Qui a peur du cannibale ? : recits antiques d'anthropophages aux frontieres de l'humanite 9782503531731, 2503531733

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Qui a peur du cannibale ? : recits antiques d'anthropophages aux frontieres de l'humanite
 9782503531731, 2503531733

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QUI A PEUR DU CANNIBALE ?

BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES

SCIENCES RELIGIEUSES

VOLUME

140

Illustration de couverture : Ricardo Migliorisi, Histerias de la Conquista (détail). Technique mixte – acrylique sur toile matelassée, feuilles d’or. © Ricardo Migliorisi (Tous droits réservés). Cliché Marie-Jeanne Waide.

Agnès A. NAGY

QUI A PEUR DU CANNIBALE ? RÉCITS ANTIQUES D’ANTHROPOPHAGES AUX FRONTIÈRES DE L’HUMANITÉ





La Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses La collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses, fondée en 1889 et riche de plus de cent-trente volumes, reflète la diversité des enseignements et des recherches menés au sein de la Section des sciences religieuses de l’École Pratique des Hautes Études (Paris, Sorbonne). Dans l’esprit de la section qui met en œuvre une étude scientifique, laïque et pluraliste des faits religieux, on retrouve dans cette collection tant la diversité des religions et aires culturelles étudiées que la pluralité des disciplines pratiquées : philologie, archéologie, histoire, philosophie, anthropologie, sociologie, droit. Avec le haut niveau de spécialisation et d’érudition qui caractérise les études menées à l’EPHE, la collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses aborde aussi bien les religions anciennes disparues que les religions contemporaines, s’intéresse aussi bien à l’originalité historique, philosophique et théologique des trois grands monothéismes – judaïsme, christianisme, islam – qu’à la diversité religieuse en Inde, au Tibet, en Chine, au Japon, en Afrique et en Amérique, dans la Mésopotamie et l’Égypte anciennes, dans la Grèce et la Rome antiques. Cette collection n’oublie pas non plus l’étude des marges religieuses et des formes de dissidences, l’analyse des modalités mêmes de sortie de la religion. Les ouvrages sont signés par les meilleurs spécialistes français et étrangers dans le domaine des sciences religieuses (chercheurs enseignants à l’EPHE, anciens élèves de l’École, chercheurs invités…) Directeur de la collection : Gilbert DAHAN Secrétaire de rédaction : Francis GAUTIER Secrétaires d’édition : Cécile GUIVARCH, Anna WAIDE Comité de rédaction : Denise AIGLE, Mohammad Ali AMIR-MOEZZI, Jean-Robert ARMOGATHE, Jean-Daniel DUBOIS, Michael HOUSEMAN, Alain LE BOULLUEC, Marie-Joseph PIERRE, Jean-Noël ROBERT © 2009, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2009/0095/162 ISBN 978-2-503-53173-1 Printed in the E.U. on acid-free paper

À P. S. et à Y. Avec une petite pensée à L…

PRÉFACE

Parmi les monstres qui nous remplissent de terreur mais qui nous fascinent également, l’anthropophage et le cannibale occupent une place d’honneur. Le premier, l’être – humain, divin, animal ou autre – qui mange de la chair humaine, et le second, celui qui consomme les membres de sa propre espèce, se confondent souvent et, dans le cas de l’être humain, se superposent parfaitement : certaines espèces – dont l’homme – pouvant être à la fois cannibales et anthropophages… Ils sont omniprésents dans notre imaginaire collectif, des Lestrygons d’Homère au Thyeste de Sénèque, des orques du Seigneur des Anneaux à l’Hannibal Lecter du Silence des Agneaux et de l’ogre du Petit Poucet aux matelots du « petit navire » qui, lorsque « les vivres vinrent à manquer », n’hésitèrent pas à tirer « à la courte paille pour savoir qui serait mangé », et furent prêts à dévorer le petit dernier, « bien qu’il ne fût pas très épais »… Le public dévore les histoires de cannibales et frissonne volontiers au vu de ces fauves humains : le procès d’Armin Meiwes, le cannibale de Rotenburg qui recrutait des victimes par internet, fut très largement couvert par les médias, et les peintures d’Issei Sagawa, le japonais qui a mangé la chair de sa fiancée après l’avoir assassinée, se vendent toujours à prix fort. Cette fascination mêlée de terreur – ou terreur mêlée de fascination – ne date pas d’hier. Une des aventures incontournables des romans grecs fut jadis la confrontation des héros à des affreux bandits prêts à les dévorer ; les voyageurs européens, du mythique Ulysse au très réel David Livingstone, en passant par Hérodote, Strabon, Christophe Colomb, Hans Staden ou André Thévet, s’empressaient également de déceler les signes de cannibalisme chez les peuples rencontrés sur leur chemin ; sans parler du sort proverbial des nombreux missionnaires disparus dans les entrailles des sauvages, en tentant de leur enseigner les douces mœurs de la civilisation… D’ailleurs, le terme même de cannibale est un cadeau des grandes découvertes des XVe-XVIe siècles, du nom d’une tribu des Caraïbes, les Caribes, que leurs voisins Arawaks accusaient d’anthropophagie auprès des Espagnols 1. Auparavant, si les périphrases ne suffisaient pas, les savants pouvaient avoir recours à des mots hérités des anciens Grecs, désignant les mangeurs d’hommes comme anthropophages, et ceux qui consommaient leur propre espèce comme allélophages. Bien sûr, cette fascination n’est pas propre aux actes de cannibalisme. Ces temps-ci, dans les nouvelles et dans les fictions, le cannibale doit partager son auréole ensanglantée avec les terroristes, les pédophiles, les adorateurs de Satan et les tueurs en série. Pourtant, il ne risque pas d’être détrôné par eux : rien de plus affreusement excitant en effet qu’un tueur en série satanique qui est en même temps pédo- ou nécrophile et cannibale ! Dans le passé, le cannibalisme fut également souvent associé à divers actes répréhensibles, de la même nature que ce qu’on

1. W. A RENS, The Man-Eating Myth: Anthropology and Anthropophagy, New York 1979, p. 48.

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Préface reproche aux cannibales d’aujourd’hui : conspiration et rébellion, banditisme, inceste, parricide ou pratique des rites pervertis. La réputation de cannibale n’est en général pas anodine : elle se présente souvent sous forme d’accusation. Les prétendus sorciers et les hérétiques en firent les frais pendant tout le Moyen Âge, les Juifs dans l’Antiquité d’abord, puis de nouveau entre le XIIe et le XXe siècles. La chrétienté de l’Empire romain y fut ellemême confrontée pendant les deux premiers siècles de son existence. Accusation qui entraîna des conséquences dramatiques pour les accusés, allant de la méfiance et du mépris jusqu’aux pogroms, aux procès et aux exécutions. Pourquoi l’anthropophagie éveille-t-elle tant d’émotion, tant de haine ? Pourquoi ce paradigme est-il capable de décrire la peur, le sentiment de danger que l’Autre suscite en nous-mêmes ? Comment est-il possible que, dans des sociétés où le cannibalisme fait partie des tabous suprêmes, il soit aussi présent au niveau de l’imaginaire ? En 1972, un numéro spécial de la Nouvelle revue de psychanalyse fut entièrement consacré à ces questions, dans une perspective comparatiste, entre historiens, anthropologues et psychologues. Jean Pouillon y répond d’emblée : L’abstention n’empêche pas le cannibalisme de hanter le langage et de nourrir les craintes, peut-être même les rêves, des non-cannibales. […] la prohibition de la chair humaine libère l’usage métaphorique du cannibalisme : précisément parce qu’on ne transgresse pas l’interdit, les représentations cannibaliques servent à signifier autre chose et pas seulement, quoique souvent, d’ordre sexuel. […] Pour ceux qui se bornent à l’imaginer, le cannibalisme est donc une figure du désordre 2. Cependant, avertit Marcel Detienne, il faut se garder de toute généralisation. « Car la signification de ce qui semble se donner comme une conduite anthropophagique relève chaque fois d’un contexte qui peut seul décider de son véritable sens » 3. Il conseille donc de définir chaque histoire de cannibale à l’intérieur du système de pensée qui l’a créée et propose de situer des histoires grecques « dans l’ensemble des représentations qu’une société se fait d’elle-même et d’autrui à travers ses manières de manger ». Detienne démontre clairement que, pour les Grecs, « l’anthropophagie […] représente un plan de signification privilégié pour définir le système de relations entre l’homme, la nature et la surnature », grâce à la place centrale que la cuisine sacrificielle occupe dans leur système de pensée. Ainsi, les cannibales se trouvent confinés au-delà des frontières spatiales, temporelles et sociales. Pour les Grecs, la notion de cannibale sert à désigner non seulement ceux qui sont réellement anthropophages, mais également tous ceux dont le comportement est en désaccord avec leur idéal de la civilisation : « manger de la chair humaine, c’est entrer dans un monde inhumain d’où l’on ne revient pas souvent. […] Il y a là un modèle de l’exclusion […] contre ceux que l’on voulait

2. J. POUILLON, « Manières de tables, manières de lits, manières de langage », Destins du cannibalisme, Nouvelle revue de psychanalyse 6 (1972), p. 9-26 (p. 14-15). 3. M. DETIENNE, « Entre bêtes et dieux », Destins du cannibalisme, Nouvelle revue de psychanalyse 6 (1972), p. 231-248 (p. 232).

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Préface dénoncer comme des ennemis de l’humanité », dont les premiers chrétiens 4. Or, si la cité rejette les cyniques parce qu’ils préfèrent la viande crue à la cuite et refusent d’interdire le cannibalisme, pour les orphiques et les pythagoriciens végétariens, c’est la consommation de la chair des animaux sacrifiés, habituelle pour tout Grec, qui symbolisera le cannibalisme. Ce déplacement de la notion du cannibalisme est significatif : à l’intérieur d’une seule et même société, le comportement parfaitement normal de la majorité peut donc être dénoncé comme anormal par la minorité, et cette nouvelle anormalité est encore exprimée par le paradigme de l’anthropophagie… La civilisation occidentale, par l’intermédiaire du christianisme qui l’a parfaitement intégré, est l’héritière de cet usage métaphorique du cannibale qui sert à départager l’Homme de ce qui n’est pas (entièrement) humain. Cependant, en même temps que cette fonction première, d’ailleurs largement utilisée pendant les siècles passés, la notion du cannibalisme a également gardé son aptitude à se plier aux changements normatifs. Un documentaire de Peter Hayden et Mark Ferns (Les Animaux cannibales), réalisé avec la contribution du Jane Goodall Institute, du département d’Anthropologie de l’Université de Californie du Sud, du département de Psychologie de l’Université de Californie et du département des Sciences Biologiques de l’Université d’Édimbourg en 1996, fournit un exemple saisissant de ce glissement de norme. Dans ce film, on est témoin oculaire d’une scène horrible : on y voit un bébé chimpanzé se faire dévorer par les mâles de son clan. Il n’y a aucun doute quant à la réalité de l’acte de cannibalisme : la scène fut filmée sans trucage. Cependant, à première vue, ce cannibalisme n’est pas de l’anthropophagie, car les protagonistes sont des singes. Des chimpanzés frustrés et affamés de viande qui comblent leur manque alimentaire par la chair d’un membre de leur propre espèce. Car, selon l’aveu même du commentateur, cette tecnophagie est la conséquence directe de la non-réussite de la chasse des mâles. Pourtant, la conclusion de la scène est surprenante : « ils partagent la chair de leur malheureuse victime comme s’ils voulaient par là sceller une monstrueuse alliance », annonce la voix off. Or, ce commentaire rappelle curieusement les paroles que Minucius Felix a mises dans la bouche de Cæcilius, l’adversaire du christianisme, dix-huit siècles plus tôt : « Cet enfant, ô impiété, ils lèchent son sang avec avidité, ils se disputent les parts de son corps ; telle est la victime qui consacre leur alliance, telle est la complicité dans le crime qui les engage à observer un silence mutuel » 5 ! Cependant, si les mots sont semblables, le but de Cæcilus et celui des auteurs du documentaire sont diamétralement opposés. Tandis que le Romain veut démontrer la bestialité des chrétiens, les défenseurs des animaux, dont de respectables primatologues, tentent, au contraire, d’humaniser les chimpanzés ! Non pas à travers leur cannibalisme qui est un acte banal dans le règne animal – c’est en effet le sujet principal du documentaire –, mais en attribuant à cet acte 4. Ibid., p. 237-238. 5. Octavius, 9, 5 « Huius, pro nefas ! sitienter sanguinem lambunt, huius certatim membra dispertiunt, hac fœderantur hostia, hac conscientia sceleris ad silentium mutuum pignerantur. » Sauf mention explicite, le texte et la traduction de cette œuvre seront cités suivant l’édition de J. BEAUJEU, Les Belles Lettres, Paris 1974.

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Préface une interprétation proprement humaine. La Norme est encore une fois mise en doute ou peut-être même en train de changer en ce début du XXIe siècle. La nouvelle Norme que les défenseurs des animaux proposent rappelle celle des orphiques et des pythagoriciens de l’Antiquité : les bêtes ne doivent plus être considérées comme des êtres inférieurs que l’homme a le droit de tuer et de manger. Car les hommes et les animaux ont beaucoup en commun, sinon notre innocence, du moins nos vices : nous sommes tous des cannibales potentiels… Les chimpanzés, ces proches parents avec qui l’homme partage 99% de son patrimoine génétique, qui utilisent des outils et qui concluent des alliances entre eux par le meurtre d’un enfant, sont-ils seulement des anthropoïdes ou ont-ils franchi par là les frontières de l’humanité ? Le motif du cannibalisme n’a donc rien perdu de son efficacité comme marqueur des frontières de l’Humanité. Car aujourd’hui comme dans l’Antiquité gréco-romaine, il peut véhiculer toutes sortes d’images correspondant aux besoins spécifiques de ceux qui y ont recours. L’idée de ce livre m’est venue au printemps 1998, alors que j’étudiais le montanisme, une hérésie chrétienne importante dès la seconde moitié du IIe siècle, lorsque j’ai constaté avec surprise que ces hérétiques furent accusés par les pères de l’Église de pratiquer des rites infanticides et anthropophagiques. Ce prétendu rituel montaniste m’a paru étrangement familier, semblable au crime de sang reproché aux Juifs, mais aussi à l’accusation touchant les chrétiens au début de notre ère. Or, comme l’a remarqué Pierre de Labriolle, l’éditeur des sources sur le montanisme, dans une étude consacrée à la notion du « meurtre rituel » : Pour s’inscrire en faux a priori contre toute accusation de meurtre rituel, il faudrait un parti-pris quelque peu naïf. Qui dira les imaginations malsaines dont sont capables certains cerveaux de criminels, de fanatiques, ou de demi-fous ? Mais de voir réapparaître cet antique grief avec une ténacité si persistante dans les temps et dans les civilisations les plus diverses, et cela presque toujours sous la forme d’un on-dit plus ou moins aveuglément accepté, voilà qui incline au doute ou commande en tout cas le μμνησο πιστεν. Un des bienfaits de l’histoire, c’est d’éveiller le sens critique par les comparaisons mêmes auxquelles elle fournit si ample matière 6.

Autrement dit, vu le nombre de récits d’anthropophages où, curieusement, c’est toujours l’Autre qui l’est, on peut légitimement se demander si une grande partie de ces récits ne serait pas simplement le fruit de l’imagination fertile des auteurs. Pour comprendre la raison qui pousse quelqu’un à traiter un autre de cannibale, il ne faut donc pas chercher la faute chez le prétendu anthropophage : il faut avant tout comprendre ce que cette notion signifie pour l’accusateur. Or, il est frappant qu’en ce qui concerne les accusations touchant les chrétiens de la Grande Église, on continue à les traiter différemment des autres récits d’anthropophages. Tandis qu’on parle de fausses accusations à propos des bons chrétiens, on n’accorde que rarement le bénéfice du doute aux autres accusés. De fait, si la question se pose de 6. P. DE LABRIOLLE, « Le meurtre rituel », Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétiennes 3 (1913), p. 199-203 (p. 202-203).

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Préface savoir pourquoi les chrétiens étaient victimes de cette calomnie, elle ne se pose d’habitude pas concernant les autres. Par conséquent, les réponses sont également christiano-centriques puisqu’on cherche la cause spécifique au christianisme : confusion avec d’autres superstitions supposées être réellement anthropophages ; avec des hérétiques considérés également comme réellement cannibales ; ou avec les Juifs réputés cannibales. Sans parler de l’explication la plus souvent avancée, la méprise concernant l’eucharistie et des paroles de Jésus en Jn 6, 53 : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas en vous la vie. » À l’origine, c’est dans le but de remédier à ce problème méthodologique que j’ai décidé de reprendre le dossier de l’accusation de cannibalisme adressée aux chrétiens du IIe siècle, en la replaçant dans son contexte immédiat, parmi les nombreux récits antiques d’anthropophages. Mes recherches, comme c’est souvent le cas, m’ont menée un peu plus loin que prévu : prise de passion pour les histoires de cannibales, dans le présent livre j’en conte l’histoire. Le voyage auquel j’invite le lecteur durera plus de mille ans et aura pour cadre la Méditerranée ancienne, avec une brève excursion vers la Mésopotamie : la Grèce des cités, les royaumes hellénistiques, puis l’Empire romain, pour faire une escale en Israël avant d’arriver à la destination finale, l’Empire romain chrétien. On suivra le chemin qu’a parcouru le motif de l’anthropophagie de simple marqueur d’identité, puis signe d’exclusion, jusqu’à devenir une véritable arme fatale contre ceux dont les idées et le mode de vie mettaient en danger l’ordre établi. Et on verra également comment les exclus, eux-mêmes, se l’appropriaient pour renverser la situation… Mais avant que je commence à raconter l’histoire des histoires de cannibales, des remerciements s’imposent. Le présent livre est la version revue et corrigée de la thèse de doctorat ès lettres entreprise sous la double direction de M. Philippe Borgeaud, professeur d’Histoire des religions de la Faculté des Lettres et de M. Enrico Norelli, professeur d’Histoire du christianisme ancien de la Faculté Autonome de Théologie Protestante, et soutenue le 3 juillet 2006 à l’Université de Genève 7. Je voudrais tout particulièrement exprimer ma gratitude envers mes deux directeurs, qui m’ont encouragée dès le début et m’ont soutenue pendant les longues années de travail. Sans leurs conseils avisés et sans leur amitié bienveillante, cette thèse n’aurait certainement pas vu le jour. Je tiens à remercier chaleureusement M. le Professeur Günter Stemberger de l’Institut de Judaïstique de l’Université de Vienne (Autriche) pour m’avoir accueillie au sein de son institut pendant l’année académique 2004 / 2005, m’avoir aidée, avoir supervisé mes recherches sur la notion du cannibalisme pour le Judaïsme ancien, et pour avoir accepté de faire partie de mon jury de thèse. Un grand merci également à M. Antoine Cavigneaux, professeur d’Assyriologie de l’Université de Genève, président du jury, qui a eu la gentillesse de relire le chapitre concernant le Judaïsme, en veillant à ce que le français du texte soit le plus fluide possible. Je suis reconnaissante à Mme le Professeur Stella Georgoudi (EPHE, Paris) et à M. le Professeur György Németh 7. « Récits antiques d’anthropophages : Recherche sur le contexte de l’accusation d’anthropophagie lancée contre les chrétiens au IIe siècle. »

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Préface (Universités de Budapest et de Debrecen, Hongrie) qui, en tant que membres de mon jury de thèse, m’ont prodigué des conseils qui m’ont été précieux dans le travail de révision que j’ai accompli sur la thèse pour la publication. Un merci spécial pour mes amis et collègues des universités de Genève et de Lausanne, Mme Carole Fry, chargée de cours de l’unité de Latin, M. Frédéric Amsler, professeur d’Histoire du christianisme, Mme Emmanuelle Steffek, chercheuse en Nouveau Testament, M. Thomas Næf, maître assistant à l’Institut romand des sciences bibliques et M. Simon Butticaz, assisant en Nouveau Testament, qui m’ont prêté main-forte pour traquer les imperfections du manuscrit et qui m’ont soutenue tant par leurs conseils que par leur amitié sans faille. Je dois remercier le Fonds national suisse de la recherche scientifique pour le soutien financier dont j’ai bénéficié pendant plusieurs années et qui m’a permis de mener mes recherches jusqu’au bout dans de bonnes conditions. Je tiens également à remercier les responsables et les collaborateurs de la Bibliothèque de l’École des Hautes Études (Sciences religieuses) pour avoir rendu possible la publication de ma thèse dans cette collection prestigieuse. Et enfin, sans citer les noms, parce que la liste risquerait d’être trop longue et forcément incomplète, je voudrais remercier tous ceux et celles qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué à ce que mon travail puisse arriver à son terme. Je pense avant tout à mes parents et à ma famille – qui supportent mon absence depuis si longtemps tout en me soutenant en permanence par leur amour – mais aussi à mes amis « d’ici » qui ont su transformer pour moi « l’étranger » en « chez moi ». Je m’estime heureuse, loin de ma Hongrie natale, d’avoir eu la chance de rencontrer en Suisse autant de personnes extraordinaires. Je les remercie donc toutes, de tout cœur.

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–I–

« LA VIE SOUS CRONOS » : LE MYTHE DES RACES ET LE SACRIFICE

INTRODUCTION

« L’homme qui ne peut pas vivre en communauté ou qui n’en a nul besoin, parce qu’il se suffit à lui-même, ne fait point partie de la cité : dès lors, c’est une bête sauvage ou un dieu » 1. Ce constat d’Aristote résume la conviction de la majorité des Grecs pour qui le cadre de vie naturel est la polis. L’homme est un « animal politique » qui a besoin de vivre en société. Il y a bien sûr des marginaux, tels les cyniques, qui cherchent cette fameuse autarcie propre aux dieux et aux bêtes. Cependant, leur opposition farouche aux institutions civiques trahit en elle-même la place importante que celles-ci occupent dans l’autodéfinition des Grecs. Les travaux de Dario Sabbatucci et de Marcel Detienne ont permis de mesurer à sa juste valeur le rôle déterminant d’une de ces institutions pour la compréhension grecque de la cité et du monde : la thysia, le sacrifice animal civique 2. Un grand nombre de textes témoignent de l’intérêt que les Grecs portaient à cette question, dont le premier est la Théogonie d’Hésiode. Dans ce poème, l’humanité s’inscrit dans la généalogie des dieux : les humains sont d’ascendance divine, mais perdent le pouvoir et l’immortalité de génération en génération jusqu’à ce qu’ils deviennent de simples mortels. Or, parce que l’origine de l’homme n’est pas différente de celle des dieux, les frontières qui les séparent ne sont pas naturelles : elles demandent à être définies. Zeus décide de s’en charger tout au début de son règne, dès qu’il a fini d’établir la hiérarchie entre les innombrables dieux. L’épisode du partage prométhéen de la viande entre dieux et hommes (535-560) et la description de ses conséquences néfastes pour l’humanité (565-616) commence avec le constat d’une tension certaine : « C’était aux temps où se réglait la querelle des dieux et des hommes mortels, à Mécôné » 3. Malgré cette querelle dont le sujet reste inconnu, dieux et hommes se mettent à la même table pour banqueter ensemble. Prométhée est chargé de partager entre eux la viande d’un bœuf. Le dieu philanthrope offre à Zeus de choisir entre deux tas : l’un recouvert de la graisse de l’animal, mais ne contenant que les os, et l’autre cachant toute la viande et la graisse, mais enveloppé de la peau et du ventre peu appétissants. Zeus, tout en reconnaissant la ruse, semble tomber dans le piège en optant pour la portion de peu de valeur. Cependant, il saisit l’occasion de punir à la fois le dieu impudent et les bénéficiaires de son larcin, les hommes. Selon l’interprétation que Sabbatucci, Detienne et leurs 1. A RISTOTE, Politique, 1, 14, 1253a : «  δ μ δυνμενος κοινωνεν  μηθν δεμενος δι ατρκειαν οθν μρος πλεως, #στε  θηρ$ον  θες. » Sauf mention explicite, le texte et la traduction de cette œuvre seront cités suivant l’édition de J. AUBONNET, Les Belles Lettres, Paris 1989. Ici traduction légèrement modifiée. 2. Il s’agit du sacrifice public célébré par la cité. Les sacrifices privés peuvent avoir des modalités différentes, notamment en ce qui concerne le partage de la victime entre les participants. D. SABBATUCCI, Essai sur le mysticisme grec (“Idées et recherches”), Flammarion, Paris 1982 (19651). M. DETIENNE, Dionysos mis à mort (“Les Essais” 195), Gallimard, Paris 1977. 3. H ÉSIODE, Théogonie, 535 : « Κα' γ+ρ νθρωποι / ΜηκKνW. » Sauf mention explicite, le texte et la traduction des œuvres d’Hésiode seront cités suivant l’édition de P. M AZON, Les Belles Lettres, Paris 198612.

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« La vie sous Cronos » : Le mythe des races et le sacrifice successeurs proposent, la place de l’homme, du dieu et de l’animal se définit suite à cet événement mythique, par le rôle qu’ils jouent respectivement dans le sacrifice qui le commémore. L’animal est la victime. Il est mis à mort, dépecé, et partagé entre les dieux et les hommes. La divinité est le destinataire de l’offrande. Elle est conviée par les hommes pour prendre de l’animal la part qui lui revient de droit : le sang, les os longs, la graisse et éventuellement une partie de la viande. L’homme, lui, est le sacrificateur. Il tue et partage l’animal comme Prométhée le lui a enseigné à Mécôné. Ce partage primordial truqué, suivi par le châtiment du Titan et de l’humanité entière, a servi de prétexte à l’établissement définitif des frontières entre les hommes, les dieux et les animaux. Par sa répétition, l’être humain reconnaît son infériorité par rapport aux dieux, et exprime en même temps sa supériorité sur les bêtes. La thysia désigne donc la place de chaque espèce dans la hiérarchie des êtres, dans une dimension verticale. Cependant, la thysia a également une dimension horizontale, plus sociale et proprement humaine : elle sert à définir les liens entre les hommes. En effet, une fois la part de la divinité brûlée sur l’autel, le sacrificateur doit effectuer le partage avec les autres hommes. D’abord celui des splanchna grillés sur des broches au-dessus du feu qui a consumé l’offrande. Ces parties internes de la victime doivent toujours être consommées sur place. Manger les splanchna ensemble crée une familiarité entre les participants. Après les splanchna, on partage les chairs de l’animal parmi les membres de toute la communauté, selon les dispositions spécifiques au sacrifice : soit en portions de poids égal, soit selon les mérites de chacun, suivant la place qu’ils occupent dans la hiérarchie de la cité. Il est important que seuls les citoyens ont droit à des parts 4 : les étrangers, les métèques et les esclaves ne peuvent en manger à moins qu’un citoyen les en fasse bénéficier en leur offrant ou en leur vendant la viande. Le sacrifice animal sert donc aussi à légitimer la distinction entre les différents groupes humains : esclave et homme libre, citoyen et métèque, Grec et Barbare. Enfin, la thysia, à travers la cuisine sacrificielle, a également une dimension temporelle. Il n’est pas anodin qu’on mange d’abord les splanchna à peine rôtis, sans aucun assaisonnement, et seulement ensuite les viandes rôties ou bouillies à volonté, préparées selon des recettes plus ou moins sophistiquées. Cette règle de la cuisine sacrificielle est expliquée dans un Problème aristotélicien par l’évolution de l’art culinaire, elle-même parallèle à celle de l’humanité : Pourquoi n’est-il pas permis de rôtir le bouilli, alors que ce l’est de bouillir le rôti ? Est-ce à cause de ce qui est dit dans la Télété, ou bien est-ce parce que les hommes apprirent plus tard à préparer les mets bouillis car autrefois ils rôtissaient tout ? Assurément, rôtir le bouilli ce serait revenir en arrière 5.

Platon reconnaît la même évolution, mais lui donne un sens négatif. Il oppose rôti et bouilli comme symbole de l’état primitif (simple) de l’humanité et celui d’une civilisation (trop) raffinée 6. En même temps le rôti, même avec sa cuisson 4. Les femmes, filles et épouses de citoyens ont habituellement droit à une part inférieure à celle des citoyens. 5. [A RISTOTE], Problèmes, 3, 43, cité par M. DETIENNE, Dionysos mis à mort, p. 166 et 208, n. 9. 6. P LATON, République, 372d-373a.

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Introduction imparfaite, est plus évolué que la viande crue, nourriture des animaux carnivores, de certains peuples lointains et – dans certaines conceptions du passé – des hommes primitifs. On peut aller encore plus loin. Un personnage typique de la comédie, un cuisinier-sacrificateur (mageiros) d’Athénion estime que la cuisine sacrificielle marque la fin de l’anthropophagie. C’est le moment où un homme a décidé le premier de cuire de la viande animale plutôt que de la chair humaine qui a fait basculer le monde de la sauvagerie dans la culture ! A : Ne sais-tu pas que l’art culinaire a plus contribué à la piété que n’importe quoi d’autre ? B : Est-ce vraiment ainsi ? A : Tout à fait, barbare. Car c’est lui qui nous a libérés d’une vie bestiale et déloyale, nous a conduit de l’allélophagie fâcheuse à une constitution, et nous a procuré cette vie que nous menons aujourd’hui. B : De quelle manière ? A : Prête attention et je te le raconterai. Quand l’allélophagie et d’autres méfaits étaient monnaie courante, un homme est apparu – et pas des plus sots – qui, le premier, a sacrifié une victime animale et a rôti la viande. Puisque cette chair fut plus douce que celle des hommes, ils ont cessé de s’entredévorer, et ont plutôt immolé et rôti des animaux des troupeaux. Après avoir expérimenté ce plaisir unique, ce fut le début, et ils ont par la suite développé l’art culinaire. C’est à cause de cela que même maintenant, en souvenir du passé, ils rôtissent les entrailles aux dieux sur les flammes sans y ajouter du sel : car ils ne lui ont pas encore découvert cet usage. Comme plus tard il leur semblait bon, ils ont ajouté du sel, mais quand ils pratiquent des rites sacrés, ils observent toujours la coutume ancestrale 7 […]

Le sacrifice civique définit donc l’homme dans toutes ses relations : par rapport aux dieux et aux bêtes, par rapport aux autres humains, et par rapport à son propre passé. Le contester équivaut donc à contester l’ordre cosmique, l’ordre civique, et en général les valeurs de la civilisation. La quasi-totalité des récits grecs et romains d’anthropophages peut être lue selon une de ces trois grilles de lecture. Les variations autour des règles de la thysia, menant d’un côté vers le végétarisme et de l’autre à l’anthropophagie, permettent aux Grecs de comprendre et de décrire le monde. L’enjeu est de se définir, de marquer sa différence, ou même sa supériorité par rapport au passé, à l’Autre, et à l’ennemi intérieur.

7. ATHÉNÉE, Deipnosophistes, 14, 660e-661c (fr. 1 Kock 3, 369) : « Α. οκ ο^σθ’ γευστον οδ >βρωτον περιλε$ποντες. »

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« La vie sous Cronos » : Le mythe des races et le sacrifice condition qu’ils consentent à leur mise à mort 21. Théophraste, et avec lui Porphyre, refusent donc de comprendre la thysia à la lumière du mythe de Prométhée. Ils ne veulent pas accepter que la consommation des victimes sacrificielles soit légitimée par la volonté divine. Théophraste, tout comme Porphyre, adversaires du sacrifice sanglant, appartiennent à ceux qui imaginent que la thysia du présent est la forme corrompue du sacrifice parfait, non sanglant, des origines. Pour les deux philosophes, séparés l’un de l’autre par cinq siècles, les premiers sacrifices ne ressemblaient pas à celui de Mécôné, mais se faisaient uniquement avec des récoltes. Cependant, ils ne voient pas la suite de l’évolution de la thysia de la même façon. Théophraste distingue trois périodes dans l’histoire de l’humanité : celle du végétarisme (offrandes végétales), celle du cannibalisme (sacrifices humains) et celle du régime de son époque (sacrifices animaux). Porphyre, pourtant tout à fait d’accord sur le principe de la substitution 22, refuse l’idée que les victimes humaines auraient pu être consommées : Car non seulement dans les faits rappelés par Théophraste, mais dans beaucoup d’autres récits, l’histoire a transmis à la mémoire l’existence des sacrifices humains accomplis autrefois ; or ce n’est pas une raison, j’imagine, qui autorise à manger des êtres humains 23.

Dans son argumentation contre la consommation de viande Porphyre érige comme principe de base l’hypothèse que la thysia originelle était adaitos. « Et pour montrer que ce ne sont pas là des affirmations gratuites mais que l’histoire est pleine d’exemples qui les confirment, il suffira de citer les suivants » 24 – dit Porphyre avant d’énumérer seize anciens sacrifices humains – soigneusement choisis pour illustrer ses propos car aucun d’entre eux n’implique la consommation de la victime – désormais remplacés par des sacrifices animaux 25. Et il en tire la conclusion : 21. Ibid., 2, 9-11. 22. Il reconnaît, comme de nombreux récits étiologiques, que la victime animale qui sert à nourrir les dieux et les hommes, ne serait en vérité que le substitut de la victime humaine originelle. Par ex. à Patras (pour Artémis Triklaria et Dionysos Aisymnète) : PAUSANIAS, 7, 19, 1-20 ; à Potnia (pour Dionysos Aigobolos) : PAUSANIAS, 9, 8, 2 ; à Mounychia (pour Artémis) : Souda, s.v. Åμβαρος ε‡μι ; à Brauron (pour Artémis) : Souda, s.v. ²ρκτος – Βραυρων$ος ; à Rome (pour Saturne) : MACROBE, Saturnales, 1, 28-32 ; pour d’autres exemples et bibliographie : D. D. HUGHES, Human Sacrifice, p. 8288, et n. 47-48 ; P. BONNECHÈRE, Le Sacrifice humain, p. 237-248. 23. THÉOPHRASTE, apud PORPHYRE, De l’Abstinence, 2, 53, 3. 24. PORPHYRE, De l’Abstinence, 2, 54, 1 : « Κα' νθρωπος παρελ}φθη. Κα' γ+ρ =ν λιμος πολιορκομενο$ τινες λλ}λων =γεσαντο, κα' θυτοι φα$νονται γενσθαι τινς, οδεμ$αν παρχν τŒν ˜παρχντων ποιομενοι τος θεος· ο­ δ κακθυτοι κα' παρανμων Æψμενοι θυμτων. » 28. Ibid., 2, 8, 3.

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« La vie sous Cronos » : Le mythe des races et le sacrifice Théophraste consacre d’ailleurs le traité cité par Porphyre 29. En effet, la piété doit se trouver au juste milieu entre les deux pôles extrêmes, la non-reconnaissance des dieux et les connaissances erronées sur la nature des dieux. Le superstitieux n’est bien sûr pas forcément anthropophage et ses actes religieux, bien qu’exagérés, sont pour la plupart tout à fait inoffensifs, tout au plus ridicules 30. Cependant, la deisidaimonia, la peur de la divinité issue d’une conception fausse sur sa nature peut devenir dangereuse. Cette idée n’a rien perdu de sa vigueur pendant les plus de 500 ans qui séparent Théophraste de Porphyre. Au premier siècle de notre ère, dans son traité De la Superstition (171b-c) Plutarque, en comparant la superstition à l’athéisme, en arrive à la conclusion qu’il vaut mieux vivre sans aucune notion de la divinité que, par peur superstitieuse, accomplir des rituels sanglants « dignes de Typhons et de Géants ». Et comme exemple de ces monstruosités à éviter, il cite encore et toujours des sacrifices humains (toutefois sans consommation). Théophraste est bien sûr conscient que l’athéisme et la superstition n’appartiennent pas au passé : ses contemporains sont également concernés. Il semblerait donc qu’à côté du courant principal de l’évolution humaine décrit dans son système tripartite, il imagine d’autres voies qui mènent non pas à la cité, mais jusqu’aux marginaux du présent, voies dont la première concerne ceux qui ne cultivent pas les dieux comme il faut : les athées et les superstitieux. L’autre voie de la marginalité dont Théophraste tient compte est celle des thysiai adaitoi. Dans le chapitre 26 du second livre de De l’Abstinence, juste avant l’exposition de la théorie vue plus haut, Porphyre prétend encore citer Théophraste en affirmant que l’holocauste juif serait le plus ancien mode de sacrifice (26, 1-2.4) : Il est vrai, dit Théophraste, que parmi les Syriens, les Juifs sacrifient encore aujourd’hui des animaux, en vertu d’un mode de sacrifice qui remonte aux origines (δι+ τν =ξ ρχ‚ς θυσ$αν ›τι κα' νν […] ζ¤οθυτοντες) ; mais si l’un d’eux nous ordonnait de sacrifier à leur manière, nous nous garderions bien de le faire. Car ils ne se régalent pas de leurs victimes, mais ils les brûlent entièrement (ο γ+ρ ËστιKμενοι τŒν τυθντων, λοκαυτοντες δ τατα) […] Ils furent les premiers à immoler des victimes prises parmi les autres animaux ou parmi eux-mêmes ; mais s’ils agissaient ainsi, c’était poussés par la nécessité et non par leurs appétits. (Κατ}ρξαντο γ+ρ ο¸τοι πρŒτοι τŒν τε λοιπŒν ζÄων κα' σφŒν ατŒν, νγκW κα' οκ =πιθυμ$¹ τοτο πρξαντες).

Théophraste, dans ce passage, semble affirmer que les premiers sacrifices sanglants (humains ou d’animaux) ne servaient pas à nourrir les humains. Pourtant, dans son système tripartite, si les hommes commencent à sacrifier d’autres hommes après l’époque des sacrifices végétaux purs c’est bien pour les manger ! Pour résoudre la contradiction, l’unique issue est de supposer que ce que les Juifs sont censés avoir fait les premiers, ce n’est pas le sacrifice sanglant du type alimentaire décidé par l’homme, ancêtre de la thysia grecque. C’est l’holocauste 29. L. BRUIT, Le Commerce des dieux. Voir également Ph. BORGEAUD, Aux Origines de l’histoire des religions, Seuil, Paris 2004, p. 32-36 qui donne en outre une bibliographie du sujet. 30. THÉOPHRASTE, Caractères, 16.

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Race d’or, âge d’or demandé par la divinité. En effet, ni Théophraste, ni Porphyre ne nient la nécessité de certains sacrifices sanglants. Ils sont d’accord au cas où ils seraient demandés par la divinité comme expiation ou s’ils servaient à la divination 31. Ce qu’ils appréhendent surtout c’est la consommation de la victime. L’ancêtre de ce sacrifice adaitos, trop rarement pratiqué par les Grecs au goût des deux auteurs, serait donc le sacrifice juif. Théophraste imagine trois étapes principales dans l’évolution du sacrifice depuis les origines jusqu’au présent, ainsi que deux voies minoritaires qui conduisent à des comportements marginaux par rapport à la pratique grecque. Porphyre reconnaît quatre étapes de l’histoire, sans tenir compte des marginaux éventuels. THÉOPHRASTE Courant principal de l’évolution

Les voies marginales

Origine

Sacrifice végétal

Passé

Sacrifice cannibale

Pas de sacrifice / sacrifice cannibale ; Holocauste humain ou animal

Thysia animale

Pas de sacrifice (athéisme) / Sacrifice cannibale (superstition) ; Holocauste animal (Juifs)

PORPHYRE Courant principal de l’évolution Sacrifice végétal Holocauste humain Holocauste animal

Présent

Thysia animale

Théophraste, pour dégoûter ses contemporains de la viande, n’hésite pas à représenter la thysia comme issue directement des sacrifices cannibales. Porphyre est incapable d’aller aussi loin que Théophraste. Même pour condamner la thysia dont il trouve la pratique (avec la manducation de la viande des animaux sacrifiés) entièrement corrompue, il ne veut pas supposer un lien entre sacrifice et cannibalisme. Voilà pourquoi, en paraphrasant le système de Théophraste, il présente comme une étape du courant principal de l’évolution ce qui, chez Théophraste, représentait une exception, c’est-à-dire le sacrifice sanglant sans consommation de la victime : Dans l’ancien temps, on consacrait aux dieux une partie des récoltes, et après le rite on était heureux de consommer les aliments ainsi consacrés ; eh bien de même, lorsqu’ils se mirent à immoler les animaux, les hommes jugèrent qu’ils devaient en faire autant, bien qu’à l’origine le rite n’en eût pas décidé ainsi 32 […]

La théorie de Théophraste n’est donc pas partagée par Porphyre (voir tableau ci-dessus) et, comme on le verra, est unique en son genre. Il est vrai que l’allélophagie était une des caractéristiques du thèriôdès bios des hommes primitifs dans la vision progressiste des penseurs grecs, mais cette allélophagie n’était pas encore 31. Quoique, selon Porphyre, ce sont des démons et pas des dieux qui exigent de tels sacrifices (ibid., 2, 58, 1-2). 32. Ibid., 2, 27, 6.

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« La vie sous Cronos » : Le mythe des races et le sacrifice encadrée par des rituels, connus des hommes civilisés uniquement. Théophraste est le seul à affirmer que le cannibalisme faisait partie intégrante des rites primitifs (sinon originels) de l’humanité. Cependant, cela ne signifie pas qu’il éprouve de la complaisance pour ce type de comportement. L’anthropophagie est une étape de l’évolution de la thysia, mais qui doit être révolue à jamais. Ceux qui tentent de la réintroduire dans le monde par leurs superstitions ne méritent pas de grâce. On se souvient de la folie cannibale des Bassares à laquelle, selon Théophraste, seule l’extermination de la famille coupable a pu mettre un terme. Porphyre est tout aussi radical. Il raconte que lorsque Hamilcar réussit à capturer ses mercenaires dissidents qui, lors d’un siège prolongé, se sont vus contraints par la famine de s’entredévorer, il les fait écraser par des éléphants. Car, souligne Porphyre, Hamilcar considérait « qu’ils ne pouvaient plus sans sacrilège se mêler aux autres hommes (•ς οχ λλοις νθρKποις ατο™ς =πιμ$γνυσθαι) » (2, 57, 1) 33. Théophraste et Porphyre sont donc unanimes : l’anthropophagie représente le sacrilège suprême, la faute impardonnable qui n’a pas sa place dans la cité. Une vie bestiale (thèriôdès bios) La notion de « vie bestiale » couvre deux champs sémantiques diamétralement opposés, mais qui plongent leurs racines dans un même terreau : l’absence de facilités de la vie civilisée. L’appréciation de cette « vie bestiale » dépend donc de la définition de la civilisation. Pour tous ceux qui considèrent la civilisation comme une valeur en soi, une période précivilisée ne peut être que foncièrement mauvaise. Ces « optimistes » ou « évolutionnistes » voient dans l’histoire de l’humanité (du moins dans celle de la Grèce) un progrès continu. Les « pessimistes », par contre, ont tendance à mettre l’accent sur le revers supposé de la civilisation : clivage entre riches et pauvres, vols, meurtres, guerres, maladies, etc. Ces « pessimistes » ou « nostalgiques » imaginent la vie des origines exempte non seulement de confort, mais également de tous les maux dus à la civilisation, liés notamment à l’accroissement des richesses. Néanmoins, il est rare que la « vie bestiale » des origines telle quelle soit proposée comme exemple à suivre. En effet, si les penseurs grecs et romains peuvent idéaliser la pauvreté, ils ont du mal à faire de même avec une vie apolitique et anomos. L’absence des structures socio-politico-religieuses de la cité est plutôt ressentie comme une menace, la voie ouverte à une perte de l’humanité de l’homme. Comme on le verra, il n’y a que le cynisme et (en partie) le stoïcisme qui considèrent cette perte apparente comme un bénéfice. Le passé cannibale Le courant « optimiste » ou « évolutionniste » est très important pour notre sujet car la sorte de « vie bestiale » que ses représentants imaginent est peuplée de 33. D’ailleurs, il n’est pas le seul à refuser l’idée que la famine justifie le cannibalisme. Valère Maxime s’écrie ainsi devant le cannibalisme des Numantins assiégés : « Ici la nécessité ne peut servir d’excuse : quelle nécessité de vivre à ce prix, quand on est libre de mourir ? » (Faits et paroles mémorables, 7, 6, ext, 2).

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Race d’or, âge d’or cannibales. En effet, c’est un âge sans foi ni loi, où le plus fort abuse du plus faible sans remords et où le manque de nourriture ainsi que l’absence de principes moraux ouvrent la voie à l’allélophagie. Selon Empédocle : « Il fut un temps où les hommes obtenaient la nourriture en déchirant les chairs les uns des autres, le plus fort faisant périr le plus faible » 34. On retrouve également cette vision dans la tragédie attique ainsi que parfois dans la comédie ancienne – bien que, comme on l’a vu, les auteurs de comédie préfèrent largement la vision de la « vie sous Cronos » comme une sorte de pays de Cocagne 35. Ennius, cité par l’écrivain chrétien Lactance, proposant une explication evhémériste de la mythologie classique, considère également la première période de l’humanité, celle de Saturne, comme celle de l’anthropophagie. Saturne, semblable à ses sujets, mange de la chair humaine et ce n’est que son successeur, Jupiter, qui va légiférer pour interdire cette coutume 36. Horace attribue à Orphée l’adoucissement des mœurs des premiers hommes et le fait de les avoir détournés « d’une nourriture infâme ». 37 Mnaséas de Patara, un historien, élève d’Ératosthène, raconte aussi comment l’homme a cessé d’être anthropophage grâce à une nourriture plus douce 38. Une jeune nymphe, Mélissa, découvre le miel et parce qu’elle trouve son goût très agréable, elle en donne aux autres nymphes. Celles-là, à leur tour, enseignent aux hommes à se servir de cet aliment et à abandonner l’allélophagie. Ce n’est qu’à ce moment que les hommes apprennent à se vêtir et à se marier, quittant ainsi la sauvagerie et entrant dans la vie civilisée. L’idée de la sortie de la vie bestiale grâce à une divinité ou à un héros civilisateur était très répandue dans l’Antiquité 39. Cependant, il n’est pas toujours nécessaire qu’une entité surhumaine intervienne pour introduire l’homme à la civilisation. L’homme peut dépasser la première étape de son histoire tout simplement poussé par la nécessité : le besoin de manger, de se défendre contre les attaques d’animaux ou contre les caprices de la nature. Pourtant, comme on l’a déjà vu, la chreia ou l’ananké ne joue pas toujours un rôle positif dans l’histoire de l’humanité. Dans la conception de Théophraste, c’est à cause de l’ananké que l’homme a quitté l’âge 34. Fr. 292 (Kern) : « –ν χρνος _ν$κα φŒτες π  λλ}λων β$ον ε£χον / σαρκοδακ‚, κρε$σσων δ τ{ν —ττονα φŒτα δα$ζεν. » Traduction personnelle. 35. Tragédie : CRITIAS fr. 1 N2 ; MOSCHION fr. 6 N2 (une très bonne analyse de ce dernier chez G. X ANTHAKIS-K ARAMANOS, « Remarks on Moschion’s Account of Progress », Classical Quarterly N.S. 31 [1981], p. 410-417). Comédie : supra p. 19 n. 5. 36. LACTANCE, Institutions divines, 1, 13, 2 : « Saturnum et Opem ceterosque tunc homines humanam carnem solitos esitare : uerum primum Iouem leges hominibus moresque condentem edicto prohibuisse ne liceret eo cibo uesci. » 37. Art Poétique, 391-393 : « Siluestris homines sacer interpresque deorum / cædibus et uictu fœdo deterruit Orpheus, / dictus ob hoc lenire tigris rabidosque leones. » 38. FHGR fr. 5 (III. p. 150 Müller) = Scholia in Pindari Pythonicas 4, 60. Le récit est rapporté par C. CALAME, Thésée et l’imaginaire athénien (“Sciences humaines”), Payot, Lausanne 1990, p. 299, et p. 379, n. 23. 39. Thésée le professe dans les Suppliants d’Euripide (195-215), les Atlantes de Diodore le racontent à propos d’Ouranos (Bibliothèque historique, 3, 56, 3), l’Hymne homérique à Déméter voit la venue de la déesse (c’est-à-dire le début du régime céréalier) comme le début de la civilisation (cf. aussi DIODORE, 1, 29, 3 ; OVIDE, Amours, 3, 10, 5-10). Évidemment, le héros pyrphoros, Prométhée est également souvent célébré dans ce rôle, etc.

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« La vie sous Cronos » : Le mythe des races et le sacrifice du végétarisme en commençant à faire des sacrifices sanglants 40. La famine qui a poussé les mercenaires d’Hamilcar à s’entredévorer dans l’histoire de Porphyre est également une de ses manifestations. Par contre, dans la vision évolutionniste, la nécessité aide à sauver l’humanité du fléau du cannibalisme. Selon Diodore, « c’est le besoin même qui fut en toutes choses le précepteur du genre humain, puisqu’il contribua à développer convenablement chaque espèce de connaissance chez cet être bien doué […] » 41. Or, les premiers hommes de Diodore connaissent vraiment le besoin. Ils vivent dispersés, se nourrissent d’herbe, sont nus, sans abris et sans feu et ils ne savent même pas parler : proies faciles des famines, des maladies et des bêtes (1, 8, 1-10). Pire, ils sont cannibales et apparemment cette habitude va prendre du temps à disparaître. L’anthropophagie survivra même encore quelque temps à la sortie de la vie bestiale : « À l’origine, lorsque les hommes, émergeant de la vie animale, se mirent à former des groupes, ils commencèrent par se dévorer les uns les autres et par se faire la guerre, le plus fort l’emportant toujours sur le plus faible » 42. Cependant, heureusement, la nécessité de se défendre fait naître l’intérêt commun (to sympheron), grâce auquel les faibles se ralliaient entre eux contre leurs ennemis, mettant un terme définitif à leurs agissements néfastes. Pour les « évolutionnistes », l’humanité émerge donc d’un état de sauvagerie proprement animal. Elle vit comme les bêtes allélophages à qui Zeus n’a pas donné la Justice 43. À ses origines, l’homme ne connaît aucune loi : même celle interdisant l’anthropophagie lui échappe. C’est la vie civilisée avec ses lois qui empêchera le retour des instincts primitifs dangereux. Une vie bestiale ambiguë Platon récupère l’expression thèriôdès bios des sophistes « évolutionnistes » pour mieux s’opposer à leur vision de l’histoire. Il leur accorde que c’est par nécessité que les hommes se sont regroupés, ont réussi à inventer les arts et les métiers et grâce à cela à se préserver des famines, des intempéries et des bêtes sauvages. Cependant, si la vie de la première humanité est primitive en comparaison de celle de la cité, cela ne signifie pas qu’elle soit aussi misérable et sauvage que les sophistes l’imaginaient. Platon parle de plusieurs humanités successives, détruite chacune à son tour par des cataclysmes (des sortes d’interludes où la divinité abandonne le monde à son sort). Dans le Politique (272c-d), il raconte les conditions de la toute première humanité, des « nourrissons de Cronos », assez semblablement à Hésiode. Il accorde en effet à la terre la faculté de produire d’elle-même toutes les denrées nécessaires à leur survie. Pourtant, Platon avoue d’ignorer si cette 40. THÉOPHRASTE apud PORPHYRE, De l’Abstinence, 2, 26, 1-2.4, supra p. 32. 41. DIODORE, 1, 8, 9 : « Καθλου γ+ρ πντων τν χρε$αν ατν διδσκαλον γενσθαι τος νθρKποις, ˜φηγουμνην ο‡κε$ως τν Ëκστου μθησιν εφυε ζĤ […] ». Sauf mention explicite, le texte et la traduction du premier livre de cette œuvre seront cités suivant l’édition de P. BERTRAC, Y. VERNIÈRE, Les Belles Lettres, Paris 1993. 42. Ibid., 1, 90, 1 : « Συναγομνων γ+ρ =ν ρχ¼ τŒν νθρKπων =κ το θηριKδους β$ου, τ{ μν πρŒτον λλ}λους κατεσθ$ειν κα' πολεμεν, ε' το πλεον δυναμνου τ{ν σθενστερον κατισχοντος. » 43. Cf. H ÉSIODE, Les Travaux et les jours, 276-279.

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Race d’or, âge d’or génération était vraiment heureuse. Car, comme il l’explique, les loisirs ne valent rien si on ne les utilise pas pour pratiquer la philosophie et il est impossible de savoir si les hommes de ces temps anciens l’ont fait ou non. En tout cas, lorsque cette première génération a disparu et que la divinité a abandonné le monde, les rares survivants devaient recommencer l’évolution à zéro. « À cette heure, en effet, où la nourriture cessait de leur venir d’elle-même, ils ne savaient pas encore se la procurer, vu qu’aucune nécessité ne les y avait contraints jusqu’alors » (274c). Pire, « sans industrie et sans art », ils étaient la proie des bêtes sauvages. C’est de cette nécessité qu’est né « tout ce dont la vie humaine est faite » : le feu, les arts, les semences et les plantes cultivées 44. Mais il raconte aussi comment l’humanité commençait à glisser en même temps sur une piste savonneuse vers les problèmes causés par la civilisation. Selon les Lois (677a-679e), ce sont justement les métiers et la science qui vont corrompre les survivants 45. En effet, sans les connaître, les pâtres, seuls à avoir survécu au déluge avec leur bétail, menaient une vie simple et heureuse. Ils se nourrissaient exclusivement de viande (des animaux domestiques et de la chasse) et de lait ; la nourriture était suffisante pour le peu d’individus de l’époque. De plus, n’ayant pas les moyens (intellectuels) de douter de la vérité des mythes, ils s’y conformaient, évitant ainsi la guerre et le vice. La différence entre la vision des « évolutionnistes » et celle de Platon est bien visible. Chez ce dernier, le thèriôdès bios n’a rien de proprement bestial. Même s’il est indéniable qu’elle couve les germes de sa propre déchéance 46 et qu’elle est plus primitive que celle des Grecs de la polis, la vie de l’homme des origines n’est pas cannibale. Le thèriôdès bios, dans la conception de Platon, est le mode de vie qui correspond à la simplicité des mœurs, à la paix et à l’amitié, mais dont le dépassement était inévitable. Lucrèce, le poète romain du Ier siècle avant notre ère, dans son épopée d’inspiration épicurienne, imagine très différemment les origines humaines 47. Il réconcilie en quelque sorte la vision de Platon avec celle des « évolutionnistes ». 44. Politique, 274c-d : « κα' ›τ’ μ}χανοι κα' >τεχνοι κατ+ το™ς πρKτους –σαν χρνους, šτε τ‚ς μν ατομτης τροφ‚ς =πιλελοιπυ$ας, πορ$ζεσθαι δ οκ =πιστμενο$ πω δι+ τ{ μηδεμ$αν ατο™ς χρε$αν πρτερον ναγκζειν. Ãκ τοτων πντων =ν μεγλαις πορ$αις –σαν. Ðθεν δ τ+ πλαι λεχθντα παρ+ θεŒν δŒρα _μν δεδKρηται μετ’ ναγκα$ας διδαχ‚ς κα' παιδεσεως, πρ μν παρ+ Προμηθως, τχναι δ παρ’ Òφα$στου κα' τ‚ς συντχνου, σπρματα δ ᝠκα' φυτ+ παρ’ >λλων· κα' πνθ’ πσα τ{ν νθρKπινον β$ον συγκατεσκεακεν =κ τοτων γγονεν, =πειδ τ{ μν =κ θεŒν, τοπον ε^ναι =ξ ‘ερο τι λαβεν  τŒν ζÄων τιν{ς γεσασθαι· μηδ’ νσιον ε^ναι τ{ κα' τŒν νθρωπε$ων κρεŒν šψασθαι, •ς δ‚λον =κ τŒν λλοτρ$ων =θŒν· κα' τ§ žρθ§ λγ¤ πντ’ =ν π€σι κα' δι+ πντων ε^ναι λγων. κα' γ+ρ =ν τ§ >ρτ¤ κρας ε^ναι κα' =ν τ§ λαχν¤ >ρτον, κα' τŒν σωμτων τŒν λοιπŒν =ν π€σι δι τινων δ}λων πρων [κα'] γκων ε‡σκρινομνων κα' συνατμιζομνων, •ς δ‚λον =ν τ§ ΘυστW ποιε$ […] » 65. De Stoicis, ch. 6, col. XVI, p. 102 éd. DORANDI. 66. DIOGÈNE LAËRCE, 7, 188 : « Dans le troisième livre de son traité Sur le Juste, vers la ligne 1000, il prescrit de manger les morts. (=ν δ τ§ τρ$τ¤ Περ' δικα$ου κατ+ το™ς χιλ$ους στ$χους κα' το™ς ποθανντας κατεσθ$ειν κελεων.) » Traduction légèrement modifiée. 67. SEXTUS EMPIRICUS, Hypotyposes pyrrhoniennes, 3, 247 : « κα' ‹συνεχŒς κα' τ{› νθρωποφαγεν =ν τος ατος συντγμασιν _μν =πεισγει· φησ' γον κα' =+ν τŒν ζKντων ποκοπ¼ τι μρος πρ{ς τροφν χρ}σιμον, μ}τε κατορττειν ατ{ μ}τε >λλως ½$πτειν, ναλ$σκειν δ ατ, νακτος / α‡θρος =ν γυλοισι μεριζομνου ποτ Βκχου / Τιτ}νων ˜π{ χερσ$ — πρες δ Ë πατρ' φρουσα, / φρα νος βουλ¼σιν ˜π’ ρρ}τοισι τοκ‚ος / =κ Σεμλης περ' κσμον νηβ}σW Δινυσος). » Texte de O. K ERN (éd.), Orphicorum Fragmenta, Weidmann, Dublin / Zurich 1972 (19221), notes pour fr. 210 ; traduction de J. RUDHARDT, « Les deux mères de Dionysos, Perséphone et Sémélé, dans les Hymnes orphiques », Revue de l’histoire des religions 219 (2002/4), p. 483-501 (494). 21. Concernant la controverse à propos de l’anthropogonie orphique et son lien avec le démembrement de Dionysos, voir le numéro spécial de la Revue de l’Ηistoire des Religions 219 (2002/4), notamment la mise au point de C. CALAME, (« La poésie attribuée à Orphée : qu’est-ce qui est orphique dans les Orphica ? », p. 385-400), ainsi que les articles de L. BRISSON (« La figure de Kronos orphique chez Proclus », p. 435-58) et de A. BERNABÉ (« La toile de Pénélope : a-t-il existé un mythe orphique sur Dionysos et les Titans ? », p. 401-433). 22. L. BRISSON « Le corps “dionysiaque” : l’anthropogonie décrite dans le Commentaire sur le Phédon de Platon (1, par. 3-6) attribué à Olympiodore est-elle orphique ? », dans M.-O. GOULET-CAZÉ, G. M ADEC, D. O’BRIEN (éd.), Sophies maietores : « chercheurs de sagesse » : hommage à Jean Pépin, Institut d’études augustiniennes, Paris 1992, p. 481-499. 23. R. G. EDMONDS, « Tearing apart the Zagreus Myth », Classical Antiquity 18 (1999), p. 35-73 (p. 36, 66).

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Dionysos et les Titans question tout ce qu’on croit savoir des mystères appelés souvent orphico-bachiques. Des mystères dont la télété serait justement le mythe de la « passion » de Dionysos et dont le but ne serait autre que de se délivrer de la part titanique de l’âme pour pouvoir espérer un au-delà agréable 24. De plus, il faudrait repenser non seulement toutes les tentatives d’interprétation des rituels orphico-bachiques, mais aussi des rituels dionysiaques. En effet, ceux-ci sont également souvent imaginés en lien avec le mythe de Zagreus 25. Le grand mérite de cette mise en question est d’attirer l’attention sur le fait qu’en l’état actuel de nos sources nous ne pouvons pas définir avec certitude ce qu’est l’orphisme. Nous percevons encore à peine l’existence de formes médianes entre orphisme et dionysisme, comme en témoigne l’épithète composite orphico-bachique. Il suffit de penser à la problématique des lamelles d’or, oscillant entre orphisme et bachisme 26. Luc Brisson n’a pas tort de souligner l’inutilité de chercher une interprétation unique du mythe, même à l’intérieur d’une seule et même école philosophique. Il ne faut, en effet, jamais perdre de vue le contexte historique où cette divinité et ses adeptes – aussi différents les uns des autres que les ménades et les orpheothelestai – apparaissent dans les sources. La figure de Dionysos / Bacchus et ses multiples facettes posent toujours de gros problèmes d’interprétation. Cependant, du point de vue de notre quête, elle offre un domaine de recherche hors pair. En effet, partout où le dieu passe, des récits cannibales surgissent. À côté du mythe de son démembrement, il y a aussi les récits sur Penthée, sur les Proétides, sur les Minyades ainsi que sur Lycurgue. 24. Sur l’eschatologie « orphique » et « bachique » voir W. K. C. GUTHRIE, Orpheus ; H. JEANMAIRE, Dionysos. Histoire du culte de Bacchus (“Bibliothèque historique”), Payot, Paris 1951 ; M. P. NILSSON, The Dionysiac Mysteries of the Hellenistic and Roman Age (“Ancient Religion and Mythology”), Arno Press, New York 1975 (19571) ; M. DARAKI, Dionysos, Arthaud, Paris 1985 ; W. BURKERT, « La Genèse des choses et des mots. Le papyrus de Derveni entre Anaxagoras et Cratyle », Les Études Philosophiques 25 (1970), p. 443-455 ; id., « The Problem of Ritual Killing », dans R. G. H AMERTONK ELLY (éd.), Violent Origins. Walter Burkert, René Girard and Jonathan Smith on Ritual Killing and Cultural Formation, Stanford University Press, Stanford 1987, p. 149-176 ; id., Les Cultes à mystères dans l’Antiquité (“Vérité des mythes” 22), Les Belles Lettres, Paris 2003 ; id., « Bacchic teletai in the Hellenistic Age », dans T. H. CARPENTER, C. A. FARAONE (éd.), Masks of Dionysos, Cornell Univ. Press, Ithaca / Londres 1993, p. 259-275 ; F. GRAF, « Textes orphiques et rituel bachique. À propos des lamelles de Pélinna », dans Ph. BORGEAUD (éd.), Orphisme et Orphée en l’honneur de Jean Rudhardt, Droz, Genève 1991, p. 87-102 ; id., « Dionysian and Orphic Eschatology: New Texts and Old Questions », dans T. H. CARPENTER, C. A. FARAONE (éd.), Masks, p. 239-258 ; F. GRAF, S. I LES JOHNSTON, Ritual Texts for the Afterlife: Orpheus and the Bacchic Gold Tablets, Routledge, Londres 2007. 25. Végétarisme orphique : M. DETIENNE, Dionysos mis à mort, p. 163-207 ; P. ELLINGER, La Légende nationale phocidienne. Artémis, les situations extrêmes et les récits de guerre d’anéantissement (“Bulletin de correspondance hellénique. Supplément” 27), École française d’Athènes, Paris / Athènes 1993, p. 153-154. Ômophagie basée sur le mythe de Zagreus : M. DARAKI, Dionysos, p. 62 ; F. CUMONT, Les Religions orientales dans le paganisme romain : conférences faites au Collège de France en 1905, P. Geuthner, Paris 1906 (19294), p. 198 ; H. JEANMAIRE, Dionysos, p. 386 (dionysiaque) ; W. BURKERT, Les Cultes à mystères, p. 100 (orphico-bachique). 26. F. GRAF, « Textes orphiques et rituel bachique » ; P. LÉVÊQUE, « Apollon et l’orphisme à Olbia du Pont », dans : M. TORTORELLI GHIDINI, A. STORCHI MARINO, A. VISCONTI (éd.), Tra Orfeo e Pitagora : origini e incontri di culture nell’antichità (atti dei seminari napoletani 1996-1998), Bibliopolis, Naples 2000, p. 81-90 ; C. R IEDWEG, « Poesis Orphica et Bacchicus ritus : observationes quædam ad lamellas aureas spectantes », Vox Latina 32 (1996), p. 475-489 ; id., « Poésie orphique et rituel initiatique », Revue de l’histoire des religions 219 (2002), p. 459-481.

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Le règne de Dionysos Sans parler des histoires de sacrifice humain (par sparagmos ou par thysia) liées à son nom un peu partout en Grèce. Reste à préciser ce dont ces récits parlent vraiment. Que symbolisent Dionysos et son cannibalisme aux yeux des Grecs et des Romains ?

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CHAPITRE II ORPHISME ET DIONYSISME SELON MARCEL DETIENNE

Le Dionysos mis à mort de Marcel Detienne a inauguré une nouvelle étape dans la compréhension du système religieux de la cité grecque. Reprenant la théorie de Dario Sabbatucci sur la place primordiale de la thysia comme point de référence des différents mouvements contestataires de la polis, il analyse quatre courants considérés comme marginaux de la religion grecque : l’orphisme, le pythagorisme, le dionysisme et le cynisme. Detienne propose une distinction nette entre l’orphisme végétarien et le dionysisme ômophage et range définitivement le mythe de Dionysos-Zagreus aux côtés du premier 1. En effet, selon la thèse de Detienne, c’est ce récit qui « explique » la raison de l’interdiction du meurtre (d’hommes et d’animaux), centrale pour les orphiques. Choisissant la version de Nonnos pour son analyse, il remarque que le sacrifice du petit Dionysos est calqué sur le modèle de la thysia. Ce mythe mettrait donc en scène un sacrifice terriblement dénaturé et tordu. Cela commence par le choix de la victime. En effet, lors du sacrifice grec, en règle générale, on met à mort un animal domestique – tandis que dans le récit orphique c’est un enfant divin. L’animal doit s’avancer (au moins en théorie) librement vers l’autel – tandis que Dionysos y est conduit par la ruse, suivant les jouets que les assassins / sacrificateurs lui présentent. Dionysos n’est pas tué en offrande à une divinité et, après la mise à mort, ses os et sa graisse ne brûlent pas sur l’autel comme le prévoit la thysia grecque. Les Titans sont à la fois sacrificateurs et destinataires qui se réservent la victime dans son intégralité. Enfin, la cuisine sacrificielle est inversée par rapport au sacrifice civique : au lieu de rôtir les splanchna et bouillir les chairs, les Titans mélangent os, viande et viscères, qu’ils rôtissent sur des broches après les avoir bouillis dans le chaudron. Ils ne respectent donc ni le partage entre hommes et dieux, ni l’évolution humaine. Leur châtiment ne tarde pas : Zeus les foudroie dans sa juste colère. Et plus tard, toujours selon l’orphisme, c’est de leurs cendres que sera créée l’humanité. Dans ces circonstances, il n’est pas surprenant que certains humains aient des instincts cannibales… L’homme, en pratiquant la thysia, répète inconsciemment le meurtre de Dionysos, et ainsi ses festins sacrificiels sont (symboliquement) cannibales. Detienne voit dans l’orphisme, tout comme dans le pythagorisme qui lui est contemporain, des mouvements de protestation religieuse qui se définissent par une attitude de refus du système politico-religieux de la cité, « organisé autour des Olympiens et de la distance qui sépare les hommes et les dieux » 2. Cependant, tandis que le pythagorisme est prêt à faire des concessions n’interdisant que la consommation de certains aliments pour ceux qui ne veulent pas suivre le mode de

1. M. DETIENNE, Dionysos mis à mort, p. 160-217. 2. Ibid., p. 166.

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Le règne de Dionysos vie très strict de Pythagore 3, l’orphisme, avec son végétarisme absolu, serait plus radical. De ce fait, l’orphique s’exclurait lui-même de la société, il se présenterait comme un marginal. Detienne compare l’attitude de l’orphisme et du pythagorisme avec celle, apparemment diamétralement opposée, du dionysisme et du cynisme. Car il interprète les quatre courants comme autant de mouvements contestataires de l’ordre politico-religieux de la cité. Selon Detienne, le point commun entre eux est qu’ils refusent le partage prométhéen et essayent de retrouver l’état de l’humanité d’avant la définition des frontières entre hommes et dieux. Cependant, tandis que l’orphisme et le pythagorisme tenteraient de retourner à la nature divine en se gardant de la souillure du meurtre et de la nourriture carnée, le dionysisme et le cynisme choisiraient la voie de la bestialité. Or, cette auto-bestialisation doit passer par le refus de l’alimentation civilisée, basée sur la viande des animaux sacrifiés, préparée sur le feu. Tandis que l’orphisme et le pythagorisme mettraient l’accent sur le refus de la mise à mort et de la consommation, le cynisme et le dionysisme choisiraient d’abord de renoncer à la préparation culinaire, avant d’abolir la distinction entre sacrificateur et sacrifié. « La bestialité commence avec l’ômophagie, elle s’accomplit dans l’allélophagie », constate Detienne 4. Le dionysisme, lui, s’arrête à l’ômophagie et, selon le témoignage des mythes, Dionysos « ne rend cannibales que ceux qui lui résistent » 5. Ainsi, bien que contestataire, le dionysisme peut demeurer une composante essentielle de la religion civique. Le cynisme, convaincu que le retour vers la vie simple des origines ne peut pas passer sans la déconstruction de tout le système de valeurs qui fonde la société, va jusqu’à prôner l’abolition du tabou de l’endocannibalisme ainsi que de la prohibition de l’inceste. Il s’exclut donc du corps civique au même titre que l’orphisme végétarien. Il y aurait donc deux grandes coupures qui sépareraient l’orphisme et le dionysisme. D’abord, les chemins, diamétralement opposés, qu’ils empruntent pour échapper à la condition humaine, l’un vers la pureté permanente (« vers le haut »), l’autre vers la bestialité (« vers le bas »). Mais encore plus importante serait la seconde différence : leur attitude vis-à-vis de la religion de la cité. Le dionysisme se contenterait de la contester de l’intérieur, tandis que l’orphisme, plus radical, choisirait la voie de la marginalité. L’interprétation de Detienne des quatre mouvements (politico-)religieux ne montre pas seulement quatre voies différentes pour échapper à la condition humaine actuelle. Elle met également en exergue l’ambiguïté qui planait sur les origines de l’humanité, « entre bêtes et dieux », dans l’esprit des Anciens. Elle 3. La viande de bœuf et de mouton, la fève, etc. Cependant, le vrai ascète pythagoricien refuse toute nourriture carnée : M. DETIENNE, Les Jardins d’Adonis, p. 69-114 et p. 227-241 ; G. CASADIO, « La metempsicosi tra Orfeo e Pitagora », dans Ph. BORGEAUD (éd.), Orphisme et Orphée en l’honneur de Jean Rudhardt, Droz, Genève 1991, p. 119-155 ; Ph. BORGEAUD, « Essen/Trinken, religionswissenschaftlich », dans Religion in Geschichte und Gegenwart. Handwörterbuch für Theologie und Religionswissenschaft4, II, Mohr, Tübingen 1999, cols. 1589-1590, et Ph. BORGEAUD, « Réflexions grecques sur les interdits alimentaires (entre l’Égypte et Jérusalem) », dans C. GROTTANELLI, L. M ILANO (éd.), Food and Identity in the Ancient World (“History of the Ancient Near East Studies” 9), Sargon, Padoue 2004, p. 95-121. 4. M. DETIENNE, Dionysos mis à mort, p. 141. 5. Ibid., p. 151.

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Orphisme et dionysisme selon Marcel Detienne nous conforte aussi dans l’idée qui commence à prendre forme à la suite des chapitres précédents ; l’image du cannibalisme symbolise tout ce qui est contraire au monde actuel des Grecs : elle incarne le désordre, l’ignorance et la misère. En effet, même les cyniques qui conseillent la consommation du corps des parents décédés, n’y voient pas le but à atteindre, mais le chemin à emprunter pour y arriver. Cependant, malgré tous ses mérites, la thèse de Detienne doit être nuancée. Les autres versions du mythe de Dionysos-Zagreus, ainsi que leurs relations avec les mythes dits traditionnels de Dionysos permettent d’apercevoir une unité certaine dans la mythologie dionysiaque. Quant à la réalité cultuelle, elle semble beaucoup moins tranchée que la thèse de Detienne ne le suppose.

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CHAPITRE III ORPHISME, BACHISME, DIONYSISME

Avant de pouvoir continuer l’analyse des récits cannibales liés à Dionysos, il n’est pas inutile d’ouvrir une parenthèse pour définir le contexte qui nous préoccupe. En effet, les termes d’orphisme, de bachisme ou de dionysisme, couramment utilisés par les historiens des religions, ne répondent pas à des courants bien définis et distincts de l’Antiquité. Étant donné que le sujet principal du présent travail n’est pas Dionysos, on n’aura pas la prétention d’examiner les phénomènes en détail et de proposer des définitions précises. Il nous semble néanmoins nécessaire d’éclairer au moyen de quelques exemples – tirés des réflexions d’éminents spécialistes – l’impossibilité de diviser en catégories strictes les phénomènes religieux autour de Dionysos. Dans ce chapitre, on ne s’occupera pas des différences plus ou moins nettes entre leurs cosmologies, anthropogonies ou eschatologies, ni celles que présentent leurs rites. On recherchera d’abord le dénominateur commun. Or, le simple fait que les anciens ne voyaient pas de césure entre orphisme, bachisme et dionysisme est déjà révélateur. Ce rappel est indispensable dans la mesure où il soutient l’idée qui ressortira de l’analyse des mythes cannibaliques du dieu : le mythe de l’enfant divin dévoré par les Titans n’est pas une construction savante des courants végétariens. Il s’agit d’un récit ancien – reformulé et réinterprété par la suite – qui a sa place dans la mythologie traditionnelle de Dionysos, riche en enfants déchirés et dévorés. Parlant de certaines coutumes des prêtres égyptiens, Hérodote fait une comparaison surprenante : En cela, ils sont d’accord avec les prescriptions des cultes que l’on appelle orphiques et bachiques, lesquelles en réalité viennent d’Égypte, et avec celles de Pythagore ; à quiconque en effet participe à ces cultes mystiques, il est interdit également de se faire ensevelir dans des vêtements de laine. On dit qu’il y a un hieros logos à ce sujet 1.

Orphisme et bachisme sont donc identiques aux yeux du père de l’historiographie. Diodore de Sicile (3, 65) explique qu’il s’agit d’un changement de nom suite à une réforme des rites originaux. En effet, quand Dionysos vient en Thrace pour la première fois, le roi Lycurgue complote contre lui. C’est un certain Charops qui révèle à Dionysos les desseins néfastes du roi, lui permettant ainsi d’échapper au piège. En retour, le dieu lui donne le trône et lui enseigne ses mystères. Or, le petit1. H ÉRODOTE, 2, 81 : « Ãνδεδκασι δ κιθŒνας λινους περ' τ+ σκλεα θυσανωτος, το™ς καλουσι καλασ$ρις· =π' τοτοισι δ ε‡ρ$νεα εÁματα λευκ+ =παναβληδ{ν φορουσι. Ο μντοι ›ς γε τ+ ‘ρ+ =σφρεται ε‡ρ$νεα οδ συγκαταθπτετα$ σφι· ο γ+ρ λλα Æγν+ θματα, σαρκŒν δ’ πε$χοντο •ς οχ νακτ’ ›χων / βκχευε πολλŒν γραμμτων τιμŒν καπνος· / =πε$ γ’ =λ}φθης. Το™ς δ τοιοτους =γý / φεγειν προφωνŒ π€σι· θηρεουσι γ+ρ / σεμνος λγοισιν, α‡σχρ+ μηχανKμενοι. »

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Le règne de Dionysos méprisés par des gens comme Platon et Théophraste 24. Selon Fritz Graf, il faut distinguer deux types d’initiateurs 25. Ceux que Platon et Théophraste critiquent seraient plutôt des charlatans qui se contentent de célébrer leurs mystères sans connaître leur origine et leur sens profond. Cependant, comme le fait remarquer Graf, Platon lui-même est contraint de reconnaître qu’il y a aussi des « prêtres et des prêtresses ayant à cœur de pouvoir rendre raison des fonctions qu’ils remplissent » 26. Graf identifie ces prêtres et ces prêtresses avec des initiateurs et initiatrices du bachisme dignes de confiance, qui se soucient de comprendre et d’expliquer les mystères. D’un bachisme qui s’inspire largement des textes orphiques, selon Graf. Après l’analyse des lamelles d’or de Pelinna, de Hipponion et de Thurii, il distingue plusieurs courants basés sur les écrits transmis sous le nom d’Orphée. Un révélateur de la pluralité des rites et des doctrines est le fait que Ptolémée IV Philopator ordonne en 210 avant notre ère que tous ceux qui accomplissent des initiations pour Dionysos se fassent enregistrer en Alexandrie, et qu’ils déclarent « de qui ils ont reçu les choses sacrées jusqu’à trois générations, et qu’ils remettent leur hieros logos, en un exemplaire scellé » 27. De même, une inscription de Milet datée de 276 / 75 avant notre ère, dont il a déjà été question plus haut, nous apprend que toutes celles qui souhaitent se déclarer initiatrices de Dionysos Bacchios doivent payer une taxe à la prêtresse officielle du dieu 28. Dans sa plaidoirie Sur la couronne, Démosthène tourne en ridicule un mystère privé de Sabazios (dieu d’origine thrace souvent rapproché de Dionysos) dont la prêtresse était la mère de son adversaire Éschine. On y voit des rites nocturnes se déroulant dans une pièce fermée et des processions solennelles à travers les rues d’Athènes, avec danses et clameurs extatiques. Démosthène reproche à Éschine et à sa mère de profiter de la crédulité des petites vieilles et de ne voir dans les mystères que leur gagne-pain. Cependant, si l’évocation du rôle joué par Éschine dans les mystères de Sabazios contribue certainement à le discréditer aux yeux des juges, il ne s’agit en aucun cas d’une accusation criminelle. Ces mystères privés font partie du paysage religieux de la cité grecque et tant qu’ils ne visent pas à détourner les gens des cultes officiels, les autorités n’ont rien à leur reprocher 29. L’objection la plus courante contre l’acceptation du fragment des Crétois comme témoignage authentique de l’orphisme est la prétendue incompatibilité entre l’ômophagie rituelle et la cuisson mythique de Dionysos par les Titans. Elle est des plus pertinentes, malgré la tentative de Maria Daraki de nier le caractère alimentaire du sparagmos et de l’ômophagie 30. Ce mythe de Dionysos cannibalisé 24. P LATON, République, 364e, supra, p. 73, n. 16 ; THÉOPHRASTE, Caractères, 16, 11. 25. F. GRAF, « Textes orphiques et rituel bachique », p. 87-102 (p. 97-98). 26. Ménon, 81a. Sauf mention explicite, le texte et la traduction de cette œuvre seront cités suivant l’édition de A. CROISET, L. BODIN, Les Belles Lettres, Paris 1967. 27. W. BURKERT, Les Cultes à mystères, p. 41, traduction légèrement modifiée. 28. M. P. NILSSON, The Dionysiac Mysteries, p. 6. n. 8 : « […] κα' =ν τις γυν βοληται τελεν τŒι Διονσωι τŒι Βακχ$ωι =ν τ‚ι πλει † =ν τ‚ι χKραι † =ν τας ν}σοις, [ πο]διδτω τ‚ι ‘ερε$αι στατ‚ρα κατ  Ëκστην τριετηρ$δα. » 29. Un exemple frappant de ce type de culte redouté par les autorités sont les Bacchanales romaines, interdites brusquement et brutalement en 186 avant notre ère (infra, p. 136-139). 30. M. DARAKI, Dionysos, p. 64.

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Orphisme, bachisme, dionysisme ne peut pas être l’étiologie première des rites ômophagiques. L’insistance du récit sur la cuisson du dieu ne permet pas de supposer qu’il a été créé comme explication d’un rite dont le principe est la consommation de la viande crue. Pourtant, il est indéniable que le mythe et le rite se sont rencontrés à un moment donné. C’est certainement le cas de la version evhémériste du démembrement de Dionysos rapportée par Firmicus Maternus 31. Selon l’auteur chrétien, Dionysos (Liber) est le fils du roi de Crète que les suivants de la reine tuent, démembrent, cuisent et mangent afin de faire disparaître toute trace du crime. Seul le cœur, la part d’Athéna, reste intact. Le roi, fou de chagrin, fait sculpter une statue et pose le cœur à l’intérieur. Il fonde aussi un temple en son honneur et lui associe un prêtre. Or ses sujets, pour adoucir sa douleur, décident de faire de l’anniversaire de la mort de Dionysos un jour de fête, au cours duquel, pour mettre en scène sa passion, ils déchirent un taureau avec leurs propres dents. Il est donc évident que la source de Firmicus ne voyait pas plus de contradiction entre l’enfant cuit et le taureau cru qu’Euripide entre l’ômophagie et le végétarisme. Selon Guthrie, Euripide appartiendrait à ces écrivains qui, tout en étant familiers avec les écrits d’Orphée, ne sont pas orphiques, et qui sont également fascinés par le culte sauvage de Dionysos 32. À cause de son ignorance, il introduirait dans sa description un trait pré-orphique du dionysisme, précisément celui qu’Orphée voulait réformer et même abolir : l’ômophagie. Euripide mélangerait donc les deux courants, réconciliant l’irréconciliable, l’ômophagie et le végétarisme. Toute séduisante qu’elle puisse paraître, la théorie de Guthrie a un grand défaut. Comme l’a dit Jean Rudhardt, en parlant des hymnes orphiques : « alors que nous ne savons pas exactement ce qu’est l’Orphisme, je me demandais de quel droit nous pourrions contester le caractère orphique d’un livre […] » 33. Au lieu de refuser une partie du témoignage d’Euripide et d’en retenir l’autre, il vaudrait donc mieux accepter pour le moment que l’orphisme, dès le Ve siècle, n’est pas un mouvement unifié. Il se présente sous différentes formes et divers aspects. Les paroles de Thésée dans l’Hippolyte témoignent de la même attitude ambiguë envers les orphiques dans l’Athènes du Ve siècle que celles de Platon au siècle suivant. Euripide, Hérodote et Démosthène décrivent chacun des cultes extatiques de Dionysos ; des cultes qui reflètent des influences plus ou moins marquées des textes attribués à Orphée. Fritz Graf a raison de souligner que la pluralité des rites et des enseignements orphico-bachiques n’est pas un phénomène nouveau, caractéristique des époques hellénistique et romaine : « les mystères bachiques n’ont jamais eu d’unité conceptuelle » 34. La thèse de Detienne, malgré tous ses mérites, demande donc à être nuancée : orphisme et dionysisme ne sont pas des courants contradictoires, s’excluant mutuellement. Si l’on peut supposer l’existence de partisans de deux pôles extrêmes, les uns exclusivement végétariens et gardant farouchement une pureté

31. De l’Erreur des religions païennes, 6, 1-5. 32. W. K. C. GUTHRIE, Orpheus, p. 199. 33. J. RUDHARDT, « Les deux mères de Dionysos », p. 485. 34. F. GRAF, « Textes orphiques et rituel bachique », p. 97.

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Le règne de Dionysos rituelle permanente, les autres pratiquant uniquement des rites ômophagiques, ils ne représentent certainement qu’une toute petite minorité des orphiques et des bachiques. Au lieu d’utiliser les termes orphisme, bachisme et dionysisme au singulier, il serait donc peut-être préférable de les mettre au pluriel. En ce qui concerne la relation des bachismes avec la religion civique et la thysia, il faut également rectifier la position de Detienne. En effet, si le sparagmos frappe certainement le plus l’esprit des anciens et des modernes, il est loin d’être le seul type de sacrifice offert à Dionysos. À côté des nombreux animaux sacrifiés sur les autels avec une machaira, une grande partie de ses sacrifices humains (mythiques) sont également des thysiai ou des sphagia 35 . Ainsi, le seul sacrifice humain athénien de l’époque classique, celui des trois jeunes perses immolés par Thémistocle avant la bataille de Salamine aurait été offert à Dionysos Ômèstès en sphagion 36 . Il n’est donc pas possible d’analyser les récits de cannibales liés à Dionysos en les réduisant à une opposition à la thysia. L’existence de différents degrés intermédiaires entre les deux pôles extrêmes des bachismes suppose l’existence de nombreuses interprétations de ces histoires. Mais surtout, il ne faut pas perdre de vue que le mythe de Dionysos démembré n’est pas un îlot isolé dans la mer de la mythologie grecque. Il est lié par de multiples références à un réseau de mythes cannibales.

35. À Potnia pour Dionysos Aigobolos (PAUSANIAS, 9, 8, 2) ; à Ténédos pour Dionysos Anthroporrhaistès (ÉLIEN, De la Nature des animaux, 12, 34 ; PORPHYRE, De l’Abstinence, 2, 53) ; à Patras pour Dionysos Aisymnète et Artémis (PAUSANIAS, 7, 19-20) etc. 36. P LUTARQUE, Thémistocle, 13, 2-5 ; l’historicité du sacrifice est contestée par A. H ENRICHS, « Human Sacrifice », p. 209-224 ; D. D. HUGHES, Human Sacrifice, p. 111-115 et P. BONNECHÈRE, Le Sacrifice humain, p. 288-291.

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CHAPITRE IV FILS DE SÉMÉLÉ, FILS DE PERSÉPHONE

On a déjà mentionné deux types d’interprétation ancienne du mythe du démembrement de Dionysos. Le premier, qu’on pourrait appeler rituel, associe ce mythe aux rites ômophagiques, le prenant pour leur mythe étiologique. L’interprétation ne passe pas par des explications verbales, mais elle reste implicite aux actes. Elle se contente de similitudes apparentes entre mythe et rite qui se résument dans le démembrement et la consommation de la victime. Cet usage du mythe a eu la vie longue, puisque Euripide en est témoin dans la seconde moitié du Ve siècle avant notre ère et Firmicus Maternus le rapporte encore un millénaire plus tard. L’autre type d’interprétation, qu’on pourrait qualifier de philosophicothéologique, va plus loin. Il ne se contente pas de similitudes apparentes et de références implicites, mais prend le mythe comme objet d’une exégèse poussée. C’est le cas de l’école néoplatonicienne qui en fait le centre de ses réflexions anthropogoniques et eschatologiques. Néanmoins, cette réflexion poussée n’empêche certainement pas de lier une pratique rituelle au mythe. Cette seconde méthode est également ancienne, comme en témoigne l’existence des courants (plus ou moins) végétariens du culte de Dionysos. En effet, on peut supposer avec Detienne que cette pratique alimentaire nouvelle a dû naître au sein des bachismes pour éviter de reproduire un crime si atroce. Le sparagmos et la consommation de Dionysos par les Titans sont désormais compris comme le symbole de la fragmentation et de la dispersion de l’âme dans tout ce qui est vivant. C’est un argument suffisant en soi pour l’abstinence du meurtre, prescrite par Orphée. Mais de plus, selon certains courants du pythagorisme et de l’orphisme, l’âme peut passer d’un corps dans un autre après la mort du premier. La théorie de la métempsycose, celle de la transmigration des âmes signifie que chaque fois qu’on tue un animal on risque d’immoler un de ses proches. Ovide, dans le 15e livre des Métamorphoses met dans la bouche de Pythagore des mots condamnant sans appel comme impie l’homme « capable d’égorger un chevreau qui pousse des vagissements semblables à ceux d’un enfant » 1. Il déconseille vivement la consommation de la viande des animaux, « ces corps, qui peuvent avoir reçu en partage les âmes de nos parents, de nos frères ou d’êtres qui nous sont unis par les liens du sang, en tout cas des âmes humaines ». Pour tirer enfin la conclusion : « ne chargeons point nos tables de leurs chairs dans des repas dignes de Thyeste » 2. Dans ces courants végétariens, confessant également la métempsychose, le cannibalisme est donc doublement négatif. Dans le passé, il est l’acte fondateur de l’humanité et des 1. Métamorphoses, 15, 464-467 : « Impius humano, […] / […] / Aut qui uagitus similes puerilibus hædum / Edentem iugulare potest […] » 2. Ibid., 15, 459-462 : « Corpora, quæ possunt animas habuisse parentum / Aut fratrum, aut aliquo iunctorum fœdere nobis / Aut hominum certe, tuta esse et honesta sinamus / Neue Thyesteis cumulemus uiscera mensis. »

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Le règne de Dionysos sacrifices d’animaux. Dans le présent, il est la souillure la plus horrible qui puisse contaminer l’homme qui manque de vigilance : en mangeant de la viande on peut devenir – sans s’en rendre compte – coupable d’anthropophagie, devenir des sortes de Thyeste ou de Térée. Le troisième type d’interprétation de la passion de Dionysos, contrairement aux précédents, est de connotation plutôt positive. Diodore, racontant les histoires de Dionysos, est assez embarrassé de constater qu’elles présentent tant de différences et de contradictions. De plus, elles suscitent de nombreuses interprétations que l’auteur rapporte fidèlement. Pour notre sujet, la plus intéressante est sans doute l’avis de « ceux qui usent d’explications naturelles à propos de ce dieu et qui appellent le fruit de la vigne “Dionysos” » 3. En effet, selon Diodore, ce qu’ils racontent « concorde avec ce qui est révélé par les poèmes orphiques et avec ce que l’on représente secrètement à l’occasion des cérémonies initiatiques, dont il n’est pas permis de raconter le détail aux non-initiés » 4. Ils attribuent à Dionysos non pas deux, mais trois naissances : la première lorsque la vigne sort de terre ; la seconde lorsque le raisin sort de la vigne ; enfin la troisième lorsque le raisin se transforme en vin. « D’après eux, le dieu né de Zeus et de Déméter fut déchiré par les fils de Gé qui le firent cuire ; mais Déméter ayant rassemblé ses membres, il naquit à nouveau aussi jeune que la première fois » 5. L’interprétation que les naturalistes proposent du démembrement de Dionysos est la vendange et le raisin mis au pressoir. Sa cuisson ferait référence à la coutume de faire cuire le vin ce qui – selon les informateurs de Diodore – se pratiquait chez plusieurs peuples. Enfin, le rassemblement des membres meurtris par les fils de la Terre et leur rétablissement dans leur premier état naturel semble signifier que, lorsque la vigne a été vendangée et taillée […] la Terre la rétablit à nouveau dans la plénitude de sa fertilité antérieure 6.

Le mythe du démembrement de Dionysos, la télété de ses mystères, ne serait donc rien d’autre que l’allégorie de la production du vin. Cette interprétation peut paraître entièrement profane, presque impie, dépourvue de tout arrière-fond religieux. Pourtant, Dionysos n’est pas simplement le dieu de la vigne et du vin, comme en témoignent les nombreuses fêtes qui lui sont consacrées entièrement ou en partie sous cet aspect 7. Il est la vigne et le vin. Comme on le verra, Lycurgue, le premier ennemi de Dionysos sur le sol grec, taille en pièces ce qu’il croit être un

3. DIODORE, 3, 62, 3 : « Ο‘ το$νυν φυσιολογοντες περ' το θεο τοτου κα' τ{ν π{ τ‚ς μπλου καρπ{ν Δινυσον žνομζοντες […] » 4. Ibid., 3, 62, 8 : « σμφωνα δ τοτοις ε^ναι τ τε δηλομενα δι+ τŒν ìρφικŒν ποιημτων κα' τ+ παρεισαγμενα κατ+ τ+ς τελετς, περ' ν ο θμις τος μυ}τοις ‘στορεν τ+ κατ+ μρος. » 5. Ibid., 3, 62, 6 : « καθ’ —ν φασι τ{ν θε{ν =κ Δι{ς κα' Δ}μητρος τεκνωθντα διασπασθ‚ναι μν ˜π{ τŒν γηγενŒν κα' καθεψηθ‚ναι, πλιν δ’ ˜π{ τ‚ς Δ}μητρος τŒν μελŒν συναρμοσθντων =ξ ρχ‚ς νον γεννηθ‚ναι. » 6. Ibid., 3, 62, 7 : « τ{ δ τ+ ˜π{ τŒν γηγενŒν λυμανθντα τŒν μελŒν Æρμοσθντα πλιν =π' τν προγεγενημνην φσιν ποκαθ$στασθαι παρεμφα$νειν μπελον κα' τμηθεσαν τας κατ’ ›τος #ραις ε‡ς τν προϋπρξασαν =ν τ§ καρποφορεν κμν ποκαθ$στησι. » 7. Anthestéries, Thesmophories, Lénées etc., voir H. JEANMAIRE, Dionysos, p. 22-56.

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Fils de Sémélé, fils de Perséphone cep de vigne espérant nuire ainsi au dieu en personne. Le chœur des Bacchantes d’Euripide exalte également Dionysos comme le dieu qui « tout dieu qu’il est, coule en offrande aux dieux » 8. Avant de continuer à expliquer le cannibalisme du mythe du démembrement de Dionysos, fils de Perséphone, il est indispensable d’examiner la figure de Dionysos, fils de Sémélé. En effet, dans les récits liés à son nom, ce n’est pas lui qui subit le festin cannibale, mais lui qui pousse à déchirer et à manger crus des êtres humains. Ce caractère sauvage de sa nature a fait longtemps penser que Dionysos serait une divinité d’origine étrangère qui aurait importé des rites barbares. Aujourd’hui, on sait qu’il est un des plus anciens dieux grecs dont le culte était déjà établi à Pylos à l’époque mycénienne 9. Pourtant, il est indéniable qu’il se présente souvent lui-même comme un étranger. Un nouvel arrivant dans la cité, mais qui n’exige pas moins qu’on lui rende hommage comme à ses collègues olympiens. Or quand les dieux se fâchent, ils exigent d’habitude la mise à mort du coupable et même souvent l’instauration de sacrifices humains expiatoires 10. Artémis, faisant déchirer le corps du malheureux Actéon, métamorphosé en cerf, par ses chiens n’a rien à envier en sauvagerie à Dionysos. Héra, faisant massacrer sa famille à Héraclès agit exactement comme Dionysos à Thèbes. Pourtant, Dionysos seul a la réputation de barbare ! Car ce qui différencie les sacrifices qui lui sont offerts de ceux s’adressant aux autres divinités, aux yeux des anciens et des modernes, c’est surtout la modalité des rites : sparagmos au lieu de thysia. En effet, comme on l’a vu, le sacrifice humain grec était toujours considéré comme adaitos, sans consommation de la victime 11, excepté le sparagmos offert à Dionysos, qui était censé de se terminer par la manducation de chair humaine crue. Les mères cannibales : les Cadméides, les Proétides et les Minyades Les trois premiers mythes qu’il faut examiner, ceux des Cadméides, des Proétides et des Minyades, suivent un schéma semblable dans leurs versions les plus courantes : des jeunes femmes refusent de reconnaître la divinité de Dionysos et de s’abandonner à sa douce folie. Comme châtiment, le dieu leur envoie la folie furieuse qui les conduit, ainsi que leur entourage féminin, à déchirer et à dévorer un ou plusieurs enfants. À Thèbes, Dionysos rentre chez lui. Il est le fils de Sémélé, fille de Cadmos, fondateur de la ville. Il revient après un long exil, une enfance passée sous le signe de la colère d’Héra. Son grand-père a déjà aménagé une enceinte consacrée à 8. Bacchantes, 284 : « ο¸τος θεοσι σπνδεται θε{ς γεγKς. » (Sauf mention explicite, le texte et la traduction de cette œuvre seront cités suivant l’édition de H. GRÉGOIRE, J. M EUNIER, Les Belles Lettres, Paris 1961) – Bien sûr, cette identification de Dionysos avec sa boisson préférée n’est pas propre au seul mythe orphique. Dans la suite de son récit, Diodore raconte également comment certains expliquent le mythe de Dionysos fils de Sémélé par l’allégorie de la vigne. 9. PY Ea 102 et 107 : di-wo-nu-so-jo, e-ka-ra : eschara dionysou, « l’autel de feu » (sanctuaire) de Dionysos. 10. Le sacrifice d’Iphigénie ; les ourses de Brauron ; Artémis Orthia à Sparte etc. 11. ÉSCHYLE, Agamemnon, 150 ; PORPHYRE, De l’Abstinence, 2, 53, 3, supra p. 30. La thysia du Mont Lycée était tenue pour une exception.

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Le règne de Dionysos Sémélé à l’endroit même où elle est morte, mais ses tantes restent incrédules. Elles ne veulent pas croire que l’amant de leur sœur était Zeus. Dans les Bacchantes d’Euripide, Dionysos annonce d’emblée son intention de se venger : d’abord sur les sœurs de sa mère ; ensuite sur son cousin germain Penthée qui, non content de refuser de lui adresser le plus petit acte cultuel, déclare ouvertement la guerre au dieu en s’attaquant aux bacchantes (v. 1-55). Le jeune roi soupçonne les femmes de se livrer à des excès sexuels dans la solitude des montagnes. Il ne veut pas entendre raison : ni Cadmos, ni Tirésias, ni le « prêtre » du dieu (en réalité Dionysos lui-même), n’arrivent à lui faire comprendre son erreur. Il ne montre pas de remords même après les nombreux prodiges qui annoncent la présence d’un dieu. D’abord, les chaînes des bacchantes tombent d’elles-mêmes et les portes de la geôle s’ouvrent toutes seules. Ensuite, le « prêtre » s’échappe de son cachot de la même façon, au milieu des flammes de la foudre qui tombe sur le palais. Enfin, les femmes de Thèbes font surgir des sources d’eau, de lait et de vin à coup de thyrse et elles allaitent les petits fauves. Loin d’errer dans les montagnes succombant à l’ivresse du vin, elles obéissent fidèlement aux ordres des trois filles de Cadmos, Agavé, Inô et Autonoé. Mais quand les bouviers tentent de capturer la mère du roi, les bacchantes se déchaînent et montrent une force et une férocité surhumaines. Elles font fuir les hommes, déchirent à main nue leur troupeau et, faisant intrusion dans la ville, elles ravissent les enfants. Ni les armes, ni le feu ne les blessent. Le messager implore Penthée de reconnaître la divinité de celui qui rend possible tout ceci, mais le roi ne l’écoute pas. Il veut s’attaquer aux bacchantes avec des armes. Le « prêtre » l’exhorte alors de sacrifier (thyein) au dieu au lieu de lui résister. Et la réponse de Penthée, pleine d’hybris, ne tarde pas : « Je lui ferai le sacrifice mérité, jetant beaucoup de trouble dans les replis du Cithéron » 12 ! Dionysos réussit à le faire renoncer à son projet impie, mais seulement pour l’inciter à commettre un acte encore plus sacrilège. Penthée veut savoir ce qui se passe sur la montagne ; pourtant, le « prêtre » l’a averti auparavant qu’il s’agit d’un secret interdit aux noninitiés 13. Dionysos le déguise alors en femme, le conduit sur le Cithéron et lance les ménades à ses trousses. Elles essayent d’abord de le lapider, mais n’ayant pas réussi à l’atteindre, réfugié sur le sommet d’un pin, elles arrachent l’arbre avant de déchirer à main nue le corps du malheureux. Ce sparagmos s’explique de deux façons dans la pièce. Agavé, lors de son entrée triomphale dans la cité, soutient qu’elle a remporté une victoire sur un jeune lionceau, dont elle offre les chairs en festin au chœur (celui-ci, composé de bacchantes asiatiques, voit les restes du cadavre sous sa forme humaine et refuse d’y goûter). Pourtant, quand Dionysos ordonne la mise à mort de Penthée, il en parle en des termes qui évoquent clairement un homme : « Je vous amène, ô mes filles, celui qui se raille de vous, qui se raille de moi, et 12. Bacchantes, 796-797 : « ȁσω, φνον γε θ‚λυν, #σπερ >ξιαι / πολ™ν ταρξας =ν ΚιθαιρŒνος πτυχας. » Traduction personnelle. Le choix du verbe tarassô qui annonce le caractère « troublefête » des projets de Penthée joue certainement sur le comportement présumé des ménades qui sont souvent représentées dans la littérature et dans l’iconographie en agitant leur chevelure. 13. Bacchantes, 471-472 : « P. : Ces mystères, dis-moi, quelle en est la nature ? / D. : Les non-initiés ne la peuvent connaître. Τ+ δ  ργι =στ' τ$ν  ‡δαν ›χοντ σοι; / ²ρρητ  βακχετοισιν ε‡δναι βροτŒν. »

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Fils de Sémélé, fils de Perséphone de mes rites. Sus à lui, châtiez-le » 14 ! Et lorsque Agavé exhorte les bacchantes à l’attraper, elle donne comme raison la peur qu’il ne trahisse les danses secrètes du dieu 15, chose évidemment impossible à soupçonner de la part d’un lion… Ces apparentes contradictions font penser à la possibilité qu’Euripide a pu connaître au moins deux versions du mythe, l’une avec le meurtre délibéré de l’enfant, et l’autre l’expliquant par une vision trompeuse. Comme on le verra, on trouve des exemples des deux parmi les mythes liés à Dionysos. Si tel est le cas, Euripide les a sans doute sciemment mélangés pour mieux faire ressortir le caractère surhumain du délire dionysiaque qui outrepasse la logique des hommes. Dans les Bacchantes, les ménades vivent dans un monde paradisiaque avant qu’on les attaque. Elles abandonnent la cité et leurs maisons pour vivre en harmonie avec la Nature. Celle-ci les accueille à bras ouverts : aucun danger ne guette les femmes tant qu’elles sont sous la protection de Dionysos. Les fauves ne les attaquent pas, au contraire : les bacchantes allaitent leurs petits. Cependant, tout en faisant partie de la nature, elles continuent de se nourrir de manière humaine, consommant du lait, du vin et du miel qui surgissent miraculeusement du sol et de leur thyrse. Dans l’Ion de Platon c’est dans les fleuves que les femmes dionysiaques puisent le vin et le miel 16. Dans le mythe des filles d’Anios, Dionysos donne le pouvoir aux trois princesses aux noms parlants (Elaïs, Œno et Spermo) de transformer en huile, en vin et en céréales tout ce qu’elles touchent, disposant ainsi de deux autres produits purement humains 17. Dans certaines traditions, Dionysos est même l’inventeur de l’agriculture 18. Ce n’est pas pour rien que les mystères d’Éleusis sont placés sous la tutelle de Déméter, de Koré et de Dionysos 19. Tirésias range clairement Dionysos du côté de la civilisation face à une vie bestiale : Sache, ô mon fils, que deux principes sont essentiels aux humains. D’abord, Déméter, la déesse – ou la Terre (tu peux l’appeler de l’un de ces deux noms). Elle nourrit l’humanité d’aliments secs. Puis survint son émule, le fils de Sémélé, qui découvrit le suc fluide du raisin, qu’il nous apporta pour guérir du chagrin les mortels misérables 20.

14. Bacchantes, 1079-1081 : «  νενιδες, / >γω τ{ν ˜μ€ς κ μ τ μ τ  ργια / γλων τιθμενον˙ λλ+ τιμωρεσθ νιν. » 15. Bacchantes, 1108-1109 : « μηδ  παγγε$λW θεο / χορο™ς κρυφα$ους. » 16. P LATON, Ion, 534a : « #σπερ α‘ βκχαι ρονται =κ τŒν ποταμŒν μλι κα' γλα κατεχμεναι […] » 17. A POLLODORE, Bibliothèque, 3, 10 ; OVIDE, Métamorphoses, 13, 643-674. D’autres exemples de Dionysos nourricier chez M. DARAKI, Dionysos, p. 47-48. 18. DIODORE, 4, 4, 2 : « On dit qu’il [Dionysos] s’est distingué par son intelligeance, et le premier il attela les bœufs sous le joug et a accompli ainsi les semailles des fruits de la terre (λγουσι δ’ ατ{ν γχινο$¹ διενεγκεν, κα' πρŒτον =πιχειρ‚σαι βος ζευγνειν κα' δι+ τοτων τ{ν σπρον τŒν καρπŒν =πιτελεν·). » Traduction personnelle. 19. STRABON, 10, 3, 10 ; SOPHOCLE, Antigone, 1152 ; A RISTOPHANE, Grenouilles, 479. Ces trois divinités sont introduites à Rome en 496 avant notre ère, formant une triade inséparable sous les noms de Liber, de Libera et de Ceres. On les voit sur les vases trouvés dans des tombeaux en Apulie, souvent associées à la figure d’Orphée : M. P. NILSSON, The Dionysiac Mysteries, p. 12. 20. Bacchantes, 274-280 : « āο γρ, ñ νεαν$α, / τ+ πρŒτ’ =ν νθρKποισι· Δημ}τηρ θε· / γ‚ δ’ =στ$ν, νομα δ’ πτερον βολει κλει· / α τη μν =ν ξηροσιν =κτρφει βροτος· / Šς δ’ –λθ’

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Le règne de Dionysos Il y a donc le vin, le miel, le lait, l’huile et les céréales dans le monde de Dionysos : il ne manque plus que la viande du régime humain pour combler les besoins nutritionnels des ménades. L’être humain est omnivore, mais la femme, livrée à elle-même, n’a pas de moyen civilisé pour se procurer de la viande. Car seuls les hommes ont le droit d’accomplir une thysia. De plus, pour cuire la viande, on a besoin du feu du foyer, forcément absent des montagnes. Le sparagmos et l’ômophagie qu’exalte le chant des bacchantes lydiennes (134-141) sont la réponse d’un Dionysos féministe (avant la lettre) au machisme de la religion civique. Cet âge d’or dionysiaque n’est donc pas végétarien, mais ne connaît ni couteau sacrificiel, ni feu. Cependant, la victime désignée n’est pas un homme, mais un bouc : les « sages bacchantes » se détournent avec horreur de la chair humaine. Le cannibalisme, c’est le crime au paradis. Châtiment sanctionnant le non-respect de Dionysos, il est également une source de souillure qui exclut le coupable du cercle dionysiaque en même temps que de la société. La fin des Bacchantes rapproche l’histoire des mythes de Thyeste et de Térée où le festin cannibale se termine par la reconnaissance des endrata par le malheureux père. Tout comme les deux infortunés héros, Agavé, une fois sortie de son état de folie, reconnaît son fils grâce à sa tête. Et tout comme Harpage après le festin préparé par Astyage 21, Zeus après le démembrement de Dionysos, ou les dieux après le banquet offert par Tantale, son premier souci sera de recomposer le corps mutilé (1466-1470). Agavé réunit en sa personne le sacrificateur et le convive trompé et endosse toute la responsabilité du crime. Marcel Detienne a attiré l’attention sur le fait que le châtiment des filles de Cadmos ne finit pas par la perte de leur fils / neveu 22. Le sang versé les souille et les contraint à l’exil, semblablement au sort des Minyades que les autres Ménades rejettent après leur infanticide. Comme il le dit, « les sages bacchantes d’Orchomène ne se reconnaissent pas dans la folie meurtrière des filles de Minyas ». L’acte cannibale des Minyades et des Cadméides les apparente aux légendaires Bassares de Porphyre, qui ne peuvent plus arrêter leur fureur anthropophagique avant leur extermination totale 23. Dans le prolongement de cette série, on peut également introduire les exemples de Thyeste et de Térée qui, bien qu’ils commettent l’anthropophagie involontairement et inconsciemment, sont écartés de la société, le premier étant exilé et le second transformé en oiseau. Dans les Bacchantes, on peut voir se dessiner la même peur que dans l’histoire des mercenaires d’Hamilcar 24 : celle de la contamination de toute la communauté par cette souillure extrême que représente l’anthropophagie.

›πειτ’, ντ$παλον  Σεμλης γνος / βτρυος ˜γρ{ν πŒμ’ η¸ρε κε‡σηνγκατο / θνητος, Š παει το™ς ταλαιπKρους βροτο™ς / λπης […] » 21. Infra, p. 127. 22. M. DETIENNE, Dionysos à ciel ouvert (“Textes du XXe siècle”), Hachette, Paris 1986, p. 29. 23. Porphyre (De l’Abstinence, 2, 8, 3) parle de « sacrifices tauriques » (α‘ ΤαυρŒν θυσ$αι) au sujet des Bassares. Pourtant, leur nom les confine au cercle de Dionysos, bassara étant un ancien terme pour désigner la ménade, tandis que archibassaroi et archibassarai sont des titres désignant certains membres des thiases dionysiaques : M. P. NILSSON, The Dionysiac Mysteries, p. 55. 24. Supra, p. 34.

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Fils de Sémélé, fils de Perséphone À ma connaissance, le plus connu des mythes de Dionysos, mis en scène par Euripide dans les Bacchantes, n’a pas servi d’étiologie à un rituel historiquement attesté. Aucune source ne le lie directement aux Agrianies thébaines dont, d’ailleurs on ne connaît guère que le nom 25. Ce que l’on croit savoir du culte de Dionysos à Thèbes est avant tout la transposition d’une tragédie athénienne du Ve siècle sur la scène de l’histoire thébaine, commentée par quelques références aux rites ménadiques d’autres cités grecques. La prudence s’impose doublement. Non seulement à cause de la relation compliquée entre mythes et rituels. Mais aussi à cause de la relation politique, pas toujours amicale, entre Athènes et Thèbes. En effet, dans l’Antiquité, les cités grecques ne réglaient pas leurs conflits uniquement par les armes, mais aussi par mythes interposés. Plusieurs exemples de ce procédé sont fournis par la mythologie athénienne 26. Plus particulièrement, comme l’a démontré Froma I. Zeitlin, Thèbes est représentée dans la tragédie attique comme une sorte d’anti-cité, une configuration négative d’Athènes 27. Dans cet état d’esprit, si la scène se déroule à Thèbes, Dionysos est entouré de divinités destructrices, dans un contexte qui ne peut que se solder par une catastrophe. Par contre, dans les mythes liés à Athènes, le dieu est assisté par des divinités bienveillantes et contribue ainsi à la stabilité et à la future grandeur de la cité. À Athènes, ses ménades tragiques ne sont pas anthropophages. Les Bacchantes d’Euripide – représentées à l’occasion des grandes Dionysies ! – ne font qu’avertir le public de ce qui peut arriver à la personne et à la cité qui n’honorent pas Dionysos comme il le faut. C’est exactement le même type d’avertissement qui touche le culte d’Aphrodite dans l’Hippolyte. Il n’y a pas de raison d’y soupçonner la description d’un rite préhistorique cannibale. Cependant, si les Bacchantes ne nous aident pas à reconstituer un rituel cannibale bachique, cette tragédie, à la lumière des autres récits dionysiaques, est très importante pour tenter de comprendre la figure de Dionysos et son lien avec les fantasmes de cannibalisme. Le mythe des Proétides raconte l’histoire de trois jeunes femmes frappées de folie qui errent à travers les bois dans un état bestial. Cette folie, contagieuse, finit par atteindre toute la population féminine d’Argos : « elles abandonnaient leurs maisons, tuaient leurs propres enfants et vagabondaient dans des lieux déserts » 28. 25. Quoi qu’il ne soit pas insensé de penser qu’il s’agit d’une fête semblable à ses presque homonymes d’Argos, d’Orchomènes et de Chéronée, dont il sera question infra p. 86-87, 89 et n. 32. Cependant, faute de preuve, on ne peut rien affirmer. 26. Par ex. le mythe de Thésée, « le fondateur d’Athènes », développé pour faire concurrence au héros dorien, Héraclès, ou le personnage de Skiron, au caractère diamétralement opposé selon les Athéniens (brigand) et selon les Mégariens (roi juste et bon). Selon John M. Wickersham, à la suite d’un conflit entre les deux cités pour la possession de Salamine, elles se sont opposé des arguments mythologiques. Les Athéniens affirmaient avoir reçu l’île en héritage des fils d’Ajax, devenus citoyens d’Athènes après la guerre de Troie. Les Mégariens, par contre, faisaient de Skiron l’arrière-grandpère d’Ajax, pour prouver l’antériorité de leur droit de possession. L’arbitrage spartiate a décidé en faveur d’Athènes. Cf. J. M. WICKERSHAM, « Myth and Identity in the Archaic Polis », dans D. C. POZZI, J. M. WICKERSHAM (éd.), Myth and the Polis, Cornell Univ. Press, Ithaca / Londres 1991, p. 16-31. 27. F. I. ZEITLIN, « Staging Dionysos Between Thebes and Athens », dans T. H. CARPENTER, C. A. FARAONE (éd.), Masks, p. 147-182. 28. A POLLODORE, Bibliothèque, 2, 28, 3-5 : « κα' γ+ρ α¸ται τ+ς ο‡κ$ας πολιποσαι το™ς ‡δ$ους πKλλυον παδας κα' ε‡ς τν =ρημ$αν =φο$των. »

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Le règne de Dionysos Elles « emportaient dans les montagnes leurs enfants à la mamelle et en dévoraient la chair » 29. Cette situation dramatique dure jusqu’à ce que le roi Proïtos accepte le prix à payer au devin Mélampous. Celui-ci : […] prit avec lui les plus vigoureux des jeunes gens et, en poussant des hurlements et en dansant comme des possédés, ils traquèrent les femmes hors des montagnes jusqu’à Sicyone. Au cours de la traque, la plus âgée des sœurs, Iphinoé, expira : les deux autres, après avoir subi des purifications, finirent par retrouver la raison 30.

Apollodore rapporte deux origines possibles à la démence des filles : soit elles ont refusé d’honorer Dionysos, soit – plus inattendu – elles ont méprisé la statue d’Héra 31. Il est remarquable que les Anciens n’aient apparemment aucun mal à imaginer Héra dans le même rôle que Dionysos, dispensatrice de la folie meurtrière et cannibale. On reviendra encore sur cette ressemblance. En ce qui concerne le rituel d’Argos, on en sait très peu. Une glose d’Hésychios laisse entendre qu’il s’agit d’une fête des morts, pour une fille de Proïtos 32, mais rien n’indique un caractère ménadique avec animaux déchirés et consommés crus. Le mythe des Minyades finit également par une course-poursuite comme celui des Proétides 33. Les filles du roi Minyas, une fois reconnue la divinité de Dionysos après une période de réticence, décident de lui sacrifier un de leurs enfants, choisi au hasard, en déchirant son corps de leurs propres mains. Selon Apollodore, elles le font en toute connaissance de cause : c’est par ce sacrifice qu’elles pensent honorer le plus dignement Dionysos. Selon Plutarque, par contre, elles agissent ainsi « prises d’un désir de chair humaine ( νθρωπ$νων =πιθυμ‚σαι κρεŒν) ». Apollodore raconte que quand, après leur infanticide cannibale, elles tentent de rejoindre les autres ménades, celles-ci les chassent et s’élancent à leur poursuite. Les Agriônies d’Orchomènes, célébrées en souvenir des filles du roi Minyas, mettent en scène cette course-poursuite d’une manière tout à fait semblable à celle que raconte le mythe des Proétides. En effet, les poursuivants ne sont pas

29. Ibid., 3, 37, 3-5 : « α‘ δ =ν τος ρεσι το™ς =πιμαστιδ$ους ›χουσαι παδας τ+ς σρκας ατŒν =σιτοντο. » 30. Ibid., 2, 29, 1-6 : « Μελμπους δ παραλαβýν το™ς δυνατωττους τŒν νεανιŒν μετ’ λαλαγμο κα' τινος =νθου χορε$ας =κ τŒν žρŒν ατ+ς ε‡ς ΣικυŒνα συνεδ$ωξε. κατ+ δ τ{ν διωγμ{ν _ πρεσβυττη τŒν θυγατρων õφινη μετ}λλαξεν· τας δ λοιπας τυχοσαις καθαρμŒν σωφρον‚σαι συνβη. » 31. Ibid., 2, 26, 4-27, 1 : « α¸ται δ •ς =τελειKθησαν, =μνησαν, •ς μν Òσ$οδς φησιν, ριστον. » 35. Pour rendre une vue d’ensemble plus claire, on a renoncé à annoter les résumés. Les détails des différentes versions et les références apparaîtront au cours de l’analyse détaillée des mythes en question.

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Le règne de Dionysos a) Lycurgue 1 / Dionysos-enfant 1 : Lycurgue, roi de Thrace poursuit Dionysosenfant et ses nourrices pour une raison inconnue. Le dieu lui échappe en se précipitant dans la mer où il trouve refuge auprès de Thétis. b) Lycurgue 2 (schéma : Penthée-Agavé) : le même roi refuse d’accueillir le culte de Dionysos (adulte) dans son pays, et il lui déclare la guerre. Le dieu lui envoie une vision trompeuse, et quand Lycurgue croit découper un cep de vigne avec sa hache il dépèce en réalité son propre fils, Dryas. Un oracle ordonne aux habitants du pays d’expier cette souillure en sacrifiant le roi. Ils le font déchirer (ou piétiner) par ses propres chevaux. c) Athamas 1 : de son mariage avec Néphélé, Athamas a déjà eu deux enfants, Phrixos et Hellé, avant d’épouser Inô, fille de Cadmos. Celle-ci, en méchante marâtre, décide de se débarrasser des enfants. Elle crée une situation de désastre pour obtenir un faux oracle de Delphes, ordonnant leur sacrifice à Zeus. Athamas y consent, mais les enfants réussissent à s’enfuir sur le dos d’un bélier à la toison d’or. Tandis que Phrixos vole jusqu’en Colchide, Hellé tombe dans la mer qui portera désormais son nom : l’Hellespont. À son arrivée, Phrixos sacrifie le bélier à Zeus, et épouse la fille du roi. Dans une version racontée par Hérodote, plus tard Athamas doit être sacrifié à son tour, mais l’arrivée de Cytissoros, fils de Phrixos, le sauve de ce sort. Depuis, leurs descendants sont soumis à un rituel étrange et à une menace de sacrifice devant être accompli à Halos. d) Athamas 2 (schéma : Dionysos-Zagreus) : seconde femme d’Athamas, Inô accepte d’élever l’orphelin de sa sœur, le petit Dionysos. Malheureusement, ce fait ne tarde pas à provoquer la colère d’Héra, la marâtre jalouse. Elle envoie la folie furieuse sur les deux parents qui tuent leurs fils, Léarque et Mélicerte. La mise à mort des enfants se déroule de deux façons différentes. Léarque, l’adolescent, est pris pour un cerf par son père qui le perce de flèches, tandis que Mélicerte, le nourrisson, est plongé dans un chaudron d’eau bouillante avant que sa mère ne se jette dans la mer avec lui. Inô et Mélicerte seront divinisés sous le nom de Palaemon et Leucothée. Quant à Athamas, il est condamné à errer en solitaire à travers les pays jusqu’au moment où des loups l’invitent à leur table. Ce n’est qu’après avoir expérimenté la vie des loups qu’il peut retourner à la société humaine, civilisée, symbolisée par la fondation d’une nouvelle ville. Le petit Dionysos, lui, échappe à la mort en étant déguisé en fille. e) Actéon : petit-fils de Cadmos, plusieurs fois évoqué dans les Bacchantes d’Euripide comme une sorte de précurseur du sort de Penthée. Grand adepte d’Artémis la chasseresse, Actéon passe ses journées dans la forêt en compagnie de ses chiens. Un jour, il aperçoit la déesse se baignant nue. Elle transforme le curieux en cerf et le fait déchirer par ses propres chiens. Selon une autre version, c’est Zeus qui le frappe de ce châtiment pour avoir tenté de séduire Sémélé. f) Lycaon / Arcas 1 : le roi d’Arcadie reçoit Zeus à sa table. Lycaon sacrifie un enfant – selon certaines versions son propre petit-fils, fils de Zeus, Arcas –, prépare ses chairs et les sert au roi des dieux. Zeus, dégoûté, renverse la table, métamorphose Lycaon en loup et foudroie ses fils ainsi que sa maison. Arcas est ramené à la vie et devient le roi éponyme d’Arcadie.

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Fils de Sémélé, fils de Perséphone g) Arcas 2 : sa mère, Callisto, séduite par Zeus, est transformée en ourse par Artémis. Arcas, ne la reconnaissant pas, la poursuit sur le Mont Lycée et, sans s’en rendre compte, pénètre dans l’enceinte interdite de Zeus Lycéen. Par ce sacrilège involontaire, il se transforme virtuellement en cerf. Les Arcadiens se préparent à le tuer comme le veut la loi, mais Zeus sauve Arcas ainsi que sa mère, en les transformant en constellation. h) Dionysos 2 : le jeune fils de Zeus est jalousé par sa marâtre et / ou par ses grands-oncles. Les Titans le séduisent, le tuent, jettent ses membres dans un chaudron et les dévorent. Zeus foudroie les coupables et l’enfant est recréé à partir du cœur demeuré intact. Lycurgue et Athamas Le roi de Thrace, fils et père de Dryas, plein d’hybris est déjà connu d’Homère comme celui qui « pourchassa les nourrices du furieux Dionysos à travers le divin Nyséion ». L’enfant ne peut éviter la mort qu’en se précipitant dans la mer où Thétis l’accueille chaleureusement. Homère ne dit rien des raisons qui poussent Lycurgue à agir de la sorte et ne précise pas le châtiment qu’il encourt pour son impiété. On apprend tout au plus qu’il « ne fit pas de longs jours, parce qu’il est devenu l’ennemi des dieux immortels » 36. Henri Jeanmaire suppose que derrière cette formule laconique se cache la certitude du poète que l’épisode est bien connu du public. Dennis Hughes et Pierre Bonnechère relient ce mythe à un rituel béotien, les Agriônies. En effet, cette fête est célébrée à Chéronée sous une forme de poursuite tout à fait différente de celle d’Orchomène et qui évoque les nourrices de Dionysos-enfant le cherchant après la poursuite de Lycurgue. C’est encore Plutarque qui nous renseigne dans ses Propos de table : Ce n’est pas par hasard si chez nous, lors des Agrionies, les femmes se mettent à la recherche de Dionysos, comme s’il avait fui secrètement, pour finalement s’arrêter sur l’affirmation qu’il a trouvé refuge auprès des Muses et qu’il est caché chez elles. Après quoi, ayant achevé leur repas, elles se posent les unes aux autres des devinettes et des jeux de mots 37.

Le second mythe de Lycurgue fut mis en scène par Éschyle dans une pièce intitulée Les Édoniens, malheureusement perdue. Comme dans le récit de Diodore 36. Iliade, 6, 130-140 : « Lycurgue même, le puissant fils de Dryas, n’a pas vécu longtemps, du jour qu’il eut cherché querelle aux divinités célestes. N’avait-il pas un jour poursuivi les nourrices de Dionysos le Délirant sur le Nyséion sacré ? Toutes alors de jeter leurs thyrses à terre, sous l’aiguillon, qui les poignait, de Lycurgue meurtrier, tandis qu’éperdu, Dionysos, plongeait dans le flot marin où Thétis le reçut, épouvanté, dans ses bras. οδ γ+ρ οδ Δραντος υ‘{ς κρατερ{ς Λυκοργος / δν –ν, ρα Λωτοφγοι μ}δονθ  Ëτροισιν λεθρον / _μετροις , λλ σφι δσαν λωτοο πσασθαι. »

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Commensalité et cannibalisme bis : Les lois des barbares nourriture naturelle de l’homme est faite de végétaux cultivés (céréales) et de la viande des animaux domestiques mis à mort en sacrifice. Aussi, quand les compagnons d’Ulysse décident de manger les bœufs d’Hélios (12, 340-450), leur faute n’est pas uniquement de voler les biens d’un dieu, mais aussi de les tuer d’une manière inhumaine. Ils les pourchassent comme des animaux sauvages au lieu de les conduire à l’autel en procession solennelle. « Ils prennent du feuillage aux rameaux d’un grand chêne, au lieu d’orge blanche » 9, pour jeter sur la tête des bovins. Et « comme on n’a plus de vin pour les libations, c’est de l’eau qu’on répand sur les viandes » 10. Ils ont beau se conformer aux autres prescriptions de la cuisine sacrificielle, cette nourriture ne leur servira pas à sauvegarder leur vie. Les bœufs – immortels comme leur propriétaire – continuent à mugir dans le chaudron et Hélios exterminera les sacrificateurs impies. Tout comme on ne peut pas remplacer l’animal domestique par une autre victime, on ne doit pas non plus substituer les produits naturels aux produits agricoles. Les plantes sauvages n’équivalent pas aux plantes cultivées. Le régime végétarien n’a donc rien de positif dans le système de valeur des épopées. Aussi, « sitôt que l’un d’eux goûte à ces fruits de miel (le lôtos), il ne veut plus rentrer ni donner de nouvelles » 11 : il perd son humanité. Ulysse fuit cette terre trop hospitalière pour arriver à l’autre extrémité de la condition humaine : chez les Cyclopes. Car ce sont les voisins immédiats des Lôtophages. Ces Yeux ronds sont des : […] brutes sans foi ni lois ( θεμ$στων), qui, dans les Immortels, ont tant de confiance qu’ils ne font de leurs mains ni plants ni labourage. [Sans travaux, ni semailles, le sol leur fournit tout, orges, froments, vignoble et vin des grosses grappes, que les ondées de Zeus viennent gonfler pour eux.] Chez eux pas d’assemblée qui juge ou délibère ; mais au haut des grands monts, au creux de sa caverne, chacun, sans s’occuper d’autrui, dicte sa loi à ses enfants et femmes 12.

Voilà un archétype parfait de la vie bestiale des origines vue bien plus tard par le chrétien Claudien dans laquelle l’abondance des produits de la terre empêche le progrès vers une vie sociale civilisée 13. Les Cyclopes ne connaissent pas l’agriculture, mais ne se nourrissent pas uniquement des produits offerts gratuitement par la terre. Ils sont éleveurs de bétail, et – comme Ulysse doit s’en rendre douloureusement compte – au moins un d’entre eux ne rechigne pas à consommer de la chair humaine. Évidemment, quand Polyphème dévore les compagnons d’Ulysse, il le fait sans aucun respect des règles sacrificielles, du moins pas celle de la thysia :

9. Ibid., 12, 357-358 : « φλλα δρεψμενοι τρενα δρυ{ς ˜ψικμοιο· / ο γ+ρ ›χον κρ λευκ{ν εσσλμου =π' νης. » 10. Ibid., 12, 362-363 : « ο δ  ε^χον μθυ λεψαι =π  α‡θομνοισ  ‘εροσιν, / λλ  δατι σπνδοντες =πKπτων ›γκατα πντα. » 11. Ibid., 9, 94-95 : « τŒν δ  ‹#›ς τις λωτοο φγοι μελιδα καρπν, / οκετ  παγγελαι πλιν †θελεν οδ νεσθαι. » 12. Odyssée, 9, 106-115. 13. Perséphone, 3, 20-21 : « l’inaction causée par Saturne et la sénilité d’un siècle inerte (Saturnia postquam / otia et ignaui senium cognouimus æui). »

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L’Autre Il en prend deux ensemble et, comme petits chiens, il les rompt contre terre : leur cervelles, coulant sur le sol, l’arrosaient ; puis, membre à membre, ayant déchiqueté leurs corps, il en fait son souper ; à le voir dévorer, on eût dit un lion, nourrisson des montagnes ; entrailles, viandes, moelle, os, il ne laisse rien. […] Quand enfin le Cyclope a la panse remplie de cette chair humaine et du lait mouillé qu’il buvait par-dessus, il s’allonge au milieu de ses bêtes dans l’antre 14.

On ne peut s’attendre à rien d’autre d’un être qui se croit plus fort que les dieux et qui, pour cette raison, ne se soucie guère d’une éventuelle vengeance de Zeus (9, 265-280). Cependant, bien qu’ils soient pleins d’hybris, d’impiété et de goûts cannibales, les Cyclopes ne sont pas moins proche des dieux. Outre Polyphème qui est le propre fils de Poséidon, la race des Cyclopes est proche des dieux au même titre que les Géants et les Phéaciens. C’est du moins ce que raconte Alcinoos à Ulysse (7, 204-205). Pourtant, à l’inverse des Cyclopes, les Phéaciens ont un comportement parfaitement juste et pieux envers les dieux et envers leurs hôtes. Ils sont presque humains (c’est à dire grecs), à une différence près : les Phéaciens sont toujours les commensaux des dieux, une capacité qui est à jamais perdue pour les Grecs. Les dieux vont festoyer sur l’île des Phéaciens tout comme chez les Éthiopiens 15 ; et tout comme ces derniers sont « les hommes les plus éloignés des hommes (›σχατοι νδρŒν) » (Odyssée, 1, 23), les Phéaciens vivent aussi « à l’écart des hommes mangeurs de farine (Ëκ+ς νδρŒν λφηστων) » (Odyssée, 6, 8). On retrouve donc les mêmes motifs dans la distance spatiale que dans la distance temporelle, toujours groupés autour du thème du sacrifice et de la nourriture : l’humanité oscille entre divinité et bestialité, commensalité et cannibalisme 16. Cette bipolarité n’est pas propre à la mythologie. Les ethnographes-historiens la reconnaissent également parmi leurs contemporains. Ainsi, Hérodote, en parlant des coutumes des habitants de l’Inde, les résume de la façon suivante : Il y a parmi les Indiens des peuplades nombreuses, qui ne parlent pas la même langue ; les unes sont nomades, les autres non ; certains habitent les marécages du fleuve et se nourrissent de poissons crus (κα' ‡χθς σιτονται úμος), […] D’autres Indiens, qui habitent à l’Orient de ceux-là, sont nomades, mangeurs de chairs crues (νομδες ε‡σ$, κρεŒν =δεστα' úμŒν) ; on les appelle Padéens. Voici quelles sont, à ce qu’on dit, leurs coutumes. Quand un des leurs tombe malade, homme ou femme, si c’est un homme, les hommes les plus liés avec lui le tuent (κτε$νουσι), alléguant que, si la maladie le consume, ses chairs sont gâtées pour eux ; lui nie être malade ; mais eux refusent de le croire, le mettent à mort et s’en régalent ( ποκτε$ναντες κατευωχονται) ; pareillement, si c’est une femme qui tombe malade, les femmes 14. Odyssée, 9, 288-293.296-298 : « λλ < γ ναξας Ëτροισ  =π' χερας £αλλε, / σ™ν δ δω μρψας #ς τε σκλακας ποτ' γα$W / κπτ · =κ δ  =γκφαλος χαμδις ½ε, δεε δ γααν· / το™ς δ δι+ μελεϊστ' ταμýν πλ$σσατο δρπον· / †σθιε δ  #ς τε λων žρεσ$τροφος, οδ  πλειπεν, / ›γκατ τε σρκς τε κα' žστα μυελεντα. / […] Ατ+ρ =πε' ʁκλωψ μεγλην =πλ}σατο νηδ™ν / νδρμεα κρ  ›δων κα' =π  >κρητον γλα π$νων, / κετ  ›ντοσθ  >ντροιο τανυσσμενος δι+ μ}λων. » 15. Phéaciens : Odyssée, 7, 198-206 ; Éthiopiens : Iliade, 1, 423-425 ; 23, 205-207, Odyssée, 1, 21-25. 16. Une bibliographie abondante sur les deux faces opposées de l’Autre est recueillie chez H. S. VERSNEL, Inconsistencies, p. 107-109, n. 57-69.

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Commensalité et cannibalisme bis : Les lois des barbares qui ont avec elle les relations les plus familières se conduisent de la même façon que les hommes. Car quiconque est parvenu à la vieillesse est immolé et sert à un festin (θσαντες κατευωχονται). Mais peu nombreux sont ceux qui entrent ici en ligne de compte, vu que, auparavant, toute personne qui tombe malade est tuée (κτε$νουσι). D’autres Indiens ont ces autres mœurs : ils ne tuent rien qui soit vivant (οÇτε κτε$νουσι οδν ›μψυχον), ils ne sèment rien, ils n’ont pas coutume d’avoir des maisons, ils se nourrissent d’herbages et ont une graine légumineuse de la grosseur d’un grain de millet dans une cosse que la terre produit d’elle-même ; ils recueillent cette graine, la font bouillir avec la cosse et s’en nourrissent. Si l’un d’entre eux tombe malade, il s’en va dans la solitude et se couche ; et personne ne s’occupe de lui, ni après sa mort ni pendant sa maladie. Tous ces Indiens que j’ai énumérés s’accouplent publiquement, comme les bêtes (μ$ξις δ τοτων τŒν õνδŒν τŒν κατλεξα πντων =μφαν}ς =στι κατ περ τŒν προβτων) 17 […]

En Inde – au bout du monde – se côtoient donc les cannibales et les végétariens, mais les uns ne sont pas moins inhumains que les autres. Si les Padéens tuent et mangent leurs proches, les Indiens végétariens ne les soignent pas pendant leur maladie et ne leur font pas de funérailles une fois morts. D’ailleurs, la mention finale d’une vie sexuelle publique comme caractéristique générale des Indiens ne laisse aucun doute quant à l’équivalence des deux groupes. Mais l’exemple de bipolarité le plus intéressant est celui des Scythes 18. Selon Hérodote (4, 62-71) ce peuple nomade, farouche adversaire des coutumes grecques, pratique des sacrifices humains. D’une part des sacrifices funéraires pour leurs rois 19, et d’autre part le sacrifice annuel d’un prisonnier de guerre sur cent pour Arès. Toutefois, ils ne consomment pas leurs victimes : celles des funérailles royales sont assignées au tombeau du roi (4, 71), tandis que le corps des prisonniers de guerre est abandonné sur place (4, 62). Cependant, si les Scythes ne sont pas de vrais cannibales, ils n’en sont pas moins littéralement assoiffés de sang. En effet, « quand un Scythe a abattu son premier homme, il boit son sang » 20. En outre, ils sont chasseurs de têtes et raffolent des babioles confectionnées avec de la peau ou des os humains (serviettes, manteaux, couvercles de carquois, coupe à boire, etc.) L’image donnée par Hérodote n’est donc déjà pas franchement favorable et l’identification fréquente des Scythes avec les Taures n’a certainement pas aidé à améliorer leur réputation 21. Les auteurs postérieurs traitent sans hésitation les Scythes de cannibales. Ainsi, Aulu-Gelle, suivant en cela Pline l’Ancien ne se 17. H ÉRODOTE, 3, 98-101. 18. J. W. JOHNSON, « The Scythian: His Rise and Fall », Journal of the History of Ideas 20 (1959), p. 250-257 ; F. H ARTOG, Les Scythes imaginaires. Espace et nomadisme (“Documents de travail et pré-publications. Serie B, Sémiotique narrative et discursive, réthorique” 80), Università di Urbino, Urbin 1979. 19. Pour l’analyse voir F. HARTOG, « La mort de l’Autre : les funérailles des rois scythes », dans G. GNOLI, J.-P. VERNANT (éd.), La Mort, les morts dans les sociétés anciennes, Cambridge Univ. Press / Éditions de la maison des Sciences de l’homme, Cambridge / Londres / New Rochelle / Melbourne / Sydney / Paris 1982, p. 143-154. 20. H ÉRODOTE, 4, 64 : « Ãπε+ν τ{ν πρŒτον >νδρα καταβλW νρ Σκθης, το αÁματος =μπ$νει. » 21. J. R IVES, « Human Sacrifice », p. 67, n. 15.

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L’Autre contente pas d’appeler la tribu la plus nordique des Scythes d’Anthropophagoi, mais il les présente également comme voisins immédiats des hommes « qui ne portent qu’un seul œil au milieu du front, qu’on appelle Arimaspes, et qui ont l’apparence que les poètes prêtent aux Cyclopes » 22. Cette proximité imaginaire exprime bien la parenté qu’il ressent entre les Scythes cannibales et les monstres mythiques. Quel est le point commun entre Scythes et Cyclopes hormis leur prétendu goût pour la chair humaine ? Tandis que les Cyclopes sont censés vivre en petits groupes familiaux sans connaître aucun système social, politique ou juridique, les Scythes, ceux d’Hérodote du moins, sont des tribus bien organisées, avec des chefs et des rois. Néanmoins le père de l’historiographie connaît un peuple, les Androphagoi, modèles de la future tribu scythe des Anthropophagoi qui ont : […] de tous les hommes les mœurs les plus sauvages ; ils n’observent pas la justice, ils n’ont aucune loi. Ils sont nomades ; leur accoutrement est pareil à celui des Scythes ; ils ont une langue particulière ; seuls des peuples dont nous parlons, ils mangent de la chair humaine 23.

Les Cyclopes homériques ont donc plusieurs points communs sinon avec les Scythes, du moins avec leurs voisins Androphages : le cannibalisme, leur caractère anomos, ainsi que le fait d’être des éleveurs de bétail. Les Androphages et les Scythes n’ont par contre que le nomadisme et les vêtements en commun, caractéristiques qu’ils partagent également avec les Massagètes, dont Hérodote parle dans le premier livre de ses Histoires : ils « s’habillent comme les Scythes et vivent comme eux ». Cependant, si l’on y regarde de plus près, des différences considérables les distinguent des Scythes qui les rapprochent plutôt des Androphages, et encore plus des Padéens : Ils usent de leurs femmes en commun ; cette pratique, que les Grecs attribuent aux Scythes, n’est pas le fait des Scythes, mais des Massagètes. […] Il n’y a pas chez eux de limite fixée d’avance à la vie ; mais, quand un Massagète est devenu très vieux, ses parents se rassemblent tous, l’immolent, immolent avec lui du bétail, font cuire les chairs et s’en régalent (θουσ$ μιν κα' >λλα πρβατα šμα ατ§, Ëψ}σαντες δ τ+ κρα κατευωχονται). Cette fin est tenue par eux pour la plus heureuse ; si quelqu’un meurt de maladie, ils ne le mangent pas, mais l’enfouissent dans la terre et estiment que c’est pour lui un malheur de n’avoir pas atteint l’âge d’être immolé. Ils n’ensemencent point, mais vivent de bétail et de poissons que le fleuve Araxare leur fournit à discrétion ; ils sont buveurs de lait (γαλακτοπται δ ε‡σι) 24.

Les coutumes des Massagètes, excepté leur tenue vestimentaire, les apparentent en réalité plus aux Padéens et aux Cyclopes qu’aux Scythes. Car s’ils infligent le 22. AULU-GELLE, Nuits Attiques, 9, 4, 6. Sauf mention explicite, le texte et la traduction de cette œuvre seront cités suivant l’édition de R. M ARACHE, Les Belles Lettres, Paris 1978. Cf. P LINE L’A NCIEN, Histoire Naturelle, 7, 9-10. 23. H ÉRODOTE, 4, 106 : « ¡νδροφγοι δ γριKτατα πντων νθρKπων ›χουσι †θεα, οÇτε δ$κην νομ$ζοντες οÇτε νμ¤ οδεν' χρεKμενοι. Νομδες δ ε‡σι, =σθ‚τ τε φορουσι τ¼ Σκυθικ¼ μο$ην, γλŒσσαν δ ‡δ$ην ‹‘εσι›, νθρωποφαγουσι δ μονοι τοτων. » 24. Ibid., 1, 215-216.

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Commensalité et cannibalisme bis : Les lois des barbares même traitement à leurs malades que les Padéens, les Massagètes sont aussi des galaktopotai, rappelant ainsi le souper cannibale de Polyphème qui boit également du lait avec son festin monstrueux 25. Dans la notion de nomade (et d’éleveur) se mêlent les deux conceptions de l’histoire examinées au premier chapitre. D’une part, le nomadisme caractérise la période où l’injustice est entrée dans le monde après la félicité du végétarisme pur. Dans le quatrième livre De l’Abstinence (4, 2, 1-8) Porphyre cite et paraphrase le péripatéticien Dicéarque qui, contrairement à son codisciple Théophraste, ne parle pas de l’évolution du sacrifice mais de celle de l’humanité. Il en imagine trois étapes, caractérisées par leur régime alimentaire : le régime végétarien (sous Cronos, sans travail humain), le régime carnivore (vie nomade) et le régime céréalier (vie agricole) (4, 2, 3-8). Selon Dicéarque, la vie des premiers hommes était simple et frugale : « il n’y avait entre eux ni guerres ni sédition : car nul enjeu important ne leur était proposé dont la conquête méritât qu’on soulève un tel différend ». Par contre, leurs descendants nourrissaient de grandes ambitions : ils inventaient la vie nomade, pastorale et commençaient à consommer la viande des animaux. Et en même temps que la domestication des animaux inoffensifs d’une part, et la chasse aux animaux nuisibles d’autre part, est apparue aussi la guerre avec son inévitable lot d’homicides 26. En effet, selon Dicéarque, poussés par la convoitise, les hommes finirent par s’attaquer à d’autres hommes pour s’approprier leurs troupeaux (4,2,8). Malheureusement, on ne sait pas si Dicéarque imaginait les hommes de cette seconde période complétant leur régime par de la chair humaine, à l’instar des nomades de la mythologie et de l’historiographie grecques. Même si cela avait été le cas, Porphyre aurait certainement évité de citer le passage de peur de contredire sa théorie sur la dissociation du sacrifice humain de l’anthropophagie. En tout cas, même sans trace de cannibalisme, cette période du nomadisme belliqueux et carnivore représente une première étape de la décadence de l’humanité après l’époque heureuse du végétarisme pur. Son correspondant imaginé par Théophraste, on s’en souvient, est caractérisé par l’apparition du sacrifice humain ainsi que du cannibalisme. Le nomadisme symbolise donc pour les opposants végétariens de la thysia la corruption du mode de vie lié aux premiers sacrifices non-sanglants. En même temps, les Cyclopes – et avec eux les nomades en général – symbolisent pour les défenseurs de la thysia, ainsi que pour les opposants non-végétariens, la période pré-prométhéenne où les frontières entre hommes, dieux et bêtes n’étaient pas encore infranchissables. Il n’est donc pas surprenant que les Scythes nomades, réputés pour leurs sacrifices humains et leurs goûts sauvages, se rapprochent petit à petit des Cyclopes et franchissent le pas vers le cannibalisme chez plusieurs auteurs. Cependant, il ne faut pas oublier que les Cyclopes ne sont pas que des brutes anthropophages : ils sont également de proches 25. Pour le rôle du lait dans la double définition du nomade dans l’historiographie grecque et romaine, voir B. D. SHAW, « “Eaters of Flesh, Drinkers of Milk”: The Ancient Mediterranean Ideology of the Pastoral Nomad », Ancient Society 13/14 (1982/83), p. 5-31 et J. AUBERGER, « Le lait des Grecs ». 26. PORPHYRE, De l’Abstinence, 4, 2, 7 : « C’est ainsi qu’on apprivoisa les uns, tandis qu’on s’attaquait aux autres et que la guerre apparut en même temps dans cette même vie. (κα' ο τω δ τ+ μν =τιθσευσαν, τος δ =πθεντο, κα' šμα =ν τ§ ατ§ β$¤ συνεισ‚λθεν πλεμος). »

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L’Autre parents des dieux et des Phéaciens. L’image des nomades, comme survivants du passé, s’est donc dédoublée. Éphore, au IVe siècle avant notre ère, distingue déjà deux sortes de Scythes : « les uns poussent la cruauté jusqu’au cannibalisme tandis que les autres s’abstiennent de manger même la chair des autres animaux » 27. Il insiste sur le sens positif du mot glaktophagoi (qu’on a vu chez Hérodote comme galaktopotai) qu’il découvre chez Homère et chez Hésiode. Selon Éphore, […] la frugalité de leur régime de vie, leur éloignement des affaires d’argent leur permettent d’avoir entre eux des rapports réglés par l’équité, étant donné qu’ils ont tout en commun, entre autres les femmes, les enfants et toute leur parenté, et qu’ils se dressent, inébranlables et invincibles, contre ceux qui les menacent de l’extérieur, ne possédant rien qui les expose à la servitude 28.

C’est exactement l’image platonicienne du monde paisible des pâtres, survivants uniques d’un cataclysme. Strabon fait expressément contraster le mode de vie utopique des nomades avec la décadence des Grecs qui, d’ailleurs, est en train de corrompre le paradis : Nous nous les représentons comme d’une extrême simplicité et tout à fait incapables de mal faire, en même temps comme sachant beaucoup mieux que nous mener une vie frugale et se contenter de peu. Or l’influence de notre genre de vie a engendré une corruption des mœurs qui n’a épargné presque personne parmi eux ; elle a introduit chez eux le goût de la vie facile et des plaisirs et, par suite du déchaînement des convoitises, une foule de pratiques perverses qui ne tendent qu’à se les procurer. Ce fléau a atteint sur une grande échelle les barbares dans leur ensemble, et particulièrement les Nomades 29.

Les Scythes d’Éphore et de Strabon ne symbolisent pas seulement ce qu’on n’est pas ou n’est plus. Ils servent d’exemples à ce qu’on devrait être ! Bon nombre d’auteurs romains partagent en partie leur avis, érigeant les nomades frugaux en exemple – sinon devant le peuple romain, du moins devant leurs riches concitoyens, corrompus par le luxe 30. De fait, avec les Scythes végétariens, on sort du domaine de la simple autodéfinition, et on s’approche de l’idéal des philosophes prônant les bienfaits du végétarisme dans le présent. Ici se trouve une question fondamentale de notre recherche. Jusqu’à présent, il a surtout été question d’autodéfinition des Grecs par rapport au passé et par rapport à l’Autre. Dans ce contexte, le cannibalisme représente un des deux pôles extrêmes 27. STRABON, 7, 3, 9, 3-6 (FHGr 70 F 42) : « ε^ναι τŒν τε >λλων ΣκυθŒν κα' τŒν ΣαυροματŒν το™ς β$ους νομο$ους· το™ς μν γ+ρ ε^ναι χαλεπος, #στε κα' νθρωποφαγεν, το™ς δ κα' τŒν >λλων ζÄων πχεσθαι. » 28. Ibid., 7, 3, 9 : « Ε^τ’ α‡τιολογε, διτι τας δια$ταις ετελες ντες κα' ο χρηματιστα' πρς τε λλ}λους ενομονται, κοιν+ πντα ›χοντες τ τε >λλα κα' τ+ς γυνακας κα' τκνα κα' τν μαχο$ ε‡σι κα' ν$κητοι, οδν ›χοντες ˜πρ ο¸ δουλεσουσι. » 29. Ibid., 7, 3, 7 : « Æπλουσττους τε γ+ρ ατο™ς νομ$ζομεν κα' —κιστα κακεντρεχες ετελεστρους τε πολ™ _μŒν κα' αταρκεστρους· κα$τοι < γε καθ’ _μ€ς β$ος ε‡ς πντας σχεδν τι διαττακε τν πρ{ς τ{ χερον μεταβολ}ν, τρυφν κα' _δον+ς κα' κακοτεχν$ας =κ πλεονεξ$ας μυρ$ας πρ{ς τατ’ ε‡σγων. πολ™ ον τ‚ς τοιατης κακ$ας κα' ε‡ς το™ς βαρβρους =μππτωκε τος τε >λλους κα' το™ς Νομδας. » 30. HORACE, Odes, 3, 24 ; TACITE, Germanie, 26.

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Commensalité et cannibalisme bis : Les lois des barbares qui s’opposent au régime sacrificiel de la cité grecque. Néanmoins, on a déjà suggéré que les récits étaient et restaient toujours réinterprétables. Les opposants au sacrifice sanglant utilisaient déjà le topos du cannibalisme pour désigner autre chose. Pour les orphiques, les pythagoriciens, ainsi que les néoplatoniciens, il était approximativement l’équivalent de la consommation de viande animale. Pour les cyniques, et plus tard pour les stoïciens, l’anthropophagie est, avec l’inceste, le moyen le plus sûr et le plus propre à décomposer les systèmes de valeurs en place, du moins en théorie. Les historiens, les moralistes, les rhéteurs et les politiciens l’enrichissent encore d’autres sens, beaucoup moins théoriques : ils l’utilisent pour souligner la relativité des lois, ou au contraire, pour stigmatiser leurs adversaires. La relativité des lois Hérodote utilise deux méthodes historiographiques mais qui se mélangent parfois : l’enquête et la reconstruction 31. Il est indéniable que le père de l’historiographie tente de transmettre des informations véridiques. C’est certainement le cas quand il se présente comme témoin oculaire. Néanmoins, même dans ce cas-là, il ne peut pas complètement échapper au programme séculaire qui détermine sa vision du monde. Ainsi, en résumé des coutumes d’Égypte – pays qu’il a pourtant personnellement visité et dont il a fidèlement rapporté ce qu’il y a vu et entendu – Hérodote affirme que les Égyptiens font tout au contraire des Grecs et des autres peuples (2, 35-36) ! À plus forte raison, par la nature de ses renseignements, en grande partie livresques ou acquis par ouï-dire, il ne peut pas éviter de refléter l’opinion de ses informateurs concernant les pays où il ne s’est pas rendu personnellement. D’ailleurs, plus on s’éloigne de la Grèce, moins ses informations sont fiables et plus les peuples se présentent sous des traits merveilleux et / ou terribles. Pourtant, Hérodote n’observe pas les autres pour voir en eux son propre reflet. Il est loin de vouloir prouver le bien-fondé des nomoi grecs face à ceux des autres. Ce qui le caractérise, c’est plutôt le respect. Hérodote dénonce violemment l’attitude de Cambyse qui, après avoir conquis l’Égypte, s’est comporté d’une façon impie et sacrilège envers la religion du pays : Pour moi, d’après cela, il est de tout point évident que Cambyse fut en proie à une violente folie (=μνη μεγλως) ; car sans cela, il n’aurait pas entrepris de tourner en ridicule des choses saintes et consacrées par la coutume (ο γ+ρ Ìν ‘ροσι τε κα' νομα$οισι =πεχε$ρησε καταγελ€ν). Si, en effet, on proposait à tous les hommes de faire un choix parmi toutes les coutumes (νμων) et qu’on leur enjoignît de choisir les plus belles, chacun, après mûr examen, choisirait celles de son pays ; tant ils sont convaincus, chacun de son côté, que leurs propres coutumes sont de beaucoup plus belles. Dans ces conditions, il n’est pas vraisemblable qu’un autre qu’un fou fasse des choses de ce genre un objet de risée 32.

31. F. H ARTOG, Le Miroir. 32. HÉRODOTE, 3, 38.

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L’Autre Hérodote se montre tolérant même pour l’anthropophagie, si cela fait partie des coutumes ancestrales d’un peuple. Ainsi, il raconte sans parti pris l’histoire de Darius qui proposa d’abord aux Grecs de manger leurs propres parents décédés, ensuite aux Indiens Callaties d’ensevelir les leurs. Les deux groupes protestèrent à grands cris contre cette idée si impie à leurs yeux. Pourtant, Darius n’a rien fait d’autre que d’inverser les pratiques funéraires des deux peuples. Et Hérodote de conclure : « Telle est, dans ces cas, la force de la coutume (ο τω μν νυν τατα νενμισται) » (3, 38). Les Androphages n’échappent pourtant pas à sa condamnation : ils ont « de tous les hommes les mœurs les plus sauvages ( γριKτατα πντων νθρKπων ›χουσι †θεα) ». Cette intolérance soudaine s’explique par le fait que ces gens « n’observent pas la justice, ils n’ont aucune loi (οÇτε δ$κην νομ$ζοντες οÇτε νμ¤ οδεν' χρεKμενοι) ». Car on ne peut pas respecter les nomoi de ceux qui n’en ont aucun ! Les Androphages ne valent pas mieux que les bêtes qui sont allélophages parce que Zeus ne leur a pas fait connaître la Justice… 33 Dans le dialogue pseudoplatonicien Minos, Socrate argumente pour prouver que la loi est la découverte de la réalité. Son interlocuteur objecte en lui rappelant les lois contradictoires des peuples sur le sacrifice humain (315b-c) : Par exemple, chez nous, il n’y a pas de loi prescrivant les sacrifices humains : ce serait, au contraire, abominable ; tandis que les Carthaginois font de tels sacrifices comme une chose sainte et légale […] Et ce ne sont pas seulement les barbares qui sont régis par des lois différentes des nôtres, mais encore les habitants de Lycæon et les descendants d’Athamas, quels sacrifices n’offrent-ils pas, bien qu’ils soient grecs cependant ! 34

On connaît bien l’opinion de Platon sur le rituel du Mont Lycée : il le condamne implicitement en le comparant au comportement du tyran 35. Cependant, l’objection de l’interlocuteur de Socrate exprime certainement l’opinion de nombreux Grecs : même si l’on trouve les nomoi des autres scandaleux ou ridicules, on n’a rien à redire tant qu’ils les pratiquent entre eux. D’ailleurs, ce sera aussi l’attitude consacrée des autorités romaines envers les peuples de l’Empire et plus particulièrement envers les Juifs. Les Juifs, un peuple de révoltés, étaient détestés entre autres à cause de leur prétendue « hostilité haineuse » 36 envers les non-Juifs et à cause de leurs rites « nouveaux et contraires à ceux des mortels » – comme le dit Tacite. En effet : « Là-bas est profane tout ce qui chez nous est sacré ; en revanche est permis chez eux ce qui est pour nous abominable » 37. Pourtant, même si ces lois semblent si répugnantes aux yeux des Romains et même s’ils croient que Moïse les a expressément inventées pour être en contradiction avec celles des autres peuples, ce sont des lois ancestrales et par conséquent elles doivent être respectées

33. Cf. H ÉSIODE, Les Travaux et les jours, 276-279. 34. Cf. n. 53, p. 93. 35. République, 565d, cf. infra, p. 128. 36. TACITE, Histoire, 5, 5, 1 : « aduersus omnes alios hostile odium. » 37. Ibid., 5, 4, 1 : « […] nouos ritus contrariosque ceteris mortalibus […] Profana illic omnia quæ apud nos sacra, rursum concessa apud illos quæ nobis incesta. »

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Commensalité et cannibalisme bis : Les lois des barbares en Judée. Le prosélytisme 38, par contre, sera sévèrement condamné et les Juifs seront chassés plusieurs fois de la ville de Rome. Un des arguments antichrétiens du philosophe Celse est également la nouveauté des coutumes des chrétiens qui, de plus, n’appartiennent pas à un peuple unique. Celse énumère quelques rites ridicules ou scandaleux aux yeux des Romains, pourtant tolérés à cause de leur ancienneté et parce qu’ils appartiennent aux coutumes ancestrales d’un peuple. Il cite d’abord les différents dieux que ces peuples adorent comme dieux suprêmes, ensuite il raconte quelques interdits alimentaires et, après avoir énuméré l’interdiction de la brebis, de la chèvre, du crocodile, de la vache et du porc chez certains, il termine ses exemples par une courte liste de peuples anthropophages. Il n’en évoque que deux, les Scythes et les Indiens, tous deux trouvés chez Hérodote 39 : « pour les Scythes, eux, c’est une action vertueuse de manger des hommes, et il y a des Indiens qui pensent accomplir une action sainte en mangeant leurs pères ». À la suite de quoi, il cite en entier l’histoire de Darius avec les Grecs et les Indiens évoquée plus haut. Le ton de Celse est absolument neutre en parlant de ces coutumes, fait qui scandalise Origène. Il résume ainsi les dires de Celse : Fondé sur ces exemples, l’argument paraît à Celse amener cette conclusion : Il faut que tous les hommes vivent selon leurs traditions, et, par là, ils ne sauraient encourir de reproches ; tandis que les chrétiens, qui ont abandonné leurs traditions et ne constituent pas un peuple unique comme les Juifs, sont à blâmer de donner leur adhésion à l’enseignement de Jésus 40.

Dans sa réfutation, Origène attaque avec vigueur le droit des peuples à vivre selon des lois si abominables. Le christianisme n’est décidément pas ouvert à la relativité culturelle… Pourtant Celse, fort de sa philosophie de moyenplatonisme éclectique 41, n’est qu’un défenseur mesuré du relativisme culturel par rapport aux sceptiques. Ces philosophes confessent que la pensée humaine ne peut parvenir à aucune certitude, ni sur la vérité d’une proposition, ni sur sa probabilité. Le scepticisme est une philosophie non dogmatique dont le principe méthodologique est d’opposer à toute raison valable, et sur tout sujet, une raison contraire et tout aussi convaincante. Son but est de détruire les fausses opinions que nous soutenons à tout propos et qui nous rendent malheureux en nous trompant sur la nature des choses. Parmi les fausses opinions figure bien 38. Ibid., 5, 5, 1 : « Nam pessimus quisque spretis religionibus patriis tributa et stipes illuc congerebant ». Cf. JUVÉNAL, Satire, 14, 96-106. J. WIESEHÖFER, « Romanitas autem soliti contemnere leges: Juvenal und die Juden der Stadt Rom », dans I. WEILER, H. GRASSL (éd.), Soziale Randgruppen und Außenseiter im Altertum. Referate vom Symposion « Soziale Randgruppen und antike Sozialpolitik » in Graz (21. bis 23. September 1987), Leykam, Graz 1988, p. 325-338. 39. Contre Celse, 5, 34, 26-29 : « Σκθαις γε μν κα' νθρKπους δα$νυσθαι καλν· õνδŒν δ ε‡σιν ο­ κα' το™ς πατρας =σθ$οντες θεσμον, παρ’ θεσμον, Λκωνες δ =π' το βωμο τ‚ς ìρθωσ$ας ¡ρτμιδος μαστ$ζονται πικρŒς ˜πρ το πολλν αÁματος =π' το βωμο τ‚ς θεο γενσθαι ½σιν. λλ+ κα' τ§ Κρν¤ θουσιν >νθρωπν τινες, καθπερ κα' Σκθαι τ¼ ¡ρτμιδι το™ς ξνους. » Traduction personnelle. 43. Pour Fonteius, 14, 31 : « Postremo his quicquam sanctum ac religiosum uideri potest qui, etiam si quando aliquo metu adducti deos placandos esse arbitrantur, humanis hostiis eorum aras ac templa funestant, ut ne religionem quidem colere possint, nisi eam ipsam prius scelere uiolarint ? Quis enim

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Commensalité et cannibalisme bis : Les lois des barbares Suétone, deux siècles plus tard, n’a plus à se soucier au sujet des sacrifices humains gaulois. Lui, qui n’est pourtant pas doux avec l’empereur Claude, peut annoncer fièrement que ce dernier a aboli « complètement en Gaule la religion atroce et barbare des Druides, qui, sous Auguste, avait été interdite aux seuls citoyens » 44. Comme le dit André Boulanger, « le caractère sanguinaire de la religion gauloise est un thème oratoire maintes fois traité par les Grecs et les Romains » 45. Selon Francisco Marco-Simòn également, le sacrifice humain fait partie du stéréotype de « la férocité celtique » : Sopratos de Paphos, Varron, Denys d’Halicarnasse, Pline l’Ancien, Lucain, Plutarque, Minucius Felix, Tertullien, Lactance et bien sûr Jules César, Posidon d’Apamée, Diodore de Sicile, Strabon, Pomponius Mela, Tacite, Dion Cassius en sont les porte-parole. Les sacrifices humains des Celtes sont commis publiquement, sous la présidence des druides, affirme César. La grande majorité des victimes seraient des criminels ou des prisonniers de guerre exécutés de façons très variées : brûlés vifs, crucifiés, exposés sur un arbre ou à un poteau, noyés, tués avec un couteau ou avec des flèches, etc. Les auteurs anciens attribuent aux sacrifices humains des buts très variés : divination, rite funéraire, hommage à Mars après une victoire, bouc émissaire en temps de désastres, fondation de villes, etc. Cependant, après examen des données archéologiques, on doit conclure avec Marco-Simòn que si les sacrifices humains ont certainement été pratiqués parmi les Gaulois, ce n’était en tout cas pas aussi régulièrement que les sources le laissent supposer. Selon toute vraisemblance, ils y avaient recours en cas de danger uniquement. Les Romains qui ont sacrifié un couple de Grecs et un couple de Gaulois au Forum Boarium à trois reprises au cours des IIIe et IIe siècles avant notre ère pour prévenir des désastres, sont donc assez mal placés pour jeter la pierre aux Celtes ! Pourtant, dans la vision des Romains (et des Grecs) il y a deux différences de taille entre leurs sacrifices humains et ceux des barbares. La première est la régularité de ces pratiques. On a déjà vu que selon Sophocle tous les barbares ont l’habitude de sacrifier des hommes à Cronos 46. Plutarque va encore plus loin. Dans son traité De la Superstition, en comparant l’attitude superstitieuse à l’athéisme, il arrive à la conclusion surprenante que ce dernier est le moins dangereux des deux, car il vaut mieux vivre sans aucune notion de la

ignorat eos usque ad hanc diem retinere illam immanem ac barbaram consuetudinem hominum immolandorum ? Quam ob rem quali fide, quali pietate existimatis esse eos qui etiam deos immortalis arbitrentur hominum scelere et sanguine facillime posse placari ? Cum his uos testibus uestram religionem coniungetis ? ab his quicquam sancte aut moderate dictum putabitis ? » Sauf mention explicite, le texte et la traduction de cette œuvre seront cités suivant l’édition de A. BOULANGER, Les Belles Lettres, Paris 1961. 44. Claude, 25, 13 : « Druidarum religionem apud Gallos diræ immanitatis et tantum ciuibus sub Augusto interdictam penitus aboleuit. » Sauf mention explicite, le texte et la traduction de cette œuvre seront cités suivant l’édition de H. A ILLOUD, Les Belles Lettres, Paris 1989 (1931, 6e). Sur l’extermination des druides voir S. P IGGOTT, The Druids (“Ancient peoples and places” 63), Thames and Hudson, Londres 1970, p. 108-121 et p. 193-201. Concernant les accusations de sacrifices humains des Gaulois consulter l’étude de F. M ARCO-SIMÒN, « Sacrificios humanos en la Celtica antigua : entre el estereotipo literario y la evidencia interna », Archives für Religionsgeschichte 1 (1999), p. 1-15. 45. Dans : Cicéron, Discours, VII, Les Belles Lettres, Paris 1961, p. 44, n. 1. 46. Andromède, fr. 126 Radt : supra, p. 20, n. 8.

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L’Autre divinité que, par peur superstitieuse, accomplir des rituels sanglants « dignes de Typhons et de Géants ». En effet, […] n’aurait-il donc pas mieux valu pour les Gaulois de jadis et pour les Scythes n’avoir absolument aucune notion des dieux, aucune imagination, aucune tradition à leur sujet que de penser qu’il existe des dieux qui se réjouissent du sang d’hommes égorgés et pensent que c’est là la perfection dans le rite et le sacrifice ? Ou encore, n’aurait-il pas été plus utile aux Carthaginois de prendre un Critias ou un Diagoras comme législateur dès les origines et de ne croire à aucun démon ni dieu que de pratiquer de tels sacrifices qu’ils ont habitude d’offrir à Cronos 47 ?

Le sacrifice humain appartient donc au domaine de la superstition. Plutarque cite uniquement des exemples barbares, bien qu’il sache pertinemment que les Grecs et les Romains ont parfois eu recours aux sacrifices humains par le passé. En effet, dans la vie de Pélopidas, il dresse toute une liste de ces cas. Cependant, il partage l’avis de bon nombre de Grecs et de Romain selon qui le sacrifice humain, pratiqué par leurs ancêtres, représentait toujours une exception, tandis que chez certains peuples barbares c’était censé être la règle. Les religions étrangères ne sont donc plus uniquement caractérisées par leurs pratiques rituelles barbares, mais aussi par leurs croyances erronées : ce sont des superstitions. Pline l’Ancien formule une autre équivalence, cette fois-ci entre religion étrangère, sacrifice humain et magie 48. Selon lui, toutes les religions pratiquaient jadis la magie, même la religion romaine. Mais tandis que celle-ci a réussi à s’en purifier définitivement en 97 / 96 avant notre ère avec l’abolition des sacrifices humains, plusieurs autres religions n’y sont pas arrivées – du moins pas avant la conquête romaine. Avec Pline on arrive à la seconde différence importante entre les sacrifices humains des barbares et ceux des Grecs et des Romains : le traitement de la victime après la mise à mort. Pline suggère que les pratiques magiques s’accompagnent normalement de sacrifices humains et donc, inversement, chaque fois qu’il y a sacrifice humain on doit parler de magie 49. Or, dans ce contexte, Pline ne fait pas de distinction entre sacrifice humain et cannibalisme : Ainsi, par tout le monde, bien qu’en discorde et s’ignorant entre eux, [les peuples] se sont accordés sur cette doctrine, et l’on ne saurait suffisamment estimer notre dette envers les Romains pour avoir aboli ces monstruosités dans lesquelles tuer un homme était un acte très religieux, et le manger, une pratique aussi salutaire 50.

47. Moralia, 171b : « Οκ >μεινον ον –ν Γαλταις =κε$νοις κα' Σκθαις τ{ παρπαν μ}τ  ›ννοιαν ›χειν θεŒν μ}τε φαντασ$αν μ}θ  ‘στορ$αν  θεο™ς ε^ναι νομ$ζειν χα$ροντας νθρKπων σφαττομνων αÁματι κα' τελεωττην θυσ$αν κα' ‘ερουργ$αν τατην νομ$ζοντ+ς; Τ$ δ; Καρχηδον$οις οκ =λυσιτλει Κριτ$αν λαβοσιν  Διαγραν νομοθτην π  ρχ‚ς μ}τε τιν+ δαιμνων μ}τε θεŒν νομ$ζειν  τοιατα θειν ο±α τ§ Κρν¤ ›θυον; » Texte et traduction légèrement modifiée de l’édition de J. DEFRADAS, J. H ANI, R. K LAERR, Les Belles Lettres, Paris 1985. 48. Histoire Naturelle, 30, 12-14. 49. Pour Pline, la preuve que la magie a laissé des traces dans la religion romaine est justement l’existence des sacrifices humains qui ne furent interdits qu’en l’an 657 de Rome (Histoire Naturelle, 30, 12, 3). 50. Ibid., 30, 13, 4 : « Adeo ista toto mundo consensere, quimquam discordi et sibi ignoto, nec satis æstimari potest quantum Romanis debeatur qui sustulere monstra in quibus hominem occidere

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Commensalité et cannibalisme bis : Les lois des barbares Les sacrifices humains des barbares, contrairement à ceux des Grecs et des Romains, peuvent donc se terminer par des festins anthropophagiques. Hérodote rapporte en parlant des Neures, un peuple vivant entre les Scythes et les Androphages que, selon certains, […] il y a apparence que ces gens sont sorciers (γητες). En effet, les Scythes et les Grecs établis en Scythie racontent qu’une fois par an tout Neure devient pendant quelques jours un loup (›τεος Ëκστου šπαξ τŒν ΝευρŒν ¢καστος λκος γ$νεται), après quoi il reprend la même forme 51.

Toutefois, ce n’est qu’une opinion que l’historien lui-même ne partage pas. Il ne rapporte pas non plus l’avis de ses interlocuteurs concernant l’éventuel cannibalisme des Neures lié à la lycanthropie, mais il n’est pas à douter qu’il en était question. En effet, à propos des Androphages, le prochain peuple que décrit Hérodote, celui-ci affirme que « seuls des peuples dont nous parlons, ils mangent de la chair humaine 52 ». Affirmation qui se comprend si l’on suppose que les autres peuples de la région, et probablement particulièrement les Neures, avaient également la réputation de cannibales. Valère Maxime, dans le livre 7 de son recueil des Faits et paroles mémorables, consacre le sixième chapitre à la nécessité. Comme il le dit dans l’introduction, Les lois cruelles et l’empire tyrannique de la nécessité, objet d’horreur pour les peuples, ont souvent réduit et notre patrie et les nations étrangères à des extrémités si affreuses, qu’il est pénible, je ne dis pas d’y songer, mais d’en entendre seulement le récit 53.

Pourtant, les Romains (ainsi que leurs alliés) et les Barbares ne sont pas égaux devant les impératifs des conditions difficiles. Ainsi, les habitants de Casilinum, alliés des Romains et assiégés par Hannibal, s’étaient vu obligés de « détourner les courroies des usages les plus indispensables, d’arracher les peaux des boucliers, et de s’en nourrir ». « Quelle fidélité inébranlable », s’écrie l’auteur admiratif 54. Les Prénestins, également assiégés, ne trouvaient plus rien à se mettre sous la dent que des rats, ce que Valère Maxime approuve également. En revanche, les ennemis de Rome ne se conduisent pas en hommes sages en situation de crise selon l’auteur. Les Crétois qui, assiégés par Métellus, refusent d’apaiser leur soif par l’urine de leur chevaux, « endurèrent des maux que le vainqueur même ne les aurait pas contraints à endurer ». Quant aux Numantins, assiégés par Scipion le Jeune, ils se nourrissent de cadavres humains. Et le verdict de Valère Maxime tombe : « Ici la nécessité ne peut servir d’excuse : quelle nécessité de vivre à ce prix, quand on est libre de mourir 55 ? » Mais le pire qu’il puisse imaginer est l’histoire des habitants de Callaguris. Ceux-ci, assiégés par Pompée, religiosissimum erat, mandi uero etiam saluberrimum. » 51. H ÉRODOTE, 4, 105. 52. HÉRODOTE, 4, 106. 53. VALÈRE M AXIME, Faits et paroles mémorables, 7, 6. Sauf mention explicite, la traduction de cette œuvre sera citée suivant l’édition de P. CONSTANT, Garnier, Paris 1935. 54. Ibid. 55. Ibid.

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L’Autre […] en vinrent à cet excès d’horreur de manger leurs femmes et leurs enfants ; et afin de pouvoir alimenter plus longtemps ses entrailles de ses entrailles mêmes, cette jeunesse sous les armes n’hésita pas à saler les restes malheureux de ces cadavres 56.

Il ne trouve pas de mots assez forts pour les dénoncer, « puisqu’il n’est point de serpents, point de bêtes féroces qui leur soient comparables et qu’ils n’aient surpassé en férocité ». Valère Maxime regrette sincèrement que le victorieux Pompée ne les ait pas tous exécutés. Pourtant, l’auteur ne souhaite pas cette exécution pour les mêmes raisons qui, selon Porphyre, ont poussé Hamilcar à faire écraser ses mercenaires par des éléphants. Le cannibalisme des soldats de Callaguris ne signifie pas, ou pas uniquement, une impiété aux yeux de Valère Maxime. Ce qu’il craint ce n’est pas qu’ils souillent le reste du monde par leur sacrilège. Tout simplement, et d’un point de vue très pragmatique, Valère Maxime trouve que ceux qui sont capables d’une telle impiété envers leurs proches parents, ne sont plus fiables comme alliés ! Allez donc exhorter de pareils soldats à défendre vaillamment, sur un champ de bataille, la vie de leurs femmes et de leurs enfants ! […] l’on pouvait trouver plus de sécurité dans leur châtiment que de gloire dans leur soumission 57.

On verra plus tard que Valère Maxime n’est pas seul à avoir cette préoccupation : elle reflète fidèlement celle du Sénat romain, mise en relief par Tite-Live, dans l’affaire des Bacchanales 58. Ômophagie et cannibalisme Dans les chapitres précédents, on a déjà touché au problème de l’ômophagie, la consommation de la viande crue. Apparemment, dans la pensée grecque et romaine c’est une des caractéristiques qui distinguent l’homme de l’animal. L’homme ne doit renoncer à cuire sa viande en aucune circonstance – sauf, bien évidemment dans certains rites dionysiaques. Les anecdotes sur la cohabitation forcée d’hommes et de (demi-)bêtes expriment bien cette préoccupation. Ainsi, selon Élien, quand l’esclave fugitif Androclès trouve refuge dans la caverne d’un lion, c’est ce dernier qui leur procure de la nourriture à tous les deux. Cependant, tandis que l’animal dévore sa viande crue, l’homme prend bien soin de la cuire. De même Héraclès, bénéficiant de l’hospitalité du centaure Pholus, se distingue de son hôte en cuisant sa viande au feu 59. L’ômophagie, propre aux bêtes sauvages, 56. Ibid. 57. Ibid. 58. Infra, p. 136-139. 59. Androclès chez ÉLIEN, De la Nature des animaux, 7, 48 ; Héraclès chez A POLLODORE, Bibliothèque, 2, 5, 4. Dans ce contexte, il est aussi important que la cuisson se produise sur le feu. En effet, les Éthiopiens et les Cynocéphales, qui mangent de la nourriture cuite au soleil ne sont pas tout à fait humains (c.-à-d. Grecs) : ils sont justes et vivent beaucoup plus longtemps que les Grecs. Voir J. ROMM, « Dog Heads and Noble Savage: Cynicism before the Cynics? », dans B. BRANHAM, M.-O. GOULETCAZÉ (éd.), The Cynics. The Cynic Movement in Antiquity and its Legacy, Univ. of California Press, Berkeley 1996, p. 121-135.

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Commensalité et cannibalisme bis : Les lois des barbares n’est pas loin de l’allélophagie à laquelle elles sont soumises selon la loi de Zeus. Les hommes ne doivent en principe pratiquer ni l’un, ni l’autre. Dans le système de pensée politico-religieux, le cannibalisme est clairement dénoncé comme une forme de bestialité que la cité rejette sans ambiguïté, et qu’elle situe aux confins de son histoire, dans un âge antérieur de l’humanité, ou aux limites de son espace, chez les peuplades qui composent le monde des Barbares. La distribution géographique des Sauvages obéit au principe que l’ômophagie est une forme de bestialité moins marquée que l’allélophagie – affirme Marcel Detienne 60.

On peut même aller plus loin : manger cuite de la chair humaine paraît aux Grecs moins sauvage que de la manger crue. Si l’on observe la nourriture des cannibales du point de vue de la préparation, on remarque que plus on s’éloigne de la Grèce, plus la préparation devient simple et moins elle ressemble à la cuisine sacrificielle de la thysia 61. Les différentes variantes du topos de l’anthropophagie, dans la mesure où elles s’opposent au sacrifice civique, ne servent pas simplement à exprimer le profond désaccord entre les règles de la vie civilisée et celles des personnes concernées. Elles servent en même temps à le nuancer. L’anthropophagie représente une anomalie par rapport à la thysia sur trois niveaux qui éloignent graduellement les coupables de la cité. Au premier niveau se trouvent les cannibales qui perpétuent leur acte en suivant les règles de la thysia, excepté le choix de la victime. Au second niveau appartiennent les anthropophages qui ne mettent pas à mort leur victime dans le cadre d’un sacrifice, mais la cuisinent néanmoins d’une façon plus ou moins évoluée. Enfin, les pires de tous sont ceux qui ne respectent même pas la cuisine sacrificielle : ils rôtissent le bouilli, ou vont même jusqu’à consommer la chair humaine crue. Ainsi l’affreux Cyclope de l’Odyssée – un des habitants les plus lointains de la mythologie homérique – qui décime l’équipage d’Ulysse, tue et dépèce ses victimes à main nue ; il ne fait aucune différenciation entre viscères et chairs, et il ne respecte surtout pas le partage avec les dieux. Le Cyclope consomme ses victimes toutes crues et boit du lait avec son festin. Les Padéens d’Hérodote, un des peuples les plus éloignés de l’Inde, sont également des « mangeurs de chair crue 62 » ; il est donc plus que probable que, semblablement au Cyclope, ils consomment leurs malades sans préparation culinaire, comme ils le font d’habitude avec les animaux. Les peuples qui pratiquent occasionnellement ou habituellement l’anthropophagie, mais habitent plus près des Grecs sont en général plus évolués du point de vue de la cuisine. Par exemple, les Massagètes qui, pourtant, partagent la pratique des Padéens d’immoler leurs anciens, les consomment bouillis, leur chair mélangée avec de la viande animale 60. M. DETIENNE, « Entre bêtes et dieux », p. 236. 61. Cependant, la thèse de Reinhold Bichler qui situe les sauvages mangeurs de viande crue plus loin des Grecs que les sauvages anthropophages ne tient pas. En effet, dans une aire géographique donnée ce sont toujours les cannibales qui occupent la position extérieure par rapport aux ômophages (R. BICHLER, « Der Barbarenbegriff des Herodots und die Instrumentalisierung der Barbarentopik in politisch-ideologischer Absicht », dans I. WEILER, H. GRASSL [éd.], Soziale Randgruppen und Außenseiter im Altertum. Referate vom Symposion “Soziale Randgruppen und antike Sozialpolitik” in Graz [21. bis 23. September1987], Leykam, Graz 1988, p. 117-128). 62. H ÉRODOTE, 3, 98.

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L’Autre – accompagnant toutefois ce repas sans doute non de vin, mais de lait (puisque Hérodote les appelle « buveurs de lait », 1, 216). Hérodote ne dit malheureusement rien au sujet des « recettes » des Androphagoi, du peuple auquel les Grecs ont donné le nom de Mangeurs d’hommes. Ils sont nomades et les nomades de cette région ne sont pas ômophages, mais ce n’est pas une preuve en soi contre leur ômophagie. En effet, les Androphages occupent la même position d’extrémité dans leur aire géographique que les Padéens en Inde et les Cyclopes dans la géographie mythique. Or, ces deux peuples mangent leurs victimes crues. En revanche, les voisins des Androphages, les Scythes habitant plus près des Grecs ne pratiquent qu’occasionnellement le cannibalisme et ont l’air presque civilisés du point de vue de la cuisine. En effet, ils ne mangent jamais de chair humaine, ni celle de leurs parents, ni celle de leurs ennemis, du moins selon Hérodote, et ils ne boivent qu’une seule fois du sang dans leur vie : celui de leur premier ennemi tué à la guerre (4, 64-65). Malgré toute leur sauvagerie, chez Hérodote, l’anthropophagie – dans le sens de consommation de la chair d’un être humain – est pour les Scythes une des pires actions qu’un homme puisse commettre. Aussi décident-ils de punir Kyaxare en lui faisant manger les chairs d’un enfant 63. Comme les Scythes ne sont pas de vrais cannibales, ils ne connaissent pas de « recettes » spécialement anthropophagiques ; ils improvisent donc et préparent la chair de l’enfant comme le gibier : bien cuite. Le fils de Kyaxare, le roi des Mèdes Astyage (dont on verra également l’histoire dans le chapitre sur le tyran) fait aussi préparer l’enfant d’Harpage d’une façon ordinaire, comme le mouton sur les tables voisines, en sorte que le père ne s’aperçoive pas de la différence. Or, il est intéressant de noter qu’on peut observer chez lui une dualité dans le traitement de la victime : une partie rôtie, l’autre bouillie, comme le veut la règle de la cuisine sacrificielle. Plus on s’approche de la Grèce, plus la cuisine cannibale devient donc sophistiquée et plus elle ressemble à la cuisine grecque.

63. Infra, p. 126-127.

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CHAPITRE II L’AUTRE DANS LA CITÉ ET DANS L’EMPIRE : LES PERTURBATEURS DE L’ORDRE PUBLIC

Tyrans Le mot tyrannos n’a pas toujours eu le sens négatif qu’on lui attribue aujourd’hui 1. Jusqu’au début du VIe siècle avant notre ère, il était simplement un synonyme du mot basileus (roi) et il a encore longtemps gardé ce sens – en tout cas en dehors d’Athènes 2. On le retrouve encore occasionnellement bien plus tard en ce sens traditionnel jusque dans la poésie latine 3. Les premières occurrences négatives du terme définissent le tyran comme un monarque qui n’a pas obtenu son pouvoir en héritage. L’utilisation du mot tyran est extrêmement intéressante chez Alcée, aristocrate conservateur, opposant farouche à Pittacos que les citoyens de Lesbos ont chargé de mettre un terme à la guerre civile. Pittacos est donc aisymnète, une sorte de juge et législateur, élu pour résoudre une certaine situation de crise. Solon a rempli la même fonction à Athènes au début du sixième siècle. Mais tandis que lui-même oppose expressément sa charge temporaire à celle d’un tyran 4, Alcée assimile les deux, appelant Pittacos tyrannos 5. Petit à petit, le terme se spécialise et finit par désigner le côté obscur de la monarchie : tandis que le roi (basileus) est le bon souverain, soucieux du bien-être de ses sujets, le mot tyran renvoie au mauvais monarque, indépendamment du fait qu’il ait hérité de son pouvoir ou l’ait obtenu par d’autres moyens. Selon Platon, tandis que le roi est le plus heureux de tous les mortels, le tyran est le plus malheureux. Car celui-ci est destiné à tuer son père, à coucher avec sa mère et à manger ses propres enfants 6 ! Le tyran, pour garder son pouvoir, est obligé d’opprimer en permanence ses concitoyens et même d’en tuer un grand nombre. Comme le dit Sophocle : c’est l’orgueil qui fait le tyran 7. Or, l’hybris ne donne pas de bons conseils. C’est à cause de cet orgueil que la race d’argent refuse d’offrir des sacrifices aux dieux et que la race de bronze se livre à la guerre jusqu’à son extermination complète. L’orgueil pousse l’homme à enfreindre les règles de la piété qui régissent les relations entre hommes et dieux, hommes et hommes.

1. V. PARKER, « Τύραννος. The Semantics of a Political Concept from Archilochus to Aristotle », Hermes 126 (1998), p. 145-172. 2. Cf. l’usage chez Pindare, qui nomme Hiéron tantôt basileus, tantôt tyrannos : Pythiques, 2, 58.87 ; 3, 70.85. 3. VIRGILE, Énéide, 7, 266. 4. P LUTARQUE, Solon, 14, 9-15, 1. 5. Fr. 348 : « Τ{ν κακοπατρ$δαν / Φ$ττακον πλιος τ+ς χλω κα' βαρυδα$μονος / =στσαντο τραννον, μγ  =πα$νεντες λλεες » (V. PARKER, « Τύραννος », p. 156). 6. République, 571a1-4 ; 619 b6-c2). 7. Œdipe roi (Œdipus tyrannus !), 873 : «  βρις φυτεει τραννον. »

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L’Autre Le tyran (le mauvais monarque) est ainsi prédisposé à commettre des crimes. L’archétype du tyran auquel Platon fait référence est aisément reconnaissable. C’est Œdipe, le souverain de Thèbes, coupable malgré lui de parricide et d’inceste. Et s’il n’est pas cannibale 8, il n’est pas moins responsable de la mort de ses fils qui s’entretuent dans un combat fratricide, accomplissant ainsi la malédiction paternelle 9. Le fait qu’Œdipe se souille de crimes graves sans le savoir nous ramène aux mythes de Pélops, de Lycaon, de Thyeste et de Térée. Parmi les nombreuses formes de cannibalisme, la plus répandue dans la mythologie grecque est sans doute celle où la chair humaine est servie à un hôte qui ignore la nature du repas. Les mythes de Pélops, de Lycaon, de Thyeste et de Térée tournent autour de cela et, comme on l’a vu, peuvent exprimer plusieurs sens différents. Dans certaines versions, le but du festin est de punir un crime. Dans ce type de mythe, le festin cannibale est une vengeance destinée à châtier une faute très grave. Dans le cas de Thyeste l’adultère, le vol et l’usurpation du trône ; dans celui de Térée l’adultère, le viol et l’inceste. Ce type de mythe est très intéressant, parce qu’il donne la possibilité de mettre en scène deux coupables : celui qui prépare le festin sans y toucher et celui qui le consomme sans le savoir. Chez Hérodote, on rencontre deux fois ce motif du cannibalisme forcé. Curieusement, comme dans la dynastie mythique de Pélops, les deux histoires d’Hérodote sont liées à deux générations d’une même famille : à Kyaxare, roi des Mèdes (1, 73), et à son fils, Astyage (1, 119). De même, exactement comme chez les Pélopides, elles développent les deux aspects du motif : tandis que Kyaxare subit le cannibalisme forcé comme Thyeste, Astyage en est l’instigateur comme Tantale… Kyaxare accueille sur ses terres une troupe de Scythes nomades qu’il traite avec beaucoup de respect. Il leur confie même l’éducation d’enfants mèdes afin qu’ils apprennent la langue scythe et le tir à l’arc. Jusqu’au jour où les Scythes reviennent bredouilles de la chasse. Alors, « Kyaxare – qui était, comme il le fit voir, d’un caractère violent – les traita très rudement et de façon outrageante » 10. En réponse aux injures imméritées, les Scythes décident de couper en morceaux un des enfants mèdes, de le préparer comme du gibier et de le servir au roi comme festin 11. Une fois leur forfait accompli, ils cherchent refuge en Lydie, fait qui sera à l’origine d’une longue guerre entre les deux pays. Le récit donne l’impression que la sympathie d’Hérodote va aux Scythes dans cette histoire. Kyaxare les a injustement traités et ils se sont fait justice eux-mêmes. Kyaxare mérite ce qui lui arrive. Le tyran, le vrai coupable est donc celui qui se souille par la consommation de la chair humaine, comme dans le mythe de Thyeste. Le sort 8. Sur la question d’un cannibalisme hypothétique dans le mythe d’Œdipe voir A. MOREAU, « À propos d’Œdipe : la liaison entre trois crimes : parricide, inceste et cannibalisme », Études de Littérature Ancienne 1 (1979), p. 97-127. 9. Sur l’utilisation du mythe d’Œdipe comme archétype du tyran voir J.-P. VERNANT, « Lamness, Tyranny, Incest in Legend and History », Arethusa 15 (1982) p. 19-38. 10. H ÉRODOTE, 1, 73, 17-18 : «  Κυαχρης (–ν γ+ρ, •ς διδεξε, žργν [οκ] >κρος) τρηχως κρτα περισπε εικε$W. » 11. Ibid., 1, 73, 20-23 : « =βολευσαν τŒν παρ+ σφ$σι διδασκομνων πα$δων ¢να κατακψαι, σκευσαντες δ ατ{ν #σπερ =Kθεσαν κα' τ+ θηρ$α σκευζειν, ΚυαξρW δοναι φροντες •ς >γρην δ‚θεν. »

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L’Autre dans la cité et dans l’Empire : Les perturbateurs de l’ordre public des fugitifs n’intéresse plus Hérodote : les Scythes disparaissent complètement du tableau après avoir préparé le festin cannibale. L’historien continue son récit avec la suite de l’histoire de la dynastie de Kyaxare. Or, le fils du tyran, Astyage, semble avoir appris la leçon des Scythes : il reprendra leur méthode pour punir celui qui ose l’offenser. Bien qu’Hérodote n’exprime pas ouvertement son opinion, le bilan n’est certainement pas positif pour le monarque. L’histoire qu’il raconte se déroule à la marge d’un plus grand récit, digne descendant lui-même des mythes des enfants exposés : la naissance et l’enfance de Cyrus. Astyage, grand-père de Cyrus, vit en rêve que son petit-fils le détrônerait ; il décida donc de se débarrasser de l’enfant. Bien sûr, Cyrus survécut, et Astyage chercha à punir le responsable – un haut fonctionnaire nommé Harpage qui, contrairement à l’ordre du roi, n’a pas tué, mais seulement exposé le bébé. Astyage, feignant d’être reconnaissant pour avoir épargné son petit-fils, invita Harpage et son fils dans le palais. Mais « dès que le fils d’Harpage fut arrivé chez lui, (Astyage) l’égorgea, le coupa en morceaux, fit rôtir une partie des chairs, bouillir le reste, les prépara avec soin et les tint prêtes à servir » 12. Les autres convives du festin royal mangèrent du mouton, mais devant Harpage la table était chargée des plats confectionnés avec la chair de son propre fils. À la fin du repas, Astyage – semblable à Atrée et à Procné – fit porter une corbeille au père qui y découvrit la tête et les mains de son enfant. Cependant, la réaction d’Harpage fut toute différente de celle des pères mythiques : il ne renversa pas la table et ne proféra pas de malédictions contre le meurtrier. Au contraire, lorsqu’Astyage lui demanda s’il savait quelle sorte de viande il venait de manger « il répondit qu’il le comprenait, et il avait pour agréable tout ce que faisait le roi » ! Harpage se tut et se contenta de recueillir les restes – comme Agavé – pour pouvoir offrir des funérailles à son fils. Apparemment, on est toujours dans le même paradigme, celui où consommer de la chair humaine est un châtiment. Pourtant, le crime d’Harpage semble tout relatif : il a épargné la vie d’un enfant. Cependant, du point de vue d’Astyage, c’est bien plus : Harpage a désobéi à son ordre, il mérite donc châtiment. Du point de vue du narrateur, il s’agit d’un ordre injuste, un ordre donné par un roi qui ne se soucie guère de ses sujets, ni même de sa propre famille. Celui qui s’y oppose agit en homme libre. Or, Astyage est un mauvais monarque, comme l’était déjà son père Kyaxare qui a injustement maltraité les Scythes. Il n’a pas besoin d’hommes libres pour le servir mais d’esclaves : il ne peut tolérer la désobéissance. Le pauvre Harpage a appris la terrible leçon : en sortant du festin funeste, il ne réagit plus en homme libre, mais en sujet en tout point digne d’un tel souverain, comme un esclave livré aux caprices de son maître. Il faut noter qu’Hérodote, apparemment, ne connaît pas la distinction entre les termes roi et tyran. Il les utilise indistinctement pour désigner les monarques et les chefs de tribus de toutes sortes. Cependant, les récits sur les deux souverains mèdes montrent bien que l’absence d’un terme approprié ne signifie pas la non-existence d’un principe. Bien qu’Hérodote ne le lie pas à un terme technique, il décrit bien par les deux récits le côté négatif de la monarchie, 12. Ibid., 1, 119, 9-11 : « ¡στυγης δ, #ς ο‘ π$κετο  ρπγου πας, σφξας ατ{ν κα' κατ+ μλεα διελýν τ+ μν ’πτησε, τ+ δ —ψησε τŒν κρεŒν, εÇτυκα δ ποιησμενος ε^χε ¢τοιμα. »

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L’Autre son aptitude à corrompre le souverain et les sujets : manger de la chair humaine ou la faire manger à quelqu’un est donc le propre du mauvais monarque. À partir de cette définition, on reconnaît un troisième roi tyrannique chez Hérodote, mais cette fois-ci hors du schéma mythique (3, 25). Cambyse, le grand conquérant perse, occupe l’Égypte et, malgré les conseils le mettant en garde, décide de s’attaquer à l’Éthiopie. Cependant, le voyage est rude : bientôt l’armée commence à manquer de vivres. Les soldats se mettent à manger les bêtes de somme, mais Cambyse ne veut rien savoir. Il n’ordonne pas de rebrousser chemin, même quand ses hommes sont réduits à manger des herbes. Cambyse ne renonce à son expédition que quand le dixième de son armée aura disparu dans le ventre des survivants. L’armée de Cambyse fait une régression dans le temps. Après avoir épuisé la nourriture de l’homme civilisé, les soldats consomment d’abord celle des nomades (viande animale sans pain), ensuite celle des hommes de l’âge d’or frugal (herbes), et enfin celle des hommes des origines purement bestiales (allélophagie). Cette régression symbolise l’inaptitude de Cambyse à gouverner comme il faut : au lieu d’améliorer les conditions de ses peuples, il les réduit à l’état de bêtes 13. Cependant, Cambyse n’est pas le seul responsable. S’il est indéniable qu’il ne s’est pas comporté en homme sage comme devrait le faire un roi, il n’est pas moins vrai que ses hommes n’en seraient pas arrivés là s’ils n’avaient pas aveuglément obéi à ses ordres ! Le père de l’historiographie n’aurait pas pu imaginer des Grecs obéissant à un tyran jusqu’à de telles extrémités. En effet, selon Hérodote, l’expédition cannibale se compose uniquement de Barbares : les mercenaires grecs, restés dans des garnisons en Égypte, n’en font pas partie. Comment un chef d’état devient-il un tyran ? Selon Sophocle, c’est à cause de l’hybris. Selon Platon, à cause des meurtres qu’il est forcé de commettre. Il raconte le rituel du mont Lycée pour illustrer le caractère sanguinaire inhérent à la tyrannie (République, 565d) : Et comment le protecteur du peuple commence-t-il à se transformer en tyran ? N’est-ce pas évidemment lorsque ce beau protecteur se met à faire ce qui est raconté dans la légende du temple de Zeus Lycéen en Arcadie ? Que dit la légende ? demanda-t-il. Que lorsqu’on a goûté de l’entraille humaine, la seule coupée en morceaux au milieu des autres viandes sacrificielles, on est fatalement changé en loup (ς >ρα  γευσμενος το νθρωπ$νου σπλγχνου, =ν >λλοις >λλων ‘ερε$ων Ëν{ς =γκατατετμημνου, νγκη δ τοτ¤ λκ¤ γενσθαι).

Examinant le rituel sous cet angle, il met justement l’accent sur des aspects que les autres auteurs, on l’a vu, essayent d’éviter à propos du rituel : l’anthropophagie et la transformation 14. En même temps il souligne le caractère solitaire du festin 13. Cf. M. DETIENNE, « Entre bêtes et dieux », p. 237. 14. En fait, Platon est le seul à dire que la personne qui devient loup se transforme précisément parce qu’elle serait tombée sur le morceau humain. Il est malheureusement impossible de vérifier s’il rapporte une version inconnue aux autres auteurs, ou bien s’il arrange l’histoire à sa façon. Connaissant son habitude de créer des mythes à ses fins, la deuxième solution n’est pas à exclure. Il est possible que Platon mélange ce qu’il sait à propos du rite du Mont Lycée (sacrifice humain, transformation en loup) avec son mythe étiologique où il est question d’un festin cannibale.

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L’Autre dans la cité et dans l’Empire : Les perturbateurs de l’ordre public cannibale du tyran. La même solitude qu’ont vécue Thyeste et Térée (aussi en tant que mauvais souverains !) ainsi qu’Harpage pendant leurs repas tecnophagiques. Sénèque, dans une Lettre à Lucilius (19, 10) attribue à Épicure un dicton très intéressant : « Manger sa viande sans ami, c’est une vie de lion ou de loup » 15. Pline le Jeune, dans son Panégyrique de Trajan, oppose l’attitude de son héros à celle de Domitien lors de leurs festins respectifs. Tandis que Trajan se mêle à ses invités, partageant avec eux repas et conversation, Domitien se rassasie avant le banquet pour pouvoir mieux épier les paroles de ses hôtes (48-49). Suétone témoigne également de cette habitude de l’empereur toujours aux aguets (Domitien, 21). Juvénal, dans sa quatrième Satire, raconte comment Domitien invite ses ministres à admirer un poisson de taille extraordinaire que les pêcheurs viennent de lui offrir. Une fois la visite terminée, l’empereur congédie ses hôtes pour manger seul l’animal. Son comportement est semblable à celui du patron orgueilleux de la Satire suivante. Celui-ci invite ses amis et ses clients à un banquet, mais les traite de deux façons différentes. Tandis que lui-même et ses amis se rassasient de mets choisis, les simples clients doivent se contenter des plats ordinaires. Juvénal n’hésite pas à appeler le patron rex, mot qui – loin de la connotation positive de son équivalent grec (basileus) – est chargé de très mauvais souvenirs pour les Romains. Ainsi, Tarquin le Superbe, le dernier roi de Rome est vu comme chef d’une conjuration contre la république, prêtant un serment monstrueux sur les entrailles d’un homme sacrifié et en buvant son sang 16 ! Selon l’analyse de Susanna Morton Braund, le fait de manger seul et surtout d’offrir un banquet sans y participer est ressenti par les Romains comme une impiété, car refuser la commensalité avec ses concitoyens c’est se prendre pour un dieu 17. Pourtant, par son refus de rester un humain, le coupable se rapproche non pas des dieux, mais des animaux 18. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’invective de Pline contre Domitien qu’il décrit comme « cette très monstrueuse bête » 19. Dans la version de Pausanias, Lycaon est un roi civilisateur qui continue le travail de son père Pélasgos : il s’efforce d’améliorer les conditions de vie de ses sujets 20. L’auteur semble considérer le sacrifice humain célébré par Lycaon comme une simple erreur de jugement, sans réelles mauvaises intentions. Avec les versions d’Apollodore et d’Hygin, par contre – où l’impiété intentionnelle de Lycaon ne fait guère de doute –, on s’approche de l’image du mauvais monarque. Mais c’est seulement dans la version d’Ovide que Lycaon est pleinement identifié au tyran. Dès le début du récit, le ton est donné. Jupiter sait très bien chez qui il 15. « Sine amico uisceratio leonis et lupi uita est. » Traduction de M. CORBIER, « Le statut ambigu de la viande à Rome », Dialogues d’histoire ancienne 19/2 (1989), p. 107-158 (p. 125). 16. P LUTARQUE, Publicola, 4, 1 : « νδρα τολμητν κα' μεγαλοπργμονα κα' ποικ$λον τ{ –θος, Λεκιον Κατιλ$ναν, Šς α‡τ$αν ποτ πρ{ς >λλοις δικ}μασι μεγλοις ›λαβε παρθν¤ θυγατρ' συγγεγονναι, κτεναι δ  δελφ{ν α˜το· […] Τοτον ον προσττην ο‘ πονηρο' λαβντες, >λλας τε π$στεις ›δοσαν λλ}λοις κα' καταθσαντες >νθρωπον =γεσαντο τŒν σαρκŒν. » 29. Histoires romaines, 37, 30 : « κα' τος γε πρKτους ατŒν κα' δυνατωττους (–σαν δ >λλοι τε κα' ¡ντKνιος   πατος) κα' =ς θεμ$των žρκωμοσιŒν νγκην προ}γαγε· παδα γρ τινα καταθσας, κα' =π' τŒν σπλγχνων ατο τ+ λλων. » Traduction personnelle. 30. Supra, p. 130. 31. Infra, p. 139-140. 32. Infra, p. 195.

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L’Autre dans la cité et dans l’Empire : Les perturbateurs de l’ordre public passants et les mangeait » 33. Heureusement, les soldats, envoyés à leur poursuite, mettent le feu à la maison, et tandis que le cannibale est brûlé vif, les amoureux se sauvent. Dans le Leucippé et Clitophon d’Achille Tatius, la jeune fille, prisonnière des boukoloi (des brigands du delta égyptien) est destinée à un sacrifice cannibale. En effet, ses ravisseurs sont poussés par un oracle à purifier leur camp en immolant une vierge dont ils dévoreraient le foie 34. Clitophon assiste, impuissant, à toute la scène depuis l’autre rive du fleuve. Il voit deux brigands éviscérer sa bien-aimée sur un autel improvisé, au son d’une flûte et avec les incantations d’un prêtre. Le pire reste à venir cependant. Car, après que le reste de la troupe se fut éloigné, les sacrificateurs lui « retirèrent les splanchna à main nue et les disposèrent sur l’autel ; une fois cuits, les ayant découpés entièrement en morceaux, ils les mangèrent » 35 ! Heureusement, tout n’est qu’un simulacre, mis en scène par deux faux brigands, les compagnons des jeunes héros. Dans les Phoinikika de Lollianos, la victime d’un rituel semblable n’est pas une jeune fille mais un pais, un jeune garçon ou peutêtre un esclave. Le roman étant trop fragmentaire, on ne sait malheureusement rien à son sujet, et ni même dans quel contexte il est sacrifié. Il semblerait qu’une confrérie mystérieuse force le héros, Androtimos, à participer à un rituel funeste. Sous ses yeux horrifiés, le chef du groupe : […] a jeté le corps du garçon sur le dos, l’a ouvert, lui a enlevé le cœur et l’a placé sur le feu. Ensuite il a retiré le cœur rôti du feu, l’a coupé en morceaux, l’a saupoudré [d’orge ?] et il a versé de l’huile dessus. Quand c’était bien préparé, il en a distribué des portions aux initiés, et ayant reçu du sang du cœur, il leur a fait prêter serment 36 […]

Rien ne distingue la fiction littéraire de la description de l’historiographe, sauf peut-être la richesse des détails 37. Aussi les historiens modernes ont-ils du mal à séparer le réel de l’imaginaire. Ainsi Henrichs semble-t-il convaincu que Lollianos, 33. Le roman est perdu mais sa trame est racontée chez PHOTIUS, Bibliothèque, 74b (Traduction de R. H ENRY, Les Belles Lettres, Paris 1960). 34. Leucippe et Clitophon, 3, 19, 3 : « Κ ν τοτ¤ χρησμ{ν £σχουσι κρην καταθσαι κα' καθ€ραι τ{ λWστ}ριον κα' το μν —πατος πογεσασθαι […]» Sauf mention explicite, le texte et la traduction de cette œuvre seront cités suivant l’édition de J.-Ph. GARNAUD, Les Belles Lettres, Paris 1991. 35. Ibid., 3, 15, 5 : « τ+ σπλγχνα […] τας χερσ'ν =ξελκσαντες =πιτιθασι τ§ βωμ§, κα' =πε' úπτ}θη, κατατεμντες šπαντες ε‡ς μο$ρας ›φαγον. » Traduction personnelle. 36. Fr. B 1 recto 9-17 : « καταβ]αλýν τ{ σŒμα ¸πτιον το παιδ{ς τ[ψας ατ{ν νατμνε]ι κα' τν [κ]αρδ$αν =ξελεν κα' =π' το πυρ{ς κατθηκεν, ›πε[ιτα τν žπτν καρδ$α]ν νελμενος ποτμνει ατ‚ς ¢ως =φ  —μισυ =στ[ι] >κρον [δ ατ‚ς τος φ$τ]ο[ι]ς ›πασεν κα' =λα$ωι ›δευσεν κα' •ς μετρ$ως =σ[κ]εαστο [μετδωκεν ατ‚ς το]ς μυουμνοις κα' ›χοντας =ν τŒι [αÁ]ματι τ‚ς καρ[δ$]ας žμ[σαι =κελεσεν […] » Traduction personnelle du texte reconstitué par A. H ENRICHS, « Pagan Ritual and the Alleged Crimes of the Early Christians », dans P. GRANFIELD, J. A. JUNGMANN (éd.), KYRIAKON, Festschrift Johannes Quasten I., Aschendorff, Münster Westf. 1973, p. 18-35 (p. 30). 37. En effet, aucun autre type de source ne s’attarde autant à la préparation de la victime que le roman de Lollianos. Il n’aura d’égal que dans les œuvres chrétiennes diffamant les hérétiques : A. A. NAGY, « Eucharisties hérétiques entre végétarisme et cannibalisme : un topos classique dans la littérature chrétienne antique », dans A. D’A NNA, C. ZAMAGNI (éd.), Cristianesimi nell’anitchità : Fonti, istituzioni, ideologie a confronto (“Spudasmata” 117), Georg Olms, Hildesheim / Zurich / New York 2007, p. 17-38.

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L’Autre tout comme Achille Tatius, utilisent pour leurs scènes romancées un rituel réel, celui raconté par Dion Cassius à propos du centurion sacrifié. Ce même incident historique aurait donné naissance à deux formes différentes : l’historiographe aurait rapporté les faits nus, tandis que les romanciers les auraient transformés en des aventures romanesques 38. Jack Winkler, dans un article polémique, met en question cette source commune hypothétique 39. Quel témoin oculaire a pu le premier raconter l’histoire ? Un membre renégat ou capturé de la confrérie ? Difficile à croire, car un hors-la-loi, ayant participé à un sacrifice cannibale, ne peut s’attendre à de la pitié de la part des autorités. Un spectateur involontaire comme Clitophon ou Androtimos ? Dans quelle mesure auraient ils pu comprendre les faits sans a priori et les raconter d’une manière objective ? Enfin, même s’il existait un événement réel au fond des scènes romanesques, comment ne se seraitt-il pas déformé en passant par une longue chaîne de narrateurs intermédiaires ? Winkler examine chacun des détails du sacrifice des Phoinikika dont Henrichs relève le caractère subversif. Henrichs en tire la conclusion que le groupe marginal qui le pratiquait aurait pris soin de créer un rituel contraire à toutes les règles et transgressant tous les tabous de la société. Winkler arrive à la conclusion opposée : il propose d’y voir non la création d’un groupe anti-social, mais celle des auteurs souhaitant désigner un groupe comme tel. Il est donc indéniable que les scènes horribles imaginées par Dion Cassius ont la même source que celles des romans grecs. Cependant, il ne s’agit pas d’un événement historique. S’il y a source commune, c’est plutôt l’imagination prolifique des auteurs, se nourrissant des récits ethnographiques, historiographiques et mythologiques (tout aussi imaginaires) de la riche littérature « anthropophagique » 40. Particulièrement, pour les Boukoloi, il y a un lien facile à établir avec des sacrifices humains cannibales. En effet, boukoloi est aussi une des appellations des iobacchoi, des sectateurs de Dionysos / Bacchus. Depuis cette homonymie, libre cours est laissé aux associations, soit avec les rites ménadiques (pimentables à souhait de sparagmos de victimes humaines), soit avec des conjurations superstitieuses de type Bacchanales, accusées notamment de pratiquer le sacrifice humain et de prêter un serment d’hostilité contre l’État romain 41. Historiographes et romanciers n’avaient que l’embarras du choix pour s’inspirer d’exemples littéraires, sans se préoccuper d’une quelconque vérité historique. Dion Cassius utilise certainement en partie le topos de la conjuration et de la révolte cannibale dans le même but que les romanciers et plus tard les auteurs chrétiens des actes apocryphes des apôtres : tout simplement pour rendre leurs histoires plus intéressantes… 38. A. H ENRICHS, « Pagan Ritual », p. 34-35. 39. Cf. J. WINKLER, « Lollianos and the Desperadoes », p. 171. 40. Il ne s’agit toutefois pas de pures fictions littéraires, mais plutôt de la transposition de rumeurs populaires dans l’historiographie et dans la littérature. En effet, un papyrus grec témoigne des préoccupations très réelles d’une mère qui a peur que son fils, soldat dans l’armée romaine, ne soit rôti par les révoltés juifs : ο μθε žπτ}σωσι{σι} (V. A. TCHERIKOVER, A. FUKS [éd.], Corpus Papyrorum Judaicarum II, Harvard Univ. Press, Cambridge [MA] 1960, n° 437). Je remercie le Prof. Günter Stemberger de l’Institut de judaïstique de l’Université de Vienne pour avoir attiré mon attention sur ce texte. 41. Infra, p. 136-139.

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L’Autre dans la cité et dans l’Empire : Les perturbateurs de l’ordre public Groupements religieux hors des cadres civiques Superstitions Les polythéismes antiques sont aujourd’hui réputés pour leur tolérance en matière de religion. Les armées conquérantes d’Alexandre ou celles de Rome n’imposent pas leurs dieux aux populations locales et les métèques peuvent également célébrer leurs rites dans la cité – sous certaines conditions. Il arrive même souvent qu’une ville décide d’adopter de nouveaux dieux et de nouveaux cultes aux côtés des siens propres. Elle peut d’autant plus facilement le faire que les Grecs et les Romains avaient parfaitement conscience que leurs religions comportaient depuis toujours des éléments immigrés 42. Pourtant, cette apparente tolérance a ses limites : les autres religions et les autres cultes sont tolérés tant qu’ils ne sont pas ressentis comme nuisibles. Il est difficile d’oublier le procès de Socrate à Athènes et les chrétiens jetés aux fauves à Rome… La question de la nocivité se pose immédiatement lorsque les cultes nouveaux ou étrangers prétendent détourner les citoyens de leurs devoirs religieux, de les « convertir ». Car seul l’accomplissement rigoureux des rites ancestraux (l’orthopraxie, selon le terme de J. Scheid) peut assurer la survie de la cité. Par conséquent, il faut veiller à ce que les nouveaux cultes ne l’envahissent pas au détriment des dieux autochtones. À Rome, la pax deorum – la paix des dieux – repose sur le mos maiorum, la perpétuation des coutumes des ancêtres. Mary Beard, John North et Simon Price montrent comment les autorités romaines définissent et surveillent en permanence ce qui est souhaitable, acceptable ou inacceptable en matière religieuse pour les citoyens 43. Les trois auteurs mettent l’accent sur le rôle de l’élite sénatoriale dans ce travail continu de relecture de ce qui est religio et de ce qui est superstitio. Cependant, si la vie religieuse de la ville de Rome – et dans une moindre mesure celle d’Italie – est sous surveillance permanente, le reste de l’Empire jouit d’une certaine liberté grâce au statut de non-citoyen (donc non-Romain) de ses habitants. La situation changera après 212, date à laquelle Caracalle accorde la citoyenneté à la grande majorité des habitants libres de l’Empire – ce qui, comme on le verra, entraînera des conséquences dramatiques pour les chrétiens. Les citoyens romains – comme ceux des cités grecques – sont libres de pratiquer des nouveaux cultes en privé, tant que cette nouvelle pratique n’empêche pas l’accomplissement des devoirs civiques ou pire, ne s’attaque pas à l’État sous la forme très concrète de conspiration ou de révolte. Dion Cassius, au troisième siècle, met dans la bouche de Mécène, conseiller d’Auguste, les raisons qui exigent l’unité religieuse de l’ensemble des citoyens : Si donc tu désires devenir véritablement immortel, fais ce que je t’ai dit et vénère la divinité en tout et partout, conformément aux usages de la patrie, et, de plus, force les autres à l’honorer ; que les fauteurs des cérémonies étrangères soient haïs

42. Deux exemples typiques suffiront à illustrer ce phénomène : la figure de Dionysos en Grèce, présentée comme nouveau venu, pourtant divinité ancestrale ; et à Rome le sacrifice dit ritu Græcu, à la grecque, bien romain cependant. 43. M. BEARD, J. NORTH, S. P RICE, Religions de Rome, Picard, Paris 2006.

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L’Autre et punis par toi, non seulement pour le salut des dieux, attendu que, lorsqu’on les méprise, il n’est rien d’autre que l’on respecte ; mais aussi parce que l’introduction de nouvelles divinités engage beaucoup de citoyens à obéir à d’autres lois; de là des conjurations, des coalitions et des associations que ne comporte en aucune façon un gouvernement monarchique. Ne permets non plus à personne de faire profession d’athéisme, ni de sorcellerie […] Souvent, en effet, les gens de cette espèce, par quelques vérités qu’ils débitent au milieu d’un grand nombre de mensonges, poussent une foule de citoyens à la révolte 44.

Aussi, tout au long de la République et du Principat, on assiste au bannissement périodique de la ville de Rome de certains cultes jugés dangereux. Les Chaldéens (134 avant notre ère) et les adeptes de Bellone (19 après notre ère) n’apparaissent qu’une fois dans nos sources dans ce contexte, mais les cultes d’Isis et de Sarapis furent bannis au moins trois fois (219 et 48 avant notre ère, 19 de notre ère) et les Juifs quatre fois (134 et 48 avant notre ère, 19 et 41 de notre ère) 45 ! Tite-Live (4, 30, 7-11 ; 25, 1, 6-12) raconte deux exemples d’expulsion générale des cultes étrangers, en 428 et en 213 avant notre ère. Dans les deux cas, des charlatans, des devins et des prêtres itinérants choisissent des situations de crise (sécheresse, épidémie, guerre) pour s’enrichir sur le dos des pauvres malheureux. Cependant, raconte l’historien romain, tandis que les classes populaires sombrent dans la crédulité en s’adonnant à des nouveaux rites, les meilleurs des citoyens et les gens de bien s’alarment. Une fois le sénat et les magistrats avertis, des lois sont promulguées pour interdire les cultes infiltrés et visent le rétablissement des cultes anciens. Les Romains n’ont donc recours à l’interdiction de culte que dans des cas exceptionnels : quand ils estiment que Rome court un danger réel à cause de la négligence des cultes traditionnels. Le cas d’interdiction le plus célèbre de culte dans la Rome républicaine, l’affaire des Bacchanales (186 avant notre ère), témoigne également de cet aspect de la législation romaine. Dans la description de Tite-Live, les Bacchanales représentent le danger extrême dans lequel les superstitions étrangères peuvent mettre Rome : elles menacent à la fois la pax deorum et l’ordre public. Les Bacchanales offensent les dieux et les hommes. Cette affaire montre bien que l’idée prêtée par Dion Cassius à Mécène n’est pas anachronique : Tite-Live, contemporain d’Auguste et de Mécène, exprime également la peur qu’une religion étrangère n’incite ses adeptes à suivre d’autres lois que celles de l’État romain. Selon Tite-Live, l’année 186 commence par un signe de mauvais augure : « cette année-là, au cours des jeux romains qu’organisaient Publius Cornélius Céthégus et Aulus Postumius Albinus, un mât peu stable qui se dressait dans le cirque tomba sur la statue de la déesse Pollentia et la renversa » (39, 7, 8-10). Un avertissement des dieux pour la négligence du mos maiorum. Selon Tite-Live, c’est la dégénérescence d’un culte à mystère privé, des Bacchanales, qui aurait 44. DION CASSIUS, 52, 36, 1-3, traduction de E. GROS, V. BOISSÉE, Histoire romaine de Dion Cassius, Firmin Didot Frères, Paris 1865. 45. Isis et Sarapis : VALÈRE M AXIME, 1, 3, 4 ; DION CASSIUS, 42, 26, 2 ; FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités Juives, 18, 65. Bellone : DION CASSIUS, 42, 26, 2. Juifs : VALÈRE M AXIME, 1, 3, 3 ; FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités Juives, 18, 65 ; DION CASSIUS, 60, 6, 6 ; OROSIUS, 7, 6, 15 ; SUÉTONE, Claude, 25, 4. Chaldéens : VALÈRE M AXIME, 1, 3, 2.

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L’Autre dans la cité et dans l’Empire : Les perturbateurs de l’ordre public mis en danger la pax deorum. Le scandale éclate par l’entremise d’une ancienne esclave, nommée Hispala qui, ayant peur pour son amoureux, P. Aebutius, que son beau-père force à se faire initier au nouveau culte, révèle son caractère impie (39, 9, 1 – 10, 8). Fondé par un Grec de naissance obscure et d’abord réservé aux seules femmes, ce culte diurne n’aurait à l’origine rien comporté de honteux (39, 8, 3-8). Cependant, après les réformes de la campanienne Paculla Annia et de ses deux fils, il est devenu non seulement nocturne, mais aussi le théâtre de licence, de toutes sortes de crimes et de divination extatique (39, 8, 9-11). Pire, les nouveaux membres, des adolescents, initiés par un viol, devaient s’engager à suivre les lois du groupe, contraires à celles de la société romaine, sous peine de mort (39, 8, 11) : Tous ceux qui supportaient mal de se déshonorer et étaient trop hésitants à commettre le crime, on les immolait comme victimes (pro uictimis immolari). Ne respecter aucun interdit sacré était pour eux la plus haute marque de piété (nihil nefas ducere, hanc summam inter eos religionem esse) 46.

De plus, le thiase ne cesse de grandir et recrute même dans les rangs de l’aristocratie : « C’était une foule immense, qui désormais formait presque un autre peuple ; il y avait parmi eux certains hommes et femmes de la noblesse » (39, 8, 14-15). Les sénateurs, paniqués devant l’ampleur de ces rassemblements nocturnes, chargent le consul Postumius d’entamer une procédure extraordinaire, et édictent un Sénatus consulte pour interdire les réunions et rechercher les prêtres ainsi que les prêtresses du culte dans toute l’Italie. Le discours que prononce Postumius devant l’assemblée du peuple selon Tite-Live est sans doute l’expression des vifs ressentiments que les élites sénatoriales ressentaient devant la prolifération des rites nouveaux. Le consul commence par rappeler l’importance de la fidélité aux dieux et aux cultes anciens de Rome : les ancêtres ont toujours refusé d’honorer des divinités étrangères qui, « s’emparant des consciences par des rites malsains venus de l’étranger [prauis et externis religionibus], les poussaient […] vers tous les crimes et toutes les dépravations » (39, 15, 3). Il décrit de manière très colorée la menace qui pèse sur Rome à cause des Bacchanales : non seulement ce culte impie irrite les dieux, mais ses adeptes travaillent sciemment à la perte de Rome et des Romains. C’est une conjuration sous le manteau d’une religion. Les intentions des dirigeants des Bacchanales sont hostiles à l’État, les lois du thiase contraires à tout ce qui est sacré aux yeux des Romains, car là-bas « ne respecter aucun interdit sacré était […] la plus haute marque de piété ». Comment confier la défense du pays à des jeunes gens corrompus dès leur plus jeune âge (15, 13-14) ? Et comment compter sur les adultes qui ont plus de loyauté envers le thiase qu’envers l’État ? La situation est grave (16, 3-4) : Cependant, il y aurait moindre mal si ces turpitudes avaient seulement amoindri leur virilité – le déshonneur ne concernant pour l’essentiel qu’eux-mêmes – et s’ils avaient détourné leur main de commettre le crime, leur conscience de le méditer.

46. Sauf mention explicite, le texte et la traduction de cette œuvre seront cités suivant l’édition de A-M. ADAM, Les Belles Lettres, Paris 1994.

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L’Autre Jamais il n’y eut dans notre État un mal si grand, où plus de gens et de choses se trouvent impliqués. Tout ce qu’ont commis, ces dernières années, les plus bas instincts, la perfidie, le crime, est issu, sachez-le bien, de ce sanctuaire et de lui seul. Ils n’ont pas encore produit au grand jour tous les forfaits qui sont le but de leur conspiration. Pour l’heure, cette conjuration impie limite ses méfaits au domaine privé, parce qu’elle n’a pas encore assez de forces pour écraser l’État. Mais le mal croît chaque jour […] sa cible est maintenant la tête même de l’État. Si vous n’y prenez garde, citoyens, leur réunion nocturne pourra bientôt égaler la nôtre, régulièrement convoquée de jour par un consul ; […] dès que vous serez dispersés pour regagner vos maisons et vos domaines, eux se réuniront, ils délibéreront de leur salut en même temps que votre perte.

Postumius y voit la menace de la formation d’un État ennemi à l’intérieur de la République, avec ses institutions imitant d’une façon impie celles de Rome (39, 16, 3-4). La répression est à la mesure de la menace : plus de 7 000 hommes et femmes sont arrêtés, les sanctuaires et autels de Bacchus détruits et les Bacchanales interdites en Italie, sauf les réunions de moins de cinq personnes dûment autorisées. Parmi les prisonniers, ceux qui n’avaient été qu’initiés et qui n’avaient fait que répéter le serment, mais qui n’avaient pas commis de crimes, furent laissés en prison. Par contre, les initiés coupables de prostitution ou de meurtre, de faux témoignages, de fausses signatures, de testaments falsifiés ou d’autres fraudes furent condamnés à mort et exécutés 47. Les Bacchanales étaient plus qu’une simple superstitio. Tite-Live en montre la vraie nature dès la première phrase de son récit : il s’agit en effet d’une intestina coniuratio, d’une conjuration intestine. Il appelle les Bacchanales au total quatre fois coniuratio 48, tandis qu’il ne les situe que deux fois parmi les religiones prauæ 49. Il est important de souligner que les deux termes ne sont pas interchangeables dans le vocabulaire de l’auteur. Les Bacchanales avaient bien fait partie à l’origine des religiones prauæ dont, selon le discours du consul Postumius, les autorités romaines se sont toujours efforcées de purifier la ville de peur qu’elles ne « portent atteinte à l’esprit religieux » des Romains 50. Cependant, les Bacchanales, au moment de l’éclatement du scandale, ont déjà outrepassé les limites d’une religio praua, non seulement par le caractère scandaleux des rites, mais aussi par le nombre des adeptes. Il semble que ce ne soit pas simplement le fait d’avoir commis des crimes contre les bonnes mœurs ou même des crimes de droit commun, qui ait justifié la condamnation collective de tous les initiés aux 47. TITE-LIVE, 39, 18, 3-4 : « Ceux qui avaient seulement été initiés […] mais n’avaient commis ou laissé commettre aucun de ces actes auxquels les obligeait leur serment, ceux-là on les laissait en prison. Ceux qu’avaient souillés les débauches et les crimes de sang […] on les frappait de la peine capitale. (Qui tantum initiati erant […] nec earum rerum ullam in quas iure iurando obligati erant in se aut in alios admiserant, eos in uinculis relinquebant. Qui stupris aut cædibus uiolati erant […] eos capitali pœna afficiebant.) » 48. Ibid., 39, 8, 3 ; 14, 4 ; 15, 10 ; 16, 3-4. 49. Ibid., 39, 15, 3 ; 16, 6. 50. Ibid., 39, 16, 9 : « Iudicabant enim prudentissimi uiri omnis diuini humanique iuris nihil æque dissoluendæ religionis esse quam ubi non patrio, sed externo ritu sacrificaretur. »

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L’Autre dans la cité et dans l’Empire : Les perturbateurs de l’ordre public Bacchanales. Le vrai crime, selon Tite-Live, était de commettre tous ces actes en obéissant aux lois d’un organisme autre que l’État romain, et ce qui aggrave encore la situation : réunir un grand nombre d’adeptes issus de toutes les couches de la société. Contrairement aux autres superstitiones ou religiones prauæ, les Bacchanales étaient ressenties selon Tite-Live comme une entreprise exclusive et de ce fait coupable, susceptible d’entraîner la fondation d’un nouveau peuple en redéfinissant les liens fondamentaux de la société. En effet, « c’était une foule immense, qui désormais formait presque un autre peuple » 51. Les intentions des dirigeants des Bacchanales, toujours selon la description de Tite-Live, étaient hostiles à l’État. Les lois du thiase étaient contraires à tout ce qui était sacré aux yeux des Romains : « ne respecter aucun interdit sacré était […] la plus haute marque de piété » 52. Une religio praua peut donc devenir le point de départ d’une coniuratio, et c’est pour cette raison qu’elle est potentiellement dangereuse. Suivant le récit livien, pour que la superstitio / religio praua devienne une coniuratio, il faut la coexistence de quatre éléments : 1. Renversement des liens sociaux existants, notamment par exemple soustraire les femmes, les enfants et / ou les esclaves à l’autorité du pater familias ; 2. engagement par serment de suivre les lois propres à la nouvelle communauté, même au risque d’enfreindre celles de l’ancienne ; 3. la nouvelle communauté doit être hostile envers l’ancienne et ses lois se trouver en contradiction avec les lois de celle-ci ; 4. la nouvelle communauté doit être en concurrence avec l’ancienne par le nombre des adeptes. Si les quatre éléments se présentent ensemble, la religio praua devient une façade trompeuse pour des « conjurations et rassemblements nocturnes (coniurationes cœtusque nocturni) » susceptible d’éveiller des scrupules religieux chez les autorités : Car rien n’est d’apparence plus trompeuse qu’une mauvaise religion. Là où la majesté des dieux sert de paravent au crime, l’âme est saisie par la crainte de porter atteinte, en punissant les forfaits humains, à quelque loi divine qui s’y serait mêlée 53.

Comme Hugh Last l’a très justement reconnu, les cultes n’étaient jamais condamnés en tant qu’étrangers, mais à chaque occasion des accusations de droit commun pesaient sur eux 54. Ainsi les cultes d’Isis et de Sarapis étaient accusés de licence sexuelle ; les Bacchanales de relations homosexuelles forcées, de meurtre et de falsification de testament ; les Chaldéens de fausse divination ; enfin les Juifs de corruption des mœurs (quoi que cette notion puisse impliquer). Pourtant, il faut reconnaître que le cannibalisme manque à la liste des accusations dans tous ces cas… Dion Cassius est le seul à exprimer ses soupçons au sujet de Bellone, quand il 51. Ibid., 39, 13, 14 : « Multitudinem ingentem alterum iam prope populum esse. » 52. Ibid., 39, 13, 11 : « Nihil nefas ducere, hanc summam inter eos religionem esse. » 53. Ibid., 39, 16, 6-7 : « nihil enim in speciem fallacius est quam praua religio. Vbi deorum numen prætenditur sceleribus, subit animum timor ne fraudibus humanis uindicandis diuini iuris aliquid immixtum uiolemus. » Traduction légèrement modifiée. 54. H. LAST, « The Study of the “Persecutions” », Journal of Roman Studies 27 (1937), p. 80-92.

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L’Autre raconte que pendant la destruction de son sanctuaire on aurait découvert des jarres pleines de chair humaine. Le seul cas, à part celui de Bellone, où une rumeur de cannibalisme semble entourer le culte incriminé, sera celui du christianisme… Magiciens, devins et philosophes Il n’est pas anodin que dans les récits de Tite-Live sur l’interdiction des nouveaux cultes, les devins soient mis en cause les deux fois. Ainsi, en 428 (4, 30, 7-11) et de même en 213 (25, 1, 6-12), des devins et de « misérables sacrificateurs » tentent de détourner les Romains de leurs cultes ancestraux. La divination fait partie des pratiques les plus proprement romaines de la religion. Elle est indispensable pour toute activité publique romaine importante. Les augures, les haruspices et les quindecimuiri sont des experts en matière d’interprétation des signes et en même temps des magistrats romains qui veillent sur l’intérêt de l’État. Les augures observent les signa impetratiua, c’est-à-dire des signes que les hommes demandent aux dieux dans un lieu et à un moment précis, par exemple avant la fondation d’un temple ou avant une bataille. Les quindecimuiri sacris faciundis s’occupent des signa oblatiua, c’est-à-dire des signes qui se manifestent spontanément, sans que les hommes les demandent (prodigia). Quand, par exemple, se vérifie une catastrophe naturelle, les quindecemvirs, sur ordre du Sénat, consultent les livres sibyllins. Ensuite ils présentent au Sénat leur réponse qui indique non pas les causes du prodige, mais les rites nécessaires pour apaiser les dieux et rétablir la pax deorum. Souvent ce sont les quindecimvirs eux-mêmes qui accomplissent les rites indiqués par les oracles sibyllins 55.

Les devins mandatés (haruspices) observent les signes avant, pendant et après chaque sacrifice pour savoir si celui-ci est accepté ou refusé par les destinataires divins et s’ils consentent à la demande du sacrificateur (extispicium). Les trois méthodes de divination remplissent […] le rôle de régulation du rapport entre les dieux et les hommes dans le présent : la prise des auspices par les augures sert à contrôler si les dieux donnent leur aval à une action à accomplir ; la consultation des livres sibyllins à réparer une rupture dans l’harmonie des rapports avec les dieux ; l’extispicium est un contrôle continu pour s’assurer que les dieux sont toujours à côté des Romains 56.

Par contre, les méthodes de divination dans la sphère privée sont innombrables : devins itinérants, prophètes, magiciens, haruspices, augures, oniromanciens, astrologues et mathématiciens offrent leurs services – payants, bien sûr – aux particuliers. Leurs pratiques divinatoires, se déroulant dans le secret de la maison privée, suscitent des soupçons de détournement de la divination de son but défini par la religion romaine publique. En effet, au lieu de vouloir simplement connaître 55. F. P RESCENDI, « Divination à Rome », consultable sur internet à l’adresse http://elearning.unifr. ch/antiquitas. C’est par ce procédé que l’enterrement des vestales fautives et les seuls sacrifices humains romains proprement dits, ceux du Forum Boarium, ont été ordonnés en 228, en 216 et en 114/113 avant notre ère. 56. Ibid.

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L’Autre dans la cité et dans l’Empire : Les perturbateurs de l’ordre public l’opinion des dieux au sujet d’une entreprise envisagée, le particulier peut être tenté de faire prédire l’avenir (de lui-même ou de quelqu’un d’autre) ou pire, carrément forcer les dieux à agir selon sa guise. Or, par ce moyen, il pourrait non seulement nuire à ses adversaires privés et même aux magistrats (ou empereurs) romains, mais aussi rompre la pax deorum. C’est pour ces raisons que, depuis Auguste jusqu’aux empereurs chrétiens, tous les princes prennent des mesures importantes pour limiter la divination privée 57. Car la divination privée peut très facilement être confondue avec la divination secrète, caractéristique des rites magiques. Tacite raconte quels maléfices Pison, courtisan du tyran Tibère, jaloux de la fortune du bon prince Germanicus, utilise pour se débarrasser de son rival : […] retenu par la mauvaise santé de Germanicus, quand il apprit son rétablissement et alors qu’on acquittait les vœux formés pour son salut (de Germanicus), il envoie des licteurs disperser les victimes déjà prêtes, l’appareil du sacrifice et la plèbe d’Antioche en fête. Puis il se retire à Séleucie, pour attendre l’issue d’une crise dans laquelle Germanicus venait de retomber. La cruelle violence du mal était aggravée par la conviction d’avoir été empoisonné par Pison ; de fait, on trouvait sur le sol et sur les murs des lambeaux de cadavres déterrés, des formules d’envoûtements et d’exécration, le nom de Germanicus gravé sur des tablettes de plomb, des cendres humaines à demi brûlées et imprégnées de sang corrompu et d’autres maléfices auxquels on attribue le pouvoir de vouer les âmes aux divinités infernales 58.

De plus, après la mort de Germanicus, Pison prend les armes pour obtenir par la force le gouvernement de la Syrie. Pison aurait donc utilisé la magie noire pour arriver à ses fins politiques : nécromancie (probablement par sacrifices humains), enchantements, devotio aux dieux infernaux par defixiones, et préparation de pharmakon, un poison mortel. Cette notion du maleficium s’apparente à celle de

57. Auguste (DION CASSIUS, 56, 25, 5ff) ; Tibère (SUÉTONE, Tibère, 63 ; TACITE, Annales, 1, 72) ; Domitien (SUÉTONE, Domitien, 10) ; Vitellius (SUÉTONE, Vitellius, 14 ; TACITE, Annales, 2, 62 ; DION CASSIUS, 64, 1, 4) ; Caracalla (Histoire Auguste, Caracalla, 5, 7) ; Dioclétien (Codex Iustinianus, IX, 18, 2) ; Constantin (Codex Theodosianus, IX, 16, 1) ; Constance (Codex Theodosianus, IX, 16, 6) ; Valens et Valentinien (Codex Theodosianus, IX, 16, 8) ; Fritz Graf (La Magie dans l’Antiquité grécoromaine [“Histoire” 28], Les Belles Lettres, Paris 1994 p. 68) parle d’un monopole divinatoire de l’État romain en affaires publiques. Cf. H. K ARP, « Konstantins Gesätze gegen die private Haruspizin aus den Jahren 319 bis 321 », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 41 (1942), p. 145151 ; M. Th. FÖGEN, Die Enteignung der Wahrsager. Studien zum kaiserlichen Wissenmonopol in der Spätantike (“Suhrkamp Taschenbuch Wissenschaft” 1316), Suhrkamp, Francfort-sur-le-Main 1993 ; M. BRETONE, Geschichte des römischen Rechts. Von den Anfängen bis zu Justinian, C.H. Beck, Munich 1992. 58. TACITE, Annales, 2, 69 : « At Germanicus Ægypto remeans cuncta quæ apud legiones aut urbes iusserat abolita uel in contrarium uersa cognoscit. hinc graues in Pisonem contumeliæ, nec minus acerba quæ ab illo in Cæsarem intentabantur. dein Piso abire Syria statuit. mox adversa Germanici valetudine detentus, ubi recreatum accepit uotaque pro incolumitate soluebantur, admotas hostias, sacrificalem apparatum, festam Antiochensium plebem per lictores proturbat. tum Seleuciam degreditur, opperiens ægritudinem, quæ rursum Germanico acciderat. sæuam uim morbi augebat persuasio veneni a Pisone accepti ; et reperiebantur solo ac parietibus erutæ humanorum corporum reliquiæ, carmina et devotiones et nomen Germanici plumbeis tabulis insculptum, semusti cineres ac tabo obliti aliaque malefica quis creditur animas numinibus infernis sacrari. simul missi a Pisone incusabantur ut ualetudinis aduersa rimantes. »

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L’Autre ueneficium, crime puni par la loi de Sulla, la lex Cornelia de sicariis et ueneficis (81 avant notre ère). En effet, ueneficus est celui qui prépare les pharmaka, drogues, poisons, philtres magiques dans l’intention de nuire, en faisant des sacrificia mala, des sacrifices funestes 59. Ammien Marcellin, l’historien « païen » du IVe siècle de notre ère, rapporte comment de simples particuliers se voient accusés de et condamnés pour lèse-majesté, uniquement pour avoir eu recours à la divination ou même seulement pour en avoir été soupçonnés 60. Au cours du procès de Scythopolis, sous l’empereur Constance II, des gens sont dénoncés pour avoir posé des questions déplacées à l’oracle d’Abydos au sujet de l’empereur. Mais les investigateurs ne se contentent pas de faire un procès à ces gens : ils s’acharnent sur toutes les personnes soupçonnées de pratiquer la magie (19, 12, 14-15) : En effet, celui qui portait au cou des remèdes contre la fièvre quarte ou une autre affection, celui qui était convaincu, par des dénonciations malveillantes, d’être passé le soir le long d’un monument funéraire, était tenu pour un empoisonneur ou pour un homme qui recherchait les horreurs des tombeaux et les vains fantômes des âmes errantes qui sortaient de ces mêmes lieux ; et déclaré coupable de crime capital, il était mis à mort. Bref, on poursuivait l’affaire aussi sérieusement que si beaucoup de gens avaient sollicité le dieu de Claros, les arbres de Dodone et les oracles de Delphes, jadis consacrés, pour obtenir la mort de l’empereur.

Aux divinations des particuliers se mêlent donc les soupçons au sujet de pratiques magiques et pire, de conjuration. La violation des sépultures, dont parle Ammien Marcellin, peut renvoyer à trois champs de la magie noire : la déposition de defixiones (tablettes de malédiction) dans les tombes 61, la préparation de pharmaka à base de morceaux de cadavre 62, ou l’utilisation des cadavres pour la nécromancie. Cet art divinatoire est parmi les plus redoutés et les plus fantasmagoriques de l’Antiquité classique. Il faut cependant remarquer que l’invocation des morts n’est condamnable que si elle est pratiquée par des privés. Il existe des oracles nécromantiques vénérables en Grèce, où des prêtres invoquent les morts dans des conditions tout à fait pieuses 63.

59. F. GRAF, La Magie, p. 57-58. 60. A MMIEN M ARCELLIN, 19, 12ff ; 21, 16 ; 29, 1-2. Sauf mention explicite, le texte et la traduction de cette œuvre seront cités suivant l’édition de G. SABBAH, Les Belles Lettres, Paris 1970. 61. Voir F. GRAF, La Magie, particulièrement chapitre V. 62. Par ex. le philtre d’amour préparé du foie desséché d’un garçon par la sorcière Canidie dans l’Épode V d’Horace. Pline l’Ancien dresse une longue liste de prétendus remèdes préparés avec des ingrédients humains qu’il assigne au domaine de la magie et condamne fermement : « Quelle peut avoir été l’origine d’une telle médication ? Qui a pu rendre les poisons plus innocents que les remèdes ? Admettons : ces pratiques proviennent des Barbares et de rites étrangers ; mais les Grecs ne les ontils pas faites leurs, eux-aussi ? […] Nous ne pensons pas que la vie soit à ce point désirable qu’elle vaille d’être prolongée par n’importe quel moyen. Qui que tu sois, tel que tu es, tu n’en mourras pas moins, même après avoir vécu en impie ou en sacrilège. Aussi chacun doit-il placer au premier rang des remèdes de son âme ce fait que de tous les biens accordés à l’homme par la nature, il n’en est pas de meilleur qu’une mort opportune, et qu’il a ceci d’excellent : c’est qu’il est à la portée de chacun » (Histoire naturelle, 28, 1, 5-10). 63. Par ex. à Éphyra (H ÉRODOTE, 5, 92) et à Perachora (STRABON, 8, 22), analysés par M.-P. DONNADIEU, S. VILATTE, « Genèse de la nécromancie hellénique », Dialogues d’histoire ancienne 22/2 (1996),

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L’Autre dans la cité et dans l’Empire : Les perturbateurs de l’ordre public La nécromancie magique est imaginée sous deux formes bien distinctes : soit le sorcier fait parler le cadavre, soit il lit dans les entrailles de la victime d’un sacrifice humain. Erictho, la sorcière de la Pharsale de Lucain (6, 507-830) pratique la première sorte de nécromancie. Elle est d’une marginalité extrême : elle vit dans des tombeaux, elle ne prononce jamais de prières et n’offre jamais de sacrifices, sinon des sacrifices humains pour forcer les dieux à agir à sa guise. Elle collectionne des cadavres, ceux des pendus ou des jeunes hommes et de jeunes femmes morts avant l’heure. Elle en tue aussi à l’occasion. Pire, elle dévore les cadavres et ravit les corps aux charognards : « elle ne veut pas dépecer les membres par le fer ni de ses mains, mais elle attend la morsure des loups pour arracher les articulations à leur gosier desséché ». Elle ne recule pas devant le meurtre « si les repas funèbres réclament des entrailles palpitantes » 64 . Elle pousse volontairement l’inhumanité à son comble : elle est infanticide, pratique le sacrifice humain, l’anthropophagie et elle est même commensale des loups. Du moins, Erictho vit sa vie marginale éloignée des hommes. Les agyrtai, décrits par Platon, ces sorciers itinérants qui se pressent dans les villes pour corrompre les personnes crédules et pour remplir leur bourse et qui, « par amour de l’argent, s’évertuent à ruiner de fond en comble particuliers, familles entières et cités », ne sont pas moins thériôdeis, bestiaux : Pareils à des bêtes fauves, non contents de nier l’existence des dieux ou de les croire soit négligents, soit corruptibles, méprisent les humains au point de capter les esprits d’un bon nombre parmi les vivants en prétendant qu’ils peuvent évoquer les esprits des morts et promettant de séduire jusqu’aux dieux qu’ils ensorcelleraient par des sacrifices, des prières et des incantations 65.

Selon Graf, dans le système de valeurs de Platon, les sorciers (assimilés à des prêtres et des devins itinérants) occupent la même place que les athées : ils mettent en danger la juste relation entre les hommes et les dieux 66. Autrement dit, en tentant d’outrepasser les limites de la condition humaine, ils se retrouvent hors de l’humanité : du côté des bêtes. Erictho se place volontairement dans cette position. Cependant, pour prédire l’avenir à Pompée le Jeune, elle ne fait ni sacrifice humain, ni pharmakon à base de cadavre. Elle s’empare seulement du corps d’un jeune soldat tué à la bataille. En forçant les divinités infernales à intervenir, elle le ramène à la vie et lui demande de raconter ce que l’on sait du futur dans le monde des morts. Après le rite, elle le brûle et l’enterre selon sa promesse.

p. 53-92. Pour la nécromancie antique voir D. OGDEN, Greek and Roman Necromancy, Princeton Univ. Press, Princeton / Oxford 2001. 64. LUCAIN, Pharsale, 6, 537. Sauf mention explicite, le texte et la traduction de cette œuvre seront cités suivant l’édition de A. BOURGERY, M. PONCHONT, Les Belles Lettres, Paris 1993 (6e éd. revue et corrigée par P. Jal). 65. Lois, 909a8-b6 : « Ðσοι δ’ Ìν θηριKδεις γνωνται πρ{ς τ§ θεο™ς μ νομ$ζειν  μελες  παραιτητο™ς ε^ναι, καταφρονοντες δ τŒν νθρKπων ψυχαγωγŒσι μν πολλο™ς τŒν ζKντων, το™ς δ τεθνεŒτας φσκοντες ψυχαγωγεν κα' θεο™ς ˜πισχνομενοι πε$θειν, •ς θυσ$αις τε κα' εχας κα' =π¤δας γοητεοντες, ‡διKτας τε κα' ξιοι. »

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L’Autre dans la cité et dans l’Empire : Les perturbateurs de l’ordre public recherche d’une relation étroite avec la divinité, rappelle indéniablement les pratiques magiques. Apulée, le jeune rhéteur et philosophe platonicien peut expérimenter à ses dépens combien philosophie et magie se côtoient dans l’esprit de ses contemporains 74. Vers 159 / 161 il est accusé d’avoir gagné le cœur de sa femme par la magie érotique. Les preuves des adversaires sont sérieuses, parce qu’interprétables dans les deux sens : elles peuvent soit révéler le sorcier, soit caractériser le philosophe. L’achat de poissons bizarres, non-comestibles peut servir à la fabrication des pharmaka (poisons ou philtres d’amour), tout aussi bien qu’à la rédaction d’un traité savant sur la reproduction des poissons. La perte de connaissance de deux personnes en sa présence pouvait être provoquée par des incantations magiques, ou alors simplement expliquée par leur épilepsie. Enfin les objets rituels secrets gardés près des Lares familiaux peuvent être aussi bien des instrumenta magiæ que des sacra rappelant les mystères auxquels Apulée était initié. Selon Fritz Graf, la […] confusion entre philosophe et sorcier provient de deux causes. D’une part, de la curiosité du philosophe naturaliste […] D’autre part, de la curiosité du philosophe théologique, dont la religion privée est plus intense que la norme ne le tolère […] Des objets rituels provenant des mystères […] sont considérés comme des indices de cette intimité trop proche, de cette communitas loquendi cum deis qui constituait, aux yeux des gens, le signe le plus caractéristique du sorcier 75.

« Curiosité impie qu’on appelle magie, ou soit par un nom détestable “sorcellerie”, soit, par un nom honorable “théurgie” » – tombe le verdict d’Augustin 76. Selon Pline l’Ancien, la magie, née en Perse, contamine partout les pratiques religieuses, jusqu’à arriver à des extrémités monstrueuses de sacrifices humains et de cannibalisme rituel, caractéristiques de plusieurs peuples, entre autres les Celtes. Même la religion romaine n’avait pas fait exception, mais les Romains, heureusement, ont réussi à la purger des traces de magie par l’interdiction des sacrifices humains en 97 avant notre ère 77. Cependant, la philosophie grecque se nourrit également des enseignements des mages : des philosophes tels que Pythagore, Empédocle, Démocrite et Platon y auraient puisé leur sagesse 78. Ce qui ne signifie pas qu’ils soient, eux et leurs disciples, des adeptes de sacrifices humains et de repas cannibales. D’ailleurs, on l’a vu, dès qu’Apollonius se présente comme anthropophage devant ses juges, l’idée leur paraît si saugrenue que l’accusation de sacrifice humain tombe et que le philosophe est acquitté. Non, si des philosophes – ou plutôt des écoles philosophiques – sont suspectés de défendre le cannibalisme, ce n’est pas à cause de rituels magiques. Ce ne sont pas leurs pratiques, mais leurs enseignements qui valent cette réputation à des philosophes, et avant tout aux cyniques et aux stoïciens.

74. Apologie, ou De la Magie, analysé par F. GRAF, La Magie, p. 79-105. 75. F. GRAF, La Magie, p. 104. 76. Cité de Dieu, 10, 8 : « nefariæ curisitatis quam uel magian uel detestabiliore nomine gœtian uel honorabiliore theurgian vocant. » 77. Histoire naturelle, 30, 12-13. 78. Ibid., 30, 1-11.

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L’Autre Cyniques et stoïciens Comme on a déjà pu le constater 79, les cyniques et les stoïciens confessent des opinions compromettantes concernant l’anthropophagie et l’inceste. Ils conviennent – en théorie – que le cas échéant le sage est libre de les pratiquer. Mais, tandis que le cynique les présente comme valeurs positives, le stoïcien les regarde comme indifférentes. Les sympathisants des deux mouvements ne leur tiennent pas rigueur de ces théories, mettant plutôt l’accent sur leurs pratiques ascétiques, leur vie faite d’abstinences de toutes sortes. Ils sont conscients que « le cynisme est un court chemin vers la vertu » qu’on n’emprunte pas sans y avoir été forcé 80. Selon Épictète, le cynique renonce au mariage, aux enfants, aux amis, à la patrie et à la vie politique pour accomplir une mission divine auprès des hommes 81. Maxime de Tyr (Oratio, 36) cite le parcours de Diogène comme exemple d’une vie heureuse, libérée de tout engagement politique, de responsabilités familiales ou de peur des tyrans. Lucien fait l’éloge des vertus du philosophe Démonax à cause de sa vie ascétique et frugale, de son indépendance et de sa liberté de parole en même temps que – chose surprenante – à cause de sa vie conforme à la vie communautaire et de son engagement politique. Comme il le dit : Il avait aussi à cœur de réconcilier des frères en désaccord et de procurer la paix aux épouses et leurs maris. À l’occasion, il trouva le ton juste pour s’adresser à des foules agitées et persuada la majorité de servir la patrie par son sens de la mesure. Tel était le style de sa philosophie, doux, policé, enjoué 82.

Cependant, ce trait de caractère que Lucien admire tant chez Démonax s’oppose nettement à la vie de l’autre cynique, Peregrinus Proteus, à qui il consacre un autre traité. Celui-ci est un fauteur de trouble marginal qui ne prend plaisir qu’aux injures et aux actions honteuses. L’empereur Julien fait également distinction entre les différentes sortes de cyniques. En effet, il trouve que la vie de Diogène était d’autant plus louable qu’elle était en tout point conforme à ses enseignements divins, tandis que les cyniques itinérants contemporains de Julien – tout comme les moines chrétiens mendiants – ne vivent pas comme ils prêchent (Oratio, 7) 83. Cependant, la plupart des commentateurs anciens ne sont pas du tout favorables au cynisme et au stoïcisme. Hostiles aux enseignements des disciples de Diogène et de Zénon, ils trouvent leur vie tout aussi éhontée que leurs enseignements scandaleux. Ce sont tout particulièrement les théories de l’indifférence et du 79. Supra, p. 39-43. 80. DIOGÈNE LAËRCE, 7, 121 ; « […] comme le dit Apollodore dans ses Éthiques. On mangera de la chair humaine selon les circonstances (ε^ναι γ+ρ τ{ν κυνισμ{ν σντομον =π’ ρετν δν, •ς ¡πολλδωρος =ν τ¼ Ûθικ¼. γεσεσθα$ τε κα' νθρωπ$νων σαρκŒν κατ+ περ$στασιν) ». Diogène cite l’avis d’Apollodore de Séléucie, un stoïcien du IIe s. avant notre ère. Cf. Souda, s.v. « κυνισμς· αÁρεσις φιλοσφων.  δ ρισμ{ς ατο σντομος =π’ ρετν δς. τλος δ το κυνισμο τ{ κατ’ ρετν ζ‚ν, •ς Διογνης κα' Ζ}νων  Κιτιες. » 81. Diatribes, 69 ; 81 ; 85. 82. LUCIEN, Démonax, 10. 83. Sur l’idéal cynique voir M. BILLERBECK, « The Ideal Cynic from Epictetus To Julian », dans B. BRANHAM, M.-O. GOULET-CAZÉ (éd.), The Cynics. The Cynic Movement in Antiquity and its Legacy, Univ. of California Press, Berkeley 1996, p. 205-221.

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L’Autre dans la cité et dans l’Empire : Les perturbateurs de l’ordre public refus des lois et coutumes établies qu’ils dénoncent. La permission de l’inceste et de l’anthropophagie saisissent aussi leur imagination : ils les comprennent et les présentent sciemment d’une façon exagérée et tendancieuse pour mieux faire ressortir le caractère inacceptable des deux philosophies. Une de nos principales sources sur le cynisme et surtout sur le stoïcisme est le traité De Stoicis de Philodème de Gadara, philosophe épicurien du Ier siècle avant notre ère 84. Il est « quasiment le seul à nous fournir des éléments attribués expressément à la Politeia diogénienne. Il est le seul également à dire très clairement que Cléanthe et Chrysippe faisaient l’éloge de son contenu » 85. En présentant l’œuvre du fondateur du cynisme comme impie, il peut donc, par la même occasion, également discriminer le stoïcisme. « Diogène lui-même, dans l’Atrée, l’Œdipe et le Philiscos, consigne comme ses opinions la plupart des choses honteuses et impies (α‡σχρŒν κα' νοσ$ων) qui sont dans la politeia », affirme Philodème 86. Ces « choses honteuses et impies » impliquent l’impudence en paroles et en actes, ainsi qu’une vie sexuelle publique et débordante, y compris la masturbation, l’adultère, les relations homosexuelles et l’inceste. Il faut manger, uriner, déféquer en public, et ne respecter aucune loi d’aucune cité. Et le comble : « il faut que les hommes tuent leurs pères » 87. Philodème ne précise pas pour quelle raison et en quelles circonstances il faudrait mettre les parents à mort. En tout cas, il ne parle pas expressément de sacrifice, mais de parricide. Une des possibilités est suggérée par l’attitude du cynique Peregrinus : selon Lucien, il étouffe son père simplement parce que celui-ci a dépassé les soixante ans. L’autre, encore moins favorable pour les cyniques et les stoïciens, est qu’ils devraient tuer leurs pères pour les manger. Opinion confessée par Théophile d’Antioche (Autolycos, 3, 5), qui pourrait être soutenue par la mention énigmatique du dogme de l’anthropophagie que Philodème impute à Diogène 88. Néanmoins, dans le même passage où Philodème parle du parricide, l’anthropophagie semble se présenter uniquement sous sa forme de nécrophagie, sans l’assassinat préalable : « ceux qui meurent, que dans la plupart des cas ils les mangent lors d’un banquet pris en commun » 89. Selon Diogène Laërce et Sextus Empiricus, Chrysippe prescrit aussi de seulement manger les morts, et ce pour des raisons d’économie 90. Il paraîtrait donc qu’avant que les apologistes chrétiens ne s’en emparent, le cannibalisme cynique et stoïcien se présente dans l’opinion publique comme la doctrine de la

84. PHerc. 115 et PHerc. 339, édités par Tiziano DORANDI, (« Filodemo. Gli Stoici [PHerc. 115 e 339] », Cronache Ercolanesi 12 [1982] p. 91-133), et traduits en français par le même auteur (« La Politeia de Diogène de Sinope et quelques remarques sur sa pensée politique », dans M.-O. GOULET-CAZÉ, R. GOULET [éd.], Le Cynisme ancien et ses prolongements, PUF, Paris 1993, p. 57-68) ; nous suivrons les nouvelles traductions proposées par M.-O. GOULET-CAZÉ (Les Kynika du stoïcisme) établies à l’aide des traductions italiennes et françaises de Dorandi. 85. M.-O. GOULET-CAZÉ, Les Kynika du stoïcisme, p. 11. 86. Ch. 6, col. XVI-XVII, p. 102 Dorandi. 87. Ch. 7, col. XVIII-XX, p. 102-103 Dorandi : « κα' το™ς νθρKπους [δε]ν δε]ν ]ν ν πατ[ρο]φονεν. [ρο]φονεν. ρο]φονεν. ]φονεν. φονεν.. » 88. Ch. 6, col. XVI, p. 102 Dorandi : « τ{ περ' τ‚ς νθροποφαγ[$ας] δγμα. » 89. Ch. 7, col. XIX, p. 103 Dorandi : « το™ς [τ]ελευ[τŒν]τας [τ{ πλε]στον κα' συνκατασιτεσθαι. » 90. Supra, p. 41.

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L’Autre nécrophagie – ce qui est sans doute considéré comme une pratique détestable, porteuse de souillure, mais beaucoup moins grave que le cannibalisme actif, impliquant le meurtre préalable de la victime. Il est d’ailleurs important de noter que malgré le fait que les adversaires du cynisme et du stoïcisme présentent leur cannibalisme comme une des prescriptions de leur mode de vie, personne ne les accuse de l’avoir jamais pratiqué. Le sceptique Sextus Empiricus reproche même aux cyniques et aux stoïciens leur incohérence et affirme qu’ils n’oseraient jamais mettre en pratique ce qu’ils avancent : C’est pourquoi, si les viandes [celles des cadavres humains] sont utiles, les hommes s’en serviront pour se nourrir, de même qu’il leur appartient de faire usage de leurs propres membres, par exemple d’un pied qui a été coupé, et d’autres parties semblables. […] Ces philosophes disent encore beaucoup de choses semblables, mais ils n’oseront jamais les mettre en pratique, même en vivant avec les Cyclopes ou les Léstrygons 91.

Par contre, leurs déviances sexuelles paraissent bien réelles aux yeux des adversaires : masturbation 92, relations homosexuelles 93, accouplement en public 94, inceste 95, tous auraient été pratiqués, à un moment ou un autre, par des cyniques. Quoique ces deux derniers griefs n’apparaissent qu’à propos des débuts du cynisme. Les contemporains des adversaires sont plutôt accusés d’avoir un appétit sexuel incontrôlable et incontrôlé : Philodème les accuse même d’y forcer leurs partenaires le cas échéant, ce qui n’est pas sans rappeler l’affaire des Bacchanales 96. Pourtant, le cynisme, le stoïcisme et les Bacchanales sont loin d’être perçus de la même façon. Des quatre caractéristiques de la conjuration née d’une superstition, il n’y en a que deux qui apparaissent à propos des deux philosophies : le renversement des

91. Hypotyposes pyrrhoniennes, 3, 248, 7 – 249, 3 : « δι{ κα' χρησ$μων μν ντων τŒν κρεŒν τροφ¼ χρ}σονται ατος, καθπερ κα' τŒν ‡δ$ων μερŒν, ο±ον ποδ{ς ποκοπντος, =πβαλλε χρ‚σθαι ατ§ κα' τος παραπλησ$οις· […] τοιατα μν πλεστα ρχοντας _μŒν κα' =π' >νθρωπον Ισραηλ κα' Ιουδα. οκ =ποιήθη ˜ποκάτω παντ{ς το ορανο καθ+ =ποίησεν =ν Ιερουσαλημ κατ+ τ+ γεγραμμένα =ν τ§ νόμ¤ Μωυσ‚ το φαγεν _μ€ς >νθρωπον σάρκας υ‘ο ατο κα' >νθρωπον σάρκας θυγατρ{ς ατο.

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L’anthropophagie et le judaïsme On a déjà vu les arguments de Stuart Lasine qui, face à LaBarbera, soutient que l’auteur du récit n’a pas voulu noircir Yoram. On peut encore citer plusieurs indices qui confirment que le roi, bien qu’il ne soit pas trop brillant, n’est ni stupide, ni méchant dans l’histoire : il est tout au plus médiocre 83. L’épisode qui ouvre son règne, l’expédition des trois rois contre Moab, présente une crise semblable à celle de Samarie. Ici la famine, là-bas la soif, menacent de décimer les sujets de Yoram. En effet, les trois armées se perdent dans le désert (2 R 3, 9-10) : Le roi d’Israël, le roi de Juda et le roi d’Édom se mirent en route. Ils firent le parcours en sept jours, puis l’eau manqua aussi bien pour la troupe que pour les bêtes de somme qui suivaient. Le roi d’Israël dit : « Ah ! le Seigneur a certainement convoqué ces trois rois pour les livrer aux mains de Moab ».

La situation est familière du topos grec des tyrans : c’est ce qui arrive à Cambyse sur la route vers l’Éthiopie 84. On se souvient que le roi perse, en vrai tyran fou, ne décide de rebrousser chemin qu’au moment où ses soldats commencent à s’entredévorer à cause de la faim. Or Yoram, en bon monarque, écoute tout de suite le conseil du roi de Juda : il fait venir Élisée et lui demande de sauver ses hommes (3, 11-13). Il agit donc exactement de la même façon que lors du siège de Samarie : Yoram réussit encore à sauver son peuple en faisant appel au prophète de YHWH. Il est vrai que sa demande prend plutôt l’allure d’une menace, mais peu importe : ses interventions pour résoudre les crises sont efficaces, c’est donc un bon monarque. Il est à noter que Flavius Josèphe, loin de considérer Yoram comme un tyran, fait de lui un roi presque exemplaire, même malgré son impiété 85. Il met en relief sa sagesse (Antiquités Juives, 9, 83), sa capacité d’écouter les conseils (9, 84) et ses talents de stratège (9, 31.61). Surtout, il ne l’accuse pas d’avoir conduit son armée dans le désert : selon Josèphe, ce sont ses guides qui se sont trompés de chemin (9, 32) ! De surcroît, chez Josèphe, Yoram reconnaît que YHWH l’a abandonné à cause de ses péchés et supplie Élisée d’intervenir en sa faveur (9, 34). Pendant le siège de Samarie, Yoram se comporte également comme un roi responsable de son peuple. Josèphe le décrit faisant chaque jour le tour des remparts pour s’assurer personnellement que personne du peuple affamé ne livre la ville à l’ennemi (9, 63). Il est vrai que sa colère s’enflamme contre Élisée en entendant les plaintes de la mère cannibale, mais il se repent très rapidement : il rappelle l’assassin qu’il a dépêché pour tuer le prophète (9, 70). Pourtant, comme on l’a déjà vu, Flavius Josèphe est familier avec le topos grec du tyran qui rend ses sujets cannibales : c’est précisément le comportement qu’il reproche aux chefs de la révolte de Jérusalem ! Or, il ne dit rien de pareil au sujet de Yoram. Il est donc évident que, bien qu’il

83. Ces arguments sont particulièrement valables si l’on identifie le roi de la péricope avec Yoram. En effet, bien qu’elle se situe au beau milieu de l’histoire de son règne, le roi de l’épisode de Samarie n’est jamais nommé. Néanmoins, même si à l’origine le récit était indépendant, le fait que les rédacteurs de 2 R l’ont inséré à cet endroit précis, révèle leur propre interprétation, plutôt favorable au roi. 84. Supra, p. 128. 85. L. H. FELDMAN, Studies in Josephus’ Rewritten Bible, Brill, Leyde / Boston / Cologne 1998, p. 322-331.

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs ne tienne pas Yoram pour un des meilleurs souverains d’Israël, Flavius Josèphe reconnaît qu’il n’est aucunement responsable de la tecnophagie de Samarie 86. Un autre indice parle en faveur du roi. Selon l’introduction à son règne, Yoram n’est pas un Israélite pieux, d’une fidélité absolue à YHWH, mais il est loin des péchés d’Akhab et de Jézabel, qui sont allés jusqu’à massacrer et à persécuter les prophètes 87. Or, dans l’état actuel de la rédaction, le récit du siège de Samarie fait partie d’une série de récits mis en parallèles avec les événements du règne d’Akhab, en faveur de celui de Yoram (voir tableau page ci-contre). Akhab a également dû faire face à une famine exceptionnelle, a combattu contre Ben-Hadad et a même vécu un premier siège de Samarie mené par le roi araméen. Si le motif de la tecnophagie était lié à la notion de l’injustice du roi, à la tyrannie, on devrait s’y attendre non pas sous le règne de Yoram, mais bien sous celui d’Akhab qui est un des plus méchants rois d’Israël. Pourtant, ni pendant la sécheresse, ni pendant le siège, Akhab n’expérimente l’horreur de la tecnophagie de ses sujets. Cette anomalie s’explique en partie par le fait que ce n’est pas tellement la comparaison des deux rois, mais celle des deux prophètes qui est au centre de l’intérêt des rédacteurs. Ce sont les miracles des prophètes Élie et Élisée qui servent de fil conducteur à la description des deux règnes. La méchanceté d’Akhab ou la relative bonté de Yoram ne jouent donc aucun rôle dans la gravité des événements qui leur arrivent en parallèle. C’est tout au plus une certaine « rivalité » entre les chroniqueurs des deux prophètes qui pourrait y contribuer. En effet, plus la crise que les prophètes surmontent est grave, plus leur excellence est mise en évidence. Cependant, il ne semble pas que les rédacteurs aient visé ce but. Car, si l’on compare le récit de la sécheresse et celui du second siège de Samarie, il est évident que le premier, malgré l’absence du motif de la tecnophagie, est d’une importance beaucoup plus prononcée que le deuxième. En effet, si le motif de la sécheresse comme châtiment de YHWH détermine tout le récit sur Élie, la fin de la famine de Samarie n’est par contre qu’un miracle parmi beaucoup d’autres d’Élisée, inséré, de plus, assez maladroitement à sa place actuelle 88. La tecnophagie samaritaine ne semble donc pas liée à la question du bon ou du mauvais gouvernement. 86. D’ailleurs, les chefs que Flavius Josèphe traite de tyrans dans les Antiquités juives ne sont ni des cannibales, ni ne rendent leurs sujets anthropophages. Il parle de tyrannie dans des cas où l’impiété du chef (roi, juge ou prêtre) donne l’exemple au peuple de se détacher de la Loi (ou, en parlant des Nations, de la piété envers les dieux) : Nebrodes (Nimrod, construction de la tour de Babel : 1, 114, cf. Gn 10, 8-12 ; 11, 1-9) ; Abimelech (devient chef en tuant ses soixante-neuf frères : 5, 234, cf. Jg 9) ; les fils d’Élie (arrogants envers les hommes et impies envers Dieu, ils exigent de plus grandes parts des offrandes que leur lot et violent les femmes participant au culte : 5, 339, cf. 1 S 2, 16-22). cf. H. W. ATTRIDGE, The Interpretation of Biblical History in the Antiquitates Judaicæ of Flavius Josephus (“Harvard Dissertations in Religion” 7), Scholars Press, Missoula (Montana) 1976, p. 126140. 87. Il n’y a que le bref résumé du règne de Yoram (3, 1-3) qui rappelle que le roi « demeura attaché au péché que Jéroboam, fils de Névath, avait fait commettre à Israël ; il ne s’en écarta pas ». Cependant, on y apprend également que Yoram « fit ce qui est mal aux yeux du Seigneur, non toutefois comme son père et sa mère, car il fit disparaître la stèle du Baal que son père avait érigée ». Yoram n’est donc pas l’idolâtre invétéré de l’histoire. 88. 2 R 6, 23 : « Les bandes araméennes cessèrent leurs incursions en terre d’Israël. » 6, 24 : « Quelque temps après, Ben-Hadad, roi d’Aram, rassembla toute les troupes et monta assiéger Samarie. »

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L’anthropophagie et le judaïsme

1 R 16, 29-34 : Introduction au règne d’Akhab – idolâtrie, impiété, persécution des prophètes et du culte de YHWH ; sacrifices d’enfants.

2 R 3, 1-3 : Introduction au règne de Yoram – impiété, mais circonstances atténuantes (il supprime la stèle de Baal).

17, 1 : Élie annonce une sécheresse d’une durée indéterminée.

3, 4-20 : Yoram se perd dans le désert avec son armée et manque de mourir de soif, mais Élisée le sauve en faisant venir la pluie.

17, 7-16 : Élie remplit d’huile la cruche de la veuve pieuse et sa jarre de farine.

4, 1-7 : Élisée remplit d’huile les vases de la veuve pieuse.

17, 17-24 : Élie ressuscite le fils de la veuve.

4, 8-37 : Élisée donne un fils à une femme pieuse stérile, et le ressuscite plus tard quand il meurt. (4, 38 – 6, 23 : Autres miracles d’Élisée, entre autres :) 6, 1-23 : Élisée livre l’armée moabite à Yoram, puis la lui fait relâcher.

18, 1-2 : YHWH décide de mettre fin à la sécheresse, Élie retourne chez Akhab.

6, 24-25 : Ben-Hadad assiège Samarie, la population de la ville a faim.

18, 3-17 : La famine s’aggrave en Samarie, Akhab ne trouve pas de solution et rend Élie responsable pour le fléau.

6, 26-31 : La famine s’aggrave, le roi ne sait pas quoi faire et rend Élisée responsable.

18, 18-38 : Élie annonce que la sécheresse est le résultat des abominations d’Akhab et de sa famille. Il propose de démontrer la supériorité de YHWH sur les Baals. Concours sacrificiel sur le mont Carmel.

7, 1 : Élisée annonce la fin du siège.

18, 39-46 : Le peuple se convertit et tue les prophètes de Baal sur ordre d’Élie. La pluie revient, mais Élie doit se sauver d’Akhab et de Jézabel.

7, 3-15 : Le siège est levé, le peuple se saisit du butin, le prix des aliments baisse considérablement. Le peuple tue l’écuyer qui a mis en doute le pouvoir prophétique d’Élisée.

20, 1-34 : Guerre contre Ben-Hadad, siège de Samarie et bataille d’Afeq, les deux gagnés à l’aide des prophètes (anonymes).

Une troisième erreur d’interprétation de 2 R 6,24–7,20 résulte de la transposition de la situation marginale de l’anthropophage des récits grecs aux mères cannibales de Samarie. Comme on l’a vu, selon Lasine, le peuple de Samarie aurait perdu confiance en son roi et en tout le système social. Il refuse d’obéir aux lois qu’il croit inutiles, et rejette ainsi la solution institutionnelle pour maîtriser les tensions internes. La tecnophagie maternelle serait l’expression de la violence désormais non canalisée qui se retourne contre les autres membres de la communauté. La

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs tecnophagie des mères de Samarie ne remplirait pas seulement la même fonction que l’anthropophagie des chefs chez Michée et Ézéchiel, mais aussi celle de la tecnophagie dionysiaque dans le mythe grec des Minyades, châtiment divin pour le refus du culte du dieu. Dans la lecture de Lasine, les trois cas sont des exemples de ce qui arrive si l’on ne se conforme pas aux lois. Il insiste bien sur le fait que la tecnophagie n’appartient pas au chaos, mais à un état sens dessus-dessous de la société où les institutions semblent être en place, mais ne remplissent plus leur rôle. À Samarie, la famille existe toujours, mais les mères voient leurs enfants comme une réserve de nourriture. De même, il y a bien un roi à qui ses sujets s’adressent pour obtenir justice, mais la requête de la mère cannibale est complètement absurde : une coupable demandant justice face à une autre. Chez Michée et Ézéchiel, la hiérarchie sociale est intacte, mais ses classes ne remplissent plus leur rôle : les chefs abusent du peuple, les prêtres ne veulent que s’enrichir, et le peuple se venge sur ceux qui sont encore plus faibles. Dans le mythe grec, selon Lasine, c’est l’institution du sacrifice qui fonctionne mal. Les femmes refusent de se soumettre à la loi de Dionysos en lui offrant un culte régulier. Comme châtiment, elles sont obligées de lui offrir un sacrifice tordu, avec un enfant à la place de l’animal sacrificiel. Par conséquent, au lieu de remplir son rôle de régulateur de violence, le sacrifice devient l’instrument de l’autodestruction de la société. Les chefs « cannibales », les mères de Samarie et les Minyades seraient donc tous des marginaux, des hors-la-loi. Pourtant, examinées de près, les trois sortes de cannibalismes remplissent des rôles complètement différents dans leurs contextes respectifs. Dans le cas des chefs d’Israël, le cannibalisme symbolise clairement l’abus du pouvoir. Ils le commettent en toute conscience de la transgression de la Loi. Si l’anthropophagie n’est pas un crime selon la Torah, le comportement auquel elle sert de métaphore en est un, ce qui justifie le châtiment ultérieur de YHWH. Dans les mythes de Dionysos, la tecnophagie est avant tout un châtiment qui sanctionne la non-reconnaissance de la divinité de Dionysos. Cependant, elle constitue en même temps un crime et une souillure qui éliminent les coupables de la société. Son rôle dans le récit est de mettre en relief le pouvoir redoutable de Dionysos, et le danger du refus des règles de la cité. Comme on l’a vu, par contre, à Samarie, la tecnophagie n’est ni un crime, ni un châtiment : elle n’est pas la conséquence d’une offense contre YHWH, et elle n’est pas non plus sanctionnée par un jugement royal ou prophétique. De plus, dans le texte, rien n’indique que l’auteur la considérerait comme le résultat ou l’expression de la rupture des liens sociaux. Le peuple ne semble pas avoir perdu sa confiance dans le roi ou dans YHWH. Le roi et son écuyer sont les seuls à exprimer leur déception en Dieu (6, 27.31.33 ; 7, 2), tandis que les anciens sont sagement assis dans la maison de son prophète en attendant la fin du siège (6, 32). Les quatre lépreux, les seuls qui décident de passer dans le camp araméen, agissent en parfait accord avec leur situation sociale. En effet, étant impurs et intouchables, ils n’ont rien à attendre du roi dans quelque circonstances que ce soit : leur place normale est en marge de la société, en dehors des murs de la ville (7, 3-4). Il n’y a rien d’absurde non plus dans la requête de la mère cannibale. Ce n’est pas une grande criminelle qui demande justice dans une affaire mineure, comme l’estime 178

L’anthropophagie et le judaïsme Lasine. Car, comme on l’a vu, la tecnophagie, bien qu’horrible, n’entraîne pas de conséquences juridiques. L’appel au roi exprime plutôt, en même temps qu’une grande détresse physique et psychique, la confiance de la femme dans la capacité de celui-ci à lui rendre justice. Il ne faut pas en effet oublier que la disette n’était pas un phénomène rare en Orient Ancien. Une sécheresse, même minime, une inondation trop importante, une invasion de sauterelles ou d’une armée pouvaient facilement détruire la récolte, causant ainsi des famines plus ou moins graves du jour au lendemain. Or on possède des documents de Nippur attestant que les gens affamés n’ont pas pour autant perdu leurs habitudes juridiques. Notamment, ils vendaient leurs enfants, leurs femmes ou se vendaient eux-mêmes comme esclaves en bonne et due forme afin que l’acheteur se charge de leur alimentation 89 ! Ici comme là-bas, il n’y a pas de trace d’une rupture entre le gouvernement et le peuple, d’un refus de la part de ce dernier de reconnaître l’autorité du roi ou d’obéir à ses ordres. Les institutions sont en place et fonctionnent tant bien que mal pendant un siège prolongé. Les ressemblances avec le motif grec de la tecnophagie ne sont donc pas structurelles mais seulement formelles et ne nous mènent pas plus loin que le schéma de l’historiographie biblique : le cannibalisme maternel en 2 R 6, 24 – 7, 20 n’est pas le châtiment de YHWH pour la transgression de la Loi et il n’est pas non plus le symbole du dysfonctionnement du système social ; il n’arrive ni par la faute d’un tyran, ni par la désobéissance du peuple. Le retour à la normalité à la fin du récit n’est ni d’ordre théologique, ni d’ordre social, mais tout à fait concret : le siège est levé et le prix de la nourriture redescend. Or, cette finalité répond parfaitement à la situation de départ. Car il est clairement indiqué dès le début du récit qu’il s’agit d’un cannibalisme de survie : l’acte désespéré des deux mères est une réponse naturelle (bien qu’horrible) à la famine exceptionnelle. En effet, le texte insiste sur le fait que « la ville fut assiégée à tel point qu’une tête d’âne coûtait quatre-vingt sicles d’argent et que le quart d’un qab de crottes de pigeon coûtait cinq sicles d’argent » (6, 25). Aussi le roi, quand la femme l’appelle, pense-t-il qu’elle veut lui demander de la nourriture (6, 27). Pourtant, ce n’est pas la première famine grave à laquelle Samarie doit faire face, mais la première dans laquelle les habitants ont recours à la tecnophagie. Notamment, sous le règne du père de Yoram, Akhab, une sécheresse de trois ans fait déjà souffrir le peuple sans qu’on entende parler d’une telle mesure extrême. L’histoire de la sécheresse est certainement le miracle le plus spectaculaire d’Élie. Comme on l’a vu, c’est un châtiment de YHWH pour les crimes de la maison royale, qu’il annonce d’avance par la bouche de son prophète. Au bout de trois ans, YHWH ordonne à Élie de se mesurer aux 450 prophètes de Baal dans un concours sacrificiel, qui se termine par son écrasante victoire : non seulement la crédibilité des faux prophètes est détruite, mais eux-mêmes sont égorgés par Élie et le peuple est reconverti au yahwisme. Le récit de la sécheresse du règne d’Akhab est construit suivant parfaitement le schéma de l’historiographie biblique. Or, comme on l’a vu 90, dans les malédictions 89. A. OPPENHEIM, « Siege-documents from Nippur », Iraq 17 (1955), p. 69-89. 90. Supra, p. 163-168.

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs de YHWH, la tecnophagie n’est pas liée à n’importe quel type de famine : elle fait toujours partie des souffrances infligées aux infidèles par une armée ennemie. Elle n’a donc pas sa place sous le règne d’Akhab où la famine arrive en temps de paix, uniquement à cause du manque de pluie. La tecnophagie du second siège de Samarie ne peut bien sûr pas s’expliquer par les spécificités de la malédiction car, comme on l’a constaté, le récit n’entre pas dans le schéma biblique. Pourtant, indirectement, c’est cette malédiction qui nous aide à comprendre sa place dans le récit. Car il ne faut pas oublier que les menaces de Lv 26 et Dt 28 sont construites à l’exemple des traités néo-assyriens. Or, ces nouvelles malédictions assyriennes visant à rendre l’ennemi cannibale n’ont pas surgi de nulle part. Elles se sont sans doute développées sous l’influence d’un motif littéraire très ancien, également utilisé dans les chroniques de l’époque néo-assyrienne, décrivant la famine de la population d’une ville assiégée, qui pousse les gens à s’entre-dévorer 91. La terreur avant-coureuse des campagnes militaires fut une des stratégies des rois d’Assyrie. Non seulement les déportations, exécutions, mutilations et tortures servaient à prévenir toute forme de résistance, mais leurs représentations artistiques et littéraires visaient également à éveiller un respect mêlé de terreur 92. Les chroniques et les inscriptions royales témoignent de ce but par la description détaillée des souffrances des ennemis du roi. Ainsi, Aššurbanipal se vante d’avoir enfermé les partisans de Šamaššumukin, son frère rebelle, à Babylone où ils s’entre-dévoraient à cause de la famine 93. Il déclare également qu’Aššur, Sin, Šamaš, Adad, Bel, Nebo, Ištar de Ninive, Ištar d’Arbela, Ninurta, Nergal et Nusku se sont vengés d’une tribu arabe qui s’est révoltée contre lui, violant ainsi son serment d’allégeance : la peste et la famine la ravageaient, en sorte que les hommes mangeaient la chair de leurs enfants pour apaiser leur faim 94. Comme le fait remarquer Andreas Michel, le caractère purement littéraire des passages évoquant le cannibalisme des assiégés apparaît particulièrement dans l’utilisation des formules traditionnelles inchangées pendant des siècles jusque dans les textes néo-assyriens : ŠEŠ.ŠEŠ.GU7 (« le frère mange le frère ») et LÚ.UZU.LÚ.GU7 (« un homme mange la chair d’un homme »). Néanmoins, à cette époque, une nouvelle version fait son apparition. Elle élargit le cercle des victimes : au lieu d’un homme quelconque ou d’un frère, l’individu maudit mangera désormais ses fils (DUMU.MEŠ) et ses filles (DUMU. MÍ.MEŠ) 95. Or, les récits bibliques présentent également les enfants comme les victimes de parents devenus cannibales. Il est très important de noter que ce topos

91. Le motif se retrouve non seulement dans des chroniques royales, mais aussi dans des prophéties et des listes de présages (omen). Cf. A. M ICHEL, Gott und Gewalt gegen Kinder im Alten Testament (“Forschungen zum Alten Testament” 37), Mohr Siebeck, Tübingen 2003, p. 201-210. 92. W. M AYER, Politik und Kriegskunst der Assyrer (“Abhandlungen zur Literatur Alt-SyrienPalästinas und Mesopotamiens” 9), Ugarit-Verlag, Münster 1995, p. 478-482. 93. J. B. P RITCHARD, ANET, p. 298. 94. Ibid., p. 299-300. 95. Cependant, tandis que dans les textes mésopotamiens l’acteur reste toujours un homme, dans la Bible hébraïque les pères ne sont plus les seuls cannibales : les mères partagent ce sort non enviable avec eux. Le Deutéronome évoque les deux parents séparément, tandis que les Lamentations ainsi que le deuxième livre des Rois ne parlent que des femmes tecnophages.

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L’anthropophagie et le judaïsme du siège existe donc indépendamment de la malédiction des traités qui promettent le même sort aux traîtres. Le motif de l’anthropophagie ne sert pas seulement à décrire les souffrances inhumaines des assiégés. Il a un rôle narratif bien précis : il marque les limites de ce que les assiégés sont encore capables d’endurer. Les alliés de Šamaššumukin décident de tenter une sortie de Babylone au moment où ils expérimentent l’anthropophagie de survie 96, tandis que l’armée arabe se rend à Aššurbanipal en abandonnant son chef à son sort après avoir été réduite à manger ses enfants. L’interprétation donnée par Flavius Josèphe ainsi que par la Pesikta Rabbati du second siège de Samarie nous oriente dans la même direction : à Samarie également, la nouvelle de la tecnophagie a un effet direct sur la fin imminente du siège. En effet, les deux se demandent pourquoi, au moment d’apprendre la nouvelle, le roi a prononcé les paroles « Que Dieu me fasse ceci et encore cela, si aujourd’hui la tête d’Élisée, fils de Shafath, reste sur ses épaules ! » Or, les deux arrivent à la même conclusion : le roi reproche au prophète de ne pas être intervenu à temps auprès de Dieu pour mettre fin au siège 97. La nouvelle de la tecnophagie est le déclic qui fait comprendre à Yoram que la situation ne peut plus empirer. C’est alors qu’il fait appel à Élisée qui, à son tour, décide enfin de proclamer l’oracle de YHWH mettant ainsi fin au siège. La nouvelle de la tecnophagie joue donc le même rôle performatif dans le récit biblique que dans les chroniques d’Aššurbanipal. En outre, elle remplit une fonction semblable à celle du sacrifice du premier-né de Mésha quelques chapitres plus tôt (3, 24-27). Le roi de Moab, assiégé dans sa ville par les Israélites, est dans une situation désespérée. Il tente une sortie en force, mais échoue : […] il prit alors son fils premier-né, qui devait régner à sa place, et l’offrit en holocauste sur la muraille. Il y eut un grand courroux contre / chez les Israélites qui décampèrent de chez lui et retournèrent dans leur pays 98.

La mort prématurée d’un enfant qui finit soit sacrifié par son père, soit cuit par sa propre mère, est donc apte à éveiller la conscience des combattants et mettre ainsi fin à la guerre. Dans la tradition juive, le motif de la tecnophagie a pour rôle de marquer les limites des souffrances que les assiégés peuvent encore supporter. C’est selon toute vraisemblance cette performance narrative qui explique la présence des mères cannibales lors du siège de Samarie – ainsi qu’à Jérusalem assiégée par Titus. On se souvient que Flavius Josèphe rapporte deux scènes de cannibalisme dans la Guerre des Juifs. D’une part, il y a les chefs des rebelles, 96. Ibid., p. 298. 97. Pesikta Rabbati, 29, 2 ; FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités Juives, 9, 67. Les commentaires rabbiniques ignorent ce récit, puisqu’il n’a aucune utilité pour la vie pratique. Il n’y a que cinq passages qui s’en occupent, dont quatre mentions dans le Midrash Rabbah, se limitant à citer le siège parmi les cinq grandes famines de l’Histoire : Genèse Rabbah, XXV, 3 ; XL, 3 ; LXIV, 2 ; Ruth Rabbah I, 4. 98. 2 (4) R 3, 27 : ̷͉͒́͋ࡧ-̵̵͙͜͝ ͏ ̳̯͊͏̶͋ ̷̶͔͍͊́͊-̶͒͘ ̷͊͒́͘ ࡪ̴̶̱͊͒͘࡭̶͋ ͋͏̷ࡺ̶̯͍ࡺ ۸‫͏̳͔̯ۺ‬-̵͞࡟̱͆ ̯́͋͑͞ࡦ̶͊ ͖̯́͋ࡦ-̵͆͠ ̶͍ࡷ̳࡭ ̶͋ .̵̷͛͆͞ ̷͒ ࡪ͇̺࡟̷͏̶͋ ͋͏̷̷̴͔͒͘-ࡪ̯̳͗͘࡭̶͋ ̴͒͆ ̷̯͞ࡠ̳͏-̶͒͘ ; LXX : κα' ›λαβεν τ{ν υ‘{ν ατο τ{ν πρωτότοκον, Šς =βασίλευσεν ντ’ ατο, κα' νήνεγκεν ατ{ν λοκαύτωμα =π' το τείχους· κα' =γένετο μετάμελος μέγας =π' Ισραηλ, κα' π‚ραν π’ ατο κα' =πέστρεψαν ε‡ς τν γ‚ν.

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs de véritables sangsues : « Ils buvaient chacun leur tour à la santé l’un de l’autre le sang de leurs concitoyens et se partageaient les cadavres de ces malheureux » (5, 440). D’autre part, il y a la jeune femme de bonne famille qui, poussée par la famine, dévore son propre fils (6, 210-211). Nous avons vu que les deux se comprennent facilement à la grecque, comme le topos du tyran cannibale qui, non content de dévorer ses sujets, les rend eux-mêmes cannibales. Flavius Josèphe y a certainement recours dans l’intention de diminuer la haine des Romains envers les Juifs qu’ils tenaient, comme tous rebelles, pour des anthropophages. Or, ces mêmes motifs portent un double sens : ils s’interprètent également à la juive. Pour Josèphe, Rome est maître du monde par la volonté de YHWH. Lui résister est donc une erreur monumentale (5, 442-444) : Impossible de raconter en détail tous leurs forfaits ; mais pour le dire en un mot, jamais aucune ville au monde n’a enduré de pareilles misères et jamais dans la suite des siècles il n’y eut une génération plus féconde en scélératesses que tous ces gens qui au fond, affectaient de discréditer la race des Hébreux par souci de passer pour moins impies envers les étrangers ; ils reconnurent ainsi ce qu’ils étaient bel et bien : des esclaves, des sang-mêlé, l’ignoble rebut de la nation. C’est eux qui ont ruiné la cité, qui ont forcé les Romains à s’attribuer, bien malgré eux, un triste succès et c’est eux, pour un peu, qui ont attiré sur le Temple les flammes qui tardaient à venir 99.

C’est une faute tout aussi grave que celle, d’antan, de résister à la puissance babylonienne. Dans les deux cas, le résultat fut la perte de Jérusalem et la destruction du Temple 100. Or, comme on l’a vu, le « cannibalisme » des chefs et la tecnophagie maternelle sont des motifs liés à la destruction de Jérusalem de 587 / 586 : le premier comme une des raisons qui ont enflammé la colère de YHWH, et le second comme un des châtiments pour les crimes d’Israël. Flavius Josèphe utilise donc des images qui sont intelligibles à la fois pour ses lecteurs juifs et pour les lecteurs grecs ou romains. Cependant, les deux cercles de lecteurs les comprennent de deux façons. Pour les Romains, le cannibalisme de survie est un crime en soi qu’il faut châtier sans attendre : c’est ainsi que les simples soldats réagissent par « un surcroît de haine » contre les Juifs en entendant la nouvelle de la tecnophagie maternelle (6, 214). Pour les Juifs, par contre, la tecnophagie est un malheur sans borne qui mérite la compassion. Mais Romains (Grecs) et Juifs s’accordent sur un point : s’il y a quelque chose de répréhensible dans l’histoire, c’est l’attitude des chefs qui persistent à résister à Rome même après cela, car, « assurément, une telle nourriture convenait non pas aux mères mais aux pères

99. Καθ’ ¢καστον μν ον =πεξιέναι τν παρανομίαν ατŒν δύνατον, συνελόντα δ ε‡πεν, μήτε πόλιν >λλην τοιατα πεπονθέναι μήτε γενε+ν =ξ α‡Œνος γεγονέναι κακίας γονιμωτέραν, οÁ γε τελευταον κα' τ{ γένος =φαύλιζον τŒν ÷βραίων, •ς ðττον σεβες δοκοεν πρ{ς λλοτρίους, =ξωμολογήσαντο δ’ κοντας Þνάγκασαν =πιγραφ‚ναι σκυθρωπ§ κατορθώματι κα' μόνον οχ εÁλκυσαν =π' τ{ν να{ν βραδνον τ{ πρ. 100. S. M ASON, Josephus and the New Testament, Peabody (Mass.) 2003 (19922), p. 11-16.

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L’anthropophagie et le judaïsme qui, après de telles calamités restaient sous les armes » (6, 218). En effet, « quelle nécessité de vivre à ce prix, quand on est libre de mourir ? » Polémique par cannibales interposés Antiochus Épiphane et la violation du Temple Dans son Contre Apion, Flavius Josèphe rapporte avec indignation les propos tenus par l’Égyptien accusant les Juifs de pratiquer des sacrifices anthropophagiques 101. Selon Apion, Antiochus Épiphane, roi de Syrie, en entrant dans le Temple de Jérusalem y trouve un Grec qui le salue comme son sauveur. Le roi est étonné parce que tout semble indiquer que l’homme n’est pas maltraité, puisque devant lui se dresse une table chargée de plats choisis. L’inconnu explique donc qu’il n’est pas là de son plein gré, mais qu’il est tenu prisonnier. Puis il continue : D’abord ce traitement qui lui apportait un bienfait inespéré lui fit plaisir ; puis vint le soupçon, ensuite la terreur ; enfin, en consultant les serviteurs qui l’approchaient, il apprit la loi ineffable des Juifs qui commandait de le nourrir ainsi ; qu’ils pratiquaient cette coutume tous les ans à une époque déterminée ; qu’ils s’emparaient d’un voyageur grec, l’engraissaient pendant une année, puis conduisaient cet homme dans une certaine forêt, où ils le tuaient ; qu’ils sacrifiaient son corps suivant leurs rites, goûtaient ses entrailles et juraient, en immolant le Grec, de rester les ennemis des Grecs ; alors ils jetaient dans un fossé les restes de leur victime 102.

Elias Bickerman, dans une étude approfondie, a démontré que le récit d’Apion – remontant probablement à l’époque d’Antiochus Épiphane –, se construit sur plusieurs topoi grecs ou, plus largement, indo-européens 103 : le voyageur sacrifié

101. FLAVIUS JOSÈPHE, Contre Apion, 2, 91-96. Sauf mention explicite, le texte et la traduction de cette œuvre seront cités suivant l’édition de Th. R EINACH, L. BLUM, Les Belles Lettres, Paris 1930. 102. Ibid., 2, 94-95 : « Et primum quidem hæc sibi inopinabilia beneficia prodidisse et detulisse lætitiam, deinde suspicionem, postea stuporem, ac postremum consulentem a ministris ad se accedentibus audisse legem ineffabilem Iudæorum, pro qua nutriebatur, et hoc illos facere singulis annis quodam tempore constituto, et comprehendere quidem Græcum peregrinum eumque annali tempore saginare, et deductum ad quandam siluam occidere quidem eum hominem eiusque corpus sacrificare secundum suas sollemnitates et gustare ex eius uisceribus et iusiurandum facere in immolatione Græci, ut inimicitias contra Græcos haberent, et tunc in quandam foueam reliqua hominis pereuntis abicere. » 103. E. BICKERMAN, « Ritualmord und Eselkult » (1927), dans Studies in Jewish and Christian History, II, Brill, Leyde 1980, p. 225-255.

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs dans un pays hostile 104, le prince des carnavals 105, le serment d’hostilité 106 et la devotio d’un représentant du groupe adversaire aux divinités pour obtenir la victoire 107. Cependant, l’article de Bickerman ne s’arrête pas là. Son plus grand mérite réside dans sa recherche sur le contexte de l’émergence de cette accusation. Bickerman parle à ce propos de la propagande politique. En effet, la scène se déroule dans un contexte politique bien chargé. Les Séleucides se battent depuis des décennies contre les Maccabées avec un succès variable. C’est beaucoup 104. Le sacrifice du voyageur grec en pays barbare est un des topoi répandus de la mythologie et de l’historiographie grecques. Bickerman se contente de constater ce fait, mais il n’est peut-être pas inutile de rappeler deux exemples parmi les plus connus, le mythe d’Iphigénie en Tauride et celui du roi égyptien Bousiris. Dans les deux cas, l’arrivée du héros grec, respectivement d’Oreste et d’Hercule, met fin à ces pratiques impies aux yeux des Hellènes. Le motif est particulièrement vivace dans le roman hellénistique où il prend parfois la forme de festin cannibale, dont les Actes apocryphes des apôtres s’inspireront largement (par ex. Les Actes des apôtres André et Matthias dans la cité des cannibales. Cf. A. A. NAGY, « Eucharisties hérétiques entre végétarisme et cannibalisme : un topos classique dans la littérature chrétienne antique », dans A. D’A NNA, C. ZAMAGNI [éd.], Cristianesimi nell’anitchità : Fonti, istituzioni, ideologie a confronto [“Spudasmata” 117], Georg Olms, Hildesheim / Zurich / New York 2007, p. 17-38). 105. Le fait que la future victime est engraissée pourrait nous amener vers les récits à caractère ethnographique des siècles passés qui témoignent de la tendance des voyageurs européens à voir partout des cannibales gourmands engraissant leurs victimes pour obtenir un meilleur résultat culinaire. Cependant, le corps du Grec est jeté dans un fossé et ce ne sont qu’à ses viscères que les conjurés goûtent. Bickerman explique donc le traitement excellent du prisonnier comme un motif appartenant au destin du « prince des Saturnales ». Bickerman en cite des exemples depuis le Mexique ancien à travers l’Albanie jusqu’au Massilia archaïque, et il constate que ces boucs émissaires ne sont jamais consommés après leur sacrifice. 106. Contre Apion, 2, 121 : « il affirme mensongèrement que nous invoquons le dieu qui a fait le ciel, la terre et la mer pour jurer de ne montrer de bienveillance envers aucun étranger, mais surtout envers les Grecs. καταψεσασθα$ τινα κα' νανδροι) ; ils étaient inculpés d’homicides ( νδροφνων μν =γκλ}ματα ›χοντες) et ils avaient perdu le nom digne de tout honneur, le nom glorieux qui donne la vie.

Une telle distinction de la part des païens envers les deux groupes de chrétiens semble illogique et hautement improbable, car selon les faux-témoins, les accusés ont commis « les repas de Thyeste » et « les unions d’Œdipe » en tant que chrétiens. Il faut sans doute y voir la manifestation de la tendance apologétique de l’auteur de la Lettre. Si l’on compare cette attitude à la répression des Bacchanales, on doit remarquer que la césure ne devrait pas se situer entre « confessants » et « apostats », mais entre ceux dont le seul crime est d’être initiés, et ceux qui commettent effectivement les flagitia cohærentia nomini. En effet, en 186 avant notre ère, l’initiation elle-même n’était pas criminelle de la part des candidats, mais seulement de la part des initiateurs : elle consistait dans le viol des futurs initiés. Tant que les membres n’ont pas commis les crimes exigés par la secte, le retour à la normalité était encore possible pour eux. Mais ceux qui sont allés plus loin, qui sont devenus à leur tour des initiateurs et ont commis des actions contraires aux lois romaines ont franchi un pas de trop. Ceux qui n’ont fait que subir l’initiation et prêter serment ont donc été gardés en prison, tandis que ceux qui ont commis les viols, les meurtres et les falsifications de testament ont été exécutés. Pline, comme on l’a vu, a trouvé que ces fameux flagitia, les infamies liées au nom de chrétien étaient graves, mais pas au point de ne pouvoir accorder le pardon à ceux qui y renonçaient. À Lyon, le gouverneur arrive à une toute autre conclusion, car les interrogatoires confirment ses pires soupçons. Les chrétiens sont incestueux et cannibales. Il ne reste plus qu’à savoir si tous avaient participé aux crimes ou si certains étaient innocents. C’est sans doute dans ce but qu’il continue les tortures. Le gouverneur de Lyon répète donc la procédure en cours lors de la répression des Bacchanales. Il est à noter que « les festins de Thyeste » ne semblent pas appartenir aux rites initiatiques du christianisme, comme les sacrifices humains ne servent pas non plus d’initiation aux Bacchanales 44. Autrement, une fois leur existence confirmée, le jugement n’aurait pas pu être différent pour ceux qui persistent et pour ceux qui renient. Dans ce cas-là, tous les initiés auraient dû être condamnés pour cannibalisme. Cependant, malgré ce que l’auteur de la Lettre des martyrs veut faire croire, ce n’est pas le cas. Il est vrai que les apostats restent temporairement en prison et sont même torturés pour avouer l’inceste et l’anthropophagie, mais au bout du compte, ils ne sont pas condamnés. Par contre, les confessants sont sans 44. Au contraire : c’est celui qui a refusé l’initiation qui s’est retrouvé dans le rôle de la victime. Il n’est pas impossible que le gouverneur de Lyon soupçonne un pareil forfait de la part des chrétiens. En ce qui concerne « les unions œdipiennes », elles pourraient par contre correspondre à l’initiation par le viol liée aux Bacchanales dans l’imaginaire des accusateurs.

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Chrétiens et cannibales doute tenus pour cannibales confirmés par la foule et par le tribunal. En effet, c’est probablement en réponse à cette sorte d’insulte qu’Attale lance aux spectateurs de son exécution : « Vous voyez, c’est manger des hommes, ce que vous faites, mais nous n’en mangeons pas » 45. Le gouverneur de Lyon sait exactement que faire avec les confessants : il les fait torturer et exécuter. Mais il ne sait pas plus que Pline jadis comment traiter ceux qui sont citoyens romains ou apostats. Alors, il suit la même procédure ; il écrit à l’empereur qui lui répond la même chose que Trajan en 112 : « qu’il fallait punir les uns, mais pour les autres qui renieraient, on devrait les mettre en liberté » 46. L’accusation d’anthropophagie est donc cruellement présente à Lyon et pas seulement comme grief populaire. Elle ne fait pas surface avant, mais pendant le procès, et pèse lourdement sur les chrétiens. C’est cette réalité que l’auteur de la Lettre tente de masquer en affirmant que seuls les apostats sont accusés d’homicide. L’auteur dément ses propres paroles concernant les deux accusations dans toutes les scènes où les bourreaux s’efforcent de faire avouer les accusations aussi à ceux qui avaient déjà confessé 47 : il est clair que les païens nourrissent les mêmes soupçons à l’égard des deux groupes de chrétiens. Il est extrêmement intéressant que le gouverneur de Lyon, bien qu’il connaisse sans doute la procédure habituelle, ordonne la recherche de tous les chrétiens avant même l’apparition des accusations d’anthropophagie et d’inceste. En fait, elles ne font surface justement qu’à l’issue de cette initiative. Elles apparaissent par l’intermédiaire des soldats qui s’occupent de la torture des esclaves des chrétiens arrêtés sur l’ordre du gouverneur. Le brusque changement d’attitude du peuple après avoir entendu les témoignages fait même penser que ni « les repas de Thyeste », ni « les incestes d’Œdipe » n’étaient connus à Lyon, ou étaient peut-être latents, avant l’intervention du gouverneur et des soldats. Cela laisse supposer que, convaincu du danger que le christianisme représente pour l’Empire, le gouverneur préfère saisir un prétexte qui lui permet de l’éradiquer entièrement. On ne peut bien sûr pas savoir s’il croit personnellement aux accusations d’anthropophagie et d’inceste, mais ce qui est sûr, c’est qu’il pense trouver un excellent moyen en elles de débarrasser sa province de ces fauteurs de troubles que sont les chrétiens. Le témoignage caché des apologistes Malgré l’insistance des apologistes sur l’unique chef d’accusation – à savoir le fait d’être chrétien – qui vaut la mort aux martyrs, ils laissent échapper çà et là des indices discordants. Ceux-là laissent entr’apercevoir l’accusation d’anthropophagie (et pour la plupart aussi celle d’inceste) à l’œuvre lors des persécutions populaires et même des interrogatoires devant les autorités. Le premier à en parler est Justin Martyr au milieu du IIe siècle. Au chapitre 12 de sa seconde Apologie, en évoquant

45. EUSÈBE, Histoire ecclésiastique, 5, 1, 52 : « õδο™ τοτ =στιν νθρKπους =σθ$ειν,  ποιετε ˜μες· _μες δ οÇτε νθρKπους =σθ$ομεν […] » 46. Ibid., 5, 1, 47 : « ε‡ δ τινες ρνοντο, τοτους πολυθ‚ναι […] » 47. Blandine (5, 1, 18-19), Sanctus (5, 1, 20-24).

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs sa jeunesse et sa conversion, Justin explique pourquoi il a cessé de croire aux calomnies répandues contre les chrétiens : Et de fait, moi-même, lorsque je me délectais aux enseignements de Platon, en entendant calomnier les chrétiens et en les voyant sans peur devant la mort et devant tout ce qui passe d’ordinaire pour redoutable, je comprenais qu’il était impossible qu’ils vécussent dans le mal et l’amour des plaisirs. Quel est en effet l’ami du plaisir, ou le débauché, ou celui pour qui un repas de chair humaine est une bonne action, qui pourrait s’empresser au-devant de la mort qui le privera de ses biens 48 ?

Justin affirme donc clairement qu’être réputé cannibale représentait un danger réel pour les chrétiens dès la première moitié du siècle, et il suggère même que cette calomnie ait pu conduire à la peine de mort : Après avoir condamné à mort plusieurs personnes sur ces calomnies répandues contre nous, ils ont aussi mis à la question nos serviteurs, des enfants, de faibles femmes, et par des tortures effroyables ils les ont forcés à nous imputer ces crimes fabuleux qu’ils commettent ouvertement 49 […]

Il témoigne donc de la même attitude des autorités romaines qu’on a pu constater en Bithynie et à Lyon : la recherche de preuves accablantes par la torture. Athénagore, dans sa Supplique, insiste plusieurs fois sur le fait que la rumeur n’a rien à voir avec l’accusation officielle. Si l’empereur et les autorités y croyaient, ils ne s’efforceraient pas de faire renier les chrétiens, puisque de tels crimes ne sont pas pardonnables : « S’il existe donc un être plus sauvage que ne le sont les bêtes, pour de telles monstruosités, quelle peine subira-t-il qui paraisse un châtiment proportionné 50 ? » Cependant, à en croire Athénagore, les autorités ne cherchent pas à prouver des crimes, mais simplement à condamner un « nom » (2, 2). Croyant trouver un argument de taille pour prouver l’innocence des chrétiens, il affirme exactement le contraire que Justin et que l’auteur de la Lettre des martyrs de Lyon et de Vienne. Il déclare que les serviteurs des chrétiens ne fournissent pas de témoignages accablants contre leurs maîtres : Nous avons cependant nous aussi des esclaves, certains en grand nombre, d’autres en nombre moindre, de qui nous ne pouvons nous cacher ; mais aucun d’entre eux n’est allé jusqu’à fabriquer contre nous de pareils mensonges 51.

48. JUSTIN, IInde Apologie, 12, 1-2 : « Κα' γ+ρ ατ{ς =γK, τος Πλτωνος χα$ρων διδγμασι, διαβαλλομνους κοων Χριστιανος, ρŒν δ φβους πρ{ς θνατον κα' πντα τ+ >λλα νομιζμενα φοβερ, =νενουν δνατον ε^ναι =ν κακ$¹ κα' φιληδον$¹ ˜πρχειν ατους. Τ$ς γ+ρ φιλ}δονος  κρατς  νθρωπ$νων σαρκŒν βορ+ν γαθ{ν _γομενος δναιτο Ìν θνατον σπζεσθαι, ρχοντας παρασκευσειν […] » Traduction légèrement modifiée.

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs … contre des gens dangereux Initiation aux mystères cannibales Au milieu du IIIe siècle, Origène, dans sa réfutation du Discours véritable de Celse, fait une comparaison curieuse : Son procédé (celui de Celse) me semble analogue à celui des Juifs qui, au début de l’enseignement du christianisme, répandirent contre l’Évangile la calomnie qu’on immolait un petit enfant dont on se partageait la chair, et encore que les disciples de l’Évangile, pour accomplir les œuvres des ténèbres, éteignaient la lumière et chacun s’unissait à sa voisine. Malgré son absurdité, cette calomnie a prévalu autrefois dans les foules, persuadant ceux qui ignorent l’Évangile que telle était la conduite des chrétiens. Maintenant encore elle trompe certaines gens qui pour ce motif répugnent à aborder les chrétiens, même pour une simple conversation 55.

Franz Joseph Dölger (« Sacramentum Infanticidii »), s’appuyant sur ces propos d’Origène, a essayé de prouver que l’accusation était connue dès le début du IIe siècle sous la forme racontée par Tertullien dans l’Apologétique en l’an 197 : Nous sommes, dit-on, les plus grands des criminels, à cause du rite de l’infanticide, à cause de la pâture que nous en tirons et de l’inceste commis après le banquet, inceste organisé, dit-on, par des chiens dressés, en véritables entremetteurs des ténèbres, à renverser les lumières pour jeter un voile discret sur ces débauches impies 56.

Il ne s’agit pas d’un quelconque meurtre d’enfant : l’infanticide, l’anthropophagie et l’inceste obligatoires appartiendraient à l’initiation aux mystères chrétiens. Tertullien invite les lecteurs à participer aux mystères, pour leur prouver l’impossibilité de vivre avec bonne conscience après de tels actes : Viens, plonge le fer dans le corps de cet enfant, qui n’est l’ennemi de personne, qui n’est coupable envers personne, qui est le fils de tous ; ou bien, si un autre doit accomplir cet office, toi, va donc voir cet homme qui meurt avant de vivre ; attends que cette âme toute neuve s’échappe, recueille ce jeune sang, trempes-y ton pain, repais-t’en avec délices. Cependant assis à table, compte les places, celle de ta mère, celle de ta sœur, note-les soigneusement, afin de ne pas te tromper, quand les chiens auront fait tomber les ténèbres. Car tu te rendras coupable d’un sacrilège si tu ne

55. Contre Celse, 6, 27 : « Κα' δοκε μοι παραπλ}σιον õουδα$οις πεποιηκναι, τος κατ+ τν ρχν τ‚ς το χριστιανισμο διδασκαλ$ας κατασκεδσασι δυσφημ$αν το λγου, •ς >ρα καταθσαντες παιδ$ον μεταλαμβνουσιν ατο τŒν σαρκŒν, κα' πλιν ρρητα λγοιμεν το™ς >λλα δοξζοντας παρ’ ˜πειλ}φαμεν· λλ’ ε‡ μν δυνμεθα, πντα Ìν πρττοιμεν ˜πρ το ατο™ς μεταστ‚σαι =π' τ{ βλτιον δι+ το προσανχειν μν¤ τ§ δημιουργ§ κα' πντα πρττειν •ς κριθησομνους. » 98. Ibid., 5, 63, 2-4 et 7-8 : « >λλοι >λλον διδσκαλν τε κα' δα$μονα, κακŒς πλαζμενοι κα' καλινδομενοι ‹ε ραντο προσττην› κατ+ (4 σκότον) πολ™ν […] (8 σκτον). » 99. Ibid., 5, 63, 2-5 : « >λλοι >λλον διδσκαλν τε κα' δα$μονα, κακŒς πλαζμενοι κα' καλινδομενοι ‹ε ραντο προσττην›) κατ+ σκότον πολ™ν τŒν ¡ντ$νου το κατ ¡£γυπτον θιασωτŒν νομKτερν τε κα' μιαρKτερον. » Traduction légèrement modifiée.

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs Géants et les Titans de la fable » 100. Or, Plutarque exprime son horreur d’une manière similaire face aux sacrifices humains (parfois cannibales) causés par les connaissances erronées qu’ont certains sur les dieux : « Si c’était les Typhons ou des Géants qui régnaient sur nous après avoir chassé les dieux, quelles sortes de sacrifices auraient-ils aimés, quels autres rites sacrés auraient-ils exigés 101 ? » Or, si les Typhons et les Géants sont exilés à cause de leur attaque contre les dieux olympiens, les Titans (ou dans certaines versions les Géants) sont ceux qui dévorent le petit Dionysos… Origène, malgré toute sa bonne foi affectée renvoie bel et bien le lecteur vers le domaine du cannibalisme lié aux hérésies. Est-il possible que la conduite plus impie et plus impure des hérétiques que celle des thiases d’Antinoüs aille jusqu’aux sacrifices anthropophagiques ? Celse n’accuse jamais les chrétiens de cannibalisme, il serait donc surprenant qu’il le fasse à l’endroit de certains hérétiques – à moins bien sûr qu’il ne cite l’opinion de quelqu’un d’autre. Or, on peut légitimement supposer que les paroles qu’Origène attribue à Celse sur les pratiques « plus impies et plus impures que les thiases d’Antinoüs » soient en vérité plutôt une citation à l’intérieur de l’Aléthès Logos, un exemple des horreurs que les différentes sectes chrétiennes se jettent les unes aux autres. Vu sa formulation généraliste (« certains ont trouvé comme chef un maître et un démon, d’autres un autre »), il ne serait même pas surprenant que Celse utilise une citation d’une œuvre hérésiologique de la Grande Église – en effet, on a déjà pu constater avec Justin et Irénée que l’opinion des auteurs ecclésiastiques sur les hérétiques n’est guère plus flatteuse que ce que Celse rapporte. Il est donc tout à fait concevable que l’expression « plus impies et plus impures que les thiases d’Antinoüs » citée par Celse cache le même sens qu’on a vu chez Justin et Irénée, et qu’Origène suggère également concernant les ophites : ces gens-là qui, incités par les démons, corrompent l’enseignement du Christ, sont pires que les païens et doivent être capables de tout, même des plus impies des sacrilèges : de goûter à la chair humaine et d’avoir des relations incestueuses. Et tout comme Justin et Irénée, la source de Celse doit les accuser d’avoir mis en pratique, du moins en partie, leurs enseignements impies, ayant recours à la magie. Par l’intermédiaire des écrits hérésiologiques on est donc témoin de la manière dont on franchit le pas qui sépare les enseignements subversifs, caractéristiques des cyniques, des pratiques malfaisantes, propres aux chrétiens. c. Superstitio et coniuratio 102 Les chrétiens s’éloignent de la religion civique d’abord par leurs enseignements subversifs, puis par les pratiques magiques auxquelles ceux-ci les conduisent : leurs doctrines leur permettent d’expérimenter les pires recettes. Or, la magie n’implique pas l’ignorance du cannibale. Loin de là : la sorcière et le magicien deviennent 100. Ibid., 6, 28, 2.15 : « λγουσι κατηραμνον θε{ν τ{ν δημιουργν, […] Τιτ€νας κα' Γ$γαντας το™ς μυθικο™ς ˜περβαλντες. » 101. Moralia, 171d : « Ε‡ δ ΤυφŒνς τινες  Γ$γαντες –ρχον _μŒν το™ς θεο™ς =κβαλντες, πο$αις Ìν —δοντο θυσ$αις  τ$νας >λλας ‘ερουργ$ας πτουν; » Cf. Supra, p. 32, 120. 102. Une première version des réflexions de ce chapitre fut publiée dans A. A. NAGY, « Superstitio et Coniuratio », Numen 49 (2002), p. 178-192.

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Chrétiens et cannibales anthropophages de leur plein gré, pour marquer par là aussi leur marginalité par rapport à la société humaine 103. Irénée, vers 180, a certainement suivi les traces de Justin dans sa description des hérétiques. Il est par conséquent difficile de dire dans quelle mesure l’évêque de Lyon suit la tradition hérésiologique et dans quelle mesure il s’inspire de ses propres expériences 104. Néanmoins, comme le suggère la Lettre des martyrs de Lyon, à l’époque et dans la province même d’Irénée, l’accusation ne semble pas porter sur une anthropophagie forcée. En effet, une des martyres torturées, Biblis, déclare courageusement : « Comment, dit-elle, ces gens-là mangeraient-ils des enfants, eux à qui il n’est pas permis de manger même le sang des animaux sans raison ? » (5, 1, 26). Évidemment, l’argument ne tiendrait pas si le cannibale ignorait la nature de son festin : dans ce cas-là son dégoût pour le sang n’aurait aucune importance. On retrouvera le même argument chez Tertullien qui affirme que les païens sont convaincus que les chrétiens adorent le goût du sang humain, bien qu’ils sachent qu’ils ont horreur de celui des animaux (Apologétique, 9, 13). Or, comme on l’a vu, chez Tertullien l’ignorance du néophyte n’est pas non plus la seule version du prétendu rite initiatique. On peut donc en conclure que l’image du cannibalisme chrétien ne s’est pas présentée sous la forme d’un festin truqué avant l’extrême fin du IIe siècle. Si les chrétiens se partagent la chair et / ou le sang de leurs victimes humaines, c’est bien en toute connaissance de cause : ils décident librement d’enfreindre les lois les plus sacrées de la société dont ils se retranchent par ce fait. L’image du christianisme rappelle celle des plus dangereux perturbateurs de l’ordre public : des superstitions malveillantes et des conjurations. En effet, le christianisme, aux yeux de la plupart de ses adversaires, a réuni les quatre éléments qui caractérisent une coniuratio du type des Bacchanales. (1) Le renversement des liens sociaux : dans son discours, le consul Postumius souligne le fait qu’appartenir aux Bacchanales exclut le participant de sa famille originelle ainsi que de la communauté des Quirites (Tite-Live, 38, 16, 5) : Si la débauche, si la démence ont précipité quelqu’un dans ce gouffre, on doit le considérer comme un de ceux avec lesquels il s’est associé pour commettre tous les crimes et toutes les ignominies, et non plus comme l’un des siens 105.

Or, c’est un discours fort semblable aux paroles radicales de Jésus sur la foi chrétienne : Pensez-vous que ce soit la paix que je suis venu mettre sur terre ? Non, je vous dis, mais plutôt la division. Car désormais, s’il y a cinq personnes dans une maison, elles seront divisées : trois contre deux et deux contre trois. On sera père contre fils et fils contre père, mère contre fille et fille contre mère, belle-mère contre belle-fille et belle-fille contre belle-mère 106. 103. Voir le comportement d’Erictho (LUCAIN, Pharsale, 507-830). 104. C. MORESCHINI, E. NORELLI, Histoire, p. 273. 105. TITE-LIVE, 39, 16, 5 : « Si quem libido, si furor in illum gurgitem abripuit, illorum eum cum quibus in omne flagitium et facinus coniurauit, non suum, iudicet esse. » 106. Lc 12, 51-53.

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs Même s’il est improbable que les Romains aient été familiers avec les textes des Évangiles, les conversions de femmes sans l’autorisation de leur tuteur – fréquentes si l’on en croit l’hagiographie chrétienne – ont dû être ressenties comme une menace contre la famille. On sait qu’au IIe siècle, on accusait les chrétiens entre autres de corrompre les jeunes gens et les femmes en les incitant à la désobéissance envers leurs pères et leurs maris païens 107 – autrement dit de se détacher de la société romaine en remplaçant les liens traditionnels par des liens nouveaux qui les unissent désormais à une nouvelle communauté. Celse accuse carrément les chrétiens « d’exciter les enfants à la révolte » contre l’autorité parentale 108. Si l’on y ajoute encore l’égalité des esclaves au sein des communautés chrétiennes, on peut bien comprendre que le christianisme soit apparu aux païens comme une religion subversive. (2) L’engagement par serment de suivre les lois propres de la nouvelle communauté : les initiés aux Bacchanales sont forcés de prêter serment à commettre des crimes (« iure iurando obligati erant » [Tite-Live, 39, 18, 3-4]). Pline le Jeune constate que les chrétiens, eux, ont l’habitude « de s’engager par serment non à perpétrer quelque crime mais à ne commettre ni vol, ni brigandage, ni adultère, à ne pas manquer à la parole donnée, à ne pas nier un dépôt réclamé en justice 109 ». Sans être exprimée aussi clairement, l’idée d’un serment semble encore présente presque un siècle plus tard. En effet, le mot que choisit Tertullien pour désigner la prétendue initiation anthropophagique et incestueuse est le même que celui utilisé par Pline pour décrire le serment des chrétiens. Or sacramentum est le terme technique qui désigne le serment militaire par lequel la nouvelle recrue s’engage dans l’armée 110. Minucius Felix, sans répéter le mot sacramentum, évoque la même idée avec le terme tirunculus pour désigner le néophyte (9, 5). En effet, ce mot signifie communément nouveau soldat, recrue. Le contexte dans lequel le païen Cæcilius l’utilise rappelle à la fois le serment des Bacchanales (crime initiatique à un culte impie) et la conjuration de Catilina (serment des conjurés). Car Cæcilius, en parlant du sacrifice d’un enfant lors de l’initiation chrétienne, ajoute : « telle est la victime qui consacre leur alliance, telle est la complicité dans le crime qui les engage à observer un silence mutuel 111 ». On n’est pas loin de l’avis de Salluste à

107. Les jeunes gens : CELSE apud ORIGÈNE, Contre Celse, 3, 55 ; les femmes : Justin, IInde Apologie. 108. ORIGÈNE, Contre Celse, 3, 55, 18-19 : « ο‘ δ  ‡ταμKτεροι το™ς παδας φηνιζειν =πα$ρουσι. » 109. Lettres, X, 96, 7 : « seque sacramento non in scelus aliquod obstringere, sed ne furta, ne latrocinia, ne adulteria committerent, ne fidem fallerent, ne depositum appellati abnegarent. » 110. C. COLPE, « Mysterienkult und Liturgie. Zum Vergleich heidnische Rituale und christlicher Sacramente », dans C. COLPE, L. HONNEFELDER, M. LUTZ-BACHMANN (éd.), Spätantike und Christentum, Akademie Verlag, Berlin 1992, p. 203-228. Selon Ch. Mohrmann, le choix du terme sacramentum « a été déterminé par l’usage de la Bible et non pas, comme on l’a cru et comme Tertullien le suggère, par celui de la langue militaire » (Études sur le latin des chrétiens, I-II [“Storia e letteratura” 65 et 87], Edizioni di storia e letteratura, Rome 1961, p. 99). 111. Octavius, 9, 5 : « hac fœderantur hostia, hac conscientia sceleris ad silentium mutuum pignerantur. »

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Chrétiens et cannibales propos de Catilina : « Il aurait voulu ainsi rendre plus étroite leur fidélité mutuelle, par la complicité d’un tel forfait » 112. (3) L’animosité de la nouvelle communauté envers l’État : Tacite parle expressément de la haine des chrétiens pour le genre humain (« odio humani generis ») pour expliquer comment Néron a réussi à faire accepter au peuple de Rome leur condamnation et leur exécution massive après le grand incendie 113. Pour Tacite, il ne fait pas l’ombre d’un doute que la nouvelle communauté formée par les chrétiens n’est pas neutre envers les peuples de l’Empire. Elle n’est pas seulement réticente dans l’accomplissement de ses devoirs civiques, mais, à cause de sa haine, elle est hostile et par conséquent dangereuse pour la communauté dont elle est issue. Suétone soutient cette mauvaise réputation des chrétiens en les traitant de « sorte de gens adonnés à une superstition nouvelle et malfaisante » 114. Les chrétiens méritent tous la mort – s’ils ne renoncent pas à leur folie – même s’ils sont innocents de l’incendie et même si leur adversaire, Néron, est encore plus détestable qu’eux. Le christianisme, comme une secte détachée du Judaïsme, a dû « jouir » d’une très mauvaise réputation. Il a hérité de la méfiance dont les Juifs, un peuple de révoltés, étaient entourés entre autres à cause de leur prosélytisme 115, à cause de leur « hostilité haineuse » 116 envers les non-Juifs et à cause de leurs rites « nouveaux et contraires à ceux des mortels » – comme le dit Tacite. Car « là-bas est profane tout ce qui chez nous est sacré ; en revanche est permis chez eux ce qui est pour nous abominable » 117. Une affirmation qui est étrangement proche de celle de Tite-Live concernant les initiés aux Bacchanales pour qui « ne respecter aucun interdit sacré était […] la plus haute marque de piété » 118. (4) Le grand nombre des adeptes : selon la lettre de Pline, les chrétiens formaient « une foule de personnes de tout âge, de toute condition, des deux sexes aussi 119 ». Le Cæcilius de l’Octavius déplore également la croissance rapide du nombre des chrétiens, et ses propos sont révélateurs de l’image qu’un intellectuel romain pouvait se faire du christianisme : Et voici qu’à présent, tant la mauvaise graine est plus féconde que la bonne, avec les progrès insidieux que fait de jour en jour la dépravation, les rites affreux de cette

112. De la Conjuration de Catilina, 22 : « Fuere ea tempestate qui dicerent Catilinam, oratione habita, cum ad iusiurandum popularis sceleris sui adigeret, humani corporis sanguinem uino permixtum in pateris circumtulisse ; inde cum post exsecrationem omnes degustauissent, sicuti in sollemnibus sacris fieri consueuit, aperuisse consilium suum, atque eo †dictitare† fecisse quo inter se fidi magis forent, alius alii tanti facinoris conscii. » 113. Annales, 15, 44. 114. Néron, 16, 3 : « genus hominum superstitionis nouæ ac maleficæ. » Traduction légèrement modifiée. 115. TACITE, Histoires, 5, 5, 1 : « Nam pessimus quisque spretis religionibus patriis tributa et stipes illuc congerebant […] » 116. Ibid. : « aduersus omnes alios hostile odium. » 117. Ibid., 5, 4, 1 : « Moyses […] nouos ritus contrariosque ceteris mortalibus indidit. Profana illic omnia quæ apud nos sacra, rursum concessa apud illos quæ nobis incesta. » 118. TITE-LIVE, 39, 13, 11 : « Nihil nefas ducere, hanc summam inter eos religionem esse. » 119. Lettres, X, 96, 9 : « multi enim omnis ætatis, omnis ordinis, utriusque sexus etiam […] »

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs bande impie se développent dans le monde entier. Il faut révéler cette conspiration dans toute son étendue et la vouer à l’exécration 120.

Bref, le christianisme s’est vu confronté dans le quotidien à la fois à l’ombre de son passé judaïque et à sa ressemblance structurelle avec les Bacchanales, une affaire traumatisante dans la mémoire romaine. Car le christianisme, cette nouvelle superstition, est né de la perversion de la religion ancienne des Juifs, détestable mais tolérée aux yeux des Romains – comme les Bacchanales naissaient de la perversion du culte respectable de Bacchus 121. Le christianisme grandit en arrachant les nouveaux adeptes de tout âge et des deux sexes à leurs anciennes structures familiales et politiques. Il crée de nouveaux liens entre eux, de nouvelles lois qui les poussent à ne pas accomplir leurs devoirs civiques – comme les Bacchanales annulaient les anciennes responsabilités de leurs membres envers leurs familles et envers l’État. Cependant, Pline peut constater que, contrairement aux Bacchanales, le christianisme ne force pas les nouveaux adeptes à prêter le serment de commettre des crimes : les lois des chrétiens les obligent justement à n’en commettre aucun. Autrement dit, la superstitio du christianisme, aux yeux de Pline, est en train de devenir une nouvelle communauté, réticente, mais encore sans intentions hostiles envers l’État romain – et surtout sans aspirations politiques. Pour cette raison, bien que les autorités doivent se montrer fermes et ne pas laisser impunie la désobéissance ouverte aux lois de l’Empire, elles peuvent encore se permettre sans danger de pardonner aux repentis – ce qui n’était plus possible dans le cas des Bacchanales. Que d’autres ne voient pas cette distinction entre les Bacchanales et le christianisme apparaît le plus cruellement dans la Lettre des martyrs de Lyon et de Vienne aux églises d’Asie et de Phrygie. À Lyon, le gouverneur ne suit pas la recommandation de Pline et de Trajan ; il ne relâche pas les repentis – se conformant ainsi exactement au procédé des autorités romaines de 186 avant notre ère, lorsqu’elles maintenaient aussi en prison ceux des initiés aux Bacchanales qui n’avaient commis aucun crime 122. C’est cette même attitude qui ressort des autres émeutes locales dont les chrétiens furent souvent victimes au cours du IIe siècle : aux yeux du peuple et des autorités, l’image de la communauté des chrétiens s’approchait plutôt de celle d’une coniuratio dangereuse de type « Bacchanales » que de celle d’une simple superstitio répugnante, mais inoffensive. 120. Octavius, 9, 1 : « Ac iam, ut fecundius nequiora proueniunt, serpentibus in dies perditis moribus per uniuersum orbem sacraria ista tæterrima impiæ coitionis adolescunt. Eruenda prorsus hæc et execranda consensio. » 121. En effet, bien que Pline ne parle pas de l’origine juive de la nouvelle secte, il est invraisemblable qu’il ne la connaisse pas. Ses jeunes contemporains, Tacite (Annales, 15, 44) et Suétone (Claude, 25, 11), témoignent positivement de la conscience qu’ont les intellectuels romains de l’époque des liens étroits entre chrétiens et Juifs. 122. TITE-LIVE, 39, 18, 3-4 : « Ceux qui avaient seulement été initiés […] mais n’avaient commis ou laisser commettre aucun de ces actes auxquels les obligeait leur serment, ceux-là on les laissait en prison. Ceux qu’avaient souillés les débauches et les crimes de sang […] on les frappait de la peine capitale. (Qui tantum initiati erant […] nec earum rerum ullam in quas iure iurando obligati erant in se aut in alios admiserant, eos in uinculis relinquebant. Qui stupris aut cædibus uiolati erant, […] eos capitali pœna afficiebant). »

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Chrétiens et cannibales Pour les intellectuels romains, toujours soupçonneux à l’égard des nouveaux cultes, cette nouvelle superstitio semblait apte à créer une nouvelle société avec ses propres lois. Se retirant volontairement de la vie commune des habitants de l’Empire, s’excluant elle-même de la communauté, elle risquait de devenir un corps étranger à l’intérieur des frontières ; un peuple qui pourrait se transformer en ennemi intérieur, en une coniuratio, au moment où ses lois se trouveraient en opposition avec celles de l’Empire. Le fait qu’il y eut de nombreuses dénonciations et même des persécutions locales tout au long des IIe-IIIe siècles suffit à prouver que, pour l’opinion publique, le christianisme paraissait inquiétant. Aux yeux des dirigeants des communautés locales, les rumeurs sur les crimes des chrétiens les apparentaient plus aux coniurationes qu’aux superstitiones. Le langage devient aussi de plus en plus dur : chez Tacite et Suétone le christianisme n’est plus une superstitio praua, mais exitiabilis et malefica, exprimant ainsi que, selon les auteurs, la nouvelle communauté n’accepte pas les règles traditionnelles et devient de ce fait dangereuse pour la survie de l’Empire. Les intellectuels romains voient dans le christianisme un danger politique. Même si ses pratiques ne comportent pas forcément le cannibalisme et l’inceste, la possibilité existe toujours. Car de la part d’une superstitio impie et même athée, au sein de laquelle « est profane tout ce qui chez nous est sacré », et dont « la complicité dans le crime engage (les membres) à observer un silence mutuel », on peut s’attendre au pire. Elle doit donc se plier ou disparaître. Une accusation détournée L’allégorie du cannibalisme Le seul traité antique qui compare l’eucharistie au cannibalisme est probablement l’œuvre d’un philosophe païen du IIIe siècle, dont les fragments ont été conservés dans l’Apocriticus de Macarius de Magnésie. Le philosophe païen anonyme du dialogue est habituellement identifié à Porphyre, le philosophe néoplatonicien qui est l’auteur présumé d’un traité Contre les Chrétiens 123 . Selon Jérôme (Lettres, 48, 13), cette œuvre de Porphyre fut objet d’attaques acharnées de la part de plusieurs Pères de l’Église : Méthode lui aurait consacré 10 000 lignes, Apollinaire 30 livres et Eusèbe 25 124 ! Sa dénonciation des doctrines chrétiennes, basée sur une lecture approfondie des Évangiles, fut jugée si dangereuse qu’elle fut condamnée à plusieurs reprises depuis le Concile de Nicée (325). Théodose II et Valentinien firent brûler tous les exemplaires du livre (448), et le Concile de Chalcédoine n’a pas seulement interdit de le posséder, mais même d’en parler (451). Justinien, en 536, a encore trouvé nécessaire de renouveler les décisions prohibitives de ses 123. Cette identification n’est toutefois pas unanime. Voir J. G. COOK, The Interpretation of the New Testament in Greco-Roman Paganism (“Studien und Texte zu Antike und Christentum” 23), Mohr Siebeck, Tübingen 2004, p. 171-175. 124. Sur l’utilisation des œuvres de Porphyre chez les auteurs chrétiens voir R. M. GRANT, « Porphyry among the Early Christians », dans W. VAN DEN BOER et al. (éd.), Romanitas et christianitas, Studia W. H. Waszinck, North-Holland Publ. Company, Amsterdam / Londres 1973, p. 181-187.

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs prédécesseurs 125. Malheureusement, les réfutations chrétiennes de l’œuvre sont également en très grande partie perdues. Ce qu’il en reste a été recueilli dans l’édition d’Adolf von Harnack de 1921 qui y a également incorporé les arguments du philosophe païen de l’Apocriticus, comme le fragment 69 : Elle est célèbre cette parole du Maître qui affirme : « Si vous ne mangez ma chair et ne buvez mon sang, vous n’avez pas la Vie en vous. » Voilà non pas une pratique bestiale et inconvenante, mais bien plutôt le sommet de toute inconvenance et le comble de toute bestialité, pour un homme de manger des chairs humaines, de boire le sang de ses congénères et de ses semblables, puis, grâce à cet acte, d’obtenir la Vie éternelle ! Dites-moi, en effet, quel excès de sauvagerie, en agissant ainsi, n’allez-vous pas introduire dans la vie ? Quelle infamie plus maudite que cette souillure allez-vous inventer ? L’oreille ne peut supporter, je ne dis pas cette pratique, mais même pas la mention de ce sacrilège nouveau et insolite. […] Que signifie donc cette parole ? Car, même si elle était à comprendre allégoriquement, ayant un sens plus mystique et utile, l’odeur des mots pénètre dans l’âme par l’ouïe et la rend mauvaise en la bouleversant par son caractère odieux ; et ce parfum nuit au sens secret de la parole, du fait qu’il amène l’homme à souffrir le vertige à cause de cette expérience pénible. La nature des êtres dépourvus de raison, quand bien même ceux-ci verraient une famine implacable et insupportable, n’endure jamais cet acte. Jamais un chien ne mangera un autre chien, ni quelque autre animal ne mangera les chairs de sa race. Bien sûr, plusieurs maîtres inventent des doctrines insolites : mais aucun maître n’a jamais écrit une tragédie plus étrange que celle-là, ni historien, ni philosophe, ni parmi les barbares, ni parmi les Grecs du passé 126.

Ce témoignage est précieux à plus d’un titre. D’abord, bien sûr, parce que c’est le seul (à être conservé ?) qui parle du cannibalisme à propos de Jn 6, 53. Mais encore plus important est le fait que son auteur est parfaitement conscient de la dichotomie entre paroles et actes. Il sait bien qu’il s’agit là d’une allégorie. Bien qu’il mette en garde contre les dangers de l’interprétation littérale des paroles du Maître, il n’en ressort pas moins sa conviction que les chrétiens ne mangent pas 125. J. G. COOK, Interpretation, p. 125. 126. (PORPHYRE, Contra Christianos, fr. 69) apud M ACARIUS DE M AGNÉSIE, Apocriticus, 3, 15 : « Πολυθρλητον =κενο τ{ ½‚μα το διδασκλου =στ$ν, Š λγει· Ã+ν μ φγητ μου τν σρκα κα' π$ητ μου τ{ α±μα, οκ ›χετε ζων =ν Ëαυτος. τοτο γ+ρ ο θηριŒδες ντως οδ’ >τοπον, λλ’ τοπ}ματος παντ{ς τοπKτερον κα' παντ{ς θηριKδους τρπου θηριωδστερον, >νθρωπον νθρωπ$νων σαρκŒν πογεεσθαι κα' π$νειν μοφλων α±μα κα' μογενŒν κα' τοτο πρττοντα ζων ›χειν α‡Kνιον. πο$αν γρ, ε‡π μοι, τοτο ποιοντες ˜περβολν úμτητος ε‡ς τ{ν β$ον ε‡σξετε; πο$αν τοτου το μσους =ναγεστραν κακ$αν >λλην καινοτομ}σετε; ο φρουσιν κοα$—ο λγω τν πρ€ξιν, λλ’ οδ τ{ λεγμενον νεKτερον τοτο κα' ξνον νοσιοργημα, […] τ$ς ον  λγος ο¸τος; κÌν γ+ρ λληγορικŒς ›χW τι μυστικKτερον κα' λυσιτελστερον, λλ’ _ žσμ τ‚ς λξεως δι+ τ‚ς κο‚ς ε£σω που παρελθοσα ατν =κκωσε τν ψυχν τ¼ ηδ$¹ ταρξασα, κα' τŒν ποκρφων τ{ν λγον =σ$νωσεν νθρωπον. οδ τŒν λγων _ φσις, κÌν παρα$τητον £δW λιμ{ν κα' φρητον, ˜πομενε τοτ ποτε, οδ κων κυν{ς οδ >λλο τι τŒν μογενŒν γεσετα$ ποτε σαρκŒν. >λλοι πολλο' τŒν διδασκντων καινοτομοσι ξνα· τοτου δ καιντερον οδε'ς τŒν διδασκντων =ξερε τραγ§δημα, οχ ‘στοριογρφος, ο φιλσοφος ν}ρ, ο βαρβρων, οχ ÷λλ}νων τŒν >νω. […] » Traduction de R. GOULET (Macarios de Magnésie, Le Monogénès, Vrin, Paris 2003), légèrement modifiée.

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Chrétiens et cannibales de chair humaine lors de leurs rituels. L’auteur traite Jn 6, 53 de parole inouïe. Il prétend qu’aucun philosophe n’a jamais osé enseigner une telle doctrine – pourtant, il doit bien avoir connaissance des doctrines cyniques ! Selon lui, pas un animal ne toucherait à la chair de ses congénères, même poussé par une famine horrible : l’acte du cannibalisme n’est pas « une pratique bestiale et inconvenante, mais bien plutôt le sommet de toute inconvenance et le comble de toute bestialité ». En agissant de la sorte, on introduit la vie sauvage dans la cité. Cependant, selon le philosophe, il n’est pas nécessaire de mettre ce dogme en pratique : la parole seule suffit pour souiller l’homme. Peu importe qu’elle soit en réalité « à comprendre allégoriquement » : c’est une souillure extrême. Malgré sa mise en garde contre les dangers de l’interprétation littérale, l’auteur reconnaît que les rites chrétiens ne finissent pas en orgie cannibale. Il fait seulement semblant d’interpréter littéralement les paroles de Jn 6, 53, pour pouvoir les réinterpréter allégoriquement, à la façon grecque. Or, pour un Grec, manger de la chair humaine ne signifie pas seulement une souillure : la notion de cannibalisme symbolise la bestialité, la vie hors de la cité. Les chrétiens sont les ennemis de la civilisation. Les auteurs chrétiens comprennent très bien le message. Une lecture approfondie des sources chrétiennes relatant l’accusation d’anthropophagie permet d’entrevoir que ce grief avait une signification symbolique très clairement perçue dans les deux camps 127. C’est Athénagore qui l’exprime le plus clairement : « Ce qu’on appelle se nourrir de chair humaine, c’est aller contre les lois existantes que vous et vos aïeux avez établies pour parvenir à la plus grande justice » 128. Les chrétiens ne comprennent pas seulement parfaitement le sens profond de l’accusation qu’on leur lance : ils savent très bien la détourner à leur profit. Le christianisme, dès son apparition, doit trouver sa place dans l’Empire romain. Il doit se positionner par rapport aux autres et ce positionnement passe tout naturellement par l’appropriation du statut du non-cannibale. Car, comme on l’a vu, derrière tous les récits grecs et romains d’anthropophages se cache leur conviction la plus profonde : le cannibale, c’est toujours l’Autre. L’Église naissante a donc besoin de se définir comme l’unique dépositaire de ce qui humanise l’homme et, tout comme les Grecs et les Romains auparavant, elle doit d’abord désigner ceux qui ne sont pas humains. Et elle en identifie d’abord deux groupes, puis un troisième : les païens, les hérétiques et, bien plus tard, les Juifs 129. L’accusation reste, c’est la norme qui change – et les accusés changent avec elle. Le message des histoires de cannibales mises en scènes par les auteurs chrétiens des premiers siècles et

127. Cependant, ce fait n’exclut pas que certaines personnes à certaines occasions (et notamment dans les classes peu éduquées) n’ayant pas perçu cette signification symbolique ont compris l’accusation à la lettre. 128. Supplique, 34, 3 : « κα' τοτ =στι σαρκŒν šπτεσθαι νθρωπικŒν, τ{ κειμνων νμων, ος ˜μες κα' ο‘ ˜μτεροι πργονοι πρ{ς π€σαν δικαιοσνην =ξετσαντες =θ}κατε. » 129. Contrairement aux deux premiers groupes, l’accusation ne fera son apparition concernant les Juifs qu’au Moyen Âge, et sera particulièrement violente entre les XIIIe et XIXe s. Cf. R. P. HSIA, The Myth of Ritual Murder, et J. M. MCCULLOH, « Jewish Ritual Murder ». Il est à noter que la « découverte » de cannibales dans les pays lointains que les Européens voulaient conquérir est aussi souvent le résultat de ce procédé ancestral.

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs de tous leurs successeurs est clair : seul le christianisme est capable d’empêcher l’humanité de sombrer dans le chaos symbolisé par le sacrifice humain et par le cannibalisme. Le « paganisme » cannibale Les auteurs chrétiens font semblant de se tenir à la lettre de l’accusation quand il s’agit de dénoncer son absurdité concernant les leurs 130. Par contre, dès qu’il s’agit de contre-attaque, ils adoptent une définition très large de l’anthropophagie : tout est bon pourvu qu’il incrimine les païens. Ils mettent ainsi en parallèle l’anthropophagie non seulement avec les mythes et les rites prétendument homicides des païens, mais évoquent en outre les enseignements immoraux de certaines écoles philosophiques 131, les « mensonges des poètes » 132, les livres d’histoire 133 et les œuvres artistiques 134. Décidément, parler du cannibalisme ne vaut pas mieux aux yeux des apologistes que le pratiquer. N’est-il pas vrai que « seul est capable de croire une chose pareille celui qui est capable de l’oser » 135 ? Or, soulignent les apologistes, les dieux païens servent eux-mêmes d’exemple à leurs fidèles par leur comportement immoral. Car, argumente Aristide, à en croire les poètes, les dieux n’ont pas seulement des passions indignes de la divinité, mais commettent aussi toutes sortes de crimes : ils sont adultères (μοιχο$), assassins (φονες), parricides (πατροκτνοι) et fratricides ( δελφοκτνoι) 136 ; les Titans égorgent Dionysos 137, Héraclès tue ses propres enfants 138 et Cronos avale sa propre progéniture 139 ! Il n’est pas surprenant que leurs fidèles les imitent, et imaginent des comportements semblables chez les autres également, affirment les apologistes 140. Les « païens » ne se contenteraient donc pas de porter de faux-témoignages contre les chrétiens innocents. Ils seraient également incités par les démons à commettre les horreurs 130. TERTULLIEN, Apologétique, 8, 7-8 : supra, p. 213, n. 58. 131. JUSTIN, IInde Apologie, 12, 5 (Épicure), cf. Ire Apologie, 26, 6 (les écoles philosophiques en général) ; THÉOPHILE, Autolycos, 3, 5 (Diogène, Zénon, Cléanthe). 132. THÉOPHILE, Autolycos, 3, 3. 133. Ibid. : Théophile s’attaque à Hérodote pour avoir rapporté l’existence des cannibales lointains. 134. TATIEN, Aux Grecs, 34, 1 (35, 18-28) : la statue de Phalaris (tyran, sacrifice d’enfants, cannibalisme), les représentations de Polynice et d’Étéocle (fratricide). 135. M INUCIUS FELIX, Octavius, 30, 1 : « Nemo hoc potest credere nisi qui possit audere. » 136. Apologie, 8, 2. Texte de l’édition de E. J. GOODSPEED, Die ältesten Apologeten, Vandenhœck & Ruprecht, Göttingen 1984 (19141). 137. Ibid., 10, 8 : «  στερον δ ατ{ν (Δινυσον) σφαγ‚ναι ˜π{ τŒν Τιτνων. » 138. Ibid., 10, 9 : « Τ{ν δ Òρακλ‚ν παρεισγουσι ‹et eum dicunt deum esse qui odiosa oderit, tyrannus et bellator et impiorum interfector. Et eum dicunt› μεθυσθ‚ναι κα' ‹denique› μαν‚ναι κα' τ+ £δια τκνα σφξαι. » 139. Ibid., 9, 2 : « Ο τως παρεισγεται ατος πρ{ πντων θε{ς Κρνος, κα' τοτ¤ θουσι τ+ £δια τκνα et sunt qui eos vivos comburant. » 140. Il est vrai qu’Aristide ne mentionne pas encore l’accusasion d’anthropophagie concernant les chrétiens, mais parle « seulement » de débauche et de parricide. 9, 8 : « Has ob fabulas, O Rex, malum magnum hominibus accidit qui hoc tempore sunt, quod deos suos imitantur, et mœchantur et cum matribus et sororibus suis et per concobitum cum masculis se inquinant, et nonnuli eorum parentes etiam suos occidere ausi sunt […] 17, 2 : Græci vero, O Rex, quod turpia faciunt […] in Christianos vertunt. » Cf. 13, 7.

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Chrétiens et cannibales mêmes qu’ils leur reprochent : « Les actes que vous commettez ouvertement et dont vous vous faites honneur, après avoir éteint et chassé toute lumière divine, vous nous les imputez » – accuse Justin 141. Pire, ils le feraient en toute impunité, sous le manteau de la religion ou de la philosophie 142. S’il faut chercher des cannibales quelque part, c’est donc bien parmi les « païens » ! Les apologistes, à l’instar de nombreux chercheurs modernes, ne se privent pas de condamner les rites de leurs adversaires comme prétendument anthropophagiques, ou du moins homicides 143. Tertullien et Minucius Felix, les deux apologistes de langue latine, étendent la notion du cannibalisme à des actes comme l’exposition des nouveau-nés et l’avortement, le sang des gladiateurs morts utilisé comme remède contre l’épilepsie, la consommation de la chair des fauves souillée par le sang des gladiateurs, et même certains actes sexuels que Tertullien considère comme l’engloutissement de futures vies potentielles 144. Les exemples de Tertullien et de Minucius Felix ne sont plus uniquement grecs et romains. Ils citent indistinctement des récits sur des sacrifices humains / cannibalisme grecs, romains et barbares 145. Ainsi, à côté des exemples déjà mentionnés du mythe de Cronos / Saturne et du culte de Jupiter Latiaris, on rencontre chez Tertullien le sacrifice d’enfants à Saturne en Afrique, les sacrifices humains en Gaule et en Tauride (ces derniers qualifiés de « mensonges de poète »), la conclusion de traité par consommation du sang tiré du bras « chez certaines peuplades » et même à Rome (dans l’affaire de Catilina), la nécrophagie chez les Scythes et la consommation du sang tiré d’une cuisse dans les « mystères de Bellona » à Rome 146. La liste de Minucius Felix n’est guère différente de celle de Tertullien : il n’abandonne que la nécrophagie des Scythes pour rajouter à la liste de Tertullien les sacrifices humains égyptiens illustrés par le mythique Bousiris et l’histoire des enterrés du Forum Boarium à Rome 147. Tatien, lui, va jusqu’à affirmer que toute la paideia grecque est tournée vers l’anthropophagie : toute la civilisation hellénique est corrompue et elle invite ceux qui y sont éduqués à pratiquer le cannibalisme ! Ce n’est en effet pas anodin qu’il appelle les destinataires de son discours Aux Grecs « ο‘ πεπαιδευμνοι », des gens éduqués dans la culture classique, au moment où il retourne l’accusation contre eux : Pourquoi détestez-vous ceux qui suivent les paroles de Dieu comme s’ils étaient les plus impurs ? Chez nous, nul ne mange de la chair humaine – c’est un men141. JUSTIN, Ire Apologie, 27, 5 : « Κα' τ+ φανερŒς ˜μν πραττμενα κα' τιμKμενα •ς νατετραμμνου κα' ο παρντος φωτ{ς θε$ου _μν προσγρφετε· ». 142. Par ex. A RISTIDE, Apologie, 17, 2 ; ATHÉNAGORE, Supplique, 32, 1 ; TATIEN, Discours aux Grecs, 25, 3 (27, 12-15) ; THÉOPHILE, Autolycos, 3, 15. 143. Cf. A. A. NAGY, « La construction des listes ». 144. Comme on l’a déjà vu, Pline l’Ancien compte également la consommation de ce type de remèdes comme du cannibalisme (Histoire naturelle, 28, 1, 5-10, supra, p. 142, n. 62). 145. Il n’y a rien de nouveau dans le fait de citer des récits d’origines différentes dans les mêmes listes, il en est de même par exemple dans [P LATON], Minos, 315 b-c; THÉOPHRASTE apud PORPHYRE, De l’Abstinence, 2, 27, 2. 146. Apologétique, 9, 2-12. 147. Octavius, 30. Sur la relation entre l’Apologétique de Tertullien et l’Octavius de Minucius Felix cf. C. MORESCHINI, E. NORELLI, Histoire, p. 418.

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs songe des gens éduqués ! – C’est chez vous que Pélops, bien qu’il soit le mignon de Poséidon, devient le festin des Dieux, que Kronos dévore ses enfants et que Zeus avale Métis 148 !

Théophile d’Antioche, après avoir critiqué les auteurs « païens » qui parlent de cannibalisme dans leurs œuvres, conclut en s’exclamant : Quel enseignement athée que celui des colligeurs – mieux, des professeurs de pareilles infamies ! Quels penseurs impies et athées, pour s’adonner avec soin à une telle philosophie, et pour la propager ! Les tenants de ces doctrines ont rempli le monde d’impiété 149.

Cette généralisation de la contre-attaque des apologistes n’est pas anodine. Des histoires grecques, romaines et barbares de meurtres ou de cannibalisme rituels côtoient joyeusement des paroles et des actes qui ne pourraient être assimilés à ces derniers que par une vision de chrétien fanatique. Et pourtant, ce mélange est certainement voulu. En mélangeant rites et mythes, dieux et hommes, Grecs, Romains et Barbares, les auteurs chrétiens brouillent en effet les frontières traditionnelles séparant ces domaines – frontières marquées, on s’en souvient, par le tabou de l’anthropophagie ! Les chrétiens – contrairement à leurs prédécesseurs – ne voient pas le triple clivage (temporel, géographique et social) entre « l’Autre » et « nous ». Bien qu’il arrive aux chrétiens de distinguer entre un passé cannibale et un présent civilisé, il s’agit désormais d’un passé qui n’est pas encore complètement révolu. En effet, assimilant les anciens dieux aux mauvais démons, le sacrifice sanglant au sacrifice humain, ainsi que le « paganisme » à la superstition et à la magie, les chrétiens stigmatisent d’emblée l’ère préchrétienne comme précivilisée, donc cannibale : le « paganisme » devient une période de l’histoire de l’humanité où le sacrifice humain (et anthropophagique) règne et à laquelle seules la venue du Christ et la christianisation de tout être humain peuvent mettre fin 150. Le cannibale du passé survit donc jusqu’au présent, en la personne de ceux qui persistent dans leurs erreurs. Les Grecs et les Romains se retrouvent ainsi dans la même position que celle qu’ils accordaient jadis eux-mêmes aux Barbares les plus éloignés ! Pire : ils deviennent des ennemis intérieurs. Ce processus, qui débute avec les premières apologies, prend toute son ampleur aux IVe-Ve siècles. Rufin, dans son Histoire ecclésiastique, peine à trouver des mots assez forts pour décrire les horreurs cachées des temples « païens » (2, 24) : 148. Aux Grecs, 25, 3 (27, 13-15) : « τ$ δ το™ς λγ¤ θεο κατακολουθοντας καθπερ μιαρωττους μεμισ}κατε; παρ _μν οκ ›στιν νθρωποφαγ$α· ψευδομρτυρες ο‘ πεπαιδευμνοι γεγνατε· παρ ˜μν δ Πλοψ δεπνον τŒν θεŒν γ$νεται κÌν ΠοσειδŒνος =ρKμενος, κα' Κρνος το™ς υ‘ο™ς ναλ$σκει, κα'  Ζε™ς τν Μ‚τιν καταπ$νει. » Traduction personnelle. Sur le sens de l’expression hoi pepaideumenoi : E. NORELLI, « La critique du pluralisme grec dans le discours Aux Grecs de Tatien », dans B. POUDERON, J. DORÉ (éd.), Les apologistes chrétiens et la culture grecque (“Théologie historique” 105), Beauchesne, Paris 1998, p. 81-120. 149. Autolycos, 3, 5, 12-16 : «  τ‚ς θου διδασκαλ$ας τŒν τ+ τοιατα ναγραψντων μ€λλον δ διδαξντων,  τ‚ς σεβε$ας κα' θετητος ατŒν,  τ‚ς διανο$ας τŒν ο τως κριβŒς φιλοσοφησντων κα' φιλοσοφ$αν =παγγελλομνων. ο‘ γ+ρ τατα δογματ$σαντες τ{ν κσμον σεβε$ας =νεπλησαν. » Traduction de Bardy légèrement modifiée. 150. Cf. M ELITON, De Pascha, 332-412 ; EUSÈBE, Laudatio Constantini, 13, 7-9 ; LACTANCE, Institutions divines, 1, 13, 2.

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Chrétiens et cannibales L’esprit éprouve de la répulsion à dire quels pièges les démons avaient tendus aux malheureux mortels, quels meurtres, quels crimes avaient été dissimulés dans ces lieux appelés sanctuaires secrets ; combien on y a trouvé de têtes coupées d’enfants aux lèvres recouvertes d’or ; combien de morts cruelles de malheureux y sont peintes […] ; bébés assassinés, jeunes filles éventrées pour pratiquer l’inspection des entrailles […] dans le temple de Saturne.

Cependant, les crimes des « païens » ne s’arrêtent pas au seuil de leurs sanctuaires : ils menacent toute la communauté chrétienne ! Grégoire de Nazianze fournit un bel exemple de cette conviction dans sa description de l’émeute des habitants d’Héliopolis après la destruction de leur temple par Constantin : Les premiers […] traînèrent sur la place publique de chastes vierges […], les dépouillèrent de leurs vêtements pour les outrager de leurs regards avant de les mettre en pièces et de les découper […] Les uns commirent le crime de les dévorer de leurs propres dents et, d’une manière digne de leur folie, ils se rassasièrent de leur foie cru avant de prendre une autre nourriture, celle qui est communément en usage ; les autres répandirent sur les entrailles encore palpitantes des aliments destinés aux porcs, puis lâchèrent les plus furieux de ces animaux 151 […]

Les « païens » sont donc dangereux : non seulement leurs rites sont monstrueux et offensent le seul vrai Dieu, mais leur fureur anthropophagique risque de se tourner contre les seuls bons citoyens de l’Empire que sont les chrétiens 152 ! Par le topos de l’anthropophagie, les auteurs chrétiens trouvent donc un moyen efficace pour exprimer leur conviction que le polythéisme corrompt l’homme tout entier et que, pour cette raison, dans chaque mouvement de son quotidien peut ressurgir son caractère inhumain, « cannibale ». Une seule issue pour y échapper : la conversion. Les hérétiques anthropophages Tertullien, le premier apologiste d’expression latine, ne défend pas l’Église uniquement contre les « païens », mais aussi contre ceux qu’il considère comme des « hérétiques ». Au début de son Contre Marcion, il dresse un portrait peu flatteur de l’hérésiarque en commençant par souligner ses origines sauvages. Car Marcion est natif du Pont-Euxin, pays – selon Tertullien – des peuples les plus enclins à la barbarie, pays du sacrifice humain et du cannibalisme (1, 3) : Les cadavres de leurs pères et mères sont dépecés en même temps que du bétail, et ils les dévorent tous ensemble en festoyant. Quitter la vie dans des conditions qui

151. Discours, 4, 87. Le traducteur, J. Bernardi (Cerf, Paris 1983) signale des récits similaires chez SOZOMÈNE, Histoire ecclésiastique 5, 10, 6-7, THÉODORET, 3, 7, 3 et LIBANIOS, Lettres, 819, 6. Je remercie M. Yvan Bubloz d’avoir attiré mon attention sur ce passage. 152. Sur la création de la catégorie de « païens » et l’appropriation du statut exclusif du bon citoyen par les chrétiens voir F. THÉLAMON, Païens et chrétiens au IVe siècle. L’apport de l’Histoire ecclésiastique de Rufin d’Aquilée (“Collection des études augustiniennes. Série Antiquité”), Institut d’Études Augustiniennes, Paris 1981 et H. I NGLEBERT, Les Romains chrétiens face à l’histoire de Rome. Histoire, christianisme et romanités en Occident dans l’Antiquité tardive (IIIe-Ve siècles) (“Collection des études augustiniennes. Série Antiquité” 145), Institut d’Études Augustiniennes, Paris 1996.

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs ne permettent pas d’alimenter la table, est pour eux une mort maudite […] ; il n’y a de chaleur que dans la sauvagerie, celle qui a fourni au théâtre les mythes sur les sacrifices de Tauride, les amours de Colchide et les supplices du Caucase 153.

Cependant, avertit Tertullien, tout cela n’est rien comparé à Marcion (1, 4) : Mais rien d’aussi barbare et d’aussi funeste dans le Pont que d’avoir donné naissance à Marcion : il est plus affreux qu’un Scythe, plus instable qu’un Hamaxobios, plus inhumain qu’un Massagète, plus impudent qu’une Amazone, plus ténébreux que le brouillard, plus glacial que l’hiver, plus friable que la glace, plus trompeur que l’Hister, plus abrupt que le Caucase. La preuve ? C’est chez lui que, par des blasphèmes, on déchire le vrai Prométhée, le Dieu tout-puissant.

Si Marcion n’est pas cannibale de fait, ses doctrines le sont : elles dévorent l’âme du malheureux qui se prend dans leur piège. Toutefois, l’hérésiarque est pire qu’un barbare anthropophage car tandis que celui-ci s’attaque uniquement aux hommes, celui-là ose s’en prendre à Dieu. « Déchirer le Dieu tout-puissant » fait évidemment référence au dualisme de Marcion qui distingue le Dieu omnipotent, le Père, du Démiurge, le créateur de ce monde matériel. Comme on l’a vu, Justin Martyr pointe du doigt précisément ce type de croyance en suggérant que les enseignements impies, les pratiques magiques et en général la conduite immorale des hérétiques auraient pu être à l’origine de l’accusation d’anthropophagie adressée à tous les chrétiens 154. Cependant, Justin et son successeur, Irénée de Lyon, déclarent encore ignorer si les hérétiques s’adonnent réellement à des pratiques anthropophagiques. Après la victoire du christianisme, l’attitude des auteurs chrétiens change. Eusèbe de Césarée et Cyrille de Jérusalem notamment rendent les hérétiques expressément responsables de la naissance de l’accusation de cannibalisme portée contre les chrétiens de la Grande Église. Eusèbe, qui cite pourtant le traité d’Irénée Contre les hérésies pratiquement mot pour mot, change ses propos dans le passage où il s’agit des accusations portées contre les chrétiens. Selon l’auteur lyonnais, « ces gens-là, eux aussi, sont envoyés par Satan vers les païens pour faire calomnier le nom vénérable de l’Église », mais pour toute explication de ses calomnies, il parle seulement de « toutes ces actions que non seulement il ne nous est pas permis de dire et d’entendre, mais qui ne nous viendraient même pas à la pensée et que nous ne croirions pas si on venait à les mettre sur le compte d’hommes vivant dans les mêmes cités que nous » (1, 25, 4). On ne sait que grâce à la Lettre des martyrs de Lyon qu’Irénée pense probablement, entre autres, au cannibalisme et à l’inceste. Or, Eusèbe qui, il faut le rappeler, est justement celui qui nous a conservé la Lettre des martyrs, paraphrase les propos d’Irénée d’une façon plus explicite : Ce fut donc de cette manière, en très grande partie, que prit naissance l’opinion impie et tout à fait déraisonnable, alors courante à notre sujet parmi les mécréants,

153. Traduction de R. BRAUN, Cerf, Paris 1990. 154. Simon, Marcion : JUSTIN, Ire Apologie, 26, 7 ; les carpocratiens : I RÉNÉE, Contre les hérésies, 1, 25, 3 ; les gnostiques : EUSÈBE, Histoire Ecclésiastique, 4, 7.

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Chrétiens et cannibales que nous commettions d’abominables unions avec nos mères et nos sœurs et que nous mangions des nourritures infâmes 155.

Rufin, dans sa traduction latine de l’Histoire ecclésiastique, explique encore plus clairement de quelle nourriture il s’agit : exsecrandis infanticidii dapibus funestari (« exécrable festin souillé par le meurtre d’un enfant »). À partir du milieu du IVe siècle, les auteurs de la Grande Église ne montrent plus aucune retenue. Cyrille de Jérusalem, vers 347 / 348, suggère que l’accusation reposait sur des faits réels, notamment sur les rites anthropophagiques du chef des montanistes : Il égorgeait d’infortunés petits enfants et les coupait en morceaux pour une criminelle nourriture, sous prétexte de ce qu’ils appellent leurs « mystères ». Voilà pourquoi jusqu’à ces derniers temps, dans la persécution, on nous soupçonnait de ce forfait, vu que les Montanistes, portant mensongèrement le même nom que nous, étaient appelés, eux aussi, chrétiens 156.

Ironie de l’histoire : Tertullien, défenseur de la Grande Église contre les accusations venant des « païens », mais devenu plus tard montaniste, se retrouve dans le camps de ceux que l’Église désigne elle-même en tant que cannibales ! Selon le Prædestinatus, rédigé vers 440, l’apologiste de Carthage aurait même dû se fendre d’une apologie des montanistes contre cette accusation : « Tertullien, le prêtre de Carthage, […] affirme que ces histoires sur le sang d’un enfant sont mensongères » 157. Cette réputation des montanistes (priscillianistes ou cataphrygiens) est des plus tenaces. Désormais il y aura très peu d’auteurs chrétiens qui témoignent d’une certaine bonne foi à leur égard 158. Elle sera connue sous diverses versions bien après que la « secte » elle-même ait disparu 159. Jean de Damas, au VIIIe siècle, répète encore et toujours la même histoire : « Pour faire leurs initiations, ils tuent un jeune enfant avec des aiguilles d’airain, comme les

155. EUSÈBE, Histoire ecclésiastique, 4, 7, 11 : « τατW δ  ον =π' πλεστον συνβαινεν τν περ' _μŒν παρ+ τος ττε π$στοις ˜πνοιαν δυσσεβ‚ κα' τοπωττην διαδ$δοσθαι, •ς δ θεμ$τοις πρ{ς μητρας κα' δελφ+ς μ$ξεσιν νοσ$αις τε τροφας χρωμνων. » Traduction légèrement modifiée. 156. CYRILLE, Catéchèses, 16, 8 : « κα' θλιKτατα παιδ$α γυναικŒν μικρ+ σφττων, κα' κατακπτων ε‡ς θμιτον βρŒσιν, προφσει τŒν καλουμνων παρ’ ατος μυστηρ$ων (δι{ μχρις πρŒην =ν τ§ διωγμ§, τοτο ποεν _μες ˜ποπτευμεθα, δι+ τ{ κ κε$νους το™ς Μοντανο™ς, ψευδŒς μν μωνμος δ, καλεσθαι Χριστιανος). » Texte et traduction de P. DE LABRIOLLE, Les Sources de l’histoire du Montanisme, Fribourg / Paris, 1913, p. 89. 157. Prædestinatus, 1, 26 : « Contra quos scripsit Tertullianus presbyter Carthaginiensis […] asserens falsa esse de sanguine infantis […] ». P. DE LABRIOLLE, Les Sources, p. 214. 158. Ibid. : « Ce qu’on dit de reste sur leur compte, je le passe sous silence comme n’étant point sûr. (Cætera quæ dicuntur quasi incerta prætereo) ». P. DE LABRIOLLE, Les Sources, p. 214. JÉRÔME, Lettres à Marcella, 41, 4 : « Je passe sous silence les affreux mystères que l’on raconte qu’ils combinent sur un enfant à la mamelle, qui devient martyr s’il vit. J’aime mieux ne pas croire à ces infamies ; admettons que tout ce qui est inculpation sanglante est mensongère. (Prætermitto scelerata mysteria, quæ dicuntur de lactente puero, et de uicturo martyre confarrata. Malo iniqua non credere; sit falsum omne, quod sanguinis est) ». P. DE LABRIOLLE, Les Sources, p. 169. 159. Par ex. : ÉPIPHANE, Panarion, 48, 14 ; Filastre, Liber de Hæresibus, 49 (Patrologia Latina, XII, 1165) ; AUGUSTIN, De hæresibus liber, 26 (Patrologia Latina, XLII, 30).

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs Cataphrygastes, ils pétrissent avec son sang de la farine de froment, ils en font du pain et prennent leur part de l’oblation » 160. Selon Cyrille, comme selon ses prédécesseurs et tous ses successeurs, les actes abominables des hérétiques sont les résultats de leurs doctrines erronées et même folles. Cependant, il va plus loin que Justin, Irénée et même Eusèbe. Il ne se contente pas d’affirmer que les enseignements impies permettent les pratiques impies. Il n’exprime pas de doutes quant à leur réalisation et ne fait pas que de vagues suggestions. Cyrille déclare savoir que ces hérétiques pratiquent effectivement le sacrifice humain, qu’ils mangent effectivement de la chair d’enfants et qu’ils célèbrent effectivement leurs mystères de cette façon. L’hérésie ne rend donc pas seulement possible, mais exige des actes pervers. Si la réalité du cannibalisme de certains hérétiques ne fait plus guère de doute aux yeux des écrivains ecclésiastiques, cela ne signifie pas que désormais tous les hérétiques soient tenus pour des cannibales. Certaines sectes, probablement considérées comme les plus redoutables 161, étaient plus exposées à cette réputation que d’autres. L’image de l’hérétique cannibale fait écho jusqu’aux textes de loi. Lorsque Justinien, vers 527 / 529, bannit les clergés hérétiques de Constantinople leur interdisant de tenir des assemblées et d’administrer leurs sacrements, et surtout de « donner une communion abominable » (τν >ρρητον ατος διδναι κοινων$αν), il précise que : […] ces décrets valent pour tous les hérétiques en général. À l’égard des impies Montanistes en particulier […] nous voulons qu’on interdise aussi leurs repas déshonnêtes en commun et ces réunions impies et condamnées (τ+ σελγ‚ συσσ$τια

160. Des Hérésies, 87 (Patrologia Græca, XCIV, 706) : « Μυονται δ τινα, κατακεντοντες νον παδα ½αφ$σι χαλκας, #σπερ ο‘ ΚαταφρυγαστŒν, κα' τ§ αÁματι ατο >λευρον φυρσαντες, κα' ρτοποι}σαντες, προσφορ+ν μεταλαμβνουσι. » Texte et traduction de P. DE LABRIOLLE, Les Sources, p. 248. 161. La loi de Théodose II du 30 mai 428 déclare clairement « qu’il ne faut pas que tous les hérétiques soient punis avec la même sévérité ». Par conséquent, les ariens, les macédoniens et les apollinariens dont le seul crime est de « croire des mensonges sur la source de Vérité », ne sont condamnés qu’à perdre leurs églises urbaines. Aux novatiens et aux sabbatiens, la loi interdit déjà de fonder de nouvelles communautés. Mais en ce qui concerne les plus dangereux : « que les Eunomiens, les Valentiniens, les Montanistes ou Priscillianistes, les Phrygiens, les Marcianistes, les Borboriens, les Messaliens, les Euchites ou Enthousiastes, les Donatistes, les Audiens, les Hydroparastates, les Tascodrogites, les Photiniens, les Pauliens, les Marcelliniens – et les Manichéens qui sont descendus jusqu’à l’extrême perversité du crime – n’aient nulle part sur le sol romain la faculté de se réunir et de prier […] ». (Codex Theodosianus, XVI, v, 65, cité par P. DE LABRIOLLE, Les Sources, p. 203). Une centaine d’années plus tard, en 531, Justinien interdit à tous les hérétiques (ainsi qu’aux Juifs) de témoigner en procès contre des orthodoxes. Leur témoignage reste néanmoins valable dans des procès qui oppose hérétiques ou Juifs entres eux, « à l’exception de ceux que possède la folie manichéenne […] ou de la superstition païenne ; excepté aussi les Samaritains et ceux qui n’en diffèrent guère, Montanistes, Tascodrogites, Ophites, à qui, en raison de la similitude de leur crime, tout acte légal est interdit ». (Codex Iustinianus, I, v, 21, traduction de P. DE LABRIOLLE, Les Sources, p. 134). Cf. F. ZUCCOTTI, « Furor Hæreticorum ». Studi sul trattamento giuridico della follia e sulla persecuzione della eterodossia religiosa nella legislazione del tardo imperio (“Università degli studi di Milano, Pubblicazioni dell’istituto di Diritto Romano” 26), Milan 1992.

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Chrétiens et cannibales κα' τ+ σεβ‚ κα' κατεγνωσμνα συμπσια) où ils essaient de gagner les âmes des simples 162.

Même si la loi ne condamne évidemment pas ces repas et ces communions à cause de leur caractère anthropophagique, le vocabulaire est suffisamment suggestif. Son rédacteur savait exactement où situer l’eucharistie des montanistes, de « cette sorte de gens, (à qui) ni mœurs, ni lois ne sont communes avec les autres » 163, comme le dit la loi d’Honorius : aux côtés des ennemis de la Foi et de l’Empire. L’Antéchrist et ses armées L’avènement du christianisme au rang de religion d’état n’inaugure pas une ère de paix et de prospérité pour les habitants de l’Empire romain. À la mort de Théodose le 17 janvier 395, ses fils Honorius et Arcadius étant mineurs, le pouvoir est entre les mains de leurs tuteurs respectifs, Stilicon pour le premier et Rufin puis Eutrope pour le second. Or, loin d’œuvrer main dans la main pour le bien de l’Empire, leur lutte interne pour obtenir la suprématie laisse libre cours aux Huns d’Attila et aux Wisigoths d’Alaric pour piller ses richesses et martyriser ses habitants. Pire, des soupçons pèsent sur les tuteurs impériaux d’utiliser les services des barbares pour contrer la puissance de leurs adversaires ! Stilicon, pour se disculper, trouve une solution toute simple : retourner l’accusation de collusion contre Rufin, entre temps assasiné, donc incapable de se défendre 164. Pour cela, il a recours aux services d’un jeune poète promis à un bel avenir, Claudien, qui composera pour son maître un poème intitulé Contre Rufin, dans lequel il charge l’ancien tuteur d’Arcadius de conspiration contre les intérêts des Empereurs et de l’Empire. Claudien utilise les mêmes images pour décrire Rufin que Tertullien dans sa description de Marcion : celle des Scythes et des Massagètes sauvages (1, 305-311.318-321.325-328) : Ainsi l’avidité de ce brigand ne sévit plus sur des individus, Mais ose porter ses menaces contre le sceptre, abattre Par la mort de tous ses soldats la puissance romaine. Il ébranle déjà les peuples de l’Hister ; il reçoit le secours De la Scythie et livre aux armes ennemies Tout ce qu’il a laissé. Le Sarmate descend en se mêlant aux Daces, Avec le hardi Massagète qui blesse son coursier pour s’abreuver. (et qui cornipedes in pocula uulnerat audax / Massagetes) […] l’impie, Traître à l’Empire, conjure avec les Gètes, Diffère, en abusant le prince, les combats imminents 162. Codex Iustinianus, I, v, 20, 3-5, De Hæreticis et Manichæis et Samaritis. Τexte et traduction de P. DE LABRIOLLE, Les Sources, p. 232-233. 163. Codex Theodosianus XVI, v, 40 (Loi d’Honorius de 407) : « huic itaque hominum generi nihil ex moribus, nihil ex legibus fit commune cum ceteris. » Texte et traduction de P. DE LABRIOLLE, Les Sources, p. 197. 164. J.-L. CHARLET, Claudien, Poèmes politiques (395-398), Les Belles Lettres, Paris 2000, p. x-xxiv.

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs Pour apporter l’appui des Huns ; […] Aspects lugubre et corps sinistres à regarder ; leur cœur ne recule jamais devant le dur labeur ; Leur proie pour nourriture : ils évitent Cérès. Ils se coupent le front Par jeu et croient beau de jurer par les parents qu’ils ont tués (præda cibus, uitanda Ceres, frontemque secare / ludus et occisos pulchrum iurare parentes).

Pourtant, il est intéressant de noter que ces Barbares, bien que parricides et assoiffés de sang – donc très proche des cannibales –, ne sont pas traités d’anthropophages par le poète. Curieusement, les histoires de cannibales qui accompagnent ces troupes dans l’Empire ne sont pas celles des Scythes buvant le sang de leurs ennemis ou se vêtissant de leur peau. Elles mettent plutôt en scène le cannibalisme de survie en cas de siège, connu de l’histoire biblique. Ainsi, Jérôme décrit comment « la fureur et la faim a poussé à des nourritures criminelles » pendant le siège de Rome par Alaric en 410 : « Les gens se déchiraient mutuellement les membres ; une mère n’a pas épargné son nourrisson et a absorbé dans ses entrailles l’enfant qui en était sorti peu auparavant » 165. Pourtant, malgé des images et un vocabulaire qui évoque les Lamentations, pour Jérôme, il ne s’agit pas du châtiment suprême de Dieu pour l’infidélité de son nouveau peuple. Quand il cite Ps 79 (78), 1-3, Jérôme s’éloigne du schéma de l’historiographie biblique pour avoir recours à la métaphore juive de la violence. Car le Psalmiste, loin de la contrition et de la patience des déportés de Babylone, demande réparation et vengeance immédiates au Seigneur (Ps 79 [78], 6-8.10b) : Répands ta fureur sur les nations qui t’ignorent, sur les royaumes qui n’invoquent pas ton nom, car ils ont mangé Jacob, ravagé son domaine. N’invoque pas contre nous les fautes anciennes. Vite ! que ta pitié vienne au-devant de nous, car nous sommes au plus bas […] Que les nations apprennent, sous nos yeux, qu’il y a une vengeance pour le meurtre de tes serviteurs !

En y faisant référence explicite, Jérôme place les Romains à la place des victimes innocentes et les assiégeants à celle des Nations cannibales, sur qui la juste colère de Dieu s’abattra bientôt en retour. Cependant, l’auteur chrétien ne construit pas uniquement avec des réminiscences bibliques. Jérôme termine son récit du siège de Rome par une anecdote curieuse – qui n’est pas sans rappeler Valère Maxime – sur la pieuse Marcella, capturée par les Wisigoths. En effet, lorsque celle-ci fut conduite à la basilique de l’apôtre Paul, « elle remerciait Dieu […] de manquer de

165. JÉRÔME, Lettres, 127, 12 : « Ad nefandos cibos erupit esurientium rabies, et sua inuicem membra laniarunt, dum mater non parcit lactanti infantiæ, et recipit utero, quem paulo ante effunderat. » Traduction de J. LABOURT, Les Belles Lettres, Paris 1961. Cf. ZOSIME, Histoire nouvelle, 6, 11 ; P HILOSTORGE, Histoire ecclésiastique, 12, 3.

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Chrétiens et cannibales sa nourriture tous les jours, mais rassasiée du Christ, de ne pas sentir la faim » 166. L’intelligence et la grandeur d’âme des Romains qui, selon Valère Maxime, les ont toujours préservés du cannibalisme de nécessité, cède la place sous la plume de l’auteur chrétien à la puissance du Christ qui protège ses fidèles des horreurs de l’anthropophagie… Le sac de Rome n’est pas la seule occasion où les attaques des Barbares forcent les habitants de l’Empire au cannibalisme. Hydace dépeint une image quasi apocalyptique du passage des Vandales en Espagne (419-429). Mais lui, contrairement à Jérôme, semble y voir l’accomplissement des prophéties bibliques : Voici l’attaque de l’effrayante famine : les humains dévorent la chair humaine sous la pression de la faim, les mères, elles aussi, se nourrissent du corps de leurs enfants qu’elles ont tués ou fait cuire. Les bêtes féroces, habituées aux cadavres des victimes de l’épée, de la faim ou de la peste tuent aussi les hommes les plus forts et, repues de leur chair, se déchaînent partout pour l’anéantissement du genre humain. C’est ainsi que, par les quatre fléaux du fer, de la faim, de la peste et des bêtes féroces, qui sévissaient partout dans le monde entier, s’accomplit ce qu’avait annoncé le Seigneur par ses prophètes 167.

Cependant, Hydace ne pense pas uniquement aux prophètes vétérotestamentaires : sa description fait référence explicite à celle donnée par Jean de la venue de l’Antéchrist. Car aux quatre cavaliers de l’Apocalypse « pouvoir fut donné sur le quart de la terre, pour tuer par l’épée, la famine, la mort et les fauves de la terre » (Ap 6, 8). Or, le livre de l’Apocalypse partage la vision de l’histoire de l’auteur du Psaume 79 (78) : le sang des victimes innocentes crie à la vengeance divine 168. L’Antéchrist, selon l’auteur anonyme des Questions d’un païen à un chrétien (Consultationes), compte dans sa lutte contre le christianisme sur trois groupes, les païens, les Juifs et les hérétiques, en les berçant d’illusions trompeuses : […] il repoussera le paganisme et incitera à la pratique de la circoncision […] Quant aux hérétiques, ce trompeur leur affirmera qu’il est bien un dieu, mais plus petit que le père […] Alors il s’emparera des païens comme de bêtes sans raison, en leur faisant admirer des illusions trompeuses 169.

166. JÉRÔME, Lettres, 127, 13 : « gratias ageret Deo […] quod egeret cotidiano cibo : quod saturata Christo, non sentiret esuriem. » 167. HYDACE, Chronique, 1, 46-48 : « Fames dira grassatur, adeo ut humanæ carnes ab humano genere ui famis fuerint deuoratæ : matres quoque necatis uel coctis per se natorum suorum sint pastæ corporibus. Bestiæ, occisorum gladio fame pestilentia cadaueribus adsuetæ, quosque hominum fortiores interimunt eorumque carnibus pastæ passim in humani generis efferantur interitum. Et ita, quattuor plagis ferri famis pestilentæ bestiarum ubique in toto orbe sæuintibus, prædictæ a domino per prophetas suos adnuntiationes implentur. » Traduction de A. TRANOY, Cerf, Paris 1974. 168. Ap 6, 10 : « Jusques à quand, Maître saint et véritable / tarderas-tu à faire justice / et à venger notre sang sur les habitants de la terre ? » 169. Questions d’un païen à un chrétien (Consultationes Zacchei christiani et Apollonii philosophi), 3, 7-8, traduction de J.-L. FEIERTAG, W. STEINMANN, Cerf, Paris 1994.

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Juifs et chrétiens face aux rumeurs En réalité, son règne sera néfaste pour tous, causant guerres, séditions et chaos politique. Or, à la fin du IVe et au début du Ve siècles, les signes de sa venue imminente semblent clairement reconnaissables par l’arrivée du pire, des famines qui poussent les parents à dévorer leurs propres enfants : À quoi bon parler des sinistres trépas dus à la disette, et des gens qui, mourant de faim, rassasient leur avidité par d’indicibles repas de chair humaine ? Mon esprit répugne à décrire la famine apaisée par des parricides et les dépouilles mortelles des corps aimés ensevelis dans les entrailles des leurs, si bien qu’ils meurent plus cruellement encore qu’ils avaient vécu 170.

Comme on l’a vu, ce type de tecnophagie de nécessité, particulièrement en cas de siège, est le châtiment mérité pour les péchés du peuple élu dans l’historiographie biblique 171. Cependant, dans l’historiographie chrétienne, elle remplit une autre fonction. Elle n’est pas dispensée directement par le Dieu juste et miséricordieux : elle est, au contraire, un signe de la présence diabolique. C’est le diable, en vrai tyran, qui réduit ses nouveaux sujets à l’état bestial : Juge, je t’en prie, si le monde pourra supporter encore longtemps ce que la parole humaine ose à peine énoncer, et si c’est bien durant un temps de repos du diable que se déchaînent ainsi les événements qui, bien qu’il faille à juste titre les imputer à nos péchés, sont pourtant accomplis par son action et son habileté 172.

Le cannibalisme dû à la famine dont parle l’auteur des Consultationes rappelle clairement les descriptions des invasions barbares du début du Ve siècle, vues chez Jérôme et chez Hydace. Or, les Vandales comme les Wisigoths ne sont pas seulement des barbares : ce sont également des hérétiques ariens – une véritable armée de l’Antéchrist…

170. Consultationes, 3, 8, 9 : « Quid inediæ funestos exitus loquar, et infandis humanorum corporum cibis expletas deficientium auditates ? Horret animus dicere parricidiis famem pastam et reliquias corporum dilectorum, ut sæuius quam uixerant interirent, uisceribus suorum sepultas. » 171. Supra, p. 161-168. 172. Ibid., 3, 8, 10 : « Aestima, quæso, utrum hoc ferre diu sæculum possit, quod eloqui humanus sermo uix audet, utrumne hæc diabolo otiante sic sæuiant, quæ licet merito nostris sint reputanda peccatis, illius tamen opere et arte geruntur. »

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EN GUISE DE CONCLUSION VERS LES NOUVEAUX RÉCITS D’ANTHROPOPHAGES

Quelles que soient les circonstances dans lesquelles elle apparaît, l’anthropophagie représente toujours un crime et une souillure inexpiables pour les Grecs et les Romains – exception faite bien sûr des coutumes ancestrales des peuples barbares. La vision particulière de certaines philosophies (comme le cynisme, le stoïcisme et le scepticisme) qui tiennent le cannibalisme pour indifférent est précisément née par opposition à l’opinion publique. Elle ne confirme donc pas moins que la majorité considérait l’anthropophagie comme un tabou absolu. Même le tecnophage trompé, même l’assiégé affamé ne font pas exception : ils doivent être retranchés de la société. C’est à cette valeur négative de souillure qu’est intimement liée la fonction du motif d’anthropophagie dans les récits grecs et romains. C’est autour du cannibalisme que se dessine le clivage entre le passé et le présent, entre l’ici et l’ailleurs, entre le civilisé et le barbare, entre le bon et le méchant. Bref, l’interdiction absolue du cannibalisme est un trait fondamental de la vie civilisée présente, face à celle – imaginée plus permissive – des ancêtres, des barbares et des animaux. La mise en doute de l’ordre établi est ressentie comme une tentative d’introduire le désordre pré- et paracivilisé dans la cité. Ce désordre étant symbolisé par l’anthropophagie – un comportement bestial –, les contestataires sont souvent décrits comme des cannibales (du moins potentiels). La tecnophagie dionysiaque ne fait pas exception. En effet, le dieu ne rend cannibales que ceux qui lui résistent. Les cultes de Dionysos, apparemment si sauvages et étrangers à la cité, servent en réalité précisément à garder le désordre et la sauvagerie à bonne distance de l’homme : ni trop près, ni trop loin. Par leur sauvagerie bien réglementée, ils rappellent le danger qui guette juste en dehors des murs. Les bonnes bacchantes sont des ômophages, mais pas des anthropophages. Le cannibalisme dionysiaque est un châtiment réservé à ceux et celles qui refusent cette sorte de bestialité domestiquée que représente le délire dionysiaque. Les Cadméïdes, les Proétides et les Minyades, tout en voulant s’y soustraire, sont submergées par une bestialité sauvage, incontrôlée, qui les conduit à la tecnophagie. Il est très important de souligner que l’anthropophagie interne est pratiquement toujours imaginée comme un repas sacrificiel. Cette particularité s’explique de deux façons. D’une part, le sacrifice est l’acte central de la religion civique et de ce fait le bon citoyen doit y participer. Ceux qui ne respectent pas les lois de la cité sont donc imaginés comme des mauvais citoyens qui s’abstiennent du sacrifice ordinaire, mais célèbrent leurs propres rites pervers. D’autre part, la source principale de l’alimentation carnée étant l’animal sacrifié, il est compréhensible que les cannibales soient censés se procurer de la chair humaine en pratiquant des sacrifices humains. Le fantasme du cannibalisme opère sur trois niveaux dans la pensée grecque et romaine : celui de l’autodéfinition, celui de l’auto-amélioration et celui de l’exclusion. 245

En guise de conclusion Mais les récits antiques d’anthropophages n’expriment pas soit l’un, soit l’autre de ces domaines, mais tantôt l’un, tantôt un autre, et encore plus souvent deux, ou même les trois à la fois. En effet, l’autodéfinition préalable est indispensable à toute tentative d’auto-amélioration ou volonté d’exclusion de l’Autre… La quinzième Satire de Juvénal offre un exemple parfait du mélange des trois niveaux. Le poète romain raconte, en se posant comme témoin oculaire, la lutte fratricide et anthropophagique de deux villes voisines en Égypte, Ombos et Tentyra, pour une raison futile : comme chacune exécrait les dieux de l’autre, et comme l’une des deux s’apprêtait à célébrer une fête, l’autre décida de l’en empêcher. Or, dans la fureur de l’émeute, non contents de blesser et même de tuer les habitants de Tentyra, les Ombites se jettent sur celui qu’ils arrivent à attraper : On le découpe en quantité de morceaux, afin que chacun puisse avoir sa part du mort. Les vainqueurs le dévorent, et rongent jusqu’à ses os, sans même le faire cuire à la casserole ou à la broche. On trouva trop long et trop ennuyeux d’attendre que le feu fût allumé : on se contenta de manger le cadavre tout cru. Au moins faut-il ici se réjouir qu’ils n’aient pas profané ce feu que Prométhée alla ravir au plus haut des cieux pour en faire présent à la terre. J’en félicite cet élément, et je suis sûr que tu en es enchanté. Mais celui qui a eu le courage de mordre dans un cadavre ne mange plus jamais rien qui lui paraisse meilleur que la chair humaine. Inutile de chercher ni de te demander si, lors de ce crime inouï, le premier qui y goûta fut le seul à trouver cela bon, puisque le dernier, quand vint son tour, voyant que tout le corps était déjà consommé, passa ses doigts sur le sol pour y goûter du moins un peu de sang 1.

L’opposition entre civilisation et barbarie ne peut pas être plus claire : non seulement ces Égyptiens sont des cannibales mais, de plus, ils mangent leur victime crue, sans la cuire sur le feu, cadeau – comme le rappelle le poète – du dieu civilisateur, Prométhée ! Dans la suite du poème, Juvénal renforce encore cette impression, en comparant l’attitude des habitants des deux villes aux coutumes des sauvages notoires : Mais l’Égypte est plus sanguinaire que l’autel de la Méotide. S’il faut en croire les récits des poètes, la Taurique qui a inventé un sacrifice abominable se contente d’immoler des créatures humaines : au moins la victime n’a-t-elle à redouter aucun attentat posthume, pire que le couteau. […] Cette rage inconnue aux terribles

1. Satire XV, 78-92 : « Ast illum in plurima sectum / frusta et particulas, ut multis mortuus unus / sufficeret, totum corrosis ossibus edit / uictrix turba, nec ardenti decoxit æno / aut ueribus, longum usque adeo tardumque putauit / expectare focos, contenta cadauere crudo. / Hic gaudere libet quod non uiolauerit ignem / quem summa cæli raptum de parte Prometheus / donauit terris ; elemento gratulor, et te / exultare reor. Sed qui mordere cadauer / sustinuit, nil unquam hac carne libentius edit ; / nam scelere in tanto ne quæras et dubites an / prima uoluptatem gula senserit ; ultimus autem / qui stetit, absumpto iam toto corpore, ductis / per terram digitis aliquid de sanguine gustat. » Sauf mention explicite, le texte et la traduction de cette œuvre seront cités suivant l’édition de P. DE LABRIOLLE, F. VILLENEUVE, Juvénal, Satires, Les Belles Lettres, Paris 1967.

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Vers les nouveaux récits d’anthropophages Cimbres, aux Bretons, aux farouches Sarmates, aux cruels Agathyrses, c’est une vile et lâche canaille qui s’y est portée 2.

Juvénal semble jouer exclusivement au niveau de l’exclusion, incriminant la religion égyptienne comme source de ce comportement. En effet, dès les premières lignes du poème, le ton est donné : Qui ne sait, ô Volusius Bithynicus, à quels monstres l’Égyptien adresse son culte insensé ? […] C’est un sacrilège que d’outrager, en y mettant la dent, le poireau et l’oignon. […] Les bêtes à laine ne paraissent sur aucune table. […] Mais il est permis de se nourrir de chair humaine 3.

Cependant, en parallèle avec celui de l’exclusion de l’Autre, le poète opère sur un second niveau, celui de l’autodéfinition par rapport au passé. Par des digressions plutôt inattendues, il renvoie le lecteur tout au long du poème à un âge lointain tantôt heureux, tantôt bestial. Ainsi, d’une part, il se plaint de la décadence de l’humanité : « Déjà du vivant d’Homère, notre race baissait. La terre ne nourrit plus aujourd’hui que des hommes méchants et chétifs » 4. Et d’autre part, Juvénal semble se féliciter que « maintenant le monde entier bénéficie de la culture attique » (110), expressément opposée à la sauvagerie de l’Égypte. Le dernier quart de la satire est entièrement consacré au thème de l’évolution humaine – sans faire cette fois de distinction entre Romains et Barbares. L’être humain a su s’élever au-dessus des bêtes grâce à un cœur tendre et à sa capacité d’affection. C’est ce qui l’a distingué des animaux et l’a poussé vers ses semblables : […] afin que les hommes dispersés formassent une société et que, quittant leurs bois antiques, les forêts où avaient habité leurs aïeux, ils se construisissent des maisons, établissant la contiguïté des foyers et assurant par ce voisinage même, par la confiance qui en naissait, la sécurité de leurs sommeils. Ils apprenaient à protéger de leurs armes un concitoyen tombé ou chancelant sous l’atteinte d’une large blessure ; à marcher au combat à un même signal ; à se défendre par les mêmes remparts ; à se protéger par les mêmes portes fermées avec la même clé 5.

Cependant, contrairement à ce que l’on s’attendrait après ces préliminaires, le constat de Juvénal n’est pas celui de l’auto-satisfaction. L’être humain, au lieu d’atteindre le sommet de son évolution auquel il fut jadis destiné, le conduisant à la félicité, à la paix et à la prospérité, est arrivé au comble de sa décadence : 2. Satire XV, 115-119.124-126 : « Mæotide sæuior ara / Ægyptios ; quippe illa nefandi Taurica sacri / inuentrix homines – ut iam quæ carmina tradunt / digna fide credas – tantum immolat, ulterius nil / aut grauius cultro timet hostia. […] / Qua nec terribiles Cimbri nec Brittones umquam / Sauromatæque truces aut inmanes Agathyrsi, / hac sæuit rabie inbelle et inutile uulgus. » 3. Ibid., 1-2.9.11.13 : « Quis nescit, Volusi Bithynice, qualia demens / Ægyptos porenta colet ? […] / Porrum et cæpe nefas uiolare et frangere morsu ; / […] Lanatis animalibus abstinet omnis / mensa […] / carnibus humanis uesci licet. » 4. Ibid., 69-70 : « Nam genus hoc uiuo iam descrescebat Homero, / terra malos homines nunc educat atque pusillos. » 5. Ibid., 151-158 : « migrare uetusto / de nemore et proauis habitatas linquere siluas, / ædificare domos, laribus coniungere nostris / tectum aliud, tutos uicino limine somnos / ut collata daret fiducia, protegere armis / lapsum aut ingenti nutantem uulnere ciuem, / communi dare signa tuba, defendier isdem / turribus atque una portarum claue teneri. »

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En guise de conclusion Aujourd’hui les serpents s’accordent mieux que les hommes ; la bête fauve épargne les bêtes à qui l’apparente sa robe tachetée. Vit-on un lion, parce qu’il était le plus fort, arracher la vie à un autre lion ? Dans quelle forêt, sanglier expira-t-il sous la dent d’un autre sanglier plus gros que lui ? Le tigre des Indes, malgré sa férocité, vit avec le tigre dans une paix perpétuelle ; les ours cruels s’arrangent entre eux. – Mais pour l’homme […], nous voyons des peuples dont le ressentiment ne se contente pas d’immoler des êtres humains, mais qui se sont fait une nourriture du cœur, des bras, de la figure de leurs victimes 6.

Par la description de la lutte fratricide menant les Égyptiens jusqu’à l’horreur de l’anthropophagie, Juvénal tend en réalité un miroir à ses concitoyens romains qui condamnent le cannibalisme chez les autres, mais que le meurtre laisse indifférents chez eux 7. Le véritable but du poème n’est donc ni l’exclusion, ni même l’autodéfinition : l’image du cannibale barbare sert à éveiller les consciences et contribuer par là à l’auto-amélioration des lecteurs. La plupart des récits grecs et romains d’anthropophages reflètent la peur de se faire dévorer. Cependant, une minorité non négligeable – dont les mythes de Thyeste et des Minyades, l’histoire d’Harpage et le récit sur l’armée de Cambyse –, trahit une seconde crainte : celle de se transformer en cannibale. Juvénal joue également sur cette seconde crainte, en présentant par le cannibalisme à quels excès la discorde peut mener. Comme on l’a vu, dans la pensée juive, la peur de devenir des cannibales semble plus prononcée que celle d’en devenir la victime. Particulièrement, en ce qui concerne la tecnophagie, qui n’est pas vue comme une action culpabilisant les parents, mais comme un malheur qui arrive par la volonté de YHWH. C’est une menace permanente, parce que les malédictions de Lv 26 et de Dt 28 sont toujours en vigueur, même après l’Exil. Pour le judaïsme ancien, le motif de l’anthropophagie joue des rôles tout à fait différents que pour les Grecs et les Romains. Malgré les tentatives timides de la littérature apocalyptique, il n’a pas vraiment sa place dans la compréhension juive du monde. Pour l’opinion majoritaire, l’anthropophagie ne symbolise ni le passé bestial par rapport au présent humain, ni les Nations par rapport aux Juifs. Le motif de l’anthropophagie, dans cette conception, n’est pas apte à être utilisé comme argument polémique externe. Les Juifs, confrontés à des accusations d’anthropophagie, sont donc privés du seul moyen de défense efficace, ne pouvant pas les retourner contre leurs accusateurs. Les chrétiens, eux, n’éprouveront par contre aucune difficulté à le faire, ni aucun remords d’ailleurs. Les auteurs chrétiens comprennent très bien le message caché des accusations dont ils sont la cible : « ce qu’on appelle se nourrir de chair humaine, c’est aller contre les lois existantes » 8. Ils savent très bien que, 6. Ibid., 159-165.169-171 : « Sed iam serpentum maior concordia, parcit / cognatis maculis similis fera ; quando leoni / fortior eripuit uitam leo ? Quo nemore umquam / expirauit aper maioris dentibus apri ? / Indica tigris agit rabida cum tigride pacem / perpetuam, sæuis inter se conuenit ursis. / Ast homini […] / aspicimus populos quorum non sufficit iræ / occidisse aliquem, sed pectora, bracchia, uoltum / crediderint genus esse cibi. » 7. D. SINGLETON, « Juvenal Fifteenth Satire: A Reading », Greece & Rome 30 (1983), p. 198-207. 8. ATHÉNAGORE, Supplique, 34, 3, 3-6 : « κα' τοτ =στι σαρκŒν šπτεσθαι νθρωπικŒν, τ{ κειμνων νμων. » Cependant, ce fait n’exclut pas que certaines personnes à certaines occasions (et

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Vers les nouveaux récits d’anthropophages pour leurs adversaires, manger de la chair humaine ne signifie pas seulement une souillure : la notion de cannibalisme symbolise la bestialité, la vie hors de la cité. En les traitant de cannibales, ils stigmatisent les chrétiens en tant qu’ennemis de la civilisation. Et la réponse est prête dès les premières apologies : « Vous voyez, c’est manger des hommes, ce que vous faites, mais nous n’en mangeons pas… » 9 et « Chez nous nul ne mange de la chair humaine […] C’est chez vous […] » 10. Ce mot, anthropophage, n’a pas cessé de résonner durant les millénaires passés. Les Européens en rencontraient partout où ils passaient dans le monde. Et si certains, comme Montaigne, trouvaient le cannibalisme tout à fait admissible ou même admirable chez les sauvages, pour la plupart des peuples ainsi stigmatisés cette réputation causait énormément de souffrance. « La pénétration – la colonisation, diront certains – des cultures par les émissaires de la civilisation occidentale a amené une répression de l’anthropophagie » – constate André Green. À tel point que « le matériel des anthropologues est moins constitué par l’observation du cannibalisme effectif que par les mythes qui en parlent. Le champ du cannibalisme réel se restreint au profit du cannibalisme imaginaire dont le foisonnement reste considérable » 11. Mais avons-nous jamais vraiment été en mesure – prédisposés comme nous le sommes à voir le cannibale dans l’Autre – de faire la part de l’imaginaire et du réel ? Comment savoir quel est le pourcentage des peuples réellement « débarrassés » du cannibalisme « grâce » à la civilisation occidentale et de ceux qui, victimes de leur réputation, ont subi les pires répressions, perdu leur culture ou ont tout simplement disparu à jamais ? « Grâce » au christianisme qui l’a gardé intact et l’a perfectionné, nous sommes toujours en possession d’un outil terriblement performant, hérité des anciens Grecs mais conçu au fond des âges – certainement pas à l’Âge d’or ! – qui nous permet de désigner en un seul mot tous ceux qui menacent notre monde : des anthropophages. Ce livre n’avait pas pour but de prouver, ni même de suggérer, que les cannibales n’ont jamais eu d’existence réelle. Mais son auteur espère avoir démontré que leur nombre est certainement de loin inférieur à ceux surgis de l’imagination, de l’ignorance et de la malveillance humaine. L’accusation d’anthropophagie, lancée et relancée d’un groupe à l’autre pendant l’Antiquité, fait partie d’une lutte éternelle pour la (re)définition des notions d’Humanité et de Civilisation. Une lutte dont la raison d’être, la peur de l’Autre, nourrie d’égoïsme et d’ignorance, n’est malheureusement pas près de disparaître, laissant ainsi la voie libre à la naissance de nouveaux récits d’anthropophages…

notamment dans les classes moins éduquées) n’ont pas perçu cette signification symbolique et ont compris l’accusation à la lettre. 9. EUSÈBE, Histoire ecclésiastique, 5, 1, 52 : « õδο™ τοτο =στιν νθρKπους =σθ$ειν,  ποιετε ˜μες· _μες δ οÇτε νθρKπους =σθ$ομεν. » 10. TATIEN, Discours aux Grecs, 25, 3 (27, 12-15) : « παρ _μν οκ ›στιν νθρωποφαγ$α· […] παρ ˜μν δ […] » 11. A. GREEN, « Cannibalisme : réalité ou fantasme agi ? », Destins du cannibalisme, Nouvelle revue de psychanalyse 6 (1972), p. 27-54 (p. 29).

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INDEX DES MOTS-CLÉ

A allélophagie, 17, 28, 33, 35, 55, 60, 66, 123, 128, 156, 189, 191 alliance, 9, 10, 131, 161, 163-167, 187, 199, 216, 228 ambigu, 21, 22, 23, 36, 39, 51, 77, 129, 198, 202, 219 ambiguïté, 19, 22, 23, 28, 44, 66, 123, 204, 221 Androphages, 112, 116, 121, 124 Androphagoi, 112, 124 anomos, 24, 34, 112 autodéfinition, 15, 21, 23, 107, 108, 114, 173, 245-248 B bachisme, 63, 69-78 Bassares, 31, 34, 84 bestialité, 9, 39, 66, 110, 123, 185, 232, 233, 245, 249 C

95, 97, 98, 99, 101, 102, 109, 158 civilisation, 7-10, 16, 17, 21, 25, 35, 36, 37, 38, 39, 83, 96, 101, 202, 233, 246, 249 commensalité, 43, 48, 107, 110, 129 conjuration, 24, 129-139, 142, 148, 149, 159, 184, 185, 204, 227-229 coupable, 31, 34, 48, 50, 55, 80, 81, 84, 87, 89, 90, 91, 97, 102, 103, 118, 123, 126, 129, 138, 139, 142, 155, 163, 165, 167, 169, 173, 178, 185, 199, 202, 205, 212, 219, 223 couteau, 61, 84, 119, 157, 166, 213, 246 cuire, 17, 80, 84, 112, 122, 156, 168, 243, 246 cuisine, 8, 16, 17, 26, 29, 52, 53, 59, 61, 62, 65, 92, 95, 97, 98, 99, 101, 102, 109, 123, 124 cuisson, 16, 49, 54, 62, 76, 77, 80, 98, 99, 122 culpabilité, 157, 202, 213

carpocratiens, 221, 222, 238

Cyclopes, 43, 101, 109, 110, 112, 113, 123, 124, 148

châtiment, 16, 22, 45, 48, 49, 50, 53, 55, 56, 62, 65, 81, 84, 88, 89, 90, 92, 97, 98, 101, 102, 122, 127, 162, 163, 164, 166, 167, 168, 169, 172, 176, 178, 179, 182, 187, 207, 210, 242, 244, 245

cyniques, 9, 15, 39-43, 67, 115, 145-150, 198, 201, 222-224, 226, 233

chaudron, 47, 51, 52, 54, 56, 65, 88, 89, 91, 92,

cynisme, 34, 39-43, 65, 66, 145-150, 221-224, 245 Cynocéphales, 122 D déchirer, 59, 62, 69, 75, 77, 80-82, 86-90, 96, 98,

158, 159, 169, 192, 214, 238 démembrement, 61, 62, 63, 72, 75, 77-81, 84, 87, 92, 98, 99, 101, 192, 214 devin, 86, 87, 136, 140, 143, 144 devotio, 141, 144, 184 dionysisme, 63, 65-78 discriminer, 147 divination, 33, 119, 137, 139, 140, 141, 142, 150, 224 E Égypte, 4, 30, 66, 69, 115, 128, 163, 225, 246, 247 entrailles, 7, 17, 110, 122, 128, 129, 131, 132, 143, 144, 145, 183, 193, 194, 237, 242, 244 épée, 87, 102, 161, 164, 189, 243 Éthiopiens, 110, 122, 128, 175 exclusion, 8, 11, 47, 194, 245, 247, 248 F fléau, 36, 39, 91, 114, 162, 164, 166, 177, 243 Forum Boarium, 119, 140, 144, 184, 235 G gnostiques, 199, 216, 238 guerre, 19, 25, 26, 34, 36, 37, 38, 53, 63, 82, 85, 88, 111, 113, 119, 124, 125, 126, 154, 157, 158,

289

Index des mots-clé 161, 162, 166, 169, 170, 177, 181, 190, 244 H

121, 128, 129, 130, 143, 158-161 lycanthropie, 46, 93, 95, 97, 121

hache, 88, 98, 172 hérésies, 10, 199, 222, 225, 227, 238, 240 hérétiques, 8, 10, 11, 43, 133, 199, 200, 217, 221-227, 233, 237, 238, 240, 243, 244 holocauste, 32, 33, 167, 181, 193 humanité, 9, 10, 15, 16, 25, 27, 28, 29, 30, 34, 35, 36, 37, 40, 43-45, 48, 53, 59, 60, 62, 65, 66, 74, 79, 83, 97, 98, 101, 108-110, 113, 123, 143, 170, 185, 186, 190, 191, 194, 201, 222, 234, 236, 247, 249 I inceste, 8, 39, 41, 42, 52, 53, 55, 66, 115, 126, 132, 146, 147, 148, 154, 193, 197, 198, 201, 206-215, 217-224, 231, 238 Inde, 111, 124 initiation, 46, 47, 70, 74, 76, 199, 208, 211-220, 223, 228, 239 K katapontismos, 90, 92, 98, 99, 102 L

M machaira, 61, 78 magie, 72, 120, 141, 142, 143, 145, 192, 199, 224-226, 236 mal, 48, 157, 186-188, 192, 210, 215, 221 malédiction, 51, 126, 127, 142, 161, 164, 166-169, 172, 173, 179, 180, 181, 224, 248 marcionites, 222, 225 Massagètes, 112, 113, 117, 123, 199, 238, 241 métamorphose, 81, 88, 96, 97 métempsycose, 79, 198 meurtre, 10, 25, 34, 39, 50, 51, 65, 66, 79, 83, 90-92, 95-97, 99, 108, 128, 130, 132, 138, 139, 143, 148, 173, 190, 192, 193, 195, 200, 202, 203, 208, 212, 217, 236, 237, 239, 242, 248 mlk, 192 montanisme, 10, 239 montanistes, 10, 239-241 mystères, 40, 61, 63, 69, 70, 72, 74-77, 80, 82, 83, 145, 192, 194, 212, 213, 215, 220, 235, 239, 240 N

lait, 37, 53, 55, 82, 83, 84, 108, 110, 112, 113, 123, 124

nécessité, 31-37, 121, 153, 183, 199, 202, 243, 244

lébès, 54, 92

nécromancie, 141-144

Lôtophages, 108, 109

néoplatonicien, 28, 59, 60, 62, 79, 102, 115, 233

loup, 45-50, 88, 89, 93-99,

290

O ômophagie, 63, 66, 74, 76, 77, 84, 101, 102, 122, 123, 124 ophites, 227, 228, 240 origines, 25, 29, 30, 32-34, 36-38, 44, 45, 53, 66, 86, 109, 120, 128, 156, 186, 191, 200, 235, 237 orphisme, 62, 63, 65, 66, 69, 71-79 P Padéens, 110-113, 123, 124 parricide, 8, 41, 126, 147, 234, 242, 244 phibionites, 199, 216 progrès, 25, 33-35, 38, 39, 109, 229 punition, 73 pythagoriciens, 9, 10, 19, 66, 115, 144, 201 pythagorisme, 65, 66, 79 R rites initiatiques, 208, 220 S sacrificateur, 16, 17, 45, 51, 53, 54, 65, 66, 84, 109, 133, 140 sacrifice, 15-17, 19-21, 26-34, 40, 43-53, 61, 64, 65, 71,73, 74, 78, 79, 92, 93, 94, 102, 109, 123, 125, 128, 132, 140, 141, 143, 163, 167, 173, 178, 226, 245, 247, 249 sacrifice animal, 15, 16, 29, 30, 80, 144, 145 sacrifice humain, 19, 20, 24, 29-31, 44, 46, 47, 50, 64, 78, 79, 81, 84, 86-99, 102, 107, 111,

Index des mots-clé 113, 116, 118-121, 128-134, 140-147, 177, 178, 181-185, 190-194, 199-201, 204, 206, 208, 226, 228, 234-240, 245, 246 sacrifice sanglant, 28, 30, 32, 36, 101, 115, 144, 198, 236 sacrifice végétal, 32, 33, 47, 74, 113 sang, 9, 10, 11, 16, 22, 47, 61, 74, 79, 84, 101, 111, 118, 120, 124, 129, 130, 131, 132, 133, 138, 141, 155, 159, 160, 163, 173, 182, 189, 192, 194, 199, 200, 212-217, 220, 227, 230, 232, 235, 239, 240, 243, 246 Scythes, 30, 70, 107, 111-114, 117, 118, 120, 121, 124, 126, 127, 132, 194, 199, 235, 238, 241, 242 serment, 24, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 138, 139, 149, 154, 164, 166, 167, 180, 184, 185, 194, 199, 200, 203-205, 208, 228, 230 sorcier, 8, 121, 143-145, 199 sorcière, 54, 142, 143, 226 sparagmos, 30, 53, 61, 64, 76, 78, 79, 81, 82, 84, 87, 92, 93, 99, 134, 214, 215 sphagion, 78, 79

226-231, 236, 240 T tecnophagie, 9, 23, 161, 164-182, 185, 193, 198, 202, 244, 245, 248 thèriôdès bios, 3-38 thysia, 15-17, 20, 21, 24, 29, 30, 32-34, 52, 53, 64, 65, 78, 79, 81, 84, 102, 109, 113, 114, 123 tuer, 10, 21, 29, 87, 89-92, 95, 97, 109, 120, 125, 147, 175, 189-190, 243 V végétarien, 9, 28, 38, 65, 66, 69, 75, 77, 79, 84, 108, 109, 11, 113, 114 végétarisme, 17, 28, 30, 36, 63, 66, 73, 74, 77, 101, 113, 114, 133, 190, 201 vengeance, 52, 53, 103, 110, 126, 159, 213, 242, 243 victime, 7, 9, 11, 15-17, 20, 21, 24, 29-33, 38, 45, 48-52, 65, 79, 81, 84, 87, 91-94, 97, 98, 101-103, 107, 109, 111, 118-120, 123, 124, 131-134, 137, 141, 143-145, 148, 154, 155, 157-161, 180, 183185, 194, 198, 199, 201, 202, 205, 208, 213-216, 222, 227, 228, 230, 242, 243, 246, 249

splanchna, 16, 52, 65, 133

vie bestiale, 17, 34, 35, 36, 38, 39, 83, 109

stoïcien, 39-43, 115, 145-150, 198, 201

vin, 20, 80, 82, 83, 84, 101, 109, 124, 131, 165

stoïcisme, 34, 39, 42, 43, 146-150, 221, 224-226 superstition, 11, 31-34, 119, 120, 135, 136, 138, 139, 144, 148, 205, 206, 211,

291

INDEX DES NOMS ANTIQUES

Šamaš, 163, 180 Šamaššumukin, 180, 181 A Aššurbanipal, 163, 166, 180, 181

Apollodore de Cassandrée, 131, 199 Apollon, 62, 63, 75 Apollonius de Tyane, 144,145 APULÉE, 145, 148

Abimelech, 176

ARATOS, 28, 190

Abraham, 188, 193

Arcadius, 241

ACCIUS, 51 Achaz, 160, 193

Arcas, 45-47, 49, 50, 54, 62, 88, 89, 95-101

ACHILLE TATIUS, 107, 133, 134

ARISTIDE, 198, 219, 234, 235

Actéon, 75, 81, 87, 88, 96

ARISTOPHANE, 83

Adad, 163, 180

ARISTOTE, 15, 16, 22, 28, 31, 61, 190

Aebutius, 137 Agavé, 82-84, 88, 90, 127 Akhab, 172, 176, 177, 179 Alaric, 241, 242 ALCÉE, 125 Alcinoos, 110 AMMIEN MARCELLIN, 142 Androclès, 122 Anios, 83 Anthous, 46 Antinoüs, 225-226 Antiochus, 183-187, 194 ANTONINUS LIBERALIS, 86

Artémis, 19, 30, 51, 63, 75, 78, 81, 88, 89, 118 Assarhaddon, 163, 166 Astyage, 23, 84, 124, 126, 127, 156

B Baal, 20, 167, 176, 177, 179 Baal-Hammon, 20, 216 Bacchus, Voir Dionysos Balaam, 159, 160 Balaq, 159 Bellone, 132, 136, 139, 140, 185, 235 Ben-Hadad, 170, 176, 177 Biblis, 227 Blandine, 209 C Cadméïdes, 81, 84, 245 Cadmos, 81, 82, 84, 88 Callisto, 49, 89, 96, 98 Cambyse, 115, 128, 156, 175, 248 Canidie, 72, 142

Athamantides, 94, 95

Carpocrate, 222, 224

Athamas, 87-99, 116

CARYSTIOS, 21

Athéna, 23, 30, 51, 52, 61, 62, 72, 77

Catilina, 24, 131, 199, 228, 229, 235

ATHÉNAGORE, 197, 198, 206, 210, 211, 215, 233, 235, 247

Cécrops, 47

ATHÉNÉE, 17, 19, 21

Ceres, 45, 83, 242

CELSE, 42, 117, 195, 212, 217, 225, 226, 228

Anu, 22

ATHÉNION, 17

CÉSAR, 119, 154

Aphrodite, 75, 85

Atrée, 39, 50-53, 127, 147

Charops, 69, 70

Apion, 154, 183-185, 199, 200, 201

Attila, 241

CHRYSIPPE, 41, 147

Auguste, 119, 135, 136,141

Chrysippe, 51

APOLLODORE, 44, 45, 49, 50, 51, 52, 53, 83, 86, 86, 90, 91, 96, 98, 122, 129, 159

AUGUSTIN, 44, 46, 47, 145, 239

CICÉRON, 24, 43, 118, 119, 131, 132

AULU-GELLE, 111, 112

CLAUDIEN, 28, 109, 241

Autonoé, 82

CLÉANTHE, 147, 148, 234

Azaël, 189, 191

293

Index des noms antiques CLÉMENT, Voir Clément d'Alexandrie

178, 190, 192, 226, 230, 234, 245

CLÉMENT D’ALEXANDRIE, 61, 148

Dioscures, 98

Commode, 144

Dryas, 88,89, 90, 92, 93, 97

GRÉGOIRE DE NAZIANZE, 235 Guéhazi, 169 H

Domitien, 129, 141, 144

Cratès, 40, 148

E

Hamilcar, 34, 36, 52, 84, 122, 153, 203 Hammurabi, 163

Cronos, 19-27, 30, 35, 36, 59, 60, 72, 113, 118, 119, 120, 191, 220, 234, 235

Élie, 167, 169, 176, 177, 179

Harpage, 84, 124, 127, 129, 248

CYRILLE DE JÉRUSALEM, 238, 239, 240

ÉLIEN, 78, 86, 92, 122 Élisée, 168, 169, 170, 172, 174, 175, 176, 177, 181

Héliogabale, 144

Cyrus, 23, 127

EMPÉDOCLE, 35, 60, 145

Cytissoros, 88, 91, 94, 95

ENNIUS, 19, 35, 51, 191

D Damarchos Voir Déménète DAMASCIUS, 60, 61 Darius, 116, 117 Déménète, 46 Déméter, 35, 47, 80, 83 DÉMOCRITE, 145 Démonax, 146, 224 DÉMOSTHÈNE, 76, 77 DENYS D’HALICARNASSE, 119 DICÉARQUE, 28, 29, 108, 113, 190 DIODORE, 20, 28, 35, 36, 61, 69, 70, 71, 75, 80, 81, 83, 89, 119, 131, 184 Diogène, 39, 40, 41, 146, 148, 149, 150, 222, 224, 234 DIOGÈNE LAËRCE, 40, 41, 42, 43, 60, 74, 146, 147, 148, 149, 150, 198 DION CASSIUS, 119, 130, 132, 134, 135, 136, 139, 141, 185, 194 DION CHRYSOSTOME, 40, 60 Dionysos, 19, 30, 31, 41, 59-72, 75-93, 97-99, 101-103, 134, 135, 138,

294

ÉPHORE, 114 Épicure, 129, 220, 234 ÉPIPHANE, 239 Erictho, 143, 227 ÉSCHYLE, 51, 52, 75, 81, 89 EURIPIDE, 35, 44, 47, 51, 73, 74, 75, 77, 79, 81, 82, 83, 85, 88, 90, 91, 198 EUSÈBE, 154, 197, 203, 206, 209, 215, 222, 231, 236, 239, 240, 249 EUTROPE, 241 Ézéchiel, 157, 158, 159, 160, 178, 193 F FILASTRE, 239 FIRMICUS MATERNUS, 60, 61, 77, 79, 191 FLAVIUS JOSÈPHE, 136, 153, 154, 155, 156, 161, 175, 176, 181- 183, 185, 194, 207 FLORUS, 131 Fronton, 216-219 G Gaia, 19, 22, 23 Germanicus, 141

HÉLIODORE, 107 Hellé, 88, 90, 91, 93, 95, 99, 100, 101 Hénoch, 156, 185, 186-191, 194 Héra, 30, 60, 81, 86, 88, 90, 91, 92, 99, 102 Héraclès, 48, 81, 85, 90, 98, 122, 234 Hercule, 20, 184 HÉRODOTE, 7, 69, 70, 72, 75, 88, 91, 93, 94, 95, 107, 110, 111, 112, 114, 115, 116, 117, 121, 123, 124, 126, 127, 128, 142, 234 HÉSIODE, 15, 19, 23, 25, 26, 27, 28, 36, 45, 59, 72, 73, 96, 114, 116, 191 Hipparchia, 148 Hippodamie, 46, 51 Hippolyte, 75, 77, 85 Hispala, 137 HOMÈRE, 7, 28, 53, 73, 89, 90, 108, 114, 247 Honorius, 241 HORACE, 35, 72, 91, 114, 142, 225 HYDACE, 243, 244 HYGIN, 44, 45, 49, 50, 51, 52, 53, 72, 101, 129

Index des noms antiques I Icarios, 101 Inô, 82, 88, 91, 92, 94, 98, 99 Iphigénie, 44, 47, 51, 81, 107, 184 IRÉNÉE DE LYON, 221-227, 238, 240 Isis, 136, 139 Itys, 53-54 J

Libera, 83

Moïse, 116, 160, 167, 174

LOLLIANOS, 107, 133, 199

Mursilis, 162, 163

LUCAIN, 119, 143, 225, 227

Musonius Rufus, 149, 150

LUCIEN, 40, 146, 147, 148, 149, 222-224

Myrtilos, 51

Lycaon, 44- 50, 54, 55, 88, 93, 95-97, 99, 101, 102, 126, 129, 130, 161, 163,

Néphélé, 88, 96, 99

LYCOPHRON, 61, 92, 93

Nimrod, 176

Lycurgue, 63, 69, 75, 80, 87-93, 96-99

Niobé, 44, 48, 53

JAMBLIQUE, 107, 132 JEAN DE DAMAS, 239 Jephté, 193 Jérémie, 159, 193 JÉRÔME, 231, 239, 242-244 Jézabel, 176, 177 Job, 157, 160 JOSÈPHE, Voir Flavius Josèphe Jupiter, 35, 49, 50, 72, 129, 130, 192, 235 JUSTIN, 195, 198, 201, 206, 209, 210, 215, 217-228, 231, 234, 234, 238, 240 Justinien, 231, 240 JUVÉNAL, 117, 129, 144, 246-248 K Kozbi, 167 Kumarbi, 22 Kyaxare, 124, 126, 127 L LACTANCE, 19, 35, 119, 234 Léarque, 88-93, 96, 97

N

LUCRÈCE, 28, 37, 43

Néron, 149, 150, 199, 200, 206, 229

NONNOS, 60, 61, 65, 91

M

O

MACARIUS DE MAGNÉSIE, 231, 232

Œdipe, 23, 39, 125, 147, 162, 208, 209, 214

Maccabées, 184, 187

Oinomaos, 46, 51

MACROBE, 20, 21, 28, 30 Manassé, 192

OLYMPIODORE, 60, 61, 62

Marcion, 222, 237, 238

ORIGÈNE, 42, 117, 195, 212, 217, 218, 225, 226, 228

Mattiwaza, 163

OROSIUS, 136

MAXIME DE TYR, 146 Mécène, 135, 136

Orphée, 35, 55, 59, 60, 62, 63, 66, 70, 73-77, 79, 83

Médée, 91, 156

Ouranos, 19, 22, 23, 35

Mélampous, 86, 87 Mélicerte, 88, 90-93, 97-99, 102

OVIDE, 28, 35, 44, 49, 50, 53, 79, 83, 96, 101, 129, 130, 156, 161, 198

Mélissa, 35

P

MELITON, 236

Paculla Annia, 137

Mésha, 181, 192

Palæmon, 88, 92, 98, 102

Métis, 22, 23, 59, 60, 72, 236

Pandion, 53

Michée, 157, 169

PAUSANIAS, 30, 44-50, 74, 78, 102, 129, 163

MINUCIUS FELIX, 9, 10, 119, 198, 199, 201, 206, 214, 215, 217, 218, 223, 225, 228, 234, 235

Leucothée, 88, 92

Minyades, 63, 81, 84, 86, 87, 102, 178, 245, 248

LIBANIOS, 237

Minyas, 84, 86

Liber, 72, 77, 83

MNASÉAS, 35, 150

Paul, 240

Pélopidas, 120 Pélops, 44-47, 50, 51, 54, 62, 95, 99, 101, 236 Penthée, 53, 63, 72, 75, 82, 88, 90, 99 Peregrinus Proteus, 146-149, 222-224

295

Index des noms antiques Persée, 23 Perséphone, 28, 60, 62, 72, 81

Postumius, 136, 137, 138, 227 Procné, 53, 127, 156

Phanès, 59, 60

Proétides, 63, 81, 85, 86, 87, 102, 245

Philomèle, 53 PHILON D’ALEXANDRIE, 184, 185 PHILON DE BYBLOS, 20

Proïtos, 86 Prométhée, 15, 16, 26, 30, 35, 40, 74, 238, 246 Pythagore, 66, 69, 79, 144, 145, 146, 198

PHILOSTORGE, 242 PHILOSTRATE, 144 Pholus, 122 PHOTIUS, 107, 133 Phrixos, 80, 90, 91-97, 99

Suppiluliumas, 163

PROCLUS, 59, 60, 61, 62

Phalaris, 234 PHILODÈME, 39, 41, 147, 149, 198

Sulla, 142

R Rabbi Johanan, 168, 174 Rheia, 19 RUFIN, 185, 239, 240, 242 S

PINDARE, 44, 45, 47, 92, 125

T TACITE, 114, 116, 119, 141, 142, 150, 184, 225,229-231 Tantale, 45, 47, 498, 50, 55, 74, 75, 84, 102, 126 Tarquin, 129, 130 TATIEN, 234-236, 249 Térée, 23, 51, 53-55, 80, 84, 126, 129 TERTULLIEN, 119, 197-200, 204, 211-220, 223, 227, 228, 234, 235, 237-239, 241 Thémistocle, 78

Pinhas, 167

Sabazios, 76

THÉODORET, 237

Pisistrate, 19, 22

SALLUSTE, 131, 228

Théodose, 231, 240, 241

Pison, 141, 149

Salomon, 170, 171

Pittacos, 125

Sarapis, 136, 139

PLATON, 16, 27, 36, 37, 43, 44, 46, 49, 60, 62, 73, 74, 76, 77, 83, 93, 95, 116, 125, 126, 128, 129, 130, 143, 145, 156, 161, 171, 210, 235

Saturne, 19, 20, 22, 30, 35, 109, 191, 235

PLINE L’ANCIEN, 44, 46, 111, 112, 119, 120, 142, 144, 184, 235 PLINE LE JEUNE, 129, 203206, 208, 209, 211, 228, 229, 231 PLUTARQUE, 21, 32, 40, 60, 61, 78, 86, 87, 89, 119, 120, 125, 129, 130, 132, 171, 206, 226 POLIEN, 131 Polyphème, 109, 110, 113 PORPHYRE, 20, 28-36, 44, 46, 78, 81, 84, 92, 113, 122, 153, 163, 190, 231, 232, 235

296

Scylès, 70, 71, 72 Sémélé, 62, 72, 81, 82, 83, 85, 87, 88, 91, 98, 101 SÉNÈQUE, 7, 51, 52, 53, 54, 129 SEXTUS EMPIRICUS, 41, 43, 118, 147, 148 Skiron, 85 Solon, 125 SOPHOCLE, 20, 51, 83, 119, 125, 128, 162 SORANUS, 150 SOZOMÈNE, 237 Stilicon, 241 STRABON, 7, 83, 108, 114, 119, 142 SUÉTONE, 119, 129, 136, 141, 149, 185, 206, 229-231

THÉOPHILE, 39, 147, 197, 215, 219, 234, 235, 236 THÉOPHRASTE, 28-36, 44, 46, 73, 76, 108, 113, 190, 235 Thésée, 35, 75, 77, 85 Thétis, 88, 89, 92 Thyeste, 7, 39, 41, 50-55, 79, 80, 84, 126, 129, 197, 198, 202, 207-209, 211, 214, 220, 222, 224, 248 Tibère, 141 Tirésias, 82, 83 Titans, 16, 19, 22, 59-65, 69, 72, 74, 76, 79, 89, 90, 92, 97, 98, 101, 102, 189-192, 226, 234 TITE-LIVE, 122, 136-140, 200, 219, 227-230 Titus, 181, 207 Trajan, 129, 131, 205, 206, 209, 230 Tydée, 51, 52, 118

Index des noms antiques Tzetzes, 61, 93 U Ulysse, 7, 28, 108, 109, 110, 124 V VALÈRE MAXIME, 34, 121, 122, 137, 153, 242, 243 VARRON, 20, 119 Vettius Epagathus, 206 VIRGILE, 125 Y Yoram, 168-181 Z Zagreus, 59,62, 63, 65, 67, 73, 88, 97 ZÉNON, 39, 40, 42, 146, 148, 150, 222, 224, 234 Zeus, 15, 20, 22, 23, 25, 26, 27, 30, 36, 44-48, 50-52, 59-62, 65, 72-74, 80, 84, 88, 89, 93, 94, 96, 98, 99, 101, 102, 109, 110, 116, 123, 128, 129, 190, 220, 236 Zomri, 167 ZOSIME, 242

297

TABLE DES MATIÈRES

Préface ................................................................................................................................. 7 Première partie « La vie sous Cronos » : Le mythe des races et le sacrifice Introduction .................................................................................................................. 15 Chapitre I : Les ambiguïtés de Cronos ......................................................................... 19 Chapitre II : Race d’or, âge d’or.................................................................................... 25 Végétarisme originel............................................................................................... 28 Une vie bestiale (thèriôdès bios)............................................................................. 34 Le passé cannibale ............................................................................................ 34 Une vie bestiale ambiguë .................................................................................. 36 Les cyniques, les stoïciens et les cannibales ..................................................... 39 Chapitre III : Commensalité et cannibalisme .............................................................. 43 Deuxième partie Le règne de Dionysos Chapitre I : Dionysos et les Titans ............................................................................... 59 Chapitre II : Orphisme et dionysisme selon Marcel Detienne ..................................... 65 Chapitre III : Orphisme, bachisme, dionysisme........................................................... 69 Chapitre IV : Fils de Sémélé, fils de Perséphone ......................................................... 79 Les mères cannibales : les Cadméides, les Proétides et les Minyades .................. 81 Pères meurtriers, marâtres jalouses et petits cerfs déchirés .................................. 87 Lycurgue et Athamas ......................................................................................... 89 Athamas et Lycaon ............................................................................................ 93 De la table de Lycaon à la cuisine titanique..................................................... 97 Chapitre V : Le cannibalisme dionysiaque ................................................................ 101

299

Table des matières Troisième partie L’Autre Chapitre I : Commensalité et cannibalisme bis : Les lois des barbares .................... 107 L’autodéfinition bipolaire...................................................................................... 107 La relativité des lois .............................................................................................. 115 Stigmatisation ....................................................................................................... 118 Ômophagie et cannibalisme ................................................................................. 122 Chapitre II : L’Autre dans la cité et dans l’Empire : Les perturbateurs de l’ordre public ............................................................................ 125 Tyrans ................................................................................................................... 125 Conjurés, révoltés et bandits de grands chemins ................................................. 130 Groupements religieux hors des cadres civiques ................................................. 135 Superstitions .................................................................................................... 135 Magiciens, devins et philosophes .................................................................... 140 Cyniques et stoïciens ....................................................................................... 146 Quatrième partie Juifs et chrétiens face aux rumeurs Chapitre I : L’anthropophagie et le judaïsme ............................................................. 153 L’anthropophagie métaphorique : les puissances cannibales............................... 157 Les tecnophages maudits : le cannibalisme de survie selon le judaïsme ancien ............................................. 161 L’Alliance, la Torah et la malédiction de YHWH ............................................161 2 R 6, 24 – 7, 20 ................................................................................................ 168 Polémique par cannibales interposés ................................................................... 183 Antiochus Épiphane et la violation du Temple ............................................... 183 Géants cannibales aux origines du Mal.......................................................... 186 (I Hénoch, 6, 1-8, 3 ; Jubilés, 5, 1-32) Les sacrifices cannibales des Nations (Sagesse 12, 5) ................................... 191 Chapitre II : Chrétiens et cannibales .......................................................................... 197 Brève parenthèse méthodologique........................................................................ 197 Une accusation dangereuse… ............................................................................... 202 Pline le Jeune en Bithynie ............................................................................... 203 Les martyrs de Lyon et de Vienne ................................................................... 205

300

Table des matières Le témoignage caché des apologistes ............................................................. 209 … contre des gens dangereux............................................................................... 212 Initiation aux mystères cannibales.................................................................. 212 La philosophie divine et les pratiques magiques ............................................ 220 a. Rites ou doctrines ? ............................................................................... 220 b. Cannibalisme cynique, cannibalisme chrétien .................................... 222 c. Superstitio et coniuratio........................................................................ 226 Une accusation détournée..................................................................................... 231 L’allégorie du cannibalisme ............................................................................ 231 Le « paganisme » cannibale............................................................................ 234 Les hérétiques anthropophages....................................................................... 237 L’Antéchrist et ses armées ............................................................................... 241 En guise de conclusion : Vers les nouveaux récits d’ anthropophages ........................ 245 Bibliographie ................................................................................................................... 251 Index des mots-clé........................................................................................................... 289 Index des noms antiques ................................................................................................. 293

301

BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES, SCIENCES RELIGIEUSES

vol. 105 J. Bronkhorst Langage et réalité : sur un épisode de la pensée indienne 133 p., 155 x 240, 1999, PB, ISBN 978-2-503-50865-8 vol. 106 Ph. Gignoux (dir.) Ressembler au monde. Nouveaux documents sur la théorie du macro-microcosme dans l’Antiquité orientale 194 p., 155 x 240, 1999, PB, ISBN 978-2-503-50898-6 vol. 107 J.-L. Achard L’essence perlée du secret. Recherches philologiques et historiques sur l’origine de la Grande Perfection dans la tradition “rNying ma pa’ 333 p., 155 x 240, 1999, PB, ISBN 978-2-503-50964-8 vol. 108 J. Scheid, V. Huet (dir.) Autour de la colonne Aurélienne. Geste et image sur la colonne de Marc Aurèle à Rome 446 p., 176 ill. n&b, 155 x 240, 2000, PB, ISBN 978-2-503-50965-5 vol. 109 D. Aigle (dir.) Miracle et Karâma. Hagiographies médiévales comparées 690 p., 11 ill. n&b, 155 x 240, 2000, PB, ISBN 978-2-503-50899-3 vol. 110 M. A. Amir-Moezzi, J. Scheid (dir.) L’Orient dans l’histoire religieuse de l’Europe. L’invention des origines. Préface de Jacques Le Brun 246 p., 155 x 240, 2000, PB, ISBN 978-2-503-51102-3 vol. 111 D.-O. Hurel (dir.) Guide pour l’histoire des ordres et congrégations religieuses (France, XVIe-XIXe siècles) 467 p., 155 x 240, 2001, PB, ISBN 978-2-503-51193-1 vol. 112 D.-M. Dauzet Marie Odiot de la Paillonne, fondatrice des Norbertines de Bonlieu (Drôme, 1840-1905) XVIII + 386 p., 155 x 240, 2001, PB, ISBN 978-2-503-51194-8 vol. 113 S. Mimouni (dir.) Apocryphité. Histoire d’un concept transversal aux religions du Livre 333 p., 155 x 240, 2002, PB, ISBN 978-2-503-51349-2

vol. 114 F. Gautier La retraite et le sacerdoce chez Grégoire de Nazianze IV + 460 p., 155 x 240, 2002, PB, ISBN 978-2-503-51354-6 vol. 115 M. Milot Laïcité dans le Nouveau Monde. Le cas du Québec 181 p., 155 x 240, 2002, PB, ISBN 978-2-503-52205-0 vol. 116 F. Randaxhe, V. Zuber (éd.) Laïcité-démocratie : des relations ambiguës X + 170 p., 155 x 240, 2003, PB, ISBN 978-2-503-52176-3 vol. 117 N. Belayche, S. Mimouni (dir.) Les communautés religieuses dans le monde gréco-romain. Essais de définition 351 p., 155 x 240, 2003, PB, ISBN 978-2-503-52204-3 vol. 118 S. Lévi La doctrine du sacrifice dans les Brahmanas XVI + 208 p., 155 x 240, 2003, PB, ISBN 978-2-503-51534-2 vol. 119 J. R. Armogathe, J.-P. Willaime (éd.) Les mutations contemporaines du religieux VIII + 128 p., 155 x 240, 2003, PB, ISBN 978-2-503-51428-4 vol. 120 F. Randaxhe L’être amish, entre tradition et modernité 256 p., 155 x 240, 2004, PB, ISBN 978-2-503-51588-5 vol. 121 S. Fath (dir.) Le protestantisme évangélique. Un christianisme de conversion XII + 379 p., 155 x 240, 2004, PB, ISBN 978-2-503-51587-8 vol. 122 Alain Le Boulluec (dir.) À la recherche des villes saintes VIII + 184 p., 155 x 240, 2004, PB, ISBN 978-2-503-51589-2 vol. 123 I. Guermeur Les cultes d’Amon hors de Thèbes. Recherches de géographie religieuse XII + 664 p., 38 ill. n&b, 155x240, 2005, PB, ISBN 978-2-503-51427-7 vol. 124 S. Georgoudi, R. Piettre-Koch, F . Schmidt (dir.) La cuisine et l’autel. Les sacrifices en questions dans les sociétés de la Méditérrannée ancienne XVIII + 460 p., 23 ill. n&b, 155 x 240. 2005, PB, ISBN 978-2-503-51739-1

vol. 125 L. Châtellier, Ph. Martin (dir.) L’écriture du croyant VIII + 216 p., 155 x 240, 2005, PB, ISBN 978-2-503-51829-9

vol. 126 (Série “Histoire et prosopographie” n° 1) M. A. Amir-Moezzi, C. Jambet, P. Lory (dir.) Henry Corbin. Philosophies et sagesses des religions du Livre 251 p., 6 ill. n&b, 155 x 240, 2005, PB, ISBN 978-2-503-51904-3

vol. 127 J.-M. Leniaud, I. Saint Martin (dir.) Historiographie de l’histoire de l’art religieux en France à l’époque moderne et contemporaine. Bilan bibliographique (1975-2000) et perspectives 299 p., 155 x 240, 2005, PB, ISBN 978-2-503-52019-3 vol. 128 (Série “Histoire et prosopographie” n° 2) S. C. Mimouni, I. Ullern-Weité (dir.) Pierre Geoltrain ou Comment « faire l’histoire » des religions ? 398 p., 1 ill. n&b, 155 x 240, 2006, PB, ISBN 978-2-503-52341-5 vol. 129 H. Bost Pierre Bayle historien, critique et moraliste 279 p., 155 x 240, 2006, PB, ISBN 978-2-503-52340-8 vol. 130 (Série “Histoire et prosopographie” n° 3) L. Bansat-Boudon, R. Lardinois (dir.) Sylvain Lévi. Études indiennes, histoire sociale II + 536 p., 9 ill. n&b, 155 x 240, 2007, PB, ISBN 978-2-503-52447-4 vol. 131 F. Laplanche, I. Biagioli, C. Langlois (dir.) Autour d’un petit livre. Alfred Loisy cent ans après 351 p., 155 x 240, 2007, PB, ISBN 978-2-503-52342-2 vol. 132 L. Oreskovic Le diocèse de Senj en Croatie habsbourgeoise, de la Contre-Réforme aux Lumières VII + 592 p., 6 ill. n&b, 155 x 240, 2008, PB, ISBN 978-2-503-52448-1 vol. 133 T. Volpe Science et théologie dans les débats savants du XVIIe siècle : la Genèse dans les Philosophical Transactions et le Journal des savants (1665-1710) 472 p., 10 ill. n&b, 155 x 240, 2008, PB, ISBN 978-2-503-52584-6 vol. 134 O. Journet-Diallo Les créances de la terre. Chroniques du pays Jamaat (Jóola de Guinée-Bissau) 368 p., 6 ill. n&b, 155 x 240, 2007, PB, ISBN 978-2-503-52666-9

vol. 135 C. Henry La force des anges. Rites, hiérarchie et divinisation dans le Christianisme Céleste (Bénin) 276 p., 155 x 240, 2009, PB, ISBN 978-2-503-52889-2 vol. 136 D. Puccio-Den Les théâtres de “Maures et Chrétiens”. Conflits politiques et dispositifs de réconciliation (Espagne, Sicile, XVIe-XXIe siècle) 240 p., 155 x 240, 2009, PB vol. 137 M. A. Amir-Moezzi, M. M. Bar-Asher, S. Hopkins (dir.) Le shīʿisme imāmite quarante ans après. Hommage à Etan Kohlberg 445 p., 155 x 240, 2008, PB, ISBN 978-2-503-53114-4 À Paraître vol. 138 R. Koch-Piettre Architecturer l'invisible. Autels, ligatures, écritures. 430 p., 155 x 240, 2009, PB vol. 139 M. Yahia Šāfiʿī et les deux sources de la loi islamique. 552 p., 155 x 240, 2009, PB