Regards français sur le coup d’État de 1921 en Perse: Journaux personnels de Georges Ducrocq et Hélène Hoppenot 9789004283671

Il existe peu de documents originaux pour permettre aux historiens de comprendre comment le coup d'État de Seyyed Z

607 74 9MB

French Pages 700 [706] Year 2014

Report DMCA / Copyright

DOWNLOAD FILE

Polecaj historie

Regards français sur le coup d’État de 1921 en Perse: Journaux personnels de Georges Ducrocq et Hélène Hoppenot
 9789004283671

Table of contents :
Table des matières
Introduction
Glossaire
Georges Ducrocq : Journal de Perse (1919-1921)
Note sur l’édition du texte
Du 13 avril au 13 novembre 1919
Du 13 décembre 1919 au 23 mai 1920
Du 5 juin au 15 juillet 1920
Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921
Suite du Journal de Perse : 24 août au 28 octobre 1921
Questions politiques et économiques
Voyage de retour Téhéran-Paris
Textes sans date rédigés et dactylographiés
Hélène Hoppenot : Journal de Perse (1920–1922)
Avant-prop
Téhéran 1920
Téhéran 1921
Téhéran 1922
Album Photo
Répertoire prosopographique
Bibliographie
Chronologie
English Summary
Index général

Citation preview

Regards français sur le coup d’État de 1921 en Perse

Iran Studies Editorial Board Ali Gheissari (University of San Diego, CA) Yann Richard (Sorbonne Nouvelle) Christoph Werner (University of Marburg)

VOLUME 13

The titles published in this series are listed at brill.com/is

Regards français sur le coup d’État de 1921 en Perse Journaux personnels de Georges Ducrocq et Hélène Hoppenot

édités et présentés par

Yann Richard With an English Summary

LEIDEN | BOSTON

Illustration de la couverture : Le personnel de la Légation devant la résidence, (de g. à dr.) Georges Ducrocq, Henri Hoppenot, ‘Ali-Akbar Siâsi, André Malzac, Lucien-Louis Bellan, Tomasini (élève-drogman). © – Hélène Hoppenot, communiquée gracieusement par Michael Wilson à partir de ses archives personnelles. Library of Congress Cataloging-in-Publication Data Regards français sur le coup d’état de 1921 en Perse : journaux personnels de Georges Ducrocq et Hélène Hoppenot / edites et presentes par Yann Richard.   pages cm. — (Iran studies ; v. 13)  Includes bibliographical references and index.  ISBN 978-90-04-28367-1 (hardback : alk. paper) — ISBN 978-90-04-28377-0 (e-book)— ISBN 978-2-909961-54-5 (IFRI) 1. Iran—History—Coup d’état, 1921—Sources. 2. Ducrocq, Georges, 1874–1927. 3. Hoppenot, Hélène. I. Ducrocq, Georges, 1874–1927. II. Hoppenot, Hélène. III. Richard, Yann.  DS315.4.R44 2015  955.05’1—dc23 

2014037310

This book is copublished with the Institut Français de Recherche en Iran (IFRI) as no. 78 in the Bibliothèque iranienne. This publication has been typeset in the multilingual “Brill” typeface. With over 5,100 characters covering Latin, ipa, Greek, and Cyrillic, this typeface is especially suitable for use in the humanities. For more information, please see www.brill.com/brill-typeface. issn 1569-7401 isbn 978-90-04-28367-1 (hardback) isbn 978-90-04-28377-0 (e-book) isbn 978-2-909961-54-5 (ifri) Copyright 2015 by Koninklijke Brill nv, Leiden, The Netherlands. Koninklijke Brill nv incorporates the imprints Brill, Brill Nijhoff and Hotei Publishing. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, translated, stored in a retrieval system, or transmitted in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording or otherwise, without prior written permission from the publisher. Authorization to photocopy items for internal or personal use is granted by Koninklijke Brill nv provided that the appropriate fees are paid directly to The Copyright Clearance Center, 222 Rosewood Drive, Suite 910, Danvers, ma 01923, usa. Fees are subject to change. This book is printed on acid-free paper.

Table des matières Introduction  1 1 Le coup d’État de 1921 et les sources historiques  1 Problème des dates  4 2 Pourquoi ces deux journaux en parallèle ?  6 3 Méthode d’édition  8 4 Les notices biographiques  9 5 Quelques questions importantes  10 Starosselsky  10 Ziyâ od-Din Tabâtabâ’i  12 Le danger bolchevique  13 L’Accord Anglo-Persan  14 6 Les auteurs  15 Georges Ducrocq  15 Hélène Hoppenot  18 Glossaire  21 Transcription  23 Georges Ducrocq : Journal de Perse (1919-1921)  25 Note sur l’édition du texte  27 Du 13 avril au 13 novembre 1919  28 Du 13 décembre 1919 au 23 mai 1920  91 Du 5 juin au 15 juillet 1920  177 Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921  192 Suite du Journal de Perse : 24 août au 28 octobre 1921   332 Questions politiques et économiques  363 Voyage de retour Téhéran-Paris  377 Textes sans date rédigés et dactylographiés  394 Hélène Hoppenot : Journal de Perse (1920–1922)  401 Avant-propos  403 Téhéran 1920  405 Téhéran 1921  491 Téhéran 1922  556 Album Photo  564

vi Répertoire prosopographique  577 Notices biographiques  582 Bibliographie  674 Chronologie  679 English Summary  684 Index général  687 ‫ف‬ Index des noms en persan ‫  ����هر����س� ت� ر ج��ا ل‬699

table des matières

Introduction 1

Le coup d’État de 1921 et les sources historiques

Dans la nuit du 21 au 22 février 1921 un détachement de deux mille cinq cents cosaques persans, un corps d’élite qui avait été commandé jusqu’alors par des officiers russes, arrivait de Qazvin et pénétrait dans la capitale iranienne sans tenir compte de l’ordre qui avait été donné la veille de se disperser. À sa tête, le colonel Rezâ Khan, celui-là même qu’on connut bientôt sous le titre nobiliaire de Sardâr Sepah et qui se fit plus tard appeler Rezâ Pahlavi. Celui qui devint Rezâ Shah en 1925 quand il fonda la dernière dynastie iranienne. Rezâ Khan manquait d’instruction et s’était allié à un jeune politicien anglophile, Seyyed Ziyâ, connu jusque là comme journaliste. La nuit même commencèrent les arrestations de personnalités en vue : le coup d’État était une manière de leur montrer que l’Iran pouvait se passer d’eux, qui vivaient comme des parasites sur la misère du peuple. Pour sortir de captivité, ils devaient s’acquitter de tous les impôts qu’ils n’avaient jamais payés : leur richesse devait désormais être partagée avec l’État pour faire repartir l’administration exsangue. Seyyed Ziyâ nommé Premier ministre et Rezâ Khan restant seulement, en un premier temps, chef des cosaques, deux hommes radicalement différents qui – semble-t-il – ne s’étaient jamais rencontrés avant le 20 février, créèrent un duumvirat inattendu. Ziyâ avait des idées mais accumulait les provocations, et tentait de faire appliquer l’Accord anglo-persan qu’il avait lui-même formellement révoqué. Il fut éliminé le 24 mai, laissant à Rezâ Khan le champ libre pour une ascension spectaculaire : ministre de la Guerre, Premier ministre, roi. Ces événements sont connus, mais, pour des raisons diverses, mal connus1. D’abord, l’époque n’était pas aussi sereine et claire que, quinze ans plus tôt, celle du mouvement constitutionaliste pendant laquelle les journaux entretenaient en Iran et en Europe ou en Amérique une grande curiosité pour la politique et les idées de réforme. En 1920, l’Iran est appauvri par la Guerre, morcelé par les rébellions et le brigandage, menacé par les Bolcheviques et gouverné par des politiciens peu scrupuleux et peu convaincus. Les Occidentaux, inquiets de la montée du communisme, reconstruisent leur économie et réorganisent leur domination sur le monde. Les querelles de pouvoir en Iran ne les intéressent plus. 1  Voir Y. Richard, « Le coup d’État de 1921 . . . » [références bibliographiques complètes dans la bibliographie.]

© koninklijke brill nv, leiden, ���5 | doi ��.��63/9789004283770_002

2

Introduction

D’autre part, les documents officiels attestant des conditions dans lesquelles s’est déroulé le coup d’État n’existent pas, ou n’ont pas été conservés : ni entre les Britanniques et les insurgés, ni entre les insurgés eux-mêmes, à aucun moment sûrs de leur réussite, n’ont été échangées des signatures. Seulement des paroles et des serments. Aucun service d’archive publique n’existait à l’époque en Iran. Il ne reste que quelques rapports épars. Les documents privés (notes personnelles, correspondances) qui auraient pu suppléer la déficience des sources gouvernementales ont souvent été détruits dans les années de régime autoritaire qui ont suivi, pendant lesquelles il n’était pas bon de garder des traces d’un événement sur lequel une version officielle unique était désormais imposée à tous. Là où ils ont existé, ces récits ont parfois tout simplement été réécrits par prudence (comme les carnets du prince ‘Eyn os-Saltana récemment publiés par le regretté Iraj Afšâr)2. Le seul recours, éminemment disert et complet, que trouvèrent les historiens pour pallier la pauvreté des sources locales, a été la consultation des documents diplomatiques étrangers, principalement britanniques. La Légation d’Angleterre avait en effet à Téhéran, mais aussi à Qazvin (état-major de la Norperforce), à Tabriz, Mašhad et dans les principales villes d’Iran, un réseau de consulats et d’informateurs très bien organisé, avec un personnel bilingue de haute qualité. Hélas, comme toute puissance dominante, la Grande Bretagne entretenait consciemment ou inconsciemment des idées et des jugements qui répondaient autant aux critères de la nécessité diplomatique qu’à ceux de l’opportunisme, rarement à ceux des historiens en quête d’objectivité. Ainsi, quand un diplomate britannique qualifie un ministre iranien d’imbécile ou d’incapable ou de vendu, il répond à la nécessité implicite de justifier sa présence de diplomate britannique et de légitimer les interventions légales et illégales de son gouvernement dans la politique locale. À dessein, j’ai maintenu, dans les notices biographiques rassemblées en annexe, de nombreuses appréciations négatives émanant de ces diplomates, destinées à l’usage interne et dont on mesure, souvent, la distance d’avec la réalité. Les discours de la puissance dominante ont ainsi envahi l’historiographie iranienne de deux manières principales : d’une part, des personnalités qui manifestaient trop d’indépendance de vue ont été noircies ou traînées dans la boue. C’est le cas de Vosuq od-Dowla, sur lequel les historiens iraniens, empruntant aux sources britanniques, ont redoublé d’invectives souvent injustes. Pour faire un portrait moins caricatural et convaincant de ce politicien et de son 2  M. Sâlur & I. Afšâr, eds., Ruznâma-ye xâṭerât-e ‘Eyn os-Salṭana (Qahremân Mirzâ Sâlur).

Introduction

3

action en politique étrangère, Oliver Bast, dans sa thèse de 2003, s’est simplement abstenu de recourir aux archives britanniques3. D’autre part, les acteurs politiques, britanniques notamment, ont tendance à s’attribuer dans leurs écrits – et même dans leurs notes personnelles – un rôle plus important que celui qu’ils ont eu réellement. La place des carnets du général Ironside tels qu’ils ont été publiés par son fils est ici remarquable : une version iranienne intitulée les Mémoires secrets d’Ironside et basée sur une copie partielle des originaux a été traduite avec une telle désinvolture et au mépris de toute rigueur qu’elle amplifie encore le rôle déjà important que se donne le général britannique dans l’organisation du coup d’État4. (Ce qui est dit ici d’Ironside vaut également pour Seyyed Ziyâ qui s’attribue de manière unilatérale et incompatible avec les notes de l’officier britannique, le mérite exclusif de la prise du pouvoir.) Il est banal de dire qu’un document primaire écrit sur le vif vaut autant pour l’historien qu’un acte officiel ou un rapport d’analyse circonstancié et ciblé. Dans le premier cas en effet, on a une lettre ou une entrée de journal personnel dont on connaît avec précision la date de rédaction, même si on met en question sa pertinence du point de vue individuel. Par le témoignage d’une personne on accède à un faisceau d’informations indéniables : l’auteur a rencontré tel personnage ce jour-là, ils ont parlé de cet événement précis, telle rumeur était alors discutée dans l’état de connaissance que les intervenants pouvaient avoir de la situation au moment où ils s’exprimaient. Sauf à rappeler qu’on se dupe parfois soi-même, qu’on peut se tromper sur l’identité de la personne à laquelle on a parlé, qu’on a été aveugle à des faits majeurs qui étaient en discussion au même moment pour d’autres personnes, nous avons là un instantané dont on peut tirer de multiples leçons. Tel est en tout cas l’intérêt du Journal de Perse de Georges Ducrocq : pour une grande partie, entre décembre 1919 et octobre 1921, nous avons la minute même de ses observations du jour, écrite à la hâte, pour ne rien perdre, quasi-quotidiennement. Ces notes n’avaient pas vocation à rester à l’état brut, comme l’attestent les parties rédigées et dactylographiées qu’on trouve dans 3  O. Bast, La politique étrangère de la Perse et la Première Guerre mondiale. 4  Les notes d’Ironside sont présentées dans Y. Richard, « Le coup d’Etat de 1921 et les sources historiques ». Un phénomène similaire s’est passé concernant le coup d’État d’aôut 1953 contre Mosaddeq, qu’un rapport « secret » de la cia attribue aux agents américains alors qu’on doit plutôt raisonnablement, comme l’a montré récemment un chercheur iranien, en attribuer le succès final aux ulémas (voir D. Bayandor, Iran and the cia, the fall of Mosaddeq revisited, Houndmills Basingstoke – New York, 2010).

4

Introduction

le dossier Georges Ducrocq de la série « Papiers d’Agents » des Archives diplomatiques ou les télégrammes et notes qu’il envoyait à Paris depuis Téhéran. En sont issus quelques articles (notamment pour la Revue du Monde musulman) ou livres de choses vues arrangées comme une fiction (ainsi La Belle Libanaise, le Journal de Soleiman, publiés en 1930) et reflétant l’expérience « orientale » de l’auteur. Dans le cas des mémoires de cj Edmonds récemment publiés on possède également, pour certaines parties seulement hélas, tous les niveaux de rédaction : minute écrite au crayon sur des carnets militaires, parfois repassée à l’encre de peur d’en perdre la lisibilité, rédaction légèrement retouchée et dactylographiée, intégration enfin dans un article ou dans les mémoires avec les coupures et simplifications inévitables5. Le premier jet constitue le plus sûr document pour l’historien. Problème des dates Depuis la domination islamique, l’Iran a continué à utiliser plusieurs calendriers, notamment, pour les besoins fiscaux et agricoles, le calendrier solaire iranien, divisé en 12 mois et commençant à l’équinoxe de printemps, et le calendrier lunaire islamique (355 jours) pour les rituels religieux. Le premier commençait le comput à l’avènement du dernier roi sassanide, Yazdegerd (r. 632-651), le second à l’Hégire du Prophète fixée arbitrairement au 16 juillet 622. On trouve les deux systèmes utilisés parallèlement par Nâser-e Xosrow au 11e siècle6. La réforme d’Omar Khayyam, qui introduisit le calendrier Jalâli (solaire) en 1079, ne fit que confirmer la double référence chronologique, bien que l’usage littéraire et historiographique du calendrier lunaire de l’Hégire prévalut. Les Qâjârs utilisaient également dans l’administration l’usage d’un troisième calendrier, d’origine mongole, qui offre l’avantage de faire coïncider sur un cycle de 19 ans un comput lunaire et un comput solaire7. Il est simple, pour un occidental, de dater précisément les événements dont il est question dans les journaux personnels de Georges Ducrocq et d’Hélène Hoppenot. Le lundi soir, quand Ducrocq écrit à l’entrée du 21 février 1921 « Hier, dimanche, en revenant d’une promenade . . .  », on a clairement identifié le jour précis de l’événement et on sait immédiatement ce qui se passait le même jour à d’autres endroits dans le monde. Rien de tel pour l’historien iranien. 5  Voir C.J. Edmonds, Y. Richard, ed., East and West of Zagros. 6  Voir à ce sujet la note de Seifeddin Najmabadi, « Zur Zeitrechnung in Arabien und im Iran », en annexe à sa traduction : Naser e Khosrou, Safarname ein Reisebericht aus dem Orient des 11. Jahrhunderts, München, Diederichs, 1993, p. 182 sq. 7  V.V. Tsybulsky, Calendars of Middle East countries. Conversion tables and explanatory notes, Moscow, Nauka, 1979, p. 229 sq.

Introduction

5

Pour les témoins de l’événement, celui-ci est connu comme le coup d’État du 3 hut. C’est ainsi que le date Yahyâ Dowlatâbâdi au volume 4 de ses mémoires (ch. 25) en précisant : « la veille du lundi 3 hut 1299 » (p. 219). Bahâr, dans son livre rédigé vingt ans plus tard sur les partis politiques emploie la même appellation (Ahzâb-e siyâsi, I, p. 66). Le Sevvom-e esfand (3 esfand), quand les noms actuels des mois solaires du calendrier iranien furent fixés en 1925, est devenu une date phare du régime Pahlavi, qui y voyait la première étape de l’avènement de Rezâ Shah. Peu d’Iraniens savent aujourd’hui que hut se dit esfand dans le calendrier usuel d’aujourd’hui, un mois qui commence environ le 20 février, selon les années. Comme le lundi 21 février 1921 est le 2 hut/esfand, l’appellation « 3 hut / 3 esfand » ne correspond donc à rien d’autre qu’à une date artificiellement recréée. Cette imprécision (ou cette incertitude) est hélas la règle. Peu de gens, à l’époque, utilisaient en effet ce calendrier solaire que le Majles avait adopté officiellement en 1911 mais qui ne fut imposé effectivement dans l’usage quotidien qu’en 1925. Les journaux de l’époque écrivaient plus volontiers les dates du calendrier de l’hégire, et encore, avec un comput spécial aux chiites d’Iran qui ne faisait pas correspondre exactement les débuts de mois lunaires avec ce qui était utilisé dans le reste du monde musulman (sunnite)8. Parfois un écart de un ou deux jours pouvait subsister. D’où l’importance de repérer le jour de la semaine : le lundi est un lundi à Paris, au Caire et à Chiraz, c’est notre unique repère sûr. Pour illustrer mieux la confusion, prenons l’exemple de deux revues iraniennes nationalistes publiées à la même époque à Berlin : l’une, Kâva, est publiée par Hasan Taqizâda, par ailleurs l’auteur d’une étude savante sur l’histoire du calendrier en Iran. Le numéro daté du 10 février 1921 de l’ère chrétienne (nouvelle série, deuxième année, n°2) porte également la date du 1er jomâdâ ii de l’année 1339 de l’hégire et celle du 5 mehr de l’année 1290 de Yazdegerd . . . qui ne correspond à rien dans les calendriers utilisés à l’époque : ce n’est qu’une référence culturelle qui flatte les sentiments nationalistes des Iraniens. Taqizâda ne mentionne ni bahman ni son équivalent arabe utilisé entre 1911 et 1925, dalv. Quelques années plus tard, une autre revue persane également publiée à Berlin affiche en tête de chacun de ses numéros le millésime 1303 (de l’hégire en comput solaire) mais utilise en réalité le calendrier

8  Voir Tsybulsky, Calendars of Middle East countries . . ., p. 154 et 157 : l’alternance des mois en 30 et 29 jours n’est pas respectée en Iran, de sorte que par exemple le 4 décembre 2013 était le 30 moharram 1435 pour les Iraniens mais le 1er safar pour les autres musulmans.

6

Introduction

occidental de l’ère chrétienne, ce qui fait que, de mai 1924 à avril 1925, on croit être toujours en 13039. L’impossibilité pour un Iranien de trouver des repères précis dans son histoire vient donc de l’utilisation approximative de plusieurs calendriers, de l’hégire lunaire, de l’hégire solaire, de Yazdegerd, de Jalâl od-Dowla Malek Shah, – pendant une courte période, « de l’Empire perse » (šâhanšâhi, 1976-1978) – sans parler du calendrier mongol utilisé par l’administration fiscale, avec à chaque fois la conversion par l’historien des dates réellement utilisées en dates fictives d’un calendrier qui n’existait pas à l’époque des faits et qui ne peuvent figurer sur aucun des documents originaux. Chaque historien doit utiliser une règle pour traduire les dates : tel les convertira « à la louche » en calendrier solaire moderne, un autre se contentera de recopier la date du calendrier de l’hégire lunaire, probablement la plus sûre, au risque de rendre difficile la vision synchronique des événements. Ainsi, Manučehr Nazari, dans son dictionnaire biographique des parlementaires iraniens, a-t-il choisi de transcrire toutes les dates en comput solaire moderne sans jamais justifier sa conversion et en donnant rarement la date originelle en comput lunaire qui aurait été plus précise. Cette situation particulière des Iraniens par rapport au calendrier mériterait une étude anthropologique sur la genèse de la conscience historique. Faute de chronologie et de dates, une conscience mythique nourrie d’à-peu-près et d’approximations tient lieu de conscience historique. Le calendrier de l’ère chrétienne étant de loin le plus commode pour nous, les dates des notices biographiques sont données dans ce comput avec des équivalences susceptibles de décaler d’un an en plus ou en moins. 2

Pourquoi ces deux journaux en parallèle ?

Aux notes quasi quotidiennes de Ducrocq, qu’il intitule lui-même Journal de Perse, on a choisi d’ajouter celles, non moins fréquentes d’Hélène Hoppenot, l’épouse d’Henri, chargé d’affaires français à Téhéran à la même époque (avec quelques mois de décalage). On peut s’étonner de ce choix pour deux raisons au moins. D’une part nous avons depuis peu une édition presque complète de ces notes publiée par Marie-France Mousli10. D’autre part Hélène Hoppenot parle relativement peu de politique dans son journal, qu’elle écrit pour 9  On peut se reporter, pour plus de précision sur les différents calendriers en usage en Perse en 1921 à la note érudite de la Revue du Monde Musulman, (1923), tome liii, p. 6 sq. 10  Hélène Hoppenot, ed. M.-F. Mousli, Journal 1918-1933. Rio de Janeiro, Téhéran . . . 

Introduction

7

s’amuser : elle n’hésite pas, tout en faisant du style, à cancaner sur des sujets parfois triviaux. J’ajouterai enfin que, même si la dactylographie du journal d’Hélène Hoppenot conservée à la bibliothèque Jacques Doucet à Paris est d’elle ou en tout cas relue par elle, on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un document aussi proche des faits que le journal de Ducrocq, la rédaction actuelle ayant peut-être ajouté, retranché ou modifié les entrées manuscrites initiales. Pourtant la suggestion d’en faire une édition double m’a finalement paru judicieuse pour les raisons qui suivent. D’abord les Ducrocq et les Hoppenot se connaissaient bien, ils avaient été ensemble précédemment à l’ambassade de France à Berne. Et ils ne s’appréciaient pas, si l’on juge par les piques sur les goûts provinciaux des Ducrocq sous la plume d’Hélène Hoppenot, femme du monde, femme de lettres, musicienne et liée à Cocteau, Picasso, Milhaud, Claudel et à l’élite parisienne de l’époque. Leur différence crée un contraste très éclairant. Autant Ducrocq était anglophobe, de manière irrationnelle et obsédante, dans l’environnement iranien de l’époque où les élites commençaient à détester leurs maîtres, autant Hélène Hoppenot et son mari manifestaient, chaque fois qu’ils le pouvaient, leur amitié et leur solidarité avec les Britanniques. Ducrocq, qui avait à Paris des amitiés dans le Parti colonial (Louis Marin11 par exemple), manifestait chaque fois qu’il pouvait son désir de voir la France reprendre une place dominante au Moyen-Orient et en Asie, des terres où l’influence britannique semblait plus ambitieuse. Il voit le travail des missionnaires catholiques comme un moyen de répandre la culture française et d’attirer les chrétiens orientaux vers la France. Rien de tel chez Hélène Hoppenot, très distante concernant tout sentiment religieux, indifférente sur les visées coloniales, sceptique sur beaucoup de choses. Parfois les Ducrocq et les Hoppenot se voyaient, assistaient aux mêmes réceptions, rencontraient les mêmes gens, se recevaient. Il est intéressant de confronter ces regards proches physiquement et si divergents. Hélène Hoppenot qui accédait en outre aux appartements privés où les femmes de la bonne société iranienne ne pouvaient recevoir que d’autres femmes ou leurs parents proches, offre un complément d’information précieux sur la société iranienne autour de 1920. Ducrocq et Hoppenot donnent également une description cruelle et inattendue du milieu diplomatique européen à Téhéran dans une période pourtant difficile et pleine d’anxiétés. On les regarde s’amuser, boire, danser, se recevoir 11  Louis Marin (1871-1960), lorrain comme Ducrocq. Ils voyagèrent en Asie dans leur jeunesse. Marin fut plusieurs fois député et ministre.

8

Introduction

et se disputer à l’occasion de manière cruelle. On voit également les relations ambiguës qu’ils entretenaient avec les élites persanes, généralement francophones, dont seuls les hommes pouvaient assister aux réceptions. Globalement on peut dire que Ducrocq et Hoppenot, à cet égard, ont eu une trajectoire assez semblable : d’abord très critiques sur les mœurs des Iraniens, ils commencent à nouer des amitiés sincères, à partager les sentiments politiques, humains, esthétiques de leurs hôtes, à apprécier la qualité de leur culture et finissent par s’attacher intensément à leur pays. On va de la répulsion à la passion. Concernant les questions matérielles, le lecteur découvre la rapacité incroyable de certains de ces expatriés qui rognaient sur les dépenses de réception et ne pensaient qu’à acheter des tapis ; la gêne au contraire des Hoppenot, nouvellement arrivés et mal accueillis par le ministre plénipotentiaire Bonin. À Téhéran, la plupart des Européens vivaient bien, entretenaient une domesticité prolifique, des chevaux, donnaient des fêtes et fréquentaient les Clubs. Ils lisaient les journaux européens avec un grand décalage et la lenteur du système postal les isolait de leur métropole et de leur famille. Les télégrammes et la tsf dont Ducrocq fut un pionnier à Téhéran venaient briser cet éloignement. 3

Méthode d’édition

Éditer le journal d’Hélène Hoppenot, écrit dans une langue claire et agréable, dactylographié et déjà publié partiellement par Marie-France Mousli (hormis les passages éliminés par elle, nos divergences sont minimes) était un jeu d’enfant à côté du travail qu’a demandé la lecture du journal de Ducrocq. Ce dernier, en effet, n’écrivait pour aucun autre lecteur que lui-même et son écriture présente de nombreuses difficultés, notamment quand il nomme des personnes ou des lieux. À part quelques points d’interrogation ou quelques crochets qui indiquent d’ultimes hésitations ou incompréhensions, l’essentiel a été déchiffré et surtout la plupart des personnages cités ont été identifiés. Pour faciliter l’identification, j’ai choisi d’adopter les mêmes graphies dans chaque occurrence des noms, avec une transcription phonologique rigoureuse, utilisant un signe par phonème. La même transcription a été adoptée dans les deux documents afin de permettre l’indexation et le repérage par le lecteur. Cette transcription arbitraire ne correspond pas à l’usage dominant à l’époque mais on s’y habituera très vite. L’index reprend également les graphèmes usuels et renvoie à ma transcription. Dans les cas où le manuscrit hésite, ou donne une forme manifestement erronée, j’ai donné, sans le signaler, la forme correcte. Un exemple frappant concerne un politicien qui devait devenir important par la suite et que Ducrocq

Introduction

9

rencontre le 6 octobre 1921. Il l’appelle Movassaq od-Dowla (« Movasseg el-Dovleh »). L’identification étant certaine d’après le contenu, on peut raisonnablement écrire Mosaddeq os-Saltana, le « Docteur Mossadegh » de la nationalisation du pétrole. Dans d’autres cas un doute subsiste. J’ai ajouté, ici et là, quelques notes de bas de page lorsqu’un éclaircissement était nécessaire. Mais l’effort a surtout porté sur la rédaction de notices biographiques où l’on renvoie à des ouvrages en persan ou en langues européennes afin de mieux connaître les hommes politiques, diplomates, commerçants, etc. qui peuvent avoir un intérêt pour dans le texte ici publié et dans le contexte général du coup d’État. On pourra s’étonner d’une longue notice pour un personnage qui n’apparaît qu’une ou deux fois, les notices n’ayant pas de rapport à la fréquence des rencontres. 4

Les notices biographiques

L’identification des personnes présentait une difficulté particulière qui n’était pas due qu’à l’écriture de Ducrocq ni à son ignorance du persan lui rendant difficiles d’accès, au moins en début de séjour, ces noms propres non vus auparavant dans l’alphabet latin. L’exactitude de la graphie n’était pas le souci principal de nos deux auteurs. L’onomastique persane complique en effet les choses : les titres nobiliaires étaient instables. Un même personnage pouvait en recevoir (ou acheter) plusieurs différents au cours de sa vie mais n’en portait, en principe, qu’un seul à la fois. Parfois il transmettait son titre (et sa fonction éventuellement) à l’un de ses fils (un seul), parfois ce titre passait, de son vivant, à une autre personne, de sorte qu’il faut savoir quand a eu lieu le changement pour identifier avec certitude le titulaire. Il est vrai que l’historiographie retient en général un seul titre pour désigner le même personnage, ce qui n’était sans doute pas le cas des contemporains qui suivaient l’usage qu’on leur imposait12. Il est également important, quand on étudie une société complexe, de connaître les liens familiaux, éventuellement les liens professionnels (militaires, cléricaux . . .) ou régionaux (originaires de Tabriz, de Chiraz, de Kermân . . .) sans compter les allégeances et croyances confessionnelles ou idéologiques (azali, soufi, franc-maçon . . .). C’est pourquoi ces informations font partie d’une base de données en cours d’élaboration, Rejâl, qui permet 12  Le travail de Karim Soleymâni, Alqâb-e rejâl-e dowra-ye Qâjâriya (Tehrân, Našr-e Ney, 1379), préparé sous la direction de I. Afšâr, tente d’inventorier ces titres. Voir également Ahmad Ashraf, « Alqâb va ‘anâwin », Encyclopædia Iranica, I, 9 (1985), p. 898-906.

10

Introduction

de retrouver facilement les liens synchroniques ou diachroniques entre les individus et de distinguer ceux qui portent le même titre. Récemment, les publications iraniennes donnant des informations biographiques se sont beaucoup diversifiées. Le temps où seul Bâmdâd proposait des notices sur les élites des deux derniers siècles est révolu : son Târix-e rejâl-e Irân n’avait aucun souci de l’exactitude historique, des références aux sources, du classement alphabétique rationnel. Manučehr Nazari propose des notices normées, parfois déficientes mais pratiques à consulter et sans jugement de valeur à l’emporte-pièce, donc généralement fiables, même si elles ne font que compiler les recueils antérieurs. On trouvera les références à ces recueils de biographies dans la bibliographie. Il faudrait y ajouter désormais les nombreux sites internet permanents ou volatiles qui offrent des données accessibles depuis une recherche en caractères persans sur le réseau mondial. Souvent on y trouve des trésors, y compris dans la version persane de Wikipedia. Aucun dictionnaire biographique iranien ne comprend de notices sur les personnes étrangères qui occupent une place importante dans les notes journalières de nos deux Français. La base de données Rejâl en cours de publication a intégré ces diplomates, négociants, missionnaires, etc. à partir du moment où ils avaient quelque chose à nous dire sur l’histoire de l’Iran13. 5

Quelques questions importantes

Il reste pour finir à évoquer quelques questions importantes que ces deux documents éclairent de manière concrète et précise : – l’affaire Starosselsky ; – la montée vers le pouvoir de Seyyed Ziyâ et sa chute ; – le danger bolchevique agité comme un chiffon rouge par les Britanniques ; – et avant tout l’Accord anglo-persan de 1919. Starosselsky Le 15 février 1918, cet officier Russe d’origine géorgienne prit la tête de la Brigade cosaque à la faveur d’une sorte de coup d’État interne, en renvoyant le général Clergé, nommé au printemps 1917 par Guchkof, ministre de la Guerre de Kerenski et qu’on soupçonnait d’être crypto-communiste. Dans cette 13  En complément de données biographiques ou « prosopographiques », souvent réduites à des références laconiques, l’adjonction d’une base de données bibliographiques croisée automatiquement avec la première permet d’afficher immédiatement la bibliographie de ou sur les personnages.

Introduction

11

opération, Starosselsky fut aidé par Rezâ Khan en personne, qui lui-même avait pris contact avec la légation allemande pour avoir un appui étranger si nécessaire14. Bien que la vie de Starosselsky avant et après son séjour en Perse, soit longtemps restée totalement ignorée15, sa brève carrière iranienne a intrigué les chercheurs et la monographie de Brian Pearce, basée sur les documents britanniques, en retrace les moments critiques. D’après les contacts dont le Journal de Perse de Ducrocq se fait l’écho, l’attitude des Britanniques à son égard est passée par des spéculations contradictoires. D’abord ils eurent l’illusion qu’ils réussiraient à l’attirer à eux pour que la Division cosaque, la meilleure force armée iranienne, forme le noyau de la future armée unifiée. Starosselsky laissa planer l’ambiguïté sur sa réponse, au grand désespoir de Ducrocq. La dernière phase est plus ambiguë encore, car le Colonel, bercé de l’illusion qu’il avait les moyens d’une victoire éclatante contre les troupes bolcheviques au Gilân, tomba dans le piège d’une campagne désastreuse et dut revenir à Téhéran dans la honte. Il enlevait à Ahmad Shah les derniers arguments pour le maintenir à son poste, dernière résistance inutile d’un souverain incapable face aux insistances britanniques, dès lors que ces derniers étaient les financiers de la Brigade et de la maison royale et que leur plan, depuis l’arrivée à Qazvin du général Ironside (début octobre 1920), était de constituer une force iranienne pour maintenir l’ordre dans le pays. Sans les officiers russes. Les témoignages directs recueillis par Ducrocq jusqu’au dernier départ de Starosselsky et de sa famille montrent sa sympathie et son admiration pour l’officier cosaque et cherchent à documenter une argumentation antibritannique : Starosselsky n’aurait été coupable d’aucun des méfaits dont on l’a accusé, il s’est même conduit avec panache en grand seigneur qui paie toutes ses dettes, mais l’acharnement des Britanniques contre lui était trop fort, y compris dans le refus de venir en aide à ses troupes engagées contre l’ennemi au Nord. Les pleurnicheries d’Ahmad Shah n’y faisaient rien. Le portrait de Starosselsky corrompu et incapable donné ici et là dans les archives britanniques est peu crédible. Comme l’écrit Hélène Hoppenot (29 octobre 1920) : « . . . les Anglais ont intérêt à le déconsidérer pour toujours et [ils] ne s’inquiètent guère de vérifier la véracité de leurs informations ».

14  Voir Kaḥḥâlzâda, M. Kâmrân (ed), Dida-hâ va šenida-hâ, cité par Y. Richard, « Le coup d’État de 1921 et les sources historiques », p. 78 sq. ; H. Arfa, Under five Shahs, p. 90 ; Md-T. Bahâr, Târix-e moxtasar-e ahzâb-e siyâsi, I, p. 74 sq. 15  Voir la notice biographique en fin de volume.

12

Introduction

On saura sans doute plus sur tout cela le jour où les archives des Cosaques persans et de leurs officiers russes, dont une partie dort sous forme de microfilms aux archives de l’Armée de Terre à Vincennes, auront été systématiquement dépouillées. Ziyâ od-Din Tabâtabâ’i Les diplomates britanniques connaissaient bien ce journaliste anglophile qui fut l’un des rares intellectuels de cette époque à soutenir leur politique en Perse16. Ziyâ n’était pas qu’un provincial arriviste. C’était un aventurier illuminé qui avait fait quelques études à Paris, et avait de bons contacts dans certains milieux, notamment militaires (gendarmerie), et avait réussi à se faire confier par Vosuq od-Dowla une mission originale – hélas sans lendemain – au Caucase. Les accords conclus par Ziya en Azerbaïdjan et en Géorgie furent rendus caduques par l’arrivée des Bolcheviques : le rêve d’un retour de la Perse dans les territoires qu’elle avait cédés aux Russes en 1828 s’effaçait (voir l’entrée du journal de Ducrocq, 11 novembre 1919)17. Le plan du coup d’État a-t-il d’abord germé dans ce cerveau en constante ébullition, comme il le prétend lui-même18 ? En tout cas on ne doit pas l’écarter du jeu politique qui se noue alors, comme l’historiographie Pahlavi qui minore systématiquement son rôle. Ce que Georges Ducrocq confirme, que certaines publications avaient déjà montré à partir de documents des archives diplomatiques françaises, c’est que Ziyâ semblait avoir cherché des soutiens autres que Britanniques. Les Français en tout cas ont eu l’illusion, après le coup d’État, que Ziyâ, qui avait dans son entourage des officiers formés en France, et qui semblait tenir un langage très nationaliste, réduirait l’influence de Londres. Même si aucune nouvelle information ne vient modifier en profondeur ce que l’on savait sur le gouvernement issu du coup d’État, les descriptions très concrètes qui en sont faites, et notamment au sujet des notables arrêtés auxquels on retirait leurs illusions concernant les Anglais, sont très intéressantes. Les contacts des diplomates français avec Seyyed Ziyâ renforcent l’image d’un idéologue quelque peu obstiné qui veut mettre en pratique des idées qu’il 16  Par exemple W.C. Baxter, cf. Y. Richard, « Le coup d’État de 1921 : nouvelles sources européennes ». – in : Iran und iranisch geprägte Kulturen, p. 115 sq. 17   Sur cette mission, voir O. Bast, La politique étrangère de la Perse . . . Die persische Außenpolitik und der Erste Weltkrieg ; Y. Richard, L’Iran de 1800 à nos jours, p. 206 et sq. ; cj Edmonds, East and West of Zagros, p. 265 et sq. Les documents ont été publiés par R. Âzari-Šahrezâ’i, Hey’at-e fowq ol-‘âdda . . . , Tehrân, Markaz-e asnâd va târix-e diplomâsi, 1379/2000. 18  Md-‘A. Jamâlzâda, « Taqrirât-e Seyyed Żiyâ’ va ‘Ketâb-e siyâh’-e u » . . . 

Introduction

13

a mûries pendant des années après avoir été écarté du jeu politique par les notables. Arrivé enfin à son but, il conserve la ligne de son anglophilie mais il se montre également séducteur vis-à-vis des Français qui pourraient sans doute desserrer la pression britannique. Il n’y trouve pas la familiarité que les Britanniques avaient établie avec lui, mais une sorte de dialogue plus ou moins empreint de duplicité. Pour convaincre l’opinion iranienne, Ziyâ avait en effet besoin de se montrer réellement affranchi de la tutelle de Londres. Seuls les Français pouvaient l’y aider. Le danger bolchevique Pour rendre plus urgente la solution qu’ils favorisaient, les Britanniques ont joué sur la peur d’une invasion bolchevique. Dans quelle mesure cette perspective était-elle plausible ? Rien, après la soviétisation du Caucase, ne pouvait vraiment exclure une tentative de pénétration en Perse au-delà de la plaine du Gilân. Les communistes jouissaient potentiellement à Téhéran et sur le plateau iranien d’une popularité certaine : ils avaient vaincu les tsaristes, aboli la dette persane à l’égard de la Russie et renoncé aux capitulations honnies des nationalistes. On savait qu’ils étaient féroces et plutôt antireligieux, mais ils agissaient pour le peuple et contre la dictature. Une des cibles potentielles des Bolcheviques était la récupération des sentiments nationalistes. On a vu qu’à Tabriz leur succès fut très limité : après la mort du consul allemand procommuniste Wustrow19, Xiâbâni, leader du mouvement démocrate (en réalité nationaliste), s’était désolidarisé de l’alliance bolchevique dans laquelle Mirzâ Kuček Khan s’était, lui, enlisé20. Le ressentiment antibritannique, depuis le maladroit Accord anglo-persan de 1919, avait pris le relais : une Russie anti-impérialiste pouvait protéger les intérêts persans ; on retomberait alors dans le jeu ancien de balancier entre deux puissances rivales. Ni la société iranienne de 1920, en grande majorité rurale et quasi-féodale, ni la hantise britannique de la déstabilisation de leur empire colonial en Inde ou de la perte des installations pétrolières au Khouzistan ne pouvaient laisser croire à une invasion pacifique du plateau iranien par les révolutionnaires russes, même si cette solution aurait pu faire espérer un retour à l’unité nationale et à la restauration d’une autorité politique à Téhéran. Ducrocq, qui voyait des complots un peu partout, de la part des Britanniques ou des Allemands, a rédigé son grand article sur la politique soviétique en Perse assez longtemps 19  Le 3 juin 1920 voir Ducrocq, entrée du 20 novembre 1920. 20  Sur Xiâbâni, voir notamment H. Katouzian, « Ahmad Kasravi on the revolt of Sheikh Mohammad Khiyabani » in Iran and the First World War, T. Atabaki, ed. ; C.J. Edmonds, East and West of Zagros, p. 282 sq.

14

Introduction

après le coup d’État et l’actualité du danger bolchevique n’était plus alors qu’un mauvais souvenir, même s’il note les raisons qui excitaient la convoitise russe, notamment le pétrole. Il écrit dans son article de 1922 de la Revue du monde musulman : « La politique des Soviets a consisté en 1920 et 1921 à surexciter le nationalisme persan contre le joug de l’Angleterre. La politique des Soviets en 1922 consiste à organiser dans un pays féodal des organisations ouvrières, un socialisme urbain, des unions professionnelles qui fourniront les cadres d’une armée de mécontents et de grévistes à l’État-major communiste. Il s’agit de créer un prolétariat. Tâche difficile dans un pays d’agriculteurs et d’artisans21. » « Dans un mois nous aurons la révolution en Perse » écrit encore Ducrocq le 24 mars 1921, montrant clairement son peu de confiance en Seyyed Ziyâ et l’effet lointain de la propagande. Il voit arriver le premier ambassadeur soviétique, Rothstein, avec effroi, en donne un portrait épouvantable. L’intérêt du journal, dans le cas de Ducrocq et de Hoppenot, est de nous donner la photographie de cette peur irrationnelle au moment même où elle semble le plus crédible, c’est donc une information très importante pour connaître l’évolution de l’opinion iranienne et les méandres de la propagande britannique. L’Accord Anglo-Persan C’est évidemment sur l’Accord, ou plutôt, dans le langage officiel de la diplomatie française de l’époque, sur l’Arrangement anglo-persan que va fonctionner à plein le sentiment anti-britannique. Ducrocq, qui était détesté par la légation d’Angleterre, alimentait chez ses interlocuteurs persans le ressentiment face à cette tentative avortée de soumettre l’Iran aux intérêts de Londres. Hormis les notations permettant de comprendre comment Vosuq od-Dowla en est venu à cette signature, et le dépit exprimé par Seyyed Ziyâ que les Français n’avaient jamais répondu aux attentes des élites iraniennes au lendemain de la Guerre, on remarquera ici le retour lancinant de cet Accord dans les discussions jusqu’à l’époque du gouvernement de Seyyed Ziyâ. Ducrocq guette les mesures qui vont appliquer sournoisement ce qui est officiellement dénoncé désormais après la suppression de l’Accord dans l’agenda parlementaire. Le coup d’État n’étant qu’un épisode marquant, qui fait basculer l’Iran dans une politique volontariste inconnue jusqu’alors, tout le récit de cette période est celui de la lente transformation du plan britannique : au départ, une brutale intervention à l’aide de forces militaires stationnées à Qazvin ; à l’arrivée, une reconnaissance apparente de l’indépendance du pays, dans lequel les

21  G. Ducrocq, « La Politique du gouvernement des Soviets en Perse : le Bolchevisme et l’Islam ». p. 148.

Introduction

15

Britanniques gardent des instruments d’intervention puissants, en particulier le pétrole du Khouzistan. Même si Hélène Hoppenot, au contraire, ne parle de l’Accord qu’en termes neutres, elle témoigne de l’obsession que représente dans la vie locale sa ratification ou son rejet. Ducrocq et elle évoquent, fin novembre 1920, le scandale provoqué par la révélation des pots-de-vin versés aux trois négociateurs iraniens, une information donnée par les Britanniques au moment où ils avaient intérêt à ternir l’honneur des politiciens les plus anglophiles, les premières victimes du coup d’État. Sur les différentes clauses financières et militaires de l’Accord, on n’apprendra pas de choses radicalement nouvelles ici, mais celles qui sont abordées émanent vraiment des discussions tenues à Téhéran à des dates connues. Ducrocq est particulièrement sensible à ce qui concerne l’armée et relève (9 mars 1921) des informations sur le sort des South Persia Rifles22 et des autres corps d’armées, qui ne sont pas historiquement vérifiées, que l’évolution de la situation a rapidement rendues caduques. Ce flottement même est tout l’intérêt du document publié ici. 6

Les auteurs

Georges Ducrocq Georges Alfred Jean Ducrocq (1874-1927), né à Lille, journaliste indépendant (« publiciste », dans le langage de l’époque), voyage au Caucase et Turkestan russe (1899) et en extrême orient où il rencontre Bonin (1901)23. Patriote fervent, il publie à la veille de la Guerre un recueil consacré à l’Alsace-Lorraine24. Il est ami d’enfance du député – et plusieurs fois ministre – Louis Marin avec lequel il a voyagé en Orient en 190125. Engagé volontaire dans un régiment de 22  spr ; Ducrocq l’appelle aussi « Police du sud ». Sur ce corps de levées iraniennes créé en 1916 par le Général Sykes au sud de la Perse, voir notamment F. Safiri, Polis-e jonub-e Iran (Es-Pi-Âr). Tehrân, Našr-e târix-e Irân, 1364/1985 ; Wm J. Olson, Anglo-Iranian relations during the First World War. London, Frank Cass, 1884 ; A. Wynn, Persia in the Great Game, Sir Percy Sykes, explorer, consul, soldier, spy, London, John Murray, 2003, p. 248 sq. 23  Georges Ducrocq, Pauvre et douce Corée, Paris, H. Champion, 1904. 2e éd. ; Du Kremlin au Pacifique, Paris : H. Champion, 1905. 24  La blessure mal fermée : notes d’un voyageur en Alsace-Lorraine, Paris, Plon-Nourrit, [1913]. 25  Un dossier conservé sous le nom de Louis Marin à la Bibliothèque nationale de France contient les documents suivants : Lettres de Georges Ducrocq, compagnon de voyage de Louis Marin, à M. Marin père: Agram (Zagreb), 5 septembre 1896 ; « Visite à la frontière thessalienne », publiée dans « l’Echo de Paris » du 22 mars 1897 (7 feuilles) ;

16

Introduction

chasseurs à pied en 1914, il reçoit trois citations rendant hommage à sa bravoure. Il est nommé attaché militaire à l’ambassade de France à Berne (19161918), où il fait la connaissance des Hoppenot. Attaché militaire à Téhéran (1919-1921) ; chargé de mission auprès du Général Weygand en Syrie (1923-1925). Il publie alors La belle Libanaise et le Journal de Soleiman26, romans où il se fait l’écho des nouvelles tendances des peuples de religion musulmane. Rentré en France, il collabore à la Revue des deux mondes, au Mercure de France, à la Nation dont il devient rédacteur en chef. Il meurt à Paris le 30 septembre 1927. Après sa mort ont paru, en 1930, les poèmes de Jours ardents, son dernier ouvrage27. Il était membre de la Société de géographie de Paris. Georges Ducrocq écrivait énormément, comme on peut le constater dans les papiers personnels qui ont été légués aux Archives diplomatiques. Les notes de son journal, comme il l’écrit lui-même le 7 décembre 1920, sont une manière de discipline de vie qu’il s’impose, « pour se sauver l’esprit » comme jalon pour la composition d’une œuvre de fiction où il rendrait compte de ce qu’il a vécu en Iran. D’une part en effet Hoppenot lui interdit d’envoyer le moindre commentaire à la presse, pour éviter toute friction avec les Britanniques. Mais aussi, à tort ou à raison, Ducrocq se rend compte de l’indifférence de l’opinion européenne pour la chose persane, contrairement à ce qui prévalait entre 1906 et 1911. lettres de Russie, 16 août 1897; Varsovie, 12 septembre 1897; Constantinople, 14 août 1899 ; Bordjom, séjour d’été des Caucasiens, 5 septembre 1899 ; Tiflis, 22 septembre 1899 ; Hoch, 10 octobre 1899 ; Bokhara, 15 novembre 1899 ; Bakou, 25 novembre 1899 (lettre à Mle Bassereau) ; Moscou, 21 juillet 1901; Missovhia, au bord du lac Baïkal, 26 août 1901; sur l’Amour, 4 septembre 1901; à bord du « Baron Korf », sur le bas Amour, 26 septembre 1901; Vladivostok, 7 octobre 1901; Koundoulina, petit trou mandchou sur la ligne de Karbin à Port-Arthur, 17 octobre 1901; Pékin, 18 novembre 1901; Pékin, 19 novembre 1901; Che fou, 4 décembre 1901; liste des publications de Georges Ducrocq (1 feuille dactylographiée) ; portraits de Louis Marin et Georges Ducrocq en 1901 ; photo de Louis Marin et Georges Ducrocq au milieu d’un groupe ; 12 photos des confins sibéro-mandchous ; photo rehaussée de couleurs d’une paysanne russe en Sibérie ; relation anonyme du séjour de Louis Marin et Georges Ducrocq en Russie en 1897 (4 feuilles dactylographiées) ; extraits de la correspondance adressée par Georges Ducrocq à Louis Marin durant ses voyages en Italie et Sicile (1898, 1899, 1907, 1914), en Angleterre et Irlande (1898), en Espagne (1899 et 1901), au Luxembourg et en Alsace (1900, 1904), en Suisse, Italie, Savoie (1907), au Danemark (1908), en Algérie (1912), en Tunisie (1914), en Suisse (1917), en Perse (1919-1921), à l’armée du Levant (1923-1924) . . .  26  Mâcon – Paris, 1924. 27  Nécrologie parue dans le Bulletin de la Société d’ethnographie de Paris. Nouvelle série, n°15-16, 1927, p. 33 sq.

Introduction

17

Ducrocq était partisan de l’expansion coloniale et très méfiant à l’égard des Britanniques auxquels ils reprochera même l’avancée des Bolcheviques28. Il n’était pas un grand linguiste : à un questionnaire sur ses états de service dans l’armée, il affirme pouvoir lire l’anglais ; à la fin de son séjour en Iran, il commençait à lire quelques textes littéraires en persan. Hélène Hoppenot (11 avril 1920) n’hésite pas à se moquer de ses difficultés à apprendre le persan et le russe. Il s’était marié en 1907 avec Marie Boutemy, originaire des environs de Lille, mais n’a pas eu d’enfants. Aux Archives diplomatiques françaises (centre de La Courneuve, anciennement au Quai d’Orsay), 104 volumes sont répertoriés sous le nom de Georges Ducrocq (Papiers d’Agents, archives privées, cote pa202). Ce sont souvent des notes ou des brouillons de notes, quelquefois doublés par leur dactylographie, parfois repris dans les dépêches que Ducrocq envoyait aux ministères de tutelle, de la Guerre ou des Affaires étrangères, mais aussi des notes à moitié rédigées en vue de publications qu’il n’eut pas le temps de réaliser. Pour comprendre à quel point Ducrocq énervait les diplomates britanniques en poste à Téhéran, on doit lire ce qu’écrivait Norman, ministre à Téhéran, au Foreign Office dans son télégramme 389 du 18 septembre 1920 : « When [Bonin] goes it would be desirable that his Military Attaché should accompany him. There is no real need for such an official at any Legation in Persia save our own and as Captain Ducrocq can have no legitimate duties to perform it is inevitable, given his intriguing disposition and activity which is undoubtedly [? . . . ] only be harmful to Persia and to our interests here. » Et le même, quelques jours plus tard (5 octobre 1920) : « . . . I should much prefer that my French collegue [= Bonin] should not return and a person less prone to intrigue and more friendly to Great Britain should be sent here in his place. I regard French Military Attaché as far more dangerous to our interests. He is more energetic and intelligent than his Chief and I believe him to be largely responsible for attitude adopted by the latter earlier in the year. Now that he will find himself nominally subordinate to a Chargé d’Affaires younger than himself [= Hoppenot] with whom he is not on particularly good terms it is to be feared that his mischievious activities will be intensified29. »

28  « La politique des Soviets en Perse : La politique du gouvernement des Soviets en Perse », Revue du monde musulman, 52 (1922). 29  Voir aussi ce qu’écrit Hélène Hoppenot le 8 novembre 1920.

18

Introduction

Hélène Hoppenot Hélène Delacour (1894-1990) est née à Paris dans la famille d’un officier. Elle ne semble pas avoir eu une enfance heureuse, ballotée de garnison en garnison, surveillée par une mère autoritaire. Douée en musique, elle pensait faire une carrière de chant mais la rencontre, à vingt ans, d’Henri Hoppenot en décida autrement. Nous n’avons pas beaucoup d’informations sur les débuts du couple, puisqu’Hélène a détruit, après la mort d’Henri, toutes leurs lettres d’amoureux, mais la passion qui les unissait a brisé bien des obstacles et a duré plus de soixante ans. Ils se marient civilement en 1917, sans grande cérémonie du fait de la guerre et de l’hostilité des parents d’Henri, bourgeois catholiques, pour cette union avec une artiste athée30. Les relations nouées par le couple avec les milieux littéraires et artistiques du moment, Paul Claudel, Alexis Leger (alias Saint-John Perse), Jean Giraudoux, ou Charles Corbin (cousin de Henri Hoppenot) dans les sphères du Quai d’Orsay ; Darius Milhaud, Picasso, Jean Cocteau, Adrienne Monnier et bien d’autres dans les milieux artistiques, vont soutenir les Hoppenot plus fortement qu’une famille, au hasard des postes où la carrière diplomatique les conduit. Henri Hoppenot, (1891-1977), était diplômé de l’École de Sciences politiques. Ne pouvant s’engager sur le front en 1914 du fait d’une maladie handicapante, il entre au service diplomatique. Son premier poste est à Berne (février 1917janvier 1918), où il doit vivre de ses propres revenus, comme souvent encore pour les fonctions prestigieuses où ne pouvaient entrer que des candidats fortunés. Il partit bientôt pour Rio où, collaborateurs directs de Claudel, les jeunes mariés tinrent également la fonction de représentation, madame Claudel étant restée en France. La jeune Hélène Hoppenot s’initie aux usages d’un monde artificiel où les étrangers fréquentent d’abord d’autres étrangers. C’est seulement en 1919, après cet apprentissage rapide, qu’Henri deviendra pleinement cadre du ministère, dont il passe le concours d’entrée, et obtient sa nomination comme chargé d’affaires à Téhéran pour remplacer le ministre Bonin : on verra que la prise de fonction ne fut pas simple et qu’en attendant le départ effectif du ministre, les ressources limitées dont jouissaient les Hoppenot ne leur permettaient aucune folie. Les postes successifs d’Henri le conduisirent à Santiago du Chili, à Rio à nouveau, à Berlin, à Beyrouth et à nouveau à Berne. De 1933 à

30  Voir Marie-France Mousli, introduction à son édition du Journal 1918-1933 d’Hélène Hoppenot.

Introduction

19

37, ils passent quatre ans en Chine sur les traces de Leger, Claudel et Segalen. À Pékin, promu secrétaire d’ambassade de 1ère classe, Henri Hoppenot est chargé des fonctions de conseiller à la légation de France31. En service à l’administration centrale à Paris, il fut d’abord sous-directeur d’Asie-Océanie (193738), puis sous-directeur d’Europe (1938-40). Sa carrière s’arrête pendant la guerre, après une mission en Uruguay, puis à nouveau en Iran (1941) où il ne se rendra pas : ses proches Alexis Leger et Charles Corbin (ambassadeur à Londres jusqu’en juin 1940) préférèrent la démission et l’exil plutôt que servir Pétain ou de Gaulle. Hoppenot finit par démissionner lui aussi en octobre 1942. La suite de sa carrière le conduisit aux États-Unis, en Suisse (il devient « ambassadeur de France » en 1945), puis à L’onu (1952-55) et enfin au Vietnam où, pour finir sa carrière, il fut Haut-Commissionnaire de la République. Il devint, après ce dernier poste, Conseiller d’État jusqu’en 1964. Ajoutons à cette brillante carrière une œuvre de poésie et de critique littéraire32, tout-à-fait à la hauteur des grands noms que Henri et Hélène avaient fréquentés. On pourra en avoir une idée en lisant les extraits (dont certains datent des années persanes du couple), publiés dans la monographie copieuse de Colette Barbier. Plusieurs livrets d’opéra écrits par Henri Hoppenot ont été mis en musique par Darius Milhaud. Ses poésies ont été publiées dans des recueils, comme Moharem (Paris, Au sans pareil, 1928) ou Continent perdu (Bussum, 1927), En outre, une partie des correspondances entre Madeleine et Darius Milhaud d’une part, Hélène et Henri Hoppenot de l’autre, a été rassemblée par Marie-France Mousli33. Enfin, la correspondance entre Adrienne Monnier, libraire qui jouait le rôle d’animatrice culturelle de la Maison des amis des livres, et les Hoppenot a été également publiée34.

31  Voir Colette Barbier, Henri Hoppenot diplomate (25 octobre 1891-10 août 1977), Paris, Direction des Archives, ministère des Affaires étrangères, s.d. (1999). 32  Henri Hoppenot, D’Alexis Leger à Saint-John Perse, Liège, Dynamo, 1960. 33  Madeleine et Darius Milhaud, Hélène et Henri Hoppenot, Conversation. Correspondance 1918-1974, complétée par des pages du Journal d’Hélène Hoppenot, édition avec postface, établie et annotée par Marie-France Mousli, Paris, Gallimard, 2005. 34  Adrienne Monnier Henri et Hélène Hoppenot, Correspondance, établie et présentée par Béatrice Mousli, Paris, Éditions des Cendres, 1977. Comprend une bibliographie complète d’Henri et d’Hélène Hoppenot.

20

Introduction

Les archives diplomatiques possèdent une belle collection d’environ 600 plaques photographiques dues à Henri Hoppenot notamment pendant la période persane, et d’autres photographies furent publiées par Hélène après des séjours lointains35. Yann Richard

Joncy, 5 juillet 2014

35  Photographies d’Hélène Hoppenot : Chine (texte de Paul Claudel), Genève, Skira, 1946 ; Rome (texte de Stendhal), Neuchâtel, 1952 ; Extrême-Orient, texte de Henri Hoppenot, Neuchâtel, s.d. (1953) ; Tunisie, Lausanne, 1952 ; Mexique, Lausanne, 1954 ; Guatemala, Lausanne, 1955.

Glossaire andarun âšurâ bâji bast bâzâr biruni bolchevik

Bouchire Bandar-Bušehr charbat šarbat choulouk šuluq drogman farangi farsakh farsax gholam qolâm imamzadeh emâmzâda kadkhoda kadxodâ Kazak Khaneh kârgozâr

« gynécée », l’endroit intérieur de la maison où les femmes des familles distinguées se tiennent, où ne pénètrent que les hommes du cercle familial intime. période de deuil du Troisième Imam au cours du premier mois du calendrier musulman (moharram), chez les chi’ites. « bonne », domestique femme. « privilège d’asile » respecté par les autorités en certains lieux (ambassades et légations, bureaux du télégraphe, mausolées . . .) marché couvert, l’équivalent du souq arabe. « lieu extérieur » de la maison, où sont reçus les gens n’appartenant pas au cercle intime. « bolchevique » les partisans d’une professionnalisation de la lutte révolutionnaire sont devenus majoritaires dans le parti social-démocrate russe en 1903 (contre les mencheviks minoritaires) et ont dirigé la Révolution de 1917 conduisant à la création de la République soviétique. On a adopté ici la graphie courante, celle qu’utilisaient Ducrocq et Hoppenot. port du Golfe persique où les Anglais avaient une Résidence politique importante. « sirop » « désordre », manifestations de protestation « traducteur-interprète »; drogmanat est un néologisme de Hélène Hoppenot (12 avril 1920). « Européen » (dérivé de « Franc ») « parasange », équivalent à 6 km environ. homme de service, domestique mâle. « descendant d’Imam » : mausolée d’un descendant de ‘Ali, où les chiites vont en pèlerinage. « chef de village » qazzâq-xâna, caserne des Cosaques persans. « agent de l’État iranien » dans la justice consulaire, une institution mise en place après le Traité de Torkamânčây qui imposait aux Iraniens le régime des capitulations.

© koninklijke brill nv, leiden, ���5 | doi ��.��63/9789004283770_003

22 khan xân khanoum xânom kolâh kran qerân majles mehtar mirzâ

moharram mojtahed mollâ monši Nowruz piškâr Raghès ramazan ra’yat rowzekhani rowzaxâni salâm shah šâh sigheh siqa Tauris toman tumân vali’ahd

Glossaire

titre nobiliaire souvent l’équivalent de notre « Sieur, Monsieur ». « Madame » « chapeau », coiffe traditionnelle en feutre ou en peau. unité monétaire. 10 kran = 1 toman. À titre indicatif, en 1914, 1 £ = 56 kran. Parlement (le premier fut élu à l’automne 1906). « palefrenier ». ce titre, quand il est postposé, désigne un prince. « Mohammad-Hasan Mirzâ » désigne le prince héritier. S’il est préposé au nom, le titre indique simplement un lettré. premier mois du calendrier islamique durant lequel les chi’ites célèbrent le martyre de l’Imam Hoseyn à Karbalâ. théologien de haut rang habilité à interpréter la loi. membre du clergé musulman portant turban et abâ. secrétaire (notamment dans une ambassade, drogman). « Nouvel an » (litt. ‘jour nouveau’) à l’équinoxe de printemps. agent, intendant. ville antique citée dans la Bible, à 20 km au sud de Téhéran; aujourd’hui Rey, lieu de sépulture des Qâjâr (Šâh ‘Abd ol-‘Azim). « ramadhan », le neuvième mois du calendrier islamique, celui du jeûne. « paysan », « sujet » (d’un prince, d’un seigneur, d’un propriétaire). « lecture du récit du martyre d’un Imam » au moment de l’âšurâ, occasion d’une réunion de deuil religieux, souvent dans des espaces privés (cour d’une maison). audience solennelle du shah lors des fêtes religieuses ou de Nowruz. « roi » femmes « de plaisir » épousées pour une période temporaire. Tabriz (forme arménienne du nom reprise par les Européens) unité monétaire, équivalent à 10 kran dauphin, successeur désigné au trône

Glossaire

23

Transcription Dans les mots et noms persans transcrits chaque lettre se prononce, le u se prononce « ou », le e se prononce « é », le r est roulé, le x se prononce comme le ch dur allemand ou la jota espanole, le q se prononce « r » comme dans le français bar, le s se prononce « ss » (comme dans « classe »), le š se prononce « ch » comme dans « chose », le č se prononce « tch », le j se prononce « dj », le z se prononce « s » comme dans « bise » et, à la fin des mots, le h est aspiré nettement, le a se prononce « é » en persan de Téhéran.

Georges Ducrocq : Journal de Perse (1919-1921)



© koninklijke brill nv, leiden, ���5 | doi ��.��63/9789004283770_004

figure 1  Première page du manuscrit de Georges Ducrocq (13–16 décembre 1919). © Archives diplomatiques

georges Ducrocq, Journal de Perse



27

Note sur l’édition du texte

Cette édition du Journal de Perse de Georges Ducrocq a été commencée à partir du volume relié contenant les cahiers manuscrits originaux pour la période du 13 décembre 1919 au 28 octobre 1921 et conservés aux Archives diplomatiques à la Courneuve. Avant cette période, le journal manuscrit a disparu après avoir été rédigé par Ducrocq et dactylographié. Bien qu’ils n’aient pas la même valeur documentaire (remaniements tardifs, exactitude des dates et des situations soumises aux aléas de la mémoire humaine . . . ), j’ai choisi d’ajouter les passages dactylographiés à l’édition du journal manuscrit. L’écriture de Ducrocq, hâtive et destinée à nul autre que lui-même, offre de nombreuses difficultés. Les hésitations sont signalées par des crochets. Parfois, le journal manuscrit est doublé par une version dactylographiée, mais le secours de cette version qui comporte de nombreuses faiblesses, fautes et déformations des noms persans est mince. Dans tous les cas, le texte manuscrit est plus sûr. J’ai maintenu entre accolades {} la pagination du manuscrit. L’orthographe des noms a été uniformisée et rationalisée en harmonie avec la phonologie persane dans les deux textes d’Hélène Hoppenot et de Georges Ducrocq afin de rendre possible les index communs et les correspondances entre les deux journaux. L’identification des personnes nommées par Ducrocq est proposée dans l’index prosopographique en annexe. Contrairement à Hélène Hoppenot, Ducrocq ne se souciait pas de la qualité littéraire de ses propos qu’il destinait clairement à n’être utilisés que par lui plus tard pour des œuvres composées, des mémoires et des œuvres de fiction qui ne virent jamais le jour. Ducrocq se dit à juste titre « spectateur de la période la plus intéressante du monde1 ». yr 1  Voir feuillet 45 bis b, 20 mars 1920.

28

georges ducrocq, Journal de Perse

Du 13 avril au 13 novembre 19192

13 avril 1919 Zargandeh est la villégiature d’été des habitants de Téhéran. Zargandeh, Šemrân, Golhak et Tajriš forment un ensemble de petits villages enfouis dans la verdure où les Téhéranis viennent goûter la fraîcheur de l’été. Des ruisseaux descendent des montagnes et répandent à travers les propriétés leur eau courante que des canalisations ingénieuses amènent au pied de chaque arbre. On trouve dans ces jardins toutes les espèces d’arbres fruitiers de nos jardins d’Europe : les pommiers, les abricotiers, les cerisiers, les pruniers, les pêchers, mais avec une telle surabondance de fleurs et de fruits que les nôtres paraissent chétifs auprès des arbres persans qui poussent dans leur pays d’origine. La Perse possède au pied des montagnes un sol extrêmement fertile. Il suffit d’un filet d’eau pour féconder la terre. Les champs d’orge verte ont l’éclat de nos prairies normandes, malheureusement la culture est encore dans l’enfance : il n’y a point de chemin de fer dans le pays et les transports de grains ne peuvent se faire qu’à dos de chameaux. La rivalité des Anglais et des Russes paralyse la position économique de la Perse depuis cent ans. Quand un étranger visite l’un de ces jardins dont les murs fragiles, faits en terre, s’éboulent chaque printemps, il est d’usage que le jardinier vienne le saluer la main sur la poitrine et lui offre un bouquet composé comme les tapis persans de fleurs multicolores et harmonieusement juxtaposées. L’art des tissus, l’art des jardins font le plaisir des yeux. Les Persans, comme les artistes du Moyen-Âge, attachent une importance extrême à la minutie des détails, au raffinement et à la précision des nuances. Les poètes excellent dans de petits morceaux extrêmement brefs où ils disent en peu de mots des choses inattendues et délicates d’un sens caché et profond. Dès que l’on entre en conversation avec un Persan, on s’aperçoit que la poésie joue dans sa vie un grand rôle. Les hommes politiques, les médecins, les militaires eux-mêmes vous citent par cœur des morceaux de leurs plus grands poètes. Leur mémoire est remplie de beaux vers. Le plus célèbre de ces auteurs est Ferdowsi. Les Persans le considèrent non seulement comme le maître de la langue iranienne, mais comme le plus grand poète de l’histoire qui ait jamais 2  En l’absence du manuscrit, cette partie du texte, jusqu’au 13 novembre 1919, est transcrite depuis la version dactylographiée en 1922 (Archives diplomatiques, Papiers d’Agents, Ducrocq (Georges) – Perse xxxii – Impressions de voyage. Notes de Perse, 1919-1920.) De nombreuses fautes évidentes ont été corrigées, je ne signale que celles qui restent incertaines. Dans cette rédaction, Ducrocq a modifié les notes de son journal, comme l’attestent des anticipations ici ou là, probablement en vue de la publication d’un livre.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

29

écrit dans leur idiome. Il incarne à leurs yeux le patriotisme persan et les morceaux que l’on cite le plus volontiers de ses œuvres est celui où il décrit l’arrivée des Arabes en Perse et les destructions auxquelles ils se sont livrés sans rien laisser subsister de la vieille civilisation des Mèdes et des Sassanides. Vosuq od-Dowla, le président du conseil, est un des plus fins lettrés du royaume. Il possède une bibliothèque d’ouvrages anciens, de magnifiques miniatures. Lui-même compose des poèmes en vers persans dans les loisirs que lui laisse la politique. On cite de lui un poème sur la solidarité. 14 avril 1919 Le shah nous a reçus officiellement aujourd’hui. Les carrosses du palais sont venus nous chercher à la Légation de France escortés par des cavaliers rouges et bleus, armés de lances et qui galopaient à côté des voitures. La traversée du bâzâr par ce cortège chamarré a soulevé une émotion parmi les marchands. Les uniformes brodés, les dorures et les plumes exercent toujours un certain prestige en Orient. Le shah réside à cette époque de l’année dans un palais situé à 12 kilomètres de la ville au pied des monts de Jâjrud. Dowšan-Tape a été construit par Nâser od-Din Shah. Le château qui se trouvait sur la montagne est aujourd’hui abandonné ainsi que le grand parc où l’ancien souverain avait installé une ménagerie remplie de fauves. Mais le jeune shah actuel habite volontiers le palais dont la forme extérieure rappelle le Trocadero et qui se dresse dans la plaine au milieu d’un beau jardin. Les gardes du palais nous attendaient et la musique militaire a joué la Marseillaise à notre arrivée tandis que les troupes présentaient les armes. D’un pas lent de procession, conduit par les chambellans qui portaient sur leurs habits noirs des magnifiques cachemires du 18e siècle, nous sommes arrivés aux premiers appartements où le maître de cérémonie, qui maniait avec grâce une canne enrichie de diamants et de saphirs, nous a priés de nous asseoir et nous a offert le thé. Vingt minutes d’attente réglementaires ont marqué la distance qui sépare un souverain des simples mortels. Puis le cortège s’est acheminé vers une tente de laine et de soie brodée dressée dans le jardin. Sous ce pavillon, tendu à l’intérieur de cachemires somptueux et orné de magnifiques tapis, le shah était assis portant sur son bonnet d’astrakan l’énorme diamant carré de la couronne, nous attendait et s’est levé quand notre cortège est entré et a salué trois fois respectueusement. Après la présentation des lettres de créances et le discours du ministre, le shah a répondu officiellement en persan, le maître de cérémonie a traduit son discours. Puis, quittant le ton cérémonieux, le souverain a commencé avec notre ministre une conversation en français d’un tour familier, lui parlant de son voyage, de sa

30

georges ducrocq, Journal de Perse

carrière, de notre pays et de la sympathie qu’il avait toujours éprouvée pour la France. L’entretien a pris fin comme il avait commencé, par trois profonds saluts. Selon le rite oriental, nous sommes sortis à reculons, sans tourner le dos à Sa Majesté. Le shah a des yeux extrêmement intelligents. Il lit chaque jour un roman français. Sa conversation est d’un tour agréable, mais il paraît affligé de l’indolence naturelle à tous les souverains d’Orient. L’avis général est que le ton de l’audience qui a été accordée était infiniment plus cordial que ces cérémonies ne le comportent d’ordinaire. 16 avril 1919 Nous avons rendu visite à plusieurs princes de la famille royale. Mošir ol-Molk est le fils du prince A‘lâ os-Saltana qui fut président du conseil. Tandis que son frère qui a hérité du titre paternel fait partie de la délégation persane en Europe, celui-ci [semble] ne jouer aucun rôle politique, se consacre à la musique et compose. Le prince Šo‘â os-Saltana est le petit-fils de Nâser od-Din Shah et le fils de Mozaffar od-Din Shah. Celui-ci habite une maison magnifique où l’on parvient par d’immenses jardins où des jets d’eau et des fontaines ruissellent dans des bassins d’émail bleu. Le prince revient d’Europe. Il parle merveilleusement bien le français. Il a voyagé sous un déguisement et avec le pseudonyme de « Mahoud » à travers tous les peuples islamiques. C’est ainsi qu’il a visité le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Syrie et la Mésopotamie. Il a fait le pèlerinage de la Mecque en se nourrissant, selon l’usage, d’eau et de pains achetés aux [Syriens ?] et d’un fromage de Saint-Jean d’Acre. Tout le long du voyage des rixes éclataient entre les Turcs et les Bédouins qui se tirèrent des coups de fusil. La question panislamique intéressait beaucoup le prince. En combat avec les milieux musulmans de Berlin où il a vécu pendant la guerre, cet homme que l’on pourrait prendre pour sceptique et désœuvré, est au fond un fanatique religieux. Il connaît à merveille l’Occident, mais il connaît également toutes les ressources du monde musulman. Bien peu d’hommes politiques européens pourraient comparer leur expérience à la sienne. On saisit sur le vif par l’existence du prince Šo‘â os-Saltana le caractère cosmopolite et nomade du Persan. Celui-ci est tantôt à Petrograd, tantôt à Londres, tantôt à Paris ou à Madrid. Ses filles sont élevées dans un pensionnat de Bruxelles et passent leurs vacances à Ramsgate3. 3  Sur les filles du prince Šoâ os-Saltana, voir H. Hoppenot, Journal, 14 mars 1920 et suivants.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

31

Le prince possède une bibliothèque de plus de dix mille livres. Il est abonné à plusieurs journaux socialistes ou d’extrême gauche français. Mais cette culture universelle ne l’empêche pas de demeurer très nationaliste. C’est le plus intelligent de la famille des Qâjârs, malheureusement son état de santé est déplorable et ses jours sont comptés. Notre ministre mit la conversation sur les croyances religieuses des populations syriennes, ce qui parut intéresser prodigieusement le prince. M. Bonin expliqua que la croyance des Druzes à la métempsycose les amenait à affirmer que tous les hommes après leur mort se changeaient en arbres. Un chef druze lui montra dans son jardin un magnifique peuplier et lui dit : « C’est ma tante ». Le prince goûta beaucoup cette anecdote. Âsaf os-Saltana est un gendre de Mozaffar od-Din [Shah]. Il exerce au palais les fonctions de majordome. Il nous reçoit dans sa maison toute neuve, d’apparence européenne, sans grand caractère, qu’il a fait bâtir au nord-est de la ville devant le magnifique panorama de l’Alborz. Les murs de ses appartements sont décorés de hautes soieries modernes. Il nous offre des friandises, des graines de pastèque, des noyaux de melon d’eau, des noisettes salées, des amandes grillées, des pois et des pistaches. Les Persans dans tous leurs repas grignotent ces fruits secs qui constituent un des principaux revenus du pays. On en exportait jadis avant la guerre une énorme quantité en Russie. De sa terrasse, Âsaf os-Saltana, qui donne l’impression d’un bourgeois gentilhomme persan, nous montre les jardins de son andarun. Une femme en voiles blancs s’avance vers un bassin caché sous les peupliers, elle lève la tête, voit deux étrangers au balcon, pousse un cri et s’enfuit épouvantée. Cette visite ne présente pas, quant à la conversation, un grand intérêt. Le maître du logis est un parvenu très alourdi par son luxe récent et sans aucune idée politique ; il nous a fait asseoir sur son balcon afin d’admirer le paysage : le soir tombe et le froid mortel qui descend des montagnes glace l’atmosphère limpide de Téhéran. Les Persans, montés sur de petits ânes gris, passent vivement sur la grand’route empoussiérée et l’on sent que le peuple se hâte de rentrer en ville ou d’en sortir car les portes sont fermées à la tombée du jour. 17 avril 1919 Une réception à la Légation réunit tous les grands personnages du gouvernement. Ministres, anciens ministres, princes ou dignitaires de la cour, tout le personnel politique persan désire connaître le nouveau représentant de la France. Les uns viennent par déférence, les autres par esprit de fronde et pour montrer leur opposition au gouvernement anglais. Il est bien extraordinaire de constater que parmi deux cents hommes politiques persans, il en est tout au plus une dizaine qui ignorent le français. Ces hommes, dont quelques-uns sont

32

georges ducrocq, Journal de Perse

âgés de 70 à 80 ans, parlent couramment notre langue et peuvent soutenir les conversations les plus compliquées et les plus nuancées avec une aisance que l’on retrouve rarement chez les étrangers. C’est une satisfaction incomparable pour un Français de se sentir tout à coup transporté dans un milieu aussi sympathique et aussi favorable à nos idées. 14 mai 1919 Une expédition est organisée par le gouvernement avec l’appui des contingents bakhtyâris pour mâter les brigands qui infestent les environs d’Ispahan. Sardâr As’ad, l’un des chefs bakhtyâri les plus populaires, qui a joué dans la révolution un rôle capital, prend la tête de l’expédition : les Anglais doivent prêter deux canons. Les soldats bakhtyâris sont armés de fusils anglais à dix coups avec une quantité de munitions. Quinze cents cavaliers sont convoqués. C’est ainsi que l’on réduit le brigandage en Perse. On fait appel à un chef féodal qui lève des hommes de sa clientèle et qui opère pour le compte du gouvernement. Les brigands sont nombreux, fortifiés dans plusieurs villages qu’ils ont garnis de tranchées. Voici plusieurs mois qu’ils pillent toutes les caravanes qui se dirigent de Kermânšâh à Ispahan. Ils ont pris l’autre jour une caravane chargée d’argent qui transportait 80 000 tomans. Le brigandage est un fléau de la Perse. Il est exercé par les tribus nomades, qui chaque année, au printemps, quittent l’Arabistan4 pour venir s’installer sur les flancs de l’Alborz et du Damâvand. Il est pratiqué régulièrement par les tribus Šâhsavan, pour les Lor, par les Qâšqâ’i et par les Kurdes. C’est la principale ressource des tribus montagnardes qui guettent le passage des caravanes et s’ils sont en nombre suffisant, les attaquent et les dépouillent. De plus, il existe des brigands individuels, aventuriers audacieux, qui arrivent à constituer une bande sous leurs ordres et se retranchent dans une région sauvage du pays d’où ils défient la gendarmerie gouvernementale. C’est ainsi que dans la région de Kâšân, Nâyeb Hoseyn et Mâšallâh Khan, son fils, exercent d’un manière lucrative le brigandage depuis de longues années5. Ces écumeurs de grandes routes ont accumulé des trésors dans un château fort situé au fond d’une gorge sauvage où ils entassent l’or, l’argent, les bijoux, les valeurs et les soieries qu’ils ont pillés sur les grands chemins. Les intrigues des étrangers ont parfois favorisé l’activité de ces brigands. C’est ainsi que les Allemands en 1916 se sont appuyés

4  C’est le nom que les Qâjâr donnaient au Khuzistan. En régnant sur le « pays des Arabes », ils justifiaient leur titre impérial. 5  Sur Nayeb Hoseyn voir Hasan Narâqi, Kâšân dar jombeš-e Mašruta-ye Irân, 2e éd. revue, Tehrân, Irân, 1364/1985, p. 241 et sq.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

33

sur un certain nombre de brigands locaux afin de terroriser le pays et les ont pris à leur solde. Le gouvernement est impuissant contre ces malfaiteurs et la gendarmerie est trop peu nombreuse pour faire régner l’ordre sur les grandes routes, elle arrive toujours trop tard quand le coup est fait et que les auteurs de l’attentat ont disparu. La seule ressource des pouvoirs publics est de négocier avec les brigands. Il arrive que le gouvernement, pour désarmer un chef de bande dangereux, le nomme gouverneur de la province qu’il avait coutume de piller. C’est ainsi que Mâšallâh Khan a été nommé gouverneur de Kâšân, mais il s’est rendu tellement insupportable qu’il a fallu le destituer et il a repris son métier de brigand. 15 mai 1919 Le Dr Wassmuss, agitateur allemand, qui a joué un rôle considérable dans les provinces du sud de 1916 à 1918 et qui était prisonnier sur parole des Anglais à Qazvin, vient de s’évader. Il s’est réfugié à la Légation d’Allemagne dans la résidence d’été de Tajriš. Il pose au gouvernement anglais ses conditions et déclare qu’il ne quittera la Perse que si tous ses papiers, tous ses bagages, son argent, ses appareils scientifiques lui sont restitués. Le Dr Wassmuss se trouvait à Qazvin quand notre ancien ministre à Téhéran, M. Lecomte, passa par cette ville. Le consul anglais étant absent, le Dr Wassmuss reçut M. Lecomte et lui offrit une tasse de thé. Celui-ci s’aperçut au bout de quelques instants qu’il avait devant lui l’ancien agitateur allemand. Il se leva, très mécontent, et quitta la salle. Dans une lettre adressée au consul britannique qui l’hébergeait, le Dr Wassmuss explique qu’il avait donné sa parole d’honneur et qu’il la reprend. Cet incident témoigne une fois de plus de la naïveté des Anglais en présence de la duplicité allemande. 18 mai 1919 Une dizaine de jeunes officiers de l’armée persane ont fait leurs études dans nos écoles militaires françaises. L’un d’eux, Sardâr Homâyun, est soussecrétaire au Ministère de la guerre, un autre, le Colonel Farâmarz Khân, dirige la police du Ministère des finances. Le prince Nâser od-Dowla, qui a servi aux chasseurs à cheval à Rouen, est un des hauts fonctionnaires du Ministère de la guerre. Les méthodes qui triomphent ici dans l’instruction de l’armée sont les méthodes françaises. L’école militaire, bien qu’étant dirigée par un officier qui sort de l’école de Constantinople, observe les règlements français et étudie avec zèle les principes de tactique française. Quatre-vingt-dix jeunes gens de dix-sept à vingt ans sont élèves de cette école où l’on enseigne la trigonométrie,

34

georges ducrocq, Journal de Perse

la physique, la médecine, la géométrie descriptive, la mécanique, la tactique, l’histoire militaire. Les élèves suivent les cours de français et les commandements de l’armée persane se font en français. Le jeune prince Nosrat os-Saltana6 appartient à la famille royale, comme son frère Šo‘â os-Saltana. Il descend de Nâser od-Din Shah. Il est âgé de 23 ans et il a déjà été gouverneur de la grande province du Khorassan. On trouve chez les jeunes Persans une précocité remarquable. La gravité de leur visage et de leurs manières, le décorum de la vie persane et les conversations sérieuses et politiques qu’ils entendent autour d’eux, étant élevés dans un milieu exclusivement masculin, leur permettent d’accepter très tôt des fonctions publiques. Nosrat os-Saltana m’a dit qu’à Mašhad, on est fort mal renseigné sur ce qui se passe en Afghanistan. Durant son séjour dans le Khorassan, il a appris l’assassinat de l’émir d’Afghanistan qui était, dit-il, germanophile (une autre version affirme qu’il a été tué parce qu’il était anglophile). Il a vu défiler une quantité de prisonniers autrichiens et allemands qui passaient du Turkestan en Afghanistan et en Perse. La frontière est très mal délimitée entre ces deux pays. Mašhad, à cause de son pèlerinage fameux, est fréquentée par des marchands et des pèlerins. Il existe autour de Mašhad de magnifiques propriétés de plaisance où de grands exportateurs de blé du Khorassan viennent goûter les plaisirs de l’été. 28 juin 1919 Une maison persane comprend de grands appartements de réception et des chambres privées absolument indépendantes ouvrant généralement sur une cour, des bassins, de grands ombrages, sont toutes petites et très nombreuses de façon à pouvoir loger une nuée de femmes et de servantes qui font partie de la maison persane tandis que les appartements de réception sont très larges et spacieux et ouvrent généralement des deux côtés sur les jardins. Dans le palais de Sepahsâlâr A’zam, les pièces principales étaient décorées de plusieurs tableaux représentant les aïeules du propriétaire toutes habillées avec la jupe courte et ballonnée des danseuses kurdes, quelques unes avaient même adopté le costume de ballerines de l’Opéra. Cette étrange coutume provient du goût persan pour l’opéra qui a décidé Nâser od-Din Shah à implanter le costume de danseuse dans son sérail. Tous les grands personnages ont imité cet exemple : c’est ainsi que les dames de la meilleure société se font représenter dans leurs portraits de famille.

6  Ducrocq écrit Nasereddin Kadjar . . . mais si ce prince a 23 ans, c’est probablement ce cinquième fils de Mozaffar od-Din Shah, né en réalité en 1894 (il aurait donc plutôt 25 ans).

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

35

La coutume d’envoyer des présents est courante en Perse. Les étrangers en sont souvent l’objet. On leur envoie des bouquets de fleurs ou bien une gazelle, un mouflon en entier ; jamais la bête n’est partagée et les serviteurs qui vous l’apportent le font avec un cérémonial qu’il faut récompenser. Un cheval s’envoie en présent, mais il serait absolument indélicat de le revendre. Si l’étranger quitte la Perse, il doit le renvoyer à son propriétaire. On offre aussi des tapis pour la plupart modernes, les Persans n’ayant aucun goût pour les tapis anciens. L’usage s’est conservé chez les Persans d’offrir immédiatement à une personne l’objet dont elle vient de faire l’éloge. Si vous appréciez les lignes d’un cheval, on vous l’envoie le lendemain, si vous louez un bijou, une bague, on vous l’envoie immédiatement. La délicatesse la plus élémentaire est de refuser ces présents qui ne sont qu’une démonstration de politesse. Un proverbe persan très amusant déclare : « N’offre ni ton cheval, ni ta maison, ni ta femme à l’étranger, car il l’accepterait . . . » 1er juillet 1919 Ramazan. Chaque nuit, sur les remparts, les jeunes gens de la ville viennent s’asseoir par groupe de trois ou quatre et chantent à tue-tête des prières et des cantiques. Pour la plupart des Persans, le mois de ramazan, qui est un mois de deuil et de jeûne pendant la journée, est un mois de réjouissance et de festins pendant la nuit. Dès le coucher du soleil, quand le canon a tonné, tous les quartiers populaires sortent de leur torpeur et s’animent comme par enchantement. Alors tous se précipitent vers les restaurants, boivent dans les arrière-boutiques les vins défendus. Le tumulte et le bruit des rues est extraordinaire. La ville prend un air de fête. Il est inutile d’essayer de garder un domestique à la maison : dès que le signal a retenti, ils se précipitent vers le bâzâr et passent la nuit avec leurs camarades. Ils rentrent le lendemain, fatigués, languissants, incapables de travailler et passent leur journée à dormir sur des chaises. Le mois de ramazan est un mois d’inaction et d’oisiveté complète. Le bâzâr somnole, la ville est en léthargie, les affaires traînent et, quand le canon libérateur du crépuscule sonne, il ne s’agit que de faire bombance, de fumer des cigarettes qui sont défendues dans le jour et de passer la nuit à l’ombre des jardins au milieu des chants et des rires. La propagande commerciale. La France néglige entièrement la propagande commerciale. Elle continue à faire de la diplomatie comme on en faisait sous Louis-Philippe, mais non pas comme on en faisait sous Louis xiv où les intérêts commerciaux de la France sous Colbert primaient tous les autres. Il n’y a point dans nos légations de délégué commercial relevant du ministère du commerce tandis que les Bolcheviks ont immédiatement créé, à côté

36

georges ducrocq, Journal de Perse

de leurs légations, une délégation commerciale et tandis que le principal souci des Anglais est de placer leurs marchandises, les négociants anglais trouvent un appui très énergique de la part de leurs consuls et de leurs ministres. L’Agence Reuters. L’Agence Reuters publie des nouvelles sensationnelles sur la France. La moindre grève, le moindre trouble politique est mis en vedette. Le but de ces informations est de faire sentir aux Orientaux que le désordre et l’anarchie sont le privilège de la France tandis que l’Angleterre est le pays du décorum et de la bonne organisation. C’est ainsi que Reuters a annoncé que le vote du traité de Versailles7 a été accueilli par la foule de Londres avec recueillement et par la foule de Paris avec des démonstrations de délire dans les rues, des danses et des manifestations tapageuses. Comme je faisais remarquer au chef de la section britannique au ministère des Affaires étrangères (persan) que ces habitudes sont fâcheuses, il me répondit qu’il était absolument étranger à l’élaboration des télégrammes Reuters qui se faisait sans lui. Les journaux satiriques. Un journal satirique persan, le Zéphir du nord [Nasim-e šomâl] paraît tous les huit jours. Il est écrit en vers et raille spirituellement la vie de Téhéran, les intrigues qui s’y nouent et en particulier l’attitude des étrangers. Voici le thème d’un de ses poèmes : Vous autres occidentaux, vous êtes des savants, vous avez inventé les téléphones, le télégramme, les zeppelins, la lumière électrique, les chemins de fer, etc. Nous autres orientaux, nous avons nos grands docteurs, nos cinq prophètes, Iavi, Ghavi, Abmamalek, etc. Vous autres occidentaux, vous avez des canons, des aéroplanes, vous avez un Napoléon, un Pierre Legrand. Nous autres orientaux, nous avons nos grands docteurs, nos cinq prophètes, Iavi, Ghavi, Annmamalek, etc. Vous autres occidentaux vous possédez la terre par vos réseaux ferrés, par vos aéroplanes, etc. Nous autres orientaux, nous possédons le chemin du paradis. Le but de cette facétie est de critiquer certains membres du clergé très infatués de leur science et très hostiles au progrès moderne qui font la loi à Téhéran. 7  Signé le 28 juin 1919.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

37

Le poème est écrit avec verve et d’un très bon style et le diplomate russe qui le récite est enchanté d’en faire valoir les beautés. Mais le Persan auquel ce poème est récité, chef du protocole, est au fond scandalisé de cette plaisanterie contre le clergé. Il revient de Karbalâ et de Najaf où il a été en pèlerinage. C’est un personnage officiel très attentif à garder devant le public l’attitude la plus dévote et il est très mécontent de ce genre de littérature. La politique anglaise au Khorassan. Le Général Malleson, qui commande les troupes anglaises au Khorassan, a été jadis officier politique et chef du contre-espionnage aux Indes. Il a transporté ses méthodes en Perse. C’est lui qui dit au gouverneur d’Aškâbâd, qui voulait entrer en relations avec la légation de Russie à Téhéran (la légation monarchique) : « Vous n’avez rien à attendre de ces contre-révolutionnaires ». Ce renseignement confirme tout ce que nous savons de la politique anglaise en Perse qui a consisté à ruiner le foyer monarchiste et à favoriser l’entrée du bolchevisme ce dont il se mord les doigts aujourd’hui. Kuček Khan. Le chef des Jangalis, celui qui tient en échec depuis trois ans le gouvernement central, est un organisateur de premier ordre. Il a établi au Gilân des levées d’impôts régulières, il crée des routes (celle de Mâsula a été faite par lui), il rend justice ; il entretient des écoles ; il a créé un journal, Jangal ; il possède une armée ; il a fait régner l’ordre et réprime les brigands. Les habitants du Gilân, loin de se plaindre de ce brigand devenu gendarme, font appel à son appui pour se protéger contre les agressions du fisc ou de la gendarmerie gouvernementale. Les soldats du pays sont moins dangereux que ceux qui viennent de la capitale. Kuček Khan a été poursuivi dans la montagne, ses troupes dispersées, mais la population de Rašt regrette déjà le règne des Jangalis. Le secret désir des habitants du Gilân est que Kuček Khan devienne gouverneur de Rašt, comme on a fait Mâšallâh Khan gouverneur de Kâšân. Mostowfi ol-Mamâlek et Mošâr ol-Molk donnaient au gouvernement anglais toutes sortes de protestations contre Kuček Khan, mais en secret, ils l’encourageaient, il avait l’appui du parti germanique. Guillaume ii a écrit une lettre autographe à Kuček Khan. Les officiers allemands saisis parmi ses troupes ont dit à Starosselsky lors de l’expédition de 1919 : « Nous servons notre pays, comme vous servez le vôtre ». Kuček Khan interdisait aux étrangers qui servaient dans son armée de lire des journaux, c’est ainsi que les Allemands ignoraient la défaite allemande. Ils ont été effondrés lorsque Starosselsky leur a appris l’armistice. Parmi les papiers saisis chez les Jangalis se trouvaient des instructions venant d’Allemagne.

38

georges ducrocq, Journal de Perse

Hâjji Ahmad8 est le lieutenant le plus dangereux de Kuček Khan. C’est lui qui a organisé son armée et ses expéditions politiques. Il a rassemblé une quantité d’armes et de munitions dans certains lieux abrités de la montagne. Avenir de la Russie. Le Colonel Starosselsky est très pessimiste sur l’avenir de la Russie. Il voit avec peine l’attitude des Alliés. Ceux-ci ont réalisé contre eux l’unanimité. Les Bolcheviks sont contre eux, les monarchistes également se trouvent mal appuyés. Denikine leur reproche de ne pas l’avoir soutenu. L’union de la Russie se fera contre l’étranger. Dans l’armée bolchevik servent beaucoup d’officiers qui ne sont pas bolcheviks, mais l’état d’esprit dans l’armée redevient le même que jadis. Bolcheviks et anti-Bolcheviks fraternisent, mais chose plus grave, Russes et Allemands sont en train de se réconcilier. Les Allemands reconnaissent la Russie. Ils l’inondent, ils veulent la coloniser. Ils tentent en ce moment de persuader aux Russes qu’ils sont comme eux les victimes de la guerre et des Alliés et qu’ils ont une revanche commune à préparer. L’armée allemande existe toujours. Elle peut se reformer par les sociétés d’anciens militaires, de vétérans, de préparation militaire. Pendant quinze ans, l’Allemagne, avec ses cadres qui datent de la Guerre, reste redoutable. L’unité allemande subsiste. Les Prussiens rétablissent l’ordre, comme [Gustav] Noske à Munich. Une réaction est à craindre. La révolution allemande est une frime. Ce sont les Anglais qui ont déchaîné la révolution russe et qui ont créé Kerensky. En janvier 1917, ils ont proposé à Starosselsky une conspiration contre le Tsar. Ce fut un grand malheur que l’abdication du tsar. Starosselsky fut reçu par lui le lendemain de son abdication. Le Tsar avait revêtu son uniforme de cosaque. Il était très résigné. Selon Starosselsky, 80% des Russes sont monarchistes, l’Allemagne reste monarchiste. On peut prévoir une union certaine des monarchistes russes et des monarchistes allemands. Les Russes reprochent aux Alliés leur irrésolution et leur manque de logique, ils les soutiennent et ils ne les soutiennent pas, tantôt envoyant des canons et des munitions à Denikine, tantôt se retirant d’Arkangelsk. La contagion bolchevik gagne avec l’or allemand. La France est le seul pays qui puisse s’en préserver à cause de ses petits propriétaires. En Perse le bolchevisme est à craindre, l’envie est grande parmi les petits 8  Kasmâ’i ? ce commerçant enrichi dans la soie, proche de Mirzâ Kuček Khan dès le début du mouvement Jangal, a trahi le Jangal en avril 1919 (probablement après avoir détourné une partie du trésor public), grâce à une médiation anglaise, voir Chaqueri, Soviet Socialist Republic of Iran, p. 465.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

39

agriculteurs qui ne sont pas propriétaires. Le Persan n’est pas fanatique, mais il est subtil, paradoxal ; et bien qu’il n’y ait pas de centre industriel en Perse, il peut très bien se développer une sorte de mouvement agraire hostile aux grands domaines. Madame de Romero. Madame de Romero, femme du ministre d’Espagne, était une ancienne écuyère d’un cirque viennois, que le ministre avait épousée étant veuf, parce qu’il lui trouvait une singulière ressemblance avec sa première femme. D’origine autrichienne, la ministresse (sic) d’Espagne fit de son salon un centre anti-allié durant la Guerre. Les officiers suédois, en particulier, fréquentaient beaucoup cette maison. Le Club impérial, fondé par Romero, était un lieu de réunions où Persans et Européens se rencontraient. On y jouait toutes les nuits et la ministresse d’Espagne ne quittait cet endroit que vers sept heures du matin, après avoir passé ses nuits à jouer au poker. Elle avait acquis sur le monde persan et en particulier sur l’entourage du shah et sur Sa Majesté un empire extraordinaire. Dans les réunions de la cour, elle n’hésitait pas à prendre la parole, à plaisanter. Le shah la trouvait beaucoup plus divertissante que les ministresses des puissances alliées qui observaient une réserve beaucoup plus grande. Ayant reçu du gouvernement persan un collier de perles fines, Madame de Romero le renvoya en demandant un autre bijou. Une parure de diamants lui fut envoyée qu’elle refusa encore et le gouvernement n’en fut quitte qu’en lui donnant un chèque sur le Crédit Lyonnais à Paris qu’elle accepta. Au moment de son départ, elle liquida tout son mobilier, ce qui se fait couramment à Téhéran où les objets les plus indispensables sont introuvables. Elle envoya au ministre d’Italie son tub que celui-ci ne voulut pas accepter. Le ministre d’Espagne qui descendait d’une vieille famille de Castille était un diplomate de haute valeur. C’est lui qui fut chargé par un ministre allié de prendre la défense des minorités chrétiennes dans le pays d’Urmia pendant la Guerre. Il partit seul avec une faible escorte au-devant de l’armée turque à Tauris et régla cette affaire de la manière la plus adroite. Il était néanmoins un peu germanophile et ce fut lui qui négocia à la demande du ministre d’Angleterre, le départ de l’agitateur allemand Wassmuss qui s’était réfugié à la légation d’Allemagne à Zargandeh. Politique allemande. [Paul von] Hintze, qui fut ministre des Affaires étrangères en Allemagne peu de temps avant l’armistice, avait été attaché naval à La Haye et à Petrograd, c’était un grand mondain et un danseur émérite. On racontait en Russie qu’il avait l’habitude de tomber amoureux des femmes de fonctionnaires dans les provinces desquelles se faisait la mobilisation. C’est ainsi qu’il débarqua un jour à Tiflis prétendant qu’il y était amené par un

40

georges ducrocq, Journal de Perse

roman d’amour. Quelques semaines plus tard, la mobilisation était décidée. Mais Hintze qui la connaissait d’avance était venu s’assurer sur place de tous les détails militaires. Un licencié en droit, élève des sciences politiques accompagne le Colonel Starosselsky dans sa campagne du Gilân. Il vient m’en raconter les épisodes. Starosselsky me dit ensuite : « C’est un Persan, il faut croire le dixième de ce qu’il raconte ». Mission d’Urmia. Il est parfois difficile de faire comprendre à Paris l’importance des missions de Perse, les résultats n’étant pas extraordinaires du point de vue de conversions, les supérieurs des missions ont peine à comprendre comment le maintien des missions peut être utile aussi bien à l’intérêt français qu’à ceux de la religion. C’est ainsi qu’une dépêche de Paris vient de rappeler brusquement les Pères lazaristes d’Urmia qui venaient d’arriver [pour] reprendre leur poste. Il se noue de fortes intrigues à Rome du côté italien et autrichien pour évincer les missionnaires français de Perse. Femmes. Un jeune homme comme Sardâr Akram, qui n’a pas 25 ans, a déjà épousé plusieurs femmes et divorcé. À chaque épouse divorcée, il sert une pension. Les femmes divorcées se remarient aisément. L’esprit de famille ne peut subsister que d’une façon rudimentaire dans de telles conditions, les enfants des lits différents se disputent. Il n’y a pas d’union au sein de la famille. C’est à qui ravira le plus tôt possible aux parents leur héritage et parfois d’illustres exemples montrent que l’on peut avancer cette date. C’est ainsi que le ministre des Finances [Sârem od-Dowla] est accusé d’avoir assassiné sa mère. 22 juillet 1919 En allant un soir à Farmâniya, par une nuit sans lune, je me suis perdu dans la campagne. Un homme à qui j’ai demandé mon chemin a pris mon cheval par la bride et m’a emmené sans dire un mot jusqu’à la porte du palais. Une extrême obligeance caractérise encore le paysan persan. Il rend service. Il est bienveillant. L’étranger n’a pas encore complètement gâté la campagne des environs de Téhéran et parfois on y retrouve cette impression de bonhommie et de gentillesse que l’on trouve dans les provinces les plus reculées de la France. 23 juillet 1919 Une grande fête réunit à la Légation d’Angleterre tous les hommes d’État persans dans le parc de Golhak. Un dîner rassemble les ministres et tout le personnel politique qui gravite autour de la Légation d’Angleterre, puis le corps diplomatique en entier est convié à assister à une fête de nuit et à un feu d’artifice où plusieurs figures symboliques ont une signification politique. C’est ainsi que l’on voit le Lion et le Soleil, la vache et le poisson. Des

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

41

inscriptions lumineuses comme May peace dure ou God save the King. Le feu d’artifice est visible de la rue et des milliers de Persans assistent à cette fête royale qui est le prélude de l’Accord anglo-persan qui doit être signé dans huit jours. Par cette prodigalité de chandelles romaines et de fusées, le ministre d’Angleterre affirme la grande richesse de son pays et éblouit les Persans qui raffolent de ce genre de divertissement. 25 juillet 1919 La politique orientale de la France. Ipekian, arménien, collaborateur du Ra’d, me demande ce que la France compte faire à Constantinople si elle est fermement partisane du maintien de l’intégrité de l’Empire ottoman. Il blâme notre intervention en Russie. Il est d’avis que l’Angleterre se replie sur toute la ligne. Elle avait espéré que l’Émir d’Afghanistan pourrait avec les émirs de Khiva et de Bokhara constituer une barrière contre le bolchevisme. La barrière est brisée. Les Anglais se replient. L’assassinat de l’ancien émir a livré l’Afghanistan aux Bolcheviks. L’Angleterre ne songe plus aux glacis, mais simplement à la défense des Indes. Il se peut qu’elle abandonne la Perse. Les hommes résolus font défaut dans ce pays : mille hommes résolus pourraient facilement gouverner, il suffirait d’imposer son autorité dans les villes. Les Alliés ne doivent se faire aucune illusion : les Persans fortement travaillés par la propagande allemande sont hostiles à l’Entente. NOTE : Il est curieux que cette conversation m’ait été tenue cinq jours avant la publication de l’Accord anglo-persan que connaissait Ipekian. Il avait donc mission de me dire exactement le contraire de la vérité et de décourager chez moi tout sentiment favorable à la Perse, ce qui est la tactique anglaise : dégoûter l’Occident de l’Orient afin d’avoir le champ libre. 26 juillet 1919 Le voyage du shah. Sa Majesté va quitter la Perse pour la France mais avant de partir, par un coup de maître, le prince Firuz se fait nommer ministre des Affaires étrangères. De cette manière, il coupe court à toute récrimination de la part de l’opinion persane puisqu’il s’en va. Il aura toute autorité pour négocier avec le gouvernement anglais la manière d’appliquer l’Accord qui est sur le point d’être signé. Cette nomination est faite avec l’agrément de la Légation d’Angleterre. Le ministre des Affaires étrangères accompagnera le shah dans son voyage. On annonce la prochaine arrivée à Téhéran du Colonel Stokes, qui vient réformer l’armée. Celui-ci voyage pour l’instant au Caucase avec un prince de la maison de Savoie, qui vient encourager l’expansion commerciale de l’Italie dans la Mer noire, au Caucase et en Perse.

42

georges ducrocq, Journal de Perse

Mœurs persanes. Rien n’est plus gai que la conversation des Persans. Ils excellent dans les trouvailles de paroles aimables. Aucun peuple étranger ne manie les compliments avec plus de délicatesse. Mais ils aperçoivent très vite le ridicule et se signalent entre eux d’un coup d’œil les travers qu’ils rencontrent chez les Européens. C’est ainsi que dans un dîner officiel, les personnages politiques, groupés dans un coin du salon, regardent attentivement les toilettes et l’attitude des femmes européennes et ne se privent pas de les critiquer dans leur langue et d’une manière souvent impertinente. Certaines dames du corps diplomatique qui montent à cheval en costume masculin sont pour eux un éternel sujet de plaisanterie. Un persan qui soupçonnait quelqu’un de l’avoir volé disait tout haut sa prière : Dieu Clément, disait-il, prends pitié de moi et pardonne-moi dans ta bonté et ta miséricorde. À ce moment on vint l’avertir qu’on venait d’arrêter l’homme qui était soupçonné de l’avoir volé. Comme il est d’usage de ne jamais interrompre un musulman qui dit sa prière parce qu’il serait obligé de la recommencer en entier, il se contenta de faire avec la main un geste coupant comme s’il ordonnait de trancher le cou du voleur, ce qui fut exécuté instantanément et le Persan continua sa prière (type des histoires qu’on raconte à Téhéran). Le Colonel Stokes. Le Duc de Spolete, second fils du Duc d’Aoste9, piloté en Perse par le Colonel Stokes, est arrivé de Bakou et le ministre d’Italie donne dans son parc merveilleux un grand dîner en son honneur. Les voitures arrivent par la grande allée de platanes qui longe les bassins et aboutit à une sorte de château ou de pièce montée incommode, mais qui se prête aux grandes réceptions (Bâq-e Ferdows). Ce palais appartient au Sepahsâlâr qui le loue. Les jardins comprennent une suite de bassins superposés où l’eau s’écoule d’étage en étage avec de grands jets d’eau comme à Saint-Cloud. Hier, le lustre de cristal de Venise qui se trouve au milieu de la salle d’honneur s’est écroulé et il est tombé à la place même où le dîner devait avoir lieu aujourd’hui. Le jeune duc de Spolete, qui par sa mère a du sang de la famille d’Orléans dans les veines, est une sorte de grand géant, très élégant, aux traits réguliers, âgé d’environ vingt ans. Le Colonel Stokes qui l’accompagne est un athlète, un joueur de polo, un homme actif, spirituel, toujours en mouvement, qui a joué dans l’histoire de la Perse un grand rôle. C’est lui qui a monté toute l’opposition contre Shuster, le conseiller américain, c’est lui également qui avait fait rappeler en Angleterre le ministre Marling. Il représente le parti anglo-indien. C’est un homme de main, un exécuteur rapide. Il a d’ailleurs du sang indien dans les veines et la 9  Aymon de Savoie (1900-1948), quatrième Duc d’Aoste, Duc de Spolete, deviendra en 1941-43 Tomislav ii de Croatie, un trône qu’il refusa pour un royaume où il ne vint jamais. Il était alors officier de marine.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

43

peau sombre. Lorsqu’il joue au polo, il y met une rage telle que ses camarades s’éloignent de lui de peur de recevoir un coup de maillet et qu’il claque régulièrement un ou deux chevaux pendant la partie. Un commandant de la marine italienne voyage avec le prince. Envoyé en mission de sondage, il a trouvé les pays si divisés, les populations si arriérées, si naïvement provinciales, me dit-il, qu’il ne voit pas la possibilité de faire régner l’ordre au Caucase. Je lui demande si les Italiens viendront au Caucase avec un mandat de la Société des Nations, il me répond que les Italiens n’ont pas l’intention de rester au Caucase, qu’ils y viennent pour rétablir l’ordre, rien de plus. C’est d’accord avec les Anglais qu’ils sont là. Ceux-ci sentent le terrain fléchir et la vague bolchevik avancer. Ils aiment mieux voir les Italiens au Caucase que d’y voir les Français, d’ailleurs l’expansion commerciale italienne est protégée par la finance anglaise. Comme le ministre de Belgique parlait au commandant de Serranova de Giolitti de sa force au Parlement, de sa situation toujours prépondérante en Italie, de son retour possible au pouvoir et comme il ajoutait que le ministre d’Italie, qui se trouvait à Vienne avant la Guerre, agissait vigoureusement en faveur de son pays, le commandant lui répondit : « Il y a des diplomates qui prennent plus à cœur les intérêts du pays où ils se trouvent que les intérêts de leur propre nation. » Paper-chase. Le Paper-chase se court cinq ou six fois par automne dans le désert autour de Golhak. Les officiers anglais et suédois y prennent part. Cette course se fait à grande allure sans tenir compte des obstacles et des trous de puits abandonnés qui sont extrêmement dangereux. Les chevaux ne s’arrêtent que lorsqu’ils sont à bout de souffle. Ce sport violent n’étonne pas les Persans, qui sont habitués à voir mener les chasses à la gazelle de ce même train précipité ; ce qui les surprend, c’est que les femmes européennes puissent courir dans un jeu aussi dangereux sans se rompre le cou. Les femmes persanes en seraient tout à fait incapables étant habituées aux coussins du harem qu’elles ne quittent pas de la journée. Urmia. Le Colonel Farâmarz Khan, ancien élève de Saint-Cyr, est un AssyroChaldéen, parent de Nazar Âqâ. Il habitait Urmia où il possédait une riche propriété. Tous ses parents ont été tués par les Kurdes, tous ses biens pillés, luimême a pris part pendant la Guerre à la défense du pays. Lorsqu’on interroge les témoins des événements qui se sont passés à Urmia, on s’aperçoit que le tempérament guerrier et agressif est le même chez les chrétiens que chez les Kurdes et l’on ne sait vraiment qui a raison de ces deux peuples en perpétuelle rivalité et qui exercent des représailles continuelles l’un contre l’autre. Dans les derniers massacres de 1919, 625 chrétiens ont été ramenés à Tauris par le Consul d’Amérique. Des soixante mille chrétiens chaldéens qui

44

georges ducrocq, Journal de Perse

peuplaient jadis la plaine d’Urmia, il n’en reste plus. Les derniers massacres ont été organisés et exécutés par des Persans. Des gens de la meilleure société y ont pris part. Tandis que ces événements se passaient des fêtes de charité se tenaient à Téhéran pour les victimes d’Urmia. Le gouvernement persan ne disait pas quelles étaient ces victimes et il est probable que les souscriptions n’arriveront jamais aux chrétiens qui ont tout perdu dans cette affaire. Des trente mille Arméniens qui vivaient à Sivas, il n’en est resté que trois. Le Consul de France, qui était arménien, a été tué, ainsi que sa femme et ses enfants. L’influence européenne. Les gouvernements européens peuvent demander en Orient des contrats de professeurs favorables ou des concessions. La Turquie a adopté le système de concessions. Les capitaux occidentaux y trouvent une place et les intérêts économiques étant engagés il en résulte que l’Occident ne peut plus se désintéresser de la question d’Orient. En Perse notre influence est purement spéculative et spirituelle. Nous nous bornons à demander pour nos professeurs des traitements lucratifs. Quelques nominations nous suffisent et il faut sans cesse lutter auprès du gouvernement persan pour que ces professeurs soient payés. Il serait plus simple de fonder un institut relevant directement du Ministère de l’Instruction publique français et que subventionnerait le Ministère de l’Instruction publique persan. Le caractère persan. Les affaires sont interminables dans les bureaux de l’État. Jamais une solution n’intervient, ce n’est qu’au moment où les négociations sont sur le point d’être rompues qu’on obtient une satisfaction éphémère avec toutes sortes de réticences et de portes de sortie. 8 août 1919 Le shah et l’Angleterre. Le shah a coutume de plaisanter le ministre d’Angleterre. C’est ainsi qu’il lui demande avec insistance de l’abonner à l’Éclair, sachant que ce journal est anglophobe. Aujourd’hui il lui a dit : « Bien ennuyeux les Reuter depuis quelque temps, le communiqué français, à la bonne heure, est intéressant. » [C’est avec quelques plaisanteries de ce genre que le roi de Perse, séquestré et brimé par la tutelle anglaise, se vengeait de ce protecteur. J’ai vu la ministresse [sic] d’Angleterre, Lady Cox, qui était une géante de deux mètres que l’on appelait l’éléphant blanc, revenir de ces cérémonies officielles le visage courroucé en déclarant que le shah était le personnage le plus mal élevé qu’elle ait jamais rencontré dans son existence10.] 10  Ce paragraphe fait partie d’une autre rédaction de cette entrée.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

45

9 août 1919 L’intrigue allemande en Perse. Le prince Seyfeddin Bahman od-Dowla m’apporte deux lettres du ministre des affaires étrangères [de] Kuček Khan, qui furent écrites pour être lues à l’Assemblée des Jangalis. Ces lettres démontrent la complicité des Allemands dans l’affaire du Gilân. Un certain nombre d’hommes politiques, Samsâm os-Saltana, Mostowfi ol-Mamâlek, spéculaient sur le succès des Jangalis. C’étaient les hommes de l’Allemagne. Ils accusent actuellement Vosuq od-Dowla et ses ministres d’être vendus aux Anglais. Ils ne valent pas mieux. Le Prince est persuadé que la mainmise de l’Angleterre sur l’armée, les finances persanes se fera sans aucune difficulté. L’opinion populaire ne peut se révolter. Ce serait donner aux Anglais un prétexte d’intervention. L’emprunt sera conclu. Jadis la Perse pouvait s’appuyer sur l’Allemagne, mais l’Allemagne n’est plus là. 10 août 1919 Les jours de grande chaleur, les Persans se rendent volontiers en promenade à Evin, à Darraka et aux Sept Bassins. Evin est la station d’été des Américains. Nous partons à 6 heures du matin à cause de la chaleur. Les soldats sont déjà derrière Bâq-e Ferdows en train de faire l’exercice dans la plaine qui n’est pas encore chauffée par le soleil. Ces soldats appartiennent à l’école militaire de Téhéran. Evin possède une charmante petite place ombragée par un grand platane devant la mosquée et le caravansérail. Autour de cet arbre, à l’ombre duquel sont toujours assis des oisifs, les marchands installent leurs boutiques, leurs corbeilles de pommes, de poires, de melons et de noix et devisent en buvant le thé. Un savetier raccommode de vieux guivehs (giva). Toutes les portes du village sont ornées de gros clous ciselés, de chaines et de cadenas. Par l’entrebâillement des portes on entrevoit la tête ébouriffée de petites filles, dont les cheveux sont teints au henné, ou le visage meurtri et triste des femmes qui baissent rapidement leurs voiles devant l’étranger. Nous gagnons les Sept Bassins qui sont sept cuves de pierre bleu d’une couleur de turquoise, emplis par le ruissellement d’une eau limpide qui descend de la montagne ; de petits bois de saules et de peupliers rafraîchis par une vallée d’eau tapissent le fond de la gorge, autour se dressent des montagnes décharnées brûlées par le soleil et un paysage violent et calciné. À Darraka, dont les maisons sont perchées au bord du torrent, nous passons les heures chaudes chez un cultivateur dont la principale ressource est d’aller chercher du charbon de bois au Tunekâbun et de le rapporter à Téhéran à dos de mulet. Les femmes de la campagne sont beaucoup moins sauvages que celles de la ville. Elles viennent l’après-midi s’asseoir auprès de notre cercle. Sur

46

georges ducrocq, Journal de Perse

la cheminée dans cette maison se trouvait la dot de la femme composée de verres, de compotiers, de vases de cristal très ordinaire, des miroirs, des tasses et des soucoupes. Il est curieux de voir combien le peuple persan a perdu le goût des belles choses et se contente de marchandises de pacotille. Un ruisseau d’eau courante traverse le jardin. Les femmes et les enfants y vont laver leur vaisselle, se rafraîchir et y puisent l’eau comme un trésor. C’est elle qui alimente le potager et le verger, qui met de la vie dans le jardin. C’est une véritable richesse pour celui dont elle visite la propriété. 10 août 1919 Le traité. La nouvelle est rendue publique du traité anglo-persan. La convention entre Vosuq od-Dowla et Sir Percy Cox a paru dans les journaux (Ra’d, Irân). L’Angleterre prend les finances, l’armée, les douanes. Elle met des conseillers dans tous les ministères, elle s’empare de toutes les branches de l’administration. En revanche, on promet à la Perse des agrandissements territoriaux, sans préciser si ces agrandissements auront lieu du côté du Kurdistan, du Seistan, des Turcomènes ou en Azerbaïdjan. Le traité doit être ancien car les Anglais n’auraient pas consenti les avances qu’ils ont faites au ministre sans une certitude en mains. Une clause concernant les voies de transport. Les Anglais vont établir la voie Bagdad-Téhéran-Mašhad avec un embranchement sur l’Azerbaïdjan, voie stratégique, défense contre la Russie et le bolchevisme. De la voie du Caucase, de son avenir commercial, ils se désintéressent. Toutes les marchandises passeront par Bagdad, ils tiendront l’unique route de pénétration et en feront en même temps une ligne stratégique pour protéger les Indes. La légation de Russie est particulièrement atteinte par cette convention. L’expulsion des russes monarchistes devient certaine. Minorsky annonce que l’appétit de l’Angleterre liguera le monde contre elle et il cite un mot d’un Persan : « Nous nous intéressons au bolchevisme parce que c’est la seule force qui n’obéisse pas à l’Angleterre. » Il ajoute : « le reste du monde lui est soumis. Les Français se font tuer pour elle et font métier de mercenaires. » 11 août 1919 Le Chargé d’affaires américain me déclare que le traité conclu entre la Perse et l’Angleterre a dû être conçu en dehors des Alliés sans un arrangement pris entre les deux pays, sans consulter aucune autre puissance. Vosuq od-Dowla dans sa déclaration fait allusion à une demande d’emprunt qu’il aurait faite à l’Amérique et à la France. C’est inexact pour l’Amérique, dit White. Pour colorer ses ambitions l’Angleterre déclare qu’elle ne veut établir qu’une gendarmerie qui assurera la sécurité des routes. Les officiers suédois

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

47

seront conservés. Le chemin de fer de Bagdad à Mašhad deviendra une voie stratégique et aura pour but d’écouler les marchandises anglaises. C’en est fait de l’indépendance de la Perse. L’Amérique ne consentira pas au protectorat arménien à cause de l’hostilité du Sénat américain. 12 août 1919 Le bâzâr est fermé en signe de protestation contre l’Accord. Le shah de Perse sentant la situation grave est parti à 8 heures du matin. Toutes les routes depuis son palais jusqu’à la sortie de la ville étaient gardées par des rangées de cosaques sabre au clair et personne n’avait le droit de demeurer sur la route où le souverain allait passer. Une automobile l’a emmené vers la Mésopotamie. On dirait qu’il est honteux d’avoir signé l’Accord, il veut en fuir les responsabilités et craint les attentats. Minerai. La Perse possède du côté de Kermân des mines de cuivre. Le cuivre se trouve à l’état natif. Politique belge. Le ministre de Belgique s’imagine qu’en faisant au ministre d’Angleterre une cour assidue, il sauvera les œuvres belges en Perse et empêchera la revendication de ses fonctionnaires (douanes et postes) comme si le récent arrangement anglo-persan ne condamnait pas tous les fonctionnaires européens, non britanniques, à quitter la Perse. Sepahdâr-e A’zam aurait refusé de signer l’acte arbitraire de Vosuq od-Dowla. Il considère l’arrangement comme illégal. Mais il exprime prudemment son mécontentement, car on arrête toutes les personnes qui donnent publiquement leur opinion sur les places ou sur les plates-formes des tramways. Le président du conseil fait circuler une protestation déclarant qu’il est le plus grand serviteur de la Perse et un grand patriote, etc. Elle se couvre de signatures, les illettrés mettent leur cachet. Il est toujours facile de faire une protestation. L’attitude des Français est de considérer l’Accord comme un pacte entre Vosuq od-Dowla et Sir Percy Cox qui n’a pas été sanctionné par le Parlement persan ni par le Conseil suprême de la paix, par conséquent sans valeur. La consternation est complète dans les milieux patriotiques persans, mais une lueur d’espérance subsiste depuis que l’on sait que la France et l’Amérique ne sont pour rien dans l’Accord et ne le soutiennent pas. Cet Accord viole la Constitution, il est illégal. Les députés de Téhéran, qui sont opposés à l’Accord, ont été priés de quitter la ville. Mais ils iront en province fomenter le mécontentement. Les principaux chefs de la résistance, Samsâm os-Saltana, Mostowfi ol-Mamâlek, ont été priés de s’éloigner de la capitale, l’un à Karbalâ, l’autre à Constantinople. L’an dernier, le Sepahsâlâr, président du Conseil, fit un accord avec les Russes leur retirant le contrôle financier de la Perse. Vosuq od-Dowla protestant

48

georges ducrocq, Journal de Perse

déclara que cet Accord était illégal et le Sepahsâlâr dut démissionner. Le président du conseil donne comme excuse pour expliquer sa trahison que l’insécurité règne dans les provinces et que sans les Anglais, il n’y aurait en Perse ni ordre ni argent. Le cadeau que l’Angleterre fait à la Perse, c’est-à-dire la mettre dans la Ligue des nations (sdn), toutes les puissances étaient prêtes à le lui donner. Les mollas se sont rendus 48 heures avant la signature de l’Accord chez Sa Majesté pour lui exprimer leur inquiétude. Celui-ci leur a répondu : « Vos nouvelles sont fausses, j’ai donné à Vosuq od-Dowla l’ordre de repousser cet Accord. » Le surlendemain, l’Accord était signé et le shah partait pour l’Europe où il voyage incognito avec un certain nombre de jeunes Persans qui enlèvent leurs coiffures et porteront à partir d’Anzali des chapeaux de feutre. Les Persans utilisent beaucoup comme méthodes de gouvernement les surprises, c’est ainsi que l’Accord a éclaté comme un coup de tonnerre à Téhéran. Fanatisme. Une Française mariée à un Persan était venue me rendre visite, il y a deux mois, et m’avait présenté ses enfants, une petite fille de 12 ans, un petit garçon de 6 ans. La petite fille porte le costume persan et sa mère m’expliqua que le Grand-Père et toute la famille de son mari lui faisaient une guerre acharnée parce qu’elle ne voulait pas marier sa fille qui avait déjà reçu trois propositions de mariage et parce qu’elle ne voulait pas la soumettre au voile strict, ni en faire une musulmane. Elle avait reçu à diverses reprises des menaces à ce sujet. L’enfant fut malheureusement mordue par un chien que l’on disait enragé. On lui inocula le sérum contre la rage et il n’en résulta aucun symptôme d’empoisonnement. Sur ces entrefaites le Persan qui était un jeune médecin et sa femme partirent avec leurs enfants à Rašt faire un séjour chez le grand-père qui était vieux et sur le point de mourir et qui menaçait de déshériter son fils si ses enfants étaient élevés dans la religion chrétienne. Je viens d’apprendre que la petite [Âbgol] est morte en 24 heures dans des souffrances atroces. Elle avait assisté la veille à un bal d’enfants donné en son honneur et mangé beaucoup de sucreries. La rumeur publique prétend qu’elle a été empoisonnée, chose qui sera très difficile à prouver, car d’autre part, on assure qu’elle est morte de la rage, bien qu’il soit extrêmement rare que 5 ou 6 mois après la morsure de la rage produise un effet. La mère est convaincue que c’est la famille de son mari qui, irritée et fanatique, a préféré faire mourir l’enfant que de la laisser élever dans la religion chrétienne. Des symptômes de mécontentement apparaissent dans la foule. Les mollas sont furieux et murmurent. Le bâzâr est en rumeur. Le journal Ra’d a déclaré qu’il allait faire une série d’articles. Il n’a pas paru hier et il a laissé entendre que son journal avait été confisqué. Il est question d’exiler un certain nombre de grands personnages comme Moxber os-Saltana qui mène campagne contre

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

49

l’Accord et parle d’un appel au peuple. Il laisse entrevoir que s’ils sont frappés ils demanderont aux légations de les protéger. La Guerre en Perse. Minorsky prend partie contre l’intervention des Alliés en Perse. Il eut mieux valu ne pas violer la neutralité persane. C’est cependant grâce à cette violation que la victoire a été remportée. À quoi ont servi, dit-il, les opérations à Kermânšâh, à Urmia, à Kermân, les Russes ont fait le jeu des Anglais. Il eut mieux valu disposer de ces divisions contre Diarbekir. Russie. Les deux forces des Bolcheviks sont l’armée et la propagande. L’attitude de la France. Pendant la Guerre, il eut été facile à notre ministre de nous assurer l’établissement d’une banque française en Perse et des concessions pour le futur assurant ainsi le maintien de nos conseillers à la Justice et à l’Instruction publique. Mais notre ministre a tout laissé tomber. Le moment favorable a passé. La Perse traversait alors une crise financière et avec très peu d’argent nous aurions pu y conquérir une place prépondérante. Plaisanterie persane. Quand une femme dit à un Persan : « Que cette eau est chaude ! », il répond : « C’est que vous l’avez regardée . . . » L’effort américain. Les Américains ont envoyé une mission militaire en Arménie et en Transcaucasie. Le ministre américain à Téhéran est un ancien candidat démocrate de Kansas City. Il était jadis avocat au criminel dans cette ville. C’est un démagogue ami du président Wilson, qui a été nommé par faveur, diplomate. On sait que tous les sept ans le corps diplomatique américain change avec le président. 16 août 1919 Un accident de voiture. Un accident de voiture a lieu sur la route de Zargandeh. La voiture se brise et le cheval reçoit les brancards dans le ventre. Les Persans assistent à l’accident sans faire un geste et laissent descendre le cheval emporté sur une distance d’un kilomètre sans porter le moindre secours. Il ne faut compter que sur soi en Perse. L’Accord. Le Sepahdâr-e A’zam a bel et bien signé la convention comme me l’a dit Ziyâ Homâyun qui est en désaccord avec lui. Quand les révolutionnaires entrèrent dans Téhéran le Sepahdâr-e A’zam s’est réfugié à la Légation de Russie. Il a touché jadis 200 000 tomans de la Russie. Ziya Homâyun reste cependant à son service parce qu’il représente l’union adverse. Ziya Homâyun prétend qu’il lui dit des vérités et qu’il lui rappelle que c’est grâce à la révolution qu’il est devenu ministre et altesse. Le Ra’d prêchait un essai de révolte contre le traité [et] a donné une longue conversation entre Sârem od-Dowla et le directeur de ce journal. Ce qui a abouti au retrait de l’article hostile et à une palinodie complète de ce journal.

50

georges ducrocq, Journal de Perse

C’est ce directeur [Seyyed Ziyâ] qui prétendait que la Perse était obligée de se jeter dans les bras de l’Angleterre parce que la France ne faisait pas un geste pour venir à son secours. 23 août 1919 Le bâzâr est fermé aujourd’hui. Il y aurait 100 000 tomans répandus par les Démocrates pour faire la grève. Une supplique aurait été adressée au Président du conseil, le nouveau président du conseil choisi parmi les Démocrates est déjà désigné. 24 août 1919 Les nouvelles de Russie montrent qu’il n’y a plus en Russie qu’une seule préoccupation, la nourriture, depuis un an et demi. La vie intellectuelle a complètement cessé. Du matin au soir, on songe à la façon comment on pourra se procurer des vivres pour le lendemain. Cette pensée est absorbante, ainsi le bolchevisme paraît bien comme une régression de l’humanité, retour à la vie élémentaire et au triomphe des analphabètes. Le docteur Gachet me fait dire de la part de Hadjean que le gouvernement anglais a sommé la Division des cosaques de rendre ses armes. Le Colonel Starosselsky, qui est à Rašt, a télégraphié à Denikine lui demandant son avis. Celui-ci a répondu : « Ne rendez pas les armes, laissez-les prendre. » Un certain nombre d’officiers de la Division serait disposé à servir sous le régime anglais, mais le ministre de Russie a déclaré qu’il les considèrerait comme traîtres à la Russie. Ceci est un type de nouvelles invraisemblables que l’on m’envoie afin de les télégraphier au gouvernement. L’intérêt de l’Angleterre n’est pas en ce moment de brusquer les choses et de supprimer la Division des cosaques, seule force militaire organisée. L’Accord anglo-persan. Une démarche officielle de 16 délégués, choisis parmi les membres les plus influents du parti qui s’est formé contre l’Arrangement anglo-persan, a été faite aujourd’hui auprès du Président du conseil. Il y a parmi eux d’anciens présidents du conseil et des mollas influents. Ce qui donne du poids à cette démarche, c’est que Mošir ol-Molk, ancien président de la Chambre, personnage d’une intégrité reconnue, sont contre l’arrangement. Les Anglais sont fort ennuyés de cette levée de boucliers. Ils avaient compté la semaine dernière sur un [climat] de terreur, mais les menaces d’exil n’ont pas intimidé le mouvement de protestation et les Anglais sont fâchés de voir des personnages considérables et honorables élever la voix contre eux. Les chefs de l’opposition sont :

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

51

Moxber os-Saltana, ancien gouverneur de Chiraz et d’Azerbaïdjan, ancien ministre de l’intérieur qui a été germanophile pendant la guerre. Les chefs bakhtyâris parmi lesquels Samsâm os-Saltana. Mostowfi ol-Mamâlek, ancien germanophile. Mais des hommes qui ne sont pas suspects d’hostilité contre les Alliés s’élèvent avec les chefs de l’opposition. Tels sont Mošir od-Dowla, qui n’était point germanophile ni anglophobe et Mo’tamed ol-Molk, qui a fait ses études en France à l’École Polytechnique. Tels sont encore Sa’d od-Dowla, le promoteur de la Constitution. Emâm-Jom’a Xo’i, ancien député d’Azerbaïdjan, le plus influent des mollas de Téhéran. Seyyed Hassan Modarres, député au Parlement et contrôleur des affaires religieuses de la Perse, représentant des mollas au Parlement. Tels sont encore des notables commerçants comme Mo’in ot-Tojjâr, grand commerçant de Bouchire (Bušehr), propriétaire des mines d’oxyde de fer de Bandar ‘Abbâs, des pêcheries d’Ormuz et de la Compagnie de navigation du Kârun, qui se déclare, malgré ses intérêts financiers alliés à ceux de l’Angleterre, ennemi de l’arrangement. Le voyage du shah. Kilmonsky, attaché commercial à la légation de Russie, rapporte quelques anecdotes amusantes sur le voyage du shah. Il est arrivé à Anzali très fatigué par deux journées d’auto et un peu ahuri. Sans lui laisser le temps de faire sa toilette, on l’a tiré de son automobile et on l’a mis avec son cache poussière en présence des notables et des mollas d’Anzali qui lui présentaient leurs compliments. Il n’a rien trouvé à leur répondre. Il a demandé à monter sur le bateau. Comme le bateau dansait, il a demandé si le bateau était attaché. Sa suite, qui n’aime pas les cartes, l’a abandonné et est allée se divertir à Anzali. Le pauvre Shah est resté seul sur le pont regardant l’horizon où pointait la tempête et inquiet sur l’issue de son voyage, car c’était la première fois qu’il affrontait la mer. Il n’avait même pas un encrier. À bord, il a réclamé des cartes postales, mais le Prince Firuz, qui en avait acheté pour lui, a oublié de les lui laisser. Il a demandé avec sévérité au gouverneur de Rašt pourquoi le baromètre baissait. Le lendemain la tempête s’étant levée, il a refusé de partir. L’arrangement anglo-persan. On fait valoir dans les milieux persans que l’arrangement sera très profitable aux Persans au point de vue économique. « Oui, répondent-ils, nous savons très bien que nous ferons nos affaires en nous entendant avec les Anglais et en nous mettant sous leurs ordres. » L’affaire Mâšallâh Khan. Le Colonel Gleerup, qui a arrêté samedi Mâšallâh Khan, a saisi un grand nombre de ses chevaux. Celui-ci avait envoyé six chevaux de luxe au Président du conseil. Gleerup était tellement satisfait de sa

52

georges ducrocq, Journal de Perse

capture, car il accapare tous les chevaux de course à Téhéran pour faire le trust des courses, la nourriture des chevaux ne lui coûtant rien puisqu’il prend dans les greniers de l’État l’orge et le foin, Gleerup était si enchanté, qu’il s’était enivré et a parcouru dans cet état à cheval les rues de Zargandeh en chantant des tyroliennes accompagné de ses officiers d’État-Major. « Pourquoi, me dit mon cosaque, suis-je puni quand je suis ivre et pourquoi est-il permis au chef de la gendarmerie de l’être ? » L’opulence dans laquelle vivent les officiers suédois à Téhéran est un spectacle des plus comiques que l’on puisse imaginer. Gleerup était officier de réserve dans son pays, le Général Westdahl était un simple officier de police de province, le Colonel Lundberg était officier d’aministration du train des équipages de la province de Ostrogethie, le Capitaine Lassen était élève à l’École des Cadets de Petrograd, le Capitaine Harvidson était palfrenier, amené par Gleerup. Tous ces officiers, outre leurs traitements qui sont fabuleux, tripotent sur les fournitures de l’État, sur la solde des hommes, sur le fourrage, sur la vente des chevaux et s’enrichissent de telle manière qu’ils sont tous à la tête d’écurie de course et passent leur vie en dîners et en fêtes et font au jeu des différences formidables. L’État persan est obligé de les supporter parce qu’après avoir été soutenus à fond par l’Allemagne, ils sont aujourd’hui à la solde du gouvernement anglais. Ce sont exactement des mercenaires prêts à rendre tous les services que le gouvernement demande. Ils ont beaucoup nuit par leur conduite en Orient aux Européens en Perse. La plupart d’entre eux ont fait un stage dans l’armée prussienne et sont de cœur germanophiles. Mais depuis la défaite de l’Allemagne, ils cachent leurs sentiments. Un seul d’entre eux est honnête et francophile, c’est le Major Bjurling, qui appartient à une famille de forestiers de Dalécarlie et qui a épousé une femme arménienne. Il n’est pas anglophile. Le gouvernement le garde cependant à son service parce que c’est le plus courageux et le plus fidèle des fonctionnaires suédois au service de la Perse. 28 août 1919 Situation commerciale de la Perse. Le trafic commercial par le Caucase peut être considéré comme impraticable. Les marchandises doivent subir la douane à Batoum de la part du gouvernement indépendant de Batoum, un contrôle à Maktebi à la douane géorgienne, une visite et de nouveaux droits à payer à Bakou. Il est impossible d’exporter de l’Azerbaïdjan des marchandises si on ne fait pas la preuve que des marchandises d’égale valeur ont été importées, ce qui amène les douaniers à confisquer la moitié des bagages des

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

53

voyageurs. Les Azerbaïdjanis s’opposent à l’exportation de certains articles dont ils ont besoin. Le trajet des marchandises de Batoum à Bakou dure un mois. Il nécessite une personne de confiance qui accompagne les colis. Même les wagons plombés peuvent être ouverts et pillés dans les gares géorgiennes. Toutes ces conditions dirigent le commerce. Par la voie de Bagdad, il faut compter sur des retards considérables. De France à Téhéran, une marchandise peut très bien mettre deux ans. La Compagnie Lynch favorise les marchandises anglaises. Les compagnies persanes, quand elles peuvent fonctionner, transportent en six ou sept mois de Mohammara à Téhéran les marchandises. Les colis venant de France sont volontairement laissés en souffrance dans les docks de Bagdad et de Bassorah. Il faudrait, pour que le commerce français fût possible et prospère, créer tout d’abord une compagnie de navigation de Marseille au golfe Persique. Il est bien évident que la voie du sud nous sera interdite car les compagnies anglaises auront beau jeu d’entraver notre commerce soit en empêchant le débarquement, soit en laissant la moitié des marchandises dans les entrepôts et sur les quais, soit en arrêtant le trafic sur les grandes routes. En réalité la Perse constitue déjà pour l’Angleterre un marché monopolisé. C’est pourquoi les Anglais ont intérêt à ce que la voie du Caucase ne soit jamais rouverte. Ils y favorisent l’anarchie des républiques orientales et s’ils s’en vont du Caucase, ce sera pour y laisser revenir les Bolcheviks, assurés que par ce moyen le trafic normal ne pourra jamais se rétablir. La Perse est un débouché excellent pour les laissés pour compte de Bombay et de Calcutta. Les bâzârs d’Ispahan et de Téhéran sont inondés de pacotilles qui sont vendues à des prix rémunérateurs. Malheureusement dans ces circonstances critiques, la France supprime ses consulats au Caucase et rappelle sa mission militaire. Caucase. La politique anglaise dans l’Azerbaïdjan tartare consiste à favoriser tantôt les Tartares, tantôt les Turcs et tantôt les Bolcheviks. Par cette politique diabolique, le gouvernement anglais maintient le désordre et le grabuge du pays. Denikine est trop occupé par ses propres occupations pour songer au Caucase. Les Anglais lui préparent un coup de poignard dans le dos qu’il ne peut éviter. Arrangement [anglo-persan]. La grande levée des boucliers persans contre l’Arrangement n’a donné aucun résultat. Le bâzâr n’a pas fermé de peur de la police. Les notables n’ont pas fait auprès du Président du conseil une démarche menaçante, mais ils ont été convoqués par le Président du conseil, disent les chroniques officielles, et cette entrevue a consisté en une mercuriale du chef du gouvernement. Le Président du conseil vient de s’emparer du brigand

54

georges ducrocq, Journal de Perse

Mâšallâh Khan et par ce moyen il se pose en vengeur de la patrie, en soutien de l’ordre et il rallie les mécontents. Il se fait adresser par les notables de toutes les provinces des félicitations. Il faut compter de plus en Orient, plus que partout ailleurs, sur la contagion du succès. Un certain nombre de Persans craintifs se rallient immédiatement aux Anglais parce qu’ils sont les plus forts et déjà certains d’entre eux se vantent d’apprendre l’anglais et vous disent quand vous leur parlez d’une affaire : « Vous êtes-vous entendu avec les Anglais à ce sujet ? » La fermeture du Caucase. On annonce officiellement la fermeture de la route du Caucase, qui est la suite de l’Arrangement anglo-persan. La poste anglaise à Anzali refuse les lettres pour Bakou et les achemine vers Bagdad. Ceci est compréhensible pour les Anglais occupant Bakou. Mais il entre dans leur plan de faire passer tout le commerce persan par la voie du Golfe persique. Nous n’aurons plus désormais, durant de longs mois, d’autre voie d’accès que le Golfe persique. On parle d’établir un service Anzali-Petrovsk-Novorossiisk, mais quand pourra-t-il fonctionner ? Il faudra d’ailleurs pour qu’il réussisse que Denikine se maintienne au nord du Caucase. Histoire de Mâšallâh Khan. Mâšallâh Khan a été pendu ce matin. Par une action d’autorité, le Président du conseil rétablit son prestige. Il a été pendu malgré le sauf-conduit qui lui avait été accordé. On donne comme prétexte qu’il ne voulait pas désarmer ses deux cents cavaliers. Arrêté et mis aux fers, on lui a demandé où était son trésor, il a répondu : « Vous allez me tuer dans une heure. Je ne serai pas assez bête pour vous livrer le secret de mes cachettes quand je suis sûr de mourir. Il fera le bonheur d’un pauvre homme. » Un de ses compagnons a été pendu avec lui. Comme il lui disait au-revoir, Mâšallâh Khan a répondu avec le plus grand sang-froid : « Ne te presse pas je vais te rejoindre. » Il est mort avec ses habits de villageois. Son corps est resté exposé 48 heures à la potence sur la place des Canons et la foule a défilé pour le voir. Le peuple murmure parce que cette exécution est au fond illégitime. L’arrestation de Mâšallâh Khan ayant été obtenue par le manque de parole du Président du conseil, cette exécution est d’ailleurs considérée comme une diversion politique et en même temps comme une opération financière. Mâšallâh Khan s’était enrichi avec le brigandage. L’officier qui a mis la main sur ses trésors, Fazlollâh Khan, doit s’en emparer et en distribuer une partie au colonel Gleerup et une partie au Président du conseil. Cet officier sans fortune reviendra dans quelques mois à Téhéran archimillionnaire. Tous les partisans de Mâšallâh Khan ont été capturés à Šâh ‘Abd ol‘Azim. Son domaine de [Tchrabad] a été saisi, son père est en fuite dans la montagne.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

55

2 septembre 1919 Les Anglais en Perse. Le Capitaine Fortescue vient de faire des expéditions au Mâzandarân. Il a passé un mois à explorer ce pays. Cette pointe jette le conseiller de l’Ambassade de Russie Minorsky dans la plus grande indignation. La maternité en Perse. Les bassins qui se trouvent à l’intérieur des maisons constituent un danger très grand pour les enfants. Il n’est pas rare que l’on apprenne la mort d’un enfant qui s’est noyé, faute de surveillance. Les mères persanes supportent ce malheur avec une certaine indifférence. Les enfants sont tellement nombreux que la perte en est moins vivement [perçue] en Perse que partout ailleurs. On conçoit qu’un homme, qui a 40 ou 50 enfants – et le cas n’est pas rare – supporte la disparition d’un de ses enfants beaucoup plus régulièrement qu’un père d’Occident. Évacuation. Le Consul britannique de Tauris engage vivement les minorités chrétiennes (celles qui restent) à regagner Urmia. Il semble chercher un prétexte à intervenir, si les prétentions de l’Arménie, comme il en est question, sont soutenues à fond par l’Angleterre. Une grande Arménie fait partie du plan anglais, elle s’étendrait de la mer Caspienne à Bakou et engloberait Urmia. Les malentendus avec l’islam. Il faut se défier en Orient de ce que racontent les minorités chrétiennes. Comment elles sont persécutées. Elles ont tout intérêt à charger les musulmans, à leur prêter les sentiments les plus odieux et en particulier à prétendre que les Turcs ou les Persans ont envie de massacrer les chrétiens. Ce qui est inexact. Il est vrai que les chrétiens d’Orient sont insupportables aux musulmans. Mais la raison n’en est pas religieuse, c’est que la plupart de ces chrétiens se livrent à l’usure ou pratiquent des gains immodérés sur la population indigène, ce qui l’exaspère. Le caractère anglais. Il est impossible de trouver un peuple aussi imaginatif que n’est le peuple anglais en matière de souvenirs historiques. Le Colonel Hoskyn vient de visiter Persépolis en automobile. Il parle des lits de camp sur lesquels il a couché, des conserves qu’il a mangées, des bains qu’il a pris dans la rivière. Il a aperçu le tombeau de Cyrus de loin avec des jumelles ; il est monté au tombeau de Darius au moyen d’une corde, il a vu dedans un sarcophage. Persépolis ? Un tas de pierres qui n’ont pas encore été fouillées. La ville est assise dans une large plaine arrosée par un méchant ruisseau. Ils ont couché à la belle étoile à côté de l’automobile pour la garder contre les caravaniers ou les pillards qui campent volontiers dans les ruines. Ils ont eu froid sous leurs plaids. Quant au style architectural des Achéménides, ils n’en disent rien. L’arrangement anglo-persan. Un silence se fait. Personne n’ose plus parler de l’arrangement. La légation d’Angleterre fait circuler ses propagandistes à travers la ville. L’une d’elles des plus actives est une dame babiste. Sir Percy Cox

56

georges ducrocq, Journal de Perse

lui a donné mission de répandre dans les milieux babistes cette idée : ce n’est pas un protectorat que l’Angleterre impose à la Perse, c’est une aide qu’elle lui offre (it is not protectorate, it is help). La manière anglaise et la manière française. Les Persans comparent l’attitude des Anglais qui traitent les Hindous comme des esclaves et celle des Français qui échangent des rapports courtois avec les chefs américains, algériens et nègres. Le préjugé de droits n’existe pas en France, tandis que les Persans dans leur propre pays sont boycottés par les Anglais qui les empêchent, par exemple, d’être membres du Club à Téhéran. 8 septembre 1919 L’Arrangement anglo-persan. Aujourd’hui ont été arrêtés un ancien ministre, un ancien gouverneur de Tauris, le frère de Samad Khan, l’ambassadeur de Perse à Paris, deux négociants jadis anglophiles. Ces mesures de violence sont bien inutiles, le peuple est calme et l’on est en train de fabriquer des martyrs et d’attirer l’attention de l’Europe sur les mécontents. Les communications postales ont été brusquement interrompues il y a huit jours. Les Anglais ont cessé de transmettre les lettres pour le Caucase, ils refusent les communications télégraphiques pour ce pays. La Perse est complètement isolée du reste du monde. Cependant les Persans font partir secrètement des émissaires à Bakou afin qu’ils puissent télégraphier en Europe ce qui se passe en Perse. Un mouvement inquiétant de séparatisme se manifeste en Azerbaïdjan ; le gouvernement persan fait arrêter des Azerbaïdjanis. Cet acte d’autorité active le mouvement de rébellion que favorise en secret le Sepahsâlâr, gouverneur de l’Azerbaïdjan qui veut se tailler un royaume dans ce pays. La victoire des Azerbaïdjanis tartares sur la frontière persane encourage ces tendances. On a arrêté aujourd’hui l’ancien ministre de l’intérieur, Mohtašam osSaltana, père d’Abbâs Khan, qui a servi en France et vient de rentrer de captivité ; Momtâz od-Dowla, ancien ministre des finances et de la justice, frère de Samad Khan et son frère Momtâz os-Soltân, Momtâz ol-Molk, ancien ministre de l’instruction publique, frère de Sa’ od-Dowla, Hâjji Mo’in ot-Tojjâr négociant de Bouchire et Hâjj Amin oz-Zarb, ancien directeur de la Monnaie, ancien député et deux gros négociants persans en relations avec les mollas. Mohtašam os-Saltana est un personnage considérable et fin lettré, un homme très spirituel en relations avec tous les mollas et poètes de Téhéran. En outre, vingt Persans officiers et civils ont été arrêtés. Ces mesures de rigueur font grand bruit, elles paraissent un peu inconsidérées. Le Président du conseil a pris, pour supprimer l’opposition, des moyens radicaux. Nous entrons dans le mois de moharram où les musulmans, par des prières, des discours, des représentations dramatiques, célèbrent la mort de [Hoseyn], il sera impossible

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

57

de supprimer les droits de réunion pendant ce mois, les imams prêcheront et diront ce qu’ils voudront11. Il est imprudent de faire sortir le Persan sceptique et indolent de son naturel. La tyrannie ne fera qu’exaspérer l’opposition. La belle sœur du Président du conseil disait aujourd’hui chez le ministre de Belgique que Vosuq od-Dowla travaillait pour le bien général, mais qu’on ne le comprenait pas. Minorsky, le conseiller de l’Ambassade de Russie, prétend que les personnages arrêtés et exilés à Kâšân sont des modérés sans aucune popularité, des hommes dont l’intégrité n’est pas à l’abri de tout soupçon. Le ministre d’Amérique s’est prononcé nettement contre l’Arrangement. Et voici quel moyen il a trouvé pour ennuyer les Anglais. Il a télégraphié au Secrétaire d’État Lansing12, il lui a représenté que l’Amérique était considérée par la Perse comme une puissance adhérant à son sort et lui refusant tout appui. Le Secrétaire Lansing a voulu, par une démonstration, prouver que la question asiatique ne pouvait se régler sans la participation du gouvernement américain. Il a donc envoyé une longue dépêche au ministre Caldwell, sous forme de note diplomatique. Mais comme cette note communiquée au gouvernement persan aurait été mise sous le boisseau et complètement inconnue du public, le ministre américain a imaginé le procédé suivant : il a fait imprimer la note à des milliers d’exemplaires et l’a fait distribuer à tous les passants dans le bâzâr. Ce procédé inusité dans la carrière a violemment indigné tout le corps diplomatique de Téhéran. Le ministre de Belgique est particulièrement très monté contre le gouvernement américain, qui ménage les Allemands, qui est responsable du triomphe du bolchevisme, qui intervient malencontreusement à Fiume, en Thrace, etc. Cependant le ministre d’Amérique prétend qu’il a agi dans l’intérêt anglosaxon et qu’il n’y a pas de conflit sérieux entre l’Angleterre et les États-Unis. Le ministre de Belgique soutient que la Perse est souveraine et peut faire tous les accords et traités qu’il lui plaît. Si les autres puissances interviennent dans le conflit actuel, elles battent en brèche sa souveraineté. À quoi le ministre d’Amérique répond : « L’Amérique dit ce qu’elle a à dire. » Mais pourquoi lui dit-on n’avez-vous prévenu les Alliés de votre démarche ? et Caldwell répond : « M’ont-ils averti de ce qu’ils allaient faire ? L’émotion produite par cet incident est telle que le Président du conseil, jugeant que sa sécurité n’est plus assurée dans sa maison de campagne où les murs sont trop bas, a décidé brusquement, bien que l’automne ne soit guère avancé, de quitter 11  En 1919, le mois de moharram commençait le 26 septembre. 12  Robert Lansing, Secrétaire d’État de 1915 à 1920.

58

georges ducrocq, Journal de Perse

Golhak pour rentrer en ville. Il est parti ce matin, escorté par un escadron de cavalerie et accompagné de plusieurs canons. Sa maison de ville présente un abri meilleur. On prétend que par des souterrains, il peut, en cas de révolte, s’échapper et gagner un lieu sûr et partir en automobile. Un des plus fervents soutiens de la politique anglaise, dans cette affaire, est le ministre de Belgique, il me tient les propos suivants : « L’Angleterre aurait proposé à la Belgique une alliance militaire ; la cession de deux districts dans l’Afrique sud-orientale aurait été considérée par l’Angleterre comme un cadeau n’exigeant pas de réciprocité de sa part. « Les Russes, me dit le ministre de Belgique, sont furieux du retrait des Anglais à Archangelsk et au Caucase. Ce sont les socialistes en France, c’est le Labour Party en Angleterre qui ont obtenu la non-intervention. » Les Américains ne dépenseront pas inutilement leur argent en Perse parce qu’ils ne sont pas les maîtres du pays. Les Anglais jouent d’ailleurs le jeu des dupes en dépensant tant d’argent en Perse, car c’est un pays sans unité, sans pouvoir centralisé, difficile à tenir. Les Anglais y ont jusqu’ici favorisé le brigandage et ils se sont opposés au développement de la Perse, comme les Russes jadis s’y opposaient. On fait courir sur la légation de France des bruits fâcheux et l’on prétend que nous aurions envoyé une dépêche annonçant une émeute en Mésopotamie (ce qui est inexact). À noter que le conseiller de la légation de Russie, Minorsky, pour me dégoûter du ministre d’Amérique me déclare qu’il est franc-maçon. 11 septembre 1919 Le départ de Minorsky chargé d’un courrier français, il passera par Petrovsk et Novorossisk. Le prince Amânollâh, ami de Nâser od-Dowla, l’accompagne en Europe. Ce jeune prince rejoint la suite du shah. 12 septembre 1919 Politique persane vis-à-vis des Bolcheviks. Le Président du conseil a prié le Colonel Starosselsky de ménager les Bolcheviks à Bandar-Gez et il vient de signer une convention postale avec les Bolcheviks du Turkestan. Diplomatie. L’attitude des Anglais vis à vis des Américains est d’une extrême insolence. Depuis que M. Caldwell a publié une note de Lansing et dénoncé l’Accord anglo-persan, Sir Percy Cox ne lui adresse plus la parole dans les réunions officielles. Le ministre de Belgique, pour plaire au ministre d’Angleterre, prend la même attitude. Mais le conseiller de la Légation d’angleterre Scott, en désaccord avec son ministre, prend une attitude aimable envers le corps diplomatique américain.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

59

L’accord anglo-persan. Il y aurait eu une émeute à Tauris où le gouverneur, le Sepahsâlâr, est hostile à l’arrangement. On le soupçonne de favoriser un mouvement séparatiste qui rattacherait l’Azerbaïdjan persan à l’Azerbaïdjan turc. Le cabinet a décidé de le rappeler pour bien marquer son intention de gouverner en dictateur. Le Sepahsâlâr a 78 ans. Par sa richesse, il a déjà obligé bien des gens. Sa présence à Téhéran ne sera pas sans danger pour le gouvernement, mais celui-ci veut à Tauris un homme sûr et il aurait l’intention d’y envoyer Sârem od-Dowla. 15 septembre 1919 Turkestân. Un socialiste de gauche qui est arrivé de Tachkent me donne sur les intrigues bolcheviks au Turkestan les renseignements suivants : les Bolcheviks utilisent beaucoup les Magyars. Il y a 80% de Magyars dans l’armée. Ceux-ci sont retenus de force. On leur dit que les routes avec l’Europe sont coupées. Ils ont fait récemment une réunion à Tachkent et ils avaient l’intention de quitter le pays. Mais l’ingénieur Kobosef les fit cerner avec des mitrailleuses et vint présider la réunion. Les Magyars déclaraient qu’ils voulaient regagner leur pays à pied. « C’est impossible, dit Kobosef, nous ne voulons pas que ceux qui se sont battus pour nous retournent de cette manière. » Puis, passant à la menace, il leur dit de se disperser ou les mitrailleuses entreraient en jeu. Mille Magyars avaient réussi à déserter le front d’Aškabad. Ils ont été cernés près de Tachkent et disséminés. Il n’y a pas de combustible pour les locomotives qui ne circulent que pour traîner les convois militaires. Les Bolcheviks ont d’abord utilisé le naphte de Bakou, mais les dépôts d’Aškabad et les puits du Fergana se sont épuisés. Ils ont ensuite employé le masla, huile de coton qui fournit l’approvisionnement militaire, graisse pour les fusils. Finalement ils se sont mis à brûler dans les locomotives ce poisson de la mer d’Aral appelé la leiche. Des wagons de ces singuliers combustibles circulent derrière les locomotives. Ils utilisent aussi la saxao, arbuste du Turkestan. Les employés du chemin de fer sont tous russes et bolcheviks, ceux qui ne le sont pas doivent travailler sous peine de mort. Les Bolcheviks n’inquiètent pas ceux qui ne s’occupent pas de politique. Les officiers sont l’objet de leurs persécutions, en particulier ceux qui faisaient partie de l’intelligentsia. Après la révolte manquée d’Ossipoff (janvier 1919), ils ont commis des atrocités, plus de 6 000 personnes ont été massacrées à Tachkent. L’artillerie des Bolcheviks après l’expédition de Kokan et du Fergana était disséminée, les canons hors d’usage et sans munitions. Les Bolcheviks étaient sur le point de succomber quand la prise d’Orenbourg permit de ravitailler

60

georges ducrocq, Journal de Perse

à nouveau l’artillerie. Des canons Krupp, des ingénieurs, dont Kobosef, arrivèrent à Tachkent. La prise d’Aškabad a donné un nouvel élan aux Bolcheviks. Ils ont saisi 30 canons et une quantité de munitions, 12 canons de marine sur wagons que l’armée Denikine avait oublié d’évacuer. La prise de Koursk leur a fourni un matériel considérable. La propagande chez les Kirghizes n’a eu aucun succès que dans la lie de la population, dans les villes et dans les bâzârs. Ceux qui n’ont rien et qui souhaitent le pillage des riches sont des recrues pour le bolchevisme. Mais les Arméniens les ont abandonnés. Les Turkmènes sont l’objet de toutes les inventions des Bolcheviks. Ceux-ci voudraient en faire une garde analogue à la garde que les monarchistes russes pouvaient mobiliser. La frappe du papier-monnaie atteint 10 000 000 de roubles par jour et même 17 000 000 depuis que des techniciens ont été adjoints à la Monnaie. L’Accord anglo-persan. La légation des États-Unis est le refuge des mécontents qui cherchent le bast. Cette légation est entourée par tous les gendarmes qui empêchent les Persans de s’y réfugier. Les journaux attaquent violemment le ministre des États-Unis. Ils disent que les États-Unis n’ont jamais rien fait pour la Perse, que l’an dernier, le Dr Jackson, chef de la mission des secours, est parti en Amérique avec des promesses et n’a jamais rien envoyé. Le Ra’d déclare que l’acte de M. Caldwell, ministre d’Amérique, est celui d’un factieux et qu’il le paiera cher. Ce journal est d’une extrême violence contre la délégation persane de la Conférence de la paix, qu’il propose de mettre en accusation. La délégation persane, dirigée par Mošâver ol-Mamâlek, aurait fait la connaissance du Président Wilson se trouvant à l’Opéra dans la loge voisine de la sienne. Il en est résulté la note Lansing, qui est très gênante pour l’Angleterre. 16 septembre 1919 Dîner chez les deux officiers suédois Gleerup et Lundberg. Madame Lassen est retour de Tiflis et dit que les légations étrangères et le bureau militaire installés à Tiflis lui donnent un nouvel attrait. Le colonel Chardigny a quitté Tiflis, le colonel de Nonancourt va quitter le Caucase. Deux nouveau officiers arrivent à Tiflis. 17 septembre 1919 On a pendu hier Nâyeb Hoseyn. Exécution destinée à impressionner le peuple. Les brigands ne sont pas moins nombreux. Nayeb Hoseyn avait 70 ans. Il a été jugé en cour martiale par les officiers suédois de la gendarmerie. Pris les armes en mains, il a été condamné à mort. Tactique anglaise. Le secrétaire de la légation d’Angleterre m’a tenu les propos suivants : « Je parlais des Altesses persanes : Il faudrait un gotha pour s’y

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

61

reconnaître. – Vous devriez le faire, me dit Mallet, voilà une occupation pour vous. – Vous me croyez donc beaucoup de loisirs, lui ai-je répondu. On trouvera dans le corps diplomatique des personnes que ces questions héraldiques intéressent. » Les Anglais ont un vif désir de voir leurs rivaux s’occuper d’art, de littérature, de chasse, de blasons, de toute autre chose que de la politique. Au besoin ils provoquent les parties de plaisir et les distractions afin de les détourner de leur tâche. Commerce. Un commerçant persan voulant faire des affaires avec la France demande au ministère par quelle voie il peut faire venir ses marchandises. Celui-ci lui répond que la voie du Caucase est impraticable et que seule la route de Bouchire lui est ouverte. Mais la légation d’Angleterre lui dit que la route de Bouchire n’est pas sûre et que les Anglais refusent d’assurer le transport des marchandises. Il en résulte que le commerce avec la France est entièrement paralysé. 28 septembre 1919 Un Français de passage, le lieutenant Jean, qui a épousé une Russe, nous apporte des nouvelles de Tiflis. Le Colonel Chardigny a demandé un congé. Il est remplacé par le Commandant de Nonancourt, ex-chasseur à pied. Celui-ci a dit un jour au général anglais qui lui refusait de loger des officiers français de passage à Tiflis : « Vous n’étiez pas si fiers quand nous sommes venus au Kemmel13 vous relever avec mes chasseurs et quand vous vous êtes empressés de quitter la position. Il me faut un logement pour mes officiers et je l’aurai. » Les Anglais le lui ont immédiatement donné. Le commandant Pelley Desforges a installé une mission navale à Batoum au grand mécontentement des Anglais. Les trains sont pillés entre Batoum et Tiflis par les montagnards de Géorgie. Le port de Poti va être ragrandi. Une compagnie américaine est en train de l’approfondir. Nous n’avons pas de consul au Caucase et M. Nicolas viendra à Tiflis chercher ses meubles et son [bureau]. Les Italiens inondent le Caucase de leurs produits. Un bateau italien touche Batoum et Poti tous les huit jours. Les bateaux marchands italiens sont renforcés de l’admirable flotte du Lloyd autrichien. Les Italiens prennent des commandes exécutables en automne. Les bateaux de la Messagerie maritime et de la Compagnie Paquet viennent une fois toutes les six semaines à Bakou. Ce sont de vieux bateaux, mal outillés, qui prennent peu de marchandises. Les Anglais autorisent leurs officiers démobilisés et qui veulent faire du commerce à l’étranger à voyager en uniforme. Ils s’engagent sur l’honneur à 13  Lieu d’offensives stratégiques dans les Flandres, à la fin de la Première Guerre Mondiale.

62

georges ducrocq, Journal de Perse

quitter l’uniforme en commençant leurs opérations commerciales. Le transport de leurs marchandises leur est assuré et une compagnie d’assurance prend les risques à sa charge. Toutes difficultés de voyage leur sont écartées. Ce moyen pratique développe le commerce tandis que nous continuons à faire des conférences sur le développement du commerce extérieur. Le Lieutenant Jean a fait partie de la mission Noulins en Russie. Il donne sur la panique du corps diplomatique des détails peu édifiants. M. Noulins voulait partir par Volgde puis Elsingforst. Les Anglais sont partis par Elsingforst sans avertir leurs collègues et après leur départ la frontière a été fermée. Le ministre de Belgique a manqué particulièrement de sang-froid. 30 septembre 1919 À la légation de Russie chez les Belayef, Hildebrand parle de l’attentat contre Baratoff qui a eu lieu à Tiflis. Baratoff venait de régler un compromis entre Denikine et la Géorgie. C’est un charmeur, un fin diplomate. « Ils se sont vengés, a-t-il dit, parce que j’avais trop bien réussi. » L’attentat a été organisé par les Bolcheviks. Baratoff, qui avait fait toute la guerre et conduit une campagne victorieuse sur le front turc en 1917, a eu le pied emporté, un éclat de bombe dans la poitrine, son chauffeur et un colonel qui se trouvaient à côté de lui, ont été tués. L’avance de Denikine avait soulevé une grande émotion parmi les Russes. « Le bolchevisme, disait-il, doit finir cet automne ». C’est à ce moment précis que les Anglais évacuent Arkangelsk, au moment où il faudrait tenir. Le lieutenant Jean est venu reconnaître le marché de Téhéran, il constate l’impossibilité de faire venir des marchandises françaises en Perse. Les Anglais bouchent toutes les routes et ne favorisent que la voie de Bagdad par où ne passent que des marchandises des Indes ou d’Angleterre. Jean a rendu visite au Ministère des affaires étrangères persan. Il a vu [E’tesâm] ol-Molk et lui a parlé du protectorat anglais sur les Indes et sur la Perse. Celui-ci a bondi. 30 septembre 1919 Les procédés anglais en Syrie. Malzac me met au courant des procédés de l’Angleterre en Syrie. Une succursale de la Banque ottomane devait s’ouvrir à Jedda (Arabie) et à Bagdad. Les Anglais s’y sont opposés. Ils ont empêché le Crédit Lyonnais de rouvrir sa succursale à Jérusalem, au profit de leurs banques anglaises palestiniennes. Ils entravaient l’arrivée des marchandises françaises à Beyrouth. Quand leurs troupes occupaient la Syrie, ils défendaient la vente des timbres postes français à Beyrouth et nos sous-officiers dans les bureaux de postes devaient vendre des timbres anglais. Nos officiers mis sous les ordres des émirs faisaient fonction de sergents recruteurs et d’instructeurs.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

63

Les Anglais tenaient à montrer aux Arabes qu’ils avaient la haute main sur les affaires d’Orient. En Perse, la tactique est la même. leur but est de démontrer que la France est un pays fini, sans ressource économique. C’est une nation désormais assistée par l’Angleterre et l’Amérique. Le colonel Starosselsky a demandé que l’on veuille partager la Perse en zones d’influence : les Cosaques auront leur région. Il ne veut pas intervenir au Mâzandarân sans être couvert par les Anglais. Cinq cent mille tomans n’ont pas été payés par les Anglais sur la solde des cosaques, qui a un arriéré de trois mois. 1er octobre 1919 La politique anglaise en Perse – Conversation avec de Raymond. « L’impérialisme anglo-saxon (Curzon) est une menace pour les petites puissances comme la Belgique. L’Angleterre n’est pas assez forte pour établir son hégémonie sur le monde. Ses Dominions ne marchent pas. Elle répugne au service militaire. Son rêve est d’avoir des mercenaires belges et français pour garder les frontières du Rhin. » Il convient que les Anglais ont empêché de régler la question du port d’Anvers ; qu’ils soutiennent la Hollande qui veut empêcher le développement d’Anvers au profit de Rotterdam et cela, ajoute-t-il, aucun paysan belge ne peut l’admettre. Le bénéfice de la Guerre doit être pour la Belgique le port d’Anvers. « Nous aurions dû, disent-il, aller jusqu’au Rhin et d’ici cinq ans, pourquoi ne garderions-nous pas comme gage, devant une Allemagne se préparant à la revanche, les territoires occupés ? » Le parti wallon s’oppose à cette annexion parce qu’il craint la suprématie des catholiques, mais le patriotisme doit l’emporter. Les Belges et les Français doivent conclure une alliance militaire, – les armées de la Meuse unies. Elles seraient invincibles et pourraient imposer leur volonté à l’Angleterre qui cherche leur désunion. Il fallait prendre la Gueldre14 et l’offrir comme monnaie d’échange à la Hollande. Le commandement anglais s’oppose au mouvement séparatiste dans les provinces rhénanes. Il a empêché les Belges d’arborer le drapeau belge à [Malvaddy]. Son intention manifeste est d’écarter le danger allemand sur le Rhin. Il ne veut pas que la France et la Belgique soient trop fortes. Il veut que ces nations aient besoin d’être assistées et ne puissent pas compter sur elles-mêmes. En Russie, l’Angleterre joue double jeu : soutient Denikine d’une part et d’autre part entretient les rivalités et ne veut pas la défaite totale des 14  Province des Pays-Bas.

64

georges ducrocq, Journal de Perse

Bolcheviks. Ce jeu exaspère les Russes et prépare une alliance monarchique germano-russe. 7 octobre 1919 Le mois de moharram. Les cérémonies de moharram ont commencé depuis huit jours. Chaque village a dressé une tente où se réunissent les habitants quand ils n’empruntent pas le marché de la localité. Les riches marchands envoient leurs plus beaux vases, leurs miroirs, leurs lampes, leurs cristaux et leurs bougies, leurs tentures qui témoignent de la piété du donateur. C’est le moment de se montrer bon musulman et d’envoyer son mobilier pour décorer cette chapelle ardente. Celui qui par ses présents, son attitude, ne témoigne pas sa douleur du meurtre des descendants d’Ali est mal noté. Dans la religion persane il y a beaucoup de respect humain. Les prières sont dites pendant dix jours tous les matins par les mollas. L’après-midi est consacré à la procession des mystères dramatiques qui figurent les épisodes du martyre des enfants d’Ali. Ces mystères, qui rappellent nos Passions du Moyen-Âge, sont naïvement représentés par des troupes d’acteurs ambulants qui vont de ta’ziya en ta’ziya réciter leurs rôles ; les scènes et les terre-pleins, se trouvent au centre dans tous les bâzârs pour les prêcheurs, les derviches et ceux qui haranguent la foule, sport très aimé en Orient où l’acteur populaire remplace le journal. Les mystères sont en 10 ou 15 actes : l’un représente l’annonce de la mort d’Hoseyn à sa sœur restée à Médine, un autre le départ de tous les enfants d’Hoseyn qui vont chercher de l’eau dans le désert et sont successivement massacrés, un autre l’arrivée de Bayazid, le tyran des derniers descendants d’Hoseyn, petits-enfants pour qui l’Ambassadeur étranger, reconnaissable à sa redingote, à son chapeau haut-de-forme, intercède en vain. Bayazid est ivre et se fait apporter la tête coupée d’Hoseyn qu’il insulte, à qui il offre à boire et qu’il souille de vin. Un des épisodes le plus attendrissants de cet acte est le geste du petit-fils d’Hoseyn qui presse sur son cœur la tête de son père et meurt de tristesse. On l’enterre au milieu de nouvelles larmes. L’Ambassadeur étranger (qui est l’Ambassadeur de France) touché de ce spectacle, déclare qu’il se fait musulman et insulte Bayazid et est envoyé par lui au supplice. Ces tableaux se succèdent très rapidement. La mise en scène est primitive. Les sentiments s’expriment par quelques gestes hiératiques. Un tas de poussière de bois se trouve au milieu de la pièce et quand un orateur veut exprimer la tristesse, il prend une poignée de cette sciure de bois et s’en asperge la tête. La sciure de bois imite la poussière dont les pleureurs se couvrent les jours de deuil. Des mains jointes, claquées l’une contre l’autre, des gambades représentent les tourments du désespoir. La douleur n’est jamais calme en Orient,

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

65

elle s’exprime par des cris, par des manifestations dramatiques, par des lamentations ou par une sorte de délire désespéré. Si un acteur doit faire un voyage, aller à Médine par exemple, on amène des chevaux au bord de la plate-forme, il se met en selle, fait trois fois le tour des tréteaux et il arrive à son but, descend et une nouvelle scène commence. Ces artifices de théâtre ne choquent pas le public qui n’exige pas de mise en scène compliquée et qui est aussi docile et aussi imaginatif que notre public du Moyen-Âge. Les combats se passent sur la scène : quelques passes d’armes, des coups frappés sur les boucliers. Les victimes réapparaissent avec des chemises ensanglantées, le corps percé de flèches. Les chevaux eux-mêmes qui se trouvent dans la bataille portent un caparaçon de toile blanche taché de sang avec des tronçons de flèches brisées. Les guerriers ont le front bandé et sanguinolent. Une musique stridente et rythmée accompagne le récitatif qui rappelle notre plain chant. Les voix sont toujours des voix de tête suraigües et contribuent à développer chez le spectateur une tension nerveuse qui aboutit à des explosions de larmes, surtout quand la prière des enfants descend sur la tombe des martyrs. La remise aux enfants des dépouilles de leur père : casque, vêtements, objets qu’il a portés ; le départ du fils d’Hoseyn pour la bataille, son retour blessé à mort. Les enfants eux-mêmes partent au combat pour venger leur père et leur corps est ramené sur des civières. De tout petits enfants assis près de leurs cadavres renversent leur tête des tas de sciure de bois, tandis que les agonisants remuent encore leurs doigts. Au passage pathétique, les flûtes et les cuivres ajoutent des airs persans très doux et très tristes. Le départ des guerriers est salué par des sonneries de clairons à la française. Les musiciens sont des gendarmes et des volontaires, car c’est une œuvre pie que de jouer un rôle dans ces représentations et ce qui fait son caractère très émouvant c’est que l’on n’a pas affaire à des artistes professionnels, acteurs et public participent à une cérémonie religieuse. Si les guerriers partent au combat, leurs proches leur passent autour du cou un morceau de drap blanc qui est leur futur linceul. Les méchants sont habillés de rouge. Bayazid est toujours vêtu d’un pourpoint écarlate comme Lucifer, ses gens sont habillés de cottes de maille empruntées à l’armure des croisés, qui est d’ailleurs restée celle des hommes d’armes persans jusqu’au 19e siècle. Ils trainent leurs victimes sur la scène par les bras, ils les tirent par les cheveux et agitent ostensiblement leurs poignards. Ces scènes violentes qui rappellent la vie nomade des Arabes et les persécutions dont les Saints ont été l’objet, énervent au plus haut degré l’assistance. Au moment dramatique, quand les victimes sont sur le point d’être immolées,

66

georges ducrocq, Journal de Perse

des anges descendent du ciel et sauvent les malheureux. Ce sont les anciens martyrs, ceux qui les ont précédés dans l’immortalité, qui arrivent le visage voilé pour indiquer qu’ils sont des fantômes et qu’ils les accueillent dans leurs bras. Le voile des femmes, à cette époque, était beaucoup moins strict que de nos jours, il laissait les yeux à découvert, c’est le voile touareg qui ne cache que le menton et le nez. Beaucoup de coutumes dans ces mystères sont encore arabes, grand turban retombant sur l’épaule, châle serré sur la tête par une corde en poils de chameau. Il est d’usage, pendant ces pieuses cérémonies, d’habiller les enfants en costumes arabes, d’une robe noire serrée à la taille avec des ornements de coquillages, des sachets de cuivre ou d’argent contenant de la terre des lieux saints. Ce déguisement est une marque de piété et chacun s’attendrit en les voyant. Tous les Persans prennent le deuil durant les jours de moharram. À partir du cinquième – ou sixième – jour, quand ils pleurent la mort d’Hoseyn, ils sont vêtus de noir de la tête aux pieds. Ils pleurent toute la journée, ne se permettent aucune distraction, vont au prêche à la représentation théâtrale et ne veulent plus faire leur ouvrage. La nuit, la procession circule. Ils transportent des bougies allumées, des lampes à acétylène, des flambeaux, des candélabres. À partir du cinquième – ou sixième – jour, les fidèles avec des chants commencent les mortifications, c’est-à-dire de grands coups de poing sur la poitrine nue qui alterne avec la cadence d’un marteau sur l’enclume. Pour plus de facilité les dévots dans ces jours de deuil portent une veste noire qui s’agrafe sur l’épaule et qu’ils peuvent ouvrir facilement, laissant le sein nu et peuvent se marteler à grands coups de poing. Cette mortification dure plusieurs jours. Le jour de l’šurâ, les poitrines sont toutes rouges, toutes enflammées, parfois même entamées jusqu’au sang. Les processions comprennent des oriflammes et des ornements sacrés, des emblèmes, des couteaux d’argent, des faux, des mains d’argent ; une troupe suit ces ornements sacrés en chantant. Le chant est le suivant : Ân šab [košte šode] ast « Ce soir il a été tué » Mais tout cela n’est rien auprès de la boucherie du dixième jour où l’on célèbre la mort d’Hoseyn. Ce jour-là des troupes de fanatiques qui depuis une semaine s’excitent en pleurant se réunissent par confréries, s’habillent de chemises blanches, prennent un sabre en main et se tenant bras dessus, bras dessous, forment de longues chaînes d’énergumènes et commencent à se fendre le crâne en poussant des clameurs farouches : Hoseyn, Hoseyn. Aucune prescription du Coran ne recommande cette pratique sanglante mais ils s’y livrent pour obéir à leurs

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

67

mollas et parce que leur tradition est de célébrer la mort du prophète chiite en versant leur propre sang. Les forcenés, vociférant en cadence, les voix rauques, les yeux leur sortant de la tête, dans une sorte d’extase frénétique, brandissent leur sabre et avec le tranchant se frappent le haut du crâne qu’ils ont préalablement rasé. Le sang coule sur leur visage, dans leur cou, sur leur chemise blanche qui bientôt ressemble à un étal de boucherie. Aux cris que poussent ces hommes ivres de foi, répondent les gémissements des femmes qui, assises sur les terrasses ou devant les portes des maisons ou massées dans les rues les regardent passer avec terreur. Des surveillants sont chargés de veiller sur la fureur des fidèles et avec de grands bâtons ils s’arrangent pour amortir par derrière les coups qui seraient trop violents et empêcher les fanatiques de s’ouvrir le crâne. Mais il en est de si fous que l’on doit leur retirer leur sabre au milieu de la cérémonie. Tous les ans des Persans meurent ou tombent inanimés au milieu de la procession. On les transporte vers des fontaines où on baigne leurs blessures. Sitôt la cérémonie terminée, tous ces pénitents se précipitent au bain, ils y passent la journée. On leur met sur leurs plaies je ne sais quel onguent miraculeux ; il faut croire que la protection d’Ali s’étend sur ces fidèles car les plaies sont cicatrisées instantanément. Le lendemain les domestiques qui se sont martyrisés reprennent leur poste, un peu hébétés, mais toutes leurs blessures fermées. Chaque corporation tient à honneur de montrer de longues files de pénitents, des figurants représentent les épisodes de la Passion des martyrs et des groupes de pleureurs. Les marchands de la Cité et du bâzâr, les officiers de la gendarmerie et des cosaques défilent en corps constitué, le mouchoir à la main, apostrophés par des prêtres (sic) qui prêchent en public et qui rappellent le supplice des martyrs. Toute la ville n’est qu’un immense gémissement. Un des plus beaux groupes de la procession est formé par les Arabes qui ont gardé le costume des premières années de l’Hégire. Les chameaux et les mulets ornés de pompons rouges et les harnachements de laine éclatante. Les femmes sont assises dans des cacolets suspendus au front des mulets, les porte-étendard vert, le turban et le voile de l’islam primitif. Ces cavaliers arabes brandissant leurs sabres au soleil ou portant des bouquets de fleurs rouges se livrent à de véritables tournois qui amusent beaucoup la foule. Mais rien ne l’émeut davantage que le cadavre d’Ali qui passe la tête et les bras coupés, ou le cheval du prophète sans cavalier portant sur son front ensanglanté les traces de la bataille. Beaucoup de fanatiques font vœu ce jour-là de circuler toute la journée sous le soleil le torse nu avec une quantité d’aiguilles et d’amulettes épinglées et enfoncées dans leur chair.

68

georges ducrocq, Journal de Perse

12 octobre 1919 Le ta’ziyeh chez les Cosaques. Invités par le Colonel Starosselsky, nous assistons à la cérémonie du ta’ziyeh. Trois mille cosaques assis par terre suivent le drame que des acteurs beaucoup plus savants que la troupe de comédiens de village que nous avons vus hier représentent avec de magnifiques costumes et un luxe de chevaux dont la brigade des Cosaques fait les honneurs. Cependant l’émotion est moins forte que dans les théâtres de campagne. Tous les officiers des Cosaques ont reçu l’ordre d’envoyer à la chapelle ardente leurs lustres de cristal, leurs tapis, et leur mobilier. L’état-major des cosaques assiste à la cérémonie dont le budget de la division fera les frais. le Colonel de cette manière assure sa popularité. Rien ne touche plus les Persans que de voir des étrangers favoriser la célébration de leur culte et assister avec respect à leurs cérémonies. Au moment où le ministre de France et sa femme entraient au théâtre, le Président du conseil dit au Sepahdâr : « Voici vos amis. » Le Sepahsâlâr. Comme le gouverneur d’Azerbaïdjan menaçait de fomenter un mouvement séparatiste dans cette province, on l’a fait immédiatement revenir de Tauris et on l’a engagé à prendre sa retraite à Zargandeh où il possède des grandes propriétés. 13 octobre 1919 L’Accord anglo-persan. Visite chez le [Sepahsâlâr]15. Le prince Firuz, qui se trouve à Paris, a déclaré à l’Agence Havas que l’Accord anglo-persan ne constituait aucun monopole ni un droit permanent sur la Perse (malheureusement l’Accord est indéfini et le texte ne fixe pas sa durée). Le Prince Firuz annonce par la même note à l’agence Havas que le traité sera ratifié par le Parlement et par la Ligue des Nations [sdn] avant d’être valable. Le Sepahsâlâr qui assiste à cette visite demande pourquoi on ne fait pas la police du Caucase et qu’on ne met pas à la raison les républiques d’Azerbaïdjan et de Géorgie. Il signale la scandaleuse licence dont jouissent ces républiques qui interrompent tout trafic vers l’Asie et bloquent la Perse. Les agitateurs étrangers sont en Arménie et rendent la pacification de l’Arménie très difficile. D’autres sont chez les Šâhsavan et les poussent à la révolte dans la direction d’Akhar. Les Jeunes Turcs et les Bolcheviks sont une menace constante pour la Perse. La conférence va-t-elle se décider à pacifier l’Asie ? Le Sepahsâlâr ne s’est pas entendu avec notre Consul M. Saugon qu’il accuse de marcher à la remorque de l’Angleterre. Il lui reproche d’avoir des moustaches à la prussienne. Lui-même est un petit vieillard sec et agité d’une verdeur étonnante pour ses quatre-vingts ans. 15  Dans le texte : Sepahdar.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

69

14 octobre 1919 Le jeu. Les dettes de jeu interviennent dans la vie de Téhéran et y provoquent des drames. Un officier suédois de bonne famille, Nordquist, a fait des dettes au Club. Il ne peut les payer et il hésite à s’y montrer de nouveau. Le ministre de Belgique le poursuit sans pitié et veut exiger sa radiation. Cet événement aura une suite tragique. Le malheureux Nordquist se suicidera parce qu’il avait six mille francs de dettes au Club, après avoir vécu quinze ans en Perse où il comptait beaucoup d’amis. Il appartenait à cette catégorie de septentrionaux rêveurs pour qui le climat de l’Orient est fatal, ils y perdent toute initiative et toute volonté16. 16 octobre 1919 Russie. Une des meilleures preuves de l’incompréhension des Russes qui ne voient pas la gravité de la situation où ils se trouvent, c’est qu’au lieu de sympathiser avec la France qui leur vient en aide et qui protège Denikine, ils nous accusent de prendre le parti des petites nationalités et de mettre en perte l’unité russe. Le monarchisme russe sur ce point montre la même [insistance] que sous l’ancien régime. Ils sont plus sympathiques envers le monarchisme allemand qu’envers la république française. Ils prétendent que [Rüdiger] von der Goltz aurait l’intention de venir soutenir le parti monarchique en Russie : ils peuvent attendre. Les troupes de von der Goltz auraient acheté tous les contre-révolutionnaires. Ce ne sont pas seulement comme on le voit les Bolcheviks qui sont disposés à s’unir avec les Allemands, ce sont aussi les vieux Russes. Les routes persanes. La route d’Anzali-Téhéran appartient au point de vue des transports à une société russo-persane dirigée par un certain Bahman qui achète des voitures automobiles et qui a seul le monopole d’exploiter les routes. Les voitures particulières ne peuvent circuler qu’en payant au dit Bahman une redevance égale aux prix des transports réclamés par Bahman. Comme Bahman est un débiteur des Anglais, quand ils auront tué la concurrence étrangère, ils se feront accorder une concession et s’empareront de la route. 19 octobre 1919 Arrestation du fils du Sepahsâlâr. Vendredi [16 octobre] à dix heures du soir, les Cosaques sabre au poing ont cerné la propriété du Sepahsâlâr et dans ses 16  Nordquist est mort le 14 juin 1920 d’après sa stèle au cimetière protestant de Téhéran, cette entrée a donc été réécrite pour la dactylographie. Voir http://tpc.kirche.ir/index.php/gravestone-gallery?sobi2Task=sobi2Details&catid=14&sobi2Id=153 (juillet 2013).

70

georges ducrocq, Journal de Perse

jardins, ils ont arrêté son fils17, accusé d’avoir organisé un attentat contre le Président du conseil. Ce jeune homme aurait emmené de Tauris à Téhéran une bande de terroristes arméniens qui devaient assassiner Vosuq od-Dowla, le Colonel Starosselsky et le Sepahdâr. Ces soupçons sont-ils fondés ? le fils du Sepahsâlâr blâmait ouvertement l’Arrangement anglo-persan. On a trouvé dans sa chambre un Arménien qui vivait avec lui depuis cinq ans. Quand on songe à l’importance de l’état du Sepahsâlâr, à ses richesses, à ses crédits, aux influences dont il dispose dans les partis politiques, à sa popularité, on mesure l’audace de ceux qui le frappent. Sa maison n’est pas inviolable ; l’arrestation du jeune homme aurait été motivée par un rapport de l’attaché militaire anglais. Ce sont les Anglais qui ont donné l’ordre au Président du conseil de mettre fin par cette arrestation à un foyer de mécontents. Vosuq od-Dowla, qui s’appuie sur les baïonnettes anglaises, n’en est plus à un acte de tyrannie près. Les rumeurs publiques l’accablent d’ingratitude et rappellent que c’est au Sepahsâlâr qu’il doit son élévation. Il faisait jadis partie de sa domesticité. Ainsi la vieille Perse est brimée. Les russophiles sont écrasés et dociles aux ordres de l’Angleterre, ils lèvent la tête et règnent. Cependant, les malaises grandissent dans l’opinion qui s’explique mal ces coups de force répétés. On dit que le Sepahsâlâr serait près de partir en pèlerinage pour Karbalâ. On craint ses immenses richesses et son influence sur les tribus de l’Azerbaïdjan. En ce moment une révolte générale vient d’éclater chez les Šâhsavan. Elle gagne l’Azerbaïdjan et nul ne sait si le départ du Sepahsâlâr en est la cause ou si c’est lui qui l’a secrètement fomentée. Un détail curieux : le fils du Sepahsâlâr, que l’on vient d’arrêter, était fiancé à la fille de Vosuq od-Dowla. Les fiançailles sont rompues, les cadeaux ont été renvoyés. Deux autres filles de Vosuq ont épousé le docteur Amir A’lam et Sardâr Akram. Politique turque. Pour Gazala, la Turquie n’est entrée en guerre que parce que Constantinople a été promise aux Russes. En cédant vingt kilomètres à droite et à gauche de la Bagdad-Bahn à l’Allemagne, Abdul Hamid avait abandonné la Turquie à l’Allemagne. C’est cette politique néfaste qui a provoqué l’hostilité de l’Angleterre, de la France et de la Russie. Par cet argument subtil, Gazala dégageait la responsabilité des Jeunes Turcs. Conversation avec Mallet et [Gybon-]Monypenny, celui-ci secrétaire oriental de la Légation d’Angleterre, sortant du séminaire de Londres, un peu fruste. Tous deux m’interrogent sur la situation dans le pays. Mallet déclare que l’Angleterre a tort de jouer double jeu : de s’intéresser à la Russie et de l’abandonner à l’anarchie, d’y amener des troupes et de les retirer. La question turque 17  ‘Ali-Asqar Tonkâboni, Sâ‘ed od-Dowla (m. 1303š/1925). Sur cette arrestation, voir cj Edmonds, East and West of Zagros, p. 245, 257.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

71

lui paraît insoluble. « Nous avons des crises intérieures telles, dit-il, que nous ne pouvons résoudre la question d’Orient. Nos hommes veulent être démobilisés. Pourquoi ne pas laisser à l’Amérique le soin de régler d’occuper les territoires russes et turcs ? » Le jeu. Wilkinson me parle de l’impossibilité de faire régler ses dettes à un Persan, dettes de jeu, dettes de bar. La conception de l’honneur est différente chez l’oriental et chez l’occidental. Il me parle du change qui [dépend], dit-il du prix de l’argent qui a haussé et la Perse est un pays producteur d’argent (ceci est complètement faux, le change étant réglé par l’Imperial Bank de Perse, à sa guise). Monypenny parle avec enthousiasme de la régularité des visages persans, de l’élégance dont on peut juger par la finesse du tchador, les étoffes chatoyantes, les souliers vernis, les bas à jours. Il ignore cet orientaliste Gobineau et que les quatre plus vieilles villes du monde sont Damâvand, Šahrestânak, Varâmin et Rhagès. Visite du magasin d’approvisionnement que dirige Mirzâ Mahmud, ancien monši de la Légation18. Ce magasin voit entrer chaque jour dans ses cours des caravanes de 1 000 à 1 200 chameaux, chameaux qui portent dans les greniers du gouvernement le blé, l’orge, le riz fournis par les domaines de l’État ou par les achats du gouvernement. Ces graines sont passées, criblées et emmagasinées. 16 000 sacs sont délivrés par le magasin aux caravaniers et jamais on ne constate de disparition du matériel. Dans les récoltes de la province de Téhéran, aucun animal ne peut sortir de la ville sans un laisser-passer du magasin et tous les chameaux sont réquisitionnés pour les transports de l’État. Néanmoins, les grands propriétaires font concurrence à l’État, accaparent les chameaux et peuvent, en certaines circonstances, affamer la population. Le magasin général, du 1er août 1918 au 31 juillet 1919, a reçu 754 525 batman19 de blé, 841 190 batman d’orge provenant des domaines du gouvernement. Il a acheté 3 424 234 batman d’orge à des particuliers. Ont été importés par des boulangers 89 599 batman de blé, 1 881 batman d’orge. Ont été importés par des particuliers 1 509 000 batman de blé et 1 100 140 batman d’orge. La vente aux boulangers s’est élevée à 5 595 781 batman de blé, 1 073 911 batman d’orge. Il a été remis sur ordonnance du gouvernement 531 815 batman de blé, 533 018 d’orge. Le total des sorties du magasin est de 6 127 586 batman de blé, 1 606 431 batman d’orge. 18  Mahmud Jam Modir ol-Molk (1885-1969), ancien secrétaire à la légation de France. 19  Ou mann-e Tabriz, mesure de poids équivalent à environ 2,950 kg. Voir Issawi, The Economic history of Iran, 1800-1914 . . ., p. 389.

72

georges ducrocq, Journal de Perse

Un corps armé exerce sa surveillance sur la fraude du grain. 300 hommes constituent la police du ministère des finances sous les ordres de Hadjean (qui fait partie d’ailleurs du comité des affaires). Ils aident à percevoir l’impôt en nature dans les campagnes, ce qui donne lieu à beaucoup d’abus. Mahmud Khan est ingénieux, intègre, économe, utilise tous les déchets et épluchures des grains. Il les vend pour la nourriture du bétail ou des volailles. On arrive même à retirer des déchets de blé des graines oléagineuses qui servent à graisser les chameaux. Plus de 200 000 francs ont été économisés en un an de cette manière. Visite des fours à briques qui occupent un des quartiers méridionaux de la ville, contre les remparts, sorte de cité abandonnée. La terre creusée à une grande profondeur est utilisée. Quand la [commande] est épuisée beaucoup de fours sont éteints. Notre ministre, M. Lecomte, aimait cette promenade sur les remparts, il ne pouvait se lasser de la beauté des montagnes et du paysage. Il vivait là, seul, en sauvage. Il faisait quelques promenades à cheval dans la campagne, recevait peu, bien qu’il fût d’une courtoisie parfaite. Il n’usait de son crédit sur les Persans, qui était grand, que dans des circonstances importantes. Par exemple pour la défense de notre monopole archéologique auquel il tenait ouvertement. Vosuq od-Dowla le craignait et lui demandait volontiers conseil. Il était le dernier représentant d’une génération qui s’éteint et qui ne vivait que pour les traits d’esprit. Il était devenu misanthrope et ne se plaisait qu’en compagnie d’un seul Persan, Mahmud Khan, ancien monši dont il avait fait son secrétaire. Il montait des chevaux extrêmement fougueux et fit plusieurs chutes graves. Il fit l’ascension du Damâvand. Les Persans avaient pour lui la plus grande estime, car il leur ressemblait. Ses rapports faisaient les délices du Quai d’Orsay. On se les passait de bureau en bureau. C’était un feu d’artifice spirituel. Au point de vue politique sa conduite a été désastreuse. Il a toujours soutenu le point de vue anglais, ce qui était une manière commode de s’épargner les ennuis. Toutefois, il a sauvegardé nos positions au point de vue écoles et missions. Le jour de mon arrivée à Téhéran, il m’a engagé à repartir pour Paris en me disant que le protectorat des Anglais sur la Perse n’était qu’une question de jours. 20 octobre 1919 Visite du Dâr ol-fonun. Le Dâr ol-fonun est une école supérieure polytechnique. Cette école comprend six classes. La section de médecine et celle de droit sont en bonne voie. Le français y est enseigné par Richard Khan, fils d’un Français et d’une Persane et directeur d’une école de filles assez prospère. L’Angleterre nous laisse le département de l’instruction publique. Le prince Firuz l’a déclaré dans un récent discours à Paris. On enseigne au Dâr ol-fonun, qui est une sorte

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

73

d’école secondaire supérieure, l’histoire, la géographie, les sciences physiques et naturelles, la métaphysique et le dessin, pour lequel les Persans ont des aptitudes spéciales. On y enseigne le français et l’arabe. L’école des sciences politiques est détachée de l’école polytechnique. Cette école appartient au ministère des Affaires étrangères tandis que l’école militaire et l’école d’agriculture relèvent de leur ministère respectif. Le Dâr ol-fonun a 300 élèves. Les premières classes sont les plus fréquentées. L’école fournit à l’État son personnel de diplomates, de commis, de directeurs et d’hommes politiques. Il y a soixante-dix ans qu’elle a été fondée. Il est question de lui adjoindre une école de théologie. Les banques. La banque Tumâniâns, banque arménienne, est menacée de sauter, étranglée par la banque anglaise. Elle a acheté beaucoup de biens, elle a fait de larges crédits aux Persans, elle a été ruinée par la Guerre et ne peut faire face à ses engagements. Ses comptoirs de province sont de plus des comptoirs commerciaux qui ont dû fermer depuis que la voie du Caucase est bloquée. Une panique artificielle s’est déclarée il y a trois jours et l’État a déjà versé 300 000 tomans pour la soutenir. D’autre part Vosuq od-Dowla est allié avec Tumâniâns et ne veut pas laisser tomber cette banque. 23 octobre 1919 Inconséquence des Russes. Les monarchistes russes s’imaginent que le succès de l’armée Denikine serait la chute de la république et le retour au tsarisme. Ils croient que la vie va recommencer exactement comme auparavant. Ils ne se rallient à Denikine que si Denikine fait une proclamation contre la république. Les Russes ne comprennent pas aujourd’hui que leurs intérêts pour lutter contre la révolution est de favoriser les peuples limitrophes. Toute indépendance accordée au peuple du Caucase, aux Lituaniens et aux Lettons les mettent hors d’eux-mêmes. Ils rappellent que le Caucase renferme une trentaine de peuples différents qui ne se comprendront jamais. Ils sont hostiles à tout mouvement d’émancipation de Moscou. 24 octobre 1919 La légation d’Italie. Le ministre d’Italie Catalani est un beau Sicilien au teint mat qui a épousé une richissime américaine. Ils ont loué le palais du Sepahsâlâr à la campagne, Bâq-e Ferdows, où Madame Catalani a pris les fièvres. Puis la maison du Sardâr Jang, gouverneur d’Ispahan. Cette demeure est ornée à la persane d’une multitude de tapis, miroirs le long des murs. Catalani l’a ornée de magnifiques tapis. Ce palais est organisé pour de grandes fêtes et chaque pièce a une loge de balcon pour y recevoir les musiciens. Il donne pour inaugurer sa demeure une fête magnifique où toute la ville est invitée. On se demande

74

georges ducrocq, Journal de Perse

à quoi sert ce déploiement de luxe dans un pays où les intérêts italiens sont inexistants et où il n’y a pour l’industrie automobile italienne tout au plus qu’un avenir problématique. Mais le voyage du Duc de Splolette cet été était très significatif. 29 octobre 1919 Le prince [Bab ed Dowleh (?)], ancien dignitaire de la cour et gouverneur de la province . . ., propriétaire d’une des plus vieilles maisons de Téhéran, a organisé chez lui un ta’ziyé, le dernier de la saison. Nous assistons derrière un moucharabieh. La foule est moins recueillie qu’à Tajriš. On représente un mystère pathétique : sur la scène sont figurés les tombeaux de Hoseyn, de ses enfants et de son frère. Les troupes infortunées des survivants de la famille sont toujours aux prises avec le bourreau de Yazid. Il coupe la tête des martyrs et les envoie à Damas. Les enfants essayent en vain de s’opposer à cette cérémonie cruelle. Des soldats viennent couper le doigt de Hoseyn et lui enlèvent sa ceinture. Jésus-Christ apparaît à Hoseyn, qui se lève de sa couche et vient l’embrasser. Un lion qui a sauvé l’enfant de Hoseyn dans le désert vient pleurer sur la tombe des martyrs et Hoseyn se relève de sa tombe et embrasse le lion. Des diplomates étrangers prennent parti pour les innocentes victimes et demandent leur grâce à Yazid qui les renvoie. Le Christ apparaît en songe et leur dit de protéger les survivants de Hoseyn. Les descendants de Hoseyn révèlent aux prêtres . . . le songe qu’ils ont eu et ceux-ci se convertissent à l’islam. Le drame se joue avec de magnifiques chants alternés et la musique gémissante qui suit les mouvements de la pièce, les intermèdes de chevaux et les cavaliers arrêtent l’attention. Les scènes sont pleines d’animation et de vie. Tout cet art populaire est d’un caractère parfaitement dramatique. Visite – Sir Percy Cox, ministre d’Angleterre. À propos du Temps : « Vos journaux, me dit-il, ont été sévères pour l’arrangement anglo-persan, mais je pense que nous sommes sur la voie de la conciliation. J’ai reçu des bonnes nouvelles du voyage du shah. C’est un prince instruit, plus sérieux que son prédécesseur, il a beaucoup étudié, il est très réceptif, il fera son apprentissage en Europe. Il m’a écrit deux lettres qui m’ont beaucoup satisfait. Le capitaine Wickham est chargé de faire la liaison entre le shah et le monde militaire. Tout d’abord un peu emprunté, il s’est rapidement adapté aux obligations de sa nouvelle vie. » 30 octobre 1919 Visite au Président du conseil. Fatigué, malade, qui vient pendant deux mois de se faire soigner deux dents qui n’étaient pas touchées tandis qu’une troisième était malade, c’est du moins ce qu’il me raconte, mais son absence de la scène politique avait probablement d’autres raisons plus profondes. Le président

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

75

semble neurasthénique, maigri et mal en train. Je lui parle des subventions des courses dont il accepte immédiatement de faire un versement pour en faciliter le dîner. 31 octobre 1919 Visite au Colonel Starosselsky. Il m’éclaire sur la santé du Président du conseil. Celui-ci est en désaccord avec son collègue de la Guerre, le Sepahdâr, qui raconte partout qu’il n’a pas signé l’Arrangement. Or, il l’a signé le premier. Il a même fait au conseil des ministres une déclaration qui a gêné ses collègues car il soulignait trop le caractère de vénalité de cet accord. Il aurait dit : « L’Angleterre nous achète trop bon marché. Quand on se vend, il faut se vendre plus cher. » Le Sepahdâr est originaire de Rašt. C’est un Gilâni. Pour les Téhéranis, les Gilânis sont des . . .  D’ailleurs, dit le Président, je pense vous montrer le texte de l’Arrangement, vous y verrez en tête la signature du Sepahdâr (je note que le lendemain de l’arrangement, le Sepahdâr m’envoyait son secrétaire qui me déclarait le mécontentement profond de son patron). Aujourd’hui, devant le mécontentement populaire, le Sepahdâr prend une allure avantageuse. Le fils du Sepahsâlâr, me dit le Colonel Starosselsky, a avoué son intention de tuer le Président du conseil comme traître à la nation. Il dit que l’idée du crime ne lui est venue que depuis qu’il est à Téhéran. Le Colonel Starosselsky est hostile à une expédition contre les Šâhsavan. Il enverrait un bataillon, c’est-à-dire 400 combattants, mieux vaudrait attendre le printemps. L’été les Šâhsavan descendent, comme ils le font chaque année, vers la plaine de Moqân et leur barricader les voies de retour vers la Perse . . . [sic] Le Président du conseil désire vivement le retour du shah, il est lui-même fatigué et il aspire au repos. Une somme de deux millions de livres sterling est déposée à la banque qui constitue le subside anglais, prix de l’accord. Mais avant de la toucher, le Président voudrait que ses collègues fussent du même avis que lui. Ceux-ci le pressent d’accepter, mais le Président du conseil voudrait que certains termes dans l’agrément soient d’abord précisés car il craint une fois l’argent touché d’être le prisonnier de l’arrangement. Un incident diplomatique. Le ministre de Belgique qui est de Namur, à cheval sur l’étiquette comme presque tous les petits hobereaux belges, a invité le Sepahdâr et Sârem od-dowla au dîner des courses qu’il donne à la Légation de Belgique. Mais le Sepahdâr, qui est ministre de la Guerre, soulève une question de protocole et demande la première place à table après le Président du conseil. Le ministre de Belgique qui est au mieux avec le ministre des Finances dont

76

georges ducrocq, Journal de Perse

dépend le paiement des fonctionnaires belges des postes et de la douane, voudrait faire honneur à Sârem od-Dowla. Il est outré de la demande du Sepahdâr : « Jamais, dit-il, je ferai passer une altesse de sang royal après un homme riche et dont tout le mérite est de posséder une grande fortune. Si j’avais à ma table le duc de La Rochefoucault et le Premier ministre de la république, je mettrais à ma droite le duc de La Rochefoucault. » Néanmoins, M. de Raymond a dû s’incliner et mettre à contrecœur le ministre de la guerre à la droite de sa femme. Le prince Sârem od-Dowla n’est pas venu au dîner. Raymond en est désolé. Dans le toast qu’il prononce avec cette détestable manie qu’ont les Belges de prononcer des discours bien qu’ils soient dépourvus d’éloquence, il dit : « Je mets ma gratitude aux pieds de Votre Bienveillance ». Il décoche un compliment cavalier au Sepahdâr et regrette vivement l’absence de Sârem od-Dowla. Le Sepahdâr semble s’amuser vivement du mauvais tour qu’il a joué à M. de Raymond. Il est tout à fait à son aise et très empressé auprès de Madame de Raymond qui n’ose lui faire mauvaise mine car le Sepahdâr possède d’immenses richesses et ses cadeaux ne sont pas à dédaigner. Le rôle de l’Italie en Perse. Hier Catalani me confie son désappointement. Il comptait que l’Italie pourrait jouer un grand rôle en Perse grâce à l’occupation du Caucase, mais il a trouvé ce pays privé de toutes communications. Au Caucase où l’Italie devait intervenir sous forme d’expédition militaire, tout est abandonné. Cinquante mille hommes devaient partir. Les incidents socialistes ont obligé l’Italie de renoncer à ce plan mégalomane. La chute du ministre Sonino a ruiné l’ambition italienne. Sonino était partisan de la grande Italie et Tittoni ne voulait plus. 1er novembre 1919 La journée des courses. Les officiers anglais de Qazvin ayant été admis par une complaisance fâcheuse du ministre de Belgique envers l’Angleterre à concourir dans toutes les courses, ils ont, grâce à leurs chevaux de sang anglais ou australien, remporté presque tous les prix. Les petits chevaux persans qui sont pleins de feu mais qui ont moins de moyens ne pouvaient lutter avec le type de cheval de course dont la foulée est plus large. Les officiers persans étaient tellement découragés par leur échec qu’ils ont fini par renoncer à courir et les Anglais ont couru seuls. Les Suédois étaient également découragés et disaient qu’il était inutile d’entraîner des chevaux pendant un an pour aboutir à un pareil résultat. La plupart des prix étaient donnés par des ministres persans. Le Président du conseil faisait courir plusieurs chevaux, l’un d’eux a gagné un premier prix. Le Sepahdâr faisait également courir, mais aucun de ses chevaux

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

77

n’a gagné de prix. Le cheval du Colonel Starosselsky a failli gagner un prix, ce qui mécontentait beaucoup les Anglais. Les Suédois ont soulevé un incident en prétendant qu’un officier persan avait commis une faute contre la règle du jeu et demandant à ce qu’il fût disqualifié. Une musique militaire écossaise avec fifres et tambourins circulait entre chaque épreuve et faisait une parade devant les tribunes. Le ministre de Belgique, saisi d’admiration, me prenait à témoin de la splendeur des troupes britanniques, de leurs merveilleux équipements, de leur discipline, etc., etc. Les préparatifs des courses ont été orageux. Le Colonel Starosselsky avait été contraint de prêter l’emplacement de l’esplanade des cosaques pour les courses. Comme le terrain était aménagé par les gendarmes et que ceux-ci devaient pénétrer dans la caserne des Cosaques, il en est résulté des altercations. Le Colonel Gleerup lui-même, un jour qu’il était sous l’influence de la boisson, a giflé un Cosaque sur le meydân-e mašk [terrain d’exercices]. Pour la première fois une enceinte de pesage avait été créée, différente des tribunes. Tous les Persans notables désiraient pénétrer dans cette enceinte et se passaient des cartes par-dessus les barricades, ne voulant pas se ranger parmi les personnages de second ordre si bien qu’il ne restait plus dans les tribunes hors de l’enceinte que des Européens. Le pari mutuel a fonctionné avec succès, faisant des recettes formidables. Le penchant des Persans pour le jeu se manifestant là comme ailleurs. 3 novembre 1919 Le dîner des courses mal préparé, mal organisé, a eu lieu au Club. Les places n’avaient pas été prévues si bien qu’un certain nombre d’officiers persans n’ont pu pénétrer dans la salle du banquet. Ils se sont retirés en claquant les portes et en déclarant qu’ils allaient fonder un nouveau club. Malheureusement madame Lassen se trouvait dans un des groupes d’officiers, ce qui compliquait la situation. 4 novembre 1919 Première conférence de l’Alliance française. Ce groupement sommeillait. Jusqu’ici aucune conférence n’avait été donnée à Téhéran. Nous inaugurons une série de conférences qui seront faites moitié par des conférenciers français moitié par des conférenciers persans. Le Président du conseil, les ministres, tous les notables de la ville désirent assister à cette réunion qui se donne dans un cinéma rue de Lâlezâr. Nous sommes obligés de refuser des places tant les distractions sont rares à Téhéran.

78

georges ducrocq, Journal de Perse

5 novembre 1919 Arrivée du nouveau professeur de l’École de droit, M. Lesueur, qui est originaire de l’Artois. Le consul de Perse à Tiflis m’affirme que la Perse vient de conclure un arrangement commercial avec la République d’Azerbaïdjan et la République de Géorgie pour le transit des marchandises. La Perse veut bien reprendre le négoce avec le Caucase à condition d’être payée en livres turques. Le Club. Les dessous d’un club sont fort peu intéressants. On s’aperçoit que le jeu est la principale ressource du Club persan, le restaurant ne pouvant faire ses frais. les joueurs empruntent des jetons à la caisse du club qui est obligée de leur faire crédit. S’ils partent, ils oublient de rembourser la caisse. Il en résulte des déficits formidables. De plus, les joueurs sont de connivence avec le tenancier du club (nâzer) ; les parties de poker se poursuivent toute la nuit, elles devraient valoir à la caisse du club des taxes supplémentaires de 50 et de 10%. Mais le nâzer oublie de les réclamer. Les comptes sont impossibles à surveiller. Déjà très difficile pour une maîtresse de maison ordinaire, ils deviennent impraticables dans une grande entreprise sans direction et sans surveillance. Les Suédois font des dettes de jeu et oublient de les payer. Ils ont parfois jusqu’à 5 ou 6 000 francs de dettes au restaurant. Dans ces conditions, on marche à la banqueroute. Visite à [Mozayyen od-Dowla], vieux professeur de peinture, qui a fait ses études à Paris il y a soixante ans dans l’atelier d’Ingres. Il a été maître de dessin des shahs Nâser od-Din et Mozaffar od-Din. Une école de peinture a été fondée à Téhéran par son élève Kamâl ol-Molk. [Mozayyen od-Dowla] donne des leçons de français tous les matins au Vali’ahd. Voici 25 ans qu’il lui enseigne le français sans succès d’ailleurs car le prince ne comprend presque rien de ce que nous lui disons. Il a fondé une école particulière. Il est chargé de la garde des tableaux de sa Majesté qui possède d’admirables copies de maîtres italiens et français dans son palais de Téhéran et dans divers palais d’été. À ce sujet on raconte l’anecdote suivante. Le shah rendait visite à Paris à la princesse Mathilde. La princesse n’était pas chez elle. Le shah admira dans le vestibule de la princesse une étude de nymphe de [William] Bouguerau. Il en fit le dessin qu’il remit en guise de carte de visite au domestique de la princesse. Quand celle-ci fut de retour, elle fut tellement charmée par ce procédé qu’elle envoya à Nâser od-Din la Nymphe de Bouguerau. Celle-ci se trouve actuellement au palais de Téhéran. Elle date de la jeunesse du peintre. Le shah Nâser od-Din était très hostile aux écoles étrangères fondées dans sa capitale. Il craignait que l’on y fît du prosélytisme religieux. Il défendait d’enseigner le français dans une autre école que l’école gouvernementale. Il aurait pris

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

79

certaines mesures contre nos écoles si le ministre de France ne s’y était opposé. Comme tous les disciples d’Ingres, le vieux [Mozayyen od-Dowla] a le caractère difficile. Il est tranchant et affirmatif dans ses jugements. Il condamne le goût nouveau dans la peinture. C’est un farouche classique et son dessin impeccable rejoint d’ailleurs celui des miniatures persanes. 6 novembre 1919 Un journaliste persan. M. Moore est le correspondant du Times à Téhéran, il se dit d’origine irlandaise, mais comme son nom l’indique, je le crois israélite. Il s’intéresse tout particulièrement à la mystique persane. Il croit que le mysticisme joue un grand rôle dans la vie politique. Il voit du mysticisme dans Wilson, dans Clemenceau et surtout dans Lloyd George. Ses correspondances sont un mélange curieux de renseignements extrêmement précis, détaillés, menus, avec des considérations fumeuses qui ne reposent sur aucune réalité. Il me déclare que le général Wilson était partisan d’un commandement unique que le grand ennemi de ce commandement fut Robertson. « La question ne se posait pas, dit-il, du temps de Kitchener » (ce qui est une erreur). Il convient que les Anglais n’ont commencé à faire sérieusement la guerre qu’en 1916. M. Moore pendant la guerre a fait un peu d’aviation. Il a été surtout chargé des besognes journalistiques. Son domaine est tout l’Orient moyen, le Turkestan, l’Afghanistan. Mais il a de curieuses ignorances. C’est ainsi qu’il ne connaît pas le Fergana. Il reconnaît que depuis la mort de l’Émir, les Anglais ont perdu la maîtrise politique de l’Afghanistan où ils ne dirigent plus les Affaires étrangères. Les Afghans, dit-il, s’entendent avec les Bolcheviks pour faire une politique « panislamique ». Les Anglais jadis [donnaient] un subside annuel à l’émir. Ils ne le versent plus et attendent l’exécution des clauses du traité de paix. Une mission bolchevik est à Kaboul une autre est partie de Tachkent. Une mission afghane est à Moscou. 7 novembre 1919 La chasse. On peut, aux environs même de la ville de Téhéran, en passant à cheval à travers les collines de sable et de graviers qui se trouvent au sud-ouest de la cité, découvrir un terrain de chasse très intéressant. On y fait lever des renards que les lévriers et les chevaux poursuivent à la course, mais le terrain est extrêmement accidenté et on s’étonne que les cavaliers ne s’y rompent pas les reins.

80

georges ducrocq, Journal de Perse

7 novembre 1919 L’école de peinture. L’école de peinture de Téhéran est dirigée par Kamâl20 ol-Molk, qui a fait ses études à Paris et en Italie et dont les principaux maîtres ont été Rembrandt et Ingres. Son dessin est minutieux, il peint à la loupe. C’est un Meissonier persan. La peinture persane éprouve des difficultés à s’élever des miniatures jusqu’à la véritable peinture, elle ne peut s’affranchir du détail. Le goût des ensembles lui fait défaut partout. [Kamâl] ol-Molk a fait faire des grands progrès à l’art persan en lui inculquant des principes d’anatomie et de perspective. Il a été longtemps le maître de dessin du shah Nâser od-Din. Il a passé un an dans son palais à peindre la salle des miroirs et il a abouti à un chef-d’œuvre de précision et de minutie. Chaque facette du plafond et des murailles brille de ses étoiles et l’on voit sur les murs étincelants de la salle le reflet mouvant des bassins du jardin avec la réverbération du soleil. Kamâl ol-Molk est un excellent copiste. Il a dans son musée des toiles copiées de T . . ., de R . . . et de Rembrandt, que l’on prendrait presque pour des originaux. Il reste persan par sa patience, par la délicatesse de son pinceau, par sa finesse d’esprit et par son élégance naturelle. Ses disciples ont pour lui une sorte de vénération et c’est une chose touchante de voir le vieux maître entouré d’une vingtaine de jeunes gens qui écoutent ses conseils, docilité si rare en Occident où tous les jeunes gens à 25 ans se croient des maîtres. Une chose est remarquable dans cette école des beaux-arts persane, c’est l’école de sculpture. La Perse a eu jadis de grands sculpteurs dont nous voyons les vestiges à Persépolis et à Suse. Depuis la période arabe, elle n’a guère fourni que des arts décoratifs. On voit dans l’atelier de Kamâl ol-Molk une statue de Ferdowsi, le poète persan, qui est l’œuvre d’un jeune sculpteur qui n’a jamais quitté Téhéran. On pourrait dresser cette statue avantageusement sur une place de Paris tant elle a de noblesse et de distinction. Caucase. Un marin français [atlan (?)] m’est envoyé par le commandant Pelley-Desforges qui commande la [base] navale de Batoum et qui a fait un voyage à Bakou pour négocier avec le gouvernement d’Azerbaïdjan le transit des marchandises françaises et pour traiter avec lui la question du mazout nécessaire à notre marine et qui est en train de passer entièrement aux mains des Anglais. Le commandant voudrait que Batoum devienne port international. Les Anglais afin d’y renforcer leur mission navale et désirant amener des troupes, favorisent l’introduction des Italiens au Caucase. Ceux-ci poursuivent surtout les avantages économiques. Un bateau italien touche par semaine à Batoum et à Poti tandis que les Français ont un bateau des Messageries 20  Le texte dactylographié porte, manifestement par erreur, Gavam el Molk.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

81

maritimes tous les mois ou tous les deux mois un bateau de la Compagnie Paquet. Les Anglais ont voulu réquisitionner le bateau citerne [Berj] pour la flotte volontaire russe, mais les Russes ont refusé d’entrer dans cette combinaison. Bien que les Anglais aient quitté Tiflis et Bakou, ils sont à Batoum et s’y fortifient. Le commandant Pelley-Desforges assistait à la bataille de Dixmude avec les fusiliers marins. Il a commandé un contre-torpilleur [pour] la place de Sebastopol. Il a 35 ans, il est très allant. C’est lui qui a organisé cette mission de Constantinople. 9 novembre 1919 Déjeuner chez Malek ot-Tojjâr. Shah Abd ol-Azim21, où se trouve la mosquée sainte, les criminels n’y viennent presque plus prendre le bast. Nâser od-Din Shah a été frappé par un assassin de la mosquée comme il sortait de la cérémonie religieuse. Il est enterré sous la coupole. Les grands personnages persans désirent dormir leur dernier somme autour de leurs anciens souverains. Shah Abdol-Azim est bâtie sur l’emplacement de Raghès, qui est l’une des plus anciennes villes du monde, probablement antérieure à Ninive et à Babylone. C’est ici l’un des plus vieux lieux habités de l’univers. L’amphithéâtre et la montagne qui entourent cet emplacement sont merveilleux. Les champs d’orge s’étendent à l’infini, coupés de petits ruisselets qui apportent la fécondité, tandis que la citadelle de la vieille ville de Rey et la montagne aride qui prolonge le Jâjerud ferment l’horizon. La ville est peuplée de jardins car c’est une pieuse habitude des Persans de venir passer l’été à l’ombre de la mosquée. Les marchands n’y manquent pas. La route qui conduit sur une longueur de 12 km de Téhéran à Shah Abd ol-Azim est bordée de tombeaux et son aspect rappelle la Voie Appienne qui s’avance dans une campagne romaine et qui est bordée de tombeaux antiques. Les vignes empourprées entourent chaque domaine. La coupole revêtue de feuilles d’or brille sur la campagne déjà verte car les orges d’hiver sont déjà sortis de la terre. C’est à Raghès que les fouilles faites depuis plusieurs années ont mis à jour des poteries à reflets métalliques d’or irisé et dont les dessins originaux et modernes rappellent l’impressionnisme de notre époque. Nulle part [mieux qu’ici] les géraniums, les roses, les jasmins, les lauriers, les chrysanthèmes, les dahlias, annoncent ces tons de pourpre, de rubis ou de neige.

21  Šâh ‘Abd ol-‘Azim, ou Hazrat ‘Abd ol-‘Azim, mausolée à Rey (l’antique Rhagès), à 20 km au sud de Téhéran.

82

georges ducrocq, Journal de Perse

10 novembre 1919 Le Musée du palais royal. Les Shahs de Perse ont organisé dans le palais du Golestan un musée qui renferme tous les cadeaux princiers reçus par plusieurs générations : objets disparates dont les uns sont infiniment précieux, comme le trône d’or du Grand Mongol, qui orne le milieu de la pièce et sur lequel s’assied les jours de grande cérémonie le shah. D’autres sans intérêt, comme ces crocodiles empaillés, ces œufs d’autruche sculptés, ces presse-papier de Karlsbad ou d’Aix-les-Bains entassés à côté des services de vermeil et d’argent, des biscuits de Sèvres, des bronzes chinois et japonais. Nâser od-Din Shah, qui régna si longtemps et qui aimait les voyages, fut un collectionneur émérite. On peut admirer dans une vitrine les peintures de Sa Majesté qui rappellent certains tableaux cubistes. Nâser od-Din tenait beaucoup à son musée, il fit mettre à mort un gardien qui lui avait dérobé des morceaux du trône d’or et d’émail rapporté de Delhi par Nâder Shâh. Le parquet de cette salle est couvert de tapis qui sont peut-être les plus beaux de Perse, d’admirables Kermân, des Kâšân, des Tabriz et des Khorassan. Dans les vitrines on retrouve des objets d’art de tous pays, des émaux russes et des bijoux français, des ivoires de Dieppe et des bronzes sassanides, des faïences persanes et des mappemondes célestes en pierres précieuses, une quantité innombrable d’horloges, de belle argenterie d’Ispahan, des plumiers laqués et [poudrés] d’or, un os de mammouth découvert près de Damâvand et des garnitures de cheminées Dufayel. Mozaffar od-Din Shah, successeur de Nâser od-Din, n’avait aucun goût pour les collections et distribuait joyaux, émaux et vases de Sèvres à ses bouffons quand ils l’avaient fait rire. Ce musée donne l’impression de l’abandon. On sent qu’il a été conçu sous la tyrannie et qu’il n’est dans la Perse moderne qu’une survivance. Dans les appartements du shah on trouve dispersés une quantité de [tableaux] rapportés d’Europe, de France ou d’Italie et les copies très adroites des chefs-d’œuvre de la peinture faites par des artistes persans. 11 novembre 1919 L’armée persane. Une réorganisation de l’armée persane est chose fort difficile, me dit le sous-secrétaire d’État à la Guerre. Il faudrait tout d’abord une décision des pouvoirs publics sur la constitution de l’armée et le chiffre des effectifs. Il n’y a pas lieu de détruire ce qui existe. Il faut conserver la Gendarmerie et les Cosaques. L’envoi de jeunes Persans dans les écoles européennes est une heureuse coutume, mais ces jeunes gens, de retour dans leur pays, pris d’un zèle réformateur, veulent appliquer à la Perse toutes les institutions de l’Europe ; il en résulte un désordre complet. Il faut aller en Europe, me dit Sâlâr Laškar, qui

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

83

a été élevé en France et a fait un stage dans un bataillon de chasseurs à pied, mais il faut ensuite revenir en Perse et redevenir Persan. Les conseillers étrangers que le gouvernement persan engage à son service ont souvent le tort de vouloir réformer un pays qu’ils ne connaissent pas. Des hommes fort intelligents comme Shuster et Bizot22 n’étaient point pratiques ; c’étaient des cervelles théoriques qui ne s’étaient point donné la peine de comprendre le caractère persan. Sâlâr Laškar s’intéresse vivement à l’état de nos colonies. Il demande si pendant la Guerre elles se sont révoltées. Il s’intéresse à nos règlements militaires et à leur transformation. Il s’intéresse aux pertes subies par la France dans les provinces dévastées, à la nationalisation des mines. L’armée nouvelle, en Perse, serait organisée à l’anglaise. Elle a surtout besoin d’outillage mécanique, industriel, d’arsenaux, de fabriques à munitions. Le matériau humain est le même que partout ailleurs : on peut faire d’un Persan un soldat. L’École de guerre est inutile. Il n’y a pas de stratégie en Perse où la guerre est extrêmement simple. Il faut surtout de l’organisation, de l’ordre, du matériel. Sâlâr Laškar fait partie du gouvernement de Vosuq od-Dowla. Il est entièrement lié à la politique anglophile du cabinet. La mendicité est courante en Perse. Elle s’exerce sur les grandes routes et au bâzâr où les aveugles, malheureusement très nombreux, les paralytiques, les lépreux exposent leur misère. Les enfants sont accoutumés très jeunes à demander l’aumône et poursuivent les équipages et les cavaliers en criant derrière eux : Âqâ, Âqâ ! Ils accompagnent leur demande de prières et d’invocations et si l’aumône tarde à venir, d’injures et de malédictions. Le musulman fait presque toujours l’aumône quand il est sollicité, c’est une règle fondamentale du Coran avec les prières, l’ablution, l’abstinence de vin, l’aumône est le commandement le plus rigoureux de Mohammad. Les étrangers ne donnent pas toujours l’aumône aussi sont-ils fort mal considérés par la foule. Ne pas donner l’aumône c’est affirmer aux yeux des musulmans que l’on est infidèle. Il faut peu de choses pour faire le bonheur d’un Persan. On rencontre fréquemment le matin un jeune homme qui se promène une rose à la main ou un œillet sur l’oreille. Il gardera cette fleur durant des longues heures la respirant de temps en temps et cette attitude élégante indique à elle seule combien ses occupations sont peu assujettissantes. Il y a des gens dont l’unique métier 22  Morgan Shuster, américain, a tenté de réformer les finances en 1911 et a dû céder devant l’obstruction russo-britannique. Dans son récit The Strangling of Persia (New York, 1912), il se moque de l’inefficacité du Français Eugène Bizot qui avait dirigé les Finances avant lui en 1908-09.

84

georges ducrocq, Journal de Perse

est de flâner au bâzâr pendant toute la journée. Sa’di ne déclare-t-il pas qu’il a coulé la plus grande partie de ses jours à regarder défiler les passants dans les bâzârs de Chiraz ? Les Juifs viennent tous les jours, après déjeuner, étaler dans les jardins les soieries, les tapis, les objets d’art, les bijoux, les fourrures, les reliures et les miniatures qu’ils ramassent dans les vieilles familles persanes et qu’ils vendent aux étrangers. Ce commerce a beaucoup augmenté depuis que l’art persan a été mis à la mode à Paris et à Londres malgré les difficultés de transport, la fermeture de la Caspienne et la cherté du voyage par l’Océan indien. Cependant la Perse se vide chaque année d’une quantité d’objets précieux qui prennent le chemin de l’Europe. La révolution bolchevik a beaucoup développé ce genre de commerce. On a vu sur le marché de Téhéran arriver des diamants, des perles, des colliers et des bracelets des dames de Petrograd. Des spécialistes parisiens, attirés par ces richesses, sont venus en Perse pour y chercher des émeraudes et des perles. Les plus beaux trésors sont d’ailleurs inaccessibles pour le brocanteur. C’est ainsi que le prince [Nâyeb os-Saltana] (Kâmrân Mirzâ)23 a refusé de recevoir le jeune Adib, neveu du grand Israélite Rosenthal, roi de la perle, qui désirait voir ses bijoux de famille. Le Colonel, commandant la division de Cosaques, Starosselsky, était un Russe d’origine caucasienne, probablement de famille noble de Géorgie et un des plus merveilleux enjôleurs que cette race de diplomates ait jamais produit24. Le Colonel avait épousé une femme de la noblesse balte, personnalité très vigoureuse comme lui, mais beaucoup moins populaire car, comme toutes les aristocrates de la Baltique, elle avait ce genre de morgue que l’on retrouve chez les hobereaux allemands de Poméranie. Quant au Colonel Starosselsky, c’était l’homme le plus vivant, le plus gai, le plus aimable du monde. Il réussissait parfaitement auprès des Persans sans parler leur langue d’ailleurs. Il avait en particulier par son caractère plaisant conquis l’estime de tout le clergé musulman qui raffolait de ses plaisanteries. Le shah lui accordait une entière confiance, le considérait comme le rempart de son trône, lui donnait tout l’argent qu’il désirait et ne comptait que sur lui en cas de défense. Starosselsky évoluait avec une adresse surprenante dans les milieux politiques persans. Les intrigues qui fourmillent parmi ces politiciens, il les devinait, il les mettait à jour, il les déjouait, il les contrecarrait par des tours de son invention qui n’étaient ni moins subtils ni moins adroits que ceux des Asiatiques qui en 23  Troisième fils de Nâser od-Din Shah, 1856-1928. 24  Le fait que ce portrait soit écrit au passé suggère qu’il s’agit d’une rédaction tardive. Voir la notice en fin de volume.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

85

avaient conclu pour lui une haute estime. De plus Starosselsky avait certain vice d’Orient, il adorait le jeu. Il passait des nuits entières au baccarat. Dans ces parties de plaisir, il rencontrait presque toute la haute société persane, puisque, à part quelques vertueux hommes d’État comme Mošir od-Dowla ou Vosuq od-Dowla, la plupart des Persans sont joueurs, fréquentent les clubs et mènent la vie de noctambule. Starosselsky était tout à fait à l’aise dans un milieu aussi corrompu que les cercles politiques de la capitale. Acheter des consciences était pour lui un jeu facile. C’est en effet une habitude invétérée dans l’administration russe et c’est pourquoi les Russes, ayant la manière, réussissent infiniment mieux que les Anglais auprès des Asiatiques, car il ne suffit pas, comme on le croit, de donner de l’argent en Orient pour gagner les sympathies, il faut encore savoir le donner avec élégance et sans faire entendre à celui qu’on achète qu’il est un fripon. Starosselsky excellait dans toutes ces nuances. Il avait également l’estime des Juifs qu’il ne maltraitait pas et avec lesquels il plaisantait tandis que les Persans ne cachent pas leur dégoût pour l’Israélite encore parqué dans certains quartiers isolés tandis que les Anglais, tout en achetant beaucoup de tapis aux Juifs, les traitent comme du vil bétail. Quand on observe la conduite des Russes du nord de la Perse, on est forcé de reconnaître que ces provinces sont désignées par la nature pour tomber sous la coupe des Russes ; leur caractère cadre avec celui des habitants. Leurs colons sont très nombreux, leur langue est connue, ils possédaient les routes et des compagnies de transport. Il serait extrêmement difficile d’effacer cette empreinte. De plus, Starosselsky succédait à une lignée d’officiers russes qui, depuis cinquante ans, commandaient la Division des Cosaques. Il était donc tout naturel qu’il devînt un personnage politique à Téhéran. Les Persans ont de singulières superstitions. S’ils s’éveillent le matin avec un œil de travers, c’est un présage à interpréter. Si l’essuie-mains dont ils se servent laisse une peluche dans leur œil, c’est un autre présage. S’ils ont un tremblement nerveux à la paupière gauche, très mauvais signe ; dans l’omoplate gauche, autre mauvais signe. Si un cheveu retombe au milieu du front, signe de bonheur, il ne faut pas l’écarter. Si le corbeau crie trois fois, signe de bonheur, s’il crie une fois, malheur. Selon ces présages, ils décident que la journée se passera bien ou mal et si les présages mauvais sont trop nombreux, ils se recouchent. Le Persan consulte sans cesse le sort. Il porte à la main un petit chapelet d’ambre, d’agate, de cornaline ou de jaspe et avec les grains du chapelet, il fait ce que l’on appelle « estekharé » (estexâra), c’est-à-dire qu’il prend au hasard entre deux doigts un certain nombre de grains et parie pair ou impair. Pour toute décision qu’ils ont à prendre, les Persans font estekharé. Doit-on partir en voyage, se marier, faire un cadeau, on fait estekharé. Les hommes d’État

86

georges ducrocq, Journal de Perse

eux-mêmes, le Président du conseil, dans les discussions les plus graves ont le chapelet à la main et on a l’impression en causant avec eux que leur décision ne dépend pas des arguments que vous leur donnez, mais du sort qu’ils consultent en cachette derrière leur dos. Les Persans ont un goût prononcé pour les bijoux, les pierres précieuses. Il n’est pas rare de voir des hommes qui portent aux doigts des diamants et des rubis. Quant aux femmes, elles sont toujours très nombreuses devant les boutiques de bijoutiers et un de leurs passe-temps favori est d’échanger un bijou contre un autre. Elles portent des boucles d’oreilles, des broches, des bagues, des bracelets au poignet, aux bras, aux chevilles, des ceintures, des agrafes, des montres, des châtelaines. Les grands seigneurs donnent d’ailleurs l’exemple de cette prodigalité. Le diamant du shah est célèbre. C’est le plus large diamant du monde. Il le porte sous son aigrette les jours de grande cérémonie. Il existe un trésor de pierres précieuses qui appartient à la couronne. De temps en temps un parti politique déclare qu’il faudrait le vendre dans l’intérêt de l’État, mais il est probable que le souverain se charge lui-même de ces opérations depuis fort longtemps. Il n’est pas à craindre que les Bolcheviks se répandent dans les populations musulmanes de l’Asie. La Russie soviétique désire coloniser l’Asie comme la Russie des Tsars le faisait. C’est ainsi qu’au Caucase toutes leurs sympathies vont aux Arméniens d’Asie et leur antipathie aux Géorgiens et aux Tartares dont l’esprit est indépendant. Il en sera de même avec les Turcs et avec les Persans. Le régime soviétique se heurtera au sentiment religieux des musulmans. Tandis qu’au Caucase, les Arméniens sont nombreux, ils ne sont en Perse qu’une trentaine de mille et ne constituent pas un appoint suffisant pour servir de propagandistes aux Bolcheviks. Le mois de ramazan, le grand jeûne, est terminé25. Au coup de canon les Cosaques, réunis dans le camp de Qasr-e Qâjâr et qui campent sous la tente, se rassemblent pour la prière qu’un muezzin chante d’une voix nasillarde. La prière se fait tous les soirs au coucher du soleil par ordre comme un exercice militaire. Quand le prêtre (sic) a terminé, les Cosaques lui répondent par un cri sauvage qui retentit jusqu’au fond de la plaine. Les Russes ont parfaitement respecté les mœurs de leurs soldats musulmans, eux si prosélytes dans la Perse occidentale, eux dont les missions orthodoxes font une guerre acharnée aux missions catholiques et protestantes dans la région d’Urmia, respectent la religion de leurs soldats et ne font rien pour les

25  Ce fragment, dans la copie dactylographie, est donc déplacé, puisque le Ramadhan se terminait le 29 juin en 1919.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

87

convertir, organisent chez eux toutes les cérémonies de leur piété comme le jeûne de ramazan, celui de moharram et la procession de l’šurâ. Les Anglais ont au contraire échoué dans l’organisation des troupes cosaques du sud (spr). Les Tirailleurs du Sud sont beaucoup mieux habillés que les Cosaques, mieux équipés et mieux armés, ils font l’exercice à l’européenne et ne ramassent pas des mouchoirs ou des bonnets d’Astrakan au galop comme le font les Cosaques, qui se livrent sous le commandement des officiers russes, à des jeux d’acrobates. Leur solde est régulièrement payée et leurs officiers évidemment beaucoup plus honnêtes que les Russes. Mais malgré cela l’assimilation ne s’est pas faite et l’officier anglais est en somme beaucoup moins populaire en Perse que l’officier russe. Politique anglaise. Il y a parmi les Anglais deux courants très caractéristiques : les uns sont pour la politique impérialiste, les autres critiquent âprement le gouvernement des Indes et signalent ses lourdes fautes en Mésopotamie, dans l’Afrique de l’Est, en Afghanistan et en Perse. Le rédacteur du Times, Arthur Moore, incrimine particulièrement Lord Curzon et les Anglo-Indiens. La paix afghane est considérée comme le résultat de la politique absurde et tyrannique de l’expédition britannique en Afghanistan et qui oblige finalement les Anglais à signer une paix onéreuse avec les Afghans, paix qui leur laisse la direction de leur politique extérieure sans aucun contrôle. Caractère persan. Belayef, qui a beaucoup vécu en Perse, me dit que la seule façon d’agir avec eux est de ne jamais se fâcher, de ne jamais élever la voix, car ils vous désarment par la douceur et finissent par avoir raison de vous. Ils sont très orgueilleux et ne pardonnent pas les injures. L’Accord anglo-persan. Soleymân Khan me dit que l’arrangement financier conclu après l’arrangement politique officiel contient des conditions draconiennes pour 50 millions de krans (2 millions et demi de livres sterling) à 7%. La Perse aliène sa liberté et engage ses douanes. Ce premier emprunt est renouvelable mais en Angleterre. La Perse s’engage à ne pas demander des dommages et intérêts à l’Angleterre pour les dégâts subis du fait de l’occupation anglaise. Mais cette clause n’exclura pas les demandes de réparations individuelles, c’està-dire que tous les protégés anglais pourront réclamer et satisfaction leur est immédiatement donnée par la légation. L’Angleterre s’engage à ne pas demander d’indemnité à la Perse, bien qu’elle ait assuré le maintien de sa neutralité par l’occupation des troupes anglaises. L’Angleterre obtient le monopole de la construction des chemins de fer en Perse. « Heureusement, me dit Soleymân Khan, que tout cela se passe dans le domaine des promesses et la réalité est lointaine. » Une mission militaire anglaise est attendue. Elle est chargée de réorganiser l’armée persane. Son chef, le général Dickson, arrive du Khorassan où il a été

88

georges ducrocq, Journal de Perse

chargé de transporter entre le Sistan et Mašhad le corps des levies. Une commission anglo-persane sera nommée pour étudier les réformes de l’armée. La grande question qui préoccupe les Persans est de savoir si le gouvernement français, dans l’éventualité d’une rupture de la Perse avec l’Angleterre, consentirait à mettre des fonds à la disposition du gouvernement persan. On fait l’éloge dans les milieux politiques du discours du shah à Londres. Il a été fort habile et n’a pas engagé l’avenir. Afin de négocier le transit des marchandises à travers le Caucase et pour créer une opinion publique très mécontente de voir le marasme du commerce, le cabinet Vosuq od-Dowla envoie une mission commerciale à Bakou auprès de la République d’Azerbaïdjan26. Cette mission est composée du délégué du ministère des Postes et Télégraphes, d’un délégué du ministère des Affaires étrangères et d’un délégué du ministère du Commerce. Le chef de la mission est le Seyyed Ziyâ od-Din, directeur du Ra’d, qui est originaire de Tauris et qui parle le turc comme sa langue maternelle. On est assez surpris de voir un simple journaliste envoyé à la tête d’une ambassade aussi importante. Il est vrai que le Seyyed Ziyâ od-Din est un personnage politique très remuant : il a fait partie du « Comité de fer » (Âhan) qui défend la politique anglophile du cabinet. Son journal mène une campagne très adroite en faveur des Anglais et très défavorable sous la forme la plus courtoise aux intérêts français. C’est un homme acheté par l’Angleterre ; sans ressources il y a quelques années, il roule aujourd’hui carrosse, passe sa vie au Club où il joue gros jeu. Il est certain que dans ces conditions la mission du Caucase est vouée à un échec car l’Angleterre ne désire nullement l’ouverture de cette route qui ferait concurrence au Golfe persique. Commerce. Les parfums français font défaut sur les marchés de Téhéran. On y vent des parfums anglais avec l’inscription Made in France. Ces pays lointains sont des endroits bénis pour des marques inconnues en France. Parfums, vins ou cognac de troisième qualité trouvent ici leur écoulement. Politique anglaise. Il y a conflit entre les autorités militaires et les autorités civiles. La politique de l’Angleterre en Mésopotamie est très mal jugée par les officiers qui prétendent que les opérations n’ont commencé à réussir que le jour où le War Office l’a emporté sur le Foreign Office. Le Sepahsâlâr. Dans la propriété où il est exilé, le Sepahsâlâr continue à remuer des idées, à recevoir sa clientèle, à combiner des complots et pour passer le temps, il essaye de construire un bassin de 150 mètres de côté où il 26  Sur la mission de Seyyed Ziyâ’oddin Tabâtabâ’i au Caucase, voir la thèse d’O. Bast ; Rezâ Âzari-Šahrezâ’i (ed), Hey’at-e fowq ol-‘âdda-ye qafqâziya . . . ‘Eyn os-Saltana, Ruznâma-ye Xâterât, vii, 5613. Voir plus bas, l’entrée du 17 décembre 1919 et celle du 22 janvier 1920.

DU 13 AVRIL AU 13 NOVEMBRE 1919

89

accumulera l’eau de son canal afin d’alimenter un quartier de Téhéran. Déjà les alentours de son palais sont tributaires de ses aqueducs et par ce moyen il exerce une influence énorme sur la ville. Il est l’homme le plus riche de Perse. Sa propriété du Tonekâbun a été pillée par les Jangalis, par les gendarmes et par les Cosaques, qui sont pires encore. C’est lui qui a soutenu jadis le parti de la révolution, ruiné [Mohammad-‘Ali Shah], appuyé et dirigé les marchands sur Téhéran et sur [Bâq-e Šâh], palais où se trouvait le shah et où il avait pendu dans son jardin les principaux orateurs du Parlement. Plusieurs fois Président du conseil, gouverneur de l’Azerbaïdjan qui, sous sa main de fer, restait calme, le voilà aujourd’hui réduit au néant et malgré ses richesses incapable de gouverner. Son fils a été arrêté dans son propre jardin de Téhéran, sa maison cernée par les Cosaques, un soir, tous ses appartements envahis. Les temps sont durs pour ce vieil homme d’État de 80 ans encore vert et vigoureux qui sort à cheval tous les soirs dans la campagne, suivi de vingt cinq domestiques, de parents et d’amis. Son père Sâ‘ed od-Dowla, jouissait du bast, c’est-à-dire qu’il avait dans sa propriété droit d’asile et que les fugitifs pouvaient trouver abri dans son parc. Mais rien n’est sacré pour l’administration anglaise et le vieux Sepahsâlâr est contraint à l’inaction. L’homme est resté vif et nerveux. Il manie avec violence une canne à pommeau d’émail ; son visage matou et blême respire toujours l’intelligence. Nul n’est plus caractéristique du caractère persan que ce grand seigneur, près de la terre, habitué à discuter les intérêts de son domaine avec son intendant, avec les paysans, jovial, rieur, lettré, savant, citant à tout propos des vers de Ferdowsi, connaissant à fond la politique intérieure de son pays, le personnel des fonctionnaires, leurs calculs et leurs intrigues, mais professant en politique extérieure une ignorance totale. C’est pourquoi dans la situation actuelle, le prince Farmânfarmâ, qui connaît merveilleusement son Europe, l’emporte sur ce vieillard au fond plus cher au cœur des Persans et plus près d’eux. En Azerbaïdjan le Sepahsâlâr dispose de 3 000 hommes qu’il avait envoyés à Xo’y, à Ardabil et à Naxčevân. Il avait prévenu le gouvernement des troubles qui allaient éclater après son départ. « Si l’on m’avait écouté, dit-il, la situation ne serait pas aussi grave en Azerbaïdjan. Il fallait agir vite. Protéger Tauris contre Simko qui, avec les Kurdes, pille la région d’Urmia et de Xo’y où il s’est approvisionné d’armes. S’il prend Šarafxâna, la situation de Tauris deviendra mauvaise. » Le vieux gouverneur rappelle la politique qu’il a toujours suivie avec les Šâhsavan. Ces tribus sont obligées, chaque année, d’aller hiverner à Moqân ; il faudrait leur couper la route du retour. Sur la fonction des Turkmènes et des Afghans, le Sepahsâlâr a des idées nettes, il fallait l’empêcher à tout prix. Il fallait arrêter la propagande sunnite

90

georges ducrocq, Journal de Perse

chez les Turkmènes, entraver le bolchevisme, agir sur Saraxs et sur la frontière afghane. Voilà plusieurs années que le Sepahsâlâr avait proposé un plan d’action au Khorassan, mais on a laissé passer l’occasion et les éléments militaires qui se trouvent dans ce pays ne sont plus capables de soutenir la lutte contre le bolchevisme. Les gouverneurs s’endorment en fumant l’opium. Passant jadis pour russophile parce qu’il estimait qu’il fallait pactiser avec la Russie contre l’Angleterre, le Sepahsâlâr est aujourd’hui très hostile à tout ce qui est russe et même cosaque. Dix mille cosaques, dit-il, ne réussiraient pas à pacifier les Šâhsavan. Le Sepahsâlâr approuve la mainmise de l’Angleterre sur l’Arménie et le Caucase. Il rappelle qu’il fallait soixante mille hommes en temps de paix en Russie pour tenir le Caucase. L’Angleterre sera donc incapable de se maintenir dans ce pays. De ces paroles amères, il ne faut retenir qu’une partie car le Sepahsâlâr est en disgrâce et comme tous les hommes qui désirent reconquérir le pouvoir, il trouve que tout ce que fait le gouvernement est mal fait. 13 novembre 1919 Les palais du shah. Le shah possède dans la campagne autour de Téhéran une série de palais. Le plus grand et le plus beau comme jardin est Bâq-e Šâh, aux portes de la ville. Il n’est pas occupé actuellement par le shah mais transformé en caserne de gendarmerie. Il y a celui de Farahâbâd où il habite en hiver ne voulant pas courir le risque d’un séjour dans la capitale et des émeutes à Šemrân. Farahâbâd se trouve à côté de [Došan Tapa], ancienne résidence de [Takalof (?)], perchée sur une colline. Il habite Sâheb Qerâniya. Derrière Sâheb Qerâniya se trouve un petit palais dans la montagne où il se rend parfois en promenade, [Hychabad (?)]. Situation financière. La clé de la situation politique en Perse, c’est la situation financière. Rien ne peut se faire sans la Banque Impériale et comme celle-ci est anglaise, c’est l’Angleterre, qui finalement a le dernier mot. Sir Percy Cox me déclare que nul ne peut connaître l’état des finances persanes, ses dettes, la situation de l’État vis-à-vis de la Banque Impériale qui émet du papier-monnaie à tour de bras et qui ne dépose jamais de bilan. Mais ceci est inexact et le ministre d’Angleterre me parle de cette manière pour détourner mes soupçons de la Banque Impériale, car le bilan de cette banque est parfaitement connu du gouvernement anglais et travaille d’accord avec lui.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920



91

Du 13 décembre 1919 au 23 mai 192027

Samedi 13 décembre 1919 {3a} Chasse superbe hier 12 à [Varâmin]28. Nous voyons des troupeaux de gazelles accourir vers nous : à midi nous en avons huit. Comment dépeindre l’excitation de cette chasse, la beauté du paysage, l’émotion de l’attente, l’éclat du sang sur la croupe des chevaux, les beaux corps meurtris ployés derrière les selles. Voilà qui est tout à fait persan. 14 décembre Philippoff hier à la soirée du Club m’a annoncé que Kerensky était à Tiflis. La T.S.F. lui est indifférente, il ne lit pas de journaux. Il ne s’intéresse qu’à la création d’un parti monarchiste en Russie. Il attend pour s’y rallier qu’une armée qui déclare vouloir rétablir l’ancien régime soit formée en Russie. Il aime mieux Lénine que Kerensky parce qu’il est partisan de la politique du pire pour que le monde soit dégoûté de la Révolution. Joukovsky vient me voir : il m’annonce qu’il me communiquera un rapport qu’il a fait sur la propagande allemande en Perse. 16 décembre Il y a ce soir dîner chez Vosuq od-Dowla. Pour donner à Sir Percy Cox la première place on a invité demain le ministre des États-Unis. M. Bonin est invité demain. Ce sera le dîner des irréductibles. Le général Dickson est arrivé avec le colonel Fraser. Le premier vient de Mašhad, l’autre de Chiraz. Ils seront suivis de cinq autres officiers qui vont arriver. Il faudra nommer une commission persane de sept membres. Sâlâr Laškar est déjà désigné. Les Persans sont candidats et font une cour {3b} empressée aux Anglais. Aujourd’hui à la chasse que nous offrait le prince Amir Zafar, colonel de cavalerie de la Brigade mixte, le colonel Hoskyn était le plus fêté. Place d’honneur et tous les égards. Les Suédois sont aux pieds des maîtres du jour. Mais, chose plus étonnante, les Belges rivalisent de platitude et les Russes de la Brigade, qui pourraient très bien être indépendants, sont d’une obséquiosité remarquable. Philippoff était amusant à regarder dans le salon des Belayef dimanche quand le général Dickson y fit sa première apparition, mais rien ne vaut Raymond écartant comme un suisse de cathédrale les chaises de son

27  À partir de cette date, jusqu’au 23 mai 1920, le texte est établi sur la base du manuscrit original du Journal conservé dans des cahiers reliés aux Archives diplomatiques. 28  Veravend, Karavand ?

92

georges ducrocq, Journal de Perse

salon et refoulant ses invités comme un officier de paix pour frayer à Lady Cox un chemin pour sortir. 17 décembre 1919 Hier, dîner chez le président du Conseil. Y assistaient Sir Percy Cox, Lady Cox, les Raymond, les Catalani, les Belayef, Général Dickson, colonel Fraser, les ministres persans, MacLean, MacMurray, Gleerup, le prince [MohammadVali], frère de Firuz, député de Tauris. J’étais à côté de Dickson. Il me parle de son commandement : de Dozdab29 à Mašhad, 800 km, une belle route a été créée où les automobiles peuvent circuler. Il gardait cette frontière avec 5 bataillons, 2 régiments de cavalerie et {4a} 2 batteries d’artillerie. Les Afghans ne pouvaient déboucher que par certains défilés que les Anglais surveillaient. Il n’y a eu sur cette frontière, sauf quelques méfaits de voleurs, de pillards de frontières, aucune action militaire de la part des Afghans. La route est accessible aux automobiles. Une société commerciale vient de se constituer pour le transport des marchandises. Mašhad est plus favorisée que Téhéran, car entre Mašhad et Téhéran la route est détestable. L’afflux des pèlerins à Mašhad vient surtout de Yazd. Beaucoup de Turkmènes passent la frontière et viennent se réfugier au Khorassan, poussés par la faim. Le danger pour le Khorassan est d’être une proie pour ses voisins faméliques, mais les troupes anglaises veillent. Récemment à Bâdgirân un poste anglais qui voyait grossir des contingents bolchevistes devant lui, construisit deux canons en bois. Le lendemain les Bolcheviks examinaient à la jumelle ces canons et décampaient. La propagande bolcheviste est certaine en Afghanistan. Bravine était jadis consul à Birjand et ne donnait pas de grands signes d’intelligence. Il a prouvé depuis qu’il savait détruire. La route de Chiraz est praticable et on peut aller de Chiraz à Bouchire en automobile. Sécurité complète. {4b} Le général Dickson me dit : « quelle singulière situation ont ici les Russes. Jadis tout puissants, aujourd’hui sans influence. Comment peuvent-ils tenir ici leur légation ? Qui paye les frais ? Le gouvernement d’Omsk ? Mais comment l’argent parvient-il ? Plus singulière encore est la situation de la Division des Cosaques. C’est nous qui en payons les frais et ils agissent sourdement contre nous. Tout finira en Russie par une dictature. Un homme énergique fondera une dynastie nouvelle. Kerensky n’était qu’un bavard. L’armée Denikine est composée de bolcheviks. 29  Dozdâb a été renommée Zâhedân sous Reza Shah.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

93

Krasnovodsk sera-t-il pris ? » Je lui cite le mot de Stokes disant que Krasnovodsk avait de bonnes fortifications. Il me répond : « – Ce n’est pas avec des pierres, c’est avec le cœur que l’on défend les forteresses. » Le projet d’unification de l’armée persane subit déjà une entorse du fait que les formations ne seront pas semblables dans toutes les parties de la Perse. La commission d’étude se rendra à Chiraz, à Tauris. Il faut tenir compte des variétés géographiques de la Perse. L’uniformité n’y est pas possible. Le colonel Fraser, qui me parle de la mosaïque des organisations militaires persanes, me dit : On ne sait dans ce pays {5a} s’il faut rire ou pleurer. Le général Dickson aime la Perse et le caractère des Persans qui est enjoué et vif. Aucune ressemblance avec l’Inde, où le caractère est grave, triste. Le prince [Mohammad-Vali], frère de Firuz, me parle de Tauris. Il y était agent financier. [en marge :] Il me rappelle que tous ses frères et lui ont fait leurs études en France. Lui était à Janson de Sailly. Son frère Sâlâr Laškar a fait ses études en Angleterre mais un stage au 14e Régiment de Chasseurs alpins. Il [le prince Mohammad-Vali] vient d’être élu député. La situation de l’Azerbaïdjan est toujours troublée, pas de sécurité à Tauris. La présence d’une armée turque à Bayezid avec Nouri Pacha, les agissements des Kurdes, des Arméniens sur l’Araxe, des Azerbaïdjanis et des émissaires Jeunes turcs, des Šâhsavan, rendent la situation très difficile. Les routes en Azerbaïdjan : celle de Tauris à Téhéran, peu carrossable en hiver à cause de la passe de Zenjân ; la route de Tauris à Sarâb et de Sarâb à Ardabil peu praticable surtout en hiver. Les routes russes subsistent : route de Jolfâ à Tauris, route de Tauris à Urmia, à Sâowj Bolâq et à Ravânduz, Soleymani[yeh], Mossoul : celle-ci n’est pas terminée. Le chemin de fer de Khoy, Mâku, Bâyazid existe toujours et pourrait être utilisé. L’Azerbaïdjani est turbulent : il peut fournir des soldats. Le chargé d’affaires Ehtešâm ol-Molk30 me dit qu’il souhaite le succès de la mission du Seyyed, que rien ne pourra empêcher cette vérité géographique que la route la plus courte de Perse en Europe sera toujours le Caucase. {5b} Le président du Conseil [Vosuq od-Dowla] me parle des conférences31 : il s’en déclare enchanté. C’est un passe-temps, lui dis-je. C’est mieux que cela, ajoute-t-il. Elles ont un but. J’entends dans ce sens : développement de la vie intellectuelle, etc.

30  Voir l’entrée du 11 novembre 1919 et plus bas du 22 janvier 1920. 31  Il s’agit des conférences organisées à l’Alliance française. Voir l’entrée du 4 novembre 1919.

94

georges ducrocq, Journal de Perse

L’avis de Dickson est que Kuček [Khan] prenait le masque révolutionnaire mais qu’il était monarchiste comme Denikine. Le Sardâr32 l’après-midi parle des insurgés de [Kuček Khan], de leurs armements (fusils français et russes, des milliers de cartouches) des tranchées qu’ils faisaient. Ce qui impressionne le plus les tribus : les aéroplanes et les mitrailleuses. Seyfollâh est immense. Quand il se promenait à Paris les gamins disaient : « Est-ce qu’il fait froid là-haut ? » ou bien en le dévisageant « Je suis fatigué, je reviendra demain voir le second étage. » 18 décembre 1919 Le prince ‘Eyn od-Dowla qui s’en va à Tauris est très vieux33. Ce n’est pas lui qui rétablira l’ordre. Il avait prié Bjurling tout le long du voyage, mais il voyage à l’ancienne manière, à 5 farsak par jour en carriole. Il s’arrête pour chasser en route dans tous les villages qu’il possède. Là, il fait faire une battue par ses gens qui lui ramènent tout le gibier de la montagne à quelques mètres. Le jeune prince34 qui vient d’être élu député de Tauris, à la suite de fraudes extraordinaires a dû quitter en toute hâte le pays. Sa tête était mise à prix. Il est très fatigué par la fête qu’il a faite là-bas. {6a} Les anecdotes de Téhéran : au dîner Belayef il y avait un entremets qui se nommait « Isabelle en chemise ». C’était une glace au chocolat entourée d’une résille de sucre candi. Comme Lady Cox s’appelle Isabelle, on devine les suppositions et les plaisanteries. Batourine n’a vu qu’une fois sa grand’mère. Elle lui dit : mon ami, votre sœur a le nez trop relevé, mais le vôtre est trop recourbé. Hier dîner à la maison : Mallet, Baxter, Bjurling, Branekowsky, Mme Minorsky. Branekowsky parle des bataillons de ski qui descendent à toute vitesse d’une montagne et ouvrent le feu. Il vante les plaisirs de l’hiver, la veille de Noël où chacun va à l’église avec une torche enflammée qu’il jette dans le brasier à la porte de la chapelle. Avec Mallet nous parlons de la Perse, de son caractère, des origines et des affinités aryennes, de l’amour du trait chez les dessinateurs persans, du caractère médiéval de leurs artistes, du panthéisme de leur art et de leurs conceptions morales et religieuses, de leur vieille politesse de civilisés, du caractère 32  Sardâr Bahâdor ? Mohammad-Qoli, frère de Sardâr As‘ad Bakhtyâri. Cf. l’entrée du 18 décembre 1919. 33  Né en 1845, mort en 1927, nommé gouverneur de l’Azerbaïdjan par Vosuq od-Dowla, son dernier poste. 34  Mohammad-Vali Farmânfarmâ.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

95

sincère, élégant, aristocratique de leur art, qui apparente une belle miniature du xvi ème, un dessin de Raphaël et un portrait d’Ingres. Le goût de l’essentiel, des synthèses divines, le mépris des détails inutiles, de la confusion. C’est ce qui rend la Perse attachante, malgré les défauts de ses habitants. {6b} On dit que le gouvernement anglais achète d’avance tous les députés de la Chambre qui va se réunir en février. Le prix serait de 2 000 tomans, quel que soit leur vote. Lundberg hier s’apitoyait sur ces pauvres diables d’officiers qui n’ont rien à se mettre sous la dent, qui touchent 15 tomans par mois tandis qu’un homme de la police à Téhéran touche 20 tomans. Pas de quoi se faire faire un uniforme neuf. Sardâr Bahâdor disait qu’il dépensait, lui, 1000 tomans par mois outre ses appointements mais tout le monde ne peut en faire autant. Les hommes ne touchent qu’une ration de pain, pas de repas chauds. Les chevaux qu’un batman d’orge. Il n’est pas possible dans ces conditions de fournir le moindre effort, les hommes ne peuvent manœuvrer, les chevaux ne peuvent tirer les canons. Un jour sur quatre, il faut mettre le régiment au repos. 19 décembre 1919 À la Légation hier, réception, danse ; le soir, au club, danse. C’est une folie de danse dans cette colonie européenne. Le général Dickson me disait : Est-ce que l’on joue souvent à ces jeux de bébé, à Téhéran ? curieux de voir avec quel empressement les officiers suédois font leur cour à Dickson. Raymond m’entreprend pour me dire que la Belgique doit conclure une alliance avec la France mais que la France ne doit pas espérer soumettre ni annexer la Belgique. Qui y pense ? Il me dit à la table des Havard, à côté de qui nous dînons et qui nous invite, que l’orientation du nouveau ministère sera {7a} francophile et qu’elle vaut mieux parce que l’ancien était trop anglophile. Il craint que le parti socialiste ne veuille pas d’extension au loin et surtout refuse les charges militaires. Je lui dis que c’est le parti conservateur qui, n’ayant jamais cru à la victoire de la France, n’a pas su profiter du triomphe des Alliés et qu’il faut balayer ces fossiles. 20 décembre 1919 Hier visite au général Dickson qui me fait l’éloge de Foch. La supériorité des Anglais est de savoir la langue persane. Les Persans, comme le Sepahdâr35, sont ravis de parler leur langue. Mme Minorsky dit qu’elle veut aller à Paris. Elle a soif de concerts. « Je suerai Paris par tous les pores. » Pour elle Paris, c’est la ville volupté. 35  Fath-ollâh Akbar Rašti, Sepahdâr-e A‘zam (1860-1921).

96

georges ducrocq, Journal de Perse

Levée de boucliers des professeurs de l’École de droit qui ont voulu faire la grève des bras croisés et être payés avant de commencer leurs cours. Ces messieurs touchent 4 000 krans, c’est à dire au taux actuel 70 000 francs par an pour faire deux cours par semaine. Ce sont de médiocres magistrats de province. Ils veulent pratiquer la loi du moindre effort et réclament déjà la résiliation de leur contrat. 22 décembre 1919 Visite à Starosselsky. Il me dit que deux chefs jangalis se sont réfugiés chez lui depuis quarante jours, réclamant le bast, ce qui explique son éloignement du monde depuis cette époque. Ils sont partis avant hier. Ils savaient par des émissaires mystérieux tout ce qui se passait au Gilân. Ils connaissaient même des propositions faites par Vosuq. Vosuq a proposé à Kuček Khan une place d’inspecteur des écoles du Gilân, persuadé que celui-ci n’accepterait pas. Il a accepté. Il se coule et se discrédite. Il est fini comme héros national. Dans quelques mois on découvrira sa correspondance {7b} secrète avec l’empereur d’Allemagne et on lui fera un procès. Son affaire est claire : il finira comme Mâšallâh36. Les Anglais ont un compte à régler avec lui. Il les a roulés. Ils l’ont toujours ménagé d’ailleurs. En mai 1919, ils lui ont laissé passer le Safid Roud. Le général Champain ne voulait pas exposer un seul de ses soldats pour la guerre contre le Kuček Khan. Ils voulaient le conserver pour avoir des raisons d’intervenir. Starosselsky était hostile à la reddition de Kuček Khan qui prétendait garder ses armes. Il exigeait un capitulation sans conditions. Les deux émissaires envoyés par Kuček Khan à Vosuq étaient deux turcophiles, germanophiles acharnés. Vosuq publiera un jour, d’accord avec les Anglais, des documents sur l’intrigue allemande. Les chefs du parti démocrate tremblent actuellement devant Vosuq. Il n’y a rien à espérer d’eux. Un d’eux, Seyyed Hâjji Ardabili37 est venu trouver Starosselsky et lui a dit que toutes les sympathies du parti démocratique étaient pour le maintien de sa Division. « – Vous étiez russophobes a dit Starosselsky. – Je ne m’occupe pas de politique – J’obéis au gouvernement persan. – Nous le savons, a dit Hâjji Ardebili, mais nous désirons votre maintien, comme sauvegarde de notre indépendance. » Les projets des généraux anglais seraient de supprimer la gendarmerie, luxe superflu, d’avoir une armée {8a} pour les expéditions et de garder les [qarâsurân]38, gendarmerie locale. Ont-ils un plan ? Starosselsky en a bâti un, 36  Mâšallâh Xân, brigand de la région de Kâšân, pendu le 30 août 1919 à Téhéran. 37  Probablement Seyyed Hoseyn Ardabili, Député du Khorassan au 2e Majles, rédacteur en chef de Setâra-ye Irân (1914). 38  Dans le texte Karsoman.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

97

mais il ne veut pas le livrer. Chez les Persans personne n’est capable d’en avoir. Starosselsky a conseillé à Vosuq d’attendre le plan des Anglais avant de soumettre le sien. Mieux vaut critiquer que d’être critiqué. Le général Dickson a exigé outre ses appointements une indemnité de 15 [schahis]39 par jour. Le Sepahdâr a protesté contre cette indemnité. Le Sepahdâr a eu une histoire avec Starosselsky. Il a fait écrire une lettre à Staro[sselsky] par ses bureaux à propos de prétendus vols d’opium (1250 batons [?]) commis par des cosaques entre Kermânšâh et Téhéran, sur un ton que Staro[sselsky] a jugé désobligeant et injurieux pour la Division. Il en a fait juge Vosuq qui lui écrit toujours avec une extrême politesse. Le Sepahdâr a été blâmé. Il a envie de s’en aller faire un tour en France. Vosuq ne veut pas le laisser partir. Le Sepahdâr jouit d’une certaine popularité dans le monde démocrate. C’est un sympathique. Il a le Sepahsâlâr avec lui. Brouille aussi de [Akbar] Mirza (Sârem od-Dowla) qui en veut à Vosuq parce que celui-ci désire le débarquer pour le remplacer par un homme à sa dévotion et refuse de partager avec lui les bénéfices du pouvoir : [Mošâr] ol-Molk serait fait ministre des Finances. {8b} Dans le partage d’influences en Perse, l’Angleterre n’aurait que les Finances et la Guerre (c’est-à-dire tout), la France aurait l’instruction publique et la justice. Ce serait un projet éclos dans la tête de Firuz. Semitko vient de commettre de nouvelles exécutions à Salmas, emmenant femmes et bétail, tuant les hommes. Le gouvernement voudrait que l’on organisât une expédition contre Semitko. Vers Krasnovordsk, par suite de la trahison d’un régiment menchevik qui aurait assassiné ses officiers, l’avance des bolcheviks serait arrivée à 30 verstes de Krasnovordsk. Le général [Kanigensky ?] qui dirige la défense serait un bon soldat. [Lazereff ?] rappelé était mou. Mais l’armée de Krasnovordsk n’a pas bon moral. Au Khorassan, il y aurait 3 000 hommes de troupes levées par Qavâm od-Dowla, gouverneur et 3 000 Anglais. Les Anglais ne prennent pas volontiers de postes frontières. Ils semblent craindre le contact avec les Bolcheviks ; ils sont à Mašhad. M. Lecomte parlant au chef de la mission américaine Johnson lui disait : « Je voudrais que l’on élevât une statue en or massif au président Wilson », parce qu’il serait mort.

39  Ou 150 ou 1500 ou shil.= shilling ?

98

georges ducrocq, Journal de Perse

T.S.F. Station à ‘Âšurâdeh. Les Russes ont ici 5 appareils avec lesquels ils espèrent en avoir deux bons. {9a} Les Anglais se mettent à émettre. Caldwell raconte qu’il va faire venir ici un appareil. Starosselsky me dit qu’il cherche en ce moment à obtenir des garanties du gouvernement persan pour sa Division, mais il n’arrive pas à tirer une réponse précise du gouvernement persan qui lui dit : Vous avez les assurances de l’Angleterre. Or il n’y en a aucune. [En marge : Le shah est à Paris. Il y a été beaucoup mieux reçu qu’à Londres. Il est très mécontent de n’avoir pu expliquer ses idées politiques aux Anglais. On ne lui en a pas laissé le loisir.] Sâlâr Laškar dit ouvertement qu’un gouverneur ne peut vivre sans piller et que s’il ne pille pas il désoblige ses collaborateurs et subordonnés. Sardar [Mo‘azzam], ex gouverneur du Gilân, n’a pas pillé, il a été destitué. 24 décembre 1919 Visites hier à Vosuq od-Dowla. Je suis reçu par son chef de cabinet à qui je donne la nouvelle de la présence de Firuz40 à Paris. Celui-ci me dit les charges du gouvernement persan qui doit recevoir d’Azerbaïdjan une quantité de réfugiés que le recul de Denikine et la perspective de luttes entre Géorgiens et Russes inquiètent. De Bakou il en vient une quantité. En Khorassan, le gouverneur a une bonne armée et les Anglais gardent de Mašhad au Seistan, point dangereux. Visite à Amir-Zafar, absent. Chez les Lassen, la [Générale] Nazerbegof (?) chante avec conviction la Madelon de la victoire. Les journaux ce matin publient des articles élogieux pour Starosselsky. J’en parle à Lassen qui me dit : « Les cosaques existent depuis vingt ans : ils n’ont jamais eu un officier blessé. Il y a sept ans que la gendarmerie existe : nous avons eu quatre morts. » {9b} 25 décembre 1919 Noël. Hier répétition chez le ministre de On ne saurait penser à tout [pièce d’Alfred de Musset], qui va à peu près. M. Bonin est un excellent metteur en scène ; le soir messe de minuit improvisée et réveillon chez les Raymond. J’ai déjeuné hier chez Sâlâr Laškar, avec son frère, le jeune prince MohammadVali Mirza, fort intelligent et plus délié que Sâlâr Laškar, qui a le jugement faux. La conversation roule sur les Bolcheviks dans lesquels Sâlâr Laškar voit les origines d’une grande doctrine, analogue à celle de la Révolution, dont il restera 40  Firuz Mirzâ, 1888-1937.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

99

quelque chose, tandis que son frère, plus avisé, y voit simplement un appel au pillage et un gouvernement tyrannique. Sur la réforme de l’armée Sâlâr Laškar est très laconique : les Russes et les Suédois ne feront pas partie de la nouvelle Commission. Seuls, des officiers persans seront désignés. Tous les fils de Farmân ont fait leur éducation en France et un précepteur les promenait dans toutes les provinces de France. Ils connaissent la Creuse, le Tarn, Rocamadour. Ils parlent avec étonnement d’un certain M. de Lizer qui les guidait à Rocamadour et qui monta les escaliers à genoux. Chemin faisant, Sâlâr Laškar trouve le moyen de me dire qu’il y a des coins très arriérés en France, des villages des Hautes-Alpes, où il n’y a que des crétins. Son frère me dit qu’il y a des villages de Perse où il n’y a que des lépreux (en Azerbaïdjan). L’opinion de ces princes est que la Perse est encore à l’état féodal ; il n’y a pas d’opinion publique. Le peuple {10a} n’entend rien à la politique. Il est asservi aux propriétaires terriens comme le nôtre au Moyen-Age. Sâlâr Laškar ne cache pas ses sympathies pour le système de la grande propriété anglaise qui lui paraît plus intéressant que le morcellement. Il parle avec ironie des nouveaux riches. Il se moque de Demorgny qui avait fait ici un livre sur le Fars où il parlait de cette province persane et des tribus comme un sous-préfet d’un département français41. La dernière fois que je l’ai vu, Sâlâr Laškar m’avait dit que M. Bizot n’avait rien fait en Perse. La constitution, selon eux, n’a rien changé au régime de la Perse, toujours aussi décentralisée. Le pouvoir central n’a ni plus ni moins de pouvoir. Vu le prince Amir Nezâm42 qui est gouverneur de Šâhrud. 26 décembre 1919 Hier Noël. Grand’messe avec grand uniforme, toute la Légation présente. Les Raymond n’étaient pas venus, prétextant la fatigue de la messe de minuit, en réalité parce qu’ils n’occupent pas la première place. La France demeure la protectrice des chrétiens d’Orient. Elle a droit au premier rang du côté de l’épitre. Les autres ministres sont admis mais n’ont pas rang officiel. Aux grandes fêtes, Pâques, Noël, Le clergé vient au devant du ministre de France à la porte de l’église et lui offre l’encens. Si nous voulons nous servir de ce privilège nous pouvons garder une place prééminente en Orient. Pour cela, il faudrait renouer 41  Voir G. Demorgny, Essai sur l’administration de la Perse : Leçons faites à la classe impériale et à l’École des sciences politiques de Téhéran (1912-1913), Paris, Ernest Leroux, (1920 ?). 42  ‘Abdollâh Qarâgozlu « Amir Nezâm » (dates inconnues) qui apparaîtrait à l’entrée du 28 février 1920 sous son autre titre, « Sardâr Akram » ou son fils Hoseyn-Qoli Qarâgozlu, qui reprit le titre d’Amir Nezâm (né en 1883) ?

100

georges ducrocq, Journal de Perse

les relations avec Rome. L’Angleterre, comprenant que le sionisme ne suffit pas à justifier le rapt de la Palestine qu’elle veut soustraire à l’influence française, parce que c’est un des grands berceaux des religions, y attire l’Italie de {10b} connivence avec la papauté. Déjeuner tranquille à la maison. Nous avons cueilli ce matin des roses fraîches dans le jardin. Il n’y a pas d’hiver à Téhéran. Le soleil est toujours aussi chaud à midi, il étincelle sur les montagnes couvertes de neige. Je ne puis me lasser d’admirer l’Alborz. La nature console de tout. L’après-midi, à la réception de Mme Bonin, le général Dickson me dit : « Je voulais vous demander, monsieur, de demander à votre gouvernement si il n’y aurait pas des stocks inutilisés de canons de montagne Schneider. Les officiers persans et suédois disent que c’est le meilleur canon pour la Perse. Voulez-vous demander si le gouvernement français pourrait au besoin nous en céder ? Inutile de télégraphier. Vous pouvez écrire car nous sommes à la période d’études et nous ne prendrons de décisions que dans 2 ou 3 mois. Le schneider est le canon qui se met le plus vite en batterie, qui est le plus mobile et le plus juste. » J’en parle au ministre qui voit dans cette proposition un moyen de nous lanterner et de nous envoyer promener au dernier moment. Le général Dickson a visité la Brigade [cosaque]. Les hommes sont beaux, mais ne sont pas armés, ils n’ont pas de munitions. Leurs canons sont en mauvais état. Les soldats ne touchent qu’une ration de pain par jour, insuffisante. Ils sont mal vêtus. Le général dit qu’en Perse on ne fait rien pour l’armée régulière, au ministère de la Guerre on ignore tout des régiments provinciaux. Le gouvernement n’a d’argent que pour la Gendarmerie. Le cousin du Sepahdâr donne quelques lueurs sur la future composition de la Commission persane de l’armée. Auraient déjà été désignés : Sâlâr Laškar, Sardâr [Mo’azzam43], ex-gouverneur de {11a} Racht, Sardâr [Medhat44], qui est fonctionnaire du ministère de la guerre, [Mo‘tamed] od-Dowla45, frère de Sârem od-Dowla. Mais, le soir, au club, au dîner auquel il nous invite, Sardâr [Mo’azzam46] me dit qu’il a été sollicité mais qu’il refuse, ne désirant pas donner sa signature à des décisions qu’il ne prendra pas lui-même. Il me dit que la Perse a eu tort d’envoyer à Paris un homme sans crédit en Perse et sans autorité à Paris, 43  Teymur Tâš. 44  Peut-être Sardâr Medhat, cf. S. Cronin, The army and the creation of the Pahlavi State, 173, 219. 45  Première partie du laqab difficile à déchiffre : « Eminayat od-Dovleh ». Parmi les fils de Zell os-Soltân, sans doute Esmâ‘il Mirzâ Mo‘tamed od-Dowla. 46  Lecture incertaine, mais la conversation semble bien désigner Teymur-Tâš.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

101

un homme d’État à qui l’on donnait cette mission pour l’éloigner de Perse, simplement47. Lui-même était partisan de l’entrée de son pays dans la Guerre du côté des Alliés, mais il était accusé d’être à la solde des Anglais. Il a été menacé de mort, lui, Vosuq48, il y a deux ans. La Perse ne voulait pas croire à la défaite des Allemands. La propagande allemande l’avait bien travaillé. En vain Sardâr [Mo‘azzam] expliquait à ses compatriotes qu’ils faisaient le jeu de la Turquie. Car une révolte de la Perse ne pouvait avoir pour résultat que d’attirer les troupes russes en Perse ou anglaises et dégager le front de Mésopotamie et de l’Arménie. Sardâr [Mo‘azzam] fait allusion à un article de Punch sur l’arrivée du shah : le souverain de nos All . . . (mais sont-ils réellement nos Alliés ?) émettant des doutes sur la sincérité des sentiments persans à l’égard de l’Angleterre (pour Starosselsky, les Persans sont en train de rouler l’Angleterre). Ziyâ [Homâyun] dit que le Sepahdâr est désireux de quitter la Perse à cause de ses difficultés avec le président et Sârem, et les Anglais. {11b} On l’accuse, paraît-il, d’être trop francophile. Le Sepahdâr est ravi d’un article paru dans Le Temps du 24 octobre [1919] où il est question de lui. Il n’habite plus la campagne, il est rentré en ville, il a reçu à déjeuner lundi tous les ministres et le président du Conseil. Le Temps, 24 octobre 1919, Bulletin du jour : L’imbroglio oriental (daté du 23 octobre)49 « . . . Mais dans quelles circonstances s’effectuent les élections persanes ? Sur ses frontières du nord-ouest et du nord-est, la Perse est menacée d’incursions étrangères ou d’infiltrations bolchevistes. Dans la capitale, l’opinion publique paraît être tellement opposée à l’accord anglais que le gouvernement, après avoir déporté en province beaucoup d’hommes politiques influents, songerait maintenant, dit-on, à interner un ancien président du conseil qui a joué le premier rôle dans la création du régime constitutionnel et qui a reçu depuis lors le titre de Sepasalar. En même temps, des troupes britanniques occupent le pays. On voit que la question persane, qui n’a jamais été admise devant la Conférence de la paix, n’a point mûri dans l’isolement et le silence auxquels elle a été condamnée. Si l’on veut arriver à une solution stable et vraiment avantageuse pour tous – solution dont la condition préalable est le maintien réel, et non verbal, de l’indépendance persane, – il faudra renoncer aux méthodes qui ont prévalu jusqu’ici. . . . »

47  Probablement Mošâver ol-Mamâlek, qui présida la délégation persane à le Conférence de Versailles.0 48  Ducrocq veut-il dire « lui, comme Vosuq », ou bien « Vosuq a été menacé . . . » ? 49  Accessible depuis Gallica.

102

georges ducrocq, Journal de Perse

L’avis du général Dickson est que l’on devrait utiliser les jeunes officiers qui ont fait leurs études en Europe et en France. Un complot a été découvert il y a quelques mois. Le piškâr de [Mostowfi] ol-Mamâlek a été arrêté. Il aurait eu l’intention de tuer le président du conseil et aurait soudoyé à cet effet les gendarmes et l’escorte du Président. Les dissentiments augmentent entre le Sepahdâr et le président du conseil, entre Sârem od-Dowla et le président. Sârem est le candidat favori des Anglais. M. Hart, directeur de la Banque de Qazvin, vient à Téhéran comme conseiller financier. Mme Minorsky prétend que les Anglais n’ont pas d’âme. Elle a essayé de parler avec Scott de religion sans aucun succès. 27 décembre 1919 Il y a aujourd’hui dîner chez les Starosselsky et nous n’y sommes pas conviés, pas plus que la Légation de France. Starosselsky fait sa cour aux Anglais. Cet été il ne cessait de les inviter. Il veut se faire accepter d’eux, du moins provisoirement. Il est très mal avec le Sepahdâr parce que celui-ci est la bête noire des Anglais. [Michel] Hadjean me dit qu’il va être envoyé à Urmia avec sa force militaire, composée de 400 cavaliers pour la plupart Jélos, Chaldéens, Assyriens. {12a} Le [Kar] est un endroit qui fut jadis habité par de puissants seigneurs à la limite du désert. On y voit des restes de puissants châteaux-forts. C’est là que des fouilles utiles pourraient être faites car les incursions constantes des Turcomans obligeaient les habitants à cacher leurs trésors. Sur les [coteaux] on voit des abris pour bétail qui peuvent contenir 3 000 moutons. Malzac dit que la seule politique à faire en Syrie est la protection des chrétiens. Nous devions prendre en main la protection des Melchites grecs et les empêcher de tomber sous la coupe du roi du Hedjaz et de l’émir Feyçal. Nous avons une politique de catholicisation à faire sur les orthodoxes et nous pouvons les reprendre tous, les gagner. Mais, pour cela, il faut envoyer des Lazaristes et il faut renouer avec le Pape. Les Jésuites ne s’occupent que de Beyrouth et des gens des villes. La clientèle rurale ne les intéresse pas. Leur intérêt est très limité. Il y a une Syrie en dehors de Beyrouth. Notre droit séculaire de protecteurs des chrétiens n’est pas aboli en Turquie. Droit que les consuls étrangers nous ont contesté au point de vue politique, mais que nous gardons au point de vue administratif. En Perse nous n’avons qu’à défendre le libre exercice du culte. Nous n’avons pas la protection de tous les chrétiens.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

103

Mais il est clair que la question de Jérusalem est capitale pour l’Orient. Si la France avait la garde du Saint-Sépulcre (toujours diminuée) nous serions considérés dans tout l’Orient comme les protecteurs naturels des chrétiens. C’est ce que l’Angleterre ne veut pas. Tout plutôt que la France. Elle introduit les Juifs, les Italiens en Palestine, {12b} les Italiens au Causase, les Grecs à Smyrne, les Italiens à Adelia, elle favorise les républiques d’Azerbaïdjan et de Géorgie pour empêcher la France de venir dans la mer Noire. Tout, plutôt que la France en Orient. 28 décembre 1919 Conférence d’Amir A‘lam sur la maternité en Perse. Il décrit les préjugés qui s’opposent aux soins à donner aux femmes en couches. Les gens de la plus haute société ont à ce sujet des superstitions bizarres. Ils croient qu’un mauvais génie, [le âl]50, guette l’accouchée, essaye d’entrer dans sa chambre et de lui arracher le cœur et les viscères. Pour empêcher ce malheur toute la famille fait bonne garde autour de la jeune femme, des sabres sont placés sur son lit, des oignons sous son lit. Si [le âl] réussit à prendre le cœur et les viscères de sa victime, la victime n’en meurt que si les viscères sont lavées dans une eau courante. Mais si en chemin [le âl] rencontre un homme à barbe blanche, celui-ci peut l’obliger à revenir sur ses pas et à remettre en place le cœur et les viscères. La conférence, d’un tour très littéraire, très adroite, très bien présentée et se terminant par un appel à la générosité de Vosuq od-Dowla pour l’augmentation des crédits de la maternité et l’engagement d’une nouvelle doctoresse, a obtenu un grand succès. 29 décembre 1919 Starosselsky annonce que Rostov est pris. Il me dit que Philippof va être chargé d’une expédition dans la région d’Urmia. {13a} 30 décembre 1919 La question bakhtiyari. Malzac me parle des Bakhtiyaris. Ils sont très mécontents du nouveau régime. Persans persanisants, fidèles gardiens de l’antique liberté nationale, puissants chefs de tribus, vivant dans leurs montagnes, indépendants, riches, fiers, ils consentent à mettre leurs forces au service du gouvernement mais ils ne consentent pas à devenir fonctionnaires. Samsâm os-Saltana a été outré de voir Vosuq od-Dowla devenir président du conseil, 50  Voir H. Massé, Croyances et coutumes persanes, Paris, Librairie orientale et américaine, 1938, I, p. 44 et sq.

104

georges ducrocq, Journal de Perse

bien qu’en titre Samsâm ayant reçu ses pouvoirs du shah et n’ayant pas démissionné, reste président du conseil. On prétend qu’un piškâr de sa maison aurait prémédité d’assassiner Vosuq en juillet dernier51. Dernièrement Vosuq a demandé au gouvernement anglais l’éloignement de Samsâm mais celui-ci a refusé de s’en aller, il est resté chez lui quelque temps : aujourd’hui il recommence à sortir. Les Bakhtiaris étaient partis, contents, pour l’expédition contre les brigands d’Ispahan qui a parfaitement réussi52. Mais ils n’ont pas obtenu le butin qu’ils espéraient. Les consuls anglais, une fois la victoire assurée, leur ont cherché noise. On a voulu traiter Sardâr Jang, gouverneur d’Ispahan, en fonctionnaire. Celui-ci a démissionné, à la grande frayeur de la population qui redoute le retour des brigands. Des querelles ont également éclaté entre chefs bakhtiyaris, {13b} disputes motivées par le partage inégal du butin ou rivalités d’influence ou querelles au sujet de l’Il-khanat. Le gouvernement, voulant faire cesser ces divisions dangereuses pour la tranquillité du pays, a convoqué à Téhéran tous les chefs bakhtiyaris. L’arbitre qui s’est chargé de les apaiser et de les réconcilier a été Samsâm os-Saltana, mais en même temps il a repris son empire sur les chefs de tribus. Sa position s’est consolidée. Actuellement les Bakhtyaris boudent les Anglais et le gouvernement. Ils marchent avec le mouvement populaire, fort surexcité par l’excommunication prononcée par les mollas contre l’arrangement anglo-persan53. Ils nous font beaucoup d’avances. Il y a certainement une vague de francophilie en Perse, provoquée par l’attrait de la culture française, l’influence morale. Le cas Minorsky. M. Minorsky a quitté Téhéran parce que, chargé d’affaires après le départ de M. de Hetter, il a été remplacé dans ce poste par M. Belayef, nouvellement arrivé. La position de M. Minorsky devenait de second plan. Il a préféré essayer de tenter à Paris la fortune. Mais là-bas, il trouve évidemment des difficultés. On ne se fait une place à Paris qu’avec lenteur. Son ambition est très déçue. On le devine au ton de ses lettres. Minorsky connaît l’Orient, est un des plus intelligents {14a} diplomates que possède la Russie, mais il est un peu fantaisiste, artiste. On n’aime pas ça dans la carrière.

51  Voir l’entrée du 26 décembre 1919. 52  Allusion probable à l’arrestation, puis à l’exécution (30 août 1919) de Mâšallâh Kâši. Voir ’A. Madani, Târix-e ašrâr-e Kâšân, Kâšân, Morsel, 1370/1991. Voir l’entrée du 28 août 1919, probablement réécrite. 53  Nom donné par les diplomates français et américains, pour en minimiser la portée internationale, à l’Accord anglo-persan du 9 août 1919.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

105

Vosuq od-Dowla, quand il arriva au pouvoir, se vengea sur quelques individus qu’il fit pendre. Ses ennemis personnels connurent sa puissance par ses premières rigueurs. Ce prêtre54 à la voix onctueuse sait être dur. Starosselsky me dit que Rostov n’est pas pris et que Sir Percy Cox s’en va, remplacé par un certain Norman, qui fait partie de la Commission de la Conférence de la Paix. Sir Percy irait en Mésopotamie, reprendre sa vice-royauté. Son remplacement serait une victoire du Foreign Office sur le Gouvernement indien. La façon dont l’arrangement anglo-persan a été proclamé en coup de foudre a sans doute déplu à Londres. 31 décembre 1919 Les Russes préparent une station de T.S.F. et viennent tous les jours demander l’aide de Guizon [?]. Ils doivent, pensent-ils, recevoir des nouvelles qui détruiront les nôtres et même nous ennuyer en couvrant nos appareils. Les Anglais depuis hier ont remonté les perches qu’ils avaient inutilement montées à Šemrân. Un sergent anglais a dit à Guizon hier à l’hôtel de Paris : nous avons un appareil et nous allons vous ennuyer. À quoi Guizon a répondu : un télégraphiste français a été à l’école. Il saura vous répondre. Les officiers anglais en mission à Téhéran ne se donnent pas {14b} pour organisateurs définitifs de l’armée persane mais pour une mission d’études. Ils ne viennent que donner des conseils. Ils ne parlent pas encore en maîtres. L’accueil fait à l’arrangement anglo-persan les oblige à être prudents. La première réforme à faire dans l’armée, c’est le contrôle du ministère de la Guerre, la vérification des comptes. Des unités, comme la Brigade [cosaque], la Gendarmerie, portent sur leurs budgets des effectifs supérieurs aux effectifs réels et touchent pour eux des sommes qu’ils font virer. Virements sur l’habillement : les soldats ne sont pas habillés. Ils portent l’hiver des vêtements d’été mais le Gouvernement est enchanté de ce que le général ne dépense que 22 tomans pour l’habillement d’un homme tandis que celui d’un homme de la police des Finances touche 30 tomans. Virements sur le fourrage, sur l’orge, etc. La manière allemande était la bonne avec les Persans. Le ministre d’Allemagne exigeait des Kontrats à des taux élevés ou les déchirait. À un Allemand qui lui apportait un contrat avec le gouvernement persan de 30 tomans il répondait : demain vous en aurez un de 300 tomans, ce qui était fait. Les Persans sont profondément xénophobes. Ils nous haïssent et voudraient nous voir tous aux cinq cents diables. Cette xénophobie se manifeste par {15a} leur goût pour le bolchevisme. Ils espèrent, ils souhaitent l’extension du 54  Cf. les notations du 31 mars 1920.

106

georges ducrocq, Journal de Perse

bolchevisme du Turkestan vers l’Afghanistan et les Indes. Ils seraient prêts à se déclarer bolcheviks pour faire échec à l’Angleterre et aux Alliés. Les nouvelles télégraphiques qui les intéressent sont celles qui concernent l’Allemagne, la Russie bolchevique, la Turquie. La propagande allemande est toujours virulente en Asie et en particulier en Perse. 1er janvier 1920 Fin de l’année hier enterrée au club de Téhéran. Nous étions invités à la table de Sir Percy. Le ministre était au Club mais à une autre table. À la table de Sir Percy : M. et Mme de Raymond. Colonel et Mme Starosselsky, Colonel Haig, Hart, directeur de la Banque de Qazvin, Nesservey, Lassen et Mme. Dîner où Raymond, à côté duquel je suis placé, m’entreprend sur le Luxembourg et ne cesse de me plaider l’abandon du Luxembourg par la France ; au prix de ce renoncement la Belgique fera une alliance militaire avec la France et gardera avec elle le Rhin. Raymondiana : « Quand la France nous fait une politesse, c’est très avantageux pour la Belgique, car l’Angleterre nous en fait immédiatement une autre. » « – Ma femme et moi nous appartenons au meilleur monde. Ma femme est liée avec toute la noblesse française. Quand je vais à Paris, je vois tout ce qu’il y a de plus chic {15b} dans la société parisienne. Ici nous ne voyons personne parce que tous ces gens ne comptent pas, mais nous nous en fichons pas mal. Mais quand ils envoient sans nous faire une demande officielle, une lettre comme Westdahl l’a fait, en nous réclamant 100 kran pour une loge au cirque, je renvoie le billet, il faut apprendre à vivre à de pareils mufles. » M. Hart dit à Marie55 : « Vous avez, vous Français, une œuvre à accomplir en Perse. Vous ne devez pas abandonner votre influence. Vous devez travailler, à côté de nous, à la défense de votre culture, qui est nécessaire à la Perse et au triomphe des Alliés. Vos écoles, votre Alliance française, vos professeurs font d’excellente besogne. » Il est vrai qu’on appelle Hart l’Anglais anglophobe. Le soir, à minuit, chant national anglais, souper et toasts de Caldwell, de Gleerup, de Sir Percy Cox, du ministre de France, d’Hoskyn et de Raymond. Les Anglais se moquaient ouvertement du dialecte de Caldwell : on l’appelait Pussyfoot, c’est-à-dire le propagandiste qui était venu d’Amérique en Angleterre pour combattre les boissons alcooliques56. Quand Hoskyn se leva, quelqu’un dit : He sleeping [sic !] {16a}

55  Mme Ducrocq. 56  William E. Pussyfoot Johnson, 1862-1945, fervent avocat de la prohibition aux États-Unis.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

107

Journée du jeudi 1er janvier 1920 Messe le matin. Réception officielle de la colonie par le ministre, discours de Lesueur, discours du ministre. La colonie reprend force et consistance. Elle n’était rien en juillet dernier, nous voilà maintenant cinquante Français. Si nous étions unis ! L’après-midi, visites aux ministres, réception à la Légation. Le soir réception au club par Lesueur. Dufoussat trouve qu’on sert le champagne prématurément au club : je lui dis que le change baisse (ce dont il se moque, car il fait avec son traitement de 40 000 krans par an de superbes affaires et achète pour 80 000 francs d’argent) et que le commerce extérieur de la France périclite, parce que tout a été subordonné chez nous à la défense de la rente, immobile, sauvegardée. On annonce que Clemenceau sera candidat à la Présidence. Le rôle de Poincaré dans l’affaire Nivelle lui a sans doute nui dans l’opinion. Les Starosselsky ne quittent plus les Cox. Ainsi les astres morts gravitent autour du Soleil. 2 janvier 1920 Thé chez Sardâr As‘ad. Le général Dickson me dit que les Anglais ont quitté la Transcaspie parce qu’ils ne peuvent occuper tout le globe. Il aurait suffi de faibles détachements à [Tchardjoui] pour tenir toute la Transcaspie. Mais, selon le principe de laisser les peuples disposer d’eux-mêmes et la Russie se débrouiller elle-même, gagnés par les idées de {16b} Wilson, les Anglais ont quitté Transcaspie, Caucase, Archangel. Ils le regrettent déjà. Le bolchevisme n’est pas dangereux, pensent les Anglais, il est moins dangereux que la Russie tsariste. C’est pourquoi ils le laissent se développer. Cependant le général craint pour le Khorassan une invasion bolchevique provoquée par la famine qui règne à Marv et à Ashkabad. Sur la frontière turque si les divisions turques deviennent menaçantes, les troupes de Mésopotamie interviendront. Amir A‘lam, Hakim ol-Molk m’expliquent leur satisfaction de voir la Légation de France ressuscitée. Un sergent arménien, Elazar Archevir57, vient d’arriver à Téhéran, citation, croix de guerre avec palme, blessé à Sonnin (Champagne). Il veut entrer à la Gendarmerie. Il explique à ses compatriotes, en arménien, la part prise par la France à la Guerre.

57  Ou Yeghiazar Archavir, cf. entrée du 4 janvier 1920.

108

georges ducrocq, Journal de Perse

3 janvier 1920 Malzac me signale les empiétements du gouvernement persan qui cherche à persécuter les étrangers, à leur enlever le bénéfice des Capitulations : par des visites d’écoles étrangères que des inspecteurs persans prétendent faire ; par des impôts perçus sur des maisons de prêts sur gages ; par l’inspection {17a} des maisons de jeux, par des déclarations demandées aux légations sur les commerçants persans en relations avec des maisons françaises, par des interdictions de posséder des immeubles ruraux qu’ils ont la prétention d’imposer aux Russes d’abord, aux étrangers ensuite, par la soustraction des étrangers aux tribunaux consulaires. Le but poursuivi est de supprimer les Capitulations. On ennuie tous les étrangers, sauf les Anglais. Un beau jour, les étrangers furieux et découragés s’adresseront aux Anglais pour arranger leurs affaires. C’est le moment attendu par l’Angleterre pour prendre en mains la cause des Européens et établir son protectorat. Les moyens qu’elle emploie sont toujours les mêmes dans tous les pays. Elle dresse les indigènes contre nous jusqu’au jour où, affaiblis, nous devons tomber dans ses bras. Il se pourrait que toute la Légation de Russie file de Téhéran. Quand le Sepahdâr parle trop longtemps au ministre de France, le ministre d’Angleterre lui fait demander le lendemain ce qu’il avait à lui dire. 4 janvier 1920 Le sergent Yeghiazar58 Archavir me raconte que le débarquement des troupes arméniennes, exercées par le colonel [Domis] à Chypre (ex Commandant d’un régiment grec en France) s’est fait à Alexandrette et à Mersine. L’occupation de la côte est complète. Les troupes (2000 Arméniens environ, la plupart ayant été démobilisés depuis l’Armistice) sont chargées d’occuper la Cilicie et l’Arménie turque. Elles se dirigent {17b} vers Diarbekir. Le mouvement se fait six mois trop tard. Mossoul est occupée par les Anglais. Deux fois à Beyrouth les troupes furent prêtes à embarquer et toujours leur départ fut retardé. Ce que craignait l’Angleterre, c’était un mouvement arménien en faveur de la France. S’il s’était produit, nous serions actuellement à Erevan et nous [ferions] la jonction avec Samsoun-Sivas. La légion arménienne comprenait des Américains arméniens. Ceux-ci, parfaits à Chypre, où ils étaient isolés, dès qu’ils furent au contact avec les Anglais, donnèrent des symptômes d’insoumission, résultat évident d’une propagande dans leurs rangs. 58  Ou Eliazar ?

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

109

À Jérusalem, il n’y a pas de garde française. On laisse à peine aux soldats français le droit de rester près du Saint-Sépulcre. Il y a une armée juive qui n’est composée que de gradés (mille). Le commerce italien est très prospère à Jaffa. Alexandrette est un port magnifique, qui peut devenir le point d’aboutissement de toute l’Arménie turque. – Visite de Lesueur et Dufoussat. On parle de la crise du charbon dans l’Europe centrale. Dufoussat s’en moque : sa mère a fait ses provisions. On parle de la baisse du change : Dufoussat s’en moque, il est payé en krans. On parle de {18a} Mossoul : Dufoussat s’en moque, il trouve que les Anglais nous ont fait un très beau cadeau en nous donnant la Syrie qui ne nous appartenait pas. Il annonce que Caïffa et des concessions dans la grande société de pétroles du Sud de la Perse nous dédommagent de tout ce que nous cédons de l’Accord de 191559. L’importance de la Mecque aux mains des Anglais lui échappe. L’importance de Damas lui échappe, mais tout échappe à Dufoussat, sauf sa personnalité de petit magistrat vinaigré et sans envergure. Il tranche de tout et ne sait rien. C’est un être sans rayonnement. On nous envoie des professeurs qui ne songent qu’à gagner de l’argent, l’envoyer en France et qui déclarent à qui veut les entendre que la France n’a aucun avenir en Perse et qu’ils ne savent pas pourquoi on les y a envoyés. Les Raymond ont fait représenter devant des dames persanes une comédie de Mme [Gazelle] en français. Les enfants du président du conseil ont très bien joué leur rôle. C’est une victoire pour l’influence française. Elle est due à Mme Hébert qui instruit les enfants de Vosuq. Celui-ci attend un enfant prochainement : c’est son 13ème ou son 14ème. – Bellan préfère Bourget à Stendhal : cela ne m’étonne pas. – Un Anglais me parle du Gilân où poussent les roses et les oranges. Il me dit que les turcomans sont une race très intéressante, pleine d’humour. {18b} D’après Mohammad-Vali Mirza, il y aurait 10 à 15 000 Bakhtiyaris que l’on pourrait mettre en ligne et 20 000 Šâhsavan. Le colonel Faramarz60 se plaint de ce que les Assyriens ne puissent regagner leur patrie. Que fait la France ? dit-il.

59  Allusion aux accords négociés en 1915-16 par Sykes et Georges-Picot pour le partage du Moyen-Orient entre la France et la Grande-Bretagne. 60   Farâmarz Licingoff, militaire arménien, avec ascendance polonaise, marié à une Chaldéenne.

110

georges ducrocq, Journal de Perse

5 janvier 1920 Le colonel Starosselsky annonce que Krasnovodsk n’est pas pris. Un vaisseau de guerre vient de venir à šurâdeh. Le commandant déclare que les bolcheviks sont à 60 verstes de la ville. Visite aux Bakhtyaris. Sardar As‘ad a très bien connu Henri d’Allemagne et lui a facilité son voyage chez les Bakhtyaris. 6 janvier 1920 Visite à Mošir od-Dowla, ancien président du conseil. Homme instruit, sérieux, aristocrate, à l’écart en ce moment, suspect à Vosuq, dans l’opposition. Membre du comité de l’Alliance française, il me soumet courtoisement les critiques suivantes : 1°) les cours des Français sont faits par des professeurs inexpérimentés. Les élèves prennent une prononciation vicieuse qu’ils doivent corriger dans la suite. Il arrive qu’un élève suive trois et quatre ans les cours et ne sache pas parler français. Même reproche pour l’école Saint-Louis. Il faut changer les professeurs des classes élémentaires. Il faut soigner d’avantage l’enseignement du français. 2°) Il faut développer les cours de gymnastique. Ils font défaut dans les écoles françaises et c’est au détriment du développement corporel et moral des élèves mieux soignés dans d’autres écoles. {19a} 3°) Il faut développer les cours de persan et d’arabe. Les études sur ce point sont insuffisamment poussées. Les élèves sont inférieurs. Dans les administrations on les refuse. Il ne faut pas que les écoles françaises négligent l’instruction des Persans dans leur propre langue et en arabe, langue essentielle pour eux. Mošir od-Dowla m’expose son plan : au lieu de se faire concurrence, l’Alliance française et l’école St Louis devraient s’entendre. L’une resterait l’école primaire et même primaire supérieure, l’autre serait l’école secondaire, le collège désiré par tous les Persans qui veulent être aptes à suivre les cours des universités françaises. Il faut créer à l’École St Louis un cours de seconde et un cours de rhétorique et un cours de philosophie. Nos écoles supérieures (École de droit) peuvent subsister. Elles seront utiles aux familles pauvres qui ne peuvent offrir à leurs enfants le voyage de Paris. Mais le but sera toujours d’envoyer le plus de jeunes gens possible à Paris, où les universités devront se montrer plus accueillantes et plus généreuses pour l’équivalence des diplômes. L’inconvénient des écoles supérieures fondées à Téhéran est qu’elles manquent d’un contingent d’élèves susceptibles de comprendre les cours. Il faudrait faire faire un cours préparatoire aux Écoles supérieures, comme il a été nécessaire de créer au Dar ol-Fonun des cours préparatoires de français, mélangeant le secondaire au supérieur. {19b} Abo’l-[Hasan] Khân Foruqi serait

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

111

l’homme de cette école préparatoire. Mošir od-Dowla qui a fondé l’École des sciences politiques a éprouvé cet inconvénient. Le prince ‘Eyn od-Dowla a dit au Sepahsâlâr qu’il mettrait deux mois pour atteindre Tauris. Il s’arrêtera quinze jours à Zenjân61. Le gouverneur – Azari – du Gilân, est reparti à Rašt, ayant échoué dans ses négociations. Il avait dit à Kuček Khan qu’il garderait ses armes et au gouvernement que K[uček] Khan se rendait sans condition. Finalement, ayant menti aux deux, il a fait tout échouer. 7 janvier 1920 Soir de Noël pour les Russes. Dîner chez Mme Minorsky. 8 janvier 1920 Après-midi réception chez Mme Bonin. Le soir dîner du Sepahdâr : entre Mansur os-Saltana, Mo‘âven od-Dowla62. Mo‘aven od-Dowla me parle de son grand père, ambassadeur en France sous Napoléon iii, qui a conclu le traité de l’Angleterre et de Perse (guerre d’Afghanistan)63. Il a à ce sujet des documents intéressants chez lui. Il y a quatre sections au ministère des Affaires étrangères : section des affaires russes, section des affaires anglaises, section des affaires des pays non limitrophes, section des affaires turques. {20a} Mansur os-Saltana me parle de la beauté des femmes du Caucase. Nulle part il n’y a autant de beauté qu’à Tiflis. 9 janvier 1920 Visite au Père Galaup. L’école des Lazaristes est fréquentée par la meilleure société de Téhéran. Elle a eu des classes de 3ème et de 2ème, elle a dû les abandonner faute de professeurs. Il suffirait que le Gouvernement dît un mot aux P. Lazaristes pour que ceux-ci fassent un effort et envoient quatre ou cinq missionnaires à Téhéran. Il en faudrait deux et des sœurs à Téhéran. Les locaux existent, le terrain appartient à la mission mais nous délaissons notre influence, au lieu de profiter de l’interrègne, les Anglais ne pouvant actuellement nous supprimer. Nous avions 250 élèves à Ispahan. Tout est abandonné. Il n’existe plus qu’une mission arménienne qui fait des bêtises. C’est ainsi que l’imprimerie de la mission est mise au service de la propagande anglaise.

61  Voir l’entrée du 18 décembre 1919. 62  Sur M. ‘Adl, voir l’entrée du 1er février 1920. 63  Farrox Khan Qaffâri « Amin od-Dowla » (1812-1871).

112

georges ducrocq, Journal de Perse

Zamân Khân, Fazlollah Khân vont faire partie de la commission d’enquête qui va se réunir64. Ils représentent des valeurs. Sortis de nos écoles militaires, ils en savent plus que Amir A‘lam et que Sâlâr Laškar sur les choses de la guerre. L’intention des Anglais serait de constituer deux forces, une pour le danger intérieur, l’autre pour le danger extérieur. {20b} Hier déjeuner chez ‘Abbâs-Qoli Khân Nuri qui part en Europe découragé ; son frère est à Šâh ‘Abd ol-‘Azim ; son père, Mohtašam os-Saltana, est à Kâšân. Il y avait là le major Fazlollâh Khân, qui voudrait que nos conférences s’orientent vers les sujets historiques. L’organisation de l’armée persane, fondée par Amir Kabir, le grand ministre que Nâser od-Din [Shah] fit mettre à mort (ouvrir les veines dans son bain) : les soldats se recrutent par village. L’impôt militaire est dû par les riches. Vous payez tant de tomans d’impôts, vous devez tant d’hommes, 12-½. Ces hommes sont levés par les officiers du [ fowj]. Ils sont encadrés, amenés par le [mâliya], officier régional, chef du pays, qui est responsable de la discipline de ses troupes. La famille du militaire est assistée par les familles de la localité. L’État n’a à se préoccuper que d’armer, d’habiller, de nourrir ses soldats. Jamais des désertions ne se produisent. On envoie les régiments dans d’autres régions et ils mettent leur point d’honneur à soutenir la réputation de leur pays d’origine. {21a} 11 janvier 1920 Le Sepahsâlâr a été extrêmement flatté qu’un article paraisse dans Le Temps où il est question de lui65. J’entre chez Balaiev. Il dit au Général Westdahl et à quelques Persans qui l’écoutent : « il n’y a que les Allemands qui nous comprennent. » Et il raconte pour la millième fois l’histoire du wagon plombé de Zürich comme une preuve de la connaissance que les Allemands ont de la Russie66. 12 janvier 1920 Le rapprochement des Russes et des Anglais est de plus en plus sensible. Le colonel Starosselsky est devenu persona gratissima. Il a été élu viceprésident du Club, qu’il boudait, parce qu’il a donné des gages aux Anglais. Il est d’ailleurs, lui et sa Division, payé par eux. Mme Starosselsky, qu’on ne voyait 64  Par « Commission d’enquête », Ducrocq désigne-t-il la commission chargée d’enquêter sur les massacres contre les chrétiens à Urmiya ? 65  Voir l’entrée du 26 décembre 1919. 66  Le 10 avril 1917, avec l’aide des Allemands, Lénine quitte Zurich pour rejoindre la Russie dans un wagon plombé.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

113

plus dans aucune réunion officielle, ne quitte plus lady Cox et se met dans son ombre au Club, aux dîners officiels, dans toutes les réunions. Le ministre de Russie est dans les mêmes dispositions. Il est probable que la Légation de Russie aux abois n’est plus soutenue que par l’or anglais. D’où la soumission du ministre de Russie à son collègue. L’Angleterre laisse vivre en Perse un fantôme de Russie qu’elle sait caduque, elle tient les chefs : cela lui suffit. Elle a également mis la main sur la Belgique. Le ministre qui criait misère il y a six mois ne se plaint plus. Il donne des dîners. Mme de Raymond a acheté les robes de Mme Catelani : tout cela sent le flot d’or anglais. Hier au Club, de Raymond présidait, sous la garde de Sir Percy et de Mme Belayef. La présence de Sir Percy dictait aux Persans {21b} leur devoir. Ils ont voté comme un seul homme pour Raymond. Havard est élu secrétaire : il est le secrétaire oriental de la Légation. Par ce moyen, l’Angleterre aura la haute main sur le Club, elle tiendra les Persans en brèche. Il s’agit maintenant de conquérir le clergé, encore récalcitrant. L’Iran hier matin publiait un article incitant la Russie à se jeter dans les bras de l’Allemagne. La propagande allemande est toujours puissante en Perse. Elle a ses agents. De même, le bolchevisme a les siens. Malzac me dit que les Anglais auraient dû solliciter le concours des instructeurs français. Il s’inquiète qu’il n’y ait pas de ligue en Asie contre les Bolcheviks, comme une ligue est en train de se constituer en Europe avec la Pologne et les États baltes. Lorsqu’il neige Mme Minorsky est folle de joie. L’appétit de tristesse et de nihilisme des classes intelligentes russes. Depuis longtemps ils nous laissent pressentir qu’entre les Bolcheviks et les autres Russes, il n’y a pas tant de différence ! 14 janvier 1920 Verba me dit que l’armée russe comptait très peu de Turkmènes (4 escadrons de 150-180) très peu de Kirghizes, de Bachkirs. On pouvait lever parmi les sujets musulmans une armée. On ne l’a pas fait de peur de les armer. Le Don, le Kouban, le [Tirak] fournissaient 100 régiments de cavalerie de cosaques. {22a} Hier [morose] – à la Légation de Russie – Belayef, très parti, me fait porter une santé par les officiers russes : « Vive la France ! » et me dit en me reconduisant : « Ceux qui croient la Russie finie se trompent ; ses morceaux sont toujours là et il y aura toujours 140 millions de Russes qui ont sept fois plus d’enfants que les autres nations. » Soirée chez les Lassen. Mme Lassen délicieuse, quand elle danse les danses géorgiennes, mutine, espiègle, gracieuse.

114

georges ducrocq, Journal de Perse

15 janvier 1920 Soirée au Club, invitation de M. Dufoussat. 16 janvier 1920 Thé chez les Bakhtiyaris. Sardâr As‘ad, Sardâr Zafar, Ilkhan des Bakhtyaris, Sardâr Bahâdor, Amir Jang67. Sardar Zafar me dit qu’il fait apprendre le français à ses petits enfants. Il me dit qu’il a 10 fils et 10 filles, ce qu’il n’osa avouer à Paris. Il me parle d’Henri d’Allemagne qu’il a reçu magnifiquement chez les Bakhtyaris. Je lui demande s’il a vu sa maison à Paris. Il me répond qu’il n’est pas allé le voir, parce qu’il aurait craint de l’obliger à le recevoir et à lui rendre son hospitalité. Les femmes bakhtyâries sont dévoilées, gaies, rieuses. Elles vivent chez les Bakhtyâris. Elles s’ennuient à Téhéran et ne peuvent souffrir le voile. Je demande à Sardâr As‘ad si elles sont à Téhéran. Il me répond : « Si elles y étaient, il y a longtemps qu’elles auraient prié Mme Bonin et Mme Ducrocq de venir les voir. » Les attentions des Bakhtyaris pour la Légation de France {22b} s’expliquent par le désir des Bakhtyaris, champions du nationalisme persan, jadis antirusses, aujourd’hui menacés d’être absorbés par les Anglais, de se trouver des protecteurs. Ils se tournent vers la France mais le vieux Sardâr Zafar me dit : « J’espère que la France et l’Angleterre resteront alliées. Elles ont tant d’ennemis communs. » 17 janvier 1920 Conférence de M. Merle. Elle réussit. Le ministre l’a fait précéder d’une allocution sur les Sumériens, la civilisation primitive de la Chaldée, le haut degré de civilisation de ces peuples, sur l’éternité de la Perse qui a submergé tous ses conquérants. Il lit à ce sujet une page saisissante de Gobineau sur le plateau de granit persan. Il rappelle l’œuvre de nos savants français qui ont découvert l’histoire de la Perse. [En marge : Le président du Conseil, le ministre de la Guerre, le ministre conseiller, le ministre de l’Instruction publique assistaient à la conférence.] La conférence de Merle sur le code d’Hammourabi signale les particularités de ce vieux code sévère quant aux sanctions portées contre les femmes coupables, contre les médecins, contre les architectes. La mort était la punition courante du vol, de la malfaçon. Le chirurgien qui manquait son opération avait les deux mains coupées. 67  Amir Jang [? « Panir Djany » dans la version dactylographiée] : non identifié.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

115

L’après-midi entretien avec [Kalpa] qui a déjeuné à la maison. Ce Grec qui a habité Tachkent 15 ans rentre avec une poignée de ses compatriotes (63) dans son pays. La Légation de France lui a facilité le voyage. 18 janvier 1920 Dîner à la maison : M. et Mme Molitor, M. et Mme Merle, M. et Mme Audigier, M. Lesueur, M. Malzac. Cette colonie française {23a} se recrute surtout dans la maçonnerie. Audigier est un ami de Wayhloff. Pas une de ces Françaises ne met le pied à l’église. Nous exportons des hommes d’étude et de labeur, c’est bien. Mais pourquoi n’ont-ils aucune connaissance de l’étranger, aucun usage du monde. M. Molitor me parle d’un projet de société anglo-française où les Vickers sont les principaux actionnaires, où il y a des capitalistes français, et qui aurait pour objet de créer un chemin de fer Bagdad-[Khaneqin ?68]-Anzali. Cette société ne pourra établir ses rails, avec la rareté de l’acier, que dans un long délai. Donc il faut compter sur une entreprise d’automobiles possible et qui sera d’un bon rendement durant quinze ans. N’y aurait-il pas des capitalistes français disposés à l’établir ? La poste française par Tarente durerait 17 jours. Par la Cie Paquet, elle en met quarante-trois. Toujours nos systèmes de monopoles. Un syndicat anglo-français-russe à Moscou avait discuté la question du transpersan. Le trajet préconisé par Molitor était celui qui passait par le Caucase, Tiflis, Tauris, Rašt, Anzali, le Gilân, le Mâzandarân, Astarâbâd, Mašhad, Marv et le Turkestan. Ce chemin de fer traversait des contrées d’une richesse inouïe. Il était d’un rendement assuré. Mais les Anglais s’y opposèrent. L’avenir est pourtant au pays qui atteindra le premier les richesses de l’Asie centrale. Le tracé Anzali – golfe Persique, passe par Ispahan, Yazd, Bandar ‘Abbâs. Il traverse les déserts. Pas un village. Seules, les mines alimentent le chemin de fer, mais quand seront-elles exploitées ? {23b} Il existe en Perse des minerais de cuivre pur, presque 80% de cuivre, 90%. En traitant certains minerais on pouvait en retirer autant d’or que l’on aurait voulu. Mais les Anglais vont faire surtout des chemins de fer stratégiques, SeistanMašhad et Bagdad-Anzali. Ils n’ont aucun désir de voir progresser la Perse avec rapidité. Tout ce qui favorise le développement de la culture intellectuelle en Perse est entravé, tout ce qui favorise l’essor économique entravé, parce qu’une Perse florissante entraînerait immédiatement les Indes à la révolte. 68  Nom illisible.

116

georges ducrocq, Journal de Perse

Leur tactique a toujours été de paralyser la Perse. Les services qui marchent trop bien sont dangereux. Au Caucase, à Bakou pas un lettré, pas un Tatare n’est capable de discuter les problèmes politiques. L’intelligence politique est infiniment moins répandue qu’en Perse. 19 janvier 1920 Arrivée des Hoppenot69. Il a vu à Batoum, dans un coin de la mission militaire 12 sacs qui attendent. Il en a pris deux qui arrivent avec les bagages. Paris ne lui a pas confié de valise. La vie là-bas est brillante. Au ministère on a été stupéfait que Hoppenot demande la Perse. Après-midi au Club, thé. Un Persan me parle de Sani‘ od-Dowla, le ministre qui fut assassiné, l’organisateur de tous les ministères actuels. C’est l’homme qui a le plus fait pour la réforme de la Perse. Il attachait au développement de l’instruction la plus grande importance. C’est lui qui supprima le ministère des retraites et des legs pieux, qui mit les retraites aux Finances et les legs pieux à l’instruction publique, qu’il voulait puissante et riche. {24a} La Perse doit être étudiée par famille, par tribu. C’est la seule façon de la comprendre. Nasr ol-Molk, au ministère de la Justice, c’est le retour de la famille Moxber os-Saltana au pouvoir. Molitor me reparle de la route [Koutkuh ?70]-Hamadân. Cette excellente route pour automobiles, de 70 farsax de longueur, a été passée et repassée par 29 rouleaux compresseurs. Elle n’userait pas les autos. Elle drainerait le trafic de marchandises de Bagdad, Kermânšâh si important vers Hamadân, carrefour, nœud de routes, point de dispersion des caravanes vers Tauris, Borujerd, Qazvin. Une société d’entreprise de transports qui s’emparerait à l’heure actuelle de cette route rendrait service au Gouvernement persan, qui prendrait possession de la route. Les droits de péage seraient fixés par un accord, de telle sorte qu’aucune entreprise rivale ne puisse s’établir. La route, fréquentée par de nombreux pèlerins, assurerait aux voitures qui retournent en Mésopotamie leurs frais de retour.

69  Voir l’entrée du journal d’Hélène Hoppenot le 20 janvier. À partir d’ici, nombreuses notations parallèles et contrastées dans les deux journaux. 70   Kouretou ?, cf « note sur un projet de transport par automobiles (KasrichirineHamadân) » de Ducrocq, Archives du mae, Papiers Bonin 21, f°230. La lecture Kirkouk pourrait correspondre à l’idée encore présente chez Ducrocq que la « Bande de Mossoul » pouvait finalement revenir à la France. Cf l’entrée du 18 janvier 1921. Il s’agit peut-être aussi d’une route passant plus au sud, reliant Hamadân à Sâva.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

117

Le chemin de fer de Kermânšâh-Hamadân en est encore au projet d’études. Il a été décidé que si la société actuelle qui veut en faire l’étude (Vickers, etc.) se retire, elle sera remboursée de ses frais d’étude à un prix fixé par kilomètre. Il paraît que la mission financière éprouve de grandes difficultés à faire son travail. Le gouvernement persan oppose la force d’inertie aux désirs de M. Hart. Celui-ci n’est pas conseiller financier accrédité. Il a été présenté au ministère des finances comme inspecteur, mais son travail est entravé par le gouvernement persan qui attend la mission officielle qui doit venir de Londres. {24b} 22 janvier 1920 Le bruit court que la Caspienne va devenir lac anglais. Les navires de la flotte volontaire russe seraient rappelés de Petrovoski à Anzali qui deviendrait base navale. Des pourparlers seraient engagés entre le gouvernement anglais et le gouvernement persan à ce sujet. Les Anglais veulent défendre la Perse. Ils vont installer un fort cordon de troupes au Khorassan et au Caucase ; ils occuperont les points importants et s’appuieront sur les républiques. La mission du Seyyed71 à Bakou n’a pas du tout pour but de procurer aux lettres et aux colis en souffrance un accès facile pour la Perse. Le Seyyed est un agent politique. Il dit aux Azerbaïdjanis que les Persans ont roulé les Anglais et qu’il faut accepter l’aide des Anglais, ce qui est sans danger pour la souveraineté de l’État. Il est le fourrier des Anglais. Le soir, bal costumé au Club. 23 janvier 1920 Dîner chez les Starosselsky. Le général Dickson me dit qu’en Asie tout s’achète. Il suffit d’y mettre le prix. À Kut al-‘Ammâra le général turc qui connaît les troupes anglaises, [Vaïlah Bey72], avait été sollicité. Pour un million de livres sterling il se retirait mais des officiers allemands venus sur le terrain firent échouer la négociation. Les Anglais s’imaginent toujours qu’avec l’or on peut tout faire. Ils s’emparent d’un pays par la corruption. Le colonel Lamont est un Écossais parfait, gentilhomme, brave, gai, cordial. Le général Huddleston est l’Africain aux longues dents, aux membres vigoureux. {25a] 71  Cette mission de négociation avec les Mosavâtistes du Caucase a déjà été évoquée dans les entrées des 11 novembre et 17 décembre 1919. Ducrocq juge la mission de Seyyed Ziyâ’ à partir des réactions nationalistes anglophobes de son entourage, peu informé des enjeux à long terme. 72  On attendait Enver Pasha.

118

georges ducrocq, Journal de Perse

Starosselsky dit : les Bolcheviks ne sont plus ce que l’on pense. Ils ont changé, ils ont mis de l’eau dans leur vin. Starosselsky désire partir pour l’Europe, afin de vendre ses puits de pétrole de Bakou. Sa situation est difficile, mais s’il part, que deviendra la division des Cosaques ? 25 janvier 1920 Nous jouons une pièce à la Légation : On ne saurait penser à tout. Acteurs : Batourine, le baron ; le cap. Ducrocq, le marquis de Valberg ; Bellau, Germain ; la comtesse de Vernon, Mme Ducrocq ; Victoire, Mme Minorsky. Le public, en majeure partie composé d’étrangers, ne comprend rien à Musset. Trop vif, trop rapide. Ils aiment mieux le lourd Zola, le superficiel Maupassant. Voilà les traits sous lesquels ils se représentent la France. L’essentiel leur échappe. Malzac me parle de la carence de la France en Orient. À la remorque des Anglais, nous n’avons pas de plan politique. Nous vivons au jour le jour. Nous ne nous soucions pas de la répercussion de la politique arabe des Anglais sur l’islam, nous lâchons les Arabes de Syrie et les livrons à l’émir Feysal dont nous allons assurer l’autorité. Nous lâchons les nationalistes égyptiens. En Turquie, nous nous appuyons sur les vieux Turcs, plancher vermoulu. Partout manque de plan. Nous soutenons la politique des missions, jésuites, lazaristes, comme s’ils n’étaient pas capables de faire leur politique sans l’appui officiel. {25b} 27 janvier 1920 Hier dîner suédois très gai chez Bjurling pour son départ. Ces Scandinaves sont expansifs, joyeux, adorant la force, primitifs, frustes, naïfs et sociables. Ceux-ci sont sous la protection de la France. Le nouveau ministre arménien est un prince de bonne noblesse. Il y a trois grandes familles arméniennes : Anadomi, Tumaniâns, [en blanc dans le manuscrit]. Schricker, l’autrichien qui dirigeait l’école d’agriculture de Karaj, s’en va. Il sera remplacé par un Français, si la France sait manœuvrer et envoie ici un colonial, un marocain pratique et un théoricien. Avec les Persans il faut être réaliste. Il faut un homme marié qui donne l’exemple. Schricker vient d’être nommé directeur des forêts du Mazandaran. Dans quatre mois il vivra à Téhéran. Il parle de Siâh-Kuh et des montagnes [Ak-Teou] avec admiration. C’est dans les monts Siâh-Kuh que l’on chasse encore l’onagre sauvage. Thé chez les Lassen. Nordquist conte la mort d’un Suédois, Collsen, pris par guet-apens dans son camp. Il avait placé ses sentinelles, il s’endort. Un officier persan, traître payé par l’ennemi, dit aux sentinelles d’aller se coucher ; « je veillerai moi-même, » dit-il. La nuit les Lors se glissent dans le camp,

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

119

massacrent les gendarmes. Collsen reçut 7 blessures. Il avait été laissé sur place, dénudé. Il eut le courage de se traîner dans {26a} la montagne. Il erra, nu, dans la montagne, brûlant le jour, gelant la nuit. Il mourut de pneumonie au bout de deux jours. Des Polonais viennent d’arriver à Téhéran. Ils viennent de Tachkent. Les petits noms de Téhéran : Lady Cox, Buther ; Sir Percy, Zacharie ; Wesdahl, Gustave ; Mme Lassen, Kiti. 28 janvier 1920 Le Sepahdâr, dans un thé qu’il nous offre, parle de la situation misérable de la Caspienne : Mazandaran, Gilân, commerçaient avec les Russes. Tout trafic est interrompu. Le Seistan est une terre à blé admirable : un grain en rapporte 300. Dickson donne un grand dîner, je n’y suis pas convié. 29 janvier 1920 Hoppenot dit qu’on pourrait lancer l’emprunt français à Téhéran. Il suffirait d’un peu de publicité autour de l’opération, articles dans les journaux, une affiche : souscriptions reçues à la Légation de France. 30 janvier 1920 Le colonel Starosselsky dînait hier au Club impérial73. Sir Percy Cox l’avait pris à sa droite et il avait mis le ministre d’Italie à sa gauche. Le colonel Starosselsky s’en va en Europe pour arranger ses affaires de pétrole ; il part avec l’agrément des Anglais qui vont pouvoir en son absence détruire la division, qui les gêne, car c’est un corps qui peut toujours demain être rebelle. Il va peut-être plaider sa cause auprès du shah en Europe, mais celui-ci, interrogé au sujet de son maintien, a donné une réponse très ambiguë. Ou le colonel cherche à se retirer, fortune faite. Ou bien encore il roule les Anglais. Toutes les hypothèses sont possibles. {26b} C’est bien pour régler ses affaires de pétrole de Bakou et les vendre, avant qu’elles ne tombent entre les mains des Bolcheviks, à une société anglaise, c’est bien pour se procurer des ressources nouvelles parce que les appointements du colonel ne suffisent pas au train de vie qu’il mène ici que Starosselsky veut partir à Paris. Son voyage ne doit durer que 6 semaines, mais le Valiahd et le shah s’y opposent. Le Valiahd lui a dit ce matin qu’il lui interdisait de partir. Le shah aurait donné les mêmes instructions avant son départ. 73  Echo différent de ce dîner chez Hélène Hoppenot qui insiste sur l’anglophobie des diplomates français et les maladresses de Percy Cox.

120

georges ducrocq, Journal de Perse

La première décision prise par la commission militaire aurait été l’achat de 15 000 fusils anglais, d’ancien modèle naturellement, que l’on aurait fait voter aux commissaires persans. 31 janvier 1920 Mme Minorsky m’assure que Mme Starosselsky est originaire des pays baltes : Osten Driesen. Cela explique ses manières d’aristocrate. Quand elle ne pose pas, c’est une femme charmante. Sir Percy Cox et Lady Cox retournent en Mésopotamie. Malzac hier me parle de l’avenir de l’Orient. Un mouvement xénophobe est fatal : les Anglais le préparent. Il s’organise une coalition des peuples musulmans, qui s’instruisent à l’européenne et vont profiter de nos méthodes pour nous expulser. Le mouvement éclatera dans les 20 années qui vont suivre : Égyptiens, Indous, Persans et Syriens se tendant la main. Nous n’échapperons à notre sort que si nous savons faire en Syrie une politique arabe intelligente. Le tort est de nous présenter uniquement en protecteurs des chrétiens. {27a} Nous mécontentons le monde islamique. Notre clientèle ne doit pas être uniquement chrétienne. Nos intérêts musulmans l’emportent. Ils sont puissants en Syrie. Nous y trouvons 20 000 Algériens exilés mais assagis qui seront des points d’appui pour une propagande arabe. Les Anglais favorisent les Juifs. Leur politique sioniste soulève de terribles mécontentements chez les musulmans. En Perse ils font venir de Mésopotamie comme agents de leur politique des Juifs. Il y a deux sortes de Juifs en Orient, le Juif [séfarade], celui qui accepte la règle de Tolède, qui s’adapte aux coutumes régnant dans le pays où il vit, celui qui courbe l’échine et qui se contente de faire des affaires à l’orientale ; le juif [ashkénaze], qui est Russe, qui forme en Pologne des communautés unies, qui relève la tête et veut non seulement être traité d’égal à égal, mais asservir. Ceux-là sont odieux aux Orientaux. Dimanche 1er février 1920 Hier conférence de Mansur os-Saltana74 à l’Alliance française sur la condition juridique de la femme dans le droit musulman. Il y montre une certaine xénophobie. Sa comparaison est favorable à la femme musulmane, il fait ressortir le caractère de mineure de la femme mariée en France. Le fond de la conférence, c’est que le droit français et occidental est moins tolérant pour la femme que le droit musulman.

74  Mostafâ ‘Adl, voir l’entrée du 8 janvier 1920.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

121

Thé chez Wilkinson. Le colonel Lamont, par cette journée de neige abondante, est allé se promener deux heures dans la campagne. Les travailleurs de la mission sont Fortescue, Fraser, Dickson et [Moels]. {27b} L’affaire des pétroles du Sud de la Perse (Oil Persian Cie)75 est une magnifique affaire. Un pipe va de Ahvâz à Mohammara. – Il existe une belle collection d’objets d’art persan chez le prince As’ad od-Dowla. 2 février 1920 Nous avons un directeur de l’École de l’Alliance française76 qui est un penseur. C’est un directeur qui ne veut pas faire de cours. Nous voilà bien lotis. 3 février 1920 L’emprunt de 5% a peu d’attraits pour les Persans qui prêtent leur argent à 48%. Nous allons cependant faire de la publicité autour de l’emprunt. 5 février 1920 Avant que le Parlement ne soit ouvert, on sent la volonté du gouvernement d’éloigner tous ceux qui ont quelque influence sur l’opinion : les Bakhtiyaris sont pourvus de places, Sardâr As’ad et son frère viennent de partir dans le gouvernement de Kermân. Le Sepahdâr est attaqué et on cherche à le débarquer. Starosselsky est secrètement poussé au départ : seuls le Valiahd77 et le shah s’y opposent. Le colonel Philipoff est à Tauris, Ravitch à Astarabâd. La nouvelle équipe d’officiers, arrivée pour renforcer la mission militaire anglo-persane, va être chargée d’organiser la gendarmerie en Azerbaïdjan. 6 février 1920 Sir Percy Cox appartient à une vieille famille anglaise qui remonte à Guillaume le Conquérant. Il s’appelait Button. C’est le père de Sir Percy Cox qui a changé de nom et qui a pris celui de Cox, banal78. Sir Percy est l’oncle à la mode de Bretagne de [Mrs] Burry. Mais celle-ci par sa mère est irlandaise. {28a} Le capitaine [Conelly] est aussi de famille irlandaise79.

75  Sic ! il veut dire Anglo-Persian Oil Company (fondée en 1909). 76  Duchène, voir l’entrée du 17 février 1920. 77  Titre du prince héritier, Mohammad-Hasan Mirzâ Qâjâr (1899-1943), frère de Ahmad Shâh. 78  P. Graves, The Life of Sir Percy Cox, London, 1941, p. 20 sq. 79  Informations biographiques purement fantaisistes et du reste sans intérêt.

122

georges ducrocq, Journal de Perse

Gregorieff explique que la défaite de Denikine n’est pas ce qu’on dit. Les Cosaques du Don, en retrouvant leur terre natale, sont redevenus bons, ils sont décidés à se battre contre les Bolcheviks. Mais il est exact que si les Cosaques du Don qui servaient chez les Russes sont repassés du côté de Denikine, il y a eu également chez les troupes de Denikine, quand elles ont retrouvé leur patrie, le Don, désordre, abandons de poste, retour au foyer. Il en est résulté un déséquilibre momentané dans l’armée de Denikine. Mais tout s’arrange. Il a cédé Darband comme capitale aux Daghestanais. Rostof serait sur le point d’être repris par lui. Explication que donne Havard des fouilles de Churchill80 au Khâr. Lecomte a protesté. Churchill a promis de laisser au Louvre tout ce qu’il voudrait prendre. Celui-ci n’a choisi dans ses trouvailles que les pièces dont il n’avait encore aucun spécimen. 8 février 1920 Wilkinson hier à la soirée du Club m’explique qu’un emprunt a peu de chances de réussir en Perse. Le Persan ne comprend pas l’importance des placements en valeurs mobilières. Il met son argent dans un terrain, dans un bâtiment, il achète une propriété de 20 000 tomans, en paye 5 000, emprunte pour payer le reste et se ruine, mais en devenant propriétaire il croit augmenter son crédit au Bazar et exagère la valeur de son domaine. {28b} Admirable journée à Saltanatâbâd, propriété de Nosrat os-Saltana avec vue sur l’Alborz couvert de neige, et patinage sur la pièce d’eau gelée. Émotion sauvage et puissante qui se dégage du désert couvert de neige, des montagnes bleues dansant au loin dans un mirage, charme attachant de ce vaste cirque dont je ne puis me lasser. Arène vide mais dont les bords sont magnifiques. 11 février 1920 [Varint] me fait ses récriminations. Il se plaint de ne pas être soutenu par la Légation qui n’avait qu’à affirmer que sa maison était franche d’hypothèques pour lui épargner un emprunt à 24% au lieu de 5%. La Légation de Belgique a agi de la sorte pour ses ressortissants. Petrez a été soutenu. Le ministre n’invite pas les petits Français à sa table ; M. Lecomte agissait autrement (ils en disaient pis que pendre quand il était là). Nous ne sommes pas soutenus à l’étranger. On invite les Suédois à la Légation, on ne nous invite pas. La propagande morale n’existe pas, il faut soutenir les Français. C’est ainsi que dans tous les pays du

80  Sur ses fouilles clandestines, voir Nader Nasiri-Moghaddam, L’archéologie française en Perse et les antiquités nationales (1884-1914), Paris, Connaissances et Savoirs, 2004, p. 234 sq.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

123

monde le Français envisage la politique extérieure. Elle lui est entièrement étrangère. Il est incapable d’en comprendre les rouages. 12 février 1920 J’écris à [Dumont81] : « S’il y a beaucoup de mirage dans la façon dont Paris voit la Perse, il existe pourtant un fond de cette contrée, berceau du monde, première étape des migrations aryennes, des profondeurs de sentiments insoupçonnables. Sur certains points nous retrouvons en Perse ce que nous aimons chez nous, l’amour de la terre, le culte de l’amitié, le goût de l’hospitalité, {29a} la grâce des manières, l’entrain pour les jeux physiques, chasse et équitation, le raffinement poétique dans les aventures amoureuses, le penchant vers la philosophie, l’habitude de la conversation et de la plaisanterie mondaine, la sociabilité, la douceur des mœurs que tout à coup, traversent des histoires romanesques et des équipées de brigands. Ce qui plaît à l’imagination persane plaît à l’imagination française. Tout cela est très singulier, je vous assure . . . » Conférence d’Audigier sur les origines de l’homme. Bon devoir de l’École d’Anthropologie, débité dans son gilet. Personne n’a rien entendu. Vu, au jeudi de Mme Bonin, Kornisoff consul et Verba qui me parlent de Simko. Il a, paraît-il, de très beaux yeux. C’est un sauvage. Mais il est de bonne naissance. Chef héréditaire. Il ne songe qu’à piller. C’est lui qui a tué le patriarche chaldéen. Il a ravagé le pays d’Urmia et de Salmas. Il possède à [Čarik-xâna82] une magnifique forteresse. Dans le pays montagneux qu’il occupe la guerre est très difficile. Le corps d’irréguliers sur lequel on comptait dans la guerre actuelle a tourné casaque. Verba explique que la difficulté de la guerre dans ce pays provient de la variabilité des effectifs que l’on a devant soi : un jour 500, le lendemain 1500. Molitor a fondé pour les enfants pauvres de ses ferraches une œuvre qui envoie 47 enfants dans des écoles où on parle le persan. Mme Thomassin a recueilli des orphelins de la police et les élève. Ces malheureux sont affligés de conjonctivites purulentes et de teignes. {29b} Vu chez Mme Bonin le colonel Enter qui vient de l’armée de Mésopotamie et qui a été sur le front français à Montfaucon. M. Molitor me dit que plus de quarante mille pèlerins sont passés cette année, allant à Karbalâ.

81  Peut-être Charles Dumont (1867-1939), alors député du Jura. 82  Forteresse de Simko, Ducrocq écrit Takhti Chérah.

124

georges ducrocq, Journal de Perse

14 février 1920 Il y a eu un choulouk dans les mosquées à l’occasion de la mort du grand mojtahed de Karbala83. Les prédicateurs à la mosquée du chah devaient attirer les bénédictions du ciel sur le souverain et ses ministres. Le molla ayant prononcé le nom de Vosuq od-Dowla, bien que l’[Emâm Jom’a] de Xo’y84 le lui eût interdit, celui-ci l’invectiva comme il descendait de la chaire. Il s’ensuivit dans la mosquée une grande rumeur, la plupart des mollâs prenant parti pour l’[Emâm Jom’a] de Xo’y. Une autre version prétend que l’[Emâm Jom’a] de Xo’y aurait été injurié dans le discours du prédicateur qui l’aurait prié de retourner à Xo’y. Une autre version prétend que le prédicateur ayant désigné le futur candidat possible [de la marja’iyat85] de Karbalâ, il s’ensuivit un choulouk. L’affaire doit avoir des raisons politiques car les mollâs dissidents sont allés chez le Sepahdar. Ils étaient, dit-on, la majorité des mollâs à Téhéran. L’affaire s’est arrangée aujourd’hui. Mme Boltin [?] est morte de la grippe. Comme elle était mariée civilement, l’Église lui refuse les funérailles religieuses. {30a} Trois jours avant sa mort, elle a reçu lettre et photographie de son fils, soldat français. La mission de Havard ici (secrétaire oriental) consiste à acheter les Persans86. Hoskyn craint que les Polonais fugitifs qui demandent à passer en Europe et qui viennent du Turkestan ne soient des bolcheviks envoyés comme émissaires au Caucase. 15 février 1920 Les bruits les plus sinistres courent sur la France. On annonce sa banqueroute. Le franc va tomber plus bas que le rouble. Un des plus ardents propagateurs de ces bruits est un certain Enghels, belge qui sévit à l’hôtel de Paris.

83  [choulouk, pour šuluq, en persan familier, « trouble ». Il ne peut s’agir de MohammadKâzem Tabâtabâ’i Yazdi, mort le 30 avril 1919, ni de Mohammad-Taqi Hâ’eri Shirâzi mort en juillet ou août 1920 (voir P.-J. Luizard, ed. et trad., La vie de l’âyatollâh Mahdi al-Khâlisî . . .  Paris, La Martinière, 2005, p. 210), ni de « Šeyx oš-Šari‘a » Esfahâni, mort en décembre 1920 . . . La révolte des chiites d’Irak a commencé en juin après la fin du ramadhan, mais de fortes tensions avaient apparu avant, notamment lors de l’annonce de l’exil des chefs religieux vers l’Iran et la mort suspecte du fils de l’ayatollah Širâzi. Voir La vie de l’âyatollâh . . . , p. 194. 84  Yahyâ Xo’i « Emâm-Jom‘a ». Dans le texte : le Hadji Djoumi. 85  Ducrocq écrit « Mouchtchat » : a-t-il voulu dire mojtahedat pour désigner la fonction de marja‘ « guide à imiter » des chi’ites ? Ou mojtahedat, formé à partir de mojtahed, théologien. 86  Voir l’entrée du 12 janvier 1920.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

125

17 février 1920 Scène ridicule de Duchêne, directeur de l’école de l’Alliance. Il déclare que je veux le fouler aux pieds, que j’ai l’habitude de commander des soldats, qu’il ne peut souffrir mon ton, que le Comité lui inflige toutes les entraves possibles, le ligote, qu’il est le plus malheureux des hommes, que personne ne lui fera baisser la tête, que je lui ai dit des injures, que j’ai osé déclarer que du temps de M. Visier cela allait mieux, que j’insulte ses cheveux blancs et qu’il a écrit contre moi un rapport à Paris au ministère des affaires étrangères, qu’il écrit d’ailleurs son journal et qu’il a noté au jour le jour toutes les iniquités dont il était la victime, qu’il est venu ici pour avoir la paix et qu’il l’aura, qu’on l’accuse à tort de vouloir paresser, etc. etc. qu’il est accablé d’ouvrage, qu’il me voit dans son sommeil. J’interroge Batourine sur cette scène. Il prétend que 90 Russes sur 100 raisonnent comme Duchêne. C’est parfait. Quelle chose désolante qu’une cervelle détraquée. {30b} 19 février 1920 Promenade avec officiers persans, prince ‘Ezz os-Soltân, fils de Nâyeb osSaltana, major Habibollâh Khan, major Seyfollâh Khan, ‘Abbâs Nuri Khan, un jeune Saumurien, auxquels vient se joindre le fils de Mostowfi ol-Mamâlek. Nous allons déjeuner à travers le désert au delà de Bâq-e Ferdows dans une propriété qui appartient à la femme du prince. Déjeuner au soleil avec de la neige autour de nous et une vue radieuse sur la montagne et sur la plaine de Téhéran. Un des officiers m’annonce la chute prochaine de Vosuq et le retour de Firuz, dictateur au service des Anglais. D’autre part, la mission anglaise militaire n’est pas satisfaite de la situation. Elle trouve Sir Percy Cox mou. Le général Dickson et les généraux qui l’accompagnent demandent le protectorat. Ils veulent commander en maîtres. La mission chargée de réviser le tarif douanier est arrivée. Le gouvernement britannique a demandé que deux ministres assistent à ses réunions. Mais Vosuq ne consent à leur présence aux séances de la Commission que s’ils y sont nominalement conviés et a demandé qu’ils aient simplement voix consultative. Il ne veut pas endosser les décisions qui vont être prises. Les Anglais vont réformer le tarif à leur avantage. Hart fait aussi partie de la Légation87. {31a}

87  Faut-il lire délégation ? Hart, directeur de la Banque impériale à Qazvin, était vice-consul.

126

georges ducrocq, Journal de Perse

Habibollâh Khan a parlé à un officier anglais, Smyth88 des projets de l’Angleterre. Il les attend à l’œuvre. « Nous regardons venir. Si vous voulez constituer une armée persane pour vous ou pour nous, c’est ce que nous verrons. De toutes manières les officiers vous feront défaut. Vous n’aurez pas assez de Persans. Il faudrait d’abord réformer l’instruction, puis créer des écoles pour obtenir un cadre d’officiers. Ou vous serez forcés de multiplier les officiers anglais et cela ne réussira pas. » « Oui, a répondu l’Anglais, vous autres Persans, vous discutez. Nous agissons. » Les Persans acceptent l’argent, les réformes, les équipements, le matériel de guerre, mais ils attendent l’issue des événements avec confiance. Pourra-t-on faire [se] battre des gens malgré eux pour défendre la Perse d’un bolchevisme qui se présente en libérateur et en panislamisme. Ce qui est à craindre maintenant, c’est une ruée sur Astarâbâd, le Mâzandarân, les Turkmènes, les Afghans, la route des Indes, plus tard mais d’abord l’exploitation des richesses de la Perse. Il n’y a pas plus de 2 000 h. au Khorassan. Sentant l’heure mauvaise, les gens prudents s’en vont. Vosuq veut prendre sa retraite, Qavâm os-Saltana89 revient à Téhéran. C’est Firuz qui prendrait le pouvoir mais il peut être assassiné, il est très impopulaire. Des vengeances peuvent s’exercer contre lui. Les Persans attendent au fond des ennemis des nations occidentales leur salut. Nos divisions les enchantent. Nous devons faire face au bolchevisme, mais la politique anglaise déraille complètement sur ce point. Elle favorise le bolchevisme en Russie. Il faut aux Anglais des revers, la leçon de la réalité, pour leur faire comprendre ce qu’ils sont incapables de voir, manquant de psychologie et de clairvoyance. {31b} Le jeune prince ce matin à cheval. Ce départ était charmant. Un groupe de cavaliers dans le désert, beaux chevaux, jeunes cavaliers, les chiens gambadant autour de nous. Le prince piquant un galop devant la troupe pour abattre au vol un oiseau qui passait dans la plaine, l’escorte des Cosaques qui suivait, tout cela avait belle allure. – On sent dans les radios l’irritation contre Millerand, parce que, selon la politique Clemenceau, il adopte le point de vue anglais sur la question des coupables et recule. L’opinion exige la livraison des criminels. La théorie de M. B[onin] est que les Anglais ont absolument besoin de nous. Nous pouvons donc discuter avec eux. 88  Orthographié Smith par Ducrocq tout au long de ce Journal. Je rétablis l’orthographe correcte, l’identification de Henry Smyth (1866-1943) ne faisant aucun doute. Prononcer / sma-yth/. 89  Son frère.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

127

La dynastie Cambon s’éteint : Jules Cambon est mis à la retraite, Paul Cambon, ambassadeur à Londres, continue pour quelque temps à sévir, ses hommes étaient Lecomte à Téhéran, [Jules] Boppe à Pékin. Il en avait dans toutes les capitales. Il ne faut faire aux Anglais nulle peine. Devise de diplomatie d’avant-guerre. P. Cambon a été furieux de la nomination de B[onin] à Téhéran, qui a été faite par Berthelot. Le soir dîner chez Molitor. Warenkampf me parle de son école de teinture. Il a reconstitué toutes les teintures végétales de la Perse, il veut combattre l’aniline et sauver le tapis persan90. Nos professeurs : de Forville, Merle, Dufoussat, ont l’intention de s’en aller en avril. {32a} On proposait à Forville la direction de l’École de commerce. Il laisse tomber le projet. On signale l’arrivée à Téhéran d’un assez grand nombre d’Autrichiens. Les Allemands se sont complètement discrédités en Perse par les distributions d’argent qu’ils ont faites. Le peuple les considère comme des hommes sans honneur. C’est l’avis des officiers persans qui se sont laissés entraîner du côté turc avec eux. 21 février 1920 Soirée au Club. Hart me dit que Lavachery est un voleur. Il a fait une enquête à la monnaie et découvert que Lavachery avait volé en 10 ans 750 000 krans. Le ministre de Belgique à qui l’on parle de la chose dit : « Il a carotté, il n’a pas volé ». Mais en matière de fonctionnaire, carotter veut dire « voler ». En réalité Raymond prenait chez Lavachery son charbon, sa paille, son orge et son foin. Le ministre dit : « On lui a fermé la bouche avec du foin ». Mme L[assen] était hier charmante. Cette femme quand elle danse, est d’une grâce souveraine. « Vous déshonorez la Belgique », a dit Raymond à Hart et celui-ci a répondu : « c’est M. Lavachery qui la déshonore. » Les officiers de la mission Dickson sont nombreux mais travaillent peu. (Avis Mallet qui me dit que ces officiers animent l’existence de Téhéran). 22 février 1920 Déjeuner à la maison du P. Chatelet, du P. Galaup, du colonel et de Mme Farâmarz. 90  Introduite à la fin du 19e siècle, la teinture à l’aniline fut interdite vers 1903, elle produisait des couleurs criardes qui passait très vite.

128

georges ducrocq, Journal de Perse

{32b} Le Père a vu à Paris Raoul [Narsy]. Il n’a guère profité des recommandations que je lui avais données, craignant d’être trop interrogé et de voir ses déclarations imprimées compromettre les intérêts de la mission en Perse. Il a été interviewé par un rédacteur du Daily News qui voulait lui tirer des renseignements sur l’Arrangement anglo-persan. Il n’a rien voulu dire. Il s’est exprimé plus librement sur les massacres d’Urmia, les causes du meurtre de Mgr Sontag. Son avis est que la question d’Urmia n’est pas mûre. Il l’a exposée dans un rapport remis à la Guerre, un autre aux Affaires étrangères, un envoyé à Gourand, un laissé à Constantinople à l’état-major de l’armée, un autre à la Marine. Il a également prévenu Rome (missions) mais a refusé de donner de nouveaux renseignements complémentaires que lui réclamait le cardinal qui dirige la nouvelle congrégation des missions d’Orient fondée par le pape. À Rome, nous n’avons pas de représentant. La question de Palestine va se régler sans que les droits séculaires de la France sur les lieux saints soient défendus. Les partages d’influence religieuse en Orient s’organisent sans nous. Le colonel Chardigny a dit au P. Chatelet que nous tenions ferme sur l’accord de 1916 et que nous n’avions pas abandonné l’espoir de voir flotter le drapeau français à Mossoul ; son regret est de n’avoir pu l’y planter. {33a} Mais il faut laisser faire le temps. L’opinion publique s’est cabrée nettement sur la question de Syrie. Tous les journaux ont marché. L’émir Feysal a cru que les Anglais le soutiendraient et se brouilleraient avec les Français, puis il a cru que les Français se brouilleraient avec les Anglais et le soutiendraient. On lui a fait sèchement comprendre à Paris que, venu sur un bateau anglais, il n’avait qu’à regagner la Syrie sur un bateau français. Là ses intrigues ont échoué. Un attentat sur un officier de l’état-major de Gouraud a été suivi de représailles immédiates et l’on a eu la preuve que des troubles avaient été artificiellement provoqués. Damas a été évacué par toutes les colonies étrangères. C’est le début d’une expédition, qui continuera plus loin peut-être jusqu’à Mossoul et au-delà, vers la chrétienté d’Urmia. Mossoul nous avait été promis dans l’Accord de 1916 et l’armée chaldéenne avait été armée dans ce but91. Les Russes 91  Cette notation fugitive donne un jour nouveau à l’Ambulance d’Urmia. Voir F. Hellot, « L’ambulance française d’Urmia (1917-1918) ou le ressac de la grande guerre en Perse », Studia Iranica, 25, 1 (1996), p. 45-82. L’Accord de 1916 : Accord Sykes-Picot signé secrètement à Londres le 16 mai 1916 entre deux diplomates, Mark Sykes et François GeorgesPicot, qui divisait le Moyen-Orient en zones administrées par la France (Liban-Cilicie), par la Grande-Bretagne (Sud de l’Irak), zones d’influence française (grande Syrie incluant Mossoul et le Kurdistan irakien jusqu’à la frontière persane), britannique (grande Jordanie incluant Kirkouk jusqu’à la frontière persane) et une zone internationale (Palestine).

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

129

devaient l’aider. Ils l’ont trahie et se sont dispersés. Mais le plan se réalisera par une autre voie. L’idée du P. Chatelet est que l’on devrait traiter avec Simko ; il le connaît, il loue la manière dont il protège les chrétiens de Khosrova. Ceux-ci ont bien plus à redouter les Persans que les Kurdes. Le colonel Farâmarz quand il était à Urmia, a arrêté avec quelques soldats arméniens (6) et 50 Kurdes pour {33b} garder la ville, Mohtašam os-Saltana, qui était à cette époque, gouverneur d’Urmia. Son fils ‘Abbâs Nuri Khan a été l’élève du Père. Le résultat de cette arrestation fut une terrible vengeance exercée sur le village de Faramarz, où tout fut détruit. Le P. Chatelet se mit à côté de Mohtašam, pour empêcher qu’on ne le tuât. On voit très bien pourquoi le Père regrette Urmia, il était le protecteur, le roi de cette région. Les Anglais tiennent prisonniers à Bakouba, en Mésopotamie, entre Bagdad et Qasr-e Širin, plus de 10 à 12 000 réfugiés chaldéens, parqués dans un camp, d’où ils ne peuvent s’écarter sans permission. Toute infraction à la règle, deux heures de retard pour une permission de 24 heures afin de se rendre à Bagdad sont sévèrement punis. Le fouet est la punition courante, les Chaldéens en état de porter les armes sont au nombre de 3 000 mais il sont désarmés. L’Angleterre leur a donné des buffles, des instruments aratoires pour mettre en valeur le sol mésopotamien, ils ont refusé de travailler, ils veulent regagner Urmia et la Chaldée mais l’Angleterre s’oppose à leur rapatriement parce qu’ils feraient dans le pays de la propagande francophile. D’ailleurs, la politique anglaise en Perse consiste à protéger les musulmans. {34a} Quand on parle à Paris des Chaldéens, les gens vous disent : il en existe donc encore ? À Batoum les Anglais s’en vont, laissant aux Géorgiens la république de Batoum. On va maintenant de Batoum à Bakou en 36 h. Le colonel [Backrem] est toujours à Batoum, sans personnel, le commandant de Nonancourt est à Tiflis92, il est en mauvais termes avec le général anglais, il lui écrit : Monsieur ! le commandant Pelley-Desforges (lieutenant) ne rentrera pas à Batoum. Le En 1917, alors que l’Accord était révélé par les Bolcheviques, les Britanniques remirent en question l’internationalisation de la Palestine et en 1920 Clemenceau abandonna la « bande de Mossoul ». Voir J.-P. Derriennic, Le Moyen-Orient au xxe siècle, Paris, ArmandColin 1983, p. 49 sq. Voir l’entrée du 24 août 1921. 92  Voir A. Ter-Minassian, « Antoine Poidebard et l’Arménie », in Méditerranée, Moyen Orient . . . en hommage à Jacques Thobie, ed. par W. Arbid et alii, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 469.

130

georges ducrocq, Journal de Perse

consul de Tiflis Nicolas ne rejoint son poste qu’à son corps défendant et pour y installer [Hattemont]. À Bakou, Gaget n’existe pas et Emilianof a besoin d’être secoué. Chardigny est toujours très affairé. Les hostilités continuent entre Tartares d’Azerbaidjan et Arméniens. Les Arméniens seraient sur le point de reprendre Nakhitchivan. La situation des troupes persanes devant Simko serait mauvaise. La bataille qu’elles lui ont livrée a été meurtrière pour les Cosaques et les gendarmes. Les gens du Qarabagh93 (Šâhsavan) qui ne se battent bien que chez eux ont tourné casaque. Philipoff serait en mauvaise posture. Simko s’est réfugié dans sa citadelle Čeriq-Qal‘a94 où il est imprenable. Il faudra de l’artillerie pour le réduire ; on ne peut le prendre qu’en formant trois colonnes qui lui fermeront les voies de retraite. Le chah a vendu à Paris un collier de perles (de la couronne) pour 1 million et demi de francs. Rosenthal qui l’a acheté s’en voyait offrir bientôt 3, puis 5, puis 7, puis 9 millions. {34b} Le shah a été magnifiquement reçu à Londres mais il s’y ennuyait, il était mécontent. Quand je suis revenu à Paris, disait-il, j’ai cru rentrer à Téhéran. Ce mécontentement signifie qu’ayant été payé 250 000 livres sterling pour la signature qu’il a apposée au bas de l’arrangement, il veut de nouveaux subsides. Pour le Père95 il n’y a pas d’avenir politique français en Perse. Nous n’avons qu’à accepter le fait accompli. La Perse subira son sort. La Ligue des Nations est une chimère et ne peut rien pour elle. On sent fort bien chez lui l’envie de ménager les Anglais et de s’accommoder avec eux pour assurer la vie des missions. Renard va venir à Téhéran fonder un lycée laïque de la part de la mission laïque. Il en existe à Salonique et à Alexandrie. Le Père veut organiser une troisième et une quatrième. Il ne songe pas pour l’instant à créer une seconde ni une rhétorique. Les élections se sont faites dans le plus grand calme. Le mot d’ordre est à l’union. Au Gilân, Kuček Khan est à Rašt avec ses hommes armés. Âzari96 triomphe d’avoir obtenu sa soumission. 93  La dactylographie porte Gueraphteg, visiblement erroné. 94  Dans le texte : Tchagard. 95  Chatelet. 96  Écrit Euziri (?). Il s’agit très probablement d’Ahmad Âzari nommé gouverneur du Gilan en 1919 et qui venait de signer un accord avec Kuček Xân. Cf. C. Chaqueri, The Soviet socialist republic of Iran . . . 172sq.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

131

23 février 192097 Malzac me dit ce que l’officier chaldéen, neveu de Farâmarz, lui a raconté. Les troupes chaldéennes à Bakouba monteraient à 4 ou 5 000 h. Elles sont divisées en 2 groupes : les impénitents qui sont parqués à Bakouba et dont les officiers sont pour la {35a} plupart bouclés à Bagdad, les dociles qui ont signé le papier que l’on fait circuler chez les Chaldéens « Je soussigné déclare vouloir bien vivre dans une Assyrie sous le protectorat anglais ». Ceux-là sont envoyés avec les Anglais, avec [Mar Šimun], le patriarche chaldéen98, au Kurdistan dans l’expédition qu’ils ont faite en Juillet contre Soulaimaniyé. Les uns et les autres ont des armes. Vu Steel99 et Hendelson de la mission anglaise, campée chez Qavâm osSaltana. Ils disent qu’il est très possible que la mission ne demeure pas à Téhéran. Ne s’y sent-elle pas en sécurité ou juge-t-elle qu’elle fera un travail plus utile à Tauris ou à Chiraz ou à Ispahan ? Il y a certainement une propagande bolchevik au bazar. Les nouvelles bolcheviks s’y répandent avec rapidité. Les Persans attendent des Bolcheviks le salut. Les Anglais avec un manque de clairvoyance remarquable publient les messages bolcheviks et favorisent la propagande bolchevik dans les feuilles de l’agence Reuter. Joukovsky nous quitte : il part soi-disant en mission à Paris. En réalité la Légation se restreint. Batourine est sacrifié. C’est l’effondrement des Russes prévu. Katlobovsky à Qazvin part pour l’Angleterre : le poste de consul russe à Qazvin est supprimé. Restent seuls Hildebrand et Gregorieff, amis personnels de Belayef et qui les a hospitalisés un an à Rašt. On dit que les Tartares d’Azerbaïdjan sont insupportables : Mme {35b} Hadjean100, M. [Mat] sont restés en mer quatre ou cinq jours sans pouvoir débarquer, formalités de passeports et ont failli mourir de faim parmi des typhiques.

97  Dans le texte : « 22 » . . .  98  Ducrocq écrit « Manisour ». S’il s’agit du patriarche chaldéen, il faut lire Mar Šimun xx, Paulos (†27 avrril 1920) ; sur lui voir G. Bohas et Fl. Hellot-Bellier, Les Assyriens du Hakkari au Khabour, Paris, Geuthner, 2008, p. 69. 99  Ducrocq écrit Still. probablement Major Richard A. Steel, né en 1873, attaché militaire britannique à Téhéran 1913-1915 (voir Rabino, Diplomatic and consular officers, p. 50), encore à Téhéran en 1920 . . . Voir 2 mars, 6 avril et 12 juillet 1920. 100  L’épouse de Michel Hadjean, un financier arménien, elle même française, fille du général Petit.

132

georges ducrocq, Journal de Perse

Sardâr As‘ad est au lit très malade, mais il va mieux et il reçoit à la persane, entouré d’une troupe de bavards qui feuillettent des revues illustrées autour de lui. Il m’avoue ne pas être resté cinq jours dans son lit depuis vingt ans. [De Hoog] est depuis trente ans en Perse, consul des Pays-Bas. Il dirige le comptoir hollandais. L’Azerbaïdjan retient ses marchandises. On espère que la présence à Téhéran d’une légation d’Azerbaïdjan lèvera ces difficultés. Il sait huit langues : hollandais, anglais, français, allemand, russe, italien, persan, et il apprend l’arménien. Les Arméniens sont très jaloux de savoir qu’il apprend l’arménien. Aussi de Hoog est-il pessimiste sur l’avenir de l’Arménie. Envieux et autocrates, incapables de vivre en république. Le ministre ce matin me dit : « C’est un problème d’avoir vécu avec Clemenceau, Pichon, Cambon dans le dos. Nous avons trouvé ici une situation lamentable, les intérêts français sacrifiés aux Anglais et même aux Persans, le régime du laisser-faire, du rapport anecdotique et brillant. » L’attitude pro-anglaise du Père s’explique par les ordres venus de Rome où le ministre anglais a dû négocier l’abandon {36a} de la Perse. Les Lazaristes ont reçu l’ordre d’abandonner. Il n’est pas question de réoccuper Ispahan. Les Pères d’Urmia rappelés ne sont pas revenus. À Téhéran le P. Chatelet ne veut rien faire, bien qu’il dispose de 80 000 francs. Au Caucase, les Italiens se démènent. Ils ont l’espoir de remplacer les Anglais qui évacuent, les Russes absents, les Allemands lock-out, les Français qui négligent d’y venir. Par le Caucase ils obtiendraient la Perse. Une poignée d’hommes en France a conscience de la politique asiatique à mener, de l’avenir de la France en Asie. Les Anglais sentent si bien le danger d’une telle politique qu’ils n’ont de cesse, lorsqu’ils voient un Français réussir en Orient, que s’ils l’ont évincé. – J’annonce hier à Ipekian qu’Arkhangel est pris par les Bolcheviks. Il me dit : « Est-ce que l’Entente ne va pas s’arranger avec le gouvernement des Soviets ? » Edwall, le m[ilitaire] Suédois qui a entraîné l’armée persane (gendarmerie) dans le camp des Allemands-Turcs, a passé la guerre à Berlin. Il veut maintenant aller habiter Paris, avec sa femme, fille du Dr Gazala. Les Allemands ne rendent plus. Ou il a une mission. 25 février 1920 Dîner à la Légation de France. Belayef me dit que les Anglais auraient l’intention d’établir des marchés de fournitures sur la frontière à l’usage des Bolcheviks affamés afin de leur épargner la tentation de pénétrer dans le Khorassan. Starosselsky me dit que Denikine envoie une mission à Bokhara à {36b} travers la steppe turcomane, car les Bolcheviks tiennent le chemin de fer mais

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

133

ne tiennent pas la steppe. On peut passer. D’ailleurs, les Turcomans sont avec les Bolcheviks contre les Persans mais ils ne sont pas contre les Russes. Lundberg me dit que l’on ne reste chef de la gendarmerie que deux ans : Hjalmerson (2), Klinberg (1), Edwall (2), Kustrom (quelques mois), Lundberg (2), Gleerup (2). Lundberg a connu les temps difficiles, ses 4 000 hommes n’étaient ni nourris, ni payés. Molitor l’après-midi parlait des suppliques qu’il recevait : toutes sont enjolivées de littérature. Un employé de la poste demande de l’avancement, il commence par des formules de politesse : que ta santé soit bonne, que ton ombre ne diminue pas, que ton nez soit puissant. La Perse exportait jadis beaucoup d’argent, de krans par Mašhad, à Merv, Ashkabad, Samarcande. Les Turkestanais n’acceptaient pas d’autre monnaie. Ils refusaient les roubles. Les Afghans aujourd’hui refusent le papier russe. Les Turcomans ont l’habitude d’enterrer leur argent dans le désert. Si le fils ignore la cachette du père, le trésor est perdu. Ce matin mon petit mollâ me fait traduire le passage sur l’Emprunt publié dans l’Iran : il me dit textuellement : « La France fait un emprunt parce qu’elle n’a pas d’argent. » Je lui réponds : « – Tu es un idiot. » {37a} 26 février 1920 Ce soir dîner chez les Vosuq. Beaucoup d’Anglais. Aucun Français n’y est convié. L’Iran publie le cas Verniers afin de montrer que la France élit députés des officiers escrocs101. 27 février 1920 Constantinople. Dumail, un Français de passage, directeur de la banque [Orosdi-Back], nous donne des détails sur l’armée à Constantinople. Les Italiens y font grande figure (soutenus secrètement par les Anglais contre nous). Ils ont des troupes impeccables, de beaux uniformes et se conduisent très correctement avec l’habitant. Dumail prétend que les troupes françaises sont mal vues aujourd’hui, qu’il y a eu des réquisitions arbitraires, des scandales, laisser-aller des régiments du Midi, manque de tenue devant les Turcs, officiers se promenant à Pira avec chapeau de femme sur la tête et femme avec képi. Les Anglais sont au contraire très corrects. Ceci est l’opinion d’un négociant, chef d’une maison turque, moitié autrichienne et qui désire la reprise des relations avec l’Allemagne.

101  Élu député du Nord en 1919 alors qu’il était poursuivi pour escroquerie, Julien Verniers dut démissionner et ne siégea jamais.

134

georges ducrocq, Journal de Perse

Il s’est fait assurer pour 500 000 Frs, prime de 2 500 avec itinéraire fixé d’avance pour son voyage en Perse. Smyrne. À Smyrne, les Grecs occupent un rayon de 40 km autour de la ville. Autour sont les bandes de Djemal Pacha. Les caravanes, les trains n’arrivent plus. Les Smyrniotes eux-mêmes sont hostiles à l’occupation grecque. Les Italiens essayent de détourner le commerce du golfe de Smyrne et de l’attirer à Scala Nuova où plusieurs maisons de commerce anglaises se sont établies. {37b} 28 février 1920 Soirée Club. Les Anglais sont furieux contre les Américains et contre Wilson. En même temps tous disent que les Bolcheviks ne sont pas ce que l’on imagine. Ils sont organisés, ils ont une armée, une discipline, ils ont des ressources. Je réponds au colonel Smyth qui me parle dans ce sens que la crise des transports rend la situation très grave en Russie. Il me répond que cette crise est générale en Europe et n’est pas particulière à la Russie. Il n’y a plus de wagons en Pologne, en Allemagne, le matériel est usé. L’officier canadien Hunter danse en sifflant et en frappant du pied, il fait faire à sa danseuse des entrechats formidables. Dumail qui nous invite au Club nous raconte que sa femme porte des chemises de tulle rose, que lui-même se levait à 2h pour aller retenir des tables à Montmartre pour le lendemain et qu’il joue à merveille du piano, il devait entrer au Conservatoire. Le plus étonnant souvenir qu’il ait gardé de son professeur, c’est qu’il venait lui donner des leçons le dimanche sans les lui faire payer. Sardâr Akram est de retour. Mme Lassen recommence à jouer. 29 février 1920 Les intrigues contre Vosuq continuent. On lui reproche son origine modeste. Les anglophiles et les démocrates préfèrent Sârem od-Dowla qui jouit d’une réelle popularité. Sa fortune, {38a} sa naissance, son tempérament aristocratique plaisent au peuple. Le Sepahdâr a aussi des partisans mais on craint qu’élu avec l’étiquette de partisan des Alliés il ne donne trop de gages aux Anglais. Double politique anglaise, celle de Curzon et celle de Lloyd George, l’une hostile aux Bolcheviks dont on redoute la contagion pour l’Inde, l’autre favorable aux Bolcheviks pour flatter les partis ouvriers d’Angleterre et aussi pour affaiblir et ruiner la Russie. Soirée amusante chez les Caldwell : on tirait au sort en arrivant le nom de sa voisine (informel) et l’on figurait des personnages. J’étais Adam, miss Caldwell Eve, Marie la reine Elisabeth, M. Bonin lord Essex à qui les Anglais

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

135

firent couper la tête, le colonel Haig lord Leicester, Lady Cox Julietta, général Dickson Romeo, de Raymond Narcisse, Mme Bonin Psyché, Mme de Raymond Hélène, M. Belayef Ménélas. Après dîner, chants écossais, fandango dansé par Mrs Caldwell, gigue écossaise dansée par le colonel Haig, Hunter met beaucoup de gaieté dans ces fêtes bien qu’il ait la fâcheuse habitude de siffler comme un trappeur canadien. Aliette et Lady Cox faisaient bande à part, un peu choquées par ce laisser-aller. Conversation avec le Général Dickson sur la France et l’Angleterre. Nous parlions de l’armée persane, de la disgrâce imméritée des officiers sortis de St Cyr. Les discussions se font dans un français approximatif. La Perse est de trois siècles en {38b} arrière. Les gouverneurs volent dans les provinces pour récupérer le prix d’achat de leur charge comme au moyen-âge. Pourra-t-on faire passer ce pays en quelques années au niveau des nations modernes comme on l’a fait pour le Japon. Je vante au général l’esprit d’imitation de la nation japonaise. Il me dit que les Persans sont aussi imitateurs. Je lui dis que c’est un vieux peuple, difficile à galvaniser. Il me cite les réveils de la Perse, conquérant les Indes et l’Afghanistan. Je lui réponds que tout dépend de l’énergie des chefs. Puis nous parlons monarchie absolue et république. Le général aime la monarchie constitutionnelle. S’il était français, il serait bonapartiste. Je lui dis que le bonapartisme est fini en France, qu’il faut une forme d’autorité qui ne doive rien à la naissance, tout au mérite. Je lui cite Clemenceau qui a gagné la guerre. « Vous croyez qu’il a gagné la guerre ? », dit-il. (Ceci est venu à cause d’une conversation du général sur les officiers à la [suite], une centaine, princes, grands, fils de ministres recommandés qu’il va faire nommer à la [suite] de la garde impériale avec pensions et sans commandement.) « Mais, dit le général, en Angleterre, nous avons le roi tandis que vous pouvez avoir un chef qui est un ancien marchand de vins. En plus du drapeau nous avons le roi. » Je lui réponds : « Nous avons l’âme de la Nation, la même depuis Jeanne d’Arc. – Nous l’avons aussi, me dit-il, nos soldats sont {39a} patriotes ! », mais il m’avoue qu’ils veulent être démobilisés. Je lui réponds que les jeunes classes monteront la garde sur le Rhin tant que l’on voudra, comme l’a dit Castelnau, pour obéir à la volonté des morts. « Vous êtes un républicain enragé », me dit-il. Je lui dis : « J’ai vu les hommes dans la tranchée. Aucun d’eux ne m’était inférieur comme patriotisme. Voilà pourquoi je suis républicain. » « – Je viens d’avoir une discussion avec votre mari, dit Dickson à Marie. Il est tout à fait républicain. Si vous aviez eu un empereur en France vous auriez tout de même gagné la guerre. » Marie lui répond très bien : « Général, la guerre a été gagnée dès que l’unité de front a été réalisée. »

136

georges ducrocq, Journal de Perse

2 mars 1920 Hier au Club, grande agitation de Havard. Les intrigues vont leur train. Il s’agit de faire tomber Vosuq et de pousser les uns disent Sârem, d’autres le Sepahdâr. Il y a trois partis à la Légation d’Angleterre, Ministre-Vosuq ; Haig-Sârem ; Havard-Sepahdâr. Le Sepahdâr, prisonnier des Anglais, ferait d’autant plus de concessions qu’il est soupçonné de francophilie. Il faut le détourner d’accepter. Prendre Sârem, c’est prendre un homme que ses actes n’ont pas discrédité en Perse (on lui trouve de l’audace) mais qui aux yeux de l’Europe aura tout de même moins de prestige que Vosuq. Le comble de l’arbitraire c’est la commission douanière qui révise le tarif douanier avec la Perse sans consulter les autres nations. Hart dit publiquement que Sârem est un voleur, qu’il a trempé dans les vols de la monnaie et que, maintenant que {39b} Lavachery est pris, il veut mettre à la monnaie le comptable de Lavachery aussi coupable que lui. Sârem répond : « Ce M. Hart est très précieux ; il va nous débarrasser des voleurs du ministère des finances qui entourent Vosuq ». Mais Hart continue à dire : « l’être le plus vil en Perse c’est Sârem. Il extorque l’argent des fonctionnaires ». Le colonel Starosselsky déclare que le Gouvernement veut le conserver et ne veut pas de Philipoff parce que Philipoff est trop anglophile. Le shah a spécialement télégraphié pour que Starosselsky ne quitte pas la Perse en ce moment. Les Anglais donnent des armes aux Persans mais leur refusent des munitions. Ils veulent créer une armée de parade qui ne puisse tirer sur eux. Mais avec quoi défendront-ils la Perse ? Hier dîner anglais à la maison ; Hart, Bronikovsky, Wilkinson, les Barry, le colonel Still, les Hoppenot. Wilkinson me fait des déclarations formelles sur la France et l’Angleterre : l’Angleterre n’a pas compris l’étendue des sacrifices de la France. Elle doit faire plus qu’elle en fait pour la France, car c’est sur le sol français qu’elle a défendu non pas la neutralité de la Belgique, mais sa propre existence. On vend au Club impérial de Téhéran les bottes de Sir Percy Cox et sa cravache. Elles sont exposées sur la {40a} cheminée du bar. Le comptable de la monnaie, plus fripon que Lavachery, vient d’être nommé directeur. Le scandale continue. 5 mars 1920 [Natale] conte que les fils de Zell os-Sultân102 n’arrivent pas à se faire rembourser l’héritage de leur père. Il y a là 20 millions. Ils ne sont pas perdus pour tout le monde. L’opinion générale est que Sârem od-Dowla en profite. 102  Mas‘ud Mirzâ Qâjâr « Zell os-Soltân » (1850-1918), quatrième fils de Nâseroddin Shâh.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

137

La Banque publie chaque année un bilan de ses recettes et dépenses, mais la comptabilité des billets de banque émis reste secrète. Un haut commissaire persan vient estampiller les billets neufs, il assiste à l’incinération des vieux. 6 mars 1920 Déjeuner à la maison pour la dernière réunion du comité103 : Kreyner, Amir A‘lam, Bakimine, Richard Khân, le ministre, Mme Bonin. Hart me parle de Zell-e Sultân, un vrai prince. Celui-ci est très ordinaire. L’autre pillait en vrai brigand. On ne peut être l’ami de Sârem, dit Hart. C’est un homme profondément corrompu. Il a tué sa mère, il a dit qu’elle avait une conduite légère et que son père lui en avait donné l’ordre. C’est un homme qui fera tuer qui le gêne. Son père avait déjà cette cruauté. Il dit qu’il paye 20% d’impôt mais il ne paye pas l’impôt. Hart réclame les comptes d’Ispahan pour en avoir la preuve. Mais on ne peut jamais obtenir du ministre des Finances un compte des recettes. Hart a dénoncé Lavachery seul, parce que s’il avait en même temps dénoncé le comptable, celui-ci payait pour les autres. {40b} Une mission militaire de Denikine vient d’arriver à Téhéran. Elle comprend un général, un colonel et deux officiers. Elle donne sur la situation de Denikine des renseignements encourageants : Cosaques du Don, du [Kouban] tiennent bon. Quelle triste habitude ont les Persans de paraître dans les cérémonies publiques mal rasés ? 8 mars 1920 Hier dîner chez le Sepahdâr. Mme Lassen y était avec Sardâr Akram, le prince Malikoff, Sardâr Mo‘azzam, tous ses amoureux auxquels elle distribue sourires, bouquets de violettes et tours de valse. Sardâr Akram a rapporté de Hamadân de très beaux chevaux. Il déclare qu’il y a à Hamadân 2 000 hommes au plus mais que les Anglais vont amener 10 000 Assyriens armés de B[akouba] sur Hamadân, Qazvin, Tauris, et Urmia, pour les rapatrier et les lancer contre les Kurdes. Les Persans voient d’un mauvais œil l’arrivée de ces troupes qui ont commis des crimes sur les Persans dans leur exode vers Hamadân. Ce dîner chez le Sepahdâr était uniquement réservé aux Français, aux Américains. Il était parfaitement réussi. Excellent orchestre, bonne chère. On s’était formellement ennuyé au dîner du mercredi [3 mars], où se trouvaient les Anglais. 103  Conseil de l’Alliance française.

138

georges ducrocq, Journal de Perse

Conversation avec Molitor sur la question du tarif douanier. Il estime que si nous tenions tête avec {41a} fermeté sur les articles que nous pouvons fournir (comme la verrerie qui venait de Russie) nous obtiendrions gain de cause. Il faut limiter nos exigences mais tenir bon. De même pour la route de Hamadân – Qasr-e Širin sur laquelle nous devrions demander la concession. Starosselsky à qui on demandait sa comptabilité répondit : je la livrerai sur un ordre écrit de sa majesté. Aux Anglais qui lui annonçaient des instructeurs anglais, il répondit : Envoyez-les, nous serons charmés de les instruire. Starosselsky déclare que la garde impériale n’obéit qu’au chah, mais les Anglais voudraient réduire la garde impériale à 200 hommes. Les Anglais sont très indécis. Ce serait le moment d’obtenir des choses d’eux. Plus tard, il sera trop tard. La mission Denikine qui vient d’arriver à Téhéran devait aller à Bokhara. Elle est arrivée à Krasnovodsk, a dû rebrousser chemin ; elle n’ira pas plus loin que Téhéran et rejoindra l’armée Denikine. – Le fils du Sepahsâlâr104 est parti avec Hešmat, courtisane célèbre de Téhéran et maîtresse de Vosuq qui l’a fait partout chercher pendant trois jours. Un télégramme est parvenu de Kermânšâh : Sâlâr os-Saltana est reçu avec Hešmat (ce qui veut dire honneur). Ce n’est qu’au bout de quelques jours qu’on apprit le départ d’Hešmat pour Bagdad et Paris. {41b} Une grande nouvelle a été reçue aujourd’hui à Téhéran : le mojtahed de Najaf a ordonné au clergé musulman chi’ite d’engager le peuple persan à s’opposer par l’insurrection au retour du shah en Perse parce qu’il a vendu son pays105. 12 mars 1920 Mošir od-Dowla critique l’absence de transition dans le programme des classes de l’École Saint-Louis et de l’Alliance. Les élèves passent brusquement d’une classe à une autre et se trouvent devant des difficultés insolubles. L’ancien président du Conseil voudrait que nous préparions ici par l’enseignement secondaire les enfants au baccalauréat. Si nous avions l’équivalence, 104  Ducrocq a-t-il pris Sâlâr os-Saltana, fils de Nâser od-Din Šâh pour le fils du Sepahdâr ? 105  Il y a également l’agitation des chi‘ites de Mésopotamie suite au projet de mandat britannique en Irak : la fatvâ de Mohammad-Taqi Hâ’eri Shirâzi interdisant aux musulmans d’accepter des fonctions sous l’administration étrangère date du 1er mars 1920, cf. P.-J. Luizard, La formation de l’Irak contemporain : Le rôle politique des ulémas chiites à la fin de la domination ottomane et au moment de la création de l’État irakien, Paris, cnrs, 1991, p. 386sq.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

139

on verrait partir, nombreux, vers les universités françaises les élèves diplômés dans nos écoles. 14 mars 1920 Mme Starosselsky dit : on m’a présenté quand j’étais jeune fille à Nice M. Pierre Loti qui m’a dit : « Quel ouvrage de moi avez-vous lu, mademoiselle ? » Je lui ai répondu « Je n’en ai lu aucun », pour le vexer et humilier sa fatuité. Chère Madame, pourrait-on répondre à cette éminente princesse balte, quand François Ier visitait l’atelier de Léonard de Vinci, quand le Vinci laissait tomber son pinceau, le roi le ramassait. La véritable aristocratie consiste à s’incliner devant le talent. 15 mars 1920 Ce soir, incendie qui fait flamber [Gressey106] et l’hôtel de France. Les Cosaques refusent de prêter assistance aux Suédois pour limiter la part du feu et pillent avec entrain dans les décombres. Guigan {42a} en assomme quelques uns. J’annonce au Club à Starosselsky la grande nouvelle du coup d’État allemand. Son avis est que les Anglais ne marcheront pas dans une nouvelle guerre, qu’ils ont démobilisé, qu’ils sont trop occupés en Orient, etc. Je vois bien qu’il est enchanté du retour des monarchistes au pouvoir. Il escompte nos divisions, l’hostilité des Américains. Il veut que nous ne profitions pas de la victoire. Il trouve que les conditions imposées à l’Allemagne étaient trop dures. 16 mars 1920 Starosselsky qui m’avait prié de passer chez lui me raconte sa situation. Sa stratégie savante, sa politesse envers les Anglais, les avances dont ils l’accablaient, ce dîner offert il y a quinze jours au Club où Sir Percy Cox avait invité toute la Légation de Russie, n’ont pas empêché l’orage d’éclater. Les fleurs dont on le comblait étaient les fleurs de l’enterrement. Sir Percy Cox après ce dîner a prié Starosselsky de venir le voir chez lui et lui a tenu ces propos : « – Colonel, il faut que vous nous aidiez à fondre la Division de cosaques dans l’armée uniformée. Nous comptons sur vous pour faire l’opération sans douleur. – Je m’étonne que vous me demandiez cela. Je suis fonctionnaire persan et en mission militaire envoyée par le gouvernement russe. Je ne puis dissoudre ma division que sur l’ordre du gouvernement persan, c’est à dire de Sa Majesté que j’ai toujours servie loyalement ou du gouvernement russe. {42b} 106  Hélène Hoppenot écrit « Guésatz » . . . 

140

georges ducrocq, Journal de Perse

– Est-ce la réponse officielle que vous me donnez ? – Je ne puis vous en donner d’autre. Maintenant comme homme privé, laissez-moi vous marquer mon étonnement de voir que vous avez pu me croire capable de me prêter à cette opération. – Mais nous désirerions vous garder. – En quelle qualité ? Je ne suis pas anglais et ne désire pas l’être. Je veux bien servir la Perse mais je reste russe et je ne veux pas être anglais. – Mais Lundberg et Gleerup ont bien accepté de servir dans notre nouvelle armée. – Ce sont des mercenaires. Si je quitte la Division de Cosaques, je m’en irai, mais je ne sers pas dans l’armée anglaise. – Au fait, où irez-vous ? – J’attendrai les événements. – Mais la Russie telle que vous la voulez et telle que nous la voudrions ne revivra jamais. Le triomphe des Bolcheviks est maintenant certain. Que direzvous si nous traitons avec eux. – Je dirai que vous êtes libre de faire ce que bon vous semble, mais personnellement je ne reconnaîtrai jamais le gouvernement bolchevik. – Mais si la Perse à notre suite le reconnaît ? – Je ferai comme au temps où, la Perse étant neutre, je devais faire bonne figure à l’ambassadeur de Turquie, au ministre d’Autriche-Hongrie et entretenir avec eux des relations épistolaires, mais au fond du cœur je serai contre eux. {43a} – Il faut dissoudre la Division de Cosaques. Nos experts l’ont déclaré. – Vos experts ne sont pas infaillibles. Ils se trompent s’ils s’imaginent en quelques semaines mettre sur pied une armée. Il leur faudra deux ou trois ans. D’ici là, nous sommes la seule force armée existant dans le pays. Nous sommes votre soutien, nous seuls pouvons faire des expéditions. Votre intérêt est de nous ménager. – Mais nous avons la force et l’argent. – Vous n’avez pas la force. Si je le voulais je serai demain à la tête des mécontents, et Dieu sait s’il y en a, car vous êtes haïs. Vous êtes arrivés à faire haïr les Anglais plus que les Russes. Si je le voulais, en sortant d’ici, je n’aurais qu’un mot à dire pour faire cerner la Banque et la Légation d’Angleterre. Que feriezvous ? Quant à l’argent, nos troupes ne sont plus payées. On nous doit 700 000 tomans pour les expéditions que nous faisons pour soutenir le gouvernement, pour vous soutenir. S’il faut agir au Gilân, à Astarâbâd contre les Turcomans, contre les Turcs, c’est aux Cosaques que l’on s’adressera. Où est votre force ?

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

141

– Réfléchissez. Ce n’est pas mon opinion que je vous exprime. J’ai reçu des ordres pour vous parler ainsi. Vous savez ma sympathie pour vous. » Et Sir Percy Cox avait des larmes aux yeux. « – Fonctionnaire persan, je ne puis obéir à un ordre que ni le gouvernement, ni le Parlement, ni le shah n’ont ratifié. – D’ailleurs, si vous résistiez, vos cosaques ne penseraient peut-être pas comme vous. – Interrogez-les. Je suis sûr d’eux. D’ailleurs si le chef de la Division s’en va, ils sont libres de disposer d’eux-mêmes. {43b} Moi présent, aucun d’eux ne voudra servir dans vos rangs . . . M’autorisez-vous, dit en terminant Starosselsky, à ne pas tenir secrète cette conversation et à la télégraphier à Denikine et à Sogonoff ? – Sans doute. – Mais vous ne retiendrez pas mes télégrammes ? – Nous ne retenons jamais de télégrammes. – J’ai la preuve du contraire. Nous avons télégraphié à Denikine l’arrivé du chah et son désir de passer par Petrovsk et Novorosk. Le train était prêt à Petrovsk mais la dépêche de Denikine ne nous est jamais parvenue. » Starosselsky apprenait peu de temps après que des tentatives étaient faites pour suborner les officiers persans de la Division contre leurs chefs. Un général persan reçut l’ordre de laisser pousser les choses. Il fut emmené en fiacre fermé chez Havard, qui lui dit finalement : « Vos officiers sont des ivrognes, ils vous maltraitent, ils méprisent les Persans ». Ce général eut l’honnêteté de répondre : « – Je suis depuis 20 ans au service dans la Division et je n’ai jamais rien vu de semblable. » Pour donner le change aux Anglais Starosselsky menaça de chasser de la Division les officiers qui avaient accepté les ouvertures des Anglais. Vosuq od-Dowla le supplia de ne pas faire ce scandale. Starosselsky s’en fut trouver Vosuq et lui dit : « – Que vous trahissiez votre pays, que vous le vendiez, que vous vous vendiez, passe, mais que vous me vendiez, moi, russe, aux Anglais, c’est un peu trop fort. – Vous êtes donc de ceux qui me considéraient comme un traître ? – Je vous considère comme un homme d’esprit mais je dois vous le dire, vous m’envoyez en expédition, je vous défends et je soutiens par là même les Anglais. Jusqu’ici je servais loyalement et le cœur y était. Je continuerai à servir loyalement, mais le cœur n’y sera plus. » {44a}

142

georges ducrocq, Journal de Perse

Lettre de Starosselsky au Shah (19 mars 1920)107 Sir Percy Cox dans une entrevue fixée d’avance m’a dit qu’il avait été décidé par les experts que la Division des cosaques de Votre Majesté impériale devait faire partie de l’armée persane unifiée, qu’il me priait de lui fournir les moyens de faire cette opération sans douleurs et sans désorganiser la Division, que je devais bien savoir que l’Angleterre assurant avec son argent l’entretien de toutes les forces armées de la Perse, il est clair qu’elle devait en avoir en mains la direction. J’ai répondu à cela que je m’étonne que l’Angleterre, après avoir soutenu pendant un long temps la Division en un temps difficile (il est vrai pour des raisons qui n’étaient pas tout à fait désintéressées), se retourne contre elle aujourd’hui et réclame sa dissolution, que je n’avais pas d’ailleurs pouvoir de prendre une telle décision que, seule, sa majesté persane et le gouvernement persan pouvaient prendre. J’ai dit que l’on me mettait par cette proposition dans un terrible embarras car si je l’acceptais, on ne manquerait pas de dire que j’ai vendu la Division à mon profit et si je la refusais j’aurais l’air de provoquer des désordres par ma résistance inopportune. Sir Percy a répondu que si les experts avaient décidé une chose, leur décision était irrévocable. J’ai riposté que je doute que des experts compétents aient émis l’opinion qu’il fallait supprimer la seule force armée existant en Perse quand ils n’avaient rien à mettre à sa place, que l’on ne créait pas en moins de deux ans une armée avec des cadres de sous-officiers capables et que la suppression de la seule force susceptible de défendre la dynastie et de maintenir l’ordre pouvait avoir les plus fâcheuses conséquences, et qu’avec la haine que la Perse éprouve envers les Anglais, au moment où la Division était engagée dans les expéditions il était cruel et impolitique de porter la main sur elle. {44b} Et j’ai ajouté que si j’étais persan, j’essaierais naturellement de soulever la Division contre les Anglais, mais qu’étant russe, je me contentais d’obéir au gouvernement persan. Si j’étais un aventurier, je pourrais

107  La copie de cette lettre est intercalée dans le manuscrit. En réalité le folio suivant qui porte le numéro « 44 bis » devrait être ici. Au dos : formulaire de convocation pour le comité de l’Alliance française, du 1er mars 1920. La suite de l’entretien de Starosselsky avec Vosuq (f°43b) est rejeté en f ° 45a.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

143

profiter de la situation mais soldat discipliné . . . et qu’il se pourrait, après tout, que les Persans veuillent devenir anglais. Qu’après tout la Division était peut-être une quantité négligeable en comparaison avec les intérêts mondiaux et que la Russie pouvait en ce moment sacrifier la Division mais que le jour où la Russie renaîtrait elle trouverait le moyen d’envoyer en Perse de nouvelles forces qui l’emporteraient sur les unités anglaises. Sir Percy me répondit que cette même Russie à laquelle je rêvais probablement ne renaîtrait jamais et qu’il fallait renoncer à tout cela. Il me demanda si je serais disposé à entrer dans la nouvelle armée anglaise et si mes officiers consentiraient à entrer au service anglais. Je répondis que personnellement je n’étais pas un mercenaire mais un officier russe envoyé par son gouvernement en Perse. Quant à nos officiers, ils étaient libres d’entrer au service anglais, mais je doute que beaucoup y consentent. J’ai voulu soumettre à votre Majesté impériale la situation. Elle seule décidera la réponse qui doit être faite. Personnellement je ne me sentirai pas atteint par cette mesure. Mes services passés et ma réputation militaire me permettent de retrouver en Russie un emploi de mes forces, mais j’ai tenu à avertir votre majesté impériale de la mesure qui se prépare et des conséquences funestes qu’elle peut avoir. {45a} Ici Vosuq verse quelques larmes108. « – Vous ne savez pas tout ce que j’ai fait pour vous. On saura plus tard la tâche immense que j’ai faite pour défendre mon pays : mais tout le monde est contre moi. Le ministre de France m’a fait l’autre jour des critiques acerbes à propos du tarif douanier, comme si ce n’était pas une question d’ordre intérieur, une affaire ne regardant que la Perse et l’Angleterre. Et le ministre d’Amérique qui déclare qu’il faut supprimer le poste et qu’un ambassadeur des États-Unis à Londres suffit. – Elle regarde aussi les autres puissances qui sont lésées. Mais vous n’avez aucune dignité nationale. Voyez l’Azerbaïdjan, l’Arménie, nations plus petites que vous. On les respecte. Elles se font reconnaître indépendantes. Et vous, trois fois plus grands, vous vous soumettez à tous sans réagir. Vous avez le sort que vous méritez. Je ne peux pas être plus persan que les Persans. » 108  On reprend ici la conversation de Starosselsky avec Vosuq.

144

georges ducrocq, Journal de Perse

Starosselsky a tenu les mêmes propos au ministre des Finances qui lui a déclaré que c’était Vosuq qui trahissait, qu’il l’avait discrédité auprès de l’opinion, qui livrait la Perse aux Anglais, – au Sepahdâr qui a juré qu’il n’avait pas signé l’arrangement douanier qui est bel et bien signé. Le général Dickson est le fils d’un mélange de races, arménien, anglais. Ses sœurs qui ont le type pur arménien l’accusent de lui avoir dérobé leur argent. Il ne plaît pas aux Persans. Starosselsky ayant dit qu’il n’était pas intelligent, s’il croyait improviser une armée persane, Dickson auprès de Mme [Joukovsky] {45b} dans un dîner lui a dit : « Il y a des gens qui nous croient bêtes, mais ils feront bien de prendre garde à eux. Et ceux qui les suivent courent un grand danger. » Starosselsky a conseillé à Vosuq de frapper du papier monnaie lui-même (ce qui est contraire au monopole de la Banque)109 ou d’émettre des bons du trésor payables à un an pour régler les traitements échus de ses fonctionnaires. La colère des Anglais vient de là. Vosuq suivait jadis les conseils de Lecomte. Mais Lecomte et [Etter] sont responsables de la situation actuelle. Vosuq les a roulés. Starosselsky essayait de brouiller Vosuq avec les Anglais et de le rapprocher de la Légation de France. Vosuq est le seul qui puisse réussir l’Arrangement. Lui parti, tout s’écroule et l’émeute gronde. Le Vali’ahd a fait appeler Vosuq et lui a dit qu’il ne comprenait pas qu’une proposition de ce genre pût être faite au colonel Starosselsky. Une mission de Denikine est venue à Téhéran : un général, plusieurs colonels, Joukovsky dit que cette mission qui traine depuis deux mois à Petrovsk, à Anzali n’a jamais eu l’intention formelle d’aller à Khiva et à Bokhara puisqu’elle a emmené des dames. {45bis-a} 20 mars 1920 Promenade à Jâjerud par un temps radieux, le ciel et les montagnes azur et neige, tendre symphonie. Nous découvrons la maison rêvée mais un peu loin. Hamid Khan, fonctionnaire aux affaires étrangères, fils de [Bakhtyari], est très excité contre Vosuq, Sârem, l’Arrangement. Il dit que les mollâs de Téhéran sont tous hostiles, qu’ils avaient l’intention de ne pas venir rendre visite aux ministres, que c’est pour éviter cet affront que les ministres ont décampé à la campagne par un temps froid et venteux qui n’a rien d’engageant. Il dit que l’incident de la mosquée dont on a parlé il y a trois semaines est le suivant : un orateur, mollâ, envoyé par Vosuq, a voulu désigner à la mosquée 109  Nâser od-Din Shah avait vendu au Baron Reuters en 1872 le monopole de l’émission de monnaie pour la Banque impériale (britannique).

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

145

quel [successeur110] il fallait élire au [mojtahed] de Karbalâ. L’Emâm-[Jom‘a Xo’i] a protesté en déclarant que c’était le clergé et non le gouvernement qui désignait les mojtahed. Un homme a été pendu sans jugement il y a quelques semaines. Il a reconnu avoir assassiné il y a un an le capitaine Otvard. Mais il dit l’avoir fait sur l’ordre de Vosuq ; ce capitaine essayait de mettre fin au choulouk provoqués par les ennemis de Samsâm os-Saltana, les partisans de Vosuq et de Nosrat od-Dowla, que le général Wesdahl laissait faire. Tous les Bakhtyaris sont mécontents. Samsâm os-Saltana disposerait de six mille hommes. À la Légation britannique le parti Haig-Havard soutient {45 bis b} Sârem, le Sepahdâr ou même le Sepahsalâr contre Vosuq, Mošir od-Dowla redeviendrait ministrable. La politique extérieure est entièrement dirigée par Vosuq111. Le soir, au Club, le général Dickson me fait de grandes protestations. Il aime la Perse comme un Persan, il n’aurait pas accepté la mission qu’il a acceptée s’il ne croyait pas travailler au progrès, à l’avenir de la Perse. Il n’accepterait pas une mission comme celle de Starosselsky. « Nous sommes, nous les Anglais, comme les Russes, trop près de la Perse pour la transformer. Une puissance désintéressée y réussirait mieux. J’envie votre sort d’être spectateur de la période la plus intéressante du monde. » Mais il est sans pouvoir. « Qu’on me donne les pouvoirs d’un Napoléon, dit-il, et je transformerai la Perse. Je ferai une armée ayant de l’énergie, de l’activité, du courage. Je voudrais agir mais les politiciens sont pour temporiser. Starosselsky s’appuie sur le parti démocrate et nationaliste qui était jadis anti-russe. S’il ne tenait qu’à moi, je balayerais toute la Division de cosaques. Starosselsky m’annonce que le Vali’ahd irait prochainement à Qom avec 250 cosaques. » Starosselsky lui a fait demander en plaisantant s’il approuverait le fait accompli (révolution). [Imam Jom‘a Xo’i] est monté pour les fêtes de Nowruz à Šâh ‘Abd ol-‘Azim112. Ce mollâ est venu {46a} demander à Starosselski si le ministre de France et le ministre d’Amérique télégraphieraient à leur gouvernement s’il prenait le bast. L’attitude des mojtahed de Karbalâ, d’abord satisfaits des Anglais qui les libéraient des Turcs, leur est devenue hostile. Ils ont beau être achetés à prix

110  Mss : candidat. 111  Voir à ce sujet la thèse d’Oliver Bast, Die persische Außenpolitik . . .  112  Mausolée de ‘Abdol-‘Azim, à Rey au sud de Téhéran, lieu de pèlerinage où sont enterrés certains rois Qâjâr et lieu traditionnel d’asile. Sur les événements de Mésopotamie qui mobilisèrent les chi’ites voir P.-J. Luizard, La formation de l’Irak contemporain, op. cit.

146

georges ducrocq, Journal de Perse

d’or (méthode anglaise) ils ont excommunié Vosuq et auraient signé un ordre écrit engageant les nationalistes à se révolter. Le shah ne reviendra qu’en avril-mai et sans doute par Bagdad. Simko a dû traiter avec Philipoff. Celui-ci a vu, le traité signé, accourir un courrier anglais évidemment chargé d’autres ordres mais qui est arrivé trop tard. Il y a 3 000 hommes à Anzali – 50 camions automitrailleuses, sont à Anzali venant de Bagdad et marchant, disent-ils, sur Bakou. Sârem attend du nouveau tarif 3 millions tomans si l’année est ordinaire 7 millions si elle atteint 1912. [Mozayyen od-Dowla]113 craint la transformation moderne de la Perse et le progrès européen qui fera perdre à la Perse le peu d’art qui lui reste. Adieu solides tissus de Kermân, soies et tapis. Le chemin de fer ira de [Qasr-e Širin] à Kermanšâh, Hamadân, Qazvin. Téhéran et un autre de Hamadân, Soltanâbâd, Xorramâbâd, Šustar, Dezful. {46b} Il est visible que les Persans regrettent le rétablissement de l’ordre en Allemagne. Cela les dérange dans leurs plans. Moxber os-Saltana n’est pas enchanté d’apprendre que la Pologne a une armée de 4 à 500 000 hommes, que Dantzig est polonais, que la France fait bonne garde sur le Rhin114. Il m’oppose le militarisme de Napoléon qui a engendré celui de Bismarck, qui a engendré celui des Français, ne pourrait-on désarmer ? Il s’intéresse vivement à la Ligue des nations. Il déclare qu’il ne lit pas les journaux. Chez le Sepahsâlâr, même préoccupation de l’Allemagne. Le fond de l’idée persane c’est une certaine satisfaction des ennuis qui incombent aux Alliés et qui les distrairont de l’Orient. Aux fêtes du Nowruz l’élément militaire anglais était absent. Ni la mission militaire ni Hoskyn n’étaient là. Fazlollâh Khân, le meilleur officier de la Gendarmerie, le chef du régiment n° 3 s’est suicidé. Il laisse un mot : que personne ne cherche de raisons à ma mort. Je me la donne volontairement. Sârem od-Dowla hier en plaisantait. La disparition d’un tel homme indépendant, honnête, est une chance pour ceux qui redoutent ses critiques. Sârem reconnaissait d’ailleurs que le colonel Fazlollâh avait seul maintenu la Gendarmerie où elle est actuellement. {47a}

113  Voir l’entrée du 5 novembre 1919. 114  Ici en marge : Il me demande quel est le sort de [?]

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

147

22 mars 1920 Conversation avec Perny. Il donne sur le Caucase les renseignements les plus encourageants. Les faux bruits répandus sur le Caucase le sont par les Anglais qui veulent favoriser la route de Bagdad et par les marchands persans qui vont à Constantinople et qui veulent garder le monopole du commerce turcopersan. Churchill accrédite cette légende à Paris. Perny a rapporté la bibliothèque de Firuz. À son avis la Perse est partagée entre des rivalités provinciales. Les FarmânFarmâ voudront rester rois du Sud. Les Anglais sont très capables de débarquer les Qâjâr et de prendre une dynastie qui soit plus à leur dévotion. Les Persans accepteront. Ce qui fait la soumission du ray’at, c’est l’organisation agricole : sur cinq parts, trois reviennent au cultivateur qui cultive uniquement ce qui lui est indispensable. Ce matin nous avons enterré Fazlollâh Khân. Il disait à sa mère qu’il ne sortirait rien de bon de cette commission. On prête à son suicide des causes toutes différentes : blessures d’amour propre. Les Anglais, en réalité, perdent le seul homme qui pût endosser l’Arrangement. Ce matin je regardais le mouvement du Bâzâr, si animé dans ces fêtes de Nowruz. Les restaurants regorgeaient de clients. Les marchands de fruits secs décoraient leurs boutiques de boules de verre et de papiers multicolores. Les {47b} boulangers retiraient de la gueule du four les pains longs et plats qu’ils étalent comme des serviettes sur des éventaires en plan incliné. Voici les caravansérails en contre-bas où, entre de hautes murailles, sont parqués chameaux et mulets ; voici la cour des marchands de drap, celle des marchands d’épices, celle des marchands de tabac, celle des selliers, celle des orfèvres. Les femmes en troupeaux de fantômes funèbres forment des assemblées de tchadors noirs devant les étalages de mercerie chatoyante, boules d’or, galons d’or, fils d’or, devant les bijoutiers, leurs boucles ciselées, leurs filigranes et leurs turquoises. Ici le sellier accroche ses harnais éclatants, ses tapis de selle à ramages, ses couvertures à franges cerise et safran, ses pompons écarlates. Là, le raccommodeur de porcelaines, d’un vilebrequin primitif qu’il manœuvre avec un archet, perce des trous dans les assiettes. Le vieil antiquaire range ses qalam-dân. Une femme passe, visage dévoilé, d’autres ne montrent que leur front mat ou leurs beaux yeux cernés. Perse tremblante de désir, pays né pour la joie, non, tu n’es pas aussi dégénérée qu’ils le disent. Tes petits artisans, survivants du Moyen Âge, feraient de belles choses si on leur donnait de beaux modèles. C’est l’article européen qui corrompt ton goût. {48a}

148

georges ducrocq, Journal de Perse

Devant la poste sont accroupis quelques calligraphes qui offrent leurs services aux illettrés. – La République d’Azerbaïdjan donnait hier sa première réception, montgolfières, illuminations, feux d’artifice. Le ministre s’approchait de ses invités et leur disait : Régalez-vous ! – La légation d’Arménie dans un coin faisait grise mine. 23 mars 1920 Nous apprenons aujourd’hui que les mollâs (Imam-Jom‘a de Xo’y) etc. sont partis à Šâh ‘Abd ol-‘Azim et n’ont pas l’intention d’en revenir sans poser leurs conditions. L’Imam de Téhéran115 n’est pas parti. Ils sont en sécurité là-bas, avec le bast. Ils veulent, sur les ordres reçus sans doute de Karbalâ, faire capituler le gouvernement. Le ministre de Russie était venu trouver ses collègues pour les engager à ne pas accepter l’invitation de la république d’Azerbaïdjan mais il y est venu lui-même. Fazlollâh Khân s’est suicidé en laissant ce billet : « Je prie de la police de ne faire aucune recherche au sujet de ma mort. Je me donne volontairement la mort. Fazlollâh Khân Persan » Persan était souligné trois fois. « – Je ne viens jamais à ce Club, disait Raymond au Club anglais. Je n’y trouve pas de gens de mon monde. – Merci bien », lui répond Marie qui dînait à côté de lui. {48b} 24 mars 1920 Dîner à la maison : Starosselsky, Sardâr Mo‘azzam, Sepahdâr, Mansur osSaltana, Commandant Philipoff, les Bonin. Dîner très gai, animé par la conversation brillante de Starosselsky et du Sardâr Mo‘azzam. Starosselsky annonce qu’un cabinet de [concentration] est en formation, avec tous les anciens présidents du conseil : Mošir od-Dowla, Mostowfi olMamâlek, Samsâm os-Saltana. Ce cabinet endosserait l’Accord avec l’Angleterre mais l’Accord serait modifié et le caractère national serait sauvegardé. Chez Samsâm os-Saltana hier je vois un poète qui me promet de me faire lire un poème qu’il a fait sur son pays vendu aux Anglais. Samsâm est en deuil. Si les fêtes de Nowruz n’ont pas été célébrées dignement chez les Bakhtyâris, c’est qu’il n’y a pas lieu de se réjouir quand la patrie est en deuil. 115  Seyyed Abo’l-Qâsem Hoseyni (1866-1927).

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

149

25 mars 1920 Le prince Nâser od-Dowla me reçoit : il est au lit, malade. Il parle sans aménité des Anglais. Il leur reproche de ne laisser aux Persans dans l’armée anglaise que l’espoir de devenir lieutenant, même pas commandant de Compagnie. Il reproche aux Anglais de vouloir créer des régiments interchangeables entre les Indes et la Perse. Philipoff conte que Mohammad-Vali Mirzâ, le frère de Firuz, a pillé Šaraf Xâna, l’arsenal du lac d’Urmiya et a vendu à la population toutes {49a} les armes qui s’y trouvaient. 28 mars 1920 Visite à Manučehr [Âqevli] qui donne sur la mort de son neveu, Fazlollâh Khan, des indications. Vosuq od-Dowla serait celui qui est le plus au courant des motifs du suicide de Fazlollâh. Depuis un mois, Fazlollâh était devenu réfléchi et triste. Amir [A‘lam], à peine avait vu de quoi la commission retournait, avait donné sa démission car il est en conflit ainsi que Nâser od-Dowla avec Vosuq. Les récompenses accordées au Major Fazlollâh Khan qui a pillé effrontément les trésors de Mâšallâh Khân116 et n’a pris part à aucune expédition avaient ulcéré le colonel Fazlollâh : on lui a donné de l’avancement, on a augmenté les forces mises sous ses ordres, on lui a donné une nouvelle mission dans le Sud, on l’a décoré : avancement scandaleux. Le même Fazlollâh est celui qui avec Gleerup reçut quatre mille tomans pour provoquer des troubles dans la Gendarmerie contre Samsâm os-Saltana, troubles suscités en secret par Vosuq, Firuz, le Sepahdâr, et qui aboutirent à la chute du cabinet Samsâm117. La police a immédiatement fait une descente chez Fazlollâh, a raflé tous les papiers. On n’a trouvé chez lui qu’un papier ainsi conçu : « Je prie la police de ne faire aucune recherche sur ma mort que je me donne volontairement. Signé Fazlollâh Khân persan. » {49b} Un papier sur la composition future du ministère de la Guerre trouvé chez Fazlollâh dit ceci :

116  Il s’agit probablement du major Fazlollâh Zâhedi (1888-1962), à ne pas confondre avec le colonel Fazlollâh Âqevli qui s’est suicidé) ; Mâšallâh Khân : voir les entrées des 14 mai, 24 et 28 août 1919. 117  Le dernier cabinet dirigé par « Samsâm os-Saltana » fut remplacé, en juin 1918, par celui de « Vosuq od-dowla ».

150

georges ducrocq, Journal de Perse

En tête du ministère : colonel Fraser Sâlâr Laškar cavalerie Fraser Sardâr Moqtader Infanterie Major Fazlollâh Khân Artillerie Lamont Santé Fortescue [Medi] Intendance, Ravitaillement Major Fazlollâh Khân Recrutement Colonel Fazlollâh Khân Les membres de la commission persane sont à peine consultés. Autre visite à Hâjji Amin oz-Zarb, riche Rašti, propriétaire de l’usine électrique. Il possédait une succursale à Lyon pour soieries, une à Marseille, une dans l’Hérault, une à Baccarat : soieries, verreries, faïences, lampes, étaient importées de France. La révision du tarif douanier va fermer la Perse à toute marchandise non-anglaise. Qu’attend la France pour protester ? {50a} 29 mars 1920 Starosselsky me dit que les mollâs savent que Fazlollâh Khân était anglophile mais que, puisqu’il est mort, il faut que son cadavre leur serve et ils disent qu’il s’est tué par dégoût de servir dans une armée où les Persans ne peuvent espérer qu’au grade de lieutenant. [En marge : Il est bien étrange qu’un anglophile se tue en signant : « Fazlollâh Khân, irâni. »] Voilà qu’on tourne contre nous, dit Vosuq od-Dowla, ce mort qui de son vivant nous était sympathique. Le Sepahdâr va rester une quinzaine de jours à la campagne. Il ne veut pas, dit la rumeur publique, signer l’arrangement douanier. Il nous a offert aujourd’hui un charmant déjeuner à la campagne, qui marquait une fois de plus son désir d’affirmer ses sympathies pour la France. 30 mars 1920 Fazlollâh Khân se serait suicidé après avoir écrit une lettre à Vosuq od-Dowla. On parle d’un remaniement ministériel : contre Vosuq actuellement il y a dans le ministère Amir A‘lam, Nâser ol-Molk118, le Sepahdâr, Mošâr ol-Molk. Mošâr ol-Molk, confident de Vosuq, aurait été désigné par lui pour provoquer son débarquement que cela n’aurait rien que de très naturel. 118  Abo’l-Qâsem Qarâgozlu Hamadâni « Nâser ol-Molk » (1856-1927), ancien régent (1911-14).

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

151

Starosselsky, rencontré hier, disait que les événements étaient proches. La chose à craindre est un soulèvement d’ordre bolchevik avec pillage à la clef. {50b} Deux questions ont été posées : commandements anglais, les Persans sont opposés à ces commandements qui dans le combat jouent un rôle décisif. Les Anglais ont répondu que toute l’armée des Indes ne devait avoir qu’un commandement. Mais le colonel Hunter de l’armée du Sud a donné sa démission du spr parce qu’il était hostile aux commandements anglais. Plumets et galons : les Anglais n’en veulent pas. Les Anglais disent oui dans la commission et n’en font qu’à leur tête. 31 mars 1920 Coup de théâtre. Le Sepahdâr et Sârem od-Dowla ont reçu du président du Conseil ordre de remettre leur démission. Le président se débarrasse du Sepahdâr qui avait refusé de signer l’Arrangement douanier, qui manifestait une certaine indépendance vis-à-vis des Anglais, qui était incorruptible parce que riche et qui ne cachait pas ses sympathies pour la Légation de France. Lady Cox et douze invités qu’elle avait emmenés de son chef chez le Sepahdâr déjeunaient chez lui à midi. À quatre heures il recevait la nouvelle de sa démission. Le soir même sa maison était cernée par les gendarmes. Pourquoi ? Sârem est chassé pour avoir comploté contre Vosuq il va faire figure de chef de mécontents. {51a} Les Anglais ont senti qu’ils ne pouvaient pas s’appuyer sur un homme aussi mal famé. Hart l’accuse de ne pas payer ses impôts. Vosuq, dont les journaux publiaient hier un discours puritain, plein d’orgueil, de fausse humilité et de menaces pour ses adversaires, leur plaît par son pharisaïsme assez semblable au ton de certains pasteurs. On annonce en même temps la démission de Mošâr ol-Molk qui entrerait ainsi dans le nouveau cabinet. Manœuvre concertée avec Vosuq. Le vieux chef bakhtyâri Sardâr Zafar me dit que Vosuq le presse de retourner chez les Bakhtyâris mais qu’il se trouve très bien à Téhéran. Charmante maison de Sadiq Hazrat, petite porte modeste, palais à l’intérieur. 1 avril 1920 Conversation au Club avec Nasr ol-Molk. Mo‘tamed os-Saltana, a été débarqué parce qu’il volait. Quoique frère du président du Conseil il a été sacrifié. Il n’était pas riche, il touchait 300 tomans par mois. La grande exécution, c’est Sârem od-Dowla. On découvre un peu tard qu’il déconsidérait le ministre. C’est Vosuq qui l’a sacrifié. Il était le plus ardent

152

georges ducrocq, Journal de Perse

partisan du projet anglais relatif à l’organisation de l’armée persane qui fournit sans limites l’armée persane d’instructeurs, officiers et sous-officiers anglais, ne laissant aux Persans pour l’avenir que des grades de capitaine tout au plus. Le conseil avait été assez étonné {51b} de voir le ministre des finances rapporter un tel projet. Pourquoi pas le ministre de la Guerre ? Cependant, malgré son zèle, Sârem est sacrifié, il a tué sa mère, il est compromettant. Verba déclarait hier que c’était un plaisir de travailler avec un tel homme qui donnait des solutions rapides à toutes choses. On l’envoie à Kermânshâh. Il rejoindra son poste après-demain. Sâlâr Laškar démissionne. Il espérait le poste que l’on donne à Hešmat od-Dowla. Il est trop jeune, trop pressé. Le Sepahdâr est sacrifié et sa démission aura de l’écho dans le peuple auprès duquel il jouit d’un certain crédit. Hešmat od-Dowla était russophile. En terminant cet entretien Nasr ol-Molk me dit : La tentation me prend souvent de partir en Europe, le change y est très favorable en ce moment et j’aurai 5 millions de francs comme fortune personnelle. Voilà 20 ans, ajoute-t-il, que je fais de la politique, j’ai été plusieurs fois ministre. Il y a deux partis dans les Bakhtyâris, le parti de Samsâm os-Saltana, le parti de Sardâr Zafar. Querelles personnelles. Du vivant du vieux Sardâr As’ad, la paix et la concorde régnaient, mais lui disparu Samsâm os-Saltana s’est montré trop faible pour tenir les Bakhtyâris. Je suis persuadé que les Bakhtyâris sont toujours en relation avec les Allemands. {52a} Des délégués de l’émir de Bokhârâ envoyés à Denikine sont à la Légation de Russie. L’émir n’a cessé de se tenir en liaison avec Denikine tout le temps de la guerre. André Lefèvre, dit Perny, déclare que l’Asie ne l’intéresse pas, que nous n’avons rien à y faire. Le danger est sur le Rhin. 2 avril 1920 Thé chez les Caldwell. Le général Dickson m’exprime une fois de plus ses idées sur le bolchevisme. Toute la Russie est bolchevik. Il n’y a plus qu’à traiter avec elle. Au début deux divisions auraient suffi pour arrêter le mouvement. Aujourd’hui il faudrait des armées. D’ailleurs les Bolcheviks sont devenus raisonnables depuis qu’ils tiennent le pouvoir. Ils veulent organiser, gouverner, ils font appel à des éléments bourgeois comme Kouropatkine qui est chargé du gouvernement de la Sibérie. Les hommes qui sont à la tête de la Russie à l’heure actuelle sont vraiment les meilleurs et les plus intelligents des Russes.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

153

Je lui réponds que le bolchevisme est un fléau qui menace l’univers. L’Angleterre se croit tranquille dans son île mais elle peut être atteinte par la contagion. Le général Dickson n’y croit pas : « nos ouvriers sont raisonnables ». Il me cite l’exemple des gouvernements ouvriers d’Australie qui ont été très modérés. Comme je lui dis qu’on ne peut traiter avec des gens qui déchirent tous les traités, je lui cite en exemple les traités avantageux pour la Russie que les Soviets ont déchirés, il sourit, au fond enchanté de voir la Russie se détruire elle-même. {52b} Il déclare qu’il n’est pas un grand politique et qu’il ne sait pas comment l’on pourrait agir contre la Russie. Je lui dis qu’une quantité d’officiers allemands servent dans l’armée bolchevik. Il dit : « Est-ce possible ? » Il admire la dictature du prolétariat telle que Lénine et Trotsky la pratiquent. Il finit par me dire que nul ne sait ce qu’on pense en Russie et qu’il faut y aller voir. Puis, passant à un autre ordre d’idées, il parle de la Syrie. Le général Hudleston119 et quelques officiers qui arrivent d’Orient lui ont dit que les officiers français que l’on avait mis en Syrie n’avaient pas le ton et les manières qui réussissent en Orient. Ils se montraient trop brutaux. Je lui exprime mon étonnement et lui dis que le général Gouraud, qui a vécu depuis 25 ans avec les musulmans, est l’homme qui connaît le mieux la façon de les traiter. Il me dit que cette agitation arabe, provoquée par la brutalité de nos officiers et de nos troupes, a sa répercussion en Mésopotamie et présente un danger pour les possessions anglaises. Il m’exprime son étonnement de voir qu’après avoir été si unis durant la guerre et fait une alliance {53a} si belle, nous nous disputions aujourd’hui pour l’Orient. Il s’étonne qu’en France on attribue les événements de Syrie aux intrigues de l’Angleterre qui en est tout à fait innocente et que l’on mette en doute la sincérité de l’Angleterre disposée à tenir ses engagements et à observer les accords de 1916, conclus pendant la guerre. [En marge : Je lui réponds que la duplicité de l’émir Feysal est cause de nos difficultés.] Conversation avec le major O’Brien qui a pris part pendant 6 mois aux opérations de l’armée indépendante qui se trouvait entre l’armée Denikine et celle 119  S’il s’agit bien du colonel Hubert Huddleston (1880-1950), il est étonnant que Ducrocq se méprenne sur son grade.

154

georges ducrocq, Journal de Perse

de Keltchet. C’était l’armée des cosaques de l’Oural. Elle était commandée par Tolstof, officier de cavalerie n’ayant pas les aptitudes d’un général. Le front divisé en trois parties, Astrakan, Ouralsk et Itatz était faible sur ces trois parties. Il eut fallu renforcer l’un et foncer sur les bolcheviks : Ouralsk était l’endroit à fortifier. Astrakan avec son pays marécageux rendait une avance bolcheviste impossible. Le front d’Itatz avait le typhus. Mais les Russes s’abandonnaient à la destinée et ne voulaient pas manœuvrer. Il y avait des Kirghiz parmi eux. Mais on ne voulut pas les instruire, leur apprendre le rudiment du combat de cavalerie. Le sang des Cosaques de l’Oural est mélangé de sang kirghiz, en petite quantité : ces voleurs de frontières ont pris jadis des femmes dans le pays. {53b} Plus de 25 000 prisonniers furent faits sur les Bolcheviks et dépouillés de tous leurs vêtements. On leur proposait de les envoyer à Geurief à pied ; on préféra les laisser errer à l’arrière du front où ils dévalisaient les villages ruinés par les Bolchevistes et ils y répandirent le typhus. C’est une manie des Anglais de vouloir cerner les Bolcheviks. Les Cosaques d’Orenbourg ont trahi. Commandés par un général dont le nom était allemand, ils ont reculé au sud vers le désert au lieu de rallier Kolhkok. Ces Cosaques voyant la perspective de mourir de faim dans la steppe, préféraient se faire bolcheviks. Ce qui a quelque valeur en Russie : du sang allemand dans les veines. Le major insiste sur l’impossibilité de donner des conseils aux Russes qui répondent : vos méthodes sont bonnes pour l’Occident ; ici la guerre est toute différente. 5 avril 1920 Hier visite au Sepahdâr qui vient d’être débarqué du ministère. Notre visite était connue car, tandis que nous déjeunions chez le ministre, est arrivé un coup de téléphone de lady Cox offrant son auto, et à Zargandeh nous avons vu Mošâr ol-Molk en visite et Lundberg qui est arrivé en même temps que le ministre, de façon à empêcher tout entretien. Le pauvre Sepahdâr d’ailleurs tremble d’être compromis, il voudrait bien partir avec le ministre de France pour être protégé entre Batoum et Bakou, mais d’ici là ne voudrait pas trop le voir. {54a} Le président du conseil l’accable d’amabilités de peur que sa maison ne devienne un foyer d’intrigues contre lui. – Le major O’Brien dont j’ai fait la connaissance samedi au Club est un Irlandais qui n’a jamais vécu en Irlande. Il a été élevé en Italie, en Allemagne. Il arrive pour l’instant du front russe – armée de l’Oural où il était le seul représentant de l’armée anglaise. Qui l’a poussé dans cette aventure ? Le goût de la nouveauté. Il est celte, il ne connaît que deux mots d’irlandais, celui que

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

155

l’on dit à ses amis : Éternel bonheur, celui que l’on dit à ses ennemis : Hors de mon chemin. Il a laissé une fiancée en Irlande et désire avec elle venir vivre en France. Il ne peut supporter la vie en Angleterre. « La langue anglaise est laide, dit-il, rude et peu expressive (c’est du français mal parlé, dit Bonin), la langue italienne est harmonieuse, la langue russe vaut la peine qu’on l’apprenne, c’est un chant rythmé ; le français est fait pour la conversation et l’éloquence. » Je joue au tennis avec Mallet à la maison. Il n’aime pas les contes américains d’Huney. Comme je lui dis que demain il y a gala à l’église et que nous irons en grand uniforme, il me dit : Je suis bien content de n’avoir pas à mettre demain mon grand uniforme. Je lui rappelle le droit séculaire de la France : protection des chrétiens. Il en paraît peu enchanté et me dit : Alors vous mettrez demain votre plumet (les Anglais détestent les plumets). Je lui réponds que je ne l’ai pas toujours mis. {54b} Bonin me parle du particularisme anglais, pas d’unité chez eux, pas de fusion nationale comme chez nous. Ils sont, en ce moment, atteints de vertige : il faudrait être prudents, ils sont téméraires. 6 avril 1920 Hier dîner Dickson au palais de Qavâm os-Saltana. Y assistaient lady Cox, Mme Mac Murray, Madame Hunter, Marie, le président du conseil, le nouveau ministre de la guerre Hešmat od-Dowla, qui m’a dit des choses aimables : « J’aime beaucoup les Français ». Je suis à côté de Steel120 qui me dit, en levant sa coupe de champagne : Vive la France par deux fois. Mohsen121 aussi lève sa coupe quand on joue la Madelon. Steel me dit que l’alliance doit durer. Les plus hostiles sont Huddleston, soudanais borné et jaloux, profondément anti-français, Fortescue qui fait le socialiste, puritain, buveur d’eau, déclarant que s’il était en France il serait socialiste unifié. Avec Dickson on peut s’entendre : il était inquiet, agité, laborieux, tenace. C’est bien lui qui en veut le plus aux Russes. Il me parle brusquement ce soir des lettres anonymes et pamphlets qu’il reçoit, contre lui, contre l’Angleterre. C’est lui, Dickson, qui à la commission a voulu chasser les Persans des commissions et Fazlollâh s’est suicidé pour ce motif. « Ces pamphlets, dit-il, sont fabriqués par les Russes, par vos amis, me dit-il : vous devez les connaître. » {55a} Nous parlons ensuite de l’espionnage. Les Russes avaient des espions aux Indes. Les Anglais les laissaient évoluer. Un certain colonel Korniloff vint photographier dans les Indes les casernes, les forts, les ponts. « Que ces Anglais, disaient-ils, sont donc naïfs de me laisser circuler et agir à ma guise ». Mais à Peshâvar il 120  Voir 23 février 1920 et la note. 121   ? S’agit-il de Mohsen Amini (1875-1950), oncle de Qavâm ?

156

georges ducrocq, Journal de Perse

fut cambriolé dans son hôtel un jour où il était sorti. Ses bagages furent fouillés, toutes ses photographies enlevées [et] les objets lui furent rendus. C’est le général Dickson lui-même qui régla ce cambriolage. Je tiens de lui cet aveu. Smyth me dit qu’il voulait prendre avec lui le capitaine Semino (de la Gendarmerie des finances) pour l’emmener à Tauris. Son corps sera de trois mille hommes, un fort bataillon. Il se formera à Zanjân. Il ne veut pas emmener d’Arméniens. 7 avril 1920 Malzac hier conte l’histoire du capitaine Semino qui sert au corps armé des Finances. Il est le fils du général Semino, venu à Téhéran avec la mission militaire du général Petit, père de Mme Hadjean. Celui-ci était niçois, réfugié en Italie après l’annexion et réclamant la nationalité romaine, sujet du pape. Semino est le fils dudit général qui avait épousé une fille du Régent, princesse. Celle-ci, un beau jour, déménagea avec son lit et son mobilier. Comme Semino n’avait aucun état civil il ne put réclamer auprès d’une légation. Son fils pendant la guerre voulut servir dans l’armée française. On ne put l’accepter. Il fut engagé par les Anglais comme interprète dans le Sud de la Perse. Il n’est ni persan, ni français. Smyth veut l’enrôler dans sa gendarmerie. Autre histoire Bronowsky : celui-ci contractant un second {55b} mariage fit reconnaître par sa femme les enfants d’un premier lit. Ces enfants étaient plus âgés qu’elle. On décida que rien dans la loi ne s’opposait à cette reconnaissance qui fut autorisée. Enfin dernière histoire : celle d’Eynssen qui, ayant épousé une actrice de Bakou et vivant à Anzali avec sa femme et sa belle-mère fut abandonné par elle un beau jour avec les deux enfants. Les enfants furent mis par les femmes à l’assistance publique. Eynssen les réclama. Mais un beau jour la femme reparut avec les deux autres enfants et dit à Eynssen : voilà les tiens, ceux que j’avais mis à l’assistance publique n’étaient pas à toi. Eynssen prit les deux autres enfants. Il les fait élever tous les quatre chez sa mère et il dit : je ne sais pas ce qu’il faut croire, car tous les quatre me ressemblent. La tactique de Perny, très lié avec le ministre d’Autriche, fut d’isoler le ministre Lecomte, de le dégoûter des Demorgny et de le réduire peu à peu à l’unique société de Mirza Mahmud122, qui subissait d’ailleurs des influences étrangères. Vosuq od-Dowla, Amir A‘lam marchaient dans la combinaison du départ du shah. Ce fut une surprise que la conversion de Vosuq aux Alliés. Le docteur Gachet est sous la coupe de Havard. {56a} 122  Mahmud Jam « Modir ol-Molk » (1885-1969), voir l’entrée du 19 octobre 1919.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

157

7 avril 1920123 Hier la gendarmerie a fait une démonstration. Officiers en tête, avec toute la cavalerie, l’artillerie, l’infanterie, les mitrailleuses, cartouches pour fusils, approvisionnement de canons, ils ont défilé de Bâq-e Šâh à travers la ville en passant devant la maison de Vosuq od-Dowla qui les passait en revue, jusqu’à la gendarmerie (bureau central) où le colonel Smyth les a passés en revue puis s’est mêlé aux officiers qui conduisaient le défilé ; un certain mouvement a régné parmi les cosaques à la suite de cette démonstration. Autre opération : tous les ministres et représentants de la Perse vont être déplacés et remplacés par des chargés d’affaires plus souples, plus obéissants aux instructions anglaises. Sepahdâr, Sepahsâlâr, Sârem od-Dowla, seront évidemment priés de se retirer en Europe : la présence de ces chefs est un danger pour le ministère. Greforieff prétend qu’il n’y a jamais de choulouk du Nowruz à la récolte de blé. Les Anglais renforcent Anzali, ils y ont mis des canons contre les navires, à longue portée. Ils y font des tranchées, ils en ont augmenté la garnison qui a été renforcée par les troupes venues de Hamadân. À Mašhad, ils augmentent leurs troupes en prévision d’une attaque bolchevik. Que cache l’arrivée de l’émissaire afghan ? À Tauris, l’inquiétude règne. On craint les déserteurs de l’armée {56b} de Simko qui, sous prétexte de faire leur reddition, préparent la révolte et sont toujours en liaison avec Simko. Ce dernier n’a point payé les dommages de son incursion, il n’a pas livré sa femme et ses cavaliers parce que l’air de Tauris ne leur convient pas, il n’a pas désarmé ses troupes par crainte des tribus voisines. Mêmes inquiétudes du côté des émissaires des Azerbaïdjanais. Il y a une excitation en Azerbaïdjan qui se traduit par une agitation anti-chrétienne et anti-européenne. 9 avril 1920 Les motifs de la mort de Fazlollâh seraient les suivants : il avait l’habitude de remettre ses rapports au chef de la commission persane, Sâlâr Laškar. On le pria de les remettre désormais au général Dickson. Il refusa. On lui donna trois jours pour réfléchir. Il comprit qu’il fallait se soumettre ou se démettre. Il préféra abandonner l’existence. Il n’y a pas de question d’argent en jeu.

123  La date, qui répète celle qui précède, a été écrite avec insistance, il s’agit donc sans doute de la suite.

158

georges ducrocq, Journal de Perse

Mme Havard me parle hier au Club, au dîner de Sardâr Mo‘azzam, de l’ancienne éducation à la française. On promenait les jeunes filles du pensionnat sur l’Esplanade les jours de congé et la sœur surveillante leur disait : – Baissez les yeux, mesdemoiselles, voici un militaire qui passe. Voici le printemps. Les nouvelles se succèdent, orageuses. Aujourd’hui on apprend que Bjurling et ses policiers ont dû quitter Tauris. Il avait commis l’imprudence d’y entrer triomphalement. Le parti démocrate n’a pas voulu tolérer {57a} cette mainmise du gouvernement central. Il a chassé Bjurling de Tauris. On dit que c’est parce que sa femme était arménienne. La vérité est que nous assistons à un soulèvement régional comme l’Azerbaïdjan a coutume d’en provoquer, 1907 et 1917. Les intrigues turques, le mouvement bolchevik, le mouvement insurrectionnel azerbaïdjani sont à la base des troubles qui ne font que commencer. Le mouvement bolchevik s’étendra. On dit que les Bolcheviks ont débarqué à Lankarân. Ils vont pousser une pointe sur Tauris et Rasht et obliger les puissances à traiter avec eux. Il apparaît donc d’une grande imprudence d’avoir irrité les Cosaques comme l’a fait Sir Percy dans la conversation qu’il a eue avec Starosselsky, conversation menaçante qui n’a pas été suivie d’effet. On a inutilement excité les Cosaques. On ne les a payés qu’incomplètement. Maintenant il s’agit de les employer de nouveau. Le gouvernement anglais est en coquetterie avec les Bakhtyâris. Il soutient l’Ilkhân Sardâr Zafar contre Samsâm os-Saltana. Il va essayer de tirer des Bakhtyâris un secours militaire. Hier grand dîner purement anglais chez Sardâr Zafar : les Cox, Haig, Moore, Hunter, Dickson, Laurent, Maes, etc. 10 avril 1920 Hier visite à Ipekian au sujet des bruits qui courent sur la prise de Bakou par les Bolcheviks. Il ne sait rien mais il croit la chose possible et certaine. L’armée d’Azerbaïdjan n’existe pas. {57b} D’ailleurs, la chute de ces petites républiques est souhaitable. Elles sont indignes de vivre. Elles n’ont pas de traditions, pas de relations diplomatiques possibles, elles n’ont aucune vue générale et n’envisagent les affaires du monde que sous l’angle de leurs petits intérêts particuliers. Il est certain que les Bolcheviks prendront Bakou et que les puits de pétrole iront enrichir les trésors communs des Soviets. Cette avance doit se faire avec l’appui des Anglais. C’est eux qui se sont entraînés à Novorossisk pour que la population ait la vie sauve, c’est eux qui ont recueilli Denikine et ont empêché qu’il ne soit capturé et fusillé, c’est eux qui laissent la confédération des peuples se réorganiser, l’unité russe se refaire parce qu’ils sont sûrs des hommes qui sont à leur tête et qui doivent être aujourd’hui à leur solde, comme ils étaient à celle de l’Allemagne (ceci est de moi).

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

159

L’opinion régnante chez les Anglais est que les Bolcheviks sont bien amendés, qu’ils ont aujourd’hui un gouvernement, que les Allemands les encadrent, qu’ils sont une force irrésistible, qu’il faut traiter avec eux, que les relations commerciales seront suivies de relations diplomatiques, que les richesses du Sud en céréales sont incalculables, que la récolte a été particulièrement brillante cette année, que des Russes comme Kouropotkine et Broussilof se rallient au bolchevisme. {58a} D’après Ipekian, une Arménie nouvelle s’organisait, différente de la République d’Arménie sous la protection des Anglais (la France ne serait plus très sympathique à ce projet). Elle comprendrait Erzeroum, Trébizonde, Echmiadzin, le velâyat de Van, Mouh, Mossoul. Ses frontières vers la Cilicie seraient indécises. Du côté persan, les frontières persanes seraient respectées. On ferait revenir de Bakuba les Chaldéens qui s’y trouvent, excellents agriculteurs que l’on remettrait à Urmia, où la culture des arbres fruitiers les réclame et on mettrait les Jelos nestoriens du côté de Van et dans la haute Assyrie (nous ne sommes pas des Assyriens, le terme est inexact). Ainsi se constituerait une Arménie sous la tutelle anglaise. On laisserait les Bolcheviks aller jusqu’à Kars. L’Arménie armée de la sorte servirait de contrepoids aux Turcs que l’Angleterre redoute à cause du panislamisme et aux Kurdes, car il est aussi question de créer un Kurdistan indépendant aux dépens de la Perse et de la Turquie et il ne peut exister comme bastion de l’Inde et de la Mésopotamie que si l’Arménie existe pour le tenir en respect. Mais ce que l’Angleterre ne veut pas favoriser, ce sont les républiques du Caucase : elle préfère la solution bolchevik (politique de Pitt pendant la Révolution). Les Anglais, selon Ipekian, défendront seulement Anzali. Quatre à cinq mille hommes seraient passés venant de Qazvin. On portera l’effort de la défense sur le Gilân. Un débarquement au Mazandaran n’aurait aucun avenir. {58b} Vu le ministre d’Azerbaïdjan qui se répand en protestations d’amitié, ne sait rien, réclame la collaboration de tous les pays pour exploiter l’Azerbaïdjan et proteste des sentiments de profonde hostilité contre les Bolcheviks des Azerbaïdjanis et réclame l’aide militaire des Alliés. Il me fait de grandes protestations sur l’Alsace-Lorraine et le droit des peuples à disposer d’euxmêmes. Lundi 12 avril 1920 Hier Pâques russe. Il y avait réception à la Légation de Russie, cette légation à la remorque de laquelle nous marchons, dit Hoppenot, qui ne voit pas qu’ici nous nous appuyons sur ce que nous trouvons. Nous avons vu les Russes et nous en avons tiré beaucoup plus qu’ils n’ont tiré de nous. Qui nous renseignerait ? les Anglais ?

160

georges ducrocq, Journal de Perse

Le général Dickson était là, à côté de Raymond et ils parlaient du bolchevisme. Avec un sourire sur ses lèvres, le général Dickson annonçait que les Bolcheviks étaient maintenant transformés, qu’il fallait traiter avec eux, que jusqu’ici la France était le seul pays qui s’y fût opposé. Et il terminait par des paroles d’un rayonnant optimisme : Téhéran est la ville du monde la plus sûre et la plus calme. Les Hoppenot ne sont pas venus à cette réception. Les nouvelles sur la prise de Bakou ne sont pas confirmées mais Molitor a rappelé le poste d’Anzali. {59a} Visite dans la journée, par un temps radieux, à Raghès124 et à la terre des Guèbres. Pourquoi laissons-nous tomber notre privilège sur les fouilles de Perse ? Raghès a été fouillé superficiellement. On y trouverait, si les fouilles étaient conduites méthodiquement tous les vestiges d’un art délicieux. Les morceaux de poteries que l’on ramasse ont encore des tons divins, d’un éclat incomparable. Des maîtres faïenciers ont vécu ici. La terre garde leurs trésors. Le site du vieux Raghès est admirablement choisi, il domine la plaine de Téhéran et celle de Varâmin ; à l’infini, ce matin, s’étendaient les champs d’orge tendre et les peupliers délicats de Šâh ‘Abd ol-‘Azim, sa coupole d’or étincelant au soleil tandis que vers Téhéran le bulbe bleu de ciel de la mosquée de l’Ambar scintillait doucement comme une goutte d’azur. C’était une douce journée, les ruisseaux coulaient gaiement, nos chevaux étaient éveillés et s’ébrouaient joyeusement dans l’eau fraîche. 14 avril 1920 Un envoyé afghan est attendu à Téhéran. Le gouvernement persan a envoyé secrètement Manšur ol-Molk et Hoseyn Khân qui sont toujours à Mašhad afin d’aller traiter avec les Bolcheviks de la possibilité de relations politiques et économiques avec la Perse. 15 avril 1920 Hešmat od-Dowla, nouveau ministre de la guerre, a donné sa démission. Le colonel Hunter me déclare que l’on n’entend rien à la Légation d’Angleterre, d’Eiffel et de Londres. La tsf ne sert à rien, dit-il125. {59b}

124  Rey, à 15 km au sud de Téhéran. 125  Une des grandes préoccupations de Ducrocq est d’assurer une liaison radio avec la France pour diffuser des informations concurrentes de celles données par les Bolcheviks ou les Allemands.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

161

Raymond, que l’adhésion de la Belgique à la France empoisonne, dit à McMurray que les Anglais doivent se ranger du côté de la Belgique et envoyer des troupes ou il précipitent la Belgique dans les bras de la France ! 16 avril 1920 Conversation avec Perny sur le lycée français à créer à Téhéran. Perny dit que le prince Firuz a renouvelé au Gouvernement de la République l’offre d’une subvention de 10 000 tomans à condition que le gouvernement français donne une subvention égale. Le prince Firuz offre un terrain et l’appui et les encouragements du gouvernement persan pour la création à Téhéran d’un lycée. Cette demande a été transmise au ministère des Affaires étrangères qui après plusieurs semaines n’avait pas encore accusé réception. Il faudrait agir sur le supérieur des Lazaristes et il suffirait d’un mot des Affaires étrangères. Pourquoi tarde-t-on ? Perny m’apprend une chose encore plus forte que je prévoyais d’ailleurs : Vosuq, quand il s’est vu menacé de la candidature Cox, qu’il connaissait, est venu, désolé, trouver M. Lecomte et lui dire : c’est l’annexion de la Perse. M. Lecomte le remonte. Quelques jours après Vosuq offrait la Guerre et les Finances au gouvernement français126. Ceci se passait en octobre 1918 et un journaliste du Journal, M. Barby, de passage à Téhéran, emportait une lettre autographe de Vosuq od-Dowla au président du {60a} Conseil lui exposant l’offre avantageuse de la Perse. La lettre fut sûrement communiquée à Lloyd George par son ami Clemenceau. Six mois après Clemenceau prié de dire ce qu’il avait fait de cette lettre, déclara qu’il l’avait égarée. C’est alors que les Persans se jetèrent dans les bras des Anglais. 17 avril 1920 Les Persans ne se promènent jamais avec des femmes mais ils vont au printemps à la campagne et les deux voitures se suivent, la première avec les jeunes gens, la seconde avec les femmes et tout ce monde a les joues empourprées de la griserie de la verdure, du vin et de l’amour. Les Persans ne voient pas leurs femmes avant le mariage. Une fiancée se voile quand le fiancé entre dans l’andarun. Les Persans ne fument pas devant leur père, se tiennent debout devant lui, ne se permettent aucune licence devant lui. Le mot id, « fête », est le même que celui des Romains et Dieu sait s’il y a des ids en Perse. 126  C’est à dire lui offrait d’y nommer le candidat présenté par la Légation de France.

162

georges ducrocq, Journal de Perse

18 avril 1920 Le P. Chatelet m’explique le fond de l’affaire Firuz. Il consent à nous laisser l’Instruction publique. Les Persans avaient offert la Guerre en 1918 et le retour de Bizot, mais l’Angleterre a mis son veto absolu. Les Persans veulent garder une porte de sortie, accepter l’argent des Anglais et crier avant chaque échéance, continuer à opposer en Perse les nations les unes aux autres. Les Lazaristes marcheraient dans la combinaison du lycée. Une première classe (4ème) serait organisée à la rentrée des cours avec des professeurs français de Téhéran. {60b} Le concours des Affaires étrangères est assuré. Ils ont déjà remis 50 000 francs au P. Chatelet cette année. Un grand mécontentement règne à la Gendarmerie. Les officiers ne sont pas satisfaits. Ils vont être rétrogradés ; la solde n’est pas payée depuis deux mois. D’autre part, les gendarmes sont très mal vus des cosaques : des rixes éclatent constamment. Des hommes de la Police ont été rossés. On s’est expliqué au poste à la lueur des lanternes on s’est aperçu que c’était une erreur. Les cosaques leur ont dit : nous pensions que vous étiez des gendarmes. M. Lecomte disait de Mme Starosselsky : c’est la dame qui pose pour les avant-bras. Ravitch, type d’évêque polonais, est le plus intelligent de la Division. Hier charmante promenade à Qasr-e Firuz, petit pavillon de chasse au pied de la montagne, que Nâser od-Din Shâh habitait quand il chassait la gazelle dans la montagne. À deux pas de Téhéran le désert sauvage, nu, les défilés propices aux coups de main des brigands, les embuscades faciles. De grands pins, un bassin, une source d’eau fraîche qui sort de la montagne, de l’herbe douce que le soleil n’a pas encore brûlée, un endroit délicieux, un belvédère, toute la plaine de Téhéran et les montagnes immaculées. {61a} La création d’un Kurdistan indépendant a uniquement pour but d’arrondir la frontière de la Perse et de prendre Mossoul. 21 avril 1920 Nous venons de l’emporter dans la question du Rhin. Aussitôt on nous lance dans les jambes la question du Kurdistan. L’Angleterre en profite pour vouloir nous faire capituler sur ce point essentiel. Car ce que projette l’Angleterre, c’est tout simplement le glacis du Kurdistan auquel s’ajoutera bientôt le glacis Azerbaïdjan. La Perse sera réduite à ses provinces centrales. Elle sera jugulée. Que deviennent dans cette combinaison la Chaldée et l’Arménie ? Peu de chose. Le Kurdistan massacre la Chaldée. L’Azerbaïdjan l’Arménie. Chez les Turcomans, même politique. Créer des glacis solides et au-delà favoriser le partage chez l’adversaire. Le contrat de la Compagnie Lynch expire. Voilà 25 ans que cette compagnie anglaise possède sans l’exploiter la route Kourr-Ispahan. Elle n’y fait aucuns

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

163

travaux et la poste ne peut y circuler que par postillons. Il en est de même pour la route Ispahan, Soltânâbâd, Hamadân. Mais par ce privilège Lynch conserve le droit d’empêcher toute organisation de la route et réserve les droits futurs qu’il entend faire prévaloir dans un établissement de lignes de chemins de fer en Perse. 300 chevaux font le trajet de Hamadân à Qasr-e Širin. Molitor127 est à la tête de 3.500 chevaux, cavalerie difficile à surveiller, pour laquelle il faut payer un fourrage qui souvent n’est pas donné aux chevaux, {61b} et ceux-ci meurent faute de soins. De Hamadân à Qasr-e Širin, le transport des voyageurs est assuré par le va et vient des pèlerins, 60 000 pèlerins ont été transportés cette année. Un homme comme le Sepahdâr ne peut rester à Téhéran, simple particulier, sans être accusé de complot. 22 avril 1920 C’est bien Sâlâr Laškar qui sera gérant du ministère de la Guerre. La puissante tribu de Farmân-Farmâ tiendra tout le pays ; le père au Sud, vice-roi, les fils aux affaires étrangères et à la guerre. Le malheur de ce pays est sa haute classe, avide d’emplois, de places, d’argent, sans aucun patriotisme. Aucun fond, aucune consistance, aucun caractère. L’intrigue et la corruption, tous les revirements, toutes les volte-face possibles. Les gens finissent toujours par tout vous dire. Les Persans se trahissent entre eux. 23 avril 1920 À la chasse aux cailles dans les champs d’orge nouveau avec le prince [‘Ezz os-Soltân], fils du régent128, avec [Amir] Zafar et le jeune Starosselsky. La conversation tombe sur le Qarârdâd129. Les officiers persans qui ont servi, fait leur carrière dans l’armée, ne tiennent pas de commander en second. L’armée des Indes pratique ce système. Les officiers hindous ne peuvent atteindre que les grades de colonel encore n’ont-ils que des fonctions administratives, le commandement suprême leur échappe. {62a}

127  Il doit s’agir de Camille Molitor, administrateur de la poste. Son frère Lambert est administrateur des douanes persanes de 1921 à 1925. 128  On lit Ezazes Saltanah. Sans doute « ‘Ezz os-Soltân », fils de Kâmrân Mirzâ « Nâyeb os-Saltana » et secrétaire de Ahmad Shâh. Le nom qui suit est écrit Amin Zafar. 129  Nom persan de l’Accord anglo-persan de 1919, souvent appelé par dérision Arrangement par les diplomates français. Ducrocq écrit « guarardar ».

164

georges ducrocq, Journal de Perse

Le jeune Starosselsky dit que les Anglais auraient d’après le bruit public 10 000 hommes à Anzali. Ils auraient mis à terre des canons de la défense côtière ; ils feraient des réduits avec fil barbelé. 25 avril 1920 Bjurling a été chassé de Tauris par les Azerbaïdjanis. Brunokovsky attribue cet échec aux intrigues de ‘Eyn od-Dowla, qui a comploté avec les démocrates le renvoi des Suédois. Mme Molitor descendrait des comtes Vitalis, Vénitiens qui émigrèrent à Constantinople. Le général Vitalis avait été comblé d’honneur en Turquie. Il avait gagné ses grades à la Légion étrangère. Les Persans détestent les chiens mais aucun d’eux n’ose les tuer. Javâd me parle du bahâ’isme. Les mollâs ont encore un pouvoir considérable sur la foule. Ils se sont prononcés contre l’Arrangement. Le gouvernement anglais aura fort à faire avec ces hommes qui ont l’oreille du peuple et qui disent crûment les vérités. Un des principaux agents germanophiles vient d’être pris par Vosuq dans son ministère. Est-ce un acte personnel ? ou d’accord avec le gouvernement anglais ? 27 avril 1920 Ce matin à 6 heures. La division des Cosaques est montée avec ses canons, son matériel de guerre, en chantant, à Qasr-e Qâjâr où elle va prendre son quartier d’été. {62b} 29 avril 1920 Hier déjeuner charmant chez les Starosselsky. Un ciel de printemps balayé par un vent frais, des nuages dansant dans l’azur, la plus jeune verdure, des bassins miroitant au soleil. Dans ce décor printanier, le sourire diabolique de Starosselsky, ce condottiere moderne, disait en riant : « Je suis bolchevik » et on ne sait s’il plaisante. Il me dit qu’un officier russe venant à Mašhad d’Ashkâbâd a dit au général Malleson que la situation de l’armée Denikine et de l’armée Ashkâbâd servant aujourd’hui chez les Bolcheviks était bonne, que les Bolcheviks ne commettaient aucun excès, qu’ils étaient maintenant bien habillés, bien équipés, disciplinés et possédaient une artillerie que Moscou leur a envoyée. Il n’y a pas de Hongrois au Turkestan. Une seule chose fait défaut : le combustible. C’est pourquoi il n’y a qu’un train par jour, de Moscou à Tashkent. Le Bolcheviks sont contrariés. L’émir de Bokhârâ incline dans leur direction depuis la défaite de Denikine et de Kaltchak. Il n’y a aucun espoir à fonder sur une révolte des

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

165

musulmans du Turkestan. Aucun ne bougera. Les Afghans sont de mèche avec les Bolcheviks. Autre renseignement : le consul britannique de Rašt aurait entamé des pourparlers avec les délégués des coopératives bolcheviks récemment arrivés en Perse. {63a} Pour Philipoff, les officiers de Denikine manquent de tout, se sont mis à spéculer et la débandade s’est mise dans leurs rangs. La mission prétendument envoyée par Bokhârâ à la Légation russe de Téhéran est sans valeur. Les émissaires de l’Emir ont quitté Bokhârâ depuis trop longtemps et arrivent de l’état-major de Denikine. Les officiers de cette mission, dit Starosselsky, sont les fuyards de Denikine. Le major O’brien, qui parlait beaucoup, a été renvoyé à Anzali où il a pris en main 90 cosaques de l’Oural avec lesquels il avait fait retraite de Gouriel à Fort Alexandref. Le colonel (ou général) Nasim, récemment attaché à l’état-major du maréchal Foch comme officier de liaison est arrivé à Téhéran dans la mission financière. Le ministre130 a reçu du ministère un télégramme l’invitant à retarder son départ. Il reste. J’en suis heureux car on disait qu’il était rappelé à Paris, que sa politique y était blâmée et que son départ était un succès personnel pour Cox. Le président du Conseil Vosuq lui a écrit une lettre le félicitant de rester. Starosselsky en est enchanté. Les Hoppenot, qui prévoyaient la gérance immédiate, le sont moins. 30 avril 1920 Hier soir au Club, Molitor. On dit que les Bakhtyâris ont partie liée avec les Anglais. La Bakhtyâri Oil Company ne peut marcher qu’avec l’aide des Anglais. La route qui traverse le pays Bakhtyâri est entre les mains anglaises. {63b} Excellente conférence de Perny hier. Bonne tenue – sauf la pointe contre les militaires cause de la crise économique actuelle. Téhéran en ce moment s’occupe d’une question grave, la réforme de l’écriture persane. Un nouveau venu le colonel Nasim qui a été attaché à l’état-major de Foch. Il fait partie de la commission financière. Avec lui est arrivé un chef qui est malade et paye son tribut à la Perse. Le jeune secrétaire privé est un meneur de cotillon. Havard vient d’être nommé conseiller financier. La Légation

130  Charles Bonin, ministre plénipotentiaire à Téhéran. Voir ce que dit Hélène Hoppenot de ce départ retardé.

166

georges ducrocq, Journal de Perse

d’Angleterre craint que la commission financière lui échappe, comme la commission militaire. Elle prend ses précautions. Wickham est le vrai chef de la mission britannique, il est officier politique, conseiller politique de la mission. 1er mai 1920 Arrivée du Dr Roland, qui vient à Ispahan, et sera notre agent consulaire. C’est Marin131 qui l’envoie. Roland dit que nous avons amené des Arméniens en Cilicie. Faute. Ils ont pillé et tué des Turcs. Les représailles sont arrivées. De l’avis de Starosselsky, il y a 3 500 Anglais à Anzali, 700 à Manjil, 3 000 à Qazvin, 600 à Hamadân. Il en arrive de Mésopotamie. Il y aurait, disent les {64a} Anglais, 20 000 hommes au Khorassan. C’est douteux. Tout au plus 6 à 7 000, amenés de Mésopotamie par mer et par terre. Les Anglais négocient avec Sardâr [Mohiy132] qu’ils veulent amener à former le noyau d’une armée nationaliste turkmène. Les pourparlers ont lieu à Bendjour. [Hiraz ?] et ses 200 Turkmènes voulaient servir dans les Cosaques. Le gouvernement persan inclinait vers cette solution. Le gouvernement anglais l’a fait écarter. Le Sardâr [Mohiy] a sauvé jadis Korniloff133 de Benitra, petite ville près de Méhalu où il était emprisonné. Les sauveteurs ont franchi des fleuves à la nage. C’est une élite, une poignée de héros restés fidèles à la Russie quand tout le monde la trahissait. À entendre Roland nous devrions abandonner la Syrie quitte à y revenir quand le soulèvement islamique qui ne saurait tarder se produira. Nous avons eu tort de nous compromettre en Orient à côté des Anglais. 3 mai 1920 Hier admirable journée de plein air. Nous allons à Vanak, mausolée et domaine de Mostowfi ol-Mamâlek. Dans un grand parc ombreux de cyprès, de peupliers et de platanes, ce grand seigneur qui n’aime que la chasse passe des jours tranquilles loin de la ville, loin des intrigues, loin des malhonnêtes gens qui pullulent dans la capitale. Le village lui appartient. La brise fraîche du Towčâl tous les soirs caresse la cime de ses arbres. Une eau limpide coule {64b} éternellement dans sa propriété. Le tombeau où reposent ses parents a le charme mortel et suave de ces cimetières italiens où l’on allait, au temps du romantisme, prendre le goût de la mort en serrant dans ses bras une créature bien vivante. 131  Louis Marin, député, membre influent du « parti colonial », ami d’enfance de Ducrocq. 132  Lecture incertaine. 133  Lavr Kornilov (1870-1918), général russe tsariste.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

167

Les lances des cyprès, dans une cour oblongue montent par-dessus les toits. Le murmure des fontaines, des rossignols, le soir, à la pointe des arbres, la splendeur du ciel émaillé sur nos têtes font de ce lieu sacré un enchantement. Nous y sentons tout à coup la vanité de nos amusements. Les inscriptions coufiques qui courent sur les faïences de la muraille rappellent la fragilité des choses, la brièveté de la vie et tout ce que la sagesse orientale contient de profondeur, de philosophie souriante, de poésie voluptueuse. Le soleil entre dans la chambre mortuaire, caresse le tombeau de marbre, les feutres de prière, les portraits, les tableaux de piété, les grandes invocations du Coran dont les lettres magistrales brillent au mur. Mélancolique comme la destinée, l’eau des sources emplit la cour de son chant divin. Au loin par la porte entr’ouverte sur la campagne, les grands platanes traversés par les flèches du soleil, les parterres de gazon lumineux, les aubépines en fleurs, les acacias enivrants, le jardin lumineux apparaissent. Plus loin le désert brille comme une peau de lion. Plus loin encore les montagnes neigeuses qui nous séparent de {65a} la Caspienne, l’Alborz orgueilleux et la chaîne éblouissante du Damâvand lèvent leurs casques blancs et le vol des oiseaux de proie tourne indéfiniment dans l’atmosphère enflammée d’un beau jour de printemps, gracieux comme la jeunesse du monde dans ce pays millénaire qui ne croit plus à rien qu’à la clarté du ciel. On annonce la prise de Mašhadsar par les Bolcheviks. 4 mai 1920 La doctoresse134, au thé du Club, me parle de [Vogmusursky ?] « directeur pour l’Asie du Soviet, envoyé en Afghanistan ». Je lui demande d’où elle le connaît. Elle me fait l’éloge de Brévier et de [Vogmusursky] que l’on considérait comme très intelligents à Paris, dans le monde de l’Europe nouvelle. Starosselsky prétend que les Anglais sont découragés, voient qu’ils ne réussissent pas en Perse, qu’en cas de guerre et de soulèvement les voies de retraite leur seraient coupées. De là à l’idée d’évacuation . . . Le général Champain serait particulièrement incrédule et inquiet sur la valeur de ses troupes et la possibilité de résister. Mais Starosselsky est russe et prend ses désirs pour des réalités. Les Anglais déchaînent des tempêtes sans s’en douter. Aujourd’hui les Bolcheviks s’approchent de la Perse et ils disent : {65b} Si les Bolcheviks entrent en Perse il sera bien difficile de défendre ce pays. Mais pourquoi ont-ils lâché pied en Transcaspie, au Caucase ? Ils ont fait la grandeur du bolchevisme. Il est trop tard pour l’arrêter. 134  Mathilde Deromps, qui vient d’arriver à Téhéran ; ses frasques défraient la chronique locale et pour finir, elle se mariera l’année suivante avec un Iranien. Voir ce qu’en dit Hélène Hoppenot, 3 mai et 3 juin 1920.

168

georges ducrocq, Journal de Perse

6 mai 1920 Le général Dickson hier au Club me parle des Kurdes [levies] qui sont levés au Khorassan et ne donnent que 200 recrues, des [Buberi], plus combattifs, petits, trapus, larges, robustes, qui habitent près de mers et forment un régiment de l’armée indienne. 7 mai 1920 Starosselsky dit qu’un commissaire bolchevik est arrivé à Astarâ, qu’il a demandé aux Cosaques de se rallier aux Bolcheviks, les menaçant, s’ils ne le faisaient pas, de les exterminer. Starosselsky a transmis cette menace au Président du Conseil. Le général Champain et le général Dickson n’y voient qu’un bluff des Bolcheviks. D’autre part, on annonce que les Arméniens passent aux Bolcheviks, que les Géorgiens ont été attaqués par la 10ème ou 11ème armée bolchevik, qu’ils en ont averti les Puissances. Enfin on annonce que l’Entente a reconnu le gouvernement des Soviets. – Le major Bjurling, le major Folkenkron135 qui arrivent de Tauris disent que la situation est intenable à Tauris. Les démocrates en sont les maîtres. Ils sont bolcheviks, {66a} d’accord avec les Turcs et les Allemands. Le consul allemand fait ce qu’il veut. Il a des mitrailleuses, des munitions, un canon. Il a fait transporter des voitures de munitions chez les démocrates. Il menace si les aéroplanes anglais survolent sa maison de faire sauter le quartier. Les troupes ne sont pas payées, la police n’est pas payée. Aucun secours à attendre donc des forces militaires. Anarchistes, terroristes, brigands, conspirateurs font ce qu’ils veulent. Le gouverneur actuel ‘Eyn od-Dowla se prête à cette conjuration qui aboutira promptement aux séparations de l’Azerbaïdjan et à un nouveau massacre des chrétiens. La maison de Bjurling a été pillée aussitôt après son départ. Le major Folkenkron avait été invité à une promenade à cheval avec le consul allemand. Il a refusé, craignant un guet-apens.

135  J. Qâ’em-maqâmi ne mentionne pas de nom ressemblant dans son histoire de la gendarmerie iranienne [Târix-e žândarmeri-e Irân az qadim-tarin ayyâm tâ ‘asr-e hâzer, (Tehrân), Edâra-ye ravâbet-e ‘omumi-e žândarmeri-e kešvar-e šâhanšâhi, s. d. (2535/1976)]. Les sources persanes transcrivent fklklw, [soit Fokolklo ?] et datent l’arrivée à Tabriz de Bjurling avec des forces spéciales de la gendarmerie du 23 jomâdâ I 1338/14 février 1920 : ‘A. Âzari, Qiyâm-e Šeyx Mohammad Xiâbâni dar Tabriz, Tehrân, 1329/1950, p. 311 ; A. Kasravi (Md-‘A.H. Kâtuzyân, ed.) Qiyâm-e Šeyx Mohammad Xiâbâni, Tehrân, Našr-e markaz, 1376/1997, p. 50 et 144.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

169

10 mai 1920 Les bruits alarmants commencent à courir. Les Bolcheviks sont à Âstârâ. Ils menacent de prendre l’Azerbaïdjan. Ils ont sommé les autorités cosaques d’avoir à passer au bolchevisme sous peine d’extermination. Ils ont sommé le gouvernement persan de renvoyer les troupes anglaises qui foulent le territoire persan. Starosselsky porteur de la nouvelle concernant les Cosaques serait allé trouver le président du Conseil. Un conseil de guerre s’est tenu entre le général Champain, le général Dickson, Sir Percy qui a conclu à un bluff des Bolcheviks. {66b} D’après un autre bruit, inventé par Starosselsky, sans doute, Trotski, Lénine, Zinoviev sont à Bakou136. À ces nouvelles pessimistes, Ravitch oppose un optimisme complet. Les Anglais ne laisseront pas les Bolchevistes entrer en Perse, ils négocieront. D’ailleurs, les Bolcheviks en pourparlers avec les Alliés ne sont pas assez bêtes pour gâter leur situation par une campagne hypothétique en Perse. Ils se contenteront des pétroles de Bakou. Il blâme notre attitude envers la Russie. Il fallait nous désintéresser de ses affaires et n’exiger que la Constituante, il ne fallait pas soutenir Koltahek et Denikine, il ne fallait pas écouter les vieux monarchistes, créer un gouvernement Sazonof à Paris, etc. La Pologne ne sera jamais bolcheviste. La Pologne est vouée à la reprise des relations commerciales avec l’Allemagne. La Russie s’achemine vers une république bourgeoise bien qu’un mouvement réactionnaire allemand puisse toujours lui imposer un souverain. La Pologne remplira son rôle de gardienne de la civilisation sur les marches de l’Est. Elle ne sera jamais anglophile. {67a} Le colonel Smyth me dit : « Vous devriez venir à Qazvin, connaître notre état-major, nos troupes. Connaissez-vous le major Edmonds ? Il vous donnera des renseignements. Il y a des brigades à quatre bataillons, un bataillon anglais, trois indiens, un bataillon d’artillerie. À Qazvin se trouve le Premier bataillon irlandais.

136  Le Premier Congrès des peuples de l’Orient s’est tenu à Bakou du 31 août au 7 septembre 1920. L’appel officiel est daté du 29 juin, mais il est possible que Starosselsky ait eu des informations avant la publication sur le choix de Bakou pour ce rassemblement auquel, parmi les noms cités, seul Zinoviev a participé. Cf. J. Riddell & M. Shirvani, eds., The Communist International in Lenin’s Time. To See the Dawn : Baku, 1920, First Congress of the Peoples of the East, New York – London – Montreal – Sidney, Pathfinder, 1993.

170

georges ducrocq, Journal de Perse

Vous devez vous trouver en agréable situation en Perse, où tout le monde parle le français, me dit-il. Nous autres Anglais devons apprendre les langues étrangères et cela nous est très difficile. » Le major Smyth est partisan de l’envoi d’une force considérable à Tauris et de la capture du consul allemand au plus tôt. 11 mai 1920 Hier Starosselsky conte que le général Champain est venu le trouver et qu’il lui a dit : pourquoi êtes-vous brouillé avec nous ? il a mis tout le malentendu sur le compte de Dickson. Starosselsky a dit : « Nous nous défendons. On nous attaque, on veut nous supprimer. » Champain n’a pas caché à Starosselsky son peu de confiance dans la position de Qazvin qui peut être coupée de sa ligne de ravitaillement. Le général Champain a refusé l’invitation du ministre de France à déjeuner. Dickson me dit au garden-party : « La légation de Russie pourrait mettre en location sa propriété. » Je lui réponds : « – Ni vous ni moi ne pourrions l’habiter. » Il me répond : « – Moi certainement non, mais vous le pourriez. » Je ne lui réponds rien. Je veux voir jusqu’où il ira. {67b} 13 mai 1920 Conversation avec Sardâr [ ]137 chez le prince Nâser od-Dowla. Il a fait partie de la Commission militaire. Il dit que les clauses qui concernent l’engagement des instructeurs anglais ont été par lui discutées. Les membres persans se sont efforcés de réduire le nombre des instructeurs anglais. Ils ont obtenu qu’il n’y ait que trois officiers instructeurs pour les régiments nouveaux. Pour les régiments existants et possédant des officiers persans capables pas d’instructeurs anglais. Les instructeurs ne seront pas tous repris ; au bout de quatre ans un tiers sera supprimé, quatre ans après un autre tiers. L’armée persane s’émancipera peu à peu de la tutelle anglaise. Pour les sous-officiers leurs contrats seront de deux ans. Le Sardâr [ ] déclare que l’on est très mécontent de l’Arrangement, que cet Arrangement est signé entre deux personnalités qui ne pouvaient engager ni la Perse, ni l’Angleterre, que la question persane doit être résolue sur le terrain international, que la constitution de la Perse s’oppose à reconnaître cet engagement comme valable. C’est d’ailleurs l’avis de plusieurs Anglais. La mise en vigueur des projets de la Commission est impossible. 137  En blanc dans le manuscrit.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

171

Enfin il me demande ce que je pense de la Syrie, des difficultés que nous y rencontrons. Il s’en étonne, il dit qu’autrefois les Syriens attendaient la France, il ne comprend pas ce revirement (propagande anti-anglaise). Le Sardâr dit encore que la Perse a vécu dans un jeu de bascule russo-anglaise, préservait son indépendance, puis elle a cru à la France et a voulu lui confier l’instruction de son armée, mais les Français s’étant dérobés, elle se retourne vers les Bolcheviks. Le Sardâr me fait le plus grand éloge de Mostowfi ol-Mamâlek. {68a} Aujourd’hui le bruit court en ville que les Anglais vont lâcher Rašt et Anzali et défendre Manjil. S’ils lâchent Manjil, ils lâchent Qazvin et Téhéran. Starosselsky multiplie les nouvelles alarmantes, il en jubile. Le bruit dominant est que l’on ferait un arrangement avec les Bolcheviks, que les Persans s’entendraient avec eux. Ziyâ’ od-Din distribue, dit-on, à Téhéran l’argent des Bolcheviks et cherche à provoquer un mouvement contre les Anglais. Chose mystérieuse puisqu’il est payé par eux. Les Anglais disent que la route Bagdad – Alep sera prochainement ouverte. Tout le monde s’accorde à reconnaître que les Anglais n’ont pas réussi, qu’ils n’ont pas la manière. Ils ont tout de suite montré leur instinct de domination et leur mépris de l’indigène que leurs femmes surtout ne cachent pas. Hier au dîner du Club, Starosselsky a été étourdissant, blaguant le Président (Raymond), buvant à l’armée anglaise, à ses officiers, au général Champain. Sardâr Mo‘azzam lui donne la réplique. C’est sous le ministère de Mošir od-Dowla que Starosselsky a fait son coup d’État à Téhéran. {69b} Le matin nous avions assisté à un match d’escrime à Bâq-e Šâh. Le général Dickson y a fait un discours en persan avec un épilogue sur le Pacha de Dehli qui fit appeler un médecin anglais et guérit. Le médecin ne réclama rien pour son salaire, il lui dit qu’il ne travaillait que pour son pays. Moi aussi, dit le général Dickson, je ne travaille que pour mon pays. Aujourd’hui, fête chez le prince Nâser od-Dowla, réception. C’est avec une grande dignité, une décence parfaite que les Persans s’abordent, se saluent, se complimentent, se prodiguent des témoignages de respect. Quand un nouveau venu entre dans le jardin, les personnages présents se lèvent et disent : Yâ Allâh ! Le Major Seyfollâh Khân raconte les brimades dont les anciens élèves des Écoles françaises furent l’objet de la part des instructeurs suédois qui leur faisaient passer des examens éliminatoires en leur disant d’avance qu’ils ne seraient interrogés que sur des questions relatives à la gendarmerie et qui les interrogeaient traitreusement sur des cartes militaires soigneusement préparées, pour les couler et les envoyer en province.

172

georges ducrocq, Journal de Perse

Demain, je vais à la chasse avec la mission militaire anglaise et Bâqer Khân Qâjâr. {69a} Marie est allée hier à un mariage : le prince Nâser od-Dowla avait convié Mme Hoppenot138 et Marie aux noces de sa nièce. Sur un tapis se trouvaient préparés un vase de fleurs, un cadre contenant des versets du Coran composés avec de petits cailloux, des morceaux de sucre brut. Le prêtre (sic) de l’autre côté de la porte lit les prières. Les réponses sont faites par la mariée et par les femmes présentes qui toutes affirment son consentement. Une des femmes casse du sucre sur la tête de la mariée pendant la cérémonie parce que c’est une femme qui fait bon ménage avec son mari et qui en a beaucoup d’enfants : cela portera bonheur. Les femmes veuves ou séparées n’assistent pas au mariage. Le marié fait une dot à sa femme. Il l’achète et lui doit la dot, s’il la répudie. En règle générale les séparations sont rares. 15 mai 1920 Toujours même aberration des Anglais : les Bolcheviks seront vaincus par des négociations. On ne fait pas la guerre au bolchevisme. Il faut faire cesser les guerres ; le temps du militarisme est passé. Rien à attendre de la Pologne, Ukraine, Estonie, etc. Les Bolcheviks ne viendront pas en Perse. Il faut traiter avec eux puisqu’ils sont le gouvernement reconnu de la Russie. En même temps les Persans attendent les Bolcheviks comme des libérateurs. Ils ne savent pas qui ils sont mais ils chasseront les Anglais. {69b} L’envoyé afghan n’ayant pas fait visite au corps diplomatique, celui-ci s’est réuni et a décidé de demander au gouvernement persan de recevoir à part l’envoyé afghan. Le gouvernement persan voulait le faire passer avant le chargé d’affaires de Russie. Voilà l’Afghan rejeté dans les bras des Turcs et des Allemands. On aurait pu éviter cette mésaventure en s’opposant à son entrée en Perse ou en stylant les Persans. 17 mai 1920 Hier cérémonie [pour l’anniversaire] du couronnement au Golestân. – Salâm, dîner, soirée. Les Anglais, en deuil de la princesse royale de Suède, fille du duc de Connaught, ne sont pas venus à la cérémonie. Les Anglais fonctionnaires persans y étaient et rien n’était plus amusant le soir que de voir Smith139, conseiller financier, en calot et en kolâh de même que le colonel Smyth en kolâh et en uniforme persan. Le colonel Lamont me disait l’autre jour la colère 138  Qui en fait un récit beaucoup plus circonstancié, p. 169 sq. 139  Sidney Armitage-Smith.

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

173

des officiers anglais contre le Vali-‘Ahd qui les avait reçus en leur disant : in-râ, cela, ne disant même pas : « ces messieurs » . . . Grave outrage ! et leur témoignant une hauteur extraordinaire. Les Afghans assistaient au dîner, ils ne se sont fait présenter à personne, ils ont observé tout le temps du dîner leurs voisins. J’étais à côté du vieux [Mo‘tamed od-Dowla]140 qui m’a dit le plus grand mal de Starosselsky, qui touche {70a} 140 000 tomans, dit-il, qui a sous ses ordres des officiers d’E.M. plus forts que lui mais qui l’emporte par le génie de l’intrigue. D’autre part, le colonel Ravitch déclare que le fils de ce Motamed od-dowla [qui] tire sur le gouvernement turc a été tué comme espion allemand et que son frère Hâdi Khân141, qui sert aux Cosaques, à Askarâbâd, ancien St Cyr et Saumur, est une valeur. Le vieux Mo‘tamed od-Dowla veut mettre ses enfants en Suisse, à cause, dit-il, du coquin d’ambassadeur142 qui est à Paris et que la France soutient. Il a connu le général Dickson enfant. Son père était un de ses amis de jeunesse. Mme Dickson mère était une Vénus. Des gens absolument nets, dit-il. Hadjean qui avait armé 1 000 Arméniens vient d’être révoqué. Le corps des Finances avait déjà coûté 500 000 tomans à l’État. Les soldats des Finances rançonnaient l’habitant. De l’avis de M. Belayef, les malfaiteurs, auteurs de la révolution russe, les principaux coupables sont Tolstoï et Gorki. 19 mai 1920 Les troupes anglaises auraient été cernées à Anzali hier (2 000 hommes) et seraient entrées en pourparlers avec les Bolcheviks. Ceux-ci les auraient laissé évacuer Anzali et Rašt (500 hommes) en liberté à condition que les forces anglaises renoncent à l’occupation du Gilân {70b} ce à quoi elles ont consenti. Les Bolcheviks sont venus à Anzali pour reprendre la flotte Denikine dont les Anglais s’étaient emparé et reprendre les effectifs de l’armée Denikine qui étaient d’ailleurs très mal traités par les Anglais, accusés par eux de bolchevisme et de sympathie pour Kuček Khan, verrouillés et internés. Ainsi les troupes indiennes qui occupent la Perse pour la défendre, l’abandonnent au premier danger.

140  Non identifié. 141  Il s’agit probablement de Hâdi Šaqâqi, né en 1890, officier de cavalerie qui a étudié en Russie et en France. 142  Samad Khân « Momtâz os-Saltana » (1869-1955) ministre à Paris de 1905 à 1926.

174

georges ducrocq, Journal de Perse

Une conversation de Starosselsky avec le général Champain et Sir Percy Cox aux courses laissait prévoir ces événements. Le général Champain demandait à Starosselsky son avis sur la situation militaire et celui-ci lui disait que la position stratégique des Anglais était mauvaise, que mieux eût valu opérer une concentration à Hamadân qu’à Qazvin, à Rašt, à Anzali. Les voies de la retraite pouvaient être coupées. Le général Champain était de cet avis, il ne cachait pas le peu de confiance que lui inspirait la situation [en l’air] dans la Perse du nord. Le général Mac-[Menn ?] qui était venu inspecter la situation l’automne dernier était de cet avis et il n’avait pas voulu que l’état-major de {71a} Mésopotamie endossât la responsabilité des opérations en Perse. Le général Champain récriminait vivement contre le Gouvernement de Londres qui le mettait dans une situation impossible et contre les diplomates qui n’entendaient rien aux choses militaires. (Il eût mieux valu évacuer Anzali de son plein gré avant d’être contraint par la force. Tel est l’avis de Starosselsky et de Champain. Que deviendrait notre prestige en Perse, disait Sir Percy.) À quoi Sir Percy Cox répondait en traitant de haut le général Champain et le colonel Starosselsky les considérant comme des gamins sans expérience. Le général Champain revint voir le colonel Starosselsky à Qasr-e Qâjâr et lui renouvela les mêmes assurances. À son avis il était absurde de s’entêter à défendre des positions indéfendables. Aujourd’hui la situation est la suivante : on prétend que les Bolcheviks se contenteront du retrait des troupes anglaises. Celles-ci évacueraient le nord de la Perse, c’est l’opinion Starosselsky. Il prétend que le gouvernement persan s’entendra avec les Bolcheviks, qu’ils ne veulent aucun mal aux Persans, qu’ils ont témoigné à Rašt de la sympathie et des égards aux Cosaques persans, leur disant : nous ne vous voulons aucun mal, vous êtes persans. Sir Percy Cox aurait écrit une lettre à Vosuq od-Dowla pour le mettre au courant de la situation et l’assurer de la sécurité de Téhéran. Vosuq ne veut prendre aucune décision avant {71b} le retour du shah. Starosselsky le pousse à changer son ministère, à faire un grand ministère de concertation avec Mostowfi et Samsâm, à marcher avec les nationalistes en déchirant l’Accord. (La question de l’envoyé afghan s’expliquerait parce que celui-ci n’a pas remis ses lettres de créances). Sir Percy aurait dit que tout cela ne serait pas arrivé si le gouvernement persan avait permis aux Anglais de foncer sur Qasr-e Qâjâr, de désarmer les Cosaques et de remplacer les officiers russes par des instructeurs anglais. La Perse aurait maintenant une armée pour résister aux Bolcheviks. À quoi Vosuq aurait répondu qu’il ne désirait pas entraîner son pays dans une guerre avec les Bolcheviks et supprimer la seule force existante militaire (version Starosselsky).

DU 13 DÉCEMBRE 1919 AU 23 MAI 1920

175

Le mot d’ordre à Qasr-e Qâjâr est le calme opposé à l’inquiétude des Anglais, dont on escompte le prochain départ. On dit ouvertement chez les Starosselsky que Dickson n’est pas un général. – Sir Percy aurait demandé à Vosuq de faire garder la Banque. Aujourd’hui au Bâzâr on refusait le papier ang[lais] {72a} de la Banque impériale et les usuriers ne l’acceptaient qu’avec un tant pour cent de supplément. Le gouvernement aurait offert à Kuček Khan d’entrer dans les Cosaques mais Starosselsky a décliné cette offre. 23 mai 1920143 Les événements se précipitent. Les Bolcheviks sont à Anzali, ils négocient à Rašt avec le général Champain. Le colonel Smyth me dit qu’un rapport émanant d’Anzali dit que les Bolcheviks, ayant pris les bateaux, se retirent. Mais un autre rapport dit que le débarquement des Bolcheviks continue. Ils ont surpris les Anglais et les ont complètement tournés à Anzali par une manœuvre hardie. Il eût suffi de surveiller la côte avec de la cavalerie pour éviter cette aventure. Aujourd’hui ils tiennent le port d’Anzali et ne le lâcheront plus. Ils y massent des troupes, endorment les Anglais par des pourparlers et finiront par les couper d’Hamadân ou les repousser au nord de la Perse. Ils peuvent débarquer à Bârforuš et se trouver à cent kilomètres, une journée pour un raid de cavalerie à Téhéran. Smyth affirme que Champain prenait le thé à bord d’un vaisseau Denikine quand l’événement s’est produit et qu’il a été capturé. Les négociations en cours couvriraient sa reddition. Quant au sort des 250 officiers russes internés à Anzali, des mille hommes de l’armée Denikine qui s’étaient confiés aux Anglais, un quart n’aurait pu s’échapper et serait tombé aux mains des Bolcheviks. {72b} Il y a à Qazvin et dans le nord de la Perse 4 000 hommes, c’est-à-dire une force insuffisante pour résister : 820 hommes régiment irlandais, 3 bataillons indiens, chaque bataillon de 1000 hommes environ. Une compagnie mitrailleuse automobiliste. Starosselsky a fait courir le bruit d’un grand succès cosaque entre Novosibirsk et Petrovsk pour calmer l’opinion.

143  Le manuscrit porte d’une autre main : mai 1921 . . . manifestement une erreur : Champain a démissionné en août 1920.

176

georges ducrocq, Journal de Perse

Les Anglais actuellement cherchent à gagner du temps et à sauver la banque. Ils déclarent les Persans stupides de s’affoler. Mais ils gardent la banque ouverte vendredi et dimanche et ils remboursent. Bâqer Khan me dit que le cabinet va sombrer, que Vosuq risque sa vie, qu’un cabinet Mošir od-Dowla sera formé, nationaliste, qui traitera avec les Bolcheviks. Sur l’armée persane, aucun fond à faire. Les Persans reprochent aux Anglais de n’avoir pas su former une armée en un an. Anglais – Persans sont d’accord sur l’inutilité d’avoir recours à la force contre [les] Bolcheviks. Le ministre réunit aujourd’hui à 11h la colonie pour délibérer sur les mesures à prendre.

Du 5 juin au 15 juillet 1920



177

Du 5 juin au 15 juillet 1920144

5 juin 1920 Les Anglais qui ne veulent pas se battre avec les Bolcheviks seront bien forcés de se battre avec les Turcs. On ne prend pas des morceaux de l’Orient comme ceux qu’ils convoitent sans tirer l’épée. Na . . . est inquiet. Il voit clairement la situation. Personne ne monte à la campagne cette année : tout le monde attend. La situation est grave parce que le gouvernement persan ne veut prendre aucune décision. Il ne dit ni oui ni non. Les Anglais ne veulent se battre que sur son ordre. 6 juin 1920 Starosselsky est très inquiet. Il dit qu’il va solliciter des ordres du gouvernement persan. Les Cosaques de Rašt n’ont pas été évacués et ils seront entraînés dans le bolchevisme. Il semble que les Anglais veuillent à plaisir grossir les rangs des Bolcheviks. Les officiers de l’armée Denikine, prisonniers sur parole, ont été maltraités, ignominieusement traités, parqués. Le but des Anglais était de ne pas les laisser pénétrer en Perse ni faire leur jonction avec Starosselsky et ses officiers. 56 d’entre eux, soviétisés par les émissaires bolcheviks avec l’agrément des Anglais ont passé au bolchevisme. – Starosselsky annonce, si le gouvernement ne prend pas ses dispositions, des troubles dans cinq jours. « Il faudrait un dictateur », dit N . . . qui se plaint de la malhonnêteté foncière des Persans. Pas un homme honnête, désordre, horreur de la régularité dans les finances . . . s’était aperçu de la situation et il s’est fait tomber sur une intrigue politique pour n’avoir pas à échouer sur le terrain financier. Les grands (Sepahsâlâr, Sârem od-Dowla) ne payaient pas leurs impôts. Le colonel Smyth est d’avis que le pont de Manjil sera défendu. Hadjean prétend que le front peut être tourné par une route partant de Rudbâr et débusquant derrière le front. Ce mouvement rendrait les Bolcheviks maîtres de la route Manjil-Zanjân, par conséquent de la voie de retraite des Anglais. Le bruit court que les Turcs sont à Anzali ; ce n’est qu’un bruit. Starosselsky prétend que les Anglais n’avaient que des idées vagues sur l’attaque. Le premier obus fut pris par eux comme un salut. Le général Champain aurait dit : ils avaient des canons de six pouces qui nous tiraient dessus et nous ne savions pas d’où cela nous arrivait. Les Anglais eux-mêmes avaient des canons de quatre pouces.

144  Les entrées de cette section suivent la version dactylographiée. Le manuscrit passe du 23 mai au 28 octobre 1920.

178

georges ducrocq, journal de perse

L’enthousiasme pour les Bolcheviks se serait refroidi à la suite d’une propagande adroite faite par le Président du Conseil pour détourner le peuple des Bolcheviks. On présente leur retour comme celui des Russes, le recommencement de l’éternelle histoire, jeu de bascule, désordres, etc. Les mollahs seraient les principaux agents de cette propagande. On représente les Bolcheviks comme les destructeurs de la religion et de la propriété. Le consul d’Allemagne, Wüstrow s’est suicidé cette nuit145. Il est assiégé par les Démocrates, lui et ses p [artisans]. Les démocrates déclarent qu’ils veulent faire régner l’ordre à Tauris. Le consul d’Allemagne qui jadis les avait soutenus, était devenu un danger public. Entouré de malfaiteurs, il attirait les Bolcheviks en Azerbaïdjan, il était leur fourrier. Les démocrates ont résolu de s’emparer de sa personne. Il s’est tué, ne mettant pas son projet à exécution : faire sauter son quartier. 7 juin 1920 Hoppenot admet entièrement le point de vue anglais : il faut s’entendre avec les Bolcheviks, etc. Moore, hier, boutonné comme à l’ordinaire, ne dit rien de ce qui se passe mais interroge. À l’entendre, Bravine n’est pas aussi bolchevik qu’on le prétend. Son arrivée à Téhéran n’est pas à craindre. Les relations des bolcheviks avec les peuples musulmans ne l’inquiètent pas. Les Afghans peuvent conquérir le Turkestan, ils ont laissé carte blanche aux Afghans pour leur politique extérieure depuis qu’ils ont signé avec lui un traité. Toute la politique anglaise repose sur les possibilités : il ne lui est pas possible de soutenir l’effort anglais dans le Turkestan et le Caucase : elle y renonce. Aujourd’hui on annonce que les Persans seraient eux-mêmes désireux de combattre les Bolcheviks. Ils auraient pris la décision de résister, comme Starosselsky les en priait. 8 juin 1920 Dîner hier soir au Club en l’honneur du départ de Sir Percy. Nous étions placés à une petite table. C’est un tour d’Havard qui déteste les militaires, étant resté tranquillement à Téhéran durant la guerre. J’étais avec les Moore et le colonel Philippoff ; petite table jouissant du spectacle. Au dessert, Havard se lève, funèbre et d’une voix sépulcrale prononce quelques mots solennels. Puis on chante « He is a jolly good fellow . . . » debout, à Sir Percy assis, ce qui est d’un joli comique pour cet homme en bois. Il répond simplement. Je dois dire que, s’il est mauvais diplomate, il inspire le respect par son allure de vieil anglais 145  En réalité le 3 juin.

Du 5 juin au 15 juillet 1920

179

biblique. Mais quelle froideur, quelle incompréhension de la situation respective des Alliés. L’orgueil anglais est une chose intolérable. Nous avons été, le soir, Philippoff et moi, positivement assaillis par le général Dickson, qui d’un air goguenard a dit : « eh bien, le colonel Philippoff ; comme il est gai, ce soir. Et moi aussi je suis gai, parce que j’ai reçu une lettre qui me menace de mort. Je suis très gai ». Et il se met à parler des Bolcheviks, il dit à Philippoff : « vous qui êtes bolcheviks . . . » – Celui-ci lui répond : « Vous ne connaissez pas les officiers russes. – Je les connais assez, je les ai assez vus. – Vous ne connaissez pas les officiers de Sa Majesté Impériale. Je n’ai jamais été, je ne serai jamais bolchevik. Si les bolcheviks viennent ici, ils ne m’auront pas vivant. Je ne me suis jamais soumis à personne. » Alors, sans transition, Dickson nous parle de Charlotte de la bande Bonnet [?], qui a été la maîtresse de Bjurling ; il nous dit que cette Charlotte faisait partie de la bande Bonnet, il insiste il dit qu’elle était charmante, qu’elle a appris le français à Bjurling. Je lui réponds que nous n’avons pas l’habitude de juger les hommes d’après leur vie privée et que chacun peut prendre sa maîtresse où bon lui semble. À noter conversation prolongée de Ravitch avec Dickson et avec Nation [sic ! ]. Ravitch s’en va. 9 juin 1920 Nouvelles militaires : les Cosaques de Rašt sont restés à Rašt (plus de 1 000) sur l’ordre du gouvernement persan. Ils ne sont pas inquiétés. On dit qu’il n’y a pas plus de 4 000 Bolcheviks à Anzali. Philippoff prétend qu’ils étaient 80 à . . . l’armée anglaise d’Anzali de 3 000 hommes. Les cosaques d’Ardabil sont à Sarâb. Les gendarmes ont été rappelés d’Ispahan. À Aškabad les cosaques gardent le consulat. La nouvelle court que les Géorgiens résistent aux Bolcheviks, que les Bolcheviks de Bakou se sont brouillés avec les Turcs, ont chassé l’état-major turc et que Noury est en fuite vers Ordoubad d’où il regagnera la Turquie par Makou. Norman, le nouveau ministre d’Angleterre, est arrivé hier en grande pompe. Sir Percy Cox va rester une semaine au moins pour le mettre au courant. 10 juin 1920 Le général en chef arrive demain : Holden a commandé sur le front occidental. Les officiers sortant de St. Cyr sont brimés, envoyés en province, mais on s’en sert en cas de danger : Habibollâh Khân vient d’être envoyé avec ses forces de Semnân contre les fils d’Ak-Mokram [?], 500 cavaliers qui entre Damâvand et Firuz [-Kuh] ont attaqué et désarmé les postes de gendarmerie.

180

georges ducrocq, journal de perse

Le plan des Anglais est de mettre à la tête des cosaques un sardâr comme on vient de mettre un sardâr à la tête de la Brigade centrale, Sardâr Moqtader et on en mettra un à la tête de la gendarmerie. Les vieilles nullités reparaissent. Brimés par les Suédois, brimés par les Anglais, suspects à leurs compatriotes, nos jeunes officiers ont grand peine à poursuivre leur carrière. La plupart, découragés, démissionnent. Le frère de l’envoyé afghan est un aventurier qui s’est fait passer à Constantinople et à Berlin pour le prince héritier d’Afghanistan, s’est fait combler de cadeaux, est revenu à Téhéran où il est marchand. Le détachement de Gendarmes qui est parti est un escadron du Régiment de Bâq-e Šâh avec Lassen et un canon autrichien qui saute chaque fois qu’il tire. Les Anglais amèneraient 15 000 hommes. Le Khan de Mohammara146 a reçu somptueusement le Chah : tapis dans les rues, soieries par terre, un Arabe s’est couché en travers de la chaussée devant l’automobile. Mais, le même Khân fait élever ses fils à la française par deux sœurs de la charité. – Ce qui était bien pour moi, dit-il, (et il représente la vieille civilisation arabe) n’est pas bon pour eux. » Les Anglais préparent une expédition de délivrance et vont se faire octroyer, par la Ligue des Nations, un mandat. 11 juin 1920 Révolte des Savâd-Kuh [i] entre Damâvand et Firuz-Kuh. Les Savâd-Kuh [i] sont dans la montagne (sentiers impraticables) ; ils ont eu maille à partir avec les Gendarmes, des coups de fusils ont été tirés de part et d’autre. Une expédition a été organisée contre eux. Elle a échoué. Une colonne de 1 000 h. a été finalement envoyée contre eux ; elle est commandée par Habibollâh Khân, ancien St.-Cyrien. Elle comprend des forces de Semnân et un escadron de gendarmerie de Bâq-e Šâh. Les Anglais vont sans doute lâcher Manjil et Qazvin et se fortifier sur un front analogue au front turc qui comprendrait Zanjân, Âva, Soltânabâd, Sâva, Ispahan, protégeant le Kurdistan et gardant le contact avec l’Azerbaïdjan. Zanjân et Âva deviendraient deux places fortes. Sâva serait une position avancée. Une division arrive de Bagdad pour occuper ses positions. Le général Holder était hier chez le Président du Conseil avec son chef d’état-major. 146  Le Sheykh Khaz’al (1863-1936), allié des Britanniques, qui fut contraint à la soumission par Reza Khân en 1924.

Du 5 juin au 15 juillet 1920

181

Des mesures vont être prises ; Sardâr Moqtader est nommé chef de la Brigade avec Huddleston ; Sardar Mehda [sic] serait nommé à la tête de la gendarmerie avec un Anglais ; Sardar Mocked (?) à la tête de la Division des Cosaques avec le colonel Hunter. (Voilà pourquoi il apprend le russe depuis un mois.) Smyth recevra-t-il un commandement ? Il a rassemblé 2 bataillons (armée régulière) à Zanjân soit 1 500 h. Il voudrait prendre la brigade centrale et avec une force de 5 000 h., marcher sur Tauris. Mais le général Dickson lui est hostile. Le bruit populaire au bazar est que les bolcheviks demandent l’application de l’arrangement de 1907 [1904] (division de la Perse). Starosselsky a reçu du Shâh des témoignages de satisfaction. Celui-ci lui a déclaré qu’il était enchanté de ses services, devant la légation d’Angleterre. Il doit venir fêter le 40ème anniversaire de la création de la Division prochainement. Starosselsky est sans cesse appelé par le Valiahd. Starosselsky aurait écrit une lettre aux Bolcheviks promettant de les aider. Il serait de mèche avec Kučik Khan. C’est la version de Dickson. Il a donné à ses cosaques de Rašt l’ordre de rester à Rašt. Il ne tient pas à ce que Philippoff fasse des démonstrations monarchistes. Il parle avec éloge d’une proclamation de Broussilof, passé au service des bolcheviks, et exhortant tous les Russes à l’union contre l’ennemi, le Polonais. Il ne croit pas à l’expédition sur Téhéran, mais à une diversion favorisant opération sur Mossoul. À Mossoul, il y a quelques jours, le poste anglais, un officier politique, a été surpris et tué, lui, ses ordonnances, etc., par des troupes arabes commandées par des officiers chérifiens. Un corps d’armée, commandé par un Russe, s’avance vers Ordubâd, Jolfâ, Tauris. À Anzali, il y aurait eu panique : les soldats anglo-indiens surpris, abrutis par le bombardement auraient été cernés par les Bolcheviks. Il y aurait eu panique, débâcle. Les soldats auraient jeté leurs fusils, leurs armes, leurs canons dans l’eau et couvert les chèvres de benzine, après quoi ils les auraient enflammées pour les tuer. Celles-ci, torches vivantes, auraient augmenté le désordre dans le camp. Les troupes anglaises auraient défilé sans armes devant les Bolcheviks. Les femmes de l’amiral Raskolnikof et du commissaire Aboukoff sont à Enzeli. Elles demandent si on pourrait leur envoyer de Téhéran, des coiffeurs pour dames. Elles portent des toilettes élégantes. Les Bolcheviks ne pillent pas, observent une stricte discipline. Le noyau important de leurs forces est constitué par des marins de la Baltique. Il y a parmi eux des matelots allemands (Magdebourg). Ils sont mal habillés, bien armés. Ce n’est pas une armée, ils n’en ont que l’apparence. Les chefs ne

182

georges ducrocq, journal de perse

s’intitulent pas officiers, mais commandants. Ils ont plus de pouvoir sur leurs hommes que les officiers de l’ancien régime. 13 juin 1920 Il se confirme que Kuček Khan s’est fait proclamer ministre de la guerre de la république soviétique persane dont le siège est au Gilân. Sir Percy et Lady Cox sont partis ce matin, à regret, paraît-il. Moore déclare : « Quel dommage de partir quand il allait recueillir les fruits de l’arrangement ! » L’attitude des Anglais est le complet optimisme. Ils se refusent à voir le moindre danger ; ils parlent de monter à la campagne. Le dîner chez Vosuq avant-hier fut suivi de cinéma au jardin. L’ombre était propice aux conciliabules. On prétend qu’il y a eu un conseil de guerre entre le général Holden, arrivé de Mésopotamie, son chef d’état-major, le général Champain et le ministre d’Angleterre. Le Seyyed Ziyâ od-Din m’a dit hier : « Je dors quatorze heures par jour pour me préparer aux événements qui ne sauraient tarder ». 17 juin 1920 Un proverbe dit : « Si Farman-Farman vous affirme que le lait est blanc, ne le croyez pas ! » Le capitaine Lassen est parti contre les Savâd-Kuh[i] avec 7 000 tomans, deux voitures, l’une remplie de whisky et de victuailles, l’autre contenant 5 femmes. Les femmes sont déjà revenues. 19 juin 1920 Les cosaques que l’on accusait d’être bolcheviks ont eu à Rašt une bataille avec les troupes de Kuček Khan d’abord, avec les Bolcheviks ensuite. Un meeting a donné lieu au combat. À ce meeting un orateur de Kuček Khan parla avec faveur de la République persane ; à quoi les cosaques répondirent : « Vive le roi de Perse ! » La bataille s’engagea. Les troupes de Kuček Khan étant sur le point d’être battues, celui-ci demanda du renfort aux Bolcheviks qui, avec leurs mitrailleuses démolirent la caserne des cosaques. Il y aurait eu, dans cette bataille qui dura de 5 heures du matin à 3 heures de l’après-midi 400 morts. Un officier russe a pu s’échapper. On est sans nouvelles de la femme et de la famille du commandant. Les Bolcheviks sont restés maîtres du terrain. Le pillage continue à Rašt. Les Jangalis arrivent dans les demeures et les prennent. Le pétrole est saisi par les Bolcheviks. Les habitants n’ont même plus le droit de quitter Rašt. Il y a des officiers allemands parmi les Bolcheviks et des Turcs.

Du 5 juin au 15 juillet 1920

183

Après le débarquement et la capitulation des Anglais, les Bolcheviks établirent une barrière de sentinelle à l’entrée de la forêt. Les gens suspects, Chaldéens, Arméniens, étaient arrêtés et reconduits à Anzali pour être jugés. Les automobiles qui les reconduisaient étaient des autos anglaises, pilotées par des chauffeurs anglais avec des officiers anglais et des interprètes. Les Russes qui arrivent à Manjil sont impitoyablement tués. On tire sur eux. Les Bolcheviks ont mis la main sur les approvisionnements, les automobiles, les dépôts de pétrole, les canons. Les Anglais ont livré les soldats de Denikine. Une armée bolchevik de 30 000 hommes marche sur Tiflis et Erivan. Le P. Chatelet a l’intention de rester ici et de loger un commissaire. 21 juin 1920 Hier réception chez le ministre d’Afghanistan. Mošir od-Dowla et Samsâm osSaltana y étaient avec une suite de clients. On sait déjà que Vosuq est considéré comme démissionnaire et les étoiles qui se lèvent ont déjà leur cortège. 23 juin 1920 Vosuq a donné sa démission. Le shah ne l’a pas encore acceptée mais il a fait venir de Kermânšâh Sârem od-Dowla. Le peuple murmure et voudrait que Vosuq, ayant commencé une politique, la terminât ; mais, lui, voyant s’amonceler l’orage, veut partir. Sârem, c’est l’Angleterre. La Perse se jette de plus en plus dans les bras des Anglais. Ils sont l’unique salut. Le shah tremble pour sa vie. Les Anglais lui promettent de la défendre. Sur leur ordre il a dit à Starosselsky qu’il devait dissoudre sa Division. Celui-ci s’est fâché et a dit qu’il n’avait d’ordres à recevoir que du Gouvernement russe. Le shah a répondu qu’il ne connaissait pas le Gouvernement russe. Quand ils auront fini avec la Géorgie et l’Arménie, les Bolcheviks, unis aux Turcs, se tourneront vers la Perse. Ils y encourageront l’établissement d’une République soviétique. Ils demanderont le libre passage pour leurs troupes qui iront attaquer les Indes. Ainsi l’Angleterre qui ménage les Bolcheviks, qui, en lâchant Denikine a assumé la survie du bolchevisme, nourrit son plus mortel ennemi. Le bolchevisme sera conquérant : quand il tiendra l’Asie, il se ruera sur l’Europe. On a offert au ministre147 de prendre la légation de Russie. Il a refusé et il a bien fait, parce que notre situation est meilleure, indépendante. 147  Charles Bonin.

184

georges ducrocq, journal de perse

24 juin 1920 Mošir od-Dowla, chargé de constituer un ministère aurait répondu au shah : « Oui, à deux conditions, la première est que les Anglais continueront leurs subsides, la seconde est que les troupes anglaises quitteront la Perse. » Samsâm os-Saltana, consulté, aurait répondu : « Oui, et je vous amène 2 000 Bakhtiaris à Téhéran et dans le Nord de la Perse pour chasser les Bolcheviks. » Vosuq a répondu qu’il accepterait de garder la direction du gouvernement si le shah lui donnait des pouvoirs dictatoriaux. Le shah lui a répondu : « Comment vous les donnerais-je ? vous les avez tous. » Le prince Firuz a fait désigner un nouveau conseiller anglais aux travaux publics, ce qui mécontente fortement Armitage Smith. L’avis du Dr Gachet est que les Persans sont profondément xénophobes. Ils se tourneront contre tous les étrangers dont ils ne veulent pas, dont ils se moquent, dont ils retardent le paiement des pensions. Ils s’amusent des rivalités entre Anglais et Français, ils en profitent. Vosuq od-Dowla a récemment pris dans son cabinet Mirza Âqâ Khan qui est un des agents allemands, un de ceux que voyait Lecomte et qui avec le médecin de la Légation d’Autriche, le Dr Gazala, avec Loghatetti, organisait toute la propagande anti-alliée. [Amir A’lam] était de la bande. Il engageait les gendarmes à quitter Téhéran et à passer du côté boche. 26 juin 1920 Hier, conversation avec Perny. Il croit à une combinaison Mostowfi ol-Mamâlek avec Nasr-el-Molk, Moxber ol-Molk qui a besoin de se réargenter. Ni Mošir ol-Molk, ni Mo’tamen ol-Molk qui ont chacun près de 40 millions n’entrent dans cette combinaison. Mirza Ghazem Khan148 qui a été ministre de la justice sous Mostowfi-ol-Mamâlek sera bientôt nommé ambassadeur à Paris. La famille [Mokber]149 est très nécessiteuse. Fahim od-Dowla touche 250 tomans par mois à la légation d’Angleterre. Nasr-ol-Molk touchait 300 tomans par mois150. Fahim od-Dowla a été compromis dans l’affaire de l’opium. Son ministre, Momtâz od-Dowla – frère de Samad Khân – avait organisé la régie de l’opium. Un jugement condamna Fahim od-Dowla, blâmant le ministre pour

148  Qâsem Xân ? Non identifié, aucun Qâsem Xân parmi les ministres de la justice de Mostowfi ol-Mamâlek ; cf. J. Zarqâm-Borujeni, Dowlat-hâ-ye ‘asr-e Mašrutiyat, Tehrân [1350/1971], passim. Hoseyn Xân Dabir ol-Molk (en 1910) ? 149  Probablement la famille de Moxber os-Saltana Hedâyat (1864-1955). 150  Mostafâ-Qoli Kamâl-Hedâyat, fils de Mokhber od-Dowla, né en 1880. Hasan-‘Ali Hedâyat, autre fils de Mokhber od-Dowla, 1872-1957.

Du 5 juin au 15 juillet 1920

185

s’être livré à une transaction malhonnête. Fahim fut cassé. C’est Zokâ’ ol-Molk qui menait la lutte contre les trafiquants. L’École de Droit fut très mal vue de Sir Percy Cox qui essaya de s’y opposer. Curzon avait gagné M. Cambon à son idée. Le prince Firuz en fit une question de cabinet. Il déclara que si l’École de droit n’était pas fondée et les professeurs français engagés, il donnait sa démission. Sir Percy Cox recula devant une crise ministérielle. Firuz est impopulaire, il s’en moque. Firuz est sorti seul, en voiture, et a suivi le cortège funèbre après l’assassinat de [ ]151 (Mojtahed) au moment où le comité terroriste avait mis sa tête à prix. Il a été instruit à la française. Il ménage surtout les Anglais à cause de son père, qui est à leur dévotion. C’est une des rares familles où on se soutienne. Les Moxber od-Dowla étaient germanophiles. Moxber os-Saltana était l’ami de Wassmus. Les Anglais l’ont tellement exaspéré qu’il s’est jeté dans les bras des Allemands. Lui et son frère ont fait leurs études à Berlin. 27 juin 1920 On prétend que les motifs de la retraite de Vosuq sont : le nouveau ministre l’aurait mis au pied du mur et obligé à la mise en vigueur de l’accord. Le président aurait demandé que l’accord fût d’abord soumis au Parlement puis à la Ligue des Nations152. 28 juin 1920 Dîner à la maison avec Smyth (colonel). Il est ulcéré de la manière de Dickson, qui traite les Persans sans égards. Lui, vieil officier des Indes, 20 ans de service, sait comment on prend les Orientaux. Il blâme la politique anglaise en Perse, il la trouve maladroite. Le nouveau ministre (d’Angleterre) ne voit que par Havard. La politique anglaise est menée à Téhéran par deux hommes, le général Dickson et Havard, qui tous deux n’ont pas fait la guerre et qui ne comprennent rien à la situation actuelle. La brigade mixte est entre les mains de Dickson qui veut être le chef de toute l’armée. Les ordres sont donnés par le Sardâr Moqtader, mais ils doivent être contresignés par le général Huddleston. Les armes qui se trouvaient à Badgad, à Zendjan ont été ramenées pour armer la brigade. Des mitrailleu// [LACUNE]

151  En blanc dans le texte dactylographié. 152  La Société des Nations (en anglais, League of Nations).

186

georges ducrocq, journal de perse

//Smyth. Le plan de Dickson est évidemment de constituer, devant la division de Cosaques, une force nouvelle, la brigade, qu’il aura sous la main. Des enquêtes sont faites sur la comptabilité de Lundberg (gendarmerie) et sur celle de Starosselsky. Moore vient tous les soirs aux nouvelles à la légation d’Angleterre. Il prend les instructions du ministre et télégraphie au Times ce que le ministre désire faire savoir. Le ministère actuel est anti-anglais. Le régime anglais ne plaît pas à beaucoup de gens parce qu’il est hostile aux grands voleurs. Mais Armitage-Smith a commencé à leur faire rendre gorge et il continuera. Les Anglais mettront de l’ordre dans les finances. Les Anglais ne quitteront pas la Perse. Ils payent ; ils achètent les chefs de l’opposition, ceux qui veulent faire des émeutes. La Mésopotamie a coûté l’an dernier 32 millions de L[ivres Sterling], cette année 45 millions. La Perse n’a coûté que 2153. Il n’y a qu’à continuer et augmenter les subventions. On tiendra toujours la Perse par l’argent. Ziyâ’od-Din est un homme intelligent qui sera l’homme de la situation après ce ministère qui ne durera pas. (Je crois que Ziyâ’od-Din fait croire aux Anglais qu’il est avec eux contre les démocrates et les nationalistes, mais en même temps, il travaillera pour les Bolcheviks. Il est profondément persan, dit Smyth, qui affirme qu’il déteste les Turcs et qu’il n’a eu avec les émissaires turcs à Bakou aucune compromission.) Smyth est d’avis que les gens qu’on achète ne valent rien, que la vénalité des Persans est sans bornes, qu’une armée ainsi formée, sans facteurs moraux, ne vaudra jamais rien154. – Le bruit court que les exilés de Cachan sont rappelés et vont faire partie du nouveau ministère. Mošir od-Dowla, Mostowfi ol-Mamâlek, Motamen ol-Molk, Mohtašam os-Saltana, Momtâz od-Dowla, Firuz, sont renvoyés. On prétend que Vosuq aurait cherché à fuir chez Sardar Akram et serait revenu à Téhéran sur ordre du shah. Le peuple est très monté contre lui. Un meeting de protestation aurait eu lieu à la Mosquée du shah. Les conditions de Mošir seraient les suivantes : 1°) départ des troupes anglaises ; 2°) continuation des subsides anglaises ; 3°) nouvelle élection et présentation d’un nouvel accord devant les Chambres.

153  Ou 20 ? 154  Jugement très révélateur dont il faut conclure : nous sommes les seuls à pouvoir diriger ce pays.

Du 5 juin au 15 juillet 1920

187

4 juillet 1920 Visite à Damâvand en automobile. Départ à 4 heures du matin, arrivée à Damâvand à 7 heures 1/2. La route est pittoresque. Vallées. Certaines descentes sont vertigineuses, comme celle sur Jâjerud qui tout à coup apparaît dans une vallée étroite avec ses hauts peupliers. Partout, sous ce climat torride, où passe un filet d’eau, les arbres croissent drus et forts. Les points d’eau sont nombreux sur la route. Les tchaïkhanehs155 s’y installent. Souvent l’auberge est gitée dans un creux de vallon et a l’air d’un coupegorge. Ce pays plissé et compliqué, avec ses milliers de défilés étranglés, est un merveilleux pays pour les brigands de grand chemin. Rien de plus facile que de dresser une embuscade, d’attendre les voyageurs au tournant de la route. Sur ces routes de Perse, d’éternelles caravanes de chevaux et de mulets, aux grelots sonores, chargés de fourrage, de charbon de bois, de pétrole, de pierres. Les caravaniers dorment sur leurs bêtes ou vont à pied, le bâton sur les épaules, les bras croisés derrière la tête, en se dandinant. Les Persans sont très bons marcheurs ; ils peuvent abattre un nombre respectable de farsakhs (farsax) en une nuit. Ils dorment à la belle étoile, sur la terre, les nuits sont lumineuses et pures, l’air léger. L’humanité primitive est heureuse de peu. Le Persan, qui est gai, plaisante, en est encore à ce stade où l’on goûte des joies simples, rustiques. En arrivant à la montagne le sol devient volcanique, recouvert d’une poussière de charbon, les montagnes découvrent des visages ravagés. Les couches géologiques affleurent. Nous approchons du volcan. Des eaux thermales jaillissent du sol. Elles sont en ébullition quand elles apparaissent à la surface. Un œuf plongé dans cette eau cuit en une minute. Il faut laisser refroidir les eaux une journée pour se baigner. Chacun se creuse un bain particulier ; chaque famille a le sien. Mais la plus grande merveille de cette contrée, c’est la vallée de Damâvand, verdoyante coulée, coin privilégié, qui apparaît au sommet du dernier col, entouré de hautes montagnes. Les eaux vives, les saules, les peupliers, les noyers, les champs d’orge verts, les arbres fruitiers, pêchers et pruniers, les moissons croulantes, les vergers et les jardins, les champs de luzerne et de trèfle, charment les yeux. Lorsqu’on vient du désert de Téhéran, cette verdure enchante. Les premiers Aryens, séduits par ce climat, y bâtirent la première ville du monde. Ces souvenirs préhistoriques augmentent la majesté du lieu. Qui sait si la première dynastie iranienne n’a pas eu ici ses tentes et ses palais.

155  Litt. « maisons de thé » (čâyxâna) ; généralement appelés qahva-xâna, « café », bien que l’usage du café soit remplacé par celui du thé.

188

georges ducrocq, journal de perse

Nous parcourons ces beaux jardins ; nous déjeunons sur l’herbe, auprès d’une source, sous les saules que caresse une brise fraîche. Il est midi, l’air est exquis. Là-bas, à Téhéran, il brûle comme du feu. Je ne suis pas certain que les habitants de Damâvand aient beaucoup modifié leur façon de vivre depuis 4000 ans. Ils ont des vaches qu’ils nourrissent d’herbe, des abeilles qui font avec le suc des mille fleurs du pays, un miel qui sent le soleil et le pollen. Ils ont de bon lait caillé ; ils fabriquent des ghivehs ([giva] sandales) excellents pour la montagne ; ils forgent des fers primitifs pour les mulets. Ils portent encore le haut bonnet persan rond, ils ont deux longues mèches sur les oreilles et recherchent les couleurs fraise écrasée, framboise, pour leurs tuniques. C’est au tournant des rues des apparitions d’un autre âge. Sur le chemin, nous avons vu des femmes avec leur petit jupon flottant sur les jambes, visage dévoilé. On dit toujours que cette mode vient d’une imitation du tutu de nos danseuses. Cela est faux. C’est le costume national persan. De Damâvand on va au Kaf – même distance, à dos de mulet. Le ministère Mošir od-Dowla qui a failli sombrer hier, est formé. Il comprend Motamen ol-Molk qui serait chargé de pacifier l’Azerbaïdjan ; Mostowfi ol-Mamâlek qui se chargerait du Gilân ; Hešmat od-Dowla à l’intérieur, Hakim ol-Molk à l’instruction publique ; Nosrat os-Saltana aux Finances, Nayer olMolk aux ptt156. Ministère nationaliste mais qui sera forcé de composer avec les Anglais, gardiens du Trésor. Mošir od-Dowla ne reconnaît l’Accord que s’il est ratifié par le Parlement. Londres d’ailleurs arrive à ce point de vue. Après avoir tenté le coup de force (Sir Percy Cox) les Anglais vont essayer la voie diplomatique. Respectueux de la volonté nationale, ils ne veulent tenir de mandat sur la Perse. 9 juillet 1920 Nous avons déménagé. Installés à Chemiran157 depuis hier 8. Le ministre, Hoppenot, les secrétaires sont à Zargandeh. Notre propriété, arrosée par les eaux courantes est bien ombragée. Nous y sommes campés d’ailleurs, car qui sait ce que nous réserve le lendemain ? On annonce que les Bolcheviks s’avancent vers Damâvand et que 1000 cosaques sont partis hier au-devant d’eux. Le danger se précise. Les bolcheviks ont débarqué à Bandargez, à Bârforuš. Il n’est pas douteux qu’ils veulent Téhéran. Le ministère délibère, ne prend aucune décision. Voilà 8 jours que la situation s’aggrave.

156  Voir Zarqâm Borujeni, Dowlat-hâ-ye ‘asr-e Mašrutiyat, p. 119. 157  À 15 km au nord de Téhéran, Šemrân est au pied de la montagne, frais en été.

Du 5 juin au 15 juillet 1920

189

10 juillet 1920 Hadjean a été licencié, lui et son corps, par Vosuq. Aujourd’hui quelques uns de ces brigands de Hadjean ont pris la fuite et dévalisent les voyageurs sur la route de Varâmin. Ils ont dévalisé les agents des finances. 100 gendarmes et 2 mitrailleuses envoyés contre lui sont revenus bredouilles, 4 gendarmes blessés. Hadjean pourrait arranger cette affaire. Le Cabinet s’en occupe. Vu le ministre d’Angleterre [Norman], homme courtois. Je lui parle de Keynes, le conseiller financier anglais à la conférence de la Paix, qui a toujours attaqué la France, qui a proposé le forfait, exagéré l’incapacité de paiement de l’Allemagne. C’est un végétarien, un consciencieux objecter, un ennemi de la guerre. Il est très coté en Angleterre parce qu’il est l’auteur d’un livre très admiré sur la capacité économique de la future Europe, mais son manque de manière en faisait un collègue peu agréable. Les Persans sont prodigues, ils dépensent si facilement l’argent qu’ils ne peuvent rien faire de durable. On vit au jour le jour. Ils n’ont aucune idée des complications d’un État moderne. Ils aiment le plaisir. Le ministre travaille de 8 heures du matin à huit heures du soir, sans débrider, sans déjeuner ; il y a trop d’affaires à élucider. Sir Percy Cox faisait tout par lui-même ; Norman s’inspire et fait travailler ses collaborateurs. Il paraît que le désaccord est dans la mission militaire des Anglais. Le nouveau ministère ayant déclaré que l’Accord n’entrerait pas en vigueur, la mission militaire n’a plus rien à faire pour l’instant. Le général Dickson continue à travailler sur le papier – en vain – n’ayant rien réalisé depuis six mois. Steel158 est très mal avec Lamont ; il est furieux, colonel à 28 ans, d’être traité par dessous la jambe. 11 juillet 1920 Starosselsky, les cosaques : 2 à 2 500 sont partis vers Damâvand pour protéger les accès de Téhéran. 3 à 400 bolcheviks ont débarqué à [Mašhad-sar]. Ceux de [Bandargez] n’ont pas débarqué. Les autorités militaires et civiles de Bandargez, Mašhad-sar, Bârforuš ont pris la fuite. C’est le commandement de la souricière. L’Afghanistan a fait récemment des offres politiques à la France qui a refusé de marcher.

158  Voir l’entrée du 23 février 1920 ; l’indication de l’âge et du grade semble indiquer qu’il s’agit d’un autre . . . 

190

georges ducrocq, journal de perse

Tous les cosaques vont être rappelés. 150 cosaques de Rašt sont déjà arrivés, ayant fui à travers la montagne. Les gens qui débarquent à Bandargez sont des Jangalis; ils viennent se ravitailler. Les Anglais distribuent des fusils. 12 juillet 1920 Starosselsky partira sans doute aujourd’hui pour Damâvand. Les Anglais ont un garage avec une cinquantaine d’autos prêtes pour partir. Dans cette anxiété du lendemain qui gâte tout, que faire ? Travailler comme si tout était paisible. Nous souvenir que La Tour d’Auvergne apprenait l’hébreu en campagne. 14 juillet 1920 Hier, le ministre d’Angleterre me rend visite. Il a tenu à venir deux fois chez moi en ville, ici, et c’est la troisième visite qu’il me fait. Les temps de Sir Percy Cox sont changés. Très aimable, Anglais au courant de l’Europe moderne, ayant siégé à la conférence de la Paix, M. Norman sait qu’on ne peut traiter la France en quantité négligeable. Il attribue la situation actuelle de la Russie à l’inaction de Wilson. Durant son séjour au Japon où il était en poste, il a assisté aux supplications envoyées à Wilson. « Nous l’avons supplié d’intervenir en Sibérie, dit-il. Le Japon était prêt à marcher. Il a toujours refusé. Les Japonais n’osaient entrer en Sibérie avec les Américains dans le dos. Wilson n’est pas un chef, un conducteur d’hommes, mais un suiveur. Quand son peuple a été décidé, après avoir subi les affronts de ministres allemands d’une insolence sans pareille, il a marché, il a pris la tête du mouvement parce qu’il était irrésistible. Lloyd George est un malfaiteur. Il est ignorant. Il prenait des décisions, lui, Clemenceau, Wilson et Orlando, ils traitaient tous les problèmes à 4, sans secrétaires, sans procès-verbal, ils ne se souvenaient même plus de ce qu’ils avaient décidé. Clemenceau était le plus sympathique. Il savait l’anglais. Les délibérations étaient en anglais. Orlando, qui ne savait pas un mot d’anglais, n’y comprenait rien. » On annonce que Starosselsky est nommé commandant en chef des armées du Nord de la Perse. Le général Dickson a essayé une grève de 48 heures et a fait transporter à la légation d’Angleterre les fusils et munitions amenés de Bagdad pour la Brigade. Hier, Dickson a eu une entrevue avec Mošir od-Dowla ; celui-ci en est sorti souriant. Le ministère prend des mesures énergiques.

Du 5 juin au 15 juillet 1920

191

Habibollâh Khan se plaint vivement de Gleerup qui ne lui envoie pas les munitions et les renforts qu’il demande. 15 juillet [1920] Hier 14 juillet, messe à 9 heures. Le P. Chatelet n’avait pas prévenu le ministre. Celui-ci a dû lui écrire pour lui demander à quelle heure était sa messe. Le P. Chatelet a répondu que la messe aurait lieu comme d’habitude à 9 heures. Incorrection. Le Père a adopté envers la légation une attitude frondeuse. Il ne nous a pas conviés, comme l’an dernier, à faire passer les examens de l’école ; et les sœurs, stylées par lui, ont suivi cet exemple. Il a ridiculisé la légation quand elle prenait, au moment de la menace bolchevik, des mesures de prudence pour une évacuation éventuelle ; mesures que justifiait la gravité de la situation. Criminels sont les ministres qui envoient les convois sur les grand ‘routes. Enfin le P. Chatelet n’a pas célébré les fêtes de Jeanne d’Arc. Il serait mécontent de ne plus jouer aucun rôle dans la politique tandis que M. Lecomte prenait conseil de lui et le favorisait davantage. Le ministre il faut l’avouer, vient irrégulièrement à la messe. Mme Bonin s’intéresse peu aux Sœurs. Bref, à la suite de ces piques et malentendus, le ministre pour donner une leçon au P. Chatelet, a résolu de venir aujourd’hui, en jaquette, à la messe du 14 juillet. Cela est très désastreux. Il dit que le 14 juillet n’est pas une fête religieuse et qu’il y a un précédent. Au Canada, il a consulté le gouvernement à ce sujet. Celui-ci a répondu que le ministre ne devait se mettre en grand uniforme qu’aux deux grandes fêtes rituelles : Pâques et Noël. Mais enfin il y a le protectorat des catholiques d’Orient et la fête de la France doit être célébrée glorieusement en Orient où les questions de prestige extérieur sont si importantes. Et puis ces brouilles sont idiotes en face de nos rivaux.

192

georges ducrocq, journal de perse

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921159

{73a} 28 octobre 1920 Coup de théâtre. Les Anglais, profitant des revers que vient de subir Starosselsky, en ont fait un grand tapage, ont exagéré le désastre comme ils l’ont fait une fois déjà, ont déclaré que leur patience était à bout, qu’ils étaient fatigués de donner à Starosselsky et à ses cosaques des sommes qui ne parvenaient même pas aux troupes. Ils ont sommé le chah de renvoyer Starosselsky et de mettre la Division des cosaques sous les ordres d’un prince persan avec commandement effectif anglais. Le shah a abandonné Starosselsky. Il est financièrement, sinon moralement entre les mains des Anglais. Le ministère Mošir od-Dowla ne pouvant et ne voulant consentir à cette mainmise du gouvernement anglais sur l’armée persane, le shah l’a prié de démissionner. [Mostowfi] ol-Mamâlek160 avait déjà démissionné. Sa démission avait été refusée par le Cabinet. Le Cabinet nationaliste a vécu, il a essayé de délivrer avec les seules forces nationales le pays des envahisseurs bolcheviks. Il n’a pas voulu considérer les Anglais que comme des prêteurs, des banquiers, en sauvegardant la souveraineté nationale. Il s’effondre. Les Anglais reprennent la manière forte. Ils disent que les forces des nationalistes n’égalaient pas leurs prétentions : mais les forces des Anglais égalent-elles leurs prétentions ? {73b} Le tort de Mošir od-Dowla fut de s’entourer de ministres à réputations douteuses, comme Vosuq os-Saltana, Mošâr os-Saltana, Hešmat od-Dowla qui ternissaient sa popularité. Les intrigues allaient leur train, au sein du ministère. Mošir od-Dowla était irrésolu. Mostowfi mou. Le ministre d’Angleterre avait reçu de Mošir od-Dowla promesse – verbale – de réunir le Parlement. Mais celui-ci ne s’exécutait pas. Il prétextait que l’opinion dans les provinces réclame de nouvelles élections, ce qui est vrai. Le colonel Starosselsky ne désespérait nullement de la situation. La troisième retraite d’Anzali était réparable. Mais les Anglais voulaient se débarrasser de Starosselsky. Il est trop cynique, disait Norman. Il m’a dit qu’il restait en Perse pour défendre l’influence russe dans le nord de la Perse. Nous ne pouvons donner d’argent pour une telle entreprise. Un ministère Sepahdâr va donc être formé. Il comprendra Fahim odDowla, Nasr ol-Molk, [Mohtašam] os-Saltana, Mošâr ol-Molk (qui le coulera et 159  Une partie du Journal manque. Reprise ici du manuscrit. 160  Dans le texte, « Mostafa el-Mamalek ». Voir pour la composition de ce gouvernement Zarqâm Borujeni, Dowlat-hâ-ye ‘asr-e Mašrutiyat, p. 119.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

193

préparera le retour de Vosuq). Ce ministère rassemblera le Parlement, signera la nouvelle convention, enregistrera les ordres de l’Angleterre. {74a} On annonce dès maintenant le retour de Firuz, qui va exécuter en Perse la politique de Lord Curzon. Il remplacera le Sepahdâr et prendra la tête du Cabinet. Son père Farmân-Farmâ s’effacera devant lui. Il sera l’homme de l’Accord anglais et de l’exploitation industrielle de la Perse. Norman recevra des ordres pour être au mieux avec les princes FarmânFarmâ qu’il néglige en ce moment. Aujourd’hui, le bruit court que la route de Bagdad est coupée par les Kurdes, qu’une révolte se prépare à Téhéran. Starosselsky déboulonné ne va pas se tenir pour battu. Il a des partisans en Perse. Une autre version de sa retraite (la première est celle du chantage financier, il a voulu forcer la main au gouvernement) est que Mirza Kuček Khan redevient menaçant. Starosselsky a craint d’être pris entre Kuček Khan et Ehsânollah Khan. Mais après la retraite il se faisait fort en 15 jours de ramener ses troupes au combat. Les canons russes étaient arrivés à faire taire les canons de la flotte en les attaquant de nuit et en coulant un des bateaux de guerre. 29 octobre 1920 Conversation avec Starosselsky, retour du Gilân, parti ce matin des lignes de Rostamâbâd qui sont actuellement gardées par les Anglais et par les Cosaques. Les Anglais ont eu {74b} ces jours derniers un engagement malheureux avec les Bolcheviks, ils ont perdu une douzaine d’hommes. Le colonel Francis est très inquiet. Si Starosselsky est révoqué, les Cosaques s’en iront et les Anglais resteront seuls. Ils n’ont que 1 200 hommes pour garder les positions actuelles. La version Starosselsky des événements de ces jours derniers est la suivante : les Cosaques étaient fatigués par la pluie. Ils avaient construit autour de Rašt des positions fortifiées de tout premier ordre. Bien qu’il ne voulait pas aller de l’avant et prendre Rašt, Starosselsky y avait été obligé par les ordres du shah et du ministère. Quand il fut chargé de sa mission au Gilân, Starosselsky voulut la refuser. Il en voyait tous les inconvénients. Si nous sommes vainqueurs, nous travaillons pour les Anglais. Si nous sommes vaincus, les Anglais nous mangeront. Mais le shah lui avait donné sa parole d’honneur qu’il conserverait la Division des cosaques. Le président du Conseil l’avait également donnée. M. Norman l’avait aussi donnée. Starosselsky ne se jugeait pas à la tête de forces suffisantes et assez bien armées pour entreprendre une offensive. Défendez-vous, lui dit le ministère. Mais dans ce pays de forêts, de trahisons, rester sur la défensive c’est être battu. Il prit la résolution d’attaquer.

194

georges ducrocq, journal de perse

{75A} Après la première retraite d’Anzali, qui fut une débandade, Starosselsky se trouva quatre jours coupé de toute communication avec la capitale. Les Anglais lui refusèrent l’usage de leur télégraphe, de même qu’ils lui refusaient les avions dont il avait besoin tous les jours pour attaquer les bateaux [russes]161. Pendant cet isolement les commentaires allaient leur train à Téhéran. Starosselsky eut une entrevue avec le général Champain et Norman à Téhéran. Celui-ci prit fait et cause pour le colonel Starosselsky et demanda à Norman de faire cesser les bruits défavorables qui couraient sur Starosselsky et que la Légation d’Angleterre colportait. Starosselsky demanda au Général Champain s’il pouvait donner sa parole d’honneur qu’aucune manœuvre anglaise n’avait été faite contre lui. Celui-ci ne put la donner. Il fut déplacé quelques jours après. Les événements militaires : les rebelles reçurent un renfort de 3 à 400 Bolcheviks d’Astrakan, jeunes fanatiques. Ils attaquèrent avec un appareil inusité : les uns étaient vêtus de chemises blanches, et chantaient des cantiques, les autres manœuvraient des fusils mitrailleuses (50) et blasphémaient. Les Cosaques s’amusèrent d’abord de cette nouveauté mais une décharge de mitrailleuses leur tua 12162 hommes ; une contre-attaque, commandée par un officier russe, échoua ; l’officier et 7 hommes furent tués. {75b} Les Cosaques se replièrent sur la deuxième position. La même attaque se renouvela. Une contre-attaque dirigée par un officier russe eut le même sort que la précédente. Les Cosaques un à un quittèrent le front. Le moral des officiers persans était détestable. Starosselsky incrimine beaucoup ces officiers sans courage, sans aucun sentiment de l’honneur militaire. Aucun d’eux n’a été ni tué ni blessé. Les Russes que l’on accuse de lâcheté ont trois officiers tués. À Rašt, l’évacuation se fit en ordre parfait (10 à 12 000 réfugiés sont sur la route de Qazvin, sans pain). Starosselsky incrimine aussi l’espionnage anglais. Des espions anglais passaient chez les Bolcheviks, pour le service de renseignements, et les renseignaient sur les positions cosaques. Il craignait un revirement de Kuček Khan. Il le craint, encore plus maintenant que les Anglais veulent prendre la tête de la Division des Cosaques. Des espions frappaient depuis plusieurs nuits aux portes et annonçaient le départ prochain des Cosaques. 161  Ducrocq a écrit « anglais ». 162  Version dactylographiée : « 72 hommes ».

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

195

La retraite se fit en bon ordre. À Rudbâr, le colonel voulait occuper une position culminante dans la forêt. On l’en empêcha en disant qu’on ne pouvait toucher au bois du Gilân. Les Anglais ont mis leurs avant-{76a} postes au Nord de Rostamâbâd. Les Cosaques sont mêlés à leurs forces qui ne dépassent pas 1 200 hommes. Le colonel ne nie pas s’être mis en relation avec les Bolcheviks. Il s’y est mis d’abord officiellement sur la demande du gouvernement persan. Le gouvernement sollicité par Mošâver ol-Mamâlek d’entrer en relations, en composition avec les Bolcheviks, lui a intimé l’ordre de se mettre en liaison avec les autorités militaires bolcheviks. Il répugnait à le faire. Un jour, un coup de téléphone l’a surpris. Les Bolcheviks étaient arrivés à se mettre en relations avec lui . . . Comment ? Il ne le dit pas. C’est Bagatof, chef de la cavalerie bolchevik, nouvellement débarquée et venue d’Astrakan, qui le demandait. Bagatof a servi dans l’ancienne armée russe. Il voulait demander à Starosselsky pourquoi il servait contre la Russie. Celui-ci lui demanda pourquoi il envahissait la Perse : « Nous venons, répondit-il, faire la guerre aux Anglais et aux capitalistes. » Le soir, concert chez les Arméniens. Jolies femmes. Les hommes sont faibles. 30 octobre 1920 Norman est décidément très agité. Ne s’est-il pas mis en tête d’arrêter Starosselsky ? Il a voulu forcer le Sepahdâr à le faire et lui a envoyé Harvidson chargé de cette besogne. Celui-ci a demandé un ordre du shah. Le shah qui a vu hier Starosselsky lui a dit que c’était le Sepahdâr qui voulait l’arrêter. Le {76b} Sepahdâr jure ses grands dieux que ce n’est pas vrai. En réalité c’est la légation d’Angleterre qui commande. C’est elle qui veut que Starosselsky reste à Manjil, c’est elle qui lui a fait télégraphier à Manjil par le Sepahdâr un télégramme que celui-ci déclare qu’il n’a pas reçu, lui enjoignant de rester à Manjil. C’est elle qui a donné l’ordre à Qazvin de l’arrêter et qui voulait envoyer sur la route Harvidson avec deux autos de la Légation d’Angleterre pour ramener Starosselsky à Manjil. Mais celui-ci a prévu le coup. Il est arrivé à Téhéran, précédé d’une auto portant une mitrailleuse. Son argumentation est la suivante et c’est celle de la légation de Russie : « De quel droit le shah, le gouvernement persan rompent-ils un contrat, révoquentils une concession russe ? On peut remplacer Starosselsky, on n’a pas le droit de disposer du personnel, du matériel de la Division. Les officiers et sous-officiers ne peuvent brutalement être jetés à la porte. Ou c’en est fait de la sécurité des Russes et des étrangers en Perse. » La légation de Russie a protesté officieusement auprès du Sepahdâr, elle protestera officiellement.

196

georges ducrocq, journal de perse

{77a} Hildebrandt a déclaré que la Russie se souviendrait de l’affront qui lui était fait. La plus vieille concession de la Russie en Perse était brutalement reniée. Il a fait sentir que le Sepahdâr qui avait de grands biens au Gilân pourrait avoir à s’en repentir. Le Gouvernement pouvait prendre d’autres solutions, donner la Division à un prince du sang, nommer Philipoff même avec un conseiller, un étatmajor anglais mais on n’a pas le droit de supprimer d’un trait de plume la Division. Le shah déclara qu’il n’est qu’un domestique des Anglais, que Norman et Ironside lui ont apporté un ultimatum qui le menaçait de l’abandon complet de la Perse par les troupes anglaises. Il a dû consentir au renvoi de Starosselsky. Celui-ci déclare qu’il n’en a jamais été avisé, qu’il est toujours le commandant en chef des troupes persanes. Il y a eu hier et ce matin des explications orageuses à ce sujet chez sa majesté et chez le Sepahdâr. Le shah a fini par le pousser en secret à faire de l’opposition, un choulouk, quitte à le désavouer s’il échoue. « Je ne crains pas les désordres, lui a-t-il dit en pleurant. Les choses ne peuvent pas aller plus mal qu’elles ne vont. Je ne demande qu’à partir en Europe. » {77b} Cependant le Sepahdâr est aux prises avec des difficultés insurmontables. Les ministres choisis se défilent. Aucun ne veut faire partie de ce ministère qui se sent condamné d’avance, voué à un échec, à une succession Farmân-Farmâ, Nosrat od-Dowla et dont le chef n’est pas un philosophe. Les Bakhtyaris s’agitent. Tous les chefs réunis à Ispahan entendent dicter leur loi. Ils peuvent envoyer 5 à 6 000 hommes à Téhéran. On apprend aujourd’hui que 100 cosaques arrivant du Gilân, arrêtés aux environs de Qazvin, sont cernés par 3 escadrons anglais qui veulent les désarmer. Les Cosaques ont prévenu Starosselsky et sont prêts à engager la lutte. Les mêmes conflits vont éclater partout. À Tauris, il n’y avait que les Cosaques qui assuraient l’ordre. Les Anglais ont-ils assez de forces pour risquer cette politique aventureuse ? On dit que deux divisions arrivent de Mésopotamie. Où les prennent-ils ? Starosselsky aurait l’intention de partir pour Tauris, Jolfa, Tiflis et d’aller en Géorgie pour refaire de l’agitation. Il dit qu’il a de grands biens et deux sœurs là-bas. Le Président du Conseil a dit hier à Hoppenot {78a} qu’il avait songé à confier à une mission militaire neutre, belge ou suédoise, le commandement de l’armée persane pour remplacer les Russes mais que le gouvernement anglais s’y était formellement opposé et avait déclaré que les officiers anglais remplaceraient les officiers russes.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

197

En cas d’échec de la combinaison Sepahdâr on parle d’une combinaison Sepahsâlâr. Meyer. Huddleston est rappelé de Mésopotamie. Westdahl. Dickson a arboré aujourd’hui [le kolâh] bakhtyari163. Le général Ironside avait envoyé une dépêche très aimable au colonel Starosselsky (100 mots). Le président Mošir od-Dowla après sa démission lui a télégraphié ses remerciements. Lady Cox il y a dix jours invitait les Starosselsky à passer à Bagdad. On dit que les Bakhtyaris ont arrêté Farmân-Farmâ. Le général Westdahl vient d’être réintégré dans ses fonctions. C’est le premier acte du Sepahdâr. C’est à dire que l’Angleterre remet sa police entre les mains d’un homme sûr, car elle n’était pas certaine de Bjurling. Wickham raconte qu’un représentant de la France aux Indes, M. Meyer (un nom bien français) disait qu’il ne savait pas s’il devait épouser une femme très riche et qui avait de vilains pieds. Je lui réponds que M. Meyer devait avoir aussi de vilains pieds. {78b} 1er novembre 1920 Avant-hier soir, 30 octobre, le colonel Starosselsky recevait une lettre du shah que lui transmettait le Sepahdâr. Le shah priait Starosselsky de quitter Téhéran le soir même et congédiait son meilleur serviteur. M. Norman, qui parle en maître, qui est le véritable shah de Perse, qui traite les présidents du conseil et les ministres comme des laquais, qui forme le ministère, qui presse sur un tel pour qu’il y entre, a obtenu du shah cette autorisation. Je perds mon meilleur appui, a dit sa majesté à Starosselsky. C’est comme si j’abdiquais. Il lui a même offert d’abdiquer. Starosselsky lui a répondu que cela lui était égal. Il a refusé de lui serrer la main. Le shah a pleuré. « Je suis le domestique du ministre d’Angleterre, a-t-il dit. – Oui, et comme les domestiques vous n’avez pas de parole d’honneur », lui répondit Staro. Starosselsky voulait une enquête sur les comptes de l’expédition. Le Sepahdâr a répondu qu’il la ferait. Les Anglais disent qu’ils ont donné 3 100 000 tomans ; le trésorier général dit qu’il a expédié l’argent. Starosselsky déclare n’avoir reçu que 150 000 tomans. Les soldats dans l’eau manquaient de souliers à cause de la pénurie d’argent. {79a} Donc à 11h30 du soir Starosselsky quittait Téhéran. « Je pourrais déclencher une révolution, si je le jugeais bon », disait-il. Aujourd’hui choulouk au Bazar, manifestations de jeunes gens, arrestations jusque dans les mosquées où l’on parlait ouvertement contre les Anglais. 163  Il s’agit d’une coiffe traditionnelle en feutre, à bords relevés.

198

georges ducrocq, journal de perse

Vu Mme Starosselsky qui déclare injuste le coup dirigé contre des officiers qui se battent pour la Perse. Trois morts et 250 blessés persans. Aucune casualty dit Dickson. Le soir même on apprend que Rašt est repris par les Cosaques d’Ardebil. 2 novembre 1920 Hier ordre a été donné à tous les officiers russes de la Division de quitter le front et de se rendre dans des automobiles spéciales à Qazvin. Starosselsky est allé dire adieu aux troupes. « Vous partez comme Napoléon », lui a dit le Sepahdâr. Le colonel ira à Hamadân où il attendra Mme et Mlle Starosselsky qui liquident tout ce qu’elles ont ici. Le Sepahdâr a fait paraître un appel à la population où il dit dans quelles conditions il a pris le pouvoir et il incrimine les officiers russes, leurs faiblesses et leur esprit de lucre, cause de la situation actuelle. L’ordre est venu, a dit Ironside aux Starosselsky, du War Office : « anéantissez la Division des Cosaques ». Ironside a naturellement mieux [traité] Starosselsky que Dickson ne l’avait fait, et ne lui a pas donné le coup de pied de l’âne, comme le Sepahdâr. {79b} Le bâzâr est resté fermé aujourd’hui. Le shah a convoqué quelques députés du peuple pour leur demander les causes du mécontentement. – Les Persans sont si polis que Arfa’ od-Dowla n’a jamais osé demander à sa femme (suédoise) son âge. Je revoyais aujourd’hui Došan Tape, l’ancien château des Qajars en ruines. Le chah vient de signer son arrêt de mort. La dynastie est condamnée. Ce qui est le plus dégoutant chez le Persan, c’est l’ingratitude. C’est Momtâz od-Dowla, exilé de Kâšân, frère de Samad Khan qui serait appelé à rallier autour du ministère et de l’Angleterre les mécontents, le bâzâr, les mollâs. Ce nouveau renégat accepterait de calmer le peuple. Il aurait reçu promesse de former le prochain Cabinet ; tout le monde parlant déjà de la succession du Sepahdâr – incapable de former, seul, son ministère. Le ministère Mošir od-Dowla avait le ferme dessein de vivre sans le concours britannique. Sentant bien que la question financière était ce qui entravait l’indépendance de la Perse, il avait formé le projet d’entrer en pourparlers avec la France et l’Amérique pour l’octroi d’une somme – un emprunt – qui aurait mis la Perse {80a} à l’abri de la tutelle anglaise. Il avait fait jurer sur le Coran aux ministres de son Cabinet de ne rien révéler de ce projet. Hešmat od-Dowla n’eut rien de plus pressé que de communiquer ce projet à la légation d’Angleterre. C’est pourquoi celle-ci mit tant d’empressement à faire tomber le ministère sur la question du renvoi de Starosselsky.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

199

La théorie d’Hoppenot est qu’il y a un pacte entre l’Angleterre et la France et l’Amérique par lequel ces dernières laissent le champ libre à l’Angleterre en Perse. Celle-ci s’est adressée à la Société des Nations et en a tiré une fin de nonrecevoir. /[En marge : ] Firuz était très partisan de ce recours Lord Curzon lui était très hostile. / C’est fini. Le sort de la Perse est réglé. Quant à nous, nous n’avons rien à voir en Orient. Les sables de l’Afrique et l’Alsace-Lorraine nous suffisent : il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre (c’est la chanson bourgeoise, air d’avant-guerre 1914). Comme Lesueur aujourd’hui parlait de Mossoul, de l’influence française contrebattue par les Anglais, Hoppenot lui répondait par ces propos et considérait que le ministre avait eu tort de croire à la possibilité d’un gouvernement nationaliste. Ses prétentions dépassaient ses forces. Il était condamné dès sa naissance puisqu’il tirait ses ressources de l’Angleterre. {80b} Où la peur que les Anglais avaient de Starosselsky s’affirme, c’est que samedi, tandis que Starosselsky détournait les mollâs et les hommes politiques venus le voir de tout mouvement d’émeute, tandis qu’il refusait le bast qu’on lui offrait à la mosquée (lui chrétien), les Anglais disaient qu’il avait par son or soudoyé une quantité de gens pour faire une révolution qui avait avorté. Dickson était devant la porte de Staro jusqu’à l’heure de son départ. Il a été enlevé de force par des agents anglais. On parle de l’entrée de Momtâz ol-Molk, Momtâz od-Dowla, Mohtašam osSaltana dans le ministère pas encore formé. Madame Starosselsky a dit à Ziyâ Homâyun qui venait lui présenter ses regrets de la part du Sepahdâr : « Dites au Sepahdâr que je suis enchantée de quitter la Perse. » Le colonel Philippoff a vécu au front. Il s’est exposé, lui, le colonel Starosselsky, les officiers russes en première ligne, ce qui n’était pas compris dans la mission des officiers instructeurs russes. Il en est récompensé par l’expulsion sans délai : 8 jours pour les célibataires, 15 jours pour les gens mariés. {81a} Hildebrandt va protester pour demander que la calomnie lancée contre tous les officiers russes soit l’objet d’un désaveu formel et officiel. Les Russes espèrent garder ici un noyau d’officiers, [le firman]164 de la Division. C’est un leurre.

164  Veut-il répéter un mot de Hildebrandt qui aurait voulu dire « la fermeture » lecture de la version dactylographiée. Je penche plutôt sur le concept de firmân : les Russes cherchent à rester sur la lettre du décret royal qui les fait exister, c’est un leurre.

200

georges ducrocq, journal de perse

4 novembre 1920 Le coup de pied de l’âne. Mošâr od-Dowla, qui est chargé des biens et propriétés de l’État a fait avertir madame Starosselsky de n’avoir pas à prendre les meubles de la couronne qui ne lui appartenaient pas, ni à les vendre. Elle n’y a jamais songé. Cette maison, si accueillante, a été un marché à l’encan : tout y a été vendu, robes, fourrures, etc. La collection de poteries est mise à la Légation. Les Cosaques pleurent en voyant partir les Staro. Un incident amusant est celui du Capitaine Tamilef, qui arrivait de la bataille, cerné quatre jours et qui était arrivé à s’échapper par la montagne : il ignorait tout des événements. Sur la route de Qazvin il a été entouré par deux escadrons anglais qui voulaient le désarmer. Comme il est très brave, il se préparait à la résistance. À Qazvin, le général Ironside le fit appeler et lui donna l’ordre de mettre bas les armes. Il répondit qu’il n’avait d’ordre à recevoir que de son chef, le colonel Starosselsky. Il télégraphia à ce dernier qui lui dit de patienter. Il offrait de soutenir le combat. {81b} À Qazvin, on traite mieux le colonel, parce qu’il a encore la force en mains. On a profité de son absence de Téhéran pour l’exécuter. Tant qu’il était ici avec ses cosaques il était invulnérable. [En marge :] Quand il n’avait plus 30 cosaques à Téhéran . . .  Les Anglais racontent que Starosselsky a cherché à fomenter une révolution à Téhéran et qu’ils en ont la preuve. Starosselsky se faisait payer en billets de mille tomans. Ils ont gardé les numéros de ces billets et les ont vus représenter à la Banque par des agitateurs connus. L’un raconte que l’argent était envoyé en chèques, l’autre en billets persans, l’autre par des chariots en argent persan. Enfin les Anglais disent que Starosselsky n’a pas volé mais a voulu se rembourser des 700 000 tomans qu’on lui devait. Le colonel Ravitch prendrait la Brigade centrale. Le Sepahdâr a réuni les officiers russes et leur a fait dire que certains d’entre eux pourraient être repris au service de la Perse. C’est une feinte pour rendre la suppression moins brutale. 5 novembre 1920 Départ des Starosselsky (Mme et Hatia). Les femmes des officiers des cosaques sont autour d’elles. Pas un Persan. Nous lui portons les dernières roses du jardin. Cette maison a toujours été accueillante pour nous. {82a} Dickson éprouve le besoin d’envoyer à Philipoff une lettre où il veut être chevaleresque. Il déclare à Starosselsky dans cette lettre qu’il a combattu pour son pays comme lui a combattu pour le sien et qu’il n’a jamais compris l’animosité de Starosselsky à son égard.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

201

Vous avez joué pendant deux ans un poker que j’aurais perdu beaucoup plus tôt que vous. Je prendrai en mains les intérêts des officiers russes qui restent à Téhéran. 8 novembre 1920 Le général Dickson a réuni à Qazvin les cosaques et leur a dit que le plus beau jour de leur vie avait sonné puisqu’ils allaient jouir de leur indépendance et obéir, ce qu’ils n’avaient pas fait depuis 40 ans, à des officiers persans. Mort et obsèques du [prince] Šo’a os Saltana aujourd’hui. Le chargé d’affaires d’Allemagne se fait présenter aux représentants des nations alliées. Le Turc ne sera présenté qu’après ratification du Traité de paix. Le prince Šo’â os-Saltana, homme cultivé, le plus intelligent des fils de Mozaffaroddin [Shah], faillit être shah ; poussé par les Anglais, tandis que les Russes poussaient Mohammad-Ali, meurt de la vérole. Il laisse deux filles charmantes que Marie voit souvent165. Chose étrange : même à l’époque où les Russes {82b} étaient triomphants, c’étaient les Anglais qui faisaient et défaisaient les ministères ; les Russes étaient les maîtres, ils frappaient sur la table mais c’étaient les Anglais qui menaient le jeu politique. Churchill était un faiseur de ministères. 9 novembre 1920 Starosselsky aurait dit : J’accepte l’humiliation, je n’accepte pas l’infamie. On pouvait me congédier sans m’accuser de lâcheté ni de vol. Les Cosaques persans refuseront d’obéir, se disperseront, quelques-uns discutent déjà. L’intention des cosaques n’est d’ailleurs pas de conserver la division des Cosaques. Sardâr Homâyun est un homme d’argent ; incapable de maintenir ce corps. Le désir des Anglais n’est pas de former une armée persane digne de ce nom. Mošir od-Dowla aurait eu l’idée de faire appel, les Russes partant, à une mission militaire française, qui, à l’instar de la Pologne, aurait sauvé la Perse. Les Anglais se sont formellement opposés à ce projet. Pour réussir sa politique, Starosselsky aurait dut avoir un corps d’armée comme celui de Baratof, une artillerie moderne bien approvisionnée {83a} et des millions de sacs d’or. Starosselsky, au moment de son départ, aurait dit à Zamân Khan, son fidèle ami: « Je reconnais qu’il y a eu dans ma Division des officiers qui m’ont trahi et qui ont eu des relations avec les Bolcheviks, mais ils constituent l’exception. On ne pourra utiliser la Division des Cosaques. Elle s’effondrera. Les Cosaques déserteront. » 165  Sur ces deux filles, voir le journal d’Hélène Hoppenot.

202

georges ducrocq, journal de perse

11 novembre 1920 Aujourd’hui, fête de l’anniversaire de la République166 et de l’armistice. Messe solennelle avec réception du chargé d’affaires à la porte de l’église. Thé à 4 h. Quelques mots de Roux, doyen de la colonie et d’Hoppenot. Cordiale réunion. Un souffle nouveau sur la colonie rassemblée et unie. Le soir dîner chez McMurray. Dickson me dit : « Vous savez que je suis bonapartiste. Eh bien le coup de force que j’ai voulu faire en janvier, je l’ai fait en octobre. C’était un duel entre Starosselsky et moi : je l’ai emporté. » – Comme il me parle de Napoléon, je ne puis m’empêcher de lui dire : « Napoléon battait ses ennemis mais ces ennemis avaient derrière eux des gouvernements puissants. Les Russes n’avaient ici rien derrière eux pour les défendre. Vous aviez derrière vous toutes les forces de l’Angleterre. – J’étais ligoté, dit Dickson, le général Champain, qui était une vieille femme, la Légation qui était timorée, m’empêchaient d’agir. – Et qu’allez-vous {83b} faire de la Division ? La conserverez-vous ? – Vous verrez, vous verrez. » Le ministre à table donne sur l’Allemagne, son rôle à Constantinople, des détails curieux. Marschall disait aux Turcs : Massacrez les Arméniens. Nous nous mettons avec les puissances pour protester mais en secret nous vous aiderons. En un tour de main, l’Allemagne acheta les jeunes Turcs comme elle avait acheté les vieux Turcs. Les Italiens nous trahissent en Anatolie : ils reprennent le jeu allemand, ce sont des caméléons, ils sont pires que les Grecs. Sur l’Amérique il explique le caractère républicain des provinces du Nord et démocrate du Sud par hostilité au Nord. Seuls les noirs sont républicains. M. Wilson avait été élu par un compromis : il n’avait pas derrière lui la nation. Elle le désavoua complètement durant les négociations de paix mais nous ne pouvions attaquer le Président sans voir toute l’Amérique irritée se dresser derrière lui. Profitant de cette situation, Wilson, qui n’avait pas de crédit en Amérique, embarrassait la conférence de ses propositions saugrenues, sans qu’elle pût s’en défaire. {84a} 14 novembre 1920 Le nouveau ministère est constitué : il contient deux germanophiles, qui sont partis à Hamadân, à Kermânšâh, puis en Allemagne en 1916167.

166  En plus de la fin de la Guerre, on fêtait cette année-là le cinquantenaire de la République. 167  Voir Zarqâm Borujeni, Dowlat-hâ-ye ‘asr-e Mašrutiyat, 122. À Kermânšâh s’est établi le gouvernement factieux de Nezâm os-Saltana en 1916, Vahid ol-Molk et ‘Abbâs Mirzâ Sâlâr Laškar en faisaient partie, voir M.J. Lustig, The Muhajarat and the provisional government in Kirmanshah 1915-1917, unpublished diss., New York University, 1987, p. 268.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

203

16 novembre 1920 Le Dr Vahid ol-Molk, qui est un de ces germanophiles, était à Stockholm durant la guerre : il servait d’agent de liaison entre les agents germanophiles de la Perse qui se trouvaient en Allemagne, et la Perse. Après la guerre, il passa avec facilité en Angleterre. On le soupçonne d’avoir misé sur les deux tableaux. Sa présence au ministère de l’Instruction publique vient d’être imposée par l’Angleterre. 18 novembre 1920 Ravitch me dit que Starosselsky, riche, propriétaire de puits de pétrole et de domaines au bord de la Mer noire, a toujours vécu dans l’aisance. Sa femme avait un majorat en Pologne. Ils ont toujours mené la vie large et ils ont continué en Perse. Les accusations portées contre lui devraient être vérifiées. Pourquoi aurait-il volé ? Il a reçu des sommes considérables ici même de ses pétroles, il a beaucoup gagné au jeu (mais on ne le payait pas). Voler quand les sommes envoyées par le Gouvernement étaient toutes portées à l’ordre du jour, voler quand la répartition des fonds se faisait devant les officiers, voler quand un de ses complices pouvait le faire chanter, voler quand on s’appelle Starosselsky. {84b} Les Anglais disent qu’il envoyait beaucoup d’argent en Amérique. Mais ce pouvait être son argent. Pour Philipoff, mêmes accusations mal fondées. Ravitch assure qu’il était honnête. L’enquête faite sur l’affaire des bijoux pris à un Bolchevik du Mâzandarân a prouvé que tout s’était passé correctement. Mais Philipoff a sur la conscience l’exécution de commissaires bolcheviks. La folie de Starosselsky est d’avoir voulu jouer un rôle politique, n’ayant derrière lui ni un corps d’armée comme celui de Baratof, ni canons, ni mitrailleuses, ni argent. Il inquiétait les Anglais, bien à tort, puisqu’il n’y avait rien derrière lui. La sagesse eût été de s’entendre avec les Anglais et de faire avec eux un front commun. On pouvait chasser les Bolcheviks mais, entraîné par la mégalomanie, Starosselsky a voulu être le sauveur de la Perse et gagner la gloire tout seul. Le héros s’est cassé les reins. Les Anglais l’ont laissé faire, ils le guettaient ; ils savaient qu’ils finiraient par l’avoir. Ils l’ont eu. {85a} Mais ils se faisaient de sa personnalité un épouvantail. Ils le craignaient. Ils n’ont respiré que le jour où il a quitté la Perse. L’absurdité de Starosselsky est de ne pas s’être rendu compte réellement des forces de l’adversaire. Il a cru les Bolcheviks méprisables. Il a cru – et c’est l’éternelle bêtise russe – qu’avec une compagnie, un régiment on tenait tête à des milliers d’envahisseurs. Conception fantaisiste de joueur de poker. La vie est plus compliquée. Cet homme si intelligent ne voyait pas juste. Sur sa prétendue connivence avec les Bolcheviks, ses rapports secrets avec Lénine, on ne voit guère où ces négociations l’ont mené. A-t-il été ménagé

204

georges ducrocq, journal de perse

par les Bolcheviks ? Non. Ils l’ont deux fois attaqué et battu. C’est eux qui ont consommé sa raison. Je vois bien à qui l’assaut bolchevik a profité, à qui il profite encore. C’est parce que la Perse se sent désarmée qu’elle doit passer par les exigences de l’Angleterre. Ce qui est le plus extraordinaire dans cette histoire, c’est que le shah a promis à Port-Saïd à M. Norman de renvoyer Starosselsky. Arrivé à Téhéran, il l’a comblé d’honneurs, lui a renouvelé le témoignage de {85b} sa confiance et lui a donné le commandement supérieur des armées, lui promettant qu’il ne toucherait pas à la Division. Dans l’ordre du jour à ses officiers, Starosselsky dit : « Le shah sans parole m’ordonne de livrer la Division aux officiers persans qui la remettront à qui ils voudront. » La meilleure preuve que Starosselsky n’était pas de mèche avec les Bolcheviks, c’est qu’il s’exposait lui, ses officiers et son fils dans les tranchées. Les accusations continuent. Modir ol-Molk dit que du 1er mars 1920 à novembre, le Trésor a envoyé 100 000 tomans ce que ne nie pas Starosselsky. Mais la solde mensuelle de la Division était de 160 000 tomans. Les dépenses d’une expédition sont énormes : les guerriers coûtent cher ; il n’y a pas de train des équipages dans l’armée persane. Tout coûte un prix fou en Perse. Modir ol-Molk me dit que depuis leur fondation les Cosaques faisaient disparaître leurs comptes, or il est d’usage de brûler les comptes après quatre ans ; mais, comme Starosselsky est ici depuis trois ans rien de plus facile que de vérifier sa comptabilité. Modir ol-Molk dit que les chefs de détachement n’ont pas de comptabilité, mais ils en ont une et doivent justifier de leurs dépenses, jusqu’à la dernière bougie. {86a} Ces petits mensonges, symptômes de servilité envers l’Angleterre, laissent craindre que la lumière ne soit jamais faite sur les comptes de la Division. D’ailleurs, la commission ne s’est pas réunie depuis quinze jours et ne semble pas pressée de faire la lumière tant qu’il y aura des officiers russes, gênants témoins, en Perse. 20 novembre 1920 M. Stevens me donne sur la mort de Wustrow quelques détails. Il avait sur son toit une mitrailleuse qu’il maniait lui-même. Il fit abattre à coups de minenwerfer le mur du consulat d’Angleterre, son voisin, pour se donner un champ de tir. Les démocrates le sommèrent d’avoir à livrer les Bolcheviks réfugiés chez lui et lui déclarèrent qu’ils mettraient des gardes de police à sa porte pour empêcher l’entrée et la sortie des Bolchviks. Wustrow annonça que si les gardes de police n’étaient pas retirées le lendemain à 1 heure, il ouvrirait le feu sur eux. À une

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

205

heure il fit une décharge de mitrailleuses et lança une bombe. À sept heures on entendit deux coups de feu. On apprit le lendemain que Wustrow était mort. Les médecins à l’autopsie constatèrent qu’il avait une balle sous la tempe qui était ressortie à la base du crâne et une autre tirée au cou sur le côté. Ces coups de feu avaient été tirés au maximum à un mètre. L’hypothèse du suicide était la plus vraisemblable. Wustrow avait chez lui 1 200 carabines, une quantité de munitions – 20 mitrailleuses, 2 canons. Toutes ces armes, de quoi armer 4 à 5 000 hommes, provenaient de la retraite des Turcs. {86b} 21 novembre 1920 Le bruit court que 12 000 Turcs ont passé la frontière persane entre Ravanduz et Sardâr Bolâq et qu’ils marchent sur Tauris. Le bruit vient d’un groupe de Tabrizi. Si la menace se précise, nous allons assister à des événements curieux. Les Kurdes de Simko, les Azerbaïdjanis et les Bolcheviks prêteront la main à cette marche convergente sur Tauris. Le nouveau cabinet, devant l’émotion populaire et peut-être la Révolution à Téhéran sera démissionnaire. Les nationalistes reviendront au pouvoir. Ou bien il faudra que l’Angleterre protège la Perse et fasse marcher ses troupes, mais de combien d’hommes dispose-t-elle ? Si cette invasion turque n’est pas décisive, il y a toujours le péril bolchevik à l’horizon. Une armée de Perse est formée à Bakou où se trouve Nuri Pacha. Elle comprend 20 000 hommes. Elle a déjà expédié 1 500 hommes à Anzali. Il entre dans les plans bolcheviks de faire une attaque sur Téhéran au printemps au plus tard. La chose est facile. Les Bolcheviks chercheront en Asie la revanche de leur défaite occidentale. Ils essaieront d’atteindre leurs adversaires, et tout d’abord l’Angleterre, en Orient. Quel jeu joue l’Angleterre ? En ce moment, {87a} la politique anglaise, audacieuse en août 1919, effacée en juin 1920, est redevenue en novembre 1920 hautaine et résolue. Elle ne tient plus compte des répugnances de la Perse. Elle lui met hardiment le couteau sur la gorge. Ou vous signerez l’arrangement et pour cela vous réunirez le Parlement, ou nous quitterons la Perse, Banque, administration, bailleurs de fonds, etc. et nous vous laisserons, livrés aux Bolcheviks. Pour que ce plan de chantage réussît il fallait que la Perse fût désarmée. Elle l’est. La Division de Cosaques, son dernier bouclier, lui a été enlevé. Le shah, épouvanté, qui se voit déjà entre les mains de l’Armée rouge, signera tout ce que l’on voudra. Mais cette méthode autoritaire, cet arrangement imposé par la force sera impopulaire, il soulèvera le mécontentement, l’indignation, la révolte. Les Bolcheviks en profiteront. Ils ont des émissaires à Téhéran. De toute manière,

206

georges ducrocq, journal de perse

la situation est dangereuse. Si le shah cède, il est menacé de révolution, si le shah résiste, il est menacé d’abandon des Anglais et d’avance bolchevik. Dans tous les cas, la Perse ne peut se défendre ni contre les Bolcheviks, ni contre la domination anglaise. Le contrepoids russe a disparu. L’Angleterre fait en ce moment une politique {87b} aventureuse et de cassecou. La grande habileté eût été de continuer avec Mošir od-Dowla et la façade nationaliste une politique d’atermoiement. Les Anglais restaient au fond les maîtres de la situation, puisqu’ils distribuaient à leur gré les subsides. Mais le pouvoir réel sans l’apparence ne leur suffit plus. Ils veulent parler en maîtres à Téhéran ? en ont-ils les moyens ? Ont-ils les 100 000 hommes qu’il faudrait pour défendre la Perse contre une agression bolchevik ? L’Angleterre joue. Elle ne fait plus une politique forte et solide mais elle court la chance. Elle a pris la manière brutale avec la Perse parce quelle a cru la défaite des Bolcheviks assurée par l’offensive polonaise, mais la roue de la fortune a tourné. Les Bolcheviks ont chassé Wrangel de Crimée, l’Arménie est écrasée, les Turcs vont chasser les Grecs, traiter [avec] Venizelos, de Smyrne, et les forces kémalistes unies aux bolcheviks vont pouvoir agir contre la Mésopotamie et la Perse. Tout cela est clair comme le jour pour qui sait regarder, ouvrir les yeux. Il ne reste à l’Angleterre qu’une seule chance de réussite ; c’est que le bolchevisme s’effondre, révolte intérieure ou nouvelle {88a} poussée des Polonais, mais rien ne fait prévoir une telle hypothèse. Au contraire, chaque jour renforce la puissance des Bolcheviks. Ils viennent de conquérir le matériel, l’armement, les munitions fournis par les Alliés à Wrangel, comme ils s’étaient déjà ravitaillés chez Denikine et Koltchok. Ils sont plus forts que jamais. Ils savent quels fragiles adversaires les attendent en Asie. Il ne semble pas toutefois que les Arabes de Mésopotamie marchent avec les Russes. Visible antipathie. Sir Percy Cox, s’il fait de bonne politique avec les Arabes, peut les écarter du conflit. Les Anglais comptent sur les Afghans avec lesquels ils pratiquent une politique en ce moment conciliante ; ils leur cèdent beaucoup d’avantages et jouent de l’épouvantail bolchevik, essayent de regagner l’Émir. Quel doit être le rôle de la France dans cette aventure ? La politique française, avec M. Lecomte, avant et durant la guerre, a été à la remorque de la Russie et de l’Angleterre. Avec M. Bonin, ç’a été un renversement absolu de tactique : guerre sourde à l’Angleterre, encouragements donnés aux nationalistes. Avec Hoppenot, elle redevient indifférente à la Perse, qu’elle considère comme un fief de l’Angleterre. Nous avons ici à {88b} sauvegarder notre œuvre scolaire, notre propagande morale, notre influence spirituelle. École de droit, écoles françaises doivent être encouragées. Alliance française développée.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

207

Excellentes relations avec les Persans approfondies. Notre Légation doit rester l’asile de la liberté. Aucun traité n’a encore inscrit aux yeux de l’Europe la prise de possession de la Perse par l’Angleterre. Les puissances européennes ne l’ont pas sanctionnée. Donc réservons l’avenir. Soyons justes, équitables, courtois envers tous, en un mot, français. – Nous avons visité vendredi l’École israélite de M. et Mme Laredo. On ne peut qu’admirer le soin qui préside à la tenue de l’école. Le français est enseigné et très bien enseigné à 800 élèves, filles et garçons. L’école poursuit un but précis. Une ardeur au travail règne dans toute la maison. Les enfants ont chanté des chansons de France, elles ont récité des fables de La Fontaine, montré des cahiers d’écriture impeccables et des broderies de fées. Les garçons nous ont joué une scène du Cid, ont résolu au tableau noir des problèmes compliqués, ont parlé couramment français, {89a} anglais. Les résultats sont admirables. Il faut s’incliner devant la patience de ces maîtres juifs et l’esprit éveillé de leurs élèves. Race prodigieusement intelligente, Israël continue à mépriser les exercices corporels, le courage physique. Mais il faut songer à l’abjection d’où sortent les juifs de Téhéran. Ils étaient encore, il y a dix ans, parqués dans leurs ghettos, ils n’avaient pas le droit d’ouvrir boutique rue Lalézar, ils portaient le signe distinctif de couleur jaune qui les désignait à la risée des musulmans. Les juifs n’avaient pas le droit les jours de pluie de sortir de leurs maisons car le contact de leurs vêtements mouillés était une souillure pour tout bon musulman. Les communautés juives de Perse (50 000) Téhéran (5 à 6 000) datent de la captivité de Babylone et d’au-delà. C’est le pays des premiers sémites, l’Arak, qui les a jadis envoyés sur le plateau, ils y végètent depuis de longs siècles. L’Alliance israélite les tire de leur ignorance. L’Alliance israélite dont le siège est à Paris (Sylvain Lévy) possède de nombreuses écoles au Maroc et en Orient. Son œuvre est toute favorable à l’expansion du français dans le monde. C’est un levier dont nous devons profiter. {89b} – Les Anglais ont amené en Perse des avions plus forts que ceux qui y étaient précédemment, avec des moteurs de 400 chevaux, qui peuvent jeter des bombes de 56 kilos. Les bombardements faits ces jours derniers sur le débarcadère d’Anzali ont donné d’excellents résultats. Moore168 désire organiser l’aviation commerciale en Perse : transport aérien de la poste et des voyageurs. Étant donné le prix des transports de Bagdad à Téhéran, de Téhéran à Bouchir, la navigation aérienne serait certainement plus économique et plus rapide que l’automobile et la caravane. Les voyageurs de Bagdad à Téhéran mettent 20 jours. Ils viendraient en 3h30. 168  S’agit-il d’Arthur Moore qui écrivait pour le Times ?

208

georges ducrocq, journal de perse

Nous visitons chez Mirza Ali Akbar169 une collection splendide de tapis, de miniatures, d’ivoires, de peintures. La miniature persane est l’art le plus raffiné des persans. Elle a été le plus loin dans la représentation exquise de ce que le charme féminin par exemple a de plus secret, de plus insaisissable, et c’est pourquoi ces miniatures sont à la mode à Paris, en ce moment, car nous sommes devenus de grands raffinés. {90a} Le sourire persan est au fond celui que nous aimons chez nos femmes et le succès de Madame de Noailles correspond à l’engouement pour la Perse. La miniature persane représente des scènes de chasse, des scènes d’amour. Ces deux plaisirs occupent ou plutôt occupaient la vie des vieux Persans. Mostowfi ol-Mamâlek et ses fils mènent encore la vie d’autrefois : les faucons et les sighés170 sont leur seul passe-temps. Ces miniatures anciennes sont d’une finesse incroyable, elles valent par le choix du sujet, par la grâce des détails, par la délicatesse de l’exécution, par la douceur infinie des teintes, par une élégance de traits, une discrétion dans l’effet, un charme aristocratique vraiment unique. Si l’on ferme les yeux sur les vices persans, il faut bien reconnaître que sur les plateaux arides de l’Iran l’humanité aryenne menait l’existence la plus semblable à celle qui fut toujours considérée comme une vie noble par nos ancêtres et qui l’est encore de nos jours. La chasse, la vie au grand air, l’équitation, l’adresse, la beauté du corps que développe l’exercice du cheval, le tir à l’arc, le goût des vêtements somptueux, des attitudes élégantes, de la politesse, le penchant à la poésie, l’attrait vers la culture la plus raffinée, le plaisir que l’on goûte à une épigramme bien aiguisée, à un bref poème d’amour ciselé, l’attrait vers la volupté, l’amour, le vin, l’existence facile, toutes choses dont notre Europe laborieuse et de plus en plus industrialisée s’écarte {90b} tout en sentant qu’elle s’écarte de la joie pour prendre des chemins difficiles et qui n’aboutissent qu’à l’ennui américain. La forme d’existence la plus étrangère à l’Amérique se trouve en Perse. M. Stevens me dit que les industriels de Roubaix-Lille (DesgrangesDefrennes) et ceux de Lyon exportaient en Perse des tapis, tissus, soieries, faits très adroitement pour la Perse. Près de la moitié des exportations françaises en Perse venaient du nord de la France. Il y a en ce moment une occasion à faire : acheter des tapis de Soltânâbâd, qui sont faits aux couleurs végétales, l’aniline n’arrivant plus en Perse depuis la débâcle allemande. 169  Un fils de Mostowfi ol-Mamâlek ? 170  Pour siqa, « mariage temporaire » d’où, en langage populaire, « femme provisoire ». Voir Y. Richard L’islam chi’ite (Paris, Fayard, 1991), ch. vi.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

209

24 novembre 1920 Visite aux Sœurs. Maison française. Les Filles de la Charité ont gardé intactes les vertus françaises ; l’amour de l’ordre, de la propreté physique et morale, de la netteté. Cette mère supérieure, précise, limpide dans ses explications, alerte, simple, active, comme elle est peu de notre siècle et bien d’un pays d’hommes d’action. L’esprit du fondateur vit toujours dans cette douceur angélique et ce goût passionné de réalisation. La foi se manifeste par les œuvres. La malice ne perd pas ses droits. Cet ordre est un modèle de vie spirituelle. Autre idéal que dans l’école israélite. Là-bas on ne songe {91a} qu’à l’instruction, l’appétit de la science. Mais aucun charme. Au fond, l’essence même de la vie française leur échappe. Ici l’éducation préférée à l’instruction, la tenue, la distinction des manières ; je comprends l’enthousiasme des Persanes de bonne famille qui veulent que leurs filles soient élevées chez les Sœurs. Comme la beauté persane, les traits du visage persan d’ailleurs se rapprochent plus du nôtre, de notre goût que les visages arméniens. Cette race est infirme, sémitisée. Les Persans sont bien plus aryens. Gens de plateaux, ils ont résisté aux envahisseurs. Un beau visage à Téhéran serait un beau visage à Paris. Lamont s’en va. Il est actif, il sent que la Perse va encore le lanterner, que les réformes ne peuvent s’exécuter avant la réunion des Majles, et le vote (Dieu sait quand ?) de l’Accord. Il s’en va, voulant servir. Malgré leurs succès, les Anglais ne triomphent pas. Ils sentent les difficultés venir. Ils sont de moins en moins nombreux. Le ministre ne s’installe pas. Ne fait pas venir son argenterie. Smart nous dit : Je ne comprends pas que M. Lecomte ne ramène pas ses tapis en France. Ce serait plus prudent. Le P. Châtelet me dit que la seule politique française ici est de ne pas en faire, trop active. Nous faisons en Perse une besogne civilisatrice, à longue échéance. Nous récolterons dans 40 ans. Nous préparons une Perse éclairée, indépendante, comme nous avons fait une Égypte indépendante. Mais c’est ce qu’on ne comprend pas à Paris. On veut lâcher la partie. La maison des Lazaristes n’envoie plus de missionnaires. Le meurtre de Mgr. Sontag qui aurait dû valoir aux missions une indemnité de 2 à 3 millions {91b} n’a pas été fermé. 25 novembre 1920 À divers symptômes, il est facile de prévoir que nous marchons vers la catastrophe prochaine ! Les Anglais s’impatientent. Il est évident que Londres pousse les ministres anglais à Téhéran d’aboutir. On est fatigué en Angleterre de jouer un jeu de dupes. L’opinion s’énerve elle le consent plus à verser des subsides pour un insaisissable avantage. Il faut que la Perse signe l’Accord ou les Anglais s’en iront.

210

georges ducrocq, journal de perse

Le ministre britannique a remis il y a quatre jours une note au Gouvernement persan pour lui déclarer que si, avant le 1er janvier, l’Accord n’était pas signé, ratifié par le Parlement, l’Angleterre s’en allait, armée, banque, colonie, légation, administration des postes et télégraphes, etc. D’ici là l’Angleterre refuse ses subsides. De plus elle a prié le gouvernement persan d’enregistrer que sur le futur emprunt de 2 millions de £ sterling qui sera consenti à la Perse, 350 000 £ sont à décompter qui ont été distribuées à Vosuq od-Dowla, Sârem od-Dowla, prince Firuz, le Ra’d et d’autres seigneurs de moindre importance. Le gouvernement persan s’est refusé à endosser cette dette, dont aucune comptabilité ne contient la trace. Il n’a pas le pouvoir de réunir le Parlement dont l’opposition essaye de reculer la date d’ouverture. Quelques députés auraient {92a} l’intention de démissionner pour empêcher le quorum d’être atteint. Bref les Anglais se heurtent à toutes les méthodes dilatoires de la Perse et ils en ont assez. Le président du Conseil, qui ne jouit pas d’un ascendant assez puissant pour imposer à la Perse, au nom du patriotisme, comme le faisait Vosuq od-Dowla, un Accord anglo-persan, craignant d’autre part de se discréditer à jamais, déclarant qu’il n’y a pas de tache dans son passé politique, a offert sa démission au shah qui ne l’a pas acceptée. Il a été décidé que samedi se réunirait au Palais une assemblée de notables, de grands mollâs, d’anciens présidents du Conseil, grands négociants, qui, selon l’usage adopté dans les cas difficiles, donneront leur avis sur la situation politique171. Le Sepahdâr entend rejeter sur cette assemblée la décision qu’il doit prendre. Farmân-Farmâ qui vient d’arriver, assistera à cette réunion. Il est le président du Conseil de demain ? Les Anglais jouent en même temps du péril bolchevik qu’ils exagèrent. Le général Ironside a reçu ordre de combattre les Bolcheviks mais de les laisser à Rašt et à Anzali, où ils constituent une menace sur la Perse. Des télégrammes alarmants arrivent d’Astarâbâd, de Mašhadsar. Les Bolcheviks qui travaillent à Téhéran augmentent cette impression d’insécurité. Le shah est effrayé, les ministres aussi. L’Angleterre compte sur cette {92b} panique pour obtenir la capitulation de la Perse. On ne sait si l’intention d’évacuer la Perse est sincère ou non, mais les Anglais prennent déjà des dispositifs de départ. La banque de Tauris ferme définitivement ses guichets samedi. Le consul d’Angleterre de Tauris a reçu l’autorisation de faire ses paquets. Les Anglais déclarent ouvertement qu’ils ne seront plus ici au printemps.

171  Sur cette assemblée de notables, au palais Golestan, destinée à pallier l’absence de Parlement, voir Dowlatâbâdi, Hayât-e Yahhyâ, iv, p. 190 sq.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

211

26 novembre 1920 Deux hypothèses : ou les Anglais font un bluff, menacent de partir pour obtenir la capitulation persane ou ils ont réellement l’intention de partir, si la Perse ne cède pas. Et alors ils commettent une lourde faute, livrent la Perse du nord aux Bolcheviks, à la Russie et laissent leur ennemi se rapprocher de la frontière des Indes. Ces retraites successives de l’Angleterre donnent à l’Asiatique la plus faible idée de la force des Alliés. Les démocrates font actuellement grand fond sur Taqizâda dont ils attendent le retour. Un article du Ra’d dit bien que Navvâb, ministre de Perse à Berlin, et Taqizâda, députés, ont été avisés qu’ils devaient quitter Berlin s’ils voulaient assister aux séances du Parlement. 27 novembre 1920 Réunion au Golestân d’une assemblée extraordinaire, composée de grands mollâs, d’anciens présidents du Conseil, de quelques députés, de gros négociants. Par ce moyen {93a} la Légation d’Angleterre, espérait obtenir d’un semblant de Parlement l’autorisation de mettre en vigueur l’accord, et le Sepahdar, pressé par les Anglais, qui lui ont envoyé il y a quatre jours une note comminatoire réclamant la signature de l’accord et la mise en vigueur immédiate des articles concernant la réorganisation de l’armée, trouvait un moyen de se couvrir, d’esquiver la responsabilité d’un oui ou d’un non. On dit qu’à la porte du Golestân la foule, houleuse, entourait ceux qui entraient et deux mollâs, tirant un coran de leur poche, faisaient jurer aux nouveaux venus de ne point trahir la Perse et de ne pas la vendre à l’Angleterre. Farmân-Farmâ eut beau dire qu’il était patriote, il dut prêter serment. L’assemblée débuta par une allocution de sa Majesté, lue par le prince Šahâb od-Dowla (que l’on dit préparer un cabinet Mostowfi ol-Mamâlek). Puis le Sepahdâr fit un exposé de la situation et lut la note britannique qui est très longue et qui expose les énigmes de l’Angleterre. Celle-ci, fatigué d’attendre, menace de quitter la Perse le 1er janvier avec la Banque, les administrations, si l’Accord n’est pas signé, le Parlement rassemblé, la ratification faite. En outre, le gouvernement britannique, devant la menace bolchevik, veut former sur le champ une armée nationale. Il {93b} demande donc qu’avant même la signature de l’Accord, la partie militaire de la convention, vu le danger pressant, entre en vigueur et que les autorités militaires britanniques puissent procéder sur le champ à la réorganisation de l’armée. L’assemblée a répondu à ces demandes qu’elle était incompétente pour décider s’il y avait lieu de mettre en vigueur la convention sur-le-champ, qu’une telle décision dépendait du Majles et en félicitant le Sepahdâr des efforts qu’il avait déjà faits pour assembler le Parlement, seul juge, selon la constitution, de

212

georges ducrocq, journal de perse

l’opportunité de l’Accord. En même temps des zélateurs ont reproché à Mošir od-Dowla de n’avoir pas en quatre mois su rassembler le Parlement. Leur indignation n’a paru qu’à demi-sincère. La foule manifestait avec assez de violence dans la rue contre les Anglais. Le soir, au club, il y avait foule ; de nombreux officiers anglais, venus de Qazvin, aviateurs, m’a dit Wickham (que d’aviateurs !) dansaient et passaient des délices du bar dans ceux de la valse. Le colonel Wickham donnait un grand dîner auquel je n’étais pas convié. Je l’ai immédiatement invité pour samedi prochain. Le général Dickson, qui manque décidément de finesse, avait invité les deux officiers russes qui ont trahi Starosselsky {94a} et qui servent dans l’armée persane avec les Cosaques et leurs officiers tout-à-coup anglicisés. Ces officiers, faux frères de la Division, étaient introduits au Club avec leurs épouses, honneur insigne. Le général Dickson s’avance vers moi et me dit : « Mon capitaine, vous qui aimez tant les Russes, voulez-vous que je vous présente à ces dames ? Vous devez les connaître. » Je décline joliment l’invitation, je déclare au général Dickson que je n’ai jamais vu ces dames dans les milieux russes. Et en effet, on ne les y voit jamais. Je laisse s’éteindre les dernières mesures de la valse et j’évite de cette manière de donner à ces officiers mercenaires une apparence d’approbation que je ne suis pas d’humeur à leur accorder. Vanak était charmant ce soir dans ses feuillages cuivrés. Les teintes d’automne se prolongent en Perse plus tard que chez nous. Déjà l’Alborz est chargé de neige. La bise est froide. Les loups courent la plaine. Les roses, chaque matin gelées, ne peuvent plus s’entrouvrir. Mais les feuilles sont encore aux arbres. Nous n’avons pas sous les yeux le spectacle affligeant des squelettes de branches, si tristes sous le ciel de novembre, en France. Pays favorisé du ciel, qui n’a gardé, hélas ! de l’âge d’or de l’aryanisme que la beauté de ses femmes. {94b} 29 novembre 1920 Visite à Farmân-Farmâ. Dans la cour il y a une gazelle, envoyée par le Sepahsâlâr. Les domestiques portent le révolver au dos dans cette gaine de bois, si curieuse, des soldats persans. Une multitude de gens. Un majordome me reçoit dans un petit salon tapissé d’un papier de chambre d’hôtel d’un mauvais goût parfait. Il est en conciliabule avec deux solliciteurs. On parle à voix basse. Le prince me fait prier de venir le voir. Des gens me précèdent, m’accompagnent, me suivent. Un eunuque noir est devant moi, une femme détale dans le jardin. Le prince est couché sous le korsi. Grande table de bois couverte de lainages, où brûle le charbon de bois. Les malades, les femmes en Perse passent l’hiver sous cet appareil. On y vit en famille. Le prince est petit, taillé en boule. Il a les sourcils blancs, la façade énergique, l’air prodigieusement chafouin. Il me

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

213

parle de son gouvernement de Chiraz. On verra au printemps prochain, dit-il, la différence qu’il y a entre Farmân-Farmâ et celui qui lui succède. Les Qašqâ’i n’avaient jamais payé l’impôt : j’ai fait rentrer 50 000 tomans. Les Qašqâ’i, les brigands bakhtiyaris coupaient les routes Ispahan-Chiraz et Chiraz-Bouchir. J’ai fait régner l’ordre. La route a été libre. 500 cavaliers me suffisaient tandis qu’il fallait aux Anglais des milliers d’hommes {95a} pour faire la police du Sud. Le Prince me parle de la Syrie qu’il connaît très bien, de nos forces à Damas, de notre quartier général. Son neveu, le prince Nâser od-Dowla172, est à côté de son lit, agenouillé en enfant de chœur. Un incident comique : le Lt Scott a perdu ses lunettes et l’on remue le vieillard pour les découvrir. – Sardâr Akram173 que l’on pourrait croire le plus civilisé des Persans est jaloux comme un tigre. Il a épousé la plus jolie fille de Vosuq od-Dowla. Il lui interdit de traverser la cour de sa maison de Kermânšâh et l’oblige à passer sur les toits par une échelle. Ainsi ce jeune élégant qui danse à ravir le tango, redevient persan farouche quand il s’agit de femmes. Conversation secrète le matin avec Alexandre Khan174. La banque Toumaniantz est sur le point de liquider. Elle cherche à se sauver. Elle voudrait se faire renflouer par des capitalistes français. Elle apporterait en gage ses concessions de cuivre, de forêts, de pêcheries de la Caspienne, de gisements pétrolifères, de houille. Sinon elle va devoir fermer ses succursales en province. La maison est vieille de cent ans. Elle avait le privilège de la clientèle persane, des marchands locaux, des administrateurs de l’État. Mais, depuis l’arrivée de McMurray à Téhéran, la Banque a repris la clientèle des ministères et des négociants de la place. {95b} Les trois-quarts du commerce de la Russie venaient de la Pologne, mais aujourd’hui ils ne pourraient venir, même avec un arrangement de la Pologne et des républiques du Caucase. C’est l’Angleterre qui favorise la barrière bolchevik entre l’Europe et l’Asie, c’est l’Angleterre qui favorise l’anarchie au Caucase pour détourner tout le commerce de la mer Noire et l’orienter vers le golfe Persique.

172  Le texte donne « Nasr od-Dovleh », ce qui renverrait à Ebrâhim Qavâm (né en 1888), fils de Habibollâh Qavâm ol-Molk. 173  Ou Amir A‘lam ? = Yadollâh ‘Azodi ; ou Asadollâh A‘lam ? La deuxième fille de Vosuq, ‘Ešrat-Nimtâj Vosuq s’est mariée à Amir Akram Qarâgozlu. Le laqab Sardâr Akram avait été dans la famille Qarâgozlu. 174  Alexander Tumâniân, banquier arménien.

214

georges ducrocq, journal de perse

Enfin, c’est l’Angleterre qui pousse les Bolcheviks à envahir la Perse pour avoir sur la Perse un moyen de chantage. 30 novembre 1920 La vraie version de l’incident de Mirzâ [Yah]yâ175 à l’assemblée de samedi m’est fournie aujourd’hui. Il a dit dans son discours que le Parlement lui-même ne serait pas compétent pour approuver l’accord, étant donné la manière dont les élections avaient été faites, que les électeurs avaient été irrégulièrement élus, que, s’ils approuvaient l’accord, leur vote n’aurait aucune valeur. C’est alors que Sardâr Mo’azzam a fait un discours et a dit à Mošir od-Dowla : c’est vous, c’est votre ministre qui a autorisé de tels discours. Les députés sont alors sortis et Mirza Yahya n’ayant pas voulu se réconcilier avec eux ni retirer ses paroles, celui-ci est sorti et les députés sont rentrés. Auparavant, il avait fait un discours pour dire que {96a} la Perse souhaitait le départ des Anglais et qu’elle saurait fort bien se défendre et s’administrer elle-même. Il exprimait l’opinion de Mošir od-Dowla, qui a suspendu l’accord et n’a pas accepté d’avances sur l’emprunt mais des avances spéciales, que la Perse s’est engagée à rembourser. Mošir od-Dowla voulait recommencer les élections. Il ne l’a pas fait parce que les provinces ont demandé que cela ne se fît pas. Les députés tenaient à leurs sièges, mais en beaucoup d’endroits les élections ont été escamotées. 120 000 bulletins ont été envoyés à Kermânšâh et Nosrat od-Dowla a été élu à 19 000 voix. En certains endroits, il y a eu substitution d’urnes. Les candidats ont des moyens de pression sur les électeurs : ils menacent par exemple de les priver d’eau au moment de la récolte. Qu’ont fait les Anglais depuis la révocation de Starosselsky. Ils attendent. L’épée de Damoclès du bolchevisme doit rester suspendue sur la tête des Persans. On accuse de concussions les officiers russes. Que dire de Lassen qui demande 70 000 tomans pour l’entretien de 150 hommes pour l’expédition du Mâzandarân ? L’idée de Mošir od-Dowla a toujours été de faire appel à une tierce puissance pour un emprunt. Si les officiers russes étaient incompétents, comment se fait-il que les Anglais considèrent que le seul moyen militaire sur lequel on puisse compter en Perse est la Division des Cosaques. 175  Dowlatâbâdi, 1863-1939. Voir le récit de Dowlatâbâdi lui-même, Hayât-e Yahyâ, iv, 190. Voir également l’entrée du 6 décembre.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

215

{96b} À l’assemblée de samedi aux gens qui voulaient le faire signer sur le Coran, Farmân-Farmâ a répondu  : « Je sers depuis cinquante ans le gouvernement persan. Vous pouvez chercher dans les papiers de l’État. Vous n’y trouverez pas une ligne signée de ma main. » Le shah au dernier salâm, au lieu d’écouter les discours et d’y répondre, a hoché la tête, s’est levé et est parti. Il n’a qu’une envie, c’est de partir pour l’Europe au printemps. De Tauris, vont partir les consuls anglais, américains, français, la Banque et le télégraphe. 3 000 nouveaux soldats sont arrivés à Qazvin, ce qui porte l’effectif à près de 8 000. 1er décembre 1920 Les jeunes princes Mohammad-Vali Mirzâ, Mohammad-Hoseyn Mirzâ, fils de Farmân-Farmâ, et le prince Nâser od-Dowla déjeunent à la maison. Ces Farmân-Farmâ sont tout de même ce qu’il y a de plus intelligent en Perse, de plus délié comme esprit. Ils déclarent que la grande force de la Perse est la force d’inertie. C’est par là qu’elle résiste à sa domination. La Perse n’est pas militaire, elle est guerrière. Visite à Mošir od-Dowla qui me dit son anxiété. « Si l’Angleterre promettait de nous défendre, d’amener en cas d’invasion bolchevik 50 à 60 000 hommes contre les armées bolcheviks, on pourrait toujours signer l’accord, mais elle ne promet rien de {97a} semblable. Elle dit qu’elle organise une armée ; il faut 3 ans pour organiser une armée. Elle ne cache pas que devant des forces supérieures, ses troupes se retireront comme elles l’ont fait sous le ministère Vosuq quand l’accord était en vigueur. À Anzali, il leur était facile de combattre. Elles ont préféré battre en retraite. Quelle confiance des Persans peuvent-ils avoir dans une armée qui déclare délibérément qu’elle n’a pas mission de combattre les Bolcheviks. Je vois bien, dit Mošir, quels avantages l’Angleterre retire de l’Accord, je ne vois pas quels avantages mon pays en retirera. Il ne saurait être question en tout cas que d’un engagement à terme, de 10 ou 15 ans, pour éviter le danger présent. Si on nous avait laissé le temps d’agir, notre ministère aurait pu réformer les finances et trouver des ressources. Mais nous avons eu trois mois à vivre en luttant contre l’envahisseur et un mois (20 jours) pour nous occuper de la réforme financière. En ces vingt jours, nous avons réuni l’opium et le tabac, augmenté de 150 000 tomans leur rendement, supprimé une quantité d’emplois inutiles. À Šâhrud par exemple, il y avait 16 000 tomans de revenus et 18 000 tomans de frais. Un gouverneur demandait une escorte de 100 cavaliers, chiffre invérifiable,

216

georges ducrocq, journal de perse

quand 10 ou 15 gendarmes, déjà payés par le gouvernement suffiraient. Nous allions à l’économie, nous aurions pu au bout d’un an nous suffire. » {97b} Conférence du P. Chatelet176 sur les rapports franco-persans à travers les siècles. Ces rapports sont insignifiants au temps de Timour, de Colbert et de Napoléon. Mais M. Boré177 vint en Perse et tout changea. La France ne doit avoir aucune intention politique sur la Perse, elle ne doit y chercher aucun profit. Elle travaille d’une manière désintéressée pour former la jeunesse persane. Évangélisatrice, institutrice du monde. Il exalte le don de soi, les croisades. Très bien. Mais je me refuse à une influence spirituelle qui ne sera pas chrétienne ou littéraire. La conférence est très fine. Il marque bien que la Perse a été la pierre d’achoppement de tous les conquérants. Le jeune Vali Mirza dit que tous les jours on venait trouver le gouverneur de Tauris en lui disant : quel jour on pourra massacrer ? 4 décembre 1920 Smart dit que les Šâhsavan dans la région de Moqân ont été battus par les Bolcheviks. Les Šâhsavan venaient passer l’hiver dans la plaine. Ils en ont été chassés. Cinq de leurs khans ont été tués et la femme d’un de leurs grands chefs a été capturée. À Ispahan, le Dr Roland a toute la clientèle désirable. Les Bakhtyaris, le prince178 l’envoient chercher dans leur carrosse. Il n’a pas un instant de liberté. {98a} L’école israélite d’Ispahan qui comptait 250 élèves masculins, 200 filles, est fermée. Le directeur de cette école, M. Bresson, a passé 13 ans en Perse : il se heurte aux révolutions de la communauté israélite. L’école d’Ispahan n’a été soutenue pendant la Guerre que par les juifs arabes de Mésopotamie ; venus à Ispahan pour s’enrichir. Il faut dans chaque école un directeur et un directeur adjoint. Les juifs d’Hamadân, qui sont très riches, entretiennent très mal leurs écoles. Le résultat de l’instruction française est que le commerçant persan ou juif, s’il a des emplettes à faire, ira les faire à Paris puisqu’il en connaît la langue. Si nous voulons faire du commerce en Perse, il faudrait créer une société de navigation qui toucherait à Bassorah, une société de transports qui assurerait le trafic du golfe Persique à l’intérieur de la Perse, et une succursale de 176  À l’Alliance française, le 1er décembre 1920, cf dossier 35, bulletin de l’A.F. où le texte de la conférence est imprimé. 177  Eugène Boré (1809-1878), linguiste, devenu lazariste, fondateur de la mission lazariste en Azerbaïdjan. 178  Zell os-Soltân.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

217

la Banque ottomane ou du crédit lyonnais. Les soieries françaises, les tissus français seront toujours recherchés par les Persans. Les Anglais les leur vendent avec des majorations formidables. On pourrait créer à Ispahan une sucrerie. La Perse cultive beaucoup la betterave pour l’alimentation humaine et animale. Le prix de revient du sucre est très élevé. Si la sucrerie était soutenue par une banque, elle ferait de très bonnes affaires. Il existe à 5 farsakhs ( farsax) {98b} de Téhéran, au Sud, une sucrerie qui a été fondée par un Arménien, mais elle a été boycottée par les Russes et coulée. 6 décembre 1920 Visite au général Dickson179 qui me parle de Starosselsky. « Il était fou, me ditil. Vous savez que le traité secret conclu durant la guerre [en 1915] donnait à la Russie Constantinople, la Thrace, les rives méridionales de la mer Noire qui devenait un lac russe, l’Arménie. Mais en revanche la Russie se désintéressait complètement de la Perse et l’accord de 1907 était supprimé. Starosselsky ignorait-il cet accord ? Feignait-il de l’ignorer ? Quand nous vînmes en Perse, nous étions prêts à garder une Division de cosaques avec ses uniformes, ses usages particuliers, ses officiers russes, à condition qu’elle voulût bien se fondre dans l’armée uniformée. Starosselsky s’y refusa. Je voulais dès ce moment supprimer la Division et renvoyer Starosselsky. Mais on disait à la Légation : “Vous êtes partial. Il n’est pas si dangereux que vous croyez”. En juillet 1920, quand il était au pinacle, Starosselsky se crut tout permis. À la légation d’Angleterre, il dit à Norman : “Nous sommes ici, officiers russes, vos ennemis mortels. Si j’étais à votre place, il y a longtemps que je vous aurais traités avec un poing sans gant”. » {99a} Dickson dit alors à Norman : « Qui avait raison ? » « – C’est vous », dit Norman. Et la perte de Starosselsky fut décidée. On attendait l’occasion. Elle se présenta avec la défaite des Cosaques. Starosselsky fut exécuté. Le général Dickson insiste sur les vols des officiers. Il organise leur départ. Quelques-uns partent pour l’Australie, d’autres pour l’Amérique, d’autres en Belgique. Starosselsky, au dire du général, aurait confisqué une partie des pétroles saisis à Rašt et les aurait envoyés dans sa propre maison à Kazak Khaneh. Les scellés ont été mis sur ces pétroles que réclament les maisons lésées de Rašt. Mais tous les jours des bidons disparaissent. Sa majesté en a pris un très grand nombre. 179  Récemment nommé (nov. 1920) à la tête de la British Military Mission.

218

georges ducrocq, journal de perse

Lamont est parti, parce qu’on lui a offert le commandement d’une division d’artillerie, en Angleterre. Le Dr [Hâdi Khân180 ?] assistait à cet entretien et c’était merveille de l’entendre débiner les cosaques pour faire la cour au général Dickson et en même temps jeter la pierre à Sardâr Homâyun qui a volé, ce dont le Sepahdâr s’est aperçu, ce qui ne l’a pas empêché de le remettre à la tête des cosaques. Il n’y a que 3 honnêtes gens en Perse : Mošir od-Dowla, Mo’tamen ol-Molk et Mostowfi ol-Mamâlek. {99b} Mo’tamen ol-Molk me rend visite. Il raconte la séance de la haute assemblée181. 37 députés sont sortis au discours de Hâjji Mirzâ [Yahyâ], mollâ assez réputé qui disait que le Parlement lui-même n’était pas qualifié pour examiner l’accord, les députés n’ayant pas été élus régulièrement. Une note aurait été envoyée par Wilson à l’Angleterre au sujet de la convention passée entre l’Angleterre et la France sur les pétroles. L’Amérique réclame sa part dans le partage. Elle aurait des visées sur les pétroles du Mâzandarân. Le ministre Vosuq od-Dowla a donné le monopole des pétroles en Azerbaïdjan à Mohammad-Vali Mirza, au Mâzandarân, Gilân, Khorassan, à un Russe qui l’a vendu à un Anglais. Mais ces monopoles ne sont pas ratifiés par le Parlement. 7 décembre 1920 Petite discussion avec Hoppenot qui est hostile à toute correspondance envoyée d’ici aux journaux parisiens sur la Perse. Il ne faut faire à nos alliés nulle peine, même légère. Il n’a que mépris pour cette opposition nationaliste persane, incapable de rien réaliser, honnête, mais timorée, sur laquelle il ne faut faire aucun fonds, comme le disait avec cette sagesse politique qui le caractérisait, M. Lecomte. Nous n’avons pas à faire ici {100a} une politique antianglaise, mais une politique de bons alliés. La Perse est le fief de l’Angleterre. Nous n’avons pas à nous mêler des affaires des Anglais, nous n’avons pas à juger le recul de leurs troupes qui s’explique par des raisons venues de Londres et dépassant de beaucoup le petit problème de politique orientale qui se joue ici. Hoppenot ne croit pas d’ailleurs que la France ait à jouer un rôle en Asie. Nous avons l’Afrique qui est bien assez grande pour nous. Il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre. Il déclare que la valise ne peut servir à transporter des articles hostiles à l’Angleterre, qu’il les refusera et dira à Lesueur de les envoyer par la poste,

180  Le texte porte « Dr Adi Khan ». Il pourrait s’agir de Hâdi Šaqâqi, un officier cosaque formé en Russie et en France. Lire alors « Colonel Hâdi Khân ». 181  Mo’tamen ol-Molk : Hoseyn Pir-Niyâ, 1875-1947. Voir l’entrée du 30 novembre.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

219

qu’un professeur au service du gouvernement persan n’a pas à écrire d’articles politiques. Aveuglement d’un jeune chargé d’affaires qui prend en tous points le contrepied de son prédécesseur. Il faut, à l’entendre, admirer l’Angleterre jusque dans ses fautes politiques. Et elle en fait ici. « Quoiqu’en ait dit M. Bonin, l’Angleterre n’a pas fait faillite en Perse », dit-il. Elle n’a pas non plus merveilleusement réussi, mais cela ne doit pas se dire. Il faut dire que Starosselsky est un officier incompétent, prévaricateur et intrigant politique. Mais il ne faut pas dire que le général Champain a perdu à Anzali une occasion de se distinguer. {100b} Cette façon d’accepter en tous points l’avis britannique, qui était déjà la ligne de conduite de M. Lecomte (« Que venez-vous faire en Perse, mon cher capitaine ? La Perse est sous le protectorat anglais. Vous ne pourrez rien faire ici. ») est extrêmement commode. Elle évite toute fatigue. Au lieu de chercher quelles velléités d’indépendance dissimulées ou secrètes, subsistent en Perse, on se contente d’adopter le point de vue de la légation d’Angleterre, qui professe pour les indigènes qu’elle paye le plus complet dédain. Est-ce bien le rôle de la France d’adopter cette attitude ? Éducateurs et civilisateurs de l’Orient, n’avons-nous pas réussi à créer une jeune Égypte ? Le diplomate banal soigne sa carrière, ne fait pas de gaffes, adopte les points de vue courants et surtout ne poursuit aucun dessein politique, à tendances nationalistes, car cela est éminemment dangereux. Je deviendrai complètement idiot dans ce pays si je n’entame un travail personnel et qui me sauve l’esprit. Un exposé sérieux des faits auxquels j’ai assisté n’a aucune chance d’intéresser mes contemporains. Il faut adopter une fiction littéraire et racontée {101a} très gaiement et en se jouant, avec mille incidents frivoles, des événements dont la gravité doit être sentie sans la souligner. Prendre le ton de Candide. Ironie, ironie, ironie. Des portraits, des scènes amusantes. Saisir le côté bouffon de cette histoire. Laisser sentir dans l’ombre qu’un drame se joue, sans insister. On peut faire une œuvre très amusante avec le ton de l’impartialité. Commencer dès demain. Écrire un chapitre par jour au gré de la fantaisie. Reprendre tout cela ensuite, fondre, élaguer. Ne publier qu’après retour en France. Je tiens en main la planche de salut. 10 décembre 1920 Décidément les bêtises continuent. Une délégation bolchevik vient d’arriver. But commercial. Elle veut entamer des pourparlers avec la Perse. [En marge : fausse nouvelle] Elle veut échanger du pétrole contre du riz. Elle serait descendue à la légation d’Allemagne. L’échange économique n’est qu’un prétexte. La mission fera de la politique. Les Persans consentiraient à entrer en relation

220

georges ducrocq, journal de perse

avec les Bolcheviks, à accepter qu’un ministre soit accrédité ici, à condition que les Bolcheviks se retirent d’Anzali et qu’ils promettent de ne faire aucun acte de propagande à Téhéran. Belle promesse. Mošâver ol-Mamâlek182 qui joue un rôle de plus en plus important télégraphie au gouvernement persan qu’il faut que la Perse se prépare à une invasion au printemps, qu’elle doit prendre ses précautions et {101b} exiger une alliance défensive du côté anglais et d’accord avec les bolcheviks, il ne faut avoir aucune confiance dans les promesses des Bolcheviks, même s’ils promettent de ne pas molester la Perse et de respecter son indépendance ; ils s’en moqueront le jour où il faudra qu’ils s’installent en Perse. Les Anglais semblent disposés à laisser les Bolcheviks s’installer à Téhéran. Ils ne voient pas que la légation bolchevik sera immédiatement le point de ralliement de l’opposition antibritannique. Ils ne peuvent, disent-ils, s’opposer à leur venue. Et en effet ils ne le peuvent, n’ayant pas les forces militaires qui leur permettent de parler en maîtres. Ceci est la dernière faute à commettre, le dernier aveu d’impuissance. L’irritation des Anglais est extrême. Ils sentent que les Persans depuis un an les ont joués et lanternés. Ils leur ont fait perdre 12 mois qui ne seront pas rattrapés. Ils voulaient, s’appuyant sur l’Accord, organiser une armée persane qui défendrait par ses propres forces la Perse. Vosuq od-Dowla a mis tous les obstacles à cette {102a} mise en vigueur de l’Accord. Quand la corde a été trop tendue, il est parti. L’Angleterre l’avait payé inutilement. Il fallait songer à acheter de nouveaux hommes d’État persans. Ces dépenses continuelles excèdent l’Angleterre. Elle vient de se décider à brûler les anciens hommes politiques qu’elle a utilisés. Elle révèle au Sepahdâr qui le révèle à toute la Perse que Vosuq od-Dowla a touché 250 000 livres sterling, Nosrat od-Dowla 80 000 £, Sârem odDowla 125 000 £ et elle montre un reçu signé de la main de ce dernier, le Ra’d 10 000 £. Ces révélations sont accablantes. Elles montrent aux bénéficiaires des subventions d’aujourd’hui qu’il s’agit de s’exécuter, sous peine de voir son nom honni et mis au pilori. Les Anglais sont excédés parce que le temps passe. La Perse leur échappe. Grâce au mouvement anticolonial qu’ils ont laissé s’installer chez eux avec le concours bolchevik, leur situation en Perse et en Mésopotamie est menacée. L’alliance offensive et défensive que les Persans leur demandent, les Anglais ne peuvent la promettre, ils ne peuvent assurer l’envoi de 100 000 hommes en Perse en cas de péril bolchevik parce que l’opinion chez eux se cabrerait contre un tel envoi. 182  Alors en négociation avec les Soviétiques à Moscou.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

221

Ils en sont donc réduits à menacer la Perse de leur départ mais cette menace n’est pas un épouvantail. Elle ne porte pas. {102b} Ils élevaient la voix il y a quinze jours, ils doivent déjà baisser le ton devant l’incertitude de la date de l’ouverture du Parlement et les sentiments douteux des députés, que le peuple surveille. Ceux-ci n’oseront pas voter l’Accord tel qu’il sera présenté. Ils en réclameront la révision. Ils exigeront l’alliance défensive. L’Angleterre prévoit de ce côté d’immenses difficultés. À noter en passant que l’opposition démocrate voudrait demander un condominium et l’adjonction d’un conseiller technique de la Justice, l’Intérieur ou les Travaux publics aux conseillers financiers et militaires anglais. L’Assemblée de l’autre jour a été houleuse. Quand Hâjji Mirzâ [Yahyâ] a été mis à la porte de l’Assemblée, pour avoir déclaré que l’opinion n’avait pas confiance dans le Parlement, celui-ci est allé haranguer la foule. Il a fallu le faire rentrer. Un député a dit à Mošir od-Dowla : voilà ton œuvre. Sardar Mo’azzam a dû s’enfuir par une porte de derrière. Le ministère actuel sent que l’opinion est contre l’Accord et n’osera pas le soutenir. {103a} Khostaria. Il a reçu en 1914 commission des pétroles du nord de la Perse. Ce Géorgien, riche d’un milliard de roubles, a été ruiné par la baisse du rouble. Il aurait cédé ses droits à une compagnie anglaise, mais le gouvernement persan n’a pas encore reconnu cette concession. L’Amérique va-t-elle en réclamer sa part ? La France n’a-t-elle pas son mot à dire ? Le Sepahsâlâr, qui possède tout le Tonkabun, s’oppose à tout sondage. La banque Toumaniantz a des terrains pétrolifères. On pourrait s’entendre avec elle. Les Toumaniantz sont francophiles. Ce Khostaria était un aventurier géorgien, introduit à Téhéran par Camille Molitor. Il offrit au chah un service d’or fin. De ce jour, tout lui fut donné. Ses concessions, accordées par le cabinet du Sepahsâlâr par lettre privée, non enregistrée au ministère, n’ont pas été reconnues par le Cabinet Vosuq od-Dowla. 12 décembre 1920 Hier soir au club, dîner de 40 personnes de Wilkinson. Gaieté. C’est curieux à quel degré l’ivrognerie est répandue chez les Anglais, dans le meilleur monde. Les Anglais quand ils dansent en état d’ivresse, sifflent, chantent sur la tête de leur danseuse. Très vite la fête dégénère en bacchanale. Nouveaux bruits inquiétants. Le Sepahdâr va tomber.

222

georges ducrocq, journal de perse

{103b} Il serait remplacé par un ministère Qavâm os-Saltana, ou Nosrat odDowla, qui revient de Bagdad. On parle des comités terroristes qui se préparent à recommencer leurs troubles comme il y a trois ans. Nosrat od-Dowla serait menacé. Sardar Moazzam également. On prétend que des délégués bolcheviks seraient arrivés à Téhéran avec mission de commencer des échanges commerciaux. Beauté persane, beauté européenne, c’est tout un. Nous appelons du même nom un visage dont la régularité nous enchante. 13 décembre 1920 Vu Raymond qui craint des événements tragiques, une révolution à Téhéran et blâme les Anglais d’avoir détruit la Division des Cosaques sans la remplacer par autre chose. Starosselsky a refusé l’aide de Champain et des Anglais. Il a eu tort. Lui-même n’aurait pas dû s’aventurer s’il n’était sûr de réussir. Il a tout risqué quand il pouvait gagner avec l’aide des Anglais et maintenir sa Division à Téhéran. Il a joué un jeu trop risqué. Les Anglais ne voulaient pas la chute de Mošir. Mošir n’était pas hostile au renvoi de Starosselsky, mais il demandait du temps afin de ne pas désorganiser la Division. Les Anglais voulaient tout de suite se débarrasser de {104a} Starosselsky et mettre dans la Division les officiers anglais. C’est alors que Mošir démissionna. Aujourd’hui, l’Angleterre doit faire machine en arrière. Elle a été trop loin. Il y a des gens trop pressés à la Légation. Havard qui veut être conseiller. MacLean qui voulait la monnaie. Dickson qui veut sa mission. Ces gens ont pressé à Londres, accusé de mollesse les diplomates de Téhéran. Ils ont obtenu des mesures violentes qui obligent aujourd’hui à une retraite. Sur le terrain diplomatique les Persans seront toujours les plus forts. Ils jouent avec l’ultimatum en ce moment. 15 décembre 1920 Vu Hildebrandt. Il vient de recevoir la nouvelle du départ de la délégation bolchevik de Tabriz sur la protestation de toute la population. Les trois Turcs et les deux Russes délégués des Soviets sont partis. Il n’a pas été donné suite à leurs demandes. Hildebrandt ne croit pas à une organisation bolchevik à Téhéran : des émissaires de Kuček Khan, et rien de plus. Ils ne reçoivent pas d’argent. Les agents bolchevik sont des réfugiés de Rašt. On signale l’arrivée de quelques délégués, Bolcheviks venus dans le Mâzandarân par le Tonekâbun. Les fameux officiers allemands entrés à la Légation d’Allemagne étaient M. Schultz, consul d’Allemagne à Tabriz, successeur de Wustrow, qui regagne l’Allemagne {104b} par Bagdad avec un soldat qui lui sert d’ordonnance, et un officier allemand, évadé du Turkestan, venu d’Ashkabad et qui repart aussi par

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

223

Bagdad. Déjà l’opinion, grossissant ces événements, disait qu’une mission militaire allemande avec attaché militaire allemand était à Téhéran. De la prétendue mission commerciale bolchevik arrivée à Téhéran nul n’a aucune nouvelle. On prétend aussi qu’une mission soviétique arménienne est arrivée à Téhéran mais elle est sans mandat. On dit enfin – et ceci paraît plus probable – qu’une mission assez importante avec un représentant des Soviets est à Bakou, en attendant le moment d’entrer en Perse. Il faut se défier en ce moment des nouvelles destinées à semer la panique à Téhéran. On devine au profit de quelle politique. Dîner à la Légation de France : Sepahdâr, ministre d’Angleterre, Raymond, Vahid ol-Molk, Moore, McMurray, Westdahl, Fahim od-Dowla, Wickham. Dîner très officiel – très gai d’ailleurs. Conversation avec Moore sur la guerre. Il croit que l’armée anglaise, en se retirant sur Coulommiers, a constitué {105a} une poche attirante qui a perdu les Allemands, résolus à anéantir l’armée anglaise. Je veux bien, mais je crois que la fausse manœuvre de von Kluck a d’autres causes. Fahim od-Dowla me parle de la nécessité de remplacer [Samad]-Khan, de réformer la diplomatie persane, des services que rendraient en Perse des ambassadeurs persans connaissant l’Europe, mais tous s’obstinent à conserver leurs postes en Europe. Aucun ne veut se laisser démissionner. Après avoir refusé à Pareto son laboratoire et lui avoir rendu la vie impossible (il avait d’ailleurs peu de patience) le ministère de l’Instruction publique recommence pour le Dr Wilhelm une série d’ennuis. Il lui promet un hôpital, puis il déclare qu’il ne peut s’exécuter, que les Anglais y mettent des obstacles. Évidemment Scott et surtout Neligan feront tous leurs efforts pour empêcher le médecin français de réussir. Engert me dit : la colonie américaine a évacué, le consul des États-Unis en a fait autant. Nous assistons à un recul de l’influence européenne en Asie. Nous agissons comme si nous avions perdu la guerre : aux yeux des orientaux nous l’avons perdue. Nous sommes plus faibles après qu’avant. Sans doute – Un équilibre nouveau s’installe en Europe. Il n’a pu encore faire sentir son effort en Orient. {105b} 17 décembre 1920 Les Persans ne reçoivent plus leurs traitements. Le gouvernement ne peut plus leur payer qu’une faible partie de ce qu’il leur doit. Les Anglais comptent beaucoup sur la misère et la désespérance engendrées par cet état de choses. Mais ils se trompent. Car les Persans s’accommodent de tout. S’ils ont de l’argent, ils le dépensent. S’ils n’en ont pas, ils s’en passent. Leur simplicité, leur

224

georges ducrocq, journal de perse

rudesse naturelle de vie leur vient alors en aide. Ils n’aiment pas tant que cela la civilisation. Ils peuvent s’en passer. Pourvu qu’ils aient des amis avec qui causer, passer le temps, le soir, un musicien ou une danseuse, et cela coûte fort peu, que leur importe tout le reste. L’État ne marche pas, les administrations végètent. Qui s’en inquiète ? Seulement, si les Anglais ne donnent plus d’argent, s’ils ne défendent plus la Perse et ne savent pas se faire respecter, ils n’ont plus qu’une chose à faire, c’est de s’en aller, ce qu’ils vont faire au printemps, ayant gâté la situation des Alliés en Perse comme ils l’ont gâtée au Caucase, au Turkestan. 18 décembre 1920 Les Toumaniantz, père et fils, viennent me mettre au courant de leur situation. L’invasion bolchevik les ruine. Ils possédaient au Gilân, au Mâzandarân des terres, des villages, des récoltes, des mines de cuivre, de charbon, de houille, des forêts, des gisements de pétrole. Ils avaient {106a} l’habitude d’avancer de l’argent aux Persans qui leur permettaient en retour d’exploiter leurs domaines. Ils faisaient un grand commerce d’exportation et d’importation pour la Russie et l’Europe. Ils avaient des stocks immenses de coton au Mâzandarân (1 million de tonnes). Ils étaient les banquiers et les intermédiaires de tout le commerce persan. Grâce à leurs 35 succursales établies dans toutes les provinces, ils pouvaient traiter des affaires sans faire circuler le numéraire, ce qui est d’une certaine difficulté en Perse. L’État persan leur demandait de percevoir sur place le produit des revenus et de lui avancer de l’argent. Les plus grands personnages de l’État avaient des comptes chez eux : le Sepahsâlâr a 400 000 tomans chez eux, le Sepahdâr à peu près autant. Or la banque, étranglée par l’absence de commerce, par l’invasion bolchevik, par la chute du rouble mais surtout par la stagnation des affaires n’a plus de numéraire ni de traites. La fermeture du Caucase l’a entièrement paralysée. Elle reçoit des demandes d’argent. Elle a avancé largement, trop largement l’an dernier. Les gages qu’elle détient sont pour l’instant sans valeur. Si on lui venait en aide, elle pourrait surmonter la crise. Mais la Banque impériale, qui ne se souvient plus qu’elle a par deux fois été sauvée de la débâcle par elle, quand elle a accepté {106b} de payer ses billets, aujourd’hui a juré sa perte. Elle va sauter. Le général Dickson demande pourquoi on n’emprisonne pas les chefs de la banque Tomaniantz, qui ont pris l’argent des pauvres officiers russes et ne peuvent le leur rendre (Visotsky). C’est une question de jours. La Banque impériale peut faire face à toute la tourmente. Elle émet du papier-monnaie, elle surveille la frappe de la monnaie indirectement. Ses ressources sont inépuisables.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

225

La Banque Toumaniantz, fondée vers le milieu du xix ème siècle par un Arménien, sujet persan, favorisée par Nâser od-Din Shah, par Mozaffar odDin [Shah] surtout à qui elle avait avancé les 400 000 tomans qui lui étaient nécessaires pour regagner de Tauris Téhéran et son trône, alors que la Banque impériale et que la Banque russe lui refusaient cette avance, la banque Toumaniantz, secrètement soutenue par tous les Persans riches, par tous les marchands qui apprécient la façon orientale dont se font les affaires dans cette maison et que les règlements rigides de la Banque impériale offusquent. La Banque Toumaniantz, seul établissement de crédit indépendant en Perse, porte ombrage à la Banque {107a} impériale de Perse. Il faut la faire sauter comme on a ruiné la Banque d’escompte russe. Le lion britannique fait le vide autour de lui. Cette banque périra. L’omnipotence de la Banque impériale s’accroîtra. Les emprunts que la Perse fera à l’Angleterre et dans lesquels elle servira d’intermédiaire augmentent sa puissance. Elle deviendra une sorte d’établissement d’État. Elle favorisera exclusivement le commerce anglais. L’Angleterre entend hériter de tout le commerce russe et polonais. Quant au commerce de luxe avec la France qui aurait tant de chances de succès car les négociants aiment notre marchandise et savent notre langue, nous pouvons y renoncer. L’Angleterre préfère actuellement acheter en Allemagne de simili-produits parisiens. Quand des marchandises françaises arrivent à Bassorah, elles sont boycottées par l’Angleterre. Lynch prend les feuilles de connaissement, fait venir des marchandises analogues d’Angleterre, en inonde le marché et après seulement achemine les produits français qui arrivent en retard. – Vu le P. Chatelet qui croit à la possibilité d’une agence commerciale à Bagdad. Je n’y crois guère. En Mésopotamie elle sera encore moins libre qu’en Perse et les Anglais sur les Golfe Persique ont mille moyens d’entraver notre commerce. À Batoum, les marchandises françaises étaient obligées de passer {107b} à la douane, les marchandises anglaises en étaient exemptes. Nous verrons un jour une Perse anglicisée. Mais, comme elle est artiste, elle s’ennuiera. – Vu le soir, à un charmant dîner Kingwood, le général Dickson. Il est décidément très mal avec le ministre Norman et avec Wickham. On trouve qu’il manque d’esprit. Il me communique son dernier projet : faire appel pour la création de l’armée persane à toutes les nations et demander aux Français, vingt officiers spécialistes. Comme si les Français pouvaient accepter de servir – en Perse – sous le commandement anglais. La langue du commandement sera le persan et le français.

226

georges ducrocq, journal de perse

L’armement des Persans : il est surtout des Schneider. Ils ont 6 000 bons fusils que les Anglais ont donnés à la Gendarmerie. Mitrailleuses à la Brigade mixte. Il y a 6 à 7 000 spr183 avec 45 officiers, services d’arrière et sous-officiers persans. Sâlâr Laškar donne des détails sur l’armement. Les Persans sont tous armés, prêts à la guerre civile : 10 000 fusils achetés par le gouvernement et distribués aux {108a} chefs des tribus, tous les fusils de Baratof vendus pour rien. Fusils allemands : 6 à 7 000 Lebel provenant du front français, 10 000 fusils allemands distribués aux tribus. Les Bakhtyaris ont été jadis tous armés et ils ont gardé leurs fusils. – Un jeune persan me dit : « On peut jouer un air persan sur un ton et un rythme grossier, éclatant (l’air du vainqueur) ou sur un ton plaintif et doux (l’air du vaincu). » 20 décembre 1920 Dîner ce soir chez le général Dickson. Mme Lassen y était en beauté, avec son large sourire, une robe noire couverte d’une dentelle d’or, bandeau de dentelle d’or sur le front. Il y a eu un combat léger entre Gourkas et bolcheviks. Deux Bolcheviks tués, un officier anglais à Rudbar. Les Anglais sont toujours résolus à partir le 1er avril. Ils jettent le manche après la cognée. Ils déclarent (Moore) qu’il n’y a rien à faire pour l’Angleterre en Mésopotamie et en Perse ; que la Mésopotamie est une mauvaise affaire qu’il faudrait, pour l’irriguer, dépenser des sommes énormes, que cela n’en vaut pas la peine, qu’il faut laisser ces peuples à leur misère, que la politique du rail a fait son temps, que l’avenir est à l’avion, que les Indes n’ont rien à craindre d’une Perse bolchevik où les armées bolcheviks se dissoudront dans le désert et ne pourront rien faire, privées de communications. Je me fiche de la Mésopotamie et de la Perse, dit Moore avec colère. {108b} Le ministre me parle avec tristesse de la Russie sans avenir, des négociations vaines avec les Bolcheviks, du régime [juif], de la leçon nécessaire à donner à la Perse qui sera bolchevik. Il s’agit d’entretenir une salutaire frayeur. Une mission militaire britannique est à Kaboul. Elle espère obtenir des Afghans une rupture avec les Bolcheviks, mais le ministre d’Afghanistan à Téhéran dément cette nouvelle.

183  South Persia Rifles, corps de fusiliers constitué par les Britanniques en 1916 depuis Bandar ‘Abbâs et stationné à Chiraz, non encore démobilisé en 1920.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

227

Pour le prince Sâlâr Laškar, la retraite des Anglais sera le signal d’un retour triomphal des Allemands et des germano-turcs. Déjà la légation d’Allemagne commence à être plus habitée. Même s’ils signent l’accord, dit Moore, nous partirons car nous savons maintenant qu’ils n’y a pas chez eux de bonne volonté. Le Majles ne sera réuni que dans quinze jours. La vérification des mandats durera un mois. Il n’y aura pas de vote avant le printemps. Les Anglais n’insisteraient plus d’ailleurs pour la convocation du Majles. Une partie des députés opposants démissionnent pour empêcher la convocation régulière, le quorum n’étant pas atteint. D’autre part, les partisans de l’accord demandent {109a} l’expulsion du Parlement et l’arrestation de Mirzâ [Yahyâ] qui a critiqué vivement le Parlement à la Haute assemblée. Le Sepahdâr refuse de les arrêter et les anglophiles à leur tour menacent de démissionner. La Banque ne paye plus qu’en argent. Nous ne craignons pas l’armée bolchevik, dit Moore. Nous avons toujours trop estimé nos adversaires. 22 décembre 1920 Vu ce matin Wickham. Il affirme les intentions des Anglais de partir en avril. C’est un mot d’ordre. Les Persans sont fous. Au lieu de s’entendre et d’accepter le soutien de l’Angleterre, ils intriguent l’un contre l’autre. Ils auront le bolchevisme dans trois mois chez eux. Ils en goûteront et tous ces riches en pâtiront. Je demande à Wickham si les spr resteront. Oui, mais quant aux instructeurs anglais ils ne resteront que si le gouvernement persan les paye. Pour nous, qu’importent les avances que nous avons faites à la Perse ? Nous les récupérerons par les pétroles. Nous avons sur eux un gage. Trois officiers turcs sont en ce moment à Téhéran. L’un d’eux est Djevid Bey, fait prisonnier par Starosselsky. Qu’ils intriguent un peu dans la ville, c’est possible. Les Allemands arrivés ici sont : Hanse, officier aviateur d’Azerbaïdjan, exprisonnier allemand chez {109b} les Russes, d’origine hollandaise. De Hoog, représentant de la Hollande à Téhéran, a demandé à la Légation d’Angleterre sa protection qui lui a été refusée. Il est parti avec un passeport hollandais. Il s’était rendu volontairement aux Cosaques à Lahidjan et avait fait ensuite le coup de feu contre les Bolcheviks, très bravement. En Afghanistan, il y aura sans doute une mission anglaise à Kaboul. Les Afghans ont pris fait et cause pour les [Bolcheviks]. À Ashkâbâd, les Bolcheviks ont mécontenté l’opinion par des meetings tenus en public par un agitateur hindou, Betellah Khan, et par des femmes russes contre l’islam et contre le voile.

228

georges ducrocq, journal de perse

[Garkaltselli]184 ce Caucasien qui est venu à Manjil et au-delà, en juin dernier, est à Bakou où il reforme une armée d’Orient. L’avion bolchevik tombé dans les lignes de Starosselsky était un avion anglais jadis donné à Denikine. Le général Dickson ne peut réussir. Ses projets ont échoué. Il est trop obstiné, il proclame son mécontentement. Le colonel Smyth, qui ne l’aime pas est à Qazvin, mieux en faveur auprès de Ironside. Smyth a la direction de la Division des Cosaques qu’il reforme. {110A} Smyth travaille pour Stokes contre Dickson. Le retour de Stokes sera bien vu en Perse. Au cas où les Anglais s’en iraient, les Persans feraient appel aux forces armées du pays, comme le fait avec succès Moxber os-Saltana à Tauris. Beaucoup de Persans exilés pendant la guerre, comme Vahid ol-Molk, à Berlin, étaient les espions de l’Angleterre. Mošâver ol-Mamâlek peut très bien trahir à Moscou, pour de l’argent, les intérêts persans. Il y avait un certain nombre de prisonniers amenés de Rašt, parmi eux il y avait une cinquantaine de Raštis. Le Sepahdâr fit assembler un tribunal pour les juger. Quand ils furent relâchés et qu’ils eurent reçu du Sepahdâr un abâ, ceux d’Hamadân vinrent à leur tour leur réclamer un abâ. Il y a les Raštis dans le ministère, Amin ol-Molk, Sardâr Mo‘tamed. Les Anglais entrent en négociations avec les Bolcheviks. Ils en attendent des marchandises. En même temps, ils pèsent sur eux pour obtenir l’évacuation de la Perse. Les Bolcheviks se servent de ce chantage pour obtenir plus d’avantages. C’est à qui jouera au plus fin. Les Persans raisonnent de la manière suivante : {110b} – Les Anglais disent qu’ils s’en iront mais ils ont déjà dit qu’ils s’en iraient le 1er janvier si l’arrangement n’était pas signé. Ils ont convoqué alors la Haute assemblée qui s’est déclarée incompétente, et ils ne sont pas partis. Après avoir menacé la Perse de lui couper les vivres, ils viennent de lui accorder 500 000 tomans. Ils déclarent maintenant qu’ils partiront en avril si le Parlement ne signe pas. Mais le Parlement votera contre l’accord et tous les députés affirment aux Anglais qu’ils ont voté pour. Ainsi qu’il est arrivé quand les Russes devant l’avance des Turcs demandaient la retraite du shah. Quatre ont voté pour. Deux sont venus dire au ministre de Russie qu’ils avaient voté : pour. Farmân-Farmâ est assez mal avec les Anglais qui l’accusent de recevoir l’agent et de ne pas tenir ses promesses.

184  Nom reconstitué, s’il s’agit bien de ce Vasili Garkaltselli, un officier géorgien de l’armée tsariste devenu bolchevik. Voir Chaqueri, The Soviet socialist republic of Iran, 360 et index s. v.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

229

Fortescue affirme partout son bolchevisme. En attendant, mauvais médecin, il charcute le sein de madame Havard. L’opinion courante maintenant chez les Anglais est que seuls des Indiens comme lord Curzon avaient les yeux sur la Perse, mais que leur point de vue est {111a} celui d’une minorité audacieuse. La plupart des membres du gouvernement des Indes, du gouvernement anglais ainsi que la majorité du peuple blâme tout essai d’intrusion dans la politique intérieure de la Perse (ils sont trop verts). Six wagons d’argent auraient déjà été emportés de Téhéran. Il y a plus de 250 000 chômeurs en Angleterre (1 million). 23 décembre 1920 Le prince ‘Azod os-Soltân se fait nommer Gouverneur du Lorestân. Il va partir à Borujerd. Le vrai motif de son départ est la peur des Bolcheviks. Simko vient de se déclarer protégé anglais. On savait qu’il touchait 200£ sterling depuis longtemps, mais maintenant il avoue carrément ses attaches et il envoie un ultimatum au gouverneur de Xoy qui fait appel au Sardâr de Mâku. Simko veut rouvrir la question du Kurdistan et créer un état tampon entre la Mésopotamie et la Perse. Sa proclamation ne fera qu’augmenter le grabuge en Azerbaïdjan. Simko se déclarant protégé anglais va attirer sur la province les Bolcheviks qui veulent débarrasser la Perse des Anglais. La guerre civile est fatale en Azerbaïdjan. L’inquiétude augmente à Tauris. Tous les chrétiens ont évacué et les Pères et les Sœurs ainsi que Malzac viennent de recevoir du ministère des Affaires étrangères l’ordre d’en faire autant. {111a} Ainsi, nous allons évacuer la mission de Tauris, comme nous avons évacué Urmiya et Xosrova, où nos missionnaires avaient été tués, crime dont nous n’avons pas tiré vengeance. Une œuvre française sera à tout jamais compromise. La France ne fera plus l’effort pour la faire revivre. Les missions françaises de Perse une à une vont s’écrouler. À qui profite cet abandon ? Je vois nettement l’intérêt de l’Angleterre à organiser le bluff du départ, à livrer pour l’instant l’Azerbaïdjan aux Bolcheviks, le Kurdistan à Simko, à organiser le désordre et l’anarchie en Perse. Par cette menace, elle espère forcer la dynastie et le Parlement à lui livrer le pays. Elle joue un jeu machiavélique, d’accord peut-être avec les Bolcheviks. Son but : faire céder la Perse en prolongeant la période du danger. Ce danger lui profite parce qu’il fait peur à la Perse et aussi parce qu’il permet d’évacuer en douceur tous les étrangers qui la gênent : Français, de Tauris et de Téhéran, missionnaires, professeurs. Les Assyriens, encadrés par les Anglais, sont venus, dit-on, jusqu’à Urmiya. Les musulmans persans ont protesté à Tauris et le gouvernement persan a {112a} obtenu la retraite jusqu’à Ravanduz des troupes assyriennes.

230

georges ducrocq, journal de perse

Le gouvernement anglais a cédé. Il garde cette arme en réserve. À Ravanduz, les neiges sont telles qu’on ne peut plus passer. On dit qu’Urmiya a déclaré son indépendance. Les démocrates se sont séparés du gouvernement central de Téhéran et ont proclamé leur autonomie. Cependant, le général Dickson, quand on lui parle d’évacuation, sourit. Il a ses plans en poche, il attend avec confiance son heure qui sonnera bientôt. Ce qui se dit au Parlement anglais ne l’impressionne pas. Il a à Londres un représentant qui, sur un télégramme de lui, lui recrutera immédiatement les collaborateurs dont il a besoin. Il regrette seulement le temps perdu. Mais il ne croit pas au retrait des troupes au printemps. Un rideau anglais est en tout cas nécessaire pour assurer la formation d’un corps persan qui sera très capable de repousser les Bolcheviks. Cependant on lit dans Reuter une annonce invitant les propriétaires de fourgons à se présenter à Qazvin pour louer leurs voitures. Comme si l’armée anglaise n’avait pas assez de fourgons pour évacuer. Nous assistons à un grand bluff. Le mot d’ordre est trop évident. {112b} 25 décembre 1920 Noël. Neige. Journée de coin de feu. Les appréhensions continuent à se développer au sujet de l’évacuation. Raymond me dit que M. Bonin en mai dernier marchait dans cette direction et faisait de cette manière le jeu des Anglais. Je constate au contraire que les Anglais marchent maintenant à fond dans ce sens tandis qu’ils étaient très tièdes en mai. Discussion avec Lesueur au sujet de Rousseau. Il fait un cours sur Rousseau à l’École Siyâsi. Il est de ces bonapartistes mystiques qui, s’étant convertis au républicanisme, vont à la mystique républicaine, Rousseau, Robespierre. Au fond, il lui faut toujours des thèmes d’éloquence et des exercices de rhétorique ; à part ce travers, un excellent homme. Nous recevons enfin, après quatre mois, la réponse du Département185 au sujet de la tsf. La compagnie de tsf viendra faire les installations à Téhéran, elle demande 700 000 francs payables en 3 termes, 12% sur les bénéfices pendant 30 ans et un droit de préférence pour les futures installations en Perse. Jalil ol-Molk, qui menait la grève du ministère des Affaires étrangères contre Fahim ol-Dowla, vient d’être révoqué. Fahim est nommé ministre des Affaires étrangères. Jalil ol-Molk était très anti-européen. Il avait adopté vis-à-vis des Européens l’attitude la plus insolente, il refusait par exemple de reconnaître Fouhad Cossey comme protégé français, malgré les avertissements de la Légation de France. 185  Désignation par ses fonctionnaires du Ministère des affaires étrangères.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

231

{113a} C’était un Persan fanatique. Il a fait récemment le voyage de Karbalâ. Révoqué, il va certainement se jeter dans l’opposition. Dickson est très indigné parce que Starosselsky a nommé avant son départ des officiers à un grade supérieur afin d’augmenter le chiffre de liquidation de leur pension. C’est assez naturel. Hoppenot fait des gorges chaudes du dîner Caldwell où tous les ministres persans ont été placés avant les ministres étrangers, sauf le ministre d’Angleterre et où le ministre d’Afghanistan était placé avant Raymond et avant lui. 27 décembre 1920 Raymond me parle des Bolcheviks qui circulent en ville. Les gens suspects abondent. Ils circulent la nuit. Des meetings se tiennent, les réunions chez des Persans. Les petits fonctionnaires sont volontiers bolcheviks. Les révélations du gouvernement anglais sur les grands personnages compromis sont faites pour exciter le mécontentement populaire. Depuis Anzali, l’attitude des Persans, même des officiers de la police a complètement changé ; ils se croient aujourd’hui capables tout seuls de sauver la Perse, sans le secours d’aucun Européen. La xénophobie peut se réveiller. Le major Edmonds est d’avis que les tribus ne fournissent pas le matériel guerrier que l’on espère ni les Bakhtyaris ni les Šâhsavan. À son avis, les vauriens des villes valent mieux. Ils feraient de bons soldats, surtout sous le feu de l’artillerie. {113b} Le mal de l’Angleterre vient de ce que personne ne s’y intéresse à la politique extérieure. Les grands seigneurs de la politique dédaignent de former l’opinion. Northcliffe qui voulait faire partie du ministère en a été écarté par Lloyd George et il lui fait une guerre implacable. 29 décembre 1920 Hier soir dîner Caldwell. Salles fraîches. Dîner triste. Salle de bal engluée, dans laquelle tournent péniblement quelques couples. Miss Caldwell toujours entourée par ses adorateurs. Impression d’affreuse misère intellectuelle de tout ce monde qui vit ignorant de tout ce qui se passe en Perse. Et puis vraiment, il y a trop d’Anglais gais à l’occasion de Christmas ; est-il nécessaire pour un jeune homme de bonne famille de s’enivrer tous les soirs. Par réaction M. Perny boit de l’eau. L’ivresse anglaise n’est pas amusante. Le matin chasse dans la neige, à la gazelle. Matinée radieuse. Aujourd’hui avec les Sâlâr Laškar et Mohammad-Hoseyn Mirzâ chasse avec mes deux lévriers qui courent un renard, le culbutent, mais la bête leur échappe dans un trou de qanât.

232

georges ducrocq, journal de perse

Nous déjeunons à Ialbak [?] dans une propriété des Farmân-Farmâ plantée de baliveaux, pauvre {114a} village serré autour des murs de la propriété féodale, 500 000 mètres, toute remplie de plantations de jeunes arbres. Sâlâr Laškar m’explique le système de culture usité dans toute la Perse : le propriétaire donne les semences, les instruments de travail, l’eau, la terre. Il reçoit le 1/3 des produits. La propriété est prise en fermage par un homme qui perçoit les revenus et fournit au propriétaire une redevance fixe. Sâlâr Laškar croit la Perse mûre pour le bolchevisme. Il voit avec certitude les progrès du bolchevisme en Asie, le bolchevisme s’emparant d’une capitale, par là retentissant sur la Mésopotamie, à demi-persane (Karbalâ, Najaf) sur l’Afghanistan (influencé par la Perse) sur les Indes, où il y a tant de Persans. Le bolchevisme sera adapté à la Perse. Il ne sera pas anti-coranique. Il faut reconnaître aux Bolcheviks une ligne de conduite, une politique extérieure. Il eut été si facile de les arrêter, il y a deux ans à leurs origines. Maintenant leurs victoires les affermissent. On voit trop nettement qu’il n’y aura pas de sécurité en Europe tant que le bolchevisme existera. La plupart des Persans sont prolétaires. La richesse est en quelques mains féodales. Le clergé est bolchevik par hostilité pour l’Angleterre. La Perse est pleine de mécontents. {114b} Quand on voit un Persan intelligent, il vous redit la même antienne : il n’y a rien à faire dans le pays. Les étrangers échouent et les Persans n’ont aucune autorité pour réformer leur pays. Eux-mêmes sont trop sollicités pour le faire. Tout Persan animé du désir de faire du bien à son pays, est aussitôt prié de faire des nominations de faveur. La Perse ne peut se passer du concours de l’étranger et en même temps elle ne cesse de le critiquer. L’ancienne Perse était la rivale de Rome. La reine Zénobie et son royaume arabe étaient des obstacles à l’influence romaine. Quand la Perse et Rome se furent usées par des luttes implacables, l’Empire arabe profita de leur faiblesse et grandit, anéantissant l’esprit et les arts de la vieille Perse. Von Hentig secrétaire de la Légation d’Allemagne, vient de faire paraître un livre sur son voyage en Afghanistan, durant la guerre186. Le comte Kanitz était le grand meneur du jeu. Il allait à Hamadân d’une traite à cheval. Il n’était pas d’accord avec Reuß, partisan de la neutralité persane. Il croyait tous les mensonges des Persans et les concours que {115a} ceux-ci lui offraient, les tribus qui devaient se soulever, les gens qui offraient de faire des attentats contre la Légation d’Angleterre. Kermânšâh était gagnée par la propagande germanoturque : les consuls anglais et russe durent en sortir. Hamadân était moitié russe, moitié turque. Qazvin était entre les mains des Russes. Sur les rapports 186  Werner Otto von Hentig, Meine Diplomatenfahrt ins verschlossene Land, Berlin – Wien, 1918.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

233

de Kanitz, les Allemands envoyèrent une mission d’officiers sérieux, composée d’hommes comme le colonel Bopp qui jugèrent les rapports chimériques, la situation sans avenir. Les Allemands envoyaient des munitions en Perse mais les Turcs les arrêtaient à Alep. Kanitz se suicida devant l’échec de ses plans. 31 décembre 1920 Hier réception à l’École des Beaux-Arts. Sa majesté s’y trouvait, ainsi que le Vali-‘Ahd, les princes de la famille impériale, tous les ministres. Sa majesté me fait appeler et me félicite de mes nouvelles en présence de la Légation d’Angleterre. Il fait remarquer malicieusement que les nouvelles françaises sont toujours de huit ou dix jours en avance sur les nouvelles Reuter. L’école persane moderne fait fausse route. Elle délaisse les voies traditionnelles de la miniature et de l’art décoratif persan pour se lancer dans l’imitation de la peinture européenne. Tapisserie et broderie imitent la peinture, veulent en donner l’illusion. Grave erreur. Le plus bel objet de ce musée est une miniature du Père de {115b} Kamâl ol-Molk, vieux Persan, qui peignait à la manière des anciens miniaturistes qui est la bonne en Perse. Déjeuner aujourd’hui chez le prince Mohammad-Hoseyn Mirzâ. Il conte que les Français naïfs demandaient aux jeunes princes de la suite du shah pourquoi ils ne s’habillaient pas à l’orientale, avec des turbans, des plumes, pourquoi ils portaient la redingote. Nosrat os-Saltana intervint et de sa voix grave dit : les bijoux et l’or me sont défendus par la religion. On ne peut prier avec de l’or sur soi. Mohammad-Hoseyn conte que des gens familiers appelaient sa majesté « mon shah », comme on dit : « mon seigneur ». Nosrat os-Saltana raconte un dîner à la cour de Bruxelles. [Van Duvel ?] qui avait refusé de revêtir l’uniforme de la cour l’aborde et lui dit : « Comment va le socialisme en Perse ? » Le prince lui répond : « Nous n’avons pas cela en Perse. » « C’est un homme qui ne sait rien, dit Nosrat os-Saltana. – Rien de la Perse, lui dis-je. Non, rien, de rien. » – Les enfants ne jouent pas en Perse. Ils portent une redingote à l’âge de quatre ans. {116a} 2 janvier 1921 On a appris hier les nouvelles conditions des Bolcheviks. Ils proposent par l’intermédiaire de Mošâver ol-Mâmalek, de renoncer à toutes les dettes contractées par le gouvernement persan envers la Russie, ils renoncent à toutes les concessions accordées par la Perse à la Russie, ils renoncent à la propriété des mines appartenant à la Russie, des routes et chemins de fer faits par les Russes en Perse. Ils accordent à la Perse liberté complète de navigation sur

234

georges ducrocq, journal de perse

la Caspienne. Ils ne demandent en échange que le droit d’établir des consuls dans toute la Perse et promettent de ne faire aucune propagande. Ces habiles propositions semblent très avantageuses, elles cachent, en réalité, les vues les plus ambitieuses ; les Soviets désirent introduire en Perse leurs gens et leur propagande. Les Anglais, incapables de défendre la Perse, sont obligés de tolérer ces négociations. Les Persans, comparant les accords onéreux que leur offre l’Angleterre et les propositions bolchevistes, n’hésiteront pas. Ils trouveront dans ce subterfuge un moyen de se délivrer des Anglais. Quant à l’avenir, ils s’en chargent et ils espèrent leurrer les Bolcheviks. Ainsi l’Angleterre, par sa faiblesse coupable envers les Soviets, se voit prise à son propre jeu, obligée de composer avec les Bolcheviks, incapable de les combattre, incapable d’empêcher la Perse de s’appuyer sur eux. {116b} Hier 1er janvier. La veille au Club, souper extraordinaire. Discours innombrables de Caldwell. Les Anglais déchaînés. Chants bibliques. Quel goût singulier ont pour l’éloquence ceux qui parlent mal. Les orateurs se lèvent dans un grand brouhaha. Personne ne les écoute. Au fond le discours est une occasion de plaisanteries. Il y a un fond d’enfantillage dans cette manière de s’amuser. Hoppenot déchaîne un enthousiasme sincère quand, prié de parler et salué par une Marseillaise chantée par les Anglais debout, il dit qu’il boit à la santé des trois nations unies, France, Angleterre, Amérique, qui ont gagné la guerre. Hier, réception de la colonie française. Le P. Varnet, doyen, essaye en vain de faire une philippique contre le régime Bonin en l’honneur du régime Hoppenot. Il tourne court, faute de mots. Le soir, dîner à la Légation. Éternelle discussion avec Lesueur sur les romantiques. Robespierre, le nord et le midi, généralisations sans valeur. Le bon sens au nord, la légèreté au Midi, etc. Ce brave homme vit de clichés. Le P.187 me dit qu’il n’aurait qu’un mot à dire à Âqâ Petros pour le faire changer de camp. Si les Anglais sont incapables de les défendre, les Chaldéens se retourneront vers nous comme vers {117a} leurs protecteurs naturels. M. Perny me parle de la suite à donner à l’accord franco-anglais de Mésopotamie. Il faut que la France ait une politique pétrolifère et il faut intéresser des groupes financiers français aux pétroles du Mâzandarân et que le gouvernement les soutienne. La Banque a déjà fait partir deux wagons de 2 000 000 tomans d’argent chacun et elle va faire partir prochainement des archives et livres des années écoulées. 187  Le P. Varnet.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

235

Hâdi Khan (colonel) conte les événements du Gilân. Les cosaques se battaient très bien. Ils n’ont pas perdu une mitrailleuse dans leur seconde retraite. Ils ont dû céder parce qu’ils n’étaient pas accoutumés à la grosse artillerie. Les canons de marine leur envoyaient des 280. Ils occupaient un front trop large tandis que les Bolcheviks avaient ramassé leurs troupes. Le recul et l’abandon de la position qui se trouvait devant Rašt est inexplicable. Il y avait là une forte tranchée garnie de fils de fer et facile à défendre. Les Bolcheviks n’ont fait preuve d’aucune ardeur dans les poursuites. Ils pouvaient avec un escadron prendre la colonne en retraite. Les Cosaques souffraient, n’étaient pas nourris, ni vêtus, dans l’eau jusqu’aux genoux et cependant ils tenaient. Il y a eu deux officiers russes tués, 6 persans. Starosselsky était en relations avec les Bolcheviks. {117b} Hoppenot. J’envoie l’autre jour un télégramme avec la table qu’ils n’ont pas à Paris (supplément). Paris demande un supplément d’explication. Hoppenot l’envoie de travers. Paris redemande un supplément. Hoppenot m’égare le texte de la dépêche que je lui apporte, le jour où Lundberg était présent. Je le refais sur le champ. J’apporte un rapport le 31 décembre, très détaillé, sur la situation. Hoppenot fait boucler le courrier le samedi, l’envoie le dimanche trop tard pour qu’il parte. Ce courrier lui est renvoyé par la Légation d’Angleterre. 5 janvier 1921 Chasse au faucon avec Eqbâl od-Dowla, l’un des plus vieux chasseurs de Perse. Il a chassé maintes fois avec Nâser od-Din Shah dans son jeune temps. Il entretient de magnifiques faucons. Il part avec ses fauconniers, ses chasseurs, ses chiens dans la montagne. Lui-même, malgré ses 70 ans, monte sur les cimes les plus escarpées. Il est intrépide. Son grand compagnon et veneur est le fils d’un grand fauconnier, auteur d’un traité de fauconnerie. Les faucons se dressent en vingt jours. On leur coud les yeux et on ne {118a} les ouvre qu’après leur avoir fait sentir la viande fraîche, et seulement la nuit devant une lampe. Chaque oiseau doit avoir son fauconnier. Il n’y a plus que quelques vieux Persans qui pratiquent ce sport noble et coûteux. Ce matin, devant la plaine tremblant sous la lumière bleue, devant le vieux palais en ruines de Nâser od-Din Shah, dressé sur l’écran des montagnes neigeuses, je songeais que nous assistions au dernier souffle de la Perse ancienne. Bientôt ce qui subsiste du passé disparaîtra. La Perse sera autre chose, une chose très barbare, j’en ai grand peur. Smart me dit que dans les représentations d’Hoseyn, il a vu défiler la première automobile qui était arrivée à Téhéran. Yazid faisait son entrée en automobile.

236

georges ducrocq, journal de perse

Les tribus sont corrompues et divisées depuis que Nâser od-Din Shah pour régner les a gangrenées. Les Bakhtiyaris auraient pu prendre le sceptre des Qâjârs. Sardâr As’ad était le meilleur. Il est devenu aveugle, il est mort188. Ces tribus ne valent rien, sorties de leurs montagnes. Une panthère reste, seul vestige de l’ancienne ménagerie du shah, dans un petit palais décoré de jolies faïences multicolores, devant Dušân Tappa. {118b} Tous les autres fauves sont morts de faim. Ils ont mis deux ans à mourir. On entendait leurs terribles rugissements. Cette journée fut une splendeur comme lumière. Ce vieillard qui chasse tous les jours dans un cadre admirable, devant ses montagnes, dans un air léger, les yeux se reposant sur la plus vaste plaine que baigne une clarté d’Italie, réalise un idéal très enviable. Que peuvent faire à cet insouciant les catastrophes qui s’abattront sur son pays. Il n’y croit pas. Il en a tant vu. Ce vieil Eqbâl od-Dowla étant gouverneur des Bakhtiyaris a été pillé par Samsâm os-Saltana qui dans la suite vint lui rendre visite avec les chevaux, les carrosses qu’il lui avait dérobés. Étant gouverneur de Kermânshâh, il a été aussi dépouillé. C’est une habitude. On refait sa fortune aisément. Les Bolchevistes, dit-on, sont des brigands. Cela ne leur fait pas peur. La charmante journée et l’agréable déjeuner dans ce vieux pavillon de Nâser od-Din [Shah], Qasr-e Firuz. La table était installée au ras du sol. Il fallait dîner les jambes croisées. Les mets étaient persans, deux sortes de polow, le vin d’Ispahan. La salle est toute lambrissée de carreaux émaillés, représentant des scènes {119a} de la vie persane, petits métiers, chasses, chasses à l’arbalète, à l’épine, au lévrier, au faucon, promenades, déjeuners sur l’herbe. Coquettes soulevant leurs voiles, baisers d’amoureux et jeunes filles complètement nues se balançant à l’escarpolette. Au coin du feu, devant des tisons ardents, le vieux chasseur enluminé nous raconte ses souvenirs, le sanglier qu’il rencontra un jour et dont il s’écarte, faisant le mort. Ce vieillard est charmant d’esprit, de modestie, d’amabilité. Smart me dit : Il n’y a plus que la politesse qui sauve ce pays. C’est elle qui fait tout l’édifice. Sans l’urbanité, la plus charmante de la terre, dont un Persan ne se départ jamais, ce pays tomberait. Son immoralité, sa corruption ne sauraient se soutenir, mais le Persan sauve la face par sa grande dignité qui en impose. Les Anglais ont corrompu le pays. Il y a cinquante ans, les hommes d’État, dit-on, étaient moins corruptibles.

188  En 1917.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

237

6 janvier 1921 Hier soir, il y a eu conseil des ministres et chargés d’affaires, provoqué par M. Norman qui a averti ses collègues que le général Ironside évacuerait la Perse en avril, que la colonie anglaise serait évacuée fin janvier, et qu’il mettrait à la disposition des légations fin janvier et février les véhicules nécessaires pour évacuer les colonies européennes avec 100 kg de bagage par tête. Cette nouvelle a provoqué les remerciements émus de Hoppenot. Le ministre de Belgique {119b} a demandé si cette mesure militaire était liée à une mesure politique et si les Anglais avaient l’intention de renoncer à l’Accord. L’Accord est dans le panier, – et de quitter la Perse. Nous quitterons la Perse, a répondu Norman. Si le Majles votait l’Accord, a dit Raymond, les troupes anglaises resteraient-elles à Qazvin, a demandé Raymond ? La réponse a été évasive. Hoppenot a décidé d’évacuer les fonctionnaires français au service de la Perse (11) au dernier moment. Il demande à Paris des instructions dans un sens si favorable à l’évacuation qu’il espère que Paris ordonnera de profiter de l’occasion. Mais ce matin Norman a écrit à Hoppenot pour lui dire que la promesse d’Ironside n’était pas aussi formelle qu’il l’avait cru et qu’il ne savait pas si toute la colonie européenne pourrait être évacuée par voie militaire. Hildebrandt a fait hier une communication au conseil des ministres, leur montrant le triste sort des Russes monarchistes, à qui l’Europe fermait ses portes et obligés de demeurer dans l’attente des Bolcheviks. Il a déclaré que sa colonie, composée de braves gens, se ferait tuer et que lui-même se ferait tuer à leur tête. {120a} Raymond a conseillé à Norman d’évacuer les Russes (112) sur la Mésopotamie. 7 janvier 1921 Départ ce matin pour Sorkh-Hesar (Sorx-Hesâr), en automobile, avec les Hoppenot, le colonel Wickham qui vient d’être réintégré capitaine, Baxter, Écossais tout préoccupé de sa chasse, silencieux, élégant, peu sociable. De Sorkh Hesar à la rivière de Jâjerud, nous partons à pied, par une magnifique journée de soleil sur la neige, un temps qui rend resplendissant la misère du décor persan. Nuit d’étoiles et planètes suspendues dans le ciel comme des lampes de mosquées. J’ai revu avec plaisir cette vallée du Jâjerud, spacieuse, bien découpée et les eaux rapides de la rivière glissant sur des cailloux sonores. Ce frémissement de vie est si rare en Perse. Ici, les arbres de l’Europe forment des bosquets, se disposent en massifs, en futaies, le soir tombe avec majesté sur un paysage qui nous est familier, les yeux se reposent sur une végétation surabondante à

238

georges ducrocq, journal de perse

laquelle on soupire après un long séjour à Téhéran, dans ce désert pierreux où tant d’argent dépensé n’a pu créer la fertilité. Les sangliers, les mouflons, les ibex, les renards, les lièvres, les perdrix, les pigeons sauvages, {120b} les bécassines sont les hôtes de ce site sauvage où les Qâjârs ont toujours eu des pavillons de chasse. Nâser od-Din Shah y poursuivait la panthère et l’on voit le palais aux multiples chambres où il avait coutume de se loger, lui et ses femmes. Il existe dans un coin de la vallée particulièrement boisé, solitaire et farouche, un pavillon ruiné qu’habitait Fath-‘Ali Shah. Le hibou s’est logé dans ces demeures royales, les ronces les envahissent, les sangliers y dansent alentour des sarabandes au clair de lune. C’est à quelque distance de ce palais abandonné que je rencontrai un jour un vieux Persan qui capturait des faucons sous un filet et les apprivoisait. La rude poésie du MoyenÂge parfume ce terroir. 8 janvier Le corps brisé, l’esprit est plus libre. Il se délasse, il ne produit rien mais il sent qu’il récupère des forces. Il se dégage de son limon. Il retrouve sa clarté. L’air pur le débarrasse. Quand les poumons s’emplissent d’oxygène, le cœur bat plus librement, l’œil, l’ouïe reprennent leur acuité, les jarrets se tendent, la volonté s’arc-boute. On s’aperçoit de tout ce que représente de déperdition de force et d’énergie une vie dispersée {121a} dans une ville. La concentration des pensées, la cristallisation des désirs recommence. On renaît. On redevient un homme. J’aime cette curieuse impression d’effroi que donne l’affût, le soir, dans un bois solitaire. La nuit tombe, la dernière flamme rose brille au sommet des neiges. Une bécassine se lève, lentement, sans claquer des ailes, d’un fourré brun et elle passe dans le ciel avec un long glissement d’ailes. Elle va boire à la source prochaine. Un long silence. Les chuchotements de la nuit commencent. Des bêtes mystérieuses grognent dans les taillis, des cris d’oiseaux étranges se répondent, le murmure de la rivière devient plus pressant, les roseaux se frôlent et s’entrechoquent. Des branches cassent, des herbes tremblent, un tronc d’arbre gémit. La première planète monte à l’horizon, ligne scintillante dans la nuit pâle qui vient, pleine de magnificence et de douceur, brouillant dans ses voiles toutes les formes de la forêt, tous les animaux qui s’éveillent, les oiseaux endormis et les drames qui se préparent dans l’ombre. 9 janvier 1921 L’arôme des fleurs de la montagne est d’une essence enivrante. Il pousse à travers la neige des touffes d’herbes odoriférantes, séchées par l’hiver, mais qui gardent les parfums du soleil et de l’été. Les mules adorent ce genre de nour-

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

239

riture. Comme je les comprends. Il n’est rien qui incarne mieux la vigueur de la montagne {121b} cette senteur têtue, pénétrante et balsamique, que cette bouffée d’encens qui sourit aux frimas. Silence accablant, monotonie des montagnes, de la nature, comme le cœur est oppressé à la longue sous tant de tristesse. Quelle imagination il faut pour parer comme le soleil ces pauvretés d’un rayon d’or. Le Damâvand, comme un trône de conquérant, domine les vallées et les plaines. Une source frémit, un cri d’aigle perce l’azur, pas un souffle de brise, les nuages, les arbres sont immobiles. Les seuls êtres vivants qui traversent ces solitudes sont les troupeaux de mouflons insaisissables, coursiers de crêtes, ou un montagnard sec et maigre comme un anachorète de légende qui passe d’un pas rapide, dévale de la montagne, le bâton sur l’épaule, un morceau de laine enroulé autour de son corps squelettique, l’œil fourbe et l’allure d’un grand félin. Wickham conte des souvenirs des Indes au coin du feu, les chasses à l’éléphant, les bêtes traquées entrant dans l’enclos où rugissent les éléphants sauvages et ceux-ci peu à peu domestiqués par les éléphants apprivoisés qui leur appliquent sur le dos de grands coups de chaines s’ils font mal leur besogne. {122a} Il conte que, dans le désert du Balučestân, des voyageurs perdus se sont attachés au dos de leurs chameaux et ceux-ci les ont amenés, sans connaissance, aux puits d’eau et aux lieux habités. Il dit que les propriétaires de chameaux reconnaissent l’empreinte de leurs bêtes entre mille. Wickham vante la concision de sir Percy Cox ; les télégrammes longs et emberlificotés de Norman lui ont valu un blâme de Londres. À lui seul, il télégraphie plus que trois postes réunis. Norman en somme apparaît comme un homme de la vieille école, sans contact avec la réalité qui l’entoure, distingué, distant, incompréhensif. Ce petit maître n’était pas à la hauteur des circonstances. Il prétend que la situation a été perdue du jour où l’Angleterre a déclaré qu’en cas d’invasion bolchevik elle ne pouvait assurer la défense de la Perse, Légation et banque, si l’on était décidé à y rester, pourquoi ces menaces vaines ? {122b} 10 janvier 1921 La journée s’est passée légère sur le sommet des monts, le ciel du côté du désert était de ce bleu vert pâle que l’on voit aux porcelaines de Rhagès. Les crêtes blanches s’enlevaient sur un vitrail bleu. J’ai franchi plusieurs cols de neige, j’ai couru, le cœur battant, à la vue d’un gibier qui se dérobe, mais dont les taches fauves vous fascinent et vous font oublier toutes les fatigues de la course en montagne, les durs trajets, le silence effrayant des solitudes.

240

georges ducrocq, journal de perse

J’ai découvert un immense horizon. Mes idées se sont élargies. J’ai senti une vigueur nouvelle dans mes membres rajeunis, redevenus souples. L’ennui des villes, des petites villes maussades et sans distraction, s’est dissipé. J’ai repris la marche élastique de l’Argonne et, n’ayant rien tué, mais ayant respiré avec ivresse toute la fraîcheur de la montagne, je me sentais heureux comme un roi qui vient de tuer le plus beau des gibiers, la mélancolie. {123a} 12 janvier 1921 Conversation avec Riâzi. L’inquiétude est générale. On craint que les Anglais ne fassent partir le shah. Ils voudraient l’emmener à Chiraz, pour le tenir en tutelle : il ne serait plus que le souverain d’un État vassal, une Perse réduite à un Balučestân, régnant sur ces provinces du Sud déjà anglicisées. En partant, les Anglais laisseraient le grabuge s’établir, c’est ainsi qu’ils ont laissé se développer à Téhéran une propagande bolchevik, que la police et le gouvernement ne poursuivent pas. Les manifestes du parti Jeune Démocrate bolchevisant sont secrètement encouragés par eux. Ils veulent s’en aller et garder des raisons de revenir pour célébrer l’ordre. Leur tactique a toujours consisté à faire passer la Perse pour un pays sauvage, où les guet-apens et les attentats sont courants. Le shah serait emmené à Kermânšâh, de là à Baghdad, à Bouchire, à Chiraz. Comme il n’a plus de garde cosaque, il ne peut plus se défendre. Ces temps derniers, il avait reporté sa confiance sur la Gendarmerie dont la situation deviendra très délicate si le souverain s’en va. Que feront les officiers ? Doivent-ils suivre le shah ou servir le gouvernement rebelle ? Il est inexact que des mutineries aient éclaté parmi les policiers, les gendarmes, l’armée. Un simple incident, dû à un mauvais commandement, a eu lieu à la Brigade centrale. Mais les Anglais répandent ce bruit pour augmenter l’épouvante ! {123b} Lynch a déjà fait partir sa marchandise et fermé ses comptoirs. Le télégraphe va partir. D’autre part, un bruit contraire, lancé par Havard, dit que les Anglais ne partiront pas. Il existe un fort parti de défenseurs de l’Accord, anglophiles endurcis, conduits par Mošâr ol-Molk, qui veulent ramener l’opinion vers le maintien des Anglais. Une propagande acharnée est faite contre eux parmi le peuple. Les plus simples hommes déclarent qu’il faut que les Anglais partent. Ils ont exaspéré tout le monde. Les Cosaques vont être ramenés à Téhéran, sans doute pour favoriser l’enlèvement du shah. Le Majles va se rassembler dans quelques jours. Il se rassemble déjà clandestinement. Le parti russe relève la tête. Les propriétaires du Nord qui se disaient

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

241

anglophiles, croyant que les Anglais allaient rester, retournent leur veste et redeviennent russophiles. La légation de Russie s’apprête à plier bagage, sauf Hildebrandt et l’homme aux dents d’or. Ravitch dit qu’il part dans quinze jours. Les Bakhtyâris sont très montés contre les Anglais. Samsâm os-Saltana, le chef suprême, est {124a} contre eux. Contre eux aussi Mostowfi ol-Mamâlek, qui est parent aux Bakhtyâris. Ceux-ci resteront à Téhéran, si le shah s’en va et prendront le pouvoir. Il y aura une régence du Valiahd et peut-être une république. L’absence de Šo’a os-Saltana qui dans ces temps troublés aurait joué un rôle, se fait cruellement sentir. Les mollâs, mécontents de l’arrestation de quelques uns des leurs à Najaf par les Anglais, se sont réunis à la mosquée de Marvi et ont adressé une protestation au Shah. – Farman-Farmâ s’agite et complote avec les Anglais. Hier un article du Manchester Guardian, reproduit par le Ra’d, dénonce les fautes des Anglais en Perse et dit que les Français ont agi dans ce pays pour contrecarrer la politique anglaise. On parle de cabinet Sepahsâlâr, Qavâm os-Saltana. Le cabinet Sepahsâlâr se maintiendra jusqu’au Majles. Hoppenot vient de recevoir un avis du ministère le priant de télégraphier brièvement des faits ou des demandes d’instruction. 13 janvier 1921 Il ne faut pas se frapper. Mais c’est bien la plus incohérente des politiques à laquelle nous assistions. Aujourd’hui, après avoir alarmé la population, jeté la panique en ville, entraîné la colonie étrangère à l’évacuation, {124b} la Légation d’Angleterre fait dire qu’elle demeure à Téhéran. En même temps, le ministre insiste auprès du shah pour l’empêcher de s’enfuir et celui-ci se décide à abdiquer. Son frère le Vali’ahd refuse le trône qui sera occupé par un petit frère obscur du shah actuel, c’est-à-dire par un conseil de régence. Ces incertitudes de l’Angleterre sont attribuées à la contradiction qui existe entre le Foreign Office, partisan du maintien de la Légation à Téhéran et le War Office qui veut à tout prix le retrait des troupes de Perse. Le désir des Anglais de vider le pays de toutes les colonies étrangères, de faire place nette, est de plus en plus évident. À Tauris, c’est le consul anglais qui donne le signal du départ. Ici, on expédie à grands frais les Russes, on les couvre d’or pour les obliger à partir. La Légation d’Angleterre engage les Italiens à partir, elle fait agir sur la colonie française par les agents de propagande dont elle dispose parmi les professeurs français aigris et égarés, Duffoussat, Audigier.

242

georges ducrocq, journal de perse

À la légation d’Angleterre, même, un violent courant se dessine contre la politique d’abandon de {125a} Norman. Le colonel Haig, le général Dickson, Havard y sont hostiles. Les Kingwood, les Cooper sont furieux de quitter la ville. 14 janvier 1921 La situation se complique. La légation d’Angleterre a essayé, dit-on d’empêcher le shah de partir car celui-ci meurt de peur, le shah serait décidé à abdiquer ; il a 1 000 000 de livres sterling en Europe, il désire y couler des jours tranquilles. Si l’Angleterre voulait troubler la situation, elle n’agirait pas autrement qu’elle ne le fait. Des dissentiments se sont élevés entre la Banque et le ministre. La Banque écrit au ministre des lettres impertinentes. La Banque va trop vite, elle pousse trop à l’évacuation, elle suit la consigne avec trop de zèle. Elle refuse de vendre du franc ou ne le vend qu’à 90. Elle achète à 57. Elle refuse le numéraire, elle paralyse entièrement les affaires. C’est l’Angleterre qui crée l’anarchie en Perse, volontairement. Les gens avertis prétendent qu’un accord secret existe entre l’Angleterre et la Russie pour un nouveau partage de la Perse. {125b} 15 janvier 1921 Autre événement : démission du Cabinet qui se retire ayant excité la méfiance des Anglais depuis qu’il s’est mis à négocier avec les Soviets. Cette négociation a également beaucoup déplu au Shah. On dit qu’hier, ‘Eyn od-Dowla et [ ]189 ont fait une démarche auprès du shah pour l’engager à rester, mais il veut partir. La Légation d’Angleterre publie dans les journaux un communiqué disant qu’elle n’a jamais eu l’intention de quitter Téhéran, qu’elle a renoncé à traiter avec les courtiers qu’elle avait mandés à la Légation pour écouler sa provision de charbon, que ses employés du télégraphe, etc. ne partent pas. Le ministre d’Angleterre dit qu’il restera à Téhéran pour aplanir les relations entre les Légations européennes et l’envoyé des Soviets, attendu. Lord Curzon a envoyé un message au Shah le priant de ne pas abdiquer, mais le shah dit : « Lord Curzon a écrit cela en fumant un cigare, le dos au feu. Je suis en Perse ». Des officiers français avec leurs troupes seraient à Mossoul. La nation chaldéenne n’a pas voulu suivre Âqâ Petros. Les bandes de ce dernier ont beaucoup 189  En blanc dans le manuscrit.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

243

pillé. {126a} Un représentant de la Banque ottomane a ouvert une succursale à Kermânšâh et il en ouvre une à Hamadân. S’il pouvait venir à Téhéran. 15 janvier 1921 Le shah n’abdique plus. Il y a aujourd’hui grande réunion à Farah-Âbâd de tous les ex-présidents du Conseil, Samsâm os-Saltana, Mostowfi ol-Mamâlek, Farmân-Farmâ, Sepahsâlâr, Mošir od-Dowla, Amin od-Dowla, tous candidats à la Présidence, sans compter Sârem od Dowla et le prince Firuz qui arrivent. Le Sepahdâr est tombé sur la question de l’abdication, du départ du shah qu’il n’a pas voulu accepter. En réalité, il est tombé pour avoir mené les négociations avec les Bolcheviks avec trop de succès. Le shah et le gouvernement anglais ne le lui pardonnent pas. La tactique anglaise est singulière. Ils organiseraient la révolution qu’ils ne s’y prendraient pas autrement. Ils dénoncent dans le Reuter, à la Chambre des Communes, les ministres qui ont touché un pourboire prématuré sur la conclusion de l’emprunt et de l’accord : 100 000 tomans pour Sârem, 100 000 pour Nosrat od-Dowla, 50 000 pour Vosuq. Le Sepahsâlâr demande des explications à ces altesses pour les sommes que le gouvernement anglais réclame au gouvernement persan, l’accord ayant échoué. Vosuq répond qu’il a donné l’argent à Toumaniantz dans la détresse et que celui-ci {126b} lui a donné en gage des propriétés dans le Mâzandarân, qu’il est prêt à restituer à l’État persan. 16 janvier 1921 Le shah a renvoyé le Sepahdâr et ce n’est pas lui qui a offert sa démission. La Légation d’Angleterre voulait le garder. C’est par la faiblesse du Sepahdâr que les éléments bolcheviks de Rašt ont été relâchés. On a appris au Sepahdâr de sauvegarder ses biens. Son cousin est chef du parti bolchevik à Rašt. Le shah avait menacé de partir. Son départ en ce moment contrarie les Anglais qui voulaient l’emmener avec les troupes en avril. Il avait déclaré qu’il partirait déguisé, la nuit. Vous devez l’en empêcher, a déclaré le ministre de Belgique. Le shah est revenu sur sa décision, il ne part pas, il a renvoyé le Sepahdâr, il va former un ministère national à base Mošir od-Dowla. Puis il abdiquera et son frère prendra le pouvoir. Il est donc faux de prétendre que le shah abdique et que le Vali’ahd ne veut pas du pouvoir comme l’a télégraphié Hoppenot. Il y a des Bolcheviks en ville. Le chef du Deuxième régiment de gendarmerie, qui a été nommé par les Anglais, est bolchevik. Vahid ol-Molk, désigné par les Anglais, est en relations avec les Bolcheviks.

244

georges ducrocq, journal de perse

La Banque annonce qu’à partir du 30 janvier, {127a} elle ne répond plus des fonds déposés chez elle en banque. Il est possible que le nouveau ministère fera machine en arrière et n’ira pas aussi loin que le Sepahdâr dans la voie des concessions aux bolcheviks. L’exécution des Cosaques, me dit Raymond, a été faite par Dickson seul. Londres a trouvé que ses instructions avaient été dépassées. Dickson cherchait une vengeance personnelle à tirer de Starosselsky. Le ministre est conduit par Havard, Dickson, Smart, Haig. Havard poursuit un établissement durable à Téhéran. Smart est un fantaisiste. Dickson a des vues bornées et Haig n’a jamais vécu qu’à Ispahan. 17 janvier 1921 Wickham envoie aux légations un communiqué pessimiste où il parle du mécontentement et de troubles qui auraient éclaté parmi les Cosaques et les hommes de la Brigade centrale. Enquête faite, il y a eu mutinerie à la caserne de la Brigade centrale mais provoquée par son chef, le Sardâr Moqtader, qui excite lui-même les soldats contre les officiers et provoque des conflits. L’Angleterre désire détruire la force de ce corps composé de 2000 h. qui sont de bonne qualité, qui ont des mitrailleuses et des fusils. Comme elle a détruit les Cosaques, elle veut détruire la Brigade et les gendarmes et toutes les forces de la Perse pour la tenir à sa merci. {127b} Les officiers de la Brigade centrale sont furieux et pétitionnent auprès du shah pour obtenir la démission de Sardâr Moqtader. À la gendarmerie, le chef du Deuxième régiment, Fazlollâh Khân, fait de la propagande bolchevik parmi ses hommes. Les comités révolutionnaires et terroristes se multiplient à Téhéran. La police laisse faire. Westdahl a reçu ordre de ne pas agir. Dickson va partir. Les McMurray tout en agitant le marché de Téhéran, ne font aucun préparatif de départ. Mme McMurray ne s’en va pas. La colonie anglaise est furieuse contre son ministre. Les Kingwood grognent. Lynch a congédié tous ses employés, rompu des contrats faits pour trois ans. Le général Ironside vient demain à Téhéran exposer aux ministres dans quelles conditions il peut procéder à l’évacuation. Tous ces moyens d’intimidation ont pour but d’impressionner le Majles, dont au fond on espère encore tirer une signature d’un accord rajusté aux circonstances. Le jeune Sardâr Ašraf190 me vante le patriotisme des Bakhtyâris et en particulier de son {128a} père, homme sans instruction mais profondément 190  Qolâm-Rezâ Vâli « Sârem os-Saltana », jeune chef Bakhtyâri ? (Il est né en 1864). Ou son fils ?

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

245

patriote. Il me dit que les Bakhtyaris peuvent amener en quelques jours 6 000 Bakhtyâris cavaliers à Téhéran et, si l’on veut, 15 à 20 000 avec des fusils, que ce sont d’excellentes troupes accoutumées à combattre en plaine, qu’elles ont arrêté à 1 500 les 40 000 hommes de Sâlâr od-Dowla. Les Bakhtyaris sont patriotes, les Bakhtyâris se font tuer pour rétablir l’ordre dans tous les coins de la Perse, les Bakhtyaris n’ont jamais laissé les Anglais s’établir chez eux. Sardâr Zafar dispose de 1000 cavaliers, Sardar Ašraf de 350, etc. Ensemble, les 50 chefs bakhtyâris peuvent lever instantanément 10 000 hommes. Nous valons, dit-il, par la fierté et le courage. Je verrais mon père, ma mère, mes sœurs massacrées plutôt que de voir livrer le sol national à l’étranger. Le ministre d’Angleterre est venu proposer 50 000 [livres191] à Samsâm os-Saltana qui lui a répondu : la Perse vaut beaucoup plus cher. La vie d’un garçon d’écurie persan vaut plus cher. On annonce et on dément le retour du prince Reuß à Téhéran. L’éclipse des Anglais correspondra à un regain d’influence des Allemands. Pourquoi Mošâver ol-Mamâlek est-il allé à Berlin s’entendre avec l’Allemagne quand sa mission semblait limitée à Moscou ? {128b} Les Persans sont très fins. Ils ne sont pas dupes du bluff anglais. Sardâr Ašraf déclare que si un gouvernement nationaliste s’organise, il est partisan de l’engagement d’instructeurs français. 18 janvier 1921 Vu le général Ironside. Il déclare que les Bolcheviks ont été renforcés et qu’ils atteignent actuellement le nombre de 6 000, Caucasiens, Azerbaïdjanais, Persans, mal instruits mais embrigadés, avec des armes, que leurs canons ont été doublés, que leurs reconnaissances sont fréquentes et agressives, qu’en moyenne on leur tue 40 hommes par semaine et qu’il a de son côté 3 ou 4 morts, que les Bolcheviks ne le bombardent pas, parce qu’ils n’osent avancer de trop près leurs canons lourds, que les batteries anglaises sont très bien disposées pour les écraser, qu’il fera sauter le pont de Manjil en se retirant. Ses ordres sont les suivants : acheminer à partir du 15 mars les éclopés, les blessés, se tenir sur un pied de guerre de façon que les troupes à partir du 1er avril puissent se tenir prêtes au départ (il y a 10 000 hommes). Envoyer à l’avance tous les bagages et impedimenta. Selon lui les troupes partiront le 1er avril par échelons et mettront 27 jours à évacuer et gagner la frontière de Kouroutrou192. Le général met à la disposition des civils jusqu’au 1er mars au moyen de locomotives, voitures, autos, fourgons. {129a} Ces moyens ne sont pas gratuits. Les 191  Dans le texte : 50000 p. 192  Faut-il lire Xâneqeyn (Khanegheyn) ou Kirkuk ? Cf l’entrée du 19 janvier 1920.

246

georges ducrocq, journal de perse

civils jouissent de la protection britannique, des commodités mises à leur disposition. À partir du 1er mars, il ne peut assurer la sécurité du transport des civils, la route étant occupée par les convois militaires. Actuellement, il paie une armée de 3 000 balayeurs à 4 krans par jour pour assurer la liberté des cols et du passage par Kouroutou. Selon le général, les troupes actuellement à Anzali se disent armée révolutionnaire du Gilân et elles fonceront sur Téhéran dès que la porte sera ouverte. Elles y seront en une dizaine de jours. Les Bolcheviks de Moscou déclarent qu’ils s’en lavent les mains et les Bolcheviks locaux soutiendront ce mouvement ; à Qazvin, un soviet sera proclamé au départ des Anglais. Il en sera de même à Téhéran. Aucun appui à attendre des Cosaques. Ils sont incapables de lutter avec les Bolcheviks. Kuček Khan est tout à fait contre les Bolcheviks mais ses troupes sont mal armées (il a 2 500 hommes) et n’intimident pas les Bolcheviks. Il n’a pas de canons. Ironside a offert aux Cosaques un officier anglais pour les diriger : ils ont refusé. Les spr du sud seront dissous et remis au gouvernement persan : officiers et sous-officiers anglais regagneront les Indes. C’est {129b} un échec que l’Angleterre a subi en Perse. Les spr devaient être le noyau de la future armée réorganisée. Puisque l’Angleterre renonce à former cette armée, elle laisse tomber les spr. Rothstein, ministre bolchevik, va venir à Téhéran. Ironside a dit à Norman qu’il l’arrêterait. Il ne peut admettre qu’il aura les Bolcheviks devant et derrière lui. Le service de contre-espionnage est une plaisanterie dans ces conditions. – Déjeuner avec les St-Cyriens. Ils déclarent que les mutineries de la Brigade centrale sont organisées par les chefs eux-mêmes, comme Sardâr-Moqtader. Westdahl a ces jours derniers relâché les terroristes emprisonnés à la Police. L’Angleterre organise l’anarchie après son départ. Les renseignements donnés par Mas’ud193 ne concordent pas avec ceux d’Ironside. Il dit qu’il n’y a pas plus de 2000 Bolcheviks à Anzali et Rašt et qu’ils ne sont pas mordants. Depuis le 1er décembre, il y a peut-être 40 tués chez les Bolcheviks. Les Anglais, vendent, emportent ou détruisent le matériel. Je ne leur laisserai pas un fusil, dit Ironside.

193  Mas’ud Khân Keyhân (1897-1967), après avoir été élève de St Cyr, devenu officier de gendarmerie.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

247

Les Bolcheviks attaquent toujours de nuit. Je suis frappé de l’attitude de Habibollâh Khân {130a} qui n’admet aucun homme politique persan. La réponse de Paris est arrivée. Nous ne devons évacuer qu’en cas de mouvement xénophobe ou d’avance bolchevik. Nous devons laisser libres de profiter des avantages qui leur sont offerts les membres de la colonie sans les y forcer. Nous ne devons pas perdre de vue que notre sort n’est pas lié à celui de l’Angleterre et que nous devons rester les amis désintéressés de la Perse. La Légation doit évacuer la dernière et à l’extrême limite. La présence d’un ministre soviétique à Téhéran ne doit pas nous forcer à évacuer. On ne donne à nos Saint-Cyriens que des postes ridicules. Riâzi est chef du téléphone, Habibollâh Khan a eu le commandement du Deuxième régiment de gendarmerie qui n’a pas d’effectifs. Seyfollâh Khân végète à la Brigade, est brimé par les Anglais parce qu’il ne veut pas être payé par eux. [Ansâri ?], ancien attaché militaire aux États-Unis, dégoûté de vivre sans emploi, est parti chez les Bolcheviks à Anzali dont il aurait été nommé gouverneur. Le général Ironside me dit que le plan anglais consiste actuellement à concentrer les forces de l’Angleterre sur les Indes, à se rapprocher de ses bases et à reprendre plus tard la question persane par le Sud. Nous perdons tout en Orient, me dit le général et il laisse entendre que la rivalité anglo-française, {130b} surtout celle de Franchet d’Esperey et de Milner à Constantinople, n’y a pas été étrangère. Article sensationnel du Ra‘d dénonçant les princes pillards, la politique personnelle de Farman Farmâ. Le Seyyed Ziyâ’ od-Din se réveille. Il gardait le silence depuis son voyage à [Bâku] où certainement il s’est abouché avec les Bolcheviks194. 20 janvier 1921 C’est un assaut. Au club, Wickham me dit que la situation est très grave, parce que jamais la Perse n’a été livrée à elle-même depuis de longues années. Toujours elle avait les deux puissances, Angleterre, Russie, qui se contrebalançaient et qui freinaient. Mais avec une Perse bolchevik les pires excès sont à craindre. Il est un fait certain c’est que chaque fois que l’Angleterre se retire, elle laisse derrière elle le désordre (voir Bakou, la Transcaspie). Le général Ironside tient ses renseignements de la meilleure source, des chefs bolcheviks eux-mêmes. Les renseignements qui proviennent de Transcaspie ne sont pas moins alarmants. 194  Sur ce voyage, voir 19 décembre 1919 et 22 janvier 1920 et l’introduction.

248

georges ducrocq, journal de perse

Wilkinson danse avec Marie et lui dit qu’il faut être inquiet, que, lui, a déjà vu trois évacuations mais qu’il considère cependant cette affaire comme grave, que les Bolcheviks pilleront et détruiront tout, qu’il ne peut y avoir d’ordre en ville, si les Européens partent. M. Norman, le soir, après {131a} dîner à la Légation d’Angleterre, me dit  : je ne déballe pas mon argenterie. Nous ne savons ce que nous ferons. Et il est décomposé. Je lui dis : « Eh bien ! monsieur le ministre, j’imagine que les légations resteront jusqu’au bout et nous ferons colonne. » Cette perspective ne semble pas lui sourire. Hier Hoppenot a été tellement frappé de l’insistance d’Ironside qu’il a vu la manœuvre. Les instructions qu’il a reçues de Paris ont aidé d’ailleurs à lui ouvrir les yeux. Il a dit alors : nous avons reçu de Paris et de Bruxelles des ordres qui nous empêchent de faire ici le jeu des Anglais. Si un gouvernement stable s’établissait ici, je vois bien l’intérêt qu’auraient les Anglais à nous en voir partir. Raymond qui trouvait maintenant qu’il allait un peu fort, lui a dit : « Je ne sais si vous avez reçu des ordres concernant Bruxelles. » Les Persans bien entendu nous rassurent et déclarent qu’il ne se passera rien. 22 janvier 1921 Mme Hoppenot refuse de danser au Club sous l’œil des Persans mais elle consent à danser au Club avec des danseurs éméchés, pourvu qu’ils soient anglais. La doctoresse prétend que les femmes persanes sous le tchador se conduisent mal, qu’elles trompent leurs maris, qu’elles s’amusent, jeunes filles. L’homme est un invité dans l’andarun. La femme y est maîtresse, elle y a ses domestiques, sa maison, ses relations. {131b} Mme de Raymond, devant Malet qui allume une cigarette et la sienne et oublie de lui proposer du feu, Mme de Raymond dit : « merci – très aimable ! » Vu hier trois miniatures persanes irrésistibles. 23 janvier 1921 On annonce un nouveau choulouk à la Compagnie195 à Varâmin. Des gens à mine patibulaire commencent à circuler en ville. L’impopularité des Anglais tient à ce qu’ils ont fait renchérir le thé, le sucre et le pétrole, denrées de première nécessité pour les Persans du nord. Après-midi dansante chez Mohammad-Hoseyn Mirza. Les princes enlèvent leur [kolâh] et dansent le tango. Scandale pour Sâlâr Laškar. 195   . . . de gendarmerie sans doute, voir l’entrée du 24 janvier.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

249

– Vous ne savez pas comment on mange les graines de pastèque, lui ditelle. On prend l’écorce entre les dents et on la fait glisser, puis d’un coup de langue on attrape la graine. Et, joignant la démonstration à la leçon, elle ouvrit sa bouche rose et en souriant, donna le coup de langue. Ce spectacle était vraiment agréable à regarder. Le ministre d’Angleterre ne croit pas à la solidité de l’accord que les Bolcheviks vont signer avec la Perse. Comme Moscou proposait des clauses secrètes, Téhéran a répondu que la Perse ayant adhéré à la Ligue des Nations, elle ne pouvait signer le traité secret, que les {132a} Bolcheviks eux-mêmes avaient répudié les traités secrets. 24 janvier 1921 La grande question est l’organisation d’une force militaire persane. Il y a 4 200 cosaques armés à Qazvin, ils sont bons pour une attaque, ils peuvent rétablir l’ordre, dompter une émeute, attraper une position, gêner des communications, mais il ne faut pas leur demander de résister sur place et de se faire tuer ; ils prennent la fuite. Ce sont des brigands qui risquent leur vie. Ce ne sont pas des héros qui se font tuer sur place. Ils ont 1 200 cavaliers, 5 batteries d’artillerie. Avec les gendarmes on pourrait constituer une force de 10 à 15 000 hommes bien armés, commandés par des officiers patriotes, énergiques, et qui soutiendraient l’autorité, feraient respecter l’ordre. Le shah a besoin de son appui. Sinon, il partira avec les Anglais. L’argent pour payer ces troupes ? Les diamants de la couronne. 200 millions. L’échauffourée de Varâmin s’explique. On a nommé ‘Azizollâh Khan chef de la gendarmerie, premier régiment, bien qu’il ait été turcophile. Il a fait partie de la Commission militaire. Il est réputé pour son fanatisme musulman. Sans valeur technique, ce chef vient d’être chargé de réprimer le brigandage dans la région de Varâmin. Il a eu plusieurs hommes tués dans un combat où il semble avoir été battu. Il a laissé s’enfuir les brigands à Siâh Khan196 où ils sont imprenables. Il vient de s’apercevoir qu’il a emporté des canons de campagne inutilisables. {132b} Il demande des canons de campagne à Téhéran. Le Sardâr Moqtader lui fait répondre qu’il n’en a pas, quand il en a. Une caravane d’argent de la Banque venant de Mašhad a été pillée par ces brigands entre Semnân et Téhéran. C’est peut-être un moyen pour l’Angleterre de subventionner des brigands qui font son jeu.

196  Siâh Kuh ?

250

georges ducrocq, journal de perse

Une incursion de Bolcheviks vient d’avoir lieu au Tonekabun. Un corps de débarquement a rejoint une colonne qui arrivait par terre, ils ont pillé quelques villages du Sepahsâlâr. Les fils du Sepahsâlâr vont partir au Tonekabun. La Brigade centrale comprend 500 chevaux, 2 000 hommes, des canons, des mitrailleuses. On confie au major Habibollâh Khan le 2ème régiment de gendarmerie qui possède 200 ordonnances, la section sanitaire, des télégraphes. Starosselsky avait infligé de lourdes peines aux officiers persans au Gilân. Il en avait révoqué beaucoup. On les réintègre. Mostowfi ol-Mamâlek a refusé le pouvoir. Il disait : ne présentons plus l’Accord au Majles. C’est une histoire finie. Les Anglais se sont opposés à ce qu’il prenne le pouvoir. {133a} On revient au Sepahdâr. Mais aujourd’hui les Anglais ne semblent plus désireux de réunir le Majles. Ils sentent un tel vent d’impopularité qu’ils voient l’impossibilité de faire voter l’Accord. Mais alors pourquoi avoir avec obstination exigé de la Perse la signature de cet accord qui a tout gâté. Ce que les Anglais demandent, c’est que les Persans disent oui ou non. Or ils ne disent jamais ni oui, ni non. Ils craignent les représailles des Anglais et ils craignent la colère populaire. Si Vosuq od-Dowla n’avait pu faire appliquer l’Accord, il fallait y renoncer. Les Bakhtyaris mettront leur point d’honneur à prendre sous leur protection les colonies européennes et les légations, espérant par là s’attirer la sympathie des Puissances, en prévision d’un trône. La réponse de Bruxelles à Raymond le laisse juge de la situation mais lui dit qu’il ne doit pas quitter le territoire persan ni ses fonctionnaires, et qu’il doit agir sans se préoccuper de ce que feront les Anglais. 25 janvier 1921 Wilhelm vient demander à notre chargé d’affaires d’intervenir auprès de Norman afin que le veto émis par les médecins anglais à la nomination d’un chirurgien français à l’hôpital impérial soit levé. Rien de plus légitime. Le ministre Norman ne veut rien décider avant {133b} l’arrivée de Neligan. Ainsi, par la volonté de ce petit officier de santé sans capacité, nos médecins français qui ont, traditionnellement, joué un rôle si important en Perse, se trouvent boycottés de l’hôpital impérial. Neligan a profité de la guerre, où tous les médecins français étaient partis remplir leur devoir pour s’y faufiler. Non seulement il y est mais il refuse qu’un médecin français y opère à côté de lui. M. Norman s’incline devant cette décision arbitraire et notre chargé d’affaires dit qu’il veut bien faire une démarche mais qu’il sait d’avance quelle réponse lui sera faite. Telle est la part que les Anglais nous laissent en Perse.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

251

Ils peuvent dire, il est vrai, que les Anglais donnent une subvention à l’hôpital impérial. Pourquoi n’en donnons-nous pas une sous forme de médicaments, appareils de chirurgie. – De même pour la T.S.F., en juillet dernier la Légation d’Angleterre a rappelé que sous le ministère ‘Eyn od-Dowla, promesse lui avait été faite que l’Angleterre installerait la T.S.F. en Perse. Le Cabinet Mošir od-Dowla a répondu qu’il ne trouvait pas trace de cette concession. {134a} Conférence Siâsi sur l’Éducation persane. Elle fait scandale. Siâsi dit à ses compatriotes de dures vérités, il leur montre qu’il n’y a pas d’éducation intellectuelle en Perse. Seulement de l’instruction. Encore est-elle toute scolastique. Le progrès des mœurs n’existe pas. On se fait de l’homme parfait un idéal qui n’est pas conforme à l’idéal national. Les intérêts privés l’emportent sur le patriotisme. Il n’y a pas d’autre carrière pour la jeunesse que le fonctionnarisme. Les mollas tiennent encore le pays sous leur empire. On ne fait pas des hommes libres. 26 janvier 1921 L’affaire de Varâmin se complique. Il y a eu mutinerie. Deux gendarmes se sont réfugiés ici chez un journaliste et ont été arrêtés. On dit que sous cette affaire il y aurait la main de Momtâz ol-Molk, d’Amin ol-Molk qui aurait fourni l’argent. Les Anglais seraient les instigateurs de cette histoire. Ils fourniraient des armes aux rebelles. Pourquoi ne fait-on pas venir à Téhéran la Division des Cosaques réorganisée ? Tout cela est encore obscur. Ce Sâlâr Jang est un individu qui a eu maille à partir avec le gouvernement et qui a pris le désert pour se venger. Les Anglais organisent dans la gendarmerie des désordres. Un Bolchevik l’a dit à Molitor. Les Bolcheviks renient ce mouvement. Les Bolcheviks se concentrent à Qaziyân197 et n’évacueront la Perse qu’après le retrait des troupes anglaises au-delà de Hamadân. {134b} La propagande allemande de Berlin reprend une nouvelle activité sous la direction de Taqizâda. Elle envoie des émissaires, de l’argent. Les Raštis ont été envoyés comme réfugiés et comme propagandistes en avant à Téhéran par les bolcheviks. Ils agissent très prudemment, ils n’attaquent pas de front l’islam, ils ménagent la religion. Ils ont des comités, ils préparent la prise de pouvoir, ils discréditent tous les hommes politiques, même d’opposition.

197  « Ghazian », localité à l’Est d’Anzali.

252

georges ducrocq, journal de perse

Habibollâh Khan – [Khazam ?] Mirzâ198, beau-frère de Manučehr, tous ceux qui ont fait leurs études à Constantinople, le parti turcophile et le parti germanophile relèvent la tête. Un autre beau-frère de Manučehr fut tué ainsi qu’Eprim (arménien) dans la lutte contre Sâlâroddowla199. Il avait fait ses études au Val de Grâce : c’était un jeune chef plein d’allant. Il fut tué par traîtrise par des gens de Farmân-Farmâ. L’affaire de Varâmin. Gleerup est envoyé à Varâmin parce que le Sepahsâlâr est mécontent de voir que Sâlâr Jang a battu les gendarmes et se moque du gouvernement. {135a} 27 janvier 1921 Le chargé d’affaires d’Amérique déclare qu’il a un plan financier sur la Perse. Il prend tout, armée, finances, justice. Nous devrions agir ici, installer une banque (la Banque ottomane est à Kermânšâh et à Hamadân) profiter des velléités de départ des Anglais pour assurer notre situation, prendre en main l’instruction publique et la justice, consolider la position de nos professeurs, de nos chirurgiens, prendre l’hôpital impérial, obtenir des concessions de mines, de chemins de fer. Malheureusement, notre charmant chargé d’affaires est tellement convaincu qu’il va devoir quitter la Perse qu’il ne veut rien entreprendre. Smart me parle des poètes mineurs si intéressants à traduire. Haig me parle de la Perse durant la guerre. Elle n’était pas neutre. C’est lui qui de Mašhad envoya à Paschen un télégramme falsifié signé Zeiller qui l’engageait à quitter Herat, ce qu’il fit. Vendredi 28 janvier 1921 Journée de repos. Le matin à cheval dans la plaine, le soir sur le champ de patinage de Soltânâbâd. Journée radieuse, passée à admirer les montagnes, à respirer, nuit de lune extraordinaire sur le bassin de Soltânâbâd. Réception d’adieu chez les Caldwell. Je dis au prince Mohammad-Hoseyn : « Votre frère se compromet avec les {135b} démocrates (il s’agissait de Sâlâr Laškar en conversation avec Soleymân Khân – Vahid ol-Molk) il me répond : il est démocrate.

198  Faut-il lire Kâzem Mirzâ ? ce Manučehr est-il M. Âqevli ? S’agit-il de Kâzem Sayyâh ? Voir l’entrée du 22 février 1921. 199  Yeprem Khân, militant arménien ayant lutté pour la Constitution (1868-1912) ; Abo’l-Fath Qâjâr « Sâlâr od-dowla » (1881-1959), frère de Mohammad-‘Ali Šâh, participa à plusieurs campagnes militaires contre le régime constitutionaliste.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

253

29 janvier 1921 On m’annonce ce matin que les Anglais viennent de constituer un Comité de fer, composé de Hadjean, de Ziyâ od-Din, d’Ipekiân qui sont à la tête de cent personnes armées et prêtes à tuer les députés qui s’opposeront au vote de l’Accord par le Parlement. Ce sont les histoires que l’on colporte. La vogue de l’auto semble déjà en décroissance chez les Persans. Ils se sont jetés sur cette nouveauté. Ils s’en lassent. Ils ne savent pas entretenir une auto. Les Ford ont fait fureur et sont démodées. Les pièces de rechange coûtent un prix exorbitant. Raymond déclare que les Persans craignent les terroristes démocrates et ne voteront pas l’Accord. La situation va se prolonger et durer. Les Anglais ne désirent plus la réunion du Majles. La banque recommence ses transactions. Elle gardera une succursale à Téhéran et transportera son siège central à Bouchire. 30 janvier 1921 Le nouveau ministère est formé. Il comprend Sepahdâr A‘zam (président), Mostašâr od-Dowla (Intérieur), Mohtašam os-Saltana (affaires étrangères), Momtâz od-Dowla, Momtâz ol-Molk (instruction {136a} publique), Sardâr Mo’tamed (postes et télégraphe), Amin ol-Molk (finances), Amir Mo‘zzam (guerre) – ministre sans portefeuille : Moshâr ol-Molk200. Ce ministère comprend les quatre Kâšâni-s, c’est à dire les chefs démocrates, exilés à Kâshân en 1919 par Vosuq od-Dowla et par la Légation d’Angleterre comme hostiles à l’Accord. Les voilà donc revenus en faveur. Ils sont simplement passés à la caisse. Quel fonds [?] peut-on faire sur un pays où les chefs de la démocratie, les incorruptibles, sont achetables ? Nous allons d’ailleurs voir ces chefs déconsidérés d’ici peu et remplacés par d’autres. Un Comité de fer s’est fondé, il a été dénoncé au Shah : Westdahl, [Fouad Corsany ?], Hâdjeân, Ipekiân, Ziyâoddin en feraient partie. Un comité qui brisera le Comité de fer a été fondé dans le peuple. Le Majles qui ouvre dans cinq jours se présente sous un jour orageux. Il est clair maintenant que les Anglais veulent obtenir du Parlement la ratification de l’Accord.

200  La composition décrite ici n’est pas conforme à la liste donnée par Zarqâm Borujeni, Dowlat-hâ-ye ‘asr-e Mašrutiyat, p. 125 ; Esmâ‘il Montâz « Montâz od-Dowla » (1879-1933) exilé de 1919 ; Mortazâ Mortazâ’i « Momtâz ol-Molk » (1865-1925) exilé de 1919 ; Akbar Sâdeq « Sardâr Mo‘tamed » (m. 1932) ; Esmâ‘il Marzbân-e Gilâni « Amin ol-Molk » (18751960) ; Mostafâ Davallu « Amir Mo’azzam » semble déplacé ici, sans doute une erreur pour ‘Abdollâh Xân Hamadâni « Amir Nezâm ».

254

georges ducrocq, journal de perse

Nous avons enterré hier le pauvre Kingwood mort subitement d’une rupture du cœur, accident fréquent dans ce pays, où le cœur est mis à rude épreuve à cause de l’altitude. 31 janvier 1921 Fedoroff s’en va. Il a toujours travaillé contre les Bolcheviks. Il n’a pu obtenir de son chargé d’affaires, M. Hildebrandt, {136b} une réponse précise sur ce qu’il comptait faire en cas d’arrivée du ministre bolchevik. Il est possible qu’Hildebrandt reste. En ce moment le voyage est tout à fait sûr à travers le pays bakhtyâri. Les nomades sont au Sud du côté du Golfe persique, en Mésopotamie, prenant le soleil. Ils remontent au printemps sur les hauts plateaux de l’Iran et alors les routes sont infestées de brigands. Ces nomades mènent une vie charmante et telle que la mènent les milliardaires américains qui ne connaissent pas les morsures du froid et se déplacent selon les saisons dans les villégiatures les plus agréables, les plus fraîches et les plus ensoleillées. 1er février 1921 Le Majles ne se réunit plus ni dans 15 jours ni dans un mois. Il paraît que l’état de siège est proclamé ce qui permet d’arrêter tous les conciliabules, les comités secrets, les Bolcheviks. Si le Parlement se réunissait, il faudrait lever l’état de siège. Voilà pourquoi on ne le réunit pas. Les Kâšânis eux-mêmes ont demandé la remise du Parlement à une date indéterminée, car ces démocrates craignent l’hostilité qu’ils soulèvent parmi les députés. En réalité ils craignent, si le Parlement vote l’Accord, de devoir l’endosser. L’attitude de la Légation d’Angleterre est des plus bizarres. Londres veut toujours l’Accord et ne {137a} comprend rien à la situation en Perse, à l’impopularité des Anglais. Présentez toujours l’Accord, dit Curzon, qui garde un secret espoir de voir la Perse se jeter dans les bras de l’Angleterre et qui voudrait apporter à la Société des Nations un appel de la Perse et une preuve de sa soumission. Le malheureux ministre, à qui on demande l’impossible, ne sait à quel saint se vouer. Il a pris le Sepahdâr, il prend des démocrates, il prend qui l’on voudra pour aboutir à un résultat. Les volte-face de la politique persane l’ahurissent. Les hommes changent de veste ici avec trop de dextérité. On se croirait au cinéma. Hier au coin d’une rue un chanteur populaire lançait un appel à la guerre sainte [jehâd]. On arrête en ce moment les Bolcheviks. Les pillards du Tonekâbun ont emporté du riz, du sucre, des bestiaux, et une vingtaine d’otages, riches propriétaires et marchands, à Bakou.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

255

Quand le général Ironside est venu à la réunion des ministres insister en faveur de l’évacuation, le ministre des États-Unis n’a parlé que de l’expédition de ses tapis. Hoppenot a dit carrément qu’il voyait l’intérêt qu’avait l’Angleterre à ce que les colonies étrangères se solidarisent avec la sienne mais qu’il n’en sentait pas la nécessité. Le ministre d’Angleterre, impatienté, {137b} tapotait sur la table et disait : il faudrait envoyer un télégramme collectif. Mais sa voix n’avait pas d’écho. Caldwell continuait à parler de ses tapis. Le général Ironside finit par lui dire ironiquement : Êtes-vous un agent commercial ? Habibollâh Khan a refusé de signer les quittances d’envoi gratuit de fourrage, de charbon, de pétrole qui étaient adressées chaque mois au colonel Gleerup, au capitaine Lassen, et qui constituaient une dépense de 5 000 tomans par mois. Les officiers de la Brigade protestent contre leur chef, Sardâr Moqtader, et le déclarent incapable. Un scandale inouï s’est produit à Bâq-e šâh. 500 prisonniers bolcheviks, parmi lesquels des officiers, des Russes, ont été délaissés dans une affreuse misère. Il en est résulté que 250 sont morts du typhus. 12 000 tomans de médicaments, frais d’entretien avaient été donnés par le gouvernement au colonel Gleerup et à l’Amir A‘lam pour soigner ces malheureux. Où l’argent a-t-il passé ? Sardâr Zafar qui était très anglophile est revenu des tribus, il déclare que les Bakhtyâris ne veulent à aucun prix entendre parler de l’Accord. Ils le considèrent comme un poison. {138a} Chose curieuse, en même temps qu’ils disent qu’ils s’en vont, les Anglais font tous leurs efforts pour faire réussir l’Accord, ils ont acheté 50 sur 80 députés. Ils n’ont pas perdu l’espoir de démontrer à Londres le succès de leurs efforts. Mohtašam os-Saltana qui fut exilé à Kâšân à cause de l’Accord, aurait mis comme condition à son acceptation que l’Accord ne serait pas présenté tel quel au Parlement avant trois mois, que d’ici là le gouvernement persan pourrait engager des pourparlers avec Londres pour un nouvel accord, que les élections devaient être recommencées. Les Cosaques de Qazvin seraient renvoyés à Manjil. Les Bolcheviks au Gilân seraient actuellement 5 000, ils possèderaient 110 mitrailleuses, 11 canons légers, 2 lourds, 8 de marine. Ils auraient fortifié Anzali et n’auraient aucune intention de le rendre. 3 février 1921 Paddock me dit que l’on a été d’une souveraine injustice pour les Assyriens. On ne s’y serait pas pris autrement si l’on avait voulu les supprimer tout à fait. Le capitaine Gracey est venu au nom des Alliés les assurer que, s’ils marchaient, combattaient et gardaient le front, ils seraient soutenus. Les Chaldéens d’Ourmia hésitaient, parce qu’ils sont sujets persans. On les a endoctrinés, ils ont

256

georges ducrocq, journal de perse

suivi les Jelo. Les Persans ont envoyé contre des irréguliers qu’ils ont battus {138b} à plusieurs reprises. Ils ont envoyé ensuite les Turcs réguliers qui par cinq et six fois ont été battus en bataille rangée par ces simples montagnards qui leur ont pris des canons, des mitrailleuses, 500 prisonniers. Finalement, un secours devait arriver du côté anglais. Le général Dunsterville avait formé au Caucase des cadres d’officiers et de sous-officiers manquant d’hommes. Le général [R.W. Marshall] qui commandait en Mésopotamie représentait la politique des Indes, le général Dunsterville celle de Londres. Un secours fut envoyé de Tauris. Les Jelo manquèrent au rendez-vous fixé et la mission anglaise se retira sans essayer de joindre ces malheureux qui, accablés dans le nombre durent se disperser. Les habitants d’Urmia ont perdu leurs biens, la terre, les arbres fruitiers sont mal cultivés depuis le départ des chrétiens qui faisaient la richesse du pays et les habitants désirent leur retour, sauf les détenteurs et usurpateurs de leurs propriétés. L’enquête a établi que Mgr Sontag avait été tué par Aršad Homâyun, personnage important d’Urmiya, directeur de la police, sauvé par Mgr Sontag à une précédente avance des Turcs et qui savait que tous les chrétiens du pays {139a} avaient déposé leurs trésors à la mission. L’œuvre des missions françaises et américaines est détruite. Cinquante ans d’efforts sont anéantis. La race chaldéenne, malgré l’héroïsme de ses Jelo, est dispersée. C’est une victime de la guerre et de son dévouement à la cause des Alliés. Ravitch me dit que l’optimisme des Persans le surprend et que pour lui la débâcle des Européens ici est certaine. 4 février 1921 Après-midi chez le Prince Mohammad Hoseyn Mirzâ, fils du Farmân-Farmâ. Il y a là le prince Nosrat os-Saltana, le prince [‘Azod] os-Soltân, son fils, les fils de Farmân-Farmâ. Ils dansent. Très bien d’ailleurs. Kolâh défaite. Ils ont appris les pas parisiens, tango, fox trott, etc. Quelques uns les ont dansés dans des bars, avec des demi mondaines. Aussi empoignent-ils leurs danseuses sans ménagement. Le fils d’[‘Azod os-Soltân] entreprend avec madame Lassen un tango des plus risqués. Il la presse, la soulève, l’entraîne. La malheureuse, si gracieuse, n’est plus qu’un jouet entre ses mains. Et c’est au fond le côté répugnant du tango, la femme y est une esclave. Je dis au petit prince : vous avez dansé un tango frénétique : – Oui, me ditil, c’est celui du bar de Lausanne, il faut bien en profiter, quand on les a. Je comprends pourquoi les femmes anglaises refusent de danser avec les Persans. {139b}

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

257

Promenade à cheval avec les Paddock à Dušân Tappa, où je manque, avec mon gris cabré, de tuer Marie d’un coup de sabot. Le soir audition de Darviš Khan dans ses dašti-s. Il est accompagné d’un tambour, merveilleux virtuoses tous deux. Le morceau de târ persan comprend une introduction, un chant composé de refrains assez semblables à ceux de nos complaintes amoureuses du centre de la France ([ ?]) que le târ reprend en accompagnement, puis par le chant en allegro qui se termine toujours par un mouvement musical d’un rythme précipité, comme le souffle de la passion. Cette musique est faite pour être chantée et dansée. Elle abonde en sonorités subtiles, en dissonances savantes, elle est merveilleusement rythmée et cadencée, elle a une richesse d’orchestration dont nos mélodies modernes ne donnent aucune idée. Cette pluie de notes dont nous inonde la musique russe se trouve dans la musique persane, mais plus ordonnée, sans le vertige anarchique qu’il y a dans toute œuvre russe. La musique exprime le charme de la volupté, les transports de l’amour. Elle est pleine d’arabesques comme la poésie persane, de motifs délicats comme les miniatures, elle a des mignardises mais son rythme est puissant. {140a} L’élan du cavalier est en elle. Les sons du târ peuvent être adoucis, allégés et délicieux comme un soupir. Il y a des silences éloquents dans cette musique. Ils sont toujours d’une netteté métallique. La boite de l’instrument taillée dans une loupe d’arbre est sonore. Les cordes sont tendues sur une peau de tambour. Les musiciens et les danseuses en Perse sont déconsidérés. La religion la201 proscrit mais il y a loin de l’islam des tribus sauvages et pillardes du nord de l’Arabie à l’islam tel que le pratiquent les vieux civilisés persans – qui l’endorment de beaucoup de charmes païens, souvenirs de la religion panthéiste des Aryens. C’est au Mâzandarân que se trouvent les plus beaux types aryens. Les forêts les ont préservés. Les invasions mongoles ne les ont pas touchés. Dimanche 6 février 1921 Samedi. Vous avez sur nous une supériorité, une avance énorme, me disait Seyfollâh. Vous avez l’éducation familiale, l’éducation du collège et l’éducation du métier, de la vie. Nous n’avons rien de semblable. Le ministère a été présenté au shah hier matin. Trois des Kâši sont ici appelés en particulier par le shah qui leur a dit sa volonté de rassembler le Majles. Mais les trois Kâši ont donné leur démission : Mohtašam os-Saltana, Mostašâr 201  La musique.

258

georges ducrocq, journal de perse

od-Dowla, Momtâz ol-Molk. Ainsi se trouve rouverte la crise qui dure depuis 15 jours. {140b} Il me paraît de plus en plus évident que les Anglais veulent tenter un coup de force et faire voter par un escamotage l’Accord. Ce qui permettra à Lloyd George202 de dire à la Chambre : l’Angleterre ne peut abandonner la Perse. Mais ce que désirait l’Angleterre, c’était de vider la Perse de ses étrangers, d’y rester seule. Fazlollâh Khan avait maltraité les Kâši : ceux-ci vont se venger. Vu hier chez Fahim od-Dowla un descendant de Agha Khân203, qui est lui même descendant du Prophète, vrai prophète. « Ma noblesse, m’a-t-il dit, remonte à 17 siècles. » Aucun de nos gentilshommes ne pourrait en dire autant : les Anglais ont tout à fait mis la main sur Agha Khan. 7 février 1921 Messe arménienne solennelle, Hoppenot et moi présents. Allocution du P. [Agopian ?] au chargé d’affaires français et éloge de la France par un prêtre, devant cette foule. Antique prestige de l’Orient. Il y a 600 000 aveugles dans les Indes. La lumière est meurtrière. Elle blesse en même temps qu’elle enchante. On se montre très injuste pour nos anciens élèves d’écoles militaires françaises. On méconnaît leurs mérites. Les officiers de la Gendarmerie qui sont passés du côté {141a} turc leur sont préférés. On parle toujours des officiers qui sont allés au front, disait Soleymân. Mais quel front ? Un front hostile à la Perse. En général, ajoutait-il, sur 50 officiers qui vont au front il en revient un nombre diminué. Ici c’est le contraire qui se passe. Ils sont partis 50, ils reviennent 200. La Banque reprend ses transactions, vend des traites. Les Cooper204 s’en vont. Le général Dickson a dit à Mississ (sic !) Caldwell pour qu’elle le répète à son mari que l’indiscipline régnait à la police. Voilà Caldwell affolé. Je le fais rassurer par Raymond. Le prince Firuz revient, il va reprendre le pouvoir. Après avoir discrédité les Farmân-Farmâ en Perse, les Anglais s’aperçoivent qu’ils ne peuvent avoir d’agents plus intelligents. La phase Sepahdâr aura été désastreuse. 202  Ministre de la Guerre pendant la Guerre, puis Premier ministre britannique 1916-1922. 203  Seyyed Hasan-‘Ali Shâh Mahallâti (1804-1881) fut le premier des chefs héréditaires des Ismaéliens à porter le titre d’Âqâ Khân, qui lui fut donné par Fath-‘Ali Shâh (il était descendant du Prophète Mohammad, ce qui fait non pas 17 siècles mais 13 à l’époque où Ducrocq écrivait). 204  Non identifiés.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

259

Haig à la Légation est le partisan de la manière forte. L’évolution d’Hoppenot est amusante. Il complimentait, à la première réunion des ministres, Norman et parlait de faire saisir la colonie manu militari. À la deuxième réunion il disait à Norman qu’il ne pouvait faire le jeu anglais. À cette réunion Caldwell ne parlait que de ses tapis : je ne suis pas un agent commercial, finit par dire Ironside. On dit que 2 000 soldats anglais s’approchent de Téhéran. Je ne serais pas surpris qu’un coup de force se préparait avant le 26 février. Mais alors, dit Raymond, le général Ironside s’est moqué de nous. {141b} 8 février 1921 Nosrat od-Dowla est arrivé hier. La combinaison Sepahsâlâr a vécu un jour. L’Angleterre veut avoir des cabinets éphémères jusqu’au retour du grand ministère Vosuq-Sârem, etc. dictature et mise en vigueur de l’accord. Son but est de désorienter le nationalisme. Il se peut que le 21 février à Londres nous ayons des surprises et que la France, pour avoir l’appui de l’Angleterre sur le Rhin ait encore une fois sacrifié l’Orient. Pourtant Briand . . .  Le plan anglais serait de faire voter un accord nouveau où l’Angleterre donnerait 2 000 000 de £ sterling. Mais interdirait à la Perse de faire appel à d’autres conseillers militaires que ceux d’une petite puissance (ce serait une façon de regagner la Belgique – en la dupant peut-être.) Mme Cooper s’en va, Mme Bonatti s’en va. 9 février 1921 Smyth vient me dire que les Bolcheviks sont 7 500 dans deux positions, une position à Qaziân – Anzali, 1 corps mobile ; qu’ils ont 1 000 cavaliers, 20 canons (10 campagne, 8 lourds de siège, 2 howitzers de 120) 113 mitrailleuses Lewis et 300 fourgons. Ils s’apprêtent à faire mouvement au printemps, s’ils sont invités à venir à Téhéran. Il y a parmi eux 700 Russes. Les troupes de Kuček Khan dans {142a} la forêt ne peuvent s’opposer à leur passage. Dans une reconnaissance ils ont perdu dernièrement près de l’imamzadeh 9 tués, 18 blessés, 17 prisonniers. Les Anglais n’ont pas eu de pertes. Les Anglais sont décidés à évacuer la Perse. Ils n’ont aucune crainte d’une Perse occupée par les Bolcheviks, car le désert est un bouclier. Il est stupide d’avoir dépensé ce que l’on a dépensé pour la route du Seistan et de Mašhad. Un père jésuite résumait ainsi son opinion sur la Belgique : ni abîmes ni sommets.

260

georges ducrocq, journal de perse

Le colonel Smyth dit que l’esprit des Cosaques est mauvais, qu’ils se sont montrés arrogants contre Sardâr Homâyun, leur chef, que celui-ci tremble devant eux et que Smyth va emmener les plus mauvais éléments à Qazvin et renverra d’autres Cosaques à Téhéran qui seront rapidement gâtés. Ils seront les premiers à piller. « Je porte sur l’épaule la marque de la servitude », dit Fortescue. Voilà un mot qui n’est pas militaire. Dickson disait à Mme de Raymond : « Ce Champain était une vieille femme ». Et, parlant de lui, il ne l’appelait que la vieille femme. La fille de Šo‘â os-Saltana va épouser le Vali’ahd205. Élevée en Belgique, elle apprend de nouveau le persan, qu’elle a oublié et qu’elle ne sait pas lire. Une femme mariée ne doit pas prendre {142b} des leçons, aussi se hâte-t-elle. – Trente-neuf députés ont protesté auprès du shah, exprimant leur désir de voir s’ouvrir le Parlement et leur intention de voter contre l’Accord de Vosuq od-Dowla. Parmi les signataires Sardâr Mo‘azzam, Samsâm od-Dowla206, Amir A‘lam. Certains voient un piège dans cette adresse, un moyen de réunir le Parlement. On parle d’une nouvelle combinaison Sepahdâr. Moshir od-Dowla s’emploierait à réconcilier les Kâshis avec lui. Mais aussi maintenant serait partisan de la réunion du Parlement. Ce qu’on reproche surtout à Dickson à Londres, c’est d’avoir créé à grands frais la route de Seistan – Mašhad qui aujourd’hui constitue un chemin de pénétration vers les Indes, pour une invasion russe. Dickson aura à répondre à Londres de cette route qui a coûté plus de 100 000 livres sterling. Ce sont ces dépenses excessives qui ont épouvanté le Parlement anglais, et l’ont dégoûté de la Perse. Aujourd’hui il faudrait une armée nationale persane, mais Firuz que j’interroge à ce sujet me dit que les officiers actuels n’ont pas assez de prestige, les vieux sont usés et les jeunes n’ont pas d’autorité. Il suffirait de la leur donner. On la donne bien à un ex-palefrenier comme Huddleston. Un ancien élève de nos Écoles militaires {143a} ne lui est-il pas supérieur ? Les Anglais organiseraient d’ici un mois un choulouk que je n’en serais pas surpris. Ils voudraient entraîner toutes les colonies européennes et le shah à 205  Mohammad-Hasan Mirzâ Qâjâr « Vali-‘Ahd » (successeur désigné), deuxième fils de Mohammad-‘Ali Shâh (1899-1943). Malek Mansur Mirzâ Qâjâr « Sho‘â os-Saltana » (1880-1921), frère de Mohammad-‘Ali Shâh, est donc son oncle. Sur ce mariage, voir H. Hoppenot, 18 février 1921. 206  Samsâm od-Dowla est probablement une erreur pour Samsâm od-Saltana.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

261

Ispahan ou à Chiraz. On abandonnerait momentanément le nord de la Perse à l’anarchie. 14 février 1921 Chasse avec le prince Mohammad-Hoseyn [Farmân-Farmâ]. Il me dit l’erreur des Anglais : vouloir coloniser la Perse. Lourde faute. Il fallait l’aider, s’allier avec elle, ne pas l’effaroucher. Les Anglais traitent mal les Persans, les sousofficiers anglais les injurient. Les Persans ne sont pas une race d’esclaves. Ils ont absorbé tous leurs dominateurs. Les spr ont mal commencé. On laissa pleins pouvoirs à Sykes, qui n’est pas intelligent. Il demanda d’abord des musiciens. Il accepta toute la gendarmerie suédoise en bloc dans les spr. Le résultat fut un mécontentement terrible des troupes contre leurs chefs et une révolte des tribus qui cernèrent la ville de Chiraz, coupèrent l’eau et mirent Sykes et ses officiers en très mauvaise posture. Mais Farmân-Farmâ intervint, fit appel à ses tribus fidèles et délivra les Anglais. Ceux-ci prétendaient agir en maîtres, sans passer par le gouverneur. On pourrait avec les tribus organiser une cavalerie mobile analogue à ce que faisaient les Russes avec les Cosaques. {143b} Visite au général Dickson. Il part dans quinze jours. Sa mission ne sera pas remplacée. Il va en Angleterre, il vient d’être mis à la retraite : les officiers qui n’ont pas fait la guerre en France son mal vus. Il écrira un livre : une année de comédie tragique en Perse207. Il annonce après lui des catastrophes. Après le départ des troupes anglaises ce sera l’enfer à Téhéran. Selon lui c’est sir Percy Cox qui par sa politique autoritaire a tout gâté. Il a agi comme s’il avait derrière lui un gouvernement autocrate tandis qu’il avait derrière lui un gouvernement libéral. Son coup de force a échoué. Il a donné l’impression qu’il voulait mettre la Perse en tutelle. Ce que voulait Dickson, aider la Perse à créer une armée, faire de la Perse un pays indépendant, capable de se défendre lui-même. Mais l’Angleterre n’avait aucun intérêt à reculer sa frontière au bord jusqu’à la Caspienne. Les déserts la défendaient fort bien. Mais l’Angleterre avait intérêt à maintenir l’Afghanistan dans sa sauvagerie pour décourager les envahisseurs. Le meilleur bouclier, c’est le désert (a dit Napoléon). {144}  

207  Ce livre n’a jamais été publié . . . 

262

georges ducrocq, journal de perse

Dîner Général Dickson 5 mars   Wickham   M. Ducrocq Fortescue Steal Gleerup Smyth Mansur [os-Saltana] Lundberg Huddlestone Lamont Lady Cox Vosuq Dickson Mme MacMurray Ministre de la guerre Sir Percy Mme Ducrocq Mr Hunter Mr MacMurray Moens Colonel Fraser Hunter    Capitaine Lardtone [ ?] {145a} Dickson a reçu des chefs nationalistes, Mostowfi ol-Mamâlek, Mošir od-Dowla, des témoignages de sympathie qui l’ont beaucoup touché, rien des FarmânFarmâ, prêts à vendre leur pays au plus offrant. Le colonel Saunders est nommé attaché militaire. J’ai la preuve de la manœuvre anglaise. Le général Dickson m’a dit que les Anglais espéraient que l’inquiétude, la crainte des bolcheviques forcerait les Persans à signer l’Accord. Maintenant il est trop tard. Les Persans sont finis. S’ils signaient encore maintenant l’Accord, le gouvernement donnerait un contreordre et laisserait les troupes mais il ne peut les laisser contre la volonté des Persans. Il a ajouté que Armitage-Smith avait fait obtenir au Gouvernement persan près d’un million de [£208] de la Compagnie des pétroles qui n’en voulait donner que 300 000 et réclamait 275 000 de dommages pour la guerre. Ce million, distribué par morceaux, avait pour but de permettre au gouvernement persan de réfléchir, de se ressaisir et de voter l’Accord. Il fallait amener l’opinion persane à la nécessité de l’Accord – sans que le gouvernement anglais ait à débourser. Mais ce crédit touche à sa fin. Livrés à eux-mêmes, les Persans seront sans ressources. La révolution est fatale. C’est dans ce dilemme que l’on a voulu enfermer la Perse. Si l’on n’organise rien en ce moment, c’est qu’il faut la laisser démunie en face de l’anarchie. {145b}

208  Barré, peut-être s’agit-il de tomans ?

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

263

16 février 1921 Excellente conférence hier du Dr Wilhelm sur Pasteur. Très petit public. Pas de ministres. L’Alliance française est un lieu compromettant. Temps affreux : pluie et neige. Lu La Traversée de Capus209. Ces pièces parisiennes ont le don de me donner envie de ne jamais retourner en France. Quel infect marécage que ce monde parisien, celui qu’on vous montre au théâtre. On parle d’un ministère Sepahdâr. Les officiers russes, expulsés de Perse, sont en panne à Bagdad – Bassorah. Le gouvernement anglais refuse de les transporter plus loin, après leur avoir fait les plus belles promesses pour les faire partir. On croit maintenant que des tumultes éclateront d’ici un mois et que le shah partira avec les Anglais. {146a} Le prince Mohammad-Hoseyn Mirza [Farmâm-Farmâ] me dit que les Persans n’ont pas le sens de l’honneur. Les décorations, les galons leur sont bien indifférents. On les force à marcher pour l’appétit du butin et pour le prestige qui s’attache aux yeux du peuple aux grandes familles persanes. Un Lor ne peut obtenir une fille s’il n’a au préalable tué un homme. Le général Dickson me dit que si l’Angleterre se trouvait en présence d’un vote du Parlement persan, elle serait, comme pour la Belgique, en présence d’une promesse et serait forcée d’intervenir, liée par sa parole, et de défendre la Perse. – Les cigognes sont sacrées à Šâh ‘Abd ol-‘Azim. On y respecte leurs nids ; (laklak, la cigogne). Même culte que dans la vieille Alsace. Hier thé au Club. Ce club me fait l’effet d’une cloche pneumatique où l’on cesse de respirer. Le cerveau se vide immédiatement au contact des Anglais qui ne disent absolument rien, rien, rien. La pauvreté de conversation et l’impolitesse des jeunes gens anglais est quelque chose d’inconcevable. Jamais il ne saluent une femme dans un salon. C’est une chose qu’on ne leur a pas apprise. Ils dansent correctement. Ils n’ont plus aucune idée de la courtoisie. Le presbytérianisme a gâté toute sociabilité. {146b} Roland arrive d’Ispahan. Il dit que le bolchevisme est attendu, qu’il est fatal, que les grands propriétaires y passeront, et que les chefs Bakhtiyari eux-mêmes y succomberont. La Perse, artificiellement constituée en État moderne depuis la Révolution, va passer de la féodalité à une forme plus socialiste. Les grandes fortunes, les rares personnages qui détiennent tout le pouvoir 209  Alfred Capus (1858–1923), La Traversée, comédie en 3 actes. [Paris, Comédie Marigny, 28 octobre 1920.]

264

georges ducrocq, journal de perse

sont menacés. Appuyés sur les Bolcheviks, les Persans vont faire de la démagogie. Je crois d’ailleurs que cela sera de courte durée. Car ce peuple aime à avoir des chefs, ne fût-ce que pour les critiquer. Il y a un journal féministe à Ispahan et les Anglais l’accusent de le soutenir. La mission anglicane est assez hostile à Roland. Le consul, Crow, est un homme peu actif, pas impérialiste, alors que son prédécesseur, le colonel Haig, l’était. C’est lui qui entretenait d’excellentes relations avec les brigands, qui faisait attaquer Sardâr Zafar et piller ses bagages pour bien montrer que l’insécurité régnait dans la province, que le gouverneur était incapable de maintenir l’ordre. Les Anglais jouent à ce jeu depuis longtemps. Ils maintiennent en Perse un état d’insécurité qui justifie leur présence et leur tutelle. {147a} 21 février 1921 Hier, dimanche, en revenant d’une promenade à cheval vers Šâh ‘Abd ol-‘Azim, à 5h30 du soir, je suis allé rendre visite au Sepahdâr A’zam, président du conseil, pour le féliciter de la formation du nouveau cabinet. Je l’ai trouvé très soucieux. Une nouvelle venait d’arriver à la Présidence. Deux mille cinq cents cosaques marchaient sur Téhéran. Ils étaient partis de Qazvin, ils étaient à quelques kilomètres de Téhéran. On ignorait si l’on se trouvait en présence d’un parti de soldats mécontents ou devant des bandes révolutionnaires. Une commission avait été envoyée à 5h composée du colonel Haig, du secrétaire de Sa majesté et du secrétaire du Sepahdâr pour parlementer avec les mutins. Elle venait de revenir. Je priais Ziyâ[-Homâyun] de me tenir au courant des événements et je courus à la légation de France. Hoppenot était sorti, il était chez Norman. J’allai à la légation de Belgique et j’attendis le ministre de Belgique. Il avait fait une promenade de 3h à 6h, dans la campagne, avec Norman. Celui-ci lui avait parlé d’un parti de 200 soldats sur la route de Qazvin qui aurait arrêté une auto de Firuz. Il n’en savait pas plus long, disait-il. J’avais été frappé de l’attitude du général Dickson, au dîner de samedi au Club. Je n’avais pas pu en tirer un mot. Quand je lui déclarai qu’une commission mixte russo-persane-anglaise se réunirait pour contrôler et {147b} surveiller la mise à exécution du plan d’évacuation, il s’était récrié, disant que cela était une invention. Or Norman l’avait annoncé à Hoppenot et à Raymond. Haig était absent, Wickham un peu pompette, Dickson taciturne et impénétrable. Ni Westdahl ni Bjurling ni Haig n’étaient venus. Norman avait prié le soir Raymond de l’accompagner dans sa promenade du lendemain, chose tout à fait normale. De cette manière, absent toute l’après-midi, Norman n’avait pas à répondre aux invitations pressantes du shah de venir à Farahâbâd. Quand le prince Firuz apprit ces événements, il se rendit à la légation d’Angleterre, il n’y

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

265

trouva ni Norman, ni Haig, ni Havard. Affolé, il vint prévenir Hoppenot de ce qui allait se passer et lui exprima ses craintes. En ma présence il téléphona à M. de Raymond que la situation était considérée comme perdue et qu’il avait été décidé de ne pas envoyer de troupes à la rencontre des mutins pour éviter de les exaspérer par un combat où les gendarmes étaient sûrs d’avance d’avoir le dessous. Raymond voulut aller de suite trouver Norman. Il le surprit à table. Il était très calme, presque {148a} souriant. Il déclara avoir été surpris par l’événement qu’il ignorait dans l’après-midi. À Raymond qui lui disait : tout le monde assure à Téhéran parmi les Persans que ce mouvement était organisé par la légation d’Angleterre, il jura qu’il y était complètement étranger. J’allai voir Hoppenot à la Légation de France. Je le trouvai très gai, très rassuré, convaincu que tout se passerait bien, disposé à dormir. Une nouvelle commission, composée de Huddleston et de Haig, était retournée vers les mutins qui se seraient avancés encore plus près de la ville. On espérait les calmer avec de l’or, on formait le projet de laisser entrer à Téhéran les Cosaques ayant leur famille en ville. On comptait désarmer les autres. Le mouvement était dirigé par un colonel Rezâ Khan, ancien collaborateur de Starosselsky dans le coup d’État qui le mit à la tête de la division des Cosaques. Les Cosaques devaient, disait-on, venir à Téhéran depuis longtemps. Il était question de relever de mauvais éléments indisciplinés de Téhéran par ceux de Qazvin qui étaient meilleurs. C’est cette opération de relève qui s’était transformée en route en marche révolutionnaire sur la capitale. On avait envoyé leur chef Sardâr Homâyun parlementer avec eux sans succès. Les mutins avaient avec eux canons et mitrailleuses. {148b} Je retournai chez moi et je dînai. À dix heures et demie du soir le docteur Wilhelm, sa femme un peu pâle et le Dr Roland vinrent me voir. Le docteur, se promenant à cheval avec sa femme sur la route de Qazvin, était tombé dans le groupe des Cosaques, [ils] avaient été faits prisonniers, gardés, malgré les protestations du docteur, jusqu’à 8 heures du soir. Le colonel, Rezâ Khan, avait menacé le docteur de le faire emprisonner. Mas’ud Khan était intervenu et avait fait relâcher le docteur et sa femme, en leur faisant promettre de ne rien dire à personne de ce qu’ils avaient vu. Le docteur avait dit qu’il avertirait la Légation. Rien qu’elle, avait dit Mas’ud Khan. Toute personne aperçue à l’horizon était arrêtée. Il y avait des femmes persanes assises au bord de la route. Le consul anglais Stevens avec sa belle-sœur Mme Rosenthal, étaient dans la situation des Wilhelm. Wilhelm n’ayant trouvé personne à la Légation, vint m’annoncer ces événements. Il estimait la force à 1 500 hommes, très bien armés.

266

georges ducrocq, journal de perse

En les quittant Rezâ Khan avait dit Xodâ hâfez à Mr Wilhelm, baisé la main de Mme Wilhelm et dit au consul Stevens, {149a} également relâché : Marhamat-e šoma ziyâd (vous êtes trop bon)210. Les Wilhelm, dans leur cabriolet, tenant une lanterne à la main, s’en retournèrent à leur logis. À deux heures la fusillade se déclenchait. Elle fut suivie de quatre ou cinq coups de canon, de bruits de mortier et de bombes, puis d’une fusillade intermittente qui dura jusque quatre heures du matin. Nous apprîmes le matin que les Cosaques étaient entrés par deux portes différentes, celle de Darvâza-ye Qazvin et celle de Šâh ‘Abd ol-‘Azim, que la Brigade centrale n’avait fait contre eux aucune résistance, pas plus que les gendarmes. J’avais remarqué hier soir que la porte de Yusof-Âbâd n’était même pas gardée. Un poste s’était établi au petit pont devant notre maison à minuit. Il avait disparu à 3h et demie du matin. Les Cosaques étaient entrés au son de leur hymne national. (Wilhelm nous disait qu’une proclamation leur avait été lue et qu’ils l’avaient acclamée par des hourrahs.) La police seule avait fait quelque résistance. Les policiers sur le toit avaient tiré. Les Cosaques avaient pris le siège central de la police et destitué les Suédois. Ils avaient pris le siège central de la Gendarmerie. Tous les commissariats de police étaient occupés. Une garde de Cosaques avait été mise {149b} aux Légations, aux portes. Plusieurs hommes avaient été blessés, un tué à la Police. Ce matin les arrestations commençaient. Voici les noms des principaux personnages arrêtés : [‘Abd ol-Hoseyn] Farmân-Farmâ, Sepahsâlâr, Amir A‘lam, Hâjji Mohtašam os-Saltana, Momtâz ol-Molk, chef démocrate anti-anglais, Seyyed Hasan Modarres, chef démocrate antianglais, un des chefs du clergé, bolchevik notoire, Samsâm os-Saltana, Sardâr Zafar, Mirzâ Hoseyn, un mollâ influent anti-anglais, Hâjji Mo‘in [ot-Tojjâr ?] grand marchand rašti, un des hommes les plus influents du Bâzâr, Hadji Mo’in [ot-Tojjâr] Bušehri, un des chefs du Bâzâr, exilé à Kâšân par Vosuq od-Dowla, Mostašâr od-Dowla, en somme tous les Kâšâni sauf Momtâz od-Dowla, Vahid ol-Molk, Nâser od-Dowla. Dans ces arrestations, pêle-mêle, on distingue un désir d’égarer l’opinion. Les anglophiles sont arrêtés comme les anglophobes, mais il y a plus de ces derniers, de ceux qui pouvaient tourner la Révolution à leur profit. Les gens riches auraient été simplement arrêtés pour être taillés et rançonnés. Le nouveau gouvernement trouverait ainsi ses ressources pour vivre. Le major Mas‘ud Khân, rendant visite ce {150a} matin aux légations, leur a assuré que le gouvernement de Rezâ Khan respecterait les étrangers, qu’il 210  Ducrocq a écrit « Mahramat choma astam (je vous suis tout dévoué) » . . . La version proposée est plus probable. (yr).

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

267

demandait simplement aux légations de ne pas recevoir de Persans. À quoi ni Hoppenot ni Raymond n’ont souscrit, déclarant que le droit d’asile s’y opposait. Hoppenot a dit qu’il ne donnerait pas le bast à une foule mais qu’il accueillerait les isolés. Le Sepahsâlâr est en liberté. Les révolutionnaires négocient avec le shah. Le Vali’ahd s’est enfui à [Farahâbâd] au premier coup de canon. Le prince Firuz n’est pas arrêté. À une question de Hoppenot demandant pour qui le coup d’État était fait, Mas‘ud a répondu : je ne puis vous répondre. Vous le saurez bientôt. On dit que la dictature serait prise par Seyyed Ziyâ od-Din, c’est à dire l’homme des Anglais. Les Cosaques ont marché par mécontentement contre Sardâr Homâyun. Les nationalistes ont marché pour un pronunciamiento patriote. Il n’est pas sûr que les Anglais n’utilisent ce mouvement pour réunir le Majles et faire voter l’Accord. Il est bien difficile d’admettre qu’une troupe avec canons et mitrailleuses ait pu quitter Qazvin et cheminer trois jours sans que la Brigade de Qazvin ait rien fait pour l’inquiéter, quand elle a bien su arrêter le colonel Hâdi Khân qui marchait sur Téhéran pour Starosselsky en Octobre. {150b} 22 février 1921 Hier matin Mas‘ud Khân et [Kâzem] Khân211, beau-frère de Manučehr, sont venus trouver Hoppenot. Ils lui ont dit que les Français seraient respectés, qu’il demandait simplement que la Légation n’accueille pas les Persans. Pour l’empêcher, une garde cosaque a été mise à la porte de chaque légation. Elle interdit l’entrée du lieu d’asile à tous les Persans. Les légations ont tort de supporter cela. C’est la négation de l’extra-territorialité. Le ministre d’Angleterre s’en prétend lui-même victime ; il doit, dit-il, aller au-devant des Persans pour les recevoir. J’apprends aujourd’hui que les conjurés Ziyâ od-Din, Rezâ Khan, Mas’ud Khan et Kâzem Khân ont mis le colonel Smyth dans la confidence. Celui-ci a laissé partir les Cosaques, il leur a fait verser de l’argent. Ils étaient très richement payés. À Mehrâbâd une distribution d’argent (10 tomans par homme) a été faite. À Téhéran hier matin un chèque de 1 000 tomans a été retiré de la Banque et distribué aux hommes. Le général Ironside aurait été l’auteur du plan avec Ziyâ od-Din. Maintenant qu’ils tiennent leur gouvernement {151a} fort, les anglais vont faire passer l’Accord ou un accord analogue. Aussi jubile-t-on à la légation 211  Kâzem Xân Sayyâh.

268

georges ducrocq, journal de perse

d’Angleterre. Dickson est ravi. Havard aussi. Le ministre déclare que les événements pourraient tourner en faveur de l’Angleterre. Mais attendons la fin. Ziyâ od-Din fait aujourd’hui une proclamation ou plus exactement Rezâ Khan qui la signe. L’état de siège est proclamé, la circulation interdite à partir de 8 heures du soir, attroupements de plus de trois personnes interdits, réunions et meetings défendus. Rezâ Khan déclare qu’il veut sauver son pays des intrigants, de ceux qui le pillent. Un ministère serait composé : Ziyâ od-Din, président ; Mošâr ol-Molk ; Jalil ol-Molk ; Vahid ol-Molk ; Sardar Mo’azzam ; le frère du gouverneur bolchevik de Rašt. Cependant les arrestations continuent. Cent hier. Cent aujourd’hui. Les prisons sont pleines. On arrête à la fois les riches propriétaires, comme FarmânFarmâ, Nosrat od-Dowla, Salar Laškar, Sepahsâlâr, ‘Eyn od-Dowla pour les taxer et les chefs démocrates et bolcheviks Modarres, Emâm-jom’a Xo’i, Hâjji Mohtašam os-Saltana, Momtâz ol-Molk, Mostašâr od-Dowla. On n’a pas touché aux Bakhtyaris. 50 voitures et automobiles ont été réquisitionnées. Il est {151b} question d’exiler une partie des chefs de l’opposition et des Bolcheviks, de tous les plus remuants qui peuvent s’opposer au gouvernement provisoire. On en pendrait quelques uns. On tirerait des riches 10 000 000 de tomans. Rezâ Khan jouit d’un grand empire sur ses troupes. Le danger est que les chefs soient débordés par leurs troupes. Nous sommes à la merci d’une étincelle, d’une algarade entre Cosaques et Gendarmes, comme celle qui a failli éclater hier, à la suite de coups de révolver échangés entre le capitaine Lassen et les Cosaques. Ceux-ci ont poursuivi Lassen et Harvidson [ ?] chez Fazlollâh Khan et la fusillade a été évitée à grand peine. J’ai appris de source sûre aujourd’hui que les Gendarmes avaient reçu l’ordre de ne pas combattre. Ils ne sont même pas sortis, ils sont restés casernés. La Brigade Centrale est sortie et s’est enfuie immédiatement, abandonnant ses canons. Gleerup est venu trouver les conjurés et leur a dit qu’il n’était pas leur ennemi. Il a été maintenu à son poste. Westdahl aussi comme indicateur de la police, {152a} qui arrête les grands personnages. La terreur va régner. À la faveur de ce régime dont nous ne pouvons avertir nos gouvernements puisque le télégraphe fonctionne en apparence, nos dépêches étant retardées, les Anglais espèrent soumettre les Persans. Ils se trompent. Ceux-ci les duperont une fois de plus. Les mensonges de Norman : il ignorait tout dimanche. Or samedi Gleerup était prévenu. Westdahl n’était pas à la police le dimanche soir. Lundberg qui devait partir n’était pas parti et la défense de la porte de Qazvin lui était confiée. Le ministre de la guerre voulait que l’on défendît les portes de la ville : ses plans

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

269

avaient été désertés le samedi. Le président du Conseil voulait qu’on mît la ville en défense mais les Gendarmes ne voulaient pas se battre. Gendarmes et brigade centrale avaient reçu ordre de ne pas résister. 23 février 1921 Une garde cosaque est aux portes de la Légation et empêche les Persans de s’y réfugier. De nouvelles arrestations ont eu lieu, Mostowfi ol-Mamâlek, arrêté à la chasse à Jâjerud. On a arrêté à la mosquée Šâh ‘Abd ol-‘Azim. On a arrêté dans la mosquée Sepahsâlâr Modarres qui s’y était réfugié. Les conjurés continuent à déclarer qu’ils agissent pour le bien du pays mais le rayonnement de la {152b} légation d’Angleterre est manifeste. C’est eux qui ont préparé le coup. Ils en ont profité. Personne ne parle cependant de réunir le Parlement et de voter l’Accord. Une proclamation de Rezâ Khan placardée hier dit que les Cosaques, héros de la Perse, ont été indignement trahis au Gilân, obligés de se battre contre des forces supérieures, mieux armées – sans souliers, sans vêtements, sans nourriture. Ils ont fait leur devoir. Ils ont été trahis par leurs officiers et par les intrigants de la politique intérieure qui ne songeaient à Téhéran qu’à leurs intérêts tandis qu’ils versaient leur sang pour leur pays. Ils sont forcés de se venger et reviennent à Téhéran. Ils veulent un gouvernement qui soulage les pauvres, qui ne dilapide pas les deniers de l’État, qui n’obéisse pas aux intrigues étrangères etc. – qui constitue immédiatement une armée forte. Chose remarquable : il n’est question dans cette proclamation que de patriotisme, pas du tout de religion. La facture est d’un bon style, qui tranche avec les harangues papelardes du Sepahdâr ou mosaïques de Vosuq od-Dowla. En même temps un arrêté décrète l’état de {153a} siège, le dispersement des attroupements, les rues désertes à partir de 8 heures, la fermeture jusqu’à nouvel ordre de toutes les administrations. Modir ol-Molk, arrêté 2 heures, a dû signer comme trésorier général un bon de 100 000 tomans aux dictateurs. Habibollâh Khan avait été durant la nuit du 20 au 21 caserné à Bâq-e Šâh avec ordre de n’en pas bouger. 25 février 1921 La situation s’éclaire. Un parti militaire, patriote, composé d’officiers résolus à supprimer les politiciens, a fait le coup. Il a pris Ziyâ od-Din comme chef politique, parce qu’il en fallait un et que des hommes de main ne peuvent pas s’imposer à la foule comme chefs politiques du premier coup mais il faut un

270

georges ducrocq, journal de perse

intermédiaire avec les légations. Le maître de l’heure est Rezâ Khan. Ziyâ odDin ne peut s’écarter de la ligne de conduite qui lui a été tracée. Ou il le paiera. Le but du nouveau gouvernement est de renforcer l’armée, de signer un accord avec les bolcheviks, un accord avec les anglais, mais un autre, de faire à toutes les puissances la part égale, d’appeler des conseillers de tous les pays. Les conjurés entendent faire régner l’ordre par la force et s’opposer par la force à tous les ennemis du pays. {153b} Que l’Angleterre ait été au courant du coup, qu’elle espère en tirer profit, cela est hors de doute. Le colonel Smyth savait l’événement, il l’a encouragé, il a donné l’argent aux troupes (il est vrai qu’il prétend ne leur avoir payé que l’arriéré) mais je sais de source sûre qu’il était au courant. Ainsi s’explique la démarche qu’il a faite auprès de moi il y a dix jours. Le général Ironside a sans doute été mis au courant. Il est venu mercredi à Téhéran, il est parti jeudi pour Bagdad. La garnison de Qazvin n’a rien tenté pour arrêter le départ des troupes. M. Norman affirme qu’il ignorait tout. C’est possible, mais bien extraordinaire. Hier 24, fête de la Constitution, il y avait réunion au Parlement. Nous y avons été, sauf Raymond. Aucun membre du Gouvernement ne s’y trouvait. Le corps diplomatique était reçu par le questeur de la Chambre. Aucun représentant du shah n’était là. Après cette cérémonie il y avait réception à la Kazak Khaneh. Le ministre d’Angleterre s’y est rendu, le ministre d’Amérique, ceux d’Afghanistan, {154a} d’Arménie, les chargés d’affaires d’Allemagne et de Turquie. Nous n’y avons pas été. La précipitation du ministre d’Angleterre à reconnaître un gouvernement qui se prétend nationaliste, qui prend une ville de force en la canonnant, qui impose aux légations des gardes cosaques qui empêchent tous les Persans d’en franchir le seuil, est assez étrange. Si le ministre s’était senti atteint par cette révolution, il n’aurait pas mis tant d’empressement à la reconnaître. En même temps qu’elle est rassurée, l’Angleterre continue à semer la panique pour nous faire partir. Elle entretient Raymond dans la crainte du choulouk. Elle fait craindre à Hoppenot des mains bolcheviks. Elle annonce pour aujourd’hui des troubles. Le but est de nous faire partir. Cependant le nouveau gouvernement nous traite avec égards et Rezâ Khan, que j’ai vu hier, m’a parlé en termes très amicaux ; il a déclaré vouloir entretenir des relations très amicales avec toutes les légations. Raymond, lui, est révolté de l’allure révolutionnaire du gouvernement persan et se tient sur une prudente réserve. Il s’étonne que dans les circonstances actuelles il n’y ait pas eu encore de réunion du corps diplomatique. Caldwell,

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

271

doyen du corps diplomatique, ne la provoque pas. Il ne songe qu’à évacuer sa femme et ses tapis dans les autos britanniques. {154b} La question est de savoir qui sera le plus fort de la Légation d’Angleterre ou des conjurés, en admettant que ceux-ci soient indépendants. Les troupes anglaises n’interviendront pas, elles n’en ont pas le droit, à Téhéran. Le bruit continue à courir que les Anglais ont fait le coup. Les députés sont très mécontents de la présence de Caldwell à la Kazak Khaneh. Il se peut que la révolte éclate aujourd’hui contre le nouveau gouvernement, avant qu’il n’ait formé son ministère (pour lequel on parle de Bahâ ol-Molk, de Modir ol-Molk. 26 février 1921 Hier matin visite à la Légation de Mas’ud Khan. Envoyé par Ziyâ od-Din qui demande à Hoppenot des conseils sur la formation du nouveau cabinet, les noms qu’il recommande ; il est question de Modir ol-Molk pour les affaires étrangères, d’‘Isâ Khân pour la justice, de Mas’ud Khan pour la Guerre. Le Seyyed [Ziyâ] veut faire des réformes capitales, faire appel à des conseillers français pour la justice, tenir la balance égale entre toutes les puissances ; il veut supprimer les deux mille parasites du ministère des Finances, réformer celui de la Justice. {155a} Il demande à Hoppenot de consentir au renvoi de Perny. Hoppenot refuse avec raison de lui donner ce gage. Il défend Perny, dit sa grosse situation à Paris. Il recommande comme ministres Nasr ol-Molk et Fahim od-Dowla mais Mas‘ud les trouve trop anglophiles. Il met son veto à Vahid ol-Molk et à Jalil ol-Molk et Mas‘ud lui promet qu’on ne les prendra pas. C’est une grande nouveauté de consulter la légation de France en ces matières. L’après-midi Hoppenot voit le Seyyed et obtient de lui des assurances formelles que les contrats avec les Français seront respectés. Raymond est furieux de la tournure que prennent les choses, tous ses amis du club impérial enfermés, Firuz emprisonné, un gouvernement démocratique, cela ne lui plaît pas. Le P. Chatelet voudrait faire relâcher Mohtašam os-Saltana, qu’il ne juge pas un malhonnête homme, malgré la réputation que lui a faite M. Lecomte, M. Saugon, le P. Franssen. Selon lui, Mohtašam es-Saltana, étant gouverneur d’Urmia, a sauvé à diverses reprises des chrétiens et la mission le considérait comme un ami. Farâmarz, qui appartenait au groupe révolutionnaire arménien, l’arrêta à {155b} Urmia. Mohtašam fit preuve d’une grande dignité en cette circonstance ; revenu ensuite à Urmia, il laissa échapper Farâmarz que la foule voulait tuer et que le P. Chatelet sauva du massacre. Selon le P. Chatelet, les Jelo sont de vrais brigands, égaux des Kurdes. Les Chaldéens de la plaine

272

georges ducrocq, journal de perse

sont bons cultivateurs, mais le P. Franssen dit que ces gens de Khosrova sont vénaux, se convertissent par esprit de lucre. Il raconte que les filles de Xo’y (600 [ ?]) et d’Urmia (200) emmenées en captivité par les Kurdes et les Turcs, étaient par ses soins rachetées et ramenées à Tauris. Au bout de 15 jours elles s’enfuyaient chez les Turcs. Le vieil ‘Eyn od-Dowla, qui est prince du sang, est en prison. Pour lui, Mohtašam et pour Farmân-Farmâ le P. Chatelet voudrait qu’on intervînt. Mais Hoppenot ne veut intervenir pour personne. Mahdi Khan qui vient demander le bast à la Légation de France est un ami intime de Dickson. Je le renvoie à Dickson. Vous ne le reconnaissez pas, me dit son frère. Je me rappelle que ce Mahdi Khân a toujours marché dans le sillon de Dickson et des Anglais de la Compagnie {156a} quand Riazi soutenait, seul, le parti persan. La question de bast est très discutable. Peut-on tolérer l’intrusion des puissances étrangères dans la politique intérieure ? Peut-on admettre que des réfugiés fassent de chaque légation un foyer d’intrigue contre le pouvoir établi ? Aujourd’hui réception du corps diplomatique par le Seyyed Ziyâ od-Din. Tous les ministres y sont, sauf le chargé d’affaires turc. Le Seyyed me dit qu’il sait que j’ai toujours encouragé le patriotisme des jeunes officiers persans, ses collaborateurs. Je lui dis que je leur ai toujours témoigné la sympathie que méritent des éléments sains dans une nation comme la Perse. Il dit plaisamment à Fortescue qu’il peut écrire un nouveau chapitre de l’histoire de Perse. Son attitude est correcte envers toutes les puissances. Le soir paraît son programme politique : il dénonce l’Accord anglo-persan de 1919. Reste une dernière hypothèse. Nous avons affaire à des nationalistes convaincus ou à des provocateurs, qui, en dénonçant l’Accord, vont attirer les foudres de l’Angleterre. Mais j’en doute. Et je crois que par ce moyen l’Angleterre trouve la porte de sortie qu’elle cherchait. Norman, talonné par Londres pour signer l’Accord, s’en tire élégamment. {156b} 27 février 1921 Aliette est convaincue du danger d’assassinat politique. Nous marchons, la chose est certaine, vers un choulouk. Les Anglais ont fait le coup de main des cosaques. On affirme qu’ils l’ont préparé et payé et que Ironside en est l’auteur. Il se peut que la légation d’Angleterre n’en ait rien su mais cela est bien invraisemblable. Le but était de décapiter le pays de tous ses hommes politiques. Le Seyyed déclare qu’il repousse l’Accord anglo-persan mais il a l’intention d’en conclure

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

273

un autre et d’appeler immédiatement des officiers anglais. À la France il donne la Justice comme un chou à la crème. Les Cosaques n’accepteront pas les officiers anglais et se révolteront. Ou bien les partisans des grands personnages arrêtés se coaliseront, des millions de gens les soutiennent et vivent d’eux. Alors dans quelques semaines il y aura massacre des Cosaques, révolution intérieure, peut-être même quelques meurtres d’Européens. Les troupes anglaises interviendront, resteront en Perse, le général Ironside sera nommé dictateur. Norman sautera bien entendu. Tel serait le plan dans lequel nos St-Cyriens patriotes seraient dupés. {157a} Telle est la version qui circule dans le monde des hommes politiques arrêtés. Nous verrons bien. Il faut pour l’instant se tenir sur ses gardes. Le colonel Haig est venu le jour du coup d’État dire à la belle madame Lassen : « Ne vous inquiétez pas, c’est un jeu anglais. » Comme elle est très sotte, elle l’a répété. Les Cosaques sont entrés en chantant leurs airs de marche. Tout en chantant, obéissant à des ordres précis, ils détachaient sur leur chemin des postes. En un clin d’œil la ville fut occupée. Bjurling était chez lui. Il avait fait sa tournée de commissariats le soir et donné ordre à ses hommes de se défendre. Les commissariats furent assiégés l’un après l’autre. Là des policiers furent blessés grièvement par des balles dum dum212. Cinquante cosaques envahirent la police et firent prisonnier Bjurling. Ils commencèrent immédiatement à piller la caisse, à détruire le mobilier. Bjurling profita d’un moment d’inattention de ses gardiens pour s’enfuir par une porte dérobée : il fut criblé de 20 balles qui heureusement ne le touchèrent pas. Wesdahl qui par un coup de téléphone l’avait envoyé au danger resta tranquillement chez lui. Gleerup et Lundberg, au {157b} lieu de défendre la ville reconduisaient Mme Lassen chez elle. Comme Bjurling, le lendemain, reprochait à ses camarades de ne pas l’avoir prévenu, le général Westdahl et le colonel Gleerup donnèrent leur parole d’honneur qu’ils ne savaient rien de la conjuration. Mais Westdahl [rougit] fortement en donnant sa parole d’honneur. Or Gleerup, toute la journée du samedi, examine les moyens de faire face à l’attaque et se résolut le dimanche soir, malgré les coups de téléphone désespérés du shah, à ne pas résister. Il s’en alla tranquillement dîner chez les Toumaniantz. Les Suédois ont donc failli faire tuer Bjurling, qui est le plus sympathique de tous. Soldat loyal, il a fait son devoir. – Nous sommes les serviteurs respectueux de sa Majesté, a déclaré Mas‘ud Khan à Hoppenot, à condition qu’elle se soumette à nos directives. 212  Balles qui, en éclatant au contact de la cible, font plus de dégâts qu’une balle de plomb.

274

georges ducrocq, journal de perse

Pour Loqmân ol-Molk des désordres éclateront dans quelques jours (15 jours), provoqués par les partisans des prisonniers. Le shah joue son trône. {158a} Les Israélites ont inventé les instruments de cuivre, la trompette de Jéricho. C’est une race qui a toujours ainsi fait du bruit dans le monde, par ses prophètes ou ses dramaturges. Ils ont le sens du théâtre. À qui fera-t-on croire que, lorsque le moindre Bolchevik venant de Qazvin à Téhéran mettait en mouvement toute la police de Téhéran, 3 000 hommes armés, avec canons et mitrailleuses aient pu quitter Qazvin sans inquiéter les autorités militaires anglaises. Les Anglais affectent d’être victimes des vexations des Cosaques, de ne pouvoir sortir de la ville, d’avoir leurs voitures arrêtées. Tout ceci a pour but de donner le change. Caldwell ne part plus, ce qui ennuie beaucoup les Anglais. 28 février 1921 Perny est persuadé que le coup de force est anglais. C’est aussi l’opinion de Mošir od-Dowla. Perny est menacé de sauter parce qu’il a fait, sous le ministère Vosuq od-Dowla, un rapport véridique et sincère sur les projets de traités entre l’Azerbaïdjan et la Perse, envoyés par Ziyâ od-Din de Bakou et que Perny a fait rejeter comme désastreux pour la Perse213. Ziyâ od-Din, revenu à Téhéran, furieux, et subissant le blâme de Vosuq od-Dowla, n’a pas pardonné à Perny. Il veut également chambarder la justice et sur ce point Mansur os-Saltana va l’aider. Or l’œuvre de Perny a consisté {158b} à transporter en Perse nos codes, nos organisations judiciaires, cours d’appel, de cassation, etc. Cet édifice sera détruit. Le Ziyâ od-Din veut une nouvelle justice. Il inaugure en effet son règne par 350 arrestations sensationnelles qui nécessitent de nouveaux juges. Perny croit que les Anglais n’ont pas renoncé à la Perse. Ils sont capables d’y provoquer des choulouks, des meurtres même d’Européens pour amener l’Europe à leur confier le mandat sur la Perse. Le shah était absolument calme le jour de l’assaut. Les médecins ont constaté sa tranquillité. 1 er mars 1921 Vu Riâzi qui ne sait ce qu’il faut penser du nouveau gouvernement mais qui travaille d’arrache pied à l’organisation de la gendarmerie. Il a carte blanche mais

213  Dans une dépêche datée du 18 hamal 1299/7 avril 1920, Vosuq od-Dowla signale la présence de Perny dans une commission interministérielle pour discuter les traités proposés. Voir R. Âzari-Šahrezâ’i, Hey’at-e fowq ol-‘âdda-ye qafqâziya, Tehrân 1379/2000, p. 265.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

275

il est responsable de ses choix. Il dit très justement qu’il ne sait qui prendre, à qui confier la gendarmerie du Mazandéran par exemple. Il y a si peu d’officiers intelligents et honnêtes. Habibollâh est dans le même état d’esprit. il organise au plus vite une force de deux mille hommes. On verra plus tard. Ziyâ od-Din aurait télégraphié à Lénine qu’il venait de faire une révolution analogue à celle des Soviets. Qu’il supprimait les privilèges, simplifiait les rouages {159a} de l’État, confisquait les grandes propriétés et les partageait, le tout en conformité avec les lois religieuses de l’islam. Manučehr est nommé gouverneur de Qazvin. Les Anglais vont mettre à la disposition de l’armée persane 20 000 fusils, 100 mitrailleuses, 20 batteries d’artillerie de campagne, quelques canons lourds, 4 aéroplanes, 2 autos blindés, les [harnachements], équipements et matériel de Qazvin et des officiers techniciens pour le maniement de ces armes. Ziyâ od-Din a fait visite à Raymond. Il lui dit qu’il ne demanderait pas mieux que de prendre des instructeurs belges mais les bolcheviks s’y opposent. Actuellement le gouvernement nouveau fait des avances aux bolcheviks pour corriger l’effet produit en Europe par l’annonce que ce gouvernement est formé par les Anglais. Ziyâ od-Din fait un gouvernement à apparence bolchevik : partage des terres, confiscation des domaines et des fortunes des grands, suppression de l’alcool et des liqueurs, suppression du commerce de luxe, de l’importation des soieries, du crêpe de Chine, des parfums. Le général Dickson s’en va. Il dit ouvertement que le Seyyed a demandé son départ immédiat. Le ministre d’Angleterre y a consenti. Le général Dickson désapprouvait ce coup qu’il n’a point organisé. Il disait publiquement {159b} que c’était un jeu anglais. On le supprime comme on a supprimé Hunter. Pas de témoins gênants. Les Anglais disent qu’ils vendent leurs provisions à Qazvin. Mais ceux qui les achètent ne les touchent pas immédiatement. L’argent est déposé à la Banque. On leur en sert l’intérêt. Les marchandises ne sont pas livrées. On attend. Les grands prisonniers, Farmân-Farmâ, Nosrat od-Dowla, etc., ont été aujourd’hui transportés à Jaridia, hors de la ville. Ziyâ od-Din a promis à Raymond d’épargner la vie de Nosrat od-Dowla. On prétend qu’il y a des Allemands sous la combinaison actuelle, que le Seyyed est bolchevik, a partie liée avec l’Allemagne et que les Anglais seront roulés. Ironside le mercredi qui a précédé le coup était venu voir le shah et l’avait mis au courant. Le jeu consiste à demander des conseils aux Légations et à dire ensuite : vous voyez, je vous ai demandé en vain de nous aider.

276

georges ducrocq, journal de perse

En ce moment Ziyâ od-Din est à la fois nationaliste, anglais, bolchevik, ami de toutes les légations. Pourra-t-il soutenir longtemps un jeu aussi compliqué ? {160a} 3 mars 1921 Le général Dickson est parti ce matin en [gâri214], parce que les routes sont fermées de Téhéran à Qazvin. Il est parti sur demande de la Légation d’Angleterre. Il était brouillé avec Ziyâ od-Din. Il déclarait que celui-ci voulait le tuer, il dormait avec 2 carabines à côté de lui. Ses propos inquiétaient. Son ami Mahdi Khan avait été arrêté. Ainsi finit le napoléon de la Perse. Starosselsky lui avait donné trois mois pour connaître les mêmes disgrâces que lui215. Je rencontre le colonel Smyth qui me dit : « J’avais Mas‘ud Khan comme secrétaire, Kâzem Khan comme aide de camp. » Il me fait grand éloge de ce dernier, officier dans l’armée turque, fait prisonnier par eux en Mésopotamie et très bien traité aux Indes. Le coup n’a pas été fait avec son consentement mais il savait que quelque chose se tramait. Il n’est plus aussi pessimiste. Il croit que les troupes anglaises ne partiront plus et n’abandonneront pas la Perse, livrée aux Bolcheviks. Elles n’évacueront que si les Bolcheviks sont évacués. Donc elles resteront. Ironside est en train de traiter ces questions à Suez216. Elles ont pourtant vendu une partie de leurs équipements. Une demande de matériel a été faite par le nouveau gouvernement au gouvernement anglais. Elle a été transmise à Londres, {160b} mais si l’on donne les armes, il faudra donner des instructeurs, des techniciens. Un officier et quelques sous-officiers, dit Smyth. Les troupes qui sont venues à Téhéran, appartenant aux otriad de Téhéran et à celles d’[Aragh217 ?] sont au nombre de 2 100 avec 100 officiers, une batterie de 4 canons Schneider campagne, une batterie de 4 canons Schneider montagne, 18 mitrailleuses. Il reste à Qazvin 2 500 cosaques 18 mitrailleuses, plus batteries 214  Écrit “garri”, « fourgon de poste » (terme probablement venu du hindi). Voir l’entrée du 30 et du 31 mars : il est parti de Qazvin à cheval . . . ou à mulet. 215  Pourtant Dickson et Rezâ Khan étaient amis, au moins depuis 1918, et c’est à Dickson que Rezâ Khan téléphonait depuis Qazvin pour préparer le coup. Cf H. Arfa, Under five Shahs, p. 91 ; Edmonds, East and West of Zagros, p. 313. 216  Il s’agit probablement de la Conférence du Caire qui décidera de la création du royaume d’Irak, et à laquelle participèrent notamment Winston Churchill (Secrétaire d’État aux colonies) et Percy Cox. Voir E. Ironside, High road to command, p. 182 et sq. 217   Peut-être ‘Erâq[-e ‘Ajam], depuis nommée Arâk ; mais on attendrait alors plutôt Soltânâbâd.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

277

d’artillerie. Si je savais, dit Smyth, que les officiers de Téhéran se mettent à voler je pourrais avec mes cosaques marcher sur Téhéran. Rezâ Khan était un ex-paysan, sans culture. Smyth craint que cette victoire soit sans lendemain, que tous ces hommes de bonne volonté manquent de collaborateurs. Riâzi, Mas‘ud sont pour lui d’honnêtes gens. Ce gouvernement comprend ce qu’il y a de plus honnête en Perse. Le gouvernement, me dit Molitor, trouvera des ressources en supprimant les dépenses inutiles et en assurant l’intégralité des perceptions d’impôts. La plupart des {161a} grands propriétaires échappent au fisc. Les corporations sont taxées avec des chiffres qui correspondent à l’assiette de 1830. Les corporations ont augmenté, les impôts sont restés les mêmes. Mais, comme, à la tête des corps de métier, se trouvent des agitateurs comme Seyyed Modarres, des gens qui peuvent soulever le Bâzâr, ces contribuables sont hors la loi, ils échappent à toutes les poursuites. Les Persans ont un goût immodéré pour les lampes. Ils leur en faut quatre ou cinq dans leurs chambres. Ils dorment avec une lampe allumée à côté d’eux. Au bazar on ne voit que marchands de lampes fabriquées à Varsovie. Lampes de métal blanc, lampes de verre, laleh (lâla), c’est-à-dire porte bougie de cristal. Ces adorateurs du feu, ces fils du Soleil ne peuvent se passer de lumière. – Nos lamentables professeurs vont bientôt nous quitter. Les infortunés continuent à se plaindre du sort qui leur est fait. Ils touchent 22 000 francs par an. Au change de 2 kerân par jour, cela faisait 44 000 krans. Au change de l’an dernier qui oscillait entre 35 et 49, cela faisait plus de 100 000 francs par an. Ils vivent comme des rats et mettent par an 60 000 de côté. Malgré cela, ils se déclarent les plus malheureux des hommes. {161b} 6 mars 1921 J’apprends de nouveaux détails. Le plan est le suivant : changer d’équipe, faire passer l’Accord dans la réalité, quitter la voie constitutionnelle et parlementaire, tout décider sans rien soumettre au Parlement, agir. En plus la dictature exerce quelques vengeances personnelles. L’armée et les finances seront données à l’Angleterre. Qu’on ne dise pas : c’est le plan anglais. Le ministre d’Angleterre ignorait tout du plan de coup d’État. Très bien. Il l’apprend et il demeure absolument calme. Voilà un ministre bien accommodant. Dickson a été renvoyé parce qu’il avait une politique différente de celle d’Ironside. Il voulait s’entendre avec les Persans, avec Mostowfi ol-Mamâlek. Ironside était d’avis de trancher dans le vif. On a choisi Ziyâ od-Din comme

278

georges ducrocq, journal de perse

le plus docile instrument. Il n’a rien, ni biens, ni famille. Demain on peut le renvoyer à Bagdad218. Le shah ne savait rien. Il était très agité. Il insista dès le vendredi pour qu’on envoyât au-devant des cosaques Sardâr Homâyun. Celui-ci était le Samedi à Mehrâbâd. Il obtint des Cosaques qu’ils reprendraient la route de Qazvin. Le lendemain ceux-ci partaient par la route de Téhéran et le Sardâr {162a} Homâyun s’enfuyait vers Téhéran par la route de [Vanak ?]. Les Cosaques avaient été très corrects avec lui mais ne l’avaient pas écouté. Amir Nezâm, ministre de la Guerre, voulait défendre la ville. Le shah était aussi partisan de faire marcher la Brigade centrale et la Gendarmerie. Mais le Sepahdâr était d’avis ainsi que Gleerup et beaucoup de princes aussi que c’était une folle entreprise d’aller au-devant d’une défaite et qu’il valait mieux laisser les Cosaques entrer en ville puisqu’au surplus leurs intentions hostiles n’étaient pas certaines. On se rangea finalement à cette opinion. Le prince Farmân-Farmâ fut arrêté en automobile ; le prince Nosrat odDowla le lendemain chez lui ; Sâlâr Laškar le mardi se rendit lui-même à la Kazak-khaneh. Mohammad-Hoseyn [Farmân-Farmâ] ne fut pas inquiété. On perquisitionna chez les Farmân-Farmâ. On trouva des fusils et deux mitrailleuses, jadis données par la Légation d’Angleterre à qui elles ont été renvoyées. Automobiles et voitures ont été réquisitionnées. Cela se passe dans la demeure de la fille de Mozaffaroddin Shah et la tante du roi actuel. 7 mars 1921 Le colonel Fortescue a lui-même distribué des souliers aux Cosaques à Qazvin (les fameuses bottes anglaises) pour augmenter la popularité de l’Angleterre parmi eux. {162b} Le conflit prévu entre le gouvernement civil et le gouvernement militaire éclate. Rezâ Khan veut organiser l’armée, il en est incapable. Ziyâ od-Din veut réorganiser l’armée, il écoute Rezâ Khan et met par exemple dans une même unité les Cosaques et la Brigade centrale avec soldes inégales. C’est vouloir le suicide de l’armée. Quelqu’un les pousse aux mesures absurdes afin de consumer la ruine de ce régime (éphémère, dit-on déjà) et de faire venir les Anglais libérateurs. Le ministre d’Angleterre voudrait maintenant, dit Ravitch, faire croire qu’il est l’auteur du coup. 218  Remarquable lucidité de Ducrocq . . . 

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

279

Ravitch veut réorganiser l’Armée, avec Toumaniantz aux finances, Ziyâ odDin dictateur. Le shah, dit Mohammad Hoseyn [Mirzâ, Farmân-Farmâ], était très inquiet le vendredi, quand il sut que les Cosaques marchaient sur Téhéran. Il voulait envoyer Sardâr Homâyun au devant de ses troupes. Il fit demander deux fois à Norman de venir le voir à Farahâbâd. Le soir de l’affaire, Huddleston et Fortescue se promenaient tranquillement dans la rue à 8h et demie du matin. On vit [Hansen ?] à la tête des Cosaques dans les rues. Le général Ironside avait décidé de prendre la place de Dickson. Il le fit {163a} congédier par la Légation. Dickson aura à répondre à Londres de ses dilapidations dans le Khorassan. Ironside va venir s’installer dans le palais que Dickson occupait, chez Qavâm os-Saltana219. Il aura le haut commandement de l’armée. 150 instructeurs anglais viendront à Téhéran. Et voilà pourquoi on désirait l’évacuation des colonies européennes. Il fallait manifester à l’Europe que l’insécurité régnait en Perse, par le ministère Sepahdâr défaillant que l’anarchie gouvernementale était à son comble, et justifier ainsi le coup d’État cosaque qui sera suivi d’une recrudescence d’anarchie, d’un pillage et d’une intervention des troupes anglaises. C’est à quoi nous marchons. 8 mars 1921 On annonce arrivée à Téhéran officier supérieur Haig armée des Indes qui vient réorganiser armée persane sur un plan nouveau. [en marge :] Non, c’est l’arrivée de Fraser. La guerre au français commence sous couleur de nationalisme. On avait supprimé le français des écoles primaires. On le supprime de la langue officielle. Sardâr Moazzam, rencontrant le ministre d’Angleterre, lui dit : « Non, je n’irai pas à la fête de la Constitution. La Constitution est morte et vous l’avez tuée. {163b} Vous dites que Nosrat od-Dowla aura la vie sauve, mais vous lui avez ravi l’honneur. Il n’y aura pas un député qui voterait l’Accord actuellement. » – Mr Caldwell aurait dit au Seyyed qui lui proposait les travaux publics : « Vous voulez nous donner des travaux publics. Très bien, mais je suppose que vous prendrez des Japonais pour la soie, des Chinois pour le thé, et des Esquimaux pour balayer la neige sur les toits. Vous oubliez que je suis le ministre d’Amérique et je n’aime pas qu’on se moque de moi. » 219  Ironside a quitté l’Iran avant même le coup d’État et n’y est jamais retourné.

280

georges ducrocq, journal de perse

9 mars 1921 Vu Mas‘ud. Le ministère de la Guerre est transformé. Il est remplacé par le plan anglais du Général Dickson. Plan médité, mûri, détaillé. Le règlement nouveau va être étudié. Il sera sans doute celui écrit par Dickson. Le colonel Fraser qui commande les spr220 va être appelé du Sud pour recevoir des instructions. Les spr coûtent 800 000 tomans par mois au gouvernement des Indes. Ils n’en coûteront plus que 200 000. Les 160 officiers et sous-officiers anglais seront renvoyés. Dans quelques mois le gouvernement persan prendra les spr à sa charge. La réforme de l’armée sera confiée aux Suédois : 50 officiers seront demandés. La moitié sera envoyée dans le Sud. {164a} Pour le front il est probable que les Anglais s’en iront. Ils ont 5 600 hommes. Les Cosaques les remplaceront. Le commandement sera donné à Smyth et à Huddleston. Aucune réponse n’est encore parvenue de Londres au sujet des munitions de Qazvin demandées par le gouvernement persan. Le général Cory221 ne vendra pas ses munitions avant d’avoir reçu la réponse de Londres. Il y a près de 46 canons. Les munitions ne manquent pas à Tauris. Les munitions des Schneider et des Howitzer font défaut. Elles seront demandées au gouvernement français. Cent jeunes gens seront envoyés en France : dix de chaque grande ville. Une école de sous-officiers sera créée à Téhéran. Des officiers seront plus tard envoyés à l’École de guerre. Le coup d’État a été accueilli avec joie par les bolcheviks à Astârâ. À Paris également. Une armée de 24 000 hommes sera créée : 12 000 cosaques, 12 000 gendarmes. Le noyau cosaque existe, le noyau gendarme est en train d’être constitué par Habibollah. Anglais ne veulent rien donner pour l’instant. Il reste au gouvernement 30 000 £ Sterling à la Banque. Puis ils espèrent tirer 10 millions des personnages arrêtés. Les Anglais font de grands efforts pour délivrer Farmân-Farmâ et ses fils qui méritent, dit Mas‘ud, d’être fusillés. Nous avons la preuve de leurs manœuvres criminelles. {164b}

220  South Persia Rifles ; Ducrocq l’appelle plus bas « Police du sud ». 221  Successeur d’Ironside.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

281

10 mars 1921 Roland donne sur la vie à Ispahan des détails pittoresques : les Ispahanis, se couchant tard, se lèvent tard. Ils musardent jusqu’à midi. À midi tapant, au coup de canon, ils se mettent à table. Ils se précipitent après le café, à 1h, dans la chambre blanche, où ils fument l’opium. Puis ils prennent du thé et bavardent sur les nouvelles du jour. Un d’eux lit le journal, on apporte le qaliân et il commente. Ils vont l’après midi à la promenade et saluent leurs amis et connaissances. Ils se rendent vers 6h à Jolfâ, dans les quartiers discrets où ils boivent l’alcool. Ils rentrent chez eux, dînent et se couchent tard. – C’est bien le général Ironside qui serait appelé à prendre le gouvernement des forces de la Perse. Il se logerait au palais de Qavâm os-Saltana. Les Anglais prendraient en mains la défense de la Perse. Ils feraient battre les Persans pour eux contre les bolcheviks. L’attitude de la presse anglaise vis-à-vis des Bolcheviks a complètement changé, elle est hostile. Mais les Persans voudront-ils se prêter à ce jeu ? Et quel sera le contrecoup chez les Bolcheviks de cette mainmise de l’Angleterre ; casus belli et interventions, d’après le traité222. Pour justifier cette prise de possession par l’Angleterre il y aura sans doute quelques désordres. {165a} – Pour la centième fois on annonce le départ des troupes russes du Gilân. Le shah serait décidé à partir. Son entourage le presse de quitter la Perse. Il veut vivre tranquille . . . Le ministre bolchevik approche ; il est au Khorassan, avec 40 dactylographes, dit-on. Propagandistes. Fortescue (Colonel) qui pressait très fortement Mme Thomassin223 de quitter Téhéran la veille même du coup d’État, continue à la prier de s’en aller. Il annonce des troubles prochains. Lui-même déclare qu’il va partir mais Mme Thomassin croit que cela est inexact. Il a en ce moment beaucoup d’ouvrage. Les révolutionnaires ont taxé Farmân-Farmâ à 5 millions de tomans, Qavâm od-Dowla à 500 000 tomans. Mmes Molitor arrivent de Bagdad par un chemin frayé entre deux murs de neige. À la débâcle du printemps les routes seront impraticables. Les autorités britanniques ont mis les plus grands obstacles à l’arrivée de ces deux dames. « Vous allez vers Téhéran, leur disait-on, mais tout le monde évacue. » 11 mars 1921 Un seul danger : les Bolcheviks. S’ils ne viennent pas, le pays peut s’organiser. Le Seyyed travaille toute la journée. L’armée comprendra 20 000 cosaques, 20 000 222  Traité d’amitié Irano-soviétique du 26 février 1921, articles 5 et 6. 223  Voir également l’entrée du 29 avril.

282

georges ducrocq, journal de perse

gendarmes. Ceux-ci resteront sous les ordres du ministre de l’Intérieur, parce que le Seyyed veut les regrouper, les militariser avec les officiers suédois qui ne seront {165b} pas considérés de cette manière comme une mission militaire. Smyth était au courant du coup. Ironside aussi. Ils ont tout organisé. Depuis plusieurs mois la Division cosaque était payée 250 000 tomans chaque mois. 400 000 tomans ont déjà été distribués à Téhéran depuis le coup. 250 000 tomans à la gendarmerie qui n’était plus payée depuis plusieurs mois. Le gouvernement ne dispose que d’un million de tomans. Après il faudra tirer des prisonniers des taxes. Farmân-Farmâ promet 400 000 tomans, on lui en réclame, à lui et ses fils, 4 millions. Mo’in [ot-Tojjâr] Bušehri, qui était en fuite, sous la menace de confiscation de ses biens et de ceux de sa famille s’est constitué prisonnier. Il a renoncé à 800 000 tomans de créances qu’il avait sur le gouvernement persan et a versé 50 000 tomans en plus pour être libre. La Banque a livré le compte de Farmân-Farmâ, révélé les sommes qu’il avait à Londres et à Bombay. Le gouvernement anglais aide par tous les moyens le nouveau régime. Il est très empressé à le seconder. La police du Sud, deux forces de [4]000 hommes chacune, l’une venant de Chiraz, l’autre de Kermân, sont à Ispahan où la situation est assez [dormante] à cause des Bakhtiyaris qui se sont retirés dans leurs montagnes, croyant à l’arrestation de Samsâm os-Saltana. On signale aussi des mouvements au Mâzandarân où les chefs, relâchés par Mošir od-Dowla, s’agitent. {166a} À Tonekabun et à Qazvin les cosaques seraient chargés du front, à Astarâbâd et Semnân aussi, les gendarmes auraient le Mâzandarân. Farmân-Farmâ dépensait 12 000 tomans par mois pour sa cuisine, 1 000 personnes vivaient à ses dépens. Les ministères sont formés et le nombre des mécontents augmente. Ce qui est à craindre, c’est une guerre civile provoquée artificiellement entre les gendarmes et les cosaques. On a essayé d’ameuter dernièrement les Cosaques contre les gendarmes et leurs exercices à Yusefâbâd. Mais il a été facile de démontrer aux Cosaques que les gendarmes ne méditaient rien contre eux. On a télégraphié à la Suède par dessus la Légation de France224. – On nous promet la Justice mais on laisse nos conseillers à l’écart. Pourquoi n’aurions-nous pas l’Hygiène publique en ce moment, puisque Mesnard arrive à Téhéran. Ce ministère est éphémère. Il est très pressé de faire de l’argent. Il entasse de terribles rancunes, nous nous cheminons à une période de convulsions qui 224  Qui représentait en Iran les intérêts suédois.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

283

sera suivie d’un ministère fort Vosuq od-Dowla. Alors la France reprendra son prestige. Si les Persans avaient laissé la France prendre ici une influence économique (chemin de fer), cela eût mieux valu pour eux. Le sans fil persan est un moyen d’éviter le sans fil français225. {166b} – M. Norman a rencontré Raymond et lui ayant demandé un rendez-vous, il lui a répondu sèchement : « Je n’ai pas le temps ». Raymond insistant, il lui a répondu sur le même ton : « Venez demain ! ». Raymond s’est plaint de cet incident à M. Caldwell qui a écrit une lettre à Norman, comme doyen du corps diplomatique. Norman a répondu par une lettre d’excuses rejetant sa vivacité sur les propos qui lui avaient été fournis par une personne sûre, propos que M. de Raymond aurait tenus à son égard. – Dans une conversation qui succéda à cette lettre Norman a dit à Raymond : « C’est le capitaine Ducrocq qui a répété ces propos ». Raymond a immédiatement soupçonné que j’avais répété inconsidérément ses propos à Hoppenot. Voilà une belle histoire. Norman qui ne sait plus comment se dépêtrer dans ses affirmations rejette sur moi toute la faute. Je tirerai cela au clair demain. – Une force des spr s’arrête à Ispahan, une autre viendra à Téhéran (1 000 hommes) avec le colonel Fraser. On a menacé hier le vieux prince Farmân-Farmâ de le tuer à 6h du soir s’il ne révélait {167a} pas où était son argent et s’il ne versait pas un million de tomans au gouvernement persan. Il aurait signé. Un des principaux griefs de Hoppenot contre Lesueur est qu’il lui a amené la fille de l’Imam Jom‘a de Xo’i qui venait implorer pour son père. Or voici ce qu’on raconte : quand ce mojtahed sur son âne arrive à la Kazak Khaneh, il se contente de dire aux Cosaques : « Quoi, voilà comment vous traitez vos prêtres ! » Tous tombèrent à genoux. Rezâ Khan dut le relâcher. Pour Hoppenot la Perse est une quantité négligeable. 12 mars 1921 Quand les Anglais déclarent qu’ils vont évacuer un pays c’est qu’ils ont l’intention de s’en emparer. Ce soir dîner au Club. Beaucoup d’officiers. Les Anglais ont sur le visage le reflet du triomphe. Ils sont épanouis. Les plus jeunes s’enivrent et sont insolents. Le colonel Fraser vient d’arriver du Sud. Il amène le détachement de Chiraz et celui de Kermân. L’un d’eux restera à Ispahan, à cause des Bakhtyaris. 225  Ducrocq avait fait installer une antenne de tsf pour capter les bulletins d’information et les diffuser à Téhéran.

284

georges ducrocq, journal de perse

L’autre ira à Qazvin. Dans quelques semaines les Anglais auront sous la main une force de 25 000 hommes qu’ils pourront employer. Le péril bolchevik leur paraît moins à craindre. C’est à l’organisation de la Perse qu’ils vont procéder, par la force, sans aucun égard pour la Constitution. {167b} Les officiers politiques renvoyés ont été rappelés. Le major Edmonds est de retour. Je serais bien surpris si dans quelques semaines Ironside ne prenait lui-même le commandement du nord de la Perse. L’évacuation du nord de la Perse par les troupes britanniques est remise à une date ultérieure, à cause de l’état des routes. Une inondation se prépare au dégel. Les Anglais sont en Perse jusqu’en mai au moins. Comme je parlais à Haig du danger que présentait l’engagement des Suédois dans la gendarmerie persane, il me dit : « Nous les prenons parce qu’on nous accuse déjà d’être les instigateurs du coup d’État et de vouloir diriger l’armée. Nous n’en engagerons que 6 ou 7. » – Sa’id Khan226 dit à Roland : « Pourquoi n’engagerait-on pas des Japonais ? » 13 mars 1921 Bonnes nouvelles d’Âqâ Petros. Les Chaldéens [en marge : Assyro-Chaldéens] sont fatigués des Anglais et vice-versa. Les Anglais ne veulent rien faire pour aider au transport de ces déracinés qu’ils ont fourrés dans des camps de concentration depuis deux ans à Baghdad, à Hamadân. Ils voudraient les orienter vers l’Amérique ou vers Port-Saïd. Mais les Chaldéens ne songent qu’à la Syrie. Ils brûlent de rejoindre Gouraud. Jezira et par Jezira {168a} de gagner un jour Mossoul et Urmia qui demeure leur terre. Actuellement ils sont 12 000 guerriers, massés dans la Haute Mésopotamie. Ils peuvent faire une percée, gagner la [ligne] et Jezira. Il faudrait les soutenir du côté français. Sir Percy Cox a télégraphié au consul anglais de Hamadân qu’ils refuseront, à partir de mai, tous les secours aux réfugiés chaldéens. La France a une dette de reconnaissance envers ce peuple que nous avons armé pour notre cause, lancé dans la bataille et mal soutenu227. Si l’exemple de Monseigneur Sontag, demeurant au milieu de ses fidèles, dans la persécution les encourage, le souvenir de la mission militaire française à qui l’ordre fut donné de se retirer à l’heure du péril, est un mauvais souvenir qu’il faut effacer. Si nous constituons une patrie à ce peuple, 200 000 personnes peuvent venir chercher refuge sous le drapeau français : population sobre, guerrière, montagnarde, intrépide, habituée à la dure, qui peut aisément traverser l’Asie en se faisant respecter. La meilleure race, la moins pourrie de l’Orient. 226  Loqmân ol-Molk. 227  Aveu très lourd . . . Voir Fl. Hellot.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

285

L’œuvre de nos missionnaires lazaristes, commencée il y a quatre-vingts ans, porterait ainsi ses fruits. Âqâ Petros est un homme qui a sur ses troupes un ascendant extraordinaire. Il parle anglais, russe, turc et chaldéen. C’est un esprit cultivé et un grand chef. {168b} Par cette enclave chaldéenne nous assurerions la sécurité de notre Syrie orientale, notre débouché vers Mossoul, nous aurions un bouclier contre les Kurdes et nous pourrions un jour espérer faire notre jonction vers les Arméniens qui sont destinés, à tomber sous notre influence. [en marge : Professeur] Audigier dit à Lauvergeon : « Vous devriez faire un cours au Dâr ol-fonun. – Oui, volontiers. – J’en parlerai au Dr Gachet, il a le bras long. Vous pourriez en dire un mot à M. Hoppenot et un mot aussi à la légation d’Angleterre. – Cela, non », dit Lauvergeon. Gachet m’a soutenu l’autre jour qu’on devrait supprimer la légation de France et la remplacer par la légation d’Angleterre. 14 mars 1921 [en marge : anecdote] Roland raconte l’histoire du mollâ, de la femme nue et du ra’yat. Un ra’yat (paysan) vient à la ville et apporte 70 tomans, fruit de ses économies à un mollâ en lui disant : « Je te donne cette somme pour que tu la distribues à une pauvre personne ». Le mollâ rentre chez lui et dit à sa femme : « Déshabille-toi ! » Elle enlève son tchador. « – Ce n’est pas assez, dit le mollâ. – Pourquoi ? dit sa femme. – Tu verras plus tard. Enlève tous tes voiles et mets toi complètement nue ! » La femme se dénude. {169a} Alors le mollâ lui met dans la main 70 tomans. Le lendemain sa voisine disait à son mari : « Tu n’es pas gentil comme le mari de mon amie. Sais-tu ce qu’il a fait ? Il lui a dit de se mettre complètement nue et puis il lui a donné 70 tomans. Voilà un gentil mari. – C’est donc cela, dit le mari, que je l’ai entendu dire ce matin à un ra’yat : mon ami, j’ai donné les 70 tomans que vous m’avez remis à une personne tout à fait pauvre car elle était toute nue. » – Quand un mollâ jure par sa tête il se touche les cheveux mais il y introduit une épingle et il touche pendant son serment la tête de l’épingle. – Les spr arrivent à Téhéran, les officiers avec leurs épaulettes d’acier et leurs commandements anglais. On veut en faire la garnison de Téhéran, tandis que les Cosaques seront envoyés au front. Les Cosaques relèveront au front les Anglais. Ceux-ci se tiendront derrière les Cosaques, feront rétablir la situation si elle venait à se gâter. Un certain nombre d’officiers et sous-officiers, des cadres seront conservés. Le nombre des spr sera réduit. Un détachement est déjà arrivé à Téhéran. {169b}

286

georges ducrocq, journal de perse

15 mars 1921 Professeur Dufoussat déclare à Lesueur qu’il est charmé des réceptions qu’il a trouvées à la légation d’Angleterre, du bourgogne, de la société distinguée, etc. Lesueur est parti ce matin sans que personne fût à son départ, il s’en va, furieux. Il exagère sans doute les déceptions qu’il a eues. Quand il essaye de nous apitoyer sur la situation pécuniaire qui est faite aux professeurs de l’École de droit, il exagère : 92 000 francs de traitement, au change de 2 kr. par franc à 44 000 krans, au change de l’an dernier, cela faisait 70 000 francs. La doctoresse Deromps avoue avoir mis 40 000 francs de côté l’an dernier. Dufoussat, Lesueur, Merle, en ont fait autant. Romani [ ?] qui vit comme un rat, a dû mettre 60 000 francs de côté. – Perny a ici un contrat de 1 000 tomans par mois, pour six ans, plus une pension de X tomans. Lesueur a été, il faut le reconnaître, très dévoué à ses élèves, il a fait ses cours avec cœur, avec chaleur. Il dit qu’il a fait un métier de dupe. Pourquoi ? Ce qu’il faut approuver, c’est son attitude devant la Légation d’Angleterre qui lui est tant reprochée à la Légation de France. Il a fait visite à Sir Percy Cox qui ne lui a pas rendu sa visite. Il n’a pas récidivé pour Norman. Il était dans son droit. Il ne s’est pas rué aux cuisines britanniques, comme tant d’autres. {170a} La Légation de France n’accorde aucun droit, décourage tous les Persans qui s’adressent à elle. Aucun Persan ne vient plus à la Légation qui est le jeudi une succursale du club anglais. Des officiers de la Légion d’Honneur ont été arrêtés, nous n’avons pas protesté. Bien mieux, nous avons refusé à Sardâr Ašraf fils de Samsâm os Saltan l’appui qu’il venait solliciter pour son père, quand, un mois auparavant, le chargé d’affaires avait demandé à Samsâm os-Saltana l’appui des Bakhtyaris en cas d’évacuation et de trouble, qui lui avait été accordé. Les Persans n’osent plus me faire aucune confidence, de peur qu’elle ne soit répétée à la Légation d’Angleterre. 16 mars 1921 Le ministre bolchevik arrive à Astarâbad. Il n’entrera pas en Perse. En vertu du traité qu’ils ont signé avec les Soviets les Persans exigent que le Gilân soit évacué avant que le ministre ne puisse entrer en Perse. Ainsi, tandis qu’il devra retourner par Krasnovodsk, Bakou, Anzali, les Persans espèrent gagner du temps. Des perquisitions ont été faites chez des Bolcheviks. On aurait découvert deux complots, un russe, un persan dont les ramifications s’étendaient jusqu’à la cour. On a perquisitionné chez un certain nombre de personnes et l’on a trouvé des armes, des munitions, et des papiers {170b} compromettants. Hier

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

287

deux officiers russes ont été arrêtés : [Soumeniloff ?], [Kravenlyko ?]. Ainsi se justifie le coup d’État. La police du Sud vient à Ispahan. Une quinzaine d’officiers seront conservés. La réorganisation du ministère de la Guerre met sous la coupe du ministre le chef d’état-major, l’inspecteur de l’armée, l’adjudant général. Mais, chose curieuse, l’intendance dépend du chef d’état major. Rezâ Khan qui gouverne en maître avait un très modeste emploi il y a douze ans. Il était palefrenier228. Aujourd’hui les fils de la plus haute aristocratie doivent lui obéir. Beaucoup partiront pour l’Europe. Assyro-chaldéens – La dépêche de Sir Percy Cox, les menaces de suppression de secours seraient des mesures de coercition contre les Chaldéens pour les obliger en somme à occuper le pays entre Mossoul et Urmia et à y établir un État autonome. On va plus loin. On veut disperser les Chaldéens et les mettre par trois familles dans les villages kurdes. C’est provoquer leur massacre. Par cette mesure on espère les mettre {171a} à la raison et vaincre leur résistance, car tous ont décidé de ne pas servir la politique anglaise. Ils seront décimés ou ils serviront d’instruments au plan anglais. On désire faire partir ceux de Hamadân [et de] Qazvin à Mossoul mais pour l’instant on veut surtout leur marquer le mécontentement de l’Angleterre. On tient suspendue sur leur tête la menace kurde. Comment supposer, avec ces plans, que l’Angleterre prête les mains à un projet de rapatriement des Assyriens en Syrie, dans le pays d’Edesse, qui est l’ancienne Chaldée. Ce peuple veut le joug français mais les Anglais voudraient le faire servir à leurs desseins. Peut-on compter, comme le croit naïvement notre chargé d’affaires, sur la bonne volonté anglaise en cette affaire. 17 mars 1921 Coup d’État – Habibollâh, comme Riâzi, estime que le devoir d’un officier nationaliste était de collaborer à ce gouvernement. Il le devait pour organiser son pays. Pour qui ? On verra plus tard. Il a sous ses ordres 1 800 hommes exercés. Il y en a 1 000 à Yusof-Âbâd commandés par Azizollâh Khan. Les contingents seront augmentés, mais qui donnera des armes et des munitions ? Actuellement le détachement d’Ispahan et la [division] indépendante n°3 sont fondus dans le régiment n°2. Le danger d’une rébellion cosaque existe toujours. Habitués {171b} à une discipline aveugle, les Cosaques sont redoutables. Si la discipline se relâche, 228  Voir à ce sujet Y.P. Hirschfeld, Deutschland und Iran im Spielfeld der Mächte . . ., Düsseldorf, Droste, 1980, p. 116.

288

georges ducrocq, journal de perse

la ville les gâte. Ils ont des officiers persans mal instruits car les Russes se sont toujours opposés à former des cadres. Habibollâh n’a pas l’impression que le gouvernement et que sa situation même soient stables. Il craint d’être débarqué, il craint même d’être supprimé, mais il fait courageusement son devoir. Je vois dans ses yeux une grande tristesse quand il me parle de la disette d’hommes et de la corruption systématique entretenue dans le pays. Riâzi a demandé jadis que 5% des élèves sortant de l’École militaire soient envoyés dans les écoles militaires d’Europe. Le général Dickson a fait supprimer cet article. Le Gouvernement actuel désire envoyer des élèves en Europe mais, on ne lui laissera pas augmenter l’équipe des St-Cyriens, seuls officiers de valeur dans cette tourmente. – La Banque a livré les comptes courants de ses clients persans. Elle dit en manière d’excuse qu’elle doit obéir, Banque gouvernementale, aux ordres du gouvernement et qu’elle avait d’ailleurs prévenu à l’avance ses clients persans d’avoir à retirer leurs fonds. On refuse à Mme Hoppenot et à Marie le Lion et le Soleil {172a} et l’on donne à Marie une décoration de l’Instruction publique, qu’elle refuse, ne voulant pas être prise pour une institutrice et susciter les gorges chaudes de Wickham, etc. Ziyâ Homâyun est nommé consul adjoint à Baghdad. Il était le factotum du Sepahdâr qu’il n’a pu éclairer d’ailleurs, car il est opaque. Vu Molitor qui me donne de bonnes nouvelles du ministère où les affaires de Mésopotamie et de Perse sont suivies dans la plus grande attention : situation du front, les troupes anglaises, leurs mouvements. Bruxelles et Paris sont d’accord pour mener la même politique en Perse. Ils ont été très hostiles à l’évacuation. Les articles du Times indiquaient nettement le jeu anglais : crier la panique, vider la Perse, en supprimer les légations étrangères (se rappeler la mot de Gachet : la légation d’Angleterre suffit). Nous avons ici à renseigner nos gouvernements et à sauvegarder l’avenir, la richesse économique du pays, à laquelle toutes les puissances doivent participer. Le gouvernement, pour faire face aux dépenses, émettrait des bons du Trésor ; il ferait circuler avec circulation forcée des pièces fondues avec le bronze des canons qui vaudraient bien 50 cent. 1 kran. On envoie des prisonniers au Khorassan : Modarres, etc. Ils seront emprisonnés à Kalât, s’ils y arrivent. {172b} ‘Eyn od-Dowla, Qavâm od-Dowla, Sa‘d od-Dowla ont été transportés à Qasr-e Qâjâr où ils seront mis à la question. – à la popularité des Russes, Ravitch donne une explication : ils jetaient l’argent par les fenêtres, ils étaient prodigues, corrupteurs et voleurs. Ils plaisaient par leurs vices.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

289

Le détachement du Hâdi Khan, arrêté par les Anglais à Qazvin, marchait sur Téhéran en esquivant Qazvin. Il avait avec lui des mitrailleuses. Il était commandé par [Profimov], fils d’un général, élève de l’Académie de Petrograd. Il demanda, arrêté, les ordres de Starosselsky qui répondit : « Ne tirez pas ! » C’est Smyth qui éventa ce complot. L’entrevue du shah avec le chef de la révolution : au bout d’une demi-heure d’entretien le shah, qui était resté indifférent à toutes les considérations politiques lui dit : « Ma pension ne m’a pas été payée depuis un mois ». On prendra, des prisonniers, 10 kurur229. 18 mars 1921 – Le shah a dit à sa tante la princesse Farmân-Farmâ230, la sœur consanguine de Mohammad-‘Ali : « Tu fais bien de t’en aller. Moi-même je sais que, si je reste, je serai mort dans six mois ». Son entourage est épuré en ce moment. On lui enlève ses appuis. Un complot Firuz avait été préparé d’accord avec la {173a} Légation d’Angleterre. Le ministre était au courant de celui-ci. Firuz qui avait armé un certain nombre d’Arméniens, s’emparait du pouvoir, il était président du Conseil. Mirzâyâns était un des chefs du complot. Les Arméniens en auraient profité pour assouvir quelques vengeances personnelles. Mais les autres conjurés devancèrent ceux de Firuz et le firent jeter en prison. Les Arméniens jouent aussi un grand rôle dans cette affaire. Ipekiân assiste à toutes les séances du conseil des ministres et il représente la légation d’Angleterre. Le peuple commence à murmurer. Il trouve que Ziyâ od-Din est monté trop vite sur le faîte. Celui-ci, comme Haroun al-Rachid, comme Šâh ‘Abbâs, s’est déguisé hier et il est allé au Bâzâr écouter ce que l’on disait. Le germe d’un conflit probable est dans l’attitude de Rezâ Khan. Celui-ci est mécontent de voir que l’on veut lui ménager l’argent et les honneurs. Seyyed Ziyâ od-Din reçoit les Amir Tumân, les sardâr de la Division, qui, jaloux de Rezâ Khan, voudraient le supplanter. Une scène violente a eu lieu entre le Seyyed et Rezâ Khan, celui-ci voulant être payé, lui et ses Cosaques. Il a fini par dire : j’ordonne. Ziyâ od-Din est sorti en claquant les portes mais le lendemain l’argent était mis à la disposition des Cosaques. La force de Qazvin est toujours gardée en réserve pour mettre à la raison celle de Téhéran. Et puis il y a la Police du sud.

229  C’est-à-dire un demi-million (de tomans ?). 230  ‘Ezzat od-Dowla très probablement, fille de Mozaffaroddin Shah et épouse de ‘Abd olHoseyn Farmân-Farmâ.

290

georges ducrocq, journal de perse

Les ministères sont chambardés mais rien ne les remplace. La vie politique est arrêtée. {173b} Mansur os-Saltana est en train de préparer une réconciliation du Seyyed et de Perny. 19 mars 1921 Il est maintenant bien clair que nos propositions au sujet de l’installation à Téhéran d’un poste de tsf ont été ou vont être repoussées. Modir ol-Molk qui m’avait très fraîchement accueilli à ce sujet l’autre jour, après avoir inventé diverses échappatoires : un autre appareil qu’il s’agit d’acheter à Anzali – puis l’impossibilité d’engager des opérateurs persans – puis les objections de l’IndoEuropean Company qui s’estimait lésée par la tsf, a trouvé la bonne excuse : le Conseil des ministres a décidé qu’il ne pouvait prendre aucune décision sur la tsf [avant] que Samad Khan, ministre de Perse à Paris, dont le gouvernement français refuse de se séparer, soit relevé de ses fonctions. On lie ainsi une chose impossible à réaliser à notre projet afin de le couler. En réalité le seul argument que l’on ne dit pas, mais que tout le monde connaît, c’est que l’Angleterre s’oppose à l’installation d’une station de tsf en Perse, qui serait pour les Persans un moyen de s’affranchir du contrôle de leurs tuteurs. Ainsi, même cette chose inoffensive est défendue. Je dois dire que Modir ol-Molk a été très tiède dans {174a} cette affaire et que notre chargé d’affaires a soutenu mollement le projet. Il s’est même laissé aller à me dire que j’avais eu tort de quémander, de supplier le cabinet à ce sujet. Erreur profonde car je n’ai supplié personne. Mais j’ai cru devoir mettre quelques ministres au courant de notre projet, car je savais que la Légation le soutenait sans ardeur, se contentant de transmettre les propositions du ministère sans les appuyer. Modir ol-Molk a été surpris de mon insistance. Il voudrait évidemment que je le laisse enterrer ce projet sans que j’élève la voix, mais comme je crois la proposition utile pour la Perse et honorable pour la France, j’ai insisté. La Perse, une fois de plus condamnée à la routine par l’Angleterre, se dérobe à nos propositions. Elle est libre de demeurer dans l’ornière. Elle est le seul pays du monde qui, cent ans après la découverte des chemins de fer, n’ait pas encore une ligne sur son territoire. Elle peut attendre cent ans la tsf. Je n’ai jamais rencontré que deux hommes qui aient compris mon projet et qui aient voulu le réaliser : Vosuq od-Dowla et Mohtašam os-Saltana. L’un avait assez d’envergure et d’estomac pour imposer à l’Angleterre cette concession à la concurrence internationale, l’autre était un adversaire résolu des Anglais qui, le lendemain de son avènement au {174b} ministère l’ont fait arrêter. Les

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

291

gouvernants d’aujourd’hui sont sans surface, sans aucune indépendance, ils n’ont qu’à obéir aux ordres de la Légation, sans discuter. J’ai bien tort de prendre à cœur toutes ces choses qui passeront. Mieux vaut contempler la Perse éternelle. Le Seyyed et Modir ol-Molk n’auront qu’un temps. 20 mars 1921 Ce soir promenade dans la plaine de Dušan-Tapa. J’admire toujours les formes héroïques de la chaine de l’Alborz mais aujourd’hui, couvertes de neige, resplendissantes sous le ciel enfin délivré des nuages qui crevaient sur nous en neige et en pluie depuis trois jours, elles étaient plus belles que jamais. Voilà qui vous réconcilie avec la Perse. En ville de malheureux propriétaires relèvent leurs murs et leurs toits dissouts dans le déluge, écroulés sous le poids de la neige. C’est un désastre général. Mais une maison coûte si peu à rebâtir. On vit ici dans l’éphémère. Lassen s’est tiré hier un coup de revolver pour sa femme, détresse. Il s’est tiré chez elle. Nous revoilà dans cette atmosphère de folie et de drame – habitude à Téhéran. Ce pays est dangereusement romantique. Ce qui lui fait le plus défaut, c’est l’équilibre et la raison. {175a} C’est demain Nowruz. Au Bâzâr les femmes échangent des vieux bijoux contre de nouveaux. Les cadeaux passent. Et chacun achète un habit neuf. Le voile est merveilleux comme source d’attrait. il nous explique ce qui devait être la vie à Venise ou en Espagne au xviiie siècle, quand les femmes sortaient avec un grand manteau de satin et un masque qui rappellent curieusement le tchador et le grillage en crin de cheval qui dérobe leurs traits. Mais comme on peut en jouer, comme en penchant la tête on peut offrir au curieux tout ce qu’il désire voir, comme les yeux peuvent parler sous le tchador comme sous la mantille. Le voile dessine les épaules et la taille et, avec un peu d’habitude, vous devinez très vite si la femme est jolie. Puis il y a les mains qui sortent, pâles comme des bijoux, de la masse sombre du vêtement. Quand je suis arrivé à Téhéran, j’ai trouvé ces suaires ambulants sinistres. Aujourd’hui je les trouve sémillants. 21 mars 1921 Ce matin brillant salam du Nowruz. Sa majesté avait quitté, entre deux haies de Cosaques, son palais de Farahâbâd et était venu en ville pour recevoir les vœux du corps diplomatique, y répondre, se montrer au peuple sur le trône de marbre, recevoir les souhaits de la nation exprimés par un orateur et un prêtre

292

georges ducrocq, journal de perse

(sic), les acclamations des soldats et pour {175b} assister au défilé des troupes. Le défilé, comme celui de l’an dernier, fut un triomphe pour les Cosaques. Ces gaillards d’Hamadân, à la mine féroce, coiffés de papachas extraordinaires, défilèrent à un pas très vif, très alerte, rythmé par une musique endiablée. Eux seuls ont l’air martial. Les gendarmes défilent à l’allemande, avec un ressort dans les épaules, une démarche d’ataxique. Les vieux sardârs, pliant sous les décorations, sont moins nombreux que l’an dernier. Sa Majesté était grave, soucieuse. Son magnifique diamant brillait sous l’aigrette. Mais je songeais aux paroles de son oncle, Nosrat os-Saltana, qui me disait : « Il n’aime pas les affaires de l’État. il est nerveux, instable ». En Perse, il veut partir en Europe. En Europe il voulait regagner la Perse. Et je me demande si quelqu’un auprès de lui ne cultive pas cette nervosité et cette incurable frivolité. Le Valiahd231 est plus énergique, c’est tout autre chose, dit Nosrat osSaltana. Mais il ne régnera pas. Et lui même, Nosrat os-Saltana, est nommé gouverneur de Chiraz : on l’éloigne de la cour, comme on a éloigné Azod osSoltân. Peu à peu le shah voit autour de lui le vide {176a} grandir. L’éclat des uniformes, écarlates, bleu du roi, sous le soleil des hauts plateaux rivalise avec les jeux de la lumière sur les bassins, dans les miroirs des hautes salles de parade. Vieux fastes, jardins incomparables, royauté finissante, derniers feux du luxe et de la splendeur asiatique, que sera la Perse de demain, égalitaire, spartiate, antialcoolique, anti aristocrate, niveleuse et socialiste. Mas‘ud me dit “ses projets”. Il n’a pas encore constitué son ministère, il ne le fera pas de sitôt. Il me paraît rêver. Les décisions dans ce ministère sont prises par le Seyyed. Il prendra Zamân Khan comme adjudant général, Habibollâh comme chef d’état-major, Riazi comme inspecteur. Mais quand ? Nous voulons 10 000 Cosaques. Rezâ Khan disait 30 000. Nous en avons 6 000 à Téhéran. Il y en a 2 500 à Qazvin. Ceux-ci relèveront à Qazvin les Anglais qui partiront fin avril. Les Cosaques de Téhéran demeureront en ville. La Police du Sud n’y viendra pas. C’est une troupe assez médiocre. Elle sera portée à 10 000 pour la défense de Chiraz et d’Ispahan, elle ne coûtera plus que 25 000 tomans par mois. On ne gardera que 10 officiers anglais dont colonel Fraser. {176b} Le front de Manjil sera confié à plusieurs officiers anglais, dont Smyth. Le Seyyed est patriote ; Mas‘ud croit que les troupes persanes seront assez fortes pour s’opposer aux misérables bolcheviks de Racht. Si ceux-ci arrivent à forcer le front de Manjil, on brûlera Qazvin devant eux, on brûlera même Téhéran. 231  Mohammad-Hasan Mirzâ (1899-1943), deuxième fils de Mohammad-‘Ali shah.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

293

L’argent, c’est l’Angleterre qui va l’avancer. Comme le gouvernement du Seyyed menaçait d’émettre des bons du Trésor, qui auraient concurrencé les billets de la Banque, l’Angleterre se décide à avancer au Gouvernement trois années de revenus annuels des Pétroles du Sud (400 000 livres sterling). Cela leur fera 40 millions de tomans qui leur permettront de payer leurs troupes et de vivre 6 mois. Dans 6 mois les finances de l’État rapporteront. Les munitions, c’est l’Angleterre qui va les fournir : 2 000 fusils à Mašhad, 4 canons, 20 mitrailleuses ; 30 000 obus Howitzer [orbités] ramenés de Tauris ; Qazvin fournira 5000 fusils, 2 batteries d’artillerie, 2 autos blindés. Les troupes de Mésopotamie en se retirant laisseront une partie de leur matériel à la Perse dont une télégraphie sans fil qui sera cédée pour 50 000 tomans. {177a} 22 mars 1921 J’ai sollicité hier du général Cory l’autorisation d’aller visiter les positions anglaises à Manjil. Il me l’a accordée. L’attaché militaire anglais me préviendra quand la route sera libre. Le danger du régime actuel est que nous nous acheminons vers la xénophobie. Les étrangers seront bientôt traités comme une quantité négligeable. C’est la tendance bolchevik. Les capitulations ne sont plus reconnues. Les Persans ont la prétention de juger des étrangers devant leurs tribunaux. Lundberg est poursuivi pour vol. Mas‘ud parle de le faire passer au Conseil de guerre. Même tendance dans les prohibitions. Sous prétexte de prohiber le luxe, on veut empêcher les importations d’Europe. C’est ainsi que le commerce avec la France sera ruiné puisque l’on interdit la vente des alcools, du vin, des soieries, des parfums et leur importation. C’est le retour à l’égalité démocratique. La Perse s’y soumettra-t-elle ? c’est un pays de privilège. On supprime les favorisés de la fortune et le régime de la recommandation. Fort bien. On veut réformer le système de la propriété, partager les grands domaines. Mais qui entretiendra les qanât, fera l’avance des semences, des instruments de labour et des bêtes de {177b} somme ? Il n’y a pas de crédit agricole en Perse. Le nouveau régime n’a pas encore touché aux biens de l’Église (sic !) ; ils sont innombrables. Le clergé n’a pas perdu beaucoup de son influence. Le temps est passé où un mot du grand mojtahed de Karbalâ pouvait déclencher la grève des fumeurs et ruiner le monopole du tabac donné à l’Angleterre. Les mollâs sont encore notaires. Eux seuls donnent l’authenticité aux actes. Si les paroles saintes ne sont pas prononcées le contrat ne vaut rien. Le Seyyed n’ose pas encore toucher aux privilèges de la religion. Il faut créer en Perse l’autorité civile et la justice civile. Il faut mettre la main sur les biens d’Église.

294

georges ducrocq, journal de perse

Au lieu de confisquer la propriété rurale il faut la contrôler. – À la conférence de Londres il a été décidé que le Kurdistan resterait turc. Ainsi l’Angleterre semble renoncer à son Kurdistan autonome pour lequel elle faisait il y a très peu de temps encore une vive propagande. Les Farmân-Farmâ étaient leurs agents à Kermânšâh. Le prince Mohammad-Vali Mirza est actuellement à Kermânšâh. {178a} Aussi a-t-on peine à croire que les persécutions dirigées contre les Farmân-Farmâ soient sincères. – Hier, au Valiahd qui va sans doute partir pour Tauris, le ministre d’Angleterre disait que l’Angleterre venait de signer un accord avec les Bolcheviks, par lequel ceux-ci s’abstiennent de toute propagande en Afghanistan, en Mésopotamie, au Khorassan. Le Mâzandarân, le Gilân et l’Azerbaïdjan ne sont pas mentionnés. On se demande pourquoi. Les Bolcheviks n’ont-ils pas l’intention d’évacuer ? Veulent-ils garder le Gilân tant que des troupes anglaises n’auront pas évacué la Perse ? Veulent-ils conserver ce sinapisme sur la présence des Anglais ? – Haig est fort ennuyé du scandale des Lassen232. Il fréquentait assidument chez les Lassen, lui, sa fille et son grand brigand de fils. Les puritains et les têtes rondes ont de ces faiblesses. Le colonel Haig est très excusable d’avoir pris Mme Lassen pour une femme du meilleur monde. Il a vécu douze ans à Ispahan. – Raymond opère une conversion sérieuse vers le ministre d’Angleterre auquel, avec sa loyauté habituelle, il doit dire pis que pendre de moi. Je me souviens qu’il y a quinze jours Mme de Raymond me disait dans son salon : « Ces Anglais ! comme je comprends maintenant que M. Bonin les détestait. Je ne les avais jamais vus à l’étranger. {178b} Je vous assure que maintenant je les déteste plus que les Allemands . . . et vous savez, ajoutait-elle d’un ton tragique, ils sont capables de faire assassiner tous ceux qui s’opposent à leur politique. » Je suis persuadé que la réconciliation éclatante de Raymond vient de la frousse dans laquelle il a vécu, lui et sa femme, durant quinze jours. 23 mars 1921 On n’empêchera jamais les lois géographiques de régir la destinée de la Perse. Le Nord restera éternellement incliné du côté russe, vers la Caspienne, le Caucase, son débouché naturel, sa voie de communication avec l’Europe. Les affinités des provinces du Nord avec la Russie sont évidentes. L’amabilité russe plaisait 232  Voir le journal d’Hélène Hoppenot, entrées du 9 mars, 6 juin, 27 septembre, 11 octobre, 9 et 16 novembre 1920.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

295

à ces races fortes, assez belliqueuses, assez semblables à celles du Caucase et ce fut un jeu de faire des Cosaques avec ces Persans septentrionaux, aussi mûrs pour la discipline russe que les Géorgiens et les Turcomans. La production du Gilân, du Mâzandarân, de l’Azerbaïdjan allaient vers la Russie. Avec le riz du Gilân qui ne se consomme pas en Perse (il est trop mauvais) on faisait en Russie certains apprêts pour les étoffes. Les fruits secs, raisins, amandes, abricots partaient en Russie. Les soies, {179a} le coton, le [lin ?] partaient en Russie. Peut-on laisser longtemps encore une province sans relations commerciales avec le Nord ? Leurs marchandises ne peuvent passer par Bagdad : la voie est trop longue, trop coûteuse. La Perse voit son négoce paralysé, elle étouffe, elle sera bientôt exposée à la famine. C’est un pays verrouillé qui ne communique plus avec l’univers que par le pertuis Hamadân – Kermânšâh – Bagdad, où les Anglais montent la garde. Le gouvernement persan, actuel, que les Anglais croient tenir en main leur échappera comme tous les autres. Les Persans joueront l’éternel jeu d’équilibre et de bascule. Ils opposeront la Légation bolchevik à la Légation anglaise. La même politique dure depuis cent ans. On annonce l’arrivée prochaine du ministre des Soviets avec 70 propagandistes. Ceci est assez redoutable. Quand il sera ici, les débris de la Division cosaque, des Russes subalternes renvoyés, les Kazakbachi, se rallieront au drapeau rouge. Les officiers russes en Perse formaient une mission militaire dont le chef faisait fonctions d’attaché militaire. Les officiers étaient nommés par l’étatmajor de l’armée russe. Le chef de la mission étant en même temps chef de la Division des Cosaques faisait appel à leur concours. Instructeurs de la Division {179b} ils ne faisaient pas partie de l’armée persane. Le chef de la mission militaire relevait du ministre de la Russie qui lui imposait son orientation politique. Starosselsky a rompu avec ces traditions il a voulu jouer un rôle politique indépendamment de la Légation, et engageait lui-même les officiers russes qu’il trouvait en Perse, partout, et qu’il créait. Il se faisait ainsi une garde de créatures. Avec Bravine il fut très politique. Il imagina de lui envoyer, sur sa demande, une déclaration de principe où il affirmait la fidélité à l’ancien régime des officiers de la Division. L’autre n’attendait que cette occasion pour s’emparer du document en question et polémiquer. Sur la question turcomane Ravitch estimait qu’il fallait établir des bureaux de poste et de télégraphe et recruter des Turcomans en leur faisant des conditions avantageuses. Vosuq od-Dowla marchait dans ce sens quand il fut renversé. La guerre avec les Turcomans, les colonnes contre les turcomans sont un leurre.

296

georges ducrocq, journal de perse

{180a} Manučehr Khan a placé un révolver sur sa table, mis son frère à la tête de la police et il exige l’exécution immédiate, en une heure, du nettoyage de la ville. Il joue les Robespierre. Rezâ Khan était domestique chez Farmân-Farmâ. La princesse, femme de Farmân-Farmâ, est allée le supplier pour son mari. Rezâ Khan s’est laissé attendrir. Il est allé demander à Seyyed Ziyâ od-Din la grâce de Farmân-Farmâ qui lui a été refusée. Celui-ci est réveillé toutes les heures, avec un revolver sous le nez. Comme il est vieux, on le prive de sommeil afin d’obtenir de lui le secret de sa fortune. Mais le vieux refuse de parler, il dit : « Tuez-moi, je suis vieux, je ne suis plus bon à rien ». Et il ne signe pas le chèque qu’on lui demande. Quant à Firuz, on assure qu’il est battu tous les jours, jusqu’ici sans succès. On a offert aux prisonniers de les promener sous une forte escorte de cosaques : ils ont refusé. Il y a autour de leur prison, Qasr-e Qâjâr, deux batteries d’artillerie dirigées contre la ville. Anglais, Russes se disputent depuis un siècle la Perse. Pourtant la langue française s’y est enracinée. Elle est une forme de la résistance persane, {180b} et l’instrument de culture le mieux adapté à ce peuple extrêmement intelligent, aristocrate de l’Asie. Orient et Occident – L’avis de tous ceux qui ont affaire directement aux Persans, actuellement, comme les Molitor, est qu’il souffle parmi eux un vent d’insubordination et d’impertinence rare. Les Persans s’émancipent. Une idée communément répandue parmi eux est que les maux de la Perse sont dus à l’intervention des Légations étrangères en Perse. Si l’on impose à ces Légations une conduite plus réservée, si on les empêche de s’immiscer dans la vie politique du pays, on y ramènera le calme. Supprimer les intrigues étrangères, c’est le mot d’ordre des nationalistes. Il faut ajouter que les Orientaux se font de la situation de l’Europe l’idée la plus désavantageuse. Ils sont convaincus que la Grande guerre n’a été qu’une tuerie fratricide entre peuples européens tous animés du même désir de conquête et d’impérialisme. Les mobiles humanitaires mis en avant par les Alliés leur semblent une attitude de convention. Ils ne croient pas à la guerre du droit. Ils ne croient pas non plus à la défaite de {181a} de l’Allemagne ni à la victoire des Alliés. L’Allemagne avait fait de grands efforts pour implanter son prestige en Asie. Elle avait dépensé en Perse des sommes énormes. L’armistice n’a pas paru l’aveu de la défaite. La retraite en bon ordre des armées allemandes, les pourparlers laborieux de la paix, l’absence d’exécution du Traité de Versailles,

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

297

le relèvement rapide de l’Allemagne, sont autant de motifs pour les Orientaux pour croire au triomphe précaire des Alliés. La propagande allemande de guerre avait habilement dénaturé l’image des hostilités, exagéré les victoires de l’Allemagne, caché ses défaites. La propagande des Alliés fut faible en Orient, celle des Bolcheviks continue celle de Berlin après l’armistice. Les Orientaux sont très adroits quand il s’agit de découvrir les défauts des Occidentaux. Ils aperçurent très vite que l’Europe, embarrassée par ses propres difficultés, tâtonnait dans la question d’Orient. Les divisions des grandes puissances lui parurent un moyen de s’émanciper de leur tutelle. La guerre de 1914 à 1918 suivie des guerres bolcheviks de 1918 à 1921, les secousses et les crises de l’Europe leur montraient l’affaiblissement des nations qu’ils avaient redoutées jusqu’ici. L’heure du déclin de l’Europe leur paraît sonnée. {181b} Des encouragements leur viennent des Turcs d’abord qui ont refusé de reconnaître les décisions des Alliés à leur égard et, se moquant du traité de Sèvres, ont réglé eux mêmes avec les Arméniens et les Bolcheviks leur destinée. Mais surtout l’appui est venu du bolchevisme libérateur, qui, s’appuyant sur l’Asie, protège toutes les revendications des peuples fatigués du joug européen. Moscou les engage à supprimer les Capitulations, il renonce aux conquêtes du tsarisme, il invite l’Asie à une révolution politique et sociale, qui n’attaque pas les principes de l’islam et, bien que les doctrines bolcheviques proprement dites aient peu de chance de succès en Asie, la puissance politique des Soviets, ennemie des grands Alliés, est devenue pour les peuples asiatiques le point d’appui indispensable, le levier sur lequel on compte pour se libérer. Enfin, un autre encouragement est venu des Indes et de l’Égypte. Ainsi les vexations contre les Européens se multiplient : mépris des usages établis depuis des siècles, dédain des vieux [privilèges], gardes imposées aux Légations comme au dernier coup d’État persan pour les empêcher de pratiquer leur droit d’asile et d’accueillir sur le terrain des légations les {182a} Persans fugitifs ; chicanes faites aux Européens sur l’exécution de leurs contrats, prétention de les faire passer en justice devant des tribunaux persans ; renvois cavaliers sur les accusations sans preuve d’Européens engagés par le gouvernement persan avec contrats, interdiction d’importation de marchandises européennes ; entraves mises aux affaires des Européens ; révision des concessions ; contestations avec la légation de France par exemple sur la protection française donnée aux Syriens que le ministère des affaires étrangères persan refuse d’enregistrer – lutte contre le français dont l’enseignement dans les écoles persanes est supprimé ; prétention d’assimiler les écoles françaises aux écoles persanes et de les unifier ; insécurité des Européens ; ton des journaux jugeant avec condescendance les affaires de l’Europe et prenant en pitié son désarroi ;

298

georges ducrocq, journal de perse

retour de l’orgueil asiatique persuadé de sa supériorité. Nous assisterons dans quelques années dans tout [le monde] musulman233 à une explosion de xénophobie, oui il faut voir la main de la propagande bolchevik et la revanche de l’Allemagne. 24 mars 1921 Une des causes du déclin du prestige européen en Orient est aussi la conduite des Européens. Les uns s’y conduisent en despotes, les autres s’y laissent aller à toutes les licences, sous prétexte qu’ils {182b} sont en Orient. Ils se montrent pires que les Orientaux, ils joignent leurs vices à ceux de l’Occident. Un certain nombre de fonctionnaires étrangers ont été reconnus véreux, vénaux, pris la main dans le sac. Les Persans dans ces occasions enflent la chose, généralisent. De là à accuser les étrangers d’une corruption égale à la leur il n’y a pas loin. Les Français à l’étranger y transportent leur absence de tonus, leur débraillé, leurs habitudes de critique et de dénigrement d’eux-mêmes, leur manque de respect pour toutes les autorités constituées. C’est ainsi que le prestige des légations a souffert de l’accroissement des colonies. On a vu des présidents de colonies ou d’Alliance française entrer en conflit avec la Légation, ce qui a beaucoup nui à l’ascendant des légations. On ne peut s’imaginer, si on ne l’a vu de ses propres yeux, de quelle malignité est capable une colonie jalouse, épiant la [justice] de son représentant, le dénonçant à Paris sur des rapports mensongers, travestissant ses moindres actes, et l’accusant au minimum de viol et d’assassinat, c’est un joli chapitre de la psychologie humaine. Enfin certains diplomates n’ont pas de l’Orient {183a} une idée assez juste. Ils y sont inexpérimentés. Ils en ignorent les convenances, les hypocrisies, les usages. Ils laissent empiéter sur leurs prérogatives, tomber en désuétude leurs privilèges, ils transigent sur des questions de protocole, sur des articles des capitulations. Ils consentent par exemple à ce que l’extraterritorialité soit annihilée par la présence des gardes à leur porte, qui entravent les relations des habitants du pays avec eux. Enfin l’attitude hésitante de l’Angleterre en Orient a beaucoup impressionné l’Asie. Le recul des troupes anglaises à Anzali a été interprété comme un signe de faiblesse. L’évacuation du Caucase, du Turkestan, de la Perse et, dit-on, de la Mésopotamie, n’est pas faite pour rehausser le prestige des armes alliées en Orient.

233  Texte : dans tout l’Islam musulman.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

299

24 mars 1921 Il y a du mécontentement. Les partisans des grands personnages sont nombreux. Farmân-Farmâ, à lui seul, peut lever 50 000 hommes. On veut lui faire signer l’aveu de sa trahison, de sa concussion et l’abandon de ses biens à l’État, ainsi que la renonciation pour lui et ses fils à toutes fonctions publiques en Perse. Naturellement il refuse . . . « Assassinez-moi, déclare-t-il. Je suis trop vieux, mais je ne signerai pas cela. » Il sait d’ailleurs que, s’il signait, sa vie serait également en danger. {183b} Mohammad-Vali Mirza, son fils, s’agite à Kermânšâh. Il racole des partisans. Dans le peuple, dans le clergé, on est mécontent de la forme illégale, de la tournure bolchevik que prennent ces exécutions. Ce sont des appels au bolchevisme. Elles préparent la venue des bolcheviks qui trouveront la moitié de la besogne faite. Aucun membre du clergé n’est venu à Nowruz à la réception du shah. À Hamadân, à Tauris, à Mašhad le coup d’État est mal accepté. Il fallait réunir une Cour de justice. Il est inexact que les Anglais soient intervenus en faveur de Farmân-Farmâ. Le coup est fait par eux. Parmi la classe dirigeante règne un émoi, la crainte du bolchevisme. La confiscation des biens, des visiteurs, des chevaux inquiète tous les propriétaires. Le shah a connu le coup ; il en était partisan. Il est content du Seyyed Ziyâ odDin qui fait ce qu’il a conseillé vainement au Sepahdâr de faire : des réformes. Nosrat os-Saltana obtient le gouvernement du {184a} Fars en récompense de son zèle anglophile. La France se ferait le plus grand tort en se solidarisant avec une politique basée sur la violence et l’illégalité. Au fond Lesueur, professeur de droit, avait raison de dire : « mes cours n’ont plus de raison d’être ». Firuz n’était pas partisan de l’engagement des médecins français. C’est Loqmân od- Dowla234 qui pousserait le plus à la roue. Les Anglais sont parvenus à un tel degré d’impopularité que le jour du Nowruz les Persans renonçaient à mettre leurs décorations étrangères pour n’avoir pas à porter les décorations anglaises. 25 mars 1921 La Perse s’achemine vers le bolchevisme. Les Anglais ont supprimé l’armature sociale qui s’opposait à leur omnipotence. C’est à dire l’oligarchie aristocratique, moins souple, moins maniable que des politiciens que l’on tire de l’ornière et qui obéissent aux ordres. Les méthodes de gouvernement actuellement pratiquées en Perse sont d’une illégalité parfaite, elles nous reportent au 234  Confusion possible avec Loqmân ol-Molk.

300

georges ducrocq, journal de perse

xvie siècle et à l’inquisition. Plus de tribunaux. La question. Le gouvernement absolu. La dictature. Plus de Parlement. Des oukases. Qui ne voit que le peuple, qui n’est pas mécontent d’être délivré de ses aristocrates mais qui sent la main étrangère dans le régime actuel se retournera demain contre les maîtres du jour et se jettera dans le bolchevisme, dont il commence à faire l’apprentissage, pour {184b} se libérer des Anglais. Nous marchons aux pires catastrophes. Dans un mois d’ici nous aurons la révolution en Perse. Hoppenot a égaré l’invitation du palais qui priait les dames de se présenter hier devant le shah pour y recevoir le présent de Noruz, si bien que madame Hoppenot et Marie étaient absentes de cette cérémonie. Aliette qui a prévenu Mississ Caldwell s’est bien gardée de la prévenir235. Légation – Quand, l’avant-veille du coup, Samsâm os-Saltana et Sardâr Zafar ont prié Hoppenot de leur fixer un rendez-vous, celui-ci s’est esquivé. Les Bakhtyaris, à qui il avait demandé en janvier leur appui, ne sont pas enchantés de ce manque de réciprocité. Sardâr Ašraf, fils de Samsâm os-Saltana, est venu demander si on lui donnerait le bast à la Légation. On lui a répondu négativement. L’Angleterre exerce ses vengeances. Est-ce le rôle de la France d’y collaborer ? Nosrat od-Dowla avait reçu à Kermânšâh la proposition du coup. Il avait refusé. – Quand je serai ambassadeur à Londres, dit Hoppenot, j’aurai un excellent cuisinier. 26 mars 1921 {185a} Parmi les causes de mécontentement des Persans contre les Alliés il faut compter l’insuccès de la mission diplomatique de Mošâver ol-Mamâlek que le conseil des ambassadeurs refusa d’entendre, à qui la Société des Nations ne donna aucun appui. La Perse s’est retournée alors sur Moscou. On parle de partage des terres, d’introduction des machines agricoles dans les campagnes persanes mais lorsque l’on voit les rayat poussant leur charrue primitive, rudimentaire comme celle d’Homère ou de la Bible, dans un champ de cailloux et par ce procédé archaïque, grâce au soleil, un filet d’eau qui descend de la montagne, la terre fertilisée, produisant des moissons admirables, on se demande comment des cultivateurs aussi frustres – et il faut bien le dire – aussi grossiers et abrutis par des siècles d’esclavage et de fatalisme, accepteront des machines américaines, des ingénieurs agronomes de Grignon et le 235  Pourtant Hélène Hoppenot décrit cette cérémonie et son protocole ridicule à l’entrée du 23 mars 1921 ; voir plus bas au 30 mars.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

301

partage des domaines qu’ils seront incapables d’exploiter. Demandez leur de cultiver avec l’aide de leur propriétaire le lopin de terre sur lequel de père en fils s’épuise la vigueur dont leur race dispose mais rien de plus. Qui prendra les risques des réparations des canaux si la récolte fait défaut. Qui avancera l’argent pour aménager la terre, acheter les semences et les bêtes de somme, etc. Ni routine ni radicalisme. Surveillez les mauvais propriétaires, mais {185b} n’espérez pas transformer le rayat. Dimanche 27 mars 1921 Pâques. Hier dîner Mac Murray au Club auquel assistaient le ministre d’Angleterre, le ministre de Belgique, le major [ 236] de Qazvin, les Lambert Molitor. Le ministre de Belgique fait une longue et interminable conversation avec le ministre d’Angleterre, le ministre, auprès de Marie, fait allusion aux divergences politiques de l’Angleterre et de la France. Marie lui répond que ces divergences ne sauraient altérer l’amitié des deux pays. Lundberg est menacé d’être expulsé par les Cosaques – manu militari – c’est le cas de le dire (souvenir du projet d’évacuation). On lui refuse l’enquête qu’il demande. On le bannit pour complot contre la sûreté de l’État. Il aurait été en relations, lui et Fazlollâh Khan, avec les bolcheviks. À Fazlollâh on prend 2 millions de tomans qu’il a ramassés dans le butin de [Nâyeb] Hoseyn237 et il est question de le pendre. La Légation de France a pris, comme elle le devait, la défense de Lundberg qu’on ne peut condamner sans preuve. Le ministre des Affaires étrangères, Modir ol-Molk, qui a pourtant fait son apprentissage diplomatique avec M. Lecomte a écrit à ce sujet une lettre d’un ton {186a} extraordinaire à notre chargé d’affaires, dans laquelle il lui annonce la mesure de bannissement prise contre Lundberg pour motif politique et objecte que la Légation de France étant avertie n’aura pas à protester contre cette mesure. Étrange conception des garanties des étrangers et du devoir de notre Légation. Ce matin grand’messe solennelle. La France est à l’honneur et Raymond me dit très justement : Il faut venir en Orient pour sentir quelle force a encore en Asie le protectorat des chrétiens. – La nouveauté de la réception du Golestân pour le Salâm est que le chargé d’affaires de Russie (Hildebrandt) n’y a pas été convoqué. Le chargé d’affaires turc n’y était pas. Les relations sont donc rompues avec le représentant de l’ancien régime. On attend le ministre bolchevik à Téhéran.

236  Laissé en blanc dans le texte, peut-être Edmonds. 237  Sur ce brigand de Kâšân exécuté en septembre 1919 et son arrestation par Fazlollâh Xân, voir les entrées des 14 mai, 28 août et 17 septembre 1919.

302

georges ducrocq, journal de perse

27 mars 1921 Promenade charmante à cheval dans la plaine de Došan-Tapa, couverte d’un duvet de printemps, vert émeraude. La lumière resplendit sur l’Alborz couvert de neige et le petit palais de Nâser od-Din Shah, en ruines, s’accroche aux flancs arides de la montagne, comme ces ruines âpres et fauves que l’on trouve en Espagne sur des roches dénudées. Parfois Téhéran fait songer à Tolède. Même soleil furieux sur les pierres calcinées, même plaine vibrante, même ensablement, mêmes versants. C’est pourquoi la vie {186b} mondaine est si gaie, si gracieuse, a tant de charme. Les Persans savourent leur torpeur pour briller et comme les Espagnols ils sont sémillants. La vie n’est jamais morne en Perse. Elle réserve toujours de l’inattendu. Le cœur s’habitue tellement à une secousse qu’ailleurs la vie paraît fade. Mais, si l’on reste un peu longtemps sur ce plateau épuisant, un beau jour la corde casse. Les morts subites sont fréquentes en Perse. À l’horizon des pierres, des os blanchis de chèvres ou de mouflons brillent, un troupeau immobile ressemble à un collier de perles noires. Les maisons de campagne, isolées, entourées de murs, bastionnées et méfiantes derrière leurs remparts donnent la plus haute idée des mœurs persanes, encore féodales. La tour de Vosuq od-Dowla se dresse, solitaire, dans la plaine, au milieu d’un petit bois de pins : elle ressemble à un observatoire astronomique ou à un mausolée. Le président du conseil ne peut l’habiter. S’il était ici, il serait en prison. Ses automobiles viennent d’être saisies. Sa femme a en vain protesté. La Perse n’a ni lois ni justice. Les plus forts sont les maîtres. {187a} 28 mars 1921 Lundi de Pâques Promenade à cheval à Rey (Raghès) avec les Wilhelm, les Hoppenot, les jeunes Tomasini et Bellan. Le printemps commence mais les bourgeons des arbres ne sont pas encore sortis. Les champs d’orge sont déjà verts. La lumière est d’une qualité inouïe, pure, transparente, légère, mettant en relief tous les objets, donnant à chaque détail du paysage une valeur exquise. De l’acropole de Rey le regard s’étend sur un vaste amphithéâtre de montagnes les unes neigeuses, comme l’Alborz, les autres bleues et lointaines comme celles de Kâšân à 80 kilomètres. Paysage inoubliable. Je retrouve l’impression de l’arrivée, cette atmosphère de mirages, cette clarté de perle, ces montagnes suspendues dans un air surnaturel tellement il est pur. Il n’y a rien et cependant la beauté est partout. C’est l’illumination du néant. Nous fouillons la terre et nous y trouvons des morceaux de poterie d’un bleu exquis, avec des reflets irisés qui ont fait la gloire de la céramique persane du xiiie siècle.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

303

30 mars 1921 Le shah a reçu Madame Hoppenot, Mme Wilhelm et Marie en audience particulière, car le protocole les ayant l’autre jour convoquées trop tard, elles n’avaient pu se rendre à la cérémonie du Noruz. Le shah a pris plaisir à cette réception familière. Il s’est beaucoup intéressé aux toilettes {187b} des dames et il a beaucoup apprécié la robe beige de Mme Hoppenot. Il a dit à ces dames combien son sort était peu enviable et son vif désir d’aller à Paris. Il trouve Téhéran laide, la tâche lourde, la vie solitaire, triste, ennuyeuse. Il parle évasivement de Londres, de Bruxelles. Quand nous revenions à Paris, dit-il, j’avais l’impression de rentrer chez moi. – Il a donné ensuite aux dames la pièce d’or traditionnelle. Il a dit à Madame Wilhelm qui lui vantait le charme d’un séjour à Téhéran : Il faut que vous soyez très amoureuse de votre mari. Il n’a pas voulu croire qu’au Brésil il n’y ait pas d’hiver, comme le lui affirmait madame Hoppenot. Fedoroff revient de Qazvin ; il a passé du 7 février au 25 mars 45 jours à attendre à Qazvin que la route fût rouverte. Elle ne l’a jamais été. Il avait été prié par Wickham le 7 février de partir sans délai pour prendre part au convoi du 11. Personne n’est passé sauf le général Dickson qui est parti à cheval. Il y a des bolcheviks latents à Qazvin comme à Téhéran. On vend le matériel, les automobiles. Les Russes qui sont à Qazvin, indignement exploités par les mercantis du front, attendent toujours le miracle, la chute des bolcheviks. {188a} Hildebrandt est toujours mystérieux et circonspect. 31 mars 1921 Modir ol-Molk a montré à Hoppenot une protestation du chargé d’affaires allemand Sommer qui souligne plusieurs passages du Bulletin de l’Alliance hostiles à l’Allemagne. Hoppenot me prie d’atténuer ce que ces communiqués pourraient avoir de trop désobligeant pour les Bolcheviks, de façon à ne pas nous attirer leurs représailles. Ils ont, paraît-il, l’intention de dresser ici trois postes de réception et d’émission. Le gouvernement persan voudrait s’y opposer. Mais les Bolcheviks répliqueront que le gouvernement français a ici une tsf et ils ajouteront que cette tsf fait de la propagande contre eux. Le gouvernement persan sera dans l’embarras pour leur répondre. Il se peut que le gouvernement persan se saisisse de ce prétexte pour détruire la tsf française.

• On annonce l’arrivée du ministre bolchevik par Mašhad avec une suite réduite. En réalité les Persans passeront par toutes les exigences bolcheviks. • Le colonel Huddleston est à Qazvin pour réorganiser le front avec le ministre de la guerre Mas‘ud.

304

georges ducrocq, journal de perse

• Le colonel Smyth inspectait les canons avant le départ des Cosaques de Qazvin. • Le ministère de la guerre s’est attaché Zamân Khan. Celui-ci est parti à

Qazvin organiser la relève du front. Les Anglais ont bien l’intention de partir le 15 avril. {188b} Cinq mille hommes vont les relever : les 2 500 cosaques de Qazvin, 1 000 pris à Téhéran, et 500 gendarmes de Qazvin 500 gendarmes de Téhéran pris à Habibollâh Khan.

Les armes, le matériel seront fournis par les Anglais aux Persans. Ils leur donneront des canons, des engins de tranchée, tout ce qu’ils laisseront sur le front. Le général Porghy [ ?], adjoint de Smyth, partira de Qazvin pour Bagdad afin de régler cette question. Il y a un grand conflit entre Mas‘ud et le Seyyed au sujet de la formation du ministère. Mas‘ud voulait y introduire la gendarmerie et que les officiers suédois fussent sous ses ordres. Le Seyyed ne le voulait pas, craignant les contrecoups chez les bolcheviks, de cette intervention étrangère dans la formation de l’armée. Mas‘ud a tenu bon, a menacé de donner sa démission. À la fin le Seyyed lui a dit : « Faites comme vous le voudrez. » Il est parti avec Huddleston régler les questions du front.

• Le général Dickson est parti en automobile (celle de Caldwell) de Téhéran

mais à Karaj il est monté dans un fourgon de poste. C’est donc dans cet équipage qu’il a rencontré le colonel Smyth qu’il a agonisé de sottises. Puis il est arrivé à Qazvin {189a} où Zamân Khan est venu le recevoir et lui dire que les logements avaient été préparés pour lui. Mais le général ne décolérait pas, il le reçoit fort mal – lui parle de ses amis les traîtres – et finit par lui dire : « Télégraphiez au Seyyed qu’il m’assassine en route car, si je réchappe de la Perse, je vous certifie que je dirai en Angleterre ce que vous avez fait, vos amis les traîtres, Massoud, Seyyed Ziyâ, Smyth et ceux de la Légation d’Angleterre qui les ont aidés. Je dirai que j’ai été chassé ignominieusement de Perse et que l’on a vu un général anglais voyager en fourgon de poste : – Je suis Persan, j’aime plus la Perse que les Persans. Je n’ai jamais cru à l’accord et quand je suis venu de Mašhad c’était avec l’intention de le démolir. » Comme Zamân Khan lui faisait remarquer qu’il avait pris part à la commission formée en vertu de l’Accord et qu’il était impatient de le mettre en vigueur, il répondit : « Personne ne m’a compris. J’étais l’ami de la Perse. Mes ennemis étaient à la Légation d’Angleterre et j’ai dû quitter Téhéran, sur un ordre, en vingt-quatre heures et sous la protection du ministre d’Amérique qui a empêché que l’on ne m’assassine et m’a conduit jusqu’à Karaj. Mais je reviendrai dans ce pays et ce jour-là, je vous préviens, je vous

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

305

ferai pendre, vous et vos amis les traîtres. » – Zamân Khan le remercie vivement {189b} d’avoir bien voulu le prévenir et lui dit qu’il s’empresserait, dès qu’il apprendrait que le général Dickson avait passé la frontière, de la passer par un autre côté. Le général est parti à mulet pour Hamadân. En réalité il paraît certain qu’il conspirait avec son ami Mahdi Khan238, qu’il intriguait contre le gouvernement. « Vous avez arrêté tous les patriotes, a-t-il dit à Zamân Khan, Modarres, Mahdi Khan . . . » Ainsi le général était tombé dans les filets des intrigues les plus démocrates et il était en connivence avec des Arméniens comme Mirzayans, sans doute par sympathie de race239. On mit fin à cette cabale en le bannissant. Il se pourrait qu’il arrive à Londres moins en accusateur qu’en accusé car il a à répondre des 100 millions dépensés dans la route de Mašhad. Les Anglais l’ont liquidé en déclarant que c’était un voleur. On ne peut qu’admirer ce dernier trait. Haig a eu Dickson. Le dernier tenant de Dickson à la légation est Wickham. {190a} 1er avril 1921 Arménie. Visite à Ipekiân. Il me dit l’importance que peut avoir pour la France une politique arménienne. La force que représente l’Arménie. Son patriotisme. Le réseau de force financière et économique que représente l’Arménie : ses attaches avec le Caucase, la Turquie, la Russie, l’Égypte, la Perse. Il y a 100 000 Arméniens en Perse . . . Tauris est une ville arménienne. L’Arménie, c’est la porte de l’Asie centrale. En Cilicie nous avons besoin des Arméniens. Si nous ne faisons pas une politique arménophile, l’Angleterre la fera. Mésopotamie. Vu le major [Bovil ?] officier politique à Karbalâ depuis un an et demi, en Mésopotamie depuis six ans. Il me confirme que tous les mots d’ordre du monde musulman en Mésopotamie ou en Perse partent de Karbalâ et de Najaf. Nous sommes à Derbesar, sur l’Euphrate, nous y avons transporté 6 000 bédouins d’Alep commandés par 6 officiers et 6 sous-officiers français. Nous avons l’intention de fixer les Assyro-Chaldéens entre Nesibin et Jazira, sur le Tigre. C’est à l’Amérique de les transporter. 3 avril 1921 L’Angleterre sait très bien ce qu’elle fait en désirant garder la Perse. Elle en a mesuré toutes les richesses, toutes les possibilités comme disent dans leur 238  Voir l’entrée du 26 février 1921. 239  Il était né à Téhéran de mère arménienne.

306

georges ducrocq, journal de perse

jargon les modernes. Elle sait quels trésors {190b} renferme le sous-sol persan qui ne sera entrouvert que le jour où la Perse sera devenue une colonie persane. Défense des Indes ? Blague. Ce que veut l’Angleterre, c’est la richesse de la Perse. Elle veut en chasser ses rivaux. Elle emploiera tous les moyens pour y réussir. Nous dinons au club avec les Hoppenot et les Wilhelm. Hoppenot déclare que sir Percy Cox était une autre tête politique que son successeur. Il admire, il dévore la Perse, maintenant qu’il est sûr de garder sa gérance toute l’année. L’enivrement de la danse est une chose étrange. Elle opère comme un breuvage, elle fait tourner la tête et livrer la femme désarmée aux bras du danseur. Visite au front. J’apprends ce matin du colonel Huddleston pourquoi, malgré la promesse du général Cory, je n’ai pas été appelé à aller au front. La première semaine on m’a déclaré que la route était mauvaise. La seconde Huddleston est parti à Qazvin et au front, me laissant sans nouvelles. Il vient d’en revenir et il m’a déclaré que la relève des troupes est commencée et que le nombre des officiers limité ne permettait pas actuellement de me piloter sur le front mais que si je voulais, dans quinze jours, je pourrai visiter le front . . . persan. J’ai accepté. {191a} Mésopotamie. Le major Bovil dîne à la maison. Karbalâ où il a séjourné est un centre d’intrigue islamique de premier ordre. Rien ne se fait en Perse dans le domaine religieux qui n’ait été décidé à Karbalâ ou à Najaf. Quatre mojtahed à Karbalâ, quatre à Najaf. Tous corruptibles. Aujourd’hui le calme règne entre Bassorah et Bagdad. Une insurrection paraît peu probable au printemps. Le major va tâcher de me procurer l’autorisation de visiter le front de Mésopotamie. « Les Anglais sont peu polis, dit-il, mais j’y arriverai. » – On a mis hier les scellés persans sur les archives et la chancellerie de la légation de Russie pour le compte de [Rothstein]. Hildebrandt est donc considéré comme inexistant. Il reste à Téhéran mais sans doute pour se rallier aux Bolcheviks. L’ambition est le principal mobile de ce couple malheureux. Le major Bovil veut acheter une petite propriété en Algérie pour y finir ses jours : il est depuis 17 ans au service, il sait très bien l’arabe. Ses aïeux étaient Dunkerquois. 4 avril 1921 Le goût très développé des Persans pour les Américains provient de leurs richesses. Ils en attendent beaucoup. L’Angleterre pratique une politique de corruption en Orient, dans toute l’Asie. Elle finance. Elle essaye de faire battre les autres pour son drapeau. La question de l’honneur des armes la touche peu. Les troupes du général

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

307

Champain se sont retirées sans combat d’Anzali, abandonnant leur matériel. Les Persans {191b} en ont fait des gorges chaudes. L’Angleterre est indifférente à cela. Elle poursuit la conquête du pays dont elle sait la richesse future. Un personnel politique, trop corrompu, était usé. Elle le remplace par un nouveau. Elle arrive à ses fins. Les Turcs ont été particulièrement cruels avec les Anglais. Le général a été bien traité, mais ses officiers et ses soldats l’ont été moins. Il n’a rien su et c’est pourquoi il a demandé que l’on excepte de la liste des coupables le chevaleresque général turc qui l’avait si bien traité. Deux mille Algériens, faits prisonniers en Belgique, furent renvoyés par les Allemands aux Turcs. Ils refusèrent de se battre contre les Anglais. On employa contre eux la menace, les exécutions. Ils résistèrent. On les emmena en Mésopotamie où ils formaient des bataillons de travailleurs. Enfermés dans leur camp et malgré les punitions qui les frappaient, ils chantèrent la Marseillaise, le chant défendu. Beaucoup d’entre eux désertaient et gagnaient les lignes anglaises. Quel beau et touchant témoignage de fidélité à la patrie que cette Marseillaise chantée sur les bords du Tigre, dans la lointaine Mésopotamie par nos Algériens, plus français que musulmans. {192a} La situation du front à Manjil est la suivante : réserves à Manjil et à Touchian [ ?]. Quartier général à Rudbâr. Deux compagnies à Djoubine [ ?] deux compagnies à Rostamâbâd. Patrouilles anglaises vont jusqu’à Naglabar240. Avant-postes bolcheviks sont au confluent du Sefid-Rud et du Siâh-Rud. Espace de neuf kilomètres sépare les belligérants. Le général Cory est à Téhéran. Il me fait dire par Huddleston qu’il sera content de me voir jeudi soir à Qazvin, et qu’un officier d’état-major me conduira vendredi matin à Manjil. Les positions ne seront évacuées qu’à la fin de la semaine. L’évacuation complète sur Hamadân durera trois semaines. Essai contre moi. Hoppenot a reçu du ministère une demande d’explication sur un télégramme du Foreign Office se plaignant que la tsf française ait été mise à la disposition de l’envoyé afghan. C’est Sa‘d ol-Molk241 qui est allé raconter cette histoire à la Légation d’Angleterre après la conversation qu’il avait entendue chez l’envoyé afghan à qui je rendais visite et qui me demandait si je recevais, parfois, des nouvelles de Kaboul, son secrétaire étant sur le point de partir. Il n’a jamais été question de mettre la tsf française à la disposition



240  Lecture incertaine cf. R. Michael Burrel, ed., Iran Political diaries 1881–1965, vol. vi, New York, Norman Ross, 1997, p. 14. 241  Mohammad-Hasan Mâfi « Sa’d ol-Molk », frère de Nezâm os-Saltana et directeur des douanes et ports du sud.

308

georges ducrocq, journal de perse

régulière de l’envoyé afghan. Mais Haig s’est emparé de cette dénonciation du Sa‘d ol-Molk. Il a monté la tête au ministre qui s’excuse aujourd’hui auprès de Hoppenot et qui télégraphiera demain {192b} au Foreign Office dans un sens différent de celui de son premier télégramme. Hoppenot télégraphiera demain à Paris. Cet incident permet de juger certains procédés qu’emploient pour se débarrasser de ceux qu’il trouvent gênants des politiques sans scrupules. Une des choses les plus drôles que j’ai vues à Téhéran est le vieux père Haig, avec sa bonne figure de puritain. Tête ronde, amoureux de madame Lassen. Cet homme à principes, rigide pour les autres, roucoulant et amenant sa fille et son fils dans ce milieu, c’est à pouffer de rire. Le prince Mohammad Hoseyn Mirza [Farmân-Farmâ] chez le prince Nosrat os-Saltana dansait l’autre jour – bien que sa famille fût en prison. 7 avril 1921 Départ de Téhéran pour Qazvin242 ; avec le fils [Varnet ?]. Bon voyage prestement enlevé. J’ai emmené Roland. Nous passons sans difficulté, bien que je n’aie pris aucun laissez-passer. À Qazvin visites à [Alamir ?], à Manučehr, gouverneur de la ville. Impression agréable de nouveauté. La ville est pleine de soldats. {193a} 8 avril 1921 Nous partons le matin dans deux autos qui allaient passer par de rudes épreuves. Les torrents sont débordés. Nous arrivons devant un cours d’eau grossi par la crue. Edmonds s’y engage avec notre auto qui reste embourbée et qui est bientôt submergée et renversée, tandis que j’arrive à diriger l’autre auto sur l’autre rive. Je suis frappé de l’indécision des Anglais : ils restent devant l’obstacle, des heures, ils ne prennent aucune décision, ou, s’ils en prennent une, elle est mauvaise. Ils voient s’embourber successivement dans la même ornière plusieurs chars, ils y vont quand même et s’embourbent à leur tour. Ils semblent mûrir des abîmes de réflexion mais ils ne savent pas utiliser le terrain, découvrir le bon gué et s’en servir. Ils sont lents et froids, ils sont ternes. Ils n’ont pas comme nous mille idées en cinq minutes. Mais dans l’ordinaire de la vie ils réussissent mieux parce que la victoire est aux patients. Ils nous sont inférieurs devant l’obstacle. Je feuillette une revue anglaise conservatrice, Blackwood’s [Edinburgh Magazine], et j’y lis : conditions du succès : force, jugement, prudence, esprit 242  Pour toute cette partie, comparer avec Xâterât-e ‘Ali-Akbar Deraxšâni, (Bethesda – Maryland, Iranbooks, 1994, p. 124), qui décrit le front au départ des Anglais, du point de vue d’un officier cosaque iranien à la même période.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

309

d’entreprise, self control, caractère, confiance en soi. Immédiatement je rêve de posséder ces qualités viriles. {193b} Le colonel Huddleston et le colonel Fortescue nous rejoignent : ils partent au front pour organiser et commander les Cosaques. Fortescue a la canne à la main, le verbe impératif, des lippes à l’écuyère, son profil d’aigle le fait ressembler à une vieille chouette à la [Moltke] . . . Il s’assied au bord d’un fossé et lit une revue qu’il rencontre. Jamais son esprit n’est inoccupé. Mais c’est un crack. Huddleston est, paraît-il, un vrai soldat, un lutteur, un timide dans le monde, un robuste dans la lutte, un philosophe et un savant : il a horreur du monde. Nous rencontrons, chemin faisant, un Sardâr d’artillerie qui gagne le front, Amir Pandj. C’est lui qui prendra le commandement apparent des troupes. Un gâri nous transporte, vrai chariot de Thespis, à [Kuhin] où nous trouvons, grâce à l’ingéniosité d’Edmonds, bon logis et bon souper. Il va trouver le kadkhodâ du village et lui demande la plus belle maison. Celui-ci offre la sienne et nous prépare un repas. Première nuit de bivouac qui me rappelle ces bonnes nuits du front et je {194a} retrouve la camaraderie, les bonnes conversations sans arrière pensée. Fortescue se déclare bolchevik comme toujours et antialcoolique. Autour de nous on ne parle plus que turc. Nous sommes en pays Šâhsavan. Le sous-officier anglais de la station est un homme correct, bien habillé, au sourire granitique, qui fait un beau salut à ses supérieurs, regarde la pointe de ses souliers bien cirés mais ne trouve pas une solution aux difficultés qui les embarrassent. Nous passons la soirée à bavarder avec Fortescue. Huddleston et le jeune Coghlan, officier signaleur, lisant des livres enfantins avec un sourire de jeune fille. Bain de simplicité. Retour à la nature : l’Anglais y baigne. 9 avril 1921 Le lendemain nos autos nous rejoignent. Nous partons. Court espoir. Arrêt à Yosbachichaï. La montagne est tombée : 200 ouvriers la réparent. Il faut attendre jusqu’au soir. Je me promène avec Fortescue dans la montagne où nous trouvons du romarin et des iris sombres, bien découpés, admirables. La majesté de la terre est splendide. Toute la beauté de la Perse repose sur la pureté de l’air et l’ampleur des lignes sans mesquinerie. {194b} Fortescue me raconte que Dickson était devenu fou. Il avait tout fait pour hâter la chute de Vosuq od-Dowla, qu’il croyait hostile à l’exécution de l’Accord et il écoutait des perfides conseils de Mošir od-Dowla qui lui disait qu’avec son ministère tout irait bien. À peine président du conseil, Mošir odDowla refusa d’exécuter l’Accord. Dickson avait été joué. C’est Ironside tout

310

georges ducrocq, journal de perse

seul qui a décidé la chute de Starosselsky et l’expulsion des Russes. Dickson a fait des folies au Sistân : il a construit une route qui a coûté 5 millions de livres sterling, du Sistân à Mašhad avec caravansérails, hôpitaux, fontaines, bains, magasins, le tout en pierre, sur une longueur de 800 kilomètres. Non entretenue, cette route sera vite recouverte par du sable. Elle ne peut être un chemin d’invasion pour les Indes. À cinq heures du soir nous passons. Nous arrivons dans un petit poste tenu par un officier anglais tout jeune et charmant, rougissant comme une jeune fille [en marge : Lt Eliott]. Nous sommes à [Lowšân] et l’eau ruisselle plus fort que jamais sous l’arche du grand pont. Il pleut à verse. {195a} Un grand wagon de télégraphie sans fil est arrêté devant la station. Fortescue me dit que Dickson, en partant de Perse, a écrit à Caldwell que, s’il était assassiné en route, c’est au ministre des États-Unis qu’il confiait le soin de le venger. Dickson a fait échouer la mission militaire par son génie de l’intrigue poussé au plus haut point. 10 avril 1921 Nous partons à l’aube. Arrêt à Manjil. La colonne anglaise remonte, elle a quitté les positions, elle arrive à Manjil dont le pont est ébranlé par l’inondation. Pas un cheval ni un mulet pour nous conduire au front. Et la pluie continue. Longue journée passée à lire des illustrés. Le soir Edmonds commence à parler avec plus de franchise. Nous discutons la position de l’Angleterre. Il me dit que l’Angleterre n’est plus celle de Beaconsfield243, qu’elle ne veut plus d’expansion, de conquête, qu’il est lui même un petit Anglais. Mais hier il rossait un chauffeur persan qui n’allait pas assez vite à son gré. Donc l’abandon de la Perse et même celui de la Mésopotamie ne fait pour lui aucun doute. Finies, les conquêtes militaires. L’Angleterre va reprendre {195b} sa politique de négociations, d’influences. Elle peut à très peu de frais exercer le même pouvoir. La corruption est décevante. Très peu de personnel bien choisi vaut mieux que tant de colons inutiles. L’Angleterre gardera ses officiers politiques dans la Perse du Nord, sa légation. La Perse est-elle d’ailleurs un enjeu qui vaille tant de peine ? c’est un pays de 10 millions d’habitants à peine. Son commerce est insignifiant, comparé à celui d’une République américaine comme le Pérou. Il n’a d’importance que géographiquement. C’est un carrefour, un glacis pour les Indes. C’est pourquoi l’Angleterre doit le surveiller. Voilà tout. 243  Benjamin Disraeli (comte de Beaconsfield), m. 1881.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

311

– Près de Qazvin commence le pays où l’on parle turc. Pays šâhsavan. Le type a changé, il est plus robuste, il n’a plus cette allure souffreteuse et sournoise des gens de Téhéran. Il est plus allant. Les gaillards qui vous tirent de l’eau des torrents plaisantent entre eux. Si bien qu’un jeune ingénieur anglais dit à côté de moi : on pourrait peut-être faire quelque chose de ces Persans. Si on les employait dans une mine. {196a} Mais Edmonds ne croit pas à l’avenir économique de la Perse. Il fait valoir que la population est très réduite, 10 millions d’habitants, que le commerce y est insignifiant. Les ressources du sous-sol peu appréciables. Edmonds dit qu’on ne peut prendre la Perse au sérieux. Il a dit à Fazalelu : Mon cher, vous oubliez que le politicien, en Perse, est un comédien dont vous êtes l’arlequin. Fazalelu a réfléchi et il est revenu vingt quatre heures plus tard dire gravement à Edmonds : vous avez raison, la Perse est une comédie. De quel mépris le Téhérani est l’objet en province. On le considère comme un parasite. De Téhéran viennent les fonctionnaires voleurs, incapables, la nuée de fonctionnaires qui pillent le trésor. À Téhéran se mangent les revenus de l’État, à Téhéran pérore et pullule une tourbe d’intrigants, menteurs, fourbes, larrons. Téhéran ignore la province ; les plus hauts fonctionnaires ont les idées les plus fausses sur ce qui se passe dans le gouvernement. En dépit de cette antipathie générale Téhéran jouit d’un prestige incontestable. Un chef de tribu lor, baktyari, parle des Qâjâr comme d’un chef de tribu qui a réussi. Mais en même temps le gouvernement de Téhéran est celui que reconnaît la Perse. Téhéran demeure le foyer national. Dans d’autres villes il n’y a pas d’esprit {196b} public, Tauris a une existence rudimentaire et agitée, Mašhad est la proie des mollâs. Ispahan rêve et dort dans une molle sensualité. Les autres villes n’existent pas. Je passe cette journée à lire un article furieux du Blackwood’s contre Lloyd George que l’on accuse de ne pas mettre les pieds au Parlement qu’il dédaigne (chacun sait qu’il le magnétise). En réalité l’opposition contre Lloyd George est menée par Hockcliffe, propriétaire du Times et du Daily Mail, et d’autres grands journaux. Edmonds me parle de l’Université de Cambridge, où il a fait ses études. L’administration d’Égypte et des Indes recrute son personnel parmi les sujets les plus distingués de l’université. Le collège des langues orientales est peu suivi. Quiconque sait à fond une langue d’Orient est sûr d’être casé. On peut arriver aux mêmes postes par l’Université de Londres qui possède aussi un séminaire de langues orientales. Pour être admis à Cambridge il faut justifier de 300 livres sterling par an. On peut sortir de Cambridge simple champion de football. On peut en sortir {197a} helléniste. Les études latines et grecque sont aussi poussées en Angleterre qu’en France. Les écoles publiques, ainsi

312

georges ducrocq, journal de perse

nommées parce qu’elles ne le sont pas, dispensent un enseignement classique très solide tandis que les lycées de l’État, qui sont surtout suivis par les classes pauvres, ont un enseignement plus faible. Nous rencontrons des femmes, habillées d’étoffes écarlates, enjuponnées, enturbannées de toile rouge, chargées comme des bêtes de somme, les traits fins. Ce sont des Persanes de la campagne mais Fortescue veut absolument y voir des gypsies, des tsiganes. Il me dit à ce propos que Haig a fait une étude de ces gypsies qui viennent tous de l’Hindoustan, d’une tribu appelée romani. Ils sont en Angleterre vanniers, chaudronniers, rétameurs, diseurs de bonne aventure, voleurs de chevaux, voleurs d’enfants. Ils ont un roi sur la frontière d’Écosse et d’Angleterre, roi héréditaire, ganj. Nous voyons arriver les troupes. Elles marchent en bon ordre. J’ai rarement vu relève plus correcte, uniformes plus propres, harnachements plus brillants, le luxe des équipages et des attelages est inouï. Pas une boucle ne manque. Rien qui sente le débraillé. En Orient cette netteté fait contraste. {197b} Tandis que les troupes anglaises ont une quantité de voitures, réglementaires, traînées par des mules au bât très commode, bât d’attelage et de bêtes de somme ou réquisitionnées, charriots du pays traînés par trois chevaux. Il y a dans cette armée un tel luxe de matériel, d’approvisionnement que le nombre des véhicules finit presque par égaler celui des combattants. Les mules sont belles, poil lustré, peu chargées, la moitié de la charge persane et mangeant à leur faim. Au contraire les Cosaques montent en ligne avec quelques chameaux portant les tapis et les hardes des soldats. D’un côté raffinement, ravitaillement journalier en confitures, jambon, fromage, de l’autre le pauvre soldat d’Orient qui vit sur le pays et circule sur les grand-routes comme une caravane. Pourtant je suis frappé de la bonne tenue et de l’ordre de ces troupes cosaques. Ils marchent en rangs serrés, comme si leur orgueil, piqué au vif, était d’égaler la précision des troupes anglaises. Nous soupons avec le vieux Sardar d’artillerie, un intendant qui me paraît assez fidèle et le jeune Hâji Khan, frère de Kâzem {198a} Khan, brave comme lui, qui a menacé de se tirer un coup de révolver au cœur si l’on refusait de le laisser partir au front. Le soir, pluie diluvienne. Le Sefid-Rud est gros, tempétueux, ses vagues frappant les piles et le tablier du pont de Manjil ; une pile déchaussée s’enfonce et s’incline. Je rencontre le colonel Francis, sourire cruel, belle face de soldat, qui est fort inquiet pour son 2nd bataillon en retard sur l’autre rive. Le pont sautera cette nuit, me dit-il avec force. J’envisage la possibilité de renoncer à mon excursion et je vois qu’­Edmonds n’en est pas fâché. Je serai un peu ridicule en revenant à Téhéran, ayant fait

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

313

buisson creux. Mais si le pont sautait, nous serions pour trois semaines et davantage sur l’autre rive. Edmonds est communicatif ce soir. Il parle de l’Angleterre. Je lui dis qu’à mes yeux Fortescue quoi qu’il en dise, n’est pas un petit Anglais. On n’est pas un petit Anglais quand on sait quatorze langues et qu’on parcourt le monde dans tous les endroits sensibles où la gloire de l’Angleterre est en jeu. Edmonds pense qu’en Angleterre les questions de {198b} politique intérieure priment tout. On ne veut plus entendre parler de politique extérieure ni de pays lointains. L’Angleterre n’est plus celle de Beaconfield. Elle traverse une crise morale. Elle trouve que la guerre a mal payé. Je lui oppose les colonies africaines. Il me dit qu’elles peuvent être tenues par un petit nombre d’hommes et que d’ailleurs elles ne produiront que dans dix ans, que leur possession n’était pas nécessaire pour les exploiter, qu’au contraire le fait de détourner l’activité des Allemands vers l’Afrique n’était pas une mauvaise chose. Aujourd’hui l’Angleterre tiendra la Perse comme elle la tenait jadis, avec très peu d’hommes mais il faut qu’ils soient d’une qualité supérieure. 11 avril 1921 À cinq heures du matin je suis au pont de Manjil. Il est toujours debout. Je décide d’aller plus loin. Nous partons à mule. La route de Manjil à Rudbâr est coupée en deux endroits par un écroulement de la montagne. La magnifique chaussée, construite par les Russes, est submergée ; jamais crue pareille n’a eu lieu. {199a} C’est un désastre. À certains endroits le fleuve forme sur des hauts de rochers des rapides. Les maisons du bord de l’eau s’écroulent, les jardins fruitiers disparaissent. Le courant emporte les troncs d’arbres. Perse, pays sans masure, rudes hivers, printemps orageux, étés caniculaires, automnes orageux, pays saturé d’électricité, accablant pour les nerfs. Aujourd’hui ce paysage, où les éléments sont déchaînés, le fleuve torrentueux dans cette gorge taillée à coups de sabre, rappelle l’éclat primitif de la terre quand les grandes eaux en déluge s’y frayaient un chemin entre les jeunes montagnes. Arrêt à Rudbâr. Apparition des premiers logis guilanis, à un étage, colonnades au rez de chaussée, colonnades au 1er étage. Type des habitants plus mou, moins sec, plus sociable, plus liant que sur les hauts plateaux, beaux yeux fiévreux. C’est un plaisir rare de voir apparaître l’olivier, cet arbre méditerranéen, qui forme sur le flanc des montagnes et dans la vallée du Sefid-Rud de petits bois d’une couleur argentée et d’une forme originale. L’éclat des verdures fraîches, l’émeraude des prairies repose des horizons désolés que je contemple depuis deux ans. C’est une détente {199b} délicieuse pour les regards et pour le cœur, lassé de tant de sècheresse. La Perse du nord est un collier de terres fécondes,

314

georges ducrocq, journal de perse

malheureusement exposées, sans relations avec l’Europe depuis deux ans. Ce pays meurt d’asphyxie. Riz, récoltes ont été pillés par les Bolcheviks qui se conduisent mal. Hier encore ils ont brûlé à Rašt la mosquée blanche et son petit bazar. Arrivée vers 2 heures à Jubin où nous trouvons le colonel Huddleston, le colonel Fortescue, un jeune officier – commandant Lead – et le commandant Proctor, spécialiste chargé des mitrailleuses. La relève du front a été complète. Les Anglais ont emporté tout leur matériel. Ils ont enlevé leurs téléphones. Huddleston n’en a pas à sa disposition. Hier je voyais descendre des charges de fil de fer barbelé et j’en vois remonter d’autres aujourd’hui à dos de chameau. On dit que les Anglais retirent tout leur matériel pour le vendre et en en tirer le meilleur parti. On dit aussi qu’ils ne veulent pas donner aux Persans trop de chances de succès, avant {200a} d’être parfaitement sûrs de leurs intentions. Ils leurs donnent deux canons à la fois, ils les font languir après les automitrailleuses, jouets dont les Persans ont grande envie. Proctor est un jeune officier de 23 ans, spécialiste dans les mitrailleuses, très fort, très net. Il n’a pas une absolue confiance dans les Cosaques. Ceux d’Ispahan qui arrivent à Jubin ne sont pas très disciplinés. Ils obéissent mal à leurs chefs, ont tendance à leur préférer le capitaine européen. Ils ne connaissent pas les règlements, les officiers persans ont été mal instruits par les Russes. Ils ont une tendance fâcheuse à l’autonomie. L’otriad d’Ardabil, l’otriad de Tauris, autant d’unités indépendantes. Huddleston va remettre de l’ordre dans cette anarchie. C’est un soldat, un homme de résolution et d’exécution. Le grand problème est de ravitailler cette armée. Le pays est ruiné par les Bolcheviks, les Russes, les Anglais. Les villageois du bord de la route se sont retirés vers la forêt. On s’avance de Manjil à Rašt dans un grand désert. Les troupes anglaises faisaient venir toutes leurs provisions de l’arrière. Bagdad. Mais comment vont faire les Cosaques ? – Ce soir le capitaine qui est aux avant-postes {200b} a écrit que ses hommes n’ont pas mangé. Or il leur a été donné 5 jours de vivres – mais ils ont tout mangé en un jour. Ces officiers sont vraiment jeunes, ingénus, beaux à voir. Un officier anglais a, sur sa cheminée, la photographie d’une belle jeune fille laissée en Angleterre. D’une jeune femme et d’un enfant qui rient. À chaque passant qui entre dans son gourbi, il expose naïvement ses amours. Ce peuple aime encore la vie, il est jeune, intrépide, il ose, il agit, il est tendre, il croit. Nous avons trop de psychologues et de philosophes. Ma concierge a des idées générales. J’admire la faculté d’inhibition de ces Anglais, leur self-control, leur goût de la plaisanterie, de l’anecdote inoffensive. Ils sont sans fiel, tout à leur affaire, des lutteurs, des hommes de sport. Pas brillants mais pratiques.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

315

11 avril 1921 Ce matin pas de chevaux. Ils étaient promis, ils ne viennent pas. Alors nous partons à pied, quand le sardâr persan nous offre ses chevaux, deux cosaques et vient avec nous aux avant-postes. On parcourt en une demi-heure les huit kilomètres qui séparent Jubin du front. Jamšidâbâd est une position très bien choisie, un {201a} éperon dans le fleuve. À cet endroit la montagne est élevée, la gorge resserrée et les tranchées qui commandent et gardent la route, au pied de l’escarpement, sont dans un angle mort, elles peuvent subir tous les bombardements sans être atteintes. La position comprend deux points d’appui bien fortifiés, gardés chacun par 25 hommes, et reliés à la route par une tranchée continue. Ces simples fils de fer barbelé partagent ces lignes. Un point d’appui de réserve est en arrière, sur la montagne : 25 hommes. Le poste de Jamšidâbâd abrite une compagnie qui en cas d’attaque part exécuter un mouvement tournant et couper la retraite à l’ennemi. La route est défendue par un petit poste et par une mitrailleuse près du logis du capitaine. Cet officier, Jorkins, jeune, élégant, brave, enfourche son arabe bagdadien et nous conduit aux avant-postes. Un délicieux matin de printemps. Nous visitons les lignes de sentinelles échelonnées sous les feuillages, à [Naghbar], tournant du fleuve, d’où l’on surveille un bon morceau de route et la position d’avant garde des bolcheviks sur le [Sefidrud]. Me montrant ces violettes, ces charmes, ces épines en fleurs, Jorkins me dit : Je suis heureux comme {201b} un prince. Je me crois dans une forêt d’Angleterre, un jour de mai (la St Valentin). Soudain les souvenirs d’Argonne m’envahissent. La Cigalerie Butte244. 12 avril 1921 Ce que les Anglais désirent que nous pensions de la Perse, c’est que ce pays est en pleine décadence, nul, qu’il est impossible d’y rien entreprendre. Qu’il faut prendre la vie persane comme une comédie. Pas plus que les Russes, ils n’ont le désir d’y entreprendre quelque chose de sérieux. Nous sommes rentrés hier à grandes étapes de [Naghbar] à Manjil. Les deux cosaques qui nous avaient été prêtés pestaient d’aller aussi vite. Manjil est vide. Les troupes l’ont quittée. Dîner avec Hâji Khan : son sourire et sa voix me rappellent madame Manučehr Khan. Nous trouvons, comme commandant à Manjil, Cheklinsky, [avons] mangé des poissons, plus incohérent que jamais.

244  Une bataille de 1916.

316

georges ducrocq, journal de perse

13 avril 1921 Journée d’auto de Manjil à Qazvin. Nous rencontrons à Lanchan les troupes campées, 1 000 hommes au bivouac, l’ordre de l’armée anglaise. L’alignement des équipages est toujours remarquable. Nous dépassons les canons, les automitrailleuses et nous arrivons {202a} à Yuzbachichai où le premier [échelon] s’ébranle. Nous passons devant les gourkas, les prisonniers, les mortiers. Toutes ces troupes marchent en très bon ordre. Ces officiers anglais sont pleins d’allant et de gaieté. On sent que la perspective de quitter la Perse ne les ennuie pas, bien que les perspectives d’un été en Mésopotamie soit loin de les enchanter. Mais le bonheur du soldat est de changer de place. Nous rencontrons les cosaques vers Qazvin. Ils marchent aussi en très bon ordre, quatre par quatre, pas débandés. Ils sont suivis d’une file de chameaux portant les bagages qui sont moins volumineux que ceux des Anglais. Tenue correcte, armes en bon état. La troupe fait bonne impression. Sur les haut plateaux nous retrouvons le froid. La neige, les nuages. Arrivée à Qazvin à trois heures. 14 avril 1921 Visites à Manučehr. Fait la connaissance de Mesnard. Dîner le soir chez le général Cory qui se montre particulièrement aimable, boit à la santé de l’armée française. Cordialité. 15 avril 1921 Retour à Téhéran au prix de mille difficultés. Torrents débordés à franchir – avec les Mesnard. Le Dr Roland me donne des nouvelles de son séjour à Qazvin : les Chaldéens vont envoyer des députés à Téhéran. Ils opinent pour le retour à Urmia. Ils veulent savoir s’ils seront militairement défendus dans la Syrie orientale. {202b} Hoppenot est au lit, ayant la fièvre depuis cinq jours. En mon absence a eu lieu le banquet officiel avec toasts du président du conseil, de Caldwell, de Raymond, de Norman, d’Hoppenot, le dernier a bien parlé. Les Persans sont enchantés de Caldwell qui leur a déversé des torrents de louanges. L’hyperbole n’est jamais mal reçue en Perse. La mesure française y est peu appréciée. Il y a eu le lendemain de ce repas – au charbat – fantasia et manœuvres à Qasr-e Qâjâr, simulacre de la prise d’un village avec feux d’artillerie et de mousqueterie. Le shah était ravi et a prononcé une allocution aux troupes. Trois mille hommes étaient réunis pour cette parade. Aujourd’hui service funèbre pour M. Lecomte. Je remplace Hoppenot. Le président du Conseil y assistait.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

317

16 avril 1921 Un journal de caricatures paraît à Téhéran. Il raille lourdement les prisonniers : ‘Eyn od-dowla, Farmân-Farmâ, Nosrat os-Saltana245, Sepahsâlâr. Celui-ci est représenté comme fou avec cette légende : « J’ai dit à la sagesse de ne point passer devant la porte de l’amour et l’amour parmi les fous est le Sepahsâlâr » ( ?). ‘Eyn od-Dowla dit : « Des tomans ? où les prendrai-je ? J’ai jadis pillé les douanes et les finances mais tout l’argent que j’ai pris, je l’ai employé à faire des rowzekhani. » {203a} Farmân-Farmâ dit : « Je suis venu si vite de Chiraz que mon automobile est tombée dans un trou et que je me suis cassé deux dents » et Nosrat od-Dowla dit : « Il y avait tant de jolies femmes en Europe et je suis venu à Téhéran pour faire signer l’Accord anglais. » Dîner au club avec Engert – Haig. 17 avril 1921 Promenade à cheval. Sârem ed-Dowla arrive, prisonnier à Téhéran. Ses cavaliers ont résisté aux gendarmes : il y a eu 10 tués. Qavâm os-Saltana, fait prisonnier par les gendarmes, aurait été délivré par une tribu et sa présence au Khorassan présage des révoltes. Le ministre bolchevik arrive dans quelques jours. Il est à Chahroud. – Déjeuner à la Légation de Belgique. Dîner à la Légation d’Angleterre. 18 avril 1921 Conversation au club avec Modir el-Molk, qui me dit son désir de commander en France 20 batteries d’artillerie. Mas‘ud me dit qu’il y a 10 officiers anglais engagés : 3 spécialistes de l’artillerie. Smyth et [Huddleston] touchent 850 £ par mois, les autres 480. La Police du sud, portée à 7 000 [hommes], gardera 20 officiers. Les Anglais cèdent le matériel de la Police du Sud, 3 000 fusils à Hamadân, 40 mitrailleuses, 50 fusils Lewis, 2 batteries de canons anglais. {203b} 19 avril 1921 Retour aux intrigues, à l’atmosphère [névrotique] de Téhéran. Que de gens cherchent à vous dégoûter de la Perse.

245  Il a sans doute voulu écrire Nosrat od-Dowla. Il ne semble pas que le prince Nosrat osSaltana ait été arrêté.

318

georges ducrocq, journal de perse

20 avril 1921 Le Bulletin de l’Alliance va être supprimé. Le Dr Roland voudrait prendre en mains la censure de la presse et rédiger lui-même le bulletin des nouvelles, en un mot m’enlever toute la propagande. Présentation au club de Téhéran des Mesnard. Le ministère est menacé par une vague bolchevik, provoquée par l’arrivée du nouveau ministre. Les hostilités ont repris sur le front : bombardement de [cosaques] et lutte de patrouilles. Heydar Khan Amuqli est à Recht avec 2 000 hommes. – Comme le Comte Altenburg-Saxe venait assister à une soirée donnée par M. [Grosemann], industriel enrichi de Petrograd, celui-ci lui dit : « Regardez ma fille, c’est une vraie figurine de Saxe. – Je demande à voir la marque ! », répondit avec flegme Altenbourg. 21 avril 1921 Le ministre bolchevik a été arrêté sur le chemin de la capitale par un ordre du président du Conseil. Celui-ci lui interdit d’aller plus loin, car les hostilités ont repris sur le front du Gilân. Il devra au préalable demander des explications à son gouvernement. En réalité le président du conseil veut faire {204a} maison nette avant l’arrivée du ministre. Il y a encore ici beaucoup de Russes suspects, employés de la Banque, ex-officiers de la Division des Cosaques, qui ont trahi Starosselsky et qui trahiront demain l’ancien régime pour se rallier au nouveau. Ce sont ces gens là que voudrait expulser le gouvernement persan ; il a donné 15 jours aux officiers, et quarante huit heures aux employés de la Banque pour déguerpir. Le colonel de Ravitch me dit que Mošir od-Dowla reviendra bientôt au pouvoir. Avec l’influence russe, c’est lui qui doit reprendre le gouvernail. Il a été élevé à Petrograd. Son nom est connu en Russie. Vu le ministre de Belgique toujours inquiet et le ministre d’Angleterre qui me parle de 120 mitrailleuses qui se trouvent au Gilân. Selon lui le président du conseil a parfaitement le droit d’arrêter le ministre bolchevik. Les Anglais font toujours l’éloge de Rothstein qui a été 15 ans rédacteur au Manchester Guardian, qui fait élever son fils à Oxford et avec qui on pourra causer. Le ministre d’Angleterre me répète que son plus cher désir est l’ouverture de la route du Caucase. 24 avril 1921 Séance de l’Alliance-sacrée. Nous faisons élire notre liste. Le général Cory, hier, au Club, plus froid qu’à Qazvin. {204b} Annonce que les troupes partent cette semaine pour Hamadân. Pravitz s’en va en France et à Londres.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

319

25 avril 1921 Le ministre bolchevik est arrivé hier. Il regrette les incidents du Gilân. Les Persans vont recommencer leur politique de bascule. Ils sont enchantés. La guerre a certainement affaibli l’Europe en Asie, diminué son prestige et renforcé l’insolence des Persans. Le bonheur des Persans est d’engager des étrangers par égards diplomatiques, de les payer pour ne rien faire et de leur payer une forte somme pour qu’ils s’en aillent, après les avoir bien dégoûtés. 26 avril 1921 Mas‘ud Khan est balancé. Il est remplacé par Rezâ Khan, général des Cosaques, qui n’a jamais voulu se soumettre à lui. Mas‘ud a été promu ministre parce qu’il fallait le récompenser du coup d’État auquel il avait pris une large part. Il a fermé son ministère et il ne l’a pas rouvert depuis deux mois. Il a passé son temps à préparer un plan de réorganisation du ministère et une parade devant le shah qui a parfaitement réussi. Aujourd’hui on le débarque parce qu’il est inutile et qu’on ne le juge pas dangereux. Il a marché dans cette affaire avec toute sa naïveté. Le président du conseil se fait louanger dans les {205a} journaux pour les réformes qu’il a déjà exécutées, justice, guerre, éclairage électrique de la ville, ministère de l’hygiène, respect obligatoire du vendredi par le chômage et le drapeau persan arboré dans les boutiques, guerre aux enseignes françaises et étrangères, guerre à l’alcool ; respect de la prière dans les établissements publics, prière à laquelle a été ajouté le nom de Hoseyn. Presque tous les enfants persans ont la teigne. Ils les soignent d’une manière barbare, en se mettant sur la tête une calotte de poix, que l’on arrache avec les cheveux, et qui fait hurler le patient et ne le guérit pas. Molitor (Camille) est en disgrâce. Il a trop bien réussi à Madrid246 à évincer les bureaux de poste anglais du Sud de la Perse et à faire reconnaître la souveraineté de la Perse. Le Seyyed dit : il me faut une armée. Je ne m’intéresse pas aux [pesées]. 27 avril 1921 Le ministre bolchevik a été reçu à un farsakh de la ville par le sous-chef du protocole, Vahid os-Soltân. Rothstein – parce qu’il n’aime pas le français – a fait alors son discours en allemand247. 246  En 1920 avait eu lieu à Madrid le Congrès de l’Union postale universelle où Camille Molitor représentait l’Iran. 247  Voir l’article de G. Ducrocq « Le bolchevisme et l’islam », Revue du monde musulman (52, 1922), p. 125.

320

georges ducrocq, journal de perse

Rothstein sera très anti-français. Il a dû recevoir des instructions spéciales de Moscou à ce sujet pour contrecarrer notre politique. {205b} Mostafa Kemal aurait donné l’ordre formel à ses troupes de ne pas inquiéter les Persans et leur aurait défendu de se joindre aux bandes de Simko. Les mesures prises contre les étrangers par le Seyyed se multiplient : interdiction des affiches et enseignes françaises, renvoi de Molitor. Le français banni de l’administration postale et Molitor frappé pour avoir voulu empêcher les bureaux anglais du sud de la Perse d’être reconnus comme persans par la convention postale de Madrid , ceci avec l’appui du ministre de Perse à Madrid et celui du délégué français. Mesure probable contre les Écoles françaises. Suppression des kârgozâr en province (économie de 100 000 [tomans] mais fin de toute sécurité pour l’étranger en Perse). Tout cela se fait sous l’inspiration anglaise, de même que l’Angleterre a prêté la main à la Révolution persane autrefois. 29 avril 1921 Molitor est saqué parce qu’il a trop bien défendu les intérêts de la Perse à Madrid. L’école allemande va recevoir 12 000 tomans de subventions comme avant la guerre. L’influence allemande ne tarde pas à reparaître. Le major Edmonds est à Téhéran : il s’en va {206a} définitivement en Angleterre. Mme Thomassin248. Nouvelles mesures prises contre les Français : Mme Thomassin s’est vue retirer brusquement tous ses enfants orphelins qu’elle élevait avec un dévouement admirable. Vingt-cinq malheureux enfants trouvés, qui seront envoyés dans un orphelinat persan dont le directeur volera leur pain. Les petits ont pleuré, supplié, poussé des cris de douleur et de fureur. Se sont arrachés la figure avec les ongles. Ils ont été emballés dans un fourgon. La badji voulait se mettre sous les roues de la voiture et arrachait son voile en maudissant le Seyyed. Les petits ont poussé des appels déchirants au ministre d’Angleterre et au ministre de France en passant devant les Légations. Mme Tomassin était française. Elle faisait vivre cette œuvre à laquelle s’intéressait la Légation. Il fallait supprimer cette maison où l’on parlait français et où les enfants apprenaient des chansons françaises. tsf. Le Seyyed m’a dit aujourd’hui avec un sourire à la Légation de France : nous avons un gros ennui avec le ministre bolchevik au sujet de votre tsf : il veut en installer un et nous oppose le vôtre. Nous sommes obligés de vous prier de nous rendre le vôtre. {206b} 248  Voir l’entrée du 10 mars 1921.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

321

Il déclare que le ministre bolchevik est raisonnable. Hoppenot exprime le regret de ne pouvoir avoir de relations avec lui. Si l’on tissait autour des bolcheviks un réseau d’intérêts capitalistes, etc . . .  C’est une habitude qui tend à se généraliser en Perse de renvoyer les étrangers en les expulsant du jour au lendemain et en plus en les déshonorant par des accusations de vol. – À côté du ministre bolchevik il y a toujours deux commissaires qui le surveillent et sont prêts à le dénoncer à Moscou. De même à côté des commandants militaires. C’est ainsi qu’ils emploient des réactionnaires en les neutralisant. – Angleterre et Bolcheviks vont s’entendre comme larrons en foire pour reprendre leur luttes d’influence en Perse. Les Persans auraient tort de sacrifier la France qui a souvent servi d’arbitre entre les Anglais et les Russes dans l’intérêt persan. 1er Mai 1921 Xénophobie. Les kârgozâr. La suppression des kârgozârs sera fatale aux étrangers. Elle aura pour résultat de soustraire au ministre des affaires étrangères les étrangers et de les mettre sous la coupe du ministère de la justice persan, non encore réorganisé. C’est la suppression des Capitulations. Ainsi le régime s’achemine vers l’abolition de tous {207a} les privilèges dont jouissait l’étranger en Orient. C’est le programme des Soviets qui s’exécute. Les Anglais en sont pour l’instant enchantés, car ceux qui en pâtissent sont ceux qu’ils désirent voir aux trente six mille diables de la Perse, ce sont les Russes d’ancien régime d’abord. Banque et officiers de cosaques, ce sont les anciens protégés de la Russie, azerbaïdjanis, causasiens. Ce sont les Polonais, obligés de déguerpir, ce sont les Belges frappés dans la personne de Molitor et menacés d’expulsion complète, demain ce seront les Français. L’Angleterre ne voit pas qu’après demain ce sera elle qui sera la victime de cette épuration. Pour l’instant on essaie par tous les moyens de dégoûter les Européens qui sont ici d’y rester. On a essayé en janvier de l’intimidation qui n’a pas réussi. Le général Ironside est en vain venu menacer les étrangers des dangers suspendus sur leur tête après l’évacuation des troupes anglaises. Aujourd’hui on emploie d’autres moyens : interdiction de l’alcool et du vin et de leur vente par les commerçants étrangers, interdiction de l’importation d’articles de luxe, suppression des enseignes françaises, réveil de l’amour-propre national persan, dédain des instructeurs étrangers. Suppression des kârgozâr-s, entraves mises aux fonctionnaires européens, renvoi ignominieux de certains d’entre eux : (qui avait commencé l’an dernier avec [Kornelis], {207b} Lavachery) . . . Molitor continue la série. Les Anglais répandent le bruit que les fonctionnaires qui sont ici seraient douaniers dans un poste frontière en Belgique.

322

georges ducrocq, journal de perse

[en marge :] Leur prétention de ne pas reconnaître les Syriens pour protégés français. Les Persans semblent avoir un vif désir de nous exaspérer. L’histoire de Sâ‘ed ol-Molk, conservé chef du protocole, quand il a été pris en flagrant délit de délation est insensée. Personnellement je refuse d’avoir aucune relation avec un individu qui va rapporter inexactement à la Légation d’Angleterre les propos de l’Attaché militaire. Hier Molitor a été arrêté dans son bureau dont il voulait enlever quelques papiers et Raymond a dû intervenir pour le faire relâcher. Il est vrai que [Kew] est chassé du télégraphe persan, au grand mécontentement, dit-on, de Lord Curzon. Mais des Persans disent qu’ayant reçu du gouvernement russe un don du réseau télégraphique établi par les Russes en Perse, ils ne pouvaient décemment confier à un Anglais l’administration de ce réseau. Kew obtient en compensation des Anglais la succession de Kingwood. – Kâzem [Sayyâh], gouverneur de la ville, est devenu chef du régiment n° 1. Les chefs politiques veulent tous avoir une force en main. Il me raconte que, partant à Constantinople finir des études de médecine, un incident décide de sa {208a} vocation militaire. Il dépasse sur la route un convoi russe avec sa voiture. Les Russes refusèrent de se ranger et battirent son cocher. Il décida d’entrer dans l’armée turque, fit la guerre contre la Bulgarie, contre la Serbie, contre les Alliés en 1914 au Sinaï, aux Dardanelles, en Mésopotamie. Fait prisonnier par les Anglais, il a été rendu à la Perse en donnant probablement des gages. C’est un Jeune Turc, ami de Noury Bey, déclare qu’il n’a jamais en vue que le métier militaire. Il a servi pour s’instruire. Hier à [Qasr-e] Firuz pique-nique avec les Hoppenot, les Mesnard, les Wilhelm. Journée radieuse. Immense horizon. Clarté miraculeuse. La lumière de Perse console de tout. 3 mai 1921 Le ministre bolchevik a reçu sa colonie aux sons de l’Internationale. Il a fait dire au protocole que l’Internationale était le chant national des soviets et les orchestres persans l’apprennent. Il sera au dîner du vendredi et nous aussi. Quand on jouera l’Internationale nous resterons assis, affront public. La situation diplomatique devient ici impossible. Malet nous redit avec insistance que le Bolchevik déteste la France. C’est par les bolcheviks que les Anglais essaieraient de nous faire filer. Ils lancent {208b} contre nous tantôt les Persans et tantôt les Bolcheviks. Nous subirons ici toutes sortes d’affronts, si nous ne savons pas nous défendre. Les Anglais blâment beaucoup la représentation diplomatique de la Perse à l’étranger et ils engagent vivement les Persans à la diminuer.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

323

Malet fait semblant de croire que la Marseillaise et l’Internationale sont la même chose. Visible rancune d’émigré. Malet, comme tous les conservateurs libéraux, est hostile à l’écrasement de l’Allemagne : il admet comme M. Kingwood et le Manchester Guardian, que la capacité de l’Allemagne est médiocre, qu’il ne faut pas tuer la poule aux œufs d’or, etc. Il regrette les mesures de rigueur prises par la France et l’Angleterre. Quant à Hoppenot, il juge que la mobilisation de la classe 19 est un malheur. Le pont de Manjil a sauté, emporté par le courant. Hier conférence de Nafisi sur les tapis persans. Ce jeune Narcisse a trouvé le moyen de dire à la France qu’elle était au 6ème rang des puissances commerçantes en Perse et de nous citer la phrase de Michelet sur la Perse, pays de la lumière : il y {209a} a trois peuples lumière, la Grèce, l’Inde, la Perse, etc., phrase qui ne s’applique qu’à la Perse antique. Pourquoi les Français n’exploitent-ils pas le monopole des fouilles en Perse et pourquoi n’y a-t-il pas ici un institut d’études iraniennes avec crédits suffisants pour fouiller Raghès. 9 mai 1921 Une suite de jours assez mouvementés. Nous avons eu les fêtes du couronnement, l’anniversaire habituel avec salâm et banquet au Golestân. Mais nous ne sommes pas allés au banquet. Le ministre des Affaires étrangères a refusé à Hoppenot des invitations pour son monši et pour M. Bellan. Hoppenot a insisté, écrit trois lettres, fait une démarche avec Caldwell et de Raymond. Le frère de Mme Caldwell et le monši de M. de Raymond n’avaient pas été invités. Le ministre n’a pas cédé. Finalement il a envoyé une liste de 8 noms en priant M. Caldwell de choisir quatre invités. Celui-ci a refusé. Le jour du salâm le prince Šahâb od-Dowla a dit à Engert : les invitations sont envoyées. Or les monši-s n’étaient pas invités, sauf celui de Belgique, parce que le ministre des Travaux publics était mort la veille, comme le dit naïvement le prince Šahab od-Dowla à Raymond. Ce que voyant, les trois Légations décidèrent à midi de prévenir le ministère qu’elles n’iraient pas au Golestân. Alors {209b} bien entendu les Persans capitulèrent. Ils envoyèrent Sa‘ad ol-Molk, chef du protocole, à la Légation des États-Unis, à laquelle [il] accorda tout. Celle-ci se laissa fléchir. Mistress [sic !] Caldwell avait envie de voir le feu d’artifice. Les Américains ne sont pas inflexibles en matière de protocole, mais Raymond tint bon, tout en se disant malade, pour sauver la face (vieille habitude de duplicité) et Hoppenot qui hésitait un peu et avait l’intention de nous envoyer à sa place au Banquet, ne nous ayant pas trouvés chez nous (j’étais sorti à cheval), n’assiste pas au

324

georges ducrocq, journal de perse

banquet. On nous a attendus trois quarts d’heure bien que nous ayons prévenu que nous n’y allions pas. Aujourd’hui on prétend que la résistance du gouvernement avait pour but d’esquiver l’invitation à faire aux secrétaires du Bolchevik mais ils ne pourront y échapper. En réalité, les Persans ont pris l’habitude de tout refuser à la France, à la Belgique et à l’Amérique, même les invitations les plus anodines. Ceci leur servira de leçon. Mme Hoppenot a reçu la décoration de l’éventail. Ziyâ [Homâyun] était venu en ambassadeur officieux pour arranger l’affaire Sâ‘ed ol-Molk. Il a été écarté {210a} et Sâ‘ed ol-Molk n’a paru qu’en catimini aux cérémonies officielles. Le ministre bolchevik a été le matin du salâm l’objet de toutes sortes d’égards. Il a été conduit par le chef du protocole au pied du trône de marbre, tandis que le corps diplomatique restait en carafe dans la cour. Il est vrai que nous n’assistons à cette cérémonie exclusivement persane qu’à titre particulier. Comme de coutume les vœux de la nation ont été offerts au souverain par un orateur, qui est le père de Šahâb od-Dowla, par deux prêtres [sic !], dont l’un est le beau-frère de Šahâb od-Dowla. Dans la cour était massée la troupe en armes. Les jets d’eau s’élançaient dans le silence d’une foule muette. Autrefois Nâser od-Din faisait durer cette cérémonie : il s’asseyait sur les coussins brodés et interrogeait sur la situation politique le porte-parole de la nation. Les princes du sang avec des sabres enrichis de diamants assistent à cette cérémonie. Le Vali’ahd est au pied du trône. Sa majesté s’assied sur une chaise, ce qui est peu décoratif. Haichais nous quitte avec Dufoussat. Le plus impoli des deux était encore Dufoussat. Haichais a assuré le service, il a été un soldat peu correct, débraillé, [mécano]. Il a bricolé et saboté une partie du matériel. Il s’enivrait souvent et {210b} perdait la tête mais je passe sur tout. Il me fait des excuses. Je lui souhaite bon voyage. Le Russe Minkiewich le remplace249. 12 mai 1921 J’ai été renversé hier par mon cheval. J’étais à pied et je le tenais à la main. Il s’est dressé sur son arrière train et m’a embrassé positivement et s’est abattu sur moi. J’en ai été quitte pour quelques écorchures. Le ramadan est commencé250 et chaque nuit des crieurs viennent sous mes fenêtres et chantent à tue-tête jusqu’à une heure avancée de la nuit. Heureusement les parfums d’acacia entrent aussi par la fenêtre ouverte. 249  Probablement pour assurer la sécurité de la Légation. 250  Depuis le 9 mai.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

325

J’ai écrit à Marin251 et à Dumont-Wilhem que j’en avais assez de la Perse. Décidément il faut rentrer. Cette activité à vide, sans espoir, dans un pays où nous ne pouvons attendre aucun résultat, est trop fatigante. Nos radios vont bien. Ils sont lus par près de 200 personnes. Aujourd’hui Molitor me dit comment il a opéré à Madrid. Depuis longtemps cette question des bureaux anglo-indiens de la Perse du Sud fait l’objet de négociations diplomatiques entre le ministre des affaires étrangères et le ministre d’Angleterre à Téhéran. Les bureaux {211a} anglais bloquent les bureaux persans et en réalité suppriment les relations internationales de la Perse. L’administration des postes persanes devait remettre ses lettres chargées aux bureaux anglais qui se chargeaient de les faire parvenir. C’est une des nombreuses faces de la mise en tutelle de la Perse. Mošir od-Dowla avait donné à Molitor mandat impératif de faire cesser cet état de choses. Il s’y employa. À Madrid il envoya aux autorités anglaises à trois reprises des délais pour signer un accord. Entretemps il manœuvrait, il allait trouver le délégué français et le priait de maintenir sa proposition de supprimer les bureaux postaux allemands au Maroc. Le délégué français y consentit et la proposition passa sans difficulté. Puis une autre intervention amena la Conférence à prendre la décision suivante : toute puissance appartenant à l’Union postale n’aura pas le droit d’établir de bureaux postaux dans un autre pays appartenant à l’Union postale. Ceci fut voté sans difficulté. Alors le ministre de Perse à Madrid, Mo‘in ol-Vezâra se lève et remercie l’assemblée de ce vote qui venait de consacrer l’affranchissement de la Perse en matière postale. Il note que ce vote signifiait la fin du monopole que s’arrogeaient indument les bureaux anglais du Sud. Personne ne proteste. Il y avait 8 délégués anglais à la Conférence. Le surlendemain Molitor recevait de l’Ambassadeur {211b} d’Angleterre l’avis qu’il avait à sursoir à sa mission et que le nouveau cabinet lui donnait l’ordre de ne plus intervenir. Il répondit qu’il était trop tard et que l’Assemblée avait voté une résolution définitive. Il s’agissait maintenant de l’exécuter. Une clause perfide ajoutait que d’ici le 1er janvier 1922 l’administration des postes persanes devait fournir la preuve qu’elle pouvait assurer le service et ne lésait pas les intérêts anglais de la Perse du Sud. Molitor, revenu rapidement à Téhéran, se serait chargé de faire cette démonstration. Il fallait le faire sauter – on le congédie en le salissant, on met 251  Louis Marin (1871-1960), homme politique de droite, député de Meurthe-et-Moselle (1905-1951), plusieurs fois ministre, ami de Ducrocq.

326

georges ducrocq, journal de perse

ses subordonnés M. Molitor père et [Chauvist] sous la coupe d’un employé leur subalterne. De cette manière les Belges sont jugulés. La résolution de Madrid ne pourra avoir le 1er janvier 1922 force exécutoire. La Perse reste en tutelle et Molitor est balancé pour avoir trop bien servi ses intérêts. Ajoutez qu’il avait dénoncé à Madrid le fait scandaleux de bureaux de postes anglais à Ahwaz et à Mohammara, relevant du gouvernement mésopotamien sur territoire persan ! et qu’enfin à vingt reprises il s’était refusé à pratiquer la censure voulue par {212a} le gouvernement et par la Légation d’Angleterre et qu’il leur avait dit : « Envoyez votre police saisir la correspondance, je ne me charge pas de cette besogne. » 13 mai 1921 L’Irân publie un article sur le tombeau du Huitième Imam à Mašhad : le tombeau est confié à un sous-secrétaire de sa Majesté qui dilapide, vole, etc. Le président du Conseil dénonce ces scandales et dit que désormais les vols vont cesser. Le tombeau sera bien gardé. Par cette ostentation de piété il espère gagner la nation. On réussit en Perse par l’hypocrisie. C’est un des pays où il faut le plus dissimuler pour réussir. Les Persans ont perdu leur nationalité le jour où ils ont adopté la langue et la religion de leurs vainqueurs. Les poètes ont toujours été les gardiens (Hâfez), ceux qui résistent au flot, à l’envahissement de l’étranger, ceux qui maintiennent par le sens de la race. – Une tension règne entre le ministre de la Guerre et le président du Conseil. Les Cosaques veulent être les maîtres. Mais ils sont inorganisés. Les Gendarmes organisés ne veulent pas leur obéir. On prête au Sardâr Sepah : « Je ne demande qu’à être agréable aux légations anglaises et russe à condition que le pouvoir du shah soit respecté. » Les Anglais peuvent avoir un dernier dessein {212b} machiavélique. Celui de livrer la Perse du Nord aux Bolcheviks pour la punir et lui donner ensuite l’envie de revenir à l’Angleterre. Mais comment sauver le sud de la Perse de la propagande bolchevik et protéger les Indes ? Le ministre bolchevik aurait demandé s’il avait devant lui un gouvernement monarchique, constitutionnel ou militaire. Mais Modir ol-Molk déclare que cela n’est pas exact. 14 mai 1921 Gachet dit qu’il n’y a plus rien à faire médicalement à Téhéran. Les Persans ne payent plus leur médecin. Ils arrivent en carrosse à la consultation mais ils n’ont pas 10 tomans en poche pour la payer. Ils ne reçoivent plus, ils ne sortent plus, ils s’isolent dans une attente inquiète du lendemain, ils font filer leurs tapis et leurs femmes vers le sud. On sent venir l’orage.

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

327

[Bonzani ?] me disait ce matin : « Voici un siècle que la Perse est sur le point d’être mangée par l’Angleterre et elle n’y est pas encore parvenue. Que de ressources cela suppose ! » Modir ol-Molk est démissionnaire. Son départ est vivement regretté par Hoppenot qui prétend que {213a} le gouvernement français, en persistant dans son attitude d’opposition au vœu du gouvernement persan dans l’affaire Samad nous empêche de profiter d’une occasion unique qui ne se retrouvera pas. Cette affaire Samad est en réalité un excellent prétexte trouvé par le gouvernement et par Modir ol-Molk pour ne rien accorder à la France, tout en protestant d’un grand amour pour elle. On n’a accordé à Hoppenot la chaire de Polak252 pour Roland qu’in extremis, quand il était parti, on m’a refusé l’exécution [sic] de Sâ‘ed ol-Molk, méritée pourtant par son attitude incorrecte, on a refusé la tsf française. Toutes nos affaires sont en suspens. Rien n’aboutit. On lésine même à Hoppenot, si gentil pour le gouvernement – et qui l’a présenté sous un jour si favorable à Paris – des invitations pour le Golestân. L’éternel jeu de la Perse avec la France continue : promesse sans réalisations. 15 mai 1921 Dîner hier au Club. Avec ministre [d’]Angleterre. M. et Mme Neligan, Bridgeman, Smart, Deromps, Saunders, van Engert. Très gai. Ces dames boycottent le pauvre Moore, rédacteur du Times, parce qu’il les serre trop affectueusement en dansant. Le ministre d’Angleterre me dit qu’il espère que les Bolcheviks auront évacué le Gilân dans quinze jours. {213b} Le ministre253 a paru fort étonné d’apprendre que les Anglais étaient partis. Il est craintif, inquiet, il a peur d’un attentat. Il sera modéré. C’est un civilisé. Ses acolytes, [Lievine] qui est resté 16 ans en Angleterre, le sont moins. L’attaché militaire, [Rotchakoff] est un ancien officier de l’armée tsariste. Il est flanqué d’un Rosenbaum. Le ministre bolchevik a ouvert son parc à la population le vendredi parce que tout le monde venait s’y promener tous les jours. Le colonel Saunders espère que la route du Caucase se rouvrira dans quelques mois. – Les kârgozârs sont supprimés. Ils seront remplacés par la justice persane pour les affaires civiles et commerciales, par les gouverneurs pour les affaires politiques. Nos traités nous donnaient le droit de la nation la plus favorisée. Or c’était la Russie par le traité de Torkmanchaï. Mais le traité est aboli. Alors 252  Faut-il lire Polak (Jakob, 1820-1891), qui fut médecin de Nâser od-Din Shah et enseigna à Dâr ol-fonun ? aucune mention de Roland dans l’article très documenté de Yunos Karâmati, « Faculties – Faculty of Medicine », Encyclopaedia Iranica, s. v. 253  Rothstein, ministre de l’URSS.

328

georges ducrocq, journal de perse

nous n’avons plus que la protection de nos traités qui disent qu’un étranger ne peut être condamné hors de la présence et sans l’assentiment d’un représentant (drogman) de la Légation. En réalité les Capitulations ne sont pas abolies. On nous le redit. Mais il est évident qu’une juridiction relevant du ministère {214a} des affaires étrangères nous donnait plus de prestige. Elle permettait un recours immédiat au ministre des Affaires étrangères, avec lequel les Légations sont en relation directes. Nous soumettre à la juridiction commune, c’est abaisser notre importance en Orient, c’est porter atteinte à notre dignité. Le ministre d’Angleterre n’a pas reçu avis de la suppression des kârgozârs comme les autres Légations. – Une impression charmante des soirs du ramadan, c’est le coup de canon qui annonce à la fin du jour la fin du jeûne. Une rumeur joyeuse alors monte des rues. Un grand cri de joie monte de la ville exaspérée par l’abstinence. de tous les minarets montent les prières du soir. Les quartiers populaires s’emplissent de rires, de chants, secouent leur léthargie. Les affamés se précipitent vers les restaurants et, tandis que les lampes s’allument dans les mosquées, éclairant les cours de faïence et la pointe des jets d’eau, les corbeaux et les tourterelles accourent vers la cime des platanes. Réveillée, dans une détente de joie, la ville court à ses prières et à ses plaisirs. La nuit commence, et son éclat divin. Les étoiles tremblent comme des diamants sur un corsage de velours. Les voitures roulent dans la lumière et du café voisin monte le {214b} son d’une flute qui soupire, qui se plaint, qui chante avec ironie son spirituel désespoir. C’est alors d’une terrasse près de la mosquée du Sepahsâlâr, que l’on voit que Téhéran n’est qu’un grand jardin. L’acceptation de l’ultimatum a fait une grande impression à Téhéran où l’Allemagne compte encore beaucoup de partisans. La France a tort d’élever la voix, disait-on. Elle n’a pas battu l’Allemagne. Aujourd’hui les Persans en sont moins convaincus. Quand sa Majesté a reçu l’album que lui a offert Rothstein représentant Lenine et ses adeptes, elle a été épouvantée de cette galerie. Ils me font peur, a dit le shah. Quand des officiers partent au front, disait Soleymân Khan, ils reviennent toujours moins nombreux. En Perse, c’est le contraire. Quarante officiers sont partis au front. Il en est revenu cent vingt. 16 mai 1921 Le ministère des Travaux publics est supprimé. Il y avait beaucoup de travaux à donner aux Anglais. On ne savait comment s’y prendre. On rattache donc les travaux publics (routes, mines, chemins de fer) aux Finances, où vient d’être mis Modir ol-Molk. On donne les [constructions] {215a} à la Municipalité,

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

329

véritable ministère à laquelle on vient de mettre Ipekiân. La commission des concessions est supprimée. Et les Anglais auront toutes les concessions qu’ils désirent. Par tous les moyens on cherche à décourager les étrangers établis en Perse. Suppression des correspondances. Censure qui s’exerce encore plus sévèrement avec la disparition de Molitor. Menaces d’évacuation. Terreur. Tout est essayé pour dégoûter l’Européen. Une modiste, Mme [Manoury], arriva à Téhéran avec 35 000 fr. de marchandises. On les arrête à Bagdad : elle ne les reçoit jamais. Une doctoresse en médecine, Mlle Deromps, arrive en Perse avec ses instruments de médecine : elle ne les reçoit pas, ils restent à Anzali des mois et sont finalement pris par les bolcheviks. Un directeur des tramways belge, M. [Kregner]254, commande deux fois de suite du matériel en France : il n’arrive pas et cela permet de ridiculiser son organisation surannée, son matériel usé, etc. Toute collaboration d’une autre nation que l’Angleterre avec la Perse subit mille entraves. Le docteur Mesnard a eu toutes les peines du monde à gagner Téhéran. Il n’a pu avoir à Bassorah aucun passage sur un bateau remontant à Bagdad : il a dû prendre une {215b} barque arabe. À Bagdad il est venu trois fois avec tous ses bagages à la gare : chaque fois on lui disait qu’il n’y avait plus de place, bien que la veille on lui ait promis un fourgon. Difficultés de transport, pas d’automobiles en Perse, difficultés aux passages des rivières : à un gué on passe la voiture où se trouvait Mme Mesnard mais on l’oubliait de l’autre côté de l’eau. Il n’est arrivé à destination que grâce à une persévérance peu commune. Mêmes difficultés à un groupe d’Américains ayant jadis habité la Perse et qui voulaient regagner leur poste. Mêmes difficultés à Mme Molitor et à sa belle-sœur, qui voulaient rejoindre Téhéran. L’Angleterre veut être seule à Téhéran pour y confisquer le pouvoir. La souveraineté persane sans que l’Europe en sache rien. 17 mai 1921 Vu Molitor qui proteste contre la campagne de calomnies faite [contre] lui dans les journaux et dont la Légation d’Angleterre s’est fait l’écho. Il exige une enquête. Il a demandé l’arbitrage de M. Armitage-Smith qui lui est accordé. Celui-ci l’a vu, a examiné les griefs portés contre Molitor et a dit : « – Nous [pourrons] arranger tel et tel point. – Pardon. Je viens vous demander de vérifier si {216a} ma gestion est régulière et rien de plus. Pour mon affaire, c’est la légation de Belgique qui l’arrangera. » 254  Lecture incertaine, voir 30 août 1921.

330

georges ducrocq, journal de perse

Molitor réclame si sa révocation est maintenue : 3 mois d’appointements ; son voyage payé sur la base de celui d’Armitage-Smith ; la pension de 19 années de services ; le transport gratuit à la frontière persane avec tous les honneurs dus à un directeur des postes utilisant son matériel ; un certificat de parfaite gestion. Ceci obtenu la légation de Belgique demandera des excuses pour le tort porté à la Belgique par des accusations injustifiées. L’administration des postes, sous son habile direction, est passée de 1 à 10. Le nombre des correspondances en 12 ans triplé, des colis postaux a décuplé, les recettes également. Il a sauvé le trafic de la Perse pendant la guerre, assuré le transport des voyageurs. Il n’a eu tout le long de sa gestion que des réclamations insignifiantes. Pourtant des courriers ont été fréquemment dévalisés. Il a pris trop à cœur à Madrid les intérêts de la Perse. On l’en récompense par un coup de pied au derrière. Les deux sœurs de Molitor ont été condamnées à deux ans de prison par les autorités allemandes pour transport de correspondances. {216b} – Modir ol-Molk a beaucoup hésité à accepter le portefeuille des Affaires étrangères. L’ambition l’a emporté. 18 mai 1921 La situation se gâte. On voit poindre la vision ambitieuse du jeune Kâzem Khan qui, après avoir écarté Mas‘ud Khan, brigue le pouvoir suprême. Il se déclare partisan de la fusion de la gendarmerie avec les cosaques. Ainsi se trouvera renforcé le corps des Cosaques. Il est maintenant chef d’état-major général de l’armée. Il est au mieux avec Sardâr Sepah – qu’il a l’intention d’étouffer demain. Mais celui-ci est aussi très ambitieux. Il a l’oreille du soldat avec ses rudes façons de sous-officier. Kâzem est soutenu à fond par la Légation d’Angleterre, qui commence à lâcher le Seyyed, parce qu’elle n’obtient pas de lui tout ce qu’elle espérait. Celui-ci voudrait laisser la gendarmerie autonome : il se cramponne à l’idée de l’internationalisation de la Perse. Il veut faire venir des instructeurs suédois à Téhéran comme organisateurs de la gendarmerie et non de l’armée. Mais il a cédé à Sardâr Sepah une fois. Il doit continuer. Le but lointain des Anglais est d’augmenter le gâchis, de créer la fusion de tout ce qui existe dans une armée prétorienne qu’ils espèrent avoir en main. S’ils perdent cette armée ils s’en iront à Ispahan avec {217a} le shah où les attend la Police du Sud. On signale en Azerbaïdjan les progrès de Simko, appuyé par les Turcs, avec artilleurs et officiers des mitrailleuses turcs. Il occupe Ravanduz. Il a battu les Cosaques et les gendarmes qui avaient adopté le plan de campagne déplorable

Du 28 octobre 1920 au 18 mai 1921

331

de Moxber os-Saltana. Celui-ci est condamné à Téhéran. Il sautera comme les autres. Une expédition va partir vers Ardabil : 500 gendarmes sont déjà à Qazvin, 1 500 autres vont partir dans la direction d’Habibollâh Khan, qui prend la tête de ce corps expéditionnaire qui comprendra 3 000 hommes et recrutera sur place les Šâhsavan. Habibollâh aura le commandement militaire de la région. Il absorbera peu à peu les pouvoirs du gouverneur civil. On lui donne secrètement mission de s’avancer vers Amir Aršad et vers Tauris où il sera sans doute installé comme gouverneur. Riâzi me dit qu’il est perdu de réputation. Que le Seyyed le soutient encore et qu’il ne reste à la Gendarmerie que pour aider Habibollâh, lui envoyer le plus d’hommes et le plus de camarades possibles. Mais un élément nouveau entre en jeu. Le Bolchevik qui a entamé la lutte contre l’Anglais et qui commence par créer un service de nouvelles anti-Alliés. {217b} Je termine ce cahier par un de ces matins immaculés qui font oublier toutes les intrigues de l’Orient. Hier un officier persan de la Police, [Pashah Khan255], a levé la main sur Bjurling. Dans ce fait il y a toute une révolution. L’Européen cesse d’être respecté. Il est battu et les Persans sont d’autant plus implantés qu’ils se sentent soutenus par les Anglais, mauvais Européens, qui finissent par écoper et par les bolcheviks anti-européens. Il est très dangereux de prendre l’Asie à témoin de nos querelles. Bjurling offensé est naturellement traduit devant une commission d’enquête où son insulteur produit des faux témoins subornés dans la police. Wesdahl, qui devait faire arrêter le soir même [Pashah-Khan], ne le fait pas, par peur. Bjurling est venu se plaindre à la Légation de France et Hoppenot a exigé qu’un représentant de la Légation assiste à la séance de la Commission. Le président du conseil a voulu s’y opposer. Hoppenot a déclaré qu’il télégraphierait à Stockholm, le soir-même. Si l’on veut faire échouer le projet de mission militaire suédoise à Téhéran, on n’a qu’à continuer à molester les Suédois. Mais ne veut-on pas en réalité faire échouer cette mission ? Le plan actuel des Anglais, semble être de faire mettre à la porte par les Persans tous les Européens assez hardis pour demeurer en Perse. On les renvoie à coups de pied au derrière en les traitant de voleurs.

255  « Pachah-Khan », peut-être Pâšâ Nurzâd, un militaire né en 1902 . . . 

332

georges ducrocq, journal de perse

Suite du Journal de Perse : 24 août au 28 octobre 1921256

24 août 1921 Quand un bateau arrive à Bombay chargé de marchandises françaises, celles-ci restent en souffrance dans les entrepôts. Il en est de même à Bassorah, puis à Bagdad. Pour éviter ces retards, nos commerçants acheminent la marchandise par la voie des Bakhtyaris, Mohammara-Ahvâz, mais la Compagnie Lynch qui exerce sinon le monopole presque l’exclusive possession des moyens de transport ne favorise pas l’arrivage de nos colis français. C’est ainsi que les marchandises françaises boycottées, se voient interdire l’accès de la Perse. À Bagdad, au bout de six mois, si elles ne sont pas réclamées (et que sont 6 mois en Perse, dans un pays où les communications, l’hiver, sont imprévisibles), elles sont vendues à l’encan. Une maison de commerce, le Comptoir français, continue dans ces conditions à vendre des marchandises françaises avec une ténacité héroïque. De ce côté la Perse est donc bloquée. Restait la voie du nord que les Bolcheviks voudraient rendre praticable mais que l’intrigue anglaise s’arrangera toujours pour hérisser d’obstacles. – C’est une curieuse histoire que celle de cet Azrilenko que le gouvernement bolchevik veut se faire livrer. Rothstein le réclame avec véhémence : il menace de {225b} rompre les relations diplomatiques et même de faire venir des soldats en Perse si on ne lui cède pas ce prisonnier que Sardâr Sepah a arrêté, sans souci de la légalité. Le ministre d’Angleterre et les chargés d’affaires de France et des États-Unis ont pris son affaire en mains. Mais le Gouvernement persan est affolé et craint d’encourir la colère de son puissant ami. Azrilenko se dit polonais. Si les Européens cèdent sur ce point, demain d’autres Polonais, puis des Anglais, des Français et des Boches suspects d’hostilité au bolchevisme seront arrêtés. C’est une question de principe. Tous les diplomates le sentent, sauf M. de Raymond, qui a si peur de mécontenter Rothstein qu’il ne veut pas se mêler de cette affaire. – Assyro-chaldéens – 800 catholiques et 2 à 3 000 orthodoxes chaldéens qui étaient soutenus par les missionnaires américains sont partis pour Tauris, de leur propre chef. On prétend qu’ils vont y soutenir la propagande bolchevik. Cette attitude ne peut qu’augmenter les suspicions du gouvernement persan, déjà très prévenu contre les Chaldéens, soupçonnant ceux-ci de conspirer contre la Perse, de vouloir entrer de Mésopotamie en {226a} Perse pour le compte des Anglais. On prétend qu’Âqâ Petros avait fait un pacte avec le Seyyed Ziyâ od-Din dans le précédent ministère. 256  Aucune entrée entre le 18 mai et le 24 août. Dans le volume relié regroupant les cahiers du Journal, un cahier d’écoutes radio 1919-1921 a été intercalé.

Du 24 août au 28 octobre 1921

333

Les hauts dignitaires chaldéens, qui protestent de leur amour pour la France, jouent en même temps sur la carte anglaise. Mgr Nissan est très bien avec Norman. Il était au courant du mouvement qui se déclencha naturellement vers Tauris, qui semble un mouvement révolutionnaire, les Chaldéens se décidant à se faire justice eux-mêmes. À ce propos le P. Chatelet dit que l’an dernier Âqâ Petros avait reçu mission des Anglais d’entrer chez les Kurdes, de piller, de massacrer et de marcher sur Urmia. Il en garde les ordres écrits. Pendant ce temps les Anglais payaient Simko et lui promettaient la royauté de Xo’y (200£ par mois). Simko échoua. Agha Petros échoua. Celui-ci de retour à Bagdad, fut vigoureusement blâmé : il ne sortit pas cependant sur ordre, laissant passer l’orage. On comprend l’animosité des Persans, d’un Hâjji Mohtašam os-Saltana pour ces Chaldéens rebelles et pour les Français257 qui vinrent en 1918, camouflés en mission médicale, les armer et les diriger sur territoire persan contre les Turcs {226b} et contre les Persans. On reproche à Hâjji Mohtašam os-Saltana d’avoir désarmé la mission française après la débâcle turque : il ne pouvait faire autrement, il n’a pas touché à leurs vies. L’expédition française était un coup d’audace organisé par le colonel Chardigny qui voulait planter le drapeau français à Mossoul. L’idée était bonne. Mais elle fut exécutée en secret, sans avertir la Légation. Elle échoua parce que les Anglais ne voulaient ni des Français à Mossoul ni des Russes en Mésopotamie. Le général russe qui conduisait l’expédition s’avança victorieusement jusqu’à Ravandouz. La plaine mésopotamienne lui était ouverte. Pour quelques millions de livres turques on l’acheta, on le paralysa et le désastre de Kut al-Amâra, survenu quelques jours plus tard et voulu empêcha la jonction des Russes et des Anglais, notre accès à la Mésopotamie. La fin de la guerre était reculée. Nos soldats se faisaient casser la figure sur le front occidental mais l’Angleterre se réservait la Mésopotamie. {227a} 25 août 1921 L’esprit politique des Persans. Ce qui manque totalement au Persan, c’est l’esprit politique. Il a le patriotisme, il adore son Iran, la plus belle terre du monde à ses yeux et il a raison, car avec un peu de soin, une irrigation bien comprise, aucun sol n’est plus fertile. Les jardins plantés poussent en quelques années. La terre fournit plusieurs récoltes. La culture maraichère est très développée. Les arbres croissent à merveille. Le fourrage abonde dans de vieux villages au pied de l’Alborz où l’on ne manque de rien, où le bétail est gras, l’herbe abondante, les légumes et les fruits divers et à volonté. Pour son climat 257  Allusion à l’Ambulance française d’Urmia. Voir l’entrée du 22 février 1920.

334

georges ducrocq, journal de perse

délicieux, pour son ciel, pour son charme, la Perse est aimée de ses enfants. Les Persans les plus parisianisés avouent qu’ils préfèrent une chasse dans le désert aux séductions du Boulevard. Mais ces mêmes hommes, si fiers de leur race et de leur pays, sont incapables de le servir. Le dévouement politique n’existe pas. Le service de l’État est une gabegie où chacun tire le plus de profits avec un minimum de travail. La bonne marche des administrations n’intéresse personne. Chaque Persan au pouvoir cherche à s’emplir les poches le plus rapidement possible. La Constitution a {227b} fait empirer le mal en multipliant les convives au banquet gouvernemental. La voracité des politiciens est plus coûteuse que les caprices d’un tyran. 500 roitelets mangent au gâteau de l’État. Leur vie se passe en intrigues, en cabales, en ruses de diplomates. Toute l’orientation intellectuelle du Persan est dirigée vers la diplomatie. Il n’y en a pas de plus stériles. « C’est notre situation extérieure, la nécessité de louvoyer avec les étrangers », me disait un Persan qui a fait de nous des diplomates . . . et en effet les politiciens sont diplomates, les domestiques sont diplomates avec leurs maîtres, les enfants avec leurs parents, les mollâs avec les grands seigneurs. L’art d’obtenir par le discours, la feinte et la flatterie est poussé ici jusqu’à la virtuosité. Chacun se contente de ces demi-succès, si sensibles à l’amour-propre et nul ne songe à la grande œuvre de restaurer l’État, pillé par ses sujets. À cette indiscipline sociale la principale cause est la géographie persane. Disséminés sur une quantité de tribus et de districts impénétrables les uns aux autres, le Persan ne connaît pas l’unité politique. Sa nationalité est intellectuelle : {228a} Ferdowsi, Sa‘di sont lus de l’Arabistan258 au Khorassan mais il reste inféodé à ses anciens usages, attaché à son clan, à sa famille. Les Qaffâri sont une grande famille, les Šeybâni en sont une autre. Il y a la tribu des Qâjâr. Il y a celle des Afšâr, celle des Tabâtabâ’i, il y a le clan Bakhtyari, il y a le clan des Qašqâ’i, le clan des Šâhsavan, celui des Kurdes et celui des Lor-s, chaque montagne a ses hommes libres qui ne relèvent de personne. De cette mosaïque d’indépendants, demi brigands, séparés par des déserts, sans voies de communications, nomades échappant au fisc, comment constituer un État régulier ? Les gens des tribus méprisent les gens des villes, les citadins méprisent les campagnards. Chaque province et chaque gouverneur veut être autonome et l’est en réalité. Ajoutez à ces clans les obscures intrigues de l’étranger qui sème l’or pour augmenter l’anarchie, comment dans ces conditions un pouvoir solide peut-il se constituer ? il n’en est qu’un qui soit possible : la tyrannie militaire. Un vieux sentiment monarchique subsiste au fond de la nation qui lui fait craindre la colère du prince. 258  Nom officiel, à l’époque Qâjâr, du Khouzistan.

Du 24 août au 28 octobre 1921

335

Kurdistan – Le capitaine Warren, de l’Intelligence Office est l’auteur de toute l’agitation du Kurdistan contre Šarif od-Dowla. Avant son arrivée tout était calme. {228b} Hoppenot soutient que Berthelot est anglophile, qu’il a été avec les Anglais contre les Turcs et que l’abandon de la Palestine est son fait. Il aurait dit à Hoppenot avant son départ : « Surtout pas d’histoire avec les Anglais ! » 26 août 1921 Lu hier soir un chapitre de la Vie en fleur d’[Anatole] France259. Son héros dit : « J’étais né pour le plaisir ; je ne cherchais que le bonheur. » Sans doute, mais un bonheur facile, celui de contempler la beauté physique. D’autres mettent leur bonheur dans la puissance créatrice, d’autres comme les héros de Corneille. Mais France vous dira que ce sont les ennemis du genre humain. J’ai sous les yeux un peuple qui n’aime que ses plaisirs. Il est dans une jolie déconfiture. 27 août 1921 Hier déjeuner à Farmânia. Je suis à côté du vieux Farmân-Farmâ, maussade et plongé dans ses assiettes de polow et de [âb-e gušt]. Il me demande si j’ai été au front, en première ligne, combien il y avait de grenadiers dans chaque Compagnie, à quelle distance ils lançaient les grenades, le poids des grenades, combien un homme pouvait en porter. Puis il m’interroge sur l’armée polonaise, le nombre d’hommes qu’elle peut mettre en ligne face aux Russes. {229a} Au dessert après quelques exercices musicaux il va faire la sieste. Le vieillard a l’esprit singulièrement alerte. C’est le plus madré des hommes politiques persans. Ses fils ont hérité de l’intelligence du père sans la force. Ils sont faibles et dégénérés, mais certes les plus français, les plus parisiens des princes persans. Ce qui soutient la société persane, c’est que la famille y subsiste, avec ses traditions, sa structure solide. Firuz demande à son père la permission d’ôter son kolâh devant lui, ce qui est un signe d’émancipation. Les Persans ont toujours la tête couverte. Se découvrir est un signe de familiarité. Les fils entourent d’égards le père, l’écoutent dans une attitude respectueuse, lui obéissent. Par cette ossature féodale et par la politesse qui préside aux relations sociales, la Perse dure. Les femmes enfantent une quantité d’enfants, les patriarches ont plusieurs femmes, comme Abraham. Chacun trouve la chose naturelle. L’important est d’avoir une nombreuse progéniture, une grosse influence dans 259  Cet ouvrage est généralement donné pour parution en 1922, mais il est possible qu’il ait paru auparavant dans la Revue de Paris, entre 1915 et 1921, cf. catalogue de la bnf.

336

georges ducrocq, journal de perse

le monde, une clientèle abondante, un clan. Dans cette société l’homme seul compte. {230a} 28 août 1921 Hier goûter chez les Molitor. Les dames évoquèrent des souvenirs de Belgique. Elles transportent en Perse leur souci de maternité anxieuse, cet esprit tour à tour des Flandres et de Wallonie, ces préoccupations domestiques. « Vous, madame, qui n’avez pas d’enfants. Vous qui pouvez monter à cheval et faire tout ce que vous voulez, etc. » L’envie, très vilain sentiment, très commun dans le nord, vice des démocraties, vice des civilisations purement matérielles, où les hommes ne se distinguent que par leur degré de richesse. Lu un petit texte de [Henry] Bataille, la Tendresse. Effrayant de penser qu’après la guerre et les doux espoirs qu’elle devrait soulever, un public est distrait par ces âneries. 29 août 1921 Azrilenko est poursuivi par la Justice russe parce que, commissaire du naphte à Bakou, il aurait vendu le pétrole du gouvernement bolchevik et se serait sauvé à Téhéran avec une forte somme – emmenant sa femme. Azrilenko réplique qu’il a échangé son pétrole contre du bétail, que les opérations qu’il a faites sont régulières comme en peut témoigner le gouverneur d’Astarabad, Kaimakan, qui y a assisté. {230a} Il prétend qu’il est persécuté pour raisons politiques, parce qu’il a collaboré au gouvernement de Denikine et parce qu’il connaît beaucoup de secrets bolcheviks. C’est un homme remuant, intelligent, qui a fait des études techniques d’électricien à Nancy et à Toulouse. Il se dit Polonais (juif ? peut-être), né dans une partie de la Russie récemment annexée à la Pologne. La Légation des Soviets nie qu’il soit polonais et demande son extradition comme celle d’un sujet russe, prisonnier de droit commun. Arrêté par Sardâr Sepah et mis à la Qazak-khaneh depuis deux mois, ayant cessé de manger et fait la grève de la faim, mis ensuite à l’hôpital Hamidiya, Azrilenko s’est enfui à la Légation de France en automobile, avec sa femme et [Pockhtanof260], qui l’aida, celui-ci sujet russe, officier persan. Le ministre des Soviets que cette affaire irrite beaucoup, a donné un ultimatum de 3 jours, qu’il a transformé en cinq, pour qu’Azrilenko, sa femme, [Pockhtanof] lui soient rendus et il a exigé le départ du ministre des Affaires étrangères que le gouvernement persan lui a accordé. Notre ami Hâjji Mohtašam os-Saltana a été débarqué. {230b} 260  P. Kitonof écrit Ducrocq. Je reprends l’orthographe utilisée par Hélène Hoppenot.

Du 24 août au 28 octobre 1921

337

Sous cette affaire il y a des dessous politiques. Le ministre bolchevik vient tout d’abord affirmer sa force. Il est nouveau venu, il craint qu’on ne se moque de lui et son conseiller Sâ‘ed ol-Molk, le pousse dans cette voie. D’autre part le gouvernement anglais n’est pas fichu de voir d’une part la menace bolchevik se préciser (car Rothstein menace de quitter la Perse avec sa légation et d’y revenir avec vaisseaux de guerre et armée) et les Persans commencer à trembler, d’autre part le gouvernement persan se brouille avec le gouvernement français sur cette affaire, les Français commençant à prendre trop d’importance en Perse depuis l’acceptation par le gouvernement français d’une aide économique à la Perse, contre l’octroi de concession des pétroles du nord. Brouiller la Perse avec la France, obtenir une rupture des relations diplomatiques ou brouiller la Perse avec la Russie et obtenir la rupture des relations diplomatiques, c’est un jeu qui de toutes manières profite à l’Angleterre. {231a} 30 août 1921 L’affaire Azrilenko se complique, elle a des dessous politiques. Beaucoup de gens ont intérêt à pousser les choses à l’extrême, les Russes pour marquer leur puissance, les Anglais pour obtenir soit une défaite russe soit une défaite française et une brouille de la France avec la Perse, ce qui ferait d’autant mieux leur affaire que la France gagnait trop de terrain depuis quelques temps. [en marge :] Le ministre d’Angleterre a écrit une lettre à Hoppenot en l’engageant à ne pas céder, et en lui disant que les Persans et les Soviets avaient partie liée et essaient de monter un coup contre lui. Si la Légation de Russie l’emporte, elle humilie la Légation de France ; si elle est obligée de céder, elle fait un éclat et prend des mesures violentes contre la Perse : invasion, soulèvement pro-bolchevik en Perse, mouvement anti-allié. À cette affaire ceux qui ont sûrement à perdre sont les Persans qui seront privés de leurs amis russes ou de leurs amis français. Deux contrepoids à l’influence anglaise. M. [Kregner]261 croit que cette affaire est un coup monté, qu’Israelenko (sic), juif, s’est entendu avec les Bolcheviks à Bakou et continue de s’entendre avec eux. Il s’est enfui pour provoquer toute cette histoire qui doit ameuter l’opinion persane contre la Légation de France, seul allié populaire, et provoquer son départ. Ceci est difficile à croire, Azrilenko a vraiment fait la grève de la faim. Ce qui paraît indiscutable, c’est que Sardâr Sepah est entre les mains du Bolchevik, payé par lui, soumis à ses ordres. L’affaire pourrait mal tourner si des Arméniens profitaient de l’occasion pour faire un attentat contre la Légation de Russie, dont la garde vient d’être 261  Voir l’entrée du 16 mai 1921.

338

georges ducrocq, journal de perse

renforcée. En ce cas les Russes soulèveraient facilement la population contre tous les étrangers. Les Bakhtiyâris sont hostiles à la Légation de Russie. Samsâm os-Saltana viendrait au secours des Européens avec ses Bakhtiyaris. Nous entrons dans une phase critique. De toute manière, en brusquant les choses et en posant des ultimatums dont l’un est, paraît-il, une demande de rappel d’Hoppenot, le Bolchevik s’aliène des sympathies. Sâ‘ed ol-Molk le pousse dans une mauvaise voie. Hier Raymond a obtenu du Colonel Haig l’aveu que Sâ‘ed ol-Molk était bien venu lui confier l’histoire de l’Afghan, et me dénoncer auprès de lui, ce que nie Sâ‘ed ol-Molk. {232a} Hoppenot, dans cette affaire, est très [serein] mais on attend impatiemment la réponse de Paris. – l’évêque du Kurdistan retourne à son évêché qui date des premiers temps du christianisme, à ses frustes ouailles, à ses agiles Kurdes qui dansent sous les arbres (tout le monde danse au Kurdistan, même les mollâs), à ses robustes chaldéennes rouges et pleines de santé, à ses montagnes, à son air salubre et . . . Il trouve que les femmes du monde de Téhéran sont maigres, pâles, décharnées, des fantômes. Leur décolleté l’épouvante. Il s’étonne que l’on se couche quand on a la fièvre. Il n’y a pas de médecins à Senneh262, seuls quelques juifs qui ont des remèdes de bonne femme. Ce paysan a cependant la rouerie du diplomate : il a su très bien négocier en faveur de ses chrétiens auprès des Kurdes et des Turcs ; ici il est même trop diplomate et il mêle trop Norman, qui n’a plus de crédit, à ses affaires, ce qui indispose le gouvernement persan et le confirme dans cette idée que les Chaldéens sont des révolutionnaires dangereux, suppôts de l’Angleterre. Quand l’évêque a dit au shah : les Chaldéens veulent vivre et mourir sujets fidèles du shah des shahs, le shah n’a pu s’empêcher de rire. {232b} Mgr Nissan écrit à Hoppenot : « Mon cher Hoppenot, » et signe ses lettres : « ardent salut ». « – Nous n’avons pas gardé les Chaldéens ensemble » dit Hoppenot. 31 août 1921 Nuit passée à la Légation. Hier les Polonais qui y sont réfugiés ont été avertis qu’un parti de Bolcheviks viendrait les enlever la nuit. Avec le doyen du corps diplomatique, Raymond, nous avons demandé au président du Conseil de nous donner une garde. Trente gendarmes et cinquante agents de police sont 262  En persan Sanandaj.

Du 24 août au 28 octobre 1921

339

venus de Yusefâbâd et de Tajriš. Ils ont été placés par moi dans le jardin et j’ai couché à la Légation où j’ai d’ailleurs très bien dormi. Ce matin expire le délai fixé par Rothstein pour l’accomplissement de son ultimatum. Que va-t-il faire ? Ne voit-il pas qu’il fait le jeu anglais ? Hoppenot reçoit à ses télégrammes des télégrammes indéchiffrables. Nous ne connaissons pas les désirs de Paris. Vu le professeur Foucher263 et sa femme. Il est en route depuis trois ans aux Indes, appelé par le Gouvernement indien pour étudier {233a} les monuments du nord de l’Inde. Ce qui l’intéresse, ce sont les influences de l’art grec dans l’art hindou. Il suit la piste d’Alexandre. Il voudrait visiter Bactres264. L’art persan proprement dit ne l’intéresse pas. Il n’est pas musulmanophile. C’est Berthelot et Bonin qui le poussent à aller en Afghanistan. C’est un vieillard aimable, spirituel, bien disant. Il traverse avec le sourire les pires difficultés. Tout de même l’Afghanistan en ce moment avec le mouvement soviétique et l’influence allemande n’est pas très sûr même pour un professeur de Sorbonne. Mais Foucher ne doute pas du succès de sa mission. Il lui a été impossible de pénétrer en Afghanistan par la passe de Pechawar. Le nord de l’Inde, autrefois si facile à explorer est devenu très compliqué, à cause des attaques incessantes des Afghans et des indigènes. L’âge d’or des Européens en Asie est terminé. 1er septembre 1921 l’affaire Azrilenko est grave. C’est un Israélite, pas de doute à ce sujet. Il a servi le gouvernement révolutionnaire [du prince Georgy Yevgenyevich] Lvov et puis Denikine. Il a fait partie du Saint Synode qui est foncièrement anti-polonais. Il se moquait de la Pologne jusqu’au jour où il reconnut utile de {233b} revendiquer la nationalité polonaise. Il a été chargé d’une mission à Constantinople et à Paris depuis la Révolution. Il déclare n’avoir pas pris un rouble à la caisse communiste. Les livres qu’il a changées par l’intermédiaire d’Epstein étaient une somme qu’il avait pu sauver de Russie. Hum ! [Pockhtanof], ex-officier russe du raid [Baraputchof] qui devait donner la main aux Anglais en Mésopotamie s’est distingué dans cette expédition et il a reçu une décoration anglaise. Puis il a été mis à l’Intelligence office russe. Il est au service des Anglais depuis deux ans. Officier de la Brigade centrale, il a été rémunéré par le ministère Mošir od-Dowla. C’est un besogneux. Il est le fils du consul général de Russie [Pockhtanof], auteur de l’ultimatum de 1911. Ruminant, ambitieux, assez mauvais sujet. 263  Alfred Foucher (1865-1952) spécialiste de l’art gréco-bouddhique. 264  Balx, au nord de l’Afghanistan actuel.

340

georges ducrocq, journal de perse

Arrêté il y a huit jours, il a été relâché sur les instances de M. Norman et de Hoppenot. C’est lui qui a organisé l’évasion d’Azrilenko avec un [ ] russe aussi {234a} réfugié à la Légation et [Chekanski], un officier de la Division des Cosaques qui n’est pas parti, on ne sait pourquoi et qui demeure aujourd’hui l’appui de [Sioulko], général russe réfugié en Angleterre. Nous avons donc affaire à des agents anglais, réfugiés à la Légation. On voit très bien le jeu de l’Angleterre : brouiller les Soviets avec la Perse, la France avec la Perse, les Soviets avec la France. Affaire admirablement machinée et où l’Angleterre gagne à tous les coups. Les télégrammes envoyés à Hoppenot par le Quai d’Orsay se sont par un hasard extraordinaire trouvés indéchiffrables. Il a dû re-télégraphier pour demander de nouvelles instructions. Ce que l’Angleterre espère, c’est que le ministre soviétique quittera Téhéran, que les troubles éclatent au Gilân. (C’est fait. Mirzâ Kuček Khan a proclamé la République !) Que les armées soviétiques (dont ils savent d’ailleurs l’impuissance actuelle) menaceront les provinces caspiennes. Tout cela augmentera le grabuge. Le Parlement sera touché, le shah aussi, Sardâr Sepah débordé et un gouvernement anglais reprendra le pouvoir. {234b} [Telkar ?], qui a confié pour 60 000 francs d’objets d’art à Claude Anet se plaint de ne plus en recevoir de nouvelles265. 2 septembre 1921 L’affaire Azrilenko – La Légation est toujours gardée. Il est arrivé quarante nouveaux gendarmes, ce qui fait 70 plus 80 policiers. Un directeur de la police secrète a fait demander que les détectives puissent dormir dans la Légation, en surveillant les allées et venues, ce qu’Hoppenot a refusé. Pas de réponse de Paris, ou plutôt un télégramme disant que le télégramme par lequel Hoppenot disait que les deux longs télégrammes qu’il avait reçus lui donnant des instructions étaient indéchiffrables, était lui-même indéchiffrable. J’imagine que quelqu’un, intéressé à ce que l’incident se prolonge, brouille les chiffres au télégraphe. J’ai évité un incident. Sur le terrain de la Légation qui eût été fatal en allant avant-hier demander avec Raymond au Président du Conseil une garde pour la Légation, mais cette complication de télégrammes embrouillés, cette incertitude où reste Hoppenot des instructions de Paris ne fait qu’envenimer la situation. Si Paris ordonne de rendre Azrilenko à quoi {235a] bon prolonger 265  Sur les voyages en Perse de Claude Anet et son trafic d’antiquités voir N. NasiriMoghaddam, L’archéologie française en Perse, p. 266 sq. Récit par Cl. Anet lui-même, La Perse en automobile, Paris, 1906, (récits de négociations avec les marchands locaux, par exemple pp. 242 sq., 258 sq.).

Du 24 août au 28 octobre 1921

341

cette querelle nuisible à la Légation de France, à nos bonnes relations avec la Perse, aux relations de la Perse avec les Soviets et dont seule la Légation d’Angleterre tirera un bénéfice. Rothstein de son côté commence à craindre de s’être trop avancé. Il est surtout poussé par son entourage Maler et Rozanatchev. Maler était espion bolchevik en Bulgarie. Rozanatchev avait pris l’initiative des opérations d’[Eyvanakeh Khan] au Mâzandarân. Il espérait par ce moyen que la Légation s’emparerait des forces militaires et du pouvoir. Le coup a échoué, grâce à Azrilenko qui, à Bandar-Gaz266 à la fin d’avril, l’a dénoncé au gouverneur d’Astarâbâd, Qâ’em maqâm, qui a prévenu le gouvernement. Il a indiqué au président du Conseil les chefs qui devaient prendre part à cette expédition (Dinbinski). De là vient l’irritation de l’attaché militaire contre Azrilenko. Azrilenko a favorisé l’évasion d’Epstein, son coreligionnaire et de sa femme qui ont demandé au président du Conseil, Seyyed Ziyâ od-Din, l’autorisation de venir à Téhéran. Celui-ci le leur a accordé. Lui-même n’a fui que le 25 mai. Il était ici {235b} le 23 juin. Il est resté 5 jours à l’Hôtel Moderne où Maler est venu lui dire qu’il le ferait arrêter ou le ferait assassiner. S’il n’a pas quitté immédiatement Téhéran, c’est qu’il espérait obtenir son enfant, resté à Bakou. Il avait, en arrivant à Bandar-Gaz des papiers constatant qu’il était envoyé par le commissaire du naphte de Bakou. Ces papiers n’indiquent pas sa nationalité polonaise. Cette nationalité, il n’a pu la revendiquer. La Vol[ ?]267 est polonaise depuis 1920 et les Bolcheviks s’opposent à toute option en faveur de la nationalité polonaise pour les ex-sujets russes. Il n’y a pas de consul polonais à Bakou. Se déclarer polonais c’est risquer la prison et l’exécution. – Raymond me raconte qu’il a sauvé la monnaie en disant à Sir Percy Cox qu’il démissionnerait en disant qu’il avait cru dans l’amitié d’un ministre qu’il trouvait déloyal et, plutôt que d’être ridicule aux yeux de Bonin, il démissionnait. Sir Percy Cox lui garda la monnaie. Son successeur fut moins habile et perdit l’amitié des Belges. {236a} 2 septembre 1921 Conversation avec Riâzi. – Au Khorassan, on espère détacher des rebelles Sardâr Movassaq, de Bojnurd. On envoie contre lui 2 000 hommes, les gendarmes de Savâd Khan. Mais il

266  Port du Mâzandarân, sur la Mer Caspienne. 267  On pense à Vilnius, mais le texte suggère quelque chose comme Valaquie . . . 

342

georges ducrocq, journal de perse

reçoit des renforts de Kermân. Les hommes licenciés de la Police du Sud sont envoyés, par petits paquets, au Khorassan. À Ispahan, on signale que Sardâr Zafar est arrivé avec 7 000 tomans et que les anglophiles et leurs adversaires se battent. À Kermânšâh activité insolite du consul [Graham]268 qui soulève des troubles. Au Kurdistan, Smyth a passé par là, retournant en Angleterre. Il a écrit à Zamân Khan : « Je recule pour mieux sauter. Je reviendrai en Perse au printemps mais sans contrat. » En Azerbaïdjan, [Lundberg], avide d’argent, n’apportera aucun secours à Moxtâr os-Saltana. Au Gilân, Mirzâ Kuček Khan attend [et] gagne du temps : dans un mois le Gilân sera impraticable pour les troupes gouvernementales qui vont d’ailleurs être rappelées. Habibollâh est actuellement au Gilân. {236b} Ehsânollâh Khan avait reparu au Mâzandarân. – Nosrat od-Dowla serait de nouveau acquis aux Anglais. Il aurait eu une scène avec Modarres où il proposait à celui-ci de l’acheter cinquante ou cent mille tomans pour le compte des Anglais. Celui-ci aurait refusé. Le ministre russe offrirait 10 millions de tomans à la Perse sans intérêt. Personne n’a parlé de la proposition française. Mošir od-Dowla a profité de son ministère pour récupérer 800 000 tomans de la banque Tumânians. Momtâz od-Dowla poursuit le gouvernement d’Azerbaïdjan. Il a une mission pour Ankara. Il a de l’argent, il part pour Tauris, il se pourrait qu’il y restât. Il est turc d’Azerbaïdjan. Une grève vient d’éclater au ministère des Finances. Les directeurs ont refusé le service. Ils réclament des appointements supplémentaires. Une autre grève est probable au ministère des Affaires étrangères. 3 septembre 1921 Réponse du ministère [français] : pas de brouille avec le gouvernement persan. Obtenez un sauf-conduit pour Azrilenko et télégraphiez moins à ce sujet. Perny me conte que Nosrat od-Dowla a {237a} sur son conseil et devant le tollé que l’Accord de 1919 avait soulevé dans la presse française porté l’Accord à la Société des Nations, à la grande fureur des Anglais. Aucune publicité n’a été faite autour de la proposition française pour les pétroles du Nord. Raymond voudrait à ce sujet un projet franco-belge. 268  D’après Rabino (Diplomatic and consular officers . . . , p. 65), le consul britannique à Kermânšâh était alors Major J.L. Weir. Aucune autre trace de ce Graham.

Du 24 août au 28 octobre 1921

343

4 septembre 1921 Vu Tumâniâns. Sont favorables au projet d’aide financière et économique française Mostowfi ol-Mamâlek, Mošir od-dowla, Mo’tamen ol-Molk, Mošâr olMolk, Šahâb od-Dowla, Mošâr os-Saltana, Movasseq od-Dowla (ex-gouverneur du Fârs). La maison Tumâniâns obtiendrait la concession (ex-concession Kochtaria) et d’autres pétroles. Elle traiterait avec le groupe financier français. Le fait que le shah est venu rendre visite à Tumâniâns ces jours derniers, en l’assurant qu’il ferait tout pour relever sa maison, est significatif. Les Persans ne veulent plus du monopole de la Banque impériale. Tout l’or sort de Perse, drainé par les Anglais. La Perse n’a plus que 20 millions d’importations au lieu de 40 millions, elle n’exporte que 18 millions. {237b} Le commerce est paralysé. C’est un pays dont on veut la ruine. Toute l’activité anglaise est actuellement dirigée vers l’établissement du désordre et de l’anarchie en Perse. L’occasion est très favorable pour l’intervention française pour ouvrir à la Perse une fenêtre vers la Méditerranée. Il faut intéresser à ce projet Henri Lorin, député de Bordeaux, et [Édouard] Herriot, maire de Lyon. Le Parlement sera favorable. Nosrat od-Dowla y disposerait d’une très faible poignée de partisans : cinq, dont Sardâr Mo‘azzam. Modarres se serait brouillé avec lui. Le projet entraînera la création du chemin de fer, l’arrivée d’ingénieurs, de spécialistes, d’une mission économique, le renforcement de la Légation, le maintien d’un attaché militaire. Vu le soir, au tennis chez le prince ‘Eyn os-Saltana, Mostowfi ol-Mamâlek. Il trouve que l’affaire Azrilenko a été exagérée, elle n’a pas l’importance que M. Rothstein ou M. Hoppenot lui ont donnée. Les télégrammes d’Hoppenot, ceux qu’il recevait {238a} de Paris, ceux qu’il envoyait, les télégrammes du Gouvernement persan, ceux du ministre bolchevik et ceux même du ministre de Belgique, sont brouillés. Que signifient ces coïncidences ? Les difficultés entre Rothstein [et nous ?] seraient de faible importance. La royauté d’émir Faysal est mal accueillie en Mésopotamie par les cheikhs au sud de Bagdad et par des chefs arabes plus justifiés que lui pour prendre la couronne. La France n’a pas renoncé à Mossoul. Voir les discours de M. [Moulins] au groupe républicain. On veut régler avec le Vatican l’envoi d’un évêque français à Mossoul.

344

georges ducrocq, journal de perse

Rothstein vient de se commander une superbe automobile. Il en a 5 ou 6 à la Légation. Tout ce monde roule carrosse et dépense un argent fou. Il y a plus de 100 personnes à la Légation. On y dépense 6 000 tomans par jour. Havas ne donne rien aux Indes, en Perse, ni en Chine. Mais Reuter ne donne rien dans l’Amérique du Sud. Manque de fonds. {238b} Le ministre des Soviets à Téhéran répand le bruit que la France veut dépecer la Russie, convoite la Crimée et la Bessarabie. – Hier Raymond soutenait la thèse germanophile, la nécessité de s’unir à l’Allemagne contre l’Angleterre, la faiblesse de la Pologne. Je le soupçonne de préparer un projet financier pour la Perse avec l’aide de Sommer, qui déjeunait récemment chez lui. Ce rôle de diplomate belge qui consiste à faire à tous des politesses et à trahir tout le monde n’est plus possible. Bruxelles doit marcher d’accord avec Paris en Perse et le ministre de Belgique en Perse marcher d’accord avec la Légation de France et non avec la Légation de Berlin. – Les Anglais auraient envoyé des émissaires chez les Turcomans pour les inciter à se joindre aux Khorassanis.



7 septembre 1921 Hoppenot mène en Perse une politique anti-persane. Il ne voit pas un Persan, il ne leur fait pas de visites, il ne les invite pas à la Légation et en toute occasion il prend parti pour les Anglais contre les Persans. Il met en branle actuellement tout l’appareil de l’extraterritorialité et de la dignité de la France {239a} pour un juif bolchevik qui a trahi ses camarades et pour un espion de la Légation d’Angleterre, [P. Kitonof]. Il ne voit pas les Tumâniâns, qui sont les plus fermes partisans de l’influence française en Perse, les banquiers qui protège[nt] le shah. Ce projet des pétroles du Nord attribué à la France et du chemin de fer transversal avec quelle mollesse il le soutient ! 8 septembre 1921 Tout finit par s’arranger. L’arbitre Raymond dont Jupiter n’est même plus le cousin, a amené une conciliation. Hoppenot consent à rendre Esraelenko269 et les trois Russes contre garanties du Gouvernement persan qu’ils ne seront pas livrés au Bolchevik. Celui-ci se désiste et ne les réclame plus. Une commission d’enquête composée de deux Persans, deux Français, deux Russes jugera si Esraelenko est coupable d’un crime de droit commun. Mais les Persans veulent récuser M. Perny parce que, disent-ils, il nous roulera tous. Sa Majesté avec une suite nombreuse est descendue chez Tumâniâns. Le shah est allé avec M. et Mme Tumâniâns visiter les dames dans leur andarun. 269  Est-ce une pointe anti-sémite ou s’agit-il du véritable nom d’Azrilenko ?

Du 24 août au 28 octobre 1921

345

Quand ils sont revenus dans leur salon, le buffet avait été pillé, Mošâr [odDowla] {239b} avait mangé à lui seul un cake et il était en train de se laver les mains dans un bassin. À un goûter chez moi, j’ai vu, il y a deux ans, Loqmân od-Dowla, médecin du shah, vider une bouteille de whisky pur. Chaque matin, à l’aurore, mes jardiniers sont debout, ils bêchent, ils sèment, ils récoltent, ils amènent, par un système de canalisation ingénieux, l’eau dans tous leurs carrés. Ils ont à peine fini de ramasser le foin, la luzerne ou les pommes de terre, qu’ils ensemencent de nouveau : ils font deux récoltes par an. Ils amassent les feuilles mortes, ils secouent les mûriers, ils cueillent les prunes, les pommes et les cornouilles, ils nourrissent des vaches, ils les mènent boire à la fontaine. Pas un instant de leur journée n’est inoccupé. Ils sont forts, musclés, robustes, ils ne fument pas d’opium, ils ont beaucoup d’enfants. Ceux-ci ne sont pas des fous qui battent la coulpe tous les soirs en l’honneur d’Hoseyn. La nuit venue, ils se couchent avec leurs femmes et le matin les trouve dispos et gaillards. Avec les paysans persans qui ne sont pas dégénérés pourquoi ne pourrait-on . . . refaire une Perse ? [en marge] Le seul plaisir du maître jardinier est d’aller au bord de la grande source avec quelques amis manger un bout de fromage avec des herbes parfumées. {240a} C’est l’avis de Mostowfi ol-Mamâlek qui vit sur ses champs, comme un sage, attendant des jours meilleurs. Qavâm os-Saltana poursuit le colonel Mohammad-Taqi Khan d’une haine solide, car celui-ci lui avait donné sa parole d’honneur qu’il ne le toucherait pas et il a trahi sa parole. Mohtašam os-Saltana a été sacrifié par le shah, d’autant plus volontiers qu’il n’aime pas les Kâšâni, fortes têtes. Celui-ci a pour lui les mollâs et les prêtres. Un prêtre de grande valeur habite son jardin, très suivi et très estimé des mojtahed, de Karbalâ à Téhéran. Sardâr Mo‘azzam deviendrait ministre de l’Intérieur. Il publie aujourd’hui un appel au Président demandant que les mollâs et grands dignitaires du clergé soient admis et écoutés dans le Parlement. L’habile homme ! Les Persans commandent des avions aux Suédois. Ils font faire appel aux instructeurs suédois pour la Gendarmerie. Ce sera un renforcement de l’influence germanophile. {240b} La campagne de presse continue contre Wesdahl et Bjurling qu’on accuse de dilapidation. šurâ – Les plus fripons de mes domestiques, mon cocher et mon valet de chambre, prennent l’habit noir et se frappent le soir avec fureur270. Ils ont 270  Le 8 septembre 1921 correspond au 5 du mois de moharram pendant lequel les chiites célèbrent le martyre de l’Imam Hoseyn (non Ali comme écrit Ducrocq) à Karbalâ. D’où

346

georges ducrocq, journal de perse

le lendemain les yeux pochés, la mine défaite : la mort d’Ali les afflige outre mesure. Le cocher a l’intention d’aller plus loin ; il veut le jour de l’âšurâ se frapper avec le sabre et s’ouvrir le crâne. Il circulera avec les pénitents en chemise, sabre nu, dans les rues de la ville, il poussera des cris affreux, il aura du sang plein les yeux, plein la bouche et sa chemise blanche en sera dégoutante. Il tombera peut-être à un carrefour et sera transporté à la fontaine voisine. Nous entrevoyons les conséquences de cet accès de piété. Elles nous inquiètent mais le cocher nous rassure quand il nous dit : « Dans toutes les places où j’ai servi, khanoum [Madame] me donnait la chemise de l’âšurâ. » Que ne le disait-il plus tôt ? il veut trois tomans. {241a} Lettre à Mme D[eromp]271 Tadriche, 8 septembre 1921 Chère Madame, J’ai mille excuses à vous faire pour ma paresse inconcevable et je me demande si, après une telle conduite, je retrouverai encore à Paris quelques amis qui voudront bien se souvenir de mon existence. Que vous dirai-je qui vaille d’être écouté ? les jours passent égaux, mais tous beaux, tous radieux. Dans la torpeur de cette existence immobile, dont tout l’enchantement vient du ciel, la pensée de mes amis demeure vivante : nous avons tout le temps de songer à eux mais comment les intéresser à cette vie asiatique, si profondément différente de la nôtre ? En ce moment par exemple, la maison est vide : mes domestiques sont tous partis au village voisin d’où s’élèvent de grands cris déchirants. Nous sommes dans le mois de moharram, où les chiites célèbrent la mort d’Ali et de ses malheureux enfants massacrés dans la plaine de Karbâlâ par les faux califes. C’est un deuil général dans la Perse, dont notre Semaine Sainte ne donne qu’une faible idée. Toute la population revêt des habits noirs, les occupations mondaines sont interrompues. Aucune musique ne se fait plus entendre ; les guitares se taisent {241b}, les clairons euxmêmes sont silencieux. Les troupes ne font plus d’exercice. Mais chaque après-midi chez quelque riche seigneur qui prête son parc ou sa cour d’honneur, sous la tente dressée et décorée de tapis du Khorassan, de Kermân ou d’Ispahan, et éclairée par mille candélabres, la foule se presse

ces allusions à la piété ostentatoire (vêtement de deuil, processions de flagellants . . . ) ; le 10 moharram, jour de l’âšurâ est le moment le plus intense du deuil. Sur ces rituels, voir mon Islam chi’ite, Paris, Fayard, 1991, pp. 44 et sq. 271  Cette lettre a été recopiée dans son journal par Ducrocq.

Du 24 août au 28 octobre 1921

347

autour d’un prédicateur qui raconte pour la centième fois de la manière la plus pathétique le supplice du Saint Imam. À chaque détail émouvant la foule pousse des cris d’horreur ; les femmes se griffent le visage et se tirent les cheveux, les sanglots éclatent. Mais ceci n’est rien auprès des mystères de la Passion représentés par des personnages vivants sur une estrade. Monter un spectacle de ce genre est un acte méritoire auquel les hommes d’un certain rang ne sauraient se dérober. Vous devinez quel attendrissement s’empare de la foule quand elle voit ses saints prophètes, le corps percé de flèches, poursuivis sur la scène par leurs bourreaux et quand elle entend leurs plaintes rythmées. Toute cette dramaturgie est splendide et vous transporte au Moyen-Âge où le public existait vraiment et {242a} collaborait à la pièce. Le paroxysme aboutit à une procession qui parcourt les rues de Téhéran le onzième jour de Moharram. Revêtus de chemises blanches, les pénitents fanatiques se promènent en cortège en se frappant la poitrine et en se tailladant le crâne à coups de sabre. C’est une affreuse boucherie. Comment un peuple aussi poli que le Persan peut-il aboutir à de tels excès ? Mystère de la religion . . .  Mais à quoi bon vous parler des Persans ? L’image que l’on s’en fait à Paris n’est-elle pas cent fois plus plaisante ? Où trouve-t-on de plus jolies princesse persane que dans nos bals persans ? Toutes les persanes ne portent-elles pas une aigrette de diamants sur le front et un turban ? Eh bien non ! La Perse est très différente de l’image des contes des Mille et une nuits que nous continuons depuis le 18e siècle à nous former d’elle. Pourtant elle demeure le pays des caprices et de l’inattendu, des coups de théâtre et des révolutions et nul ne sait jamais s’il sera demain grand vizir ou pendu. {242b} 12 septembre 1921 J’ai revu aujourd’hui un ta‘ziya avec M. [Alfred] Foucher, professeur à la Sorbonne. Il y avait certaines difficultés cette année à pénétrer dans l’enceinte du takiya. Les mollâs hostiles d’ailleurs à ce genre de spectacles populaires qui ont le tort d’incarner trop crument les personnages de la légende sacrée, les saints Imams fondateurs du chiisme, ne les ont tolérés cette année qu’à la condition que les étrangers n’y fussent pas admis comme les autres années. C’est en insistant auprès du colonel Bâqer Khan que j’ai obtenu d’y être invité, mais, a dit le mollâ, à condition qu’ils prennent part à la tristesse et n’y viennent pas comme au spectacle.

348

georges ducrocq, journal de perse

La troupe de comédiens ambulants, moins bons, m’a-t-il paru, que celle de l’an dernier, donnait aujourd’hui la partie du mystère qui montre Yazid malade, Yazid recevant les secours d’un médecin étranger, Yazid appelant sa fille à son chevet ; le messager apportant la nouvelle du massacre de Karbalâ ; l’arrivée {243a} des têtes coupées et de la Sainte famille, enchaînée ; l’intervention de l’ambassadeur de France en faveur des victimes ; les lamentations des survivants sur les restes sacrés qui arrivent de Karbalâ ; la conversion de l’ambassadeur de France ; les plaisanteries de Yazid ivre avec la tête coupée du prophète ; les lamentations de la petite fille du Prophète sur la tête de son père et sa mort ; sa mise en [bière] et son apothéose par les saints imams qui apparaissent sanglants, pour un instant ressuscités. Toute cette dramaturgie pathétique rappelle nos mystères. Que nos archevêques et nos prêtres voyaient également d’un œil sévère dans nos cathédrales. La pièce commence par une prière à laquelle le peuple répond et à la fin du mystère, quand les Saints imams apparaissent, les hommes se lèvent et commencent à se frapper la poitrine, à grands coups réguliers, en criant : Hoseyn ! Hoseyn ! M. Foucher m’a dit avoir vu au Cachemire des mystères analogues du Dieu hindou. Il y a un théâtre hindou. Zand et sanscrit sont cousins germains, mais les div qui sont les mauvais dieux de la Perse sont les divinités de l’Inde. {243b} C’est la Perse qui a inventé la conception cosmique analogue au jeu d’échecs où les deux principes le bien et le mal se disputent l’empire des âmes. 13 septembre 1921 Aujourd’hui, šurâ. Les énergumènes, couverts de sang, sortent dans les rues. Nous allons au Sabze-Meydân assister à cette cérémonie, une dernière fois. Les membres de la Légation bolchevik se trouvent, pour la plupart, sur la terrasse, les deux attachés militaires – un nombre remarquable de profils juifs. Parmi eux, trônant comme un roi, entouré, objet de mille politesses, égards et sourires, se trouve Sa’d ol-Molk, toujours chef du protocole, qui ne vient pas saluer Hoppenot bien entendu, avec qui, depuis mon histoire afghane, il est au plus mal272. À un moment donné tous les bolcheviks disparaissent. Le cortège touche à sa fin : doivent encore défiler les Arabes, c’est-à-dire la plus belle partie du cortège. À ce moment un des grands mollâs de la ville vient dire à Bjurling qu’il faut que les étrangers quittent la terrasse parce que le dasta qui s’avance {244a} a décidé de chasser les étrangers de la terrasse. Ce sont des fanatiques que l’on ne pourra retenir. 272  Voir l’entrée du 4 avril 1921.

Du 24 août au 28 octobre 1921

349

Bjurling nous fait écarter d’abord du bord de la terrasse, puis vient nous dire qu’il serait plus prudent d’évacuer. Nous nous retirons, sur l’ordre d’Hoppenot. J’avais remarqué que cette année un groupe imposant de mollâs prenait part à la procession et qu’ils étaient venus faire une démonstration de piété, de larmes au pied de la terrasse où nous étions. Les femmes, le populaire avaient été écartés du Sabze-Meydân cette année et nous étions presque seuls, une poignée d’Européens, à regarder ce spectacle. D’autre part hier après-midi la Légation de Russie a flambé et l’on ne sait qui y a mis le feu. Les Bolcheviks refusent qu’une enquête soit faite au sein de la Légation, ce qui est très suspect. Ils peuvent demain accuser les étrangers d’être là autour de ce désastre, qui nuit à la Russie, à sa propagande, à sa tsf. {244b} Les figures des Bolcheviks indiquent que c’est nous, légation de France, qu’ils détestent le plus. On concentre sur nos têtes les antipathies des Soviets. La main invisible qui a monté l’affaire Azrilenko continue sa manœuvre ; on fera agir contre nous les Bolcheviks ou les Persans, on cherchera à provoquer des incidents. Aussi l’agitation d’un homme dépourvu de sang froid, comme le docteur Wilhelm, qui aujourd’hui singeait les pénitents en se frappant la poitrine, ces gamineries ridicules peuvent amener des conflits, des provocations. C’est le moment d’être prudent. L’excitation contre l’étranger commence à devenir redoutable. La seule gaffe que le Dr Wilhelm n’ait pas commise, c’est d’épouser une jolie femme : mais il est probable que c’est elle qui l’a choisi. Cet homme de science est un impulsif ; il ne comprend rien au pays qu’il habite, il toise tous les écrivains qui en ont parlé, il traite les Persans comme des nègres (il arrive de Dakar). Il passe sa vie à tonner contre eux, il a des {245a} différends avec eux, il ne pardonne pas à Perny de l’avoir amené ici (« on nous a trompés ! »). Voici un type de Français plein de vertus et de qualités mais qu’il est complètement inutile d’exporter. Que serait-ce d’ailleurs s’il ne gagnait pas d’argent ? Car son avarice est extrême. Heureusement il en gagne. Discussion avec Roland sur l’avenir de la Perse : nation fameuse, sans avenir. Intelligence, pas de caractère, pas de conscience. Importance de la religion dans la formation morale. Une conquête de la Perse par un Afghanistan régénéré n’est pas impossible. 14 septembre 1921 Le juif Habib est venu à Téhéran pour acheter les bijoux de Kâmrân Mirzâ. Il est reparti sans les avoir vus. Grand dîner d’adieux à la Légation lundi pour le départ de Norman. Je n’y suis pas convié. Partent également cette semaine Armitage Smith et Wickham

350

georges ducrocq, journal de perse

par la route des Bakhtyâris. Smart partira bientôt ainsi que Haig, ainsi que Mallat, Baxter. Il restera ici Bridgeman : « Il n’est pas intelligent, disent les Anglais, mais il saura suivre une ligne de conduite. » Le prince Mohammad Hoseyn Mirza exprime {245b} le désir de voir l’Italie rétablir ici sa Légation. Plus il y aura de Légations qui se chamaillent et plus cela fera les affaires des Persans qui redoutent la tyrannie d’une seule. 15 septembre 1921 Wilhelm a découvert que ma femme était douillette. Médecin de la Légation, il a été appelé auprès d’elle : 1º) pour un accès de fièvre ; 2º) pour un furoncle. Il a traité le premier par des piqures de quinine, qui se sont trouvées, par suite de la quinine employée, horriblement douloureuses ; il a déclaré que les furoncles n’étaient rien ; mécontent d’être dérangé pour si peu, il lui a appliqué une compresse brûlante qui a provoqué une irruption de boutons autour du furoncle. Excellent psychologue, il a découvert que ma femme était douillette. C’est le dernier crime dont j’aurais cru qu’on pût l’accuser. Le matamore doit être terrible, le scalpel en main. Il déclare que tous les Persans sont des lâches, il devait trouver que tous les soldats français tremblaient devant lui, quand il les saignait. Il ne cache pas d’ailleurs qu’il était défaitiste, hostile aux bourreurs de crâne, il dit que les Français {246a} achevaient les blessés, qu’il l’a vu de ses propres yeux. C’est un bourgeois antimilitariste. Il a quitté le front, écœuré, pour exercer la médecine à Dakar sur les nègres en 1917. Il me dit d’un ton tragique : « Avez-vous vu ces fusillades de [Vimpré] ? » De ce genre de bourgeois d’opposition, bruyants humanitaires et féroces égoïstes opposer la froideur, l’ironie, le sourire. 16 septembre 1921 Nous avions donné rendez-vous chez le prince Ezaz os-Saltana à Mohammad Hoseyn Mirzâ. Le prince Amanollâh et le prince Asadollâh étaient là. La lune achevait de se coucher. Il était quatre heures du matin. Nous sommes partis au petit jour. Les montagnes s’éveillaient dans des voiles bleus. L’air était transparent. Au-dessus de l’imam-zadeh Kâzem nous nous sommes élevés subitement et la vue s’est découverte, l’horizon immense de ce fond lacustre qui s’étale jusqu’aux montagnes de Kâšân et d’Hamadân, l’inconnu pour nous il y a deux ans et demi, aujourd’hui terrain de manœuvres où nous sommes plus stables et qu’il faudra quitter dans quinze jours. Au premier col nous découvrons le Damâvand. {246b}Impossible de retenir un cri d’admiration devant cette masse qui se dresse avec netteté sur le ciel, les chaînes qui l’entourent, doucement éclaircies par le matin et au premier plan une barricade de rochers noirs de l’effet le plus tragique.

Du 24 août au 28 octobre 1921

351

Nous montons encore. L’air devient léger : il emplit les poumons délicieusement. Respirer devient une volupté. Comment, avec ce sanatorium à deux pas de la ville, une population misérable continue-t-elle à végéter dans des conditions d’hygiène atroces ? pourquoi n’y a-t-il pas un Club alpin persan ? Dans certains plis de la montagne, une source a pu filtrer, créant autour d’elle de la verdure et favorisant la croissance des saules. Entre les roches arides se trouvent des bouquets d’arbres où les chevaux se reposent. Nos compagnons ont tous le fusil en main ; en bons Persans, ils chevauchent, prêts à tirer. J’ai vu chez tous les aristocrates cette coquetterie. Fidèles aux disciplines du temps de Fath ‘Ali shah et de Nâser od-Din [Shah], ils ont conservé le culte de la chasse, la pratique du tir à cheval. Mohammad-Hoseyn Mirza, ce fils si intelligent {247a} de Farmân-Farmâ, lui-même affligé d’une très mauvaise santé, est entré dans les Cosaques et s’efforce par des exercices violents de remédier à la faiblesse du sang. Il parle de son père, robuste vieillard, avec admiration. Nos mules nous suivent mais elles vont si lentement que nous déjeunons d’air pur. Les chevaux persans grimpent les escarpements les plus difficiles avec la légèreté des chevreuils. Et les nôtres bien nourris et soignés mais ceux des Persans sont gorgés de paille, mal étrillés, ils se battent entre eux toute la nuit. Pourtant ils marchent. Aucun ne tombe sur la route. Au sommet le vent souffle avec rudesse. Nous sommes sur la dernière arête de l’Alborz. À nos pieds les vallées vertigineuses et profondes du Jâjerud. Plus loin, les chaînes entassées jusqu’à l’horizon, que barrent des nuages venus de la Caspienne et suspendus sur le Mâzandarân. Les aigles volent tranquillement dans l’azur autour de nous, ils viennent planer familièrement à portée de fusil. C’est le seul gibier qui s’offre à la vue. La montagne est aride, déserte et désolée. Elle {247b} porte encore les stigmates du bouleversement volcanique qui l’a remuée jusqu’aux entrailles. Elle garde l’esprit d’une chose pétrifiée où les couches profondes et calcinées du sol apparaissent, hérissant des barricades de pierres minces et coupantes. Les croupes sont encore tuméfiées par le soulèvement qu’elles ont subi. Certaines sont verdâtres et sinistres. Et les chemins qui montent à travers ces pierrailles sont durs aux pieds des chevaux. Pourtant des montagnards viennent dans la prairie des hautes cimes cueillir des herbes parfumées qu’ils descendent sur leur dos et qu’ils vendent comme fourrage pour le bétail. Chaque homme transporte des bottées de 60 kilos. Chaque charge se vend un toman. Pour dix krans il fait ce métier de chien et bondit de roche en roche avec sa charge. Ces hommes sont robustes, ont des bonnes figures franches et décidées et ne ressemblent en rien au type d’humanité dégénérée des grandes villes.

352

georges ducrocq, journal de perse

Ce sont les seuls êtres vivants que l’on rencontre dans cette solitude, où le silence est admirable, où la vie d’en bas apparaît si {248a} pauvre et si mesquine que l’on n’a plus nulle envie d’y redescendre. Il est bon de temps en temps d’opérer ce recul, de s’élever au-dessus des soucis journaliers, pour reprendre conscience de la notion d’éternité et retrouver les larges horizons qui élargissent la vue et donnent au cœur plus de vigueur et de force. En redescendant au fond des vallées, tout semble facile. Le prince Mohammad disait bonjour aux enfants sur la route et il échangeait avec eux quelques paroles rapides et musicales. C’était un bon soir d’automne, doré, splendide. Et la vie semblait un jour après tant de difficultés surmontées, de fatigues endurcies, on savourait la joie des forts, la bonté. Une estropiée vint nous tendre la main : le prince lui fit une large aumône. 17 septembre 1921 La xénophobie se manifeste surtout parmi les médecins. Aucun de ceux qui ont fait leurs études en France ne consent à s’incliner devant les médecins plus compétents que la France leur envoie. Leur siège est fait. Ils ont appris un bout de science, ils se croient tout puissants, on le leur en remontre plus. Aussi fait-il savoir de {248b} quel dédain supérieur ils accueillent les médecins docteurs de la Faculté de Paris, internes des hôpitaux ou membres de l’Institut Pasteur, cette élite. « Nos diplômes valent les vôtres, dit Hakim A‘zam au docteur Mesnard » et cela prête à rire. Amir A’lam, qui avait fait venir une doctoresse de France pour . . . — vous m’entendez bien ! – et qui est déçu de voir qu’elle lui préfère des jeunes gens, publie dans l’Iran un entrefilet contre les doctoresses étrangères dont il faut souhaiter que la Perse se débarrasse bientôt. – Wilhelm doit soutenir une lutte acharnée contre les docteurs persans qui l’accusent de manquer ses opérations, de faire mourir ses malades, etc. La doctoresse Deromps apportait de France des instruments : ils sont restés à Rašt trois mois et ont fini par être pris par les Bolcheviks. Le docteur Mesnard qui a mis cinq mois pour arriver à Téhéran et auquel tous les obstacles ont été soulevés a fini par abandonner ses matériaux de l’Institut Pasteur à {249a} Mohammara273 : il y a de cela six mois. Ils ne lui sont pas encore arrivés. Le docteur Roland a reçu des seringues fêlées en morceaux. Entre l’hostilité anglaise et l’intrigue persane, nos médecins ont fort à faire. L’âge d’or est passé où un médecin militaire, médecin du shah faisait la pluie et le beau temps à Téhéran. – Norman s’en va. Il est rappelé pour être consulté à Londres. Son successeur est déjà désigné : Loraine, chargé d’affaires en Pologne. Le pauvre Norman 273  Aujourd’hui Xorramšahr.

Du 24 août au 28 octobre 1921

353

tombe, victime de ses conseillers Smart, Wickham, Havard, Haig et Malet, qui l’ont engagé dans une voie dangereuse. Il a été un jouet entre leurs mains. Aujourd’hui Hoppenot lui-même le lâche et déclare qu’il a été faible, qu’il a mal soutenu le prestige de l’Angleterre, qu’il a hérité d’une belle façade minée par la base, qu’il est frappé par l’échec d’une politique dont il n’est pas coupable et n’est pas frappé pour des fautes qu’il a commises. {249b} 19 septembre 1921 Vu Raymond. Il dit tant de bien de lui qu’on n’a plus le courage de lui en dire. « J’ai mis une jolie fleur à mon chapeau ! » [en marge « Le prestige dont la Belgique jouit en Perse, c’est-à-moi qu’elle le doit. Si la Belgique peut se maintenir ici, c’est à moi que cela est dû ! »] Il est vrai qu’il a manœuvré en vrai diplomate. Il est le seul ministre qui ait su jouer son rôle. Il a été conciliateur, ami de la Perse. Il a réussi dans une affaire épineuse à contenter tout le monde, la Légation de France dont il a sauvé l’amour propre, la Légation de Russie qu’il a tirée d’un mauvais pas et d’une situation très ridicule, le Gouvernement persan. Aussi Hoppenot l’a-t-il proposé pour la rosette d’officier de la Légion d’Honneur, Rothstein a écrit à Moscou qu’il n’avait eu qu’à se louer de ses bons offices, le shah a télégraphié au roi des Belges pour le remercier des services rendus par Raymond à la Perse. Le président du Conseil a déclaré qu’il croyait la situation sans issue et ne voyait pas le moyen d’en sortir sans casse. Il est probable que Hoppenot aurait reçu ses passeports et que les relations entre la France et la Perse auraient été rompues. C’eût été un beau résultat dont l’Angleterre se fût réjouie. Bridgeman est venu rendre visite à Raymond {250a} et ne l’a point félicité de sa médiation. Moore, qui n’avait pas été reçu par le ministre des Soviets, et qui fréquentait assidument Raymond durant cet incident, a dit à ma femme : il paraît que Raymond a fait de grandes concessions au ministre des Soviets. Il est très lié avec lui. Les Persans l’aiment beaucoup. Et il a insisté sur son départ prochain et a paru désolé d’apprendre qu’il resterait à Téhéran l’hiver prochain. Dans toute cette aventure la tactique des Anglais a été d’exciter les Soviets contre la France pour nous brouiller avec eux et avec la Perse. Sa‘d ol-Molk a joué un rôle bizarre d’agent provocateur. Conception de Raymond : garder la position occupée par les Belges en Perse et empêcher les Anglais de prendre la poste, les douanes et la monnaie qu’ils convoitent. Collaborer avec les Français à condition que les Français ne deviennent pas trop entreprenant en Asie. En ce cas il se tournerait vers les Allemands. Être l’ami de tout le monde. Faire des affaires. La Belgique jouit, à la suite de l’affaire Azrilenko, d’une popularité supérieure à celle de la France et il n’en est pas fâché. {250b}

354

georges ducrocq, journal de perse

Un journal, Ettehâd, publie un article qui prétend que la conclusion de l’affaire Azrilenko est que le gouvernement persan, agissant en souverain indépendant, a montré aux Légations étrangères que les Capitulations n’existaient plus. Visite l’après-midi de l’École militaire où la moitié des élèves ont la fièvre. On nous offre du thé, on visite les chambrées, mais il n’y a aucun exercice militaire en notre honneur. Nous allons voir les tranchées, trois ou quatre trous individuels. Ces jeunes gens ont bonne mine, bonne démarche (les Persans marchent si bien) mais on sent qu’aucune activité féconde ne mène cette école qui dort. Les Persans sont fermement convaincus qu’ils peuvent aujourd’hui se passer du concours étranger. Dîner hier chez les Tumâniâns, sans gêne, un monde de viveurs, un peu [rustre], et chez Moore, ce soir, cérémonieux, guindé, artificiel. Je trouve la conversation des Anglais mortellement ennuyeuse. Ils ne s’intéressent d’ailleurs qu’à mon départ, quand je pars, si je reviendrai, combien de temps je mettrai pour accomplir mon voyage, l’utilité de passer {251a} par Bouchire en caravane (50 jours) et de visiter les Indes (un mois). Je sais ce que j’y trouverai, l’Angleterre impérialiste, je la connais, des monuments, les beautés de l’Inde, sans doute, mais le temps n’est pas au tourisme et j’ai assez flâné hors des grand-routes depuis trois ans. Au travail. C’est extraordinaire, dit Monson qu’un gouvernement puisse vivre avec deux ou trois provinces en état de rébellion. Ce qui est extraordinaire, c’est que les Anglais ne comprennent pas qu’ils n’auront pas la Perse par ces moyens enfantins. L’antagonisme anglo-français, dit Raymond, ne fait que grandir. À qui la faute ? qui a rompu le pacte ? si en Asie cet antagonisme fait le jeu des Allemands et des Bolcheviks, pourquoi en Europe les Anglais font-ils le jeu des Allemands et des Bolcheviks ? 21 septembre 1921 Les Persans ont coutume de se décider en faisant estekhareh [estexâra], c’est-àdire en consultant le sort sur leur chapelet. Il est impossible de leur faire renoncer à cette habitude. C’est une chose qui leur est commune avec les Romains. Tous les civilisés fatigués éprouvent des difficultés à prendre des résolutions, ils aiment mieux que le hasard décide. {251b} 23 septembre 1921 Quand on se souvient de l’attitude du ministre d’Angleterre Norman avant et après la dictature du Seyyed, aucun doute ne subsiste sur la complicité certaine de la Légation dans ce coup d’État. J’ai dîné l’avant-veille à la Légation

Du 24 août au 28 octobre 1921

355

chez Smart avec Malet et Havard. Ils ont parlé presque tout le dîner à voix passionnée d’un certain Mirzâyâns qui préparait contre eux un coup. Ils en parlaient d’un ton péremptoire comme d’un homme condamné. Le surlendemain le Seyyed faisait son coup. Le lundi, Mirzâyâns était arrêté. Le ministre d’Angleterre avait négligé de prévenir le ministre de Belgique mais Hoppenot était prévenu, et il déclara que jamais il n’avait mieux dormi. Héroïsme facile puisqu’il était renseigné sur l’issue de l’aventure. À peine formé, le gouvernement césarien trouvait l’adhésion empressée du ministre d’Angleterre qui se rendait à la Kazak-Khaneh pour saluer le dictateur. Les officiers anglais ne quittaient pas la Kazak-Khaneh : Fortescue, Haig, Huddleston, Moore y étaient sans cesse. Madame Moore envoyait des articles dithyrambiques au Times sur le nouveau {252a} Bonaparte persan. Bientôt commencèrent les persécutions contre tous les Européens, les Anglais exemptés et la prophétie de Huddleston et de Smyth [en marge : du général Ironside, de Fortescue] commence à se vérifier. Ceux-ci nous avaient bien avertis en janvier que les plus grands malheurs pesaient sur nos têtes, que nos femmes risquaient, en demeurant à Téhéran, que la révolution éclaterait au printemps en Perse. Ces anticipations sinistres avaient pour but de nous faire déguerpir et notre jeune chargé d’affaires en fut dupe. Il était disposé à faire partir manu militari notre colonie. Il donna lui-même à la Légation le signal des ventes aux enchères (il y en eut quatre). Comme nous n’avons pas cédé à la terreur, on use pour éloigner les témoins de la dictature d’autres procédés. [en marge : Kingwood est mort] On va chercher à dégoûter tous les Européens du séjour en Perse. Quand le Seyyed tombe, le ministre d’Angleterre manifeste une inquiétude extrême pour son départ, il s’inquiète de sa sécurité et me dit : « Je ne serai tranquille que lorsque j’aurai pris la frontière mésopotamienne ». Il manifesta la même sollicitude pour Kâzem Khân et pour Pâšâ Khan. {252b} 24 septembre 1921 La situation est toujours grave. Taqi Khan a vaincu [Šowkat ol-Molk] et ses adversaires. Son pouvoir grandit au Khorassan. Il a déclaré au shah qu’il ferait sa soumission quand Qavâm os-Saltana ne serait plus au pouvoir. Celui-ci est soutenu par Mošir od-Dowla, par le prince Firuz et cependant il n’arrive pas à trouver une majorité au Parlement. Mošâr ol-Molk intrigue contre lui. Le ministre de Russie met son veto à son avènement. Il serait partisan de s’accorder avec les Anglais comme les Kâšânis (Montâz od-Dowla). Les Persans libres ne se pressent pas de s’entendre avec France, Belgique, Amérique. Au Gilân Mirza Kuček Khan recommence ses agitations.

356

georges ducrocq, journal de perse

L’opinion – non sans raison – voit dans les troubles la main de l’Angleterre. {253a} Visite à Kamâl ol-Molk. Le vieux maître est assis dans son jardin planté à la française. Ses élèves l’entourent. Tous ont les yeux tournés vers un homme de haute taille, coiffé d’un turban vert. Cet homme, point de mire de l’admiration d’un petit cercle, c’est Adib, le grand poète persan, le successeur de Ferdowsi, celui qui manie le verbe comme une épée fulgurante, l’auteur d’un récent poème épique en 25 000 vers sur la guerre mondiale, le satirique dont on se répétait les distiques malicieux sous le joug de Vosuq od-Dowla et du Seyyed274. L’âme insaisissable de la nation s’est réfugiée en lui. Il faut entendre le déclamateur, d’une voix bien timbrée, marteler en vers pleins, héroïques et donner de la voix avec ampleur, avec orgueil, pour comprendre le fond de l’âme persane, cette personnalité qui s’affirme encore aujourd’hui avec tant de rudesse et d’énergie. Peuple dégénéré, allons donc ! qui fait sonner sa langue, à la manière des Espagnols et des Persans, a encore des ressources et qui sait dans un monde en proie au vertige des grandeurs, si cette sagesse fruste et nette ne deviendra pas demain la Bible de l’Humanité ? {253b} L’Orient n’a pas dit son dernier mot. J’ai félicité Kamâl ol-Molk de se livrer, lui et ses élèves, à d’aussi beaux jeux et passe-temps. Il a vieilli, son fils est mort. Il a failli perdre la raison mais il est encore droit, solide comme un chêne, magnifique vieillard. J’admire avec quelle grâce il s’incline, comme il salue avec vénération ce poète, orgueil de son pays. Il me parle de Corneille, de Corot avec enthousiasme. Il me dit que, lorsqu’il allait au Théâtre français, il apprenait par cœur la pièce de Molière avant de la voir jouer. La jeune école de sculpture persane promet d’être brillante et déjà les monument de Ferdowsi dont j’ai vu l’ébauche et la maquette impressionne par sa majesté, ses justes proportions, sa noblesse. Ô peuple qui sait l’art de vivre, ô le moins barbare des Asiatiques, comme l’Athènes moderne paraît un pays sauvage auprès de ces Persans civilisés, policés et parisianisés. {254a} Ces Persans qui devisaient par un beau soir d’automne de poésie, qui écoutaient et applaudissaient des beaux vers rythmés dans leur langue où il y a tant d’éclat et de soleil, c’était l’image de l’ancienne Perse, celle qui avait réalisé le bonheur de vivre, l’art de transformer l’existence en un mensonge délicat. On vit ici à cent lieues de la politique. Un mur nous sépare du Majles où les députés assemblés dans le plus grand secret, délibèrent sur l’avenir de la nation, on voudrait le croire, mais probablement sur le ministère de demain. 274  Adib Pišâvari (1843–1930), auteur d’un Qeysar-nâma de 14 000 distiques. Voir Ali MirAnsari, « La Grande Guerre dans la poésie épique persane », in O. Bast, ed., La Perse et la Grande Guerre, Téhéran, 2002, pp. 248 et suivantes.

Du 24 août au 28 octobre 1921

357

Mais un abîme existe entre ces politiciens et ces lettrés hors du monde réel, qui chantent parmi les ruines. Cet Adib, que l’on appelle son Éminence, comme un grand mojtahed, (mais prêtrise et poésie ne se confondent-elles pas en Orient ?) n’a jamais publié ses vers. Des admirateurs les apprennent par cœur, les écrivent sur des cahiers, les gravent surtout dans leur mémoire. Il est suivi d’une cour. C’est un prince. On répète ses mots sublimes. Il se moque d’être imprimé et traduit. Une telle sagesse est-elle d’ailleurs traduisible ? {254b} « Le verbe est comme l’œil, c’est lui qui fait voir. Le poète communique par le verbe à ses auditeurs sa vision de l’univers Cet homme, assis dans un coin, c’est un monde qu’il porte en lui. » La guerre n’est plus aujourd’hui ce qu’elle était autrefois. Jadis on se battait corps à corps. La vaillance physique l’emportait. Aujourd’hui on se tire de loin, on vole dans les airs, etc. Mais c’est là le thème. Les mots, le manteau de velours, comment les traduire ? je commence à en percevoir la beauté, je commençais à lire Sa’di dans le texte avec plaisir : ils faut partir, hélas ! L’école de sculpture persane a devant elle un bel avenir. Dans cet art majestueux, les Persans réussiront mieux que dans la peinture. Leur lumière est trop cruelle pour les yeux des peintres. Mais ce pays où le port, la tenue ont encore tant d’importance, ce pays de façade se prête à la sculpture. Les élèves de Kamâl ol-Molk ne se servent pas des compas pour passer de l’ébauche au marbre : ils attaquent directement la matière et se fient à leurs yeux. Leur maître leur enseigne à respecter les justes proportions, leur {255a} compas est dans leur sac. Un riche persan, Raham ol-Molk, qui a vécu vingt ans en Angleterre, Parisien raffiné, se mêlait au cercle des auditeurs, qui m’ont rappelé les assemblées florentines dont parle Boccace. – Bokhara [Boxârâ] en persan veut dire « vapeur » [boxâr]. N’appelle-t-on pas ainsi Bokhara pour que dans le désert les villes apparaissent au loin comme un nuage, une vapeur ? – On fait courir le bruit que le pauvre Seyyed Ziyâ od-Din, actuellement [au Cachemire] est dans le dénuement le plus complet et a demandé des subsides à son père. Le pauvre homme ! – Non seulement ils veulent savoir quand je pars, quel chemin je prends, mais si j’aurai un autre poste et lequel ? ils exagèrent. L’avenir des Français ne dépend pas tout de même de leur bon plaisir. 26 septembre 1921 Madame Thomassin est une brave Française au cœur généreux qui a recueilli 33 orphelins, jetés sur le pavé de Téhéran, confiés à la Police. Elle les a soignés

358

georges ducrocq, journal de perse

pendant plusieurs années, dorlotés et sauvés de la misère et de la mort. Tous les {255b} étrangers s’intéressaient à cette œuvre. Le colonel Fortescue, le général Huddleston semblaient y prendre un intérêt particulier. La comtesse Colonna, qui était au mieux avec le Seyyed Ziyâ od-Din s’était réconciliée en apparence avec madame Thomassin. Tout ce travail d’approche avait pour but la suppression de l’œuvre. Un beau jour, ‘Abdollâh, qui est le complice de Pâšâ Khan et la créature des Anglais, décrète le départ des enfants qui furent brusquement enlevés à Mme Thomassin, sous prétexte de centralisation. Ils ne lui ont jamais été rendus. Quatre sont déjà morts. En vain, le Président du Conseil a donné deux fois à son administration l’ordre de rendre les enfants. Ceux-ci sont toujours entre les mains de ceux qui touchent les subventions de Mme Thomassin (200 tomans par mois) et traitent les enfants avec une dureté inhumaine. Il suffirait d’un mot des Anglais pour faire cesser cet abus. En quittant Téhéran, Lady Cox a dit au colonel Haig : « Je vous recommande l’œuvre de Mme Thomassin ». Il n’y a jamais mis les pieds. {256a} Ainsi ces pauvres enfants meurent sans soins quand on pourrait les sauver. Une femme qui leur était dévouée s’offre à les soigner. On la laisse dégringoler dans la misère. On a tout fait pour lui faire quitter Téhéran : on lui a dépêché Fortescue, Amin olMolk, pour l’inviter à quitter la ville en lui montrant qu’il n’y avait rien à faire. « Vous n’aurez qu’à vous louer, écrivait M. Lecomte à Madame Thomassin en septembre 1919, de l’arrivée d’Anglais en plus grand nombre à Téhéran. » Et il ajoutait : « Je viens de voir la rentrée des troupes alliées aux Champs Elysées. C’est le plus beau spectacle que j’aie vu. » Madame Thomassin n’a eu en effet qu’à se louer de l’arrivée des Anglais à Téhéran. Le colonel Fortescue visitant la maison de Vosuq od-Dowla, et fit réciter une fable par la plus jeune des filles de Vosuq qui lui dit un morceau se terminant par ces mots : « Je déteste les Anglais. – Je vous félicite, dit Fortescue à Madame Herbert, vous lui apprenez très bien le français . . .  » – Madame Thomassin fait un cours à la Police mais 25 des sous-officiers qui le suivent se sont retirés sous un faux prétexte. On essaye de {256b} boycotter le français, on n’y arrivera pas. – Les domestiques persans ne volent pas positivement ; ils placent. Les objets sont mis sous des meubles et on attend le moment de les subtiliser. Ils sont placés. Hier, visite du temple du feu et de l’école guèbre. Key Khosrow a, seul, de ses deniers, élevé cette école et ce temple. Un quartier propre, des ateliers de couture, de tapisserie, de tailleurs se sont créés, grâce à l’initiative, à l’activité, au dévouement de ce guèbre, qui depuis douze ans occupe les fonctions de questeur à la chambre. L’école est une école primaire. On y enseigne le rudiment, la

Du 24 août au 28 octobre 1921

359

langue persane, la religion de Zoroastre et l’anglais. Les élèves sont marchands au bazar. Les plus intelligents vont au Dâr ol-Fonun. Ils deviennent employés des administrations, des ministères, des postes, du télégraphe, du téléphone. Il y a quelques années, les guèbres ne savaient pas lire. Leur communauté de Téhéran, 700 hommes, végétait dans l’ignorance. Les filles apprennent la tapisserie, {257a} la langue persane, la géographie. Leurs maîtresses sont musulmanes, parce qu’on ne trouve pas de guèbres assez instruites pour diriger l’école. Les sardâri275 sont modernes, le vieux costume est abandonné et c’est grand dommage. Il avait des dessins séculaires qui se rapprochent, chose curieuse, des dessins bretons. Le temple est soutenu par des colonnes de pierre taillée dont les chapiteaux rappellent les taureaux de Persépolis. Un fronton de pierre sculptée porte l’image du roi ailé et les lions, les symboles gravés à Persépolis. L’intérieur du temple est nu. Un candélabre brûle devant l’armoire où est déposé le livre sacré, l’Avesta. Des versets de l’Avesta sont gravés sur les murs. Derrière, le sanctuaire, où brûle le feu : un prêtre, dont le costume rappelle celui des prêtres hindous, assis sur une pierre, entretient la braise sur les cendres. Une légère fumée d’encens s’élève vers le plafond du temple. Quand les prières sont finies (le samedi) les hommes se réunissent d’un côté, les femmes de l’autre. Ce temple est une maison commune, un lieu de réunion. On y fait la cuisine. Mais jamais dans le sanctuaire lui-même les aliments ne doivent pénétrer. {257b} Il est indispensable que le prêtre soit assis sur une pierre, sans cesse lavée. La propreté la plus grande règne dans cet enclos, netteté dans les lignes de l’architecture, dans les visages, dans les regards. Il y a 700 guèbres à Téhéran, quelques uns à Qazvin, à Kermânšâh. Sept mille à Yazd et quatre mille à Kermân. Quelques communautés à Pékin, Tientsin, Changhaï et Hong-Kong. Il y en a quelque uns à Londres, quatre ou cinq à Paris ; quelques américains se sont fait parsis mais il y a cent mille parsis aux Indes et ils occupent les plus hauts rangs du commerce et de l’industrie. Les Parsis se marient entre eux. Leur race est demeurée absolument pure. Et je suis frappé de retrouver chez eux des traits semblables à ceux de certains paysans de chez nous, restés, eux aussi, de race intacte. Ainsi, à travers les âges, s’est maintenue jusqu’à nos jours la plus vieille religion du monde.

275  Généralement un manteau d’homme. Désigne ici probablement une blouse.

360

georges ducrocq, journal de perse

Un archéologue français, M. Fossey276 se trouvait avant la guerre à Šâh ‘Abd ol-‘Azim, faisant des fouilles infructueuses. Comme {258a} on lui demandait si Zoroastre était né à Urmia, il répondit que, à son avis, « Zoroastre n’existait pas et n’avait jamais existé ». On peut saisir dans ce mot d’un bohême envoyé en mission sans compétence spéciale autre qu’une assez forte culture linguistique, la profonde décadence de l’intelligence en France. Où Gobineau et Chardin s’intéressaient, l’autre nie avec un sourire entendu et s’en tire avec une pirouette de loustic. Les plus hauts domaines de l’intelligence nous ont été fermés depuis la mort de Renan. 27 septembre 1921 Rezâ Khan, qui est décidément le maître de la situation, vient de faire un nouveau coup d’État. Il a fait arrêter les auteurs d’un complot dirigé contre lui et contre Qavâm os-Saltana. Le principal artisan en était Mošâr ol-Molk. Celui-ci a été arrêté au [sortir] du palais du Golestân, blessé au bras : il a pu s’enfuir et se réfugier à Sâheb-Qerâniya chez le roi. Modir ol-Molk serait arrêté, Mošâr-A‘zam, un seyyed du Khorassan, des Arméniens. La conjuration avait pour but de se débarrasser de Qavâm os-Saltana, de Rezâ Khan, de négocier un accord avec les Anglais et de former le Parlement. Ce mouvement était d’accord {258b} avec celui de Mohammad Taqi Khan au Khorassan. Coïncidant avec les troubles du Kurdistan, les armements d’Arméniens à Hamadân, l’effervescence de la Police du Sud, les troubles du Gilân, ils mettaient le comble au désordre général et obligeaient le shah à capituler une fois de plus dans la main des Anglais. Mais le coup a manqué. Rezâ Khan a pris les devants. Le ministre de Russie avait mis son veto à la nomination de Mošâr ol-Molk comme président du Conseil. Au parlement Qavâm os-Saltana a une majorité de 51 voix. Il est soutenu énergiquement par Mošir od-Dowla. Il peut donc se maintenir. Le parti anglais est de nouveau atterré. Grand dîner demain mercredi à la Légation de France en l’honneur du ministre d’Angleterre qui part. Je n’y suis pas convié. Grand dîner jeudi chez les Bakhtiyaris qui sont redevenus les amis des Anglais. Désolation chez le Sepahdâr qui déclare qu’il n’y a plus rien à faire en Perse : il avait donc partie liée avec Mošâr ol-Molk. Désolation chez Molitor, et j’imagine, désolation chez les Tumânians. {259a} Ce Mošâr ol-Molk était parvenu à donner confiance aux deux partis, à l’anglophile et à l’autre. 276  Sur la mission de Charles Fossey (1869–1946) à Hamadân et à Rey, voir N. NasiriMoghaddam, L’archéologie française en Perse et les antiquités nationales (1884–1914), Paris, Connaissances et savoirs, 2004, p. 209 et sq.

Du 24 août au 28 octobre 1921

361

Ce qui est singulier, c’est qu’un homme de confiance de Firuz, Mošâvar A‘zam, est arrêté. Ce matin, après une parade de toute la garnison, gendarmes et cosaques, dirigée par Rezâ Khan, deux cosaques et deux gendarmes ont été exécutés. 28 septembre 1921 Le coup du 21 février a été préparé par le colonel Smyth qui a payé cinq mille tomans à Rezâ Khan et lui a persuadé qu’il serait un Nâder Shah. Mais le plus surprenant est que celui-ci l’a cru. Il a immédiatement son coup réussi, débarqué Smyth et son fidèle acolyte Zamân Khan, considéré comme espion des Anglais. Au dîner officiel du Seyyed, Rezâ Khan ne voulut pas accepter que Mas‘ud fût placé avant lui. Il changea lui-même les places. Aujourd’hui à Qazvin, Sardâr Movassaq fait des discours nationalistes, déclare que pour la première fois au cours de leur histoire, les cosaques de la Division se passent d’instructeurs étrangers. {259b} 1er octobre 1921 Les Pétroles du Sud sont en pleine prospérité. Ils constitueront bientôt la plus belle affaire de pétrole du monde. Leurs possibilités sont immenses. Huit puits fonctionnent, à un endroit où l’on peut en établir deux cent cinquante. Il suffit de trouver les fonds nécessaires pour construire les pipe-lines. Une quantité de gisements en Perse sont inexploités : ceux de Qasr-e Širin, que les Anglais dans la délimitation de la frontière turco-persane, se sont arrangés pour faire annexer à la Mésopotamie ; les pétroles de Chiraz, encore inexploités. Sans parler des pétroles de Hamadân, de ceux d’Azerbaïdjan, de ceux de Semnân, de ceux du Mâzandarân, de ceux du Khorâssan. Autour de Mossoul les gisements des pétroles sont d’une abondance inouïe. Autour de Diarbakir de même. Tout ce pays peut-être demain un champ d’exploitation formidable, d’autant plus important qu’il est neuf, tandis que les gisements américains s’épuisent. Sur ces trésors l’Angleterre a mis la main. Elle accapare les pétroles de Batavia, ceux de Pologne, elle a la haute main sur la Royal Dutch, elle se glisse dans les conseils d’administration {260a} de nos sociétés pétrolifères. Elle contrôlera bientôt les sources de pétrole du monde entier et sera maîtresse du monde. L’Amérique est la plus menacée. On trouve du charbon de terre autour de Téhéran, on en trouve à ValiadRud ( ?), on en trouve près de Sâri et près d’Âmol. Il est magnifique, pur, sans soufre. À Âmol il y a des mines de fer superbes. L’exploitation sur place du fer, la production de la fonte serait possible, on pourrait fabriquer des rails en

362

georges ducrocq, journal de perse

Perse. Amin oz-Zarb possède à [277]tout le matériel du chemin de fer de la côte à Âmol. Exploiter le pétrole du Nord sera toujours difficile, à cause de la main d’œuvre. Il sera très simple de provoquer l’abandon du puits, la population ouvrière pouvant retourner à ses montagnes et vivre de rien. L’émigration russe serait le remède mais les étrangers ont grand peine à vivre dans les marais du Mâzandarân. – M. Norman est parti le 30 septembre pour l’Angleterre. {260b} Le rattachement de l’Arabistan et des pétroles du Sud à la Mésopotamie est sur le point de se faire. Le rattachement postal est déjà fait. Les gens d’Ahvâz et de Mohammara se plaignent des violences dont ils sont l’objet de la part des agents hindous. Le khan de Mohammara278 cédera à l’Angleterre tout ce qu’on voudra. Il est payé 10 000£ par an. Il est leur homme. Il est le cheikh d’Arabistan. Il y a trois jours un nouvel attentat a été essayé contre Rezâ Khan. On lui a tendu une lettre. En la lisant il a vu que l’homme qui apportait la lettre avait un révolver en main. Il l’a saisi, l’a terrassé. Ses complices ont fui. Tous ont été arrêtés. Stumpf prétend que Hentig est à Aškâbâd et que la propagande allemande va recommencer. Mohammad-Taqi Khan serait en relations avec les Allemands. {261a} Tristement Mohammad Hoseyn Mirza me dit : « Nous sommes un pays amputé, décapité, que faire ? tout effort est impuissant » il faut tout réorganiser du haut en bas la maison s’écroule. Pourtant la Perse vit toujours : c’est là qu’est le miracle.

277  En blanc dans le texte. 278  Šeyx Xaz’al.

Du 24 août au 28 octobre 1921



363

Questions politiques et économiques

Si Mostowfi al-Mamâlek n’était pas un parvenu à sa voix toute la Perse se lèverait. Mais il est gâté par la débauche. Il ne sait plus vouloir. 3 octobre 1921 Le plan des Anglais serait actuellement de créer une confédération de la Perse du Sud. Le shah sera abandonné. Avec la Police du Sud, reconstituée, ils espèrent former le barrage contre les Indes sur cette digue de résistance. Les Baktyâris sont dans la combinaison. Ils auraient la haute main sur la future confédération, ils fourniront peut-être le shah. Quant à la Perse du Nord, elle est abandonnée à son malheureux sort. Les troubles qui y sont fomentés doivent l’amener à un état d’anarchie complet. Le bolchevisme doit l’envahir. Elle se débattra dans des {261b} convulsions que les Anglais entretiendront. Le colonel Mohammad-Taqi Khan dispose des armes et munitions des Lewis anglais qui avaient été fournis, jadis, à Qavâm os-Saltana. Il reçoit des munitions et des renforts du Sud. D’autre part il a négocié avec les Russes l’envoi de denrées alimentaires contre des armes. Au Gilân le Gouvernement ne peut obtenir la soumission de Kuček Khan. Les Cosaques de Qazvin viennent d’être envoyés à Manjil mais le ministre des Soviets s’oppose à ce qu’aucune opération sérieuse ne soit tentée pour réduire le nid de rebelles du Gilân. Dans l’intrigue, si adroitement menée par Mošâr ol-Molk, pour démolir Rezâ Khan, celui-ci aurait été pris si ses conseillers quotidiens n’étaient la famille Farmân-Farmâ. Rezâ Khan a pris une maison dans le jardin attenant à [Salariya], propriété des Farmân-Farmâ. Il fait construire sur les conseils de ses amis une maison de 50 000 tomans. {262a} Les Farmân fournissent les plans, le terrain, les ouvriers, les fleurs et les jets d’eau. Tous les jours ils confèrent avec le dictateur – Qavâm os-Saltana ne gouverne pas. Dans l’ombre c’est Nosrat od-Dowla qui dirige la politique. Cependant Rezâ Khan reste en bons termes avec le ministre des Soviets qui pour l’instant désire que l’ordre règne en Perse, les Anglais cherchant à y semer le désordre. 5 octobre 1921 Hier, visite à Darviš Khan, l’illustre musicien. Il nous joue plusieurs de ses [dastah279 âvâz]. Une dasta comprend un pišdarâmad, introduction toujours 279  Ou dastgâh (« suite mélodique ») ? âvâz veut dire « chant ».

364

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

moderne (ce genre date de douze ans, il a été introduit par Darviš Khan). C’est une variation. Suit l’âvâz, chant assez langoureux et d’un rythme lâche, accompagné par la voix humaine, qui s’anime à mesure que l’auditoire s’enflamme à la vue de la danseuse, l’âvâz devient le tasnif qui est le début de la danse et le tasnif devient le rang où chacun bat des mains, comme à l’espagnole. Cette musique persane est d’un style parfait. {262b} Elle est d’un art supérieur, mis au point, bien rythmée, bien cadencée. Elle est riche en sonorités, elle a toutes les subtilités de la gamme chromatique, elle emploie les dissonances raffinées, elle enchevêtre sur deux cordes différentes (et c’est le triomphe du virtuose) une mélodie en majeur et une autre en mineur. Elle entrelace les dessins mélodiques, elle les fleurit de trilles. Mais toutes ces fantaisies, cette variété est contenue dans une sage mesure. Le târ, avec sa panse renflée, ses cordes métalliques tendues sur un tambour [ ] produit des effets surprenants. C’est un orchestre qui frémit sous les doigts de l’artiste et tandis que les hautes cordes imitent la sauvagerie de la passion, l’ardeur frémissante, les cordes basses, étouffées, tendres et profondes, murmurent les réflexions d’une sagesse ironique et non pas désabusée. La perfection qui est le signe suprême de l’art, que l’on trouve aux vases ciselés, aux faïences, aux miniatures persanes, comme aux masnavi de Sa‘di se retrouve dans ces morceaux d’une délicatesse achevée. On ne peut rêver {263a} plus de distinction, d’élégance et si l’harmonie nous semble étrange, il est impossible de ne pas en goûter les accords singuliers, origine de la musique russe moderne. C’est à la musique espagnole que fait songer la musique persane par sa vélocité, son brio, mais pour ses qualités d’équilibre constructif, elle évoque parfois Bach et Mozart, la pondération dans l’émotion, la [suite] légère, cette aisance divine qui n’appartient qu’aux vieilles races aryennes – et les sémites sont des forcenés. 6 octobre 1921 Visite à Mosaddeq os-Saltana280, ex-gouverneur du Fârs, que l’on avait désigné comme ministre des Affaires étrangères, dans le cabinet de Qavâm os-Saltana, mais qui refusa ce poste. Il voulait que les Finances fussent aussi contrôlées par lui, il exigeait que, si on lui donnait les Finances, que le Parlement l’en nommât chef inamovible pendant six mois. Cette condition n’ayant pas été acceptée, il s’est retiré. Il me dit qu’il y a un secret en Perse pour échapper au malheur. (Même mystère en France) : on croit la Perse perdue : elle se relève. Elle échappe aux {263b} mains qui allaient l’étrangler. Il y a deux ans, en désaccord avec 280  Ducrocq écrit Movassaq od-Dowla.

Du 24 août au 28 octobre 1921

365

Vosuq od-Dowla, Mosaddeq os-Saltana partit pour la Suisse et la France. Mošir od-Dowla l’appela dans son ministère pour lui confier la Justice. Il revint. Au Fârs, on lui donna l’ordre de rester à Chiraz comme gouverneur. Il y resta six mois. Quand le Seyyed prit le pouvoir, il refusa de lui obéir. On lui donna l’ordre de venir à Téhéran. Il craignit en restant à Chiraz, où il était très aimé, d’être accusé de comploter contre le gouvernement. Il se réfugia [en pays] Bakhtiyari. Le Seyyed tomba, il vint à Téhéran. La signature de l’Accord anglo-persan avait été pour lui une calamité, il voulait vendre tous ses biens et quitter la Perse. « La Perse est invincible. Il faut trois mille hommes pour s’en emparer, il en faut trois millions pour la garder. Ni les Russes ni les Anglais n’ont tenu compte de l’opinion publique. Or, si l’on peut abuser et conduire le peuple quand il ignore, dès qu’il est éclairé, il n’y a plus moyen de le tromper. Les Anglais étaient très populaires, il y a dix ans, et tout le monde briguait leur amitié. En négligeant l’œuvre des écoles et le souci de l’opinion publique, en jetant un défi au patriotisme persan, ils ont {264a} gâté leurs affaires. Ils ont cru par un coup de force, en décapitant le pays, pouvoir s’emparer de la masse. Ils ont échoué. L’instabilité ministérielle provient du gouvernement parlementaire. Cette institution, excellente en Angleterre, est détestable chez nous. C’est un cadeau désastreux que les Anglais nous ont fait : eux seuls savent s’en servir. Loyd George demeure ministre depuis dix ans : nos ministères s’écroulent. » L’avis de Mosaddeq os-Saltana est qu’il faudrait créer une école de commerce française à Téhéran. Elle ne coûterait pas plus de 10 000 tomans. Il faudrait construire une villa avec pension. Les professeurs seraient moins exigeants que les autres (n’envoyer que des jeunes gens). Cette école aurait le plus grand succès. Elle créerait un mouvement commercial entre la Perse et la France. « Pas de lycée, une école commerciale, technique, comme celle que les Allemands avaient construite. » Il croit à la nécessité d’une intervention intéressée de la France en Perse. Assez de désintéressement. Tant que la France n’aura pas d’activité économique puissante en Perse, elle ne s’y intéressera vraiment pas. Il faut donc {264b} qu’elle s’intéresse aux Pétroles, aux mines. Une concession de chemin de fer pourrait lui être accordée mais il ne faut pas hésiter à dépenser de l’argent, beaucoup d’argent au début, avec une perspective de succès lointaine. Avec quelle joie il me parle de l’argent dépensé en vain par des Anglais pour un résultat médiocre. – Chose curieuse, la négociation avec le gouvernement persan pour la tsf va peut-être réussir. Je pars, le Gouvernement persan veut en profiter pour me charger de le commander. Tous sont d’accord. Étrange pays où une affaire traîne un an et demi et se bâcle en huit jours !

366

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

– Wilhelm continue à déblatérer contre la Perse. Il a fait son cours d’ouverture sur un article de Polak dans la Presse médicale, éreintement des Persans. Les étudiants n’ont pas été satisfaits. Loqmân od-Dowla a déclaré que si ses sentiments pour la Légation de France n’étaient pas ce qu’ils sont, il aurait demandé une punition contre Wilhelm. Voilà un homme qui désire le renouvellement de son contrat, qui gagne de l’argent mais {265a} qui pour son humeur exécrable et ses écarts de langage est en train de démolir l’œuvre française à Téhéran. C’est un naufrageur. Il est dangereux de l’avoir avec l’équipage. – Amir A‘lam est renommé ministre de l’Instruction publique. Il est peu sympathique aux professeurs français. Il a pris en grippe Deromps qui sans doute ne fut pas telle qu’il rêvait. Il recommande dans les journaux une autre doctoresse, il écrit à Deromps une lettre aigre-douce pour s’excuser – mal d’ailleurs – d’un article où il était question de se débarrasser au plus tôt des doctoresses étrangères. Il lui rappelle qu’elle est ici pour former des élèves. Avec Mesnard, avec Wilhelm surtout, le conflit est probable. Quant au pauvre Dr Roland, il risque de ne pas être engagé, on l’a fait venir d’Ispahan, on l’a poussé à quitter cette ville où il était connu et son agence exemplaire. Ici Wilhelm l’an dernier l’a démonétisé en disant qu’il n’avait pas les titres suffisants pour enseigner. Aujourd’hui il essaye en vain de le repêcher. Les étudiants sont prévenus contre lui et le considèrent comme un agent consulaire. Une partie de la chaire de Polak a été donnée à [Raffy]. {265b} Les montagnes dressent leur silhouette ferme sur un ciel tendre comme un soir de Yazd. Une pointe de neige reste à leur cime. La lumière inonde les flancs assoupis de l’Alborz et met en plein relief sa rude charpente. Toute la plaine est en fête dans ce matin d’automne. Les détails des paysages sont d’une précision presque douloureuse, toutes les lignes sont arrêtées et les moindres cailloux du désert brillent. Téhéran apparaît comme une armée de lances. Les peupliers vigilants montent la garde autour du jardin. – Ce qui sauve la Perse, c’est l’armature familiale, encore solide, le respect des fils pour leurs pères. 7 octobre 1921 Le plan Curzon était le suivant : provoquer une panique à Téhéran, obliger tous les Européens à filer en donnant l’exemple : armée, Légation se retirant. Laisser les Bolcheviks envahir la Perse, soviétisation du nord de la Perse, abandonner les provinces à l’anarchie et le shah à son malheureux sort, (manœuvre de Norman en novembre contre le shah), se retirer vers le Sud, sous la protection des Bakhtyaris et de la Police du Sud, créer une confédération du Sud avec

Du 24 août au 28 octobre 1921

367

un nouveau shah ou un chef qašqâ’i281 ou {266a} bakhtyari, faire vivre cette Perse du Sud anglicisée avec les Pétroles du Sud (16% de tous les profits de l’Anglo-Persian Oil Company et de ses filiales), créer un État tampon fort bien organisé et séparé par un désert de la Perse du Nord avec les Bakhtyaris pour charnière. Les instructions de Lord Curzon à ses agents étaient formelles. Il fallait qu’au printemps 1921 le nord de la Perse fût évacué. Mais les imprudences de Norman, l’insistance maladroite du général Ironside qui voulut faire marcher le corps diplomatique, les instructions formelles venues de Bruxelles et de Paris firent échouer le plan. Les colonies européennes refusèrent d’évacuer. Le plan Seyyed fut un pis aller, un dernier essai de soviétisation. Il échoua comme les autres. Aujourd’hui la partie est perdue. – Créer un Zollverein France, Belgique, Luxembourg, Hollande, seule façon d’éviter la guerre économique, les batailles de tarifs prohibitifs, engendrent les froissements. Avenir d’Anvers, grand port de l’Est, de la Lotharingie, création d’un pays formidable, haussant la France, en imposant à l’Allemagne et au monde {266b} L’Anglo-Persian Oil Company a des filiales, plus de dix filiales. L’idée de son fondateur était de créer une société exploitant les huiles lourdes et tout le travail de raffinerie eût été fait en Europe, ce qui aurait frustré la Perse de ses 16% sur l’ensemble des produits tirés de son sol. Mais la Perse a protesté et obtenu gain de cause. Elle sera dans quelques années riche de 70 millions de kran par an, sans compter les revenus des 90 000 actions de l’APOC appartenant au Gouvernement persan. Les Persans pourront vivre sans rien faire. Rien de sérieux ne peut se faire dans ce pays, faute de compétence. Le [Pt]282 veut refuser toute concession à un pays ayant des attaches politiques, des intérêts politiques présents ou futurs, en Perse. La guerre contre l’Afghanistan de [Janipur ?]283. Tous les officiers anglais le disent. {267a} Quand j’ai fait visite à M. Norman, il m’a dit : « Je pars à Londres pour m’expliquer. On me demande de rendre compte de ma politique. Je le ferai, mais je sais d’avance que je ne puis compter sur la bonne foi du Président du Conseil. Lloyd George est un filou. »

281  Le paragraphe est marqué en marge avec la mention « Molitor », indiquant sans doute l’origine du propos. 282  Le président du conseil était Qavâm os-Saltana. 283  La question était de s’opposer à l’ouverture de consulats bolcheviques à la frontière indienne.

368

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

Conversation avec le prince Firuz. Il déclare que la politique anglaise a échoué en Perse par une faute de psychologie. Les Anglais ont cru que l’Indien et le Persan (native) pouvaient se traiter de la même manière. Erreur prodigieuse. Ils ont essayé d’établir en Perse un monopole voilé. Ils proposaient un arrangement sur des bases raisonnables. L’offre était faite comme une aide loyale donnée à la Perse par l’Angleterre sans aliénation de la souveraineté persane. C’est dans les applications de cet Accord que les intentions impérialistes de l’Angleterre apparurent. Mais les Persans pouvaient s’y tromper. L’Angleterre avait toujours joué le rôle de défenseur libéral, d’appui moral contre la Russie. On ne la croyait pas atteinte du virus impérialiste. Les Persans la voyaient toujours, comme avant la Guerre, protectrice contre la violence. {267b} Mais l’Angleterre, qui avait en main toutes les chances, ne sut pas profiter de l’occasion. Il fallait conquérir lentement le cœur des Persans. Il fallait tenir compte de l’opinion publique [démoralisée] par la Guerre, il fallait songer que le nationalisme persan, force séculaire, était encore plus vivace depuis que l’Orient s’éveillait. Il fallait songer que la Russie et la Turquie, les deux pouvoirs stabilisateurs de l’Orient, s’étaient effondrés dans cette guerre. Mais les hommes d’État anglais, Lord Curzon en particulier, étaient des hommes surannés qui ne réalisaient pas le réveil de l’Orient. Il s’imaginait que des visées conquérantes, habilement camouflées, pourraient triompher sans peine. Les Orientaux ont évolué et la méthodes anglaises, excellentes il y a cinquante ans et qui ont donné de magnifiques résultats aux Indes, en Afrique, ne valaient plus rien devant un Iran redevenu nationaliste et ombrageux. L’Anglais mésestimait son adversaire. {268a} Pour soutenir cette politique, il ne fallait pas quitter la Caspienne, il ne fallait pas évacuer la Transcaspie, le Caucase, donner partout l’impression de la lassitude et de la faiblesse. Les Russes redevenant maîtres de la mer, le nord de la Perse retombait sous leur influence. Alors, voyant leurs plans échouer, les Anglais s’obstinèrent. Ils crurent qu’ils pourraient maintenir l’Accord par la violence. Ils menacèrent. Mais l’ordre vint de retirer les troupes du nord de la Perse. Cet ordre aurait dû être exécuté franchement. Champain lambine, se laisse attaquer et cerner à Anzali. Il ne peut, n’ose se dégager. Il fut fait prisonnier avec le consul anglais et celui-ci gardé en otage : les canons, les munitions furent laissés aux bolcheviks qui s’assurèrent que les clefs des canons n’étaient pas enlevées ni les munitions rendues inutilisables. Lourde faute ! Le prestige de l’Angleterre devait en souffrir terriblement. Anzali fut considéré comme une reculade. Alors intervint le plan de ce qu’on pourrait appeler la politique du désespoir, le {268b} désir de provoquer des troubles, d’agiter le pays, d’empêcher tout

Du 24 août au 28 octobre 1921

369

gouvernement sérieux de s’y établir, de créer l’instabilité ministérielle, de soudoyer les tribus et de les faire révolter, toute une besogne souterraine organisée par des officiers de l’Intelligence Office. On favorisait les entreprises bolchevik sur le nord de la Perse, on les exagérait dans les journaux. On organisait l’exode des femmes britanniques, on détournait et au besoin on rendait impossible le voyage des étrangers en Perse, on décourageait tout le monde d’y venir. On paralysait le commerce. Le but était de jeter le gouvernement apeuré et le shah dans les bras de l’Angleterre. Cet essai de panique ayant échoué, on imagine le coup de théâtre du Seyyed qui était toujours la continuation des [plans] de conquête. Cette fois on décapitait le pays de toutes ses têtes, de tous ses chefs de file, des leaders du Parlement et des membres des grandes familles, de son aristocratie, en même temps qu’on {269a} croyait pouvoir abuser le peuple. C’était mal connaître la Perse et son esprit libéré. Le coup de force échoua. Il y a un mois Lord Curzon, qui a dénoncé officiellement l’Accord, s’appuyait encore officiellement sur lui pour demander en vertu de l’Accord le maintien d’Armitage-Smith à Téhéran. Les troubles continuent. Ceux du Khorassan sont liquidés, ceux du Gilân vont l’être et Rezâ Khan part à l’armée, au front de Manjil, avec l’intention d’occuper Rašt. Jamais la Perse n’a eu en mains une force militaire semblable à celle qu’elle possède aujourd’hui, près de 23 000 hommes avec gendarmes. Le budget de la Division des cosaques à lui seul représente 800 000 tomans par mois. Les bénéfices (16%) de la Persian Oil Company, en les calculant au mieux, produiraient pour la Perse sept millions de tomans, c’est-à-dire une goutte d’eau. Les Arméniens servent la cause des Anglais. Ceux que le Gouvernement persan voulait écarter de Perse, ont ourdi à Hamadân un {269b} complot que Sâlâr Laškar a déjoué, et qui avait pour but de l’assassiner, de soulever un Khan d’un pays voisin d’Hamadân et de l’installer à la place du gouverneur. Le projet de Kurdistan n’a pas de chance de succès. Il était favorisé par les Anglais. Il a surtout pour but d’empêcher la France d’être voisine de la Perse. Les jeunes Kurdes qui représentent la nation kurde en Europe donnent une très fausse idée de ce peuple incapable de se gouverner mais qui aurait été un instrument entre les mains de l’Angleterre. On détacherait le Kurdistan persan de la Perse, on détacherait l’Arabistan de la Perse : le prince Firuz a vu un plan dessiné par le major Noël et le capitaine Wilson qui détachait [Kerand]284 de la Perse pour en faire un séjour de 284  A-t-il voulu écrire « Kurdistan » ?

370

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

villégiature des Mésopotamiens et en même temps assurait à la Mésopotamie les Pétroles de cette région. L’avenir de la Mésopotamie est {270a} formidable. Avec les pétroles de Mossoul, ceux du Sud, Sir Percy Cox a très bien réussi dans ce gouvernement. Il supprime peu à peu les employés civils anglais et les remplace par des Arabes. Un dixième des employés sont anglais. Les troupes se retirent. L’an dernier la révolte grondait. Aujourd’hui la Mésopotamie est calme. 8 octobre 1921 Chaque matin le frémissement des cloches me réveille, comme une rumeur d’enfance : les nomades passent. Ils arrivent des flancs de l’Alborz ou des plaines d’Astarâbâd, poussant leurs troupeaux, ils retournent sur les hivernages du Sud, les plaines ensoleillées de l’Arabistan, les pâturages en jardins qui descendent vers la Mésopotamie. Ainsi la vie de ces pasteurs errants se passe dans les plus beaux climats du monde et ils n’ont rien à envier aux grands de la terre. Le peuple du bazar est nécessiteux, miteux, misérable. Sous ces voûtes étouffantes on trafique de tout. Le dieu de ces avenues est celui de la cupidité. D’âpres mains crochues se disputent des lambeaux de richesse et le luxe des tapis n’arrive pas à cacher la misère sordide des existences. Le mendiant tend la main, l’aveugle crie son désespoir. Le caravanier passe au trot de {270b} ses chameaux en écartant la foule. Les tchadors penchés sur la devanture des bijoutiers frémissent de convoitise. Les petits domestiques se hâtent avec des tasses de thé chaud ou des assiettes de viande rôtie, des portefaix équilibristes circulent avec des fardeaux sur la tête, des Arabes à l’œil dur et des Afghans farouches marchent d’un pas délibéré, les marchands tournent lentement leurs grains d’agate, de jaspe ou de cristal et supputent les marchés de demain, font tout à loisir et originalité, tableaux magnifiques, contrastés d’ombres et de soleil, jour de lumière opaque par une ouverture de porte sur la cour d’un caravansérail ou d’une mosquée, silhouettes décoratives, majesté de ce qui est immobile et si différent de nous, fourmis remuantes. 9 octobre 1921 Déjeuner chez le prince Firuz. Il parle de Lloyd George et déclare que c’est un Président du Conseil, comme l’Angleterre n’en a jamais eu. Il se contredit à deux jours de distance, revient sur ce qu’il a dit, sa parole dépasse sa pensée, mais il finit toujours par faire triompher son point de vue. Il a l’esprit logique malgré sa contradiction et sa politique est celle de tous les grands Anglais, {271a} audacieuse, conquérante, dans des dehors libéraux et même démagogiques. Il avait une réelle amitié pour Clemenceau, il lui a rendu des services durant la Guerre mais il l’a roulé après la Guerre, avec la meilleure foi du

Du 24 août au 28 octobre 1921

371

monde. Clemenceau pour la défense du territoire était excellent, terrible. Pour la politique extérieure, il était radical, anti-expansionniste. Cela faisait l’affaire de Lloyd George. Clemenceau a obtenu la garde du Rhin mais il a sacrifié d’un cœur léger Mossoul. Les Anglais méprisent Loyd George mais le gardent. Raspoutine entrait chez la grande duchesse en claquant les portes. Il disait : « Comment vas-tu ? », tapotait les femmes sur la joue. « Qui est celui-là ? disait-il en regardant un personnage debout. – C’est l’ambassadeur de France ! – Ah ! C’est toi l’ambassadeur, et bien, tu devrais télégraphier à ton pays que c’est une honte de faire égorger tant d’hommes sur les champs de bataille et qu’il faut tout de suite envoyer de l’argent en Russie pour les misérables. Tu entends. Il faut que tu télégraphies. J’ai dit ! » Paléologue285 adorait les catastrophes. Il voulait vivre de grands événements. Il adorait les ruines. Millerand, Poincaré le soutenaient. {271b} Il réduisait Berthelot à son rôle de directeur. Paléologue était très hostile à Firuz. Les événements du 21 février. Le Sepahdâr avait été menacé par Norman de départ de la légation d’Angleterre. Ce que voyant, celui-ci fit un pacte avec Modarres et signa l’Accord russo-persan. Mais le Seyyed intervint, agit sur le Sepahdâr, lui proposa de faire des arrestations en masse. Lui conseille d’accepter la création d’une Division de cosaques à Qazvin avec officiers anglais moyennant 10 000 £ qui seraient payés au Sepahdâr. Enfin il le gagne à l’idée du coup d’État : le Sepahdâr devait rester président du Conseil et Seyyed Ziyâ ministre. Le Sepahdâr dans cette affaire fut bien joué. Norman mentait trop. Cela a fortement déplu aux Persans. Toute la politique de la Légation d’Angleterre est menée par Havard. C’est lui qui tient les fils, c’est lui qui trancha. Vahid ol-Molk disait : « C’est admirable. Vous prenez l’argent de nos Persans et avec cet argent vous payez les conseillers financiers anglais. {272a} Il disait aussi : « Seyyed Ziyâ od-Din est Amir Kabir. Le vôtre, car nous ne le reconnaissons pas comme tel. » 10 octobre 1921 Visite aux Sœurs hier soir. On entend le ramage de la récréation, après le dîner, avant le coucher des pensionnaires. Ce que les Filles de Saint Vincent

285   Maurice Paléologue (1859-1944), diplomate et écrivain, était ambassadeur à SaintPétersbourg en 1914, on lui a reproché son attitude au moment du déclenchement de la Guerre. Il fut brièvement Secrétaire-général du ministère des Affaires étrangères du cabinet Millerand en 1920. Son journal de la période 1914-1917 fut publié à Paris en 1921 sous le titre La Russie des Tsars pendant la Grande Guerre (3 volumes).

372

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

de Paul enseignent à ces jeunes arméniennes, à ces jolies Persanes, ce sont les convenances et la grâce françaises. Elles en font des femmes, elle éveillent leur esprit, elles dirigent leurs goûts. Elles leur apprennent la décence, la tenue, l’art de plaire et aussi les soins du ménage, le gouvernement d’une maison. Trois cents enfants subissent cette ferme discipline, reçoivent cet enseignement et cette formation qui représente ce que la civilisation française offre de plus pur et de plus distingué. Les Persanes sont très sensibles aux manières affables de nos religieuses, elles leur restent fidèles, elles leur confient leurs enfants. Si le couvent des Sœurs pouvait être transplanté du quartier de Darvâza-ye Qazvin, où se trouvait jadis le centre arménien, au quartier du centre de la ville, aujourd’hui conquis par les riches Arméniens, si les Sœurs {272b} pouvaient, à côté du pensionnat Jeanne d’Arc qu’elles ont ouvert (près de l’école allemande justement) avoir une grande maison à elles (pensionnat) et 300 000 francs leur suffiraient pour s’installer, elles attireraient à elles toute la clientèle des Persans qui envoient leurs filles aux couvents français de Bagdad, car même dans les andarun-s on recherche, on apprécie l’éducation à la française et les femmes sont plus charmantes et plus désirables si elles ont subi l’empreinte de la France classique, si merveilleusement conservée par l’ordre de la Charité, par ses larges cornettes qui vont de l’avant, comme un avion, stables et audacieuses, par ces filles toutes semblables, d’une vivacité, d’une activité raisonnable et digne, dont le visage conserve l’éternelle jeunesse des portraits du 17e siècle. Un des dangers d’une politique indépendante à Téhéran est évidemment de passer pour un ami des Soviets. Mais notre intérêt n’est-il pas de favoriser la Russie, quand les Anglais sont les plus forts, comme il était de favoriser les Anglais quand les Russes étaient les plus forts. {273a} Le nouveau ministre anglais aura certainement reçu mission d’être très aimable et conciliant les six premiers mois, pour regagner le terrain perdu. Mais les Persans lui demanderont immédiatement d’exécuter ses aimables promesses. 11 octobre 1921 Samedi, le Setâre-ye Irân ayant publié un article où il se moquait des Zafarânlu, qui avaient abandonné Mohammad-Taqi Khan, le Sardâr Sepah a fait prendre le journaliste et l’a fait bâtonner de deux cents coups de bâton. Hoppenot dit aux Anglais les projets français sur les Pétroles du nord, il les met au courant. Le résultat est que les Anglais viennent une seconde fois de protester auprès du Gouvernement persan de l’efficacité de la vente de la concession de Khostaria à l’Anglo-Persian Oil Company.

Du 24 août au 28 octobre 1921

373

J’apprends qu’on pille sur la route de Chiraz. L’autorité de Nosrat os-Saltana n’y existe plus. Il trafique des districts, nomme des gouverneurs et les destitue pour en nommer d’autres. Tous les Anglais qui sont partis vers le Sud ont pris la route des Bakhtiaris286. {273b} Marie dit à Stumpf d’un tiers : « Il ment comme un arracheur de dents ». Je reçois du ministère les bulletins officiels de la Guerre. La Perse est présentée sous les couleurs voulues par les Anglais. La rue Saint-Honoré fait bonne garde. On écoute plus volontiers l’attaché militaire de Londres que celui de Téhéran. 13 octobre 1921 Mohammad-Taqi Khan avait eu à réduire une révolte de chefs de tribus. Il vint avec cent hommes, lui-même avec ses gendarmes contre les Zafarlu et les Šâdlu. Il a été tué d’une manière naturelle. Il est allé rechercher quatre cents hommes. Il fut mal soutenu parce que les hommes de son armée étaient de même tribu que ceux contre qui il se battait. Il avait trois cents hommes avec lui mais ne pouvait compter que sur cent. Sa tête a été d’abord coupée puis le cadavre entier a été envoyé à Mašhad. Il a eu cent hommes tués à côté de lui et deux cents blessés. Le combat a duré un jour. Il disposait de canons Schneider et de mitrailleuses. D’abord, d’accord avec les Anglais, puis brouillé avec le consul qu’il avait consigné chez lui et en coquetterie avec les Bolcheviks. {274a} Le gouvernement sera difficile à trouver. Samsâm os-Saltana paraît un mauvais choix. Il est faible. On se plaint beaucoup dans le sud de Nosrat os-Saltana. En Azerbaïdjan la situation se gâte et des Kurdes viennent de prendre SowjBulâq où ils auraient tué Bachimont287, missionnaire luthérien et molesté les femmes. Norman est arrivé sans domestique et sans bagage à la frontière. Il est passé à Bagdad sans que Sir Percy Cox se dérange pour venir le saluer. Il a filé tout droit sur Bassorah après une heure d’attente. 14 octobre 1921 Vu hier Bridgeman qui me raconte avoir écrit au ministre des Soviets pour lui demander une audience, lui annonçant que par la suite du départ de 286  C’est-à-dire celle qui va d’Ispahan à Ahvâz par le Zagros, la fameuse route Lynch. 287  En 1921, voir D. Lyko, Gründung, Wachstum und Leben der evangelischen christlichen Kirchen in Iran, Leiden, Brill, 1964, p. 13.

374

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

M. Norman, il prenait la succession des affaires. Rothstein a répondu qu’ayant eu à se plaindre de M. Norman et de la conduite des membres de la Légation à son égard, il aimait mieux ne plus avoir avec la légation d’Angleterre que des rapports officiels et non privés. Bridgeman a averti Londres. En réalité Rothstein en veut [274b} à la légation d’Angleterre des rapports que celle-ci a faits sur l’activité de Rothstein individu. Les Anglais ont été attaqués à Téhéran dans une presse stipendiée par Rothstein. Attaques personnelles même. Ceux-ci se sont vengés en dénonçant à Londres la rupture du « pacte » et en provoquant la note de l’Angleterre sur la politique bolchevique anti-britannique en Perse, en Afghanistan, aux Indes. À ce sujet Bridgeman me donne une définition de la propagande. « Vous pouvez faire une propagande pour votre pays, vous pouvez faire une propagande anti-britannique de médisances et de calomnies. » « – On annonce, me dit-il, le départ des Rothstein. » Il me raconte le meurtre de Nâser od-Din [Shah] dans la mosquée de Šâh ‘Abd ol-‘Azim et le retour de Šâh ‘Abd ol-‘Azim à Téhéran de la voiture où le shah était assis, un homme derrière son cadavre avait passé ses mains dans ses manches et le shah mort au fond de son carrosse se faisait la moustache. Il me cite en ces [termes] un trait de la vie persane insaisissable pour qui n’a pas vécu en Perse. À la légation de France le travail de l’après-midi est supprimé. Les messieurs travaillent {275a} de 10h à midi. Je reproche à Hoppenot de ne m’avoir soutenu dans aucune des démarches politiques où je voulais faire aboutir un projet, tel que tsf, question des chemins de fer et des Pétroles ; de m’avoir mondainement boycotté auprès des Anglais ; d’avoir arrêté autant qu’il l’a pu mes rapports et contrecarré mes télégrammes, ce qui a d’ailleurs abouti à la confusion ; d’avoir cessé de me tenir au courant de toute affaire politique, de ne m’avoir jamais invité à un dîner international-anglais, etc., d’avoir préféré la compagnie de Wickham et de Smart à celle de son attaché militaire. Je le loue de m’avoir défendu quand les Anglais ont essayé de me faire sauter, d’avoir soutenu le tsf et la propagande française. 15 octobre 1921 Sa Majesté a l’intention de partir dans vingt jours. Le Régent serait le prince aîné, qui n’est pas prétendant. Le Vali‘ahd serait rappelé en Perse. Sa Majesté insiste sur l’ennui d’être souverain, le bonheur de l’incognito, la liberté dont on jouit en France. Sa‘id Khan Loqmân ol-Molk est envoyé en France pour y terminer l’engagement des officiers suédois. Le chef de cette mission est ex-attaché militaire

Du 24 août au 28 octobre 1921

375

à Berlin. {275b} Les officiers persans n’obéiront pas à une mission étrangère. Plan germanophile sur la Perse et l’Afghanistan. Télégramme d’Hoppenot sur Molitor. 16 octobre 1921 Mon cuisinier écrit à un prince de ses amis à Paris. Il lui écrit : « Lumière de mes yeux ! » et demande de ses nouvelles ; il dit en terminant « Je baise votre belle figure . . .  ». Sa Majesté a l’esprit humoristique et plaisant mais c’est un enfant. Il voit le côté drolatique et le petit détail assez finement. Parlant de la comtesse de Clermont-Tonnerre288 il décrit spirituellement ses intentions avec de riches américaines parvenues : « Vous ne trouvez pas ce diadème trop lourd ? – Comme cette risible femme est méchante, disait l’Américaine. – Ce sont des nouveaux riches. Je les déteste, dit la Clermont-Tonnerre. – Elle a dû louer son hôtel aux Italiens, de nouveaux riches et habite le pavillon du concierge. Elle est l’unique partisane en France de l’Émir Faysal. » Sa Majesté a vu la princesse de Broglie qu’il trouve jolie et la princesse de la Tour d’Auvergne qu’il ne trouve pas jolie parce qu’elle est trop grosse. Il décrit plaisamment {276a} la laideur de la femme et de la nièce de Monsieur de Rothschild. Il se plaint des demandes saugrenues que lui faisaient les femmes du monde sur la tenue des Persans. Les aimables linottes ne voulaient pas que les Persans dans leur pays portassent la redingote et le kolâh. « Vous portez des turbans, n’est-ce pas ? des habits jaunes, rouges et verts. Des aigrettes et des redingotes lamées d’or et de diamants. – Mais non, Madame, la vie n’est pas chez nous un bal masqué ! » Les bals persans de Paris sont une caricature de la Perse. Ils n’ont rien de persan. Les costumes persans véritables déplaisent sans doute aux Parisiens. Il y a une fausse Perse comme il y a un faux Orient. Sa Majesté s’amuse beaucoup des couronnes que l’on distribue aux fils du roi du Hejâz (vrai descendant du Prophète). Le roi de Transjordanie en particulier l’amuse beaucoup. Il dit : « Nous pourrions créer beaucoup de royautés de ce genre en Perse : à Kermân, à Kermânšâh. Ce sont des parvenus. » À ce propos il rappelle l’aventure de l’empereur du Sahara289. {276b} (L’Orient est impassible 288  Blanche de Clermont-Tonnerre (1856-1944) avait voyagé en Perse et organisait à Paris des « bals persans ». Voir Hélène Hoppenot, 18 avril 1920. 289  Le richissime Jacques Lebaudy (1868-1919), fils de l’industriel du sucre, s’inventa un empire imaginaire au Sahara.

376

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

mais il s’ennuie.) Le shah raconte qu’il est allé à Lugano en mars mais qu’il a failli y périr d’ennui. À Lausanne il ne voyait que des dames habillées de drap et de toile cirée. Il aime les toilettes, il a fui vers des rivages plus aimables. Il aime Niâvarân. Il prétend n’y avoir jamais eu la fièvre. Les moustiques ne pénètrent pas au palais. Il nous a reçus dans la grande salle ornée de miroirs. Nous sommes entrés avec les trois révérences habituelles. Il a souhaité en partant bon voyage à ma femme et a dit : « Aurai-je mes radios ? » Je doute qu’il les ait désormais. Il n’a pas été question de récompense pour l’attaché militaire qui l’a très bien servi pendant deux ans. Hier soir dîner chez le prince Nâser od-Dowla en notre honneur. Le prince Farmân-Farmâ avait tenu à y être. Le dîner était en musique : une cithare sonore à archet stridente et légère. On parle à haute voix durant la musique. Ce n’est pas un rite religieux. On ne va pas {277a} à la musique comme au temple. Airs populaires, chansons mélancoliques, rythmes vifs de danse se succédant toute la soirée tandis que le vieux Farmân-Farmâ me pose des questions laborieuses sur la Pologne, sur le Japon et l’Amérique. Ce qui l’intéresse, c’est que la Russie ne soit pas trop forte car il craint son esprit démagogique. Il me dit le secret de sa vie, l’effort continu, des voyages incessants : douze mille farsakh en neuf mois – quand il était jeune. Il dit de Mohammad-Hoseyn Mirza : « C’est ma jeunesse ». Tantôt envoyé à Tauris, tantôt à Kermân. La vie de ces grands seigneurs, toujours à cheval, n’était pas une sinécure. Ils savaient. Ils avaient à gouverner des provinces difficiles, à faire la guerre sur les frontières et contre les brigands. Le vieux Farmân-Farmâ aujourd’hui encore couche sur le sol dur, sur un tapis. Avec un morceau de bois pour oreiller. Il ne peut dormir dans la plume. Il mange comme quatre. Mais il connaît la Perse. Il me raconte sa carrière militaire : simple soldat, adjudant, etc. Toujours levé le premier. Il {277b} avait donné ordre à son domestique de l’éveiller et de lui jeter un bac d’eau sur la figure. Il était toujours en avance. Il n’avait pas de dispositions naturelles mais il est arrivé à force de fermeté. Ces vieux-là représentent l’ancienne Perse vigoureuse. Il dit à ses fils : « Vous ne mangez pas, vous êtes toujours malades. » S’il faut des gouverneurs énergiques pour des provinces où le trouver sinon parmi ces aristocrates énergiques et respectés ? Les gendarmes viennent de recevoir une pile à Sowj Bulâq. [. . .] {279a}

Du 24 août au 28 octobre 1921



377

Voyage de retour Téhéran-Paris

19 octobre 1921 Départ de Téhéran à 8 heures du matin. Notre départ la veille avait été remis et les nombreux amis venus pour nous dire adieu avec des fleurs étaient partis sans la traditionnelle ovation. Aujourd’hui, il n’y avait que les Mesnard, les Wilhelm et le Dr Roland, M. Perny ! Bien entendu, pas de chargé d’affaires, il nous avait dit adieu hier après déjeuner. Le retard de 24 heures m’a permis d’envoyer au ministère un dernier télégramme. Route de Téhéran à Qazvin insipide, mais plus facile qu’au printemps. À Qazvin, halte somptueuse et médiocre. Je vois [Grigy ?] le Chaldéen, qui me paraît obliquer vers le bolchevisme. Il me dit qu’il est en mesure de faire partir qui on voudra par la voie russe. Il vante l’activité commerciale des Russes qui accaparent tout le marché des raisins secs et des pistaches à Qazvin. [Kasarovski] arrive à Téhéran comme contrôleur des dépenses du ministère. Il me dit que l’affaire Azrilenko pour laquelle nous avons engagé tout le crédit de la Légation nous a fait perdre beaucoup d’influence en Perse. Nous voyageons de concert avec les Graux et Damerlé-Ohman, en capote de chasseur à pied et bardé de revolvers et de fusils, nous accompagne. 20 octobre 1921 Partis à la première heure pour Hamadân. L’auto marche. La première partie de la route est très unie. C’est la plaine de Qazvin, avec ses montagnes petites et légères, paysages de hauts plateaux. Le jour se lève, pur, admirable. Nous croisons les attelages à quatre chevaux, les caravanes d’ânes et les caravaniers, déjà emprisonnés dans leurs cabans raides et rectangulaires. La netteté des horizons est extraordinaire : le détail est précis comme les contours d’un bijou. À proximité des montagnes les villages se multiplient. Ils semblent riches. Les terres sont d’une moiteur pleine de promesse. Nous traversons des villages assez pittoresques, dont les toits sont formés de meules de foin. Les femmes ont une prédilection pour la couleur rouge. Elles portent la petite jupe rouge flottant sur les mollets. Elles sont dévoilées. Les habitations carrées et entourées de murs crénelés abondent : aux angles des murs, des tours de guet. Les habitants se barricadent, la sécurité ne règne pas. Les voyageurs ne circulent que par bandes de cinq ou dix. À Âbgarm nous trouvons des sources d’eau brûlante, sulfureuse, qui jaillissent du rocher. Tout le pays d’ailleurs, jadis soulevé {280a} par des éruptions volcaniques porte la trace de la catastrophe. Les montagnes sont parfois bizarrement découpées et les couches géologiques profondes, arrachées des

378

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

entrailles de la terre, se dressent toutes droites et affleurent en formant sur la croupe des collines des aspérités étranges. L’entretien de la route, laissée à la garde des Russes, anachroniques, m’étonne. Elle est toujours en bon état. Des tas de pierres sur le côté, annoncent les réparations prochaines. La circulation est intense. Si l’on donnait à ce pays des voies de communication sa situation changerait. Après les défilés de montagnes et le col d’Aveh, nous descendons. Pour notre malheur nous croisons une auto Fiat en panne qui ramène à Téhéran les caisses de Galantini, chargé d’affaires italien. Et les bagages de Sandrey. Nous arrêtons. Je consens à prendre le chauffeur. L’auto démarre et casse. Nous voilà en panne. Vains efforts de raccommodage. À quatre heures je frète un gâri et nous arrivons à Rezan au pas accéléré, jour tombant, où nul ne veut nous recevoir, ni le chef de poste ni le chef de la barrière parti à la chasse, ni le gendarme. Nous sommes logés chez de braves villageois, à têtes de brigands, mais très accueillants. Marie se repose dans leur plus belle chambre tandis que nous entendons toute la nuit les femmes accroupies devant le korsi qui jacassent et les bêtes de l’étable voisine qui ruminent. {284a290} 21 octobre 1921 Cet accident m’a permis de goûter la route persane et d’admirer la démarche élastique des Persans, leur vivacité. Il nous a permis de vivre un soir et une matinée dans une maison de paysans de la région d’Hamadân. On exagère leur malpropreté. La chambre où nous avons couché était propre. Je remarque que jamais un Persan, homme ou femme, ne va à un certain endroit sans une buire d’eau, mesure de propreté délicate que l’on pourrait recommander à de nombreux Français. Hier soir on voyait des cavaliers pousser les troupeaux dans la plaine et les ramener vers le bourg. Les airs étaient remplis de paille. C’était une animation d’automne, comme un prélude de l’hiver qui vient. Ce matin je retrouve la même activité. Les toits se garnissent de hautes pyramides de foin, fourrage d’hiver, les femmes debout sur les toits trient les graines sèches et les fruits. Le bois sec est rangé. On fabrique avec le fumier du bétail des briques de combustible. Rien n’est perdu. Nous voyons ce matin ces femmes actives, nettoyer la cour, puis s’asseoir et coudre. Ce peuple n’est pas plus paresseux qu’un autre. Le fumier de vache et de chèvre séché sur les cuisines. La paille hachée est serrée dans de larges filets aux mailles en losange et elle est portée dans les ambâr. 290  [En marge : « début », ce qui indique une interpolation des pages.]

Du 24 août au 28 octobre 1921

379

Vingt personnes logent dans l’abri où nous avons trouvé {284b} l’hospitalité, plusieurs ménages. Les femmes vivent ensemble, vieilles et jeunes dans une camaraderie assez touchante, camaraderie d’esclaves. Sans doute cet Orient est très différent de celui des bals persans et de la [noblesse] mais il a sa couleur. Les poules picorent, les chats rôdent. On égorge un mouton et c’est une fête dans le quartier. Nos hôtes nous offrent des pommes et des melons. Tout cela vu par un matin éblouissant a du charme. Je me console par un spectacle des ennuis du voyage. Il est tout de même un peu fort de payer 450 tomans une route en ruines que l’on n’a pas pris soin d’examiner avant le départ. Pourquoi n’y a-t-il pas de service moderne en Perse ? C’est que les communications n’y sont pas favorisées. Les Anglais ne veulent rien y faire. Les individus qui exploitent le service des transports sont des Européens véreux, plus voleurs que les Persans. Une promenade dans la campagne animée comme un tableau de primitifs, bœufs au labour, herbe que l’on coupe, charrettes rapportant la paille sur la grande route, fillettes lavant leur linge au ruisseau. Les bêtes sont lâchées dans les pâturages, il y a des jolis bouquets d’arbres, de saules, le long des cours d’eau qui serpentent dans la plaine, la terre est {285a} noire, féconde. Toutes ces richesses vont enrichir le grenier de l’arbâb (1/3 de la récolte est pour lui. C’est lui qui amène l’eau de la montagne dans des qanât), il devrait [bien] donner à ses laboureurs des charrues moins primitives. Rezan a trois cents maisons, six cents habitants. Il y a 28 soldats fournis au [fowj]. (Jadis) ils recevaient 12 tomans par an. Le propriétaire donnait un [xarvâr] de blé pour nourrir leur famille291. Les cimetières en Perse n’ont aucune importance. Ils ne constituent pas des endroits sacrés. On foule la terre des morts sans respect. Pourtant le souvenir des morts illustres n’est nulle part plus vivant et la gloire est la récompense des forts. Les funérailles s’accompagnent de manifestations de douleur exubérantes et puis l’on pense à autre chose. La vie est si ardente et les Persans ont tant de goût pour le plaisir. {281a} 21 octobre 1921 Arrivés à 5 heures à Hamadân. À mesure que nous nous rapprochons de la ville, les cimes de l’Alvand se détachent avec plus de netteté sur le ciel. Nous croisons des cavaliers bardés de cartouches et le fusil en travers de la selle, kârgozâr. L’escorte personnelle du gouverneur est de douze cavaliers. La plaine

291  Système de conscription traditionnel où le nombre de recrues était fixé pour chaque village.

380

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

est dorée par l’automne, les troupeaux abondants. Il n’est pas rare de voir deux cents chevaux, trois cents moutons à la fois. L’impression de fécondité que l’on respire dans cette large plaine s’accentue. Les villages se multiplient. Hamadân est au pied de l’Alvand et tourné vers le Nord, la vieille capitale des Mèdes, l’antique Ecbatane, se dresse dans ses jardins avec l’allure majestueuse d’une reine qui domine son royaume. De tous côtés, les routes affluent vers ce carrefour extraordinaire. Hamadân est un grand centre commercial. Une colonie de dix mille juifs, une communauté israélite qui remonte aux temps primitifs, y habite. On y voir le tombeau d’Esther et de Mardochée. Il y a quelques centaines d’Arméniens, très remuants, [bombistes]. Très peu de guèbres. Beaucoup de behahistes [bahâ’i-s]. {281b} Les événements de Téhéran se répercutent dans une ville comme celle-ci avec une intensité et une rapidité remarquables. Quand la révolte de Mohammad-Taqi Khan fut écrasée, l’effet s’en fit sentir ici où les esprits commencent à s’échauffer. Il y a eu à Hamadân un commencement de complot. Un extrémiste nationaliste, ancien germanophile, y a pris part. Il avait avec lui les Arméniens. L’un d’eux était domestique à l’Hôtel [Damerti] (de France). Le gouverneur l’a fait arrêter à l’hôtel. Depuis le Seyyed, les gouverneurs prennent leurs précautions. L’extrémiste dont les biens ont été jadis pillés par les Anglais avait de fréquents conciliabules avec le consul anglais [Gybbon-]Monypenny. Il prétend que c’était pour les réclamations de ses biens. Monypenny habite hors la ville avec une garde de 12 lanciers hindous. Le demi-escadron anglais qui se trouvait encore ici il y a un mois a quitté la ville. Il y a à Hamadân une demi-compagnie de gendarmes, détachés du bataillon indépendant de Kermânšâh. Le reste est au Kurdistan où il fait la guerre. Le major Noël est récemment passé à Hamadân, allant au Kurdistan. Mgr Nissam a rejoint son poste hier il nous {282a} attendait. Finalement les Chaldéens sont entrés en Perse, ils sont disséminés dans les cultures. On n’est pas mécontent d’eux. Les Arméniens sont plus remuants. Hamadân est encore une organisation persane. [ ?] cultivent la terre, partagés entre de grands propriétaires. Au delà de l’Alvand, la cité de Kermânšâh, commence la région des tribus, qui se disputent et se font des guerres continuelles. Aucune distraction à Hamadân. Il était question d’y établir un cinéma. Les mollâs s’y sont opposés. Bourg de province, politique des personnalités à ménager. Sâlâr Laškar ferait assez bien manœuvrer dans ce terrain.

Du 24 août au 28 octobre 1921

381

Cette famille Farmân-Farmâ est vraiment la plus intelligente de Perse. Le père a élevé ses fils, les a envoyés à Beyrouth chez les Jésuites, puis en Europe, dans la Creuse, en province, puis leur a fait faire des voyages. MohammadHoseyn Mirzâ connaît la Russie et les Indes. Sâlâr Laškar a été officier à [Sandhurst]. {282b} Tous sont remuants, actifs, travailleurs. Avec ironie les Persans parlent des spécialistes pour la Perse : Wickham, Suart, Havard. Avec plus d’ironie encore de Lord Curzon qui en est resté à la Perse de Nâser od-Din Shah. À les entendre nul ne connaît la Perse. Il est vrai qu’il y a là un monde à part, insoupçonné, le seul qui ait su tenir tête jadis aux Romains, le seul qui n’ait pas été romanisé, le cœur de l’Asie. Pas plus qu’il n’a été colonisé, pas plus qu’il ne sera russifié ni anglicisé. La rapidité d’esprit des Persans et leur patriotisme les empêche de sombrer dans le [snobisme]. Ils n’ont pas eu de snobs romanisants ni de snobs anglicisants. Le fait de monter à cheval et de jouer au polo ne les étonne pas. On est inquiet des événements d’Azerbaïdjan. L’incapacité de Moxber os-Saltana est notoire. On parle de Farmân-Farmâ pour l’Azerbaïdjan, de Sârem od-Dowla pour le Khorassan. Me parlant du règne de Norman, Sâlâr Laškar me dit qu’il a été très profitable pour la Perse. Le ministre bolchevik Rothstein n’avait pas de propagande à faire : Norman s’en chargeait. {283a} Quand Norman vit pour la première fois Sâlâr Laškar, il lui dit, après la chute du cabinet Vosuq que Norman avait provoquée en appuyant les exigences de Dickson qui voulait être mis à la tête de l’armée persane, « nous arriverons à nos fins avec Mostowfi ol-Mamâlek et Mošir od-Dowla. Ils m’ont promis de mettre le général Dickson à la tête de l’armée. » Sâlâr Laškar se permit d’en douter. Norman fit le coup des officiers russes qui réussit. Starosselsky fut expédié. On lui en sut gré à Londres. Il se crut un dieu. Il imagina le coup du Seyyed qui échoua piteusement. Le Seyyed va publier un livre : Mes cent jours. Il oublie les quatorze ans de gloire de l’Empire292. Diplomates et intrigants Anglais se sont heurtés à une diplomatie plus fine et plus intrigante que la leur. Sârem od-Dowla était très partisan de Hart : il le voulait conseiller des finances à la place d’Armitage-Smith. {283b} Il faut avoir marché sur une grand ‘route persane pour connaître la volonté des Persans. Ils sont les meilleurs marcheurs du monde : ils vont tous un train d’enfer sur les grandes routes. Les šâter sont les coureurs qui vont d’Hamadân à 292  Allusion à Napoléon.

382

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

Téhéran en trois jours. Salâr Laškar avait un excellent coureur qui marchait en dormant. Il fut tué par une auto anglaise près de Kermânšâh. L’orge coûte plus cher à Hamadân qu’à Téhéran, 26 tomans le xarvâr. Le blé également ; la recette de cette année a été mauvaise. Un rude hiver se prépare. « Votre mari ne reviendra pas en Perse », dit Monypenny à Marie. Il convient lui-même que Norman n’a fait que des bêtises. À Hamadân vient de s’installer une succursale de la Banque ottomane avec un Anglais, Harris. Je constate le peu de confiance dont dispose [Hoppenot] auprès des Persans et l’ennui de ceux-ci de voir les affaires de l’Europe confiées à de jeunes chargés d’affaires tous anglophiles. Bonin, s’il était resté, aurait pu faire du bon travail. {286a} 22 octobre 1921 Sâlâr Laškar conte comment il dut aller au front turc. Il était gouverneur d’Hamadân. Mohammad Taqi Khan, ancien élève des écoles allemandes, était chef de la Gendarmerie, il attaqua les Cosaques. Les Démocrates étaient avec les Turcs. [Desmarets ?] chef suédois de la Gendarmerie vint trouver Sâlâr Laškar et lui dit : « Vous allez télégraphier à votre père Farmân-Farmâ de démissionner. » Il était ivre. Sâlâr Laškar télégraphia : Le colonel Desmarets me charge de vous donner l’ordre de démissionner. Farmân-Farmâ répondit : « Je ne démissionne pas. Faites votre affaire. » Sâlâr Laškar accepta un commandement dans l’armée turque, combattit les Russes de [Baratov] et les battit en quatre batailles. Les Russes ne furent sauvés que par la retraite des Turcs provoquée par la chute de Bagdad. Les armées anglaises avaient la supériorité du matériel. Les Turcs faisaient leurs convois avec des bœufs, mais ils étaient endurants, sobres, courageux. Baratov s’oublia dans les délices de Kermânšâh. Il y passa l’hiver. L’été, quand il voulut pousser de l’avant, la chaleur de Mésopotamie eut raison de ses chevaux et de ses hommes. {286b} Les Tangestâni dans les montagnes au Sud de Chiraz, ont tenu en échec les troupes anglaises. Les Lor sont excellents guerriers. Les tribus se battent sans cesse. Elles étaient obéissantes au temps de Nâser od-Din [Shah]. Elles le sont encore sans un gouverneur énergique. Hamadân et Malâyer ne font qu’un seul gouvernorat. L’inconvénient du système financier est qu’on ne paye pas les impôts. Depuis le gouvernement de Farmân-Farmâ, le Lorestân n’a pas payé d’impôts. Les grands seigneurs refusent de payer l’impôt. Sardâr Akram dit qu’il paiera ses impôts quand on lui refera des routes.

Du 24 août au 28 octobre 1921

383

On recrute sans cesse de nouveaux soldats à Zanjân, à Sâva, autour de Téhéran. Il n’y a plus d’argent dans les caisses de l’État. {287a} Hamadân – Visite de l’école israélite de l’Alliance [Israélite Universelle]. L’école donne l’enseignement en français à 700 élèves, 200 filles et 500 garçons. Il y a trente musulmans garçons. Il y a dix cours de garçons et 7 de filles avec atelier de couture, menuiserie, etc. Le directeur est payé par l’Alliance ainsi que la directrice, mais actuellement l’école est sans directeur. Un professeur fait l’intérim. La communauté israélite paye. Cinq cents tomans de déficit par trimestre. Elle voudrait être soutenue par l’Alliance. L’École a une association d’anciens élèves, une bibliothèque ouverte aux anciens. Elle est installée dans ses propres bâtiments. Cette bibliothèque contient une armoire avec la Bible et les vieux viennent y faire leur prière. Tous les samedis on se réunit là pour écouter un conférencier qui donne les plus récentes nouvelles de Palestine. C’est en ce moment la fête de Sokott (les Tentes). Les Israélites d’Hamadân, continuant la tradition d’Avicenne, sont médecins. Le commerce d’Hamadân est en partie entre leurs mains. {287b} Les enfants pauvres de Hamadân sont nourris aux frais de l’école, qui reçoit pour cela une somme de 4 000 francs par an du fonds du baron Hirsch. La gabelle, impôt de la viande, permet d’équilibrer le budget de l’École. Les anciens élèves répétaient le Médecin malgré lui en persan. On enseigne à l’école le persan, l’arabe, l’hébreu, le français. Le délégué du Ministère de l’enseignement public voudrait mettre sous sa tutelle l’école. Mais celle-ci s’y oppose. Elle dépend de la légation de France. Le drapeau français flottait sur l’école. Les enfants nous ont reçus aux sons de la Marseillaise. Le général Champain passant à Hamadân a dit au chef du comité scolaire : « La France doit vous être reconnaissante car j’ai trouvé au bâzâr une quantité de gens qui m’ont salué en français. Pourquoi l’anglais n’est-il pas parlé à Téhéran ? » {288a} La Gendarmerie fait trop de politique. Les officiers sont politiciens. Cela dure depuis l’arrivée des Suédois. Ils ont amené dans l’armée un esprit d’intrigue politique. Les enseignements de l’histoire nous prouvent que la Mésopotamie ne peut être gardée tant que la Perse est indépendante. La capitale des Sassanides était à Ctésiphon. Si les Anglais tiennent tant à la Perse, c’est qu’elle est un verrou pour les Indes et la Mésopotamie. Sâlâr Laškar me paraît comme toute sa famille favorable au projet américain. Les Américains payent. La France devrait envoyer ici un agent financier muni

384

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

de pleins pouvoirs et l’escarcelle bien garnie. Quelques titres, seuls, comptent en Perse. L’obstacle à la présence des Français dans le nord de la Perse sera la Russie. Les Russes ont renoncé à leurs concessions à condition qu’elles ne seront données à aucune tierce puissance. Il y a en Perse des ressources admirables. Le charbon à côté du fer au Mâzandarân, des sources pétrolifères non-exploitées à Dakeli près de {288b} Chiraz, à Qasr-e Širin du cuivre, et dans l’Alvand de l’or et de l’argent. On ramassait auprès de Hamadân de la terre qui contenait des paillettes d’or, on la lavait, on en extrayait le métal et la terre restait improductive de longues années. Le rendement était donc avantageux. La Perse a absolument besoin de capitaux et d’une manière urgente. Les ministères ne sont plus payés. Si la Perse l’avait voulu, durant la Guerre, elle [pouvait] profiter de la neutralité, changer son [étalon] et voir affluer tout l’or du monde chez elle, comme la Suisse, comme l’Espagne. Mais l’esprit d’intrigue l’a emporté : on n’a rien fait de stable ni de durable. Mostowfi ol-Mamâlek a donné carte blanche aux germanophiles. Aujourd’hui la Perse n’exporte plus. Elle doit exporter son or et son argent. Elle se ruine. Et la Perse est loin d’être un pays pauvre. Sâlâr Laškar conte les péripéties de sa captivité. Les Farmân-Farmâ avaient séduit leurs geôliers. Ils les nourrissaient et les distrayaient. Les communications avec l’extérieur étaient constantes. Les domestiques de la maison venaient {289a} constamment les voir. On finit par les séparer. Le colonel Haig disait ouvertement que Farmân-Farmâ avec le produit de ses vols au Fârs avait déposé quinze millions à Bombay. Smart affirmait qu’il avait dissimulé sa fortune dans les banques d’Europe. « Rien n’est plus facile, disait-il cyniquement à Farmân-Farmâ. L’Angleterre s’est trop démasquée dans cette affaire et aujourd’hui les boniments de Curzon sur l’amitié anglo-persane ont peine à réussir. Norman a fait gaffe sur gaffe : sa dernière a été de partir sans faire aucune visite aux Persans. La persanophobie a pour conséquence la russophilie. Ce sont les Anglais qui ont accumulé sur la tête des Européens une impopularité dont les Russes profitent en attendant les Japonais. Les Farmân-Farmâ ont été élevés au collège de Beyrouth, confiés à 10 et 11 ans aux Jésuites. Leur activité leur vient de cette éducation première. Les Jésuites sont tout à leur affaire, dit très justement Sâlâr Laškar. Leur austérité de soldats les sert. Sâlâr Laškar fut un jour mandé par le Seyyed et conduit par une escorte de Cosaques au palais. Là il trouve le Seyyed et Rezâ Khan. Le Seyyed lui dit : « Il faut donner cinq millions de tomans {289b} comme aide à l’État. – Je ne les ai pas ! – Il faut les trouver ! » Et il ajoute : « Vous faites de vains efforts pour

Du 24 août au 28 octobre 1921

385

séparer Rezâ Khan de moi . . . Nous sommes une âme et deux corps ! » Pourtant les Farmân-Farmâ y arrivèrent. Peut-être le Seyyed fut-il impressionné par les déclarations des Anglais. Il crut réussir. En pareil cas il faut réussir. L’influence anglaise a perdu tous ses avantages en l’espace d’un an. Quant à nous, nous n’avons pas joué notre rôle. Le Seyyed voulait tirer quinze millions de tomans des grands seigneurs. Aussitôt après la délivrance des captifs, Norman écrivit à tous les princes et hauts personnages une lettre les félicitant et leur demandant un rendez-vous. Il vint voir Farmân-Farmâ et protesta de sa sincérité jurant qu’il avait tout ignoré du coup d’État. Le général Dickson disait sans cesse qu’il était né au pied du Damâvand, que son cœur était persan. Le général Lamont, voyant le Sepahdâr enlever ses chevaux des courses parce qu’il n’était plus ministre de la Guerre disait : « Qu’est-ce que des courses ont à faire avec la politique ? » Dimanche 23 octobre 1921 Visite de l’église arménienne ce matin. L’église était presque déserte. Un prêtre en cagoule noire et vêtu jusqu’aux pieds d’un manteau de soie bleue officiait devant un autel sombre éclairé par deux bougies, tandis que quelques chantres s’égosillaient et lançaient leurs fausses notes sous la nef basse. Je ne pouvais m’empêcher devant l’étrangeté de cet office de songer à une scène de magie mais plus froid et plus faux me semble encore le spectacle de l’office protestant. Les Arméniens transformés en anglicans me semblent des protestants de camelote. Le tombeau d’Esther et de Mardochée est un petit mausolée assez ramassé et d’un mystère agréable. On y voit les deux coffres sous lesquels reposent le sauveur d’Israël et la charmante Esther. Je la trouve d’ailleurs beaucoup plus charmante à Paris. Elle est nationalisée par Racine. En réalité, elle devait porter des faux cheveux, elle avait des sourcils rapprochés et cet air d’inquiétude et d’ambition qui caractérise le peuple au fond mal organisé pour le plaisir de vivre. On voit une inscription hébraïque d’ancien style au mur, annonçant que le monde entier s’intéresse à la sépulture de Mardochée, aux murs se lit en caractères hébraïques la généalogie des rois juifs jusqu’à Saül. Les Persans vénèrent aussi le mausolée293 en souvenir des anciens rois juifs. Les Juifs dont les anciens rois jouaient un rôle bien supérieur à celui qu’ils ont aujourd’hui. 293  Dans le manuscrit, « monastère ».

386

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

Le tombeau d’Avicenne est une pierre qui remonte à neuf cents ans. Un coffre de pierre orné d’inscriptions. Un extraordinaire derviche en fait les honneurs. Les Italiens ont conquis le Caucase commercialement. Les Russes fournissaient à la Géorgie son armature administrative. Sans les Russes, les Géorgiens ne sont plus rien. {291a} Ils n’étaient que façade. Le travail d’un État leur échappa. Les voilà maintenant délivrés des Russes, des Anglais. Ils sont profondément germanophiles et les Italiens sont en train de les coloniser. Une banque italienne s’est ouverte à Tiflis. On trouve à Hamadân, à Kermânšâh, à la descente de l’Alvand, d’excellents raisins noirs qui sentent déjà le soleil du midi. Hasanâbâd, comme tous les villages importants, possède son tépé, château-fort bâti au milieu des maisons. À Hamadan la Suisse a pris en main à Tauris, à Soltânâbâd, à Kermân, à Mašhad, la succession de la Compagnie de tapis allemande. Ils exportent des tapis en quantité pour l’Amérique où chaque ouvrier veut avoir son tapis persan. Ils importent des produits pharmaceutiques, des montres, des souliers. Mais voici que les Allemands reprennent le chemin de la Perse. Ils reviennent déjà à Hamadân. 24 octobre 1921 Il y a à l’école américaine d’Hamadân 200 garçons et 100 filles. Sâlâr od-Dowla, fils de Mozaffar od-Din [Shah], est en Mésopotamie, recrutant des partisans. Les Anglais le poussent comme autrefois les Allemands. Il dispose d’une assez grosse influence dans la région de Kermânšâh, où il a contracté de nombreux mariages avec les filles des grandes tribus. Il a des terres dans cette région, il est riche mais le {291b} Gouvernement persan confisque ses revenus. Il avait rassemblé 30 000 hommes qui vivent à [170] farsakh de Téhéran. Farmân-Farmâ mit fin à cette rébellion par son énergie. La comtesse de Clermont-Tonnerre, à cette époque, accompagnait Sâlâr od-Dowla. Elle refusa de serrer la main à Yefrem [Khan]. Le chef de poste de Rezan m’a volé un porte-manteau. Il refuse de le rendre au gouverneur en disant qu’il ne dépend que de son chef. Sâlâr Laškar lui répond qu’il sera révoqué demain si le colis n’est pas rendu. Départ ce matin du palais du gouverneur à 6h30. Celui-ci a envoyé hier soir à Marie un [sarouel] moderne de grande valeur. Nous partons en auto avec les Graux. Voyage agréable. On trouve d’abord le col d’Asadâbâd. C’est une passe difficile en hiver. La neige s’y accumule. On y passe entre deux murs de neige. Puis nous arrivons dans de grandes plaines dorées, absolument désertes, sur lesquelles s’ouvrent

Du 24 août au 28 octobre 1921

387

de larges vallées. Nous sommes dans la région des tribus. Celles-ci sont particulièrement sauvages. On conte sur elles {292a} des traits impayables, des exploits de cavaliers. Une nuit ils ont volé au camp anglais 200 chevaux et les Anglais ne s’en sont aperçus que le lendemain. Une nuit les tribus ont attaqué les Russes ; ils avaient coupé 70 têtes en silence, avant que leur attaque ne fût éventée. Tout cela n’a rien de surprenant si l’on regarde les types kurdes des environs de Kermânšâh : c’est un type aristocratique et sauvage. Il a beaucoup de chic. Les hommes sont étonnants de netteté dans les traits, de feu dans le regard et les femmes s’habillent avec une rare élégance. Elles enroulent au sommet de leur tête un haut et large diadème de voile noir, elles s’enveloppent gracieusement le menton et le corps des plis de ce voile. Elles marchent [fièrement] comme les Arabes. Leurs cheveux s’échappent en deux plats sur les joues, encadrant un visage maigre et buriné, des yeux admirables, des figures à la fois angéliques et diaboliques qui consolent des fadeurs de la civilisation. Ce sont vraiment les Perses. 25 octobre 1921 Havard a postulé deux fois, en 1920, en 1921, pour avoir la direction de l’alimentation. Celle-ci vient d’être redonnée à Molitor, avec [Hakim] comme souschef. Havard désirait affamer la population et presser sur le Gouvernement. Les Belges sont un gros obstacle aux desseins anglais. Ils sont là. Le Président du Conseil Qavâm os-Saltana, a dit à M. de Raymond qu’on ne gardait Molitor que par amitié pour lui. Les Persans, qui disent qu’ils sont heureux de se délivrer des Anglais, au fond finiront par retomber sous leur joug par incapacité. Les Anglais préparent un nouveau coup qui mettra la Perse à leur merci. Car il leur faut la Perse. La Banque ne fournit plus de traites. Le commerce est paralysé : les Persans sont obligés de payer en or ou en argent, dont l’exportation est défendue. Il se fait une exportation formidable d’or. Les spéculateurs s’en mêlent. Ils font sortir l’or par Mohammara, achètent des roupies à Bagdad, les convertissent en kran à Kermânšâh et réalisent ainsi des bénéfices colossaux. La Perse s’appauvrit, mais l’Angleterre s’en moque. Les revenus des douanes du Sud sont affectés au paiement du capital et des intérêts des emprunts anglais. {293a} Le commerce non anglais est paralysé. [Mesdibaet] vient de brûler à Bagdad et le feu a été mis aux quatre coins de l’établissement. À Tauris les marchandises arrivent avariées : de l’huile dans les biscuits, de l’acide dans le fil, de la rouille dans les épingles à cheveux. Tout est systématiquement saboté. L’assurance paye mais les exportateurs français se fatiguent.

388

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

Il y a à Kermânšâh un vice-consul anglais, un vice-consul russe qui ne fait rien. Un représentant de la Banque ottomane qui commence à faire des affaires, un directeur de la Banque impériale de Perse, la maison Barrot (peaux). Ce qui est charmant à Kermânšâh, ce sont les Kurdes, leur costume pittoresque, leur air sauvage et hardi. Impossible de télégraphier de Kermânšâh à Bagdad à moins de 48 heures. Nous visitons avec M. Guillaume Tâq-e Bostân, près de Kermânšâh. C’est une pierre sculptée du temps des Sassanides. Elle représente le triomphe d’un Chrosroès sur les Romains. L’empereur romain est foulé aux pieds par le roi perse. Plus loin, une grotte renferme deux {293b} personnages debout, dont l’un tend à l’autre une couronne mais la grotte la plus importante est celle qui contient en ronde bosse la statue debout de Khosrow, celle de Širin, celle de Sapor et la statue équestre de Rostam, le héros fabuleux, la lance sur l’épaule, le bouclier au poing, le carquois au côté, sur un cheval admirablement caparaçonné. Aux murs se déroulent deux [scènes] sculptées étonnantes, l’une une chasse au sanglier, l’autre une chasse à la gazelle. L’attitude des animaux, l’animation de la scène, la disposition décorative, volontairement fantaisiste, simple fresque, qui ne vise qu’à l’effet d’ensemble et non à la vérité du détail, tout est à retenir de ces morceaux qui évoquent une belle tapisserie du MoyenÂge, évidemment inspirée de Byzance et de ces sculpteurs sassanides. L’art qui se survivait. La grâce des profils, la pureté des lignes, l’harmonie des mouvements, les personnages royaux disproportionnés, poursuivant le gibier, tout est d’un heureux effet. Dans l’une des fresques, le roi chasse dans les marais en barque, il chasse avec sa compagnie le canard sauvage, {294a} le sanglier. Des éléphants montés l’accompagnent. Dans l’autre le roi poursuit la gazelle à cheval. L’attitude des hordes de sangliers fuyant, le bond des gazelles épouvantées, comme tout cela est bien observé, que de détails et que de clarté. Quelles forces en même temps dans ces rois en action. Les trois personnages, bien qu’un peu lourds et empâtés à la manière byzantine, sont pleins de noblesse. Chosroes dans sa cuirasse est magnifique, Širin opulente et gracieuse, Rostam beau comme Roland. Les miniatures persanes ont représenté une autre Širin, nue, derrière un voile, prenant son bain, tandis que Chosroes passe à cheval et la contemple, avec le geste de la concupiscence, le doigt dans les lèvres. Toute la différence de la rude époque des constructeurs et des arts charmants d’un pays vaincu. Ces pierres, celles de Bisotun, ont une importance capitale dans l’histoire de l’archéologie. L’inscription en trois langues, mède, assyrien, persan, qui se trouve au dessus de la figure de Darius, fils d’Hytaspe, {294b} à Bisotun, a permis de déchiffrer pour la première fois l’écriture cunéiforme. Burnouf a été le découvreur de cette science, comme Sylvestre de Sacy sut lire le premier

Du 24 août au 28 octobre 1921

389

l’inscription pehlevi de Taxt-e Bostân, comme Anquetil-Duperron avait le premier déchiffré le Zend[-Avesta] dans les vieux manuscrits parsis de l’Inde. La perse est une terre où la science française est chez elle. Suse est notre œuvre. Mais pourquoi ne fouillons-nous pas sous Hamadân-Ecbatane, et Pasargades et Rey, et ici, sous le rocher de Bisotun et de Taxt-e Bostân, la capitale de Semiramis. Les villes de Perse ont une assiette admirable. Leur site est choisi à dessein. Le paysage de Kermânšâh, sa large plaine, ses montagnes élancées et d’une forme audacieuse, le type royal des gens des tribus dans cette région, tout enseigne qu’ici fut bâtie l’une des grandes capitales du monde et que des palais royaux s’y sont élevés. Sur ses rochers étaient suspendus les fameux jardins de Sémiramis. Aujourd’hui des jeunes grimpent sur la pointe {295a} des pieds vers ces hautes terrasses pour y cueillir un brin de thym parfumé, dernier arôme de la montagne qui fut jadis habitée par la richesse et par la volupté. De ces grandes époques ces monuments sont les témoins. Tout ne meurt pas du souverain qui vingt quatre siècles plus tard continue à enseigner aux hommes qu’il a vaincu Babylone. Les pierres se dressent à des hauteurs vertigineuses sur le flanc d’un rocher dont le pied baigne dans une source limpide. On comprend même l’orgueil persan quand on voit de quels héros descendent ceux d’aujourd’hui. Les tribus des environs de Kermânšâh sont en querelle : [Kabir] et [Janbali]. Sardâr Rašid est chez les [Khabar]. Les tribus constituent toujours une menace pour Kermânšâh. Elles intriguent en ville. Le type des Kurdes est un magnifique spécimen de race guerrière : les hommes sont bien découplés, les femmes d’une délicatesse de traits, d’une maigreur aristocratique. Plus nobles dans leur misère que les Espagnoles. Les meilleures danseuses de Perse viennent de la tribu des Sosmanlis, près de Kermânšâh. {295b} Je suis certain que ce pays est l’un des plus intéressants de la Perse. J’irai rendre visite un jour à Senna à Mgr Nissan. Les sarrâf persans sont d’habiles gens. Ils en remontrent aux banquiers européens. Les sautes des cours sur le marché des changes sont inexplicables. Elles rendent les opérations de banque très difficiles. Un sarrâf d’Hamadân envoyait ses kran à Constantinople, les changeait en livre sterling, achetait des roupies et les reconvertissait en kran. Cette opération lui rapportait de 20 à 30%. Il la renouvelait quatre fois par an. Il se fait en ce moment une exportation d’or formidable. On achète des roupies à Bagdad. La roupie se vend quatre krans à Kermânšâh, tandis qu’elle vaut en réalité 2 kran ½. La Banque ottomane offre d’acheter au prix des traites sur le Trésor de la Légation.

390

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

La Perse est en train de se ruiner, de se vider de tout son or et de tout son argent, seule richesse qui lui restait. Elle n’exporte rien. {296a} Le vice-consul d’Angleterre se plaint d’héberger trop de visiteurs : cent trente en six mois. Sa femme déclare qu’elle ne veut plus faire le métier de maîtresse d’hôtel. Les Anglais avaient fait de Kermânšâh une base importante ; il y avait un état-major à Kermânšâh, un camp à Kângâvar, un camp à Bisotun, un camp à Hasanâbâd. Ils occupaient Zanjân : ils craignaient d’être coupés par un mouvement tournant parti d’Azerbaïdjan. 26 octobre 1921 L’orge coûtait 25 tomans à Hamadân, il coûte 7 tomans à Kermânšâh. Le blé coûtait 30 tomans à Hamadân. Le gouverneur, inquiet pour l’avenir, [accumule] des pommes de terre pour l’hiver. Le bureau des douanes de Kermânšâh est l’un des plus importants de la Perse. Il fait 8 000 tomans par jour actuellement, il en faisait 20 000 avant la Guerre. Nous arrivons à Kârand le soir après une journée assez courte d’auto, où nous croisons les charriots qui reviennent, vides, de la frontière mésopotamienne, où ils ont transportés des troupes de pèlerins. Quelques-uns ramènent des Assyro-Chaldéens, les derniers, {296b} rentrent vers Hamadân et Tauris. Les Anglais ont tenu ces populations captives depuis deux ans. Ils leur ont fait miroiter l’espoir d’une patrie. Ils les ont fixés près de Mossoul. Ils en ont établi dans la région kurde mais dans de telles conditions qu’ils les exposaient à la mort. Les Assyriens se sont battus pour eux en 1918-1919 et encore récemment pendant la révolte arabe, ils ont sauvé la mise à Bakuba. C’est eux qui ont résisté tandis que les troupes anglaises prenaient la fuite, leur énergie durant quarante huit heures a sauvé Bagdad et permis aux Anglais de se ressaisir. Dans les montagnes du Nord-Ouest de l’Assyrie ils réussissent parfaitement et font de bons agriculteurs. Mais ce peuple a été trahi par son clergé. Le patriarche Emmanuel [Uroman ?] qui est très bien en cours au Vatican, a été se réfugier auprès du général Gouraud. Celui-ci lui a donné des sommes énormes pour développer l’enseignement du français dans les écoles chaldéennes. À peine de retour [Mgr ?] {297a} le patriarche a repris sa politique anglophile. Le français est banni des écoles assyriennes. Les Assyro-Chaldéens ne pourront gagner la frontière syrienne parce que les Anglais s’y opposent et [voulurent les ?] et entretiennent une zone dangereuse sur la frontière pour empêcher tout contact. Nous avons traversé de Kermânšâh à Karand un pays de larges vallées désertes, peuplées de grands troupeaux, toutes inclinées du Nord au Sud et dont les cours se déversent vers le Kârun.

Du 24 août au 28 octobre 1921

391

On rencontre sur la route des kârâsurân dont l’aspect est peu engageant. Ils nous demandent parfois de nous accompagner, c’est une garantie douteuse. On soupçonne les kârâsurân d’avoir attaqué l’autre jour et tué les voyageurs d’une auto entre Karand et [Terank ?]. L’accident s’est produit à neuf heures du soir. Les malheureux avaient les poumons et le cœur arrachés. Beaucoup de tentes noires, en poil de chèvre dans la vallée. Les populations que nous {297b} retrouvons sont kurdes. Le costume des femmes est toujours décoratif, hauts tissus, pièces d’argent battant sur la poitrine, visages réguliers, quelques uns d’une beauté délicate. À Karand nous trouvons un village animé, les traces d’un camp immense abandonné : il y a en a d’ailleurs tout le long du trajet. C’est ici que les familles des Anglais de Bagdad passaient l’été de 1920, au moment de la grande alerte. Les Anglais ont liquidé ce qui pouvait se vendre des habitations. Boiseries, portes et fenêtres, toits. Ils ont laissé les murs et les boîtes de pétrole. Les habitants glanent dans ces débris, trouvent le moyen avec des pneus abandonnés, les vieilles caisses d’auto, les montants disparates, de faire des autos neuves – qui sont revendues à Bagdad un prix considérable. Partout nous trouvons la trace du recul des Anglais. La route est jalonnée de leurs camps abandonnés. À Karand le soir des cafés chantants nous distraient, ils inondent notre misérable hôtellerie, [infamie,] et des danseurs persans, beaux, lascifs et grimaçants, se livrant à des contorsions au son du tambourin et des castagnettes. Leurs justaucorps {298a} de velours pourpre, leurs cheveux rejetés en arrière, leur air de félins amoureux plaît à ce public passament faisandé. Pourtant ces Kurdes ne donnent pas l’impression de fadeur des Persans de Téhéran. Les Allemands reviennent en Perse. Un représentant de la Hamburg Amerika Linie qui faisait avant la Guerre le commerce d’importation et d’exportation concurrençant Lynch vient de rétablir ses bureaux à Téhéran. Nous avons assisté depuis quelques mois à la série des manœuvres suivantes : Mansur Baxtyâri a [essayé] de s’emparer de Samsâm os-Saltana pour le donner contre le shah. Celui-ci, travaillé par Rothstein . . . refuse. Samsâm s’est retiré à temps de cette entreprise vouée à un échec. La tentative MohammadTaqi Khan vient d’échouer. La tentative Sâlâr od-Dowla serait la nouvelle carte à jouer. Les Anglais disent couramment qu’ils reviendront en Perse avec une armée, qu’ils reprendront la Perse et que les avions anglais auront raison des Persans. {298b} 27 octobre 1921 Lucifer se lève dans un ciel encore roux où s’attarde un croissant de lune. C’est l’astre que les Yazidi adorent. Les caravanes se mettent en route avant le lever

392

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

du jour. Elles passent devant notre porte, leurs voix s’élèvent, pures et graves, avec le bruit des grelots et des chevaux. Ce sont des cavaliers qui vont à Kučân. Ils parlent dans leur chant de la mort de Hoseyn et hier nous avons vu un pèlerin qui venait à pied de Kuč, son drapeau vert sur l’épaule. Ces files de pèlerins traversant le village en chantant, ils descendent vers la riche plaine mésopotamienne, où se trouvent enterrés des milliers de chi’ites et l’[ ?] plein de l’Iran. Ainsi cheminaient jadis sur nos grand routes qui se rendaient à SaintJacques de Compostelle ou à Rocamadour, ou vers Rome et Jérusalem. L’ardeur du voyage (pèlerinage, ziyârat) reste le grand ferment de la vie persane, non, ce peuple ne dort pas. Il ne faudra rien, son esprit est négatif et destructeur mais il reste vif et nerveux. Ce village avec des musiciens, des danseurs, cet air de fête, les caravanes au [ ?], des grands Kurdes élancés et puissants offrent une image agréable, la dernière que nous emporterons de la Perse. {299a} Femmes kurdes noblement drapées qui passez sur la route, la cruche sur l’épaule, race indocile et fière, femmes aussi courageuses que les hommes qui cassez des cailloux sur le bord des chemins mais qui semblez sous vos tiares et bijoux d’argent, des reines malgré tout, cent fois plus reines que d’autres, tailles droites, cous rigides, regards hardis et francs, visages pleins de fruité, dents éclatantes, élégant sourire, aristocratie des tribus, armature du monde iranien, peuple libre et qui n’attend sa liberté de personne mais qui la prend. Vous êtes l’image que je veux emporter de cette Perse, un fond indomptable, qui garde dans ses yeux la trace des anciennes victoires. Parthes insoumis, Mèdes conquérants, pays du Roi des rois. Que d’autres s’en moquent. Il y a ici comme dans un autre coin du monde que je connais un ferment de liberté que rien ne pourra étouffer. Nous arrivons à midi à [Chogodar]. Nous y trouvons un Chaldéen receveur de douanes qui a crénelé sa maison contre les voleurs, et qui vit avec son fusil, sa femme et ses domestiques, lardés de cartouches. La dernière partie de la route, défilé de Taxt-e Saxt, est d’une rare sauvagerie. Le paysage rappelle les lieux les plus desséchés de l’Espagne (veste courte, turban frangé, tout cela est aussi l’Espagne). {299b} Nous trouvons un gars Baghdadien réjoui, M. Ham, qui nous abrège les formalités du voyage. Il faut donner une certaine quantité de roupies, [cédant] à la civilisation dans laquelle on retombe avec le train, qui ne me cause aucun plaisir. Timank d’où part le train est un affreux [marais] désert. Bientôt le train partira de Xâniqin. On rend de plus en plus difficiles les communications entre la Perse et l’étranger.

Du 24 août au 28 octobre 1921

393

Quelle affreuse tristesse que cette gare après tant d’espace parcouru, tant de libertés. 28 octobre 1921 Nous roulons ce matin dans une plaine de terre noire, argileuse, poudreuse, dans laquelle on distingue des levées de terre, traces des anciens canaux abandonnés. L’horizon est plat, à l’infini s’étendant aux champs d’alluvions qu’il suffirait d’irriguer et d’ensemencer ? Levées avant le jour, les caravanes cheminent par troupes de cavaliers, serrées, les chevaux arabes fendent avec légèreté ce sol moelleux. [. . .] {304b} Dîner avec Sardâr Akram. Il nous conte l’histoire de Mošâr ol-Molk. C’est Firuz qui a tout imaginé, il a inventé le complot. Un type est venu trouver Sardâr Sepah et lui a dit : « Je vous apporte ce révolver et 5 000 tomans qui m’ont été donnés {305a} pour vous tous. Celui-ci l’a cru. Mošâr ol-Molk, affolé, s’est réfugié à la cour, on l’a expédié à Hamadân. Là, un télégramme l’a arrêté. Un officier des cosaques et 5 cosaques sont arrivés et ils ont donné l’ordre à l’autre de sortir de Hamadân à 5 heures du soir. La nuit allait tomber. Une fois dans la campagne, le pauvre Mošâr ol-Molk a vu son auto arrêtée, le chauffeur [ ?] et l’officier de cosaques lui a présenté un papier en le priant de le signer. C’était sa démission de député sans conditions. Mošâr ol-Molk a d’abord refusé de signer. Puis comme il craignait d’être assassiné, il a signé. Son auto a continué dans la nuit jusqu’à Kermânšâh. C’est le ministre Rothstein qui a imposé à Qavâm os-Saltana le choix de Mosaddeq os-Saltana, parce qu’il était anti-anglais. Il fait les ministères. Mošâr ol-Molk s’entendait avec les Anglais. Le bruit se confirme d’une arrivée de deux divisions à Bassora. Elles auraient pour mission d’opérer contre la Perse. On va tenter un nouveau coup, ce qu’explique la présence ici de Major Noël, capitaine Warren, Sardâr Akram, Monypenny, etc. Bagdad est sur pied de guerre. Le plan doit consister à créer une république dont Vosuq serait président et à faire filer le shah qui ira soigner ses [ ?] en Europe et ne reviendra plus.

394

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

Textes sans date rédigés et dactylographiés294

Le shah s’ennuie Dans les cours du palais les domestiques en livrée bleue et les coureurs du shah en veste rouge sont assis sur les marches des terrasses et ils respirent l’odeur étouffante des roses dans ce bel après-midi d’été. De fontaine en fontaine, par des canaux pavés de lapis-lazuli, l’eau fraîche de la montagne coule dans le jardin rempli de fleurs, de treilles, de berceaux et de tonnelles. Elle arrose le pied des platanes gigantesques qui frémissent dans l’air léger. Des enfants habillés comme des princesses de légendes jouent au bord d’un bassin où le soleil jette des pastilles d’or et s’amusent avec la peau d’un tigre du Mâzandarân qu’un vieux chasseur a tout à l’heure apporté sur son dos après dix jours de marche. Le chasseur est parti, content, parce que le shah lui a donné une pièce d’or et le shah a donné la peau de tigre à ces enfants pour qu’ils s’en amusent car lui ne s’amuse de rien. Comme elles sont longues, les journées royales, plus longues que celles des autres hommes, comme le palais rempli de serviteurs dont aucun n’élève la voix est grave, comme on aimerait dans ces bosquets entendre un rire jeune qui fuse comme un jet d’eau. Mais les femmes du shah ne se promènent pas dans le jardin, de peur d’être vues et les enfants du shah ne rient pas plus que leur père. Tous portent une longue redingote et à quatre ans, ils savent déjà composer leur visage. Le soleil entre sans se faire annoncer dans les appartements de Sa Majesté, il s’assied dans les fauteuils de velours de Gênes, il se mire dans les mille glaces dont les murailles et les plafonds sont lambrissés, il joue sur les fleurs des tapis et il fait chanter les rouges de Samarcande et les bleus de Varâmin et les pourpres de Soltânâbâd et le velours sombre des Baloutches. Il brode sur les Bakhtyâris des festons d’étincelles, il caresse les roses d’Ispahan. Mais il est le seul qui s’amuse dans ce grand palais où le murmure des eaux répond à celui des colombes, comme une plainte alternée. Le maître des cérémonies a tout à l’heure ouvert un paquet de romans qui viennent de Paris, fraîches nouveautés : il y a des vers, des pièces de théâtre et des histoires d’amour. Mais Sa Majesté n’a daigné passer son couteau d’ivoire entre les pages. Il a jeté un coup d’œil distrait sur les couvertures jaunes puis il est retombé dans sa mélancolie. Quelle joie lui réserve cette fin de journée ? La visite d’un ambassadeur, un prince qui viendra solliciter pour ses favoris, le premier ministre tour à 294  Textes non classés trouvés dans les Papiers d’agent de Georges Ducrocq aux Archives diplomatiques. Notes rédigées à partir de passages disparus du Journal.

TEXTES SANS DATE

395

tour servile et insolent qu’il faudra supplier de garder son portefeuille, des réclamations, des requêtes, des salutations, des courbettes, des sourires de courtisans. Pourtant le ciel est doré comme une étoffe de Yazd et ce doit être délicieux de galoper dans la plaine aujourd’hui, droit devant soi, en respirant l’air léger des montagnes, en buvant cette clarté unique du ciel de Perse dont les yeux demeurent la nuit encore tout éblouis. Il serait bon d’entendre, sur son cheval de Chiraz prompt comme le vent, battre son sang dans ses artères et de poursuivre jusqu’à la première étoile une gazelle qui fuit vers les sables du sud. Mais le shah ne sort qu’avec cent cosaques d’escorte. Il aime mieux les laisser dormir sous ses fenêtres. Son automobile aussi dort dans le hangar. Ses chevaux dorment dans l’écurie. Ses livres dorment dans sa bibliothèque. Son argent dort dans ses coffres. Ses femmes dorment sur des divans et lui-même s’endort d’ennui, écrasé par un luxe sans nouveauté, fléchissant sous la couronne trop lourde des Qâjârs que Nâser od-Din Shah, son grand-père, portait sur le coin de l’oreille comme un kolâh. La nuit tombe, le shah demande son thé et le boit, seul, avec des gants, dans une tasse de porcelaine de Chine. Dehors, on entend les cosaques qui font leur prière et les chevaux que l’on fait boire et qui hennissent de joie. Demain sera comme aujourd’hui lumineux et vide et le shah baille d’ennui, songeant à sa jeunesse, au protocole, à Monte-Carlo et à Paris. La manière forte « Il vaut mieux que la fourmi n’ait pas d’ailes » (Sa’di) Un événement singulier soulève l’opinion. Le prince [Mostafi ed-Doleh295] a été enlevé hier au milieu de la rue, en plein jour, et transporté vers une destination inconnue. Il était le principal levier de l’opposition. C’est ainsi qu’on le brise. Les détails de ce coup de force jettent un jour curieux sur les façons de procéder de l’Angleterre en Orient. Mostafi ed-Doleh, offrant dans sa maison un dîner intime – quelques chefs de tribus, avait exprimé sans détour son opinion sur la politique du gouvernement britannique. Il la juge imprudente et vouée à un échec certain en Perse, il avait eu l’audace de le dire. Un rédacteur du Daily Telegraph assistait à cet entretien. Il fit à son ministre le rapport d’usage et voici comment la perte de Mostafi od-Doleh fut décidée. On le pria de venir prendre une tasse de thé à la Légation. Il se rendit sans aucune méfiance à cette aimable invitation. Le goûter et les gâteaux lui furent offerts avec courtoisie ; rien ne pouvait lui faire soupçonner le piège qui l’attendait. 295  Non identifié, probablement un nom forgé . . . 

396

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

Comme il prenait congé et faisait avancer son automobile, le ministre d’Angleterre le reconduisit sur le pas de sa porte et ils se quittèrent les meilleurs amis du monde. La voiture se dirigea vers les quartiers populaires du Bâzâr où le palais de Mostafi ed-Doleh est encastré dans un labyrinthe de petites ruelles et d’arcades voûtées. Comme il arrivait devant le souk des cordonniers, il y trouva un embarras de carrosses qui lui barrait la route de telle sorte qu’il ne pouvait ni avancer ni reculer. Un officier de l’Intelligence Office se détacha alors de la foule et s’avança pour lui proposer de quitter sa voiture en panne et de monter dans la sienne qui se trouvait un peu plus loin et avait le champ libre. Mostafi ed-Doleh y était à peine installé que l’homme au volant partit comme un éclair. Le malheureux voulut pousser un cri : deux révolvers braqués sur sa poitrine l’obligèrent à livrer incontinent ses armes et ses papiers. L’automobile tragique fut aperçue sur la route de Mésopotamie le lendemain. Elle allait à grande allure, vitres levées et stores baissés. Comme la femme du prince, prise d’inquiétude, téléphonait à la Légation d’Angleterre pour avoir des nouvelles de son mari, on lui répondit qu’il rentrerait assez tard dans la soirée, retenu par une affaire d’État. Toute la ville connut le soir l’événement, mais l’auto était déjà loin. Une opération de ce genre ne peut réussir sans causer quelque scandale. La personnalité de la victime éveille jusqu’au fond du Bâzâr une rumeur qui grossit. Cette manière inélégante d’escamoter ses adversaires est-elle digne d’une grande puissance ? Deux aéroplanes ont tourné sans relâche sur les têtes en ébullition afin de leur rappeler que la crainte des bombes doit dicter leur conduite. « L’occidental se fait détester par des procédés aussi cavaliers. Que ces tours de jongleurs et ces esclandres se retrouvent dans nos mœurs politiques, il n’en résulte pas que l’Européen doive sur ce point nous imiter. Il nous avait accoutumés à des façons plus loyales et plus chevaleresques. S’il emploie contre nous les intrigues du sérail et les guet-apens des policiers asiatiques, quel respect pourrons-nous garder pour lui ? et pense-t-on par de tels moyens gagner notre estime et conquérir notre amitié ? La parole d’honneur « Ils ont fait un jeu de la religion. Ils se sont laissé séduire par les charmes de la vie mondaine » (Koran) Nous jurons par le Coran. C’est une chose grave que d’engager sa parole, la main sur les livres saints. Allah punit les parjures et les blasphémateurs. Nous avions récemment dans la région d’Ispahan un brigand qui faisait de grands dégâts, qui maltraitait les voyageurs, pillait les caravanes, rossait les gendarmes que l’on envoyait contre lui et se livrait à cette industrie depuis trente ans, sans qu’aucun gouvernement eût jamais pu l’en empêcher.

TEXTES SANS DATE

397

Son fils avait suivi son exemple et pratiquait avec la même dextérité les mêmes rapines. Nâyeb Hoseyn était un roi des montagnes, Mâšallâh Khan son prince héritier. Tous deux possédaient dans un lieu reculé des trésors bien gardés, butin de leurs expéditions. Un ministère eut l’idée de confier le gouvernement de la province de Kâšân à Nâyeb Hoseyn et il s’acquitta de ces délicates fonctions aussi bien que les gouverneurs ordinaires. On remarquait même, sous son autorité, que les routes étaient devenues plus sûres et la circulation plus facile. Mais un autre ministère détruisit ce qu’avait fait le précédent et Nâyeb Hoseyn reprit son ancien métier, pilleur de caravanes et justicier de grand chemin. La sagesse de l’Orient est faite de ces risques auxquels les gens les plus fortunés doivent se soumettre. Le président du conseil actuel résolut d’en finir avec Nâyeb Hoseyn et Mâšallâh Khan. Il dépêcha à ces rusés renards un mollâ expérimenté de Téhéran qui leur proposa un sauf-conduit du chef du gouvernement. Celui-ci leur jurait, sur le Coran, que s’ils venaient dans la capitale expliquer leur conduite et conférer avec le gouvernement, leurs personnes seraient sauves et leurs biens respectés. Une sauvegarde, appuyée sur de tels gages, parut digne de confiance à ces brigands, pourtant rompus à tous les vieux stratagèmes. Mâšallâh Khan, suivi de 200 cavaliers qui montaient ses plus beaux chevaux, vint à Téhéran, mais il s’arrêta aux portes de la ville, dans la sainte mosquée de Shah ‘Abd ol-‘Azim, où sont enterrés Nâser od-Din Shah, ses ministres et une foule de grands et puissants personnages, dans l’enceinte sacrée. Il vécut plusieurs jours dans ce lieu d’asile, se méfiant de quelque traquenard, mais le président du conseil le fit prier avec tant d’insistance et de chaleur de se rendre à la maison de campagne qu’il habitait pour y avoir avec lui un entretien qu’il désirait depuis longtemps que le bandit se laissa prendre à ces mielleuses avances. Comme il sortait de l’audience où il avait été comblé d’amabilités, un colonel suédois, au service du gouvernement persan, l’arrêta sur la grand’route de Šemirân à Téhéran. Il voulut résister : on lui mit le pistolet sous la gorge. Ses partisans, cernés par les gendarmes, soutinrent dans la mosquée un siège de deux jours. Mâšâllâh Khan ne fut même pas jugé. Il fut pendu sur la place publique avec son fidèle lieutenant. Son fils mourut de ses blessures en prison et son père Nâyeb Hoseyn fut supplicié à son tour pour la plus grande joie du peuple téhérani. Le président du conseil regrettera peut-être un jour de s’être moqué des Livres saints et d’avoir violé, même pour le bon motif, son serment. Les mœurs persanes

398

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

Les mœurs asiatiques sont pour Lessine un perpétuel sujet de découvertes piquantes qu’il me confie afin d’en contrôler l’exactitude. Je redresse sans pitié ses extravagances quand je le vois dérailler sur une fausse piste. L’opinion s’égare si facilement en pays exotique. Je lui rappelle quelle ridicule et rapide impression la plupart des étrangers emportent de Paris et de quelle façon les mœurs françaises sont calomniées dans l’univers. Il sourit et me promet d’éviter les jugements téméraires. « Les hommes, lui dis-je, ont besoin de magie. Le mystère que vous mettez dans le mot Orient, nous le mettons dans le mot Paris. Chacun de nous cultive ses illusions. Comment peut-on vivre sans rêves ? – « Ce qui n’est pas un rêve, me dit-il, c’est votre vir patriarcale et féodale. Je ne la soupçonnais pas avant de vous connaître. Je ne pouvais m’imaginer qu’en plein vingtième siècle un pays aurait pu conserver si intactes, si originales, des habitudes et un train de vie qui rappellent l’existence de nos barons du Moyen-Âge. » « – Vous n’en avez qu’une faible idée, lui dis-je. Je voudrais vous faire connaître un de nos grands seigneurs qui vivent sur leurs terres et qui chassent toute l’année avec leurs lévriers et leurs faucons. L’équitation et le tir sont leur unique passe-temps mais si vous les voyiez abattre au galop l’oiseau volant vous seriez ravi d’admiration. » Naturellement Lessine est très intéressé par les femmes persanes et il m’accable de questions sur la manière dont elles vivent, dont leurs maris les traitent, dont elles se conduisent. Les voiles sont pour lui pleins d’attraits. Il leur prête dans son imagination des trésors cachés que la réalité ne manquerait pas de démentir mais dont il lui plaît d’amuser son esprit. Un de ses divertissements favoris est d’essayer de deviner par les signes extérieurs de la toilette, le soulier et sa boucle d’argent, le bas de soie, le gant, l’étoffe du tchador et la façon dont il est porté à quelle catégorie sociale la passante appartient. Il raffole de ce genre d’énigmes qu’il déchiffre, je dois le dire, avec une sûreté et une perspicacité qui m’étonnent. En ces matières, il me paraît docteur. Nos mollas se sont récemment émus des transformations aventureuses du voile et de la chaussure féminine. Ils ont condamné les souliers découverts, les bas à jour et le tchador qui s’entrouvre sur une jambe trop bien faite. Désormais les femmes qui vont à pied dans les rues de la ville porteront le pantalon à la persane, serré aux chevilles, comme dans l’ancien temps. Quelques femmes se sont soumises à ce décret. D’autres continuent à suivre la mode européenne et Lessine en est fort heureux. Mais l’ordonnance qui interdit aux femmes de circuler dans les rues de la capitale après le coucher du soleil est toujours en vigueur. Dès que le soir tombe, les fantômes disparaissent. Lessine ne me cache pas qu’une telle habitude lui semble bien maussade. La rue, le bazar, dépouillés de ces travestisse-

TEXTES SANS DATE

399

ments qui irritent sa curiosité, n’ont plus de charme pour lui, les étoiles ne le consolent pas des yeux vivants qu’il aime à contempler sous les masques, à travers le grillage d’un loup trop transparent ou parfois même à découvert, si la belle est hardie ou la vertu sans vergogne. Je lui révèle que dans nos tribus les femmes ne se voilent pas et participent aux jeux, aux danses et aux fêtes publiques, le visage nu. Il voudrait immédiatement organiser une caravane chez les Bakhtyâris. Le féminisme fait quelques progrès en Perse et plusieurs de ses adeptes circulent, dévoilées, bravant l’opinion publique, le regard courroucé des dévôts et les moqueries de la canaille. La plupart de ces émancipées font malheureusement regretter leur audace et la révélation de leurs visages est une grande désillusion pour Lessine qui attendait mieux. Mais le jour où je lui avoue qu’aucune femme distinguée ne circule à pied dans les rues de Téhéran et que toute beauté qui se respecte a son carrosse ou son fiacre, je porte à ses rêveries un coup mortel et le peuple des ombres n’a plus d’attraits pour lui. Nous avons assisté ensemble à un mariage persan. La foule des invités remplissait les jardins, les cours, les escaliers et les appartements du vieux prince qui mariait sa fille. Il y avait, comme à l’ordinaire, une profusion de friandises, de tapis, de cristaux, de vases et de miroirs qui formaient un spectacle réjouissant. Les musiciens jouaient sur la flûte et le tambourin des airs de circonstance, des mélodies aiguës et passionnées. La chaleur était étouffante et l’air saturé de parfums d’accacias, d’encens et de cigarettes. Lessine fut surtout impressionné par le maintien des assistants. Une étiquette rigoureuse présidait aux moindres détails de la cérémonie et tous les invités, assis par terre, se levaient quand un grand personnage, un ancien président du conseil ou quelque mojtahed, faisait son entrée solennelle dans la salle. On lui cédait immédiatement la meilleure place et on ne s’asseyait devant lui que par ordre hiérarchique, chacun selon son rang. Puis, avant d’entamer toute conversation, on échangeait avec le nouveau venu trois saluts pleins d’affabilité, la main sur la poitrine. Un envoyé de Sa Majesté vint apporter les compliments que le padishah envoyait aux jeunes mariés : il fut particulièrement fêté. « – Vos réunions me frappent par leur décence et leur majesté, me dit Lessine. Vous n’avez pas oublié que les démocraties modernes, l’art des cérémonies. C’était un talent que l’on apprenait jadis, d’entrer dans un salon, d’y saluer les personnes qui s’y trouvent d’y prendre la place qui vous convient. L’automobile a changé tout cela. On ne fait plus de visite, on fait son plein d’essence. « – La politesse, lui dis-je, est notre dernier rempart. Nous ne sommes guère puissants ni redoutables, mais bien souvent les coups de nos ennemis se sont émoussés contre cette cuirasse d’urbanité. Nous naissons diplomates, nous ne

400

Georges DUCROCQ, JOURNAL DE PERSE

sommes mêmes plus que cela mais je vous assure que sur ce terrain nous taillons des croupières à vos Talleyrand. « – Je n’en doute pas, me répondit-il, vos enfants ont d’excellentes manières. Je leur reproche d’être un peu compassés, un peu tristes, les nôtres sont plus vifs. Il est vrai que notre climat est moins accablant. J’admire comme les vôtres savent déjà prendre une attitude et la respecter. Cette prudence et cette possession d’eux-mêmes est une chose extraordinaire. « – Tout le monde est poli en Perse, lui dis-je, même les caravaniers, même les brigands. S’ils vous détroussent, c’est avec les meilleures façons du monde. Chacun de nous observe une certaine dignité, mais il est abordable. Nos paysans ont accès auprès de leurs propriétaires. Il n’y a pas entre nos classes sociales ces paliers, ces distances, ces abîmes infranchissables que j’ai constatés en France et qui vous divisent, en temps de paix, en une multitude de compartiments étanches, de castes impénétrables. Nous n’avons pas de cellule où nos mandarins cultivent la tulipe. Ici le grand seigneur plaisante avec le passant, le prince avec ses serviteurs, le négociant avec le derviche. Un large esprit de fraternité circule dant tout l’islam et particulièrement en Perse, où les mœurs sont douces et raffinées. Nous sommes une grande démocratie, tempérée par une vieille politesse devant laquelle s’inclinaient déjà les Grecs de Xénophon. « – Cela est vrai, me dit Lessine, mais il manque à vos réjouissances un attrait précieux, la présence des femmes. « – Vous les entendez, lui dis-je, en lui désignant l’andéroun d’où s’envolaient des cris aigüs. Le jour est fait pour les amis, la nuit pour les femmes. « – Je ne suis pas de votre avis, elles sont bonnes à voir à la lumière du soleil. « – Mais de quoi pouvez-vous les entretenir dans vos assemblées ? « – De n’importe quel sujet, car elles ont des lumières de tout. « – C’est une bien grande erreur lui dis-je, de leur attribuer tant de pouvoir dans votre société. Elles ont déjà l’empire de la beauté ; si vous souffrez qu’elles règnent dans les conversations, que vous reste-t-il en partage ? Le destin a voulu qu’elle fussent esclaves ou dominatrices. Vous serez donc gouvernés par les femmes. « – Pensez-vous donc que vous ne le soyez pas ? me répondit-il d’un air narquois. »

Hélène Hoppenot : Journal de Perse (1920–1922)



© koninklijke brill nv, leiden, ���5 | doi ��.��63/9789004283770_005

figure 2 Hélène Hoppenot en costume d’homme turkmène. © Archives diplomatiques, Ministère des affaires étrangères, Paris.

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

403

Avant-propos Le journal de Perse d’Hélène Hoppenot, déposé à la Bibliothèque Jacques Doucet à Paris, est une petite partie du journal qu’a tenu cette femme lettrée et musicienne qui accompagnait son mari Henri Hoppenot (désigné ici par elle par son initiale seule, « H. ») dans les différents postes diplomatiques où il fut envoyé. Ce journal a été publié précédemment: Hélène Hoppenot, Journal 1918-1933, Rio de Janeiro, Téhéran, Santiago du Chili, Rio de Janeiro, Berlin, Beyrouth-Damas, Berne, édition établie, introduite et annotée par MarieFrance Mousli.- Paris, éditions Claire Paulhan, 2012, 639 p. Je remercie Michael H. Wilson, petit-fils d’Hélène Hoppenot, pour m’avoir généreusement donné l’autorisation de consulter le tapuscrit original et d’en publier le texte sans restriction1. Je rends hommage au travail très soigné de Marie-France Mousli et à la qualité de la publication, rendue plus agréable à lire encore grâce à des illustrations tirées du fonds des photographies prises à l’époque par Henri Hoppenot et révélées et développées par lui même (introd., p. 18). Un index permet de retrouver les noms de personnes citées. Plusieurs raisons m’ont incité à republier la partie concernant Téhéran dans ce journal. D’abord, l’édition Mousli, pour garder des proportions raisonnables, a choisi de sauter certains passages du journal. Il s’agit en général de passages concernant des personnes, avec des commentaires acerbes ou ironiques dont Hélène Hoppenot avait le secret, et qu’on pourrait ranger souvent dans la catégorie des ragots d’ambassade. Il s’agit aussi de notations que se permettait Hélène après avoir entendu parler autour d’elle – notamment par son mari – de questions politiques, de la position de certains diplomates etc.: nous avons là des informations très fines qu’il serait dommage de perdre. Concernant la vie à Téhéran et les personnalités iraniennes rencontrées par les Hoppenot, l’incertitude des transcriptions approximatives et l’absence d’identification des personnes faisait perdre au texte, dont Marie-France Mousli a parfaitement rendu la qualité littéraire, sa richesse de documentation historique. On retrouvera l’identification de ces personnages dans les notices biographiques et les index qui se rapportent à la fois au journal de Hélène Hoppenot et à celui de Georges Ducrocq. C’est la raison pour laquelle on a choisi, pour les noms persans, d’utiliser la même transcription phonologique, qui permettra de retrouver les personnages évoqués par Ducrocq et par Hoppenot. Ni l’un ni l’autre n’était assez attentif à la langue persane pour rendre de manière logique et utilisable les 1  Michael Wilson est mort le 26 juin 2014 pendant que cette publication était sous presse.

404

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

noms des Iraniens dont ils parlent. Avec quelques corrections de ponctuation, c’est là ma seule intervention dans le texte ici présenté, qu’Hélène Hoppenot avait dactylographié avec soin et qui ne présente pas de difficultés de lecture. Les divergences avec la version de Marie-France Mousli sont minimes. Yann Richard

Téhéran 1920



405

Téhéran 1920 Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur D’aller là-bas vivre ensemble . . .2

1er janvier 1920 Toujours à Constantinople. Toujours exténués après cette grippe espagnole contractée à Smyrne ; après les trois jours de fièvre à 40° passés dans la petite cabine du Caucase aux lits superposés, recevant les gouttes d’eau sales tombant lentement du plafond. Avons-nous frôlé la mort comme l’a laissé entendre le médecin-chef de l’Hôpital français de Pera ? Peut-être, mais pas un instant je n’y ai pensé. Que peut-il arriver d’irréparable à deux êtres qui s’aiment ? Ces derniers jours de repos coupés au milieu de l’après-midi par une promenade en calèche tirée par deux chevaux, une couverture de fourrure sur les genoux (« comme des boyards », a dit H.) nous ont ramenés progressivement à la vie, admiratifs et pleins d’une curiosité retrouvée. Pour la première fois aujourd’hui, nous nous risquons dans le grand Bâzâr couvert, plein d’ombres bleues, de voûtes, de marchands piaillant au bord de leur échoppe. Mais rapidement étourdis et las de tous les bruits, nous rentrons au Pera Palace. Les Defrance, émus par notre jeunesse, essaient de nous persuader de remettre à plus tard le départ. L’ambassadrice, très maternelle, me dit : « Vous ne savez pas ce qui vous attend . . . Vous ne pourrez sans doute pas atteindre Téhéran : le Caucase est en pleine effervescence. Vous allez courir de grands dangers, au mieux, vous serez dévalisés en route. Restez donc encore un peu parmi nous . . . » Voix de la sagesse ? Elle s’entend avec mon désir secret : nous ne serions pas mal ici : Constantinople, la mer de Marmara, Thérapia en été et aussi ces agréables diplomates de l’ambassade. Mme Defrance insinue qu’avec un peu de temps, H. pourrait troquer son poste . . . mais celui-ci, que je consulte, me répond qu’il a promis formellement à Philippe Berthelot d’aller remplacer Bonin, le ministre à Téhéran pendant l’un de ses congés et qu’il faut y parvenir coûte que coûte. Eh bien, partons. 2 janvier 1920 Visite de départ au médecin de l’Hôpital français. Il s’écrie : « C’est trop tôt : il vous aurait encore fallu quinze jours de convalescence. » Il n’a pas tort mais 2  Baudelaire, « L’invitation au voyage ».

406

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

de grands progrès physiques ont été faits depuis qu’il est venu nous chercher sur le Caucase pour nous faire transporter non à son hôpital comme je le craignais, mais au Pera Palace malgré le danger de la contagion. Il nous bourre de médicaments et de conseils. Chacun, à Constantinople nous a accueillis fraternellement, sympathiquement, c’est pourquoi j’aurais aimé prolonger un peu ce plaisir . . .  Nous disons adieu à cette ville si belle, emmenés, à deux heures, par le FranzFerdinand, paquebot ex-autrichien pourvu d’un équipage italien. Bosphore et Mer Noire. Des dauphins dans un coucher de soleil jaune et vert. 4 janvier 1920 Nous apercevons les cimes neigeuses du Caucase. Arrêt à Trébizonde où des barques chargées de marchands turcs viennent à nous. Les matelots refusent de les laisser monter à bord, ce qui provoque une violente contestation et retarde d’une heure la descente à terre des passagers. En un minimum de temps nous visitons une ville pouilleuse, cernée de murs où les femmes prisonnières des voiles, prisonnières des hommes, se promènent. Je voudrais m’arrêter un peu, rêvasser sans regarder l’heure . . .  5 janvier 1920 Batoum. Pluie. Personne ne nous attend. H. va trouver le colonel Bertren qui, étonné de le voir, lui dit qu’un officier français l’avait assuré que nous avions pris le bateau précédent, et que nous devions être en route vers la Perse. Ce Russe ascétique a servi dans l’armée jusqu’aux Carpates ; quatre mois après l’armistice il se battait encore dans les ports de la Mer Caspienne contre les Turcs d’un côté, les Bolcheviks de l’autre. Puis ceux-ci l’ayant jeté en prison, il fut délivré par le général commandant son armée et il se réfugia avec lui en Perse. Le colonel Bertren a sans doute dans sa solitude des heures de cafard, il a écrit, pour les avoir constamment devant les yeux des axiomes moraux sur des morceaux de carton blanc épinglés sur ses murs : « On ne peut rien sans la volonté . . . » et « Il faut vouloir et l’on obtient . . . » et « le découragement est une lâcheté », etc . . .  Dans la journée H. s’occupe du déchargement des gros bagages. « Votre grosse malle est presque tombée à la mer, me dit-il, un moment j’ai cru qu’elle y restait ! » avec toutes mes robes ! Train. Nous nous installons dans un coupé pas trop inconfortable, que nous serons obligés, à mon grand regret, d’abandonner demain pour tenir la promesse faite, un peu hâtivement, à Picasso, de retrouver la mère et la sœur de sa femme dont celle-ci est sans nouvelle depuis des mois.

Téhéran 1920

407

6 janvier 1920 Personne à la gare de Tiflis. Au bout de dix minutes arrive sans se presser un matelot français qui nous emmène à l’hôtel d’Orient puis à la mission militaire. Le commandant Chardigny nous reçoit, aimable, mais gonflé par son importance. Il est inquiet de la situation qui se développe au Caucase et craint des troubles. Les Russes ne mangeant qu’à 11 heures du soir (et à trois heures de l’après midi) nous ouvrons, mourant de faim, une boîte d’exquis caviar et nous nous promenons dans la ville où tous les magasins sont fermés. 7 janvier 1920 Noël russe. Rien n’est ouvert, pas même les théâtres et, dans les restaurants, l’on se refuse à servir quoi que ce soit sauf des repas froids qu’il faut emporter dans sa chambre. On sent d’autre part que de graves événements sont en gestation et que toute vie normale est désorganisée. On nous donne cependant une voiture et un jeune soldat interprète pour nous permettre de rechercher, comme nous l’avions promis à Picasso, la mère et la sœur de sa femme. Dans la neige, nous nous trompons de chemin à plusieurs reprises, en raison de l’imprécision de l’adresse donnée et aboutissons à une sorte d’isba où l’odeur de bête sauvage qui se dégage dès que la porte est ouverte, me fait presque reculer. Dans une chambre misérable et triste, nous découvrons les deux femmes, la mère petite, mince, sévèrement ridée, les yeux délavés (larmes ? l’âge ?) enlève le châle qui lui couvrait les cheveux, semble un peu confuse et très humble. Le traducteur ne comprend que difficilement ce qu’elle dit et vice versa : elle n’a eu, jusqu’alors, aucune nouvelle de sa fille et ignorait son mariage. Avec qui ? « Avec un peintre célèbre, » dis-je. Elle comprend un peintre en bâtiment. Non, non, son gendre est un grand peintre, il sera un grand parmi les grands, sa fille sera riche et heureuse. Un Espagnol ? Pourquoi un Espagnol ? J’essaie de décrire la situation en images d’Épinal, mais je ne suis pas sûre que la bonne femme puisse réaliser ce qui est arrivé à sa danseuse. Je lui tends le billet de mille francs que Picasso nous a confié pour elle, un peu honteuse de la modicité du cadeau et prête à en ajouter un autre, si elle en a besoin. Mais elle dit cette phrase incroyable : « Avec cela, je pourrai vivre un an . . . » Par la mission française qui servira de boîte aux lettres, elle pourra correspondre avec ses enfants. Si rien ne change . . .  8 janvier 1920 Départ. Grâce à l’erreur du petit soldat qui nous accompagne toujours, nos gros bagages ne pourront prendre le même train que nous mais le suivant et

408

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

nous recevrons le reçu par la poste . . . ce qui est inquiétant. Le demi-coupé qui nous est réservé est d’une malpropreté affligeante, les banquettes dures et il y fait froid puisque la porte ne peut tout à fait fermer. À chaque station, elle est ouverte par des cosaques qui cherchent une place. H. a un panaris au doigt qu’il faut baigner plusieurs fois par jour, faire chauffer l’eau sur un petit réchaud qui se renverse à chaque cahot et attendre un arrêt pour renouveler le pansement. Quel inconfort ! 9 janvier 1920 Puits de pétrole comme des forêts de cyprès morts. Bakou, à dix heures. Une minuscule voiture nous attend où nous logeons tant bien que mal nos bagages, obligés de nous asseoir à une extrémité en laissant pendre nos jambes sur le marchepied. L’hôtel de l’Europe est tenu par une Française qui vit là depuis douze ans et a subi l’invasion turque, puis bolchevique. Elle me dit que la nuit, elle montait sur le toit pour retirer les tuiles au-dessus des chambres habitées par des Turcs afin qu’il y pleuve ! La chambre qu’elle nous offre est dénudée et n’a qu’un lit étroit. H. sera obligé de coucher sur une chaise longue ! 10 janvier 1920 Il fait si froid – et l’on nous dit qu’il fera plus froid encore pendant notre voyage à Téhéran – que nous achetons des châles, un bonnet de cosaque, un intérieur de manteau en skunks et un autre en putois. On nous sert aux repas des poulets entiers et des boîtes de caviar. 11 janvier 1920 Toujours à Bakou sans nos gros bagages. Nous nous promenons le long du port et dans la ville tartare. La mer est très calme. Arriverons-nous jamais à Téhéran ? 12 janvier 1920 Enfin ! le bulletin de bagages nous parvient au moment où nous désespérions. Heureux d’oublier l’odeur de pétrole discrète ou indiscrète qui se dégage de cette ville. 13 janvier 1920 Bakou est en fête en raison de la reconnaissance de l’Azerbaïdjan par l’Entente3. Des tapis sont pendus un peu partout. C’est l’accalmie, mais pour combien de temps ? 3  La République d’Azerbaïdjan s’est proclamée indépendante en 1918 et en 1920 elle fut reconnue par les pays de l’Entente peu avant que les Bolcheviques y prennent le pouvoir.

Téhéran 1920

409

Embarquement au début de l’après-midi sur un infâme bateau, genre bateau-mouche. La mer est moutonneuse. 14 janvier 1920 Peu dormi dans une infecte cabine sentant l’odeur des machines et du poisson séché. Je refuse d’aller dans la salle à manger prendre le petit déjeuner et l’on m’apporte un café clair, un crouton de pain rassis et du beurre rance. Mais H. qui a eu le courage de remonter un escalier, une sorte d’échelle, revient en me disant qu’il a fait un véritable repas à la russe avec des hors-d’œuvre, des poissons fumés, du caviar naturellement et des viandes diverses . . .  Anzali. L’hôtel est pire encore que ceux du Caucase et nous apprenons que nous serons favorisés par le sort si nous pouvons partir . . . après demain ; les voitures à louer et même les voitures tout court sont rares dans le pays. Et les Anglais ne mettent qu’une bonne volonté relative pour prêter aux diplomates un de leurs camions. Bazar. Anzali tout en boue, maisons et rues, est une déception et ce premier contact avec la Perse ne me dit rien qui vaille. 15 janvier 1920 Après quelques démarches, nos bagages sont partis et nous prenons une voiture pour parvenir jusqu’à Rašt, mais avant d’atteindre cette ville, une panne immobilise la vieille guimbarde. Fort heureusement, le jeune consul anglais d’Anzali nous ramasse en route. Ces villages que l’on traverse, ces villes, sont aussi pauvres que laids. 16 janvier 1920 À sept heures du matin après un dîner agréable et un lit confortable chez le consul anglais de Rašt, nous partons dans une voiture minable – la seule que l’on ait pu nous trouver, conduite par un gentleman russe, ex-capitaine de la garde impériale venu en Perse après la révolution et complètement ruiné. Nous croisons des convois chargés de bidons de pétrole, de balles de coton, de caisses de toutes sortes, des voitures traînées par trois ou quatre chevaux ou par des chameaux. Quand notre auto passe auprès d’une caravane, c’est chaque fois le même affolement et nous perdons un temps considérable à ralentir. Huit crevaisons nous obligent à nous arrêter dans une petite maison de terre battue (la voiture n’a pas de phares) et devons coucher sur une planche n’ayant pour nous couvrir qu’une mince couverture de laine ! Les fenêtres n’ont pas de vitres. Exténués.

410

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

17 janvier 1920 Aucun repos. Nous avons grelotté toute la nuit dernière et repartons à sept heures. Cette fois, c’est le moteur qui, de temps en temps, s’arrête ! À Qazvin où nous arrivons épuisés, nous sommes fort aimablement reçus par le Général Champain, commandant les troupes anglaises. Chaleur de l’accueil, fauteuils profonds, rideaux de cretonne à fleurs et oiseaux, nous nous retrouvons tout à coup en Europe. À l’exception de la présence d’ordonnances hindous dont l’un – un intouchable – est chargé de vider les caisses d’excréments – le tout à l’égout n’existant nulle part, ni les fosses septiques. Mme Champain me conduit dans une sorte de boudoir où sont alignées trois caisses de bois ciré et dit : « Ne vous inquiétez pas, le boy viendra dès que vous aurez fini . . . » De la cour, il monte par une échelle, pousse la fenêtre, silencieux comme un chat, enlève le malodorant récipient et le rapporte aussitôt. « – Il me semble, dis-je à H., que montés sur la machine à explorer le temps, nous sommes revenus au Moyen-Âge. » 18 janvier 1920 Un départ de plus. Six crevaisons dont la dernière est définitive. On téléphone à Téhéran dont nous ne sommes séparés que par une quarantaine de kilomètres, mais aucun chauffeur ne se soucie d’arriver jusqu’à nous et de faire le retour de nuit par des chemins défoncés. Il nous faudra encore passer la nuit chez le maître de poste, un Russe qui nous oblige à manger un énorme dîner dont nous nous serions passés, recrus de fatigue comme nous le sommes, accompagné de vin, de cognac et de malaga ! Il nous offre aussi son lit, tout petit : un maigre matelas posé sur des planches. 19 janvier 1920 Il pleut et les chemins sont transformés en fondrières ou torrents. Une voiture, à demi découverte, arrive et pendant trois heures nous recevons de la boue, des cailloux ou de l’eau. Tout en les éclaboussant copieusement, nous dépassons d’innombrables files de chameaux se dandinant derrière leur conducteur (une bête massive) tout couvert de pompons multicolores et ruisselants. Se peut-il que nous soyons au bout de nos peines ? Voici enfin Téhéran ! . . . et la légation de France. Les voyages, prétend la sagesse populaire, forment la jeunesse, mais je sens la fatigue de celui-ci jusque dans la moelle de mes os. La nuit dernière, passée chez le maître de poste, a eu raison de ma patience et de mon optimisme. Les Bonin nous reçoivent aimablement et ont préparé une chambre au premier étage de la maison qui, un jour, deviendra la nôtre. Ils ne s’étonnent guère

Téhéran 1920

411

de nos tribulations, mais plutôt de notre arrivée ; nous avons eu, paraît-il, de la chance en nous en tirant à bon compte. J’aurais voulu les y voir ! C’est le repos, le délicieux repos . . . au moins pour quelques jours. Leur étrange légation grisâtre, dépourvue de style, semble inhabitée : je cherche en vain un objet pouvant donner quelque indication sur leurs goûts. Dans le grand salon, en rangée d’oignons, quelques fauteuils recouverts de tapisserie de Beauvais rappellent incongrument la France, sur les murs sont tendus des panneaux de même provenance ; le bureau du ministre est fané, la salle à manger dévernie et l’immense galerie d’entrée complètement vide. Elle est décorée de mosaïques formées de débris de miroirs, utilisation plus ingénieuse qu’harmonieuse des glaces amenées à grands frais d’Europe et qui se brisent sur les pistes avant de parvenir à destination. Et quel inconfort ! ni électricité, ni eau courante, aucune sonnette, mais un gong mugissant. Si l’on veut faire venir un ghoulam, il faut taper là-dessus ou dans ses mains ou encore pousser un hurlement. Les jardiniers montent sur leur dos des seaux d’eau qui rempliront une baignoire en zinc dans un cabinet de toilette primitif et où un petit poêle, alimenté par des buches, la chauffera. Quand cette tâche est terminée, ils s’occupent d’un jardin, en ce moment couvert de boue, mais d’une dimension estimable. Le personnel diplomatique est réduit au minimum : à part le ministre Bonin, et H. son secrétaire, il n’y a que Georges Ducrocq (le Ducrocq de Berne) faisant fonction d’attaché militaire, un drogman français, Malzac, et un drogman persan, Siassi. La Chancellerie est logée dans un pavillon à l’entrée du jardin et, de l’autre côté, se trouve l’écurie – et les mouches. « – Les bureaux sont sordides ! me dit H. qui vient d’y aller faire un tour. La légation elle-même me rappelle ces hôtels de famille sur les plages de second ordre. » 20 janvier 1920 Déjeuner chez les Ducrocq. Georges ressemble toujours au beau guerrier gaulois des livres de classe et Marie décolore encore les poils follets de sa lèvre supérieure à l’eau oxygénée. Toujours aussi vive, aussi alerte, ce qui fait oublier son visage ingrat tandis que son mari, raidi dans ses attitudes, a gardé cette manie de poser ses mains à plat sur son bas-ventre comme s’il voulait dissimuler son sexe. Que c’est étrange de les retrouver dans ce pays ! Si la prédiction m’en eût été faite, il y a trois ans, à Berne, j’aurais refusé de la prendre au sérieux. Car rien, sinon l’amitié capricieuse de Philippe Berthelot, ne semblait le désigner aux fonctions qu’il remplit et, de lieutenant dans l’armée, il est devenu capitaine à titre temporaire.

412

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

Je me souviens avec amusement que nos rapports à Berne avaient mal débuté. « Que pensez-vous de Verhaeren ? avait-il demandé à H. – Peuh ! un sous-Victor Hugo . . . » Se tournant vers moi et sachant que j’étais musicienne, il me posa la même question sur Louis Vierne4 : « Un remarquable organiste, avais-je dit, mais un compositeur de quinzième ordre . . . » Las ! c’étaient les dieux de la maison ! Les Ducrocq se vantaient d’avoir introduit en Suisse les poèmes du premier et avaient promené de salon en salon le second, quêtant pour lui des compliments mondains. Plus tard, entendant Marie déclarer en pinçant les lèvres qu’elle a minces : « C’est un vrai génie », je savais que le génie ne pouvait être qu’un protégé de son mari. Mais tout de même – qui l’eût cru ? – nous sommes heureux de les retrouver. Sentons-nous déjà l’isolement de ce pays retranché du monde entier ? Marie m’annonce que nous allons, aujourd’hui même, rendre visite elle et moi aux « ministresses les plus importantes ». Pourquoi si vite ? elle m’explique que les nouveaux arrivés provoquent la curiosité de tous et que chaque retard à leur être présenté est ressenti comme une injure personnelle. La soif des nouvelles d’Europe, de Paris, de ses modes, de ses théâtres, est inextinguible. Ces collègues, nous sommes destinés à les revoir sans cesse comme les passagers sur le pont d’un bateau. L’anglaise, Lady Cox, est une forte femme pourvue d’un époux frèle et squelettique, ancien gouverneur de Bagdad et qui sera prochainement remplacé ; l’italienne, Mme Castellani, nous reçoit dans un immense salon ayant revêtu sur un manteau de laine une cape de vison qui lui tombe jusqu’aux pieds sans l’empêcher de grelotter. La malaria. (« Le climat de Téhéran est très sain, me dit-on, on n’y attrape guère que la fièvre typhoïde, la dysenterie, et la malaria. De temps à autre, une épidémie de peste fait des victimes – mais rassurez-vous – surtout dans les classes pauvres de la population »). Mrs Caldwell, l’américaine, m’étonne par ses gestes maniérés et ses paroles précieuses cependant que la Russe, femme du Chargé d’affaires, est aussi épaisse que vulgaire. Peu d’enthousiasme jusqu’à présent. 21 janvier 1920 La légation de France, bâtisse triste et grise, a été conçue par l’un de ses ministres, M. de Balloy5, qui méditait de s’en faire construire une toute sem4  Louis Vierne (1870-1937), compositeur et organiste à Notre-Dame de Paris. [note M.-F. M]. 5  René de Balloy (1845-1923), ministre à Téhéran de 1881 à 1886 après y avoir occupé d’autres fonctions. Photos du château des Maremberts en Sologne et de la Résidence de la légation à Téhéran dans Fl. Hellot-Bellier, France-Iran, quatre cents ans de dialogue, p. 179 sq et 191. Hélène Hoppenot revient sur le personnage le 15 juin 1920.

Téhéran 1920

413

blable en Touraine, après sa retraite. Le plan, soumis comme il se doit au quai d’Orsay, fut examiné par un fonctionnaire qui, de sa vie, n’était sorti d’Europe et ignorait tout du climat persan. On oublia que, pendant les grandes chaleurs de l’été, chacun transporte ses pénates dans les collines et on orienta les deux grands salons au nord. Le froid y est terrible, malgré un feu de charbon constamment allumé. En outre, M. de Balloy n’ayant trouvé sur place qu’un contremaître s’aperçut, la construction étant déjà avancée, que l’on avait omis un détail ayant pourtant de l’importance : réserver une place au grand escalier ! On en tassa un, tout petit dans un coin. « – C’est une honte ! gémit Mme Bonin, je n’ose y faire monter personne ! » 22 janvier 1920 Toujours très las. Je me demande si nous n’avons pas eu tort, cédant à l’impérieuse insistance de Philippe Berthelot, de venir ici au lieu de rejoindre Ponsot6 en Haute Silésie, comme ce dernier en avait eu le désir ? L’impression causée par Bonin, franchement mauvaise, augmente au fur et à mesure que l’on vit avec lui et je comprends ce que voulaient dire les camarades d’H. lorsqu’ils lui offraient leurs condoléances et répétaient « N’y allez pas ! C’est un sale type et par surcroît un chef odieux. Tous ses anciens collaborateurs sont d’accord là-dessus. » Il serait injuste d’entériner en si peu de temps un tel jugement mais je crains qu’ils n’aient eu raison : l’homme est satisfait de lui-même, onctueux par instants, ironique ou sec par d’autres, galantin, persuadé de sa séduction et intelligent, dès qu’il parle de ses voyages ou explorations en Extrême-Orient. Alors l’intérêt très réel que l’on ressent à l’entendre, l’emporte sur une sorte de répulsion physique, faisant taire cet avertissement : « Attention ! Ce ne sera jamais un ami. » Il court sur lui, dans les bureaux du ministère, une sombre histoire : en Chine, il fut dit-on l’amant d’une femme mariée et l’un de ses amis connaissant sa pleutrerie, s’amusa à le convaincre que l’homme trompé ayant découvert son infortune « le cherchait » et ne tarderait pas à se venger. Bonin, sur ses gardes, le rencontra, les mains dans les poches et, sans provocation, tira son révolver et fit feu. Est-ce vrai ? faux ? Il ne me semble pas incapable d’un tel geste. Mme Bonin, nimbée d’hystérie, les yeux brillants de fièvre dans un visage hâve, est tout de même plus sympathique.

6  Henri Ponsot, chargé de mission auprès du président de la commission interalliée en HauteSilésie. [note M.-F. M].

414

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

Ce soir, H. et moi, confrontons nos premières impressions et constatons, une fois de plus, l’identité de nos vues : « S’il part comme il l’a annoncé à Paris et que j’ai une gérance rapide, dit-il, je m’arrangerai pour me faire nommer ailleurs quand il reviendra – s’il revient. » 23 janvier 1920 La pluie, toujours. Hier, dîner chez Starosselsky, le colonel des troupes cosaques, « une des plus fortes personnalités de Téhéran, me dit M. Bonin, et un excellent homme avec qui nous avons d’excellents rapports. » Ce brave homme pille les paysans persans, achète à sa femme des colliers de perles dignes d’une souveraine, des bijoux ayant fait partie du trésor de la couronne. Parlant avec les uns et les autres, je m’aperçois, hélas, que les imbéciles fourmillent en Perse tout autant qu’ailleurs bien que ce soit un des coins du monde les plus difficilement atteignables. 24 janvier 1920 « – Ce soir, m’annonce Mme Bonin, vous ferez connaissance avec le reste du corps diplomatique. » Ses membres clairsemés se reçoivent sans cesse, éprouvant, dans leur isolement d’étrangers, le besoin de s’agglutiner comme les œufs de caviar de la Caspienne que nous mangeons par cuillerées à soupe. Elle m’explique que son mari lui recommande de « recevoir économiquement » (bien que disposant d’un traitement suffisant, il semble fort avare) puis me fait remarquer les avantages de la réception qu’elle va offrir, appelée sur les cartons d’invitation « soirée avec comédie » : tout d’abord, elle sera jouée par des amateurs qu’elle n’aura pas à rétribuer puis, grâce au buffet, elle rendra ou fera « beaucoup de politesses ». « Pensez à quel prix me reviendrait un dîner. Je n’aurai même pas besoin de donner du champagne. » Ces réflexions lui semblent si naturelles qu’elle ne songe pas un instant à l’impression défavorable que je pourrais en avoir. Le choix de la pièce a fait l’objet de longues délibérations : Bonin en avait retenu une de Courteline, mais les deux Ducrocq – deux de ses acteurs – ont protesté. « Courteline ? Mais c’est un auteur immoral (sic !). Il ferait du tort à l’influence française à l’étranger. Alfred de Musset est tout indiqué ». Ainsi va-t-on représenter On ne saurait penser à tout. Mme Minorsky, ravissante russe et Batourine, autre russe, complèteront la distribution. 25 janvier 1920 Morne ennui hier soir. Mauvais acteurs, ce qui est normal, mauvais buffet, ce qui l’est moins. On eût pu se croire dans une petite sous-préfecture. Dans le hall, il faisait si froid qu’une distraction, la seule, était de voir se former sur les dos

Téhéran 1920

415

et bras nus des femmes passant du salon dans la salle à manger, la « chair de poule ». Il existe, paraît-il un système rudimentaire de chauffage dans la cave, mais il consomme tellement de charbon que, même dans les grandes occasions, l’on préfère l’oublier. Mme Bonin outrageusement décolletée laissait apercevoir ses seins flasques, bas plantés. « Elle ferait mieux de les cacher », ai-je dit à Marie Ducrocq, qui les regardait elle aussi. Elle m’apprit que, vers la trentaine, se trouvant trop « boulotte », elle avait employé pour se faire maigrir certaines spécialités qui, n’ayant pas agi sur le moment, produisirent un effet à retardement. « Sa peau n’a pas eu le temps de rétrécir à mesure que la graisse a fondu. » Cette soirée à laquelle les Persans assistaient sans leurs femmes – la permission de se montrer aux autres hommes leur étant refusée – et où les Européennes portaient des robes démodées, d’une autre époque, m’a laissé l’impression de me mouvoir dans un aquarium, due peut-être à l’éclairage des lampes à pétrole enfumant les pièces et y laissant un parfum indélébile. Depuis mon arrivée, je ne vis pas dans un monde réel : une parodie de celui que j’ai connu se déroule sous mes yeux. Je regrette fort le Brésil, je l’avoue. Seule, la simplicité de Tam, le vieux domestique annamite, depuis de longues années au service des Bonin, m’a amusée : trop petit pour atteindre une bouteille de vin placée sur le haut d’un buffet, il s’est adressé au Ministre de la justice pour lui dire de son ton chantant et doux : « Passez-moi donc cette bouteille, Monsieur, vous serez bien gentil ! » Nos bagages arrivent enfin. Méconnaissables. Par quelles voies ont-ils été acheminés jusqu’ici ? Dos d’âne, de chameau, camion de l’armée anglaise ? mystère. En contemplant l’état de ma grande malle-armoire, je constaterais, si je ne le savais déjà, que les voyages en Perse ne sont pas un pique-nique : tous mes vêtements sont décrochés, les portemanteaux tombés dans le fond, pêlemêle, une robe tachée de pluie n’est plus mettable, deux ou trois sont trouées et les tiroirs défoncés ont laissé tomber le linge et les objets qu’ils contenaient. Si Mme Defrance n’avait eu la bonne idée de me conseiller d’emporter avec moi les robes de soie, j’aurais tout perdu. Je me demande même si la malle servira pour le retour vers les pays civilisés. En attendant, sa longueur et sa largeur l’empêchent de passer par l’escalier « oublié » et je dois la laisser au rez-de-chaussée de la légation. H. n’est guère mieux loti : sa redingote est endommagée et il y a deux accrocs dans son habit neuf ! Les Bonin ne parlent plus que vaguement de leur départ mais commencent à nous faire comprendre que notre séjour chez eux ne peut guère se prolonger. Les maisons à louer sont peu nombreuses ; pour ma part, je préfèrerais m’installer à l’hôtel mais l’on me dit que c’est « impossible » : Bonin serait gravement

416

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

critiqué par tous ses collègues et par les Persans pour avoir laissé un secrétaire habiter un endroit un peu borgne puisque l’on pourrait sans se gêner les uns les autres loger à la légation des familles entières. 26 janvier 1920 Le ciel est, pour la première fois, d’un bleu admirable, la ville entourée de murailles, a retrouvé sa beauté, neuve pour moi. Sa beauté ? du moins celle de son site. Car les clôtures de boue séchée dissimulent les maisons et les jardins ; en face de la porte d’entrée de la légation stagne un filet d’eau malodorant, un peu plus loin s’étend une esplanade désertique où des ossements d’animaux sont nettoyés par des vautours. Une rue, une seule rue commerçante. Une mosquée à dôme d’or. La chaine enneigée de l’Alborz. Le bilan est assez mince. « Attendez avant de juger, me dit-on, le pays est délicieux l’été, lorsque l’on va dans les collines, avec les sources, les jardins. » Attendons. 27-28 janvier 1920 Visite de maisons meublées à louer. Déprimantes. Je me sens complètement découragée : tout est laid, vulgaire, sans parler de l’inconfort total que l’on pourrait supporter si les jardins étaient beaux et contenaient autre chose que des arbustes et des balais qui, plus tard, paraît-il, deviendront des rosiers. 29 janvier 1920 Dîner avec les Percy Cox au Club de Téhéran, le club réservé aux Européens. Les Bonin n’ont pas été invités et nos hôtes ont voulu indiquer par là que, s’ils éprouvaient de la rancune et de l’antipathie à l’égard du ministre de France, il n’en était pas de même pour ses collaborateurs. Car les Bonin sont passionnément anglophobes ainsi que les Ducrocq. « Pourquoi ? ai-je demandé à Georges. – Parce que les Anglais se sont très mal conduits . . . » Ceci demandera à être éclairci. Sir Percy dont le caractère est tout d’une pièce, semble avoir été maladroit : fort de la présence et partant de la puissance de la Grande Bretagne en Perse, grand distributeur de livres sterling dont il réchauffe le zèle de ses partisans, il se soucie peu de son collègue le petit ministre de France. Depuis l’arrivée d’H. il a fait courir le bruit que Bonin, rappelé par son gouvernement, se cramponnait à son poste malgré la présence du chargé d’affaires. H. en sera sans doute la victime car Bonin, tenté de prouver la fausseté de cette information, attendra pour partir le départ de son grand ennemi qui rejoindra Bagdad dans un mois ou deux.

Téhéran 1920

417

30 janvier 1920 Comme nous le pensions, le ministre n’a pas été satisfait de l’invitation de Sir Percy Cox ; méfiant, il craint que les Anglais n’attirent H. dans leur clan et il me dit de son air avantageux, pointant en avant sa courte barbiche : « Eh bien ? Vous connaissez maintenant tout ce que Téhéran compte de diplomates étrangers. » Faut-il me montrer éblouie ? Puis, comme il l’a déjà fait devant nous, il critique son prédécesseur M. Lecomte, l’oncle de Jean Cocteau, agacé de ce que l’autre eût mené grand train à Téhéran, ait été un grand collectionneur : de son temps la maison regorgeait de tapis, de laques, de faïences. « – Et quand il a déménagé, j’ai trouvé une légation démunie de tout. Il ne voyait que les Anglais ! Il a trahi les intérêts français ! Ma politique a été bien différente heureusement. » Dès son arrivée, Bonin s’est appuyé sur les Russes, contre les Anglais. Et il a été nommé à son poste en 1918 ! . . .  « – Alors, dis-je à H. en remontant dans notre chambre, il s’est appuyé sur des fantômes . . . – C’est là ce qu’il appelle ma politique. » Hier, j’ai entendu parler d’une toute autre façon par l’ancien drogman de la légation, Mahmud Khan7 (soupçonné il est vrai d’avoir eu avec son ministre des relations plus étroites qu’il n’était nécessaire) de M. Lecomte : « un gentleman, un grand seigneur, à l’intelligence orgueilleuse, bon, généreux. » Jusqu’à présent, je n’ai jamais entendu un seul mot de louange sur Bonin. 31 janvier 1920 La maison habitée par les Ducrocq est située en dehors de l’enceinte de la ville, faite de boue séchée. Elle appartient à un dentiste suisse, Stumpf, parti pour l’Europe en congé, pendant deux ou trois ans. Un homme à passions : les femmes, les chevaux, les roses. Il passait le plus clair de son temps dans son écurie carrelée de faïence, plus vaste et luxueuse que sa maison d’habitation ou dans son jardin sans un arbre mais planté de rosiers de toutes espèces dont la partie centrale est occupée par un tennis. Les Ducrocq redoutent leur propriétaire, prompt à se battre en duel, habile à blesser ses adversaires, mauvais coucheur. Marié à une Française dont il a eu quatre enfants, il courait la prétentaine et eut une longue liaison avec une jeune femme qui, lassée par son mauvais caractère, finit par rompre. Furieux, il réclama les cadeaux qu’il lui avait faits et surtout son plus beau cheval, dont la dame refusa la restitution : alors il lui envoya ses deux cosaques (tout le monde en Perse a une garde armée) qui enfoncèrent la porte de l’écurie, rossèrent le palefrenier et emmenèrent l’animal ! Enfin, l’amant irascible envoya au mari qui ignorait tout de 7  Mahmud Jam (1885-1969) « Modir ol-Molk », alors drogman persan à la légation.

418

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

l’affaire, les notes d’une couturière parisienne qu’il avait l’habitude de régler après chaque saison ! « – Aussi, me dit Georges Ducrocq, je n’ai pas envie d’avoir la moindre difficulté avec lui ! ». Ils ont égayé les murs de leur petite maison en pendant au mur des soieries, des cachemire, et l’on y respire une tout autre atmosphère que celle, si déprimante, de la légation. En outre, ils savent recevoir, ce qu’ignorent les Bonin. 1er février 1920 Déjeuner chez les Catalani. Sur le point de quitter Téhéran, ils vendent tout ce qu’ils possèdent et ceci, sans doute plus que le plaisir de nous voir, a motivé leur invitation. Aucune personne raisonnable ne se soucie de ramener en Europe, antiquités mises à part, ce qu’on a amené. La légation d’Italie est logée dans un palais persan à un étage, soutenu par des colonnes à chapiteaux corinthiens et, dans son immense salon, maigre comme un squelette, les yeux et la bouche soulignés de plaques de blanc gras adhérent, les paupières battant nerveusement sur des yeux enfoncés et brillants, de mèches jaunes gommées sur un front ridé, la ministresse, Mme Catalani, nous attend, immobile. Son mari arrive peu après, bel homme cauteleux, vif, suffisant qui, dit-on, a épousé cette américaine pour sa fortune ce dont il a été immédiatement puni car, d’homme libre, il est devenu son prisonnier : jalouse, elle le surveille de si près qu’elle semble craindre qu’emporté par quelque furia amoureuse, il ne se jette sur la première femme qui apparaîtra. Le bellâtre nous pose la question attendue : « Vous plaisez-vous à Téhéran ? » puis, sans s’en soucier, demande ex abrupto « Croyez-vous à la légitimité de Naundorff ? » Nous nous regardons, H. et moi, interdits puis répondons ensemble que si l’on ne peut en être sûr, il semble possible que Louis xvii ait pu s’échapper du Temple. Il paraît satisfait, remercie et assure que nous pouvons le compter parmi nos amis, encore un fou . . .  Depuis leur arrivée ils n’ont eu que des déceptions : l’installation, la santé, les domestiques. Madame a eu une maladie de foie, le bel homme n’a cessé de s’ennuyer : pas de colonie pour lui causer quelques soucis, rien que des heures vides à perte de vue (en face du squelette) l’Italie est loin, les femmes élégantes aussi. Chaque semaine, il envoie à Rome un bulletin de santé et réclame son congé – en vain. Alors il a menacé d’abandonner son poste et son ministre des affaires étrangères a donné cours à sa mauvaise humeur : « – J’irai m’installer à Paris, me dit-il, c’est plus prudent : de là, je négocierai et quand la tempête sera calmée, je rentrerai. » Après le repas, Mme Catalani me montre les objets et meubles dont elle veut se défaire en me confiant son horreur d’un pays où l’hygiène et les commodités sont inconnues aussi me propose-t-elle certaine caisse qu’elle a fait

Téhéran 1920

419

exécuter d’après ses dessins, de style gothique. Je maîtrise mal une envie de rire et dois faire une drôle de figure car elle ajoute : « je ne m’en suis jamais servie. C’est par trop dégoûtant ! » Je reste dans mon cabinet de toilette où ma femme de chambre arrange tout . . . » Je me retiens de lui dire que c’est surtout dégoûtant pour sa femme de chambre mais à quoi bon gâcher sa joie d’en avoir terminé for good avec l’Asie ? J’achète le meuble gothique auquel H. fait joindre cinquante bouteilles de vin, cinq lampes à pétrole et tout ce qui leur reste de savon. 2 février 1920 Il neige, ce qui n’arrange rien. Le Bâzâr où nous nous rendons, accompagnés par Malzac, est presque obscur ; des animaux vont et viennent ou vous bousculent imitant leur conducteur ; des femmes encapuchonnées et voilées font leurs emplettes (je me demande ce qu’elles peuvent voir . . . ) les marchands assis sur le bord de leurs échoppes rient et devisent, parfois assez beaux sous leurs vêtements rapiécés, parfois dignes et nobles. On nous apporte le verre de thé brûlant et amer, et, après le marchandage que notre compagnon fait pour nous avec bonne humeur, plaisanteries et force paroles, nous emportons deux vases lacrymatoires de verre bleu, trop grands pour contenir des larmes mais non de l’eau de rose et trois qalamkâr-s8 à épingler sur les murs de notre future maison. Le ministre de Belgique et Mme de Raymond nous invitent au thé dansant du Club « exclusif » anglais où Lady Cox, rayonnante, vêtue d’un sweater violet vif, dessinant ses rotondités et un chapeau de paille garni de roses (avec cette neige !) s’amuse comme une fillette à danser, soutenue par les jeunes diplomates de sa légation . . . le quadrille des Lanciers ! Elle nous force à y entrer, déclarant que la prochaine fois, elle apprendra à cette bande de jeunes femmes ignorantes dont je fais partie . . . la gigue ! elle en a la musique rangée quelque part et la fera déchiffrer tant bien que mal par le petit orchestre. Mme de Raymond, jeune encore et jolie, m’apprend qu’elle est la descendante de Du Guesclin (que je croyais mort sans postérité), que la première fille de la famille se nomme toujours Aliette et la seconde Ghislaine. Elle n’a pas failli à la tradition en y ajoutant un fils que le ministre, d’après les on-dit, battrait comme plâtre. Ce dernier ne s’occupe que de chevaux et délaisse cette femme qui serait fort malheureuse si elle n’avait pris la décision d’avoir un amant. On lui en prête une poignée comme d’ailleurs à chaque étrangère ; il faut bien que les Persans médisent un peu. 8  Souvent appelés « indiennes », pièces de coton imprimé par des marques de bois.

420

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

3 février 1920 Habibollâh, le maître d’hôtel des Bonin, vient nous présenter Abdoul, notre nouveau valet de chambre, et Hossein, notre cuisinier. Il a décidé qu’ils feraient partie de notre personnel et nous le laissons faire, pensant qu’ainsi il sera un peu responsable de ce choix. 4 février 1920 Bonin n’ayant pas encore fixé la date de son départ, nous prenons la décision de louer la maison de Nâser ol-Molk, ministre de la Justice, hors la ville, visitée il y a trois jours et mise à notre disposition pour le temps que nous désirerons. Sa construction est à peine terminée, personne ne l’a habitée, grand avantage dans ce pays malpropre. Je soupire, pensant aux fatigues d’une installation provisoire mais il est impossible de prolonger notre séjour chez des gens qui nous font assez clairement comprendre que nous les gênons. La villa, en brique, a sur le devant un petit jardin à la française avec des arbres rabougris et des massifs, le salon assez grand et la salle à manger sont séparés de la chambre à coucher par un couloir glacial, le mobilier se compose d’une demi-douzaine de fauteuils de quelques tapis à l’aniline, d’un grand lit à deux places, mais il n’y a ni armoire ni table. La cuisine, séparée par une cour intérieure ouverte, est vide. « Où cuit-on les aliments ? » Eh bien dans trois ou quatre niches où l’on pose du charbon de bois puis une grille et l’on cuit le repas, le cuisinier est habitué. Il n’y a qu’un trou en guise de W.C. « On met dessus une chaise percée . . . » Un autre existe, heureusement, pour les domestiques. Pas de baignoire : il faudra acheter un tub dont l’eau sera chauffée par un . . . samovar ! Avant de faire nos préparatifs de départ, nous offrons à Mme Bonin pour son hospitalité (forcée et relative) une pièce de Damas orange et or et une miniature persane. Pour notre dernière soirée chez lui, le ministre se met en frais. Cet homme, si antipathique par beaucoup de côtés, s’intéresse à toutes les manifestations intellectuelles, même dadaïstes, et n’a aucun des préjugés habituels aux hommes de sa génération à l’égard des jeunes écrivains ; sa conversation devient passionnante dès qu’il décrit ses voyages en Chine et au Tibet : son tour d’esprit est fort ironique mais, s’il s’aperçoit des ridicules du prochain, il est complètement aveugle en ce qui concerne les siens. 5 février 1920 Neige et froid. Notre entrée dans la nouvelle maison n’est pas triomphale et nous nous installons, ainsi que les domestiques, en grelottant. Une porte manque dans le corridor et un courant d’air glacé parcourt la maison. Outre le cuisinier et le valet de chambre, notre personnel s’est augmenté d’un

Téhéran 1920

421

aide de cuisine, d’un palefrenier et d’une femme de chambre ou bâji nommée Marie qui arrivera demain et qui, ayant été éduquée par les Sœurs, connaît quelques mots de français et nous servira d’interprète. 6 février 1920 15 degrés au dessous de zéro ! La ville se couvre de glace et les rues sont devenues à peu près impraticables. En chauffant sans arrêt, c’est-à-dire en m’occupant des feux toute la journée, j’arrive à obtenir un ou deux degrés dans la maison. Je commence à être désespérée. H. cherche à me remonter : « Ce n’est que provisoire ». Il espère que dans deux mois il deviendra chargé d’affaires. Inšallâh. Notre cosaque déambule dans le jardin, baïonnette au canon et Marie, une commère gélatineuse, s’accroupit dans la cour intérieure cachant de sa masse un petit samovar et une cuvette grande comme la main ! « C’est pour laver le linge » m’explique-t-elle. 7 février 1920 Le cosaque est magnifique : le fusil chargé, la poitrine bardée de plusieurs rangs de cartouches, le poignard à la ceinture, il épouvante les corbeaux et les pigeons qui s’envolent avec fracas dès qu’ils le voient venir. La nuit tombée, ce brave est moins belliqueux, hier, il a eu tellement peur qu’il a refusé d’occuper plus longtemps sa chambre (séparée de la nôtre par le cabinet de toilette) et il me fait expliquer par la bâji qu’ « un voleur pourrait s’introduire chez lui par la porte-fenêtre donnant sur le jardin ». Une petite pièce à côté de celle de la grosse Arménienne lui conviendrait mieux. Étonnée, la femme ayant depuis longtemps dépassé l’âge de l’amour, j’entre dans la chambre et m’aperçois qu’elle est tout à fait close, c’est-à-dire que l’on n’y peut pénétrer qu’après avoir traversé toute la maison ! . . . Je m’étonne moins des injures – et la langue persane en est fort riche – qui viennent si facilement aux lèvres des étrangers. Mme Bonin me fait demander de l’accompagner au Bâzâr et j’accepte avec empressement, aimant déjà cet endroit mystérieux. Le jeune valet de pied qui sert aussi de valet de chambre nous précède et ouvre le chemin à travers cette foule, comme le faisaient les camarades pour la forêt vierge près de Petrópolis. « – Sa présence est-elle nécessaire ? – Elle est inutile mais il porte les paquets . . . » Les Persans subissent de temps à autre des accès de xénophobie mais les étrangers en sont avertis par des signes précurseurs : les mollâs qui les font naître prêchent dans les mosquées contre tout ce qui n’est pas « national » et il suffit d’éviter le Bazar jusqu’à ce qu’ils aient terminé. La période la plus dangereuse est celle de l’šurâ. Mais aujourd’hui, les marchands nous font bonne mine ; semblables à ceux du monde entier, ils ne désirent que vendre

422

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

leurs marchandises, surtout leur pacotille, le plus cher possible. Et qui les paieraient mieux que les farangi-s ? C’est Bonin qui exige la présence du petit domestique. « – Au Canada, me dit sa femme, j’avais la plus grande liberté, mais ici je suis prisonnière ». Elle n’ajoute pas « là-bas, j’étais la femme d’un consul général, ici, je suis celle du ministre. » Il lui est interdit de se promener à pied dans la ville, et, lorsqu’elle monte à cheval, sa principale distraction, deux cosaques doivent la suivre de près, même si elle est accompagnée par des amis. « Souvenez-vous, lui a dit Bonin, que vous êtes en Asie et qu’il faut sans cesse paraître. C’est l’usage. » 8 février 1920 Je me désespère d’être venue vivre en Perse. Batourine qui me rend visite essaie de remonter un moral qui ne peut être plus bas : « Depuis trente ans, me dit-il, on n’a pas vu un pareil hiver. » Au Brésil, dès que nous y sommes arrivés, la chaleur était exceptionnelle . . . Le Brésil ! . . . j’y pense avec nostalgie, maudissant intérieurement Amadori, le secrétaire italien qui nous ventait sans cesse les charmes de l’Asie, principalement ceux de la Perse. H. dessine des insignes que je ferai exécuter, en argent, au Bazar. Les domestiques les cousent sur le kolâh en astrakhan qui ne quitte leur tête que lorsqu’ils se mettent au lit. Chaque légation a un emblème différent, mais il est généralement le même pour le chef de poste et son personnel diplomatique. Sauf pour celui de la légation de France : cette communauté n’est pas du goût de Bonin qui, dès son arrivée, a prié Ducrocq de faire exécuter ses « nešân » sur un modèle différent du sien. « Cela pourrait me créer des ennuis, lui a-t-il dit, si vos domestiques étaient pris pour les miens ! » Sordide, est le mot qui vient aux lèvres pour définir notre légation. Sur son grand bureau, Bonin se sert d’un couvercle de boîte de cigares comme cendrier. 9 février 1920 Thé au Club impérial, le club mixte où les Persans se pressent nombreux, offert par Mme Bonin. Toujours les mêmes invités, les mêmes conversations qui commencent à me fatiguer. Que sera-ce si nous devons rester un an ou deux ici ? Le Club impérial a été fondé par un ministre d’Espagne, M. de Romero, qui, n’ayant qu’un seul ressortissant, avait du temps de libre. (Sa femme, ex-écuyère de cirque, reçut lorsqu’elle quitta Téhéran, un pendentif d’émeraudes, cadeau du shah qu’elle renvoya en disant qu’elle préférait un collier de perles ! . . .) Le Club a été repris par M. de Raymond. On y danse aussi et l’on y joue au poker. Bonin en fait partie de par ses fonctions officielles mais il n’a jamais voulu, malgré les instances de sa femme, devenir membre de l’autre où seuls

Téhéran 1920

423

les Européens sont admis sous le prétexte qu’étant « purement anglais, il ne voulait pas frayer avec eux » ; mais en réalité pour éviter de payer deux cotisations. Au Club impérial, l’on s’ennuie encore plus fermement qu’ailleurs. Mme Belayef, la femme du chargé d’affaires de Russie, me dit que le parc de sa légation est devenu le rendez-vous d’une bande de chacals et qu’à chaque lever du jour elle est réveillée par leurs cris assourdissants. Batourine ajoute qu’à Elâhiyé, la propriété que louait l’été M. Lecomte, de jeunes chacals jouaient avec ses chiens. En ce moment, des loups se promènent dans les fortifications et le cosaque de Marie Ducrocq refuse de traverser l’esplanade qui sépare sa maison de la ville ! 10 février 1920 Le dégel ! Malgré une boue épaisse qui colle aux talons, c’est une grande joie que de revoir le soleil et le bleu divin du ciel. Le Damâvand9 fait une apparition éblouissante. Mais ce qui rend cette ville mélancolique, c’est l’absence de maisons : je veux dire qu’elles sont invisibles, entourées de murs et dissimulées par les arbustes des jardins et aussi l’absence de femmes : peut-on parler de femmes devant ces paquets emmaillotés de voiles ? Dans leurs jardins souvent pierreux (seuls ceux des légations de Russie et de Grande Bretagne ont des arbres centenaires et admirables) mais vastes, les Persans construisent deux pavillons, ou plus, le premier, birun destiné aux hommes qui s’y tiennent dans la journée, où ils reçoivent leurs amis et s’enivrent d’arak, l’eau de vie bon marché ou s’amusent avec de jeunes garçons ; l’autre est l’andarun, demeure des femmes dans laquelle l’homme, s’il n’est pas le mari, le père ou le frère, ne peut, sous aucun prétexte, pénétrer. Quelquefois le cousin obtient une permission. Si les femmes doivent se rendre dans le birun, elles remettent leurs voiles. En Asie, plus que partout ailleurs, l’homme a conçu la religion, la loi, selon son bon plaisir, la femme étant son jouet et son esclave : ici il joue au naturel le rôle de dominateur pour lequel il se croit créé. C’est peut-être pour cette raison que je ne m’y plaît pas ? On me dit que l’homme n’a que l’illusion de sa suprématie et que je ne manquerai pas de m’en apercevoir dès que j’aurai fréquenté quelques dames persanes, la ruse primant la force (enlevant toute dignité) l’on ajoute que les étrangères ne trouvent guère d’agréments au cours de ces entretiens.

9  Sommet d’origine volcanique, de forme cônique, à 50 km environ à l’Est de Téhéran, culminant à 5671 m.

424

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

11 février 1920 Comme cette maison est vide ! Nous n’avons apporté de France que notre argenterie. Le carrelage du grand salon est glacé pour les pieds comme pour les yeux. Les marchands viennent quotidiennement, essayant de nous tenter mais nous suivons le sage conseil de Malzac « Dans les débuts, regardez et comparez. On regrette toujours ses premiers achats. Et les juifs profiteront de votre inexpérience pour vous vendre des pièces fausses à prix d’or ! » 12 février 1920 Hossein, le cuisinier, connaît assez bien son métier si l’on considère qu’il n’a à sa disposition que des moyens rudimentaires (il n’en a jamais eu d’autres, il est vrai) et je n’arrive pas à comprendre comment ses plats nous arrivent chauds après avoir traversé un couloir glacé. C’est un personnage mystérieux qui vient un peu avant les repas laissant son marmiton peler les légumes et laver la vaisselle. Le matin, dès qu’il a pris mes ordres, m’a demandé de l’argent, il part et je ne le revois plus. De ce côté, c’est donc assez satisfaisant, mais il y a les lampes . . . Il faut ou bien prendre la parti de les transporter d’une pièce dans l’autre ou les laisser allumées et risquer de retrouver une heure après les murs noircis d’escarbilles. Et cette odeur de pétrole qui suinte de partout : je cherche à me convaincre que le ciel du matin, s’il est bleu, compense les inconvénients de la soirée ou de la nuit. 13 février 1920 Promenade avec Ziyâ Homâyun sur un petit cheval roux prêté par le Sepahdâr. Ziyâ me parle du Khorassan et le cosaque à cheval derrière nous, entendant prononcer ce nom, l’interpelle : « Si tu parles à Madame du Khorassan, n’oublie pas de lui dire que le gouverneur est un grand voleur ! » Thé chez Mrs Caldwell, la doyenne du Corps diplomatique. Quarantaine d’années, jolie encore, de ce charme un peu blet des blondes dont les traits s’affaissent comme les fleurs dans les vases. Elle se donne des airs de jeune fille auxquels se laissent prendre les officiers de l’armée des Indes (qui eux, sont jeunes) mais si elle préfère les adolescents, elle n’est pas insensible aux hommages des hommes plus mûrs. Une flirteuse. Elle me paraît surtout sentimentale et inintelligente. Son mari, comme la plupart des chefs de poste américains, n’appartient pas aux cadres diplomatiques, c’est un avocat de Kansas City, un important agent électoral. Visage graisseux, imberbe, des yeux invisibles ; il vient s’asseoir parmi nous et s’exprime dans une langue étrange, parlant dédaigneusement de la Perse, des Persans, de leur teint foncé, ce qu’il ne peut souffrir (lui rappelant sans doute les nègres) et il finit par déclarer que

Téhéran 1920

425

toute personne ressemble à un animal : « – Moi, par exemple, je ressemble à un cochon ! » Le pire, c’est que c’est vrai. 14 février 1920 Malzac est notre premier invité dans la maison vide. Un homme un peu rude, au collier de barbe et doux sourire, au franc parler, bougon et gai. Il déteste son chef Bonin. « – Je n’en ai jamais eu d’aussi avare. Quand je veux l’ennuyer, je fais allusion à mon cheval ! – Au cheval ? – Selon d’anciennes circulaires, le premier drogman de la légation a droit à un cheval fourni par le ministre. Je ne suis pas arrivé à le convaincre parce qu’il ne veut pas dépenser cet argent et je lui répète souvent : « Je regrette, Monsieur le ministre, d’insister, mais c’est une tradition : tous mes prédécesseurs ont eu un cheval . . . » Bonin s’est, jusqu’ici, moqué de la tradition, mais il cherche à se débarrasser de son premier drogman et lui fait faire un métier de commis de Chancellerie. H. lui reproche de ne le mettre au courant d’aucune affaire bien qu’il doive prendre sa place un de ces jours et de lui cacher la teneur des télégrammes arrivant du quai d’Orsay. 16 février 1920 Chez Lady Cox. Sa légation est incomparablement plus sympathique que la nôtre, bien que sans style et surmontée d’un clocheton. Des bâtiments supplémentaires ont été construits au fur et à mesure des besoins et s’étendent, au hasard, dans un très beau parc. Avec des vrais arbres. Tout y est propre, confortable, hygiénique, un peu trop même avec ses carrelages noirs et blancs, ses chintz aux oiseaux et jusqu’à ses tapis où sont inscrites les devises de l’Angleterre « Dieu et mon Droit » et « Honni soit qui mal y pense » tandis que notre légation est l’image même du campement. Il est vrai que je n’aimerais pas lire quotidiennement sur mes tapis Liberté. Égalité. Fraternité ! Lady Cox préside à la cérémonie du thé avec gravité. Elle est well poised, calme, grasse, les yeux innocents. Elle s’enquiert de ce dont je pourrais manquer, ce qui me touche, cette idée n’étant pas venue à l’esprit de Mme Bonin. Je n’ai, dit-elle, qu’à venir la voir si je désire quelque chose, sans peur d’être indiscrète, même des recettes : depuis la marmelade d’oranges (elle en a une inédite), des scones, des muffins, jusqu’à celles du gibier que l’on mange dans ce pays d’un bout de l’année à l’autre. N’admettant point qu’une femme pût se désintéresser de la confection de « petits plats » elle est prête à ouvrir pour moi – bien qu’elle n’ait eu avec mes compatriotes Bonin et Ducrocq que déboires – les portes d’or de son expérience et, pour peu que je le veuille, à me guider à travers les écueils des cuissons et des partages. Qu’elle est bonne et reposante !

426

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

Elle conclut : « Jamais vous ne me dérangerez. Et vous verrez bientôt que mes tulipes méritent leur réputation ainsi que ma glycine. » Seuls existent pour elle les problèmes pratiques et – heureuse entre toutes les femmes – elle les résout triomphalement. 20 février 1920 Une minuscule bouteille d’eau oxygénée coûte 75 francs, un kilo de savon pour la lessive 30 francs et trois kilos de sucre 40 ! Je suis effrayée en lisant chaque matin le livre de cuisine d’Hossein qui me vole, bien sûr – mais modérément – car si H. n’obtient pas sous peu sa gérance, nous ne pourrons vivre avec son seul traitement. 21 février 1920 Quel pays ! Il faut mettre sous clé l’orge du cheval qui, sans cette précaution, jeûnerait, le sucre, les confitures, les couverts d’argent, les cigarettes, tout ce qui se consomme ou s’emporte. Et impossible de découvrir le coupable ; les domestiques ont tous quelque chose à se reprocher et ne se dénoncent jamais. 22 février 1920 Un des principaux griefs de Bonin contre son collègue Sir Percy Cox est que ce dernier l’a placé à un dîner officiel, après tous les ministres persans, incorrection qu’il juge contraire au protocole et faite volontairement. Inquiète, je demande à H. « Allons-nous à cause de lui être obligés de snober les Anglais qui, de loin, sont les plus agréables à voir à Téhéran ? et pour qui nous avons toujours eu de l’amitié ? » Il répond : « Nous ferons comme nous avons toujours fait : si Bonin n’est pas content, il n’a qu’à s’en aller ou demander mon changement. » 23 février 1920 Le premier incident a éclaté dès l’arrivée de Bonin sur le sol persan : à cette époque le Gilân était en révolution et la légation d’Angleterre avait mis à la disposition du ministre de France des automobiles qu’il n’aurait pu trouver ailleurs. Bonin se hâta de les couvrir de tricolore et arriva dans cet équipage à Téhéran puis, sans s’informer de savoir s’il y aurait une note à payer, avisa Paris que les Anglais lui avaient fourni des voitures à titre gracieux. Dix jours après, mécontent du déploiement des drapeaux français, Sir Percy envoya la facture. « Et elle était salée ! » me dit Ducrocq, se mettant en colère à ce seul souvenir.

Téhéran 1920

427

24 février 1920 Un second incident, plus grave, éclata plus tard : Bonin avait amené avec lui un matériel complet de télégraphie sans fil dont une antenne fut volée en route puis retrouvée – volée par les Anglais selon le ministre, pour l’examiner. Par goût du mystère, il fit monter secrètement la station et, quand l’été, la légation fut transportée dans les collines, il envoya son monteur l’installer dans le jardin puis, pour couper court aux commentaires ne pouvant manquer de se produire, il prétendit qu’il essayait une machine pouvant produire de l’électricité dans la maison. Personne n’en crut un mot. À Shemrân, comme à Téhéran, il n’existe, pour le moment, aucune possibilité d’être éclairé par un autre système que celui des lampes à pétrole, on n’y trouve ni fil, ni fournitures, ni lustres. Un jour, Sir Percy invita les Bonin et les Ducrocq à déjeuner et quand ils revinrent à la légation de France, ils apprirent que deux officiers anglais s’étaient promenés dans le jardin et avaient découvert la station secrète. « – Vous voyez ce machiavélisme, dit Ducrocq. L’invitation, c’était pour nous éloigner de la maison ! » Le lendemain, Bonin accusa le coup en écrivant à son collègue qu’il regrettait de n’avoir pas été là au moment de la visite de ses deux collaborateurs parce qu’il eut été heureux de leur montrer en détail l’installation de la télégraphie sans fil. » Comme l’on pouvait s’en douter, Sir Percy répliqua que les passants, en Perse, ont le droit consacré par l’habitude, de pénétrer dans les jardins et de s’y reposer sous les arbres ; que les deux officiers n’étaient pas en service commandé, etc. Il tombe sous le sens que les Anglais disposant de moyens puissants en Perse et de centaines d’espions de diverses nationalités n’auraient pas choisi deux officiers en uniforme pour éclaircir un mystère qui fut forcément divulgué peu après, par le premier communiqué envoyé par la presse parisienne. Ce fut la déclaration de guerre entre les deux hommes. Sir Percy Cox, ancien officier politique aux Indes, n’a pas la manière, il n’est pas mieux disposé à l’égard des Français que son conseiller, le colonel Haig, mais Bonin a fait ce qu’il a pu pour le mécontenter. N’étant guère diplomate, le colonel ignore les roueries et les douceurs persuasives du métier et, n’étant pas très intelligent, il suit avec application la politique que le Foreign Office lui trace de loin, comme le cheval suit sa route avec ses œillères. Il est d’autant plus autoritaire et cassant qu’il est fort timide. Peut-être faudrait-il lui faire confiance et avoir de la patience pour percer cette carapace ? 25 février 1920 La porte du couloir est enfin placée mais le courant d’air se produit encore puisque l’on a oublié de garnir de vitres la partie supérieure restée à jour ! Il

428

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

ne faut pas trop demander. De longs palabres et une dépense supplémentaire d’énergie seront nécessaires pour que le travail se termine. Que de corbeaux, ces tristes oiseaux ! les femmes et leurs longs voiles noirs leur ressemblent et, lorsqu’elles sont assemblées, je m’attends à les voir prendre leur vol en même temps qu’eux. 26 février 1920 La nuit dernière, le toit en boue de la maison des Ducrocq s’est affaissé par endroits et des gouttes d’eau son tombées dans la chambre à coucher. Pour parer à une catastrophe imminente, Marie y est montée, suivie par son cosaque et tous les deux, recevant sur leurs épaules une pluie fine et glaciale, ont poussé de long en large le lourd rouleau qui tasse la terre. Georges, resté bien au chaud sous ses couvertures dirigeait l’opération des terrassiers en leur criant « Un peu plus à droite . . . Maladroits ! Vous voyez bien que c’est là que ça tombe ! » 27 février 1920 Renvoi du cosaque. Il a à demi assommé le palefrenier (mehtar) à coups de crosse d’une main, de gifles de l’autre. Il est étonné de la mesure, les Persans ayant l’habitude de battre leurs domestiques. Les étrangers eux-mêmes parfois à bout de patience, s’y laissent aller. Marie Ducrocq me disait que, souvent, elle ne pouvait se retenir d’envoyer une claque à son valet de chambre. « C’est nécessaire pour le remettre dans le droit chemin ! » Je ne pourrai jamais approuver ces pratiques. Mme Bonin m’emmène rendre visite à la femme du Président du Conseil. Les hauts fonctionnaires ou ministres n’encouragent guère les leurs à recevoir des étrangères, ils ont généralement deux épouses légitimes, quelquefois trois. Quand nous pénétrons dans l’andarun, une servante habillée d’une robe de coton, les cheveux tressés en nattes serrées, pendant dans le dos, de minuscules pantoufles brodées aux pieds, nous fait signe de nous asseoir sur des fauteuils prétentieux couverts de velours mordoré. Cinq minutes se passent et d’autres femmes viennent à nous. Qui peuvent-elles être ? des invitées ? des parentes ? nous ne le saurons pas. Par le truchement de l’interprète que nous avons amenée et qui s’exprime dans un français approximatif, nous apprenons que la [khânum] de la maison est en train de s’habiller et ne tardera pas à nous recevoir. Les femmes en profitent pour nous poser des questions ; curieuses, très chattes, riant, plaisantant, parlant sans doute de nous entre elles, de nos étranges toilettes dont elles tâtent sans façon l’étoffe, la fourrure de nos manteaux. L’une d’elles s’enhardit jusqu’à soulever le bord de ma robe et ce sont alors de grands éclats de rire : « – Elles se demandent, me dit l’interprète, ce que vous pouvez bien avoir dessous ! »

Téhéran 1920

429

Une autre porte s’ouvre et une très vieille servante ridée, parcheminée, portant un voile d’une propreté douteuse sur la tête, nous demande de passer dans un autre salon où se tient un groupe comme l’on peut en voir sur les tableaux espagnols : la khânum du président du Conseil et ses filles, toutes peu jolies, en dépit de leurs yeux si sombres et du teint de pêche mure de la cadette. Tous ces visages sont inintelligents. La mère, grasse comme il se doit, est imposante dans sa robe de velours vert, brodée d’or mais de coupe informe, velours si épais qu’il se tient « presque debout » comme disent les couturières. Elle prononce quelques mots aimables à l’intention de Mme Bonin puis, ce devoir accompli, se tourne vers moi et m’oblige à répondre aux questions suivantes : « – Est-ce que vous aimez la Perse ? Alors vous vous y habituez facilement ? . . . Est-ce que vous avez des enfants ? . . . Ce n’est pas possible ! Mais depuis combien de temps êtes-vous mariée ? . . . Trois ans ? Ah ! comme c’est triste. Mais vous ne vous désespérez pas ? Mais non, vous en aurez peut-être bientôt . . . » Son regard noir revient vers Mme Bonin et par son air de commisération elle sent qu’un même malheur accable les Françaises (elle sait que Marie Ducrocq est dans le même cas). Peut-être pense-t-elle que nous sommes toutes stériles ? « – Vous avez vu ? me demande Mme Bonin en sortant, on ne s’amuse pas chez les Persanes. La même scène se renouvelle chaque fois – même avec celle que vous venez de voir. Quand elles vous connaissent un peu mieux, elles y ajoutent la description des défauts de leurs maris. Mais il n’y a rien d’autre à en attendre. » 28 février 1920 Vers quatre heures ce matin, Marie la bâji, vient frapper à ma porte, larmoyante. « Madame ! le pauvre cosaque . . . – Eh bien ? – Madame, il dormait et il a senti quelque chose lui tomber sur la figure. Il a cru que c’était un voleur. Je lui ai parlé à travers la porte mais je n’ai pas osé entrer et il a continué de crier. J’ai peur ! Comme je n’entends plus rien maintenant, il est peut-être mort ? . . . » Pensant qu’il est inutile de réveiller H. qui dort d’un sommeil d’enfant, je prends la lampe de Marie et la précède. « Oh ! Madame . . . prenez garde ! » J’ouvre sa porte et, tout d’abord, je ne vois personne puis j’aperçois le cosaque recroquevillé dans un coin, tremblant de frayeur. En cherchant ce qui a pu se passer, je vois que le plafond en boue séchée a fondu sous le poids de la pluie . . . Le fanfaron ! Avec son arsenal de bataille, le fusil chargé et posé comme un parapluie contre la table de nuit ! . . . Je n’ai jamais tant regretté de ne pas connaître quelques injures bien blessantes en persan – et cette langue n’en manque pas ! – et je me contente ce matin de le renvoyer à sa caserne. C’est déjà le second depuis notre arrivée.

430

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

29 février 1920 Les chevaux de l’écurie du shah ont tous la queue peinte en violet. De plus en plus nombreux, les juifs viennent nous proposer des antiquités ou des objets qu’ils veulent faire passer comme tels. Après avoir attaché à la porte leurs ânes coléreux, ils font un étalage dans le corridor ou, s’il ne pleut pas, dans le jardin car l’entrée du salon leur est interdite. Trop de poussière et d’odeurs désagréables. Nous n’achetons que peu de choses, mais ils en ignorent le découragement et pensent – ce qui est exact – qu’un temps viendra où nous nous déciderons : « Kheyli khub, khânum [très bien ! Madame] . . . y a pas autre dans Perse. » Tout est exceptionnel, tout est beau et ils ne nous quittent pas du regard. Le jeu du marchandage peut-être aussi décevant pour eux que pour nous (je le déteste mais dois le jouer) car eux non plus, lorsqu’ils ont eu raison de notre endurance, ne savent pas s’ils ont eu le tort de céder trop vite et s’ils n’auraient pu obtenir plus. Mais au moins ils se sont amusés. Dîner-danse chez Mrs Caldwell, gai celui-là. Elle a eu l’idée, pour varier un peu le protocole monotone, de mêler ses invités en faisant distribuer à chacun d’eux une enveloppe contenant un carton sur lequel a été écrit le nom d’un homme ou d’une femme célèbres ou tirés d’une œuvre de Shakespeare. Ceux dont les souvenirs littéraires ou historiques sont vagues n’ont qu’à aller consulter un plan de table. Bien sûr, Antoine se trouve près de Cléopâtre, le serpent entre Adam et Ève, Hélène entre Pâris et Ménélas, etc. Chacun de nous, tournant toujours dans un cercle restreint, est habitué, selon son rang diplomatique ou son importance, à se retrouver auprès du même voisin ou voisine et, pour un soir, tout le monde est libéré de la question préoccupante « Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ? La dernière fois nous avons parlé de . . . » Gaieté joyeuse, non partagée par un seul convive : Bonin, abandonné de tous et digérant dans un coin. Mallet, le jeune secrétaire anglais, un peu ivre, ressemblant à un king Charles, montre une affection débordante pour ses collègues et leurs femmes. On danse, on gigue et l’on rit. Un soir à marquer d’une pierre blanche10. 1er mars 1920 Promenade en voiture avec H. aux portes de la ville. Il faut profiter des rares éclaircies. Montagnes mauves dans les derniers rayons du soleil. Mais rien n’est comparable à la puanteur de cette ville sans égouts où toutes les ordures ménagères, les déjections, sont jetées dans les ruisseaux. Les épidémies enlèvent à 10  Voir la description de cette soirée dans le journal de G. Ducrocq.

Téhéran 1920

431

la Perse le surplus de sa population permettant à ceux qui restent de subsister mais ce contraste d’extrême misère et de grande richesse est aussi lourd à supporter qu’à observer. Dans les terrains vagues, les cadavres d’ânes et de chameaux laissés là où ils sont tombés sont dévorés par les vautours et, jusqu’à ce qu’ils aient terminé leur festin, l’odeur que l’on respire est infecte. Ces oiseaux rassasiés volent ensuite par bandes pour venir se poser sur le toit des maisons en attendant les prochaines victimes. 2 mars 1920 Les Bonin nous invitent à déjeuner avec les Belayef. Un petit homme jauni, dévoré par ses nerfs et une maladie de foie, qui sera sans doute le dernier chargé d’affaires en Perse de la Russie de l’ancien régime. Bonin et lui s’entendent comme larrons en foire, discutent, complotent et le premier va jusqu’à adoucir pour lui la lueur dure de ses yeux gris, dissimulant l’ironie de son sourire sous des encouragements. Madame, vulgaire dans sa robe rouge-sang, ses cheveux noirs frisés au petit fer, ses lourds bijoux, semble sortie d’une maison close pour matelots. Mme Bonin, dûment stylée par son mari, l’assiège d’amabilités mais elle s’est toujours refusée à assister à leurs expériences de tables tournantes – le couple est spirite – éprouvant une méfiance instinctive à l’égard des esprits et redoutant d’éveiller leur attention. La Russie des Tsars était en Perse la grande rivale de l’Angleterre. Son chef habitait une immense maison contenant des salons et une salle de bal et son personnel diplomatique les spacieux pavillons disséminés dans le parc. Depuis la chute de Nicolas ii et le départ du dernier chef de poste, tout tombe en ruine, aucune réparation n’est faite et, en Perse, tout ce que bâtit l’homme risque sous le vent, la neige, la pluie, le sable, de s’écrouler un jour comme si les termites s’y étaient logées ; l’herbe pousse dans les allées, les bassins sont couverts de feuilles mortes et les jets d’eau dont les conduites sont rouillées ont depuis longtemps cessé de s’élever dans les airs. Le château de la Belle au bois dormant – sans belle ni prince. 3 mars 1920 Au dîner chez les Ducrocq, Hart, le directeur de la Banque impériale, laisse tomber sa boite d’allumettes et Marie lui dit « Ne vous donnez pas la peine de les ramasser . . . demain le gholam le fera ! » Il continue à les prendre une à une et dit : « Mais . . . elles sont à moi ! » Le cheval que Félix nous a vendu pour l’atteler à une petite voiture et que nous ménageons comme un enfant, ne peut plus marcher. Le vétérinaire appelé me dit « Il a au moins quatorze ans et ne passera sûrement pas l’été ! » H. va le renvoyer à Félix.

432

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

4 mars 1920 Plus de cheval et partant plus de promenade. On nous présente quelques haridelles visiblement à bout de souffle que le mehtar, qui touche sur la vente une commission, nous recommande chaleureusement. On est entouré de voleurs et de filous – et les commerçants français ne valent guère mieux que les autres. Départ des Catalani. Quand un Européen quitte la Perse, ses collègues du Corps diplomatique viennent le saluer, les mains chargées de fleurs s’il y en a, de bonbons si l’on en trouve ou de petits présents en argent achetés chez les bijoutiers du Bazar. Catalani a la couleur d’une confiture de coings et sa femme la tête d’une excentrique de music-hall. Ils sont radieux, ayant depuis le lendemain de leur arrivée attendu ce jour avec une dévorante impatience. Je ne serais pas fâchée de partir, moi aussi. 6 mars 1920 On nous amène deux chevaux : l’un est aveugle, l’autre boiteux ! 7 mars 1920 Toujours pas de cheval ni de Bâzâr qui, moins beau que celui de Constantinople, est cependant une des grandes distractions de ce poste. Bonin, que son personnel surnomme « Toutou » parce que dans ses moments d’humeur, il semble aboyer, vient d’interdire à Ducrocq de faire passer sur l’écran de cinéma de l’Alliance Française deux films de propagande de l’armée et envoyés de Paris. Raison : les titres sont écrits en français et . . . en anglais ! Il ne parle plus de son départ. Si nous avions su ! . . . et cependant d’après Malzac, il avait décidé de partir dès l’arrivée d’H. Il a sans doute voulu donner un démenti aux bruits qu’ont fait courir Sir Percy et son entourage et voulu prouver qu’il n’était nullement rappelé en France en raison de son attitude anti-anglaise. Malzac le déteste tout autant que le reste de son personnel : « Pour lui, dit-il, nous sommes tous des citrons : tant qu’il reste du jus, nous l’intéressons. Moi, je suis vieux et ne me suis pas laissé faire. Mais voyez Ducrocq, il se laisse toujours pressurer. » Et de fait, Ducrocq qui apprécie les avantages inespérés de sa situation militaire, lui est tellement reconnaissant de l’avoir emmené avec lui qu’il lui communique non seulement les renseignements obtenus par ses informateurs (« faux pour la plupart » dit H.) mais le laisse télégraphier pour son compte tout ce qu’il a récolté. Le métier militaire a mis son empreinte sur Ducrocq dès l’instant qu’il a eu abandonné la vie civile pour entrer au ministère de la Guerre ; il en a attrapé tous les tics et manies ; à voir les papiers s’entasser dans ses bureaux, l’on pourrait croire que son existence s’est écoulée tout entière dans les états-majors. Il

Téhéran 1920

433

reproduit ses télégrammes et ses rapports à cinq exemplaires et, comme il se plaint devant moi de ce travail, je lui demande à qui ils sont destinés. Il compte sur ses doigts : l’un pour la Guerre, l’autre pour les Affaires étrangères, un troisième pour ses dossiers mais il ne peut se souvenir de la destination des deux derniers ! Le règlement veut qu’il établisse cinq exemplaires et il s’y conforme malgré le danger de multiplier des papiers dont la plupart sont considérés comme étant confidentiels. « – Un officier me dit-il un peu penaud, n’a qu’à obéir à ses chefs, aux ordres. » D’ailleurs distrait, brouillon, il perd une partie de ses documents et passe des heures à les rechercher (généralement il les a glissés inconsciemment sous des piles de papiers) alors il appelle « Marie ! » et c’est à elle de les retrouver. 8 mars 1920 Arrive ce matin un petit cheval blanc assez gentil. Avertis par l’expérience, nous exigeons de le prendre à l’essai pendant trois jours. Thé au Club impérial, l’endroit le plus sinistre de Téhéran qui pourtant n’en manque pas. Le prince Šo’â os-Saltana, fils de Mozaffar od-Din Shah et oncle du souverain actuel, me demande si, depuis mon arrivée, j’ai rencontré des dames persanes ? « Une seule, dis-je, et la nécessité d’emmener une interprète est gênante. – Ne voudriez-vous pas venir voir mes filles ? Elles ont reçu une éducation européenne » Sur ma réponse affirmative « Mes enfants seront toujours malheureuses et cela par ma faute . . . Cependant il faudra bien un jour arriver à éduquer les femmes et à enlever leurs voiles ? Où faut-il les laisser dans l’ignorance d’autres mœurs ? Moi, après avoir éveillé chez mes enfants l’intelligence et le goût de l’indépendance, je les ai replongées dans l’esclavage. » C’est la première fois que j’entends un Persan parler aussi franchement et humainement. Le prince a un visage fatigué et ridé de noceur mais il est sympathique et libéral, flirte avec l’extrême gauche et est abonné au Populaire. Sa tête a été autrefois mise à prix par le Parlement pour avoir conspiré en faveur de son frère Mohammad-Ali Shah, puis, ayant échoué dans cette entreprise, il a été exilé en Europe pendant quelques années. On dit qu’il n’a pas perdu tout espoir de monter sur le trône à la faveur d’une révolution et que comme la plupart de ses compatriotes, il est prêt à se vendre à la puissance étrangère la plus offrante qui lui permettrait de réaliser ses plans. Je lui promets d’aller voir ses filles. 9 mars 1920 La plus jolie femme de Téhéran où cette denrée est rare est sans conteste une russe mariée à un ancien officier de la garde Impériale, Lassen, qui appartient maintenant à la gendarmerie persane. Il l’a épousée à Saint-Petersburg où elle

434

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

dansait dans le corps de ballet, envoûté par sa grâce, son charme. Sans aucune fortune (elle se prétend princesse géorgienne – mais quelle femme n’est pas princesse en Géorgie ?) elle dépense en robes et colifichets toute la solde de son mari, ajoutant à ses toilettes pour les rendre plus dispendieuses, des fourrures, des paradis, des aigrettes. Il est vrai que, pour tailler et coudre, elle se sert d’une cousine pauvre, également géorgienne et princesse. Son élégance native en dissimule les imperfections. J’aime à regarder son teint d’une couleur hésitant entre le crème et le rose des perles, son nez un peu écrasé, mais si peu, de chat angora, ses yeux marrons et bridés – mais si peu – ses cils longs, épais, ses lèvres charnues et ses dents saines. Un beau paysage vivant. Naturellement elle est courtisée de près par les jeunes hommes et aussi les moins jeunes comme le colonel Haig qui brûle pour elle d’une passion aussi romanesque que désespérée. 10 mars 1920 Nous « montons » à Shemrân pour choisir une propriété pour l’été. Pour nous ? pour les Bonin ? Un jour ils semblent sur le point de partir et le lendemain ils sont encore là. Shemrân est triste comme sont tristes toutes ses maisons à demi effondrées par la neige et les grandes pluies. Dans les collines lorsqu’une habitation tient debout pendant quatre mois – les quatre mois pendant lesquels on la louera à des farangi-s – son propriétaire est satisfait. L’année suivante, on verra venir. Une grande maison appartenant à la banque Toumaniantz a grand air, ferait une légation honorable et les pavillons dans le grand jardin pourraient être affectés aux drogmans et à l’attaché militaire. Il me semble que ces quatre mois d’été seront longs à passer. 11 mars 1920 Mme Bonin qui a un jour, le jeudi, voit se terminer avec satisfaction ce qu’elle appelle la saison mondaine. Marie Ducrocq et moi sommes chaque fois de corvée, passant notre temps debout, à offrir des gâteaux qui ne sont jamais bons et en nombre insuffisant, du thé qui n’est jamais chaud parce qu’un samovar coûte dix tomans et que le ministre refuse d’en faire la dépense . . . « C’est une somme considérable pour une inutilité ! » a-t-il dit. La nature peu économe de sa femme le fait sortir de ses gonds et il la morigène sans douceur. Dolente, elle ne veut s’occuper de rien et livre sa maison aux serviteurs ; un intendant retors, Habibollâh, sale et obséquieux, la délivre de tout souci matériel. Il sait, comme elle dit, se débrouiller, mais en la volant ce qu’elle n’ignore pas sans beaucoup s’en soucier et, ô prodige, cet homme est même arrivé à endormir la méfiance du ministre qui parle de ses mérites et de son dévouement. Afin que

Téhéran 1920

435

ses comptes ne soient pas épluchés par son Harpagon, Mme Bonin les écrit en persan « comme cela il ne peut ergoter sur les prix » et elle fait passer de la même façon les gratifications qu’elle donne à son personnel. Pour être une femme agréable il ne lui manque qu’une bonne éducation. Certes elle n’est pas vulgaire, mais elle n’a aucun sens du ridicule. Sa mère était plus occupée à ouvrir son alcôve aux républicains qu’à s’occuper d’elle et son plus grand malheur a été d’être mal mariée. Elle n’aime guère son mari mais à la demi-solitude qu’elle pourrait trouver à Paris, elle préfère la vie diplomatique et, bien que sans enfants ni sentiments religieux, elle ne peut se résoudre à envisager un changement ni un divorce. 12 mars 1920 Nous achetons le cheval blanc pour 155 tomans. Il durera ce qu’il durera mais peu habitué à être attelé à une charrette, il rue dans les brancards. Il s’appelle Almâs (diamant !) 13 mars 1920 Une forêt de sapins nains sort tout d’un coup du jardin . . .  14 mars 1920 Accomplissant ma promesse, je me décide à aller rendre visite aux princesses Šo‘â os-Saltana. Un intendant m’attend à la porte, me fait traverser le jardin, contourner le birun puis pénétrer dans une grande maison où les servantes sont vêtues de cotonnade claire, coiffées d’un voile de tulle. Deux jeunes filles s’avancent vers moi : dix-huit et vingt ans. Elles portent en plein jour des robes exagérément décolletées que l’on pourrait prendre pour des robes de cour. Les cousines de Sa Majesté le shah sont fort jolies, les yeux noirs railleurs mais leur expression abandonnée, molle, ferait deviner si on l’ignorait, leur origine orientale. Leurs traits se dépêcheront de s’empâter dans la quiétude et l’ensevelissement de l’andarun. Elles m’accablent de questions sur la vie à Paris : « – Pensez-donc ! me dit Mahine, l’aînée (la cadette se nomme Houma), nous sommes restées en pension dans un couvent belge pendant 9 ans. Puis nous avons fait un long séjour à Paris avec notre frère. » Un séjour inoubliable dont elles parlent entre elles presque tous les soirs quand le poids des heures grises de l’andarun est trop lourd. Le frère était gentil, il les conduisait visiter les Musées, les monuments, Invalides et autres. Et je leur demande « – Vous vous intéressez aux Beaux arts, princesses ? » Elles éclatent de rire devant ma naïveté. Non, pas particulièrement mais c’était la seule façon de se débarrasser

436

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

de leur mentor, elles le laissaient en contemplation devant une toile, pénétraient dans une autre salle et, par une sortie repérée d’avance, elles allaient vers la liberté. Le soir, retrouvant le jeune homme, elles prenaient l’offensive pour éviter d’être grondées, lui reprochant leur propre faute : « Tu nous as perdues exprès pour aller courir les thés dansants ! » Il n’était pas dupe, mais ayant, dans un moment d’abandon, confié aux deux sœurs quelques peccadilles, il savait qu’elles auraient l’effronterie d’aller les conter à leur père s’il se plaignait de leur conduite : « – Papa était si gentil, soupire Mahine, et comme il était heureux lorsqu’il entrait dans les restaurants avec nous si les gens le croyaient en bonne fortune . . . – À présent, gémit sa sœur, vous voyez où nous en sommes ? dans une prison. Personne à qui parler, les femmes qui nous entourent sont stupides, ignorantes. Elles rougissent de nos robes différentes des leurs, de nos remarques. Ah ! retourner là-bas, quel rêve ce serait. » Ayant mangé des sucreries à en être écœurée, pour leur faire plaisir, je prends congé et elles disent en chœur : « Oh ! revenez souvent ! vous nous ferez tant de bien ! » Est-ce sûr ? Et ne serait-il pas plus sage pour elles d’oublier l’autre monde et ceux qui y vivent ? 15 mars 1920 Incendie de l’Hôtel de France, le seul où peuvent descendre les Européens, et de la maison de Guésatz. Les cosaques appelés pour donner main forte aux pompiers ont tout pillé et empêché les étrangers accourus d’aider au sauvetage. Ils apportaient des seaux d’eau qu’ils versaient sur les flammes et les remplissaient de choses diverses. Leurs officiers laissaient faire ou prenaient leur part du butin. 19 mars 1920 Les Ducrocq m’offrent un lévrier gris que nous appelons Orso et hier, est arrivé un chat angora fauve, Daphénéo. Ils mettront un peu de vie dans la maison très solitaire (et glacée), lorsqu’H. travaille à la Légation. Il me faudra encore un cheval de selle lorsque nous aurons économisé quelques tomans. Chez Lady Cox. Elle m’a priée de venir prendre le thé en famille ce qui est de sa part un grand honneur, une adoption. Sa vie s’écoule doucement, faite d’enfantillages et de petites tâches, traversée de réceptions comme celle d’il y a quelques jours où elle recevait en grand décolleté, charnue et souriante, appuyée légèrement au cadre d’or du portrait de la reine Victoria peinte en robe de cour. Elle ne s’occupe pas de politique et les démêlés de son mari avec les Persans ou le terrible Lord Curzon la laissent indifférente mais il y a les tracas causés par un nombreux personnel domestique : – des natives !

Téhéran 1920

437

me dit-elle accablée, comme si l’on ne pouvait attendre d’eux que des catastrophes. Et cependant ceux qu’elle emploie ont été dressés par leurs aînés, se succédant de père en fils, recrutés dans le village que l’Angleterre possède dans les collines. Pour Sir Percy et quelques uns de ses collaborateurs, Victor Mallet, le colonel Haig et Baxter, l’heure du thé est une détente : il est interdit d’y parler d’affaires politiques. Sec, timide, les os saillants sous une peau tendue à se rompre, sir Percy accueille son chien avec tendresse et condescend, sans se départir de sa gravité, à se laisser pincer le doigt par son perroquet vert. L’oiseau se penche sur son épaule et un accident se produit, coulant sur le veston de tweed qu’il essuie sans en avoir l’air avec un mouchoir : « – Vous avez vu ce qu’il a fait ? s’écrie Lady Cox, très choquée. Dès que mon mari arrive ; l’oiseau s’agite jusqu’à ce qu’il le détache de son perchoir. » Sir Percy me demande « si le départ de M. Bonin a été fixé ? » et la question est posée d’une voix si glaciale que je pourrais comprendre, si je ne le savais déjà, qu’il le déteste. « – Non ! » dis-je simplement. Je ne puis ajouter que c’est un peu de sa faute. Sir Percy me fait toujours penser aux portraits d’Hudson Lowe à qui il ressemble par plus d’un trait physique et moral ; s’il n’a pas un Napoléon à garder, il essaie de maintenir intact le prestige de la Grande Bretagne, tâche quasi surhumaine. 20 mars 1920 Une lettre de Darius Milhaud du . . . 6 janvier. À Téhéran l’on attend comme le Messie la correspondance, les revues, les journaux dont il semble que les textes soient jaunis, déflorés lorsqu’ils arrivent. Il donne des nouvelles de tous ceux que nous avons laissés là-bas. « Dans les samedistes, ces quinze derniers jours ont été bien agités. [. . .] « Le prince Firouz, ministre des Affaires étrangères de Perse vient à nos samedis chez Bessonneau. Dire que vous faites un si long voyage quand il vous aurait suffi de venir à mes samedis pour accomplir votre devoir. Il s’intéresse beaucoup à mon Bœuf et a donné 10 000 francs. « D’ici quelques mois nous aurons tout Paris, toute l’Europe à nos samedis. Socrate doit paraître ces jours-ci. Ce sera mon petit cadeau du jour de l’an pour Mme H.H.H. » Et en ps ceci : « J’oubliais le dernière de Cacique pour amuser Mme Hoppenot. Il paraît que la plupart des exemplaires de l’édition du Ballet ont été copiés par sa femme en imitant son écriture. C’est d’une honnêteté bien relative pour les souscripteurs impatients d’avoir un manuscrit de l’auteur. Des bruits courent qu’il ira à Varsovie, Pralon devant rentrer. »

438

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

Très triste de la mort de Fauconnet. Je me demande si nous, ses amis, incapables de deviner son dénuement, n’en sommes pas un peu responsables ? Il était si fier, si doux et sympathique, – le plus sympatique, peut-être, Darius excepté – de notre bande du samedi. Cette lettre remue en moi des nostalgies, non celles de Paris, mais celle des concerts, de la musique qui a été si longtemps le but de ma vie. J’en suis tellement sevrée ici. Les pianos sont introuvables et nos relations avec les Bonin trop peu cordiales pour que je leur demande l’autorisation d’aller jouer sur celui de la Légation. 21 mars 1920 Le Nowruz. Jour de l’an persan qui vient d’être annoncé par un coup de canon. Réception du Corps diplomatique au Palais impérial puis défilé des troupes devant le Vali’ahd ou Gérant en l’absence du shah. Sur son kolah d’astrakan fin est posée une aigrette sur laquelle scintille un énorme diamant. Des cosaques – un groupe vêtu de noir caracole sur des chevaux blancs – ont revêtu leur uniformes aux couleurs vives coiffés de bonnets faits de peau de chèvre et les fonctionnaires portent des robes de cachemire. Il fait sec et froid et, perdue d’étonnement devant ce spectacle, je me demande si cet anachronisme durera longtemps encore. Et même où seront tous ces Russes de l’ancien régime l’année prochaine ? L’après-midi visite de courtoisie à la femme du président du Conseil, puis à celle du ministre de la Guerre. L’intérieur de l’andarun de celle-ci, fort coquet, sent le musc à vous incommoder. Comme la dernière fois nous sommes examinées par d’autres visiteuses qui, ayant quitté les longs voiles de satin noir qu’elles portent dans la rue, sont vêtues comme des gravures de mode de 1870, couvertes de bijoux clinquants européens. On nous bourre de bonbons, gâteaux, fruits confits et autres douceurs que ces dames confectionnent ellesmêmes pendant leurs loisirs forcés. 22 mars 1920 En l’absence du shahinshah, le Vali’ahd, son frère, reçoit les dames du Corps diplomatique venues lui apporter souhaits et félicitations. Le shah n’a encore que des concubines et, s’il mourrait sans enfants légitimes, le Vali’ahd lui succéderait. Jeune, les yeux très noirs, les joues très roses, tel un éphèbe de miniature persane. En France on le prendrait pour un métèque. Fort mal élevé, il joue à l’homme dégagé, impertinent. Il a demandé un jour à M. Molitor s’il n’avait jamais eu la chaude pisse et, voyant l’autre plongé dans l’embarras, a ajouté « Oh ! ce n’est pas tellement déshonorant : j’en ai bien une en ce moment ! » Il porte la redingote nationale à plis creux, à l’encontre du shah qui ne la revêt que pour les cérémonies officielles. Il nous reçoit affalé dans un fauteuil,

Téhéran 1920

439

paraissant souffrir. « J’ai des gouttes dans les pieds », dit-il dès que nous lui avons fait trois révérences, conduites par le chef du Protocole. « Quelles journées ! J’ai dû recevoir en audience des mollahs et ils m’ont obligé à m’asseoir par terre avec eux. Et je peux à peine me traîner ! Ces gens grossiers ignorent l’usage des chaises. Et si vous saviez comme ils sont sales ! » Ici, Lady Cox poussée par la grande préoccupation de sa race, l’hygiène, demande « Aoh ! Est-ce qu’ils ne prennent jamais de bains ? » Lady Cox, vivant ici comme la femme d’un vice-roi, n’a jamais voulu pénétrer dans une maison persane ou un andarun. Le Vali’ahd se met à rire « Non, je ne crois pas . . . » Puis il nous fait remettre à chacune un sac minuscule contenant . . . deux piécettes d’or : son cadeau de Nowruz ! Autrefois, dans les époques heureuses, c’est à dire riches, les dames en recevaient une poignée. Nous les acceptons forcées, mais cachant notre répugnance. « – C’est la première fois, dis-je à H., en lui narrant l’entrevue, qu’un homme me donne de l’argent ! » 27 mars 1920 Le verre de la lanterne de notre voiture ayant été brisé, le réparateur vient à la chancellerie de la légation demander deux tomans. Le mehtar, en l’apprenant, dit que le prix convenu avait été d’un toman et demi. Il envoie le cosaque chercher le marchand, ramené séance tenante à la maison sous la pluie, pour lui faire rendre la différence. Les domestiques n’ont aucun scrupule à voler leurs maîtres, mais ils ne peuvent supporter que d’autres le fassent à leur place. Le lévrier Orso souffre de gastrite et je dois le faire conduire chez le vétérinaire. C’est un chien hypocondriaque, peureux et maussade. Pas du tout celui qu’il m’aurait fallu. 28 mars 1920 Orso est en fuite, la maison sans dessus dessous, car j’ai tancé sévèrement la bâji et le mehtar qui ont laissé la porte ouverte d’un jardin pourtant bien clos. On retrouve le fugitif à . . . la Monnaie où il s’était réfugié ! Il lèche avec un plaisir évident la purge qui a été préparée pour lui. 29 mars 1920 Renvoi du cosaque qui a battu ‘Aziz le marchand de tapis juif, un de nos plus sérieux fournisseurs d’antiquités et de tapis parce qu’il se refusait à lui donner un piškeš11 et il n’a dû la vie qu’à l’intervention des gardes de Fahim od-Dowla. En rentrant du déjeuner offert par le Sepahdâr dans sa maison de campagne, nous découvrons le cuisinier Hossein ivre mort, ronflant dans un coin de sa cuisine et incapable de faire notre dîner ! 11  Cadeau, commission.

440

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

2 avril 1920 Chez Starosselsky, le commandant de la Division persane de cosaques, dirigée par des officiers russes. Dîner pantagruélique. Staro, comme on l’appelle, est le type du grand aventurier, à la tête rasée, aux gros sourcils broussailleux laissant à peine paraître une paire d’yeux bruns, amusés et cyniques, du grand passionné de jeux sous toutes leurs formes, du grand buveur et grand mangeur. Il croit être le représentant actuel de l’ancienne Russie, considérant le chargé d’Affaires Belayef comme quantité négligeable. Ses succès contre les bandes de brigands infestant la Perse ne se comptent plus, ses réceptions fastueuses attirent les Persans et aussi les étrangers. La table croule sous l’argenterie massive, les services de la Compagnie des Indes font place à ceux de Meissen ; de nombreux plats sont suivis par des alcools variés. Sa puissance, son ostentation agacent les Anglais qui font leur possible pour la saper, et se méfiant de l’influence qu’il peut exercer sur le shah, ils le font surveiller par leurs espions. 3 avril 1920 Marie Ducrocq, à qui je parle de la beauté vraiment transcendante de Mme Lassen acquiesce mais fait des réserves « sur la valeur morale de la personne ». Elle donne dans sa maison des « fêtes à tout casser » et est toujours à court d’argent. Selon la coutume russe l’on y boit de la vodka à flot en mangeant du caviar, des zakouski, on y casse les verres et ces réceptions ne se terminent jamais avant le lendemain à l’heure du déjeuner. Elle n’a que peu d’argenterie et quand elle en manque, son ordonnance cosaque va chercher celle de Marie, sa voisine, à laquelle elle est rendue sans être nettoyée ! « Ce ménage, dit-elle, est infernal et elle en fait voir de toutes les couleurs à son pauvre mari ». Toujours des dettes. Un soir, après une scène plus violente que d’habitude, elle dit à Lassen : « Eh ! bien donne moi cinq cents tomans et tu ne me verras plus . . . » Elle parvint jusqu’à Constantinople puis quand la somme fut dépensée, revint au foyer conjugal. Elle connaît le prix de sa beauté et sait s’en servir. Très coquette, elle est experte à donner quelque espoir aux Persans friands de belles étrangères, accepte leurs cadeaux puis les envoie promener. Sardâr Akram lui a envoyé une paire de chevaux et une voiture. Elle a pris le tout – puis s’est moquée de lui. 4 avril 1920 Marie la bâji m’offre un œuf peint en rouge et embrasse ma main. À la messe de Pâques, Bonin en grand uniforme, suivi par son personnel, est attendu sur le parvis de l’église puis on lui fait baiser l’évangile en le parfumant d’encens.

Téhéran 1920

441

6 avril 1920 Cette Marie Ducrocq ! Elle a gardé l’habitude de tout comparer à ses impressions de jeunesse : chaque fois qu’elle se trouve en ma compagnie et que quelque chose la surprend, elle s’écrie : « Tiens ! ce n’est pas comme chez nous à Lille » ou « À Lille, on n’aurait jamais osé faire çà ». De son éducation provinciale, elle a gardé d’étroits principes : on ne danse pas deux fois de suite avec le même partenaire, une conversation prolongée avec un ami ne peut prêter qu’à équivoque et, quand elle découvre qu’une femme ne suit pas ces conventions, elle dit, pinçant ses lèvres : « C’est étonnant . . . Je la croyais plus sérieuse ! » 7 avril 1920 H. qui n’est tenu au courant d’aucune affaire politique de la légation, demande à Bonin l’autorisation de lire la correspondance de Lecomte, datant de quatre ou cinq ans. À regret, il lui tend une liasse de papiers, et demande : « Avez-vous un tiroir fermant à clé ? – Non. Mais M. Malzac en a un et je pourrai les lui confier. – Dans ce cas, c’est impossible : M. Malzac n’a aucune qualité pour en prendre connaissance. » Le mot « confidentiel » a pour lui une étrange résonance, c’est en quelque sorte la confirmation de ses hautes fonctions. Mais quelle défiance envers ses collaborateurs. 11 avril 1920 Promenade à Raghès et à la Tour du Silence. Récolte de petits morceaux de poteries irisées. Grands paysages éventés qui redonnent le goût de vivre. Georges Ducrocq, qui nous a accompagnés, me dit que, depuis son arrivée, il prend chaque matin une leçon de russe et une autre de persan ayant l’ambition de parler couramment ces deux langues. Par malheur il n’a ni mémoire ni oreille et en reproduisant les sons avec la maladresse de l’enfant qui babille, il en change l’accent tonique. Après plus de deux ans, ses serviteurs ne comprennent pas ses ordres et sa femme qui, elle, n’a pris aucune leçon, lui souffle les phrases les plus usuelles qu’il répète en les écorchant encore. 12 avril 1920 Smart, Mallet, Baxter, viennent déjeuner. Walter Smart, l’éminence grise de Sir Percy Cox, est intelligent et cultivé. Un front haut, très fuyant, des cheveux blonds cendrés rabattus en arrière, un nez qui parcourt le visage, des narines mobiles et battantes, des cils pâles presque blancs descendant sur un regard dur et dédaigneux, une ligne mince qui, à peine visible remplace la bouche sous une moustache raide coupée irrégulièrement – arrachée dirait-on – de mauvaises dents où traînent des morceaux d’or, un corps tout en os, immense, aux épaules trop larges s’ébattant dans des vestons trop grands,

442

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

c’est un vrai Chevalier de la Triste Figure, à côté de deux adolescents bien bâtis, roses et sans complications morales. Contraste saisissant. Smart n’est pas d’accord avec la politique menée par le conseiller-colonel Haig, ni sans doute avec celle de son ministre. Il en résulte des grincements de dents, des heurts de tempéraments dont on marque les coupes à la Chancellerie de Sa Majesté. « – Je suis né aux Indes, dit-il, d’une mère écossaise et d’un père irlandais : je n’ai donc rien d’anglais. » Mais sous ce détachement apparent, personne n’a plus que lui le souci de défendre les intérêts de la Grande-Bretagne, tels qu’il les comprend. Des études à Oxford, des séjours en France pour y apprendre une langue qu’il parle fort bien. Séjour en Allemagne avec des regrets de la France. « – J’y ai vécu la vie d’un ascète, par dégoût des Allemands. » Refusant de les voir de trop près, il y travaillait dix heures par jour puis, tout à coup, il s’enthousiasma pour les langues orientales et passa les examens du drogmanat. Plusieurs séjours en Perse, à New York, à Tanger. Alors il comprit, une fois pour toutes, qu’il ne pouvait plus se passer de l’Asie. D’où le poste de drogman à Téhéran. Smart est plus intéressant à fréquenter que la plupart de ses collègues, mais quelque chose d’indéfinissable en lui m’inspire de la méfiance. 18 avril 1920 Promenade à cheval à Qasr-e Firuz avec Ziyâ Homâyun, le Persan le plus agréable qu’il m’a été donné de connaître jusqu’à présent. Il est le cavalier attitré de Mme Bonin parce qu’il est bien élevé, qualité rare en Orient, empressé, toujours prêt à rendre service. Il ne cesse de regretter Paris, le Quartier Latin et la petite amie qu’il y a laissée ; ses yeux se mouillent encore de larmes en souvenir de ces temps révolus. Il fréquentait les salons ouverts aux orientaux, comme celui de la comtesse de Clermont-Tonnerre12, cette grande dame folle et hystérique qui a laissé en Perse après plusieurs voyages, un souvenir un peu scandaleux. Elle agaçait fort M. Lecomte et l’on raconte qu’un jour, des troubles ayant éclaté aux environs d’Hamadân où elle se trouvait bloquée, elle fit demander à la légation « si elle pouvait voyager sans danger ». M. Lecomte l’engagea à réfléchir en ces termes : « Vous ne risquez de rencontrer sur votre route que des soldats débandés . . . » Quant à Ziyâ Homâyun, son premier séjour en France se termina après qu’un gros rhume et un médecin pessimiste lui eurent fait craindre le pire pour ses bronches ; affolé comme la plupart des hommes à la moindre alerte physique, 12  Blanche de Clermont-Tonnerre (1856-1944).

Téhéran 1920

443

il se crut perdu et rentra dans sa famille qui le plaça chez le Sepahdâr. Quand ce dernier, gorgé d’honneurs et d’argent, voulut faire « son tour d’Europe », Ziyâ l’accompagna. Puis, voulant y rester, il se découvrit une vocation d’architecte et obtint une pension du gouvernement persan pour y poursuivre ses études. « – Je ne travaillais pas beaucoup, me dit-il, je menais plutôt une vie de fils de famille que celle d’un étudiant. Mais j’eus une grande chance : à mon examen de fin d’année, on demanda aux élèves de tracer le plan d’une mosquée . . . et je me suis souvenu de celle de Shah Abdol-Azim où j’allais souvent prier. » Avec la guerre de 1914, ce fut la demi-misère et, dès que Bonin partit pour la Perse, Ziyâ s’offrit comme interprète. On lui laissa entendre que, par la suite, il pourrait devenir drogman auprès de la légation mais dès que le ministre fut délivré des difficultés du voyage, il oublia le projet, préférant faire nommer un drogman déjà sur place et connaissant les personnages officiels qu’il aurait à rencontrer. Une fois de plus Ziyâ rentra au service du Sepahdâr. 20 avril 1920 Idylle au club de Téhéran : Mrs Caldwell et le général Dickson le chef de la Mission militaire anglaise, se plongent, pressés l’un contre l’autre, dans d’interminables causeries. Chacun évite de les regarder, mais il est pas difficile de comprendre que leur intimité a fait ces temps-ci des progrès foudroyants, d’autant qu’avec la candeur qui le caractérise, le général a dit devant plusieurs personnes – là où une seule aurait suffi – « En Angleterre, j’ai une femme qui m’appartient par le mariage, j’en ai une autre ici qui m’appartient par le cœur et l’esprit. » Il n’a revu ni la première ni ses enfants depuis dix ans. Le ministre des États-Unis, Caldwell, peut ainsi jouer tranquillement chez lui au poker et à des taux élevés avec les Persans. Le général Dickson a une cinquantaine d’années et comme tous ceux qui ont vécu en Perse (il y est même né) brûle du désir d’y jouer un rôle prépondérant. L’Asie affole et détraque ceux chez qui couvent des instincts de brutalité et de domination. Mais le général – fort peu intelligent – a ignoré ses échecs auprès des Persans qui eux, ont, de loin, oublié d’être bêtes. Dès qu’ils se sont rencontrés, Ducrocq et lui ont reçu le coup de foudre de l’aversion, tout en subissant une attraction irrésistible, du plus haut comique. Dans les réceptions ou les cérémonies, ils se placent dès qu’ils le peuvent, à côté l’un de l’autre et leur conversation est faite de réticences, de demi-aveux ; les renseignements qu’ils se communiquent ne sont que des secrets de polichinelle car ils ont, tout comme Bonin, la notion du « confidentiel » mais, en se séparant, ils ruminent tout ce qui a été dit, surtout sous-entendu et d’insignifiants bouts de phrases deviennent alors de la plus grande importance.

444

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

21 avril 1920 Depuis qu’il fait moins froid, Sir Percy Cox se promène à pied dans la campagne avec le ministre de Belgique, Raymond ; le premier aime le silence et ses propos sont rares tandis que le second discourt pour ne rien dire et une sorte d’affection est née entre ces deux hommes si dissemblables qui peuvent, sans se gêner, se laisser aller à leurs penchants. Sir Percy Cox n’a pas d’amis : il n’est pas aimé des Persans à qui il en impose ; ils sentent sous ses paroles polies le dédain profond des orientaux, l’habitude de considérer la Perse comme un pays conquis, comme une nouvelle Inde habitée par des êtres plus pervers, c’est à dire plus dangereux ; quant à ses collègues ou bien une trop grande différence d’âge ou de rang intervient ou ils n’offrent aucun intérêt pour lui – de sorte que, sans froisser Raymond, il peut ne pas écouter ses bavardages. C’est un solitaire. 24 avril 1920 J’apporte aux princesses Šo’â os-Saltana des journaux de mode vieux de trois mois et elles poussent des cris de joie. Cette fois, elles ne sont plus intimidées et, comme les autres, touchent mon manteau, ma robe, mon chapeau, se conduisant comme des petites pensionnaires. « Aujourd’hui on est gaies ! » disent-elles (elles ont pris aux Belges l’emploi excessif de ce pronom indéfini) et elles évoquent leurs derniers instants de liberté, la traversée sur le bateau anglais les ramenant en Perse : « – On croyait à bord, me dit Houma, riant, que Papa voyageait avec son harem et qu’il nous séquestrait dans nos cabines ». Les officiers anglais, saisis de la compassion qu’éprouve chaque homme devant une injustice commise par un autre, menèrent une enquête auprès de la gouvernante française. « Les petites ont le mal de mer, leur dit-elle, et ce sont les filles du prince, et non ses concubines . . . » « – Je n’aime pas les bateaux où il y a beaucoup de femmes à bord, dit avec sérieux Houma, c’est ennuyeux ! Là, nous étions les seules jeunes filles, je ne compte pas une dizaine de passagères toutes vieilles et laides . . . Et puis Papa était malade, alors nous étions libres et nous supplions Allah pour que le mauvais temps continue . . . Dès que la mer s’est calmée, il est remonté sur le pont . . . – Oh ! cela ne faisait rien, reprend Mahine, rappelle-toi le bon truc que j’avais trouvé : quand Papa apparaissait à l’autre bout du pont, je le guettais du coin de l’œil et je disais très haut à mon compagnon : “Le ciel est tellement beau . . . Cette mer admirable est devenue trop lisse, etc.” Papa était rassuré et même il a dit à Houma “Je suis bien content [de] voir que Mahine a une nature très poétique. Il n’y a que les Persans pour admirer ainsi les spectacles de la nature . . . ” Vous pensez bien que dès qu’il avait le dos tourné, je changeais de conversation ! »

Téhéran 1920

445

Pauvres petits oiseaux en cage. Elles m’inspirent une compassion que je me garde bien de leur montrer. 26 avril 1920 Sir Percy Cox semble inquiet, désorienté. Ce soir, il me fait cette confidence inattendue : « Il faut que j’aille bientôt à Londres . . . Je ne comprends plus ce qu’ils veulent ! » Ils, c’est Lord Curzon (et ses thuriféraires) qui, de son bureau, joue le rôle de Jupiter. 27 avril 1920 Il semblait que les Bonin allaient enfin se décider à partir : ils avaient vendu quelques unes de leurs affaires, accepté des dîners d’adieu et voici qu’en raison des événements qui se déroulent au Caucase, leur départ est remis cette fois encore par le ministère. « – Pendant combien de temps, dis-je à H., devrons-nous perdre de l’argent ? Je commence à croire que vous ne vous débarrasserez jamais de leur présence . . . » Il partage tellement cette impression qu’il songe à écrire à son cousin Corbin pour obtenir un changement de poste13. 28 avril 1920 Pauvre Mme Bonin, c’est aussi une grande déception pour elle, avide de distractions, elle a hâte de quitter un pays qui ne peut lui en fournir et de passer ses vacances à Paris. Elle aura à subir d’autres soirées au Club impérial (Lion et Soleil) où son mari, seul, dans un fauteuil, le teint violacé par les alcools qu’il n’a pu se retenir de boire, la digestion laborieuse, regarde danser les femmes, un sourire de satyre sur les lèvres. Quelquefois, rarement, le général Dickson occupé par d’autres militaires, lui permet de faire la cour à Mrs Caldwell « Elle excite mon mari ! dit alors Mme Bonin en postillonnant au visage de ses interlocuteurs (elle a cette détestable habitude). Elle pense qu’ainsi il va oublier l’heure mais, comme toujours, Bonin qui a tiré plusieurs fois de sa poche un gros oignon, va chercher les manteaux, happe sa femme dès la dernière mesure jouée lui disant, avec un sourire : « Chère amie . . . il est temps ! » Alors qu’elle supplie : « Encore une danse . . . la dernière ! » Mais il reste inflexible. 1er mai 1920 La frontière du Caucase est fermée par les Bolcheviks et désormais nous sommes prisonniers – ou presque. Deux routes sont encore ouvertes, celle 13  Voir un point de vue diamétralement opposé dans le Journal de Ducrocq, 29 avril 1920. Charles Corbin (1881-1970) était chef du Service de Presse du Quai d’Orsay en 1920.

446

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

de Badgad, longue, fatigante, et celle de Bandar-Bušehr, plus longue encore et peu sûre. 3 mai 1920 Trois médecins français engagés par le gouvernement persan viennent d’arriver, une femme et deux hommes. La première, Mlle Deromps, est chargée de l’hôpital de femmes, un chirurgien, le docteur Wilhelm, et un médecin, Mesnard, qui mettra sur pied un Institut Pasteur dont ce pays générateur de microbes a le plus grand besoin. Les deux hommes sont mariés, mais la doctoresse est célibataire, juive probablement avec ses traits épais, son nez busqué, ses lèvres sensuelles et ses yeux de cochon d’Inde qui s’effacent dès qu’elle rit et dont on n’aperçoit plus que la ligne de soie blonde. Elle va faire des ravages . . . Les deux femmes de médecin sont très jolies et Mme Mesnard est, en plus, élégante. Vont-ils être pour nous une ressource ? 4 mai 1920 Chez Mrs Caldwell. Ses deux fils sales et débraillés, à peine capables de dire bonjour ou de tendre une main noire, font irruption dans le salon et se jettent sur les petits fours comme des chiens sur des os – et encore, mon lévrier Orso y mettrait plus de dignité. Dernièrement, Caldwell, recevant la Mission militaire anglaise, a fait assister les deux garçons à la cérémonie et revêtir un uniforme anglais (sans décorations parce qu’il n’avait pu s’en procurer) : les vrais militaires ont peu goûté cette innovation et ne se sont pas gênés pour le lui faire savoir. Mrs Caldwell subit ses enfants en soupirant mais le père sentant revivre en eux son âme primitive et sauvage de pionnier leur passe tous leurs caprices. 5 mai 1920 Bakou étant occupé par les Bolcheviks, H. est maintenant certain que Bonin sera bloqué en Perse tout l’été et que la gérance, qu’il a été si près d’obtenir, sera reculée jusqu’aux calendes grecques. Nous parlons longuement ensemble de la situation : les Persans commencent à s’affoler de sentir les Russes aussi près d’eux, le franc remonte mais les étrangers se demandent si, dans le cas où le pays serait envahi, ils ne devraient pas évacuer Téhéran – et dans quelles conditions ? . . . H. vient d’écrire une lettre à son père pour obtenir un changement de poste ou pour être rappelé à Paris. La Havane, Mexico ou le Caire le tenteraient. 6 mai 1920 Les princesses Šo‘â os-Saltana me font dire qu’elles sont tristes, qu’il faut que j’aille les voir. Et elles reprennent leur récit de voyage au point où elles l’ont

Téhéran 1920

447

laissé la dernière fois ! elles descendirent du bateau désespérées, abandonnant les robes parisiennes et les chapeaux pour revêtir le tchador des femmes musulmanes, en satin noir (en coton pour les femmes du peuple) qui, tombant en plis souples de la tête aux pieds, dissimule complètement le corps ; leurs beaux yeux noirs cachés par un morceau d’étoffe ajourée. Elles éclatèrent en sanglots : « Nous ne savions pas comment le tenir, ce sale tchador ! » À Téhéran, leur père les conduisit dans son immense propriété entourée de murs où elles furent confiées à la garde d’un eunuque noir : le commerce des hommes leur était désormais interdit. « – Depuis ce temps nous avons vécu comme en prison ! s’écrie Houma, c’est encore pire pour nous que pour les autres jeunes filles car, étant des princesses royales, il nous est interdit de nous promener à pied. Quand nous nous rendons chez une amie, une voiture vient nous chercher et nous transporte d’un jardin dans un autre. » Une fois par semaine, le prince apitoyé fait sortir ses domestiques mâles du birun afin qu’elles puissent s’y promener le visage découvert. L’un de leurs étonnements, revenant d’Europe, a été de trouver, vivant dans la même maison, deux femmes légitimes de leur père dont les enfants jouaient ensemble et qui les appelaient indifféremment « Maman » puis de découvrir que l’entente entre les épouses était bonne car le prince, obéissant à la loi de Mahomet, ne faisait aucune différence entre elles. 8 mai 1920 Dîner au Club avec Mallet et deux officiers anglais arrivant de Qazvin pour prendre part aux compétitions anglo-suédoises de polo. Le premier parle avec humour et affection de Lady Cox. « Il faut la voir se promener de bon matin dans sa maison et inspecter son jardin . . . » Vêtue d’une longue blouse blanche d’infirmière, un énorme trousseau de clés pendant à sa ceinture, elle va et vient sans bruit, guettant les domestiques, prête à s’élancer à la moindre défaillance : le chat sur l’oiseau. On sent avec terreur qu’un morceau de sucre ne pourrait être soustrait sans que le larcin ne soit découvert à l’instant. Et Dieu sait si, avec de nombreux domestiques, il y a à faire ! Mais elle dispose de réserves de jeunesse inemployées et, ayant perdu son fils unique à la guerre, se considère comme la mère des jeunes secrétaires de son mari, leur donne des conseils « moraux ». Ils s’en moquent gentiment et l’appellent entre eux L’éléphant sacré. La nuit, l’éléphant sacré porte des pyjamas. 9 mai 1920 Courses. Grand prix. Dîner chez le général Dickson. Une déclaration faite par Mme Bonin m’est rapportée par plusieurs personnes ; un marchand juif lui

448

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

apporte des tapis et objets anciens, il se plaint de ce qu’elle n’achète jamais rien et elle répond : « Je voudrais bien t’acheter quelque chose, mais je ne pourrais pas te payer ; mon mari ne me donne jamais d’argent ! » En une heure, la phrase a fait le tour de Téhéran . . .  Mme Bonin, qui a une certaine fortune personnelle, avait réussi, à la suite d’une frasque de son mari au Canada, à obtenir sa séparation de biens, elle employait alors ses revenus à satisfaire ses fantaisies mais lorsqu’il fut nommé en Perse, le ministre lui démontra qu’étant donné l’éloignement du pays et le manque de communications, il était préférable qu’il touchât lui-même les coupons, se lança dans des explications auxquelles elle ne comprit rien, mais à partir de ce jour elle n’en toucha plus un sou. Elle en pâlit encore de rage, mais son tempérament nonchalant ne lui permet pas de se révolter. 13 mai 1920 Mariage de la nièce du prince Nâser od-Dowla. Une étrangère a bien rarement l’occasion d’assister à une telle cérémonie mais elle est aussi la sœur d’un Saint-cyrien, protégé de Ducrocq et Marie, invitée par lui, a demandé l’autorisation de m’emmener. Le prince nous conduit jusqu’à la porte de l’andarun où se trouvent une quinzaine de femmes vêtues de robes de satin clair rendant visibles les déformations causées par des maternités successives. La jeune fiancée assise sur un pouf est droite et impassible. Elle est exquise. Quatorze ans. Le visage doré, rosé. De longs fils d’or se mêlent à ses longs cheveux répandus sur les épaules. Sa robe blanche décolletée est couverte de bijoux et un diadème de diamants est posée sur son front bas. Indifférente, semble-t-il, à tout ce qui se passe autour d’elle. La chambre où nous nous trouvons est égayée par des fleurs artificielles mêlées aux naturelles – effet bizarre – éclairée de bougies multicolores. Sur les tapis sont posés des objets sans forme connue, en carton, recouverts de papiers de couleur. Les invités du prince se sont réunis dans la chambre voisine avec le mollâ et l’on entend leurs voix. Prières ou bavardages ? Soudain, derrière la porte, celle du prêtre (sic) retentit : par trois fois il demande à la fiancée-enfant si elle consent à se marier avec l’homme choisi par ses parents et qu’elle ne connaît pas. Une tante ou cousine doit certifier que c’est bien elle qui a répondu puisque, les femmes exceptées, personne ne peut la voir. On enroule autour du jeune corps un drap de cotonnade blanche et l’une de ses aînées, heureuse en mariage – ou prétendant l’être – frotte au dessus de sa tête un gros morceau de sucre cependant que la nourrice qui a déjà élevé plusieurs générations, passe et repasse une longue aiguille sans fil dans le voile nuptial. Enfin on offre à la mariée des fruits et des fleurs.

Téhéran 1920

449

Tout ceci a pris beaucoup de temps et le comportement de la famille est étonnant : les femmes, toutes accroupies, se bousculent, se pincent en poussant des petits cris, la mère, sanglée dans un satin jonquille, glousse comme une grosse poule. Aucune émotion. Elle est probablement satisfaite d’être débarrassée d’une fille-enfant car si la stérilité est considérée en Orient comme le malheur numéro un, un fils seul est bienvenu. Je suppose que les ébats des invitées sont plus bruyants lorsqu’elles ne sont pas surveillées par des yeux étrangers et nous troublons un peu la fête malgré nos efforts d’amabilité et de sourires stéréotypés. Enfin les invitées défilent et en guise de souhaits de bonheur, chacune complimente la pauvre enfant sur sa beauté, ses cheveux et ses bijoux. Nous déjeunons ensuite chez le prince au son d’une musique persane accompagnée par des tambours. 14 mai 1920 Deuxième cérémonie du même mariage dans le birun du prince, vidé de tous les serviteurs mâles. Lui-même s’est retiré dans une chambre pour permettre à deux cents femmes de goûter dans le jardin et d’entendre les joueuses de târ, de regarder les danseuses, le visage découvert. Les eunuques sont déjà là et, quand tout le monde est arrivé, installé sur des chaises inconfortables, la petite mariée arrive vêtue comme la veille ; les femmes qui n’ont pas l’habitude de s’asseoir sur des sièges s’étalent sur le gazon. On transporte la petite statue d’ivoire devant chaque groupe où elle reste immobile, baissant les yeux : elle seule ne peut manger. Sa sœur déjà mariée et qui connaît les rites de la cérémonie reste derrière elle puis, lorsqu’elle juge que les assistantes l’ont suffisamment contemplée, la fait passer devant d’autres personnes. Sans relâche, l’on nous offre des glaces dans de petites soucoupes, des bonbons trop sucrés, des pétales de rose et de jasmin confits, à travers les papotages et les interpellations, nous prenons congé, le cœur chaviré par tout ce que nous avons dû absorber. 16 mai 1920 Fête du Golestân. Arrivés à la Place des Canons, les fondrières ont une telle profondeur que notre voiture se renverse et que nous tombons dans dix centimètres de boue, H. en grand uniforme, moi en robe de bal ; Orso qui, malgré nos menaces, nous a suivis, assiste au spectacle l’air désintéressé, et crottés, nous revenons dîner à la maison qu’Hossein, le cuisinier, a quittée pour aller rejoindre des camarades. Nous ouvrons des boites de conserves.

450

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

18 mai 1920 Les Bolcheviks bombardent Anzali d’où les Anglais ont fait évacuer les femmes et enfants européens sur Rašt. Les Persans n’en mènent pas large. Le pays serat-il envahi ? Dans combien de temps ? ce sont les deux questions angoissantes que l’on se pose. Ducrocq, chez qui nous allons dîner commente les événements, déblatérant contre les Anglais. La haine qu’il éprouve à leur égard provient de ce qu’ils exercent une influence prépondérante « au détriment de la France », cette dernière lui semblant destinée à régner sur le monde, à asservir les autres peuples et les réduire à des rôles de figurants. Il était fatal qu’il devînt ici anglophobe autant par amitié pour Bonin que par conviction personnelle. Ses idées, ses actes sont déséquilibrés par cette haine et elle permet à son imagination de bâtir sur de menus faits de vrais romans. Et quel chauvinisme ! même lorsque nous sommes entre nous, il ne peut supporter la moindre critique sur les Français, elle lui est aussi douloureuse que le petit pois caché sous les épais matelas de la princesse d’Andersen. Si, par exemple, l’on se permet de regretter le manque d’hygiène et de propreté de beaucoup de nos compatriotes, il répond avec superbe : « Qu’importe ! Nous avons eu la Marne et Verdun ! » 19 mai 1920 Grande animation au Club anglais. Chacun commente la situation militaire. Victor Mallet dit que les Bolcheviks, après avoir bombardé pendant quelques heures Anzali, ont débarqué deux mille hommes, que les Anglais se sont repliés sur Rašt sans faire usage des tranchées qu’ils avaient creusées à grands frais. Ils chercheraient à traiter avec les Bolcheviks qui, en échange des bateaux de Denikine, s’engageraient à ne pas envahir la Perse. Les jours de Sir Percy Cox sont comptés. Et il en va de même du colonel Haig. Ce dernier qui appartient au gouvernement des Indes a, pendant de longues années, fait fonction de consul à Ispahan aussi possède-t-il une grande expérience des mœurs politiciennes du pays, c’est aussi un spécialiste des services secrets et il a toujours eu sous ses ordres une nuée d’espions. Pour ces raisons, il s’entend mal avec le groupe de diplomates du Foreign Office et ils se tirent dans les jambes à chaque occasion. Smart dit de Haig « C’est un vieux gâteux » et Haig dit de Smart « C’est un fantaisiste inconsistant. » Mais après le départ de sir Percy Cox, le colonel Haig va devenir le conseiller du ministre de l’Intérieur, pourvu de beaux appointements – les Persans n’ayant rien à refuser aux exigences de la légation de Grande Bretagne. Haig est écossais et fort orgueilleux de sa naissance ; lent à penser, lent à s’exprimer, il fait parfois attendre la fin de ses phrases une ou deux minutes, toujours débonnaire, solide, rou-

Téhéran 1920

451

geaud. Veuf, il vit avec sa fille, une saine créature, musclée, trop masculine pour avoir du charme, qui dort non seulement des nuits prolongées mais des journées entières et qui déclare : « Je ne suis jamais aussi heureuse que lorsque je dors . . . » 20 mai 1920 Des bruits contradictoires courent. Un jour, nous nous réveillerons et nous trouverons les Bolcheviks installés à Téhéran . . . Les Anglais affirment qu’ils ont quitté Anzali et Malzac télégraphie de Tauris qu’ils ont pris Âstârâ, voulant établir une liaison avec leur armée d’Anzali. Ils auraient quatre mille hommes. Dans la ville, le bruit court qu’ils auront atteint Rašt. Les femmes et les enfants européens continuent leur marche sur Hamadân. 21 mai 1920 Les communications téléphoniques entre Rašt et la capitale sont coupées mais aucune confirmation officielle de la prise de la ville n’est arrivée. 22 mai 1920 Le bruit court, probablement faux, que le général Champain aurait été fait prisonnier au moment où il voulait négocier avec les Bolcheviks. 23 mai 1920 Bonin convoque la colonie française « afin de connaître ses intentions ». Partir ou rester ? Pour la plupart des gens, l’alternative est également tragique : partir, c’est-à-dire abandonner tout sans certitude de dédommagement, rester, c’est la quasi-certitude d’être dépossédé et de vivre sous un régime détestable. Le projet est de les faire voyager en camions (mais où les prendre ?) et chacun n’emporterait que 30 kilos de bagages, c’est-à-dire presque rien. Quelques uns de ces Français ont engagé tout leur avoir dans leurs commerces, d’autres gagnent leur vie dans des métiers divers et aucun d’eux ne sait quel parti prendre. 24 mai 1920 Les négociations entre les Anglais et les Bolcheviks sont arrêtées ; les derniers auraient donné l’assurance de ne pas envahir la Perse avant d’avoir reçu de nouvelles instructions de Petrograd ou de Moscou. Mais dans le doute et pour ne pas être prise de court, je commence à faire des valises. Je ne pense pas sans effroi à ce qui nous attend : personne n’est responsable et aucune précaution, aucun plan n’ayant été envisagé, on parle, on parle beaucoup et c’est tout. Que deviendront les femmes et surtout les jeunes enfants ?

452

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

Tout le personnel de la légation tsariste rentre en Europe. Il ne sera laissé qu’un agent subalterne gardant ce qui reste d’archives ; peu de choses, tout ayant été détruit. Les Bolcheviks ont pris Ardabil. 25 mai 1920 Les Bonin ont invité les Belayef à dîner et c’est probablement la dernière fois que nous voyons ces pauvres gens. Ils sont affolés par le débarquement des Bolcheviks à Anzali et s’enfuient avant de risquer d’être pris dans une souricière et probablement massacrés ou déportés. On les comprend. Ils laisseront derrière eux les Hildebrand qui consentent à rester avec l’intention de se rallier aux nouveaux maîtres s’ils ne peuvent faire autrement. « – Quant à nous, me dit Mme Belayef, les yeux humides, nous irons aux Indes, peut-être pour toujours si nous pouvons y vivre. » Ils tenteront d’arracher aux yogis leurs secrets. Avec leur départ tout une période de l’histoire se ferme à Téhéran ; ils ne se font aucune illusion et pensent que le régime bolchevik durera longtemps. Pour Bonin, c’est l’effondrement de « ma politique ». 27 mai 1920 Ces fâcheux événements n’empêchent pas les Anglais et les autres Européens de danser, mais au Club de Téhéran, le correspondant du Times, Moore, a été mis en quarantaine par les jeunes femmes qui l’ont surnommé « le satyre ». Il est si émotif qu’il ne peut s’approcher d’une femme sans témoigner d’une façon indiscrète son bouleversement. Seule Marie, prise de pitié pour sa femme qui ne peut manquer de s’apercevoir des refus, consent à danser avec lui. Naturellement, c’est un homme à principes, grave, doctrinaire, un pasteur manqué. Ducrocq qui aimait à s’entretenir avec lui le bat froid depuis qu’il a appris ses faiblesses. « – Et moi, dit-il, qui le prenais pour un mystique ! » Sa femme, bonne, intelligente, dévouée et brave aussi, a, en qualité d’infirmière à Belgrade pendant la Guerre, fait toute la retraite à pied. I feel sorry for her. Elle a lié son sort à un volcan ou plus simplement à un malade. 29 mai 1920 Rencontre dans l’avenue Lalezâr, de Georges Ducrocq, en voiture découverte, ayant revêtu sur un uniforme qu’il ne quitte jamais, un abâ de laine marron, ample manteau sans manches . . . et un casque colonial français ! L’abâ est une flatterie à l’égard des Persans. Le goût de Ducrocq pour l’uniforme amuse ses collègues anglais qui eux, le quittent avec plaisir pour la tenue civile mais ils

Téhéran 1920

453

admirent son esprit sportif ainsi que celui de Marie. « – Il faut bien, dit son mari, qu’elle ait quelque chose pour elle ! » Pour patiner, monter à cheval, nager, et grimper elle ne connaît pas de rivale. Avec une patience toute féminine, elle supporte les fatigues physiques ainsi que les épreuves morales et se ferait plutôt tuer que d’avouer sa lassitude. Avec un courage égal, elle supporte un immense égoïsme masculin dont beaucoup d’autres se seraient moins aisément accommodées – pour le plus grand bien du capitaine. Elle lit beaucoup et de préférence des œuvres bien pensantes ; comme il fallait s’y attendre, Psichari est son auteur favori, l’ennui qui se dégage de ses œuvres n’ayant aucune prise sur elle mais je l’ai vue fermer, dès les premières pages, un roman débutant par un adultère. « Il ne resterait rien pour la fin » a-telle dit. Car elle est loin d’être prude et des expressions ou sous-entendus fort libres sortent de sa bouche. « – Je n’ai jamais pu savoir, dit Georges, si elle les comprend . . . Son frère lui faisait entendre toutes sortes d’horreurs et elle les a retenues. » Très pieuse, elle communie fréquemment, mais ne résiste pas à la tentation de dire quelques méchancetés ; avec la promptitude du jongleur, elle saisit les faiblesses, les travers, comme lui ses balles et, une fois qu’elle a mis le doigt sur le point faible, s’y acharne comme le taon sur un cheval. Elle a ainsi transformé en ennemis des amis de son mari. Mais ce qui est le plus étrange, c’est que ni l’un ni l’autre ne comprenne l’ironie. Se méfiant des moqueurs, elle répond à leurs pointes par des remarques citronnées ; Georges ouvre tout grands ses beaux yeux bleus, scille, regarde son interlocuteur, et reste décontenancé puisqu’il ne sait jamais s’il doit le prendre au sérieux. 31 mai 1920 Un nouveau compagnon pour notre groupe de cavaliers : Thomas Wickham, qui fait fonction d’attaché militaire à la légation de Grande-Bretagne après avoir fait partie de la mission militaire anglaise, gai, sportif, candide, d’intelligence moyenne mais d’une bonne volonté inépuisable, bref, a good fellow. Il a joué avec la vie sans consentir à terminer ses examens, se jetant dans les chemins de traverse, mais il n’arrive pas jusqu’ici à le regretter. 1er juin 1920 « – On vous a réservé une surprise, me dit Houma es-Saltaneh14, vous allez voir quelque chose de comique. Venez avec moi dans la chambre des femmes. » J’y trouve deux vieillardes bosselées par l’âge et vêtues d’un tutu ! 14  Homâ, fille du prince Šo’a os-Saltana.

454

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

Devant mon visage, les deux sœurs piquent un fou rire. « Ils sont presque en loques, leurs tutus. On n’en achète pas comme çà en Perse, et maintenant il est impossible d’en recevoir de Paris. Alors, elles raccommodent ceux qu’elles ont . . . bientôt il n’y aura plus que des reprises. Elles suivent la mode de leur jeunesse . . . » Les deux vieilles ridicules regardent sans comprendre. Et j’apprends qu’un Shah de Perse, Nâser od-Din, je crois, fut tellement charmé au cours d’un voyage en Europe, de la beauté des danseuses de l’Opéra et de leurs tutus, qu’en revenant dans son pays, il exigea que toutes les femmes de son andarun fussent ainsi accoutrées – suivies par celles de tous les dignitaires du royaume ! Houma a mis sans dessus dessous l’andarun de son père par ses farces ou ses plaisanteries : aux repas, elle se plaint de la cuisine locale, vante celle de Paris, décrit huîtres, escargots, moules ou grenouilles jusqu’à ce que sa grand-mère se précipite vers la toilette ! en voyant les robes décolletées de ses petites filles, elle se cache les yeux et rougit. « Non ! dit Houma, ce qu’elles peuvent toutes être vieux jeu ! » 3 juin 1920 Quand Bonin reçoit une lettre, il enlève la feuille du verso si elle est blanche ou en coupe un morceau si elle est déjà utilisée à moitié, puis s’en sert pour écrire ses télégrammes si bien que les dossiers sont remplis de papiers de toutes dimensions. Il n’y a pas de petites économies. 4 juin 1920 Les dîners dansants du Club impérial commencent à être désertés par les Européens et les femmes ne veulent plus danser depuis que les Persans ont pris l’habitude de former un cercle autour des couples et, pensant que personne ne les comprend, lancent à haute voix des plaisanteries souvent grossières et déplacées. La danse dans ce pays n’accompagne que les débauches et n’est pratiquée que par les prostituées ou les jeunes garçons, également prostitués. Elle est interdite par la religion. Parfois, les jeunes oncles du shah ou deux ou trois princes qui ont vécu en Europe, ceux qui déclarent « nous sommes des Parisiens » s’y adonnent mais aucun fils de famille moins noble n’oserait s’y aventurer quelqu’envie qu’il en eut : il s’exposerait à être blâmé publiquement par les mollâs. En province, aucun anglais ne pourrait inviter un Persan à une soirée dansante de peur de blesser ses sentiments religieux – tout de surface d’ailleurs. À mon arrivée, l’on ne dansait au Club impérial que le quadrille des lanciers ou le boston, mais dernièrement Mme Bonin a imaginé d’y lancer le tango.

Téhéran 1920

455

Personne ne sachant comment s’y prendre, sauf Bellan et moi qui ne m’en suis pas vantée, me souciant peu de donner un spectacle, Mme Bonin lui a demandé de le lui apprendre et rarement l’on a pu voir couple plus indécent. La tête renversée, comme prise d’un vertige sensuel, elle se colle à son partenaire en sangsue et l’on se sent tellement gêné que pour un peu on la prierait de garder ces abandons dans l’intimité de sa chambre à coucher. Autour de ces deux éperdus, les Persans ricanent, lui font d’ironiques compliments qu’elle prend pour argent comptant alors qu’elle postillonne dans leurs visages. « N’est-ce pas que mon partenaire est merveilleux ? Si souple, si léger . . . » Les Altesses et Excellences l’impressionnent et elle donne du Monseigneur à des freluquets de vingt ans comme s’il s’agissait du futur roi de France ; elle s’indigne en entendant les Anglais les appeler simplement « Prince » sans leur parler à la troisième personne. Bien que les altesses fourmillent en Perse, comme les chameaux et les moutons, tout ce qui touche de près ou de loin la famille impériale la fascine – en bonne républicaine. 5 juin 1920 On ne parle plus d’avance, de recul ni d’évacuation . . . Et les renseignements sur la situation militaire se font de plus en plus rares . . . Pendant tout ce temps l’on ne fait rien pour y parer si soudain elle devenait catastrophique. Chacun vit sans penser au lendemain. C’est incroyable ! 6 juin 1920 Un autre amoureux, le colonel Haig, laisse depuis peu éclater sa tendresse pour Mme Lassen, qu’il entoure de prévenances, baise ses petites mains, geste que ce puritain ne fait pour aucune autre femme. Mais il y a déjà dans la vie de cette adorée, outre son mari, un jeune prince charmant, camarade de Lassen et officier comme lui, le prince Mellikof, qui se montre trop empressé auprès d’elle, au gré de l’Anglais. Merveilleusement beau, dans ses uniformes de drap noir satiné, parfois blancs, soulignant sa minceur et ses traits réguliers, il forme avec Mme Lassen un couple si parfait que la personne la plus envieuse en a la respiration coupée lorsqu’ils entrent dans un salon. Bien sûr on insinue devant le colonel que « leur amitié n’est pas si pure que cela », propos qui le met hors de lui. Il est prêt à se porter garant de l’honnêteté de la jolie femme et a donné ordre aux secrétaires de la légation britannique de déclarer, lorsque quelqu’un la critique « que si Mme Lassen, quand elle était très jeune, a pu avoir une conduite paraissant imprudente, elle ne peut manquer à ses devoirs d’épouse parce qu’elle n’a pas de tempérament ! – Comment le savez-vous ? » ai-je envie de demander au colonel Haig.

456

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

8 juin 1920 Départ de sir Percy Cox. Dans l’auto qui va l’emmener à Bagdad, il tient précieusement sur ses genoux la cage et le perroquet vert. Bonin qui est venu dire adieu à son collègue et grand ennemi, a un sourire aussi triomphant que venimeux lorsqu’il voit démarrer la voiture dans le parc de la légation contournant les arbres centenaires et les pelouses d’un vert tendre. Il n’est pour rien dans ce départ mais il a la satisfaction de le voir disparaître de son poste avant lui. Personnellement je les regrette tous les deux. C’est le colonel Haig qui va assumer la gérance en attendant l’arrivée prochaine d’un nouveau ministre. Sir Percy a été remercié par Lord Curzon à peu près comme un domestique et on ne lui a pas permis d’achever son œuvre. Il a mis sur pied un accord anglo-persan sans arriver à le faire ratifier par le Parlement. Son successeur aura-t-il plus de chance ? L’on peut en douter car tous les membres d’un gouvernement persan étant choisis par les Anglais, subventionnés par eux, comptent bien que leurs promesses (arrachées) seront crevées comme bulles de savon par l’intransigeance du Majles et que, pendant ce temps, ils rempliront les caisses de l’État, c’est à dire les leurs. Sir Percy Cox a profité de l’effondrement de la Russie pour obtenir que les troupes anglaises soient cantonnées en Perse, qu’une mission militaire réorganise l’armée persane, que la banque Impériale soit placée sous la direction d’un Anglais, que des conseillers financiers soient nommés, etc. Tout cela n’est pas si dérisoire. 10 juin 1920 Tomasini lui aussi déteste Bonin, Il me conte une affaire qui en son temps fit quelque bruit à Téhéran et que l’on a appelée « la dame à la toise ». Une jeune femme, accompagnée par son mari, s’était rendue à la légation pour obtenir un passeport pour la France. Le ministre qui reçut le couple le pria de revenir. Il fit préparer le document par Tomasini en lui demandant de laisser le nom du destinataire en blanc, ce qui parut étrange à ce dernier. Quand la jeune femme revint, Bonin lui fit observer que son signalement était incomplet et il lui demanda de monter avec lui au premier étage, où il y avait une toise. Une fois dans la chambre, il tenta de l’embrasser en la poussant vers le lit mais s’étant dégagée, elle appela au secours, descendit l’étroit escalier en courant et vint se réfugier dans les bras de son mari ! À la sortie de la messe, le dimanche suivant, l’on remit à Mme Bonin une lettre anonyme dans laquelle l’histoire était contée tout au long. Elle fit bonne contenance, mais une explication orageuse suivit ; elle menaça de partir, de divorcer, mais quelques promesses eurent vite raison de la rébellion et la vie conjugale reprit comme auparavant.

Téhéran 1920

457

11 juin 1920 Ziyâ Homayun me parle de celui qu’il appelle toujours le pauvre Sepahdâr, inquiet pour l’avenir de ses terres situées au Gilân, en raison de l’avance des Bolcheviks. Il a de grands besoins d’argent causés par sa nombreuse valetaille qu’il ne paie pas mais nourrit et loge, une table toujours ouverte pour ses amis, et son écurie. Cependant il ne monte guère et lorsqu’il s’y risque l’on a peur de le voir tomber sous les pieds de la bête qui, selon la mode, danse à chaque pas mais ses box sont pleins : six chevaux d’attelage pour les victorias, trente chevaux de selle de race arabe ou turcomane. Un mollâ à turban blanc s’occupe de l’éducation religieuse de son fils, lui faisant apprendre par cœur les versets du Coran et, pendant les mois du moharram et de safar, pendant lesquels on pleure la mort des prophètes, il ouvre ses jardins à ses amis et même au peuple ; on y boit du thé et du charbat en gémissant sur la passion d’Hoseyn et de sa famille, psalmodiée à voix de fausset par un mollâ puis, pour remercier les humbles de leur piété, le Sepahdâr leur fait distribuer à la porte de petites pièces de monnaie. 13 juin 1920 Je rends sa visite à Mlle le docteur Deromps ainsi qu’elle se désigne ellemême. Ducrocq vient de recevoir d’elle une carte des plus sèches car elle a vu que, sur le bulletin de l’Alliance Française, son nom n’avait été suivi d’aucun titre. « – C’est inadmissible » dit-elle. Tout d’abord elle a été logée dans la triste bâtisse de l’hôpital des femmes, au fond d’un jardin, dérobé à la vue par les hauts murs de boue séchée, mais elle a exigé une nouvelle installation et loué la maison la plus agréable qu’elle ait pu trouver. « – Je n’y tenais plus ! me ditelle, mon directeur ne cessait de m’espionner et quand ce n’était pas lui il se faisait remplacer par l’eunuque noir ! » Il aurait bien voulu la traiter à la persane et la tenir prisonnière, empêchant ses amis masculins de venir la voir, mais elle a su lui montrer qu’une française est libre, qu’elle a de la décision, des nerfs solides, au besoin de l’impertinence. Tout d’abord, elle admit autant de malades que l’hôpital comptait de lits dans les salles, supprimant d’un coup les profits du directeur qui, laissant des places inoccupées, touchait cependant les indemnités de nourriture et de traitement ; elle s’aperçut que le pharmacien, non payé depuis des mois, se rattrapait largement en fabriquant des factures fantaisistes et difficilement contrôlables. Au bout d’un certain temps, le directeur comprit qu’il n’était pas de taille à lutter « avec cette diablesse » venant troubler son repos au nom d’une honnêteté dont il n’avait que faire et comprit qu’il valait mieux céder pour avoir une paix relative.

458

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

Pour Mlle le docteur Mathilde Deromps, la vie est redevenue belle. Elle s’est acheté des tapis et plusieurs divans car l’on ne sait ce qui peut arriver . . .  15 juin 1920 La recherche d’une maison de campagne pour abriter [en] été la légation de France se reproduit chaque année, agaçante et fatigante, et c’est grâce à M. de Balloy (1881-82 !)15 que les Français ne possèdent pas un village comme les Anglais et les Russes, offert en ce temps-là par le gouvernement persan (ses habitants étant soumis à la juridiction de leur nouveau maître). Il le refusa sans même prendre, semble-t-il, l’avis du ministère et demanda, à la place, une série de tentes lui permettant d’aller camper là où l’envie l’en prendrait. Elles pourrissent à présent dans les caves. M. de Balloy refusa également un terrain qui eût pu agrandir le jardin de la légation et permettre d’y bâtir des maisons pour le personnel diplomatique. « C’est bien assez grand comme cela » déclara-t-il. Il n’était pas aimé des Persans et le préfet de police, le comte de Monteforte16, lui joua un assez mauvais tour : M. de Balloy avait coutume de se rendre, à jour fixe, dans une maison close et un soir qu’il en sortait, il aperçut à la porte un déploiement de cosaques à cheval qui lui présentèrent les armes. Furieux, il demanda ce qui arrivait. « – C’est par souci de la sécurité de votre Excellence » lui fut-il répondu. Ce comte de Monteforte était un personnage extraordinaire (l’un de ses fils est drogman à la légation d’Italie et l’autre consul de Perse à Sofia) qui, ayant refusé par fidélité aux Bourbons de reconnaître l’annexion du royaume de Naples à l’Italie, était passé en Autriche puis en Perse. D’abord dans l’armée, il devint grand maître des cérémonies et apparaissait toujours dans un uniforme napolitain ! Il mourut à un âge avancé en 1916 ou 17. 16 juin 1920 Déjeuner en l’honneur des Suédois pour la fête de leur roi. Ces officiers, chargés de la Gendarmerie persane, ont réussi à en faire un corps discipliné, le seul dans le pays ; mais la Suède n’ayant pas de représentant à Téhéran, c’est la France qui est chargée de défendre leurs intérêts. On les invite donc de temps à autre. À leur tête est un géant obèse, le général Westdahl, pacha d’opérette ; 15  Hélène Hoppenot ironise à tort sur le court séjour de René de Balloy en Perse. En réalité, il n’y effectua pas moins de cinq missions, de 1873 à 1898 et parlait persan. On lui doit la construction de la résidence diplomatique actuelle. Voir l’entrée du 21 janvier 1920. 16  Officier d’origine napolitaine, de nationalité autrichienne, devenu préfet de police de Téhéran en 1881. Mort en 1917.

Téhéran 1920

459

le colonel Gleerup son adjoint, sec et distingué, tiré à quatre épingles. Son chef se trouve dans l’obligation de déboutonner son col et de relâcher un cran de sa ceinture. « La chaleur m’affecte ! » dit-il à Mme Bonin. Quant au colonel Lundberg, c’est une brute épaisse et germanophile ; il disait aux Belges qui pendant l’occupation, invoquaient le témoignage du ministre de Suède : « Votre seul ministre, c’est maintenant celui d’Allemagne ! » La bande des gendarmes se complète par de jeunes officiers : baisemains et claquements de talons. Tous mangent comme des ogres et boivent plus encore. Skôl . . .  17 juin 1920 Début d’une collection de petits bronzes de fouille à forme d’animaux. J’en ai modestement acheté deux, mais ai l’intention de continuer à en acquérir. H. montre un goût plus prononcé pour les cylindres assyriens. Hélas, les fouilles du Lorestân ont été fermées depuis la guerre. Les marchands prétendent que l’on y trouvait tellement d’objets que l’on a cessé de creuser pour empêcher les prix de tomber, trop de pièces étant déjà à vendre sur le marché. 22 juin 1920 Smart m’apprend que la légation d’Angleterre lassée par les « extravagances du général Dickson, y a mis fin en le priant de rentrer à Londres. Et il a dû abandonner sa bien-aimée pour aller retrouver « sa femme par le mariage » comme il disait. Il était atteint de la manie de la persécution s’imaginant que les Persans le recherchaient pour le tuer et ne serait plus sorti de sa chambre devenue un arsenal d’armes dont une mitrailleuse en état de marche ! « – Et Mrs. Caldwell ? » Tout le monde s’attendait à la voir pâlir de chagrin mais elle a trouvé sur le champ un autre admirateur qui a au moins un avantage sur le général Dickson : il sait danser . . .  23 juin 1920 Ne pouvant décemment emprunter des chevaux à droite et à gauche pour faire des promenades, je me résous, malgré l’instabilité de la situation – et grâce à elle je pourrai l’avoir à meilleur compte – à acheter un magnifique cheval blanc que je monte aujourd’hui avec les Ducrocq et que j’ai surnommé Ivors. Vif, un peu trop nerveux. 25 juin 1920 À Shemrân. Les Bonin ont choisi une maison d’été et doivent, sur les fonds de la légation, fournir un logement au secrétaire et à l’attaché militaire. Celle qui nous est destinée et dont on ne peut trouver la clé pour nous la montrer, est

460

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

minable et bien en rapport avec leur ladrerie. Ducrocq, qui a de l’expérience, a demandé à toucher la somme, la très petite somme, qui lui est allouée et a préféré en ajouter une plus grosse de sa poche pour habiter une maison décente. 26 juin 1920 Avant de monter à la campagne, je vais faire une visite aux princesses. « – Alors, crie Mahine dès qu’elle m’aperçoit, il paraît que notre nouvelle doctoresse (Deromps) a de mauvaises mœurs ? » Je proteste, ignorant ce qu’une princesse persane, habituée aux privautés de l’andarun peut vouloir dire par là. Mais je m’émerveille de ce que les bruits du monde arrivent comme des éclairs à ces emmurées, bruits souvent inexacts, peuplant leurs rêveries, contentant leur goût du scandale, surtout lorsqu’ils concernent un étranger et leurs curiosités érotiques. Mathilde Deromps, âgée d’une trentaine d’années, paraît avoir le cœur et les sens exigeants révélés par sa physionomie. Sur le bateau qui l’a amenée, elle a eu des aventures et l’on soupçonne le nommé Bader, jeune persan au corps mince mais râblé, d’être devenu son amant en même temps que son professeur de persan. Après tout, elle est libre d’agir à sa guise et tout ce que l’on peut lui demander, c’est de garder les apparences. 27 juin 1920 Kuček Khan a annoncé son intention de prendre Téhéran. Voilà un nouveau péril qui n’interrompt pourtant pas nos préparatifs de départ pour Zargandeh. Nous nous habituons à l’incertitude, au danger d’invasion, même à celui d’être faits prisonniers. 28 juin 1920 Nous nous installons plutôt mal que bien dans la petite cahute qui nous a été affectée ; elle est sordide et, seule sa terrasse sur le ravin est agréable ; un petit jardin y est attenant et l’unique wc existant a été placé au fond de celui-ci, de sorte que nous aurons une promenade à faire avant d’y parvenir. Par bonheur, l’été il ne pleut plus . . . tout s’arrangera avec des tapis et des étoffes cachant la pauvreté des murs mais cette situation est d’autant plus désagréable qu’H. eût dû être chargé d’affaires depuis longtemps. De la poussière en nuages, mais de beaux arbres un peu partout – et le ciel bleu. 1er juillet 1920 Caldwell est le dernier des ministres à louer une maison de campagne : s’il profite ainsi d’une réduction de loyer, il ne lui reste que des propriétés dont personne n’a voulu et, cette année, l’on doit emprunter pour aller le voir des

Téhéran 1920

461

chemins impraticables avec une petite voiture, sous un soleil de plomb. L’été dernier, bien que la maison choisie fût très exiguë, le ministre des États-Unis voulait tout de même « recevoir » et avait organisé un dortoir pour les dames ; les hommes couchaient dans le salon, le bureau, parfois sur le gazon. Dès qu’ils arrivaient, il prenait ses hôtes par le bras, leur confiant qu’il n’y avait qu’une petite pièce intime « donc réservée aux ladies » et que les hommes devaient se contenter d’un terrain plat situé derrière le bâtiment. Par malheur les murs n’en étaient pas très hauts et ils pouvaient se trouver exposés aux regards des enfants dont ils entendaient les cris ou de leur gouvernante ! Quand Caldwell voyait qu’ils restaient perplexes, il disait, pour les encourager : « Mais j’y vais moi-même tous les matins . . . » 2 juillet 1920 Une dépêche arrive de Paris, ce qui semble prodigieux puisqu’elle est datée d’hier et que nous devons attendre des mois pour recevoir une lettre. Elle annonce les fiançailles de Sabine avec un ingénieur, Jean Aubert et le mariage en octobre. Assez contents, H. et moi, d’être loin de la famille et d’échapper ainsi à ces corvées. 4 juillet 1920 Ma meute augmente : hier est arrivé un lévrier, Cébès et aujourd’hui Rhéa, chienne de même race. 8 juillet 1920 Les Ducrocq sont nos grands pourvoyeurs de livres – et Dieu sait que nous avons le temps de lire ici ! Ils reçoivent des œuvres diverses, même celles que les auteurs font imprimer à leurs frais et qui s’entassent dans les arrières boutiques ; la presse médicale, les bulletins financiers, bien que, de son propre aveu, Ducrocq n’ait jamais rien compris au fonctionnement de la bourse ; enfin, une quantité de périodiques aggravant le désordre de leur maison. Pour être certain qu’il ne lui manquera aucun numéro de l’Illustration, il a pris trois abonnements ! 12 juillet 1920 Comme la plupart des Anglais et des Français, le docteur Wilhelm considère les Persans comme de purs sauvages et envoie au directeur de son hôpital et au ministre de l’Instruction publique des lettres d’une ironie insultante. Tout comme sa collègue Deromps, il a eu des difficultés avec le premier qui ne voit pas d’un bon œil un étranger mettre le nez dans des affaires souvent malpropres. L’autre jour, excédé par sa mauvaise volonté, Wilhelm a été le trouver et lui a

462

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

dit : « Je sais que vous menez une campagne contre moi : je vous conseille de la faire cesser, sinon je vous causerai tant d’embêtements que vous deviendrez fou. Et vous savez, ce n’est pas un mot, vous deviendrez fou ! Après, c’est moi qui vous soignerai ! » Le pauvre diable sous le coup de l’émotion s’est mis au lit. 14 juillet 1920 Réception. À cette occasion et au premier de l’an, Bonin fait demander leur prix aux trois ou quatre musiques de Téhéran que le drogman Siâsi marchande de son mieux et il a ordre de se décider pour la moins chère, bonne ou mauvaise. Bien que ce soit la tradition d’offrir du champagne aux membres de la colonie, il leur fait boire un « cup » préparé par sa femme, qui sent l’alcool à brûler, parce qu’il entre dans sa composition trop d’arak, eau de vie à bon marché du pays. Tom, le vieux serviteur annamite, revêt son plus beau costume, il fait partie du programme. « Vous comprenez, me dit Mme Bonin, pour ces gens d’ici, c’est une curiosité . . . » Mais la vieillesse de Tom, dont il est impossible de découvrir l’âge, inquiète le ministre, car lorsqu’on engage des orientaux, ils se gardent bien de vous dire en quelle année ils sont nés – souvent ils l’ignorent. Tom n’est que depuis quinze ans à son service mais à certains signes, Bonin s’aperçoit qu’il devient « un peu gâteux » et n’arrive plus à faire son travail : « Je serai forcé de m’en séparer bientôt. » Il ne dit pas ce qu’il en adviendra. 15 juillet 1920 La colonie française n’ose pas manifester ouvertement son antipathie pour son ministre mais elle fait une grève perlée en délaissant les réceptions officielles. Hier, elle était moins nombreuse que jamais et l’inertie de Bonin ou son indifférence l’ont laissée se scinder en deux groupes ennemis qui se déchirent. Certes on ne peut demander au représentant de la France de plaire à tous ses ressortissants, mais il devrait savoir dominer les querelles et grouper autour de lui les meilleurs éléments. Son plus grand ennemi est une femme, la comtesse Colonna, qui prétend descendre, je ne sais comment, de cette auguste famille. Depuis qu’elle a reçu du ministre une lettre se terminant par mes sentiments distingués, elle répète, non sans raison, aux uns et aux autres qu’un homme qui « envoie à une femme ses sentiments distingués ne peut être qu’un goujat ! » Au trot de ses quatre chevaux, assise très droite dans une calèche de forme antique, on la rencontre souvent dans les rues de Téhéran et ses cheveux blancs, sa petitesse, son teint frais lui donnent l’air hautain et respectable d’une lady. Elle a pour les Anglais une admiration extrême, soutenue par leurs subsides. Peu de temps après son arrivée en Perse, elle fonda un pensionnat pour les jeunes filles de l’aristocratie persane que les autorités ne tardèrent pas à

Téhéran 1920

463

fermer, car les adolescentes, à l’indignation des passants, se promenaient dans le jardin le visage découvert. Ensuite, elle se mit à soigner, selon son expression, un vieux maréchal de l’empire me le faisant savoir ainsi : « On vous dira que je suis sa maîtresse ; il a soixante-dix-huit ans, j’en ai cinquante, jugez-en vous-même. » Wickham et Deromps viennent déjeuner et la première part un peu avant l’autre pour se rendre à son hôpital. Il me dit, effaré : « Je suis trop jeune pour être placé en face de Mlle Deromps ! » C’est qu’elle ignore le geste féminin de baisser sa robe sur des jambes qu’elle a pourtant rondelettes et comme elle ne porte pas de pantalon, on peut ne rien ignorer de ses charmes les plus secrets – pour employer l’expression consacrée. Lorsqu’il fait très chaud, elle porte une sorte de chemise-combinaison en nansouk fin et enfile par-dessus une robe assez lâche, taillée dans un crêpe de Chine mince comme du papier à cigarettes. « Comme cela, dit-elle, je n’ai pas trop chaud. » Elle méprise d’ailleurs les hommes – mais les utilise. 30 juillet 1920 À l’exception des Ducrocq, le personnel de la légation se transforme, s’il le peut, en toréadors à l’égard du ministre, attendant le jour heureux où il partira. Il parle maintenant de « la fin des vacances ». L’autre jour, H. a refusé de chiffrer avec lui un télégramme dont il ne pouvait lire le contenu, n’ayant jamais été habitué à cette méfiance ni avec Claudel, ni Casenave, ni même avec Beau17, lorsqu’il n’était encore qu’attaché autorisé. Malzac, autrefois, évoquait la grande ombre de M. Lecomte, aujourd’hui Tomasini et Bellan grommellent, et Siâsi attend la gérance d’H. pour ne plus être traité comme un domestique. Quant à moi, qui cependant désire rester à l’écart de tout ceci, j’ai aussi planté ma banderille : Bonin, à l’occasion de la fête donnée en l’honneur du nouveau ministre d’Angleterre Norman, un célibataire, étant venu me chercher alors que je parlais dans un groupe pour me dire : « Venez avec moi . . . Je vais vous présenter ! » J’ai répliqué : « M. le ministre, je vous remercie, mais j’attendrai qu’il se fasse présenter lui-même : ce n’est ni un souverain, ni un prince héritier . . . » Ce que, bien élevé, il a fait peu après. Le lendemain, Bonin a prononcé devant H. une sorte de conférence sur les égards dus à un haut fonctionnaire, insinuant qu’en Orient le protocole doit être différent de celui de l’Occident, que même « il avait vu des femmes se lever de leur chaise lorsqu’entrait un ministre plénipotentiaire dans un salon ! » 17  Les trois précédents chefs de Henri Hoppenot, Paul Claudel et Maurice Casenave à Rio ; Paul Beau à Berne. [Note de M.-F. Mousli].

464

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

« – Si c’est moi qu’il a ainsi visée, dis-je à H., qui en rit, il peut se fouiller ! J’observe toujours à l’égard de Mme Bonin une politesse scrupuleuse mais pour son mari, je resterai, comme par le passé, vissée sur ma chaise. » 1er août 1920 Le bruit de l’avance des Bolcheviks sur Téhéran court de nouveau. Les Anglais, autant qu’il est possible de le savoir d’après des nouvelles imprécises, fragmentaires et tronquées qui nous arrivent, reculeraient. Toutes les légations étrangères étant installées à la campagne, l’évacuation n’en deviendrait que plus difficile. 2 août 1920 Bonin donne à H. l’ordre de se tenir prêt à partir avec moi à la première alerte. H. prendrait la direction du convoi formé par les femmes et les enfants, les autres hommes ne quitteraient la ville qu’à la dernière minute. On se dirigerait vers Hamadân qui à cheval, qui dans des calèches à roues montées sur des pneus (où les prendrait-on ? il ne le dit pas). Je vois d’ici le désordre inimaginable. On emmènerait tous les chevaux disponibles ; je monterais Yvors, l’arabe, et H. un autre cheval bien qu’il soit gêné par une jambe qu’il ne peut plier. Il faudrait coucher à la belle étoile, en plein désert, et il ne semble pas que quelqu’un se soit préoccupé de réunir des lits de camp, des tentes, des couvertures, etc. Bien entendu, on devra tout abandonner derrière soi. Et le lait pour les jeunes enfants ? l’eau pour les adultes ? la nourriture ? tout cela ce sont des contingences . . .  3 août 1920 Dîner chez le Sepahdâr avec le nouveau ministre de Grande-Bretagne, Norman, un très petit homme, se redressant pour ne pas perdre un pouce de sa taille. Une minuscule moustache ou plutôt deux mouches collées sur sa lèvre inférieure entrant dans ses narines dès qu’il sourit, des dents petites et saines luisent et égayent un visage inexpressif où reste posée une expression de suffisance et d’amabilité qui vous met sur vos gardes. Il sue l’hypocrisie. Mais peutêtre, disciple de Casenave, l’amabilité lui paraît-elle supérieure à toute autre vertu chez un diplomate, une arme de choix et, à tout prendre, la plus facile attitude ? Il se plaint âprement de recevoir des « dizaines de solliciteurs » dont il oublie les noms dès qu’ils sont partis. « – Ces gens-là, me demande-t-il avec dégoût, ne pensent-ils qu’à l’argent ? » Évidemment, depuis la chute de la Russie, seule l’Angleterre peut leur en fournir. C’est cela l’Orient. Et Norman qui déjà semble effrayé aura bien d’autres constatations désagréables à faire dans ce guêpier où il s’est fourvoyé. Il détient de larges fonds secrets et sa tâche va être d’essayer

Téhéran 1920

465

de convaincre les députés persans de signer l’Accord mis sur pied par Sir Percy Cox. Nous allons voir (comme curiosité) si nous ne fuyons pas auparavant devant les Bolcheviks, ce qui va arriver. 6 août 1920 La situation politique et militaire va peut-être se détendre une fois de plus, puisque les Anglais prétendent avoir stoppé l’avance des Bolcheviks devant Qazvin. Pour combien de temps ? Nous vivons au jour le jour sans trop nous préoccuper du lendemain ; l’on donne des dîners, l’on monte à cheval, l’on se promène dans les jardins hors la ville, l’on joue au tennis sans savoir de quoi demain sera fait. Le soleil est si beau . . . Selon l’heure, les montagnes se dorent ou passent du mauve au violet, l’existence que l’on mène est monotone, mais heureuse aussi. Surtout pour les couples comme le nôtre, qui s’entendent et qui s’aiment. Ils sont rares. 7 août 1920 Mme Bonin est particulièrement lucide aujourd’hui puisqu’elle me demande : « Je ne sais pas ce qu’a pu faire mon mari pour que tout le monde le déteste . . . Qu’en pensez-vous ? » Puisqu’il faut être polie, je proteste mollement mais j’ai envie de lui en donner les raisons : « Parce qu’il a une âme de pion, qu’il ferait, s’il l’osait, copier à ses collaborateurs le Bottin plutôt que de leur laisser un jour de congé quand il n’y a pas de travail, qu’il est méprisant, dénigreur, mauvais collègue, qu’il est avare, mesquin dans les plus petites choses (comme de refuser à Bellan qu’il envoie, pour le service de la légation ou du sien à la Banque Impériale, et refuse de payer sa voiture, bien qu’il ait des frais d’abonnement pour le faire). Alors ? On se venge en se moquant de lui. » Mme Bonin, souvent ridicule en gestes et en parole, est malheureuse : dès le début de son mariage, elle a été trompée sans vergogne. Au Canada où la lubricité de Bonin prenait le pas sur son avarice, il lui remettait une certaine somme d’argent lorsqu’arrivait un changement de saison en lui disant : « Allez donc à New York renouveler votre garde robe ! » Elle acceptait ainsi une situation qui eût pu être pénible pour son amour-propre à condition de « pouvoir s’amuser ». Elle déplore la fidélité qu’elle s’est imposée : « J’aurais pu avoir des amants, j’ai été bien bête ! Çà m’est égal qu’il ait des maîtresses, autant de corvées de moins pour moi ! Tout ce que je demande, c’est qu’il ne fasse pas parler de lui . . . » 10 août 1920 Le docteur Wilhelm vient demander audience à Bonin : il est en butte à des difficultés croissantes avec les Persans, dues le plus souvent à la violence de son tempérament. Il crie : « Si je ne peux pas avoir satisfaction, je partirai ! » Et

466

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

l’autre lui a répondu « Personne ne vous empêche de le faire . . . » Réponse qui a déclenché un nouvel accès de fureur. Jusqu’à ce moment, les deux hommes s’entendaient, partageant une égale anglophobie, celle de Wilhelm s’étant d’autant mieux développée qu’il s’est aperçu d’un manque de complaisance des autorités anglaises et de l’opposition sourde de leurs deux médecins établis depuis dix ans en Perse. N’est-ce pas humain ? 14 août 1920 Ziyâ Homâyun parle avec sympathie de Mme Bonin et me demande soudain : « Pourquoi parle-t-elle aux hommes de si près ? – Il n’y a pas qu’aux hommes, dis-je, à tout le monde, c’est une mauvaise habitude qu’elle a prise. » Elle parle de si près que l’on craint qu’elle n’embrasse ses interlocuteurs sur la bouche ; ils reculent afin d’éviter de recevoir des postillons et la retraite se termine généralement dans une encoignure où elle conserve l’avantage. Je savais que les Persans étaient étonnés de ces façons, mais je ne m’attendais pas à entendre Ziyâ ajouter : « – Le vieux Sepahdâr m’a demandé : ‘Crois-tu que Mme bonin ait voulu me faire des avances ?’ . . . » 17 août 1920 Norman nous invite à dîner à la légation d’Angleterre. Plaintes. Le travail accablant qui lui échoit, la chaleur, le pays, les moustiques, enfin les politiciens. Et quelques traits acérés à l’égard de Sir Percy Cox. Il est rare qu’un chef de poste loue son prédécesseur, mais il a souvent la décence de garder le silence devant les étrangers. « – Il est parti en beauté, comme vous dites en français, à un moment où tout semblait gagné et où rien n’était terminé. » Et en effet. Le Parlement s’est gardé de ratifier le Traité anglo-persan. Le sera-t-il jamais ? Il lui faudra mener une politique souple et, si Norman semble avoir de la souplesse, il donne aussi une impression de mollesse et de nerfs fragiles. Avec grande impatience, il attend son nouveau conseiller, un de ses amis. « Au moins celui-là appartient au Foreign Office et non au gouvernement des Indes ! » Mais il ignore tout de l’Orient. Les membres de la légation, aussi nombreux que ceux d’une ambassade, sont en désaccord sur la politique anglaise à mener : le colonel Haig étant évincé, il va rester en présence deux redoutables personnages : Walter Smart et Havard, le consul, primaire et brutal ; tous deux ayant une longue expérience de la politique persane – et de ses suppôts ; ils parlent admirablement la langue, connaissent les hommes et les ressources mais ils voient la solution des problèmes à travers leur tempérament et le pauvre Norman va découvrir dans le miroir que chacun d’eux lui tendra une image complètement différente. Quant aux gentils boys Victor Mallet et Baxter, ils sont dévoués, ne se permettent pas d’avoir des idées et ne

Téhéran 1920

467

s’occupent guère que des gazelles et des mouflons. Enfin, à Londres trône un homme pour lequel Norman semble n’avoir aucune sympathie : son ministre des affaires étrangères, Lord Curzon qui suit personnellement et de très près les événements qui se déroulent dans un pays qu’il croit bien connaître, sur lequel il a écrit des articles mais qui est peu disposé à plaindre ses représentants : « Je regrette déjà d’avoir accepté ce poste ! » conclut Norman. Je le comprends. 19 août 1920 Les Ducrocq, après des hésitations, ont décidé de donner un dîner en l’honneur de Norman et ce matin, Marie a demandé à Mme Bonin si elle pouvait placer son mari après le ministre anglais puisqu’il allait se trouver dans une maison française. Et elle a répondu : « Mais oui, naturellement . . . ». Cet après-midi, Bonin fait appeler Ducrocq d’urgence et lui lave la tête. « Je refuse d’être placé après lui . . . Il est arrivé après moi, donc j’ai la préséance ! » Ce soir, Geneviève Bonin est venue chez les Ducrocq leur faire des excuses : lorsque son mari a eu appris sa réponse, « une réponse inconsidérée, vous auriez dû me consulter », il est entré dans une si violente colère qu’elle en tremble encore. 24 août 1920 Rašt a été reprise par les cosaques persans. Le shah a aussitôt envoyé ses félicitations à Starosselsky et l’a nommé Haut Maréchal. 25 août 1920 Fureur du président du Conseil qui n’a pas été averti par le shah de la nomination de Staro ! 26 août 1920 Les Bolcheviks ont repris Rašt. Un jeu de va et vient. Les Cosaques se sont avancés trop vite, sans tenir compte de la longueur de portée des canons des bateaux de guerre de la Caspienne, ils ont reculé en complète débandade ; les troupes anglaises reculent également mais ne se battent pas. On annonce qu’il y a de nombreux morts parmi lesquels les deux beaux officiers russes, le prince Milikoff et Souline. 27 août 1920 Thomas Wickham est allé voir le shah et il ne lui a pas caché qu’à son avis Starosselsky s’était conduit dans la bataille beaucoup plus comme un colonel que comme un Haut Maréchal. Les Anglais, comme Ponce Pilate, se lavent les mains de cette affaire et laissent se débrouiller les troupes russo-persanes. Qui les en blâmerait ?

468

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

28 août 1920 Comme nous le pensions, la bataille d’avant hier s’est réduite à un gros engagement : les Cosaques ont eu une dizaine de tués et une cinquantaine de blessés, mais l’affolement a été complet ; ni Souline ni Mellikof ne sont morts et, si les Bolcheviks ne les en empêchent pas en envahissant toute la Perse, nous aurons encore l’occasion de les voir caracoler sur leurs chevaux dansants, dans leurs magnifiques uniformes. 29 août 1920 Le ministre de Belgique, Raymond, est tellement intrigué par les allures de conspirateur de Bonin qu’il se hasarde à m’en parler, un sourire gêné sur les lèvres grasses, les yeux verdâtres luisants de curiosité. Comme je fais semblant d’ignorer ses allusions, il me confie, sous le sceau du secret, quelques détails sur les promenades nocturnes que fait le ministre de France (d’autres avant lui m’en avaient parlé), errant dans les rues de Téhéran coiffé d’un large feutre enfoncé jusqu’aux sourcils, les yeux cachés par des lunettes noires. « – Il doit penser que l’on ne peut le reconnaître, dit Raymond, mais il attire l’attention d’un bout de la rue à l’autre. » Les Anglais l’ont fait suivre souvent sans parvenir à savoir où il se rend : il tourne dans un dédale de petites rues, de sentes, aux alentours de la place des Canons, sans entrer – semble-t-il – nulle part. On le soupçonne d’être l’amant d’une jeune femme de la légation d’Arménie, insignifiante mais captivée par la majesté de ce ministre bedonnant. 30 août 1920 Une lettre de Claudel ! . . . Presque tendre et confiante. Grand événement. Il se reproche de n’avoir pas répondu plus tôt à la lettre d’H. (la sienne est de juillet) : « Elle m’est parvenue pendant mon séjour à Paris et vous savez le genre de vie que l’on mène en ces lieux. Puis sont survenus toute espèce de bruits alarmants sur la Perse et je me suis demandé si vous n’alliez pas être forcé de quitter le pays. Autant de prétextes pour justifier ma paresse. Ne doutez pas du moins que je ne sois sensible à votre bonne affection et celle de Mme Hoppenot. Je vois que vous ne m’en voulez pas de mes accès de rudesse et de mauvaise humeur dont vous avez eu à souffrir au Brésil. La poésie et la solitude ne rendent pas tout le monde aimable. Je suppose que vous voyez autour de vous une quantité de choses curieuses et intéressantes. J’ai toujours eu envie de voir la Perse et mes conversations avec le ministre d’Angleterre Sir Charles Marling qui y a passé de longues années et Gobineau, les Nouvelles asiatiques que vous connaissez sans doute, ont ranimé en moi cette nostalgie puisque la vraie nostalgie est celle des

Téhéran 1920

469

pays que l’on n’a jamais connus. J’espère que vous pourrez échapper aux terribles Bolcheviks. Je suppose que la politique que l’on mène là-bas est aussi décousue et aussi incompréhensible que celle qui se fait jour en Turquie et plus près de moi dans la Baltique. Mais je n’ajoute rien. J’ai à ce sujet des idées qui ne sont pas celles du quai d’Orsay. Quoiqu’il en soit, je serais heureux de recevoir de vous des nouvelles rassurantes. Milhaud a eu un grand succès comme vous savez avec le Bœuf sur le toit. Actuellement il l’a porté en Angleterre où cette pantomime doit être jouée au Coliseum et ailleurs. Combien je regrette que sa partition de Protée n’ait pu sortir. J’ai rarement entendu quelque chose d’aussi vivant, d’aussi méditerranéen. Il a bien tort d’attacher sa fortune à la mienne. Toute ma vie je serai condamné « à sortir des cadres » aussi bien de ceux du Français que de ceux des Ballets russes ou même du Vieux Colombier. Copeau a bien consenti à jouer mes trois pièces (L’Otage, le Pain dur, le Père humilié) en février prochain mais je crois que c’est sans enthousiasme et j’ai comme une idée que le projet n’aboutira pas. Je n’en serais pas autrement fâché. » » [. . .] Tout apporteur de choses nouvelles est condamné à la solitude. La coalition des médiocrités est trop forte et trop bien organisée pour qu’un homme seul et qui a autre chose à faire puisse en triompher. D’ailleurs cela n’en vaut pas la peine. J’ai trouvé au Danemark une vraie Thébaïde. J’y ai passé un hiver superbe au milieu de la neige fondante et des ténèbres continuelles. Cela m’a permis de commencer une énorme pièce dans le style espagnol avec une multitude de scènes qui se passeront à tous les coins de la terre et même dans l’autre monde. J’ai presque achevé la première Journée mais j’en ai encore trois autres à achever, cela me prendra bien deux ans. Ce cadre flexible me permettra de caser un tas de rêves, de souvenirs et de fantaisies. Titre (emprunté à Calderon) Le pire n’est pas toujours sûr. Maxime ambiguë et consolante dont vous et moi ferons bien de nous souvenir quelquefois dans notre carrière ballotée. » Claudel nous demande de ne pas oublier à l’ombre des monuments de Persépolis celle que faisait le Beco du Papagaiao sur la forêt vierge (il n’y a pas de danger de ma part). Et il termine « C’est superbe de se trouver ainsi à deux, jeunes et seuls en pleine Asie. » Là, il voit juste. 1er septembre 1920 Malgré une situation militaire qui, d’une minute à l’autre, pourrait devenir dangereuse, Caldwell est parti faire son tour annuel vers Ispahan. Il y achète des tapis et de l’argenterie que l’on trouve à meilleur compte qu’au bazar de Téhéran, puis il expédie le tout aux États-Unis sous le couvert de la franchise diplomatique, réalisant ainsi des bénéfices appréciables.

470

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

2 septembre 1920 La route de Mésopotamie est complètement coupée et nous ne sommes plus reliés à l’Europe que par Bandar-Bušehr. Le nouveau conseiller de la légation d’Angleterre, Reginald Bridgeman, fait ses visites d’arrivée. Un personnage d’Alfred de Musset égaré dans le cénacle de Jean Cocteau. Très grand, portant longs [ses] beaux cheveux châtain légèrement ondulés, et très minces. Mais, horreur ! un collier de barbe. « – Je l’ai laissé pousser, me dit-il, parce que cela vous donne plus de considération dans le pays . . . » (considération voulant dire virilité). Les Anglais ont manifesté leur désapprobation quite improper et ont commencé une campagne pour obtenir l’ablation de ces poils et montrer que l’Angleterre n’en est plus aux temps victoriens. Sans résultat. Elle étonne les Persans à qui elle est dédiée car, à l’exception des mollâs et hommes d’âge, ils ont depuis longtemps l’habitude de se raser. Une courte moustache est suffisante pour n’être pas traité d’eunuque. 3 septembre 1920 Des avions anglais ont survolé Rašt et Anzali et leurs observateurs ont constaté qu’il ne reste que peu de troupes bolcheviques dans ces deux villes. En l’apprenant, Bonin s’est écrié « C’est un traquenard ! Les Anglais veulent faire avancer les Cosaques pour qu’ils soient massacrés ! » 5 septembre 1920 Ziyâ me dit que son oreille percée a toujours intrigué les Parisiens. « Dans ma jeunesse, lorsqu’un enfant d’une ancienne famille persane tombait malade, la mère invitait ses amies à une cérémonie au cours de laquelle il devenait l’esclave d’un Imam. On perçait l’une de ses oreilles, puis on y attachait une boucle ornée de turquoise, la pierre nationale – sur laquelle on gravait le nom de l’imam choisi. L’enfant devait le porter un nombre déterminé d’années. (Faut-il s’en étonner, lorsque, soi-même, l’on a été voué au bleu et au blanc, à la Vierge, jusqu’à l’âge de sept ans ?) Lorsque Ziyâ souffrait de maux de tête, on appelait un Seyyed qui, prenant son écritoire, inscrivait des invocations aux saints imams sur un œuf qu’il roulait trois fois autour de la tête malade et dont l’effet devait être immédiat. Pour abattre la fièvre, il portait à ses lèvres un morceau de ficelle en récitant des versets du Coran puis l’attachait au poignet de l’enfant. Mais la bâji pour compléter la cure, lui faisait manger en cachette des pastèques et des concombres. « – Seuls, dit Ziyâ, les enfants robustes résistent à de tels traitements ! » Depuis ce temps, quelques médecins persans ont fait leurs études en Europe et les enfants des familles aisées sont soignés à peu près selon les thérapeutiques occidentales, mais [ceux] des gens du peuple continuent à subir ces pratiques ce qui explique la grande mortalité régnant dans le pays. Les indigènes

Téhéran 1920

471

sont trop méfiants pour avoir recours aux médecins étrangers et, s’ils étaient tentés de le faire, les mollâs seraient là pour les en dissuader. 6 septembre 1920 Les excentricités de Bridgeman étonnent même ses collègues de la légation d’Angleterre. Smart me raconte qu’à Bagdad, ayant été invité par Sir Percy Cox, il en profita pour donner congé à un étrange valet de chambre amené de France. Celui-ci, impassible et froid comme un gentleman, fit en parcourant la ville, connaissance avec l’un des agents de la maison Orosdi-Back. « Je suis un diplomate français, lui dit-il, je me rends en Perse pour mon plaisir avec un Anglais. » Son interlocuteur, bien qu’un peu étonné, les voyageurs par plaisir n’encombrant pas les chemins persans, l’invita à déjeuner, puis lui proposa de s’occuper de ses bagages. « – Non, merci. C’est l’affaire de mon Anglais ! » L’agent d’Orosdi-Back se précipita chez le consul de France pour lui apprendre qu’un mystérieux diplomate se trouvait dans les murs. Ennuyé de n’avoir pas été prévenu par le quai d’Orsay (et pestant sans doute contre lui), il envoya son commis de chancellerie à l’hôtel, porteur d’une invitation. Là, le pot aux roses fut découvert. Bridgeman en rit encore. 7 septembre 1920 Promenade à cheval avec Wickham. Il vient de voir Starosselsky dont le moral est bas. Pendant la courte occupation de Rašt par ses troupes, il a été étonné du grand nombre de munitions laissées par les Russes et il craint qu’ils n’arrivent à mettre sur le pied de guerre une armée de trente mille hommes qui envahiront la Perse en prétendant, pour justifier cette conquête, qu’ils ont été appelés par les Persans afin de les défendre et que, dès qu’ils se jugeront assez puissants pour le faire, ils entreprendront la conquête de l’Inde. 8 septembre 1920 Il est toujours question de l’évacuation mais sans plus de moyens pratiques. On va tout de même acheter deux vieilles autos et pour le reste l’on emploiera des gâri-s18, des chevaux, des chameaux. Ceux-ci seraient réquisitionnés par le gouvernement persan qui prétend avoir pris toutes les précautions (ce dont je doute) ; il est certain qu’à la première nouvelle de l’avance des Bolcheviks sur la capitale, les bêtes de somme disparaîtront comme par enchantement. Wickham, chargé de veiller à l’exécution de ce projet grandiose, m’avoue qu’il faudrait trois semaines pour le réaliser et pour permettre aux étrangers de partir tous ensemble. Je lui fais remarquer que, privés comme nous le sommes de nouvelles sûres, les Bolcheviks n’auront pas l’obligeance de nous prévenir de la 18  Carriole, fourgon (terme venu du hindi).

472

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

date à laquelle ils se mettront en route mais comme tous les Anglais, il a l’habitude d’envisager les événements au jour le jour et sous l’angle le plus favorable. Manque d’imagination, d’organisation ? ou est-ce là une force ? 9 septembre 1920 Dîner chez le Sepahdâr-e A’zam. Mac Murray vient de lui consentir, alors qu’il était aux abois, un gros emprunt. Et c’est un dîner de remerciement. Quand un Persan touche de l’argent, il a coutume d’inviter le prêteur à en dépenser un peu avec lui, aussi ce soir, entorse au protocole, Norman passe-t-il avant Bonin et toutes les places d’honneur ont été données aux Anglais ! Au dernier souper somptueux de Vosuq od-Dowla, Norman, écœuré, murmurait : « Dire que c’est notre argent qui va payer tout cela : voilà comment il est gaspillé ! » Le Sepahdâr n’attend que le moment favorable pour reprendre le pouvoir et refaire sa fortune, car, les Anglais cessant leurs subventions le 15 octobre, il est probable que le cabinet actuel de Mošir19 n’y survivra pas. 11 septembre 1920 Wickham parle de Smart qu’il n’aime pas : « C’est un coureur » dit-il, méprisant. Il veut dire un coureur de femme, car il l’admirerait s’il s’agissait d’exploits sportifs. Smart s’entoure de poètes, de lettrés, de natives, il a parfois commis l’imprudence de faire venir en catimini, dans sa maison de la légation d’Angleterre, des danseurs ou danseuses au scandale des femmes des fonctionnaires . . .  Smart cherche à se faire un personnage bien différent de celui qu’il est réellement ; il le joue assez bien sauf pour des yeux attentifs et, s’il n’a aucune ambition visible, il aime à rester dans l’ombre et à tirer les fils des marionnettes qui l’entourent. Puissance cachée, éminence grise. Mais son intelligence destructive se prend dans ses rets et il ne réussit pas à dissimuler la moindre émotion ou contrariété car sa super-émotivité amène sur son visage généralement livide une vive rougeur. Je crois que la plupart de ceux qui l’entourent mésestiment son rôle actuel – et celui qu’il sera, un jour ou l’autre, tenté de jouer. 13 septembre 1920 Il est difficile de trouver un spectacle plus ridicule que celui de Bonin sur un cheval ; il a choisi l’animal le plus petit qu’il ait pu trouver, ses jambes trainent à terre et il ne va jamais qu’au pas. Pour s’en excuser, il prétend « qu’un peu lourd, il craint de fatiguer sa monture ! » Il suffirait dans ce cas d’employer un cheval turcoman, frère du chameau . . .  19  Mošir od-Dowla était devenu Premier ministre en juillet 1920, succédant à Vosuq od-Dowla. Voir Zarqâm Borujeni, Dowlat-hâ-ye ‘asr-e Mašrutiyat, p. 120 ; infra p. 681.

Téhéran 1920

473

Si le ministre est intraitable pour les petites gens et ses subordonnés, il ménage « ceux qui ont des relations ». L’autre jour, Mme Bonin, chez qui j’avais trouvé Duffousat, petit professeur chafouin et malsain, m’a dit : « Ce n’est pas par plaisir que nous le recevons aussi souvent, mais parce que son père est sénateur ! » 15 septembre 1920 Armitage-Smith, qui dirige la mission financière anglaise, souvent placé à côté de moi à table, a pris l’habitude de me parler librement, oubliant ma nationalité. Aujourd’hui, avec un frisson de terreur rétrospectif, il parle de Mrs Caldwell qu’il a rencontrée pour la première fois dans un dîner et qui, le potage à peine avalé, en était aux confidences, révélant sa douleur d’être incomprise et de vivre aux côtés d’un époux trop grossier pour qu’elle pût l’aimer. « – Elle m’a fait peur ! . . . On se trouve tellement isolé de son pays, si loin des siens ! . . . » Il a tout de suite cru qu’elle lui faisait des avances et, malgré une extrême vanité, n’en a ressenti qu’une impression de danger : sa femme à Londres occupée à lui confectionner un enfant. Il a dit à l’un de ses collaborateurs qui s’en moque encore : « – Oh, c’est une dangereuse et horrible femme ! . . . » 17 septembre 1920 Bonin hait le nouveau ministre d’Angleterre tout autant qu’il a haï Sir Percy Cox, il critique sa coquetterie, ses nombreuses parures de chemise, en diamants, perles, rubis ou émeraudes, ses chemises de soie à filets verts ou roses, ses pantalons à ceinture ajustée, larges d’une main qui font rebondir un ventre qui s’arrondit un peu, bref, son goût de Sud-Américain, de métèque. « – Il a sûrement du sang nègre ! déclare-t-il, puisant dans cette supposition une âpre joie, la famille de sa mère était antillaise et tous les Antillais ont un sang mélangé . . . » 27 septembre 1920 Le capitaine Lassen rentrant d’une mission au Gilân a découvert que sa précieuse épouse (confiée pendant ce temps au colonel Haig !) a recommencé à faire des dettes. Des scènes aussi. Les officiers de gendarmerie ont intercepté, pour la lui montrer, une lettre de sa femme au prince Melikoff, ne laissant aucun doute sur leur intimité. On l’a fait lire au colonel Haig qui, aveuglé par l’amour, n’a pas voulu croire à son authenticité et immédiatement parlé d’un faux « fait dans un but de vengeance, peut-être par un soupirant évincé. » Puis il a calmé de son mieux le mari qui ne parlait pas moins que d’aller tuer le prince à coups de révolver. Depuis, ce dernier se terre chez lui avec ses deux

474

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

barzoï, bêtes splendides mais inoffensives, qui l’accompagnent partout. Le capitaine Lassen a quitté le domicile conjugal et l’on croit qu’il est allé se réfugier à la gendarmerie. 28 septembre 1920 Bonin a annoncé à plusieurs personnes – mais non pas à H. – qu’il se préparait à partir en congé. Si rien ne vient se mettre en travers de ce projet, nous pourrions en être débarrassés vers la fin d’octobre. Nous n’osons pas y croire. 4 octobre 1920 La route d’Ispahan et de Chiraz n’est plus sûre : Arfa’ od-Dowla a été pillé entre ces deux villes et laissé à peu près nu pour continuer son chemin ! 6 octobre 1920 Orso a dévoré, en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, neuf poulets appartenant au jardinier des consuls ! 8 octobre 1920 Les Wilhelm, bien qu’ils soient mariés depuis quatre ans, continuent leur lune de miel dans les coins du salon, on entend une voix mâle prononcer des « petit loup ! petit lapin blanc ! petit toutou ! » Ils ne sont jamais gênés par les autres. Pour épouser ce brave homme de Français se soulageant en gestes brusques, en propos souvent orduriers, éclatant de colère, toujours dépeigné, les ongles malpropres, les vêtements tachés, une loupe comme une noisette chevauchant son nez, cette femme ravissante et fine s’est brouillée avec ses parents lorsque ceux-ci, en pleine guerre, comprirent que Wilhelm allait l’emmener à Dakar. Ils lui dirent : « Choisis entre lui et nous . . . » Elle partit au Sénégal. Alors ? Alors, c’est ça l’amour aveugle. On parle en Anglais devant le docteur et il me dit à l’oreille de façon à n’être pas entendu par sa femme, très jalouse : « Je n’ai jamais pu apprendre un traître mot de cette langue et cependant pendant quatre ans j’ai eu une maîtresse anglaise ! » 10 octobre 1920 Les Bonin descendent à Téhéran pour préparer – dit-on – leur départ. 11 octobre 1920 Le capitaine Lassen s’est réfugié chez son ami Arvindson, un officier suédois de la gendarmerie qui, sur l’insistance du colonel Lundberg, lui a offert une chambre dans sa maison. Ce dernier ne cache pas sa joie, ayant voué une haine

Téhéran 1920

475

tenace à Mme Lassen qui aurait repoussé ses hommages et il cherche, selon son expression, « à remonter » son mari, c’est-à-dire à le faire divorcer (ce qui serait sans doute la meilleure solution pour lui) mais il n’arrive à tirer de la victime que des gémissements. Et il a constaté, dégoûté : « Il l’a dans la peau et ne peut se passer d’elle ! » Mme Lassen, dès qu’elle a connu le lieu où son mari s’était réfugié, s’est précipitée chez Arvindson et comme une furie lui a envoyé une paire de claques puis a exigé de s’entretenir avec son mari qui, d’une chambre voisine, écoutait la scène sans bouger. On le lui a refusé. Alors, une fois de plus, le colonel Haig s’est entremis et, poussé par le besoin moralisateur de l’anglo-saxon, horrifié par le scandale qui allait éclater, a chapitré Lassen, morigéné la femme en lui faisant promettre d’ouvrir son alcôve fermée depuis de longs mois à son mari, ce qui ajoutait encore à son affolement ! le tout en français car Mme Lassen n’entend pas d’autre langue ! . . . Le couple est donc raccommodé – pour le moment. 18 octobre 1920 Les Raymond offrent un dîner de départ pour les Bonin. Je suis placée à la gauche du ministre de Belgique et je m’ennuie ferme ; il souffle à travers des lèvres closes des mots qui, projetés, semblent emplir la pièce de vibrations désagréables et, comme un prédicateur en chaire allonge ses sermons par des répétitions, ses phrases s’étirent, reviennent sur elles-mêmes pour repartir dans la même direction. « – C’est une situation intéressante . . . Elle aurait pu, après les derniers événements, perdre de son intérêt, mais au contraire de jour en jour, à cause d’eux, elle grandit en intérêt. Et dans cet intérêt réside le fait que . . . etc. Quand il aborde le sujet, pour lui inépuisable de la Guerre, il commence toujours par un « quand la Belgique est entrée aux côtés de la France . . . » On a envie de fuir. Avec Mme Bonin, il se hasarde à faire des plaisanteries salaces (elle ne déteste pas les propos de corps de garde). Avec orgueil il assure qu’il a repoussé une demande de Rodin de faire son buste. Sombre figure de l’enfer ? 23 octobre 1920 Allons bon ! Rašt vient de retomber aux mains des Bolcheviks. Du moins on le dit. Wickham, qui revient des lignes anglaises, prétend que les troupes persanes ont abandonné les tranchées qu’elles avaient construites parce qu’elles ont un moral déplorable. Comme s’en étonner ? les soldats sont mal équipés, mal nourris et n’ont pas été payés depuis quelque temps. Les jours qui viennent seront décisifs. Et je me demande ce que vont faire les Bonin qui devaient partir après demain ?

476

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

24 octobre 1920 Smart, très préoccupé par la situation militaire, vient me voir pour me prévenir que les Anglais se préparent à faire évacuer toutes les familles de la colonie et de la légation, que beaucoup de femmes et d’enfants sont partis. Il vient s’informer de ce que je compte faire. « – Mais rester avec mon mari, partir s’il part, rester s’il reste . . . – C’est de la folie, crie-t-il, vous ne savez pas quel traitement ces gens-là font subir aux femmes (les Bolcheviks). Il peut arriver que les hommes quittent la ville en quelques minutes, qu’ils soient obligés de coucher par terre dans les villages et, dans ce cas, personne ne peut assurer la sécurité d’une femme. Il faut qu’il y ait unanimité de vue entre toutes les légations . . . » Je réponds qu’en l’absence du ministre, H. sera le chargé d’affaires, que Bellan partira avec la colonie française et que j’attendrai avec H. le dernier départ. Il cherche si maladroitement à me convaincre que je finis par lui dire, impatientée : « – Mais, mon cher ami, je ne suis pas une de vos ressortissantes et nous ne demandons rien à votre légation ! » Repensant à cette démarche, elle m’étonne. Il y avait une raison plus sérieuse qu’un simple avis amical. Peut-être celle de faire pression sur le gouvernement persan en faisant fuir tous les étrangers, de lui démontrer à quel point la situation est grave, de le forcer d’admettre la nécessité, pour les militaires anglais, de tout reprendre des mains des officiers cosaques russo-persans ? 25 octobre 1920 Bonin est tout de même parti. No regrets. Le jour de l’anniversaire d’H. « – Je n’y croyais plus » me dit-il. Mais ce n’est qu’une fois qu’il le saura embarqué sur un bateau à Bombay qu’il sera sûr de sa gérance. Ce départ me soulage aussi. On souffre bien plus d’un grotesque intelligent que d’un ministre borné qui ne fait que ressembler à quelques uns de ses collègues ; grotesque il s’en détache et s’en fait remarquer ; que d’agacements celui-là nous aura causés, il fallait voir son air de taureau forcé des derniers temps. H. sait que sa valise contenait cent cinquante mille francs de traites intouchées et ces économies laissent rêveurs ceux qui connaissent la modicité des traitements diplomatiques. Elles ne sont explicables que par sa rapacité. Les deux antiques Ford acquises par l’État pour une évacuation éventuelle ont été emmenées par lui et, si la situation se gâte, je ne sais comment nous ferons partir les femmes, les jeunes enfants et les gens âgés. La première voiture contenait le ministre, sa femme et quelques bagages, la seconde le vieux Tam avec le reste. Avant de partir Mme Bonin m’a fait d’ultimes recommandations concernant sa jeune femme de chambre Tacoué, arménienne comme la vieille bâji dont je

Téhéran 1920

477

me sépare avec joie et a fini par conclure : « Je ne sais si vous pourrez la garder : je crois que je l’ai beaucoup trop gâtée : j’étais si seule que je la considérais plutôt comme une amie que comme une bonne. Mais je voudrais bien la retrouver si je reviens . . . » 26 octobre 1920 Installation à la Légation. Obligation de reprendre tous les domestiques depuis le maître d’hôtel Habibollâh que je n’aime guère (nous gardons Abdoul qui s’occupera des vêtements d’H.) jusqu’au cocher et palefrenier. Et la victoria et les deux chevaux gris. H. va rendre sa visite de Chargé d’affaires à Norman et essayer de savoir pourquoi les Anglais se sont tellement hâtés de faire partir les femmes et les enfants. Il le trouve fulminant contre Starosselsky à qui il attribue le « lâchage » des lignes retranchées, prétend qu’il va exiger son départ et demander que ses troupes se placent derrière le corps expéditionnaire anglais, espérant que la présence de celui-ci fera hésiter les Bolcheviks à attaquer. 27 octobre 1920 Norman accompagné par le général Ironside, commandant des troupes anglaises, a demandé à Mošir od-Dowla, le président du Conseil, la démission de Starosselsky. La situation militaire est toujours obscure. H. s’est plongé dans la lecture de tous les documents de ces derniers temps, documents que Bonin refusait de lui communiquer. Il s’aperçoit qu’il n’envoyait jamais de rapports au ministère et que les dossiers sont constitués par des feuillets de tous les formats et de toutes les couleurs. 28 octobre 1920 Dîner hier, chez Norman. Le cabinet Mošir od-Dowla ayant dans l’après-midi donné sa démission, la plupart des ex-ministres-invités depuis quelques jours y sont venus ainsi que le Sepahdâr, président du conseil du nouveau gouvernement. Tout ce monde se faisait bonne figure. D’ailleurs, les cabinets sont si fragiles que chacun garde de l’espoir dans son cœur en attendant le suivant. On dit que Starosselsky a envoyé une lettre de démission au shah et que ce dernier l’a refusée. Norman nerveux, pessimiste, parle sans vergogne de « désastre militaire » et ajoute qu’il saura bien contraindre Sa Majesté à se séparer de son généralissime. Le Sepahdâr, prudent, ayant besoin d’argent, n’a accepté ses nouvelles fonctions qu’après avoir été sûr de l’agrément des Anglais. Je demande à Norman, dont les lèvres restent pincées et qui ressemble à un chat faisant le gros dos, le nom d’un personnage persan placé près de nous et il répond : « Çà ? Oh ! rien du tout . . . Un voleur ! »

478

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

29 octobre 1920 Wickham assure que Starosselsky aurait dérobé deux millions de tomans en quatre mois, qu’il aurait offert un collier de perles au shah ainsi que quarante mille tomans, que le ministre de la Guerre et celui des finances auraient reçu chacun vingt mille tomans. Son indignation bouillonne. Il devrait pourtant savoir que ce sont là des pratiques habituelles dans ce pays. Starosselsky n’est probablement pas défendable, mais il ne faut pas oublier qu’en ce moment, les Anglais ont intérêt à le déconsidérer pour toujours et qu’ils ne s’inquiètent guère de vérifier la véracité de leurs informations. 30 octobre 1920 Dîner hier chez les Moore auquel assistaient Norman et le Sepahdâr A’zam. Le premier, toujours en colère, parlant rudement et le président du conseil, forcé de l’écouter, préférant se taire, laissant passer un orage qui menace de durer. « – Je n’aime pas menacer s’écrie le ministre d’Angleterre, je n’aimerais pas menacer le shah, mais si je suis obligé d’en venir là, je le ferai ! » Quel imbroglio ! Nous comprenons qu’il a forcé le shah à envoyer à Starosselsky l’ordre de rester avec l’armée mais que celui-ci avait déjà quitté son quartier général pour venir à Téhéran (du moins l’a-t-il ensuite prétendu). On a envoyé au-devant de lui des gendarmes et des autos anglaises pour lui faire rebrousser chemin sans qu’il pût être découvert. Il avait dû prévoir le cas puisqu’il est arrivé sans encombres dans la capitale. Le shah a consenti à le voir, disant que « s’il avait refusé, c’eût été de l’ingratitude de sa part. » Norman a fait dire au Shah qu’il était « peiné » de cette attitude. Ce qui n’a pas dû lui déplaire et Starosselsky a marqué un point en se faisant recevoir par lui. 31 octobre 1920 Le Bazar est fermé et le gouvernement persan a ordonné à la police de le faire ouvrir de force. C’est une façon persane de protester contre les procédés des Anglais. Le bruit court que Starosselsky aurait été emmené de force à Qazvin, mais il en court une telle quantité que l’on ne peut en croire un seul. Les Anglais connaissent évidemment l’étendue de ce qu’ils nomment une « catastrophe militaire », mais comment savoir si les renseignements qu’ils laissent filtrer sont exacts ? Tantôt il cherchent à noircir la situation, tantôt à rassurer ceux qui hésitent à partir. Mme Starosselsky vient prendre le thé et nous cherchons H. et moi à en apprendre quelque chose. Elle blanchit la conduite de son mari, naturellement : « Tout ce que l’on raconte, dit-elle, est calomnie. Comment mon mari aurait-il pu prendre de l’argent alors qu’il n’était payé que par chèques ? Ils

Téhéran 1920

479

laissent des traces. » Starosselsky a refusé de prendre la main que lui tendait le shah en disant : « Votre Majesté a violé la parole qu’Elle m’avait donnée de soutenir toujours mon armée contre les étrangers. » Et le shah, après avoir versé quelques larmes, a répondu : « Je ne suis ici que le domestique de M. Norman ! » Des mollâs qui prêchaient dans les mosquées contre les étrangers ont été arrêtés. Aurons-nous, en plus des Bolcheviks, des troubles populaires ? 1er novembre On annonce que Rašt aurait été reprise par des cosaques persans . . . venant d’Ardabil. Hildebrand, le chargé d’affaires laissé par les Russes de l’ancienne légation tsariste, vient voir H. pour lui vanter les vertus de Starosselsky et sa grande loyauté à l’égard du shah. Les mollâs lui ont proposé de faire de l’agitation politique et, en cas de danger ou de son arrestation par les Anglais, de venir prendre le bast dans une de leurs mosquées. Il a refusé. Mme Wilhelm arrive aussi, affolée, ne sachant que penser de la situation, son mari refusant de répondre à ses questions. D’ailleurs, il ne s’intéresse qu’à ses opérations chirurgicales. Je la rassure en lui disant que si nous devons évacuer Téhéran nous le ferons tous ensemble (inša’Allâh). Elle vient de voir les princesses Šo‘â os-Saltana qui, mortes de peur, hésitent à partir pour Ispahan « – Ce sont des jeunes filles dessalées, me dit-elle en rougissant, elle s’expriment comme des petites grues. » Elles sont fort libres, peu conventionnelles en effet, mais les jeunes filles persanes sont de bonne heure initiées aux mystères de la vie et ne le cachent pas. Je pense souvent à elles, le cœur serré. 2 novembre 1920 Tour en voiture dans les rues et promenade à pied dans le Bâzâr. Tout est tranquille. Les boutiquiers cherchent tous à me vendre quelque chose tout en me mettant entre les mains, suivant la coutume, le verre de thé bouillant, doré et trop sucré. 3 novembre 1920 Les Starosselsky exposent les objets qu’ils veulent vendre avant de partir ; leurs prétentieuse maison est presque vide ; des tas de paille et d’ouate révèlent un emballage hâtivement exécuté. Dans l’immense salle-à-manger, des choses hétéroclites sont posées sur la table, par terre, sur des chaises et sur la cheminée : service de porcelaine, de verrerie, argenterie russe fort lourde et trop ornée, nappes brodées, etc. On a collé sur le tout des petits carrés de papier portant les prix. Étant venue dans l’espoir d’acheter un chapeau melon pour

480

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

compléter ma tenue d’écuyère, article impossible à trouver ici, j’en repars avec, sous le bras, une soupière de la Compagnie des Indes ! L’école de Merle a été envahie par une bande d’étudiants persans voulant libérer les élèves aux cris « À bas l’Angleterre ». Il a dû appeler la police. Smart dit à H. qu’il tient la preuve des vols de Starosselsky, des agitateurs ont été toucher à la Banque Impériale des billets de mille tomans qui avaient été remis au général russe. Il déplore le départ de l’ex-président du conseil, [Mošir od-Dowla]20, mais « la situation, que supportait l’Angleterre depuis des mois, ne pouvait durer plus longtemps. » De quoi se plaint-il puisque le Sepahdâr est une de leurs créatures tout comme l’a été [Mošir od-Dowla] ? 5 novembre 1920 C’en est fait de la division des Cosaques ; les cent-quarante officiers et sous-officiers russes ont été congédiés avec deux mois de solde. Norman a gagné sur toute la ligne. 6 novembre 1920 Nous allons, H. et moi, dire adieu à Mme Starosselsky qui part tout à l’heure, son mari ayant déjà quitté Téhéran sans tambours ni trompettes. Il y a fort peu de monde quand, six mois auparavant, elle n’arrivait pas à compter ses « amis ». Aucun Anglais ne s’y trouve, ce qui est naturel, mais aucun Persan non plus, chacun étant soucieux de ne pas déplaire à la légation d’Angleterre. Du corps diplomatique, il n’y a que Caldwell ; Raymond s’est abstenu et cependant il fréquentait la maison Starosselsky assidûment. 7 novembre 1920 Professeurs et docteurs français viennent déjeuner et, comme chaque fois qu’ils sont réunis, Wilhelm et la doctoresse Deromps s’asseyent dans un coin et commentent à haute voix les derniers « cas », ceux qu’ils appellent « les malades intéressants », c’est-à-dire prêts à passer de l’autre côté. Les invités n’en perdent pas un détail. « Vous rappelez-vous cette femme qui avait un abcès dans le ventre ? oui ? oh ! j’ai rarement vu çà : un litre de pus. Et je n’exagère pas . . . Et la vôtre ? celle qui vient d’accoucher ? – Ne m’en parlez pas. Elle ne va pas s’en tirer. C’est criminel, de faire un enfant à une femme de quarante-cinq ans qui n’en a jamais eu. J’ai coupé le gosse en morceaux et elle a perdu tout son sang . . . etc. ! » J’essaie de leur faire comprendre que la description des misères humaines n’est guère propre à faciliter la digestion de mes 20  Dans le texte, deux fois, Moudir ed-Dowleh.

Téhéran 1920

481

hôtes et qu’ils pourraient se rencontrer ailleurs pour en discuter, mais ils n’en continuent pas moins. Le Prince Šo‘â os-Saltana est mort hier et sera enterré demain avec la pompe due à un aussi grand personnage : uniformes diplomatiques et militaires, robes de cachemire, mollâs à turbans blancs. C’est la syphilis qui l’a tué : « Il était complètement pourri, me dit Wilhelm, comme la plupart des Persans qui ont été soignés par des praticiens ignares ». Je pense aux deux petites princesses pour qui cette perte est irréparable et que l’on ne va pas tarder à marier. On les considère déjà « comme ayant presque passé l’âge », m’a dit l’autre jour une de leurs amies. Il n’est pas rare de voir en Perse une grand mère de 38 ans ! le shah eut beaucoup voulu épouser Mahine qui, malgré les supplications de sa famille, l’a repoussé, ne se souciant pas de devenir reine, soutenue par son père, qui espérait encore recueillir pour lui-même la succession du souverain. Mahine était effrayée de tout ce « qu’on lui racontait » sur les manières sanitaires de Sa Majesté et sur son avarice. Il n’a encore dans son andarun que des sighéh ou servantes, épousées lorsqu’elles deviennent enceintes. 8 novembre 1920 H. se rend à l’enterrement du prince et en revient agacé : « – C’est l’occasion que les Persans ont choisie, me dit-il, pour nous présenter le chargé d’affaires d’Allemagne. Ils auraient bien voulu en faire autant pour celui de Turquie, mais Norman et moi leur avons demandé d’attendre un peu. » Batourine qui, depuis longtemps, a bouclé ses malles, craignant l’avance soudaine des Bolcheviks, se prépare à partir pour la France. Il dit à H. que les Anglais de la Légation ont horreur de Georges Ducrocq. « – Pourquoi ? a demandé H., pensant, à part lui, que le capitaine est bien inoffensif . . . – On lui reproche de faire de l’agitation contre la Grande Bretagne et de ne recevoir chez lui que des anglophobes . . . » Ce qui est exact. Mais les Anglais – et ceci me donne des doutes sur leurs capacités psychologiques – ont craint qu’après avoir été débarrassés des Russes et des Allemands, ils n’aient à lutter contre une rivalité française dans ce pays. Ils n’ont été rassurés qu’après avoir appris, de leur ambassadeur à Paris, que le gouvernement français ne suivait pas les errements de son ministre Bonin. 9 novembre 1920 Drame. Mrs Moore, en visite chez son amie Mme Lassen, voit le mari de celle-ci rentrer, passer dans une autre pièce sans s’arrêter. Un coup de révolver retentit presque immédiatement, qui immobilise les deux femmes. Mrs Moore se précipite et trouve Lassen couvert de sang et à demi évanoui, pendant que sa

482

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

femme, poussant des hurlements, refuse de quitter sa place pour aller le voir. On a transporté le pauvre garçon à l’hôpital où l’on croit qu’il survivra à ses blessures. 10 novembre 1920 Promenade à cheval dans la campagne avec Ziyâ. Arrivant au trot dans une ruelle, une femme voilée se colle à la muraille pour nous éviter. Ziyâ lui demande : « Tu as eu bien peur ? – Oh ! j’ai cru que mon cœur tombait par terre . . . » 11 novembre 1920 Messe solennelle, commémoration de l’Armistice. L’église catholique a à sa tête un jésuite, le père Chatelet, un intelligent ambitieux qui ne perd pas son temps à évoquer le Seigneur et comprend l’ironie à merveille ; il a perdu toute habitude de prosélytisme, tenu ici à observer la plus grande prudence à l’égard des musulmans sous peine de se faire envoyer ailleurs. Si quelqu’un de connu veut se convertir on l’expédie en Europe. D’après les mauvaises langues, le père Chatelet, bon vivant, succomberait parfois aux tentations de la chair . . .  Entouré par son clergé, il attend H. (qui s’est mis en grand uniforme) sous le porche de l’église, l’encense et lui fait baiser l’Évangile. Enfin l’après-midi, réception de la colonie. Champagne, glaces, charbat, profusion de gâteaux et sandwiches. La colonie française, pour deux heures, a oublié ses querelles et divisions et elle est au grand complet. 12 novembre 1920 Déjeuner chez Reginald Bridgeman. Il a fort bien arrangé la petite maison qui lui a été dévolue dans le grand parc de la légation mais il a acheté, pour meubler son salon, les fauteuils inconfortables en faveur auprès des grands personnages persans, recouverts de velours rubis ou abricot, brodés de perles fines, de canetille d’or, dont le dessin en relief entre dans les dos nus et s’y incruste. Des livres français et allemands sur les tables, une grande encyclopédie sur les oiseaux occupe la place d’honneur près de son écritoire, que Jean Cocteau, son grand modèle, lui a conseillé d’acheter. « – Tiens ! dis-je méchamment, vous avez-là un bien beau service de la Compagnie des Indes . . . Il me semble en avoir vu un pareil il n’y a pas si longtemps . . . » (à la vente de Starosselsky. Il m’avait tentée, mais son prix trop élevé m’avait retenue de l’acheter) « – C’est celui des Starosselsky, répond-il très gêné. J’ai demandé à Mme Lassen de l’acquérir pour moi (il était difficile à ceux qui ont chassé le généralissime d’aller faire des achats chez lui !) Je l’ai

Téhéran 1920

483

peut-être payé un peu cher, mais à Londres il vaudrait beaucoup plus . . . » Le chiffre qu’il me cite a été majoré de cent pour cent – la commission de la petite dame russe. 13 novembre 1920 Plusieurs officiers russes de l’ancienne division de cosaques viennent demander à H. des facilités pour se rendre en France. Ces malheureux ne savent que devenir. 14 novembre 1920 Si étrange que cela puisse paraître, le Sepahdâr, président du Conseil, a réussi à former son ministère. « – Aucun personnage de premier plan n’en fait partie, me dit H., et certains des politiciens qui ont accepté ont été pendant la guerre des germanophiles. » Combien de temps durera-t-il ? 16 novembre 1920 Le capitaine Lassen est hors de danger et sa femme fait ses valises pour reprendre le chemin de Constantinople. Elle a l’intention de faire du cinéma, aux États-Unis, s’il se peut, et c’est dans ce pays qu’elle demandera son divorce. Le colonel Haig a eu toutes les peines du monde pour la retenir à Téhéran jusqu’à ce que son mari fût sorti de son demi-coma. 17 novembre 1920 À la réception du Sepahdâr, le prince Argoutian annonce que la Géorgie a été envahie par les Turcs et Norman assure que l’enquête sur les prévarications de Starosselsky (enquête que ce dernier a demandée) a confirmé ses vols. Au début de l’expédition du Gilân, son caissier a envoyé deux mille livres à Londres. Il pense, en outre, que le général négociait secrètement avec Moscou pour la reprise des relations diplomatiques entre les Bolcheviks et les Persans ou encore pour assurer sa sécurité personnelle. Norman a l’espoir que le Parlement persan se réunira le 6 décembre pour ratifier le fameux traité. 21 novembre 1920 Smart annonce à H. que des négociations indirectes sont engagées par le consul de Perse à Tiflis avec un envoyé russe à Ashkabad. Les Soviets demandent le retrait des troupes anglaises, ce qui le fait éclater de rire car si l’Angleterre doit partir, elle le fera au jour et à l’heure qu’elle aura choisis. Les Anglais auraient commencé à attaquer les lignes bolcheviques.

484

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

23 novembre 1920 H. revient d’une audience que lui a donnée le shah dans son palais [de] Farah Âbâd. « – Comment l’avez-vous trouvé ? – C’est un bon petit jeune homme . . . » Le shah vit dans un palais immense où il est prisonnier. Il n’est revenu en Perse que sur les appels pressants de sa cour, qu’inquiétaient les intrigues de ses oncles. Il reçoit rarement et ne sort pas, de crainte d’un attentat. Il a 22 ans et est sur le trône depuis onze ans, son père Mohammad-‘Ali Shah ayant abdiqué en sa faveur. Il a beaucoup parlé à H. de son séjour en Europe et ne rêve que d’y retourner. C’est pourquoi il amasse de l’argent pour ces longues vacances et en prête à des taux usuriers, soit à des courtisans soit à des particuliers. Les postes importants de sa maison sont mis aux enchères et, pour qu’un ministre soit nommé, il doit lui offrir une compensation ; on dit même que Sa Majesté se laisse fléchir devant les désirs des gouvernements étrangers s’ils y mettent le prix, et qu’ayant engrangé de grandes quantités de farine, il l’a revendue, pendant une famine, avec d’énormes bénéfices. Pour lui, comme pour ses sujets, tous les moyens de faire de l’argent sont bons. Le régent Nâser ol-Molk lui a enseigné ce principe : « La première chose, c’est de bien vivre, donc il faut s’en assurer les moyens . . . » Sa grande préoccupation est de maigrir, il se pèse chaque matin et le résultat décide de son humeur. « Chaque fois que je maigrirai d’un gramme, a-t-il dit à son médecin emmené à Paris, je te donnerai un franc ». L’autre, s’entourant des conseils d’éminents praticiens de la capitale, y mit son zèle, de sorte que le souverain obèse se trouva rapidement débiteur d’une somme d’une dizaine de milliers de francs. Mais, avare, n’ayant pas escompté un résultat si rapide, il a refusé de payer. Depuis qu’il est rentré de France, il s’est remis à engraisser et en vingt jours, grâce à une nourriture trop riche et à des sucreries, il a repris douze kilos ! « – Mais à présent, a dit le Hakim à Wilhelm, de qui je tiens ces détails, je ne me mêle plus de rien : Sa Majesté fera autant de graisse qu’il le voudra ! . . . » 24 novembre 1920 H. reçoit ce matin Perny, le professeur français, qui lui raconte que Mansur os-Saltana, pérorant dans un groupe de Persans, a accusé H. de faire une politique anglaise en Perse et il lui a annoncé que cinq cents démocrates avaient l’intention de prendre en cas de troubles le bast à la légation de France ! . . .  « – Vous voyez d’ici la tuile ? me demande H., les démocrates qui se sentent en danger auraient réuni une somme de trente mille tomans pour leur nourriture . . . (mais où pourrions-nous les loger ?) Les députés du majles songent à faire la grève et ceux qui sont hostiles au gouvernement donneraient leur démission pour empêcher que le quorum soit atteint au Parlement, l’obliger à procéder à de nouvelles élections et retarder ainsi la discussion de l’Accord anglo-persan ». Pendant ce temps, les Russes arriveront peut-être . . . 

Téhéran 1920

485

Perny dit encore que Bonin était exécré des Persans et que, lorsqu’E‘telâ’ ol-Molk a dû quitter son poste de ministre des Affaires étrangères pour prendre celui des Finances21, il a dit : « Ce qui me fait surtout plaisir de changer de ministère, c’est que j’échapperai aux audiences du mercredi auxquelles vient M. Bonin ! . . . » 25 novembre 1920 Encore des bruits de crise ministérielle et d’un ultimatum posé par les Anglais pour demander l’application immédiate de leur fameux Accord. Le gouvernement a offert sa démission au Shah qui l’a refusée : toujours la même comédie. Ce matin, H. a eu une longue conversation avec Farmân-Farmâ, grand propriétaire terrien, grand politicien, père du prince Firuz qui a essayé de l’attendrir en disant : « Donnez-moi toute votre confiance, vous avez la mienne . . . » Peut-on avoir confiance en un politicien persan ? il a, bien sûr, protesté de son grand attachement pour la France et parlé de son rôle culturel qu’il trouve trop effacé pour ses mérites, insinuant que l’on pourrait profiter des événements pour se mettre au premier plan. Les Persans, habitués à jouer entre les rivalités européennes et à en profiter, se trouvent décontenancés depuis que la GrandeBretagne est restée seule en ligne – le jeu en est forcément tout abîmé. Ziyâ [Homâyun] prétend que le Sepahdâr est « à demi-démissionnaire ». Les Anglais qui ont exigé la ratification de l’Accord anglo-persan avant le premier janvier, désireraient que le Sepahdâr reconnût, comme faisant partie de la dette persane, les trois cents mille livres distribuées par Sir Percy Cox comme pots-de-vin à Vosuq od-Dowla, au prince Firuz et au Seyyed Ziyâ od-Din22 ! 27 novembre 1920 H. me dit que Malzac, consul à Tauris, s’agite et demande l’autorisation d’évacuer la ville avant que la chute des neiges n’ait rendu toute circulation impossible. Il lui répond de se mettre d’accord avec ses collègues et de faire comme eux. H. a l’impression que les Anglais projettent le retrait de leurs troupes de Perse. S’il en était ainsi, l’évacuation de la population civile devrait se faire en plein hiver avec toutes ses difficultés – et sans aucune préparation. Le froid est déjà terrible. 21  Dans le dernier gouvernement Vosuq od-Dowla. Zarqâm Borujeni (Dowlat-hâ-ye ‘asr-e Mašrutiyat, p. 118) ne signale pas ce changement d’affectation. 22  La question de ces pots-de-vin est venue au grand jour à ce moment, mais les ministres désignés comme corrompus par Percy Cox sont Vosuq od-Dowla, Firuz et Sârem od-Dowla. Voir notamment C. Ghani, Iran and the Rise of Reza Shah, p. 54. Seyyed Ziyâ, journaliste anglophile, était par ailleurs régulièrement accusé d’être acheté par la légation britannique. Voir plus bas, 28 novembre.

486

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

28 novembre 1920 Smart vient voir H. pour lui faire part de ses craintes. Le Parlement persan ne pourrait être réuni avant la fin de janvier et les Anglais, dans ce cas, devraient garder leurs troupes dans ce pays au moins jusqu’au printemps. (Ce serait pour nous un soulagement). Il est nerveux, impressionnable et coléreux. La légation d’Angleterre possède, paraît-il, un accusé de réception signé par Sârem pour une somme de cent trente mille livres, somme qui aurait été partagée entre Vosuq od-Dowla et Firuz. 30 novembre 1920 Le docteur Wilhelm s’étonne des goûts végétariens de Bridgeman et, toujours indiscret, lui en demande la raison. « C’est excellent pour faire l’amour ! . . . » répond-il. 1er décembre 1920 Dîner franco-persan. L’incorrigible Ducrocq se laisse prendre aux protestations d’amitié sans faire la part de la phraséologie orientale, monnaie courante d’une amabilité sans engagements. Placé à table à côté d’un Persan – officiel ou non – il lui faut semer la bonne parole. Dès le potage, il décrit la défense du Grand Couronné23, résume la bataille de la Marne plus connue, et arrive à fond de train, pour le dessert, sur les offensives de la Somme, ce qui ennuie à mort des interlocuteurs autres que des stratèges et ne change ni leurs préférences ni leurs tendances, toujours inspirées par des subsides. Certes si Georges Ducrocq avait à sa disposition les fonds secrets des Anglais, tout le monde applaudirait à ses petites conférences mais hélas – ou heureusement – ce n’est pas le cas. 3 décembre 1920 Les Bolcheviks ont débarqué des troupes fraîches à Anzali. 5 décembre 1920 H. apprend de Norman qu’il veut aboutir le plus vite possible à la ratification de l’Accord anglo-persan car Lord Curzon, qui affecte de ne pas comprendre la situation, a décidé de retirer ses troupes au printemps, quoi qu’il arrive. Le corps expéditionnaire anglais est trop faible pour pouvoir défendre la Perse contre une attaque en force des Russes, mais le ministre estime « qu’il est tout de même préférable d’avoir sous la main une force de quinze mille hommes plutôt que rien du tout. » 23  Hauteurs boisées à l’est de Nancy. Du 5 au 12 septembre 1914, le général de Castelnau y arrêta l’avance des troupes allemandes sur Nancy.

Téhéran 1920

487

7 décembre 1920 Dîner chez les Raymond. Comme le veut le protocole depuis qu’H. est chargé d’affaires, le ministre des États-Unis, Caldwell, est placé auprès de moi et sa conversation panachée, en trois langues, me fatigue si irrésistiblement que je donnerais n’importe quoi pour être au bout de la table. J’ai pris l’habitude de répondre au hasard par oui ou non à ce que je crois être une question, me souciant peu de tomber juste mais il commence à s’en apercevoir et n’hésite pas pour ranimer mon attention à approcher de mon bras nu la pointe rouge d’un cigare qu’il allume avant que les autres ne se permettent de fumer. Il possède cette qualité, rare pour un Américain, de savoir apprécier la bonne chère et de reconnaître la marque des vins ; toujours servie avant lui, il s’enquiert « is it good ? » et si j’approuve, il emplit son assiette jusqu’au bord. 9 décembre 1920 D’après Ziyâ [Homâyun], les négociations ouvertes à Moscou entre les Russes et les Persans sont très avancées et il est probable qu’un ministre bolchevik arrivera à Téhéran peu après leur conclusion. 11 décembre 1920 Tous les moyens de voler en usage depuis les Sassanides et même avant, sont bons pour les domestiques . . . et les autres. Si l’ingéniosité et l’intelligence de ce peuple s’exerçait dans le bien à la place du mal, il se relèverait vite de sa déchéance. Il existe des centaines de façons de chaparder et certaines sont fort raffinées car si les voleurs européens volent immédiatement ce qui les tentent, ceux d’ici savent attendre. L’objet convoité est, pendant un temps déterminé selon le tempérament des maîtres et leur faculté d’attention, mis de côté dans un tiroir, une boîte, ou simplement déplacé, hors du champ visuel habituel ; un petit objet est dissimulé derrière un autre plus volumineux et, à la moindre requête du propriétaire, il est produit avec une vague explication : nettoyage, etc. Si, après une ou deux semaines, il n’en a pas été parlé, il est transporté dans une autre pièce et laissé là, pour être plus tard, définitivement enlevé. À moins d’un besoin pressant d’argent, le domestique attend le départ du maître pour aller le vendre au Bâzâr, car si celui-ci le retrouvait dans quelqu’échoppe, il ne manquerait pas de faire faire une enquête et il faudrait alors débourser des sommes importantes pour s’assurer le silence des policiers chargés de l’ouvrir. 12 décembre 1920 Et ce qui me surprend toujours, c’est l’excès de commérages de cette ville où pécher, comme disent les prêtres, est si compliqué et où la vie se passe au grand jour. Je me demande ce que deviennent les pauvres amants traqués. Aucun

488

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

hôtel qui ne soit un bouge où la police est prévenue de ce qui s’y passe quelques minutes après, aucune maison ne peut être louée par un étranger sans que le quartier tout entier ne clabaude et n’invente, sans que les gholams, dans l’espoir d’un piškeš n’en informent les conjoints ou les supérieurs des coupables. Téhéran n’est favorable qu’à ceux qui s’aiment légitimement. Sur un soupçon, se bâtissent les plus invraisemblables romans. Dans ce pays, il ne faut compter que sur ses ressources personnelles, et l’on ne voit pas comment les médiocres pourraient se distraire autrement. 14 décembre 1920 Reginald Bridgeman, tout comme Norman son ministre, critique les Persans et même les Anglais lorsqu’il se trouve en petit comité. Ce socialiste convaincu possède une solide fortune. Pendant le long séjour qu’il a fait à l’ambassade d’Angleterre à Paris, il a fréquenté les milieux musicaux et littéraires et un été passé auprès de Jean Cocteau a été une date funeste dans sa vie car, cherchant à l’imiter, il a pris au sérieux toutes ses fantaisies et du champagne il ne reste plus que de la tisane. L’affection de ces deux êtres pourrait paraître étonnante si Bridgeman n’en laissait transparaître le fond, par naïveté ou vice. Mais Smart assure que, s’il « y a eu quelque chose entre eux », ce dont il doute, sachant que les goûts de Bridgeman le portent vers les femmes, « c’est qu’il lui aura paru amusant ou intéressant de se laisser aimer. » 17 décembre 1920 Chez Mme Wilhelm. J’aime à regarder son adorable visage sur un corps mince, un peu poupée de Jeanneton. Sans aucune culture, elle se sauve de la bêtise par une finesse innée. Smart l’a surnommée « la petite Junon » et, en effet, sans en avoir l’air, elle joue le rôle principal dans le ménage, sachant sous un air innocent se rebiffer et se faire entendre d’un mari quadragénaire, de sa petite fille, de domestiques qu’elle réforme à l’aide de gifles. Aussi change-telle très souvent de gens : s’il est admis, permis, aux Persans de maltraiter les leurs, ils ne le supportent pas aussi bien des étrangers et surtout de leurs épouses car ils savent qu’ils n’agiraient pas de même dans leur pays. Les gholam-s qu’elle engage ont d’abord toutes les vertus, puis tous les vices et peu après elle les jette à la porte ; ces vicissitudes forment le principal de sa conversation. Cependant que nous prenons le thé, le docteur fait son apparition et elle lui dit, doucement, très poliment : « Çà ne te ferait rien, mon chéri d’aller donner une fessée à ta fille qui crie dans sa chambre depuis cinq minutes ? » Son goût de la forme, des couleurs, se manifeste non seulement dans le choix de ses vêtements mais dans l’arrangement de sa maison : elle ne pourrait être d’un autre pays que la France.

Téhéran 1920

489

20 décembre 1920 Notre intérêt pour les antiquités est maintenant bien établi et, plus important, l’on sait que nous en achetons ; aussi, chaque jour, une nuée de marchands s’abat-elle sur la légation. Nous avons dû établir un véritable règlement pour n’être pas dérangés à toute heure en ne leur permettant d’entrer qu’après le déjeuner. Toutes sortes de vieux et jeunes juifs, malpropres, retors, menteurs, accompagnés de petits ânes qui, débarrassés de leurs ballots contenant des tapis, des cuivres gravés, des boîtes brodées de canetille d’or et d’argent, attendent dans le jardin, broutant le moindre brin d’herbe que l’hiver n’a pas détruit. Au sortir de la salle à manger nous tombons sur un hall encombré de carpettes empilées les unes sur les autres et des marchands accroupis qui se reposent en devisant. À notre apparition tous se bousculent et c’est à qui passera le premier avant que nous ne soyons lassés et qui se précipitera ensuite chez un autre client avant les concurrents. Déjà ceux qui ne vendent que de la pacotille se sont éliminés d’eux-mêmes, car notre collection commence à prendre corps et, parmi les juifs, s’est répandu le bruit qu’ils s’y connaissent aussi, chacun est-il satisfait en disant à d’autres acheteurs : « J’ai vendu aujourd’hui à la légation de France une pièce unique . . . » laissant tomber nonchalamment un prix plus que doublé. 23 décembre 1920 Chaque fois qu’un Anglais ouvre la bouche, c’est pour annoncer la décision du Foreign Office d’évacuer la Perse au printemps, laissant les Persans se débrouiller comme ils le pourront avec les Russes. La Banque fait ouvertement ses préparatifs de départ. Tactique peut-être mais qui impressionne le shah. Il parle de nouveau de quitter le pays dès que les Russes n’auront plus devant eux que des troupes persanes. De temps à autre, il fait comparaître son président du Conseil pour lui dire qu’il est nécessaire qu’il parte en Europe, que d’ailleurs il partira à tout prix même « s’il faut se déguiser en femme ». Un poltron. Norman se propose d’aller « lui remonter le moral », c’est-à-dire de le menacer. Il lui a fait lire une dépêche envoyée par lord Curzon, « une dépêche d’encouragement », mais sa Majesté a répondu par cette phrase sensée : « – Il est facile à Lord Curzon de me le faire dire : il est à Londres, lui, avec un bon cigare et le dos au feu . . . moi, je risque ma vie ici ! » Il aurait bien voulu abdiquer en faveur du Vali’ahd, mais ce dernier a refusé le cadeau. 26 décembre 1920 Raymond souffre de la taille de ce qu’il appelle « mon petit pays » comparée à celle des pays voisins et plus puissants. Il lui est difficile d’admettre que la France « cette mécréante, soit mieux traitée aux fêtes religieuses que la très

490

Hélène HOPPENOT, JOURNAL DE PERSE

catholique Belgique ». Ces jours-là, les bancs de la légation restent inoccupés et tout le personnel se rend à la messe basse. 27 décembre 1920 La patience de certaines femmes à l’égard de leurs maris qui leur sont souvent inférieurs me paraît aussi admirable qu’agaçante. Un exemple : Marie Ducrocq. Sans penser à s’indigner, elle me dit que son Georges, pourvu d’une excellente santé et qui a toujours ignoré la souffrance physique, ne l’admet pas chez les autres. Trois mois après son mariage, elle se trouva enceinte, ravie à la pensée de l’enfant qui allait venir, mais très éprouvée par les malaises habituels ; à ce moment, il la prévint qu’il désirait partir pour la Hollande et ce, sur le champ ; il n’écouta aucune protestation et elle dut céder devant la menace d’être laissée à la maison ; le trajet en chemin de fer amena une fausse couche dont elle faillit mourir et qui lui enleva tout espoir d’une autre maternité. Ces fantaisies vagabondes se sont souvent renouvelées et la pauvre femme qui a horreur des déplacements « en province où j’ai été élevée, l’on ne voyage guère ! » fait ses malles, abandonne ses objets familiers et, pour complaire à son mari, visite en souriant tous les pays d’Europe et d’Asie. Maintenant encore, elle n’a pas le droit d’être fatiguée. 28 décembre 1920 Engert, le secrétaire de la légation des États-Unis. Il attend toujours une gérance dont la promesse lui avait été faite pour qu’il accepte le poste. Depuis qu’il est arrivé son ministre ne pense plus à partir et il assiste, impuissant et souvent rougissant de honte, aux excentricités de cette riche nature de sauvage. Engert, au profil d’oiseau de proie, me rappelle un de ces vautours voletant dans les collines de Shemirân, il porte des complets vert clair et sa pomme d’Adam sautille à chacune de ses phrases entre la cassure d’un col bien empesé, son accent nasillard est cuivré comme il se doit mais, ô surprise agréable, il est bien élevé, facile à vivre et à tout prendre, sympathique. 29 décembre 1920 Un marchand musulman, un des rares qui vienne à domicile, Abdoul Kassem, me demande si je pourrais faire une exception en sa faveur et le recevoir à une autre heure que les juifs avec lesquels ils n’aime pas frayer : « Ils sont sales, khanoum, et sentent mauvais ». Lui, il est propre, digne et ne manque pas de faire remarquer la supériorité de sa race, mais il vole avec autant de perspicacité et de détermination que les autres. Je lui permets, jusqu’à nouvel ordre, de venir le matin, me réservant de juger si le dérangement en vaut la peine.

Téhéran 1921



491

Téhéran 192124 « Et comme un long linceul traînant à l’Orient Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche25 »

1er janvier 1921 L’année qui vient de finir n’a pas amené les catastrophes annoncées. Que sera celle-ci ? depuis le jour que nous habitons l’Orient nous avons appris à vivre au jour le jour, sentant tout le prix du soleil, de la couleur du ciel, le prix, l’immense prix de notre amour toujours aussi fort et nous avons attendu l’année qui s’ouvre sans hâte mais de toute notre confiance et rien d’autre n’a compté et ne compte. 4 janvier 1921 « – Ce qu’on appelle le progrès, me dit Reginald Bridgeman, c’est la perte des traditions, grandes et petites, qui nous ont précédés et que les générations antérieures avaient préservées. On voit à présent des choses inimaginables : les femmes s’habiller en homme pour monter à cheval abandonnant les longues amazones, les longs voiles qui flottaient derrière elles. » J’interromps cette vision de rêve par un « Je ne me verrais pas ainsi affublée, galopant dans les chemins rocailleux ou les déserts. « – Oui, oui . . . concède-t-il, mais c’est égal : pour toutes sortes de choses, je suis né cent ans trop tard. – Un autre l’a dit avant vous . . . » Cette nostalgie des époques 1820-1830, on la retrouve non seulement dans ses propos, mais dans la coupe désuète de ses vêtements, et il en arrive à ressembler à l’une de ces gravures de mode qui faisaient rêver – du moins je l’imagine – les tendres cœurs des femmes romantiques. Vivre avec son siècle, voilà tout ce que je désire. 5 janvier 1921 À table à côté de Caldwell. Il bat le champagne avec sa fourchette comme une mayonnaise (à l’arrivée de la bouteille extra-dry, un rayon de bonheur éclaire son visage graisseux) puis il trempe ses cinq doigts dans la coupe, humecte ses cheveux, ses yeux, le dessous de ses narines et dit, comme je surveille le manège, « ça fait pousser les cils ! » Enfin il vide dans son verre ce que ses deux voisines ont laissé dans les leurs, appelant cet affreux mélange de jaune, rouge, barsac, bourgogne, porto, champagne, « le cocktail des banquets officiels ». 24  Série ms 11.360 (2). 25  Baudelaire, Les Fleurs du mal, Recueillement.

492

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

6 janvier 1921 Accalmie politique curieuse à observer : plus aucun bruit d’évacuation, plus de sombres prédictions anglaises, le Bâzâr lui-même est calme – et c’est tout dire. Cependant rien ne va mieux qu’il y a trois mois. Sommes-nous entrés dans le creux du cyclone ? 7 janvier 1921 Raymond, malgré son avarice, possède les plus beaux chevaux de Téhéran, mais comme un collectionneur enfermant ses trésors à l’abri des mains maladroites, il ne permet à son cocher de leur faire prendre l’air que par une température exceptionnelle aussi une partie de l’hiver restent-ils, ainsi que leurs harnachements étincelants, dans leur écurie. Sa femme doit se rendre à pied à l’église dans vingt centimètres de boue, de neige fondue, recevant les éclaboussures des autres équipages. Sans s’en rendre compte Raymond parle sans cesse de ses pur-sang et il m’a dit l’autre jour d’Armitage-Smith « Cet animal m’assomme . . . il n’est jamais question de ses chevaux ! . . . » La poutre. Il faut bien vivre à Téhéran sur ses ressources personnelles ; les nouvelles, journaux, revues et lettres d’Europe sont périmées lorsqu’elles arrivent et il s’est formé ici ce que l’on peut appeler « des spécialistes de la conversation » tout comme le sont les médecins, à cela près que les sujets abordés sont moins variés que les maux dont souffre l’humanité. Plusieurs personnes ont forcément le même et elles y retournent comme le pécheur à son vomissement. Pour le docteur Wilhelm, les opérations chirurgicales, pour Smart les Persans, pour Mallet et Baxter les sports, pour Norman la politique de Lord Curzon, pour Raymond les chevaux, pour Ducrocq l’anglophobie, etc. Une grande pauvreté. 9 janvier 1921 Chaque matin, les domestiques vident dans un récipient ce qui reste de pétrole dans le régiment de lampes ; ils ne sont pas poussés par un zèle de nettoyage mais ils emportent chez eux gratuitement de quoi s’éclairer. Chaque salon ou chambre nécessite quatre ou cinq lampes et, à la fin de l’année, le chapardage devient coûteux . . . Ils pensent aussi à se chauffer. Dans les maisons, le chauffage central n’existant pas, il faut placer près des cheminées ou des poèles des charbonnettes et chaque fois qu’un gholam passe auprès d’elles, il se baisse rapidement, prend un morceau, le plus gros possible, et l’enfouit dans une des larges poches de son uniforme. 12 janvier 1921 Idylle. Au club anglais, l’on se heurte à un jeune couple poursuivant sans se soucier du reste du monde un roman : miss Caldwell peu surveillée par des parents occupés par leurs propres vies ou une gouvernante occupée par ses

Téhéran 1921

493

aventures, a trouvé un élu de son cœur au nom évocateur, Young, travaillant à la banque Impériale. Ils dansent front contre front, lèvres contre lèvres et hantent de leurs baisers les coins déserts : chassés de la salle de billard par les joueurs, ils se précipitent dans la salle à manger puis, gênés par la curiosité des gholams, se réfugient sur la terrasse lorsque les danseurs l’ont quittée. Il est blond, pâle, mince et sot, elle est pâle, sotte et blonde. 14 janvier 1921 Mme Wilhelm vient prendre le thé, m’apprend que son mari est devenu l’ami du médecin du shah et qu’il conte sur la vie de la Cour des histoires pittoresques. Comme elle s’arrête en si bon chemin, je demande « Par exemple ? » « – Eh bien . . . Sa Majesté est un chaud lapin . . . » « – Oh ! oh ! » et je ris. « Que voulez-vous dire ? » Elle devient rouge puis violette et je peux imaginer que la chaleur descend jusqu’à la plante de ses pieds. Alors, elle lève en témoignage cinq de ses petits doigts ! 15 janvier 1921 Je la rencontre au Club et elle poursuit « À propos du shah . . . le chiffre que je vous ai indiqué est un chiffre quotidien . . . Pas mal n’est-ce-pas ? » Pauvre docteur Wilhelm qui a dépassé la quarantaine . . .  Le shah n’ayant pas épousé de princesse royale n’a dans son andarun que des concubines dont les enfants ne pourront lui succéder. Il offre à chacune un pavillon dans son parc et quelquefois, dans ses jours de sombre ennui (il ne pense qu’à retourner à Paris) il fait venir des musiciens et des danseurs. Lorsqu’il se rend chez ses femmes ou voit ses bâtards, il exige qu’ils soient préalablement lavés avec un désinfectant de peur des microbes, une peur maladive. À sa table, les fourchettes, cuillères, couteaux sont apportés stérilisés (du moins le lui laisse-t-on croire). On pose près de lui un immense samovar et toutes les assiettes sont passées à l’eau bouillante. Son dentiste suisse Stumpf doit se laver les mains à la brosse pendant quelques minutes et deux médecins du palais surveillent l’opération. 17 janvier 1921 Souk des bijoutiers. Leurs échoppes sont plus exigües que celles des autres corps de métier : l’or, l’argent, les diamants et les émeraudes (presque toujours rayés) y tenant peu de place. Les petits marchands travaillent, martèlent l’argent pour les bijoux bon marché, les plus riches se reposent égrenant leur tasbih26 couleur d’ambre ou de cornaline entre les doigts, parlant sans s’arrêter. Le souk des tapis est le plus étendu mais il ne faut pas s’attendre à 26  Chapelet pour égrener des prières répétitives ou des invocations à Dieu.

494

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

découvrir une pièce rare surtout si le marchand vous prévient qu’il va vous montrer « une merveille ». Où sont donc les tapis anciens ? à Constantinople, à Londres, au Caire. La Perse est vidée depuis longtemps. Dans les mosquées ? Aucun étranger n’a le droit d’y pénétrer et il est probable que [des] rabatteurs auraient tôt fait de les « négocier » avec les mollâs pour venir les proposer à prix d’or aux farangi-s qui ne peuvent même pas les fouler sur leurs chaussettes. 18 janvier 1921 En peu de mois Mlle le docteur Deromps s’est adaptée au pays tout comme si elle y était née : accompagnée par sa bâji, elle sort vêtue d’un tchador, se mêle à la foule, au bain persan et – audace dangereuse – n’hésite pas à pénétrer dans la Grande Mosquée. Ne pouvant parvenir à chauffer sa maison, elle reçoit ses amis sous un korsi qui favorise à la fois la paresse collective et la conversation. Le korsi se compose d’un grand cadre de bois que l’on pose sur un tapis ; au milieu est placé un réchaud plein de braises ardentes et un tissu de laine recouvre le tout. Les Persans, qui n’ont aucun autre moyen de chauffage dans leur maison partagent celui-ci avec leur famille. Je n’apprécie guère cet instrument qui rend le corps brûlant et laisse la tête glacée. H. fait remarquer à Melle Deromps l’incommodité d’une position où les jambes doivent rester écartées ; elle le regarde, sournoise, et dit « Mais ce n’est pas tellement désagréable d’écarter les jambes ! » Elle en a l’habitude. 28 janvier 1921 Un accord complet serait intervenu entre les Russes et les Persans et nous ne risquons plus une évacuation en plein hiver avec des moyens de transport insuffisants. Un soulagement tout de même. 29 janvier 1921 Chez Mallet où se trouvent aussi les Ducrocq. Bridgeman, le dandy qui cherche à étonner ses amis, porte ce soir sous le pantalon de son smoking, une paire de petites bottes de daim couleur tête de nègre, étalant complaisamment ses pieds de façon à ce que nous puissions les remarquer. Marie Ducrocq est bouche bée et s’écrie : « – Oh ! Le pauvre garçon . . . il a oublié d’enlever ses bottes de cheval ! » Bridgeman ne tient pas en place, sautille devant les dames, boutonne et déboutonne son vêtement, fait jaillir ses hanches en serrant sa taille des deux mains. Ses gestes volontairement gauches sont suivis d’une ondulation de son grand corps, ses yeux d’un très beau bleu profond vous regardent puis soudain

Téhéran 1921

495

il éclate de rire ; ce n’est pas qu’il se moque mais une petite pensée a traversé son cerveau. Sa conversation a des soubresauts comme ces poissons sortis de l’eau dont la dernière convulsion est inattendue. 3 février 1921 Aziz, le marchand, arrive, très mécontent et demande à H. « – Pourquoi M. Chas d’affaires a dit à Anglais que tapis vendu à lui par Aziz était à l’aniline ? » « – Parce que c’est un ami, répond H. d’un ton sévère, et je ne veux pas que tu le voles . . . » Le juif ne peut admettre ce point de vue : pour lui un ami est aussi bon à laisser voler qu’un autre ; il se gratte le nez et continue : « M. Chas d’Affaires, Anglais connaissent pas et connaîtront jamais. Lui content avec tapis à l’aniline, tapis assez bon pour lui. Moi, garder tapis bonnes couleurs pour M. Chas d’affaires . . . » Ce français approximatif lui a été enseigné comme à tous ses coreligionnaires, par l’Alliance Française27. 8 février 1921 Les Wilhelm, Deromps et les professeurs à déjeuner. On parle des femmes persanes et le docteur prétend que certaines de ses patientes « sont des beautés » ce qui fait prendre feu et flammes à sa femme. Tous deux demandent mon avis. « Les Persanes ne m’ont semblé ni plus jolies ni plus laides que les femmes d’Europe, mais j’en connais deux ou trois qui pourraient soutenir la comparaison avec les plus belles . . . » Là, Mme Wilhelm m’interrompt d’un ton sec : « Comment pouvez-vous dire des choses pareilles devant votre mari ? Vous avez donc bien confiance en lui ? – La peur n’exclut pas le danger et cette méfiance envers un être que l’on aime me paraît aussi insultante pour soimême que pour lui. De plus, si j’avais un visage comme le vôtre, je ne craindrais aucune comparaison. » Ce qui achève de la fâcher. « Je regrette bien d’être partie de Dakar, là-bas au moins j’étais tranquille ! » Une négresse aussi peut être belle à sa façon. Je lui explique, alors qu’elle est au bord des larmes, que la beauté féminine n’a jamais été pour moi une source de jalousie ou de dépit mais de plaisir. Pourquoi refuser son admiration à un beau visage ou un beau corps ? les femmes persanes sont-elles belles ? Souvent belles, souvent ravissantes avant la puberté, mais tout de suite enlaidies par le mariage trop précoce et surtout par les multiples maternités et le goût dangereux des sucreries.

27  En réalité l’Alliance israélite universelle, fondée en 1860 implantée en Perse à la fin du xixe s.

496

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

Pour le docteur Wilhelm plus très jeune et loin d’être un Adonis, la jalousie de sa femme a un parfum de miel, d’ambre, et elle est trop peu observatrice pour s’apercevoir qu’il ne cherche qu’à l’attiser. 8 février 1921 On m’amène un grand barzoï, un vrai petit âne que doit abandonner l’un des membres de l’ancienne légation tsariste obligé de quitter la Perse avant l’arrivée des Bolcheviks. Son nom : Dicky. Un long nez interrogateur, des yeux de biche, de longs poils mordorés. Orso pris de peur ou de jalousie disparaît immédiatement dans les caves puis va se réfugier auprès du palefrenier. 9 février 1921 Le palefrenier. Malgré ma répugnance à « corriger pour leur bien » comme ils disent tous, les serviteurs, j’ai été à deux doigts de les imiter. En promenade avec Wickham et assez loin des portes de la ville, je me souviens tout à coup que j’ai un dîner et qu’il faut rentrer le plus rapidement possible à la légation. Nous filons comme le vent et je remets Ivors le poney entre les mains du mehtar en lui disant « Il a eu chaud . . . Promène-le sur la route jusqu’à ce qu’il soit sec. » Quelque chose dans la réponse de l’homme m’ayant fait comprendre que l’ordre ne serait pas exécuté, les Persans n’ayant aucun sens de la responsabilité et n’écoutant que leur paresse, je pense, montée dans ma chambre « tant pis, j’arriverai en retard de quelques minutes, mais il faut que j’aille voir si le cheval est confortable. Je le retrouve dans son box toujours couvert de sueur et frissonnant sans aucune couverture. Je lui en jette deux sur le dos et, aveuglée de fureur, je cours dans ma chambre chercher ma cravache, résolue à en donner un ou deux coups (légers) au coupable, faible correction mais qui, de la main d’une femme lui paraîtra humiliante. Mais le malin la sentant venir a disparu ! . . . Demain ma colère tombée je me contenterai de le mettre à la porte tout en sachant bien que son successeur ne sera pas plus consciencieux que lui. 13 février 1921 Encore Caldwell. S’il trouve, avec raison, que le dîner est trop long, il se renverse sur le dossier de sa chaise, les pieds allongés de façon à écraser ceux des convives d’en face, prononçant une de ses phrases favorites : « J’expecte au plafond . . . » Heureusement il ne va pas jusque là se contentant de cracher dans les cheminées, du plus loin qu’il peut. Il mâche sans cesse du chewing gum et rumine comme une vache. Les deux ou trois langues qu’il connaît lui sortent par le nez si bien qu’un Britannique lui a demandé « s’il parlait aussi l’anglais » et il a répondu sans se fâcher « Yes, Sir . . . » Il dédaigne les Persans,

Téhéran 1921

497

ne s’intéresse aucunement à leur politique, se contente de renseigner son gouvernement sur le comportement des « natives » comme le ferait un zoologue de ses fauves. 14 février 1921 Visite du prince Firuz28. Après toutes les descriptions qui m’en avaient été faites, je m’attendais à voir paraître un prince de conte de fée et ne vois qu’un petit être noiraud, d’apparence malsaine, vêtu de la redingote indigène à gros plis, un binocle à cheval sur un nez très mince. En se dépouillant du veston il s’est dépouillé du même coup de sa carapace européenne. Que diraient ses élégants amis parisiens de le contempler ainsi accoutré ? Il a accompagné le shah dans son voyage en Europe et, intelligent, vif, spirituel, entouré d’un nimbe oriental donc romantique, il a conquis ceux qui comptent là-bas ; ses goûts ou son snobisme l’ont poussé vers les jeunes artistes et après avoir fait la connaissance de Jean Cocteau et des Six, il a subventionné les ballets russes, payant dix mille francs pour une loge, puis a emmené en Angleterre Jean et quelques autres, les défrayant de tous frais, etc. Bien entendu ce sont les fonds secrets britanniques qui ont payé. Le bruit a même couru qu’il allait amener Jean Cocteau dans ses bagages et que ce dernier avait accepté. Il a dû considérer l’offre avec tentation et sans aucun désir de réalisation. On ne voit pas très bien ce qu’aurait pu faire ce délicat décadent dans un pays rude et inconfortable, peu séduisant pour les mondains. 15 février 1921 Tacoué, la petite femme de chambre de Mme Bonin, est partie soigner sa mère « gravement malade ». Je ne crois guère à cette maladie, mais ne suis pas fâchée d’en être débarrassée : paresseuse, menteuse, incapable, seule femme dans la maison et se faisant servir par les autres domestiques, ne voilà-t-il pas que je la trouve il y a quelques jours sanglotant sur mes mouchoirs qu’elle est en train de laver (son unique occupation avec celle de ranger mes robes et mon linge de soie) . . . « – Qu’y a-t-il Tacoué ? – Oh ! madame, a-t-elle gémi, je n’aime pas laver les mouchoirs ! C’est tellement sale ! Je ne lavais pas ceux de Mme Bonin . . . » après une seconde de stupéfaction car elle est la fille de très pauvres Arméniens pourchassés par les Persans, je lui ai demandé si elle avait été élevée dans un palais et quel travail elle faisait pour Mme Bonin. Son assez 28  Le Prince avait fréquenté à Paris, outre Jean Cocteau, les Samedis de Darius Milhaud où se retrouvaient Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Francis Poulenc, Germaine Tailleferre. [Note de M.-F. Mousli].

498

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

joli visage se colore (tiens, tiens . . . ) et elle a balbutié : « – C’était presque une amie . . . – Mais moi, Tacoué, je n’ai pas besoin d’une amie mais d’une femme de chambre . . . » À la suite de quoi sa mère est tombée malade . . .  La remplaçante est une Chaldéenne nabote et laide mais qui n’a fait aucune objection pour le lavage des mouchoirs. 16 février 1921 Les princesses Šo‘â os-Saltana m’annoncent leurs fiançailles : Houma épousera le prince Esmâ’il29. Elle ne s’y est décidée que parce qu’elle a l’espoir de retourner avec lui en Europe où il va faire la fête régulièrement. Elle me pose des questions sur le physique de cet inconnu : « Est-il mince ? est-il gentil ? parlet-il bien le français ? » Elle se mariera sans le connaître. Mahine est fiancée au Vali’ahd qu’elle a aperçu une fois. Le shah qui eut voulu l’épouser s’est opposé pendant quelque temps à cette union, puis sur une démarche de son frère, il a fini par céder. Les femmes de la famille impériale doivent, avant leur mariage, rendre une visite au souverain qui les reçoit seules et dévoilées. Mahine n’a pu échapper à la tradition : « C’était bien embarrassant pour moi. Et lui-même ne le désirait pas : il est jaloux de son frère. » Mais Houma a trouvé l’entrevue amusante : « Croyez-vous qu’il m’a reçue avec des gants ? C’est honteux qu’un souverain vive comme il vit, sans jamais recevoir. Il avait des souliers ressemelés . . . si, si ! je vous assure, et le cuir était haut de trois centimètres pour qu’il s’use moins vite. Il ne m’a parlé que de la vie qu’il a menée à Paris et m’a dit : « Vous avez moins de raisons que moi de la regretter, car une femme n’a pas de liberté. » 20 février 1921 Le prince Firuz a fait demander à H. s’il pouvait le recevoir. Celui-ci pensait qu’il venait nous apporter des lettres d’amis mais il s’agit de tout autre chose, les lettres sont dans ses bagages et ses bagages sont toujours en route, le prince se demande même s’ils arriveront étant donné l’état d’anarchie et de désordre dans lequel se trouve la Perse. D’une façon embarrassée, il parle des dangers de la situation politique dont il fait un sombre tableau, avouant sa crainte de troubles prochains. H. un peu ironiquement lui demande s’il faut préparer une chambre à la légation pour qu’il vienne y prendre le bast ? mais il ne sourit pas et une fois qu’il est parti, H. étonné téléphone à la Présidence du Conseil pour savoir « s’il y a du nouveau ». Pas grand chose, lui répond-on : des cosaques 29  Probablement Esmâ’il Mirzâ, « Mo‘tamed od-Dowla », fils de Zell os-Soltân, petit-fils de Nâser od-Din Shah.

Téhéran 1921

499

dont la solde est impayée depuis plusieurs mois, avaient projeté une marche sur la capitale pour réclamer leur dû, mais l’incident est déjà arrangé. 21 février 1921 Ce matin, des coups répétés à la porte de notre chambre me réveillent en sursaut et Abdoul, que je sens trembler de l’autre côté, prononce des paroles incohérentes parmi lesquelles reviennent en leitmotiv le mot choulouk (« troubles »). Deux officiers persans attendent en bas dans le hall et voudraient parler à M. Chas d’affaires. H. s’habille sommairement et voit les deux amis de Ducrocq, Mas’ud Khan et Bâqer Khan se promener de long en large30. Ils n’y vont pas par quatre chemins et disent : « – Nous avons pris la capitale cette nuit. Nous étions écœurés par l’incapacité des hommes au pouvoir. La Révolution est terminée ! » Et ils ajoutent : « – Le général Rezâ Khan . . . – Le colonel, rectifie machinalement H. – Il est général depuis hier et assurera l’ordre. » – Et sa Majesté ? » – Nous servirons Sa Majesté . . . tant qu’elle fera son devoir ! » H. remonte et m’annonce la nouvelle. La Révolution ? . . . Vraiment ? Cette nuit, nous avons si bien dormi . . . L’armée rebelle s’est approchée de la ville à la faveur de l’obscurité et n’a troublé qu’à peine le silence de la nuit persane. Quelques mitrailleuses sont parties mais sans blesser qui que ce soit. Et tout a été dit. H. se rend à l’Hôtel de Paris pour rassurer les Français qui s’y trouvent et parcourt une ville silencieuse : prudents, les Persans s’enferment chez eux en attendant la suite des événements, car ils ne savent jamais comment ils tourneront. Puis H. va chez Norman qu’il trouve prêt à partir pour le Palais : Sa Majesté l’a fait demander plusieurs fois et se trouve dans un état proche de l’hystérie. « – Je vous donne ma parole d’honneur, lui dit-il, que j’ignorais ces événements et que je n’en suis pas responsable . . . » Et je demande à H. : « – Faut-il le croire ? » Il pense plutôt que c’est là la vérité.

30  Mas’ud Khan Keyhân, officier de la Gendarmerie formé à Saint-Cyr, est bien connu comme étant l’un des conjuré. Bâqer Khan n’est pas identifié. Hélène Hoppenot veut-elle dire Kâzem Khan Sayyâh, lui aussi officier de gendarmerie et conjuré ? Henri Hoppenot, dans son récit circonstancié du 1er mars, ne cite que Mas’ud Khan. Voir mae Asie 19181940, Perse-Iran 17, p. 87 : « À 8h30 du matin, le Major Massoud Khan venait à la Légation me mettre au courant de ce qui s’était passé et me garantir formellement le maintien de l’ordre et la sécurité des étrangers . . . ».

500

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

À la fin de la journée, le docteur Wilhelm se précipite dans son bureau, rouge d’indignation : « Je demande justice ! » crie-t-il. Hier, il se promenait à cheval en compagnie de sa femme sur la route de Qazvin sans prêter attention aux groupes de cosaques se dirigeant vers Téhéran dont ils se trouvaient éloignés d’une dizaine de kilomètres. Quand ils voulurent faire demi-tour, deux soldats les en empêchèrent, saisirent leurs chevaux par la bride et les menèrent vers un officier qui paraissait être leur chef. Après être resté muet de stupéfaction, le docteur pique une vive colère, menaça de faire intervenir son ministre, Sa Majesté, etc. L’officier s’excusant lui fit comprendre la nécessité où il était de le retenir afin de ne pas donner l’éveil en ville puis, perdant patience, lui conseilla de se tenir tranquille s’il ne voulait pas être fusillé. Il ne relâcha le docteur Wilhelm vert de rage qu’à dix heures du soir. Hier, me promenant à cheval avec Wickham, j’ai failli également aller dans cette direction, mais, voyant le vent se lever, je décidai de changer notre itinéraire, la route de Qazvin assez pittoresque étant généralement empruntée par les caravanes d’ânes et de chameaux soulevant des nuages de poussière. Ainsi, l’attaché militaire de Grande-Bretagne, ses deux Indous, mes deux cosaques et moi, aurions pu être temporairement prisonniers et joints aux gémissants Wilhelm ! Le fait que Wickham n’ait élevé aucune objection quand il a cru que j’avais choisi la route par laquelle auraient dû arriver les rebelles apporte la preuve que les Anglais n’étaient comme ils l’assurent au courant de rien. 22 février 1921 Les révolutionnaires ont laissé à la porte de toutes les légations une garde d’une dizaine d’hommes en armes dans un but – disent-ils – de protection, mais en réalité pour empêcher les grands personnages persans d’y prendre le bast et pour savoir le nom de ceux qui y rentrent ou qui en sortent. Les pourparlers en persan avec ces illettrés sont interminables. Le shah a épouvanté ses ministres et son entourage par son hystérie : il veut s’enfuir de Téhéran. Depuis son retour, il n’a jamais cessé de parler de départ, mais il vit à présent dans la terreur d’un attentat. 23 février 1921 Les révolutions, même pacifiques, ont ceci de désagréable qu’elles changent vos habitudes : nous ne pouvons plus sortir de la maison sans être interrogés ni même aller en ville pour faire le moindre achat. Et cependant les boutiquiers, rassurés sur le sort de leurs marchandises, ont rouvert leurs portes. Siâsi est allé demander au colonel – général – Rezâ Khan, le chef des cosaques rebelles, de fournir des laissez-passer au personnel de la légation et aux principaux membres de la colonie française.

Téhéran 1921

501

Georges Ducrocq fulmine : ses amis, les anciens officiers de Saint Cyr qui ont été « dans le coup de ce qui se tramait » ne l’ont pas prévenu. Et même à présent qu’il est exécuté, il ne peut obtenir d’eux aucun renseignement. « Ce sont encore les Anglais qui nous ont amené ça ! » grommelle-t-il. Il traite Norman de menteur et refuse de croire à son ignorance. Je ne vois pas pourquoi les Anglais auraient pu désirer un changement gouvernemental puisqu’ils obtenaient tout ce qu’ils voulaient de celui du Sepahdâr. 24 février 1921 C’est le Seyyed Ziyâ od-Din qui a pris la tête du nouveau gouvernement. Mas’ud Khan obtient le ministère de la Guerre et Rezâ Khan le commandement des cosaques. On a demandé au Shah s’il était satisfait de sa composition et il a répondu : « J’ai pris le parti de répondre oui à tout ce que l’on me demandera. » 25 février 1921 Le premier acte du Seyyed a été d’emprisonner le vieux Farmân-Farmâ, le prince Firuz et son frère Sâlâr Laškar31 plus quelques uns de leurs amis, tous richissimes. Le nouveau gouvernement voudrait leur faire rendre gorge, mais ils ne se laisseront pas faire. On les a conduits à la caserne des cosaques, laissés libres de communiquer avec l’extérieur puis comme ils n’ont pas tardé à intriguer, on les a emmenés à Qasr-e Qâjâr. Le vieux Farmân[-Farmâ] servi par ses nombreux domestiques, se promène dans la cour, joue aux cartes et étourdit de reproches les fonctionnaires de la légation d’Angleterre qui vont lui rendre visite. Seul le cadet de la famille, Mohammad-Hoseyn, un beau garçon qui ne s’est jamais occupé de politique, a été laissé en liberté et chargé de veiller sur les andarun-s des prisonniers. H. a trouvé le Seyyed au cours de sa visite « gonflé à bloc ». Il craint qu’il ne s’attire bien des ennemis avec le programme de réformes qu’il entend suivre parce qu’il se prépare à l’appliquer brutalement. 26 février 1921 Le prince Mohammad-Hoseyn vient demander à H. d’intervenir auprès du Seyyed en faveur de son père et de ses frères. « – Mais, me demande H., pourquoi ne s’adresse-t-il pas au ministre d’Angleterre qui a de plus puissants moyens que moi ? » D’après les renseignements obtenus des uns et des autres, il semble bien que c’est le 18 février que l’on a appris, dans l’entourage du shah, qu’une petite troupe de cosaques se dirigeait sur la capitale par petites étapes. On crut qu’ils 31  Et non Sardâr Laškar.

502

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

venaient réclamer le paiement de leurs soldes. Le shah leur a donné l’ordre de s’arrêter mais le lendemain l’on sut qu’ils avaient désobéi et s’avançaient toujours. Dimanche dernier Mohammad-Hoseyn se trouvant chez le shah apprit de lui qu’il avait donné l’ordre à ses troupes restées fidèles de tirer sur les rebelles . . .  27 février 1921 Norman dit à H. que le Foreign Office lui a interdit d’entrer en rapport avec le nouveau ministre bolchevik qui ne va pas tarder à arriver. Pendant combien de temps ? 1er mars 1921 H. fait demander au Seyyed s’il pourrait lui faire parvenir les lettres de Philippe Berthelot et de Jean Cocteau saisies dans les papiers du prince Firuz. Je doute que nous les recevions un jour. Le secrétaire de Mohammad-Hoseyn vient lui demander l’autorisation d’apporter à la légation une cassette de papiers appartenant à son père Farmân-Farmâ, ce qui lui est poliment refusé. Qui peut savoir ce qu’elle contient ? Norman dit à H. : « – je suis heureux dans les circonstances actuelles de vous trouver à la place de M. Bonin. » et il lui donne lecture d’un télégramme « ridicule et pompeux » qu’il vient de recevoir de Lord Curzon où, déclare-t-il, l’Angleterre ne peut accepter l’annulation de l’Accord désiré par le nouveau gouvernement persan. 2 mars 1921 Raymond, toujours venimeux, blessé de n’avoir pas été prévenu des événements (comme tous les autres chefs de poste), de n’avoir pas été mis à même de télégraphier le premier les nouvelles à son gouvernement, proteste contre le Seyyed « ce journaliste » qui répand la terreur et commence à emprisonner tous les grands personnages de son pays. Le nouveau cabinet lui déplaît fort. Il est allé dire à Norman : « Ce n’est vraiment pas la peine d’être l’allié des Anglais si l’on est traité ainsi. » L’autre a ressorti sa parole d’honneur : il a tout ignoré. Maintenant Raymond dit partout : « Un menteur ! C’est un menteur ! Le ministre d’Angleterre est un menteur ! » Que la vérité est donc difficile à connaître même lorsque l’on assiste aux événements . . . Mais l’on peut être sûr d’avance que le gouvernement du Seyyed après avoir pressuré les riches du royaume éprouvera prochainement des besoins d’argent, accablé de difficultés matérielles, et qu’à ce moment Norman sera là pour lui en fournir . . . moyennant quelques privilèges.

Téhéran 1921

503

5 mars 1921 Le Seyyed rendant à H. sa visite lui fait part de tous les changements qu’il veut apporter dans l’administration de son pays. Mais, rare imprudence, il semble vouloir tout entreprendre et supprimer à la fois : « – Je ne réussirai peut-être pas, a-t-il dit, mais au moins je donnerai l’exemple . . . » Il a déjà supprimé le ministère des Finances. « J’ai découvert que deux mille employés y travaillaient là où, à Bagdad, il suffirait de deux juifs . . . » Il a révoqué les gouverneurs inutiles, par exemple ‘Aziz os-Soltân, un des oncles du shah recevant deux mille krans par mois, et menacé de mort les politiciens qu’il a emprisonnés s’ils refusaient de payer les amendes fixées. Le Seyyed Ziyâ od-Din pourrait faire un bien immense à ce pays pressuré par ses dirigeants et son armée mais il trébuchera sur les peaux de bananes que l’on s’apprête à glisser sous ses pas encore mal assurés. 7 mars 1921 Le shah est plus calme mais il a été repris par son idée fixe de quitter son pays. Il a voulu obtenir du Seyyed une avance de trois mois sur sa liste civile, mais l’autre a refusé tout net et a fait comprendre à son souverain qu’il était de son devoir de rester en Perse. Tôt ou tard, le shah se vengera, car s’il est impuissant devant les remontrances de Norman qui a derrière lui l’armée anglaise et la cavalerie de Saint Georges, il n’en va pas de même d’un de ses sujets, un petit Seyyed de rien du tout. 8 mars 1921 Seyyed Ziyâ od-Din refuse d’examiner les affaires pendantes entre la France et la Perse tant que Samad Khan son ministre à Paris ne sera pas rappelé. Il a déjà donné les noms de quatre personnalités susceptibles de le remplacer. Déjà sous le règne de M. Lecomte des efforts avaient été faits dans ce sens, mais en vain : Samad a partie liée avec Bonin et le quai d’Orsay semble vouloir le conserver à tout prix. Les Persans s’en étonnent et certains ne cachent pas leur manière de penser : « Pourquoi la France s’entête-t-elle à conserver un ministre qui n’a plus notre confiance ? Même si le personnage est un indicateur, le jeu en vaut-il la chandelle ? » Samad Khan est très versé dans les milieux parisiens et défendu par des politiciens qui ignorent, il faut l’espérer, ses agissements car il se sert de l’immunité diplomatique pour faire payer les services qu’il rend en fraudant les douanes, falsifiant les documents. Il faut dire que tous ses collègues persans agissent de même. À Paris, il donne des fêtes fastueuses, avec l’argent escroqué, qui le rendent populaire. Ziyâ Homâyun m’a avoué que lorsqu’il y vivait, Samad

504

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

était chargé par le gouvernement persan de lui remettre des mensualités mais qu’elles étaient fort irrégulières et il apprit un peu plus tard qu’il retenait un pourcentage sur les pensions des étudiants punissant ceux qui avaient l’effronterie de se plaindre, en les supprimant complètement. 9 mars 1921 Enfin ! Nous retrouvons notre liberté d’aller et venir dans la ville et la campagne et l’on n’interroge plus ceux qui entrent ou sortent de la légation. 10 mars 1921 Youssef, le pourvoyeur d’un marchand arménien vient parfois grossir le groupe de ceux qui se pressent dans le hall ou sur le perron lorsqu’il ne fait pas trop froid. Première visite depuis la révolution. Youssef, petit homme au teint sombre, au visage couturé, à la peau rude, apporte des costumes et des bronzes ciselés. Il hoquette : « Çà vaut, Khanoum ! Magnifique ! Shah Abbas . . . » Quand ils ont prononcé le nom de ce grand souverain, ils ont tout dit. Parfois, impatientée par ces étalages d’objets sans valeur, je réponds : « Tu peux t’en aller . . . Aujourd’hui tu n’as rien d’intéressant. Laisse passer tes camarades. » Et il glapit : « Je n’ai pas finissé . . . » En principe, ils n’ont jamais finissé, car jusqu’à ce qu’ils soient dans la rue, l’espoir rode dans leur cœur, les caprices des farangi-s étant imprévisibles. Alors Youssef sort de sa ceinture plusieurs fois enroulée autour de sa taille une pièce de choix qu’il eut bien voulu garder avant d’avoir écoulé toutes les autres. 11 mars 1921 Le vieux Farmân-Farmâ discute en prison avec les envoyés du Seyyed qui n’arrivent pas à connaître le montant de son immense fortune. Il a été taxé à quatre millions de tomans d’argent (environ quarante trois millions de francs) pour acheter sa liberté et celle de ses fils. « – Je préfère mourir avec eux ! » a-t-il répondu. Ce n’est pas qu’il désire mourir, mais il sait qu’en Perse, rien ne dure – surtout les réformateurs. La légation d’Angleterre croule sous les lettres, les rapports, les réclamations des prisonniers. Norman a conseillé à Farmân-Farmâ de verser . . . cinquante mille tomans mais le Seyyed les a refusés. 12 mars 1921 Grand dîner officiel de Seyyed Ziyâ od-Din. Une table immense entourée de visages inconnus jusqu’alors : les conspirateurs restés dans l’ombre. Notre hôte ayant interdit la vente des alcools indigènes ne peut évidemment nous servir

Téhéran 1921

505

ceux d’origine étrangère. Il me dit, montrant un grand verre plein d’eau (celle du robinet) : « comment ne pas aimer cette boisson si pure ? . . . – C’est délicieux, dis-je, pensant aux millions de microbes que je vais absorber en même temps, mais une Française, Altesse, pourrait vous demander ‘Comment peut-on ne pas aimer le vin ?’ » Le Seyyed paraît avoir une trentaine d’années ; son teint est olivâtre et il porte une courte barbiche, comme le font souvent les mollâs : le poil est très noir du même noir que les yeux qui brillent ; comme les mollâs aussi, il est fanatique et lorsque l’on s’entretient avec lui, son visage se contracte et tremble nerveusement. Norman et Raymond refusent non seulement de se parler, mais de se regarder : le dimanche, le second sort de l’église avant l’ite missa est pour ne pas serrer à la sortie la main du « menteur ». 14 mars 1921 Arrive une lettre du . . . 22 janvier de Paul Ravaisou32. Une de nos lettres datée du mois d’août lui est parvenue dans le courant de décembre. Nous sommes vraiment au bout du monde. Il écrit : « Quant à moi, j’ai eu une sacrée guigne en 1920. Une rechute terrible de ma vieille blessure de guerre m’a tenu au lit pendant de longs mois. Quelle secousse. ( Jusqu’à moins cinq de l’avis des médecins). Me voici à peine un peu remis, encore chancelant et faible, m’acheminant tout de même vers la guérison ou tout au moins vers une grande amélioration. Aussi m’excuserez-vous de ne pas vous écrire bien longuement. Depuis environ six mois tout travail m’a été impossible, il faut attendre encore un peu avant de reprendre l’effort là où je l’ai laissé. Ce sera pour le printemps, je pense. » Mon exposition chez Monnier a assez bien marché (cinq toiles sont restées à Paris). Là encore la grippe ne m’a pas lâché. Un ami journaliste qui se chargeait de me faire un peu de réclame par quelques uns de ses confrères, critiques d’art, a été très malade – dangereusement même, juste au moment opportun, et tout est tombé dans l’eau. Darius [Milhaud] est venu me voir régulièrement cet été. Il doit sans doute vous tenir au courant de ses efforts. Il a eu sa deuxième suite symphonique jouée à Colonne au milieu d’un beau chahut avec intervention de gardes municipaux pour l’expulsion des galeries récalcitrantes . . . » Pauvre Ravaisou, je crains qu’il ne fasse pas de vieux os. Il est de ceux que poursuit la malchance.

32  Le peintre Paul Ravaisou (1890-1923), rencontré par Henri Hoppenot à Aix-en-Provence en 1919 [note M.-F. Mousli].

506

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

18 mars 1921 Ziyâ Homâyun me fait le récit de l’autre « révolution ». Ayant dû interrompre son second séjour à Paris après la mort de son père, il trouva le Gilân dont il est originaire au pouvoir du Sepahdâr et s’enrôla dans son état major ainsi que ses deux frères. Puis la petite armée peu à peu formée se porta sur Téhéran. Après deux jours de combats l’on s’aperçut qu’il pouvait y avoir des blessés et que tous les médicaments avaient été oubliés. Ziyâ, qui a un excellent cœur ne vit qu’un moyen ; aller en chercher dans la ville assiégée (cet acte de courage l’étonne encore). Il se rasa soigneusement, revêtit des vêtements de femme, se couvrit d’un tchador et n’oublia pas d’abaisser le ruband sur ses yeux (à cette époque les femmes dissimulaient leurs traits plus farouchement qu’à présent car nombreuses sont celles qui relèvent le petit grillage pour que les passants puissent apercevoir des yeux souvent fort beaux). Ziyâ monta sur une petite ânesse blanche et soyeuse, sellée de bandes de tapis, faisant sonner les perles d’émail bleu sous son nez et conduite par un vieux paysan chantant des mélopées. « – Même dans une ville en état de siège, me dit Ziyâ, riant de toutes ses dents éblouissantes, un policier ne se serait jamais hasardé à relever un coin du voile d’une femme : il aurait été écharpé par le peuple. » Tout en trottinant, ils arrivèrent aux portes de mosaïque de Téhéran et personne ne fit attention à eux. Il entra chez le pharmacien, un ami, et tout en lui contant son équipée en obtint les médicaments. Le lendemain les révolutionnaires entraient dans la capitale. 20 mars 1921 Mohammad-Hoseyn, sur l’ordre de son père toujours prisonnier à Qasr-e Qâjâr, a transporté de leur maison d’hiver dans celle d’été une vieille mais énorme malle. Les espions du Seyyed pensant y trouver de l’or, des pierreries ou des papiers compromettants, se hâtèrent de l’ouvrir. Elle ne contenait que des livres anciens. 21 mars 1921 Mlle le docteur Deromps réserve à ceux qui la laissent tranquille son indifférence, mais une seule chose lui importe : la considération. Elle garde encore rancune à Mme Mesnard, la femme du directeur de l’Institut Pasteur, d’être restée trois mois sans lui rendre visite. « Franchement, ce n’est pas la peine d’avoir des confrères mariés si leurs femmes ne daignent pas venir me voir. Quand elles ont besoin de moi, elles savent où me trouver . . . » Et elle s’agace des inquiétudes à peine dissimulées de Mmes Ducrocq et Wilhelm ; la première reste à portée d’oreille lorsque son mari s’entretient avec elle, la seconde « a le toupet d’accompagner son mari quand il fait une

Téhéran 1921

507

opération à l’hôpital des femmes. Et elle y assiste sous le prétexte de l’aider. Pourtant moi, je suis là et elle, elle n’y connaît rien . . . Elle le croit donc si irrésistible ? » 23 mars 1921 Le shah reçoit en bloc les dames du Corps diplomatique. Chaque année le même cérémonial se déroule. Les dames conduites en troupeau par le chef du Protocole pénètrent à sa suite dans une pièce immense et s’asseyent selon leur rang dans des fauteuils inconfortables dont les bras se touchent ; une petite table est placée devant chacune d’elles. Sa Majesté fait alors son entrée, à pas lents et dignes, le visage rond de poupée germanique s’accorde mal avec son corps obèse. Il s’avance . . .  Les dames se lèvent, cherchent à faire une révérence, s’apercevant du même coup de l’incommodité des petites tables contre lesquelles elles se cognent les jambes, ne pouvant faire reculer les fauteuils sous peine de tout renverser. Elles sont alors présentées une à une au Shah qui, sourire rentré, leur offre mollement sa main gantée de filoselle grise – précaution antimicrobienne. Elles font alors une seconde révérence et reçoivent un nouveau coup dans les tibias. On s’assied dès que Sa Majesté est assise et l’on pourrait entendre les battements d’ailes d’une mouche car, tant que le shah reste muet, personne ne peut engager la conversation. L’heure est difficile. Enfin, comme sortant d’un rêve, il pose à la doyenne du Corps diplomatique la question obligatoire : « Comment allez-vous ? ». La réponse ne demande pas de longs développements, elle est aussi courte qu’affirmative et un nouveau silence s’établit. L’atmosphère devient oppressante. C’est alors que le grand Maître de la Cour sauve la situation ; si ses paroles sont banales on lui sait gré d’entendre une voix humaine. Alors plein de courage, le souverain se hasarde à poser d’autres questions auxquelles répondent l’accent nasillard de l’Américaine et la diction acidulée de la Belge ; seule la ministresse d’Arménie est restée impassible, un chapeau de paille défraîchi sur le sommet de la tête, ne comprenant que sa langue maternelle, les mains sur un ventre rond et remâchant son repas. Les autres sont muettes. Des gholam-s agenouillés posent devant le shah qui se sert lui-même son beau service à thé en or ciselé. La porcelaine qui nous est destinée est d’une si extrême simplicité que je la soupçonne d’être venue en ligne droite d’une échoppe du Bâzâr et deux ou trois tasses sont ébréchées. Le thé est amer et quant aux pâtisseries, il est plus charitable de ne pas les décrire. Quelle avarice . . .  La conversation reprend par à-coups et soudain le shah qui a vidé sa tasse d’or fait un signe au chef du personnel qui sort un instant pour revenir suivi

508

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

d’un domestique porteur d’un plateau d’argent. Il remet à chacune des dames présentes (dont les maris sont ou ministres plénipotentiaires ou chargés d’affaires) une piécette d’or puis, la distribution terminée, il remet ses gants, pour resserrer toutes les mains et, emmenées par le chef du Protocole, nous traversons à reculons l’immense salle et, nous arrêtant trois fois, nous exécutons trois révérences qui nous jettent les unes dans les autres. La cérémonie est terminée. 5 avril 1921 L’unique modiste de Téhéran est une de nos ressortissantes, Mme Jacoulet, dont les seins énormes tombent sur le ventre et qui, avec son visage gras et une robe à la fois minable et sévère, ressemble à une concierge de quartier pauvre parisien. Elle vit seule dans trois petites pièces avec quatre chats. Quand je dis, seule, c’est une façon de parler car elle se meut dans la compagnie des esprits : chaque soir, le travail terminé, elle les interroge et ils lui dictent ses tâches du lendemain, dans la journée, discrets, ils jouent avec les meubles et, s’il y en a de bons, les méchants qui abondent, ont souvent le pas sur les premiers aussi s’en méfie-t-elle et, avant de les accueillir, elle s’informe de leur identité. Au cours de mon essayage, l’armoire à glace craque à plusieurs reprises. « – C’est mon préféré, me dit-elle comme s’il s’agissait d’un cinquième chat, n’ayez pas peur ! il est tout à fait gentil ! » Un drame a traversé la vie de Mme Jacoulet. Fiancée à un Persan, également spirite, elle rompit ses liens pour une raison connue d’elle seule. « Il était fou de douleur, Madame, et il m’avait prévenue : il allait m’apparaître après sa mort . . . » Mais cédant à l’instance d’amis qui avaient cherché pour lui une épouse de sa race, il accepta la personne, croyant trouver l’oubli. Le jour fixé pour la cérémonie, alors que Mme Jacoulet se trouvait dans sa chambre, un vase placé sur la cheminée vint à tomber « tout seul, Madame . . . Et j’ai pensé que c’était encore un tour que me jouaient les Mauvais . . . » Le ramassant, elle découvrit un petit trou arrondi près du col et apprit qu’à la même heure, son ex-fiancé s’était tiré un coup de révolver dans la tempe. « – Et voilà, conclut-elle, commençant à pleurer, il a tenu parole ». Et je pense : « – Est-ce possible de se tuer pour cet hippopotame ? Était-elle donc jolie autrefois ? » Marie Ducrocq lui ayant commandé un chapeau, trois semaines se passèrent sans qu’elle en reçut des nouvelles. Étonnée et malgré sa répugnance car elle préfère que les esprits restent là où ils sont, elle retourna chez Mme Jacoulet pour apprendre qu’ils s’étaient opposés à la confection du couvre-chef. « – Je vous le ferai malgré eux . . . » lui dit-elle. Mais elle « fut forcée » de le couper

Téhéran 1921

509

tellement petit qu’il ne pouvait couvrir que le sommet de la tête, alors, s’obstinant, elle retourna au Bâzâr pour acheter une nouvelle étoffe. Et le même phénomène se reproduisit. Maintenant elle a compris : ses esprits détestent Marie Ducrocq et un malheur étant vite arrivé, il serait préférable que celle-ci s’éloignât de Téhéran. « – Vous ne pourriez pas le lui dire, Madame ? me demande-telle, vous voyez, je n’y mets aucune mauvaise volonté, surtout qu’il s’agit d’une dame de la légation de France – mais je ne puis rien faire : ils sont plus forts que moi ! » 7 avril 1921 Le fameux valet de chambre de Bridgeman fait jaser le tout Téhéran ; les étrangers le blâment en prétendant qu’il a des occupations inavouées, les Persans qui devraient cependant les trouver naturelles se hâtent de critiquer un farangi. L’homme dirige tout, commande les autres domestiques, mais ne condescend pas à servir à table. Raymond, allant dîner chez Bridgeman, l’a rencontré dans l’antichambre, le chapeau sur la tête, s’apprêtant à sortir de la maison comme un ami qui trop longtemps s’est attardé. Il a fait au ministre de Belgique un salut digne et a disparu. Comme il commence à s’ennuyer, son maître lui a permis de monter à cheval et il s’est empressé de couronner deux de ses poneys, puis de renverser un enfant en galopant dans la campagne. Jusqu’ici, Bridgeman paie les dégâts sans trop de mauvaise humeur. 11 avril 1921 Engert, qui vient d’être débarrassé de son ministre Caldwell est tout à la joie de devenir Chargé d’affaires. Le départ de l’Américain sauvage n’a contristé personne, sauf peut-être le shah qui a perdu en lui son conseiller financier, pour placer aux États-Unis une partie de son énorme fortune ou pour acheter des dollars. Aussi a-t-il fait porter à Mme et Mlle Caldwell le traditionnel pendentif d’émeraude et de diamants. Un drôle d’homme, cet Engert. Son éducation, (comme celle de beaucoup de ses compatriotes), l’a amené à traiter avec une familiarité tempérée de gentillesse tout le genre humain. Comme les pionniers des temps héroïques devaient le faire, il aide les femmes à monter ou descendre un escalier, en les prenant par le gras du bras, en les serrant contre lui comme de fragiles porcelaines et si elles montent à cheval, en amazone ou califourchon, il se précipite pour encercler leur taille des deux mains qu’il a puissantes et les hisser ou déposer sur le sol – le tout avec autorité. « – Nous n’aimons pas ces manières, disent quelques dames, il est vraiment trop flirt ! » Je crois qu’il est tout simplement américain et qu’elles font partie de son savoir-vivre.

510

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

13 avril 1921 Le docteur Wilhelm me demande de but en blanc, devant témoins : « – Vous ne désirez pas avoir d’enfants, n’est-ce pas ? » Selon son habitude, il n’attend pas la réponse (qui ne le regarde pas, d’ailleurs). « Ah ! vous avez raison : n’en ayez jamais . . . Depuis la naissance de ma fille, ma femme n’est plus la même, elle ne sait que dorloter, pouponner et toute camaraderie a disparu entre nous. Elle a peur de se tuer, refuse de monter les chevaux les plus doux pour ne pas laisser sa fille orpheline, elle ne peut s’éloigner de la maison sans penser qu’il va arriver une catastrophe . . . – Mais, mon chéri, interrompt de sa voix égale et douce sa femme en secouant sa jolie tête aux cheveux ondés et brillants de santé, tu sais bien que tu exagères . . . » Elle connaît la tirade pour l’avoir souvent entendue et n’aime pas les chevaux. Si elle a consenti à en enfourcher un c’est que le docteur l’a menacée de monter avec d’autres femmes. Il a été son professeur d’équitation et a manié le blâme et la louange tantôt c’est « ce n’est pas la peine de te donner tant de mal, ma pauvre petite, tu ne sauras jamais . . . » tantôt « tu es ma Walkyrie ! » 16 avril 1921 Accompagnée par mes deux cosaques, je fais ce que j’ai projeté depuis longtemps, le tour du Bâzâr à cheval, au pas et de temps en temps au galop, dans un bruit fracassant auquel nous ajoutons les bruits des sabots. Bourdonnement de tous les corps de métier, cris des chameliers, querelles des marchands et des acheteurs, caquetage des femmes voilées, animation et gaieté, fraîcheur sombre. J’aime ses recoins, ses ruelles étroites, les maisons truquées du quartier juif où, les soirs d’émeute, tout ce qui forme le mobilier oriental, tapis, coussins, korsi-s, disparaît en quelques minutes, laissant aux envahisseurs une maison abandonnée alors que de l’autre côté de la cloison les persécutés attendent la fin du pogrom. Il y a peu d’années encore, les juifs persans étaient obligés de porter dans les rues un signe distinctif permettant de les reconnaître et de s’en écarter comme des bêtes impures. Périodiquement encore des troubles éclatent, puis la vie reprend jusqu’à la prochaine fois. 19 avril 1921 Le nombre des originaux, que les Anglais appellent excentrics et qui vivent à Téhéran, est considérable. Ils y sont attirés comme les papillons par une lampe, les uns pour fuir des ennuis de famille, d’argent, d’autres pour s’éloigner des scandales ou des avatars. Ils ne peuvent guère en sortir ou continuer leur route, bloquée par les révolutions, les troubles dans les provinces. Et la Russie est fermée . . . Alors, ils s’installent, quelques-uns sans esprit de retour. Mais, même pour les diplomates, surtout les Anglais, Téhéran est un poste convoité. Ne faut-il pas être quelque peu fou ? et ce sont presque toujours

Téhéran 1921

511

les excentrics qui y sont nommés. Smart me parle d’un ministre de Grande Bretagne, Sir Barclay, qui n’aimait qu’une seule marque de champagne et qui, invité, commençait dès le potage à fixer sa coupe afin que la maîtresse de la maison fît signe au maître d’hôtel de lui en verser. Quand il n’était pas sûr d’en trouver, il se faisait suivre par un gholam porteur de deux bouteilles qu’il plaçait derrière lui avec cette consigne : ne jamais laisser le verre vide. Ce ministre avait aussi la passion des confitures et ne se déplaçait pas sans en emporter quelques pots. Même en poste à Bucarest, je crois, sir Barclay fit entreposer dans une pièce à côté de la chancellerie son bataillon de pots de confitures. Un jour qu’il dictait un télégramme à l’un des secrétaires, la tentation lui vint d’en manger un peu. Hélas ! la marmelade d’oranges dont il était le plus friand s’était gâtée ; d’acide, elle était devenue gazeuse, moisie, et le pauvre homme affolé par cette calamité allait et venait dictant de nouvelles phrases, ouvrant de nouveaux pots et vouant à tous les diables les émeutes qui étaient encore le moindre de ses soucis. Il y a aussi ceux qui fuient des liaisons devenues pesantes comme l’un des secrétaires de la légation d’Angleterre qui s’était cru en sécurité à Téhéran, mais dont la dame qui le poursuivait n’avait sur lui qu’un léger retard lorsqu’il y arriva. Dès qu’elle apparut à la porte de la maison, il sauta par la fenêtre, se réfugia chez un collègue de chez qui il refusa de sortir jusqu’à ce qu’il eut obtenu des autorités persanes une escorte pour faire reconduire à la frontière l’obstinée. 25 avril 1921 Le grand événement de la journée d’hier a été l’arrivée du ministre des Soviets Rothstein. Le sous-chef du Protocole est allé l’attendre à la sortie de la ville et lui a fait son compliment en français. L’autre lui a demandé : « Ne connaîtriez-vous pas une autre langue que celle des capitalistes ? . . . » Alors tous les deux se sont entretenus en allemand. Un conseiller, deux attachés militaires, de nombreux fonctionnaires font partie de son personnel ainsi qu’une garde de marins rouges. Les Persans frétillent à la pensée qu’ils vont enfin pouvoir recommencer leur jeu favori, jeu où ils excellent, de la balance entre la Grande Bretagne et la Russie. La France, malgré leurs invites, s’est cantonnée dans un rôle culturel ; il n’y a là rien à gagner et l’Allemagne qui jouait aussi avant la guerre un grand rôle est éliminée en raison de sa défaite. 26 avril 1921 Walter Smart. Peu fortuné il ne tient pas à l’argent : « Quand j’en ai et que mes amis sont dans le besoin, je leur en donne sans compter et sans me soucier de savoir s’ils me le rendront. » Ses domestiques le volent impunément et il ne leur

512

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

fait des reproches que si son budget est déséquilibré. « – L’homme, soupire-t-il, est une créature si faible et ces malheureux font un si triste métier . . . Qu’ils se donnent donc un peu de plaisir. L’effort d’imagination qu’ils font pour me voler me divertit également. » Cet homme laid dont les os semblent danser sous la peau a un esprit aussi séduisant qu’agaçant. Trop de paradoxes. Dans son corps mâle s’est logée une âme féminine – puisqu’il est convenu d’appeler ainsi des défauts partagés par les deux sexes – nerveux, irritable, il éprouve le besoin d’avoir toujours raison, ressentant de vives antipathies contre lesquelles il n’a pas assez de sagesse pour réagir. Type de l’égoïste parfait mais intelligent et bien élevé et par-dessus tout modeste – d’une modestie dont il sait le prix. 29 avril 1921 Hier, M. Rothstein a présenté ses lettres de créances au Shah et lui a offert sur un plateau d’or un album photographique représentant quelques scènes de la révolution et contenant les portraits des principaux chefs bolcheviks. Le shah l’a ouvert, puis refermé dès qu’il a vu la première page. 1er mai 1921 Nous, nous avons fermé nos fenêtres pour ne pas entendre retentir l’Internationale, la légation des Soviets étant notre voisine. M. Rothstein a donné une grande réception appelée sur les cartons d’invitation Hissement du drapeau rouge. Il y avait une jolie salade d’invités depuis les gens du peuple jusqu’aux ministres persans qui n’avaient jamais frayé avec pareille racaille. Resté seul de tout le personnel de l’ancienne légation tsariste, Hildebrand avait dû arborer l’églantine rouge à sa boutonnière. Norman a fini par s’y rendre entouré de tous ses gens et l’on a bu démocratiquement du thé noir et du charbat. 2 mai 1921 Le colonel Haig a perdu tout espoir de voir se réaliser la promesse faite par Vosuq od-Dowla de l’engager comme conseiller : promesse tombée en même [temps] que son ministère. Appuyé vigoureusement par Norman, il en a réclamé l’accomplissement mais les successeurs de l’ancien président du Conseil ne se sont pas montrés compréhensifs. Seyyed Ziyâ od-Din a été mis en demeure par les Anglais ou de tenir la parole d’un de ses prédécesseurs, ou d’offrir une indemnité au colonel Haig qui se plaint d’avoir eu des frais considérables d’installation mais l’indemnité demandée a été tellement réduite qu’on l’a appelée aumône et refusée. Le colonel Haig n’a vraiment prolongé son séjour en Perse que pour essayer de marier sa fille au colonel Wickham dont la déclaration s’est faite si longtemps

Téhéran 1921

513

attendre qu’il a pu terminer une volumineuse histoire des Indes. Wickham reconnaît les vertus de la jeune fille qui éprouve pour lui un visible sentiment, il sait qu’elle fera une épouse dévouée, elle est honnête, pratique et a hérité de son père une certaine finesse écossaise, mais il a peut-être moins besoin d’un bonheur tranquille que d’un peu d’élégance et de cette légère inquiétude qui fait rester en alerte. Comme toutes les jeunes filles anglaises, malgré l’intransigeance religieuse de son père, Miss Haig a le bonheur de connaître la liberté ; elle sort et prend ses repas sans contrôle avec ses amis masculins et il lui arrive de passer une ou deux nuits sous le toit des deux célibataires que sont le colonel Wickham et son adjoint Balfour avec lequel il habite. Mais de décision, point. Il lui faudra retourner en Angleterre sans mari. 3 mai 1921 Deux ou trois des antiquaires de Téhéran sont installés dans des maisons et, riches, vendent en conséquence leurs marchandises. Chez Mirzâ ‘Ali Akbar, une petite porte de bois au heurtoir ciselé vous introduit dans une cour étroite où un gholam aux vêtements rapiécés vous fait entrer dans un salon. Pour vous laisser le temps d’admirer, le maître de la maison ne paraît pas tout de suite et fait une entrée d’une extrême dignité, vêtu d’un abâ, la tête couverte d’un turban (il n’y a pas de chauffage) ou d’une redingote de drap sombre, au printemps. L’espoir de dépouiller ses visiteurs luit dans ses yeux et ses beaux objets sont à des prix inabordables – au moins pour un chargé d’affaires. Nous sommes déjà venus chez lui plusieurs fois sans résultat et aujourd’hui n’y tenant plus, il demande : « Pourquoi jamais rien acheter à Mirza Ali Khan ? – Tout y est trop cher, répond H. – Oui ! mais moi pas savoir que M. Chas d’Affaires connaissait si bien . . . sans quoi, j’aurais dit moins . . . » Et, caressant la reliure de ses manuscrits, il nous en conte l’origine vraie ou fausse. L’un d’eux, le plus beau, orné de grandes miniatures, vient d’Afghanistan. Que de peines il a eues pour le posséder. L’homme envoyé pour négocier l’affaire, portant dans ses fontes de gros sacs de tomans d’argent, a eu la tête coupée par des bandits ; un second obtint le livre pour deux cent cinquante tomans mais poursuivi, il dut revenir bride abattue sans pouvoir rapporter quelque chose d’autre. « – Et pour cela seulement, M. Chas d’Affaires, j’ai payé pendant des semaines cheval et nourriture . . . » Nous serions tentés de le lui marchander si nous étions plus sûrs de son authenticité, mais nous savons qu’un homme, le seul miniaturiste capable d’en copier d’aussi belles, n’est mort que depuis quelques années, séquestré justement par Mirzâ ‘Ali Akbar qui lui servait une rente pour se réserver sa production. D’innombrables œuvres de ce faussaire de grand talent ont déjà pris le chemin de l’Europe et des musées.

514

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

5 mai 1921 M. Rothstein, nouveau ministre des Soviets, est journaliste de son métier et d’origine allemande ; il a fait déposer des cartes dans toutes les légations n’exceptant que la nôtre et celle d’Engert qui a reçu l’instruction de n’avoir aucune relation diplomatique avec lui. Le ministre de Belgique a été prié par son gouvernement « d’observer une attitude correcte », ce qui lui laisse une certaine latitude. Raymond a dit à H. qu’à l’audience du ministre des Affaires étrangères, Rothstein a déclaré « qu’il désapprouvait les Alliés de se montrer si durs à l’égard de l’Allemagne. » 6 mai 1921 Le shah nous reçoit H. et moi en tête à tête à la campagne. Nous entrons dans un parc déshonoré par des statuettes de pages Louis xiii ou de châtelaines telles que l’on peut en avoir dans les plates-bandes des maisons de retraités aux environs de Paris. Les gholams en grande livrée qui ont l’honneur de nous conduire jusque dans les mains du chef du Protocole, réclament poliment un pourboire. Sa Majesté est déjà installée dans une grande salle brillante, tapissée de morceaux de miroirs enchâssés dans le mur, dont le sol est couvert de tapis multicolores modernes, quelques-uns représentant des personnages aux joues roses, aux sourcils noirs arqués, d’autres des oiseaux, d’autres des jardins, tous d’une extrême finesse, mais déjà décolorés par le soleil, perdant leurs rouges sombres et leurs bleus profonds dus, hélas, à l’aniline. Ce sont les dons des provinces. Cédant à sa terreur des Bolcheviks et des révolutions, le shah a abandonné son palais de Téhéran pour habiter à une lieue de là, un grand bâtiment réplique persane du . . . Trocadéro. Il et simple, cordial, raconte à sa manière la Révolution et dans son émotion, perd le contrôle de sa grammaire. « – Ma poste et mon situation sont difficiles. » Phrase qui, remise d’aplomb, a dû souvent passer par les lèvres de nos agents diplomatiques et consulaires en mal de changement de résidence. « – Et le pire, ajoute-t-il, c’est que je dois faire ce que l’on me dit . . . » Les consuls, eux aussi, sont pleins de rancune à l’égard du Quai d’Orsay. Il tire alors une petite boite d’or de la poche de sa redingote contenant des cigarettes et m’en offre une que je refuse, ne sachant s’il est convenable de fumer devant le shah in Shah. Mais il sourit : « Si . . . Je sais que vous fumez . . . » Son service d’information est bien fait . . . S’il reçoit très rarement les étrangers, aucun détail de leurs vies ne le laisse indifférent. Son chef du Protocole, reçu dans toutes les légations, lui rend compte de chaque réception, du

Téhéran 1921

515

comportement de chacun ; son chef de police et ses courtisans lui apportent les derniers potins, vrais ou faux, mais aussi croustillants que possibles sur les farangi-s. Il n’oublie pas de nous entretenir de deux sujets qui lui tiennent à cœur : son départ pour l’Europe et son poids. Quand pourra-t-il repartir ? Quand pourra-t-il maigrir ? Il s’amusait tant là-bas . . . Quand il est arrivé à Paris, les journaux ont publié sa photographie et un jour, entouré par quelques courtisans, assis à la terrasse d’un café, il fut reconnu par le garçon qui le servait, qui, ne sachant quelle formule employer, lui demanda : « Encore un petit morceau de sucre, mon Shah ? » Ce souvenir qui le fait encore rire découvre des dents éblouissantes. En Angleterre, il ne se sentait pas mal non plus . . . un peu moins bien cependant. Assistant à une course où un spectateur lui cachait la piste par sa large carrure, il l’avait poussé légèrement sans s’en rendre compte : « Vous ne pourriez pas faire attention à vos mouvements ? » avait-il demandé, irrité. Alors croyant l’impressionner, Sa Majesté lui a dit : « Je suis le shah de Perse . . . – Oui ? eh ! bien moi, je suis anglais . . . » Et il garda sa place. On aborde maintenant le second sujet : « – Je suis obligé de refaire faire tous mes vêtements : tantôt je maigris, tantôt je grossis. Mais cette semaine, j’ai reçu une photographie de Qom qui m’a fait vraiment plaisir . . . Allez me la chercher . . . » Le chef du Protocole, à qui ce commandement est adressé, semble gêné et proteste. « – Mais . . . Je ne sais pas si on peut la montrer . . . – Si, si ! j’y tiens . . . » Le shah passe la photo à H. puis à moi : « – Regardez : c’est le fils d’un mollâ. Il est bien plus jeune que moi . . . et il est plus gros . . . » L’image représente un adolescent complètement nu, un monstre : les bourrelets formés par la graisse de son ventre tombent si bas qu’il en est devenu chaste . . .  Le chef du Protocole nous dit en sortant : « Il faut que je la lui apporte trois fois par jour ! Je ne crois pas qu’on aurait dû la montrer à une dame . . . » La consolation de Sa Majesté. 7 mai 1921 Hier, un peu avant le dîner offert au Golestân par le président du Conseil, un porteur me remet une décoration en même temps qu’une lettre de Mahmud Khan avec ses félicitations. Les femmes des chargés d’Affaires ont droit à une sorte de demi-éventail, les femmes de ministres au cercle complet d’un large bijou dont les branches sont percées par des brillants de mauvaise qualité et dont la base en émail représente une face ronde symbolisant le soleil (plutôt une lune) qui lui donne un aspect fâcheusement oriental. J’ai donc dû l’accrocher sous le sein gauche au risque de déchirer la mousseline de soie de ma robe de soir, catastrophe qui serait irréparable. H. lui, porte en bandoulière le ruban

516

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

rouge du nešân « Lion et Soleil » qui lui a été décerné il y a quelque temps, qu’il ne pourra porter plus tard aux réceptions de l’Élysée, risquant d’être confondu avec celui de la grand-croix de la Légion d’Honneur. Seyyed Ziyâ od-Din me raconte que, lorsqu’il est allé rendre sa visite d’arrivée à Rothstein, il a aperçu dans le salon deux individus minables qui lui furent ainsi présentés : « Le camarade X . . ., mon palefrenier et le camarade . . . mon cocher . . . » Le Seyyed manifesta le désir de s’entretenir en tête à tête avec le ministre des Soviets, mais il répondit tranquillement : « Oh ! . . . vous pouvez parler devant eux . . . Je n’ai pas de secrets . . . » Un gholam apportant un plateau « Et puis, voici mon cuisinier . . . Il peut prendre une tasse de thé avec nous. » Mais Hoseyn, plus habitué à recevoir des coups de pied qu’à partager les agapes des grands de ce monde, a regagné sa cuisine sans dire mot. Le Seyyed, trop intelligent pour être dupe de cette propagande grossière, s’en amuse encore. 9 mai 1921 Je surprends un coup de téléphone donné par Habiboullah, le maître d’hôtel laissé par les Bonin, qui énumère, en anglais, à son interlocuteur, les noms des personnalités qu’H. a reçues dernièrement. Il doit me croire encore à la promenade. Espion à la solde des Anglais ou des Russes ? Mon premier mouvement est de le confondre et de le jeter à la porte. Mon second est de ne rien dire et de le garder, sachant trop bien qu’il y aura toujours parmi cette domesticité nombreuse un ou plusieurs indicateurs et que mieux vaut le connaître que d’égarer ses soupçons sur un autre. 10 mai 1921 Le shah a été tellement écœuré par le cadeau de Rothstein que lorsqu’il veut le montrer à ses visiteurs, il dit à son chef du Protocole : « Allez me chercher le livre des assassins ! » Rothstein a maintenant une suite d’une quarantaine de personnes ; chacune a droit à deux pièces d’habitation situées soit dans la légation soit dans les maisons de son parc. Son conseiller a pour mission de le surveiller. Ses deux attachés militaires ont apporté des pierres précieuses provenant sans doute du trésor des tsars, qu’un intermédiaire a déjà proposées à l’un des bijoutiers du Bâzâr que je connais et qui me les a décrites. La propagande coûte cher en Perse. Les attachés militaires portent des casques à pointes, celui du chef est entouré de toile noire, celui de l’adjoint de toile blanche orné d’une étoile rouge. Ils se prélassent tout comme leur ministre, dans de magnifiques voitures, parcourant la ville à toute allure comme s’ils craignaient des attentats.

Téhéran 1921

517

12 mai 1921 Le gouvernement des Soviets n’ayant remis à son ministre avant son départ qu’un seul bon pour obtenir un vêtement, il n’a pu se faire faire qu’un veston et une pelisse et aucune tenue capitaliste comme l’habit ou le smoking. Le premier étant de rigueur dans les réceptions officielles, le gouvernement persan, pour permettre à Rothstein d’y assister, a été obligé de lui en offrir un et d’envoyer le meilleur tailleur de Téhéran prendre ses mesures. 14 mai 1921 H. se plaint de ce que Ducrocq lui apporte des informations peu vraisemblables à l’aide de tronçons de renseignements que ses espions lui communiquent et qu’il tient pour exactes dès qu’elles confirment ses idées ou opinions. Il cherche aussi à tirer de ses collègues par des questions insidieuses les confidences désirées mais il est trop naïf et passionné pour être de première force à ce jeu de poker et le but à atteindre est inscrit sur son visage. Il accuse le colonel Wickham qui le voit venir de loin « de le traiter par-dessus la jambe », de n’être qu’un mauvais camarade comme tous les Anglais, « car enfin, entre militaires, l’on a le devoir de s’aider . . . » Il ne comprend pas qu’il a découragé les meilleures volontés en allant répéter à des Persans très francophiles et autrefois « à nos bons amis les Russes » les renseignements obtenus en les accompagnant de commentaires toujours désagréables pour les Britanniques et que ses confidents n’ont rien de plus pressé que d’aller trouver le ministre d’Angleterre pour les lui répéter, ce qui a forcé ce dernier à inviter son personnel à plus de discrétion. 15 mai 1921 Le Seyyed Ziyâ od-Din voulant tout transformer en même temps, a fait réquisitionner des mules et des chevaux des écuries du shah afin de pourvoir aux besoins de l’armée. Le souverain est entré dans une violente colère contre celui qui s’est improvisé son président du conseil et qu’il a été contraint d’accepter après la révolution. On croit que le shah cherche à se rapprocher de Rezâ Khan qui a eu l’habileté de le rassurer, ses courtisans ne manquent pas d’établir un parallèle entre sa conduite et celle du Seyyed, insinuant que ce dernier pourrait un jour chercher l’appui du ministre des Soviets et livrer le shah aux Russes. S’il se laisse convaincre, le Seyyed est perdu. 16 mai 1921 Les domestiques ont la conscience si chargée qu’ils ne se dénoncent jamais entre eux, non par solidarité mais parce que la dénonciation en provoquerait d’autres amenant leurs maîtres à faire de fâcheuses découvertes. S’ils

518

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

connaissent le coupable d’un larcin, ils partagent les bénéfices avec lui. En général, ils préfèrent se placer chez des étrangers où ils reçoivent des gages et où leur religion elle-même les absout de toutes leurs fautes ; dans les familles persanes, ils sont logés avec leurs femmes et leur progéniture, quelquefois nourris, mais jamais payés ; ils risquent la bastonnade et la prison tandis que les farangi-s se contentent de leur envoyer quelques gifles. Lorsqu’il entre dans une place, un domestique fait toujours parfaitement son service, puis la méfiance du maître endormie, le pillage commence. Et que de vices ils ont ! Presque tous pédérastes. Abdoul notre valet de chambre boit de l’éther et le soir quand je constate sa disparition, je sais qu’il a au moins pour deux jours à revenir sur terre. 17 mai Deromps. Elle ne lit jamais, mais jamais. Pas même un livre divertissant. Sur une tablette qu’elle nomme bibliothèque on ne trouve qu’une rangée d’ouvrages médicaux car elle se tient au courant de tous les progrès, découvertes, thérapeutiques, traitements, etc. Hors son métier et l’amour, rien ne l’intéresse. Elle est toujours éprise de son professeur de persan, et on a déjà annoncé plusieurs fois son mariage ; mais, interrogée, elle se contente de rire. Elle a commis l’imprudence d’aller passer avec lui une dizaine de jours aux environs de Téhéran, et toute la ville l’a su immédiatement. 18 mai 1921 J’apprends par hasard que Walter Smart est marié. N’est-ce pas étrange qu’il n’ait jamais fait allusion devant nous à sa femme, ne serait-ce que pour indiquer qu’il ne s’entend pas avec elle ? Américaine ou anglaise, elle vit à Paris avec un enfant d’un premier lit. Et cependant, il me parle souvent de ses parents, deux excentrics séparés après de nombreuses années de mariage, après avoir enfanté trois ou quatre enfants, pour incompatibilité d’humeur. La mère habite un cottage en Angleterre, le père parcourt la France en compagnie d’une gouvernante, louant des maisons pour six mois ou un an là où il lui plaît de rester puis il s’installe dans un autre endroit. L’un de ses frères, officier politique aux Indes, a déserté au début de la guerre pour venir se battre en France. 19 mai 1921 Nous montons à Shemrân, H. et moi, afin d’y louer une des trois propriétés que l’on nous propose pour l’été. Celle qui appartient à une tante du shah nous plaît particulièrement : un grand jardin pas trop pelé comme c’est souvent le cas, un grand pavillon d’entrée où nous pourrons avoir deux salons et une assez petite salle à manger. À H. qui s’en inquiète, je réponds que l’on plantera une

Téhéran 1921

519

de nos grandes tentes dans le jardin où nous pourrons prendre nos repas. Une chambre et un petit salon pourraient être installés dans un autre pavillon, au milieu de ce que l’on peut appeler un parc. La grande pièce d’eau entourée de saules pleureurs est romantique et une autre plus petite à l’extrémité de la propriété nous servirait de baignoire. La chancellerie pourrait s’installer dans l’autre aile du pavillon d’entrée ainsi que les cosaques et un autre bungalow servirait de maison des hôtes. H. a reçu le coup de foudre : « – Si nous pouvons l’avoir, me dit-il, ce sera le couronnement de notre séjour en Perse . . . » Pourquoi pas ? elle n’a jamais été louée, mais la tante du shah se trouve engagée dans un procès compliqué dont l’issue est douteuse, elle craint certainement de voir ses biens placés sous séquestre. Elle ne risquera plus rien pour les mois qui suivront si une légation s’y installe. La propriété s’appelle Bâq-e Moqanni-bâši.33 21 mai 1921 Rencontre dans la rue Lalézar de Mme Hildebrand que je n’avais pas revue depuis des semaines. Semble gênée de n’avoir pas suivi dans l’exil ses collègues de l’ancienne légation tsariste. Son mari a accepté de garder les archives en attendant l’arrivée des nouveaux maîtres et depuis ils ont vivoté, impayés, voyant chaque jour se lézarder un peu plus le mur des pavillons abandonnés, mangeant les œufs de leurs poules et plus rarement les poules elles-mêmes n’ayant pas l’argent nécessaire pour les remplacer. Depuis qu’il a remis à Rothstein les archives impériales, Hildebrand se terre, redoutant les avanies des Bolcheviks. La pauvre femme croit devoir s’en excuser auprès de moi en disant : « Ne devions-nous pas vivre, nous et les enfants ? » Elle a des larmes plein les yeux. J’espère que leur pain ne sera pas trop amer. 22 mai 1921 Hier, à son audience, le shah assez calme a lancé des pointes contre le Seyyed Ziyâ od-Din. H. qui s’est entretenu ensuite avec Šahâb od-Dowla a cherché à obtenir de lui quelques détails sur le grave différend qui s’est élevé entre le Seyyed et Rezâ Khan, le premier soutenu à présent ouvertement par les Anglais, le second par le souverain. Il semblerait que Norman ait imposé au Seyyed qui ne peut plus rien lui refuser, le maintien des officiers anglais sur le front du Gilân et que Rezâ Khan, général de l’armée persane, s’y soit opposé. En se retirant avec ses cosaques à Qasr-e Qâjâr, il aurait menacé le Seyyed de prendre une seconde fois Téhéran s’il ne donnait pas sa démission de président du Conseil. 33  « Jardin du Maître puisatier ».

520

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

L’orage gronde. 24 mai 1921 Ziyâ Homâyun, se promenant à cheval avec moi soupire : « Comment voulez-vous que nous, pauvres Persans, puissions résister aux Bolcheviks s’ils amènent toutes ces jolies femmes avec eux ? » La plupart semblent sortir de bouges, prêtes à tout, mais quelques-unes, dont la secrétaire de Rothstein, sont ravissantes. Raymond ne demanderait pas mieux que d’approcher cette dernière d’un peu près, espionnage ou non et Rothstein lui a dit : « Celle-là, c’est une ardente adepte, elle est plus enragée que nous tous. » 27 mai 1921 Le shah a fait savoir avant-hier au Seyyed Ziyâ od-Din qu’il attendait sa démission. Et le Seyyed est parti à minuit accompagné par quelques cosaques. La Cour a réclamé son arrestation et déjà des télégrammes avaient été préparés pour être envoyés à cet effet dans les endroits où il devait s’arrêter, mais Norman est parvenu à obtenir du souverain la révocation de l’ordre. Fin prématurée d’un réformateur. 29 mai 1921 Farmân-Farmâ, ses fils et amis sont sortis de leur prison en excellent état de santé, mais pleins de fiel contre Norman et ses collaborateurs. Le prince Firuz s’est plaint de ce qu’ils n’avaient rien fait pour lui. « Et pourtant j’ai été un de leurs amis les plus dévoués » (un dévouement bien rétribué). Les démarches de Walter Smart, démarches répétées auprès du Seyyed, n’avaient donné aucun résultat. Les intrigues des politiciens persans vont se donner libre cours après cette courte éclipse. 30 mai 1921 Le shah ne se tient plus de joie depuis la disgrâce du Seyyed ; il s’est mis entre les mains du général Rezâ Khan qui, en cas d’avance de l’armée russe, lui a promis la protection de ses troupes et il a dit : « – Tout d’abord j’éprouvais pour lui une profonde antipathie parce qu’il a fait emprisonner des membres de ma famille mais seul, il peut me sauver ». Peut-être ne s’opposera-t-il pas à son retour en Europe ? 3 juin 1921 Rothstein répare sa légation et il a fort à faire. On lui a demandé s’il comptait remettre en état les tennis de Shemrân et il a répondu noblement : « Quand les

Téhéran 1921

521

Anglais arrivent quelque part, ils en construisent avant de s’occuper de politique, moi je m’en occupe d’abord et je les fais arranger ensuite. » Dès son arrivée, il a essayé de frapper l’imagination populaire persane par quelques images genre Épinal, il a déclaré par exemple qu’il ne se montrerait pas aussi égoïste que les capitalistes et qu’il ne profiterait pas seul, comme ils le font, de la jouissance d’un parc aussi étendu que celui de sa légation, qu’il avait l’intention d’en faire un jardin public où les pauvres gens pourraient entrer tout comme les autres. Mais l’affluence et surtout le sans-gêne des visiteurs l’ont vite contraint à faire machine arrière et à présent le bon peuple se voit refuser l’entrée de cet Eden par les marins rouges. C’est au tour des Persans de sourire. On a demandé à Rothstein ce qu’il pensait des derniers événements politiques et il a dit : « Si le Seyyed Ziyâ od-Din était resté au pouvoir trois mois de plus, il aurait chassé tous les Anglais de son pays . . . et j’aurais obtenu de lui tout ce que je voulais. » Vue peut-être optimiste bien que le ministre des Soviets ait apporté avec lui de quoi contrebalancer la cavalerie de Saint-Georges. 4 juin 1921 Dès que Norman m’aperçoit, il se précipite, prend un air de martyr, cligne ses yeux, pousse de larges soupirs : il en a gros sur le cœur. Sans souci d’être entendu – et Dieu sait si la ville possède de nombreux espions – il blâme les uns, critique les autres, force ses hôtes même des femmes qui n’y prennent aucun intérêt, à entendre ses cours politiques trempés dans du fiel. Il ne prend plus la peine de cacher sa haine des membres du gouvernement anglais et Lord Curzon est son habituelle tête de turc : « – C’est un incapable, déclare-t-il (et je me sens gênée pour lui), vous ne pouvez pas savoir tout ce qu’il a fait . . . Il a mené l’Angleterre au bord de la ruine en se mêlant de tout et en ne cachant rien ! » Ne serait-il pas plus digne de se taire et de se faire mettre en disponibilité ? 5 juin 1921 Mme Merle va rendre visite à Mlle le docteur Deromps, sonne, puis ne voyant personne, entre dans un salon désert, appelle et se décide à ouvrir la première porte devant elle, choix malheureux puisque c’était celle de la chambre à coucher. Elle aperçoit notre doctoresse en conversation très intime avec un jeune homme, pousse un cri de femme effarouchée, puis s’enfuit sans demander son reste. Et conte son émotion à l’une de ses amies, c’est-à-dire à toute la ville. La bâji de Deromps, qui eut dû garder la maison pendant les ébats de sa maîtresse, est une fille négligente répondant au nom charmant de Ma’suma

522

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

Khanoum ; sa famille, sans prendre son avis, l’a mariée à un quinquagénaire dont les ardeurs ne suffisent pas à calmer son tempérament et aussi, plusieurs fois par semaine, disparaît-elle pendant une ou deux heures. Deromps se garde de lui demander où elle a été passer son temps, mais exige d’elle en compensation la plus complète discrétion. Les manquements amènent des gifles et même des coups de poing ; elle a d’ailleurs été obligée d’y renoncer le jour où elle s’est aperçue que la fille semblait plutôt les rechercher ! 6 juin 1921 Une lettre de Milhaud du mois de mars. Grand événement. On n’imagine pas le plaisir que peut causer une lettre d’un ami dans un pays tel que celui-ci. Il se demande si nous avons vu « notre ami Firuz . . . » « C’est un grand ami de Margotine et de Jean Cocteau. Nos samedis continuent. Nous avons à notre disposition un bar rue Duphot où nous faisons du jazz band. Les petits Cuerra sont à Paris et sont devenus des samedistes très assidus, surtout elle. » Cacique enfin ambassadeur. Il partira pour le Japon après la première de L’Homme et son désir (que la jalousie de sa femme veut obliger à appeler L’homme et la forêt), c’est-à-dire fin mai. Notre ballet sera donné aux Ballets Suédois (Théâtre des Champs-Elysées). » » L’hiver a été agréable. J’ai fait quelques violents scandales (Colonne, Concerts Golschman, spectacle avec la vieille Loïe Fuller violemment sifflé partout). Le ballet sera le couronnement de l’année. » Je suis à Rome avec Poulenc (vague concert). » J’aime Rome parce que je m’y sens chez moi comme dans toutes les villes du midi (Marseille, Madrid, Lisbonne, Rio) » À Aix, c’est pareil. Maman toujours bien souffrante. Les Bugnon ont eu des enfants [de] vers luisants. » Ravaisou toujours alité et très mal. » J’ai pas mal travaillé. J’ai fait une suite de danses pour piano (dont quelques unes sont orchestrées) intitulées Saudades do Brazil. La plus réussie qui s’appelle Corcovado est dédiée à Mme H.H.H. Se souvient-elle encore du gros garçon qui lui apprit à monter à cheval entre les mélodies de Raymond Bonheur et un poème de Cacique ? » Quand comptez-vous rentrer en France ? Même Leger revient. J’ai rencontré Pierre de Polignac dernièrement mais depuis qu’il est S.A.R. il faut lui parler à la troisième personne et à genoux. Il m’a dit avoir reçu de vos nouvelles. » Ici, j’ai vu à l’ambassade Truelle qui vous connaît mais le Palais Farnèse est très agité ces jours-ci parce qu’un jeune secrétaire dont j’ignore le nom vient de se suicider pour une belle italienne. Quelle belle preuve d’amour. »

Téhéran 1921

523

Après cette lecture, je me demande si j’ai envie de rentrer à Paris ou si j’en éprouve de la nostalgie ? je suis obligée de convenir que non. J’aimerais ne pas être séparée si longtemps des êtres que j’aime – et Milhaud est l’un d’eux mais ma passion des voyages est toujours vivace, vivante en moi. Voyager, voyager pendant que nous sommes jeunes tous les deux, puis rentrer un jour, tard, faire le point. 7 juin 1921 Départ pour le Lâr. Les domestiques et naturellement le cuisinier sont partis avant nous pour planter les tentes. Excursionnistes, Wickham, Baxter, Deromps et les Wilhelm invités par H. dans un moment d’euphorie et qui ont emmené leur petite fille de trois ans, trop jeune pour cet inconfortable déplacement. On ne peut se rendre au Lâr qu’à cheval et en deux étapes. Et nous passons la nuit sur le toit d’une étable ayant dû offrir le minuscule abri prévu pour les dames à la bâji, à l’enfant et à Mme Wilhelm. Quand il s’agit de se déshabiller cette dernière se met à faire des façons car, horreur, les muletiers passent à tout moment et elle peut se trouver exposée à tous les regards aussi couchera-t-elle toute habillée ! Deromps éclate de rire : « S’ils vous gênent, regardez ailleurs et vous ne les verrez plus ! » Mettant ce sage conseil en pratique, elle arrange son lit près du mien sur le toit, apparaît peu après en chemise de nuit transparente, les bras nus jusqu’à l’épaule, la poitrine découverte et, si sa charpente, épaules et cou sont masculins, ses seins très développés lui restituent son sexe. Dormir ou faire semblant de dormir sous un ciel étoilé et par une nuit très douce est pour moi un plaisir presque inconnu. 8 juin 1921 Très rude seconde étape. Le cheval de Deromps s’étant blessé pour avoir marché sur un tesson de bouteille doit être abandonné à un palefrenier et elle fait le trajet sur un mulet. Les chevaux essoufflés escaladent des blocs de pierre si impressionnants que je me reproche d’avoir exposé Ivors aux chevilles si fines dans cette aventure mais alors qu’il se montre généralement nerveux devant le moindre obstacle, il semble réfléchir, pose son pied au bon endroit et il n’y a plus qu’à se confier à lui. À la fin de la journée, fatigués, nous arrivons dans une contrée encaissée, baignée par un cours d’eau rapide, là où les légations prenaient autrefois leurs quartiers d’été, fuyant la chaleur de Téhéran. Ni village ni cahute, rien que nos tentes, la plus grande devant servir de salle à manger, quatre plus modestes de chambres à coucher et deux petites, un peu isolées du camp, de wc. Les Wilhelm arrivent avec un grand retard et en furie : leur train étant plus lent que le nôtre avec la bâji, l’enfant et aussi l’inexpérience de Madame à cheval, nous les avons laissés se reposer avec un guide et nous nous sommes

524

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

séparés en petits groupes pressés d’arriver les uns et les autres. « – C’est une chasse à courre ! me dit le docteur, on aurait pu nous attendre. Nous avons failli nous perdre . . . – C’est nous qui nous sommes perdus, car nous vous avions laissé le seul guide connaissant la route ! » Ce premier soir sous la tente, nous trouvons sur des tables pliantes des flambeaux d’argent, une nappe brodée et un repas froid. 9 juin 1921 Le palefrenier ramène le cheval de Deromps guéri. L’on se repose en devisant, en pêchant (pas un seul poisson), en jouant aux cartes. Wilhelm et Baxter partent demain matin pour aller chasser le mouflon et rapporter quelqu’oiseau. Ce soir, le chef de cuisine nous sert des . . . bouchées à la reine ! Il a réussi sa pâte feuilletée sous la petite tente qui lui sert à la fois d’abri et de cuisine. Je vais le féliciter et reste stupéfaite de ne trouver que deux poêles à pétrole, trois pierres et du charbon de bois. Les domestiques persans si paresseux de nature, se transforment en voyage, tout changement les divertissant, ils déploient leur ingéniosité non plus à voler mais à faire des prodiges. 10 juin 1921 Hier, Deromps, devant nos moqueries, a renoncé à faire partager sa tente à son cheval, elle n’a pas pensé à emporter pour lui quelques couvertures – et les nuits sont fraîches – alors elle enlève son manteau et le fixe sur l’animal avec des épingles à nourrice. 12 juin 1921 Demain nous levons le camp. Les jours qui viennent de s’écouler ont été des jours de repos, de promenades le long de la rivière ; pour les chasseurs la poursuite vaine d’un gibier, pour les pêcheurs celle d’un poisson. Et je leur dis, fière de ma prévoyance : « – Si je vous avais écoutés quand vous prétendiez que vous nous nourririez du produit de votre chasse ou pêche, nous serions tous morts de faim . . . – C’est une année exceptionnelle, répond Wickham, les autres fois, nous avons fait rôtir des mouflons et griller des truites. » L’année est toujours exceptionnelle. Dans ce genre de voyage où l’inconfort est total, les incidents imprévus, les défauts des caractères se révèlent mieux au bout d’une courte semaine que d’une longue fréquentation. Comme je le pensais, les deux Anglais ont été de charmants compagnons, de bonne humeur et sportifs, les Wilhelm s’en sont moins bien tirés, se disputant entre eux, avec leur bâji, grondant l’enfant qui ne cessait de pleurer et de grincer des dents, Deromps est sortie victorieuse de l’épreuve.

Téhéran 1921

525

13 juin 1921 Pour ne pas fatiguer son cheval, elle a fait le trajet sur un mulet qui, à un passage difficile, excédé par son poids, l’a laissée choir rudement sur les pierres. « – J’étais encore tout étourdie, dit-elle au moment où je vais lui porter secours, quand j’ai entendu derrière moi un hennissement : c’était mon cheval qui pleurait de me voir dans cet état ! » 15 juin 1921 Un de ces derniers soirs, dans les jardins des environs de Téhéran, où les cyprès noirs se détachent sur le ciel, Bridgeman a assisté à une fête organisée par Smart, spécialiste de ce genre de distractions que ses ennemis appellent débauches, où une jeune femme danse avec une coupe pleine de vin entre les mains. Elle a le devoir, la danse terminée, de la porter aux lèvres de chaque invité. Arrivée devant Bridgeman, elle s’est arrêtée, refusant de la lui tendre. Smart l’ayant questionnée, elle répondit que, devant boire elle-même ensuite, elle ne le pourrait pas après qu’une barbe aussi dégoûtante en aurait souillé les bords. » Smart de qui je sais l’histoire, dit qu’il mit un certain temps avant de la convaincre mais l’argument que l’on ne pouvait faire pareille injure à un étranger (il ne dit pas un Anglais) eut raison de sa résistance. Et Bridgeman ? eh ! bien il assista à la scène sans y rien comprendre de la même façon qu’il traverse la vie. 16 juin 1921 Le prince Farmân-Farmâ offre un thé dans les jardins de sa maison d’été « pour se réjouir avec ses amis de sa libération ». Il ressemble à un scarabée tombé sur le dos. Très bonhomme. Très galant. Dès qu’il fait la connaissance d’une jeune femme, il lui dit : « Khanoum . . . Vous êtes un petit ange. Un vrai petit ange ! » Après quarante années d’exactions, il possède une énorme fortune qu’il a dû mettre à l’abri dans les banques des grandes capitales. Le prince Firuz, qui arrive à la réception peu après, affecte d’avoir pour son père le plus grand respect : il n’ose s’asseoir en sa présence, écoute ses paroles d’un air soumis et baise ses mains. Il lui demande même, en raison de la chaleur, la permission d’enlever sa kolâh. Lui aussi est loin d’avoir pardonné aux Anglais ce qu’il appelle leur « abandon » et se vengera s’il le peut. H. me dit que, très intelligent, il a sûrement compris que la source des revenus fournis par l’Angleterre était tarie en ce moment pour lui et sa famille et qu’il cherche des prétextes pour recouvrer sa liberté.« – On ne le voit guère, dis-je, aller vers les Soviets : il en a comme tous les Persans une peur panique . . . – Non. Mais il y a les Américains qui pourraient essayer, grâce à un peu d’argent frais d’obtenir du gouvernement

526

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

quelques concessions . . . » Il est certain que depuis peu le prince Firuz traite le chargé d’affaires des États-Unis avec beaucoup de déférence et d’attention. 16 juin 1921 Fête des Suédois. Ils ont donné à H. plus de tracas que ses propres ressortissants bien qu’ils soient moins nombreux mais comme tous ceux qui sont engagés par le gouvernement persan, ils ne peuvent toucher régulièrement leurs soldes et c’est périodiquement l’occasion de démarches et de réclamations. Pour souhaiter leur fête, nous couvrons l’entrée de la légation de drapeaux suédois et j’orne la salle à manger de fleurs jaunes et bleues ; je veille à ce que les bouteilles de vin et d’eau-de-vie soient en très grand nombre, ces estomacs nordiques ayant une extraordinaire capacité d’absorption. Sauf Gleerup, ils sont assez vulgaires et, s’ils occupent à l’étranger de hautes fonctions, ils seraient pourvus d’emplois plus modestes dans leur pays. Le déjeuner est gai, animé. Tout se passe bien. Quand, tout à coup, j’entends un craquement qui me donne froid dans le dos et je pense : « La chaise ! » À ma droite s’écroule Westdhal ! Je vois deux grosses mains velues couvertes de taches de rousseur qui s’agrippent à la nappe et tout ce qui est dessus, verrerie, argenterie, fleurs, vaisselles s’entrechoquent et commencent à glisser sur la pente. Je fais une sorte de barrage aidée par Marie Ducrocq tandis que Lundberg se précipite vers son supérieur que, malgré sa force, il ne peut arriver à relever. Il faut encore à l’obèse l’aide de deux lieutenants jeunes et vigoureux. Ce matin, j’avais pourtant vérifié la solidité de la chaise en sautant dessus, connaissant la sécheresse de Téhéran, cause du décollage de tous les meubles. Il n’y avait évidemment aucune comparaison entre mon poids et cette masse de graisse. Le général a d’ailleurs l’habitude de telles mésaventures et au moment où je me confonds en excuses, il rit et plaisante assez gaiement sa lourdeur et ses rotondités. Un brave militaire. 17 juin 1921 Une lettre de Corbin34 nous apporte une bonne nouvelle : Bonin serait probablement nommé à une autre poste – du moins le désire-t-il « mais on n’a pris jusqu’ici aucune disposition pour le remplacer à l’expiration de son congé. Tu seras à ton aise quand son successeur sera désigné pour demander autre chose. » Corbin a dîné avec les parents d’H. : « Ils étaient revenus de la perplexité un peu 34  Charles Corbin (1881-1970), cousin d’Henri Hoppenot, alors Chef du Service de Presse aux Affaires Etrangères (1919), plus tard ambassadeur, qui terminera sa carrière en 1940 comme ambassadeur à Londres. Aucun lien avec Henry Corbin l’orientaliste.

Téhéran 1921

527

inquiète où les avaient mis à ton sujet les nouvelles de presse indiquant tour à tour une avance ou un recul des forces rouges autour de la Caspienne. Et comme on se fait à tout, j’espère que de votre côté, vous devez finir par envisager philosophiquement toutes les éventualités quoique la vie n’a pas dû être très rose pendant quelque temps à Téhéran. » 18 juin 1921 Un évêque de Seneh, Mgr Nissan, vient d’arriver ayant été chargé par le pape de faire une enquête sur la situation des chrétiens en Perse, de ceux qui ont fui au moment des massacres d’Ourmiah en 1918. Jusqu’alors ils vivaient en Mésopotamie des subsides de l’Angleterre mais « las de payer des paresseux qui refusent tout travail » comme a dit Norman, ils ont été priés de quitter ce territoire. Alors, ils ont voulu rentrer en Perse, Urmia restant leur terre promise, mais le shah qui ne pense qu’aux attentats possibles, refuse de les laisser rentrer. Mgr Nissan qui a quitté à grand regret ses montagnes vient voir ce qu’il peut faire pour eux. C’est un très bel homme, solide, ancien élève du séminaire de Rome, qui porte une magnifique robe de satin ; sa barbe est d’un noir de cirage et ses yeux brillants et sombres s’humidifient dès qu’il entend le son de sa voix, chaude et convaincante. Il ne semble pas s’être encore rendu compte de la difficulté de la tâche qu’il a entreprise. Hier le maître de cérémonie de Sa Majesté m’a fait demander si je serais libre pour aller prendre le thé demain avec Elle. Réponse : ce serait un grand honneur non seulement pour moi, mais pour Mmes Ducrocq et Wilhelm. Aucune femme de la société ou du Corps diplomatique ne consent à se rendre seule au palais depuis l’aventure arrivée à Mme Lassen. Elle y fut un jour invitée avec son mari mais, sous le prétexte de lui faire enlever son manteau, on la fit passer dans une autre pièce d’où elle fut conduite directement chez le souverain. Lassen, pendant plus d’une demi-heure, attendit dans l’antichambre et ce ne fut qu’après ses protestations que l’on consentit à le réunir à sa femme. Le lendemain le shah envoyait le pendentif d’émeraudes et de diamants habituel. Il y a une quinzaine de jours, le docteur Mesnard, dont la femme est une grande blonde fort jolie, reçut un coup de téléphone d’un des dignitaires de la Cour qu’il connaissait un peu, pour avertir que le shah serait heureux de les recevoir, sa femme et lui le surlendemain pour le thé ; la cérémonie serait très intime et une voiture du palais viendrait les chercher. Pour ces raisons, on lui demandait de ne faire part à quiconque de cette invitation dont la légation de France, non prévenue, pourrait prendre ombrage. Le docteur Mesnard trouva la communication si étrange qu’il vint en parler à H. Il lui a donné le conseil de répondre qu’il était d’usage dans ce cas que le chef du Protocole s’adressât directement à la légation. Depuis, plus de nouvelles !

528

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

19 juin 1921 Accompagnée par mes deux jeunes femmes, je me rends au palais de Farahâbâd où nous découvrons une Majesté transformée, parlant librement et sur un ton familier. Mais abordant les mêmes sujets de conversation : nostalgie de l’Europe, regrets d’avoir quitté Paris : « – Je voudrais tant y vivre . . . Vous ne pouvez pas savoir comme la vie est triste ici. Avant de partir pour Paris, je me trouvais très heureux ; maintenant je n’arrive plus à reprendre les vieilles habitudes. J’aimerais mieux ne pas aller au paradis et vivre à Paris le reste de mes jours ! N’est-ce pas là qu’est le paradis ? » Sans aucune politesse, le shah m’examine de la tête aux pieds. « – Vous avez une bien jolie robe . . . On voit qu’elle en vient. Je me promenais souvent rue de la Paix et je regardais passer des femmes si élégantes . . . et les magasins . . . Quel luxe ! Quelle joie de pouvoir acheter, choisir . . . Ici, c’est pire qu’à la campagne ! » Il s’est abonné à de nombreux journaux de modes et s’amuse à nous décrire les modèles de la saison dernière. Il a rapporté de France une bibliothèque d’un millier de volumes, romans, voyages, etc. et les œuvres complètes d’Alexandre Dumas père pour qui il a un goût très vif : « – Je m’enferme tout seul dans une chambre pour les lire sans être dérangé. » Enfin, avant de terminer l’audience, il dit à brûle-pourpoint à Mme Wilhelm : « On m’a dit que vous étiez très amoureuse de votre mari . . . Est-ce vrai ? » Rougissante, oubliant dans sa confusion la troisième personne et le protocole, elle demande d’un petit ton rageur : « Mais enfin ! qui a bien pu vous raconter çà ? » Et le shah découvrant ses dents éblouissantes, n’en finit pas de rire. Comme les écrevisses, nous nous retirons à reculons. 20 juin 1921 Le Bâzâr est un endroit merveilleux, il n’y a pas à dire. Une vraie ville en partie couverte. Les boutiques des marchands musulmans antiquaires sont groupées dans l’allée principale ; on s’y assied sur des coffres recouverts de tapis épais, on y boit le thé bouillant et amer, servi dans de petits verres et l’on s’en revient dans sa voiture avec des fleurs, du jasmin généralement, entre les doigts. Ce petit peuple persan, malgré des vices fâcheux, est souvent d’une simplicité raffinée (l’on n’en pourrait dire autant des grands personnages frottés d’européanisme), ils sont les rejetons d’une antique civilisation fossilisée ; comme des fils prodigues, ils ont forcé les récoltes et il ne leur reste plus que le reflet d’un passé glorieux d’art.

Téhéran 1921

529

22 juin 1921 Le père Chatelet, sportif, part chaque année accompagné par l’un de ses vicaires faire un voyage à mulet, plantant sa tente auprès d’un ruisseau, pêchant la truite ou chassant la gazelle. Mais cette année, ses chères vacances auxquelles il pense pendant des mois sont remises aux calendes par l’arrivée de Mgr Nissan. Je dis au père Chatelet qu’il m’arrive de taquiner : « Le bon Dieu ne pourra faire autrement que de vous récompenser de vos sacrifices. – Oui, oui ! mais en attendant . . . » Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. 23 juin 1921 Ducrocq a appris le refus des chrétiens d’Urmia d’aller s’installer sur des terres offertes par les Anglais dans la région de Mossoul, il dit : « Ah ! quels braves gens . . . Ils ont refusé de devenir anglais . . . Il faut que nous les aidions. – C’est ce qui a déjà été fait, répond H., on leur a offert la même chose en Syrie et ils ont refusé. – Alors, fait Ducrocq outragé, ce sont des propres à rien ! Ils n’ont aucun intérêt ! » 1er juillet 1921 La tsf vient de nous apprendre que Bonin est nommé ministre à Lisbonne. « Nous ne reverrons plus sa tête de faux témoin, me dit H., Philippe Berthelot a dû trouver comique d’envoyer cet anglophobe dans un pays où l’influence anglaise est puissante ! » Déjà auparavant, il avait été en Égypte et au Canada. Ici, les Français et les Anglais sont soulagés et l’inévitable plaisanterie « Les Portugais traditionnellement gais vont-ils continuer à rire ? » court la ville. 2 juillet 1921 Hier, grand dîner que nous offrons à Mgr Nissan. Il n’avait jamais vu de sa vie et d’aussi près les femmes européennes en grand décolleté et en a été fort désillusionné : « Mais elles n’ont pas de bras, remarqua-t-il, pas de jambes, pas de hanches ! Il faut voir mes chaldéennes . . . Elles, elles sont solides. » Apprenant que Marie Ducrocq, clouée dans son lit par un violent accès de malaria, n’avait pu venir, il s’est écrié, tirant sa barbe noire : « Quand une chaldéenne a la fièvre, elle travaille comme les autres jours. Ce n’est pas étonnant que l’on prenne froid avec des robes sans manches, si courtes et des bas si légers. Même une chaldéenne n’y résisterait pas. Je voudrais que vous puissiez les voir avec leurs gros bas de laine, leurs robes épaisses couvrant leur corps. Elles ne s’arrêtent jamais. » Pauvres femmes . . . 

530

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

3 juillet 1921 Promenade à cheval, suivie un peu en arrière par mes deux cosaques. Je fais un temps de galop sur le chemin en dos d’âne des collines, le chemin sans nom. Soudain un des cosaques me crie quelque chose que je ne comprends pas. Je vois sur la crête une, puis deux sentinelles persanes qui tiennent leur fusil entre les mains et me font des signes. Qu’est-ce encore ? Un nouveau coup d’État ? Je ralentis l’allure autant que la fougue d’Ivors me le permet, il tire, selon sa mauvaise habitude. Il est nerveux et juste à un détour du chemin, il aperçoit un groupe de personnes et fait un magistral écart qui manque de me désarçonner. Fort heureusement, je reste sur son dos et parviens à l’arrêter pour laisser passer les promeneurs. Je n’en puis croire mes yeux en reconnaissant . . . le shah ! Comme tout le monde, je sais qu’il vit en prisonnier volontaire dans son palais et que le seul exercice qu’il pratique est le tennis . . .  Je me rends compte que les collines m’ont caché les cosaques baïonnettes au canon inspectant l’horizon, se déployant, prêts à tirer sur ce qui bouge, conduits par des officiers armés de révolvers, bardés de munitions, surveillant leurs hommes à la jumelle. Chaque personne rencontrée a été priée de rebrousser chemin et si l’on m’a laissée passer, il est probable que mes deux cosaques ont indiqué par leur présence qu’il s’agissant d’une khanoum de légation. Le shah, entouré par des fonctionnaires de sa Cour, s’avance à petits pas, boudiné dans une redingote. Ivors que j’ai arrêté au bord de la route, a ce frémissement de tout le corps que je connais bien et qui ne présage rien de bon, juste au moment où Sa Majesté s’arrête pour me demander « si je fais une promenade », ce qui me semble l’évidence même. Il a craint, me dit-il, que son groupe n’ait effrayé le cheval et de me voir tomber à terre. Comme une mère excuse un enfant insupportable, je lui dis qu’Ivors « ignore tout protocole » . . . Puis je souris et salue espérant qu’il n’engagera pas la conversation sur l’agrément de la température ou la beauté du ciel, sachant bien que je ne pourrai contenir longtemps l’impatience de la bête mais par bonheur, le shah continue son chemin et Ivors, presque emballé, me ramène tambour battant à l’écurie. 4 juillet 1921 Independence Day. Engert nous convie à la cérémonie qu’il organise à la légation des États-Unis et nous découvrons, étonnés, que nous sommes les seuls étrangers, quelques Anglais mis à part, à assister à une fête de famille. Engert, pour être mieux vu, monté sur une chaise, fait un discours sur le génie de la race anglo-saxonne et spécialement des Américains en employant des louanges si hyperboliques que je me sens gênée pour lui. « – Que venez-vous faire ici, seule latine ? me demande Smart. – Des critiques ! »

Téhéran 1921

531

5 juillet 1921 Pauvre Marie ! C’est le second été qu’elle porte sur ses robes de soie un casque colonial acheté à Marseille, qu’elle repeint en bleu lorsque sous le rude soleil persan la couleur commence à s’effacer. Ou bien qu’elle fixe une guirlande de fleurs artificielles depuis longtemps fanées sur son canotier de cheval et part ainsi accoutrée faire sa tournée de visites. Et ce, pour rétablir l’équilibre du budget familial. « Mon mari, gémit-elle, achète sans cesse des tapis de 250 tomans . . . Je n’ai plus un sou pour moi. » 6 juillet 1921 Installation dans la maison de campagne de Shemirân. Ravissante, fraîche. Pour m’y plaire tout à fait, j’ai fait transporter de Téhéran le grand piano à queue, dans le pavillon d’entrée. Bien que je n’en fasse plus que pour moimême, j’aime la musique d’un grand amour inaltéré. Ici pas un seul exécutant ni aucun autre amateur de musique moderne. 16 juillet 1921 Norman et Raymond ont peur de Rothstein. Aux manières brutales du ministre des Soviets, Norman oppose ses petits gestes, sa douceur hypocrite et bien élevée et les Persans surveillent le jeu en riant sous cape. Norman essaie de se faire tolérer sinon aimer : chacun sait, il l’a souvent répété, qu’il hait la musique contemporaine (c’est son droit) mais pensant qu’un rouge ne peut avoir que de goûts révolutionnaires dans tous les domaines, il a dit à Rothstein : « – Et puis, j’admire tellement vos grands génies musicaux, Scriabine et Stravinsky . . . – Moi, répondit l’autre, je n’aime que Beethoven. » 17 juillet 1921 Ziyâ Homâyun. Les Persans, même européanisés comme lui, se laissent tout comme les autres ballotter par le sort. Insh’Allah . . . Mashallâh. Quand le ministre de Perse à Paris, Samad Khan, a coupé sa pension alimentaire et qu’il a dû abandonner ses études, il a accepté sa nouvelle condition avec insouciance, a pris ses repas dans une crémerie, loué une chambre sous les combles d’un vieil hôtel, visité une quantité de maisons de commerce se présentant comme un pauvre persan francophile (ce qu’il est) demandant humblement du travail en avouant qu’il ne savait rien faire. Attitude naïve qui amusait les uns, intéressait les autres. On lui répondait qu’on n’avait rien de vacant mais qu’il devait laisser son adresse. Et, tout à coup, la chance lui sourit : la maison Hachette l’engagea à cent vingt francs par mois. Son imagination, sa finesse, charmèrent ses chefs qui découvrirent aussi le génie de la race persane : le goût du commerce. Et bientôt, chargé de faire tous les achats, il gagna six cents francs. Mais, poussé

532

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

par son goût du changement – le même besoin qui oblige ses compatriotes à voyager sur un âne ou un chameau souvent sans nécessité, depuis des siècles, Ziyâ demanda un congé de six mois dès qu’il eut fait quelques économies. Six mois ! La maison française, dans son incompréhension de l’âme asiatique, lui en offrit deux – et il préféra tout abandonner. Allah n’est-il pas là pour pourvoir aux besoins des croyants ? Et Allah devait veiller car, installé en Haute-Savoie, Ziyâ y rencontra un ministre de France à qui il conta ses aventures qui le fit entrer comme traducteur des journaux arabes et persans au Bureau de la Presse (séparé à ce moment des Affaires étrangères pour voler de ses propres ailes, rue François 1er). Cette tâche agréable lui permit de fréquenter des gens bien élevés et il était heureux quand, à la veille de l’Armistice, le démon du changement réapparut, il partit pour la Perse avec Bonin, puis, laissé tomber par ce dernier, trouve un point de chute chez le Sepahdâr en restant à son service. 19 juillet 1921 Après une longue attente et des difficultés, H. vient d’obtenir du shah une audience pour Mgr Nissan. Le souverain soupçonne les Chaldéens de nourrir de noirs desseins contre sa personne. H. me dit : « – Il est resté solennel et peu aimable. Il a demandé à Monseigneur des renseignements sur la hiérarchie dans le clergé, mais a éclaté de rire lorsqu’on lui a lu la déclaration des Chaldéens de vouloir vivre et mourir en fidèles sujets du shah ! Il n’a voulu faire à Nissan qui l’en pressait aucune promesse quant à leur sort . . . » Lorsqu’ils sont sortis du palais impérial, H. a demandé à Mgr Nissan ce qu’il pensait de Sa Majesté. « – Peuh ! Un enfant de nos écoles comprendrait mieux que lui . . . » 20 juillet 1921 On assiste en ce moment à une curieuse évolution de Rothstein. Il se rapproche ostensiblement de Rezâ Khan – on dit même qu’il lui avance de l’argent pour l’entretien de ses cosaques et s’éloigne des Anglais que jusqu’ici il ménageait. Il y a encore quelques semaines, il disait à Armitage-Smith : « Nous collaborerons » et ne manquait pas d’évoquer le séjour qu’il avait fait comme journaliste en Angleterre, mais le flirt est terminé. En peu de temps, il a su inspirer aux Anglais et aux Persans une sorte de terreur : un butor qui menace et que l’on cherche à apaiser. Il n’a cependant rien fait de très inquiétant ; les Persans l’accusent de poursuivre de sa haine les Russes blancs qui se trouvent encore dans leur pays par tous les moyens, y compris les calomnies et les mensonges, afin de les faire rentrer en Russie où ils seront exécutés comme des traîtres.

Téhéran 1921

533

24 juillet 1921 Quand Mgr Nissan ne peut venir en personne à la Légation, il s’y rappelle par une lettre. Tout d’abord fort cérémonieuse, elle commence par M. le Ministre (Monseigneur, lui-même diplomate oriental, devait penser que ce titre était flatteur pour un chargé d’affaires) ; la formule suivante a été « Cher Monsieur Hoppenot » pour devenir « Cher Hoppenot » ; la formule de politesse finale est devenue « Ardents saluts » (sic !) « – Nous n’avons pourtant pas, me dit H., gardé les Chaldéens ensemble ! » La légation d’Angleterre partage ces privilèges et Ducrocq l’ayant appris, Mgr Nissan lui est devenu suspect. « – Je ne sais pas ce que c’est que ce bonhomme-là, mais il doit être anglophile . . . » Les Persans qui partagent ses suspicions ne sont pas loin de penser que Norman complote avec lui – contre eux. Aussi le pauvre évêque ne sait plus à quel saint se vouer ; il prie et supplie en faveur de ses ouailles et lasse toutes les patiences ; ses paroissiens ne sont ni compréhensifs ni commodes, ils veulent retourner à Urmia envers et contre tout « Si nous n’y arrivons pas, viennent-ils de lui faire savoir, nous deviendrons protestants ! » 26 juillet 1921 Hier, le prince Firuz a donné une réception dans son jardin vers la fin de l’après-midi et il a demandé à Mme de Raymond de venir visiter l’intérieur de sa maison. Leur absence ayant duré une bonne demi-heure, ce matin, tout le monde a félicité le prince « sur sa bonne fortune ! » Quel pays ! 2 août 1921 Georges Ducrocq, qui adore la Perse, cherche à retarder le plus possible l’heure de son départ, bien qu’il ait déjà reçu un télégramme de Philippe Berthelot et plusieurs autres de Bonin pour lui indiquer que sa mission était terminée. Pour la première fois, il s’exprime avec amertume sur son ancien chef : « Il se figure que je n’ai fait fonction d’attaché militaire ici que tant qu’il y a fait fonction de ministre : ce n’est pas une raison parce qu’il est nommé ailleurs pour que j’abandonne mon œuvre . . . » 3 août 1921 Le petit Young a pris l’habitude depuis le départ de sa bien-aimée Miss Caldwell, de me faire des confidences : « – Je suis désespéré » me dit-il aujourd’hui. Ils ont échangé des promesses de mariage et ont juré de s’épouser dans un an au moment où la Banque Impériale lui accordera son congé. Jusqu’à Bassorah (pas très loin) elle lui a écrit, puis ce fut le silence. Young blessé dans son

534

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

orgueil de jeune mâle, étouffe de colère. Il a envoyé des télégrammes enflammés, le dernier avec réponse payée – en vain. « – Dès que j’aurai mon congé, je m’embarquerai pour les États-Unis et alors on verra ! » J’essaie de lui démontrer l’insanité d’une telle poursuite : il oubliera lui aussi : il y a en Grande-Bretagne des jeunes filles qui . . . des jeunes filles que . . . Je pense aussi à tous les séduisants officiers anglais que son ex-fiancée a dû rencontrer aux Indes . . .  7 août 1921 Mathilde Deromps me parle des mœurs et de la vie des femmes persanes qu’elle trouve généralement plus propres corporellement que celles des hôpitaux parisiens non parce quelles ont un goût naturel pour l’eau, mais parce que leur religion leur prescrit des ablutions. En revanche la plupart sont syphilitiques et toutes sont dévergondées. « Il faut voir comme elles courent après les hommes, se font prendre par les domestiques du birun, le mari de leurs amies et même des inconnus. Au Bâzâr, les femmes, aussi bien celles qui portent le tchador de satin que les autres, se font peloter par les boutiquiers et les passants. » Elles les interpellent avec grande liberté de paroles : d’ailleurs, affublées de ce sac, personne ne peut reconnaître leur tournure ou leur visage et elles en profitent. « – Souvent les Persans me parlent de la vertu et de la moralité de leurs femmes : vous pensez s’ils me font rire ! Moi, je sais à quoi m’en tenir, je reçois leurs confidences. Au début, elles poussaient des cris de putois et refusaient d’être visitées mais avec moi, çà ne prend pas : je leur ai dit : « si vous ne voulez pas que je vous soigne, foutez le camp. » Elles s’apprivoisent si l’on ne fait pas attention à leurs simagrées. – Et les hommes ? – Tous des dégoûtants ! On m’apporte souvent des enfants dans un état lamentable, déchirés par ces brutes. L’un de ceux que j’ai soignés avait à peine dix-huit mois ! J’ai fait chaque fois un rapport au ministre, mais le ministre s’en fout pas mal. » Elle a vu souvent des grand’mères de vingt-huit ans, des femmes qui, pour quelques tomans, vendent leurs filles avant qu’elles ne soient nubiles. « – L’autre jour, l’on m’appelle en consultation pour une femme qui a une hémorragie ; les parents et le mari sont affolés. – “Quel âge a-t-elle ? – Douze ans. J’apprends qu’il l’a épousée à onze ans. – C’est pour çà que vous me dérangez ?” leur ai-je dit, “Eh ! bien quoi, c’est qu’elle vient d’avoir ses règles.” Ils ne s’en doutaient même pas les salauds. Qu’est-ce que vous en dites ? Pour un sale pays, c’est un sale pays ! » 8 août 1921 Aziz est devenu notre marchand préféré. Malgré sa roublardise, c’est encore le moins malhonnête des marchands de Téhéran. Son fils, un gamin de quatorze ou quinze ans, l’accompagne parfois dans ses tournées et lui reproche de

Téhéran 1921

535

ne pas vendre assez cher. Aziz éprouve pour nous une visible sympathie. « M. Chas d’affaires, c’est comme mon père ! » Il dit aussi « Hanoun Chas d’affaires, c’est comme ma mère ! » Façon de parler, signe de respect, car il pourrait être notre père à tous les deux. Je lui ai donné la permission de coucher avec son fils et ses deux ânes dans un coin du jardin de la légation et il m’en est reconnaissant ainsi que du verre de charbat que je lui fais servir, cela le pose aux yeux des autres marchands qui ne jouissent pas des mêmes privilèges. Quand son stock d’objets est épuisé, Aziz disparaît pendant un ou deux mois, traversant sur son âne village après village ; parfois on l’attend à l’entrée du désert pour lui faire rendre gorge : on le roue de coups, on vole son argent et il s’en revient les mains vides. Le métier de chineur a ses dangers. 10 août 1921 Mgr Nissan ayant chanté tout l’été des messes d’une voix chaude, veut retourner à Senneh et laisser à H. le soin de continuer des négociations où il a échoué. Sa barbe frétille. « – Il faut me rendre ma visite, nous dit-il, j’enverrai pour vous saluer une escorte de trois cents cavaliers qui vous accompagneront à l’intérieur de la ville. Enfin, enfin, je vais me retrouver chez moi . . . » 11 août 1921 Nous allons rendre visite à la tante du shah qui s’est installée non loin de la propriété qu’elle nous a louée, sous des tentes, entre les arbres et les ruisseaux35. Elle y vit entourée de femmes et d’eunuques, mais nous reçoit le visage découvert, ainsi qu’elle le fait pour les plus importants personnages du pays. L’on dit que le shah, dans les moments difficiles, lui demande conseil. C’est une des rares femmes persanes qui s’occupe – et passionnément – de politique. On nous introduit, H. et moi, sous une grande tente de toile jaune brodée de larges motifs rouges qui lui sert de salon et où, sacrifiant au goût européen, elle a fait apporter une table de jardin et des chaises. Un tchador de satin blanc est posé sur sa tête et, probablement parce qu’H. est un farangi, elle dissimule ses lèvres. Par l’intermédiaire de Siâsi – elle ne parle que sa langue – nous nous apercevons qu’elle a profité de sa haute naissance pour se débarrasser de quelques préjugés, qu’elle parle aigrement des Russes, des Anglais et de leur rivalité dans son pays. Son mari, d’origine plus humble, tremble devant elle, 35  S’agit-il de Tâj os-Saltana (1884–1936), qui passe pour être une princesse fort éveillée à la modernité et dont on a les Mémoires ? Voir Crowning Anguish. Memoirs of a Persian Princess from the Harem to Modernity, 1884–1914, trad. par A. Vanzan & A. Neshati.Washington, Mage, 1993 et Shireen Mahdavi, « Taj al-Saltaneh, an emancipated Qajar Princess », Middle Eastern Studies. – 23 (1987).

536

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

ainsi que toute sa maison. Elle est ardemment féministe, et cherche à propager les théories « subversives », propagande qui, timide encore, commence tout de même à se faire jour. Mais il faudra attendre des années peut-être des dizaines d’années pour libérer les femmes. Elle a dû être très belle et jusqu’ici, c’est la seule que je connaisse qui a pu échapper à la règle sacrée de la séparation complète entre les hommes et leurs compagnes. 14 août 1921 On m’apporte un mouton mort. C’est le quatrième en huit jours. Le berger fait grand tapage et gémit : « Le grand chien l’a tué ! » Il a raconté son histoire au cosaque qui l’a laissé entrer puis au cuisinier à qui il a présenté la victime. « – Il faut le payer », hurle-t-il. J’ai commis la grande faute, sans avoir mené une enquête, de payer les deux premiers moutons morts, ne sachant si l’homme disait la vérité ou mentait ; au troisième, je me suis étonnée, mais aujourd’hui je suis certaine que Dicky, n’ayant pas quitté la maison, ne peut être le coupable. Il y a un mois, alors que je me promenais à cheval, accompagnée par le barzoi, nous avons rencontré un troupeau de moutons et, avant que j’aie pu comprendre de quoi il retournait, le chien, emporté par ses instincts guerriers, a couché à terre trois bêtes et les a mordues dans le gras de leur individu qui, en Perse, est énorme. Une seule étant morte, j’avais fait dédommager royalement le berger, surtout après avoir appris qu’elle appartenait au Shah. Mais l’histoire a été vite connue, et aussi le montant de la somme. Je fais venir le berger devant moi, un assez beau gars à la peau brûlée de soleil, l’œil noir, malin et sournois, avec notre interprète et lui fais demander l’heure à laquelle s’est passé le meurtre et la couleur du chien. Il reste dans le vague – et pour cause – et je lui dis : « – Tu mens . . . Ton mouton est mort de maladie. Le grand chien n’est pas sorti de la maison aujourd’hui. Je suis bien bonne de ne pas appeler la police. Dépêche-toi de filer et dis aux autres : demain j’aurai moins de patience. » Il ne se le fait pas dire deux fois et remporte son mouton dans ses bras. Si je n’agissais pas ainsi, on m’apporterait toutes les bêtes vieilles et malades que l’on me ferait payer au prix fort. Les Persans reprochent quelquefois aux étrangers leur dureté qui est souvent une réaction de défense contre les vols et les mensonges dont ils sont les victimes. 19 août 1921 Avant son départ, Ducrocq achète dans le plus grand mystère les antiquités qu’il cache dans ses malles. Quand il découvre à la légation des objets nouveaux, il ne manque jamais de demander leur prix, mais sans réciprocité. Ici cependant les étrangers éprouvent le besoin de se liguer contre les prétentions des marchands et ne font guère mystère des prix consentis et demandés. L’écart

Téhéran 1921

537

entre les deux est énorme. Ducrocq souffre d’avance des critiques que l’on peut faire : elles gâtent son plaisir et entament la certitude qu’il a de son flair et de ses connaissances. Son impulsivité se manifeste par une précipitation dans ses emplettes mais, à tête reposée, il reconnaît parfois le manque de valeur ou la fausseté de la pièce : « On m’a encore mis dedans . . . » Ses collections ensevelies ne reverront le jour qu’en Europe, où les connaisseurs mondains sont rares et où il pourra affirmer sans crainte d’être contredit : « – C’est Shah ‘Abbas. » De temps en temps, il a des éclairs de goût. 22 août 1921 Norman a été prié de remettre la gérance de sa légation à son conseiller Reginald Bridgeman et de partir le premier octobre. L’ogre du Foreign Office vient de dévorer son second ministre en Perse, depuis notre arrivée. Il est vrai que Norman s’immisçait si visiblement dans la politique persane qu’il gênait tous les politiciens aux ordres de l’Angleterre et qu’il a laissé dans un tiroir, inobservées, des instructions de Londres lui enjoignant de laisser aller la Perse à ses destinées ou tout au moins de les diriger de façon moins ostentatoire. Mais par mouvement acquis, Norman n’a jamais pu se retenir d’expédier Smart auprès du shah pour le prévenir qu’il ne consentirait jamais à ce que Mošir ol-Molk devienne président du Conseil. Mošir ol-Molk a été accusé d’avoir fait tomber le Seyyed Ziyâ od-Din. H. est persuadé que cette dernière démarche a été la perte du ministre d’Angleterre. 24 août 1921 Un Polonais nommé Azrilenko, sa femme et un capitaine Pockhtanof, plus deux autres Russes blancs sont venus prendre le bast à la légation. Une ennuyeuse affaire tombant t sur le dos d’H. car il ne pourra accepter de livrer ces réfugiés aux Bolcheviks. Azrilenko, de plus, est inscrit à la légation de France qui protège officieusement les ressortissants polonais. Il s’est évadé de l’hôpital où il avait été transporté depuis la prison après avoir fait la grève de la faim. Sa femme, au cours d’une de ses visites, lui a remis un paquet contenant des petits outils, il s’est rendu aux lavabos, a agrandi l’ouverture d’aération, monté sur un toit où l’attendaient des amis déguisés en électriciens puis est descendu [aussitôt ?] dans un caravansérail contigu où une automobile les attendait. Elle a eu une panne à mi-chemin de Tajriš et quand le moteur voulut bien repartir, un des hommes dut prendre le volant des mains du chauffeur arménien qui tremblait tellement qu’il ne pouvait conduire. Azrilenko, un ingénieur, est au courant des plans d’espionnage et de la propagande soviétique en Perse ; c’est la raison pour laquelle il est si âprement

538

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

réclamé par Rothstein. Depuis la révolution russe, il a vécu comme une bête traquée. Les Bolcheviks, pour obtenir son extradition, font état de vols qu’il aurait commis à Bakou, d’où il a été relâché faute de preuves. Le gouvernement persan, malgré les promesses faites, avait l’intention de le remettre à Rothstein. 25 août 1921 Hier, le président du Conseil a envoyé une lettre à H. pour lui demander de livrer les réfugiés, son refus pouvant amener de graves difficultés pour la Perse. H. lui répond qu’il ne se soucie pas de donner asile à des voleurs, que si la moindre preuve était faite contre eux, ils les livrerait immédiatement, mais qu’il demandait au gouvernement persan de les juger selon la juridiction du pays et de ne pas les livrer à une puissance étrangère. Un officier persan est allé présenter des excuses à Rothstein qui s’est mis violemment en colère. Aujourd’hui, un de ses secrétaires est allé porter une note écrite de sa main au ministre des Affaires étrangères contenant des menaces : si dans trois jours il ne récupérait pas les réfugiés, les navires russes bombarderont la côte de la Caspienne et il demanderait ses passeports. On ne badine pas chez les Bolcheviks et les Persans commencent à découvrir que le règne des Anglais avait ses bons côtés. 26 août 1921 Rothstein a été trouver le shah et lui a posé un véritable ultimatum : « Si je pars, lui a-t-il dit, une armée viendra à ma place. » Les réfugiés mènent à la légation une vie tranquille, installés à l’entrée dans un petit pavillon. Les hommes fument ou jouent aux cartes. Mme Azrilenko, une très jolie femme, est extraordinairement calme et cependant son enfant et son père sont encore entre les mains des Bolcheviks qui ont refusé de les laisser partir. Elle ne se plaint ni ne pleure – et je l’admire. 27 août 1921 Raymond, devenu depuis le départ de Caldwell le doyen du Corps diplomatique, cherche à servir d’intermédiaire dans l’affaire Azrilenko et à apaiser la colère de Rothstein. Il paraît que ce dernier, ému (ce crocodile !) par la détresse du shah, a consenti à retarder un peu l’échéance de son ultimatum, mais en revanche a exigé la livraison de Mme Azrilenko ainsi que celle du capitaine Pockhtanof qui l’a aidé à s’évader, la démission du ministre persan des affaires étrangères et enfin le rappel d’H. Le shah a consenti en tout cas à remplacer son ministre. Raymond est flatté de l’importance que lui donne d’une façon inespérée l’incident, tout en avouant qu’il a peur du fauve bolchevik et que, devant le

Téhéran 1921

539

rencontrer, il a été incapable de manger l’œuf de son petit déjeuner. Il a expliqué à Rothstein que les diplomates de carrière emploient généralement d’autres menaces que les siennes et a ajouté que pour sa part, il ne supporterait pas qu’une femme soit livrée et qu’au besoin il lui offrirait un asile dans sa légation. L’autre a répondu : « On vous connaît ! C’est parce qu’elle est une jolie femme ! » Quant à Sardâr Sepah (Rezâ Khan), il a eu l’intention d’envoyer une compagnie de ses cosaques à la légation de France avec l’ordre de s’emparer des fugitifs coûte que coûte. Le président du conseil a pu l’arrêter à temps. 28 août 1921 Entezâm ol-Molk, le secrétaire général des Affaires étrangères, vient de tenter d’obtenir d’H. la promesse que les réfugiés ne s’évaderaient pas. Le dernier lui demande : « Pourquoi n’avez-vous pas su les garder ? » Cet après-midi des cosaques en armes ont entouré la Légation. L’officier qui les commande connaît de vue Azrilenko et a l’ordre de s’en emparer s’il tente de fuir. Mais où serait-il plus en sûreté qu’à la Légation, le malheureux ? 29 août 1921 H. a été voir Sa Majesté sur sa demande. Il lui a expliqué l’affaire dans tous ses détails. Le shah a déclaré : « Jamais je ne romprai avec la France, je vous en donne ma parole d’honneur. Je veux pouvoir y retourner. Mais il y a mes ministres . . . » Il a également donné sa parole d’honneur à Rothstein qu’il ne romprait pas avec la Russie. 30 août 1921 On ne voit pas encore comment se terminera cette ennuyeuse affaire. H. ne reçoit aucune instruction du quai d’Orsay dont les chef préfèrent lui laisser prendre toutes les responsabilités afin de pouvoir le désavouer si elle tourne mal. Il vient de recevoir un télégramme chiffré dans une table que la légation ne possède pas et la répétition qu’il a demandée lui arrive brouillée ! Lettre de mon beau-père qui annonce que Philippe Berthelot a été fort attaqué pour les imprudences de gestion de son frère qui dirigeait la Banque industrielle de Chine. On se demande si sa carrière y survivra. Il ne donne malheureusement aucun détail. Ils semblent avoir été très impressionnés par la crise de malaria d’H., il y a quelques mois, et dont il a eu la chance de se remettre complètement grâce au traitement de cheval de Wilhelm qui, à Dakar, a pu étudier cette maladie.

540

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

31 août 1921 Le prince Argoutian, ancien ministre d’Arménie, généralement bien informé sur ce qui se trame en ville, prévient H. que les marins rouges de Rothstein, exaspérés par la temporisation du gouvernement persan à livrer les prisonniers, veulent tenter un coup de main sur la Légation et s’emparer d’eux morts ou vifs. H. reste sceptique, mais il en obtient, par un autre indicateur, la confirmation. Le coup doit être tenté soit cette nuit, soit la nuit prochaine. Les Bolcheviks connaissent l’emplacement et ont même le plan du pavillon habité par les Azrilenko : ce sera pour [eux] un jeu d’enfant pour l’encercler et l’envahir. Ducrocq à qui H. fait part de ces détails hennit de joie comme un cheval devant lequel on vient de déposer de l’orge. « Je vais, dit-il, visiter la maison principale ». Il part en courant et revient : « On pourra, juge-t-il, tirer des deux côtés ; ce sera une belle bataille ! » H. le calme de son mieux : il ne désire pas de massacre. Il téléphone à Raymond pour le mettre au courant et celui-ci affolé court chez le président du conseil pour lui demander d’assurer d’urgence la protection de la légation de France. Il en revient avec la promesse que les Persans enverront des troupes de Qasr-e Qâjâr, distant de notre maison par quelques kilomètres. Nous calculons que, même en faisant diligence, ce qui n’est guère dans les habitudes du pays, elles ne pourront arriver avant minuit. Mais il est probable qu’entre temps, Rothstein sera mis au courant et saura que tout effet d’attaque surprise est impossible. Puis H., cédant aux instances de Ducrocq, l’autorise à passer la nuit en notre compagnie ainsi que sa femme. On distribue des armes au personnel et aux cosaques de la porte d’entrée, sans avoir d’illusions sur leur bravoure, sachant bien qu’au premier coup de feu, ils s’égailleront dans le jardin comme une bande de moineaux. On fait déménager les réfugiés qui s’installent dans le pavillon principal. Ils prennent calmement les nouvelles et la jeune femme chantonne. Azrilenko a toujours en sa possession un révolver chargé que personne au cours de sa détention n’a osé lui enlever et déclare qu’au moindre bruit il se précipitera dans le parc et que, derrière un arbre, il « vendra chèrement sa peau. » La perspective d’une telle lutte dans une propriété où nous venons de passer quelques semaines calmes et heureuses nous atterre. Les murs d’enceinte, de boue séchée, sont par endroits écroulés et il sera facile aux marins de le franchir. En fumant des cigarettes, nous attendons tous les quatre et écoutons silencieux les bruits de la nuit, bruits très faibles aboiement des chiens, cris lointains des chacals et le chant des grenouilles dans l’herbe au bord des bassins. Oseront-ils venir ?

Téhéran 1921

541

1er septembre 1921 Notre veillée s’est terminée ce matin à une heure et demie. Veillée assez angoissée. Nous commencions à tomber de sommeil quand nous avons entendu des piétinements, des souffles de chevaux, des appels rauques : les cosaques de Sardâr Sepah. Ils se sont immédiatement déployés dans le parc, mais aujourd’hui ils s’installent dans des tentes à l’extérieur de la légation, parquant leurs montures près des murs. Ils ont reçu l’ordre de défendre la maison contre une attaque des Rouges, mais aussi de s’opposer à l’évasion des prisonniers. 2 septembre 1921 Cette soldatesque ! . . . Je sors pour promener Ivors, rendu nerveux par le repos. Un soldat dirige la pointe de sa baïonnette vers ma poitrine, puis il demande à mon garde personnel : « Ce n’est pas la khanoum Azrilenko ? » Sur sa réponse négative, il me laisse passer et j’en profite pour me plaindre à l’officier commandant le détachement qui m’assure « que l’incident ne se reproduira pas . . . » Tous ces chevaux attirent des essaims de mouches. 3 septembre 1921 Au moment où H. avait la conviction que le quai d’Orsay ne répondrait pas à ses télégrammes, il en reçoit un qui le laisse pantois : il doit, lui dit-on, réclamer au gouvernement persan un passeport pour . . . Azrilenko ! L’humour n’étant pas la qualité dominante de ses chefs, H. pense qu’ils n’ont rien compris à ce qui se passe. Mais, riant sous cape, il se rend au ministère des Affaires étrangères et fait part de ses instructions. Les Persans qui n’ignorent pas la lâcheté du Département devant tout ce qui risque de devenir une affaire, ne doutaient pas un seul instant que le chargé d’affaires serait désavoué et que l’ordre lui serait donné de relâcher les prisonniers. 4 septembre 1921 Le ministre des Affaires étrangères persan ayant promis de « ne pas livrer le couple à une puissance étrangère », H. se déclare satisfait. Un tribunal persan jugera les accusés qui, même condamnés, demeureront en Perse. Il est impossible de soustraire à sa justice le ressortissant d’une nation qui ne jouit pas du régime des capitulations. Mais à présent, il restera à convaincre le fauve bolchevik qu’il doit accepter cette solution. 5 septembre 1921 Azrilenko nous conte quelques-unes de ses aventures : en 1917, il était employé à démonter les usines militaires et à surveiller les transports quand, vers la fin du mois de novembre, il fut fait prisonnier par les Bolcheviks et retenu en prison pendant quatre mois. Relâché, il alla chercher sa femme, son enfant

542

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

et son beau-père à Saint-Pétersbourg et arriva avec eux en Russie du sud. Le général Denikine le nomma chef de la fabrication des munitions à Taganrog, mais, atteint du typhus, il ne put partir quand les Rouges arrivèrent. De nouveau jeté en prison, de nouveau relâché. Alors, avec sa famille, il se rendit à Bakou et, chargé de l’électrification des casernes, il fut accusé de malversations et encore emprisonné. Puis il reçut l’ordre de conduire à Bandar-Bušehr un pétrolier pour l’échanger contre du bétail et du riz ; en même temps on lui confia une mission de propagande en Perse et le plan d’un réseau d’espionnage élaboré par Moscou. Il eut la permission d’emmener sa femme mais dut laisser en otages le beau-père et l’enfant. Sa mission terminée, Azrilenko se préparait à envoyer sa femme les chercher à Bakou quand il fut appelé sur un bateau de guerre qui venait d’entrer dans le port où l’un des officiers qu’il connaissait l’avertit que les Bolcheviks avaient décidé de l’arrêter, que probablement il ne lui serait pas permis de descendre à terre. Maîtrisant toute émotion, Azrilenko demanda l’autorisation d’aller chercher en ville le ravitaillement de l’équipage puis il s’enfuit à Astarâbâd avec sa femme, demanda audience au gouverneur Qâ’em-Maqâm, à qui il révéla le plan d’espionnage. À Téhéran, le président du conseil prévenu et intéressé lui fit dire qu’il serait bien accueilli dans la capitale. Azrilenko eut la prudence de venir s’inscrire à la légation de France comme sujet polonais car, dès que Rothstein eut vent de sa présence, il le réclama voulant le faire passer en jugement à Bakou sous l’inculpation de désertion et de vol. L’issue du procès n’eût pas été douteuse. Le gouvernement persan s’opposa tout d’abord à sa livraison sous le prétexte que le traité du 26 février privait la Russie de ses droits avec la juridiction en Perse. Mais Azrilenko avait été arrêté par le Sardâr Sepah qui ne désire point contrarier le ministre bolchevik. Ce n’est qu’en faisant la grève de la faim qu’Azrilenko a pu s’échapper de l’hôpital. 8 septembre 1921 Rothstein paraît calmé. Il a sans doute conscience d’être allé trop loin, car il a dit à Raymond : « Je ne suis qu’un journaliste, je ne connais pas la diplomatie . . . », peu après, il a ajouté : « Je n’en veux pas à M. Hoppenot : je serais heureux de lui serrer la main. » 10 septembre 1921 Les Azrilenko ont quitté leur pavillon ce matin, sont montés dans deux voitures envoyées par la police persane ; ils seront gardés par elle avant d’être jugés. Leur acquittement est à peu près certain. Ils doivent à H. d’être en vie et ont eu de la chance. Mais le quai d’Orsay comprendra avec retard la gravité de cette affaire et pourrait bien en garder rancune à son chargé d’affaires.

Téhéran 1921

543

11 septembre 1921 Promenade à cheval en compagnie d’Engert. Nous croisons la splendide limousine du représentant des classes ouvrières de la Russie. Il y est confortablement installé. Son chauffeur en tenue impeccable se hâte d’accélérer dès qu’il nous aperçoit et de lâcher deux ou trois coups de clackson derrière les croupes des chevaux. Il est coutumier du fait et son ministre n’intervient nullement pour l’en empêcher, mais se retourne pour voir si les cavaliers sont toujours sur leur monture. Ce jeu de quille lui semble spirituel sans doute ? Ivors ne fait qu’un écart de côté, mais le cheval d’Engert, peureux, se dresse comme au cirque sur ses pattes de derrière et manque de le désarçonner : « – Beast ! Voyou ! pedarsoukhteh ! (fils de chien)36 bégaie Engert que je n’ai jamais vu dans une telle fureur. Je suis heureux de n’avoir aucune relation diplomatique avec ce barbare, car je n’aurais pu m’empêcher de lui envoyer un direct sur son mufle ! » 12 septembre 1921 Mahine qui a épousé le Vali‘ahd est malheureuse en ménage et le bruit de leurs disputes retentit dans l’andarun. Il fallait s’y attendre. Le prince, très épris, lui avait dans sa joie de posséder une femme élevée en Europe, promis de répudier ses concubines et il a fait pendant une semaine l’admiration de ses familiers en ne la quittant pas et en chantant ses vertus, mais peu à peu, il a revu ses danseuses, ses anciennes maîtresses et repris la vie qu’il menait étant célibataire. La dernière fois que j’ai vu les deux sœurs, c’était six jours avant leur mariage quand elles vivaient encore dans la maison paternelle, attendant que la semaine s’écoulât pour assister au repas de noces offert par les beaux-parents, à l’issue duquel elles devaient être réunies à leurs maris, conduites dans leur nouvelle demeure ayant l’autorisation pour l’unique fois de leur vie de rester dévoilées. Houma, qui devait partir le surlendemain pour Ispahan, faisait ses malles et le jeune ménage, selon la coutume, s’apprêtait à passer la lune de miel dans un jardin aux environs de la ville. Depuis, aucune nouvelle. 14 septembre 1921 La jolie petite Mme Wilhelm ne peut contenter ses désirs – bien naturels – de porter à chaque saison une ou deux robes neuves, son mari ayant d’excellents arguments pour lui démontrer qu’elle n’en a nul besoin. « – N’es-tu pas assez jolie comme cela ? » lui demande-t-il. Elle me fait un peu pitié quand, au Club ou dans des grands dîners, elle apparaît dans son unique robe décolletée tout de même un peu usagée. « – Tu sais bien que je t’aime pour toi-même, lui dit son 36  Pedar suxté, litt. « ton père est brûlé » (c’est-à-dire en Enfer).

544

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

mari, et non pour la parure . . . » Il gagne cependant beaucoup d’argent, mais se refuse à le dépenser. Pour ne pas avoir à rendre les invitations, ils se sont terrés chez eux tout l’hiver dernier. Quand elle va faire des achats au Bâzâr, le docteur lui donne . . . deux tomans, en disant : « Ne dépense pas tout . . . Rapporte la monnaie ! » 16 septembre 1921 Grands commentaires à Téhéran sur la liaison de Reginald Bridgeman avec la femme d’un professeur français, Mme Audigier, une caillette pourvue d’aimables rotondités, rappelant probablement à son amant les femmes de 1830, époque qu’il admire tellement. Il a loué pour leurs ébats une petite maison dans la campagne et le tout Téhéran en a été immédiatement informé. Le mari a appris l’événement avec grâce ; un barbon dignitaire d’une loge franc-maçonnique. Il vient de tomber malade, a été soigné avec dévouement [par] les deux complices et a guéri. Mme Audigier qui narre devant un auditoire les angoisses qu’elle a ressenties dit, jetant à Bridgeman un regard reconnaissant : « – Hélas . . . nous avons bien failli le perdre ! » Ziyâ Homâyun s’apprête à partir pour l’Afghanistan avec les Foucher ; il est las de la vie familiale, à demi-ancillaire, qu’il mène chez le pauvre Sepahdâr. Foucher, l’archéologue, est un être charmant, spirituel, d’une politesse raffinée, qui n’appartient plus à ce siècle. Venu des Indes, il se rend avec sa femme, une de ses anciennes élèves, à Kaboul pour y organiser des fouilles. Elle le dorlote comme une poupée et, intelligente elle aussi, ils forment le ménage le plus agréable que nous ayons rencontré en Perse. Mais que d’imprudences ils se préparent à commettre ! . . . Nous sommes péniblement arrivés à les convaincre qu’ils ne peuvent entreprendre un voyage dans un pays où les étrangers sont non seulement dévalisés, ce qui est le moindre mal, mais souvent assassinés sans s’assurer le concours d’un secrétaire-interprète fidèle et dévoué. Et le bon Ziyâ a été agréé. 21 septembre 1921 La solitude de l’été aidant, Engert est pris d’une véritable passion épistolaire et il lui arrive même d’écrire à des femmes qu’il connaît peu, comme Mme de Raymond. Elle vient d’en recevoir une invitation ainsi conçue : « Venez, je vous prie, déjeuner avec moi. Nous nous roulerons ensuite dans l’herbe et nous verrons si nous sommes encore assez jeunes pour grimper aux arbres . . . » Ah ! ces Américains . . . Marie Ducrocq en reçoit des lettres à rendre Georges jaloux (ce qui ne lui déplaît pas) et elle a subi un commencement de scène de ménage : « Tu as sûrement encouragé ce garçon pour qu’il se permette cette familiarité . . . J’ai remarqué que tu danses trop souvent avec lui . . . » Peu après

Téhéran 1921

545

ceci, Engert est venu lui rendre une visite lorsqu’elle était absente et a laissé un billet avec cette phrase soulignée trois fois : « J’étais venu pour vous voir ». Il n’y a pas là matière à se scandaliser. Je reçois aussi des lettres me traitant de cruelle, mais Engert n’étant ni un don Juan, ni un Machiavel, il faut voir là des manifestations de son éducation américaine plutôt que des espoirs qu’il pourrait nourrir. Mais allez donc convaincre une femme qui laisse brûler comme un encens sous le nez de son mari les hommages des hommes afin de lui prouver qu’elle n’est pas négligeable ! « – Savez-vous, me dit Marie, qu’Engert monte au moins une fois par semaine au Towtchal37 ? C’est sûrement pour apaiser son tempérament . . . » Téhéran est un poste dangereux pour un célibataire diplomate qui n’est ni un homosexuel ni un impuissant, car la syphilis y est la monnaie courante de l’amour vénal. Pendant qu’il soulève ainsi sans s’en douter les commentaires des honnêtes femmes, Engert gravit les pics de la région en compagnie d’un guide et ces ascensions se terminent par des chutes et des dégâts ; il a longtemps souffert d’une côte défoncée. Je lui en demande des nouvelles, il me répond : « Elle pleure toujours ! – Oh ! la pauvre petite ! » Il lui faut toujours un bon moment pour comprendre l’ironie et il réplique invariablement : « Que vous êtes méchante ! » 24 septembre 1921 Youssef nous apporte un tapis à l’aniline et comme nous nous moquons de lui, nous fâchant un peu en disant : « Vraiment tu perds ton temps et le nôtre », il répond : « Çà ne fait rien . . . je vais le porter à Anglais ». L’Allemagne, en inondant le marché persan de produits chimiques, a gâché toute la production de tapis. L’aniline coûte moins cher que les teintures végétales, on peut l’employer immédiatement et les rouges, les bleus et les verts partent au lavage ou au soleil. Les marchands, pour essayer de vieillir leurs tapis de quelques dizaines d’années supplémentaires, les étalent dans les allées du Bazar pour que, piétinée par les chameaux, mulets et passants, la laine devienne plus rase. Les tapis anciens se raréfiant d’année en année, certains sont suivis d’acheteur en acheteur et, tout comme celle des tableaux célèbres, leur histoire est connue. Cependant, les tapis sont aussi indispensables aux Persans qu’un lit ou une table à un Européen ; les femmes les apportent en dot après les avoir tissés elles-mêmes ou les commandent si elles sont riches. Lorsqu’un grand propriétaire a besoin d’argent, il vend soit des manuscrits soit des tapis, quelquefois les femmes de son andarun s’en emparent à son insu et les troquent contre des colifichets. Sauf, m’a-t-on dit, dans certaines mosquées où les étrangers ne 37  Un des sommets de la chaîne de l’Elbourz, au-dessus de Téhéran, 3 870 mètres d’altitude.

546

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

peuvent les voir, les tapis du 16e ou même du 17e siècle sont introuvables en Perse. Ils sont chez les collectionneurs ou chez les grands marchands du Caire ou Constantinople. 25 septembre 1921 Raymond vient de tomber malade : les chocs répétés de ces derniers mois, l’avance des Bolcheviks, l’arrivée de Rothstein, la chute du Seyyed, l’affaire Azrilenko. Il a demandé un congé à son gouvernement. Réponse : il devra attendre l’arrivée d’un secrétaire . . . Or, il ne veut à aucun prix de celui que vient de nommer son ministre des Affaires étrangères. « – Je ne sais pas ce qui leur prend à Bruxelles, me dit-il, croyez-vous qu’ils veulent m’envoyer un petit jeune homme que je ne connais pas, qui n’a aucune fortune personnelle (et là il pense peut-être au service de verre et de vaisselle qu’il espère revendre un bon prix à son successeur ?), aucune situation . . . Quand les intérêts que la Belgique doit défendre ici sont si importants . . . – Je vous plains de tout mon cœur », dis-je. Et il me remercie sans s’apercevoir que je me moque de lui. Sa femme, en riant et en faisant onduler ses belles épaules, me donne la vraie raison de son refus : « Mon mari ne décolère pas, parce que le secrétaire que l’on voulait nous envoyer sort du cadre consulaire. Il a demandé quelqu’un de plus sérieux (sic !) et surtout un diplomate de carrière. » On vient de nommer le comte de Lalaing. Et si ce gentilhomme se décide à rejoindre son poste, tout sera pour le mieux. 26 septembre 1921 Lettre de Jacques Pieyre38 du 10 août pour nous remercier de l’envoi de ses affaires. « Je vous annonce si vous ne le savez déjà que c’est Prévost qui est nommé à la place de Bonin parti déjà pour son nouveau poste de Lisbonne. » Prévost est un homme aimable et facile à vivre avec lequel vous vous entendrez parfaitement pendant la fin de votre séjour à Téhéran. Car je pense bien que, un peu après son arrivée, vous aurez à votre tour un congé longuement attendu. » 30 septembre 1921 H. reçoit une lettre de Modir ol-Molk qui semble touché aux larmes de ce que j’aie été hier prendre de ses nouvelles et parle de « la reconnaissance d’un vieux serviteur et ami de la France pour qui je garderai toujours une grande admiration. 38  Secrétaire à la Légation, prédécesseur de Henri Hoppenot (note de M.-F. Mousli).

Téhéran 1921

547

» En effet, depuis trois jours, j’entends (dire) de sources différentes que j’étais poursuivi de la haine de ceux qui sont jaloux de mon succès et on aurait décidé de me faire arrêter. Je n’ai pas peur comme tout homme qui a la conscience tranquille mais je regrette de voir l’immoralité de mon pays qui, de plein gré, désire démolir ses meilleurs serviteurs dévoués. Étant en Orient, je suis fataliste et j’attends mon qesmat39. » 1er octobre 1921 Mes flacons vides ayant contenu de l’eau de Cologne ou des parfums disparaissent mystérieusement et par une petite enquête, j’apprends que les domestiques les vendent au Bâzâr où on les remplit d’une eau vaguement parfumée à l’eau de rose puis que les colporteurs vont d’andarun en andarun les proposer aux recluses. Ils affirment, montrant la marque, qu’ils arrivent de Paris – et ils les font payer en conséquence. 3 octobre 1921 Smart me dit que Norman est parti sans tambour ni trompettes de Téhéran, qu’il a caché son départ jusqu’au dernier moment, acceptant un dîner de Raymond fixé une semaine après la date choisie. Naturellement tout le monde connaissait par les bavardages de ses domestiques tous les détails de préparatifs qui ne laissaient subsister aucun doute sur ses intentions. Son départ a eu lieu de grand matin afin que les chers collègues, les amis, les Persans n’aient pu y assister. Seul le personnel de la Légation était présent. Tout d’abord Lord Curzon avait, à la demande de Norman, consenti à ce qu’il présentât son départ comme s’il s’agissait d’un congé, puis, se ravisant, il lui intima l’ordre de demander l’agrément pour son successeur Sir Percy Loraine. « – Comment est-il celui-là ? – Beau, très beau, répond Smart. Grand amateur de femmes. Plus très jeune. Mais à Rome il avait les plus grands succès. » 5 octobre 1921 Lettre de Fernand Pila, ministre au Siam, à qui H. avait demandé s’il y aurait éventuellement un poste là-bas pour lui : « Vous devez renoncer à Bangkok jusqu’à votre grade de ministre. D’après le plan de réorganisation que j’ai proposé au ministère, et qu’il a enfin adopté, le poste ne comporte plus de secrétaire, mais il y aura désormais un consul adjoint, M. Topenont (presque un homonyme) qui sera chargé des gérances. Le ministre devient de la sorte plus mobile et c’est 39  « Destin », littéralement, « ma part ».

548

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

ce qu’il faut dans ces pays. Mais en attendant, pourquoi n’iriez-vous pas faire un petit tour à Pékin ou Tokyo ? Voilà qui serait encore meilleur. » Certes ces deux pays me tenteraient . . . surtout le premier. « Depuis votre lettre déjà ancienne – mais n’avons-nous pas entre nous comme vous dites les deux tiers de l’Asie plus himalayens que jamais ? De grands événements se sont passés, surtout pour vous. Bonin vous a été enlevé au grand déchirement de votre cœur sans doute, et je ne crois pas que les Portugais, qui le tiennent maintenant l’entraîneront jamais à leur suite dans une nouvelle conquête de l’Asie. Vous n’avez donc pas à redouter le moindre retour de flamme. » J’étais sans le savoir en compétition avec votre ancien chef pour le poste de Pékin et voilà pourquoi a réussi un troisième larron. Je n’en suis pas fâché aujourd’hui car je me suis senti tout d’un coup saturé d’Asie et Paris retrouvé m’aurait vite consolé de Pékin perdu. Je prévois que mon retour est une affaire de cinq ou six mois encore. Je souhaite que le printemps parisien opère sur vous un aussi effectif attrait. » 6 octobre 1921 Réinstallation à Téhéran pour un séjour qui sera de courte durée, puisque Prévost a annoncé son arrivée dans le courant de décembre. Après ces longs mois sans pluie, ce soleil et cette pureté de l’air, retrouver la ville poussiéreuse et laide ne me dit rien qui vaille. Et puis, si nous ne pouvons partir immédiatement dès l’arrivée du ministre, il nous faudra trouver une autre demeure. H. qui, avec l’aide de quatorze mois de gérance, a pu combler le déficit de ses neuf mois de secrétaire tout en se constituant, comme il dit « une petite collection de tapis », ne désire plus « faire de vieux os en Perse. » 8 octobre 1921 Un médecin, un hakim, amène au docteur Wilhelm une de ses clientes dont l’état nécessite une intervention dangereuse sinon mortelle. Il consent à la tenter mais craignant qu’une suppuration ne se produise, il laisse un drain dans la plaie. Et chaque fois qu’elle vient se faire panser, la femme insiste pour qu’il le lui enlève puis, devant ses refus, finit par lui dire : « L’opération n’a pas réussi et vous m’avez donné un abcès. Le [docteur ?] persan me l’a dit. » Écumant de fureur, Wilhelm se précipite chez le hakim avec l’intention de lui donner une correction, mais ne le trouvant pas, fait irruption chez le ministre de l’Instruction publique à qui il raconte l’histoire et lui donne à choisir entre deux solutions : instituer une commission médicale dont les membres déclareront que leur confrère a trahi le secret médical, qu’il n’est qu’un âne (sic) ou recevoir une raclée. Le ministre, voyant qu’il ne peut composer avec cet homme irascible, préfère la première solution et l’on réunit la commission demandée.

Téhéran 1921

549

Aussitôt l’arrivée de Wilhelm, le médecin persan se jette vers lui et déclare qu’il n’a pu tenir de pareils propos, que la femme est une menteuse. « – Alors, dit Wilhelm, je désire que l’on déclare que si un médecin s’était exprimé ainsi, il ne pourrait être qu’un âne ». Mais les membres de la commission, sachant bien à quoi s’en tenir, supplièrent Wilhelm qui cette fois s’est incliné, de se contenter de la parole d’honneur que le hakim venait de donner comme preuve de son innocence. 14 octobre 1921 Le poste d’attaché militaire près la légation de France ayant été supprimé, les Ducrocq ont dû faire leurs préparatifs de départ. Ce matin, tous leurs amis sont été réunis pour leur souhaiter bon voyage, qui avec des fleurs, qui avec des bonbons dans les mains. Mais on les voit courir affolés, d’une pièce à l’autre, ficelant un paquet, fermant une malle, offrant en raccourci l’image de leur vie désordonnée. Ce qui a tout compliqué, c’est que Georges a décidé, il y a seulement quelques jours, de faire emballer une partie de sa bibliothèque composée de pesants volumes sans valeur et dont le prix de transport jusqu’en France risque d’être plus élevé que leur rachat ! Le chauffeur de la voiture de louage arrive et, quand il voit l’amoncellement de choses diverses, il pousse un cri, proteste et refuse de partir. « – Alors, dit Georges, attendons à demain . . . » (ils emmènent leur cuisinier). Et il rentre dans la maison où les planchers disparaissent sous les journaux et les vieilles revues. Les amis laissent les fleurs et les bonbons en promettant de revenir. Personne ne connaît encore la direction que les Ducrocq vont prendre et qu’ils tiennent cachée – il n’y en a que deux de possibles – car le capitaine redoute « un sale coup des Bolcheviks. » 15 octobre 1921 Second départ. Ducrocq s’est résigné à confier à un camionneur son supplément de bagages puis il remet à H. un paquet de livres avec cette recommandation : « Vous les remettrez à un Persan qui me les a confiés. – Mais à qui ? insiste H. – Je ne sais pas pourquoi . . . Je ne peux pas me souvenir de son nom ! » 16 octobre 1921 Au cours de leurs vingt-quatre heures supplémentaires de séjour à Téhéran, les Ducrocq ont eu des démêlés avec leur propriétaire, le dentiste Stumpf, qui leur a reproché « d’avoir fait dévaster systématiquement sa maison par leurs six chiens, d’avoir bu le vin qu’il avait laissé, bu sans autorisation un vin qui prenait de la bouteille et que je conservais pour mes vieux jours . . . » Il a fait comparaître son jardinier et lui a reproché l’état d’abandon dans lequel il avait

550

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

retrouvé son jardin et ses roses et l’autre, sentant venir les coups, a pleurniché et répondu qu’avec des animaux courant comme des diables sur ses plate bandes, il lui était impossible de faire pousser des fleurs. Marie, qui assistait à la scène, a protesté, indignée, et finit par dire du jardinier : « Ne le croyez pas : il ment comme un arracheur de dents . . . » Le dentiste suisse salua. 18 octobre 1921 Voulant faire arranger un de mes chapeaux « pour la saison d’hiver » chez Mme Jacoulet, je trouve sa porte close. Je m’informe auprès de ses voisins qui m’apprennent qu’elle a dû quitter la ville sur l’ordre de ses esprits et que l’on ne sait quand elle reviendra : son âme sœur voyage et elle a été obligée d’aller à sa rencontre. 20 octobre 1921 Lorsque nous étions à la campagne, il y a deux mois, et que nous avions un grand déjeuner, un marchand d’antiquité est venu nous présenter un tapis quatre saisons Yamouth dont les tons bleus et rouges étaient si ardents qu’H., subjugué, lui demanda de le laisser. Mais l’autre, prétextant un besoin urgent d’argent, voulut avoir tout de suite une réponse et pour ne pas le laisser échapper, H. l’acheta. Le lendemain, vraiment stupéfaits par ces couleurs si fraîches, extraordinaires de beauté, il lui fit subir dans un petit coin un lavage qui ne décela aucune supercherie. Mais, doutant toujours, il consulta le fidèle Aziz qui lui dit : « C’est qu’on l’a peint poil par poil, M. Chas d’affaires. » Et peint par un artisan si patient et habile qu’aucune bavure ne pouvait révéler la supercherie. « – Mettons-le de côté, dis-je à H., le marchand reviendra un jour ou l’autre et nous pourrons le changer. » Il se présente aujourd’hui (ce n’est pas un de nos habitués) avec un très beau Varâmin et H. lui donne un chèque – diminué du prix du quatre-saisons peinturluré – et d’un léger rabais sur le prix du second tapis et il lui dit : « – Celui-là, tu peux le reprendre, tu nous as trompés . . . je te conseille d’accepter, sinon je te ferai boycotter par tous les Européens en leur racontant l’histoire ! » Ici, il faut savoir attendre. 8 novembre 1921 H. vient d’apprendre qu’il a été nommé à . . . Santiago du Chili ! L’Amérique du sud ne me tente guère bien que j’aie gardé de l’expérience brésilienne un souvenir éblouissant et nostalgique. J’aurais préféré un poste en Extrême Orient. « – Peut-être, dis-je à H., pourrions-nous y aller directement et ne prendre notre congé qu’un an plus tard : Quel voyage et que d’escales . . . » Voir

Téhéran 1921

551

le monde est devenu ma plus grande tentation. Notre jeunesse ne durera pas toujours. H. est un peu triste de voir se terminer un séjour dans un pays auquel il s’est attaché – plus que moi qui n’aime guère les musulmans. Une fois sa gérance terminée, l’intérêt politique du poste sera nul pour lui et avec le traitement modeste affecté au poste de secrétaire, nous ne pourrions mener qu’une vie rétrécie. 8 novembre 1921 Toute la ville bourdonne : hier, Reginald Bridgeman a revêtu son grand uniforme et s’est rendu – sans en référer dit-on à Londres – accompagné par tout le personnel de la légation d’Angleterre chez Rothstein afin de lui apporter ses félicitations à l’occasion de la fête des Soviets. 10 novembre 1921 Derniers échos du voyage de retour des Ducrocq qui, comme tous les voyageurs, ont eu des incidents : à Hamadân, ils ont semé une mallette contenant du linge et ne s’en sont aperçus que quelques jours après à Bagdad. Là, ils se sont fait voler leur lévrier. 18 novembre 1921 Le comte de Lalaing, nouveau secrétaire et futur chargé d’affaires de Belgique, est un beau garçon bien découplé, les cheveux déjà assez dégarnis. Plus sportif qu’intelligent, il est riche, élégant, mondain et je me demande ce qui a pu l’amener dans notre bout du monde, lui qui est si visiblement créé pour une grande capitale ? Il aime sans aucun doute la vie au milieu de gens titrés, il est amoureux de son confort et il est fiancé. Alors ? Ce ne peut être la tentation d’une gérance. « – J’ai obtenu du gouvernement belge, me dit-il, la promesse d’être rappelé dès l’arrivée du ministre qui remplacera Raymond, s’il ne revient pas après son congé. » 20 novembre 1921 Pour Norman aussi les mésaventures ont continué après son départ de Téhéran : son cuisinier français le seul en qui il eut confiance, n’a pu le rejoindre aux étapes, la voiture dans laquelle il avait été placé ayant eu une panne sérieuse. Jusqu’à Bagdad, Norman a refusé de manger. Il est arrivé dans un état de complète dépression et a dû être transporté sur le bateau à Bombay comme un bagage. En mer, Sir Percy Loraine, son successeur, voulut lui demander quelques renseignements et il a fait répondre qu’il était trop malade et ne demandait qu’une chose, qu’on le laissât tranquille.

552

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

23 novembre 1921 Bridgeman empêtré dans une gérance qu’il n’avait pas escomptée aussi rapide, s’accroche au veston de Smart, n’osant faire un pas sans lui demander conseil, effrayé de ses responsabilités et de son ignorance des affaires persanes si compliquées. Selon l’usage, il a fait part de sa prise de gérance à tous les chefs de mission mais en plus il a demandé un rendez-vous à Rothstein. L’autre a répondu : « Je ne tiens pas à avoir des relations personnelles avec vous : simplement des rapports officiels. » Bridgeman a reçu le camouflet en souriant et après avoir réfléchi, a répondu au ministre bolchevik que lui Bridgeman « regrettait sa décision. » Platitude abjecte venant d’un représentant d’un aussi grand pays que la Grande-Bretagne. 31 novembre 1921 Tout sert ici même les choses auxquelles les Européens ne penseraient pas telles que les feuilles mortes et le crottin de cheval. J’ai été étonnée de la tenue parfaite du jardin et du zèle des jardiniers à relever les feuilles tombées quand j’ai appris qu’un énorme sac leur rapportait un kran et que le crottin servait à chauffer les bains publics. Les vieux bidons de pétrole sont recherchés et à l’aide de deux ou trois usagés, l’on en fait un neuf. On le remplit alors de beaucoup d’eau mélangée à un peu de pétrole. 4 décembre 1921 Lalaing est un bon camarade, un bon danseur, un diseur de banalités ; il émaille sa conversation de mots détournés de leur sens que l’on est mentalement obligé de changer, mais son humeur est parfaitement égale. « – Je ne cherche pas à savoir qui je suis, me dit-il, je trouve que si on le fait l’on devient affecté. Sauf pour le tennis, je fais tout par devoir et sans conviction. » Très méticuleux, chaque fois qu’il envoie un télégramme personnel, il en réclame le double à la poste ; chaque mois, il compte ses vêtements et le linge laissé dans ses malles, ses papiers sont l’objet d’un perpétuel reclassement. Il rit : « Je viens d’avoir (sic) mon ministre ! » Dans le jardin de la légation belge, il existe une maison destinée au secrétaire, mais les Raymond peu soucieux de ce voisinage, y ont logé . . . un cochon ! Ils pensaient que ses déprédations ainsi que l’odeur dégagée étaient suffisantes pour faire reculer les moins délicats ; mais Lalaing a refusé d’aller s’installer ailleurs et les a contraints avec beaucoup d’amabilités à faire les travaux nécessaires de nettoyage et de peinture, s’installant en attendant que la maison fût prête, à la légation. Raymond qui sait que son secrétaire est bien en cour et n’hésitera pas à se plaindre à Bruxelles, n’a rien osé dire.

Téhéran 1921

553

15 décembre 1921 Vraiment, les ministres de Sa Majesté britannique ne se ressemblent pas et Sir Percy Loraine, homme solidement bâti, aux traits réguliers, aux yeux d’un bleu si foncé qu’il pourrait être appelé violet, forme un saisissant contraste avec la sécheresse de Sir Percy Cox et la préciosité agressive de Norman. C’est le troisième ministre d’Angleterre que la Perse aura accueilli en moins de deux ans. Sir Percy bien élevé et sympathique est un diplomate de carrière. Il vient de Varsovie après avoir occupé de nombreux postes. Il est parti d’Europe en même temps que Fernand Prévost le futur ministre de France, mais il est arrivé le premier au poteau car, si le gouvernement de la Troisième République traite parcimonieusement ses agents, celui de sa gracieuse Majesté traite les siens avec magnificence. Sir Percy a été autorisé à monter sur un bateau de guerre et, malgré une grève à Bombay et une interruption du trafic à Bassorah, il a passé quand même, grâce aux huit automobiles qu’il a achetées sur place, sûr d’être indemnisé de ses frais, une fois arrivé à Téhéran. 17 décembre 1921 Pour laisser la place libre à Fernand Prévost, qui arrive incessamment, nous nous installons dans l’andarun d’Amir Nezâm, à côté de l’immeuble de la Légation, ce qui est une vraie chance. La maison assez petite, cachée par les inévitables murs, a une cour intérieure et un jardinet que l’on pourrait aménager d’une façon exquise si l’on devait y rester. Nous décidons, avant d’atteindre l’Europe, de faire un long voyage en passant par le chemin des écoliers, c’est-àdire par Chiraz et Bandar Bušehr après un long arrêt à Ispahan. Sans doute ne reviendrons-nous jamais dans ce pays. 21 décembre 1921 Arrivée de Fernand Prévost, un gros homme court sur pattes, bon enfant, à l’amabilité facile et qui, depuis sa prime jeunesse, a rêvé de la Perse comme d’un paradis terrestre. Ce qu’il a entrevu de l’Asie au cours d’un séjour à Constantinople n’a fait que renforcer ce désir et, sachant que Bonin ne resterait plus longtemps dans son poste, s’est fait mettre en disponibilité pour un an afin de ne pas le laisser échapper. Personne à Paris ne lui a donné un seul renseignement utile sur sa nouvelle résidence ; il s’est lancé dans cet inconfortable voyage muni de l’équipement d’un touriste se rendant en Haute Égypte. Pendant deux jours il a été bloqué par la neige à Hamadân et il est arrivé à destination en maugréant, ayant dû abandonner ses grands bagages en route. Il se figure naïvement qu’ils vont arriver – comme en Europe – demain !

554

Hélène HOPPENOT, JOURNAL de perse

« – En mettant les choses au mieux, lui dit H., vous en avez pour huit jours avant de les revoir . . . » Il pousse un gémissement : il n’a que du linge de corps et un appareil de photographie en couleur dont il ignore le maniement mais dont il a refusé de se séparer. Je dois donc lui fournir tout le linge de maison indispensable, la légation n’en possédant pas, l’accueillir pour les repas, sa batterie de cuisine étant restée en route. Je lui fais visiter sa nouvelle demeure et il pousse un cri horrifié en apercevant, dans une chambre inoccupée, deux mouches mortes (il en verra d’autres !) puis il s’effraie du sol en terre battue des chambres à coucher. « Mais c’est épouvantable : on doit respirer tout le temps de la poussière ? » En voyant ce que l’on appelle la salle de bains, il s’effondre. La baignoire est en zinc et il n’y a pas de chauffe-bains. Comment faisons-nous pour réchauffer l’eau puisqu’il n’y a ni gaz ni électricité ? « – Ce n’est pas une petite affaire, lui dis-je, mais nous prenons un bain chaque jour : les jardiniers montent l’eau sur leurs épaules, puis l’on enfourne des bûches dans le petit poêle que vous voyez là ; en une heure environ tout est prêt. » Et je dis à H., en rentrant avec lui dans notre nouvelle maison : « – En voilà encore un qui a rêvé des mille et une nuits et qui ne les trouvera que dans ses rêves . . . » 22 décembre 1921 En même temps qu’il accepte l’invitation à souper que je lui ai fait parvenir pour le 31 décembre, Reginald Bridgeman me copie ce passage d’une lettre de Jean Cocteau, passage qui nous concerne : « On me dit que les Hop. vont prendre un poste directement au pôle nord. C’est une sagesse orientale qui attriste les amis qui les attendent. Faites-leur des reproches. Dites-leur que les Samedistes dînent toujours ensemble et gardent leurs places vides. » Bien qu’il ne soit plus question de nous, Bridgeman continue à copier : « Dans ce moment on donne le Bœuf sur le toit à Ba-Ta-Clan au milieu de la revue Ah oui qui lui fait un cadre de coquillages avec des miroirs et un nœud de satin rose. Le public de quartier s’écrase et regarde remuer lentement mes masques comme un rêve. La directrice est charmante. Comme je lui demandais pourquoi on applaudit très peu au Music Hall, elle me répondit : “Parce que tout le monde a les mains occupées”. Elle fait une matinée le samedi pour les hommes qui mentent, c’est-à-dire qui ne disent pas à leur femme qu’ils vont au café-concert. » 23 décembre 1921 Fernand Prévost, assez déprimé, m’annonce qu’il va faire faire des travaux pour avoir l’eau au premier étage et je l’y encourage vivement. Il fera recrépir la cuisine. « – Comme elle est sale ! » dit-il. J’en conviens : « Mais dans deux mois

Téhéran 1921

555

elle sera au même point qu’aujourd’hui ». J’ajoute que, désirant conserver mon appétit, je n’y mettais que rarement les pieds sachant que mes observations ne changeraient rien mais qu’elles useraient une énergie dont je pouvais avoir besoin pour d’autres choses. « – J’ai toujours eu la terreur, me dit Prévost, d’avoir un cuisinier malpropre . . . » Le pauvre homme ! 25 décembre 1921 Dernier Noël persan pour nous. J’offre à H. un cadeau un peu encombrant que j’ai acheté il y a un mois après avoir décidé de porter mon choix sur un objet de peu de volume puisque notre départ était décidé. Et voici que j’ai trouvé ce que je cherchais depuis longtemps : une grande peinture triangulaire provenant, selon le marchand juif de la rue Lalézar, d’un palais d’Ispahan. De la fin du 18e, elle représente des Persanes dans un jardin entourant un homme à barbe blanche, le maître du harem ou le médecin arménien tandis qu’une étrangère coiffée d’un petit chapeau assiste pensivement à la scène. Sans hésiter, au grand déplaisir du cocher, j’ai traversé la ville avec cette toile mise en travers de la voiture, maintenue en équilibre sur mes pieds, immédiatement entourée par des badauds surveillant l’arrimage et regardée par des passants s’arrêtant sur notre passage. Un de nos achats les plus charmants. 26 décembre 1921 C’est aujourd’hui seulement que Fernand Prévost m’annonce qu’il a amené avec lui une gouvernante. Car « un célibataire est incapable de tenir seul sa maison. » Naturellement, j’étais déjà renseignée par les domestiques et aussi les journaux qui relataient soit ironiquement, soit naïvement « que le ministre de France était accompagné par sa femme ». Cette liaison dure depuis plusieurs années. Elle s’appelle Mme Delima (ou de Lima !) et on la voit se promener dans le jardin de la légation vêtue de sweaters de couleurs violentes, les cheveux oxygénés. Prévost me dit qu’elle est obligée de faire cuire ses aliments dans sa chambre en attendant que la batterie de cuisine arrive et qu’elle a beaucoup de difficultés. Il voudrait sans doute que je l’invite en même temps que lui mais je fais la sourde oreille : ne peut-il acheter une ou deux casseroles au Bâzâr et les remettre à son cuisinier ? Prévost s’est installé de façon à peu près permanente chez nous – et cela suffit.

556

HéLèNE HOPPENOT, JOURNAL de perse

Téhéran 1922

1er janvier 1922 Eh bien, l’année qui commence apporte au moins une certitude : celle du départ de Perse. Pour le reste, l’on peut rêver, échafauder des projets. C’est bien ainsi. 2 janvier 1922 Promenade à cheval aux environs de Téhéran suivie par mes cosaques et les chiens. Soudain débouche une gazelle hésitante, qui semble avoir perdu sa direction. Dicky l’a vue en même temps que moi et l’instinct de tuer lui donne des ailes ; les deux autres le suivent mollement. Je mets Ivors au grand galop qui, de plaisir frémit, balance sa tête, couche ses oreilles argentées et arrivant à toute allure à la hauteur du barzoï, je cherche, en le gênant dans sa course, à donner sa chance à la gazelle qui maintient son allure. Et le chien, la voyant prendre de l’avance, comprend, arrête la poursuite, s’affale dans la neige en poussant des soupirs coupés de gémissements comme un enfant à qui l’on a confisqué son jouet. « – Tu n’a pas honte, vilain animal ? . . . » Il enfonce sa tête entre ses pattes. Rhéa et Orso épuisés sont restés en arrière et mes cosaques sont encore loin. Ils arrivent au petit trot, n’ayant pas jugé bon de se faire secouer pour m’accompagner dans cette course rapide. L’un d’eux me demande : « Il ne l’a pas attrapée ? – Non. Heureusement . . . » Il me regarde, méprisant et il pense sûrement : « Ah ! ces farangi-s . . . » Pour lui, le chien doit tuer la gazelle, la gazelle se laisser tuer par le chien – et les cosaques manger la gazelle. J’ai donc gâché le jeu. Nous prenons la décision d’emmener Dicky avec nous en France malgré sa taille : il est trop beau, trop dévoué, trop tendre à notre égard pour que nous le laissions en arrière. 4 janvier 1922 Lalaing vient déjeuner. Il se plaint de ce que le temps passe sans que la gérance promise soit en vue. Ses parents, ses futurs beaux-parents, le pressent de rentrer en Belgique et il vient d’en demander l’autorisation à son ministre des affaires étrangères. Raymond, s’est soudain aperçu, tout comme l’ont fait Bonin et Caldwell, qu’il a eu tort de demander si précipitamment son congé car, dès qu’il a vu en chair et en os [un] chargé d’affaires réclamé à grands cris, il n’a plus été pressé de lui abandonner une partie de son traitement. « Raymond, se plaint Lalaing, fait traîner les choses en longueur en persuadant ses chefs que sa présence est nécessaire à Téhéran au moment où des affaires ­importantes

TéHéRAN 1922

557

sont à traiter . . . Je me demande lesquelles ? Et il a été jusqu’à faire agir en sous-main des membres importants de sa colonie et des amis à Bruxelles pour mieux les en persuader . . . » H. a connu cette situation. 9 janvier 1922 Les bagages de Prévost viennent d’arriver et peut-être serons-nous débarrassés de sa présence pour les repas, bien qu’il ait trouvé fort commode de s’installer dans notre maison comme dans un hôtel. Il est en train de perdre l’une après l’autre ses illusions sur le pays. De tempérament romantique, il ne l’apercevait qu’à travers l’imagination luxuriante de ses poètes, s’attendait à trouver des champs de roses (« les roses d’Ispahan dans leur gaine de mousse »), des jasmins innombrables dans les jardins, des oasis embaumées, des femmes adorables, faciles et que voit-il ? Une ville faite de boue, le désert de tous les côtés, un parc sans charme, une grande bâtisse grisâtre et inconfortable. Et il vient d’avoir le chagrin de recevoir plusieurs bonbonnes d’eau minérale vides : celles qui ont éclaté en route. Je cherche à le remonter : « Si vous surveillez vos domestiques pour qu’ils fassent bouillir l’eau, vous pouvez la boire sans crainte. – Je n’ai jamais bu d’eau ordinaire de ma vie et je la redoute par-dessus tout . . . » Il avoue qu’il ne sait trop comment passer son temps, il ne pratique aucun sport et la lecture prolongée « le fatigue ». Que diable est-il venu faire ici ? 10 janvier 1922 Sir Percy, un charmant homme d’une intelligence sans excès avoue qu’il n’a pas brigué son poste mais qu’il a été choisi par le Foreign Office parce qu’il avait déjà occupé autrefois à Téhéran celui de secrétaire et qu’ainsi il était déjà au courant de la politique persane. Celle qu’ont menée ses prédécesseurs n’a pas son approbation : « Il me serait impossible, dit-il à H., de parler aux Persans comme ils l’ont fait avec un révolver chargé sur la table ! » Si ses chefs le laissent faire, on peut s’attendre à ce qu’il se produise une détente dans les rapports anglo-persans. 13 janvier 1922 Les colères du docteur Wilhelm, célèbres, commentées par le tout Téhéran, sont tempérées par ses distractions ; quand il se verse à boire, il murmure merci ; s’il marche sur la patte d’un chien il s’écrie Oh ! pardon . . .  Bon chirurgien, excellent médecin, aimé par ses malades, il se fait haïr par de nombreuses personnes et les incidents succèdent aux incidents. Il se plaît de plus en plus

558

HéLèNE HOPPENOT, JOURNAL de perse

à Téhéran (s’y faisant de gros revenus) et commence à trembler en pensant au renouvellement de son contrat : le ministre de l’Instruction publique y ­consentira-t-il ? La Perse l’a envoûté comme beaucoup d’autres. 15 janvier 1922 Il y a trois ou quatre mois, constatant que mes sacs de soir commençaient à s’user, j’avais trouvé amusant d’assortir à l’une de mes robes de bal pour me rendre au Club impérial, une de ces bourses en perles du siècle dernier dont les Persanes se servaient pour mettre leurs pièces d’or et leur monnaie. Pour quelques kran, car personne n’en voulait, j’en avais acheté un bon nombre, charmée par leurs couleurs et leurs dessins copiés souvent d’après les journaux de modes européens, mais je n’en avais informé qui que ce fût. Les marchands qui m’en faisaient venir de province avaient un peu augmenté leurs prix. Au cours de cette soirée, quelques femmes les admirèrent et de fait, ils ajoutaient un peu d’originalité à une robe décolletée. Aujourd’hui Aziz arrive avec son fils et l’âne mais ne me montre rien d’intéressant ; je fais la moue et lui demande : « Pourquoi n’apportes-tu plus des petits sacs en perles ? » Il crache dans son mouchoir, ce qu’il fait quand il est dégoûté. « Aziz peut plus, répond-il, toutes les khanoum farangi en veulent. Toutes demander et valoir très cher ! Avant des kran, maintenant des toman . . . » Il regrette visiblement de m’en avoir cédé à si bon compte. J’en ai un nombre suffisant pour ne pas regretter ceux qui restent. 1er février 1922 Walter Smart nous apprend que son congé a été accordé et qu’il ferait volontiers le voyage de retour avec nous. Sa connaissance de la langue persane sera précieuse et ainsi il n’y aura plus besoin d’emmener un interprète. Nous passerons par Chiraz et Bandar-Bušehr, si toutefois le chemin n’est pas coupé par les bandits qui, périodiquement pillent les voyageurs. Il n’y a pas très longtemps, le directeur de la Banque impériale à Chiraz convoyant la poste que l’on confie aux gens sûrs, se rendait avec sa femme à Ispahan quand il se trouva entouré d’hommes armés qui s’emparèrent des sacs postaux, lui enlevèrent tous ses vêtements à l’exception de son caleçon ainsi que le manteau de sa femme (sans demander plus). L’Anglais qui parlait bien le persan dit au chef de la bande : « Je vais tomber malade si tu me laisses ainsi . . . » L’homme éventra deux sacs et les lui jeta en disant : « Tu n’as qu’à t’en couvrir ! » Il arriva à Ispahan dans cet équipage. Fréquemment, les voyageurs sont attaqués par des nomades ou même par des villageois désirant causer quelques ennuis au gouvernement de Téhéran car, s’ils s’en prennent à des étrangers, ils savent que des représentations énergiques seront faites au ministre des Affaires étrangères par leurs légations. Il est

TéHéRAN 1922

559

rare que des farangi-s soient emmenés dans les montagnes et qu’une rançon soit demandée pour les libérer, car les enlèvements sont suivis par de terribles expéditions punitives des soldats de l’armée persane. Nous ne pourrons prendre de décision sur la route à suivre qu’après avoir obtenu des renseignements sur place et si nous ne pouvons descendre vers Persépolis, ce que je désirerais tellement, nous emprunterons les chemins de mulet des Bakhtyaris dont les tribus sont en bons termes avec la légation d’Angleterre. Ils nous fourniront des hommes de garde. Mais l’ascension du col à trois mille mètres ne sera pas un jeu d’enfant. Smart viendra nous rejoindre à Ispahan où nous voulons passer une quinzaine de jours. Nous emmènerons toutes nos malles, nos caisses, le chien Dicky, le cuisinier et le valet de chambre Abdoul et, les hôtels d’Ispahan étant impossibles, dit-on, pour des Européens, nous camperons à la Mission catholique40. 2 février 1922 Aziz arrive avec son chargement rouge de colère : « Hanoun ! Vazir mokhtar41 (Prévost) y connaît pas tapis ! Y m’a montré tapis que Youssef a vendu et dit que tapis plus de deux cents ans et tapis Ah ! Ah ! Hanoun . . . plein d’aniline ! Hanoun dire Vazir mokhtar Aziz vend tapis sans aniline . . . » Hanoun n’en fera rien. Il est sûr que Prévost n’a rien d’un connaisseur ; il m’a fait admirer un tapis acheté à Hamadân pendant son arrêt forcé en s’extasiant sur la couleur délavée et rosée de certains de ses motifs disant : « Pendant tout mon séjour à Constantinople, je n’ai jamais vu une teinte d’une telle douceur . . . » Le rouge avait tout simplement fondu. Il fait aussi une collection de fume-cigarettes, de tasses à café dont je n’aperçois pas l’intérêt artistique, mais qui le comble de plaisir. 5 février 1922 Sir Percy Loraine ne se fait aucune illusion sur les mœurs politiques du pays et dit : « Il me semble que je suis assis à une table de jeu dont tous les croupiers sont malhonnêtes . . . » C’est décrire exactement la situation. Sir Percy Cox tout occupé maintenant de la gloire de l’émir Feysal, a vu de Bagdad toute son œuvre s’effriter sous les doigts délicats de Norman, et l’Accord anglopersan définitivement enterré, d’immenses sommes d’argent dépensées en pure perte. Depuis l’arrivée du ministre des Soviets, une autre source de revenus a été offerte aux Persans, contre l’Angleterre, et les Américains commencent à 40  Voir Henri Hoppenot, « De Téhéran au Golfe persique par le pays des Baktiarys », L’llustration, n° 4230, 29 mars 1924, p. 273-278. 41  Vazir moxtâr, « ministre plénipotentiaire ».

560

HéLèNE HOPPENOT, JOURNAL de perse

s’intéresser dangereusement au pays ayant obtenu la gestion des Pétroles du nord – coup de foudre inattendu dans le ciel britannique – aidés par le prince Firuz qui, après sa détention, est devenu, de rage, leur allié. 10 février 1922 Stupéfaite de l’annonce du mariage de la doctoresse Deromps avec un Persan. Coup de tête dangereux, car de ce fait, elle tombe sous le coup de la loi persane, s’exposant à accepter les concubines et le poids d’une autorité maritale redoutable. Elle n’a pris conseil de personne. Je crois qu’il n’y a guère de chances de bonheur à épouser un Persan ou un jaune ou un nègre – j’irais presque jusqu’à dire un étranger. Tempérament, atavisme, habitudes, éducation trop différentes. Je crains que la pauvre fille n’ait obéi à un besoin de considération trop bourgeois qui parfois la tourmente et n’ait cédé à un geste irréfléchi. Mme Wilhelm me dit : « Elle le regrettera », mais son mari donne à cette fin inattendue une autre explication : Deromps qui a soigné le jeune homme pendant une maladie, a pu s’apercevoir « qu’il était exceptionnellement bien pourvu pour l’amour . . . » Et il ajoute : « Pour moi, c’est la seule raison des sacrifices qu’elle vient de consentir pour se l’attacher . . . » Se pourrait-il aussi qu’elle fût enceinte ? 12 février 1922 Fernand Prévost vient de rendre à H. les bouteilles de champagne que ce dernier lui avait prêtées pour sa réception du premier janvier. À la place du Heidsieck 1911, il lui envoie du champagne . . . de seconde zone ! « – À Paris, s’est-il excusé sans même penser à offrir de payer la différence, on ne boit plus que celui-là ! » La fureur d’H. m’amuse : « – Voyons ! lui dis-je, Qu’est-ce que cela peut faire ? Vous aurez une belle histoire à raconter aux chers collègues. » 14 février 1922 La présence de Mme Delima ou de Lima, la gouvernante, dans une ville aussi cancanière que Téhéran, a provoqué des commentaires dont Prévost a eu vent et il a dû la prier de se montrer le moins possible. Il la console d’une demi-séquestration par des cadeaux dont le dernier a été un lot de peaux de breitschwantz dont elle ne pourra se faire couper un manteau qu’en Europe, ceux d’ici ressemblant à des sacs, ainsi que de petits bijoux d’or. Elle commence à protester, n’étant pas habituée à mener pareille vie et ses lamentations sont un regret de plus du gros homme d’être venu dans ce pays. Quand il a expédié la besogne courante de la légation, il ne sait que faire ; parfois sur le coup de cinq heures il rend visite à l’un de ses collègues, spécialement à sir Percy pour

TéHéRAN 1922

561

lequel il éprouve de la sympathie, car il est anglophile, ce qui est un heureux changement avec Bonin. 15 février 1922 Lord Curzon vient de dévorer son troisième agent diplomatique depuis notre arrivée : il a mis Reginald Bridgeman en disponibilité. L’amitié que lui témoigne sir Percy Loraine lui aurait permis de transférer ce départ forcé en congé mais beau joueur, Bridgeman a dit partout qu’il « était révoqué, que Londres s’exprimait sur son compte avec la dernière violence, qu’il payait de sa carrière son dévouement à Norman. » Mais la vérité se trouve dans une phrase d’un télégramme du Foreign Office : « vu l’insuffisance de cet agent ». Ni les personnalités londoniennes alertées ni la protestation de sir Percy contre cette mesure n’ont pu toucher Lord Curzon et la lui faire rapporter. 17 février 1922 Ce matin à neuf heures, Engert nous convie, lui seul sait pourquoi, à venir prendre le breakfast en compagnie de ses collaborateurs. Sur la table, d’étranges produits américains, graines, farines, pêches dures en conserve, grape-fruit et d’autres choses sur lesquelles je ne peux mettre un nom. Quelles nourritures ces gens-là peuvent engloutir ! Sa gérance va bientôt prendre fin, il a été prévenu de la nomination d’un nouveau ministre. « – Un rabbin ! crie-t-il, voilà tout ce qu’ils ont trouvé à envoyer dans un pays où les juifs sont déconsidérés. J’ai demandé mon changement de poste, je veux partir dès qu’il sera mis au courant des affaires. » Que de changements se seront produits dans ce minuscule poste diplomatique depuis notre arrivée . . .  18 février 1922 Lalaing arrive, triomphant : « – Je viens d’obtenir mon congé ! s’écria-t-il. – Comment ? Au bout de si peu de temps ? Eh bien vous en avez un gouvernement arrangeant ! » Il dit qu’il n’a accepté Téhéran qu’à la condition de faire une gérance et de revenir en Belgique pour se marier, or Raymond ne souffle plus mot de son congé. « Je ne peux attendre qu’il se décide . . . Je serais peutêtre encore là l’année prochaine . . . » Et il me fait comprendre – c’est là le but de sa visite – que son rêve serait de nous accompagner dans notre voyage de retour. En Perse, plus que partout ailleurs, il est difficile de dire non et je lui conseille lâchement d’aller en parler à Smart qui va l’organiser (ayant envie de rire devant la tête qu’il va faire, lui qui n’aime guère Lalaing qu’il juge « snob, léger et mondain ») mais je lui fais

562

HéLèNE HOPPENOT, JOURNAL de perse

remarquer que nous ne désirons pas revenir à bride abattue et qu’il y a le problème des tentes, des lits de camp, des moustiquaires, etc. Il est à craindre que nous n’en soyons embarrassés. 1er mars 1922 Fernand Prévost continuant comme par le passé à prendre ses repas à la maison, je suis obligée de lui rappeler poliment que nous sommes à quelques jours de notre départ et que je dois commencer mon déménagement. Je ne puis comprendre que l’on s’impose ainsi. Est-ce par désir d’économie (cet homme qui s’habille avec recherche a emporté deux malles de chaussures et de nombreux costumes) ou par ennui de se trouver tête à tête avec une gouvernante dont les récriminations l’obsèdent ? Il me semble que ce serait plutôt à lui de nous inviter à la Légation et de m’épargner les derniers soucis de la direction d’un ménage ? 2 mars 1922 Une très désagréable aventure vient d’arriver à Smart et à Bridgeman : ils s’étaient rendus chez une courtisane persane dans le but avouer d’écouter de la musique sans réfléchir que ces femmes ne peuvent recevoir chez elles des farangi-s sous peine de châtiments corporels. Ils furent suivis par des policiers persans qui, heureux de jouer un tour à des Anglais, firent irruption dans la maison, s’emparèrent des deux gentlemen, les conduisirent au poste où ils restèrent jusqu’à ce que sir Percy les eût fait relâcher. La pauvre femme fut enfermée dans un sac et, au milieu d’une foule gouailleuse et stupide, elle fut bâtonnée et jetée en prison. Les deux imprudents auront à rendre compte de leur conduite en rentrant à Londres où, contrairement aux habitudes de la Troisième République française, l’on ne badine pas dès qu’un scandale a été causé. 4 mars 1922 Les emballeurs, surveillés par moi, ont presque terminé leur tâche et les poteries de Ragès ont disparu sous une couche de papier, de tresses de paille pour les protéger. Je demande à l’un d’eux qui s’est emparé des verres soufflés : « Es-tu sûr qu’ils ne craignent rien ? » Il prend un des paquets, le jette à terre puis le secoue contre mon oreille « Hanoun . . . On n’entend rien. Défais-le et tu verras . . . » L’objet est intact. Que de choses à emporter . . . Contrairement à H., dont le plaisir est « d’acheter » et qui se laisse tenter par ce qui l’amuse, j’aurais voulu ne choisir que des pièces rares et peu nombreuses. D’autre part, il a fallu orner cette Légation vide, atténuer sa laideur par des tapis sur les parquets des salons et sur la terre battue des chambres. Le résultat est là et les caisses s’accumulent.

TéHéRAN 1922

563

7 mars 1922 Le départ a été fixé à après-demain jeudi. Lalaing, malgré tout ce que Smart a pu découvrir de défavorable à lui dire, de mauvais à lui prédire, a tenu bon. C’est de nouveau le voyage et avec lui l’inconnu. Je me sens heureuse, dans mon élément : le temps est redevenu beau, le soleil déjà chaud, la maison tellement enlaidie que je regrette à peine de l’abandonner, mais H. a le cœur serré à la pensée qu’il ne reviendra plus dans ce pays qu’il a beaucoup aimé. Il ne faut ni trop s’attacher ni s’attarder : la terre est vaste et la longueur normale d’une vie suffira à peine pour la parcourir en tous sens. Adieu donc, Téhéran.

564

ALBUM PHOTO

figure 3  Le personnel de la Légation devant la résidence: (de g. à dr.) Georges Ducrocq, Henri Hoppenot, ‘Ali-Akbar Siâsi, André Malzac, Lucien-Louis Bellan, Tomasini (élève-drogman). © – Hélène Hoppenot communiquées gracieusement par Michael Wilson à partir de ses archives personnelles.

ALBUM PHOTO

565

figure 4  Henri Hoppenot (1891-1977) sur la terrasse de la légation française à Téhéran, 1920. © – Hélène Hoppenot communiquées gracieusement par Michael Wilson à partir de ses archives personnelles.

566

ALBUM PHOTO

figure 5  Hélène Hoppenot au piano. © – Hélène Hoppenot communiquées gracieusement par Michael Wilson à partir de ses archives personnelles.

ALBUM PHOTO

567

figure 6  Hélène Hoppenot lisant, habillée à l’iranienne. © – Hélène Hoppenot communiquées gracieusement par Michael Wilson à partir de ses archives personnelles.

568

ALBUM PHOTO

figure 7  Hélène Hoppenot et le chien Orso donné par Georges Ducrocq (voir hh 19 mars 1920). © – Hélène Hoppenot communiquées gracieusement par Michael Wilson à partir de ses archives personnelles.

ALBUM PHOTO

569

figure 8  Hélène Hoppenot et ses chiens. © – Hélène Hoppenot communiquées gracieusement par Michael Wilson à partir de ses archives personnelles.

570

ALBUM PHOTO

figure 9  Hélène Hoppenot au Bazar, sous la protection d’un cosaque persan (voir hh 2 février 1920, 20 juin 1921, etc.). © – Hélène Hoppenot communiquées gracieusement par Michael Wilson à partir de ses archives personnelles.

ALBUM PHOTO

571

figure 10 Maison Nâser ol-Molk, louée par Henri et Hélène Hoppenot au début de leur séjour (hh 4 février 1920): une femme lave le linge dans la cour avec l’eau chauffée dans un samovar à charbon de bois. © – Hélène Hoppenot communiquées gracieusement par Michael Wilson à partir de ses archives personnelles.

572

ALBUM PHOTO

figure 11 Aziz, le colporteur juif apporte ses antiquité chez les Hoppenot (voir hh 29 mars 1920, 8 août 1921). © – Hélène Hoppenot communiquées gracieusement par Michael Wilson à partir de ses archives personnelles.

ALBUM PHOTO

573

figure 12 Résidence estivale: pavillon dans un jardin au nord de Téhéran, loué par la légation pour les mois torrides d’été. © – Hélène Hoppenot communiquées gracieusement par Michael Wilson à partir de ses archives personnelles.

574

ALBUM PHOTO

figure 13 Pique-nique aux environs de Téhéran: (de g. à dr.) Walter A. Smart, André Malzac, un cosaque persan, Charles Bonin (ministre de France), Hélène Hoppenot, Mme Bonin. © – Hélène Hoppenot communiquées gracieusement par Michael Wilson à partir de ses archives personnelles.

ALBUM PHOTO

575

figure 14 Hélène Hoppenot et deux européens lors d’une halte dans un campement de bédouins. Plaque de verre au gélatino-bromure d’argent. © Archives diplomatiques, Ministère des affaires étrangères, Paris.

576

ALBUM PHOTO

figure 15 Funérailles du Prince Šo’â os-Saltana (8 novembre 1920). © – Hélène Hoppenot communiquées gracieusement par Michael Wilson à partir de ses archives personnelles.

Répertoire prosopographique

Abréviations utilisées pour les références bibliographiques (voir également la bibliographie générale)

‘Abdollâhpur, Vozarâ-ye Ma‘âref-e Irân = Ahmad ‘Abdollâhpur, Vozarâ-ye ma‘âref-e Irân, Tehrân, 1369/1970 Âdamiyat, Majles-e avval = Fereydun Âdamiyat. – Ide’oloži-e nahzat-e Mašrutiyat-e Irân. ii. Majles-e avval va bohrân-e âzâdi. – Tehrân, Rowšangarân, s.d. (1991) Âdamiyat, Ide’oloži-e nahzat-e Mašrutiyat = Fereydun Âdamiyat. – Ideoloži-e nahzat-e mašrutiyat-e Irân. – Tehrân, Payâm, 2535 šâh./1977 ‘Âqeli, Zokâ’ ol-Molk Foruqi = Bâqer ‘Âqeli. – Zokâ’ol-Molk Foruqi va Šahrivar-e 1320. – Tehrân, ‘Elmi/Soxan, 1367/1988 Alavi, Gesch. u. Entwicklung der modernen Persischen Literatur = Bozorg Alavi, Geschichte und Entwicklung der modernen persischen Literatur, Berlin 1964 ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, = Abo’l-Hasan ‘Alavi (assisté de Hasan Taqizâda). – Rejâl-e Mašrutiyat. – Ed. Habib Yaqmâ’i, edidit I. Afšâr – Tehrân, Asâtir, 1363/1984 Arfa, Under Five Shahs = Hassan Arfa. – Under Five Shahs. – London, John Murray, 1964 Âryânpur, Az Nimâ tâ ruzgâr-e mâ = Yahyâ Âryanpur. – Az Nimâ tâ ruzegâr-e mâ (târix-e adab-e fârsi-e mo‘âser). – Tehrân, Zovvâr, 13741995 Atabaki, Azerbaijan. Ethnicity and Autonomy in Twentieth-century Iran = Touraj Atabaki, Azerbaijan. Ethnicity and Autonomy in Twentieth-century Iran. – London-New York, British Academic Press (an imprint of I.B. Tauris), 1993 [2ème éd. London-New-York, I.B. Tauris]. Bahâr, Ahzâb-e siâsi = Md-Taqi Bahâr Malekoššo‘arâ. – Târix-e moxtasar-e ahzâb-e siyâsi-e Irân. I. : Enqerâz-e Qâjâriya. – 2ème éd., Tehrân, Jibi, 1357/1978 Balfour, Recent happenings = J.M. Balfour, Recent happenings in Persia, Edinburgh – London, 1922 Bâmdâd, Rejâl = Mahdi Bâmdâd. – Târix-e rejâl-e Irân. Qorun 12, 13, 14. – Tehrân, Zovvâr, [six volumes] 1347-1351/1968-1972 Banani, Modernization of Iran = Amin Banani. – The Modernization of Iran, 1921-1941. – Stanford Un. Press, 1961 [2e éd., 1969] Bast, Les Allemands en Perse pendant la Première Guerre mondiale = Oliver Bast, Les Allemands en Perse pendant la Première Guerre mondiale, Paris, Peeters, Institut d’études iraniennes,1997 Bast, Die persische Außenpolitik und der Erste Weltkrieg (1917-1921) = Oliver Bast, Die persische Außenpolitik und der Erste Weltkrieg (1917-1921), Sorbonne nouvelle – Universität Bamberg (thèse non publiée), 2003

578

Répertoire prosopographique

Bayat, Iran’s first revolution = Mangol Bayat. – Iran’s First Revolution. Shi’ism and the Constitutional Revolution of 1905-1909. – New York – Oxford, Oxford University Press, 1991 Browne, Persian Revolution = Edward G. Browne. – The Persian Revolution of 1905-1909. – Cambridge, 1910 Bullard, Letters from Tehran = Reader Bullard, Letters from Tehran. A British ambassador in World War ii Persia, London, Tauris, 1991 Chaqueri, Soviet socialist republic of Iran = C. Chaqueri, The Soviet Socialist Republic of Iran, 1920-1921, Pittsburgh – London, The University of Pittsburgh Press, 1995 Cronin, The army and the creation of the Pahlavi state in Iran = Stephanie Cronin, The army and the creation of the Pahlavi state in Iran, 1910-1926, London, Routledge/ Curzon, 2003 Destrée, Les fonctionnaires belges au service de la Perse = Annette Destrée. – Les fonctionnaires belges au service de la Perse. 1898-1915. – Leiden, Brill, Téhéran-Liège, Bibliothèque Pahlavi, 1976 (Acta Iranica, Textes et mémoires, vi) Dowlatâbâdi, Hayât-e Yahyâ = Yahyâ Dowlatâbâdi, Târix-e mo‘âser yâ Hayât-e Yahyâ, 1ère éd. Tehrân 1328/1949 Edmonds, East and West of Zagros = C.J. Edmonds édité et présenté par Yann Richard. – East and West of Zagros. Travel, war and politics in Persia and Iraq, 1913-1921. – Leiden – Boston, Brill, 2010 (Iran Studies, 4) EI2 = Encyclopédie de l’islam, deuxième édition, Leiden, Brill EncIr = Encyclopædia Iranica, New York, Encyclopædia Iranica Foundation – Eisenbraun Faxrâ’i, Sardâr-e Jangal = Ebrâhim Faxrâ’i. – Sardâr-e jangal, Mirzâ Kuček Xân. – 5ème éd., Tehrân, Jâvidân, 1354/1975 Ferrier, History of the British Petroleum Company = R[onald] W. Ferrier. – The History of the British Petroleum Company. Vol. 1. The Developing Years 1901-1932. – Cambridge, etc. Cambridge University Press,1982 Fortescue, Military report = Capt. L.S. Fortescue, Military Report on Tehrân and Adjacent Provinces of North-West Persia (including the Caspian Littoral). (General Staff mef Mesopotamia 1921), Calcutta, Superintendent Government Printing, India. 1922 FO371/17908 (Personalities 19 . . .) désigne les différents recueils de notices bibliographiques publiés à usage interne par le Foreign office à Londres. Fragner, Memoirenliteratur = Bert G. Fragner. – Persische Memoirenliteratur als Quelle zur neueren Geschichte Irans. – Wiesbaden, Franz Steiner, 1979 Garthwaite, Khans and Shahs = Gene R. Garthwaite. – Khans and Shahs. A Documentary Analysis of the Bakhtiyari in Iran. – Cambridge . . . , Cambridge U.P., 1983 Gehrke, Orientpolitik = Ulrich Gehrke. – Persien und die deutsche Orientpolitik während des ersten Weltkrieges. – Stuttgart, Kohlhammer, 1960. – 356 &391 p. [»Auteur : c/o Stiftung Deusches Übersee-Institut, Neuer Jungfernstieg, 21 / 2000 Hamburg 36]

Répertoire prosopographique

579

Ghani, Iran and the Rise of Reza Shah = Cyrus Ghani. – Iran and the rise of Reza Shah. From Qajar collapse to Pahlavi rule. – London-New York, I.B. Tauris, 1998. Cyrus Ghani. – Iran and the West, A Critical Bibliography. – Kegan Paul International, London and New York, 1987 Hedâyat, Xâterât va xatarât = Moxber os-Saltana Hedâyat, Xâterât va xatarât, tuša’i az tarix-e šeš pâdešâh va guša’i az dawra-ye zendagi-e man, Tehrân, Zovvâr, 2e éd., 1344/1965 Hellot-Bellier, France-Iran = Florence Hellot-Bellier. – France-Iran : quatre cents ans de dialogue. – Paris, Association pour l’avancement des études iraniennes, 2007 (avec le concours de l’UMR 7528 “Mondes iranien et indien”, Studia Iranica cahier 34) Hirschfeld, Deutschland und Iran = Yair Hirschfeld, Deutschland und Iran im Spielfeld der Mächte, Düsseldorf, Droste, 1980 ijmes = International Journal of Middle Eastern Studies Ineichen, Die schwedischen Offiziere in Persien = Markus Ineichen, Die schwedischen Offiziere in Persien (1911-1916), Bern, 2002 Iran political diaries 1881-1965 = R. Michael Burrell, ed., research editor, Robert L. Jarman, Political diaries of Iran 1881-1965. – New York, Norman Ross Publishing, 1997. Ironside, High road to command = E. Ironside, High Road to Command. The Diaries of Major-General Sir Edmund Ironside 1920-22, ed. by Lord Ironside, London, Leo Cooper, 1972 Kasravi, Târix-e Mašruta = Ahmad Kasravi. – Târix-e Mašruta-ye Irân. – 13ème éd. Tehrân, Amir Kabir, 2536 šâh/1977 Kasravi, Târix-e hijdah-sâla-ye Âzarbâyjân = Ahmad Kasravi. – Târix-e hijdah sâla-ye Âzarbâyjân yâ sarnevešt-e gordân va dalirân. Bâz-mânda-ye târix-e Mašruta-ye Irân. – 8ème éd., Tehrân, Amir Kabir, 2536 šâh./1977 (Târix va farhang-e Irân, 4) Kasravi, Qiyâm-e Šeyx Mohammad Xiâbâni = Ahmad Kasravi, Md-‘Ali Homâyun Kâtuziân, ed. – Qiyâm-e šeyx Mohammad Xiyâbâni. – Tehrân, Našr-e markaz, 1376/1997 Katirâ’i, Farâmâsuneri, = Mahmud Katirâ’i. – Farâmâsunri dar Irân az âqâz tâ taškil-e lož-e Bidâri-e Irân. – Tehrân, Eqbâl, 13471968 Katouzian State and society = Homa Katouzian. – State and society in Iran. The eclipse of the Qajars and the emergence of the Pahlavis. – London – New York, I.B. Tauris, 2000 al-Ma‘âser = Mohammad-Hasan E‘temâd os-Saltana, al-Ma’âser va’l-âsâr, Tehrân, Sanâ’i, s. d., (1ère éd., 1307 q/1889-90) Majd, Great Britain and Reza Shah = Md-Gh. Majd, Great Britain and Reza Shah. The plunder of Iran, 1921-1941, Gainesville, etc. The University Press of Florida, 2001 Millspaugh, American Task in Persia = A.C. Millspaugh. – The American Task in Persia. – New York, The Century Company, 1925. Moberly, Operations in Persia = Brig.-Gen. F.J. Moberly. – Operations in Persia 1914-1919. – Intr. by Dr G.M. Bayliss – London, Imperial War Museum/ Her Majesty’s Stationery Office, 1987

580

Répertoire prosopographique

Mojtahedi, Rejâl-e Âzarbâyjân = Mahdi Mojtahedi. – Rejâl-e Âzarbâyjân dar ‘asr-e Mašrutiyat. – s.l. (Tabriz ?), 13271948 Momen, Bâbi & Bahâ’i Religion = Moojan Momen, ed. – The Bábí and Bahá’í Religions, 1844-1944 : Some Contemporary Western Accounts. – Oxford, George Ronald, 1981 Morselvand, Rejâl va mašâhir = Hasan Morselvand. – Zendagi-nâma-ye rejâl va mašâhir-e Irân (1299-1320 h. š.). – Tehrân, Elhâm, 1369/1990 et sq Mosaddeq, Xâterât = Md Mosaddeq. – Xâterât va ta’allomât-e Doktor Md Mosaddeq, mojtama‘ bar do ketâb, bâ moqaddama-ye Dr. Qolâm-Hoseyn Mosaddeq. – I. Afšâr, ed. – Tehrân, ‘Elmi, 13651986 Mošâr, mo’allefin = Xânbâbâ Mošâr (préface de Hasan Taqizâda). – Mo’allefin-e kotob-e fârsi va ‘arabi az âqâz-e čâp tâ konun. – Tehrân, 6 vol., 1340/1961 à 1344/1965 Mostowfi, Zendegâni-e man = ‘Abdollâh Mostowfi. – Šarh-e zendegâni-e man yâ târix-e ejtemâ‘i va edâri-e dowra-ye Qâjâriya. – 3 vol., Tehrân, 1ère éd., 1341/1962 Nasiri, Archéologie française en Iran = Nader Nasiri-Moghaddam. – L’archéologie française en Perse et les antiquités nationales (1884-1914). – Paris, Connaissances et Savoirs, 2004 Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân = Manučehr Nazari. – Rejâl-e pârlemâni-e Irân az Masruta tâ Enqelâb. – Tehrân, Farhang-e mo‘âser, 1390/2011 Nezâm-mâfi, Ahzâb-e siyâsi = Mansura Ettehâdiya (Nezâm-Mâfi). – Ahzâb-e siyâsi dar Majles-e sevvom (1333-1334 h. q.). – Tehrân, Našr-e târix-e Irân, 1371/1993 Nuri-Esfandyâri, Târix-e xânevâda-ye Esfandyâri = Asadollâh Nuri-Esfandyâri. – Târix-e xânevâda-ye Esfandyâri. – Tehrân, 1329. Rabino, Diplomatic and consular officers = H.L. Rabino di Borgomale. – Great Britain and Iran. Diplomatic and Consular Officers. – [London] 1946 Râ’in, Farâmušxâna = Esmâ‘il RÂ’IN. – Farâmuš-xâna va farâmâsonri dar Irân. – 3 vol., Tehrân, Amir Kabir, 3e éd., 1357 Rejâl-e vezârat-e xâreja = Mirzâ Mahdi Momtahen od-Dowla Šaqqâqi Iraj Afšâr, ed. – Rejâl-e vezârat-e xâreja dar ‘asr-e nâseri va mozaffari. – Tehrân, Asâtir, 1363. rmm = Revue du monde musulman (Paris) Ruznâma-ye xâterât-e ‘Eynossaltana = Mas‘ud Sâlur & Iraj Afšâr, eds. Qahremân Mirzâ ‘Eynossaltana. – Ruznâma-ye xâterât-e ‘Eyn os-Saltana (Qahremân Mirzâ Sâlur) 10 volumes. – Tehrân, Asâtir, 1374/1995 et suivantes (Ganjina-ye xâterât va safar-nâmahâ-ye irâni, 8) Sadiq, Yâdgâr = ‘Isâ Sadiq, Yâdegâr-e ‘omr. Xâterât-e az sargozašt-e ‘Isâ Sadiq, 4 vol., 3e éd., Tehrân, Dehxodâ, 1352/1973-1353/1974-2536 šâh./1977 Sabahi, British policy in Persia = Houshang Sabahi. – British Policy in Persia 1918-1925. – London, Frank Cass, 1990

Répertoire prosopographique

581

Safâ’i, ed., Rezâ Šâh-e kabir dar âina-ye xâterât = Ebrâhim Safâ’i, ed.. – Rezâ Šâh-e Kabir dar â’ina-ye xâtêrât. – Tehrân, Farhang-o Honar, 2535 šâh/1976 Safâ’i, Kudetâ-ye 1299 = Ebrâhim Safâ’i. – Kudetâ’ye 1299 va âsâr-e ân. – S. l., 1353/1974 Safâ’i, Rahbarân-e Mašruta = Ebrâhim Safâ’i. – Rahbarân-e Mašruta. – 2 vol., Tehrân, Jâvidân-‘Elmi, 1344/1965 & 1347/1968 Šeybâni, Xândân-e Šeybâni = R. Šeybâni, F. Tâlebi ed., Xândân-e Šeybâni, Tehrân, Sepehr, 1371/1992 Soleymâni, Alqâb-e rejâl-e dowra-ye Qâjâr = K. Soleymâni, Alqâb-e rejâl-e dowra-ye Qâjâr, Tehrân, Ney, 1379/2000 Shuster, Stangling of Persia = Morgan Shuster, The Stangling of Persia, New York 1912 Taqizâda, Zendagi-e tufâni = Sd Hasan Taqi-Zâda, Iraj Afšâr, ed.. – Zendagi-e tufâni : xâterât-e S.H.T. (bar afzuda-šoda bar ân baxš-e peyvast). – Tehrân, 2ème éd., ‘Elmi, 1372/1994 Wright, English amongst the Persians = Denis Wright. – The English among the Persians During the Qajar Period. 1787-1921. – London, 1977 Wright, Persians amongst the English = Denis Wright. – The Persians amongst the English. Episodes in Anglo-Persian History. – London, Tauris, 1985 Xân-Malek-Sâsâni, Yâd-bud-hâ = Ahmad Xân Malek Sâsâni. – Yâd-bud-hâ-ye sefârat-e Istanbul. – Tehrân, 1345/1966 Xâterât-e Farrox = Mahdi Farrox Mo‘tasem os-Saltana. – Xâterât-e siyâsi-e Farrox. Šâmel-e târix-e panjâh sâla-ye mo‘âser. – Tehrân, Amir Kabir, 1347/1968 Xâterât-e Nasrollâh Entezâm = Mohammad-Rezâ ‘Abbâsi & Behruz Teyrâni, eds., – Xâterât-e Nasrollâh Entezâm : šahrivar-e 1320 az didgâh-e darbâr. – S. l. (Tehrân), Sâzmân-e asnâd-e melli-e Irân, 1371/1992 Xâterât-e sartip ‘Ali-Akbar Deraxšâni = ‘Ali-Akbar Deraxšâni. – Xâterât-e ‘Ali-Akbar Deraxšâni, az jang-hâ-ye Gilân tâ vâqe‘a-ye Âzarbâyjân. – Bethesda (Maryland), Iranbooks, 1994 Yaqmâ’i, Kârnâma-ye Rezâ Šâh-e Kabir = Eqbâl Yaqmâ’i. – Kârnâma-ye Rezâ Šâh-e Kabir bonyângozâr-e Irân-e novin. – Préface par M. Pahlbod. – Tehrân, Vezârat-e farhang va honar, 2535. Zarqâm Borujeni, Dowlat-hâ-ye ‘asr-e Mašrutiyat = Jamšid Zarqâm-e Borujeni. – Dowlathâ-ye ‘asr-e Mašrutiyat. – Tehrân, 1350 Zürrer, Persien zwischen England u. Rußland = Werner Zürrer. – Persien zwischen England und Rußland. 1918-1925. Großmachteinflüsse und nationaler Wiederaufstieg am beispiel des Iran. – Bern, Peter Lang, 1978

582

Répertoire prosopographique

Notices biographiques

L’index renvoie aux dates des entrées des journaux, avec hh pour celui d’Hélène Hoppenot. Seyyed Mostafâ ‘Adl « Mansur os-Saltana » (1879-1950). Né à Tabriz dans une famille de mojtahed, fils de Hâjj Mirzâ Ebrâhim Xalil Rokn ol-‘Edâla Tabrizi. Études de théologie en Égypte, droit à Paris. Carrière diplomatique : ministre à Berne (1934), Rome (1934-36), Budapest (1938) ; premier délégué iranien à l’ONU en 1946 à San Francisco. A aidé à intégrer les codes européens dans le système judiciaire iranien. Parle français, arabe, turc, anglais et russe. Voir Bâmdâd, Rejâl, iv, p. 107 ; Mojtahedi, Rejâl-e Âzarbâyjân, p. 119 ; ‘Abdollâhpur, Vozarâ-ye Ma‘âref-e Irân, pp. 128 sq. 1920 : janvier 8 – février 1 – mars 24 1921 : mars 18 HH1920 : novembre 24 Ahmad Šâh, dernier roi Qâjâr (1898-1930). Accède au trône en juillet 1909 quand son père est détrôné par les Constitutionalistes. Couronné en 1914, destitué en1925. Voyage en Europe (France, Grande-Bretagne) octobre 1919-mai 1920 ; en France en 1922 (sous un pseudonyme). Dernier voyage en 1923, hésite à rentrer lors de la campagne de Rezâ Khan pour la République. Mort à Neuilly. Généralement décrit comme cupide et libidineux. Complexé par son obésité. Parle français. Biographie complaisante : Hoseyn Makki, Moxtasari az zendagâni-e siyâsi-e soltân Ahmad Šâh Qâjâr, Tehrân, 1ère éd., 1323/1944. 1919 : avril 14 – juillet 1, 26 – août 8, 12, 24, 26 – novembre 11, 13 – décembre 22 1920 : février 22 – mars 2, 20 – juin 24 – octobre 28, 30 – novembre 2, 18, 21, 25, 30 – décembre 31

1921 : janvier 12 à 16 – février 21 – févier 27 – mars 16, 7, 10, 17, 18, 21, 24, 30 – avril 15 – mai 15 – août 30 – septembre 4 – octobre 7 – 16 « Le shah s’ennuie »

HH1920 : octobre 31 – novembre 23 – décembre 23 HH1921 : janvier 14, 15 – février 22, 24, 26 – mars 7, 23 – avril 11, 29 – mai 6, 10, 15, 22, 27, 30 – juin 18, 19 – juillet 3, 19 – août 29

Amir Asadollâh A‘lam (1876-1961), « Amir A’lam », né à Téhéran, fils de Mirzâ ‘Ali Akbar Khan Mo‘tamed ol-Vezâra, consul à Damas, frère de Mozaffar A’lam qui fit des études militaires à Saint-Cyr en France. Lui-même fit des études de médecine à Beyrouth puis Lyon. Professeur de médecine à Dâr ol-Fonun. Député au 2ème Majles. Il épousa la fille aînée de Vosuq od-Dowla, dont il fut ministre (Travaux publics, 1920). Devint également ministre de l’éducation dans le cabinet Qavâm os-Saltana (1921). Élu député du 4ème Majles (1921) et plus tard des Majles 5, 7 et 8. Médecin de la Cour

Répertoire prosopographique

583

Pahlavi. Fondateur de l’organisation Lion et Soleil Rouges (équivalent persan de la Croix-Rouge). [Ne pas le confondre avec Asadollâh ‘Alam, 1920-1978, fils de Ebrâhim Šowkat ol-Molk]. Voir ‘Abdollâhpur, Vozarâ-ye Ma‘âref-e Irân, pp. 85 sq. ; Bâmdâd, Rejâl, V, pp. 32 ; Mostowfi, Zendegâni-e man, ii, p. 32 ; M. Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, pp. 117 sq. 1920 : mars 30 – juin 24 1921 : février 9 – février 21 – octobre 6 Henry-René d’Allemagne, (1863-1961) était un riche collectionneur d’antiquités. Il voyagea au Caucase en 1890, puis fut envoyé en mission archéologique jusqu’en Asie centrale en 1898. En 1907 il retourne en Perse avec le Dr Vinchon dont les notes sont reprises dans Du Khorassan au Pays des Backhtiaris, Trois mois de voyages en Perse, Paris, Hachette, 1911. Ses collections firent l’objet d’un catalogue en 1948. Voir Nader Nasiri-Moghaddam, « Allemagne, Henry-René d’ », in François Pouillon, ed., Dictionnaire des orientalistes de langue française, Paris, iismm –Karthala, 2012 1920 : janvier 16 Amânollâh Jahânbâni (1895-1973), prince Qâjâr et officier de la brigade cosaque. Études militaires à Moscou. Aide de camp de Starosselsky. Allié à Rezâ Khan en 1921. Fera plus tard des études militaires en France après avoir participé à des campagnes de répression contre Simko au Kurdistan et au Balučestân. Disgrâce et emprisonnement en 1937. Auteur de plusieurs livres et notamment son autobiographie : Sarbâz-e irâni va mafhum-e âb-o xâk. Zendagi-nâma-ye xod-nevešt-e Sepahbod Amânollâh Jahânbâni, Tehrân, Ferdows, 1380/2001. Sur lui voir également Cronin, The army and the creation of the Pahlavi state, index s.v. et p. 239 sq. 1919 : septembre 11 Mohsen Amini « Amin od-Dowla » (1875-1950), successivement nommé Monši-e Hozur, Mo’in ol-Molk et, à partir de 1904 Amin od-Dowla. Grand propriétaire foncier du Gilân, épouse une fille de Mozaffar od-Din Shah. Ministre des pensions en 1904. Accompagne le shah en Europe en 1905. Pro-russe jusqu’en 1917. Rançonné par le Jangal en 1917. Sur lui, voir Bâmdâd, Rejâl, I, p. 221 ; iii, p. 197 sq. ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 32 ; Rabino, « Note sur la Perse », Revue du Monde Musulman, 28 (1914), p. 63-64 ; Faxrâ’i, Sardâr-e Jangal, p. 87. 1921 : janvier 15 Esmâ’il Marzbân-e Gilâni « Amin ol-Molk » (1875-1960), aussi nommé Mo’addab os-Saltana. Médecin ophtalmologue formé en France jusqu’en 1901, délaisse la médecine pour la politique, devient plusieurs fois ministre (ptt en 1915, membre des cabinets ‘Eyn od-Dowla puis Vosuq od-Dowla ; finances, puis éducation en 1920). Entre dans le cabinet de Sepahdâr-e A’zam en 1920. Deviendra encore ministre en 1942 dans le cabinet Qavâm os-Saltana (santé publique). Mort pauvre. Membre de l’association

584

Répertoire prosopographique

Oxovvat (soufisme proche de la maçonnerie), voir Xâterât-e Zahir od-Dowla. Sur lui, voir Bâmdâd, Rejâl, I, p. 140 ; ‘Abdollâhpur, Vozarâ-ye ma‘âref-e Irân, p. 76 sq. ; Mostowfi, Zendagâni-e man, iii, p. 205. 1920 : décembre 22 1921 : janvier 26 Mohammad-Hoseyn Mahdavi « Amin oz-Zarb » (1872-1932). Fils d’un négociant international. Grand négociant engagé en politique comme réformiste libéral. Membre du Premier parlement en 1906, de l’Assemblée constituante de 1925. Voir I. Afšâr, « Yâdgâr-e zendagâni-e Hâjj Hoseyn Amin-al-zarb, » Yaqmā 15/5 1341 Š./1962, zamima, 29 p. ; « Memento of a Life, by Haj Muhammad Husayn Amin al-Zarb ii », Irân, 30 (1992), pp. 107-121 ; M. Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, pp. 824 sq. 1919 : septembre 8 1920 : mars 28 Amir A’lam, voir A’lam Sâm Hâjji ‘Ali-lu « Amir Aršad », (m. 1921) Chef tribal du Qarâčadâq (Âzarbâyjân) mort en combattant Simko sur ordre de Moxber os-Saltana. Voir Bâmdâd, Rejâl, ii, p. 56 sq ; Mojtahedi, Rejâl-e Âzarbâyjân, p. 184 ; Mosaddeq, Xâterât, p. 148. 1921 : mai 18 Hoseyn-Qoli Qarâgozlu « Amir Nezâm » (1883–), fils aîné de ‘Abdollâh Qarâgozlu de Hamadân ; étudie en Angleterre et en Autriche ; francophone ; gouverneur de Kermânšâh ; ministre de la guerre du gouvernement Sepahdâr. Emprisonné en 1921 par Seyyed Ziyâ qui lui extorque une fortune pour le libérer. S’enfuie en France où il perd beaucoup d’argent dans les casinos. Réputé proche de Teymur-Tâš qui le convainc de rentrer en Iran en 1928. « Pro-British » dit Fortescue, Military report, p. 358. 1921 : mars 6 HH1921 : décembre 17 Amir-Zafar, colonel de la Brigade centrale apprécié du Général Huddleston. Voir Fortescue, Military report, p. 373. 1919 : décembre 16, 24 1920 : avril 23 Fazlollâh Khân Âq-Evli (1886-1920). Officier de la Gendarmerie formé par les Britanniques. Francophone. Se suicida lorsqu’il comprit l’enjeu de l’Accord de 1919 dont il était rendu complice dans la Commission militaire mixte anglo-persane. Neveu de Manučehr Khan. 1920 : janvier 9 – mars 21, 23, 28, 29, 30 – avril 6, 9 Manučehr Xân Âq-Evli, militaire, oncle de Fazlollâh Xân Âq-Evli 1921 : mars 23, 28 – avril 4 Petros Ellow « Âqâ Petros » (1880-1932), leader chaldéen de la tribu Baz. Élève de la mission méthodiste d’Urmia. Séjourne aux États-Unis, retourne à Urmia en 1908. Épouse

Répertoire prosopographique

585

à l’église la fille (musulmane) d’un dignitaire ottoman et se charge du consulat ottoman en terrorisant la population. Le P. Châtelet décrit « la mobilité inouïe de sa pensée, son absence de scrupule et son audace inimaginable ». En 1915 devient agent des troupes russes d’occupation dans la commission de recouvrement des biens chrétiens. Devient chef de guerre anti-ottoman en 1918 après le meurtre de Mar Šimum. Dégage la route de l’exode vers Hamadân. S’impose comme chef au camp de Bakuba près de Bagdad. Termine sa vie en France. Voir thèse inédite de F. Hellot ; G. Bohas & Fl. Hellot-Bellier, Les Assyriens du Hakkari au Khabour, Mémoire et histoire, Paris, Geuthner, 2008 et notamment p. 138 sq., « Le rapport d’Agha Petros ». 1921 : janvier 2, 15 – mars 13 – août 24 Arbâb Keyxosrow, voir Šâhrox Prince Reza « Arfa’ od-Dowla » Dâneš (1851-1936), a porté également le titre Mo’in ol-Vezâra. Ce diplomate francophone et francophile est le fils d’un banquier-changeur d’Erevan. En poste à Istanbul pendant le mouvement constitutionnel, il joua un rôle de négociateur entre les révolutionnaires de Tabriz et Mohammad‘Ali Shah en 1909. Représente l’Iran à la sdn en 1920. Différents articles dans la Revue du monde musulman, 1907. Ses mémoires en français sont parues à SaintPétersbourg en 1900, une nouvelle version en persan, Irân-e diruz, xâterât-e Perens Arfa‘ od-Dowla, Tehrân, 1345/1966. Voir Kasravi, Târix-e Mašruta, pp. 351, 478, 726 ; Xân-Malek-Sâsâni, Yâd-bud-hâ, p. 274 sq. : Fragner, Memoirenliteratur, p. 53 sq. ; Mostowfi, Zendegâni-e man, ii, p. 108 ; Q. Sarmad, E‘zâm-e mohassel be xârej, Tehrân 1372/1993, p. 237 sq. ; Bâmdâd, Rejâl, I, pp. 507 sq., 512. 1920 : novembre 2 HH1920 : octobre 4 Sir Sydney A. Armitage-Smith (1876-1932). Conseiller financier britannique, recruté en 1919 par le prince Firuz (ministre des Affaires étrangères) à Londres pour faire partie de la commission financière dans le cadre de l’Accord anglo-persan. Arrivé en Iran pendant l’hiver 1920, il n’a pas pu prendre ses fonctions du fait du renvoi de Vosuq od-Dowla, mais négocia au nom des Iraniens – et pour le profit de la Compagnie pétrolière britannique – un accord signé en 1920 pour aménager la concession des pétroles du Sud. Voir Sabahi, British policy in Persia, p. 19 ; Ferrier, in Cambridge History of Iran, vol. vii, p. 643 ; Ferrier, History of the British Petroleum Company, I, pp. 366 sq ; 688 ; Mosaddeq, Xâterât, pp. 136, 140 ; Zürrer, Persien zwischen England u. Rußland, Bern 1978, p. 333 sq. 1920 : mai 17 – juin 24, 28 1921 : février 14 – mai 17 HH1920 : septembre 15 HH1921 : janvier 7 – juillet 24, 17 Aršad Homâyun Sa‘dâbâdi, chef de la police (amniya) à Urmia en 1918, accusé par les Français de l’assassinat de Mgr Sontag, délégué apostolique (juillet 1918). Voir

586

Répertoire prosopographique

J. Eyler, Monseigneur Sontag, martyr en Perse, Mutzig, 1996. Kasravi, Târix-e hijdah-sâla-ye Âzarbâyjân, p. 761, attribue le crime aux Ottomans qui occupaient Urmia, ce que semble confirmer Rahmatollâh Xân Mo’tamed ol-Vezâra, Orumiya dar mahâreba-ye ‘âlam-suz, ed. K. Bayât, Tehrân 1379/2000, p. 195 sq. Pour sa part ‘Ali Dehqân, Sarzamin-e Zartošt, Tehrân 1348/1969, p. 537, attribue le crime aux Kurdes qui participèrent au pillage. 1921 : février 3 Hoseyn-Qoli Sardâr Zanjâni « As‘ad od-Dowla », (m. 1947), grand propriétaire d’Azerbaïdjan. Voir Mojtahedi, Rejâl-e Âzarbâyjân, p. 190 sq. 1920 : février 1 « Mirzâ Âqâ Xân » Qolâm-Hoseyn Ašrafi (1900-1957). Né à Téhéran dans une famille de hauts fonctionnaires, travaille à 20 ans au ministère des Finances. Plus tard à la Mairie de Téhéran. Conseiller, après la Deuxième guerre mondiale, des cabinets Qavâm et Soheyli, directeur de la banque Kešâvarzi, gouverneur du Khorassan etc. Voir Ganjina-ye asnâd 19-20 (1374/1995), p. 88. 1920 : juin 24 J. Audigier Physicien et ingénieur français recruté pour enseigner la physique à l’école Dâr ol-fonun (1919-1925). Amputé d’une jambe pendant la Guerre. Franc-maçon. 1920 : janvier 18 – février 12 1921 : janvier 13 – mars 13 HH1921 : septembre 16 Ahmad Âzari, gouverneur du Gilân à partir de 1919, en remplacement de Sardâr Mo’azzam (Teymur-Tâš). Voir Chaqueri, Soviet socialist republic, p. 172 sq. ; Edmonds, East and West of Zagros, fait l’éloge de son enthousiasme et de ses méthodes, mais dit qu’il promettait ce qu’il ne pouvait donner : pp. 255, 270, 283. 1920 : février 22 ‘Azizollâh Khan Zarqâmi (1884-1978). Officier de la Gendarmerie. Décrit comme musulman profondément croyant. Un des neuf membres iraniens de la Commission anglo-persane (Accord de 1919). Termine sa carrière après 1945 comme chef de l’état-major et sénateur. Voir S. Cronin, The army and the creation of the Pahlavi state in Iran, p. 50 ; Safâ’i, ed., Rezâ Šâh-e kabir dar âina-ye xâterât, p. 268 ; Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 538. 1921 : janvier 24 – mars 17 Prince Abo’l-Fazl ‘Azod os-Soltân (1883-1970), frère de Md-‘Ali Šâh, époux de la sœur de Mosaddeq. Gouverneur du Lorestân. À Paris avec Ahmad Shah en 1924. Sénateur à la fin de sa vie. Voir Mosaddeq, Xâterât, p. 115 sq ; Ghani, Iran and the Rise of Reza Shah, p. 360 sq. ; Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 580. 1920 : décembre 23 1921 : février 4 – mars 21

Répertoire prosopographique

587

Ivan Azrilenko (ou Israelenko), juif polonais ou ukrainien ayant fait des études en France, commissaire du Comité Pétrolier d’Azerbaïdjan Azneftkom à Baku, fuit le régime bolchevique et passe sous la protection française à la légation de Téhéran en juin 1921 ; le ministre plénipotentiaire soviétique à Téhéran, Théodore Rothstein, qui le soupçonne de vol de biens soviétiques, le place en détention. Azrilenko, qui se fait passer pour un citoyen polonais, réussit à échapper à la vigilance de la légation soviétique et se réfugie à la légation de France qui représente les intérêts polonais en Perse. Rothstein, ayant perdu la face, exige alors d’Ahmad Shah qu’Azrilenko lui soit rendu sans quoi il romprait les relations avec la Perse. La légation de France refuse de livrer Azrilenko. Le shah, inquiet de la tournure des événements, craint pour son trône et la souveraineté de son pays. Il demande au ministre plénipotentiaire de Belgique, doyen du corps diplomatique et connu pour les bonnes relations qu’il entretient avec Rothstein – malgré la non reconnaissance de l’Union Soviétique par la Belgique – d’intervenir en tant que médiateur. Georges de Raymond accepte, calme les esprits et se concerte avec chacune des parties concernées. Il réussit à éviter aux puissances de perdre la face et renforce la souveraineté de la Perse (d’après E. Laureys, http://www.kaowarsom.be/fr/notices_de_raymond_georges). Voir Balfour, Recent happenings ; Archives diplomatiques, Asie 1918-40/Perse-Iran 6, f °127227. L’incident entraîna la démission du ministre des Affaires étrangères Esfandyâri, voir Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 248 note. Il est appelé Israelenko par les documents britanniques qui le présentent comme transfuge de la légation soviétique : Iran political diaries 1881-1965, vi, pp. 71, 76 (§18). Résumé de l’affaire par Ducrocq, « La politique du gouvernement des Soviets en Perse », (Revue du monde musulman, 52, 1922) p. 132. 1921 : août 24, 29, 30 – septembre 1 HH1921 : août 24, 25, 26, 27, 31 – septembre 3, 4, 5, 10 ‘Ali-Rezâ Qarâgozlu « Bahâ’ ol-Molk » (1884-1954), proche parent de Nâser ol-Molk. Étudie à Paris (Sciences-Po). Député de Hamadân, ministre des finances (1923), président du conseil d’administration de la banque Melli ; ministre des finances du cabinet Qavâm (1942). Voir Bâmdâd, Rejâl, I, p. 77 ; ibid. V, p. 162 ; Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 561. 1921 : février 25 James M. Balfour (1878-1960), membre de la mission financière Armitage-Smith. Auteur de Recent happenings in Persia, Edinburgh & London, 1922, qu’il aurait retiré de la vente sur pression de Vosuq od-Dowla qu’il y met en cause (Voir G. Ducrocq, « La politique du gouvernement des Soviets en Perse », rmm 52 (1922) p. 85). HH1921 : mai 2 Charles William Baxter (1895-1969), Écossais, arrivé à Téhéran en octobre 1919 et y reste jusqu’en avril 1922 et fait ensuite une brillante carrière diplomatique jusqu’en 1950. Voir Rabino, Diplomatic and consular officers, p. 13. Était ami avec Seyyed Ziyâ. Sa

588

Répertoire prosopographique

correspondance personnelle pendant son séjour à Téhéran (British Archives) est présentée par Y. Richard, « Le coup d’État de 1921 : nouvelles sources européennes », in Iran und iranisch geprägte Kulturen. 1919 : décembre 18 – janvier 7 HH1920 : mars 19 – avril 12 – août 17 HH1921 : janvier 7 – juin 7, 9, 12 Dimitry Belayef – consul russe à Ardabil (1911, voir Nasiri-Moghaddam, L’archéologie française en Perse, p. 186), puis à Téhéran en 1920. 1919 : décembre 16, 17, 18 1920 : janvier 11 – février 23, 25 – mai 17 HH1920 : mars 2 – avril 2 – mai 25 Lucien-Louis Bellan (né en 1893), drogman à la légation à Téhéran entre 1919 et 1926. Auteur de Chah ‘Abbas Ier, sa vie, son histoire, Paris, 1932. Voir Hellot-Bellier, FranceIran, pp. 242, 265. 1920 : janvier 4 – mars 28 1921 : mai 9 HH1920 : juin 4 – juillet 30 – août 7 – octobre 24 Petros Leopold Bjurling (1888-1981), officier suédois de la gendarmerie, marié à une Arménienne. Renvoyé de Tabriz en 1920 par Xiâbâni. « Le plus sympathique de tous » dit Ducrocq qui décrit sa résistance au coup d’État de 1921 au péril de sa vie. Voir Atabaki, Azerbaijan. Ethnicity and Autonomy in Twentieth-century Iran p. 49 sq. ; Ineichen, Die schwedischen Offiziere in Persien. 1919 : août 24 – décembre 18 – janvier 27 – avril 9, 25 – mai 7 – juin 8 1920 : octobre 30 1921 : février 21, 27 – mai 18 Charles Bonin (1865-1929), ministre de France à Téhéran, 1918-1921, quitte en réalité son poste le 25 octobre 1920. Très antibritannique. Voir Iran political diaries 1881-1965, V, p. 848 (monthly report, october 1920) ; Hellot-Bellier, France-Iran, p. 238 sq ; Zürrer, Persien zwischen England und Rußland, p. 142 sq. 1919 : décembre 16, 25, 26 1920 : mars 24 – avril 5, 29 – juin 23 – juillet 15 – novembre 21 – décembre 7, 25 1921 : janvier 2 HH1920 : janvier 19, 22 – février 8, 14, 22, 23, 24 – mars 2, 7, 19 – avril 4, 7, 18, 20, 27, 28 – mai 9, 18 – juin 8, 10, 25 – juillet 14, 30 – août 2, 7, 10, 19, 29 – septembre 9, 13 17 – octobre 28, 18, 23 – novembre 8 HH1921 : juin 17 – juillet 1, 17 HH1922 : février 14

Nicolas Bravine – consul russe à Birjand, puis Xo’y jusqu’en 1917, rallié aux Bolcheviques, joue le rôle de représentant informel de la république russe à Téhéran. Voir Nikitine, Mémoires (manuscrit, Bulac, p. 213)

Répertoire prosopographique

589

1919 : décembre 17 1920 : juin 7 1921 : mars 23 Bresson, directeur de l’Ecole de l’Alliance israélite universelle à Ispahan 1920 : décembre 4 Reginald Francis Orlando Bridgeman (1884-1968), diplomate britannique : après différents postes en Europe, conseiller diplomatique à Téhéran, 1920-1922 ; chargé d’affaire, septembre 1921, entre le départ de Norman et l’arrivée de Percy Loraine. Carrière politique dans les mouvements anti-impérialistes. Voir Rabino, Diplomatic and consular officers, p. 14. 1921 : mai 15 – octobre 14 HH1920 : septembre 2, 6, 12 30 – décembre 14 HH1921 : janvier 4, 29 – avril 7 – juin 15 – août 22 – septembre 16 – novembre 8, 23 – décembre 22

HH1922 : février 15 – mars 2 John Lawrence Caldwell (1875-1922) sénateur du Kansas ; ministre des États-Unis à Téhéran de 1914 à 21. 1919 : septembre 8, 15 – décembre 22 1920 : janvier 1 – février 29 – avril 2 – décembre 25, 27 – janvier 2 1921 : janvier 27, 28 – février 1, 25, 27 – mars 8, 11, 31 – avril 9, 15 – mai 9 HH1920 : février 13 – juillet 1 – septembre 1 – novembre 6 – décembre 7, 28 HH1921 : janvier 5 – février 13 – avril 11 Giuseppe Catalani, ministre d’Italie du 3 décembre 1918 à janvier 1920. Voir The Italian embassy in Tehran, Tehran 1990, p. 71. 1919 : octobre 24 HH1920 : février 1 – mars 4 Général H.B. (Hugh Bateman-) Champain (1869-1933) dirige la Norperforce in 1918, succédant à Dunsterville. Démissionne en août 1920 après la défaite contre les Bolcheviques à Anzali, ce qui repousse la décision de renvoyer Starosselsky. voir Ghani, Iran and the Rise of Reza Shah, pp. 65 sq ; 106. 1919 : décembre 22 1920 : mai 4, 7, 10, 11, 19, 23 – octobre 29 – décembre 7, 13 1921 : février 9 HH1920 : janvier 17 colonel Pierre Chardigny (1873-1951), ancien élève de Saint-Cyr, chef de la mission militaire française à l’état-major allié du Caucase (1916-19). Connaît le russe. Se jette à corps perdu dans l’organisation des bataillons chrétiens d’Azerbaïdjan en 1917 et envoie le lieutenant Gasfield pour armer les Assyriens (voir sa note manuscrite sur « Les affaires d’Ourmia », 1er avril 1919 dans les Papiers Bonin, vol. 21, Archives diplomatiques françaises). Reçoit de la France vingt millions de francs pour appuyer la

590

Répertoire prosopographique

lutte des Arméniens contre les pantouraniens. Voir la thèse de Florence Hellot. Il termine sa carrière comme général de division. 1919 : septembre 16 – septembre 28 1920 : février 22 1921 : août 24 HH1920 : janvier 6 Aristide Chatelet (1877-1956), prêtre lazariste français ordonné à Urmia en 1903, directeur du collège Saint-Louis (1912). Il manifeste une attitude hostile à la légation française. Il est soupçonné d’être compromis dans la société d’exploitation d’une mine de charbon (dépêche du ministre français à Téhéran du 18 octobre 1925, Papiers Bonin, 25, f °76, Archives diplomatiques). 1920 : février 22, 23 – avril 18 – juin 19 – juillet 15 – novembre 24 – décembre 18 1921 : janvier 2 – février 26 HH1920 : novembre 11 HH1921 : juin 22 George Percy Churchill (né en 1877, fils d’un consul britannique persanophone à Rašt), secrétaire « oriental » de la Légation britannique (1903-19). 1919-24 : Persian specialist au Foreign Office. Alger (1925). Rabino, Diplomatic and consular officers, p. 17 ; Wright, English amongst the Persians, p. 81 ; Gehrke, Orientpolitik, p. 105. Fut « ­obstinément attaché à l’idée de reconquérir au plus vite la prédominance anglaise d’antan » ; « agent anglais de naissance mais plus qu’à demi-persan de caractère et d’habitudes » (Lecomte à Delcassé, Téhéran 30 juin 1915, Archives diplomatiques, ns Perse, vol. 19, n° 45, f °145.) Les Français lui reprochaient en outre d’avoir dirigé des fouilles illégales à l’emâmzâda Zo’l-Faqâr de Xâr, voir Nasiri, Archéologie française en Iran, pp. 234-237. 1920 : février 6 – mars 22 – novembre 8 Gén. Sir George Cory (1874-1968), directeur du personnel militaire en Inde, devint successeur d’Ironside à la tête de la Norperforce à Qazvin, fit un bref séjour en Iran où il est arrivé fin février 1921. Voir Ironside, High road to command, p. 165 ; Edmonds, East and West of Zagros, p. 316. 1921 : mars 10, 22 – avril 3 – avril 4, 14, 24 Percy Zachariah Cox (1854-1937), diplomate britannique, administrateur colonial en Inde (1884-89), puis à Bušehr dans le Golfe persique. 1914 retour à Bombay. Pendant la Guerre, sert en Mésopotamie. 1918-1920 : ministre britannique à Téhéran, puis Haut-commissaire à Baghdad (1920). Voir Ph. Graves, The life of Sir Percy Cox, London – Melbourne, 1941 ; F. Safiri, « Cox », Encyclopaedia Iranica ; Edmonds, East and West of Zagros. 1919 : octobre 29 – décembre 16, 17 1920 : janvier 1, 30, 31 – février 6 – mars 16 – avril 9 – mai 10, 19 – juin 9, 13, 26 1921 : mars 13, 16 – avril 3

Répertoire prosopographique

591

HH1920 : janvier 20 – février 22, 23, 24 – mars 19 – avril 12, 21, 26 – mai 19 – juin 8 – novembre 25 HH1921 : décembre 15 HH1922 : février 5

Francis Edward Crow (1863-1939) vice-consul britannique à Téhéran (1890-97), consul à Ispahan, démissionne en mai 1923. Voir Rabino, Diplomatic and consular officers, p. 19. 1921 : février 16 Qolâm-Hoseyn Darviš Khan, musicien iranien célèbre (1872-1928), attaché au service de Šo‘â os-Saltana. Voir Morselvand, Rejâl va mašâhir, iii, p. 209 sq ; Bâmdâd, Rejâl, I, p. 494 sq. ; Qazvini, « Vafiât-e mo‘âserin », Yâdegâr, iii, pp. 6-7, 55 sq. 1921 : février 4 de Hoog, présenté par Ducrocq comme consul hollandais mais non attesté par les documents existants (communication de W. Floor). 1920 : février 23 – décembre 22 Gustave Demorgny (1869-1937), ancien élève de l’École coloniale, haut fonctionnaire français, mis à la disposition comme conseiller administratif du ministère iranien de la Justice, et enseignant de droit administratif à l’École de science politique de Téhéran (1911-1915). Il contribua en 1912 à l’éducation civique d’Ahmad Shah. Voir Majid Bozorgmehri, Contribution à une étude des relations franco-persanes, 18521925 : aspects diplomatiques, culturels et économiques, thèse non publiée, Université de Toulouse, 1977, ii, p. 52 sq. Pendant la Guerre, revenu en France pour répondre à la mobilisation, il publia plusieurs ouvrages contenant ses cours sur les réformes administratives persanes et sur la rivalité entre les grandes puissances en Perse. Avocat à la Cour d’appel de Paris (1915-1932) et vice-résident de France en Annam et au Tonkin. Parmi ses publications, outre des contributions à la Revue du Monde musulman comme sur « Les réformes administratives en Perse. Les tribus du Fars » (1913) ; les « Institutions de la police en Perse » (1914) ; La question persane et la guerre. La rivalité anglo-russe en Perse, Paris 1916 ; Essai sur l’administration de la Perse, Paris 1920 ; Les institutions financières en Perse, Paris 1920. Voir bnf, fichier d’autorités. 1919 : décembre 25 1920 : avril 7 Mathilde Deromps, médecin française sulfureuse ; finit par se marier avec Abd olVahhâb Badr Nasir od-Dowla, diplomate formé en Angleterre. 1920 : mai 4 1921 : janvier 22 – mars 15 – mai 15, 16 HH1920 : mai 3 – juin 13 – juillet 12, 15 – novembre 7 HH1921 : janvier 18 – février 8 – mars 21 – mai 17 – juin 5, 7, 8, 12, 13 HH1922 : février 10

592

Répertoire prosopographique

Général William Edmund Ritchie Dickson (1871-1957), né à Téhéran de William J. Dickson (†1900, qui fut au service de la légation britannique de 1852 à 1885) et d’une Arménienne. Alors qu’il était inspecteur de l’East Persia Cordon, il fut nommé en novembre 1920 à la tête de la commission militaire prévue dans l’Accord anglo-persan. Voir Wright, The English amongst the Persians, p. 124 ; Sabahi, British Policy in Persia, p. 44 sq. ; F.J. Moberly, Operations in Persia 1914-1919, London, Imperial War Museum/ Her Majesty’s Stationery Office, 1987, p. 403 sq. ; Dickson était ami avec Rezâ Khan quand celui-ci fut écarté par Starosselsky après l’éviction de Clergé de la Brigade cosaque en 1917, voir H. Arfa, Under Five Shahs, London 1964, p. 91. Dickson préparait probablement un coup lorsque les événements du 21 février survinrent. Il n’était pas en bons termes avec Seyyed Ziyâ. Il fut contraint de quitter l’Iran le 3 mars 1921, voir Ducrocq, rapport du 3 avril 1921, Archives diplomatiques, Perse-Iran 5. Pour la correspondance entre Dickson et Engert (chargé d’affaire américain) au sujet du coup d’État, voir Chaqueri, The Soviet Socialist Republic of Iran, p. 316 sq. ; Majd, Great Britain and Reza Shah, p. 68. W.E.R. Dickson parlait persan, français et russe. Il a publié East Persia : A Backwater of the Great War, London, E. Arnold 1924, un livre où il évite toute allusion au coup d’État de 1921. Le 9 octobre 1920, Ironside écrit : « The Military Commission has temporarily dissolved itself, leaving Brig.-Genl. Dickson alone in Teheran. This officer has, I understand, mixed himself actively in local politics, so much so that H.M.’s Minister in Teheran has expressed to me the opinion that, in the event of the present Govt. being forced out, Brig-Genl. Dickson would not be of much value for the construction of an Army. I consider that all officers on the Military Commission should abstain from participation in local politics. [. . .] I have informed H.M.’s Minister that, with his Military Attache, I become his military adviser and that the position of Brig.-Genl. Dickson is thus affected. This officer must either act under my orders, or he must abstain from taking part in Persian affairs [. . .] If he is really much mixed up in political affairs I think he should withdraw temporarily from Teheran. » (British National Archives, wo 158/687) 1919 : décembre 16, 17, 19, 20, 22, 26 1920 : janvier 23, 28 – février 1, 29 – mars 16, 20 – avril 2, 6, 9, 12 – mai 6, 7, 10, 11, 13, 17, 19 – juin 8, 11, 28 – juillet 10, 14 – octobre 30 – novembre 1, 2, 5, 8, 11, 27 – décembre 6, 18, 20, 22, 23, 25 – janvier 13 1921 : janvier 16 – février 9, 14, 16, 21, 22, 26 – mars 1, 3, 6, 7, 9, 17, 30, 31 – avril 9 HH1920 : avril 20 – mai 9 – juin 22

Seyyed Yahyâ Dowlatbâbâdi (1863-1939), né dans une famille cléricale d’Ispahan. Études de théologie musulmane. Député au 2ème Majles en 1909. Voyage en Europe en 1911, rencontre Browne. Pendant la Guerre, fait partie des députés qui choisissent le gouvernement en exil, d’abord à Kermânšâh, puis voyage à Istanbul, Vienne, Berlin, Scandinavie. Député au 5ème Majles. L’un des quatre opposants au changement de dynastie en 1925. Voir Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 370 sq. Homme

Répertoire prosopographique

593

de lettre et pédagogue, on lui doit plusieurs livres d’enseignement et la fondation d’écoles modernes. Il faisait partie des bâbis azalis (les continuateurs de la ligne dure du bâbisme) mais se cachait sous l’habit clérical. À ce sujet voir Xâterât-e Ehtešâm os-Saltana, Tehrân, 2e éd., 1367/1988 p. 528. Sur lui voir Bâmdâd, Rejâl, 4, p. 437 ; ‘Alavi, Rejâl-e mašrutiyat, p. 48 ; Alavi, Gesch. u. Entwicklung der modernen Persischen Literatur, pp. 114-116 ; Fragner, Memoirenliteratur, p. 61 sq. ; Âdamiyat, Majles-e avval, p. 386 sq. ; Bayat, Iran’s first revolution, p. 66 sq. ; Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 362. Dowlatâbâdi a écrit ses mémoires en 4 volumes : Târix-e mo‘âser yâ Hayât-e Yahyâ, 1ère éd. Tehrân 1328/1949. 1920 : novembre 30 – décembre 6, 10, 20 Duchène, directeur de l’École de l’Alliance française 1920 : février 2, 17 Georges Ducrocq (1874-1927), voir l’introduction générale. HH1920 : janvier 19, 20, 24, 31 – février 23, 24 26 – mars 3, 7 19 – avril 11, 20 – mai 18, 29 – juin 13, 25 – août 19 – novembre 8 – décembre 1, 27

HH1921 : janvier 7, 29 – février 23 – mai 14 – juin 23 – juillet 5, 24 – août 2, 19, 31 – septembre 21 – octobre 14, 15, 16 – novembre 10

Dufoussat, fils d’un sénateur, Conseiller à la Cour d’Aix-en-Provence. Enseigne le droit comparé à l’École de droit de Téhéran (1919-1920). Voir E. Lesueur, Les Anglais en Perse, Paris 1921, p. 98. 1920 : janvier 1, 4, 15 – février 19 1921 : janvier 13 – mars 15 – mai 9 HH1920 : septembre 13 Gen. Lionel C. Dunsterville (1865-1946), arrivé en Perse en janvier 1918, conduisant la Dunsterforce à travers l’Iran de Kermânšâh à Anzali pour empêcher une invasion de l’Inde par une force germano-turque. Il mena ses mille hommes d’élite équipés de voitures blindées mais fut arrêté par trois mille soldats révolutionnaires russes à Anzali. Dunsterville fut envoyé pour occuper Bakou, port pétrolier stratégique, mais cette expédition aboutit à un échec le 14 septembre 1918 confrontée à une force turque d’environ 14 000 hommes. Le port fut néanmoins contrôlé par les Alliés après l’armistice accepté par les Ottomans. Voir L.C. Dunsterville, The Adventures of Dunsterforce, London, Edward Arnold, 1920 ; id., Stalky’s reminiscences, London, Jonathan Cape, 1927. Voir Edmonds, East and West of Zagros, p. 327 sq. M.H. Donohoe, With the Persian Expedition, London, 1919. 1921 : février 3 Nasrollâh Xal’at-bari « E‘telâ ol-Molk » (1871-1962), carrière au ministère des Affaires étrangères. Ministre des finances de Vosuq od-Dowla (1920). Plus tard ambassadeur à Kaboul (1929), gouverneur du Kurdistan, sénateur élu (1949). Voir Morselvand, Rejâl va mašâhir, iii, p. 153 ; Bâmdâd, Rejâl, 2, p. 442 sq. ; Mostowfi, Zendegâni-e man, 1, p. 86 ; Nazari, Rejâl-e pârlemâni, p. 337. HH1920 : novembre 24

594

Répertoire prosopographique

Major C.J. Edmonds (1889-1979), né au Japon. Excellente formation classique (latin, grec, français, allemand). Agent consulaire britannique formé à Cambridge (où il apprend l’arabe, le turc et le persan, il est élève de Browne). Vice-consul à Bušehr (1913-1915). Officier de liaison pendant la campagne de Mésopotamie (1915-1917) ; agent politique à Šuštar et Dezful (1916-1918) ; agent politique et officier de liaison de la Norperforce à Qazvin (1919-1921). Longue carrière en Irak au service de la monarchie, missions au Kurdistan. Après la Deuxième guerre mondiale, devient professeur de kurde à soas (Londres). Parmi ses publications, les mémoires de la période irakienne : Kurds, Turks, and Arabs: politics, travel and research in North-Eastern Iraq, 1919-1925, London – New York, 1957 ; ceux de la période iranienne : East and West of Zagros. Travel, war and politics in Persia and Iraq 1913-1921, (Y. Richard ed.) Leiden 2010. Ses papiers personnels, journaux, correspondances et photographies sont déposés aux archives du Middle East Center, St Antony’s College, Oxford. 1920 : mai 10 – décembre 27 1921 : mars 12 – mars 27 – avril 8 – avril 10 – avril 29 Colonel Gustav-Laurentius Edwall (1878-1935), commande le 6ème régiment de gendarmerie d’Ispahan (1913). Mars-avril 1914 : prend part à l’expédition à Borujerd contre les Lor. Automne 1914 : complote avec le chargé d’affaires de la Légation allemande à Téhéran. Février 1915 : nommé lieutenant par les Allemands. Commandant de la gendarmerie (remplace Hjalmarson en février 1915), germanophile, limogé en décembre 1915 au profit de Nyström. Il avait été un de ceux qui ont poussé Ahmad Shah à quitter Téhéran devant l’avance russe. Voir Bast, Les Allemands en Perse pendant la Première Guerre mondiale, p. 33. Quitte la Perse en janvier 1916, prend du service dans l’armée ottomane. En Suisse de 1918 à 1919. Attaché militaire à la légation de Suède à Berlin en 1920. Voir Ducrocq, rapport de février 1921, Archives diplomatiques, Perse-Iran, 5, 12 ; Ineichen, Die schwedischen Offiziere in Persien, p. 225. Il était marié à la fille du Dr Gazala (voir infra). 1920 : février 23 Mohammad-‘Ali fils de Soltân-Oveys (1873-1920) nommé successivement « Ehtešâm ol-Molk », « Ehtešâm od-Dowla » (à partir de 1888) et « Mo‘tamed od-Dowla », aristocrate joueur et poète. Se suicide alors que, gouverneur d’Astarâbâd, il était tombé gravement malade. ‘A. Navâ’i, ed., Târix-e ‘Ażodi, Tehrân 1376, p. 206 ; Bâmdâd, Rejâl 2, pp. 270 sq., 75 ; 6, p. 84 ; Ruznâma-ye xâterât-e ‘Eynossaltana, vii, p. 5626. Blessé dans une violente confrontation avec Jahânšâh Amir Afšâr en 1892 alors qu’il était gouverneur de Zanjân, rapporté par E‘temâd os-Saltana, Ruznâma-ye xâterât, p. 820. 1919 : décembre 17 Yahyâ Xo’i « Emâm-Jom‘a » (1860-1945). Études théologiques à Xo’y, Tabriz et Najaf. Député au premier Majles (1906), s’oppose à l’absolutisme comme au radicalisme. Arrêté brièvement lors du coup d’État de juin 1908. Député au 2ème Majles

Répertoire prosopographique

595

et membre de l’aréopage des cinq mojtahed chargés de surveiller la conformité des décisions législatives avec l’islam. Dans le 3ème Majles, se trouve dans le camp des E‘tedâliun. Un des opposants farouches à l’Accord anglo-persan de 1919. Élu à la Constituante qui transféra la monarchie à Rezâ Šâh (1925), et participe personnellement au couronnement. Voir M. Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 166 (N. Rastegâr, « Majles-e mo’assesân-e 1304 va moxâlefân-e ân », Âyanda, xvi, p. 767 suggère qu’il n’aurait pas participé au vote) ; Mojtahedi, Rejâl-e Âzarbâyjân, p. 24 ; Bâmdâd, Rejâl 4, p. 433 ;. «Since 1908 he has resided in Tehran. He is an intriguing ecclesiastic, owning property in Khoi which was looted by Kurds and Turks, and he opposes any Government which refuses to grant him an indemnity. He is a centre of anti-British propaganda, possesses wealth and political influence and tries to pose as the principal Mujtahid in Tehran. He is not a strong character and shows little intiative.» Fortescue, Military Report, p. 373. Rencontre Malzac le 23 décembre 1919, Archives diplomatiques, Papiers Bonin 21, f°310.Aurait aidé les Arméniens réfugiés pendant la guerre : Ketâbči Xân, Kâva, 29-30 (15/7/1918), p. 15. 1919 : août 24 1920 : février 14 – mars 20, 23 1921 : février 22 – mars 11 Cornelius van Engert (1887-1985) Premier secrétaire de la Légation américaine, octobre 1920. Voir Iran Political diaries 1881-1965, vol. V, p. 848. Chargé d’affaires américain à Téhéran à partir de juin 1921, après le départ de Caldwell. Sur sa correspondance avec Dickson au sujet du coup d’État : voir plus haut « Dickson ». A été ensuite ministre en Ethiopie (1936), chargé d’affaires à Téhéran (1937-1940), puis ministre en Afghanistan (1942-45). Voir J.M. Engert, Tales from the Embassy. The extraordinary world of C. van Engert, Westminster (Md), Eagle, 2006. 1920 : décembre 15 1921 : avril 16 – mai 15 HH1920 : décembre 28 HH1921 : avril 11 – mai 5 – juillet 4 – septembre 11, 21 HH1922 : février 17 Abo’l-Qâsem ‘Amid « Entezâm ol-Molk » Directeur du centre de traductions (dâr ot-tarjoma) du ministère des Affaires étrangères. Professeur à l’École des sciences politiques, dont il est issu (2ème promotion). Voir Mostowfi, Zendagâni-e man, ii, pp. 79, 298, 313. Fait partie de la délégation iranienne à la Conférence de Versailles : « Jeune homme aimable », dit Lecomte, le 6 décembre 1918, Archives diplomatiques, Asie 1918-1940, Perse 24, f°146. HH1921 : août 28 Mohammad « Eqbâl od-Dowla » (1848-1923), qui, de 1871 à 1881 avait porté le titre « Amin-e Xalvat », fut gouverneur de Kâšân (protégé de Anisoddowla, cf. Bâmdâd,

596

Répertoire prosopographique

Rejâl 4, p. 11), Kermânšâh et Ispahan. Voir également Bâmdâd, Rejâl 3, p. 214 ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 27 ; al-Ma‘âser p. 306 sq. Il était chasseur au faucon. 1921 : janvier 5 Esfandyâri, Hasan, voir « Mohtašam os-Saltana » de Etter, Ministre russe à Téhéran de 1915 à 1919. Voir Bast, Les Allemands en Perse, index s.v. 1920 : mars 16 Prince ‘Abd ol-Majid ‘Eyn od-Dowla (1845-1927), également intitulé « ‘Atâ-Bak-e A‘zam » : gouverneur efficace du Lorestân (1899)  ; Premier ministre en 1904-1906, en 1915 puis de novembre 1917 à janvier 1918 : il cherchait à s’assurer du soutien de la France afin de contre – carrer une unique dominance britannique suite à la “défaillance” de la Russie après la Révolution bolchevique en élargissant une initiative du Cabinet ‘Alâ as – Saltana prise en octobre 1917, démarche qui est entre autres à l’origine du projet français d’un traité franco – britannique sur la Perse fin 1917/ début 1918. A dirigé en tant que gouverneur de l’Azerbaïdjan, en 1908, le siège de Tabriz contre les Constitutionalistes. Edmonds, East and West of Zagros, p. 283 sq., fait en 1919 le portrait d’un prince vieilli, avaricieux et semeur de désordres. Arrêté par Seyyed Ziyâ en février 1921. Voir Calmard, « ‘Ayn al-Dawla », ei2 ; M. Dāvudī, ‘Eyn od-Dowla va režim-i Mašruta, Tehrân, Jibi, 2e ed., 1357/1978; Â. Laqâ’i, ed., « Asnâd-e hokumat-e ‘Eyn od-Dowla dar Âzarbâyjân (1298-1299)”, Târix-e mo‘âser-e Irân, X, tâbestân 1375/1996; Bâmdâd, Rejâl, 2, pp. 93 sq.; R. Ra’is Tusi, « Esterâteži-e sarzamin-hâ-ye suxta. ‘Eyn od-Dowla, Engelisi-hā va ‘emrân-e Xuzestân”, Târix-e mo‘âser-e Irân, I, 1 (bahâr 1376/1997), pp. 107-127. 1919 : décembre 18 1920 : janvier 6 – avril 25 – mai 7 – janvier 15 1921 : janvier 25 – février 22, 26 – mars 17 – avril 16 Mostafâ-Qoli Kamâl-Hedâyat, « Fahim od-Dowla » (1880- ?), fils de ‘Ali-Qoli Hedâyat « Moxber od-Dowla ». Vice-ministre des affaires étrangères (1920-21), Sepahdâr Rašti voulait le faire nommer Ministre des Affaires étrangères en 1920 mais se heurta à l’opposition des nationalistes (voir Xâterât-e Farrox, p. 64). Ministre d’Iran à Berne (1926). Mondain, parle français. Endetté. Voir FO371/17908 (Personalities 1934) ; Rejâl-e vezârat-e xâreja, p. 211. « He is a dear little fat man – always talking and always laughing. », écrit Baxter, (lettre 96, 1921). 1920 : juin 26 – octobre 28 – décembre 15, 25 1921 : février 6, 26 HH1920 : mars 29 « Farâmarz Khan » Licingoff, colonel arménien d’ascendance polonaise, marié à une Chaldéenne, riche héritière de la vallée d’Urmiya. Lui-même descend de Polonais qui se sont établis dans le pays. Il a combattu les Persans pendant la guerre, dans un comité révolutionnaire arménien. C’est lui qui a arrêté Mohtašam os-Saltana, alors

Répertoire prosopographique

597

gouverneur d’Urmiya (1909). Ancien élève de Saint Cyr. Cousin de Nazar Agha, fils de l’ex-ambassadeur persan à Paris. Il a rempli à Téhéran les fonctions d’adjoint à l’alimentation (avec Molitor), d’intendant de la Brigade centrale (avec Lundberg). Très brave, assez peu renseigné. Archives diplomatiques, Ducrocq, Papiers personnels, 19. 1919 : mai 18 – juillet 26 1920 : février 22, 23 1921 : février 26 ‘Abd ol-Hoseyn Farmân-Farmâ (1858-1939), prince Qâjâr descendant de ‘Abbâs Mirzâ et ayant porté les titres « Nosrat od-Dowla» (1885-1892), « Sâlâr-Laškar » (1892-1895), puis « Farmân-Farmâ ». Allié par sa femme à Mozaffar od-Din Shah. Père de Nosrat od-Dowla Firuz, de Mohammad-Hoseyn Mirzâ Firuz, de Mohammad-Vali Firuz et de ‘Abbâs Sâlâr-Laškar. A occupé différentes fonctions auprès de la Cour du prince héritier, Mozaffar od-Din Mirzâ. Député au 2ème Majles. Plusieurs fois ministre : Justice dans le premier cabinet constitutionaliste ; d’avril à juillet 1915 : Intérieur, au centre des violentes attaques des nationalistes, ce qui entraîna la chute du cabinet ‘Eyn od-Dowla. Décembre 1915 à mars 1916 : Premier ministre, pour arrêter la politique pro-allemande de Mostowfi al-Mamâlek. 1916-20, gouverneur du Fârs (191620) en collaboration étroite avec les Britanniques. Emprisonné en 1921 par Seyyed Ziyâ. Favorable à Rezâ Shah Pahlavi. Voir fo371/17908 (Person. 1934) ; Bâmdâd, Rejâl 2, p. 247 sq. ; Archives diplomatiques Perse-Iran 23 (f°146 sq.). Sur ses exigences financières pour rester l’homme des Anglais, voir Zürrer, Persien zwischen England und Rußland, p. 70, n. ; « . . . ambitious, vain and very avaricious, but is energetic, extremely clever, and not devoid of personal charm. He is a provincial governor of the old school, weakens opposition by inciting different parties against each other, keeps his province in order, and enriches himself » écrit Fortescue, Military Report, p. 359 sq. Après 1925 : retraite complète de la politique. Portrait flatteur en 1931 par H. Sâbet, Sargozašt-e Habib Sâbet, p. 137 sq. ; C. Mir, Encyclopaedia Iranica, ix, p. 296 sq. ; Denis Wright « ‘Abdol-Hoseyn Mirzâ Farmânfarmâ, Englisi-hâ va jang-e jahâni-e avval. Yâd-dâšt-hâ’i az manâbe‘-e Englisi dar bâra-ye šâhzâda ‘Abdol-Hoseyn Mirzâ Farmânfarmâ pedar-e Farmâfarmâ’iyân », Târix-e mo‘âser, traduit par Nâder Mir-Sa‘idi, iii, 9 (bahâr 1378), pp. 41-68 ; Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 615 sq. Sa rencontre avec Sir Percy Sykes : A. Wynn, Persia in the Great game, London 2003, p. 20. 1920 : novembre 25, 27, 30 1921 : janvier 12, 15, 26 – février 21, 22, 26 – mars 1, 6, 10, 11, 23 – avril 16 – août 27 HH1921 : février 25, 26 – mars 1, 11, 20 – mai 29 – juin 16 Mohammad-Hoseyn Mirzâ Farmân-Farmâ (né en 1893), quatrième fils de ‘Abd ol-Ḥoseyn Farmânfarmâ, le plus fantasque. Éducation en France, voyages en Russie, Indes. Inquiet, lettré, névrosé, vif, franc, moins rusé que ses autres frères. Prince

598

Répertoire prosopographique

romantique, spirituel, beau parleur, impertinent ; pas arrêté par Seyyed Ziyâ en 1921. Désabusé. Il pense que la Perse ne peut se sauver elle-même et aussi que les étrangers ne peuvent jamais comprendre la Perse, voir Ducrocq, Papiers d’agent 19 ; Éducation militaire à Petrograd. Parle français et anglais. Marié à une Namâzi née à Hong Kong. Voir fo 371/17908 (Person. 1934). En mauvais termes avec son père, voir fo 371/24582 (Person. 1940). Ministre des routes dans le cabinet Qavâm en 1946 : voir Cronin, Army and the creation of the Pahlavi state, p. 251. 1920 : décembre 1, 29 31 1921 : janvier 23, 28 – février 4, 14 – mars 6, 7 – avril 4 HH1921 : février 25 – mars 1 – mars 20 Colonel Fazlollâh Âqevli (1886-1920), « Fazlollâh Khan ». Études en France (Md-T. Bahâr, Târix-e moxtasar-e ahzâb-e siâsi, p. 40, repris par Sabahi, dit qu’il a étudié en Angleterre . . .). Officier de gendarmerie. Devient conseiller de Shuster. Entre à la Gendarmerie du Trésor créée par Shuster en 1911. Secrétaire de la commission militaire mixte mise en place dans le cadre de l’Accord anglo-persan de 1919, se suicide quatre jours avant la clôture des travaux de la commission dont il refuse d’endosser le protocole. Voir Sabahi, British policy, p. 45 sq. ; Cronin, Army and the creation of the Pahlavi state, p. 264, n. 94 ; Bâmdâd, Rejâl, 5, p. 176 sq. ; B. ‘Âqeli, Rezâ Šâh va qošun-e mottahed ol-šekl, Tehân 1377/1998, pp. 76, 85-86. [Ne pas le confondre avec le suivant]. 1920 : mars 20, 22, 23, 28 – avril 9 Major Fazlollâh Khan, études à Saint-Cyr. À la tête du deuxième régiment de gendarmerie. Soupçonné par Ducrocq de sympathies communistes. [À ne pas confondre avec le précédent] 1920 : janvier 9 1921 : janvier 17 – mars 27 Fedoroff, Ministre russe tsariste, quitte Téhéran le 31 janvier 1921. 1921 : janvier 31 – mars 30 Mohammad-Vali Firuz, né en 1895, troisième fils du prince ‘Abd ol-Hoseyn Farmânfarmâ, frère de Firuz Mirzâ [ne pas les confondre], le plus instruit de la famille. Études à Beyrouth et Paris. Énergique, moins mondain que ses frères. Corrompu. Député aux majles 4, 5 & 6 pour Tabriz. Disparu depuis 1931. Voir fo371/24582 (Person. 1940). S’enfuit à Bagdad lors du coup d’État de 1921, voir M. Farmânfarmâ’iyân, Az Tehrân tâ Kârâkâs, Tehrân 1373/1994, p. 16. 1919 : décembre 17, 25 1920 : janvier 4 – mars 25 – décembre 1 1921 : mars 22, 24 Firuz Mirzâ Firuz (1888-1937) « Nosrat od-Dowla », 1er fils de ‘Abd ol-Hoseyn Farmânfarmâ (Nosrat od-Dowla). Études à Beyrouth et Paris. Gouverneur de Kermân (1907). Ministre de la justice (1916, 1918, 1925), Affaires étrangères (1919), Finances

Répertoire prosopographique

599

(1927-29). Anglophile jusqu’en 1921. Arrêté (ainsi que son père) par Seyyed Ziyâ en février 1921. Député aux Majles 4, 5, 6. Gouverneur du Fârs, 1923-24. Arrêté et condamné pour corruption (1929-30). « Most intelligent . . . unscrupulous. » Voir fo371/17908 (Person. 1934) ; Bâmdâd, Rejâl 3, p. 114 sq. ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat p. 118 ; Bâstâni-Pârizi, Farmânfarmâ-ye ‘âlam . . . ; fait de l’agitation contre Samsâmossaltana en 1918 et les Anglais le protègent bizarrement, voir Archives diplomatiques mae Perse-Iran 23, 136, 145 sq ; Zürrer, p. 62, n. 76. « . . . higly cultured and most intelligent. Like the rest of the Farmanfarma family he has been very friendly with the British and has a better reputation than its other members for honesty. . . . has the courage of his convictions, and is liked and feared by the ‘Democrats’. He is one of the cleverest men in Persia and has a big career before him.» Fortescue, Military Report, p. 363 sq. « Due to the custom of intermarriages in high society, Nosrat od-Dowla was also Mossadegh’s brother-in-law, being married to his sister Daftar ol-Moluk », Farhad Diba, Mossadegh, a Political Biography, London, Croom Helm, 1986, p. 20) ; Maryam Farmânfarmâyan, Xâterât-e Maryam Firuz, Tehrân, Didgâh/ Ettelâ’ât, 1373/1995, p. 18 sq. « Esprit vif, inquiet, net, homme de réalisation. Au physique malingre, au moral le plus fin des Persans. Il a été rejeté par les Anglais à cause de l’attitude indépendante qu’il a gardée à Londres et de ses coquetteries avec le gouvernement français. Licencié en droit de Paris. Assez impopulaire. On le croit anglophile. Il est trop marqué par la culture étrangère, pas assez persan pour plaire aux masses. A été victime d’un accident de chasse qui lui a enlevé quelques doigts » (Ducrocq, Papiers d’agents, 19). Ses relations avec les Anglais après 1924 : Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 356 sq. 1919 : juillet 26 – octobre 13 – décembre 24 1920 : février 19 – mars 20 – avril 15, 18 – juin 24, 28 – octobre 28, 30 – novembre 2, 30 – décembre 10, 12

1921 : janvier 15 – février 7, 8, 21, 22, 26 – mars 1, 6, 8, 18, 23, 25 – avril 16 – septembre 24 HH1920 : mars 19 – novembre 25 HH1921 : février 25 – mars 1 – mai 29 – juin 16 – juillet 26 HH1922 : février 5 Dr Irving Fortescue (ne pas confondre avec L.S. Fortescue). Ducrocq (dépêche d’octobre 1920) écrit sur lui : « affiche dans ses conversations un scepticisme complet sur l’avenir de la domination anglaise dans l’Orient Moyen » (Archives diplomatiques, Asie 1918-1940, Perse-Iran, 5). 1920 : décembre 22 Capt. L.S. Fortescue, officier britannique à Qazvin (ne pas confondre avec Irving Fortescue). « The A.P.O. at Qazvin, Capt. L.S. Fortescue, a keen fisherman and botanist who later became French master at Eton, was a tower of strength, especially for local liaison duties such as serving on the joint Municipal Council of which a British medical officer had been elected chairman, joint measures for keeping down prices, and the like. In January 1920, I was obliged to release him to collect material

600

Répertoire prosopographique

for a masterly Military Report on Tehran and the adjacent Provinces of North-West Persia (Calcutta, 1922) . . . » Edmonds, East & West, p. 240. A publié Military Report on Tehrân and Adjacent Provinces of North-West Persia (including the Caspian Littoral) ; « The Western Elburz and Persian Azerbaijan », The Geographical Journal – 63, 4 (Apr. 1924). Promu colonel en mars 1921 ? 1919 : septembre 2 1920 : février 1 – avril 6 1921 : février 9, 26 – mars 7, 8, 10 – avril 8, 9, 10, 11 – septembre 26 Abo’l-Hasan Foruqi (1884-1960), frère de Mohammad-‘Ali « Zokâ’ ol-Molk » Foruqi (qui fut deux fois premier ministre). Élève de Dâr ol-Fonun et de l’Alliance française, puis Sepahsâlâr. Enseigne la philosophie, attiré par le soufisme. Ministre d’Iran en Suisse (1931-34). Voir fo 371/24582 (Person. 1940) ; Bâqer ‘Âqeli, Zokâ’ ol-Molk Foruqi va šahrivar-e bist, Tehrân, ‘Elmi / Soxan, 1367/1988, p. 42 ; B. Agheli, EncIr, s.v. ; a été professeur de ‘Ali Šari‘ati à Mašhad, voir Kavir, Majmu‘a-ye âsâr xiii, p 326. 1920 : janvier 6 P. Pierre Franssen, Lazariste hollandais (1881-1959), arrivé à Tabriz en octobre 1912. Devient consul d’Espagne et de Hollande à Tabriz en juin 1918. Mort à Urmiya. Voir les Annales de la Mission lazariste, 1959, t. 124, p. 30 sq. ; Magdalena GolnazarianNichanian, Les Arméniens d’Azerbaïdjan, histoire locale et enjeux régionaux, 18281918, Paris, Centre d’histoire arménienne contemporaine, 2009, index s.v. 1921 : février 26 Major-General William Archibald Kenneth Fraser (1886-1969) était officier des South Persia Rifles. «First went to Persia with the Central Indian Horse 1911-12 ; served there again from 1917-21 with the spr : and twice as Military Attaché in Tehran, 1924-8 and 1941-5. Became a well-known figure in Persia. The American writer, D.N. Wilber, in his Riza Shah Pahlavi, confuses him with the late Sir William Fraser (Lord Strathalmond), chairman of the apoc.» Wright, English amongst the Persians, p. 176 note ; il a tenu son journal du temps où il était au spr : voir St Antony’s Private papers, Oxford. N’était que colonel en 1921. 1919 : décembre 16, 17 1920 : février 1 – mars 28 1921 : mars 8, 9, 11, 12, 21 Dr Gachet, médecin à Téhéran et professeur de médecine, 1910-1920. Voir Hellot-Bellier, France-Iran, pp. 230, 244. Collectionneur de manuscrits : le catalogue intitulé Collection de M. le docteur Gachet, professeur à l’école de médecine de Téhéran. Manuscrits arméniens, arabes, persans, imprimé sur 12 pages en 1922 à Paris en fait foi. 1919 : août 24 1920 : avril 7 1921 : mars 13 – mai 14

Répertoire prosopographique

601

P. Galaup, prêtre attaché à la mission diplomatique de Bonin, voir Hellot-Bellier, France-Iran, p. 242. 1920 : janvier 9 – février 22 Abd el-Ahad Suleiman Bey Gazala (1854-1929), « Ottoman de Bagdad, chrétien de père en fils, avait un grand oncle patriarche chaldéen à Bagdad. Lui-même a fait ses études en France à Paris, s’est marié avec une Chaldéenne qui est morte jeune. Il a vécu ensuite à Tripoli de Barbarie (Libye) où il était médecin du Sultan et chef du service sanitaire. Il a pris partie pour la Turquie et a été expulsé au moment de la guerre de Tripolitaine. Il a vécu ensuite à Constantinople, à Damas et en Perse où il a été le médecin de l’ambassadeur de Turquie. Il a joué un grand rôle actif en 19151916 dans l’intrigue germano turque pour entraîner la Perse du côté des Empires centraux. Ses filles parlent admirablement le français. L’aînée a épousé un officier suédois, le major Edwal, qui était l’un des plus germanisants du corps des officiers suédois en Perse, qui a rejoint les Turcs à Hamadan en 1915 avec une partie de ses troupes et passé ensuite à Constantinople et à Berlin. On le trouve en Suisse faisant de l’espionnage en 1917 pour le compte de l’Allemagne. Il est actuellement à la légation de Suède à Berlin. Une des filles du Dr Gazala fait ses études à Paris à l’école archéologique. Les deux autres ne sont point mariées. L’une d’elles marraine de guerre de Philippe Barrès. Madame Gazala mère [Jeanne, 1872-1939] et seconde femme du Dr est originaire de Metz. Elle est connue en littérature sous le pseudonyme de Guy d’Aveline. Elle a écrit une trentaine de romans. Elle a fait partie de la société du Croissant rouge . . . » Ducrocq, Archives diplomatiques, paap, Perse xxxii. 1919 : octobre 19 1920 : février 23 – juin 24 Tage Fredrik Gleerup (1883-1930) colonel suédois de la gendarmerie. Envoyé en 1921 contre Mohammad-Taqi Khân, voir Balfour, Recent happenings . . . p. 275 ; « le colonel Gleerup son adjoint (de Westdahl), sec et distingué, tiré à quatre épingles. » H. Hoppenot, Journal, 16 juin 1920 ; voir Markus Ineichen, Die schwedischen Offiziere in Persien. 1919 : août 24, 28 – septembre 16 – novembre 1 – décembre 17 1920 : janvier 1 – février 25 – mars 16 – juillet 14 1921 : janvier 26 – février 1, 22, 27 – mars 6 HH1920 : juin 16 HH1921 : juin 16 George F.H. Gracey (1878-1958), Political officer britannique (Irlandais, né à Belfast) en poste à Van. Très actif auprès des Assyriens et des Arméniens. C’est lui qui persuada Mar Šimun d’aller parlementer avec Simko en 1918, voir G. Bohas-Florence Hellot-Bellier, Les Assyriens du Hakkari au Khabour, mémoire et histoire, Paris, Geuthner, 2008, p. 101 sq. 1921 : février 3

602

Répertoire prosopographique

Habibollâh Khan Šeybâni (1885-1945) Fils de Farajollâh Khan Nadim od-Dowla (classe moyenne, Kâšân). Études à Saint Cyr (1906-10). Capitaine de la Gendarmerie (1913). Entré à Saint-Cyr quelques années avant la guerre. Mêlé à l’aventure nationaliste de 1915 où les instructeurs suédois ont essayé d’entraîner leurs troupes. Après la débâcle d’Hamadan, sut maintenir l’ordre parmi ses soldats et les ramena à Téhéran où il servit ensuite le gouvernement avec loyalisme. Très anti-russe. Reste en Turquie jusqu’en 1918. Rentre à Téhéran après l’Armistice et retrouve un poste à la Gendarmerie. Organise la défense de l’Azerbaïdjan contre Simko (été 1920). Campagnes contre les Jangalis. A dégagé Sâri des Bolcheviks en 1920. S’oppose au colonel Starosselsky qu’il soupçonne de sympathies cachées pour les Bolcheviques. Contacts avec Rezâ Khan en 1920. Smyth fait nommer Šeybâni à la tête de la gendarmerie. Rezâ Khan lui donne une nouvelle mission au Gilân et Ziyâ le confirme commandant du régiment de gendarmerie de Téhéran en 1921. Colonel (1921). Général de brigade (1922). École militaire de Paris (1923-25 il est responsable des autres officiers iraniens). Chef de l’état-major (1926-28). Ministre des travaux publics (1928). Général de division (1929). Campagnes contre les Qašqâ’i (1929), les Mamasani et Kuhgiluya (1930). « . . . intensely patriotic . . . » Surnommé Farangi à cause de son caractère. Jugé en 1931 à cause des nombreuses pertes dans la campagne de 1930 contre les Mamasani (500 morts) : emprisonné quelques mois et déchu de son grade, voir fo371/17908 (Person. 1934) ; fo371/24582 (Person.1940) ; voir Mosaddeq, Xâterât p. 145 ; très patriote, ami de Taqizâda. « Foncièrement anti-britannique ». A disparu pendant l’invasion soviétique de Berlin, voir Taqizâda, Zendagi-e tufâni, p. 213 sq. ; Šeybâni, Xândân-e Šeybâni, p. 99 sq. Sympathique à la France, voir Archives diplomatiques, Ducrocq, Papiers d’agents, vol. 35 ; premier ex-gendarme à être promu général en 1929, voir Cronin, The army and the creation of the Pahlavi state in Iran pp. 150, 250 sq. 1920 : février 19 – juin 10, 11 – juillet 14 1921 : janvier 18, 24, 26 – février 1, 23 – mars 1, 9, 17, 21 – mai 18 Hâdi Khan Šaqâqi « Hosn od-Dowla » (né en 1890 à Téhéran), cosaque persan, a étudié en Russie et en France. Officier de cavalerie, voir fo371/24582 (Person.1940). A défendu Starosselsky en octobre 1920. 1920 : mai 17 1921 : janvier 2 – février 21 – mars 17 Michel Hadjean, financier arménien, voir Mariam Habibi, L’interface France-Iran Paris 2004, p. 222 ; « Il existe à Paris un Consortium de financiers internationaux, que préside H. Letellier, Directeur du Journal. Letellier a chargé Hadjian – qui fut, à Téhéran journaliste, colonel de gendarmerie et dévoué à la France lors de la Guerre – de le renseigner sur les possibilités, les garanties, les modalités d’un emprunt de 50 millions de dollars qu’il consentirait à la Perse pour la construction d’un chemin de fer Nord-Sud. » Archives diplomatiques, Audigier à Bonin, Papiers Bonin

Répertoire prosopographique

603

25, mae, 28 octobre 1924 ; membre du « Comité de fer » constitué autour de Seyyed Ziyâ ; Zürrer, Persien zwischen England und Rußland, p. 27 sq. Sa femme est la fille du général Petit. 1919 : août 24 – octobre 19 – décembre 27 1920 : février 23 – mai 17 – juillet 10 1921 : janvier 29, 30 Colonel Sir Thomas Wolseley Haig (1865-1938), « N’a jamais vécu qu’à Ispahan » écrit ironiquement Ducrocq, le 16 janvier 1921. Consul à Kermân (1910-12), Mashhad (1914), Ispahan (1916), attaché à la Légation à Téhéran (1920-21), voir Rabino, Diplomatic & consular officers, p. 27 ; Katouzian (State and society, p. 203 sq.) orthographie son nom Hague (sic !) et en fait l’organisateur du Komita-ye âhân (Comité de fer) à Ispahan, et un des organisateurs du coup d’État de 1921 avec Smyth . . . Auteur d’un livre inédit : Reminiscences of Persia during the War (Consul-general Meshed 1913-16, Isfahan 1916-18), 295 p. dactyl., Oxford, St Antony’s, Private papers. Parle très bien persan. Voir Sami‘i, « Šab-e sevvom-e esfand », Âyanda vii, 11-12 (1360), p. 873 ; 1920 : janvier 1 – février 29 – mars 2, 20 1921 : janvier 13, 16, 26 – février 7, 16, 21, 27 – mars 8, 12, 22, 31 – avril 4, 10, 16 – août 30 – septembre 26

HH1920 : février 24 – mars 9, 19 – avril 12 – mai 19 – juin 6 – août 17 – septembre 27 – octobre 11 – novembre 16

HH1921 : mai 2 Ebrâhim Hakimi, « Hakim ol-Molk » (1871-1959), né à Tabriz (famille d’Ispahan). Fils de Abo’l-Hasan Hakim-bâši. Études de médecine à Paris pendant sept ans, mais sans obtenir son doctorat. Médecin influent de la cour de Mozaffaroddin Šâh, qu’il accompagne pendant ses trois voyages en Europe ; mais perd sa fonction après une erreur de dosage de médicaments administrés au shah. Réputation d’intégrité, voir Bâmdâd, Rejâl 1, p. 9 sq. ; Mojtahedi, Rejâl-e Âzarbâyjân p. 70 ; Député au Majles I où il devient proche de Taqizâda et ii (1906-1911). Ministre des finances de Mostowfi ol-Mamâlek (1910). Chargé de l’instruction d’Ahmad Shah. Ministre des Sciences dans cabinet Sepahdâr-e A‘zam, et autres cabinets. En 1912 se prononce pour l’ouverture d’un lycée français à Téhéran, par hostilité contre les Anglais ; « Quant à Hakim ol-Molk qui fut l’auteur du projet de lycée, il est bon de rappeler qu’il fut un des plus fervents partisans de l’influence allemande en Perse contre les Alliés en 1915 » (Archives diplomatiques, Ducrocq, Papiers d’agents, vol. 36, dossier pour l’extension de l’école lazariste. Voir rmm 54 (1923), p. 131). Gouverneur de Kermân en 1916 en remplacement de Sardâr Zafar. Emprisonné par Seyyed Ziyâ. Député aux Majles iv et V, mais n’occupe aucun portefeuille pendant le règne de Rezâ Shah. Premier ministre mai-juillet 1945 ; novembre 1945-20 – janvier 1946 ; lorsqu’il est une nouvelle fois Premier ministre en 1948, il est mis en minorité au Parlement au bout de six mois et refuse la voiture officielle pour rentrer chez lui, il retourne à pied.

604

Répertoire prosopographique

1949 : élu sénateur. Voir F. Azimi, Iran, the crisis of democracy, 1941-1945, London 1988, p. 121 sq. ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat p. 144 ; président du Sénat, voir Taqizâda, Zendagi-e tufâni, pp. 206, 269, 291. Maqâlât-e Taqizâda, ii, p. 101 sq. ‘A. Milani, EncIr xi, p. 575 sq. ; Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 321 sq. 1920  : janvier 2 – juillet 4 Herbert G. Hart, Directeur de la Banque impériale à Qazvin en 1919. “Anglais anglophobe” (Ducrocq) ; Vice-Consul de Qazvin, 11 juillet 1918, Consul à Tabriz (1918– mars 1923), voir Rabino, Diplomatic and Consular officers . . . , p. 28. 1920 : janvier 1 – février 19, 21 – mars 2, 31 HH1920 : mars 3 Sir Godfrey Thomas Havard (1885-1952), Assistant (1909) et vice-consul à Téhéran (1912) ; Secrétaire oriental à la Légation anglaise en 1919. Sa mission aurait consisté à « acheter les Persans » (Ducrocq). C’est lui qui décrit Mosaddeq comme un windbag (Bullard, Letters from Tehran, p. 236). Encore Oriental secretary en décembre 1924 (Sabahi, British policy in Persia, p. 187) ; sert d’intermédiaire et de traducteur à Rezâ Khân lors de la crise du Khuzestân à Bushehr et Ahvâz (Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 344). Quitte Téhéran pour le bureau du Commerce extérieur (1931). Consul à Chiraz (1933) mais ne s’y rend pas (Rabino, Diplomatic and consular officers . . . , p. 28). Il parlait très bien persan et avait beaucoup d’ennemis parmi les Iraniens (p. ex. Teymur Tâš et Nosratoddowla, cf. Bahâr, Ahzâb-e siâsi I, p. 62). 1920 : janvier 12 – février 14 – mars 2, 16, 20 – avril 7, 30 – juin 28 – décembre 13 1921 : janvier 12, 16 – février 21, 22 – septembre 23 HH1920 : août 17 Herbert Reginald Dauphin Gybbon-Monypenny (1895-1988) « Assistant in the Levant Consular Service, 7th August, 1916. Acting Vice-Consul at Hamadan from June, 1921. H.M. Vice-Consul there, 1st January 1922. Acting Consul at Tabriz from 1st January to 25 March, 1923. And at Shiraz from 18th August to 16th December, 1924. Consul at Ahwaz, 9th April, 1925. A new Commission was issued to Mr Gybbon-Monypenny, 17th April, 1931, consequent upon an alteration in his district. Granted the local and temporary rank of 2nd Secretary while Acting Oriental Secretary at Tehran from 6th June to 8th November, 1932. In charge of the Consulate at Mosul from 22nd December, 1932; definitely transferred there, 1st January, 1933. Appointed Oriental Secretary in the Legation at Tehran in 1944, transferred from Iran in 1945 » Rabino, Consular and diplomatic officers, p. 27. 1919 : octobre 19 Mortazâ-Qoli Hedâyat « Sani‘ od-Dowla » (1856-1911) a étudié en Allemagne. Il était marié à la fille de Mozaffaroddin Shâh. 1898, directeur de la poste. 1906, président du Premier Majles (démissionne après l’assassinat d’Aminossoltân, août 1907, voir Âdamiyat, Majles-e avval, p. 176). Assasiné le 6 février 1911 par des agents russes.

Répertoire prosopographique

605

Voir Bâmdâd, Rejâl 4, p. 63 sq. ; Hedâyat, Xâterât va xatarât p. 220 sq. ; Âdamiyat, Ide’oloži-e nahzat-e Mašrutiyat, pp. 451-454 ; Nezâm-mâfi, Ahzâb-e siyâsi, p. 278. 1920 : janvier 19 Werner Otto von Hentig (1886-1984), diplomate allemand. 1911 – 1914 : à Pekin, à Constantinople et à Téhéran. – 1914 : Officier au front de l’Est. – 1915 : Mission diplomatique à Kaboul, chargé de remettre une lettre officielle de Guillaume ii qui sollicitait l’établissement de relations diplomatiques entre l’Empire allemand et l’Afghanistan. Sur le territoire persan, après avoir passé le Dasht-e Kavir, la Mission Hentig se réunit avec la Mission von Niedermayer ; coopération qui fut caractérisée par d’interminables querelles de compétences entre les deux chefs de mission. – Fin septembre 1915 : arrivé à Kaboul – pourparlers prometteurs avec l’Émir. – Janvier 1916 : l’Émir accepte la conclusion d’un traité d’amitié avec l’Allemagne – commencement de la mobilisation clandestine des forces armées avec l’appui du frère de l’Émir. – Mai 1916 : l’Émir abandonnant toute idée d’entrer en guerre dans le camp des puissances centrales, les allemands décidèrent de quitter le pays et von Hentig rentra en Allemagne via la Chine et les États-Unis. – 1917 : en poste à Constantinople. – 1918 à 1937 : en poste à Tallin, Moscou, Sofia, San Francisco, Bogota (ministre plénipotentaire) et à Amsterdam (ambassadeur). – 1937 à 1941 : directeur du département Proche et Moyen – Orient à l’Auswärtiges Amt. – 1939 : soumission au ministère d’un projet de coup d’État pro – allemand à Kaboul ; projet qui fut finalement abandonné, suite aux controverses au sein de l’Auswärtiges Amt. – 1941 : activités clandestines dans la North West Frontier Province. – 1941 : nommé ministre allemand pour Kaboul toutefois sans avoir effectué la mission car les Alliés empêchèrent l’ouverture d’une représentation diplomatique allemande en Afghanistan. – 1941 à 1942 : officier de liaison diplomatique auprès de l’État – major de l’armée allemande dans le sud de la Russie – conspiration anti – soviétique avec les peuples musulmans de cette région aboutissant à l’envoi à Hitler d’une lettre de protestation dénonçant l’attitude défectueuse des autorités allemandes envers les musulmans de la Russie du Sud. – 1945/46 : prisonnier de guerre des Américains. – 1952-1954 : ambassadeur de la République Fédérale d’Allemagne en Indonésie. – 1954-1956 : conseiller personel auprès du roi Ibn Saud à Riyad. – 1969 : dernier voyage en Afghanistan. Voir Milan L.Hauner, « W.O. von Hentig, 1886-1984 », Central Asian Survey 3, ii, (1984), pp. 138-141 ; W.O. von Hentig, Heimritt durch Kurdistan, Potsdam, 1943 ; id., Mein Leben – eine Dienstreise, Göttingen, Vandenhoeck, 1962 ; id., Meine Diplomatenfahrt ins verschlossene Land, Potsdam, 1928 ; id., Zeugnisse und Selbstzeugnisse, Ebenhausen, Langewiesche-Brandt 1971. [D’après Bast, Les Allemands en Perse . . .] 1920 : décembre 29

606

Répertoire prosopographique

Abo’l-Fath Dibâ « Hešmat od-Dowla » (1874-1958). Ce personnage qui était le demifrère de Mosaddeq os-Saltana a porté les titres suivants : « Monši-bâši », « Vakil ol-Molk », « Seqat od-Dowla », « Vâlâ-Tabâr ». Voir Bâmdâd, Rejâl 1, p. 53 sq. Il reçut sont dernier titre quand il devint secrétaire particulier de Mohammad-‘Ali Šâh. Gouverneur de Rašt (1915), Kermân (1918-19), Khorassan (1924-25). Ministre de la guerre (1916-17), intérieur (1920). Sénateur sous Mohammad-Rezâ Šâh : voir Mosaddeq, Xâterât, p 63. Parlait français comme le dit joliment la notice britannique : FO371/24582 (Person. 1940) ; « He speaks some French but rarely speaks the truth . . . » Fortescue, Military Report, p. 360. 1920 : avril 1, 6, 15 – juillet 4 – octobre 28 – novembre 2 Heydar Khân Amuqli Čerâq-Barqi – Tariverdiev (1880-1921), révolutionnaire né à Salmâs dans une famille iranienne émigrée au Caucase. Études techniques (électricité) à l’Institut polytechnique de Tiflis où il fréquente Staline, Narimanov, Ordzhonikidze, Azizbekov. Commence à travailler à Mašhad dans une compagnie électrique en 1901. Établit à Téhéran une branche du parti Social-démocrate. Impliqué dans l’attentat contre Mohammad-‘Ali Šâh (28 février 1908), voir Bayat, Iran’s First Revolution, p. 223 ; parti pour le Caucase peu avant le coup d’État de juin 1908, revenu à Tabriz peu après ibid. p. 237 ; étudie en France, 1911-1912 voir Ducrocq, « Politique du gouvernement des Soviets en Perse » (rmm 52, 1922), p. 145 ; Âdamiyat, Majles-e avval, p. 318. Sur lui, voir Bâmdâd, Rejâl 1, p. 468 sq. ; pendant la Première guerre, combat au côté des Puissances centrales, en contact avec le Comité iranien de Berlin. Eqbâl, « Heydar Xân ‘Amu Uqlu », Yâdegâr iii, 5, pp. 61-80 ; Morselvand, Rejâl va mašâhir, ii, p. 233 ; Âdamiyat, Majles-e avval, pp. 108, 393 ; M. Âqâsi, Târix-e Xo’y, Tabriz, Mo’assesa-ye târix va farhang-e Irân, 1350/1971, p. 324 sq. ; A. Sheikholeslami, EncIr xii, p. 69 sq. Après la Révolution d’Octobre, envoyé en Asie Centrale avec le Commissariat soviétique aux affaires nationales qui l’envoie en Asie centrale ; il devient leader du parti ‘Adâlat, participe à la conférence ‘Adâlat de Taškent en avril 1920, mais non au congrès d’Anzali de juin 1920. Au Congrès de Baku (septembre 1921), choisi président du Comité central. Rentre à Tabriz en février 1921, mais expulsé. Crée la coalition gouvernementale Jangalicommuniste au Gilân, où il devient commissaire aux Affaires étrangères. Fait partie de l’aile modérée du Parti communiste iranien ; a été assassiné par des agents de Kuček Khan, voir Chaqueri, Soviet Socialist Republic of Iran, p. 462 sq. ; S. RoschkeBugzel, Die revolutionäre Bewegung in Iran, 1905-1911. Sozialdemokratie und russischer Einfluss, Frankrfurt aM, Lang, 1991, p. 170. 1921 : avril 20 Hildebrandt, Consul ou chargé d’affaires à l’ambassade russe, il est le seul à être passé plus tard au service des soviétiques, voir Zürrer, Persien zwischen England u.

Répertoire prosopographique

607

Rußland, p. 378 ; Ducrocq écrit : « L’ambition est le principal mobile de ce couple malheureux » (3 avril 1921). 1920 : février 23 – octobre 30 – novembre 2 – décembre 15 1921 : janvier 6, 12, 31 – mars 27, 30 – avril 3 HH1920 : mai 25 – novembre 1 – mai 1, 21 Major Harald Ossian Hjalmerson, (1868-1919), officier suédois arrivé en Iran en août 1911 pour organiser la gendarmerie. Promu général (1914). Chevalier de la Légion d’Honneur. Voir Cronin, Army and the creation of the Pahlavi State, p. 19. En marsjuin 1913, fait une tournée en accompagnement du lieutenant allemand Fritz Klein, passant par Chiraz, Bušehr, Basra, Bagdad, Kermânšâh et retour à Téhéran. Avril– nov. 1914: vacances en Suède. Déc. 14- février 1915: organise le rapatriement des officiers suédois et quitte l’Iran. 1918 : s’engage comme volontaire dans l’Armée blanche, devient général dans l’armée finlandaise. Voir Markus Ineichen, Die schwedischen Offiziere in Persien. Se suicide Cf. India Office L/P&S/11/166. 1920 : février 25 Henri Hoppenot (1891-1977), premier secrétaire puis chargé d’affaires à la Légation française à Téhéran jusqu’à la fin de 1921. Voir l’introduction. 1920 : janvier 19, 29 – mars 2 – avril 12, 29 – juin 7 – octobre 30 – novembre 2, 11, 21 – décembre 7, 25 1921 : janvier 2, 7, 12, 16, 20, 25, 27 – février 121, 22, 25, 26 – mars 11, 24, 28, 30 – avril 3, 4, 15, 29 – mai 1, 3, 9, 14 – août 30 – septembre 1

Hélène Hoppenot (1896-1990), épouse d’Henri Hoppenot. Voir l’introduction. 1920 : janvier 19 – mai 13 1921 : janvier 22 – mars 30 Hoseyn Khan, voir Sami’i, « Adib os-Saltana » (Lieutenant-Colonel) John Cunningham Moore Hoskyn (1875-1941), attaché militaire britannique du 1er novembre 1918 au 6 mai 1920. Voir Rabino, Diplomatic and consular officers, p. 30. 1919 : décembre 16 1920 : janvier 1 – février 14 – mars 20 Colonel Hubert Huddleston (1880-1950). D’abord en service en Afrique du Sud, il commanda le corps des chameaux de l’armée égyptienne en 1914. Joua un rôle important dans la campagne du Darfour en 1916. Assistant de Smyth pour aider à la réorganisation de la Division cosaque en novembre 1920, voir Cronin, Army and the creation of the Pahlavi state, p. 82 ; Katouzian, State and society, p. 197 sq. Tenta, avec Haig, de dissuader les Cosaques de continuer leur marche sur Téhéran le 21 février 21. Plus tard pressenti par Seyyed Ziyâ’ pour commander une force persane de 5 000 hommes basés à Qazvin, voir Zürrer, Persien zwischen England und Rußland, p. 242 sq.

608

Répertoire prosopographique

« ­Profondément anti-français » écrit Ducrocq le 23 janvier 1920. Huddleston reçut la Croix de Saint-Michel et Saint-George en 1940. Avait la réputation d’un fort caractère. 1920 : janvier 23 – avril 6 – juin 11, 28 – octobre 30 1921 : février 9 – mars 7, 9, 31 – avril 3, 4, 8, 11, 18 Colonel F.F. Hunter, britannique, Colonel dans les spr, dont il démissionne en 1920, voir Moberly, Operations in Persia p. 217 sq. 1920 : février 28, 29 – mars 30 – avril 15 – juin 11 1921 : mars 1 Gaspard Ipekiân ou Epikiân (1883-1952), intellectuel arménien né sujet ottoman, proche de Seyyed Ziyâ’oddin Tabâtabâ’i dont il partagera la disgrâce en mai 1921, voir Bahâr, Ahzâb-e siyâsi, I, p. 100. Né à Constantinople, dans une famille originaire de Brousse, commerçants en tabacs (succursales à Samson et Alexandrie). 1896, exil de la famille à Alexandrie. Rentre l’année suivante à Istanbul pour poursuivre ses études. Inscrit au parti Dashnaktzoutiun. 1904, part pour l’Allemagne, fréquente les mouvements littéraires et musicaux, se passionne pour Wagner, Grieg, Ibsen. Rentre à Constantinople en 1907, passant par Genève. 1908, à Tiflis, enseigne le français dans les écoles russes. Part pour Paris, où il termine en 1912 une thèse sur « Les lois sur le mariage et le divorce chez les Arméniens au cours de l’histoire ». Part pour Alexandrie, travaille avec un avocat. 1913 : à Constantinople, collabore au journal Azadamard. 1916, se rend à Téhéran avec Garabed Pbionian, comme enseignant. Enseigne l’arménien, la littérature et l’histoire. 1917, devient intime de Seyyed Ziyâ, qui appréciait beaucoup ses connaissances en sciences politiques. Collabore à Ra’d pour la politique étrangère. 1919, Inspecteur général au ministère de l’Éducation. En 1920, maire de Téhéran. Pendant le gouvernement Vosuqoddowla, souvent invité aux séances du cabinet comme consultant de politique étrangère. Favorise les relations entre l’Iran et la République d’Arménie. Mentionné comme complotant avec Seyyed Ziyâ’ et d’autres, en lien avec la légation britannique, pendant l’été 1920 voir Dowlatâbâdi, Hayât-e Yahyâ, iv, p. 151. 1921, reçoit des conjurés la mission de gérer la ville de Téhéran, qu’il dote d’électricité et d’une bibliothèque centrale. « His [= Seyyed Ziyâ’s] right-hand man was an Armenian named Epekian, the editor of the Radd, who, although always intensely busy, never seemed to bring anything to a conclusion » écrit Balfour, Recent happenings . . . p. 217. Parlait persan couramment. Fut chargé de saisir les stocks de vin et alcools, ce qui le rendit très impopulaire, ibid., p. 240. Exilé en mai avec Seyyed Ziyâ’. Se rend à Bagdad avec sa femme, Arménienne d’Iran, se rend en Inde où il rencontre Gandhi, à Alexandrie jusqu’en 1930, puis à Beyrouth où il meurt le 27 mars 1952. Sa fille Houri Ipekian, poètesse renommée en arménien et en français : voir Hur (revue arménienne publiée à Téhéran), xvii– xviii, 2ème année (nov–déc. 1972), pp. 66-76 [communiqué par M. Golnazarian]. Voir Ândre’ânik Huviân, Armaniân-e Irân, Tehrân, Markaz-e beyn ol-melali-e goftogu-ye tamaddon-hâ/Hermez, 1380/2001, p. 412 sq. ; ‘ Ruznâma-ye xâterât-e

Répertoire prosopographique

609

‘Eynossaltana vii, p. 5073. D’après Baxter (lettre 89, British archives) était au courant des détails du coup-d’État. 1919 : juillet 25 1920 : février 23 – avril 10 1921 : janvier 29, 30 – mars 18 – avril 1 – mai 16 Général Edmund Ironside (1880-1959) a commencé sa carrière pendant la Guerre des Boers en Afrique du Sud (1899-1902). Il combattit en France pendant la Première guerre mondiale (bataille de la Somme, 1916). Après la Guerre, il effectua son premier commandement dans la campagne en Russie du Nord (voir E. Ironside, Archangel, 1918-1919, London, Constable, 1953) puis diverses missions délicates en Europe (Hongrie, Grèce) et à Izmit (Turquie). Arrivé le 4 octobre 1920 à Qazvin pour remplacer le Général Champain à la tête de la Norperforce, il organisa le retrait des forces britanniques vers l’Irak et assura la continuité de la sécurité contre l’avancée bolchevique en assistant les acteurs du coup d’État du 21 février 1921. Il quitta lui-même l’Iran le 17 février. Il fut plus tard nommé à différents postes en Grande-Bretagne (école d’état-major, Camberley 1922-6) et en Inde avant de devenir le gouverneur de Gibraltar (1938-9) et finalement chef de l’état-major de l’Empire britannique (gigs, 1939-40). Voir Wright, English amongst the Persians, p. 180 sq. ; Cronin, Army and the creation of the Pahlavi state, p. 79 ; Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 107 n ; Katouzian, State and Society, p. 195 sq. ; Ironside, High Road to Command. Ce dernier livre n’est pas entièrement fiable ; voir Y. Richard, « Le coup d’État de 1921 et les sources historiques » qui donne en ordre chronologique tous les extraits connus des diaries. 1920 : octobre 30 – novembre 2, 4, 25 – décembre 22 1921 : janvier 6, 17, 18, 20 – février 1, 22, 25 – mars 1, 3, 6, 7, 10, 11, 12 – avril 9 – mai 1 ‘Isâ Khan Feyz. Employé du ministère des finances, études en Angleterre. Proche d’Armitage Smith. Ministre des finances dans le cabinet de Sepahdâr Rašti et reconduit par Seyyed Ziyâ en février 1921 ; malade, il quitte le gouvernement en avril 1921 et devient commisionnaire iranien pour le pétrole à Londres. Voir Ghani, Iran and the Rise of Reza Shah, p. 201 n. ; Zarqâm Borujeni, Dowlat-hâ-ye ‘asr-e Mašrutiyat, pp. 125 et 128 ; Ferrier, History of the British Petroleum Company, p. 692. 1921 : février 26 Nasrollâh Sheybâni « Jalil ol-Molk » (1879-1959) : « Très anti-européen. Il avait adopté vis-à-vis des Européens l’attitude la plus insolente . . . C’était un Persan fanatique. Il a fait récemment le voyage de Kerbela » écrit Ducrocq le 25 décembre 1920. Après des études à Dâr ol-Fonun et à Beyrouth, il s’engage fortement dans le mouvement constitutionaliste. Exilé en juin 1908 à Bakou, il revient pour entamer une brillante carrière au ministère des Affaires étrangères. Devient député de Kâšân en 1921 (4e Majles). A participé avec Minorsky à la commission des frontières irano-turque. Ancien chef du protocole. Voir également Ducrocq, Papiers d’agent, 19 ; Rejâl-e

610

Répertoire prosopographique

vezârat-e xâreja, p. 218 ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašruṭiyat p. 40 sq. ; Nazari, Rejâl-e pârlemani-e Irân, p. 290 ; site rasekhoon.net (24/09/2013). 1920 : décembre 25 1921 : février 22, 26 Mahmud Jam, voir Modir ol-Molk Kâmrân Mirzâ « Nâyeb os-Saltana » et « Amir Kabir » (1856-1928), troisième fils de Nâseroddin Shâh, voir Bâmdâd, Rejâl 3, pp. 149-161 ; sur son rôle pendant le voyage de Nâser od-Din Shah en Europe, voir N. Kasri, Târix-e mo‘âser-e Irân, X (1386/2007). Préféré de Nâseroddin Shâh qui le nomme ministre de la Guerre et gouverneur de Téhéran, voir Abbas Amanat, Pivot of the Universe. Nasir al-Din Shah Qajar and the Iranian monarchy 1831-1896, Berkeley – Los Angeles, University of California Press, 1997, pp. 400 sq., 439. Responsable de l’arrestation de Mirzâ Rezâ Kermâni en 1891, voir N.R. Keddie, Sayyid Jamal ad-Din al-Afghani : A Political Biography, Berkeley & Los Angeles, Un. of California Press, 1972, p. 407 sq. ; H. Nâteq, Kârnâma va zamâna-ye Mirzâ Rezâ Kermâni, Santa Clara (Ca), 1363/1984, p. 92. démissionné par le Majles du ministère de la Guerre en 1907, voir Âdamiyat, Majles-e avval, p. 154 ; russophile pendant la Guerre, voir Bast, Les Allemands en Perse, p. 99. 1919 : novembre 11 Kâzem Khan Sayyâh (1896-1970), officier de la Gendarmerie proche de Rezâ Khan en 1920, aurait servi de lien entre lui et Seyyed Ziyâ’ qu’il connaissait depuis longtemps et avec lequel il a parlé d’une possibilité de coup d’État lors de la mission à Tiflis de l’hiver 1920. Voir Jamâlzâda, « Seyyed Ziyâ va Ketâb-e siyâh-e u » ; Y. Richard, « Le coup d’État de 1921 et les sources historiques » ; Cronin, Army and the creation of the Pahlavi state, p. 86. Nommé commandant de la capitale lors du coup d’État, voir Safâ’i, Kudetâ-ye 1299, pp. 10, 15. Il avait été dans une école militaire ottomane à Istanbul et combattu contre les Anglais en Mésopotamie. Quand il était au service des Ottomans, pendant la Guerre, a fait des missions secrètes jusqu’à Téhéran et aurait alors rencontré Seyyed Ziyâ, ami de famille. Arrêté par les Britanniques alors qu’il voulait continuer à les combattre après le cessez-le-feu. Il aurait été libéré grâce à l’intervention de Seyyed Ziyâ et de Vosuq . . . et serait devenu anglophile. Voir Wilber, Riza Shah Pahlavi, p. 40 sq. Le Gén. Smyth l’avait pris comme aide de camp et en fait l’éloge à Ducrocq le 3 mars 1921. Portrait par Ducrocq comme futur homme fort de la Perse : Archives diplomatiques, Asie 1918 . . . Perse-Iran 5, rapport du 1er mai 1921, Journal de Perse 18 mai 1921. Voir Â. Âl-e Ahmad, « Hâkem-e nezâmi-e Tehrân dar sobh-e Kudetâ », Târix-e mo‘âser-e Irân (Viža-nâma-ye Kudetâ-ye 1299). – iv, 15-16 (pâ’iz – zemestân 1379/2000), p. 211 sq. Aurait accompagné Ziyâ dans son exil après la destitution de mai 1921, Jamâlzâda, Âyanda, vi, 9-12, 737; s’établit à Berlin et revient en Iran après la destitution de Rezâ Shah, occupe divers postes de second rang, dirige un mouvement hostile à Mosaddeq, voir Âsiya Âl-e Ahmad, http://www.iichs.org/ (24/09/2013). 1921 : février 22 – mars 3 – mai 1, 18

Répertoire prosopographique

611

Keyhân, voir Mas’ud Xân Keyxosrow voir Šâhrox Kingwood, officier (?) britannique mort en janvier 1921 de crise cardiaque. 1920 : décembre 18 1921 : janvier 13, 17, 30 – mai 1, 3 Knut Filip Klinberg (1871-1959), Instructeur de la Gendarmerie, voir M. Ineichen, Die schwedischen Offiziere in Persien, p. 230. 1920 : février 25 Mirzâ Kuček Khan (1878-1921), Mollâ Yunes, surnommé le “Petit Mirza”, est né à Rašt au Gilân (plaine Caspienne), fils de Mirzâ Bozorg (le “Grand Mirza”) qui était au service d’un riche famille agent du Trésor. Il a étudié la théologie à Rašt et à Téhéran et a participé au mouvement constitutionnel. Il a été élu au Deuxième Majles après avoir été blessé dans les combats contre le souverain autocrate Mohammad-‘Ali Shah. Il prit, à partir de 1915-1916, la tête d’une révolte dans la province du Gilân qu’on nomma le Jangal (« la forêt ») parce que ses membres se réfugiaient dans les forêts. Ils dénonçaient les ingérences impérialistes, principalement celles des Britanniques et reçurent l’assistance d’officiers allemands et ottomans ; à partir de 1919 ils s’allièrent aux Bolcheviques. Le mouvement fut définitivement écrasé à la fin de 1921 après la mort de Mirzâ Kuček Khan. Voir son portrait par Taqizâda : Zendagi-e tufâni, p. 357. Chaqueri, Soviet Socialist Republic of Iran, p. 464 et passim. 1919 : août 9 – décembre 17 1921 : septembre 1 Jacques Maximilien Paul Emmanuel comte de Lalaing (1889– ?), fils de Charles qui était diplomate, lui-même diplomate belge à St-Petersburg (1913-1917), Stockholm (1918), Londres (1918-1919), La Haye (1919), chargé d’affaires à Téhéran (1919-1922), Le Caire (1922-1924) et La Laye (1924-1926). HH1921 : septembre 25 – novembre 18 – décembre 4 HH1922 : janvier 4 – février 18 – mars 7 Colonel J. Lamont, assistant de H. Smyth en 1920, pour encadrer le commandement iranien des Cosaques après le renvoi de Starosselski. Voir Cronin, Army and the creation of the Pahlavi state, p. 82. « Le colonel Lamont est un Écossais parfait, gentilhomme, brave, gai, cordial. » écrit Ducrocq, le 23 janvier 1920. Quitte l’Iran en novembre, voyant que la Commission militaire mixte ne se forme pas. 1920 : janvier 23 – février 1 – mars 28 – mai 17 – juillet 10 – novembre 24 – décembre 6 Laredo, Directeur, avec sa femme, de l’école de l’Alliance israélite universelle à Téhéran, 1920 voir Ducrocq, Papiers d’agents, vol. 35. 1920 : novembre 21 Capitaine Lassen, officier russe d’origine danoise, qui se trouva en Perse pendant la Guerre et a miraculeusement échappé au massacre par ses soldats pendant la Révolution de 1917 : Arfa, Under Five Shahs, p 89. Ducrocq en parle encore fin novembre 1920 et le présente comme malhonnête. Dans les Papiers d’agents Ducrocq, vol. 36,

612

Répertoire prosopographique

note, « Près de moi dans une maison voisine logeait l’élégante Madame Lassen, qui appartenait au service de renseignements britannique. » (?) Lassen se heurte aux Cosaques après le coup d’État de février 21. Se tire un coup de révolver (sans se tuer), désespéré des infidélités de sa femme, qui était très belle : voir Ducrocq, 20 mars 1921. 1919 : août 24 – décembre 24 1920 : janvier 1, 14, 27 – mars 8y  : juin 17 – novembre 30 1921 : février 1, 22 – mars 20 HH1920 : mars 9 – septembre 27 – octobre 11 – novembre 9, 16 HH1921 : juin 18 Raymond Lecomte (1858-1921) après une formation de juriste, fait carrière au quai d’Orsay (1882) ; mission au Caire (1899-1905), à Berlin pendant la crise du Maroc, parle allemand. Ministre français à Téhéran de 1908 à 1919 : il a poursuivi la politique traditionnelle de la France qui est de s’effacer devant les intérêts britanniques et il a encouragé les Alliés à intervenir efficacement pour endiguer l’influence germano-ottomane. Voir Bast, Les Allemands en Perse, p. 8 sq. ; Hellot-Bellier, France-Iran, p. 224 sq. 1919 : octobre 19 – décembre 22 1920 : février 6, 11, 19 – mars 16 – avril 7, 15, 18 – juin 24 – juillet 15 – novembre 24 – décembre 7

1921 : mars 27 – avril 15 Emile Lesueur (né en 1880), docteur en droit, avocat, franc-maçon ; professeur à l’École de droit de Téhéran 1919-1921. « Il est de ces bonapartistes mystiques qui, s’étant convertis au républicanisme, vont à la mystique républicaine, Rousseau, Robespierre. Au fond, il lui faut toujours des thèmes d’éloquence et des exercices de rhétorique ; à part ce travers, un excellent homme, » écrit Ducrocq, 25 décembre 1920. Auteur de Les Anglais en Perse, 1921. 1919 : novembre 5 1920 : janvier 1, 4, 18 – novembre 2 – décembre 7, 25 1921 : janvier 2 – mars 11, 15, 24 Licingoff, voir Farâmarz Mohammad-Hoseyn Adham « Mo’in ol-Atebbâ », « Loqmân od-Dowla » (1842-1951), médecin réputé. Voir Bâmdâd, Rejâl 3, p. 282 & 5, p. 107 sq. 1921 : mars 24 – octobre 6 Dr Sa’id Mâlek « Loqmân ol-Molk » (1888-1971) né à Tabriz, fils de Mirzâ ‘Isâ Khan, fonctionnaire des finances. Études à l’école Loqmâniya et lazariste de Tabriz, puis, de 1905 à 1911, à Paris. Chirurgien. Dirige le service médical de la Gendarmerie. Sous Mohammad-Rezâ Shah, ministre de la santé des gouvernements Sâ‘ed, Hakimi, Bayât et Sadr. Élu au Sénat, devient vice-président du Sénat, doyen du Sénat. Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 716. 1921 : février 27 – mars 13 – octobre 14

Répertoire prosopographique

613

Sir Percy Lyham Loraine (1880-1961) étudie à Eton puis à Oxford. Après un poste à Istanbul, troisième secrétaire à Téhéran, 1907-1909 ; divers postes en Europe puis ministre de Grande-Bretagne à Téhéran, 1921-26, voir Rabino, Diplomatic and consular officers, p. 35 ; G. Waterfield, Professional Diplomat. Sir Percy Loraine of Kirkharle Bt. 1880-1961, London, John Murray, 1973 ; Ferrier, History of bp I., p. 693. Après l’Iran, servit en Turquie (1934-39) puis en Italie, voir Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 253. HH1921 : octobre 3 – novembre 18 – décembre 15 HH1922 : janvier 10 – février 5, 14, 15 Hans Albin Lundberg (né en 1888). Officier suédois de la Gendarmerie. Poursuivi pour vol, voir Ducrocq, 22 mars 1921. Arrêté par les insurgés de Lâhuti en février 1922. « Quant au colonel Lundberg, c’est une brute épaisse et germanophile », écrit H. Hoppenot le 16 juin 1920. Ineichen signale un autre Lundberg (Tor Harald), qui est mort en 1919, voir Ineichen, Die schwedischen Offiziere in Persien. Emigre aux États-Unis en 1928. 1919 : août 24 – septembre 16 – décembre 18 1920 : février 25 – mars 16 – avril 5 – juin 28 1921 : janvier 2 – février 22, 27 – mars 22, 27 HH1920 : juin 16 Henry W. MacLean – « Was for some time Honorary Attaché to the Legation, to which post he was appointed, 1st November 1901. Re-appointed Honorary Attaché there, 9th May 1916. Appointment terminated, 15th October, 1920 » Rabino, Diplomatic and consular officers, p. 37. 1920 : décembre 12 Général Wilfrid Malleson (1866-1946), officier britannique, commandant du East Persia Cordon, installé à Mašhad en été 1918, voir Cronin, The Army and the creation of the Pahlavi State, p. 263, note. Voir W. Malleson, « The British military mission to Turkestan, 1918-1920 », Journal of the Central Asiatic Society – ix (1922). « Later he participated in the Third Anglo-Afghan war 1919. He was involved in military intelligence, running a spy network from Meshed in north-eastern Iran against the Russians during this period » (Wikipedia). 1919 : juillet 1 Victor Alexander Louis Mallet (1893-1969) études à Winchester College et Oxford (Balliol) ; a servi en France et en Irlande pendant la Guerre. « Acting Counsellor of Embassy at Tehran, 3rd April 1933, where he acted as Chargé d’Affaires in 1933 and 1935. Counsellor of Embassy at Washington, 20th January 1936. » Rabino, Diplomatic and Consular officers, p. 39. Ami d’Edmonds, probablement à Téhéran vers 1920-21. Ensuite au Persian desk, Foreign office. Cf Sabahi, British policy in Persia 1918-1921, p. 161 ; Zürrer, Persien zwischen England und Rußland, index s.v. « He joined the Diplomatic Service and held various posts in Tehran, Persia (later Iran), 1919-22

614

Répertoire prosopographique

and 1933-5; Buenos Aires, Argentina, 1926-8; Brussels, Belgium, 1929-32; Washington, United States, 1936-9; and in the Foreign Office, 1922-6 and 1932. He was Minister in Stockholm, Sweden, 1940-5, and Ambassador to Spain, 1945-6, and Italy, 1947-53. [. . .]. He was awarded the cmg, 1934; kcmg, 1944; and gcmg, 1952. His publications include: “Life with Queen Victoria” (1968) » voir Churchill Archives Centre, The Papers of Sir Victor Mallet, Malt. 1919 : septembre 15 – octobre 19 – décembre 18 1920 : février 21 – avril 5 1921 : janvier 21 – septembre 23 HH1920 : février 29 – mars 19 – avril 12 – mai 8, 19 – août 17 HH1921 : janvier 7, 29 André Malzac (1878-1961), diplômé des Langues orientales, drogman à Damas (1903) puis Téhéran puis agent consulaire français à Tabriz, 1920-21. Cf. Hellot-Bellier, France-Iran, p. 242 sq. 1919 : septembre 30 – décembre 27, 30 1920 : janvier 3, 18, 23, 25, 31 – février 23 – décembre 23 HH1920 : janvier 19 – février 2, 11, 14 – mars 7 – avril 7 – mai 20 – juillet 30 – novembre 27 Ahmad « Manšur ol-Molk » (né en 1863) Études à Dâr ol-fonun, voir Rejâl-e vezârat-e xâreja p. 132 ; Mostowfi, Zendagâni-e man 1, p. 447 & 2, p. 172. 1920 : avril 14 Mansur ol-Saltana, voir Mostafâ ‘Adl Manučehr Khan, voir Âq-Evli Mas’ud Khan Keyhân (1893-1967), élevé en France depuis l’âge de 13 ans. Officier de gendarmerie. A été un peu entraîné vers les Anglais pendant son ministère « Mais il a un excellent cœur, il serait possible de le reconquérir. Il s’est un peu brûlé durant son ministère de la Guerre. » dit Ducrocq, Papiers d’agents, 19. Formé à Saint Cyr. Officier de gendarmerie à partir de 1913. Proche de Rezâ Khan. Ministre de la Guerre dans le cabinet Seyyed Ziyâ (1921). Après 1924, professeur à l’École normale de Téhéran. Voir fo 371/24582 (Person. 1940). Ministre de l’éducation dans le cabinet ‘Ali Mansur (1950), voir ‘Abdollâhpur, Vozarâ-ye ma‘âref-e Irân, p. 167 ; Mošâr, Mo’allefin vi, p. 186. Sur son rôle dans le coup d’État, entre Rezâ Khan et Seyyed Ziyâ, voir Cronin, The Army and the creation of the Pahlavi state, p. 86 ; Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 202 note ; ‘A. Âyati, « Kudetâ-ye Rezâ Xân . . . », p. 184 note ; Y. Richard, « Le coup d’État de 1921 et les sources historiques ». Aurait connu Sd Ziyâ en France, pendant les deux ans où celui-ci étudiait, voir Fâtema Moezzi, « Negâh-i be zendagi-e Mâžor Mas‘ud Keyhân » Târix-e mo‘âser-e Irân. Viža-nâma-ye Kudetâye 1299. – iv, 15-16 (pâ’iz-zemestân 1379), pp. 201-210. Il est l’auteur de Joqrâfyâ-ye mofassal-e Irân – 3 vol., Tehrân, 1310-1311/1931-33. 1921 : janvier 18 – février 21, 22, 26 – mars 3, 9, 21, 22, 31 – avril 26 – mai 18 HH1921 : février 21, 24

Répertoire prosopographique

615

Mâšâllâh Khan Kâši, fils de Nâyeb Hoseyn Kâši. Nommé chef de la gendarmerie et gouverneur de Kâšân pour apaiser Nâyeb Ḥoseyn. Finit par se conduire également comme un brigand. Pendu le 30 août 1919 sur la place des Canons à Téhéran, voir Papiers Ducrocq 21 ; ‘A. Madani, Târix-e ašrâr-e Kâšân . . ., Kâšân, Morsel, 1370/1992 et Abstracta iranica 15, n° 639 ; H. E‘zâm ol-Vezâra Qodsi, Xâterât-e man yâ rowšan šodan-e târix-e sad sâla, Tehrân, Abu Reyhân, 1349/1970, pp. 258-290. 1919 : mai 14 – août 28 James McMurray (1877-1950) directeur de la Banque impériale de Perse, décembre 1920 voir Ironside, High Road to command, p. 157. « Appointed to Bank’s London staff 1897; overseas staff 1900. Served at Tehran Bazaar, Nasratabad and Hamadan branches, opening the latter in 1909. Head of Commission of Control of Expenditure which financed Russian forces in Persia 1917-1918. Awarded obe for services 1918, and cbe 1921. Appointed Chief Manager of Bank 1919. Resigned 1925 owing to ill health. Elected to Board 1928. Director 1928-50. Mission to Persia 1929 » G. Jones, Banking and empire in Iran, Cambridge – New York, 1986, p. 366. cj Edmonds l’a rencontré à Hamadan en 1917 : voir East and West of Zagros, p. 221. 1919 : décembre 17 1920 : novembre 11 – novembre 29 – décembre 15 1921 : janvier 17 – mars 27 HH1920 : septembre 9 Merle, secrétaire général de l’École de Droit de Téhéran, directeur de l’École de l’Alliance française (1920), voir Ducrocq, Papiers d’Agents, vol. 35. 1920 : janvier 17, 18 – février 19 1921 : mars 15 HH1920 : novembre 3 Dr Joseph Mesnard (1886-1950), médecin français arrivé à Téhéran en 1920, recruté pour diriger l’Institut Pasteur de Téhéran, voir Banani, Modernization of Iran . . . p. 64. « Le voyage du docteur Mesnard (décembre 1920-avril 1921) a été fort difficile et les autorités anglaises de Mésopotamie et de Perse ont employé tous les moyens pour l’entraver. Aujourd’hui [1921?], après un séjour de six mois à Téhéran, marqué par une remarquable persévérance et un sang-froid imperturbable, le docteur Mesnard est arrivé à ses fins. L’Institut Pasteur est fondé » Ducrocq, Papiers d’agents, vol. 35. « Les hostilités entre Dr Mesnard et Dr Wilhelm ont eu un écho lamentable au Conseil Sanitaire où Wilhelm a porté contre Mesnard une accusation d’homicide par négligence qui a soulevé l’indignation contre Wilhelm car Mesnard s’est aisément disculpé » écrit Audigier à Bonin, 16 août 24, Archives diplomatiques, Papiers Bonin, 17, f°304. Lassé des querelles et de l’insécurité politique, quitte l’Iran en 1925 et fondera plus tard l’Institut Pasteur de Saïgon. (http://www.pasteur.fr/ consultéle26/09/2013). 1921 : mars 11 – avril 14, 15, 20 – mai 1, 16

616

Répertoire prosopographique

HH1920 : mai 3 HH1921 : juin 18 Vladimir Minorsky (1877-1966), diplomate et orientaliste russe. Étudie les langues orientales à l’Institut Lazarev de Moscou (1900-1903). Employé en Iran de 1904 à 1908. 1908-1912 : St-Petersbourg et Turkestan ; 1911 : mission anglo-russe au NordOuest de l’Iran. 1912 : Ambassade russe à Istanbul. 1913 : délégué russe à la Commission internationale de délimitation des frontières entre l’Iran et la Turquie. 1914 : Légation Russe à Téhéran, [voyage au nord de l’Iran et dans la Caspienne, aoûtseptembre 1918, les Anglais veulent l’arrêter, voir P. Luft, « The End of Czarist Rule in Iran », pp. 108 sq., 110] puis voyage en France (11 sept. 1919), sert d’abord à l’ambassade russe, puis aux Langues Orientales. À partir de 1930 : Londres, soas, retraité en 1944, voir Iranica, xi ; sur son séjour à Tabriz en 1911, Z. Xo’i, « Taqizâda ânčonân ke man šenâxtam » Yâdnâma-ye Taqizâda, H. Yaqmâ’i, ed., Tehrân 1349/1971, p. 167 ; Taqizâda, Zendagi-e tufâni, p. 140 ; Kamara’i, « Xatt-e Minorski » ; Taqizâda et M. Minovi, Rahnemâ-ye Ketâb ix, 1. « Secrétaire russe, agité, raseur (?) femme intelligente, sèche» (note de Lecomte, 5/4/19 à Bonin, Papiers Bonin 26 F°37) ; Maqâlât-e Taqizâda, ii, p. 63 sq. Conversations de Ducrocq avec lui portant sur le Caucase, le bolchevisme, les Anglais et l’Asie centrale, Téhéran septembre 1919 : « Minorsky, d’après M. de Raymond, est un gaffeur qui parle trop » voir Ducrocq, Papiers d’agents, vol. 51. Quitte l’Iran le 12 septembre 1919, voir mae, Asie 18-40, PerseIran 33, f°34 ; J. Aubin, « Vladimir Minorsky (1877-1966) », Studia Iranica 5 (1976), pp. 131-33 ; J.A. Boyle, « Vladimir Minorsky (1877-1966) », Journal of Asian History 1 (1967), pp. 86-89 ; D.M. Lang, « Vladimir Fedorovich Minorsky », Yâd-nâme-ye irâni-ye Minorsky, éd. Mojtabâ Minovi, Iraj Afshâr, Téhéran, 1969 (Publications de l’Université de Téhéran), p. xiv ; C.E. Bosworth, éd., Iran and Islam. In memory of the late Vladimir Minorsky, Edimbourg, 1971, pp. v–ix. 1919 : août 10, 12 – septembre 2, 8, 11 – décembre 18, 30 Qolâm-Hoseyn Ashrafi, « Mirzâ Âqâ Xân » voir Ashrafi Hvsep [Joseph] Mirzâyâns (1868-1935), notable arménien fils de Sohrâb Mizâyâns, né à Hamadân. Études au collège américain d’Ispahan. Député arménien au 2ème Majles puis aux 3e, 4e, 7e, 8e, 9e et 10e Majles (n’a pu siéger à ce dernier, puisqu’il est mort avant son inauguration). Emprisonné par Seyyed Ziyâ en 1921. Aurait été complice de Firuz Mirzâ lorsque celui-ci prévoyait un coup d’État en 1921, voir Ducrocq, 18 mars 1921. Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 832 sq. 1921 : mars 18, 31 – septembre 23 Seyyed Hasan Modarres (1870-1937), né près d’Ardestân. Études religieuses à Qomša, Ispahan et aux ‘Atabât. Devient mojtahed. Engagé dans le mouvement constitutionaliste à Ispahan : vice-président de l’Assemblée régionale (Anjoman-e velâyati). Coopté pour faire partie de l’aréopage de cinq théologiens garants de la conformité des lois avec l’islam dans le 2ème Majles en 1909. Participe à l’Assemblée et prononce

Répertoire prosopographique

617

de nombreux discours. Après la dissolution du Majles, reste à Téhéran et enseigne à Sepahsâlâr tout en continuant l’agitation politique. Élu au 3ème Parlement. Ministre de la justice et des vaqf dans le gouvernement provisoire exilé à Kermânšâh de Nezâm os-Saltana (1915). Exil à Istanbul. Collabore avec Vosuq od-Dowla jusqu’à la signature de l’Accord anglo-persan (1919). Emprisonné pendant tout le gouvernement de Seyyed Ziyâ. Député aux Majles 4 (vice-président), 5 & 6. En bons termes avec Rezâ Khan (ministre de la Guerre) jusqu’à l’automne 1922. Rezâ Khan ne peut empêcher l’élection à Téhéran d’opposants comme Mosaddeq, Taqizâda, Mostowfi ol-Mamâlek et Modarres (5e législature). Modarres s’oppose frontalement au projet républicain (février 1924). Un partisan de la République gifle Modarres en public. Rezâ Khan, après avoir abandonné l’idée d’une République, réussit à amadouer Modarres en faisant croire qu’il écoute ses conseils ; Modarres obtient le soutien d’une large majorité à la montée en puissance de Rezâ Khan. Nommé gérant de l’École Sepahsâlâr par Rezâ Khan : voir Abo ’l-Qâsem Sahhâb, Târix-e madresa-ye ‘âli-e Sepahsâlâr, Tehrân 1339/1960, p. 119. Il s’oppose par la suite à quelques unes des réformes qui restreignent l’influence du clergé comme le service militaire obligatoire. Modarres fait partie des opposants à la destitution de la dynastie Qâjâr (1925). Élu au 6e Majles, Modarres dénonce l’intervention de l’armée dans les bureaux de vote en province. Il est blessé dans un attentat (1926). Écarté du Parlement, il retourne à l’enseignement. Il est finalement arrêté et déporté au Khorassan (octobre 1928), où il sera exécuté sommairement sans jugement ; voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, pp. 736-740 ; fo371/17908 (Person. 1934). « Persistent rumours say that Mudarris is dead, but as no official announcement to this effect has ever appeared, it must be presumed that he is still in exile at Kelat in Khorasan » voir fo371/24582 (Person. 1940) ; Bâmdâd, Rejâl 1, p. 343 sq. ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 94 ; ‘Ali Modarresi, Modarres-e šahid, nâbeqa-ye melli-e Irân, Esfahân 1358/1979 ; Md Torkamân, Ârâ, andiša-hâ va falsafa-ye siyâsi-e Modarres, Tehrân 1374/1995 ; V. Martin, « Mudarris, republicanism and the rise to power of Rizâ Khân, Sardâr-i Sipah » British Journal of Middle Eastern Studies – 21, 2 (1994). 1919 : août 24 1921 : février 21, 22 – mars 17 « Modir ol-Molk », Mahmud Jam (1885-1969), né à Tabriz, études dans des écoles modernes. À 16 ans devient traducteur du Dr René Coppin, médecin français à la Cour du prince héritier à Tabriz, plus tard de Mohammad-‘Ali Shah à Téhéran. Venu à Téhéran, il travaille pour les douanes, pour la légation française (drogman) et devient responsable des entrepôts de céréales. Participe au financement du gouvernement de Seyyed Ziyâ et échappe à l’arrestation. Devient ministre des Affaires étrangères puis ministre des Finances. Vice-premier ministre et ministre important du gouvernement de Sardâr Sepah. 1926 : gouverneur de Kermân. 1929 : gérant de la fondation Âstân-e Qods et gouverneur du Khorassan. 1933 : ministre de l’Intérieur.

618

Répertoire prosopographique

Garde ce poste quand il devient Premier ministre. 1939 : ministre de la Cour. Accompagne Rezâ Shah et sa famille jusqu’à la frontière. 1941 : ambassadeur en Égypte. 1947 : ministre de la Guerre dans le cabinet Qavâm os-Saltana. À nouveau ministre de la Cour. 1948 : ambassadeur en Italie. Devient sénateur de Kermân. Réputation d’intégrité. Conservateur et très proche de la dynastie Pahlavi ; son fils Fereydun épouse la princesse Šams (1937). Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p 292 sq. Membre de la Loge Bidâri-e Irân, voir Râ’in, Farâmušxâna, ii, p. 447 ; FO371/17908 (Person. 1934) : « Pleasant . . . trustworthy and loyal » ; fo371/ 24582 (Person. 1940) ; Bâmdâd, Rejâl 3, p. 283 sq. ; Mojtahedi, Rejâl-e Âzarbâyjân, p. 62 ; Mosaddeq, Xâterât p. 144 ; Morselvand, Rejâl va mašâhir, iii, p. 21. « L’homme de M. Lecomte. A gouverné la Légation de France pendant 10 ans. Ministre des finances de Seyyed Ziyâ’. Intègre, bon administrateur. A été très fidèle à la politique française, tant qu’elle s’est effacée devant la politique anglaise en Perse . . . Extrêmement fin, averti et renseigné. Une des meilleures têtes du royaume comme administrateur. Ne put s’entendre avec Bonin. Approuva les campagnes menées contre Perny, Molitor, Bjurling. Fit voter des crédits à l’école allemande. Je le considère simplement comme un agent anglais, avec sympathies – de famille – pro-allemandes et coquet au besoin avec la France. » Ducrocq, Papiers d’agents, 19. 1919 : octobre 19 1920 : avril 7 – novembre 18 1921 : février 23, 25, 26 – mars 19, 27, 31 – avril 18 – mai 13, 14, 16, 17 – septembre 27 HH1920 : janvier 30 – septembre 30 Mohammad-Hoseyn Mirzâ, voir Farmân-Farmâ Mohammad-Vali Firuz, voir Firuz « Mohtašam os-Saltana », Hasan Esfandyâri (1867-1945) Fils de Mohammad Ra’is Sadiq ol-Molk qui avait été diplomate (notamment en Inde). Postes à Berlin (188589, il apprend l’allemand), Bombay (Consul, 1895). Ministre des Affaires étrangères du cabinet ‘Eyn od-Dowla 1906. Dirige la commission frontalière pour règler le différend avec les Ottomans (1908), protégé par le P. Chatelet contre Farâmarz Khan, mais prisonnier des Mojâhedin après que Mohammad-‘Ali Shah l’a obligé à dissoudre l’Association provinciale d’Urmia (Anjoman-e velâyati) voir Ducrocq, 22 février 1920 et 26 février 1921 ; thèse F. Hellot p. 38 sq. A essayé de protéger les constitutionalistes lors du coup d’État de juin 1908. Cherche de même un compromis avec les Russes lors de l’ultimatum de décembre 1911. Ministre de la justice (1910), Affaires étrangères (1911, 1915, 1921-22), finances (1912-3, 1914-5, 1917, 1926-7), éducation (1922-3 voir Sadiq, Yâdegâr, 1, p. 271]). Élu au 3e Majles. Un des acteurs de la négociation secrète avec les Allemands (10 novembre 1915). Missions délicates en Azerbaïdjan pendant la Guerre, menacé par les Ottomans, il gagne Téhéran par le Caucase. Réputé malhonnête (vide les silos de l’État pour payer les fonctionnaires et provoque la famine en 1917). Pro-allemand pendant la Guerre. Voir fo371/17908

Répertoire prosopographique

619

(Person. 1934). Exilé à Kâšân par Vosuq à cause de son opposition au traité de 1919 : sa famille est ruinée. Ministre ephémère de Sepahdâr Rašti peu avant le coup d’État de 1921. Arrêté par Seyyed Ziyâ, après son départ, il devient ministre des Affaires étrangères : mise en place du Traité russo-iranien, dissolution des spr, traité irano-afghan. Ministre de l’éducation en 1922, ordonne l’enseignement religieux et l’obligation de la prière. Élu aux Majles 8 et 9. Faibles revenus, endetté, obligé de vendre sa propriété et ses meubles. Intéressé dans l’industrie de la soie au Gilân. Parle un peu français Président des Majles 10 (depuis juillet 1935), 11, 12. Membre de l’Académie iranienne. Dirige la mission en Égypte pour arranger le mariage du prince héritier Mohammad-Rezâ avec la princesse Fowziya, voir fo371/24582 (Person. 1940). Meurt sans avoir amassé de fortune. Voir Bâmdâd, Rejâl 1, p. 321 sq. ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 92 ; Rejâl-e vezârat-e xâreja, pp. 86 sq., 153 ; rmm 54/1923, p. 129. « . . . a man of poor personality » Fortescue, Military Report, p. 360 sq. ; Nuri-Esfandyâri, Târix-e xânevâda-ye Esfandyâri, p. 109 sq. Voyage en France et Angleterre en juin 1937 pour aller au couronnement à Londres. « C’est un des rares Iraniens qui puisse ici approcher le Maître et même lui parler librement. Ses sympathies pour la France sont certaines. » Bodard, mae, Asie 1918-40, Perse-Iran 112, f°52. En juin 1937, reçu par Hitler en tant que président du Majles, voir Hirschfeld, Deutschland und Iran, p. 184. Ali Gheissari, Iranian intellectuals in the Twentieth Century, Austin, Un. of Texas press, 1998 41 (n.3, p. 143) ; B. ‘Âqeli, « Esfandiari », EncIr. Hasan Mohtašam os-Saltana Esfandyâri, ‘Ellal-e bad-baxti-e mâ va râh-e ‘alâj-e ân, Tehrân, 1304/1925. Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 87 sq. 1919 : septembre 8 1920 : février 22 – juin 28 – octobre 28 – novembre 2 1921 : janvier 30 – février 1, 6, 21, 22, 26 – mars 19 – août 24, 29 Hoseyn ‘Alâ « Mo‘in ol-Vezâra » (1883-1964) Troisième fils de Mirzâ Mohammad-‘Ali Khan ‘Alâ os-Salṭana. Études en Angleterre (mais anti-britannique). Janvier 1918 : ministre des Travaux publics ; ministre plénipotentiaire iranien à Madrid (1919), à Washington (1921), à Paris (1927-32), à Londres (1934-36). Ministre du commerce (1937-8), de la Cour après 1941, puis ambassadeur à Washington, puis à l’onu (1945 [sur cet épisode, voir Louise Fawcett, Iran and Cold War the Azerbaijan crisis of 1946, Cambridge – New York etc., Cambridge University Press, 1992, p. 130]), Ministre des Affaires étrangères (1950-51), de la Cour (1950). Directeur de la Banque Melli (1932). Marié (après 1927, Taqizâda, Zendagi-e tufâni pp. 208, 259) à Fâtema Qarâgozlu, fille de Nâser ol-Molk, et une des premières iraniennes à quitter le voile. Cultivé. Voir fo371/ 17908 (Person. 1934) ; fo371/24582 (Person. 1940) ; ‘A. Hušang Mahdavi, Târix-e ravâbet-e xâreji-e Irân, I, Tehrân 1349/1970, p. 270 ; Bâmdâd, Rejâl 1, p. 401 ; Rejâl-e vezârat-e xâreja, 160 ; A. Sami‘i, Si-o haft sâl, Tehrân 1366/1987, p. 19 ; Premier ministre (mars-avril 1951) voir F. Azimi, Iran the crisis of democracy, London 1988, p. 246 sq. ; Wright, Persians amongst the English, p. 148 ; Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e

620

Répertoire prosopographique

Irân, p. 583 sq.. «Intriguant et ambitieux» (mae Perse-Iran 23, 145), « Pendant la guerre il s’est tenu en contact constant avec nos ennemis » (Ibid., 24, F°146) « Nous aurions plutôt intérêt à bien accueillir cet homme de valeur momentanément égaré . . . homme d’avenir et qui vaut qu’on le ménage » (Ibid., 6 déc. 18, F°147). « He is an ultra-Nationalist and advocate of “Persia for the Persians” and a very able young man. » Fortescue, Military Report, p. 361. Opposé à la destitution d’Ahmad Shah en 1925 voir Katouzian, Political Economy, p. 91. ‘Ali-Akbar Xedrizâda « Hoseyn ‘Alâ’ va ravâbet-e Irân va Âmrikâ (1300-1303š) », Târix-e mo‘âser, ii, 7 (pâ’iz 1377), pp. 6-34. Un des quatre opposants au changement de dynastie en 1925, Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 370. Membre de la délégation iranienne à la Conférence de Versailles. Brièvement Premier ministre après Zâhedi en 1955, mais victime d’un attentat des Fedâ’iyân-e eslâm. Redevient ministre de la Cour jusqu’en 1963, écarté parce qu’il proteste contre la répression anti-khomeyniste, voir Md-‘Ali Movahhed, Xâb-e âšofta-ye naft. Az kudetâ-ye 28 mordâd tâ soqut-e Zâhedi, Tehrân, Kârnâma, 1384/2005, p. 982 ; sur l’attentat de novembre 1955 des Fedâ’iyân-e eslâm contre lui, voir Gh.-R. Afkhami, Life and times of the Shah, Berkeley – Los Angeles – London, 2009, p. 365. 1921 : mai 12 Mohammad Bušehri, « Mo’in ot-Tojjâr » (1859-1933) Fils d’un négociant de Bušehr qui fit faillite ; émigre avec son père à Najaf. Retrouve une activité de commerce à Bušehr puis à Bagdad. Après avoir hérité d’un oncle mort sans enfants, fait le Pèlerinage et va en Europe où il se documente sur le commerce moderne. Entre en conflit avec Qavâm ol-Molk (Chiraz) et se rapproche d’Amin os-Soltân, le Premier ministre. Acquiert des intérêts et propriétés dans tout le Fârs, à Hormoz et au Xuzestân. Marié à la fille d’Amin oz-Zarb. Acquiert les terrains de Lâlazar à Téhéran, où il fait construire de beaux immeubles. Accompagne Mozaffar od-Din Shah dans son premier voyage en Europe qu’il finance en partie et obtient le renouvellement de sa concession sur les gisements d’hématite d’Hormoz. Fervent constitutionaliste. Député aux Majles I (Téhéran) et iii (Bušehr). Consulté par les différents gouvernements, il se tient à l’écart de la politique mais s’oppose fortement à l’Accord de 1919. Voir ‘Alavi, Rejâl-e Mašruṭiyat, p. 138 ; Âdamiyat, Majles-e avval, p. 292, (démissionne avant le coup d’État) ibid. p. 312 ; exilé à Kâšân pendant 8 mois par Vosuq à cause de son opposition à l’Accord de 1919 ; « a very unscrupulous and intriguing Anglophobe, and gives money for stirring up anti-British agitation in the Tehran bazaars » écrit Fortescue, Military Report, p. 360. Se joint à Rezâ Khan après le coup d’État de 1921. Voir Morselvand, Rejâl va mašâhir, ii, p. 88. C’est probablement lui dont Ducrocq dit « B. qui était en fuite, sous la menace de confiscation de ses biens et de ceux de sa famille s’est constitué prisonnier. Il a renoncé à 700 000 tomans de créances qu’il avait sur le gouvernement persan et a versé 500 000 tomans en plus pour être libre », 11 mars 1921. Il renonce progressivement à ses activités commer-

Répertoire prosopographique

621

ciales en les transmettant à ses fils, et à partir du 7e Majles, l’un d’eux est toujours membre du Parlement. Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 189 sq. 1919 : août 24 – septembre 8 1921 : février 21 Lambert Molitor (1875-1969 ; confusion possible avec son frère Camille M.), s’engage avec deux de ses frères dans les douanes persanes. Premier poste à Bušehr, 19021904 ; Nosratâbâd (Zâbol), 1904-1906 ; employé à Téhéran à la constitution d’un cadastre destiné à lever l’impôt foncier ; Kermânšâh, 1908 ; Tabriz, 1914-18, administre l’alimentation de la ville qu’il quitte en 1918 lors de l’occupation ottomane ; Téhéran, à la direction des Services de l’alimentation et du ravitaillement de la capitale, contrôleur des domaines impériaux, juillet 1918 ; prend des mesures coercitives pour empêcher l’accaparement des stocks et la spéculation. Administrateur général des douanes persanes, 8 mai 1920. Quitte l’Iran en 1928. Voir Millspaugh, American Task in Persia, p. 39 ; « La perse au Sistan persan en 1905-1906. Extrait des souvenirs de Lambert Molitor, Vingt-six années en Perse, 1902-1928 [manuscrit non-publié] » “Mais comment peut-on être persan?” Éléments iraniens en Orient et Occident. Liber amicorum Annette Donckier de Donceel, Ch. Van Ruymbeke, ed., Bruxelles, Leuven, Peeters, 2003 (Lettres Orientales, 7). « Observateur attentif de la vie persane, il s’aide des très nombreux papiers qu’il ramène pour rédiger ses souvenirs, ainsi qu’une étude sur les pêcheries de perles et de nacre dans le Golfe persique. Il est incontestable que, parmi les nombreux fonctionnaires belges qui ont été au service de la Perse entre 1898 et le début de la Seconde Guerre mondiale, il est un des seuls qui, grâce à ses compétences, a su effectuer en Perse un séjour d’une telle durée (de 1901 à 1928). » Eric Laureys. Voir Archives du Palais royal, Mémoires de Lambert Molitor, Vingt-six années en Perse 1902-1928. Tome 1, 1ère partie, Au golfe Persique 1902-1904. Archives du Palais royal, Mémoires van Lambert Molitor, Vingt-six années en Perse 1902-1928. Tome 2, 5ème partie, En Azerbaïdjan persan 1913 – 1918. Archives du Service public fédéral des Affaires étrangères, Dossier ‘Belges en Perse’ 10640 – Fonctionnaires belges – Leur situation. (D’après Eric Laureys, http://www .kaowarsom.be/fr/notices_molitor_lambert). 1920 : janvier 18, 19 – février 12, 25 – mars 8 – avril 30 1921 : mars 3, 17, 23, 27 – mai 12 – août 27 – septembre 27 Camille Molitor (1877-1939), fonctionnaire, directeur général des douanes de la Perse. Comme son frère Lambert, Camille Molitor passe son enfance dans les Ardennes. Diplôme d’arpenteur à Arlon en 1894. Administration du cadastre à Ostende, à Bruges en 1902. En octobre de cette même année, il s’embarque pour la Perse. Contrairement à son frère et à la majorité des fonctionnaires belges en Perse, il est attaché à l’administration centrale à Téhéran et remplace Joseph Naus à la direction des services postaux dès février 1904. Il réorganise le service des colis postaux avec l’Europe et lutte contre le système de fermage des bureaux de poste appliqué

622

Répertoire prosopographique

en Perse. Il négocie des accords internationaux avec les Indes (1905), l’Allemagne (1906) et l’Empire ottoman (1907). Il fait face au départ de son chef, Joseph Naus, ministre d’État aux finances impériales en avril 1907, mais également à la réaffectation de ses vingt collaborateurs belges aux douanes, le laissant avec le seul personnel persan pour instituer le transport postal motorisé, augmenter le nombre de bureaux postaux, réinstituer la boîte aux lettres et augmenter la fréquence de la distribution du courrier. Le plus grand souci du directeur général des postes consiste à aligner la règlementation persane aux normes internationales. Il doit également faire face à l’immixtion étrangère. En effet, lors de la Première Guerre mondiale, en 1915, les incursions ottomanes à l’est de la Perse, la manipulation du parlement persan par les Russes et les Britanniques, mais aussi la menace d’une présence militaire allemande renforcée affaiblissent la présence belge en Perse. Bien que la direction belge des services postaux survit à la crise, elle se heurte bientôt à l’expansionnisme britannique au sud du pays où, depuis une quarantaine d’années, les Britanniques exploitent leur propre réseau postal et font en plus mainmise sur les bureaux d’Ahwaz, Mohammara et Hendjan, à proximité de leurs installations pétrolières d’Âbâdân au sud-ouest. Camille Molitor brave l’hégémonie britannique et obtient la fermeture des bureaux de postes britanniques du sud de la Perse au congrès de l’Union postale universelle à Madrid (août 1920). À son retour il est licencié par le Premier ministre pro-britannique Vosuq od-Dowla. Une virulente campagne de presse anti-Molitor est orchestrée par les Britanniques. Camille Molitor doit se justifier devant une commission, faire face à des intrigues et rentre en Belgique en 1922, fatigué et malade. Il ouvre un commerce de tapis à Bruxelles et conseille le service du Commerce extérieur. Lors de la libération du poste d’administrateur des services postaux en 1925, Camille Molitor envisage malgré tout de poser à nouveau sa candidature, un geste motivé en partie par les difficultés qu’il éprouve à obtenir le payement de sa pension. Le parlement persan, conscient de l’enjeu financier des arrérages, s’y oppose. Il rejoint brièvement l’Administration du cadastre de juillet 1931 au 15 juillet 1932 et décède le 7 janvier 1939. (d’après Eric Laureys, http://www .kaowarsom.be/fr/notices_molitor_camille). Voir Millspaugh, American Task in Persia, p. 70. « La Poste sera confiée à un autre Belge qui va arriver bientôt. M. Camille Molitor, candidat, a été écarté. » Audigier à Bonin, 21 septembre 1925, Papiers Bonin, 25 ; Destrée, Les fonctionnaires belges au service de la Perse, index s.v. 1920 : avril 21 – décembre 10 1921 : avril 26, 29 – mai 1, 12, 17 Esmâ’il Momtâz « Momtâz od-Dowla » (1876-1933), né à Tabriz, étudie à Istanbul où il reçoit une instruction moderne. Revient en Iran à 20 ans, carrière de traducteur au Ministère des affaires étrangères. Consul à Istanbul. Revient à Téhéran au début du mouvement constitutionaliste. Élu au 1er Majles, Président du Majles en avril 1908,

Répertoire prosopographique

623

il essaie en vain de faire une médiation entre Mohammad-‘Ali Shah et les parlementaires, voir Âdamiyat, Majles-e avval, p. 301. Réfugié à la légation de France après le coup d’État, puis s’exile en France grâce à l’intervention de son frère Montâz osSaltana, ministre de Perse à Paris. Browne et Taqizâda lui organisent une conférence de presse à Londres en tant que président du Parlement iranien, pour dénoncer la dictature. Président du 2ème Majles, puis ministre des Finances (cabinet Sepahdâr-e A‘zam), de la justice (cabinet Samsâm os-Saltana), voir Bâmdâd, Rejâl 1, p. 140 sq. ; Mojtahedi, Rejâl-e Âzarbâyjân, p. 150 ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 114. Ministre de la Justice 1918 (mae Perse-Iran 23, 145. Ministre de l’éducation. « He is a man of no great ability himself and always ready to follow the lead of some prominent person. He speaks French very fluently. » Fortescue, Military Report, p. 361 sq. ; arrêté par Vosuq pour son opposition à l’Accord anglo-persan de 1919, voir Papiers Ducrocq 21 (lettre d’août 19 à Louis Marin). Arrêté pendant tout le gouvernement de Seyyed Ziyâ avant de devenir ministre de l’éducation de Qavâm en 1921, voir Sadiq, Yâdegâr 1, p. 238 ; ‘Abdollâhpur, Vozarâ-ye ma‘âref-e Irân, p. 82 sq. Termine sa vie sans revenir au devant de la scène politique. Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 806 sq. 1919 : septembre 8 1920 : juin 26 – juin 28 – novembre 2 – janvier 30 – septembre 24 Mortazâ Mortazâ’i « Momtâz ol-Molk » (1865-1925), né à Téhéran ; page à la cour de Nâseroddin Shah ; traducteur de français (1884). Fonctionnaire des Affaires étrangères. 1906-1908 : ministre plénipotentiaire aux États-Unis, puis ministre de lÉducation et de la justice. 1916 : ministre de l’Éducation et des vaqf dans le cabinet Sepahsâlâr puis de Vosuq od-Dowla. 1917 : devient directeur de la Banque d’escompte russe (Esteqrâzi) après l’abandon des Capitulations par les soviétiques. 1922 : ministre de l’Éducation dans le cabinet Mostowfi. Voir Bâmdâd, Rejâl 4, p. 61 sq. ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašruṭiyat, p. 114 ; voir Rejâl-e vezârat-e xâreja, p. 208. Du 4 mars 1916 au 5 juin 1917, il était le ministre de l’Instruction publique. Pendant cette période, Momtâz ol-Molk fonda le premier Musée national en Iran. Il fut nommé pour la deuxième fois du 18 juin 1918 au 7 août de la même année, ministre de l’Instruction publique. Puis ministre de la Justice (14 février – 15 juin 1923) et Directeur de la Banque d’escompte russe (Esteqrâzi) à Téhéran (1924). 1919 : septembre 8 1920 : novembre 2 1921 : janvier 26, 30 – février 6, 21, 22 ‘Abd ol-Samad « Momtâz os-Saltana », voir Samad Xân Edmund St John Debonnaire John Monson (1883-1969), études à Eton. Diplomate à partir de 1906 : missions à Constantinople, Tokyo, Paris puis Téhéran : Premier secrétaire à la légation britannique, 1919. Conseiller, puis chargé d’affaires, jusqu’en

624

Répertoire prosopographique

décembre 1924. Voir Rabino, Diplomatic and consular officers, p. 40. 1926 : ministre en Colombie ; puis au Mexique (1929-34), dans les États baltes (1934-1937), en Suède (1938-1939). 1921 : septembre 19 Arthur Moore (1880-1962), né en Irlande du Nord, études à Belfast et Oxford (président du syndicat étudiant en 1924). Secrétaire du Balkan Committee (1904-1908) ; voyage en Albanie en 1908. Devient correspondant de différents journaux et fait des reportages sur le mouvement constitutionaliste en Perse. Bloqué à Tabriz pendant cent jours et prend part aux combats finaux en 1909. Journaliste du Times en Iran et à St.-Pétersbourg. 1922-23, publie New Age, puis (1924) devient directeur adjoint puis rédacteur en chef du Statesman à Calcutta. 1927-1933 : membre de l’Assemblée législative indienne à Delhi, mais renvoyé pour avoir été trop critique de l’autorité coloniale. Mort à Londres. Auteur de The Orient Express. Sketches of travel in Persia and the Balkans, London, Constable, 1914. Voir Ghani, Iran and the West, p. 265. (www. newulsterbiography.co.uk – 2013). 1919 : novembre 6 1920 : juin 7, 13, 28 – décembre 15, 20 1921 : mai 15 – septembre 19, 23 HH1920 : mai 27 – octobre 30 Mohammad Mosaddeq os-Saltana (1882-1967) est né dans une grande famille de l’aristocratie Qâjâr ; il est surtout marqué par sa mère (Tâj os-Saltana, fille de Farmân-Farmâ), deux fois veuve, qui a soigné l’éducation de cet enfant de santé fragile. Il commence à travailler comme contrôleur des finances du Khorassan à l’âge de 14 ans. Son élection au premier Majles en 1906 est invalidée en raison de son jeune âge. Études en France interrompues par la maladie (1908). Un de ses premiers sujets de publication est une étude sur les Capitulations en Perse (1ère édition Téhéran 1914). Doctorat à Lausanne sur le mariage dans le droit chi’ite, 1913. Conseiller des finances dans différents gouvernements à partir de 1915. Démissionne et part pour la Suisse (1918) ; vient en France en 1919 comme étudiant : « ancien sous-secrétaire d’État, auteur d’une thèse sur le droit chiite où j’ai relevé passages peu favorables à notre pays . . . » note alors un diplomate français, Archives diplomatiques, Perse-Iran 10, F°38. Revient pour prendre les fonctions de ministre des finances, mais choisit plutôt de rester à Chiraz et devient gouverneur du Fârs. Refuse les injonctions de Seyyed Ziyâ et passe à la clandestinité chez les Bakhtyari jusqu’à la chute de Ziyâ. Ministre des finances de Qavâm os-Saltana, demande les pleins pouvoirs pour lutter contre la corruption et l’évasion fiscale (1921), Ministre des affaires étrangères (1923). Gouverneur d’Âzarbâyjân (1922). Député des Majles 4, 5, 6. « Poses as a jurist and talks a lot of nonsense. » fo (1927) « He is a demagogue and a windbag » FO371/17908 (Person. 1934) [L’expression “windbag” est due à Sir G. Havard, voir Bullard, Letters from Tehran, p. 236]. Comme le montre l’entrevue avec Ducrocq en 1921, les idées de

Répertoire prosopographique

625

Mosaddeq étaient alors déjà solidement établies. Son opposition à Rezâ Shah et son rôle éminent après la Deuxième guerre mondiale pour obtenir la nationalisation du pétrole, son gouvernement nationaliste (1951-1953) et ses combats contre les Britanniques ainsi que son renversement par un coup d’État avec l’aide des Américains et des Britanniques sont plus connus. En prison de 1953 à 56, puis assigné à résidence dans sa propriété d’Ahmadâbâd. Parmi les nombreuses publications présentant Mosaddeq, on peut citer : Taqizâda, Zendagi-e tufâni, p. 366 sq. ; Xâterât va ta’allomât-e Doktor Mosaddeq, I. Afšâr ed., Tehrân 1365/1986 ; Christopher de Bellaigue, Patriot of Persia, London, 2012 ; Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 768 sq. 1921 : octobre 6 Nezam od-Din Hekmat « Mošâr od-Dowla » (1883-1937), né à Chiraz dans une famille de latifundiaires. S’engage dans le mouvement constitutionaliste. Étudie en Europe : licence de droit (1911-1914). Élu au 3e Majles, rejoint les nationalistes à Qom puis Kermânšâh en 1915. Secrétaire d’État dans plusieurs ministères. 1924 : Ministre des Travaux publics dans le cabinet de Rezâ Khan. Gouverneur du Kurdistan. 1925 : élu à l’Assemblée constituante. Gouverneur des ports du Golfe persique et de Kermân. En 1935 ministre des Postes dans le cabinet Foruqi, Morselvand, Rejâl va mašâhir, iii, p. 118 ; Bâmdâd, Rejâl 5, p. 318. M. Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 319 sq. 1920 : novembre 4 Hasan « Mošâr ol-Molk » (Mošâr, 1864-1948) né à Téhéran fils d’un fonctionnaire des Affaires étrangères de Nâseroddin Šâh. Études modernes. Commence une carrière aux Affaires étrangères. Élu député des propriétaires et nobles de Téhéran au 1er Majles (1906). Démissionne du Majles pour retourner au Ministère des Affaires étrangères : directeur des passeports et de la naturalisation. Vosuq od-Dowla l’appelle comme vice-ministre puis ministre des finances (1916). Occupe ainsi plusieurs postes dans des cabinets éphémères. Enrichi grâce au commerce de l’opium. Ministre des Finances (1916, 1918, 1929-30), de la Cour (1921), candidat malchanceux au poste de premier ministre (écarté en septembre 1921 par Rezâ Khan, voir S. Cronin, « Opposition to Reza Khan within the Iranian army » Middle Eastern Studies 30 ; 4 (1994), p. 731 ; Cronin, The army and the creation of the Pahlavi state, p. 183 ; accusé de comploter pour tuer Qavâm et Rezâ Khan : Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 243). Affaires étrangères (1924-25). Gérant des domaines de Rezâ Shah (1931). Hostile à Teymur-Tâš. fo371/ 17908 (Person. 1934). Disgrâce après 1935 pour refuser de vendre ses terres à Rezâ Šâh. fo371/24582 (Person. 1940). Voir Bâmdâd, Rejâl 1, p. 345 sq. ; Taqizâda, Zendagi-e tufâni, p. 285 ; termine sa vie à Monte-Carlo, voir Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 226 n ; anglophile, propagandiste de l’Accord de 1919 (Ducrocq, 12 janvier 1921) ; Rejâl-e vezârat-e xâreja, p. 156 ; « Musharul-Mulk is a man of a very different stamp, and only resembles Reza in that he is also of no family and has sprung up from nothing. Instead of being the smart, impressive good looking man that Reza is, he is the most [villnimously] ugly creature one can

626

Répertoire prosopographique

imagine. He is half a negro, and has all the ugliness of his birth; his mother was a negro slave. He is also a clever man, but his talent runs mainly to theft and intrigue. He was the evil genius of Vossugh’s Cabinet and not long ago became Minister of the Court. Of late he has never ceased to point out to the Shah Zia’s reforms as the beginnings of Bolshevism, and fright him by telling him that he had a most dangerous revolutionary at the head of his government. » écrit Baxter à sa mère (lettre 105, 27 may 21, British National Archives). Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 761. 1919 : décembre 22 1920 : mars 31 – avril 5 – octobre 28 1921 : janvier 12, 30 – février 22 – septembre 24 « Mošâr os-Saltana » Asadollâh Qadimi Navâ’i (1859-1935), né à Téhéran, études traditionnelles et modernes, belle écriture. Carrière au ministère des Affaires étrangères. Proconstitutionaliste. Élu au 3ème Majles (1914). Plusieurs fois ministre, des postes, des finances, de la justice et des Affaires étrangères, voir Bâmdâd, Rejâl 1, p. 115. Ministre des Affaires étrangères insignifiant en 1918 (cabinet Samsâm os-Saltana), puis 1920 (Mošir od-Dowla). Archives diplomatiques, Perse-Iran 23, 136. Emprisonné pendant le gouvernement de Seyyed Ziyâ ; à sa libération, ministre des Postes du gouvernement Qavâm os-Saltana, puis ministre des Affaires étrangères et enfin, de la Justice. Se retire de la politique en 1929. Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 762. 1920 : octobre 28 ‘Ali-Qoli Mas‘ud-e Ansâri (1868-1940) « Mošâver ol-Mamâlek » né à Téhéran, fils d’un diplomate qui servit comme consul à Trabizonde, en Ukraine et à Téhéran. A notamment été l’élève des Jésuites (Beyrouth ?) : parle français et russe. 1888 : commence sa carrière au Ministère des affaires étrangères. 1890 : consul à Astrakhan. 1893 : retour à Téhéran. 1894 : assiste au couronnement de Nicolas ii. Reste à Saint-Petersbourg 11 ans. Ministre des Affaires étrangères (1915, 16, 1918, 1926). Ambassadeur en Turquie (1919), Moscou (1920-26, [négocie le Traité d’amitié irano-soviétique de 1921] 1928–), ministre d’Iran à Londres (1931-déc.32). Voir fo371/17908 (Person. 1934) ; fo371/24582(Person.1940). Partisan des démocrates, il aurait, en tant que ministre des Affaires étrangères, « par sa perfide excitation contre la France » provoqué la retraite de la mission sanitaire d’Urmia et prétendu que Mgr Sontag était coupable de séditions militaires ; (. . .) J’ai dû par la suite suspendre mes relations avec lui » (Lecomte, 6 déc. 18, Archives diplomatiques Perse 24, F°146). Voir Bâmdâd, Rejâl 2, p. 459 sq. ; alors qu’il avait été chargé par Vosuq od-Dowla de diriger l’infructueuse mission iranienne à la Conférence de Paris, c’est lui qui fut chargé [à l’insu des Anglais, cf. Archives diplomatiques 34, 26/xi/1920] en 1920 de négocier le futur traité soviéto-iranien de 1921, voir Taqizâda, Zendagi-e tufâni, p. 189 ; Bast, Die persische Außenpolitik und der Erste Weltkrieg (1917-1921). « . . . weak and unreliable » dit Fortescue, Military Report, p. 362 ; Mostowfi, Zendagâni-e man, ii,

Répertoire prosopographique

627

p. 102. Ses sentiments anti-anglais : Balfour, Recent happenings, p. 122 sq. ; Md Tâher-Ahmadi, « ‘Ali-Qoli Mas‘ud-e Ansâri », Nâma-ye anjoman-e târix, pâ’iz 1384/2005, n°19, pp. 171-176 (non fiable). 1920 : octobre 29 – décembre 10, 22 1921 : janvier 2, 17 – mars 26 Hasan Pir-Niâ Mošir od-Dowla (1873-1935) – [jusqu’en 1907 : « Mošir ol-Molk »], né à Tabriz, fils de Nasrollâh Mošir od-Dowla (m. 1907). Sa famille déménage pour Téhéran en 1880. À onze ans, envoyé en Russie pour ses études : école militaire et faculté de droit. Attaché à la Légation de Perse à Petersburg. Devient secrétaire-général des Affaires étrangères (son père est ministre). 1899, fonde avec son père Mirzâ Nasrollâh Khan Mošir od-Dowla l’École de sciences politiques dont il est directeur. Alors qu’il était ministre plénipotentiaire à Petersburg, envoyé en ambassadeur extraordinaire pour annoncer l’avènement de Mohammad-‘Ali Shah dans les cours européennes (janvier 1907). Ministre des Affaires étrangères après la mort de son père et l’assassinat d’Atâ-Bek. Chargé par Nâser ol-Molk du portefeuille des Affaires étrangères. Passe plus tard au ministère de la Justice, puis de l’Instruction publique. À nouveau ministre de la Justice dans le cabinet Sepahdâr Rašti après la victoire des constitutionalistes et la destitution de Mohammad-‘Ali Shah (et alors qu’il a été élu député du 2ème Majles). Avec l’aide du Français Adolphe Perny, réforme profondément le ministère de la Justice en assurant le recrutement et la rémunération des juges. 1910 : ministre du Commerce. Élu député au 3ème Majles (1914). En mars 1915, devient Premier ministre : après avoir cherché en vain à faire évacuer les troupes russes et les troupes ottomanes qui avaient pénétré en Iran au mépris de la neutralité déclarée du pays, avoir tenté de renforcer la gendarmerie et la Brigade cosaque et avoir voulu remplacer les conseillers belges par des Allemands, il fut accusé d’avoir voulu fomenter un coup d’État et contraint de démissionner. Une nouvelle fois, en juillet 1920, il est chargé de former un gouvernement mais se heurte à l’impossibilité d’annuler l’Accord anglo-persan : il le fait déclarer inapplicable tant que le Parlement n’a pu siéger pour l’entériner ; il obtient, grâce à Armitage-Smith, des concessions financières de l’Anglo-Persian Oil Company. À Tabriz, Mošir od-Dowla envoie Moxber os-Saltana comme gouverneur pour réprimer durement la révolte de Xiâbâni qui est tué par les Cosaques et sa dépouille exposée (alors que c’est un religieux et qu’il a été deux fois député). Il fait libérer les opposants à l’Accord qui avaient été exilés à Kâšân (Mohtašam os-Saltana, Momtâz ol-Molk, Mostašâr od-Dowla, Moin ot-Tojjâr Bušehri, Amin oz-Zarb). Il envoie Sardâr Fâxer-e Hekmat (frère de Mošâr od-Dowla) parlementer avec Mirzâ Kuček Khan, puis il fait envoyer les Cosaques qui essuient contre le Jangal une cuisante défaite (octobre 1920) qui entraîne la démission de Mošir od-Dowla. À nouveau en janvier 1922, il devient Premier ministre et se heurte à l’agitation des partisans de Rezâ Khan qui est ministre de la Guerre ; il démissionne au bout de six mois. Une

628

Répertoire prosopographique

dernière fois, en juin-octobre 1923, Mošir od-Dowla dirige un gouvernement mais se heurta à nouveau à Sardâr Sepah qui devint lui-même Premier ministre. Mošir od-Dowla a été élu député du 4ème Majles (1921), du 5ème (1923). En 1926 il se retire de la vie politique et écrit une histoire de l’Iran ancien (Târix-e Irân-e bâstân, Tehrân 1313/1934) plusieurs fois rééditée et des ouvrages sur le droit international et le droit pénal. Voir M. Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 232 sq. ; fo(1927) [=FO371/17908 (Person.1934)] ; Bâmdâd, Rejâl 1, p. 323 sq. ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 105 ; Âdamiyat, Majles-e avval, p. 97 ; « . . . well educated, well meaning and intelligent, but extremely timid and unpractical . . . » Fortescue, Military Report, p. 362 sq. Morselvand, Rejâl va mašâhir, ii p. 214 ; « Protège l’école des Pères lazaristes où il fait élever ses enfants. Très favorable à l’influence intellectuelle française » Ducrocq, Papiers d’Agents 19 ; Chaqueri, Soviet Socialist Republic of Iran, p. 467 sq. ; Md-Ebrâhim Bâstâni-Pârizi. – Talâš-e âzâdi (Mohit-e siyâsi va zendagâni-e Moširoddowla Pir-niâ), Tehrân, Novin, 2536/1977. 1919 : avril 16 – août 24 1920 : janvier 6 – mars 12, 20 – mai 13 – juin 21, 24, 26, 28 – juillet 4, 14 – octobre 28 – novembre 2, 9, 27, 30 – décembre 1, 6, 10, 13

1921 : janvier 16 – février 14, 28 – mars 11 – avril 9, 21 – septembre 1, 24 HH1920 : octobre 27, 28 – novembre 3 HH1921 : août 22 Sâdeq Sâdeq « Sadiq-Hazrat », « Mostašâr od-dowla » (1867-1952), né à Tabriz. Études secondaires « modernes » à Istanbul. Son oncle Mohsen Mošir od-Dowla (18201899) le fait venir à Istanbul et y donne au père, Mirzâ Javâd Mostašâr od-Dowla, un poste à l’ambassade iranienne. Sâdeq lui-même commence sa carrière à cette ambassade et rentre en Iran en 1891 : carrière au ministère de la Justice avec le titre « Sadiq Hazrat ». Il reçoit le titre de son père à la mort de celui-ci en 1895. Nommé en Azerbaïdjan où il répand les idées réformatrices. Élu au 1er Majles par la noblesse, il participe à la rédaction de la Constitution. Arrêté en juin 1908, il est libéré en acceptant un poste de traducteur à la cour. Médiateur dans le conflit de Sattâr Khan et Bâqer Khan avec Moxber os-Saltana le gouverneur de Tabriz, il obtient leur installation à Téhéran au Parc d’Atâbak. Député au 2ème Majles, démissionne en 1911 pour occuper le portefeuille de l’Intérieur. Plus tard ministre des Postes, puis de l’Éducation. 1915 : à nouveau ministre de l’Intérieur du gouvernement Mošir od-Dowla, puis des Travaux publics dans le cabinet Mostowfi ol-Mamâlek. 1917 : ministre de l’Intérieur dans le gouvernement ‘Alâ os-Saltana, lutte contre le Komita-ye mojâzât (« Comité des châtiments »). Fonde un Comité des « amis » (vedâdiun) avec Mohtašam os-Saltana Esfandyâri, Esmâ’il Momtâz od-Dowla, Mortazâ Momtâz ol-Molk : s’opposent à l’Accord anglo-persan de 1919 et sont relégués à Kâšân pendant un an. Sâdeq est emprisonné pendant le gouvernement de Seyyed Ziyâ (1921). 1924 : ministre de l’instruction publique dans le deuxième gouvernement de Rezâ

Répertoire prosopographique

629

Khan (Sardâr Sepah). Élu à l’Assemblée constituante de 1925, président de l’Assemblée. 1930-35 : ambassadeur en Turquie, organise le voyage de Rezâ Shah. Ministre sans portefeuille dans le Gouvernement Qavâm os-Saltana (1942). Sénateur nommé en 1948, président du Sénat. Voir fo 371/17908 (Person. 1934), fo371/24582 (Person. 1940) ; Bâmdâd, Rejâl 2, p. 166 sq ; Mojtahedi, Rejâl-e Âzarbâyjân, p. 106 ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat. p. 102. En 1930 nommé gérant de l’école Sepahsâlâr en remplacement de Modarres (Sahhâb, Târix-e madrasa-ye ‘âli-e Sepahsâlâr, p. 120) ; anti-Alliés pendant la Première guerre mondiale, « entirely unscrupulous, willing to join any party or espouse any cause to obtain a Cabinet post with a view to his personal advancement. » écrit Fortescue, Military Report, p. 355 sq. ; Maqâlât-e Taqizâda, ii, p. 105 sq. ; ‘Abdollâhpur, Vozarâ-ye ma‘âref-e Irân ; O. Bast ; Rejâl-e vezârat-e xâreja, p. 174. M. Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 504 sq. Iraj Afšâr a publié les mémoires et documents (Xâterât va asnâd) de Mostašâr od-Dowla en 4 volumes à Téhéran (à partir de 1361/1982), ainsi que de nombreux articles dans la revue Âyanda, et les lettres de Seqat ol-Eslâm à lui adressées. 1921 : janvier 30 – février 6, 21, 22 Hasan Mostowfi štiyâni « Mostowfi ol-Mamâlek » (1873-1932), fils de Yusof Mostowfi ol-Mamâlek qui a été premier ministre (1883). Éducation traditionnelle avec précepteurs privés. Fonctions officielles à 12 ans de contrôleur du trésor. 1896 : révoqué par Mozaffar od-Din Shah. 1899-1907 : séjour en Europe, Paris, Rome. Nommé ministre de la Guerre par Atâbak, mais celui-ci est assassiné immédiatement après. Élu au 1er Majles, mais occupe aussi des fonctions ministérielles jusqu’au coup d’État. En avril 1908, membre du cabinet Nâser ol-Molk . . . et ministre des finances du cabinet Sepahdâr Tonkâboni en juillet 1909. Premier ministre : juillet 1910 à mars 1911. Après la mort de ‘Azod ol-Molk, en attendant l’arrivée du nouveau régent Nâser ol-Molk qui était en Europe, Mostowfi ol-Mamâlek assure l’intérim et c’est lui qui invite Shuster pour réformer les finances iraniennes. Août 1913 : à nouveau Premier ministre pour dix-huit mois. C’est lui qui fait déclarer la neutralité de l’Iran dans la Guerre. Élu au 3ème Majles (1914), il est à nouveau chargé du gouvernement après 6 mois d’interlude, ses tentatives de collaboration avec le Reich n’échappent pas aux Alliés. À l’approche des troupes russes près de Téhéran (août 1915), il prit la décision de transférer la capitale à Ispahan, et se heurta à la résistance farouche des Russes et des Britanniques (sur cet épisode, voir O. Bast, Les Allemands en Perse pendant la Première Guerre Mondiale, Paris, 1997, p. 97 sq.). En 1917 Mostowfi ol-Mamâlek fut une nouvelle fois élu au Majles (qui ne se réunit qu’en 1921 . . .) et à nouveau invité à former un gouvernement. Il est très éprouvé par la famine et la misère du pays, dévasté par les mouvements de troupes étrangères. Il démissionne en avril 1918. Élu au 5e Majles, il refuse la présidence et se tient à l’écart, manifestant sa froideur concernant le changement de dynastie. Rezâ Shah le fait cependant revenir à la tête d’un gouvernement en 1926 pour légitimer son trône par le soutien d’un poli-

630

Répertoire prosopographique

ticien très populaire : Mostowfi ol-Mamâlek appela Vosuq od-Dowla dans le gouvernement, ce qui entraîna une critique cinglante de Mosaddeq os-Saltana mais une approbation paradoxale de Modarres : comme l’Accord anglo-persan n’a pas été concrétisé, il n’y a pas lieu d’en blâmer Vosuq ; parmi les décisions historiques prises par ce gouvernement : après la publication d’un code civil, l’annulation des Capitulations ; la décision de construire une voie ferrée transiranienne du Golfe persique à la Mer caspienne ; la création de la bibliothèque nationale (ketâbxâna-ye vezârat-e ma‘âref ). Il a laissé l’image d’un homme intègre, qui croyait à la vertu du parlementarisme et de la presse libre. Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 750 sq. « Typical old-time Persian gentleman . . . weak character . . . » fo (1927) ; voir Bâmdâd, Rejâl 1, p. 318 ; Fortescue, Military Report, p. 355 ; Xâterât-e Nasrollâh Entezâm, p. 81 sq. ; Hamid Nayeri, Zendagi-nâma-ye Mostowfi ol-Mamâlek, Tehrân, Vahid, 1369. Décrit par Baxter comme un homme aimant la vie dans la nature, la chasse, parlant bien français. (lettre 91 à sa mère, 19 mars 1921, British Archives, fo800/852). 1919 : août 9, 12, 24 – décembre 26 1920 : février 19 – mai 3, 13 – juin 26, 28 – juillet 4 – octobre 28 – décembre 6 1921 : janvier 12, 15, 24 – février 14, 23 – mars 6 Mirzâ Ebrâhim Khan Mostowfi « Mo‘tamed os-Saltana », mostowfi (inspecteur général des finances) d’Azerbaïdjan, le père de Vosuq od-Dowla et de Qavâm os-Saltana. Mostowfi de l’Azerbaïdjan. Attaché au service de Malek Mansur Mirzâ Šo‘â’ os-Saltana, gouverneur du Fârs. Après la mort de sa première femme, qui était la sœur de Mirzâ ‘Ali Khan Amin od-Dowla, se marie avec la fille de Badi‘ ol-Molk Mirzâ ‘Emâd od-Dowla. Voir Bâmdâd, Rejâl 1, p. 28 sq. 1920 : avril 1 Mirzâ Hoseyn Pir-Niâ « Mo’tamen ol-Molk » (1875-1947), second fils de Nasrollâh Khan Mošir od-Dowla (qui était kârgozâr d’Azerbaïdjan), frère de Hasan Mošir od-Dowla Pir-niâ. 1880 : la famille s’installe à Téhéran. Études à Paris (Droit) et à Londres (philosophie et mathématiques). Son père le fait nommer professeur à l’école de Sciences politiques de Téhéran (1900). Milite pour la Constitution et pousse son père, meurtri par une « rançon » exigée par ‘Eyn od-Dowla, à aider le mouvement qui aboutit à la convocation du 1er Majles. Joue un rôle important dans la rédaction du règlement électoral puis de la Constitution. Ministre du Commerce et des Travaux publics dans différents gouvernements avant juin 1908. Tente en vain une médiation entre Mohammad-‘Ali Shah et le Parlement. Président du 2e Majles. Réélu député de Téhéran et président aux Majles 3 (n’accompagne pas les députés « migrants » et cherche à les faire revenir à Téhéran), 4, 5 et 6 : sa réputation d’ordre et de respect des différentes tendances a marqué le parlementarisme iranien. Lors du 6e Majles, délègue la présidence à Tadayyon. Refuse de sièger au 7e Majles malgré l’insistance de plusieurs personnalités. Refuse également de diriger la mission iranienne à l’ONU. Souvent ministre (Commerce et Travaux publics) entre 1917 et

Répertoire prosopographique

631

1920. Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 226 sq. Sa fille est mariée à Fazlollâh Zâhedi. Voir fo371/17908 (Person. 1934) ; fo371/24582 (Person. 1940) ; Bâmdâd, Rejâl 1, p. 388 sq. ; « Studious and retiring » Fortescue, Military Report, p. 363 ; Mošâr, mo’allefin, ii, p. 711 sq. ; Morselvand, Rejâl va mašâhir, ii, p. 221 ; Rejâl-e vezârat-e xâreja, p. 160 ; H. Lâjvardi, ed. Xâterât-e Amir Teymur Kalâli, Cambridge, Harvard University, 1997, p. 172 sq. 1919 : août 24 1920 : juin 26, 28 – juillet 4 – décembre 6 Mohammad-Qoli Hedâyat, « Moxber ol-Molk » (1868-1950), frère plus jeune de Moxber os-Saltana et de Sani‘ od-Dowla, fait des études à Téhéran (Dâr ol-fonun), puis à Paris. Prend la suite de son père (‘Ali-Qoli Moxber od-Dowla m. 1898) dans la gestion du télégraphe. 1906 : élu au 1er Majles. 1909 : directeur de la Monnaie. 1917 : ministre des finances dans le cabinet Mostowfi ol-Mamâlek. Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 734 ; Bâmdâd, Rejâl 3, p. 473 sq ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 101 ; Âdamiyat, Majles-e avval, p. 300. 1920 : juin 26 Mahdi-Qoli Hedâyat « Moxber os-Saltana » (1864-1955), homme politique germanophile frère (de 7 ans plus jeune) de Mortazâ-Qoli Sani‘ od-Dowla et de Mohammad-Qoli Moxber ol-Molk. Né à Téhéran. À 13 ans accompagne son frère aîné en Allemagne et voyage en Europe ; apprend l’allemand, la musique et la musicologie. 1885 : enseigne l’allemand à Dâr ol-fonun. 1898 : directeur de la Poste de Téhéran, puis pendant deux ans des Postes d’Azerbaïdjan. 1903 : accompagne Mozaffar od-Din Shah en France, puis tour du monde avec Mirzâ ‘Ali-Asqar Khan Atâbak en 1903-1904 (Russie, Chine, Japon, États-Unis, Europe, La Mecque, son récit : Safarnâma-ye tašarrof be Makka-ye mo‘azzama az tariq-i Čin, Žâpon, Âmerikâ, Tehrân, s.d.). Rôle important comme ministre de l’instruction publique (1907), justice (organisation des juridictions d’instance et d’appel, 1907, 1917, 1918), intérieur (1918). Gouverneur d’Azerbaïdjan lors du coup d’État de 1908 et arrive à négocier avec les insurgés ; destitué par Mohammad-‘Ali Shah et menacé, il réussi à s’échapper en Europe. À Paris, chez Sardâr As‘ad, rejoint les constitutionalistes. Nommé à nouveau gouverneur d’Azerbaïdjan sous le régime constitutionnel, réprime brutalement les agitateurs démocrates et doit finalement démissionner. Effrayé par l’assassinat de Sani‘ od-Dowla, retourne en Europe. À son retour en 1912 est envoyé pour pacifier le Fârs où il aide les agents allemands, le Consul Wustrow contre les Russes et les Anglais (attaque du consulat de Chiraz). Fait armer les tribus par des armes envoyées à Bušehr par les Allemands (consul Listemann, voir Edmonds, East and West of Zagros, pp. 41, 66 sq.). Les Anglais font nommer à sa place Farmânfarmâ, et il devient ministre de l’Intérieur. Élu au 4ème Majles. 1917 : ministre de la justice puis brièvement de l’intérieur dans le gouvernement de Mostowfi ol-Mamâlek. 1920 : ministre des finances de Mošir od-Dowla. Peu de temps après, gouverneur avec les

632

Répertoire prosopographique

pleins pouvoirs pour réprimer la révolte de Xiâbâni à Tabriz : après l’avoir attaqué et tué par surprise, fait exposer son corps devant l’état-major des forces de l’ordre. Cette action faillit lui faire perdre son mandat électoral au Majles, qui fut maintenu grâce à l’intervention de Modarres. Plus tard (1922), lors du coup d’État éphémère de Lâhuti à Tabriz, Moxber os-Saltana fut emprisonné par les insurgés avant leur défaite devant les Cosaques. Occupe plusieurs fois le poste de ministre des Travaux publics et fait voter le projet de ligne ferroviaire du Transiranien. Premier ministre de 1927 à 1933. Parle allemand, français et un peu anglais. Très anti-russe. Opiomane. Millspaugh, American task in Persia, p. 26, le décrit comme « spineless and benumbed ». Les biographes ne disent rien sur sa réaction au sujet du coup d’État de 1921 et ses relations avec Seyyed Ziyâ (Moxber os-Saltana était à Tabriz pendant le coup d’État). Il parle des deux sujets avec circonspection et prudence dans ses mémoires très riches, Xâterât va xatarât, tuša’i az tarix-e šeš pâdešâh va guša’i az dawra-ye zendagi-e man, Tehrân, Zovvâr, 2nd ed., 1344/1965 ; voir fo371/ 17908 (Person. 1934), fo371/ 24582 (Person. 1940) ; Bâmdâd, Rejâl 4, p. 184 sq. ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 99 ; sur sa démission en 1933, Taqizâda, Zendagi-e ṭufâni, p. 247 ; Mostašâr od-Dowla, Yâd-dâšt-hâ-ye târixi, I, p. 47 sq. ; pris par Sâdeq Hedâyat comme modèle dans Hâjji Âqâ. Manouchehr Kashefi et Ameneh Yousefzadeh, « Hedāyat, MoḵberAl-Salṭana I. Life And Work » EncIr ; M. Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 896 sq. 1919 : août 12, 24 1920 : mars 20 – juin 26 – décembre 22y 1921 : mai 18 ‘Ali-Akbar Natanzi « Mozayyen od-Dowla » (1843-1932) peintre et musicien ayant étudié à Paris, un des maîtres de Kamâl ol-Molk. 1919 : novembre 5 Sa’id Nafisi (1895-1966), homme de lettres, 2ème fils de Nâzem ol-Atebbâ, médecin et lexicographe célèbre. Étudie en Suisse et en France, 1911-1918. Employé au Ministère de l’Intérieur et des travaux publics. Auteur de nouvelles et de deux romans, inspirés du romantisme européen. Professeur de littérature à l’Université de Téhéran à partir de 1935. Journalisme (Ettelâ‘ât, Journal de Téhéran). Articles anti-britanniques au moment de l’annulation de la concession d’Arcy. Voir fo371/24582 (Person.1940). En 1918, fait partie des amis de Bahâr et collabore à Dâneškada. Fréquente les traducteurs de l’ambassade soviétique qui sont aussi des orientalistes. Ami de Teymurtâš. 1933, invité en urss pour les commémorations du millénaire de Ferdowsi. 1949 : voyage en Inde, 1950 : Afghanistan, États-Unis et Europe de l’Ouest. Voir Alavi, Gesch. u. Entwicklung der modernen Persischen Literatur, pp. 168 sq., 178 sq. ; Âryânpur, Az Nimâ tâ ruzgâr-e mâ, p. 258 sq. ; Sabine Schmidtke, ed. Correspondance Corbin/Ivanow, Paris, Institut d’études iraniennes/ Peeters, 1999, p. 42-52. Sa‘id Nafisi, ‘Ali-Rezâ E‘tesâm, ed., Be revâyat-e Sa‘id Nafisi. Xâterât-e adabi, siyâsi va javâni, Tehrân, Našr-e Markaz, 1381/2002 ; Sa‘id Nafisi, Târix-e ejtemâ‘i va siyâsi-e Irân

Répertoire prosopographique

633

dar dowra-ye mo‘âser – 2 vol., Tehrân, Bonyâd, 1344/1965. Nafisi a en outre publié de très nombreux travaux, de qualité inégale, sur la littérature persane classique et publié de nombreuses œuvres à partir de manuscrits anciens. 1921 : mai 3 ‘Abd ol-Majid Mirzâ « Nâser od-Dowla » était le fils de Soltân-‘Abd ol-Hamid Mirzâ « Nâser od-Dowla », m. 1892, donc le petit-fils de Firuz « Nosrat od-Dowla ». Voir Soleymâni, Alqâb-e rejâl-e dowra-ye Qâjâr, p. 186. 1919 : mai 18 1920 : mars 25 – mai 13 – novembre 29 – décembre 1y 1921 : octobre 16 Abo’l-Qâsem Qarâgozlu Hamadâni, « Nâser ol-Molk » (1856-1927), parti en Grande-Bretagne, à Balliol College (Oxford) pour faire ses études (1879-1883) : il y fréquenta notamment Lord Curzon, Edward Grey et Sir Cecil Arthur Spring-Rice (chargé d’affaires à Téhéran, 1898-1901). Il était ami et partisan des idées réformistes de Malkam Khan mais très sceptique sur la possibilité des Iraniens de se gouverner eux-mêmes sans l’aide des Européens. C’est lui qui fut envoyé en ambassade auprès des cours d’Europe pour annoncer l’avènement de Mozaffar od-Din Shah (1896). En tant que ministre des Finances du gouvernement Amin od-Dowla., il amorça une rationalisation des recettes et des dépenses de l’État et chercha à diminuer le montant des pensions versés aux princes Qâjâr. Il ne put empêcher les gaspillages endémiques et le recours à l’emprunt russe dont les conséquences furent si dévastatrices. Chargé de rétablir l’ordre au Kurdistan, il resta plusieurs années gouverneur de cette province avant de revenir aux finances dans le gouvernement ‘Eyn od-Dowla – puis de Mošir od-Dowla –, mais désormais il devait composer avec les fonctionnaires belges imposés par les Russes (dont le fameux Joseph Naus). Premier ministre en 1907 peu après l’Accord russo-britannique de partage de la Perse en trois zones, il trouvait cette mesure bénéfique . . . Il fut démis de ses fonctions par le shah et dut partir aussitôt pour l’Europe où il assista aux obsèques de Malkam Khan. Il vécut modestement à Paris, refusant de se mêler aux constitutionalistes qui organisaient la révolte contre Mohammad-‘Ali Shah. C’est lui qui dirigeait à nouveau le gouvernement quand les révolutionnaires ont pris le contrôle de la capitale en 1909, et il devint peu après le Régent, après la mort de ‘Azod ol-Molk Qovânlu (1910) en attendant la majorité d’Ahmad Shah. Ne supportant pas l’opposition des députés démocrates au Majles, il ne fit rien, devant l’ultimatum russe, pour empêcher la dissolution ni pour organiser de nouvelles élections législatives. Finalement, sous le prétexte de soigner son cœur malade, et terrorisé par la perspective de mourir dans un attentat, il annonça son départ pour l’Europe. Cette période fut utilisée par Sardâr As‘ad pour grignoter l’autorité monarchique (un autre Bakhtyari, NajafQoli Khan Samsâm os-Saltana était Premier ministre). Finalement le Régent ne rentre en Iran qu’en septembre 1913, juste pour organiser les élections et l’introni-

634

Répertoire prosopographique

sation du roi Ahmad Shah : il allait avoir 18 ans (lunaires) en juillet 1914. Peu après, il « s’enfuit » à nouveau vers l’Europe (Bahâr), où il passa la plus grande partie de ses dernières années. Voir Bâmdâd, Rejâl 1, p. 66 ; P. Azkâ’i, Âyanda. xiii (1366), pp. 243, 568-583 ; Safâ’i, Rahbarân-e Mašruta, ii, p. 111 sq. ; Maqâlât-e Taqizâda vii, pp. 681-680. Pressenti pour représenter la Perse à la Conférence de la Paix en 1918 (avis négatif de Lecomte) voir Archives diplomatiques, Asie 1918-40, Perse-Iran 24 f °136 ; Dowlatâbâdi, Hayât-e Yahyâ, iii, p. 221 sq. ; J. Zarqâm Borujani, « Abo’l-Qâsem Qaragozlu Hamadâni », Vaḥid (1350), n°9, p. 1027 sq. ; portrait très noir de sa régence et de sa fuite en Angleterre en 1914 par Bahâr, Ahzâb-e siyâsi, I, p. 8 sq. Râmin Yalfâni, Zendagi-e siyâsi-e Abo’l-Qâsem Xân Nâser ol-Molk, Tehrân, Mo’assesa-ye Motâle‘ât-e târix-e mo‘âser-e Irân, 1376/1997 ; Wright, Persians amongst the English, p. 143 sq. HH1920 : novembre 23 Hasan-‘Ali Kamâl-e Hedâyat « Nasr ol-Molk » (1872-1957), fit des études en France (droit) où il est conseiller à la légation iranienne. Commence une carrière au ministère des Affaires étrangères. Élu au 1er Majles, mais retourne en Europe avant la fin de la législature. Député au 2ème Majles. 1915 : ministre des Postes, puis de la Justice, du Commerce, des Travaux publics dans de nombreux gouvernements, notamment celui de Vosuq od-Dowla (1920) et de Mostowfi (1923). Germanophile. Gouverneur d’Ispahan (1925-6, 1927), du Fârs (1927). Consul à Bagdad (1927), ministre d’Iran à Tokyo (1931). « Friendly . . . but he is not a great personality » FO371/17908 (Person.1934). Gouverneur de Téhéran (1935-38) voir fo371/ 24582 (Person. 1940) ; Bâmdâd, Rejâl 1, p. 358 sq. ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 118 ; francophile : ses enfants sont à l’Alliance française, Archives diplomatiques, Perse-Iran 23, p. 145 ; Rejâl-e vezârat-e xâreja, p. 157 ; Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 691 sq. 1920 : janvier 19 – avril 1 – juin 26 – octobre 28y 1921 : février 26 HH1920 : février 4 Hoseyn-Qoli Navvâb (1861-1945) fils de Ja‘far-Qoli, un négociant, né à Chiraz, descendant d’une lignée qui avait accompli pour les Safavides une importante mission en Inde ; après l’école primaire, va en Inde, pratique l’anglais. Études supérieures en France et en Angleterre. Rentre en Iran en 1882, travaille dans une banque anglaise à Téhéran dont il devient directeur. Employé au monopole des Tabacs de Talbot, dissout en 1891. Envoyé comme interprète à la légation iranienne à Londres, revient en 1905, directeur de la section des pays non limitrophe au Ministère des affaires étrangères. Engagé dans le mouvement constitutionaliste, député au 1er Majles (1906). Continue dans la clandestinité après le coup d’État de juin 1908 (il utilise sa nationalité anglaise pour se réfugier à la légation britannique voir Âdamiyat, Majles-e avval, p. 348). Élu en 1909 au 2ème Majles, parti Démocrate. 1910 : ministre des Affaires étrangères. « Perhaps the most patriotic of the real Persian leaders at

Répertoire prosopographique

635

this time was the Nawwab, a man whose character and attainments would win for him a high place in any land and under any conditions . . . » écrit M. Shuster, Stangling of Persia, p. 94. Après l’ultimatum russe de 1911, arrêté et envoyé en exil à Vienne, puis à Brighton (Hastings), puis en Espagne. Élu au 3ème Majles. De 1916 à 1922 à Berlin comme représentant iranien, pressant les Allemands de reprendre les relations diplomatiques. Ruiné par l’inflation allemande. Voir Hirschfeld, Deutschland u. Iran im Spielfeld der Mächte, p. 317. Revient à Téhéran pour diriger la banque Irân (ancienne banque russe d’escompte). Un des fondateurs de la Banque Melli. Député au 8ème Majles (1930). Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 863 sq ; Bâmdâd, Rejâl 1, p. 457 sq. ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 122 ; marié à une Irlandaise, voir Taqizâda, Zendagi-e tufâni, pp. 171, 355 ; en poste à Paris, puis Berlin, ibid. p. 375 ; Râ’in, Farâmušxâna, ii p. 78 etc. 1920 : novembre 26 « Nâyeb os-Saltana », voir Kâmrân Mirzâ Nâyeb os-Saltana Hoseyn « Nâyeb Xân » Kâši (exécuté en 1919), brigand célèbre dans la région de Kâšân (mais originaire du Lorestân), dont la figure controversée a été souvent évoquée, tantôt pour en faire un Robin des Bois à l’iranienne, tantôt un ennemi de tout processus de normalisation politique et de développement (les caravanes étaient pillées régulièrement et le commerce entre Téhéran et Ispahan ou Kermân gravement perturbé. Incapable de maintenir l’ordre contre lui dans la région, le gouverneur Sahâm os-Saltana fit nommer Hoseyn Khan vice-gouverneur, d’où son surnom Nâyeb Hoseyn. Voir Mohammad-Rezâ Xosravi (‘Ali Dehbâši, ed.), Toqyân-e nâyebiân dar jariân-e Enqelâb-e Mašrutiyat-e Irân, Tehrân, Beh-negâr, 1368/1989 (c.r. par K. Bayât, Našr-e dâneš X, 3 (1369), pp. 32 sq. ; voir aussi Sd ‘Ali Âl-e Dâvud, « Šivahâ-ye now dar tafsir-e asnâd-e târixi », Našr-e dâneš, xviii, 3 (1380), pp. 38 sq.) ; ‘A.-R. Madani, Târix-e ašrâr-e Kâšân, ed Hoseyn‘ali Pur-Madani. – Kâšân, Morsel, 1370/1992 ; Hasan Narâqi, Târix-e ejtemâ‘i-e Kâšân, Tehrân, 2ème éd., Entešârât-e ‘elmi va farhangi, 1365, p. 300 sq. ; ‘A. ol-H. Navâ’i & Md Baqâ’i Širajini, eds., Nâyebiân-e Kâšân bar asâs-e asnâd, Tehrân, Sâzmân-e asnâd-e melli-e Irân, 1380/2001 (voir Sd ‘Ali Âl-e Dâ’ud, Našr-e dâneš, xviii, 3 (pâ’iz 1380) p. 38 sq. 1919 : mai 14 – septembre 17 1921 : mars 27 Rezâ-Qoli Hedâyat « Nayer ol-Molk ii », (1882-1945) né à Téhéran, premier fils de Ja‘far-Qoli Khan Nayyer ol-Molk, donc neveu de Moxber od-Dowla I (Ne pas le confondre avec son grand-père l’écrivain érudit Rezâ-Qoli Khan Hedâyat, « Lalâbâši », 1800-1871). Études à Dâr ol-fonun et plus tard succède à son père comme directeur de l’institution. Ministre de l’éducation dans le cabinet de Seyyed Ziyâ (1921), puis 1922 (cabinet Mošir od-Dowla), voir I. Sadiq, Yâdegâr- ‘omr, 1, p. 234. Président de la Haute Cour d’appel (1934-36). « A highly respectable and respected old gentleman » fo371/24582 (Person. 1940). Sur lui, Browne, Persian Revolution,

636

Répertoire prosopographique

p. 129 ; ‘Abdollâhpur, Vozarâ-ye ma‘âref-e Irân, p. 78 sq. ; E. Yaqmâ’i, Vazirân-e ‘olum . . . , p. 203 sq. Reçoit la Légion d’honneur en 1902. 1920 : juillet 4 Anthony Richard Neligan, médecin britannique (1879-1946), succéda à Odling comme médecin de la Légation britannique à Téhéran où il resta de 1906 à 1926. Participa à l’organisation de différents services de santé en Iran, voir Rabino, Diplomatic and consular officers, p. 41 ; « Petit officier de santé sans capacité », écrit Ducrocq, 25 janvier 1921 ; Ruznâma-ye xâterât-e ‘Eynossaltana, vii, p. 5626. De lui : – Hints for residents and travellers in Persia, London 1926 ; – “Public health in Persia”, The Lancet – 27 (1926) ; – The opium question, with special reference to Persia, London, 1927. 1921 : janvier 25 – mai 15 Louis-Alphonse Nicolas (1864-1939), né à Rasht, fils de Louis Jean Baptiste, vice-consul français de cette ville (†1875). Entre à l’École des Jeunes de langues à Paris à dix ans. Élève drogman à Téhéran (1887), puis Chypre (1894-5), Tanger (1895-6), Smyrne, puis à nouveau en Iran en 1898. Commence l’étude du bâbisme à Téhéran et devient bâbi convaincu, 1898. 1906-1916 : consul à Tabriz. Nommé consul à Tiflis (1916), obligé de fuir vers Moscou emprisonné par les Bolcheviks et quitte la Russie par la Finlande, la Suède et la Grande-Bretagne. 1920-24 : Consul général à Valence (Espagne), son dernier poste. Mort en février 1939. Voir Chatelet, « Mission lazariste en Perse », (3), p. 252 ; Momen, Bâbi & Bahâ’i Religion, p. 516 ; ses papiers ont été légués à l’Institut d’Études Iraniennes (aujourd’hui bulac), mais sont à ce jour inaccessibles. A publié La divinité et le vin chez les poètes persans (Marseille, 1897), Quelques odes de Hafiz (Paris, 1898), Le livre de Sept preuves de la mission du Bâb (1902), Seyyed Ali Mohammed dit le Bâb (Paris 1905), Le Béyan arabe (Paris 1905), Essai sur le Cheïkhisme (Paris, 1910-14), Le Béyan persan (Paris, 1911-1914), Massacre de Bâbis en Perse (1936). Plusieurs articles dans la Revue du Monde Musulman sous les pseudonymes de Ghilân, Rechti ou Irâni. [Nader Nasiri-Moghaddam] 1920 : février 22 Mgr Yohannan Nissan, évêque chaldéen de Téhéran 1914-34. Voir A. Bugnini, La Chiesa in Iran, Roma, Vincenziane, 1981, p. 255. 1921 : août 24 – août 30 HH1921 : juin 18 – juin 22 – juillet 2 – juillet 19 – juillet 24 – août 10 Nils Nordquist (1887-1920), officier vétérinaire suédois au service de la Gendarmerie. Voir Ineichen, Die schwedischen Offiziere in Persien. Se serait suicidé à Téhéran. Auteur de Tašrih-e tafsili-e heyvânât-e ahli (anatomie des animaux domestiques), Tehrân, 1916. 1919 : octobre 14 1920 : janvier 27

Répertoire prosopographique

637

Herman Cameron Norman (1872-1955), ministre plénipotentiaire britannique à Téhéran, 1920-1921. « Ist Secretary, hm Diplomatic Service, 1907. Counsellor, 1914. Secretary to the British delegation to the Peace Conference, 1919 » voir Ferrier, History of bp I., p. 694. Ministre britannique à Téhéran (juin 1920-1921). « . . . an indeterminate little man, a charming host, but not what the Canadians call a Hustler » selon les termes d’Ironside qui lui reproche de ne pas avoir fait assez pour faire ratifier l’Accord anglo-persan, voir Sabahi, British policy in Persia, p. 50. Perdu par son soutien à Seyyed Ziyâ’, que ne lui pardonnèrent ni Curzon, ni les notables arrêtés par Ziyâ’ : voir Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, passim, notamment p. 218. Quitte Téhéran sans avertir personne début octobre 1921 voir Journal d’Hélène Hoppenot. Portrait très cru par Edmonds, East and West of Zagros, p. 301 : « He had no previous experience of the Near or Middle East and showed none of the robustness of character and outlook called for in the British representative at that troubled moment of Persian history. A dapper little bachelor, he gave the impression of being precious, fastidious and almost foppish in every department of official and social life. [. . .] Another curious thing about the choice was that he was moreover quite out of sympathy with British policy in Persia, and seldom referred to Lord Curzon without calling him the imperial bounder. » 1919 : décembre 30 – juin 9, 28 – juillet 10, 14 – octobre 28, 29, 30 – novembre 1 – décembre 6, 15, 18, 25

1921 : janvier 6, 9,13, 15, 20, 25 – février 1, 21, 25, 26 – mars 7, 8, 11, 22, 27 – avril 15, 21 – mai 15 – août 24, 30 – septembre 1, 23 – octobre 13, 14

HH1920 : juillet 30 – août 3, 17, 19 – septembre 9, 17 – octobre 26, 27, 28 30 – novembre 5, 8, 17 – décembre 5, 14 HH1921 : janvier 7 – février 21, 23, 27 – mars 1, 2, 11, 12 – mai 1, 22, 27, 29 – juin 4 – juillet 24 – août 22 – octobre 3 – novembre 20 – décembre 15 HH1922 : février 5, 15

Nosrat od-Dowla, voir Firuz Mirzâ Hoseyn-Qoli Mozaffari « Nosrat os-Saltana » (1884-1945), sixième fils de Mozaffar od-Din Shah, le favori de son père. Proche de son neveu Ahmad Shah. Études à Vienne. Gouverneur du Fârs (1915), de Kermân (1915-18), du Fârs après Moṣaddeq (1921-22). A épousé la fille de Nezâm os-Saltana : deux fils (Mahdi-Qoli et Mo‘in od-Din) et une fille. Parle français. En bons termes avec le régime Pahlavi, voir fo371/17908 (Person. 1934) [=FO371/24582 (Person. 1940)] ; Mosaddeq, Xâterât p. 136. 1919 : mai 18 1920 : février 8 – juillet 4 – décembre 31 1921 : février 4 – mars 21, 24 – avril 4, 16 ‘Abbâs-Qoli Xân Nuri Esfandyâri (1891–), études primaires à l’école de l’Alliance israélite universelle, études à Genève et Paris, élève-officier à Saint-Cyr. Blessé à la bataille

638

Répertoire prosopographique

de la Marne, Croix de Guerre dans l’armée française. Fait prisonnier par les Allemands sur le front français en 1916, libéré à Berlin sur l’intervention de Taqizâda, voir T. Epkenhans, Moral und Disziplin : Seyyed Hasan Taqizâde und die Konstruktion eines « progressiven Selbst » in der frühen iranischen Moderne, Berlin, Schwarz, 2005, p. 54. Officier de la gendarmerie en 1921 : opérations de maintien de l’ordre à Dezful et au Lorestan. Son frère Fathollâh né en 1889, qui épousa une Française, était diplomate. Leur père Hasan Esfandyâri « Mohtašam os-Saltana » (1862-1945), diplomate et ancien ministre des affaires étrangères, germanophile, fait partie des personnalités éloignées à Kâšân par le gouvernement Vosuq od-Dowla qui souhaitait faire avancer l’Accord anglo-persan en écartant ses plus farouches adversaires. Marié en 1929 à une fille de Farmân-Farmâ, Maryam Firuz, qui, après son divorce en 1939, deviendra l’épouse de Nur od-Din Kiânuri, fondateur du parti Tuda (voir fo371/24582 (Person.1940) ; http://www.oral-history.ir/show.php?page= article&id=471, consulté le 3 déc. 2013) ; Nuri-Esfandyâri, Târix-e xânevâda-ye Esfandyâri, p. 140 sq. ; Mošâr, Mo’allefin, iii, p. 700 sq. 1920 : janvier 9 – février 19, 22 Pâšâ Nurzâd (né en 1902), commence une carrière militaire en 1927 ; général en 1953. Voir Md-R. Mirzamâni, « Omarâ-ye arteš-e Irân », Sâlnâma-ye kešvar-e Irân, xii, 1336-7/1957-8, p. 350. 1921 : mai 18 – septembre 23, 26 Gordon Paddock (1865-1932), né à New York, consul à Séoul et en Mandchourie, Consul américain à Tabriz (1911-1922), pendant la Guerre, aide à des opérations humanitaires à Urmia et Tabriz ; marié à une Française, Maria Lefebvre, mort à Fieffes (Somme). 1921 : février 3, 4 Percy Cox, voir Cox (Sir Percy) Percy Loraine, voir Loraine (Sir Percy) Adolphe Perny (né en 1857) professeur à l’école de Droit de Téhéran. Docteur en droit, Procureur du tribunal de Redon, ancien substitut du Procureur de la République près du tribunal de la Seine. Chargé de l’organisation du Ministère de l’Intérieur et d’un cours de Droit administratif à l’École des Sciences politiques de Téhéran (19111926), voir A.-A. Siassi, La Perse au contact de l’Occident, Paris 1931, p 147. Chargé de rédiger un code civil en 1911, voir Banani, Modernization of Iran . . . p. 69. Envoyé par Vosuq od-Dowla comme conseiller technique à la Conférence de la paix en 1918 pour « rectifier les égarements possibles » des représentants iraniens (Lecomte, 15/12/18, mae 24, F° 150). « Monsieur Perny, blessé de guerre, était retourné en Perse en 1917 et était revenu à Paris en 1919 avec la délégation persane envoyée à la conférence de la paix. » Ducrocq, « La propagande française en Perse », in Archives diplomatiques, Papiers d’agents, dossier 34 (voir aussi mae, ns, Perse, 55). Fonde l’École de droit (1919). En 1921, Seyyed Ziyâ a essayé de renvoyer Perny mais l’intervention

Répertoire prosopographique

639

de la Légation française a obtenu son maintien (Ducrocq, Papiers d’agents, vol.35). Apparemment ami du P. Châtelet bien que maçon . . . Archives diplomatiques, Papiers Bonin 25, lettres de Audigier à Bonin, 1924-1925. Aurait été lié aux diplomates des Puissances centrales pendant la Première guerre mondiale (Ducrocq, Journal, 7 avril 1920). 1920 : mars 22 – avril 1, 7, 15, 30 – juin 26 – décembre 29 1921 : janvier 2 – février 26, 28 – mars 15, 18 HH1920 : novembre 24 Philippoff – Colonel russe blanc de la Brigade cosaque. « Il ne s’intéresse qu’à la création d’un parti monarchiste en Russie. Il attend pour s’y rallier qu’une armée qui déclare vouloir rétablir l’ancien régime soit formée en Russie. Il aime mieux Lénine que Kerensky parce qu’il est partisan de la politique du pire pour que le monde soit dégoûté de la Révolution. » (Ducrocq, 19 déc. 1919). Adjoint au chef de la division cosaque, officier instruit et valable, commandant du camp de l’Azerbaïdjan en 1919. Voir Xâterât-e sartip ‘Ali-Akbar Deraxšâni, p. 87. 1919 : décembre 14, 29 1920 : février 2, 5 – mars 2, 24 – juin 8, 11 – novembre 2, 5, 18 Pir-Niâ, voir Mošir od-Dowla ou Mo’tamen ol-Molk Fernand Prévost (1871–) ministre plénipotentiaire français à Téhéran à partir du 28 juillet 1921, jusqu’au 16 janvier 1924. Arrive à son poste le 21 décembre 1921. Départ en retraite 1931, voir Hellot, France-Iran p. 250 sq. HH1921 : octobre 6 – décembre 15, 21, 23 HH1922 : janvier 9 – février 12 – février 14 Hasan-‘Ali Qaffâri « Amin-e Xalvat », « Mo‘âven od-Dowla » (1888-1980), fils de [Ebrâhim] Mo‘âven od-Dowla, qui fut ministre des Affaires étrangères. Études en Europe, petit-fils de Abu-Tâleb Farrox Khan Qaffâri « Amin od-Dowla » (1812-1871) qui fut envoyé en ambassadeur à Paris en 1855 et signa le Traité de Paris entre la Perse et l’Angleterre : la Perse renonçait à Hérat (1857). Maître des cérémonies (192629). Ami de Teymur-Tâš. Ministre d’Iran à Bruxelles (1933-36). Voir fo371/ 17908 (Person. 1934) ; Rejâl-e vezârat-e xâreja, p. 157. Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 384 note. 1920 : janvier 8 ‘Abdollâh Qarâgozlu « Sâ‘ed os-Saltana », « Sardâr Akram », « Amir-Nezâm » fils de Mostafâ Qoli Xân E‘temâd os-Saltana, latifundiaire de Hamadân. Mêlé à une rébellion avec šeyx ‘Abdollâh, mojtahed de Hamadân, en 1892-93, et emprisonné à Téhéran dans la maison de Kâmrân Mirzâ Nâ’eb os-Saltana. 1909 : provisoirement ministre des finances dans le cabinet Nâser ol-Molk. Même poste en 1915 dans le cabinet ‘Eyn od-Dowla, voir Bâmdâd, Rejâl 2, p. 296. Aurait servi d’intermédiaire à Tabriz entre Moxber os-Saltana et Xiâbâni en 1920, voir Kasravi, Qiyâm-e Šeyx Mohammad Xiâbâni, p. 59 sq. [Katouzian, State and society, p. 180].

640

Répertoire prosopographique

1919 : juillet 1 – décembre 19 1920 : février 28 – mars 8 – juin 28 HH1920 : avril 3 Šokrollâh Sadri « Mo‘tamed-e Xâqân », « Qavâm od-Dowla » (1872-1926), né à Ispahan dans la famille d’un latifundiaire proche de la cour, fut un des pages de Mozaffar od-Din Shah. Victime des colères de ‘Eyn od-Dowla qui l’exila au Mâzandarân (1903). Il propageait les idées constitutionalistes à la Cour. Deux fois ministre de Sepahdâr Tonkâboni (1910-11). Gouverneur d’Ispahan, du Lorestân et de Téhéran. Député au 3ème Majles (1914) et au 4ème Majles (1921). Agent de Šeyx Xaz‘al à Téhéran et en faveur à la légation britannique, voir Bâmdâd, Rejâl 2, p. 151 ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 85. Exilé politique à Paris en 1908 : Taqizâda, Zendagi-e tufâni, p. 123. « Has always been very friendly » Fortescue, Military Report, p. 364. Gouverneur de Téhéran en 1909 ; ministre du commerce (1910), des postes (1920) de l’Intérieur (1925) ; voir Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 356 note. 1921 : mars 10, 17 Ahmad Qavâm, « Dabir-e Hozur », « Vazir-e Rasâ’el », puis « Qavâm os-Saltana » (1873-1955), jeune frère de Vosuq od-Dowla. Sur les origines de sa famille et son grand-père Qavâm od-Dowla, voir M. Farrox, Xâterât-e siyâsi, Tehrân 2e éd., Amir Kabir, 1347 p. 78 sq. Très jeune au service de Nâser od-Din Shah. 1896 : directeur du cabinet de son oncle Mirzâ ‘Ali Khan Amin od-Dowla à Tabriz puis à Téhéran quand il est devenu Premier ministre. Études de Sciences Politiques en France (1898-1901). Employé par Šo‘â os-Saltana au gouvernorat du Fârs. 1904 : secrétaire de ‘Eyn od-Dowla. Ministre de la guerre (1910), Intérieur (1911, 1917-18, 1921-22), finances (1914), affaires étrangères (1922-23). Premier ministre, juin 1921-janvier 1922, juin 1922-février 1923, août 1942-février 1943 ; février 1946-décembre 1947. Gouverneur du Khorassan (1918-21). Arrêté par Seyyed Ziyâ en février 1921, puis devient immédiatement Premier ministre avec portefeuille. À nouveau Premier ministre en 1923, mais arrêté par Rezâ Khan en septembre 23 sur accusation de complot et sauvé par une intervention de Ahmad Shah, doit s’exiler en France (1923-29 ; sur cette période à Paris, voir ‘Âqeli, Zokâ’ ol-Molk Foruqi, p. 32 sq.) « . . . friendly to His Majesty’s Legation », fo371/17908 (Person. 1934). « . . . his duplicity and resourcefulness are unusual even for a Persian (. . .) in all of his doublings and turnings and intrigues there is remarkable streak of tenacity and (. . .) it is this tenacity which has raised him to his high position. » Loraine à Curzon, 21 septembre 1922, cité par Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 261. Sa plus belle action politique a été d’obtenir, en négociant directement à Moscou avec Staline, l’évacuation des troupes soviétiques d’Azerbaïdjan en 1946. Bâmdâd, Rejâl 1, p. 94 sq. ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat pp. 85 & 135 ; Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 661 sq. ; Mahdi-Niyâ, Zendegi-e siyâsi-e Qavâm os-Saltana, Tehrân, Pâsârgâd, Pânus, 2ème éd., 1366/1987 ; son goût du decorum et sa cupidité-corruption : Taqizâda, Zendagi-e tufâni p. 358 ; ‘A.Vosuq, Čahâr

Répertoire prosopographique

641

fasl dar tafannon va târix. – Tehrân, 1361/1982 ; A.C. Edwards, « Persia Revisited », International Affairs, xxii, (1947, 52-60) ; R. Kauz, Politische Parteien und Bevölkerung in Iran : Die Ḥezb-e Demūkrāt-e Irān und ihr Führer Qavāmo s-Salṭanä, Berlin, Klaus Schwarz, 1995 ; M. Dâvudi, Qavâm os-Saltana, Tehrân, (1948). Sur son attitude soumise à la Grande-Bretagne en 1952, voir Afkhami, Life and times of the Shah, Berkeley – Los Angeles – London, 2009, p. 138 sq. « Nâma-hâ-ye Pâris. Nâma-hâ-ye Ahmad Qavâm be ‘Ali Amini (1326-1328) », Târix-e mo‘âser-e Irân, ii, 6 (tâbestân 1377/1998). Xosrow Šâkeri, Estâlin va Truman: qorub ba šowkat-e “Jenâb-e Ašraf”, Ahmad Qavâm os-Saltana (naqd-i bar târix-e ideoložik), Florence, Mazdak, 1391/2012. 1920 : février 19 – décembre 12 1921 : janvier 12 Georges de Raymond (1873-1950) – ministre belge à Téhéran, descend d’une lignée de métallurgistes à Thon (province de Namur). Son père Augustin de Raymond a reçu concession de noblesse en 1888. Georges de Raymond étudie le droit et entame une carrière au Ministère des affaires étrangères en 1895. Devenu secrétaire de 2e classe, il occupe des postes à Madrid, Vienne et Paris. Nommé secrétaire de 1e classe il occupe des postes à Belgrade, Luxembourg et au Saint-Siège. Le 25 mai 1906 il se marie à Paris avec Alliette Duguesclin de Saint-Gilles (1882-1947) et s’établit dans le village breton de Saint Germain en Coglès. Georges de Raymond est nommé conseiller en 1910 et part pour Vienne, puis Berne et Londres avant d’obtenir son premier poste de ministre plénipotentiaire à Téhéran, le 28 septembre 1917. Le maintien de la mission belge en Perse sera un des soucis principaux de Georges de Raymond. Au moment de son arrivée, le renouvellement des contrats des fonctionnaires belges par le Majles semble compromis. Pendant l’été 1921, il contribue à régler l’affaire Azrilenko et réussit finalement à éviter aux puissances de perdre la face et à renforcer la souveraineté de la Perse. Il prolonge son séjour en Perse pour exploiter le regain de prestige belge en vue des négociations pour la reconduction des contrats des fonctionnaires de la mission belge. En septembre 1922 un employé de la légation américaine est attaqué par des militaires lors de manifestations antisémites à Téhéran. Le ministre américain, Joseph Kornfeld, lui même juif, se laisse manipuler par les Britanniques et accuse les bolchéviques. Il menace à son tour de rompre avec la Perse et d’amener la flotte américaine devant le port de Bušehr. Georges de Raymond réussit à persuader les États-Unis d’octroyer un prêt à la Perse. En contrepartie, Rezâ Khan fait dégrader l’officier responsable des troubles et contraint son ministre de la guerre de présenter ses excuses à Kornfeld. Georges de Raymond quitte la Perse en mauvaise santé en octobre ou novembre 1922 pour n’être envoyé à son nouveau poste à Prague qu’en janvier 1924. De 1932 à 1938 Georges de Raymond occupe son dernier poste de ministre de Belgique en Turquie. Dans ces deux derniers pays, de Raymond gagne, comme en Perse, l’estime de ses pairs. Il se lie d’amitié avec Edvard Beneš, ministre des affaires étrangères de

642

Répertoire prosopographique

Tchécoslovaquie ainsi qu’avec Kemal Atatürk. Il se retire de la vie active le 1er janvier 1939 et s’installe à Bruxelles. (D’après Eric Laureys http://www.kaowarsom.be/ fr/notices_de_raymond_georges) 1919 : octobre 1 – décembre 16, 25 1920 : janvier 1, 4, 12 – mars 23 – avril 12, 15 – mai 13 – décembre 15, 25, 27 1921 : janvier 6, 16, 24, 29 – février 21, 25, 26 – mars 1, 11, 22, 27 – avril 15, 21 – mai 9 – août 24, 30 – septembre 19

HH1920 : février 2 – avril 21 – août 29 – octobre 11 – novembre 6 – décembre 7, 26 HH1921 : janvier 7 – mars 2, 12 – avril 7 – mai 5, 24 – août 27, 31 – septembre 8, 25 – novembre 18 – décembre 4 HH1922 : janvier 4 – février 18

Rezâ Khan (futur Pahlavi) « Sardâr Sepah » (1878-1944). Officier persan de la brigade cosaque sorti du rang, forte carrure, caractère très calme, quasiment analphabète (parle un peu turc et comprend quelques mots de russe). Ses origines modestes ont été signalées très tôt. « In spite of great educational limitations, he was a man of very considerable military ability (. . .) He also possessed a considerable aptitude for intrigue . . . » écrit J.M. Balfour, un des membres britanniques de la commission financière (Recent Happening, p. 222 ; voir aussi W. v. Blücher, Zeitwende im Iran, Biberach a. d. Riss, 1949, p. 148). Une première fois en effet Rezâ Khan s’était signalé comme une forte tête, quand il avait assisté Starosselsky pour sortir Clergé que Kerensky avait fait nommer à la tête de la brigade cosaque et qu’ils soupçonnaient de sympathies bolcheviques (1918). Il n’avait pas hésité à contacter la légation allemande (A. Kahhâlzâda, Dida-hâ va šenida-hâ : Xâterât-e monši-e sefârat-e emperâturi-e Âlmân dar Iran, Tehrân, 2ème éd., 1370/1991, p. 299 sq.). Deux ans plus tard il contacte le général Dickson (qui parlait persan) pour lui demander de l’aide en vue d’un coup d’État : « He was disloyal to one of his chiefs Colonel Clergé, at the time of the 1918 emeute; last spring [1920] when the problem of bringing the Cossacks into the proposed uniform force was engaging a serious attention, he made an offer to me to betray his Russian officers . . . » écrira Dickson à Curzon (le 14 mai 1921, cité par Majd, Great Britain and Reza Shah, p. 71). Nul étonnement que le général Ironside et les deux amis de Seyyed Ziyâ officiers de gendarmerie basés à Qazvin tombèrent d’accord pour faire de Rezâ Khan le bras armé de leur coup de force avant le départ des troupes britanniques d’Iran. Ce qu’ils n’avaient pas prévu, c’est que devenu chef de la brigade cosaque, puis des forces armées, puis ministre de la Guerre, Rezâ se débarrasserait aussi facilement de Seyyed Ziyâ et qu’il se ferait nommer ensuite Premier ministre avant de faire destituer Ahmad Shah et de monter sur le trône lui-même (1925). Rezâ Khan (par la suite Rezâ Shah) réforma l’Iran à sa manière, en appliquant brutalement les recettes des intellectuels nationalistes, il sédentarisa les nomades par la force et fit arracher le voile des femmes. Quand les Alliés eurent besoin de ravitailler l’urss (bataille de Stalingrad,

Répertoire prosopographique

643

1941), l’invasion soviéto-britannique ne rencontra pas de résistance notable et le souverain tyrannique fut expulsé sans regrets. Il fut exilé à l’île Maurice et mourut à Johannesburg. Sur son rôle dans le coup d’État, voir Y. Richard, « Le coup d’État de 1921 et les sources historiques », Studia Iranica, 38 (2009), p. 69 sq. Des journalistes ou biographes européens qui ont approché Rezâ Shah ont été fascinés par sa personnalité : D. Wilber, Riza Shah Pahlavi, New York 1975 ; Essad Bey, Reza Schah : Feldherr, Kaiser, Reformator, Wien Leipzig, 1936. 1921 : février 21, 22, 23, 25 – mars 3, 11, 16, 23 – avril 26 – mai 18 – août 24, 30 HH1921 : février 21, 23, 24 – mai 15, 22 – mai 30 – juillet 20 – août 27 ‘Ali Riâzi (1893-1947), officier de gendarmerie. Études de génie militaire à Versailles. « Très intelligent, le plus précis, le plus travailleur de tous les Persans que j’ai vus. Jouissant sur ses compatriotes du prestige de l’honnêteté. Son frère, fonctionnaire au ministère des Finances, s’est suicidé parce qu’il ne voulait pas couvrir des malversations. Brave, hardi dans ses propos, un peu rude de manières. A servi le régime Seyyed Ziyâ parce qu’il y voyait un moyen de délivrer son pays des partis qui l’exploitent et croyant à la réorganisation possible de son pays. Pas sceptique. Courageux, bon camarade. A épousé la femme de son frère avec des enfants. Précieux agent de renseignements » dit Ducrocq, Archives diplomatiques, Papiers d’agents, 19. Un des 9 membres iraniens de la Commission militaire anglo-persane de 1919. Voir Cronin, Army and the creation of the Pahlavi state, pp. 50, 249 sq. Très proche de Seyyed Ziyâ qui en avait fait son conseiller pour les affaires de la Gendarmerie puis intégré dans le corps des officiers de la nouvelle armée. Au grade de Colonel, attaché militaire à Paris, 1925-1936 (voir M. Habibi, L’interface France-Iran 1907-1938, Paris, l’Harmattan, 2004, p. 311 sq. ; Hellot-Bellier, France-Iran, index s.v.). Responsable des étudiants iraniens en France. Général, rétrogradé en septembre 1941 par Rezâ Shah. Voir Xâterât-e Nasrollâh Entezâm, p. 44 sq. et nommé directeur de la culture dans le Fârs. Vice ministre de la guerre dans cabinet Soheyli (1941), ministre de l’éducation dans le cabinet Sâ‘ed (1944). Ministre de la guerre dans cabinet Hakimi (1945) ‘Abdollâhpur, Vozarâ-ye ma‘âref-e Irân, p. 134 sq. ; B. ‘Âqeli, Rezâ Šâh va arteš-e mottahed oš-šekl, Tehrân, 1377/1998, p. 329 sq. 1921 : janvier 12, 18 – mars 1, 3, 17, 21 Joseph Richard Khan (Rišâr Xân) « Mo’addab ol-Molk » (1868-1935), fils de Jules Richard, Directeur de l’enseignement secondaire des jeunes filles, professeur au Darolfonun (Papiers Ducrocq, vol. 34, 1920). Collectionneur de monnaies voir Bâmdâd, Rejâl 2, p. 44 sq. ; 6, p. 296 ; C. Adle, « Notes et documents sur la photographie iranienne et son histoire . . . », Studia Iranica, xii, (1983) p. 252 sq. 1919 : octobre 20 – mars 6 Dr René Roland Médecin français. Titulaire d’une demi-chaire à l’École de médecine de Téhéran en 1920. « A séjourné en Arabie et en Perse, dont il connaît la langue. Le Dr Roland est venu volontairement en Perse et il a exercé pendant un an [1921]

644

Répertoire prosopographique

les fonctions d’agent consulaire français à Ispahan, où il a su en peu de temps gagner l’estime des Baktyaris. » (Ducrocq, Papiers d’agents, vol. 35). 1922, professeur à l’École de Médecine de Téhéran. Novembre 1923, écrit à Bonin de Paris pour lui demander son aide afin de reprendre ses fonctions à Ispahan (contre l’influence de l’hôpital anglican) voir Archives diplomatiques, Papiers Bonin, 17 ; écrit à nouveau, de Bangkok le 7 juillet 23 pour dire qu’il est parti d’Iran en mars faute d’avoir son contrat et victime de la vague de xénophobie qui sévit en Perse (ibid.). Écrit un article dans Le Temps du 20 juin 1925 sur la suppression des titres nobiliaires en Perse, voir Papiers Bonin, 25. « Il y a un journal féministe à Ispahan et les Anglais accusent [Roland] de le soutenir. La mission anglicane est assez hostile à Roland. » écrit Ducrocq, Journal, 16 février 1921. 1920 : mai 1 – décembre 4 1921 : février 16, 21 – mars 10, 12, 14 – avril 15, 20 Feodor Rothstein (1871-1953), né dans une famille juive de Lituanie, a vécu environ 30 ans (1890-1920) en Angleterre comme réfugié politique, travaillant au Daily News et Manchester Guardian. Participe à la fondation du parti communiste britannique. (Sabahi, British policy in Persia, p. 231 n. 151) Ministre soviétique à Téhéran, arrivé à son poste le 24 avril 1921 (février 1921–mai 1922) voir J. Šeyxoleslâmi, ‘Elal-e afzâyeš-e nofuz-e Rus va Englis dar Iran-e ‘asr-e Qâjâr, Tehrân, Keyhân, 1369/1990, p. 93 sq. Il a par la suite occupé plusieurs fonctions culturelles et médiatiques dans le système soviétique. 1921 : janvier 18 – avril 3, 18, 21, 25, 27, 29 – mai 13, 15 – août 24 – août 29 – octobre 14 HH1921 : avril 25, 29 – mai 1, 5, 7, 10, 12, 21, 24 – juin 3 – juillet 20 – août 24, 25, 26, 27, 29, 31 – septembre 8, 11 – novembre 8, 23

Javâd « Sa‘d od-Dowla » « Abo ’l-Mella » (1841-1929) né à Xo’y (ou en 1846 à Bagdad selon Rejâl-e vezârat-e xâreja, p. 112), études à Tabriz (théologie et français). 1867 : arrive à Téhéran avec son père. Enrôlé comme traducteur aux Affaires étrangères. Longue mission au Caucase pendant laquelle il s’initie à la technique télégraphique voir Navâ’i, Yâdgâr iv (5), p. 43. Nommé chef du télégraphe de Tabriz et développe le réseau dans l’Azerbaïdjan. Appelé auprès de Moxber od-Dowla à Téhéran. Épouse la fille du ministre, mais les relations entre eux se détériorent, il doit divorcer et retourne aux Affaires étrangères. 1883 : vice-ministre des Affaires étrangères. 1889 : expulsé du ministère suite à une sorte de conjuration dont il faisait partie. Organise à Téhéran une compagnie de transports publics en calèche. Se fait nommer ministre plénipotentiaire pour participer comme commissaire persan à l’Exposition internationale d’Anvers (1894 [Nicolas, rmm 4, p. 347, parle de l’Exposition de 1878, ce serait donc à Paris]). 1904 : de retour à Téhéran, rédige les codes commerciaux et organise le juridictions commerciales. Mêlé aux controverses sur le prix du sucre : entre en conflit avec le gouverneur de Téhéran ‘Alâ‘ od-Dowla, qui avait fait bastonner un négociant. S’oppose à ‘Eyn od-Dowla et à Naus qui accusent les

Répertoire prosopographique

645

négociants de spéculer et d’augmenter leurs prix sans raison. Exilé à Yazd, il les pousse par lettres à exiger des réformes, une Maison de justice. Échappe à l’emprisonnement en se réfugiant au consulat britannique de Yazd. Élu triomphalement au Premier Majles (1906), très populaire, il est surnommé Abo’l-Mella (« Père de la nation »). S’emploie à obtenir le renvoi de Naus. Membre de Anjoman-e Âdamiyat, et exclu en septembre 1907 (Âdamiyat, Fekr-e âzâdi, pp. 232 sq. et 331; un des rédacteurs du Supplément à la Constitution. Brièvement ministre des Affaires étrangères de Mošir os-Saltana, septembre 1907 « pour échapper à la colère des députés » écrit Nicolas (Revue du Monde Musulman, 4, 1908, p. 347) ; se conduit dignement à l’issue du coup d’État manqué de décembre 1907 (Âdamiyat, Majles-e avval, pp. 188, 240 sq.). Sa‘d od-Dowla devint brièvement Premier ministre à la fin du règne peu glorieux de Mohammad-‘Ali Shah (mai 1909) et il dut se cacher à la légation britannique et obtenir un sauf-conduit pour fuir honteusement vers l’Europe où il essaya de comploter avec les Russes pour retrouver la direction du gouvernement (voir Maqâlât-e Taqizâda 7, p. 700 sq). Il rentra en Iran en 1912, guéri désormais de l’envie de gouverner. Mojtahedi, Rejâl-e Âzarbâyjân, p. 87 ; Bâmdâd, Rejâl 1, p. 288 sq ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 60 ; Taqizâda, Zendagi-e tufâni, pp. 56 sq., 333 ; A. BozorgOmmid, Az Mâst ke bar mâst, mohtavâ-ye xâterât va mošâhedât, Tehrân, 1335/1956, p. 139 ; Xâterât-e Hâjj Sayyâh yâ dowra-ye xowf-o vahšat, Tehrân, 2e éd., Amir Kabir, 2536/1977, p. 564. « Homme politique réactionnaire, un des hommes les moins incapables de cette clientèle surannée, usée et compromettante dont [. . .] s’encombre la Légation de Russie », très impopulaire », écrit Lecomte à Delcassé, Téhéran 28 avril 1915. Proposé par les Russes dans des négociations secrètes avec les Anglais pour remplacer le trop faible Nâserolmolk comme Régent, envisage même un coup d’État mais renonce devant son impopularité, voir Ettehâdiya, Ahzâb-e siyâsi . . . Majles iii, p. 46 sq. Devenu franc-maçon en Belgique, voir Râ’in, Farâmušxâna, ii, p. 195. C’est peut-être lui qui cherche à se réfugier dans le bureau d’Edmonds à Qazvin après le coup d’État de février 1921, voir Edmonds, East and West of Zagros, p. 316 (confusion possible avec Sâ‘ed od-Dowla). M. Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 441 sq. 1919 : août 24 1921 : mars 17 Sâdeq Sâdeq voir « Mostašâr od-Dowla » ‘Ali-Asqar Tonkâboni, « Sâ‘ed od-Dowla » (?–1925), le fils le plus jeune de MohammadVali Sepahsâlâr. « Some excitement was caused in October by the discovery of a plot to assassinate the Prime Minister and others. [Sâ‘ed od-Dowla], who once ventilated his idea for an independent Mazandaran, is even reported contemplated deposing the Shah and making himself dictator. Machine-guns, rifles and quantities of ammunition were subsequently unearthed in Sipah Salar’s estates. » (CJ Edmonds, Administrative report for the Kazvin division for the year 1919, Archives of the Middle East Center, St Antony’s College). « Deputy Governor under his

646

Répertoire prosopographique

father of the district of Sarab, was reliably reported to have met a certain Nariman Narimanov (who later emerged as Chairman of the Council of Commissars of the Soviet Republic of Azarbayjan in Baku) and to have undertaken to procure the assassination of Vusuq ad-Dawla and the Russian commander of the Persian Cossack Division, Colonel Starosselsky » Edmonds, East and West of Zagros, p. 245. Se réfugie dans le bureau d’Edmonds lors du coup d’État de 1921 : East and West of Zagros, p. 316 [confusion possible avec Javâd Sa‘d od-Dowla] ; E. Safâ’i, Kudetâ-ye 1299 va âsâr-e ân, s.l., 1353/1974, p. 45 sq. Plus tard réintégré dans l’armée de Rezâ Shah. Voir Chaqueri, Soviet Socialist Republic of Iran, p. 471. Bâmdâd, Rijâl 1, p. 306. Mort dans des conditions obscures, semble-t-il en tombant de cheval, voir A. Ardalân, (B. ‘Âqeli, ed.), Xâterât-e ‘Ezz ol-Mamâlek Ardalân, Tehrân, Našr-e Nâmak, 1372/1993, p. 184 note. 1919 : octobre 19, 31 – novembre 11 Hasan « Sâ‘ed ol-Molk » [Je ne suis pas sûr que le personnage appelé Sa’d ol-Molk par Ducrocq soit le même] Né vers 1873, études en Russie, carrière au Ministère des affaires étrangères, consul et kârgozâr au Caucase. Élu aux deux premiers Majles. Titulaire de plusieurs postes diplomatiques en Europe après 1911. Mort après 1927. Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 420 sq. ; Rejâl-e vezârat-e xâreja, p. 154. 1921 : mai 1, 9, 14 – août 29 – septembre 19 Šahâb, voir Seyfollâh Xân Asadollâh Šams-Molkârâ « Šahâb od-Dowla », prince Qâjâr (1872-1959) chef du protocole. Études à Téhéran (Dâr ol-Fonun) et six ans à Londres. Carrière commencée comme traducteur au télégraphe. Se rallie au mouvement constitutionaliste, élu aux 1er et 2ème Majles. Ami de Mostowfi ol-Mamâlek. Gouverneur de Yazd, mais rapidement rappelé à Téhéran à cause de plaintes contre lui pour exactions (1911). Ministre des Postes (1914-15), Travaux publics (1915). Chef du protocole de la Cour (1919-21). Gouverneur de Kermânšâh (1929-33), Kurdestan (1934-36). Sénateur (1953). Parle anglais et français. « . . . probably regrets the good old days » fo371/24582 (Person. 1940) ; Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 485 sq. ; Bâmdâd, Rejâl 1, p. 114 ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat p. 68 ; Safâ’i, Kudetâ-ye 1299, p. 13 sq., cite un article de Šahâb od-Dowla où il évoque ses souvenirs du coup d’État de 1921 alors qu’il était ministre de la Cour, « Kudetâ-ye hut 1299 » Sâlnâma-ye Donyâ 1336 xiii (1336/1957), repris dans A. Jahânbâni, Sarbâz-e irâni va mafhum-e âb-o-xâk, Tehrân, Ferdows, 1380/2001, p. 121 sq. 1920 : novembre 27 1921 : mai 9 HH1921 : mai 22 Arbâb Keyxosrow Šâhrox (1875-1940) né à Kermân dans une famille zoroastrienne, orphelin de son père à la naissance. À 12 ans, étudie au Collège américain de Téhéran, et à 16 ans en Inde. Aprend l’anglais, le russe et l’arabe. De retour à Kermân, avec l’aide des Parsis, fonde plusieurs écoles de garçons et de filles. 1904 : travaille

Répertoire prosopographique

647

pour une compagnie russe de transports maritimes à Odessa, rentre à Téhéran après la défaite russe de Port-Arthur. Employé à la banque de Arbâb-Jamšid (1906) et fonde de nouvelles écoles à Téhéran. Affirme avoir obtenu en militant dans l’Association zoroastrienne (et alors qu’il n’était pas député), l’article 6 du Supplément à la Constitution qui donne à tous les citoyens iraniens l’égalité des droits civiques. Député de onze législatures depuis le 2ème Majles. Chargé par Vosuq od-Dowla des stocks de blés à Téhéran pendant la Guerre. S’efforce de fonder une compagnie de chemins de fer. Directeur de la Companie du téléphone (1916). A beaucoup voyagé en Europe et Amérique (1919), notamment pour militer contre l’Accord anglo-persan. A soutenu Rezâ Khan dans son accession à la monarchie et dans ses réformes. Actif dans les comités culturels pour la célébration de Ferdowsi, l’Académie iranienne de langue et littérature, les commissions de programmes scolaires. A favorisé le développement industriel. « . . . great Nationalist, he has never shown any great affection for the British. » (fo). Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 469 sq. ; Bâmdâd, Rejâl 3, p. 179. De lui, K.Š., Jahângir Ošidari (ed), Yâd-dâšt-hâ-ye Keyxosrow Šâhrox, namâyanda-ye pišin-e Majles-e šurâ-ye melli (dowra-ye ii tâ xi), Tehrân, 2535/1976 ; Keyxosrow Šâhrox, Yâddâšt-hâ-ye Keyxosrow Šâhrox (Xâterât-e arbâb K Š) – be kušeš-e Šâhrox Šâhrox va Râšnâ Râyter [tarjoma-ye Qolâm-Hoseyn Mirzâ Sâleh !], Tehrân, Mâzyâr, 1382/2003. 1921 : septembre 26 Lahâk Khan Bâvand « Sâlâr Jang » (1896-1961), né à Alašt (Mâzandarân), neveu d’Amir Mo’ayyad, études en Russie militaire à sympathies communistes. Officier des Cosaques. Son oncle se révolte en 1921 et doit après sa soumission rester en résidence à Téhéran. Lahâk Khan est également surveillé étroitement. Au printemps 1926, après avoir tenté lui-même une nouvelle révolte inspirée du modèle communiste au Khorassan, il est vaincu et doit s’enfuir en urss d’où il ne reviendra que peu de temps avant sa mort. Voir K. Bayât, Qiyâm-e nâ-farjâm : šureš-e Lahâk Xân Sâlâr Jang, Tehrân, Parvin, 1375/1996. 1921 : janvier 26 ‘Abbâs Farmânfarmâ « Sâlâr Laškar » (1890-1935), deuxième fils du prince ‘Abd ol-Hoseyn Farmânfarmâ. Études à Harrow et Sandhurst. Gendre de Nezâm os-Saltana « and in 1915 was his Chief of Staff when Nizâm-us-Sultaneh was Governor Genral of the West under the aegis of the Turks and Germans, and was Governor of Hamadân until it was occupied by the Russians. On the arrival of the Russians at Kirmânshâh a safe conduct to Tehrân was obtained for him by his father, ff. It is doubtful whether he was really pro-Turk, but he found himself in the enemy’s camp and was constrained to join them. He was Governor of Kirmânshâh, 1918-19, but left under a cloud, and became Under Secretary for War and President of the AngloPersian Military Commission in 1919. He is not so clever as his brothers, but more rapacious » Fortescue, Military Report, p. 365. Stage aux chasseurs alpins. Ducrocq

648

Répertoire prosopographique

dit qu’il était à Hamadan le 21 octobre 1921. Moins brillant que ses frères, actif, mais exprimant fort mal, en termes bourrus et brusques, sa pensée. Ex-élève de l’école militaire anglaise, a fait un stage d’un an au bataillon de chasseurs à pied de Grenoble. A écrit à ce sujet un livre et un autre sur Napoléon. Incarcéré par Seyyed Ziyâ, avec ses parents . . . « Mais Sardâr Sepah, leur ancien domestique devenu ministre de la guerre, refuse de les livrer. A hérité du tempérament militaire du père » écrit Ducrocq, Papiers d’agents, 19. Mort et enterré à Berlin. Voir son livre Jang-e Englis va ‘Osmâni dar Beyn ol-nahreyn, éd. M. Ettehâdiya & B. Farmân, Tehrân, Našr-e Siyâmak, 1386/2007. 1919 : novembre 11 – décembre 16, 17, 25 1920 : janvier 9 – mars 28 – avril 1, 7, 22 – décembre 18, 29 1921 : janvier 23, 28 – février 22 – mars 6 HH1921 : février 25 Samad Xân « Momtâz os-Saltana » (1869-1955), né à Tabriz, fils de ‘Ali-Akbar Mokrem os-Saltana, frère d’Esmâ’il Momtâz od-Dowla. Commence sa carrière diplomatique à Saint-Petersbourg et en accompagnant Nâser od-Din Shah en Europe. Ministre de Perse en Belgique et en Hollande, puis à Paris 1905-novembre 1926. Reste ensuite en France (remarié à une Française). Consulté pour savoir si Samad Khan était un bon candidat pour le poste, le consul Nicolas répond : « Samad est riche, très convenable, il n’y a rien à dire, n’étaient-ce ses intrigues politiques, et qu’il possédait une plantation de thé au nord de la Perse » (cité par Fl. Hellot-Bellier, France-Iran, p. 573). Sut se faire des amis efficaces à Paris, notamment Stephen Pichon, ministre, et Philippe Berthelot, secrétaire général du Quai d’Orsay. En 1920, alors que la Perse n’arrivait pas à honorer les factures présentées par Schneider (Le Creusot) pour une commande d’armement faite en 1905 et que Samad Khan était poursuivi en Perse pour le vol de manuscrits dans la bibliothèque royale, il refusa le transfert de la légation à son successeur désigné Ardašir Nazar Âqâ (Ardachir Nazare Agha). Seyyed Ziyâ prit enfin la décision de révoquer le diplomate récalcitrant mais fut lui-même destitué avant d’obtenir l’exécution de cette décision. Samad Khan, qui était en très bons termes avec Ahmad Shah, s’incrusta jusqu’au bout. « Samad Khan nous trahit, écrit le ministre français à Téhéran Bonzom en octobre 1925 : il renseigne inexactement Sa Majesté [. . .]. Samad veut rester à Paris, il se plaint de n’être pas payé. Il sait que son titre de ministre de Perse lui crée une situation moderne et sociale à laquelle il tient et qui lui a servi autrefois à s’assurer des avantages matériels non négligeables. » Voir F. Hellot-Bellier, France-Iran, pp. 571-588 ; voir Bâmdâd, Rejâl 2, p. 181 ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 114 ; Sadiq, Yâdegâr, 1, p. 238. Sur son éviction de l’ambassade, sa mort à Paris, voir ‘Âqeli, Zokâ’olmolk Foruqi, p. 33 sq. A disposé jusqu’à sa mort d’un statut diplomatique à Paris, enterré au cimetière du Père Lachaise. Une partie de ses collections de manuscrits et miniatures figurent, en 1938, dans l’exposition Les Arts de l’Iran, l’ancienne Perse et Bagdad, à la bibliothèque

Répertoire prosopographique

649

nationale, où il est au nombre du comité d’exposition en compagnie de R. Grousset, J. Hackin, L. Massignon, J. Pozzi et H. Vever. On y retrouve entre autres (n° 43, 45, 81, 82) la grande peinture montrant Moïse et le géant Ouj, reproduite dans Pope, un manuscrit du Yusof-o Zoleyxâ de Jâmi, daté de 829/1487, un manuscrit du Šâh-nâma copié en 1591, une Xamsa de Nezâmi datée de 1527, avec 27 miniatures et une autre ornée de miniatures de Rezâ Abbâsi. (Je remercie N. Nasiri-Moghaddam pour certains éléments de cette notice). 1920 : juin 26 – novembre 2 1921 : mars 19 – mai 14 HH1921 : mars 8 – juillet 17 Hoseyn Sami‘i « Adib os-Saltana » (1873-1954) Né à Rašt, fils d’un latifundiaire lui-même issu d’une famille de négociants de Tabriz. Études à Téhéran puis à Kermânšâh où son père était devenu vice-gouverneur. À 19 ans, de retour à Téhéran, entre à l’école Dâr ol-Fonun, puis à 23 ans, commence une carrière aux Affaires étrangères. Se rallie au mouvement constitutionaliste. Sous Mohammad-‘Ali Shah (1907) fait partie d’un Comité de la Révolution nationale où il prépare clandestinement des armes pour défendre le Parlement. Compose des poèmes à la gloire des révolutionnaires. En 1909 est transféré au Ministère de l’Intérieur. Élu député au 3ème Majles dans les rangs du Parti démocrate. Fait partie des Mohâjerin qui, à Qom et à Kermânšâh, refusent le diktat russe en 1915 : devient ministre de l’Intérieur de Nezâm os-Saltana. Deux ans exilé à Istanbul. Écrit de la poésie en persan et en arabe. De retour en Iran après la Guerre, devient brièvement Ministre de l’Intérieur. En tant que vice-Premier ministre de Sepahdâr Rašti, participe aux discussion pour dissuader les conjurés du coup d’État de février 1921 (voir Y. Richard, « Le coup d’État de 1921 et les sources historiques », Studia Iranica 38, 2009, p. 78). Rallié à Rezâ Khan/Shah, accède à de nombreuses fonctions sous le nouveau monarque. Ministre des travaux publics et du commerce (1921-22), de la Justice (1924), de l’Intérieur (1927). Gouverneur de Téhéran (1926-7), d’Azerbaïdjan (1931, puis 1939). Voir fo371/17908 (Person.1934). Grand maître des cérémonies à la Cour (1934) : fo371/24582 (Person.1940) ; Bâmdâd, Rejâl 1, p. 392 sq. Auteur d’ouvrages d’enšâ’, de poésie (sous le taxallos de ‘Atâ’) et d’un livre sur la Première guerre mondiale. Il était ambassadeur en Afghanistan pendant la destitution de Rezâ Shah et devint chef du protocole en 1943-44. Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 450 sq. ; Bani-Âdam, Mo’allefin, ii, p. 755 (le fait mourir en 1953, d’autres en 1947) ; Rejâl-e vezârat-e xâreja, p. 159 ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 18 sq. ; Mostowfi, Zendagâni- man, vol. 2, p. 299. Membre de l’Académie iranienne, Sénateur élu, ministre de la justice : Mir Anṣâri, Mašâhir-e adab . . . I, p. 27 sq. De lui, avec Amânollâh Ardalân, Avvalin qiyâm-e moqaddas-e melli dar jang-e beynolmellali-e avval, Tehrân, Ebn Sinâ, 1332/1953 ; – Manṡurât yâ monša⁠’ât va tarassolât, Tehrân, ‘Ali-Akbar ‘Elmi, s. d. – Našriyât. Moštamel bar : kolliya-ye makâtib-e xosusi va xatâba-ha va soxanrâni-hâ va maqâlât – 2ème éd.,

650

Répertoire prosopographique

Tehrân, ‘Elmi, s.d. [1ère éd. 1333/1954 ?] – « Yâd-dâšt-hâ-ye xâterâti-e Adib os-Saltana Sami‘i (Qesmat-e marbut-e be kudetâ) », Âyanda – vii, 11-12. – [autobiographie] in Rahâvard – 11, 43 (winter 1997). 1920 : avril 14 Najaf-Qoli Baxtyâri « Samsâm os-Saltana » (1853-1930), chef baxtyâri ; son père Hoseyn-Qoli Khan Ilxâni a été tué par ordre de Zell os-Soltân. Participe à la conquête de Téhéran et au renversement de Mohammad-‘Ali Shah en juillet 1909. Premier ministre et ministre de la Guerre en 1911-12. Devenu ilxân et gouverneur de Čahâr Mahâl et du territoire Baxtyâri en 1913 ; à l’époque, très anti anglais, anti-Alliés pendant la Guerre. À nouveau Premier ministre après la Guerre, avril-juin, juinaoût 1918. Voir Bâmdâd, Rejâl 4, p. 330 ; Taqizâda, Zendagi-e ṭufâni, 327 ; élu mais ne participe pas à la Constituante de 1925 pour le transfert de la monarchie, voir Rastegâr, Âyanda xvi, p. 676 ; Navâ’i, Enc. Iranica, iii, p. 550 sq. « He is a weak minded old man verging on his dotage, an obstinate, uneducated tribesman, unable to speak or write Persian properly. » Fortescue, Military Report, p. 356 sq. 1919 : août 9, 12, 24 – décembre 30 1920 : mars 20, 24 – juin 21, 24 1921 : janvier 12, 15 – février 21 – mars 11, 15, 25 – août 30 Sardâr Akram, voir Qarâgozlu ‘Abdollâh « Sardâr Akram » Hâjji ‘Ali-Qoli Baxtyâri « Sardâr As‘ad ii » (1858-1917), membre de la branche Haft Lang des Bakhtyari, fils de Hoseyn-Qoli Khan qui a été étranglé par Zell os-Soltân en 1882 (voir J.-P. Digard, « Jeux de structures. Segmentarité et pouvoir chez les nomades Baxtyâri d’Iran », L’Homme, n° 102 (t. xxvii, n° 2), 1987, p. 31 sq. ; G.R. Garthwaite, Khans and Shahs. A documentary analysis of the Bakhtiyari in Iran, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 92) ; commande la garde bakhtyâri du Premier ministre depuis 1883.. 1900-02 : voyage en Inde, Égypte, Europe. Devient franc-maçon à Paris. Proche d’Amin os-Soltân. Retourne en Europe en 1907 pour soigner ses yeux. En contact avec les opposants exilés après le coup d’État de juin 1908. Rentre en Iran (mars 1909) avec le soutien britannique et l’aide de Sheykh Xaz’al ; encourage la participation des Bakhtyaris à la prise d’Ispahan et à la restitution du régime constitutionnel (juillet 1909). Devient ministre de l’Intérieur. Retourne en Europe en 1911 pour soigner ses yeux, mais devient aveugle après son retour en 1912. Il n’est pas impossible que Sardâr As’ad ait rêvé transférer la monarchie sur sa personne. À Paris en 1910, invite Taqizâda qui en fait un portrait flatteur « Parmi les Bakhtiyaris, c’était le seul homme qui soit instruit et solide » (Taqizâda, Zendagi-e tufâni, pp. 170, 326 sq.) « He was a man beloved by the people, just, and uncorrupted by the graft-taking that was customary at the time ». Mort à Téhéran, enterré à Taxt-e fulâd (Ispahan). Voir Sa‘idi-Sirjâni, Enc. Iranica, iii, pp. 543-548 ; Bâmdâd, Rejâl 2, p. 448 sq. ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 56 ; Md Qazvini, « Vafiyât-e mo‘âserin », Yâdegâr V (1-2), p. 99 sq. ; M. Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 173 sq. De lui : Târix-e baxtyâri, rééd. Tehrân, Yasâvoli (Farhangsarâ), 1361/1982.

Répertoire prosopographique

651

1920 : avril 1 1921 : janvier 5 Ja‘far-Qoli Khân Baxtyâri « Sardâr As‘ad iii » (1879-1934) Fils de ‘Ali-Qoli Sardâr As‘ad ii. Frère de Md-Qoli As‘ad (Sardâr-Bahâdor). Marié à la fille de Hâjj Hoseyn Âqâ Malek. Considéré comme hostile dans l’exil de 1908, par Dehxodâ, cf. I. Afšâr, ed. Mobâreza bâ Mohammad-‘Ali Šâh, Tehrân, Tus, 1359/1980, p. xxiii. Ambiguité dans son alliance avec les Constitutionalistes, cf. A. Hairi, « Reflections on the Influential Forces », in First international symposium on Asian Studies, Hong Kong, 1979. 1919 : gouverneur de Kermân, puis du Khorassan. Ami proche de Teymur Tâš, ministre de la guerre en 1931, cf. M. Rezun, The Soviet Union and Iran, Genève, 1981, p. 195 sq. Il a accompagné les troupes de son père dans la conquête de Téhéran en 1909 et devint plus tard l’allié de Yeprem Khan contre Salâr od-Dowla, frère de Mohammad-‘Ali Mirzâ (l’ex-Shah), cf. Bahâr, Ahzâb-e siyâsi, I ; Eskandari, Ketâb-e ârezu [cf. Rezun, « Reza Shah’s court minister, Teymourtash » ijmes, 12/2 (1980), p. 137] ; Qazvini, « Vafiyât . . . » Yâdgâr 5/1&2, pp. 99-101 ; Malekzâda, Enqelâb-e Mašrutiyat, V, p. 180 ; Bâmdâd, Rejâl 1, p. 245 ; ‘Alavi, Rejâl-e Âzarbâyjân, p. 57. Proche de Rezâ Khan/Shah, ministre de la Guerre dans les cabinets Hedâyat et Foruqi de 1927 à 1933. Arrêté en novembre 1933 sur soupçon de trahison (non fondé). Exécuté en prison sans jugement, G.R. Garthwaite, Khans and Shahs. A documentary analysis of the Bakhtiyari in Iran, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 139. Navâ’i, Enc. Iranica iii, p. 549 qui cite comme sources Bâmdâd, Rejâl 1, p. 245 sq., Hedâyat, Xâterât va xatarât, pp. 199, 403. « He is the most prominent member of the younger generation of Bakhtiari Khans, and is well educated and more enlightened than the last generation in general. He is very capable, though somewhat conceited, and has considerable influence over the elder khans. He is inclined to be friendly to us, albeit a little suspicious at times. » Fortescue, Military Report, p. 366. A fait plusieurs séjours en France. « Ami d’Henri d’Allemagne. Très brave. Anglophile . . . C’est l’homme le plus populaire parmi les Bakhtyâri » Ducrocq, Papiers d’agents, 19 ; ‘Ali-Sâleh Ardavân et Hamid-Rezâ Delvand, ed., Mâjerâ-ye qatl-e Sardâr As‘ad Baxtyâri (Guša’i az târix-e Pahlavi-e avval) : xâterât-e ‘Ali Sâleh Ardavân Ilxân-e Baxtyâri, dâmâd-e Sardâr As‘ad, Tehrân, Markaz-e asnâd-e Enqelâb-e eslâmi, 1379/2000. Sur son assassinat, voir Gh. Majd, Great Britain and Reza Shah, p. 189 sq. ; de lui : Iraj Afšâr (ed), Xâterât-e Sardâr As‘ad Baxtyâri ( Ja‘far Qoli Xân Sardâr Bahâdor), Tehrân, Asâtir, 1372/1993. Voir aussi : Navâ’i, Enc. Ir. iii, p. 549. 1919 : mai 14 – décembre 18 1920 : janvier 5, 16 – février 23 Qolâm-Rezâ Pošt-e Kuh « Fath os-Soltân », « Sardâr Ašraf », « Sârem os-Saltana » (né en 1864, toujours vivant en 1940) fils de Samsâm os-Saltana, chef héréditaire Lor. 1909 : conclut une alliance tribale avec Šeyx Xaz‘al, Nezâm os-Saltana et Sowlat od-Dowla contre la suprématie Baxtyâri. Plutôt pro-ottoman pendant la Guerre, neutre ensuite. Exilé en Irak depuis 1929 ; à l’avènement de Rezâ Shah, il a envoyé

652

Répertoire prosopographique

un cadeau très dispendieux pour le couronnement, « and received in return an old pair of the Shah’s trousers » voir FO371/24582 (Person. 1940). « Conditions in Pusht-i Kuh were different from those in the rest of the province. It was under the rule fo a hereditary Vali, Ghulam Riza Khan, who was more independent of the Central Government than even Shaykh Khaz’al and the Haft Lang khans of Bakhtiyari. His authority had long remained unquestioned and, while not welcoming stangers, European or Persian, he maintained in his realm a high degree of law and order. From the 12th to the 16th centuries Luristan (then known as the Lesser Lur, the Greater Lur being Bakhtiyari) was governed by a native dynasty of Atabegs. In 1597 Shahvardi Khan, last of the Atabegs, was killed in battle by Shah Abbas Safavi and was replaced by a certain Husayn Beg (said variously to have been a son of Shahverdi’s daughter, or his Master of Horse), of whom Ghulam Riza claimed to be a descendant of the tenth generation and the tenth successor in the direct male line. » Edmonds, East and West of Zagros, p. 188 sq. ; Bâmdâd, Rejâl 3, p. 12 (qui renvoie aussi à Hedâyat, Xâterât va xatarât, p. 493) et Rejâl 5, pp. 89 et 169 sq. 1921 : janvier 17 – mars 15, 25 Qâsem Khan Vâli « Sardâr Homâyun » (1875-1933) né à Téhéran (les sources disent trompeusement Tabriz), fils de ‘Ali Xân Vâli, lointain descendant de Bâyazid Basṭâmi. 1889 voyage à Paris. 1893-96: élève à Saint Cyr. 1896, nommé Âjudân auprès du prince héritier Mohammad-‘Ali Mirzâ par Amir Nezâm Garrusi. Modernise la ville de Tabriz où il ouvre une imprimerie typographique en 1899 (voir Taqizâda, Kâva 2ème série, 5, p. 14 [réimpression p. 530]; id., Zendagi-e tufâni, p. 28), introduit l’électricité et le téléphone (1902). 1912 : chef de la police. 1918, gouverneur de Téhéran. Nommé commandant en chef de la Division Cosaque en 1920 à la place de Starosselski : voir H. Yekrangiân, Golgunkafanân, guša’i az târix-e nezâmi-e Irân, Tehrân, 1336/1957, p. 115. A facilité le coup d’État en demandant à Téhéran un détachement de plus de deux mille cosaques, le rappel de cet ordre, exigé par le chah, restant sans effet. Voir Cronin, Army and the creation of the Pahlavi state, p. 86 sq. Mort à Rezâ’iya (Urmiya) d’un cancer. Voir Morselvand, Rejâl va mašâhir, ii, p. 178. « Ancien élève de St. Cyr, officier fatigué et sans autorité » écrit Ducrocq, 1er mars 1921, Archives diplomatiques, Papiers d’agents, 17, F°94). « Seyd Zia’s name was mooted, presumably brought forward by Kasim Khan, who had served under him on his mission to Baku . . . » Balfour, Recent happenings, p. 220. Bâmdâd, Rejâl 5, p. 178 ; Rejâl-e vezârat-e xâreja, p. 74. Š. ‘Adl, Boxârâ (vers 2000-2001). « The commander of the Cossacks is a useless little creature and the real life and soul of the show is Reza Khan, a Colonel, the man that I liked so much before. Smyth says he is a good man and I have told him to give Humayun leave to visit his estate. The latter is pleased to go because he has not been allowed to handle the money and has a grievance » (Ironside, facsimilé de la p. 210 de son journal inédit, publié par Md

Répertoire prosopographique

653

Torkamân, Xâterât-e serri-e Âyronsâyd, transcrit par Y. Richard, in Studia Iranica, 38 (2009), p. 101). 1919 : mai 18 1920 : novembre 9 – décembre 6 1921 : février 9, 21 – mars 6, 7 « Sardâr Mansur », voir Fath-ollâh Akbar Rašti, « Sepahdâr-e A’zam » Sardâr Mo’azzam, voir Teymur Tâš ‘Abd ol-Hoseyn Rašti, « Sardâr Mohiy » (1865-1920) 2ème fils de Kâzem Khan Vakil al-Ra’ayâ. Contribue à organiser la révolte du Gilân contre Mohammad-‘Ali Šâh en février 1909. Compagnon de Sepahsâlâr « C’était un gros travailleur » dit Taqizâda, Zendagi-e ṭufâni, pp. 132, 151, 326. Mirzâ Kuček Xân se brouille avec lui après 1909, voir Faxrâ’i, Sardâr-e jangal, p. 34. 1910 : gouverneur de Kermân (mais ne réussit pas à rejoindre son poste), puis en 1911, commande l’armée contre le retour de Mohammad-‘Ali Mirzâ. Pendant la Guerre, rejoint les forces pro-allemandes. 1918: gouverneur du Kurdistan. Plus tard au Gilân, collabore avec le cabinet Vosuq contre le Jangal. Y. Dowlatâbâdi l’accuse d’avoir été un « agent provocateur » au service des Anglais malgré des déclarations pro-bolcheviques, collabore avec le gouvernement Vosuq od-Dowla contre les Jangali. Collabore ouvertement avec les Bolcheviques à la fin de la République socialiste d’Iran. Arrêté par les autorités soviétiques. Meurt à Bâku. Voir Chaqueri, Soviet Socialist Republic of Iran, p. 473 sq. ; Bâmdâd, Rejâl 6, p. 131 sq. [repris par Katouzian, State and society, p. 58. 1920 : 1er mai ‘Abd ol-Majid [ou ‘Abd ol-Hamid ?] Qaffâri « Amin Nezâm », « Sardâr Moqtader », (1871-1924) officier ancien élève officier de l’école militaire d’Istanbul. Vers 1903, commissaire iranien à la commission frontalière du Sistân ou il s’opposa au représentant britannique McMahon. En juin 1908 il refusa d’obéir aux ordres d’attaquer le Parlement, fut dégradé et arrêté. Membre de Jâme‘-e Âdamiyat. À la tête de la Brigade centrale en 1920. Aurait créé une agitation (contre les Anglais?) à la Brigade centrale en janvier 1921. Plus tard les officiers de la Brigade contestent l’autorité de Sardâr Moqtader comme l’indique Ducrocq, Journal, 17 janvier & 1er février 1921, voir Bâmdâd, Rejâl 2, p. 260 ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 59 ; R. Ra’is-Tusi, « Esterâteži-e sar-zamin-hâ-ye suxta. iv. Naqš-e Hešmat ol-Molk dar gostareš-e nofuz-e Englis dar Sistân », Târix-e mo‘âser-e Irân. – ii, 6 (tâbestân 1377/1998), p. 58, l’appelle “YaminNezâm”. Âdamiyat, Fekr-e âzâdi, p. 229 sq. 1920 : mars 28 – juin 10, 11, 28 1921 : janvier 17, 18, 24 – février 1 Sâdeq Akbar « Mojib os-Sofarâ », « Mohtašam ol-Molk », « Sardâr Mo’tamed » (18721932) latifundiaire du Gilân, enrichi grâce à son oncle Akbar Biglerbeygi, dont il épousa une fille. Voir Bâmdâd, Rejâl 1, p. 143. Député au 3e, 4e, 5e et 8e Majles.

654

Répertoire prosopographique

Ministre des ptt dans le cabinet de Fathollâh Akbar Sepahdâr A‘zam : Bâmdâd, Rejâl, 2, p. 161 ; Chaqueri, Soviet Socialist Republic of Iran, p. 474 ; M. Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 131. 1920 : décembre 22 « Sardâr Sepah », voir Rezâ Khan Xosrow Baxtyâri, « Bahâdor od-Dowla », « Sardâr Zafar », « Sâlâr Arfa‘ » (1861-1934) frère de ‘Ali-Qoli Khan Sardâr As‘ad. « He was appointed Ilkhani in 1917; with the assistance of the Vice-Consul of Ahwaz and 2 guns and personnel he carried out a successful expedition against the Khugelus [Kuhgiluya ?] in June 1918, and is the most pro-British of the Bakhtiari Khans. » Fortescue, Military Report, p. 367. De lui : Xâterât-e Xosrow Xân Sardâr Zafar, Tehrân [Vahid] 1354/1975, rééd. Yasâvoli, 1983. [G.R. Garthwaite, Khans and Shahs, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 48, semble attribuer à Xosrow Khan le Târix-e Baxtyâri écrit et publié par Sardâr As’ad, son frère.] 1920 : janvier 16 – mars 31 – avril 9 1921 : janvier 17 – février 1, 16, 21 – mars 25 Akbar Mirzâ Mas’ud « Sârem od-Dowla » (1882-1975) l’un des plus intelligents des quatorze fils de Mas‘ud Mirzâ Zell os-Solṭân (le 8ème, 2ème survivant). A tué sa propre mère en 1906. Ministre des travaux publics & du commerce (1915), affaires étrangères (1916), finances (1919). Gouverneur d’Ispahan (1917), Kermânšâh et Hamadân (novembre 1920). Arrêté par Seyyed Ziyâ en 1921 [Bahâr, Târix-e ahzâb-e siâsi I, p. 99]. Gouverneur du Fârs (1922-23, 1929). Anglophile. Voir fo371/17908 (Person. 1934) Un du triumvirat qui signa l’Accord de 1919. Arrêté après la chute de Firuz Mirzâ (1929) relâché en 1932 : retourne à ses propriétés près d’Ispahan. Voir fo371/24582 (Person. 1940). « . . . speaks English and French fluently, is extremely pleasant mannered, clever, and ambitious » Fortescue, Military Report, p. 366. Accusé d’avoir trempé dans l’escroquerie du Belge Lavachery d’après Ducrocq. Obligé de s’exiler en 1952 suite à l’action contre lui du gouverneur d’Ispahan, Kešâvarz-Sadr, voir Torkamân, Keyân, vi, 31 (tir-mordâd 1375), p. 55 ; E. Safâ’i, ed., Rezâ Šâh-e Kabir dar â’ina-ye xâterât . . . , p. 340 sq. Décrit par Dickson en 1921 comme un voyou intelligent, cf. Lettre du Gén. Dickson à Engert, citée par Majd, Great Britain and Reza Shah, p. 69. 1919 : août 16 – octobre 31 – décembre 26 1920 : février 29 – mars 2 – mars 5, 20, 31 – avril 1, 7 – juin 21 – décembre 10 1921 : janvier 15 – avril 17 HH1920 : novembre 25 Nasir Xân Baxtyâri, « Sârem ol-Molk », « Sardâr Jang » (1864-1932), chef baxtyâri, cinquième fils d’Emâm-Qoli Khan Hâjji Ilxâni. Commandant le régiment de cavalerie stationné à Téhéran et l’un des rares chefs baxtyâri restés favorables aux Qâjâr lors du mouvement constitutionnel. Ilxân pendant la Guerre, élu député au 4e Majles

Répertoire prosopographique

655

(1921). Voir J.-P. Digard, « Baktiyâri, Nasir Khan Sarem al-Molk », Enc. Iranica, s.v. ; Garthwaite, Khans and Shahs, p. 127 sq. 1919 : décembre 30 ‘Ali Bani-Âdam « Šarif od-Dowla » (1874-1947), né à Kâšân. 1919 : gouverneur du Kurdistan, voir Morselvand, Rejâl va mašâhir, ii p. 77 ; gouverneur de l’Azerbaïdjan en 1926, critique l’armée, voir Cronin, Army and the creation of the Pahlavi state, p. 218 ; Bâmdâd, Rejâl 2, p. 483 ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat p. 66. 1921 : août 25 Lucien Saugon, drogman-interprète de la Légation de France dès 1910, consul français à Tabriz en 1916, et au moins jusqu’en 1919. 1919 : octobre 13 Macan Saunders (1884-1956) Né dans une famille de militaires. Royal military academy. Arrivé en Inde en 1904. Un an en Russie avant la Guerre pour apprendre la langue. En permission en Angleterre au début de la Guerre, y sert d’instructeur. Embarqué dans les forces navales pour Anvers et Gallipoli (1915). Évacué vers l’Égypte, nommé Lieutenant-Colonel : Eastern Persian field Force (1916-17) ; intelligence officer membre de la mission Dunsterville au Nord de la Perse (1918) ; attaché militaire à Téhéran 22 février 1921 à mars 1924. Voir Rabino, Diplomatic and Consular officers, p. 48. Devenu général en 1935, finit sa carrière en Inde en 1940. Voir la nécrologie The Times, 4 avril 1956 (n°53496), p. 11. 1921 : février 14 – mai 15 Nicolas Semino, « Zo’l-Feqâr Xân », « Mobâšer ol-Mamâlek », (1844-1925) né à Téhéran, militaire, fils de Barthélémy Semino, / né à Téhéran le 1er janvier 1844, après avoir d’abord vécu à Istanbul et en France où il se maria une première fois, il est rentré en Iran dans les années 1870, aurait cherché à récupérer le fruit de la vente de la maison de son père, puis devint officier de l’armée iranienne. Eut plusieurs épouses iraniennes et de nombreux enfants. (J. Calmard, conférence le 22 mars 1996). Voir Calmard, « Général Semino en Iran Qâjâr et la guerre de Hérat, 1820-1850 », in Ženerâl Semino dar xedmat-e Irân-e ‘asr-e Qâjâr, M. Ettehâdiya et S. Mir-Mohammad-Sâdeq, eds., Tehrân, Našr-e târix-e Irân/ifri, 1997, p. 26 sq. ; Bâmdâd, Rejâl 2, p. 127. 1920 : avril 6, 7 Semitko, voir Simko Fath-ollâh Akbar Rašti « Sâlâr-e A‘zam », « Sâlâr Afxam », « Biglerbeygi », « Sardâr Mansur », « Sepahdâr-e A’zam » (1855-1935), né au Gilân dans une famille modeste. D’abord employé des douanes du Gilân qui étaient affermées à son oncle Akbar Khan Biglerbeygi – dont il finit par épouser la veuve très riche –, il accroît sa richesse en étant généreux avec tous les responsables politiques. Voyages en Europe, devient actif constitutionaliste et s’associe pleinement à la lutte du Sepahdâr Tonkâboni et des constitutionalistes en 1909. Ami de Taqizâda, voir

656

Répertoire prosopographique

Zendagi-e tufâni, p. 151. Élu au 4e Majles (mais ne siège pas) ; plusieurs fois ministre des postes dans les cabinets de Sepahdâr Tonkâboni. Ministre de la Justice 1915, des Postes 1916, de l’Intérieur 1916, ministre de la Guerre du cabinet Vosuq 1919. Forme en octobre 1920 le dernier cabinet avant le coup d’État de février 1921, voir fo371/17908 (Person. 1934) ; Šeyxoleslâmi, Asnâd-e mahramâna-ye vezârat-e xâreja-ye Beritânyâ dar bâra-ye qarârdâd-e 1919-e Irân va Englis, Tehrân, Keyhân, 1365/1986, p. 15. // Sur l’origine de sa fortune, voir Bâmdâd, Rejâl 1, p. 145. Voir aussi Bâmdâd, Rejâl 3, p. 51 ; Mostašâroddowla, Yâddâšthâ-ye târixi, I, p. 133 sq. « He is a pleasant man of the country gentleman type, talks no language except Persian and a few words of French. He has a reputation for integrity and is personally popular with the people. » Fortescue, Military Report, p. 368. « Expulsa sans ménagement les officiers russes à l’automne 1920 : Starosselsky le détestait. Était, durant son ministère, sous la coupe de Seyyed Ziyâ’ qui l’engageait à prendre des mesures violentes contre les grands seigneurs et les hommes politiques et voulait le pousser à la dictature. Mais il refusa prudemment de se faire des ennemis. Son ministère fut une crise perpétuelle, anarchie qui favorisait le plan des Anglais pour le coup d’État. Averti des événements le 20 février, le Sepahdâr ne fit rien pour l’empêcher. La nuit du coup d’État il se réfugia à la Légation d’Angleterre. Plus tard, essaie de prendre quelque distance avec les Anglais pour séduire Rotstein et récupérer ses domaines. Passe volontiers ses villégiatures en France. Parle mal français, aime la vie française, réelle sympathie pour la France, fait partie de l’Alliance française. Son homme de confiance était Ziyâ’ Homâyun, ex-élève de l’École des beaux-arts, devenu interprète de l’Émir d’Afghanistan. Le Sepahdâr aime mener grand train, a 35 chevaux dans son écurie, ne sort qu’entouré d’une cour de serviteurs. » Ducrocq, Papiers d’Agents, 19. Voir aussi Chaqueri, Soviet Socialist Republic of Iran, p. 475 ; Âdamiyat, Fekr-e âzâdi, p. 240. Réélu au 5e Majles, mais quitta peu après la vie politique. Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 131 sq. 1919 : août 16 – octobre 31 – décembre 22, 26 1920 : janvier 8, 11, 28 – février 29 – mars 2, 8, 24, 29, 31 – avril 5, 7, 21 – octobre 28, 30 – novembre 2, 25 – décembre 6, 15, 22 1921 : janvier 16, 24, 30 – février 1, 21 – mars 6, 7 – septembre 27 HH1920 : mars 29 – avril 18 – juin 11 – août 3, 14 – septembre 9 – octobre 28, 30 – novembre 14, 17, 25

Mohammad-Vali Tonekâbuni « Amir Akram », « Sardâr-Akram », « Nasr os-Saltana », « Sardâr-e Mo‘azzam » « Sepahdâr-e A‘zam », « Sepahsâlâr-e A’zam » (1848-1926), après des études à Téhéran, s’engage dans la carrière militaire. Grande force et indépendance de caractère : critiqué par le Premier ministre Sepahsâlâr, il le menace de son épée et n’échappe à l’énucléation réclamée par Nâser od-Din Shah qu’au prix d’une forte amende payée en rançon par son père (1879). 1880 : gouverneur de Rašt et Tonekâbon. Chargé de réprimer une révolte de Tucomans à Astarâbâd : il pénètre

Répertoire prosopographique

657

en territoire russe pour libérer des captives. 1886 : directeur de la Monnaie. 1893-97 : ministre du Trésor et des douanes. Révoqué par Amin od-Dowla. 1899-1903 : gouverneur du Gilân, il s’enrichit à nouveau et prend de nombreuses initiatives pour le développement de la province et la construction de routes. 1904 : gouverneur d’Ardebil, Meškin et Xalxâl. 1906 : ‘Eyn od-Dowla le fait nommer ministre des Postes et gouverneur militaire de Téhéran. Il reçoit alors son dernier titre nobiliaire. Impliqué dans la répression des manifestations du mouvement constitutionaliste (plus de 120 victimes), il est l’objet d’une anathématisation de la part d’Âqâ Najafi Esfahâni (voir Dowlatâbâdi, Hayât-e Yahyâ, ii, p. 82). 1907 : Mohammad-‘Ali Shah lui retire certains pouvoirs. Nommé gouverneur du Gilân, il réprime à nouveau durement les militants constitutionalistes. Après le coup d’État de juin 1908, nommé gouverneur militaire de l’Azerbaïdjan, mais il comprend que les jours du souverain absolutiste sont comptés, négocie avec les insurgés de Tabriz et refuse d’utiliser la force contre eux ; il est démis mais au lieu de rentrer à Téhéran, retourne à Rašt et Tonekâbon et se rallie par opportunisme à la cause constitutionaliste (voir M. Bayat, Iran’s First Revolution, New York – Oxford 1991, pp. 248, 252). Ses hésitations sont levées par le décret par lequel le shah le déchoit de ses titres nobiliaires, et surtout par le soutien des consuls russes et du consul britannique Churchill. Sa présence au milieu des forces du nord qui firent la jonction avec les Baxtyâri renforça la crédibilité de l’insurrection et permit le renversement rapide de Mohammad-‘Ali Shah (juillet 1909), et en vertu de son âge, c’est lui qui fut reconnut premier chef politique, assisté de Sardâr As‘ad. Le parti démocrate se retourna contre lui, avec Taqizâda et Xiâbâni et il démissionna en juillet 1910. Il fut rappelé au gouvernement par le Régent Nâser ol-Molk en mars 1911 et s’opposa en vain aux prérogatives accordées par le 2e Majles à Morgan Shuster. Convaincu de comploter avec l’ex-shah, il fut obligé par le Parlement à démissionner. Devenu très impopulaire, on l’accusait d’avoir faussement rallié les constitutionalistes. Nommé gouverneur de Tabriz pendant l’occupation brutale des Russes (1912). Élu député au 3e Majles (1914), il renonce à ce mandat et redevient ministre de la Guerre. En mars-août 1916 il redevient Premier ministre et ministre de la Guerre – alors que le pays est occupé par les Russes et les Britanniques, et reçoit son dernier titre (« grand maréchal »). L’impuissance du gouvernement et l’inféodation aux Britanniques, dont il cherche à légitimer la Police du Sud (spr) sont extrêmes. Nommé à nouveau gouverneur d’Azerbaïdjan par Vosuq od-Dowla en 1918 pour réprimer la révolte des Kurdes de Simko. La rumeur l’accuse de pactiser avec Simko. Rappelé à Téhéran sous la pression des Démocrates de Xiâbâni, c’est la fin de sa carrière politique. Emprisonné pendant les trois mois de dictature de Seyyed Ziyâ. Il est très affecté par la mort accidentelle de son fils ‘Ali-Asqar Khan Sâ‘ed od-Dowla et oppressé par les sommations du financier Millspaugh qui exige le paiement d’arriérés d’impôts et confisque ses propriétés (voir The American task in Persia, New York 1925 p. 186). Il se suicide. Voir M. Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân,

658

Répertoire prosopographique

p. 264 sq. ; Bâmdâd, Rejâl 4, p. 17 ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 52 ; Fortescue, Military Report, p. 369 sq. ; F. Mo‘tamed, Sepahsâlâr-e a‘zam, Tehrân, ‘Elmi, 1325/1946 ; Morselvand, Rejâl va mašâhir, iii, p. 144 ; Chaqueri, Soviet Socialist Republic of Iran, p. 474 sq. ; Md Qazvini, « Vafiyât-e mo‘âserin », Yâdegâr V (1-2), p. 95. « . . . an eccentric grandee, Sipah Salar, [. . .] had just resigned, or been dismissed, from the premier provincial governorship of all Persia, that of Azarbayjan, traditionally reserved whenever possible, for the heir to the throne. He was on his way back to Tehran with his personal retinue [. . .] and had halted at one of the many villages he owned in the neighbourhood about seven miles from Qazvin. His career and behaviour were not untypical of his class under the later Qajars, and a brief summary will serve to illustrate some of the factors that were militating against all efficient administration. He came of a family that owned, and had long exercised a kind of baronial authority over, the district of Tunukabun situated at the western end of the Caspian province of Mazandaran and so adjacent to Eastern Gilan and also to Qazvin. Like so many of the élite of the period he had taken an active part in the constitutional upheavals between 1906 and 1911, and a series of provincial governorships, cabinet appointments, and three short spells as Prime Minister in 1909, 1911 and 1916, had enabled him to add to his landed properties and to his wealth. Now it was being whispered that before leaving his post he had been using his position to foment disorders in the province he was supposed to be governing in order to embarrass the Prime Minister, Vusuq ad-Dawla, with whom he was on bad terms. Among other things his ne’er-do-well youngest son, Sa’id ad-Dawla, Deputy Governor under his father of the district of Sarab, was reliably reported to have met a certain Nariman Narimanov (who later emerged as Chairman of the Council of Commissars of the Soviet Republic of Azarbayjan in Baku) and to have undertaken to procure the assassination of Vusuq ad-Dawla and the Russian commander of the Persian Cossack Division, Colonel Starosselsky » Edmonds, East and West of Zagros, p. 244 sq. De lui : « Yâd-dâšt-hâ-ye čâp na-šoda-ye Sepahsâlâr Tonkâboni », Rahnemâ-ye ketâb, iv-5-6 (1340/1961) ; ‘Abd os-Samad Xal‘atbari (ed), Târix-e moxtasar-e zendagâni va xadamât-e Sepahsâlâr Tonkâboni, hamrâh-e bâ yâd-dâšthâ-ye šaxsi-e u, Tehrân, 1328/1949 ; (id.), M. Tafazzoli, ed., Sepahsâlâr Tonekâboni, Tehrân 1362/1983. 1919 : août 12 – septembre 12 – octobre 13 – novembre 11 1920 : mars 20 – avril 7 – octobre 30 – décembre 10 1921 : janvier 12, 15, 24 – février 21, 22 – avril 16 Šeybâni, voir « Vahid ol-Molk » Seyfollâh Khan Šahâb (1891-1942), ancien élève des Lazaristes à Beyrouth, puis études militaires à l’école de cavalerie de Saumur. Officier de la Brigade cosaque. « Très dévoué à la cause française, mais d’un caractère un peu opportuniste. Se trouvait à Kermân en 1915 pendant la rébellion de la gendarmerie. A pris part au gouverne-

Répertoire prosopographique

659

ment de Seyyed Ziyâ. Appartient à une excellente famille de Téhéran. » Ducrocq, Papiers d’Agents, 19. Intervient avec succès dans la prise de la forteresse de Simko à Čehriq (1922). Rôle actif contre les tribus Baxtyâri et Qašqâ’i à la fin des années 1920. Gouverneur de Širâz. Suite à une faute militaire, condamné à l’expulsion de l’armée et à deux ans de prison. Devient professeur de français. Réintégré dans l’armée en 1941, il rentre d’Europe et devient directeur de l’École militaire où il entreprend une purge sévère ; un des officiers écartés l’assassine pour se venger. Marié à la fille de Yahyâ Dowlatâbâdi ; on dit qu’il s’était converti au christianisme. Voir B. ‘Âqeli, Šarh-e hâl-e rejâl-e siâsi va nezâmi-e mo‘âser-e Irân, Tehrân, Goftâr/‘Elm, 1380/2001, ii, p. 887 sq. 1919 : décembre 17 1920 : février 19 – mai 13 1921 : janvier 18 – février 6 Seyyed Ziyâ, Voir Ziyâ od-Din Tabâtabâ’i ‘Ali-Akbar Siâsi (1895-1990) né à Téhéran d’une famille de Yazd. Sorti en 1911 de l’École des sciences politiques. Bousier pour étudier en France, école normale de Rouen jusqu’en 1914. École normale de Lyon jusqu’en 1916. Drogman à la légation de France 1916-17 ; enseigne l’histoire au Collège Saint Louis ; professeur à Dâr ol-fonun, 1919. Membre fondateur du parti Irân-e javân (avec Esmâ‘il Mer’ât, Mahmud Afšâr, Mohsen Ra’is et Hasan Moqaddam). Retourne étudier en France, 1927-31 ; doctorat « La Perse au contact de l’Occident ». À son retour, retourne à l’enseignement et participe à la fondation de l’Université de Téhéran dont il devient le président. 1941 : ministre de l’Éducation nationale ; cherche à promouvoir l’instruction obligatoire et institutionalise l’indépendance de l’Université par rapport au pouvoir politique. S’opposa à l’épuration des enseignants communistes après l’interdiction du parti Tuda (1949). Voir Archives diplomatiques, Papiers d’agents archives personnelles, Papiers Bonin 26, F°80 ; D. Menashri, Education and the making of modern Iran, Ithaca – London 1992, passim (en 1982, il l’a interviewé à Londres, p. 293) ; ‘Abdollâhpur, Vozarâ-ye ma‘âref-e Irân, p. 132 sq. Mort à Los Angeles. nécrologie par I. Afšâr, Âyanda, xvi (1369), pp. 276-283 De lui : – Do mâh dar Pâris, Tehrân, Dânešgâh-e Tehrân, 1950 ; – La Perse au contact de l’Occident. Étude historique et sociale, Paris, Leroux, 1931 ; – Gozâreš-e yek zendegi – I : London, dey 1366/1987. 1921 : janvier 25 HH1920 : janvier 19 – juillet 14, 30 – février 23 HH1921 : août 11 Esmâ‘il Šekâk, dit Simko (1887-1930), rebelle kurde appelé Semitko par ses ennemis. Son frère Ja‘far a été tué à Tabriz en 1905, et il fuit vers l’Empire ottoman en 1906, joue la carte russe de 1912 à 1917. En 1918, à la suite de l’arrivée massive de chrétiens nestoriens (de la tribu Jelo) de l’Empire ottoman, Simko, probablement encouragé par des nationalistes iraniens à Tabriz, a déclenché un massacre entre chrétiens

660

Répertoire prosopographique

et musulmans en attirant le patriarche Mar Šimum xix Benyamin dans un guetapens et le tuant lâchement avec son escorte (17 mars 1918). Désireux de fonder une entité autonome au Kurdistan iranien, il a résisté pendant des années aux efforts de Rezâ Khan (plus tard Shah) tantôt en dominant toute la plaine d’Urmia, tantôt en se réfugiant dans les montagnes au-delà des frontières. Il aurait disposé d’une armée tribale composée d’environ 10 000 soldats, dont plus de mille cavaliers qu’il payait avec le fruit des pillages. Il fut victime d’un stratagème semblable à celui qu’il utilisa contre Mar Šimum. Bâmdâd, Rejâl 1, p. 136 sq. ; H. Yekrangiân, Golgunkafanân, guša-i az târix-e nezâmi-e Irân, Tehrân 1336/1957, p. 357 sq. ; M. Van Bruinessen, « A Kurdish warlord on the Turkish-Persian frontier in the early Twentieth century : Esma‘il Aqa Simko », in Iran and the First World War : battleground of the great powers, T. Atabaki, ed., London – New York, 2006, pp. 69-94 ; H. Arfa, The Kurds, London, Oxford University Press, 1966, pp. 48-64 [sa révolte réprimée en juillet 1922]. Q.-H. ZargariNežâd, ed., « Morur-i bar xâterât-e sepahbod Amir-Ahmadi » Târix-e mo‘âser-e Irân, iv (zemestân 1371/1993), p. 164 sq. Point de vue très hostile ‘A. Dehqân, Sarzamin-e Zardošt, owzâ‘-e (. . .) târixi-e Rezâ’iya, Tehrân 1348/1969, p. 547 sq., p. ex. sur le titre « Sardâr Nosrat » que lui aurait conféré Mohammad-Vali Tonekâboni Sepahdâr-e A’zam (Sepahsâlâr-e A‘zam) pour l’amadouer : p. 561 sq. Sur l’assasinat de Mar Šimum, voir G. Bohâs et Fl. Hellot-Bellier, Les Assyriens du Hakkari au Khabour, mémoire et histoire, Paris, Geuthner, 2008, p. 71 sq. ; A. Kasravi, T.-e hejdah sâla-ye Âzarbâyjân, p. 725 sq. ; R. Mo’tamed ol-Vezâra et K. Bayât, eds., Orumiya dar mohâraba-ye ‘âlam-suz, Tehrân, 1379/2000, p. 40 sq. 1919 : décembre 22 1920 : février 12, 22 – décembre 23 1921 : avril 27 – mai 18 – août 24 Walter Alexander Smart, consul britannique (1883-1962) Arrivé en Iran en 1906. Vice consul à Téhéran (1909–), Consul intérimaire à Tabriz (1909–), à Širâz (1910-12). Secrétaire oriental de la Légation anglaise (décembre 1912–juin 1913). Consul intérimaire à Tabriz (1913). Deuxième conseiller de la Légation (mai 1920–). Consul intérimaire à Alep (décembre 1922–), voir Râbino, Diplomatic and consular officers, p. 49. Note de Ducrocq (Papiers d’agents, vol. 36, visiblement mal classée puisque ce dossier concerne les missions catholiques), qui en fait un portrait brillant comme d’un homme de coulisse, ayant préparé en secret avec Smyth et Havard le coup d’État du 21 février 1921. M.-T. Bahâr, Ahzâb-e siâsi I, p. 65. Recueil d’essais en hommage à Smart, St Antony’s private papers GB165-0265. « During his second Persian tour he and another member of the Legation staff got into hot water over a scandalous escapade involving a well-known Persian lady. Though never reposted to Persia, ‘Smartie’ retained an abiding love for the country and its people and literature. » Wright, Persians amongst the English, p. 200 note. Smart fut l’informateur de E.G. Browne qui cite sans le nommer sa lettre sur le bast de l’été 1906, Persian Revo-

Répertoire prosopographique

661

lution, p. 119 sq. [voir Wright, ibid.] C’est lui qui aide Seyyed Ziyâ’ à quitter l’Iran sain et sauf après sa destitution en 1921, voir Jamâlzâda, « Seyyed Ziyâ’ va Ketâb-e siyâh-e u » Âyanda, vii, (1360/1981) 4, p. 294. 1920 : novembre 24 – décembre 4 1921 : janvier 5, 16, 26 – mai 15 – septembre 23 HH1920 : avril 12 – mai 19 – juin 22 – août 17 – septembre 6, 11 – octobre 24 – novembre 3, 21, 28 – décembre 14, 23

HH1921 : janvier 7 – avril 19, 26 – mai 18, 29 – juin 15 – juillet 4 – août 22 – octobre 3 – novembre 23

HH1922 : février 1, 18 – mars 2 Smith, voir Sidney Armitage-Smith (1876-1932) Lt-Colonel Henry Smyth (1866-1943), fils du général Henry Smyth, militaire engagé dans différentes expéditions coloniales pour lesquelles il est décoré : Chin Lushai (1889-90), Tirah (1897-98). Officier de renseignement à Quetta, 1899-1900 et à nouveau en 1902. Pendant la Guerre, reçoit la Croix de Guerre et une décoration grecque. Voyages au Sistan et Mašhad. 1904-1909 : Mašhad, conseiller politique au consulat. Pendant la guerre: Mésopotamie puis Russie du Sud. 1919 : Istanbul. Janvier 1920: arrive à Téhéran pour servir aux spr et préparer la réalisation de l’armée unique. Septembre 1920: affecté à Qazvin, assistant de Sardâr Homâyun. S’oppose au général Dickson sous les ordres duquel il est d’abord placé. Chargé de diriger les Cosaques persans pendant l’hiver 1920-21, voir M. Zirinsky, « Imperial power and dictatorship : Britain and the rise of Reza Shah, 1921-1926 », ijmes, 24, 4 (1922), p. 645 sq. « It was also Ironside who selected Lt. Colonel Reza Khan as Starosselsky’s successor. This he did on the advice of Lt. Colonel Henry Smyth of the Cheshire Regiment, a British officer temporarily attached to the Cossacks, and after several visits to their camp at Aqa Baba near Qazvin where he was much impressed by the contingent (atriyad) from Hamadan under Reza Khan “the most manly Persian I have yet struck” (ms. Diary 29.1.1921) » Denis Wright, EncIr s.v. « Ironside ». Voir Sabahi, British policy in Persia, p. 52 sq. ; Cronin, The army and the creation of the Pahlavi state, p. 86. Son rôle est décrit dans la dépêche de Caldwell du 5 avril 1921, voir Majd, Great Britain and Reza Shah, p. 63 sq. À Qazvin, rencontre ‘Eyn os-Saltana. Parle un peu persan, voir Ruznâma-ye xâterât 7, p. 5722 ; ailleurs, ‘Eyn os-Saltana décrit le rôle de Smyth, intermédiaire entre Sardâr Homâyun et les Britanniques, ibid., p. 5738. Voir également Y. Richard, « Le coup d’État de 1921 et les sources historiques », Studia Iranica, 38, 1 (2009), p. 89 sq. 1920 : février 19, 28 – avril 6, 7 – mai 10, 17, 23 – juin 6, 11, 27 – décembre 22 1921 : février 9, 22, 25 – mars 3, 9, 11, 21, 31 – avril 18 Malek-Mansur Qâjâr « Šo’â os-Saltana » (1880-1920) « prince Qâjâr intriguant, fils de Mozaffar od-Din Shah, qui misait sur tous les tableaux, y compris les bolcheviques, pour tenter de monter sur le trône. Il avait 27 femmes légitimes et était abonné à

662

Répertoire prosopographique

l’Humanité et au Populaire. A été à l’origine du conflit entre Shuster et les Russes en 1911 (M. Shuster, The Strangling of Persia, New York 1912, p. 134 sq.). Lettré, athée malgré la propagande panislamique qu’il a faite en Afrique du Nord, jusqu’en Algérie, il est en relations directes avec l’empereur Guillaume pendant la guerre. » (Ducrocq, Archives diplomatiques, Perse-Iran 10, F°147). Ducrocq note, le 8 novembre 1920, lors de son enterrement : « homme cultivé, le plus intelligent des fils de Mozaffaroddin, faillit être Shah ; poussé par les Anglais, tandis que les Russes poussaient Mohammad-‘Ali, meurt de la vérole. » Voir également Bâmdâd, Rejâl 4, p. 156 sq. ; Mosaddeq, Xâterât, p. 115 sq. Retour en Iran pendant l’hiver 1909 voir Hone & P.L. Dickinson, Persia in Revolution, London 1910, p. 17 sq. ; détesté comme gouverneur de Širâz en 1906, voir Bayat, Iran’s first revolution, p. 121. Notice biographique de Ducrocq qui le compte parmi « les nationalistes persans dont l’influence se trouva utilisée par les Allemands », rmm, 54 (1923), p. 130. Une de ses filles doit épouser le Vali-‘Ahd en 1921, voir Ducrocq, Journal, 9 février 1921. 1919 : avril 16 – mai 18 1920 : novembre 8 1921 : janvier 12 HH1920 : mars 8 – novembre 7 Soleymân Khân Nazar-Âqâ (Nazare Aga dans les sources françaises, 1876- ?), engagé volontaire en France pour la durée de la guerre le 25 avril 1915 à la Légion étrangère comme légionnaire de 2e classe. Versé immédiatement dans l’aviation. Fait prisonnier le 29 juillet 1917. Termine avec le grade de sous-lieutenant. Chevalier de la Légion d’honneur. Une citation. Voir Ducrocq, Papiers d’agents, vol. 35. Ducrocq écrit Nazar-Agah, mais lire Nazar-Âqâ, patronyme d’un diplomate iranien d’origine assyro-chaldéenne, Ardešir Xân Nazar-Âqâ Yamin as-Saltana (1827-1903) qui représenta la Perse à Paris de 1873 à 1903. Voir Rejâl-e vezârat-e xâreja, p. 134, Hellot-Bellier, France-Iran, p. 563 et index s.v.. Un autre personnage portant le même patronyme est signalé par Ducrocq également engagé à la Légion étrangère et décoré de la Légion d’Honneur, portant le prénom Jebrâ’il. Soleymân et Jebrâ’il sont probablement les fils du diplomate. 1919 : novembre 11 1921 : janvier 28 – février 7 – mai 15 Rudolf Sommer Voyage en Iran avant 1914. Y reste comme Kanzler der deutschen Gesandtschaft. A d’excellents contacts en Iran. Sympathies soviétiques. Nommé consul à Tiflis en 1921 mais remplace Schulenburg pendant ses congés de l’été 1923, voir Hirschfeld, Deutschland und Iran, p. 322 sq. 1921 : mars 31 – septembre 4 Jaques Émile Sontag (1869-1918), prêtre lazariste français, délégué apostolique en Perse, assassiné à Urmia. Voir l’hagiographie de Joseph Eyler (préf. de R. Facelina), Monseigneur Sontag martyr en Perse, [Mutzig, 1996] ; A. Bugnini, La Chiesa in Iran, Roma,

Répertoire prosopographique

663

Edizioni Vincenziane, 1981, p. 233 sq. Délégué apostolique en Perse, assassiné. Son assassinat est attribué aux Kurdes par ‘A. Dehqân, Sarzamin-e Zardošt, owzâ‘-e (. . .) târixi-e Rezâ’iya, Tehrân 1348/1969, p. 537, qui rend hommage à son dévouement pour apaiser le conflit entre musulmans et chrétiens. 1920 : février 22, 3 – mars 13 Vsévolod Dmitriévitch Starosselsky (1875-1953). Officier cosaque d’origine géorgienne qui joua un rôle majeur entre 1917 et octobre 1920. Son père le général Dimitri Strarosselsky était au service du vice-roi du Caucase sous Alexandre ii et sa mère, une princesse géorgienne (voir Nilufer de Turquie, Pour l’amour de Tatiana: la sultane des enfants malades, Paris, Presses de la Renaissance, 2006). Pendant la Guerre, il avait dirigé une division de recrues musulmanes dans le Caucase, qu’on avait appelé la Division sauvage. Devenu officier de la Brigade cosaque, il prit en la tête le 15 février 1918 à la faveur d’un « coup d’État » mené avec l’aide de Rezâ Khan contre le général Clergé, nommé par Kerenski, qu’ils accusaient d’être pro-bolchevique. Rezâ Khan montra à cette occasion qu’il ne rechignait pas à solliciter une aide étrangère pour une tâche illégale qu’il estimait légitime pour l’Iran (Voir Kahhâlzâda, M. Kâmrân (ed), Dida-hâ va šenida-hâ, p. 299 sq. ; H. Arfa, Under five Shahs, p. 90 ; Bahâr, Ahzâb-e siyâsi, I, p. 74 sq.). Dès avril 1920 Sir Percy Cox s’entretient avec lui pour dissoudre les Cosaques et les attirer dans des unités britanniques. (mae, Papiers Bonin, 21, F°314, rapport de Georges Ducrocq du 2 avril 1920). Le refus de Starosselski de collaborer avec eux persuada les Britanniques qu’ils devaient s’en débarrasser à tout prix, malgré l’insistance d’Ahmad Shah qui voyait au contraire dans la Brigade cosaque commandée par les officiers russes le dernier rempart de son pouvoir défaillant. Starosselski fut accusé de détourner la solde de ses troupes, d’entretenir secrètement des pourparlers avec les Bolcheviques et finalement d’être un piètre officier devant la menace bolchevique. La dernière campagne contre le Jangal et les Bolcheviques s’acheva par une déroute déshonorante dans laquelle les Anglais, en refusant leur assistance, eurent leur part de responsabilité. Ils en profitèrent pour obliger Ahmad Shah à le révoquer et avec lui tous les officiers russes. Sur cet épisode voir Sabahi, British Policy in Persia, p. 51; Arfa, Under Five Shahs, p. 89 sq.; G. Ducrocq, Journal de Perse, 18 November 1920 ; sur les deux campagnes au Gilan en été 1920 voir Ducrocq, « La Politique du gouvernement des Soviets en Perse : le Bolchevisme et l’Islam », rmm, 52 (1922) p. 97 sq. Voir également un portrait peu flatteur par Cronin, The army and the creation of the Pahlavi state in Iran, index, passim et pp. 73 sq., 266 n. 50; Ironside, Highroad to command, p. 143 sq.; Katouzian, State and society, p. 198 sq. Bonne étude basée sur les documents britanniques : Br. Pearce, (intr A. Granmayeh), The Staroselsky problem 1918-20: An episode in British-Russian relations in Persia, London, soas, 1994 (soas, Centre of Near and Middle Eastern Studies, Occasional papers, 14). Installé en Californie après 1920. La question de

664

Répertoire prosopographique

Starosselski lors du voyage de Ahmad Shah à Londres en 1919 analysée par Bast, Die persische Außenpolitik und der Erste Weltkrieg (1917-1921), p. 222 sq. 1919 : juillet 1 – août 24 – septembre 30 – octobre 12, 31 – novembre 11 – décembre 22, 24, 27, 29

1920 : janvier 1, 5, 12, 23, 30 – février 25 – mars 2, 8, 15, 16, 20, 24 – avril 29 – mai 4, 7, 10, 11, 13, 17, 19 – juin 6, 11, 21, 28 – juillet 11, 14 – octobre 28, 29, 30 – novembre 1, 2, 4, 5, 9, 18 – décembre 6, 7, 13, 25 1921 : janvier 2, 24 – mars 17, 23 – avril 9 HH1920 : janvier 23 – avril 2 – août 24, 27 – septembre 7 – octobre 26, 27, 28, 29, 30, 31 – novembre 1, 3, 6, 17

Charles Stevens (†1934), commerçant (en tapis), fils de Hildebrand Stevens, lui-même commerçant britannique arrivé en Perse en 1875 (voir Wright, English amongst the Persians, p. 100) vice-consul à Tabriz, 1906-1924. Voir Rabino, Diplomatic and Consular officers, p. 50. « Stevens, a local merchant, is acting as my [Assistant Political Officer] at Hamadan, acts as [Vice-Consul] there » Edmonds to Chick, 2 février 1920, mec St Antony’s College. 1920 : novembre 18 1921 : février 21 Major Claude Bayfield Stokes (1875-1948) Major de l’armée britannique des Indes, attaché militaire à la légation britannique de Téhéran depuis 1907 lorsque Shuster veut lui confier l’organisation de la brigade financière, voir Shuster, Strangling of Persia, p. 69, passim. Utilisé par les Anglais en 1918 comme négociateur avec les Jangalis « Les temps avaient changé . . . On lui fit grise mine et Stokes, obligé de renoncer au rôle messianique qu’avait rêvé son illuminisme, dut se contenter des médiocres besognes d’informateur d’ailleurs tenu en suspicion de toutes parts.» (Lecomte, 8-15/6/18, Archives diplomatiques, Perse 32, F°15). Son retour souhaité par Smyth, voir Ducrocq, Journal, 22 décembre 1920. Voir Rabino, Diplomatic and consular officers, p. 52. British High Commissionner à Baku (1920-21), où il rencontre Seyyed Ziâ’, voir Katouzian, State & society, pp. 148 et 161 n. 127 ; Bast, Die persische Außenpolitik und der Erste Weltkrieg (1917-1921), p. 291n ; Edmonds, East and West of Zagros, pp. 268, 272. 1919 : juillet 26 – décembre 17 1920 : décembre 22 Hasan Taqizâda (1878-1970), homme politique et intellectuel né à Tabriz dans une famille cléricale et en rupture idéologique avec son milieu, fortement impressionné par la social-démocratie et par les idées progressistes venues d’Europe, nationaliste controversé (partisan d’une européanisation forcenée sauf de la langue et de la littérature). Après avoir été député au 1er Majles, partisan de réformes radicales et laïc convaincu, il s’opposa à l’absolutisme de Mohammad-‘Ali Shah et dut s’exiler en Europe en juin 1908. Il rencontra notamment E.G. Browne à Cambridge. Élu au 2ème

Répertoire prosopographique

665

Majles (1909) il en fut expulsé pour avoir protesté contre le pouvoir clérical. Parti aux États-Unis, il fut invité par les services de propagande du Reich pour diriger à Berlin une officine nationaliste persane. Il y publia Kâva (1916-1922), revue à dimension surtout culturelle, qui devint le phare de la modernité persane. Négocia le traité soviéto-iranien de 1921. De retour en Iran, il collabora avec Reza Pahlavi dont il devint diplomate (ministre à Londres et Paris), ministre des finances et avec lequel il rompit après avoir signé le controversé accord pétrolier avec les Britanniques en 1932. Après des activités universitaires en Europe, il reprit du service pendant la Deuxième guerre mondiale comme ambassadeur à Londres, puis délégué à l’ONU. Rentré en Iran il finit sa vie dans les honneurs, sénateur et président du Sénat. Voir Mojtahedi, Rejâl-e Âzarbâyjân, p. 53 ; M. Mojtahedi, Târix-e zendegâni-e Taqizâda, Tehrân 1321/1942 ; Jamâlzâda, « T.-z. tel que je l’ai connu » in A Locust’s Leg, Studies in Honour of S.H. Taqizada, W.B. Henning & E. Yarshater, ed., London, 1962 ; M. Minovi, Naqd-e hâl, p. 470 sq. ; Kasravi, Hijdah sâla-ye Âzarbâyjân, pp. 20, 30, 34, 130 sq [meurtre de Seyyed ‘Abdollâh Behbahâni], 437. Retourne en Iran en 1924. Voir fo371/17908 (Person.1934).Il a critiqué la désarabisation et l’usage de la force dans la réforme de la langue, voir Rahnamâ-ye ketâb, xiii, 3-4 (1349) ; Taqizâda, Zendagi-e tufâni, [mémoires], Tehrân 1368/1989 ; Taqizâda était connu pour son adhésion à la franc-maçonnerie, et a été l’objet d’invectives violentes : Katirâ’i, Farâmâsuneri, pp. 140-147 ; Râ’in, Farâmušxâna, iii, pp. 521, 531 ; Rejâl-e ‘asr-e Pahlavi be revâyat-e asnâd-e sâvâk: Seyyed Hasan Taqizâda, Tehrân, Markaz-e barrasi-e asnâd-e târixi, zemestân 1383/2004 ; Bâmdâd, Rejâl 5, p. 66 sq. ; son hostilité puérile à Amin osSoltân et sa responsabilité dans l’assassinat : voir Âdamiyat, Majles-e avval, pp. 46, 170 sq. ; son manque d’objectivité historique, ibid. p. 394 sq. Serait azali (?) Fortescue, Military Report, p. 371. Mahmud Afšâr, « Nokâti čand peyrâmun-e ‘âlat-e fe‘l’ šodan-e T.-Z. », Ganjina-ye maqâlât, ii, p. 626 sq. [sur l’accord pétrolier de 1932]. On ne peut pas citer ici ses nombreuses publications, qui comprennent quelques rares considérations sur son action pendant la Révolution constitutionnelle. Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 257 sq. ;Tim Epkenhans, Moral und Disziplin: Seyyed Ḥasan Taqîzâde und die Konstruktion eines «progressiven Selbst» in der frühen iranischen Moderne, Berlin, Kl. Schwarz, 2005. 1920 : novembre 26 ‘Abd ol-Hoseyn Teymur-Tâš, « Mo’azzez ol-Molk », « Sardâr Mo‘azzam Xorâsâni », (1879-1933) Né à Bojnurd, fait une partie de sa scolarité à Achkabat puis à St Petersburg où il apprend le russe. École militaire impériale russe. 1905 : traducteur au ministères des Affaires étrangères à Téhéran. Un des défenseurs du Majles en juin 1908 (Âdamiyat, Majles-e avval, p. 339) Membre de l’Anjoman-e Mojâhedin (M. Malekzâda, Târix-e enqelâb-e mašrutiyat, Tehrân, Ebn Sinâ, 1351/1972, 4, p. 57). Député aux Majles 2, 3, 4, 5, 6 [il abandonna son dernier mandat pour être ministre de la Cour]. Membre de la Commission financière mixte (1916-17). Gouverneur du

666

Répertoire prosopographique

Gilân (1919) (Sadiq, Yâdgâr, I, p. 205). Il se serait montré intraitable face aux Jangali (Šeyxoleslâmi, ‘Elal-e afzâyeš-e nofuz-e siyâsi-e Rus va Englis dar Irân-e ‘asr-e Qâjâr, Tehrân, 1369/1991, p. 73 sq. Arrêté pendant le coup d’État de 1921 (Xâterât-e siyâsi-e Farrox, p. 76 sq.) puis exilé à Qom. Gouverneur de Kermân (1923-24). Ministre de la Justice (janvier-juin1922), Travaux publics (1924-25). Ne gardant que le poste de ministre de la cour, c’est lui en réalité qui déterminait la politique étrangère jusqu’à ce que Rezâ Shah, alerté par des dénonciations mensongères, lui retire sa confiance. Voyage en Russie et Europe (1926). Démis et assigné à résidence en 1932, prison en janvier 1933. « Clever and energetic, he has pleasant manners . . . ardent Nationalist . . . » fo (1927). Voir Bâmdâd, Rejâl 2, p. 239 sq. ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 58 ; Q. Qani, Yâd-dâšt-hâ ; « The Rise and Fall of Teymourtache », Journal of the Royal Central Asian Society, vol. 21, 1, 1934, p. 93 ; H. Taqizâda, Zendagi-e tufâni, p. 234 ; Xâterât-e Nasrollâh Entezâm, p. 93 sq. ; Morselvand, Rejâl va mašâhir, ii, p. 319 (avec documents facsimilés sur ses liens avec l’URSS . . .) ; M. Ehtešâmi, « Yek pažuheš-e mostanad . . . : ‘Abd ol-Hoseyn Teymur-tâš » in : Arj-nâma-ye Iraj, Tehrân, 1377/1998, p. 431 sq. ; Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 251 note ; J Šeyxoleslâmi, ed., So‘ud va soqut-e Teymur-Tâš (be hekâyat-e asnâd-e mahramâna-ye vezârat-e xâreja-ye englis), Tehrân, Tus, bahâr 1379/2000. Sur sa révocation, son procès et son assassinat, voir Gh. Majd, Great Britain and Reza Shah, p. 171 sq. Son échec au Gilân en 1919, voir cj Edmonds, East and West of Zagros, p. 254 sq. ; – Bâqer ‘Âqeli, Teymur-tâš dar sahna-ye siyâsat-e Irân, Tehrân, Jâvidân, 1371/1992 (3ème éd., 1377) ; – M. Rezun, « Reza Shah’s Court Minister : Teymourtash » ijmes, 12,2 (sept. 1980) ; – id., The Soviet Union and Iran. Soviet Policy in Iran from the Beginnings of the Pahlavi Dynasty until the Soviet Invasion in 1941, Alphen aan den Rijn, Sijthoff & Noordhoff inter. – Genève, Institut Universitaire de Hautes Études Internationales, 1981. Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 275 sq. 1919 : décembre 22 1920 : mars 8, 24 – avril 9 – mai 13 – novembre 30 – décembre 10 1921 : février 9, 22 – mars 8 Alexander Tumânyân, père et fils. Banquiers (arméniens) qui possèdaient beaucoup d’affaires (terres, mines de cuivre, charbon, pétrole, coton) au Nord de l’Iran, Gilân et Mâzandarân. La famille, à l’origine, avait une maison commerciale à Tabriz, elle s’implanta à Téhéran et établit des succursales à Bakou, Moscou, Odessa, Tiflis, Londres, Rašt, Anzali, Qazvin, Mašhad et Sabzevâr. La Guerre et la Révolution bolchevique leur ont porté un coup fatal. Voir Žânet D. Lâzâriân, Dâneš-nâma-ye Irâniân-e armani, Tehrân, Hirmand, 1382/2003, p. 329 sq. La faillite (en 1922) de la Banque Toumaniantz Frères a eu des conséquences sur les indemnisations de chrétiens de la région d’Urmiya, cf. Millspaugh, American task in Persia, pp. 55, 197. A. Tumâniân fait partie, en 1920, du comité Main noire constitué autour de Seyyed Ziyâ, pour préparer le coup d’État, voir Ducrocq, « Politique du gouvernement des

Répertoire prosopographique

667

Soviets en Perse », p. 141. Chargé de reprendre la Banque d’escompte (russe) en 1921, voir Bahâr, Târix-e ahzâb-e siâsi I, p. 96. 1920 : janvier 27 – novembre 29 – décembre 18 1921 : janvier 15 – mars 7 – septembre 19, 27 ‘Abd ol-Hoseyn Šeybâni, « Vahid ol-Molk » (1863-1973), né à Kâšân (date controversée). Études en Inde et de droit à Londres (travaille au Times). De retour en Iran en 1906, enseigne à Dâr ol-Fonun et devient journaliste notamment en correspondant avec le Times. Fait partie, avec Ebrâhim Zanjâni, du tribunal qui condamna (entre autres) Fazlollâh Nuri à mort en juillet 1909. Voir Bâmdâd, Rejâl 2, 261. Député 2e au Majles (Parti Démocrate). 1912-14 : exilé en Europe. Député au 3e Majles, choisit de quitter Téhéran, participe au gouvernement en exil à Kermânšâh où il est ministre des Postes. Exil à Bagdad, Istanbul, puis Berlin où il rejoint Taqizâda, envoyé par Nezâm os-Saltana comme ambassadeur (1916) ; a signé un texte avec Taqizâda à l’Internationale socialiste de Stockholm, 1917 (publié par Rahnemâ-ye Ketâb, xiv (1350/1972). À son retour dirige l’École de science politique de Téhéran et enseigne l’anglais à Dâr ol-Fonun. Ministre de l’éducation dans le cabinet Sepahdâr Rašti (Sepahsâlâr-e A‘zam, novembre 1920-février 1921). Élu au 4e Majles. Plusieurs fois ministre dans les cabinets Qavâm os-Saltana et Moxber od-Dowla. Il occupa sa retraite à rédiger une histoire du Moyen-Âge (Târix-e ‘omumi-e qorun-e vostâ, Tehrân 1311-1315/193236, voir Mošâr, Fehrest-e mo’allefin, iii, p. 738 sq. Voir en outre ‘Abdollâpur, Vozarâ-ye ma‘âref-e Irân, p. 72 sq. Présenté comme Pro-bolchevique, ou crypto-bolchevique, Ducrocq, Journal, 16 janvier 1921. Devenu pro-anglais après la guerre, imposé par les Anglais comme ministre de l’Instruction en novembre 1921. Très xénophobe et très anti-français Ducrocq, Papiers, 19. Voir Rejâl-e vezârat Omur-e xâreja, p. 128 ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, 127. De lui : E ‘A. ol-H. Šeybâni, I. Afšâr & K. Bayât (eds.), Xâṭerât-e mohâjerat : az dowlat-e movaqqat-e Kermânšâh tâ komita-ye melliun-e Berlen, Tehrân, Širâza, bahâr 1378/1999. Voir Šeybâni, Xândân-e Šeybâni, p. 273 sq. ; Nazari, Târix-e rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 490 sq. 1920 : novembre 14, 16 – décembre 15 1921 : janvier 16, 28 – février 22, 26 Habibollâh Khan « Vahid os-Soltân » (né à Téhéran vers 1885), études à Dâr ol-Fonun. Fonctionnaire aux Affaires étrangères : Vienne, Saint-Petersbourg . . . 2ème vicedirecteur du protocole (1913-14). Voir Rejâl-e vezârat-e xâreja, p. 152. 1921 : avril 27 Vali-‘ahd, Mohammad-Hasan Mirzâ Qâjâr (1899-1943), deuxième fils légitime de Mohammad-‘Ali Shah, prince héritier du fait que son frère Ahmad Shah n’avait pas d’enfant. Exilé à Paris depuis 1925, voir fo371/17908 (Person. 1934) Après la mort d’Ahmad Shah (1930), revendique le droit de succession monarchique : fo371/24582 (Person. 1940). Décrit en 1921, alors qu’il est de passage en Égypte, comme francophile et anglophobe « a de sérieuses chances de régner car son frère ne peut pas

668

Répertoire prosopographique

avoir d’enfant» (mae Perse-Iran 10, F°155). Complote avec Seyyed Ziyâ en 1921 : Sabahi, British Policy in Persia, p. 158 ; Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 224 sq. ; Bahâr, Târix-e ahzâb-e siâsi, I, p. 102. On a envisagé de mettre sur le trône son fils Hamid en 1941 : L. Fawcett, Iran and the Cold War, Cambridge – New York 1992, p. 144 ; et surtout D. Wright, Persians among the English, p. 212 sq. ; Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 77 et n. 1920 : mars 16 – mai 17 – décembre 31 1921 : janvier 13 – mars 22 – mai 9 HH1920 : mars 21 HH1921 : février 16 – septembre 12 Colonel Verba, Officier russe de la Brigade cosaque cf. Chaqueri, The Soviet Socialist Republic of Iran, p. 517, n. 158. Marié à une Suissesse. Gholam-Reza Afkhami, Life and times of the Shah, Berkeley/Los Angeles, The University of California Press, 2009, p. 167. 1920 : janvier 14 – février 12 – avril 1 Hasan « Jenâb », « Vosuq ol-Molk », « Vosuq od-Dowla » (1875-1951), l’homme le plus maltraité de l’historiographie iranienne. Frère de Qavâm os-Saltana. Après des études auprès de précepteurs privés, devient très jeune directeur des finances de l’Azerbaïdjan (1896). Se solidarise immédiatement avec le mouvement constitutionaliste, élu au Premier Majles (1906), devient vice-président du Parlement. Préside la commission des finances, fait supprimer beaucoup de pensions attribuées par complaisance à des aristocrates. Se retire prudemment chez lui pendant la « petite dictature » (juin 1908-juillet 1909), tout en gardant le contact avec les constitutionalistes. Membre de la commission de gouvernement qui déclare la destitution de Mohammad-‘Ali Shah. Élu au 2e Majles. Ministre de la Justice puis de l’Intérieur dans deux gouvernement Sepahdâr Rašti. Ministre des Affaires étrangères (cabinet Samsâm os-Saltana), mais voyant les dysfonctionnements de l’État, démissionne et part pour l’Europe jusqu’au couronnement d’Ahmad Shah. Devient ministre des finances. Premier ministre à deux reprises 1916-1917 (le gouvernement de Vosuq od-Dowla dut également faire face à un « Comité de fer » Komita-ye âhân, qui menaçait d’exécuter les « traîtres » et assassina trois des soutiens du Premier ministre) ; 1918-1920. Ce dernier gouvernement, relativement long par rapport à la moyenne des gouvernements de l’époque, était soutenu par les Britanniques qui signèrent avec Vosuq od-Dowla le très controversé Accord anglo-persan de 1919, ressemblant à la mise sous tutelle de l’Iran, sans la garantie des protectorats supervisés par la sdn. La France et les États-Unis d’Amérique protestèrent, immédiatement contre ce qu’on appela l’Arrangement anglo-persan, relayés pas des vociférations nationalistes qui redoublèrent plus tard quand on découvrit que les trois responsables du gouvernement iranien signataires de l’Accord anglo-persan avaient reçu des largesses subs-

Répertoire prosopographique

669

tantielles. On exigea le remboursement, surtout quand il apparut que l’Accord ne serait jamais entériné par le Parlement iranien. O. Bast, dans sa thèse inédite Die persische Außenpolitik und der Erste Weltkrieg (1917-1921), a montré combien, malgré les apparences, la politique étrangère de Vosuq od-Dowla était ambitieuse et indépendante. Voyage en Europe après sa démission 1920-26. À nouveau député au 7e Majles (1928-30). Voir fo371/17908 (Person. 1934). Président du Farhangestân (1935) : fo371/ 24582 (Person. 1940 ; Bâmdâd, Rejâl 1, p. 348 sq. ; ‘Alavi, Rejâl-e Mašrutiyat, p. 126 ; Sadiq, Yâdegâr, e ‘omr, I, p. 188 sq. Sur l’argent reçu pour l’Accord de 1919, sur ses qualités d’homme cultivé (poète et calligraphe), voir Taqizâda, Zendagi-e tufâni, 194, 301; voir aussi la réponse de Vosuq au journal Setâra, Ruznâma-ye xâterât-e ‘Eyn os-Saltana, vi, p. 4831 sq. ; Nazari, Târix-e rejâl-e Irân, p. 876 sq. Voir aussi Ebrâhim Safâ’i, Vosuq od-Dowla (1254-1329), Tehrân, Ketâbsarâ, 1374/1995 ; – Nâser Najmi, Vosuq od-dowla va qarârdâd-e nangin-e 1919, Tehrân, Gutemberg, 1381/2002 ; ‘Ali Vosuq, Čahâr fasl dar tafannon va târix, Tehrân, 1361/1982 ; Oliver Bast, « Putting the record straight : Vosuq al-Dowleh’s foreign policy in 1918/19 », in Men of order. Authoritarian modernization under Atatürk and Reza Shah, T. Atabaki et E.J. Zürcher, eds., London, ib. Tauris, 2004. De lui : Divân-e Vosuq, Tehrân, Selsela-ye našriyât-e “Mâ”, Tâlâr-e Ketâb, 1363/1984. 1919 : avril 13 – août 12 – décembre 16, 17, 22, 24 1920 : février 26 – mars 16, 29, 31 – avril 25, 29 – mai 19 – juin 13, 23, 24, 27, 28 – décembre 10 1921 : janvier 15, 24 – mars 19, 27 HH1920 : septembre 9 – novembre 25, 28 Mahdi Dâdvar « Vosuq os-Saltana », (1878-1947), né dans une famille de latifundiaires, études à Téhéran, carrière au ministère de la Guerre, dans l’Intendance. Ministre de la Guerre dans le gouvernement Mošir od-Dowla (1920). Gouverneur du Gilân (1922), Fârs (1924), Kermân (1925), Xorâsân (1926-27). Député au 8e Majles (1930). Vice-président des Majles 9 et 10. Voir Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 347 sq. « Easy to get on with. » fo371/ 24582 (Person. 1940). 1920 : octobre 28 Wilhelm Waßmuß (1880-1931), celui qu’on a surnommé le « Lawrence allemand ». Diplomate allemand, Consul à Bouchire (1909) puis à nouveau dans le Golfe persique en 1913. Pendant la Guerre, pénètre les lignes britanniques et mobilise les tribus du Sud : Tangsir, Qašqâ’i et Baxtyâri contre les Britanniques. Arrêté mais évadé dans des circonstances incroyables (voir Edmonds, East and West of Zagros, pp. 41 sq, 75 sq.) ; recruté en 1914 pour l’expédition allemande vers l’Afghanistan, finalement arrêté pour de bon. Refuse, en nov. 1918, les offres du général Douglas de le rapatrier en Allemagne, voir Archives diplomatiques, Perse 24 F°140. « After the war W. went bankrupt and died in the attempt which he himself personally made to pay off some of the money he had promised the Iranian tribesmen who had

670

Répertoire prosopographique

helped him beween 1915 and 1918 » P. Avery, Modern Iran, London, Ernst Benn, 1965, p. 193. Documents sur lui dans K. Bayât, ed., Irân va Jang-e jahâni-e avval, asnâd-e vezârat-e dâxela, Tehrân, Sâzemân-e asnâd-e melli-e Irân, p. 111 sq. A tenté en vain de s’établir pour sa retraite comme fermier en Iran. Mort à Berlin oublié et pauvre : voir Christopher Sykes, Wassmuss, ‘the German Lawrence’, London, New York [etc.] Longmans, Green and co. [1936]. 1919 : mai 15 Gustav Westdahl (1878-1935) général suédois, directeur de la police en 1922, voir Millspaugh, American task in Persia, p. 72. Le 31 mai 1923, s’intitulant lui-même « Organisateur en chef de la police de Perse », il proteste par écrit auprès du chargé d’affaires français Maurice Dayet contre l’article de Ducrocq paru dans la Revue du Monde Musulman de décembre 1922 où il est accusé de faire partie en 1919 d’un comité « de la main noire » (dast-e siyâh) dont font partie Vosuq od-Dowla, Seyyed Ziyâ, Sâlâr Fâteh et Nosrat od-Dowla, destiné à intimider les adversaires du Traité anglo-persan, voir Archives diplomatiques, Asie 1918 . . . , Perse-Iran 5. Son contrat a été renouvelé mais il a été renvoyé le 1er janvier 1924 : Yaqmâ’i, Kârnâma-ye Rezâ Šâh-e Kabir, p. 546. « À leur tête est un géant obèse, le général Westdahl, pacha d’opérette. » écrit Hélène Hoppenot, 16 juin 1920. Voir Ineichen, Die schwedischen Offiziere in Persien, index s.v. 1919 : août 24 1920 : janvier 11 – octobre 30 – décembre 15 1921 : janvier 17, 18, 30 – février 21, 22, 27 HH1920 : juin 16 HH1921 : juin 16 E.T.R. Wickham (Lt-Col. Edward Thomas Ruscombe W., 1890-1957), officier britannique de la Norperforce, Political officer, Norperforce. « Wickham est le vrai chef de la mission britannique, il est officier politique, conseiller politique de la mission » écrit Ducrocq, 30 avril 1920 ; Colonel, qui vient d’être réintégré capitaine (?) Excursion avec Ducrocq et les Hoppenot. A été en Inde. Attaché militaire à la légation britannique à Téhéran, 1919-20. Rencontre Ahmad Shah à Paris en 1924, pendant la campagne de Rezâ Khan pour instaurer la République, voir Ghani, Iran and the rise of Reza Shah, p. 311. « Tom Wickham, later Member of Parliament for Taunton, a gay extrovert who spoke the most elegant and idiomatic Persian, was very popular with the officials and leading citizens; from him I inherited a valuable legacy of good will and co-operation. » Edmonds, East and West of Zagros, p. 240. 1919 : octobre 29 1920 : avril 30 – octobre 30 – novembre 27 – décembre 15, 18, 22 1921 : janvier 7, 9, 17, 20 – février 21 – mars 17, 30, 31 HH1920 : mai 31 – juillet 15 – août 27 – septembre 7, 11 – octobre 23, 29

Répertoire prosopographique

671

HH1921 : février 9, 21 – mai 2, 14 – juin 7, 12 Dr Wilhelm, chirurgien français, professeur à l’école de médecine de Téhéran en 1920 (Ducrocq, Papiers d’agents, vol. 35). « Les hostilités entre Dr Mesnard et Dr Wilhelm ont eu un écho lamentable au Conseil Sanitaire où Wilhelm a porté contre Mesnard une accusation d’homicide par négligence qui a soulevé l’indignation contre Wilhelm car Mesnard s’est aisément disculpé » Audigier à Bonin, 16 août 24, Archives diplomatiques, Papiers d’agents archives personnelles, Papiers Bonin, 17, f °304. 1920 : décembre 15 1921 : janvier 25 – février 16, 21 – mars 28 – avril 3 – mai 1 – octobre 6 HH1920 : mai 3 – juillet 12 – août 10 – octobre 8 – novembre 1, 7, 23, 30 – décembre 17 HH1921 : janvier 7, 15 – février 8, 21 – mars 21 – avril 13 – juin 7, 8, 9, 12 – août 30 – septembre 14 – octobre 8

HH1922 : janvier 13 Kurt Wustrow (1878-1920) né à Riga. Sympathies marxistes. Consul allemand à Širâz en 1915 au summum de l’agitation anti-britannique. Rejoint son poste à Tabriz avec une garde afghane le 19 août 1918 sous l’occupation ottomane, voir Zürrer, Persien zwischen England und Rußland, pp. 81-86. Consul à Tabriz en 1920. Se suicide au consulat lors d’un conflit avec les forces démocrates de Xiâbâni le 3 juin 1920, voir Kasravi, Târix-e Hijdah-sâla-ye Âzarbâyjân, p. 884 sq. Détails sur sa mort : Ducrocq, 20 novembre 1920. 1920 : novembre 20 – décembre 15 Yahyâ, voir Dowlatâbâdi Zamân Khan, présenté comme chef de la police secrète, membre officiel de la Commission militaire mixte anglo-persane nommée en novembre 1919, voir J. Hoskyn, military attaché, Tehran situation report for period ending January 23, 1920, Iran Political diaries 1881-1965, vol. V, p. 830. Officier travaillant au ministère de la guerre en 1921 (avec Mas‘ud Khan), voir Ducrocq, Journal 31 mars 1921 Homme clé qui contrôlait le financement de la Brigade cosaque lors du coup d’État, voir Jamâlzâda, « Taqrirât-e Seyyed Ziyâ . . . », Âyanda vii, 3 (1360), p. 208 sq. 1920 : janvier 9 – novembre 9 – décembre 15 1921 : mars 21, 31 Seyyed Ziyâ’od-Din Tabâtabâ’i (souvent appelé Seyyed Ziyâ, 1889-1969) Fils de Sd ‘Ali Âqâ Yazdi, bien introduit à la Cour en 1906. Né à Chiraz, études « modernes » à Tabriz puis s’installe à Chiraz où il commence très tôt des activités de journalisme. Milite pour la Constitution à Téhéran. Publie à Téhéran des journaux qui sont interdits, Šarq, Barq. Exilé en Europe. Deux années d’études à Paris, 1909-1911. Publie Ra‘d (1915-21), journal ouvertement anglophile et probablement subventionné par la légation britannique, un des rares de l’époque à soutenir ouvertement l’Accord anglo-persan de 1919. Envoyé à St Petersburg comme « journaliste » en mission

672

Répertoire prosopographique

d’information par Vosuq od-Dowla en 1916 : ses télégrammes étaient décryptés par les services russes, voir Bast, Die persische Außenpolitik und der Erste Weltkrieg, p. 55. Envoyé à Bâku par Vosuq od-Dowla pour négocier avec le gouvernement Mosâvâtiste, une mission qui fut totalement inutile après l’arrivée des Bolcheviques. (octobre 1919–mars 1920). A porté l’habit clérical jusqu’au soir du coup d’État. Un des conjurés principaux du coup d’État de 1921, devient Premier ministre 22 février– 24 mai 1921. Réside en Suisse après son exil sous le nom de Ruhâni, commerce de tabac et de tapis. 1931-43 : en Palestine, participe au Congrès panislamique de Jerusalem au printemps 1933. « Very intelligent . . . may one day return to his fatherland » FO371/17908 (Person.1934). « Has something of the mystic in him. » fo371/ 24582 (Person.1940). Voir aussi Sadiq, Yâdegâr, 1, p. 232 sq. ; Taqizâda, Zendagi-e tufâni, p. 287 sq. Élu au Majles en 1944, emprisonné par Qavâm os-Saltana en 1946 pour apaiser les Russes lors des négociations sur l’Azerbaïdjan. « During the last 20 years of his life, he remained in his village of Saadatabad, near Tehran. Although these years were spent on the sidelines of Iranian politics, he met with the Shah of Iran weekly until the Seyyid’s deat. He served as an effective and sensitive intermediary and political broker between the Iranian masses and the monarch. » (J.A. Bill, Concise Encyclopaedia of the Middle East) ; Nazari, Rejâl-e pârlemâni-e Irân, p. 545 sq. ; Hambly, Cambridge History of Iran, vii, p. 219 ; les Anglais pensaient sérieusement à lui pour diriger un cabinet en 1951 voir F. Azimi, Iran the crisis of democracy, London 1988, pp. 251, 267 sq. ; Sadr-Hâšemi, Târix-e Jarâ’ed, ii, p. 13 ; Sabahi, British Policy in Persia, p 124 ; Fortescue, Military Report, p. 365 ; Hasaneyn Heykal, Irân kuh-e âtešfešân, Qom, s.d., p. 131 sq. Sur le coup d’État, voir le récit de Seyyed Ziyâ rapporté par Jamâlzâda, « Taqrirât-e Seyyed Ziyâ’ va Ketâb-e siyâh-e u » Âyanda, 6 et 7 (1359-1360/1981) ; Bâmdâd, Rejâl, V, p. 122 sq. « Seyd Zia-ed-Din el-Tabatabai is a somewhat remarkable individual. [. . .] His expression had about it much of the mystic and dreamer, but he had in addition a very practical side to his character. On account of his descent, he always wore the ecclesiastical turban, which in Persia serves to distinguish the religious from the layman, who wears a kola. [. . .] His worst qualities were probably his obstinacy, and, I believe, an over-valuation of his own knowledge, to both of which I can speak from experience during his period of office. In that they led him to ignore the opinions of others, and show little regard for their wishes, these contributed in no small degree to his fall. . . . », Balfour, Recent happenings in Persia, p. 216 sq. Excellent portrait par Baxter, lettre 89 (voir Y. Richard, « Le coup d’État de 1921, nouvelles sources européennes », Iran und iranisch geprägte Kulturen . . . , Wiesbaden 2008, p. 106 sq.). « Quand je félicitais le directeur du Ra’d, Seyyed Ziyâ od-Din, de son article sur la France, il me répondit par une phrase aimable sur le peuple français. Il me dit qu’à Paris l’étranger qui s’égare est toujours sûr de rencontrer un passant qui le remet dans le droit chemin, qui lui indique la maison qu’il cherche, le salue, refuse le moindre remerciement et

Répertoire prosopographique

673

se retire en lui disant : Vous êtes étranger, je suis parisien, je dois vous faciliter votre séjour à Paris. La principale qualité que le Persan admire chez le Français, c’est sa politesse et sa sociabilité » (Ducrocq, Notes de Perse 1919-1920, Papiers d’Agents, Perse xxxii). Biographie politique : J. Mahdi-Niyâ, Zendagi-e siyâsi-e Seyyed Ziyâ’ od-Din Tabâtabâ’i, Tehrân 1369/1991. 1919 : août 16 – novembre 11 – décembre 17 1920 : janvier 22 – mai 13 – juin 13, 28 1921 : janvier 29, 30 – février 21, 22, 25, 26 – mars 1, 3, 8, 11, 18, 21, 22, 23, 24, 31 – avril 15, 21, 26, 27, 29 – mai 13, 18 – août 24

HH1920 : novembre 25 HH1921 : février 25 – mars 1, 2, 5, 7, 8, 11, 12 – mai 2, 7, 15, 22, 27 – juin 3 Ahmad Ziyâ-Homâyun, ancien élève de l’Ecole des Beaux-Arts à Paris, ami de Hélène Hoppenot, avec laquelle il fait de fréquentes promenades équestres autour de Téhéran. Ahmad Khan Ziyâ Homâyun né à Rašt le 23 mars 1890, avait fait des études d’architecture à Paris à partir de 1914 et était proche du Premier ministre Sepahsâlâr dont il fut le conseiller politique (décembre 1920-février 1921). 1919 : août 16 – décembre 26 1920 : novembre 2 1921 : février 21 – mars 17 – mai 9 HH1920 : février 13 – avril 18 – juin 11 – août 14 – septembre 5 – novembre 25 – décembre 9 HH1921 : mars 8, 18 – mai 24 – juillet 17 – septembre 16

Bibliographie Archives Baxter, Charles William, Letters written to his family in England whilst serving as Third Secretary at the British Legation in Tehran, Persia, 1920-1921, FO 800/852, (Mss) The National Archives of the United Kingdom. Ducrocq, Georges, Journal de Perse. Impressions, Archives diplomatiques, Dossiers d’agents, 52 (1921). Dans les nombreux dossiers des Dossiers personnels papiers d’agents, on trouve certaines parties manquantes du manuscrit sous forme de copie dactylographiée. Ironside, Edmund, Diaries, conservés par son fils Lord Ironside ; voir Yann Richard, “Le coup d’État de 1921. . .” où sont rassemblés les extraits publiés des Diaries. Hoppenot, Hélène, [Journal] Perse, 1920, Ms 11360 (2), 122 ff ; Perse, 1921-22, Ms 11360 (3), 91 et 10 ff., Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. Smyth, Lieut. Colonel H., Thirty years’ sport and adventure in the Near and Middle East. Mss. (inédit, collection privée).



Livres et articles

Amir-Aḥmadi, Aḥmad, éd. et prés. par Ǭolâm-Ḥoseyn Zargari-Nežâd, Xâṭerât-e naxostin sepahbod-e Irân, 2 vol., Tehrân, Mo’assesa-ye pažuheš va moṭâle‘ât-e farhangi, ordibehešt 1373/1994 [Mémoires d’un officier cosaque persan]. Arfa, Hassan, Under five Shahs, London, John Murray, 1964. Âyati, ‘Aṭâ, “Kudetâ-ye Reżâ Xân be-revâyat-e vâ-basta-ye neẓâmi-e Farânsa dar Tehrân”, Rah-âvard, 51 (tâbestân 1378/1999), pp. 180-191 [Le coup d’État de Rezâ Khan d’après Georges Ducrocq]. ———, “Kudetâ-ye Reżâ Xân va ḥavâdeṡ-e ruz-hâ-ye pâyân-e fevriya-ye 1921 be qalam-e Žorž Dukerok, vâbasta-ye neẓâmi-e Farânsa dar Tehrân”, Rah Âvard, 55 (zemestân 1379/2001), pp. 204-212 [Le coup d’État de Rezâ Khan et les événements de fin février 1921 d’après Georges Ducrocq]. ——— “Tâza-hâ’i az kudetâ-ye 1299”, Târix-e mo’âṣer-e Irân, V, 19-20 (pâ’iz-zemestân 1380/2002), pp. 47-80 [Nouvelles informations sur le coup d’État de 1921]. Bahâr, Md-Taqi (Malek oš-Šo’arâ), Târix-e moxtaṣar-e aḥzâb-e siyâsi-e Irân. I. : Enqerâż-e Qâjâriya, 2ème éd., Tehrân, Jibi, 1357/1978 [Les partis politiques en Iran, la chute des Qâjâr]. Balfour, J.M., Recent Happenings in Persia, Edinburgh & London, William Blackwood, 1922.

Bibliographie

675

Barbier, Colette, “Hoppenot en Perse (1919-1921)”, Revue d’Histoire diplomatique, 105ème année, (1991), pp. 193-216. ———, Henri Hoppenot diplomate (25 octobre 1891-10 août 1977), Paris, Direction des Archives, ministère des Affaires étrangères, s.d. (1999). Bast, Oliver, La politique étrangère de la Perse et la Première Guerre mondiale (19171921) – Die persische Außenpolitik und der Erste Weltkrieg (1917-1921), Paris (Sorbonne nouvelle) – Bamberg (Universität Bamberg), 2003 (thèse inédite, en allemand). Chaquéri, Cosroe, The Soviet socialist republic of Iran 1920-1921. Birth of the trauma, Pittsburg & London, The University of Pittsburg Press, 1995 [ch. 14 “The Persian question in British Eastern policy and the 1921 coup d’État”]. Stephanie Cronin, The army and the creation of the Pahlavi state in Iran, 1910-1926, London – New York, Tauris Academic Studies, 1997, (Library of Modern Middle East Studies). ———, “Britain, the Iranian military and the rise of Reza Khan”, in : Anglo-Iranian relations since 1800, Vanessa Martin, ed., London and New York, Routledge, 2005, pp. 99-127. Ducrocq, Georges, “La Politique du gouvernement des Soviets en Perse : le Bolchevisme et l’Islam”, Revue du Monde Musulman, 52 (1922), pp. 84-180. Edmonds, C.J., East and West of Zagros. Travel, war and politics in Persia and Iraq, 19131921, Y. Richard ed., Leiden – Boston, Brill, 2010 (Iran Studies, 4). Fortescue, Captain L.S., Military Report on Tehrân and Adjacent Provinces of North-West Persia (including the Caspian Littoral). (General Staff MEF Mesopotamia 1921), Calcutta, Superintendent Government Printing, India. 1922. Ghani, Cyrus, Iran and the rise of Reza Shah. From Qajar collapse to Pahlavi rule, London-New York, I.B. Tauris, 1998. Haig, W., “The Rise of Riza Khan Pahlavi”, National Review, 86 (1925), pp. 624-632. [Hoppenot, Hélène], Adrienne Monnier, Henri Hoppenot & Hélène Hoppenot, Correspondance, Établie et présentée par Marie-France Mousli, Paris, Éditions des Cendres, 1997. ———, Madeleine et Darius Milhaud, Henri Hoppenot, Hélène Hoppenot, Conversation. Correspondance 1918-1974 complétée par des pages du Journal d’Hélène Hoppenot, Marie France Mousli ed., Paris, Gallimard, 2005 (Les Inédits de Doucet). Hoppenot, Hélène, Journal 1918-1933. Rio de Janeiro, Téhéran, Santiago du Chili, Rio de Janeiro, Berlin, Beyrouth,-Damas, Berne, Marie-France Mousli ed., Paris, Éditions Claire Paulhan, 2012. Hoppenot, Henri, “De Téhéran au Golfe Persique par le pays des Bakhtiarys”, L’Illustration, 29 mars 1924 (n°4230, 82ème année). Ironside, Sir Edmund, High Road to Command. The Diaries of Major-General Sir Edmund Ironside 1920-22, Lord Ironside ed., London, Leo Cooper, 1972.

676

Bibliographie

——— [Ženerâl Âyronsâyd] (préface Mohammad Torkamân), Xâṭerât-e serri-e Âyronsâyd be enżemâm-e tarjoma-ye matn-e kâmel-e “Šâh-râh-e farmândehi”, Tehrân, Mo’assesa-ye pažuheš va moṭâle’ât-e farhangi-e Resâ, 1373/1994. [« Mémoires secrets d’Ironside », traduction faite sur une copie partielle de l’original des Diaries du général (avec facsimilés) voir Katouzian, State and society, 195]. Jahânbâni, Sepahbod Amânollâh, “[Souvenirs]”. – Reżâ Šâh-e Kabir dar â’ina-ye xâṭêrât.- Ebrâhim Ṣafâ’i ed., Tehrân, Farhang-o Honar, 2535 šâh./1976, pp. 86-92. ———, Sarbâz-e irâni va mafhum-e âb-o-xâk. Zendagi-nâma-ye xod-nevešt-e Sepahbod Amânollâh Jahânbâni, Tehrân, Ferdows, 1380/2001 [autobiographie d’un officier cosaque persan]. Jamâlzâda, Moḥammad-’Ali, “Taqrirât-e Seyyed Żiyâ’ va ‘Ketâb-e siyâh’-e u”, Âyanda. – VI (1359/1981) 9-12, pp. 736-745 ; VII (1360/1981) 3, pp. 207-213 ; VII (1360/1981) 4, pp. 291-294 [déclarations de Seyyed Ziyâ sur son Livre noir, au sujet du coup d’État de 1921]. Katouzian, Homa, State and society in Iran. The eclipse of the Qajars and the emergence of the Pahlavis, London – New York, I.B. Tauris, 2000. ———, “Ahmad Kasravi on the revolt of Sheikh Mohammad Khiyabani” in Iran and the First World War: battleground of the great powers, T. Atabaki, ed., London – New York, I.B. Tauris, 2006. [al-Khâlesi, Md-Mahdi] La vie de l’ayatollah Mahdî al-Khâlisî par son fils, Texte traduit de l’arabe, introduit et annoté par P.-J. Luizard, Paris, La Martinière, 2005. Lesueur, Émile, Les Anglais en Perse, Paris, 1921. Madadi, Sahl ’Ali, “Savâbeq-e Reżâ Xân va kudetâ-ye sevvom-e ḥut 1299”. – Târix-e mo’âṣer, III (zemestân 1370/1992), pp. 103-129 [Les antécédents de Rezâ Khan et le coup d’État de 1921]. ———, “Pišina-ye Reżâ Xân qabl az kudetâ”, Târix-e mo’âṣer-e Irân. Viža-nâma-ye Kudetâ-ye 1299, IV, 15-16 (pâ’iz-zemestân 1379/2001), pp. 197-210 [Rezâ Khan avant le coup d’État]. Mahdi-Niyâ, Ja’far, Naxost-vazirân-e Irân. IV : Zendagi-e siyâsi-e Seyyed Żiyâ’oddin Ṭabâṭabâ’i, Tehrân, Pânus, 1369/1991 [La vie politique de Seyyed Ziyâ]. Mahrad, Ahmad, Iran auf dem Weg zur Diktatur. Militarisierung und Widerstand 19191925, Hannover, SOAK Verlag, 1978 [sources diplomatiques allemandes]. Majd, Mohammad Gholi, Great Britain and Reza Shah. The plunder of Iran, 1921-1941, Gainesville, etc., The University Press of Florida, 2001 [sources diplomatiques américaines]. Makki, Ḥoseyn, Moxtaṣari az zendagâni-e siyâsi-e solṭân Aḥmad Šâh Qâjâr, be-żamima-ye čand parda az zendagâni-e dâxeli va xoṣuṣi-e u, Tehrân, 3ème éd., Amir Kabir, 1357/1978 (1ère éd. 1323/1944) [Vie politique d’Ahmad Shah]. ———, Târix-e bist-sâla-ye Irân : I. Kudetâ-ye 1299, Tehrân, I. Amir Kabir, 1358/1979 (1ère éd. 1323/1944) [Histoire du coup d’État de 1921].

Bibliographie

677

Modir Ḥallâj, Ḥ., Târix-e nahżat-e Irân. – Tehrân, 1312/1933 [venue au pouvoir de Reżâ Khan, de la Constitution à 1921. Texte persan du traité irano-soviétique de 1921]. Mo’ezzi, Fâṭema, “Negâh-i be zendagi-e Mâžor Mas’ud Keyhân”, Târix-e moʿâṣer-e Irân. Viža-nâma-ye Kudetâ-ye 1299. – IV, 15-16 (pâ’iz-zemestân 1379/2001), pp. 201-210 [Aperçu sur la vie du Major Mas’ud Keyhân]. Moqaddam, Ḥasan, “Yek malâqât bâ Seyyed Żiyâ’oddin”, Âyanda, VII, 5 (mordâd 1361/1982), pp. 366-369 [Souvenir d’une rencontre avec Seyyed Ziyâ ; fac-similé de cette lettre de Moqaddam à son père dans Esmâ‘il Jamšidi, ed., Ḥasan Moqaddam va ‘Ja’far Xân az farang âmada’, 2ème ed., Tehrân 1357, pp. 62s ; un passage anticlérical supprimé dans la version de Âyanda]. Morselvand, Ḥasan ed., Asnâd-e kâbina-ye kudetâ-ye sevvom esfand 1299, Tehrân, Našr-e târix-e Irân, bahâr 1374/1995 [documents du Gouvernement de Seyyed Ziyâ, février – mai 1920]. Mostowfi, ‘Abdollâh, Šarḥ-e zendegâni-e man yâ târix-e ejtemâ’i va edâri-e dowra-ye Qâjâriya, 3 vol., Tehrân, 1ère éd., 1341/1962 [Mémoires sur la fin des Qâjârs]. Mostašâr od-Dowla, Ṣâdeq, “Dar ḥâšiya-ye qarâr-dâd-e 1919 : se sanad az owrâq-e Mostašâr od-Dowla”, Âyanda, VII, 9-10 (1360/1981), pp. 722-727 [Documents sur l’influence britannique en Iran, la répression du mouvement Jangali et le coup d’État de 1921]. Navâ’i, ‘Abd ol-Ḥoseyn, “Goẕâreš-hâ-ye maḥramâna-ye [Loraine] be [Chamberlain]”. – Târix-e mo’âṣer-e Irân. – IX (pâ’iz 1374/1995), pp. 256-278 [Dépêches envoyées de Téhéran par Loraine au FO (Chamberlain)]. Pearce, Brian, intr. par A. Granmayeh, The Staroselsky problem 1918-20 : An episode in British-Russian relations in Persia, London, SOAS, 1994 (SOAS, Centre of Near and Middle Eastern Studies, Occasional papers, 14). Raḥimzâda-Ṣafavi, Xâṭerât-e Raḥimzâda-Ṣafavi. Asrâr-e soquṭ-e Aḥmad Šâh. Bahman Dehqân ed., Tehrân, Ferdows, 1362/1983 [Souvenirs sur la chute d’Ahmad Shah]. Richard, Yann, “Sources françaises pour l’histoire de l’Iran (entre 1918 et 1921)”, Luqmân, X, 1 (automne-hiver 1993-94), pp. 97-115. ———, “Les relations franco-iraniennes après la Grande guerre”, in : La Perse et la Grande Guerre, Oliver Bast ed., Téhéran, Institut français de recherche en Iran, 2002 (Bibliothèque iranienne, 52), pp. 93-110. ———, “Le journal d’Hélène Hoppenot : une source inédite sur le coup d’État de 1921”, in : Liber amicorum – Études sur l’Iran médiéval et moderne offertes à Jean Calmard, Michele Bernardini, Masashi Haneda, Maria Szuppe eds., Eurasian Studies 2006, 1-2 (Cambridge, 2006), pp. 297-305. ———, “Le coup d’Etat de 1921 : nouvelles sources européennes”, in : Iran und iranisch geprägte Kulturen. Studien zum 65. Geburstag von Bert G. Fragner. – M. Ritter, R. Kauz & B. Hoffmann, Hrsg, Wiesbaden, Dr Ludwig Reichert Verlag, 2008 (Beiträge zur Iranistik, 27), pp. 106-119.

678

Bibliographie

———, “Le coup d’Etat de 1921 et les sources historiques”, Studia Iranica, 38, 1 (2009), pp. 69-103 [avec en annexe les citations des diaries du général Ironside]. Ṣafâ’i, Ebrâhim, Kudetâ-ye 1299 va âsâr-e ân, S. l., 1353/1974 [Le coup d’État de 1921 et ses mystères]. Sâlur, Qahremân Mirzâ, (M. Sâlur & I. Afšâr eds.), Ruznâma-ye xâṭerât-e ‘Eyn os-Salṭana (Qahremân Mirzâ Sâlur), 10 vol. Tehrân, Asâṭir, 1374/1995 et suivantes (Ganjina-ye xâṭerât va safar-nâma-hâ-ye irâni, 8). Sami’i, Ḥoseyn Adib os-Salṭana, “Yâd-dâšt-hâ-ye xâṭerâti-e Adib os-Salṭana Sami’i (Qesmat-e marbuṭ-e be kudetâ)”, Âyanda. (1360/1982), VII, 11-12, pp. 870-879 [notes d’Adib os-Saltana concernant le coup d’État de 1921]. Scheikh-ol-Islami Mohammad Djawad, “Iran’s first experience of military coup d’État in the Era of her constitutional government”, Thèse, Heidelberg, s.d.. (non vu). Šeyxoleslâmi, Javâd, Simâ-ye Aḥmad Šâh-e Qâjâr, 2 vol., Tehrân, Našr-e goftâr, 13681372/1993 [portrait d’Ahmad Shah]. ———, “Noṣrat-od-Dowla Firuz va dâstân-e soquṭ-e vey”, Âyanda, XV, 1-2 (1368/1989), pp. 39-68 [Nosrat od-Dowla Firuz et le récit de sa chute]. Ṭabâṭabâ’i, Seyyed Żiâ’ od-Din, “Asrâr-e kudetâ-ye ḥut 1299 râ fâš mi-konam”, Sâlnâma-ye donyâ, IX (1949?), pp. 44 et sq. [original inaccessible ; citations dans Parviz Varjâvand, Simâ-ye târix va farhang-e Qazvin. I- Joǭrâfyâ va moḥiṭ-e zist, nâm va târix Tehrân, Našr-e Ney, 1377/1998, pp. 644 sq, propos tardifs de concordant avec le récit rapporté par Jamâlzâda, q.v. supra]. ———, voir Jamâlzâda ; Moqaddam. Taqavi, Seyyed Moṣṭafâ, “Irân dar âstâna-ye kudetâ-ye 1299”, Târix-e mo’âṣer-e Irân (« Viža-nâma-ye kudetâ-ye 1299 »), IV, 15-16 (pâ’iz-zemestân 1379/2001), pp. 155-163 [L’Iran à la veille du coup d’État de 1921]. Torkamân, Mohammad, “Dar pâsox-e « Naqd-i bar ketâb-e ‘Xâṭerât-e serri-e Âyronsâyd’ »”. – Târix-e mo‘âṣer-e Irân. – X (tâbestân 1375/1996), pp. 173-179 [Réponse à une critique après la publication de la traduction persane des carnets d’Ironside (qv)]. Ullman, Richard H., Anglo Soviet Relations, 1917-21 : The Anglo-Soviet Accord, Princeton, Princeton U.P., 1972 (1ère éd. 1966) [Le vol. 3 traite notamment du rôle des Britanniques dans le coup d’Etat de 1921. Ullman a eu accès au texte complet original du journal de Ironside, cf. Katouzian, State and society, pp. 195 et 211 n.38] Wilber, Donald N., Riza Shah Pahlavi : The Resurrection and Reconstruction of Iran, New York, Exposition Press, 1975. Wright, Denis, The English among the Persians during the Qajar period. 1787-1921, London, 1977. ———, “Ironside, William Edmund”, Encyclopaedia Iranica, XII, pp. 608-609. Zürrer, Werner, Persien zwischen England und Rußland. 1918-1925. Großmachteinflüsse und nationaler Wiederaufstieg am beispiel des Iran, Bern, Peter Lang, 1978.

Chronologie 1901 – 26 mai : signature de la concession d’Arcy (monopole britannique sur le pétrole)

1906 – 30 déc./14 Ẕiqa῾da 1324 : signature de la Loi fondamentale par Mozaffaroddin Shâh,

1907 – 24 ẕil-qa῾da 1324/8 janvier : mort de Mozaffaroddin Shâh, Mohammad-’Ali Shâh.

1909 – juillet : victoire des révolutionnaires, destitution de Mohammad-‘Ali Shah, retour à la monarchie constitutionnelle. Ahmad Shah

1914 – mars-avril : élections au troisième Parlement – 21 juillet : couronnement d’Ahmad Shah.

1918 – 19 janvier/3 rabi’ ii 1336 : cabinet Mostowfi ol-mamâlek. Les Anglais avaient espéré Vosuq – « coup d’État » dans la Brigade cosaque : le colonel Starosselsky prend le commandement. – (27) janvier : les Russes annulent l’Accord de 1907 et s’entendent avec l’Iran pour le retrait de leurs troupes, y compris les officiers russes de la brigade cosaque ; arrivée de K. Bravin, premier représentant bolchevik à Téhéran. – fin janvier : début des hostilités à Urmiya. – février : le général Dunsterville envoyé d’Irak vers Bâku. Recule d’abord devant les Jangali, retourne à Hamadân. – 26 février : démission de Mostowfi, sans avoir pu signer un accord avec les Anglais. – 3 mars : les Anglais à Mashhad, cherchent à empêcher l’avancée des Soviets en Transcaucasie

680

Chronologie

– mars : les forces russes ont évacué l’Iran. Les Anglais ont décidé d’envoyer des forces venant de Mésopotamie vers l’Ouest de l’Iran (en renfort à Dunsterville). Le 11, Mostowfi forme un nouveau cabinet. – 17 mars/3 jomâdâ ii : Assassinat du patriarche Mar Shimum par Simko à Kohnashahr, suivi d’une tuerie générale par les chrétiens en furie. – 29 avril/18 rajab 1336 : cabinet Samsâmossaltana. Famine à Téhéran. – mai : les Qashqâ’i se rebellent contre les Anglais. Plusieurs camps de spr se mutinent. Le 8 juillet, fin de la rébellion, mais troubles à Âbâda. – 18 mai : les Anglais laissent Kirkuk pour porter leur effort sur l’armée de Dunsterville. Avance Turque. L’enjeu véritable est Bâku. – 31 mai : démission de Samsâmossaltana. – 7 juin : les Ottomans entrent à Tabriz. Proclamations panislamistes – juin : Dunsterville victorieux de Kuček Xân à Manjil. – 21 juin : Salmas tombe aux mains des Turcs, environ 50 000 chrétiens se replient sur Urmiya. – 30-31 juillet : arrivée des Turcs (précédés de pillards) à Urmiya, la ville est quasi désertée. Assassinat de Mgr Jacques Émile Sontag, délégué apostolique en Perse, et du P. Denkha. – début août : tentative du gouvernement Samsâm d’annuler unilatéralement les traités coloniaux et les capitulations – août : Dunsterville à Bakou. – 7 août/29 shavvâl 1336 : cabinet Vosuq od-Dowla. Firuz Mirzâ, puis Mansur osSaltana puis Nasr ol-Molk (Justice), Mošâver ol-Mamâlek puis Nosrat od-Dowla (Affaires étrangères), Vosuq od-Dowla lui-même (Intérieur), Mošâr ol-Molk puis Sârem od-Dowla puis E’telâ ol-Molk (Finances), Qâsem Khan Vâli Sardâr Homâyun puis Fathollâh Khan Sepahdâr-e A’zam, puis Hešmat od-Dowla (Guerre). Vosuq demande lui-même aux Anglais la suppression en douceur des spr. – 14 sept. Dunsterville quitte Bakou pour Anzali (avec Chardigny) devant l’avance turque. Norperforce (North Persian Force) du Gén. Thompson. – 16 sept. : Bakou aux mains des Turcs. Sir Percy Cox remplace Marling à Téhéran, comme Special Commissioner (et non plus Minister). – octobre : Sykes quitte l’Iran. – 3 nov. : des hommes de main attaquent les diplomates soviétiques à Téhéran et les livrent aux Anglais qui les envoient en Inde via Baghdad. Kolomitsev, chef de la délégation, réussit à s’échapper et à gagner Moscou. Il sera exécuté par les Anglais en août 1919 lors de sa deuxième mission officielle en Iran. – 18 nov. : l’armée ottomane quitte définitivement Tabriz après l’armistice.

Chronologie

681

1919 – 24 mai : nouveau massacre de chrétiens à Urmiya. – juin : bombardement de positions britanniques sur la côte de la Caspienne par une flotte soviétique. – 9 août/1337 : Accord anglo-persan signé par le gouvernement Vosuq od-Dowla. – Les Britanniques nomment le général Dickson pour commander la commission militaire mixte et Armitage-Smith pour la commission des finances dans le cadre de l’Accord anglo-persan. – Départ d’Ahmad Shah pour l’Europe par Bakou et Istanbul où il rencontre son père Mohammad-‘Ali Mirzâ, le souverain destitué. – Manifestations hostiles à l’Accord anglo-persan. – 29 août : exécution sur la place publique de Mâšâ’llâh Khan Kâši, fils du brigand Nâyeb Hoseyn. – 9 septembre : relégation à Kâšân des principaux opposants à l’Accord anglo-persan : Esmâ’il Momtâz od-Dowla, Mo‘in ot-Tojjâr Bušehri, Mostašâr od-Dowla, Momtâz ol-Molk, Mohtašam os-Saltana et une vingtaine d’autres. – 31 oct.-8 nov. : Ahmad Shâh en Angleterre où il reçoit un très bon accueil.

1920 – février : débarquement de l’armée rouge à Anzali. Leur arrivée à Âstârâ et Ardabil peu après. – avril : révolte de Xiâbâni à Tabriz. Sécession des Démocrates d’Azerbaïdjan. – 4 juin : avec le concours de l’Armée rouge, Kuček Xân proclame la République Soviétique Socialiste du Gilân. Vaste campagne anti-bolchevique dans les milieux cléricaux de tout l’Iran. Les Britanniques chassés du Gilân. – 24 juillet : démission de Vosuq od-Dowla. Cabinet germanophile de Mošir od-Dowla : Mosaddeq os-Saltana (Justice), Mošâr os-Saltana (Affaires étrangères), Hešmat od-Dowla (Intérieur), Moxber os-saltana Hedâyat (Finances), Vosuq os-Saltana (Guerre), Hakim ol-Molk (Sciences et industrie), E’telâ os-Saltana (Commerce et travaux publics). – 31 juillet : fin de l’alliance Jangal-Bolcheviques, ces derniers prennent tout le pouvoir à Rašt. – 23 août : les Cosaques persans (commandés par le colonel Starosselski) reprennent Rašt aux bolcheviques, mais doivent l’abandonner le 26. – 14 sept./29 zi’lhejja 1338 : les forces gouvernementales, sous les ordres de Moxber os-Saltana Hedâyat écrasent la rébellion à Tabriz et tuent Šeyx Xiâbâni.

682

Chronologie

– 22 sept. : Les Cosaques de Starosselski reprennent Rašt jusqu’au 21 oct. – octobre/safar 1339 : Mošâver ol-Mamâlek envoyé à Moscou pour négocier le traité irano-russe. Ironside dirige la Norperforce. – octobre : défaite de Starosselski au Gilan. Il est renvoyé avec les officiers russes de la brigade cosaque sur l’insistance des Britanniques. – nov. : bombardements aériens anglais sur les positions bolcheviques à Anzali. – 27 nov. : Sardâr-Sepah Fathollâh Xân Mansur Sepahdâr-e A῾zam Rašti succède à Mošir od-Dowla comme Premier ministre. Plus favorable aux Anglais. Soleymân Meykada, puis ‘Abbâs Mirzâ Farmânfarmâ Sâlâr-Laškar (Justice), Nâzem ol-Molk, puis Mohtašam os-Saltana (Affaires étrangères), Fahim od-Dowla puis Sepahdâr-e A’zam lui-même (Intérieur), Mo’addab os-Saltana (Amin ol-Molk) puis ‘Isâ Khan Feyz, Finances), ‘Abdollâh Khan Hamadâni Hâjj Amir-Nezâm (Guerre), Vahid ol-Molk puis Mo’addab os-Saltana Amin ol-Molk (Enseignement et fondations pieuses), – assemblée extraordinaire de notables convoquée au Golestân en vue de ratiier l’Accord anglo-persan. – 8 déc. : fermeture de l’amb. impériale russe à Téhéran (Luft, “End of Czarist Rule”, 111) – déc. : Accord Armitage-Smith/apoc, conclu de manière hâtive, en défaveur de l’Iran.

1921 – 13 janvier : Aḥmad Šâh annonce son abdication. – 20-21 février : Coup d’État de Rezâ Xân et Seyyed Ziyâ. – Cabinet Seyyed Ziyâ : Mansur os-Saltana (Justice), Modir ol-Molk puis Mo‘azzez od-Dowla (Affaires étrangères), Mirzâ Hoseyn Khan ‘Adl ol-Molk puis Seyyed Ziyâ lui-même (Intérieur), ‘Isâ Khan Feyz puis Modir ol-Molk (Finances), Major Mas‘ud Khan puis Rezâ Khan Sardâr-Sepah (Guerre), Nayer ol-Molk (Enseignement et industrie), ‘Ali-Asqar Mo’addab od-Dowla (Santé) – 26 février : traité irano-russe. – 25 mai : démission de Seyyed Ziyâ’ expulsé d’Iran. – (après la chute de Ziyâ) Révolte du colonel Pesyân au Xorâsân. – 22 juin : cabinet Qavâm os-Saltana, ‘Amid os-Saltana, puis Mošâr os-Saltana, puis à nouveau ‘Amid os-Saltana (Justice), Mohtašam os-Saltana puis Mosaddeq osSaltana puis Mošâr os-Saltana (Affaires étrangères), Qavâm os-Saltana lui-même (Intérieur), Mosaddeq os-Saltana1 (Finances), Rezâ Khan Sardâr Sepah (Guerre), Momtâz od-Dowla puis Amir-A‘lam (Enseignement et industrie), Adib os-Saltana 1  Il était réfugié chez les Bakhtyâri et fut remplacé par Mo‘tamed os-Saltana. Il participa au troisième gouvernement Qavâm os-Saltana comme ministre des Finances.

Chronologie

683

puis ‘Amid os-Saltana puis Nayer os-Soltân (Travaux publics et commerce), Mošâr os-Saltana puis Šehâb od-Dowla (Postes). – 1 tir/22 juin : Inauguration officielle du Majles iv par Ahmad Šâh. – 2 juillet : 500 soldats soviétiques débarquent à Anzali, prennent Rašt, se retirent bientôt, le 17. – juillet : début de la dissolution des spr, terminée en septembre. – août : les Britanniques installent Feyṣal comme roi à Baghdad. – 4 août : le Gilân proclamé à nouveau république soviétique. – 29 sept. : Heydar Xân tué. Les forces communistes de Eḥsânollâh Xân sont bientôt défaites et quittent Anzali le 22 octobre. – octobre : cabinet Mošir od-Dowla. Sardâr-Mo‘azzam Xorâsâni (Justice), Hakim ol-Molk (affaires étrangères), Mošir od-Dowla lui-même (Intérieur), Modir ol-Molk (Finances), Rezâ Khan Sardâr-Sepah (Guerre), Nayer ol-Molk (Enseignement et industrie), Adib os-Saltana (Travaux publics et commerce), E‘telâ os-Saltana (Postes) – début déc. : Kučak Xân pris dans une tempête de neige meurt gelé.

1922 – février : révolte de Lâhuti à Tabriz, écrasée par les Cosaques. – 20 février : départ du Šâh pour Constantinople et l’Europe, sous l’identité de Prince ‘Abbâs Mirzâ. – juin/27 xordâd 1301/20 shavvâl 1340 : nouveau cabinet Qavâm os-Saltana. – 27 juillet : le Majles vote l’engagement de Arthur C. Millspaugh comme conseiller financier.

English Summary The Pahlavi dynasty (1925 to 1979) changed considerably the Iranian state and society. But the way Rezā Khān came to power in the 1921 coup, far from being reported as a simple historical fact, is still usually described through a number of misleading stereotypes. Official history before the 1979 Revolution portrayed Rezā Khān (later Shāh) as the principal initiator of the plan and a patriotic hero who staged the operation by temporarily manipulating the British and their confidant Seyyed Ziyā od-Din Tabātabāʾi. Later accounts often tend to stress the leading role of the British officers, among them Gen. Ironside, for having organized the coup in order to circumvent social disorder, thus leaving the oil wells and the Indian border protected from the upheavals and revolutionary turbulence. Our knowledge of this important event lies upon few reliable witnesses and a great number of British reports and memoirs. The version given by Seyyed Ziyā himself does not mention any British involvement and gives only a side role to Rezā Khān. The British diplomats officially did nothing to intervene but, in order to justify their position, they tend to minimize any Persian initiative and instead magnify their own influence as decisive. General Ironside’s memoirs, based on diaries which are no longer available to researchers, completely ignore Seyyed Ziyā’s role and further show Rezā Khān as a mere puppet in his hands. Another book of memoirs by a first-hand witness and participant, Edmonds’s East and West of Zagros, now offers a more balanced account where both Seyyed Ziyā and Rezā Khān can be credited for having a leading role in the plot. The two diaries published in the present volume give a different framework to understand the crisis. They are written by French diplomats who were not directly involved in operational decisions and had contrasting opinions concerning British policies in Persia. Capt. Ducrocq, the French military attaché with strong nationalist feelings, felt a great deal of sympathy for Iranian politicians who were trying to resist British pressure. His obsession was the threat of a Bolshevik invasion and also to denounce the British involvement in Persia by corrupting its elite and manipulating the public opinion, to the detriment of French commercial and political interests. In the period before the February 1921 coup, Ducrocq gives day to day information about some major moves such as: – how Colonel Starosselsky was first locked into British manoeuvre with the intention of using his experience to merge the Persian Cossack Brigade with their Russian officers into the future unified army, and how Starosselsky was later dragged into a trap and thrown away from Persia;

English Summary

685

– how the 1919 Anglo-Persian Agreement (or, in French dispatches, “Arrangement”) was signed and became the centre of political negotiations between British diplomats and Persian politicians; – how the threat of possible Bolshevik invasion was used by the British in order to hasten a solution that prompted the withdrawal of Norperforce from Qazvin. On the coup itself, Ducrocq’s own reaction echoes Iranian opinions and feelings: he doubts from the very beginning the official discourse and attributes responsibility to the British. But he hesitates in some occasions, thinking either that the Bolsheviks were behind it, or that the coup was favourable to French interests (Seyyed Ziyā sending French trained officers to inform the legation and trying to show consideration for French influence and thus signalling a balancing act to British pressure). Accordingly, Ziyā himself had been manipulated and could be thrown away as soon as he would no longer be deemed useful, a remarkable premonition of Ducrocq (entry of 6 March 1921). Many details on British actions, on General Dickson’s elimination are given. On a late visit to the Gilān front with British officers overseeing the retreat to Qazvin (April 1921), Ducrocq has a very interesting conversation with Major cj Edmonds where new trends of British policies are featured in terms of no more direct rule but indirect influence and links with local nationalists or democratic strategies. Hélène Hoppenot, wife of the French chargé d’affaires, gives a more realistic description of British diplomats and their behaviour with Iranian authorities. Her diaries, full of gossip and wit, on the whole provide plenty of valuable information and material on everyday life, particularly on the upper-class women who were being secluded in their quarters. Incidentally, meeting on official occasions, she has first-hand descriptions of court ceremonies, and portrays Ahmad Shāh more critically than any other sources. On the very day of the coup, Hélène has an argument to “prove” that British diplomats were not aware of what was going to happen: she was riding, on Sunday the 20th, near the Qazvin Gate with a political officer of the Norperforce, Wickham, when the Cossacks were stationed nearby and the Englishman did not try to divert her to another direction (21 February 1921). She gives her own report of how the situation was perceived among expatriates, particularly diplomats. A good deal of important information is given in these two diaries about the social life of foreign diplomats in Tehran, with colourful portraits of individuals such as Percy Cox, Herman Norman, Col. Starosselsky, and Gen. Dickson. Persian personalities are described as seen by foreigners, but with their own idiosyncrasies, their attitude towards European culture, and their behaviour towards women. Despite a negative impression about the land and the people in the first pages of each account (a clear sign that these diaries remain as written daily, without any later edits or revisions), we see how both Ducrocq and Hoppenot eventually became friends

686

English Summary

with Iranian elite and aristocrats—for example with the family of Abd ol-Hoseyn Farmān-farmā or Bakhtiyāri Khāns—and turned to love the country and became fond of its arts and culture, music, painting, poetry, and landscape. Both later left with nostalgic tears. This publication is enriched by a list of 250 biographical notes on various foreign diplomats or Iranian personalities who are cited in the text, by giving basic information about their dates (when available), profession, and other biographical data. It also provides additional bibliographic references, mainly in Persian or English, as well as archival references that could be helpful in future research. The diaries of Ducrocq and Hoppenot raise a fundamental question about historiography. Can we rely on official documents written by actors of an event? It seems that in such sources, established truths turn to be forged in order to justify intervention and to hide basic realities. Finding private sources, when they are available without any censorship of rewriting, is similar to opening a treasure. More valuable than memoirs that are often written after decades of professional life, private correspondence and diaries are photographic views of fugitive realities. Societal change is not only the result of long term evolution and the consequence of economic and political intervention, it is also made of individual actions. Without precise knowledge of private lives, personal characters, fortuitous encounters, we will never be able to feature how decisions have been taken, how important historical transformations have been set up. Contemporary Iranian historiography is biased by many external considerations which sometimes prevent a clear view of how things happened. We cannot rely on official history—or its counterpart when a regime is brought down in a revolution. External accounts when cautiously used are sometimes more valuable and informative than local reports. Even the date of important historical facts can sometimes be erased out of memory by the voluntary disregard of social trauma. The changing of calendars in modern Persia, shifting continuously between lunar Islamic, solar-lunar Mongolian, solar Hijra, Christian and even “Imperial” calculating rules entails into a deceptive perception of chronology. It disrupts historical consciousness.

Index général Ne sont indexés que les noms ou les notions apportant des informations significatives en rapport avec l’Iran et le coup d’État de 1921. Par exemple Picasso (p. 407) n’y figure pas. Les références particulièrement importantes où le sujet est développé sont en gras. Le « s » après un chiffre (par exemple « 254s ») indique que la page suivante est également concernée. Abbâs-Qoli Khan, voir Nuri-Esfandyâri Accord/Arrangement anglo-persan 55s, 59s, 68, 87, 104, 209s, 254s, 259, 261, 267, 486 voir armée persane ; Armitage-Smith Adib Pišâvari 356s Adib os-Saltana, Hoseyn Khan 160, 649 Adl, Seyyed Mostafâ, voir Mansur os-Saltana Afghanistan 79, 172-174, 183, 206, 226s, 339 voir Foucher Agha Petros, voir Âqâ Petros agriculture 300, 378s Ahmad Shah 215, 233, 374-376, 394, 484, 512, 514s, 516, 530, 532, 539, 582 protocole 29s voyage en Europe (1919) 41, 51, 98, 101 retour du shah 146 et Starosselsky 195s, 197, 204, 479 abdication envisagée 241, 243, 489 face au coup d’État 270, 274, 275, 278s, 281, 289, 291s, 299, 500-503, 519 et les femmes 303, 481, 493, 498, 507, 520, 527s et la richesse 130, 289 A’lam, Amir 103, 184, 366, 582 Allemagne 112, 113, 127, 146, 222, 227, 245, 362, 481 germanophilie 184s, 202s, 252, 296s, 320 voir Moxber os-Saltana Allemagne, Henry-René d’ 583 Alliance française 77, 93, 110, 120, 121, 125, 137s, 206, 222, 263, 303, 318, 432 Alliance israélite universelle 207, 495, 589, 611 Amânollâh Khan 583 Amin od-Dowla 243, 583 Amin ol-Molk 228, 251, 358, 583 Amin oz-Zarb 56, 150, 362, 584 Amini, voir Amin od-Dowla Amir A’lam, voir A’lam Amir Aršad 331, 584

Amir Nezâm Qarâgozlu 99, 278, 584 (voir également Sardâr Akram) Amir Zafar 91, 163, 584 antiquités 459, 489, 513, 534, 536, 550, 555, 558s, 562 fouilles clandestines 122 voir juifs Anzali 409, 450 Âq-Evli, voir Fazlollâh Khan ; Manučehr Khan Âqâ Petros 284s, 333, 584s Arbâb Keyxosrow, voir Šâhrox Arfa‘ od-Dowla, prince 198, 474, 585 armée persane 82, 96, 98, 105, 112, 126, 139, 152, 17s0, 179s, 196, 211, 225s, 281 officiers formés en France 247, 258, 260 armement 280, 314, 317 voir Habibollâh Khan ; Mas’ud Khan ; Riâzi Armitage-Smith 172, 184, 186, 262, 329, 349, 369, 473, 585 Arméniens 252, 258, 380, 385 voir Hadjean ; Ipekian ; Tumâniân Aršad Homâyun 256, 585 arts iraniens 208, 233, 236 musique (voir aussi Darviš Khan) 257 poésie 326, 334, 356 peinture 388 voir Kamâl ol-Molk ; antiquités As‘ad od-Dowla 121, 586 Ašrafi, Qolâm-Hoseyn Mirzâ Âqâ Khan 184, 586 Assemblée des notables (1920) voir Majles šurâ 64-68, 345-349 Audigier 115, 123, 586 Âzari, Ahmad 130, 586 Azizollâh Khan Zarqâmi 249, 287, 586 Azod os-Soltân 229, 256, 292, 586 Azrilenko 332, 336s, 339-342, 344, 349, 354, 377, 537-542, 587

688 Bahâ’ ol-Molk 271, 587 Bakhtiari, voir Baxtyâri Bakou 408 Balfour, James M. 513, 587 banque 90, 224s, 244, 253, 389s voir Tumâniâns Baxter 237, 467, 492, 523, 587 Baxtyâri 103s, 110, 114, 145, 152, 196, 216, 226, 236, 244s, 254 et les Anglais 158, 165, 241, 255 voir Samsâm os-Saltana ; Sardâr As’ad ; Sardâr Ašraf ; Sardâr Zafar Bâzâr de Téhéran 419, 421, 478s, 493s, 510, 528 Belayef 87, 104, 132, 431, 440, 452, 588 Belgique, voir (de) Raymond, Lalaing, Molitor Bellan 302, 455, 463, 465, 588 Bizot 83, 99, 162 Bjurling, Major 52, 94, 118, 158, 164, 168, 197, 264, 273, 331, 345, 588 Bolcheviks 92 propagande bolchevique 131, 165, 168s, 178, 232, 243, 251, 300 relations diplomatiques 160, 219s, 222s, 228, 233, 249, 270, 286, 295, 303, 306, 321, 451, 487 voir Rothstein opérations militaires 174s, 177, 179, 181, 183, 188, 246s, 255, 315, 450s, 465, 470, 486 hostilités contre les Britanniques 483 Bonin, Charles 91, 98, 155, 165, 183, 212, 219, 230, 382, 413, 425-427, 432, 441, 445, 454, 456, 462, 465, 472-474, 476, 529, 588 Bravine, Nicolas 92, 178, 295, 588 Bresson 216, 589 Bridgeman, Reginald 350, 373s, 470s, 482, 488, 491, 494, 509, 544, 551s, 561, 589 brigandage 32, 104, 249, 254, 373, 387, 392, 474 voir Nâyeb Hoseyn, Mâšallâh Khan Caldwell, ministre américain 57s, 60, 98, 231, 255, 259, 270s, 274, 279, 316, 323, 424, 460, 487, 491, 496, 589 Capitulations 108, 297s, 320s, 327s Caspienne 119 Catalani (ministre italien) 73, 76, 418, 432, 589

index général Caucase 80, 147, 158s, 228, 445s cérémonies officielles 172, 233, 270, 300, 301, 303, 316, 438, 504s, 507s, 515 questions de protocole 29s, 231, 323s, 361, 463, 487 Chaldéens (et Assyriens) 43, 129, 131, 159, 234, 255s, 284, 287, 305, 316, 332s, 529 Jelo 102, 159, 256, 271, 659 voir Âqâ Petros, Nissan Champain, gén. 96, 169-171, 174s, 194, 202, 219, 260, 307, 368, 410, 451, 589 Chardigny, colonel 61, 128, 333, 407, 589 chasse 79, 91, 126, 163, 172, 231, 235, 238s, 261, 350s, 524, 556 Chatelet, P. 129s, 132, 162, 183, 191, 209, 216, 225, 271, 482, 529, 590 chemin de fer 115, 117, 146, 362 Chemiran 434 christianisme 48 et la France 99, 102s, 107, 109, 120, 128, 155, 191, 202, 301, 440, 482 voir Arméniens, Chaldéens, Lazaristes, missionnaires, Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul Churchill, George Percy 122, 147, 201, 590 clergé chi’ite 113, 124, 144s, 148, 164, 178, 211, 232, 241, 293, 306, 345, 349 Comité de fer (Âhan) 88, 253 commerce 150, 213, 224, 387 commerçants français 88, 225, 293, 323, 329 voir antiquités corruption 95, 306, 311, 326, 334 pour l’Accord de 1919 220, 243, 472, 485s Cory, gén. 280, 306s, 316, 318, 590 Cosaques persans 98, 100, 312 et les Bolcheviks 182, 190, 193 défaite d’octobre 1920 235, 470, 475 après Starosselsky 196, 198, 200s, 222, 249s et le coup d’État 240, 260 officiers russes renvoyés 483 Coup d’état, déroulement 264, 499 attribué aux Anglais 268, 271s, 274, 354s, 361 voir Rezâ Khan, Ziyâ od-Din courses hippiques 43, 75-77, 447 Cox (Sir Percy –) 46, 55, 58, 74, 90s, 105, 121, 178, 188, 239, 261, 427, 437, 444s, 456, 590 Crow, Francis Edward 264, 591

index général Dâr ol-fonun 72 Darviš Khan 257, 363 De Hoog, voir Hoog (de) De Raymond (ministre belge), voir Raymond Demorgny 99, 156, 591 Denikine 38, 50, 53s, 60, 62s, 69, 73, 92, 122, 132, 137s, 144, 164s, 173 Deromps, Dr Mathilde 167, 248, 366, 446, 457s, 460, 463, 494, 518, 521, 534, 560, 591 Dibâ, Abo’l-Fath, voir Hešmat od-Dowla Dickson, gén. 87, 91s, 95, 97, 100, 107, 135, 144s, 152s, 155, 160, 170, 179, 181, 185, 189s, 443, 592 et le départ de Starosselsky 201, 202, 212, 217 disgrâce et renvoi 225, 228, 242, 244, 261s, 276, 304, 309, 459 et le coup d’État 264, 275-277, 279 et Ducrocq 443 Dowlatâbâdi, Yahyâ 214, 218, 221, 227, 592 Duchène, voir Alliance française Ducrocq, Georges 15s, 411, 416s, 433, 441, 450, 452s, 461, 481, 486, 501, 517, 533, 536, 540, 540 voir Dickson (et Ducrocq) Dufoussat 107, 109, 127, 286, 330, 593 Dunsterville, gén. 256, 593 écoles françaises, voir France ; Alliance française ; Alliance israélite universelle Edmonds, major CJ 10, 169, 231, 284, 301, 311-313, 320, 594 Edwall, colonel 132, 594 Ehtešâm od-Dowla, Ehtešâm ol-Molk 93, 594 Emâm-Jom‘a Yahyâ Xo’i 51, 124, 145, 148, 268 594 Engert 490, 509, 530, 543s, 561, 595 Entezâm ol-Molk 539, 595 Epikian, voir Ipekian Eqbâl od-Dowla 235, 595 Esfahân, voir Ispahan Esfandyâri, Hasan, voir Mohtašam os-Saltana ; Nuri-Esfandyâri (‘AbbâsQoli Khan) États Unis d’Amérique 57s, 198s, 223, 252 voir Caldwell ; Engert E‘telâ‘ ol-Molk 485, 593

689 Etter (de -), ministre russe 104, 144, 596 évacuation des étrangers 55, 237, 240-242, 245s, 247s, 255, 279, 366, 451, 464, 471, 477, 485, 489, 492 Eyn od-Dowla 94, 111, 164, 168, 242, 251, 272, 288, 317, 596 Fahim od-Dowla 184s, 258, 271, 596 Farâmarz Khan Licingoff 33, 43, 109, 127, 129, 271, 596s Farmânfarmâ, ‘Abd ol-Hoseyn 99, 163, 182, 193, 211, 212s, 215, 228, 233, 248, 252, 261, 597 après le coup d’État 266, 275, 278, 280-282, 335, 376, 381, 504, 506, 520, 525 voir Firuz Mirzâ ; Mohammad-Vali Farmânfarmâ ; Mohammad-Hoseyn Farmânfarmâ ; Sâlâr Laškar Fazlollâh Khan Âqevli, col. 146-150, 155, 157, 584, 598 Fazlollâh Khan, major 244, 598 Fedoroff, ministre russe 254, 303 femmes 120, 161, 213, 256, 260, 264, 312, 372, 392, 398-400, 428s, 444, 495, 535 andarun 423, 435, 438, 453 voiles 291, 428, 447 éducation des filles 433, 435 princesses Šo‘â os-Saltana 260, 435, 446s, 453s, 460, 479, 481, 498 mariage princier 172, 448s, 543 sexualité 534, 562 fêtes des diplomates 95, 98, 106, 113, 118, 134, 178, 221, 231, 234, 263, 283, 286, 414, 416, 430, 440, 462, 463, 467, 475, 525s Club impérial 422, 433, 443, 445, 447, 450, 454 voir courses Feyz, voir ‘Isâ Khan Firuz Mirzâ Nosrat od-Dowla 41, 68, 72, 97s, 161, 184s, 214, 220, 222, 242, 259s, 268, 275, 278s, 300, 317, 342s, 363, 368-370, 485s, 497, 525, 533, 597, 598s projet de complot 125s, 145, 289, 193, 196, 243, 289, 258 et le coup d’État 264, 267, 271, 296, 393, 498, 501s, 520 Firuz, Mohammad-Vali, voir Mohammad Vali Farmânfarmâ Fortescue, Dr Irving 229, 599

690 Fortescue, capt. (colonel) L.S. 55, 155, 229, 260, 278s, 309, 313s, 355, 358, 599 Foruqi, Abo’l-Hasan 110, 600 Foucher, Alfred 339, 347, 544 France, diplomatie 116, 118, 165, 218 rayonnement de la – 107, 110, 114, 118, 206, 279, 286, 296, 318, 383 écoles françaises 110, 111, 130, 161s, 185, 207, 297 commerce français 138 et le coup d’État 299s voir christianisme et la France, commerçants français, Hoppenot, Lecomte Franssen, P. Pierre 271s, 600 Fraser, colonel 91-93, 150, 279s, 283, 292 Gachet, Dr 50, 156, 184, 285, 326, 600 Galaup, P. 111, 127, 601 Gazala, Dr 70, 132, 184, 601 gendarmerie persane 96, 98, 157, 251s officiers suèdois, 52, 118, 133, 168, 171, 282, 284, 304, 330, 458, 526 et voir Bjurling ; Edwall ; Gleerup ; Hjalmerson ; Lundberg ; Westdahl infiltrée de Bolcheviks 243, 244 lors du coup d’État 268s, 273 voir Azizollâh Khan Zarqâmi ; Fazlollâh Khan (major) ; Habibollâh Khan ; Riâzi ; Mas’ud Khan ; Seyfollâh Khan Gilân 17, 37, 45, 81, 96, 109, 173, 193, 195s, 224, 235, 281, 294, 318s, 342, 363 Gleerup, colonel 51s, 54, 77, 140, 149, 191, 459, 526, 601 et le coup d’État 268, 273, 278 Gracey, George 255, 601 Grande-Bretagne passim Légation britannique 425, 436 Guilan, voir Gilân Gybbon-Monypenny, H.R.D. 70s, 380, 382, 393, 604 Habibollâh Khan, major 125s, 179s, 191, 247, 250, 255, 269, 275, 287s, 331, 602 Habibollâh Khan (Šeybâni), voir Vahid os-Soltân Hâdi Khan Šaqâqi 173, 218, 235, 267, 289, 602 Hadjean, Michel 50, 72, 102, 173, 177, 189, 253, 602

index général Haig, colonel 142, 145, 242, 252, 259, 264s, 273, 284, 294, 338, 427, 442, 450, 455s, 512, 603 Hakim ol-Molk (Ebrâhim Hakimi) 107, 188, 603 Hamadân 379-386 Hart, Herbert 102, 106, 117, 125, 127, 136s, 381, 431, 604 Havard, Sir Godfrey Thomas 113, 122, 124, 136, 141, 145, 165, 178, 185, 222, 240, 242, 244, 387, 466, 604 et le coup d’État 268, 355, 371 Hedâyat, voir Fahim od-Dowla ; Moxber ol-Molk (Mohammad-Qoli) ; Moxber os-Saltana (Mahdi-Qoli) ; Nayer ol-Molk (Rezâ-Qoli) ; Sani‘ od-Dowla Hentig, Werner Otto von – 232, 362, 605 Hešmat od-Dowla 152, 155, 160, 188, 192, 198, 606 Heydar Khan Amuqli 318, 606 Hildebrand, diplomate russe 196, 519, 199, 222, 237, 241, 254, 301, 303, 306, 606 Hjalmerson, major 133, 607 Hoog (de) 132, 227, 591 Hoppenot, Henri 18s, 116, 159, 218, 235, 248, 259, 264, 271, 300, 303, 306, 344, 350, 353, 374 (références multiples dans le journal d’Hélène Hoppenot, pp. 401-563, nommé « H. ») Hoppenot, Hélène 18s, 116, 248, 303 Hoseyn Khan (Sami’i) voir Adib os-Saltana Hoskyn, lieut.-col. britannique 55, 91, 112, 124, 146, 607 Huddleston, colonel ou gén. 117, 153, 155, 181, 185, 260, 306s, 309, 320, 607 et le coup d’État 279s, 303s, 317, 355, 358 Hunter, colonel 134s, 151, 160, 181, 275, 608 Ipekian 41, 132, 158s, 253, 289, 305, 329, 608 Ironside, gén. 3, 11, 196-198, 200, 210, 228, 237, 244-248, 255, 259, 267, 270, 272s, 275-277, 279, 281s, 284, 309s, 321, 355, 367, 477, 609 Isâ Khan Feyz 271, 609 Ispahan 216, 281 Jahânbâni, voir Amânollâh Khan Jalil ol-Molk 230, 268, 271, 609 Jam, Mahmud, voir Modir ol-Molk

index général Jangal 246 voir Kuček Khan ; Gilân jeu 78 juifs 207, 216, 380, 383 commerçants juifs 84, 349, 430, 439, 447s, 489s, 495 Kamâl ol-Molk 78, 80, 356s Kâmrân Mirzâ Nâyeb os-Saltana 84, 163, 349, 610 Kâzem Khan Sayyâh 252, 267, 276, 312, 330, 355, 499, 610 Kerensky 91 Kermânšâh 388-390 Key Khosorw (Keyxosrow), voir Šâhrox Keyhân, voir Mas’ud Khan Khaz’al, Sheykh, voir Xaz’al Kingwood 225, 242, 244, 254, 611 Klinberg 133, 611 Kuček Khan 37, 45, 94, 96, 111, 130, 173, 175, 182, 193s, 222, 246, 340, 342, 355, 363, 460, 611 Kurdistan 43, 131, 159, 162, 294, 335, 376, 389 voir Âqâ Petros, Simko, Urmia Lalaing, chargé d’affaires belge 546, 551s, 556, 561, 563, 611 Lamont, colonel 117, 121, 172, 182, 189, 209, 218, 611 Laredo, voir Alliance israélite universelle Lassen 52, 98, 180, 214, 268, 291, 481, 473s, 483, 611 Lazaristes 111, 132, 161s voir Sontag ; Franssen Lecomte, Raymond 33, 72, 144, 156, 161, 184, 191, 206, 218s, 316, 442, 463, 612 Lesueur, Émile 78, 107, 109, 199, 218, 230, 234, 283, 286, 299, 612 Licingoff, voir Farâmarz Loqmân od-Dowla 299, 345, 366, 612 Loqmân ol-Molk 274, 284, 374, 612 Loraine, Sir Percy 352, 547, 551, 553, 557, 559, 613 Lundberg, colonel 52, 95, 133, 154, 186, 268, 293, 301, 342, 459, 526, 613 MacLean, Henry W. 92, 222, 613 Mahmud Khan, voir Modir ol-Molk

691 Majles 227s, 237, 240, 250, 253s, 257, 260, 263, 345, 484 Assemblée des notables (1920) 211, 218, 221, 227 Malek ot-Tojjâr 81 Malleson, gén. 37, 164, 613 Mallet 70, 94, 155, 430, 447, 450, 467, 613 Malzac 62, 102, 108, 113, 118, 120, 131, 156, 411, 419, 425, 432, 441, 451, 463, 485, 614 Manjil, pont de – 177, 307, 310, 312s, 315, 323 Manšur ol-Molk 160, 614 Mansur os-Saltana (Mostafâ ‘Adl)  111, 120, 148, 290, 582 Manučehr Khan Âq-Evli 149, 252, 267, 275, 296, 308, 316, 584 Marzbân-e Gilâni, voir Amin ol-Molk Mâšâllâh Khan 32s, 37, 51, 54, 104, 149, 397, 615 Mas’ud Khan (Keyhân) 246, 266s, 271, 273, 276s, 280, 292, 304, 317, 319, 330, 361, 499, 614 McMurray, James, banquier 161, 213, 244, 615 médecins étrangers 250s, 299, 352 voir Deromps, Roland, Wilhelm, Gachet, Mesnard, Neligan mendicité 83 Merle 114, 127, 480, 615 Mesnard, Dr 282, 316, 329, 352, 446, 527, 615 Minorsky 46, 49, 55, 58, 104, 616 Mirzâ Âqâ Khan, voir Ašrafi Mirzâ Yahyâ, voir Dowlatâbâdi Mirzâyâns 289, 305, 355, 616 missionnaires chrétiens 373 voir Sontag Mo‘âven od-Dowla 111, 334, 639 Modarres 51, 266, 268s, 277, 288, 305, 342s, 371, 616 Modir ol-Molk (Mahmud Jam) 71, 156, 204, 269, 271, 290s, 301, 303, 317, 327s, 330, 360, 417, 546, 617 Mohammad-Hasan Mâfi, voir Sa‘d ol-Molk Mohammad-Hasan Mirzâ, voir Vali-‘ahd Mohammad-Hoseyn Farmânfarmâ 215, 231, 233, 248, 256, 261, 278s, 308, 501s, 597 Mohammad-Taqi Khan 363, 372s Mohammad-Vali Farmânfarmâ (Firuz) 92-94, 98, 299, 598

692 Mohtašam os-Saltana 56, 112, 129, 186, 192, 199, 253, 255, 257, 266, 268, 271s, 290, 333, 336, 345, 618 Mo‘in ol-Vezâra, voir Arfa‘ od-Dowla (Rezâ Dâneš) Mo‘in ol-Vezâra (Hoseyn ‘Alâ) 325, 619 Mo‘in ot-Tojjâr Bušehri 51, 56, 266, 282, 620 Mokhber . . ., voir Moxber . . . Molitor, Camille (voir aussi Molitor, Lambert) 133, 163, 221, 251, 319-322, 325, 326, 329s, 360, 621 Molitor, Lambert (voir aussi Molitor, Camille) 115s, 123, 127, 138, 160, 277, 288, 296, 301, 325s, 387, 621 Momtâz od-Dowla, Esmâ’il 56, 184, 186, 198s, 266, 342, 622 Momtâz ol-Molk, Mortazâ 56, 198, 251, 253, 258, 266, 268, 623 Momtâz os-Saltana, Samad Khan 56, 173, 184, 223, 290, 327, 503, 531, 648 Momtâz os-Soltân (M. os-Saltana ?) 56 Monson, Edmund 354, 623 Moore (journaliste) 79, 87, 178, 182, 186, 207, 223, 226s, 353-355, 452, 478, 624 Mosaddeq os-Saltana 364s, 393, 604, 606, 624 Mošâr od-Dowla 200, 345, 625 Mošâr ol-Molk 37, 97, 150s, 154, 240, 268, 343, 355, 363, 393, 625 Mošâr os-Saltana 192, 343, 626 Mošâver ol-Mamâlek 60, 101, 195, 220, 228, 233, 245, 300, 626 Mošir ol-Molk 30, 50, 360, 537 voir Mošir od-Dowla Mošir od-Dowla (Hasan Pirniâ) 51, 85, 110s, 138, 145, 148, 171, 176, 184, 186, 355, 360, 627 chef du gouvernement 183s, 186, 188, 190, 192, 197s, 201, 206, 212, 214s, 218, 221s, 243, 251, 262, 309, 318, 325, 342, 365, 472, 477, 480 et le coup d’État 280 Mossoul, Bande de – 234 Mostašâr od-Dowla 253, 266, 268, 628 Mostowfi ol-Mamâlek 37, 45, 47, 51, 148, 166, 171, 184, 186, 188, 192, 208, 211, 218, 241, 243, 250, 262, 343, 345, 363, 381, 384, 629 et le coup d’État 269, 277

index général Mo‘tamed od-Dowla 173 (et voir Ehtešâm od-Dowla) Mo‘tamed os-Saltana 151, 630 Mo’tamen ol-Molk 184, 218, 343, 630 Moxber od-Dowla 185, 596, 631 Moxber ol-Molk 184, 631 Moxber os-Saltana 48, 51, 116, 146, 185, 228, 331, 381, 631 Mozaffar od-Din Shah 82, 225 Mozayyen od-Dowla 78s, 146, 632 Musée royal 82 Nafisi, Sa’id 323, 632 Nâser od-Dowla, prince 33, 149, 170-172, 213, 215, 266, 376, 448, 633 Nâser ol-Molk (Abo’l-Qâsem Qarâgozlu) 150 Nasr ol-Molk 116, 271, 634 Navvâb, Hoseyn-Qoli 211, 634 Nâyeb Hoseyn 32, 60, 301, 397, 635 Nâyeb os-Saltana, voir Kâmrân Mirzâ Nayer ol-Molk (Rezâ-Qoli Hedâyat) 188, 635 Nazar Âqâ, voir Soleymân Khan Neligan, Anthony 223, 250, 636 Nicolas, Louis-Alphonse 61, 130, 636 Nissân, Mgr 333, 338, 527, 529, 532s, 535, 636 Nordquist, Nils 69, 118, 636 Norman (ministre britannique) 105, 179, 185, 189s, 225, 239, 250, 283, 366s, 463s, 466s, 472, 478, 489, 521, 637 et Starosselsky 193-197, 204, 217, 477, 479s, 483 et le coup d’État 237, 242, 248, 264s, 268, 270, 272, 279, 354, 371, 385, 486, 499, 501-505, 519s et Rothstein 374, 381, 502, 512, 531 disgrâce 273, 349, 352s, 362, 373, 384, 537, 547, 551, 561 Norperforce 226s, 230 évacuation des troupes 237, 245, 280, 304, 307, 314, 318 voir Champain, Ironside, Qazvin Nosrat od-Dowla, voir Firuz Mirzâ Nosrat os-Saltana 34, 122, 188, 233, 256, 298s, 308, 317, 373, 637 nowruz 147s, 438s Nuri Esfandyâri (‘Abbâs-Qoli) 112, 125, 129, 637 Nurzâd, Pâšâ 331, 638

index général Paddock, Gordon 255, 257, 638 palais royaux 90 Parlement, voir Majles paysages persans 166, 187, 212, 231, 235-240, 252, 291, 302, 322, 350-352, 370, 377, 416, 523-525 peinture 78, 80 Perny, Adolphe 147, 156, 161, 164, 184, 231, 234, 271, 274, 286, 290, 342, 344, 349, 377, 484s, 627, 638 Pesyân, Mohammad-Taqi Khan 363 pétrole en Perse 361 pétroles du Nord 342s, 344, 362 Anglo-Persian Oil Company 367, 372 Philippoff, colonel 91, 103, 121, 130, 136, 146, 148s, 165, 178s, 181, 196, 199s, 203, 639 pierres précieuses 86 Pir-Niâ, voir Mošir od-Dowla ; Mo’tamen ol-Molk poésie chez les Iraniens 83s politique persane 121, 151, 253, 257, 333s voir Vosuq od-Dowla, Mošir od-Dowla, Sepahdâr Prévost, Fernand (ministre français) 546, 548, 553-555, 557, 559s, 562, 639 professeurs français 96 voir Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul Qaffâri, Hasan-‘Ali, voir Mo‘âven od-Dowla Qarâgozlu, voir Amir Nezâm ; Sardâr Akram Qavâm ol-Molk 213n, 620 Qavâm od-Dowla 97, 281, 288, 640 Qavâm os-Saltana 126, 151, 222, 241, 363s, 640 après le coup d’État 317 chef de gouvernement 345, 355, 360, 367, 387, 393 palais de – 131, 155, 279, 281 Qazvin 169, 175, 215, 410 Raghès, voir Rey ramazân (mois de jeûne) 86, 324, 328 Raymond, de (ministre belge) 63, 75s, 91, 95, 99, 106, 109, 127, 148, 160s, 171, 222, 231, 237, 250, 253, 301, 323, 332, 338, 341s, 344, 353, 444, 468, 475, 480, 489, 492, 531, 538, 540, 546s, 551s, 556, 561, 587, 641 et le coup d’État 259, 264s, 267, 270s, 275, 283, 294, 502, 505

693 Rey (Raghès) 81, 263, 302, 441 Rezâ Khan (Sardâr Sepah) 11, 265-270, 276n, 277s, 283, 287, 289, 292, 296, 319, 337, 369, 372, 384, 393, 499-501, 642 tension avec Seyyed Ziyâ 326, 330, 384s, 517, 519s déjoue des complots 360-363 et Ahmad Shah 517, 520 et Rothstein 332, 337, 521, 532, 539, 548 Riâzi, ‘Ali 240, 247, 272, 274, 277, 287s, 292, 341, 643 Richard, Joseph (Rišâr Khan Mo’addab ol-Molk) 72, 137, 643 Roland, Dr René 166, 216, 263-265, 281, 285, 308, 316, 318, 327, 349, 352, 366, 377, 643 Rothstein, ministre soviétique 246, 306, 318-320, 322, 324, 327s, 332, 337, 339, 341, 343s, 353, 374, 381, 393, 511s, 514, 516s, 519-521, 531s, 538-540, 542s, 546, 551s, 644 voir Azrilenko routes 92s, 116 147, 162, 246, 303, 329, 377, 381, 553 voir Manjil, transport Rudbâr 313 Russie 431 Sa‘d od-Dowla, Javâd 51, 288, 644, 646 Sa’d ol-Molk (Mohammad-Hasan Mâfi) 307 (le même que Sâ‘ed ol-Molk ?) Sâdeq Khan voir Mostašâr od-Dowla Sâ‘ed od-Dowla, ‘Ali-Asqar 70, 75, 89, 645, 656 Sâ‘ed ol-Molk, Hasan 322, 324, 327, 337s, 646 Sâ‘ed os-Saltana, voir Amir Nezâm (‘Abdollâh Qarâgozlu) Šahâb, voir Seyfollâh Khan Šahâb od-Dowla, prince Asadollâh 211, 323s, 343, 519, 646 Šâhrox, Arbâb Keyxosrow (Key Khosrow) 358, 646 Sâlâr Jang 251s, 647 Sâlâr Laškar (‘Abbâs, voir aussi Farmânfarmâ) 82s, 91, 93, 98-100, 112, 152, 157, 163, 202n 226s, 231s, 248, 268, 278, 369, 380-386, 501, 647 Samad Khan, voir Momtâz os-Saltana Sami‘i, Hoseyn Khan, voir Adib os-Saltana

694 Samsâm os-Saltana 45, 47, 51, 103s, 145, 148s, 152, 158, 174, 183s, 236, 241, 243, 245, 260, 266, 282, 286, 300, 338, 373, 391, 650 Sani‘ od-Dowla (Mortazâ-Qoli Hedâyat) 116, 604 Sardâr Akram 40 (?), 70, 99, 134, 137, 186, 213, 382s, 393, 440, 639 Sardâr As‘ad II 110, 633, 650 Sardâr As’ad III 94, 107, 114, 132, 236, 631, 651 Sardâr Ašraf 244s, 286, 300, 651 Sardâr Homâyun 33, 201, 218, 260, 652 et le coup d’État 265, 267, 278s, 661 Sardâr Mansur, voir Sepahdâr-e A‘zam Sardâr Mo’azzam, (Teymurtâš)  98, 100s, 137, 148, 158, 171, 214, 221, 260, 268, 343, 345, 665 Sardâr Sepah, voir Rezâ Khan Sardâr Zafar 300 Sârem od-Dowla 102, 136s, 151 Sayyâh, voir Kâzem Khan Shemrân, Shemiran, Šemrân 28, 434, 458-460, 518, 531 Sepahdâr-e A‘zam Rašti 75s, 95, 97, 101, 111, 137, 151s, 154, 457, 472 chef du gouvernement 192, 210, 221s, 253, 264, 477, 483, 485 et le coup d’État 371 Sepahsâlâr 88s, 111, 645, 656 Šeybâni, voir Habibollâh Khan ; Jalil ol-Molk ; Vahid ol-Molk Seyfollâh Khan 94, 125, 171, 247, 257, 658 Seyyed Ziyâ, voir Ziyâ’ od-Din Simko 89, 97, 123, 129s, 146, 157, 229, 330 Smart, Walter 209, 216, 235s, 252, 350, 353, 355, 441s, 450, 459, 466, 472, 476, 480, 486, 511s, 518, 520, 525, 537, 547, 552, 558s, 561s, 660 Smith, voir Armitage-Smith, Sidney Smyth, colonel 126, 134, 156s, 169s, 172, 175, 177, 181, 185s, 228, 259, 276, 280, 289, 292, 304, 317, 361, 342, 607, 661 et le coup d’État 260, 262, 267, 270, 277, 282, 304, 355, 361, 660 Šo‘â‘ os-Saltana, prince 30, 201, 241, 433, 481, 661 voir femmes, princesses Šo‘â os-Saltana Sœurs de Saint Vincent de Paul 371s Soleymân Khân 43, 87, 252, 258, 328, 597, 662

index général Sommer 303, 344, 662 Sontag, Mgr 128, 209, 256, 284, 585, 626, 662 SPR 87, 246, 261, 283, 285 voir Hunter Starosselsky 10, 37, 96, 117s, 136, 138, 164, 171, 175, 190, 663 et les Iraniens 40, 68, 75, 84s, 97s, 121, 142, 150, 173, 181 et les Anglais 63, 77, 101s, 107, 112, 119, 138-145, 158, 167, 170, 174, 177, 183, 197, 203s, 217, 310, 467, 589 et Vosuq od-Dowla 141s et les Bolcheviks 58, 118, 151, 164, 168s, 178, 181, 195, 201, 203, 467, 483, 602 et la légation russe 38, 50, 295 renvoi de Staro. 192s, 199, 231, 381, 471, 477-479 sa richesse 203s, 414, 440, 478, 480 Stevens, Charles 204, 208, 265s, 664 Stokes, major 41s, 93, 228, 664 Stumpf 362, 417, 493, 549s Suédois, voir Gendarmerie persane (officiers suédois) superstitions 85, 103, 354 Tabriz, Tauris 55, 59, 89, 93, 157s, 164, 168, 170, 178, 181, 205, 210, 215, 331, 485 Taqizâda 211, 251, 664 ta‘ziya 347s télégraphe (réseau de –) 322 Teymurtâš, voir Sardâr Mo’azzam Tonkâboni, voir Sâ‘ed od-Dowla ; Sepahsâlâr transports 116, 163, 207 marchandises françaises défavorisées 332 voir chemin de fer, routes tribus 116 TSF 91, 98, 105, 160, 230, 251, 283, 290, 303, 307, 320, 374, 427 Tumâniân(s) 73, 118, 213, 221, 224, 342-345, 354, 360, 666 Urmia 43s, 55, 229s, 256 Vahid ol-Molk, Dr 202n, 203, 223, 228, 243, 266, 268, 271, 371, 667 Vahid os-Soltân, Habibollâh Khan 319, 667

695

index général Vali-‘ahd (Mohammad-Hasan Mirzâ) 121, 145, 173, 260, 267, 292, 324, 345, 374, 438s, 498, 543, 667 Verba, colonel 113, 123, 152, 668 Vosuq od-Dowla 29, 45s, 73, 91, 93, 96, 98, 104s, 125, 136, 150, 178, 290, 358, 668 et Starosselsky 97, 141-144 et l’Accord de 1919 46-48, 210, 220, 250, 485 politique étrangère de Vosuq 72, 88, 145, 156s, 161, 164, 274, 300 démission de Vosuq 125s, 183-186 Vosuq os-Saltana, Mahdi (Dâdvar) 192, 669 Waßmuß, Wilhelm 33, 39, 185, 669 Westdahl, Gustav (gén.) 52, 106, 244, 246, 253, 264, 268, 273, 458, 526, 670 Wickham, Thomas 80, 166, 212, 225, 227, 237, 239, 244, 247, 303, 305, 349, 353, 374, 453, 463, 467, 471s, 475, 478, 496, 500, 512, 517, 670 Wilhelm, Dr 223, 250, 263, 302, 322, 349s, 352, 366, 461s, 465s, 474, 480, 484, 523s, 548s, 557, 621, 671 lors du coup d’État 265s, 500 Wüstrow, consul allemand 178, 204s, 631, 671

Xal‘atbari, Nasrollâh, voir E‘telâ‘ ol-Molk Xaz’al, Sheykh de Mohammara 180, 362, 650s xénophobie, rejet de l’Occident 105, 108, 120, 184, 231s, 293, 296-298, 319-322, 331, 349, 352 Xo’i, Yahyâ, voir Emâm-Jom’a Yazidi 391 Zamân Khan 112, 201, 292, 304s, 342, 361, 671 Zarqâmi, voir ‘Azizollâh Ziyâ Homâyun 49, 101, 199, 264, 288, 324, 430, 442s, 457, 470, 482, 485, 506, 512, 520, 531, 544, 673 Ziyâ’ od-Din Tabâtabâ’i, Seyyed 12s, 171, 186, 253, 319-321, 671 mission au Caucase 88, 93 117, 247, 274, 290 et le coup d’État 182, 267-272, 274-279, 296, 354s et voir Rezâ Khan Premier ministre 282, 292, 299, 304, 319s, 341, 371, 501, 503s, 516s, 521 destitution de Seyyed Ziyâ 330, 355, 357, 519s zoroastriens 358-360

‫‪696‬‬ ‫‬

‫‪Index des noms en Persan‬‬ ‫�ش‬ ‫م����ا ر ا �ل�د و �ل�ه ‪625 ،345 ،200‬‬ ‫�ن‬ ‫ش‬ ‫�م����ا ر ا �ل��س��ل��ط� �ه ‪626 ،343 ،192‬‬ ‫�ش‬ ‫م����ا ر ا لم��لک ‪،343 ،268 ،240 ،154 ،150s ،97 ،37‬‬ ‫‪625 ،393 ،363 ،355‬‬ ‫�ش‬ ‫م����ا و ر ا لمم�ا �لک ‪،233 ،228 ،220 ،195 ،101 ،60‬‬ ‫‪626 ،300 ،245‬‬ ‫�ش‬ ‫م�����یر ا �ل�د و �ل�ه (�‬ ‫ح����س�ن پ���یر �ن�ی��ا) ‪،138 ،110s ،85 ،51‬‬ ‫‪،360 ،355 ،186 ،184 ،176 ،171 ،148 ،145‬‬ ‫‪627‬‬ ‫�ص�د ر ا �ع���ظ�  ‪،197s ،192 ،190 ،188 ،186 ،183s‬‬ ‫م‬ ‫‪،243 ،221s ،218 ،214s ،212 ،206 ،201‬‬ ‫‪،365 ،342 ،325 ،318 ،309 ،262 ،251‬‬ ‫‪480 ،477 ،472‬‬ ‫وک‬ ‫�ود ت�ا ‪280‬‬ ‫�ش‬ ‫م�����یر ا لم��لک ‪537 ،360 ،50 ،30‬‬ ‫ق‬ ‫�ن‬ ‫�م���ص�د � ا �ل��س��ل��ط� �ه ‪624 ،606 ،604 ،393 ،364s‬‬ ‫�ظ �ف‬ ‫�م���� را �ل�د�ی�ن �ش���ا ه ‪225 ،82‬‬ ‫ن‬ ‫�م�ع�ا و � ا �ل�د و �ل�ه ‪639 ،334 ،111‬‬

‫�م�عت�����م�د ا �ل�د و �ل�ه (و ن���ی�ز ب��ه ا ح��ت ش����ا ا ��د ��ه �‬ ‫م ل و ل ر ج وع‬ ‫�ش��ود) ‪173‬‬ ‫�م�عت�����م�د ا �ل��س��ل��ط��ن�ه ‪630 ،151‬‬ ‫ت‬ ‫�م�ع��ی�ن ا �ل���� ج��ا ر �بو�ش����هر �ی ‪،282 ،266 ،56 ،51‬‬

‫ن‬ ‫�م�ع��ی�ن ا �لو �ز ا ر ه ← ا ر ��ف� ا �ل�د و �ل�ه (ر ض���ا د ا � ش���)‬ ‫ع‬ ‫�م�ع��ی�ن ا �لو �ز ا ر ه (�‬ ‫ح��س��ی�ن ع�لا ء) ‪619 ،325‬‬ ‫ت‬ ‫�م��لک ا �ل���� ج��ا ر ‪81‬‬ ‫�ز‬ ‫ممت���ا ا �ل�د و �ل�ه‪ ،‬ا ��سما �ع��ی�ل ‪،266 ،198s ،186 ،184 ،56‬‬ ‫‪620‬‬

‫‪622 ،342‬‬ ‫ن‬ ‫�ز‬ ‫ممت���ا ا �ل��س��ل��ط��ن�ه‪� ،‬صم�د خ��ا � ‪،290 ،223 ،184 ،173 ،56‬‬ ‫‪648 ،531 ،503 ،327‬‬ ‫�ز‬ ‫تض‬ ‫ممت���ا ا لم��لک‪� ،‬مر �����ی ‪،258 ،253 ،251 ،198 ،56‬‬ ‫‪623 ،268 ،266‬‬ ‫�ن‬ ‫�م� ش���و ر ا لم��لک ‪614 ،160‬‬ ‫ف‬ ‫�م ن�����صو ر ا �ل��س��ل��ط��ن�ه (�م���ص��ط����ی ع�د ل) ‪،148 ،120 ،111‬‬ ‫‪582 ،290‬‬ ‫ن آق‬ ‫�م��نو چ�‬ ‫ل‬ ‫���هر خ��ا � � � ا و ی ‪،296 ،275 ،267 ،252 ،149‬‬ ‫‪584 ،316 ،308‬‬

‫ت آ‬ ‫�م��یر �ز ا ی�‬ ‫�‬ ‫ح�ی ← د و �ل�� � ب�ا د �ی‬ ‫ی‬ ‫�ش �ف‬ ‫ق‬ ‫ن‬ ‫�ز آ خ‬ ‫�م��یر ا � ن��ا ��ا � ← ا ��ر ی‬ ‫�ز‬ ‫�م��یر ا ی�ا ���س ‪616 ،355 ،305 ،289‬‬

‫ن�ا �صر ا �ل�د و �ل�ه‪� ،‬ش���ا �ه�ز ا د ه ‪،213 ،170-172 ،149 ،33‬‬ ‫‪633 ،448 ،376 ،266 ،215‬‬ ‫ق � قگ‬ ‫ن�ا �صر ا لم��لک (ا �بوا �ل�����ا �س �را �‬ ‫��ز �لو) ‪150‬‬

‫م‬ ‫کا �مرا ن� �م��یر �ز ا‬ ‫ن�ا �ی� ب� ا �ل��س��ل��ط��ن�ه ← �‬ ‫ن�ا �ی� ب� �‬ ‫ح��س��ی�ن  ‪635 ،397 ،301 ،60 ،32‬‬ ‫ن‬ ‫ح����س��ن�ع��ل کا ل �ه�د ا � ت‬ ‫�) ‪634 ،271 ،116‬‬ ‫����صر ا لم��لک (� ی م‬ ‫�ی‬ ‫ف‬ ‫ن����ص ت‬ ‫� ا �ل�د و �ل�ه ← ���یر و �ز �م��یر �ز ا‬ ‫ر‬ ‫ن‬ ‫ت‬ ‫�ن‬ ‫����صر� ا �ل��س��ل��ط� �ه ‪،298s ،256 ،233 ،188 ،122 ،34‬‬ ‫‪637 ،373 ،317 ،308‬‬

‫ن �ظ آ ق‬ ‫ن خ ن‬ ‫��� ر � ��ا ← ��س� ی�ل�ما � ��ا �‬ ‫نف‬ ‫�������ی��سی‪�� ،‬س�ع��ی�د ‪632 ،323‬‬ ‫� ی�ن �ق‬ ‫ن‬ ‫�وا ب�‪ ،‬ح��س�� ��لی ‪634 ،211‬‬ ‫ن‬ ‫�ز‬ ‫ش‬ ‫�و ر ا د‪ ،‬پ�ا ����ا ‪638 ،331‬‬ ‫� � �� �ق‬ ‫ن‬ ‫ف‬ ‫�و ر �ی ا ��س����ن�د ی�ا ر ی (ع��ب�ا س ��لی) ‪،129 ،125 ،112‬‬

‫‪637‬‬ ‫ن�ّ�� ا لم��لک ( ض���ا ق���ل �ه�د ا � ت‬ ‫�) ‪635 ،188‬‬ ‫ر‬ ‫ر‬ ‫�ی‬ ‫ی ن قف ی ن‬ ‫ن���ی��س�ا � (ا ��س�����ک�ل�د ا �ی) ‪،529 ،527 ،338 ،333‬‬ ‫‪636 ،535 ،532s‬‬ ‫ن‬ ‫�ه�ا ج�ئ���ا �‪� ،‬م��ی ش����ل ‪،253 ،189 ،177 ،173 ،102 ،72 ،50‬‬ ‫‪602‬‬ ‫ن ق ق‬ ‫�ه�ا د �ی خ��ا � �ش�����ا �ی ‪،289 ،267 ،235 ،218 ،173‬‬ ‫‪602‬‬

‫�خ‬ ‫�خ��بر ا لم��لک (محمد �ق��ل )؛ م‬ ‫�ه�د ا �ی� ت� ← ف����ه� ا �ل�د و �ل�ه؛ م‬ ‫�‬ ‫���بر‬ ‫یم‬ ‫نّ‬ ‫ضی ق‬ ‫ا �ل��س��ل��ط��ن�ه (��م�ه�د ی���ق����لی)؛ �ی��ر ا لم��لک (ر���ا ���لی)؛‬ ‫�ن‬ ‫�ص� ی� ا �ل�د و �ل�ه‬ ‫ع‬ ‫ث ق‬ ‫و�و � ا �ل�د و �ل�ه ‪،98 ،96 ،93 ،91 ،73 ،45s ،29‬‬

‫‪668 ،358 ،290 ،178 ،150 ،136 ،125 ،104s‬‬ ‫و ا ����ست���ا ر و��س��ل��س ک‬ ‫�ی ‪141-144 ،97‬‬ ‫ق‬ ‫و �را ر د ا د ‪485 ،250 ،220 ،210 ،46-48 ۹۱۹۱‬‬ ‫ف‬ ‫ا ����ست���ع�����ا ‪183-186 ،125s‬‬ ‫����س� �ا ����س� ت‬ ‫� خ��ا ر ج��ه ‪،161 ،156s ،145 ،88 ،72‬‬ ‫�ی‬ ‫‪300 ،274 ،164‬‬ ‫ث ق‬ ‫و�و � ا �ل��س��ل��ط��ن�ه‪�� ،‬م�ه�د �ی (د ا د و ر) ‪669 ،192‬‬ ‫ن‬ ‫ح��ی�د ا �ل��س��ل��ط�ا ن�‪� ،‬‬ ‫و�‬ ‫ح��ب��ی� ب� ا �ل�ل�ه خ��ا � ‪667 ،319‬‬ ‫ت‬ ‫و�‬ ‫���ر ‪،243 ،228 ،223 ،203 ،202n‬‬ ‫ح��ی�د ا لم��لک‪ ،‬د ک‬ ‫‪667 ،371 ،271 ،268 ،266‬‬ ‫�ز‬ ‫و�ی�ل���ع�ه�د (محمد �‬ ‫ح����س�ن �م��یر ا) ‪،260 ،173 ،145 ،121‬‬ ‫‪،498 ،438s ،374 ،345 ،324 ،292 ،267‬‬ ‫‪667،543‬‬

‫‪697‬‬

‫‪Index des noms en Persan‬‬ ‫ن ف‬

‫خ‬ ‫�  ‪609 ،271‬‬ ‫ع��ی��سی ��ا � �ی�����ض‬ ‫ع��ی�ن ا �ل�د و �ل�ه ‪،251 ،242 ،168 ،164 ،111 ،94‬‬ ‫‪596 ،317 ،288 ،272‬‬

‫ن‬ ‫�غ� ��ف���ا ر �ی‪� ،‬‬ ‫ح����س��ن�ع��لی ← �م�ع�ا و � ا �ل�د و �ل�ه‬ ‫ف �ز خ ن � �نگ ف‬ ‫�را �مر ��ا � ل��ی�� چ�� �‬ ‫���� ‪،129 ،127 ،109 ،43 ،33‬‬ ‫‪596s ،271‬‬

‫ف‬ ‫ف‬ ‫ف‬ ‫�ر�م�ا ن���ف� ر�م�ا ← ���یر و �ز �م��یر �ز ا؛ محمد و لی �ر�م�ا ن���ف� ر�م�ا؛ محمد‬ ‫ف‬ ‫�ف‬ ‫ن‬ ‫ی�ن‬ ‫ح��س�� � �م�ا ��� �م�ا؛ ��س�ا لا � ش‬ ‫�‬ ‫ل��� ک�‬ ‫ر‬ ‫ر ر‬ ‫�ر‬ ‫ف ن �ف‬ ‫ی�ن‬ ‫�‬ ‫ل‬ ‫�‬ ‫�‬ ‫�ر�م�ا ��� ر�م�ا‪ ،‬ع��ب�د ا ح��س��  ‪،211 ،193 ،182 ،163 ،99‬‬

‫‪597 ،261 ،252 ،248 ،233 ،228 ،215 ،212s‬‬ ‫ب��ع�د ا �ز ک‬ ‫�ود ت�ا ‪،335 ،280-282 ،278 ،275 ،266‬‬ ‫‪525 ،520 ،506 ،504 ،381 ،376‬‬ ‫ف� �غ� ‪ ،‬ا � ا �ل‬ ‫�‬ ‫ح����س�ن  ‪600 ،110‬‬ ‫فرض و ی بوخ ن آ‬ ‫ق‬ ‫������ل ا �ل�ل�ه ��ا � � � ا و لی ‪،157 ،155 ،146-150‬‬ ‫‪598 ،584‬‬ ‫ن �ژ‬ ‫فض‬ ‫������ل ا �ل�ل�ه خ��ا �‪� ،‬م�ا ر ‪598 ،244‬‬ ‫ف‬ ‫ه� ا �ل�د و �ل�ه ‪596 ،271 ،258 ،184s‬‬ ‫����‬ ‫ی‬ ‫م‬ ‫ف��� �ز �م�� �ز ا ن����ص ت‬ ‫� ا �ل�د و �ل�ه ‪،97s ،72 ،68 ،41‬‬ ‫یر و یر‬ ‫ر‬ ‫‪،268 ،259s ،242 ،222 ،220 ،214 ،184s ،161‬‬ ‫‪،368-370 ،363 ،342s ،317 ،300 ،278s ،275‬‬ ‫‪598s ،597 ،533 ،525 ،497 ،485s‬‬ ‫و طر ک‬ ‫�ود ت�ا ‪،243 ،196 ،193 ،289 ،145 ،125s‬‬ ‫ح‬ ‫‪258 ،289‬‬ ‫ح ت‬ ‫ک ت‬ ‫� ‪،296 ،271 ،267 ،264‬‬ ‫و‬ ‫�ود �ا �ی ��سوم �و‬ ‫‪520 ،501s ،498 ،393‬‬

‫ف‬ ‫ف‬ ‫���یر و �ز ‪ ،‬محمد و لی ← محمد و لی �ر�م�ا ن���ف� ر�م�ا‬ ‫ف‬ ‫خ ن‬ ‫� ← ع��ی��سی ��ا �‬ ‫ق�ی�����ض‬ ‫گ‬ ‫ن‬ ‫�‬ ‫�را �‬ ‫��ز �لو ← ا �م�� ��ظ���ا ؛ ��س د ا ا ک‬ ‫یر م ر ر رم‬ ‫ق‬ ‫�وا ا �ل�د و �ل�ه ‪640 ،288 ،281 ،97‬‬ ‫م‬ ‫ق‬ ‫�وا ا �ل��س��ل��ط��ن�ه ‪640 ،363s ،241 ،222 ،151 ،126‬‬ ‫م ق تگ‬ ‫��ا ه ا و ‪281 ،279 ،155 ،131‬‬ ‫ا ��ا �م�� ��‬ ‫ت‬ ‫ب��ع�د ا �ز ک‬ ‫�ود �ا ‪317‬‬ ‫�ص�د ر ا �ع���ظ�  ‪393 ،387 ،367 ،360 ،355 ،345‬‬ ‫م‬ ‫ق‬ ‫�وا ا لم��لک ‪620 ،213n‬‬ ‫م‬ ‫ن‬ ‫کا �ظ� خ��ا � ����س��ی�ا  ‪،330 ،312 ،276 ،267 ،252‬‬ ‫�‬ ‫ح‬ ‫م‬ ‫‪610 ،499 ،355‬‬ ‫ن‬ ‫�ز‬ ‫کا �مرا � �م��یر ا ن�ا �ی� ب� ا �ل��س��ل��ط��ن�ه ‪،349 ،163 ،84‬‬ ‫�‬ ‫‪610‬‬ ‫کا ل ا لم��لک ‪356s ،80 ،78‬‬ ‫م‬ ‫ن‬ ‫�ز‬ ‫ک‬ ‫�و چ�ک خ��ا �‪� ،‬م��یر ا ‪،130 ،111 ،96 ،94 ،45 ،37‬‬

‫‪،342 ،340 ،246 ،222 ،193s ،182 ،175 ،173‬‬ ‫‪611 ،460 ،363 ،355‬‬

‫��� خ���س ← �ش���ا �ه خ‬ ‫�ک��ی ر و‬ ‫ر‬ ‫�‬ ‫خ ن‬ ‫�ک ن‬ ‫�ی���ه�ا � ← �م��س�عود ��ا �‬ ‫ق ن‬ ‫�ل���ما � ا �ل�د و �ل�ه ‪612 ،366 ،345 ،299‬‬ ‫ق ن‬ ‫�ل���ما � ا لم��لک ‪612 ،374 ،284 ،274‬‬ ‫ت‬ ‫�م�ؤ �م��ن ا لم��لک ‪630 ،343 ،218 ،184‬‬ ‫� �ش ا � خ ن‬ ‫م�ا ���ا ء ل�ل�ه ��ا � ‪،397 ،149 ،104 ،54 ،51 ،37 ،32s‬‬

‫‪615‬‬ ‫ن‬ ‫�ز‬ ‫ت �ز‬ ‫ا‬ ‫(��ا ممت���ا ا �ل��س��ل��ط��ن�ه؟) ‪56‬‬ ‫�‬ ‫مم���ا ا �ل��س��ل��ط� ی‬ ‫ح��ت ش‬ ‫م‬ ‫�‬ ‫��� ا �ل��س��ل��ط��ن�ه ‪،253 ،199 ،192 ،186 ،129 ،112 ،56‬‬ ‫م‬ ‫‪،336 ،333 ،290 ،271s ،268 ،266 ،257 ،255‬‬ ‫‪618 ،345‬‬ ‫ن‬ ‫م تق‬ ‫حمد �����ی خ��ا � ‪372s ،363‬‬

‫ح����س�ن‬ ‫محمد �‬ ‫ح����س�ن‬ ‫محمد �‬ ‫ح��س��ی�ن‬ ‫محمد �‬

‫ف‬ ‫�م�ا �ی ← ��س�ع�د ا لم��لک‬ ‫�م��یر �ز ا ← و�ی�ل���ع�ه�د‬ ‫ف ن �ف‬ ‫�ر�م�ا ��� ر�م�ا ‪،256 ،248 ،233 ،231 ،215‬‬

‫‪597 ،501s ،308 ،278s ،261‬‬ ‫ف �ز‬ ‫ف ن �ف‬ ‫م‬ ‫حمد و لی �ر�م�ا ��� ر�م�ا (���یر و ) ‪598 ،299 ،98 ،92-94‬‬

‫ن‬ ‫م‬ ‫�‬ ‫ح���مود خ��ا � ← �م�د�یر ا لم��لک‬ ‫�خ‬ ‫م‬ ‫���بر ا �ل�د و �ل�ه ‪631 ،596 ،185‬‬ ‫�خ‬ ‫�ن‬ ‫�‬ ‫�‬ ‫ا‬ ‫�ه‬ ‫�‬ ‫ط‬ ‫�‬ ‫س‬ ‫��‬ ‫م بر ل�� �ل��  ‪،331 ،228 ،185 ،146 ،116 ،51 ،48‬‬ ‫‪631 ،381‬‬ ‫�خ‬ ‫م‬ ‫���بر ا لم��لک ‪631 ،184‬‬

‫�م�د ر��س‪���� ،‬س��ی�د �‬ ‫ح����س�ن  ‪،288 ،277 ،268s ،266 ،51‬‬ ‫‪616 ،371 ،342s ،305‬‬ ‫�م�د�یر ا لم��لک ( م‬ ‫�‬ ‫ح���مود ج�� ) ‪،269 ،204 ،156 ،71‬‬ ‫م‬ ‫‪،360 ،330 ،327s ،317 ،303 ،301 ،290s ،271‬‬ ‫‪617 ،546 ،417‬‬ ‫�ز ن گ ن‬ ‫�مر ب�ا � ی��‬ ‫�لا �ی ← ا �م��ی�ن ا لم��لک‬ ‫ّ‬ ‫�م�ز �ی�ن ا �ل�د و �ل�ه ‪632 ،146 ،78s‬‬ ‫ت‬ ‫�م��س�� ش����ا ر ا �ل�د و �ل�ه ‪628 ،268 ،266 ،253‬‬ ‫ف‬ ‫�م����ست��و �ی ا لمم�ا �لک ‪،148 ،51 ،47 ،45 ،37‬‬

‫‪،208 ،192 ،188 ،186 ،184 ،171 ،166‬‬ ‫‪،343 ،262 ،250 ،243 ،241 ،218 ،211‬‬ ‫‪629 ،384 ،381 ،363 ،345‬‬ ‫وک‬ ‫�ود ت�ا ‪277 ،269‬‬ ‫خ ن �ک ن‬ ‫�ی���ه�ا �) ‪،273 ،271 ،266s ،246‬‬ ‫�م��س�عود ��ا � (‬ ‫‪،361 ،330 ،319 ،317 ،304 ،292 ،280 ،276s‬‬ ‫‪614 ،499‬‬

‫‪Index des noms en Persan‬‬ ‫ت‬ ‫و �وطئ���ه ع� ی�ل��ه ا و ‪360-363‬‬ ‫ت‬

‫�ز �خ‬

‫و ر و � ش�����ت���ا�ی�ن (و �ر م‬ ‫� ت���ا ر �ش��و ر و �ی) ‪،332‬‬ ‫ی‬ ‫‪548 ،539 ،532 ،521 ،337‬‬ ‫و ����س��ی�د �ض‬ ‫�� ��ی�ا ء ‪519s ،517 ،384s ،330 ،326‬‬ ‫ض‬ ‫ر ی�ا ��ی‪ ،‬ع��لی ‪،287s ،277 ،274 ،272 ،247 ،240‬‬ ‫‪643 ،341 ،292‬‬ ‫ن‬ ‫ر ی� ش����ا ر خ��ا � �م�ؤد ب� ا لم��لک ‪643 ،137 ،72‬‬ ‫�ز ن ن‬ ‫�م�ا � خ��ا � ‪671 ،361 ،342 ،304s ،292 ،201 ،112‬‬ ‫��س�ا ر ا �ل�د و �ل�ه ‪151 ،136s ،102‬‬ ‫م‬ ‫غ‬ ‫��س�ا ع�د ا �ل�د و �ل�ه‪ ،‬ع��لی ا �ص��ر ‪656 ،645 ،89 ،75 ،70‬‬

‫قگ‬ ‫ن‬ ‫��س�ا ع�د ا �ل��س��ل��ط��ن�ه ← ا �م��یر ��ظ���ا (�ع��ب�د ا �ل�ل�ه �را �‬ ‫��ز �لو)‬ ‫م‬ ‫��س�ا ع�د ا لم��لک‪� ،‬‬ ‫ح����س�ن  ‪646 ،337s ،327 ،324 ،322‬‬ ‫گ‬ ‫��س�ا لا ر ج���ن� ‪647 ،251s‬‬ ‫��س�ا لا � ش‬ ‫ل��� ک�‬ ‫�ر (�ع��ب�ا ��س) ‪،98-100 ،93 ،91 ،82s‬‬ ‫ر‬

‫‪،231s ،202n 226s ،163 ،157 ،152 ،112‬‬ ‫‪،501 ،380-386 ،369 ،278 ،268 ،248‬‬ ‫ف‬ ‫‪ 647‬و ن���ی�ز ب��ه �ر�م�ا ن���ف� ر�م�ا ر ج�و �ش��ود‬ ‫ع‬ ‫����سپ����ه�د ا ر ا �ع���ظ� ر �ش��ت�ی ‪،137 ،111 ،101 ،97 ،95 ،75s‬‬ ‫م‬ ‫‪472 ،457 ،154 ،151s‬‬ ‫�ص�د ا ت‬ ‫� و �ی ‪،264 ،253 ،221s ،210 ،192‬‬ ‫ر‬ ‫‪485 ،483 ،477‬‬ ‫وک‬ ‫�ود ت�ا ‪371‬‬ ‫����سپ����ه��س�ا لا ر ‪656 ،645 ،111 ،88s‬‬ ‫��سر د ا ر ا ��س�ع�د د و  ‪650 ،633 ،110‬‬ ‫م‬ ‫��سر د ا ر ا ��س�ع�د ��سو  ‪،631 ،236 ،132 ،114 ،107 ،94‬‬ ‫م‬ ‫‪651‬‬ ‫ف‬ ‫��سر د ا ر ا �ش��ر �� ‪651 ،300 ،286 ،244s‬‬ ‫��س د ا ا ک‬ ‫�ر  ‪،213 ،186 ،137 ،134 ،99 ،70 ،40‬‬ ‫ر ر م‬ ‫‪639 ،440 ،393 ،382s‬‬

‫ض خ ن‬ ‫��سر د ا ر ����س��پ�ه ← ر���ا ��ا �‬ ‫�ظ �ف‬ ‫��سر د ا ر �� ر ‪300‬‬ ‫ت‬ ‫ش‬ ‫ت‬ ‫��سر د ا ر �م�ع���ظ� ( ��یمو ر �ا ���) ‪،148 ،137 ،100s ،98‬‬ ‫م‬ ‫‪،345 ،343 ،268 ،260 ،221 ،214 ،171 ،158‬‬ ‫‪665‬‬

‫��سر د ا ر �م ن�����صو ر ← ����س���ه�د ا ا �ع���ظ�‬ ‫پ� ر م‬ ‫ن‬ ‫��سر د ا ر �ه�م�ا �یو � ‪652 ،260 ،218 ،201 ،33‬‬ ‫وک‬ ‫�ود ت�ا ‪661 ،278s ،267 ،265‬‬ ‫��س�ع�د ا �ل�د و �ل�ه‪ ،‬ج�وا د ‪646 ،644 ،288 ،51‬‬ ‫ف‬ ‫��س�ع�د ا لم��لک‪ ،‬محمد �‬ ‫ح����س�ن �م�ا �ی ‪307‬‬

‫ن‬

‫ن‬

‫‪698‬‬ ‫‬

‫��س� ی�ل�ما � خ��ا � ‪662 ،597 ،328 ،258 ،252 ،87 ،43‬‬ ‫ن‬

‫��سم��ی�عی‪� ،‬‬ ‫ح��س��ی�ن خ��ا � ← ا د �ی� ب� ا �ل��س��ل��ط��ن�ه‬ ‫خ ن‬ ‫����س��ی�اح ← �‬ ‫کا �ظ�م ��ا �‬ ‫ئ‬ ‫ی�ن‬ ‫����س��ی�د �ض‬ ‫�� ��ی�ا ء ← �ض‬ ‫�� ��ی�ا ا �ل�د � ط��ب�ا ط��ب�ا �ی‬ ‫ف‬ ‫ن‬ ‫����س��ی� ا �ل�ل�ه خ��ا � ‪658 ،257 ،247 ،171 ،125 ،94‬‬ ‫آ‬ ‫ق‬ ‫�و (ا ��سما �ع��ی�ل � ��ا �ش�� ک�‬ ‫��س�یم ک‬ ‫��اکی) ‪،129s ،123 ،97 ،89‬‬ ‫‪330 ،229 ،157 ،146‬‬

‫�ش���ا �ه خ ← ا �ا �ک� خ‬ ‫ر ب ب�‬ ‫��ی�����سر و‬ ‫ر�‬ ‫�ش���ع�ا ا �ل��س��ل��ط��ن�ه‪� ،‬ش���ا �ه�ز ا د ه ‪،433 ،241 ،201 ،30‬‬ ‫ع‬ ‫‪661 ،481‬‬

‫ت ن‬

‫د خ���ر ا � ا و ‪،460 ،453s ،446s ،435 ،260‬‬ ‫‪498 ،481 ،479‬‬ ‫�ش����ه�ا ب� ا �ل�د و �ل�ه‪� ،‬ش���ا �ه�ز ا د ه �ع��ب�د ا �ل�ل�ه ‪،323s ،211‬‬ ‫‪646 ،519 ،343‬‬

‫ف‬ ‫خ ن‬ ‫�ش����ه�ا ب� ← ����س��ی� ا �ل�ل�ه ��ا �‬ ‫ن‬ ‫خ‬ ‫ح��ب��ی� ب� ا �ل�ل�ه ��ا �؛ ج�� ی�ل��ل ا لم��لک؛ و�‬ ‫�ش����ی ب��ا �نی ← �‬ ‫ح��ی�د‬ ‫ا لم��لک‬ ‫ق‬ ‫ن‬ ‫�ص�ا د � خ��ا � ← �م��س��ت ش����ا ر ا �ل�د و �ل�ه‬ ‫ن‬ ‫�ز‬ ‫خ‬ ‫�صم�د ��ا � ← ممت���ا ا �ل��س��ل��ط��ن�ه‬ ‫�صم���ص�ا ا �ل��س��ل��ط��ن�ه ‪،152 ،148s ،145 ،103s ،51 ،47 ،45‬‬ ‫م‬

‫‪،260 ،245 ،243 ،241 ،236 ،183s ،174 ،158‬‬ ‫‪650 ،391 ،373 ،338 ،300 ،286 ،282 ،266‬‬ ‫�ص��ن� ا �ل�د �ل�ه (�م �ت�ض��� �ق��ل �ه�د ا � ت‬ ‫�) ‪604 ،116‬‬ ‫�ی‬ ‫ی‬ ‫و ر ی ی‬

‫غع‬ ‫خ ن‬ ‫غ‬ ‫�ز ی�ز‬ ‫�ض� ر��ا می ← �ع � ا �ل�ل�ه ��ا � �ض� ر��ا می‬ ‫ئ‬ ‫�ض‬ ‫�� ��ی�ا ء ا �ل�د�ی�ن ط��ب�ا ط��ب�ا �ی‪���� ،‬س��ی�د ‪،253 ،186 ،171 ،12s‬‬

‫‪671 ،319-321‬‬ ‫ک‬ ‫�ود ت�ا ‪354s ،296 ،274-279 ،267-272 ،182‬‬ ‫و �أ‬ ‫�ق‬ ‫�ز‬ ‫ف‬ ‫ق‬ ‫ت‬ ‫�‬ ‫و �م� مو ر �ی�� ا و ب��ه ���������ا  ‪،247 ،117 93 ،88‬‬ ‫‪290 ،274‬‬ ‫د �ل� ت‬ ‫� ا و ‪،341 ،319s ،304 ،299 ،292 ،282‬‬ ‫و‬ ‫‪521 ،516s ،503s ،501 ،371‬‬ ‫�ز‬ ‫�ز‬ ‫� �م� ت‬ ‫� ‪519s ،357 ،355 ،330‬‬ ‫�ع ل ا و ا ح کو‬ ‫�ه� � ن‬ ‫�ض‬ ‫�� ��ی�ا ء م�ا یو � ‪،430 ،324 ،288 ،264 ،199 ،101 ،49‬‬ ‫‪،520 ،512 ،506 ،485 ،482 ،470 ،457 ،442s‬‬ ‫‪673 ،544 ،531‬‬

‫ق خ ن ن‬ ‫ف �ن‬ ‫�ع��ب�ا ��س����لی ��ا � ← �و ر �ی ا ��س��� �د ی�ا ر �ی‬ ‫ع�د ل‪���� ،‬س��ی�د �م���ص��ط��ف��ی ← �م ن�����صو ر ا �ل��س��ل��ط��ن�ه‬ ‫ن‬ ‫غ‬ ‫�ع�ز �ی�ز ا �ل�ل�ه خ��ا � �ض� ر��ا می ‪586 ،287 ،249‬‬ ‫ن‬ ‫ض‬ ‫�ع�����د ا �ل��س��ل��ط�ا � ‪586 ،292 ،256 ،229‬‬

‫ف‬ ‫����هر����س� ت� ر ج��ا ل‬ ‫آذ‬ ‫آق‬ ‫ف ض ا � خ ن � �ن � خ ن‬ ‫���هر ��ا �‬ ‫�آ ق� ا و لی ← ������ل ل�ل�ه ��ا �؛ م� و چ‬ ‫� ��ا �پ��طر��س ‪584s ،333 ،284s‬‬ ‫� ن ا �� ک ن‬ ‫ا ��پی� یک��ا � ← �یپ ی��‬ ‫�ا �‬ ‫ت‬ ‫ا ح�� ش����ا ا �ل�د و �ل�ه ‪594 ،93‬‬ ‫شم‬ ‫ا ح�م�د ����ا ه ‪،512 ،484 ،394 ،374-376 ،233 ،215‬‬ ‫� � ر �ی‪ ،‬ا ح�م�د ‪586 ،130‬‬

‫‪582 ،539 ،532 ،530 ،516 ،514s‬‬ ‫آ‬ ‫و � د ا ب� د ر ب�ا ر ‪29s‬‬ ‫و ا ����ست���ا ر و��س��ل��س ک‬ ‫�ی ‪479 ،204 ،197 ،195s‬‬ ‫ت‬ ‫ف‬ ‫و ���ه�د ی��د ب��ه ا ����ست���ع�����ا ‪489 ،243 ،241‬‬ ‫ث‬ ‫ت‬ ‫و �ر و� ‪289 ،130‬‬ ‫�ز ن‬ ‫و ن�ا � ‪527s ،520 ،507 ،498 ،493 ،481 ،303‬‬ ‫وک‬ ‫�ود ت�ا ‪،289 ،281 ،278s ،275 ،274 ،270‬‬ ‫‪519 ،500-503 ،299 ،291s‬‬ ‫�ف‬ ‫��س� ر ب��ه ا ر و پ�ا ‪146 ،101 ،98 ،51 ،41‬‬ ‫ا � �ن � ی�ن خ ن‬ ‫ا د �ی� ب� ل��س��ل��ط� �ه‪ ،‬ح��س�� ��ا � ‪649 ،160‬‬ ‫ا د �ی� ب� پ���ی ش����ا و ر �ی ‪356s‬‬ ‫خ‬ ‫ا �ا �ک� خ‬ ‫��ی�����سر و �ش���ا �هر  ‪646 ،358‬‬ ‫ر ب ب�‬ ‫�‬ ‫ا �ش �ه� � ن‬ ‫ر ���د م�ا یو � ‪585 ،256‬‬ ‫ن‬ ‫ا ر ���ف ا �ل�د و �ل�ه‪ ،‬پ�ر ���س ‪585 ،474 ،198‬‬ ‫ع‬ ‫ا ��س�ع�د ا �ل�د و �ل�ه ‪586 ،121‬‬

‫ح��ت ش��� ا �ل��س��ل��ط��ن�ه؛ ن� � ا � ف‬ ‫ا� ف‬ ‫�س����ن�د �ا � ← م‬ ‫�‬ ‫�س����ن�د ی�ا ر �ی‪،‬‬ ‫وری‬ ‫ی ر ی ق خ نم‬ ‫�ع��ب�ا ��س ���ل ��ا �‬ ‫� یی�ن � �ز ا �آ ق خ ن‬ ‫ا �ش��ر ف�ی‪ ،‬غ��لا م‬ ‫��ا ��ا � ‪586 ،184‬‬ ‫ح��س�� م��یر‬ ‫ا �عت���لا ء ا لم��لک ‪593 ،485‬‬ ‫ا ع��ل ← ا �م�� ا ع��ل‬ ‫یر م‬ ‫قم‬ ‫ا ���ب�ا ل ا �ل�د و �ل�ه ‪595 ،235‬‬ ‫� خ� ئ‬ ‫ا� م‬ ‫�‬ ‫�‬ ‫ح�ی و �ی ‪268 ،148 ،145 ،124 ،51‬‬ ‫م�ا ج ���م�ع�ه ی ی‬

‫‪594‬‬ ‫ن‬ ‫ن‬ ‫ا �م�ا � ا �ل�ل�ه خ��ا � ‪583‬‬ ‫ا �م��یر ا ر �ش���د ‪584 ،331‬‬ ‫ا �م��یر ا ع��ل  ‪582 ،366 ،184 ،103‬‬ ‫�ظ �فم‬ ‫ا �م��یر �� ر ‪584 ،163 ،91‬‬ ‫گ‬ ‫ن ق‬ ‫ا �م��یر ��ظ���ا �را �‬ ‫��ز �لو ‪584 ،278 ،99‬‬ ‫م‬ ‫ا �م��ی�ن ا �ل�د و �ل�ه ‪583 ،243‬‬ ‫ا �م��ی�ن ا �ل� �ض�� ر ب� ‪584 ،362 ،150 ،56‬‬

‫ا �م��ی�ن ا لم��لک ‪583 ،358 ،251 ،228‬‬

‫ا �م��ی ن�ی ← ا �م��ی�ن ا �ل�د و �ل�ه‬ ‫�ظ‬ ‫ا �ن�ت����ا ا لم��لک ‪595 ،539‬‬ ‫نم‬ ‫ا ��یپ� یک��‬ ‫�ا � ‪،329 ،305 ،289 ،253 ،158s ،132 ،41‬‬ ‫‪608‬‬

‫�ن‬ ‫�خ ت‬ ‫ب�‬ ‫�����ی�ا ر �ی ← �صم���ص�ا م ا �ل��س��ل��ط� �ه؛ ��سر د ا ر ا ��س�ع�د؛ ��سر د ا ر‬ ‫ا �ش�� �ف ؛ ��س د ا �ظ ���ف‬ ‫ر� ر ر ر‬ ‫ب���ه�ا ء ا لم��لک ‪587 ،271‬‬ ‫ن‬ ‫�����س� �ا ن ‪ ،‬م ت ق‬ ‫حمد �����ی خ��ا � ‪363‬‬ ‫پ �ی �‬ ‫ت‬ ‫��� �ن���ا ← � ش‬ ‫م�����یر ا �ل�د و �ل�ه؛ �م�ؤ �م��ن ا لم��لک‬ ‫پیر ی‬ ‫ت���ق����ی�ز ا د ه‪� ،‬‬ ‫ح����س�ن  ‪664 ،251 ،211‬‬ ‫ت�ن� ک� ن‬ ‫��ا ب��ی ← ��س�ا ع�د ا �ل�د و �ل�ه؛ ����سپ����ه��س�ا لا ر‬ ‫ت �ن ن ت �ن ن‬ ‫�و�م�ا �ی��ا �‪� ،‬و�م�ا �ی��ا ���س ‪342- ،224 ،221 ،213 ،118 ،73‬‬ ‫‪666 ،360 ،354 ،345‬‬

‫ت‬ ‫��یمو رت�ا ش��� ← ��س د ا �م�ع���ظ�‬ ‫ر ر م‬ ‫ج�� ی�ل��ل ا لم��لک ‪609 ،271 ،268 ،230‬‬ ‫ج� � ‪ ،‬م‬ ‫�‬ ‫ح���مود ← �م�د�یر ا لم��لک‬ ‫� م �ن ن‬ ‫ا� ن ا � خ ن‬ ‫ج���ه�ا �ب��ا �ی ← م�ا � ل�ل�ه ��ا �‬ ‫ن‬ ‫�‬ ‫ح��ب��ی� ب� ا �ل�ل�ه خ��ا � ‪،255 ،250 ،247 ،191 ،179s ،125s‬‬ ‫‪602 ،331 ،287s ،275 ،269‬‬

‫ن‬ ‫ح��ب��ی� ب� ا �ل�ل�ه خ��ا ن� �ش����ی ب��ا �نی ← و�‬ ‫�‬ ‫ح��ی�د ا �ل��س��ل��ط�ا �‬ ‫ح��س��ی�ن خ��ا ن� ← ا د �� ا �ل��س��ل��ط� �ه�ن‬ ‫�‬ ‫�ی ب‬ ‫ت‬ ‫ش‬ ‫�‬ ‫ح������م�� ا �ل�د و �ل�ه ‪،198 ،192 ،188 ،160 ،155 ،152‬‬ ‫‪606‬‬

‫ح�یک� ا لم��ل ا � ا‬ ‫�ه� ح ک‬ ‫���ی���می) ‪603 ،188 ،107‬‬ ‫ک ( بر غ یم‬ ‫م‬ ‫ن‬ ‫�‬ ‫ح��ی�د ر خ��ا � �ع�موا و���لی ‪606 ،318‬‬ ‫�خ�زع� ‪ ،‬ش������ی�� خ م‬ ‫�‬ ‫ح���مره ‪650s ،362 ،180‬‬ ‫ل‬ ‫ن�‬ ‫خ���ل�عت����بر �ی‪���� ،‬صر ا �ل�ل�ه ← ا �عت���لا ء ا لم��لک‬ ‫خ ئ‬ ‫ح� ← ا �م�ا جم‬ ‫خ�و �ئی‪ ،‬ی�‬ ‫�‬ ‫����م�ع�ه �و �ی‬ ‫ش ی خی ن‬ ‫د ر و�ی��� ��ا � ‪363 ،257‬‬ ‫آ‬ ‫د و� ت�ل�� ب�ا د � �‬ ‫�‬ ‫ح�ی ‪592 ،227 ،221 ،218 ،214‬‬ ‫ی‪ ،‬ی ی‬ ‫د ���ا‪ ،‬ا � ا �ل��ف��ت���� ← � ش‬ ‫ح������م� ت� ا �ل�د و �ل�ه‬ ‫�یضب بو ن ح‬ ‫ر���ا خ��ا � ��سر د ا ر ����س��پ�ه ‪،276n ،265-270 ،11‬‬

‫‪،337 ،319 ،296 ،292 ،289 ،287 ،283 ،277s‬‬ ‫‪642 ،499-501 ،393 ،384 ،372 ،369‬‬ ‫و ا ح�م�د �ش���ا ه ‪520 ،517‬‬