De l'épuration au Grand-Duché de Luxembourg après la seconde guerre mondiale [3 ed.]

De l'épuration au Grand-Duché de Luxembourg après la seconde guerre mondiale ======================================

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Polecaj historie

De l'épuration au Grand-Duché de Luxembourg après la seconde guerre mondiale [3 ed.]

Table of contents :
4 AVANT-PROPOS
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7 Comment avait-on pu en arriver là?

15 PRÉFACE A LA 3ème ÉDITION
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19 I. GROUPUSCULES FASCISTES ET NAZIS DE 1933 A 1940
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21 Aucun Impact Politique

29 II. LES NOUVEAUX MESSIEURS
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29 D'une cinquième colonne squelettique ...
34 ... à la naissance de la VDB (Volksdeutsche Bewegung)
40 Portraits de collaborateurs
47 --- Kratzenberg ou de la culture allemande à la "Großkultur" nazie
53 --- Le pouvoir des "Ortsgruppenleiter"
64 --- Un nazi convaincu
70 --- Terreur dans la rue
75 --- Les tortionnaires
80 --- Deux traîtres minables
87 --- La ménagère dénonciatrice
93 Mon village à l 'heure allemande
93 --- Les satrapes locaux
94 --- Prises d'otages et amendes
95 --- La chasse aux juifs
96 --- Scènes grotesques et tragiques

101 III. L'ÉPURATION SUR LE TERRAIN
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103 Le comportement des députés
103 --- La rentrée parlementaire de 1944
104 --- Les derniers jours du parlement libre (en 1940)
112 --- Les décès naturels ...
112 --- ... et ceux dûs à la guerre
115 --- Les déportations et transplantations
119 --- L'épuration des députés
125 --- L'affaire Theves
128 --- le silence des députés
132 Aloyse Meyer et la sidérurgie luxembourgeoise pendant la guerre
133 --- Des usines intactes
138 --- Violente campagne contre Aloyse Meyer
144 --- Dossier N. 4701
145 --- Production accrue de 1941 à 1943
154 --- Limiter les dégâts
160 --- Non-lieu sur toute la ligne
166 Autres formes d'épuration économique
166 --- 3000 Reichsmark pour un masque à gaz
167 --- Trafiquant du marché noir et espion pour le Reich
169 --- Les biens sous séquestre
171 L'attitude de diverses catégories socio-professionnelles
171 --- Les magistrats
173 --- Les avocats et autres juristes
175 --- Les artistes
180 --- Le clergé
182 --- Les gendarmes
184 L'épuration administrative
184 --- Plus de 20.000 dossiers
187 --- 8% de mentions pour attitude patriotique et 0,2% de sanctions disciplinaires graves

191 IV. LES BAVURES DE L'ÉPURATION
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193 Vivre et mourir en prison
205 Les suicides ...
206 ... et les autres décès
214 Excès et brutalités dans les prisons et camps
216 Le retour d'Allemagne des collaborateurs
220 Travaux de déminage par les détenus politiques
226 Les détentions de femmes
226 Le sort des enfants de détenus
226 Exécutions sommaires et «self»-justice

233 V. DE LA RÉPRESSION À LA CLÉMENCE
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235 L'apaisement au nom de la justice / vers l'amnistie

247 CONCLUSION
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249 Des collaborateurs honteux, mais rangés

253 ANNEXES
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255 I - Affiche dressée en conformité de l'article 9 du Code pénal: Dispositif du jugement rendu le 13 septembre 1945 par le tribunal spécial institué par arrêté g.d. du 30 avril 1945 dans la cause contre SINNER Norbert
257 II - Extraits d'un Procès-Verbal constatant l'exécution de la peine de mort contre Sinner Norbert, de Luxembourg
259 III - Les tortionnaires de Luxembourg (Traduction d'extraits de l'article paru sous ce titre dans la revue "Der Weg" en mai 1955 sous la plume de Félix Schwarzenberg)
263 IV - Textes Législatifs
263 A) Arrêté grand-ducal du 14 juillet 1943 modifiant les dispositions du Code Pénal concernant les crimes et délits contre la sûreté extérieure de l'État (Mémorial du 18 septembre 1944, p. 24)
269 B) Loi du 24 mars 1950 concernant la répression de certains faits punissables commis sous l'impulsion de sentiments patriotiques pendant l'occupation ou à l'époque de la libération (Mémorial du 31 mars 1950, p. 533)
272 C) Loi du 12 janvier 1955 portant amnistie de certains faits punissables et commutation de certaines peines en matière d'attentat contre la sûreté extérieure de l'État ou de concours à des mesures de dépossession prises par l'ennemi et instituant des mesures de clémence en matière d'épuration administrative. (Mémorial No 5 du 21 janvier 1955, page 161)

279 BIBLIOGRAPHIE
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Citation preview

Poul Cerf

De l'épuration au Grand-Duché de Luxenabour9 apres la seconde guerre ntondiale �

Editions Imprimerie St-Paul S. A. Luxembourg

PAUL CERF

DE L'ÉPURATION AU GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG APRÈS LA SECONDE GUERRE MONDIALE

1" édition : 2• édition: 3• édition :

avril 1980 juin 1980 juin 1981

PAUL CERF

De l'ép11rotio'D

ou Grond-D•1ehé de Luxe•nbour9 ....

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Io seeontfe 9•1er1•e .UO'Dff'Ïftfe

Troisième édition

1981

Imprimerie Saint-Paul, Société anonyme, Luxembourg

Du même auteur:

Longtemps j'aurai mémoire

Documents et témoignages sur les juifs du Grand-Duché de Luxembourg durant la seconde guerre mondiale (1974)

© 1981 by Imprimerie Saint-Paul S.A., Luxembourg

AVANT-PROPOS

COMMENT AVAIT-ON PU EN ARRIVER LA? Le 26 mars 1 965, les gendarmes de la brigade de Luxembourg Lucien

Hary, Michel Barnich et Charles Wahl furent chargés d'une mission particu­ lière: se rendre à la prison du Grund, réceptionner un détenu qui venait d'être libéré, l'accompagner au poste-frontière germano-luxembourgeois de Wasser­ billig et s'assurer qu'il franchisse la frontière en direction de l'Allemagne. À 1 5 . 1 5 heures, leur mission était terminée. L'homme en question avait traversé d'un pas ferme le pont-frontière de Wasserbillig et, sans jeter un regard en arrière, avait foulé en homme libre le sol allemand. Il s'agissait de Léon Bisenius, âgé de 55 ans, condamné le 29 juillet 1949 à la peine de mort par le Tribunal d'arrondissement de Luxembourg, chambre correctionnelle spéciale pour ses activités criminelles au service de la Gestapo pendant la période juillet 1 943 - septembre 1 9441 >. Bisenius avait été gracié le 12 décembre 1 949 et sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité. Il avait présenté des recours en grâce en 1 954, 1 959 et 1963 qui avaient été rejetés. L'activité de Bis.enius, odieux tortionnaire, agent du «Sicherheitsdienst» (SD), le service de sécurité allemand, à Clermont­ Ferrand (France) avait en effet entraîné de très nombreuses arrestations, déportations et morts en déportation. Au début de 1963, le cas des trois derniers Luxembourgeois détenus pour collaboration avec l'ennemi fut examiné par le Gouvernement en Conseil, qui en juillet 1963 décida l'élargissement de deux des trois détenus2> par voie de suspension de la peine après exécution des l/. de celle-ci. 11

Voir page 77.

2> Hubert Stempel, incarcéré le 1 4.7.1947, condamné le 27.10.1949 aux travaux forcés à

perpétuité; réduction de la peine à 20 ans de travaux forcés; mis en congé pénal le 20.8 . 1 963; employé à la Kredietbank, Luxembourg, actuellement retraité. Henri Rolgen, incarcéré le 5.8.1 945, condamné à mort le 31 .7.1951, gracié le 1 9.6.52, réduction de la peine à 25 ans de travaux forcés, mis en congé pénal le 16.5.1 964. Décédé en 1978 à Trèves (Allemagne). 7

Le gouvernement en conseil finit par se rallier à cet avis. La libération de Bisenius, dernier détenu politique, près de 21 années après la fin du régime nazi au Grand-Duché, mettait un point final à l'épuration, du moins sur le plan pénal. L'épuration tout court laisse au bout de 30 ans des cicatrices qui restent sensibles. De nombreux Luxembourgeois ont été mêlés aux problèmes de la collaboration et de l'épuration, les données statistiques sur les collaborateurs poursuivis après la guerre, quoique fragmentaires, sont significatives. Reportons-nous aux journées fiévreuses de la Libération en septembre 1944, exaltantes pour la majorité de la population, mais annonciatrices de journées sombres pour les collaborateurs, qui pendant quatre années avaient tenu le haut du pavé, pactisé avec l'ennemi et apporté leur aide à ceux qui voulaient ramener de force les Luxembourgeois obstinés qui n'en avaient cure, à la prétendue mère-patrie allemande du Grand Reich millénaire. Dès le lendemain de la Libération de Luxembourg, le lundi 1 1 septembre 1 944, les cellules de la prison de Luxembourg se remplissent de nouveaux «pens1onna1res». En l'absence du gouvernement en exil à Londres et qui ne fera sa rentrée que le 23 septembre, c'est le major Georges Schommer31, chef de la Mission pour les Affaires Civiles du Gouvernement grand-ducal, qui essaye de faire régner un semblant d'ordre dans le chaos général. «Aucune arrestation, décrète-t-il4>, ni aucune perquisition ne pourront être exécutées sans mandat dûment signé par le major Schommer ou le major Ensch3l, chargé des services de la Sûreté nationale et agissant au nom du commandement suprême interallié et du Gouvernement grand-ducal.» Schommer et Ensch ont fort à faire pour ne pas se laisser déborder. J) Georges, dit Menni Schommer, né le 25.3.1 897 à Luxembourg, avocat-avoué, ensuite

magistrat. Suit le gouvernement en exil à Londres et en devient le secrétaire général. Détaché en octobre 1943 en tant que major hors cadre auprès des états-majors alliés. Conseiller honoraire à la Cour Supérieure de Justice en juillet 1945, juge des enfants, auditeur militaire.

t 1 960.

Rudy Ensch, né le 4.7.1899 à Luxembourg-Grund. Ecole spéciale militaire française. Sous­ lieutenant à la Légion Etrangère en 1923. Participe à toutes les campagnes du 1 Régiment Etranger, mis en novembre 1943 à la disposition du gouvernement luxembourgeois, major hors cadre, chef de bataillon, fin de sa mission en septembre 1946. Affecté à un travail obscur au ministère des Affaires économiques. t 3 1 .7.1954. �

4l Ordonnance du

12 septembre 1944 concernant l'état de siège et donnant force obligatoire aux ordonnances du Commandant en chef des armées alliées.

8

AVIS

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la Grande·Duchetae !

ViYe le Luxembourr. libre et indépendant! Vivent le• Allié•! l.nx1•1111,..,url!



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G. SCHOMMER M.ijor. CMI Je: la Miwion pour IH ,\!fairu CMlc:t du C...ounrr1C"mC"RI CranJ·Duc,11.

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fingt, betet.

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,,!8aftarbfprad}e, !8aftarbl}e�en," fagt fdion 1640 ein Œlfiiffer. Œine ijrembfprad)e, bie - wie �ier3ufanbe ht �ammer, �ertDaltung, Sdjule unb @eric[jt - bie erfte Stelle beanfprud)t, 'oie uergif3t, baii fte ,Panbfangerin ift, 'oie fic[j bie See(en unterruerfen unb fie fremben .Brue Lambert Schaus ( 1 908-1976), juriste et homme politique luxembourgeois. Fut notamment:

ministre des Affaires économiques ( 1946-1948), ambassadeur du Grand-Duché de Luxem­ bourg en Belgique (1955-1958) et membre de la Commission Economique Européenne (19581967). Auteur de nombreuses publications à caractère juridique, historique, économique et littéraire.

1 7l Voir dans l'annexe IV A le texte de cet arrêté grand-ducal.

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- accomplir pour l'envahisseur certaines tâches, comme transport, travaux, surveillance; - aider les ennemis en leur facilitant l'entrée sur le territoire, la prise de villes, en ébranlant la fidélité des officiers, soldats ou autres citoyens envers k souverain et l'Etat; - livrer ou communiquer des plans, renseignements concernant l'Etat et sa sécurité. Ces faits sont punis des mêmes peines qu'ils soient commis contre le Luxembourg ou envers un Allié du Luxembourg. Ceci a notamment permis de juger devant des tribunaux luxembourgeois des agents de la «Gestapo» qui avaient commis leurs crimes en France et en Belgique. 2) l n t e l l i g e n c e a v e c l ' e n n e m i : - aider une puissance étrangère ou l'engager à commettre des hostilités ou à entreprendre la guerre contre le Grand-Duché; - participer à la transformation par l'ennemi d'institutions ou d'organisations légales ; - pratiquer ou avoir pratiqué une propagande ennemie; - servir la politique ou les dessins de l'ennemi ; - espionner sous différentes formes ; - receler ou aider des soldats ou espions ennemis. 3) D é n o n c i at i o n s : - dénoncer un fait réel ou imaginaire pour exposer une personne à la recherche, poursuite et rigueur de l'ennemi. Ces peines sont aggravées si du fait de cette dénonciation, cette personne a subi une privation de liberté, une maladie paraissant incurable, la perte totale d'un organe, l'incapacité permanente de travail ou la mort. Un article spécial prévoit, que si ces infractions sont commises dans un esprit de lucre, la rétribution reçue par le coupable sera confisquée et attribuée au Trésor. En outre une aggravation de la peine est prévue. Bien sûr, le texte prévoit également la confiscation des objets ayant servi à perpétrer les infractions et cette confiscation est de droit. «Quand on juge du point de vue formel cette oeuvre de révision, estime le juriste Lambert Schaus, on ne peut s'empêcher de constater qu'on se trouve, en partie du moins, en présence de textes qui ne sont pas suffisamment clairs : dans son ensemble l'oeuvre manque quelque peu de coordination.» Schaus donne toutefois à considérer qu'il ne faut pas oublier que cette révision s'est poursuivie dans des circonstances exceptionnelles et en présence d'une situation de fait toujours mouvante. 44

Pour ce qui est de la légalité des textes, parfois mise en cause à l'occasion des procès politiques, notamment en ce qui concerne la rétroactivité18l, Schaus est formel: «La légalité des arrêtés grand-ducaux modifiant et complétant les articles 1 13 à 123 ne saurait faire de doute. Durant l'occupation et pendant les premiers temps qui ont suivi la Libération, la procédure législative normale était impossible. Le Gouvernement luxembourgeois s'est donc vu placé devant l'obligation de procéder par voie d'arrêtés-lois, tant sur le fondement de l'état de nécessité consécutif à la guerre qu'en exécution des lois d'habilitation. D'ailleurs, dès que la procédure législative normale était de nouveau possible, la loi du 27 février 1 946 concernant l'abrogation des lois de compétence de 1 938 et 1 939 et l'octroi de nouveaux pouvoirs spéciaux au gouvernement, a ratifié, par son article 3, dernière phrase, les arrêtés-lois antérieurement pris.»

Techniquement, le Grand-Duché n'était pas équipé pour procéder à des exécutions capitales. Le Code pénal de 1879, dans son article 8, prévoyait la décapitation comme mode d'exécution. Mais seules 3 condamnations à mort avaient été prononcées entre 1 879 et 1 945, et les trois condamnés avaient été graciés. Une commission fut donc instituée, après la Libération, chargée de se renseigner auprès des gouvernements alliés sur les systèmes d'exécution pratiqués. Les Anglais firent des offres de services détaillées sur le système d'exécution par pendaison, tandis que les Français étaient prêts à fournir au Grand-Duché une guillotine avec le personnel qualifié. A lire le rapport de cette commission, on est en plein humour macabre: «Du point de vue purement technique la construction de cet appareil (pour la pendaison), constate le rapport, ne soulève pas de sérieuses difficultés. Cependant il y a plusieurs objections à formuler. Tout d'abord la dépense pour la construction de cet appareil est élevée. Une estimation superficielle fait envisager la somme de 200.000 francs au moins. Ensuite une inspection des prisons du Grund a démontré qu'il n'y a pas d'emplacement adéquat pour cet appareil d'exécution. Vu les grandes dimen­ sions, il est impossible de faire l'installation dans un local, il faudrait déjà tB) L'arrêté grand-ducal du 14 juillet 1943 fixait l'entrée en vigueur au 18 juillet 1943. Toutefois,

l'art. 123, 8 du Code pénal (Code Hammes), introduit par un arrêté grand-ducal du 14 décembre 1944 stipule que •les articles 1 12-123,7 modifiés et complétés par les arrêtés grand­ ducaux des 14.7.1943, 7.7.1944 et 6.1 1 .1944 concernant les crimes et délits contre la sûreté extérieure de l'Etat, rétroagissent au 10 mai 1940•. 45

construire la trappe dans le plancher qui sépare deux locaux superposés. Le montage de l'appareil d'exécution en plein air est déconseillé pour des raisons diverses. D'ailleurs l'appareil d'exécution monté dans l'enceinte des prisons devrait être démonté après chaque utilisation, ce qui entraînerait forcément des dépenses supplémentaires de montage, démontage et magasinage, sans parler même des frais et soins d'entretien et de conservation. Ici encore on peut redouter des perturbations parmi les détenus. La commission a jugé avec soin les avantages et inconvénients de cet appareil d'exécution; elle a décidé unanimement de ne pas le recommander. Dans ces conditions, la commission a réexaminé la possibilité d'une exécution par décapitation, en faisant appel à l'aide étrangère. Cette solution aurait présenté l'avantage de rendre inutile toute intervention du législateur. La commission s'est à cet effet adressée à l'autorité compétente française pour lui demander, si et à quelles conditions elle serait prête à mettre à la disposition de nos autorités l'installation et le personnel destinés à assurer l'exécution de la peine de mort dans la forme prévue par l'art. 8 du Code pénal. Le Gouvernement français a accepté en principe de mettre à la disposition de l'autorité luxembourgeoise les bois de justice et le personnel, mais n'a pas pu préciser le montant des frais que comporterait le déplacement de l'exécuteur ni le chiffre de ses gages ou émoluments. D'un autre côté il convient de relever qu'il est très difficile de déterminer à l'avance, même approximativement, la date d'une exécution capitale, alors surtout que l'arrêté de rejet du recours en grâce doit être suivi de l'exécution immédiate du condamné et que la date dudit arrêté de rejet n'est pas connue d'avance. Or, il paraît évident qu'on ne pourra recourir aux services de l'exécuteur français qu'en lui faisant connaître à l'avance la date pour le moins approximative de l'exécution. Aussi, la commission estime-t-elle qu'il n'y a pas lieu de faire appel à l'aide étrangère.» La commission décida de proposer la fusillade et ce fut en fin de compte le mode d'exécution qui fut adopté.

A cet effet, il fallut changer la législation existante. Par dérogation à ce principe général, un arrêté grand-ducal du 6 novembre 1 944 (art. 5) et la loi du 2 août 1 947 (art. 5) avaient introduit l'exécution de la peine de mort en matière de crimes de guerre et de crimes contre la sûreté extérieure de l'Etat. La loi du 2 avril 1 948 sanctionna cet état de choses en substituant à l'art 8 du Code pénal la fusillade à la décapitation pour l'exécution de la peine capitale.

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Kratzenberg ou de la culture allemande à la « Groftkultur» nazie Rien n'avait prédestiné Damian Kratzenberg, professeur de littérature allemande et de grec à entrer dans l'histoire pour être hissé au poste le plus élevé de l'organisation pro-allemande VDB, pour symboliser pendant quatre ans le ralliement glorieux pour les uns, la trahison la plus basse pour les autres, et pour quitter ignominieusement la scène, fusillé à l'aube du 1 1 octobre 1 946. Il était né le 5 novembre 1 878 à Clervaux, où son père, d'origine allemande, régisseur du château du comte de Berlement était venu s'établir en 1 860. Il prit la nationalité luxembourgeoise et épousa une Luxembourgeoise de vieille souche. Très jeune, Damian Kratzenberg montre d'excellentes aptitudes intellec­ tuelles. Sa voie est tracée : il sera professeur. Après de brillantes études aux universités de Lille et de Berlin, il obtient en 1 902 le diplôme d'Etat luxembourgeois de docteur en philosophie et philologie. Il passe en 1 904 ses examens pratiques pour l'enseignement du grec et de l'allemand dans les écoles secondaires et obtient en 1 906 sa nomination de professeur. Kratzenberg ne sera jamais un bon pédagogue. Ce rêveur solitaire sera tout au long de sa carrière un professeur chahuté par ses élèves. Il ne réussira pas davantage sur le plan sentimental. Il se marie en 1 907, aura quatre enfants, mais en 1 928 le divorce est prononcé aux torts de l'épouse; Kratzenberg aura la garde des enfants. Sur le plan politique, ses idées pencheraient plutôt vers la gauche. De 1 927 à 1 936, il est membre du parti libéral. Il a rompu ses attaches catholiques familiales et se consacre avec dévouement à la cause des centres d'éducation populaire, qui sont résolument orientés à gauche. Il en assume la présidence de 1932 à 1934. Il est également membre de l'ASSOSS, qui regroupe les étudiants et ex-étudiants libéraux et socialistes et qui pendant la période d'avant-guerre fut une véritable pépinière d'hommes politiques et d'intellectuels de gauche. Kratzenberg s'y est inscrit pour lutter contre ce qu'il qualifie lui-même «l'omniprésence du cléricalisme». Mais il est trop timoré pour se lancer dans la lutte politique active. Malheureux en amour, insatisfait sur le plan professionnel, il se réfugie dans l'étude de la littérature allemande. C'est tout naturellement qu'il figure parmi les premiers membres d'un cercle littéraire allemand, fondé le 7 mars 1 934 et qui, le 26 avril de la même année, prend le nom de société luxembourgeoise pour la littérature et l'art allemands, «Luxemburger Gesellschaft für deutsche Literatur und Kunst», en abrégé Gedelit. Un an après, il en est le président. Pour les Luxembourgeois, francophiles par penchant, il est de bon ton d'appartenir à «l' Alliance française», haut lieu de la culture française. Les 47

bourgeois fortunés, les dames qui tiennent salon et qui se piquent de littérature française, ceux qui vont au théâtre pour voir les tournées provinciales françaises, ceux qui lisent «Paris-Soir» et frémissent aux audaces de la mode littéraire et de la haute couture parisiennes, voilà les membres de «!'Alliance française». La Gedelit fait figure de parente pauvre, d'autant plus qu'elle veut propager la culture allemande, au moment même où les grands noms de la littérature et de la science allemandes prennent le chemin de l'exil. Kratzenberg semble imperméable à l'évolution politique en Allemagne. Tandis que les nazis font la chasse aux communistes et aux juifs, Kratzenberg rêve des «Nibelungen», de Faust, du Rhin romantique, de la Ruhr travail­ leuse . . . Avec habileté, les nazis manipulent la Gedelit, Kratzenberg n'y voit que du feu. Et tandis qu'il continue de rêver des grands classiques de la littérature allemande, de Dürer et de Wagner, des jeunes gens s'installent dans l'arrière-salle du siège social de la Gedelit, y lisent et commentent «Mein Kampf» et s'initient au maniement des armes. Einstein part en exil, les livres de Heine sont brûlés par les nazis, Thomas Mann est banni des bibliothèques allemandes, la «nuit de cristal» embrase le ciel d'Allemagne, la «Wehrmacht» annexe l'Autriche, envahit la Tchécoslova­ quie, attaque la Pologne. Et Kratzenberg continue de rêver . . . Bientôt le rêve devient réalité. Les Luxembourgeois vont enfin pouvoir bénéficier des «bienfaits» de la culture allemande. Lorsque le 6 août 1 940, le «Gauleiter» Simon interdit dans sa première ordonnance l'usage de la langue française, Kratzenberg jubile: « Luxembourg est terre allemande, et notre langue est indéniablement allemande; c'est la langue allemande dans laquelle le vigneron, le paysan, le bourgeois, l'ouvrier parlent, chantent et prient.» Mais on peut se demander si Kratzenberg est aussi naïf et rêveur qu'il a tenté de le faire croire à ses juges et à l'opinion publique. Seulement naïf, le professeur Kratzenberg, lorsqu'il adresse en 1 936 une lettre de remerciements à l'ambassadeur d'Allemagne, pour la «Goethe­ Medaille», qui lui a été attribuée le 29 septembre 1 936: «Permettez-moi de vous demander de transmettre mes remerciements les plus vifs à celui qui m'a décerné cette haute distinction. Veuillez assurer le Chancelier et «Führer» allemand de mon admiration et de mon amour sans limites et lui assurer qu'au­ delà des frontières du Reich le nombre de ceux qui voient en lui l'homme le plus noble, le meilleur Allemand et le plus sûr garant pour l'avenir de l'Europe, ne cesse d'augmenter. Heil Hitler! Vive l'Allemagne.» Seulement naïf, lorsqu'il déclare au cours de son procès : «Ce n'est qu'en 1942 que j'ai eu connaissance des activités à caractère politique de la LVJ , » ? 48

Damian Kratzenberg, pro­ fesseur de littérature alle­ mande, chef national du mouvement pour le ratta­ chement du Grand-Duché à l'Allemagne nazie, (Volksdeutsche Bewegung VDB).

49

Les faits sont là pour démentir cette affirmation. Tout d'abord, dans une lettre adressée le 1 5 juillet 1938 à Kratzenberg, un de ses amis, également membre de la Gedelit, le met en garde: «Samedi dernier, écrit-il, une jeune dame, membre de notre société, m'a demandé s'il est vrai que la société va entreprendre un voyage en Allemagne. Wang19> le lui aurait dit et lui aurait même fourni des détails sur ce voyage (réception avec fanfare à Coblence, séance théâtrale spéciale, etc.). D'autre part, Wang aurait dit qu'on aurait recommandé aux jeunes gens de se vêtir d'une chemise brune, d'un pantalon sombre et de mettre des bottes . . . » Et d'ajouter: «J'ai d'ailleurs remarqué que Wang est toujours entouré de quelques jeunes gens qui chuchotent dans l'un ou l'autre coin de notre local. » Kratzenberg n'aurait-il pas lu cette lettre qu'on a retrouvée dans les archives de la Gedelit? Ce qu'il n'ignore toutefois pas, ce sont les incessantes accusations publiques lancées à son encontre dans la presse de gauche, en particulier par le «Escher Tageblatt» . Les dangers de voir la propagande nazie véhiculée à travers des sociétés culturelles y était clairement mis en évidence. Les avertissements à Kratzenberg ne manquèrent pas. D'une manière plus précise, l'activité pernicieuse de la LVJ n'était pas ignorée non plus de l'opinion publique. ·

Ainsi, dans un article paru en avril 1938 dans le périodique «Die Neue Zeit», l'éditeur Emile Marx avait affirmé que certains élèves de l'enseignement secondaire se réunissaient tous les samedis au café Peffer sous le prétexte de relier des livres pour la Gedelit, mais qu'en vérité ils se livraient à des activités de propagande active pour les Jeunesses hitlériennes, que Kratzenberg était au courant de ces activités et qu'il les encourageait. Marx, n'ayant pu apporter la preuve de ces affirmations, fut condamné en novembre 1 938, au cours d'un procès en diffamation que Kratzenberg lui intenta, à 400 F d'amende, 100 F de dommages-intérêts et à la publication du jugement dans la «Neue Zeit». Mais prétendre en 1 946 qu'on ignorait en 1938 ce qui avait fait l'objet d'un procès de presse retentissant, n'a plus rien à voir avec de la naïveté . . . Placé à la tête de la VDB, Kratzenberg va proclamer inlassablement pen�ant quatre ans les louanges de la culture allemande accomodée à la sauce nazie. La terreur règne dans le pays, Kratzenberg en est le témoin direct. Il assiste aux réunions au cours desquelles ses collègues professeurs sont destitués pour attitude anti-allemande et envoyés à des travaux autoroutiers en Allemagne. Il 19> Wang, membre de la •Luxemburger Volksjugend•. 50

Pendant le procès Kratzenberg: altercation entre l'accusé et jean Fohrmann, député socialiste, qui fut déporté pendant la guerre.

est consulté pour les transplantations20l. Des parents d'emprisonnés lui adressent des pétitions pathétiques. Ainsi Marie Dondelinger, épouse du gendarme Dominique Dondelinger, arrêté pour faits de résistance et condamné à mort implore Kratzenberg, afin qu'il intercède en faveur de son mari. Kratzenberg reste de marbre : «Si nous n'exécutons pas de tels éléments, c'est eux qui nous tueront plus tard ! » Dondelinger a la tête tranchée à coups de hache dans la prison de Cologne­ Klingelputz le 12 février 1942 . Auparavant il avait été atrocement torturé. Ses bourreaux, dont le principal tortionnaire n'a jamais été inquiété, se virent attribuer une ration spéciale de cinq petits pains, de saucisson, de café et de cigarettes. 20l

Le régime des camps de transplantation était moins sévère que celui des camps de déportation. Les transplantés y vivaient avec leurs familles dans des conditions plus ou moins précaires. Ils étaient astreints à des travaux à l'extérieur du lieu de détention. Ils pouvaient entretenir des relations postales avec Luxembourg. 51

Kratzenberg continue à se prêter avec complaisance à toutes les manoeu­ vres de propagande des nazis et pousse l'outrecuidance jusqu'à rendre visite aux transplantés dans les camps de Silésie. Jamais il ne manifestera publique­ ment le moindre signe de désapprobation. En août 1 942, le «Gauleiter» décrète la conscription obligatoire dans l'armée allemande pour les jeunes Luxembourgeois. Les Luxembourgeois répondent à cette inqualifiable mesure par une grève générale, dont l'ampleur surprend les Allemands. Ceux-ci proclament la loi martiale et les tribunaux spéciaux prononcent les premières condamnations à mort suivies d'exécutions immédiates. Kratzenberg qui se trouvait à Linz en Autriche, où il déposait une gerbe sur la tombe des parents d'Hitler revient d'urgence à Luxembourg. Il est profondément bouleversé; cette fois-ci c'en est trop, il n'avait pas voulu cela. Au cours d'une réunion avec le «Gauleiter», il murmure sa désapprobation, emploie même les termes de «mesures terroristes» et s'apprête à soumettre une supplique au «Gauleiter» pour demander l'arrêt de la loi martiale. À ce moment-là, Kratzenberg aurait pu renverser la vapeur, reconnaître son erreur et démissionner avec éclat. Il n'en fit rien, bien au contraire. Sa nature veule et indécise reprit vite le dessus, il alla même jusqu'à apporter publiquement son approbation aux mesures odieuses du «Gauleiter». Dans une proclamation publiée dans l'ensemble de la presse le 9 septembre 1 942, il osa déclarer: « La majeure partie de la population luxembourgeoise condamne l'attitude de ces êtres nuisibles et criminels de droit commun (par ces mots Kratzenberg désignait les grévistes et patriotes qui venaient d'être exécutés). ,Gauleiter', vous avez pris des décisions dures, mais justes à l'égard de ces éléments abjects, malveillants et sans conscience . . . » Désormais, le point de non-retour était atteint pour le petit professeur de littérature allemande égaré parmi les tueurs nazis. Jusqu'au bout, il fait cause commune avec les nazis et les accompagna dans leur retraite! Il fut arrêté le 4 septembre 1 945 en Autriche. Ramené à Luxembourg, il y est jugé à partir du 1 7 juillet 1 946 au cours de quatre longues séances. Admirablement défendu par M• Georges Govers et M• Georges Reuter qui plaidaient une cause perdue d'avance, Kratzenberg reste l'être falot et timoré qu'il fut toute sa vie. Ses moyens de défense sont dérisoires, il bredouille lamentablement devant ses juges, comme il a autrefois bégayé devant ses élèves : «Je n'ai jamais été le grand manitou qui faisait la pluie et le beau temps. Je n'ai rien su des camps de concentration. Si j'ai commis des fautes, j'ai fait aussi d'innombrables bonnes actions. Je crois pouvoir me justifier devant ma patrie, Dieu et moi-même. » L a sentence est prononcée l e 1er août 1 946 : C'est l a mort. 52

Il est exécuté le 1 1 octobre 1946 au champ de tir de la caserne du St-Esprit à Luxembourg. Il refusa de se laisser bander les yeux et mourut courageusement.

Le pouvoir des .. Qrtsgruppenleiter» L'organisation de la VDB était calquée sur celle du parti national-socialiste allemand «Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei» - NSDAP. À la base étaient regroupés les blocs «Block» comprenant quelque 40-60 ménages. Un chef de bloc «Blockleiter» en assurait la direction. Sa mission consistait principalement à surveiller l'attitude politique de la population et à faire rapport à ses supérieurs. L'échelon suivant était celui des cellules «Zellen», dont le chef - le «Zellenleiter» - était responsable de 4-6 blocs. Venaient ensuite les regroupe­ ments sur base locale «Ûrtsgruppe», régionale «Kreis» et provinciale «Gau». Au Grand-Duché, il existait au moins une «Ürtsgruppe» par localité - les villes comme Luxembourg et Esch en avaient plusieurs - et quatre «Kreise», l'ensemble du territoire faisant partie du «Gau Moselland». Alors que les «Kreisleiter» étaient tous des Allemands, à l'exception d'un seul, la plupart des «Ürtsgruppenleiter» étaient Luxembourgeois. Leurs pouvoirs étaient très étendus et ils apparaissaient en public au cours des innombrables manifestations de propagande. Portant d'abord l'uniforme de la VDB - pantalon noir, chemise blanche et brassard à croix gammée - plus tard l'uniforme jaune-kaki nazi - d'où leur dénomination de «Gielemannercher», c'est-à-dire «bonhommes jaunes», nom qui est entré dans le vocabulaire luxembourgeois pour désigner les collabora­ teurs, ils symbolisaient aux yeux de leurs concitoyens le régime nazi abhorré. Trois d'entre eux payèrent de leur vie leur engagement total au service des nazis. Il s'agit de Norbert Sinner, «Ürtsgruppenleiter» de Hollerich, Antoine Thill, «Ürtsgruppenleiter» de Limpertsberg et Jean Koetz, «Ûrtsgruppenlei­ ter» d'Esch. ::-

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Norbert Sinner peut être considéré comme le type du petit potentat local, s'enivrant de son propre pouvoir, au point d'en abuser et de faire régner une véritable terreur dans les limites territoriales de ce quartier de Luxembourg, à très forte densité de population, composée en grande partie de cheminots et d'ouvriers. Entièrement acquis à la cause de l'oppresseur, il se livra à de véhémentes actions vexatoires contre la population, ne reculant pas devant les plus viles accusations pour provoquer la déportation en Allemagne de patriotes luxem53

Au cours d'innombrables réunions, défilés et manifestations, les cadres de la VDB en uniforme, proclamaient leur foi inébranlable envers leur «Führer, Adolf Hitler. 54

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Rejet du recours en grâce présentépar /'.cOrtsgruppenleiter» Sinner, condamné à mort le 13 septembre 1945. le lendemain du rejet de cette demande, le 9 novembre 1945, Sinner fut exécuté dans l'enceinte de la prison de Luxembourg.

bourgeois et de leurs familles. Dans son fanatisme, il alla même jusqu'à réclamer l'introduction du service militaire obligatoire dans la «Wehrmacht» pour tous les Luxembourgeois, avant même que les autorités d'occupation ne procèdent à cette mesure. Lorsque la guerre éclata, Norbert Sinner était à la tête d'un négoce prospère d'huiles minérales et charbons en gros. Il était âgé de 32 ans, marié, père d'une fillette, - une seconde fille allait naître pendant la guerre - et possédait une confortable fortune. Son revenu imposable s'élevait en janvier 1 939 à 690.000 F. Il possédait une maison d'habitation 42, rue de Cessange, avec garage et deux dépôts. En somme, il appartenait à la bourgeoisie aisée. A part une condamnation bénigne pour un banal accident de circulation, Sinner n'avait jamais eu maille à partir avec la justice luxembourgeoise. Il n'apparte­ nait à aucun parti politique; toutefois, au cours des derniers mois précédant la guerre, il se signala par des propos antisémites qu'il aimait proférer à tout bout de champ, sans pour autant participer activement aux groupuscules nazis et antisémites connus dans les années 1 933-1939. Sinner fut un des premiers adhérents de la VDB où il porte le matricule 30 et exerca ses fonctions d'«Ortsgruppenleiter» avec fanatisme. Il fut l'auteur d'innombrables rapports sur l'état d'esprit de la population, «Stimmungsbe­ richte», qui fourmillaient de dénonciations et d'accusations en tous genres. Un exemple entre cent: son boucher lui envoie une facture dont l'en-tête est encore rédigé en français. Promptement Sinner le dénonce aux Allemands pour francophilie, sentiments anti-allemands et refus d'accepter !'Ordre nouveau. Chargé de dresser des questionnaires sur le comportement politique de ses compatriotes, il se montre impitoyable pour les adversaires du régime. Ce qui pesa le plus lourdement contre lui, ce fut sa participation dans la désignation des familles que les Allemands déplacèrent dans des camps de travail et de transplantation « Umsiedlungslager», avec tout le cortège de malheurs et de misères que ces mesures comportèrent. Sinner qui s'était montré intraitable durant son «règne», fut pitoyable dans ses moyens de défense devant le tribunal: il n'avait été qu'un exécutant, tout lui avait été dicté d'en haut, il n'avait pris aucune initiative, il avait signé des rapports défavorables sans les avoir lus, etc . . . . Il fut condamné à mort par le Tribunal correctionnel le 1 3 septembre 1 945. Ses recours en cassation et en grâce ayant été rejetés, il fut fusillé le 9 novembre 1945 à 7 heures du matin dans l'enceinte de la prison de Luxembourg21l 21) Voir en annexe 1 l'annonce publique de cette exécution par voie d'affichage. 56

Antoine Thil/, agent d'assurances, .,Qrtsgruppenleiter» de Luxembourg-Limpertsberg (à droite sur la photo) surgit du néant politique pour devenir un adhérent fanatique du nazisme. Condamné à mort, il proclama une ultime fois sa foi dans la cause hitlérienne devant le peloton d'exécution. Antoine Thill, qui promptement germanisa son prénom en «Anton» après l'invasion allemande, surgit du néant politique, tout comme Sinner. Jamais jusqu'à ce jour, cet inspecteur d'assurances de 35 ans, à l'avenir prometteur, à la vie familiale heureuse, sans soucis matériels ne s'était mis en avant sur le plan politique. Catholique plutôt tiède, il avait terminé avec succès ses études secondaires et ne faisait partie d'aucun parti politique, d'aucune organisation syndicale. Mais dès août 1940, il adhéra à la VDB, où il reçut le matricule 1 876 - ce qui montre d'une part que Thill n'était pas loin de figurer parmi les membres fondateurs et d'autre part que six semaines après sa fondation, la VDB comptait déjà quelque 2 000 membres, qui eux tous étaient des volontaires - et déploya un zèle intempestif. Il va désormais mettre ses qualités d'organisateur au service de la cause nazie. Il rédige des rapports de dénonciations à tours de bras, bombarde ses concitoyens de missives de propagande, les oblige à participer à des réunions d'intoxication nazie, à verser leur obole aux multiples organisations du parti nazi. 57

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l>, tous finirent par se fréquenter plus ou moins par suite d'une affinité de pensée et de sentiments : isolés dans un monde étranger et hostile, il était naturel qu'ils serrent les coudes. L'un d'entre eux, Jean Flammang, était un garçon particulièrement intelligent. Après de brillantes études secondaires, il avait occupé un poste de volontaire à l' Arbed-Dudelange avant d'être incorporé au «Reichs-Arbeits­ dienst» (RAD - service national du travail allemand, obligatoire pour tous les jeunes avant leur service militaire). Flammang était un garçon sérieux, amateur de musique et joueur de tennis. Pour un jeune homme de son âge, ces années 1 940-42 n'étaient guère gaies, il ne s'occupait pas de politique et le dimanche il allait danser au Pôle-Nord à Luxembourg. Il semble que fin 1941 il ait eu une petite amie de Dudelange, c'était une amourette sans conséquence. À Palavas, Flammang retrouva Alex Jacquemin, un ami d'enfance et chez les deux amis mûrit le plan d'une désertion. Jacquemin devait être la cheville ouvrière de l'organisation. C'est lui qui établit des contacts avec des Luxembourgeois de l'extérieur: Louis Knaff, qui occupait un poste à la préfecture de Montpeller, Julien Cerf, 81

également occupé à la préfecture, Charles Reichling 31l, qui avait fui le Grand­ Duché avant la promulgation du service militaire obligatoire et qui vivait sous un faux nom au domicile de Cerf, Tony Theisen, qui avait quitté le GrandDuché dans les mêmes conditions. _

Ces hommes mirent Jacquemin en contact avec des résistants français, qui travaillaient à l'intendance de l'Air de Montpellier et qui sous prétexte de liquider des stocks de l'armée française, se livraient en vérité à des activités de résistance, les commandants Maurel et Merin et le lieutenant Poupenot de !'Armée de l'Air française. Jacquemin mit tout d'abord Flammang dans la confidence, plus tard, 14 autres soldats de son régiment. Tous décidèrent de s'évader par l'Espagne pour rejoindre les rangs alliés, non sans emporter divers renseignements militaires sur leur unité. Le plan prit peu à peu de la consistance, des faux papiers furent confectionnés et les résistants français et luxembourgeois préparèrent des vêtements civils, des lieux de refuge et organisèrent une filière. Finalement, il fut décidé que la désertion aurait lieu le 8 octobre 1 943. Ce jour qui devait être celui de leur liberté fut celui de leur arrestation. Sans qu'ils s'en doutent, un traître était parmi eux, un Luxembourgeois, un jeune homme de leur âge, que Jacquemin avait mis dans le coup et qui trahit odieusement ses camarades. Cet homme, Marcel Reuter, lorsqu'il s'assit le 24 mai 1 948, encadré de deux gendarmes, au box des accusés de la chambre spéciale du tribunal correctionnel de Luxembourg, présidé par M. Jules Salentiny, était un être chétif, ne payant pas de mine, l'air buté et sournois. Son père était douanier, occupant avant la guerre divers postes de douane le long de la frontière de la Moselle et de la Sûre. Reuter fréquente l'école primaire à Bollendorf, Machtum et Steinheim, suit pendant deux ans les cours de l'école primaire supérieure et arrive en 1 939 à Esch, où son père vient d'être déplacé. En mai 1 940, il est évacué en Saône-et- Loire et se retrouve à la fin de l'été 1940 à Esch, âgé de 1 8 ans, sans emploi et sans qualifications profession­ nelles particulières. Il habite avec ses parents au 33 de la rue Marie Muller­ Tesch. Il trouve un emploi à la caisse de maladie locale où il entre le 28 novembre 1 940. Un mois auparavant, le 16 octobre 1940, il était entré dans la VDB sous le matricule 9.663. Il fait partie de la SA dès le début de 1941 et le 1 5 novembre 1 94 1 , reçoit l'uniforme d'honneur («Ehrenkleid») de la SA. Il ne semble Jt) Charles Reichling, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Luxembourg,

ambassadeur du Grand-Duché de Luxembourg près le Saint-Siège, t 1980. Tony Theisen, médecin-dentiste, Esch-sur-Alzette, t 1968.

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. M. Urbany. Alors seulement? M. Als, Ministre de l'Epuration. Vous savez très bien que M. Meyer était en Allemagne. M. Hentgen. Nous ne voulons pas de préjugés, mais nous nous plaignons des lenteurs. Nous voulons toute la justice. M. Biever Nic. Il n'y a pas seulement ce cas-là. M. Als, Ministre de l'Epuration. J'ai cru devoir donner des détails, parce que ce cas a été exposé et évoqué plusieurs fois ici à la Chambre. Je vous prie, Messieurs, de ne pas insister intempestivement, la justice suit son cours. » L e 2 1 juin 1 945, le député communiste Useldinger revint à l a charge. Selon lui, si la production de l'A'."bed a diminué durant la guerre, ce n'était pas dû à la politique de résistance de ses dirigeants, mais plutôt au manque de matières premières, aux difficultés de transport, au déplacement de nombreux ouvriers et à la grève larvée de ceux-ci : «Je suis persuadé, déclare+il, que le directeur général de l'Arbed a rendu davantage de services à l'Allemagne que tous les collaborateurs réunis. » Parallèlement à l'action d u Parlement et à l'agitation au sein du monde syndical, la campagne contre Aloyse Meyer se déroula dans la presse. Au journal socialiste «Tageblatt», c'est Michel Rasquin, futur ministre de l'Econo­ mie et membre luxembourgeois de la Commission des Communautés Europé­ ennes de Bruxelles, qui mena le combat: «Tout bouge, tout s'ébranle, tout se transforme dans ce combat mondial où souffrent, où saignent des millions d'hommes et de femmes. Et l'on n'y règne pas impunément, même si l'on ne régnait que sur l'industrie. C'est le cas de Monsieur le directeur général de l'Arbed . . . Sa personne ne nous intéresse pas . . . C'est le procès d'un esprit que nous faisons . . . Nous instruisons le procès des chefs, de tous les chefs qui n'en étaient pas.» (Tageblatt, 19 avril 1 945) Ici aussi, le journal « Volksstimme» (communiste) se met en avant. Un de ses collaborateurs, le professeur Fritz Schneider, semble disposer de docu­ ments compromettants sur les activités d'Aloyse Meyer pendant l'occupation. Dans le numéro du 28 avril 1 945, il publie toute une correspondance sur les 59) Le ministre se trompe. En effet, ce n'est nullement à la suite d'une «initiative spontanée• de la part d'Ais que cette enquête fut entreprise le 5 ou le 7 mai, mais bien le 5 avril 1945, à la propre demande de Meyer. 142

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haute qualité. » Assez curieusement Chomé ajoute que «le surplus de bénéfice qui a été perdu (il y a donc eu du bénéfice [ !]) de ce fait, par l' Arbed, se chiffre à RM 65 par tonne, soit pour la période d'occupation 3,250 millions de RM ou 32,5 millions de F». Chomé fait également valoir que la production d'acier pour obus fut retardée par Aloyse Meyer jusqu'en avril 1 943 et freinée par après «d'une façon vraiment remarquable jusqu'à la fin de l'occupation». Seule l'usine de Belval produisait de l'acier pour obus, alors que les usines de Schifflange et de Dudelange auraient pu, sans difficulté aucune, être utilisées à telles fins, d'autant plus que l'usine de Schifflange avait avant la guerre fourni régulière­ ment cet acier à la Suisse. Pour les deux dernières années de l'occupation, estime Chomé, un tonnage supplémentaire de 1 60 000 tonnes aurait aisément pu être fourni. «Je ferai abstraction du bénéfice supplémentaire que cette fabrication aurait rapporté, ce supplément étant peu important», dit Chomé. Pour ce qui est de la production de l'acier en général, Chomé en estime la perte par suite des mesures de freinage à 125 000 tonnes, d'où diminution du bénéfice de 1 0,625 millions de RM ou 106,250 millions de F. Le manque à gagner aurait ainsi atteint au total 138,750 millions de F. Le bilan de l'Arbed se soldait sans bénéfices ni pertes pour l'exercice 1940; le bilan de 1941 se soldait par un bénéfice de 5,882 millions de RM, et un dividende de 20 RM par part sociale fut distribué aux actionnaires luxembour­ geois et allemands, seuls présents (les autres actionnaires reçurent ce dividende en 1946). Pour le bilan de 1 942, il n'y eut ni bénéfice, ni perte, pour celui de 1943, il y eut une perte de 664 000 RM, reportée à nouveau; le bilan de clôture au 1 7 octobre 1 944, simple document comptable, permit d'établir le bilan d'ouverture au 1 8 octobre. Ce dernier, dressé en exécution des prescriptions ministérielles, ramenait le capital de la société au montant d'avant-guerre, c'estF 1 250 000 000 à-dire à F 612 760 664 Il se soldait par une perte de F 2 1 1 3 463 1 73 et faisait apparaître une plus-value de réévaluation de le bilan au 3 1 décembre 1 944 accusait, pour tout l'exercice, y compris le report de 1 943, une perte de F 71 0 1 49 1 46 enfin, le bilan au 3 1 décembre 1945 ne put être définitivement dressé qu'à la fin de l'année suivante et ne fut présenté qu'à l'Assemblée Générale du 25 avril 1 947, avec celui de l'exercice 1946. Il faisait apparaître une perte de F 1 22.245. 1 56 Ce fut le dernier bilan en déficit de l'immédiate après-guerre. C'est donc, déduction faite du bénéfice de 1941 au cours de 1 mark 5 F 800 000 000 francs - une perte totale de l'ordre de que la période de guerre et ses suites directes entraînaient pour l' Arbed. -

=

1 55

Dans cette perte, les dommages de guerre, presqu'exclusivement dus aux importantes destructions par bombardements aériens de l'usine de Burbach intervenaient pour F 268 000 000 Quant à la charge supportée pour salaires et traitements improductifs en 1940 et depuis la Libération, elle s'était élevée, en chiffre rond, à F 3 1 5 000 000 Ces éléments chiffrés, fournis par l'Arbed, sont à prendre en considération avec une prudente réserve. Voici donc la première entreprise sidérurgique luxembourgeoise, une des plus grandes d'Europe, qui intensifie sa production pendant les 3 années de guerre 194 1 , 1 942 et 1943, qui réalise des bénéfices raisonnables en 194 1 , clôture l'année 1942 sans bénéfice ni perte et n'accuse des pertes qu'en 1 943, pertes surtout dues aux dommages causés par les bombardements alliés de son usine de Burbach, en Sarre. Comment les Allemands jugeaient-ils celui qui tout au long de ces quatre années mouvementées présida aux destinées de l' Arbed? D'une part, ils comblaient Aloyse Meyer de louanges. A l'occasion de son 60• anniversaire en octobre 1943, de grandioses cérémonies furent organisées en son honneur. La ville de Luxembourg lui offrit un tableau d'une valeur de 700 RM, le ministre Dr. Ley, dirigeant du Front du Travail (DAF) lui fit remettre un diplôme de jubilaire, des télégrammes affluèrent de toutes parts, dont celui du « Gauleiter» Simon: «À l'occasion de votre 60• anniversaire, je vous transmets mes cordiales félicitations. J'y associe le souhait qu'il vous soit encore longtemps donné de pouvoir mettre à la disposition de l'Arbed vos connaissances profondes et vos expériences étendues et d'en pouvoir faire profiter en tant que président de la Chambre économique l'ensemble de la population luxembourgeoise dans le cadre du Grand Reich. J'ai conscience des services précieux que vous avez rendus pour l'insertion de Luxembourg dans l'entité économique du Reich. J'éprouve le besoin de vous en remercier de tout coeur. En même temps, je vous souhaite une bonne santé et toute votre force de travail. Heil Hitler! Gustav Simon». D'autre part, les Allemands se méfiaient d'Aloyse Meyer. On sait à quel point Rochling, grand patron de la sidérurgie de guerre allemande, n'aimait guère Meyer. Et ce même «Gauleiter» Simon, auteur du télégramme de félicitations, dans un rapport confidentiel adressé à ses supérieurs à Berlin, notait, à propos de la grève d'août 1942 : «Je ne trahis pas un secret, en constatant qu'au cours des deux dernières années le personnel dirigeant de l'Arbed a constitué le centre de rassemblement des ennemis politiques.» Par ailleurs, le «Gauleiter» refusa d'accepter la démission que lui présente Aloyse Meyer, profondément bouleversé par les suites tragiques de la grève de 1 942. 1 56

La ligne de défense prise par Aloyse Meyer est simple : s'il est resté en place, c'est sur l'insistance de ses amis et collaborateurs, c'est pour éviter le pire qu'il a assumé ses lourdes responsabilités. «Si, pour le chef que j'ai été et que je suis, c'était faire preuve d'incivisme, écrit-il dans un mémoire justificatif adressé en date du 15 mai 1945 au procureur d'Etat, que de ne pas avoir déserté mon poste en période de détresse, pour veiller sur ceux dont j'avais charge d'âme, de ne pas avoir jeté le manche après la cognée, malgré des déboires et des tracas incessants, d'avoir persévéré en un mot, dans l'attitude que j'avais adoptée dès le début, j'accepte volontiers ce dur reproche.» Meyer décrit ainsi la trame de la politique qu'il suivit avec constance pendant la guerre : «faire bonne mine à mauvais jeu; me soumettre aux exigences de l'occupant que je ne pouvais pas éluder; contrecarrer ses desseins toutes les fois que la possibilité m'en était donnée; maintenir en toutes circonstances le bon renom de l'Arbed; parer les coups qui lui seraient portés ou encore en limiter les dégâts et surtout user de mon influence et de mes moyens personnels pour soulager les infortunes qui foisonnaient autour de moi. Cela n'alla pas sans une déférence apparente envers les agents de l'ennemi. Celui-ci, de son côté, joua un double jeu. Me couvrant de fleurs, à l'occasion, me prodiguant certaines flatteries (lettre du ,Gauleiter' à l'occasion du 60' anniversaire de ma naissance 13.10.1943 ; offre d'un tableau à l'huile par le ,Oberbürgermeister' de Luxembourg et autres manifestations de moindre importance), le ,Gauleiter' essayait perfidement de me compromettre aux yeux du. public luxembourgeois, en me représentant comme l'instrument plus ou moins docile de son action néfaste. Je ne pouvais pas répudier publiquement ces coups d'encensoir. Nul homme sérieux qui a vécu sous la terreur n'y prêtera la moindre attention.» Et plus loin, Meyer cite les plus hauts témoignages de personnalités qui auraient connu pendant la guerre son attitude et l'auraient approuvée: «J'ai toujours eu l'impression très nette que mon attitude, au cours de la guerre, connue des représentants qualifiés de la sidérurgie française et britannique, a reçu leur plein assentiment. Tous ceux qui, à l'étranger, notamment, m'ont connu et fréquenté et qui connaissaient mes faits et gestes, les ont toujours approuvés sans réserve chaque fois que mes affaires m'appelaient à Paris ou à Bruxelles ; mes confrères les plus en vue, notamment MM. Théodore Laurent, de Wendel, Schneider, du Castel, de Munck, Greiner, d'Heur et tant d'autres demandaient à me voir chaque fois qu'ils en avaient l'occasion; huit jours avant d'être assassiné par des hommes de main de la 157

Gestapo, le Gouverneur de la Société G�nérale de Belgique, Monsieur Galopin, le guide et le conseiller des industriels patriotes belges, chargea M. Martin Theves67>, qui se rendait à Lisbonne, de faire savoir à notre ministre des Affaires étrangères qu'il se portait garant à 100% de mon loyalisme et qu'il approuvait absolument tout ce que j'avais fait. - Monsieur le Ministre Bech a reçu ce message posthume dont les dirigeants actuels de la Société Générale de Belgique ont eu connaissance. Dans un voyage récent que M. Dieudonné (il s'agit de H. Dieudonné, de nationalité belge, directeur général adjoint commercial de l'Arbed et directeur­ gérant de Columeta. Pendant la guerre, Dieudonné s'était retiré des affaires) a fait à Londres, à la demande personnelle du ,Minister of Supply' (ministre des approvisionnements), Sir Andrew Duncan, il a reçu l'assurance que les plus grands métallurgistes britanniques, et Sir Andrew Duncan lui-même, partagent les sentiments de leurs confrères belges et français.» Meyer évoque les efforts entrepris par l'Arbed pour freiner la production et invoque également à son actif un certain nombre d'actions qui ne manquèrent pas de peser dans la balance. C'est ainsi qu'il déclare s'être opposé en mars 1942 à la fermeture d'une usine de l'Arbed et au transfert de milliers d'ouvriers en Allemagne. Il fait également état de son intervention en 1943 en vue d'éviter la mobilisation de nouvelles classes dans la «Wehrmacht». Ecoutons-le : «En 1 943, nouveau branle-bas de combat: la mobilisation de nouvelles classes à l'exemple de l'Alsace-Lorraine - était imminente. J'étais anxieux. Me serait-il possible de contribuer à contrecarrer ce projet qui aurait abouti à une catastrophe? Je résolus de m'y essayer. Un seul moyen s'offrait à moi : feindre de jouer la carte allemande, en représentant au ,Gauleiter' et à ses acolytes l'intérêt du Reich de ne pas soustraire à l'économie générale de bons ouvriers dont on allait faire de mauvais soldats. Pour réussir dans cette tâche difficile, il me fallait rallier à mon point de vue les directeurs allemands des usines du pays, avec qui j'eus de fréquents entretiens à ce sujet. Le même thème fut incessamment ressassé: l'industrie et, partant, l'économie générale, se trouveraient gravement compromises - sans contrepartie militaire adéquate - si de nouvelles classes étaient mobilisées. -

Le souci de la réussite de mon plan hantait mon esprit, de jour et de nuit. Au bout de quelque temps, j'allais éprouver une vive satisfaction : je devais apprendre que le CdZ - ,Gauleiter' compris - venait de se rallier à ma thèse. Mais la question allait rebondir bientôt. Berlin ne se tint pas pour battu. Le Général von Unruh vint à Luxembourg pour procéder au fameux ,Auskam67) Propos confirmés par le seul témoin survivant qui a rencontré Theves à Lisbonne, Victor

Bodson.

158

men' (passer au peigne fin) pour la ,Wehrmacht'. Il rendit visite à notre usine de Belval, déclarant au directeur, M. Broglio, qu'il était malgré tout d'avis que de nouvelles classes devaient être mobilisées en Luxembourg et qu'il allait faire des propositions en ce sens. M. Broglio m'en avisa aussitôt par téléphone: je l'informai de la réponse qu'il aurait à faire. L'après-midi du même jour, je fus mandé à la Chambre des Députés - d'ordre du ,Gauleiter' - avec prière d'y attendre jusqu'au moment où le Général von Unruh et le ,Gauleiter' réunis en comité secret, pourraient avoir besoin de mes avis. Je m'y rendis. De temps à autre, l'huissier de service venait m'informer que la réunion durait toujours et qu'elle semblait très orageuse. Après plus d'une heure d'attente, l'huissier me fit part que la réunion était terminée et que je n'avais pas à attendre plus

longtemps. J'appris le lendemain que j'avais été convoqué pour exposer au

Général les raisons précédemment invoquées, mais que la question venait d'être réglée, sans mon intervention, dans le sens préconisé par moi. Je n'entreprendrai pas d'évaluer la part que je pourrais revendiquer dans cette heureuse conjoncture: l'essentiel, c'est que du sang luxembourgeois ait été épargné.» On le constate, Meyer se montre modeste dans le rôle qu'il a joué dans cette affaire. En vérité, Meyer semble jouer à la mouche du coche dans cette affaire. Il est plus probable que les Allemands aient renoncé à l'incorporation de nouvelles classes de jeunes Luxembourgeois, ayant tiré les leçons de la grève spontanée et générale du peuple luxembourgeois en août 1942. En Alsace et en Lorraine, où de tels mouvements de grève n'eurent pas lieu, davantage de classes furent incorporées dans la «Wehrmacht» . E n août 1944, les Allemands auraient, selon Meyer, envisagé d e mobiliser des milliers de Luxembourgeois en vue de les affecter à des travaux de tranchées en Allemagne : «En août 1944, je prenais quelque repos au Mullerthal, quand on m'apprit que le CdZ avait décidé de mobiliser plusieurs milliers de Luxembourgeois à affecter à des travaux de tranchées en Allemagne. Immédiatement, je vis dans ce projet l'annonce d'une catastrophe pire que celle des premiers jours de septembre 1942. L'annonce de la mobilisation accrue en 1942, m'avait causé de l'angoisse. Cette fois-ci, j'éprouvais littérale­ ment de l'effroi. Persuadé que la très grande majorité des ouvriers luxembour­ geois ne manqueraient pas de se soustraire à cette odieuse servitude de guerre, je redoutai le pire : la répression sanglante du mouvement de résistance inéluctable, répression dont les événements tragiques de septembre 1942 n'avaient été que le pâle précurseur. 159

Que faire? Je réunis aussitôt les directeurs allemands des usines luxembour­ geoises de l'Arbed, de Differdange et de Rodange. J'insistais vivement auprès d'eux pour qu'ils usassent de toute leur influence pour faire rapporter une mesure aussi inopportune dont la ,Wehrmacht', en tout état de cause, ne tirerait qu'un profit dérisoire, mais qui aurait pour conséquence des répres­ sions sanglantes, et j'attirai leur attention sur la responsabilité qu'ils encour­ raient de ce chef. À ma vive satisfaction, j'appris, deux jours plus tard, que le péril imminent était conjuré : les ouvriers pouvaient continuer à vaquer à leurs occupations habituelles. Ce ne fut pas tout. En août 1944, également, MM. Raabe, ,Generalbevoll­ machtigter für Eisenerzgewinnung'68), et Rochling, le grand chef de la métallurgie allemande, m'intimèrent l'ordre de faire partir immédiatement 42 de nos ouvriers mineurs pour la Styrie. Je refusai d'exécuter cet ordre. Ils revinrent à charge et la direction de l'Arbed fut menacée d'arrestation. Je tins bon : les ouvriers ne partirent point. » En tout état de cause, le fait que Meyer ait pu se livrer à des interventions aussi importantes, montre quel poids il avait auprès des autorités allemandes, notamment auprès du «Gauleiter». En fait, le «Gauleiter» et le directeur général de l'Arbed poursuivaient pour des motivations différentes une politique identique : tous deux voulaient préserver l'intégrité de l'Arbed, le premier pour se prévaloir de posséder dans son «Gau» un puissant groupe industriel, le second, pour passer avec le moins de casse une période très difficile pour son entreprise et son pays. Pour préserver l'Arbed, Meyer était prêt à se «compromettre» dans une partie de chasse avec le «Gauleiter», à se montrer à l'une ou l'autre cérémonie officielle, où la plupart des participants étaient de toute façon commis d'office : l'Arbed valait bien une «GroBkundgebung» ! (manifestation de masse). Ainsi Simon et Meyer étaient des alliés objectifs, ce qui explique aussi les bonnes relations entre les deux hommes pendant la guerre, chacun essayant de se servir de l'autre pour réaliser ses propres projets.

Non-lieu sur toute la ligne «Est-ce que, en présence de ces faits, se demande le procureur d'Etat, on peut dire que Meyer a sans nécessité et sciemment favorisé la politique ou les desseins de l'ennemi par des fournitures ou par des services? » Pour apprécier l a question d e l a collaboration économique d e Meyer, le procureur d'Etat suvit l'avis du Conseil d'Etat, qui, le 1 5 mars 1946 avait 68> Principal responsable de l'approvisionnement en minerai. 1 60

Aloyse Meyer dans son mémoire de défense après la guerre: "Le ,Gauleiter' essayait perfidement de me compromettre aux yeux du public luxembourgeois». La photo du haut le représente (au milieu) participant à une quête sur la voie publique en faveur du Secours d'hiver allemand, celle du bas (au deuxième rang), lors d'une manifestation en l'honneur des Jeunesses hitlén.ennes.

analysé le projet de loi sur la collaboration économique qui allait devenir la loi du 30 avril 1 946 comme suit : «Pour nuire à l'ennemi, il aurait fallu cesser pratiquement toute activité économique. Mais un tel parti est impossible. La population doit vivre; la suspension du travail entraîne la misère; le refus de travailler entraîne la déportation, la prison, le camp de concentration. Il faut chercher la solution du moindre mal : maintenir le pays au travail, en réduisant la production autant que possible. Pouvait-on vraiment demander aux cheminots de s'opposer à la reprise du trafic des chemins de fer pour le motif que ceux-ci transportaient du matériel de guerre et d'autres marchandises utiles à l'effort militaire de l'ennemi? Pouvait-on songer à faire chômer les usines? C'était d'abord impossible, en présence de la mainmise allemande. De plus l'arrêt du travail sur les chemins de fer et dans les entreprises industrielles signifiait pour le personnel la perte des moyens d'existence et la menace de transplantations massives dans le Reich. Eviter le chômage était dès lors un devoir de solidarité sociale. Mais ce devoir devait s'inspirer en même temps du souci de freiner la production. Mieux valait faire travailler les ouvriers dans le pays, avec toutes les possibilités de réduire le rendement de la main-d'oeuvre et de dévier les activités vers un travail moins productif, que de les exposer au déplacement en Allemagne où ils auraient été affectés, sans opposition possible, à la production de guerre immédiate. Il est équitable de dire qu'on ne saurait inquiéter aucun chef d'entreprise à raison d'une activité économique normale, ayant existé dès avant la guerre et ayant été continuée avec modération, dans des limites permettant d'assurer la subsistance de la population nationale et surtout d'empêcher le chômage massif et la déportation de la main-d'oeuvre. Il faut évidemment punir, entre autres, ceux qui ont créé de nouvelles entreprises ou qui ont procédé à de vastes extensions dans les entreprises existantes pour satisfaire les commandes de l'ennemi et encore ceux qui ont considérablement augmenté la production sans autre motif que la demande accrue émanant de l'ennemi. Il faut punir tous les coupables, quel que soit le mobile qui les ait fait agir. Mais les activités inéluctables ne sauraient donner lieu à reproche, alors même qu'elles étaient utiles à l'occupant. Sinon il faudrait aller jusqu'à poursuivre les paysans pour avoir livré des quantités tant soit peu réduites de lait et d'oeufs à des organismes régionaux qui en disposaient selon les buts de l'économie allemande.» Et plus loin: «le Luxembourg était considéré par l'ennemi comme annexé de fait à l'Allemagne, politiquement et économiquement. Le CdZ avait pour mission d'accomplir les mesures d'adaptation et d'assimilation. 1 62

La mainmise était totale. La moindre réaction contre ce reg1me etalt réprimée comme acte de séparatisme politique, ou comme acte de sabotage économique. » Le procureur d'Etat en arriva à la conclusion suivante : «En appliquant le texte de la loi à la lettre et dans son esprit, j'estime que la prévention de collaboration économique à l'encontre d'Aloyse Meyer n'a pas été établie. » La justice luxembourgeoise s'attela ensuite à examiner la présomption d'infraction à la sûreté de l'Etat et l'attitude de l'homme privé Meyer à l'égard de l'occupant. Meyer, natif de Clervaux, tout comme Kratzenberg, avait très généreuse­ ment subsidié avant la guerre la Gedelit, dont Kratzenberg avait été président. La Gedelit fut manifestement utilisée par les Allemands à des fins de propagande, tandis que certains de ses membres à l'insu de la majorité étaient à la solde de l'Allemagne nazie et se livraient à des activités d'espionnage. -

Si Meyer versait des sommes importantes à la Gedelit, il le faisait en tant que continuateur de !'oeuvre de son prédécesseur Emile Mayrisch, qui avait été l'un des animateurs des mouvements de rapprochement franco-allemands au lendemain de la première guerre mondiale. Meyer était également membre de !'Alliance française, qui faisait dans le domaine culturel le contre-poids de la Gedelit. Pendant la guerre, les relations entre Meyer et Kratzenberg se refroidirent sensiblement. Meyer fit partie, avec Albert Wehrer, quelques chefs d'administrations et le professeur Camille Wampach, qui enseignait l'histoire à l'université de Bonn, des personnalités qui refusèrent fin août 1940 de signer le manifeste «Heim ins Reich» (retour au Reich). Lors du procès Kratzenberg, l'économiste Paul Weber affirma que ceux qui avaient refusé de signer ce manifeste craignaient pour leur vie; affirmation exagérée, quoique acceptée et propagée avec empressement par beaucoup de personnes qui avaient signé ce manifeste. Par contre, on reproche à Meyer d'avoir adhéré sans trop de résistance au mouvement annexionniste pro­ allemand VDB. Voyons ce qu'il en est de ce reproche. Vers le mois d'octobre 1940, une campagne de propagande effrénée fut déclenchée par les collaborateurs en vue d'obtenir l'adhésion de tous les Luxembourgeois à ce mouvement. Pressions économiques, intimidations en tous genres servirent d'arguments. Les hauts fonctionnaires et cadres des services publics, les chefs d'entreprises du secteur privé, qui devaient ensuite entraîner leur personnel, étaient visés en premier lieu. 1 63

Meyer fut pressenti, mais opposa un refus catégorique aux appels de la VDB. Les témoignages sont formels : Meyer voulait démissionner plutôt que de signer son adhésion à la VDB. Mais les administrateurs luxembourgeois de l'Arbed s'opposaient à sa démission, estimant que Meyer était le seul homme capable de sauvegarder dans la mesure du possible les intérêts des ouvriers et des employés. Pour marquer leur solidarité, tous les administrateurs à l'exception de M. de Colnet, signèrent au début de novembre 1940 leur adhésion à la VDB. Toutes les mesures de propagande allemande dans les entreprises de l' Arbed, l'introduction du règlement intérieur du 1 5 avril 1942 furent, selon Meyer, le fait des seuls Allemands. Il les ignorait ou n'en avait pas été informé préalablement, il était impuissant à s'y opposer, il préférait céder sur un point mineur pour pouvoir récupérer sur des affaires autrement importantes, telles sont à chaque fois les explications de Meyer. S'il voulait intervenir en faveur de ses compatriotes, il faillait bien qu'il joue en apparence le jeu des Allemands, qu'il se prête à son corps défendant à des manifestations publiques - en mars 1 941 on vit Meyer, un tronc à la main quêter sur la voie publique en faveur de l'oeuvre sociale nazie WHW - qu'il fasse contre mauvaise fortune bon coeur, comme ce fut le cas lors des cérémonies en f'honneur de son anniversaire, mises en scène par les Allemands, pour le discréditer, selon Meyer. D'autre part, il fut prouvé que Meyer avait fourni des subventions considérables à l'Armée blanche belge en vue d'aider notamment les réfractai­ res luxembourgeois réfugiés en Belgique. Meyer versa 2 millions de F de sa poche. Nous avons déjà vu précédemment ce qu'il en était de ses interventions pour parer à la mobilisation de nouvelles classes pour la «Wehrmacht» et à celle de milliers de Luxembourgeois qui auraient dû aller faire des travaux de tranchées en Allemagne. Ses interventions dans des cas individuels furent également très nom­ breuses. Ici aussi, la conclusion du procureur d'Etat fut formelle : l'instruction n'avait pas révélé de charges suffisantes pour justifier une poutsuite. Et d'en tirer la conclusion générale : «En l'absence de charges suffisantes tant pour la prévention de collabora­ tion économique que pour la prévention d'atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat, j'estime qu'il y a lieu de classer l'affaire.» Le rapport du Procureur d'Etat fut suivi les 30 novembre 1 946 et 27 décembre 1946 de deux rapports complémentaires, sans que pour autant les conclusions du rapport du 26 octobre soient modifiées. 1 64

Finalement, le Procureur Général se rallia à ces conclusions et le dossier Meyer fut définitivement classé. Aux yeux de la Justice, Meyer était complètement blanchi. Cette décision fut loin de calmer les passions. Périodiquement, l'animosité contre Aloyse Meyer se manifestait à nouveau, soit dans la presse communiste, soit à la tribune de la Chambre. C'est ainsi qu'au cours de la séance du 1 1 juin 1947, le député Steichen (communiste) lança une violente diatribe à l'encontre d'Aloyse Meyer. Il prétendit, entre autres, que 50 000 actions de l'Arbed appartenant à la Société Générale de Belgique, avaient été cédées par celle-ci aux Allemands durant la guerre. Il était d'avis que le gouvernement aurait dû mettre ce paquet d'actions sous séquestre, en tant que bien ennemi, ce qui lui aurait assuré quelque

400

millions de francs.

Le ministre d'Etat Dupong démentit catégoriquement qu'une telle transac­ tion ait eu lieu. M. Steichen résume ses critiques dans une motion qu'il dépose au nom de son groupe et qui dit: « La Chambre désapprouve l'attitude adoptée par le gouvernement à l'égard des grands collaborateurs économiques. » L a motion est rejetée, malgré l'appui des socialistes qui tout e n soutenant cette motion tenaient à préciser qu'ils n'entendaient pas critiquer par là l'attitude du précédent ministre de la Justice, le socialiste Victor Bodson. A-t-on été plus sévère envers les grands chefs de l'industrie dans d'autres pays occupés par les Allemands? Cela ne semble guère le cas. En France, par exemple, «aucun homme d'affaires n'est passé en jugement pour collaboration après la guerre, bien que des poursuites aient été intentées pour profits illicites ou évasions fiscales; mais on n'en connaît pas l'ampleur, l'information n'étant pas encore du domaine public . . . Après 1945, la très grande majorité du personnel de direction et les cadres techniques des grosses entreprises industrielles et commerciales demeura en place»69l. En Belgique, la situation est identique. Peut-on, dans ces conditions, soit dit en passant, s'étonner de la tiédeur avec laquelle les Alliés procédèrent à la dénazification des grands chefs de l'industrie allemande dans l'Allemagne vaincue? Aloyse Meyer resta directeur de l'Arbed jusqu'en 1947. Le 25 avril 1947 il en devint le président et demeura à ce poste jusqu'à sa mort le 3 mai 1952. Dans la plupart des localités du bassin sidérurgique, il y a aujourd'hui des rues et des cités résidentielles portant le nom d'Aloyse Meyer. 69) Robert O. Paxton : La France de Vichy 1940-1944. 1 65

AUTRES FORMES D'ÉPURATION ÉCONOMIQUE

3 000 Reichsmark pour un masque à gaz En dehors de l'industrie sidérurgique, l'apport du Grand-Duché à l'économie de guerre du III• Reich fut insignifiant. On pourrait s'étonner - et nous l'avons déjà relevé à propos de l'industrie sidérurgique - que les Allemands n'aient pas songé à implanter des usines travaillant pour l'industrie de l'armement dans une région à l'abri des bombardements, mais le fait est qu'ils ne profitèrent pas de cette possibilité. Il y eut bien quelques firmes travaillant directement pour les services d'arme­ ment, le «Rüstungskommando». L'économiste Paul Weber en a dressé la liste : - Une filiale de l'AEG, établie à Walferdange. Elle était outillée pour la réparation de moteurs électriques, notamment des moteurs de sous-marins, et occupa une centaine d'ouvriers. - Les Glyco-Metallwerke A.G., Diekirch, qui occupèrent 80 ouvriers à la fabrication de parties de roulements à billes. Cette usine fit évacuer, avant l'entrée des Américains, ses alliages spéciaux pour coussinets. - Les Pee-Wee à Luxembourg, une des deux usines du Reich spécialisées dans la fabrication de machines à fileter par laminage à froid. - La fabrique de machines-outils, spécialisée dans les applications hydrau­ liques installée dans les immeubles de la tannerie Idéal à Wiltz. À peine établi, le propriétaire Zimmermann dut décamper. - Wewag, établi à Wasserbillig dans un bâtiment de Cérabati, fut un atelier de réparation pour machines d'usinage. Il faut encore classer parmi les entreprises qui travaillèrent exclusivement sous l'autorité du «Rüstungskommando», l'usine démontée de Steinfort. Celle-ci était cédée à Krupp d'Essen, qui destina la halle de l'ancienne aciérie à la fabrication d'aiguilles et de croisements pour voies ferrées. Mais finalement le programme comporta la construction de tourelles et de plaques blindées pour tanks. Au total, ces firmes occupèrent environ 1 300 personnes. S'agissant de firmes travaillant sous direction allemande, il n'y eut pas de poursuites pour collaboration économique après la guerre. L'industrie du bâtiment travailla au ralenti, seules les deux branches exportatrices, les ardoisières et dolomies augmentant sensiblement leur pro­ duction par rapport à 1939. Tandis que les usines céramiques de Wasserbillig, travaillant sous séquestre, eurent une production fortement diminuée, la manufacture de faïencerie de 1 66

Septfontaines, qui produisait de la grosse vaisselle, occupa jusqu'à 300 ouvriers et ouvrières : l'effet progressif des bombardements avait sensiblement accru les besoins en grosse vaisselle ordinaire. La tannerie continua à occuper environ 500 ouvriers pendant la guerre, mais la production était tombée à 15% de son niveau d'avant-guerre. L'usine Idéal de Wiltz, dont les propriétaires étaient juifs, avait d'abord été placée sous séquestre, elle fut aryanisée et acquise par l'industriel allemand Roth. Faute de matières premières, les ouvriers fabriquaient durant les journées de chômage des armoires pour l'armée allemande. À propos de la ganterie Reinhard, de Luxembourg-Grund, entreprise juive acquise par une firme allemande, Paul Weber rapporte qu'elle fut transformée

en 1 943 en manufacture de masques à gaz. « À ce titre, dit Weber, l'entreprise se

vit attribuer 205 ouvriers et ouvrières en vue d'un programme de production mensuelle de 20 000 masques. Le résultat qui n'a jamais dépassé le stade de l'expérimentation, ne justifia en rien l'effort. Au moment de la Libération, 400 masques étaient prêts à l'expédition; le prix de revient s'était établi à environ 3 000 Reichsmark par pièce . . ·"

Trafiquant du marché noir et espion pour le Reich La plus forte amende prononcée par un tribunal luxembourgeois pour collaboration économique fut de 5 millions de francs. Elle le fut par la Chambre spéciale du Tribunal correctionnel de Luxembourg, le 3 mai 1949 à l'encontre de D. Verducci7°>, commerçant qui, durant la guerre, fit partie de cette cohorte «d'individus de tous milieux, de toutes origines, de toutes professions, bons bourgeois, petits commerçants ou gros industriels français, aventuriers internationaux, escrocs notoires ou repris de justice de tout acabit, fonctionnaires en rupture d'administration ou parfois même en activité» (Jacques Delarue), dont les Allemands se serviront pour organiser le marché noir en France dans des proportions qu'on a peine à imaginer. Verducci écopa en outre de 7 ans de prison. Verducci, de nationalité italienne, avait créé un bureau d'achat - la Compagnie commerciale italo-continentale (CCIC), avec lequel il contribua au pillage économique de la France, amassant une fortune considérable, en s'enrichissant sans vergogne sur la misère des Français. Il travailla principale­ ment pour le compte de la «Kriegsmarine» (marine de guerre). Celle-ci avait été la première à inaugurer le marché noir «organisé>>, en ouvrant un bureau spécial au n° 1 rue Saint-Florentin à Paris, dans une dépendance du ministère de la marine, occupé par les services de l'amiral commandant la «Kriegsmarine» 70l Nom changé par l'auteur. 167

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en France. Suivant les recherches de Jacques Delarue, «ce bureau était dirigé par le ,Hauptmann' Klaus, qui traita rapidement d'importantes affaires de tapis, de maroquinerie, de parfums et surtout de tissus, toutes choses n'ayant que peu de rapports avec les besoins des équipages. » Verducci était, quant à lui, en rapport avec le Dr. Herck, également de l'état-major de la «Kriegsmarine», auquel il fournissait des matières premières, des textiles, des métaux, bref, tout matériel utile à l'armée, à l'exception de produits alimentaires. Occasionnelle­ ment, Verducci était également pourvoyeur de !'Organisation Todt, mais ces affaires ne rapportaient pas assez. En général, Verducci touchait des commis­ sions �ll�nt de 0,5 à 5 % . Il occupait des agents qu'il payait lui-même sur les comm1ss1ons reçues. Verducci finit par avoir des difficultés avec ses maîtres allemands et fut expulsé de France le 1 1 mars 1942. À Luxembourg, les services des contributions allemands se penchèrent sur sa situation financière et constatè­ rent que Verducci, pratiquement sans fortune en 1940, avait, à la fin de l'année 1940, un revenu de 3 1 0 000 Reichsmark (3, 1 millions de francs, valeur 1 940) et de 1 ,2 millions de Reichsmark à la fin de 1 94 1 . Ses bénéfices de 1 94 1 à octobre 1942 s'étaient élevés à 400 000 Reichsmark. Entretemps, il avait acquis pour 85 000 Reichsmark les biens de la firme juive sous séquestre Muller et Wegener, la plus importante entreprise de papiers et cartonnages en gros de Luxembourg. Mais les autorités fiscales allemandes n'osaient importuner Verducci, celui­ ci se prévalant de ses hautes protections. Comme bon nombre de trafiquants du marché noir, Verducci était également impliqué dans des activités d'espionnage. Le capitaine Reile, qui dirigeait en 1 939 l'antenne du contre-espionnage allemand à Trèves - devenu major, il devait à partir de 1940 faire carrière dans l' «Abwehr» (contre-espionnage allemand) à Paris - était entré en contact en 1 938 avec Verducci qui s'était livré pour le compte des Allemands à des opérations d'espionnage mineures : «Il ne fit pas grand-chose» devait déclarer Reile en 1 945, alors qu'il était interrogé par les autorités militaires britanniques à ce sujet. Mais Verducci devait mettre Reile en rapport avec un autre Luxembourgeois, André Folmer, qui allait devenir un agent allemand triste­ ment célèbre. Verducci et Folmer montèrent en 1 939 une affaire d'exportation de sel d'Allemagne vers la Belgique et le Luxembourg. Folmer avait eu des ennuis en Allemagne pour trafic de devises et ne pouvait plus retourner dans ce pays. Reile recruta Folmer et aplanit ainsi ses difficultés. Folmer, alias Albert, alias Pat, tout en se livrant à partir de 1 940 à des trafics de marché noir en France, d'abord avec Verducci, ensuite tout seul, fit des 1 68

ravages terribles dans les rangs de la résistance belge et française où il s'était infiltré. Par son action, tout un réseau fut démantelé en octobre 1941 et 962 personnes furent arrêtées. Le général belge Genotte et bon nombre de patriotes, déférés devant des cours martiales, furent condamnés à mort et exécutés. D'autres malheureux moururent en déportation. Les victimes de Folmer se comptent par centaines. Folmer fut arrêté après la guerre et condamné à mort par un tribunal militaire belge, le 15 décembre 1 947. Après que cette peine eut été commuée par mesure de grâce en travaux forcés à perpétuité (arrêté du Régent du 1 6 octobre 1948), l'exécution e n fut suspendue le 9 mai 1 958. Folmer fut reconduit le même jour à la frontière allemande. Quant à Verducci, il mourut peu après la fin de la guerre dans des conditions demeurées mystérieuses jusqu'à ce jour.

Les biens sous séquestre Les entreprises appartenant à des juifs ou des personnes ayant fait l'objet de mesures de déportation, étaient soit aryanisées, soit administrées sous séquestre. Les Luxembourgeois désireux d'acquérir des biens juifs se comp­ taient sur les doigts d'une seule main. Dans un rapport du 29 octobre 194 1 71 >, le Dr. Rech!, qui s'occupait à l'échelon national de l'administration des biens juifs, écrit de Berlin à un collègue de Coblence une lettre dans laquelle il exprime sa déception au sujet des Luxembourgeois, peu enthousiastes d'acqué­ rir des entreprises juives. Une opération d'envergure venait d'être ratée, à savoir la tentative de faire racheter la tannerie Idéal à Wiltz par la Banque Internationale. «Ceci constitue pour nous une surprise désagréable» écrit Rechl. Et Rech! de poursuivre : « Le ,Gauleiter' Simon était d'abord parti de l'idée de prendre en considération des Luxembourgeois pour les aryanisations. Mais les Luxembourgeois, pour toutes sortes de raisons et de considérations d'ordre politique, se sont montrés réservés, une participation à de telles affaires leur paraissant trop risquée. Pour ces raisons, beaucoup de propriétés, de magasins de détail et les quelques entreprises industrielles sont passés aux mains de citoyens du ,Altreich' avec une prépondérance de demandeurs de la région de Coblence. Au cours de ces derniers temps, la participation de la Banque Internationale à deu� entreprises a été imposée au conseil d'administration avec des moyens énergiques. » 7 1) Voir aussi Paul Cerf, •Longtemps j'aurai mémoire•. 1 69

Quant aux Luxembourgeois qui administraient des biens sous séquestre, ils les géraient très souvent en «bon père de famille». Leurs légitimes propriétaires récupérèrent ces biens après la guerre et n'eurent qu'à se féliciter de la gestion des administrateurs désignés par les Allemands. Un cas un peu particulier est celui de la manufacture de tabacs Marcel Cahen. Cette entreprise juive, d'abord sous séquestre, fut vendue pour être acquise par les entreprises Heintz van Landewyck, Luxembourg, et Ch. Fixmer, Ettelbruck, firmes concurrentes de Cahen. La firme fut dirigée par Gustave Koener, qui était également directeur de l'entreprise Heintz van Landewyck. Après la guerre, Koener, qui déclara n'avoir procédé à cette opération que pour sauver la firme de l'emprise allemande et empêcher son démantèlement, put remettre à Cahen une usine intacte et en bon fonctionne­ ment. Son désintéressement et son honorabilité furent reconnus par Cahen et confirmés dans un arrangement qui consacra le retour de la firme à son légitime propriétaire. De toute façon, les entreprises sous séquestre, si elles permirent de caser l'un ou l'autre Allemand ou à récompenser un collaborateur luxembourgeois particulièrement zélé, ne contribuèrent que peu à l'effort de guerre allemand. *

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Il a été impossible d'obtenir des statistiques complètes sur les amendes prononcées à l'encontre des inciviques, et notamment des collaborateurs économiques. Interpellé à plusieurs reprises à ce sujet à la Chambre des députés, le ministre de la Justice n'a malheureusement fourni que des réponses partielles. Tout au plus, dispose-t-on de quelques éléments incomplets. Ainsi, au 5 décembre 1 947, le Tribunal de Luxembourg avait prononcé pour 60 millions de F de peines et celui de Diekirch pour 5,306 millions. Sur ces montants, 13,374 millions avaient été perçus au 1" janvier 194872l. Plus tard, le 13 avril 1 954, le ministre de la Justice indiqua les chiffres suivants : au 1" novembre 1953, il y avait eu, comme amendes prononcées, à Luxembourg 86 millions et à Diekirch 1 1 millions. Au total, 97 millions. Sur ces amendes, 1 5 % avaient été prononcées par défaut et étaient donc irrécupéra­ bles. Sur toutes les amendes prononcées contradictoirement, 65 millions étaient rentrés dans les caisses de l'Etat. Il y a eu des contraintes par corps et des remises par arrêté de grâce pour 8 millions. Selon ces indications, quelque 10,5 millions restaient à récupérer au 1" novembre 1953. Ces chiffres ne concordent pas avec ceux du ministère des Finances73l. En effet, d'après les données fournies par !'Office des séquestres, celui-ci a versé 72) Compte rendu de la Chambre des Députés, le 1 1 février 1948.

73) Indications fournies à l'auteur par le ministre des Finances en septembre 1977.

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au total à l'administration de l'enregistrement quelque 56 millions de F à titre de taxes et d'amendes, sans qu'il soit possible de faire une distinction entre les taxes et amendes payées pour le compte de séquestrés ennemis ou d'inciviques luxembourgeois. En tout état de cause, les amendes recouvrées par l'Etat luxembourgeois se situèrent largement en dessous de 1 00 millions, soit une goutte d'eau dans un océan de bénéfices résultant de la collaboration.

L'ATTITUDE DE DIVERSES CATÉGORIES SOCIO-PROFESSIONNELLES Les magistrats

Au cours de la séance de la Chambre du 14 juin 1945, le ministre de la Justice Victor Bodson dressa le tableau de l'attitude des magistrats pendant la guerre : «À la Cour Supérieure de Justice, il y avait 1 4 magistrats avant le 10 mai 1940. Quatre d'entre eux furent pensionnés pendant la période allemande, deux furent déportés («transplantés », serait plus exact), trois destitués et astreints à des travaux dans le Reich avant l'introduction de la Cour martiale (septembre 1 942), un magistrat fut destitué après l'introduction de la Cour martiale. Donc sur 14 magistrats, 4 restèrent en fonction jusqu'à la fin . . . Sur ces quatre, deux ont déjà été destitués et contre les deux autres, l'instruction est en cours. Le tribunal de Luxembourg comptait avec le Parquet 1 7 magistrats avant le 10 mai 1 940. Un a été déporté, directement dès le début, 6 sont passés devant la Cour martiale (dont 3 du Parquet et 3 magistrats), 3 ont été déportés dans des camps de concentration, 2 ont été destitués, 2 ont été pensionnés, 1 a eu la chance de pouvoir quitter le pays. 2 seulement étaient en fonction au 1 0 septembre 1 944 et contre ces magistrats, il y a également une action disciplinaire en cours ; elle sera jugée prochainement. » Nos recherches n'ont pas permis de vérifier l'exactitude de ces déclarations. En tout état de cause, dix magistrats furent poursuivis disciplinairement devant la Cour Supérieure de Justice, statuant en Chambre de Conseil, c'est-à-dire à huis clos. Dans quatre cas, la Cour prononça la peine la plus grave, celle de la révocation. Dans quatre autres cas, elle prononça la peine de la mise à la retraite anticipée74l, dans deux cas, elle prononça une retenue de traitement. 74l En vertu de l'arrêté grand-ducal du 27 août 1 945 portant modification de l'organisation judiciaire.

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Paul Faber (caricaturé par Albert Simon, caricaturiste du «tageblatt» lors du pro­ cès Kratzenberg), président du Tribunal d'arrondissement de Luxembourg, fut avec le juge de paix Félix Welter, le seul magistrat à refuser d'adhérer à la VDB

Trois de ces dix magistrats furent en outre traduits devant les tribunaux et les sentences prononcées à leur égard furent les suivantes : - 4 ans de prison et 1 00 000 F d'amende pour un juge par jugement du 9 août 1 945. - 6 ans de réclusion et 250 000 F d'amende pour un juge par jugement du 27 février 1946. - 7 ans de réclusion et 100 000 F d'amende pour un conseiller par jugement du 24 février 1 947. Dans l'appréciation de l'attitude des magistrats, la question de leur appartenance à la VDB fut débattue avec passion. Le député chrétien-social Aloyse Hentgen, avocat-avoué et qui lui-même avait eu une attitude patrioti­ que exemplaire se montra très dur à l'égard des magistrats qui avaient adhéré à la VDB. Le 7 juin 1945, il déclara notamment à la tribune de la Chambre: «Sur l'ensemble des quelque 50 magistrats, deux seulement ont définitive­ ment refusé leur adhésion à la VDB. Ils méritent que leurs noms soient honorablement cités. (Très bien!). Il s'agit de M. Paul Faber, président du Tribunal d'arrondissement de Luxembourg, et de M. Félix Welter, juge de paix à Luxembourg (Applaudisse­ ments). 1 72

A eux s'ajoutent M. Huberty, greffier à Luxembourg, et le secrétaire du Parquet M. Thillen, de Luxembourg. Ces magistrats ont été destitués en mai 194 1 . L'attitude de notre magistrature n'était certainement guère réconfortante. Certes, le Code militaire, qui est donc le code de l'honneur, connaît la capitulation honorable, mais on ne perd pas l'honneur si l'on capitule après avoir épuisé tous les moyens de résistance. Osera-t-on soutenir que c'était le cas dans l'espèce? Dans la suite, les magistrats ont plusieurs fois eu l'occasion de revoir leur attitude et de corriger l'effet de leur faiblesse originaire. Lorsqu'il s'agissait d'adhérer au ,Rechtswahrerbund', deux conseillers de la Cour Supérieure de Justice ont refusé. Ils ont été destitués. Plus tard, une ordonnance du Chef de l'administration civile allemande prescrivit que les jugements seraient à rendre ,au nom du peuple allemand'. Ici encore un magistrat s'est ravisé. Enfin, les magistrats devaient arborer sur leur robe allemande le symbole de la souveraineté allemande. Ils ont accepté la formule, ils ont accepté d'ouvrir une audience par le salut ,Heil Hitler!', la main droite tendue. Après l'introduction du service militaire, fin août 1 942, un certain nombre de magistrats, pour protester contre cette mesure, ont renvoyé, comme beaucoup de fonctionnaires et de particuliers l'ont d'ailleurs fait, leur carte de membre de la VDB. Ils sont passés par le Tribunal d'exception (Sondergericht). Les membres du Parquet ont été mis à la disposition de la Gestapo et envoyés dans un camp de Lublin, où ils ont subi pendant des années le traitement le plus cruel. Les magistrats furent donc destitués et pour la grande part déportés. Malgré tous ces événements, il restait jusqu'au 10. 9 . 1 944 des magistrats luxembourgeois siégeant en confrérie avec des juges allemands, responsables du sang luxembourgeois qui avait coulé en abondance. »

Les avocats et autres juristes C'est également la question de l'appartenance à la VDB qui jouera un rôle primordial dans l'épuration des avocats. Le 21 septembre 1944, une assemblée générale du Barreau de Luxembourg élut un conseil de discipline qui dressa un tableau des avocats sur lequel ne furent retenus que ceux qui «jamais et à aucun titre» n'avaient adhéré à la VDB. Sur ce tableau figuraient 38 avocats-avoués et 14 avocats stagiaires, soit au total 52 avocats, alors que le dernier tableau de 1 940/194 1 faisait état de 79 avocats et 35 stagiaires, s�it au total 1 1 4 membres. Au Barreay de Diekirch, sur 15 membres, 1 1 avaient adhéré à la VDB. 1 73

Dans l'heure qui suivit l'assemblée générale du Barreau du 21 septembre 1944, les exclus firent appel à cette mesure et dans un long mémoire anonyme75) paru le 31 mars 1 946, s'étonnaient que la seule appartenance à la VDB ait été retenue à leur encontre : «Ün ne peut décemment nous inculper pour avoir adhéré à la VDB, sinon il faudrait poursuivre 75 000 Luxembourgeois qui ont fait de même», plaidaient les avocats. Entretemps, un arrêt de la Cour Supérieure de Justice, prononcé en mars 1 945 était venu apporter de l'eau à leur moulin : à propos d'une affaire disciplinaire du Conseil de l'ordre des avocats contre un avocat qui avait exercé pendant toute !'Occupation, la Cour avait en quelque sorte prononcé une absolution collective et d'office pour toute personne ayant adhéré à la VDB. C'est tout juste si les avocats qui continuèrent à travailler sous le régime nazi jusqu'au 1 0 septembre 1944 ne se posèrent pas en résistants dans le pamphlet précité. Ils y prétendirent qu'en plaidant devant les tribunaux d'exception allemands, ils avaient rendu service à la population luxembour­ geoise et, dans certains cas, réussi à adoucir la rigueur brutale de ces tribunaux. Ceci est peut-être vrai dans l'une ou l'autre affaire, mais force est de constater que parmi la trentaine d'avocats76l qui purent continuer à exercer leurs activités après que le régime des avocats ait été complètement assimilé à celui des avocats allemands, en automne 1 94 1 , la plupart firent le jeu des Allemands. En février 194 1 , les Allemands avaient mis en place une chambre des avocats ( «Rechtsanwaltskammer>>) composée de deux avocats de Luxembourg et deux de Diekirch. Un juriste allemand, le Dr. Walter Goldberg, qui était commissaire chargé des affaires juridiques auprès du CdZ, s'appliqua à mettre les juristes luxembourgeois au pas. 75) In propria causa. Histoire d'une épuration par les avocats du barreau de Luxembourg restés en fonction jusqu'à la Libération. Il semble, d'après les indications recueillies au dépôt légal que l'instigateur de ce pamphlet ait été l'avocat Alphonse Neyens, épuré après la Libération. 76) Au 4 mars 1942, 1 7 avocats restaient admis auprès du Tribunal de Luxembourg, et 7 auprès de

celui de Diekirch. Il s'agissait des avocats suivants (noms germanisés): Luxemburg: Dr. August Thorn, Dr. Joh. Nik. Schneidesch, Dr. Alfons Neyens, Dr. Joh. Peter Schmit, Dr. Peter Prüm, Dr. Johann Bech, Dr. Eugen Mehring, Dr. August Welter, Dr. Paul Dieudonné, Dr. Heinrich Schummer, Dr. Wilhelm Leidenbach, Dr. Netty Probst, Dr. Emil Peters, Dr. Joh. Bap. Risch, Dr. Robert Elter, Dr. Paul Sivering, Dr. Bertha Henckes­ Gehlen. Diekirch : Dr. Heinr. Cravatte, Dr. Alfons Greisch, Dr. Leo Hatto, Dr. Emil Reiles, Dr. Felix Steichen, Dr. Constant Wolff, Dr. Franz Schroder. Les noms figurent suivant le rang d'âge des avocats.

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Il s'y employa avec vigueur et fut aidé par un certain nombre de juristes luxembourgeois, des magistrats, notaires, avocats et hauts fonctionnaires juristes. Dans une allocution devant les membres du DRB («Deutscher Rechtswah­ rerbund» ), organisation nazie des juristes, le 13 octobre 1 94 1 , il rend compte des résultats obtenus et tient tout particulièrement à remercier les «camarades» luxembourgeois qui n'ont pas ménagé leur peine : Dr Muller, Conseiller à la Cour supérieure de Justice, Salentiny, Michels, Knepper, Cravatte, Antony et Pletschette. D'après Goldberg, 47 magistrats sur 49 auraient adhéré au DRB ; les notaires au nombre de 40, auraient adhéré à 1 00% ; 82 membres du personnel d'administration de la Justice ( «Rechtspfleger») sur 86 et 30 juristes sur 39 employés dans les administrations publiques et 30 avocats stagiaires auraient également fait partie du DRB . Pour ces derniers, il convient toutefois de dire qu'un certain nombre avaient été auparavant purement et simplement éliminés de l'accès à la profession ou avaient préféré se retirer du stage. Pour les avocats, Goldberg note: «Les avocats m'ont causé le plus de soucis, la plupart ont dû être écartés de la profession. Ceux qui sont encore en activité (3 1 ), font tous partie du DRB. » Restent quelque 1 00 juristes au service d e l'économie privée e t plus difficiles à atteindre. Mais Goldberg se fait fort de les rallier au DRB, dont le nombre total d'adhérents atteignait 290. Il se montre très satisfait des résultats obtenus et exprime l'avis que par rapport à d'autres branches professionnelles, l'attitude politique des juristes est «plus positive et plus sûre». Evidemment, puisque les juristes peu «SÛrs» avaient été éliminés d'office. L'avocat qui s'était le plus compromis avec les Allemands, Emile Peters, fut condamné, le 1 0 janvier 1 95 1 , par un jugement confirmant dans les grandes lignes un jugement précédent du 1 7 décembre 1 945, pour ses activités pronazies à 1 5 ans de travaux forcés et une amende de 1 ,250 million. C'est lui qui avait contribué à mettre en place le DRB. Coresponsable dans l'établisse­ ment d'appréciations sur ses collègues en vue de leur éventuel maintien dans la profession ou de leur destitution, il avait fait preuve d'un fanatisme nazi absolu. En outre, Peters réalisa pendant la guerre, et notamment en 1942 et 1943, des bénéfices professionnels énormes, sans rapport avec ses revenus d'avant-guerre, ni avec la majoration des prix et l'introduction du tarif allemand. Les Allemands le décorèrent de la croix du mérite militaire de 2' classe pour services rendus. Peters s'évada de prison et se réfugia en Allemagne.

Les artistes

La vie culturelle à la sauce nazie fut très intense à Luxembourg, du moins sur le papier. 1 75

Alors que toutes les sociétés luxembourgeoises à activités culturelles durent cesser leurs activités à partir du 23 octobre 1 940 (mises sous tutelle national­ socialiste), les Allemands mirent en place une multitude d'organisations qui, comme c'était une coutume bien établie dans cette immense bureaucratie nazie à tous les échelons, se déchiraient les unes les autres, donnaient des ordres et contre-ordres et créaient la pagaille la plus totale. La Gedelit triomphait enfin. Le 2 1 novembre 1 940, elle transforma sa dénomination de «Luxemburger Gesellschaft für deutsche Literatur und Kunst» (société luxembourgeoise pour la littérature et l'art allemands) en «Gesellschaft für Literatur und Kunst» (société pour l'art et la culture). On laissait tomber le terme «luxembourgeoise», puisque de Luxembourg, il n'y en avait plus, et on supprimait l'adjectif «allemands», puisque d'évidence, il ne pouvait y avoir qu'une seule culture: l'allemande. En juillet 1 94 1 , la Gedelit se subdivisa en 1 3 circonscriptions culturelles autonomes («autonome Kunstkreise») locales, dont la plus active resta celle de Luxembourg. De septembre 1 940 à août 1 944, la Gedelit organisa de très nombreuses manifestations culturelles qui, de façon plus ou moins directe, avaient pour but de servir la propagande national-socialiste. Pour l'année 1 940/41 , à titre d'exemple on compte pas moins de 1 8 1 manifestations diverses dans 32 localités. Mais ces données statistiques sont trompeuses. Le nombre des assistants était variable : de 10-20 lorsqu'il s'agissait d'exposés culturels où la propagande était évidente, davantage pour des exposés purement scientifiques ou des concerts. Les artistes ou orateurs venaient, à une ou deux exceptions près, du Reich. Pour les concerts ou soirées vocales, les musiciens étaient des Luxembourgeois ; à certaines soirées musica­ les destinées à favoriser de jeunes talents, on retrouve des Luxembourgeois qui firent carrière après la guerre. Mais on ne saurait guère les accuser de collaboration artistique. Du 12 au 1 9 octobre 1 94 1 , les artistes luxembourgeois furent conviés à un voyage culturel dans le Reich, à l'occasion du Salon des Arts de Munich. Les étapes de ce voyage furent Wurtzbourg, Munich, Salzbourg et Düsseldorf. Tout ce que Luxembourg comptait comme noms en matière de culture, participa à ce voyage. Il faut dire qu'il eut lieu deux jours après le référendum du 1 0 octobre 194 1 , au cours duquel 90% de la population luxembourgeoise, résistant à des pressions exercées depuis des semaines, avaient indiqué comme langue maternelle le luxembourgeois, alors que les Allemands avaient tout mis en oeuvre pour que la réponse soit la langue allemande. Rendus furieux, les Allemands avaient renoncé à exploiter les résultats de ce référendum, mais avaient renforcé leurs mesures d'intimidation de la population, ce qui explique sans doute que les artistes luxembourgeois avaient cru bon de ne pas en 1 76

rajouter par une provocation supplémentaire et participèrent à l'expédition culturelle. Au lendemain de ce voyage, un certain nombre de participants qui étaient de coeur avec l'occupant- se regroupèrent avec des artistes allemands au sein d'une amicale-( «Künstlerkameradschaft - Küka» ), comprenant les activistes de la Gedelit. Les membres de la «Küka» se virent offrir par la commune de Luxembourg une salle du palais grand-ducal, où ils se réunirent quasi quotidiennement, ou plutôt nuitamment. En effet, le local de la «Küka» avait une cantine particulièrement bien achalandée en vins allemands et autres boissons fortes, très rares à l'époque. Les discussions culturelles dégénéraient en beuveries, et les épouses des membres de la « Küka» se plaignaient auprès du bourgmestre : leurs époux y dépensaient tout leur argent et rentraient à l'aube. Le 29 août 1 944, une dernière inscription dans le livre d'hôtes : « Es war so schon gewesen es hat nicht sollen sein!» (Cela aurait pu être si beau, cela n'a pu se faire). Et Hanns Divo, infatigable secrétaire de la Gedelit, avant de plier bagages pour suivre les Allemands dans leur retraite, d'ajouter: «De nouveau un adieu ! Pourquoi donc?» Hanns Divo (voir page 23) avait envers et contre tout porté la Gedelit à bouts de bras pendant les années d'occupation. Autour de lui, très peu de Luxembourgeois et quelques fonctionnaires de la «GroBkultur» nazie s'étaient efforcés d'attirer les Luxembourgeois à leurs manifestations. On peut dire que l'échec fut total. Hanns Divo fut condamné après la guerre à 4 ans de prison et à la déchéance de la nationalité luxembourgeoise. Avec Divo, la plupart des animateurs de la Gedelit mélangèrent allègrement culture allemande et propagande collaborationniste et se retrouvèrent après la guerre devant les tribunaux luxembourgeois : - le docteur Florent Antony, condamné à 10 ans de travaux forcés et à la déchéance de la nationalité et dont la condamnation pénale tomba sous le bénéfice de la loi d'amnistie de 1 955; - le journaliste Eugène Ewert, condamné à 5 ans de prison; - l'instituteur Jacob Felgen, condamné à 6 ans de travaux forcés et à la déchéance de la nationalité; - le contrôleur des contributions Jacob Lichtfuss, qui géra la station thermale de Mondorf-les-Bains pendant la guerre ( «Amtsbürgermeister» ), condamné à 20 ans de travaux forcés - peine réduite à 12 ans par la loi d'amnistie de 1955 - et à la déchéance de la nationalité luxembourgeoise. 1 77

L'écrivain Norbert Jacques, né le 6 juin 1 880, avait acquis une renommée solide dans la littérature allemande. Au cours de la première guerre mondiale, ses sentiments pro-allemands l'avaient amené à écrire une série de reportages sur la France et l'Angleterre en guerre, parus dans la «Frankfurter Allgemeine Zeitung», avant d'être publiés sous forme de livre. En 1 922, il acquit la nationalité allemande. Il est l'auteur du livre «Dr. Mabuse, der Spieler» (Dr Mabuse, le joueur), dont Fritz Lang tira un film célèbre, suivi de toute une série d'autres films, où le Dr Mabuse, sorte de Frankenstein allemand, faisait frissonner d'horreur des millions de spectateurs. À la fin des années 20, Luxembourg se souvint de Norbert Jacques et on y était prêt à lui pardonner ses incartades de la première guerre mondiale. Pol Michels, auteur et magistrat, qui se compromit avec les Allemands durant l'occupation, se fit le chantre du fils perdu. Norbert Jacques publia divers écrits dans des publications luxembourgeoises, flirta pendant un certain temps avec l'idée du retour au pays, mais y renonça finalement. Tout naturellement, il se mit au service de la propagande nazie au cours de la seconde guerre mondiale, fit plusieurs apparitions politico-littéraires à Luxembourg, où les propagandistes de la Gedelit le célébrèrent (voir aussi «An der Ucht» 1 980). À la fin de la seconde guerre mondiale, nous le retrouvons bourgmestre d'un village autrichien, à Schlachtern. Damian Kratzenberg, le «Quisling» luxem­ bourgeois, qui a trouvé refuge dans les environs, où il vit dans des conditions précaires, est éconduit par Norbert Jacques, lorsqu'il lui demande l'autorisa­ tion de s'établir à Schlachtern. Arrêté par la police militaire française, Norbert Jacques, après un séjour de 5 mois en prison, est remis aux autorités luxembourgeoises en mars 1 946. On dresse un acte d'accusation contre lui, mais en raison de sa nationalité allemande, on renonce à le poursuivre et on l'expulse le 12 juillet 1 946. Norbert Jacques meurt le 15 mai 1 954 en Allemagne, en ayant passé les dernières années de sa vie à écrire des romans à quatre sous.

L'un des rares Luxembourgeois à réussir une carrière cinématographique avant la guerre fut René Deltgen, né à Esch en 1 909. Il avait quitté le pays à l'âge de 1 8 ans pour chercher fortune sur les planches et dans les studios de cinéma outre-Moselle. René Deltgen, qui incarnait avec succès les seconds rôles dans les films allemands, était devenu un acteur bien connu du grand public et dont les Luxembourgeois étaient très fiers. Mais ses liens avec la petite patrie luxembourgeoise s'étaient relâchés et Deltgen, qui avait fait toute sa carrière au cinéma allemand sous la botte nazie, se laissa embrigader dans la machine de propagande nazie pour appeler ses 1 78

compatriotes à rentrer dans le bercail du Grand Reich millénaire. Dès juillet 1940, il signa à Berlin un manifeste dans ce sens. Les Allemands profitèrent du prestige dont Deltgen jouissait auprès de la jeunesse pour lui faire rédiger des appels en faveur des Jeunesses hitlériennes. Le 20 mars 1 94 1 , il écrivait dans la presse luxembourgeoise : « Lorsqu'en 1933, la jeunesse allemande accueillit avec enthousiasme et passion les idées national­ socialistes en matière d'éducation des jeunes, j'ai vivement regretté de ne pas avoir 1 5 ans de moins pour participer activement à cette éducation révolution­ naire et créatrice.» Deltgen demande aux jeunes Luxembourgeois de devenir des «pionniers volontaires» dans cette grande oeuvre de l'éducation nazie. Entretemps, Deltgen était devenu « acteur d'Etat» («Staatsschauspieler») du

III'

Reich.

Mais ce même Deltgen sera l'un des rares acteurs à suivre en 1941 à sa dernière demeure l'acteur Joachim Gottschalk qui avait refusé de se séparer de son épouse juive et s'était suicidé avec celle-ci et son fils. Pour oser un tel geste, il fallait plus que du courage dans l'Allemagne nazie. Le 30 avril 1 946, le tribunal correctionnel de Luxembourg condamna René Deltgen à 2 ans de prison et une amende de 1 00 000 F, en le déclarant déchu de la nationalité luxembourgeoise. Après cet incident de parcours, Deltgen poursuivit une brillante carrière au cinéma, à la radio et à la TV en Allemagne. Il est décédé à Cologne en janvier 1 979. Sur un autre plan, celui de la peinture, un artiste luxembourgeois, Théo Kerg, se mit dès septembre 1 940 au service des Allemands. Entré à la VDB, il en devint le chargé de propagande pour le district d'Esch. En décembre 1 940, il fut le co-auteur d'une dénonciation à l'encontre de son collègue, le professeur Alphonse Arend, qui fut destitué et astreint à des travaux autoroutiers en Allemagne. En février 1 942, dans une lettre adressée à son supérieur hiérarchique, le directeur du lycée de jeunes filles d'Esch, il fit valoir son engagement politique en faveur du national-socialisme et demanda qu'on lui confie un poste important à responsabilité politique, dans le cadre de son activité pédagoqique et culturelle. Il paradait en uniforme de «Gielemannchen» et manifestait son esprit national-socialiste dans ses cours au lycée. Condamné le 14 décembre 1 948 à une peine de prison de 10 mois, il s'exila en France. En 1950, il intenta auprès du tribunal civil de la Seine une action 1 79

judiciaire à l'encontre d'un critique d'art luxembourgeois qui avait fourni à la direction d'une galerie d'art des renseignements sur son comportement pendant la guerre.

Le clergé Dès avant 1 933, et en particulier avant la première guerre mondiale, les Allemands avaient, non sans un certain succès, tenté de gagner de l'influence sur l'Eglise catholique luxembourgeoise et ses organisations. Au lendemain de la première guerre mondiale, ces efforts se poursuivirent et se concrétisèrent en particulier par des subventions financières à !'Ecole Supérieure Populaire Catholique. L'Association populaire catholique ( « Katholischer Volksverein») entretenait également des relations cordiales avec des associations similaires allemandes et les autorités allemandes encoura­ geaient l'achat de livres allemands par le KV en accordant des rabais substantiels. Par ces mesures, les Allemands espéraient augmenter l'intérêt des Luxembourgeois pour la culture allemande. Du côté luxembourgeois, l'abbé Nic. Majerus, docteur en droit et professeur, secrétaire général du KV, était un partenaire bien vu des Allemands. C'était l'époque où un autre prêtre luxembourgeois, établi en Allemagne, le professeur Lortz, montrait une sympathie ouverte pour le nazisme montant. Lortz est notamment l'auteur d'un ouvrage «Zugang zum Nationalsozialismus» (Approche vers le national-socialisme), paru en 1 933 dans la série «Eglise et Reich», où il fait l'éloge immodéré du national­ socialisme. Les Allemands déployèrent une intense activité diplomatique au Vatican, lorsque la succession de l'évêque de Luxembourg, Monseigneur Pierre Nommesch, âgé de 71 ans, gravement malade, s'ouvrit en 1935. Ils craignaient qu'un successeur «francophile» de Monseigneur Nommesch ne nuise à leur influence au Grand-Duché. Tel était le cas pour un candidat particulièrement bien placé, le prieur de l'abbaye de Clervaux, le père Fohl, qui de surcroît était apparenté au président du gouvernement Bech et qui était le candidat favori du Nonce apostolique. Le département des Affaires étrangères allemand donna à son ambassadeur au Vatican des instructions pour entreprendre des démarches «selon des voies appropriées» pour empêcher la nomination de Fohl. Les Allemands tentèrent également de gagner à leurs vues un prêtre luxembourgeois, le Dr. Kirsch, directeur de l'Institut Archéologique du Vatican. L'ambassadeur d'Allemagne à Luxembourg aurait souhaité que le Dr. Majerus puisse figurer parmi les candidats, car il voyait en ce dernier le seul candidat susceptible de s'opposer aux «tendances unilatérales francophiles sur 1 80

le siège de l'évêché»77l. Monseigneur Nommesch, qui venait finalement de marquer son accord à ce qu'un évêque-coadjuteur soit nommé, prônait pour sa part la candidature du professeur de philosophie Léon Lommel. Ce fut finalement un «Outsider» qui gagna la course, le père Joseph Philippe, nommé évêque-coadjuteur avec droit à la succession le 25 avril 1 935. Les Allemands ne se montrèrent pas très enchantés de cette nomination, et l'ambassadeur Graf von Podewils ne manqua pas de signaler que Monseigneur Philippe suivait avec la plus grande préoccupation l'évolution de la politique des Allemands à l'égard de l'Eglise. Il serait toutefois prématuré, estimait l'ambassadeur, de voir dans la nomination de l'évêque-coadjuteur une orientation de l'Eglise luxembourgeoise vers l'ouest, compte tenu du fait que la majorité du clergé «demeure pro-allemande» . L'ambassadeur ajouta que «si la

situation de l'Eglise allemande s'aggrave, cette orientation pro-allemande du clergé luxembourgeois risque de changer». Ce qui se vérifia par la suite. Dès l'invasion, le « Gauleiter» tenta d'éloigner Monseigneur Philippe, voulant l'expulser en France, ce à quoi les Affaires étrangères et le SD s'opposèrent. Monseigneur Philippe et la plupart des 470 prêtres luxembourgeois restèrent au Grand-Duché durant toute l'occupation et leur conduite fut exemplaire. Peut-on leur reprocher leur mutisme public devant les mesures de l'ennemi, alors que d'autres corps constitués restèrent tout aussi muets? Après la guerre, un seul prêtre, un ancien moine de Clervaux, fit l'objet d'une radiation - soit une forme d'auto-épuration - du relevé de l'évêché. Dénoncé, il avait été arrêté après la Libération par les Américains, mais libéré quelque temps après. Il fut réintégré en 1 949 dans le relevé de l'évêché. Deux autres prêtres s'étaient également quelque peu compromis avec les Allemands, l'ancien directeur du lycée et l'ancien directeur du pensionnat d'Echternach, sans qu'il y eût des suites administratives ou pénales. L'abbé Robert Alesch, de nationalité luxembourgeoise par son origine, mais qui n'appartint jamais au clergé luxembourgeois, pactisa avec la Gestapo en France. Aumônier à la prison parisienne du Cherche-Midi, cet être abject n'hésitait pas à livrer aux Allemands des informations qui lui avaient été confiées sous le secret de la confession par des résistants emprisonnés. Il fut fusillé après la Libération à Paris. 77l L'abbé Majerus (1 892-1964) était loin d'avoir cette attitude nettement pro-allemande que lui

prêtait l'ambassadeur d'Allemagne. Ses préférences pour la culture allemande ne l'empêchaient pas de se montrer un adversaire résolu du national-socialisme. Chargé de cours à l'université de Bonn de 1934 à 1940, il y renonça en janvier 1940. Après l'invasion allemande, il fut très mal vu des autorités et finit par être expulsé en France le 16 juillet 194 1 .

181

Il n'entre pas dans le cadre de cet ouvrage de relater le comportement d'étrangers au cours de la guerre. Signalons toutefois, en passant, que quatre prêtres étrangers se signalèrent tristement par leur attitude pronazie. Il s'agit du père rédemptoriste Gorlich78l, qui quitta le Grand-Duché pendant la guerre ou immédiatement avant la fin de celle-ci, de l'abbé Siepmann, qui résidait à Luxembourg dès les années 1 934/35, mort au cours de la guerre, et qui jusque­ là collabora avec la Gestapo. L'aumônier de la Mission italienne à Esch, Don Flavio Settin, incarcéré après la Libération, fit l'objet d'une mesure d'expul­ sion; enfin, le Père Damian Helmke, franciscain d'origine allemande, fut lui aussi incarcéré pendant un certain temps après la guerre. Il avait été nommé curé de la paroisse St-Henri à Esch-sur-Alzette. Il fut libéré sans procès formel et rentra en Allemagne.

Les gendarmes Parmi tous les inciviques, il semble que les gendarmes qui se sont compromis avec l'ennemi - en gros, une bonne douzaine - aient eu droit à un traitement particulièrement rigoureux. Si l'Etat s'est montré beaucoup moins dur à l'égard d'autres catégories de ses fonctionnaires, notamment des instituteurs, il s'est montré intraitable envers les gendarmes, porteurs d'unifor­ mes, et donc particulièrement exposés : aucun des gendarmes qui avaient fait l'objet d'une mesure d'épuration ne put reprendre du service. En 1 948, les gendarmes inciviques ont adressé un mémoire justificatif au gouvernement. Écrit dans un charabia par moments incompréhensible, cet écrit malhabile n'en est pour autant pas à négliger, puisqu'il éclaire un aspect de l'épuration pour une catégorie professionnelle particulière, celle des porteurs d'uniforme: «Parmi les nombreuses fonctions professionnelles applicables à ces milliers de personnes épurées après la guerre, il n'en existe pas une seule qui fut, comme la nôtre, si désespérément dépourvue des moyens de se refaire. Les maçons, les boulangers, les techniciens, les médecins . . . bref, de toute cette cohorte professionnelle, les membres temporairement éliminés purent quand même, leur dette une fois payée, obtenir une réorientation assez rapide vers leur formation originale. Tel n'était pas et ne pouvait pas être le cas pour nous autres gendarmes, à qui un sort fatidique semble avoir refusé les moyens de reclassement. ?S) Les rédemptoristes allemands jouèrent un rôle non négligeable au cours des années 1920/30.

L'ambassade du Reich leur attesta «d'exercer une influence remarquable pour la cause allemande : du haut de la chaire, ils mènent un vigoureux combat contre le marxisme et le bolchévisme et également tout récemment contre la juiverie, qui, au cours des dernières années, s'est étalée au Luxembourg•. 1 82

Un deuxième groupe d'épurés appartenant aux services de l'Etat (personnel enseignant p. ex.) n'eut pas trop de peine de se reconstituer, grâce à sa formation intellectuelle, pour des emplois satisfaisants et rémunérateurs. Seul notre groupe restait éliminé, il n'a à aucun moment réussi, et pour cause, de résoudre les pires difficultés professionnelles qui n'ont cessé de croître et de maintenir pour nous la cruelle impasse. On ne peut raisonnablement proposer à un gendarme de devenir chimiste ou statisticien, s'il n'a connu sa vie durant que le métier militaire, la discipline et le devoir. Nous sommes loin de vouloir élever des critiques inconvenables à l'égard des mesures sévères que la Justice a infligées à notre rang professionnel. Aurions-nous, quand même, commis un crime impardonnable en suivant la voie acceptée par tous sous l'intimation de l'autorité occupante et en nous rangeant à l'avis de céder, sans faire du mal, avec souplesse et réserve à la force persuasive de l'occupant? . . . . . . Nous sommes convaincus à juste titre que, si à l'heure actuelle, la haute autorité luxembourgeoise se décidait à vérifier individuellement nos cas, elle se trouverait amenée à consentir à notre corps d'anciens fonctionnaires décharge collective. Les délits toutefois, qu'on avait. cru devoir nous reprocher n'étaient nullement assimilables ni à !'oeuvre des poursuites, auxquels furent exposés tant de compatriotes, ni à la présomption d'avoir favorisé ou soutenu la politique de l'occupant. Nous n'étions pas les gardes du corps national­ socialiste, cette organisation ayant recruté ses membres parmi les éléments instruits à cette fin et épaulés par l'organisation du «Reichssicherheits­ Hauptamt». Nous ne pouvions de ce fait être par avance convaincus d'avoir par nos personnes ou de notre initiative ébranlé la sécurité interne de l'Etat du simple chef d'avoir accepté la continuation de notre service d'ordre public. Celui-ci, d'abord ne se départit d'aucune manière des directives reçues au cours de notre formation spécifiquement luxembourgeoise, à l'encontre des incrimi­ nations fantaisistes qui ont pu se former dans le public sur le compte de la force active de nos positions. Que l'un ou l'autre de nos collègues aient, par l'astuce de leur «Ürtsgruppenleiter» villageois (qui savait pour la plupart se tirer fort élégamment d'affaire) glissé dans la garniture civile et si incroyablement schématique du fameux parti, notre Haute Autorité Gouvernementale devrait, de nos jours, voir ce titre d'inculpabilité sous les aspects franchement burlesques et inoffensifs, tels qu'ils furent imputables en réalité à ce rôle de miséreux lampistes. » Aucune suite n e fut -donnée à c e mémoire. ::-

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1 8.1

Les membres de la Compagnie des volontaires, soldats de métier, firent dans l'ensemble preuve d'un patriotisme exemplaire. Trois officiers subirent cependant après la guerre des sanctions disciplinaires, deux réprimandes et un avertissement, ce qui n'empêcha pas ces officiers de poursuivre leur carrière dans l'armée luxembourgeoise d'après-guerre.

L'ÉPURATION ADMINISTRATIVE Plus de 20 000 dossiers Tandis que l'épuration pénale suivait son cours, les citoyens luxembour­ geois étaient soumis à une autre forme d'épuration, l'épuration administrative. Il s'agissait là d'une épuration à caractère disciplinaire, qui visait à enquêter sur l'attitude de toutes les catégories socio-professionnelles durant la guerre, de sanctionner disciplinairement et, le cas échéant, retenir les mérites patriotiques des intéressés. Les sanctions pouvaient être l'avertissement, la réprimande, la réprimande avec retenue de traitement, le déplacement, la mise en disponibi­ lité, la mise à la retraite, la dégradation, la révocation. Selon l'attitude patriotique, les intéressés se voyaient décerner des mentions de premier, deuxième ou troisième degré. Au départ, cette enquête ne devait couvrir que l'attitude des fonctionnaires, employés et retraités de l'Etat et des communes et syndicats de communes et des chemins de fer. Quelque 20 000 dossiers, si l'on compte les retraités, devaient être examinés. Mais elle s'étendit progressivement à d'autres catégo­ ries de citoyens et à d'autres professions : au personnel de la Cour grand­ ducale, aux fournisseurs de la Cour, aux pêcheurs et aux chasseurs, aux notaires, médecins, médecins-dentistes, pharmaciens, aux personnes ayant une activité artistique ou littéraire, au personnel des entreprises commerciales et industrielles, aux architectes, entrepreneurs et artisans exécutant des travaux et fournitures dans la reconstruction, bref l'ensemble de la population active était passé au peigne fin. La date de naissance de l'épuration administrative se trouve dans un arrêté grand-ducal du 30 novembre 1 944, qui autorise le gouvernement à procéder à une enquête administrative dans la fonction publique. Auparavant, un certain nombre d'actions sporadiques avaient déjà été entreprises tant dans le domaine de la fonction publique que pour l'ensemble des citoyens. C'est ainsi que par ordonnance en date du 5 septembn 1944 l'exercice de tout emploi ou service public était provisoirement interdit à ceux «qui sont ou ont été membres du parti national-socialiste». 184

Par avis du 16 septembre 1 944, les bourgmestres, échevins et conseillers communaux en fonction le 10 mai 1940 étaient invités «de rejoindre in.:: ontinent leurs postes». Toutefois cet avis suspendait provisoirement de leurs fonctions «ceux qui sont ou ont été membres du parti national-socialiste». Dans une circulaire aux administrations communales et aux membres du personnel enseignant sur l'organisation de l'enseignement primaire 1 944/45, en date du 7 novembre 1 944, le ministre Joseph Bech relevait: «Un certain nombre d'administrations communales ont négligé jusqu'ici de saisir le gouvernement des accusations politiques portées contre l'un ou l'autre des membres de leur personnel enseignant. Ils devront le faire sans retard. Le gouvernement ordonnera, dans chaque cas, une enquête qui mettra fin

situations équivoques et contribuera à apaiser les esprits».

à

des

Un arrêté grand-ducal, en date du 16 novembre 1 944, ayant pour but de régler à titre définitif et pour l'année judiciaire en cours la situation des barreaux de Luxembourg et de Diekirch, décrétait la dissolution des conseils de discipline des avocats de ces deux barreaux, et stipulait qu'en vue de la constitution des nouveaux conseils, les avocats «sous le coup d'une poursuite pénale ou disciplinaire du chef d'activité antinationale», ne seraient pas convoqués. L'épuration des avocats causa des remous précédemment évoqués. Par une instruction en date du 28 novembre 1 944, le ministre de l'instruction publique Pierre Frieden arrêtait que «le certificat de maturité ou de capacité sera refusé à des candidats qui, par leur attitude antipatriotique, se sont rendus indignes d'être porteurs d'un diplôme luxembourgeois». Robert Ais, ministre de l'intérieur et de !'Epuration de février à novembre 1 945, ensuite commissaire général à l'enquête administrative, eut à mener une tâche délicate. Né le 12 février 1 897, Ais était entré dans la magistrature en 1929. Avocat général à partir de novembre 1 936, il occupa à la Libération le poste de procureur d'Etat79l. Ais eut d'ailleurs à se justifier lui-même d'avoir participé le 28 septembre 1 940, à Coblence, à un séminaire d'endoctrinement auquel avaient été convoqués les magistrats luxembourgeois, et d'avoir adhéré à cette occasion à la VDB. Il le fit à deux reprises, en séance publique de la Chambre, les 1 4 et 2 1 juin 1 945. «Cette signature donnée dans des circonstances spéciales, dans une véritable atmosphère d'étuve, je la regrettais amèrement dès mon retour», 79l Carrière ultérieure : ministre plénipotentiaire à Bruxelles en 1 947, ensuite en 1 953 à Paris.

Ambassadeur en France d'octobre 1 955 à septembre 1962.

185

Robert Ais, ministre de l'intérieur et de /'Epura­ tion de février à novembre 1945, ensuite commissaire général à /'Epuration, eut à mener une tâche délicate.

devait notamment déclarer Ais le 14 juin 1945. Le 2 1 décembre 1940, il adressa à Kratzenberg une lettre de démission de la VDB. Son exclusion de la VDB n'eut cependant lieu que plus tard, à la suite de sa révocation comme fonctionnaire. Cette révocation fut provoquée par son refus de porter à partir du 1 cr juillet 194 1 l'insigne de souveraineté du Reich sur sa robe de magistrat. Mis en demeure de formuler les motifs de son refus par écrit, Ais le fit par une lettre aussi claire et nette que courageuse. Cette lettre lui valut d'être immédiatement révoqué et d'être envoyé comme terrassier à des travaux d'autoroute à Wittlich. Dans une première étape, six commissions furent créées, chargées de l'épuration administrative de la fonction publique, des employés communaux et des cheminots. Les commissions pour les autres catégories suivirent et se mirent au travail. 1 86

8%

et

de mentions pour attitudes patriotiques de sanctions disciplinaires graves

0,2%

Il n'existe malheureusement pas de rapport final sur l'épuration adminis­ trative. Un rapport intérimaire dressé par Ais le 20 septembre 1 946 donne une image assez complète, puisqu'à cette date plus de 20 000 dossiers avaient été examinés et 2 766 restaient en souffrance. Pour ce qui est des fonctionnaires, employés et ouvriers, les commissions avaient passé au crible 1 7 870 dossiers. 1 5 246 avaient été classés purement et simplement, 5 1 4 avaient été classés comme ne comportant pas de sanction. Etaient classés purement et simplement les dossiers ne soulevant aucune contestation ainsi que les cas où certaines fautes légères avaient été compensées par des mérites permettant de considérer l'attitude d'ensemble comme non contestée. Les dossiers classés comme «ne comportant pas de sanctions» étaient ceux où les contestations n'avaient pas paru suffisamment graves au regard du comportement général, ou suffisamment caractérisées pour entraîner une sanction. 239 avertissements avaient été prononcés, 1 42 réprimandes, 76 réprimandes avec retenue de traitement, 1 5 déplacements, 1 7 mises en disponibilité, 26 mises à la retraite, 9 dégradations, 231 révocations. Par ailleurs, pour 1 355 cas, des mentions pour attitude patriotique avaient été décernées. En d'autres termes, quelque 85% des dossiers examinés avaient abouti à un non-lieu. Dans 8 % des cas, on avait retenu une attitude patriotique. Dans 7% des cas, il y avait eu des attitudes plus ou moins douteuses, dont 0,2% se rapportaient à des cas de collaboration active, entraînant des dégradations et révocations. La commission Ais décerna en particulier un «Satisfecit» aux chefs d'admi­ nistration: « Ils ont été, presque tous, de bons Luxembourgeois dont les sentiments patriotiques sont à l'abri de tout doute.» Mais ne donnèrent-ils pas le mauvais exemple en adhérant à la VDB ? Non, estime Ais : «L'adhésion de la population luxembourgeoise à la VDB en 1 940 et 1 94 1 s'explique par une tactique instinctive de défense contre les premières vagues de la terreur nazie. Et les chefs sont loin de figurer aux premiers rangs des adhérents. Ils ne cédèrent qu'au moment où la pression atteignit son point culminant. » I l existe cependant deux exemples d e chefs d'entreprise, celui du président du Tribunal de Luxembourg et du directeur de !'Ecole Industrielle de Luxembourg, qui refusèrent de signer les demandes collectives d'adhérer à la VDB. Ceci ne semble guère ébranler le raisonnement d'Als : « Leur exemple 1 87

courageux n'eut pas de prise visible sur leurs subordonnés», dit-il. Cette belle assurance d'Als était loin d'être partagée par tout le monde. Ainsi le comité central de la Ligue Luxembourgeoise des Prisonniers et Déportés Politiques (LPPD) publiait le 8 novembre 1 947 une résolution sévère à l'encontre des hauts fonctionnaires : «Attendu que certains chefs d'administration, un certain nombre de hauts fonctionnaires de la Magistrature et d'autres employés supérieurs, sont entrés dans la VDB en septembre et octobre 1 940, sans aucune nécessité et sans égard au serment prêté à la Grande-Duchesse, ont ainsi fourni le mauvais exemple à leurs subordonnés, qu'ils ont entraînés sur la mauvaise route ou même contraints à faire comme eux; Attendu qu'ils n'auraient dû céder ou au moins seulement sous la contrainte directe; Attendu que pendant les jours où le peuple luxembourgeois gémissait sous le joug de l'oppresseur et se sacrifiait, ils ont tout fait pour garder leur fonction rémunérée, en collaborant d'une façon sérieuse et permanente avec l'occupant et en retirant des avantages matériels et exerçant une certaine influence sur l'en?emi, influence souvent préjudiciable à leurs compatriotes luxembour­ geois ; Attendu qu'ils ont manqué l'occasion de se réhabiliter lors de la grève en 1 942, en ne renvoyant pas leur carte de VDB, geste hautement patriotique et acte de première résistance qui aurait persuadé les fonctionnaires subalternes à faire de même et qui aurait pu décider les nazis devant la résistance unanime du peuple luxembourgeois, à retarder l'introduction du service militaire obliga­ toir�, retard qui aurait épargné le massacre de milliers de jeunes Luxembour­ geois ; Attendu que l'épuration de ces hauts fonctionnaires a eu lieu d'une façon très arbitraire et partiale, voire même trop souvent contre les propositions et mesures adoptées par les commissions d'épuration instituées par le Ministre de !'Epuration, que ces fonctionnaires exercent de ce chef une influence néfaste et malsaine sur leurs subordonnés et les affaires publiques ; Attendu qu'il y a eu collaboration économique de la part de certaines personnes dirigeantes de notre industrie, des finances et du commerce, nous demandons la publication des rapports et les résultats des enquêtes y relatives; Attendu que le malaise actuel ainsi créé et dont découlent la veulerie générale, le dégoût du travail, la disparition du sentiment de la Patrie, l'indifférence vis-à-vis de l'Etat et du Gouvernement rend le commerce et les rapports entre la population tendus et difficiles ; En conséquence, la LPPD réclame de la part du Ministère de !'Epuration la publication immédiate des enquêtes aux fins d'établir les responsabilités des 188

fonctionnaires supérieurs pendant la guerre, l'annulation des décisions prises à leur égard et le réexamen immédiat de leurs dossiers par une nouvelle commission à nommer d'urgence et qui aura à statuer en toute impartialité sur les cas qui lui sont soumis. » Cette résolution est excessive à bien des égards. Reprocher, entre autres aux hauts fonctionnaires de ne pas avoir renvoyé leurs cartes de VDB lors de la grève de 1'942, c'est méconnaître les faits. Un tel geste à un tel moment, alors que la loi martiale était proclamée et que les tribunaux d'exception fonc­ tionnaient nuit et jour, aurait immanquablement entraîné une répression sanglante. Mais cette résolution traduit néanmoins un certain sentiment de mécontentement qui régnait, alors que l'épuration battait son plein. Cette résolution n'eut aucune suite.

Voyons ce qu'il en est des autres commissions. 2 dossiers de chasseurs furent classés, 98 chasseurs furent frappés d'une interdiction provisoire. 2 notaires sur 19 furent révoqués, 1 médecin sur 366 fut frappé d'une amende. Sur 74 dossiers de la vie artistique et littéraire, il y eut 12 dossiers contestés, une mention fut délivrée. Impossible de se faire une opinion sur les dossiers des architectes, entrepreneurs et artisans dont 794 avaient été classés sans suite, mais dont 901 restaient à examiner. Pour les cabarets, 503 certificats de civisme, nécessaires pour l'ouverture d'un débit de boissons, avaient été délivrés, 1 1 refusés. Parmi 123 firmes occupant plus de 8 personnes, 35 entreprises pratiquèrent elles-mêmes leur épuration, 5 eurent recours aux autorités. Pour l'Arbed, par exemple, plusieurs commissions furent créées, chacune sous la présidence d'un juge. Elles s'occupèrent séparément de l'administration centrale, de la Columeta et de chaque division. Les deux commissions qui s'occupèrent de l'administration centrale et de la Columeta, examinèrent 267 dossiers ; 254 de ces dossiers furent classés sans suite, 9 le furent avec motivation, 4 donnèrent lieu à un blâme. Signalons encore, pour compléter ces données fragmentaires, qu'en 1 944 et au début de 1 945, quelque 330 entreprises furent provisoirement fermées. «L'épuration administrative, avait déclaré Ais au cours de la séance de la Chambre du 4 juillet 1 945, a pour but non seulement de déterminer et de punir les coupables, mais encore de mettre fin aux racontars. On pourrait dire que sa 1 89

fonction essentielle consiste dans un examen général, approfondi, qui doit purifier l'atmosphère comme un orage bienfaisant. » Hélas, même après l e passage d e l'orage «bienfaisant», des nuages continuèrent à assombrir pendant de nombreuses années le ciel luxembour­ geois pour les personnes qui avaient été soumises à l'enquête administrative. Parmi ceux qui avaient été frappés de sanctions, d'aucuns se considéraient comme brimés, d'autres estimaient que leur attitude patriotique n'avait pas été reconnue suffisamment, alors que ces mêmes détenteurs de mentions se voyaient jalousés par ceux qui avaient plié l'échine pendant la guerre. Comme les mentions des premier, deuxième et troisième degrés comportaient des bonifications pour l'avancement dans la carrière, cette jalousie accompagnait les patriotes tout au long de leur vie professionnelle. Ici aussi, l'épuration ne se fit pas sans grincements de dents.

1 90

IV

LES BAVURES DE L'ÉPURATION

Vivre et moun·r en prison

Nous voici donc à l'époque de la Libération. Constatons tout d'abord que la situation n'est pas comparable à celle d'autres pays qui avaient été occupés, comme la France, par exemple. C'est ainsi que le départ des Allemands se fit de façon tellement précipitée en septembre 1 944 qu'ils ne causèrent aucun mal à la population. Comme, d'autre part, il n'y avait pas de résistance armée au Grand-Duché, les Allemands ne furent pas harcelés dans leur retraite par des maquisards et n'eurent pas l'occasion d'exercer des représailles contre la population civile. Ce fut une libération dans la joie et l'allégresse, qui n'avait nullement été entachée par des actions de massacres causées par une armée en retraite et une police prête aux actions extrêmes, puisqu'elle se savait perdue. On n'avait pas abattu les détenus des prisons, ni fusillé d'otages. De plus les •/s du territoire avaient été libérés sans combat. Quant aux collaborateurs qui n'avaient pas fui dans les fourgons de l'ennemi - et ils constituaient la majorité - la plupart d'entre eux étaient des lampistes. Point de tortionnaires odieux parmi eux, points d'agents de la Gestapo aux mains ensanglantées. Néanmoins, c'est par centaines qu'ils furent arrêtés, très souvent sans ménagements. La plupart des arrestations de collaborateurs ou prétendus tels furent opérées par les membres de l'«Union», l'Union des Mouvements de la Résistance Luxembourgeoise, regroupant les principaux mouvements de la résistance intérieure. Avant d'être déférés à la prison du Grond, les collaborateurs subissaient un premier interrogatoire, où les coups étaient monnaie courante. Ces interroga­ toires se pratiquaient soit à l'hôtel Entringer, siège de l' «Union», soit à la caserne du St-Esprit, soit au Cercle municipal de Luxembourg. Surgis de la clandestinité, les membres de !'«Union» opèrent munis de brassards portant deux lions rouges et l'inscription «Miliz» (milice). L'«Union» lance le 10 septembre une proclamation dans laquelle elle s'attribue des pouvoirs de police, déclarant tirer sa «légitimité» d'un texte 193

Scène de

la

Libération: des miliciens s'aeprêtent à traîner à travers Luxembourg un mannequin de paille alfublé d'un uniforme nazi.

transmis le 8 mai 1 944 par le gouvernement en exil via un courrier clandestin aux «groupements et individus patriotes servant la libération de la patrie». Ce texte complétait une missive d'octobre 1 943 dans laquelle il était demandé de prêter main forte au gouvernement militaire allié pour les territoires occupés, l' «Allied Military Gouvernment of the occupied territories» (AMGOT). Les sources relatant la transmission de ces missives à des destinataires dont l'identification n'a pas été possible, sont assez précaires. Seul un accès aux archives du gouvernement luxembourgeois en exil, permettrait d'apporter les éclaircissements nécessaires. Ouvrons ici une parenthèse pour situer }'«Union» : l'Union des mouve­ ments de la Résistance, créée le 23 mars 1 944 regroupait les principales organisations suivantes : - la LPL, «Letzeburger Patriote Liga». Cette «ligue des patriotes luxem­ bourgeois» était la première et la plus connue des organisations de résistance. Au début elle se composait de trois groupes différents qui fusionnèrent plus tard; - le LRL, « Letzeburger Ro'de Le'w» (lion rouge luxembourgeois). L'organisation LRL était composée par moments de deux, voire même de 1 94

Lendemain de Libération à Luxembourg: la maison d'un collaborateur vient d'être mise à sac.

C'est par centaines que les collaborateurs furent arrêtés, souvent sans ménagements. Notre photo: des miliciens en brassard viennent d'arrêter deux collaborateurs, dont l'un en uniforme, qu 'ils conduisent vers la prison du Grund. 1 95

À Dudelange, le 14 septembre 1944, des collaborateurs arrêtés doivent exécuter le salut

hitlérien . . .

quatre groupes qui exerçaient leur activité indépendamment les uns des autres. Fin 1942, la plupart des membres du LFK, «Letzeburger Freihétskampfer» (combattants luxembourgeois pour la liberté) se joignirent au LRL; - la LVL, « Letzeburger Vollekslegio'n» (légion populaire luxembour­ geoise) ; - le LFB «Letzeburger Freihétsbond», (confédération luxembourgeoise de la liberté) créée dès mars 1 940 pour lutter contre l'espionnage allemand au Grand-Duché. Impossible de connaître la force numérique de ces divers mouvements pendant la guerre, dont les rangs furent grossis en septembre 1944 par des résistants de la dernière heure. Le président des organisations de résistance 1 96

. . . devant la population en liesse.

avance pour sa part le chiffre de 1 5.000 résistants (lettre Alphonse Osch à l'auteur, 7 novembre 1980). Les forces de la résistance intérieure, officiellement investies d'une mission de police,vont également constituer des dossiers politiques sur les collabora­ teurs. Avec le retour à une situation plus normale, les heurts entre le gouverne­ ment et l' «Uni on» vont être inévitables. Un premier de ces conflits surgit lorsque le ministre de la Justice enlève aux miliciens leurs pouvoirs de police et les remplace par des forces de police et de gendarmerie régulières. Le Parquet général, de son côté, se plaint amèrement du peu d'empresse­ ment que !'«Union» met à se dessaisir des dossiers politiques d'inciviques. D'une façon générale, un malaise profond existe, une sorte de déphasage entre le gouvernement, revenu de son exil londonien, et la population, qui pendant les dures années d'occupation, a subi le joug de l'occupant. C'est dans cette atmosphère trouble que !'«Union» en mars 1 945 se constitue en «groupement>>, le mot «parti» étant abhorré par ses dirigeants et présente un programme fumeux qui, avec le recul du temps, apparaît aberrant, à relents dangereusement fascistes : farouchement nationaliste, vaguement corporatiste, violemment xénophobe et démesurément annexionniste. Il faudra attendre jusqu'aux premières élections législatives d'après-guerre, le 2 1 octobre 1 945, pour voir la situation se décanter: les Luxembourgeois feront massivement confiance aux partis politiques traditionnels. Le parti de la droite, qui reste un parti de notables, mais qui a procédé à une opération cosmétique en se présentant sous l'étiquette chrétienne-sociale, remporte un net succès avec 4 1 ,4% des voix. Les socialistes (parti ouvrier) subissent un sensible tassement avec 25,9% des voix, débordés sur leur gauche par le parti communiste - 1 3,6% des voix - qui fait une entrée fracassante sur la scène politique, tout auréolé de la gloire du grand allié soviétique. Quant au « Groupement patriotique et démocratique>>, issu des mouve­ ments de la résistance, il obtiendra d'emblée 1 6,7% des voix. Un gouvernement d'union nationale est constitué en novembre 1 945 et restera en place jusqu'en février 1 947. Le «Groupement patriotique» changera encore plusieurs fois de nom et de cap et finira par devenir un parti libéral de centre gauche, dirigé par un homme politique de format internatio­ nal, Gaston Thorn. 1 98

ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DU 21 OCTOBRE 1945 Résultats généraux voix valables : 2.191 .500 voix Parti Chrétien-Social Groupement Démocratique Parti Ouvrier Liste Schummer Liste des Indépendants Liste des Libéraux Parti Communiste

907.601 366.860 569.025 2.0 1 5 1 3.977 36.32 1 295.701

voix voix voix voix voix VOlX

voix

4 1 ,41 % 1 6,74% 25,96% 0,09% 0,63% 1 ,65% 13,6 1 %

Mais revenons aux premiers jours qui suivirent la Libération. Pour apporter u n semblant d'ordre dans l a pagaille, le commissaire du parquet général Delahaye transmet le 21 septembre au major Ensch, au commandant de la gendarmerie et au commissaire de police de Luxembourg, copie des ordonnances du chef de la mission pour les Affaires civiles qui précisent les dispositions en matière d'état de siège. Le 7 octobre 1 944, les brigades de gendarmerie recevaient des instructions en vue de dresser des listes exactes des prisonniers arrêtés en vue de les acheminer au Parquet général. Le procureur d'Etat Robert Ais faisait de son côté publier le 3 1 octobre 1944 une mise au point, dans laquelle il constatait: «Malgré des interventions répétées, les actes arbitraires n'ont pas complète­ ment cessé.» Et le procureur de préciser que seuls les juges d'instruction étaient habilités à ordonner des arrestations, que tout acte de violence était punissable et serait poursuivi, que les fermetures de magasins, confiscations ne pouvaient se faire que sur ordre des autorités compétentes, que toutes actions illégales seraient sévèrement poursuivies, que la responsabilité pénale était une affaire individu­ elle et que les membres de famille des délinquants n'étaient pas à poursuivre, pour autant qu'ils n'aient pas commis d'action délictuelle. «Luxembourg, déclarait Ais, est un pays d'ordre et de liberté. L'ordre a préséance sur la liberté!» Voyons comment ces belles paroles se traduisirent dans les faits en examinant les conditions de détention dans la prison de Luxembourg. Cette prison, dont la destination initiale avait été un couvent, respective­ ment une infirmerie et dont les premiers bâtiments datent de 1 69 1 , ne s'était jamais prêtée de façon idéale comme lieu de détention. 1 99

L'entassement de détenus en ce début de septembre 1944 pose des problèmes quasi insolubles, tant au point de vue des conditions morales et matérielles de détention que de sécurité. En principe, le traitement pénitentiaire des détenus politiques était le même que celui des détenus de droit commun, avec cependant quelques contraintes supplémentaires. C'est ainsi que les détenus politiques pouvaient être astreints au travail, même pendant la détention préventive. Contrairement aux détenus de droit commun, ils n'avaient pas le droit de se faire apporter des repas de l'extérieur pendant la détention préventive. Ils ne pouvaient recevoir qu'une fois par mois la visite d'un proche parent et devaient payer eux-mêmes les frais de détention supérieurs à leur pécule. Etrange amalgame que ces milliers de personnes qui se retrouvent en prison. Tout comme les résistants des années 1940- 1944, ils n'ont, dans la plupart des cas, aucun délit pénal proprement dit à se reprocher. Brutalement transférés de leur vie familiale et professionnelle dans l'univers carcéral, ils sont traumatisés, abattus, incertains de leur avenir. Le nombre de gardiens est insuffisant. On fait appel à des gardiens auxiliaires. Il s'agit, pour la plupart du temps, de jeunes gens, maquisards ou réfractaires de la «Wehrmacht», dont les sentiments à l'égard des détenus ne sont pas des plus tendres. Cette confrontation entre «politiques» déracinés de leur milieu de vie habituel et résistants, qui en avaient gros sur le coeur, et dont certains vont se trouver face à face à ceux qui avaient été à l'origine de leur dénonciation ou arrestation, ou de celle de parents et d'amis chers, ne va pas faciliter les choses. Après la guerre, un journal suisse80> fit état de sévices que des détenus auraient subis et de tortures qui leur auraient été infligées. Un article publié en 1955 dans une obscure publication allemande, «Der Weg» par un non moins obscur auteur, Félix Schwarzenberg8 1 l reprit ses accusations à son compte et publia une liste de 84 collaborateurs qui auraient été massacrés, torturés à mort ou «suicidés» par leurs compatriotes. Périodiquement, des organes de presse néo-nazis réchauffent cette affaire. Ce fut notamment le cas pour le journal néo-nazi «Deutsche National­ Zeitung» dans son édition du 13 janvier 1967, qui reproduisit purement et simplement l'article de la «Tat» sans se donner la moindre peine de vérification. Autrement plus objectives en apparence, du moins dans leur forme, furent les accusations émises par le Dr. F. Mehn, avocat à Trèves, qui fut le défenseur 80l Die Tat, Zürich, mai 1947. 8 1 l Die Folterknechte von Luxemburg (Les tortionnaires de Luxembourg), résumé reproduit en annexe III. 200

NACHKRIEGS V ERBRÈCHH\

.... l / )h. l / IL J- IMT

Luxembur1, bis IS06 Teil des Dcut­ achen Reiches und bis

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Die Folterkneclite von Luxe1nb1irg

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der natioaal1œialistiscbe

Strte durd1 Aus•·nzeu­ ir�n von blut1erf•t1ten GH1chtern. von V'1"1nJ1Jkhen R11ub7.lilen drr Unt•r1rundler. und 11.ls die R•a1erun1 zurUckkam und .,.,.,.n S1ubeNnjlS1Thnukr ern..nnte . . . nahm d 1tW1llkur t:iloll:O.l•IJlode�.lnLuxem­ bur1 lst die Wlllkllr nodl heute an der Ta11:nordnun1r: Vl'rhaftunsen •ut bloBen mUndllt'hen Beteh!, monat.,lance. ja J1hre· Janse Hdt ohne Grrlch!1utleit. Ger1de wiihfl'fld meines Aurenthallet wurde der Fa!! einH ehtlid'len BUrser5 hettls dls­ kutlert, der 1uf Grund einer Namensver­ wedulun1 sieben Monate im G!'!!ln11nh ...n. ln verzweife\!t"n Briden den lrrtum besdiwtirend, Brielen, die nie ihr Ziel n­

kh mOdite hier nidil 1uf elnulne Skan­ dale ein1ehtn. die man in Lui:embura 1u Dutzenden l[leldisam auf der StraBe auf­ !ei;en kann. Die Rechtsverwildf'run1 �el nur an drel olti7.ieUen Be1rltfen auf11:e­ zcichnet, nad! dcnen Schuld und SUhne bfomess�'"'••'

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mérite d'avoir empêché la destruction de la Bisserbrücke (voir Luxemburger Wort du 1 3 . 2. 1976 et Tageblatt du 1 7. 3. 1976, 1 1. 5. 1976 et 20. 5. 1977). Voici donc un témoignage d'outre­ tombe qui vient ajouter un élément sinon de clarification, du moins complémentaire. Il est intéressant de noter que Storn déclara que c'est lui qui a recruté les démineurs, ce qui compte tenu de sa formation et de son expérience, paraît crédible.

224

Ce travail s'était fait au prix d'effroyables sacrifices humains. Rien que pour le mois de juin 1 945, on compta 19 morts et 15 blessés, au cours de neuf accidents graves.

A la fin de 1945, toutes les localités du pays avaient subi un nettoyage général. 146 kilomètres de voies ferrées, 250 kilomètres de lignes électriques et 308 kilomètres de lignes téléphoniques avaient été déminées et pratiquement •/s du territoire, infecté de mines, pouvaient être considérés comme déminés. Restaient encore à déminer certains terrains aux environs de Vianden, Reisdorf, Grundhof et Wasserbillig. De septembre 1 944 à décembre 1 945, 55 400 mines diverses avaient été enlevées, 2 927 tonnes de munitions et 4 470 kilos d'explosifs avaient été détruits, 4.000 tonnes de munitions avaient été rassemblées en dépôts.

«En tout cas, annonçait le lieutenant Welter, la grande action de nettoyage est terminée. » 202 prisonniers politiques et 6 9 ouvriers civils avaient participé à ces travaux. Le bilan en vies humaines était lourd : 10 ouvriers civils tués et 1 1 blessés, 3 1 prisonniers politiques tués et 5 6 blessés. Les accidents mortels dont furent victimes les détenus politiques se répartissent comme suit : 1 tué le 3 mai 1 945 à Bettendorf, 2 tués le 1 7 mai 1945 à Vianden, 3 tués le 24 mai 1945 à Vianden, 1 tué le 6 juin 1945 à Rodershausen, 1 tué le lendemain au même endroit, 1 tué le 13 juin 1945 à Wasserbillig, 1 tué le même jour à Vianden, 3 tués les 22 et 23 juin 1945 à Mertert, 3 tués le 25 juin à Troisvierges, 3 tués le 25 juin 1945 à Vianden, 1 tué le lendemain au même endroit, 1 tué le 26 juin à Rosport, 2 tués le 3 août 1 945 et un blessé grave décédé le 8 août 1 945, 1 tué le 23 août, 1 tué le 9 septembre, 2 tués le 13 septembre, 1 tué le 7 novembre 1945, tous à Steinheim, 1 tué le 7 janvier 1 946 à Irrel (Allemagne) et 1 tué le 23 février 1946 à Wiltz. Le 16 novembre 1946, le Parquet général de Luxembourg classait le dossier de Stor� : «Faute d'indices de culpabilité suffisants, il n'y a pas lieu à poursuites répressives. » Dans un témoignage à l'auteur, en date du 31 août 1 978, Victor Bodson écrit: «Sans les ,Gielemannercher', le déminage aurait été quasiment impossi­ ble. Le courage des détenus fut très grand. Ceux qui avaient mal agi pendant la guerre ont trouvé un immense courage pour aider le pays après le désastre de la deuxième guerre mondiale.» Et Bodson d'ajouter: «S'il y a des ,hommes oubliés', ce sont les démineurs, les ouvriers civils et les détenus, qui tous ensemble ont écrit une page glorieuse de l'histoire luxembourgeoise.» 225

Les détentions de femmes La prison des femmes de Luxembourg-Grond ne fut pas en mesure d'accueillir le nombre considérable de détenues politiques, qu'on ne cessait d'arrêter. Le 16 octobre 1944, cette prison fut transférée à Luxembourg-Limperts­ berg, dans l'ancien couvent d�s soeurs dominicaines, transformé pendant la guerre en caserne. Il s'agissait d'un immeuble moderne et spacieux. Des baraques en bois installées dans la cour ainsi que les anciennes écuries transformées servaient également de lieux de détention. Le nombre des détenues, qui était de 240 au moment du transfert, augmente rapidement pour atteindre en juillet 1945 le chiffre record de 1 .801 et décroître ensuite sensiblement. De toute façon, la prison était largement surpeuplée, les conditions de détention étaient cependant jugées satisfaisantes p ar une commission de la LPPD, qui procéda à une inspection le 24 août 1945. A cette époque, le personnel comprenait 1 administrateur, 1 sous-administra­ teur, 25 gardiennes laïques, 8 soeurs, dont 5 affectées à des tâches de gardiennes, et 7 gardiens, dont 1 chef-surveillant. La nourriture était suffisante. Certaines femmes furent tonsurées lors de leur arrestation, mais il n'y a pas un seul cas connu de mauvais traitements infligés à une détenue politique. Le régime était sévère, mais ceci était surtout dû au caractère difficile de certaines détenues. Les manquements aux prescrip­ tions de l'ordre étaient punis de peines disciplinaires, telles que: mise au cachot (où les prisonnières disposaient d'une paillasse et d'une couverture, tout comme dans leurs cellules), défense de recevoir des visites, interdiction de recevoir ou d'expédier du courrier. Les prisonnières n'étaient pas astreintes au port d'une tenue particulière. Il n'y eut aucun suicide de détenue politique; trois femmes décédèrent de mort naturelle durant leur détention. L'évolution des chiffres de détention des femmes se fit comme suit: 1 •r janvier 1 945 1°' janvier 1 946 1°' janvier 1 947

782 388 255

1 °' janvier 1948 1°' janvier 1 949 1°' janvier 1 950

116 65 35

Le sort des en/ants de détenus L'une des accusations les plus graves formulées en corrélation avec l'épuration fut celle concernant les conditions d'hébergement des enfants de détenus politiques. 226

Le Dr. Mehn, défenseur du chef de la Gestapo, n'hésite pas à déclarer dans son plaidoyer: «Toutes les infamies et sévices, oui même les assassinats bestiaux et ignominies des hommes de la Milice font pâle figure devant les horribles assassinats d'enfants à !'Hospice du Rham.» Devant l'énormité de ces accusations, les autorités judiciaires eurent à coeur de se laver de tout soupçon et procédèrent à une enquête des plus serrées. Disons-le d'emblée, le résultat de cette enquête est convaincant: il n'y eut ni crime, ni sévices dont furent victimes des enfants. Je le dis avec un grand soulagement. Dans le cas contraire, j'aurais eu honte de mes compatriotes. Venons-en aux faits. À la suite des arrestations de collaborateurs au lendemain de la Libération, quelque 300 enfants durent être pris en charge par la collectivité et furent confiés aux soins de religieuses dans des homes situés à Itzig et à Marienthal. Après le retour des collaborateurs qui s'étaient enfuis avec leurs familles en Allemagne, une deuxième vague d'enfants, beaucoup plus importante, dut être logée et nourrie. Ces enfants - en tout 1 040 - furent installés à }'Hospice du Rham. Parmi eux, il y avait un grand nombre d'enfants en bas âge, dont des nourrissons. Pour la seule section des enfants en bas âge, il y avait 7 soeurs religieuses et 6 servantes, assistées d'un certain nombre de femmes, pensionnai­ res habituelles de l'hospice. Tout le personnel était d'un dévouement exem­ plaire. La nourriture était bonne et suffisante. La surveillance médicale était exercée sous l'autorité du directeur médical de la Maternité grand-ducale. Entre le 31 mai et le 21 octobre 1945, il y eut 21 décès, chiffre très élevé, mais qui a une explication logique: 1 1 enfants en bas âge, non encore sevrés, décédèrent à la suite d'une diarrhée provoquée par le changement de nourriture; il y eut 2 cas de pneumonie, 1 cas de fièvre typhoïde, 1 cas de diphtérie, 1 cas de croup, 1 cas de méningite, 4 décès pour causes non déterminées. Une partie des décès - d'après les constatations médicales - étaient la suite des privations endurées par les enfants pendant la fuite de leurs parents, donc avant leur admission à !'Hospice du Rham.

Exécutions sommaires et «self»-justice Il nous faut maintenant aborder l'un des chapitres les plus douloureux de la période qui suivit la Libération, celui des exécutions sommaires. Y eut-il des exécutions sommaires de collaborateurs ou prétendus tels? La réponse est indubitablement: oui ! 227

Combien y eut-il d'exécutions sommaires ? Ici, la réponse devient déjà moins précise. Ce qui est sûr, c'est que le Parquet fit mener des enquêtes rigoureuses. Dans quatre cas, la conclusion fut qu'il y avait eu mort d'homme, à la suite d'actes de violence. Il y eut donc quatre Luxembourgeois, qui furent abattus après la guerre en raison de leurs activités antipatriotiques ou prétendues telles. Deux de ces affaires eurent lieu le jour même et le lendemain de la Libération, c'est-à-dire à un moment où à la liesse de se voir libérés, les Luxembourgeois mêlaient une sorte de surexcitation de s'en prendre à ceux qui les avaient humiliés dans leur esprit et aussi dans leur chair pendant plus de quatre ans. Deux autres affaires se situent nettement plus tard, en avril 1945. Voici ces quatre cas, tels qu'ils ont été établis par les services de police et de gendarmerie et soumis à l'appréciation des tribunaux compétents. Le 10 septembre 1944, jour de la Libération, au village de Mondercange, l'«Union» avait organisé un cortège joyeux et bruyant à travers les rues du village; chaque fois qu'on arrivait devant la maison d'un collaborateur, on l'obligeait à grands cris à rentrer le drapeau national. C'est ainsi que l'on arriva devant la maison de H., cultivateur. On lui reprochait d'avoir dénoncé à la suite d'une bagarre deux jeunes gens qui avaient été condamnés par un tribunal allemand à 10, respectivement 12 mois de prison pour coups et blessures et manifestation ami-allemande. Les deux jeunes gens faisaient partie du cortège et n'étaient pas les moins enragés à exiger de H. de rentrer le drapeau luxembourgeois. H. qui s'était barricadé dans sa maison, refusa d'obéir et tira d'une fenêtre du premier étage trois coups de fusil de chasse, blessant deux personnes. Ensuite, il prit la fuite et se cacha dans une maison voisine. C'est alors que le bourgmestre de Mondercange et deux autres personnes parlementèrent avec H. et réussirent à le convaincre de se laisser désarmer et conduire en lieu sûr. Mais à peine eut-il franchi le seuil de la maison, qu'une mêlée confuse éclata, au cours de laquelle plusieurs coups de feu furent tirés. Atteint par une balle derrière l'oreille, H. s'écroula mortellement blessé. Les responsabilités dans cette affaire ne furent jamais clairement établies. Dans la matinée du 1 1 septembre 1 944, cinq membres de la Milice, chargés d'arrêter les personnes ayant collaboré avec l'ennemi, se présentent au domicile de K. à Luxembourg-Hamm. Au moment de leur arrivée, K. est au fond du jardin. Les miliciens braquent leurs armes sur lui et lui disent de mettre les mains en l'air, sans bouger. K. optempère mais à un moment donné se met à courir vers la maison et dans un geste suspect, baisse la main droite et fouille dans sa poche. Aussitôt, les miliciens ouvrent le feu et K. s'écroule mortelle­ ment blessé. 228

Il semble que les miliciens, qui avaient été avertis par les habitants du quartier que K. était armé et qu'il se défendrait éventuellement, se soient mépris sur la portée de ce geste, car l'enquête montra que K. n'était pas armé au moment de son arrestation. Les cinq miliciens furent inculpés du chef de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner. Par jugement en date du 26 mars 1 954, le Tribunal correctionnel de Luxembourg acquitta les prévenus, qui bénéficièrent de la loi d'amnistie du 24 mars 1 950. La famille de K. renonça à tout appel et action civile. Le 2 avril 1 945, vers 1 1 heures du soir, trois individus masqués abattent sur le seuil de sa porte l'entrepreneur P. de Pétange. P. avait, semble-t-il, travaillé pendant la guerre pour le compte des Allemands. Arrêté le 10 septembre 1944, il avait été remis en liberté le 28 février 1 945. Les auteurs de ce crime ne furent jamais identifiés. La veuve de P., qui tenait jusque fin 1979 un café à Luxembourg, s'est refusée à toute déclaration. Le 26 mai 1 945, trois individus pénètrent dans la maison de S., forgeron à Gostingen, soupçonné, non sans quelque raison, d'avoir dénoncé des patriotes aux Allemands. Ces trois individus veulent amener S. sur la place de l'église, pour qu'il confesse publiquement ses dénonciations. Mais S. n'arrivera pas vivant jusqu'à l'église. En route, les trois tortionnaires s'acharnent à un tel point sur lui, qu'il tombe par terre, inanimé. Quelques heures plus tard, il devait décéder à la suite d'une hémorragie interne. Prévenus d'arrestation et de détention illégales ainsi que de coups ayant entraîné la mort, les trois individus comparurent le 27 décembre 1 954 devant le Tribunal correctionnel de Luxembourg, qui les acquitta en vertu de la loi d'amnistie de 1 950. L'action civile intentée par les héritiers de S. fut déclarée irrecevable. Ces derniers se pourvurent en appel. Par arrêt du 4 janvier 1956, la Cour d'Appel confirma le jugement précédent; toutefois, elle déclara l'action civile justifiée et fixa celle-ci à 1 000 F, à payer conjointement par les trois prévenus. Dans le même ordre d'idées, on peut évoquer une affaire qui se produisit en octobre 1 944 à Belvaux. Le 20 octobre 1944, un certain nombre de femmes, dont l'attitude avait été antipatriotique pendant la guerre, furent tonsurées dans les bureaux de l'«Union» à Belvaux; parmi celles-ci, l'épouse de H., ouvrier. Trois jours plus tard, H. était à son tour convoqué au bureau de l' «Union» à fin d'interrogatoi­ res. Il ne se présenta pas. On se rendit à son domicile et l'on constata que H. s'était suicidé avec sa femme et ses trois enfants dans la soirée du 23 octobre. 229

Une enquête fut ouverte. Il apparut que H. et son épouse avaient à plusieurs reprises tenu des propos suicidaires. Ainsi l'épouse H. avait notamment déclaré à une voisine qu'au cas où la guerre tournerait mal et s'il y avait des bombardements, elle se suiciderait avec sa famille en ouvrant le robinet à gaz. Son mari avait tenu en 1 943 des propos similaires à un camarade de travail. H. et son épouse étaient incontestablement germanophiles, ils n'avaient pas milité dans le parti nazi ni causé des torts à personne. Le dossier fut classé sans suite. Y eut-il d'autres exécutions sommaires ? Difficile à dire. Je pense que 2 ou 3 cas pourraient s'ajouter à ces quatre cas dûment établis. Un exemple parmi d'autres : selon certaines rumeurs, l'«Orts­ gruppenleiter» d'Obercorn, un dénommé C.M. aurait été poussé d'un train, fin 1945, ramenant à Luxembourg des enrôlés de force qui avaient été faits prisonniers par les Russes et détenus au camp de Tambow. C.M. avait effectivement exercé les fonctions d' «Ürtsgruppenleiter» jus­ qu'au 16 octobre 1 942. A cette date, il fut enrôlé dans l'armée allemande. Il fut enregistré comme prisonnier au camp de Tambow, mais à partir de là, on perd toute trace. Une enquête au sujet de sa mort n'aboutit pas, faute de témoins. Un jugement rendu par le Tribunal d' Arrondissement de Luxem­ bourg en date du 3 juin 1949 constate laconiquement: «L'intéressé a trouvé la mort en Allemagne, fin 1 945, après son départ du camp de Tambow, victime des événements de la guerre.» Ces affaires non élucidées se rapportent à des on-dit chuchotés sous le sceau du secret. Il s'agit de collaborateurs de seconde zone, dont il n'est même pas tout-à-fait sûr que tous furent tués en raison de leur attitude antipatrioti­ que durant l'occupation. Cette période instable était propice à des règlements de compte de tous genres. Pour les cas non élucidés, pas une seule famille des victimes ou prétendues telles, ne porta plainte, et aujourd'hui encore les proches de ces personnes ne veulent pas qu'on rouvre les dossiers. Au cours de mes enquêtes, j'ai à chaque fois été éconduit, et pas toujours poliment. En tout état de cause, si l'on en reste aux quatre exécutions sommaires dûment constatées, il s'agit de quatre morts de trop ! En dehors des exécutions sommaires, il y eut une série d'autres actions où, au nom d'une justice expéditive, d'aucuns prétendirent punir des collabora­ teurs ou prétendus tels. C'est ainsi que le lendemain de la Libération, le 1 1 septembre, un incendie criminel détruisit la maison d'un habitant de Hollenfels. L'auteur de cet 230

attentat, qui avait agi pour des motifs politiques, fut identifié, mais décéda avant la fin de l'instruction de l'affaire. Vers la fin du mois d'avril 1945 et à plusieurs reprises, une série d'explosions se produisirent nuitamment à Reckange-sur-Mess. Deux maisons étaient visées dans lesquelles habitaient des personnes auxquelles l'opinion ·publique reprochait d'avoir eu une attitude suspecte durant l'occupation. Les dégâts furent à chaque fois minimes. Dans la nuit du 6 au 7 mai 1 945, la grange d'un habitant de Bech­ Kleinmacher, cultivateur et cafetier, flambait. C'était en quelque sorte l'acte final de manifestations qui s'étaient déroulées durant toute la journée du 6 mai dans cette localité et au cours de laquelle des maisons de collaborateurs avaient subi de légers dégâts (jets de pierres et d'objets divers).

L'auteur ou les auteurs de cet incendie, dont il est établi qu'il était volontaire, ne fut jamais découvert. L'affaire se termina par un non-lieu. Le 20 mai 1945, des jeunes gens obligèrent les habitants de l'une de ces maisons à rentrer le drapeau luxembourgeois. L'un de ces jeunes gens proféra même des menaces en brandissant un révolver ; il est vrai qu'il s'agissait d'une arme qui n'était pas en état de fonctionnement. L'affaire fut considérée comme éteinte par l'effet de la loi d'amnistie du 24 mars 1950. Une autre affaire d'explosifs qui éclatèrent devant les maisons de deux collaborateurs se produisit dans la nuit du 25 au 26 juillet 1945 à Strassen. Les dégâts furent minimes; les auteurs ne furent pas identifiés. Vers la fin d'octobre 1945, une quantité importante de moût appartenant à un paysan de Colmar-Berg fut rendue inutilisable par l'addition de pétrole. L'enquête prouva que ce sabotage avait des motifs politiques, mais il ne fut pas possible de découvrir l'auteur (les auteurs ?). Dans la nuit du 8 au 9 novembre 1945, des inconnus lancèrent des charges explosives dans un café de Pétange, causant des dégâts très importants. Il ne fut pas possible de découvrir les auteurs de cet attentat, dont les causes sont, selon les enquêteurs, de nature politique. Le 28 février 1947, vers 23 heures, une explosion se produisit devant la maison du commerçant C. de Schifflange, détruisant une partie de l'agence­ ment intérieur du magasin et faisant voler en éclats les vitres des maisons environnantes. Une passante fut blessée aux jambes. Le motif politique de cette explosion était évident: C. avait été membre du parti fasciste et la réouverture de son magasin, par décision du Tribunal cantonal d'Esch, avait provoqué de vives réactions à Schifflange. Le jour même de l'attentat, une lettre anonyme, signée «De letzeburger Partisan» (le partisan 23 1

luxembourgeois) et contenant des menaces à l'égard de C. avait été adressée au poste de gendarmerie de Schifflange. Les soupçons se portèrent vers une personne qui, à plusieurs reprises, s'était querellée avec C. et avait menacé de faire sauter sa maison, ensuite vers un groupe de résistants pour finir par se fixer sur un ouvrier, qui fut mis en inculpation. Les indices semblant toutefois insuffisants, la poursuite fut abandonnée. Citons finalement une affaire grave, qui se produisit le soir du 15 mars 1947 et au cours de laquelle la maison de l'ancien «Ürtsgruppenleiter» de Bettembourg, un dénommé S., fut endommagée. Son épouse, qui se trouvait par hasard près du foyer de l'explosion, fut grièvement blessée. Cette affaire ne fut jamais élucidée.

232

V

DE LA RÉPRESSION À LA CLÉMENCE

L'apaisement au nom de la justice Le 25 juin 1 949, la Cour des Crimes de guerre prononçait son premier arrêt à l'encontre des criminels de guerre allemands, qui avaient fait régner la terreur durant l'occupation. Modèle du genre, cet arrêt est considéré à juste titre par Léon Metzler, juriste éminent, comme «historique». «Le verdict qui vient d'être prononcé, dit Metzler93l, est un document humain, s'attachant à l'essentiel, faisant la juste part de l'élément ,contrainte' dont les accusés, à titre plausible dans une certaine mesure, n'ont cessé de se prévaloir. Cet arrêt historique applique sereinement, modérément, les maximes violées du droit international, ne refusant pas les circonstances atténuantes là où elles pouvaient être accordées, graduant les peines selon les degrés de culpabilité décelés par l'instruction impartiale de la cause. » E n dehors d u «Gauleiter» Gustav Simon qui s'était soustrait à l a Justice en se suicidant le 1 8 décembre 1945 à Paderborn (Allemagne), au moment de son transfert à Luxembourg, les principaux responsables allemands de l'organisa­ tion administrative, judiciaire et policière furent jugés entre 1949 et 195 1 . Il y eut cinq condamnations à mort, dont trois par contumace, plusieurs condam­ nations à de lourdes peines de travaux forcés, des peines d'emprisonnement ainsi que des acquittements. Aucun des condamnés à mort allemands ne fut exécuté. A la Noël 1957, le dernier des criminels de guerre quittait la prison de Luxembourg. Quatre au moins des criminels de guerre condamnés à Luxembourg purent, à leur retour en République fédérale d'Allemagne, reprendre leur robe de magistrat, dont il avait été prouvé à suffisance qu'elle était souillée du sang d 'innocentes victimes : - Adolf Raderschall, condamné à mort par contumace, qui avait présidé pendant la guerre le tribunal spécial «Sondergericht» et qui avait été membre de 93l Luxemburger Wort du 28 juin 1 949. 235

la Cour Martiale «Standgericht», qui avait expédié en un tournemain 21 patriotes luxembourgeois au poteau d'exécution après la grève de 1942, termina sa carrière comme directeur du tribunal du Land Rhénanie-Palatinat; - Leo Drach, procureur de la Cour Martiale, d'une brutalité inouie, condamné à 20 ans de travaux forcés, libéré en décembre 1954, après avoir subi 8 ans de sa peine, put reprendre ses fonctions en Allemagne en 1956 et fut même promu procureur général; - Joseph Wienecke, avocat général au Tribunal d'exception, où il fit preuve d'une rigueur excessive, condamné à 10 ans de travaux forcés, ne revint pas d'une permission qui lui avait été accordée sur l'honneur par les autorités luxembourgeoises, fut rapidement promu premier avocat général auprès du Parquet de Cologne. - Otto Bauknecht, assesseur auprès du Tribunal d'exception et membre de la Cour Martiale, condamné à 4 ans de prison, devint président de la commission d'examen de l'Etat pour les jeunes juristes. (!)

Il fallut une violente campagne de �resse déclenchée à partir de Luxem­ bourg et reprise par la presse allemande 4> pour que Drach et Wienecke fussent éloignés de leurs emplois publics. Certains mêmes, tel l' «Oberbürgermeister» de Luxembourg, Richard Hengst, arrêté en Allemagne et transféré à la prison du Grund, furent expulsés sans comparaître devant un tribunal. Une fois rentré en République Fédérale, Hengst réclama le transfert d'un compte bloqué de 200 000 RM à la Caisse d'Epargne, ce qui lui fut promptement accordé. On le constate: les Luxembourgeois firent preuve d'une grande «mansué­ tude» - terme employé par l'historien Gilbert Trausch - à l'égard des criminels de guerre allemands. En fut-il de même à l'égard de leurs propres compatriotes ? Ecoutons à nouveau Metzler: «L'épuration du pays sur le plan intérieur accuse, dans l'ensemble, un degré de sévérité réprouvé par la grande majorité du pays. Entreprise manquée faute de mesure: cette vérité incontestable, d'ailleurs incontestée, n'est plus à démontrer. » Essayons d e faire u n premier bilan vers l e milieu d e l'année 1949, où commencent les grands procès des criminels de guerre allemands. Nous y constaterons que l'appréciation de Metzler, pour ce qui est de la sévérité des jugements, semble exacte. Quant à savoir si cette sévérité est 94l Der Spiegel, 236

n° 6/1965.

«approuvée par la grande majorité du pays», c'est là une affirmation qui est loin d'être celle de bon nombre de Luxembourgeois. Nous allons revenir sur cet aspect. Qu'en est-il des données chiffrées? À la fin de l'année 1 949, tous les grands collaborateurs ont été jugés. Huit condamnations à mort prononcées à l'encontre des collaborateurs présents, ont été exécutées. Les tribunaux spéciaux de Luxembourg ont prononcé 4 225 jugements en matière politique et ceux de Diekirch, 1 0 1 7, soit au total 5 242. Il s'agit du nombre de jugements prononcés et non pas du nombre de personnes condamnées. En effet, pour certains jugements, on a rassemblé tous ceux qui avaient occupé un poste dans une organisation pronazie d'une localité déterminée. Ainsi, tous les collaborateurs de la «Ürtsgruppe» (groupe local) de Mersch ont été jugés au cours d'un seul procès. Il en fut de même de la «Ürtsgruppe» de Steinfort. À cette époque, quelque 125 affaires restaient encore à juger à Diekirch, et 450 à Luxembourg. Au 31 décembre 1 949, 252 hommes et 14 femmes, en tout 266 détenus politiques restaient encore en prison. Depuis mai 1947, la plupart des inciviques condamnés jouissaient d'une libération conditionnelle avec astreinte au travail, après avoir purgé la moitié de leur peine. Quant à ceux qui, pour des raisons diverses, ne pouvaient ou ne voulaient être astreints au travail, ils étaient, sauf exceptions très rares, libérés après avoir subi les deux tiers de leur emprisonnement. En même temps, depuis le 1 cr janvier 1946, la Commission de grâces en matière politique examinait à un rythme accéléré les demandes en grâce. En 1946, sur 233 demandes présentées, la Commission prit une décision favorable pour 1 50 cas ; en 1 947, il y eut 160 arrêts de grâce sur 294 demandes; il y en eut 234 en 1948, auxquels il faut ajouter 91 arrêts avec remise partielle des peines ; en 1 949, il y eut 84 arrêts de grâce. On revenait de loin, si l'on considère les 9 546 dossiers politiques enregistrés en avril 1 947. Les tribunaux avaient donc fait un travail immense : avant 1940, les tribunaux correctionnels rendaient, bon an mal an, 1 800 à 2 000 jugements. La tâche des tribunaux avait été rendue d'autant plus difficile que les affaires pénales de droit commun avaient également augmenté, qu'au moment de la Libération, la magistrature se trouvait en grande partie dispersée dans les 237

Lors de la séance solennelle de la Cour Supérieure de Justice, le 21 février 1946, le procureur général Félix Welter (carica­ ture Albert Simon à /'occasion du procès Kratzenberg) éleva la voix en faveur d'une justice sereine coins les plus éloignés de l'Allemagne et que son fonctionnement normal ne reprit qu'en mai 1 945. S'il est vrai que la Justice luxembourgeoise ne fit pas preuve de la même «mansuétude» à l'égard des collaborateurs luxembourgeois qu'à celui de leurs maîtres allemands, il faut faire une nette distinction : après une première période de grande sévérité, allant jusqu'à la fin de 1 945, la Justice atteignit à partir de 1 946 son rythme de croisière et se fit plus modérée. D'ailleurs, dès le 30 juillet 1 945, un arrêté grand-ducal avait abaissé le taux des peines. Le ton de cette justice sereine avait été donné à l'occasion de la rentrée judiciaire, lors de la séance solennelle de la Cour Supérieure de Justice de Luxembourg, le 2 1 février 1 946. Le procureur général Félix Welter lança un véritable cri d'alarme contre l'excès répressif qui avait caractérisé la période post-libératoire. «Il faudra que la répression s'humanise, dit notamment Welter, c'est une nécessité politique, ce sera aussi justice. » Et d'ajouter: «Ûn s'étonnera peut-être que le représentant du Ministère Public plaide l'indulgence. Ce ne serait qu'un malentendu. Je n'accuse pas la loi d'être d'une 238

rigueur excessive. J'entends qu'elle soit appliquée sans pme aux vrais coupables. Mais j'ai dit que plus de 9 500 affaires sont actuellement inscrites à nos Parquets. Personne cependant n'admettra que nous ayons eu dans notre pays 9 500 traîtres, c'est-à-dire plus de trois pour cent de notre population, hommes, femmes, vieillards et enfants compris . . . . . . Nous ne devrons jamais perdre de vue que les dispositions légales réprimant la trahison sont des textes rétroactifs, des textes qui n'existaient pas à l'époque où les faits incriminés ont été posés. Aussi pouvons-nous admettre que, dans un certain nombre de cas, les inculpés ne se rendaient pas exactement compte de la portée de leurs actes, que l'idée de la trahison leur est restée étrangère. Puis il y a les faibles, ceux qui ont eu peur, qui ont fait une première

concession, ont été pris dans l'engrenage et n'ont pas su se dégager. On ne

pourra pas dire qu'ils n'aient pas agi volontairement. On ne pourra pas les absoudre. Mais beaucoup d'entre eux, grâce à une répression humaine, pourront et devront être sauvés pour le pays.

Car la question soulevée par ces procès n'intéresse pas seulement l'adminis­ tration judiciaire. Il ne s'agit pas seulement de juger le plus rapidement possible les procès actuellement pendants, de vider nos prisons, il s'agit avant tout d'assurer l'avenir de notre pays. Or, un pays comme le nôtre, qui compte environ 280 000 habitants, ne pourrait pas vivre si, dans sa population, il comptait quelque 9 000 condamnés politiques qui, avec environ 40 000 proches parents, formeraient une masse de près de 50 000 hors la loi. La procédure que nous envisageons, en tendant à l'humanisation de la répression, constitue donc un premier pas vers le reclassement des condamnés, reclassement qui est une ,conditio sine qua non' du redressement de notre pays.» Même son de cloche de la part de Paul Faber, président de la Cour Supérieure de Justice, qui avait été le premier magistrat à élever publiquement la voix contre l'occupant95>. «Nous devons nous engager délibérément dans la phase de la reconstruc­ tion morale, celle du désarmement de nos coeurs, celle de la paix enfin reconqmse.» Amplifiant les déclarations du procureur général, le président Faber déclare : «La justice n'empêche pas l'apaisement, parce que l'apaisement est une oeuvre de justice. En effet, on oublie généralement que la justice pénale a une double mission : La première, celle que l'opinion a en vue lorsqu'elle crie ,justice', est celle de punir. Encore faut-il punir avec discernement. Vous serez tous d'accord avec 95l Voir page 1 72. 239

Monsieur le Procureur Général pour admettre que nous n'avons pas eu 1 0 000 traîtres, activistes ou dénonciateurs. Pour eux, pas de pitié! Mais c'est là de beaucoup la minorité. À l'égard de tous les autres qui ne se sont pas comportés en mauvais Luxembourgeois, mais qui par faiblesse ont fini par céder à une pression, due souvent à des circonstances spéciales auxquelles leurs accusateurs ont eu la chance d'échapper, à l'égard de tous ceux-là ,justice' signifie ,indulgence'. Je vous le demande en vous rappelant les années terribles : Combien sont-ils donc ceux qui auraient le droit d'être impitoyables ? Et ce sont précisément ceux-là qui s'abstiennent de jeter des pierres à leurs prochains, parce qu'ils sont sortis purifiés du creuset de la souffrance. Et cela m'amène à la seconde mission de la justice, celle qu'on oublie communément. Monsieur le Procureur Général vous l'a déjà dit: Après avoir frappé, il faut reclasser les coupables qui ont subi leur peine. Cette seconde mission de la justice est même tellement éminente, que le degré de civilisation d'un peuple se mesure entre autres à la manière dont il a réalisé le reclassement des condamnés. Je conclus donc en réclamant l'apaisement au nom de la Justice. » L e gouvernement avait fait siens ses principes. Ainsi, lorsqu'il fut appelé en 1 947 à la tête du ministère de la Justice, Eugène Schaus esquisse le problème de la répression de l'incivisme sous un triple aspect: 1 . reconnaissance des droits des patriotes et des victimes politiques ; 2 . pas de pardon aux véritables traîtres, aux assassins, aux grands dénonciateurs, à ceux qui ont souillé leurs mains du sang de victimes innocentes ; 3. pardon à ceux qui ont agi par faiblesse, par imprudence, par légèreté, à condition toutefois qu'ils reconnaissent leurs torts. Ces principes avaient également été, dans les grandes lignes, ceux de son prédécesseur Victor Bodson. Si dans l'opinion publique il y avait unanimité pour admettre ces principes, ce fut leur application ou plutôt leur non-application qui fit l'objet de nombreuses critiques. En dehors du reproche de lenteur de l'épuration sur lequel tout le monde était d'accord, les Luxembourgeois étaient surtout mécontents de ce que les patriotes étaient obligés de se battre pour leurs droits (pensions, dommages de guerre), alors que bon nombre d'inciviques couraient à nouveau les rues, narguant ouvertement ceux qui pendant la guerre avaient mis en jeu leur vie, leur santé, leur bien-être et celui de leurs familles. À côté de l'«Union» et de la Ligue «Ûns Jongen» (Nos gars) qui représente les intérêts des enrôlés de force dans la «Wehrmacht», et dont allait sortir plus tard la puissante «Fédération des victimes du nazisme, enrôlés de force», c'est 240

surtout la LPPD «Ligue luxembourgeoise des prisonniers et déportés politi­ ques>>, regroupant quelque 6 000 membres, qui se montre vigilante pour toutes les questions relatives à l'épuration. Ainsi, en octobre 1 947, la LPPD s'en prend à un policier d'Echternach, dont elle publie un dossier fort compromettant. Le mois suivant, c'est le tour d'un boulanger en faillite de Dudelange. En août 1 947, la LPPD s'étonne que le gouvernement occupe à des travaux de reconstruction un incivique notoire. Réponse du ministre Robert Schaffner, qui fut un résistant méritant et qui admet que ledit entrepreneur a réussi en 1 945 à se faire confier des travaux de reconstruction de moindre importance dans le secteur de Clervaux, en profitant de la pénurie d'entrepreneurs qualifiés dans la région : «Je n'ai pas manqué d'inviter immédiatement les services intéressés (architecte de l'Etat et Office de reconstruction) à exclure cet entrepreneur de tous travaux pour le compte de l'Etat. » Au cours de la séance de la Chambre du 20 mai 1947, le député communiste Jéhan Steichen s'attaque violemment à un inspecteur retraité de l'enseignement primaire et à certains de ses collègues, auxquels il reproche - citations à l'appui - leur attitude pronazie pendant la guerre. CONDAMNATIONS PRONONCÉES

À L'ÉGARD DES COLLABORATE URS Condamnations à mort

12

à perpétuité Peines de travaux forcés

23

20-25 ans

31

1 0-20 ans

1 92

5 - 1 0 ans

3 249

Peines d'emprisonnement

Peines de réclusion

1 0-20 ans

9

5- 1 0 ans

1 03

moins de 5 ans

1 .366 1 0-20 ans

54

5 - 1 0 ans

591

Nombre total des peines prononcées

96>

1 .254

645

2 . 2 72

Dont 1 par contumace. 8 sentences furent exécutées . . (Source: Parquet général, Luxembourg) 24 1

POURSUITES POLITIQUES État avril 1 94797> Parquet de Luxembourg

Parquet de Diekirch

Affaires classées Affaires liquidées par jugement ordinaire Affaires liquidées par jugement sommaire Affaires remises au juge d'enfants Affaires transmises à la police des étrangers Affaires pendantes

2.425 1 .682 768 435 589 3.473

420 120 1 76

Total (étrangers compris) Total affaires luxembourgeoises

9.372 8 . 783

763 763

Total général

47 1 0. 1 35 9.546

Le cas de cet inspecteur retraité et celui d'une autre personne, qui ont touché de substantiels arriérés du ministère des Dommages de guerre, sont évoqués dans une lettre que la LPPD adresse en avril 1949 au ministre A. Osch, responsable de ce département. Les explications technico-juridiques du ministre n'apaisent nullement la Ligue qui poursuit, sans succès, sa campagne contre cet inspecteur à la retraite. Dans ses polémiques avec ses adversaires, la LPPD s'attire parfois des répliques vives : un policier de Luxembourg, accusé d'incivisme, se défend comme un beau diable, et un entrepreneur de Pétange, fait intervenir son avocat. Le 1 1 janvier 1 947, les commerçants et artisans d'Esch-sur-Alzette, à l'appel de leurs associations et de la LPPD, baissent les volets de leurs magasins et boutiques et font grève de 2 à 3 heures de l'après-midi pour protester contre l'autorisation de commerce qui vient d'être accordée à un ex-fasciste. La grève est suivie massivement, l'autorisation de commerce n'est pas retirée. D'une façon générale, la LPPD ne cesse de parler du «malaise de l'épuration». Elle estime que l'on ne poursuit pas avec assez de vigueur les prisonniers politiques, qu'il conviendrait plutôt, selon elle d'appeler des «inciviques politiques». Le «cousinage et la protection» (LPPD de septembre 1 946) jouent à plein en faveur des inciviques. Ces critiques se retrouvent dans le journal de !'«Union» et dans le périodique de la LPPD, le «Rappel» et, selon la constellation politique, sont reprises avec plus ou moins de vigueur par les autres organes de presse. 97 1 Source: Compte rendu Chambre des Députés, 23' séance, 29 avril 1 947. 242

f.tre ministre de la Justice après la Libération, n'était guère une sinécure. Victor Bodson (photo de gauche), qui le fut de 1940 à 1947, ensuite de 1951 à 1959, et Eugène Schaus, qui occupa ce poste de 1947 à 1951, accomplirent une tâche considérable, mais souvent très critiquée dans l'opinion publique.

Car entretemps, les problèmes de l'épuration ont été largement politisés et, suivant la majorité politique en place, sont portés sur la place publique avec d'autant plus de vigueur par l'opposition. Mais au fil des ans, le problème perd en acuité, le combat finit par s'épuiser faute de combattants, ou plutôt d'inciviques à épurer.

Vers l'amnistie En 1 949, à l'occasion du 30° anniversaire du règne de la Grande-Duchesse Charlotte, le gouvernement estime que les temps sont mûrs pour une réconciliation de tous les Luxembourgeois et prépare des projets d'amnistie en ce sens. 243

Il s'agit en premier lieu de passer l'éponge sur certains excès et faits regrettables commis principalement après la Libération. Traduit en termes juridiques, ceci signifie que le gouvernement propose d'amnistier «certains faits punissables commis sous l'impulsion de sentiments patriotiques pendant l'occupation ou à l'époque de la Libération» et qu'il entend «décréter législativement la justification ou l'excuse légale d'un certain nombre de ces faits». Par un deuxième train de mesures, le gouvernement entendait atténuer certaines peines accessoires prononcées en matière d'attentat contre la sûreté extérieure de l'Etat et faire acte de clémence pour des décisions portant sur l'épuration administrative. «Ces projets, devait déclarer le ministre de la Justice Eugène Schaus, en les présentant à la Chambre des Députés le 25 janvier 1950, ont pour but de faire oeuvre de justice et d'équité sociale et sont nés d'un désir d'apaisement des esprits et de pacification et de concorde nationale.» Les discussions à la Chambre sur le projet d'amnistie des faits punissables commis pour des motifs patriotiques sont d'ordre strictement juridique. Aucun fait précis n'est évoqué à cette occasion. Le projet est adopté au cours de la séance de la Chambre du 16 mars 1950 (voir annexe IV B). Au cours de la même année, la Chambre atténua certaines · peines accessoires attachées aux condamnations politiques, en libérant notamment les inciviques condamnés de la plupart des entraves économiques. Mais il fallut attendre la fin de 1 954 pour qu'une véritable ammsue politique fût prononcée. Un premier projet d'amnistie remontait à 1 950. Ce projet eta1t assez restrictif. Il ne prévoyait notamment la remise des peines que jusqu'à concurrence d'une année de prison et de 50 000 francs d'amende, excluait de l'amnistie les dénonciateurs condamnés à plus de trois mois de prison et ne prévoyait la restitution des droits politiques que pour les condamnations ne dépassant pas trois mois de prison. Un projet remanié fut déposé à la Chambre en 1 952, mais ce n'est que le 13 avril 1954 que les discussions débutèrent à la Chambre sur un projet plus vaste qui peut être considéré comme un véritable projet d'amnistie. Le projet ayant été amendé, revint à la Chambre le 23 novembre 1954 et fut adopté par 43 voix contre 3 (communistes) et 3 abstentions (2 socialistes et un député du Groupement démocratique) (voir annexe III-C). 244

A cette époque, il y avait encore en tout et pour tout 9 inciviques en prison, et la plupart des collaborateurs avaient recouvré leurs droits civiques. La commission des demandes en grâce avait liquidé 1 600 cas sur 2 600 qui lui avaient été présentés. Quant aux 1 000 affaires pendantes, elles tombèrent sous la loi que les députés venaient de voter. Sur le plan judiciaire et législatif, un chapitre de l'histoire du Grand-Duché était définitivement clos.

245

CONCLUSION

DES COLLABORATEURS HONTEUX MAIS RANGÉS En juin

1 976,

Pierre Feltgen, ex-gendarme, condamné le

4

novembre

1 947

par le tribunal correctionnel de Diekirch à 30 mois de prison pour faits de collaboration, lançait un appel public en faveur de la création d'une «Amicale des prisonniers politiques d'après-guerre», Feltgen invitait «tous les ex-collaborateurs, pas les gros bonnets, seulement les lampistes à s'unir» au sein d'une telle Amicale. Dans cet appel, il contestait la légalité des procès d'épuration et mettait en doute la sincérité d'un grand nombre de résistants. Pour Feltgen, l'heure de la réhabilitation avait sonné. Le ministre de la Justice, Robert Krieps, adresse, au cours de la séance de la Chambre des Députés du 1 •r juin 1 976, un sévère avertissement aux personnes qui se sentiraient éventuellement attirées par l'appel de Feltgen: «J'avertis les personnes auxquelles s'adresse ce pamphlet qu'il est ni dans leur intérêt, ni dans celui de l'ordre démocratique, de remettre en discussion un passé qui remonte à plus de 30 ans», Le ministre dénonçait le «caractère provocateur» de cette initiative, coïncidant avec des mouvements analogues dans certains pays voisins en faveur soit de l'amnistie, soit de la réhabilitation des personnes condamnées pour collaboration avec l'ennemi. Et le ministre de s'inquiéter qu'en même temps aient lieu des actes de vandalisme et des incendies volontaires contre les camps de Natzweiler-Struthof et de Bergen-Belsen. Est-ce à dire que le Luxembourg était menacé de la constitution d'un mouvement de néo-nazis et d'ex-collaborateurs ? Il faut tout d'abord replacer l'initiative de Feltgen à sa vraie place. Obsédé de l'idée qu'on a commis une erreur judiciaire à son égard - ce en quoi il se trompe - Feltgen n'a cessé depuis des années à remuer ciel et terre pour attirer l'attention sur sa personne. Attribuer une quelconque valeur politique à son appel, c'est lui donner une importance qu'il n'a pas et lui prêter des intentions qui le dépassent de loin. 249

Mais la question est posée. Qu'en est-il des milliers d'inciviques luxembourgeois? Se sont-ils après leur libération de prison évanouis sans laisser de trace? Se rencontrent-ils? Ourdissent-ils des plans secrets pour ébranler notre système de démocratie parlementaire? Rêvent-ils encore des quatre années du Reich qu'ils avaient cru millénaire? La réponse est indubitablement non. Les ex-collaborateurs luxembourgeois ne sont guère prêts à tenter à nouveau une aventure politique; ce sont davantage des collaborateurs honteux, qui cachent .leur passé et qui veulent faire oublier qu'ils ont été pendant plus de quatre ans des « Gielemannercher» prétentieux et arrogants et, pour la plupart des lampistes bêtes et méchants. S'il leur arrive encore occasionnellement de se réunir dans l'un ou l'autre bistrot de Luxembourg, ce n'est pas tant pour échanger des souvenirs nostalgiques d'une époque révolue, mais plutôt pour discuter de questions bassement terre-à-terre : ils pratiquent, en effet, une solidarité active, et ceux d'entre eux qui ont réussi à se recaser convenablement après leur détention, viennent volontiers en aide à leurs camarades plus défavorisés. Mais à aucun moment, ils n'ont tenté de se regrouper en organisation politique, il n'y a pas eu après la guerre un quelconque mouvement néo-nazi structuré, ni même un embrvon d'un tel mouvement au Grand-Duché de Luxembourg. ·

Sur le plan politique, les collaborateurs, une fois qu'ils eurent réintégré la vie des citoyens ordinaires, et pour autant qu'ils aient recouvré leurs droits civiques, s'éparpillèrent dans les différentes formations politiques, qui les accueillirent à bras ouverts. C'est que les quelque 1 0 000 «Gielemannercher» avec leurs familles, parents et alliés, constituaient une clientèle électorale non négligeable. La plupart d'entre eux se fondirent dans la masse anonyme du corps électoral et ne firent plus jamais parler d'eux, à une ou deux exceptions près, qui réussirent à refaire surface et à jouer un rôle important jusque dans les plus hautes sphères gouvernementales. Sur le plan moral, le bilan est plus lourd. Les collaborateurs ont causé un mal infini au Grand-Duché de Luxem­ bourg, même si leur attitude pernicieuse a été contrebalancée par le comporte­ ment patriotique de la grande majorité de la population. Par bêtise, par lâcheté, par malveillance, par vanité, ils se sont faits les complices d'un régime totalitaire qui a foulé aux pieds les droits les plus élémentaires des hommes et des Etats. 250

Jamais au cours de sa longue histoire d'invasions, le Grand-Duché n'a connu en si peu de temps une telle accumulation de souffrances et de deuils. Les satrapes des nazis et les lampistes n'avaient pas voulu cela, prétendi­ rent-ils par la suite. Mais qu'avaient-ils voulu au juste, si ce n'est la destruction des structures d'une nation neutre et indépendante et la mise au pas de ses habitants ? L'explosion de colère après la Libération fut à la mesure des souffrances endurées durant l'occupation. À côté des authentiques résistants, des embusqués et résistants de la dernière heure surgirent, et ces derniers se montrèrent d'autant plus acharnés dans la chasse aux collaborateurs, qu'ils voulaient se dédouaner de leur passivité durant la guerre. Au cours de cette période trouble, il y eut des excès condamnables, même si on peut comprendre la motivation de certains de leurs auteurs. Heureusement que la Justice sut endiguer une situation qui aurait pu continuer à se dégénérer; heureusement que tout fut mis en oeuvre pour punir les coupables. Heureusement aussi que ces excès furent limités; ils ne sauraient être invoqués aujourd'hui par les ex-collaborateurs pour faire oublier leurs crimes et fautes. Jamais au cours de son histoire le Grand-Duché de Luxembourg n'a été confronté avec une pareille tragédie. Ce fut une période douloureuse et confuse. Seul le temps permettra d'en effacer toutes les cicatrices.

251

ANNEXES

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Cette affaire est inventée de toutes pièces. Pour la version exacte, voir page 206. Exact. Exact. 109> Doublement faux: Le journaliste J.P.R. n'est nullement décédé des suites de tortures endurées mais d'une tuberculose au nez dont il souffrait depuis 25 ans. Il ne passa que quelques mois en prison, d'octobre 1 944 à mars 1945. Après un séjour à l'hôpital de mars 1945 à septembre 1945, il fut définitivement élargi le 31 décembre 1945 et mourut le 25 mai 1946. La scène de tortures avec suite mortelle, décrite avec un luxe de détails par R. n'a jamais eu lieu. 261

IV TEXTES LÉGISLATIFS A) ARRËTÉ GRAND-DUCAL DU 1 4 JUILLET 1 943 modifiant les dispositions du Code Pénal concernant les crimes et délits

contre la sûreté extérieure de l'Etat.

(Mémorial du 18 septembre 1944, p. 24) Nous CHARLOTTE, par la grâce de Dieu, Grande-Duchesse de Luxembourg, Duchesse de Nassau, etc., etc. , etc. ;

Considérant que par suite de la situation extraordinaire dans laquelle se trouve le Grand-Duché de Luxembourg depuis l'invasion allemande, certaines dispositions du Chapitre II, Titre 1 ", Livre II du Code Pénal sont insuffisantes pour sauvegarder la sûreté extérieure de l'Etat; Considérant que l'occupation du territoire, perpétrée en violation du Droit des Gens et des Traités rend impossible la procédure législative normale; Considérant que cette situation due au fait de l'agresseur ne saurait ni enlever au Gouvernement le droit, ni le dispenser du devoir de défendre l'existence de l'Etat et d'en assurer la continuité; Sur le rapport et après délibération du Gouvernement en Conseil; Avons arrêté et arrêtons : Art. 1 ". Le Chapitre Il, du Titre 1 ", du Livre II du Code Pénal est modifié, respectivement complété, par les textes de loi suivants : Art. 1 13. Tout Luxembourgeois qui aura porté les armes contre le Grand­ Duché de Luxembourg, sera puni de mort. Sera puni de la même peine le Luxembourgeois qui volontairement aura servi dans les forces armées de l'envahisseur ou de ses alliés. Sera puni de la détention perpétuelle celui qui volontairement aura accompli pour l'envahis­ seur ou ses alliés des tâches de transport, travail et surveillance incombant normalement à ceux-ci ou à leurs services. 263

Art. 1 14. Quiconque aura pratiqué des machinations ou entretenu des intelligences avec une puissance étrangère ou avec toute personne agissant dans l'intérêt d'une puissance étrangère pour engager cette puissance à commettre des hostilités ou à entreprendre la guerre contre le Grand-Duché de Luxembourg ou pour lui en procurer les moyens, sera puni de la détention de dix ans à quinze ans. Si des hostilités s'en sont suivies, il sera puni de la détention perpétuelle. An. 1 1 5. Sera puni de mon: Celui qui aura facilité aux ennemis de l'Etat l'entrée sur le territoire du Grand-Duché; Celui qui aura livré des villes, places, postes, magasins, arsenaux ou bâtiments appartenant à l'Etat grand-ducal; Celui qui aura fourni des secours en soldats, hommes, argent, vivres, armes ou munitions ; Celui qui aura secondé le progrès de leurs armes sur le territoire du Grand­ Duché ou contre la force armée luxembourgeoise en ébranlant la fidélité des officiers, soldats ou autres citoyens envers le Souverain et l'Etat. Dans les cas ci-dessus, la tentative punissable sera assimilée au crime même. Le complot ayant pour but l'un de ces crimes sera puni de la détention de dix ans à quinze ans, s'il a été suivi d'un acte commis pour en préparer l'exécution, et de la détention de cinq ans à dix ans dans le cas contraire. Art. 1 16. Quiconque aura sciemment livré ou communiqué en tout ou en partie, en original ou en reproduction, à une puissance ennemie ou à toute autre personne agissant dans l'intérêt d'une puissance ennemie, des objets, plans, écrits, documents ou renseignements dont le secret vis-à-vis de l'ennemi intéresse la défense du territoire ou la sûreté de l'Etat, sera puni de mort. An. 1 1 7. Les peines exprimées aux articles 1 1 3, 1 1 5 et 1 16 seront les mêmes, soit que les crimes prévus par ces articles aient été commis envers le Grand-Duché de Luxembourg, soit qu'ils l'aient été envers les alliés du Grand­ Duché de Luxembourg agissant contre l'ennemi commun. Pour l'application de la présente disposition, est «allié du Grand-Duché de Luxembourg» tout Etat qui, même indépendamment d'un traité d'alliance, poursuit la guerre contre un Etat avec lequel le Grand-Duché de Luxembourg lui-même est en guerre. Art. 1 1 8. Quiconque aura sciemment livré ou communiqué en tout ou en partie, en original ou en reproduction, à une puissance étrangère ou à toute personne agissant dans l'intérêt d'une puissance étrangère, des objets, plans, écrits, documents ou renseignements dont le secret intéresse la défense du 264

territoire ou la sûreté extérieure de l'Etat, sera puni de la détention de cinq ans à dix ans. Si le coupable était investi d'une fonction ou d'un mandat public ou s'il remplissait une mission ou accomplissait un travail à lui confié par le Gouvernement, il sera puni de la détention de dix ans à quinze ans. Art. 1 1 8bis. Sera puni de la détention perpétuelle quiconque aura volontai­ rement participé à la transformation par l'ennemi d'institutions ou d'organ:sa­ tions légales, ébranlé en temps de guerre la fidélité des citoyens envers le Souverain et l'Etat, ou qui aura volontairement servi la politique ou les desseins de l'ennemi. Sera de même puni de la détention perpétuelle, quiconque aura volontaire­

ment dirigé, pratiqué par quelque moyen que ce soit, provoqué, aidé ou favorisé une propagande dirigée contre la résistance à l'ennemi ou à ses alliés ou tendant aux faits énumérés à l'alinéa précédent. Art. 1 19. Quiconque aura sciemment livré ou communiqué, en tout ou en partie, en original ou en reproduction, à toute personne non qualifiée pour en prendre livraison ou connaissance, des objets, plans, écrits, documents ou renseignements visés à l'article 1 1 8, sera puni d'un emprisonnement de six mois à cinq ans et d'une amende de 500 à 5 000 F. Sera puni des mêmes peines quiconque, sans autorisation de l'autorité compétente, aura reproduit, publié ou divulgué, en tout ou en partie, par un procédé quelconque des objets, plans, écrits, documents et renseignements visés à l'article 1 1 8. Art. 120. Quiconque, sans qualité pour en prendre livraison ou connais­ sance, se sera procuré, en tout ou en partie, en original ou en reproduction, des objets, plans, écrits, documents ou renseignements visés à l'article 1 1 8 ou les aura reçus volontairement, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à cinq ans et d'une amende de 1 00 à 5 000 F. Art. 120bis. Sera puni d'un emprisonnement de six mois à cinq ans et d'une amende de 500 à 5 000 F : 1 . Quiconque, sous u n déguisement o u e n dissimulant son identité, sa profession, sa qualité ou sa nationalité, ou à l'aide d'une manoeuvre ayant pour but de tromper les agents préposés à la garde ou de déjouer leur surveillance, se sera introduit soit dans un ouvrage quelconque de défense, un poste, un établissement militaire ou aéronautique, un dépôt, un magasin ou parc militaires, soit dans un atelier, un chantier ou un laboratoire où s'exécutent pour l'Etat des travaux intéressant la défense du territoire; 2. Quiconque, par l'un des moyens prévus à l'alinéa précédant, aura levé un plan, reconnu des voies de communication, des moyens de correspondance ou 265

de transm1ss1on à distance ou recueilli des renseignements intéressant la défense du territoire ou la sûreté extérieure de l'Etat; 3. Quiconque en vue de recueillir ou de transmettre des renseignements intéressant la défense du territoire ou la sûreté extérieure de l'Etat et sans avoir qualité à cet effet, aura organisé ou employé un moyen quelconque de correspondance ou de transmission à distance. Art. l 20ter. Sera puni d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de 5 1 à 100 F : 1 . Quiconque, sans autorisation d e l'autorité militaire o u aéronautique, aura exécuté par un procédé quelconque les levés ou opérations de topographie dans un rayon d'un myriamètre ou dans tout autre rayon qui sera ultérieure­ ment fixé par le Gouvernement, autour d'un ouvrage de défense, d'un poste, d'un établissement militaire, d'un établissement aéronautique autre qu'un aérodrome ou aérogare, d'un dépôt, magasin ou parc militaires, à partir des ouvrages avancés, ou aura pris des photographies d'un de ces lieux, ouvrages ou établissement, édité, exposé, vendu ou distribué des reproductions de ces vues ; 2. Quiconque, sans autorisation, aura escaladé ou franchi soit les revête­ ments ou les talus des fortifications, soit les murs, barrières, grilles, palissades, haies ou autres clôtures, établis sur un terrain militaire ou aura pénétré dans l'un des autres établissements visés par l'article l20bis.

Art. l 20quater. La tentative de l'une des infractions, prévues par les 1 16, 1 19, 120 à l20ter est considérée comme l'infraction elle-même.

articles

Art. l20 quinquies. Sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 100 à 1 000 F, quiconque, contrairement aux règlements aura déplacé ou détenu des objets, plans, écrits ou documents visés à l'article 1 18, ou quiconque, par négligence ou inobservation des règlements, aura laissé détruire, soustraire ou enlever même momentânément, tout ou partie de ces objets, plans, écrits ou documents qui lui ont été confiés ou dont il a eu connaissance en raison de ses fonctions, de son état, de sa profession, d'une mission, d'un mandat ou en aura laissé prendre connaissance, copie ou reproduction par un procédé quelconque, en tout ou en partie. Art. l20sexies. Si elles ont été commises en temps de guerre : Les infractions prévues par les articles 1 18, 1 19, 120 et 120bis seront punies de mort; Les infractions prévues par 1'.article 120 quinquies seront punies d'un emprisonnement de six mois à cinq ans et d'une amende de 500 à 5 000 F. Art. l 20septies. Sans préjudice de l'application des articles 66 et 67, sera puni d'un emprisonnement de huit jours à six mois et d'une amende de 5 1 à 500 266

F, quiconque, connaissant les intentions des auteurs d'une infraction prévue par les articles 120 ou 120bis ou de la tentative d'une de ces infractions, leur aura fourni logement, lieu de retraite ou de réunion, aura soit reçu ou transmis leur correspondance, soit r-ecelé les objets ou instruments ayant servi ou devant servir à commettre l'infraction. Art. 1 2 1 . Quiconque aura recelé ou fait receler des espions ou des soldats ennemis envoyés à la découverte, et qu'il aura connus pour tels, sera puni de mort. Quiconque aura recelé ou fait receler des agents ou des soldats ennemis, valides ou blessés, ou qui leur sera venu en aide pour leur permettre de se soustraire à l'autorité militaire, sera puni d'un emprisonnement de six mois à cinq ans et d'une amende de 500 à 5 000 F. Art. 121 bis. Sera puni de la réclusion, quiconque aura sciemment, par la dénonciation d'un fait réel ou imaginaire, exposé une personne quelconque aux recherches, poursuites ou rigueurs de l'ennemi. Sera puni de la même peine, quiconque, usant de violence, ruse ou menace, ou de tout autre moyen, aura entraîné ou essayé d'entraîner une personne à l'étranger pour mettre sa vie, sa liberté ou son intégrité corporelle en danger. Il sera puni des travaux forcés de 10 à 15 ans, s'il est résulté ou de l'entraînement à l'étranger, ou de la dénonciation pour une personne quelcon­ que et sans l'intervention d'une nouvelle dénonciation, une privation de liberté de plus d'un mois. Il sera puni de mort si, en suite de la détention ou des traitements subis, la dénonciation ou l'entraînement à l'étranger ont eu pour conséquence pour une personne quelconque et sans l'intervention d'une nouvelle dénonciation, soit la mort, soit une maladie paraissant incurable, soit une incapacité permanente du travail personnel, soit la perte de l'usage absolu d'un organe, soit une mutilation grave. Art. 122. Lorsque des objets ont été incendiés ou détruits par quelque moyen que ce soit, dans l'intention de favoriser l'ennemi, les peines portées contre ces faits par le Chapitre III du titre IX seront remplacées : L'emprisonnement par les travaux forcés de dix ans à quinze ans ; La réclusion par les travaux forcés de quinze ans à vingt ans ; Les travaux forcés de dix ans à quinze ans, par les travaux forcés à perpétuité; Les travaux forcés de quinze ans et plus, par la mort. La tentative d'incendie ou de destruction sera considérée comme le crime même. 267

Art. 123. (Maintenu et reproduit ci-après) - Quiconque, par des actions hostiles non approuvées par le Gouvernement, aura exposé l'Etat à des hostilités de la part d'une puissance étrangère, sera puni de la détention de cinq à dix ans, et si des hostilités s'en sont suivies, de la détention de dix ans à quinze ans. Art. 1 23bis. Sans préjudice de l'application du Chapitre VII du Livre I" du présent Code, seront punies d'un emprisonnement de huit jours à deux ans et d'une amende de 51 à 1 000 F : 1 . L'offre o u l a proposition d e commettre l'une des infractions prévues par les articles 1 1 3 à 1 20bis, 1 2 1 à 123; 2.

L'acceptation de cette offre ou de cette proposition.

Art. 1 23 ter. Si des infractions prévues par les articles 1 1 5 à 1 20quater, 120sexies à 1 23 bis, ont été commises par esprit de lucre, la rétribution reçue par

le coupable ou le montant de la valeur de cette rétribution, lorsque celle-ci n'a pas été saisie, seront déclarés acquis au Trésor.

Dans le même cas, la peine de la détention de cinq à dix ans sera remplacée par la réclusion; la détention de dix à quinze ans, par les travaux forcés de même durée; la détention extraordinaire par les travaux forcés de quinze à vingt ans; la détention perpétuelle par la peine de mort. S'il existe des circonstances atténuantes, la peine de mort sera remplacée conformément à l'article 80. Art. 123quater. Sans préjudice de l'application de dispositions plus sévères, sera puni des peines prévues par l'article 123 bis, le complot de commettre un crime ou un délit contre les personnes ou les propriétés formé dans le dessein d'entraver en temps de guerre, soit la défense du territoire, soit le ravitaillement en vivres, armes ou munitions de la force armée. Si le complot est formé en temps de guerre, il sera puni de la réclusion. Art. 123 quinquies. La confiscation des choses qui ont servi ou qui ont été destinées à commettre l'infraction sera toujours prononcée, de même que la confiscation des plans, cartes, écrits, documents, copies, levés, photographies, vues, reproductions et toutes autres choses procurées par l'infraction.

Art. 2. Notre Ministre de la Justice est chargé de l'exécution du présent arrêté qui entrera en vigueur le 1 8 juillet 1 943. New York, le 1 4 juillet 1 943.

268

Charlotte P. Dupong, Jos. Bech. P. Krier, V. Bodson.

B) LOI DU 24 MARS 1 950 concernant la répression de certains faits punissables commis sous l'impulsion de sentiments patriotiques pendant l'occupation ou à l'époque de la libération. (Mémorial du

31

mars

1950, p. 533.)

Nous CHARLOTTE, par la grâce de Dieu, Grande-Duchesse de Luxembourg, Duchesse de Nassau, etc., etc., etc ;

Notre Conseil d'Etat entendu; De l'assentiment de la Chambre des Députés ; Vu la décision de la Chambre des Députés du 1 6 mars 1950 et celle du Conseil d'Etat du 1 7 mars 1 950 portant qu'il n'y a pas lieu à second vote ; Avons ordonné et ordonnons : Art. 1

".

Ne constituent aucune infraction:

a) Les actes qualifiés délits ou contraventions commis depuis le 10 mai 1 940 et avant la libération soit pour suppléer à l'absence d'institutions ou d'autorités nationales soit principalement dans le dessin de servir la cause de la libération, de la résistance à l'ennemi ou des intérêts majeurs de la population ou du territoire occupé. b) Les actes qualifiés délits ou contraventions par la loi, postérieurs à la libération et motivés principalement par le souci soit de maintenir l'ordre public, soit de sauvegarder la sécurité extérieure ou int �rieure de l'Etat, posés, en dehors de l'opposition de l'autorité légitime, par des particuliers ou posés par des personnes revêtues de la qualité de fonctionnaires ou d'agents de l'Etat ou des communes et agissant dans un intérêt administratif en dehors des limites de leur compétence ou par inobservation des formes légales. L'acte est également justifié s'il constitue l'exercice d'une faculté légalement attribuée depuis la libération à une autorité administrative. c) Les actes qualifiés crimes par la loi, commis dans les conditions spécifiées ci-avant sub a) et b) pour autant que la nécessité ou la haute utilité de l'acte au 269

regard du but patriotique visé ou l'erreur excusable quant à l'existence de ces conditions se trouve démontrée. Art. 2. Amnistie pleine et entière est accordée aux actes qualifiés délits ou contraventions par la loi pénale commis antérieurement au 1" janvier 1947 en raison de motifs exclusivement ou principalement patriotiques et dirigés directement contre les personnes s'étant rendues coupables d'attentat contre la sûreté extérieure de l'Etat. L'erreur excusable quant à l'existenœ de cette dernière circonstance est assimilée au cas où cette circonstance se trouve réalisée. Art. 3. Si dans les cas visés à l'art. 1 cr sub c) la preuve d'une nécessité ou haute utilité n'est pas rapportée, le fait sera éventuellement puni des peines prévues pour le cas où il aurait été accompli involontairement ou par défaut de précautions ou de prévoyance et prendra le caractère de cette infraction. Si aucune peine n'est prévue pour le cas où le fait a été accompli involontairement ou par défaut de précautions ou de prévoyance, ce fait se trouve amnistié. Art. 4. Lorsque le fait a été posé en dehors des conditions visées aux articles 1" et 3 mais antérieurement au 1" janvier 1949 et qu'il a été dirigé contre une personne s'étant rendue coupable d'attentat contre la sûreté extérieure de l'Etat, les auteurs de faits qualifiés crimes, commis en raison de motifs exclusivement ou principalement patriotiques, ainsi que les auteurs de délits commis en raison de motifs pareils, mais ne tombant pas sous l'effet de l'article 2 ci-dessus, bénéficieront d'une excuse légale au titre de la provocation. L'excuse prévue ci-dessus donne lieu à une réduction de peine égale à celle prévue aux art. 79 et suivants du Code pénal. Elle peut être cumulée avec de plus amples circonstances atténuantes et excuses légales y compris celles visées aux art. 4 1 1 à 4 1 5 du Code pénal. S'il y a lieu, les dispositions de la loi du 1 8 juin 1 879 portant attribution aux cours et tribunaux de l'appréciation des circonstances atténuantes s'appliquent à l'excuse prévue aux alinéas précédents. Art. 5. Sous réserve de l'application éventuelle des dispositions de l'art. 4 qui précède sont exclus de l'amnistie et de la justification les actes dont l'auteur en les exécutant a fait preuve de cruauté ou de férocité particulières. Sont excluses en outre toutes infractions aux articles 372 à 382 du Code pénal. Art. 6. L'amnistie prévue aux art. 2 et 3 alinéa 2 ne pourra être opposée aux droits des tiers. La Cour ou le tribunal saisi de l'action civile en même temps que de l'action répressive reste compétent pour statuer sur l'action civile, nonobstant l'amnis­ tie. 270

Art. 7. Les faits pour lesquels une condamnation est intervenue avant l'entrée en vigueur de la présente loi et qui sont reconnus justifiés, seront effacés du casier judiciaire. Les condamnations comprises dans l'amnistie ne seront plus inscrites dans les extraits du casier judiciaire à délivrer aux particuliers à moins qu'à la date du 1" janvier 1949 le nombre des condamnations pour crimes et délits ne dépasse trois ou que l'une de ces condamnations, non conditionnelle, ne soit supérieure à huit jours d'emprisonnement. Les extraits du casier judiciaire comprenant les condamnations amnistiées par la présente loi seront délivrés, à leur demande, à toute juridiction et à toute personne chargée de la conduite d'une enquête prévue par la loi, lorsque ces documents se rapportent à des individus faisant l'objet d'une instruction répressive ou administrative, ou à des personnes appelées en témoignage en toute matière, ou lorsqu'ils attestent l'existence de la preuve légale pour l'application des articles 443 et suivants du Code pénal. En cas de contestation sur les inscriptions au casier judiciaire dans les cas visés ci-dessus, ainsi qu'en cas de difficulté relative à l'application de la présente loi à des faits déja jugés avant son entrée en vigueur, pour ce qui concerne la cause de justification et l'amnistie, la chambre des mises en accusation est compétente pour y statuer conformément aux dispositions procédurales de l'art. 2 de la loi du 5 décembre 191 1 portant réhabilitation de droit des condamnés à des peines correctionnelles ou à des peines de police. Dans les cas où le condamné ou le Ministère public entendent voir appliquer l'art. 3 alinéa 1" et l'art. 4 de la présente loi, l'affaire sera reportée à cette fin devant la même juridiction qui a connu de l'affaire. Au cas où plusieurs infractions, qui se trouvent en partie seulement atteintes par les effets de la présente loi, ont donné lieu à une seule peine par application des articles 59 à 62 du Code pénal, l'affaire sera reportée devant la juridiction qui a rendu le jugement de condamnation et qui fixera le taux de la peine en tenant compte des dispositions de la présente loi. Mandons et ordonnons que la présente loi soit insérée au Mémorial pour être exécutée et observée par tous ceux que la chose concerne. Luxembourg, le 24 mars 1950. Eugène Schaus.

Charlotte.

271

C) LOI DU 12 JANVIER 1 955 portant amnistie de certains faits punissables et commutation de certaines peines en matière d'attentat contre la sûreté extérieure de l'Etat ou de concours à des mesures de dépossession prises par l'ennemi et instituant des mesures de clémence en matière d'épuration administrative.

(Mémorial No 5 du 21 janvier 1955, page 161) Nous CHARLOTTE, par la grâce de Dieu, Grande-Duchesse de Luxembourg, Duchesse de Nassau, etc., etc., etc. ;

Notre Conseil d'Etat entendu ; De l'assentiment de la Chambre des Députés; Vu la décision de la Chambre des Députés du 23 novembre 1 954 et celle du Conseil d'Etat du 14 décembre 1 954 portant qu'il n'y a pas lieu à second vote; Avons ordonné et ordonnons : Art. l ". Amnistie est accordée pour toutes infractions contre la sûreté extérieure de l'Etat commises avant le 1" juin 1945 lorsque le fait aura entraîné ou est de nature à entraîner une peine privative de la liberté ne dépassant pas 5 années et une amende ou l'une de ces peines seulement. L'amnistie prévue par la présente loi et sauf les exceptions y prévues se déterminera d'après le taux des peines maintenues par un arrêté de grâce intervenu avant l'entrée en vigueur de la présente loi ou par un arrêté à intervenir, soit à la suite d'un premier recours en grâce introduit avant le 1" septembre 1 95 1 , soit à la suite d'un premier recours actuellement pendant ou à introduire au plus tard daifis les trois mois à partir de l'entrée en vigueur de la présente loi. Toutefois les intéressés ne pourront bénéficier de l'amnistie qu'à partir du moment où ils auront intégralement payé l'amende. Art. 2. L'article 1" s'applique aux personnes coupables d'attentat contre la sûreté extérieure de l'Etat en même temps que de concours à des mesures de 2 72

dépossession prises par l'ennemi commis avant le 1" juin 1 945 ainsi qu'aux personnes coupables seulement de concours à des mesures de dépossession prises par l'ennemi commis avant le 1" juin 1 945. Art. 3. Bénéficieront en outre de l'amnistie: 1° les personnes condamnées du chef d'atténtat contre la sûreté extérieure de l'Etat à une peine privative de la liberté ne dépassant pas 1 0 ans et qui sont nées soit antérieurement au premier juin 1 889, soit postérieurement au 31 mai 1 924 ; 2° les personnes condamnées du chef d'attentat contre la sûreté extérieure de l'Etat à une peine privative de la liberté ne dépassant pas 1 5 ans, affectées sur leur demande et pendant leur détention à un service de déminage ou de découpage de tanks. Art. 4. Les peines criminelles ne dépassant pas 10 ans de réclusion prononcées du chef d'attentat contre la sûreté extérieure de l'Etat et du chef de concours à des mesures de dépossession prises par l'ennemi ou du chef d'une de ces infractions seulement, et ne bénéficiant pas des articles 1 à 3 de la présente loi, seront commuées en des peines d'emprisonnement de même durée. Art. 5. Ne bénéficient pas de l'amnistie portée aux articles 1" et 2 : 1 ° les personnes coupables de dénonciation à l'ennemi, lorsque les infractions relevées à leur charge ont entraîné ou sont de nature à entraîner une peine privative de la liberté dépassant trois ans d'emprisonnement; 2° les personnes coupables d'un crime ou d'un délit contre les personnes connexe à un attentat contre la sûreté extérieure de l'Etat, lorsque les faits ont entraîné ou sont de nature à entraîner une peine privative de la liberté dépassant trois ans d'emprisonnement. Art. 6. Sont exclus de l'amnistie: 1° Ceux qui jusqu'au 1" janvier 1 952 auront résidé à l'étranger ou seront restés cachés dans l'intention de se soustraire à des poursuites ou à l'exécution à une condamnation du chef d'attentat contre la sûreté extérieure de l'Etat ou de concours à des mesures de dépossession prises par l'ennemi, à moins qu'ils ne prouvent qu'ils ont été dans l'impossibilité de rentrer au pays ; 2° ceux qui se seront évadés et ne se seront pas présentés volontairement dans l'année de l'évasion devant les autorités luxembourgeoises compétentes ; 3° ceux qui, avant l'entrée en vigueur de la présente loi, auront été condamnés, du chef d'infractions autres que celles visées aux articles 1 et 2 de la présente loi, soit à une peine criminelle, soit à deux peines d'emprisonnement 273

correctionnel prononcées sans sursis ou ayant donné lieu, en tout ou en partie, à déchéance du sursis. Pour l'appréciation de ces conditions il ne sera pas tenu compte des effets éventuels de la loi du 1 1 avril 1 950 sur l'amnistie en matière de droit commun. 4°

Les personnes condamnées du chef de crimes de guerre.

Art. 7. L'amnistie ne confère pas la restitution de l'électorat actif et passif, ni de la nationalité luxembourgeoise pour autant que celle-ci n'a pas été restituée par la loi du 3 1 mars 1 950 tendant à atténuer certaines peines attachées à des condamnations encourues du chef d'attentat contre la sûreté extérieure de l'Etat. Art. 8. L'amnistie ne pourra être opposée aux droits des tiers. Elle reste sans effet sur l'application des dispositions légales en matière d'indemnisation des dommages de guerre. Elle ne pourra être opposée aux droits de l'Etat en ce qui concerne le paiement des amendes, des frais de détention, des frais de justice, ainsi que la confiscation des choses visées à l'art. 42 du Code pénal et des bénéfices illicites dont il est question à l'art. 123septies du Code pénal. Nonobstant l'amnistie, le tribunal, en chambre du conseil, ordonnera les restitutions et confiscations légalement prévues en matière de concours à des mesures de dépossession de l'ennemi ainsi que les confiscations n'ayant pas exclusivement le caractère d'une peine accessoire. Dans le mois de la signification de cette décision l'auteur de l'infraction pourra former opposition par acte signifié au ministère public par lettre recommandée à la poste. Il y sera statué en audience publique. Le tribunal saisi de l'action civile en même temps que de l'action répressive reste compétent pour statuer sur l'action civile, nonobstant l'amnistie. Art. 9. A l'avenir les condamnations comprises dans l'amnistie ne seront plus inscrites dans les extraits du casier judiciaire à délivrer aux particuliers à moins qu'à la date du 1" janvier 1951 le nombre des condamnations pour délits ne dépasse trois ou que l'une de ces condamnations, non conditionnelle, ne soit supérieure à huit jours d'emprisonnement. Les extraits du casier judiciaire comprenant les condamnations amnistiées par la présente loi seront délivrés, à leur demande, à toute juridiction et à toute personne, chargée de la conduite d'une enquête prévue par la loi, lorsque ces documents se rapportent à des individus contre lesquels il est instruit à titre répressif ou à titre administratif, ou à des personnes appelées en témoignage en toute matière, ou lorsqu'ils attestent l'existence de la preuve légale prévue pour l'application des art. 443 et suivants du Code pénal. 274

La procédure à suivre en cas de contestation sur l'amnistie en dehors d'une poursuite ou sur le casier judiciaire est réglée conformément à l'art. 2 de la loi du 5 décembre 191 1 portant réhabilitation de droit des condamnés à des peines correctionnelles ou à des peines de police. Art. 10. Les juridictions d'instruction et de jugement déclareront l'action publique éteinte pour la poursuite de toutes les infractions qu'elles jugeront de nature à n'entraîner qu'une condamnation bénéficiant de plein droit de l'amnistie. Les juridictions d'instruction aviseront la partie civile constituée, par lettre recommandée, de la décision intervenue. En cas de constitution de partie civile, cette dernière a le droit de provoquer de la part des juridictions d'instruction le

revoi devant la juridiction répressive compétente et devant les juges répressifs

du fond la décision sur l'action en dommages-intérêts. En cas de condamnation à une peine criminelle ne dépassant pas 10 années de réclusion le tribunal prononcera la commutation de la peine de réclusion en une peine d'emprisonnement de même durée. Art. 1 1 . L'amnistie n'entraîne pas la réintégration dans les fonctions ou emplois publics, fonctions judiciaires, grades militaires et offices ministériels, ni dans les emplois aux chemins de fer luxembourgeois et ne porte pas atteinte aux sanctions prises ou à prendre par voie de mesure d'épuration. Toutefois, par dérogation aux dispositions de l'art. 22 de la loi du 8 mai 1872 sur les droits et devoirs des fonctionnaires et de l'art. 3, A 2° et B 3° de la loi du 25 mars 1929 portant publication des textes coordonnés sur les pensions, le droit à la pension est rétabli dans la mesure indiquée aux dispositions qui vont suivre. Art. 12. En ce qui concerne les fonctionnaires et employés de l'Etat, des communes et des établissements publics ou d'utilité publique, les magistrats ainsi que les agents des chemins de fer luxembourgeois bénéficiant de l'amnistie et nés antérieurement au 1" juin 1900 le Ministre ayant dans ses attributions !'Epuration pourra, par voie de mesure individuelle à prendre à la demande de l'intéressé et avec effet pour l'avenir, substituer à la sanction de la révocation celle de la mise à la retraite d'office avec diminution de la pension, le tout à la condition 1° que l'intéressé ait obtenu, avant le 10 mai 1940, une nomination définitive à un emploi ou à une fonction et que a) il appartienne à l'une des catégories prévues à l'art . 1" de la loi du 25 mars 1 929 portant publication des textes coordonnés sur les pensions, ou que b) il ait eu la qualité de fonctionnaire ou employé communal dans le sens des dispositions de la loi du 7 août 1912 concernant la création d'une caisse de 275

prévoyance pour les fonctionnaires et employés des communes et établisse­ ments publics telle qu'elle se trouve modifiée par les dispositions subséquentes ou que c) il ait eu la qualité d'agent des chemins de fer luxembourgeois dans le sens du statut approuvé par l'arrêté grand-ducal du 14 mai 1921 ; et

2° qu'il ait fourni, au 1" janvier 1 94 1 , quinze ans de bons et loyaux services

3° qu'il ne se trouve pas légalement exclu du droit à la pension par une circonstance autre que la condamnation amnistiée et la révocation par mesure d'épuration. Il sera statué sur les demandes en commutation de sanction par le Ministre ayant dans ses attributions !'Epuration sur l'avis d'une commission à instituer par lui. Les décisions du Ministre compétent, prises dans le cadre des dispositions ci-dessus, ne sont susceptibles d'aucun recours. Art. 13. Les décisions spécifieront le taux de diminution des pensions. Ces pensions pourront être inférieures au minimum prévu à l'article 25 II de la loi du 26 mai 1954 réglant les pensions des fonctionnaires de l'Etat. Elles ne pourront dépasser le triple de ce minimum. La législation sur les pensions de retraite des fonctionnaires et employés publics ainsi que des agents des chemins de fer leur est applicable dans la mesure où elle n'est pas incompatible avec les dispositions de la présente loi. Pour le calcul de la pension, le temps de service n'est computé que jusqu'au 31 décembre 1940. Les pensions ne viennent à échéance qu'à la date où les intéressés auront rempli les conditions requises pour l'ouverture du droit à la pension d'après la législation sur les pensions de retraite. Art. 14. Les dispositions de l'article qui précède sont applicables aux fonctionnaires et employés publics, aux magistrats, et aux agents des chemins de fer révoqués administrativement en raison de leur attitude à l'égard de l'ennemi. Art. 15. L'amnistie n'a pas pour effet de remettre en jouissance des pensions de retraite des fonctionnaires ou employés de l'Etat, d'une commune, d'un établissement public ou d'utilité publique et les agents des chemins de fer déchus, en raison de leur attitude à l'égard de l'ennemi, de la pension dont ils jouissaient au 1 0 septembre 1 944. Toutefois les intéressés pourront bénéficier d'une restitution à intervenir dans les formes et limites prévues aux articles 1 1 , 12 et 13 de la présente loi. 276

Art. 16. Le bénéfice des dispositions des art. 12 à 1 5 de la présente loi pourra être invoqué par la veuve et les orphelins d'un fonctionnaire ou employé, déchu de la pension ou du droit à la pension. Art. 1 7. Les droits à pension des bénéficiaires des art. 1 1 à 16 de la présente loi et ceux de leurs survivants seront déterminés à l'occasion des dispositions prévues par l'art. 31 de la loi du 29 août 1951 ayant pour objet la réforme de l'assurance-pension des employés privés. Art. 1 8. En ce qui concerne les fonctionnaires et employés publics, les magistrats et les agents des chemins de fer luxembourgeois qui, en raison de leur attitude à l'égard de l'ennemi, ont été mis en jouissance d'une pension réduite, le Ministre ayant dans ses attributions !'Epuration pourra, par voie de mesure individuelle à prendre à la demande de l'intéressé, de sa veuve ou de ses orphelins et avec effet pour l'avenir, soit rapporter complètement la sanction de la réduction de la pension, soit fixer un taux de réduction plus faible. Le Ministre compétent statuera sur les demandes présentées sur avis de la commission visée à l'art. 12 de la présente loi. Ses décisions ne seront susceptibles d'aucun recours. Mandons et ordonnons que la présente loi soit insérée au Mémorial pour être exécutée et observée par tous ceux que la chose concerne. Palais de Luxembourg, le 12 janvier 1 955. Charlotte. Le Ministre de la Justice, Victor Bodson. Le Ministre des Finances et de !'Epuration, Pierre Werner.

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BIBLIOGRAPHIE

PRINCIPAUX OUVRAGES CONSULTÉS

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281

KOCH-KENT Henri KOCH-KENT Henri KOCH-KENT Henri KOCH-KENT Henri MELCHERS E.T. MULLER P.J. PAXTON O. Robert REILE Oscar RODESCH Alphonse SCHAUS Emil SCHAUS Lambert SPEER Albert SPEER Albert STEFFEN Francis TRAUSCH Gilbert TRAUSCH Gilbert WEBER Paul WEBER Paul

282

Luxemburg im SD-Spiegel, Imprimerie Hermann, Luxemburg, 1970 10 mai 1940 en Luxembourg, Imprimerie Faber, Mersch (Grand-Duché), 1971 Sie boten Trotz. Luxemburger im Freiheitskampf 1 939-1945, Imprimerie Hermann, Luxemburg, 1974 Putsch à Luxembourg? Imprimerie Hermann, Luxembourg, 1979 Kriegsschauplatz Luxemburg August 1914 - Mai 1940, St.-Paulus-Druckerei, Luxemburg, 1963 Tatsachen aus der Geschichte des Luxemburger Landes, Luxemburg, 1968 La France de Vichy, Editions du Seuil, Paris, 1974 L'Abwehr - le contre-espionnage allemand en France, Editions France-Empire, 1970 Le Luxembourg sous la botte nazie, 1950 Ursprung und Leistung einer Partei. St.-Paulus­ Druckerei, Luxemburg, 1974 Contribution à l'étude du droit pénal luxembour­ geois, Imprimerie Jos. Beffort, Luxembourg, 1952 Au coeur du Troisième Reich, Editions Fayard, Paris, 1971 Journal de Spandau, Editions Laffont, Paris, 1975 Die geopferte Generation, Imprimerie Hermann, Luxemburg, 1 976 Le Luxembourg à l'heure contemporaine, Editions Bourg-Bourger, Luxembourg, 1975 Joseph Bech, un homme dans son siècle, Imprimerie St-Paul, Luxembourg, 1 978 Geschichte Luxemburgs im zweiten Weltkrieg, Imprimerie Buck, Luxemburg, 1947 Histoire de l'économie luxembourgeoise, Chambre de Commerce, Luxembourg, 1 950

JOURNAUX ET PUBLICATIONS DIVERSES

l'indépendant Luxemburger Wort Tageblatt, journal d'Esch