Qu’ils soient phonétiques, graphiques, morphologiques, lexicaux ou syntaxiques, la très grande majorité des traits étudiés est localisable dans l’Ouest (en incluant la Normandie méridionale), le Nord-Ouest ou plus spécifiquement l’Anjou. Le texte de SV a manifestement été composé pour un public angevin par un fatiste anonyme d’Angers ou, du moins, originaire du Nord-Ouest. Ainsi, l’étude linguistique de SV permet de confirmer la conclusion à laquelle nous amènent déjà les différents critères extra-linguistiques dont nous disposons. Cette concordance géographique entre la langue du mystère et le(s) lieu(x) où il a été représenté doit néanmoins être perçue à sa juste valeur : elle ne va pas de soi. Or, dans ce cas, l’ancrage linguistique du texte dans son domaine de représentation dramatique est particulièrement sensible. Les remarques contextuelles dont cette étude est émaillée permettent d’établir que certaines répliques sont empreintes d’une très forte tonalité régionale ; celles-ci sont logiquement attribuées aux personnages pittoresques que sont les bourreaux, le geôlier, sa femme et son valet. Pourtant, alors que certains faits lexicaux sont condensés dans quelques séquences dramatiques, les nombreuses occurrences des faits les plus représentés sont réparties d’une manière relativement homogène dans l’ensemble du mystère. En outre, il n’est pas possible d’affirmer que la langue du remanieur, qui intervient pour préparer la représentation au Lude, est plus marquée que celle du fatiste. Par conséquent, il apparaît que le texte de SV n’a pas été coloré d’occidentalismes par le fatiste pour procurer quelques scènes de genre ni par un remanieur qui serait un ‘fatiste des champs’ au côté du ‘fatiste des villes’ qu’aurait été son prédécesseur 85. D’emblée et tout au long de son histoire, ce mystère se caractérise par l’emploi d’une langue régionalement marquée. Dans une ville comme Angers et une région comme l’Anjou où sont représentés, notamment dans la seconde moitié du XVe siècle, un nombre important de mystères, il pourrait sembler pertinent d’essayer de distinguer des textes ‘régionaux’ (parmi lesquels, a priori, nous classerions SV et Le Mystère de Sainte Barbe en cinq journées) de textes dramatiques dont la langue est manifestement moins empreinte de régionalismes et qu’on dirait ‘transrégionaux’ 85

Nous reprenons ici l’heureuse formule de N. Henrard (Henrard 2011).

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(où nous retrouverions notamment la Passion de Jean Michel, qui est jouée en 1486 à Angers et qui, remaniée, le sera encore au XVIe siècle en Savoie). L’étude systématique de la langue de ces textes en vue de leur localisation pourrait nous amener ainsi à préciser le lien, fragile ou non, qu’il y a peut-être entre le caractère régional de la langue d’un mystère et sa capacité à circuler hors des frontières linguistiques de sa région originelle. Laboratoire Babel (EA 2649) Université du Sud Toulon-Var

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6. Bibliographie sélective et commentée Sont fournis à la fin de la bibliographie des éléments de localisation pour certains textes cités avec les abréviations du DEAF ou du DMF2012. AHSA = Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis. BarbeK = Le Mystère de sainte Barbe en cinq journées : édition critique des deux premières journées d’après le manuscrit BNF fr. 976, 2 vol., Jun-Han Kim (ed.), thèse pour le doctorat, Université de Paris IV-Sorbonne, 1998. [Le texte a « été écrit dans une région de l’Ouest » (BarbeK, p. 418 ; voir aussi Lemaire 2009, p. 502).] BarbeLL = Le Mystère de sainte Barbe en cinq journées, Mario Longtin et JacquesCharles Lemaire (ed.), Orléans, Paradigme, à paraître. [Voir BarbeK.] Bilder, Rose M., 2002. Dictionnaire érotique : ancien français, moyen français, Renaissance, Montréal, CERES. BlaiseL = Élisabeth Lalou, « Fragments d’un Mystère de saint Blaise. Étude et édition critique », in : Hüe, D. / Longtin, M. / Muir, L. (dir.), Mainte belle oeuvre faicte. Études sur le théâtre médiéval offertes à Graham A. Runnalls, Orléans, Paradigme (Medievalia, 54), 2005, 289-312. [« Le texte du mystère de saint Blaise se trouvait dans le Catalogue du libraire de Tours au XVe siècle » (BlaiseL, p. 289). Il contient quelques régionalismes, notamment la forme démonstrative cenla qui « serait d’Anjou, de Touraine, de Bretagne ou de Normandie » (BlaiseL, p. 296 ; voir Pope, p. 327).] Bideaux, Michel (ed.), 1986. Jacques Cartier. Relations, Montréal, Presses de l’Université de Montréal. Blanchard, René, 1899. Cartulaire des sires de Rays… : 1160-1449, Poitiers. Bliggenstorfer, Susanna (ed.), 1988. Georges Chastellain. Le temple de Bocace, Bern, Francke (Romanica Helvetica, 104). Blondeau, Claude, 1689. La Bibliotheque canonique contenant par ordre alphabetique toutes les matieres ecclesiastiques et beneficiales…, t. 2, Paris.

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RÉGIONALITÉ LINGUISTIQUE DU MYSTÈRE DE SAINT VINCENT

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Roques, Mario, 1929. Compte rendu de MélJeanroy, R 55, 266-277. Rosenzweig, Louis (ed.), 1895. Cartulaire général du Morbihan : recueil de documents authentiques pour servir à l’histoire des pays qui forment ce département, Lafolye. Rothschild (de), James (ed.), 1882. Le Mistère du Viel Testament. IV, Paris, FirminDidot. SAHNLA = Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique. SALSAAM = Société d’archéologie, littérature, sciences & arts des arrondissements d’Avranches et de Mortain, Avranches. Salverda de Grave, Jean-Jacques, 1928. « Sur une forme française de paucum », in : MélJeanroy, 149-152. Saudau, Louis-Claude, 1886. Saint-Jean d’Angély, d’après les archives de l’échevinage et les sources directes de son histoire, Saint-Jean d’Angély, J.-B. Ollivier. Scheurer, Rémy (ed.), 1969. Correspondance du cardinal Jean du Bellay, Paris, Klincksieck. SChristofleS = Servet, Pierre (ed.), 2006. Maistre Chevalet. La Vie de sainct Christofle, Genève, Droz (TLF, 579). [Le texte compte quelques régionalismes du sud-est du domaine galloroman (RLaR 112 (2008), 276-277).] Seefeldt, Paul, 1908. Studien über die verschiedenen mittelalterlichen dramatischen Fassungen der Barbara-Legende, nebst Neudruck des ältesten “Mystère français de sainte Barbe en deux journées”. SHAB = Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne. Terrebasse (de), Alfred (ed.), 1835. Histoire du chevalier Paris et de la belle Vienne, Paris, Crozet. Thom, Michel, 1981. « Les occidentalismes dans les “Quinze joies de mariage” », in : Varvaro, A. (dir.), Atti del XIV congresso internazionale di linguistica e filologia romanza, Napoli, 15-20 Aprile 1974, Naples/Amsterdam, G. Macchiaroli/J. Benjamins, 53-72. Thompson, John Jay (ed.), 1999. Wauchier de Denain. La Vie mon signeur Seint Nicholas le beneoit confessor, Genève, Droz (TLF, 508). Travers, Nicolas, 1836. Histoire civile, politique et religieuse de la ville et du comté de Nantes, Nantes. Tuetey, Alexandre (ed.) 1881. Journal d’un bourgeois de Paris, 1405-1449, Paris, Champion. VaillMarVM = Vielliard, Françoise / Merrilees, Brian, « La vaillance des Marseillaises. Un poème français du XVe siècle en l’honneur des femmes (Angers, Bibl. mun. 498, f. 428-433) », R 120 (2002), 28-62. [Court poème de 250 vers, conservé dans un manuscrit du milieu du XVe siècle. La langue « semble autoriser une provenance occidentale » (VaillMarVM, p. 35).] Weiss, Charles (ed.), 1844. Papiers d’État du cardinal de Granvelle d’après les manuscrits de la bibliothèque de Besançon, t. V, Paris, Imprimerie royale. Williams, Harry F., 1951. « Prose versions of Floriant et Florete », Modern Philology 48/4, 217-220.

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Zink, Gaston, 1997. Morphosyntaxe du pronom personnel (non réfléchi) en moyen français : XIVe-XVe siècles, Genève, Droz (Publications Romanes et Françaises, 218). *** Charles de Hongrie C. : Texte de la fin du XVe s. dont l’étude fait ressortir que « la majorité des traits morphologiques, à l’origine dialectaux, relèvent soit de l’E et de l’O, soit du S-E et du S-O » (Charles de Hongrie C., p. XXXVI), mais des traits de l’Ouest discutés ici sont relevés. GuillSAndréJehC : Le caractère régional de la langue du Libvre du bon Jehan, Duc de Bretaigne (ca. 1390) de Guillaume de Saint-André, notaire d’origine bretonne au service du duc de Bretagne Jean V, a notamment été étudié dans Reis 1906. JPrierM : Texte de Jehan du Prier joué à Angers en 1455, conservé dans un manuscrit dont la langue a « un coloris picard » (JPrierM, p. XXII). Notre étude fait apparaître plusieurs formes régionales occidentales. MerlinSR : Édition ponctuellement établie d’après le ms. B qui « est nettement marqué par des traits dialectaux qui le rattachent au domaine anglo-normand » (MerlinSR, p. XCIX), mais dont la langue est aussi « teintée de picardismes » (MerlinSR, p. XLIII). OUDIN, St Genis M.S. : Conservé dans le ms. BnF, fr. 12537 (1507), le texte de Jean Oudin a probablement été joué à Plessis-lès-Tours (anc. Montils-lès-Tours) (Indreet-Loire) en 1490. À côté des traits de l’Ouest étudiés ici, nous constatons l’emploi de non au lieu de ne (par ex. aux v. 3287 et 3912), de la graphie fillie “fille” 343 et de la forme brève du pronom adverbial en (par ex. au v. 3058) qui orientent vers le domaine francoprovençal (Leroux 2008, p. 374-378). PacJobM : Texte « écrit dans une région comprenant le Centre-ouest (Anjou, Touraine) et le Sud-ouest (Poitou, Aunis, Saintonge) » (PacJobM, p. 46 ; voir aussi GreubRég, p. 38). QJoyesR : Texte édité d’après un manuscrit « d’origine angevine » (QJoyesR, p. XXXVI). Œuvre sans doute originaire de « la partie sud de la France occidentale » et peut-être du « nord du Poitou » (QJoyesR, p. XXXVII ; voir aussi Thom 1981). VengRagR : À côté de nombreux traits distinctifs du Nord-Est et de l’Est, le texte contient plusieurs occidentalismes (G. Roques, compte rendu de VengRagR, RCritPhR 4-5 (2003-2004), p. 124-137).

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Le rôle des dictionnaires français dans le discours normatif d’Étienne Blanchard, chroniqueur de langue*

1. L’œuvre d’Étienne Blanchard et le mouvement de correction de la langue Figure de proue de la lexicographie canadienne-française, l’abbé Étienne Blanchard (1883-1952) a joué un rôle décisif dans le développement du mouvement de rectification langagière au Canada français pendant la première moitié du XXe siècle. Auteur du Dictionnaire de bon langage, publié pour la première fois en 1914 et réédité à sept reprises jusqu’en 1949, ainsi que du Manuel du bon parler, qui a connu sept éditions entre 1927 et 1960, Blanchard s’est aussi fait connaître du grand public par ses très nombreuses chroniques linguistiques, dont la plupart ont paru, de 1913 à 1952, dans le Bulletin de la Société du parler français au Canada et dans le journal montréalais La Presse. L’œuvre de Blanchard inclut aussi des Jeux de cartes du bon langage ainsi que plusieurs dictionnaires « par l’image » qui seront publiés à partir de 1915 et qui témoigneront eux aussi de préoccupations normatives 1. Ces publications, dont plusieurs étaient diffusées dans les établissements scolaires de l’époque, ont rapidement contribué à asseoir la réputation de Blanchard. Grâce à sa renommée ainsi qu’à la diversité et l’abondance de son œuvre, les propos qu’il a tenus sur la langue occupent une place de choix parmi l’ensemble des discours qui ont contribué à façonner l’imaginaire linguistique des Canadiens français, c’est-à-dire les rapports que ces derniers entretiennent avec leur langue, que ce soit sur le plan normatif, identitaire ou *



1

Cet article s’inscrit dans le cadre du projet « Chroniques de langage et dictionnaires : la pratique des chroniqueurs québécois », subventionné par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture, et dirigé par l’auteur. Pour un aperçu détaillé de la vie et de l’œuvre de Blanchard, voir le premier chapitre du mémoire de maîtrise que Geneviève Prévost (1996a) a consacré à son Dictionnaire de bon langage ainsi que la bibliographie des publications de l’abbé préparée par Claire Doray (s.d.) ; à propos du rôle de Blanchard dans le mouvement de correction de la langue, voir aussi Remysen et Mercier (2013).

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esthétique 2. L’œuvre de Blanchard a ainsi contribué à faire circuler, pendant près de 50 ans, plusieurs idées à propos de la langue qui lui étaient chères, à commencer par le devoir des Canadiens de se conformer au bon usage pour préserver leur langue et la nécessité d’entreprendre des campagnes pour contrer l’anglicisation du français en usage au Canada. Si son œuvre peut à juste titre être qualifiée de puriste, Blanchard se défend de se poser « en juge des mots » (Blanchard 1914, 13) et le ton qu’il adopte se veut volontairement moins virulent et corrosif que celui de certains de ses prédécesseurs. Dans l’avant-propos de son Dictionnaire de bon langage (1914), par exemple, il prend une certaine distance par rapport à ceux qui ne cherchent qu’à corriger et à condamner : À mes compatriotes, je dois dire qu’il ne s’agit pas ici d’un dictionnaire de nos fautes, mais d’un dictionnaire de bon langage. Mon but n’est pas de condamner, mais d’améliorer notre parler, de lui donner une note bien française, de substituer le mot français au mot anglais, le gallicisme vivant et imagé à l’expression anglaise ridiculement traduite. Je ne me pose donc pas en juge des mots et je ne voudrais pas qu’on crût que tout mot sur lequel des observations sont faites dans ce livre n’est pas français. Il peut l’être, mais non d’un usage courant, il peut être vieux et démodé, ce peut être un terme anglais même accepté par le dictionnaire, mais auquel il faut toujours préférer le terme français, quand il existe. Par le fait que je cite tel canadianisme, tel archaïsme, tel mot anglais francisé, je ne le condamne pas, mais j’essaie de donner autant que possible l’équivalent bien français de ces sortes de mots, laissant à l’orateur public ou à l’interlocuteur la liberté d’employer tel archaïsme, canadianisme ou terme anglais francisé qui sera nécessaire pour être compris, ou qui donnera à la conversation une note plus agréable. (Blanchard 1914, 13-14)

Ce ton plus conciliant n’est pas le seul point sur lequel les propos de Blanchard diffèrent de ceux qui ont été tenus par d’autres acteurs importants du mouvement de correction. S’il est vrai qu’il émet des réserves à l’endroit de la langue des Canadiens en général, Blanchard s’en prend essentiellement aux membres de l’élite canadienne-française, qu’il tient en grande partie responsable de l’anglicisation du français en usage au Canada, et il se montre plus ouvert à l’endroit de la langue populaire : Chose étrange : ce sont les personnes qui se piquent d’être bien instruites qui, de nos jours, parlent le plus mauvais français. Elles n’oseraient jamais dire : creire, siau, amiquié, ce qui, après tout, n’est qu’une façon ancienne et jadis parfaitement admise de s’exprimer, mais, en revanche, les expressions comme celles-ci ne les effaroucheront nullement : je vous introduis (présente) M. Laurent ; c’est correct (entendu) ; j’ai 2



À propos du concept d’« imaginaire linguistique », voir entre autres Houdebine (2002) et Remysen (2011).

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un appointement (rendez-vous) ; jobber une maison, faire du Real Estate, payer cash, cranker un automobile, casher un chèque, etc. À mon sens, la première façon de parler est préférable, car elle a déjà été française, tandis que la seconde n’est qu’un détestable et indigeste jargon. Les ouvriers, les campagnards, s’ils parlent d’une façon incorrecte, sont excusables ; les personnes instruites ne le sont pas. (Blanchard 1914, 15-16)

Contrairement à des gens comme Arthur Buies, Alphonse Lusignan et Louis Fréchette qui, vers la fin du 19e siècle, s’en étaient pris eux aussi à la langue parlée de l’élite, mais qui se montraient très peu ouverts à l’endroit de la langue populaire de leurs compatriotes, Blanchard témoigne en effet d’un certain attachement à l’endroit des expressions archaïques ou vieillies caractéristiques des milieux populaires. Il faut toutefois noter que, malgré cette ouverture, Blanchard n’est pas nécessairement d’avis que les emplois populaires font partie du « bon langage » (voire du « français » tout court) dont il souhaite faire la promotion. La hiérarchie normative qu’il propose des emplois commentés (et qui, selon les cas, sont condamnés, acceptés ou tolérés) est relativement complexe et ne suit pas toujours des critères rigoureusement établis (voir Prévost 1996a, 25 et suiv.).

2. La place du dictionnaire dans les chroniques de langage canadiennes-françaises Compte tenu des visées correctives de ses publications, Blanchard a fréquemment recours aux dictionnaires pour trancher des cas litigieux en matière de bon usage et pour étayer ses prises de position normatives. On voit par là que son discours n’est pas isolé, mais qu’il est au contraire tributaire de celui qu’on trouve dans l’ensemble des différentes publications consacrées à la langue qui font partie de ce qu’on pourrait appeler le « discours normatif institutionnel » (Moreau et al. 1999, 3). L’utilisation que Blanchard fait des dictionnaires, français et autres, soulève toutefois des questions : de la même façon que le modèle qui incarne le « bon langage » constitue une « langue idéalisée » (Prévost 1996a, 34) dont les contours sont parfois difficiles à décrire, les dictionnaires jouent dans la conception normative de Blanchard un rôle qui n’est pas toujours univoque. Le rapport que les principaux acteurs du mouvement de rectification comme Blanchard entretiennent avec le dictionnaire comme instance normative est en effet complexe et mérite qu’on s’y arrête. Comme l’a souligné Chantal Bouchard (2002), les chroniqueurs du Canada français voient généralement le dictionnaire comme « la seule référence infaillible » (p. 280), mais à partir des années 1920, quelques-uns d’entre eux ont commencé à remettre

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en question certaines pratiques des lexicographes français (l’inclusion d’anglicismes, par exemple) et, dès les années 1970, à revendiquer que les dictionnaires français s’ouvrent aux particularités canadiennes, signe que l’attitude adoptée à l’endroit de ces ouvrages s’est modifiée au fil du temps. S’ils sont à l’occasion signalés dans les travaux consacrés aux chroniques publiées dans la presse canadienne-française, les liens qui existent entre elles et les ouvrages de référence soulèvent encore de nombreuses questions qui n’ont jamais été étudiées de façon systématique : quels sont les ouvrages dont se servent les chroniqueurs canadiens-français ? comment sont-ils intégrés dans leur discours ? ces ouvrages ont-ils tous le même poids à leurs yeux ? comment les chroniqueurs interprètent-ils le contenu des dictionnaires qu’ils consultent ? Dans le cadre de cet article, nous nous proposons de répondre à certaines de ces questions à partir de l’étude de trois chroniques de langage qu’Étienne Blanchard a publiées, parfois sous un pseudonyme, dans le quotidien montréalais La Presse entre 1918 et 1952 (voir Tableau 1) 3. Malgré les différences sur le plan de leur forme et de leur contenu, ces trois chroniques, dont certaines ont été reprises dans L’Évangéline de Moncton et dans Le Droit d’Ottawa-Gatineau, poursuivent essentiellement le même but : « essayer de faire aimer la langue française, […] en signaler les beautés, […] en faire remarquer les subtilités et […] dénoncer l’abus que l’on en fait en la parlant mal » 4. Titre

Date

Signature

Journal

Billets

BlanchBLang

1918-1919

Étienne Blanchard

La Presse

65

« Autour de la langue française »

LefrLangFr

1920-1924

Paul Lefranc

La Presse

212

« Propos philologiques. À travers les mots »

ClémMots

1949-1952

Jacques Clément

La Presse

132

« Chronique du bon langage »

Sigle

Tableau 1 : Corpus

3



4



Toutes ces chroniques font partie de la base ChroQué, une base de données composée des principales chroniques québécoises de langage, et sont disponibles à l’adresse ‹ catfran.flsh.usherbrooke.ca/chroque/ ›. Elles représentent une partie de l’ensemble des articles sur la langue que Blanchard a fait paraître dans les journaux, dont le nombre est estimé à plus d’un millier (Prévost 1996b, 177). Source : LefrLangFr-115, 22 avril 1922. Dans cet article, nous citerons les chroniques de Blanchard à partir du sigle qui sert à les identifier dans la base ChroQué (voir note précédente et Tableau 1), tout en ajoutant la date de parution.

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Nous avons isolé dans ce corpus tous les passages où Blanchard fait appel à un ou à des dictionnaires. Nous donnons ici à dictionnaire un sens extensif qui inclut non seulement des dictionnaires généraux et encyclopédiques, mais aussi des dictionnaires de difficultés ou d’autres répertoires spécialisés (glossaires, dictionnaires de synonymes, etc.). Par ailleurs, dans la mesure où Blanchard cite abondamment les lettres venant de ses lecteurs, nous avons aussi tenu compte dans notre analyse des commentaires à propos des dictionnaires qu’on y trouve à l’occasion (ceux-ci seront toutefois analysés séparément).

3. Quels sont les dictionnaires cités par Blanchard ? Selon nos estimations 5, Blanchard commente entre 2 500 et 3 000 emplois dans l’ensemble des 409 billets qui composent notre corpus. De ce nombre, 159 emplois sont accompagnés de commentaires qui font explicitement appel à un ou à plusieurs dictionnaires ; dans la mesure où Blanchard vérifie certains emplois dans plus qu’un ouvrage de référence, le nombre de fois où il mentionne une autorité est plus élevé et s’élève à 194. Si ce chiffre paraît peu élevé, c’est sans doute parce que Blanchard ne se sent pas obligé de noter systématiquement les sources qu’il consulte (et non parce qu’il ne s’en sert que relativement peu souvent). La liste des dictionnaires utilisés par le chroniqueur est variée (voir Tableau 2). Plusieurs ouvrages ne sont toutefois pas nommés 6 et lorsqu’ils le sont, Blanchard donne généralement très peu d’indications : il se contente en effet souvent de nommer l’auteur (« Je lis dans Bescherelle », « après avoir consulté le dictionnaire Larousse », etc.), mais sans indiquer de quel ouvrage il s’agit, et il ne précise que très rarement l’édition dont il s’est servi. Nous disposons toutefois d’une publication qui permet de lever le voile, du moins en partie, sur les ouvrages que Blanchard avait à sa disposition lorsqu’il rédigeait ses chroniques. Il s’agit du Catalogue spécial de philologie française, un opuscule de 40 pages « préparé pour les collèges » (Blanchard 1915b, [2]) qui avait pour but « de diriger les philologues dans l’étude à fond de la langue française » 5





6

Ces estimations sont basées sur le nombre d’emplois commentés en moyenne dans dix billets par chronique. Elles ne tiennent pas compte du nombre d’emplois différents – plus difficile à évaluer en raison du « caractère répétitif » des chroniques de Blanchard (Prévost 1996b, 189) – qu’on peut trouver dans l’ensemble du corpus. Voici les formulations dont Blanchard se sert pour désigner les dictionnaires qu’il consulte, mais sans les nommer : « les dictionnaires européens/français », « un/le dictionnaire », « les dictionnaires de l’époque », « les dictionnaires faisant autorité », « les bons dictionnaires de traduction », « les dictionnaires modernes », « les dictionnaires français usuels », « les dictionnaires contemporains » et « les dictionnaires français de quelque importance ».

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(Blanchard 1915a, [2]). Selon Geneviève Prévost (1996a), ce catalogue « peut être considéré comme la bibliographie sommaire des sources de Blanchard » et son contenu varié montre que Blanchard était « relativement bien documenté » (p. 11). Le Catalogue nous a permis de compléter les indications, souvent sommaires, que Blanchard donne à propos des ouvrages qu’il consulte. Titre de l’ouvrage

Nombre de mentions

Dictionnaires (sans précision) Le dictionnaire (sans précision)

30

Dictionnaires généraux Bescherelle (sans précision) et [Louis-Nicolas] Bescherelle (aîné), [Nouveau dictionnaire national, ou] Dictionnaire universel de la langue française [1887 ; ou Dictionnaire usuel de la langue française, 1877 ; dans CPhF] ; ou Henri-Honoré Bescherelle [jeune, Dictionnaire classique de la langue française, 1880 ; dans CPhF]

22

Académie [Dictionnaire de l’Académie française, 1878]

19

[Émile] Littré [Dictionnaire de la langue française, 1863-1878 ; ou Abrégé du Dictionnaire de la langue française de É. Littré (par Amédée Beaujean), 1905 ; ou Petit dictionnaire universel ou Abrégé du dictionnaire français d’É. Littré (par Amédée Beaujean), 1902 ; dans CPhF]

18

[Adolphe] Hatzfeld et [Arsène] Darmesteter [Dictionnaire général de la langue française, 1890-1900 ; dans CPhF]

4

[Augustin] Gazier [Nouveau dictionnaire classique illustré, 1887]

1

[Paul] Guérin [Dictionnaire des dictionnaires, 1884 ou Nouveau dictionnaire universel illustré 7, 1892]

1

Dictionnaires encyclopédiques Larousse [voir Tableau 3]

43

(Armand) Colin, Dictionnaire encyclopédique [illustré] [1905]

1

Larive [et Fleury, Petit Larive et Fleury, dictionnaire français encyclopédique, 1901] 8

1

Il est possible que Blanchard se soit servi d’une des éditions canadiennes de ce dictionnaire, parues successivement en 1895, 1913, 1922 et 1927 chez Cadieux & Derome (voir Lajeunesse 2010, 244-245). 8 Blanchard évoque seulement le nom de Larive ; toutefois, il ne peut s’agir ici de son Dictionnaire français illustré des mots et des choses, que Larive publie en 1887-1889, car le commentaire du chroniqueur porte sur un cas précis (la confusion entre main coulante et main courante) qui n’est pas commenté dans cet ouvrage, mais qui l’est dans le dictionnaire de Larive et Fleury. 7

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LE DISCOURS NORMATIF D’ÉTIENNE BLANCHARD

Titre de l’ouvrage

Nombre de mentions

Dictionnaire encyclopédique Quillet (1934)

1

Trévoux [Dictionnaire universel François et latin, 1704]

1

Dictionnaires de correction / de difficultés (Raoul) Rinfret, Dictionnaire de nos fautes [contre la langue française] [1896]

10

(Henri) Roullaud [Rectification du vocabulaire, 1908]

8

(Théodore) Soulice et (Antoine Léandre) Sardou, Petit dictionnaire raisonné des difficultés et des exceptions de la langue française [1911]

3

[L’abbé Claude] Vincent [Le péril de la langue française, 1910]

1

(Arthur) Buies [Anglicismes et canadianismes, 1888]

1

(Françis) Wey, Remarques sur la langue française [au dix-neuvième siècle, sur le style et la composition littéraire] [1845]

1

Dictionnaires de traduction Harrap [Harrap’s shorter French and English dictionary, 1940]

18

[Jules] Guiraud, Dictionnaire anglais-français [1926]

1

Heath[’s French and English dictionary, compiled from the best authorities of both languages] [1890]

1

Autres dictionnaires Société du parler français au Canada, Glossaire du parler français au Canada [1930]

6

[Jacques] Savary [Des Bruslons], Dictionnaire [universel] de commerce[, d’histoire naturelle et des arts et métiers] (1759)

1

(Charles) Nodier, Dictionnaire [raisonné] des onomatopées

1

Tableau 2 : Liste des dictionnaires cités par Blanchard 9

Les dictionnaires parus chez Larousse figurent parmi les ouvrages dont le chroniqueur se sert le plus souvent : Blanchard en cite plusieurs (voir Tableau  3), la plupart du temps en utilisant la seule désignation « Larousse ». En outre, il y a trois autres ouvrages qui reviennent fréquemment dans son discours ; dans l’ordre d’importance, il s’agit des dictionnaires de Bescherelle, de l’Académie 9



Nous avons complété autant que possible les références incomplètes (entre crochets). Lorsque l’information que nous avons ajoutée provient du Catalogue, nous l’avons indiqué en utilisant la mention « dans CPhF ». Dans tous les autres cas, nous nous sommes contenté de mettre le titre et l’année de publication de la première édition de l’ouvrage.

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et de Littré. Pour ce qui est de Bescherelle, Blanchard s’est entre autres servi du Dictionnaire universel de la langue française en 4 volumes de Louis-Nicolas Bescherelle (dit l’aîné), qu’il cite nommément. Mais comme il utilise souvent la désignation « Bescherelle » sans plus, il n’est pas exclu que le chroniqueur ait aussi utilisé le Dictionnaire usuel de la langue française (Bescherelle l’aîné) ou encore le Dictionnaire classique de la langue française (Bescherelle jeune) 10, tous deux en un seul volume, qui figurent dans le Catalogue. Pour ce qui est de l’Académie, Blanchard évoque le plus souvent « le dictionnaire de l’Académie », sauf dans deux cas, où il précise avoir utilisé les 6 e et 8e éditions (parues en 1835 et en 1932-1935). Compte tenu des années de publication des premières chroniques de Blanchard, il s’est probablement servi le plus souvent de la 7e édition (2 volumes, publiés en 1878) 11. Enfin, lorsqu’il cite « Littré », le chroniqueur se réfère sans doute au Dictionnaire de la langue française (4 tomes et un supplément entre 1863 et 1878) ; il n’est toutefois pas exclu qu’il ait eu recours à un des abrégés qu’Amédée Beaujean en a publié dès 1875 et dont sont mentionnées deux éditions dans le Catalogue. Titre de l’ouvrage

Nombre de mentions

Larousse (sans plus)

28

Larousse universel [en 2 volumes] [1922-1923]

11

Grand dictionnaire universel [du xixe siècle] [1865-1890]

1

[Le] Larousse pour tous [1907-1910]

1

Nouveau Larousse [illustré] [1898-1901]

1

Petit Larousse Illustré [1905]

1

Tableau 3 : Liste des dictionnaires Larousse cités par Blanchard

À côté des ces dictionnaires souvent nommés, d’autres ne sont pour ainsi dire jamais invoqués, ce qui soulève des questions. Ainsi, malgré leur autorité, le Dictionnaire général de la langue française de Hatzfeld et Darmesteter (1890-1900) 12 tout comme le Dictionnaire des dictionnaires de Paul Guérin Le Dictionnaire classique de la langue française (1880) est suivi d’un Dictionnaire géographique, historique, biographique et mythologique et comporte donc un volet encyclopédique. 11 C’est aussi l’avis de Geneviève Prévost (1996a, 22). Curieusement, le dictionnaire de l’Académie ne figure pas dans le Catalogue spécial de philologie française. 12 Prévost (1996a, 22) affirme pourtant que le dictionnaire de Hatzfeld et Darmesteter jouait un rôle important dans la conception du « bon langage » chez Blanchard, mais elle ne dit pas sur quoi elle se base pour l’affirmer. 10

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(1884-1890) n’occupent qu’une place marginale dans le discours de Blanchard. Quand on sait toute la place que Guérin accordait aux canadianismes dans le Supplément à son dictionnaire (1895 ; voir Giroux 1991), cette presque absence peut surprendre. Les dictionnaires français côtoient dans le discours de Blanchard quelques dictionnaires publiés au Canada. Il s’agit pour l’essentiel de dictionnaires de correction – celui de Raoul Rinfret, qui est le plus fréquent 13, ou celui de Henri Roullaud, par exemple – auxquels le chroniqueur a recours pour donner plus de poids à ses prises de position normatives. Les appels à ces ouvrages sont fréquents dans la « Chronique du bon langage » – qui est la toute première chronique de Blanchard – mais se font plus rares dans les chroniques subséquentes, ce qui donne à penser que le chroniqueur ne ressent plus le besoin de recourir à l’opinion d’autres Canadiens pour faire valoir son point de vue. Il est du reste clair, aux yeux de Blanchard, que les dictionnaires faits au Canada ne peuvent être que de nature prescriptive, renforçant par le fait même l’image selon laquelle le français des Canadiens est largement imparfait et lacunaire : Vous accueillez, Monsieur le secrétaire [Georges Duhamel, secrétaire perpétuel de l’Académie française de 1944 à 1946], les mots de bonne venue, frappés au coin du véritable esprit français, et vous en faites un dictionnaire. Nous aussi, nous fabriquons des dictionnaires, mais ce sont des dictionnaires à l’envers. Ce sont des dictionnaires de mots mal venus, des dictionnaires de fautes contre la langue française, consacrant ainsi le dicton qui veut qu’une dictée donnée aux élèves en classe, c’est un concours de fautes de français. (ClémMots-117, 5 janv. 1952)

Ainsi, lorsque Blanchard se réfère, dans ses « Propos philologiques », au Glossaire du parler français au Canada (1930), il lui arrive de le considérer comme un ouvrage prescriptif, malgré ses visées descriptives (à propos des objectifs du Glossaire, voir Mercier 2002). En terminant, les dictionnaires de traduction occupent également une place relativement importante dans le discours du chroniqueur. Blanchard aide souvent ses lecteurs à trouver les traductions françaises appropriées pour remplacer des mots anglais, et c’est ce qui explique que ce type d’ouvrages soit relativement fréquemment mentionné. Toutefois, ces ouvrages ne servent pas seulement à traduire ; Blanchard les invoque aussi à l’occasion pour autoriser tel ou tel emploi qui soulève un doute dans l’esprit d’un lecteur : Opérateur peut […] s’employer dans le sens dont vous parlez [« personne qui fait fonctionner une machine, un appareil »]. On voit dans le dictionnaire Harrap : opérateur de cinéma, opérateur de T.S.F. Il semble que le sens peut bien s’étendre à L’ouvrage de Rinfret est aussi celui que Blanchard cite le plus souvent dans son Dictionnaire de bon langage (voir Prévost 1996a, 66).

13

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celui ou celle qui fait fonctionner une machine, quelle qu’elle soit. (ClémMots-092, 14 juillet 1951)

La liste des dictionnaires consultés par Blanchard est-elle représentative des ouvrages qui étaient disponibles sur le marché à l’époque ? Même si nous ne disposons que de peu d’informations au sujet de l’édition de dictionnaires sur le marché canadien-français pendant la première moitié du 20e siècle, certaines indications sont susceptibles de nous éclairer à ce sujet. Nous disposons notamment pour la période qui nous intéresse de la liste des dictionnaires qui étaient utilisés dans les écoles francophones au Québec et qui avaient obtenu l’aval des autorités scolaires (voir Lajeunesse 2010). On y retrouve essentiellement trois dictionnaires faits en France, mais adaptés pour le public canadien 14 : – le Dictionnaire complet illustré de la langue française (adaptation canadienne du dictionnaire du même nom de Pierre Larousse, publiée chez Beauchemin à partir de 1889) ; – le Nouveau dictionnaire universel illustré (adaptation canadienne du dictionnaire du même nom de Paul Guérin, publiée chez Cadieux & Derome à partir de 1895) ; – le Petit dictionnaire ou lexique orthographique (adaptation canadienne du dictionnaire du même nom paru chez Poussielgue, publiée chez les Frères des écoles chrétiennes de Montréal à partir de 1895).

Or, Blanchard ne se sert d’aucun de ces dictionnaires pourtant fréquemment utilisés dans les écoles au Québec et que ses lecteurs devaient connaître. Cela est d’autant plus surprenant qu’il était lui-même impliqué dans les milieux d’éducation. En outre, les ouvrages signalés par ses lecteurs diffèrent aussi sensiblement de ceux que le chroniqueur utilise lui-même. Dans leurs lettres, les lecteurs mentionnent presque toujours le « dictionnaire Larousse », ce qui donne à penser qu’ils n’avaient pas facilement accès aux « grands » dictionnaires, souvent publiés en plusieurs volumes, comme celui de Littré, de Bescherelle ou de l’Académie et que le chroniqueur leur fait connaître à travers certains de ses commentaires.

4. Pourquoi Blanchard se sert-il des dictionnaires français ? Dans la mesure où les dictionnaires le plus souvent évoqués par Blanchard sont des dictionnaires faits en France, nous mettons de côté les ouvrages parus au Canada dans la suite de l’analyse. Les raisons qui motivent Blanchard à 14

L’adaptation concerne essentiellement l’ajout de suppléments encyclopédiques pour le Canada, contenant de l’information relevant de l’histoire, de la géographie, des arts, etc. La description lexicographique n’est pas touchée par ces adaptations.

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recourir au dictionnaire sont multiples et font voir des préoccupations linguistiques diverses (voir Tableau 4). Motivation

Ouvrages consultés et nombre de mentions Lar.

Besch.

Acad.

Littré

Autres

Total

Renseignement d’ordre historique (origine d’un mot, ancienne graphie, attestation d’un emploi dans le passé, …)

2

4

1

1

3

11

Proposition d’un équivalent français à un terme anglais (traduction)

---

---

---

---

6

6

Renseignement d’ordre sémantique (sens d’un mot peu connu, scientifique, réputé « difficile », ...)

3

2

---

1

---

6

Renseignement d’ordre grammatical (règle grammaticale, genre/pluriel d’un mot, rection d’un verbe, voix pronominale, ...)

5

2

3

2

4

16

Renseignement d’ordre orthographique (graphie correcte d’un mot ou d’une expression)

2

2

6

1

2

13

Évaluation de la légitimité d’une prononciation

---

---

1

---

---

1

Évaluation de la légitimité d’un mot ou d’une expression (ou d’un de ses sens)

31

12

8

13

52

116

Tableau 4 : Motivations pour lesquelles Blanchard consulte les dictionnaires français 15

Dans certains cas, il utilise le dictionnaire pour donner un simple renseignement, sans plus. Souvent, les renseignements fournis par le chroniqueur Ce tableau donne le nombre de mentions de chaque dictionnaire en fonction de l’utilisation qui en est faite. À noter que « Lar. » = Larousse, « Besch. » = Bescherelle et « Acad. » = Académie ; la colonne « autres » concerne tous les dictionnaires qui ne sont pas nommés et ceux qui sont nommés mais qui ne sont pas utilisés couramment (Hatzfeld et Darmesteter, par exemple, ou encore certains dictionnaires de traduction).

15

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répondent à une question venant d’un lecteur qui souhaite avoir des précisions sur l’origine d’un mot, sur la traduction française d’un mot anglais, ou encore, comme dans l’exemple qui suit, sur le sens d’une expression peu courante : QUESTION. Au cours de mes lectures, je rencontre souvent le mot « carence ». Voulez-vous me donner sa signification. [/] Réponse. D’après le Larousse universel, on entend par carence : l’action de faire défaut (la carence du gouvernement) ; la situation d’une personne qui se dérobe dans une affaire d’honneur, d’un match, etc. En médecine, une maladie par carence est une maladie causée par un régime privé de vitamines, synonyme d’avitaminose. (ClémMots-014, 7 janv. 1950)

En règle générale, ces commentaires ne répondent pas à des préoccupations correctives, même si certains d’entre eux ne sont pas entièrement dépourvus de visées normatives. Dans tous les autres cas, nettement plus fréquents, les visées de Blanchard sont explicitement normatives 16 : le recours au dictionnaire lui permet de statuer sur la légitimité d’une expression, d’un mot ou d’un de ses sens ou encore d’une prononciation. C’est ainsi que Blanchard accepte le verbe pronominal se suicider « que le dictionnaire approuve tout à fait » 17 et condamne pécunier (au sens de « qui a rapport à l’argent »), « qu’on ne trouve pas au dictionnaire » 18. Parmi les emplois jugés par le recours au dictionnaire, on trouve des néologismes (comme délinquance, casse-croûte ou dactylographe), des emplois caractéristiques du français canadien (qu’il s’agisse d’emplois hérités de France comme blé d’Inde ou débarquer, d’anglicismes comme admission « entrée », domplaine ou d’innovations canadiennes comme garde-moteur, chambreur, claque), des emprunts à l’anglais (lyncher, nuisance, réservation) ainsi que des difficultés de langue « classiques », comme des mots spécialisés (déréliction, compéter), certaines confusions et fautes, dont certaines attestées aussi en France (tête/taie d’oreiller), et à l’occasion des mots familiers utilisés en France (coloquinte). Le Tableau 4 illustre par ailleurs qu’aucun des dictionnaires français consultés par Blanchard n’est associé à un type de questionnement précis. En effet, le chroniqueur n’a pas l’habitude de se tourner vers certains ouvrages précis lorsqu’il cherche une réponse à des questions d’un ordre particulier. Ce faisant, il contribue à véhiculer une image réductrice « du » dictionnaire qui donne à penser que tous les dictionnaires faits en France, quelles que soient leurs caractéristiques, sont équivalents. À aucun moment, par exemple, le À propos du Tableau 4, il faut noter que nous ne faisons pas, à cette étape-ci de l’analyse, la distinction entre les cas où Blanchard s’appuie sur le dictionnaire pour justifier ses prises de position normatives et ceux où il n’hésite pas à remettre en question la description qu’il y trouve ; nous y reviendrons plus loin. 17 ClémMots-035, 3 juin 1950. 18 ClémMots-007, 19 nov. 1949. 16

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chroniqueur ne renseigne ses lecteurs sur la composition ou l’étendue de la nomenclature des dictionnaires qu’il consulte, sur la place qu’ils accordent aux néologismes, sur l’importance qu’ils donnent à la description en diachronie ou sur la période qui est couverte par la description. Blanchard ne fait du reste pratiquement aucun commentaire au sujet de la légitimité des différents dictionnaires qu’il consulte, ce qui renforce l’idée qu’il met la plupart d’entre eux sur le même pied. Malgré toute l’importance que Blanchard leur accorde, il lui arrive de s’inscrire en faux contre les dictionnaires faits en France. Le principe général selon lequel la légitimité d’un emploi dépend de sa présence dans les dictionnaires français n’est en effet pas toujours respecté par le chroniqueur. En réalité, l’interprétation que Blanchard fait du traitement que ces dictionnaires font des emplois qu’il commente varie selon la nature des mots en question. Le chroniqueur ne traite en effet pas les néologismes, les canadianismes et les anglicismes de la même façon. Les néologismes, par exemple, sont recevables dans le bon usage s’ils sont bien formés, peu importe s’ils ont déjà trouvé leur place dans le dictionnaire : […] En français, substitut, c’est mettre une personne à la place d’une autre. Le « substitut », d’après Larousse, ne s’applique qu’aux personnes chargées de remplir les fonctions d’un autre. [/] Cependant, je pense que le sens de « substitut » peut être élargi, vu la nécessité, et à l’exemple du verbe substituer auquel il est apparenté, signifier un objet qui en remplace un autre. (ClémMots-042, 22 juillet 1950)

Il en est de même de certains néologismes créés au Canada qui permettraient d’enrichir la langue française, comme patinoir [sic] (pour skating), clavigraphe (pour dactylographe) et garde-moteur (pour wattman) qu’on ne trouve « dans aucun dictionnaire européen » mais qui « [méritent] de figurer dans les dictionnaires français » 19. En revanche, même s’il affirme que « les dictionnaires français devraient mentionner nos mots canadiens, tout comme ils mentionnent certains mots qui ont un sens particulier en Bretagne » 20, les canadianismes qui font double emploi avec des mots français ne sont pas recevables dans le « bon langage » selon Blanchard. Ces emplois sont donc rejetés en dépit de leur présence au dictionnaire, comme c’est le cas de blé d’Inde « maïs », qui figure dans Littré, Larousse et Bescherelle 21. Plutôt que de se fier au dictionnaire, c’est donc à sa conception du français et du canadianisme qu’il se réfère lorsqu’il porte des jugements normatifs à leur égard.

BlanchBLang-014, 14 sept. 1918. LefrLangFr-056, 5 mars 1921. 21 ClémMots-105, 13 oct. 1951. 19

20

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La question des anglicismes illustre aussi que leur légitimité n’est pas nécessairement liée au traitement qu’ils reçoivent dans le dictionnaire. Si Blanchard se résigne à accepter la plupart des emprunts directs à l’anglais qui figurent dans les dictionnaires français (snow-boot, poster ou boycotter par exemple, qu’il trouve dans Larousse) et même certains emprunts sémantiques (comme réservation « réservation de places » que « l’usage semble vouloir imposer » et que « le dictionnaire Harrap […] accepte » 22), il n’hésite pas à condamner les anglicismes qui font double emploi avec des mots français existants, même si ces emprunts sont répertoriés dans les dictionnaires (comme réaliser « se rendre compte » ou échelle « maille », qui figurent dans Harrap 23). Parmi les éléments de la microstructure retenus, la définition est sans doute l’information que Blanchard cite le plus souvent pour faire valoir ses jugements normatifs. Contrairement à la nomenclature des dictionnaires, qui est vue comme ouverte et relativement malléable (et somme toute perfectible, comme le montrent certains des exemples qui précèdent), les définitions qu’ils contiennent sont vues comme plus contraignantes et immuables, ce qui montre que tous les éléments de la description lexicographique ne sont pas remis en question avec la même facilité : ACOUSTIQUE. – Mot que l’on emploie fautivement pour signifier qu’une salle, qu’une église ont une bonne résonance, qu’elles renvoient bien les sons, qu’on y fait bien entendre. [/] L’Académie admet acoustique seulement comme substantif féminin, pour désigner [une par]tie de la physique qui s’occupe des sons (l’acoustique), et comme adjectif (nerf acoustique, cornet acoustique). (BlanchBLang-020, 26 oct. 1918)

À part les définitions, Blanchard cite aussi à l’occasion des exemples ou des citations littéraires qu’il trouve dans les dictionnaires (il cite par exemple l’expression barque à Caron pour montrer l’emploi de la préposition à pour exprimer la possession) ou encore les remarques de nature prescriptive qu’il trouve chez Bescherelle (voir se suicider, tarder à/de) ou Littré (soi-disant, vendre/éventer la mèche). Il se montre rarement critique à l’endroit du traitement lexicographique ou des remarques qu’il relève dans les dictionnaires, mais on trouve quelques cas où Blanchard préfère taire de l’information qui va à l’encontre de sa propre vision des choses. Par exemple, il ne cautionne pas l’emploi de soixante et dix (pour soixante-dix) qui figure pourtant au dictionnaire de l’Académie : […] La conjonction et s’emploie dans vingt et un, trente et un, cinquante et un ; mais elle ne s’emploie pas dans quatre-vingt-un. L’Académie donne soixante et dix ClémMots-031, 6 mai 1950. ClémMots-013, 31 déc. 1949 et ClémMots-031, 6 mai 1950.

22

23

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[…]. Nous croyons que soixante-dix, soixante et onze sont consacrés par l’usage le plus général. […] (ClémMots-043, 29 juillet 1950)

L’Académie (6e et 7e éditions de son Dictionnaire) condamne même très explicitement l’emploi recommandé par Blanchard (« On dit aussi, mais moins ordinairement et moins bien pour l’euphonie, Soixante-un, soixante-dix »), ce que le chroniqueur omet de préciser. Enfin, le chroniqueur fait généralement très peu de cas des autres renseignements que les articles de dictionnaire peuvent contenir, comme les marques d’usage et les indicateurs de domaine, que Blanchard ne mentionne jamais lorsqu’il cite des articles 24. Le Tableau 5 contient quelques exemples d’emplois qui sont accompagnés d’une telle étiquette dans le dictionnaire consulté par Blanchard, mais que le chroniqueur ne mentionne tout simplement pas. Emploi commenté

Dictionnaire consulté

Marque/indicateur figurant au dictionnaire

carence « action de faire défaut »

Larousse universel

Dr[oit]

claque « double soulier imparfait »

Bescherelle

Techn.

garde-temps « chronomètre »

Larousse universel

Phys[ique]

Larousse universel

En T[erme] de comm[erce]

poster « mettre à la poste »

Tableau 5 : Emplois accompagnés d’une marque ou d’un indicateur qui n’est pas repris par Blanchard

L’idée que Blanchard se fait des dictionnaires français doit aussi être abordée sous l’angle de leur représentativité de la langue telle qu’elle a cours en France. S’il est vrai que les chroniqueurs canadiens se fient aux dictionnaires faits en France pour savoir comment les Français parlent et écrivent leur langue, ils restent conscients des limites qu’une telle approche comporte et c’est aussi le cas de Blanchard. Ayant voyagé en France, celui-ci a été directement en contact avec la langue parlée par les Français ; dans l’avant-propos à son Dictionnaire de bon langage, il raconte à quel point lui a été bénéfique le séjour d’un an qu’il a pu faire en France pour faire son noviciat, en 1913 et 1914 : 24

Sur ce point, notre analyse rejoint l’observation faite par Prévost (1996a, 81-82) à propos de certaines prononciations recommandées par Blanchard, même si elles sont données comme « vieillies » dans les dictionnaires qu’il a consultés.

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Là, j’ai ouvert l’œil et j’ai tendu l’oreille. J’ai comparé aux nôtres les affichesréclames dont sont bariolés [sic] les murs, le pignon des maisons, toutes les surfaces utilisables au grand air, et même les parois des chemins de fer souterrains dont ces affiches forment l’intéressant panorama. J’ai observé le langage du bourgeois placide dont, en chemin de fer, je partageais le compartiment ; du commis, dans les grands magasins du Louvre et du Bon-Marché ; de l’employé des voitures publiques ; du camelot offrant sa pacotille ; du bambin jouant au cerceau ou questionnant sa bonne ; des ouvriers entassés dans le Métro ou le Nord-Sud après les heures de travail. J’ai interrogé des confrères, des amis, qui m’ont renseigné avec l’obligeance qui caractérise la nation française. L’occasion était vraiment bonne pour saisir au vol l’expression pittoresque, le mot faisant image, aussi bien que le terme commercial, industriel ou même agricole. J’ai donc tâché autant que possible d’en tirer profit. De là j’ai conclu que le « doux parler de France », dépouillé de ses mots argotiques, anglais, allemands, que les Français emploient par pur snobisme, devrait être le modèle de notre langage. (Blanchard, 1914, 16-17)

Cela explique pourquoi Blanchard fait souvent allusion à ses propres observations faites en France ou encore pourquoi il consulte régulièrement des publications françaises, et tout particulièrement des catalogues ou des publications encyclopédiques comme la revue Larousse mensuel, pour connaître l’usage hexagonal 25 : Les trois mots « magasin à rayons » ne se trouvent pas dans les dictionnaires français ni dans les catalogues français, mais cette expression s’emploie tout de même en France dans les conversations et sur les réclames des magasins de province. (LefrLangFr-033, 18 sept. 1920)

Nous avons déjà mentionné que Blanchard n’hésite pas à adopter un point de vue qui n’est pas cautionné dans le dictionnaire lorsque le contenu va à l’encontre de sa conception du bon usage. À cette observation, il faut donc ajouter que l’usage qui a cours en France a généralement plus de poids que le dictionnaire 26, signe qu’il est bien conscient des limites de ces ouvrages. Par conséquent, un mot qui est répertorié dans les dictionnaires français, mais qui n’est pas couramment utilisé en France n’est pas légitime aux yeux de Blanchard : Littré et Larousse enregistrent blé de l’Inde, au sens de maïs, et Bescherelle blé d’Inde. [/] Néanmoins, je trouve que les raisons que vous apportez [Blanchard Ces publications occupent d’ailleurs une place importante dans le Catalogue spécial de philologie française, qui inventorie plusieurs catalogues français dont on peut retirer profit « pour la correction et l’enrichissement du langage » (Blanchard 1915b, 19). 26 La langue qui a cours en France n’est certainement pas parfaite aux yeux de Blanchard, qui se montre plutôt sévère à l’endroit de la langue argotique et, surtout, à l’endroit des nombreux anglicismes qui pullulent selon lui dans la langue des Français (voir Prévost 1996a, 22-24). 25

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répond à un lecteur qui mentionne que « seul maïs est employé dans les écrits français »] sont excellentes et je m’inscris en faveur de maïs dans la langue écrite […]. (ClémMots-105, 13 oct. 1951)

5. Les dictionnaires français et l’argumentation d’autorité En plus de leur rôle comme référence normative, les dictionnaires faits en France servent en même temps d’argument d’autorité. Ce type d’argument, qu’on peut définir comme celui qui « utilise […] des jugements d’une personne [en l’occurrence le lexicographe 27] ou d’un groupe de personnes comme moyen de preuve en faveur d’une thèse » (Perelman et Olbrechts-Tyteca 2008, 411), est basé sur le principe suivant : X soutient que P. Or, X est une autorité en la matière. Donc P.

Son fonctionnement ne repose pas tant sur la justesse ou la valeur de la thèse qu’on essaie de faire valoir que sur le fait que cette thèse soit portée par une personne ou une instance à laquelle on accorde un prestige certain et dont l’« autorité est reconnue par l’auditoire dans un domaine particulier » (Perelman et Olbrechts-Tyteca 2008, 415). En se tournant vers les dictionnaires français, Blanchard se sert donc de sources qui font autorité dans l’imaginaire des locuteurs, ce qui donne du poids à ses prises de position. L’interaction qu’on peut observer entre Blanchard et son lectorat montre bien que tel est le cas : si le recours aux dictionnaires français lui permet de donner plus de crédibilité à ses propos, c’est que son public et lui partagent un certain nombre de stéréotypes et d’idées reçues concernant le dictionnaire qui permettent d’assurer, de façon tout à fait implicite, le bon fonctionnement de l’argumentation du chroniqueur 28. Par exemple, lorsque Blanchard répond à un de ses lecteurs que le « dictionnaire Harrap donne bien comme traduction de “under separate cover” : sous pli séparé » 29, il ne Il serait sans doute plus juste de dire que l’autorité du dictionnaire résulte d’une combinaison de facteurs : il y a, certes, l’autorité du lexicographe qui est perçu comme compétent (surtout quand il s’agit d’un Pierre Larousse ou d’un Émile Littré), mais aussi celle qui est conférée par la nature même de l’ouvrage, le dictionnaire, qui est vu comme un « document » de référence ; à ce sujet, voir Martel (1998, 84-87) pour une discussion à propos de l’autorité comme instance plus ou moins personnalisée. 28 Il s’agit de ce que certains appellent, à l’instar des travaux de Toulmin (1958), des lois de passage ; voir la thèse d’Amélie Rheault (2010) pour une application de cette notion à des discours métalinguistiques recueillis dans le cadre d’entrevues sociolinguistiques. 29 ClémMots-079, 7 avril 1951. 27

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ressent pas le besoin d’ajouter que l’expression est « donc recevable » étant donné qu’il partage avec son lecteur l’idée selon laquelle « une expression qui figure au dictionnaire est française ». Il est à noter que le dictionnaire constitue à cet égard une autorité particulière dans la mesure où il n’a pas nécessairement besoin d’être nommé. En effet, si l’autorité du dictionnaire peut être associée à un nom de renommée (Littré ou Larousse, par exemple), ce n’est pas toujours le cas, comme nous l’avons vu plus haut, signe que « le dictionnaire » peut en soi constituer une autorité. Les théoriciens de l’argumentation parlent alors d’une « autorité impersonnelle » (Perelman et Olbrechts-Tyteca 2008, 413), associée dans le cas qui nous occupe à un genre textuel et discursif particulier, lexicographique en l’occurrence. Ce faisant, Blanchard contribue à alimenter l’idée selon laquelle les dictionnaires sont interchangeables et qu’ils ont tous plus ou moins la même valeur : de la même façon qu’il parle de « la » langue, il aborde « le » dictionnaire au singulier. Les travaux consacrés à l’argument d’autorité signalent que ce type d’argument ne peut généralement pas être contesté (sauf, bien sûr, lorsque l’autorité n’est pas reconnue comme telle) et qu’il sert essentiellement à « compléter une riche argumentation » (Perelman et Olbrechts-Tyteca 2008, 413), c’està-dire à donner du poids à d’autres arguments qui ne seraient peut-être pas suffisamment convaincants. Il est vrai que le dictionnaire, autorité qu’il est pratiquement impossible de réfuter (voir Molinari 2010), joue souvent ce rôle dans les chroniques de langage. C’est ce qui fait que le dictionnaire est un argument qui est non seulement invoqué souvent par les chroniqueurs, mais qui est aussi suffisamment fort pour renverser un argument jugé non valide ou, à l’inverse, pour renforcer un autre argument qu’on craint trop faible (voir Remysen 2009, 296). On en trouve plusieurs illustrations dans notre corpus ; par exemple, lorsque Blanchard approuve l’usage que les Canadiens font de savonnette pour nommer ce que les Français appellent blaireau, il est d’avis que ce dernier ne permet pas de désigner aussi clairement que le premier l’objet en question, mais il s’appuie d’abord sur la présence du mot dans le dictionnaire pour affirmer qu’il est « français » et donc recevable : Pour désigner un pinceau à barbe, les Français disent blaireau tandis que nous disons savonnette. Allez demander une savonnette au Bon Marché, à Paris. On vous servira un savon parfumé, mais pas un blaireau. Cependant, au mot « savonnette », je trouve dans les dictionnaires : blaireau pour faire la barbe. Savonnette est donc aussi français que blaireau. Je soutiens même qu’il l’est plus. Blaireau n’est après tout que le nom d’un animal dont le poil sert à faire le pinceau à barbe, ce qui est très vague. Savonnette rappelle savonnage et savonner et indique l’objet avec lequel on savonne, comme tirette désigne l’objet avec lequel on tire. Savonnette est plus clair et plus

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précis que blaireau, et, partant, plus français. (LefrLangFr-001, 31 janv. 1920 ; nous soulignons)

S’il arrive à Blanchard de remettre en question le contenu des dictionnaires français, comme nous l’avons vu, il ne va toutefois jamais jusqu’à remettre en question l’autorité qu’il leur reconnaît. Sur le plan discursif, cela se manifeste par le fait que le chroniqueur utilise généralement des structures concessives lorsque l’opinion qu’il souhaite exprimer va à l’encontre des renseignements contenus dans le dictionnaire. On sait que la concession est une stratégie discursive qui permet d’invalider un argument tout en lui reconnaissant une certaine validité (Morel 1996, 5), c’est-à-dire sans le réfuter complètement ; en voici un exemple dans notre corpus : Quant à chambreur, traduction canadienne de « roomer », il n’est pas au dictionnaire français. [Il faut donc l’éviter.] On dit : locataire en garni, locataire en meublé. Ce locataire prend ses repas en dehors, il habite une chambre garnie, meublée. Cependant, le mot chambreur est tellement répandu et accepté par le peuple qu’il est difficile de le condamner. (ClémMots-084, 12 mai 1951 ; nous soulignons)

Ces remises en question du dictionnaire donnent à penser que Blanchard est conscient des limites de ces ouvrages, mais il ne le souligne jamais explicitement. Elles montrent encore une fois qu’on aurait tort de réduire la conception que Blanchard se fait du « bon langage » au seul modèle qui est décrit dans les dictionnaires faits en France.

6. Les dictionnaires français, une source d’insécurité ? Dans la mesure où ils informent les lecteurs sur le bon usage et qu’ils cherchent à les aider à résoudre des difficultés en matière de langue, les chroniqueurs de langage poursuivent des visées pédagogiques. C’est clairement le cas des chroniques de Blanchard, qui répond très fréquemment à des questions qui lui sont soumises par ses lecteurs et plusieurs de ses billets fonctionnent sur le modèle question-réponse. Parmi les lettres qu’il reçoit de la part de ses lecteurs, plusieurs soulèvent explicitement la question de l’autorité que représentent les dictionnaires ou encore concernent l’interprétation qu’il convient de faire de leur contenu, d’où leur intérêt ici. Les questions que les lecteurs posent au sujet des dictionnaires témoignent d’une insécurité certaine à leur endroit et montrent que ces ouvrages ne leur permettent pas toujours de prendre une décision éclairée en matière de bon usage. Certains lecteurs demandent par exemple au chroniqueur de se prononcer sur la légitimité d’un mot qui est absent des dictionnaires ou sur celle

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d’un mot qui est décrit dans le dictionnaire mais dans un usage qui ne correspond pas tout à fait à celui qui les intéresse : […] Je vous serais reconnaissant d’analyser l’expression : le fait que. Est-elle française ? Je ne la trouve dans aucun dictionnaire, pas même dans Bescherelle. (ClémMots-075, 10 mars 1951) […] Le mot CHORALE, pour désigner une association de chanteurs ou de chantres, est-il bien choisi ? Le dictionnaire ne donne ce mot que comme adjectif. (BlanchBLang-040, 15 mars 1919)

D’autres vont même jusqu’à se poser des questions sur la « vraie définition » d’un mot, fût-il défini dans le dictionnaire qu’ils ont sous les yeux : […] permettez-moi de m’adresser à vous pour savoir la vraie définition des mots « récital » et « concert ». Les journaux de Québec, comme ceux de Montréal, emploient très souvent le mot récital, quand un professeur de musique donne une séance musicale, avec l’aide de ses élèves. Ne serait-il pas mieux d’écrire « concert » ou lieu de « récital » ?... Dans le dictionnaire Larousse, j’ai bien trouvé la définition de récital : « l’audition d’un seul artiste sur un seul instrument », et concert : harmonie de plusieurs instruments ou plusieurs voix, ou les deux ensemble. (BlanchBLang-049, 17 mai 1919)

Ces exemples illustrent au moins trois choses : d’abord, que les lecteurs ne partagent pas en bloc toutes les idées reçues à propos du dictionnaire (l’absence d’un mot du dictionnaire ne signifie pas nécessairement qu’il n’est pas français) ; ensuite, que les lecteurs éprouvent des difficultés à interpréter le contenu des dictionnaires et qu’ils s’en remettent au chroniqueur pour les aider à le faire ; enfin, que certains lecteurs ont besoin d’une réponse toute faite afin de les rassurer sur l’usage qu’il convient de faire de la langue. Blanchard lui-même insiste d’ailleurs à quelques reprises sur l’importance de bien savoir se servir du dictionnaire afin d’en tirer le meilleur parti possible. À ses yeux, le dictionnaire est un outil certes indispensable, mais qui n’est pas nécessairement à la portée de tous. Le simple geste de consulter un dictionnaire implique donc des compétences car des textes ou des traductions de qualité ne peuvent être faits que « par des hommes compétents, qui comprennent le génie des deux langues et non à coups plus ou moins habiles de dictionnaire » 30. Il ne se gêne donc pas pour reprocher occasionnellement à ses lecteurs de mal interpréter le dictionnaire. La responsabilité du chroniqueur, ou son rôle pédagogique si on veut, ne devrait donc pas se limiter à se prononcer sur la légitimité de tel ou tel emploi : on s’attendrait à ce qu’il profite des occasions qui lui sont faites par certains de ses lecteurs pour leur donner des pistes qui leur permettraient de mieux tirer profit du dictionnaire, mais 30

LefrLangFr-198, 24 nov. 1923.

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Blanchard ne le fait pratiquement jamais. L’exemple qui suit est révélateur à ce sujet ; il y est question des mots résigner et résignation, et plus précisément encore de la transitivité du verbe résigner : RÉSIGNER. Auriez-vous l’obligeance de me renseigner sur la signification exacte des mots résigner et résignation ? Je trouve dans Guérin et le « Petit Larousse illustré » au mot Résigner : v. a., se démettre d’un office, d’un bénéfice en faveur de quelqu’un. De prime abord, nous serions portés à croire que ce mot a la même signification que le mot démissionner. Peut-être ne s’emploie-t-il qu’activement ? R[éponse]. Résigner et résignation sont synonymes de démissionner et démission. Cependant, résignation est vieilli. On dit plutôt désistement (d’un candidat, d’un député) ; démission, retraite (d’un député, d’un juge, d’un fonctionnaire). Tel que vous le dites, résigner ne s’emploie qu’activement. On dit mieux se désister, en parlant d’un député, d’un candidat, d’un conseiller, etc. (ClémMots-041, 15 juillet 1950)

Le lecteur s’interroge sur un aspect qui est pourtant clairement signalé dans le dictionnaire qu’il cite, mais il ne semble pas en être conscient. On peut se demander pourquoi Blanchard n’attire pas l’attention sur l’abréviation « v[erbe] a[ctif] », ce qui aurait permis au lecteur non seulement d’avoir une réponse à sa question, mais aussi de comprendre comment Blanchard en est arrivé à donner la réponse. Plutôt que de montrer à son lectorat comment on peut se servir du dictionnaire et comment on peut se faire une idée sur telle ou telle difficulté de la langue, Blanchard s’interpose comme « interlocuteur » entre les grands dictionnaires qu’il consulte et les lecteurs à qui il s’adresse. Le dictionnaire n’est pas seulement vu comme une autorité dont il est difficile de remettre en question le poids ; il est aussi présenté comme un ouvrage qu’on peut consulter mais à ses risques et périls.

7. Conclusion Tout comme ses lecteurs, avec qui il partage plusieurs présupposés en matière de langue et de bon usage, Étienne Blanchard est d’avis que le dictionnaire est une autorité incontournable et il s’y rapporte souvent pour définir le « bon langage » qu’il cherche à diffuser auprès de ses compatriotes. De toute évidence, la place de choix qui revient aux dictionnaires faits en France dans les chroniques de Blanchard témoigne du caractère hautement polyphonique qui caractérise le discours normatif qu’on peut trouver dans ce type de publications. En effet, à travers les références fréquentes qu’il fait à leur sujet, Blanchard nous donne à entendre d’autres voix que la sienne en matière de norme. En outre, dans la mesure où ses lecteurs n’avaient visiblement pas toujours accès aux dictionnaires qu’il consulte, le chroniqueur contribue à transmettre de l’information qui leur serait sinon en grande partie inaccessible.

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Malgré toute l’importance qu’ils revêtent aux yeux de Blanchard, les dictionnaires français ont un rôle qui n’est pas toujours univoque. Blanchard ne s’aligne en effet pas de façon inconditionnelle sur ces ouvrages et il lui arrive de remettre en question leur contenu. À cet égard, deux conclusions s’imposent. Premièrement, en tant qu’argument d’autorité, le dictionnaire est au service de la conception de la langue du chroniqueur, et non l’inverse. Plusieurs exemples illustrent en effet que le recours au dictionnaire est subordonné à l’idée que le chroniqueur se fait « du français » et « du bon langage ». C’est ce que nous pouvons déduire, entre autres, des passages où Blanchard accepte des emplois qui, pour être absents des dictionnaires, n’en sont pas moins en usage en France ou, à l’inverse, des passages où il condamne des emprunts faits à l’anglais qui sont répertoriés dans les dictionnaires. C’est sans compter les cas où Blanchard tait des informations qu’il trouve dans le dictionnaire, mais qui vont à l’encontre de son opinion. Deuxièmement, si le dictionnaire est un point de référence qui n’est pas toujours « infaillible », il faut avoir une certaine compétence avant de pouvoir se montrer critique. Dans le discours de Blanchard, les dictionnaires n’ont donc pas seulement une valeur d’autorité sur le plan normatif : à travers les commentaires qu’il fait à leur sujet, le dictionnaire (autorité citée) permet au chroniqueur de mettre en valeur ses propres compétences et, partant, d’asseoir sa propre autorité (autorité montrée) 31. Le chroniqueur se présente ainsi comme un arbitre, seule personne en mesure de bien interpréter « le » dictionnaire. Il s’agit là d’une hypothèse qu’il serait intéressant de regarder de plus près dans d’autres chroniques publiées au Canada français et qui nous permettrait de mieux comprendre les enjeux sociaux du discours normatif. Université de Sherbrooke

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À propos de la distinction entre ces deux types d’autorité (citée et montrée), voir entre autres Plantin (1996).

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8. Bibliographie 8.1. Publications d’Étienne Blanchard Blanchard, É., 1912. En garde ! Termes anglais et anglicismes dans le commerce, les amusements, les professions, les métiers, les voyages, à la ferme, au Parlement, etc., Montréal, Imprimerie Bilaudeau. Blanchard, É., 19141. Dictionnaire de bon langage, Paris, Librairie Vic et Amat. Blanchard, É., 1915a. 1000 Mots illustrés ou gravures et mots, Montréal, s.n. Blanchard, É., 1915b. Catalogue spécial de philologie française, Montréal, Imprimerie du Devoir. Blanchard, É., 1918-1919. « Chronique du bon langage », in : La Presse (Chronique de langage siglée BlanchBLang.). Blanchard, É., 1927. Manuel du bon parler, Montréal, Les Frères des écoles chrétiennes. Clément, J., 1949-1952. « Propos philologiques. À travers les mots », in : La Presse (Chronique de langage siglée ClémMots.). Lefranc, P., 1920-1924. « Autour de la langue française », in : La Presse (Chronique de langage siglée LefrLangFr.).

8.2. Autres sources consultées Bouchard, C. 20022. La langue et le nombril. Une histoire sociolinguistique du Québec, Montréal, Fides. ChroQué. Chroniques québécoises de langage (1865-1996), corpus réalisé par W. Remysen et C. Verreault, Sherbrooke/Québec, Université de Sherbrooke/Université Laval ‹catfran.flsh.usherbrooke.ca/chroque›. Collinot, A. / Mazière, F., 1997. Un prêt à parler. Le dictionnaire, Paris, Presses Universitaires de France. Doray, C., s.d. Bibliographie de M. l’abbé Étienne Blanchard. Livres et articles de revues, Montréal, Université de Montréal. Fréchette, L., 1893-1903. « À travers le dictionnaire et la grammaire. Corrigeons-nous ! », in : La Patrie/La Presse/Le Canada. Giroux, J., 1991. Les canadianismes dans le Supplément du Dictionnaire des dictionnaires (1895). Étude métalexicographique. Mémoire de maîtrise, Université Laval. Houdebine, A.-M., 2002. « L’Imaginaire linguistique et son analyse » Travaux de linguistique 7, 11-27, 163-179. Lajeunesse, M., 2010. « Le dictionnaire dans les écoles francophones du Québec, 18801960 », Cahiers de la société bibliographique du Canada 48/2, 237-252. Martel, G., 1998. Pour une rhétorique du quotidien, Québec, Ciral. Mercier, L., 2002. La Société du parler français au Canada et la mise en valeur du patrimoine linguistique québécois (1902-1962). Histoire de son enquête et genèse de son glossaire, Québec, Presses de l’Université Laval. Molinari, C., 2010. « Vers un croisement des typologies définitoires. Le cas du blogue ‹ Les amoureux du français › ». Publif@rum 11 ‹http ://www.publifarum.farum.it/›.

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Moreau, M.-L. / Brichard H. / Dupal, C., 1999. Les Belges et la norme. Analyse d’un complexe linguistique, Bruxelles, Service de la langue française. Morel, M.-A., 1996. La concession en français, Paris, Ophrys. Perelman, C. / Olbrechts-Tyteca, L., 2008. Traité de l’argumentation. La nouvelle rhétorique, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles. Plantin, C., 1996. « Autorité montrée, autorité citée ». Conférence présentée au colloque L’argument d’autorité, Université de La Manouba. Prévost, G., 1996a. Le Dictionnaire de bon langage d’Étienne Blanchard : étude métalexicographique. Contribution à l’histoire de la lexicographie québécoise. Mémoire de maîtrise, Université Laval. Prévost, G., 1996b. « Les chroniques de langage d’Étienne Blanchard (1883-1952). Aperçu des préoccupations normatives d’une époque au Canada », Cahiers de lexicologie 68/1, 175-192. Remysen, W., 2009. Description et évaluation de l’usage canadien dans les chroniques de langage. Contribution à l’étude de l’imaginaire linguistique des chroniqueurs canadiens-français. Thèse de doctorat, Université Laval. Remysen, W., 2011. « L’application du modèle de l’Imaginaire linguistique à des corpus écrits. Le cas des chroniqueurs de langage dans la presse québécoise », Langage et société 135, 47-65. Remysen, W. / Mercier, L., 2013. « Les prêtres et religieux du Canada français observateurs de la langue et collecteurs de mots », Port Acadie 24-26, 227-258. Rheault, A., 2010. Analyse argumentative du discours épilinguistique au Québec. Les lieux communs comme indicateurs de normes. Thèse de doctorat, Université Laval. Rivard, A., 1901. Manuel de la parole, Québec, Garneau. Toulmin, S. E., 1958. The Uses of Argument, Cambridge, Cambridge University Press.

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COMPTES RENDUS

Problèmes généraux L. de SAUSSURE / A. BORILLO / M. VUILLAUME (ed.), Grammaire, lexique, référence. Regards sur le sens. Mélanges offerts à Georges Kleiber pour ses quarante ans de carrière, Berne, Peter Lang, 2012, 424 pages. On ne peut que se réjouir de l’hommage qui est rendu au grand sémanticien qu’est Georges Kleiber : l’extraordinaire abondance de sa production scientifique depuis près de quarante ans, la diversité des thèmes de recherche qu’il ne cesse d’illustrer et plus encore l’impressionnante perspicacité de ses analyses, tout justifiait une telle entreprise ; elle prolonge avec succès plus d’une piste qu’il a ouverte. Dans toutes les contributions, on sent une sympathie de pensée, une complicité qui jamais n’empêche l’humour, et plus encore une admiration chaleureuse pour le savant et pour l’homme. Faut-il dire combien personnellement je partage ces sentiments ? Une amitié sans ombre nous lie, G. Kleiber et moi-même, depuis l’époque déjà lointaine de sa Thèse d’Etat, si brillamment soutenue à Strasbourg. Je ne saurais dire tout ce que ses publications m’ont apporté : on ne lit pas G. Kleiber sans être séduit par le fourmillement des observations et par la profondeur, philosophique et linguistique, des interprétations qu’avec une extrême prudence il propose. Un très beau texte de ce volume, dû à B. Larsson, montre l’originalité de G. Kleiber dans le tableau actuel de la recherche linguistique : oui, G. Kleiber excelle à présenter la pensée d’autrui ; il le fait avec une fidélité et une justesse hors de tout soupçon ; au début tout peut même donner à penser, à le suivre, que la théorie en cause est incontestablement celle qu’il fallait – jusqu’au moment où des inquiétudes insoupçonnées pointent soudainement ; patiemment motivées, de plus en plus troublantes, elles font naître le doute ; et parfois elles mènent jusqu’à l’effondrement. Mieux que personne, G. Kleiber connaît l’art de la confrontation : à partir d’un détail, le voilà qui soulève une difficulté inaperçue ; au détour d’une démonstration, le voilà qui remet en cause ce que pourtant il a présenté avec conviction ; et le chemin prend alors une tout autre direction. Au fond, théoricien dans l’âme, G. Kleiber se méfie de la théorie : creusez le sillon, et tôt ou tard une motte vous fera trébucher… Ce volume d’hommage illustre avant toute chose l’étendue du champ couvert par la recherche de G. Kleiber. Beaucoup de contributions évoquent des aspects du français, à l’image des travaux si nombreux de G. Kleiber en linguistique française :

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COMPTES RENDUS

– la loc. peu de chose (C. Benninger, M. Biermann-Fischer et A. Theissen) – défiler, se rapprocher, s’étendre, s’étirer et autres verbes avec un sujet de l’inanimé (A. Borillo : type une chaîne de montagnes s’étire sur toute la largeur de l’horizon) – déplacer et déplacement comme hyperonymes (F. Gerhard-Krait, M. Lambert et H. Vassiliadou) – tenir (G. Gross : description très intéressante et de grande importance pour l’analyse automatique des restrictions temporelles et aspectuelles selon les emplois ; le seul défaut peut-être est qu’on ne voit plus, sous la diversité, quelle cohésion reste au verbe tenir) – s’élargir (M. Vuillaume : très bonne analyse du parcours fictif que suppose le type la route s’élargit, riche de possibilités interprétatives) – car, parce que, puisque (M. Forsgren : suggestif tableau de fréquences ; les fréquences dépendent fortement des genres discursifs) – est-ce que (M. Riegel : montre de façon convaincante que la forme est-ce que n’a pas le même statut dans l’interrogation totale et dans l’interrogation partielle) – pouvoir « sporadique » (L. de Saussure : expose et conforte les vues novatrices de G. Kleiber sur ce verbe modal) – le mot sire en ancien français (O. Halmoy : ne pas oublier en effet, que G. Kleiber a étudié magistralement le mot ire dans l’histoire du français ; le DMF pouvait compléter utilement le tableau). Les catégories grammaticales ne sont pas absentes du débat, bien au contraire ; ainsi, – le conditionnel (J. Bres : bonne vue d’ensemble) –

le présent et l’imparfait (C. Vet : place centrale de ces temps dans l’entier du système)

– le subjonctif (L. Kupferman : intéressante présentation moyennant les notions d’« ancrage extensionnel » et d’« ancrage intensionnel » ; réserve terminologique mineure : à mon sens, mieux vaut distinguer l’« intension » et le « parcours de mondes possibles »). Ailleurs, la réflexion porte sur les notions métalinguistiques qui ont le plus retenu l’attention de G. Kleiber : – le nom propre (P. Swiggers : succinct mais très lucide rappel de la position de philosophes logiciens, G. Frege, S. Mill, S. Kripke / K. Jonasson, « le cas de Guermantes » : illustration de tous les enrichissements dont ce nom propre est le lieu dans la Recherche et dans Contre Sainte-Beuve) – le proverbe (I. Tamba : examen critique du concept de « dénomination » utilisé par G. Kleiber dans la définition du proverbe) – l’anaphore (intéressante réflexion de H. Nølke sur l’anaphore focalisatrice). Une place de choix revient à juste titre à la référence, où l’apport de G. Kleiber est de si grande importance (dans la présentation liminaire des éditeurs ; et aussi dans la synthèse finale de B. Larsson, qui fait apparaître avec force les avancées de G. Kleiber dans ce domaine) ; plus marginales peut-être, par rapport aux centres d’intérêt de G. Kleiber, mais non moins intéressantes, les contributions de N. Flaux (sur les noms

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PROBLÈMES GÉNÉRAUX

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d’idéalités libres et les noms d’idéalités liées, à partir de Husserl) et de B. de Cornulier (sur la notion « fallacieuse » de mesure du vers) ; la syntaxe enfin est elle aussi fort bien représentée, par les contributions de J. Delofeu (qui fait un retour réussi, à partir du relatif que au sens de « tel que » du français populaire, sur le français classique et sur le latin) et de D. Gaatone (qui expose clairement certaines contraintes d’enchâssement). La bibliographie récente de G. Kleiber n’a rien perdu de son extraordinaire vitalité : que l’on se reporte à la section intitulée, non sans humour, « Georges Kleiber au XXIe siècle » ; la liste des contributions depuis 2001 est impressionnante ; et les pages 24 et 25 recensent une bonne vingtaine d’articles à paraître ! Je forme bien chaleureusement le vœu que G. Kleiber puisse poursuivre au mieux son inlassable activité. L’idéal serait qu’il nous offre, après tant d’efforts, un vaste ouvrage de synthèse (Sémantique générale et sémantique française ?) : ses conceptions y formeraient un édifice imposant. Voilà qui fait rêver ! Il est vrai qu’une fois embarqué, il lui faudrait opter, et son extrême probité y fera peut-être obstacle. Mais il est certain que ce serait un couronnement. Robert MARTIN

Franz LEBSANFT / Monika WINGENDER (ed.). Europäische Charta der Regional- oder Minderheitensprachen. Ein Handbuch zur Sprachpolitik des Europarates, Berlin, De Gruyter, 2012, 445 pagine. A prima vista, la tematica del libro non pare essere né particolarmente innovativa né oltremodo interessante. Un’analisi più approfondita invece la rivela molto più ricca ed attuale che il titolo dell’opera – disposto su ben cinque linee della copertina – lasci credere. Per iniziare con il grezzo: il libro tratta della «Carta europea delle lingue regionali o minoritarie». Questo strumento del diritto internazionale emanato nel 1992 dal Consiglio d’Europa e ratificato man mano dalla maggior parte degli stati europei (la Francia e l’Italia hanno firmato, ma non ratificato il trattato), si occupa della tutela delle lingue meno diffuse. La seconda convenzione fondamentale in materia di protezione delle minoranze emanata dal Consiglio d’Europa, la «Convenzione-quadro per la protezione delle minoranze nazionali» (in vigore a partire dal 1998), è dedicata invece alla protezione dei parlanti di queste lingue, quindi alle minoranze stesse. Ma i due aspetti si condizionano a vicenda e perciò queste «due sorelle» del diritto europeo in materia di minoranze in sostanza sono due vasi comunicanti. Riguardo a entrambe queste due convenzioni di spicco del Consiglio d’Europa esiste già un’ampia bibliografia specifica, ma soltanto pochi commenti completi e dettagliati in lingua tedesca che scandagliano a fondo l’intero trattato. La Convenzione-quadro è attualmente oggetto di studio da parte di un gruppo di esperti coordinato da uno dei massimi luminari del diritto delle minoranze europeo, il professore Rainer Hoffmann della Goethe-Universität di Francoforte. La pubblicazione di questo commento in nascendi è prevista ancora nel corso del 2014. Per la Carta delle lingue disponiamo dal 2011 – almeno per l’area germanofona – del commentario esaustivo di Sigrid Boysen, Jutta Engbers et al. (Zurigo/Baden-Baden: Dike, Facultas, Nomos). Perché allora un ulteriore libro? Ennesima proliferazione?

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COMPTES RENDUS

Pensiamo proprio di no. Questo libro non è un commentario giuridico che ricopia la Carta articolo per articolo, cercando di accaparrarsi la benevolenza in particolare dei giuristi mediante un’analisi più o meno asciutta delle norme ivi contenute. Qui, molto opportunamente, il focus è posto sull’analisi linguistica della situazione delle rispettive lingue ed il funzionamento della Carta da un punto di vista dell’analisi del discorso (discorso inteso nel senso di ‘dibattito tra Stati, Comitato di esperti e Consiglio d’Europa’ che ha portato alla redazione della versione del trattato approvata). Il libro analizza la situazione linguistica in Armenia, Danimarca, Germania, Finlandia, Gran Bretagna, Croazia, Liechtenstein, Lussemburgo, Montenegro, Paesi Bassi, Norvegia, Austria, Polonia, Romania, Svezia, Svizzera, Serbia, Slovacchia, Slovenia, Spagna, Repubblica Ceca, Ucraina, Ungheria e Cipro; rispettivamente un capitolo per paese, e sempre sullo sfondo delle disposizioni della Carta europea delle lingue regionali o minoritarie. Il libro è strutturato in maniera convincente. Ogni capitolo ha quattro sezioni: Una ‘prefazione’, nella quale il lettore viene sufficientemente orientato sul contesto politico e storico di ogni paese. La seconda sezione è sempre dedicata alla situazione attuale dal punto di vista degli impegni che la Carta impone a ogni stato firmatario riguardo alle proprie lingue minoritarie. Qui il lettore apprende a che punto il processo di attuazione della Carta è in ogni paese, e, in particolare, quali sono in dettaglio le lingue tutelate dalle parti II e III della Convenzione-quadro. La sezione 3 contiene una valutazione concisa della situazione generale in ogni paese. Infine, la sezione 4 fornisce al lettore la bibliografia necessaria, includendo non soltanto le fonti e la letteratura secondaria, ma anche il catalogo delle misure di cui all’articolo 2(2) della Carta, che lo stato in questione ha scelto di attuare. La data di riferimento è il 1° aprile 2012, il libro rispecchia dunque una situazione attuale (nella misura nella quale al giorno d’oggi si possa ancora parlare di «attualità» della parola scritta anche aldilà di uno schermo di computer acceso). Riassumendo: il libro è altamente raccomandabile. È completo nella sua impostazione e convincente nella sua strutturazione interna, che inoltre permette – accanto allo studio in profondità delle complessivamente 445 pagine – anche una lettura più rapida, ciò nonostante informativa, mediante la mera consultazione delle «valutazioni» sommarie di due pagine ciascuna per ognuno dei 24 paesi analizzati. Che non ogni articolo sia caratterizzato dalla stessa combinazione ideale tra descrizione ed analisi, risiede nella natura delle cose quando una pubblicazione riunisce non meno di 24 autori diversi. Ma questo non toglie nulla alla qualità del libro. Gabriel N. TOGGENBURG

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Rhétoroman Paul VIDESOTT (con la collaborazione di Chiara MARCOCCI; con l’integrazione di materiali raccolti da Guntram A. PLANGG, Maria ILIESCU, Heidi SILLER-RUNGGALDIER), Rätoromanische Bibliographie / Bibliografia retoromanza 1729-2010, Bozen-Bolzano, Bozen-Bolzano University Press (Scripta Ladina Brixinensia, II), 2011, 520 p. La bibliografia retoromanza di Paul Videsott è la continuazione organica del repertorio bibliografico dedicato al retoromanzo da Maria Iliescu e Heidi Siller-Runggaldier nel 1985 (Rätoromanische Bibliographie, Innsbruck, Institut für Romanistik) e della sua continuazione pubblicata nel 1998 da Heidi Siller-Runggaldier e dallo stesso Videsott (Rätoromanische Bibliographie 1985-1997, Innsbruck, Institut für Romanistik), ambedue nella prestigiosa collana Romanica Ænipontana [n. 13 e 17]. In realtà, come si può vedere dal titolo, questa nuova bibliografia non è semplicemente un ulteriore supplemento della prima, ma riunisce in un unico volume le due bibliografie precedenti con la produzione successiva fino al 2010. E già solo per questo dovremmo essere grati all’autore, che ha così facilitato il compito degli studiosi, che non saranno costretti a sfogliare tre volumi separati, ma troveranno tutto in uno solo. Ma non è questa l’unica novità del volume. Come è noto, anche se non sempre fuori dell’ambito degli specialisti in senso stretto, la nozione di retoromanzo è stata fortemente dibattuta nel corso degli ultimi cento anni. Il dibattito ha riguardato in particolare la questione se i vari gruppi dialettali riuniti sotto l’etichetta di retoromanzo (o, in Italia, di ladino) costituiscano veramente le disiecta membra di un gruppo linguistico indipendente, e non costituiscano piuttosto tre (o più) gruppi accomunati soltanto da alcuni tratti linguistici arcaizzanti rispetto ai vicini dialetti italiani settentrionali, gruppi portatori certo di tratti originali (sempre rispetto alle varietà italiane settentrionali), ma indipendenti gli uni dagli altri. Così, se, per prendere solo due esempi estremi tra le sintesi enciclopediche della linguistica romanza, nella Grammatik der romanischen Sprachen di Meyer-Lübke, sulla scia dei lavori di Ascoli e soprattutto di Gartner, il retoromanzo ha un posto a parte tra le lingue trattate, nel recente Lexikon der romanistischen Linguistik, più prudentemente, la trattazione è suddivisa in tre sezioni diverse dedicate al friulano (parr. 210-17), al ladino dolomitico (parr. 218-25) e al romancio grigionese (parr. 226-33), senza testata unica, anche se poi il problema del retoromanzo come gruppo linguistico indipendente viene discusso in un articolo a parte (par. 504). Se poi l’editore Routledge ha pensato di dedicare un volume a The Rhaeto-Romance Languages (London, 1992), gli autori John Haiman e Paola Benincà dichiarano subito all’inizio che non credono che l’oggetto del loro libro sia un gruppo linguistico indipendente (e unitario) all’interno del mondo romanzo – questo non impedisce tuttavia a quest’opera di offrire un’ottima sintesi di conoscenze e di analisi originali sulle varietà trattate e sui loro rapporti reciproci e con le (altre) varietà italiane settentrionali. Allo stesso modo la bibliografia raccolta da Paul Videsott fa un ottimo servizio sia a chi crede all’unità del retoromanzo, sia a chi non ci crede, che può utilizzarla per i dati che riguardano, separatamente, il friulano, il ladino dolomitico, ecc. Ma veniamo qui

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alla prima, e più importante, novità di questo volume. Il suo predecessore del 1985 (con il supplemento del 1998) raccoglieva i dati in base ai raggruppamenti dialettali: dopo un capitolo dedicato al retoromanzo in generale, seguivano tre capitoli dedicati ai tre grandi gruppi (occidentale, centrale e orientale), e ogni capitolo (eccetto quello sul friulano) aveva una struttura analoga a quella del volume, con due ulteriori livelli di suddivisione: per es. il grigionese era diviso in soprasilvano, grigionese centrale ed engadinese, e il grigionese centrale era suddiviso a sua volta in sottoselvano, surmirano e dialetto di Bravuogn. Alla suddivisione per dialetti seguiva poi la suddivisione tematica in 18 gruppi equipollenti (bibliografie, generalità, manuali, fonetica, morfologia, sintassi, ecc.). La bibliografia di Videsott inverte quest’ordine: si parte da una suddivione tematica in 22 capitoli, a loro volta suddivisi per sottotemi (così il cap 7, dedicato alla morfosintassi, dopo una parte generale contiene paragrafi dedicati alla morfosintassi nominale, alla morfosintassi verbale, alla morfosintassi pronominale, ecc.). A questo segue una suddivisione per gruppi dialettali, indicati con numero romano dopo il numero arabo della suddivisione tematica: I. Retoromanzo nel suo complesso, II. Romancio grigionese, III. Ladino anaunico, IV. Ladino dolomitico, V. Ladino bellunese, VI. Friulano; questi gruppi non presentano ulteriori suddivisioni, ma le singole entrate bibliografiche contengono l’indicazione delle sottovarietà studiata (si sarà notato che il raggruppamento delle varietà è diverso rispetto ai volumi precedenti, fatto su cui ritorneremo sotto). Per fare un esempio, la monografia di Mena Grisch, Die Mundart von Surmeir (Zürich, Droz, 1939) nella bibliografia di Iliescu e Siller-Runggaldier si trova nel par. 2.3.2.3, dove 2 = Romancio grigionese, 3 = Grigionese centrale, 2 = Surmirano, 3 = Manuali, grammatiche scientifiche, monografie, mentre in quella di Videsott si trova nel paragrafo 5.1.-II, dove 5 = Grammaticografia, 1 = Grammatiche storiche, storia linguistica interna ed esterna, II = Romancio grigionese, con l’ulteriore indicazione in calce [Srm] (= Surmirano). All’interno dei singoli paragrafi, infine, le opere si susseguono in ordine cronologico, rispetto all’ordine alfabetico dei volumi precedenti, un’innovazione che permette di seguire meglio la storia della ricerca su un dato dominio. Seguendo le norme più moderne, nelle indicazioni bibliografiche il nome dell’autore viene dato in forma non-abbreviata e si indica anche la casa editrice. Siccome la stragrande maggioranza dei lavori sul retoromanzo sono in italiano e in tedesco, l’autore ha scelto di redigere ogni testo di accompagnamento (titoli, indici, introduzioni, commenti) sia in tedesco che in italiano, un’utile novità che viene incontro ai due maggiori bacini di utenza del volume. La scelta di utilizzare quello tematico come criterio primario di raggruppamento è giustificata dall’autore con il fatto che la maggioranza dei lavori sono a base tematica, piuttosto che geografica, e che con questo si evita di dover ripetere in paragrafi diversi un lavoro che si occupa di una questione specifica in più varietà. La giustificazione non è molto cogente, perché, in una suddivisione gerarchizzata delle varietà, un lavoro che tratta due varietà diverse può senz’altro essere collocato nel paragrafo dedicato al gruppo di livello superiore che le comprende entrambe, come fa sempre anche Videsott: per intenderci, un lavoro dedicato a soprasilvano, engadinese e gardenese può essere collocato nel paragrafo dedicato al retoromanzo in generale, senza doverlo ripetere nei vari sottoparagrafi. Certamente la suddivisione tematica consente un più facile confronto tra le diverse varietà su singoli temi: è utile per es. avere tutti insieme i lavori che si riferiscono alla costruzione ve r b o + av ve r b i o (par. 7.7). Ma, com’è ovvio, non troveremo in un posto solo tutti i vari lavori che si riferiscono a una data varietà. E naturalmente

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per una bibliografia che usa come criterio primario la suddivisione dialettale, varranno i problemi inversi. Solo una bibliografia informatizzata con possibilità di interrogazione multipla, a cui del resto l’autore sta lavorando, permetterà di risolvere questi problemi. Per ora si possono usare gli indici analitici, più dettagliati qui che nei precedenti volumi. La classificazione tematica presenta però un’ulteriore difficoltà, a cui accenna anche l’autore nell’introduzione: non è sempre facile decidere dove mettere uno studio, perché spesso le categorie non sono sufficientemente definite, perché uno studio può prestarsi a classificazioni multiple, ecc. Inoltre, la difficoltà aumenta se aumenta il numero delle categorie. Ora, se nella bibliografia del 1985 queste erano 20, in quella di Videsott sono (se ho contato bene) 62. È anche vero che è aumentato di molto il numero degli studi censiti (da meno di 1500 a praticamente 5000), e con questo senz’altro anche il numero degli argomenti trattati. Ma la difficoltà resta, e con questa la possibilità di classificazioni approssimative o fuorvianti o anche sbagliate. Ci possiamo così chiedere per es. come mai la monografia di Luigi Heilmann su La parlata di Moena (Bologna, Zanichelli, 1955) sia classificata tra le grammatiche storiche, e non nel cap. Fonetica, fonologia, intonazione, nonostante tratti di fonetica (storica) e di fonologia (sincronica), o in quello sui dialetti locali, nonostante tratti del dialetto di un solo paese, mentre la tesi di laurea di Lois Craffonara sui dialetti di San Vigilio, San Martino e La Villa (Università di Padova, 1971/72) sia finita nel capitolo sui dialetti locali, nonostante abbia un contenuto simile a quello del libro di Heilmann e riguardi le principali varietà del gaderano nel suo complesso. Si noti che nella classificazione per dialetti il problema non si presenta: una volta data una classificazione gerarchica delle varietà (giusta o sbagliata che sia), ogni studio trova il suo posto automaticamente (v. sopra). Non vogliamo dire con questo che la bibliografia di Videsott sia fatta male, tutt’altro; ma l’autore ha scelto la via più difficile, più piena di trappole, e non è sempre riuscito a sfuggirvi. Anche da un altro punto di vista, forse, la suddivisione precedente sarebbe stata preferibile: presentare i vari gruppi dialettali separatamente sarebbe stata una scelta più neutra rispetto alla vexata quaestio sullo statuto del retoromanzo. Veniamo ora alla nuova suddivisione dei gruppi dialettali utilizzata dall’autore. Mentre nei volumi precedenti si aveva un gruppo ladino centrale comprendente quattro sottogruppi: ladino anaunico, ladino dolomitico, ladino-veneto (agordino) e ladino cadorino (cadorino e comelicese), nella bibliografia di Videsott questo gruppo viene scisso in tre gruppi indipendenti: ladino anaunico, ladino dolomitico, ladino bellunese. Quest’ultimo gruppo fonde il ladino-veneto e il ladino cadorino della suddivisione precedente, con l’eccezione dell’ampezzano, che viene unito al ladino dolomitico, mentre nella suddivisione precedente faceva gruppo con il cadorino. La scissione viene giustificata con il fatto che il ladino centrale non ha mai costituito un oggetto di ricerca unitario. Per quanto riguarda il ladino anaunico siamo perfettamente d’accordo: i dialetti della Val di Non e della Val di Sole, geograficamente discontinui rispetto alle varietà più orientali, rappresentano senz’altro un gruppo indipendente. Per quanto riguarda la scissione tra ladino dolomitico e ladino bellunese, dire che non abbiano costituito un oggetto di ricerca unitario, è perlomeno impreciso: basti pensare solo alle ricerche che Giovan Battista Pellegrini, Alberto Zamboni e altri hanno dedicato allo studio dei dialetti altoagordini e alla fascia di confine con il livinallese, o ai dialetti cadorini e all’ampezzano. Qui sarebbe stato meglio lasciare le cose come stavano. Videsott, invece, mette da una parte le varietà che storicamente sono appartenute al Tirolo (ladino dolomitico e ampezzano) e i cui parlanti posseggono una coscienza linguistica autonoma, e dall’altra quelle

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che storicamente sono appartenute a Venezia e posseggono uno statuto sociolinguistico subordinato (agordino e ladino cadorino). Ma è un po’ strano vedere utilizzati criteri di questo tipo in una bibliografia linguistica: dialetti molto simili come quello di Cortina d’Ampezzo e quello di San Vito di Cadore vengono messi in due gruppi diversi non per ragioni linguistiche, ma per ragioni sostanzialmente storico-politiche. È un po’ come se i dialetti della Svizzera Italiana venissero classificati in un gruppo indipendente tra i dialetti lombardi solo per il fatto di essere parlati in Svizzera, disconoscendo così le affinità del poschiavino con il valtellinese o dei dialetti sottocenerini con quelli comaschi. Dal redattore di una bibliografia non ci si può aspettare che legga dalla prima all’ultima pagina le opere che cita, per cui non dobbiamo meravigliarci di eventuali sviste, dovute a un troppo cursorio esame del materiale: – così l’articolo di Paola Benincà «L’interferenza sintattica: di un aspetto della sintassi ladina considerato di origine tedesca» (Quaderni Patavini di Linguistica 5 [1985/86], 3-17) è finito nel paragrafo dedicato alla costruzione ve r b o + av ve r b i o (7.7), mentre tratta dell’ordine delle parole (cosiddetto sistema V2) e andava messo nel par. 7.6 (l’articolo è comparso anche nel II vol. degli Atti del 14. Convegno di studi dialettali italiani (Ivrea 1984), Pisa, Pacini, 1988, 229-39, ed è stato ristampato nella raccolta di saggi dell’autrice La variazione sintattica. Studi di dialettologia romanza, Bologna, Il Mulino, 1994, 89-103; la ristampa in volume non è citata nel lemma in questione [1057], mentre per l’articolo del lemma 926 è indicata solo la ristampa in questo volume, ma non l’edizione originale in Rivista Italiana di Dialettologia, 8 [1984], 178-194); – il paragrafo su sintassi temporale e modale (7.5) contiene alcuni lavori dedicati al riflessivo e al passivo (990, 992, 999, 1007), quindi alla diatesi e/o alla forma dei pronomi riflessivi, che andrebbero piuttosto nel paragrafo sulla morfosintassi verbale (7.2) o, nel caso del riflessivo, in quello sulla morfosintassi pronominale (7.3); – l’articolo di Paola Benincà al lemma 881 è messo sotto il retoromanzo in generale, ma tratta solo del livinallese; è dedicato agli stessi fenomeni che tratta l’articolo di Andrea Calabrese al lemma 914, messo correttamente nel paragrafo sul ladino dolomitico; – dell’articolo di Laura Vanelli al lemma 932 si poteva dire che è ristampato nel libro della stessa autrice al lemma 789; qui, di questo stesso articolo si dice che è dedicato a ladino dolomitico e friulano – in realtà tratta anche del romancio grigionese. Del libro di Cecilia Poletto al lemma 790, per contro, si poteva precisare che tratta solo di ladino dolomitico e friulano. Non ci si dovrà neanche meravigliare se qualcosa è sfuggito al curatore: molte volte sotto titoli generici si nascondono contributi su lingue specifiche, che così sfuggono all’occhio attento del raccoglitore. Per facilità di recupero, cito un mio breve contributo dedicato al gardenese nel mio articolo «Enclitic Subject Pronouns in the Romance languages», nel volume The Syntax of Italian Dialects curato da Christina Tortora (New York, Oxford University Press, 2003, 207-28; ma a Videsott non sono sfuggiti gli altri due contributi retoromanzi del volume, che avevano un titolo senz’altro più esplicito [914, 915]). Manca anche l’articolo di Sabrina Rasom «Il plurale femminile nel ladino dolomitico tra morfologia e sintassi» (Quaderni di Lavoro dell’ASIS 5 [2006], 20-35), versione ampliata dell’articolo al lemma 867.

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Paul Videsott ha messo a disposizione dei ricercatori un materiale enorme. Le poche imprecisioni, che potranno essere facilmente corrette, non ne diminuiscono in nessun modo il valore e non metteranno in difficoltà l’utente. Ci auguriamo che l’opera possa essere continuata e pubblicata anche in formato elettronico, in modo da rendere ancora più facile la ricerca. Giampaolo SALVI

Italoromania Franco PIERNO, Postille spiritual et moral (Venise, 1571). Étude historique, analyse linguistique, glossaire et édition du premier commentaire biblique imprimé en langue vulgaire italienne, Société de Linguistique Romane, Stras­ bourg, 2008, xiv + 388 pagine. La lingua religiosa italiana, da sempre terreno fertile di indagini per lessicografi, lessicologi e letterati, trova ampia trattazione nella bella monografia di Franco Pierno che qui si presenta. Sviluppato dal lavoro di tesi di dottorato dell’autore, il saggio, scritto in lingua francese, tratta del primo commentario biblico impresso in lingua volgare; l’A., cum grano salis, lega a filo doppio aspetti storico-culturali della Venezia del XVI secolo con aspetti più propriamente filologico-linguistici delle glosse bibliche. Le postille, «commentaires moraux et exégétiques imprimés dans les marges» [37], apparse in una nuova edizione della Bibbia tradotta in volgare da Niccolò Malerbi (Byblia in vulgar ultimamente impressa ornata intorno de moral postille et figure et in tutti i capituli, i lor summarij, et declarationi utlissime a coloro che desiderano haver cognitione delle sacre littere, Venezia, 1517, Lazaro Soardi e Bernardino Benali), rappresentano, secondo Pierno, un chiaro esempio di comunicazione in lingua volgare toscana ma con elementi che rimandano ad una koinè italiana settentrionale. L’A., attraverso una capillare descrizione di fenomeni lessicali, fonetici, morfologici e sintattici, intende anche tracciare una panoramica della lingua religiosa prima del Concilio di Trento (1545-1563). L’impianto del volume è suddiviso in due parti. Nella prima parte (costituita dai primi 5 capitoli), l’A. si propone di contestualizzare le Postille (PSM) all’interno del panorama storico italiano oltre che ovviamente della lingua religiosa. La seconda parte (capitoli 6 e 7) è interamente dedicata all’edizione critica delle PSM: criteri di edizione e testo [215-374]. Già dalle pagine iniziali del primo capitolo Pierno sottolinea come sia opportuno, al fine di una buona conoscenza delle PSM, tracciare in una prospettiva diacronica «les lignes directrices d’une approche linguistique de la langue religieuse italienne» [5] prima del 1545. In quest’ottica è preferibile parlare di Lingua invece che linguaggio «car celuici se borne au code verbal […] en excluant les autres systèmes de communication» [7].

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Segue una lunga parte dedicata alla descrizione e allo studio delle caratteristiche linguistiche dei primi documenti religiosi (Les textes des Origines), delle predicazioni, delle varie traduzioni delle Bibbie, fino agli altri scritti dell’Ordine dei Mendicanti, del periodo del Concilio di Trento e della poesia religiosa. Oltre a inserire, all’interno di ogni singolo paragrafo, una quantità non indifferente di citazioni dai testi presi in esame e di confronti bibliografici, Pierno scandaglia, seppur per sommi capi, la storia di movimenti religiosi e i generi letterari utili alla descrizione del contesto storico-linguistico: è il caso dei predicatori mescidati [22], del movimento dell’Osservanza [25] o della Sacra Rappresentazione [30]. Il primo capitolo si chiude con un quadro d’insieme sulla lingua religiosa prima del Concilio di Trento, soffermandosi brevemente anche su fattori sociolinguistici [33], un aspetto che a nostro avviso meriterebbe di essere maggiormente sviluppato da questo filone di studi. Il capitolo successivo [secondo, 37-69] interessa l’ossatura delle PSM. Come nel precedente, anche in questo troviamo paragrafi che descrivono il contesto storico e religioso entro il quale si sviluppano le Postille: dal Grande Scisma d’Occidente alla «devotio moderna», alla Riforma cattolica, fino a restringere il campo sulla situazione specifica di Venezia attraverso i testi religiosi a cavallo tra il XV e XVI secolo. Il §2.3.1. dedicato al genere letterario della Glossa può utilmente servire come introduzione al cuore del lavoro, rappresentato a nostro avviso dal Glossario (cap. 4) e ovviamente dall’edizione critica delle PSM della Bibbia Malerbi (cap. 6-7). Il paragrafo è una rassegna sulla forma letteraria medievale delle Glossa (Glosa ordinaria; Glosa Interlinearis); un metodo d’indagine e analisi testuale che com’è noto trova la sua massima teorizzazione tra i giuristi ‘glossatori’ bolognesi del XII e XIII secolo. Il capitolo seguita con la descrizione della struttura testuale delle PSM: «le texte est organisé autour de l’interprétation allégorique et symbolique du mot, ou bien de l’événement biblique; le sens spirituel de la lettre hérité de la réflexion exégétique médiévale paraît ici bien acquis et sert toujours de base, voire de ‘moteur’, pour une interprétation allégorique aboutissant souvent au sens moral et, parfois, même à des conclusions anagogiques» [53] il testo della «postilla» è organizzato attorno un ‘gab’ (gruppo allegorico di base) «[il] ne consiste pas en des règles stylistiques ou rhétoriques scrupeleusement respectées mais il correspond plûtot a une structure, dans laquelle les enjeux de l’agencement de la Glose médièvale ont été bien assimilé» [54] e ciascuna postilla si mostra come un’eredità del modello medievale della Glosa ordinaria ma attinge tuttavia anche da autori come Domenico Cavalca e Giordano da Pisa. Lo scopo è ovviamente quello di favorire la comprensione del testo stesso al destinatario di riferimento delle PSM: «les prêtres chargés de la prédication et de l’activité pastorale dans un contexte diocésain» [67] Il capitolo terzo [71-113] è dedicato all’analisi linguistica delle PSM. Pierno definisce a grandi linee la lingua delle Postille, attraverso aspetti fonetico-morfologici, sintattici e

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lessicali. Dall’indagine si ricava un italiano di tipo settentrionale: una koinè interregionale, come dice lo stesso A., a base toscana (registriamo casi di sintagmi con occlusiva sorda intervocalica come: il so fratel o l’uso impersonale del clitico gli, ad esempio: perchè gli è anchora nella passione), ma aperta a dialettalismi e latinismi. È presente nelle PSM l’uso della preposizione articolata dil (forma della koinè) che, come suggerisce Vitale (1953, 87), è già raro nelle scriptae settentrionali del XV secolo, qualche caso di -a- al posto di -e-: piatoso/a; piatosamente [81] o, sotto un profilo propriamente morfologico, casi di oscillazione della terza persona plurale tra la terminazione settentrionale -ano e la terminazione -anno: abruserano, adorerano, farano ma saranno, batteranno, fugiranno [96]. Che lo studio delle PSM sia interessante per capire non solo lo sviluppo della lingua religiosa, ma anche di quella volgare del XVI secolo nell’Italia settentrionale, è evidente se si osservano i tanti lemmi presenti nell’esaustivo Glossario (cap. 4). Pierno analizza i principali sostantivi, verbi, aggettivi del lessico delle PSM e, con l’ausilio dei classici repertori etimologici italiani, ne definisce l’etimo latino, la trafila d’ingresso e la prima attestazione nei volgari italiani. Accanto ai tanti lemmi registrati dall’A., come absolvere [121], adulterio [123], baratro (abisso spirituale, inferno) [127], castità [129], genuflexione [160], mistica [180], tribulatione [203], appartenenti alla sfera semantica religiosa, registriamo anche voci d’uso comune come il toscanismo popone ‘melone’ [188] e il venetismo goltate ‘schiaffi’ [160]. Molte parole d’àmbito religioso sono di tradizione letteraria volgare toscana. Citiamo solo il caso del lemma mollicie ‘lussurie, eccessi’ [181], che oltre alle PSM, è già attestato nel XIV secolo in autori toscani, sempre alla forma plurale e spesso con -zintervocalica, come si evince dai seguenti esempi, tratti dal corpus dell’OVI: «’l sonno e molte altre mollizie tutte sono opere carnali e di lascivia» (1305-06, Giordano da Pisa) «E nella sua puerizia cominciò a dare, a chi avesse a ciò riguardato, manifesti segni qual dovea la sua matura età divenire; però che, lasciata ogni pueril mollizie, nella propria patria con istudio continuo tutto si diede alle liberali arti» (1362, Boccaccio) «Costui alcuno tempo tenne vita feminile e lasciva, vivendo in mollizie» (1363, Matteo Villani) «Così ancora neuna acqua d’ avaritia o diletti mondani e carnali, quantunque sia grande la piena, può cacciare a terra questa anima; imperò ch’ è stabilita e fermata in quella pietra, nella quale non fu mai neuna molitie di diletti o consolationi corporali, ma tutta fermezza in pene e in dolori» (1377, Santa Caterina). Segnaliamo, inoltre, che anche dal punto di vista dell’indagine lessicografica, questo lavoro riveste un ruolo importante come dimostra il fatto di esser divenuto fonte imprescindibile per la redazione di molti articoli del LEI (Lessico Etimologico Italiano) per cui segnaliamo solo i lemmi: candelerio m. “arnese adatto a sostenere una sola candela” (1517, PostilleBibbiaPierno) in candelarius (LEI X, 801) capillatura f. “l’insieme dei capelli di una persona” (ib.) in capillatura (LEI X, 1641) captivar v.tr. “catturare, fare prigioniero” (ib.) in captivare (LEI XI, 963)

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charitativi, agg.sost.pl. “persona dedita al bene del prossimo” (ib.) in caritas (LEI XII,149). Chiudiamo accennando brevemente all’ultima parte, occupata interamente dall’edizione critica delle PSM [215-374] contenute nella traduzione della Bibbia Malerbi. Pierno ha scelto di rispettare la grafia del testo originale, anche se ha optato per un uso moderno degli accenti, delle maiuscole e della punteggiatura. Ciascuna postilla inoltre è preceduta dalla citazione completa del passaggio biblico alla quale fa riferimento. In definitiva, questa monografia riesce a realizzare in toto i suoi primari obiettivi: dare autorevolezza al volgare nell’esegesi biblica e aprire un nuova prospettiva di riflessione negli studi di storia della lingua italiana. Angelo VARIANO

Cesáreo CALVO RIGUAL, Estudi contrastiu del lèxic de la traducció italiana del Tirant lo Blanc (1538), Barcelona, Institut d’Estudis Catalans (Biblioteca filològica, 72), 2012, 359 pages + 1 CD-Rom. La thèse de C. Calvo Rigual, soutenue à l’Université de Valence en 1993, vient d’être publiée, grâce à l’appui de l’Institut d’Estudis Catalans et à la persévérance de son auteur. Le défi était de taille : en partant de la traduction italienne (Tirante il Bianco), publiée en 1538 mais exécutée entre 1514 et 1519, de l’imposant chef-d’œuvre catalan, Tirant lo Blanc (1490), dégager les grandes lignes d’une analyse contrastive des états des deux langues (catalan et italien) aux alentours de 1500. En dépit de l’ampleur de la tâche et de la hauteur des visées, le résultat est solide. La traduction est d’abord située dans son contexte socio-culturel, avec clarté [1727] : en est responsable Lelio Manfredi, lettré mantouan évoluant dans la sphère des Gonzague qui fut davantage apprécié comme traducteur – on lui doit également des traductions à succès de la Cárcel de amor (1514) et de Grisel y Mirabella (1521) – qu’en tant qu’écrivain, et l’initiative de l’entreprise revient à Isabelle d’Este (1474-1539), puis à son fils, Frédéric Gonzague (1500-1540), passionnés par l’œuvre mais dérangés par les difficultés de lecture que l’original posait 1. On établit ensuite que la traduction italienne dépend de l’editio princeps de Valence (1490), puis l’histoire des éditions anciennes et scientifiques de l’œuvre est faite [29-47], avant de s’attaquer de près à l’analyse du travail 1

����������������������������������������������������������������������������������� Cependant, l’information bibliographique n’est pas constamment à jour, ni suffisamment élargie, comme l’attestent les références presque exclusives aux travaux, méritoires en leur temps mais à présent surannés, de B. Croce et A. Farinelli au sujet des rapports entre l’Italie et la Péninsule Ibérique à la Renaissance, ou l’allusion trop rapide au cénacle d’artistes et lettrés réunis autour d’Isabelle d’Este : cf., au moins, la synthèse de Faccioli, Emilio, « L’età isabelliana », in : Id. (ed.), Mantova : le lettere, Mantoue, 1959-1963, vol. 2, 205-417. Sur le mécénat littéraire d’Isabelle et ses pratiques dans le contexte italien et européen cf. Villa, Alessandra, « Le partage des ‘droits’ sur l’œuvre littéraire à la Renaissance. Le cas d’Isabella d’Este », Italique 8, 2005, 45-71.

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de Lelio Manfredi [47-135]. Le profil qui en ressort est celui d’une traduction fidèle mais non pas servile, de très bonne qualité, globalement, et courageuse, notamment lorsque le traducteur fait face à des passages difficiles ou obscurs. Bref, Lelio Manfredi a su pallier les faiblesses de sa maîtrise du catalan, vraisemblablement acquise par voie livresque, par l’expérience et le métier. C. Calvo Rigual arrive à ces conclusions par le biais d’un examen serré des écarts de la traduction par rapport au Tirant. Déviations, altérations, fautes, omissions, ajouts etc. font l’objet d’une critique à la fois minutieuse et empathique, au sein de laquelle le lecteur se retrouve aisément, grâce au souci de présenter toujours, en regard, le passage du texte catalan et celui du Tirante. Par moments, on regrette que C. Calvo Rigual ne soit pas allé plus loin dans l’élaboration des données : par ex., sont classés sous l’étiquette de « errors d’impremta » [86-92] – Lelio Manfredi disparut avant que sa traduction ne fut imprimée – nombre de cas pouvant également relever d’autres raisons et procédés. Le spécialiste en est conscient [86], mais il renonce à un classement plus réfléchi et au supplément d’enquête que cette centaine de cas aurait nécessité. Ainsi, il n’est nullement sûr que comparò (Tirant : comprà) soit une vilaine faute d’impression (comparare “comparer”, au lieu de comperare “acheter”) [87], puisque les oscillations entre e et a, dans cette position, sont légion dans les formes du verbe comperare, tout au long de l’histoire de l’italien et dans ses différentes actualisations spatio-culturelles (cf. TLIO, s.v. comprare) 2. De même, alleggieremo (Tirant : triarem) [92] présente une voyelle initiale tout à fait courante tant au Moyen Âge qu’au XVIe s., aussi bien en Toscane qu’au Nord (cf. TLIO, s.v. elèggere). Encore, lorsque « quattro balenieri e due saette » traduit « quatre balaners e dues sageties », rien ne certifie que le glissement (saette, au lieu de saettìe) soit étranger à Lelio Manfredi [91], au vu de la rareté (et du caractère technique) de saettìa “petit bateau rapide” en italien et de la parenté étymologique stricte (saetta “flèche” < sagitta / saettìa < lat. méd. sagittea ou sagittiva ; cf. TLIO, s.v. saetta et saettìa). D’autres « errors d’impremta » présumés ou réels mériteraient une discussion approfondie. Et d’ailleurs, le morcellement que la présentation par mots établit, nuit à la perception des suites de déviations, dont la concentration est parfois saisissante : par ex., la bourde temiamo (Tirant : tenim) et le glissement d’avem conquistat à haviamo conquassato, beaucoup moins banal (cf. TLIO, s.v. conquassare “secouer ; endommager, ravager”), figurent au sein de la même phrase, et les formes verbales y sont coordonnées, ce que la disposition des données empêche d’apprécier [87, 91]. Mais ces remarques ne doivent pas occulter les mérites de l’étude, sa contribution de fond et les belles pages consacrées à la technique, par moments ingénieuse, du traducteur (recours aux groupes de synonymes et aux définitions, omissions intentionnelles et ajouts [106-122]). Suit l’étude contrastive du lexique de l’œuvre et de sa traduction [137-210], axée sur deux volets : les composantes historiques et culturelles de chaque corpus lexical – de leur confrontation ressort, sans grande surprise, la tendance accusée au latinisme (et au gallicisme) chez Lelio Manfredi, et une présence notable d’arabismes dans le Tirant – et les mécanismes de formation des mots. Ce dernier terrain est battu avec sagacité et dévouement. Une foule d’observations particulières s’en dégagent, dont on ne retiendra 2



L’exploitation systématique de cet outil désormais incontournable, bien qu’encore incomplet, ainsi que des bases de données et autres matériaux qui s’y rattachent (cf. OVI), aurait rendu service à C. Calvo Rigual, qui s’est en revanche contenté du GDLI et du DELI, pour le versant italien.

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ici que les tendances majeures : le recours aux affixes et aux augmentatifs et diminutifs est beaucoup plus fréquent dans le Tirante que dans le texte de départ ; les suffixes et préfixes employés dans la traduction sont davantage d’origine savante 1. Si certains aspects seulement du lexique des deux textes ont fait l’objet d’un examen exhaustif, tous les mots (autour de 5400) ont été analysés et comparés. Le fruit de ce travail colossal est consigné dans le CD-Rom, de conception élémentaire mais pratique, où l’on trouve un vocabulaire contrastif complet du Tirant et de sa traduction, que l’on peut consulter dans les deux directions, et l’indispensable complément concernant les noms propres : lecteurs et linguistes en feront leur miel, tant pour des vérifications ponctuelles que pour des études quantitatives ou ciblées. Une suite précieuse d’annexes [221-354] est censée guider, accompagner et parfaire l’exploitation du CD-Rom. Gabriele GIANNINI

Roumain Marius SALA / Andrei AVRAM (ed.), Dicţionarul etimologic al limbii române (DELR), vol. 1 : A – B (ed. Doru Mihăescu), Bucureşti, Editura Academiei Române, 2011, xliii + 473 pages. Avec le FEW (pour les variétés galloromanes) et le LEI (pour l’italoroman), la romanistique a présenté – et continue à présenter – des travaux exemplaires dans le domaine de la lexicographique historique et étymologique, travaux qui peuvent servir de modèle aussi à la linguistique non-romaniste. Il faut toutefois reconnaître que pour les autres langues romanes nous ne bénéficions pas de la même situation favorable. Pour le roumain, surtout, le regret de ne pas disposer d’une œuvre comparable à ces deux chefs-d’œuvre fait partie du répertoire standard des vues d’ensemble sur la lexicographie historique des langues romanes qui ont paru dans ces dernières décennies 2. Vers 3



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Les progrès que de tels sondages amènent paraissent évidents, lorsqu’on songe à l’état des travaux et des connaissances dans ce domaine, d’après les synthèses d’Albrecht, Jörn, « Kontrastive Untersuchungen II. Italienisch und andere Sprachen », LRL 7, 778-806 et de Quintana i Font, Artur, « Kontrastive Untersuchungen IV. Katalanisch und andere Sprachen », LRL 7, 845-852. Pour les différentes tentatives infructueuses de changer cette situation, et pour la lexicographie historique et étymologique du roumain en général, cf. Winkelmann, Otto, 1989. « Rumänisch : Lexikographie », in : LRL 3, 492-507 ; Popovici, Victoria, 2003. « Etymologische und wortgeschichtliche Erforschung und Beschreibung der romanischen Sprachen : Rumänisch », in : RSG 1, 330-339 ; Dahmen, Wolfgang, 2011. « Historische Wörterbücher des Rumänischen », Lexicographica 22, 151-169; Ernst, Gerhard (sous presse). « L’étymologie en romanistique. Histoire d’une discipline », in : Glessgen, Martin-D. / Schweickard , Wolfgang (ed.), Étymologie romane. Objets, méthodes et perspectives, Strasbourg, ÉLiPhi/SLiR ; Ernst, Gerhard, 2013. « Romanian », in : Heid, Ulrich / Gouws, Rufus H. / Schweickard, Wolfgang / Wiegand,

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la fin du siècle dernier, quand le grand dictionnaire de l’Académie (DA / DLR, terminé en 2010) s’acheminait vers son accomplissement, on envisagea à nouveau le projet d’un grand dictionnaire étymologique du roumain 3. En 2006, on annonça la parution imminente du premier volume de cette entreprise 4 et depuis 2011 nous disposons du premier volume du DELR 5. Après une succincte préface de Marius Sala, Doru Mihăescu, le responsable de ce premier volume, discute les principes lexicographiques et étymologiques qui sont à la base du présent ouvrage [vii-xiv]. Il en résulte que les auteurs visent l’intégralité de la macrostructure (même pour les variantes régionales et les dialectes sud-danubiens) en accueillant la totalité des matériaux lexicaux contenus dans le grand thésaurus que constitue le Dictionnaire de l’Académie (DA / DLR) tout comme dans le DEX, paru également dans le cadre de l’Académie, supplément indispensable surtout pour les néologismes entrés en roumain après la parution des volumes respectifs du DA (vol.1, A-B : 1913) et du DLR. Pour l’étymologie-origine on se sert des dictionnaires existants 6 [vii] et, dans le cas d’une étymologie controversée, des « soluţiile propuse de marii noştri lingvişti şi de specialiştii recunoscuţi în studierea diverselor limbi şi culturi înconjurătoare » 7. Les principes de la lemmatisation et le système des familles de mots réunis dans des « cuiburi lexicale » (nids lexicaux) me semblent raisonnables, même s’il n’est pas toujours facile de suivre l’usage qui en est fait. Un index des mots, long d’env. 150 pages [325473] et très complet, permet de retrouver plus facilement les ‘membres de la famille’ qui habitent les nids lexicaux. La lemmatisation part des lexèmes roumains (modernes), ce qui a pour conséquence la séparation des doublets étymologiques (mot hérité / mot savant ; mot hérité / emprunt) ou des couples de mots de même origine (familiale) ayant connu une évolution sémantique trop divergente pour être accueillis dans le même article. Dans ces cas, on trouve des renvois entre les articles (p. ex. an : cf. mulţumi [< (la) mulţi ani]) [xii].

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Herbert Ernst (ed.), Dictionaries. An International Encyclopedia of Lexicography. Supplementary volume: Recent developments with special focus on computational lexicography, Berlin/Boston (HSK 5.4), 687-701. Sala, Marius, 1997. « Il dizionario etimologico della lingua rumena (DELR) », in : Holtus, Günter / Kramer, Johannes / Schweickard, Wolfgang (ed.), Italica et Romanica. Festschrift für Max Pfister zum 65. Geburtstag, Tübingen, Niemeyer, vol. 1, 435-440. Marius Sala dans un discours prononcé à l’Académie Roumaine (6 janvier 2006) ; v. aussi la préface du volume I/3 du DLR, 2006, ix. Pour un non initié, ce n’est pas très clair si le volume annoncé en 2006 fait partie du projet dont parle Sala en 1997. Il semble finalement que non, étant donné la déclaration de Sala dans la préface au présent volume : « Ultima propunere, cea formulată în 1997, n-a putut fi realizată din diverse motive obiective » (v). Je remercie Ştefan Colceriu qui a mis à ma disposition un exemplaire de cet ouvrage, alors introuvable sur le marché et dans les bibliothèques. Pour CDDR, on ne trouve pas de résolution dans la liste des sigles. Il est un peu surprenant de ne trouver que deux noms non-roumains (Meyer-Lübke et Lajos Tamás) parmi les 21 spécialistes énumérés (viii).

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L’étymologie dite ‘multiple’ joue un rôle pour les emprunts faisant intervenir plusieurs langues donneuses possibles 8 tout comme pour les cas où emprunt ou formation interne sont également possibles. Ce problème concerne surtout les formations ‘néolatines’ et les compositions ou dérivations lexicales qui présentent des morphèmes et des structures disponibles en roumain moderne comme dans d’autres langues euopéennes. Dans ces cas, il est peu probable qu’on arrive à trouver une réponse définitive à la question : d’où vient le mot 9 ? Je conseille d’avoir recours, dans ces cas, au terme ‘eurolatin’, propagé par C. Schmitt 10. Les pages [xv-xxxiv] 11 (Norme lexicografice) présentent les détails de la réalisation pratique des réflexions théoriques précédentes. Je commente seulement quelques points permettant de caractériser l’ouvrage: – C’est l’étymologie origine qui en constitue l’intérêt principal ; rares sont les éléments d’une étymologie histoire du mot 12 . Et même les informations concernant l’acte de naissance se trouvent réduites à l’extrême : on trouve (pour les lemmes et pour les ‘membres de la famille’) l’année de la première attestation – sans indication de la source, ce qui rend impossible une appréciation critique ou nécessite au moins de longues recherches dans les dictionnaires qui constituent le point de départ du DELR. Sinon, il faut se fier au travail des auteurs (ou plutôt de la commission de révision) qui ont vérifié et – le cas échéant – corrigé les sources et les citations des dictionnaires précédents 13. Ce travail de contrôle concerne entre autres les datations [xxi] et les attestations douteuses [xx]. – Le sens d’un lemme est indiqué d’une façon sommaire (définition en roumain et traduction française), réduite au « sensul de bază » ; d’autres sens ne sont donnés que dans la mesure où ils contribuent à la recherche de l’étymologie origine [xx]. Les ‘membres de la famille’ restent, dans la plupart des cas, sans indication du sens. L’usager doit alors se fier à sa connaissance des régularités de la morphologie lexiDans un cas extrême, comme acord, on trouve comme sources possibles de l’emprunt : le polonais, le russe, l’italien, le français et l’allemand. 8 Un seul exemple : a-t-on vraiment besoin d’un précédent allemand ou anglais pour bibliofob, bibliofobie (1966), à partir du moment où les éléments biblio- et -fob, -fobie étaient déjà établis en roumain ? 9 Schmitt, Christian, 2012. « Zur Klassifikation neulateinischen Wortguts : Vitamine als sprachtypologisches Problem der Romania und der Slavia », in : Podtergera, I. (ed.), Schnittpunkt Slavistik. Ost und West im wissenschaftlichen Dialog. Festgabe für Helmut Keipert zum 70. Geburtstag, Bonn, V&R unipress, 77-91. – Les éléments savants d’origine grecque sont inclus dans la définition de ‘eurolatin’. 10 Malheureusement, dans l’exemplaire mis à ma disposition, il y a une confusion complète dans la succession des pages de ce chapitre, due à un accident dans la reliure, ce qui complique la lecture. 11 Cette situation se reflète aussi dans la relation quantitative entre la totalité des articles (323 pages) et un riche index des mots (148 pages). 12 « În măsura posibilului, au fost verificate sursele citate » [xxi] ; « În măsura posibilului, informaţia etimologică [a dicţionarelor care stau la bază] a fost reprodusă ca atare, cu excepţia dicţionarelor lui Cihac şi Scriban, ale căror etimologii au fost interpretate de către comisia de revizie » [xxiii]. « Soluţiile etimologice noi sau completările de revizie a DELR au fost marcate prin º » [xxiv]. 7



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cale en roumain 14 ou d’éventuelles parallèles dans le cas des européismes. Et même l’indication du domaine d’usage n’aide pas toujours à trouver le sens d’un mot : borfete (« (iht. ; Meh., Olt.) 1885 ») est-il le même type de poisson que boarfă ou une sous-espèce de celui-ci ? – Dans le paragraphe 8. Prima Atestare [xxsq.] on ne trouve pas de règle pour l’attribution de la date à l’un des sens du mot, lorsqu’il y en a plusieurs. La datation de ‘1794’ pour acorda vaut-elle pour les sens « a da, a conferi » ou pour « (muz., gram.) a armoniza » ? – On trouve une grande richesse de variantes formelles / phoniques, les unes avec 15 les autres sans 16 indications concernant leur diffusion régionale. – Pour l’encadrement panroman des mots hérités on s’est contenté de reproduire les parallèles trouvés dans le REW (occasionnellement dans le LEI) [xxv]. Pour résumer : nous n’avons pas encore, pour le roumain, le grand dictionnaire étymologique qui pourrait nous fournir la biographie des mots, comme le font, d’une façon admirable, le FEW et le LEI ; il s’agit plutôt d’un manuel étymologique de dimensions moyennes, qui réunit les informations données dans les travaux existants, tout en mettant l’accent sur les aspects formels aux dépens des aspects sémantiques. Pour reprendre les termes du responsable du premier volume : « Forma actuală este rezultatul unui compromis decent între ceea ce este de dorit şi ceea ce s-a putut face » [xiv]. Gerhard ERNST

« glosarea sensurilor a fost limitată la omonime şi la cuvintele a căror structură derivativă nu este evidentă în limba română » [xxix]. Mais il ne faut pas trop se fier à la structură derivativă. Pour ne donner qu’un seul exemple : le sens de arendaş 1772 (← arendă ) (“Persoană care ia în arendă”) ne résulte pas d’une façon univoque de notre connaissance des fonctions du suffixe -aş. Cf. Popescu-Marin, Magdalena (coord.), 2007. Formarea cuvintelor în limba română din secolele al XVI-lea – al XVIII-lea, Bucureşti, 75 : « Valorile derivatelor cu -aş : […] nume de agent ». Mais comme il y a deux agents dans l’action de arendă (“bail”), arendaş pourrait également désigner “Persoană care dă în arendă”. Cf. fr. bailleur “celui qui donne à bail”. 14 Ex. breaslă “asociaţie de meşteşugări – corporation” 1645, var, (Munt.) braslă, breslă. 15 Ex. brebenoc “saschiu – pervenche, violette de serpent” 1793, avec onze variantes phoniques / graphiques. 13

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Ibéroromania Heiner BÖHMER, Grammatikalisierungsprozess zwischen Latein und Iberoromanisch, Tübingen, Narr Verlag, 2010, 548 pages et un CD-Rom. L’ouvrage de Heiner Böhmer est le fruit d’une révision de sa thèse d’Habilitation de 1998. Le but de l’auteur est double ; premièrement d’étudier le processus de grammaticalisation de l’ibéroroman et deuxièmement d’évaluer l’apport des chartes latines pour l’étude et la compréhension de ce processus. Le livre est organisé en sept chapitres, une annexe et des références. Le premier chapitre [1-10] brosse un aperçu rapide des recherches dans le domaine et présente le plan de l’ouvrage, le second [11-15] en esquisse quelques principes de base, puis introduit les thématiques qui seront approfondies dans l’ouvrage. Le troisième chapitre, très long [16203], expose un nombre de principes et modèles de grammaticalisation. Le quatrième chapitre, également très élaboré [204-303], est basé sur une analyse des conditions communicatives de la production et de la réception des textes, et il porte sur la fiabilité des sources pour l’étude du passage du latin vers les langues romanes. Un chapitre très bref, (chap. cinq, [304-308]), tire les conclusion du chapitre précédant et se penche sur les possibilités de la reconstruction d’une langue parlée du passé. L’analyse empirique du corpus, présentée dans le chapitre six, occupe environ un tiers du volume [309-496] ; elle est suivie d’une brève récapitulation des résultats (chapitre sept, [497-500]). L’annexe contient une explication de l’annotation du corpus et quelques chartes suivies de leurs analyses [501-533]. L’ensemble du corpus avec les annotations et les analyses se trouve sur le CD-Rom accompagnant le livre. Ce bref aperçu est destiné à montrer quels sont les points d’intérêt de l’auteur, points qui seront discutés dans ce qui suit, à savoir : les principes de grammaticalisation, la fiabilité des sources et la reconstruction des étapes anciennes d’une langue. Ceci va nous amener à reprendre la notion de diglossie et à considérer la notion de ‘fautes’ utilisée par l’auteur. Les principes de grammaticalisation. Dans les études sur la grammaticalisation, les chercheurs négligent souvent de préciser préalablement leur conception de la grammaire, précision pourtant indispensable avant de pouvoir étudier les processus de grammaticalisation (voir Diewald 2010 pour un point de vue semblable 1). Au lieu de cela, les discussions tournent traditionnellement autour des credos comme le cline et l’unidirectionalité. Si on part de l’idée que la grammaire est de nature scalaire, et que les structures analytiques sont moins grammaticales que les structures synthétiques, il en découle que le processus de grammaticalisation se caractérise par le passage de structures soit lexicales soit analytiques, et par conséquent moins grammaticales, en structures synthétiques qui sont plus grammaticales. Du coup, il faut constater que les credos sont circulaires, dans la mesure où ils ne font que reformuler la définition même du processus de grammaticalisation. Il en découle en outre que les structures grammaticales qui restent analytiques ne sont pas nécessairement identifiées comme de potentiels éléments à subir

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Diewald, Gabriele, 2010. « On some problem areas in grammaticalization studies », in : Stathi, Katerina / Gehweiler, Elke / König, Ekkehard (ed.), Grammaticalization. Current views and issues, John Benjamins Publishing Company, Amsterdam/Philadelphia, 17-50.

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un processus de grammaticalisation. De telles structures à exclure du processus de grammaticalisation comprennent l’ordre des mots (malgré les affirmations de Meillet) et les constructions, structures qui sont rarement traitées dans les études « classiques » sur la grammaticalisation. Nous renvoyons à propos de l’inclusion des constructions dans les traités sur la grammaticalisation à Trousdale 2010 2. Une des raisons sousjacente pour motiver l’exclusion de telles structures est que le processus de grammaticalisation est traditionnellement défini par les changements de la forme, et moins souvent par des changements ou réorganisations du sens grammatical véhiculé par ces formes, voir la discussion de ces problèmes fondamentaux dans Nørgård-Sørensen et al. 2011 3, qui présente des cas où collaborent les morphèmes, les constructions et l’ordre des mots pour constituer des paradigmes grammaticaux par exemple en latin et en danois. Maintenant, quelles sont les positions de Heiner Böhmer vis-à-vis de ces problèmes ? L’auteur a choisi de baser sa recherche sur le modèle de grammaticalisation élaboré par Christian Lehmann, présenté dans la section 3.1.2, puis discuté en détail. Ce modèle a l’avantage d’inclure six paramètres, parmi lesquels la paradigmatisation, qui est sensée caractériser la grammaire en tant que telle (voir aussi Diewald op.cit. p. 46 qui caractérise la grammaire par sa paradigmaticité), en d’autres mots, cette approche se distingue d’autres approches par le fait de proposer une définition de ce qui est grammatical. Les cinq autres paramètres sont plus ou moins dérivables du processus tendant vers la paradigmatisation. Pour ce qui est du cline, accepté par Lehmann, il est explicitement repris par Böhmer [48], position qui devrait avoir pour conséquence l’exclusion des constructions et de l’ordre des mots comme phénomènes de grammaticalisation. Or, l’auteur présente une série d’arguments en faveur de l’inclusion de tels phénomènes et conclut sa présentation en proposant une vision intéressante, très élaborée, des causes et des phases du processus de grammaticalisation qui se veut une élaboration du modèle de Lehmann et qui intègre entre autres le modèle de Dik [203]. La partie empirique de l’ouvrage sert à illustrer les principes de grammaticalisation exposés. L’auteur présente sept processus de grammaticalisation, chacun accompagné d’un diagramme. Il s’agit des processus suivants : (1) les catégories temps-mode-aspect-voix, (2) les verbes copule / possession, (3)(4) le système casuel et l’utilisation des prépositions, (5) les déterminants, pronoms et adverbes démonstratifs, (6) la complémentation verbale (depuis les structures à formes non personnelles vers les structures à formes personnes), (7) les conjonctions de subordination. Les sources. Leur fiabilité et la possibilité de la reconstruction des étapes anciennes d’une langue. La recherche empirique de l’auteur s’appuie sur une séletion de chartes puisées dans 12 collections, provenant de différentes régions de la péninsule ibérique, datant du 8e au 11e siècles, mais copiées aux 12e et 13e siècles. La distribution dialectale couvre la Catalogne, le Navarre-Aragon, la Castille, l’Asturie, la Galice et le Portugal. L’étude se réfère à l’inventaire des traits caractéristiques morpho-syntaxiques des chartes établi par Juan Bastardas en 1953. Les chartes sont reproduites sur le CD-Rom ; ������������������������������������������������������������������������������� Trousdale, Graeme, 2010. « Issues in constructional approaches to grammaticalization in English », in : Stathi, Katerina / Elke, Gehweiler / Ekkehard, König (ed.) Grammaticalization. Current views and issues, John Benjamins Publishing Company, Amsterdam/Philadelphia, 51-71. 3 Nørgård-Sørensen, Lars Heltoft / Schøsler, Lene, 2011. Connecting Grammaticalisation, John Benjamins Publishing Company, Amsterdam/Philadelphia. 2

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elles sont présentées brièvement dans l’introduction, puis en détail dans le chapitre 6 et dans l’annexe (chapitre 8). Les chartes sont reproduites dans une version non-annotée et une version annotée. L’annotation, très riche et détaillée, a été effectuée de façon manuelle, et elle concerne notamment la structure de la charte, l’orthographe, le lexique, la morpho-syntaxe et la structure dépendantielle. On y trouve également des commentaires sur les écarts du scribe ou du copiste par rapport aux normes du latin, le tout marqué à l’aide d’une annotation forgée par l’auteur même, présentée dans l’annexe. Sur ce point, l’auteur n’a pas désiré suivre le modèle d’annotation de chartes luxembourgeoises, pourtant admirablement précis et rigoureux, présenté dans Holtus et al. 2003 4, puis utilisée entre autres dans Völker 2003 5. L’auteur n’a pas non plus désiré inclure des considérations sur la linguistique variationnelle, qui s’est néanmoins montrée capable d’éclairer les problématiques liées à l’existence de normes et de sous-normes à l’époque médiévale. Par conséquent, le lecteur n’est pas informé sur les éventuelles paramètres diatopiques ou diastratiques qui ont justement pu être dégagés dans les ouvrages susmentionnés. L’absence de prise de position variationnelle est évidemment déterminante pour l’interprétation de « fautes » dont il sera question plus loin. L’importante question de la fiabilité des sources est abordée à partir de deux aspects, d’abord celui de la recherche empirique versus la reconstitution plus abstraite, ensuite celui de la valeur des chartes versus d’autres sources possibles. La première opposition correspond à la prise de position antagoniste de checheurs qui se basent sur les sources empiriques pour en déduire quelles sont les étapes qu’ont pu parcourir les parlers avant la mise en écrit du vernaculaire. Le choix de la réconstitution abstraite est par contre prôné par des chercheurs comme De Dardel (voir entre autres la présentation page 7) qui prétend pouvoir identifier des étapes précises du protoroman suivant une sorte de logique de l’évolution. On aura compris que Böhmer choisit une recherche basée sur les données empiriques. La deuxième opposition concerne le statut de la langue des chartes et leur capacité à nous renseigner sur la langue vernaculaire. Les chercheurs ont porté des jugements contrastés sur les chartes, les uns considérant leur langue comme formulaire, fossilée, trop pauvre pour servir à l’étude linguistique, les autres, par contre, y voyant une source trop peu exploitée, ayant l’avantage d’être localisée et datée (voir l’argumentation en faveur de la deuxième position sur les chartes vernaculaires françaises dans la préface de l’Atlas des chartes de Dees 1980 6 et chez Holtus et al. 2003). Pour ce qui est du latin des chartes ibéroromanes, Böhmer renvoie à Roger Wright selon qui le latin des textes anciens est simplement du roman, certes reproduit avec l’écriture latine, mais une véri4



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Holtus, Günter / Overbeck, Anja / Völker, Harald, 2003. Luxemburgische Skriptastudien : Edition und Untersuchung der altfranzösischen Urkunden Gräfin Ermesindes (1226-1247) und Graf Heinrichs V. (1247-1281) von Luxemburg, Beih. z. Zeitschr. f. roman. Philol. 316, Tübingen, Niemeyer. Völker, Harald, 2003. Skripta und Variation. Untersuchungen zur Negation und zur Substantivflexion in altfranzösischen Urkunden der Grafschaft Luxemburg (12371281), Tübingen, Niemeyer. Völker, Harald, 2009. « La linguistique variationnelle et la perspective intralinguistique », Revue de Linguistique Romane 73, 27-76. Dees, Anthonij, 1980. Atlas des formes et des constructions des chartes françaises du 13e siècle, Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie, 178.

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table variété romane à la lecture. Point de vue contesté entre autres par Banniard. Sur cette opposition et sur les thématiques qui y sont liées, d’éminents romanistes, notamment en Allemagne, se sont prononcés avec entrain, en particulier suite aux publications de Wright. Les points de vue divergeants ont été formulés avec une clarté exemplaire dans la contribution de Peter Koch et de Wulf Oesterreicher au Manuel international d’histoire linguistique de la Romania. 3. Teilband, section 220 : « Comparaison historique de l’architecture des langues romanes / Die Architektur romanischer Sprachen im historischen Vergleich ». Böhmer n’a guère eu la possibilité de consulter cet ouvrage paru en 2009, mais il aurait pu consulter d’autres études récentes, alors qu’il se contente de renvoyer à des publications assez anciennes de ces auteurs. Revenons à la fiabilité des chartes latines pour l’étude de la langue vernaculaire. L’auteur exprime son regret vis-à-vis la pauvreté des informations puisées dans les chartes, notamment au niveau lexical, au niveau du développement des adverbes modaux et temporels, des interrogatives indirectes, et il déplore l’absence d’un grand nombre de types verbaux – tout cela dû aux particularités des chartes (voir la section 4.4sqq. et la mise à point page 303). Toutefois, il nous semble que l’auteur est injuste envers ses propres résultats qui sont d’une richesse et d’une solidité incontestables. En outre, l’auteur montre clairement que les chartes sont supérieures à d’autres sources possibles [265]. Encore à propos la question de la fiabilité des sources, et plus spécifiquement l’apport linguistique des différents genres textuels, l’auteur s’exprime avec clarté sur les limites matérielles de nos recherches sur la langue parlée d’autrefois (chapitres 2 et 5). Ajoutons q’au CILPR 2013 une section a été consacrée à cette question, voir entre autres Lindschouw & Schøsler, à paraître 7. La diglossie. Comme indiqué plus haut, la question de la fiabilité des sources est intimement liée à des problématiques cruciales comprenant les principes de la communication posés d’abord par Söll, puis élaborés par Koch & Oesterreicher et qui inclut entre autres les oppositions suivantes : communication à distance ou de proximité, cf. la communication verticale ou horisontale de Banniard, la distinction de la conception de la communication et le support matériel (écrit ou parlé), et l’existence d’une variante haute (H) et basse (L) impliquant une forme de diglossie. Ces principes sont reproduits dans la section 4.7sqq., en particulier à partir de Koch & Oesterreicher 1985/90. L’auteur reprend la notion de diglossie à partir de la section 4.9. Il présente les diverses définitions et argumente en faveur d’une acceptation d’une forme de diglossie pour la période en question, dans la mesure où la communication verticale et souvent écrite (H) diffère de la communication horisontale et parlée (L). Par conséquent, il argumente contre le point de vue de Wright qui exclue l’existence de la diglossie pour la période avant les réformes du latin (la réforme carolingienne vers 800, celle suivant le Concile de Burgos en 1080). Sur ce point, l’auteur semble ainsi en accord avec Koch 2008 8, Koch & Oesterreicher 2009 et Banniard – contre Wright. Lindschouw, Jan / Schøsler, Lene, à paraître. « La fiabilité des sources. Les linguistes, à quel point peuvent-ils se fier aux témoignages écrits pour se prononcer sur la langue parlée des périodes antérieures de la langue ? ». 8 Koch, Peter, 2008. « Le latin – une langue pas tout à fait comme les autres ? Le problème de la diglossie en Gaule septentrionale », in : Van Acker, Maricke / Van Deyck, Rika / Van Uytfanghe, Marc (ed.), Latin écrit –Roman oral ? De la dichotomisation à la continuité, Turnhout (Brepols), 43-68. 7

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La notion de ‘fautes’. Dans son ouvrage, Böhmer se sert du terme de ‘faute’. Comment définit-il ce terme, et qu’est-ce que ce terme implique concernant la relation non seulement entre le latin et le vernaculaire, mais aussi entre la ‘faute’ et la norme, dans la mesure où la notion de ‘faute’ présuppose l’existence d’une norme ? L’auteur utilise tantôt le terme assez choquant de ‘fautes’ (Fehler), tantôt le terme plus neutre d’ ‘interférences’. En renvoyant à Weinreich, Böhmer se sert du concept d’interférence dans une situation de diglossie pour référer à la présence de traits appartenant au niveau L dans la langue H, ou – au contraire – la présence de traits H dans le langage L (voir la section 4.11). Il avance des arguments basés sur nos connaissances sur la vie monacale, son organisation et la transmission du savoir, en particulier concernant l’enseignement de la grammaire du latin dans les grandes abbayes afin de défendre le point de vue que ceux qui rédigeaient ou transcrivaient les chartes (qui s’auto-désignent avec le titre « presbiter ») possédaient un savoir grammatical latin et que les interférences qu’ils ont commises entre le vernaculaire et latin (c-à-d : l’introduction des traits de niveau L présents dans les chartes latines) ont pu être non seulement inconscientes mais aussi conscientes. (Dans ce dernier cas on pourrait se demander s’il s’agissait d’une sorte de polyphonie dans le sens de Ducrot 1998 9, mais l’auteur n’aborde pas cette question.) La norme H des moines rédigeant les chartes serait donc la grammaire latine enseignée à l’aide du Donat ; l’auteur parle de « Schullatein » [301]. En se référant aux recherches sur l’interlangue à propos de l’apprentissage d’une langue seconde et aux idées de la « grammaire des fautes » de Frei, Böhmer propose de considérer la langue des chartes latines comme une sorte d’interlangue, dans laquelle les auteurs commettent des erreurs contre la grammaire cible (contre la langue H), erreurs dues soit au transfer de traits grammaticaux et lexicaux de la langue maternelle, soit aux stratégies générales de l’apprentissage d’une langue seconde (simplifications, hypergénéralisations etc.), soit aux stratégies semblables relevées par Frei et qui opèrent dans la langue maternelle. Ceci est une hypothèse intéressante, mais contre laquelle on peut faire valoir au moins les deux objections suivantes : (1) La situation linguistique de la période qui nous occupe, transmise à nous à l’aide des documents rédigés du 8e au 11e siècles, et copiés aux 12e et 13e siècles, est-elle réellement comparable à la production d’interlangue chez les apprenants d’une langue seconde ? Dans une situation d’apprentissage moderne, par exemple la situation à laquelle se réfère l’auteur, à savoir l’apprentissage de l’allemand par les Français, les deux langues sont systématiquement enseignées dans les institutions, la langue maternelle tout autant que la langue seconde, ce qui n’était certainement pas le cas au moyen âge pour la langue vernaculaire. C’est uniquement dans une situation moderne qu’on peut parler d’une situation de « grammaires en compétition ». (2) Les langues vernaculaires et le latin du moyen âge, étaient-ils de caractère homogène ? Ces langues ont subi des processus normalisation, le latin après 800 / 1080, les langues romanes bien plus tard. A la suite de cette normalisation il y a un concensus général et enseigné dans les institutions, sur ce qui est correct et ce qui ne l’est pas. Telle n’était aucunement la situation dans la période qui nous occupe, surtout pas pour la langue maternelle vernaculaire. Nous laissons volontairement de côté la question à savoir si on peut déjà considérer la langue latine de la péninsule ibérique comme une unité linguistique. 9



Ducrot, Oswald, 1998. Dire et ne pas dire. Principes de sémantique linguistique, Paris, Hermann, 3e éd. aug.

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Finalement, l’hypothèse de Böhmer incite à se pencher davantage sur la variation. Quel est le statut de la variation ? Toutes les langues varient sans cesse. Les écarts à la norme que Frei avait dégagés comme « erreurs », le diachronicien moderne les considérera plutôt comme des traits composant des sous-systèmes, suite à une succession de réanalyses, parmi lesquelles certaines aboutissent à de vraies changements, alors que la plupart sont éphémères. Nous renvoyons à ce propos aux apports fructueux de la linguistique variationnelle, qui attribue aux variantes une valeur diasystématique. Nous renvoyons aussi aux études diachroniques insistant sur le rôle crucial de la réanalyse et de l’actualisation pour le changement linguistique (voir en particulier les publications de Henning Andersen, par exemple 2001 10, 2008 11 ou inspirées par ce chercheur : NørgårdSørensen et al. 2011). Avant de conclure, il importe de signaler quelques notes de critique. Il a été dit au début de ce compte rendu qu’il s’agit de la révision d’une thèse d’Habilitation de 1998. Le style s’en ressent dans la mesure où l’auteur présente parfois très en longueur les traditions linguistique et l’historique des problématiques analysées. Si ces problématiques restent d’une actualité incontestable, il faut avouer que beaucoup de recherches récentes les reprennent, en les éclairant, à partir de nouveaux points de vue. Il est regrettable que l’auteur ne semble pas avoir jugé nécessaire de consulter ces nouvelles directions (sauf erreur, on relève moins de dix références depuis 2002). Il est regrettable que l’auteur ne cite pas Stengaard 1991 12 qui consacre pourtant sa thèse d’Habilitation à un des sept processus de grammaticalisation étudié par l’auteur. Faute de ne pas consulter les publications plus récentes, l’auteur passe à côté d’ouvrages importants comme Company Company 2006 13. Un problème mineur réside dans la difficulté à interpréter les figures. Il y a en particulier des figures très complexes munies de nombreuses flêches, droites ou courbes, se croisant parfois, et qui pointent dans toutes les directions. S’il y a des axes, il est difficile au lecteur d’attribuer une valeur précise aux axes x ou y – à l’exception pourtant de la figure 5 [50] pour laquelle ces axes sont clairement définis. Selon la page 51 l’auteur décrit ses figures comme des illustrations informelles des chemins de grammaticalisation. Si elles sont suggestives pour Böhmer, elles le sont vraiment moins pour l’auteure de ce compte rendu. Pour conclure : il s’agit d’une étude très riche, qui communique au lecteur des connaissances approfondies dans les nombreux domaines liés à une thématique de grande portée. Par la vaste gamme des thèmes exposés et par le sérieux de ses analyses, ce volume intéressera tout chercheur en diachronie. Lene SCHØSLER Andersen, Henning (ed.), 2001. Actualization : Linguistic change in progress, Amsterdam, John Benjamins. 11 Andersen, Henning. 2008. « Grammaticalization in a speaker-oriented theory of change », in : Eythórsson, Thórhallur (ed), Grammatical Change and Linguistic Theory. The Rosendal papers, Amsterdam and Philadelphia, John Benjamins, 11-44. 12 Stengaard, Birte, 1991. Vida y muerte de un campo semántico. Un estudio de la evolucíon semántica de los verbos latinos ‘stare’, ‘sedere’ e ‘iacere’ de latin al romance del s.XIII, Tübingen. (Beih.ZRP.234). 13 Company Company, Concepción (ed.). 2006. Syntaxis histórica de la lengua española, 1-2, Mexico, Universidad Nacional Autónoma de México. 10

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Valencien Emili CASANOVA / Lluís R. VALERO (ed.), Nous materials de toponímia valenciana, València, Denes, 2013, 939 p. El llibre conté una mostra representativa dels treballs procedents del PostgrauDiploma de Toponímia i Onomàstica Valencianes, dirigit per Emili Casanova i Joan Mateu, impartit durant el curs 2010-2011 en l’ADEIT de la Universitat de València. El Postgrau es va proposar com un mitjà de formació de nous especialistes en Onomàstica, continuant la tasca iniciada, vint anys abans, pel Mestratge de Toponímia que es va impartir a la Universitat de València durant els anys 1990 i 1991, les actes del qual van ser publicades l’any 1995 (Materials de Toponímia, València, Denes / Universitat de València / Generalitat Valenciana), dirigit per Vicenç M. Rosselló i Emili Casanova. Entre ambdues iniciatives, s’ha publicat la primera edició del Corpus Toponímic Valencià (València, Acadèmia Valenciana de la Llengua, 2009), que afronta ara el repte de la redacció etimològica i diccionariable de tot el corpus aplegat (més de 100.000 topònims), per a la qual són necessaris els coneixements metodològics i interdisciplinaris que proporcionen iniciatives com el Postgrau-Diploma de Toponímia i Onomàstica Valencianes. El llibre Nous materials de toponímia valenciana reuneix trenta textos, fruit de les conferències impartides en el curs i dels treballs finals dels alumnes, enriquits amb les revisions dels seus tutors. Com indica Emili Casanova en el pròleg del llibre, els treballs es poden dividir en diferents línies d’investigació: (1) Transmissió d’experiències toponímiques exemplars per a introduir-se en el món de la toponímia i l’antroponímia, com les de Ramon Amigó, en l’article “Ensenyaments onomàstics d’un vell i savi toponimista” [17-51], on tracta de la metodologia de la disciplina, que ha de combinar la documentació i l’enquesta oral, es refereix a les “particularitats del llenguatge” que es poden trobar en els noms de lloc, a la relació entre topònimia i antroponímia, i repassa la seua valuosa experiència personal en aquest camp, ordenant els toponímia estudiats per àrees temàtiques. (2) Fonts onomàstiques, com el treball de Torres Faus (“L’onomàstica: les fonts històriques i documentals valencianes”, [829-867]), que fa un repàs exhaustiu de les fonts històriques i documentals relacionades amb l’onomàstica, proporcionant, així, informació de gran utilitat per als investigadors. (3) Toponímia temàtica i interpretació geogràfica: Allepuz, “Toponímia rural medieval de Vilafamés: vies de comunicació i hàbitat” [54-71], presenta els resultats del buidat toponímic del Llibre de peita de Vilafamés del segle XVI, amb l’objectiu de contribuir al coneixement del paisatge medieval d’aquest terme municipal a través de la toponímia. En concret, centra el seu estudi en les vies de comunicació i hàbitat. Bernat, “Orografia i hidronímia” [159-187], estudia els orònims i hidrònims més emprats al Maestrat, acompanyats de la seua definició, caracterització i classificació. Rabasa, “Nova enquesta de la toponímia de la costa W-SW de l’illa d’Eivissa” [511535], valent-se d’una enquesta recent, feta sobre el terreny estudiat, fa una descripció

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i ressenya etimològica dels topònims costaners eivissencs del sector occidental i sudoccidental. Per últim, Tort i Donada, “Una interpretació de la toponímia ribagorçana en clau de paisatge” [869-892], partint d’una selecció àmplia i representativa dels topònims ribagorçans, posa en evidència la correspondència de la toponímia històrica amb la realitat bàsica del territori. (4) Estrats toponímics, preromans i llatins: Ballester, “Fuentes antiguas de la toponímia prerromana hispánica” [109-131], fa un repàs a les fonts per a l’estudi de la toponímia preromana peninsular, centrant-se especialment en els textos epigràfics i en les glosses. Carqués, “Els topònims de la Comunitat Valenciana als antics itineraris romans” [189-214], estudia les referències, la localització, l’etimologia i la pervivència d’aquests topònims, entre els quals es troben noms de lloc ibèrics, però també romans i celtoides, la qual cosa és indicadora de la presència a l’est de la Península Ibèrica, en una època antiga, de pobles indoeuropeus, i no únicament ibèrics. Narro, “Horonímia de la Comunitat Valenciana. Els noms de les fronteres” [475-500], planteja l’estudi dels topònims que designen una frontera o un límit territorial, per a determinar els quals proposa el neologisme horònim. Estudia els horònims d’origen preromà i d’origen llatí, que són els majoritaris. Pel que fa a l’estrat toponímic àrab, el treball d’Andrés, “Toponímia aràbiga del protocol notarial de Sabastià de Xulbe (1470-72)” [73-107], es centra en l’estudi de la toponímia de la Marina Alta procedent d’un dels protocols notarials més antics conservats amb informació d’aquesta comarca, i constitueix un bon punt de partida per a conéixer-ne la toponímia històrica. Per la seua part, Ribes, “Aproximació al parlar mossaràbic d’Eivissa a través de la toponímia” [555sqq.], s’ocupa del complex i controvertit tema del mossàrab. En aquest sentit, parteix, com a fonts d’estudi, del Repartiment de l’illa del segle XIII, d’alguns topònims que han sobreviscut fins avui, i d’alguns mots comuns i algun afix, que, segons l’autor, podrien tenir aquest origen. A partir d’ací, destria els que serien “els trets del mossàrab d’Eivissa”. Per últim, Moran, “Toponímia d’origen llatí, germànic i català” [463-474], estudia la presència de diferents estrats en la toponímia catalana: el substrat preromà, la toponímia romana, la toponímia d’origen germànic, la d’origen àrab i la toponímia romànica. (5) En l’àmbit de la metodologia comparatística en l’estudi etimològic, Bastardas i Rufat, “Filologia romànica i antroponímia. Cognoms d’origen no català incorporats en el nostre sistema antroponímic” [133-144], posa en relleu la necessitat d’una perspectiva romànica per als estudis d’antroponímia, i demostra com el mètode desenvolupat en el marc del projecte PatRom és útil no únicament en l’àmbit de l’etimologia dels cognoms d’origen lexical, sinó també en el cas dels noms de persona d’altres àmbits, com és el cas dels cognoms que han estat importats al sistema antroponímic català. García Arias, “Documentación secundaria y comparanza en toponimia” [279-284], posa en relació la documentació, la toponímia i la gramàtica històrica, i demostra que l’estudi toponímic i documental pot resoldre aspectes poc coneguts de la gramàtica històrica. (6) Aplicació pràctica i normalització: Batlle, “La influència de les recomanacions sobre toponímia de les Nacions Unides: una mirada a Europa, Espanya i Catalunya” [145157], aporta una visió global de determinats processos d’àmbit internacional i europeu relacionats amb la toponímia que tenen repercussió a l’Estat espanyol i també a Catalunya. Recorda la recomanació de les Nacions Unides de disposar d’obres de referència amb caràcter oficial que recullen la toponímia estandarditzada d’un país

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o regió, i l’interés que tenen aquestes obres per a la difusió de la toponímia estandarditzada. Membrado, “Procés de canvi de nom oficial de municipis valencians de 1977 ençà” [369-393], repassa la història dels canvis oficials de nom dels municipis valencians, el 84% dels quals, el 2011, en l’àrea valencianoparlant, tenien el seu nom oficial en català normatiu, enfront del 99% dels catalans i del 95% dels balears. Mollà Villaplana, “Antroponímia valenciana i legislació” [395-435], parteix d’una base de dades amb tots els informes d’antropònims realitzats per la Conselleria de Cultura, Educació i Ciència i per l’Acadèmia Valenciana de la Llengua, tendents a la normativització de noms i cognoms, i recorda que, si bé no hi ha cap legislació autonòmica valenciana sobre la normativització d’aquests noms, des de les institucions autonòmiques s’han fet campanyes de sensibilització sobre el tema i s’han atés totes les consultes i peticions d’informes relacionats amb l’antoponímia que hi han arribat. (7) Creació de nomenclàtors i treball en línia, pel tècnic de l’Institut Cartogràfic Valencià, Embuena Puerta, “Aplicació per a la creació de nomenclàtors toponímics a través d’Internet” [251-266]. L’autor exposa l’aplicació de l’ICV per a la creació de nomenclàtors toponímics, amb l’objectiu d’emmagatzemar en un sistema d’informació geogràfica la toponímia recopilada per la Generalitat Valenciana al llarg de les dues últimes dècades, dins del projecte de confecció del Nomenclàtor Oficial de la Comunitat Valenciana. (8) Estudis sobre antroponímia: Figueres, “Antroponímia medieval valenciana: el cas de Borriana” [267-277], tracta sobre l’antroponímia antiga de Borriana, a partir de la qual infereix diversos aspectes del model de societat. Domínguez, “Els prenoms femenins de Benaguasil al s. XIX” [229-249], es planteja l’objectiu d’analitzar el procés evolutiu dels prenoms femenins de Benaguasil, observar, a través de gràfics, l’aparició o la desaparició d’alguns noms, estudiar els processos de declivi o augment d’altres noms, i destacar els prenoms més representatius durant aquest període a la localitat. Garcia i Osuna, “Toponímia i antroponímia una relació molt fructífera: el cas de la vila de Jarafuel” [285-318], aplica les bases de dades antroponímiques, construïdes a partir de la recerca arxivística, a la interpretació actual del recull toponímic de la localitat de Jarafuel. (9) S’ocupen de la relació entre llengua i diacronia, a través de la toponímia, Casanova, “Toponímia i gramàtica històrica: dos matèries complementàries” [215-228], i Rabella, “La sufixació en la toponímia” [537-554]. El primer recorda que la toponímia i l’antroponímia són unes de les fonts principals per a l’estudi dels arcaismes lèxics, desconeguts en l’actualitat, i per a conéixer les tendències i regles fonètiques i morfosintàctiques pretèrites, algunes de les quals es conserven actualment amb caràcter marginal o dialectal. Exemplifica la relació entre onomàstica i gramàtica històrica a través d’un corpus de mots catalans d’origen llatí coneguts actualment només per la toponímia i l’antroponímia, i a través d’un corpus de topònims explicats per l’aplicació de les regles fonètiques o que ens mostren alguna fase de la seua evolució. Per la seua part, Rabella s’ocupa de la sufixació en la toponímia catalana, tenint en compte la seua cronologia, productivitat i tipologia. (10) Toponímia i antroponímia de la zona castellanoparlant del País Valencià: Haro tracta de la “Hidronímia de Siete Aguas” [319-333], partint fonamentalment de l’enquesta oral. Navarro, “Aproximació a la toponímia menor del terme municipal de Godelleta” [501-509], presenta el recull de més de 200 topònims d’aquesta locali-

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tat de frontera, obtinguts a través de fonts documentals i de fonts orals, i en comenta específicament alguns que presenten, segons l’autora, un interés especial, “perquè descriuen el terreny o bé perquè el seu origen ens és opac”. Sebastian Fabuel, “«Yo te bautizo»: Noms de bateig i llinatges. Els quinque libri de Xulilla. 1750-1800” [669687], fa un estudi dels prenoms i cognoms dels infants nascuts a la segona meitat del segle XVIII a Xulilla, utilitzant els registres parroquials, concretament, el de bateigs. (11) Monografies municipals exhaustives: Mateu, “Microtoponímia de l’Estepar (Xodos)” [335-368], basa el seu estudi en el recull toponímic realitzat el 2011 amb l’informador principal, Salvador de l’Estepar, contrastat amb altres tres informadors i amb les fonts cartogràfiques. Mora, “La toponímia d’Aldaia” [437-462], fa “un estudi d’aproximació a la història del poble d’Aldaia a partir del buidatge de fonts documentals medievals i la caracterització i descripció toponímica del seu terme”, apel·lant a l’onomàstica com a mitjà per a aprofundir en el coneixement d’un territori i de la seua història. Ruipérez i Pau, “Meliana: Aproximació etimològica i toponímia rural” [575-667], divideixen el seu treball en dues parts: en la primera s’ocupen de l’etimologia del topònim Meliana, i en la segona presenten un recull exhaustiu de la toponímia rural d’aquest terme municipal. Torregrossa, “Toponímia litoral i de la mar de Xàbia” [689-827], reuneix, localitza, documenta i estudia els topònims litorals i costaners de Xàbia. El seu estudi, de caràcter exhaustiu, es basa fonamentalment en fonts orals directes, però té en compte també la cartografia, la documentació històrica i la bibliografia. Per últim, Vilar Campos, “Toponímia de Quartell (i la Vall de Segó). Estudi diacrònic” [892-939], combina la recerca documental, en l’ARV i en els arxius municipals de Quartell i de Faura, amb les dades procedents d’informadors bons coneixedors de la zona, demostrant, una vegada més, la importància d’unir en la disciplina onomàstica les fonts orals i les documentals. Els Nous materials de toponímia valenciana són, doncs, un llibre de gran interés, tant metodològic com pràctic, amb estudis que combinen l’experiència dels principals especialistes en el tema del nostre àmbit lingüístic, amb l’impuls de nous estudiosos, els quals demostren que aquesta disciplina continua ben viva entre nosaltres, i disposada a acarar nous reptes, com seria la desitjada elaboració de monografies toponímiques i antroponímiques, amb enfocament sincrònic i diacrònic, dels diferents municipis valencians. Felicitem, per acabar aquestes línies, els autors dels treballs inclosos en el llibre, els curadors de l’edició, i l’editorial Denes per la seua important i continuada tasca de publicacions científiques sobre onomàstica, dins de la seua col·lecció “Estudis”. Joaquim MARTÍ MESTRE

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Espagnol Ana M.ª CANO GONZÁLEZ (ed.), Homenaxe al Profesor Xosé Lluis García Arias, Oviedo, Academia de la Llingua Asturiana, 2010, 1078 páginas [2 tomos]. Con motivo de los 65 años cumplidos por el lingüista Xosé Lluis García Arias en 2010, la Academia de la Llingua Asturiana decide dedicar un anexo de dos tomos de su revista Lletres Asturianes a conmemorar la figura y trayectoria científica de este catedrático de Lengua Española, en la especialidad de Dialectología Hispánica, de la Universidad de Oviedo que, durante veinte años, entre 1981 y 2001, fue su primer presidente. El anexo, editado a cargo de Ana M.ª Cano González, consta de dos volúmenes en los que se integran 55 artículos escritos en español o en asturiano (salvo dos artículos en francés, otro en italiano y un cuarto en gallego) por reconocidos especialistas en sus respectivos campos dentro del ámbito de la lingüística y la filología hispánica y románica, y que se agrupan en cinco grandes bloques temáticos (lingüística, sociología y sociolingüística, onomástica, literatura, e historia), correspondientes a las diferentes parcelas filológicas y humanísticas por las que ha transitado brillantemente la actividad de G. Arias. El Homenaxe también incluye una breve reseña biográfica y una relación completa de todas sus publicaciones, que será de enorme utilidad para aquellos interesados en la lingüística y la literatura asturianas y para los estudiosos de la etimología y la toponimia iberorromances y de la romanística en general. A continuación sigue el primer bloque, «Llingüística y Filoloxía» [39-420], en el que se encuentran recogidos 19 trabajos cuya temática abarca los distintos niveles lingüísticos, abordados tanto desde una perspectiva sincrónica como diacrónica. En su mayoría están centrados en las diversas variedades astur-leonesas habladas dentro y fuera del Principado, aunque también encontramos algunos estudios enmarcados dentro del ámbito de la lingüística general, como es el caso del oportuno acercamiento teórico de G. Aurrekoetxea a la problemática de la clasificación dialectal, «Sobre la dialecticidad de los dialectos» [53-77], en el que propone la creación de una escala fija y universal de valores que ayude a la clasificación de las variedades geolectales; o dedicados a otras lenguas iberorrománicas, concretamente el portugués, en el capítulo «Actos de censura fuera de y en diccionarios portugueses» [243-256], donde D. Messner, presenta diversos casos en los que los autores o editores de diccionarios o vocabularios han optado por mutilar los significados o directamente omitir las voces malsonantes o consideradas tabú. Los orígenes del portugués son el objeto de estudio de R. Wright en «Gontigius, Sagulfus, Domitria y el hijo de muchos otros buenos» [407-420], en el que, a partir del análisis de un texto del año 991, realiza una serie de interesantes reflexiones sobre las relaciones escriturarias entre el latín y el romance temprano en el noroeste de la Península Ibérica y la conciencia normativa de los escribas. Asimismo se encuentran tratados en este bloque los orígenes de asturiano en el capítulo «La lengua romance en el Reino de Asturias (718-910) a través de sus diplomas. Aspectos metodológicos y rasgos lingüísticos» [135-157], de A. García Leal, interesante estudio de los aspectos históricos, documentales, paleográficos y gráfico-fonéticos de la diplomática asturiano-leonesa

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redactada entre el siglo viii y comienzos del x, en la que ya se localizan diversos fenómenos del romance de la zona. El grueso de este bloque está dedicado a los estudios morfológicos y léxicos, además del artículo «La prosodia d’Asturies» [279-315], en el que C. Muñiz Cachón, L. Díaz Gómez, M. Alvarellos Pedrero y R. González Rodríguez llevan a cabo una descripción muy completa de las características acústicas y esquemas entonativos de las distintas variedades geolingüísticas de Asturias. En el terreno de la morfología, volvemos a retrotraernos a los orígenes del asturiano en el artículo «Protorromance e idiorromance en los derivados asturianos en de- y en des-» [78-94], en el cual É. Buchi trata de determinar el origen latinovulgar o, por el contrario, ya romance de una serie de voces asturianas formadas con estos dos prefijos, para algunas de las cuales propone nuevas etimologías. Un análisis similar, con la revisión de antiguas hipótesis y apoyado en un interesante trabajo de campo, es el que lleva a cabo D. García López con los sufijos -iellu e -illu en el capítulo «Aportes a la derivación mediante los sufijos -ĕllum e -īculum en el dominio lingüístico ástur» [159-175], en el cual parece demostrar que muchas de las formas en -illu consideradas largamente como castellanismos monoptongados proceden en realidad del sufijo -īculum. El artículo de P. O’Neill «El morfoma en el asturiano: diacronía y sincronía» [317-354] es un estudio muy argumentado y ejemplificado consistente en la revisión de la teoría de M. Aronoff sobre el concepto de ‘morfoma’ y su aplicación al sistema verbal del asturiano, en cuya formación histórica, según el autor, habría jugado un papel decisivo la creación previa de un morfoma correspondiente a los perfectos y tiempos afines. La morfología pronominal se encuentra representada por dos artículos dedicados a dos construcciones sumamente peculiares del asturiano. En el primero, «Algunas consideraciones desde el latín a propósito del asturiano /úlo/» [41-52], de O. Álvarez Huerta, se analizan el origen, la estructura interna y el proceso de gramaticalización de esta construcción empleada en enunciados interrogativos. En el segundo, «¿Existió, en la lengua del siglo xiii, un pronombre personal io/ia con la misma función que gelo/gela?» [195-200], G. Hilty formula una nueva hipótesis para tratar de explicar la existencia en las variedades romances medievales del noroeste de la Península Ibérica de un pronombre ‘io’ con una función idéntica a la de su coetáneo ‘ge lo’. Igualmente interesante resulta el artículo de M. N. Sánchez González de Herrero, «¿‘Neutro de materia’ o masculinos? Un discutible testimonio medieval» [365-394], con el que pretende contribuir al mejor conocimiento del neutro de materia en los romances hispánicos durante la Edad Media, mediante la aportación de nuevos y valiosos testimonios recogidos en una traducción de la enciclopedia medieval De Proprietatibus Rerum, de Bartolomé Ánglico, y relacionando este fenómeno con la masculinización ocasional y fluctuante en el mismo texto de sustantivos incontables femeninos y la existencia de diversos casos de leísmo en el masculino singular tanto para sustantivos incontables como contables. Por su parte, A. Merlan, en el artículo «Sistemas de tratamiento en variedades astur-leonesas» [217242], nos ofrece un pormenorizado estudio comparativo, desde una doble perspectiva, diacrónica y sincrónica, de las formas de tratamiento y sus normas de uso en el asturiano propiamente dicho y en el mirandés. Las relaciones entre la morfología y el significado son el objeto de estudio de J. Lüdtke en su artículo «La semántica en la formación de palabras del asturiano» [201-216], en el que lleva a cabo una completa descripción, muy ejemplificada, de los procedimientos más habituales en asturiano para la formación de palabras, como la composición o la transposición de contenido.

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Entre los artículos dedicados a la lexicología y la semántica, podemos señalar en primer lugar aquellos que nos permiten un mejor conocimiento de la realidad tradicional asturleonesa según se refleja en el léxico de tiempos pasados y en el presente. Es el caso del artículos «Léxico de indumentaria femenina y joyas en relaciones de bienes de la Maragatería, Cepeda y Órbigo (León - s. XVII)» [95-116], de M. C. Fernández Egido, y «Notas de lexicografía histórica leonesa: léxico de la ganadería» [257-277], de J. R. Morala, cuya información procede de una serie de inventarios y relaciones de bienes leoneses del siglo XVII y cuya principal aportación lexicográfica es haber rescatado una serie de valiosas voces poco habituales incluso en el habla de la época y que en su mayor parte nunca han sido recogidas en diccionarios generales ni aparecen en los grandes bancos de datos actuales, como el CORDE o el CREA. Podemos incluir también aquí dos artículos dedicados a las voces empleadas en la medición del tiempo, concretamente a la designación popular de los meses. En el primero, «Les denominaciones de los meses del añu nel dominiu llingüístico asturiano-lleonés» [117-134], H. García Gil lleva a cabo una completa descripción y clasificación de los diversos nombres dados a los meses en asturiano-leonés a lo largo del siglo XX y comienzos del XXI; en el segundo, «Refranes del calendario y meteorológicos en el Diccionario General de la Lengua Asturiana (DGLA)» [177-193], J. E. Gargallo Gil efectúa un análisis de las paremias asturianas relacionadas con el calendario y la meteorología con el que pretende poner de manifiesto la relación entre el origen de los refranes y su adscripción a paremiotipos básicos y las referencias al entorno geográfico. Completan este apartado dos artículos dedicados a resaltar las afinidades léxicas existentes entre el asturiano y otras lenguas de la Romania central, lo que pone de manifiesto la necesidad de no descuidar la importancia del asturiano en el estudio de la lexicología románica. En el primero, «Annotazioni alle Propuestes etimolóxiques (4)» [355-363], M. Pfister llama la atención sobre las relaciones entre determinadas voces recogidas en el cuarto volumen de las Propuestes etimolóxiques de X. L. García Arias (2009) y el Lessico etimologico italiano. En el segundo, «Paralelismos lingüísticos asturiano-catalanes» [395-405], J. Veny, además de ofrecer una relación contrastiva de voces particulares existentes en asturiano y catalán, en la que se incluyen arcaísmos, eufemismos, vulgarismos y onomatopeyas, analiza también una serie de fenómenos fonéticos compartidos por ambos romances. El bloque II, «Socioloxía y sociollingüística» [421-528], está integrado por seis artículos que abordan diversos aspectos, y en distintas épocas, de la situación sociolingüística del asturiano dentro y fuera del Principado y sobre sus relaciones con otras lenguas que tradicionalmente han gozado de mayor prestigio. Así, al inicio del bloque, M. Brea realiza en el capítulo «O mirandés, historia dunha resistencia» [423-429] un breve recorrido por la historia externa de esta variedad del asturiano-leonés hablada en el extremo nordeste de Portugal, desde sus orígenes latinos hasta la actualidad, haciendo hincapié en la influencia que a lo largo de los siglos han ejercido sobre ella tanto el portugués como el español. En el capítulo «Sobre ‹La dignificación de la historia› y el peso de las categorías» [431-439], J. Fernández McClintock lleva a cabo una reflexión sobre las connotaciones socioculturales de los términos ‘bable’ y ‘leonés’, frente a ‘asturiano’ o ‘astur-leonés’ y sobre el empleo que de estos vocablos hicieron los primeros eruditos españoles dedicados al estudio de esta variedad iberorrománica, mientras que Á. Huguet Canalís, C. Lapresta Rey y X. A. González Riaño, en el capítulo «Lengua, poder y dominación. El

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caso del asturiano» [483-498], analizan, desde el marco conceptual de la teoría de la dominación simbólica, los factores políticos, educativos y de socialización familiar por los cuales pervive en Asturias una situación de diglosia en la que el asturiano todavía se encuentra en una posición de subordinación y desequilibrio con respecto al castellano. Por su parte, M. Selfa Sastre dedica su capítulo «La normativización lingüística del asturiano y del catalán: relaciones de colaboración con entidades lingüísticas y culturales» [513-528], a los diversos acuerdos y proyectos mantenidos por la Academia de la Llingua Asturiana y el Institut d’Estudis Catalans con diversas instituciones nacionales y europeas con el propósito de fomentar el intercambio cultural y la inclusión de todas las variedades dialectales en el proceso de normativización del asturiano y el catalán. Las relaciones entre lengua y educación aparecen tratadas en dos artículos; en el primero X. A. González Riaño y X. Armesto Fernández ofrecen un completo y detallado estudio que, con el título «Niveles de satisfaición del profesoráu de Llingua Asturiana y perceición del rindimientu del alumnáu: un estudiu empíricu» [441-482], pretende dar a conocer el grado de satisfacción profesional, académica y personal de los profesores de asturiano que ejercen en el Principado y ofrecer propuestas de mejora tanto a nivel pedagógico como laboral. En el segundo, «La llingua asturiana nos centros asturianos d’América y Europa» [499-511], P. X. Manzano Rodríguez lleva a cabo un pormenorizado análisis de los cursos de asturiano para emigrantes ofrecidos por la Axencia Asturiana d’Emigración y la Academia de la Llingua Asturiana así como un estudio sobre el papel de las primeras sociedades culturales asturianas fundadas en el extranjero en la difusión de la literatura en asturiano. El bloque iii, «Onomástica» [541-757], está conformado por dos artículos sobre antroponimia iberorromance y once artículos centrados en la relación entre la toponimia y la literatura o la fraseología, la revisión de propuestas del origen todavía oscuro de determinados topónimos, las similitudes toponímicas entre el asturiano y otras lenguas y variedades iberorrománicas y en ciertas particularidades de la toponimia galorrománica. El bloque se inicia con un artículo de M.-R. Bastardas, «Topónimos en los refranes meteorológicos asturianos» [543-559], que ofrece una relación, clasificación paremiológica y análisis de 97 refranes asturianos que, haciendo referencia a algún fenómeno meteorológico, contienen algún topónimo. C. E. Prieto Entrialgo es la autora de un interesante artículo, «Sobre la etimoloxía de Colunga» [717-729], consistente en la revisión crítica de las etimologías formuladas para el topónimo asturiano Colunga y en el planteamiento de una nueva propuesta etimológica. «Asturiano bangu, abangu y los topónimos Bango, L’Abangu, La Banga» [755-757], de M. Sevilla Rodríguez, es un breve artículo donde se propone un nuevo étimo para las voces y topónimos asturianos del título, concretamente la forma germánica wang- “lugar cercado”. S. Ruhstaller y M. D. Gordón dedican el artículo «La transcripción de los nombres de lugar asturianos y gallegos en un texto medieval castellano» [731-740] al proceso de adaptación fonética y morfológica de distintos microtopónimos de origen asturiano y gallego para su acomodación en Libro de la Montería. En lo que se refiere a los estudios comparativos, F. González Bachiller, en «Entre Asturias y La Rioja: notas de toponimia y dialectología» [669-688], ofrece una revisión muy documentada de la etimología y los derivados de determinadas voces del vocabulario más tradicional de Asturias, Cantabria y otras regiones del norte de España con el fin de destacar sus afinidades semánticas y presentarlas como nuevos testimonios de la existencia de un ‘continuum’ lingüístico en el norte peninsular. En «Aproximación a la

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comparación de los sistemas toponímicos astur y vasco» [741-754], P. Salaberri Zaratiegi lleva a cabo una revisión de algunos topónimos asturianos para los que se había propuesto un origen vasco, además de destacar las coincidencias existentes entre ambos sistemas en la formación de nombres, mientras que E. Blasco Ferrer defiende en «España en Cerdeña. Toponimia paleohispánica y paleosarda: bide berriak» [561-568] su hipótesis sobre el origen paleohispánico del paleosardo, apoyándose en numerosas afinidades existentes entre la microtoponimia sarda, la vasca y la asturiana. Fuera ya del ámbito asturiano, pero sin abandonar el norte peninsular, nos encontramos con un artículo de E. Nieto Ballester, «Las Udrias: cuestiones metodológicas y prácticas sobre zoonimia en la toponimia a partir de algunos ejemplos de la provincia de Palencia» [689-700], consistente en una descripción y revisión de la metodología de la investigación en toponimia y un muy interesante análisis de cuatro topónimos palentinos que podrían tener un origen zoonímico; y otro artículo de J. L. Ramírez Sábada, «Apuntes para el estudio toponímico de la glera» [701-715], sobre la pervivencia de derivados toponímicos y antroponímicos de la forma aragonesa ‘glera’ < glar ĕa en Navarra y La Rioja. Completan el apartado dedicado a la onomástica dos artículos sobre toponimia galorromance: «Contribution de la toponymie à l’archéologie lexicale de la Gaule romane» [637-652], de J.-. Chambon y J.-P. Chauveau, sobre la conservación de cuatro topónimos en femenino procedentes de las formas latinas en diminutivo *ponticula y *pontucula en las variedades nororientales de Oil y sobre el descubrimiento en dos documentos occitanos medievales de dos topónimos derivados de fr īgorōsu; y un artículo de J. Germain, «Les termes génériques à base dialectale dans l’odonymie officielle de Wallonie» [653-668], con el que pretende mostrar la gran variedad de nombres genéricos dialectales empleados en la odomimia valona para designar tipos de vías, con especial hincapié en aquellas formas dialectales total o parcialmente afrancesadas. Por su parte, los estudios sobre antroponimia iberorránica se encuentran representados por el artículo «Apellidos de origen deotoponímico valenciano» [617-635], en el que E. Casanova ofrece una relación, comparativa cronológica, subclasificación y análisis de apellidos procedentes de topónimos valencianos, y por otro artículo de A. M. Cano González, «Caltenimiento de los apellíos vinientes de xenitivu na antroponimia asturiana de güei» [569-615], en el que, a través de un completo análisis, comprueba la significativa pervivencia en asturiano moderno, en contraste con el conjunto de variedades iberorromances, de apellidos terminados en -i/-e procedentes del genitivo de nombres de persona con función patronímica. En el bloque IV, «Lliteratura» [759-1045], encontramos diversas calas que exploran algunos de los aspectos más representativos de la historia y la cultura literarias del Principado o dedicadas al análisis de autores desconocidos o poco estudiados en el ámbito filológico hispánico. Precisamente al considerado como el primer poeta y dramaturgo en asturiano dedica J. Menéndez Peláez el artículo «Antón de Marirreguera en la tradición del Arcipreste de Hita y de Cervantes» [859-871], en el que muestra las similitudes vivenciales y literarias existentes entre el entremesista asturiano del siglo XVII, del que reseña sus principales sainetes, y dos de las figuras más emblemáticas de la literatura española. Hallamos en este bloque dos artículos complementarios centrados en las ideas sociolingüísticas y filológicas desarrolladas por la población intelectual del Principado sobre el asturiano y su literatura durante los últimos siglos. En el caso de «Una carta de Benito Canella Meana a José Posada Herrera» [929-947], en el que R. Rodríguez Valdés ofrece un amplio y detallado repaso biográfico del jurista ovetense Canella y de

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su obra literaria en asturiano, y de «Involución lingüística y exclusión literaria: el caso asturiano» [949-975], de Á. Ruiz de la Peña, donde también se lleva a cabo un interesante estudio comparativo de la situación socio-lingüística del asturiano y su literatura con respecto al gallego, el euskera y el catalán durante los siglos XVIII y XX. El capítulo «La opinión literaria de Junquera Huergo» [847-858], de X. R. Iglesias Cueva, aunque también recoge las ideas literarias y lingüísticas sobre el asturiano de Junquera, se centra en el análisis literario de Llos trabayos de Chinticu (1843), poema en el que se contrapone el apacible mundo rural con el caótico mundo urbano. La recreación de un tópico literario similar, la fugacidad de la felicidad terrena, constituye, junto con la pérdida de los viejos modo de vida, el eje central de la obra de diversos autores asturianos de finales del siglo XIX y comienzos del XX, que son objeto de estudio de R. González Delgado en su artículo «El topos de l’Arcadia na lliteratura asturiana» [821-838]. El mismo periodo temporal es parcialmente abordado en «Teatru asturianu y cultura proletaria» [915-928] por M. Ramos Corrada, quien ofrece una relación de las representaciones de las obras teatrales escritas en asturiano llevadas a cabo por las agrupaciones obreras y sindicales de las cuencas mineras asturianas durante el primer tercio del siglo XX y un estudio de la función de este tipo de obras en su contexto histórico, sociológico y literario. En «Algunos paralelismos entre las comedias de ‹Antón de la Braña› en asturiano y de Luciano Puyuelo en aragonés» [885-914], F. Nagore Laín analiza las principales similitudes técnicas y temáticas de la obra dramática costumbrista del escritor asturiano Manuel Antonio Arias y de Luciano Puyuelo, para, posteriormente, ofrecer un completo análisis lingüístico de los principales fenómenos geolectales aparecidos en sus comedias en las que intentan reflejar el habla local, fuertemente castellanizada. El artículo de R. González-Quevedo, «El mundo de la braña na obra l.literaria d’Eva González» [839-846], nos acerca a la obra literaria de Eva González Fernández, escritora de poemas y cuentos en asturiano-leonés de inspiración popular en los que refleja los modos de vida y la cultura de las aldeas de vaqueiros. La narrativa contemporánea está representada en el artículo de G. Baamonde Traveso «Realidad y ficción en Historia universal de Paniceiros de Xuan Bello» [761-771], centrado en el análisis de esta obra de uno de los autores actuales en asturiano más reputados y que se trata de un conjunto de narraciones, ensayos, poemas, etc. cuyo hilo conductor es la cultura asturiana. También encontramos dos artículos complementarios dedicados a la obra literaria de G. Arias, que también escribe bajo el pseudónimo de Lluis Fontetoba; es el caso de «Los ‹exercicios literarios› del escritor Luis Fontetoba» [815-820], de V. García Oliva, y «Delles claves d’interpretación nos rellatos de Xosé Lluis García Arias» [873-884], de M. Mori de Arriba, donde se lleva a cabo un interesante estudio sobre estos textos y otros cuentos y relatos cortos recopilados en los libros Patriótiques proses en versu (1992) y La prieta dama y dellos exercicios lliterarios más (2003) donde se desvelan sus técnicas narrativas más habituales y los principales ejes temáticos, como la desculturización o la vida tradicional asturiana. Esta sección incluye asimismo una serie de artículos centrados en autores nacidos o vinculados con Asturias que desarrollaron su labor literaria en castellano. Así, I. Urzainqui ofrece en «Memoria periodística de Irene de Navia y Bellet (1726-1786), primera escritora asturiana conocida» [1011-1045] un pormenorizado repaso biográfico de esta noble de origen asturiano considerada como representación del ideal ilustrado de mujer cultivada. A. Fernández Insuela dedica el capítulo «Opiniones sobre literatura en los artículos de José Díaz Fernández en 1936 en el diario El Diluvio (Barcelona)»

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[793-814] a la figura de uno de los principales teorizadores de la literatura española prefranquista y a su labor como articulista. Por su parte, M. Cueto Pérez, en «Del teatro al cine: La barca sin pescador (Alejandro Casona/José María Forn)» [773-791], realiza una reflexión sobre el proceso de adaptación fílmica de textos dramáticos ejemplificado a través del análisis de la adaptación de esta obra teatral. Completa este bloque literario un artículo de P. Suárez García, «La torna del Tirant lo Blanch al asturiano» [977-1010], sobre el proceso de traducción al asturiano de la famosa novela del valenciano Joanot Martorell y donde se reflexiona sobre la conveniencia y la metodología aplicada para mantener el estilo de la obra original medieval, con sus arcaísmos, cultismos y tecnicismos. El segundo tomo se cierra con un bloque dedicado a la «Historia» [1047-1072] que cuenta con un artículo de N. Bartolomé Pérez («El Llibru Xulgu de Lleón» [1049-1064]) sobre las particularidades simbólicas y jurídicas del Fuero Juzgo en el antiguo reino de León y su aplicación durante la Edad Media, y otro artículo de I. Torrente Fernández («Xixón ya Uviéu na dómina de la monarquía asturiana» [1065-1072]) a cerca de las motivaciones que llevaron a la elección de Oviedo como sede del antiguo Asturorum Regnum en detrimento de Gijón. Se trata, en conclusión, de una obra muy completa con la que el lector podrá tener un conocimiento más profundo sobre la situación sociolingüística de las variedades asturleonesas y sobre sus rasgos lingüísticos más representativos, así como sobre diversos aspectos de su morfosintaxis, etimología y onomástica hasta ahora poco tratados o que no habían sido analizados con el exigible rigor científico. Y lo mismo cabe decir de diversos autores representativos de la literatura asturiana hasta ahora poco conocidos fuera del Principado y a cuya difusión y ubicación en el panorama de las letras hispánicas contribuirá este Homenaxe. En su conjunto, nos encontramos, pues, ante una obra que resultará muy valiosa y estimulante para aquellos interesados en el estudio del asturiano y de la que también podrán sacar provecho, gracias a sus muchos trabajos contrastivos y comparativos, los especialistas del ámbito hispánico y de la romanística, especialmente aquellos interesados en los orígenes de las lenguas romances y su toponimia. Vicente J. MARCET RODRÍGUEZ

Galloromania Inka WISSNER, La Vendée dans l’écriture littéraire. Analyse du vocabulaire régional chez Yves Viollier, Strasbourg, Éditions de linguistique et de philologie, 2013, xii + 409 pages. Dans cette étude linguistique, qui se situe aux confins de la littérature, de l’analyse de discours et de la philologie, Inka Wissner cherche à cerner le comment et le pourquoi de la mise en évidence de diatopismes dans les romans d’Yves Viollier, écrivain régionaliste de Vendée. Son corpus se compose de 26 romans publiés de 1972 à 2009 [367sq.]. Elle en dégage une nomenclature de 109 diatopismes qui font l’objet d’articles dévelop-

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pés [83-332] où, après avoir défini le mot et en avoir reproduit le(s) contexte(s) d’emploi, elle l’analyse sous quatre aspects : la manière dont il est mis en relief (typographie ou glose), son utilisation dans le corpus primaire, son usage en Vendée et son dossier étymologique et historique. L’analyse méthodique et le souci des moindres détails mettent le lecteur en confiance dès la consultation du premier article. L’auteure en arrive à des observations auxquelles ne s’attend pas le lecteur qui serait porté à penser que le premier objectif de l’écrivain régionaliste est de valoriser la variété locale de la langue. Non, Viollier n’a pas voulu attirer l’attention sur ces unités lexicales pour leur vitalité, puisqu’une vingtaine d’entre elles sont sorties de l’usage, ni pour leur origine et leur histoire, ni pour leur valeur emblématique, encore qu’on puisse percevoir ici et là une certaine volonté de promouvoir le patrimoine régional. Wissner conclut que les mises en relief véhiculent plutôt des informations sur l’énonciateur et servent à authentifier le discours. De ce point de vue, les gloses sont plus révélatrices que le recours à l’italique et aux guillemets. Elle découvre ainsi que les mots mis en évidence le sont pour leur valeur référentielle, servant à « ancrer le récit dans le milieu qui est mis en scène » [354], avec une insistance sur les personnages. Pour mieux juger de la portée de cette étude, il faut savoir que, pour Viollier, « la mise en relief est un procédé discursif habituel, qui s’applique à divers faits de langue, et qui dans les romans analysés ne porte que rarement sur des diatopismes » [342]. D’ailleurs, les diatopismes qui ne sont pas marqués sont six fois plus nombreux. Il faut savoir en outre que, sur les 150 occurrences de mises en évidence des diatopismes étudiés, près de la moitié ont été faites par l’éditeur pour des raisons d’intelligibilité, sous forme de gloses. Wissner a bien fait la distinction dans ses conclusions, reconnaissant que seules les mises en relief attribuables à l’auteur sont susceptibles de révéler ses motivations. On peut dès lors se demander si la prise en compte de l’ensemble des diatopismes utilisés par l’écrivain n’aurait pas été plus pertinente pour cerner le pourquoi des mises en relief. Le surplus de travail aurait pu être compensé par un traitement plus rapide de la question étymologique et historique puisque, reconnaît l’auteure, « [l]es caractéristiques historico-variétales des diatopismes n’ont pas d’impact sur l’exploitation ciblée des diatopismes dans le discours, contrairement aux caractéristiques synchroniques » [334]. Il reste peu courant qu’un auteur, somme toute modeste, fasse l’objet d’un travail universitaire aussi important. Ni lui ni ses lecteurs ne sauraient s’en plaindre. Quant aux linguistes, ils y découvriront une méthode d’analyse qui ouvre des perspectives nouvelles dans l’étude des variantes topolectales du français. Claude POIRIER

Esther BAIWIR, Atlas linguistique de la Wallonie, tome 17 : Famille, vie et relations sociales, Université de Liège, Presses universitaires de Liège – Sciences humaines, 2011, 421 pages. La dialectologie galloromane peut se réjouir d’un heureux événement : la parution d’un nouveau tome de l’ALW (le dernier est paru en 2006 ; v. notre compte rendu ici 74, 255-257). Il s’agit du dixième volume publié et du premier rédigé par Esther Baiwir,

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qui mérite ici toutes nos félicitations, ainsi que la reconnaissance de la communauté des romanistes. Que le Fonds National de la Recherche Scientifique belge soit lui aussi remercié pour le « mandat de chargé de recherches » qu’il a accordé à la « continuation de la rédaction de cette œuvre monumentale consacrée à l’ensemble des parlers de Wallonie » [p. 4]. Puisse-t-il continuer à investir dans ce beau chantier qui perpétue avec talent une si brillante tradition. Le présent volume regroupe 160 notices [pp. 13-393], accompagnées de 66 cartes (celles-ci, on le rappellera, n’apparaissent que lorsque les matériaux s’y prêtent particulièrement bien), le tout suivi d’un index des formes [pp. 395-411], d’un index étymologique [pp. 411-416], d’une table des cartes [pp. 417-418] et d’une table des matières [pp. 419-420]. Les thématiques abordées dans ce tome (« Famille, vie et relations sociales ») ont donné lieu à une abondance de matériaux d’une très grande richesse, publiés et analysés avec toute la minutie et l’expertise qui caractérisent les rédacteurs successifs de l’ALW. Les champs onomasiologiques traités dans ce volume ont permis de recueillir aussi de nombreuses données ethnographiques : ainsi, celle qui se marie avant ses sœurs « fait danser ses sœurs sur le cul du four » [p. 27], et on sourit de lire que, comme dans tous les petits villages du monde, « l’étranger ne signifie pas forcément ‘au-delà des frontières étatiques’ », mais tout simplement « loin, hors du village » [p. 129]. La notice 144, « Envoyer quelqu’un à la chasse d’oiseaux imaginaires », a permis de recueillir une riche moisson de données linguistiques et ethnographiques, abondamment commentées, et la seule note 4 (« Construction syntaxique et précisions sémantiques ») s’étend déjà sur près d’une page. De précieuses informations de nature pragmatique apparaissent à l’occasion (« À A 44, […] le tutoiement ne serait employé que dans les disputes et avec des animaux quand on est en colère » [p. 240] ; « À Ne 32, le témoin précise que tout le monde se tutoie, sauf les enfants qui ne tutoient pas leurs parents. » [p. 241]). Certaines notices, toujours aussi élaborées dans leur structuration, se déploient sur une douzaine de colonnes, et ont parfois donné du fil à retordre à la rédactrice, comme on peut le lire dans le paragraphe initial de la notice 117, « Baragouiner, jargonner » : « La première difficulté de cette notice réside dans la distinction à opérer entre les sens ‘parler (une langue) en l’estropiant’ et ‘parler une langue qui paraît barbare à ceux qui ne la comprennent pas’. Ainsi, s’il semble, au vu de la question de l’EH [enquête Haust], que les témoins ont donné des réponses signifiant ‘(mal) parler flamand ou allemand’, certaines formes signifient en revanche ‘mal parler (le wallon), ainsi que le parlent les étrangers’. » Il fallait donc d’abord adopter une attitude critique envers le questionnaire de l’enquête, et la façon dont les témoins y ont répondu 1. La microstructure de la notice en question impressionne très favorablement par sa complexité, qui sait rendre justice à l’objet ; les 64 notes qui l’accompagnent montrent un souci constant d’étymologiser les matériaux, le plus souvent par des rattachements à l’article du FEW correspondant, que ce volume de l’ALW contribue d’ailleurs à enrichir ponctuellement. Le tré1



Dans le même ordre d’idées (approche critique envers la démarche de l’enquêteurdialectologue), cf. cette remarque : « Le type ┌ individu┐ (A) est très probablement un gallicisme d’enquête. » [p. 115]. De très nombreux gallicismes sont d’ailleurs explicitement signalés comme tels. – Cf. encore cette observation, note 1, notice 132 : « L’influence du système d’enquête par traduction se fait sans doute plus largement ressentir pour les questions parémiologiques ; seule la consultation des dictionnaires et recueils dialectaux peut confirmer l’authenticité de la formation […]. »

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sor de Wartburg est du reste cité systématiquement, ce qui inspire confiance et montre qu’E. Baiwir sait exploiter les richesses des ouvrages de référence de sa discipline. Seuls de très rares types lexicaux résistent à la sagacité de la rédactrice et donnent lieu à des notes telles que « Il conviendrait d’expliquer cette forme » (note 11) ou « Étym. inconnue » (note 40). D’autres notices illustrent le cas d’unités lexicales retirées du purgatoire des mots d’origine inconnue ou incertaine du FEW et replacées au sein de leur famille légitime 2 ; des classements multiples sont aussi épinglés (v. notice 149, note 2). De très nombreux piliers de notre discipline sont cités dans les notes, de Yakov Malkiel (« French suffixal derivation : its aloofness from vocalic gamuts », Mél. Posner, 1990 [p. 104]) à Émile Benveniste (Institutions, 1969 [p. 40]), ce qui dénote une connaissance vaste et étendue de la bibliographie. Il est aussi possible, en dépouillant soigneusement l’ouvrage, de glaner quelques données sur le français de Belgique : « Quant au type ┌ maire ┐ (B 2), principalement présent en Gaume, il ne semble pas se répandre ailleurs, malgré la pression du mot français de France. Les deux types autochtones se maintiennent et sont largement passés dans le français de Belgique. En français de Belgique, mayeur (ou maïeur) est un synonyme familier ou plaisant de bourgmestre (TLFi), mais non reconnu officiellement (Massion). » [p. 117] ; cf. encore la note 2 de la notice 158 consacrée au type amigo « cachot de la prison communale ». Il est réjouissant de constater que la dialectologie galloromane est encore capable de donner naissance à de pareils bijoux. De nombreux volumes de l’ALW manquent encore à l’appel ; souhaitons qu’ils pourront voir le jour bientôt, afin que les richesses des enquêtes de Jean Haust et de ses successeurs soient mises à la disposition de tous, sous cette forme commentée, analysée et cartographiée qui caractérise le trésor lexical wallon. André THIBAULT

Philologie et édition Tony HUNT (ed.), An Old French Herbal (ms. Princeton U.L. Garrett 131), Turnhout, Brepols (Textes vernaculaires du Moyen Âge, 4), 2008, 152 pages. On voudra bien excuser le retard pris à rendre compte de cette édition. Mais on n’attend pas mon compte rendu pour savoir le bien qu’il faut penser des éditions de T. Hunt ! Il nous donne ici l’édition de la traduction d’un Herbier latin, le De viribus herbarum attribué à Macer Floridus. Dans ce cas, la tâche n’était pas très facile, car le texte

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V. par ex. la note 17 de la notice 28 : « Ces formes, classées FEW 22/1, 149a dernierné, sont à déplacer FEW 9, 163b p ōn ĕre, auprès de gaum. + parpounan, m., ‘très petit œuf d’oiseau de basse-cour’. » [p. 63] ; v. encore la note 16 de la notice 78 : « V. FEW 16, 209a, all. hinken et y reporter les formes classées FEW 23, 213a à tort et à travers » [p. 159]. On excusera l’amphibologie dans cette dernière formulation : il ne s’agit pas de dire que les formes ont été classées « à tort et à travers », mais bien qu’elles sont classées sous le concept ainsi intitulé.

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latin n’a plus été édité depuis 1832. Aussi TH a choisi de se concentrer sur l’édition du texte français. L’introduction est très courte : description du ms. unique (2e m. du 13e s.) [9-13] et caractérisation sommaire de la traduction [13-16] ; pour une vue plus générale sur la diffusion des Herbiers en langue romane, on verra le compte rendu de M. S. Corradini Bozzi (Medioevo Romanzo, 34, 2010, 429-31). L’étude linguistique est aussi très brève mais les quelques traits typiques relevés [15-17] suffisent à localiser le texte (auteur et copiste utilisant une langue fortement marquée) dans le Sud-Ouest d’oïl. Quelques compléments : – la forme fen(n)e de femina, largement majoritaire (11 occ.), a été bien relevée 1 (mais on pouvait ajouter qu’elle n’est qu’une fois à la rime, et avec senne < sanat en 1625, rime peu courante associant a accentué libre et e accentué entravé, tous deux nasalisés) et accompagnée d’un petit commentaire bibliographique (auquel on pouvait joindre surtout PfisterGir 470 et, en outre, SCathAumN p. 37 et EstFougL 988) – la forme net de nocet n’existe pas dans le texte, c’est toujours nest – la forme net de nocte (attestée trois fois, ne se trouve qu’une seule fois à la rime, et avec let de lectu en 174) est sans concurrente, car la forme noiz invoquée en 2017 est sans doute une faute de transcription (cf. infra) – la forme pez de pectus est attestée 33 fois 2, mais elle n’est qu’une seule fois à la rime, avec delez de latus, tandis que la forme française piz ne se trouve qu’une seule fois, et à la rime avec porriz en 1183 – la forme pes de postius, que je n’avais trouvée que dans le fragment d’Angers du Roman de Thèbes (2e fragm. v. 46), est tout aussi générale (32 occurrences, toutes à l’intérieur du vers), tandis que la forme qu’on trouve à la rime est pis (une seul occ.), rimant avec assis – les imparfaits de l’indicatif en -ot des verbes de la première conjugaison sont aussi à l’intérieur du vers ou bien riment entre eux. Ainsi l’inventaire des formes régionales montre qu’elles sont très rarement à la rime et comme par ailleurs il n’y a pas lieu de les attribuer au copiste – qui aurait alors employé un parler différent de celui de l’auteur, ce que contredit la couleur régionale du vocabulaire de l’œuvre, qui est tout à fait en accord avec celle des graphies –, on peut penser que c’est l’auteur lui-même qui a évité de placer à la rime des formes régionalement typées. On pouvait ajouter à l’inventaire des formes : – confet “confit” 1080 – le pr. pers. fém. rég. tonique lé 3 (édité de façon variée en 142, 167, 239, 1872) – des formes comme morraient et rechaceraient 391-2, troveraient 2771, saient (= soient) 2808, fesaient 2861, resolaient 2863, posaient 2866 – les rimes 1



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lancelee : bree (= broie) 1977-8 freidors : secors 1979-80 nommon : non 1987-8 (qui vaut pour l’auteur, alors que les cas cités

Fames se lit en 136 mais aussi en 97. En 275 l’édition porte fenme non femme. Je dis 33, même s’il y a 34 références, car le renvoi à 1408 est faux. Voir ici 76, 378-384.

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[16§7] ne sont probants que pour la langue du copiste) fait : reseit 2929-30 trait : seit 2931-32.

Pour la versification [17], TH suppose une fréquente omission de vers pour les cas d’un nombre impair de vers construit sur une même rime ; il vaut mieux considérer que le traducteur, qui visiblement a eu de la peine à rimer sa traduction, a pu construire un nombre impair de vers sur une même rime. Par exemple : Tot ce o eisil triblé meslot / E pes o miel ce destrenpot / E d’ice se desjeünot … As ieuz oscurs, au cuer valeit / E au panceil ce que preneit (2796-2802), donne un sens, sans qu’il soit nécessaire de supposer que manque un vers, numéroté 2800 ; on notera aussi dans ce passage la séparation des deux types d’imparfaits (l’un régional en -ot pour les verbes de la 1re conjugaison), qui se succèdent mais ne riment pas ensemble. Le cas de Molt et sec et chaut le lorier, / En degaster, en deslier / Les maus humors est sun poër (1081-83) est identique : ce sont trois rimes en é (lorier vaut lorer, deslier vaut deslïer et poër rime avec eux). Ainsi, le texte comptera en fait quelques dizaines de vers de moins que les 3188 numérotés par l’éditeur. Remarquons encore que frot [17, l. 6] est une troisième personne du présent de l’indicatif de froter tout à fait normale. Le texte a été bien compris et bien édité. Il est accompagné de notes qui renvoient systématiquement à l’édition du texte latin, que le traducteur rend assez fidèlement, ainsi qu’à d’autres textes quand le texte-source des passages (imprimés en italiques par TH) ne figure pas dans cette édition. Quelques remarques : Prol. 4, queilletés est à lire queilletes (p. p. f. de coillir ; afr. coilloites) et supprimer queilleter du glossaire Prol. 7, ajuvanz ou plutôt aiuanz de aiüer pouvait être maintenu, cf. la misericorde de celui ajuant SBernAn 2S 146,65 68, la correction de espison (poison Dom le cors est en espison) en esprison pose problème. La traduction “inflammation” s’appuie sur TL 2, 1258 (qui a pensé à esprendre “enflammer”), mais le mot qu’il cite (hapax, picard de surcroît) est une correction qu’il propose et je préférerais y voir un aprison 4, dérivé de a(s)pre, au sens de “cruauté”, comme a(s)prece ou a(s)preté. Par contre espison existe bien ; il y en a même deux, l’un du lat. sponsio, l’autre dérivé de espier (pour un essai de les démêler v. TraLiLi 15/1, 255). Il me semble que c’est du premier qu’il s’agit ici, au sens de l’apr. esp(o)izon “enjeu, gageure” : estre en espison serait “être en jeu, être engagé”. Or ce mot a une coloration régionale assez nette. Il appartient au Sud-Ouest d’oïl, dans le prolongement des attestations d’ancien provençal (cf. « En nostres lances portarem l’espison, C’om tot lo-m lais o tot l’en port per son “De nos lances nous ferons dépendre la décision (= nous placerons en nos lances l’enjeu de décider si…), soit qu’on me laisse entièrement le [royaume], soit qu’on s’en empare complètement” » d’AigB 299, rappelé ici 69, 380). Je vois ce même mot ds Trois jorz i fu par espison « en conséquence de son vœu » de SSagOctChSp 906 (texte du SudOuest), ds Li mires du garir i mist grant espison « mit toute sa promesse dans la 4



Alors que je maintiens pour aprison de Charles d’Orléans (v. DMF 2012 apprison1 et asprison) l’interprétation de “conduite (ce qu’on a appris à faire)”, que j’ai donnée ici même 58 (1994), 216.

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guérison » d’AlexParA 2, 1568 (qui peut être attribué au normand ou au poitevin, et est longuement discuté ds TraLiLi 15/1, 255-266) et ds ge metroie ma teste en espison « j’engagerais ma tête » du Roman du Saint Graal, cité ds Gdf 3, 534a (cf. maintenant SGraalIIIJostO 135/465var) qui pourrait être de l’Ouest/Sud-Ouest 5, cf. TraLiLi 14/1, 119 252, malgré le lat. decocta, il vaut mieux éditer De cuite o ele si seit oint 378 Des euz oscurs oste o[s]curté, la forme ocurté est loin d’être rare : TroieC 10965var, 19209var ; SFrançbP 3386 ; RobBloisBeaudL 2204 ; BrunLatChab 196var28 ; JourJugP 913 etc… ; on pouvait aussi introduire au glossaire oscur “dont la vue est trouble (des yeux)”, encore au v. 1566, (1re att. obschur 16 e s. ds FEW 7, 281a ; mais déjà, isolément, 1396 “qui est plongé dans l’obscurité” Cil qui songe que par le vent il soit empoudrez, dont ses yeus soient obscurs, signifie qu[e]...ds DMF) et ocurté “défaut de la vue” (1re att. d’obscurté des yeux en 1426 : Olibane…vault contre obscurté des yeulx, contre flux de sang et à remplir plaies de char ds DMF ; mais déjà en 1260 : oste toute l’oscurité de ses iols BrunLatC 136) 438 apparat rejeurir « with a nasal bar over the fourth letter » se lira rejenvrir cf. regenvrir de Gdf 6, 740a 493-4, on pourrait corriger E le mal mengeisun que nomme (où le verbe est sans sujet) en le mal, mengeisun qu’e[n] nomme 496 lire plutôt en garist 529 apparat esfant n’avait pas besoin d’être corrigé en effant 533-4 Il a poeir d’atenveier Le funz dou ventre et de pissier (« et de faire pisser ») 619 la correction de en l’aive rose en en eue rose ne s’impose peut-être pas, malgré la note 931 la correction de ou l’erbe en o l’erbe paraît arbitraire et n’aide pas à comprendre ce vers 977 beit o neis la fumee, donne un sens excellent “aspire par le nez la vapeur” et n’avait pas besoin d’être corrigé 1045-7 les trois vers sont construits sur une rime (cf. supra) : il suffira de lire : Davant le freit le fievrox oint De l’ele ou cuist, pes n’en sent point Cuisses et dos quant en sunt oint « oins, avant la crise (lat. ante febris motum), à l’aide de l’huile où a cuit le piritre, l’homme fiévreux qui ensuite ne sentira pas ses cuisses ni son dos, qui en sont oints » ; en outre l’apparat du vers 1046 est incompréhensible 1198-1200 lire, dans un passage similaire aux vv. 1045-7 : L’ele ou est cuist fet eschaufer : Les fievros oint avant le freit Por la fievre qui venir deit « l’huile dans laquelle elle est cuite, réchauffe : oins les gens fiévreux… » 1651 lire el n’est 1806-7 virgule après recret et point après crace 1829 et 1855 tost ind. pr. 3, corrigé en tolt, n’est pas inconnu 1831 lire le corement “l’assaut” cf. Gdf 2, 302a 5



Ceci inviterait à nuancer l’indication « ms. BN fr. 748 [frc….] » de DEAFBibl (SGraalIIIH).

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1856-7 supprimer le point après epure et placer deux points après chaut 1895-7 illustre bien la construction de trois vers sur une même rime ; On lira donc : Freit e sec [si] est le planten, Ce sachiez bien qu’il est molt sen, La raïz, l’erbë e le gren (« …il est bon pour la santé, aussi bien la racine, que la plante et la graine ») 2017, d’après le lat. vocalis venae, on lira Qui fait la voiz, l’antécédent de qui étant la veine 2149, la versification implique de supprimer le tréma sur le e de euë 2391 lire qu’en en trait 2769-71 lire Meintes genz sont issi encore Qui trop en loign enchaucent (“recherchent”) ore Ce qu’en lor cortil troveraient. 2914 lire plutôt A en froter 2931 lire plutôt qui de c’est trait 2949-50 je lirais plutôt en trait mais inversement endoble “redouble”, verbe rarement attesté 3185-3188, il n’est pas nécessaire de supposer une lacune, puisque la rime unit normalement cuist et nest (= nuist). Dans ce cas je lirais : La greslee molt plus estraint Enflor e le vent plus estaint E le jus ou la feve cuist ; Quar la feve assez meins nest (« La fève grillée réduit beaucoup plus l’enflure et fait disparaître l’aérophagie, tout comme le jus où cuit la fève ; car c’est ainsi que la fève nuit beaucoup moins ») ; je donnerais à quar le sens de “voilà pourquoi”, cf. FEW 2, 1421b. Le glossaire est bien large et rendra service. Quelques remarques : aier et aiuer sont inutilement séparés (pour aiüer, il s’agit d’une forme assez rare : aiuer TroieC 20356varCHJ, ChevVivM 1200, 1316, 1470 tous var. de E, ajuer SCathAumN 286, 884, 1922, 2594 ; la forme du substantif aiüe est seule relevée (on notera qu’elle est presque toujours à la rime), alors que aïe est assez courant (812, 1512, 2442, tous à la rime) ; aju[v]ant se voit pourvu de l’ajout inutile d’un v aovrer au sens d’“ouvrir” ne se rencontre pas ; les formes se rattachent à aovrir aspreté, dans les deux cas une lecture asprece serait préférable ; en 570 L’aspreté en (TH est contraint de supprimer en) est plus tost otee et en 2969 Dou pez l’aspreté (aspreté donne un vers hypermétrique) e dou pomun effant ne signifie “fœtus” que dans le syntagme effant mort enchaant est à lire en chaant “en tombant” enraie est à lire en raie (cf. TL 8, 192-3) epatique, il serait bon de séparer la plante nommée ainsi, qui est un substantif, de l’adjectif employé dans le syntagme les estopez epatiques « ceux qui ont le fee estopé (524, 649 etc..) », où il est difficile de dire quel est l’adjectif moole, en 3039, paraît signifier “mie de pain” v. FEW 6, 1, 635b, mais peim me reste obscur ; en 2940, moole désigne la “substance” du froment penneté signifie non pas “baked” mais “pétri” cf. FEW 7, 543 n.28 ple(u)e, séparer pleüe 129, p. p. de plovoir, de plee 2581, qui seul signifie “rain”

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On aurait pu y ajouter : aage, en bon aage (“dans la force de l’âge”) tient les veuz 442 « maintient les vieux dans la force de l’âge ». On ne peut trouver ds les dictionnaires que :

= ds le DMF : (Estre) de/en bon age. “(Être) à l’âge adulte, à l’âge mûr” : Il n’est ne joune, n’encien, Mais de bon aage (Mir. st Lor., 1380, 149). – Dieu lui tiengne, au jour d’uy vivant en bon aage et prosperité de corps, d’esperit et de noble estat : c’est mon seigneur messire Jehan le Maingre, dit Bouciquaut (Bouciquaut L., 14061409, 7). – Estre en bon age pour + inf. : D’autre part tu es sain de corps et en bon aage pour vivre encores longuement (Curial B.-H., a.1447, 247)



= ds le FEW 24, 236a de bon âge “dans sa force (en parlant d’un cheval)” (Ac 17981932)



J’y ajoute : Car proz est et de grant parage, Por mal sofrir de bon aage, Et bien duez de chevalerie ThebesC 7252. – La vieille voie si est a entendre femme de bon aage, et la nouvelle, la jeune garcecte.... Je dy que se tu veulx avoir bon deduit d’amours, pren femme de bon aage qui ne soit mie trop jeune OvArtPrR 2, 3480-3485. – Celluy chevalier estoit bel homme, bien renommé, de bon eage, beau parlier LA MARCHE, Mém., II, c.1470, 51. – Jacques est dit de Bugnyn de bon eage ds MélDiStefano p. 40. – Tant com fu en mon bon aaige Ne s’en ala beste sauvaige Que ne preisse, tant fort corut Ysopet I-Avionnet B., c.1339-1348, 247/15. – Quant telle personne est morte, C’est pour tout le quartier dommaige. II n’avoit encores que bon aaige ; II n’estoit point fort ancien Nouv. Path. T., c.1474-1485, 51/95

aler hors “évacuer son ventre” 1062, 1886, 2464, 2897 qui n’a été relevé que ds le DMF : une autre maladie que chiens ont qui sont costuvez, et ne peuent aler hors et desechent. (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 101) aspre “rugueux” 2997 atriblé “écrasé” 385, 428, qui n’est pas commun (on le trouve surtout ds les textes religieux, trad. de la Bible cf. Gdf 1, 489ab) en face du plus technique triblé, qui est usuel ici (349, 811, 2797 etc…) aubun d’of m. “jaune d’œuf” 1321, 1910, 2279, 2659 clarir “éclaircir (la voix)” 425 E cuit e cru la voiz clarist (lat. clarificat raucam…vocem) corir “avoir la diarrhée” 286 dent dolor “mal de dent” 1502, dont je n’avais (ici 58, 575) que des attestations anglonormandes ; on notera aussi les synonymes la dolor des denz 366, le mau des denz 1161 et le tour peu commun la dent dolant “la dent qui fait mal” 816, tour qui ne se trouve que ds ChirAlbT 7rb et 26rb devoir, rien ne deit a auc. par “n’est inférieur en rien à qn sous le rapport de” 1752, tour assez rare enfroté “frotté” 2854 et 2998 fervor (dou panceil) “fermentation, brûlure (d’estomac)” 1305 (lat. fervorem stomachi) los, avoir los de + inf. 1904 cf. avoir le los de “avoir la réputation de” : Par Dieu, no ville a bien le los, Par dessus toutes les villettes, D’avoir plus belles baisselettes De tout cest pays (Dit prunier B., c.1330-1350, 51) ds DMF noveler “renouveler” 1965

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secors, pour Einsi les fievres unt secors 1956 “sont soulagées”, avoir secors ne s’employant d’ordinaire que pour une personne et dans le domaine militaire (ou amoureux) ; le plus proche étant : De cest païs aëz merci Que vus veez a mort turnee Si socurz n’a de vostre blé WaceNicR 306 vin, à côté de ei(s)sil, oisil “vinaigre” – très courants dans le texte et enregistrés ds le glossaire –, on a aussi, pour traduire le lat. acetum (et parfois aussi le syntagme déjà lat. acri cum vino, traduit par o vin esgre 154, o vin eigre 1518, et par o oisil 223, o eisil 1958), vin eigre 540, 574, 775 855, 861, vin egre 1265, vin esgre 154 et eigre vin 540. Vinaigre (dep. ca 1200), un peu plus tardif qu’aisil (dep. 1120), a commencé à le supplanter dès le 13e s., comme en font foi les attestations dans les grands textes médicaux du 13e s. : AntidNicD (norm., 2e m. 13e s.) et AldL (pic., 1256) n’emploient que vinaigre et jamais aisil ; LSimpleMedD (13e s.) emploie surtout aisil mais connaît aussi vinaigre ; ChirAlbT (lorr., mil. 13e s.) par contre n’emploie que aisil. On sait qu’en mfr. aisil survit surtout comme un mot littéraire, désignant le vinaigre présenté au Christ lors de la Crucifixion. En face de ces deux mots, aigre vin est mal attesté et notre eigre vin pourrait passer pour une première attestation, si l’on se fie à l’état actuel de la lexicographie ; aigrevin (Corbie, 1295) ds FEW 14, 481a, où 1295 semble être une faute pour 1391 (ds DC 8, 343b). Le DMF inclut ds son article aigre, sans l’isoler, un ex. d’aigre vin signifiant “vinaigre (dans son emploi lié à la Crucifixion)” (Vezci la couronne en presence De quoy le doux roy couronnastes, Et en quoy boire li donnastes, Au roy tout puissant et devin, Velin amer et aigre vin (Jour Jug. R., c.13801400, 252) 6. Voici ce que j’ai relevé : Ne le pot croire, aigrevin fist mander, De l’iaue fist tout erraument caufer Et Bueve en fist son viaire laver Bueve3S 6329 (1er t. 13e, picard) pernez milfoil e commin e eisil o egre vin ensemble PlatPractH ds HuntAgnMed 2, 272, 144 (2e q. 13e, texte qui contiendrait quelques rares traits picards 7) vesci la garison des vers dou ventre ; prendés merfuel et coumin, aigre vin et aisil RecMédCambraiS 258 §41 (2e m. 13e s., picard) Pour III chopines d’aigre vin LongnonDoc 3, 446a (1347-48, Champagne) Constantinoble est la crois nostre seigneur Ihesu Crist, et une siene cote senz cousture, et la sponge et la rondine a quoy on ly donna a boire fiel et aigre vin en la crois JMandPL 233 (apr. 1360, version continentale)  8 Cler vin avoir, sa poulaille rostie, Connins, perdriz, et pour espicerie Candie avoir, safran, gingembre, et prie Tout d’aigrevin et vergus destremper Desch 6, 101, 302 (cf. R 50, 414) C’on ne le puet bien refraindre en la fin, Par aigre vin, par verjus, par moustarde Desch 4, 281, 11 9 6



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Dans un autre ex. : Et aussi pourroies tu dire Que bien peu d’aigre vin empire De bon vin une plaine tonne (LE FÈVRE, Lament. Math. V.H., c.1380, 215), aigre vin n’est que l’antonyme de bon vin. Selon DEAFBibl, qui malheureusement n’indique pas sa source. Remarquons que la version liégeoise porte ici boire fiel et aysil (éd. M. Tyssens et R. Raelet, p. 5, 163, v. ici 76, 267), reflétant l’emploi littéraire du mot aisil. Peut-être aussi Laitue, aigre vin vault, Desch 5, 131, 20. Desch emploie aussi vinaigre (8, 343) et aussi aisil, au sens de “verjus”, dans le syntagme l’aigre grape d’aisil : Dist

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un tonnel de vin de Portau dont a fait aigrevin ds Mémoires de la Société dunkerquoise pour l’encouragement des sciences, des lettres et des arts, 1857, p. 297 n.2 (1406, Dunkerque) le destempre de bon aigre vin, et le mette sour la boche, et la mettre sovent aus neis car ly aigre vin corrompt les mailles airs ….une petite sponge destempreie de for aigre vin ds DWall 4 (1975-76), 97 et 100 (wallon, 15e s.) Pour oster ergoutte, R. cordes d’arcks qui ayent passet an ou plus, et si les ardez en pouldres et destemprez d’aigre vin et mettez sus ds RLaR 38, 161 (Namur, 15e s.) chars dangerreuses a mangier sans force d’aigre vin, de cyboles, oignons PlacTimT 211/431var (ca 1450, Flandres) XI barilz et ung poinçon aigre vin … XXIIII baris aigre vin … ung caque aigrevin … X baris aigrevin … VII barilz aigrevin … IIII baris aigrevin … IIII caques aigrevin … deux caques aigrevin … deux baris aigrevin (1454, péage de Meulan, produit venant probablement de la Champagne) 10 ds R.-H. Bautier, Sur l’histoire économique de la France médiévale : la route, le fleuve, la foire, VI, 276 § 16 et 19, 279 § 41 et 42 et 46, 281 § 70, 282 §79, 283 § 83 et 84, 284 §93 a chascun conuint la face rafreschir d’eaue fresche et d’aigre vin. GalienS p. 300 (var. ms. Ars 3351 ; 3e q. 15e s.) Que nul no puist vendre sausse de mostarde qu’elle ne soit bonne, loielle bien broyée et faite de bon aigre vin ou verjus (1463, Arch. d’Abbeville) ds Gay 1, 231a (brun d’Auxerre) Sy se pençoient les dames et les damoyselles de sa court de la remectre en point par eaue et aigrevin qu’il luy gecterent au visaige GuillOrPrT 509, 5. On voit que le mot est centré sur quelques bassins de production, essentiellement les régions picardo-wallonnes et champenoises. Ce fait m’amènerait à voir ds l’esgre vin de notre herbier, une simple facilité métrique. Venons-en aux mots régionaux. On pourra en relever plusieurs : avisunques “à grand peine” (Ouest, Sud-Ouest, normand, anglo-normand, v. RLiR 59, 626 ; Bien Dire et Bien Aprandre, 21, 365) coitier v. impers., cuite “il convient” (Ouest [Troie ; Péan Gatineau ; Angier ; ChevBarBloisB 260, 339, 355, 754, 888, 891, 904, 1032, 1065, 1192], anglo-normand [PurgS-

Salomon le soutil Que l’aigre grape d’aisil Mangierent en ramenbrance Les anciens (traduisant le lat. patres uvam comederint acerbam de Jer. XXXI, 29 et Ezech. XVIII, 2). 10 Le texte n’emploie jamais ni vinaigre ni aisil. On peut penser qu’il y aurait là une raison pratique : l’aigre vin pourrait être moins taxé que le vin aigre (cf. ce texte [1493, Montsoreau] : Pour vinaigre dépry, si en faisant ledit dépry [c’est-à-dire “la déclaration faite, devant le bureau de péage, par le marchand ou batelier conduisant marchandise franche, de la nature de son chargement ; ainsi appelée de ce qu’elle contenait prière implicite de laisser passer, en raison de l’exemption dont jouissait le chargement”] il dict ces mots, « aigre vin », car s’il dict « vinaigre », en ce cas il doit amende de soixante sols t. ds Mantellier 3, 241).

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PatrBerM 250 11 ; ModvB2 3031]). Cf. PopeAngier 77 ; TL 2, 551 ; FEW 2, 830b ; ANDi egraz “verjus” (Ouest [1406, Angers 12 ds Gdf 1, 184c-185a ; 1462-1466, Angers 13 ; Meschinot]. Cf. Gdf 1, 184c-185a ; FEW 24, 96a ; DMF) ; il s’agit d’une première attestation endeible “malade”, aux 12e et 13e s. le mot ne se trouve que dans des textes de l’Ouest 14, de Normandie et d’Angleterre. Cf. Gdf 3, 127c ; TL 2, 276 ; FEW 3, 22a ; ANDi ; et déjà RoquesRég 152 ; il se répand un peu en dehors de ce domaine au 14 e siècle, cf. DMF (h)erneise cette forme d’armoise ne se trouve qu’en Loire-Atlantique et en angevin à Montjean-sur-Loire, ainsi que dans l’Orne à Saint-Georges-des-Groseillers, au témoignage du FEW 25, 362a espison (Sud-Ouest, v. supra) il(l)ors “alors” adv. 2500, 2898 (anglo-normand [PhThCompM 2005 ; PhThBestWa 1951 ; GuillMarH 11623], normand [GuillJoiesR 514 ; Seront illors aseüré EructavitJ 70 var. de B [norm. mil. 13e s.], Ouest [EstFougL 171, 743, 1307 ; AngVieGregM ; AngDialO 17951 ; tantost et des ylors nous, noz hoirs et la terre dessus dite serions deschargiez de la rente dessus dite (1331, Château-du-Loir ds ArchHistMaine 6, 213)]. Cf. Gdf 4, 544b, TL 4, 1334-35, FEW 4, 377b ANDi . Seule 15 attestation discordante : Des ylors qu’i le vit (var. : De ci loin qui le vit ChronGuesclC 13498), a ryre conmença ChronGuesclF 14412 (d’où « pik. 1382 » ds FEW 4, 377b). Mais cette attestation isolée, dans le temps et l’espace, pourrait recevoir une autre explication 16 legier “soulager (des maladies, des douleurs etc…)” (Touraine [PeanGatS2], Ouest [SMarieEgTD 547] 17 et Orléanais [JostPletR ; doc. de 1432]). Cf. TL 5, 309 ; Gdf 4, 756bc ; FEW 5, 286b ; DMF et voir déjà ZrP 95, 177) panceil ���������������������������������������������������������������������������������� “estomac, ventre”, très fréquent (plus de 30 ex.), alors que c’est un hapax médiéval d’après Gdf 5, 715c, TL 7, 122 et FEW 7, 566b, la seule attestation connue se lisant ds BenDucF 39557 (Touraine) ; l’ANDi y a ajouté un exemple d’un réceptaire (RecMédJuteH 249/6), contenu dans un ms. de la 2 e m. du 12e s., mais ne précise pas (ce qui est noté ds l’article tucher 831a ) qu’il y apparaît sous la forme planceil, corrigée par l’éditeur Même si le mot n’est que ds le ms. à traits francoprovençaux, il n’est pas douteux que le mot remonte à une version anglo-normande de l’œuvre ; l’autre ms., anglonormand a le synonyme, plus usuel, si estut. 12 Le DMF qui reprend l’exemple de Gdf ne croit pas utile de le localiser. 13 André Joubert, Étude sur la vie privée au XVe siècle en Anjou, 18, 30, 31, 144, 155, 162. 14 La seule exception est SElisRobJ (Vie de sainte Elisabeth de Hongrie, en octosyll., par Robert de Camblinnuel ; pic. 2e m. 13e s.). 15 Illors de SpankeChans 122, 4 var. pourrait être une simple graphie pour aillors. 16 Trait de couleur locale artificielle ou bien trace de l’œuvre originelle ? La question reste ouverte. Notons toutefois que le ms. paraît lié à une famille rouennaise. 17 Corriger le « originellement agn. » de DEAFBibl. 11

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roignaz m., non pas « one suffering from scabies » mais “croûte de gale” ; le mot n’est attesté que dans les dialectes modernes du Poitou v. FEW 10, 470a cf. encore « rognat (Civ., Montmor.) s. m. “croûte sur une plaie en voie de cicatrisation” » ds R. Mineau, L. Racinoux, Glossaire des vieux parlers de la Vienne, p. 348 et 351 sachun, sachon, saçun “petit sac” (Ouest [Lentilles traist de sen sacon SMarieEgtD 1265 ; MirNDChartrK 3, 261], normand [plain un petit saçon SyraconS 87 ; localisation possible pour et lor porterai le saçon Pères70L 23262], anglo-normand [saceuns linges Med Pres 4 25], peut-être Ouest/Sud-Ouest pour La pel ert coisue si sembla un sacon, Autresi me mis ens com feis un bacon AlexVenL 7611), Angers [1448 deux saccons de damas blanc Comptes de René d’Anjou]. Une extension parisienne, en 1305 [Pour LV aunes de toile pour faire sacons pour les lis ds J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint Louis : Mahaut, comtesse d’Artois et de Bourgogne, 181]. Cf. Gdf 7, 275b ; TL 9, 26 ; FEW 11, 23a, ; ANDi ; DMF sofrin adj. “de soufre” (Ouest [La ou Flegeton cort sofrin, BenDucF ; la flame sulphrine ; MarieEspJ2 1124, 1132, 1266, 1330], anglo-normand [sulfrins arsuns PetPhilT 1318 ; fumés sulfereyns ChronPLangW2 2, 80]). Cf. Gdf 7, 505c ; TL 9, 1016 ; FEW 12, 421a ; ANDi treant “téton (d’une femme)”, ici en réunissant les sens de “téton (d’une femme)” et de “trayon (d’un animal)” (anglo-normand [PhThBestM], normand [WaceNicR, WaceRouH, BestGuillR ; GuillSMadS 294 (où le mot n’a pas été compris par les éditeurs successifs, y compris O. Collet ds Vies Médiévales de Marie-Madeleine, 147/294)], Ouest [BenDucF, SMarieEgtD 643 et 177var, FlorebP), Sud-Ouest [SSagOctS 2451 et SSagOctChSp 291]) ; seul échappe à nos tentatives de localisation plus précise ThomKentF 6177 var. des mss C et P (mais le mot y est sûrement attribuable au même domaine). Cf. Gdf 7, 784b ; FEW 13, 2, 179a et 182b ; RoquesRég 403-4 (voir déjà ZrP 95, 177) vialles “organes vitaux” n’est connu en domaine d’oïl (Ouest) que chez Angier, qui en offre deux exemples (AngVieGrégM 292 et AngierDialO 15548) ; en apr. on ne trouve viallas, vialias que ds LibScintW p. 158 (ms. du 14e s. ; Vivarais/Velay), qui en a trois 3 attestations, cf. Gdf 7, 224a, FEW 14, 543b, TL 11, 382, ANDi Enfin, le démonstratif fém. ça, à côté des formes masc. cel (l’ancienne) et ce (la nouvelle), sur lequel X. Leroux a attiré mon attention (v. ici 77, 461-516), se lit ici pour la première fois avant les attestations angevines du 15e siècle : E dient : « Faire puot quel bien Ça vïolë e ce plantein ? Quar a mengier ne valent rien. Neïs cel chol e ça laictue, Fors a mengier, que porte aiüe ? » 2773-2777 (inutile de supposer une lacune car bien et rien riment avec plantein dans ce groupe de trois vers unis par la rime) et Vent engendre la feve ou cors E au dedenz e au dehors. Ça ventosité nee ou ventre De la fumeë ou chief entre (“fait entrer”, emploi tr. de entrer cf. TL 3, 678, 50). Ça fumee cervel corrunt Don maus songes vienent e sunt 3163-3168. On voit donc le grand intérêt de ce texte, qui constitue un document linguistique majeur, et qu’on peut attribuer avec assurance à une région, au sud de la Loire, entre Angers et Poitiers. Gilles ROQUES

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PHILOLOGIE ET ÉDITION

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Jean Froissart, Melyador, roman en vers de la fin du XIVe siècle, édition critique par Nathalie BRAGANTINI-MAILLARD, Préface de Michel Zink, Genève, Droz (Textes littéraires français, 616), 2012, 2 volumes, 1973 pages. Plus d’un siècle après la publication de l’unique édition intégrale du Méliador de Jean Froissart qu’A. Longnon a établie, paraît, sous la plume de N. Bragantini-Maillard, une nouvelle édition de ce roman arthurien écrit en deux temps, autour de 1362-1369 et de 1383 [69] 1. Après une introduction parfaitement informée dans le premier tome [15-327], qui détaille méthodiquement les divers aspects linguistiques de l’œuvre (langue du copiste, langue de Jean Froissart, langue des insertions lyriques et langue du ms. A), on trouve, précédés d’une bibliographie soignée [329-52], les 30 770 vers qui composent l’œuvre. Le second tome comporte à la suite des variantes des fragments A36, A37 et A38, l’édition du fragment A39 suivie d’abondantes et très utiles notes qui discutent et éclairent les difficultés du texte pour en faciliter la lecture [1329-1582]. Viennent ensuite un court Index des phrases à valeur proverbiale ou sentencieuse [1583-94], puis, tout comme dans l’édition précédente, un Index armorial [1595-99] et un Index des noms propres [1601-26] et, pour finir, avant une Table des insertions lyriques, un imposant glossaire [1627-69]. Vu que le seul autre manuscrit qui conserve le roman de Froissart est très fragmentaire, cette édition du Melyador, comme la précédente, repose sur le manuscrit B (Paris, BNF, fr. 12557) de la fin du XIVe siècle, et presque complet. Mais cette nouvelle édition est justifiée par l’éditrice par le fait que « [l]e texte fut établi selon les principes éditoriaux en vigueur au XIXe siècle » et que « de trop nombreuses leçons s’écartent du manuscrit par surcorrection, voire par erreur de lecture » [49]. En la matière, N. B.-M. a su parfaitement bien réhabiliter le texte de la copie, comme le montre la comparaison de ces deux éditions. En effet, pour les seuls vers 117 à 734, la confrontation de ces éditions avec la reproduction du manuscrit qui a servi de base (fol. 2a-6c) et qui est en ligne sur le site ‹http:// gallica.bnf.fr› révèle de nombreuses inexactitudes de transcription dans l’ancienne édition (près d’une cinquantaine) ; ces lectures fautives ont par bonheur disparu chez N. B.-M. Ainsi, et selon le fil du texte, nous relevons les remplacements suivants: praiel → praiiel ocis → occis droit → drois enmaine → emmaine (manuscrit : ēmainne) germaine → germainne rien → riens D’amours → Amours encore → encor voroit → vorroit lieue → liewe cembel (: chastiel) → cembiel 1



Dorénavant j’indiquerai Méliador pour l’édition d’A. Longnon et Melyador pour celle de N. Bragantini-Maillard.

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sieui → sievoit outre → oultre vallet → varlet mie → mies euissiez → euissiés congier → congiet le → li ma → no repondi → respondi puissance → poissance pas de doute → pas doute votre → vostre ieulx → ieulz semblant → samblant jusqu’au soir → jusc’au soir (manuscrit : iuscausoir) ces → ses compaignie → compagnie du → dou songe → songne Adonner → Ordonner chose → cose compaignie → compagnie remonte → remonta meschés (: courouciés) → meschiés complet → complit du → dou la → le L’établissement du texte donne priorité au respect du manuscrit, au plus grand profit du glossaire destiné à être réutilisé par la lexicographie ultérieure. La comparaison des deux éditions nous montre que si, parmi les lectures fautives que je viens de citer, les leçons adonner et complet n’ont pas fait l’objet d’entrées dans le glossaire d’A. L., en revanche, les leçons correctes correspondantes ordonner et complit des vers 644 et 707 ont toutes deux, et à juste titre, été retenues dans le nouveau glossaire : sous ordener, c’est l’emploi pronominal de la locution « ordener + a “se conformer, se soumettre, obéir à” » qui présente un intérêt puisque N. B.-M. la donne par ailleurs comme première attestation [156] et sous complit suivi de « p. pa./adj. de complir “achevé, complet, entier” » l’intérêt réside dans l’emploi récent du mot [146]. Ces deux attestations et/ou celles qui s’y ajoutent au glossaire gagneraient bien entendu à être introduites dans le DMF. La fidélité au manuscrit observée par N. B.-M. permet, en plus de corriger les mauvaises lectures introduites par son prédécesseur, de rectifier les données erronées du glossaire directement issues de ces mélectures, en particulier les mots ou sens nouveaux forgés de toutes pièces. On prendra pour exemples les lectures debiter (vers 2971) et degrigne[r] (var. du ms. A38 [Paris, BN nlat. 2374], ca 1400, vers 79) répertoriées ensuite dans le glossaire avec

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PHILOLOGIE ET ÉDITION

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les définitions respectives de “être recherché, devenir populaire (?)” et “tomber (?)”. La première attestation est entrée dans le DMF sous débiter1 mais le sens donné par le glossaire, et contesté après la référence au texte, a été remplacé par celui de “honorer sa dette (?)” ; il faut évidemment supprimer tout le paragraphe A qui ne comporte que cette attestation. La seconde attestation n’a, quant à elle, rien donné dans le DMF. Pour ces deux lexies, la solution à la problématique sémantique soulevée se trouve dans la lecture correcte du manuscrit qui porte respectivement deliter et le grigne et que N. B.-M. incorpore à son glossaire avec, d’une part, le sens “se réjouir” et, d’autre part, celui de “crinière” qui conviennent parfaitement bien. On notera que si l’attestation de deliter n’apporte rien de neuf pour le DMF, la graphie grigne, avec passage du c initial à la sonore g, mériterait d’être ajoutée sous l’article crine qui n’atteste pas ce phénomène, pourtant relevé dans le FEW 2, 1343a (à partir du glossaire de FroissMelL), qu’on pourra compléter, comme la note de l’éditrice y invite, par RLiR 56, (1992), 641. Le texte que nous offre la nouvelle édition se lit en toute confiance et n’appelle que quelques menues remarques dans la mesure où il corrige fort peu le manuscrit : 233 leçons fautives sont soigneusement rejetées en bas de page [30] en même temps que les fautes de mètre. Mais, pourquoi corriger et ([= A. L.], ms. : &) en com ? mais il est vrai que com est plus logique après ossi (v. 1480) ; qui estoit d’irlande en qui est rois d’Irlande (24 093) ; non “non” en nom (27 353), cette graphie sous sa forme non abrégée étant bien attestée dans les manuscrits médiévaux de même époque. À propos de la segmentation des mots quelques remarques mineures s’imposent. Certes cette édition respecte soigneusement la séparation des mots du manuscrit, hormis les quelques cas signalés en note de bas de page, mais n’aurait-il pas fallu procéder à la soudure des expressions composées usuelles telles que au tour, de puis (v. 387, 1129) ? Au vers 237 on peut lire çajus (caius dans le manuscrit) qui ne figure à ma connaissance dans aucune entrée de dictionnaire de langue médiévale (dans le DMF on note uniquement ça jus sous jus2 et dans la base des textes du DMF çajus n’est attesté que dans FroissPrisF [v. 1879] ; le DEAF J, 775-776, s.v. jus n’atteste pas davantage la forme çajus) 2. Or bien que l’attestation de çajus au vers 237 donne lieu à une entrée glosée “ici en bas” dans le glossaire en fin d’édition, je propose plutôt de transcrire cette unité lexicale complexe composée de ça et jus en deux mots tout comme, et à juste titre, l’éditrice a jugé opportun – contrairement à A. L. qui en fait à tort un mot à part entière qu’il ajoute en entrée à son glossaire – de transcrire la leçon riensnee du manuscrit (v. 254, etc.) en deux mots [75]. Quant à riens nee, on peut regretter toutefois sa place comme entrée du glossaire, l’indication ne … riens nee “ne…rien du tout”, sous rien aurait, à mon avis, été plus satisfaisante. Ce ne sont là que quelques remarques de détail qui n’enlèvent rien à la qualité de l’établissement du texte qui donne entièrement satisfaction. Comme le glossaire du Melyador est très riche, on peut subodorer que l’intérêt du texte réside justement dans l’apport du lexique. De ce fait, je me bornerai dans ce qui suit à examiner plus ���������������������������������������������������������������������������� spécialement cet aspect de l’édition, d’autant plus que ce roman arthurien est très peu utilisé dans les ouvrages de lexicologie/ -graphie bien que le glossaire de l’édition A. L. soit déjà large et comporte de nombreux mots aujourd’hui désuets ou 2



Bien sûr ça jus est de très loin le plus courant mais on trouve exceptionnellement çajus ; G. Roques m’a aimablement fourni les attestations suivantes : EneasS2 2885, 2894 (mais ça jus ds EneasS1) ; BestGuillR 789 ; MonstresH 771 ; DeschMiroirMar 2760.

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rares tels que les substantifs anemielle “lame d’épée”, darde, fém. de dart, hatiplat “coup, horion” et tiris “action de tirer” qui méritent en effet pleinement d’y figurer. Un rapide tour des dictionnaires met effectivement ce constat en évidence. Le Dictionnaire de Godefroy commencé en 1879, c’est-à-dire seize ans avant la parution du premier volume de cette édition, et achevé trois après la fin du dernier volume, n’enregistre que quatre citations de l’œuvre, toutes – comme on s’y attend – à partir du t. 9 (roide, nos, ragouster et desmonter), si l’on s’en tient aux données fournies sous la rubrique « FROISS., Meliador » par la Bibliographie Godefroy en ligne sur le site de l’ATILF 3. Le plus récent TL, dont le premier fascicule a été publié en 1915, renvoie régulièrement à Méliador, mais seulement à partir de la notice islel où cette œuvre est citée pour la première fois. Le DMF, quant à lui, cite régulièrement le Méliador puisque cinquante-et-une entrées différentes fournissent des attestations provenant de ce texte et quatre-vingtseize remarques locales et sept remarques globales réfèrent au texte. Mais dans ces remarques – dont la source est généralement le glossaire d’A. L. – l’information se limite au seul référencement au texte 4, si bien que le DMF comporte des acceptions ou des emplois dépourvus de citation (contourner IB1 au fig. ; diseur “juge, arbitre”) ou insuffisamment illustrés (parçon “morceau chanté, chant, chanson” ; rider2 “naviguer, voguer”), ce qui est regrettable pour la bonne compréhension du texte. En effet, le lecteur ne peut appréhender la justesse de la définition proposée que par l’intermédiaire de la citation. Dans le cas de l’article enjeun du DMF par exemple, l’emploi figuré de la locution en cœur enjeun “de cœur léger, pur” gagnerait à être complété par la citation correspondante, car si le lecteur se reporte au glossaire de l’édition A. L. qui est probablement la source du dictionnaire, il s’étonnera de trouver sous enjun, en référence à cette attestation, la glose “à jeun”. La présence de la citation lèverait tout doute et conforterait l’exactitude de la définition, comme l’a fait le DEAF 5. L’abondance des renvois que fait le DMF au Méliador nous permet d’entrevoir à quel point ce texte constitue, pour les XIVe et XVe siècles, une véritable mine lexicale. Et en effet, N. B.-M. souligne que ������������������������������������������������������������� « ����������������������������������������������������������� le texte��������������������������������������������������� présente des termes et surtout de nombreuses������ locutions nouvellement forgés dans la seconde moitié du XIVe siècle » [146], si bien qu’elle enregistre [153-57] 180 mots et locutions dont Melyador est le premier témoin. Or, s’il est vrai que le DMF enregistre déjà de ce texte, grâce à la fois au glossaire de l’ancienne édition qu’il a dépouillé et aux dépouillements du TL, des mots ou acceptions rares (enaceré) ou régionaux du Nord et Nord-Est (estainne “solide, résistant (d’une personne)”, sous estain 2), des néologismes lexicaux (nervure), formels (jeuelier, sous joaillier), sémantiques (adrece “droit, justice”, sous adresse ; assens “contrée, région” ;

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BbgGdf : Bibliographie Godefroy, ‹http://www.atilf.fr/BbgGdf›, ATILF - CNRS & Université de Lorraine. C’est-à-dire : « FROISS., Meliad. L, 1373-1388 », + numéro de page, + gloss., si la source est le glossaire d’A. L. DEAF J 356, s.v. enjeün : « emploi méton. “qui est léger et non alourdi (dit du cœur, siège des sensations)” ». Voir aussi N. B.-M., p. 162-163 : « enjun “qui est léger et non alourdi” : en coer enjun “le cœur léger, l’esprit libre (de toute préoccupation)” ».

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enfourciés 6 “solide sur ses jambes”, sous enfourcher), constructionnels (estre) ensengniés de qqc. “avoir pour blason telle chose”, sous enseigner) ou grammaticaux ((soi) afrener de + inf. sous afreiner ; (soi) aconsievir “se frapper, s’atteindre (au moyen d’armes))”, sous aconsuivre), etc.), les nouvelles données lexicales minutieusement commentées des pages 141 à 176 et les matériaux contenus dans le glossaire permettront d’enrichir ou de compléter significativement le DMF. Cet enrichissement concerne: – la nomenclature (amparliere “intermédiaire” [au sens de médiatrice], le DMF, sous emparlier n’atteste que le subst. masc. correspondant ; femininement “à la manière des femmes, avec une sensibilité féminine” 7, tous deux absents du FEW) – les néologismes sémantiques (radrecié “encouragé”, sous radresser ; infortuné “privé de fortune” 8), constructionnels (environ ce contour “dans les environs”, sous contour1) ou formels (awen < hōc anno, sous oan) – les attestations supplémentaires pour des emplois rares (beubencierement sous bobancierement), ou l’aspect régional des lexies du Nord et Nord-Est (atarge [sans nulle —] “sans délai, sans retard”, sous attarge ; antises “exercices” [au sens de pratique d’armes], sous hantise). Mais l’exploitation du glossaire permet également d’apporter quelques corrections ou améliorations au DMF, ainsi sous gale la définition “bonne humeur, joie” des deux attestations tirées de Meliador est-elle à supprimer : toutes deux sont à classer sous IA et la seconde mériterait la création d’une nouvelle locution estre en ses gales “se réjouir” ; sous drap le sens de “vassal à son service” semble préférable à celui de “homme qui porte la livrée de qqn” que le DMF emprunte à A. L. pour rendre compte de la locution homme des draps de qqn. Quelques observations à propos du glossaire : –

d’une façon générale, en ce qui concerne les entrées, on y trouve des renvois de formes secondaires « difficiles » [1627] vers une entrée principale lemmatisée. C’est le cas de raie, reussiés (auquel il faudrait ajouter l’attestation au vers 26 464), reuissent et reut qui renvoient vers ravoir, mais, pour une raison que j’ignore (de place peut-être), N. B.-M. n’a pas jugé utile de faire des renvois pour ra (ind. prés. 3), rarés (ind. fut. 5), raverés (ind. fut. 5), rarai (ind. fut. 1) et reuist (subj. imparf. 3) tous regroupés sous ravoir et qui ne présentent pas un caractère moins difficile

– on peut regretter le manque d’harmonisation dans la définition des entrées alemelle, s.f., lame, fer de lance et anemielles, s. f. pl., pointes des lances –

l’entrée « [ireer] » (ce verbe n’existe pas) est à corriger en « irer », s’agissant d’un participe passé féminin singulier, comme esleecier, tr. auquel ce verbe est coordonné (Il ne m’a [Hermondine] point esleecie, / mais iree)

– de même, et eu égard à la rime avec dedentrainnes “intérieures, internes”, « foraines, s. f. pl., les manifestations extérieures de sa douleur » est manifestement une faute 8 6 7

Signalé comme hapax sémantique dans N. B.-M., p. 162. TLF : 1re attest. 1832. Le DEAF I, 259, s.v. infortune, n’atteste que le part. passé subst. “celui qui est privé de fortune” depuis 1370, OresmeEthM IX 15 p. 490, 491.

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pour foraines, adj. f. pl. “extérieures, externes” (il voient bien les [sous-entendu douleurs] foraines) – sous bouge la définition “petite pièce, petit cabinet où l’on peut entreposer des armes” modifie avec une définition trop contextuelle la définition “chambrette, réduit” d’A. L., mais le sens courant “coffre de voyage” s’applique parfaitement ici, sans qu’il soit nécessaire de créer un sens nouveau – sous gonne, comme le souligne déjà le DEAF (G, 986, s.v. gone) à propos d’autres attestations, le sens général de “tunique ou casaque” serait préférable à celui plus restrictif que donnent la plupart des glossaires, à savoir ici “longue cotte portée pardessus l’armure” – le caractère régional de enventurer et enventureus [141] me paraît hasardeux, car, même si « la nasalisation de a initial par assimilation régressive » est « un phénomène connu en picard » [80], les seules attestations que je connaisse du verbe et de l’adjectif se trouvent chez Froissart et le substantif correspondant enventure, hormis chez Froissart, est attesté par ailleurs uniquement par le bayeusain Alain Chartier (L. Esp., ca 1429-1430, 21 et MART. D’AUV., Arrêts Am. R., ca 1460-1466, 96 ; mais ces attestations ne nous renseignent que sur les copistes) – de même, faut-il voir en grigne et hateriel [141] des régionalismes du Nord et du Nord-Est, ces substantifs ayant une répartition géographique plus large (cf. le DMF et sa base de données ainsi que les sources citées dans le DMF) ? Il semblerait que dans les deux cas l’éditrice voulait plutôt parler de graphies caractéristiques du Nord et du Nord-Est, mais cette hypothèse ne convient qu’à hateriel que le DEAF (H, 275, s.v. haterel) analyse comme un picardisme, mais pas à la forme grigne – en revanche, [apuignier] mériterait d’être classé sous « Régionalismes du Nord et du Nord-Est » [141sq.] v. DMF. Indépendamment de ces remarques de détail, on peut féliciter N. BragantiniMaillard pour cette édition qui donne entière satisfaction et répond complètement aux exigences modernes de l’édition de textes médiévaux. L’ensemble est réalisé avec beaucoup de soin et les commentaires philologiques sont particulièrement éclairants ; le DMF pourra donc l’utiliser avec confiance. C’est aussi désormais l’édition de référence pour le Melyador, dernier avatar grandiose du roman arthurien en vers. Béatrice STUMPF

Jean d’Abondance, Le Gouvert d’Humanité, édition critique par Xavier LEROUX, Paris, Champion (Presses universitaires de la Faculté des lettres de Toulon, Babeliana 13), 2011, 291 pages. Il s’agit d’une édition utile et très bien réalisée. Son auteur a affronté toutes les difficultés avec courage et un grand succès ; on notera en particulier son excellente information bibliographique. L’introduction et les notes sont très sérieuses, mais elles auraient pu être plus succinctes. L’étude linguistique est étendue et bien faite, et se termine par un bon examen des traits servant à la localisation, auquel manque cependant une conclu-

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sion. L’éditeur a aussi donné une intéressante étude de la versification, beaucoup plus étendue qu’on n’en a l’habitude. Enfin, il a prêté une grande attention à l’usage de la ponctuation, qui est en principe conservé (mais voir plus bas). La pièce éditée ici est conservée par un unique imprimé, qu’on date d’entre 1540 et 1548, et aurait été composée peu de temps avant l’impression ; les nombreuses allusions à des débats théologiques avec les réformés donnent un terminus a quo sûr, mais imprécis. Elle est attribuée par l’imprimé à Jean d’Abondance, et sa paternité n’est pas mise en question. L’introduction présente d’abord la pièce dans son contexte manuscrit et sa situation historique (la Contre-Réforme) 1 ; une « présentation du texte » discute ensuite de l’inscription de la pièce dans le genre de la moralité, présente les personnages et l’espace scénique et donne un résumé ; elle est suivie d’une longue présentation littéraire [33-78]. L’« étude de la langue » [79-94] appelle peu de remarques : – p. 80 : les graphies -aige (pour représenter le descendant de -aticu) n’attestent pas nécessairement (et en l’occurrence probablement pas) de « fermeture de [a] en [ę] ». – p. 81 : les marques flexionnelles (de cas sujet) que l’éditeur croit trouver dans les mots Amours, loix et maintz sont plus probablement des graphies propres à ces mots que des « vestiges de l’ancien français ». Dans l’étude de la versification, certaines catégories utilisées peuvent être contestées, comme « rimes approximatives » pour une catégorie qui contient [ẹ] : [jẹ], ou « assonances » pour l’association signe : divine ou homme : sonne ; l’éditeur tend aussi à plus volontiers supposer une règle ad hoc d’élimination ou de maintien d’un [ǝ] qu’une erreur ponctuelle. Dans l’ensemble pourtant, on peut considérer comme acquise sa démonstration [101] selon laquelle, compte tenu de certaines facilités de versification, les vers faux sont très peu nombreux. X. Leroux a traité avec un grand soin les signes de ponctuation présents dans l’imprimé, et doit en être remercié. Il donne une description de son fonctionnement [129133], et conserve une grande partie de la ponctuation originelle dans son édition 2 ; il signale aussi toute modification ou suppression d’un signe de ponctuation existant. Cependant, il ne précise pas que, si nous avons bien compris, toute ponctuation apparaissant sous la forme d’un point, d’une virgule, d’un point-virgule ou d’un point d’interrogation est un ajout dont il est responsable. Il aurait pu préciser, dans sa description, que la barre oblique marque dans certains cas un rejet. Le système choisi par l’éditeur de signaler par des astérisques les passages discutés en note, est très commode, et il est rendu nécessaire par la grande étendue de celles-ci [205-242]. Les modifications apportées au texte (y compris, comme on vient de le voir, à la ponctuation) sont signalées par un appel de note, et une note de bas de page : là aussi, cette technique rend très commode la tâche du lecteur. Cependant, il aurait été utile d’ajouter quelques renvois à l’introduction : ainsi, le v. 386 est apparemment hypermètre,

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On n’est pas bien sûr de comprendre ce qu’est le “luthérianisme genevois” [22]. Grâce à un intelligent système (dont M. Glessgen nous rappelle qu’il est utilisé dans les Plus anciens documents linguistiques de la France) qui conserve en concurrence la ponctuation originale (un certain nombre de signes indépendants et imprimés pour la plupart en caractères gras) et la ponctuation ajoutée.

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mais il est bien expliqué à la p. 101 de l’introduction que le futur meneront repose sur une forme sous-jacente bissylabique (il entre dans une petite série, et on aurait aussi pu citer le parallèle que présente donray au v. 412). Quelques remarques ponctuelles : – La description donnée de l’usage du tréma dans l’alinéa « toilette du texte » est plutôt celle de l’imprimé (qui aura été fidèlement suivie) que de l’éditeur moderne, ou alors on ne comprendrait pas qu’en de nombreuses occasions les hiatus ne soient pas notés par ce moyen – v. 144 (et 478) : en aprés pourrait être édité en un mot –

v. 150 : entretien “manière de vivre” semble être une nette première attestation ; de toute façon, même la correction proposée en note ne donne pas un sens très satisfaisant

– v. 174-175 : la répétition de ceans est probablement fautive, et aurait pu être signalée comme telle ; d’autre part, on ne comprend pas la brusque apparition d’un imparfait dans Maintz ceans estoyt enlassé ; le sens serait plus satisfaisant s’il s’agissait du présent du verbe ester, mais cette solution pose aussi quelques problèmes – v. 325 : le remplacement des deux points de l’imprimé par une virgule supprime une marque de structuration de l’énumération : après la liste de divers vins, séparés par des barres obliques ou la fin du vers, on passe à un autre type de plaisir (« rosty / & bouly »), qui supporte la même subdivision ; la correction au texte supprime la hiérarchisation, crée un texte un peu absurde (« Ypocras, rosty / & bouly »), et empêche de comprendre la fonction de ce rare signe de ponctuation 3 – v. 326 : les points de suspension donnent l’impression fautive que la phrase est incomplète ; là encore, il faut sans doute comprendre la valeur du signe de ponctuation plus en fonction de l’énonciation que de la syntaxe : le punctus ne marque pas la fin de la phrase mais l’introduction de la didascalie (et peut-être une marque de structuration très forte dans l’énumération) –

v. 495-97 : Ne te fonde plus en ordure De ce monde qui si peu dure, Par paradis qui tousjours dure ! Le passage est difficile à admettre. Il peut être mis en rapport avec un quatrain édité par Morawski 4 : Trop a la conscience dure Qui met son alme en ardure Et qui de cest mond(e) pour l’ordure Pert paradis qui toujours dure. Il y a probablement eu interférence (chez l’auteur ou l’imprimeur) avec les deux derniers vers de ce texte (ou d’un autre proche) et en particulier Par, qui pose ici le plus grave problème, rappelle Pert ; le texte sensé est inatteignable



Que pourtant l’auteur a vue dans la note 3 de la page 131. Les cinq occurrences de ce signe semblent passibles d’une explication englobante. Les Diz et proverbes des sages (Proverbes as philosophes). Publiés avec introduction, notes et tables par J. Morawski, Paris, Presses Universitaires de France, 1924, CCXXXVII ; textes légèrement différents (et plus éloignés de celui qu’édite X. Leroux) cités en note. G. Roques nous signale deux autres variantes de cet énoncé moral, dans la Chronique de Jean de Stavelot, p. 390 (où il est donné pour une citation d’un texte préexistant) et dans un texte postérieur à 1536 cité dans la Revue de Gascogne 32 (1891), p. 347. Elles achèvent de démontrer qu’il était suffisamment connu pour être présent à l’esprit de l’auteur du passage.

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– Au v. 840, la correction (couvert pour ouvert) entraîne une hypermétrie très voyante, et contredit ainsi les conclusions atteintes dans l’introduction (le mètre est assez régulier) ; mais malgré cela, la phrase intègre mal le v. 842 (Leur visaige couvert De bon verdet verd, Cela leur asseure.). Le glossaire renvoie bien aux notes (par des astérisques), ce qui est très utile, mais aurait pu renvoyer aussi aux mots traités (parfois très au long) dans l’introduction ; on apprécie aussi que des formes corrigées y soient relevées, et signalées comme telles (ainsi rondettes, v. 56). Il est orné d’utiles renvois au FEW et au DMF. Les gloses (en l’absence, malheureusement, de véritables définitions) en sont soignées. Nous proposons quelques remarques ci-dessous : – Grand chiere est traduit “Amusons-nous !”, ce qui semble contradictoire avec le reste du vers (Que nul motz ne sonne !). On peut hésiter entre deux traductions : 1° “faites bon visage !” (où la valeur exclamative ne serait actualisée qu’en contexte) : les deux parties du vers donneraient deux ordres complémentaires (et cohérents) pour préparer au mieux la séduction d’Humanité en mettant fin au discours de Luxure ; 2° “soyons contents !” (ou “tout va bien !”) : l’exclamation serait reliée directement au vers suivant (Voicy Temptation venir. Temptation étant accompagnée d’Humanité) et justifiée par lui, Que nul motz ne sonne resterait isolé, mais la consigne est urgente – aj. cerbericque, v. 121 : le mot est mal représenté dans la lexicographie courante – aj. contenter v. pron. “être satisfait de quelqu’un”, v. 760 : le lecteur pourrait être gêné par un sens différent de celui du français moderne – aj. credit “considération dont jouit quelqu’un”, v. 245 – aj. metre qn a la fange “le précipiter dans le péché”, v. 189, la locution est mal connue de la lexicographie ; l’attestation pourrait fournir un argument pour déterminer si le sens “souillure” de fange est seulement figuré (cf. DMF 2012) – on peut noter que harpe, v. 278, ne provoque pas de hiatus à gauche – aj. jazer, v. 131 : l’attestation est assez précoce – lors ou loc. conj. est peut-être présent dans le texte (cf. la note au v. 389), et aurait dû être relevé au glossaire – mettre table “mettre sur la table”, v. 1267’ : la locution est inconnue de la lexicographie courante – nicque, v. 126, n’est pas défini – aj. puree “vin”, v. 321 : le lecteur pourrait être gêné par un sens différent de celui du français moderne – reduyre a qn, v. 751, est compris “revenir auprès de quelqu’un” ; le sens est absent du DMF et du FEW, et l’interprétation du vers nous paraît très douteuse – aj. satisfaction, v. 1254, qui est aussi le nom d’une allégorie au v. 1239 ; l’éditeur n’a fait figurer les noms de personnifications allégoriques ni dans l’index des noms propres ni dans le glossaire – l’éditeur attribue à si, subst., le sens “péché, vice”, qui est au moins neuf, et peutêtre problématique ; les attestations connues du substantif apparaissent presque seulement en collocation avec sans ou nul, et ont donc le sens “défaut, considéré par rapport à une perfection sinon complète” et non “défaut considéré absolument”.

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Les deux occurrences du v. 1351 (Vins de Beaune, d’Arboys sans cy) et du v. 1702 (Si parfaict n’est qui n’aye un si) rentrent bien, de ce point de vue, dans la série des attestations connues du DMF, par exemple, même si la seconde attribue un statut un peu plus indépendant au nom. Au v. 1551, en revanche, l’emploi est beaucoup moins habituel : Je luy bailleray ung tel si rappelle des formules comme ┌frapper┐ par tel si que “de telle manière que”, et pourrait reposer sur une interprétation individuelle (ou au moins originale) de si dans cette locution ; il faudrait alors comprendre “coup, acte qui porte à quelqu’un un dommage”. Enfin, au v. 838, Sans crier mercy Je leur laisse ung si Et beau peché verd, l’emploi semble vraiment très isolé ; le passage, d’ailleurs, est corrompu, et l’éditeur a dû corriger (il l’a d’ailleurs fait de manière sûre) les vers 837 et 839, et on a déjà vu que la suite immédiate est de compréhension au moins difficile. On pourrait néanmoins le comprendre comme lié au sens attesté au v. 1551 : “dommage, conséquence d’une attaque hostile”. – aj. subvertir “troubler”, v. 451 : le lecteur pourrait être gêné par un sens différent de celui du français moderne – aj. traiter “donner à manger”, v. 297 : l’attestation est assez précoce – triumpher : on peut noter que l’élément trium- est une fois dissyllabique (884) et deux fois monosyllabique (244 et 267). Le volume se termine par des index des œuvres et des noms de personnes (citées dans le paratexte). On ne peut que féliciter M. X. Leroux de n’avoir pas reculé devant le lourd devoir de donner une description aussi complète que possible du texte qu’il éditait, et de son succès dans cette tâche. Yan GREUB *** On me permettra d’ajouter un petit commentaire, pour ce qui concerne les régionalismes qui sont l’objet d’un relevé soigneux et d’un commentaire très attentif [88-94] : [89], la forme mourit pour mourut, que « laisse supposer » la rime (ou l’assonance) avec David, est aussi connue, comme le dit Xavier Leroux [= XL], en domaine d’oïl. Plus généralement, les formes des types mourit, mourirent, mourist, etc. pour mourut, moururent, mourust s’y rencontrent même assez souvent. En ce qui concerne leur répartition régionale, la carte de DeesAtlas, malgré le très petit nombre des attestations sur lesquelles elle se fonde 1, reflète assez bien ma propre documentation : en gros c’est une forme qu’on peut trouver dans une large bande centrale de l’Ouest à la Franche-Comté, avec quelques débordements en Champagne et Basse-Normandie, ce qui est un cas fréquent pour une forme bien implantée en francoprovençal et en occitan. L’aire que propose Pope (citée [89]) est nettement moins convaincante. 1



On n’oubliera pas de citer les inventaires de RisopIr 35-36 et, pour l’anglo-normand, de TanquereyVerbe 595-6. Le DMF reste très en deçà ; il n’en cite qu’une seule attestation, mourit (Reg. crim. Chât., I, 1389/92, 243), à laquelle DMFDoc permet d’en ajouter deux : Si avint que li roys Numa mourit (Pierre Bersuire, Les Décades de Titus Livius I,1, ca 1354/59, 34, 22.1) ; affin que lez mauvaiz cependant mourissent en chetifvoison (Alain Chartier, Le Livre de l’Espérance, ca 1429/30, 77). C’est la faible représentativité de son corpus qui est ici en cause.

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[89sq.], les cas de gouvert et enfert sont tout différents : – gouvert est un mot régional (d’ailleurs dûment commenté [91]), que le DMF vient d’enregistrer dans un supplément ; il est aussi attesté, ce que ne dit pas le DMF, ds le Prisonn. desconf. C. (ca 1488/89, 27/827), ce qui donnerait une indication pour localiser le texte, ce que ne fait pas encore la bibliographie du DMF ; – enfert, que le DMF ne connaît pas, est une graphie régionale qui se lit déjà au 14e s. ds OvMorB (15, 5129 et 5288) ; mais surtout au 15e s. ds Myst. St Bern. Menth. L. (ca 1450, Savoie, 44/941 [: Jupiter], 131/2972) ; Pass. Autun Biard F. (1470/71, Bourgogne, 138/1868) ; Myst. st Sébast. M., (ca 1450–1500, région lyonnaise, 4/72, 63/1411 [: Luxifer], 300/6628) ; Pass. Semur D.M. (ca 1420 [1488], Bourgogne, 2/ 67, 20/760, etc.), qui a aussi anfert (11/423, 146/5222, 242/8605, 243/8655) ; JAntOtiaP 438 (ms. fin 15e s., traits Savoie-Lyon-Dauphiné, cf. éd. cit. 93 2) ; ms. de Berne (Coll. SteigerMai, 15e s., ds JRESL 7, 1866, 404) ; TroisDoms (1509, Romans, 35/727, 77/1469, etc.) ; et aussi dans des comptes de metteurs en scène : en 1482, à Langres (ds Cahiers HautMarnais, t. 6, p. 170) ; en 1489, à Montbéliard (ds Mémoires de la Société d’émulation de Montbéliard, 2e s. 2e vol., 1867, p. 243). [90], pour l’absence de h initial, on ajoutera le cas de harpe dans le vers 278 : Se je ne sçay jouer de la harpe, Je veulx hardiment qu’on me tonde. Ici, l’auteur joue sur l’ambigüité entre harpe et arpe “griffe”, mot tout particulièrement occitan et francoprovençal (v. FEW 4, 385b). C’est une double première attestation : première attestation de (h)arpe “griffe” (avec h- purement graphique, puisqu’on scande l’harpe) ; et première attestation de jouer de la harpe “voler” (dep. 1634 ds FEW 16, 172b) 3. L’explication d’Oudin : « Jouer de la harpe, desrober, parce qu’en jouant de la harpe on a les mains crochues » est peu convaincante ; l’expression vient probablement des régions qui connaissent arpa “griffe”. [90] acquiter “acquérir” est convaincant, d’autant plus que ce que le FEW 24, 111a donne comme apr. aquistar est tiré de MystSPonsG (fin 15e s., Embrunais), ce qui restreint considérablement l’aire du mot dans le temps et l’espace. [90sq.] ainsi qu’ainsi “d’une manière ou d’une autre” est plus incertain. D’abord, AnglureB 93-96/321, ne constitue nullement un obstacle, car ce n’est pas la locution ; dans nous affermerent les seigneurs Freres ainsi que ainsi florist elle, le que dépend d’affermerent et les deux ainsi renforcent chacun un des deux verbes. Pour la bibliographie sur le tour en question, on verra LengertAmiel 41. Mais la présence dans une farce (ainsi qu’ensi ou autrement TissierFarces 42, 185), farce que GreubFarces 308sq. localise « dans l’Ouest, sans doute Normandie, et probablement SeineMaritime », avec des arguments valables, mais sans tenir compte de cette expression, laisse perplexe. Peut-être ainsi qu’ainsi était-il plus largement répandu (par exemple « pour le contraindre ainsi qu’ainsi de faire honteusement sa retraitte » dans Mémoires de Martin et Guillaume Du Bellay, éd. V.-L. Bourrilly et F. Vindry, t. 4, p. 223). Mais l’explication par l’évolution -rn vers -rt que propose XL est préférable. Avant 1634, on a Vous prenez grand plaisir que vos mains fredonent à la harpe Cholières (Grenoble, 1587) ds Hu 4, 447b ; Riffe, raffe qui pot, que cade un asarpe E jogue ab lous cinc dits, coum om dits, de la harpe (1610, Lou Gentilome Gascoun) ds Poésies de Guillaume Ader, publiées par A. Vignaux et A. Jeanroy, p. 62/926.

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COMPTES RENDUS

[92], procure, le sens d’“office de procureur général” n’est qu’ancien gascon (1473 et 1485, CConsRisclePC ds LevySW 6, 574b), ce qui nous éloigne bien du francoprovençal. [92], tourner “retourner (d’où l’on vient)”, les attestations du DMF appuient en partie la proposition de localisation du mot, surtout si l’on en retire Atant tornat pour retraire ses gens (Jean d’Outrem., Myr. histors G., a.1400, 99), qui ne signifie pas “retourner qq. part” mais bien “faire demi-tour”. [92sq.], triumpher est problématique, d’autant que les sens régionaux relevés dans le FEW 13/2, 310a concernent la forme avec métathèse ou chute du i. Mais dans les deux exemples voisins des vv. 267 et 884, le groupe trium- est monosyllabique ; ainsi triumpher pourrait y être une graphie cachant un régional trompher. [94], verdet on peut ajouter deux documents de Montpellier : « Item sur chacun quintal de verdet, qui salhira hors de lad. ville [de Montpellier] et des forbors d’icelle, se lèvera quinze soulz et deux deniers tournois pour quintal » (1450, Lettre de Charles VII, ds Arch. mun. de Montpellier, série BB, pièce extraite du reg. manuel de Bertrandi, notaire du Consulat de l’an 1460, ds L. Guiraud, Recherches et conclusions nouvelles sur le prétendu rôle de Jacques Cœur, Paris, Picard, 1900, p. 123, cité aussi ds J. Baumel, Histoire d’une seigneurie du Midi de la France ..., Montpellier, Causse et Cie, 1969, p. 202) « sur chascun quintal de verdet qui sera mené hors de laditte ville [de Montpellier] et des faulxbourgs d’icelle, quinze solz dix deniers tournois » (1462, Ordonnance de Louis XI, ds Ordonnances des rois de France de la troisième race..., Quinzième volume, éd. par M. le comte de Pastoret, p. 490) Ces textes pourraient éclairer une localisation des exemples de Chauliac (pour lequel il faudrait choisir entre 1370 (TLF) et 1534 (Hu), v. aussi DMF et DEAFBbg ; j’ai esquissé une localisation du texte ici 69, 2005, 584) et de Rabelais (mais noter que le mot n’apparaît, semble-t-il, que dans l’éd. de 1542 de Pantagruel). Aux régionalismes relevés par XL on pourrait ajouter falebourde, qui pourrait être régional, au moins à l’origine : fallebourde 1544 (Lyon, M. Scève, Delie, 137 ds Hug. v. MélGam 2 81) ; falibourdes 1587, (Grenoble, Cholières ds Hu) ; faillibourda 1er quart du 18e s. (Dauphiné, v. FEW 1, 441a) ; cf. encore : Mais eyt assez parla de celes falibourdes (1741, Grenoble, Grenoblo inondo, poème d’Antoine Reinier, ds J. Pilot de Thorey, Grenoble inondé, 2e édition ... p. 103). On interpréterait l’exemple de Jean Antoine de Baïf ds Hu (datable d’env. 1570) comme une première extension géographique. On ajoutera surtout, à propos de Point ne fault que le temps te dure. Se ma vie est aspre et dure Tout en gré prendre te convient 1259/60, ma vie, qui n’est pas de VITA, mais bien de VIA (FEW 14, 371a) et signifie “le chemin que je te propose”, résultat sur lequel j’aurai l’occasion de revenir 4. Point ne fault que le temps te dure, pourrait être régionalement marqué. Le DMF (durer) n’en a qu’un exemple (région lyonnaise) : Le temps m’en dure “Je trouve le temps

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Pour l’instant on se contentera de DMF (voie) : « Tirer voie. “S’en aller” : Sus doncques ! tiron voye (Myst. Viel test. R., t.1, ca 1450, 325). Allon tost, tiron vie ! (Myst. Viel test. R., t.3, ca 1450, 10). Rem. Pour la forme vie, cf. FEW XIV, 371a, b, 377a, b. »

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PHILOLOGIE ET ÉDITION

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long, je m’inquiète” : Helas ! que Sebastient demeure. Le tenps m’en dure en verité (ca 1450/1500, Myst. St Sébast. M., 36). Pour ma part, j’en ai deux autres exemples antérieurs à Jean d’Abondance : Et toy aprés, quoy que le temps te dure (ca 1490/95, Saint-Gelais, Séj. honn. D., 290/63) et Eureuse suys, mais que ce temps me dure (Jean Marot, Deux Recueils, 219), qui nous entraîneraient vers le sud-ouest d’oïl et même du côté du Quercy, en ce qui concerne Jean Marot. L. Foulet (MélJeanroy 177) affirme : « Dans le Lyonnais on dit : ‹ le temps me dure de quelqu’un ›. ‹ Le temps me dure › est de l’excellent français. Racine écrit à Boileau : J’eus l’honneur de voir madame de Maintenon, avec qui je fus une bonne partie d’une après-dînée ; et elle me témoigna même que ce temps-là ne lui avoit point duré ». Cette distinction entre le temps me dure et le temps me dure de est peut-être illusoire. Il pourrait s’agir, sous la plume de Racine, de la reprise d’une expression même de Mme de Maintenon, petite fille de D’Aubigné, et dont la famille était implantée dans la région niortaise. Il y aurait là un clin d’œil de lettré parisien, relevant une expression populaire (et régionale) chez Mme de Maintenon. Je l’ay eu bien tost atrappé 1566, la forme surcomposée, en proposition indépendante, pourrait bien être aussi un régionalisme. Dans les parlers modernes, elle est ainsi localisée par M. Cornu (Les Formes surcomposées en français, p. 178sq.) : « …s’étend à tout le territoire franco-provençal, au domaine de la langue d’oc, dont il faut peutêtre excepter l’extrême sud-ouest, et pousse des ramifications dans la zone sud du domaine de la langue d’oïl, à peu près jusqu’à la hauteur de la Loire et de la limite nord des départements de la Nièvre, de la Saône-et-Loire et du Doubs ». Si nous quittons le terrain mouvant des régionalismes pour nous tourner vers les expressions, notons : herité, ds avoyr le herité, dûment relevé au glossaire, sous la forme « avoyr le herité de qqch. obtenir qqch ». Herité est un mot��������������������������������������������� déjà rare en mfr. et qui semblait����������� avoir complètement disparu en 1400 5. En outre, la véritable expression dans le texte est avoir le herité de Paradis, qui a le même sens que obtenir l’heredité de Paradis 1454, ce qui ne transparaît pas non plus dans le glossaire. Les deux expressions sont des variations sur acquerre le haut heritaige 1672, où (haut) heritage a le sens très courant de « paradis » v. DMF (heritage B3c). tu t’en pourrois mordre les doys 1219. C’est la première attestation de l’expression moderne (cf. FEW 6/3, 127b). Le DMF n’a qu’un ex. de mordre ses doigts (en signe de grande douleur) : tel fois plorant, tel fois mordant ses dois par excés de son grief (1463/64, Chastell., Temple Boc. B., 3). Terminons par un minuscule amendement au texte : il luy mect table du pein, d’eaue et d’herbes sans plus et a la hault bout luy mect la teste de mort (apr. 1267) ; la correction en a l’aultre bout est gratuite ; on lira al hault bout « à la place d’honneur ». Gilles ROQUES



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On utilisera avec précaution les deux attestations patoises à la fin de la section I du FEW 4, 412a : Puiss. eretat est tiré de Louis Rouquier, Contes pounchuts..., qui donne : erétat “hérédité, atavisme” et SeudreS est signalé comme mot du Berry par la source même du FEW.

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MISES EN RELIEF Il «latino sommerso» e la formazione delle lingue romanze Nel poderoso volume che Jim Adams ha pubblicato di recente su Social Variation and Latin Language (Cambridge, Cambridge University Press, 2013, pp. 933) 1 acquista un rilievo particolare una nozione che non è certo nuova ma che merita di essere commentata per l’importanza che le spetta nella storia della formazione delle lingue romanze: quella di submerged Latin, alla quale è assegnata un’entrata specifica nell’indice dei soggetti ma appare nel corpo del libro in luoghi più numerosi di quelli accessibili attraverso i rinvii di tale indice 2. Devo confessare che la mia sensibilità per questo specifico tema della monumentale ricerca di Adams, sulla quale dovranno attentamente riflettere tanto i latinisti che i romanisti, ha una ragione molto personale, che è necessario che dichiari. In uno studio sulla formazione delle lingue romanze che ho scritto qualche anno fa (2009) per la Cambridge History of the Romance Languages e che solo ora (2013) sembra essere in corso di stampa, ho dato particolare importanza ad un concetto analogo. Cito il passo relativo, nella stesura originale in italiano: Mi pare che sia necessario pensare che, anteriormente al sec. VIII, sia esistito in latino un livello linguistico sub-standard nel quale, nell’area occidentale, le consonanti intervocaliche tendevano a lenirsi, nel quale i pronomi dimostrativi avevano subìto uno slittamento funzionale verso la funzione di articolo determinativo e si era formato un nuovo futuro. Questa innovazione era stata senza dubbio fortemente

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Questo volume sarà recensito nella nostra rivista da Claude Buridant. I due precedenti, che saranno ricordati più avanti, sono stati discussi da me in RLiR 73, 2009, pp. 601-22. Per fare un solo esempio, a p. 459 (non indicata nell’indice) si legge che le attestazioni di illei «belong in the category of phenomena with a life largely in unseen varieties of the language» (e cfr. p. 480).

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repressa, tanto da non apparire mai nello scritto, neppure nel più rustico, fino al sec. VIII mentre quella relativa al futuro appare una sola volta nel sec. VI e una nel VII. Ma nel parlato esse dovevano essere diffuse ovunque, anche se senza alcuna regolarità (oltre che senza status). Quando il modello di riferimento del latino scritto (che non ammetteva lenizioni, articoli o futuri sintetici del nuovo tipo) si era staccato da quello del parlato e si era differenziato da area ad area, in alcune di queste (o in tutte) l’articolo e dei nuovi futuri erano stati generalizzati. I fenomeni che è lecito attribuire a questo livello infimo di sub-standard, e che sono rilevanti per la formazione delle lingue romanze, sono assai più numerosi. Non posso qui esaminarli uno per uno e ne faccio solo un elenco, nemmeno esaustivo: la modifica della natura dell’accento e l’assestamento dei sistemi vocalici; la dittongazione, sia spontanea che metafonetica; le palatalizzazioni; il crollo della declinazione; quello (non totale) del neutro; la formazione di un nuovo passivo; la formazione di un nuovo passato perifrastico; la formazione del condizionale. Non tutti questi fenomeni sono sullo stesso piano. Il crollo della declinazione trova molte corrispondenze nello scritto, la dittongazione praticamente nessuna. Naturalmente il sub-standard avrà incluso anche fenomeni senza rilevanza per le future varietà.

S’intende dunque come io abbia letto con il massimo interesse e con convinta adesione quanto afferma lo studioso australiano. Adduco ad esempio del suo procedimento il paragrafo xxx.2 del nuovo volume (pp. 779-791), che contiene un case study, l’unico del libro a riguardare un settore del lessico latino e romanzo, quello dei termini anatomici. Adams ne studia una sessantina, che sono relativi a 21 concetti, da ‘sangue’ a ‘piede’. Dal suo esame risultano tre categorie: (1) 29 o 30 termini che erano normali nel latino classico, da cruor a pes, «either do not continue into Romance or are extremely restricted there» (p. 789); (2) di 9 termini comuni nelle lingue romanze, da conca ‘testa’ a cathedra nel senso di ‘anca’, non si hanno attestazioni latine (ib.); (3) 19 termini, da capitium ‘testa’ e geniculum ‘ginocchio’, sopravvivono nelle lingue romanze, ma in latino appaiono tardi e di rado e, se documentati da testi letterari, lo sono in passi chiaramente vicini ai registri parlati (ib.).

Ne consegue che solo la metà dei termini comuni nel latino classico sono rimasti vivi nelle lingue romanze, mentre l’altra metà deve essere spiegata invocando «submerged or largely submerged usages» (p. 790). Forse il quadro potrebbe essere modificato qua e là, ma l’argomentazione complessiva di Adams mi pare inattaccabile. Aggiungerei un dato che a me sembra non privo di significato, quello della ampiezza di diffusione nelle lingue romanze delle parole ‘sommerse’ o ‘semi-sommerse’ in latino. Per questa via è possibile verificare se e in quanti casi si debba ammettere che si tratti di termini circoscritti ad una particolare regione della latinità (nulla implica

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MISES EN RELIEF – IL «LATINO SOMMERSO»

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infatti che il latino sommerso debba essere considerato diatopicamente omogeneo, anzi!). Per un rapido controllo mi limito a ricorrere al REW; non tengo conto di aqualiculus e di titina, che sono gli unici termini che non hanno esiti romanzi, e non aggiungo ciò che Adams indica come «the etimon of Fr. joue, that of It. gota» (p. 790; le due parole sono di solito assegnate alla stessa base, il gallico gauta, REW 3706a). Orbene, auricula, branca, bucca, coxa, ficatum, genuculum, pantex, testa hanno continuatori praticamente in tutta la Romània; a beccus, capitium, gamba, hanka (di solito considerato di origine germanica, ma entrato nell’uso comune latino), perna, spatula, titta mancano solo continuatori nella romanità orientale; cathedra ‘anca’ va dalla Provenza al Portogallo; cerebellum dal veglioto al catalano; rostrum è nel romeno e nella penisola iberica; uenter f. in romeno, siciliano e dialetti italiani meridionali, dialetti sardi e liguri. Solo per concha (con continuatori nella Sardegna meridionale), dida (in catalano), e pala (in Sardegna) si deve ammettere una diffusione limitata a particolari aree. Il risultato di tutto ciò è che una forte percentuale di queste parole latine (semi)sommerse hanno (e presumibilmente avevano già prima di emergere) una diffusione ampia o amplissima e soltanto qualcuna è invece di area romanza molto limitata, il che fa sospettare che la loro diffusione fosse regionalmente ristretta già in latino. Poiché considerazioni analoghe si possono fare per altri fenomeni assegnati al latino sommerso, ci è consentito ipotizzare che tali registri di latino parlato non fossero sempre occasionali e locali ma avessero una coerenza e una stabilità, sia pur relative. Il metodo che ho esposto con questo esempio può essere applicato in tutti gli altri casi e mi pare evidente che non si possa evitare di ammettere l’esistenza di livelli linguistici sommersi. Dobbiamo dunque essere ben coscienti che l’universo linguistico latino non era costituito solo dalla espressioni scritte, sia letterarie che non letterarie, ma anche, e maggioritariamente, dalle espressioni parlate, dallo speech, la cui diretta conoscenza è per noi inattingibile. Del resto sarebbe facile addurre una serie di esempi che mostrano che livelli più o meno sommersi sono esistiti ed esistono nella realtà dell’italiano e probabilmente di qualsiasi lingua viva 3. È però indispensabile aggiungere subito che una improvvida adozione del concetto di «latino sommerso» potrebbe dare luogo a derive assai pericolose. In effetti, quando Adams menziona per la prima volta il «submerged 3



Mi domando marginalmente se questa nozione non presenti analogie con quella di estado latente elaborata quasi un secolo fa da Ramón Menéndez Pidal tanto per la storia linguistica che per quella della letteratura tradizionale o orale.

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Latin» (p. 24) egli avverte subito il rischio che gli si addebiti qualsiasi caratteristica che noi vogliamo attribuire al latino, per quanto non sia documentata, e scrive: «We will sometimes speculate in this book about developments in the language that were largely submerged, but it is desirable that there should at least be traces of what might have been happening beneath the surface of the literary language» (ib.). Questa prima avvertenza mi pare importante ma ovvia; più rilevante è quella che si può trarre dallo studio dei termini anatomici, che ho riassunto prima. Mi sembra altamente probabile che quelli assenti o poco attestati in latino ma presenti nelle lingue romanze (specialmente se in più lingue romanze) debbano essere assegnati «mainly to lower sociolects» (infatti sarebbe strano che la mancata attestazione scritta di termini assai comuni fosse casuale), ma ciò non significa affatto che essi fossero usati esclusivamente a livello socialmente basso: «there is no reason why the higher social classes should not have said one thing but written another. We have also repea­tedly pointed out in this book that stigmatized usages may occur across all social classes but be more unusual at the top of the social scale» (p. 790). Parole come auricula o bucca devono essere state assai frequenti anche nel parlato delle persone colte, magari per ottenere qualche particolare effetto. Insomma, «‘Submerged’ does not necessarily mean ‘vulgar’» (p. 858). Su questo concetto si torna a lungo, per esempio alle pp. 859 e 861. L’insieme degli enunciati orali, vale a dire della massima parte delle espressioni latine, può essere paragonato in certo modo ad un enorme iceberg, di cui è visibile solo la punta, una sua minima parte (le espressioni scritte che ci sono pervenute). Ma se noi dobbiamo constatare che tale punta è costituita dagli enunciati scritti, che provengono in maggioranza (anche se non esclusivamente) dei ceti colti, ciò non significa che il corpo enorme dell’iceberg contenesse solo enunciati orali dei ceti incolti: esso includeva certamente enunciati di tutti i ceti sociali, colti o incolti che fossero. Mi sembra il caso di mettere in chiaro un altro nodo, non affrontato qui da Adams, ma cruciale per i romanisti. Se ne possono distinguere due aspetti. Dal punto di vista oggettivo, si potrebbe pensare che il «latino sommerso» di cui parliamo si possa identificare con il protoromanzo, non nell’accezione generica che ricorre qua e là anche nel libro di Adams (ma giustamente non figura nell’indice dei soggetti), ma in quella specifica di de Dardel e dei suoi seguaci. Questa identificazione sarebbe mistificante perché da costoro il protoromanzo è concepito come un sistema distinto, autonomo e concorrente rispetto al sistema latino, non come una sua parte: il protoromanzo non sarebbe, per così dire, la parte invisibile dell’iceberg latino ma un iceberg diverso, comple-

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MISES EN RELIEF – IL «LATINO SOMMERSO»

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tamente sommerso (se ciò è possibile). Invece per me, e credo per altri, i fenomeni che vengono riportati al latino sommerso non costituiscono un sistema autonomo ma sono parte integrante del sistema latino, ciascuno al livello diastratico e diatopico a cui volta a volta devono essere assegnati. Si potrebbe anche pensare, ed è il secondo aspetto del problema, che sia proponibile una distinzione tra il metodo da impiegare nello studio del latino sommerso e quello con cui si deve studiare il latino classico: il metodo soprattutto, se non esclusivamente, filologico per il latino classico, invece il metodo comparativo-ricostruttivo per il latino sommerso, tale e quale il metodo che siamo costretti ad applicare (faute de mieux) nel caso di lingue prive di attestazione, come l’indoeuropeo. A mio parere, che ciò sia semplicistico e inammissibile risulta però direttamente dalla convinzione che non si tratta di due sistemi autonomi ma di un sistema unico, anche se articolatissimo. La cautela di Adams, che come si è visto dubita che al latino sommerso si possa attribuire alcunché che non sia appoggiato da qualche prova testimoniale (sia attestazione isolata sia sviluppo nelle lingue romanze), è già importante per evitare la pura astrazione ricostruttiva. Il latino nella sua intera complessità (non il latino classico o quello che è stato infelicemente chiamato latino volgare) va studiato integrando insieme metodo filologico e metodo comparativo-ricostruttivo, che non sono alternativi ma complementari. Ci si sarà resi conto che se tutto ciò è corretto, come credo, si raggiunge una perfetta analogia (che era del resto prevedibile) con il più generale metodo storico. Esso infatti prevede l’analisi dei fatti documentati ed accertabili ma anche la loro integrazione con quanto può essere prudentemente ricostruito o sulla base di ipotesi o in ragione delle conseguenze che ne sono risultate. Il che significa, in altre parole, che la metodologia della storia linguistica non è altro che una specifica modalità della metodologia della storia. Mi sia consentita una considerazione conclusiva. Questo libro di Adams, assieme ai due volumi che l’hanno preceduto e che con esso costituiscono chiaramente una ricerca pensata in modo unitario, rappresenta il più approfondito tentativo di interpretare la storia della lingua latina con una complessità e sofisticazione analitica ben maggiore di quanto usava e usa fare buona parte degli studiosi di linguistica latina. Delle analisi e delle opinioni del nostro collega si potrà discutere, alcune delle sue conclusioni si potranno modificare; ma, a meno che non venga alla luce e non sia utilizzata una consistente massa di documentazione finora sconosciuta, dubito che si possa andare molto più avanti nell’approfondimento del grande problema della formazione delle lingue romanze. Oggi noi documentiamo che tutte le caratteristiche delle lingue romanze hanno precedenti latini, ma in nessun caso osserviamo

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ALBERTO VARVARO

direttamente una continuità dalle premesse latine alle conseguenze romanze. Posso insinuare che ciò non potrà essere osservato mai? Non si tratta, infatti, di un semplice processo di modificazione delle caratteristiche linguistiche ma di un capovolgimento traumatico dei rapporti tra i registri del parlato, di una rottura che si spiega con la storia esterna, non con quella interna del latino. Non si dimentichi che chi studia la formazione delle lingue romanze non deve spiegare soltanto come e perché esse si siano staccate dal latino ma anche come e perché dal latino, emerso e sommerso, siano emerse lingue romanze distinte. Questi due processi sono solidali, sono due facce dello stesso processo. Senza questa catastrofe (mi si consenta il termine), che è di natura sociale e culturale, l’emersione delle lingue romanze non sarebbe avvenuta mai, o almeno non sarebbe avvenuta come avvenne durante la seconda metà del primo millennio dopo Cristo. Alberto VARVARO

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MISES EN RELIEF – LA THÉORIE DE LA GRAMMATICALISATION

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Une théorie de la grammaticalisation : l’École danoise Depuis à peu près une décennie, un groupe de linguistes danois inspiré par l’œuvre de Henning Andersen présente une série d’ouvrages dans lesquels se déploie peu à peu une théorie idiosyncratique du changement linguistique. Le dernier produit de cette série 1, qui constitue le thème de cette mise en relief, propose une conception élargie de la théorie de la grammaticalisation visant à intégrer, dans les concepts donnés des théories de Traugott et Heine, des idées qui combinent les théories syntaxiques actuelles de la topologie ainsi que des grammaires de construction. Alors que les auteurs du livre élaborent l’idée centrale du paradigme en tant que schéma servant à décrire les étapes synchroniques d’une mutation diachronique, c’est toujours l’approche d’Andersen qui fournit le cadre dynamique à cette restructuration des modèles de grammaticalisation. L’approche principale et l’idée prédominante des trois auteurs consiste en ce que, dans chaque grammaire d’une langue déterminée, des sous-systèmes organisés en forme de paradigmes s’ajoutent l’un à l’autre pour constituer une structure totale, ce qui fait que, si l’on oublie ce caractère systématique et paradigmatique de la grammaire, on décrit mal les phénomènes qui se présentent dans son domaine, comme sont ceux de son changement. Conséquemment Nørgård-Sørensen, Heltoft et Schøsler critiquent la théorie de la grammaticalisation pour avoir isolé par trop le développement morphologique d’un élément singulier de la structure morpho-syntaxique qui lui sert de scène et de lit structurel. Chaque pas de changement phonologique ou fonctionnel d’un élément devrait être analysé, selon l’opinion des chercheurs danois, en relation avec les oppositions qui déterminent la place de cet élément dans un sous-système paradigmatique. Afin d’arriver à une conception adéquate de la systématicité, les auteurs élargissent le concept de paradigme en y incluant et l’aspect de la distribution spatiale des mots (topologie, topology) et l’aspect des structures syntaxiques enrichies de matériel morphologique (constructions, constructions). Sur cette base, tout changement grammatical impliquera une restructuration paradig1



Jens Nørgård-Sørensen / Lars Heltoft / Lene Schøsler, Connecting���������������� ��������������� grammaticalisation, Amsterdam/Philadelphia, John Benjamins B.V., 2011, 347 pages.

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matique qui se déroulera ou dans le seul domaine morphologique, topologique ou constructionnel ou bien sous le toit de ce que Nørgård-Sørensen et al. appellent un hyperparadigme (hyperparadigm) en touchant les trois sphères de la morphologie, la topologie et la construction à la fois. Le livre est divisé en sept chapitres. La philologie romane s’intéressera surtout aux trois premiers chapitres, qui expliquent les principes théoriques moyennant un certain nombre de cas représentatifs, ainsi qu’au dernier chapitre, dans lequel Lene Schøsler donne des explications étendues de quelques phénomènes du domaine roman, surtout français. En effet, dans les différentes sections du livre, les auteurs discutent de changements diachroniques qui ont eu lieu dans des idiomes assez divers, tels que le danois, l’anglais, le finnois, le latin, le russe, le polonais et d’autres langues slaves, y incluses les cinq langues romanes les plus importantes. Or, le fait d’avoir pris en considération un grand nombre d’idiomes différents est important pour préparer une vraie réforme de la théorie de la grammaticalisation car le poids innovatif de cette théorie repose notamment sur le procédé de combiner les observations faites dans beaucoup de familles de langues du monde pour construire des trajectoires de changement qui soient universellement valables et applicables. Ces canaux de grammaticalisation vont bien au-delà de simples descriptions des trajectoires individuelles décelables dans l’histoire d’un idiome singulier. Ils visent à capter des processus qui se seraient répétés dans un nombre indéfini de langues apparentées et non apparentées entre elles. Les canaux de grammaticalisation se divisent en phases de développement. Or, comme ce n’est que pour une petite partie des langues que l’on dispose d’une documentation dense de leur histoire séculaire à travers la version écrite, ces phases doivent être reconstruites, pour beaucoup de familles de langue, moyennant la comparaison entre des membres plutôt archaïques et des membres plutôt innovateurs de ces familles 2. Une autre méthode consiste dans la reconstruction des réseaux polyfonctionnels de certaines particules. C’est sur la base de ces méthodes que les représentants du modèle courant de la grammaticalisation arrivent à des visions universalisées des mutations grammaticales. Le groupe danois, quant à lui, ne propose pas des schémas universels de ce type. Néanmoins leur procédé est proche de celui de Lehmann, Traugott et d’autres en ce que, pour reconstruire le développement d’une langue, ils se 2



Cf. les travaux de Lehmann et Broschart (Christian Lehmann, Thoughts on Grammaticalization. A Programmatic Sketch, PDF, Site Web de l’auteur à l’université de Cologne, 22002 ; Jürgen Broschart, Präpositionen im Tonganischen. Zur Varianz und Invarianz des Adpositionsbegriffs, Bochum, Brockmeyer, 1994). Cf. le compte rendu par L. Schøsler, ici, 558-563.

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MISES EN RELIEF – LA THÉORIE DE LA GRAMMATICALISATION

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servent du savoir diachronique accumulé pour des langues apparentées afin de compléter l’image. Ils se meuvent donc à l’intérieur d’une même famille de langues avec le but de restituer des phases que ne sont pas documentées directement. Ainsi, pour éclaircir les antécédents d’un schéma positionnel déterminé du verbe danois, ils ont recours à des observations qui ont été faites par rapport à l’ancien anglais [57]. Ce mélange de langues a pour conséquence que le livre contient certaines parties qui concernent exclusivement les langues germaniques ou bien les langues slaves et que je vais exclure, vu l’intérêt des lecteurs de la Revue, de ma mise en relief. D’autre part, je n’éviterai pas de parler de langues non-romanes toutes les fois que c’est nécessaire pour expliquer les réflexions fondamentales des trois premiers chapitres, lesquelles établissent les fondements théorique de l’ouvrage. Un paradigme grammatical, selon la définition très générale défendue par les auteurs, consiste dans un ensemble de signes, c’est-à-dire de formes distinctes qui expriment un certain nombre de distinctions fonctionnelles (content distinctions, [5]). Dans cette perspective, un paradigme morphologique ne constitue qu’un sous-type. Chaque paradigme est un système clos, avec un ensemble dénombrable et stable de membres, entre lesquels le choix est obligatoire. Leur relation apparaît comme asymétrique étant donné qu’on trouve toujours une opposition entre membres non marqués et membres marqués. Tout paradigme repose sur la conditio sine qua non de ce qu’il existe un cadre fonctionnel à l’intérieur duquel un choix entre plusieurs représentants sémiotiques s’opère [7, 238]. C’est ce cadre fonctionnel qui permet l’intégration d’aspects topologiques, morphologiques et constructionnels. Ainsi la fonction de marquer et distinguer le complément d’objet indirect en français a recours à des marques sémiotiques de diverse nature, d’ordre positionnel (objet indirect après objet direct dans l’ordre canonique), constructionnel (syntagme prépositionnel introduit par à) et morphologique (relation d’interchangeabilité avec le pronom personnel du datif). Quoique le découpage analytique maintienne en vue l’étendue totale d’un paradigme, tout n’est pas pertinent lorsqu’il s’agit de décrire des changements diachroniques. Il faut donc concentrer le découpage sur le segment spécifique d’un paradigme donné qui est vraiment touché par le changement. Pour ce faire, le cadre fonctionnel est toujours accompagné d’une spécification du domaine d’application. La déclinaison russe moderne, p.ex., a développé une valeur nouvelle, inconnue dans l’ancienne langue. Ainsi, avec les noms de masse, et seulement avec eux, le locuteur peut marquer qu’il en parle d’une façon tout à fait neutre en ne se rapportant qu’à l’espèce de matière qu’il a en vue ou bien qu’il parle d’une certaine quantité de cette matière. Il doit se décider entre ces deux caractérisations ; cf. [4] :

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HEINER BÖHMER

stakan čaja/čaju verre thé-GEN.SG “un verre de thé”

kačestvo čaja qualité thé-GEN.SG “la qualité du thé”

Le tableau suivant démontre le format standardisé que le groupe applique dans ses analyses de l’état d’un secteur du paradigme lors d’une coupe synchronique donnée : Expression

Contenu

Marquage

-a

neutre

non marqué

-u

quantifié

marqué

Tableau 1 : Russe. La distinction entre un génétif en -a et un génitif en -u Domaine d’application : noms de masse, 1re décl.gén.sg.masc. Cadre fonctionnel : Quantification

Les changements diachroniques thématisés sont partout présentés et résumés soit par une suite de tableaux synchroniques soit au moyen de listes d’un format plus relâché. À l’égard des modèles actuels de la grammaticalisation, que les auteurs désignent avec le nom collectif de ‘théorie du penchant’ (cline theory), l’approche paradigmatique implique la proposition d’un certain nombre de remaniements terminologiques et divers points critiques. Dans les modèles établis, on s’intéresse au passage d’un lexème à un outil grammatical, mais aussi au fait que cette histoire se limite, dans beaucoup de cas, à produire de nouveaux éléments grammaticaux plus abstraits à partir d’unités moins abstraites. On distingue donc une grammaticalisation initiale de la continuation d’une histoire déjà initiée. Troisièmement on observe aussi des cas d’une grammaticalisation rétrograde. Le groupe de chercheurs danois reprend la terminologie bien unifiée et raisonnablement schématique proposée par H. Andersen pour désigner ces trois processus : la grammation (grammation) est la grammaticalisation initiale, la régrammation (regrammation) est la continuation d’une histoire de grammaticalisation et l’acquistion de nouvelles valeurs plus abstraites par les forces de la réanalyse, et la dégrammation (degrammation) est le nom donné à la grammaticalisation rétrograde. Néanmoins le terme de grammaticalisation devrait être gardé, selon les idées du groupe, pour désigner certains aspects du complexe : « In the following we shall use the term grammaticalisation as a broad term covering either the field of investigation or the phenomenon of grammatical development from an overall point of view. » (Nørgård-Sørensen et al. 2011, 9).

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Une autre suggestion terminologique concerne la réanalyse. Suivant Andersen, il faut distinguer systématiquement entre la véritable réanalyse (reanalysis), toujours réceptive et tacite, et l’actualisation (actualisation), par laquelle un locuteur emploie activement un élément selon les régularités que sa réanalyse comporte tout en l’exposant à des modifications possibles de son signifiant. La théorie du penchant, qui admet une forte inclination des mots-outils à se transformer en clitiques et des clitiques à se transformer en affixes d’ordre flexionnel – inclination dirigée par les facteurs d’une érosion phonétique et sémantique, d’une intégration graduelle des éléments synsémantiques et d’une extension continuelle des contextes de l’usage –, est critiquée sur trois points principalement. Tout d’abord, les auteurs renvoient au fait que, contrairement à ce que prétendent les théoriciens du penchant, tous les facteurs ne jouent pas à chaque étape de la régrammation. Deuxièmement, ils mettent en relief le rôle des lois phonétiques, lesquelles peuvent avoir des conséquences grammaticalisantes sans être des facteurs morpho-syntaxiques authentiques, comme c’est le cas de l’umlaut germanique, de la réduplication en sanskrit ou de l’introduction de l’élément verbal -iva- en russe, qui finit par devenir un marqueur aspectuel fondamental quoique le /i/ ne soit motivé, au début, que par les seuls besoins phonétiques. Troisièmement, Nørgård-Sørensen et al. rejettent l’idée d’un degré variant de grammaticalisation qui augmenterait avec le nombre d’étapes de régrammation par lesquelles un élément donné serait passé. Ils trouvent absurde de devoir considérer, suivant ce schéma, les langues analytiques comme moins grammaticalisées que les langues synthétiques. Dès la grammation, un morphème est intégré à la grammaire et devient par là membre du système grammatical au même titre que tout autre membre [21]. En fait, les auteurs jugent impossible qu’on puisse mesurer d’une méthode quelconque un degré de grammaticalisation. Cependant les défenseurs du système établi ont suggéré certaines modifications du modèle qui n’impliquent pas un remaniement sur des principes nouveaux. Pour qu’on admette la réalité et la pertinence des facteurs qui promeuvent l’inclination du penchant, il n’est pas indispensable qu’à chaque étape de transition, tous les facteurs interviennent. Il est même normal que ce ne soit qu’un sous-ensemble des facteurs qui détermine le passage à un nouveau niveau d’abstraction lors d’une régrammation. En ce qui concerne l’indépendance des lois phonétiques, il faut voir qu’il existe des lois spécialisées pour les dernières syllabes des mots qui se distinguent des lois pour des sons antérieurs. Or, ces lois-là touchent en même temps la morphologie et l’usure phonétique étant donné que, dans beaucoup de langues, ces dernières syllabes consistent en des désinences d’ordre grammatical. Si l’on nous concède que tous les

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facteurs ne sont pas également importants pour les processus de grammation et de régrammation, on peut avouer qu’un facteur comme l’érosion phonétique, lequel concerne aussi le radical des lexèmes pleins, joue un rôle à l’intersection entre lexique et grammaire alors que le synsémantisme ou l’obligatoriété seraient des facteurs de l’inclination plus centraux 3. Toujours est-il que le rejet des degrés de grammaticalisation est un point valable qui mérite d’être discuté intensément. Quoiqu’il en soit, on constate que même les défenseurs des horizons paradigmatiques ne condamnent pas entièrement le cline car ils reconnaissent les étapes du changement (lexème > mot-outil > clitique > affixe flexionnel) comme des énoncés généraux essentiels (essential generalisations) sur le développement des systèmes morphologiques [21]. C’est dans le premier chapitre, dédié à la morphologie, que les auteurs ont placé la majeure partie de leur critique de la théorie de grammaticalisation en cours. C’est encore dans ce chapitre qu’ils expliquent les fondements de leur approche, notamment le rôle et la force explicative de la paradigmaticité. Dans le deuxième chapitre, ils y ajoutent l’aspect topologique, dans le troisième l’aspect constructionnel. Au sein de la discussion du côté morphologique, on trouve aussi l’exemple d’une description plus exhaustive qui démontre mieux la portée de la pensée paradigmatique que l’exemple du substantif čaj en russe, allégué ci-dessus. Quand on se propose de suivre le chemin de régrammation des formes du passé en slave commun lors de leur passage au polonais moderne, une description qui se ferait dans les termes du modèle en cours (Heine, Traugott) se contenterait de constater l’élargissement fonctionnel de la forme périphrastique construite avec le participe {marqué par le morphème ‹-l-› ou ‹-ł-›}, qui va de pair avec une augmentation de la fréquence aussi bien qu’avec un raccourcissement synthétique (pisałem “j`écrivais, j’avais écrit” etc.) à partir d’une forme analytique (pisalŭ jesmĭ “j’ai écrit” etc.). Contrairement à cette concentration unilinéaire, l’approche paradigmatique embrasserait l’ensemble de l’horizon des formes du passé pour faire comprendre le regroupement des oppositions [17] : (slave commun) Présent pišo Aoriste pisaxŭ Imparfait pisaaxŭ

3

(polonais moderne) Présent Passé Futur

piszę pisałem będę pisał/ będę pisać

Une argumentation plus détaillée dans ce sens se trouve dans notre étude : Heiner Böhmer, Grammatikalisierungsprozesse zwischen Latein und Iberoromanisch, Tübingen, Narr, 2010, 57-74.

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Parfait Plus-que-parfait I Plus-que-parfait II

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pisalŭ jesmĭ pisalŭ bexŭ pisalŭ beaxŭ

Une telle représentation n’est pas absente des reconstructions diachroniques pratiquées jusqu’ici. En fait, elle assume les acquis de toute une tradition descriptive d’inspiration structuraliste, suivie entre autre dans les œuvres de l’école de Coseriu ou bien des contributions du style de Selig 4. Néanmoins, il est vrai qu’elle a été négligée justement dans les écrits du courant typologique et comparatiste de l’actuelle théorie de la grammaticalisation. Parmi les idées directrices de leur modèle, les auteurs mettent en relief encore deux autres aspects : (a) dans chaque paradigme étendu, comme le sont les déclinaisons et les conjugaisons, il faut s’attendre à des sous-paradigmes, portés par des cadres fonctionnels spécifiques (b) l’asymétrie du marquage est un principe qui sous-tend et la langue et la parole.

Quant aux sous-paradigmes, les auteurs citent des exemples du russe, où le génitif sert à distinguer, à l’intérieur de la déclinaison consonantique des noms masculins, un complément d’objet direct animé d’un complément direct non-animé, dont la forme ressemble à celle du nominatif (išĉu svoj stul “je cherche ma chaise” vs. išĉu svojevo druga “je cherche (de) mon ami”) ; en danois moderne, le génitif en {/-s/} est un moyen de distinguer un substantif au statut d’argument d’un substantif qui n’occupe pas ce statut parce que sa relation à d’autres substantifs se restreint au noyau d’un syntagme nominal dont il fait partie (opposition de l’attribut nominal d’une part au reste des fonctions syntaxiques majeures (sujet, objet etc.) d’autre part). Quant au marquage, Nørgård-Sørensen et al. essayent d’abord d’apporter une définition claire à ce terme. Ils affirment que l’opposition entre un membre marqué et un membre non-marqué d’une paire de concepts est omniprésente, même dans les paires dites symétriques, étant donné que les membres (re)connus plus tard se présenteront toujours comme marqués devant un arrière-plan fait de concepts déjà élaborés. Ainsi ‘mère’ serait marqué par rapport à ‘père’, ‘étroit’ par rapport à ‘large’ etc. Les auteurs suggèrent que l’omniprésence du marquage doit être prise en considération dans toute construction d’un paradigme. Ainsi leur propre description des temps verbaux du polonais moderne est structurée selon deux axes d’opposition qui se suivent : dans un premier temps, le présent (non marqué) s’oppose au non-présent (marqué) et, à l’intérieur de

4

Maria Selig, Maria, Die Entwicklung der Nominaldeterminanten im Spätlatein, Tübingen, Narr, 1993. Ce livre contient plusieurs tableaux, où l’auteur décrit justement le regroupement des oppositions dans les systèmes des articles et pronoms démonstratifs en latin classique et proto-roman.

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celui-ci, le passé (non marqué) s’oppose au futur (marqué). C’est sur cette base qu’on peut établir de véritables chaînes diachroniques, où un statut marqué et non-marqué se relayent mutuellement à mesure que l’observation passe par des sous-paradigmes variés et des coupes synchroniques successives. Ici, les auteurs développent l’exemple du futur roman. Alors que cantabo était la forme non marquée du futur en latin classique, il s’oppose, en latin tardif, à une nouvelle forme analytique qui occupe le pôle non marqué – cantare habeo – tout en assignant un statut marqué à la forme synthétique traditionnelle. Et l’on constate un changement pareil pour le futur simple à l’époque moderne. En français classique, cette forme temporelle était la forme non marquée pour désigner une action qui allait se dérouler dans l’avenir. Par contre, en français moderne actuel, le futur simple a été refoulé dans le coin marqué, s’opposant au futur composé, non marqué. C’est encore par le mécanisme de l’opposition de marquage que des formes non-productrices, telles que les séries apophoniques des verbes germaniques, réussissent à se maintenir dans un système linguistique. Pour le domaine de la parole, Andersen a avancé la thèse selon laquelle les changements motivés par des décisions explicites d’ordre normatif et externe sont divulgués, dans un premier temps, dans des contextes marqués et que les changements motivés par des processus implicites et internes se propagent tout d’abord dans des contextes non marqués, où « marquage » se rapporte à la fréquence ou familiarité d’un genre de texte ou de communication orale respectivement. La paradigmaticité, négligée par la théorie du cline, est l’une des principales propositions innovatrices du groupe danois ; un même poids innovatif réside dans la vision d’une intégration et paradigmatisation de l’ordre des mots et des constructions. Le parallélisme entre les systèmes morphologiques et l’ordre des mots a déjà été observé par Antoine Meillet. En effet, il y a opposition paradigmatique entre des options linéaires alternatives ; un schéma positionnel est capable de représenter et la fonction syntaxique d’un nom et la modalité d’une phrase ; comme les systèmes morphologiques, les ordres linéaires et leurs fonctions diverses sont une marque spéficique des langues singulières ; les schémas positionnels peuvent se constituer en figures tout à fait nouvelles, sans phase de préparation, c’est-à-dire se former par une grammation, ou bien résulter d’une réanalyse et son actualisation et donc subir une régrammation. Ces propriétés analogiques entre morphologie et topologie sont explicitées dans le deuxième chapitre. En danois, la position d’une particule adverbiale décide de la lecture modale d’une phrase. Si p.ex. l’adverbe så (‘alors’) occupe le champ initial F d’une proposition, on peut avoir affaire à une impérative ou une énonciative mais non pas à une phrase interrogative, qui ne permet l’adverbe qu’au bout de la chaîne des mots [46]. La modalité

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d’incertitude qu’une question comporte est donc prise en charge par l’ordre de ses éléments catégoriels et s’oppose à la modalité de certitude d’un énoncé à l’indicatif. Et le danois offre encore un autre exemple de parallélisme, un cas de topologie innovative, donc d’une grammation dans le domaine de l’ordre des mots. En passant des anciens dialectes germaniques de la Scandinavie au danois moderne, on observe que la position du datif par rapport à l’accusatif sert à distinguer entre une version emphatique du complément d’objet indirect (upgraded ; c.o.i. avant c.o.d.) et une version de mise en arrière-plan de ce même objet (downgraded ; c.o.d. avant c.o.i.), la préposition til s’ajoutant au syntagme nominal dégradé. Il y a plus : en se basant sur un exemple tiré de l’ancien anglais, les auteurs reconstruisent une histoire de régrammation topologique. Suivant en cela les principes exposés par Wackernagel, la haute fréquence du verbe conjugué dans la deuxième position de la phrase aurait mené, dans l’histoire du danois, d’une répartition pluripositionnelle à la fixation du principe « verbe conjugué occupe deuxième position » (verb second). Et l’on peut même déceler, en danois, un cas de dégrammation topologique. Le troisième champ positionnel, avant la place prévue pour la particule de la négation, gardait le statut d’une position de défocalisation généralisée en moyen danois alors qu’aujourd’hui cette position n’est plus mise en valeur que par les pronoms inaccentués. Dans le troisième chapitre, les auteurs s’attaquent aux constructions pour les inclure dans les ensembles à base sélective (selectional set, [71]) que sont les paradigmes. Une comparaison entre des langues plutôt analytiques (danois, anglais, français) et des idiomes hautement flexionnels (finnois, russe, latin) montre – sans surprise – que les solutions morphologiques sont concurrencées par des solutions constructionnelles. Un cas très illustratif dans ce sens est fourni encore une fois par le danois. Skyde (télique) veut dire “tirer en tuant” alors que skyde på (atélique) veut dire “tirer sur quelqu’un ou sur un animal avec le but de le tuer sans qu’il soit clair si le tireur y réussit effectivement”. Cette différenciation est possible dans un nombre considérable de verbes en danois, ce qui donne le sous-paradigme suivant (cf. [73]) : Expression

Contenu

zéro + SN

télique

prép + SN

atélique

Tableau 2 : La structure paradigmatique de télicité Domaine d’application : V + [A2] Cadre fonctionnel : télicité

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En finnois, par contre, l’opposition entre une version télique et une version atélique s’exprime par le procédé consistant à faire varier le cas de l’objet direct, l’accusatif exprimant l’achèvement d’une action et le partitif exprimant que l’achèvement reste ouvert. À part ces relations hyperparadigmatiques, la paradigmacité a lieu aussi dans le seul domaine des constructions. Ainsi l’un des sous-paradigmes verbaux en danois consiste en ce qu’une construction divalente ergative s’oppose à une construction inaccusative [76sq.] : Peter knækkede grenen. Grenen knækkede. (‘Peter a cassé la branche. La branche a cassé.’) Marie bagte brødet. Brødet bagte. (‘Marie a fait cuire le pain. Le pain cuisait.’)

Ce sont de longues séries de cadres valenciels qui participent à cette relation. Dans l’histoire du danois, elle a fini par niveler, dans beaucoup de cas, la morphologie oppositive qui, originairement, garantissait la différenciation (germanique primitif *knekkan “se casser” vs. *knakijan “casser”, danois moderne : knække = “casser” et “(se) casser” ; *weltan “se tourner” vs. *waltijan “tourner”, vaelte = “(se) tourner”) [94sqq.]. Si l’on ne considérait pas la formation d’une opposition systématique entre deux constructions apparentées, on risquerait donc d’en rester à une description partielle et, par là, défectueuse. Passons au septième chapitre. Il a deux fonctions. D’une part, Lene Schøsler cherche à approfondir certains éléments de la théorie du groupe, et notamment le concept de construction, vu qu’il s’agit d’une notion essentielle de l’actuel débat sur la théorie de la syntaxe, à savoir la grammaire de construction, notion qui n’est pourtant pas adoptée complètement par l’auteur dans ses versions canoniques. D’autre part, Schøsler profite de cette introduction théorique pour préparer une longue partie empirique, dans laquelle elle examine le développement de l’étiquetage du deuxième et troisième argument des cadres valenciels dans les langues romanes, et, plus particulièrement, en français. Pour Schøsler, le changement grammatical passe par des chaînes de constellations, où chaque changement antérieur constitue une condition nécessaire pour que la mutation suivante se produise. Les changements consistent dans des regroupements constants de paradigmes. Ces processus de réorganisation dépassent fréquemment les limites du domaine morphologique, topologique ou constructionnel en établissant des liens entre ces différents domaines. Les auteurs appellent ce phénomène connecting grammaticalisation (’grammaticalisation intégrée ou combinée’). Il s’ensuit de la logique de cette interpré-

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tation que Schøsler rejette un scénario de la disparition des cas nominaux latins selon lequel la réduction morphologique de quelques marqueurs fragiles aurait mené à une grammaire défectueuse à la recherche de nouveaux marqueurs. Suivant l’auteur, les fonctions importantes dans une langue tendent à être marquées par plusieurs systèmes grammaticaux interconnectés si bien qu’une réduction de l’un de ses systèmes ne mettra pas en danger l’étiquetage en soi, étant donné que les autres systèmes coopératifs prennent la relève immédiatement par leur propre renforcement et diversification. La notion de construction favorisée par Schøsler garde un juste milieu entre une conception intégrale – qui couvre tous les niveaux sémiotiques d’une langue, allant des constructions-phonème jusqu’aux constructions-structure textuelle (cf. les approches de Goldberg ou Langacker) –, une approche universelle et abstraite (Croft) ou une diversification atomiste et lexicaliste. Une construction dans son sens est une unité syntaxique supérieure, une séquence catégorielle, enrichie par des éléments morphologiques plutôt indépendants, qui, selon les deux côtés expressif et fonctionnel, est spécifique d’une langue déterminée tout en conservant un statut général par son applicabilité à un grand nombre de cadres valenciels de verbes individuels parallélisables. Cette définition approfondie reflète les cas déjà cités des constructions ergative et inaccusative en danois, de l’étiquetage prépositionnel du complément d’objet indirect dans les langues romanes ou des formes analytiques du futur en latin vulgaire. Dans l’analyse diachronique de la réalisation sémiotique du deuxième et troisième argument des verbes latins et romans, la construction occupe un rôle clé. Les cadres valenciels généralisables entrent en interaction avec les autres systèmes d’étiquetage car, suivant l’idée de Schøsler esquissée ci-dessus, ces différents systèmes n’agissent jamais de façon séparée tant que des fonctions importantes sont en jeu. L’analyse procède par des coupes syntaxiques successives, la suite des investigations spécialisées dans les époques produisant l’image d’un développement. Il est clair qu’ici Schøsler profite largement des recherches ciblées et exactes d’autres linguistes. Les cas du latin étaient intégrés dans des constructions apparentées entre elles qui pouvaient être assignées parallèlement à de longues séries de verbes individuels. Entre autres, on constate un parallélisme entre une construction qui exprimait le transfert possessif et une construction qui exprimait la translation spatiale [252] : Mitto litteras Romam. Mitto litteras ad Romam. Mitto litteras Herennio. Mitto litteras ad Herennium.

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La prochaine coupe synchronique montre la situation proto-romane, qui allait continuer, par certains mouvements de régrammation, la situation latine (cf. [256]) : Expression d’A2

Contenu d’A2

Expression d’A3

Contenu d’A3

ad + SN à l’accusatif forme d’accusatif

entité affectée/ patiente

pronom personnel au datif

récepteur/ bénéficiaire

Tableau 3

Lors de la transition au proto-roman, le paradigme cité ci-dessus a fini par refouler tous les concurrents tels que A2-accusatif A3-ablatif (afficere aliquem aliquo) et d’autres pour devenir le prototype de réalisation de la combinaison d’un A2 avec un A3 ; le syntagme prépositionnel a été réanalysé comme équivalent d’un datif ; et c’est la construction prépositionnelle (à SN), qui a gagné le statut non marqué, le datif morphologique étant considéré désormais comme une réalisation plutôt exceptionnelle. En roumain et en espagnol, le développement ultérieur mène encore à des regroupements considérables. A2 est marqué par des prépositions (pe(r), a(d)) quand l’objet direct se rapporte à un référent animé, ce qui mène à l’établissement de nouveaux sous-paradigmes. Dans l’usage documenté par les textes des corpus historiques, l’investigation semble avoir permis d’observer que la propagation de cet étiquetage part de contextes marqués (réciprocité, contrastivité, comparaison) pour se diffuser peu à peu dans des contextes non marqués, exactement comme l’aurait prognostiqué Andersen. Ce sont aussi le roumain et l’espagnol qui atteignent un caractère quasi-obligatoire dans certaines constellations de référence croisée entre un pronom personnel et un nom détaché, constructions qui constituent encore une fois de véritables innovations par rapport au latin classique (grammation de constructions). De nombreux verbes ne se combinent qu’avec le seul A3 sans inclure un A2. Le latin connaissait des verbes à constructions alternantes A1-A2/A1-A3 (nominatif-accusatif ; nominatif-datif), type qui allait se perdre lors de la transition aux langues romanes. Un exemple est contingere, dans le sens de ‘confiner à’. Un autre type, hérité du latin, a pourtant réussi à s’imposer dans les langues romanes. Des verbes tel que placere (lat.), plaire (fr. moderne) ou abelir (ancien français) varient l’A1 entre statut nominal et statut propositionnel et prévoient un A3 sous forme de datif ou de à + SN (cf. p. 287) :

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A Percheval molt abeli ce qu’il vit une hache pendre [A3 … A1/statut propositionnel] (“Le fait de voir une hache qui pendait là plut beaucoup à Perceval”)

Sémantiquement il s’agit de verbes évaluatifs (agreer, nuisir en ancien français), ou bien de verbes plus particuliers qui expriment soit qu’un ‘experiencer’ subit l’influence d’un événement (lat. contingere ; afr. avenir ; arriver à qn) soit qu’il s’attend à subir cette influence (targier en ancien français) ou bien qu’il est trompé par quelqu’un (mentir à) ou qu’il profite de l’aide de quelqu’un. La construction était donc généralisable et applicable à beaucoup de verbes individuels. Or, un certain nombre d’entre ces verbes pouvait se combiner, jusqu’au 17e ou même jusqu’au 20 e siècle et avec un A2 (constellation A1-A2) et avec un A3 (constellation A1-A3) avant que l’une des deux versions soit éliminée au profit de l’autre. P.ex. entre aider qn et aider à qn, on a fini par se décider pour la version aider qn en abandonnant l’alternative (cf. 293 sqq.). Schøsler décrit, avec exactitude, les regroupements des paradigmes constructionnels en avançant, par ses coupes synchroniques, de siècle en siècle. Les observations au niveau de la langue sont régulièrement accompagnées d’observations sur les contextes marqués ou non marqués au niveau de la parole. Le dernier thème est constitué par les emplois où A2 peut s’omettre dans une constellation A1-A2 de départ tout en faisant allusion à un référent indéfini (p.ex. Pierre mange au lieu de Pierre mange un poulet). Alors qu’en latin, les possibilités d’omission d’A2 étaient considérables, le français tend, pendant plusieurs siècles, à éviter ces omissions, ce que l’auteur met en relation avec la perte du système des cas. Ce n’est qu’au vingtième siècle, sous l’influence du français avancé, que l’omission regagne du terrain. Encore une fois, les étapes sont décrites moyennant des tableaux, avec des remarques sur la répartition textuelle. En résumé, disons que les réformes suggérées par l’équipe danoise sont d’une telle envergure qu’il serait négligent, au point de ne pas satisfaire à la tâche de rendre compte d’une publication, de ne pas commenter en quelque sorte l’ouvrage dont les contenus viennent d’être présentés. Retenons que la théorie de la grammaticalisation en cours a besoin d’une ouverture des horizons vers l’entourage syntaxique des périphrases ou morphèmes singuliers, qu’il lui faut inclure les constructions et la topologie et qu’elle doit transformer la description morphologique isolée en description des paradigmes. En effet, jusqu’ici, la grammaticalisation, qui, selon son nom, consisterait dans l’ensemble des processus de formation d’un élément à fonction grammaticale, n’a pas été décrite par des théories qui auraient réussi à fournir un principe convaincant selon lequel les schémas positionnels de l’ordre des mots seraient

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intégrables aux canaux proposés. Ce format ne concerne que les périphrases, les mots-outils, les clitiques et les affixes mais non pas les séquences catégorielles. Or, Nørgård-Sørensen et al. démontrent très bien comment, selon quel principe et avec quel format, on arrive à intégrer les séquences catégorielles et les périphrases-morphèmes dans une théorie enfin intégrale de la grammaticalisation. Avec cela, ils se servent d’une terminologie unifiée (grammation, régrammation, dégrammation) et différenciée (réanalyse vs. actualisation). Enfin, l’un des grands mérites de l’ouvrage consiste en ce qu’il ouvre la théorie de la grammaticalisation aux courants des grammaires de construction et de la topologie, qui sont au centre de la formation de théories syntaxiques à l’heure actuelle. Il ne faut pourtant pas omettre quelques points de critique. Surtout, on a du mal à partager certaines analyses de détail, dans les parties où les auteurs se proposent de construire leurs fondements. Ainsi on ne voit pas pourquoi on nierait à la différence entre les adjectifs romans et les adverbes modaux en ‑mente un cadre fonctionnel, qui pourrait par exemple être ‘portée (scope)/ portée prédicative’ vs. ‘portée nominale’ ou ‘objet de caractérisation (object of characterisation)/caractérisation d’une action précisée’ vs. ‘caractérisation neutre’ [7]. On ne comprend pas pourquoi la prosodie serait un phénomène d’ordre topologique plutôt qu’un phénomène basé sur les constructions. En tout cas, les effets de désaccentuation discutés [63], qui impliquent un étiquetage de la synthétisation des syntagmes verbaux en danois, ne sont pas d’une nature topologique pure et résident dans la prosodie. Il est vrai aussi qu’il est quelque peu décevant qu’on ne se heurte qu’à un simple paradigme morphologique conventionnel après avoir été préparé pendant plusieurs pages à la démonstration d’un hyperparadigme qui intègre la morphologie des pronoms personnels du sujet en français et leur distribution positionnelle [70]. Dans l’ensemble, la nouvelle approche de Nørgård-Sørensen, Heltoft et Schøsler gagne toute sa force, si on la combine partiellement avec certains formats de la théorie du penchant et qu’on l’intègre dans la vision plus globale de Henning Andersen 5. Andersen distingue ce qu’il appelle les schémas de grammaticalisation, vus comme des types, des chaînes de grammaticalisation individuelles, qui naissent dans les langues singulières et qu’il comprend comme les tokens de ces types. Or, pour approfondir la différence entre les 5



Cf. surtout Andersen, Henning, 2001. « Actualization and the (uni)directionality of change », in : Andersen, Henning, Actualization. Linguistic change in progress, (ed.), Amsterdam/Philadelphia, John Benjamins, 225-249. Andersen, Henning (2008). « Grammaticalization in a Speaker-Oriented Theory of Change », in : Eythórsson, Thórhallur (ed), Grammatical Change and Linguistic Theory. The Rosendal papers, Amsterdam/Philadelphia, John Benjamins, 11-144.

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schémas gsn (Gzn Schemata) et les chaînes, les notations et formules appliquées par Andersen lui-même semblent trop modestes. En fait, il parle de la partialité des chaînes en comparaison des schémas. Il vaudrait donc mieux représenter ces derniers par un format capable de projeter, sur la surface du papier, les canaux de grammaticalisation entiers. Une telle projection a été atteinte surtout dans les diagrammes de Lehmann (2002) ou de Compes et al. (1993) 6, C’est dans ce format que les paradigmes devraient être intégrés ou, inversement, ce format donné a besoin de certaines transformations pour baser les notations des étapes sur la notion de construction – dans le sens de Schøsler – ainsi que le parallélisme de l’opposition des constructions entre elles. Cela nous mène à un modèle réformé, qui, selon le groupe danois, pourrait comprendre les niveaux suivants : (A) schémas gsn/canaux de grammaticalisation basés sur les constructions et les paradigmes (B) reflets de ces schémas dans les chaînes gsn individuelles des langues singulières (C) explication des transitions entre les paradigmes d’époques diverses par des mécanismes tels que la réanalyse d’éléments d’une grammaire de base, le changement superficiel de règles d’usage, l’actualisation, l’adoption par des cohortes toujours plus vastes de locuteurs suivant les poids donnés du marquage (cf. les contributions d’Andersen).

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Pour Lehmann 2002, cf. supra n. 1 ; Isabel Compes / Silvia Kutscher / Carmen Rudorf, Pfade der Grammatikalisierung. Ein systematischer Überblick, Université de Cologne, Institut für Sprachwissenschaft, 1993 [Arbeitspapier Nr. 17].

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CHRONIQUE ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ DE LINGUISTIQUE ROMANE Nancy, le mercredi 17 juillet 2013

L’Assemblée générale de la Société de Linguistique romane, convoquée régulièrement par le président dans la Revue de Linguistique romane (tome 76, 2012, p. 632) s’est tenue à l’Université de Nancy à l’occasion du XXVIIe Congrès de linguistique et de philologie romanes, le mercredi 17 juillet 2013, à 16h30. La séance, à laquelle ont pris part 139 membres présents ou représentés, a été présidé par M. Jean-Pierre Chambon, président de la Société. Il a été assisté de M. David Trotter, vice-président, ainsi que des membres du Bureau et du Conseil : MM. Gerold Hilty et Max Pfister, présidents d’honneur, MM. Jean-Paul Chauveau, Günter Holtus, Mme Maria Iliescu, MM. Robert Martin, Emilio Ridruejo, Gilles Roques, Marius Sala et Alberto Vàrvaro, membres d’honneur, Martin-D. Glessgen, secrétaire-administrateur, André Thibault, secrétaire-administrateur adjoint, Gerhard Ernst, secrétaire-trésorier, Mme Clarinda Azevedo Maia, M. Cesáreo Calvo Rigual, Mme Maria Grossmann, M. Anthony R. Lodge, Mme Laura Minervini, MM. Franz Rainer, Pierre Rézeau, Mmes Heidi Siller-Runggaldier et Rodica Zafiu, conseillers. Le président ouvre la séance en faisant vérifier le nombre des présents (138) et en indiquant le nom des votants par procurations (1). 1° M. J.-P. Chambon, président de la Société, prononce les mots suivants : « Chers confrères, chers amis, depuis le Congrès d’Innsbruck, douze membres de la Société sont décédés, et vous voudrez bien, en hommage à leur mémoire, observer une minute de silence : Colette Dondaine, Annie Elsass, Pierre Enckell, René Lepelley, Sarah Leroy, Michele Melillo, Peter Ricketts, Peter Schifko, Marie-Rose Simoni-Aurembou, Gaston Tuaillon, Claire Vachon, Lothar Wolf. Notre Société exprime sa gratitude envers tous les membres décédés, dont plusieurs eurent un rôle éminent parmi nous ».

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Le président informe l’Assemblée que le Bureau de la Société a décerné le prix Albert‑Dauzat, prix que notre Société attribue depuis 1957, à M. Thomas Städtler pour l’ensemble de ses travaux linguistiques et philologiques. M. Städtler sera donc membre de droit de la Société de linguistique romane pour les dix années à venir. Le président donne la parole au secrétaire-administrateur. 2° Rapport moral présenté par M. M.-D. Glessgen. « Chers confrères, chers amis. Je vais vous présenter l’état de notre Société et de la Revue de linguistique romane, à mi-parcours du deuxième mandat de six ans que vous m’avez confié à Valence en 2010. Je parle aussi au nom d’André Thibault, le secrétaireadministrateur adjoint, qui m’a soutenu avec toute sa compétence, son engagement et son amitié au long de ces neuf années. A – Les Sociétaires. À la date du 30 juin 2010, la Société comptait 979 adhérents, dont 639 membres individuels et 340 personnes morales – bibliothèques et institutions. À Valence, nous étions 1061, à Innsbruck 974. Nous avons pu maintenir intégralement le nombre de nos membres individuels, après une forte croissance entre 2007 et 2010. En revanche, nous avons perdu une centaine d’abonnements institutionnels, avant de pouvoir regagner de nouveaux abonnements depuis une année environ, entre autres grâce à une prise de contact personnelle de notre confrère Hans Goebl avec de nombreuses bibliothèques. Par ailleurs, nous sommes heureux de compter désormais presque 80 membres parmi les jeunes chercheurs qui garantissent la continuité et la vitalité de notre Société. Je souhaiterais souligner l’importance que nous attribuons tant aux abonnements institutionnels qu’aux membres individuels qui reçoivent les fascicules chez eux, pratiquement à prix coûtant. Au delà de la contribution financière, leur participation constitue un encouragement à des études difficiles, qui se trouvent symboliquement soutenues par cet effort de chacun d’entre eux. Les pays représentés parmi nous sont au nombre de 44. (a) Pour les membres individuels, ils se répartissent dans leur rattachement institutionnel entre 35 pays dont 13 sont représentés par plus de dix membres. Ce sont dans l’ordre : la France (101), l’Allemagne (89), l’Italie (86, contre 71 en 2010) – nous saluons le progrès accompli dans cet épicentre de la philologie romane –, la Roumanie (84), l’Espagne (66), la Suisse (41), la Belgique (36), la Grande-Bretagne (16), le Portugal (15), l’Autriche (20), les États-Unis, le Brésil et le Canada (12). Les pays de l’Europe orientale groupent 12 membres, de même que les pays nordiques, le Japon suit avec 9 membres. (b) Les institutions reflètent, mais en partie seulement, les chiffres des membres individuels. La Revue est actuellement diffusée dans les bibliothèques de 33 pays : les États-Unis (61) et l’Allemagne (57) restent en première position, suivis de la France (49) ; comme auparavant, suivent avec un écart assez net l’Italie, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas (chaque fois 25) ainsi que le Canada (20). On peut s’étonner de la position de l’Italie qui compte pourtant un grand nombre de lieux de recherche dans notre discipline ; un nouvel écart est marqué avec la Suisse (11), l’Espagne (9), la Belgique (7) et l’Autriche (5). Nous ne comptons toujours que trois abonnements pour la Roumanie, et, cette fois-ci, aucun pour le Portugal. On souhaiterait un effort des pays qui sont dans ces deux derniers pelotons. C’est le moment de demander à nos

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confrères de se faire les ambassadeurs de notre Société auprès des bibliothèques et instituts de leurs villes et universités pour les inciter à se réabonner voire à s’abonner. Il est vrai que le mois de juin ne reflète pas encore l’intégralité des abonnements des bibliothèques dont certains s’ajouteront après la publication du premier fascicule de l’année. Il faut également dire que les abonnements sont actuellement suivis de près par nous, soutenus par notre diffuseur Sigloch et que nous ne connaissons plus le problème des impayés qui nous a longtemps préoccupé. Il est néanmoins inquiétant que des universités dans lesquelles nos sociétaires enseignent ne soient pas ou ne soient plus abonnées à la Revue. La Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, lieu significatif pour notre Société et Revue s’il en est, m’a, par exemple, écrit qu’elle ne souhaitait pas, pour l’instant, continuer son abonnement, vraisemblablement pour des raisons budgétaires. De tels exemples sont malheureusement nombreux. Il dépend en partie de vous que cette tendance s’inverse. Je pense que la mise en ligne de la Revue que nous envisageons avant le prochain congrès, pourra soutenir vos efforts. Les bibliothèques universitaires ont souffert de fortes restrictions bugétaires ces dernières années, mais notre Revue reste très accessible par son prix raisonnable. En attendant, avec une diffusion de presque 1000 fascicules en juin 2013, notre Revue est l’une des revues de linguistique les plus présentes dans les bibliothèques du monde entier. Les chiffres manifestent la bonne santé de notre Société, qui continue à mettre en valeur l’intérêt épistémologique des idiomes de la Romania qui bénéficient de l’atout d’une documentation historique presque unique. B. – La Revue. La Revue de linguistique romane est votre revue. Revue scientifique d’un niveau unanimement reconnu, elle est aussi un lien primordial entre tous les membres. La Revue, comme d’habitude depuis trente ans, a paru ponctuellement, deux fois par an, au milieu et à la fin de l’année. Nous vous devons cette régularité, qui inspire confiance aux distributeurs qui n’hésitent pas à payer d’avance les abonnements souscrits. La Revue vit exclusivement de ses propres recettes, sans aucune subvention ou aide d’aucune sorte. C’est le résultat d’efforts soutenus menés sur plusieurs décennies et qui nous rend entièrement maîtres de notre destin. Vous constaterez lors du rapport financier que nous avons réussi à maintenir le niveau de nos dépenses, notamment grâce à notre nouvel imprimeur, le Memminger MedienCentrum, et à notre nouveau diffuseur, la maison Sigloch qui, tous les deux, nous donnent pleine satisfaction. La mise en ligne de la Revue nécessitera certains investissements dans les prochaines années ; en revanche, la publication de la Bibliothèque de Linguistique Romane est restée financièrement neutre pour la Société. Vous trouverez sur notre site internet la feuille de style de la Revue ainsi qu’une importante liste de sigles et d’abréviations dont l’utilisation permettra de garder l’homogénéité la Revue et d’alléger la bibliographie des différentes contributions. Nous publions chaque année un volume de 640 pages, en deux fascicules de 320 pages ; ce chiffre s’est imposé à nous par un souci d’économie d’affranchissement : le dépasser nous ferait passer au-delà de 500 gr et, par là, dans une tranche de poids supérieure. Notre Revue publie des articles, des bibliographies, des comptes rendus, des tribunes libres, des débats, des ‘mises en relief’, des notes de lecture et des chroniques. Dans les six derniers fascicules depuis 2007, nous avons fait paraître au total 31 articles sur

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1238 pages, sept mises en relief, cinq tribunes libres et neuf nécrologies. Les articles ont été fournis par 32 auteurs différents qui se répartissent entre 11 pays, toujours en nous basant sur le lieu de rattachement professionnel au moment de la publication. En suivant le nombre des auteurs, ce sont la France (8), l’Allemagne (5), la Suisse (4), l’Italie (3), l’Espagne, l’Autriche et les Pays-Bas (2), la Grande-Bretagne, la Belgique, le Danemark et l’Australie (1). Pour ce qui est de la métalangue des articles, le français continue à dominer (19) mais un tiers des textes ont été écrits en italien (6) ou en espagnol (4), contre seulement un sixième dans l’exercice précédent. Je rappelle qu’il ne tient qu’aux sociétaires de nous proposer des articles dans n’importe quelle langue romane autre que le français, sachant que l’anglais n’est pas considéré comme une langue romane. Les articles ont porté sur les domaines galloromans d’oïl (12) et d’oc (5) ainsi que sur l’espagnol (3), l’italien (2), le sarde, le ladin et le portugais (1) ; des problèmes généraux ou faisant intervenir la comparaison de plusieurs langues romanes ont été traités dans trois articles et des questions d’épistémologie de la linguistique, vue à partir de la Romania, dans trois autres. Les thèmes de la Revue s’inscrivent toujours dans les quatre axes du paradigme romaniste qui garantissent sa cohérence et sa place dans le cadre des revues actuelles : (i) la diachronie, (ii) la comparaison, (iii) la philologie et (iv) la variation, notamment diatopique, tous étudiés à travers les différents domaines de la linguistique : phonétique, phonologie et graphématique, morphologie et syntaxe, lexicologie, onomastique et étymologie, avec des incursions en codicologie et en sociolinguistique. Les articles de type comparatiste, impliquant plusieurs langues romanes, et ceux concernant les idiomes et variétés dits ‘mineurs’ gardent la place de choix qui leur revient dans la Revue. La diversité méthodologique est celle que vous proposez. La Revue n’est ouverte qu’aux membres de la Société, mais à ceux-ci elle l’est sans distinction d’aucune sorte, à condition que les études proposées soient de haut niveau scientifique et non de vulgarisation, qu’elles ne tombent pas dans la polémique personnelle, qu’elles soient rédigées dans une langue romane et dans un langage correct et compré­hensible, enfin, qu’elles soient présentées de façon acceptable en tenant compte des règles de notre feuille de style. Les contributions de qualité, depuis la notule de deux pages jusqu’à l’article monographique, sont les bienvenues. Le comité de rédaction de la Revue, instauré en 2004, inter­v ient toujours dans l’acceptation des articles et les propositions d’amé­nagement faites aux auteurs. Il s’est avéré être une institution performante et souple, connaissant des réorganisations régulières selon les disponibilités des confrères. Le comité de rédaction est soutenu par les membres actuels et anciens du bureau, duquel il est issu pour l’essentiel. Toute proposition est éva­luée par au moins deux membres du comité ou du bureau. La Revue applique donc la pratique in­ternationale de l’évaluation par les pairs – même si nous avons de bonnes raisons pour ne pas intro­duire l’anonymat qui serait contreproductif voire grotesque dans notre discipline extrêmement spécialisée et, en même temps, très personnelle. La discrétion et la confiance réciproque se sont avérées jusqu’à présent de bonnes conseillères. Je souhaiterais remercier en ce lieu non seulement les auteurs des articles publiés mais également les confrères qui ont dû essuyer un refus de notre part, et surtout les nombreux confrères qui ont accepté de reprendre leur rédaction suite à la

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correspondance qu’ils ont eu avec moi-même, avec André Thibault ou avec un membre du comité de rédaction chargé de l’article en question. En général, l’écart moyen entre la remise du manuscrit et sa publi­cation dans la Revue est inférieur à une année. Pour garantir ce délai, nous préférons refuser des articles qui ne répondent pas pleinement à nos critères, plutôt que de produire un stock qui empêche une publication rapide des articles retenus. J’insiste sur le fait que le premier critère d’une acceptation ou d’un refus est l’adéquation à l’un des quatre axes mentionnés, diachronique, comparatiste, philologique ou variationniste. Dans les six derniers fascicules de la Revue, des articles nécrolo­giques ont paru à la mémoire de neuf confrères. Je demande instamment aux sociétaires de nous signaler le décès des confrères et de bien vouloir rédiger des articles nécrologiques rappelant la personnalité et l’œuvre de ceux qu’ils ont le mieux connus. Les comptes rendus occupent dans les derniers six fascicules 424 pages, soit près d’un quart de l’espace des trois volumes publiés depuis notre dernier congrès. Aux comptes rendus s’ajoutent les ‘mises en relief’ avec en tout 140 pages. Je compte, au total, 65 auteurs différents appartenant à onze nationalités : il s’agit de 24 confrères français, 17 allemands et suisses (ou travaillant en Allemagne et en Suisse), 12 italiens, trois espagnols, deux belges, deux britanniques, un autrichien, un danois, un suédois, un canadien. À propos de ces comptes rendus, je remercie très vivement, en votre nom, leurs auteurs qui acceptent de donner du temps à la Société en faisant connaître les travaux des sociétaires et plus généralement les ouvrages significatifs qui paraissent dans le domaine de nos études. Une chronique bibliographique nourrie est un élément capital dans la vie d’une revue et j’ai reçu de nombreux témoignages de l’importance et de l’utilité qu’elle présentait pour les sociétaires. Il faudra veiller à ce qu’à l’avenir cette partie s’étoffe encore, tout en respectant l’idée qu’un compte rendu devrait être succinct pour être lu. Je suis conscient qu’un compte rendu dense et bien réflechi coûte autant de temps qu’un bon article de taille moyenne ; mais l’évaluation des travaux et le débat au sujet des réalisations, notamment de qualité, sont indispensables pour la recherche. Ici comme partout ailleurs, nous vous sommes reconnaissants d’éviter toute forme de polémique au seul profit de l’avancement de notre science. Je dois, pour conclure sur ce point, remercier en votre nom les membres du comité de rédaction ainsi que les conseillers délégués auprès du bureau, en particulier ceux dont le mandat se termine aujourd’hui. Ils ont tous activement soutenu la rédaction de notre Revue – leur rôle n’a rien d’une distinction honorifique mais constitue une responsabilité sérieuse qui implique une participation active à la vie de la Société. Permettez-moi de remercier tout particulièrement mon prédéces­seur, Gilles Roques, qui continue avec la constance qui lui est propre à animer la rubrique de ‘Philologie et éditions de textes’ en mettant à la disposition des sociétaires toute son érudition et toute sa verve. Son soutien permet ainsi de garder le niveau d’excellence qui a fait la renommée de la Revue dans ce domaine central. Depuis 2009, notre confrère Gerhard Ernst porte la charge de la gestion financière de la Société, après avoir repris le flambeau de Jean-Paul Chauveau. Il présentera tout à l’heure le rapport financier. Il est difficile de rendre un juste hommage qui serait proportionné aux efforts menés par ce savant dans l’indispensable gestion matérielle de notre Société, menée avec autant de dévouement que de souplesse. Qu’il reçoive ici publiquement mes remerciements les plus amicaux !

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C . – La Bibliothèque de Linguistique Romane. Dans notre collection de la Bibliothèque de Linguistique Romane (BiLiRo), nous avons publié depuis le dernier Congrès cinq titres, disponibles au secrétariat de la Société : les deux monographies L’émergence de l’occitan pré-textuel. Analyse linguistique d’un corpus auvergnat (IXe-XIe siècles), d’Hélène Carles, et La Vendée dans l’écriture littéraire. Analyse du vocabulaire régional chez Yves Viollier, d’Inka Wissner, le volume collectif thématique Volgarizzare, tradurre, interpretare nei secc. XIII-XVI, édité par Sergio Lubello, les Mélanges en l’honneur du 70 e anniversaire de Frankwalt Möhren, Ki bien voldreit raisun entendre, édités par Stephen Dörr et Thomas Städtler et, enfin, la deuxième partie du monumental Atlant linguistich dl ladin dolomitich y di dialec vejins en sept volumes, dirigé par Hans Goebl. Actuellement, la mise en page de trois titres est en cours et trois autres titres sont en préparation pour 2014. Nous attendons surtout avec impatience l’édition des Noëls en France aux XVe et XVIe siècle de Pierre Rézeau dont la parution est prévue en novembre. Grâce à l’attention constante portée aux conditions de production et de diffusion, nous sommes en mesure de vendre ces ouvrages aux sociétaires aux prix préférentiels de 27 ou 34 euros, selon la taille. Cet exploit repose, bien entendu, sur la vocation rigoureusement scientifique et non pas mercantile de notre engagement. Grâce aux Éditions de Linguistique et de Philologie (ÉLiPhi), la gestion financière de la collection est désormais indépendante du budget de la Société. Le développement de la Bibliothèque à côté de la Revue nous paraît fondamental face aux évolutions inquiétantes dans le marché des livres scientifiques. Nous avons donné la preuve qu’il est possible de diffuser des ouvrages de qualité autant scientifique que matérielle sans passer par les fourches caudines des maisons d’édition commerciales, qui font payer très cher leurs services. Nous regrettons simplement qu’à l’instar de la Revue, la collection de la BiLiRo soit encore absente d’un trop grand nombre de bibliothèques universitaires avec lesquelles travaillent nos sociétaires et leurs élèves. D. – L’École d’été, les congrès et autres activités. L’École d’été de notre Société a été organisé deux nouvelles fois depuis le dernier congrès, en 2011 et en 2012, par notre ancien président Alberto Vàrvaro. Il a rendu compte des cinq premières années de son fonctionnement très réussi dans notre Revue (74, 622-625 et 76, 618-622) et nous espérons que cette heureuse initiative pourra se poursuivre dans les années à venir. Depuis 1959, à l’occasion de chaque congrès, nous publions un fascicule intitulé Société de Linguistique romane, liste des membres. Cette publication a perdu l’essentiel de son utilité dès 2010, grâce à notre site internet qui contient toutes les informations de ce fascicule, en plus de bien d’autres, et qui représente désormais la plate-forme d’information essentielle pour nos membres (). Nous avons donc renoncé à perpétuer la pratique d’un fascicule qui est dépassé au moment même de sa publication. Dans l’optique d’une information toujours actuelle, je vous prie instamment de vérifier toutes les données de notre site vous concernant, notamment l’adresse professionnelle et le rattachement disciplinaire précis, et de nous signaler les erreurs et les lacunes éventuelles. Cela est d’autant plus important dans le cas de changements d’adresses, parce que nous avons de plus en plus de fascicules qui nous reviennent après l’envoi et que nous sommes obligés de renvoyer à une nouvelle adresse qui ne nous a pas été communiquée à temps. Notre secrétaire-trésorier reviendra sur cette question.

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La mise en ligne des fascicules de la Revue de Linguistique Romane reste une préoccupation importante pour les prochaines années et je regrette de ne pas encore pouvoir vous la présenter dès aujourd’hui. Mais le projet est actuellement en cours autant pour la Revue que pour la BiLiRo. Enfin, la Société s’occupe des congrès triennaux de linguistique et de philologie romanes qui représentent son activité principale à côté de la Revue. Comme vous le savez, les Actes du Congrès de Valence ont paru chez de Gruyter, en huit volumes, par les soins d’Emili Casanova et de Cesáreo Calvo Rigual qui avaient organisé notre XXVIe Congrès en pays valencien, au moment où l’Espagne est entrée dans une grave crise économique. Leurs efforts herculéens méritent toute notre admiration et je souhaiterais les remercier ici une nouvelle fois en votre nom. Il y a trois ans, vous avez voté pour Nancy comme lieu du congrès actuel, succédant ainsi lointainement à Aix-en-Provence, où s’était tenu le Congrès de 1983 et aux trois autres Congrès français depuis la fondation de la Société (Dijon 1928, Bordeaux 1934, Strasbourg 1962). Vous avez tous pu constater que nos confrères Jean-Marie Pierrel, Éva Buchi, Jean-Paul Chauveau et Yan Greub, soutenus par l’équipe de l’ATILF et nos autres amis de Nancy ont investi un temps incalculable pour nous permettre cette rencontre en Lorraine, au sein de la plus importante institution de recherche en linguistique française et romane. En votre nom à tous et au nom du bureau de la Société, je leur exprime toute notre gratitude et nous les assurons de toute notre reconnaissance pour cet accueil inoubliable. Grâce, notamment, aux compétences informatiques des organisateurs du Congrès, nous avons innové les modalités de publication de nos actes. Ceux-ci seront désormais sous la seule responsabilité de la Société et des organisateurs du Congrès. Ils se partageront entre une forme électronique, gratuite et correspondant aux meilleures normes actuelles, et une forme papier, plus condensée et diffusée à un prix accessible autant à des chercheurs individuels qu’à toute bibliothèque universitaire. Je tiens à remercier Éva Buchi et tout particulièrement Jean-Marie Pierrel qui a soutenu par la complémentarité de ses compétences le nouveau concept développé par notre exécutif. Voilà mes chers confrères, l’état présent de notre Société. D’un congrès à l’autre, nous nous efforçons d’aller toujours de l’avant pour grouper les romanistes, pour maintenir très haut et rehausser sans cesse le niveau de notre Revue et servir ainsi la communauté romane et scientifique. Je souhaite que pour les trois ans à venir, elle continue à vous aider dans vos travaux et constitue pour vous cet encouragement, cette motivation dont nous avons tous besoin pour mesurer que nos efforts ne sont pas vains. » Le rapport du secrétaire-administrateur est adopté à l’unanimité. 3° et 4° Rapport financier présenté par le secrétaire-trésorier, M. Gerhard Ernst, pour la période du 1er août 2010 (date d’arrêt des comptes présentés à la dernière Assemblée générale) au 31 mai 2013 et prévisions budgétaires. « Monsieur le président, chers sociétaires, le rapport financier du trésorier couvre la période qui va du congrès de Valencia en 2010 jusqu’à la fin de mai 2013. Du point de vue du secrétaire-trésorier, cette période est caractérisée par des changements importants dans la gestion de notre banque de données et de la liste des

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membres, dans les modalités des virements bancaires et dans les services logistiques. Malgré toutes ces transformations, parfois coûteuses, notre situation financière peut être dite d’une relative santé. Le site Internet de la Société a été mis en place en 2009 par le secrétaire-administrateur, Martin Glessgen, et adapté ensuite à plusieurs reprises par lui. En cliquant sur l’adresse ‹www.slir.org› vous trouvez les informations nécessaires et utiles sur l’histoire et l’actualité de la Société, les congrès, notre Revue et la collection de la Bibliothèque de Linguistique Romane. Parmi les informations qui concernent plus strictement la Société je mentionne ici la liste des membres, qui vous donne la possibilité d’entrer en contact avec des romanistes du monde entier. Comme cette liste est du domaine public, il faut un mot de passe pour pouvoir disposer des adresses électroniques des membres. Le mot de passe en vigueur jusqu’au prochain congrès sera communiqué aux membres par courriel avant la parution du prochain fascicule. Le trésorier dispose en outre d’une liste plus riche en informations, qui fait voir pour chaque membre l’état de ses cotisations, ce qui facilite considérablement mon travail. L’utilisation des moyens offerts par ce système connaît aussi des aspects problématiques. C’est ainsi qu’une partie des sociétaires ont reçu, il y a quelques mois, une circulaire presque illisible. Je me suis fait des reproches à moi-même, à ce vieillard qui ne sait plus manier les moyens modernes de communication. Mais notre jeune informaticien de l’Université de Zurich, Samuel Läubli, m’a rassuré en m’expliquant qu’il s’agissait-là d’une incompatibilité presque inévitable dans certains cas entre le système de l’expéditeur et celui du destinataire. Permettez-moi d’attirer votre attention sur l’onglet ‘cotisations’ de notre site, où vous trouverez les différentes modalités de paiement. Je vous conseille de payer en ligne, en utilisant votre carte bancaire ou carte de crédit. En 2013, plus de 150 membres se sont déjà servis de cette possibilité d’un paiement sécurisé et très commode. Je vous prie pourtant de faire attention : cette modalité de paiement présuppose l’identité de votre adresse électronique actuelle avec celle enregistrée dans notre liste des membres. Il en résulte la nécessité de nous faire connaître les changements d’adresse : l’adresse postale pour l’envoi des fascicules de la Revue, l’adresse électronique pour le paiement de la cotisation et – bien entendu – pour les circulaires du trésorier (surtout ses lettres de rappel !). À propos des virements sur compte bancaire, je vous prie d’indiquer clairement le nom du débiteur. Dans les relevés bancaires que je reçois chaque semaine, il m’arrive parfois de lire des noms comme « Università Italiana per », « CAZRES2ZXXX » ou « agent comptable Univ.Str. » ou bien l’adresse typiquement flamande ou neerlandaise « Weledelzeergeleerde » (à segmenter wel edel zeer geleerde (herr)). Il faut tenir compte du fait que les informations contenues dans ces relevés s’arrêtent après un certain nombre de lettres. Venons-en maintenant aux choses sérieuses, aux chiffres. D’emblée, je souhaiterais souligner que les changements survenus pour l’imprimeur et pour le distributeur de notre Revue, tous les deux sur l’initiative de Martin Glessgen, ont permis une réduction importante des coûts. Vous avez chacun en main le rapport chiffré. Je commence par les titres en possession de la Société, qui constituent notre fonds de réserve. On y constate, comme déjà à Valence, une augmentation tranquille et continuelle, au milieu des tempêtes financières de cette période :

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Titres 2007-2010 30.6.2010 19.322,68 € 31.12.2010 19.417,81 € 31.12.2011 19.655,64 € 31.12.2012 20.223,15 € 31.5.2013 20.331,67 € Répartition du portefeuille : 19.006,55 €

OPCVM obligataires OPCVM divers

1.325,12 €



La situation des comptes bancaires, des revenus et des dépenses, connaît, comme dans le passé, des fluctuations importantes, y compris sur la longue durée. Ces fluctuations sont faciles à expliquer : la fabrication des fascicules de la Revue, par exemple, peut produire des coûts dans une année et des revenues l’années d’après. De même, les frais pour notre base de données sont très variables d’une année sur une autre. Malheureusement, cela vaut aussi pour les cotisations des membres qui devraient être versées au début de chaque année, puisqu’il s’agit là en même temps de l’abonnement à notre Revue dont la production et la diffusion génèrent des frais très concrets. Je vous suis d’autant plus reconnaissant de ne pas m’en vouloir de mes différentes actions de rappel. Voici donc les comptes d’exploitatation de la Société de Linguistique Romane pour les années 2010 à 2013 : Excédent de l’exercice précédent : comptes bancaires : titres :

12.505,96 € 19.322,68 €



31.828,64 €

Solde final (31.7.2010) :

Année 2010 (à partir du 1er août 2010) Recettes cotisations fascicules RLiR + BiLiRo intérêts sur compte d’épargne

24.275,20 € 23.099,33 € 256,00 €



Total recettes (août – décembre 2010)

47.630,53 €

Dépenses frais bancaires impression, envoi etc. rédaction, mise en page site internet (création, gestion)



Total dépenses (août – décembre 2010) Recettes – dépenses :



183,68 € 5.447,03 € 9.588,68 € 5.532,78 € 2 0.752,17 € 26.878,36 €

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Année 2011 Recettes 21.949,83 € 28.028,72 € 11.791,76 €

cotisations fascicules RLiR + BiLiRo subventions



Total recettes 2011



61.770,31 €

Dépenses frais bancaires 645,64 € taxes postales 80,81 € rédaction, mise en page 18.367,00 € impression, envoi 19.107,29 € photocopies 829,00 € site internet, gestion 1.901,31 € école d’été, Procida, subvention 2.000,00 € abonnement surpayé 35,00 € cotisation, retour 92,50 € Total dépenses 2011



Recettes – dépenses 2011

43.058,55 € 18.711,76 €



Année 2012 Recettes cotisations fascicules RLiR + BiLiRo subventions intérêts



13.194,43 € 28.043,47 € 24.101,65 € 548,40 €



65.887,95 €

frais bancaires photocopies coûts distributeur Internet, services inform. rédaction, mise en page impression, envoi subvention Procida SFR

574,16 € 83,25 € 3.640,90 € 158,87 € 21.413,09 € 42.268,22 € 2.000,00 € 336,12 €

Total recettes 2012 Dépenses

Total dépenses 2012 Recettes – dépenses 2012



70.474,61 € - 4.586,66 €

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Année 2013 (- 31 mai) Recettes 579,57 € 16.549,48 € 5.346,00 € 50.543,94 € 469,60 €

intérêts 2012 cotisations fascicules RLiR + BiLiRo subventions SFR retour





73.488,59 €

Recettes 2013, total Dépenses

306,88 € 690,13 € 10.749,00 € 50.825,00 € 139,98 €

frais bancaires frais administratifs rédaction, mise en page impression SFR

62.710,99 €

Dépenses 2013, total Recettes – Dépenses 2013 :



10.777,60 €



67.999,40 € 20.331,67 €

Avoir de la SLiR le 31.5.2013 : comptes bancaires titres Solde final :



88.331,07 €

Ce solde final reste naturellement provisoire puisqu’il faudra payer l’impression et la diffusion des deux fascicules de la Revue, la production du deuxième fascicule ainsi que toutes nos autres dépenses pour les sept mois de juin à décembre 2013. Il y a également des fluctuations importantes d’une années sur l’autre, et il peut y avoir des années qui nous apportent un déficit comme c’était le cas en 2012. Mais notre budget est en équilibre, ce qui me rassure tant comme secrétaire-trésorier que comme membre de notre Société. Les abonnements et les cotisations des membres constituent la part la plus importante de notre revenu et aussi de notre travail. À propos des cotisations, je soumets à votre attention les propositions suivantes : (i) Comme déjà lors de l’exercice précédent, je vous rappelle que chaque sociétaire sera tenu à payer la cotisation. Et même les membres qui ont une fonction dans le cadre de notre Société, comme moi-même, notre secrétaire-administrateur ou nos membres d’honneur souhaitent donner l’exemple et honorer cette obligation. (ii) On maintiendra pour les trois années à venir les tarifs de la cotisation pour les membres individuels, de 49,50 euros, et pour les jeunes chercheurs de 38 euros. On considère comme ‘jeunes chercheurs’ ceux qui ont moins de 35 ans environ et n’ont pas encore de poste stable. En général, ce tarif vaut dans chaque cas individuel pour une durée de cinq ans maximum.

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CHRONIQUE

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(iii) Pour faciliter l’adhésion à notre Société aux collègues qui viennent des pays ayant des difficultés économiques, nous proposons de maintenir la troisième catégorie des sociétaires qui vivent dans les pays de l’Est européen ainsi que sur le continent africain. Ils continueront à jouir d’un tarif très fortement réduit, d’un montant de 29 euros à partir de 2014. Dans l’exercice précédent, nous croyions pouvoir soutenir une cotisation encore plus basse, mais elle s’est avérée irréaliste, compte tenu, notamment, des frais de port. Voici enfin mes prévisions pour le reste de cette année (juin – décembre 2013). Recettes 7.000 € 24.000 € 3.000 € 600 €

cotisations fascicules RLiR + BiLiRo subventions intérêts



Recettes 2013/2, total :



34.600 €



20.000 € 5.000 € 350 € 300 €

Dépenses impression RLiR + BiLiRo rédaction, mise en page frais bancaires/postaux page Internet, gestion Dépenses 2013/2, total :



25.650 €

Pour terminer, trois remarques personnelles : mes remerciements vont à la communauté des sociétaires, qui ont toujours fait preuve d’un remarquable esprit de collaboration dans les problèmes qui peuvent naître dans le travail de tous les jours. Mes remerciements vont également à mon ami Martin Glessgen pour son aide, pour ses idées intelligentes, mais aussi pour sa disponibilité à se laisser convaincre par des arguments si, très exceptionnellement, nous n’étions pas d’un même avis. Et un grand merci finalement à Dumitru Kihaï : sans son aide précieuse et toujours intelligente, de nombreux problèmes n’auraient pas été résolus. Il me reste à dire que c’est aujourd’hui le dernier rapport financier que je donne à la Société. J’ai rempli la fonction de secrétaire-trésorier depuis octobre 2009. Ce n’est pas une période très longue. Mais il faut voir qu’au prochain congrès de notre Société j’aurai presque 80 ans et ce n’est pas un travail pour un octogénaire. Il est temps de charger de cette responsabilité une personne plus jeune que moi. Notre président vous soumettra d’ici peu la proposition du Bureau qui me semble un choix excellent. Et je promets que, dans la mesure du possible, j’aiderai mon successeur tout comme l’a fait pour moi notre cher collègue Jean-Paul Chauveau. Je vous remercie de votre attention. » Le rapport financier, qui a été approuvé par les commissaires aux comptes, Mme Marie-Guy Boutier et Thomas Städtler, est adopté à l’unanimité. L’assemblée remercie par ses applaudissements Gerhart Ernst et Dumitru Kihaï pour les grands services qu’ils ont rendus à la Société.

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CHRONIQUE

5° Révision des Statuts Le président informe l’Assemblée que la révision des statuts discutée lors du Congrès de Valence s’est avérée être une opération beaucoup plus lourde que prévu étant données les lenteurs extraordinaires de la Préfecture de Paris. Étant donné que la Société fonctionne grâce à ses sociétaires, à ses organismes et à leur bonne entente, et non pas grâce à ce règlement, le Bureau a pris le parti de continuer avec les vénérables statuts votés dans l’Assemblée Générale du 5 avril 1956, en remplacement de ceux de l’année de notre fondation 1925. D’éventuelles clarifications nécessaires pourront faire l’objet d’un règlement intérieur. 6° Élections (a) Élection du président pour les trois années à venir. M. Jean-Pierre Chambon, président qui sort de charge et n’est pas rééligible, fait savoir que le bureau est unanime à suggérer que se maintienne la tradition d’élire président l’un de nos vice-présidents. Le président donne lecture d’une lettre de M. Lorenzo Renzi dans laquelle celui-ci indique qu’il doit renoncer, pour des raisons de santé, à se présenter. Le bureau a dû prendre acte, à son grand regret, de cette décision. Le président propose donc, au nom du bureau, la candidature de M. David A. Trotter. Le président s’adresse à l’Assemblée pour demander s’il y a une autre candidature. L’Assemblée n’ayant pas proposé d’autre candidat, on procède à un vote à bulletins secrets à l’issue duquel M. David A. Trotter est élu président par 132 voix sur 135 votants. (b) Élection du vice-président pour les six années à venir. Ce point à l’ordre du jour doit connaître une modification suite au retrait de M. Renzi. Le président demande à l’Assemblée l’autorisation d’élargir ce point à l’élection de deux vice-présidents, en théorie pour six années, même si l’un d’entre eux pourra être candidat à la Présidence dans trois ans. L’Assemblée ayant accepté cette proposition, M. Chambon présente les deux candidatures émanant unanimement du bureau : celle de M. Roberto Antonelli, éminent philologue ; celle de M. Fernando Sánchez Miret, ancien conseiller de notre Société (de 2004 à 2010), qui a organisé sous l’égide de notre ancien président Emilio Ridruejo le Congrès de Salamanque en 2004 et en a publié les actes et qui, au sein du comité de rédaction de notre Revue, se charge depuis près de dix ans de la gestion des comptes rendus ibéroromans. L’Assemblée n’ayant pas proposé d’autre candidat, on procède à un vote à bulletins secrets à l’issue duquel M. R. Antonelli est élu vice-président par 126 voix sur 130 votants ; M. F. Sánchez Miret est élu vice-président, également par 126 voix sur 130 votants. (e) Élection du secrétaire-trésorier adjoint pour les six années à venir. Ce point de l’ordre du jour doit également connaître une modification puisque le secrétaire-trésorier en titre, M. Gerhard Ernst a décidé de se retirer à mi-parcours de son mandat. Le président demande par conséquent à l’Assemblée l’autorisation d’élargir ce point de l’ordre du jour à l’élection du secrétaire-trésorier et du secrétaire-trésorier adjoint pour les six années à venir. L’Assemblée ayant accepté cette proposition, M. Chambon présente les deux candidatures émanant unanimement du bureau, celle de M. Thomas Städtler comme secrétaire-trésorier et celle de M. Fabrice Bernissan comme secrétaire-trésorier adjoint. L’assemblée n’ayant pas proposé d’autre candida-

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ture, leur élection, à bulletins secrets, est acquise respectivement par 138 et 137 voix sur 139 votants. (f) Élection de six conseillers en remplacement de ceux qui avaient été élus à l’Assemblée générale d’Innsbruck en 2007 Six postes de conseillers étant libres (Mmes Clarinda Azevedo Maia, Ana Maria Cano González, Maria Grossmann, MM. Yves-Charles Morin, Pierre Rézeau, Wolfgang Schweickard, Mme Heidi Siller-Runggaldier), le président présente sept noms proposés par le Bureau, en fonction des critères habituels (participation à nos congrès et à la vie de la Société, équilibre géographique prenant en compte la répartition des sociétaires) ; les sept candidats sont présentés brièvement par des membres actuels du Bureau. L’Assemblée consultée ajoute une candidature supplémentaire. On procède à un vote à bulletins secrets dont le résultat est affiché le surlendemain dans le patio du Congrès. Sont élus Mme Éva Buchi, MM. Steven Dworkin, Rosario Coluccia, Peter Koch, Adam Ledgeway et Mme Célia Marques Telles. (g) Élection de membres d’honneur. Le président propose, au nom du bureau, l’élection de M. Lorenzo Renzi comme membre d’honneur du bureau. M. Max Pfister propose à l’Assemblée, également au nom du bureau, l’élection de M. Jean-Pierre Chambon, président sortant, comme membre d’honneur du bureau. M. Emili Casanova propose M. Joan Veny comme membre d’honneur du bureau. Le vote, à main levée, est acquis à l’unanimité. Le Bureau et le Conseil sont donc ainsi composés : Présidents d’honneur : Antoni Badia i Margarit, Gerold Hilty et Max Pfister. Membres d’honneur : Jean-Pierre Chambon, Jean-Paul Chauveau, German Colón, Günter Holtus, Maria Iliescu, Robert Martin, Bernard Pottier, Lorenzo Renzi, Emilio Ridruejo, Gilles Roques, Marius Sala, Alberto Vàrvaro, Joan Veny et Marc Wilmet. Président : David A. Trotter. Vice-présidents : Roberto Antonelli et Fernando Sánchez Miret. Secrétaire-administrateur : Martin-D. Glessgen. Secrétaire-administrateur adjoint : André Thibault. Secrétaire-trésorier : Thomas Städtler. Secrétaire-trésorier adjoint : Fabrice Bernissan. Conseillers délégués auprès du Bureau : Éva Buchi, Cesáreo Calvo Rigual, Rosario Coluccia, Steven Dworkin, Peter Koch, Adam Ledgeway, Anthony R. Lodge, Célia Márques Telles, Laura Minervini, Wulf Oesterreicher, Franz Rainer et Rodica Zafiu. 7° Commissaires aux comptes L’Assemblée désigne dans ces fonctions, sur proposition du bureau, Mme Lene Schøsler et M. Daniel Jacob.

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CHRONIQUE

8° Siège du XXVIIIe Congrès Le président informe l’Assemblée de la candidature de Rome pour l’organisation du prochain Congrès de notre Société et donne la parole à M. Roberto Antonelli qui présente cette candidature. Ces informations données et en l’absence d’autre candidature, la candidature de Rome est adoptée à l’unanimité. Le président remercie vivement M. Antonelli dont l’initiative concrétise une espérance de tous les romanistes. Il propose que le nouveau président soit autorisé par l’Assemblée générale à prendre en son nom toutes les décisions nécessaires concernant l’organisation de notre XXVIIIe congrès. Cette autorisation est accordée à l’unanimité. 9° Clôture Le président conclut en remerciant chaleureusement les organisateurs de ce Congrès et les sociétaires qui ont a participé à l’Assemblée générale. Il exprime sa confiance dans l’avenir de nos études et de notre Société. La séance est levée à 18h35.

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TABLE DES MATIÈRES Marcello Barbato, La métaphonie romane occidentale ......................................

321-342

Marie-Guy Boutier, L’origine du pronom régime accentué moyen français régional lie, wallon lèye ....................................................................................... 385-402 Nathalie Bragantini-Maillard / Mattia Cavagna, La langue de Jean de Vignay dans le Miroir historial : perspectives philologiques ........................... 203-236 Jean-Pierre Chambon, Sur le type ˹mer˺ “petite étendue d’eau douce” dans le lexique et la toponymie du nord du domaine comtois (Haute-Saône, Territoire-de-Belfort, Haut-Rhin, Jura suisse) .............................................. 437-460 Jean-Paul Chauveau, Fr. ébarouir : étymologie-histoire et étymologiereconstruction .......................................................................................................

167-182

Adina Dragomirescu, Du latin au roumain : une nouvelle hypothèse sur l’origine du supin en roumain ............................................................................

51-86

Alexandru Gafton, Les avatars conceptuels de la famille du roum. faţă. Le témoignage des traductions de la Bible ............................................................ 183-202 Klaus Grübl, La standardisation du français au Moyen Âge : point de vue scriptologique ....................................................................................................... 343-384 Marlies Janseger / Renata Enghels, De verbo de percepción a marcador de disculpa: la evolución diacrónica del verbo sentir en español ........................

139-166

Xavier Leroux, Régionalité linguistique du Mystère de saint Vincent (BnF, fr. 12538) ................................................................................................................

461-516

Jan Lindschouw, Passé simple et passé composé dans l’histoire du français. Changement paradigmatique, réorganisation et régrammation ...................

87-120

Stella Medori, Eléments gallo-italiens et gallo-romans dans les parlers corses ......................................................................................................................

121-138

Wim Remysen, Le rôle des dictionnaires français dans le discours normatif d’Étienne Blanchard, chroniqueur de langue ................................................

517-540

Paul Videsott, Les débuts du français à la Chancellerie royale : analyse scriptologique des chartes de Philippe III (1270-1285) .........................................

3-50

Aude Wirth-Jaillard, Un bestiaire pas si bête : moutons (de poussière), chatons (d’arbre) et leurs synonymes. Essai de sémantique comparée .......

403-436

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TABLE DES MATIÈRES

COMPTES RENDUS Manuel Ariza, La lengua del siglo XII (Dialectos centrales), Madrid, Arco Libros (Bibliotheca Philologica), 2009, 350 págs. (José Ramón Carriazo Ruiz) ......................................................................................................................

257-259

Esther Baiwir, Atlas linguistique de la Wallonie, tome 17 : Famille, vie et relations sociales, Université de Liège, Presses universitaires de Liège – Sciences humaines, 2011, 421 pages (André Thibault) ................................

575-577

Hélène Blondeau, Cet « autres » qui nous distingue : tendances communautaires et parcours individuels dans le système des pronoms en français québécois, Québec, Les Presses de l’Université Laval (collection « Les voies du français »), 2011, xiv + 254 pages (Carole Salmon) ..................................

273-276

Heiner Böhmer, Grammatikalisierungsprozess zwischen Latein und Iberoromanisch, Tübingen, Narr Verlag, 2010, 548 pages et un CD-Rom (Lene Schøsler) ..............................................................................................................

558-563

Emili Casanova / Lluís R. Valero (ed.), Nous materials de toponímia valenciana, València, Denes, 2013, 939 p. (Joaquim Martí Mestre) .................. 564-567 Cesáreo Calvo Rigual, Estudi contrastiu del lèxic de la traducció italiana del Tirant lo Blanc (1538), Barcelona, Institut d’Estudis Catalans (Biblioteca filològica, 72), 2012, 359 pages + 1 CD-Rom (Gabriele Giannini) .............

552-554

Ana M.ª Cano González (ed.), Homenaxe al Profesor Xosé Lluis García Arias, Oviedo, Academia de la Llingua Asturiana, 2010, 1078 páginas [2 tomos] (Vicente J. Marcet Rodríguez) .........................................................

568-574

Concepción Company Company (dir.), Sintaxis histórica de la lengua española. Primera parte: la frase verbal, 2006; Segunda parte: la frase nominal, 2009, México D. F., UNAM/Fondo de Cultura Económica, 2 + 2 vol., cxxvi + 1404, cxxxi + 1738 páginas (María Victoria Pavón Lucero) ....

247-256

Frédéric Duval (ed.), La « logique » du sens. Autour des propositions de Robert Martin, Metz, Presses de l’Université Paul Verlaine (Recherches linguistiques, 32), 2011, 325 pages (Christiane Marchello-Nizia) .........................

237-242

Xosé Lluis García Arias (coord.) / Emili Casanova (ed.), Toponimia hispánica. Origen y evolución de nuestros topónimos más importantes, Valencia, Denes, 2011, 396 páginas (Maria-Reina Bastardas i Rufat) ............... 260-262 Hans Goebl (sous la direction de), Atlant linguistich dl ladin dolomitich y di dialec vejins, 2a pert / Atlante linguistico del ladino dolomitico e dei dialetti limitrofi, 2a parte / Sprachatlas des Dolomitenladinischen und angrenzender Dialekte, 2. Teil, 5 vol. de cartes + 2 vol. d’index ; Strasbourg, SLiR/ ELIPHI (Coll. Bibliothèque de Linguistique Romane, Hors Série n° 2.12.7), 2013 (Jean-Paul Chauveau) ..................................................................... 242-244 Steffen Heidinger, French anticausatives. A diachronic perspective, Berlin/ New York, De Gruyter (Linguistische Arbeiten), 2010, 205 pagine (Heidi Siller-Runggaldier) .......................................................................................... 266-273

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TABLE DES MATIÈRES

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Franz Lebsanft / Monika Wingender (ed.). Europäische Charta der Regionaloder Minderheitensprachen. Ein Handbuch zur Sprachpolitik des Europarates, Berlin, De Gruyter, 2012, 445 pagine (Gabriel N. Toggenburg) ... 543-544 Jean Le Dû / Guylaine Brun-Trigaud, Atlas linguistique des Petites Antilles. Volume I, Préface de Jean Bernabé, Enquêtes coordonnées par Robert Damoiseau, Paris, Éditions du CTHS, 2011, 350 pages (Jean-Paul Chauveau) .........................................................................................................

276-281

Philippe Olivier, Dictionnaire d’ancien occitan auvergnat. Mauriacois et Sanflorain (1340–1540) (Beihefte zur ZrP, 349), Niemeyer, Tübingen, 2009. Préface de Max Pfister. xlv + 1306 pages (Hélène Carles) ........................ 262-266 Franco Pierno, Postille spiritual et moral (Venise, 1571). Étude historique, analyse linguistique, glossaire et édition du premier commentaire biblique imprimé en langue vulgaire italienne, Société de Linguistique Romane, Stras­bourg, 2008, xiv + 388 pagine (Angelo Variano) .................................

549-552

Marius Sala / Andrei Avram (ed.), Dicţionarul etimologic al limbii române (DELR), vol. 1 : A – B (ed. Doru Mihăescu), Bucureşti, Editura Academiei Române, 2011, xliii + 473 pages (Gerhard Ernst) ................................

554-557

L. de Saussure / A. Borillo / M. Vuillaume (ed.), Grammaire, lexique, référence. Regards sur le sens. Mélanges offerts à Georges Kleiber pour ses quarante ans de carrière, Berne, Peter Lang, 2012, 424 pages (Robert Martin) .................................................................................................................

541-543

Paul Videsott, Padania scrittologica. Analisi scrittologiche e scrittometriche di testi in italiano settentrionale antico dalle origini al 1525 (���� Beihefte zur ZrP, 343), Tübingen, Niemeyer, 2009, xvii + 624 pages (David Trotter) ................................................................................................................ 244-246 Paul Videsott (con la collaborazione di Chiara Marcocci; con l’integrazione di materiali raccolti da Guntram A. Plangg, Maria Iliescu, Heidi SillerRunggaldier), Rätoromanische Bibliographie / Bibliografia retoromanza 1729-2010, Bozen-Bolzano, Bozen-Bolzano University Press (Scripta Ladina Brixinensia, II), 2011, 520 p. (Giampaolo Salvi) ..............................

545-549

Inka Wissner, La Vendée dans l’écriture littéraire. Analyse du vocabulaire régional chez Yves Viollier, Strasbourg, Éditions de linguistique et de philologie, 2013, xii + 409 pages (Claude Poirier) ..............................................

574-575

PHILOLOGIE ET ÉDITION DE TEXTES Gerrit Bos / Julia Zwink (ed.), Berakhyah ben Natronai ha-Nakdan. Sefer Koʾaḥ ha-Avanim (On the Virtue of the Stones). Hebrew Text and English Translation. With a Lexicological Analysis of the Romance Terminology and Source Study, Leiden/Boston, Brill, 2010 (Études sur le Judaïsme Médiéval, 40), 2010, x + 187 pages (Marc Kiwitt) ......................................... 288-291

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640

TABLE DES MATIÈRES

Jean Froissart, Melyador, roman en vers de la fin du XIVe siècle, édition critique par Nathalie Bragantini-Maillard, Préface de Michel Zink, Genève, Droz (Textes littéraires français, 616), 2012, 2 volumes, 1973 pages (Béatrice Stumpf) ..............................................................................................

587-592

Frédéric Duval (ed.), Le Mystère de saint Clément de Metz, Genève, Droz (Textes Littéraires français), 2011, 813 pages (Nadine Henrard) .............. 299-305 Approches du bilinguisme latin-français au Moyen Âge. Linguistique, Codicologie, Esthétique. Études réunies par Stéphanie Le Briz et Géraldine Veysseyre, Turnhout, Brepols (CNRS – Centre d’études Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge – Collection d’Études médiévales de Nice, vol. 11), 2010, 522 pagine (Caterina Menichetti) ........................................................

305-314

Jean d’Abondance, Le Gouvert d’Humanité, édition critique par Xavier Leroux, Paris, Champion (Presses universitaires de la Faculté des lettres de Toulon, Babeliana 13), 2011, 291 pages (Yan Greub ; Gilles Roques)

592-599

Anne-Marie Liétard-Rouzé (ed.), Messire Gilles de Chin natif de Tournesis, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion (Textes et perspectives. Bibliothèque des Seigneurs du Nord), 2010, 235 pages (Barbara Ferrari) .............................................................................................................. 282-287 Giovanni Palumbo (ed.), Le Roman d’Abladane, Paris, Champion (Classiques français du Moyen Âge, 164), 2011, 181 pages (Gilles Roques) ...................

291-299

Tony Hunt (ed.), An Old French Herbal (ms. Princeton U.L. Garrett 131), Turnhout, Brepols (Textes vernaculaires du Moyen Âge, 4), 2008, 152 pages (Gilles Roques) .......................................................................................

577-586

MISES EN RELIEF Alberto Varvaro, Il «latino sommerso» e la formazione delle lingue romanze

601-606

Heiner Böhmer, Une théorie de la grammaticalisation : l’École danoise .........

607-621

NÉCROLOGIE Colette Dondaine (1921-2012) par Gilles Roques ..............................................

315-316

Peter Schifko(1938-2012) par Eva Lavric ..............................................................

317-318

CHRONIQUE CILFR2010 DE VALENCIA ..................................................................................

319-320

Assemblée Générale de la Société de Linguistique Romane, Nancy, le mercredi 17 juillet 2013 .................................................................................

622-636