Quelles sont les ressources de la chimie verte ? 9782759809097

La chimie est, avec le nucléaire, l'épouvantail du progrès scientifique. Dans notre perception, la chimie est sale,

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French Pages 197 [196] Year 2008

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Quelles sont les ressources de la chimie verte ?
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Quelles sont les ressources de la chimie verte ? STÉPHANE SARRADE Ouvrage dirigé par FRÉDÉRIC DENHEZ ILLUSTRATIONS DE THOMAS HAESSIG

17, avenue du Hoggar – P.A. de Courtabœuf BP 112, 91944 Les Ulis Cedex A

Conception de la maquette et de la couverture : Zoé Production Illustration de couverture : Thomas Haessig Imprimé en France ISBN : 978-2-86883-989-3

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences, 2008

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À Caroline, Hugo, Christophe et Freddy, chimistes, fils et petit-fils de chimistes et bien au-delà…

SOMMAIRE

Introduction ....................................................................................................................................

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Partie 1. AVANT LA CHIMIE VERTE... ..........................................

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Chapitre 1. Tout est chimie… ................................................. Comment serait un monde sans chimie ? ................................. La chimie pour quoi faire ?....................................................

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Chapitre 2. C’est quoi la chimie ?.............................................. Les grands domaines de la chimie : des disciplines bien définies.

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Chapitre 3. Une évolution sans révolution est-elle possible ? .......... Les limitations de la chimie industrielle : se préoccupe-t-on assez de la toxicité ?................................................................. Affrontons nos angoisses et changeons pour une chimie durable ..

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Chapitre 4. La solution chimie verte ......................................... Les quatre concepts de base .................................................. Les 12 principes de la chimie verte......................................... Et après ? L’ingénierie verte ! Et ses 12 principes… .................. Alors, qui est concerné par la chimie verte ?............................

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Partie 2 : AGIR GRÂCE À LA CHIMIE VERTE ..................................

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Chapitre 5. Utiliser au mieux les matières premières .................... Membranes et procédés membranaires : des outils pour l’ingénierie verte au niveau de la molécule ........................................... Séparation membranaire au niveau moléculaire pour les aliments compatibles avec la chimie verte............................................ Les membranes empêcheront-elles la Terre de manquer d’eau douce ?

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Chapitre 6. Favoriser les solvants propres ...................................

Les fluides supercritiques : à quoi ça sert ?.............................. Les fluides supercritiques : pour quoi faire ? ............................ Extraction par CO2 supercritique : comment ça marche ? ............ Imprégnation par CO2 supercritique : en sens inverse ça marche aussi ? ............................................................................

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Chapitre 7. Utiliser au mieux l’énergie ...................................... Comment produire moins de GES et moins de polluants atmosphériques dans les transports automobiles ? ................. Les biocarburants et la chimie verte : un problème de génération… Les membranes, les piles à combustible et l’énergie du futur ...... Vers une énergie propre et disponible ? ...................................

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Chapitre 8. Produire des quantités minimales de déchets ..............

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Réactions et synthèses chimiques en phase supercritique .......... L’eau supercritique et le traitement ultime des déchets et des effluents organiques ................................................ Chapitre 9. Diminuer l’impact de nos activités sur l’environnement ........

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Ça chauffe pour les produits réfrigérants verts !........................ Une mousse pour aider l’environnement… ............................... De petits composants pour un petit impact : l’ère des microréacteurs

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Chapitre 10. Annoncer la nouvelle chimie du

XXIe siècle ................ Les forces motrices en route vers la chimie verte ...................... Les limitations de la chimie verte...........................................

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Conclusion ..........................................................................

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Lexique des termes de chimie pratique et des abréviations ........

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Références des ouvrages cités ................................................

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INTRODUCTION

Tout le monde se rappelle ce qu’il faisait le 11 septembre 2001 lorsque les échos et les images de la catastrophe des Twin Towers de New York nous sont parvenus. À ce même titre, quelques jours plus tard, le 21 septembre, je me souviens exactement de ce que je faisais. Le temps était magnifique. Je présidais un jury de thèse à l’École des Mines d’Albi-Carmaux. L’étudiant, Martial Sauceau, venait de soutenir brillamment son mémoire sur les fluides supercritiques et, comme de coutume, en cette fin de matinée le jury venait de se retirer pour délibérer. Au milieu de la délibération, une personne envoyée par le directeur de l’école entra précipitamment dans la salle et nous communiqua trois informations alarmantes : – une usine venait d’exploser à Toulouse et personne ne savait laquelle ; – c’était un acte terroriste ; – un nuage toxique était en train de se diriger vers nous.

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INTRODUCTION

Le jury était composé principalement de chimistes, toulousains de surcroît. Les conjectures se mirent à pleuvoir : quelle usine venait d’exploser ? La SNPE ? ESSO ? La Grande Paroisse ? Un nuage toxique ? Du phosgène1 ? Les parents s’inquiétèrent d’un enfant chez la nounou ou d’un collégien dans son établissement du centre-ville. Toutes les lignes de téléphone portable étaient indisponibles et les voies de circulation pour entrer dans Toulouse étaient coupées. Spectateur impuissant de cette catastrophe, j’ai vu mes collègues et amis chimistes glisser vers une panique compréhensible, abréger le jury de thèse et prendre leur voiture pour rejoindre Toulouse coûte que coûte. C’est dans la journée que nous apprîmes les détails de la tragédie d’AZF. Sur les trois informations données, une seule était vraie : une usine avait bel et bien explosé à Toulouse… Au-delà de cette catastrophe industrielle, qui a fait une trentaine de victimes à ce jour, ces faits ont marqué une étape dans la prise de conscience en France des risques industriels liés à la chimie. Après l’essor de la révolution industrielle, 44 accidents industriels de toute nature furent recensés dans le monde. Entre 1905 et 1944, 17 000 morts furent causées par ces accidents, dont un grand nombre fut lié à une nouvelle cause : les explosions d’usines. Ces usines utilisaient des produits chimiques explosibles, éventuellement dans des installations sous pression, placées dans des centres urbains ou périurbains. Ce fut le prix à payer pour une croissance industrielle dans les pays occidentaux, et malheureusement cette situation semble perdurer dans les pays émergents, notamment en Chine ou en Inde.

1. Le phosgène (COCl2), aussi nommé dichlorure de méthanoyle, est, à température ambiante, un gaz très toxique appartenant à la classe des agents suffocants. Il fut employé comme arme la première fois par les Français durant la première guerre mondiale. Lors de la catastrophe de l’usine AZF à Toulouse, un suraccident majeur a été évité de peu, une conduite entre AZF et la Société nationale des poudres et des explosifs (SNPE) contenant du phosgène ayant résisté à l’explosion toute proche.

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QUELLES SONT LES RESSOURCES DE LA CHIMIE VERTE ?

INTRODUCTION

Dans le dernier tiers du XXe siècle, la prise de conscience en matière de gestion des risques industriels et d’environnement s’accéléra. La chronologie des accidents de Seveso (1976), Bhopal (1984), Tchernobyl (1986) et AZF (2001) conduisit à la mise en œuvre de différentes réglementations visant à limiter les risques. À cela s’ajoutèrent bien sûr toutes les réglementations liées à la maîtrise des rejets et à la limitation de toutes les pollutions non accidentelles : contaminations solides, effluents liquides ou rejets gazeux. Et la chimie dans tout cela ? Il ne serait pas possible de mettre en face de ces chiffres les millions de vies sauvées par l’industrie chimique : par les médicaments de synthèse, notamment en chimiothérapie ; par les produits sanitaires et d’hygiène ; par les pesticides qui protègent les récoltes et limitent les famines… L’industrie nucléaire connaît bien ce déficit d’image, car nous associons justement au nucléaire les armes atomiques, et maintenant la catastrophe de Tchernobyl, en occultant le fait que Marie Curie (prix Nobel de physique en 1903 et de chimie en 1911) et sa fille Irène Joliot-Curie (prix Nobel de chimie 1935) ont apporté une contribution considérable au domaine de la médecine.

1 | Comment concilier l’activité industrielle chimique et son environnement ?

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INTRODUCTION

La radiographie X et les traceurs radioactifs ont permis de comprendre et d’expliquer les métabolismes humains pour mieux en traiter les dysfonctionnements. C’est un fait avéré que la Science n’est ni bonne ni mauvaise, elle est seulement ce que les Hommes en font. La chimie n’échappe pas à cette règle ; elle doit conquérir ses lettres de noblesse et réussir à démontrer que son existence nous est indispensable. Si nous regardons attentivement le monde qui nous entoure – papier, encre, peintures, plastiques, lessives, matériaux de construction, alliages métalliques ; produits pharmaceutiques, cosmétiques, alimentaires, agricoles, sanitaires ; sans oublier l’essence que nous mettrons dans notre véhicule – tout est chimie ! Depuis 1901, huit Français ont été lauréats du prix Nobel de chimie. Le dernier en date, Yves Chauvin, récompensé en 2005, est l’inventeur de la métathèse, une méthode de chimie qui permet de réduire le nombre de réactions nécessaires à l’obtention d’un produit. La métathèse est, signe des temps, un procédé de chimie « durable » puisqu’elle permet d’économiser des matières premières et de limiter la production de sous-produits. Voilà donc une belle entrée en matière pour présenter un concept apparu au début des années 1990 : la chimie verte. La chimie verte est un oxymore. En effet, comment concilier la chimie et les spectres de pollution et d’accidents qui l’entourent avec la couleur verte, symbole d’une planète indemne où il ferait bon vivre ? La chimie doit être capable de s’intégrer dans la notion de développement durable. Ce dernier concept, apparu en 1987, indique que la notion de durable doit coïncider avec un développement qui répond aux besoins actuels sans compromettre la capacité de nos enfants à satisfaire les leurs. Le développement recouvre ici trois dimensions : environnementale, économique et sociale. Cette définition est idéologiquement satisfaisante et politiquement correcte mais techniquement floue. En effet, qui ne souhaite pas 10

QUELLES SONT LES RESSOURCES DE LA CHIMIE VERTE ?

INTRODUCTION

léguer à ses enfants une planète qui leur permettra une vie saine ? Si l’idée est belle, la mise en pratique semble toutefois être plus problématique… Pourtant, en 1990, l’idée d’une chimie répondant aux postulats du développement durable fait son chemin. C’est la naissance de la Green Chemistry (chimie verte), définie par deux chercheurs américains, Paul Anastas et John C. Warner. Ils développèrent les 12 principes de la chimie verte qui restent, à ce jour, la meilleure définition pratique de cette nouvelle chimie. La chimie verte est souvent considérée comme une vision quasiphilosophique de la chimie, au sens classique du terme, auquel elle tend à se substituer. Ce n’est pas une sous-discipline mais plutôt un concept qui s’applique avec bonheur à la chimie organique, à la chimie inorganique, à la chimie analytique et à la biochimie. Elle est aussi totalement distincte de la chimie environnementale, qui tend à comprendre et modéliser les phénomènes qui apparaissent dans l’environnement. Les 12 principes de la chimie verte, qui seront détaillés dans un chapitre de cet ouvrage, reposent sur les quatre concepts fondamentaux de développement de procédés industriels suivants : – utiliser au maximum les matières premières qui, transformées, doivent se retrouver le plus largement possible dans le produit final, limitant ainsi la production de sous-produits ; – utiliser des solvants propres, non toxiques et compatibles avec l’environnement ; – utiliser au mieux l’énergie, en termes de rendement, d’économie, de sources et de rejets ; – produire des quantités minimales de déchets et dans des formes adaptées (solide, liquide ou gazeuse) limitant leur dissémination potentielle et favorisant leur recyclage. Ces quatre éléments se retrouvent dans les conclusions du Grenelle de l’environnement, initiative française de la fin de l’année 2007. À cela s’ajoute l’idée maîtresse de simplement minimiser les causes 11

INTRODUCTION

d’accident, d’appliquer un principe de précaution à bon escient et de maximiser les rendements de toutes les opérations chimiques, pour que le développement soit durable et économiquement viable… Cette approche beaucoup plus concrète que la notion de développement durable a ainsi ouvert depuis plus de 15 ans un champ de recherche exceptionnellement vaste. Après avoir été pionniers dans ce domaine, les Américains sont maintenant rejoints par les Européens et les Japonais. L’enjeu majeur est de rallier toutes les communautés scientifiques et, par le biais de l’éducation, d’amener des pays comme la Chine et l’Inde à intégrer un peu plus la chimie verte à leurs préoccupations. Dans cet ouvrage, après avoir donné dans une première partie un aperçu historique de la chimie et de ses perspectives d’évolution, nous reprendrons les quatre concepts fondamentaux et nous nous promènerons à travers les grands domaines de recherche liés en particulier à l’environnement, à la gestion de l’énergie et à l’utilisation des membranes et des fluides supercritiques, qui sont des solvants propres et sobres. Cela nous conduira à aborder les premières applications industrielles de la chimie verte dans divers domaines, de l’agroalimentaire aux nanotechnologies. La chimie verte est-elle une utopie ? C’est la question à laquelle nous devrons répondre, et cela ne pourra pas se faire sans la connaissance et la prise en compte des éléments accélérateurs, des réglementations, de la pression des consommateurs et des freins et verrous souvent liés au coût des installations et des procédés. En 2006, Gilles Rotillon, professeur de sciences économiques à Paris XII, cherchait à savoir « qui veut vraiment du développement durable ». La vie publique, politique et sociale ainsi que les intérêts privés ont intégré la notion de développement durable dans leur discours et dans leurs choix médiatisés, notamment en termes de recherche et d’innovation industrielle. Mais quels sont les moyens mis réellement à disposition ? Le niveau des aides publiques accordées depuis 20 ans par les pays riches pour le développement est de l’ordre 12

QUELLES SONT LES RESSOURCES DE LA CHIMIE VERTE ?

INTRODUCTION

de 0,4 % du produit intérieur brut (PIB). Les objectifs fixés par l’ONU sont plutôt de l’ordre de 0,7 %, et seuls le Danemark, la Norvège et les Pays-Bas dépassent cette valeur. Du côté européen, la Commission indique que « très peu des objectifs fixés dans la stratégie en faveur du développement durable de l’UE en 2001 sont en passe d’être atteints ». Pour atténuer ces propos pessimistes, il faut enfin citer Jean Pelin, directeur général de l’Union des industries chimiques (UIC), qui a indiqué en 2006 que la chimie verte devrait représenter 30 % de la production française dans dix ans, contre un peu moins de 10 % aujourd’hui. Il est donc plus que temps de laisser la parole à la chimie verte. Allons découvrir ensemble ce que les chercheurs et les industriels nous proposent pour que la chimie continue de nous accompagner au quotidien. Réfléchissons ensemble au « génie des procédés », cette discipline qui permet de concevoir de nouvelles techniques et de nouveaux procédés afin que les prévisions de l’UIC soient vérifiées. Enfilons une blouse et retroussons-nous les manches…

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PARTIE 1

AVANT LA CHIMIE VERTE…

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PA R T I E 1

AVA N T L A C H I M I E V E R T E . . .

1 Tout est chimie…

Il suffit de regarder autour de nous : tout est chimie. Pour nous en rendre compte, posons-nous la question de ce que nous pourrions faire sans la chimie. Cette question, Armand Lattes, professeur émérite de chimie à l’université Paul Sabatier de Toulouse et président de la Société française de chimie (SFC), l’a posée dans un texte très court et très amusant intitulé Et si les chimistes arrêtaient tout ?... Une page de science-fiction. COMMENT SERAIT UN MONDE SANS CHIMIE ? Si tous les chimistes arrêtaient leurs activités, qui permettent de fabriquer, transformer, protéger, analyser… il y aurait de nombreuses conséquences. Néanmoins, il ne se passerait rien d’immédiat pour l’atmosphère et nous ne retrouverions pas dans nos cités polluées la pureté de l’air des cimes. Cela s’explique par le fait que les transports routiers sont responsables en grande partie des émissions gazeuses polluantes. Il faudrait attendre l’épuisement total des stocks d’hydrocarbures pour arriver au terme de ces émissions, mais il est possible 17

AVANT LA CHIMIE VERTE...

d’imaginer que cela serait au prix de milliers de vies, la raréfaction du pétrole impliquant des tensions géopolitiques malheureusement prévisibles et meurtrières. Concernant l’énergie, le pétrole n’étant plus raffiné, il faudrait se tourner vers le charbon et le bois. Le premier est extrait du sol, mais puisque les cokeries seraient fermées, il ne serait plus débarrassé chimiquement de certains de ses constituants soufrés qui, au contact de l’air, donnent des sous-produits tels que des acides (par exemple, l’acide sulfurique) qui attaquent les forêts. Sans la chimie, le bois, comme la majorité des produits agricoles, ne pourrait par ailleurs plus être intensivement cultivé puisqu’il n’y aurait plus de fongicides, et les parasites s’en donneraient alors à cœur joie. Dans les deux cas, l’utilisation de ces deux combustibles produirait des quantités massives de CO2 dans l’atmosphère, mais de toute façon cela ne serait pas très important car il n’y aurait plus de chimiste pour les mesurer !

2 | Dans le monde qui nous entoure, tout est chimie…

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QUELLES SONT LES RESSOURCES DE LA CHIMIE VERTE ?

1. TOUT EST CHIMIE...

Sans la chimie, nous dirions en même temps adieu à l’énergie nucléaire et à l’électricité abondante, car sans contrôle possible des réactions nucléaires à l’aide de composés chimiques et sans les procédés chimiques mis en œuvre notamment pour l’enrichissement de l’uranium ou pour son retraitement, les ingénieurs seraient obligés d’arrêter les centrales nucléaires, faute de combustibles et de moyens de garantir la sûreté des centrales. Concernant l’énergie, pour le chauffage et les transports nous sommes donc intimement liés à la chimie. Il nous resterait l’exercice de nous réchauffer en nous déplaçant à bicyclette ! Au détail près que sans chimistes il n’y aurait plus de pneus pour les véhicules, ni d’ailleurs de bitume pour fabriquer des routes. Cruel détail. Il ne resterait plus qu’à brancher notre vélo d’appartement sur une grosse dynamo pour alimenter nos appareils électroménagers. Là aussi, les matériaux plastiques nous manqueraient, surtout pour les câbles d’alimentation et les connexions. Plus de télévisions ni de radio ou d’ordinateurs ; il nous resterait du temps pour la lecture. Pas pour très longtemps : le papier et l’encre d’imprimerie sont fabriqués par voie chimique ! Tout cela risquerait de provoquer un sacré mal de tête, et ce serait dommage, car il n’y aurait plus d’aspirine. L’acide acétylsalicylique, qui est le principe actif de l’aspirine, est synthétisé chimiquement. Aïe ! Cela fait mal… Dommage, les molécules phares de nos pharmacies, le paracétamol et l’ibuprofène, ne seraient plus disponibles. Mais il y a plus grave : la plupart des principes actifs de l’industrie pharmaceutique sont obtenus et/ou purifiés par voie chimique. Donc s’il n’est plus possible de fabriquer des anticancéreux et des médicaments contre le sida (pour la trithérapie par exemple), alors l’humanité n’est plus capable d’assurer la santé de ses contemporains et l’espérance de vie décroîtrait rapidement. L’alimentation humaine et la production d’eau potable se trouveraient aussi sévèrement touchées. Les engrais et les pesticides n’étant plus produits, l’alimentation du bétail et la nôtre seraient 19

AVANT LA CHIMIE VERTE...

drastiquement diminuées. Le sucre disparaîtrait car c’est un produit raffiné, l’huile de table deviendrait rare car les corps gras ne seraient plus extraits des oléagineux. À part en utilisant le sel des marais salants, les produits ne seraient plus conservables à long terme car il n’existerait plus de conservateurs ni de stabilisateurs. Les denrées fraîches ou sensibles ne seraient plus stockables ni transportables car les réfrigérateurs et les congélateurs ne contiendraient plus de produits réfrigérants. L’eau potable ne serait plus stabilisée par le chlore dans les grandes cités et les épidémies commenceraient à faire des ravages… Cette petite fiction scientifique écrite par Armand Lattes et dont nous résumons ici certaines idées a été traduite en cinq langues et est disponible dans sa version intégrale sur le site Internet de la Société française de chimie2. De façon un peu détournée mais très pertinente, ce texte nous met en face de nos responsabilités. L’énergie, la santé, l’alimentation, la production d’eau potable sont au cœur de nos sociétés et, nous l’avons compris, la chimie participe activement à tout cela. Nous priver totalement de la chimie reviendrait aussi à nous priver de la communication, des transports, et cela nous conduirait inexorablement à revenir à un fonctionnement sociétal auquel nous ne sommes pas (plus) habitués, celui qui fut le nôtre il y a des siècles, celui des peuples non (encore) industrialisés d’aujourd’hui. L’approche que nous avons là peut sembler caricaturale alors que je suis en train de taper ces lignes sur mon ordinateur portable, branché sur la prise du train qui file à grande vitesse vers le Sud. Ma compagne Caroline est assoupie devant moi sur dans fauteuil confortable et molletonné. Elle écoute de la musique sur son lecteur MP3 protégé par une housse en cuir synthétique d’un rose pâle assorti à son rouge à lèvres et à son chemisier printanier. Je sirote un jus d’orange et je grignote un biscuit nappé de chocolat. L’ambiance est feutrée mais, sans que je m’en rende compte, il y a tout autour de moi 2. www.sfc.fr/A%20Lattes.pdf

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QUELLES SONT LES RESSOURCES DE LA CHIMIE VERTE ?

1. TOUT EST CHIMIE...

des matières plastiques, des colorants, des pigments, des conservateurs, des batteries, des fibres et des textiles synthétiques… Le monde décrit par Armand Lattes, sans maîtrise de l’énergie, de la santé, de l’alimentation existe malheureusement. Il s’appelle pudiquement le Tiers-Monde. Des êtres humains y vivent et ils y meurent massivement du sida, du paludisme et du manque d’accès à l’eau potable. Sur une terre peuplée de plus de 6 milliards d’habitants, ce constat nous indique qu’entre un monde entièrement chimique dont nous ne voulons plus, conscients des risques qu’il génère, ou un monde totalement dépourvu des avantages amenés par la chimie, il existe forcément un juste milieu. In medio stat virtus, au milieu se situe la vertu, disaient nos ancêtres latins. Notre responsabilité est donc de connaître et de maîtriser notre dépendance à la chimie. Puisque nous ne pouvons pas nous en passer, il nous faut donc trouver de nouvelles voies pour l’apprivoiser. LA CHIMIE POUR QUOI FAIRE ? Revenons donc à une analyse plus précise de la chimie qui nous entoure. Depuis plus de 4 000 ans, la chimie sert à fabriquer, transformer, protéger et même malheureusement à détruire, accidentellement ou volontairement, à l’aide d’armes chimiques… L’élément initial, la matière première de la chimie, c’est bien sûr la Nature qui nous entoure. « La Raison nous permet d’appréhender l’essence même de la Nature », disait Descartes. La chimie utilisée de façon « raisonnable » peut donc nous permettre d’explorer les voies que la Nature nous propose. Valoriser la Nature L’action la plus immédiate est de transformer la Nature pour la valoriser. Valoriser les produits naturels, c’est d’abord réaliser une première opération pour les purifier, les raffiner, les transformer en d’autres produits à plus forte valeur ajoutée. 21

AVANT LA CHIMIE VERTE...

Valoriser, c’est aussi produire en quantité suffisante ce qui nous est nécessaire ; c’est ce que permettent les engrais en agriculture par exemple. Les engrais sont de trois sortes : organiques, minéraux et organominéraux. Au niveau industriel, ce sont les engrais minéraux qui sont produits massivement, en particulier les engrais azotés, synthétisés à partir de l’ammoniac (NH3), ou bien la potasse et les phosphates extraits du sous-sol puis raffinés. Certains engrais organiques sont aussi synthétisés chimiquement ; c’est le cas de l’urée (CON2H4). L’industrie des engrais produit annuellement environ 360 millions de tonnes de produits fertilisants. Cela équivaut à 140 millions de tonnes d’éléments nutritifs (minéraux essentiellement), utilisés, dans une centaine de pays, sur 80 % des terres arables à la surface de la planète, c’est-à-dire 1,4 milliard d’hectares. Quel est l’enjeu ? Nourrir la planète, bien sûr. En 2000, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organisation, FAO) indiquait dans son bilan global sur l’alimentation que dans 55 pays la malnutrition était endémique et chronique. À cette période la FAO indique qu’environ 815 millions de personnes sont sous-alimentées à la surface de la terre, 777 millions dans les pays en développement, 27 millions dans les pays en transition et 11 millions dans les pays développés. Face à cela, la production de céréales (60 % des engrais utilisés) a été multipliée par 2,5 au cours des 45 années écoulées, alors que la surface cultivée est restée pratiquement constante à 650 millions d’hectares. Les rendements ont été triplés, passant de 1,3 t/ha à 3,5 t/ha, et cela est dû pour moitié à l’utilisation des engrais. La démographie à la surface de la planète laisse supposer que l’industrie des engrais ne pourra qu’être florissante, surtout en vue de la production de futurs biocarburants… D’autre part, les engrais azotés et les phosphates nécessitent de l’énergie pour leur fabrication et leur transport. L’utilisation massive de ces produits chimiques induit localement des pollutions importantes. Tous ces éléments ont contribué 22

QUELLES SONT LES RESSOURCES DE LA CHIMIE VERTE ?

1. TOUT EST CHIMIE...

3 | Sans la chimie, impossible de nourrir la planète…

au retour d’une agriculture biologique, appelée aussi agroécologie ou écoagriculture, qui vise à optimiser les écosystèmes au lieu de les forcer par voie chimique. L’agriculture biologique peut-elle nourrir la planète ? Selon un communiqué de 2007 de la Food and Agriculture Organisation (FAO), « l’agriculture biologique a le potentiel de satisfaire la demande alimentaire mondiale, tout comme l’agriculture conventionnelle d’aujourd’hui, mais avec un impact mineur sur l’environnement ». Seuls 120 pays pratiquent à ce jour l’agriculture biologique sur un total de 31 millions d’hectares. Lorsque l’on arrivera à une pratique généralisée à la surface de la planète, ce sera vraisemblablement un mélange de l’ensemble des voies possibles qui permettra un accroissement cohérent de la production agricole mondiale. Et la chimie verte dans tout cela ? Elle devra soutenir l’agriculture biologique en proposant des engrais chimiques de faible impact sur l’environnement et compatibles avec les rendements attendus. Valoriser, c’est enfin permettre à la nature d’exprimer ce qu’elle a de plus beau : ses arômes, avec les composés organiques volatils ; ses 23

AVANT LA CHIMIE VERTE...

saveurs, avec les exhausteurs de goûts ; ses couleurs, avec ses pigments. Petite précision, un colorant est appelé « teinture » s’il est soluble dans le milieu qu’il colore ou « pigment » s’il est insoluble. Déjà, dans l’antiquité, les pigments servaient pour orner de fresques les murs des palais et pour farder souveraines et courtisanes ; les teintures, pour l’ennoblissement des tissus et des cuirs. Les cuirs étaient obtenus par trempage d’une peau dans une solution aqueuse contenant des tannins végétaux, provenant par exemple de l’écorce de chêne ou de châtaignier. Les cuirs sont aujourd’hui tannés par trempage dans une solution contenant du chrome (valence 6). Petit problème, pour une tonne de peau traitée, 15 tonnes d’effluents chromés pas très sympathiques sont produites. Pour cette raison, les tanneries ont pratiquement disparu en Europe. En France, à Mazamet, Romans ou Millau, l’industrie de la tannerie cherche des voies alternatives pour redonner un nouveau souffle à cette activité. C’est la chimie verte qui est la solution pressentie, avec un procédé qui permet d’amener le chrome directement dans la peau sans utiliser d’eau. Nous verrons comment plus loin. Enfin, pour finir sur une note odorante, je voudrais rappeler que dans le monde qui nous entoure, le luxe le plus accessible est celui du parfum. Cette branche magnifique de la chimie est à la frontière de l’art : « Le parfum, c’est la forme la plus tenace du souvenir », écrivait Marcel Proust. Pour illustrer cela, la Société française des parfumeurs a fait œuvre utile en créant l’Osmothèque de Versailles. Dans ce musée, 1 300 parfums sont répertoriés, dont 300 sont devenus introuvables après l’arrêt de leur commercialisation. En visitant avec bonheur ce musée, j’ai pu discuter avec un guide qui m’a raconté une histoire touchante que Proust n’aurait pas reniée. Des « mouillettes », petites tiges cartonnées qui se trouvent maintenant chez tous les parfumeurs, permettent de tester les parfums de l’Osmothèque. Mon guide vit un jour un très vieux monsieur humant sa tige cartonnée devant un parfum disparu. Il pleurait à chaudes larmes et le guide, imaginant un début de malaise, vint s’enquérir de la santé de ce vieil 24

QUELLES SONT LES RESSOURCES DE LA CHIMIE VERTE ?

1. TOUT EST CHIMIE...

4 | Le parfum ? un concentré agréable de chimie…

homme. Celui-ci secoua lentement la tête et dit simplement : « C’est le parfum de ma mère… » Après toutes ces années, le petit garçon devenu homme n’avait pas oublié le parfum de sa maman ; voilà un bel apport de la chimie à notre monde ! Pour que cela puisse continuer, la chimie verte doit permettre le maintien des cultures des plantes aromatiques en toute innocuité, notamment dans les pays du Sud. Les procédés d’extraction par solvant doivent aussi conduire à des extraits qui, exempts de traces résiduelles de produits chimiques et de résidus inertes, soient aussi valorisables. Nous verrons ainsi comment la chimie verte se penche vers les procédés alternatifs à l’extraction par solvants organiques. Protéger la Nature Pour la rendre pérenne ou rentable, il faut protéger la nature. C’est d’abord à l’industrie des pesticides et autres fongicides d’agir en ce sens. La chasse aux parasites et moustiques divers ainsi que la sauvegarde des cultures sont des activités majeures à l’échelle de la planète. 25

AVANT LA CHIMIE VERTE...

Le dichlorodiphényltrichloroéthane (C14H9Cl5), plus connu sous le nom de DDT, est le premier pesticide moderne. Il a été synthétisé pour la première fois par un chimiste autrichien, Othmar Zeidleir, en 1874. C’est un chimiste suisse, Paul Hermann Muller qui en découvrira les propriétés insecticides en 1939. Il recevra d’ailleurs à ce titre en 1948 le prix Nobel de médecine, alors qu’il n’est ni médecin ni découvreur de la molécule. C’est dire ! Ce pesticide organochloré fut accueilli dans les années 1940 comme un miracle. Durant la Seconde Guerre mondiale, il fut utilisé dans les zones de conflits pour protéger les troupes engagées du paludisme et du typhus. Une fois la paix revenue, il fut répandu massivement dans les zones impaludées d’Europe, des États-Unis et du Brésil pour éradiquer ce fléau. Il fut aussi utilisé comme insecticide agricole. Dans Printemps silencieux, un livre publié en 1962, une biologiste américaine, Rachel Carson, décrit comment le DDT et ses molécules cousines sont responsables de la disparition d’oiseaux insectivores dans les zones traitées. Le DDT agit en amincissant et fragilisant la coquille des œufs des oiseaux. Les pygargues, les faucons pèlerins et les pélicans bruns sont les premiers touchés et, dans cette conception alarmiste, la disparition des oiseaux conduirait effectivement à un printemps silencieux. En 2000, le magazine américain Time a répertorié les cent personnes qui ont eu une grande influence au XXe siècle. Après avoir été vilipendée par ce même magazine en 1962, Rachel Carson s’est retrouvée dans ce classement. Ce qu’il faut retenir, c’est que Printemps Silencieux a été à la base du premier mouvement écologique de masse et qu’il a conduit à la suppression de l’utilisation du DDT aux États-Unis en 1970. À cette époque s’est développée la méfiance vis-à-vis du DDT, amplifiée par l’utilisation dramatique de l’agent orange, un herbicide puissant, reconnu cancérigène depuis du fait de la présence de dioxine sous forme d’impureté, utilisé par les troupes américaines au Vietnam. Au cours des années 1970 et 1980, l’usage agricole du DDT a été interdit dans la plupart des pays 26

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développés. Il a été remplacé par des produits moins persistants dans l’environnement mais malheureusement plus chers. Depuis 1962, les recherches scientifiques sur les pesticides et leurs effets ont progressé et certains résultats avancés par Rachel Carson se sont révélés inexacts, notamment dans le cadre des effets cancérigènes supposés pour de faibles doses de certains herbicides. En 2004, La convention de Stockholm, signée par 158 pays, a interdit le DDT ainsi que onze autres polluants organiques persistants. Une interdiction totale de l’utilisation du DDT dans les pays où sévissent le paludisme et la malaria est actuellement difficile car il n’existe pas d’alternatives technico-économiquement abordables. Du fait d’une préconisation de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) de 2006, le produit est pour cette raison toujours utilisé dans les pays tropicaux, notamment dans les bâtiments, mais pas pour l’agriculture. Des groupements environnementalistes comme Greenpeace et World Wildlife Fund (WWF) condamnent le DDT comme étant « une source sérieuse de danger pour l’homme ». En 2006, le romancier Michael Crichton, qui a oublié que le DDT n’est pas officiellement interdit, alimente la polémique en annonçant des statistiques difficilement vérifiables dans son roman État d’urgence (State of fear) : « Depuis l’interdiction, deux millions de personnes par an, principalement des enfants, meurent du paludisme. Cette interdiction a causé plus de cinquante millions de morts inutiles. Interdire le DDT a tué plus de personnes qu’Hitler. ». Nous laissons à l’écrivain la paternité de la comparaison avec le dictateur allemand. Voilà la chimie au cœur de l’un des plus grands de ses paradoxes ; détracteurs et partisans s’affrontent toujours ici pour de bonnes raisons : préserver les écosystèmes et/ou sauver des vies humaines. Rien n’est réglé, car d’autres molécules chimiques telles que le lindane ou le chlordécone alimentent la polémique à l’heure actuelle. Ainsi, la chimie verte a un enjeu majeur : proposer des fongicides, pesticides… qui vont traiter de manière très sélective, et avec de très faibles quantités, à la manière « frappe chirurgicale », les plantes à cultiver. Les molécules à développer en chimie verte doivent être très actives vis-à-vis de 27

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l’insecte visé, tout en étant inoffensives pour les autres êtres vivants, et bien sûr biodégradables… En parlant de produits acceptables dans un souci d’écologie, un exemple de produit utilisé à ce jour dans la culture biologique est la bouillie bordelaise. Elle fut inventée par un chimiste bordelais, Ulysse Gayon ; c’est un mélange de sulfate de cuivre (CuSO4) et de chaux éteinte (Ca (OH)2, portlandite). Décrite dès 1880 comme un fongicide puissant, la bouillie bordelaise a contribué à contenir les ravages du mildiou, une maladie cryptogamique de la vigne. Elle n’a toutefois rien pu faire contre l’invasion du phylloxéra, qui a failli causer la perte du vignoble français. Lorsque ce petit insecte infecte les racines d’un cep de vigne, il peut en trois ans causer la mort du plant. C’est en France, en 1863, à cause de pépiniéristes maladroits qui utilisèrent des plants américains infestés, que commence l’invasion du phylloxéra. Apparue dans le Gard et en Gironde, cette invasion touche toute l’Europe puis le reste du monde, l’Australie, l’Afrique du Sud, le Maroc et la Tunisie. En 1980, des cas de phylloxéra sont identifiés en Turquie. Les moyens de lutte contre cette invasion furent dès le départ étudiés tous azimuts. La majorité des vignobles du Sud de la France étant touchée, il fallut trouver rapidement des solutions. Noyer l’insecte en inondant le vignoble s’avéra être une solution efficace mais non utilisable dans les zones peu irriguées. La chimie et la génétique permirent l’éradication de cette invasion. Le sol fut traité par du sulfure de carbone (CS2), l’injection au niveau des racines permettant de les traiter efficacement, mais cela resta un traitement onéreux. La découverte que certains plants américains étaient résistant au phylloxéra conduisit à une solution utilisée encore de nos jours. Les plantations actuelles utilisent des porte-greffes issus de plants américains, ce qui a permis de garder la biodiversité de nos cépages, car ils ont permis aux plants français de s’exprimer génétiquement. Imaginer la France amputée de la majeure partie de sa production viticole n’est même pas envisageable, d’un point de vue culturel ou économique, pourtant nous n’en sommes pas passés très loin. Merci la chimie… 28

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Un autre bien encore plus inestimable, car indispensable à la vie, est l’eau potable qui coule abondamment de nos robinets. Les usages domestiques de l’eau concernent l’alimentation humaine (environ 2 à 3 litres par jour et par personne), les activités de lavage, d’évacuation des déchets, d’hygiène personnelle, d’arrosage des jardins… La consommation journalière d’eau en usage domestique dans le monde est très variable. Selon Alain Maurel, jeune retraité du CEA et ancien ingénieur continuant à mettre son inépuisable énergie au service de l’eau, la consommation journalière par personne est de 600 litres aux États-Unis, 250 à 300 litres en Europe, 30 litres en Afrique et 5 litres à Madagascar. Cette variabilité est liée aux disparités des ressources en eau potable, d’accès à l’énergie nécessaire à sa purification et à sa distribution (il en faut pour pomper l’eau et la traiter !) et des technologies. D’une manière générale, la consommation d’eau par habitant est en augmentation à la surface de la planète, sauf en Égypte, en Palestine et en Israël où la rareté de l’eau est source de conflits armés. Au sud et à l’est du pourtour Méditerranéen, de nombreux pays sont en état de stress hydrique, c’està-dire qu’ils possèdent des ressources en eau inférieures à 1 000 m3 par an et par habitant. Certains sont mêmes en dessous de la valeur de 500 m3 par an et par habitant, ce qui les positionne en état de pénurie.

5 | La Terre est une planète assoiffée…

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Dans les pays occidentaux, l’eau continue de couler à flots mais, depuis quelques années, une prise de conscience collective, liée à une augmentation substantielle de la facture d’approvisionnement en eau, a permis de mieux gérer notre consommation. La production d’eau potable est réalisée au plus près des centres urbains, en pompage des eaux de surface ou en recyclage des eaux usées. Le risque majeur dans la production d’eau potable est la contamination par des micro-organismes. Pour s’en prémunir, le moyen le plus efficace est un traitement thermique portant l’eau à ébullition ou la distillant. Cela n’étant pas envisageable pour de grands volumes de production, des traitements de filtration et de séparation de plus en plus sophistiqués ont été développés pour cet usage. Mais une fois produite, l’eau doit être acheminée via un réseau de distribution pour arriver à notre robinet. Pour stabiliser, protéger l’eau et éviter la recontamination en micro-organismes, la chimie vient à la rescousse. La solution aqueuse d’hypochlorite de sodium (NaClO) appelée « eau de Javel » ou simplement « Javel » est un produit oxydant utilisé depuis le XIXe siècle comme désinfectant, notamment pour le traitement de l’eau potable, et accessoirement comme décolorant. La fabrication de l’eau de Javel, dès 1777, dans un village nommé Javel à l’ouest de Paris, se fait à partir de chlore (Cl2) et de soude (NaOH) : Cl2 + 2 NaOH → NaCl + NaClO + H2O Comme nous pouvons le constater, il se forme également du sel (NaCl) et de l’eau. La présence de chlore donne son odeur caractéristique à l’eau de Javel. C’est ce chlore que l’on retrouve parfois dans le goût caractéristique de l’eau du robinet. La présence de chlore permet de garantir une stabilité totale de l’innocuité biologique de l’eau acheminée dans un réseau et donc de répondre aux besoins croissants en eau potable dans nos grands centres urbains, sans risque d’épidémie de maladies diarrhéiques, comme par exemple le choléra, qui tuent environs 2,5 millions de personnes par an dans le monde. 30

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L’eau de Javel est bactéricide, fongicide et virucide. C’est un produit chimique puissant que l’on ajoute directement à des sources d’eau suspectes dans des pays en état de pénurie, ou lors de catastrophes naturelles, séisme ou tsunami. Toutefois, cela reste un produit dangereux et réactif. Des femmes de ménage sont mortes au siècle dernier après avoir été victimes d’intoxication au chlore gazeux (Cl2 ou dichlore). Croyant bien faire, elles avaient ajouté des acides à l’eau de Javel afin d’en augmenter les effets, sans savoir que la réaction chimique conduit à la production de Cl2 qui, en milieu confiné, devient fatal. Alors la chimie verte peut-elle proposer des solutions ? Oui, en combinant des procédés efficaces de filtration avec des membranes très sélectives qui vont débarrasser l’eau d’un maximum de composés indésirables (pesticides, métaux lourds, bactéries…). De ce fait, il ne faudra ajouter qu’une infime quantité de chlore pour stabiliser l’eau et empêcher sa recontamination. Et une eau du robinet sans goût de chlore, c’est agréable… Analyser la Nature Pour protéger la Nature, il faut aussi être capable de l’analyser. Cela veut dire être capable de mesurer, directement ou indirectement, des éléments chimiques présents dans la nature. En chimie analytique, l’enjeu actuel est de développer des méthodes et des instruments qui assurent la détection et la mesure des produits en faible concentration, appelés « traces ». En chimie verte, comme vous l’avez compris, nous aurions intérêt à utiliser des produits chimiques à dose homéopathique ; il faut donc être capable de traiter les très faibles concentrations. Par ailleurs, dans la nature, les traces sont souvent à l’origine de pollution et leur mesure est indispensable pour notre vie de tous les jours. Par exemple, j’ai dans ma vie de chercheur été confronté à une molécule très bizarre, le 2-4-6 trichloroanisole. Cette molécule, baptisée TCA et dont la formule chimique est C7H5OCl3, est responsable du 31

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redoutable « goût de bouchon ». Vers la fin des années 1990, je dirigeais le laboratoire des fluides supercritiques et membranes du CEA. À cette époque, nous fûmes contactés par la famille Sabaté, grand nom de l’industrie du bouchon en liège, entreprise devenue depuis Oeneo Bouchage. Le responsable scientifique de Sabaté à l’époque nous fit découvrir l’ampleur du problème. Entre 1 et 15 % des bouteilles vendues dans le monde sont bouchonnées, c’est-à-dire qu’elles présentent un goût de bouchon (20 milliards de bouteilles environ sont produits annuellement dans le monde et 14 milliards sont bouchés avec du liège). Une valeur réaliste tourne autour de 3 %. C’est une valeur faible dans l’absolu, mais lorsque cela concerne un grand cru jalousement conservé, la sanction est immédiate. Philippe Margot, œnologue et journaliste suisse distingué, m’a indiqué qu’il avait subi deux fois, en 17 ans de carrière, cette situation catastrophique. Une fois avec une bouteille de Château Pétrus et l’autre avec un Château d’Yquem 1971. Deux pertes inestimables, selon les connaisseurs… Le TCA est une molécule naturelle produite par des moisissures, présentes naturellement dans le liège et le bois, à partir de composés chlorés, les chlorophénols. C’est un scientifique suisse, Hans Tanner, qui a mis en évidence en 1981 que le goût de bouchon provenait principalement du TCA. Dans sa fabrication, le vin est potentiellement en contact ou mis à proximité de sources de cette molécule : les poutres des chais, les palettes de transport, les barriques… Mais le dernier élément suspecté sera toujours celui qui est le dernier rempart du vin, c’est-à-dire le bouchon en liège. Le problème est que le TCA est extrêmement volatile et le nez humain y est malheureusement sensible ; la molécule est liée à une odeur de moisi, de goût terreux ; bref, à une ambiance de cave humide. Les femmes sont génétiquement mieux armées pour détecter le goût de bouchon. À une contamination de 10 nanogrammes, ou 10 milliardièmes de grammes, par litre de vin (ng/l), une personne 32

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sur dix est capable de détecter le goût de bouchon et c’est souvent une femme. Les œnologues le détectent entre 3 et 5 ng/l ; les dix meilleurs spécialistes mondiaux sont capables d’identifier entre 1 et 3 ng/l que le vin présente une anomalie, sans pouvoir la nommer. Vous avez bien lu, nous sommes au niveau du ng/l, c’est-à-dire, selon les Anglo-Saxons, une partie par trillion, le ppt. C’est le vertige des grands nombres : votre corps est constitué de 100 trillions de cellules. À l’heure actuelle, malgré votre douche matinale, il est recouvert d’un trillion de bactéries qui vivent en symbiose avec vous. Imaginer que séparer 1 ppt, c’est comme vouloir isoler une bactérie en particulier parmi le trillion qui est en colocation avec vous. Pour mieux visualiser le ppt, il vous faut imaginer un chinois au milieu d’une population formée de 1 000 fois celle de la Chine ! À l’heure actuelle, nous ne sommes capables de mesurer le TCA en dessous du ppt qu’avec des machines très sophistiquées. Le nez humain reste donc encore une référence dans l’analyse et la détection des polluants. En prenant tout cela en compte, nous verrons dans un chapitre successif comment nous sommes venus à bout du goût de bouchon… Conserver la Nature La Nature, au-delà de ses bienfaits supposés, se doit d’être conservée. La première application date de l’aube de l’humanité ; elle concerne la conservation des aliments. Cette conservation a deux objectifs : protéger la comestibilité des aliments tout en gardant intacts leur saveur et leur pouvoir nutritionnel. Deux grandes familles de traitement existent ; l’une à base de procédés physiques, l’autre à bases de composés chimiques. Concernant les facteurs chimiques, nous les connaissons inconsciemment presque tous. Ce qui rend les aliments vulnérables, ce sont les quantités d’eau présentes dans les produits végétaux ou animaux, ainsi que l’exposition à l’air. Les micro-organismes vivent autour de nous. Nous l’avons vu précédemment, mille milliards de micro33

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organismes vivent à la surface de notre peau. C’est dire si nous avons intérêt à vivre en synergie. Dans la majeure partie des cas, les micro-organismes présentent des métabolismes où la présence d’eau est indispensable à leur prolifération. Les légumes et les fruits contiennent jusqu’à 90 % d’eau, et jusqu’à 99 % pour les salades. Les mammifères sont composés d’environ 70 % d’eau. Et il en est de même pour les poissons. Pour protéger un aliment, il faut le rendre inintéressant pour les bactéries et autres moisissures, et pour cela il faut enlever le maximum d’eau disponible. Cela se traduit en chimie par une diminution de « l’activité en eau ». Limiter l’exposition à l’air libre diminue aussi les réactions d’oxydations possibles, c’est-à-dire les réactions qui dénaturent le produit, notamment en changeant sa coloration. Le séchage direct ou la dessiccation ont été tout naturellement les procédés utilisés en premier. Rapidement, les procédés sont devenus plus sophistiqués et il est apparu que le phénomène osmotique était à la base de la conservation des aliments. En mettant un aliment en contact avec du sel en grande quantité, ce produit va, par aspiration grâce au NaCl, perdre son eau et devenir stable. C’est ce que nous appelons le trempage dans les saumures et les salaisons. Ce traitement, couplé avec un séchage à l’air, est à l’origine de la fabrication des charcuteries. Au Moyen Âge, le sel était tellement utilisé pour la conservation des aliments qu’une taxe avait été inventée par la monarchie pour s’enrichir : la gabelle. Un phénomène identique s’opère lorsque vous mettez des fruits en contacts avec des quantités importantes de sucres. C’est la base de la confiserie. Le séchage osmotique est aussi possible pour les légumes. Les confitures, les fruits au sirop et autres chutneys doivent leur longue conservation à l’abaissement important de l’activité en eau de ces produits par ajout de sucre. Ce fut pendant de nombreux siècles la seule possibilité de manger des fruits et des vitamines pendant l’hiver. 34

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À la surface d’un pot de confiture, il peut apparaître des contaminations microbiennes alors que l’intérieur du pot n’est pas contaminé. L’intérieur est à l’abri de l’air alors que la surface est exposée au monde extérieur. Pour éviter les phénomènes de contamination à la surface, il est utile de plonger les produits à conserver dans des solutions protectrices. C’est le cas des fruits plongés dans l’alcool, l’éthanol plus précisément. C’est aussi le cas des olives, des oignons et des cornichons plongés dans une solution acide, le vinaigre. De même, les tomates séchées, les fromages frais et les champignons peuvent être conservés dans une solution basique, l’huile. Le fait de badigeonner des produits séchés avec de l’huile les protège aussi de l’oxydation. Autant les fruits confits et les produits conservés dans l’alcool perdent leurs qualités organoleptiques et nutritionnelles, autant ceux conservés dans le vinaigre ou l’huile d’olive sont stabilisés et restent partiellement intègres. Alcools, acides, bases, sels… la chimie est depuis plusieurs millénaires la solution à la conservation des aliments et des denrées périssables, à leur exportation et dissémination, et à la survie de l’espèce.

6 | Pour faire fructifier votre épargne, placez-là en lieu sûr !

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En microbiologie alimentaire, il existe deux bombes à retardement, le lait et le sang, ainsi que leurs produits dérivés. Ces produits, ainsi que les denrées consommées fraîches, ne peuvent pas être traités uniquement par la chimie ; il devient nécessaire de faire appel à la physique. Ces techniques font appels à des facteurs déjà évoqués auparavant : la température, la pression, les rayonnements ionisants et même les champs électriques pulsés. En particulier, le feu et la température induisent des réactions chimiques irréversibles, comme nous l’avons déjà vu précédemment. Nicolas Appert, un révolutionnaire imaginatif, a l’idée de génie de traiter thermiquement des aliments à haute température (supérieure à 100 °C) dans des récipients hermétiquement fermés. En 1804, il vient d’inventer « l’appertisation » ou stérilisation des aliments. Quelques années plus tard, lorsque Nicolas Appert modifie sa méthode de conservation des aliments en appliquant des températures plus faibles, entre 65 °C et 100 °C, et des temps de traitement courts, il découvre un effet significatif de diminution de l’activité bactérienne. De plus, le fait de réaliser un refroidissement rapide, par

7 | Nicolas Appert et Louis Pasteur, des conservateurs révolutionnaires !

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trempage dans l’eau froide, permet de conserver la saveur et les propriétés des aliments. Louis Pasteur, le père de la microbiologie et de la biochimie moderne, a commencé sa carrière par une thèse de chimie en 1847. Il a ensuite repris les travaux décrits précédemment et les a appliqués avec succès à la destruction des bactéries du vin. Il a décrit le procédé, en citant Appert, et a expliqué les mécanismes de destruction des germes bactériens pathogènes. En 1856 est née la « pasteurisation ». À l’inverse, depuis 150 ans environ, les traitements thermiques par le froid, la réfrigération et la congélation, sont devenus indispensables. Leur mise en œuvre technique et leur diffusion auprès du grand public n’a été rendue possible que par la miniaturisation des systèmes de réfrigération. Là aussi la chimie est au cœur du procédé. Pour cela, imaginez un moteur qui fait circuler un gaz dans un circuit fermé. Ce gaz est comprimé, il monte en pression de plusieurs bars, devient liquide et est ensuite rapidement détendu à la pression atmosphérique. Quand nous comprimons un fluide, ce dernier monte en température, et inversement, lorsqu’il est détendu, il descend fortement en température. Cette propriété thermodynamique d’un corps est utilisée dans le moteur frigorifique. Pour que cela soit vraiment efficace, il faut le fluide qui circule soit adapté à ces cycles successifs de chauffage et de refroidissement ; ce sont les fluides réfrigérants. Les chlorofluorocarbones (CFC) sont les plus connus. Ces produits chimiques de synthèse font l’objet d’études importantes car ils sont au cœur de polémiques industrielles, de la destruction de la couche d’ozone à l’accroissement de l’effet de serre. Les CFC appartiennent à la famille des haloalcanes et des gaz fluorés. Imaginez que dans ces chaînes hydrocarbonées, des atomes d’hydrogène soient remplacés par des halogènes. Les halogènes sont des éléments qui font partie de la colonne 17 (groupe VII) dans le tableau de Mendeleïev. Les plus connus sont le fluor (F), le brome (Br), le chlore (Cl) et l’iode (I). Parmi les CFC, le plus connu, le fréon-12 ou dichlorodifluoro37

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méthane (CCl2F2), est obtenu à partir du méthane de la manière suivante : CH4 + Cl2 + F2 → CCL2F2 + 2H2 La chimie verte se doit donc dans un avenir proche de proposer une alternative à l’utilisation des CFC. Nous verrons plus tard comment cela est possible. Pour limiter les traitements thermiques et la conservation par le froid, procédés tous deux coûteux en énergie, s’est développée l’inactivation chimique de la prolifération microbienne, avec l’utilisation de conservateurs artificiels. Ce sont les molécules aux noms sibyllins que nous retrouvons inscrits sur les emballages alimentaires à la rubrique « conservateurs et antioxydants ». Arrêtons-nous quelques instants sur les additifs alimentaires, qui font partie intégrante de notre vie. Ces produits chimiques sont ajoutés aux aliments et aux boissons dans le but d’en améliorer la conservation, la couleur, le goût, l’aspect… Lorsqu’un additif alimentaire est agréé au niveau européen, celui-ci bénéficie d’un code du type Exyz, où x, y et z représentent des chiffres. Une Dose Journalière Admissible (DJA, en milligrammes par kilogramme de masse corporelle) est définie pour chaque additif. Ils sont classés selon leurs propriétés d’usage ou applications. 1) Les colorants Ils ont un nom de code du type E1yz, de E100 (curcumine) à E181 (acide tannique). Ils servent à colorer les produits alimentaires et à les rendre plus appétissants. L’aspect visuel est notre premier contact avec un aliment, et il est l’indicateur de sa comestibilité. Depuis des milliers d’années, l’être humain s’est nourri des produits de la chasse, de la pêche, de la cueillette, puis de l’élevage et de l’agriculture. Instinctivement un fruit vert nous apparaîtra non comestible, alors que s’il est bien coloré, il sera jugé appétissant. Au contraire, une couleur jugée suspecte nous 38

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indiquera que le produit semble en état de décomposition. Le rouge, le jaune, le vert, le brun… sont naturellement présents dans nos aliments traditionnels. Il y a une dizaine d’années, un groupe industriel agroalimentaire européen a fait une étude pour déterminer la couleur la plus appétissante. Un panel de consommateurs a dû juger sur un aliment modèle totalement artificiel quelle était la couleur qui leur inspirait la plus grande envie de consommer le produit. Le vainqueur toutes catégories est la couleur… du pain ! Entre le brun clair et le marron foncé, toute la gamme des nuances nous rappelant la couleur du pain est un gage de succès. La même étude a aussi mis en évidence la pire couleur pour un produit alimentaire : le bleu. En effet, il n’existe pratiquement pas de produit naturel, animal ou végétal, de couleur bleue, donc notre inconscient ne nous permet pas d’associer cette couleur avec un aliment. De même, hormis pour le lait et les produits dérivés, le blanc est relativement mal perçu. Enfin, cette étude démontrait aussi que le même produit traité avec deux colorants différents présentait selon les consommateurs deux goûts différents ! Nous sommes donc prisonniers de nos sens. Nous en avons connu dans les années 1970 un exemple commercial tout à fait parlant, qui peut faire sourire. Alors que les « Exyz » commençaient à envahir nos emballages alimentaires, une société eut l’idée de mettre en vente un sirop de menthe sans colorants. Ce sirop transparent, débarrassés des E140 (naturel) ou E141 et 142 (synthétiques), était un premier pas vers le retour au « naturel », mais fut un échec commercial car, pour un buveur de menthe à l’eau, sa boisson se doit d’être verte. Cela en dit long sur notre conditionnement en tant que consommateur. Les colorants sont d’abord des composés chimiques naturels, comme les caroténoïdes, les chlorophylles ou les anthocyanes. Ils sont extraits par voie chimique de fruits, de feuilles ou de fleurs. Ils peuvent aussi provenir de poissons ou de crustacés pour colorer les bâtonnets de surimi, ainsi que d’une petite chenille d’Amérique du Sud, la cochenille, qui produit une magnifique couleur rouge… 39

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Les colorants chimiques de synthèse existent aussi, bien sûr ; ils ont été longtemps majoritaires, mais se font bousculer par le retour en force des colorants naturels. Ce retour des colorants naturels est rendu possible par la diminution des coûts des matières premières naturelles et également par la baisse des coûts de transformation associés. 2) Les conservateurs Leur nom de code est du type E2yz, de E200 (acide sorbique) à E297 (acide fumarique). Leur rôle de protection des denrées alimentaires est immédiat et permet la conservation et le transport des aliments. Il est aussi de prolonger l’action des traitements thermiques présentés précédemment et, lorsque cela est possible, de s’y substituer. Ces produits chimiques agissent pour limiter ou empêcher la prolifération microbiologique dans les aliments ou les boissons. Éléments toxiques à la base, ils sont utilisés à très faible concentration. Ce sont des substances minérales de type nitrates ou nitrites, sulfites, anhydride sulfureux et peroxyde d’hydrogène. Cette dernière molécule, plus connue sous le nom d’eau oxygénée (H2O2) est utilisée pour stabiliser les briques de lait ou de jus de fruits. Des composés organiques sont aussi utilisés, essentiellement des acides de type sorbique, formique ou benzoïque. Nous retrouvons d’ailleurs E260, l’acide acétique, c’est-à-dire le vinaigre qu’utilisait ma grand-mère pour conserver ses délicieux cornichons. 3) Les antioxydants Leur code est du type E3yz, de E300 (acide ascorbique) à E321 (butylhydroxytoluène). Ces molécules contribuent à protéger les aliments contre les réactions d’oxydation qui accélèrent le vieillissement et modifient l’aspect des produits. Il peut s’agir d’altérations dues à l’oxygène de l’air, aux rayons ultraviolets de la lumière, aux traces de métaux ou à certaines réactions enzymatiques. L’oxydation mène à la création de radicaux 41

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libres. Ces composés chimiques présentent des électrons libres non mobilisés, ce qui les rend instables et donc prêts à réagir anarchiquement avec leur entourage. Les antioxydants se trouvent principalement dans les fruits et légumes. L’acide ascorbique ou vitamine C (E300) se trouve naturellement dans notre alimentation et agit dans plusieurs réactions enzymatiques. Les antioxydants existent aussi dans les corps gras, les huiles en particulier, sous forme tocophérols et tocotriénols, dont les différentes formes sont regroupées sous le nom de vitamine E. 42

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Leur action naturelle immédiate est de limiter l’apparition du « goût de rance ». La provitamine A, ou carotène, est aussi l’un des antioxydants les plus décrits. Comment fonctionnent les antioxydants ? Les organismes vivants, animaux ou végétaux, produisent naturellement, par oxydation, des radicaux libres. Ces composés chimiques présentent des électrons libres (célibataires), ce qui les rend instables et donc prêts à réagir chimiquement avec leur entourage. Les composants cellulaires sont les premières cibles, notamment les molécules chimiques constitutives de l’ADN. Les radicaux libres, en réagissant, produisent d’autres radicaux libres en plus grande quantité. Cette réaction en chaîne conduit au vieillissement, voire à la destruction des cellules. Les antioxydants sont des molécules capables de capter et de stabiliser les électrons célibataires. Ils stoppent donc le processus de réaction en chaîne et réduisent la nocivité des radicaux libres. Après l’industrie alimentaire, l’industrie cosmétique a compris l’importance de ces composés chimiques. Depuis plusieurs années, la promesse de retarder les effets du vieillissement par les polyphénols et autres antioxydants naturels fait le bonheur des magazines féminins et des publicitaires. La température, la pression ou les rayonnements sont aussi utilisés pour le traitement des produits alimentaires, car ils produisent des réactions chimiques irréversibles. Le rayonnement γ, issu d’une source de type cobalt 60, est utilisé pour détruire les micro-organismes et en empêcher la prolifération. Le procédé d’ionisation est efficace, mais il est contesté en France du fait de sa proximité symbolique avec le nucléaire. Certains d’entre nous se rappellent des fraises rouges ainsi traitées qui avaient un logo proche du symbole de l’existence de radioactivité sur l’emballage ! Difficile de créer ainsi la confiance dans le produit. Ce procédé est curieusement très utilisé en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, où il a été débarrassé de sa connotation nucléaire rédhibitoire. En France, à ma connaissance, les épices importées d’Inde ou d’Afrique ont longtemps été traitées par cette technique. Maintenant, seules les cuisses de grenouille seraient 43

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stabilisées par ionisation. Les ionisateurs sont utilisés dans des domaines plus lucratifs, comme la stérilisation des instruments chirurgicaux. Alors, comment pourrait se mettre en place une idée de chimie verte pour toutes ces applications ? Nous sommes dans la même problématique que pour l’eau potable. La réponse réside dans la combinaison des méthodes. En maîtrisant la stabilisation des produits alimentaires par des méthodes physiques avec un faible impact sur les produits, il sera possible de n’ajouter que de faibles quantités d’additifs alimentaires. Un cas particulier de la conservation est la stérilisation sous pression, encore au stade de la recherche. C’est un procédé qui permet de limiter voire d’annihiler des réactions chimiques comme celles de prolifération microbienne. Les produits alimentaires sont traités avec succès en les soumettant à une pression de plusieurs milliers de fois supérieure à la pression atmosphérique. J’ai même eu la surprise un jour de voir des tomates traitées de cette façon. Les champs électriques pulsés sont également au stade du développement. Le champ électrique permet de définir et de mesurer en tout point de l’espace l’influence exercée à distance par des particules chargées électriquement et produite par des électrodes ; il s’exprime en volts/cm. En faisant passer un liquide entre deux électrodes sur lesquelles on applique un champ électrique de plus de 50 000 volts/cm, les membranes des cellules des micro-organismes vont réagir comme des condensateurs électriques. Les membranes vont accumuler des charges électriques et, au-delà d’une tension limite, elles vont se rompre, libérant ainsi le contenu cytoplasmique des micro-organismes. Ces applications puissantes pourraient un jour permettre l’apparition d’un jus d’orange stérilisé à froid, avec le même goût qu’une orange pressée dans une brique Tetra Pack®… Le monde vivant est fragile, diversifié dans ses richesses et ses manques, et les ressources sont inégalement réparties à la surface de la planète. Comme elles sont à la base de la survie des espèces 44

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1. TOUT EST CHIMIE...

vivantes, leur disponibilité est essentielle pour répondre à nos besoins et à nos modes de vie changeants. Pour cela, lorsque la Nature est jugée déficiente, nous tentons de nous substituer à elle. Se substituer à la Nature Une fois encore, les deux domaines importants où le manque de ressources se fait sentir concernent l’alimentation et la santé. L’alimentation nous permet de revenir sur le sujet des additifs alimentaires et sur la suite de l’inventaire à la Prévert ébauché précédemment. J’ai choisi deux exemples qui nous touchent quotidiennement : les arômes alimentaires et les édulcorants. C’est bien sûr grâce à la chimie analytique que nous avons pu identifier les molécules responsables des arômes dans les aliments. La chromatographie et la spectroscopie ont permis de traquer sans relâche les milliers de composés responsables des arômes. Ces composés sont formés de centaines de molécules aromatiques, ce qui rend leurs combinaisons riches et quasi-infinies. Il fallait toutefois découvrir quelle était la source des molécules aromatiques. C’est vers la fin du XIXe siècle que Friedrich August Kekulé Von Stradonitz, plus connu sous le nom de Kekulé, fit un drôle de rêve. Cet architecte allemand contrarié avait changé de cap, et il enseignait et étudiait la chimie à l’université de Gand en Belgique. Son étude portait sur la détermination de la formule d’une molécule bizarre. Incolore, insoluble dans l’eau et très aromatique, le benzène, extrait du pétrole, gardait jalousement sa formule. En 1865, la petite histoire que l’on raconte aux chimistes est que Kekulé somnolait, sûrement après un repas copieux, devant son cahier de laboratoire. Assoupi, il voyait les atomes de carbone danser devant ses yeux, et dans son rêve un serpent se mit alors à relier les six atomes de carbone présents et à se mordre la queue. À son réveil, Kekulé avait compris que la structure insaturée du benzène (C6H6) était un cycle. Il faudra d’autres études et d’autres chimistes pour comprendre finalement que le carbone, de 45

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9 | Le benzène : un serpent qui se mord la queue…

valence 4, se positionne dans un cycle, et qu’à l’intérieur de ce cycle les électrons issus des six atomes de carbone sont délocalisés et mis en commun : ils sont en résonance. Le benzène est la première molécule de la famille des « cycles aromatiques » ; il n’est pas possible d’être plus parlant ! Le benzène est reconnu maintenant comme une molécule toxique, mais sa forte réactivité, dans des conditions précises, lui permet d’échanger des hydrogènes contre des groupements chimiques, alcools, cétones… pour aboutir à des composés plus stables, inoffensifs et très odorants. Pour être odorant, un composé se doit d’être de petite taille, de masse molaire inférieure à 400 g/mole, ce qui lui permet d’être volatil. Il doit en effet, à température ambiante, être à l’état gazeux et se solubiliser dans la muqueuse de la cavité rétro-nasale. Ces molécules, formées essentiellement de C, H et O, sont souvent connues sous le terme de Composés Organiques Volatils, les COV. Les arômes sont présents naturellement autour de nous dans les plantes, les fleurs, les arbres, les feuilles… Ils se forment aussi lors de la cuisson ou du traitement thermique. Il suffit de se remémorer l’odeur d’une boutique de torréfaction de café ou celle d’une boulangerie pour comprendre que des réactions chimiques en température, 46

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la plus connue étant la réaction de Maillard, conduisent à la synthèse de cycles odorants. Ce sont des arômes de transformation. Le monde vivant produit des arômes subtils et sophistiqués, mais domestiquer ces molécules et les mettre dans nos produits alimentaires quotidiens est une autre histoire. Comme pour les parfums décrits précédemment, ils sont extraits par distillation, entraînement à la vapeur, extraction par solvant et, depuis la Drôme provençale jusqu’à l’arrière-pays Grassois, les aromaticiens français font le bonheur de l’industrie agroalimentaire et des parfumeurs du monde entier. Mais quand une société fabrique des millions de bouteilles de soda ou de plats cuisinés, comment se procurer tous les arômes nécessaires ? Il est d’abord possible de copier la nature pour s’y substituer. Ce sont les arômes identiques naturels. Ils sont purement et simplement la copie artificielle de la molécule naturelle initiale obtenue par synthèse chimique. Nous créons donc un analogue naturel, c’est-àdire une molécule identique à celle que nous trouvons dans la nature mais fabriquée ici artificiellement. Les outils de la chimie moderne permettent de photocopier à l’infini les molécules les plus simples, celles de petite taille, notamment les composés organiques volatils. L’autre solution réside dans la synthèse d’arômes artificiels. La chimie permet de synthétiser des molécules qui présentent des propriétés aromatisantes identiques voire meilleures que celles de la molécule originale. C’est l’exemple, souvent cité, de la vanille. Cette fleur (d’orchidée) des pays tropicaux produit naturellement de la vanilline. Cette molécule est le constituant majeur de la vanille, présent dans la gousse de vanille que ma grand-mère mettait dans le riz au lait de mon enfance. Les chimistes ont mis au point l’éthylvanilline, une molécule de synthèse qui est en fait de la vanilline avec un groupement « éthyl (CH3CH2-) ». L’éthylvanilline est deux à trois fois plus puissante en termes de goût de vanille que la molécule originale. La copie est supérieure en qualité à l’original, à ceci près que la gousse 47

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de vanille contient une centaine de molécules aromatisantes de moindre importance mais qui participent au goût final du riz au lait à la façon de ma grand-mère. L’aromatisation est une science complexe. J’ai discuté récemment avec un ingénieur spécialiste du développement des arômes pour les sirops alimentaires. Elle m’a dit que, travaillant sur l’arôme naturel d’ananas, elle avait passé beaucoup de temps pour isoler et extraire les molécules constitutives de cet arôme. Les premiers essais avec un panel de dégustation furent des échecs cuisants. Les consommateurs étaient déroutés car ils ne retrouvaient pas le goût de l’ananas. Il a fallu beaucoup de temps et de tests pour comprendre que, dans la tête des consommateurs, le goût de l’ananas est celui du produit qui sort des boîtes de conserve. L’ananas traité grâce à Nicolas Appert présente un goût caractéristique qui, dans notre inconscient, est celui de l’ananas. Notre ingénieur a dû rajouter un arôme « de cuit version boîte de conserve » et le sirop s’est bien vendu. Cette histoire illustre à nouveau la distance entre notre perception du goût et sa réalité… et, surtout, que le client a toujours raison. Enfin, la mode alimentaire moderne du « ni… ni », ni sucre, ni corps gras, a permis la naissance d’un nouveau type d’additif. Les édulcorants apportent un goût sucré sans qu’il y ait d’hydrates de carbone (les sucres). Leur pouvoir sucrant est plus puissant que celui du saccharose (C12H22O11), la molécule du « sucre », formée par une molécule de glucose et une de fructose et extraite de la betterave ou de la canne à sucre. Le glucose et le fructose sont deux isomères de formule brute C6H12O6. Les isomères sont des molécules ayant la même formule structurale brute (par exemple CxHyOz) mais des structures moléculaires développées différentes. Le plus ancien édulcorant connu, pour des raisons de rationnement, est la saccharine qui circulait en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces molécules chimiques sont à la base destinées aux personnes qui ne peuvent pas métaboliser le glucose en glycogène dans l’organisme, les diabétiques. Sans valeur nutritive, ces molécules sont aussi destinées aux 48

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obèses et par extension maintenant aux personnes soucieuses de garder leur ligne. La plus connue d’entre elles est l’aspartame®. Son nom chimique est L-aspartyl-L-phenylalanine méthylester. C’est l’assemblage de deux acides aminés naturels, la phénylalanine et l’acide aspartique, avec en plus un groupement méthyl (CH3-) greffé sur la phénylalanine. Les acides aminés, une vingtaine environ, sont les briques de base des protéines, molécules essentielles du monde vivant. Mises bout à bout, elles forment des peptides qui, en grandissant en taille, deviennent des protéines. En synthétisant un tétrapeptide pour fabriquer un médicament antiulcéreux à partir de la phénylalanine et de l’acide aspartique, J. Schlatter, de la société Searle, tomba sur un intermédiaire réactionnel, un dipeptide méthylé. En 1965, fumer n’était pas encore un délit fédéral et lors d’une pause Schlatter, portant la cigarette à ses lèvres, fut surpris de remarquer un goût sucré inattendu sur ses doigts. Curieux, il revint vers le dipeptide. Les deux molécules qui le forment sont plutôt amères au goût, mais la grosse surprise vient du fait qu’une fois assemblées, puis méthylées, elles présentent un goût sucré prononcé. L’aspartame était né, et son pouvoir sucrant fut breveté. Son usage fut autorisé par les gouvernements américain et européens au début des années 1980, après quelques doutes sur les possibles effets toxiques et cancérigènes sur le cerveau de l’aspartame® ou de ses métabolites. Dans le domaine de la santé, les principes actifs médicamenteux issus, isolés et/ou copiés de composés naturels représentent environ 70 % des médicaments que nous consommons ; les autres sont fabriqués par synthèse chimique. La méthode traditionnelle de chimie médicinale est un travail de romain. Elle porte sur un passage en revue général ou orienté de produits naturels ou d’analogues synthétiques afin d’en tester les effets thérapeutiques. Ces dernières années sont apparues des nouvelles méthodes de synthèse par chimie combinatoire. Ces méthodes automatisées permettent de fabriquer des banques de données de plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de 49

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molécules en combinant aléatoirement des molécules de base entre elles. En parallèle à ces nouvelles techniques de synthèse, des systèmes robotisés permettent de tester rapidement l’efficacité thérapeutique des composés issus de la banque de données. De plus, la modélisation moléculaire permet, à l’aide de l’informatique, d’imaginer des molécules idéales. Cela permet d’étudier les relations entre la structure chimique de la molécule et son activité thérapeutique et d’orienter les synthèses et analyses combinatoires futures. Un des enjeux de la chimie verte serait donc de favoriser les techniques de modélisation pour le développement de nouvelles molécules, en limitant ainsi le nombre d’essais à réaliser, de matières premières à utiliser ainsi que les risques de créer artificiellement des molécules très toxiques. Très liée au domaine de la santé se trouve une industrie très lucrative, l’industrie cosmétique. Un responsable de R & D d’un groupe français de luxe, leader dans le domaine des cosmétiques, m’a un jour posé la question suivante : « Quelle est selon vous la différence entre un produit pharmaceutique et un produit cosmétique ? » J’étais incapable en quelques mots de donner une réponse pertinente. Alors, il m’a fait un grand sourire et m’a simplement dit : « Dans un cas on doit montrer que cela fait du bien, et dans l’autre on doit montrer que cela ne fait pas de mal… » Cette réponse implacable donne la dimension de ces deux industries chimiques. La première teste des milliers de molécules, lance des milliers d’Autorisation de mise sur le marché (AMM) qui, après études cliniques et tests d’efficacités, conduisent à l’arrêt de plus de 95 % des AMM. Les quelques médicaments qui vont sortir vont devoir être vendus pendant plusieurs dizaines d’années pour être rentables puis financer les futures AMM. La seconde teste des molécules qui présentent un effet : chaud, froid, brillant, mat… C’est encore mieux, si possible, de rajouter des molécules qui rappellent la chimie naturelle : les antioxydants, les acides gras polyinsaturés en oméga-3… La nocivité de ces molécules est testée, essentiellement 50

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vis-à-vis de la peau, et rapidement elles sont formulées et mises sur le marché. L’industrie cosmétique présente une croissance annuelle à deux chiffres et 40 % du chiffre d’affaires dégagé se fait avec des produits nouveaux. Entre ces deux mondes, les secteurs de la nutraceutique et des alicaments répondent à des demandes de consommateurs. Les compléments alimentaires, la phytothérapie traditionnelle, l’aromathérapie et les aliments de grande distribution qui limitent l’apport en cholestérol ou en sucre sont des débouchés importants pour la chimie de demain. C’est le futur terrain de jeu de la chimie verte. Voilà, nous sommes arrivés au terme de notre premier voyage dans le monde de la chimie. La première conclusion est que chimie est au cœur de toutes les questions majeures qu’affronte l’humanité : énergie, santé, alimentation, production d’eau potable, démographie… La chimie est de tous ces enjeux avec son histoire, sa puissance mais aussi sa part d’ombre et d’inconnu. La Nature, le monde vivant, l’humanité sont constitués de composés chimiques qui interagissent entre eux. Au regard de la planète, nous ne maîtrisons qu’une faible

10 | Les plantes, une source inépuisable de molécules thérapeutiques.

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partie des réactions chimiques ; cela nous a néanmoins apporté beaucoup de choses, devenues indispensables à nos sociétés. Abandonnons donc cette sensation de dépendance, et essayons de mieux comprendre la chimie et son devenir, pour ne pas la subir mais être capables d’agir au quotidien à travers elle.

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2 C’est quoi la chimie ?

L’inconnu étant source d’angoisse, nous allons essayer de définir les grands domaines de la chimie pour mieux la connaître, l’appréhender et donc ne pas la subir. Comme Monsieur Jourdain, qui faisait de la prose sans le savoir, nous sommes tous des chimistes qui s’ignorent. Aussi, en essayant de faire une typologie de la chimie, nous allons en isoler les grands domaines pour les mettre en perspective des grands enjeux de notre quotidien. LES GRANDS DOMAINES DE LA CHIMIE : DES DISCIPLINES BIEN DÉFINIES Si la chimie était une religion, il y aurait quelques cathédrales et beaucoup de chapelles. Au risque de faire hurler les puristes, il existe selon moi trois piliers fondamentaux : la chimie organique, la chimie minérale et la biochimie.

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La chimie organique La chimie organique présente une spécificité absolue. Quand vous entrez dans une salle de TP de chimie organique, une odeur puissante vous prend instantanément à la gorge. La cavité rétro-nasale est saturée : nous sommes bien en présence de molécules aromatiques ! En pratique, la chimie organique est souvent appelée chimie du carbone, car cet atome a la bonne idée de créer facilement des liaisons covalentes avec ses voisins. C’est à partir du XIXe siècle que les chimistes ont compris qu’il était possible de synthétiser des composés organiques analogues à des composés naturels ou bien totalement artificiels. La naissance de la chimie organique est souvent associée à l’expérience inattendue réalisée en 1828 par le chimiste allemand Friedrich Wöhler. Ce dernier transforma accidentellement un composé inorganique, le cyanate d’ammonium (NH4CNO), en présence d’acide nitrique (HNO3), en une substance organique, l’urée (CON2H4). Avec sa découverte, Wöhler brisa le tabou de la « théorie de la force vitale ». Cette théorie indiquait qu’il n’était pas possible de transformer un composé minéral en composé organique sans l’intervention d’une énergie, baptisée « force vitale ». Wöhler venait d’inventer la chimie organique. La chimie organique est basée sur la synthèse organique, un assemblage d’atomes de carbone, d’hydrogène et d’oxygène, sous forme de chaînes linéaires (les composés aliphatiques) ou bien de chaînes cycliques (les composés aromatiques). Actuellement, près d’un million de composés sont obtenus par synthèse organique, parmi lesquels rares sont les produits naturellement présents dans la nature. Parmi les chaînes aliphatiques carbonées, nous trouvons les hydrocarbures, chers à un certain Mendeleïev, avec notamment les alcanes. Dans les composés oxygénés se trouvent notamment les alcools, les 54

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2. C’EST QUOI LA CHIMIE ?

éthers et les acides carboxyliques. Les composés azotés, halogénés et phosphorés complètent la liste. Les polymères sont aussi associés à la thématique de la chimie organique. Toutes ces molécules sont souvent citées dans des applications pharmaceutiques, agricoles, alimentaires ou cosmétiques, mais sont aussi impliquées dans des produits issus de la pétrochimie et de l’industrie des plastiques. Je pourrais aussi ajouter les applications liées à l’industrie des savons et des détergents ; s’ouvre ainsi le gigantesque domaine des produits ménagers et des lessives… La chimie minérale La chimie minérale est aussi appelée chimie inorganique. Cette discipline s’intéresse aux molécules synthétisées à partir des éléments du tableau de Mendeleïev autres que C, H et O. Les principaux composés concernés sont les minéraux tels que les sels ou les pierres précieuses, les métaux et leurs alliages, les éléments non métalliques tels que le silicium ou le phosphore. La chimie minérale a beaucoup d’importance en géologie. Les applications qui se rattachent à la chimie minérale sont celles liées à l’industrie du verre, des matériaux céramiques et de la métallurgie. Nous pouvons ajouter la chimie du silicium dans le domaine gigantesque de la microélectronique, la chimie du lithium dans les accumulateurs d’énergie, piles et batteries. La chimie du silicium concerne aussi l’énergie, avec la conception de cellules photovoltaïques. Les oxydes de zirconium et d’yttrium sont aussi impliqués dans les piles à combustible à haute température, les Solid Oxide Fuel Cell (SOFC). Enfin, la chimie des actinides permet de gérer les déchets nucléaires. Les déchets issus de la fission de combustibles dans les centrales nucléaires ne sont pas, plus particulièrement en France, en Angleterre et au Japon, purement et simplement stockés. Un combustible usé est retraité, c’est-à-dire que grâce à la connaissance de la 55

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chimie des actinides, les éléments possédant encore un fort potentiel énergétique, comme l’uranium et le plutonium, sont séparés des autres actinides et des produits de fission. Ils seront recyclés dans d’autres combustibles. L’énergie et les matériaux font donc bon ménage avec la chimie minérale. La biochimie La biochimie a d’abord été une branche de la chimie organique. C’est maintenant une discipline à part entière, qui reprend la partie de la chimie organique qui s’intéresse au monde vivant, animal ou végétal. La chimie minérale paye aussi son tribut à la biochimie puisque les oligo-éléments, les sels, les oxydes minéraux, mais aussi les métaux, comme le fer dans les globules rouges, font partie intégrante du fonctionnement général du monde vivant. Au début du XXe siècle, Carl Neuberg, un chimiste allemand, poursuit les études de Pasteur dans le domaine des fermentations et des enzymes. Il est le premier à utiliser en 1903 le terme de biochimie, à la frontière de la chimie et de la biologie. La biochimie s’intéresse aux réactions chimiques dans les cellules vivantes. Trois grands types de réactions existent : celles produisant de l’énergie à l’aide de l’adénosine triphosphate (ATP) pour faire fonctionner la cellule ; celles impliquant les catalyseurs biologiques, les enzymes ; celles liées au métabolisme, à la transformation des molécules entrant dans la cellule. Pour faire des réactions, il faut des molécules de base. Il en existe quatre familles : les glucides (les sucres), les lipides (les corps gras), les protéines (formées d’acides aminés) et les acides nucléiques. Cependant, n’oublions pas que la molécule essentielle du monde vivant est… l’eau ! 56

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2. C’EST QUOI LA CHIMIE ?

C’est ici la vie elle-même et sa perpétuation qui est en jeu. Les acides nucléiques sont présents dans les noyaux de la plupart des cellules vivantes. Il en existe deux grands types : les acides désoxyribonucléiques (ADN) et les acides ribonucléiques (ARN). L’ADN est le support universel de l’information génétique et se trouve essentiellement dans les chromosomes. Cette banque de données peut, grâce à l’ARN, transmettre et exprimer l’information contenue. En 1965, le prix Nobel de physiologie ou médecine est attribué à Jacques Monod, François Jacob et André Lwoff pour leurs travaux en génétique. Jacques Monod a apporté une contribution majeure à la biochimie. Il a démontré que l’ADN est le point de départ de réactions biochimiques qui, par l’intermédiaire de l’ARN, produisent les protéines ou enzymes nécessaires à la vie des cellules, et par voie de conséquence à la vie tout court. Laissons-le conclure provisoirement dans son fameux Le hasard et la nécessité (1970), lui qui fut un trait d’union entre la chimie et la vie : « Les êtres vivants sont des machines chimiques. La croissance et la multiplication de tous les organismes exigent que soient accomplies des milliers de réactions chimiques grâce à quoi sont élaborés les constituants essentiels des cellules. » Au-delà de ces grands territoires de chimie, j’aimerais citer quelques domaines que nous croiserons régulièrement dans ce livre. D’abord la chimie analytique, qui est une discipline transversale et indispensable pour mesurer, évaluer, détecter les molécules amies ou ennemies. La détection se fait maintenant à des niveaux de sensibilité tels que nous continuons à nous poser la question : d’accord, je détecte, mais est-ce que c’est toxique ? Ensuite, la chimie physique, ou chimie générale, qui s’intéresse aux lois physiques qui régissent les systèmes et procédés chimiques. 57

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Les principaux domaines d’étude comprennent : la thermochimie, la cinétique chimique, l’électrochimie, la radiochimie, la mécanique quantique… Enfin, une autre discipline plus récente, qui décrit les réactions chimiques et les intègre depuis la paillasse du laboratoire jusqu’aux réacteurs industriels est le génie des procédés, anciennement appelé génie chimique. Je suis tombé dedans tout petit, comme Obélix, et mon maître et ami montpelliérain, le professeur Gilbert Rios, y est pour beaucoup. Discipline transversale elle aussi, elle m’a permis avec bonheur de travailler en biochimie, en agroalimentaire, en gestion de l’environnement, en développement de matériaux inorganiques avancés et dans la gestion des déchets nucléaire. Difficile de faire plus large… L’objectif dans tous les cas est de déterminer l’avancement, le dimensionnement et les conditions opératoires qui doivent assurer la gestion des réactions chimiques, depuis le stade laboratoire jusqu’aux applications industrielles. La connaissance développée permet de mieux adapter ce changement de dimension au cadre de la réaction, séparation, transfert de matière ou de chaleur…. Le génie des procédés présente de fortes interactions avec les trois domaines de la chimie, ainsi qu’avec la science des matériaux et la chimie physique. Il apporte un point de vue complémentaire à ces disciplines par une approche globale. Cela passe par l’étude et la maîtrise de nombreux processus interdépendants mais aussi par la représentation et la modélisation informatique de systèmes complexes. Il existe une autre façon de présenter la chimie, selon ses domaines d’applications. La chimie industrielle s’intéresse aux applications de grands volumes, comme sont nom l’indique. Elle se voit parfois associée à la chimie lourde. Il s’agit donc de la production de gros volume de produits chimiques de base : acide sulfurique, chlore, soude, éthanol… C’est une chimie qui prend de la place et qui est souvent 58

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2. C’EST QUOI LA CHIMIE ?

« lourde » également dans le paysage. J’ai bien cherché, mais il n’existe pas encore de chimie « légère ». La chimie fine ou chimie de spécialité s’intéresse à des volumes plus faibles mais avec de plus grandes valeurs ajoutées. C’est la chimie des principes actifs, des colorants, des arômes, des pigments… qui peut aller jusqu’aux applications : les médicaments, les vernis, les peintures, les laques…

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3 Une évolution sans révolution est-elle possible ?

La chimie est multiple, et sa typologie nous a amenés à aborder des domaines très divers. Dans de nombreux cas, malgré l’aspect incontournable de l’apport de la chimie, cette dernière apparaît porteuse de risques pour l’être humain et son environnement ; bref, pour l’écosystème mondial. Les grands mouvements écologistes lancés depuis l’initiative de Rachel Carson (voir chapitre 1) ont pour cibles majoritaires l’industrie chimique au sens large, avec en particulier l’industrie pétrochimique, génératrice de pollutions d’envergure et persistantes, et l’industrie nucléaire, qui catalyse les angoisses d’un risque invisible que nous ne maîtriserions plus… L’industrie chimique est aussi, dans l’esprit du public, associée à des accidents graves, souvent mortels et qui ont marqué l’opinion publique mondiale et fédéré des actions aboutissant à des réglementations gouvernementales sévères.

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LES LIMITATIONS DE LA CHIMIE INDUSTRIELLE : SE PRÉOCCUPE-T-ON ASSEZ DE LA TOXICITÉ ? En 150 ans, la chimie industrielle est devenue une industrie de masse. Selon les statistiques de l’Union des industries chimiques, l’industrie chimique dans le monde représente, en 2004, 1 776 milliards d’euros de chiffre d’affaires et plusieurs millions d’emplois associés. Cette industrie est distribuée de manière homogène sur trois continents : 36 % en Europe, 26 % en Amérique du Nord et 30 % en Asie. En France, en 2005, le chiffre d’affaires est de 95,7 milliards d’euros, avec presque 1 200 entreprises employant plus de 230 000 salariés. C’est le second secteur industriel derrière celui de l’automobile. La France est au second rang européen derrière l’Allemagne et devant le Royaume-Uni. L’histoire nous a rattrapés, et les grands chimistes allemands, français et anglais que nous avons vus précédemment ont laissé des traces importantes en Europe, notamment dans le nom des sociétés : Hoffman-Laroche, Institut Pasteur, Akzo-Nobel… J’ai relevé plus de 60 groupes industriels chimiques de grande taille dans le monde. Le classement du magazine américain Fortune donne les dix premières sociétés dans le monde et leur chiffre d’affaires pour 2006 (voir tableau page suivante). Le même type de classement pour les industries pharmaceutiques ou agroalimentaires montre une présence américaine dominante et un positionnement fort de l’Europe via de gros groupes industriels. Ces sociétés emploient chacune de 10 000 à plusieurs centaines de milliers de personnes chacune dans le monde. Dans le secteur de la production et du traitement de l’énergie, nous retrouvons, au niveau européen, les groupes pétroliers BP, Shell et Total dans le domaine du raffinage et Suez et Areva dans le domaine de l’énergie, notamment l’énergie nucléaire. La démonstration est claire : nous avons à faire à des groupes de grande taille localisés au plus près des consommateurs dans le monde. Pour satisfaire la demande croissante dans les secteurs de 62

QUELLES SONT LES RESSOURCES DE LA CHIMIE VERTE ?

3. UNE ÉVOLUTION SANS RÉVOLUTION EST-ELLE POSSIBLE ?

Groupes industriels chimiques : les dix premières compagnies dans le monde en 2006 (Source : Magazine Fortune, juillet 2006)

Rang

Compagnies

Rang parmi les 500 plus grandes sociétés

1

BASF (Allemagne)

2

Dow Chemical (États-Unis)

114

46,307

3

Bayer (Allemagne)

163

34,804

4

DuPont (États-Unis)

205

28,491

5

Mitsubishi Chemical Holdings (Japon)

299

21,277

6

SABIC (Arabie Saoudite)

307

20,865

7

Lyondell Chemical (Angleterre)

349

18,606

8

Hanwha (Corée du Nord)

381

17,068

9

Akzo Nobel (Pays-Bas)

418

16,153

Sumitomo Chemical (Japon)

499

13,748

10

94

Revenus (en millions de $US) 53,113

l’alimentaire, de la santé et des biens de consommation, la production de masse est nécessaire. La production de masse et ses impacts sur notre vie La production de masse liée à la révolution de la chimie industrielle a forcément un impact sur notre environnement. Les risques sont identifiés : pollution industrielle ou accidentelle, toxicité des produits ingérés ou des déchets produits… Nous allons reprendre ces différents aspects pour mieux les évaluer. La qualité des produits fabriqués et leur possible toxicité Lors de mes études d’ingénieur en agroalimentaire, j’ai suivi des cours à la faculté de pharmacie de Montpellier. Le professeur Benezech nous dit un jour en substance : « Vous allez faire un métier difficile. Les produits que vous allez fabriquer seront consommés tous les jours, alors que moi, en tant que pharmacien, je fabrique des produits qui ne seront consommés qu’occasionnellement. » 63

AVANT LA CHIMIE VERTE...

Cette phrase nous avait interpellés. En effet, si des produits tels que les sodas, les jus d’orange, la viande, le lait… venaient à devenir toxiques, l’effet serait immédiat et potentiellement dévastateur. Ces cas se vérifient dans les pays occidentaux avec plus ou moins de fréquence. N’oublions jamais que le risque le plus important en agroalimentaire est celui de la contamination bactérienne. Concernant la contamination chimique, ne sous-estimons pas l’aspect économique des peurs qui nous habitent. Le 4 février 1989, la Food and Drug Administration (FDA) américaine indique qu’elle a découvert des traces de quelques ppm de benzène dans 13 bouteilles d’eau Perrier distribuées en Caroline du Nord. Nous apprendrons rapidement que la pollution provient d’un filtre utilisé à Vergèze, dans le Gard, pour le processus de gazéification, et qui n’a pas été remplacé quand il le fallait. Malgré le rappel immédiat de 160 millions de bouteilles, une communication de crise particulièrement maladroite n’a pas pu éviter la chute des ventes de Perrier dans le monde et bien sûr aux États-Unis. Au pays de Coca-cola, l’eau gazeuse française est passée de 300 à moins de 100 millions de bouteilles vendues en deux ans. Cette situation fragile a permis à Nestlé de faire une OPA inamicale sur le groupe Vittel-Perrier et d’en prendre le contrôle dans la foulée. Et la toxicité dans tout cela ? 7 à 8 ppm avaient été mesurés par la FDA dans les bouteilles de Perrier, la norme admissible étant de 5 ppm aux États-Unis et de 10 ppm en France. Des études chromatographiques faites sur la source de Vergèze le 9 février 1989 ont montré que la source n’était pas contaminée en benzène. Le professeur JeanFrançois Girard, directeur général de la Santé à l’époque, a déclaré que « la consommation quotidienne d’un demi-litre de Perrier pendant 30 ans n’augmenterait que d’un millionième le risque d’apparition d’un cancer. […] La décision de retrait des eaux Perrier ne correspond nullement à une mesure d’ordre sanitaire ». De manière plus dramatique, j’ai essayé de rappeler ci-après un exemple de toxicité liée à des médicaments et qui me paraît évocateur. 64

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3. UNE ÉVOLUTION SANS RÉVOLUTION EST-ELLE POSSIBLE ?

12 | La chimie industrielle : un risque de toxicité à maîtriser au quotidien.

La thalidomide a pour formule chimique C13H10N2O4. C’est un sédatif dont la mise sur le marché est survenue en octobre 1957 en Allemagne et qui a été distribué dans 50 pays sous une quarantaine de noms différents. Prescrit aux femmes enceintes, il permettait de combattre les symptômes associés à la nausée du matin et aux vomissements. Ingéré durant le premier trimestre de la grossesse, le médicament, empêchant un développement normal du fœtus, a ainsi causé des malformations congénitales terribles. À partir de 1958, des milliers d’enfants sont nés dans le monde sans bras ni jambes. Il a fallu attendre 1961 pour qu’un pédiatre de Hambourg fasse le lien entre les malformations et le médicament, et que ce dernier soit immédiatement retiré de la vente. Au-delà de l’aspect tragique pour ces enfants et leurs familles, cette affaire a mis en évidence la responsabilité de l’industrie pharmaceutique et de la réglementation. De plus, ce drame planétaire a lancé des débats juridiques et éthiques sur des thèmes sociétaux majeurs 65

AVANT LA CHIMIE VERTE...

comme l’euthanasie, l’interruption volontaire de grossesse et l’indemnisation en matière d’accidents thérapeutiques. Comment un tel médicament a-t-il pu être commercialisé et prescrit ? Les essais menés par la firme allemande Grünenthal chez l’animal en 1954 n’ont pas mis en évidence de toxicité particulière. Les tests pratiqués sur plusieurs centaines de volontaires ont montré les propriétés sédatives mais pas les effets secondaires. Nous étions au début de « l’ère des calmants » et la thalidomide paraissait être le tranquillisant idéal. Depuis, Prozac, Xanax et autres médicaments du même type ont subi des études bien plus poussées avant leurs mises sur le marché. Au fait, la thalidomide, est-ce un poison ? Oui, indiscutablement, mais vous allez être surpris d’apprendre que ce médicament est toujours utilisé, notamment pour le traitement de la peste dans les pays en développement. Il marque un retour en force car il vient d’être démontré que son utilisation est efficace dans le traitement d’une maladie incurable, le myélome multiple, un cancer de la moelle osseuse qui touche 4 000 personnes par an en France. Cette molécule serait-elle donc capable du meilleur comme du pire ? Ici aussi, en regard des millions de personnes soignées dans le monde, la proportion de personnes atteintes par des effets secondaires non mis en évidence reste faible. Toutefois, ces éléments ont marqué notre imaginaire et les photos de jeunes enfants sans bras ni jambes resteront dans notre inconscient collectif comme le tribut payé par nos sociétés à l’industrie chimique. Le contact avec les produits chimiques et la toxicité associée Les salariés qui travaillent dans les domaines de la chimie et applications associées sont les premiers concernés. Le fait de travailler en présence de solvants, de métaux lourds, d’amiante… a pu conduire à l’apparition de maladies professionnelles. Le spectre du cancer rôde autour de ce thème. Le fait de travailler toute sa vie et de découvrir au moment de sa retraite être contaminé par un produit avec lequel on 66

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3. UNE ÉVOLUTION SANS RÉVOLUTION EST-ELLE POSSIBLE ?

a travaillé provoque un profond sentiment d’injustice. Parmi les cas cités précédemment, celui de l’amiante a été le plus médiatisé. Le débat continue, et c’est tant mieux. Il s’alimente désormais du problème de l’utilisation des fibres de verres et, plus récemment, de l’utilisation des nanomatériaux. Parmi les conclusions du Grenelle de l’environnement, initiative Française lancée en 2007, la position à tenir vis-à-vis des nanomatériaux est clairement signalée. Nous avons retenu l’expérience malheureuse de l’amiante, et le principe de précaution est préconisé pour l’utilisation et la mise en œuvre des nanomatériaux. Vous le savez sûrement : le développement des nanomatériaux est un secteur en pleine expansion. Des applications multiples et originales sont attendues dans ce domaine, comme par exemple fabriquer des micro-outils, des microsystèmes électroniques que nous pourront implanter dans le corps humain pour corriger des insuffisances organiques. Je suis heureux de constater qu’à l’heure actuelle, il y a pratiquement autant de séminaires scientifiques sur le sujet de la production et de l’utilisation des nanomatériaux que sur l’étude de la toxicité potentielle de ces produits. Ce qui rapproche l’amiante et les nanomatériaux, c’est le danger dans les deux cas d’avoir une dispersion de fibres ou de particules de petite taille qui pourraient entrer dans notre organisme par des voies non souhaitées, s’y fixer et causer des lésions plus ou moins irréversibles. Ce qui est frappant, c’est qu’après la tragédie de l’amiante, les industriels, mais aussi les centres de recherches, comme le CEA et le CNRS, se penchent sur la question alors que nombre de ces matériaux… ne sont pas encore fabriqués et utilisés industriellement. Sous la pression de l’opinion publique mêlée à celle d’un risque financier énorme pour les industriels, les mentalités changent, et c’est positif. Alors, où en sommes-nous ? D’un côté, des chercheurs et des industriels annoncent la révolution des nanomatériaux et en étudient très en amont la toxicité potentielle ; de l’autre, des opposants montrent du doigt une technologie qu’ils qualifient de 67

AVANT LA CHIMIE VERTE...

non maîtrisée et porteuse, selon eux, de risques potentiels énormes. C’est ce que les Américains appellent du « déjà vu » (prononcez « déjà vou »), en rappelant les polémiques sur les OGM ou les déchets nucléaires, qui auraient donc un remplaçant prometteur. Quoi qu’il en soit, les enjeux sociosanitaires évoqués plus haut font partie intégrante de la force motrice de l’évolution de la société qui nous conduit vers la chimie verte. La chimie : un délit de « sale » gueule avéré…

13 | Boum ! quand la chimie fait boum !

« C’est dangereux » Nous avons déjà largement évoqué les dangers réels ou perçus liés à la chimie. J’ai indiqué qu’à mon sens, le drame de l’usine AZF de Toulouse et les incertitudes qui entourent les origines de cet accident ont provoqué une prise de conscience nationale. Cela ne consolera pas les familles des 30 morts, les centaines de blessés et les milliers de sinistrés concernés. Au niveau mondial, le souvenir des accidents majeurs plane toujours au-dessus de la tête du chimiste. Le premier risque identifié 68

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3. UNE ÉVOLUTION SANS RÉVOLUTION EST-ELLE POSSIBLE ?

fut celui représenté par la poudre et les munitions. En 1645, le tiers de la ville de Boston (États-Unis) fut détruit par une explosion de ce type. En France, l’explosion de la poudrerie de Grenelle en 1794 a causé la mort de plus de 1 000 personnes. Entre 1905 et 1944, 44 accidents ont été recensés dans le monde et ont entraîné plus de 17 000 morts. Parallèlement, l’utilisation de produits explosibles et d’appareils a conduit à l’apparition d’un nouveau type d’accidents, notamment l’explosion d’usines, qui du fait de l’exode rural se trouvaient malheureusement à côté des habitations. Les premiers accidents qualifiés de majeurs surviennent dans les années 1960. En 1966, à Feyzin, au sud de Lyon, 18 personnes sont tuées lors de l’explosion d’une sphère de stockage de propane sous pression d’un volume de 1 200 m3. Les accidents de Flixborough (Angleterre) en 1974, et de Seveso (Italie) en 1976, vont apporter un éclairage nouveau. Seveso est une ville de Lombardie au nord de l’Italie. Le 10 juillet 1976, un réacteur produisant des herbicides à partir du 2,4,5trichlorophénol explose. Cette explosion ne cause pas de morts directes mais libère dans l’air plusieurs composés toxiques dont des défoliants, de type « agent orange », utilisés pendant la guerre du Vietnam, ainsi que de la dioxine. Cela se traduit par la contamination de 1 800 hectares. La presse ne tarde pas à qualifier ce drame de « la plus grande catastrophe depuis Hiroshima ». Plus de 3 000 animaux domestiques sont morts intoxiqués et un cheptel de près de 70 000 têtes de bétail sera abattu par mesure conservatoire. 37 000 personnes sont concernées à l’époque ; nous savons maintenant que 200 personnes ont été intoxiquées réellement, mais sans conséquences durables. Les effets de la dioxine n’étaient pas bien connus à l’époque. En 2003, le professeur Pesatori de l’université de Milan a publié les résultats d’une étude de 10 ans où, avec le recul, il est apparu que le taux global de cancer dans la zone contaminée n’était pas supérieur à la normale, malgré deux cas de cancer thyroïdien. En dépit de cela, cette catastrophe écologique a conduit à la 69

AVANT LA CHIMIE VERTE...

création de deux directives européennes, Seveso et Seveso II, que nous détaillerons plus loin. Une autre catastrophe de bien plus grande ampleur s’est produite huit ans plus tard. La catastrophe de Bhopal, à 600 kilomètres au sud de New Delhi, la capitale de l’Inde, est considérée comme la catastrophe industrielle la plus importante à ce jour. À la fin des années 1980, la démographie galopante en Inde nécessite une augmentation importante de la production agricole. Les pesticides nécessaires à l’accroissement des rendements agricoles doivent être produits en grande quantité. La société américaine Union Carbide installe à Bhopal une unité de production de pesticides de 5 000 tonnes par an de capacité. Le 3 décembre 1984, l’explosion de cette usine dégage 40 tonnes d’isocyanate de méthyle dans l’atmosphère de la ville. Ce composé est un intermédiaire utilisé pour la fabrication de pesticides de la famille des carbamates (C2H3NO). C’est un liquide incolore, totalement soluble dans l’eau et dont les vapeurs sont extrêmement toxiques. Entre 3 000 et 8 000 personnes meurent la première nuit et le chiffre actuel total des victimes oscille entre 16 000 et 30 000 personnes. Plus de 360 000 personnes ont été intoxiquées à des degrés divers. À ce jour, les nappes phréatiques, toujours contaminées aux alentours du site à l’abandon, conduiraient encore au décès de plusieurs centaines de morts par an. Ce qui frappa l’opinion internationale, en plus de la catastrophe humaine, c’est le contexte industriel. Pour des raisons économiques, l’usine montrait en effet beaucoup de carences du côté des mesures de sécurité. L’idée d’une multinationale américaine venant produire à moindre coût dans un pays en voie de développement s’est rapidement imposée dans l’opinion publique mondiale. Cela obligea les industriels et les gouvernements concernés dans le monde à prendre des mesures nouvelles et à s’engager en termes de responsabilités. Dans un article d’Olivier Bailly paru dans Le Monde diplomatique en 2004 et intitulé « Bhopal, l’infinie catastrophe », l’auteur indique qu’environ 80 000 personnes furent indemnisées, avec des montants 70

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3. UNE ÉVOLUTION SANS RÉVOLUTION EST-ELLE POSSIBLE ?

entre 1 400 et 2 900 euros. En comparaison, chaque famille touchée par l’attentat de Lockerbie a reçu 4 millions de dollars, soit 1 500 à 3 000 fois plus. Union Carbide a été ultérieurement rachetée par Dow Chemical. « C’est même très dangereux ! » Dans toutes les activités humaines, les applications militaires sont depuis l’aube de l’humanité des vecteurs d’innovation. La chimie n’échappe malheureusement pas à la règle. Les armes chimiques font partie de l’arsenal des armes de destruction massive. Dans l’antiquité, les Spartiates auraient utilisé des vapeurs d’arsenic pour tuer leurs ennemis. Les flèches empoisonnées, le goudron en fusion, les fumées nocives ont fait partie de l’arsenal de nos aïeux, mais il faut attendre la première guerre mondiale pour parler des armes chimiques modernes. La guerre chimique moderne est née sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale. Le chlore (Cl2) et le phosgène (COCl2) sous forme gazeuse, stockés dans des conteneurs puis répandus sur le champ de bataille et dispersés par le vent ont été les premières armes chimiques utilisées. Le 22 avril 1915, à Ypres (Belgique), le chlore gazeux répandu par les troupes allemandes dans les tranchées a tué 10 000 soldats alliés. L’ypérite, qui doit son nom à la ville d’Ypres et qui est appelé aussi le gaz moutarde, fut employé dès 1917. Le sulfure de 2,2’-dichlorodiéthyle présente une odeur caractéristique de la moutarde, de l’ail et du raifort. L’emploi de 124 000 tonnes d’armes chimiques de différents types a provoqué la mort de 90 000 personnes et fait près d’un million de blessés pendant la Première Guerre mondiale. À titre préventif, et pour être prêt à la riposte, des armes chimiques furent déployées à grande échelle par les pays impliqués dans les deux guerres mondiales. Pendant la guerre froide, les États-Unis et l’Union soviétique ont conservé des dizaines de milliers de tonnes d’armes chimiques. Un stock d’armes chimiques anciennes ou abandonnées pose encore des problèmes à de nombreux pays. Plus près de nous, 71

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Saddam Hussein a eu recours à des armes chimiques durant la guerre Iran-Irak des années 1980, ainsi qu’à l’ypérite et à des agents neurotoxiques en 1988, contre les Kurdes de Halabja, au nord de l’Irak. Fort heureusement, une convention pour interdire la mise au point, la fabrication, le stockage et l’emploi des armes chimiques et réglementer leur destruction a été conclue en janvier 1993 et mise en œuvre en 1997. L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), instituée à cette occasion et inaugurée en mai 1998, a pour mission de vérifier l’application de la convention. Cette convention a été signée ou approuvée par 171 pays. Depuis le 11 septembre 2001, la crainte du terrorisme a fait resurgir le problème des armes chimiques. La lutte contre le terrorisme prend tout son sens ; les deux exemples suivants sont évocateurs. Un empoisonnement au gaz sarin, un composé organophosphoré fluoré neurotoxique 500 fois plus mortel que le cyanure, a été perpétré en 1994 à Matsumoto, communauté résidentielle du Japon. Une attaque au même gaz perpétrée en 1995 dans le métro de Tokyo a fait 12 morts et 5 000 blessés. Ces deux actes, commis par la secte apocalyptique Aum Shinrikyu, indiquent combien les gouvernements doivent rester vigilants. Les menaces actuelles concernent globalement le terrorisme NRBC : nucléaire, radiologique, biologique et chimique. En particulier, la possibilité de l’utilisation de « bombes sales », c’est-à-dire d’explosifs traditionnels mélangés à des produits radioactifs, est un scénario étudié par les grandes puissances. Le gouvernement russe a indiqué que des terroristes tchétchènes avaient étudié ce scénario il y a quelques années. AFFRONTONS NOS ANGOISSES ET CHANGEONS POUR UNE CHIMIE DURABLE En 2007, lors d’un congrès scientifique à Tours, j’ai eu la chance de rencontrer et de discuter à bâtons rompus avec Yves Chauvin, prix Nobel de chimie 2006. Je ne sais pas si j’ai réussi à le convaincre des 72

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3. UNE ÉVOLUTION SANS RÉVOLUTION EST-ELLE POSSIBLE ?

avantages liés aux procédés de chimie verte ; en revanche, il m’a convaincu que le bon sens et la simplicité restent l’arme absolue en science. Il m’a raconté qu’en 1939, alors qu’il était écolier, la France avait peur de deux choses : l’Homme et la Nature. L’homme, c’était l’Allemand nazi et sa propension à envahir ses voisins. La Nature, c’étaient les doryphores. Cet insecte américain, importé en France lors de la Première Guerre mondiale, est aussi appelé « bête à patates ». Ce coléoptère a une grande attirance pour les plants de pomme de terre, qu’il finit par détruire, provoquant des dégâts importants et des famines. Monsieur Chauvin m’a expliqué que les écoles publiques avaient eu un rôle important. Les écoliers, dont sa femme d’ailleurs, partaient dans les champs de pommes de terre encadrés par leurs instituteurs. Là, ils devaient repérer les doryphores et si possibles les retirer des plants avec leurs petits doigts. L’arrivée des insecticides de synthèse après la Seconde Guerre mondiale fut saluée comme une avancée décisive. Au passage, j’ai compris pourquoi les soldats allemands étaient appelés les « doryphores » par mes grands-parents ; ils étaient eux aussi cause de famines… Et maintenant, Monsieur Chauvin ? Avec son regard malicieux, il m’a répondu. Nous avons toujours peur de l’Homme. Ce sont maintenant les intégristes de toute espèce qui sont la cause de nos angoisses. Et la Nature ? Eh bien, c’est l’inverse ! Mère nature redevient nourricière et bienveillante et non plus imparfaite, incomplète et source d’angoisse. La tendance actuelle est de rejeter les engrais, les pesticides, les additifs alimentaires pour un retour aux produits naturels. La volonté des consommateurs européens, c’est l’agriculture biologique ; la modernité ne passe plus vraiment par la science. L’agriculture biologique est définie par décret en France comme « une agriculture n’utilisant pas de produits chimiques de synthèse ». 26 millions d’hectares sont ainsi cultivés dans le monde ; l’Europe et l’Amérique du sud représentent la moitié de cette surface. Ces chiffres 73

AVANT LA CHIMIE VERTE...

sont en progression, de même que la notion de commerce équitable, permettant d’aller au plus près des producteurs. Derrière la demande de cultures biologiques et du label « bio » se trouve une première réponse aux excès décrits précédemment, mais celui-ci cache aussi la volonté d’oblitérer le risque pour nous et nos enfants. La chimie étant porteuse de risque, il faut l’éliminer pour effacer le risque. C’est sûrement vrai, mais quand l’agriculture biologique pourra-t-elle nourrir la planète ? Et d’ici là, comment faire ? Après le secteur agricole, il reste les secteurs industriels de la chimie et de la pharmacie. Ce dernier est autorégulé, car aucun groupe industriel ne souhaite ni ne veut prendre le risque de revivre le drame de la thalidomide. Pour l’industrie chimique traditionnelle, la prise de conscience liée aux événements dramatiques décrits précédemment a conduit à des législations précises. La tentation du « risque zéro » est grande, mais cet objectif n’existe pas : la vie est à la base une maladie mortelle et sexuellement transmissible… Plus près de nous, des actions nationales, comme EPA aux ÉtatsUnis et le Grenelle de l’environnement en France, ou internationales, comme REACH en Europe, existent, et nous verrons leur portée plus loin. Le constat d’une chimie incontournable et porteuse de limites pour notre avenir et celui des générations futures est posé. Nous sommes dans un constat actif puisqu’au lieu de dire : « Stop ! Nous arrêtons tout et nous tentons la décroissance », la chimie a déjà en elle les germes de son alternative. Entre utopie et réalité, une nouvelle voie existe et est déjà en marche ; c’est la chimie verte, que nous allons découvrir ensemble maintenant pour en étudier objectivement les promesses.

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PA R T I E 1

AVA N T L A C H I M I E V E R T E . . .

4 La solution chimie verte

Depuis plusieurs milliers d’années, nous vivons par et avec la chimie. C’est depuis la découverte du feu et de ses bienfaits que l’accumulation de connaissances nous a amenés à maîtriser la chimie et à découvrir des applications possibles dans des secteurs très variés. Naturellement, lors de la révolution industrielle, un rôle majeur a été confié à l’industrie chimique au sens large. Les notions de bienfait et de catastrophe ont cohabité et ont mis en évidence les limites de la chimie, nous portant à nous poser des questions sur son acceptabilité. Aussi, dans un monde chimique qui bouge et qui fait parler de lui depuis 3 000 ans entre progrès et risques, les ingrédients sont réunis pour faire émerger un nouveau concept nécessaire, celui de la chimie verte. La chimie verte n’est pas un mouvement politique, ce n’est pas un alibi de scientifiques en mal de reconnaissance. La chimie verte, c’est une vision scientifique et raisonnée de la chimie et de sa mise en œuvre industrielle, dans un souci de répondre à des questions qui deviennent prépondérantes : 75

AVANT LA CHIMIE VERTE...

– Quels impacts ont les nouveaux produits – chimiques – sur les opérateurs industriels, les consommateurs et bien sûr l’environnement ? – Est-ce que les procédés que nous allons développer pour ces nouveaux produits seront suffisamment efficaces et rentables ? – À quoi ressembleront les innovations de demain ? Avec quelles matières premières, quelles énergies, ces nouveaux produits seront-ils fabriqués ? La chimie verte propose des réponses à ces questions. Le principe de base est qu’un chimiste ou un ingénieur doit se poser les bonnes questions – quelles matières premières utiliser ? Quelles techniques mettre en œuvre ? Quels types de déchets seront produits ? – avant même de créer un matériau, un produit ou un procédé. Les principes de chimie verte et d’ingénierie verte n’ont de sens que si, au moment de la création d’un projet, le chercheur intègre aux premiers stades de la conception les réflexions de bases guidées par des principes clairs et simples. Ces principes se fondent sur l’utilisation de critères prouvés de durabilité pour résoudre de nouveaux problèmes. Si nous nous intéressons à la chimie verte et à son origine, il faut savoir que, dans les années 1990, le gouvernement américain a lancé le Pollution Prevention Act. Cette directive fédérale avait pour but d’unifier la recherche autour d’une nouvelle idée : concevoir de nouveaux produits ou procédés chimiques, ou optimiser ceux existants, avec pour objectif de les rendre moins dangereux vis-à-vis de la santé humaine et de l’environnement. Dans ce cadre est lancé, en 1991, un projet ambitieux appelé Alternative Synthetic Pathway for Pollution Prevention, pour distribuer des fonds conséquents destinés à la recherche sur ces thématiques. La chimie verte était née. La définition la plus ancienne est que la chimie verte préside à une conception de produits ou de procédés chimiques qui réduit ou élimine l’utilisation et la génération de produits dangereux. Nous allons voir plus loin qu’il est maintenant possible d’être plus ambitieux. C’est une vision de la chimie, et non pas une discipline en tant 76

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4. LA SOLUTION CHIMIE VERTE

que telle. La chimie verte s’applique naturellement à la chimie organique, à la chimie minérale, à la biochimie, à la chimie analytique et bien sûr au génie des procédés. La chimie verte est proche de la chimie de l’environnement. Souvent confondues, la chimie verte se distingue pourtant de la chimie de l’environnement, laquelle s’attache uniquement à comprendre les phénomènes chimiques dont l’environnement est le siège. Il faut pourtant savoir qu’avec la chimie verte nous entrons dans un domaine éminemment subjectif et, surtout, évolutif. Au cours de discussions animées, je suis surpris de rencontrer, même dans la communauté scientifique, une multitude de définitions et de variantes possibles. C’est un signe positif, car cela montre que les chercheurs et les citoyens souhaitent s’approprier ce concept ; toutefois, cela peut nuire à la lisibilité et la clarté du concept de chimie verte. Des concepts de base aux 12 principes de la chimie verte, ce n’est pas un voyage sur un long fleuve tranquille. Pourtant fidèles au concept « KISS », keep it short and simple, nous allons essayer de donner quelques définitions courtes et simples. En première approche, si nous devions définir ce nouveau domaine dans le contexte de 150 ans de chimie industrielle, nous pourrions dire que la chimie verte, c’est concevoir des produits et des procédés industriels à partir du génie des procédés avec un impact minimum sur trois domaines majeurs : la santé des opérateurs et des salariés, la qualité de l’environnement et la santé des consommateurs. Pour être plus précis, cela veut dire aussi que nous allons examiner les grands principes de fonctionnement des écosystèmes, ainsi que l’impact de notre activité sur ces systèmes fermés. LES QUATRE CONCEPTS DE BASE Pour tenter de limiter l’impact de notre activité industrielle sur notre écosystème, quatre préconisations simples s’imposent à nous. 77

AVANT LA CHIMIE VERTE...

1) Utiliser au maximum les matières premières qui, transformées, doivent se retrouver le plus largement possible dans le produit final, limitant ainsi la production de sous-produits. Bien utiliser la matière première, c’est être capable d’en extraire ou de transformer le maximum de matière noble pour obtenir un résidu ultime de plus faible volume ou masse possible. Cela veut dire aussi que le produit final doit contenir tous les composés qui nous intéressent. Comment faire, en pratique, pour appauvrir la matière première ? Il s’agit par exemple d’être capable de concevoir et d’utiliser des systèmes de filtration sophistiqués et performants même à basses températures, pour concentrer et fractionner le lait, le sang, les jus de fruits ou les produits issus de la fermentation et des biotechnologies, afin d’en récupérer les composés les plus intéressants (protéines, hormones, antioxydants…) tout en appauvrissant au maximum la matière première utilisée et les déchets résiduels produits. Étant appauvri, le déchet résiduel a toutes les chances d’être inerte et inoffensif pour l’environnement. 2) Utiliser des solvants propres, non toxiques et compatibles avec l’environnement. Nous l’avons vu précédemment, l’utilisation de produits chimiques dans la vie quotidienne passe par la mise en œuvre de solvants organiques. Nous savons maintenant que certains de ces solvants organiques ne sont pas très sympathiques pour notre santé et pour notre environnement. Aussi, il devient urgent d’être capable d’abandonner les solvants organiques comme le benzène et l’hexane, ou bien les solvants organochlorés comme le dichlorométhane et le chloroforme, au profit de solvants inertes vis-à-vis des opérateurs, des consommateurs et de l’environnement : l’utilisation des fluides supercritiques répond à cette demande et ouvre à l’heure actuelle un champ d’investigation sans limites que nous explorerons plus loin… 3) Utiliser au mieux l’énergie, en termes de rendement, d’économie, de sources et de rejets. Les transports et l’habitat sont considérés actuellement comme les deux secteurs consommateurs 78

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4. LA SOLUTION CHIMIE VERTE

d’énergie majoritairement responsables des émissions de gaz à effet de serre. Nous avons besoin d’énergie, et les modes de vie que nous adoptons, ainsi que les demandes croissantes de pays comme la Chine et l’Inde, nouveaux sur le marché de l’énergie, ne vont pas arranger les choses. Une première solution consiste à économiser l’énergie ; l’énergie la moins chère, c’est forcément celle que nous avons économisée. Mais nous avons encore beaucoup de progrès à faire dans ce domaine. Ensuite, il nous faut absolument trouver de nouvelles sources d’énergie pour faire fonctionner nos véhicules ou pour alimenter nos maisons, tout cela dans le respect de l’environnement et en essayant de limiter l’impact sur le réchauffement climatique. Aussi, la recherche et développement de carburants de première et deuxième génération à partir de biomasse devient un thème majeur de la recherche sur les biocarburants. L’utilisation des piles à combustible pour le transport ou pour des applications stationnaires représente un enjeu à moyen terme pour la génération d’énergie propre, électricité et chaleur. Enfin, la généralisation de l’utilisation des catalyseurs dans les pots d’échappement et autres filtres à particules permet d’envisager à terme une maîtrise des rejets gazeux de nos véhicules. 4) Produire des quantités minimales de déchets dans des formes adaptées (solide, liquide ou gazeuse) qui limitent leur dissémination potentielle et facilitent le recyclage. Nous sommes débordés par les déchets… La quantité de déchets ménagers produits par les Français augmente d’environ 1 % chaque année et dépasse aujourd’hui 1 kilogramme par personne et par jour. Ce sont les emballages qui sont dans le collimateur des prosélytes du développement durable, ainsi que nos habitudes de consommateurs. Notre mode de vie est certainement en cause : les familles traditionnelles sont en pleine mutation ; les célibataires ainsi que les familles monoparentales affectionnent particulièrement les doses individuelles, les plats cuisinés pour une personne, les lingettes nettoyantes non recyclables… 79

AVANT LA CHIMIE VERTE...

Dans notre quotidien, des actions sont lancées, comme le développement de l’usage des sacs réutilisables dans les grandes surfaces, au détriment des sacs jetables qui représentent plus de 20 000 tonnes de plastique chaque année. Cela concerne aussi la diminution de la production de prospectus, car chaque Français en reçoit environ 17 kilogrammes chaque année. Les industriels, de leur côté, sont encouragés à concevoir des produits moins générateurs de déchets ; c’est la thématique de « l’écoconception ». Cela implique que les déchets doivent être limités à leur plus simple expression et doivent si possible être recyclables. En France, près de 80 % de l’acier d’un véhicule usagé est ainsi recyclé et 40 % de l’acier d’une voiture neuve est issu de la filière recyclage. ArcelorMittal Méditerranée recycle déjà chaque année environ 65 000 tonnes d’acier provenant des déchets ménagers de plus de 400 collectivités du grand Sud-Est. Ce n’est pas nouveau : en 1931, Tintin, en voyage en Amérique, découvrait que les conserveries Slift utilisaient des carcasses de voiture pour faire des boîtes de cornedbeef… et inversement. Ce qui est nouveau, c’est que maintenant un produit doit être conçu en imaginant le déchet qu’il va devenir. D’autre part, la limitation de l’utilisation industrielle de l’eau et de la production d’eaux usées et d’effluents est un enjeu majeur pour le futur, et les procédés par voie sèche vont avoir le vent en poupe… LES 12 PRINCIPES DE LA CHIMIE VERTE Les quatre éléments fondamentaux sont clairs mais malheureusement un peu trop génériques. Aussi a-t-il été nécessaire de les mettre en forme, de les détailler, et c’est ainsi que sont nés les 12 principes de la chimie verte. Avant de les détailler un par un, voyons dans quelles circonstances ils ont été rédigés. En 1991, Paul Anastas, chimiste organicien de formation, est directeur du Green Chemistry Institute (Institut de la chimie verte) appartenant à la puissante société américaine de chimie ACS (American Chemical Society), qui est responsable de la branche industries 80

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4. LA SOLUTION CHIMIE VERTE

chimiques de l’agence gouvernementale américaine pour la protection de l’environnement EPA (Environmental Protection Agency). Il participe donc aux réflexions lancées dans cette agence, créée en novembre 1990 dans le cadre du Pollution Prevention Act. En 1996, Il publie avec son collègue de l’EPA, Tracy Williamson, un article dans ACS Journal intitulé « Green Chemistry : An Overview » (Chimie verte : une revue générale) qui jette les bases de la chimie verte. C’est en 1998 que Paul Anastas et John Warner publient un texte qui fera date. Dans « Green Chemistry : Theory and Practice » (Chimie verte, théorie et pratique) les deux chimistes publient les 12 principes de la chimie verte, premier outil de réflexion concret vers une chimie écologiquement compatible et résultat majeur issu des travaux engagés sous l’impulsion du Pollution Prevention Act.

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Voici maintenant en détail ces 12 principes qui devraient régir la chimie du futur durable. 1. Prévenir et limiter la production des déchets L’objectif est de concevoir des synthèses ou des transformations chimiques en intégrant le fait de ne pas concevoir, ou alors de limiter, la production de déchets. Cela passe par le choix des matières premières, de leur utilisation et de leur recyclage. Entre deux voies de production, il faut choisir celle qui ne laissera pas de déchets secondaires à traiter et à nettoyer. L’idée est ici de prévenir la pollution à sa source en évitant de produire des résidus. 2. Concevoir des produits et des composés chimiques avec peu ou pas de toxicité Il s’agit d’évaluer l’efficacité et la toxicité d’un produit fabriqué. Un produit en faible quantité, mais extrêmement toxique, entraînera des risques potentiels élevés. Des composés de moindre efficacité, mais beaucoup moins toxique, sont préférés. Au titre de la biologie, cela passe par le développement de produits plus sélectifs et non toxiques. Cela implique des progrès dans le domaine de la formulation, de la diffusion des principes actifs en pharmacie et dans la maîtrise des études toxicologiques, de la cellule à l’être humain. Il faut être certain qu’un produit est toxique ou ne l’est pas. Nous savons depuis la thalidomide que cette certitude est loin d’être immédiate. 3. Faire des réactions chimiques avec des produits et réactifs de toxicité faible ou nulle Nous retrouvons ici un risque de type Seveso. Rappelez-vous, c’est en effet un intermédiaire réactionnel, la dioxine, qui a été la cause de la catastrophe (voir chapitre 3). Il est donc primordial de connaître l’ensemble des chemins réactionnels qui conduisent à un produit, afin de privilégier celui qui ne passe pas par la production de sousproduits dangereux ou toxiques. 82

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L’idéal est de pouvoir substituer à une matière première dangereuse un équivalent inerte. L’exemple le plus parlant est celui de la substitution du phosgène, un gaz de combat. Sa formule COCl2 et sa conséquente toxicité en font un gaz de la redoutable classe des agents suffocants. Le prix Nobel de chimie français Victor Grignard, qui a laissé son nom à un réactif chimique célèbre, fut aussi le promoteur de l’utilisation de ce gaz dès 1915 pour donner aux Français une arme capable de rivaliser avec le Cl2 allemand. Monsento et DuPont ont dès 1993 proposé de remplacer l’utilisation du phosgène dans la génération de produits de type isocyanates ou uréthanes, en faisant réagir directement du CO2 avec des produits nitrés, les amines. En 1996, Asahi Corporation a proposé d’éliminer totalement le phosgène dans la synthèse de polymères de type polycarbonates par réaction directe avec le bisphénol A et le diphényl carbonate. Les conditions de réactions font qu’il n’est plus nécessaire d’utiliser le chlorure de méthylène, un composé cancérogène, mutagène et reprotoxique reconnu, comme solvant de la réaction. En abandonnant deux composés très dangereux, c’est un coup double en termes de chimie verte ! 4. Préférer les matières premières renouvelables (biomasse, …) aux matières premières fossiles (hydrocarbures, charbon, …) Que l’utilisation de matières premières renouvelables soit préférable est devenu une évidence. Ces produits renouvelables sont souvent d’origine agricole, ou il s’agit de déchets issus d’autres procédés industriels. Bien réfléchir à la source des matières premières peut permettre d’en limiter l’usage, mais aussi de recycler certains déchets, comme c’est par exemple le cas avec le pétrole dans la fabrication des matières plastiques. Les bouteilles d’eau recyclées sont un exemple typique de ce cycle vertueux : après le tri initial effectué par les habitants, les bouteilles sont envoyées dans un centre de traitement, où elles sont séparées par type de plastique. Les bouteilles en plastique transparent blanc ou de couleur en polyéthylène 83

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téréphtalate (PET) sont séparées des bouteilles en plastique opaque en polyéthylène haute densité (PEHD). Conditionnées en balles, elles sont dirigées vers les différentes usines de recyclage où, broyées et mélangées à la matière plastique vierge, elles deviendront de nouveaux objets : vêtements en fibre polaire, rembourrage d’anoraks, d’oreillers ou de couettes, moquettes, panneaux d’isolation acoustique, gaines de passage de câbles, tuyaux… Des analyses économiques montrent que les produits issus de la biomasse représentent 5 % des ventes mondiales de produits chimiques. Cette valeur pourrait atteindre 10 à 20 % en 2010, sans modification majeure des circuits d’approvisionnement. D’autre part, lorsque cela est possible, la limitation de l’utilisation de l’énergie fossile est préférable. En France, lors du premier choc pétrolier dans les années 1970, des procédés thermiques de séparation tels que la distillation ou l’évaporation, qui utilisent du fuel, ont été en partie remplacés par des procédés physiques, tels que les membranes de séparation, les centrifugeuses… qui utilisent de l’électricité, essentiellement d’origine nucléaire (et hydraulique) en ce qui nous concerne. L’arrivée de sources d’énergie à partir de la biomasse et qui fournissent de l’hydrogène est une voie nouvelle et prometteuse. En effet, l’hydrogène est un combustible « propre » puisqu’il conduit, lorsqu’il réagit chimiquement avec de l’oxygène, à produire de l’électricité et de l’eau. C’est le principe des piles à combustible que nous verrons plus tard, et qui peuvent être impliquées dans le transport et dans la production d’énergie au niveau de l’habitat individuel. 5. Utiliser au maximum les catalyseurs dans les réactions chimiques afin de minimiser les quantités de réactifs utilisés et de déchets produits Nous rentrons là dans le monde de la cinétique chimique. Les catalyseurs, nous le verrons, sont des facilitateurs. Leur présence rend une réaction possible. Ils sont utilisés en petite quantité et surtout, recyclés, ils vont servir plusieurs fois, comme dans le pot 84

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catalytique de notre voiture. Leur utilisation est favorable, car elle minimise la quantité de réactif à mettre en présence : sans catalyseur, il faut mettre des réactifs en large excès pour être sûr que la réaction ait lieu. La grande quantité de réactif qui n’ayant pas réagi est souvent non récupérable. La chimie théorique permet maintenant par modélisation informatique de concevoir une molécule de catalyseur spécialement adaptée à une réaction donnée, et cela uniquement a l’aide d’un microprocesseur ! N’oublions pas que les catalyseurs sont partout ; ils peuvent être chimiques, enzymatiques ou microbiologiques. De plus, l’hydrogène, H2, est proposé en complément de l’utilisation des catalyseurs pour les synthèses asymétriques. L’atome de carbone peut former quatre liaisons avec d’autres atomes. Il occupe donc le centre d’un tétraèdre (pyramide). Dans les molécules organiques, au moins un atome de carbone est lié à quatre partenaires différents ; il devient asymétrique. En fonction de l’arrangement des partenaires, la même molécule peut présenter des formes qui ne sont pas superposables, comme vos mains par exemple. Ce sont des isomères optiques (L pour lévogyre et D pour dextrogyre), appelés également énantiomères. Les synthèses mettant en œuvre les carbones asymétriques sont très importantes en chimie organique, car par exemple un L-glucose et un D-glucose ne sont pas absorbés de manière identique par notre organisme. L’utilisation d’H2 pur et de catalyseurs pour ces synthèses est donc une avancée majeure. 6. Minimiser l’utilisation de composés réactionnels intermédiaires Certaines réactions nécessitent des réactifs temporaires. Par exemple, pour certaines synthèses, il est nécessaire de protéger des groupements chimiques en les bloquant avec un composé qui va réagir temporairement. En fin de réaction, la molécule finale est libérée de son agent protecteur, qui devient un déchet. Lorsque l’on fabrique des peptides en accrochant des acides aminés à la queue leu 85

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leu, on bloque temporairement les autres groupements chimiques des acides aminés pour éviter qu’ils ne réagissent entre eux. Les composés temporaires utilisés sont parfois toxiques. Les voies de synthèse de ce type sont donc à éviter. 7. Favoriser le meilleur rendement réactionnel possible : utiliser au maximum les matières premières pour minimiser les déchets produits C’est ce que nous, les chimistes, appelons faire l’économie des atomes. Les synthèses chimiques doivent être réfléchies en termes de rendement atomique. Le composé final doit contenir un maximum d’atomes constitutifs de la matière première. De ce fait, un minimum d’atomes sera perdu. En pratique, c’est l’économie d’atomes et d’étapes qui permet de réaliser à moindre coût un produit chimique présentant des fonctions d’usage tout en limitant les problèmes de purification, de séparation… 8. Utiliser des solvants plus sûrs et moins toxiques : remplacement des solvants organiques… Les solvants dans lesquels les réactions ont lieu, les agents chimiques qui permettent la séparation des composés par coagulation, complexation… doivent être minimisés. S’ils sont indispensables, il faut les remplacer par des solvants plus sûrs. Un exemple : si une réaction se fait dans un solvant organique comme le benzène (on en trouve notamment dans l’essence, dont on respire les vapeurs en faisant le plein de carburant), il doit être remplacé par un autre solvant moins toxique. Nous verrons que c’est une application phare pour l’utilisation du CO2 supercritique. Les réactions d’oxydation qui se déroulent dans des solvants agressifs peuvent avoir lieu dans un solvant moins toxique. Par exemple, l’utilisation du peroxyde d’hydrogène, H2O2, l’eau oxygénée qu’affectionnait ma petite sœur Barbara pour éclaircir ses mèches blondes, est maintenant présentée comme un outil efficace pour les oxydations propres. 86

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9. Rechercher l’efficacité énergétique de la réaction : travailler à température et pression ambiante quand cela est possible Travailler en température et sous pression peut améliorer les cinétiques de réaction. Toutefois, d’un point de vue des bilans énergétiques, le fait de travailler aux conditions atmosphériques reste la solution la plus acceptable en termes de rendement énergétique. Donc, lorsque cela est possible, il est profitable de travailler aux plus faibles températures possibles, proches de la température ambiante, et à la pression atmosphérique. Travailler en pression ou bien sous vide coûte de l’argent, chauffer ou refroidir aussi. Dans ce dernier cas, la facture énergétique est élevée, et concernant la pression c’est le coût d’investissement des installations qui est élevé. 10. Concevoir des produits chimiques qui se décomposeront en composés inertes et qui ne s’accumuleront pas dans l’environnement Concevoir une molécule, c’est aussi imaginer ce qu’elle va devenir une fois qu’elle deviendra un déchet. Une molécule en fin de vie, ou en stockage de déchets, va finir par se décomposer. Au moment de sa conception, il est donc nécessaire d’étudier en quels fragments la molécule va se décomposer et si ces fragments sont toxiques dans l’environnement ou s’ils risquent de s’y accumuler de manière persistante, comme par exemple les nitrates issus de certains engrais ou les phosphates provenant de nos lessives. 11. Analyser en continu toutes les réactions de transformation pour détecter immédiatement la production de sous-produits afin de les minimiser, voire les éliminer Les progrès faits en chimie analytique amènent à développer ce point. Ces techniques sont d’abord basées sur les propriétés des molécules : masse molaire, charge électrique, affinité chimique… Les techniques de chromatographie, en phase liquide ou gazeuse, ou d’électrophorèse, sont largement utilisées. L’utilisation d’analyses 87

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basée sur les propriétés physiques mêmes des atomes constitutifs des molécules à caractériser a permis de gagner en précision en ce qui concerne la mesure des faibles quantités, les traces. Ce sont les techniques de spectroscopie. En pratique, un échantillon est soumis à un rayonnement lumineux (spectroscopie ultraviolet, infrarouge, rayons X…), électromagnétique (RMN, Résonance magnétique nucléaire) ou à une haute température (spectrométrie de flamme). De l’énergie est donc amenée aux noyaux des atomes à analyser, qui deviennent instables ; ils sont « excités ». Pour revenir à son état d’équilibre, chaque atome de chaque élément va se réarranger, par exemple en réémettant de la lumière (un photon). La manière de réagir de chaque particule atomique est caractéristique et constitue la signature de cette dernière. Ces méthodes permettent donc d’identifier la présence d’éléments ou de fonctions chimiques de molécules. L’intensité du signal permet de quantifier la concentration en éléments ou molécules. Comme ce sont directement les particules atomiques qui sont analysées, cela implique que les mesures obtenues sont extrêmement précises et rapides. Les méthodes ultrasensibles de détection dont nous disposons nous permettent d’analyser en temps réel, pendant une réaction de synthèse ou de transformation, l’apparition de sous-produits potentiellement toxiques. Cette mesure informe l’opérateur, qui peut stopper la réaction si cela est nécessaire et empêcher ainsi la formation de produits toxiques. 12. Concevoir des produits chimiques dans des formes appropriées (liquide, solide ou gazeuse…) afin de limiter les risques d’accident : explosions, incendies, dissémination dans l’environnement… Ce principe est directement lié aux retours d’expérience des dizaines d’années d’activité industrielle dans le monde de la chimie. Les accidents qui ont eu lieu auraient pu voir leurs effets limités si les produits toxiques avaient été sous des formes physiques moins propices à la propagation dans l’environnement. Un composé 88

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chimique sous forme liquide, et mieux encore sous forme solide, sera moins capable de se disséminer dans l’atmosphère que s’il est sous forme gazeuse ; rappelez-vous Seveso et Bhopal (voir chapitre 3). Donc, lorsque cela est possible, il faut privilégier la forme solide des produits chimiques pour qu’en cas d’accident ils soient moins mobiles. C’est aussi vrai pour le devenir du produit et sa future vie de déchet. La forme liquide est parfois incontournable, mais elle présente des spécificités puisque les effluents produits sont potentiellement à même de contaminer les sols et les nappes phréatiques s’ils ne sont pas correctement stockés. En conclusion, la chimie verte, c’est finalement du bon sens. Ces principes nous indiquent qu’il faut anticiper, économiser et contrôler en permanence ce que nous faisons. Cela paraît évident, mais c’est la somme de toutes les connaissances séculaires accumulées dans le monde de la chimie qui nous rend capables d’avoir ces réflexes. Ce qui est important, c’est l’intégration de la vie entière du produit chimique, à partir de son coût de fabrication jusqu’à son devenir lorsqu’il sera un déchet. À ce stade, vous vous posez sûrement la question : puisque c’est tellement évident, pourquoi ne pas l’avoir fait avant ? Une première réponse est « qu’avant » l’environnement ne coûtait rien. Un déchet n’ayant pas de valeur, nous nous posions moins de questions quant à sa toxicité et à son devenir ; seule la rentabilité du produit formé pilotait le procédé. Aujourd’hui, les matières premières toxiques, l’énergie et les déchets ont un coût en termes de manipulation, de reprise… et aussi en termes d’image – rappelezvous la mésaventure de Perrier et du benzène (voir chapitre 3). Ainsi, la rentabilité ne concerne plus uniquement le procédé mais son cycle entier de fabrication, de la matière première au déchet ultime. Dans ce cadre-là, bien réfléchir en amont conduit à des économies substantielles dans toutes les étapes successives, et le bon sens est de retour. En d’autres termes, aujourd’hui nous n’intégrons pas uniquement la valeur économique d’un produit, mais aussi son empreinte 89

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environnementale, ainsi que son aspect sociétal. Nous retrouvons ici les trois piliers du développement et de la chimie durable.

15 | La chimie verte : un équilibre entre la société, l’environnement et la rentabilité.

ET APRÈS ? L’INGÉNIERIE VERTE ! ET SES 12 PRINCIPES… Après s’être attaqué à la chimie verte, Paul Anastas a eu le sentiment qu’il lui manquait quelque chose. Il avait défini avec ses collaborateurs les principes pour produire des composés chimiques, mais il manquait les principes de base nécessaires pour les procédés de fabrication eux-mêmes. Le génie des procédés, qui dans sa vision 90

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industrielle s’appelle aussi ingénierie, est intimement lié à la chimie verte. En 2003, Paul Anastas et John Zimmerman ont publié un article dans le magazine Environemental Science & Technology. Cet article, intitulé « Design through the Twelve Principles of Green Engineering » (Conception à partir des 12 principes de l’ingénierie verte) décrit précisément ce que doit être la mise en œuvre des procédés chimiques dans une optique « ingénierie verte ». Nous allons voir que dans ces principes nous retrouvons des concepts déjà énoncés en 1998. Certains de ces 12 principes font appel à des dictons que ma grand-mère ne renierait pas. 1. Mieux vaut agir que subir Les concepteurs doivent s’assurer activement que tous les produits entrant et sortant du procédé, ainsi que les énergies mises en œuvre, présentent une moindre toxicité et un danger aussi faible que possible. 2. Mieux vaut prévenir que guérir Cela paraît évident, mais il est préférable de limiter au départ la quantité de déchets produits plutôt que de les traiter, de les nettoyer, une fois qu’ils seront formés. 3. Concevoir pour une séparation facilitée Les opérations de séparation et de purification des produits formés sont souvent très délicates. Elles doivent être optimisées, en limitant la quantité de matériaux et d’énergie mis en œuvre ; des économies d’énergie et des gains de matières premières sont à attendre. 4. Porter l’efficacité à son maximum Les produits, les procédés et les systèmes doivent être conçus avec un souci permanent d’efficacité en masse et en énergie consommés, mais aussi en espace occupé et en temps de traitement. 91

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La notion de compacité des procédés est introduite ici. Un procédé qui manipule des faibles quantités dans un espace, une usine de taille réduite, pendant un temps court, est forcément économe en termes d’énergie, d’investissement des équipements, de productivité… 5. La quantité à produire pilote la production et non la matière première et l’énergie disponibles. Les produits, les procédés et les systèmes doivent être conçus et pilotés en fonction uniquement de la quantité finale à produire. Cela permet de limiter au plus juste les quantités de matière première et d’énergie à utiliser. 6. La complexité amène la richesse Conserver la complexité d’un système et limiter son niveau de désordre est un investissement pour augmenter les possibilités de recyclage et de réutilisation futures. La thermodynamique nous apprend que l’entropie est une grandeur qui caractérise l’irréversibilité des processus physiques. L’ordre, c’est-à-dire la complexité, tend inexorablement vers le désordre, soit une augmentation de l’entropie, et dans ce cas à la perte de toute richesse. Maintenir un système en ordre, en lui apportant en continu de l’énergie par exemple, est un moyen de limiter le désordre, ce qui est une richesse car cela permet de maintenir de la complexité. Par exemple, si à partir d’un hydrocarbure un procédé chimique produit en final du CO2, désordre maximal des molécules initiales, il n’existe pas de moyen économique de valoriser cette molécule. En revanche, lorsque cela est possible, nous limitons le désordre (l’augmentation d’entropie) produit par la réaction chimique en générant par exemple comme déchet final de l’éthanol (C2H6O) ou bien de l’éthane (C2H6) ; ces molécules sont encore « complexes » et donc valorisables économiquement. Piloter l’entropie, c’est piloter l’irréversibilité des transformations. 92

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7. La durabilité plutôt que l’immortalité La conception doit avoir pour objectif de fournir des produits et procédés inscrits dans la philosophie du développement durable et non dans une optique d’empreinte persistante, voire immortelle, dans l’environnement. 8. Répondre aux besoins et minimiser les excès La production devrait répondre directement aux besoins, ce qui est actuellement antinomique avec une économie de production de masse, où d’abord nous produisons et ensuite nous essayons de vendre nos produits. Cela permettrait d’éviter de produire en excès ou sans qu’il y ait une demande. Pour la production, des réponses génériques sont souvent préférables à des réponses très spécialisées qui vont saturer un marché et créer des stocks inutilisables. L’économie est ici aussi mise à mal puisque sur des produits génériques les marges dégagées seront plus faibles qu’avec des produits spécialisés. La solution est dans le compromis, avec des actions incitatives nationales ou internationales pour favoriser ces produits génériques. 9. Limiter la diversité des matériaux constitutifs La diversité des matériaux présents dans les produits multicomposants est une limitation en termes de coûts et de sous-produits potentiellement générés. Il est préférable, lorsque cela est possible, de promouvoir des produits simples et répondant directement à une fonction. 10. Intégrer les flux de matières et d’énergie dans leur environnement La conception des produits, des procédés et des systèmes passe par une intégration des matériaux et des énergies disponibles dans l’environnement du site de production. Cela ouvre la voie au recyclage et positionne les procédés, et non seulement les produits, dans leur environnement local. 93

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11. Concevoir en imaginant le devenir du produit après son usage commercial Tous les produits manufacturés deviennent des déchets. La conception des produits, des procédés et des systèmes doit donc inclure le devenir du déchet produit. Imaginer dès le départ des formes, des compositions, des dimensions facilement réutilisables permet de faciliter le recyclage des déchets. 12. Renouveler plutôt que réduire Les matières premières et l’énergie qui entrent dans un procédé doivent être renouvelables plutôt que réduites. Par exemple, les énergies renouvelables avec un faible rendement énergétique (comme les éoliennes par exemple) sont plus intéressantes en termes d’impact sur l’environnement que des énergies fossiles, mêmes réduites dans leur utilisation, mais qui vont conduire à générer un gaz à effet de serre. De même, prendre peu de matière première pour fabriquer un déchet irréversible est beaucoup moins intéressant que prendre une plus grande quantité d’une matière première qui sera entièrement recyclée une fois transformée. Voilà beaucoup de principes et beaucoup de bon sens dans cette version moderne des 12 travaux d’Hercule. Une fois encore, nous pouvons nous poser la question : pourquoi ne pas l’avoir fait avant ? La réponse est la même que celle donnée précédemment. « Avant », réfléchir à un procédé et à sa rentabilité, c’était réfléchir à comment produire au maximum, à partir d’une matière première la moins chère possible, un produit donné à bas coût. Maintenant, au-delà du procédé, ce sont l’entourage direct, l’énergie, la gestion des déchets, l’impact sur l’environnement qui présentent un coût significatif, du fait notamment des législations restrictives (en termes d’usage de produits dangereux par exemple) qui fleurissent dans nos pays.

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ALORS, QUI EST CONCERNÉ PAR LA CHIMIE VERTE ? Les salariés des pays occidentaux sont bien sûr concernés par cette approche, mais aussi les autres, ceux des pays émergents. Le fait de faire bénéficier les pays en voie de développement des avancées de la chimie verte leur permettrait d’éviter certaines dérives que nous avons connues depuis un siècle. L’environnement aussi est gagnant dans ce type de concept. Économiser l’énergie, les matières premières, et limiter la production de déchets devient une réalité incontournable. Enfin, les consommateurs sont séduits par ce concept. Consommer des produits sans toxicité directe (qui utilisent des matières premières non dangereuses) ou indirecte (qui ne génèrent pas de pollution persistante), c’est ce que nous souhaitons forcément pour nous-mêmes, pour nos enfants, et bien sûr pour les générations futures. En 1987, dans son rapport intitulé « Notre avenir à tous », la Commission mondiale sur l’environnement et le développement créée par l’ONU donna la première définition du développement durable, c’est-à-dire « le développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Il est donc primordial de ne pas mettre « en danger les systèmes naturels qui nous font vivre : l’atmosphère, l’eau, les sols et les êtres vivants ». Le développement durable comporte donc trois dimensions : environnementale, économique et sociale. La chimie verte s’inscrit naturellement dans ces trois composantes et apparaît comme un outil majeur du développement durable. L’Histoire est déjà en marche ; dans la deuxième partie de cet ouvrage, nous allons reprendre les quatre concepts fondamentaux et les illustrer par des exemples de produits ou de procédés, développés ou en cours de développement, engagés dans la thématique de la chimie verte. 95

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Vous allez découvrir que les membranes et les fluides supercritiques sont présents dans un grand nombre d’applications et vous allez rapidement comprendre pourquoi !

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PA R T I E 2

PARTIE 2

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5 Utiliser au mieux les matières premières

Pour utiliser au maximum une matière première, il faut être capable de la fractionner en composés de plus petite taille possible pour ensuite les valoriser tous. Si nous avons fait du bon travail, ce qui restera sera considéré comme un déchet ultime. Il sera forcément en quantité très faible et présentera a priori une toxicité elle aussi faible. Pour obtenir ce résultat, il est nécessaire de faire de l’ingénierie au niveau de la molécule et de mettre en œuvre un tamis moléculaire capable de faire le tri entre les molécules et si possible d’isoler les plus toxiques. Cet outil existe ; il s’appelle une membrane, et nous allons maintenant investiguer le domaine des procédés membranaires. MEMBRANES ET PROCÉDÉS MEMBRANAIRES : DES OUTILS POUR L’INGÉNIERIE VERTE AU NIVEAU DE LA MOLÉCULE Vous ne le savez peut-être pas, mais les procédés de séparation à membranes sont déjà impliqués dans de nombreuses opérations industrielles. Le domaine d’application de ces techniques est très 99

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étendu et concerne en particulier : l’agroalimentaire et la production d’eau potable ; le traitement d’eaux usées pour le recyclage ; la médecine, avec la mise au point d’organes artificiels ; la pharmacie, pour la diffusion contrôlée des médicaments ; la production de l’énergie de demain, avec les piles à combustible ; enfin, la protection globale de l’environnement. Les membranes sont à la base de ces procédés et font l’objet d’un grand nombre de travaux de recherche dans leur conception et leur mode de mise en œuvre. La membrane, du latin « membrana, membre » est tout simplement un filtre qui agit comme un tamis. Les trous de ce tamis sont tellement petits qu’ils peuvent filtrer des molécules. On parle donc de membrane, ou « tamis moléculaire ». La membrane est définie comme une « structure matérielle mince permettant l’arrêt ou le passage de substances entre les volumes qu’elle sépare, sous l’effet d’une force de transfert ». Elle autorise le passage préférentiel de certaines substances entre deux phases : « l’alimentation » et le « perméat ». Paul Mulder, un chercheur hollandais, l’a décrite en 1991 de la manière suivante :

16 | Schéma de principe de la séparation membranaire.

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5. UTILISER AU MIEUX LES MATIÈRES PREMIÈRES

Comme le précise la définition, un aspect fondamental des procédés membranaires est la force motrice mise en jeu. Cette force motrice provient d’une différence de paramètres de nature variable : concentration (ΔC), potentiel électrique (ΔE), pression (ΔP) ou température (ΔT). Si vous réfléchissez au problème, votre machine à café est un réacteur sophistiqué de génie des procédés. Le filtre à café peut être en effet considéré comme une membrane de filtration. Elle retient le café mais laisse passer l’eau et les arômes préalablement extraits. La force motrice de cette séparation est une force de pression liée à la gravitation. Imaginez que vous mettiez votre cafetière à l’envers ! Il n’y aurait plus de procédé possible et votre cuisine serait dans un triste état… Les différents procédés traitant une phase liquide sont classés par famille dans le tableau suivant :

17 | Tableau des procédés membranaires.

Pour savoir quels procédés vous devez utiliser en fonction des composés à séparer, la figure suivante vous permet de devenir rapidement un chimiste spécialiste des procédés membranaires utilisant la ΔP pour mettre les espèces en mouvement. 101

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18 | Les procédés membranaires et les performances de séparation.

SÉPARATION MEMBRANAIRE AU NIVEAU MOLÉCULAIRE POUR LES ALIMENTS, COMPATIBLE AVEC LA CHIMIE VERTE La filtration sur membrane est une technique efficace de clarification, de concentration, de fractionnement (séparation de différents éléments), de dessalement, de purification… Elle sert également à améliorer la sécurité des aliments, tout en évitant de les soumettre à un traitement thermique. Cela permet d’économiser de l’énergie fossile. Cette technologie intervient dans la fabrication de produits alimentaires : les jus de fruits et de légumes (jus de carottes ou de pommes), les fromages (ricotta), la crème glacée, le beurre ou certains laits fermentés, les produits laitiers écrémés ou pauvres en lactose, le lait microfiltré, et enfin les bières non alcoolisées, les vins et les cidres, etc. Prenons l’exemple du fromage. L’ultrafiltration du lait constitue la première innovation réelle de l’histoire de la fabrication du fromage, 102

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5. UTILISER AU MIEUX LES MATIÈRES PREMIÈRES

et offre des avantages non négligeables aux fabricants et aux consommateurs que nous sommes. Certains des nutriments, comme les glucides, les vitamines et les minéraux solubles présents dans le lait disparaissent du lactosérum au cours du processus de fabrication du fromage. Ces pertes ont des répercussions considérables sur l’économie du processus de transformation. En récupérant ces molécules valorisables, la marge dégagée est plus importante et de ce fait le procédé devient encore plus rentable. L’ultrafiltration est un moyen efficace de récupération de ces produits dérivés, qui peuvent ensuite être utilisés dans la fabrication d’autres produits alimentaires. Parallèlement, elle permet d’obtenir à meilleur coût des fromages à plus forte valeur nutritionnelle. La microfiltration favorise aussi l’élimination des micro-organismes indésirables dans le lait entrant dans la fabrication de fromages au lait cru. Un exemple concret ? Les Pavés d’Affinois sont issus des techniques de l’ultrafiltration mises au point par Jean-Claude Guilloteau et l’INRA. Ce procédé permet d’obtenir un caillé plus homogène et donne des fromages à très grandes valeurs nutritionnelles. Le procédé permet aussi de fractionner le lait et d’en récupérer toutes les composantes intéressantes. Alors, la prochaine fois que vous verrez un Pavé d’Affinois dans un rayon de supermarché, vous aurez la démonstration que la chimie verte est déjà à votre portée. Avec l’exemple du lait, les techniques classiques utilisées pour améliorer la durée de conservation et la sécurité d’emploi reposent sur un traitement thermique comme la pasteurisation et la stérilisation. La microfiltration est de plus en plus utilisée pour réduire la présence de bactéries, pour améliorer la sécurité microbiologique des produits laitiers et surtout pour préserver le goût ! Le lait microfiltré frais a une durée de conservation supérieure au lait frais pasteurisé selon les techniques traditionnelles. La technologie de filtration sur membrane connaît aussi de nouveaux développements comme la « thermisation » du lait écrémé à 50 °C, qui garantit le même niveau 103

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de sécurité alimentaire. Cela permettra la commercialisation de nouveaux laits pouvant être conservés à température ambiante pendant six mois et dont le goût sera comparable au lait frais pasteurisé. Stabiliser un produit alimentaire sans ajouter d’additifs, sans avoir à le chauffer et à utiliser de l’énergie, en respectant les molécules qui le composent, voici un très bel exemple de chimie verte. LES MEMBRANES EMPÊCHERONT-ELLES LA TERRE DE MANQUER D’EAU DOUCE ? Séparer au niveau moléculaire, c’est aussi dépolluer ou décontaminer un produit noble pour le rendre utilisable ou réutilisable. Entre séparation moléculaire et recyclage de matière, nous sommes ici aussi dans le domaine de la chimie verte avec un exemple important, celui de l’eau potable, dont nous avons déjà abordé les risques de pénurie. Surexploitées, polluées, ou encore asséchées par la canicule, les réserves d’eau potable sont mises à mal ; ce qui laisse présager une pénurie d’eau d’ici quelques décennies. La sécheresse et la canicule exceptionnelle de l’été 2003, suivies par les mêmes phénomènes climatiques en 2005, ont entraîné une baisse record du niveau des fleuves et des nappes d’eaux souterraines en Europe. Les nappes souterraines sont en en danger à cause d’une surexploitation. Dans le Middlewest américain, le niveau moyen a baissé de 3 mètres en dix ans. Enfin la pollution… Pesticides, bactéries, engrais et déchets industriels contaminent durablement les nappes. C’est le cas des nitrates en agriculture, qui s’infiltrent dans les sols et polluent les eaux phréatiques. Pourquoi ne pas éviter les pénuries en faisant de l’eau douce avec de l’eau de mer ou de l’eau… sale ? Après tout, c’est logique de prendre l’eau là où elle est la plus abondante, dans la mer et les océans ; mais aussi de traiter les eaux saumâtres, les eaux usées. Comment ? Par les membranes ! Les procédés à membranes tels que l’osmose inverse et l’électrodialyse sont des procédés de référence pour le dessalement de l’eau 104

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5. UTILISER AU MIEUX LES MATIÈRES PREMIÈRES

de mer ou des eaux saumâtre. Ils sont une alternative technicoéconomique particulièrement intéressante aux procédés thermiques comme la distillation. Le dessalement de l’eau de mer, c’est d’abord pomper cette eau, qui a une salinité importante due au NaCl (35-39g/l en mer Méditerranée, 40 g/l en mer Rouge, 13 g/l en mer Caspienne et 270 g/l en mer Morte). La prise d’eau de mer est suivie d’une filtration grossière. Ensuite un prétraitement est appliqué avec une filtration plus fine et une addition de composés biocides et antitartre. Le procédé de dessalement lui-même est alors appliqué ; les membranes utilisées ont des tailles de pores tellement faibles qu’ils retiennent tout sauf l’eau. Un post-traitement avec reminéralisation de l’eau produite est prévu : une eau trop pure débarrassée totalement de sel serait impropre à la consommation. Il faut donc ajuster la concentration en sel autour de 0,5 g/l, c’est-à-dire 500 ppm, pour la rendre directement potable. Des projets énormes existent sur le pourtour méditerranéen et en Asie. Le dessalement de l’eau de mer par osmose inverse est une réponse qui s’intègre parfaitement dans la philosophie de la chimie verte à condition que nous, les chercheurs, soyons capables de répondre de façon tangible à la question que vous devez vous poser : que fait-t-on de la partie concentrée en sel ? Les projets en cours d’installation dans le sud de l’Espagne répondent à cette question par des rejets de saumures entre 5 et 10 km au large, avec des débits faibles afin de permettre une dilution instantanée dans la mer Méditerranée. Concernant la consommation énergétique (électrique) des procédés d’osmose inverse, si elle est comparée à celle du procédé concurrent, la distillation flash détente, les valeurs sont plus favorables, avec une empreinte écologique plus forte pour le procédé thermique de distillation, qui produit des quantités importantes de CO2. Les procédés membranaires sont donc très bien positionnés dans des applications de séparation de grande envergure. Au titre des avantages de ce type de séparation, le produit final obtenu est de grande qualité et totalement inerte du fait des performances de séparation 105

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élevées, du traitement doux à basse température et d’une absence de résidus indésirables. Les membranes remplacent efficacement les traitements utilisant des solvants organiques comme le dichlorométhane ou l’hexane. Elles sont faciles d’emploi, et l’extrapolation pour construire des usines est aisée. L’automatisation, la compacité, la conception modulaire font des membranes des « legos » faciles à mettre en place en fonction des besoins. Enfin, des économies d’énergie sont à attendre par rapport aux procédés thermiques, qui utilisent essentiellement du fuel ou du gaz. Toutefois, le niveau d’investissement et le temps de retour en amortissement sont encore élevés, avec un coût de fonctionnement devant intégrer le remplacement des membranes. Ces dernières nécessitent un nettoyage régulier du fait du colmatage, phénomène incontournable de la filtration. Les procédés membranaires ne sont pas encore à la portée de toutes les bourses mais les travaux faits sur les membranes et le génie des procédés qui lui sont associés tendent à limiter les coûts. Restons donc optimistes, la chimie verte se doit de devenir accessible à tous et partout !

19 | Faire pousser des oranges dans le désert : un défi pour les membranes.

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PA R T I E 2

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6 Favoriser les solvants propres

En analysant cette question cruciale, nous allons faire connaissance avec les fluides supercritiques, et vous allez découvrir ce que devient la matière lorsqu’on la met dans tous ses états ! C’est en 1822 que le baron Cagniard de la Tour mit en évidence un nouveau domaine de la matière : le domaine supercritique. Dans une publication à l’Académie des sciences française, Cagniard de la Tour décrit une expérience surprenante mettant en œuvre un fût de canon un peu bricolé afin de pouvoir monter en température et en pression à l’intérieur. À un certain niveau de pression et de température, le fluide « cobaye », un alcool dans les premières manipulations de Cagniard de la Tour, n’est plus à l’état liquide ni à l’état gazeux, il devient supercritique… Il n’est pas très facile d’imaginer un fluide supercritique. C’est un fluide visqueux comme un gaz et dense comme un liquide qui, suivant les variations de pression et de température, peut redevenir, à loisir et à l’infini, liquide ou gazeux. D’un point de vue théorique, un fluide supercritique est un fluide homogène, intermédiaire entre l’état liquide et l’état gazeux ; il 107

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emprunte à ces deux phases les propriétés physico-chimiques qui le caractérisent. Très rapidement, les corps purs en phase supercritique ont été considérés comme des solvants potentiels. Un solvant est un fluide, souvent un liquide, qui a la propriété de dissoudre d’autres substances en les diluant, sans les modifier chimiquement et sans luimême se modifier. L’eau est le solvant le plus couramment utilisé dans notre vie quotidienne et dans l’industrie, et est pour cette raison en passe de devenir une denrée rare. En 1870, Andrews nomme cet état particulier mi-liquide migazeux « l’état critique » et identifie le point critique du CO2. Les coordonnées de ce point critique sont les valeurs de pression et de température auxquelles le fluide devient supercritique. En 1880, Hannay et Hogarth font les premières études de solubilité de divers composés dans les fluides supercritiques, ouvrant la voie à de nombreuses études de solubilité conduites entre 1880 et 1900. Il faut attendre le début du XXe siècle pour que les premières applications industrielles soient envisagées. Une première application de l’extraction par fluide supercritique a été brevetée aux États-Unis en 1939 par Horvath pour le traitement des jus de fruits. L’extraction par un fluide supercritique est donc envisagée pour se substituer à une extraction par un solvant liquide classique. Le procédé ROSE (Residuum Oil Supercritical Extraction) a été en 1956 le premier procédé d’extraction supercritique mis en œuvre industriellement. Il repose sur le désasphaltage des coupes pétrolières par extraction d’hydrocarbures à l’état supercritique. À partir des années 1970, et en partie sous l’impulsion du premier choc pétrolier, l’extraction par CO2 supercritique se développe. C’est actuellement l’application industrielle des fluides supercritiques la plus importante avec pour domaines d’utilisation l’agroalimentaire, la chimie fine, la pharmacie… Les entreprises comme DuPont, Pfizer, Danisco, General Foods, Unilever, Arkhopharma ou les Laboratoires Pierre Fabre utilisent ce type de procédé pour traiter du café, du thé, du houblon pour la bière, des principes actifs pour la pharmacie, des 108

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6. FAVORISER LES SOLVANTS PROPRES

20 | Le café décaféiné supercritique.

plantes aromatiques, à parfums et médicinales, … comme nous allons le voir plus loin en détail. L’étude de différents procédés d’enrichissement de l’uranium a créé des connaissances et des métiers divers sur le site CEA de Pierrelatte, en particulier dans des domaines tels que la manipulation de gaz, les céramiques poreuses, la chimie et le génie des procédés. Ces études nucléaires menées à leur terme, le développement de ces acquis a été poursuivi, avec pour objectifs de valoriser et de transférer les technologies dans l’industrie hors nucléaire, ou de les appliquer à des activités nucléaires hors enrichissement. L’activité du Laboratoire fluides supercritiques et membranes (LFSM) que j’ai dirigé jusqu’en 2003 et qui est actuellement sous la direction de Frédéric Charton se développe ainsi autour de deux thèmes issus de ces connaissances et métiers : – recherche et développement sur les applications du CO2 dense sous pression, utilisé en substitut de solvants organiques, dont l’utilisation est de plus en plus contrainte ; – recherche et développement sur les applications de l’eau supercritique, en particulier dans le domaine du traitement de déchets organiques ou composites posant des problèmes d’élimination ou de minéralisation par des procédés classiques. Le développement de ces deux types de procédés est directement lié à la problématique de la chimie verte. Il propose des procédés alternatifs à ceux existant dans l’industrie, avec les bienfaits que nous 109

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connaissons maintenant : diminution de l’impact sur l’environnement, avec une meilleure maîtrise de l’énergie ; réduction des effluents liquides et gazeux ; diminution des temps de contact opérateurs/matières nocives… Il propose aussi un traitement efficace des déchets pour atteindre une destruction ultime de ces derniers. LES FLUIDES SUPERCRITIQUES : À QUOI ÇA SERT ? Pour comprendre l’intérêt des fluides supercritique dans les extractions, il faut tout d’abord saisir tout ce qu’il se passe lorsque nous faisons une opération d’extraction. Revenons à un exemple concret déjà abordé avec la filtration membranaire. Ce matin, si vous vous êtes préparé un café dans une cafetière classique, vous avez réalisé une opération d’extraction chimique. Vous avez fait circuler de l’eau chaude, le solvant, à travers un filtre rempli de café. L’eau a extrait les substances hydrosolubles, les tannins, les pigments, les arômes et la caféine. Vous avez fabriqué un produit, que vous avez ensuite finement filtré sur un filtre papier, puis placé dans un réacteur chimique, la tasse à café, où vous avez peut-être dissous du lait, du sucre ou un édulcorant. Pour augmenter la cinétique de dissolution de vos produits, vous avez agité votre réacteur chimique en mélangeant tous ces composés à l’aide d’une cuillère. Vous êtes donc depuis des années un spécialiste de génie des procédés alimentaires, et je vous en félicite. Puisque nous faisons habituellement des opérations d’extraction en phase liquide, pourquoi aurions-nous l’idée de les faire en phase supercritique ? Pour le comprendre, il faut saisir ce que les fluides supercritiques représentent. Aux conditions normales de température et de pression, un corps pur peut se présenter dans les trois états classiques : solide, liquide ou gaz. Nous connaissons cela intuitivement avec l’eau liquide aux conditions ambiantes, qui devient gazeuse dans une casserole à 100 °C et solide dans le bac à glaçons du réfrigérateur. Toutefois, l’étude du diagramme de phase, qui permet de définir dans quel état 110

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21 | Le diagramme de phase : la carte d’identité des fluides supercritiques.

se trouve la matière à une température et à une pression données, met en évidence à l’extrémité de la courbe de coexistence liquide-gaz (courbe de vaporisation), la présence d’un point limite communément appelé « point critique » (noté Pc). Ceci conduit à introduire un nouveau domaine homogène appelé « fluide supercritique » et caractérisé par les spécialistes comme « une phase stable à la limite de l’instabilité ». Au-delà de la température critique (Tc), toute augmentation de pression appliquée au gaz conduira à la formation d’un fluide plus condensé (supercritique) sans passer par l’état liquide. D’autre part, au-delà de la pression critique (Pc), toute augmentation de température imposée au liquide amènera à la formation d’un fluide moins dense et différent de l’état gazeux. Le fluide supercritique (FSC) présente toujours ce que les ingénieurs appellent « des propriétés de transport » – masse volumique et 111

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viscosité – intermédiaires entre celles des deux états classiques, ce qui le distingue clairement. Un FSC peut présenter une masse volumique élevée proche de celle de l’état liquide. Cette forte densité permet la solubilisation des molécules étrangères. Les FSC présentent donc un pouvoir solvant intéressant, comparable à celui des solvants liquides, avec des propriétés cinétiques de transport, c’est-à-dire des vitesses de réactions, élevées et beaucoup plus intéressantes, qui les rapprochent des gaz. En pratique, le CO2 supercritique est considéré comme un solvant « apolaire », capable d’extraire des molécules organiques formées de longues chaînes carbonées de faible masse molaire, comme par exemple les lipides et autres corps gras. Un solvant apolaire comme le benzène ou les solvants organiques en général ne présente pas d’affinité pour l’eau, du fait de sa constitution chimique, et va donc solubiliser des molécules apolaires habituellement non solubles dans l’eau comme les corps gras par exemple. C’est le contraire d’un solvant « polaire » comme l’eau qui, du fait de sa constitution chimique, solubilise des molécules polaires, c’est-à-dire des molécules de chaînes courtes comme les sucres simples ou les ions. Toutefois, il est possible de modifier les propriétés du CO2 supercritique par adjonction d’un tiers corps appelé « co-solvant » qui va augmenter la solubilité et la sélectivité. Quel est donc l’intérêt de ce genre de fluide ? Il répond tout d’abord à l’un des principes de la chimie verte : la substitution de molécules dangereuses. Le CO2 supercritique est le remplaçant des solvants organiques comme l’hexane (C6H14), le dichlorométhane et le chloroforme, longtemps utilisés dans l’industrie agroalimentaire. L’extraction par CO2 supercritique apporte une solution à un problème inhérent à ce procédé. Reprenons maintenant l’exemple du café ou du thé que vous vous êtes préparé ce matin. Imaginez que vous auriez à séparer et récupérer tout ce qui a été mélangé dans votre solvant, l’eau. Cela semble compliqué et coûteux : il faudrait chauffer, évaporer l’eau sans détruire ou entraîner des composés intéressants. Avec le CO2 supercritique la 112

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6. FAVORISER LES SOLVANTS PROPRES

récupération des extraits serait facilitée. Dans le domaine supercritique, le CO2 a un pouvoir solvant qui lui permet de solubiliser des molécules. Une fois l’opération d’extraction réalisée, il suffirait de faire chuter la pression de l’ensemble pour que le CO2 redevienne gazeux, qu’il perde son pouvoir solvant et qu’une séparation naturelle se fasse entre le solvant, le CO2, et les produits extraits, la caféine et les arômes dans l’exemple du café. Cette extraction permettrait de récupérer les extraits, sans traces résiduelles de solvant. La matière traitée, débarrassée de ces extraits, serait elle aussi récupérée sans traces résiduelles de solvant. Point fort pour la chimie verte, les produits sont récupérés sans empreinte chimique résiduelle. Enfin, le CO2 gazeux récupéré pourrait être recyclé dans l’installation. Dans une usine utilisant le CO2 supercritique, plus de 95 % du solvant est récupéré ; ce qui est perdu dans l’atmosphère est faible et surtout non toxique aux doses rejetées. Valorisation des matières premières et limitation des rejets dans l’écosystème, voilà un autre point fort pour la chimie verte. De plus, ces procédés utilisent de l’énergie électrique, c’est-à-dire produite potentiellement par de l’énergie nucléaire ou des énergies renouvelables, au contraire de la distillation et de l’évaporation qui utilisent essentiellement des énergies fossiles. Le bilan de l’émission des GES est donc favorable. Au fait, j’entends souvent la remarque suivante : « Vous utilisez du CO2 donc vous participez au dérèglement du climat ! » C’est faux, ces procédés ne fabriquent pas du CO2 mais utilisent du CO2 « fatal », qui de toute façon aurait été fabriqué. Il est fourni par des industriels producteurs de gaz qui en très grande majorité, et cela ne fait qu’augmenter, le récupèrent dans les sous-produits de l’industrie chimique. Pour fabriquer des engrais azotés, traiter une tonne d’ammoniac produit une tonne de CO2 propre directement récupérable. Plus marginalement, les gaziers peuvent récupérer le CO2 dans les effluents gazeux des usines. Ma réponse est donc facile : plus il y aura d’usines utilisant du CO2 supercritique et plus le CO2 sera immobilisé dans les installations, recyclé et non rejeté dans l’atmosphère. 113

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Vous comprenez maintenant pourquoi les fluides supercritiques sont les procédés phares de la chimie verte. Ils satisfont efficacement à un grand nombre de principes ; nous allons le voir plus en détail dans les applications industrielles existantes et envisagées. LES FLUIDES SUPERCRITIQUES : POUR QUOI FAIRE ? Nous l’avons évoqué précédemment, tous les corps purs existent en phase supercritique. Les coordonnées du point critique des corps purs les plus importants sont données dans le tableau suivant :

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6. FAVORISER LES SOLVANTS PROPRES

Le dioxyde de carbone supercritique (CO2 SC) est actuellement le FSC le plus utilisé. Cela s’explique d’abord par ses coordonnées critiques relativement basses (Tc = 31 °C ; Pc = 74 bars). La température est faible, cela permet de travailler avec des produits naturels thermosensibles sans les dégrader. La centaine de bars nécessaire à ces procédés peut sembler élevée, mais entre les 7 bars d’une bouteille de champagne et les 1 500 bars de l’injection d’un moteur HDI®, nous sommes entourés quotidiennement par des pressions élevées, bien qu’à l’inverse de la température nous n’y soyons pas sensibilisés. La mise en œuvre du CO2 SC est donc relativement aisée. D’autre part, en temps que solvant, le CO2 est peu onéreux, non inflammable, inerte chimiquement et son innocuité le rend compatible avec les contraintes des normes de sécurité et de toxicité propres à l’agroalimentaire et à la pharmacie. De plus, le CO2 SC est compatible avec le label « bio » dans l’agroalimentaire. Tout cela explique pourquoi le CO2 est de loin le fluide le plus utilisé en phase supercritique. Les applications industrielles concernent historiquement l’extraction de produits biologiques pour le développement de produits alimentaires, pharmaceutiques et cosmétiques. Cela concerne l’opération inverse de l’extraction, c’est-à-dire l’imprégnation, pour des matrices diverses : cuir, papier, bois, céramiques, tissus, polymères… Le CO2 SC permet aussi de mettre en forme et de structurer des produits comme les principes actifs de la pharmacie ou bien les oxydes métalliques, pour en faire des nanomatériaux. Enfin, le CO2 SC est maintenant considéré comme un solvant chimique dans lequel il est possible de réaliser des réactions chimiques, synthèse et hydrolyse, des réactions catalytiques et des réactions biochimiques. Plus de 95 % des applications concernent le CO2 ; le reste est dévolu à l’eau supercritique dans le domaine de l’hydrolyse et du traitement des déchets. 115

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Nous allons maintenant faire un peu de chimie verte de proximité et voir des applications proches de nous plus en détail. EXTRACTION PAR CO2 SUPERCRITIQUE : COMMENT ÇA MARCHE ? C’est plutôt simple… En fonction des conditions d’utilisation, notamment la pression et/ou la température, le pouvoir solvant du CO2 SC varie entre celui d’une phase liquide et celui d’une phase gazeuse. Cela a conduit Christian Perre, ingénieur au CEA qui a eu la patience de me former à l’utilisation des FSC, à qualifier le CO2 SC de « solvant à géométrie variable ». Si nous revenons au diagramme de phase, une certaine température et une certaine pression amènent à une masse volumique donnée et donc, par voie d’extension, à un pouvoir de solvatation donné. Le CO2 SC est donc un solvant « sur mesure » qui permet d’extraire très précisément une famille de composés donnés correspondant à une température et une pression particulières. Comment ? Une installation d’extraction par CO2 SC est réalisée selon le schéma de principe présenté plus bas. À partir d’une réserve de CO2, le fluide est amené à une pompe si le CO2 est liquide ou à un compresseur si le CO2 est gazeux. Porté à une pression supérieure à Pc, le fluide passe à travers un échangeur chaud où il atteint une température supérieure à Tc. À l’état supercritique, le CO2 est mis en présence du produit à traiter dans un contacteur qui peut être un autoclave, c’est-à-dire un réacteur fonctionnant en pression (une cocotte-minute) si le produit est solide, ou une colonne à contrecourant s’il est liquide. Dans la grande majorité des cas, le contacteur est un autoclave qui permet de traiter des produits solides, notamment d’origine végétale. Le CO2 SC chargé d’extrait subit ensuite une chute de pression dans un séparateur de type cyclone ; cette chute de pression conduit à une perte de pouvoir solvant ; l’extrait purifié est alors récupéré et le CO2 recyclé. Lorsque la réserve de CO2 est liquide, le fluide doit subir un refroidissement dans un échangeur froid. 116

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6. FAVORISER LES SOLVANTS PROPRES

23 | Schéma de principe de l’extraction par CO2 supercritique.

L’extraction par CO2 SC est appliquée essentiellement dans les secteurs d’activité suivants : agroalimentaire, pharmacie, cosmétologie, chimie et environnement. Il est possible de distinguer deux types d’extraction selon la nature physique du produit à traiter, liquide ou solide. Le traitement et l’extraction de produits solides ont le plus grand nombre d’applications industrielles, principalement en agroalimentaire. Toutefois, le procédé demeure limité dans son développement par le fait que sa mise en œuvre est discontinue. Traitant des produits solides, il faut périodiquement arrêter le système pour décharger la matière traitée et recharger en matière neuve. Cela pénalise la productivité et le coût de traitement. Le tableau suivant recense les principales applications de l’extraction par CO2 SC. Les deux applications industrielles majeures et historiques sont la décaféination, plus de 50 000 à 70 000 tonnes de café traitées par an pour une production totale mondiale de 150 000 tonnes environ, et la production de principes amérisants pour la bière, environ 30 000 tonnes de houblon traités par an. Depuis lors, en termes de 117

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24 | Les applications actuelles de l’extraction par CO2 supercritique.

valeur ajoutée sur les produits traités, le traitement de produits végétaux pour la récupération de biomolécules présente un intérêt croissant en nutraceutique, cosmétique et pharmacie. Dans les années 1970, le marché du café décaféiné était en pleine expansion. Des consommateurs soucieux de leur santé décidèrent d’abandonner la caféine pour un produit débarrassé de cette molécule. Malheureusement, certains consommateurs commencèrent à présenter des affections de type cirrhose du foie. Les études menées ont montré que des traces de chloroforme étaient en cause. Le chloroforme était utilisé pour extraire la caféine du café et des traces résiduelles, de l’ordre du ppm, ont été retrouvées dans le café décaféiné. 118

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6. FAVORISER LES SOLVANTS PROPRES

Une solution devait être trouvée rapidement et le CO2 SC s’est imposé. C’est la société allemande Hag qui a breveté et commercialisé en premier le café décaféiné par CO2 SC. Le fait d’extraire la caféine de cette manière permet d’obtenir du café décaféiné sans traces de solvant et avec une teneur en caféine résiduelle inférieure à 0,1 %. Cerise sur le gâteau, la caféine extraite est d’une grande pureté. De ce fait, elle peut être revendue soit à l’industrie pharmaceutique, qui est grande consommatrice de cet alcaloïde, un tonicardiaque d’origine naturelle, soit à l’industrie américaine du soda qui aime bien les boissons dont le nom se termine par « cola ». La valorisation de ce « déchet » a donc permis de rendre économiquement viable le traitement d’environ 50 % du café décaféiné produit dans le monde. Depuis 1970, le café Hag à Brème en Allemagne est une activité florissante, avec des volumes annuels de traitement de 30 000 tonnes. Actuellement aux États-Unis, l’usine Général Food-Maxwell produit annuellement dans son usine du Texas 20 000 tonnes de café décaféiné dans une seule installation, probablement la plus grosse du monde en taille d’autoclave. C’est le café Maxwell que l’on trouve en rayon de supermarché. Dans le même domaine, le thé contient aussi un alcaloïde, la théine. Découverte en 1827, sept ans après la caféine, les chercheurs se sont rapidement rendus compte que ces molécules étaient les mêmes … En Allemagne, le traitement du thé par CO2 SC produit une matière première qui est la base des boissons type « soda au thé glacé » que les adolescents affectionnent particulièrement. L’autre application industrielle à grande échelle des fluides supercritiques est l’extraction du houblon. Deux usines sont exploitées par les sociétés SKW Trostberg et NATECO2 en Allemagne. D’autres usines fonctionnent en Australie, en Angleterre et, depuis 1984, aux États-Unis où la firme Pfizer a démarré la plus grosse unité de traitement de houblon représentant plus de 20 M$, investissement et études comprises ; elle a été rachetée par NATECO2 depuis. L’objectif est d’extraire les principes amérisants du houblon. Pourquoi ? Pour purifier deux composés organiques, lupulon et humulon, qui après 119

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une réaction d’isomérisation, c’est-à-dire un simple changement de positions de groupements chimiques au sein de la molécule initiale, donnent le principe actif amer responsable de la qualité organoleptique de la bière. Tous les buveurs de bière le savent, depuis les Égyptiens : dans la bière, c’est l’amertume qui est la qualité gustative la plus recherchée, et elle doit être constante. Ce qui semble curieux pour moi, c’est que les consommateurs classiques de vin, dont je fais partie, acceptent la variabilité de ce breuvage. Ils savent qu’il est normal qu’un vin n’ait pas le même goût en fonction des millésimes. Pourtant, ces mêmes consommateurs, lorsqu’ils consomment de la bière, ne comprendraient pas que cette boisson ait une variabilité en fonction des bouteilles ouvertes ; le goût d’une bière donnée doit être standardisé… Pour la bière c’est donc plus simple, mais en même temps plus compliqué : l’amertume n’est liée qu’à deux molécules, mais ces composés sont présents dans le houblon, un produit végétal dont la proportion en principes amérisants est forcément variable. Les très grandes brasseries mondiales en Allemagne, aux ÉtatsUnis et en Australie ont trouvé la solution. Le houblon est moulu puis compacté et traité par CO2 SC. L’extrait obtenu en extraction supercritique à 33-39 °C sous 300 bars donne une bière à l’amertume vigoureuse lorsqu’il est ajouté dans le procédé de fabrication de la bière. D’autre part, l’utilisation de l’extrait CO2 permet de faire une économie de houblon de l’ordre de 10 à 12 % par rapport à l’utilisation directe cette matière première. NATECO2 possède sept unités de traitement de houblon dans le monde. Par ailleurs, de nombreux végétaux appartenant à la famille des plantes aromatiques ou médicinales peuvent être traités par dioxyde de carbone sous pression. Dans le domaine des arômes naturels, l’extraction par CO2 apporte certains avantages. L’utilisation des arômes pose en effet un certain nombre de problèmes pour l’industrie alimentaire en raison notamment des difficultés de dosage liées à la variabilité de la matière première, selon la variété et l’origine 120

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6. FAVORISER LES SOLVANTS PROPRES

géographique. L’extraction par CO2 SC permet souvent d’obtenir des extraits très purs et proches de la note naturelle. C’est le cas de la vanille, du céleri, du paprika…. Leur dosage est donc plus faible par rapport à des analogues de synthèse. Le groupe industriel Danisco possède des installations CO2 SC dans l’arrière-pays grassois, au plus près des plantes aromatiques à parfum et médicinales, les PAPM, et proche de la capitale mondiale des parfums : Grasse. La dernière application liée à l’extraction concerne le nettoyage. Unitech, une société d’Annemasse, en Haute-Savoie, et le CEA ont développé une machine à laver par CO2 SC. Cela ressemble étrangement à une machine à laver le linge, puisque nous retrouvons un hublot et un panier tournant. C’est un outil pour le dégraissage de pièces industrielles, utilisé en alternative d’un solvant dangereux car reconnu toxique depuis 1995, le trichloréthylène (C2HCl3), le fameux « trichlo » qui était utilisé dans les ateliers de mécanique et même dans nos garages pour nettoyer les outils ou les pinceaux. Nous sommes bien ici dans la chimie verte et dans l’alternative aux solvants toxiques. Autre application : faites confiance à votre nez, dans quels endroits peut-on trouver des odeurs de solvants ? Les pressings ! Sur la côte est des États-Unis, la société Hangers Cleaners (les « nettoyeurs de cintres ») a mis en place une soixantaine de points de nettoyage à sec par CO2 SC. Le problème majeur a été de gérer la vie des boutons lors des montées et descentes en pression… Votre nez est une machine très sophistiquée de chimie analytique. Vous savez reconnaître le trichloroanisole, le fameux TCA, responsable du goût de bouchon même à des niveaux de l’ordre du ppb. J’ai eu le bonheur de participer avec Christian Perre et Guy Lumia, ainsi que toute l’équipe du LFSM de Pierrelatte, à une saga de sept ans. Nous avons développé avec la société Oeneo Bouchage, ex-Sabaté, un procédé de traitement par CO2 SC qui permet d’extraire le TCA, et uniquement le TCA, du liège. Nous avons joué sur le côté « géométrie variable » du CO2 pour déterminer des conditions opératoires qui 121

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25 | Le bouchon sans goût de bouchon : un succès pour la chimie verte.

conduisent à une solubilité directement adaptée au TCA. Cette étude a abouti à la création du bouchon Diam®, un bouchon débarrassé de TCA. Oeneo produit ainsi plusieurs centaines de millions de bouchons par an, dans une unité industrielle de 15 M€ inaugurée en 2005. Sans compter les unités de nettoyage à sec, il existe environ 160 unités industrielles utilisant du CO2 supercritique dans le monde, dont un tiers environ possède des autoclaves de 500 litres. Le CO2 n’est plus une curiosité de laboratoire mais bien un solvant industriel définitivement labellisé « chimie verte ». IMPRÉGNATION PAR CO2 SUPERCRITIQUE : EN SENS INVERSE ÇA MARCHE AUSSI ? L’imprégnation est le procédé inverse de l’extraction. Il consiste à solubiliser un composé dans le CO2, à utiliser le CO2 et sa faible viscosité pour imprégner une matrice donnée. Puis, après imprégnation, la pression chute, le CO2 s’échappe de la matrice et le composé initial reste bloqué de manière homogène. J’utilise volontairement le terme de matrice car c’est un terme générique, qui définit ici un substrat qui 122

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6. FAVORISER LES SOLVANTS PROPRES

peut être imprégné : bois, papier, cuir, tissus, polymères, céramiques poreuses… Il est donc possible de modifier la texture et/ou la résistance d’une matrice en utilisant l’imprégnation par CO2 SC. Il est possible par exemple de densifier des céramiques poreuses par imprégnation de polymères ou de dérivés organométalliques pour faire des pots catalytiques. Dans le cas particulier du papier, un problème qui concerne les bibliothèques du monde entier est la dégradation chimique accélérée des molécules de cellulose, qui conduit à l’altération de 15 % des livres fabriqués dans le monde entre 1850 et 1950. Un procédé de désacidification et de renforcement du papier a été proposé en utilisant le CO2 SC comme fluide permettant d’imprégner de manière non destructive les pages d’un livre avec une molécule capable de neutraliser l’acidité et d’augmenter la résistance mécanique. L’eau est la matière première la plus utilisée dans l’industrie chimique. Après utilisation, c’est donc l’eau qui est à la base de la pollution aqueuse et des énormes volumes d’effluents à retraiter. Les ordres de grandeur sont considérables et selon Alain Maurel, le chercheur du CEA spécialiste de l’eau, les valeurs sont les suivantes :

Source : Alain Maurel, Dessalement de l’eau de mer, Lavoisier 2006. 26 | Consommation d’eau dans les industries.

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Les valeurs sont énormes et expliquent pourquoi des activités telles que le tannage ou l’ennoblissement des tissus ont quitté l’Europe et se sont délocalisées dans les pays émergents, où l’on a aussi un moindre coût de main-d’œuvre et une absence de réglementation contraignante. Par imprégnation, le CO2 SC permet de tanner les peaux sans générer d’effluents contenant du chrome, ou de teindre des tissus sans créer des tonnes d’eau colorée qui polluent les rivières. Cette technique pourrait représenter une révolution technique permettant de recréer des activités en Europe dans ces domaines.

27 | Le cuir du futur ? un cuir économe en eau…

La plus belle application industrielle d’imprégnation que je connaisse a lieu au Danemark, dans l’usine Superwood. Dans ce pays scandinave, le bois tient une grande place et il existe aussi une certaine vision de l’écologie. Pour rendre un bois imputrescible, il faut le tremper dans une solution contenant des fongicides et le laisser sécher pendant un an. Quand nous achetons du bois pour faire une barrière autour de la piscine, des étagères, ou pour fabriquer une balançoire, la couleur verte que nous pouvons voir sur la tranche du bois est le résultat du traitement fongicide. Les ingénieurs danois ont eu l’idée de fabriquer des autoclaves de 18 m3 et d’y traiter des palettes entières de bois. Le fongicide est imprégné à cœur en moins d’une heure et le bois récupéré est directement utilisable. Le gain est énorme : seule 3 % de la quantité de 124

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6. FAVORISER LES SOLVANTS PROPRES

fongicide utilisée dans la technique traditionnelle suffit dans l’imprégnation pour traiter le bois à cœur. L’usine Superwood produit plusieurs dizaines de milliers de tonnes de bois par an dans une usine automatisée. Le surcoût du traitement est entre 15 et 30 %, selon les produits. Les ingénieurs danois m’ont expliqué que les consommateurs de leur pays étaient prêts à payer ce tribut à l’environnement...

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7 Utiliser au mieux l’énergie

Dans le domaine de l’énergie, chercheurs et ingénieurs n’ont pas attendu les réglementations pour innover. Des solutions techniques et des procédés existent déjà et l’innovation autour de ces thèmes est foisonnante, notamment dans le cadre du traitement de la pollution de l’air et dans celui de la production d’énergies propres et renouvelables. Le sujet d’actualité pour combattre les dérives de la chimie dans l’environnement est l’innovation autour de la gestion des gaz à effet de serre. L’effet de serre est un phénomène naturel de réchauffement de la température de la planète. C’est ce qui se passe dans les serres au fond de nos jardins, un espace clos dont une ou plusieurs faces sont transparentes, laissant passer les rayons du soleil (notamment infrarouge et ultraviolet) tout en retenant prisonnière la chaleur emmagasinée. En ce qui concerne la planète, ce phénomène est dû aux gaz à effet de serre (GES) contenus dans l’atmosphère, dont le principal, la vapeur d’eau, contribue le plus à l’effet de serre, mais aussi à des gaz 127

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émis par l’homme, au premier rang desquels on trouve le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), les CFC (gaz halogénés) et les oxydes d’azote (NOx). Le CO2 reste toutefois le principal coupable. Ce gaz de combustion provient principalement des transports ; un secteur naturellement impliqué dans la lutte contre la production des GES est donc le secteur automobile. COMMENT PRODUIRE MOINS DE GES ET MOINS DE POLLUANTS ATMOSPHÉRIQUES DANS LES TRANSPORTS AUTOMOBILES ? Philippe Macaudière, chimiste et responsable R & D du groupe automobile PSA Peugeot Citroën, m’a été d’une grande aide pour ma comprendre les enjeux techniques dans ce domaine. La limitation des moteurs diesel réside dans la production de particules de suie. Dans ce type de moteur, nous retrouvons des hydrocarbures en phase gazeuse qui vont former de toutes petites particules ; ce sont les premiers noyaux de suie. Par des phénomènes de coagulation ou de réactions de surface, ces petits noyaux vont grossir et passer de 0,5 à 50 nm pour devenir des particules de suie. Ces particules ont un effet néfaste pour l’environnement et surtout pour nos poumons. La technologie HDI® s’est attaquée à ce problème. La technologie common-rail permet de limiter la production à la source. L’utilisation de hautes pressions, 1 400 à 1 600 bars, limite la production des premiers noyaux de suie. Ce moteur limite aussi la production de NOx (NO, NO2…). Ces produits sont extrêmement nuisibles pour l’environnement ; ils sont en partie responsables des pluies acides et surtout de la transformation de O2 en O3, l’ozone. Enfin, le common-rail a permis la mise au point du Filtre à particules (FAP) et son lancement commercial en 2000. Le FAP, c’est le filtre ultime, qui piège la faible quantité de suie produite et qui traite les gaz de sortie d’échappement. Le FAP est un filtre minéral en SiC intelligent. Il va s’adapter à ce qui sort du moteur. Ce qui peut poser problème sont le CO, les 128

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7. UTILISER AU MIEUX L’ÉNERGIE

28 | Schéma de fonctionnement d’un pot catalytique avec FAP.

hydrocarbures et les NOx. Dans les pots catalytiques, les gaz vont rencontrer des catalyseurs qui vont transformer ces gaz en CO2, H2O et N2. Nous l’avons vu, les catalyseurs sont des composés qui facilitent une réaction. Dans les FAP, les catalyseurs vont favoriser la réaction d’oxydation des suies. En température lors de la postcombustion (> 500 °C), les métaux nobles, comme le platine ou le vanadium, vont catalyser l’oxydation des particules de suie qui vont se transformer en CO2 gazeux. Ce qui sort du FAP est donc débarrassé de particules et équivalent à ce qui sort d’un moteur essence. On compte plus de 1,5 million de FAP pour équiper les moteurs des véhicules particuliers européens. Si nous nous intéressons à la masse de particules émises dans l’atmosphère par une automobile parcourant 80 000 kilomètres, elle est de moins de 100 g pour une Peugeot 607 HDI et de plus de 3 kg pour un véhicule diesel non équipé de FAP. La chimie verte nous met ici sur la bonne voie. LES BIOCARBURANTS ET LA CHIMIE VERTE : UN PROBLÈME DE GÉNÉRATION… Les biocarburants représentent une solution immédiatement disponible pour réduire les émissions de CO2 et notre dépendance vis-à-vis du pétrole. 129

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29 | Transformer les déchets en carburant ? Ça roule !

Les biocarburants de première génération concernent les moteurs fonctionnant à l’essence, avec l’utilisation d’éthanol ou ETBE (Éthyltertiobutyléther) produits à partir de blé et de betterave en Europe et aux États-Unis, de canne à sucre au Brésil. Cela concerne aussi les moteurs diesel, avec l’utilisation d’oléagineux, des esters éthyliques ou méthyliques d’huiles végétales (EEHV et EMHV), produits à partir de colza ou de tournesol. Ces produits sont directement utilisables si nous les ajoutons en faible quantité à nos carburants classiques. L’Europe a donné des directives pour agir d’ici 2010 et la France souhaite prendre de l’avance. Le tableau suivant indique la position française et les additions de biocarburants prévues d’ici 2010 associées à la production agricole nécessaire en milliers de tonnes (kt).

30 | Évolution du pourcentage de biocarburant dans nos carburants automobiles (France).

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7. UTILISER AU MIEUX L’ÉNERGIE

Il faut noter qu’à partir de 2008 les pourcentages prévus nécessitent la modification des spécifications européennes des carburants. De plus, à partir de 2009 les tonnages prévus pour fabriquer le biodiesel dépassent les capacités de production française prévues. C’est une position volontariste mais cela nous positionne en avance de deux ans sur les directives européennes. Et les moteurs dans tout cela ? Jusqu’où peuvent-ils accepter des biocarburants ? PSA indique par exemple qu’après dix ans d’expériences leurs moteurs fonctionnent avec 30 % de biodiesel. Tous leurs moteurs essence acceptent 10 % d’éthanol, et au Brésil on travaille sur une nouvelle génération de moteur acceptant entre 22 et 95 % d’éthanol… Et le bilan sur les GES ? Un moteur fonctionnant au pétrole rejette du CO2 dans l’atmosphère. Dans le cas des biocarburants, le CO2 rejeté sera recyclé et servira à la synthèse de nouvelles plantes. En effet, les végétaux poussent grâce à la photosynthèse, c’est-à-dire qu’ils utilisent le CO2 de l’atmosphère comme source de carbone. L’Union française des industries pétrolières (UFIP) annonce en 2006 que l’économie en CO2 rejeté serait de 26 à 37 % pour la filière bioessence et de 53 à 58 % pour la filière biodiesel. Cela varie fortement en fonction des hypothèses envisagées. Tout cela paraît bien idyllique mais il faut être conscient des inconvénients majeurs. D’abord le pouvoir énergétique des biocarburants est plus faible que de celui du pétrole. Un litre d’EMHV est équivalent à 0,92 litre de gazole et 1 litre d’éthanol est équivalent à 0,66 litre d’essence. Une surconsommation est à prévoir pour nos véhicules, entre 10 et 40 %. D’un point de vue économique, le parc automobile européen étant principalement équipé de moteurs diesel, les pétroliers sont en manque de gazole et donc très favorables à l’addition de biodiesel. À l’inverse, le carburant essence sans plomb est en surproduction et il me paraît difficile que les pétroliers favorisent l’éthanol en Europe, son transport dans les oléoducs posant des problèmes. Enfin, la concurrence de la production agricole avec celle destinée à l’alimentation humaine est énorme. La surface agricole française cultivable est d’environ 28 millions d’hectares ; celle nécessaire pour 131

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remplacer l’ensemble des combustibles automobiles par le bioéthanol ou le biodiesel est d’au moins 80 millions d’hectares. Si nous délocalisions ces productions ailleurs dans le monde, cela voudrait dire qu’il faudrait, dans des pays en voie de développement touchés par la malnutrition, remplacer la culture vivrière par celle de nos futurs carburants ! Cela ne paraît pas acceptable surtout si, pour augmenter le rendement, on utilisait massivement les engrais et des pesticides. Une catastrophe écologique ne serait pas loin… Alors que faire ? Les biocarburants de seconde génération fourniront peut-être une solution. Ces carburants ne nécessitent pas de grandes quantités de produits végétaux alimentaires à cultiver. On peut aussi utiliser comme matière première la biomasse, et donc valoriser nos déchets. Derrière le terme de biomasse se retrouvent en effet de nombreux déchets : le bois et ses sous-produits, comme les palettes de stockage ; les cultures agricoles pérennes à vocation non alimentaire et uniquement énergétique tels que le miscanthus, le triticale ou le sorgho ; les sous-produits de l’industrie, comme la liqueur noire, un effluent de l’industrie papetière contenant de la cellulose ; enfin, les déchets organiques, comme les boues issues de nos stations d’épuration. La biomasse est une ressource abondante qui, outre la valorisation des déchets, est un « puits de carbone », un endroit où le CO2 en excès dans l’atmosphère peut venir se fixer par photosynthèse ou métabolisation bactérienne. La gazéification (thermochimique ou biochimique) de la biomasse suivie d’une réaction chimique au nom barbare de Fisher-Tropsch permet en plus de fabriquer du gazole de synthèse. La liquéfaction de la biomasse « pyrolyse flash » ou avec de l’eau supercritique conduit aussi à du gazole de synthèse. Plus rustique, l’hydrolyse de la biomasse par des micro-organismes suivie d’une fermentation et d’une distillation produit de l’éthanol, donc une bioessence. Les corps gras d’origine animale ou végétale peuvent subir une estérification de seconde génération et produire un biodiesel très propre. 132

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7. UTILISER AU MIEUX L’ÉNERGIE

Alors, la biomasse, est-ce bonne solution ? L’avantage premier est que cette matière première occasionne une moindre concurrence avec l’alimentation humaine. Cela permet donc de dépasser l’inconvénient majeur des biocarburants de première génération. Ensuite, cela permet une approche intéressante de valorisation des déchets agricoles inévitables en produits énergétiques nobles. Selon un rapport récent (CIVEPE), les ressources actuelles en biomasse en France peuvent représenter entre 30 et 50 % de notre consommation actuelle, soit de 15 à 25 MTep3. De plus, les procédés développés permettent de banaliser l’origine de la biomasse. Quelle que soit la source initiale de biomasse, le produit final formé, le carburant, sera le même ; il ne sera donc pas nécessaire d’anticiper de modifications sur les réseaux de distribution et sur les moteurs actuels. Toutefois, les ressources sont dispersées à l’échelle du territoire et cela impose soit de concentrer la biomasse localement, par exemple avec des procédés de type torréfaction, puis la traiter de manière centralisée avec des coûts économiques et écologiques supplémentaires liés aux transports, soit de traiter localement la biomasse mais avec des investissements très importants à envisager et une multiplication des unités Fischer-Tropsch. De l’avis même des ingénieurs, une optimisation est à rechercher. Le gain réel vis-à-vis des émissions des GES est donné dans la figure page suivante. Tous les carburants sont comparés en gramme d’équivalent CO2 émis par kilomètre, et cela en intégrant le cycle de vie du produit « du puits à la roue », c’est-à-dire du puits du forage qui l’a produit à la roue du véhicule qui va l’utiliser. Les avantages sont donc significatifs pour l’environnement et nous sommes bien dans une action de chimie verte. Cette action s’amplifie si nous mesurons le fait qu’avec la biomasse il est possible de produire de l’hydrogène, une source d’énergie alternative pour les piles à combustible, comme nous le verrons plus loin.

3. Millions de tonnes équivalent pétrole (MTep).

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31 | Émission de CO2 en g/km en fonction du type de carburant.

LES MEMBRANES, LES PILES À COMBUSTIBLE ET L’ÉNERGIE DU FUTUR Nous allons reparler de membranes… Ma compagne Caroline travaille depuis de nombreuses années dans le domaine des piles à combustible. Nous avons souvent des discussions animées du genre « les piles à combustible sont-elles la réponse à la demande d’énergie du futur pour les productions localisées » ? En toute rigueur, la réponse est : « à terme, oui » ! Tout dépend donc des délais… et de l’usage. Pour avoir une meilleure vision, il faut distinguer si l’usage recherché est dans les applications mobiles (véhicules, téléphones et ordinateurs portables, …) ou dans les applications stationnaires (production de chaleur et d’électricité pour l’habitat dispersé). Il faut aussi distinguer les sources de carburant : de l’hydrogène ? du méthane ? Toutes ces subtilités rendent donc difficilement prévisible la date d’arrivée des piles à combustible dans notre quotidien. Comment marche une pile à combustible ? Une pile à combustible est basée sur la conversion de l’énergie chimique en énergie électrique : combustible (H2, CH3OH…) + 1/2 O2 → H2O + CO2 + électricité + chaleur 134

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7. UTILISER AU MIEUX L’ÉNERGIE

32 | Schéma de principe d’une pile à combustible.

Les programmes spatiaux américains Mercury, puis Gemini et Apollo ont mis au goût du jour cette électrolyse de l’eau à l’envers : H2 + O2 donne de l’eau et de l’électricité. Le schéma de principe d’une pile à combustible montre que les transferts d’H2, de O2 et d’électrons se font à travers un empilement de membranes plus ou moins denses. En particulier, la membrane centrale, appelée électrolyte, joue un rôle essentiel dans le transfert d’O2–. Il existe deux types de piles à combustible (PAC), fuel cells en anglais, en fonction des deux domaines d’utilisation vus précédemment (mobile ou stationnaire) ; ils sont différenciés par la nature des membranes utilisées : organique ou minérale. Énergie propre pour le transport : les PEMFC Les Proton Exchange Membrane Fuel Cell (PEMFC) sont aussi appelées PAC à basse température. La nature de ces piles est 135

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organique ; l’électrolyte de référence est un polymère perfluorosulfoné, le Nafion®, un dérivé du téflon. Beaucoup de constructeurs automobiles travaillent sur ce genre de moteur pour produire de l’énergie électrique non polluante et équiper nos véhicules particuliers. Une veille technologique active existe afin de réagir au plus tôt lorsque le marché sera arrivé à maturité. Le groupe PSA Peugeot Citroën a développé avec le CEA un démonstrateur, qui est une PAC de 80 kWatt. Montée sur un véhicule adapté, cette PAC délivre une puissance de 80 kW avec un très bon rendement. L’impact sur la pollution locale est immédiat puisque ce moteur ne génère que de l’eau en tant que déchet. Toutefois, le stockage de l’hydrogène à bord du véhicule est toujours un problème à résoudre en ce qui concerne la sécurité et

33 | Pile à combustible développée par PSA Peugeot Citroën et par le CEA.

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7. UTILISER AU MIEUX L’ÉNERGIE

l’autonomie. Le coût de la pile est de l’ordre de 100 à 150 €/kW, du fait du coût encore élevé du nafion. Enfin, le bilan des émissions de CO2 du puits à la roue reste discutable en fonction de la source d’énergie utilisée pour produire l’H2. Si H2 est produit par électrolyse de l’eau, à partir de cycle thermochimique… il n’y a pas de production de CO2 associée. En revanche, si H2 est produit par reformage du méthane (CH4) ou du méthanol (CH3OH), du CO2 sera forcément produit lors de la génération de l’hydrogène. Enfin, si H2 est produit à partir de biomasse, la valorisation du déchet prime malgré tout sur la production associée de CO2. Quel est le futur de tout cela ? Les perspectives à court terme d’ici 2015 concernent des véhicules urbains de livraison utilisant la PAC comme source d’énergie complémentaire. Entre 2015 et 2020, des flottes de véhicules seront développées avec l’hydrogène stocké à bord. Enfin, au-delà de 2020, la production en grande série de véhicules particuliers qui fonctionnent avec l’hydrogène stocké à bord est envisagée. Tout laisse à penser que le premier qui franchira le pas industriel prendra forcément une avance technologique ; les travaux sur les alternatives au nafion et leur coût de production sont donc essentiels. De récents travaux réalisés sur des microPAC nous permettent d’envisager que nos téléphones et ordinateurs portables pourront aussi un jour bénéficier de cette technologie. La science-fiction devient réalité. Énergie propre pour l’habitat : les SOFC Les Solid Oxide Fuel Cell (SOFC) sont aussi appelées PAC à haute température. La nature de ces piles est minérale, et l’électrolyte de référence est une céramique, l’oxyde de zirconium, dopé à l’yttrium (YSZ). Ces piles fonctionnent sur le même principe que les précédentes. Toutefois, le fonctionnement s’opère au-delà de 800 °C pour que YSZ puisse conduire l’O2. Cela veut dire qu’il faut monter à haute température pour que la membrane céramique en YSZ devienne 137

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perméable et puisse permettre le passage d’O2 qui va, de l’autre coté de la membrane, retrouver H2 pour former H2O. Si ces piles à combustible ne sont pas encore compétitives sur le plan économique, elles ont l’avantage sur les autres technologies d’avoir un meilleur rendement énergétique, de causer beaucoup moins de rejets polluants (NOx, COV, poussières…) et de limiter considérablement les nuisances sonores. Ces arguments, généralement admis par l’ensemble de la communauté scientifique et des acteurs économiques, en font une alternative très probable au moteur thermique et surtout une solution envisageable pour répondre dans l’avenir à la forte demande d’unités décentralisées de cogénération d’électricité et de chaleur. Les recherches actuelles s’orientent vers la synthèse de matériaux permettant aux piles SOFC de fonctionner à plus basse température que les 800-1 000 °C actuels. Les SOFC trouvent leur utilité dans les applications stationnaires comme les applications domestiques. L’idée est qu’un jour une unité SOFC au fond de votre garage produira chaleur, eau chaude et électricité à hauteur de quelques kW. Les SOFC peuvent aussi rapidement participer à la production de chaleur et d’électricité par cogénération, et à la production centralisée d’électricité par couplage avec une turbine à gaz ou à vapeur. Dans le domaine automobile, les SOFC serviraient de groupe auxiliaire de puissance ou APU (Auxiliairy Power Unit) pour produire le courant nécessaire aux besoins croissants en électricité des voitures modernes pour la climatisation et le chauffage, mais sont envisagés également pour des véhicules de transport collectif ou les poids lourds. La technologie des SOFC étant moins avancée que pour les PEMFC, il existe moins de constructeurs impliqués. Toutefois un nombre incroyable de prototypes est décrit sur Internet et il vous suffit d’aller sur votre moteur de recherche favori pour trouver des acteurs économiques en Europe, aux États-Unis et au Japon. Si les chercheurs arrivaient à trouver une solution aux problèmes de 138

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7. UTILISER AU MIEUX L’ÉNERGIE

34 | Les SOFC fourniront électricité, eau chaude et chaleur dans l’habitat du futur.

vieillissement des PAC, la mise en vente de SOFC serait une question d’années selon Caroline. Je lui fais confiance, comme toujours… VERS UNE ÉNERGIE PROPRE ET DISPONIBLE ? Les gouvernements mondiaux ont une politique énergétique similaire basée sur trois objectifs : une énergie accessible, pour fournir à tous des services énergétiques modernes ; une énergie disponible, pour maintenir la continuité et la qualité des approvisionnements ; une énergie acceptable, qui prend en compte les aspects sociétaux et environnementaux. Dans le monde de l’énergie, les ressources et les demandes sont exprimées en « tonne équivalent pétrole », noté tep. Quelle que soit la source d’énergie, pour une quantité d’énergie produite, le calcul est fait à l’envers pour connaître la quantité de pétrole à fournir pour obtenir une quantité équivalente d’énergie. L’unité tep permet de globaliser et de comparer les sources d’énergie entre elles. Au début des années 2000, la consommation mondiale était de 10,1 milliards de tep, soit 10,1 Gtep. Dans le cadre d’un scénario « moyen » de l’Agence internationale pour l’énergie, les perspectives 139

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pour 2050 sont de 19,7 Gtep. La production en énergie fossile, pétrole, charbon et gaz, passe de 8 à 12,6 Gtep ; en énergie nucléaire de 0,7 à 3,2 Gtep ; en énergie renouvelable de 1,3 à 3,9 Gtep. Alors, quel futur énergétique pour notre monde ? La solution pourrait passer par un panachage énergétique qui en 2050 pourrait fournir de l’énergie aux 9 milliards d’habitants de notre planète. Un mélange adapté des sources d’énergie, avec moins d’énergies fossiles et plus d’énergies renouvelables, qui seraient à un coût raisonnablement accessible, avec des capacités de stockage adaptées. Le solaire thermique permet de satisfaire aux demandes de l’habitat ; la biomasse et sa conversion chimique permettent de produire de la chaleur et des carburants nouveaux. L’énergie éolienne, du fait de son intermittence de production, permet de répondre à des besoins localisés dans des productions limitées ; elle nécessite une énergie palliative en cas de manque de vent. Le nucléaire de 3e et 4e génération se préparent à une production d’énergie de masse par fission, sûre et maîtrisée, à l’horizon 2020-2040. Au-delà, la fusion et les enjeux du projet ITER à Cadarache devraient prendre le relais. N’oublions pas les transports et les technologies liées à l’hydrogène qui ont été détaillées plus haut. La capture et la séquestration du CO2 produit par des centrales thermiques fonctionnant au gaz ou au charbon est aussi un axe de recherche promu à un bel avenir en Europe et aux États-Unis. Dans tous ces projets, la chimie verte a une place prépondérante, et ça bouge…

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8 Produire des quantités minimales de déchets

Nous allons aborder un autre domaine lié à la chimie verte. Il faudrait un livre entier pour décrire les applications actuelles et futures dans le domaine des fluides supercritiques en relation avec la chimie verte. En plus de la chimie analytique et de la chromatographie supercritique, les activités qui émergent actuellement concernent les réactions en phase supercritique et la synthèse de matériaux. Au-delà des objectifs de pureté des produits formés, une attention à la quantité et à la forme des déchets produits est omniprésente. RÉACTIONS ET SYNTHÈSES CHIMIQUES EN PHASE SUPERCRITIQUE De nombreuses réactions, chimiques et biochimiques, ont déjà été envisagées en utilisant la phase supercritique comme milieu réactionnel. Les avantages d’un tel milieu sont en premier lieu un pouvoir de solvatation élevé, avec la possibilité de réaliser des réactions en phase homogène, même avec des réactifs non solubles dans les 141

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solvants classiques. Ensuite, la séparation entre les produits de la réaction et les réactifs n’ayant pas réagi est aisée : il suffit de faire chuter la pression. La forme des sous-produits permet donc de les récupérer sans difficulté, et de les recycler dans le cas des réactifs n’ayant pas réagi. Enfin, alors que la majorité des catalyseurs enzymatiques sont dénaturés classiquement dans les solvants organiques, ils sont compatibles avec un solvant supercritique tel que le CO2 SC en présence d’eau. Actuellement, de nombreux travaux sont réalisés de manière à utiliser les fluides supercritiques comme milieu de synthèse pour l’élaboration ou la mise en forme de matériaux. Différentes voies de recherche ont été étudiées, mettant en œuvre les propriétés physicochimiques particulières des fluides supercritiques, et certaines sont déjà au stade industriel. C’est le cas de la société DuPont et de son usine américaine de Fayetteville en Caroline du Nord. Joseph M. DeSimone et William R. Kenan Jr., professeurs de chimie et de génie des procédés à l’université de Caroline du Nord aux États-Unis, ont été les pionniers de l’utilisation de CO2 supercritique comme solvant pour la synthèse de fluoropolymères tels que le téflon. Le géant de la chimie DuPont a déjà investi dans une usine à Fayetteville pour produire des fluoropolymères, dont le polytétrafluoroéthylène, à l’aide du CO2 SC. Le CO2 remplace les solvants hydrofluorocarbonés et autres CFC qui sont des GES reconnus. Selon Jo DeSimone, les polymérisations de PVC (chlorure de polyvinyle) et de PAA (acide polyacrylique) sont réalisables de la même manière, avec un gain énergétique significatif comparé aux procédés en phase aqueuse. Cette usine a été saluée par la presse industrielle américaine et baptisée usine « zéro déchets » puisque les déchets et sous-produits de la polymérisation sont récupérés sous une forme qui les rend recyclables à 100 %. Une véritable usine de chimie verte… 142

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8. PRODUIRE DES QUANTITÉS MINIMALES DE DÉCHETS

L’EAU SUPERCRITIQUE ET LE TRAITEMENT ULTIME DES DÉCHETS ET DES EFFLUENTS ORGANIQUES Les déchets organiques sont composés de chaînes carbonées. L’élimination de la matière organique et la réduction du volume de divers types de déchets peuvent se faire par oxydation hydrothermale. C’est une réaction chimique réalisée en phase supercritique. L’idée est d’utiliser un fluide supercritique, ici de l’eau, en temps que solvant, non pour faire de l’extraction mais pour faire cette réaction chimique d’oxydation. La chaîne carbonée préalablement solubilisée dans l’eau va ainsi être transformée essentiellement en un déchet ultime, du CO2. Plus précisément, le fait de travailler en présence d’eau sous pression et en température conduit à qualifier cette réaction d’hydrothermale. L’application qui exploite réellement les propriétés exceptionnelles de l’eau supercritique et qui pousse les recherches vers un développement de ce solvant dans le milieu industriel est la destruction ultime des composés organiques. Les procédés d’oxydation dans l’eau supercritique se révèlent être une nouvelle alternative pour la destruction de déchets, notamment les déchets dangereux ou toxiques. Cette technologie innovante qui utilise l’eau au-delà de son point critique produit des effluents compatibles avec l’environnement. En effet, la nature finale du déchet est essentiellement composée de CO2 gazeux et H2O liquide. La mise en œuvre pratique du procédé consiste à comprimer indépendamment d’une part l’eau et les déchets organiques et d’autre part l’oxydant, de l’O2, de l’air enrichi ou de l’eau oxygénée, jusqu’à la pression désirée, supérieure à 221 bars, puis à les préchauffer à une température supérieure à 374 °C. Le développement de cette technologie est préférentiellement tourné vers les effluents contenant entre 1 et 20 % de composés organiques, c’est-à-dire des molécules CHON (formées de carbone, hydrogène, oxygène et azote). Dans cette gamme, L’oxydation hydrothermale présente un réel avantage économique sur les techniques concurrentes. La plus grande efficacité du procédé a orienté les 143

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applications vers des déchets toxiques dont la destruction complète par un procédé confiné et fiable est une condition obligatoire. Les composés organiques et les gaz, dont l’oxygène, sont complètement miscibles dans l’eau supercritique. Ainsi, les réactions d’oxydation, réalisées dans une phase homogène, s’opèrent très rapidement et entièrement. Des temps de traitements inférieurs à une minute sont généralement suffisants pour réduire les concentrations des composés organiques en dessous des seuils de détection analytique. L’efficacité du procédé en continu dépasse souvent les 99,9 %. Les effluents après traitement sont en phase liquide, composés essentiellement d’eau. Les effluents gazeux, composés essentiellement de CO2, ne contiennent ni NOx, ni gaz acides (SO2, HCl…), ni particules, et ils peuvent être directement relâchés dans l’atmosphère. Difficile de faire des déchets plus verts ! La réaction est alors amorcée par mélange des deux fluides préchauffés. Elle est réalisée dans un réacteur, en général en forme de tube et de longueur adaptée au temps de traitement nécessaire, lequel est souvent inférieur à une minute. La température augmente car la

35 | Schéma de principe de l’oxydation hydrothermale (eau supercritique).

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8. PRODUIRE DES QUANTITÉS MINIMALES DE DÉCHETS

réaction est exothermique (elle dégage de la chaleur) et une récupération de l’énergie est donc possible pour le préchauffage des fluides entrants. Le fluide sortant est ensuite refroidi et détendu. La phase gazeuse est séparée de la phase liquide dans un simple séparateur et les solides sont recueillis par décantation dans la phase liquide. La réaction d’oxydation est en général globalement exothermique et cela suffit à l’auto-entretien de la réaction. Les conditions maximales de fonctionnement courantes sont aujourd’hui de 300 bars et 400 °C en entrée de réacteur, pour atteindre 600 °C dans la partie la plus réactive et donc la plus exothermique. C’est au début des années 1980 que Mike Modell du Massachusetts Institute of Technology, le prestigieux MIT, démontra les potentialités de la destruction de déchets par oxydation hydrothermale. Les conditions opératoires décrites précédemment vont orienter les premières applications aux États-Unis pour la destruction des armes chimiques, des explosifs et des déchets nucléaires. Transformer en moins d’une minute une arme chimique en CO2 et H2O (avec du N2, et sans SOx, NOx, CO dans la phase gazeuse) est une application naturelle pour la chimie verte. Dès 1993 en France, mon ami Christophe Joussot-Dubien a développé ce procédé au CEA pour le traitement des solvants organiques contaminés. Depuis, des applications industrielles apparaissent dans le monde dans divers domaines (pétrochimie, agroalimentaire, microélectronique…) avec des installations qui permettent la destruction ultime de déchets et des capacités de traitement en continu de l’ordre de quelques m3/heure. Les applications concernent la destruction d’hydrocarbures, de papier et de cellulose. L’eau supercritique est utilisée au sens large pour le recyclage de déchets. Le procédé est utilisé pour le traitement des boues de stations d’épuration. Il peut décomposer du charbon ou des hydrocarbures lourds ; il peut aussi permettre de détruire les matières plastiques usées pour rendre possible leur recyclage. 145

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36 | Installation d’oxydation hydrothermale du CEA (crédit photo : CEA).

Cela concerne des applications de grands volumes opérées par des sociétés comme Kobe Steel au Japon. Les bouteilles en plastique sont souvent en polyéthylène térephtalate (PET). Ce polymère est composé de molécules d’acide téréphtalique et d’éthylène glycol. Les méthodes conventionnelles de destruction chimique des PET utilisent du méthanol en température pendant 13 heures ou bien un catalyseur de type zinc. C’est déjà bien de recycler les PET, et c’est encore mieux d’effectuer l’opération en présence d’eau supercritique. En moins de 30 minutes, le PET est transformé directement en acide téréphtalique et éthylène glycol, directement réutilisables sans additifs chimiques. Valoriser un déchet avec un procédé rapide qui est presque autosuffisant en énergie, sans utiliser d’additifs chimiques… On a là quasiment tous les principes de chimie verte en un seul exemple.

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9 Diminuer l’impact de nos activités sur l’environnement

Les applications précédentes sont vraiment significatives des tendances actuelles et des efforts faits en direction d’une nouvelle chimie. Quelles sont les voies privilégiées pour appliquer la chimie verte ? Nous allons voir ensemble que pour rendre la chimie acceptable, il est nécessaire de la rendre compatible avec l’environnement. Pour cela, il faut substituer des produits chimiques utilisés en masse par des composés alternatifs. Deux exemples parmi tant d’autres sont présentés ici : les réfrigérants verts et les mousses. Enfin, nous verrons qu’en miniaturisant les procédés, grâce notamment aux microréacteurs, nous minimiserons forcément l’impact sur l’environnement. ÇA CHAUFFE POUR LES PRODUITS RÉFRIGÉRANTS VERTS ! Cela peut paraître incroyable, mais les éléments les plus chauds pour l’atmosphère de votre maison se trouvent dans votre réfrigérateur et votre congélateur. Pas forcément à l’intérieur, mais plutôt dans l’environnement proche de votre machine frigorifique, où se trouve un réservoir contenant le fluide réfrigérant. 147

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En pratique, ce fluide réfrigérant en phase liquide absorbe la chaleur, l’énergie des aliments stockés dans les bacs du réfrigérateur et la passe en phase gazeuse. Le fluide est alors comprimé, il monte en température ; c’est pour cela que les insectes aiment bien se mettre au chaud derrière le « frigo ». À travers un condenseur, le fluide est enfin détendu, il chute brutalement en pression et libère du froid, des frigories, qui serviront à refroidir le soda au thé glacé que mon fils Hugo affectionne particulièrement, et qui permet à Caroline de stocker ses glaces, éléments régulateurs importants lorsque les discussions sur les PAC deviennent enflammées… Le réfrigérant, à nouveau en phase liquide, va donc pouvoir être recyclé et boucler le principe d’une machine frigorifique. Les systèmes de climatisation des maisons et des véhicules fonctionnent sur le même principe mais dans ce cas, c’est nous qui sommes dans la machine frigorifique ! Pendant des décennies, les CFC que nous avons déjà rencontrés ont été considérés comme les réfrigérants parfaits. Stables, ininflammables et inertes chimiquement, ils ont remplacé avantageusement l’ammoniac et le dioxyde de soufre dès 1930 dans les cuisines américaines, puis européennes. L’avantage qu’ont les CFC est un point de vaporisation (température à laquelle le composé passe de la phase liquide à la phase gazeuse) autour de 20 °C, c’est-à-dire la température moyenne de la cuisine. Il faut donc peu d’énergie pour le transformer en gaz dans la machine frigorifique. Il existe toutefois un écueil, et de taille. Les CFC qui s’échappent des réfrigérateurs en fin de vie libèrent du chlore qui attaque la couche d’ozone de l’atmosphère. Cette couche de O3 nous protège des radiations ultraviolettes émises par le Soleil et responsables de mélanomes, c’est-àdire de cancers de la peau. Les réfrigérateurs sont accusés en premier mais il arrive qu’ils fonctionnent 30 ans sans problème alors qu’une climatisation de véhicule est rechargée tous les trois ans, ce qui implique des fuites considérables dans l’atmosphère. Le problème étant sérieux, en 1987 le protocole de Montréal préconisa l’abandon 148

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9. DIMINUER L’IMPACT DE NOS ACTIVITÉS SUR L’ENVIRONNEMENT

progressif de la fabrication et l’utilisation des CFC avec une limite en 1995. La course aux réfrigérants de substitution était donc lancée. Les chimistes avaient pour cahier des charges de synthétiser des molécules avec une bonne efficacité énergétique. Les substituants des CFC : HCFC et HFC… un air de famille ! Selon les chimistes, il fallait d’abord enlever le chlore. L’idée de transformer les chlorofluorocarbones (CFC) en hydrofluorocarbones (HFC) s’est donc rapidement imposée. Les deux atomes d’hydrogène substituant les atomes de chlore sont inertes et ne présentent pas d’impact environnemental. Toutefois, pour garder les propriétés d’efficacité énergétique requises, un atome de chlore était nécessaire. Le compromis fut donc de proposer un HCFC, hydrochlorofluorocarbone, comme substituant des CFC. Le R22 fut le premier HCFC utilisé comme substitut des CFC. Après 20 ans d’utilisation, les chercheurs ont démontré que les HCFC continuent à s’attaquer à la couche d’ozone et ils s’interrogent sur le fait que les HFC (nom commercial R134a pour les véhicules et R410a pour l’habitat) participent à l’effet de serre… La recherche de réfrigérants verts porte d’abord sur la diminution des quantités de HFC et sur l’étanchéité des systèmes. Actuellement, des centaines de molécules sont en cours de test et de mise en œuvre. Elles contiennent du carbone, du fluor ou du soufre en concentrations très variables. L’enjeu est énorme d’un point de vue environnemental, mais des solutions existent. En Europe, le retour des alcanes, dont le propane et le butane, a longtemps été imaginé, mais les risques d’incendie associés ont stoppé cette fausse bonne idée. Contre le réchauffement climatique : et nous reparlons du CO2 supercritique… Les équipes du CEA de Grenoble ont proposé une application nouvelle pour le CO2 supercritique : réfrigérant vert dans les pompes à chaleur et les climatisations de véhicules. 149

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Les CFC avaient été limités par le protocole de Montréal et maintenant les HCFC et HFC sont dans le collimateur du protocole de Kyoto. Le CO2 avait été abandonné dans les années 1930 car il était difficile de le mettre en œuvre sous pression ; et de la pression, il en faut, puisque lorsque les HFC fonctionnement à une vingtaine de bars dans une pompe à chaleur, utiliser le CO2 nécessite de monter à 150 bars. Puisque vous êtes maintenant des spécialistes, vous avez deviné que le CO2 a de fortes chances de se trouver en phase supercritique. Il a donc fallu attendre plus de 70 ans pour que la technologie soit mature. Où est l’intérêt de passer au CO2 ? En termes d’impact sur la couche d’ozone et sur les émissions de GES, il est énorme. Un kilogramme de HFC comme le R134a utilisé dans les véhicules a un impact équivalent à 1 400 kilogrammes de CO2. Le CO2 est par ailleurs inerte vis-à-vis des matériaux et ses propriétés particulières en font un fluide intéressant pour le transfert de chaleur. Le seul problème, celui de la pression, a été résolu par mes

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9. DIMINUER L’IMPACT DE NOS ACTIVITÉS SUR L’ENVIRONNEMENT

collègues de Grenoble. En augmentant la pression du CO2 supercritique, la température augmente elle aussi et atteint 70 à 80 °C au lieu des 45 °C obtenus avec des réfrigérants classiques. Cette propriété permet de cibler des applications nécessitant des températures élevées comme la production d’eau chaude sanitaire ou des fonctions de séchage industriel. Pour cela, il a fallu modifier la conception des échangeurs thermiques des pompes à chaleur pour les rendre capables de fonctionner à pression relativement haute. Les premiers prototypes donnent sur deux ans des résultats remarquables, l’objectif étant d’atteindre des transferts d’énergie de 4 à 6 kW pour qu’un jour vous puissiez commander votre voiture avec l’option « climatisation supercritique ». UNE MOUSSE POUR AIDER L’ENVIRONNEMENT… Vous serez probablement surpris d’apprendre qu’une mousse est un édifice chimique complexe. Elle est formée d’environ 10 % de liquide et 90 % d’air. C’est une accumulation de bulles où le liquide constitue la phase continue et le gaz la phase dispersée. La phase gazeuse est généralement de l’air ; la phase liquide est essentiellement composée d’eau, de tensioactifs, de réactifs chimiques et d’adjuvants. La mousse de la bière, de la crème chantilly ou bien celle de votre bain est un édifice instable. Au bout d’un certain temps la mousse draine, c’est-à-dire qu’au contact de la paroi du récipient qui la contient elle va se retrouver uniquement en phase liquide. Par gravité, le liquide coule le long de la paroi et le liquide initial est retrouvé en fond du récipient. Si nous restons trop longtemps dans notre bain, au bout d’un certain temps la mousse disparaît… Dans l’industrie agroalimentaire, une histoire circule sur l’inventeur de la crème chantilly qui recouvre une crème au chocolat pour former un dessert qui ressemble à un chocolat liégeois et qui reste un succès inégalé dans cette industrie. L’ingénieur en charge de la partie mousse eut un travail incroyable. Pendant plusieurs mois, il travailla sur des formulations, testant des additifs, des gommes, des plastifiants, 151

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pour consolider la mousse, lui permettre de résister aux différents transports et arriver inaltérée sur la table des consommateurs. La petite histoire raconte qu’une fois la formule finale mise au point et juste avant le lancement du produit, il ramena chez lui quelques échantillons. Nous pouvons imaginer sa fierté de présenter à ses enfants les produits de haute technologie qu’il avait contribué à créer. Ses enfants, sans mot dire, prirent les desserts, enlevèrent la protection supérieure et leur premier réflexe fut de prendre la cuillère et de… mélanger la mousse avec le chocolat ! La détresse du papa est facile à imaginer, mais le produit est heureusement sorti et garde toujours ses adeptes. En effet, nous n’accepterions pas qu’un autre fasse ce geste final de mélanger mousse et chocolat. Les consommateurs que nous sommes sont parfois bizarres. Revenons à la mousse, qui a aussi beaucoup à faire pour la chimie verte dans d’autres domaines. Dans les années à venir, le démantèlement d’un grand nombre d’installations nucléaires va devoir être réalisé : réacteurs nucléaires, usines d’enrichissement du combustible, laboratoires de recherche, stations de traitement des déchets, containers de transport… La décontamination préalable des surfaces et des matériels est une opération indispensable car elle va permettre de réutiliser entièrement une installation pour d’autres applications, ou d’en déclasser tout au moins une partie en diminuant la dose de radioactivité émise. Un des objectifs principaux de l’industrie nucléaire est le déploiement d’une gestion à la fois crédible et économe des déchets. Le développement de procédés de décontamination performants assurant une efficacité maximale et une quantité réduite de déchets ultimes est par conséquent une nécessité. De nombreux procédés de décontamination font preuve d’efficacité. En revanche, tous ne sont pas au même niveau de maturité technicoéconomique. En effet, certains sont très consommateurs d’énergie, comme les procédés électrochimiques ou les procédés lasers, d’autres consomment des réactifs chimiques, comme les procédés de trempage. De plus, les quantités d’effluents générées demeurent souvent 152

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9. DIMINUER L’IMPACT DE NOS ACTIVITÉS SUR L’ENVIRONNEMENT

considérables compte tenu des géométries importantes concernées par la décontamination. C’est Frédéric Cuer, un ingénieur du CEA Marcoule, qui m’a formé à la création de mousse de décontamination. Les procédés de décontamination par mousse sont aujourd’hui une alternative séduisante, notamment parce qu’ils facilitent l’assainissement des géométries complexes et des grands volumes. Les avantages résident d’abord dans un coût global plus faible de l’opération. La fraction liquide volumique d’une mousse de décontamination n’excédant pas 10 %, la quantité totale de réactifs chimiques est considérablement diminuée par rapport aux procédés classiques. Enfin, par rapport à un traitement classique, le volume de fraction

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liquide résiduelle est dix fois plus faible. Il faut donc traiter dix fois moins d’effluent et cela facilite grandement l’opération finale. Utiliser moins d’eau, créer moins de déchets nucléaires, concentrer la contamination dans de petits volumes de liquides faciles à retraiter, voilà un enjeu de chimie verte à la portée des mousses. Une autre application des mousses se trouve dans la lutte contre les incendies. Lors des incendies de forêts, nous avons tous vu des images saisissantes de foyers immenses. La température locale lors de ces incendies peut atteindre plusieurs centaines de degrés Celsius. Le fait d’utiliser de l’eau, dont la température de vaporisation est à 100 °C, est inefficace puisque l’eau est vaporisée immédiatement avant d’atteindre le cœur du foyer. La parade consiste à ajouter des additifs à l’eau pour augmenter sa température de vaporisation, et depuis 1928 il est même possible d’utiliser des mousses. Ces mousses antiincendie pénètrent à travers les flammes, recouvrent le foyer, permettent l’évacuation de la chaleur tout en empêchant l’oxygène d’alimenter le foyer. Elles agissent comme si nous recouvrions le foyer avec une couverture ; le feu ainsi étouffé est maîtrisé. De la même manière, certains incendie ne peuvent pas être éteints avec de l’eau. C’est le cas des feux d’hydrocarbures. Dans les années 1960, l’US Navy a développé des mousses efficaces pour maîtriser les foyers d’incendie dans les réserves de carburants. Les feux dits « électriques », par exemple provenant de courts-circuits dans des salles d’ordinateurs, sont ainsi maîtrisés avec des mousses de halon, une famille de composés chimiques halogénés et bromés : halon 1211 (CF2BrCl), halon 1311 (CF3Br) et halon 2402 (C2F4Br2). Toutefois, le tribut à payer à l’environnement pour l’utilisation de ces produits est très lourd. Les millions de tonnes de mousses antiincendie répandues à la surface de la planète ont causé des pollutions sévères et persistantes, notamment avec la production d’acide fluorhydrique (HF), sous-produit de ces mousses fluorées. Les nappes phréatiques sont également contaminées par des produits fluorés et nécessitent des traitements lourds de dépollution. Enfin, le plus grave 154

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9. DIMINUER L’IMPACT DE NOS ACTIVITÉS SUR L’ENVIRONNEMENT

concerne les halons qui, comme les CFC, sont responsables de la destruction de la couche d’ozone. Selon la variété concernée, leur nocivité est supérieure à celle des CFC de trois fois pour le halon1211 jusqu’à dix fois pour le halon-1301. Selon des chercheurs australiens, le halon provoque actuellement 20 % de la destruction d’ozone à travers le monde. Un pourcentage qui tend à croître, dans la mesure où il y a de moins en moins de CFC dans l’environnement. En vertu du protocole de Montréal de 1992, les pays industrialisés devaient cesser la production de halon début 1994. Mais les pays en voie de développement conservaient le droit d’en fabriquer jusqu’en 2010. La Chine augmente sa production de halon-1211 de 200 tonnes par année au lieu de graduellement la réduire. Ce pays est actuellement responsable de 90 % de la production mondiale de ce gaz. Alors, pour garder l’efficacité de ces mousses anti-incendie, il faut trouver des alternatives acceptables. En 1998, la société américaine Pyrocool Technology a reçu le Prix résidentiel de chimie verte Green Chemistry Challenge mis en place

39 | Pompiers américains en action (crédit photo : Pyrocool technologies).

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par le président de l’époque Bill Clinton. Cette société a mis au point le Pyrocool FEF (Fire Extinguishing Foam – mousse anti-incendie), un produit chimique organique révolutionnaire, et entièrement biodégradable. Son utilisation dans la région de Los Alamos fut un succès retentissant pour les pompiers américains. Dans la foulée, la société Verde Environmental a proposé une mousse anti-incendie contenant partiellement des micro-organismes. La mousse est remplie avec des bactéries sous forme de spores, la forme qui les rend les plus résistantes possibles car elles sont protégées par des membranes cellulaires épaisses. Au contact de l’eau, les spores libèrent les bactéries qui commencent à proliférer. La mousse fait son office en étouffant le foyer d’incendie et en protégeant partiellement les bactéries. Après l’incendie, les bactéries survivantes métabolisent le combustible non entièrement consumé et contribuent à ne laisser aucun déchet dans l’environnement. DE PETITS COMPOSANTS POUR UN PETIT IMPACT : L’ÈRE DES MICRORÉACTEURS Concernant l’ingénierie verte, une évolution importante est en cours, suivant le concept « ce qui est petit est beau » : nous entrons dans l’ère des microréacteurs. Le constat est simple : un réacteur est un volume ; c’est la casserole, ou « gamelle » dans le jargon des ingénieurs, dans laquelle nous faisons les réactions. À l’intérieur de ce réacteur se trouvent des surfaces d’échange entre les éléments qui doivent réagir. Si nous imaginons de diminuer le volume du réacteur tout en obligeant les composés à se rencontrer, alors nous augmentons le ratio surface/volume, surface possible de contact dans un volume donné. Ce ratio pilote la compacité et aussi le rendement de fonctionnement des réacteurs ; bref, plus il est élevé et mieux cela fonctionne. La tentation est donc forte d’imaginer remplacer des réacteurs de grande taille par de tout petits réacteurs fonctionnant en parallèle. 156

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9. DIMINUER L’IMPACT DE NOS ACTIVITÉS SUR L’ENVIRONNEMENT

Les microréacteurs sont nés de cette idée et constituent une classe innovante d’équipements de synthèse et de production de composés chimiques. Le fonctionnement d’unités réactionnelles élémentaires associées en parallèle pour obtenir des unités de production de forte capacité intéresse les ingénieurs en génie des procédés. En effet, ce fonctionnement permet de répondre à de nombreux critères de la chimie verte, puisque cela permet de contrôler plus finement les conditions de réaction et donc d’épuiser au maximum les matières premières. En diminuant la taille des équipements, cela permet de diminuer les coûts mais aussi d’améliorer les conditions de sécurité, de limiter au plus bas les risques d’accident et les quantités de déchets produits. L’impacts sur l’environnement est bien minimisé dans ce cas. Enfin, sur de tout petits systèmes les économies d’énergie sont considérables, et ce n’est pas à négliger… Les microréacteurs sont donc des « microcasseroles » dans lesquelles les réactions chimiques se font mieux car les réactifs sont obligés de se rencontrer. Ils réagissent plus rapidement ; la chaleur, s’il faut chauffer, arrive plus facilement et se dissipe aussi très vite. Enfin, il est possible de reproduire et de mettre en parallèle ces réacteurs à l’infini. Les microréacteurs ont environ quinze ans d’âge et sont des outils de production à l’échelle d’une centaine de micromètres. À ces dimensions, il est possible de tirer la quintessence des propriétés des fluides et tout va beaucoup plus vite : les réactions chimiques, les transferts de matière, les échanges de chaleur. C’est la magie de la discipline appelée la microfluidique. Mais là aussi pourquoi ne pas l’avoir fait avant ? La réponse est simple ; nous sommes dans une discipline très pointue et, jusqu’à l’heure actuelle, les matériaux et les outils nécessaires pour fabriquer ces microréacteurs n’existaient pas. C’est maintenant possible. J’ai pu voir dans un laboratoire travaillant dans le domaine de la microélectronique une étudiante en thèse de génie des procédés devant un microscope. C’est inhabituel pour nous qui sommes habitués à 157

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travailler sur des machines de taille conséquente. Devant mon air intrigué, elle m’a laissé sa place en souriant et j’ai pu découvrir un réacteur de 100 μm de long dans lequel elle était en train de faire une extraction entre deux liquides, un solvant et de l’eau. C’est tout simplement révolutionnaire, et les enjeux industriels qui se cachent derrière sont énormes. Produire à partir de composés instables ou très coûteux est rentable dans un microréacteur ; descendre en taille au plus près de la réaction, c’est forcément mieux gérer la matière première, l’énergie et les déchets produits. Dupliquer les étages de microréacteurs, c’est moduler la production au plus près des besoins. À ma connaissance, tous les groupes industriels chimiques et pétrochimiques européens évaluent en ce moment les applications de ces microréacteurs. Les trois exemples précédents sont loin de décrire la totalité des actions menées à ce jour. Nous pourrions aussi parler des peintures et des vitrificateurs sans solvants, des progrès des biotechnologies à l’aide de la chimie verte… Un petit dernier pour la route ? Un apéritif célèbre, un vermouth au nom italien bien connu, a décidé de passer au vert. Cet apéritif est vendu dans le monde entier et les bouteilles sont transportées dans tous les pays. Le fabricant a décidé d’utiliser notre ami le CO2 supercritique pour extraire les arômes de cette boisson. Une usine à côté de Genève fabrique ces extraits, qui sont ensuite distribués dans le monde entier. Sur place, les extraits aromatiques sont dilués avec de l’eau et de l’éthanol et voilà l’apéritif, rouge, blanc et même rosé, prêt à la dégustation. Résultat ? Des économies énormes, puisque le volume et la masse à transporter deviennent excessivement faibles, tous les autres ingrédients, y compris la bouteille, pouvant être fabriqués sur place. Alors, de plus en plus souvent, lorsque vous ferez vos courses dans un supermarché, vous rencontrerez au gré des rayons – bière, vin, lait, café, apéritifs … – de plus en plus de produits obtenus à l’aide de la chimie verte. Bientôt, les engrais pour votre jardin ou votre balcon, les 158

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produits pour votre piscine, les matières plastiques de vos meubles de jardin… seront eux aussi dans cette démarche durable. Sans aucun doute, nous allons vers des produits et des procédés auxquels nous pouvons prédire un avenir… vert !

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10 Annoncer la nouvelle chimie du XXIe siècle

Les dizaines d’exemples que nous avons évoqués ensembles vous ont, je l’espère, convaincu que la chimie verte est déjà en route. Dans ce domaine foisonnent la recherche, l’innovation et les perspectives industrielles. Ce sont d’ailleurs les industriels qui sont maintenant les prescripteurs essentiels de la recherche dans ce domaine. Il faut croire qu’ils se retrouvent plus dans le concept de chimie verte que dans celui du développement durable, plus vaste et donc moins facile à appréhender pour le consommateur. Nous sommes devant une réalité en marche et ce qu’il faut noter, c’est que la diminution de l’impact des activités de l’industrie chimique sur notre environnement n’est plus un vœu pieux. Dans une multitude de domaines, des réactifs chimiques moins nocifs sont utilisés en remplacement de matières premières directement ou indirectement toxiques. Le choix judicieux des conditions opératoires conduit à des réactions chimiques plus performantes. L’utilisation de ressources renouvelables devient un réflexe. La biomasse en est un bon exemple puisque sa valorisation énergétique est 161

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un moyen efficace d’anticiper les limitations de demain. Les emballages alimentaires deviennent intelligents ; ils intègrent des produits recyclés, notamment des produits végétaux. Dans beaucoup de grandes surfaces les sacs plastique ne sont plus distribués. L’habitude de rentrer dans un grand magasin avec des sacs non jetables revient en force ; c’est déjà ce que faisait ma grand-mère quand elle partait au marché de la place Saint Roch à Mont-de-Marsan tous les samedis matin, quarante ans en arrière. Comme dans beaucoup d’applications pertinentes que nous avons rencontrées, le bon sens n’était pas très loin. De même, le recyclage pour la réutilisation des produits et des déchets devient un réflexe citoyen et industriel. LES FORCES MOTRICES EN ROUTE VERS LA CHIMIE VERTE Dans son ouvrage paru en 2002, L’Imposture verte, Pierre Kohler, journaliste scientifique et écrivain, essaye d’épingler la pensée « écologiquement correcte ». Un travail méticuleux de journaliste fournit des exemples de ce qu’il explique être une manipulation idéologique depuis une vingtaine d’années. Reprenant les exemples tragiques et médiatiques que nous avons rencontrés tout au long de ce livre, il propose une explication qui rend incontournable cette position que nous connaissons dans les pays occidentaux : le principe de précaution. Ce principe de précaution, lorsqu’il est étendu, peut être un frein à la curiosité. Pour exemple, en 1914, alors qu’il préparait l’expédition de son navire l’Endurance vers le Pôle Sud, l’explorateur britannique Ernest Shakelton avait inséré dans les journaux anglais une petite annonce vraiment extraordinaire pour recruter des compagnons d’aventures : « Hommes d’équipage recherchés pour une expédition dangereuse. Faible salaire, températures glaciales, longs mois de complète obscurité, retour incertain. Honneur et reconnaissance en cas de succès. »4 4. « Men wanted for hazardous journey. Small wages, bitter cold, long months of complete darkness, constant danger, safe return doubtful. Honor and recognition in case of success. »

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10. ANNONCER LA NOUVELLE CHIMIE DU XXIe SIÈCLE

Il reçut 5 000 réponses. La question qui nous vient à l’esprit est bien sûr : combien de réponses recevrait-il de nos jours ? Revenons au livre de Pierre Kohler. Selon lui, le principe de précaution, conclusion de la plupart des combats en faveur de l’environnement des vingt dernières années, est entaché d’une étrange connivence. Tous les acteurs autour de la chimie et de ses dérives – écologistes, scientifiques, industriels, hommes politiques et journalistes – ont un intérêt commun, idéologique ou purement mercantile, les incitant à promouvoir l’idéologie de l’écologiquement correct. C’est médiatique, anxiogène à souhait, cela mobilise de l’argent pour la recherche et cela justifie des positions politiques même extrême. Un des exemples frappants de ce livre est celui de Seveso. Cette catastrophe, que nous avons examinée en détail au chapitre 3, n’a causé aucun décès, et les intoxications de masse par la dioxine sont

40 | L’industrie chimique, au centre de notre vie et au cœur de nos angoisses environnementales.

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toujours, plus de 30 ans plus tard, à l’origine d’études et de recherches non abouties formellement. Toutefois, la médiatisation de la catastrophe de Seveso, sans que la véritable ampleur de l’accident ne soit connue, fut une première en Europe. On pourrait presque dire que c’est la mise en évidence des carences dans la gestion de la crise et de la communication qui l’accompagna qui fut à l’origine d’une prise de conscience collective, et non l’accident lui-même qui, 30 ans plus tard, est toujours sujet à débat. Soyons positifs, la prise de conscience est la première force motrice vers la chimie verte et elle fut dans ce cas génératrice de directives et de protocoles constructifs. Attention toutefois à ce que la prise de conscience ne se transforme pas en un principe de précaution préconisant de ne plus rien faire pour être sûr de ne pas mal faire. Des directives européennes… La directive européenne Seveso fait directement suite à la catastrophe de Seveso en 1976. Les États européens ont décidé de se doter d’une politique commune en matière de prévention des risques industriels majeurs. La directive Seveso de juin 1982 demande aux États et aux entreprises d’identifier les risques associés à certaines activités industrielles dangereuses et de prendre les mesures nécessaires pour y faire face. Après plusieurs modifications, la directive Seveso II a été mise en vigueur en février 1999 et aborde la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses. Dans un esprit qui rappelle les principes de la chimie verte, la directive Seveso II renforce le dispositif de prévention des accidents majeurs impliquant des substances dangereuses en introduisant des mesures complémentaires. Ces mesures décrivent les « bonnes pratiques » en matière de gestion des risques : introduction de dispositions sur l’utilisation des sols afin de réduire les conséquences des accidents majeurs, prise en compte des aspects organisationnels de la sécurité, amélioration du contenu du rapport de sécurité, renforcement de la participation et de la consultation du public. Les seuils de stockage de 164

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10. ANNONCER LA NOUVELLE CHIMIE DU XXIe SIÈCLE

certains produits ont été modifiés et le champ d’application étendu à certaines activités : fabrication et stockage d’explosifs, installations d’élimination de déchets dangereux, installations nucléaires présentant des risques d’origine chimique. La directive introduit également la nécessité d’examiner les conséquences d’un accident d’une installation sur les installations voisines pour éviter un « effet domino ». Désormais une coopération entre établissements proches est demandée afin qu’ils échangent un certain nombre d’informations, dont leurs rapports de sécurité et leurs plans d’urgence. Il est important de noter le droit à l’information pour les citoyens : « Les citoyens ont un droit à l’information sur les risques majeurs auxquels ils sont soumis dans certaines zones du territoire et sur les mesures de sauvegarde qui les concernent. » L’information préventive du public est considérée un facteur de prévention à part entière. En 2003, une ultime modification de la directive Seveso II a permis d’intégrer le retour d’expérience de différents accidents survenus au sein de l’Union européenne depuis quelques années : la pollution du Danube par des cyanures, en janvier 2000, à Baïa Mare en Roumanie ; l’explosion d’artifices, en mai 2000, à Enschede aux Pays-Bas ; l’explosion de l’usine AZF, en septembre 2001, à Toulouse. Des protocoles internationaux… Le premier protocole qui marqua les esprits fut le protocole de Montréal. Ce protocole, signé par 24 pays et par la Communauté économique européenne en septembre 1987, est un accord international visant à réduire de moitié les substances qui détruisent la couche d’ozone. Il impose aux pays développés la suppression progressive de l’utilisation de produits rencontrés dans les chapitres précédents et qu’il convient de remplacer : CFC, HBFC, halons et HCFC, dont l’élimination complète est prévue en 2030. Les pays en développement ont, en moyenne, un délai de grâce de 10 à 15 ans pour se conformer à ces objectifs ; nous l’avons vu, les halons, 165

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supprimés en 1994 dans les pays développés, seront produits jusqu’en 2010 en Chine. Chronologiquement le premier Sommet de la Terre a eu lieu en juin 1992 à Rio au Brésil. Le deuxième s’est tenu à New York, aux États-Unis, en octobre 1997 et le troisième à Johannesbourg, en Afrique du Sud, en 2002. Le sommet de Rio s’est tenu vingt ans après la conférence de Stockholm, la première consacrée aux questions d’environnement et à l’origine du questionnement qui a abouti à la définition du développement durable. La Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement fut adoptée à l’unanimité par 110 chefs d’État et de gouvernement, 4 500 délégués de 178 pays réunis par les Nations unies. Cette déclaration, composée de 27 principes, est assortie d’un « plan d’action pour le XXIe siècle », dont l’article 33 prévoit un processus intergouvernemental de suivi de la conférence. Deux conventions-cadres ont de plus été adoptées à Rio, l’une sur la biodiversité et l’autre sur le climat. Le plan d’action pour le XXIe siècle a été adopté par 49 pays qui se sont engagés à le mettre en œuvre sur leurs territoires sous forme d’un programme nommé Agenda 21. L’Agenda 21 est une prise en compte de 21 engagements en faveur du développement durable. Les entreprises privées ou publiques peuvent, et certaines se sont déjà engagées en ce sens, adopter l’Agenda 21, transposition en interne de ces recommandations internationales définies en 1992 à Rio. En décembre 1997 à Kyoto, à l’issue de la troisième Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, 38 pays industrialisés se sont engagés à réduire les émissions de six gaz à effet de serre : CO2, CH4, N2O, HFC, PFC (perflurocarbones) et SF6. Le protocole de Kyoto a été mis en place officiellement en 1998. Les pays industrialisés se sont engagés à réduire leurs émissions des six principaux GES de 5,2 % en moyenne entre 2008 et 2012 par rapport au niveau existant en 1990. Les pays en développement sont exemptés d’engagements chiffrés afin que leur développement ne soit pas remis en cause. 166

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Le protocole de Kyoto apporte une innovation notable qui fait suite à d’âpres négociations, et ouvre un crédit aux parties qui réduisent les émissions de GES dans d’autres pays. Pour entrer en vigueur, il doit être ratifié par plus de 55 pays totalisant plus de 55 % des émissions de gaz à effet de serre. L’Union européenne et de nombreux autres pays ont ratifié le protocole en 2002. La France s’est engagée à ne pas émettre en 2010 plus de gaz à effet de serre qu’elle n’en émettait en 1990, soit 144 millions de tonnes équivalent carbone. La Russie a ratifié l’accord fin 2004. Les États-Unis se sont retirés du protocole depuis 2001 du fait de la politique de l’administration Bush. Pour respecter le protocole de Kyoto, l’Union européenne met en place un programme d’actions et un système d’échange des droits d’émission des gaz à effet de serre. En février 2005, le protocole de Kyoto est entré officiellement en vigueur ; il est ratifié à ce jour par 156 pays. La mise en œuvre du protocole de Kyoto est une avancée importante car sans inversion de tendance les émissions mondiales en GES vont croître de 62 % d’ici 2030. Associée à cette mesure, la directive du « facteur 4 » est mise en œuvre au niveau mondial. Cette mesure engage les pays industrialisés à diminuer d’un facteur 4 leurs émissions de GES d’ici 2050. Entre composés à effet néfaste sur la couche d’ozone et GES, les bonnes résolutions à long terme sont bien exprimées. Nous l’avons vu précédemment, il est malheureusement prévisible que la majorité des engagements pris dans le protocole de Kyoto ne soit pas respectée. Directives et protocoles sont donc utiles pour la sécurité et le futur de l’environnement, mais cela ne suffit sûrement pas. Descendons d’un niveau et intéressons-nous aux États. Les actions nationales et européennes Aux États-Unis, l’Environnemental Protection Agency (EPA) a pour mission la protection de l’environnement. La protection de la santé humaine et de l’environnement est basée sur divers outils : la réglementation, les aides financières, la recherche sur les performances 167

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environnementales, l’appui des partenaires institutionnels, l’éducation, l’information du public. Nous avons vu que l’EPA, via le Pollution Prevention Act, a eu un rôle majeur dans l’émergence du concept de chimie verte. Le fait de financer des actions fédératives entre chercheurs et industriels autour d’une réflexion sur une alternative à la chimie traditionnelle a été une contribution majeure à la création de la chimie verte. Depuis les travaux de Anastas et de ses collègues, l’EPA continue à faire croître ce concept en accueillant le Green Chemistry Institute et en promouvant le célèbre prix industriel : le Presidential Green Chemistry Challenge Award. Parmi les programmes gérés par l’EPA, celui nommé Design for the Environment (DfE – conception pour l’environnement) est l’un des plus importants. Il permet à des secteurs industriels de comparer les performances et d’évaluer les risques pour la santé et l’environnement, ainsi que les coûts, de produits ou procédés existants avec leurs équivalents alternatifs. Les projets DfE permettent la promotion de solutions intégrées, propres, économiques et malignes dans les pratiques de tous les jours. L’EPA soutient également les principes de bases de la chimie verte « bienfaisante par conception » (benign by design) pour la conception, la production et l’utilisation de produits et procédés chimiques. L’EPA intègre aussi les aspects d’innovation et technico-économiques qui sont indispensables pour un développement pérenne de la chimie verte. De même, des actions pédagogiques sont effectuées en direction des universités dans les disciplines de la chimie et du génie des procédés. À titre de comparaison, une agence similaire existe en France : c’est l’ADEME. Sous la tutelle des ministères chargés de l’environnement, de l’industrie et de la recherche, l’ADEME participe à la mise en œuvre des politiques publiques dans les domaines de l’environnement, de l’énergie et du développement durable. L’ADEME conseille les entreprises et le grand public et soutient financièrement des actions dans cinq domaines : la gestion des déchets, la préservation 168

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des sols, l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, la qualité de l’air et la lutte contre le bruit. À la fin de l’année 2007, l’initiative gouvernementale du Grenelle de l’environnement a placé la France sur le devant de la scène internationale. Le prix Nobel de la paix a été décerné en 2007 au Giac, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, et à l’ex vice-président américain Al Gore, auteur du film Une vérité qui dérange. Ce dernier a déclaré que le Grenelle de l’environnement français avait « jeté les bases d’un consensus » sur l’environnement en France, et qu’il faudrait maintenant mettre en place un Grenelle mondial : « Si tu veux aller vite, va tout seul. Si tu veux aller loin, vasy en compagnie. Nous, nous devons aller vite… et loin : il nous faut un Grenelle mondial ». J’ai eu la chance de participer à une session du Grenelle de l’environnement délocalisée à Perpignan en octobre 2007. Chercheurs, industriels, associations, élus locaux, leaders d’opinion… ce fut un bel exercice de démocratie environnementale participative. Les incinérateurs croisèrent les déchets nucléaires ainsi que les OGM et les nanomatériaux. Je fus bafoué par certains car mon statut de scientifique signifiait que j’étais forcément à la solde du grand capital, mais je fus remercié par d’autres qui saluèrent ma volonté de développer la chimie verte. La première conclusion que j’en tire est que le Grenelle de l’environnement fut une occasion pour mes concitoyens de s’exprimer, de parler de leurs craintes, d’affronter leurs angoisses, et même si ce fut parfois dans le chaos, les propositions qui en sont sorties témoignent de l’énergie déployée. À nous maintenant de voir s’il est possible de faire vivre tout cela en France. Enfin, au niveau transnational, la procédure européenne REACH fait couler beaucoup d’encre. Adopté le 18 décembre 2006, le règlement européen REACH, pour Registration Evaluation and Autorisation of Chemicals (en français, enRegistrement, Évaluation et Autorisation des produits Chimiques), est entré en application le 1er juillet 2007. Les industriels de l'Union 169

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européenne devront pré-enregistrer auprès de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA), les 30 000 substances chimiques produites à plus de 1 tonne par an qu'ils produisent ou importent. Cette agence met à disposition des outils informatiques et des orientations, tandis que les États membres proposent un service d’assistance aux sociétés concernées. Les substances les plus dangereuses dites « extrêmement préoccupantes » seront sujettes à une procédure d’autorisation. Environ 1 500 à 2 000 substances chimiques sont susceptibles de passer par cette procédure d’autorisation. Une substance chimique est classée comme extrêmement préoccupante si elle peut provoquer un cancer, endommager le matériel génétique ou si elle est reprotoxique ; nous retrouvons ici la définition des CMR. Toute substance persistante, qui ne peut être décomposée par la nature et qui s’accumule dans l’organisme des êtres vivants, est également classée comme extrêmement préoccupante, même s’il n’existe pas de preuve de sa toxicité. Certaines substances sont exclues de l’obligation d’enregistrement, comme les polymères et les substances utilisées dans les activités de recherche et développement. Les substances soumises à d’autres législations spécifiques qui exigent des informations appropriées ou celles dont les risques et les propriétés sont suffisamment connus sont exemptées. La procédure REACH a le double objectif d’améliorer la protection de la santé humaine et de l’environnement tout en renforçant la compétitivité et l’esprit d’innovation de l’industrie chimique européenne. L’ancienne législation en matière de produits chimiques reposait sur la distinction artificielle entre les substances « existantes », à savoir les substances chimiques 41 | REACH : l’Europe de la chimie. mises sur le marché avant 1981, 170

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et les substances « nouvelles », mises sur le marché après cette date. Seules ces dernières devaient être notifiées et testées. D’après la Commission, ce système a eu pour effet de favoriser l’usage continu des substances existantes non testées, qui représentent 99 % de la quantité totale des substances sur le marché, et de freiner la recherche et l’innovation dans ce domaine. De plus, le système actuel est mal adapté à l’identification et à la gestion des risques présentés par de nombreux produits chimiques. C’est pour remédier à ces problèmes que l’Union européenne a souhaité moderniser la législation sur les produits chimiques en mettant en place ce système intégré unique d’enregistrement et d’autorisation des substances chimiques et en établissant une Agence européenne des produits chimiques… Les industriels concernés sont les producteurs et les importateurs de produits chimiques ainsi que représentants exclusifs des fabricants non établis dans l’Union européenne. L’industrie des produits chimiques de l’Union européenne est la troisième plus grande industrie manufacturière, avec 1,7 million d’emplois et plus de 3 millions d’emplois indirects. De plus, les entreprises européennes produisent 31 % des produits chimiques mondiaux contre 28 % pour les États-Unis. L’industrie chimique française est, quant à elle, le deuxième producteur européen et le cinquième producteur mondial. Ce qui est nouveau avec REACH, c’est que certaines obligations, et donc responsabilités, reposent également sur les utilisateurs finaux. Ce sont les entreprises établies dans l’Union européenne qui utilisent une substance, telle quelle ou contenue dans une préparation, comme ingrédient dans leurs produits ou de manière générale dans l’exercice de leur activité industrielle ou professionnelle. Ce sont généralement des PME, mais aussi d’autres industriels tels que les constructeurs automobiles qui utilisent des milliers de substances chimiques lors de la production de voitures. Au niveau économique, les utilisateurs finaux risquent de voir disparaître certaines matières premières et 171

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doivent répercuter le coût de l’enregistrement de leurs produits sur le prix de vente. Pas assez contraignante pour les organisations écologistes, lourdement handicapante pour les industriels de la chimie si elle n’est pas étendue à l’échelle planétaire, le débat reste ouvert autour de la procédure REACH. Les différents acteurs concernés ont effectué plus de 6 000 commentaires lors de la consultation Internet concernant REACH organisée par la Commission européenne. Ils ont contribué à l’impact de REACH avant et après la présentation de la proposition par la Commission en 2003. Les enjeux sont tels que cette révision de la politique des produits chimiques est considérée en Europe comme « l’un des champs de bataille politique les plus féroces dans l’histoire de l’élaboration des politiques de l’Union européenne ». Ainsi l’organisation écologiste Greenpeace soutient activement le projet REACH. Un de ses objectifs est de s’assurer que via REACH les substances chimiques qu’elle considère comme préoccupantes seront abandonnées et remplacées par des alternatives appropriées et plus sûres. Greenpeace fustige l’industrie chimique, qui aurait réussi à édulcorer les ambitions de REACH. Pourtant, la Confédération européenne des industries chimiques (CEFIC) s’est déclarée favorable à la nouvelle politique européenne en matière de substances chimiques. Elle soutient les objectifs de sécurité de REACH et apprécie l’objectif d’un cadre réglementaire plus efficace garantissant une meilleure gestion des risques liés aux produits chimiques. Une confiance accrue des consommateurs, des employés, des communautés locales et des investisseurs conduira certainement à un environnement économique plus positif. Néanmoins, selon la CEFIC, REACH va avoir un impact économique considérable sur l’industrie chimique et sur l’économie en général en Europe… La Commission européenne a estimé que l’enregistrement et les tests coûteraient environ 2,3 milliards d’euros sur 11 ans, dont une part de taxe dédiée à la création de la nouvelle Agence des substances chimiques. Selon Greenpeace, 2,3 milliards d’euros correspondent à 172

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environ 50 centimes par citoyen européen et par an – soit moins de la valeur d’une barre en chocolat. De toute façon, l’heure des protestations est passée puisque REACH est effectivement entré en vigueur au 1er juillet 2007. L’examen toxicologique de 30 000 substances présentes sur le marché européen se fera comme prévu d’ici 2018. En 2008, les industriels ont déclaré les molécules qui entrent dans le processus REACH à l’agence européenne dédiée qui est située à Helsinki. Selon les risques associés aux molécules présentées, les industriels ont de trois à onze ans pour présenter des dossiers intégrant des études toxicologiques fouillées. Et le gain pour les Européens dans cette action d’envergure ? Selon un rapport d’impact de la Commission européenne édité en 2003, REACH pourrait éviter plus de 4 000 morts par an. Une réduction de 0,1 % des maladies liées aux substances chimiques économiserait quelque 50 milliards d’euros sur les trente prochaines années. Les bénéfices induits par REACH sur la préservation de l’environnement ne sont pas, à ce jour, quantifiables. Pour les industriels, l’environnement a maintenant un coût du fait des normes et des réglementations. Cet élément est à prendre en compte pour dimensionner les usines du futur. C’est une des forces motrices de la chimie verte, à laquelle s’ajoute l’image que veulent s’attacher les grands groupes chimiques et les hommes politiques, puis les attentes des consommateurs en terme de produits à consommer mais aussi sur la manière de les fabriquer. LES LIMITATIONS DE LA CHIMIE VERTE La chimie verte ne présente pas a priori de freins rédhibitoires pour son développement. Les limitations qu’elle connaît ouvrent aujourd’hui des voies de recherche et d’amélioration. Bien sûr, au départ celles-ci sont liées aux coûts et aux volumes de production. Les aspects économiques sont toujours les premiers écueils. Lorsque j’ai eu à transférer des procédés utilisant les fluides supercritiques ou les membranes, les premières réflexions étaient toujours du style : « Il 173

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n’est pas mal votre procédé, mais c’est hors de prix. Mon vieux procédé est moins performant mais au moins il est amorti… » Ce genre de commentaire tend à disparaître car chercheurs et ingénieurs trouvent dans le domaine du génie des procédés des solutions toujours plus performantes. Par exemple, Il est difficile d’estimer précisément les coûts liés à la mise en œuvre et à l’exploitation d’une installation en CO2 supercritique car il existe de nombreux paramètres dépendant fortement des produits à traiter. Le coût d’investissement, qui reste le poste le plus élevé par rapport aux autres technologies d’extraction, suit la racine carrée de la capacité de l’installation exprimée en débit de CO2. Si la capacité de traitement de l’installation augmente d’un facteur dix, l’investissement correspondant sera, lui, multiplié par un facteur légèrement supérieur à trois. En revanche, l’amortissement du capital décroît fortement lorsque la capacité de l’installation augmente. Ceci favorise donc l’utilisation d’équipements de grande capacité opérant sur plusieurs produits en partageant le temps d’exploitation. En ce qui concerne les frais de fonctionnement, le principal poste est la main d’œuvre car dans la plupart des cas le conditionnement des produits à traiter ainsi que des produits finis nécessitent des opérations non automatisables. Les dépenses en énergie et CO2 sont variables. Pour les petites et moyennes installations, les coûts en énergie restent peu élevés. La consommation en CO2 est essentiellement due à la dépressurisation de l’extracteur à la fin d’un cycle. Chaque fois que la matière traitée est changée, c’est-à-dire à chaque fois que l’autoclave est ouvert, une petite quantité de CO2 est perdue. Elle ne dépasse pas annuellement la valeur de 5 %. Ceci indique que le CO2 est néanmoins recyclé à 95 %. Un autre poste à ne pas négliger est le nettoyage de l’installation après chaque utilisation, tout spécialement quand il s’agit de traiter plusieurs produits de l’industrie agroalimentaire ou pharmaceutique. Lorsque l’application touche des aspects sanitaires comme la décaféination du café ou la substitution du trichloroéthylène, des aspects 174

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de procédés comme les principes amérisants de la bière ou bien des ruptures technologiques comme le bouchon sans goût de bouchon, le CO2 s’impose. Il s’imposera d’autant mieux qu’il pourra permettre de valoriser un sous-produit comme la caféine. Si le procédé est considéré dans son intégralité, c’est-à-dire avec la prise en compte du coût de l’environnement, alors les limitations économiques seront atténuées. Si un procédé vert doit remplacer directement un procédé traditionnel, il a peu de chances d’être plus économique. Un travail de réflexion doit être fait en amont pour déceler les pistes de création de valeur : matières premières moins chères, valorisation de sousproduits, moins de traitement de déchets, économies d’énergie, surcoût possible du produit à la vente du fait de l’image chimie verte. Tous les projets réussis de transfert de technologie que j’ai accompagnés comportaient au moins un de ces facteurs. Ne nous y trompons pas, les efforts humains et financiers déployés en Europe, au Japon et aux États-Unis dans les domaines de la recherche sont énormes et ils indiquent clairement que le marché mondial à venir pour les produits ou procédés conçus dans une logique de chimie verte sont considérables. Les enjeux technicoéconomiques sont formidables, mais la chimie verte ne doit jamais s’éloigner de cette réalité car comment convaincre les pays émergents de produire avec des concepts de chimie verte si cela impacte fortement leur productivité ? C’est le défi majeur de la chimie verte : se mettre à la portée de tous et surtout des moins riches. Tout n’est pas encore vert et des productions de masse ne sont pas toujours envisageables. Malgré tout, l’Inde et la Chine sont en train de se positionner très fortement sur le marché des extraits végétaux obtenus par voie supercritique. C’est un signe encourageant pour la planète ; un peu moins pour les industriels européens à la traîne, dans le domaine des plantes aromatiques à parfum et médicinales notamment… L’autre limitation majeure concerne l’éducation. L’Europe est en retard par rapport aux initiatives américaines dans ce domaine, qui 175

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restent un exemple à suivre. Des initiatives commencent à poindre, comme la création de la chaire de chimie verte de l’École nationale supérieure de chimie de Montpellier. C’est plus que la reconnaissance de cette discipline qui est en jeu ; c’est une garantie de survie, et, je l’espère, de croissance, pour que la chimie verte ne soit pas un effet de mode. Si ce modeste ouvrage, dont le contenu n’engage évidemment que l’auteur, a pu inciter quelques jeunes lecteurs à se poser la question de devenir des chercheurs dans ce domaine, alors j’aurai gagné mon pari : celui de vous convaincre que le monde de la chimie verte est un nouveau monde enthousiasmant pour ceux qui se sentent prêts à relever des défis !

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CONCLUSION

Le professeur Gerhard Schneider a enseigné la chimie à l’université de Bochum en Allemagne de 1969 à 1997. Aujourd’hui à la retraite, ce spécialiste de la thermodynamique des fluides supercritiques avait coutume de terminer ses conférences dans les congrès scientifiques par la même phrase accompagnée d’un petit sourire espiègle : « Chemists have solutions ! » Ce jeu de mot facilement traduisible indique que les chimistes ont à la fois des solutions chimiques et des solutions à de nombreux problèmes… En terminant ce voyage autour de la chimie verte, nous nous rendons compte que nous avons rencontré beaucoup de solutions. La chimie moderne est née de la volonté de connaissance et de maîtrise de la matière et s’est transformée en chimie industrielle pour résoudre de nombreux problèmes dans des domaines essentiels. Ces domaines vitaux concernent en particulier l’énergie, la santé, la production d’eau potable et d’aliments, et sont d’une actualité brûlante puisque les projections démographiques pour 2050 sont d’environ 9 milliards d’habitants sur Terre. Cette augmentation de 177

CONCLUSION

50 % de la population nous donne l’impression que la planète rétrécit et qu’elle devient trop petite. En réalité, la Terre devient trop petite. Si tous ses habitants vivaient comme les Français en l’an 2000, c’est trois planètes qu’il nous faudrait, et donc probablement cinq seraient nécessaires en 2050. Pourquoi cette surenchère ? Parce que le mode de vie, dans nos sociétés modernes, a tiré parti de la chimie pour évoluer. Avec le recul, les solutions trouvées grâce à la chimie ont engendré des nouveaux problèmes qui, cent ans plus tard, donnent une vision plutôt anxiogène de la chimie industrielle. La chimie est en liberté surveillée et doit profondément se remettre en question pour trouver la place qu’elle mérite. Pourrions-nous nous passer de la chimie ? La réponse est un non franc et massif. Pour une raison simple d’ailleurs ; parce que la chimie est tout autour de nous et que nous sommes, nous aussi, des machines chimiques très sophistiquées. Le monde qui nous entoure est fait de chimie et l’histoire de l’Homme depuis 3 000 ans se confond avec celle de la chimie. La petite et la grande histoire de la chimie ont contribué à créer une typologie riche : les différentes disciplines de la chimie, qui ont participé à une connaissance approfondie

42 | Nombre de planètes nécessaires si tout le monde vivait comme un Français.

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CONCLUSION

de notre écosystème, de la Terre, et de nous-mêmes. En parallèle, elles conduisent à ce monde où « tout est chimie » dans lequel nous vivons, sans forcément nous en apercevoir ni même l’imaginer. Hervé This, chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), est aussi un merveilleux pédagogue. Inventeur de la « gastronomie moléculaire », il présente les sciences au public de manière ludique en se fondant sur l’analyse des gestes culinaires. La cuisine, c’est de la chimie, et ce n’est pas forcément rébarbatif. Il est possible d’apprendre beaucoup de chose sur les opérations unitaires du génie des procédés en se préparant une tasse de café : solubilisation, extraction, séparation et agitation au sein d’un réacteur chimique. S’occuper d’une piscine et ajuster un pH, préparer de la peinture, faire un plein d’essence dans un scooter ou une grosse berline, tout cela nous ramène à la connaissance de la chimie. Nous sommes dépendants, et cette dépendance (ou mal nécessaire pour certains) est remise en cause par des prises de consciences, parfois orientées ou manipulées, autour des dérives de la chimie. Heureusement, ces dérives sont de faible ampleur en regard des services rendus par ailleurs ; toutefois personne ne peut ignorer les intoxications mortelles, la pollution et les accidents graves que nous avons connus et qui sont largement médiatisés dans notre petit village planétaire. Une solution qui génère des problèmes n’est pas une solution à long terme. La première définition que nous pourrions donner à la chimie verte est basée sur le fait que c’est une vision de la chimie qui apporte des solutions aux problèmes de son temps sans générer de problèmes futurs. Cette idée coïncide exactement avec de celle du développement durable : produire et créer maintenant sans hypothéquer notre avenir. La chimie verte est née de ce concept, et cette chimie alternative a été définie clairement en 12 principes par Paul Anastas et ses collaborateurs dans les années 1990 aux États-Unis. 179

CONCLUSION

La chimie verte n’est pas une idéologie politique ni un alibi de chimistes en pleine crise existentielle. C’est une façon globale de repenser la chimie et les procédés chimiques. Les principes sur lesquels elle s’appuie sont clairs, simples et rigoureux. Ils sont basés sur le bon sens et ils indiquent que la première action est d’anticiper. Prévoir, c’est choisir une matière première sûre, peu chère et recyclée si possible. C’est aussi imaginer que nous pouvons substituer des produits réactionnels présentant des risques par des entrants inertes, ou choisir les voies réactionnelles les moins risquées et économes en énergie. Enfin, un procédé conduit inévitablement à une production de déchets. Anticiper leur toxicité et même leur nature, solide, liquide ou gazeuse, permet de limiter leur diffusion et leur impact dans notre écosystème. Cette vision de la chimie est inévitable. La chimie verte répond à nos besoins, nos inquiétudes, et cette philosophie scientifique qui flirte avec la politique la rend proche de notre quotidien. Ce qui nous permet de voir au-delà du simple rêve, c’est que la chimie verte est aussi une réalité scientifique. Des branches entières de recherche et développement sont menées dans des domaines divers, de l’énergie du futur aux véhicules de demain en passant par les habitations que nous occuperons. Ce qui rend la chimie verte pertinente et même crédible, c’est qu’elle représente une réalité industrielle. Des applications de taille industrielle significative existent depuis plusieurs années, produisent des composés évolués et fonctionnent avec succès à l’aide des fluides supercritiques, des membranes, de mousses intelligentes… Dans tous les cas, les produits et les procédés mis en jeu ont un impact le plus faible possible sur les opérateurs industriels, l’environnement et les consommateurs, c’est-à-dire nos enfants et nous-mêmes. Alors, quelles vont être les forces motrices pour que la chimie devienne de plus en plus verte ? D’abord il faut le vouloir, il faut avoir envie de changer les choses, de sortir de ce que nous croyons être inéluctable. La prise de conscience des citoyens du monde, relayés par 180

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CONCLUSION

leurs représentants politiques, a abouti à des actions concrètes comme le protocole de Montréal en 1987 et celui de Kyoto en 1998. Les objectifs sont clairs, il faut s’attaquer aux gaz qui dégradent la couche d’ozone et à ceux, parfois presque les mêmes, qui participent au phénomène de l’effet de serre et au réchauffement global. Les délais pour atteindre les objectifs sont précis puisque négociés et adaptés au niveau d’industrialisation des pays signataires. Enfin les limites à atteindre sont chiffrées de manière parfois réaliste, parfois volontariste. Pour rendre ces actions plus accessibles, les États ont décliné ces protocoles en directives ou actes concrets. Le Pollution Prevention Act est à la base aux États-Unis de la mise en place d’une structure qui pilote les avancées dans le domaine, l’Environmental Protection Agency. L’EPA a servi de fonts baptismaux à la chimie verte, et cette agence continue de promouvoir le concept. Des programmes de recherches entre des chercheurs et des industriels sont financés par l’EPA sur ce thème. Cette incitation financière adaptée à l’innovation est indispensable. Elle permet de produire de la connaissance directement accessible car malgré tout, il y a urgence. En Europe, la procédure REACH est en train de révolutionner l’approche de l’industrie chimique et de ses acteurs. Enregistrer, évaluer, autoriser ou non des produits chimiques est un pas majeur en faveur de la chimie verte. 30 000 substances sont concernées à terme, et leur enregistrement dans une base de données européenne permettra de les gérer convenablement en termes de santé publique. Les producteurs de produits chimiques, mais aussi les utilisateurs industriels finaux, sont concernés et donc responsables. Des craintes sont exprimées par les entreprises quant aux coûts afférant à l’enregistrement mais aussi aux conséquences de la disparition de matières premières jugées particulièrement dangereuses. Cela illustre bien sûr un frein du développement de la chimie verte, celui de l’argent. Il faut distinguer ce que nous croyons être coûteux parce que moderne de ce qui l’est vraiment. L’approche économique 181

CONCLUSION

des procédés est inséparable de son approche technique. Là aussi l’anticipation et l’élargissement du domaine à considérer sont favorables. En intégrant un produit ou un procédé dans son contexte global, depuis le coût et la disponibilité des matières premières jusqu’à son devenir en tant que futur déchet à valoriser, l’approche technicoéconomique peut souvent plaider en faveur de la chimie verte. Mais il reste là une dernière barrière, celle de la culture, de la connaissance. Il va donc falloir former, éduquer, accompagner, motiver les citoyens, mais aussi les chercheurs et les industriels, pour que ces idées s’imposent un jour naturellement dans tous les cercles. Les principes de la chimie verte sont suffisamment précis et ouverts pour permettre la création d’un champ des possibles infinis, pour imaginer des solutions sans générer de futurs problèmes. Avec qui allons-nous faire cela ? John F. Kennedy avait une formule magnifique : « Les problèmes du monde ne peuvent être résolus par des sceptiques ou des cyniques dont les horizons se limitent à des réalités évidentes. Nous avons besoins d’hommes capables d’imaginer ce qui n’a jamais existé. » Nous sommes donc tous concernés par cette aventure humaine et scientifique que nous propose la chimie verte. Devenons enfin prescripteurs de cette vision raisonnée et ambitieuse du futur, si proche de notre quotidien, et faisons de la chimie verte ce qu’elle mérite d’être, un double oxymore, une utopie réaliste…

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LEXIQUE DES TERMES DE CHIMIE PRATIQUE ET DES ABRÉVIATIONS

Acide Entité chimique (ion ou molécule) capable de perdre un proton H + pour donner une base. Exemple : l’acide chlorhydrique (HCl) est un acide fort car il peut spontanément libérer un H + en solution dans l’eau. ADEME Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, organisme public français. Atome Constituant élémentaire de la matière, l’atome est le fragment le plus petit qui permet de différencier un élément chimique d’un autre. Il est formé d’un noyau (noyau atomique) constitué de protons et de neutrons autour duquel circulent des électrons. Base Entité chimique (ion ou molécule) capable de gagner un proton H+ pour donner un acide. Exemple : la soude (NaOH) est une base forte 183

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car elle peut spontanément capter un H+ en solution pour former de l’eau (H2O). Biochimie Discipline scientifique qui étudie les réactions chimiques ayant lieu au sein des cellules dans les organismes vivants et en particulier dans les micro-organismes (virus, bactéries, levures et champignons). Catalyseur Espèce chimique qui permet d’augmenter la vitesse d’une réaction chimique, souvent de la rendre réellement possible, mais qui n’apparaît pas dans les produits de cette réaction. Il existe trois types de catalyses : la catalyse hétérogène, la catalyse homogène et la catalyse enzymatique. CEA Commissariat à l’énergie atomique français. CMR Substances chimiques cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. Corps pur Corps dont tout échantillon présente des valeurs de constantes bien définies et identiques à celles de l’ensemble (point de fusion, point d’ébullition, etc.). Distillation Procédé permettant de séparer la part volatile d’un produit de la part fixe en le chauffant dans un alambic. L’alcool étant plus volatil que l’eau, on le récupérera en premier et sa teneur se concentrera par ce biais. Électrode Élément conducteur captant ou libérant un courant électrique. Les appareils électriques destinés à l’électrolyse comportent généralement 184

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deux électrodes, une anode et une cathode, chacune reliée aux deux bornes de branchement de l’appareil. Électrolyse Réaction d’oxydoréduction forcée par un apport d’énergie sous forme de courant électrique. L’électrolyse de l’eau permet, après application d’un courant électrique continu, de produire de l’hydrogène et de l’oxygène gazeux : 2 H2O (liquide) → 2 H2 (gazeux) + O2 (gazeux) Électron Particule fondamentale, constituant universel de la matière puisqu’il est présent dans tous les atomes. D’une masse et d’un diamètre considérés comme négligeables, portant une charge électrique négative, l’électron n’a jamais été observé. Enzyme Catalyseur biologique en biochimie. Elle catalyse les réactions dans le monde du vivant. De nature essentiellement protéique, une enzyme agit à faible concentration et, comme tout catalyseur, se retrouve intacte en fin de réaction. FDA Food and Drug Administration. Organisme public américain d’agrément des produits alimentaires ou pharmaceutiques. Fondant Produit permettant d’abaisser la température de fusion d’un ou plusieurs éléments ou composés chimiques. La présence et la nature d’un fondant ont un impact notable sur le produit final obtenu et ses propriétés tant physiques que chimiques.

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GANIL Grand accélérateur national des ions lourds, instrument fondamental de recherche en physique des particules situé à Caen (Calvados). Hydrocarbure Composé organique contenant exclusivement des atomes de carbone (C) et d’hydrogène (H). La formule chimique correspondante est de type : CnHm, où n et m sont deux nombres entiers. En particulier, le pétrole est un mélange de plus de 200 hydrocarbures. INRA Institut national de la recherche agronomique. Ion Atome ou groupement d’atomes (molécule) portant une charge. On parle de cation dans le cas d’une charge positive et d’anion dans le cas d’une charge négative. Isomères Molécules ayant la même formule structurale brute (par exemple CxHyOz) mais des structures moléculaires développées différentes. Il existe différents types d’isomères : isomères de fonction, isomères de position, isomères stériques et isomères optiques. Les isomères optiques ont la propriété faire dévier le plan de polarisation de la lumière polarisée vers la droite ou vers la gauche (comme le D-Lactose ou le L-Lactose). Isotopes Atomes ayant le même numéro atomique Z, donc le même nombre de protons, mais un nombre différent de neutrons. Masse atomique Nombre exprimé en unité de masse atomique (uma) qui est en théorie très proche de la somme des protons et des neutrons présents dans le 186

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noyau d’un atome. En pratique, pour un isotope d’un élément chimique, il s’agir de la masse relative d’un atome de cet isotope rapportée à celle du carbone. La masse atomique du carbone est égale à 12 uma. Masse molaire Masse d’une mole d’un composé chimique exprimée en grammes par mole (g·mol–1 ou g/mol) en chimie et en Dalton en biologie ; les deux valeurs sont quasi identiques. Masse volumique (et densité) Pour une toute substance homogène, c’est le rapport de la masse m correspondant à un volume V de cette substance à des conditions de température et de pression données. La masse volumique, exprimée en kg/m3, est spécifique pour chaque fluide considéré. La densité d’un liquide est le rapport de la masse volumique de ce liquide à celle de l’eau dans les mêmes conditions. La densité est donc un nombre sans unité. la densité de l’eau est égale à 1. Mole Groupe d’atomes ou de molécules. Dans une mole, il y a 6,02252 1023 molécules ou atomes. La valeur arrondie communément utilisée pour caractériser N, le nombre d’Avogadro, est 6,023 1023. Molécule (ou édifice chimique) Association d’atomes donnant lieu à la création d’un composé stable. Naphta Coupe pétrolière extraite par distillation directe du pétrole. Trois sortes de naphta sont utilisées : • le naphta léger (80 °C < température finale de distillation < 100 °C) qui sert à fabriquer les carburants des véhicules ; • le naphta lourd (150 °C < température finale de distillation < 180 °C) qui sert à la fabrication de gaz, d’hydrogène… 187

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• le naphta total, qui est la somme des deux premiers. Il sert après craquage à la vapeur (vapocraqueur) à produire des matières premières pour fabriquer des matières plastiques et leurs dérivées. Neutron Particule fondamentale électriquement neutre qui, avec le proton, entre dans la composition du noyau atomique. Numéro atomique Noté Z, il est employé en chimie et en physique pour représenter le nombre de protons présent dans le noyau d’un atome. C’est la base du classement du tableau périodique des éléments. Osmose ou phénomène osmotique Phénomène chimique naturel entre deux solutions aqueuses de concentrations différentes et séparées. La différence de concentration est une force motrice qui va induire un transfert d’eau du compartiment le moins concentré vers celui le plus concentré afin de réduire l’écart de concentration. Oxydant Corps ou espèce chimique qui lors d’une réaction chimique appelée oxydation va recevoir un ou plusieurs électrons. Ces derniers ne pouvant exister à l’état libre, ils sont donnés par un corps appelé réducteur. En pratique, l’oxydation conduit à un gain en oxygène. Le fer métallique (Fe) en perdant des électrons et se combinant avec de l’oxygène (O2) devient un oxyde de fer (Fe2O3), la « rouille ». pH Paramètre permettant de définir si un milieu est acide ou basique. Si le pH est supérieur à 7, le milieu est basique ; s’il est inférieur à 7, le milieu est acide. Un pH égal à 7 représente un milieu neutre. 188

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Ppm, ppb et ppt Les Anglo-Saxons utilisent de manière courante des concentrations exprimée en ppm et en ppb. 1 ppm correspond à 1 partie par million. En pratique, en prenant une masse de 1 kg que nous divisons en 1 million de parties équivalentes, nous obtenons pour chaque partie une masse de 1 milligramme. 1 ppm est donc équivalent à une concentration de 1 mg/kg. Comme 1 litre d’eau pèse environ 1 kg à température et pression ambiante, 1 ppm est équivalent à 1 mg/l. 1 ppb correspond à 1 partie par billion. En anglais, le terme billion correspond à un milliard. Reprenant la démonstration précédente, 1 ppb est équivalent à 1 microgramme par kg (μg/kg), ce qui donne une concentration en phase aqueuse de 1μg/l. 1 ppt correspond à 1 partie par trillion. En anglais, le terme trillion correspond à mille milliards. Reprenant la démonstration précédente, 1 ppt est équivalent à 1 nanogramme par kg (ng/kg), ce qui donne une concentration en phase aqueuse de 1ng/l. Proton Particule fondamentale de charge électrique positive qui, avec le neutron, entre dans la composition du noyau atomique. Neutralisation Réaction chimique entre un acide et une base en solution et conduisant à un pH neutre. Exemple : la réaction entre NaOH et HCl conduit à produire un sel, NaCl, et H2O. Réaction d’oxydoréduction Réaction chimique caractérisée par un transfert d’électrons entre deux réactifs : un oxydant et un réducteur. Deux demi-réactions, une de réduction (perte d’électron) et une d’oxydation (gain d’électron) conduisent à la réaction d’oxydoréduction. 189

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Réducteur Corps ou espèce chimique qui, lors d’une réaction chimique appelée réduction, va perdre un ou plusieurs électrons. Ces derniers ne pouvant exister à l’état libre, ils sont captés par un corps appelé oxydant. En pratique, le couplage simultané de l’oxydation et de la réduction donne l’oxydoréduction. Tableau périodique des éléments Le tableau périodique des éléments (également appelé table de Mendeleïev, classification périodique des éléments, tableau de Mendeleïev, ou simplement tableau périodique) représente tous les éléments chimiques, ordonnés selon leur numéro atomique. Température de fusion (ou point de fusion) Température à laquelle, pour un corps donné (un métal en particulier), coexistent son état solide et son état liquide. Le point de fusion est une constante pour une substance chimique donnée, à conditions constantes de température et de pression. Tensioactif Composé qui modifie la tension superficielle entre deux surfaces. Les composés tensioactifs sont des molécules amphiphiles, c’est-à-dire qu’elles présentent deux parties de polarité différente, l’une lipophile (miscible dans l’huile) et apolaire, l’autre hydrophile (miscible dans l’eau) et polaire. Les détergents sont des tensioactifs utilisés pour enlever les salissures. Tension superficielle Énergie ou tension à la surface de séparation de deux milieux. C’est l’énergie qui explique la formation des bulles de savon. UFIP Union française des industries pétrolières. 190

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UIC Union des industries chimiques françaises. Valence Nombre de liaisons chimiques qu’un atome donné peut former avec d’autres atomes. Par exemple, une valence de 1 indique qu’un atome peut se lier une fois. Suivant sa valence, un atome est dit monovalent, divalent, trivalent…

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RÉFÉRENCES DES OUVRAGES CITÉS

Rachel Louise CARSON, Printemps silencieux (traduction, JeanFrançois Gravran), Plon, 1963. Michael CRICHTON, État d’urgence (traduction Patrick Berthon), Robert Laffont, 2006. Christophe JOUSSOT-DUBIEN & Catherine RABBE, Tout est chimie, Le Pommier, 2006. Pierre KOHLER, L’Imposture verte : Seveso, ozone, amiante, dioxine, pluies acides…, Albin Michel, 2002. Alain MAUREL, Dessalement de l’eau de mer et des eaux saumâtres et autres procédés non conventionnels d’approvisionnement en eau douce, Éditions TEC & Doc, Lavoisier, 2006. Jacques MONOD, Le hasard et la nécessité : Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Le Seuil, 1970.

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Composition : Facompo à Lisieux

Dernières parutions de la collection L’Hydrogène, énergie du futur ? Thierry Alleau Et si nous avions trouvé LA solution à nos problèmes d'énergie ? Une énergie bon marché, non polluante, aux ressources illimitées... ? C'est vers cet avenir fantastique que nous entraîne l'auteur, en prenant à bras-le-corps la complexe mais prometteuse question de l'hydrogène (du dihydrogène, en toute rigueur). • 2007 • 978-2-86883- 990-9 • 216 p. • 16 €

Comment reconstituer la Préhistoire ? Romain Pigeaud La Préhistoire n’est pas la science du passé, c’est la science de l’expérience du passé. La fouille, l’analyse et l’interprétation constituent les trois niveaux de recherche du préhistorien, qui bénéficie aujourd’hui des techniques et matériels modernes des autres disciplines scientifiques. Cet ouvrage décrit le quotidien du préhistorien, son travail, ses déceptions, ses doutes. Une belle rencontre entre les mondes d’hier, d’aujourd’hui, et de demain... Cet ouvrage a obtenu le “Prix de la Science se Livre 2008”. • 2007 • 978-2-86883-921-3 • 192 p. • 16 €

Comment construire une machine à explorer le temps ? Paul Davies Cet ouvrage explique les différents concepts physiques comme la théorie de la relativité, les trous noirs... qui statuent sur la faisabilité pour l'homme de se déplacer dans le temps. Un chapitre est consacré à la réalisation d'une machine à explorer le temps tandis qu'un autre aborde des questions plus existentielles. C'est un best-seller en Grande-Bretagne et aux États-Unis (plus de 50 000 exemplaires vendus). • 2007 • 978-2-86883-941-1 • 128 p. • 13 €

Vers la voiture sans pétrole ? François Roby Comment roulera notre voiture à l’avenir ? Ce livre présente les solutions scientifiques et techniques actuellement en développement pour permettre à nos automobiles de se déplacer sans ce précieux liquide... Cet ouvrage s'adresse aux passionnés de la question automobile comme à tous les citoyens désireux de se forger une opinion en toute indépendance. • 2006 • 2-86883-874-X • 280 p. • 16 €

Que sait-on du cancer ? Maryse Delehedde Le cancer fait peur. Chacun de nous sait qu'il a une chance non négligeable de développer cette maladie liée à l'âge, à certains modes de vie, à quelques prédispositions. En termes clairs, sans aucune impasse, cet ouvrage présente aujourd'hui la synthèse la plus aboutie sur cette maladie et nous indique les facteurs qui favorisent son apparition, avec l'espoir qu'elle soit un jour vaincue. • 2006 • 2-86883-834-0 • 208 p. • 16 €

Doit-on craindre la foudre ? Christian Bouquegneau Ce livre étudie la phénoménologie de la foudre. Il est le plus complet et le plus récent volume consacré à la foudre : son histoire, les dernières connaissances scientifiques à son sujet, et les moyens de s’en protéger et de la maîtriser. • 2006 • 2-86883-841-3 • 184 p. • 18 €

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