Rencontres magiques avec des hommes préhistoriques (French Edition) 9782343239323, 2343239320

Lucy, l'homme de Néanderthal et Otzi montrent que, s'ils n'ont pas nos connaissances, nos moyens technolo

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Rencontres magiques avec des hommes préhistoriques (French Edition)
 9782343239323, 2343239320

Table of contents :
TABLE DES MATIERES
UN FABULEUX DECOR
LES AUSTRALOPITHEQUES

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Martine Beaussant •

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Rencontres magiques avec des hommes prehistoriques

RENCONTRES MAGIQUES AVEC DES HOMMES PREHISTORIQUES

Pour Comprendre Collection dirigee par Bruno Pequignot L'objectif de cette collection Pour Comprendre est de presenter en un nombre restreint de pages (176

a 192 pages) une question contemporaine

qui releve des differents dornaines de la vie sociale. L'idee etant de donner une synthese du sujet tout en offrant au lecteur les moyens d'aller plus loin, notamment par une bibliographie selectionnee. Cette collection est dirigee par un cornit6 editorial cornpose de professeurs d'universit6 de differentes disciplines. Ils ont pour mclie de clioisir les themes qui feront I'objet de ces publications et de solliciter les specialistes susceptibles, dans un langage simple et clair, de faire des syntheses. Le comit6 editorial est compose de: Maguy Albe� Jean-Paul Chagnollaud, Domimque Chäteau, Jacques FontaneI, Gerard Marcou, Pierre Muller, Bruno Pequigno� Denis Rolland.

Dernieres parutions l\1artine BEAUSSANT, Rencontres magiques avec des hommes prehistoriques, 2021 Olivier NKULU KABAMBA, La

relation

medecin-patient.

Approche kantienne de la pratique medicale, 2021 Bemard VERDIER, L'art desenchante, Essai sur les origines de l'esthetique contemporaine, 2021 Morgan LOTZ, La voie vers le divin, 2021 Pierre YGOUF, L' entreprise mature. Proposition pour une philosophie d'entreprise, 2021 Constant SOKO, Analyse quantitative des donnees bi-variees en sciences

sociales.

Les

mesures

de

la

liaison

entre

dewc

phenomenes sociawc : Techniques, protocoles, interpretations et graphiques, 2020 Xavier BOLOT, Le corps vivant. Une approche scientifique de l'intelligence, de !'emotion et de la conscience, 2020 Claude

FAGNEN, Les origines du calendrier, 2020

Dorninique BARRAS, Pourquoi la mediation 7 Des reponses Cl vos interrogations, 2020.

Martine BEAUSSANT

RENCON TRES MAGIQUESAVEC DES HOMMES PREHISTORIQUES

Du meme auteur

La scolarite d'un enfant sourd, L'Hannattan, 2003 En cours : La derniere nuit a la conciergerie

5-7,

© L'Harmattan, 2021 rue de I'Ecole-Polytechnique -75005 Paris www.editions-hannattan.fr ISBN: 978-2-343-23932-3 EAN: 9782343239323

Docteur en anthropologie, panni les nombreux cours re9us a I'universite, ceux concemant l'evolution de I'homme m'ont particulierement interessee. Vous savez, la prehistoire, I' äge de pierre, I' äge du cuivre . . . avec toutes les idees que nous nous faisons sur I'homme des cavemes ! J'ai eu envie de le rehabiliter et le re-habiller. En effet, je me suis trouvee devant des bribes d'os qu'il fallait repertorier et essayer de remettre dans leur epoque. Les scientifiques font de remarquables travaux pour traquer le moindre petit indice d'un humerus, d'une mandibule ayant appartenu a un tres antique personnage et le faire parler. Mais cela me laisse inassouvie. J'imagine que dans quelques milliers d'annees, on retrouve des morceaux de mon squelette. L' analyse scientifique precisera avec raison que j 'etais du genre feminin, me dateront du XX1° siede. Mes os et mes dents passes sous microscope devoileront quelques-unes de mes pathologies, de mes habitudes alimentaires . . . mais je ne me reconnais pas trop dans cette description. OU sont ma famille, mes chats, mes stocks de bonbons, mes amis, mes amours . . . mes emmerdes ! C' est pour cela que je reste bien ennuyee devant le froid silence de mon personnage du temps passe. Ce bout d'os que j' ai entre les mains, cet homo « quelque chose », a existe. Il est ne, il a ete un bebe sage ou malicieux, il a balbutie sous I' ceil attendri de sa maman ses premiers mots. Il a ete aime, a aime, a eu des coups de gueule, des coups de blues. Cet etre, peut­ etre un peu different de nous, a pourtant ressenti des emotions semblables aux nötres. Il a dil verser une lanne a la naissance de son enfant. Il est reste pantois devant les neiges roses d'un matin d'hiver, un sublime coucher de soleil en technicolor, ou le sourire d'un amour. Puis il est mort, a ete pleure. Bref, il a ex-is-te avec son rire en cascade, son humeur de dogue, ses idees bien arretees, ses hesitations. C' est precisement cela que je veux vous faire ressentir, malgre les 7

millenaires qui nous separent. Evidemment, presenter un etre du passe comme bien vivant ne releve pas d'une demarche scientifique mais d'une plongee dans I'imaginaire. Je me base sur les etudes passionnantes faltes par les chercheurs, puis prends un peu de liberte pour m'envoler et rendre vivant mon personnage. Ce n'est pas de la science dira-t-on ! Oui, mais la science sans un petit grain d'imagination me semble bien sterile. C'est en voyant passer un nuage que I'homme inventa le voyage et que voyant un arbre flottant sur I'eau viendra I'idee du bateau . . . L' imagination ! Cet ouvrage se presente donc sous forme de trois volets. Chacun d'entre eux possede une partie rigoureusement scientifique et une autre qui deborde sur I'imaginaire (mais pas si debride que cela). J'essaye de rester la plus realiste possible. Je donne trois coups de projecteur pour illustrer l'evolution humaine. Ma petite trilogie commence par Lucy, il y a 3 millions d'annees. Elle ne faisait pas partie du genre homo, mais n'etait deja plus un singe. Elle inaugurait la « ruee vers I'homme ». Il aurait ete dommage de louper ce point de depart ! Ensuite, un grand saut dans le temps nous mene a I'homme de Neanderthai, si decrie a cause de son physique un peu rude, qui vivait il y a 40000 ans. Je termine par Otzi, cette momie des glaces qui vivait il y a seulement 5000 ans, et me fait me demander a I'instar de Moliere : « mais qu'est-ce qu'il allait faire dans cette galere ? ». Ou a retrouve son corps a plus de 3000 metres d'altitude, sans crarnpons et sans equipement de haute montagne. Avouez que ce n'est pas banal ! Bien d'autres personnages auraient pu illustrer cette evolution humaine mais il faut faire un choix. J' ai donc choisi ces trois­ la qui, fmalement, nous expliquent pas si mal l' evolution de nos tres lointains ancetres.

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PREMIERE PARTIE

LUCY IN THE SKY WITH DIAMONDS

Les

bourgeons

produisent

de

nouveaux

bourgeons.

S'ils

sont

vigoureux, ils fonnent des branches qui elirninent les rarneaux les plus faibles. Je crois que nos generations passe es ont agi de merne POUf fonner le grand arbre de l' evolution. Des branches rnortes brisees se sont enfouies dans l'epaisseur de la tourbe terrestre pendant que de rnagnifiques

rarnifications,

toujours

vivantes,

et

sans

cesse

renouvelees en couvrent la surface.

eharles DARWIN L'origine des especes

AVANT-PROPOS Jusqu'a ces derniers siecles, il Mait entendu que I'etre humain descendait, selon la volonte Divine, d' Adam et d'Eve tel que le narre la genese, au debut de la Bible, parfaitement incontestable a l' epoque. L'Romme avait Me cree Romme par Dieu, depuis toujours, et le resterait. Mais Charles Darwin, en 1 859, ajete un gros pave dans la mare des scientifiques de I' epoque en faisant paraitre sa theorie sur I' evolution des especes. Il avait en effet observe que certains oiseaux, pourtant de la meme espece, s' Maient adaptes a des environnements bien distincts. La forme de leurs becs avait evolue ce qui rendait plus efficace la prise de nourriture qu'ils trouvaient dans leurs biotopes respectifs. Les diverses especes ne sont donc pas arrivees teiles quelles sur Terre mais les aleas de leur environnement les ont pousse soit a evoluer (biologiquement, anatomiquement) pour survivre, soit a disparaitre. Cette evolution ne se fait naturellement pas en quelques jours, mais s 'Mablit de generations en generations sur des millenaires. Le « scandale » de I'affaire est que cette theorie evolutionniste concerne I'homme. Imaginez ! Selon Darwin, nous descendrions du singe. Ce fut une vraie bataille entre les creationnistes et les darwinistes a coup de petites phrases assassines. « Vos ancetres descendent peut-etre du singe, mais les miens, eux, descendent de Dieu ! » Qu'en est-il exactement ? Il est incontestable que les grands singes (gorilles, bonobos, orangs-outans, chimpanzes) nous ressemblent Mrangement. Qui n'est pas trouble en croisant le regard de I'un d'eux ? De plus, nous partageons avec eux un bon nombre de genes : pres de 90 %. C'est enorme et cela

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prouve qu'il existe une parente incontestable entre eux et nous. Nous ne parlons peut-etre plus de descendance directe. Mr et Mme Bonobo ne sont pas nos arrieres­ arrieres . . . grands-parents mais nous leur reconnaissons un lointain cousinage. Il y a bien bien longtemps, nous avons vraisemblablement eu un ancetre commun dont une branche a donne les singes tandis que I'autre suivait une autre evolution qui allait mener a I'espece humaine. Ce tres lointain aieul commun reste a decouvrir (Bonne chance aux chercheurs sur le terrain). De nos jours, de nombreuses fouilles ont Me faites avec de magnifiques resultats qui perrnettent de suivre un peu mieux l' evolution humaine. Vous connaissez tous I' homo habilis qui devient homo erectus, puis homo sapiens. Comme Darwin I' annon9ait, au fil des millenaires, nos squelettes se sont transforrnes et nos capacites ont evolue. Ces recherches sont cependant fort delicates car nous ne trouvons qu'un morceau de squelette par ci, un outil de pierre taillee par la. C' est un peu comme essayer de reconstituer I'image d'un puzzle avec seulement quelques pieces. Mais c ' est aussi cela qui rend la recherche passionnante ! Et puis, et puis . . . nous trouvons des morceaux de squelettes encore plus anciens que nous ne pouvons pas classer parmi les ancetres des hommes, mais pas vraiment classables non plus parrni ceux des singes. Je parle de I'australopitheque. Un chainon de l'evolution ? C'est lui, ce « singe austral », que je voudrais vous presenter, et plus particulierement Lucy, cette chere petite Lucy, notre vieille arriere-cousine, que j 'aimerais vous faire decouvrir dans cet ouvrage.

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CHAPITRE 1 UN FABULEUX DJtCOR Fennez les yeux et imaginez simplement. Je ne vous demande pas de comprendre : pour I 'heure, c' est incomprehensible. Fennez juste les yeux et ecoutez cette merveilleuse histoire. Il y a bien bien longtemps. Il y a 13 milliards d'annees. Oh, je ne vous dirais pas, ni aucun astrophysicien, que c 'Mait un lundi a 1 6 h 36, car c 'Mait dans la nuit des temps. Dans I'infiniment noir du cosmos, ou plutot I'infiniment inconnu, il y avait un point, un simple minuseule petit point dense, tres dense, tres tres dense et tres tres chaud. Et ce fut la deflagration, la lumiere, la naissance de quelque chose. Ce que nous appelons le Big Bang venait de donner naissance a notre univers. Gardez toujours les yeux fennes et continuez a imaginer les galaxies naissantes au fil des millions d'annees qui passent. L'une d'entre elles attire notre attention. Elle s'appelle la Voie Lactee. C' est notre galaxie, celle Oll nous vivons, notre adresse cosmique en quelque sorte. Son nom provient d'une des legendes de la mythologie grecque. Zeus, le Dieu tout puissant de l'Olympe, desire donner I'immortalite a Heracles encore bebe. Il le depose au cote d'Hera, son epouse endonnie, pour qu'il puisse teter le sein divin, et obtenir par ce lait magique la vie eternelle. Hera se reveille en sursaut, arrache le bebe de son sein, et par la meme envoie gicler quelques gouttes de son precieux lait dans le eie I qui deviendront la Voie Lactee. Alors comment se presente notre Voie Lactee ? J'utilise humblement cet adjectif possessif car c'est un peu chez nous n'est-ce-pas ? Et nous pouvons etre fiers de notre adresse cosmique ! Elle se presente sous fonne d 'un disque 13

assez plat de 100 a 120 000 annees lumieres de diametre, eonstitue de 200 a 400 millions d' etoiles, du moins eelles que I'on a pu apereevoir au plus loin de nos possibilites, et vous eomprendrez qu'il est diffieile de toutes les denombrer. Je preeise que les etoiles ne sont pas des planetes mais des astres. Oui, il y a des eentaines de millions de soleils de par ehez nous ! Parmi eux, le nötre, en toute simplieite . . . Notre voie laetee se eompose d 'un bulbe eentral eontenant un trou noir massif d' Oll partent des bras spirales. Au bord de I'un d'eux, nomme le bras d'Orion, se trouve notre soleil, eelui qui nous fait de si beaux etes, et a environ 150 millions de kilometres de lui, une petite planete bleue : la Terre. Notre galaxie n'a rien de partieulierement remarquable. Elle est « petitoune » en eomparaison a, par exemple, une autre joliment nommee « Ie 1 1 0 1 » qui est de taille 2000 fois superieure a la nötre ! Notre systeme solaire ne semble qu 'un tout petit village lais se au bord du ehemin. Rien, en apparenee, d' extraordinaire. Un extraterrestre la deeouvrant dans son teleseope sophistique penserait peut-etre que notre galaxie n'est qu'une sorte de bled perdu au milieu des eieux et passerait a plus interessant. Oui, mais, a nos sens, notre petite galaxie, avee la Terre, reeele un veritable tresor : LA VIE. Nous sommes tous la, humains, animaux, vegetaux pour en temoigner. Je me reprends : la vie habite notre planete mais rien n'interdit de penser qu'ailleurs, loin ou pres de nous dans I' espaee, d' autres formes de vie ne se sont pas developpees. Notre petite boule bleue est done Ia, tournant autour du soleil, qui lui-meme suit un ehemin dans I'infini dont les astrophysieiens s' efforeent de tracer la earte qui, qui . . . Stop ! N'allons pas si loin, atterrissons et regardons notre planete.

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Le temps a passe apres le Big Bang et nous sommes maintenant il y a 700 millions d'annees. Le systeme solaire semble bien « huile », tout tourne rond et la Terre danse sa valse des ans. Il y fait bien chaud, une chaleur humide que nous aurions peine a supporter. Mais elle est recouverte d'un merveilleux liquide sans qui rien n'aurait pu evoluer : I'eau. Un ocean, peut-etre peu profond, fait entendre le bruit de ses vagues. En laboratoire, nous appellerions cela un vrai bouillon de culture. Une enorme masse continentale emerge au milieu de cette mer unique. Mais les abords cötiers n'auraient pas inspire quelques clubs de vacances vendeurs de « formules tout inclus, les pieds dans I'eau » car ce mega continent, appele Rodinia, possede une activite volcanique impressionnante. Puis, par accumulation de chaleur sous la Rodinia - rappelez-vous que la Terre n'etait qu'une boule de feu, il n'y a pas si longtemps au chronometre cosmique - des parties du continent se soulevent et se fracturent. Imaginez le seisme ! Les rifis continentaux se developpent et percent leurs failles. Les divers morceaux de ce continent unique entament alors leurs derives au gre des flots, des plaques tectoniques. Dans I'un d'eux, appele le Gondwana, se cache notre Afrique. L'histoire des continents n'etant pas notre sujet, je precipite un peu le temps pour arriver a la fin du jurassique : il y 160 millions d'annees, I' Afrique commence a se detacher de I' Amerique du Sud. Regardez sur une carte comme elles s 'emboitaient bien. A la fin de Cretace, il y a 80 millions d' annees, la Terre commence a ressembier a la representation actuelle que nous en avons. Notons que nos 5 continents cheris continuent leurs derives oceaniques et j e me demande bien quelle sera la carte de notre globe terrestre dans quelques centaines de millions d' annees . . . Notre terre, qui continue inexorablement son voyage celeste, execute ce que Dame Nature lui a demande. Le 15

vivant apparait sous fonne monocellulaire puis avec des agencements de plus en plus complexes et perfectionnes : la Vie aquatique (algues), puisque notre boule bleue Mait recouverte d 'un ocean primordial, mais aussi la Vie terrestre (herbes, fougeres) car le continent Rodinia devait etre conquis. Les fonnes de vies animales suivent et s'installent dans cet incroyable « vivarium » geant. Premiers poissons, premiers reptil es, premiers oiseaux, premiers mammiferes. La partition symphonique de la Vie retentit magnifiquement. Savez-vous qu'il reste des animaux pratiquement inchanges depuis des dizaines de millions d'annees et qui nous accompagnent encore de nos jours ? Mais oui ! Je cite les plus connus : I' eponge, la meduse, le crocodile et autres alligators et gavials. Les yeux jaunes des crocodiles meritent le respect, n'est-ce-pas ? Leurs organismes sont si bien adaptes ida vie et it ses aleas qu'ils n'ont pas trouve necessaire d'entrer dans le cycle d'une evolution quelconque. Ils sont amplement autosuffisants. Helas, tous les animaux ne sont pas dotes de cette belle « perfection biologique ». Des leur apparition sur Terre, la plupart sont soumis a la dure loi de Darwin : s'adapter ou disparaitre. L'exemple le plus marquant et le plus connu est celui des dinosaures. Il y a 66 millions d'annees, ces reptiles dominaient la pianMe. Rien ne semblait pouvoir freiner leur expansion. Le fameux T Rex aurait pu dire dans son langage « - Je suis le roi du monde ! » Il n'allait pas tarder a couler. . . Un asteroide percute violemment la Terre du cote du golfe du Mexique. Un catastrophique seisme s'ensuit, accompagne d'un incendie presque pianMaire. Des particules en suspension envahissent alors I'atmosphere et piongent notre planMe dans une nuit qui durera des mois, voire des annees. La temperature chute 16

vers des froids glaciaux. Les vegetaux, faute de lumiere, ne peuvent pas assurer la photosynthese qui leur est necessaire pour croitre et meurent les uns apres les autres. Les dinosaures survivants du cataclysme mourront de faim et de froid, ainsi que bien d'autres especes. Quand le jour reparait timidement sur Terre, le cycle vegetal peut reprendre. De petits marnmiferes ressemblant vaguement a des souris sortent de leurs terriers sans trop avoir souffert du froid, des radiations ni de la faim . . . Ils avaient un bon nombre de cadavres a grignoter. Apres le regne des dinosaures, le regne des mammiferes peut commencer. Ils ont, a leur tour, colonise la planete pour suivre I' evolution prevue par Dame Nature qui menera aux ancetres du lion, des girafes, des antilopes, des elephants. Lucy, et plus tard, I' etre humain, se profilaient dans cette merveilleuse histoire de la Vie. Essayons de I'introduire. Il y a 10 millions d'annees, aucun fossile d'hominide, c ' est-a-dire une « bestiole » dont la silhouette se rapproche de la nötre, n'a ete a ce jour trouve. Ce qui ne signifie pas qu'il n'existait aucun representant de I'espece, mais simplement rien ne le prouve. Durant la fin du miocene, il y a environ 5 millions d'annees, un incident geologique va se montrer essentiel pour !' apparition de Lucy suivie, bien plus tard, de la nötre. Une fracture nord/sud du continent Africain, doublee d 'une forte activite volcanique, fait s' elever des montagnes qui stoppent les vents humides porteurs d' eau. A I'ouest de ces monts se developperont des forets ombrophiles, c'est-a-dire tropicales humides, tandis qu'a I' est poussera une vegetation seche de type savane. La consequence de ce clivage se fait sentir pour un animal qui vivait en ces lieux. Il ressemble vraisemblablement a un singe et la pauvre bete subit de plein fouet cette 17

variation geologique et climatique. Selon la dure loi de Darwin, il va devoir faire face et s ' adapter s' il ne veut s' Meindre. Il evoluera en deux branches distinctes. Du cote de la foret humide, les dryopitheques seront les ancetres des singes tandis que du cote de la nouvelle savane, les ramapitheques, s 'adaptant a un biotope plus sec et moins boise, mimeront une vie terrestre, proche du sol, et evolueront en australopitheques dont Lucy. Encore plus tard, naitront de cette branche les hominides : nous On peut penser que les ramapitheques se sont aventures dans la savane avec courage, animes de plein de curiosite en decouvrant ce nouvel environnement qu' est la savane. Certainement aussi, physiquement plus faibles que les dryopitheques, ils se sont fait peu a peu chasser de leur foret protectrice par ces derniers a propos d'un conflit de ressource, de nourriture. Il semble que de nos j ours encore leurs descendants, les hommes, ne fassent toujours pas « le poids » face iI un gorille ou un chimpanze en colere, nettement plus fort que nous. Il Mait donc une fois, sur Terre, I' australopitheque, « fils » des ramapitheques qui a vecu entre 4,2 et 2 millions d'annees.

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CHAPITRE 2 LES AUSTRALOPITHEQUES Panni les tres aneiens moreeaux d'ossements trouves sur des sites de fouilles, eertains sont earaeteristiques. Ils eorrespondent a un animal qu'il est impossible de presenter ear il a disparu de notre planMe. Il a ete nomme australopitheque, ou singe austral. Au premier abord, sans analyse preeise, on peut penser a des restes d'un ehimpanze. Notre Luey avait done quelque peu le look fort eoquet de « Cheeta », l'amie de Tarzan, ou de la faeetieuse « Judith » des episodes de la serie « Daktari ».

Son arbre genealogique

Il n'y a aueune declaration de naissanee ! Il est done assez diffieile de suivre la filiation de Luey. Nous pouvons essayer de la resumer tres sueeinetement. Les aneetres du Luey, eonfrontes a la faille nord-sud en Afrique, se sont adaptes a l'arrivee d'une vegetation de type savane, tout en eontinuant a eötoyer leur habitat d' origine fore stier. Ils ont petit a petit mute en australopitheques qui se sont disperse dans toute la pointe sud-afrieaine, il y a approximativement 8 millions d'annees. De nombreux representants sont trouves en des points sud, sud-est afrieains. En novembre 1 974, une equipe eodirigee par les ehereheurs Donald Johanson (paleoanthropologue), Mauriee Taieb (geologue) et Yves Coppens (paleontologue) qui travaille sur un site ethiopien, pres de la riviere Awash, fait une deeouverte magnifique. « - He ! Viens voir ! Je erois tenir quelque ehose d'interessant ! ». Et eomment ! Il s'agit des restes du squelette d'une femelle 19

australopitheque, dite afarensis, qui sera baptisee Lucy. Pourquoi Lucy ? Parce que I' equipe ecoutait le tube du moment des celi�bres Beattles « Lucy in the sky with diamonds ». On peut lui preferer le nom ethiopien, en amharique, de « Dinqnesh » qui signifie « tu es merveilleuse », et rend hommage aux ongmes ethiopiennes de la petite Lucy. Lucy, qui n' etait pas seule au monde, se reproduira. L'australopitheque se diversifiera en diverses branches, tout comme I'homme presente lui aussi de nombreuses differences : regardez un suedois et un pygmee ! En ce qui concerne I' australopitheque, nous trouverons des fonnes robustes, nettement plus musculeuses que ne I'etait Lucy. Helas, ils disparaitront de la creation et seuls leurs squelettes temoignent de leur passage sur Terre. En revanche une fonne dite africanus, plus gracile, plus « plastique » et donc plus adaptable, survivra et donnera, plus tard, naissance au genre homo, le premier sur la liste etant I' homo habilis, notre lointain arriere grand-parent. Seule la branche homo persistera et menera aux brillants representants que nous sommes. Les australopitheques, eux, disparaitront. C'est pour cela que les temoignages qui restent d'eux, sous fonne d'ossements, sont si precieux pour retlechir sur I'histoire de l' Evolution sur notre jolie pianMe.

Les restes de Lucy

L' equipe de chercheurs precites a donc mis a JOur les ossements de notre petite australopitheque afarensis. C' est tres frustrant, car ce n'est pas un squelette entier. Ce la serait trop facile ! Il ne reste que 52 fragments, au moins bien conserves, sur les 206 os que devrait totaliser le squelette complet, soit environ 40 %. Et vous savez quoi ? 20

C'est dej a enonne. Jusqu'a present on n'avait exhume que quelques bribes d'humerus, de mandibules, de crane. Lucy represente « la » decouverte du siecle, celle que I' on ne fait qu'une fois dans sa vie. Je ne sais pas si Lucy brille dans le ciel paree de ses diamants, comme dans la chanson des Beatles, mais dans les yeux des chercheurs brillent certainement mille etoiles ! Examinons maintenant ce que nous revelent ces os.

Le crane On peut distinguer deux parties dans un crane. La partie haute, plus ou moins spherique qui contient le cerveau et la partie faciale avec yeux, nez, machoires. Remarquez que chez les singes, la partie superieure est nettement moins developpee que la partie inferieure. Ils ont, en quelque sorte, un front etroit mais des mandibules impressionnantes. Et encore, vous n'avez pas examine leurs dents avec leurs terrifiantes canines ! Pensez aussi a ces merveilleux dessins dans les albums d' Asterix Oll certains legionnaires grades romains sont parfois representes avec un front minuseule mais des machoires faites pour huder. . . C' est un peu I'idee. Remarquez aussi que la partie faciale chez les singes est avancee par rapport a la partie cerebrale, comme pour fonner un museau. Nous constatons au fur et a mesure de l'evolution humaine que la partie cerebrale s'accroit. Le singe possede une capacite cranienne d'environ 500 cm3 tandis que la nötre est d'environ 1 500 cm3, et comme il faut bien loger notre cerveau, notre crane a grossi en consequence. Parallelement, la partie maxillaire de notre anatomie s'atrophie. Mais si ! Nos machoires et nos dents sont ridicules comparees a celles des grands singes ! Notre visage « re eule » vers la voute cranienne sans fonner cette

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sorte de museau. Dans des millions d'annees, nous aurons vraisemblablement un look etrange avec un gros crane et un petit menton qui ne s'avancera pas. Savez-vous d'ailleurs que de plus en plus de bebes naissent sans futures dents de sagesse, lesquelles semblent jugees inutiles par Dame Nature et pretigure une future regression de notre machoire dans les millions d'annees a venir ? Sije peux me permettre, si vous voulez a tout prix que nous conservions notre allure actuelle, il est peut-etre encore temps de faire activement travailler nos muscles masticateurs. Stop a la puree, steaks haches et delicieuses mousses au chocolat. Mettez-vous plutöt serieusement a grignoter des carottes crues, de la noix de coco, des choses consistantes. Etudions notre petite Lucy. Sa capacite cränienne n' est pas extraordinaire. Plus proche du cerveau des singes que du nötre. Oui mais, elle a quand meme un cerveau un peu plus gros que celui des chimpanzes. 550 cm3. C'est peu, mais c ' est enorme, car cela prouve que « la course au cerveau » est lancee. Lucy la debute. Precisons quand meme que la taille du cerveau n' a pas forcement de rapport avec l'intelligence. On peut avoir un gros cerveau et etre stupide. Ce sont les connections neuronales qui se creent dans notre matiere grise qui feront de I' individu un etre petillant . . . ou pas. Notons cependant que plus le cerveau a de matiere, plus il est susceptible de developper un reseau de connections interessantes. De plus, la stimulation a son mot a dire. Plus on amene un enfant a s'interesser a diverses activites d' eveil, plus il se « musclera » intellectuellement. Avouez que Lucy se trouvait pile poil dans un milieu favorable. Au depart, elle avait un cerveau un peu plus gros que celui de son cousin singe, mais de plus, son milieu nature I venait de changer. Plus de foret routiniere, mais une savane qui, j ' imagine, devait la confronter a toute sortes de nouveautes et de 22

questions quotidiennes a resoudre : « qu' est-ce que c' est que cette chose ? 9a se mange ? est-ce dangereux ? Puis-je m'aventurer la-bas ? ». De quoi se creer un bon reseau de connections neuronales non ? En resume, Lucy, si elle ne fait pas partie du genre humain, n'est plus tout a fait un singe. Elle se situe pres des primates, mais est en route pour I'humanite. Si I'on etudie le reste de son visage, cela confirme nos dires. Les singes montrent d'impressionnantes canines adaptees a une alimentation de dures racines. Les males ont les canines bien plus developpees que leurs femelles, utilisables pour de cruelles morsures, mais qui peuvent aussi seduire ces dames guenons car elles imagent la virilite et le pouvoir de protection dudit male. Un peu comme de beaux biceps bien galbes ne laissent pas indifferents la gent feminine de notre espece. L'australopitheque, « Little Foot », retrouve dans une grotte de Sterkfontein en Afrique du sud, montre des canines plus raisonnables, entamant la regression que nous constatons sur notre denture. Les dents de I' australopitheque ne sont pas des dents humaines, mais ne sont plus des dents de pongides (Ies pongides appartiennent a la famille des grands singes), meme si encore assez proches. L'allure generale de cranes trouves, car Lucy n'Mait heureusement pas la seule de son espece, montre un tres leger recul de la face. Elle est un peu moins simiesque, avec une face plus « plate ».

La bipedie Les grands singes se tiennent a I'occasion debout, mais reviennent rapidement a une position de quadrumane,

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c ' est-a-dire sur leurs quatre mains. Lucy, elle, semble adopter la bipedie, position qu' elle nous leguera plus tard. La courbure de ses vertebres cervicales le positionnement de son crane, l'anatomie de son bassin et des femurs demontrent que Lucy marchait sur ses deux jambes. Observons son pied. Il possede une courbure comparable a la nötre et classe Lucy parmi les etres aptes a la marche et a la course. Cette cambrure du pied absorbe les chocs, fait levier et permet une bonne adaptation aux terrains accidentes. Les personnes ayant les pieds « plats » comprendront parfaitement. Le revers de la medaille est que Lucy, tout comme nous quelques millenaires plus tard, avons perdu la mobilite de notre gros orteil et sommes devenus de pietres grimpeurs (quoique, en regardant certaines personnes grimper aux arbres de fa90n hallucinante, il semble que rien ne soit tout a fait perdu). Et puis, nous avons de tres emouvantes empreintes de pieds, venues de 3,7 millions d'annees a Laetoli en Tanzanie. A cette epoque, Le volcan Sadiman avait vomi des flots de cendres. Trois australopitheques ont alors traverse la zone qui, suite a une legere averse s' est induree, cimentant leurs empreintes de leurs pas pour I' eternite. Merveilleux n'est-ce pas ? Que disent ces traces ? Que les australopitheques etaient bien bipedes. Les empreintes sont pareilles a celles d 'un homme moderne marchant les genoux legerement flechis. Cette acquisition de la bipedie est une etape tres importante pour I' evolution des especes. Au depart, nous pouvons penser que dans un environnement de savane, les parents de Lucy ont pris l'habitude de se redresser pour inspecter ce qui se passait autours d' eux puisque la vue etait degagee. Cette position, debout en surveillance, a une consequence primordiale pour Lucy, ses descendants et pour nous-memes. C'est la liberation de la main. La main 24

ne servant plus d'appui au sol va pouvoir se consacrer a de grandioses choses : la fabrication d' objets. Les doigts vont pouvoir se doter d 'une certaine agilite, les mouvements de la main s 'affiner. Comme parallelement, le cerveau se dote de connections, neuronales, I'intelligence s'accroit, I'imagination galope, et dans la petite tete des australopitheques pourra naitre I' idee d' adapter un caillou, une branche, a telle ou telle täche. Les chimpanzes utilisent deja des obj ets rudimentaires, comme une pierre pour casser une noix. Lucy peut franchir une etape de plus. Le silex taille, outil fa90nne a la main, s' annonce dans un futur assez proche dans I 'histoire de I' evolution.

Les membres superieurs Que constater sur les membres superieurs de notre petite bipede ? Ils sont bien longs. Elle a peut-etre la gräce de ces ballerines qui sont tout en bras et en j arnbes. . . Plus anatomiquement, elle a les bras plus longs que les jarnbes ce qui lui donne une allure proche de celle du chimpanze. Cela temoigne surtout de son gout arboricole. Si elle est bipede, elle reste attachee aux arbres, son lieu de refuge, et grimpe aux branches avec un grand talent d' acrobate. Elle semble posseder deux moyens de locomotions. Ses pieds, en marchant comme nous, mais aussi ses bras pour se mouvoir de branches en branches. Pratique n'est-ce-pas ? Nous avons perdu cette faculte de nous propulser avec nos bras (notons que les jeunes gymnastes qui executent d' epoustouflantes figures aux agres nous montrent qu' il nous en reste un petit quelque chose ! ). Une decouverte faite en Afrique du sud, dans la grotte de Malapa, nous en apprends un peu plus sur les australopitheques qui vivaient il y a 1,9 millions d'annees. Leurs poignets sont proches de celui de I'homme moderne.

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Ils semblent dotes d'une pince tres precise entre le pouce et I' index alors que les grands singes utilisent une prise entre leur pouce et la paume de leur main. Faites I'experience d'essayer d'attraper une aiguille entre votre pouce et votre paume puis recommencez en utilisant cette fois-ci votre pouce et votre index. Vous comprendrez bien vite la notion de precision de ce delicat mouvement de pince que nous faisons 1000 fois par j our sans y preter attention. De plus, le pouce semble relativement long par rapport aux autres doigts et bien muscle. En conclusion, nous sommes devant une main tout a fait apte a la creation d'objets. Nous attribuons les premieres creations d' outils, teiles les pierres taillees, a I' homo habilis, qui debute la branche humaine, mais notre petite Lucy aurait tres bien pu etre, elle aussi, capable de « bricoler » un silex. Apres tout, les grands singes utilisent bien des pierres pour casser une no ix trop dure, ou des brindilles pour traquer les fourmis. Lucy qui les voyait agir devait faire de meme et, comme son cerveau etait un peu plus gros, elle avait certainement ameliore la technique. Premiers objets crees ? Helas, nous n'en avons trouve aucune trace sur les sites de fouilles . . . Voila les quelques elements qui detinissent nos lointains cousins disparus. Est-ce que maintenant vous visualisez un peu mieux notre petite Lucy ? Elle se presente certainement sous I'aspect d'une petite femelle chimpanze au facies un peu moins simiesque. Sa posture est aussi plus droite, puisqu' elle est bipede. Cela lui donne une allure plus agile, plus decidee a tracer son chemin dans la longue histoire de la Vie. Regardez-Ia ! Elle a un petit gabarit. Elle devait mesurer I m l O pour un poids d'une trentaine de kilos. Il est difficile

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de faire une comparaison avec nous, mais elle a la taille d 'une fillette de 6-7 ans avec une bonne dizaine de kilos (de muscles) en plus. Priere de ne pas l'agacer ! Notons que les mäles sont plus impressionnants, beaucoup plus charpentes que les femelIes Elle est couverte de poils que l'on peut imaginer gris-roux, comme celui des singes. En revanche, sa peau est claire sous sa fourrure, comme celle des j eunes gorilles. Elle est parfaitement equipee pour les ardeurs du soleil africain. Nous allons maintenant pouvoir aller a sa rencontre. Vous etes prets ? Vous avez bien pense a prendre creme solaire, lotion anti-moustiques et avez de bonnes chaussures de marche ? Alors en route pour la savane ethiopienne d'il y a plus de 3 millions d'annees !

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CHAPITRE 3 A LA RENCONTRE DE LUCY

Il est clair que les australopitheques ayant disparu, laissant place au genre humain, il nous faut nous enfoncer dans les profondeurs du temps, il y a quelques 3 millions d'annees, et surtout dans les profondeurs de notre imaginaire pour se representer Lucy, la faire revivre. Jusque-lit, tout ce que j 'ai ecrit plus haut est verifiable. Maintenant, faute de preuves scientifiques, il n' est possible de faire que des suppositions les plus plausibles possibles. Dans cet esprit, allons maintenant it la rencontre de Lucy et des siens.

Son environnement

Avant de faire connaissance avec un animal, tout ethologue vous dira qu'il est necessaire de parfaitement connaitre son biotope, et que parfois, on marche beaucoup, sans pouvoir apercevoir un seul specimen ! Vous me suivez quand meme ? Nous sommes dans la savane. Mais qu'est donc exactement la savane que j 'ai dejit evoque plusieurs fois ? C'est une grande plaine, parfois decoree de collines qui ondulent sous une vegetation seche d'herbaces, de graminees, parsemee d'arbres ou d'arbustes. Le climat y est chaud toute I' annee avec deux saisons marquees : une dure saison seche et une saison des pluies guere plus agreable. Humains, animaux et plantes attendent avec impatience les premieres gouttes d'eau. Je trouve

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savoureuse cette fonnule camerounaise qui vous salut d'un aimable « je vous souhaite la pluie ». Cette pluie est en effet un vrai miracle. Apres la suffocante chaleur et la grande secheresse, la Vie peut enfin renaitre. De nombreux animaux perissent quand la secheresse se prolonge trop. Le moindre point d'eau devient un enjeu de survie tres convoite par tous. Quand la pluie arrive enfin, les cours d'eau debordent, les lacs se remplissent, les plantes se mettent a verdir, a eclore de magnifique fa90n. La plaine, jadis jaune et brillee par le soleil, devient un veritable vert päturage que des troupeaux entiers d'herbivores (zebres, gnous . . . ) investissent, a la grande joie des grands carnivores (!ions, pantheres . . . ), qui y trouvent un somptueux garde-manger. Nous sommes a l'epoque de Lucy, plus de 3 millions d'annees avant nous, et le climat est different de celui que connait la belle ville d' Addis Abeba de nos j ours. Il est beaucoup plus humide, et la chaleur humide nous est difficile a supporter. Le lac de Turkana, assez proche du site ou a ete trouvee Lucy couvre une beaucoup plus grande surface que le lac actuel. L' eau ne manquait pas. Il est bien triste de voir que le rechauffement climatique asseche et desertifie de beiles parties d' Afrique jadis si feconde. Tres logiquement, c'est pres d'un cours d'eau que nous allons trouver Lucy et les siens. Rappeions que ses os ont ete decouverts au bord de la riviere Awash. En attendant de decouvrir Oll se cache notre petite australopitheque, admirez la vegetation. Au milieu de hautes herbes, dont I'herbe a elephant que les pachydennes semblent priser, voyez tout d' abord le mythique baobab. Il est tout un symbole pour les africains. Si ! Regardez, la ! Vous ne pouvez pas le louper, il ressemble a un gros arbre plante a I' envers, comme si ses 30

racines pointaient vers le ciel ! Il a une allure unique, majestueuse, hors du temps. Savez-vous qu'il possede d'e1onnants fruits a coque qui cachent une pulpe blanche, acidulee, riche en vitamine C, appeles « pain de singe ». Voila qui devrait interesser notre Lucy ! Et puis servez-vous de votre odorat. Il y a des herbes aromatiques qui embaument, mais aussi de nombreux acacias qui donnent a I'air cette suave odeur de miel et dont les fleurs sucrees doivent bien regaler la gourmande petite australopitheque ! Venez, je vais aussi vous montrer quelques arbres fruitiers donnant goyaves, avocats, oranges, citrons. Rajoutez des ananas et des bananes et vous serez repus ! Ce la ressemble presque a un petit paradis, et la beaute de cette savane coupe le soume. Je vous demande juste de faire attention car dans ce paysage idyllique, embelli par le chant des cigales et les lancinantes stridulations des criquets, se cachent mille dangers. Regardez ce trou, le soir en sort une mygale ! Gare a sa morsure. Et puis sous les terrains rocheux, se tapissent des scorpions. Entre les herbes se faufilent egalement des « betes longues » plus ou moins venimeuses ! HIIIK ! Regardez aussi un peu en I'air car des pythons squattent les branches des arbres ! Vous n' etes pas trop effrayes et me suivez toujours ? Il faut que j'ajoute les nombreux lions qui paressent dans le coin avant de se mettre en chasse ! Pres du ruisseau la-bas, il y a des risques de trouver quelques sangsues. Beurk ! Et aussi des crocodiles qui stagnent a fleur d' eau. Ce la peut paraitre horrible, Eh bien oui, mais vous devez 31

le savoir car notre petite Lucy devait affronter tous ces dangers et apprendre au plus vite a y faire face si elle voulait faire de vieux os. De nombreux australopitheques ont servi de repas aux !ions, aux crocodiles, ont ete mordus par quelque serpent. C'est la partie cruelle de la savane, dans laquelle il faut montrer beaucoup d'humilite et beaucoup apprendre pour y survivre. Mais quand vous voyez passer un troupeau de girafes ou de gracieuses gazelIes dans le soleil couchant, tout devient magique et on ne voit que la merveilleuse beaute du lieu. Sorciere Afrique, envoutante dans sa beaute comme dans sa cruaute ! Chut ! E coutez bien ! Vous entendez ce vrombissement ? Il vient de la-bas, du groupe d'acacias Oll des abeilles ont fait leurs ruches ! Vous aimez le mi el d'acacia ? Eh bien Lucy Ci e pense) . . . et moi aussi ! Au fait, savez-vous que nos gros elephants ont tres peur des abeilles ? Du coup, pour proteger leurs cultures et leurs fruitiers dans lesquels les pachydermes obstines ont tendance a venir se servir sans scrupule, les villageois africains actuels bätissent des ruchers, ou bien se servent simplement d'enregistrements d' essaims dont I'inquietant bourdonnement tient les elephants chapardeurs a respectueuse distance des champs ! Ils ont beau etre grands et costauds, ils craignent enormement toutes les petites betes susceptibles d'envahir leurs trompes ! De nos j ours, cette methode permet aux cultivateurs de ne pas devoir tirer sur les elephants devastateurs et de conserver le fruit de leur dur labeur. Ce la permet aussi de preserver I' espece trop souvent braconnee pour son ivoire. Nous arrivons maintenant au bord de ce petit cours d' eau et en lisiere d'un bosquet. Nous entrons sur le territoire des australopitheques et ne devrions pas tarder a en apercevoir quelques-uns ou plutöt a en entendre, car si nous ne les avons pas encore aper9us, eux, a coup sur, nous ont 32

detectes depuis belle lurette, dissimules dans la vegetation. Ils vont donc avertir leurs congeneres que quelque chose d' insolite se presente chez eux ! Pour le moment, il s'agit de ne plus bouger. S 'ils se sentaient agresses, ils pourraient repondre par une attaque en regle. Exactement comme le faisait la chere Dian Fossey dans la brume, avec ses gorilles, il s ' agit juste de faire acte de presence non belliqueuse. Venir s'asseoir sans bouger une demi-heure, puis revenir le lendemain et revenir encore. Au bout d'un certain temps, on finit par faire partie du paysage et les gorilies de I'intrepide Dian finissaient par apparaitre de loin, d' abord mefiants, puis s' etant assures que I'ethologue ne presentait pas de danger particulier, ils s' approchaient, certainement cuneux de faire connaissance avec ce nouveau « truc » qui squattait un bout de leur foret depuis des mois ! Je la prends pour modele et m'assieds tranquillement. Et la longue attente commence. J'ai tout de meme ameliore la technique en deposant autours de moi des fruits et quelques sucreries que j 'avais en reserve dans mon sac a dos. La gourmandise est une astuce qui marche toujours ! Testez avec les chevaux par exemple, un petit bout de sucre, de biscuit, arrondit bien des angles et rendra votre monture bien disposee a votre egard. Pour en revenir aux australopitheques, comme ils ne sont vraisemblablement pas sots. Me voir croquer negligemment une mangue va les rassurer. Ils verront de visu que je ne me nourris pas de viande fraiche comme les lions qu'ils redoutent, et donc que je ne suis pas a classer parmi les predateurs. C'est un bon point n'est-ce-pas ? Les ethologues sont des anges de patience car les heures paaassent sans rien de bien nouveau . . . et c'est leur quotidien sur le terrain ! Pour ne pas sombrer dans la 33

neurasthenie (bon, la, j ' exagere un peu I), je retlechis a la musique que l'on neglige trop souvent a mon avis en etudiant les animaux. Ecoutez la melodie enchanteresse d'un rossignol. Ce la ne vous met-il pas un peu de soleil dans le cceur ? Remarquez que le verbe enchanter et le mot chant ont la meme etymologie. Les tous premiers des « enchantements », au sens magique du terme, etaient des melopees . . . envoutantes. Je pense que nous sommes, comme tous les animaux, sensibles a l'art musical. Non, un elephant ne va pas se pämer devant un morceau d'opera fut-il de Verdi ! Mais je suis sure qu'une courte melopee dans un rythme approprie va le faire reagir positivement. Vous croyez que j'affabule ? Pour appuyerma theorie (pas si saugrenue que cela), allez mettre un bon morceau de jazz et observez la re action de vos proches ! Nous nous tremoussons instinctivement en ecoutant Sydney Bechet, les spirituals du King Satchmo. Pourquoi les animaux ne seraient-ils pas comme nous, sensibles a certains sons . . . et a plus forte raison les australopitheques ? Si j ' etais dotee d'une jolie voix, je fredonnerais un air doux, calme et un peu lento La musique est un langage universei et en entendant une agreable melopee, les australopitheques vont se mettre a I' ecoute et seront intrigues. Vous connaissez tous la legende du j oueur de flute de Hamelin transmise par les freres Grimm n'est-ce-pas ? Je pense, comme eux, qu'un morceau de musique peut avoir un effet tres attractif. . . mais je ne connais en rien les gouts musicaux des australopitheques. Et puis ils doivent etre comme nous, chacun avec ses propres preferences.

Orange

Enfin ! Apres plusieurs jours d'attente, un craquement de branches vient de derriere moi ! Surtout, ne pas bouger, ni partir en courant. l'admire les ethologues qui restent 34

parfaitement stoiques alors qu'un enorme « silver back », c' est-a-dire le gorille male dominant, vient avec une allure peu aimable jusqu'a toucher le chercheur d'une bonne bourrade, histoire de faire connaissance, et signaler que : « c' est moi le chef ! ». Apres ce premier contact un peu rugueux, les relations s'arneliorent et les gorilies acceptent la presence de ce curieux intrus humain qui s' est incruste. Des liens exceptionnels peuvent alors se nouer. Restons stoique. Les australopitheques sont supposes etre plus intelligents que les gorilles, tout devrait bien se passer. Notez que cet australopitheque arrive par derriere moi, alors que je l'attendais du cote des arbres aux divers tons verts eblouissants, lil Oll ils sont supposes avoir leur habitat. Il m'a bien berne en me contournant, sans que je per90ive le moindre deplacement, pour arriver dans mon dos. C' est de toute evidence un fin stratege, aguerri a mille ruses . . . Je sais qu'il ne faut pas regarder les gorilles fixement dans les yeux, ce qu'ils prennent pour un signe de defi et ne vont pas laisser passer. Je presuppose que les codes sont les memes chez nos australopitheques. Je me retourne donc lentement vers lui, dans une attitude de basse soumission, sans sourire (a vrai dire j 'ai trop la trouille cela I). Cette mimique, qui pour nous temoigne de nos bonnes dispositions, revient a montrer ses dents, ce qui peut etre interprMe comme un « attention ! Je vais mordre ! » (Les chiens qui retroussent les babines vous avertissent ainsi tres loyalement de ne pas approcher plus). Il me vient alors une super idee pour temoigner de ma bonne volonte : je prends une orange qui se trouve a mes pieds et la lui tends tres tres lentement en murmurant : « Prends, c' est pourtoi, prends, c' est pour toi. » Oh mon Dieu, il est la, a quel quelques metres de moi ! Comme je m'y attendais, ils n' ont pas envoye le petit « troufion » de la bande, mais le male alpha, le grand chef 35

du clan, charge d' autorite et ayant comme miSSIOn la proteetion des siens. Il me parait enorme. Un bon metre trente-cinq de muscles dote d 'une mächoire impressionnante enveloppes d'une jolie fourrure courte plutöt rousse. Il tient un bäton dans la main, certainement en guise d'arme de dissuasion. S 'il savait I'arsenal que vont developper les humains dans les millenaires qui viennent.. . Pour le moment, il s'arrete net et semble retlechir sur la conduite a suivre. Je reitere mon geste de lui tendre l'orange en humble offrande. S 'il ne comprend pas, c' est qu'il est borne ! Son nez, epate, se fronce, comme s'il essayait d'analyser les odeurs. Celle du fmit semble lui plaire car il se decide a venir lentement, toujours en tenant son bäton, et d'un geste rapide et precis me prend le fmit de ma main. Je ne vous dis pas mon emotion ! Il re garde I'orange, et, avec grande agilite des doigts, la pele de la meme fa90n que nous le faisons (signe d'evolution ?), alors que les singes mordent carrement dans le fmit. Sans me quitter des yeux, il mächouille tranquillement son agrume parfaitement epluche. Il doit avoir un certain sens de I 'humour car il balance sur moi les pelures de son fmit ! Et, ma parole, il a une sorte de sourire que je qualifierais d' ironique ! Je croise alors son regard. Seigneur ! C'est un regard que je n'oublierai jamais. Un regard qui reflete . . . de I'humanite, oui c 'est cela, de I'humanite. De beaux yeux marron dans lesquels se refletent toutes sortes de sentiments. De la curiosite, de I'empathie, du contentement d' avoir mange une orange mais pas de haine ou de colere. Et puis, tout aussi soudainement et silencieusement qu'il

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est arrive, il disparait dans la futaie dont le soleil fait eclater les divers tons verts des feuillages. S ' eleve alors au loin un concert de sons. Visiblement, sa famille est rassemblee autour de lui et lui demande le compte rendu de notre entrevue : « alors raconte ! ». Je remarque qu'ils ne crient pas tous a la fois dans une veritable cacophonie comme le font leurs cousins primates, mais semblent se passer la parole et s' ecouter les uns les autres (encore un signe de I' evolution ?) Je pense que vous reagissez comme moi : il me faut un certain temps pour me remettre des evenements, et realiser ce qui vient de se passer : une premiere rencontre avec nos lointains ancetres. Lecteurs, etes-vous toujours la ? Nous poursuivons notre fabuleux voyage chez les australopitheques ? Je reviendrai donc demain au meme endroit, toujours avec quelques fruits a offrir. Je passe le reste de la journee, euphorique, a chantonner la chanson tres rythmee de Becaud : « tu as vole, as vole, I' orange du marchand ». Et notre bel australopitheque sera tout naturellement nomme « Orange » Le lendemain, orange attend mollement adosse contre le tronc d'un goyavier dont il croque les fruits. Il me re garde avec une sorte d'interet amuse. Je m'arrne de courage et m'approche lentement de lui. Sa fourrure a, sous le soleil, de jolis reflets roux. Il ne recule pas, ce qui n'est guere significatif, car un male dominant n' est guere dispose a reculer. Ce qui m'interesse le plus est que son attitude reste decontractee, pas de poils qui se herissent, de muscles qui se crispent, ni d'emissions de sons reprobateurs. C'est donc un « avis favorable » a ma tentative d'approche ! En realite, Orange n'a aucune raison de s 'inquieter. Il m'a parfaitement jaugee et sait que d'une simple chiquenaude, 37

il pourrait m'envoyer bouler a plusieurs metres. Savoir mesurer la force et la dangerosite de celui que I' on a en face est l'une des premieres le90ns donnees dans lajungle. Sur ce point, Orange en connait un rayon ! Puis, il fait alors preuve de curiosite, ce qui, pour moi est une marque d'intelligence. Sans curiosite intellectuelle, on n'evolue guere, n'est-ce-pas ? Il me considere avec une expression mi-amusee, mi-etonnee.